Granier de Cassagnac
I
Histoire du Directoire [I-III].
L’époque du Directoire est une de ces époques décourageantes qu’on aimerait mieux voiler que raconter, quand on a un peu de pudeur pour son pays. Des quatorze cents ans de notre histoire de France, les quelques années du Directoire, de ce gouvernement de corruption et de néant, sont assurément celles où la France (à part la gloire des camps) est le plus tristement tombée… S’il était permis à l’Histoire d’avoir des silences, elle pourrait se taire, de convenance ou de honte, devant tant d’ignominie et de nullité, et ce n’est pas un doigt qu’elle aurait à se mettre sur la bouche, comme le dieu Harpocrate, ce serait toute la main ! Malheureusement, l’Histoire n’a pas le droit de s’épargner le dégoût des faits qu’elle a pour charge de transmettre à la postérité. Comme mademoiselle de Sombreuil, elle doit boire, jusqu’au fond, son calice de sang et de fange. La sagesse de ses enseignements n’est qu’à ce prix.
Voilà ce que n’a pas manqué de comprendre un homme qui a fait déjà ses preuves en histoire. Granier de Cassagnac, cette plume de guerre qui sait être aussi une plume de justice, nous a donné, il y a quelques années, une Histoire des causes de la Révolution française que personne n’a oubliée, et il s’est cru obligé d’y ajouter, comme une conclusion, celle du Directoire. Il a eu raison. Rien de mieux pensé. Le dernier produit de la Révolution française, c’est, en effets le Directoire. C’est là le ridiculus mus de cette montagne en mal d’enfant dont la clameur a rempli le monde. Il était donc bon d’en parler. Dans son Histoire des causes de la Révolution, Cassagnac avait eu pour but principal de montrer la petitesse de cœur et d’esprit des prétendus grands hommes révolutionnaires sans nulle exception, de faire toucher du doigt le manque de solidité] réelle de tous ces épouvantails de coton (ainsi que le disait le vieux Mirabeau de son fils), qui s’imbibèrent du sang de la France comme des éponges, et jamais dessein ne fut mieux rempli. Il le fut si bien, qu’à dater de la publication de Μ. de Cassagnac, les écrivains révolutionnaires, comme Michelet, par exemple, renoncèrent à la poésie et à la vertu de leurs grands hommes et se rabattirent sur un héros plus vague, — le Peuple anonyme et collectif. C’était là un résultat plein de lumière, mais il ne suffisait pas au courageux écrivain. Il avait en vue quelque chose de plus complet.
Après avoir peint, dans leur réalité, les hommes de la révolution convulsive, il lui restait les hommes de la révolution fatiguée, ces invalides du régicide qui avaient mis leurs cinq têtes à la place du chef qu’ils avaient coupé ; il restait ces stropiats du crime aux affaires, qui nous font nous prendre d’une estime rétrospective pour les eunuques d’Honorius ! En entrant dans cette phase nouvelle et définitive de la Révolution, on était obligé de descendre plus bas que le dernier degré de l’échafaud, on était tenu de soulever plus infect que la boue des corps, mais la boue des âmes. Μ. de Cassagnac s’est dévoué à cela. Il n’a reculé devant aucune des nécessités de sa tâche. Elles étaient grandes, pourtant. Il fallait, chose difficile ! quand l’histoire s’abaisse et se souille, ne pas abaisser son jugement, ne pas laisser souiller sa pensée, et c’est là ce que Μ. de Cassagnac a su faire. Par précaution, il avait mis, sans doute, comme un ancien Romain, un vomitorium près de lui, puisqu’il s’agissait de remuer toutes les dépravations, les bassesses, les espionnages, les friponneries, les trahisons de cette époque affreuse et légère, et c’est ainsi qu’il a pu écrire, sans trop de défaillances, cette histoire d’un temps qui a enfoncé la corruption des monarchies et qu’on pourrait appeler sans emphase : — la Régence de la Révolution.
II
Jamais, en effet, rien de pareil ne s’était vu, et, quoique la synonymie des deux époques soit assez frappante, cependant, il faut bien l’avouer, l’avantage revient au Directoire. En fait de mœurs inouïes, de cupidités sans nom, de mépris de toutes les choses jusque-là respectées, de perversité et même de bêtise, ces roués canailles ont vaincu les roués grands seigneurs. L’histoire a fait un pas immense. Quand on rencontrait devant soi Philippe d’Orléans, on croyait tenir le chef-d’œuvre du genre. On se trompait. Il devait y avoir Barras. Après les Sabran et les Falaris, qui avaient au moins l’élégance, la seule vertu des courtisanes, il devait y avoir des femmes Tallien, qui allaient nues, avec des diamants aux doigts du pied, mais qui n’en avaient point aux lèvres ; car elles disaient : « Un homme cossu », et leur ton valait leur langage ! Après la banqueroute de Law, cette équipée, il devait y avoir des agiotages immenses, rongeurs, monstrueux, cyniquement avoués, auprès desquels le délire do la rue Quincampoix n’était plus guères qu’une éruption de la peau, comparée à une lèpre hideuse et profonde. Il y avait, enfin, sous ce régime du Directoire, des pensionnaires de la trahison à côté de qui Dubois, avec son faux million donné, a-t-on dit mensongèrement, par l’Angleterre, pour favoriser son alliance, n’aurait plus que la mine chétive d’un grippe-sou et d’un innocent. Sous la Régence, on ruinait la France à ciel ouvert, mais on ne la tripotait pas ! tandis que, sous le Directoire, tout le monde pensait à la vendre. L’embarras fut de la livrer.
Telle est l’époque que Μ. de Cassagnac avait à décrire après celle qu’il nous avait déjà retracée, et qui la parachève en la fermant. Il y avait plusieurs manières de la reproduire, cette époque, quoi qu’il n’y en eût qu’une seule de la juger. On pouvait en être le Saint-Simon ou le Suétone : — abonder de détails, les dénuder, les faire saillir, les rougir de cette flamme de l’indignation, qui est à l’horizon moral de l’histoire ce qu’est, à l’horizon physique de leurs tableaux, cette pourpre sanglante sur le fond de laquelle les_ peintres détachent mieux quelque scène criminelle et tragique ; — ou bien on pouvait, comme Tacite, aspirer à la sobriété hautaine, au choix supérieur qui suffit pour montrer tout sans rien étaler, à cette concentration terrible qui fait du style et de la pensée un acide qui perce et dissout. C’est ce dernier parti qu’a pris Granier de Cassagnac. C’est Tacite, dans sa forme sévère, qu’il s’est proposé d’imiter. Le nouvel historien du Directoire a mieux aimé résumer les choses que de les étendre, concentrer les faits de sa narration que de les développer. Talent mûri, éprouvé, simplifié, serrant son expression autour de sa pensée, comme on tend la voile pour aller plus vite, pour augmenter cette rapidité du récit qui est une beauté et une puissance, Μ. de Cassagnac a voulu rester chaste dans une histoire qui ne l’est pas. Il paraîtra peut-être un peu froid à ceux qui ont beaucoup lu les Mémoires de cette époque dégradée et sont descendus jusqu’au fond de tous ces ignobles cratères ; mais, pour nous, cette froideur est celle de l’élévation. C’est une qualité. C’est une qualité à laquelle se joint parfois une chose excessivement touchante : la mélancolie du talent devant une France en poudre, qui, excepté le mépris, ne peut plus rien inspirer !
Car on a beau être historien par la tête et par les entrailles, on a beau avoir une plume solide et brillante, on a beau chercher dans la force de son mépris le trait qui doit rester comme une condamnation et une flétrissure immortelles, il est à coup sûr des temps, des choses et des personnages, qui désarment toujours un peu l’historien et qui l’affaiblissent. Lorsqu’on ne descend pas d’un certain niveau, la médiocrité des choses, antipathique à l’historien de cœur, n’offre pas le danger d’une hache qui pourrait lui blesser la main et mutiler son énergie. Mais il est des ravalements tels qu’ils doivent engourdir les plus vivantes parties de lui-même, et faire l’effet du contact de la torpille sur le talent le plus résolu et le plus vibrant. Nous ne doutons pas qu’en écrivant l’histoire de la société et du gouvernement du Directoire Μ. de Cassagnac ne l’ait éprouvé. Quand les hommes, de plus en plus rapetissée, racornis, dissous, sont sur le point de ne plus être et grimacent au bord du néant, comment le talent qui cherche quelque chose de grand à peindre, soit dans le bien, soit dans le mal, peut-il palpiter en nous les peignant ? Le dégoût n’inspire pas : il détache. La décomposition humaine est une glaise qui salit vainement les doigts et avec laquelle on ne fera jamais une statue. Croyez-le bien ! les génies plastiques les plus vigoureux, les Michel-Ange, les Salvator Rosa, ne sauraient animer et faire repousser ces hommes sans relief, rongés de nullité encore plus que de vices, ces larves sans physionomie, ces restants de la Révolution française en orgie sur les tombeaux qu’ils avaient faits. Eh bien, littérairement, l’impossibilité est la même, et cette impossibilité, Μ. de Cassagnac l’a sentie, mais il en a vaincu l’angoisse ! Nous ne pensons pas que son Histoire du Directoire égale en mérites son Histoire des causes de la Révolution française, mais il fallait le talent de l’une pour écrire l’autre, dans son infériorité belle encore.
III
Les deux premiers volumes ont paru. Le premier, qui commence à l’horrible inventaire de la succession que le Directoire a ramassée, est, avant tout, un large tableau de la France ainsi que la Mort l’avait faite, eût dit Bossuet, qui ne se doutait pas que la Mort aurait bientôt une sœur en France qui lui contesterait son droit d’aînesse, — la Révolution ! Certes ! ce n’est pas à la France de ce temps que nous pourrions appliquer les vers de Byron sur la beauté de la Grèce morte ; car, moralement et physiquement, elle était, hélas ! épouvantable. La famille n’était plus. Le divorce régnait. On tolérait l’inceste. La famine demandait du pain à un gouvernement qui n’en avait pas : « Nous prendrions vos assignats, si nos chevaux en mangeaient », disait un paysan. L’agriculture, le commerce, l’industrie, ces grands arbres du pays, étaient coupés jusque dans leurs racines. Il n’y avait ni canaux, ni routes, et les loups (j’entends ceux des bois) venaient flairer insolemment le pavé de nos villes. Voilà la beauté d’égorgée que le Directoire allait profaner tout en essayant de la faire revivre ! Quand une fois il nous a montré toutes les plaies dont elle était morte, l’historien nous met au courant de cette Constitution de l’an III, qui régnera jusqu’au moment où commencera de souffler ce vent que l’on n’apaisera plus et qui doit emporter toutes les constitutions, les unes après les autres ; puis il nous frappe en effigie ces têtes molles qui répugnent à la ferme précision des médailles, ces traits brouillés de sang, blafards de peur, des maîtres nouveaux de la France : Barras, La Révellière-Lépeaux, Rewbell, Le Tourneur et Carnot. Selon nous, le mérite de ce premier volume est particulièrement dans le détail poignant des maux de la patrie, dont pas un seul n’est oublié. Le second volume, qui se replie sur Vendémiaire pour s’arrêter au 18 Fructidor, le prodrome éclatant de Brumaire, contient l’échange de Madame Royale, la conspiration de Babeuf, la sordide trahison de Pichegru, et l’histoire, à travers tous les faits, de cette anarchie entre des pouvoirs rivaux que nous avons vue exister depuis dans des gouvernements détruits parce qu’ils étaient impossibles.
En quelques mots, c’est là le livre et le temps d’arrêt dans son livre que Granier de Cassagnac nous met sous les yeux. La partie qui reste de son ouvrage, et qui formera deux autres volumes, nous relèvera le cœur, puisqu’elle relèvera la France de rabaissement continu auquel nous la voyons réduite dans les deux premières. Cette seconde partie devra contenir le grand fait sauveur de Brumaire et l’histoire des armées françaises, à toute époque l’honneur, l’espoir et la véritable vie de la France, dix fois morte sans elles. Cette moitié du plan de Μ. de Cassagnac, non écrite encore, on la pressent et on la voudrait. L’imagination en est impatiente. On vient, en suivant l’historien, de parcourir tant de misères, de sottises et de fétidités, qu’on a hâte d’en finir, — qu’on a hâte de voir enfin ce gouvernement d’infamie entièrement écrasé, entre la roue de la charrette révolutionnaire qui s’en va et celle du char de la Gloire militaire qui arrive ! Au milieu de ce labyrinthe d’intrigues, de ce mauvais air d’antichambre, de police et de sales manèges, qui est comme le fond de ces deux volumes, on sent battre le cœur du pays à travers la frontière, on entrevoit quelque chose de vengeur, quelque chose de dessouillant, comme disait Napoléon, qui va venir et qui s’approche, et l’écrivain, qui est très habile, prépare admirablement le coup d’État final de son héros. Il n’y a pas cependant que l’entente théâtrale de l’histoire dans cette lente et laborieuse évocation de l’historien. Il y a l’entente bien plus profonde du grand homme qui commence à poindre, et dont Μ. de Cassagnac a très bien saisi et rendu le trait caractéristique, à ce moment de son action. En 1797, le trait principal de la figure de Bonaparte, qui se détache, dans sa jeune beauté de tête de Méduse, sur le bouclier de la Victoire, c’est le silence et l’impénétrabilité. Pour les partis entre lesquels il vit et auxquels il ne se mêle pas, il est le sphinx de sa grandeur future. Les contrastes de ses manières d’agir avec l’opinion contemporaine révèlent la profondeur de sa pensée. Il veut la paix ; le Directoire voulait la guerre. Tout le monde était impie et philosophe ; il était respectueux envers le Pape et il avait obtenu un asile à Rome pour les pauvres prêtres émigrés. De tels actes étaient son seul langage dans un temps où la France, épuisée de cris et de phrases, rendait l’âme dans l’éloquence de ses tribuns.
Sans cette grande personnalité de Napoléon Bonaparte, ébauchée par les événements qui l’achèveront, sans ce jeune astre qui émerge de l’horizon d’Italie, on n’aurait pas, pour reposer les yeux et la pensée, une seule figure digne des respects de l’histoire dans ce trifouil immonde au milieu duquel l’historien a eu le courage de pénétrer. Je me trompe : il y en a une autre, aussi grande à sa façon que celle de Bonaparte l’était à la sienne ; il y a Madame Royale de France, la fille de Louis XVI, que Napoléon lui-même admirait, cette femme surnaturelle de force et de douleur, et cependant impopulaire, à qui nous en avons trop fait, sans doute, pour pouvoir jamais lui pardonner ! Malheureusement, elle traverse un peu vite l’histoire de Cassagnac. L’auteur dit sur elle quelques mots fort nobles ; mais on en désirerait davantage. Des histoires plus riches en grandeurs morales que celle du Directoire s’orneraient majestueusement de cette imposante figure. Pourquoi Cassagnac, qui a le sentiment du grand et la puissance de le peindre, n’a-t-il pas fait poser devant lui plus longtemps cette divine figure de Madame Royale ? Elle qui passe et Bonaparte qui s’en vient, voilà les deux seuls visages, en marbre pur, qui apparaissent dans tout le cours de cette histoire, où chaque figure a l’ulcère d’un vice ou le front courbé d’une bassesse. L’habitude de montrer le creux des hommes ou leurs plus honteuses plénitudes finirait-elle par tyranniser la pensée de l’historien, et le rendrait-elle moins propre à nous peindre la perfection humaine et les limpides rayonnements de ses vertus ? On ne fait peut-être pas impunément ce terrible métier de dévisageur de renommées qui sera dans l’avenir le vrai titre de Granier de Cassagnac. Dans le ciel même, l’ange qui frappe n’est pas l’ange qui couronne, et qui sait si sa fonction de justice cruelle ne nuit pas, dans l’historien, à la fonction de justice douce que nous voudrions aussi lui voir exercer ?
En effet, — et nous insistons sur ce point, parce qu’il a des conséquences de vérité inattendue pour l’histoire qui nous semblent plus importantes à reconnaître que le mérite de Cassagnac, — ce qui distingue et classera véritablement à part le nouvel ouvrage de l’éminent écrivain, c’est ce qui avait tant frappé d’abord dans l’Histoire des causes de la Révolution française : la faculté d’écarter tous les attirails, tous les oripeaux, toutes les mises en scène des partis, pour arriver jusqu’à l’homme exagéré ou menti, jusqu’à l’intrus dans la gloire ou le respect des hommes, — et l’en arracher ! Dans son Histoire du Directoire, l’ardent iconoclaste des idoles révolutionnaires continue son superbe dégât. Nous citerons un chapitre sur Carnot qui déconcertera quelque peu ceux-là qui lui avaient constitué et arrangé un petit domaine de vertu pure. On y verra que cet homme n’a pas mal de sang sur les mains. Déjà, dans ses Mémoires, Chateaubriand avait dit un mot sur ce Distrait de la Terreur, qui signait, sans en avoir conscience et par préoccupation de ses berquinades, des arrêts de mort entre deux romances ; seulement, ce qui n’était qu’un mot dans Chateaubriand, devient dans Cassagnac toute une accusation longue et déduite, appuyée sur une masse de témoignages. Avec Carnot, ce curieux mélange de puritanisme et de bucolique ; avec Pichegru, ce héros qui déshonore son casque en le tendant à l’argent de la trahison ; avec La Révellière-Lépeaux, ce Quasimodo de la cathédrale sans cloches de la théophilanthropie et dont Cassagnac nous a levé une empreinte si dédaigneusement burlesque ; avec madame de Staël, qui ne l’éblouit pas et qu’il sait regarder dans ses beaux yeux sans perdre la fermeté d’un homme qui juge une femme et sait la placer un peu au-dessous de sa gloire, Cassagnac nous a donné un Babeuf qu’on ne connaissait pas, et qu’il faudra désormais apprendre quand il s’agira d’en parler.
Depuis que les Partageux, qui se retrouvent au fond de toutes les révolutions comme les rats au fond de toutes les ruines, ont reparu, flanqués de théorie, dans ces derniers temps, on a essayé de faire de Babeuf, lâche et faussaire, un grand génie et presque un grand homme, comme si l’insecte qui perce la planche d’un vaisseau était plus qu’un ver ! Cassagnac nous a montré en quoi consistait le misérable petit reptile. À la lueur des faits qu’il évoque, Babeuf disparaît, comme le Robespierre de Nodier avait déjà disparu dans l’Histoire des causes de la Révolution française.
Babeuf et Robespierre, médailles vides, où l’imagination des poètes et l’intérêt des partis a gravé je ne sais quel fantôme de colossale fantaisie ! gens de meurtre ou d’anarchie dont Dieu a gardé le secret ! Parce qu’ils n’étaient rien, à part les circonstances, ils se sont trouvés valoir quatre fois plus que s’ils avaient été, et Cassagnac l’a prouvé avec la plus magnifique évidence. Or, cette preuve, fulgurante dans les Causes de la Révolution française, dans son Histoire du Directoire, et qui continuera de briller dans cette Histoire de la Convention qu’il prépare, n’est pas une preuve individuelle qui s’applique à tel ou tel homme. Elle s’applique à la Révolution même, dont on pourrait dire, sans les horreurs, — qui sont bien quelque chose : — « Elle était riche comme le néant : voilà pourquoi on lui prête tout ! »
IV
Histoire de la chute du roi Louis-Philippe, de la République de 1848 et du rétablissement de l’Empire [IV-XI].
L’Histoire de la chute du roi Louis-Philippe, de la République de 1848 et du rétablissement de l’Empire, était attendue▶ depuis longtemps par l’opinion. Ce n’étaient pas seulement les événements auxquels touche ce livre : la chute de Louis-Philippe et l’érection de l’Empire sur une République en poussière, que l’on était curieux de voir retracés par une main compétente et profondément renseignée, mais c’était l’écrivain, c’était l’homme, aux prises avec ce grand sujet. En France, nous aimons les choses difficiles, et, à tort ou à raison, cela paraissait difficile et même dangereux pour Granier de Cassagnac d’écrire l’histoire qu’il a entreprise sans trembler. Au regard de beaucoup de gens, qui veulent que l’on reste fidèle aux gouvernements qui se sont eux-mêmes abandonnés, et qu’on croie au droit de ces gouvernements quand ils l’ont renié le jour qu’il fallait le défendre, Granier de Cassagnac, avec sa retentissante position de publiciste du pouvoir sous la monarchie de Juillet, ne pouvait pas — à ce qu’il semblait — en raconter impartialement la fin misérable et adhérer de nécessité et de conviction à l’Empire. Il y avait dans le passé du polémiste des dix-huit ans quelque chose qui s’opposait à cela… une de ces petites difficultés qui peuvent embarrasser le plus grand talent et le vaincre. Nous verrons tout à l’heure si le talent a été vaincu. Mais, préalablement à tout examen, nous dirons qu’il ne pouvait l’être ; car la difficulté qu’on signalait n’existe pas.
L’auteur de la Chute de Louis-Philippe ne fut jamais, en effet, quoi qu’on ait pu dire, inféodé de sa personne, de ses principes ou de sa raison, à la maison d’Orléans, et rien ne devait invalider ou affaiblir le jugement qu’il avait à porter sur elle. Il était de ces royalistes dont il parle au commencement de son histoire, qui, voyant dans la royauté le principe qu’elle personnifie et non les faveurs qu’elle dispense, se ralliaient (après 1830) autour de ce que la Révolution avait laissé de monarchie ». — « Pour ceux-là, — dit admirablement Cassagnac, — ce n’était pas ce qui sauve la France : le Roi ! mais c’était ce qui la rassure : un Roi ! Comme le berger de Virgile, ils honoraient ces pénates de bois, en attendant que la fortune les fît d’or. »
Tel fut Cassagnac au début de sa vie politique, et tel il a été toujours. Très peu connu, quoique très célèbre, parce que les partis qu’il a
blessés, et souvent jusqu’au cœur, en les combattant, avaient un intérêt de passé et d’avenir à calomnier un ennemi aussi redoutable, on n’a guères vu Cassagnac qu’à travers leur injure. Mauvais milieu pour le bien voir ! Pendant vingt ans et davantage, cette injure qu’il ne craignait pas, qui ne troublait pas la bonne humeur de sa force, l’a travesti en je ne sais quel condottiere superbe, impassible à la honte ; et c’était vrai : il était impassible à celle qu’on voulait lui faire pour fausser ses armes ou pour le désarmer. Or, si par condottiere il faut bien entendre ce qu’on a entendu toujours, c’est-à-dire un homme qui met sa vie ou sa pensée au service de tous ceux qui peuvent les payer ce qu’il les estime, pourquoi donc n’a-t-on jamais vu Cassagnac au service des partis révolutionnaires, plus populaires et plus puissants que les gouvernements qu’ils ont détruits ? C’est que non seulement sa conviction réfléchie, mais la constitution de son esprit y répugnait. C’est qu’avant tout, intelligence autoritaire, en prenant parti pour les gouvernements, en choisissant cette cause qu’il a indissolublement épousée, c’était leur autorité qu’il voulait sauver ou défendre et qu’il a souvent défendue même contre eux ; car le pouvoir des lâches temps que nous avons traversés a eu d’effroyables pentes au suicide, et bien souvent il a mêlé imbécilement sa main à celle de ses ennemis pour se frapper. À une époque de chancellement et de titubation universelle, Granier de Cassagnac, d’un talent de
polémique, il faut bien le dire, sans égal, n’a jamais fait pourtant qu’une chose. Il n’en a pas fait deux. Il a combattu pour le pouvoir, les principes, la monarchie, l’autorité, la règle, les idées chrétiennes, quelle que fut l’indignité de ceux qui portaient cette Arche des peuples. C’est à la lumière de sa conception du pouvoir qu’il en a accepté ou repoussé les titulaires ; car la République de 1848 a vécu, et, quoique dans son règne dévoré d’un moment il y ait eu la place et le temps pour d’immortelles bassesses, Cassagnac ne s’est pas mis, lui, à ses pieds. Il le rappelle dans une préface qu’il avait le droit et qu’il a eu raison de placer à la tête de son livre. L’historien, en effet, ne s’appartient plus. C’est la pureté de la main qui l’écrit qui fait la beauté de l’histoire, et voilà pourquoi on l’essuie. Voilà pourquoi on ôte de son nom, dans l’intérêt de ce qu’on veut apprendre aux hommes, l’injure glorifiante des partis que par fierté peut-être on aimerait à y laisser.
V
C’est donc le royaliste de toute la vie, l’esprit monarchique qui ne s’est jamais démenti, l’ennemi mortel des révolutionnaires de toute espèce et des mitigés, qui sont des badauds ou des hypocrites, et des exagérés, qui sont des insensés ou des scélérats, qui a écrit la triple histoire que Cassagnac a publiée. Par la hardiesse de son esprit, qui n’a peur de rien, et par la nature de son sujet, qui renferme tout ce qui peut effrayer des esprits moins fermes, — car il ne s’agit de rien moins, ici, sous tous ces noms de Monarchie de Juillet, de République et d’Empire, que de s’interroger et de se répondre sur la destinée du pouvoir dans les sociétés de ce temps, et aussi de recueillir la haine, l’indomptable haine des partis qu’on démasque et qu’on déshonore, — Cassagnac était digne d’écrire cette terrible histoire, et elle, à son tour, était digne de lui. Ceux qui l’ont pratiqué, ceux qui l’ont observé à l’œuvre (et il y était depuis vingt-cinq ans], savaient bien qu’il pourrait avoir plus ou moins de renseignements dans la main, plus ou moins de longueur dans la vue, mais qu’il dirait nettement ce qui lui viendrait, quoi qu’il lui vînt, en présence des faits. C’est effectivement l’honneur et l’originalité de Cassagnac, à une époque où les biais gouvernent le monde, de ne jamais biaiser, ni avec le fait, ni avec sa pensée, et de dire carrément l’un et l’autre, advienne que pourra ! Ce nouveau livre l’atteste une fois de plus. Ce qui frappe d’abord et ce qui plaît dans cette loyale histoire, c’est la franche et vaillante bonne foi qui y jette sa lumière et que l’auteur n’a pas craint de voir se retourner… jusque contre lui.
Car, lui aussi, comme tout le monde, du reste, trouve son compte d’enseignement et d’humilité dans le récit des événements qu’il raconte, de ces événements qui ont éclaté comme une surprise, et qui n’étaient pourtant qu’une vieille leçon mal entendue qui recommençait. Malgré son instinct et une sagacité assez aiguisée, à, ce qu’il semblait, aux questions et aux choses, pour à l’occasion savoir les résoudre et les pénétrer, Granier de Cassagnac, qu’il nous permette de le lui dire ! n’a pas été une minute en avance sur les événements qu’il nous décrit et qu’après coup il nous explique. Comme les plus faibles et les plus forts de cette pauvre époque superficielle et infatuée, comme nous tous enfin, à l’exception d’un seul, averti par mieux que du génie, parce qu’il était prédestiné, l’auteur de la Chute de Louis-Philippe et du rétablissement de l’Empire n’avait rien prévu, rien soupçonné des faits sur lesquels nous vivons maintenant, et a reçu, sans s’y ◀attendre▶ et sans même s’en douter, cette décharge de Dieu à bout portant, dans la poitrine. Il reprend, il est vrai, l’équation sur le dégagement de l’inconnue, mais ôtez cette inconnue, dégagée sans lui, il n’aurait pas vu l’équation, posée cependant depuis tant d’années sous nos yeux, fermés ou distraits. Supérieur en tant de points à sa société, il était aussi aveugle qu’elle. Fils de cette société profondément troublée, royaliste, comme il le dit si bien, qui s’était rallié à ce que les révolutions avaient laissé de monarchie, homme d’expédient puisqu’il était un esprit politique, il avait pris la surface pour le dessous des choses, et, fait pour écrire l’histoire un jour, il n’avait pas, jusqu’à cet Empire, sorti une première fois des entrailles qui l’avaient porté et qui s’étaient refermées pour le reporter et l’enfanter encore, trouvé le sens de ces infatigables redites de l’Histoire : 1789, 9 Thermidor, 1804, Restauration, Quasi-Légitimité, Démocratie sociale. Grandes leçons de onze ans chaque, en moyenne, donnée six fois en soixante ans, et que Dieu, quand l’ordre de ses sociétés est violé, recommence tranquillement d’infliger d’un bras plus fort, avec sa patience éternelle. Le livre écrit par Cassagnac confesse, sans hésitation et sans fausse honte, cet aveuglement d’un esprit qui ne s’est ouvert que quand Dieu a eu pris dans ses mains assez de sang et de boue révolutionnaire pour en frotter les yeux de tous, en prononçant le dernier éphéta que nous ayons entendu… Implicitement donc et en fait, le livre de Cassagnac est un perpétuel démenti à toutes les habiletés et les prévoyances de l’histoire contemporaine, au passé de l’auteur comme observation et intelligence, à sa politique humiliée. Il faut convenir de cela… Mais voici où l’homme fort va se retrouver et se retrouver presque grand ! Cassagnac n’a pas cherché une seule fois, à la mode de tous les sophistes, à souder ce qui lui paraissait hier une vérité à ce qu’il croit la vérité aujourd’hui. Non ! il a manqué, comme tous ses contemporains, d’aperçu lointain et supérieur, et il s’expose très simplement à ce reproche qu’on peut lui faire ; mais, du moins, il n’a pas manqué des vifs éclairs d’un magnifique bon sens, et au premier symptôme, au premier flair, avec ce bond de lion des esprits véritablement politiques, qui tombe juste sur les réalités et les saisit, ce qu’il n’a pas vu à l’avance, il l’a, à l’instant même, compris.
Voilà, sans compter beaucoup d’autres, sur lesquels nous allons revenir, le premier et le principal mérite du livre de Granier de Cassagnac : c’est le livre d’un homme qui n’a rien pressenti, mais qui a tout compris, et qui, naturellement, par le fait de ses facultés éminemment politiques, s’est trouvé immédiatement, par la raison, par l’observation sur le vif, par les conclusions arrêtées, de niveau avec l’histoire des temps présents. Il a compris une de ces situations, rares dans l’histoire des peuples, qui établit une race et renouvelle une société ; il l’a comprise en la prenant d’avant en arrière, au lieu de la prendre d’arrière en avant, mais il l’a fouillée, il l’a pénétrée, il l’a décrite, et l’homme qui l’aurait devinée, qui l’aurait annoncée à longue date, n’aurait peut-être pas si bien fait. C’est un historien, avant tout, que Granier de Cassagnac. Il est encore plus historien qu’il n’est homme politique. S’il ne promène pas sur les événements qu’il a devant lui, dans le brouillard ou dans la nuée, la lorgnette de Napoléon, c’est la vue la plus ferme à quinze pas que nous connaissions pour viser une situation donnée et dévisager un caractère. Ces quinze pas nécessaires à cet habile tireur, il a bien prouve qu’il les lui fallait, mais qu’à cette distance son coup d’œil était infaillible, quand journaliste à la veille — mais seulement à la veille — d’événements qui devaient amener un état de choses jugé si longtemps impossible, il voyait si clair le lendemain. Ce lendemain échu et l’Empire sorti des causes qui l’ont si bien caché par leur profondeur même, Cassagnac éclaire rétrospectivement, mais vigoureusement, ces causes tardivement aperçues, et l’on sent, en lisant son livre, le bilan de ces Pouvoirs faillis, une — quasi-Royauté et une République également impossibles, — à quel point, heureusement pour l’avenir de la Monarchie dans le monde, le rétablissement de l’Empire fut à la fois naturel et logique, aussi avant dans la volonté humaine que dans les vues de la Providence. Telle est la conclusion et le profit qu’on peut tirer de la grande étude contemporaine faite par Cassagnac. Mais lorsque l’auteur de l’Histoire de la chute de Louis-Philippe, de la République de 1848 et du rétablissement de l’Empire, a dit cela, a-t-il donc tout dit ?… Puisqu’il a pris charge d’histoire contemporaine, et c’est, à coup sûr, la plus lourde charge qu’un esprit résolu puisse porter, n’avait-il donc, comme un grand artiste qu’il est, qu’à mouler énergiquement et ressemblant ce visage de morte qu’on appelle les faits accomplis de l’histoire ? L’histoire contemporaine est vivante. Les faits qui en sont la trame touchent à d’autres faits qui ne sont pas accomplis encore. L’historien qui est au niveau de sa tâche peut influer sur ces faits en travail et, qui sait ? en provoquer peut-être ou en déterminer le caractère. En ce sens, l’historien qui écrit l’histoire peut faire de l’histoire et s’improviser sur place homme d’État. Mais, pour cela, il est nécessaire de voir et d’atteindre à plus de quinze pas devant soi.
VI
Eh bien, nous le disons avec regret, c’est ce que Cassagnac n’a pas su faire dans le livre que nous examinons ! Étincelant de vérités acquises, ce livre est assurément une œuvre considérable et haute, avec laquelle les partis et les idées vont être obligés de compter. Jamais, dans les plus courageuses publications contemporaines, on n’a jaugé d’une pareille main d’Hercule, et les idées auxquelles l’opinion est demeurée si longtemps en proie, et les différents partis dont l’action bruyante, turbulente et inepte, a caché
la France à la France. Jamais on n’a mieux arraché aux révolutions leur chemise sanglante et dévoilé avec une clarté plus implacable leur hideuse et ridicule anatomie. L’historien de la Chute de Louis-Philippe, la Révolution de 1848 et le rétablissement de l’Empire, continue cette exécution qu’il avait commencée dans son livre des Causes de la Révolution française. Et, ici, il s’est accru de talent et même de mépris. Seulement, pourquoi ne le dirions-nous pas puisqu’il s’agit d’un talent hors de pair ? nous nous ◀attendions à mieux qu’à une chronique, si instructive qu’elle pût être, des courts mais nombreux interrègnes du désordre, des vices originels de l’époque, de la longueur et de la variété des réactions. Le livre de Cassagnac est une barricade contre des barricades. L’étude à vif et si complète qu’il nous donne sur le nu assez honteux des révolutions n’est pas tout, quand même il y aurait à côté l’étude à vif sur le nu des pouvoirs que le royaliste n’a pas voulu faire, probablement par pudeur pour les gouvernements qu’il a servis. L’intérêt de la situation que Cassagnac a si bien comprise, et qu’il faut apprendre par tous les moyens à consolider, c’est sa durée. Or, c’est de cette durée que l’historien ne se préoccupe pas assez. Le fait qu’il raconte est si beau que sa pensée se rassied trop vite. Il semble que, pour lui, toutes les questions soient résolues parce que l’Empire a jailli tout à coup de huit millions de suffrages au-dessus des partis usés et de
leurs fusions impuissantes, acclamé par une France qui s’est retrouvée comme les molécules de la poussière se retrouvent dans le tourbillon. L’historien fait l’apologie de ce suffrage universel, au fond duquel gisent tous les éléments d’ordre et de stabilité confusément et sans l’organisation définitive qui en assurerait l’harmonie, mais ne devait-il pas essayer de débrouiller ce chaos et d’élever le levier de la France à son summum de puissance et de lumière, dans les intérêts de l’avenir ? Pour tous ceux qui aiment le pouvoir et souhaiteraient son action éternelle, pour tous ceux qui, comme Cassagnac, voudraient effacer à jamais ce mot d’accident que les partis désarmés jettent à l’Empire qui les a vaincus, n’était-ce pas surtout de ce côté que l’historien de cet Empire devait diriger son regard et concentrer sa pensée ? Puisqu’une septième fois, dans ce pays, l’ordre inflexible — cet ordre de diamant contre lequel les hommes se disloquent eux-mêmes lorsqu’ils le frappent pour le briser — s’est refait contre nous et pour nous, en vertu de sa mathématique sublime, c’était le moment de poser la question de ce testament politique qui doit mettre son auteur au-dessus de Richelieu et l’égaler à Charlemagne. Seul en France, peut-être, Granier de Cassagnac, dont la voix porte quand il parle, pouvait dire de ces choses qui n’auraient été perdues pour personne et qu’on eût entendues au-dessus et au-dessous de lui. Cassagnac est intellectuellement de
race léonine. Avec ses facultés étoffées et fortes, il n’a pas été créé pour être le chacal du fait, pour le suivre pas à pas et tête basse. Il est plutôt né pour l’étreindre, pour le terrasser, et même pour le féconder. C’est lui qui a écrit ces magnifiques paroles que l’Histoire, sévère jusque dans son amour, doit répéter souvent aux pouvoirs qu’elle aime : « Dans le monde politique moins qu’ailleurs, on ne sait pas prévoir les malheurs et s’y préparer. On y use sa dernière chance, son dernier moyen, sa dernière heure, avec inquiétude, avec terreur, mais on les y use ; et après avoir refusé obstinément de prendre, quand il était temps encore, deux ou trois mesures avec une fermeté prudente, on en prend mille quand il est trop « tard, avec la plus lâche précipitation. »
Assurément, l’homme qui a écrit cela était digne de parler le langage de toutes les prévoyances dans son histoire, et d’être écouté par tous ceux pour qui l’histoire est une leçon.
VII
Et ces réserves faites à propos d’un livre que nous avions mesuré d’abord à l’initiative connue de son auteur, et qui ne nous paraît pas de taille égale, nous serons plus libres pour en parler et pour le louer… sans restriction désormais. Ce livre a des parties complètes et qui sentent vraiment le chef-d’œuvre. En tant qu’historien de la lettre morte, en tant que peintre de l’individualité humaine et politique, Granier de Cassagnac est un des plus terribles pinceaux qui aient jamais traîné de cruelles ressemblances sur une impassible toile d’histoire. C’est par cette double face de son talent et de son livre que nous allons l’étudier.
VIII
Nous avons caractérisé et mesuré le genre d’intelligence qui distingue l’ouvrage loyal et lumineux de Granier de Cassagnac, ce mâle livre d’histoire. Nous avons montré jusqu’où cette intelligence avait pénétré et aussi où elle s’était arrêtée. Maintenant, nous avons autre chose à faire. Après l’esprit, la faculté suprême, qui couvre et domine tout dans les livres comme dans la vie, il y a le talent, qui orne ce que l’esprit trouve et même ce qu’il n’a pas trouvé ; car le talent, incroyable magie ! est souvent l’art de faire illusion sur les faiblesses de la pensée. Or, celui de Cassagnac est incontestable. À quelque famille d’idées ou à quelque parti qu’on appartienne, si on respecte un peu en soi le sens critique, on conviendra, sans peine et sans exagération d’aucune sorte, que Granier de Cassagnac est un des premiers écrivains de ce temps. Ce n’est pas seulement une grande plume de lutte toujours prête, c’est un grand artiste en histoire, et c’est exclusivement comme artiste, d’une force littéraire peut-être supérieure à sa force politique, que nous avons à le juger.
IX
Dans l’origine, il n’était pas que cela, quoique cela soit bien beau déjà et doive faire certainement dans l’avenir le meilleur de sa renommée. Au début de la vie et dans sa première fermentation intellectuelle, il avait aspiré à l’honneur, dangereux souvent, mais qui séduit les esprits doués d’audace, d’être un penseur et un découvreur en histoire, c’est-à-dire d’y chercher, en remuant et retournant les faits, la justification d’idées préconçues, d’à priori plus ou moins heureux. L’historien des Classes nobles eut ses jours de thèse et de systèmes, et ces jours-là furent brillants ; mais, quels qu’eussent été le mouvement et la fécondité d’un esprit qu’il voulait, comme de très grandes intelligences l’ont voulu, trouver les moules de ses idées dans l’histoire, ce n’est pas cependant par cette manière de la comprendre et de l’écrire qu’il fût arrivé à l’emploi juste et vrai de ses facultés. En restant dans cette voie, s’il y fût resté, Granier de Cassagnac n’aurait été qu’un homme de lueur et d’à peu près, un esprit ingénieux plus ou moins profond, une intelligence à l’allemande, n’importe sous quel degré de longitude et de latitude cette intelligence fût-elle née, enfin un de ces esprits qui s’appellent Niebuhr dans l’en-haut, Boulainvilliers dans l’en-bas, et dans le bleu tout à fait (comme dit Tieck), si on peut jusque-là, Vico ou Ballanche. Certes ! Granier de Cassagnac, créé spécialement pour la lutte, pour l’étreinte des hommes et des choses, pour le pétrissage des réalités, avait mieux à faire qu’à baguenauder avec cette carte risquée de l’à priori dans l’histoire, et la Critique aurait regretté de voir un tel homme introduire dans le ferme acier des facultés les plus positives, cette paille d’une chimère qui en fait tout à coup éclater la trempe. Heureusement, les circonstances arrachèrent Cassagnac au danger que l’audace de son esprit faisait courir à son esprit. Devenu militant et journaliste, jeté par sa fonction — et aussi parle plus fort des instincts de sa pensée, qui l’emporte vers les choses actuelles comme tous les esprits politiques, — dans cette histoire de tous les jours qui se fait sous nos yeux, dont nous sommes une partie vivante et qui, tant on la voit et tant on la touche, empêche de rêver, Granier de Cassagnac remonta du fait qu’il avait sous les pieds et qu’il y foula longtemps à la tradition de ce fait, à son origine, et il écrivit les Causes de la Révolution française, laquelle est l’histoire, hélas ! de nos origines à nous tous. Dans ce livre, qui tout de suite le classa comme intelligence historique, on trouva bien encore çà et là l’homme de la thèse et de la jeunesse, que la nouveauté de l’aperçu tentait… et qui succombait à la tentation. On y rencontrait, par exemple, un Louis XVI qui n’était peut-être pas exactement le Louis XVI de la réalité ; mais, d’un autre côté, il y débordait un si grand nombre de vérités qu’elles y faisaient fleuve et emportaient tout ce qui n’était pas rigoureusement la vérité même, et qu’on resta frappé, presque à l’égal de ces vérités qui révélaient une réelle histoire, du double talent de moraliste et de peintre qui révélait un véritable historien.
Jusque-là, en effet, personne, parmi les écrivains qui avaient voulu raconter ou expliquer la Révolution française, n’avait eu, comme l’historien qui s’élevait alors, le coup de pinceau historique. Ils étaient plus ou moins nombreux, plus ou moins célèbres : les uns sceptiques, les autres fatalistes ; les uns abstraits, les autres logiciens ; mais tous, à l’exception de Lamartine, qui est un poète, et de Michelet, qui est un malade, tous étaient des écrivains pâles auxquels manquait le coup de pinceau qui ressuscite les hommes. Pour la première fois, ce coup de pinceau, sans lequel l’histoire ne vit pas, était appliqué sur les choses et surtout sur les hommes de la Révolution par une de ces mains ardentes qui, dans un temps donné, doit devenir la main d’un maître. En se montrant peintre à ce degré, en prenant si particulièrement les hommes à partie dans le sujet qu’il abordait, Cassagnac n’obéit pas seulement à l’inspiration naturelle de son esprit, à cette projection intérieure qui est l’impulsion du talent. Il voyait plus haut que lui-même. Il cédait à l’empire d’une idée acquise tout à la fois juste et puissante. L’étude de l’histoire lui avait appris que souvent les plus grandes et les plus fortes causes périssent misérablement par les hommes qui devaient les faire triompher, et qu’entamer profondément ces hommes, c’est entamer leur cause à une égale profondeur. Écrivain de pouvoir et de monarchie contre la Révolution, il avait compris que l’objection la plus formidable, l’objection souveraine aux choses que l’esprit révolutionnaire a mises dans le monde et qu’il y voudrait maintenir en y ajoutant, ce sont les hommes qu’il a produits. Les fausses doctrines enfantent de faux grands hommes, et c’est même ce qu’elles font de mieux : car presque toujours ils tuent leurs mères ! Incorrigiblement dangereuses si elles restaient dans leur fascinante abstraction, elles cessent de l’être dès qu’elles sont incarnées dans des hommes qui leur font partager l’horreur ou le ridicule de leur renommée. La solidarité des hommes et des idées, Granier de Cassagnac en avait mesuré la force ; car la Vérité seule ne meurt pas de l’indignité de ses prêtres. Ces souillures qui ont taché la France : Marat, Danton, Robespierre, et tant d’autres noms hideux ou bouffons qu’il rencontra dans son histoire, des mains dévouées, des mains habiles, avaient tenté déjà et tenteront encore de les éponger et de les essuyer ; mais, tant qu’il restera une mémoire, l’indélébile tache de ces noms rongera, comme une lèpre, jusqu’à l’idée de République, et voilà pourquoi Cassagnac peignit si à fond ceux qui les portèrent. Il ne voulait pas qu’on les oubliât ; il ne voulait pas que la postérité pût jamais un seul instant fermer les yeux devant ces têtes d’abjectes Méduses dont il est bon, dans l’intérêt des hommes, d’immortaliser la terreur. Et il les peignit avec une ressemblance et une profusion de détails qui sembla une manière nouvelle, et qui n’était que l’application spontanée et réfléchie des facultés les plus heureusement créées pour toucher à l’histoire et y réussir.
Ces facultés, nous les retrouvons, mais mûries et complètement développées, dans l’Histoire de la chute de Louis-Philippe, de la Révolution de 1848 et du rétablissement de l’Empire. Le talent de Cassagnac a atteint son point de perfection relative. Il s’est dégagé de ces premières exagérations de la forme et de la pensée que nous avons tous, plus ou moins longtemps, quand nous sommes forts, et qui sont moins les coquetteries et les enfantillages de la force que ses ivresses. Ces exagérations, on pouvait les expliquer, en Cassagnac, par son tempérament littéraire, par ce romantisme qu’il adora et qui fut un instant son maître, et par le journalisme surtout, le journalisme qui sait frapper plus fort que juste, et dont toute la justesse n’est peut-être que de frapper fort. Violent parfois et surchargé dans ses premiers portraits des hommes et des partis de la Révolution, mais si vrais et si ressemblants, malgré tout, qu’on crut les voir pour la première fois dans son livre, Cassagnac est devenu un peintre rassis, nuancé et profond, qui gouverne sa manière au lieu d’être entraîné par elle. La passion politique, qu’on n’éteint pas en soi, mais qu’on y doit garder en la surveillant dans l’intérêt de son talent même, la passion politique l’éclaire maintenant plus qu’elle ne l’enflamme, et il peint ce qu’il hait et ce qu’il méprise — ce qu’il est en droit de haïr et de mépriser — avec ce grand air de désintéressement qui est l’art consommé de l’historien et que les sots prennent pour de l’impartialité impossible. Tels sont les progrès réels qu’a faits Cassagnac. Il fallait qu’il les fît, du reste, pour mener à bien la triple histoire qu’il a écrite. Il fallait que l’auteur de la Chute de Louis-Philippe fût en progrès sur l’auteur des Causes de la Révolution pour rester au niveau de lui-même ; car l’appréciation des hommes et des partis est bien plus difficile quand on a été mêlé aux uns et aux autres et qu’on les a toujours vus de près : — ou devant soi, pour les combattre, ou derrière soi, pour les couvrir.
Eh bien, ces hommes et ces partis, qui furent pendant un si grand nombre d’années des amis ou des adversaires, Cassagnac en a parlé comme il convenait à un homme qui a le sentiment des obligations de l’histoire et qui l’écrit en se plaçant, par la pensée, à deux cents ans du temps qu’il a à raconter ! Les jugements qu’il porte sur eux, non seulement attestent cette volonté de s’abstraire de son temps qui fait la moralité d’une histoire contemporaine, mais, nous ne craignons pas de l’affirmer, ils seront, à bien peu de choses près, l’opinion de l’avenir. En ce qui concerne particulièrement le règne de Louis-Philippe, la partie transcendante de son livre, Cassagnac aura certainement donné le mot à la postérité. Mais elle le dira plus durement que lui, car Cassagnac (est-ce délicatesse d’art ou de sentiment ?) est allé jusqu’à ce mot qu’il n’a pas prononcé mais qu’il est impossible de ne pas dire pour lui, quand on a lu les pages qu’il a consacrées à ce règne. Supérieur à force de bon sens dès qu’il regarde le fait, Granier de Cassagnac nous a tracé du règne de Louis-Philippe, non pas le récit (on dit qu’il doit le donner plus tard, année par année), mais un résumé
qui peut très bien l’en dispenser. L’histoire complète ne nous éclairerait pas, en effet, d’un rayon de plus, la triste action d’un pouvoir qui n’échappera pas éternellement à l’appellation cruelle que son historien lui a épargnée. Il s’est contenté (mais n’est-ce donc pas assez ?) de nous montrer le gouvernement de Juillet dans tout ce qui fît le hasard de sa durée et de sa force. Établi sur une négation, — la haine des Bourbons de la branche aînée, — ce gouvernement d’antipathie, qui créa pour tout le monde une position fausse, laquelle a duré dix-huit ans, fut l’expression de la plus universelle absence de confiance qui ait jamais existé. Tout le monde se défiait de tout le monde, alors, marque certaine de la petitesse des âmes pour les nations comme pour les hommes, et personne ne se donnait ou ne se refusait à personne, parce que personne ne croyait aux autres ni même à soi ! Pouvoir, opposition, partis, gouvernements étrangers, personne ne croyait assez à soi pour oser être et nettement agir. Cassagnac nous a merveilleusement montré ce fond sans résistance d’un règne que l’absence de foi explique seule, et dont la fin, sans cette absence de foi universelle, paraîtrait incompréhensible. L’analyse, que nous donne l’historien, des forces négatives qui ne constituèrent jamais au gouvernement de Juillet une force réelle, est complète. On y voit toutes les classes du pays se laissant gouverner plutôt que voulant être gouvernées, et les gouvernements
étrangers dans la même disposition de laisser-faire vis-à-vis du gouvernement de la France. On y voit Louis-Philippe lui-même, fatigué, anxieux, incertain, portant mal cette couronne qu’il n’a pas fortement saisie et prêt à l’abandonner, comme il abandonna bientôt les précautions qu’il avait prises d’abord contre l’avenir et les trahisons de la fortune. Dans sa puissante et lumineuse analyse, l’historien n’a rien oublié ; mais pourquoi, tout cela montré, prouvé, tiré au clair, la termine-t-il par ces mots, qui grandissent trop un pouvoir dont il fallait étaler sans pitié l’incurable et la mortelle faiblesse : « Le gouvernement de Juillet a péri par la seule et la plus improbable des chances qu’il eût contre lui : celle de se renverser lui-même ! »
Ah ! certes ! c’est encore trop, cela ! Non ! le gouvernement de Juillet, qui fut un long équilibre entre des situations fausses, a fini, comme tous les équilibres, à la première crampe du pouvoir. Non ! Louis-Philippe ne s’est pas renversé lui-même. Il s’est tout simplement, parce qu’il ne tenait pas, laissé tomber.
X
Mais ce manque de rigueur dans une des conclusions de son livre, que nous nous permettons de reprocher
à l’auteur de la Chute du roi Louis-Philippe, ne peut avoir d’effet rétrospectif sur les qualités que nous lui avons reconnues. Ces qualités sont de l’ordre le plus élevé. Granier de Cassagnac a la conscience du renseignement, l’intérêt varié du récit, la hauteur des appréciations ; mais tout cela ne lui donnerait pas sa place encore, s’il ne les couronnait et ne les achevait par la qualité excellemment historique, pour nous autres modernes : la vigueur de touche dans le portrait. Cette qualité inconnue aux anciens, qui composaient grandement l’histoire, mais qui n’y jetaient pas la vie dans les proportions où la pensée moderne a le besoin de l’y verser, est le mérite le plus en saillie du talent très riche et très complexe de Cassagnac. Dans ce sujet assez ingrat de la fin d’un règne qui, en tout, manqua de grandeur, et sous lequel les chefs de parti, racornis en chefs de coterie, ne réalisaient même pas le mot de Goethe : « Un chef de parti n’est guères plus à mes yeux qu’un bon caporal »
, Cassagnac a montré sa puissance de peintre historique bien plus, selon nous, que s’il avait eu dans les mains un sujet plus grand. Ce ne sont pas, en effet, les grandes physionomies qui sont les plus difficiles à retracer ; ce sont les vulgaires, agitées par leurs prétentions, et parfois si grotesquement contrastantes avec le rôle politique ou social qu’elles remplissent. Parmi tous ces portraits heureusement saisis, à l’exception peut-être de celui de Guizot, si grandi qu’il en perd toute proportion et
toute réalité, nous en avons remarqué plusieurs que nous aurions voulu citer pour donner une idée des ressources variées du coup de pinceau de l’auteur. L’espace nous manquant, nous en avons choisi deux : celui d’Odilon Barrot et de Thiers : « La carrière politique de Thiers — a dit Cassagnac, avec toutes les antithèses de la contradiction politique de son modèle, — est caractérisée par ce fait qu’il a pu être naturellement et qu’il a été le ministre de tout le monde : le ministre des conservateurs et celui de l’opposition. Il a fait l’œuvre extrême des conservateurs, les lois de septembre, et il a voulu l’œuvre extrême de l’opposition, la réforme. Il a accordé au roi les choses les plus délicates : la régence de Μ. le duc de Nemours et les fortifications de Paris, et il a machiné contre le roi les choses les plus violentes : la coalition et les banquets. Il a été successivement pour et contre la réforme parlementaire ; il a parlé successivement pour et contre la puissance maritime de la France. On ne trouve ni dans ses discours, ni dans ses livres, aucune doctrine générale ; on trouve dans sa conduite une foule de systèmes contradictoires. Il semble personnifier la fantaisie de la domination et le sensualisme du pouvoir. C’est le Danton d’un régime pacifique. Il a l’habileté des petites choses ; il n’a pas le sentiment des grandes. Historien, il n’a pas compris Napoléon Ier ; homme d’État, il n’a pas compris Napoléon III. Il n’a pas
cru sérieusement le second Empire possible, parce qu’il n’avait pas vu le premier nécessaire. À trois années de distance, il a été emporté par deux révolutions, sans le soupçonner, même la veille. »
Évidemment, on n’a jamais mieux dit sur Thiers. Jamais on n’a mieux concentré la vie d’un homme en quelques lignes pour tranquillement l’en écraser. Les historiens ne sont pas des peintres à, la manière des poètes. Leur coloris, ce sont les faits mêmes, présentés ici avec une effrayante sobriété. Le portrait d’Odilon Barrot est dans un autre ton, mais il n’est pas moins réussi.
« On a cru longtemps Odilon Barrot caractérisé par ce mot célèbre que lui adressa Royer-Collard : — “Je vous connais : il y a quarante ans, vous vous appeliez Pétion.” Le mot était charmant, mais il n’était ni exact, ni équitable. Barrot ne s’appelait pas Pétion en 1789 : il s’appelait Sylvain Bailly. Barrot a certainement la nature ambitieuse de Pétion, mais il n’en a pas la nature perverse. Après avoir cherché à devenir le ministre de Louis XVI et le gouverneur du Dauphin, Pétion garda la mairie de Paris sous la Commune insurrectionnelle. Barrot l’eût fait comme Pétion, puisqu’après avoir servi Louis XVIII comme volontaire-royal et Louis-Philippe comme conseiller, il accepta plus tard un portefeuille sous la République ; mais ce que Barrot n’aurait jamais fait comme Pétion, ni pour être maire ni pour être ministre, c’est de couvrir de sa complicité les massacres de Septembre. Deux choses eussent donc empêché Barrot de remplir jusqu’au bout le rôle de Pétion : il est trop honnête et trop faible. Barrot est une nature douce, naïve, crédule, un peu vaniteuse. Il s’attendrit et il pleure moins que Bailly, parce que ce n’est plus la mode ; mais il porte à tout ce qu’il fait, à tout ce qu’il dit, une bonne foi évidente et dont il est le premier ému.
« La preuve de cette honnêteté ouverte et expansive éclate dans les actes de Barrot : il a toute sa vie été l’instrument et la dupe de tout le monde. Il a été la dupe de Thiers, qui lui a fait voter le budget et les fortifications de Paris. Il a été la dupe de Duvergier de Hauranne, qui lui a fait signer un pacte avec les républicains. Il a été la dupe du National, qui lui a fait faire l’apologie de l’émeute. Il a été enfin la dupe de sa vanité, qui lui a fait substituer ses discours aux canons du maréchal Bugeaud, pour la « défense de la monarchie et de son propre ministère. « Barrot disait, en 1846, aux électeurs de Chauny : “— Je suis dynastique quand même.” C’était une illusion. Barrot n’a jamais été quand même que trois choses : un homme honnête, un homme sans conviction, et un homme sans fermeté. Cela ne suffit pas quand on prend la responsabilité d’un pays. Les qualités privées de Barrot ne lui enseignèrent ni à, se défier de lui, ni à se défier des autres. Doué d’elles seules et aspirant à un rôle plus grand qu’elles, Odilon Barrot est un des hommes qui ont fait le plus de mal à la France. La révolution qui le poussait au pouvoir le connaissait bien ! Elle savait que, préfet, il avait livré l’archevêché, et que, ministre, il livrerait le trône…
« Il y a au Palais-Bourbon, dans la salle qui précède la Chambre des députés, une belle et noble statue de Bailly, l’œil calme, le front résigné mais serein, le cou nu, les mains liées. La dupe, de 89, le martyr de 93, marche au supplice. Si Barrot, passant devant cette statue après ses luttes oratoires, l’avait quelquefois interrogée du regard, elle lui aurait appris ce que deviennent les ambitieux demandant la chimère du pouvoir à l’idolâtrie des « multitudes. Si la Providence, moins clémente dans ses décrets, avait imposé à Barrot toute la destinée de Bailly, il l’aurait, nous en sommes convaincu, subie sans défaillance. Seulement, si de telles morts expient bien des fautes, elles n’en réparent aucune ! »
La forme oratoire de ce ferme jugement sur l’ancien orateur de la gauche n’en a pas compromis l’exactitude. Vérité, sévérité juste, raillerie grave, fierté, mélancolie, tout y est !
XI
Du reste, ni les citations que nous venons de faire, ni celles qu’avec plus d’espace devant nous nous aurions pu multiplier, ne donneraient l’idée accomplie et de l’art et du faire de Cassagnac comme portraitiste dans l’histoire. On le conçoit. Puisqu’il est grand, cet art est varié comme ses modèles, tout en restant individuel comme l’artiste qui lui fait exprimer sa pensée. Or, ces modèles sont si nombreux ! Ils ne sont rien moins que les états-majors des pouvoirs qui se sont succédé dans ces trois phases d’histoire que Cassagnac nous raconte. Et voilà pourquoi, sur ce point, rien ne peut remplacer la lecture de son beau livre.
XII
Histoire des origines de la langue française [XII-XV].
Livre curieux, aussi inattendu que curieux, l’Histoire des Origines de la langue française n’est pas tout à fait de mon département, mais il m’est impossible de n’en pas parler. Quant à, l’érudition qu’il atteste, et dont je suis le très respectueux et le très inutile serviteur, je la saluerai du fond de mon ignorance, mais ce sera tout. Je n’en discuterai pas, certainement, d’étonnant détail. Qu’ils le discutent, eux ! s’ils peuvent, au Journal des savants, où ils vont avoir de la besogne. Moi, je mécontenterai de le signaler. Je me contenterai des conclusions auxquelles l’auteur de ce livre (une œuvre de trente années !) est arrivé triomphalement, quoique lentement ; car je suis convaincu qu’il est dans le vrai, et pour une raison plus puissante que toutes les preuves et contre-épreuves philologiques qu’il nous donne : selon moi, il a pour lui le bon sens, ce maître des affaires et des livres !
Ce sont les savants, les Congrégations, les Écoles, qui, depuis trois siècles environ, au dire de l’auteur des Origines de la langue française, ont lamentablement aberré sur ces origines ; et c’est contre leurs affirmations superficielles et erronées, traditionnelles et universelles, mais doctoralement articulées comme si elles n’étaient ni erronées ni superficielles, que Granier de Cassagnac s’élève. Oui ! Cassagnac lui-même (vous avez bien lu) ! Il semblait bien loin jusqu’ici, Cassagnac, de toutes les questions que son livre remue. Il n’avait jamais dit un mot qui pût faire prévoir le dernier qu’il dirait et qui serait un mot scientifique. Toute la vie de Cassagnac, qui fit éclat dès sa jeunesse, s’est passée dans le bruit, les passions et les luttes de la politique et du journalisme le plus militant. Il avait toujours été ce qu’on appelle « une plume de guerre », et une plume qui valait épée et qui se continuait très bien en épée quand il le fallait. L’histoire, qu’il aborda souvent avec des qualités brillantes, était, sous sa plume, encore du combat. Pas plus tard qu’hier, Granier de Cassagnac était un orateur politique, d’une parole qui ressemblait à ses écrits, et d’un sens droit, ferme et pratique, à étonner ceux qui, l’ayant connu comme journaliste, l’avaient trouvé parfois paradoxal. Entraîné dans les ruines de l’Empire, qu’il avait couvert de son talent, il est resté debout dans ces ruines, tout prêt à les couvrir et à les défendre. Il n’a ni abdiqué la politique, ni renoncé au genre d’action qui fut toute sa vie. Seulement, voilà qu’au moment où l’on y pensait le moins, il n’est pas devenu, mais il s’est démasqué — philologue !
Et que MΜ. les philologues, comme le diable, en prennent les armes ! Ils n’auraient jamais cru — ni moi non plus ! — que cet écrivain politique d’une activité et d’un travail de plusieurs hommes à la minute, que cet improvisateur de la plume toujours à la brèche, cachât, sous cette activité extérieure, un érudit discret, laborieux, acharné, — un passionné de linguistique, — un bénédictin libre, — sans Congrégation, heureusement pour lui ! — un lapidaire de mots qui taillait, chaque jour, en secret, quelque facette de plus au diamant d’érudition qu’il nous tenait en réserve, et dont tout à coup, comme une femme à souper, il envoie les feux dans les yeux des érudits myopes et aveugles, pour les leur ouvrir ! Certes ! cela n’est-il pas digne d’étonnement, et après l’étonnement d’attention, et de la part de ceux qui savent, qui, ayant vocation pour lire son livre comme Cassagnac pour l’écrire, peuvent dire si son diamant est vrai ou faux, et de la part de ceux qui, comme moi, le croient vrai, et peuvent d’ailleurs juger du feu qu’il jette et de la hardiesse de sa coupe, et de l’adroite et longue patience du lapidaire qui l’a taillé.
Et, franchement, quoi de plus curieux pour une critique qui pense et qui veut faire penser ?… Pendant trente ans et davantage, un homme, doué du plus robuste tempérament d’écrivain, se jette dans toutes les péripéties de cette guerre furieuse — la guerre du siècle — entre l’Autorité et la Liberté, entre la Révolution et les Monarchies, qui n’est pas encore près de finir ! Il n’est pas une de ses journées qui n’ait été livrée aux vents et aux tempêtes de cette affreuse publicité qui emporte tout : l’âme, la vie, le talent, et quelquefois la conscience, hélas ! comme des pavillons déchirés. Les Ambitions et les Intérêts se le partagent et le tirent à eux, de la force de tous leurs chevaux. Et le soir de ces journées haletantes et cruelles, et quand il saigne encore, qui sait ? de l’écartèlement de ces Intérêts et de ces Ambitions terribles, voilà qu’il trouve cependant une minute pour donner à une passion désintéressée, à un travail qui lui plaît et qui lui est doux, et qui ne lui rapportera jamais rien, pas même peut-être une place à l’Institut ! Et il respire, chaque soir, cette rose qui le désinfecte de sa journée. Et des miettes de ce temps arraché à la politique et donné à la science pure, il finit par faire, au bout de ces trente ans, un livre qui résume le plus cher et le plus intime de sa pensée. Certes ! je ne crains pas de le dire, cela seul, et quel que soit le livre, est déjà très intéressant, et, ma foi ! presque charmant, presque touchant et presque beau.
XIII
Quel que soit le livre… Mais le livre a de hauts mérites. Mais le livre, en dehors de la thèse, que les hommes de la science spéciale à qui Granier de Cassagnac s’adresse peuvent contester, a plusieurs côtés d’une supériorité indéniable. Méthode, arguments, abondance de notions, force de logique et d’induction, clarté d’exposition redoublée par la clarté du style, telles sont les qualités frappantes pour tout le monde de cette œuvre puissante, qui donnera du mal, s’il s’en présente aux contradicteurs Des contradicteurs ! Malgré toutes les gravités calmes de son livre et jusqu’à la gravité de son ironie, c’est là, je crois, ce que Cassagnac désirerait le plus… Ce polémiste bronzé de La politique doit souhaiter, si je le connais bien, d’introduire un peu de son bronze parmi les vieilles potiches des Instituts, pour en expérimenter la solidité. Seulement, je ne crois pas que la discussion — qu’il cherche évidemment — s’engage. Aux Instituts, ils savent très bien quelles sont les habitudes de main de Cassagnac, et s’ils ont, par hasard, entrouvert son livre, qu’un pareil chêne ne se coupe pas avec des couteaux à papier et des grattoirs d’Académie. Je suis donc persuadé qu’ils ne bougeront pas, ces bonshommes bien assis, ces curulaires de la science officielle, reconnue, centenaire ! Ils laisseront parler sans lui répondre ce diable de savant qui débute tard, mais qui a trente ans de calorique accumulé à son service, et passer sur leur poil hérissé, avec une patience de Job, mais plus muette, cette tempête philologique qui souffle sur eux du fond du livre de Granier de Cassagnac.
Ce livre serait, en effet, bien capable de renverser, à lui seul, la vieille théorie fainéante qui règne en matière de linguistique parmi les savants de ce temps. En linguistique, Cassagnac, cet homme de l’autorité en politique, est révolutionnaire ; mais il ne me déplaît point qu’il le soit comme il l’est, contre le présent et au bénéfice du passé, de l’hérédité, de la filiation, de l’origine ! Cassagnac est révolutionnaire contre ceux qui, en méconnaissant l’origine de la langue française, lui ont arraché sa généalogie et accompli, à propos d’elle, la violation la plus flagrante, la plus obstinée et la plus ignorante, d’une des plus grandes réalités du passé. Il l’a été, enfin, contre la théorie superficielle et impertinente du xvie siècle, qui enleva à la langue française son originalité et sa nationalité du même coup.
C’est Scaliger, je crois, qui fut l’inventeur de cette fausse et basse théorie, mais c’est l’esprit de la Renaissance, cette affolée d’antiquité, qui la lui avait inspirée. Elle, en effet, voulut faire de nous des Grecs et des Latins d’idées et de mœurs, par l’imitation littéraire. Mais elle alla plus loin, et osa prétendre que la langue latine avait été imposée à la race gauloise ; un plaqué plus honteux encore ! « Parce qu’il y a — dit l’auteur des Origines de la langue française — dans le français, l’espagnol et l’italien, des mots usuels qui sont aussi dans le latin, la solution explicative qu’on adopta fut d’affirmer qu’après avoir soumis les peuples de l’Italie, de la Gaule et de l’Espagne, les Romains les avaient obligés de remplacer leur langue nationale par la latine, ce qui choque violemment, — ajoute-t-il, — et à un égal degré, le bon sens, l’histoire et la philologie. »
La thèse, du reste, posée ainsi, fut plus tard modifiée. Dom Rivet, le bénédictin, la soutint le dernier jusqu’au
commencement de ce siècle, quand, sous l’impulsion de Raynouard, on en imagina une autre, sinon plus vraie, au moins moins cruelle pour l’amour-propre national. On dit que les Gaulois avaient corrompu le latin littéraire et en avaient fait la langue romane. Nouvelle démolition à faire de ce second système sur les ruines déjà faites du premier, voilà, en quelques mots, tout le livre de Cassagnac ! Et il ne s’est pas seulement chargé de la double démolition. Il en a utilisé les pierres, en les jetant bravement à la tête des trois grandes gardiennes de la langue française et de l’enseignement historique : l’Université, l’École des Chartes et l’Académie.
Diable ! ce ne sont pas des prunes que cela !
Mais le grès d’Arnolphe n’est qu’une noisette en comparaison du grès de Cassagnac !
XIV
Je voudrais pouvoir vous le faire toucher, tâter, peser, soupeser, ce grès d’une érudition meurtrière. Mais le moyen ? Il ne tiendrait pas ici, ce grès. Il pèse bel et bien cinq cent cinquante grandes pages, in-octavo, carabinées de notes, de citations, de rapprochements, de dialectes, de syntaxes, de verbes, de substantifs, de racines, à mettre en fuite tout ce qui n’est pas soi-même excessivement carabiné. L’auteur, qui s’est caché trente ans de son goût fringalique pour la philologie, s’en donne pour ses trente ans, en une seule fois. Quelle bombance ! Ah ! il est bien heureux ! Il se baigne voluptueusement, comme une sultane, dans l’ombrien, l’osque, le bas-breton, le gascon, le limousin, le provençal, le basque, — toutes les langues de Panurge ! Mais il est moins languissant que la sultane ; il est dru et vif, au contraire, fort comme un Turc quand il s’agit de traiter de Turc à More l’Université, l’École des Chartes, l’Académie, qu’il est toujours prêt à crosser. Encore une fois, l’idée donnée du livre de Cassagnac, j’ai presque tout dit ; car ces dialectes à travers lesquels il circule, ces grammaires qu’il habite, feraient peut-être, si j’en détachais quelque chose pour le citer ici, le même effet qu’à moi. Ma citation, probablement, ne serait agréable qu’à l’Université, à l’École des Chartes et à l’Académie, parce qu’elle détournerait de lire leur ennemi qu’on croirait, qui sait ? il faut lâcher le mot !… ennuyeux. La science a bien le droit d’être ennuyeuse, sans doute, mais n’est pas qui veut philologue. Cassagnac n’entend parler qu’aux philologues dans cette partie de son livre. Il amis trente ans, lui, à faire son cocon de linguiste. Cela lui donne certainement une force que je sens très bien, quand il me tient, comme un cheval entre les piliers au manège, entre deux colonnes de verbes ou de substantifs qu’il compare. Mais cette force, que je sens très bien lorsque je lis son livre, je ne puis pas la déplacer.
J’en ai assez averti, du reste. J’ai eu la prudence et la précaution d’avertir que les preuves philologiques du livre de Granier de Cassagnac étaient moins de ma compétence que les preuves tirées des mâles et simples notions du bon sens, de la force des choses et de l’histoire. L’historien est plus de mon ressort que le philologue, auquel je dois toujours m’en rapporter… et l’auteur des Origines de la langue française s’est montré, dans l’intérêt même de ses conclusions philologiques, très souvent et très heureusement historien. Ainsi, il l’est quand il fait si exactement la décomposition de la légion romaine pour y trouver les différents dialectes qu’elle renfermait dans son sein. Ainsi, il l’est quand il nous raconte, avec un renseignement si précis et une phrase si nette, les irruptions diverses de cette glorieuse race gauloise, qui semble glorieuse de toute éternité, car on ne sait pas où elle a commencé dans les annales humaines, et qui, par l’étendue et la rapidité de ses invasions, a une espèce d’ubiquité dans l’histoire. Ainsi, il l’est surtout, et mieux qu’ailleurs, dans le superbe onzième chapitre de son ouvrage, où il raconte, dans le style ferme qu’on lui connaît, la prise de Rome, avec la gravité romaine. C’est alors, c’est à toutes ces places que je reconnais Cassagnac, mon ancien Cassagnac, à l’esprit solide et à la main de forte prise, et que j’aime mieux dans les grandes besognes, où il faut l’œil de l’aigle, que dans les petites, où il ne faut que l’œil du lynx. L’historien même est encore plus que le philologue au fond de la thèse que Cassagnac pose et discute pour son compte, après avoir jeté bas celles des autres. Cette thèse, qu’il dresse sur leurs débris, il la déduit du fait historique des invasions gauloises, qui ont laissé partout des traces de leur passage dans des mots de même origine, retrouvés toujours, malgré les mêlées des peuples et leurs transfusions.
Bien loin donc d’avoir été étouffée par la langue latine, — qui n’est pas elle-même la langue du Latium, de ce pays que les Romains lettrés, ces Grecs de Rome, appelaient barbare, comme les Gaulois, — la langue gauloise aurait donc résisté à la langue romaine de la conquête romaine, et c’est ainsi que pour les temps futurs elle eût gardé sa nationalité inviolable et, qu’on me passe le mot ! son autochtone originalité. Il faut suivre Cassagnac dans les développements de cette thèse vigoureuse et simple pour savoir le parti qu’en a pu tirer un homme fait pour écrire l’histoire, et pour regretter qu’il ne l’écrive plus !
XV
Car, c’est par là que je veux finir, il est, à mon sens et quel que soit son amour caché pour la philologie, son mal secret comme tous les amours, particulièrement fait pour écrire l’histoire. Il ne l’a jamais écrite comme j’aurais voulu. Il l’a écrite le plus souvent pour les besoins d’une cause politique. Il a fait de l’histoire armée, de l’histoire dans laquelle il a mis un dard à son centre, comme les guerriers en mettaient un dans l’orbe de leurs boucliers. Affaire de temps et de circonstances ! Mais l’âge venu, et la maturité et l’apaisement, et, de tous les apaisements le plus grand, le mépris, que nous apprend si bien la vie, et le calme enfin, décisif et puissant, du lion qui se repose, ne serait-ce pas le moment pour Granier de Cassagnac d’aborder la grande, impartiale et profonde histoire ?… Par la nature comme par l’ensemble de ses facultés, Cassagnac est destiné à l’écrire. Il s’ajuste à elle. Il a pu avoir autrefois de la pente au paradoxe, ce tentateur de la jeunesse ! mais il ne l’a plus. Il n’y a pas un paradoxe dans tout son livre des Origines de la langue française, qui prêtait tant au paradoxe ! L’homme s’est simplifié. En écrivant l’histoire, il n’aurait ni les agitations fébriles de Michelet, ni le mysticisme de Carlyle, deux grands historiens sans solidité. Cassagnac n’est pas de cette race. L’imagination, cette perfide en histoire, ne lui jouerait pas de ses tours. Prosateur sans poésie, et dont la prose a la nudité d’un homme sain et bien fait, Cassagnac nous écrirait l’histoire avec une gravité qu’on ne connaît plus ; car, il ne faut pas s’y tromper ! par son genre de talent, c’est un homme du xviie siècle. Il ne le pastiche pas comme Cousin, qui s’en plante les perruques, mais il le porte en lui naturellement, le xviie siècle, et tellement qu’il a toujours été incroyable pour moi que Cassagnac ait pu être, un jour, romantique, et qu’il se soit laissé piper par les idées fausses et le talent comédien de Victor Hugo. Et, en effet, tout aurait dû préserver de l’œil du jettatore cette tête carrée d’un sens si recte, d’une bonne humeur si gauloise, d’un besoin si tyrannique d’ordre et de clarté, de notions certaines et de méthodes sûres, que le mot d’argot, une sorbonne, peut seul bien caractériser.
C’est cette tête-là que je désirerais reporter et replacer dans le milieu qui lui convient. La philologie, qui l’en a distrait, à part les plaisirs solitaires qu’elle lui a donnés, ne lui vaudra jamais ce qu’elle lui coûte. Ce n’est qu’une raison d’amoureux que s’applique sur la conscience Cassagnac, pour satisfaire sa bizarre passion de linguistique, quand il parle de l’influence de l’origine de la langue sur sa destinée et sur son avenir, et qu’il croit possible d’en diriger à volonté l’incoercible génie. La langue, d’ailleurs, est faite maintenant. Elle coule. Elle roule. Elle s’élargit. Elle emporte ses bords, malgré les dictionnaires, les barrages et les parapets, et les douaniers d’Académie. L’homme n’y peut rien. On ne dirige pas un fleuve parce qu’on remonte à sa source. Ce n’est là qu’une curiosité, et une curiosité qui doit rester vaine. Si l’entraînement vers la philologie était, en Cassagnac, une ambition, au lieu d’être un amour, je lui dirais, pour l’en guérir, qu’on n’arrive pas aux Instituts en leur prouvant qu’ils sont des imbéciles. Un philologue d’un grand talent et d’une science babelique, car elle en était peut-être un peu confuse, Edelestand du Méril, nommé et combattu dans le livre de Cassagnac, n’a jamais pu entrer aux Inscriptions. Instituts et corporations, tous ces crustacés qui s’emboîtent les uns dans les autres, et qui s’y mastiquent et s’y soudent par le fait des mêmes préjugés collectifs, ne s’ouvrent pas pour l’indépendance et l’initiative, et voilà pourquoi je ne crois pas qu’aucune Académie ouvre ses portes à Cassagnac.
Il aura l’honneur de n’y pas entrer.
XVI
Granier de Cassagnac [XVI-XIX].
Je veux clore ce chapitre sur ses œuvres en parlant du puissant contemporain mort maintenant. Ce sera encore de la littérature, puisqu’il fut un homme littéraire, mais ce sera quelque chose de plus. Ce sera ce qu’il fut en dehors des lettres, pour lesquelles il semblait fait jusque dans les racines de son être. Ce sera ce qu’il fut en politique, quand le terrible feu de la politique, dont il a été l’un des plus robustes chauffeurs, dévora en lui l’homme littéraire, mais sans parvenir à le consumer jamais. En somme, ce sera ce qu’il fut, toujours et partout. J’ai souvent appelé l’attention publique sur ses œuvres, à mesure qu’il les produisait, mais, aujourd’hui qu’il ne peut plus y ajouter, je me placerai au-dessus d’elles, comme il y était lui-même ; — car il avait cette particularité superbe des hommes véritablement supérieurs, d’être inaccessiblement plus haut que ses ouvrages et, aurait-il fait un chef-d’œuvre, de ne s’y épuiser jamais. Eh bien, ce sont ces facultés inépuisables et présentes jusqu’à la mort, dont je parlerai ! C’est l’homme tout entier que j’essaierai de soulever comme un bloc, quoi qu’il pèse. C’est enfin l’ensemble de toutes les forces dont il était la résultante, que j’ai le dessein de montrer dans cette Force qui fut Granier de Cassagnac.
En effet, il était une force, — et ce mot abstrait et absolu qui le résume est le mot encore qui le caractérise le mieux, tout en le résumant. La force, et la force simple, spontanée, naturelle, belle et formidable dans sa nudité comme Hercule, est le trait saillant, habituel, consubstantiel et ineffaçable, du talent de Granier de Cassagnac. C’est par là qu’il saisit la pensée et qu’il restera dans le souvenir. À l’heure qui vient toujours pour la plupart des œuvres, qu’on ne lit bientôt plus, avec la morne indifférence des générations qui se succèdent, quand on se demandera ce que fut, de son vivant, Granier de Cassagnac, l’imagination frappée aura retenu qu’il fut un des forts de son siècle, où les forts n’étaient pas déjà si communs. Elle se souviendra qu’il fut toute sa vie un fort journaliste, comme un jour il fut un fort orateur, et comme il aurait été un fort homme d’État, si les circonstances avaient eu l’esprit d’en faire un ministre ; mais les circonstances sont si bêtes ! Quoi qu’il ait été, du reste, il a été cela, — un homme fort, — et quoi qu’il fût devenu, il l’aurait été encore… Je sais, dans mon pays, une ancienne famille de guerriers et de héros qui portent ce magnifique nom : les « Aux-Épaules », et qui le justifient. Granier de Cassagnac pourrait s’appeler de ce nom-là. Ce fut réellement le « Aux-Épaules » du journalisme de ce temps. Voulez-vous compter avec moi de combien de forces différentes était faite la force d’ensemble de ce vigoureux ? Jeune, très jeune, et précisément parce qu’il sentait intérieurement sa force, et que jeune on en abuse toujours (c’est une manière de se la prouver), il débuta dans les lettres par des paradoxes retentissants et demeurés fameux. Mais le bon sens qui habitait sa tête carrée l’arrêta net dans cette voie, bonne pour les souples, et le fit entrer dans celle des forts, qui était la sienne. À la force du bon sens qui le distinguait et qu’à partir de ce moment il ne faussa plus, Cassagnac ajoutait la force de caractère qui ne lui manqua jamais dans toutes les crises de la vie, et à cette force de caractère celle encore du sang-froid, que les gens à caractère n’ont pas toujours. Finalement, comme « style est tout l’homme », il devait avoir et il eut aussi la force du style, qui, comme l’acier, ne brille chez lui que de pureté et de solidité, et semble dédaigner tout le reste. Évidemment, de tête, de cœur et de main, il était organisé pour la bataille. Aussi fût-ce cette force, faite de tant d’autres, qui l’avait jeté tout d’abord à la bataille romantique, qui le jeta ensuite aux batailles politiques, dont il ne sortit plus, et où il se montra le polémiste le plus redoutable et le plus infatigable des polémistes contemporains. De tous ses ouvrages, qui furent nombreux, je n’en connais qu’un seul qui ne fut pas une action encore plus qu’une pensée. Et même l’histoire, qu’il était trempé pour écrire dans sa transcendante impartialité, il l’acérait et l’aiguisait comme une arme pour le combat. Le Génie de l’action l’avait pris au Génie de la pensée, et quoique la pensée ait tenté de le reprendre à l’action, toute sa vie le Génie de l’action l’emportai Granier de Cassagnac est donc, avant tout, pendant tout, après tout, un grand journaliste. C’est le journaliste qui fera bomber, sur son fond d’œuvres, le relief de sa médaille historique. Il est le journaliste toujours armé, dans la mêlée des principes et des intérêts de son temps, lui qui aurait pu être un écrivain de choses éternelles. Il avait, d’origine et de culture tout à la fois, la gravité, l’étoffe, l’impeccable correction, les larges manières de dire, le port de la phrase de ceux qui écrivent des livres sévèrement et laborieusement pensés. Il avait les qualités des hommes qui gravent sur le marbre ou le bronze pour des siècles, et, avec toutes ses qualités de durée et d’immortalité, il écrivit sur ces feuilles éphémères et enflammées, qui tombent en cendres après avoir brillé et brûlé comme des torches. Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai exprimé ce regret ! Il fut journaliste, — et le sort du journaliste est d’être la victime des choses immédiates, et dépérir, comme l’orateur, avec son action même. Que reste-t-il de l’orateur ? Il s’éteint avec sa voix ; il s’évapore avec son geste. Le journaliste, cet orateur sur papier, dure un peu davantage ; mais il meurt aussi, l’action à laquelle il a poussé, ou contre laquelle il a résisté, accomplie. Sans sa poésie et l’échafaud, qui saurait maintenant qu’André Chénier fut un grand journaliste ? Camille Desmoulins en fut un très grand, lui, mais c’est encore son échafaud qui a donné aux pages qu’il a écrites l’éclat du sang et leur vermillon immortel Loustalot, comme journaliste aussi grand qu’eux, mais qui, comme eux, n’eut pas le point de rappel, splendide et terrible, de l’échafaud, Loustalot est oublié, et Carrel, plus près de nous et dont on a voulu éditer les œuvres il y a quelques années, fut trouvé si désespérant de manque d’intérêt et de talent mort que l’édition fut abandonnée. Enseignement perdu ! Ces exemples et ces noms n’empêchèrent point Granier de Cassagnac de descendre jusqu’au journalisme un talent créé pour un destin plus beau. Esprit profondément historique d’instinct, de connaissances et d’études, le jeune Granier trouva devant lui, après 1830, un pays si opiniâtrement monarchique encore qu’il avait refait immédiatement un trône avec les débris du trône qu’il avait renversé ; et le polémiste qui, jusque-là, n’avait été que littéraire, se dévoua à défendre ces quatre planches qui sont un trône, — disait Napoléon, — mais qui n’avait plus son velours fleurdelisé, usé par les siècles et déchiré par la Révolution ! Pour ce mâle esprit de réalité pratique qu’était déjà Granier de Cassagnac à cette époque, pour tout homme qui croyait, comme lui, que le salut de la France tenait impérieusement à l’institution monarchique (et il a vécu toute sa vie et il est mort dans cette pensée), il y avait strict devoir de dresser et d’affermir contre la Révolution cette épave d’un trône qu’on lui avait encore une fois arrachée, et ce fut cette idée qui fit journaliste un écrivain de plus haut parage qu’un journal. Ce fut cette idée qui, au lieu de la plume calme et majestueuse du xviie siècle, qu’il semblait avoir héritée des grands écrivains de Louis XIV, lui mit la plume de guerre du xixe siècle à la main.
XVII
Et jamais personne ne s’en servit mieux et plus longtemps. Dès ses premières polémiques sur le nouveau terrain où il s’engageait, Granier de Cassagnac apparut immédiatement le formidable et l’invulnérable polémiste qu’il n’a pas cessé d’être jusqu’à sa dernière heure, et — comme la polémique des idées ressemble à la guerre ! — l’impitoyable lame que ses adversaires, ne pouvant la briser, cherchèrent à souiller pour qu’elle leur portât des coups moins terribles et moins sûrs. Ils éclaboussèrent de fange cette lame étincelante, seulement ils avaient affaire à un de ces hommes assez forts pour passer impassiblement et le front haut sous une voûte de calomnies comme il eût passé sous une voûte d’acier. Granier de Cassagnac reçut toute sa vie en pleine poitrine — qu’ils ne mordaient pas — tous les outrages des partis qu’il avait blessés, mais il avait l’héroïsme imperturbable, et rien ne l’arrêta jamais dans la défense d’un gouvernement qui représentait pour lui, vaille que vaille, mais qui représentait comme il le pouvait, le principe sacré de tous les gouvernements. Moi qui le connaissais et qui l’aimais, je lui ai souvent entendu dire : « Quand on n’a pas une maison d’or, on en prend une d’argile, mais il faut savoir la défendre, sous peine de coucher dehors » ; et il défendit cette argile de la monarchie de Juillet, qui ne lui faisait pas d’illusion, et pour laquelle il se battit intrépidement, les yeux ouverts, jusqu’au moment où cette argile, devenue boue, s’effondra… Ici je touche à l’unité et à l’honneur de la vie de Granier de Cassagnac. La haine des partis, qui se bouche les yeux pour ne pas voir et les oreilles pour ne pas entendre, l’a-t-elle assez appelé le Bravo de tous les pouvoirs ? Il ne l’était pas des pouvoirs : il l’était du pouvoir ; mais qui comprend cette différence ?… Pour qui savait bien le juger et pénétrer dans le fond de sa conscience politique, Granier de Cassagnac était un autoritaire et un monarchiste. C’était un autoritaire par amour de l’ordre, absolument nécessaire aux sociétés humaines, et c’était un monarchiste qui n’ignorait pas que les dynasties ne représentent pas seulement leurs augustes personnes, mais la propriété héréditaire du pouvoir. Cela seul expliquerait toute sa vie. Si, plus tard, nous l’avons vu devenir le féal de la dynastie napoléonienne, c’est qu’il connaissait ce temps révolutionnaire et maudit pendant lequel il avait vécu toujours sur la brèche. C’est que la dynastie napoléonienne lui semblait la dernière monarchie possible, et qu’après elle, il n’en voyait plus !
Ainsi, contrairement à tout ce qu’on a dit de cet homme, bien plus conséquent qu’on ne l’a cru à l’idée de toute sa vie, Granier de Cassagnac n’a jamais été le polémiste de ces gouvernements, dont il fut le bras droit et la plume valant épée, que par l’unique et souveraine raison que ces tristes gouvernements étaient tout ce qui restait d’autorité et de monarchie pour la France et tout ce que la malheureuse pouvait, de présent, en souffrir ! Si, comme je l’ai rappelé et comme on l’a répété longtemps, Granier de Cassagnac avait été l’immoral Bravo de tous les pouvoirs, pourquoi n’a-t-il servi jamais que des gouvernements restés monarchiques, à une époque qui a vu d’autres gouvernements ?… Est-ce que les républicains n’oseraient pas appeler leurs Républiques « des Pouvoirs » ? Celle de 1848 en fut un pourtant, et celle d’aujourd’hui en est un encore. Pourquoi donc le Bravo à tout faire n’est-il pas passé du côté de ces Pouvoirs nouveaux ? Et puisqu’il vendait sa plume, — hurlaient les loups du Crotoniate, — ils ne l’auraient pas marchandée ! Mais, au lieu de l’acheter, ils en retrouvaient toujours la terrible pointe, éternellement tournée contre eux.
XVIII
La Mort l’a fait tomber, cette plume énergique, de la main virile qui la tenait, mais ce n’est pas eux qui l’ont brisée. Nul d’entre eux n’aura à se vanter de cette prouesse. Nul, parmi les adversaires survivants de Granier de Cassagnac, n’aurait été de taille à se mesurer avec ce dernier champion du droit monarchique contre la Révolution, plus facilement triomphante aujourd’hui, de cela qu’il n’est plus ! La Mort seule l’aura désarmé. Parmi les journalistes, que les temps présents multiplient et qui n’auront, certes ! pas tous leurs deux mots d’histoire, — l’histoire les dira sur Cassagnac et je n’hésite pas à les dire avant elle, — il sera compté parmi les plus grands de ce siècle, et peut-être en fera-t-elle le premier. Elle le placera entre Louis Veuillot, l’inquisiteur Veuillot, — et ce n’est pas pour le diminuer que je lui donne cette épithète, bien au contraire ! — et l’âpre et fougueux Crétineau-Joly, que j’ai appelé un jour le chouan « Marche-à-Terre », pamphlétaire, celui-là, encore plus que journaliste, mais qui justement avait cette force par laquelle il primait Cassagnac. Monarchistes tous les trois, mais différant dans leur conception de monarchie applicable aux peuples actuels, déraillés et éperdus, ils avaient cela de commun et de semblable qu’ils étaient religieux tous les trois, et qu’ils croyaient absolument à la Révélation chrétienne et aux Traditions de l’histoire. Seulement, ce qui faisait, dans ce triumvirat tout puissant, la supériorité de Granier de Cassagnac, c’était le sang-froid dans la bataille, — le sang-froid, cette qualité des chefs en toute chose ! — l’absence de rétorsion et de haine, la simplicité des fiers coups droits de son escrime, et sa poussée irrésistible. Les deux autres avaient plus de flamme, plus d’ardeur de sang, plus de bile, de venin et presque de vitriol à leur service. À certains moments, ils pouvaient être atroces. Granier de Cassagnac ne le pouvait pas. Il avait plus de bonne humeur contre l’ennemi que de mauvaise. Il l’écrasait, ce rude combattant, mais avec la gaieté du combat, avec les deux rires du Gaulois et du Gascon qu’il tenait de sa double race. Plus compétent, d’ailleurs, que les deux autres, par l’étendue et la plénitude des connaissances, érudit comme il était littéraire, Granier de Cassagnac était, sur toutes choses, toujours prêt à tout pour le compte des gouvernements qui ne sont jamais prêts à rien ! Où les deux autres les attaquaient, lui les défendait, et il n’eût rompu avec eux que s’ils eussent rompu avec l’Église, le principe de tous les gouvernements. Sa force, qui n’était pas brutale comme celle de Crétineau, avait des manières de procéder d’une certitude majestueuse, et dans les acharnements de la petite guerre de tous les jours il semblait encore faire la grande… Il était de cette espèce d’hommes dont Napoléon disait « qu’ils sont carrés de sommet comme de base », et dont le poids seul, dans la lutte, doit tout emporter ! Il le savait ; il en avait la sécurité profonde ; et cela lui donnait cette tranquille assurance de l’homme sûr de lui qui se moulait jusque dans l’aplomb de sa démarche quand, sa canne sur sa large épaule comme un fusil, le chapeau un peu en arrière sur l’oreille et sur ses cheveux gris coupés en brosse, il passait au boulevard, allant à son journal, avec ce sourire sur les lèvres que Lord Byron disait garder pour ses ennemis. Tel il était, ce roi du Journalisme, mais par-dessous tout cela, mais sous le journaliste de toutes les heures, il y avait l’homme de lettres de la première que le journaliste n’avait jamais pu étouffer, et qui, à certaines pages qui allaient, hélas ! passer avec le jour, reparaissait comme un Phénix qu’on croyait brûlé et qui tout à coup rouvrait ses ailes ! Cette grande langue pure du xviie siècle revenait à travers les formes haletantes du journalisme pour les étendre et les élever, et ce qui n’était, jusque-là, que de la puissance, devenait alors de la beauté !
XIX
Encore une fois, c’est cette beauté que je regrette, tombée qu’elle est où elle sera perdue ! C’est l’écrivain des choses éternelles que je souffre de voir sacrifié à la nécessité des choses du temps. Si Granier de Cassagnac, avec un génie d’écrivain qui pouvait le mener droit à la gloire, n’est allé qu’à la renommée ; s’il n’a pas laissé derrière lui un de ces livres achevés, accomplis, qui barrent le flot du temps et que le temps n’emporte pas, c’est qu’il y eut évidemment pour lui un intérêt supérieur à l’intérêt de sa personne et de sa gloire. Il y eut l’intérêt d’une cause et d’une cause sacrée, cause historique et française de la monarchie. Le croira-t-on de cet homme si indignement et si longtemps calomnié ? Il préféra cette cause à tout, et il ne vécut sa longue vie que pour elle. Monarchiste par-dessus toutes les dynasties, il resta dans sa cause, et dans la bataille éternelle pour sa cause, comme ces drapeaux que les Gaulois appelaient fièrement : « les immobiles ! »
Ce n’est pas là de la gloire littéraire, mais ne peut-on lui faire une gloire aussi avec cela ?