(1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »
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(1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Mme Desbordes-Valmore
Poésies inédites.

I

Ce livre de poésies inédites, recueillies, m’a-t-on dit, par la piété filiale, ne contient pas une seule ligne de renseignement et de prose sur le compte de la femme à qui nous les devons. Délicatesse filiale que ce silence. Je reconnais là le sang de cette pudeur qui fut Valmore ! C’est l’intelligence de l’amour que d’avoir épargné l’honneur vulgaire et retentissant d’une biographie à la femme la plus femme de talent et dont le talent seul doit faire la gloire. Mme Desbordes-Valmore n’est pas une femme de lettres, puisqu’il y a de ces monstres qu’on appelle maintenant femmes de lettres. Nos pères, avec leur bon sens profond, appelaient hommes de lettres ces femmes-là, autrefois ! confondant ironiquement les deux sexes dans cette dénomination hideuse et vengeresse. Elle, la simple et trop souvent la négligée, n’a jamais joué au génie androgyne. Elle n’a jamais posé pour la Muse. Poser, elle ! Ce qui enchante plus que le talent de ses vers, quand elle en a, c’est la plus complète absence de pose. On n’avait donc pas à la poser après coup, elle qui ne s’est jamais posée, et on n’avait pas à se poser, à côté d’elle, dans une de ces biographies d’êtres morts, qui font l’affaire des vivants, car c’est quelquefois une bonne aubaine pour la vanité, sans piédestal, que de se jucher sur un tombeau.

Elle restera donc dans son idéal modeste et mystérieux, celle qui porta comme une couronne sur son autre nom, ce nom poétique et romanesque de Valmore ! Grâce au silence qu’on étend respectueusement sur elle, elle restera sinon beaucoup plus haut que terre, au moins comme une oblique étoile qui fait, au raz de l’horizon, trembler sa lueur ! Eh bien, tant mieux ! Tout d’elle se serait fané… excepté cette goutte de lumière. Dans toute vie racontée, hélas ! il y a des choses qui vieillissent et qui sont deux fois le passé. C’est comme les costumes dans les anciens portraits ! Mais, elle, échappée à la petite toilette de la biographie, comme on échappe aux modes de son temps, si vieilles le lendemain du jour où elles se fanent, elle gagnera de ne nous apparaître que comme la Muse, la Grâce, la Souffrance, dans leurs costumes éternels ! Nous ne saurons rien, il est vrai, de ce qui plaît à la curiosité, cette faculté puérile qui veut tout savoir, sous prétexte que rien n’est insignifiant dans la vie ! Nous ne saurons rien du tous les jours de la sienne, ni de ses habitudes, ni de ses goûts, ni de son loisir, ni de ses prétentions, si dans cette femme, aux grâces dénouées, il y eut jamais de ces laides et orgueilleuses choses que l’on appelle des prétentions !

Les mille questions grosses de rêveries qui viennent à l’esprit sur ces êtres deux fois mystérieux qui sont en même temps poètes et femmes, on ne les fera donc point parce qu’on n’y répondrait pas. Était-elle belle ou simplement jolie, ou, à force d’âme, divinisait-elle sa laideur ? Quelle couleur allait à sa figure ? Quel vêtement lui seyait et flottait le mieux autour d’elle ? Fallait-il à sa main pensive, la feuille de laurier qu’en causant Mme de Staël aimait à tordre dans la sienne, ou le bouquet de roses quotidiennes que l’Amour fidèle offrait à Mme Récamier ?… De tels détails, s’il y en avait, nous manqueraient sans doute. Mais on saura bien mieux que ces vaines choses.

Les poésies que voici nous apprendront que cette Mme Desbordes-Valmore, à la vie cachée, était, par le fond de son âme, aussi passionnée et plus pure que Mme de Staël. On saura qu’elle était une Corinne vraie dont les vers peuvent être faibles parfois, mais ne déclamèrent jamais ; une Corinne simplifiée, purifiée, attendrie, mais amincie jusqu’à ne plus être, de tant de puissante haleine, que le souffle malade de l’amour et une pensée délirante, de tant de pensées ! une Corinne dont les cheveux ne tiennent plus et s’affaissent, et dont le voile, moins drapé que celui qui flotte aux vents du cap Misène, a été déchiré par les mains convulsives qui le ramènent sur un visage brûlant de pleurs.

Car voilà toute Mme Desbordes-Valmore et sa poésie. C’est la passion et la pudeur dans leurs luttes pâles ou rougissantes ; c’est la passion avec ses flammes, ses larmes, j’allais presque dire son innocence, tant ses regrets et ses repentirs sont amers ! la passion avec son cri surtout. C’est, quand elle est poète, la poésie du Cri que Mme Desbordes-Valmore ! Or le Cri, c’est tout ce qu’il y a de plus intime, de plus saignant du coup et de plus jaillissant des sources de l’âme, et, malgré cela, de plus immatériel en poésie, comme en nature humaine, la Poésie et la Nature humaine étant les deux Captives de la Matière, et ne pouvant passer, comme tous les prisonniers, hélas ! qu’un bout de leur main et un peu de leur front à travers les étroits barreaux !

Vous rappelez-vous certains cris de Mme Dorval, cette tragédienne par l’abandon, par le spontané, par le prime-sautier, par le je ne sais quoi, par la nature, comme dit l’homme exaspéré, qui sent que son étude et son effort ne sont pour rien là-dedans ! Eh bien ! ces cris pathétiques et tout-puissants que nous n’entendons plus à la scène, Mme Desbordes-Valmore les a quelquefois fixés dans une expression qui nous les fait entendre encore, et qu’un génie plus grand que le sien eût fait éternelle, car les langues vieillissent ; les plus belles strophes s’écaillent ou se désarticulent ; les magnificences des poésies laborieuses finissent par pâlir et passer ; mais où le Cri a vibré une fois avec énergie, il vibre toujours, tant qu’il y a une âme dans ce monde pour lui faire écho !

II

Et ceci est indépendant de Mme Desbordes-Valmore. Quel que soit, en effet, son talent, que nous mesurerons tout à l’heure, on est fondé à établir la supériorité absolue sur toutes les espèces de poésies, de celle-là dans laquelle l’âme tient tant de place qu’elle semble déborder les mots ! Oui, laissons là pour un moment la personne et le talent de Mme Valmore, mais ce cri qui jaillit du fond du cœur frappé, comme le sang jaillit d’une veine ouverte, mais cette éloquence irrésistible de la blessure ou de la caresse, mais cette émotion qui doit être, en poésie, prépondérante même à la pensée, à plus forte raison à l’image, à la phrase, au rythme, à l’harmonie, enfin à tout ce qui entre nécessairement à n’importe quel degré dans la trame d’une poésie quelconque, cette émotion ne constitue-t-elle pas certainement et dans la mesure où elle existe la poésie la plus élevée et la plus profonde, et par la raison souveraine que l’homme mesure tout à lui-même et que c’est le battement de son cœur qui donne le branle à l’univers !

Je sais bien qu’il est une École qui conteste assez hautainement la supériorité de cette poésie spirituelle, une École puissante et qui mérite de l’être, _ car elle a rendu de grands services à la langue poétique de ce temps. On pourrait l’appeler l’École des Ciseleurs, mais moi je l’appellerai l’École des Matériels, parce que ce mot dit mieux en disant davantage. Cette école en plastique, et, qu’on me passe le jeu de mots, quelquefois en plaqué, ne conçoit la poésie que comme quelque chose de prodigieusement travaillé, de fouillé, de savant et de difficile. À ses yeux (et c’est bien à ses yeux qu’il faut dire) le fond importe peu, c’est la forme qui est tout, pourvu qu’extraordinairement martelée, elle atteigne à l’éclat et à la solidité ductile d’une matérialité compliquée, affinée, brillante, où l’artiste en mots que je ne méprise point, mais que je mets en second, a remplacé l’Ému ou le Rêveur, qui est le premier. L’Ému ou le Rêveur, car la rêverie, c’est de l’émotion encore au temps passé ou au temps futur, l’Ému ou le Rêveur, voilà le vrai poète ! Seulement il ne l’est pas assez, de par l’émotion ou de par la passion uniques, pour pouvoir entièrement se passer de la langue poétique et de sa visible beauté. Ici, je reviens à Mme Desbordes-Valmore, et je me demande si cette femme, d’une passion si grande et si naturelle, a réellement assez de langage pour faire fond de poète aux sublimités de l’émotion, et pour que sur l’art de son solfège brille mieux la poignante beauté de ses cris ?

Telle est la question. Quel que soit son genre de poésie, Mme Desbordes-Valmore est-elle poète, dans toute la force de ce robuste mot ? Et son nom, et les circonstances, et son sexe, et le charme navrant de quelques vers heureux, quand il s’agit d’exprimer la fatalité de l’amour, n’ont-ils pas fait illusion même à la Critique, même à ceux que rien ne devrait égarer ? Mme Desbordes-Valmore offre-t-elle enfin au xixe  siècle le hasard de ce rare phénomène d’une femme poète, si rare, en effet, que dans l’histoire littéraire on le cherche en vain ? Sapho, cette réponse solitaire, n’est pas une réplique. Sans son suicide et sans ses vices, Sapho ne serait qu’un exemple de prosodie, à l’usage de ceux qui, comme Trissotin, ne se sentent pas d’aise de savoir le grec. « Je ne sais pas ce qui manque aux femmes, — disait le vieux Corneille, dont la bonhomie sublime fut parfois gauloisement railleuse ; — mais pour faire des vers, il leur manque quelque chose… » et rien de plus vrai ! Ces gracieuses ou nerveuses faiseuses de guirlandes, qui ont comme Mme Desbordes-Valmore

Des bouquets purs noués de noms doux et charmants,

n’ont jamais campé un vers debout, comme leur petit. Elles n’ont pas vidé cette coupe d’Alexandre ni levé cette massue d’Hercule. Tout cela pèse trop à leur main, même quand leur force est centuplée par le génie qui leur est propre et qui, pour la force, leur a souvent versé la fièvre, — le terrible génie de l’amour ! Déjà les femmes simplement et solidement littéraires ne pleuvent pas dans l’histoire ; mais les femmes poètes… dites-moi, pour que je les ramasse, où il est tombé de ces étoiles filantes, qui ont brillé et se sont évanouies, de ces astres faux qui semblaient se détacher du ciel pour venir à nous et qu’on n’a jamais pu retrouver ?…

III

Eh bien ! Mme Desbordes-Valmore est du nombre. Elle n’est pas plus poète que les autres femmes qui ont péri dans leurs luttes avec le Vers ou que le Vers, incoercible à leurs pauvres efforts, a dédaignées. Mais comme les autres femmes et plus qu’elles souvent, elle a des qualités poétiques. Elle en a de très délicates et en même temps de très ardentes. C’est une âme et c’est un talent, mais une âme et un talent ne sont pas la monnaie du génie qui fait qu’on est poète….. Ce talent naturel comme la voix, n’allez pas croire pourtant que cette rêveuse, cette abandonnée, cette troublée qui jetait ses cris éloquents autour d’elle ou laissait tomber ses soupirs, chantât comme Ophélie entre le saule et l’eau : non ! elle avait de l’art encore dans ses folies et ne mêlait point ses romances.

Non, la spontanée a travaillé vingt ans ; elle a essayé de se faire une langue pour chanter quand elle ne criait pas, car la poésie n’a pas que des cris, il y a du bleu entre les étoiles, et minuit, disait lord Byron, n’en est pas tissé ! S’il était possible de devenir poète en passant par l’artiste, elle le serait devenue, comme ses Poésies inédites l’attestent, ces suavités tardives du soir de sa vie qui sont plus belles et plus pures que les poésies de son aurore.

Car c’est là que je veux arriver. Les Poésies qu’on vient de publier ne sont pas seulement un livre inédit qui a couru peut-être chance d’être oublié, c’est toute une Mme Valmore inédite et inconnue ! Comparez-les, — ce sera un rapprochement curieux, — aux Poésies publiées en 1819 et en 1820, et dites si cette Négligée qui n’était pas naïve, car elle imitait, le croira-t-on ? Mme Deshoulières, — Mme Deshoulières en 1820 ! — annonçait, dans ces vers libres ou plutôt lâches, et où la langue s’effilochait comme un tissu usé dans chacun de ses fils, la femme qui, vingt ans plus tard, s’est essayée à se faire un rythme, et qui, en son coin solitaire, a participé, dans la mesure de ses forces de femme, à ce grand mouvement rénovateur du style poétique qui s’est produit avec tant de continuité et de fécondité parmi nous.

Quand on relit le volume de 1820, inouï de niaiserie et de platitude, mais où ça et là, pourtant, on rencontre un accent juste dans l’ardeur ou la profondeur de l’amour, on se demande comment le bruit put venir à ce nom de Valmore, si ce nom qui pouvait faire rêver « comme les orangers de Grenade » n’avait pas encapricé cette faiseuse de musique, la Gloire ! Il y venait cependant, le bruit, à ce nom, et même il y resta fidèle. Bien des années plus tard, Lamartine le modula dans une de ses plus belles Harmonies. On eût dit que le poète des Méditations avait senti sous le faux de ces tristes volumes d’églogues et de romances une sœur à lui et à de Musset, son cadet superbe, — une Cendrillon de leur poésie, de leur poésie déjà négligée aussi, à tous les deux !

Elle y était, mais ce n’était qu’une sœur, et encore une sœur faite de la rognure des deux frères. Mme Desbordes-Valmore, qui n’avait commencé qu’avec de l’âme et qui a fini par avoir réellement du talent, montre bien, par ce talent même, que la femme, dont la gloire est de refléter ceux qu’elle aime, ne peut jamais avoir de profonde ou de saisissante originalité. Ôtez le sexe à son talent, le sexe qui, pour tant d’esprits, en fait le charme ; ôtez la touche de la maternité qui retentit si longuement dans ses vers, gémissante, pure et sonore ; ôtez l’amour, l’amour des femmes, éternellement victime et qui veut l’être, entêtement et banalité de ces incroyables cœurs, et vous n’avez plus là, sous le nom de Valmore, qu’un de Musset moins spirituel, moins fringant, moins joli garçon et surtout moins coupable, et un Lamartine, devenu ruisselet, au lieu d’avoir l’abondance et l’ampleur qu’il a, ce grand fleuve de mélancolie !

Il est vrai que cela encore est quelque chose, que n’est pas qui veut la sœur des poètes. Il est vrai que la Cendrillon des Premières Poésies a rattaché sa tombante ceinture, relevé ses cheveux défaits sur ses joues pâles, et qu’elle est devenue, en ces dernières, cette Valmore qui eut sa renommée avant de l’avoir méritée, et qui, maintenant qu’elle la mérite, va peut-être ne l’avoir plus !

IV

Et s’ils doivent être oubliés, ces vers, pour leur peine de n’avoir pas tout à fait assez oublié les autres, disons pourtant avec justice et avec sympathie ce qu’ils sont, et retardons l’oubli auquel la femme qui ne les a pas publiés s’était peut-être résignée. Cette femme dont ils résument probablement la vie les avait divisés en plusieurs parties, sous ces noms expressifs amour, Famille, Foi, Enfants et Jeunes Filles, et Poésies diverses. Hélas ! ce sont presque les étapes de son cœur et de sa pensée. On comprend que la division de ce livre soit la division de son âme, étendue d’abord de l’amour à la famille, pour de là monter à la foi et redescendre aux enfants et enfin s’éparpiller dans l’indifférence des pièces diverses. Le chétif zodiaque est bientôt parcouru. En les prenant sans les choisir dans le recueil, et sans les rapporter au titre de chaque livre, les pièces que la Critique pourrait signaler sont nombreuses. Ce sont Les Cloches et les Larmes, Hirondelle ! Hirondelle ! Hirondelle !, La Feuille volée, Les Éclairs, Les Roses de Saadi, La Jeune Fille et le Ramier, qui finit par cette strophe interjective et profonde :

Laissez pleuvoir, ô cœurs solitaires et doux !
Sous l’orage qui passe il renaît tant de choses !
Le soleil, sans pluie, ouvrirait-il les roses ?
Amants, vous attendez ! de quoi vous plaignez-vous ?

Ce sont encore La Voix d’un ami qui est l’ardeur de l’amour introduite dans le sentiment le plus calme, L’Esclave et l’Oiseau, Le Secret perdu, La Jeune comédienne. À mon fils avant le collège, où je trouve ce beau trait défiant, désespéré et jaloux :

Candeur de mon enfant, on va bien vous détruire !

Enfin, La Couronne effeuillée, La Vie perdue, et surtout La Fileuse et l’enfant, que les âmes tendres et chrétiennes diront divine. Elle est trop longue pour être citée tout entière, mais elle a toutes ses strophes dans ce goût, ce mouvement et ce rythme charmant :

J’appris à chanter en allant à l’école,
Les enfants joyeux aiment tant les chansons !
Ils vont les crier au passereau qui vole.
Au nuage, au vent, et…………..

La vieille fileuse, à son rouet penchée,
Ouvrait ma jeune âme avec sa vieille voix.
……………………………………………

Elle allait, chantant d’une voix affaiblie,
Mêlant la pensée au lin qu’elle allongeait,
Courbée au travail comme un pommier qui plie,
Oubliant son corps où l’âme se délie.
Moi, j’ai retenu tout ce qu’elle songeait.

Ne passez jamais devant l’humble chapelle
Sans y rafraîchir les rayons de vos yeux.
Pour vous éclairer, c’est Dieu qui vous appelle,
Son nom dit le monde à l’enfant qui l’épèle,
Et c’est, sans mourir, une visite aux cieux.

Ce nom, comme un feu, mûrira vos pensées,
Semblable au soleil qui mûrit les blés d’or,
Vous en formerez des gerbes enlacées
Pour les mettre un jour sous vos têtes lassées
Comme un faible oiseau qui chante et qui s’endort !

N’ouvrez pas votre aile aux gloires défendues,
De tous les lointains juge-t-on la couleur ?
Les voix sans écho sont les mieux entendues.
Dieu tient dans sa main les clefs qu’on croit perdues
De tous les secrètes lui seul sait la valeur.

Quand vous respirez un parfum délectable,
Ne demandez pas d’où vient ce souffle pur !
Tout parfum descend de la divine table.
L’abeille en arrive, artiste infatigable,
Et son miel choisi tombe aussi de l’azur !

L’été, lorsqu’un fruit fond sous votre sourire,
Ne demandez pas : ce doux fruit, qui l’a fait ?
Vous direz : c’est Dieu ! Dieu par qui tout respire !
En piquant le mil, l’oiseau sait bien le dire,
Et le chanter aussi par un double bienfait.

Si vous avez peur lorsque la nuit est noire,
Mon Dieu ! vous direz, je vois clair avec vous,
Vous êtes la lampe au fond de ma mémoire !
Vous êtes la nuit, voilé dans votre gloire,
Vous êtes le jour et vous brillez pour nous !

Si vous rencontrez un pauvre sans baptême,
Donnez-lui le pain que l’on vous a donné,
Parlez-lui d’amour comme on fait à vous-même,
Dieu dira : c’est bien, voilà l’enfant que j’aime.
S’il s’égare un jour, il sera pardonné.

Voyez-vous passer dans sa tristesse amère
Une femme seule et lente à son chemin ?
Regardez-la bien, et dites : c’est ma mère !
Ma mère qui souffre ! honorez sa misère
Et soutenez-la du cœur et de la main !

Enfin faites tant et si souvent l’aumône,
Qu’à ce doux travail ardemment occupé,
Quand vous vieillirez, — tout vieillit, Dieu l’ordonne, — 
Quelque ange en passant vous touche et vous moissonne
Comme un lis d’argent pour la Vierge coupé !

Les ramiers s’en vont où l’été les emmène,
L’eau court après l’eau qui fuit sans s’égarer,
Le chêne grandit sous les bras du grand chêne,
L’homme revient seul où son cœur le ramène,
Où les vieux tombeaux l’attirent pour pleurer.

J’appris tous ces chants en allant à l’école,
Les enfants joyeux aiment tant les chansons ! etc.

Tout n’y est-il pas des meilleures qualités de cette femme, adorable par moments, qui n’est pas un poète, mais une femme qui, pour le coup, a passé bien près de la poésie, en nous passant si près du cœur ?… Tout n’y est-il pas et jusqu’au rythme, le rythme acquis, victoire sur elle-même ! La fade Deshoulières de 1820, où est-elle ? Et que diraient en lisant ceci Lamartine et de Musset, qui ont fait tous deux la Confiance en Dieu, oui, que diraient-ils de cette sœur ?