Une petite revue ésotérique
Psyché, revue mensuelle d’art et de littérature, avait
pour rédacteur en chef Victor-Émile Michelet, et pour secrétaire de la rédaction, Augustin
Chaboseau (rédaction, 12, rue de Vaugirard ; administration, 29, rue de Trévise). Premier
numéro : novembre 1891. Elle se piquait si peu d’exactitude qu’un avis aux lecteurs,
inséré dans le sixième fascicule, disait : « À dater du prochain numéro, Psyché se propose d’étonner grandement ses indulgents lecteurs en
paraissant selon une périodicité à peu près régulière. Néanmoins, pour conserver un
certain charme d’imprévu — qu’il lui soit pardonné à cause de la féminité de son
titre ! — il pourrait arriver qu’elle se fît quelquefois, non point désirer (elle n’a si
coquette prétention) mais attendre▶. »
Je crois bien qu’elle se fit ◀attendre
indéfiniment après le septième numéro (décembre 1892). On lit aux sommaires les noms de
Victor-Émile Michelet, Augustin Chaboseau, Albert Jhouney, Léon Bazalgette, Henry de
Braisne, Jules Bois, Narcisse Quellien, Joachim Gasquet.
Je lis dans l’avertissement :
« Ce que veut être Psyché, le dessin de son frontispice l’indique : Sur les flancs du taureau ailé, elle va des mystères antiques aux mystères modernes, vers l’île de la Seine élue pour contenir la fatidique “Arche d’Isis”.
« Psyché sera spiritualiste et surtout synthétique, c’est-à-dire éprise de la combinaison harmonieuse de tous les éléments qui constituent la vie. Et la vie d’une œuvre d’art comprend les mêmes éléments que la vie d’un homme. À qui peut-elle s’adresser ? À une élite hautaine d’initiés ? Non à tous ceux dont l’intelligence et la sensibilité n’ont pas été faussées par des éducations artificielles. »
Psyché annonçait l’apparition prochaine en librairie du Catéchisme de la paix d’Éliphas Lévi et du Zohar, l’un des livres fondamentaux de la kabbale, pour la première fois, traduit en langue française.
Elle signalait en outre à ses lecteurs la revue de Papus : l’Initiation, dont le siège était 14, rue de Strasbourg, à Paris. M. Georges Montière en était le rédacteur en chef. Dans le deuxième fascicule de Psyché, M. Léon Bazalgette recherchait les éléments constitutifs du mage, il notait qu’à mesure que l’idéal religieux de la masse s’amoindrit, celui de l’élite se concentre et s’élève, comme pour transmettre à la foi nouvelle, qui ne peut tarder, le trésor des traditions. Il nous cite comme types de mages Pluton, Pythagore, Socrate, Carlyle, Emerson. Avec Épictète, l’idéal s’amoindrit tout en restant très haut. Bazalgette pense, avec Carlyle, que le don le plus précieux que le ciel puisse faire à la terre, c’est l’âme d’un homme réellement envoyé des cieux, porteur d’un message pour nous. Cet homme c’est le « Héros », c’est celui qui entend chanter l’âme intérieure des choses, qui nous mène au bord de l’infini et nous y laisse, quelques moments, plonger le regard. Avec Emerson, le héros devient le représentant de l’humanité, c’est le divin patron sur la véracité duquel le monde s’appuie. C’est celui qui plante le drapeau de l’humanité en avant de quelques stades par-delà le chaos. Victor-Hugo s’est essayé aussi à dresser le type du Mage. Il le considère comme un voyant du ciel supérieur qui se penche frémissant au puits des grands vertiges ou s’accoude au bord croulant du problème sans fond.
Oh ! vous êtes les seuls pontifes,Penseurs, lutteurs des grands espoirs,Dompteurs des fauves hippogriffes,Cavaliers des Pégases noirs !Âmes, devant Dieu, toutes nues,Voyants des choses inconnues,Vous savez la religion !
Dans sa pièce des Mages, Victor Hugo fait défiler tous ceux en qui Dieu se concentre, toutes les têtes fécondées :
Génie ! Ô tiare de l’ombre !Pontificat de l’infini !
tous les grands éclaireurs, tous les grands inspirés :
Ô figures dont la prunelleEst la vitre de l’idéal.
Les blêmes faces de rêve, les apôtres, les poètes échevelés, les prêtres de la nature,
les contemplateurs pâles, tous les altérés d’infini sont des mages qui ont découvert
« le sens caché de la nature »
.
Conduit par les hommes d’extase,Le genre humain marche en avant.
Et M. Bazalgette termine son article en reprenant à Joséphin Péladan le type abstrait du
mage pythagoricien :
« C’est la suprême culture, la synthèse supposant
toutes les analyses, le plus haut résultat combiné de l’hypothèse unie à l’expérience,
le patriciat de l’intelligence et le couronnement de la science à l’art
mêlé. »
Dans la critique des livres, Psyché fait un sort à part à Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck, à la Fin des Dieux de Henri Mazel, à Lilith de Remy de Gourmont, à Ombres et Mirages de Robert Scheffer, au Miroir des légendes de Bernard Lazare.
Elle nous entretient de la kabbale de Papus : « La kabbale ne peut être
vulgarisée. Elle est la plus profonde perception du Mystère et, seuls, peuvent atteindre
à cette perception, des esprits d’une puissante envolée, mais nous croyons que M. Papus
a grandement raison quand il pense qu’on peut tout publier parce que, seuls,
comprendront ceux qui doivent comprendre. Le livre de Papus ouvre à l’étudiant la porte
de l’ésotérisme de la kabbale. Les principes fondamentaux y sont exposés avec cette
lucidité et cette précision que l’auteur apporte à tous ses ouvrages. Le maniement de
l’alphabet hébraïque et de ses combinaisons numériques, le symbolisme profond des noms
divins et la théorie merveilleuse des Séphiroth y sont expliqués avec autant de
pénétration et de clarté que possible. »
Psyché commente le livre de Péladan : Comment on devient
mage. « L’auteur n’a pas fait œuvre d’occultiste scientifique et considère
les connaissances hermétiques comme de l’érudition sans rapport avec sa méthode
d’auto-magification ou sublimation de l’homme. Ce qui frappe, tout d’abord, c’est le
parallélisme
de cette méthode et de la doctrine catholique, parallélisme et
non similitude, car la prépondérance passe du plan animique au plan intellectuel : le
saint devient le mage et la prière une idée. La doctrine de la perfection chrétienne est
remplacée par celle de l’“asseze” platonique, méthode d’orgueil et d’entraînement,
destinée à faire naître le disciple à la personnalité, à le revêtir de cette puissance
d’“ipsité” qui sera pour lui comme une armure adamantine. Cette “asseze” magique
dégagera, en le développant, le don de notre nature, comme l’alchimiste sépare l’or de
la matière libre. L’homme arrive ainsi à la pureté, à la noblesse à la vraie gloire. “Le
commerce avec les grands morts, la méditation des livres testamentaires de la puissance
magique… la force de toute force c’est l’adhésion au plan divin.” »
Il est impossible de parler en détail de toutes les autres petites revues qui pullulaient à cette époque. Je n’en signalerai qu’une : L’Art littéraire qui fut d’abord en 1892-93 un petit journal illustré mensuel et qui se transforma en 1894. C’est l’une des moins connues, bien qu’elle comptât parmi ses collaborateurs Stéphane Mallarmé, Remy de Gourmont, Saint-Pol-Roux, René Ghil. C’est là qu’Alfred Jarry, l’auteur d’Ubu-roi, fit ses débuts. Il y publia les Minutes de sable mémorial et de curieuses fantaisies.
Le directeur en était Louis Lormel, né à Paris en 1869, d’une ancienne famille artésienne et qui fera paraître en 1908, chez Sansot, un recueil de poèmes en prose : Tableaux d’âmes, que Maurice Barrès place à côté du Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand. Louis Lormel fondera en 1907 une autre revue, la Rénovation esthétique. Il collaborait alors à toutes les feuilles d’avant-garde sous son nom et sous des pseudonymes divers.
Il est pourtant encore une petite revue qu’il me serait difficile de passer sous silence. C’est le Sagittaire que je fondai en juin 1900 avec l’appui des poètes romans et des amis de Paul Verlaine. Les bureaux en étaient chez Clerget, boulevard Montparnasse, nº 13, chiffre fatidique où Moréas, superstitieux, lisait un mauvais présage. Le Sagittaire dut effectivement rendre l’âme après quatorze mois d’une existence assez orageuse. À côté des collaborateurs attitrés, Albert Mérat, Eugène Ledrain, Narcisse Quellien, Théodore Maurer, Izambard, Jean Bourguignon, Cazals, Charles Houin, Jean Court, Léon Frapié, Paul Sébillot, Lucien Hubert, Léon Riotor, Paul Fleurot, Léon Maillard, Charles Saunier, Poinsot, figurent les signatures de Rachilde, Francis Jammes, Charles Morice, Lionel des Rieux, Moréas, Maurice du Plessys ; Gustave Kahn… C’est là que furent publiées les Joyeusetés d’Aimé Passereau. On y trouve des pages inédites de Charles Cros et de Paul Verlaine, de curieuses révélations d’Ernest Delahaye sur Rimbaud dont il fut le condisciple au collège de Charleville, des notes pour faire suite aux confessions de Paul Verlaine, du même Delahaye en collaboration avec Cazals et des études d’Achille Delaroche sur les Écoles littéraires qui firent, à l’époque, quelque bruit.