(1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) «  Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore  » pp. 405-416
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(1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) «  Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore  » pp. 405-416

Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore 83

Le premier recueil imprimé de Mme Desbordes-Valmore est de 1819 ; le dernier recueil posthume, celui que nous annonçons, est de 1860. Le tendre et délicat poète s’est éteint, il y a un an, le 13 juillet 1859. Ainsi, à quarante ans de distance, le même poète a chanté ; cette voix de femme, si émue dès le premier jour, si pleine de notes ardentes, éplorées et suaves, ne s’est pas brisée durant cette longue épreuve de la vie, épreuve qui cependant a été plus rude pour elle que pour d’autres ; elle a gardé jusqu’à la fin ses larmes, ses soupirs, ses ardeurs. Le dernier recueil de Mme Desbordes-Valmore peut se placer à côté du premier ; il y a des choses aussi belles, aussi tristes, aussi passionnées, aussi jeunes : rare privilège, et qui ne saurait appartenir qu’à une âme intimement poétique et qui était la poésie elle-même !

Ce dernier recueil est comme une urne funéraire où la piété d’un fils et celle d’un ami ont rassemblé ce qui restait d’elle. On ne juge pas de telles œuvres, on ne les critique pas. Et en général je dirai que des poètes véritables, et du moment qu’ils ont disparu, il n’y a plus que les qualités qui doivent compter. Les défauts, on les sait, mais on ne peut plus espérer d’en avertir utilement, ni de les corriger. Écartons les défauts, extrayons les beautés. Ces poètes que nous avons connus vivants et que nous avons aimés, ils ont souffert, ils ont eu leurs fautes, leurs faiblesses, des plis à leurs ailes, leurs taches de poussière et leurs ombres ; ils se sont consumés sur le bûcher : il n’y a plus que la flamme qui monte.

Dans une première division du recueil où se lit cette inscription, Amour, il se trouve de bien jolis motifs de chants, des mélodies pures, et qui rappellent l’âge, déjà bien ancien, où la poésie se nourrissait encore toute de sentiment :

Les roses de Saadi

J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes,
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.
Les nœuds ont éclaté : les roses envolées,
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées ;
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir.
La vague en a paru rouge et comme enflammée :
Ce soir ma robe encore en est tout embaumée…
Respire-s-en sur moi l’odorant souvenir.

La jeune fille et le ramier

Les rumeurs du jardin disent qu’il va pleuvoir ;
Tout tressaille, averti de la prochaine ondée ;
Et toi, qui ne lis plus, sur ton livre accoudée,
Plains-tu l’absent aimé qui ne pourra te voir ?
Là-bas, pliant son aile et mouillé sous l’ombrage,
Banni de l’horizon qu’il n’atteint que des yeux.
Appelant sa compagne et regardant les cieux,
Un ramier, comme toi, soupire de l’orage.
Laissez pleuvoir, ô cœurs solitaires et doux !
Sous l’orage qui passe il renaît tant de choses !
Le soleil sans la pluie ouvrirait-il les roses ?
Amants, vous attendez, de quoi vous plaignez-vous ?

Ce dernier vers n’est-il pas un vers oublié de La Fontaine ?

Il y a des âmes qui apportent dans la vie comme un besoin de souffrances et une faculté singulière de sentir la peine : elles sont d’ordinaire servies à souhait. Les vers de Mme Desbordes-Valmore, les plaintes et les cris exhalés en ses précédents recueils, ont assez montré que telle était sa nature et que la destinée n’avait pas manqué non plus à cette douloureuse vocation. On en retrouve trace et témoignage dans le présent volume ; cette âme semble tout à fait vouée à aimer sans être aimée, sans trouver de juste réponse dans l’objet de son erreur. Une émule, une héritière de Mme Desbordes-Valmore en poésie comme aussi en souffrance, a dit : « L’amour est une grande duperie : il lui faut toujours une victime, et la victime est toujours la partie aimante et vraie. Vous aimez, donc vous n’êtes pas aimé ; vous êtes aimé, donc vous n’aimez pas. Et voilà l’éternelle histoire… » Non, cela n’est pas aussi nécessaire que le croient certaines âmes sous le coup de l’orage ; il est des félicités douces, permises, obscures ; celles-là, il est vrai, ne se chantent pas : elles se pratiquent en silence. Mais la poésie, de tout temps, a plus profité des orages que du calme, et des infortunes que du bonheur. Voici quelques notes de plus à ajouter à ces accents de la passion, ou plaintifs, ou déchirants. — Et la plainte d’abord :

Trop tard

Il a parlé. Prévoyante ou légère,
Sa voix cruelle et qui m’était si chère
A dit ces mots qui m’atteignaient tout bas :
« Vous qui savez aimer, ne m’aimez pas !
Ne m’aimez pas si vous êtes sensible ;
Jamais sur moi n’a plané le bonheur.
Je suis bizarre et peut-être inflexible ;
L’amour veut trop : l’amour veut tout un cœur.
Je hais ses pleurs, sa grâce ou sa colère ;
Ses fers jamais n’entraveront mes pas. »
Il parle ainsi, celui qui m’a su plaire…
Qu’un peu plus tôt cette voix qui m’éclaire
N’a-t-elle dit moins flatteuse et moins bas :
« Vous qui savez aimer, ne m’aimez pas !
Ne m’aimez pas ; l’âme demande l’âme ;
L’insecte ardent brille aussi près des fleurs :
Il éblouit, mais il n’a point de flamme ;
La rose a froid sous ses froides lueurs.
Vaine étincelle échappée à la cendre,
Mon sort qui brille égarerait vos pas. »
Il parle ainsi, lui que j’ai cru si tendre !
Ah ! pour forcer ma raison à l’entendre,
Il dit trop tard, ou bien il dit trop bas :
« Vous qui savez aimer, ne m’aimez pas ! »

Mais voici le déchirement, le réveil en sursaut, la révolte d’une âme délicate et confuse, qui s’agenouille et se cache entre ses deux ailes, et qui ne sait à qui s’en prendre d’avoir trop reconnu par elle-même, et à son détriment, cette fatale vérité, qu’il n’y a point d’orgueil quand on aime :

    Fierté, pardonne-moi !
    Fierté, je t’ai trahie !…
    Une fois dans ma vie,
Fierté, j’ai mieux aimé mon pauvre cœur que toi :
    Tue, ou pardonne-moi !
    Sans souci, sans effroi,
    Comme on est dans l’enfance,
    J’étais là sans défense ;
Rien ne gardait mon cœur, rien ne veillait sur moi :
    Où donc étais-tu, — toi ?
    Fierté, pardonne-moi
    Fierté, je t’ai trahie !…
    Une fois dans ma vie,
Fierté, j’ai mieux aimé mon pauvre cœur que toi :
    Tue, ou pardonne-moi !

L’âme qui a senti de la sorte court risque de ne jamais guérir et de rester inconsolable en effet, dans une attitude de suppliante, avec sa blessure non fermée, et implorant toujours son pardon :

Le secret perdu

Qui me consolera ? — « Moi seule, a dit l’Étude ;
J’ai des secrets nombreux pour ranimer tes jours. » —
Les livres ont dès lors peuplé ma solitude,
Et j’appris que tout pleure, et je pleurai toujours.
Qui me consolera ? — « Moi, m’a dit la Parure ;
Voici des nœuds, du fard, des perles et de l’or. » —
Et j’essayai sur moi l’innocente imposture,
Mais je parais mon deuil, et je pleurais encor.
Qui me consolera ? — « Nous, m’ont dit les Voyages ;
Laisse-nous t’emporter vers de lointaines fleurs. » —
Mais, tout éprise encor de mes premiers ombrages,
Les ombrages nouveaux n’ont caché que mes pleurs.
Qui me consolera ? — Rien, plus rien. ; plus personne.
Ni leurs voix, ni ta voix ; mais descends dans ton cœur ;
Le secret qui guérit n’est qu’en toi. Dieu le donne :
Si Dieu te l’a repris, va ! renonce au bonheur !

Humiliée, anéantie, pitoyable dans tous les sens du mot et charitable, sévère à elle-même, indulgente aux autres, cette âme a pour ses compagnes en douleur des conseils pleins d’une douceur infinie et d’une résignation toute persuasive :

Crois-moi

Si ta vie obscure et charmée
Coule à l’ombre de quelques fleurs,
Âme orageuse mais calmée,
Dans ce rêve pur et sans pleurs,
Sur les biens que le ciel te donne,
        Crois-moi,
Pour que le sort te les pardonne,
        Tais-toi !
Mais si l’amour d’une main sûre,
T’a frappée à ne plus guérir ;
Si tu languis de ta blessure
Jusqu’à souhaiter d’en mourir ;
Devant tous et devant toi-même.
        Crois-moi,
Par un effort doux et suprême,
        Tais-toi !
Vois-tu, les profondes paroles
Qui sortent d’un vrai désespoir
N’entrent pas aux âmes frivoles,
Si cruelles sans le savoir !
Ne dis qu’à Dieu ce qu’il faut dire,
        Crois-moi ;
Et couvrant ta mort d’un sourire,
        Tais-toi !

Quant à elle-même, portant et cachant son mal, ce mal, dit-elle, dont on n’ose souffrir, dont on n’ose ni vivre ni mourir, elle découvre tout au fond de son cœur, un jour, qu’il n’y a qu’un remède, un consolateur ; et comme elle a en elle de cette flamme et de cette tendresse qui transportait les Thérèse et les Madeleine, comme elle a sucé la croyance avec le lait, elle regarde enfin là où il faut regarder, et elle s’écriera dans des stances qui se peuvent lire, ce me semble, après certain sermon de Massillon :

La couronne effeuillée

J’irai, j’irai porter ma couronne effeuillée
Au jardin de mon père où revit toute fleur ;
J’y répandrai longtemps mon âme agenouillée :
Mon père a des secrets pour vaincre la douleur.
J’irai, j’irai lui dire, au moins avec mes larmes :
« Regardez, j’ai souffert… » Il me regardera ;
Et sous mon front changé, sous mes pâleurs sans charmes,
Parce qu’il est mon père il me reconnaîtra.
Il dira : « C’est donc vous, chère âme désolée !
La terre manque-t-elle à vos pas égarés ?
Chère âme, je suis Dieu : ne soyez plus troublée ;
Voici votre maison, voici mon cœur, entrez ! »
Ô clémence ! ô douceur ! ô saint refuge ! ô père !
Votre enfant qui pleurait, vous l’avez entendu !
Je vous obtiens déjà, puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j’ai perdu.
Vous ne rejetez pas la fleur qui n’est plus belle ;
Ce crime de la terre au ciel est pardonné.
Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle,
Non d’avoir rien vendu, mais d’avoir tout donné.

Je n’oserai répondre de l’exacte théologie et de la parfaite orthodoxie de cette prière ; on a le Pater de M. Nicole, c’est-à-dire expliqué et commenté par lui ; le Pater de Mme Valmore, qu’on vient de lire, ne saurait tout à fait lui ressembler ; mais du moins c’est de la touchante poésie.

Nulle plus que Mme Desbordes-Valmore n’a été sensible à l’amitié et n’en eut le culte fidèle. Un ami poète, qui l’avait souvent entourée de ses soins, mais dont l’absence s’était fait remarquer un jour, dans un des deuils trop fréquents qui enveloppèrent ses dernières années, devint l’occasion, l’objet de ce cordial et vibrant appel :

La voix d’un ami

Si tu n’as pas perdu cette voix grave et tendre
Qui promenait ton âme au chemin des éclairs
Ou s’écoulait limpide avec les ruisseaux clairs,
Éveille un peu ta voix que je voudrais entendre.
Elle manque à ma peine, elle aiderait mes jours.
Dans leurs cent mille voix je ne l’ai pas trouvée.
Pareille à l’espérance en d’autres temps rêvée,
Ta voix ouvre une vie où l’on vivra toujours !
Souffle vers ma maison cette flamme sonore
Qui seule a su répondre aux larmes de mes yeux.
Inutile à la terre, approche-moi des cieux.
Si l’haleine est en toi, que je l’entende encore !
Elle manque à ma peine, elle aiderait mes jours ;
Dans leurs cent mille voix je ne l’ai pas trouvée.
Pareille à l’espérance en d’autres temps rêvée,
Ta voix ouvre une vie où l’on vivra toujours !

Est-ce d’elle qu’il est besoin de remarquer qu’elle était la plus étrangère aux vanités de l’amour-propre ? Elle accueillait chaque louange avec étonnement, avec reconnaissance ; je n’ai jamais vu de talent aussi vrai qui ressemblât davantage à l’humilité même. Elle aimait les femmes poètes, celles qui sont dignes de ce nom ; elle les louait volontiers, elle les préférait à elle, et cela non pas seulement tout haut, mais aussi tout bas, sincèrement. Quand la belle et brillante Delphine, Mme Émile de Girardin, fut enlevée avant l’heure, Mme Desbordes-Valmore, qui l’avait vue commencer et qui s’attendait si peu à la voir finir, eut un hymne de deuil digne de son noble objet, et dans lequel cependant elle prête un peu, je le crois, de sa mélancolie à l’éblouissante muse disparue ; mais le mouvement est heureux, le ton général est juste et d’une belle largeur :

La mort vient de frapper les plus beaux yeux du monde :
Nous ne les verrons plus qu’en saluant les cieux.
Oui, c’est aux cieux, déjà ! que leur grâce profonde,
Comme un aimant d’espoir, semble attirer nos yeux.
Belle étoile aux longs cils qui regardez la terre,
N’êtes-vous pas Delphine enlevée aux flambeaux,
Ardente à soulever le splendide mystère
Pour nous illuminer dans nos bruyants tombeaux ?
[…]
Son enfance éclata par un cri de victoire.
Lisant à livre ouvert où d’autres épelaient.
Elle chantait sa mère, elle appelait la gloire,
Elle enivrait la foule… et les femmes tremblaient.
Et charmante, elle aima comme elle était : sans feinte,
Loyale avec la haine autant qu’avec l’amour.
Dans ses chants indignés, dans sa furtive plainte.
Comme un luth enflammé son cœur vibrait à jour !
Elle aussi, l’adorable ! a gémi d’être née.
Dans l’absence d’un cœur toujours lent à venir,
Lorsque tous la suivaient, pensive et couronnée,
Ce cœur, elle eût donné ses jours pour l’obtenir.
Oh ! l’amour dans l’hymen ! Oh ! rêve de la femme !
Ô pleurs mal essuyés, visibles dans ses vers !
Tout ce qu’elle taisait à l’âme de son âme.
Doux pleurs, allez-vous-en l’apprendre à l’univers !
Elle meurt ! presque reine, hélas ! et presque heureuse,
Colombe aux plumes d’or, femme aux tendres douleurs ;
Elle meurt tout à coup d’elle-même peureuse,
Et, douce, elle s’enferme au linceul de ses fleurs.
Ô beauté ! souveraine à travers tous les voiles !
Tant que les noms aimés retourneront aux cieux,
Nous chercherons Delphine à travers les étoiles,
Et ton doux nom de sœur humectera nos yeux.

Il y avait en Mme Desbordes-Valmore la mère : comment ceux qui l’ont connue ou qui la lisent pourraient-ils l’oublier ? Mère, elle aurait pu goûter toutes les satisfactions et tous les orgueils, si elle n’avait pressenti, même avant de les épuiser, toutes les douleurs. Des deux filles qu’elle perdit, l’une, l’aînée, personne d’un rare mérite, d’une sensibilité exquise jointe à une raison parfaite, était poète aussi ; dans des vers d’elle sur le jour des morts, je me souviens de celui-ci qui s’adressait aux êtres chers qui nous ont été ravis :

Vous qui ne pleurez plus, vous souvient-il de nous ?

La seconde fille de Mme Desbordes-Valmore, poète également si l’on peut appeler de ce nom la sensibilité elle-même, avait plutôt en elle la faculté de souffrir de sa mère, cette faculté isolée, développée encore et aiguisée à un degré effrayant ; pauvre enfant inquiet, irritable, malade sans cause visible, elle se consumait, elle se mourait lentement, et par cela seul qu’elle se croyait moins regardée et favorisée, moins aimée ; devenue l’objet d’une sollicitude continuelle et sans partage (car elle était restée seule au nid maternel), rien ne pouvait la rassurer ni apprivoiser sa crainte, et la plus tendre chanson de sa mère ne faisait que bercer son tourment sans jamais réussir à l’apaiser ni à l’endormir :

Inès

Je ne dis rien de toi, toi la plus enfermée.
Toi, la plus douloureuse, et non la moins aimée !
Toi, rentrée en mon sein, je ne dis rien de toi
Qui souffres, qui te plains, et qui meurs avec moi !
Le sais-tu maintenant, ô jalouse adorée,
Ce que je te vouais de tendresse ignorée ?
Connais-tu maintenant, me l’ayant emporté,
Mon cœur qui bat si triste et pleure à ton côté ?

Il faut lire encore la pièce qui suit et qui a pour titre : La Voix perdue. — Rapprochement singulier et qui est un lien entre ces natures poétiques, mystérieuses ! Cette mère qui avait tant souffert du silence de sa charmante et sauvage enfant et de la voir ainsi mourir sans épanchement et sans plainte, arrivée elle-même aux dernières années et aux derniers mois qui précédèrent sa fin, s’enveloppa dans un silence résigné et profond, admettant à peine la lueur du jour, les soins du médecin ami, et les soulagements passagers par lesquels s’entretient l’illusion des mourants : elle s’éteignit elle-même, lentement, muette et sans illusion.

J’ai omis jusqu’ici, j’ai trop laissé dans l’ombre une partie bien essentielle d’elle et de son âme : c’était sa charité active pour tous les souffrants, les faibles, les vaincus, les prisonniers. Elle ne songeait pas à être une héroïne politique quand elle allait ainsi les chercher à travers les barreaux, pas plus qu’elle n’était une théologienne quand elle épanchait avec confiance ses pleurs et ses parfums devant Dieu ; elle n’avait que des instincts de miséricorde et de fraternité humaine, mais elle les avait pressants, irrésistibles. C’est à l’un de ces prisonniers, à un ardent apôtre d’une réformation future, qu’un jour, en des vers qu’elle lui adressait, elle montrait, pour le consoler, l’image du Christ, et rencontrait ce vers sublime, digne d’être à jamais retenu :

Lui dont les bras cloués ont brisé tant de fers !

La mort de cette personne bienfaisante, annoncée a l’un de ceux qu’elle avait ainsi consolé, amena l’éloge suivant que je ne puis résister à transcrire, et qui, sorti d’une veine austère, a tout son prix. La lettre d’où je tire ces lignes est adressée au pieux fils de Mme Desbordes-Valmore :

Vous êtes, lui disait cet ami au cœur reconnaissant, vous êtes, monsieur, le fils d’un ange : la patrie des lettres et de la poésie n’en produit que bien rarement de tels. Dans ce monde d’intrigues, de dissimulation, de faux amours et de haines mercenaires, où tout se vend jusqu’au génie, elle a conservé son génie pur de toute atteinte, sa renommée toujours jeune, et son cœur exempt d’occasions de haïr. Ses émules l’ont adorée ; ses lecteurs l’ont toujours bénie. Elle a été plus qu’une muse, elle n’a jamais cessé d’être la bonne fée de la poésie ; et dans mes nombreux souvenirs du cœur, mon titre le plus doux est d’avoir conservé sa sympathie qui m’a suivi à travers tous mes barreaux. Je l’aurais aimée comme une mère et à vous en rendre jaloux, si mon âge ne m’avait permis de l’aimer comme une sœur. Elle m’a écrit en vers, elle m’a écrit en prose, et toutes ses lettres ont le même charme pour moi. Je crois que Mme votre mère était poète jusque dans le moindre signe, jusque dans le moindre soin. Son dernier silence était un pressentiment qu’elle ne voulait communiquer à personne, tant elle craignait d’être la cause d’une affliction84.

Nous aimons à finir sur un éloge si délicat. Pour nous, nous n’avons voulu ici que détacher quelques-unes de ces fleurs encore humides de larmes, qui se nuisent quand elles sont un peu trop pressées, et les offrir au lecteur, nouées à peine d’un simple fil.