(1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »
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(1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

V

Question wagnérienne et question personnelle

Est-il convenu que, l’affaire de Lohengrin étant close aujourd’hui, il est permis de juger en toute impartialité les faits qui se sont accomplis ? — Je prétends que les wagnéristes ont plus que le droit, mais le devoir, de demander ou de faire la lumière. D’ailleurs, les opinions que j’ai énoncées récemment dans la Revue Wagnérienne ont été à ce point attaquées que je dois donner aux lecteurs qui me suivent depuis deux ans et demi une explication positive.

Peut-être que tel illustre personnage disposant, à force d’argent, de la publicité du Figaro ou de quelque autre journal à grand tirage, affectera de suspecter la valeur des opinions émises par la Revue Wagnérienne… S’il y a pour de l’orgueil à revendiquer l’importance de la Revue Wagnérienne, ce péché d’orgueil, je l’admets ; et, dans cette première et (je l’espère) unique occasion, je demande la permission de réclamer tous les droits que je crois dûs à la Revue.

Ceux des wagnéristes qui connaissent à quel tarif sont payées les réclames insérées au Figaro, ne peuvent guère avoir foi, ce me semble, en des jugements qu’ils savent soldés contre quittances ; et ceux qui ignorent ces trafics, ont-ils donc tant de confiance dans l’impeccable wagnérisme des journaux boulevardiers ? Ce n’est pas dans le public spécialement wagnérien que portent ces grandes réclames, mais plutôt au dehors… Au contraire, je maintiens que dans le public spécial des wagnéristes, les articles d’une Revue Wagnérienne doivent avoir leur valeur.

La Revue Wagnérienne, chaque mois, envoie un petit nombre d’exemplaires, mais elle les envoie partout où il y a des gens, artistes ou amateurs, faisant profession de wagnérisme ; et ses articles — n’est-ce pas la moindre récompense de beaucoup d’efforts ? — sont considérés au moins au même titre que les articles du Sport par les sportsmen ; la Revue Wagnérienne, si elle ne vaut que parmi les wagnéristes, sûrement vaut parmi eux.

Ce peu d’autorité qu’a pu acquérir la Revue, le droit qu’après ces deux ans et demi on m’accordera d’avoir et d’exprimer une opinion, la confiance personnelle que mes amis veulent bien me montrer, je demande aujourd’hui, en une très grave circonstance, d’y faire appel.

Les lecteurs de la Revue Wagnérienne m’ont vu jadis confiant dans les promesses de M. Lamoureux ; puis, l’hiver dernier, quelques-uns ont remarqué que mon enthousiasme décroissait de mois en mois, pour faire place finalement à une réserve marquée. Donc, trop de zèle avant la bataille, et pas assez après ? Ce serait là une lourde accusation, que j’ignorerais cependant, si y répondre n’était, du même coup, éclairer bien des choses. « Question wagnérienne et question personnelle », ai-je mis en tête de cet article ; et mes lecteurs comprendront que ma propre sécurité doit être la garantie, pour eux, de ma franchise et de mon exactitude absolue.

J’avais eu, jusqu’à ce dernier hiver, les rapports personnels les meilleurs avec M. Lamoureux qui avait même bien voulu s’intéresser spécialement à la Revue Wagnérienne, et, comme tous les wagnéristes, j’étais plein d’espérances dans les « projets de M. Lamoureux ». « Les projets de M. Lamoureux », se souvient-on de cette formule ? il y a eu des articles avec ce titre, « les projets de M. Lamoureux » ; on parlait d’un second Bayreuth, d’un Théâtre-lyrique National, de Tristan, d’une École de Musique et de Drame… tout ce que rêvait Wagner pour son pays ! Et pourquoi pas ? on disait M. Lamoureux riche, audacieux, persévérant… Donc, avec tout le monde, nous exaltions « les projets de M. Lamoureux » !

En novembre dernier s’est produit entre M. Lamoureux et moi un fait particulier que je raconterai. M. Lamoureux, un beau jour, a déclaré la guerre à la Revue Wagnérienne… Les prétextes ? le style « décadent » de la Revue, ce prétendu style décadent aboli depuis un an, qui depuis un an n’existait même plus, et qu’on me reprochait après un an, et un an de relations amicales… Pareil prétexte n’avait certainement pu être suggéré que par les rancunes de quelque metteur des drames wagnériens en livrets d’opéra… Et M. Lamoureux, sûr apparemment de terrifier la Revue Wagnérienne, m’affirma que de toute sa puissance il combattrait la Revue et par tous les moyens ; enfin à ses engagements personnels (dont hélas, je n’avais pas pris la simple précaution de demander un écrit) il répondait, ne les niant pas, par cet authentique mot : « je me mets en faillite avec vous37… » Ce qui, d’ailleurs, paraît n’infirmer aucunement « la probité bien connue », etc.

Cette scène a eu ce résultat, dont je m’applaudis absolument : la sauvegarde de son entière indépendance par la Revue Wagnérienne.

Je défie qui que ce soit de nier que, depuis lors, la tenue de la Revue Wagnérienne après une telle provocation n’ait pas été d’une modération parfaite, que les sentiments personnels que dès-lors j’éprouvais à l’égard de M. Lamoureux se soient fait jour en quelconques injustices pour le musicien, que je n’aie pas sacrifié mon antipathie et ma répulsion, entièrement, à l’intérêt de la cause wagnérienne38. Seulement, j’ai cru avoir acquis, sans ambages, le droit d’être indépendant.

Or, c’est à ce moment — est-ce donc par ma faute ? — que M. Lamoureux s’est mis à réaliser ses « projets ». Ce que sont devenus les fameux projets, et comment ils ont amené la ruine du wagnérisme à Paris, maintenant que la chose est claire, au nom du wagnérisme je dois le dire.

Amicitior veritati : — c’est bien le moins.

Que M. Lamoureux ait fait preuve d’une inintelligence chaque fois plus manifeste de ce qu’est l’art wagnérien, — nous reviendrons sur ce chapitre, s’il le faut. Rappelons-nous seulement l’histoire de ces six mois.

Une saison de concerts nulle, sans nouveautés wagnériennes, sans efforts intéressants, avec le rabâchage des mêmes et éternels morceaux et jusqu’à l’oubli des œuvres classiques, une saison de concerts si déplorable que les meilleurs amis de M. Lamoureux ne la défendaient qu’au nom du théâtre en préparation : il était peu aisé de montrer de grandes sympathies artistiques pour le directeur des concerts.

Le théâtre alors ? la disparition de tous les grands, des immortels « projets »… mais passons. Lohengrin choisi, la moins curieuse des œuvres de Wagner… admettons encore. La série de fautes, maladresses ou calculs coupables, qui au moment de la représentation ont renouvelé l’irritation du public contre le nom de Wagner… négligeons tout cela, et arrivons au dénouement, sur lequel d’ailleurs, il y a un mois, j’avais promis des éclaircissements.

Des réunions, une souscription, un banquet, vingt articles de journaux ont été faits pour proclamer M. Lamoureux héros et martyr. En effet. M. Lamoureux n’a reçu aucune indemnité pour la suppression de Lohengrin — cela est sûr aujourd’hui — mais par cette raison que c’est lui qui a supprimé Lohengrin.

Le gouvernement pouvait interdire Lohengrin ; or, il est certain que, loin de le faire, le lendemain de la première représentation il a encouragé M. Lamoureux à continuer, en lui garantissant la sécurité de ses représentations. Mais à ce moment, malgré tous les bruits qu’on a fait courir, la location de la salle était très mauvaise (vu, sans doute, le prix ridiculement élevé des places), un insuccès financier était probable, les dernières représentations devant des salles vides et par conséquent une chute artistique ; qu’en outre il y ait eu des menaces contre la personne du chef d’orchestre, cela est possible ; mais la vérité, la vérité sans conteste, absolue, évidente, c’est que M. Lamoureux, pouvant continuer, NE L’A PAS VOULU, et qu’il a préféré une retraite avec pour lui tous les honneurs de la guerre, quitte à ruiner par là le wagnérisme.

M. Lamoureux a accepté l’échec irrémédiable de la cause wagnérienne, pour s’arroger — au prix certes d’une grosse perte d’argent, mais il peut s’offrir ce luxe — cette gloire, la seule possible pour lui, de martyr du wagnérisme et de l’art.

Et tout le monde l’a proclamé tel : héros et martyr.

Oh, terrible, terrible vanité des commis devenus ministres, et des professeurs de violon richement arrivés !

Je raconte les faits, tels qu’ils sont, tels qu’il convient que le fasse un journal totalement dévoué au wagnérisme véritable, non à tel ou tel wagnériste, mais au wagnérisme. On jugera suffisamment évident que la publication des quelques pages que je viens d’écrire, doit être mortelle aux intérêts de la Revue Wagnérienne comme aux miens.

Grâce aux récents événements, grâce à la fortune qu’il tient entre ses mains, M. Lamoureux a groupé autour de lui à peu près tout le wagnérisme militant de Paris qu’ont encore rapproché son amitié et son alliance avec le faiseur d’opérettes brabançon chargé par brevet de ridiculiser en France les poèmes wagnériens. MM. Lamoureux et Wilder représentent le wagnérisme parisien officiel ; braver ce double veau d’or n’est pas un moyen de fortune, pour qui surtout n’a pas — étant d’ailleurs trop jeune — de pupille millionnaire.

J’ai, à mes risques, fondé la Revue Wagnérienne, je l’ai soutenue par beaucoup de sacrifices peu soupçonnés, sacrifices de temps, d’argent et autres (et cela malgré le secours à jamais admirable de quelques honnêtes gens épris d’art wagnérien), je l’ai conduite pure radicalement de toute concession et indéniablement vierge de compromis quels qu’ils soient avec l’argent ou la puissance : j’aimerais mieux qu’elle pérît plutôt que de déshonorer ces trois années de dévotion à un idéal d’art très vénéré, plutôt que d’en faire hommage à quelqu’un (même fût-il wagnérien) plutôt que de trahir la religion de mon maître Richard Wagner — celui qui ne craignit pas de faire la guerre aux grands… Et la Revue Wagnérienne, fière de son titre et d’avoir avant tout et constamment été une « revue wagnérienne » aura dit pourquoi, en 1887, après tant de luttes nobles et courageuses, le wagnérisme aura honteusement succombé à Paris.

Nouvelles

Nous apprenons que les Maîtres Chanteurs seront joués à Bayreuth l’année prochaine (au lieu de Tannhæuser) avec Tristan et Parsifal.

Nous pouvons garantir l’exactitude de cette nouvelle qui nous vient — indirectement — de Bayreuth.

Chronique wagnérienne

Le baromètre parisien est revenu au beau fixe : désormais, nul chef-d’œuvre ne menace à l’horizon. Le muflisme triomphe. Nos peintres ont préféré M. Cormon à M. Roll. Quant à Lohengrin, il est mort, provisoirement du moins. Dûment porté en terre, le bon chevalier au cygne ne risque plus de déranger, d’ici longtemps sans doute, le « bedit gommerze » que vous savez.

Cependant l’industrie des marchands de lorgnettes a subi un coup : depuis l’incendie de l’Opéra-Comiquew, elle est plongée dans un douloureux marasme. Mais patience ! elle refleurira. D’abord, il est des consolations en ce désastre, puisque l’on a pu sauver du feu la partition d’Egmont, un buste, et les trente-cinq sols qui restaient encore dans la caisse. La foule, d’ailleurs, hurlait dans les couloirs, écrasée à des portes closes, et deux pauvres petites danseuses brûlaient dans leurs loges, cernées par l’envahissement de la fournaise. L’Europe attend avec impatience, et elle aura prompte satisfaction : M. Carvalho rouvrira son usine ; les rendez-vous de noble compagnie continueront à s’y donner, sous les regards propices des agences matrimoniales, et l’on s’efforcera d’y célébrer dignement le vin, l’amour et le tabac, car c’est là, c’est là le refrain du bivouac.

Mais laissons ce triste sujet… Ce n’est pas notre faute, hélas, si, dans de telles catastrophes, la comédie se mêle trop souvent au drame ; parfois, du reste, on rit de certaines choses, crainte d’avoir à s’en indigner. Tenez, parlons plutôt musique. Aussi bien y trouverons-nous matière, et la récente campagne menée contre Wagner — au nom de Berlioz ! — motivera quelques explications.

Il y a encore des survivants, à Paris, de la meute qui pourchassa si gaillardement Berlioz, au temps où le maître vivait. Rien n’arrêta ces hommes d’esprit et de mérite, dont beaucoup, Dieu merci, sont morts de leur laide mort et ont rendu au grand Démiourgos leur vilaine âme. A l’Opéra, en 1838, Benvenuto Cellini eut exactement le sort que devait avoir le Tannhæuser vingt-trois ans plus tard. En 1846, la Damnation de Faust fut exécutée devant une salle vide…

Quels fours, mes amis, quels fours ! Ah ! ah ! ah ! les trompettes de M. Berlioz ! les trombones de M. Berlioz ! les timbales de M. Berlioz ! ah ! ah ! ah ! Deux cents exécutants ! pourquoi pas quatre mille ? Ah ! ah ! la musique fracassante, la musique algébrique, chimique, tartare, hottentote, descriptive, que sais-je ! Étiez-vous, Madame, au dernier concert de M. Berlioz ? Oh ! l’idée fixe, l’obsession, tralalalaire, le fricandeau à l’oseille (Louis Reybaud), la « Berliozométrie » (Xavier Aubryet), les cris de hyène et la musique de sourd (Scudo), la mystification charivarique (Jouvin), etc., etc., etc. !

Un beau jour Berlioz trépassa. On lui en sut un gré infini… La réaction commençait d’ailleurs. Bientôt — grâce aux soins de quelques amis du maître, au premier rang desquels il faut nommer M. Reyer — le public réentendait les merveilles bafouées jadis, et comprenait enfin la grandeur du génie disparu.

Satisfaite du premier hallali, la meute se pourlécha les badigoinces, et concentra sur l’unique Wagner ses énergies trop longtemps divisées. Seul, Albert de Lasalle continua d’associer le mort et le vivant : il avait la rancune ample et synthétique ; Berlioz et Wagner, c’était tout un pour le pauvre garçon. Jusqu’à son heure dernière, il a préféré le Postillon de Longjumeau à la Damnation de Faust x.

Nous eûmes alors les larmes de crocodile de Jouvin, les hommages jaculatoires — « pauvre Berlioz ! » — les parallèles avec l’auteur de Tristan — « au moins toi tu étais clair ! » — et ça continue encore aujourd’hui ! La meute ne s’est détournée de la chasse à Wagner que pour étrangler Georges Bizet au coin d’un bois — histoire de se faire les dents.

Ce Berliozisme après décès a trouvé dernièrement sa forme définitive. Il se résume en un petit jeu de société et de théâtre dont l’ingénieuse simplicité n’échappera à personne :

La scène se passe en 1885-86. M. Carvalho annonce Lohengrin. Beaucoup d’industriels ès musique en éprouvent un chagrin violent ; sur l’heure ils découvrent Benvenuto Cellini. — Notez que, depuis plusieurs années déjà, tous les sérieux artistes réclamaient l’exécution de cette œuvre originale, sans qu’aucun de nos pontifes eût l’air de les entendre. Le sympathique directeur prend la balle au bond : « Je renonce à Lohengrin, s’écrie-t-il ; j’y renonce, la mort dans l’âme, mais c’est pour monter Benvenuto. » Attendrissement général ; la presse fait savoir que les décors sont commandés et que les études vont grand train. Ah ! bien oui ! une fois Lohengrin mis de côté sans danger de retour, à quoi pouvait bien servir Benvenuto ? Aussi les choses se passèrent-elles comme l’annonçait un de mes amis très intimes, dès avant cette opération stratégique : « Tout ça finira par une reprise de la Traviata ! »

Cette année-ci, le coup de Benvenuto ayant déjà servi, on a préféré celui des Troyens. La veille du jour où Lohengrin devait être représenté, on a demandé à M. Lamoureux de changer « patriotiquement » son affiche et de nous donner les Troyens — qui exigeraient, remarquez-le, cinq à six mois d’études. Remarquez aussi que ceux qui ont demandé cela — hors M. Boutarel, qui est sincère, et ne se peut reprocher que d’avoir dit de surabondantes énormités sur la question — exècrent du meilleur cœur la musique de Berlioz ! Mais les Troyens, dont le sujet est très solennel et très austère, les ennuieraient encore bien plus que Lohengrin ! Mais les tristes gâteux qui font la loi sur nos scènes ne toléreraient jamais ni le finale de la Prise de Troie ni les dernières scènes des Troyens à Carthage ! Mais ces messieurs, qui se moquent des drames consécutifs du Ring et de la longueur des partitions wagnériennes, se refuseraient, sans nul doute, à subir le drame unique et complet des Troyens — huit heures d’horloge — et aussi à l’entendre en deux soirées ! Non, si Berlioz vivait, il serait révolté de telles louanges, hypocrites, perfides, venues de ses pires ennemis ; car, si le coup de pied de l’âne est odieux, que sera-ce du baiser d’Aliboron ?

Au fond, la meute n’a qu’un gibier, et ce n’est ni Berlioz, ni même Wagner : c’est l’Art. L’Art, voilà ce qui la fait baver de rage, crier de peur, hurler d’angoisse. Epiciers de la littérature ou charlatans de la musique, ils souffrent le martyre chaque fois qu’une œuvre paraît, vraiment libre et virile. Tout artiste les gêne, les bouscule, les soufflète, par le seul fait de son existence, et cela quel qu’il soit, jeune ou vieux, simple ou complexe, romantique ou réaliste, Barbey d’Aurevilly ou Zola, Manet, Roll ou Rodin, Hector Berlioz ou Richard Wagner.

Oh ! comme il nous est doux de voir leur défaite ! car, en faisant mourir l’artiste de faim, en le couvrant de boue, ils se proclament vaincus par lui, sans combat, et le sacrent de suite en pleine gloire. Berlioz, meurt, honni : et tout à coup l’on s’aperçoit que c’est lui le victorieux ; Manet s’en va, dans la force de son talent, et, en réalité, c’est M. Bouguereau qui est mort.

Les syndicats n’y peuvent rien, ni les camaraderies de la critique. Il y a quelque quarante ans un feuilleton de Jules Janin faisait ou défaisait une réputation. Aujourd’hui, nos plus brillants courriéristes sont également impuissants à décider d’un succès ou d’une chute. Le public préfère s’en rapporter à sa bêtise naturelle, qui vaut encore mieux que leurs lumières. Chaque dimanche, M. Sarcey se met le doigt dans l’œil avec une sérénité rare. Il prédit que Renée n’aura pas quatre représentations, et, malgré tout, la pièce va jusqu’à la vingt-huitième ; il vaticine le succès de Mademoiselle de Bressier : huit jours après, cette jeune personne cesse de vivre. C’est une volupté quasi divine que de relire aujourd’hui les prophéties grotesques de nos vieux Nostradamus, dont plusieurs, présentement, font assaut de platitudes et de palinodies pour effacer leurs vilenies anciennes. Il y a dix ans à peine, ils traitaient couramment Zola d’égoutier et de pornographe, Wagner de fou et Manet d’assassin. Vous rappelez-vous ces plaisanteries d’hippopotames en délire sur l’impressionnisme, le naturalisme, le wagnérisme ? Vous souvenez-vous du tableau à double effet, du pianiste qui s’assied sur son instrument, du monsieur qui éternue « Tiens, le prélude de Parsifal ! » Mon Dieu, que les gens d’esprit sont donc bêtes ! Aussi, la vérité fait son chemin, et les œuvres d’art s’imposent, en dépit des revuïstes les plus féconds et des soireux les plus folâtres.

Encore un coup, si les ennemis de Lohengrin se réclament de Berlioz, c’est uniquement pour donner le change aux naïfs. Ils ont peur de Wagner, parce qu’ils pensent que le jour où la fanfare de l’Épée aura jailli de nos orchestres, où toute une salle aura frémi d’admiration au cantique énamouré d’Iseult, quelques-uns de leurs produits deviendront peut-être d’un placement plus difficile. Or, toute proportion gardée, ils ne redoutent pas moins le préjudice que leur causeraient Benvenuto et les Troyens. Les belles œuvres ne sauraient plaire à ceux qui vivent des mauvaises, et au besoin s’en engraissent. Mais qu’un Théâtre-Lyrique s’ouvre, que le Drame musical soit enfin révélé au public, et nous verrons qui d’eux ou de nous rompra le plus de lances en faveur de Berlioz.

Souvenir

En automne 1868, je me trouvais à Lucerne : je passais presque toutes les journées et les soirées chez Richard Wagner.

Le grand novateur vivait très retiré, ne recevant guère qu’un couple d’aimables écrivains français (mes compagnons de voyage) et moi. Depuis une quinzaine, environ, son admirable accueil nous avait retenus. La simplicité, l’enjouement, les prévenances de notre hôte nous rendirent inoubliables ces jours heureux : une grandeur natale ressortait pour nous du laisser-aller qu’il nous témoignait.

On sait en quel paysage de montagnes, de lacs, de vallées et de forêts s’élevait, à Triebchen, la maison de Wagner.

Un soir, à la tombée du crépuscule, assis dans le salon déjà sombre, devant le jardin, — comme de rares paroles, entre de longs silences, venaient d’être échangées, sans avoir troublé le recueillement où nous nous plaisions, — je demandai, sans vains préambules, à Wagner, si c’était pour ainsi dire, artificiellement — (à force de science et de puissance intellectuelle, en un mot) — qu’il était parvenu à pénétrer son œuvre, Rienzi, Tannhæuser, Lohengrin, le Vaisseau Fantôme, les Maîtres Chanteurs même — et le Parsifal auquel il songeait déjà — de cette si haute impression de mysticité qui en émanait, — bref, si, en dehors de toute croyance personnelle, il s’était trouvé assez libre-penseur, assez indépendant de conscience, pour n’être chrétien qu’autant que les sujets de ses drames-lyriques le nécessitaient ; s’il regardait, enfin, le Christianisme, du même regard que ces mythes scandinaves dont il avait si magnifiquement fait revivre le symbolisme en ses Niebelungen. Une chose, en effet, qui légitimait cette question, m’avait frappé dans une de ses œuvres les plus magistrales, Tristan et Yseult : c’est que, dans cette œuvre enivrante où l’amour le plus intense n’est dédaigneusement dû qu’à l’aveuglement d’un philtre, — le nom de Dieu n’était pas prononcé une seule fois.

Je me souviendrai toujours du regard, que, du profond de ses extraordinaires yeux bleus, Wagner fixa sur moi.

— Mais, me répondit-il en souriant, si je ne ressentais, en mon âme, la lumière et l’amour vivants de cette foi chrétienne dont vous parlez, mes œuvres, qui, toutes, en témoignent, où j’incorpore mon esprit ainsi que le temps de ma vie, seraient celles d’un menteur, d’un singe ? Comment aurais-je l’enfantillage de m’exalter à froid pour ce qui me semblerait n’être, au fond, qu’une imposture ? — Mon art, c’est ma prière : et, croyez-moi, nul véritable artiste ne chante que ce qu’il croit, ne parle que de ce qu’il aime, n’écrit que ce qu’il pense ; car ceux-là, qui mentent, se trahissent, en leur œuvre dès lors stérile et de peu de valeur, nul ne pouvant accomplir œuvre d’Art-véritable sans désintéressement, sans sincérité.

Oui, celui qui — en vue de tels bas intérêts de succès ou d’argent, — essaie de grimacer, en un prétendu ouvrage d’Art, une foi fictive, se trahit lui-même et ne produit qu’une œuvre morte. Le nom de Dieu, prononcé par ce traître, non seulement ne signifie pour personne ce qu’il semble énoncer, mais, comme c’est un mot, c’est-à-dire un être, même ainsi usurpé, il porte, en sa profanation suprême, le simple mensonge de celui qui le proféra. Personne d’humain ne peut s’y laisser prendre, en sorte que l’auteur ne peut être estimé que de ceux-là même, ses congénères, qui reconnaissent, en son mensonge, celui qu’ils sont eux-mêmes. Une foi brûlante, sacrée, précise, inaltérable, est le signe premier qui marque le réel artiste : — car, en toute production d’Art digne d’un homme, la valeur artistique et la valeur vivante se confondent : c’est la dualité mêlée du corps et de l’âme. L’œuvre d’un individu sans foi ne sera jamais l’œuvre d’un Artiste, puisqu’elle manquera toujours de cette flamme vive qui enthousiasme, élève, grandit, réchauffe et fortifie ; cela sentira toujours le cadavre, que galvanise un métier frivole. Toutefois entendons-nous : si, d’une part, la seule Science ne peut produire que d’habiles amateurs, — grands détrousseurs de « procédés », de mouvements et d’expressions, — consommés, plus ou moins, dans la facture de leurs mosaïques, — et, aussi, d’éhontés démarqueurs, s’assimilant, pour donner le change, ces milliers de disparates étincelles qui, au ressortir du néant éclairé de ces esprits, n’apparaissent plus qu’éteintes, — d’autre part, la foi, seule, ne peut produire et proférer que des cris sublimes qui, faute de se concevoir eux-mêmes, ne sembleront au vulgaire, hélas, que d’incohérentes clameurs : — il faut donc à l’Artiste-véritable. à celui qui crée, unit et transfigure, ces deux indissolubles dons : la Science et la Foi. — Pour moi, puisque vous m’interrogez, sachez qu’avant tout je suis chrétien, et que les accents qui vous impressionnent en mon œuvre ne sont inspirés et créés, en principe, que de cela seul.

Tel fut le sens exact de la réponse que me fît, ce soir là, Richard Wagner — et je ne pense pas que Madame Cosima Wagner, qui se trouvait présente, l’ait oublié.

Certes, ce furent là de profondes, de graves paroles…

― Mais, comme l’a dit Charles Baudelaire, à quoi bon répéter, ces grandes, ces éternelles, ces inutiles véritésy !

Quelques lettres de Wagner et du roi Louis II de Bavière

Voici deux volumes qui viennent de paraître, l’un en français, une petite plaquette de 54 pages : Richard Wagner et le Roi de Bavière, lettres traduites par Jacques Saini-Cère, à Paris, un franc ; c’est le recueil des lettres publiées dans le Figaro du 16 avril dernierz.

L’autre, en allemand, est intitulé : Alpenrosen und Gentianen (Roses des Alpes et gentianes) épisode de la vie du roi Louis  II de Bavière, par Joseph Bajovar (Stuttgart).

Dans notre dernier numéro, annonçant la publication des lettres du Figaro, nous n’avons voulu, pour rien au monde, opposer aux allégations qui y étaient contenues un démenti hâtif, non appuyé d’une étude des faits. Depuis, nous avons lu le texte original de ces lettres, qui a été publié dans la Deutsche Runschau de février et mars 1887.

Que la traduction de M. Jacques Saint-Cère soit plus spécialement mauvaise que les traductions qu’on publie couramment des œuvres de Wagner, nous ne pouvons pas le dire. Mais ce qui est évident, c’est qu’elle a été faite avec le parti-pris tellement marqué d’incriminer les relations du roi de Bavière et de Wagner, que le sens des mots est parfois dénaturé : et il est trop facile de traduire « enthousiasme » par « passion » et « amitié » par « amour », c’est ce que M. Jacques Saint-Cère a fait constamment.

D’ailleurs la publication de la Deutsche Rundschau contient un document que devait négliger forcément le traducteur du Figaro, c’est un commentaire de Madame Wagner sur cette correspondance.

Malgré tout, ces lettres sont furieuses ; mais il ne faut pas oublier, en les lisant, de se reporter au texte original, chaque fois que la phrase française devient suspecte.

***

Les relations du roi de Bavière et de Wagner — un sujet d’étude si intéressant ! — sont éclairées par le second des deux ouvrages que nous annonçons.

L’Alpenrosen est l’histoire d’un singulier amour du roi pour une jeune fille de la petite noblesse bavaroise, Elisabeth *** (le nom de Rebach donné par l’auteur est un pseudonyme). Cette jeune fille, qui habitait avec sa sœur près de Hohenschwangau, passionnément éprise du roi, se fit remarquer de lui en lui portant à Munich un bouquet de fleurs sauvages. Une correspondance fut engagée et M. Bajovar nous donne les lettres du roi.

Ce roman, tout platonique, eut une fin touchante : la jeune fille, pour prévenir le roi de la rupture d’un pont sur lequel il devait passer, était restée plusieurs heures sous la neige à l’attendre ; elle mourut, quelques jours après, d’une pleurésie.

Les lettres du roi de Bavière sont admirables de grandeur et de finesse ; elles expliquent merveilleusement son caractère resté pour nous mystérieux. Nous traduisons l’une d’elles, spécialement relative à Richard Wagner.

Lettre du roi Louis  II de Bavière

Vous me parlez de Richard Wagner ! Enfin, vous m’interrogez à son sujet, chère amie. Que je l’avoue donc, votre indifférence sur ce point m’a blessé. Quand nous en parlâmes de vive voix — c’était après la représentation de Tristan et Isolde — nous nous fâchâmes tous les deux et cela interrompit brusquement la conversation. Par écrit, on peut jaser tranquillement. Ecoutez donc de quelle puissante façon il est entré dans ma vie.

Vous savez comment j’ai toujours honoré Beethoven, un être presque surhumain ; un de mes plus chers désirs artistiques était de posséder une œuvre qui rapportât fidèlement l’histoire de sa vie et où il fût rendu justice à toutes ses sublimes et éclatantes qualités. Je cherchais vainement cette œuvre dans tout ce que l’on a écrit à son sujet. Alors vint un chanteur de notre Opéra, m’apportant une lettre du compositeur Wagner, dans la pensée que les dires de l’homme dont le Tannhæuser m’avait tant enthousiasmé peu auparavant, m’intéresserait. Ils le firent au-delà de toute prévision, car j’y trouvais l’image de mes propres idées, de mes propres désirs. La lettre était datée : « Paris, le 7 mai 1841 » et on y voyait entre autres choses :

« Le monde doit posséder un portrait de ce grand homme, clair et noble comme lui. J’honore en Beethoven celui qui a éveillé en moi la passion pour l’art et pour ses plus sublimes buts ; dès lors il a été mon étude et comme je me sens la force de parler dignement sur ce sujet enthousiasmant, j’ai pris la résolution intime d’écrire l’histoire de sa vie. Cette biographie doit former un livre en deux volumes et offrir, dans une langue appropriée, peut-être fantaisiste, eu égard au sujet, la représentation exacte et détaillée et la vie artistique comme de la vie intime du grand maître. Mais en même temps, et précisément au milieu de l’exposition historique, le livre doit soutenir un examen et une description détaillés de la grande époque musicale qui fut l’œuvre du génie de Beethoven et qui s’étend de ses compositions à toutes les musiques plus modernes. »

Qu’une telle façon de penser me fût infiniment sympathique, vous devez le comprendre, Elisabeth ; elle l’était d’autant plus que le Tannhæuser avait évoqué dans mon âme l’enthousiasme le plus délicieux. Mais d’autres circonstances fortuites encore devaient survenir et de beaucoup de fils d’or se filer le lien entre le magnifique musicien et moi, son disciple, son ami.

Un jour je jouais sur le piano à queue de mes cousines, les princesses Max. Lorsqu’après quelque temps, j’eus feuilleté la musique placée tout devant moi, j’y trouvai mêlées quelques brochures « l’œuvre d’art de l’avenir » « la musique de l’avenir », par Richard Wagner. Je lisais, lisais encore et me sentais comme enivré. Oui, c’était bien ainsi que je m’étais imaginé le rôle de l’Art ! C’était bien d’un tel enlacement de la poésie et de la musique que devait provenir l’œuvre d’art de l’avenir ! Et il y avait là un homme qui se sentait en lui la forcé de créer quelque chose d’aussi élevé, d’aussi sublime. On le sentait, aux paroles qui coulaient de lui comme un torrent de lave, qu’il mènerait à bonne fin la tâche qu’il s’était proposée, qu’il avait cette consécration du génie, par laquelle l’idéal se transforme en une tangible réalité.

Et à ce héros de l’esprit les ailes étaient liées ; de misérables obstacles empêchaient son vol céleste et l’enchaînaient à terre ! Il cherchait un homme qui eût la puissance et la volonté de l’aider : « Si je trouvais un prince ayant dans l’âme assez d’idéal pour me comprendre, assez de grandeur pour m’aider de sa puissance, — l’avenir de l’art serait assuré. »

Trouverez-vous mauvais, Elisabeth, que j’aie considéré ces belles paroles comme un appel du destin adressé à moi, à moi !

Quelque temps après, j’entendis le Lohengrin. Ce qui manquait pour parfaire le charme, ces magnifiques accents le produisirent.

Élevé à Hohenschwangau, cette légende du cygne, avec son indicible charme poétique, m’avait pénétré dans la chair et le sang.

Que de fois, assis dans la cour du château, sous les tilleuls fleurissants qui ombragent l’image de la mère de Dieu, j’ai rêvé de cette légende ! que de fois j’ai vu, par pensée, le chevalier et son fidèle cygne sur les eaux.

Là je trouvais mes rêves d’enfance, mes fantaisies de jeunesse réalisés dans une manière délicieuse. Et ils me parlaient, ces personnages familiers, en des sons qui me grisaient comme le doux parfum des tilleuls fleurissants.

Le matin suivant — non, le soir même — j’écrivis à Richard Wagner et le mandai près de moi. Mon conseiller de cabinet porta l’invitation à Lucerne ; et mon désir ardent s’accomplit bientôt — le poète compositeur vint à Munich.

Comment ses étonnantes œuvres, le charme de son être me conquirent, comment nous devînmes amis, amis dans le sens le plus élevé, le plus idéal de ce flot dont on a tant abusé, le monde le sait. Et ce monde que je n’ai jamais aimé fait que je me retire toujours plus en moi-même et dans le petit centre de ceux qui pensent comme moi, par la façon dont il juge cette amitié. Que n’aurais-je pas à éprouver, à subir de ce monde vénal et méprisable, si je n’étais pas Roi, si je ne pouvais pas lui mettre le pied sur la nuque, quand je veux ?

Mais que mon amie Élisabeth, elle aussi, désapprouve cette amitié, qu’elle me mette en garde contre mon ami, cela me remplit de tristesse. En sera-t-il toujours ainsi ? N’y aurait-il aucun moyen ce vous entraîner, vous aussi, dans ce délicieux cercle magique. Lorsque nous en parlâmes, la sévère et réfléchie Monique elle-même se mit de mon côté, plaisantant la jeune conseillère par cette phrase de Gœthe : « Ô toi, ange plein de défiance….

………………………………………………………………………………….. :

Quelle belle et magnifique lettre vous m’avez écrite !

Ainsi, c’est Tristan et Isolde, la cause de votre antipathie, je comprends que cette œuvre puisse blesser et éloigner une pure nature de jeune fille.

Que vous êtes fine et intelligente, Élisabeth ! vous comparez ma prédilection pour la musique de Wagner à ma passion pour l’odeur du jasmin que vous combattez en vain. Les deux ont, en effet, quelque chose de commun : ils accablent et enivrent tous deux.

Ainsi, ce n’est pas mon amitié pour Wagner que vous blâmez mais ce que vous appelez l’excès de cette amitié et mon penchant naturel à revêtir des hommes faits de boue de qualités divines. Vous pensez en tremblant à l’influence de Wagner sur moi et plus encore à l’effet que me produisait la fin de notre amitié. Sur ce dernier point, vous avez raison ; rien ne serait comparable à cet effet : quelque chose d’irremplaçable se briserait en moi et le soleil de mon existence serait obscurci, Dieu, dans sa bonté, m’épargnera un tel malheur et me laissera la joie que je trouve à susciter et à exécuter les plans de cet ami si cher, et à être pour lui, dans une petite proportion, ce qu’il est pour moi si infiniment.

Lohengrin à Paris (printemps 1887)

Complément aux documents39

Publications illustrées parues à Paris, concernant la première représentation de Lohengrin :

La Vie Moderne du 7 mai : trois croquis, la départ de Lohengrin, Elsa se rendant à l’église, chœur des soldats.

La Vie Parisienne du 7 mai : grande gravure, « les wagnériennes de France et celles d’Allemagne. »

Le Grelot du 8 : gravure de tête, dyptique, « l’oubli des injures : Paris vaincu est outragé par Wagner — Paris acclame le Lohengrin de Wagner. »

Le Triboulet du 8 et du 15 : croquis.

L’univers Illustré du 14 : une grande gravure, le décor du second acte ; deux médaillons, l’arrivée de Lohengrin, le combat.

La Revue Illustrée du 15 mai : trois gravures, l’arrivée de Lohengrin, la chambre nuptiale, un groupe de pages.

L’illustration européenne du 29 mai : croquis.

Le Musée des familles du 1er juin : id.

Le Petit Piou-Piou, n° 2, sans date : un article illustré, « Lohengrin par persuasion ».

La Jeune Garde : gravure de tête, « Représailles », coup de balai enveloppant parmi les choses allemandes de Paris Lohengrin.

L’Anti-Wagner, déjà nommé.

Ajoutons deux suppléments du Petit Journal du 6 et du 13.

Enfin, Le Costume au théâtre, chez Hautecœur, du 15 mai et du 1er juin : six gravures de M. Bianchini, représentant les costumes des personnages.

 

Aux articles des journaux quotidiens que nous avons mentionnés ajoutons ceux de M. Henry Bauer, très remarquables par leur netteté et leurs sens de la situation.

Aux brochures : Lohenhrin à l’Eden, par Georges Street, chez tous les libraires, 7 pages.

 

Le banquet-Lamoureux.

Le 16 mai, les amis de M. Lamoureux lui offrent un banquet, à l’Hôtel Continental, au prix de 12 francs 50 par tête.

M. Schuré porte un toast et lit une adresse ; un second toast est porté par M. Reyer, auquel répond M. Lamoureux : enfin un troisième par M. Bauer.

Finalement, un groupe en bronze de M. Godebski, représentant Elsa et Lohengrin est offert par souscription au chef d’orchestre de l’Eden-Théâtre.

 

Les procès intentés aux journaux anti-wagnériens par M. Lamoureux :

M. Lamoureux adresse, le 18 mai, à M. Hébrard, président du Syndicat de la presse, une lettre dont nous extrayons ce passage.

« Mon seul désir, en toute cette affaire, est d’obtenir la satisfaction à laquelle j’ai droit : celle d’entendre proclamer que je suis seul à supporter le poids de la responsabilité que j’ai assumée en montant Lohengrin, dans le but unique de servir la cause de l’art dans mon pays. Je viens donc me mettre à votre disposition pour vous donner les preuves irréfutables que c’est avec mes seuls deniers que j’ai conduit l’entreprise qui vient d’avoir une issue si néfaste pour moi, et que personne, soit d’Allemagne, soit de France ou d’ailleurs, même parmi mes coreligionnaires artistiques ou mes amis les plus proches, n’a eu un intérêt pécuniaire quelconque ni apporté d’argent dans mon entreprise. S’il vous plaît de taire poursuivre cette enquête par un tribunal arbitral et si les journaux qui m’ont profondément blessé dans mon patriotisme et dans mon honneur consentent à en enregistrer les résultats, je renoncerai de tout cœur, par déférence et reconnaissance pour la presse parisienne, à l’action que j’ai intentée contre eux »

Le président du Syndicat de la presse a répondu le 20 mai :

« Monsieur,

J’ai communiqué au Syndicat de la presse parisienne la lettre que vous lui avez fait l’honneur de lui adresser.

Mes collègues ont été d’avis qu’il ne leur appartenait pas d’entrer, même indirectement, dans un débat qui n’est pas de leur compétence, le Syndicat ayant été institué pour défendre les intérêts généraux de la presse parisienne.

Ils me chargent de vous transmettre, avec leurs regrets, l’assurance de leur considération la plus distinguée. »

Quelques renseignements complémentaires : La Société Philanthropique présidée par le prince d’Arenberg avait entamé des négociations avec M. Lamoureux pour que la première représentation de Lohengrin, moyennant une convention financière, fût donnée au profit de la Société. La chose n’aboutit pas, et la Société se contenta de manifester son wagnérisme en introduisant dans la revue du duc de Massa qu’elle fit jouer à l’Opéra-Comique, le Cœur de Paris, la Valkyrie personnifiée par Mlle Desclauzas.

Errata à distribution de Lohengrin que nous avons publiée : le rôle d’Ortrude devait être tenu en double par Mlle Janvier ; les chœurs comprenaient 72 chanteurs (16 soprani, 16 alti, 20 ténors, 20 basses).

Ajoutons le nom des répétiteurs : MM. d’Indy, Chevillard, Salmon, Marie, Rosetti, Ray.

Le tableau des répétitions chorales :

Répétitions partielles… 46

Répétitions d’ensemble… 6

Répétitions en scène au piano… 20

Répétitions avec orchestre… 5

Répétitions générales… 2

Elles avaient commencé le 27 janvier.

 

Les affiches :

La première affiche posée sur les colonnes Morris, porte « très prochainement première représentation… » elle est du 21 avril.

La seconde porte « mardi prochain 26 avril première… », du 23.

La troisième « après-demain mardi… », du 24.

La quatrième « demain mardi… » du 25 : toutes sans la distribution.

La cinquième « aujourd’hui mardi… » avec la distribution, le 26.

L’après-midi du même jour, le 26 avril, une sixième affiche « la première représentation de Lohengrin est ajournée ».

La septième affiche apparaît le mardi 3 mai seulement, pour annoncer la représentation.

Le mercredi 4, rien.

Le jeudi 5, huitième affiche annonçant la seconde représentation ; l’après-midi les deux affiches manuscrites de l’Eden-Théâtre pour le remboursement des places.

 

Pour terminer, un précieux renseignement :

L’esquisse de la partition de Lohengrin (esquisse très complète), donnée par Wagner à madame Laussot, porte la date d’achèvement du 5 mars 1847.

Mois wagnérien à Paris

3 mai : Eden-Théâtre : Lohengrin.

30 mai : Concert Lamoureux à l’Eden-Théâtre : Ouv. de Tannhæuser ; lied de la Walküre (M. Van Dyck).

Le 16 juin a eu lieu, dans la même salle que l’an dernier, la soirée dite du Petit-Bayreuth. Cette séance, si vraiment curieuse et d’un si réel intérêt wagnérien, a obtenu le succès le plus sincère.

Le programme était celui-ci : Parsifal, 2e tableau du 3e acte ; Tannhæuser, le pèlerinage à Rome ; Gœtterdæmmerung, scène finale, 2e scène du prologue ; Træume ; Rheingold, 1re scène.

Voici la liste des exécutants ; l’orchestre était excellent, mais les compliments les plus vifs sont dus spécialement aux chanteurs, tous parfaits musiciens et admirablement intelligents des œuvres qu’ils interprétaient.

Correspondances

LEIPZIG — Nous avons à signaler à Leipzig deux représentations presque parfaites des drames wagnériens : le 29 avril, on a donné le Rheingold. L’interprétation de cette préface du Cycle mérite des éloges sans restrictions. L’orchestre sous la direction du Kappelmeister Mahleraa a montré qu’il « comprenait » la signification de l’œuvre : il y a plusieurs manières d’interpréter les drames wagnériens : soit d’une manière incorrecte, mais en indiquant le mouvement, comme le fait M. Colonne, soit avec minutie et correction, mais sans aucune compréhension manifeste, comme c’est le cas pour M. Lamoureux, soit, enfin, en donnant aux motifs toute leur valeur significative, ce qui ne peut être produit que par une étude approfondie de l’œuvre et une compréhension du sens des motifs-conducteurs ; cette dernière manière est celle des orchestres de Leipzig et de Bayreuth.

Les décors du Rheingold sont très satisfaisants au Neues Leipziger Stad-Theater, surtout celui du premier tableau.

Comme acteurs, nous citerons surtout M. Perron, qui est bien le meilleur Wotan que nous avons vu jusqu’ici : mimique et chant tout est parfait. Madame Sthamer-Andriessen représente Fricka avec tout l’éclat de sa beauté et toute l’expression de son chant.

Le premier mai, a eu lieu une représentation de Tannhæuser. Ici, les fatales coupures font leur apparition, mais sont plus discrètes qu’à l’opéra de Berlin ; tandis qu’à Berlin on supprime purement et simplement le prélude du troisième acte, les accords d’une extraordinaire beauté qui suivent la prière d’Elisabeth, et toute la fin, nous n’avons eu à déplorer à Leipzig que la suppression du chœur dit miracle. En revanche l’on y a donné toute la fameuse Bacchanale du premier acte, qui se supprime d’ordinaire.

Madame Andriessen a fait d’Elisabeth une admirable création. Tout le second acte si beau de Tannhæuser a été pour elle un triomphe. M. Perron a donné à Wolfram une signification extraordinaire : ce rôle, le plus noble et le plus élégant (un souvenir du Don Ottavio de Don Juan) de tous ceux qu’a conçus le génie de Wagner, a trouvé en lui un digne interprète, surtout dans l’air du concours.

En résumé, sauf cette apparition déplorable de la coupure, cette représentation aurait été parfaite. De Tannhæuser, nous n’en parlons pas : après Niemann, on ne peut qu’exécuter convenablement ce rôle.

Leipzig est certainement aujourd’hui le théâtre d’Allemagne où l’on joue avec les plus d’ensemble les œuvres de Wagner.

Leipzig va donner un cycle complet des œuvres de Wagner du 24 juin au 10 juillet. Au commencement de cette année, on ne connaissait pas la Walküre, qui est jouée dans les plus petits théâtres d’Allemagne. Il a donc fallu en un an faire ce tour de force de donner la Tétralogie ; et musiciens et chanteurs y ont mis une ardeur étonnante.

La Walküre a été jouée cet hiver ; au printemps, le Rheingold ; Siegfried en mai et enfin Gœtterdæmmerung le 17 de ce mois. L’orchestre est incomparablement supérieur à celui de Berlin. Nous avons à signaler encore Mesdames Moran-Olden et Andriessen qui ont tour à tour joué Brünnhilde.

La presse de Leipzig montre une ardeur surprenante en faveur de Wagner.

C. B.