(1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »
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(1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

Paris, le 8 décembre 1885.

Chronique : Chronique musicale

J’entendais le deuxième acte d’un opéra nouveau, — le Cid : une rue sombre, une scène de duel, un chœur, des récits, un requiem ; et les lieux communs des émotions insignifiantes défilaient en une suite de formules rabâchées ; un duel de pantins, un chœur de momies, des récits de Capitan-Matamore, un requiem de contrebandiers déguisés, et, finalement, la grande scène dramatique où l’éternelle « tragédienne lyrique » réitère les éternels bras crispés, yeux hagards, sanglots étouffés qui de toute antiquité expriment le désespoir… Et, sur les visages des spectateurs, parmi les flots d’applaudisseurs loués, l’invincible ennui… Puis, le décor changea ; ce fut un horizon élargi de paysages espagnols, dans un chatoiement d’ors et de lumières ; des cortèges passaient, puis les danseuses apparurent ; des rondes se nouaient, nouant les multiples évolutions des gracieuses et fugitives filles, tandis que les guidaient des sons très cadencés d’orchestres vifs, voluptueux. Un instant, les danseuses se tinrent, et une jeune voix, en des rhythmes et des harmonies molles, chantait un Alléluia d’amour, caressant aux oreilles comme les danses aux yeux. Puis, le drame était repris, et l’ennui des actions sans intérêt, des émotions vulgairement fausses et des banalités.

Le troisième acte ressemblait au second ; on dit que le premier et le quatrième ressemblaient aux deux autres.

Oh ! la triste, la déplorable, la funeste influence de Gluck, de Beethoven et de Wagner !

Haydn, Grétry, les musiciens du dernier siècle, connaissaient un art tout de ténue et plaisante émotion. C’était un charme aimable, l’ancienne musique ; on créait une vie légère, on ordonnait des créations de vie légère, et aux auditeurs étaient des visions douces, agréantes, aisées ; les symphonistes ne rêvaient point de symphonies fantastiques, et l’opéra ne voulait pas être une épopée nationale. L’opéra était purement une splendeur ; de belle musique, riche de toutes les richesses instrumentales et vocales, des danses, des cortèges, des décorations gaies à la vue ; assemblement de tous les luxes, l’opéra véritablement était le séjour de plaisir d’où venait l’émotion très commode d’une vie vague et très bonne.

Or, Racine avait composé ses réalistes créations de vie réelle ; et Beethoven instituait la musique expressive des suprêmes vies ; Gluck entrevoyait dans la musique un drame de vie ; le drame complet d’art complet naissait ; et Richard Wagner achevait ces créations d’humaine vie, ces drames, Tristan, la Tétralogie, Parsifal.

Maintenant le drame est roi. Un musicien n’est plus guère qui se veuille contenter de pure musique ; à tous sont des émotions terribles, énormes, totales ; aucun ne consent à écrire, s’il ne doit chanter une damnation de Faust ; le romantisme, vraiment, n’était pas en 1830, aujourd’hui il est ; nous vivons dans un âge effroyablement dramatique. Mais toujours c’est la fable du Mendelssohn qui s’enfle et qui s’enfle, Voltaire reprenant la tragédie de Racine ; on est, de nature et d’éducation, incapable des grandes émotions totales, et l’on s’acharne à celles là, uniquement : ainsi les très misérables musiciens expriment faussement des émotions fausses. Ce n’est pas le drame qui règne, c’est un spectre de drame, non, une caricature.

Je gémis sur les innombrables victimes de la rénovation Wagnérienne.

Il y a deux théâtres de musique : le théâtre de Gluck et de Beethoven, celui de Wagner, le théâtre du drame intense, profond, impitoyable de la vie ; — et le théâtre de Mozart et de Rossini, le théâtre de Grétry, des musiciens français depuis Rameau, notre tradition française, certes, avec les ordinaires émotions de la vie commune.

Oh ! l’artiste que la néfaste influence pousse hors son naturel chemin !… Quel était votre chemin, délicat artiste, subtil et charmeur, caressant, si moderne en vos sensualités et vos mysticismes attifés ; de vous sont les sensations mièvrement féminines, et très nôtres, très actuelles, très parisiennes : des rêveries, des poèmes d’un songe printannier, une chanson de passant, des poèmes d’amours, une fête napolitaine, un soir d’Alsace que vous avez rêvé en votre esprit d’affiné, des danses de bayadères-pierrettes, des soupirs de Madeleines en satins et soies, une sensation ; et quelque action imaginaire et impossible, que l’on suive, yeux demi clos, dans le confort d’une heure joyeuse ; quelque chimérique action où s’enrouleraient les chœurs et les belles cavatines, les marches, les ballets qui de votre pensée diraient mieux les gentillesses, — un moderne opéra, Papagena ou Manon, — les fines émotions d’une vie légère, légèrement créée, — et jamais Wotan, ni Tristan, ni Kundry.

Traduction et commentaire de fragments inédits de Wagner
Extraits de ses Œuvres Posthumes 60

I. Programme au prélude de Tristan et Isolde

Un ancien poème, inextinguiblement renouvelé, rechanté dans tous les langages du Moyen Age européen, un originel poème d’amour nous dit de Tristan et Isolde.

Le fidèle vassal avait pour son roi demandé celle qu’il ne voulait pas s’avouer aimer, Isolde, qui, fiancée de son maître, le suivait, parce qu’impuissante elle devait suivre le demandeur. Jalouse de ses droits écrasés, la déesse d’amour se vengea : le philtre d’amour destiné selon les mœurs du temps par la prévoyante mère à l’époux marié par politique, elle le fit par une rusée mégarde présenter au jeune couple ; eux, l’ayant bu, s’enflammèrent tout à coup d’un clair feu, et se durent avouer qu’ils s’appartenaient l’un à l’autre seulement. Alors ne fut du désir, de l’aspiration, des joies et du malheur d’amour aucune fin ; monde, puissance, gloire, splendeur, honneur, chevalerie, fidélité, amitié, tout, comme un insubstantiel rêve, en poussière s’éparpilla ; seule une chose vivante encore, — le désir, le désir, l’inapaisable, l’éternellement réenfantée aspiration, le languissement et la soif ; une unique rédemption, — mourir, finir, se perdre, ne plus se réveiller !

Le musicien, qui choisit ce thème pour introduction à son drame d’amour, ne pouvait, puisqu’ici il se sentait entièrement en le propre illimité élément de la musique, se soucier que de ceci : comment il se limiterait, puisqu’un épuisement du thème est impossible. Aussi fit il, une fois seulement mais en une suite longuement enchaînée, s’enfler l’insatiable désir, de la timide confession, de la plus tendre attirance, au travers de l’hésitant soupirer, de l’espérer et du craindre, du lamenter et du souhaiter, du jouir et du souffrir, jusque le plus puissant pressement, la plus violente lassitude, pour trouver l’irruption qui au cœur ouvrît la voie en la mer de l’infinie joie d’amour. Vainement ! impuissant se réaffaisse le cœur, pour en désir se consumer, en désir sans atteignement, — puisque chaque atteignement fait germer seulement un nouveau désir, jusque ce qu’en la dernière exténuation, à l’œil brisé poinde le pressentiment de la plus sublime joie de la possession : c’est la joie du mourir, du ne-plus-être, de la dernière rédemption en ce merveilleux royaume dont au plus loin nous errons quand, avec la plus tempétueuse force, nous peinons à y pénétrer. Ce royaume, le nommons nous la mort ? ou est il le nocturne monde de merveille, duquel un lierre et une vigne, en un intime enlacement, sur la tombe de Tristan et Isolde s’élevèrent, — comme le Dire nous le conte !

[1860]

II. programme au prélude du IIIe Acte des Maitres Chanteurs

Avec la troisième strophe de la chanson du cordonnier on a déjà au deuxième acte entendu le premier motif des instruments à cordes ; là il exprimait l’amère plainte de l’homme résigné qui au monde montrait un visage gai et énergique ; cette plainte cachée, Eva l’avait comprise, et si profondément son cœur en avait été pénétré, qu’elle avait voulu fuir pour seulement ne plus entendre la chanson si gaie d’apparence. Maintenant (prélude du troisième acte), ce motif est joué seul et développé pour s’éteindre dans la résignation ; mais, en même temps et comme de loin, les cors font résonner le chant solennel par lequel Hans Sachs salue Luther et la Réformation, et qui au poète a acquis une incomparable popularité. Après les premières strophes, les instruments à vent reprennent, très doucement et d’un mouvement très ralenti, quelques traits de la vraie chanson du cordonnier, comme si l’homme détournait son regard de la besogne manuelle vers en haut, et se perdait en de douces gracieuses rêveries. Alors les cors continuent en une plénitude accrue de sonorité, l’hymne du maître, par lequel Hans Sachs, à son entrée dans la fête, est salué de tout le peuple Nurembergeois, en une exclamation tonnante et unanime. Maintenant revient le premier motif des instruments à cordes, avec la puissante expression de l’émotion d’une âme profondément saisie ; tranquillisé et apaisé, il atteint l’extrême sérénité d’une douce et bien heureuse résignation.

III. Programme au prélude de Parsifal

« Amour — Foi : — Espérance ? »

Premier thème : Amour. — « Prenez mon corps, prenez mon sang, pour la grâce de notre amour ! »
(Répété en disparaissant par des voix d’anges.)
« Prenez mon sang, prenez mon corps, en mémoire de moi ! »
(De nouveau répété en disparaissant.)

 

Deuxième thème : Foi. — Promesse de la Rédemption par la Foi. Ferme et pleine de sève se manifeste la Foi, grandie, voulante même dans la souffrance. — À la promesse renouvelée, la Foi répond, des plus douces hauteurs, — comme sur les ailes de la blanche colombe, — descendant dans l’air, — toujours plus largement et plus totalement saisissant les cœurs humains, emplissant le monde et l’entière nature, ensuite regardant de nouveau vers l’éther céleste, comme doucement apaisée. Alors, encore une fois, du tressaillement de la solitude palpite la plainte de l’aimante Compassion : la crainte, la sacrée sueur d’angoisse du Mont-des-Oliviers, la divine souffrance douloureuse du Golgotha, — le corps pâlit, le sang coule et s’échappe et brille avec un céleste brillement de bénédiction, répandant sur tout ce qui vit et souffre la joie de grâce de la Rédemption par l’Amour. À lui, qui — terrible repentir du cœur ! — dans la vue divinement punissante de la tombe doit se plonger, à lui, Amfortas, le gardien pécheur du Sanctuaire, nous sommes préparés : y aura-t-il à sa rongeante souffrance d’âme une rédemption ? une fois encore nous entendons la promesse, et — nous espérons !

[1880]

IV. Esquisse au drame musical buddhique : les vainqueurscd

En 1853, Richard Wagner, ayant achevé le poème de l’Anneau du Nibelung et la musique du Rheingold, fut initié à la philosophie de Schopenhauer, et, interrompant la composition de la Tétralogie, il écrivit une première esquisse de Tristan et Isolde. De la même époque est la conception primitive de Parsifal : comme contraste en face de Tristan, dans l’esprit du poète naquit l’image de Parsifal, le Compatissant, le Renonceur et le Sacrifié ; mais bientôt cette figure se détacha tout à fait de celle de Tristan ; l’esquisse de Tristan fut achevée en ces années 1854 et 1855, et celle de Parsifal ne fut ébauchée qu’au printemps de 1857, éveillée au jour du Vendredi-Saint. L’esquisse du drame buddhique les Vainqueurs fut composée entre celles de Tristan et de Parsifal, en 1856.

Dans tous ces essais on retrouve l’expression du renoncement. Dans les Vainqueurs la victoire est celle du renoncement ; c’est l’idée de Parsifal, mais avec cette différence que le renoncement y est victorieux par soi, seul, et sans l’action.

Les journaux ont souvent parlé d’un Buddha(les Vainqueurs) que le Maître aurait laissé inachevé ; l’esquisse qu’on a trouvée dans ses papiers est tout ce qui en a été écrit : — Parsifal a remplacé le Buddha, en l’achevant.

Voici cette esquisse, avec le nom des personnages.

Chakya-Muni (le Buddha), Ananda, Prakriti, la mère de Prakriti, Brahmanes, disciples, peuple.

Le Buddha lors de son voyage dernier. — Ananda désaltéré au puits par Prakriti, la fille de Tchandala. Violent amour de Prakriti à Ananda, qui est ému.

Prakriti en la plus violente souffrance d’amour : sa mère appelle Ananda ; Ananda poigné et angoissé jusque les larmes, — délivré par Chakya.

Prakriti va au Buddha, près la porte de la ville, sous l’arbre, pour supplier de lui l’union d’Ananda. Il lui demande si elle voudrait accomplir les conditions de cette union. Dialogue à double entente, interprété par Prakriti pour une union en le sens de sa passion ; elle se précipite à terre effrayée et sanglottante, lorsqu’en fin elle entend qu’elle doit aussi porter le vœu de chasteté d’Ananda. Ananda poursuivi par les Brahmanes. Reproches à cause du commerce du Buddha avec une fille de Tchandala. Attaque au Buddha de l’esprit-de-caste. Il raconte alors l’existence de Prakriti dans une vie antérieure : — elle avait été la fille d’un fier Brahmane ; le roi Tchandala, qui se souvenait d’une existence antérieure de Brahmane, désirait pour son fils la fille d’un Brahmane, à laquelle son fils avait un violent amour ; par fierté et orgueil, la fille du Brahmane refusa le retour-d’amour et railla le malheureux. C’est ce qu’elle eut à expier : donc elle renaquit, fille de Tchandala, à fin de connaître les tourments de l’amour vain d’espoir, mais aussi à fin de renoncer et d’être conduite à la pleine rédemption par l’entrée en la communion du Buddha. — Prakriti répond maintenant à la dernière question du Buddha par un joyeux Oui. Ananda la salue comme sœur. Dernier enseignement du Buddha. Tout se reconnaît sien. Il marche au lieu de sa rédemption.

Zurich, 16 mai 1856.

Amfortasce
Paraphrase moderne, programme

Le temple du Saint-Gral ; chœur des chevaliers : « der Labung darf er nahn… » ; chœur des jeunes homnes : « den sündigen Welten… » chœur des enfants : « die Glaube lebt… » — Entrée d’Amfortas ; — Amfortas couché.

Titurel ; — Amfortas : « Wehe ! Wehe mir !… » — Titurel.

Amfortas : « Nein !… » — « wehvolles Erbe… » — « nach ihm… » — « die Stunde naht…  » — « des eignen sündigen Blutes Gewell… » — « der dort dem Erloeser… » — « und aus der nun mir… » — « aus der Sehnen’s Quelle, das ach ! keine Büssung je mir stellt  !… » — « Erbarmen !… dass heilig ich sterbe. »

(Parsifal, I, 3)

 

L’église est haute et claire ; des groupes de priants passent vaguement ; des agenouillés prolongent des rangées indistinctes de fronts ; le confus bruissement des litanies s’atténue en silences graves. Et, près les vastes piliers forts, des hommes sont, mâles voix, âmes glorifiantes, en l’attente de la divine Venue : « venons vers Dieu !… » des voix de jeunes hommes s’ajoutent, que la vie a touchés, et qui se lamentent, moins adorants hélas ! au fils de la Femme : « pour les mondes pécheurs Christ a donné son corps… » et, par instants, des voix descendent d’invisibles sommets, enfantines et angéliques, virginales : « la Foi vit, l’Esprit plane… » donc s’emmêlent les chants pieux des glorifications et des lamentements et des célestes virginités. Et parmi les chants sont de graves silences, des solennels appels du Très-Saint dans les silences des voix humaines… des silences et des chants s’emmêlent, pieux murmures, sous les hautes arcades de l’église lumineusement élargie.

Il est, le Malade, immobile en son siège, prostré, tandis que flue autour de lui un peuple de fidèles ; il demeure, et son corps en arrière est penché, ses mains à ses côtés pendent, sa tête est renversée, et sa face, face à face au ciel de la coupole, a des yeux fixes dans le haut de l’air ; et ses lèvres, entrécartées par une haleine faible, gardent cette torpidité rigide des affaissements…

En les vastes nefs grouille la foule humaine… Volez, bruits des prières, ailes des confessions pieuses !… les voix qui tonnent et les silences qui formidablement retentissent, les voix et les silences dans l’âme qui les ouit sont murmures. — Venons à Dieu !… mondes pécheurs  !… la Foi vit, l’Esprit plane !… chants qui vont et qui vont, s’éparsemant dans l’âme de celui que tient l’angoisse mortuaire du proche crucifîment ; dans son âme il les ouit murmures ; et les paroles de ces silences, comme de ces chants, autour de son âme bourdonnent. Chantez, voix ! il demeure en une perception amortie de vous ; le temps s’embrouille, l’espace s’embrume en chaos de végétations ; et il songe d’il ne sait quelles piétés, quelles souffrances ; il songe obscurément de religiosités et de douleurs ; un sommeil mental est en la rigidité des chairs ; l’âme est ensommeillée ; elle ouit comme une qui sommeillerait ; et c’est, en cette âme, un très lointain écho des entourants cantiques mêlés de silences, des emmêlés cantiques, pieux, lamentants et virginaux.

 

  • — Accomplir l’Office, s’éveiller, vivre, agir, — il le doit ! l’heure est d’officier, et de vivre : loin, les sommeils ! et l’impérieuse et mélancolique parole qui commande l’action, parle. D’un brusque sursaut, le Malade tressaille ; des sens lui viennent ; à demi il se dresse, et, en son siège, il se trouble, avec de vagues pensées, des gestes vagues : « Aïe ! Aïe à moi !… » le souvenir apparaît, hélas ! la mémoire des souffrances, et des angoisses, et des lamentations, et des forfaitures, aussi des châtiments, et des cris de la Concupiscence : « ô Christ, ta lamentation déjà me résonne… Non ! laissez que je dorme mon oubli, mon léthargique assoupissement du mal : n’éveillez pas le Malade ! oh ! que je meure !… » Il doit s’éveiller, vivre : et le Très-Saint l’appelle, de nouveau, gravement, à l’Office : « l’Office ! accomplir l’Office !… » donc il vit : il vit, et il se lève, dans une rage de la tourmentante pensée.

Infernale Luxure, rire de la charnelle Malédiction, fureur de la Concupiscence femelle : soudain rayonne un luxurieux œil, un coin de gorge pâmée, l’éclair d’un diabolique baiser, — pendant qu’il clame : « non ! » et cette évocation de luxure rieuse et concupiscente, c’est l’éternel motif qui surgit de l’Hérodias antique, de la Gundryggia, et de l’Innommée, Pré-Diablesse, Rose de l’Enfer, ô originelle Perdition, Kundry !

C’est le péché. — Car il a péché contre la Grâce du Seigneur ; l’élu d’entre les purs est devenu entre les purs l’unique pécheur : ô châtiment de l’offensé riche de Grâces…

… Saint des Saints, ô mémoire du Saint ! comme grave il montait en l’âme, le Saint aujourd’hui outragé ! ô mémoire des saluts de bénédiction ! mémoire du Divin ! aspiration qui du très fond de l’âme fume vers les hautes pénitences, les pénitences au lamentant Seigneur misérablement outragé !…

Chant du Très-Saint, chante ! luis, lumière du Pur ! dévoile-toi, voile du Mystérieux ! paroles, parlez, toutes, en la précursion du Seigneur qui vient ! ouvre-toi, triste ciel, que le rite se réinstitue de l’éternel Sacrifice ! — voici le corps de nourriture, voici le sang de breuvage ; le mystique vase brillera, voici l’aliment ; sang de Dieu, voici le vin ; prenez, prenez, prenez ; pécheurs, voici le vin et le pain ; approchez, très mélancoliquement ; car le vin coulera en vos sangs, le pain se fera vos chairs, et le sacré sang coulera par votre cœur…

Le sang sacré coule, ô Malade, par son cœur ; le sang du Souffrant en ses veines coule ; et c’est son propre sang, qui s’embouillonne, et qui coule, effroyablement ! — jadis fut un charme pervers, un attirement sortilégique, un enchantement païen ; jadis, une luxure terriblement belle ; et ce souvenir le hante ; et lui qui croit la promesse du Maître, il geint sous la Concupiscence, et il hurle les infinies lamentations, toujours vibrantes, du Crucifié qui palpite en sa chair. Pour les mondes pécheurs Christ a agonisé, à cause qu’il avait la désirante pitié des Désirs… ô pitié du Seigneur, vois ton fils agonisant, palpitant, crucifié : il fut le Saint, et le Pur, et le Bon ; il chanta ton nom, lui qui pleure aujourd’hui ; agréable il te fut, ce réprouvé ; il fut ton garde, ton serviteur, ta force, ta splendeur, ta joie, lui qui presque blasphème, et qui se perd, l’affolé des sensuels souvenirs, et qui tournoie en la démence de sa chair, et se maudit, ne connaissant plus ta parole… ta divine parole sous l’effort des concupiscences se fait étrange, elle s’altère, elle se corrompt, voilà qu’elle se fait autre affreusement, et c’est des sons magiques : la prière à Dieu se tourne en suggestion d’enfer : rude, le sortilège ramène la mauvaise ; et elle est… Ô pensée toujours vive des délices coupables, inoubliable, inoubliable pensée ! le Malade revoit les damnées visions, et dans ses yeux fanés passent des lubriques choses : yeux pécheurs ! sens pécheurs ! pécheresses sensations ! il ressent les grands jardins pleins d’odeurs fumantes et de teintures chaudes ; les mollesses des tiédeurs étaient molles, lorsque devant son corps elle surgit, la femelle bête, folle de son corps… elle avait ces rires et cette voix, oui, ce regard qui si inquiet lui caressait, ces lèvres, oui, à lui si frémissantes, ces cheveux inclinés à lui, oui, ces flattantes boucles, et autour de son cou ces bras, si tendres ces joues, si nouvelle cette bouche qui, en la communion de toutes les souffrances, lui embrassa le salut de son âme… monstrueux baiser ! une femme était là, impudique floraison des sensualités, que lui, très chaste, il eut.

Miséricorde, Seigneur ! des prestigieuses jouissances, miséricorde ! Seigneur ! des joies, et des joies absolument désirables, miséricorde ! miséricorde, car j’ai dans ce baiser connu tout ce dont a soif irrévocablement ma chair ! — et j’implore la grâce du Miséricordieux, — l’unique grâce à ma misère, oui, la rédemption, l’apaisement, l’oubli, la mort.

Ô souffrant du Désir, du double Désir, du Mystique et du Charnel, souffrant des mystérieuses aspirations de l’Ange et de la Bête, ô souffrant des Concupiscences et des Religions, charnel et mystique homme, Amfortas, ainsi tu te lamentes, et nous, avec toi, nous vivons le grand Désir sans fin des vies multiples.

Edouard Dujardin.

Documents de critique experimentale
Le motif-organecf des Maîtres Chanteurs

« Selige Morgentraum »

Tout ce qui a vie ne vit qu’à l’état organisé. Les dernières œuvres de Richard Wagner sont les plus vivantes. En me restreignant à l’étude de leur système musical, en laissant de côté les systèmes de la mimique, de la poésie, de la décoration, de la mise en scène, je veux à grands traits disséquer l’organe qui met en circulation la vie particulière à l’œuvre dramatique. Wagner se montre expérimentateur et j’eusse désiré justifier expérimentalement ce titre qu’il s’est maintes fois donné, mais le caractère de cette Revue ne me permettait pas de relever la magistrale empreinte qui caractérisera plus tard Wagner dans l’art fossile de notre temps, j’entends son socialisme naturaliste61. Je ne donnerai donc que la légende explicative d’une sorte de préparation anatomique du système musical de la vie dramatique dans cette œuvre si puissamment organisée, laissant au lecteur entreprenant le plaisir de synthétiser l’homme dans son œuvre, l’artiste dans son caractérisme.

Le tableau ci-joint renferme les quatre-vingt-trois principaux motifs des Maîtres Chanteurs : j’ai relevé mesure à mesure, note à note, leur signification d’après la situation qu’ils soulignaient, le nombre de fois et la forme sous laquelle ils se montraient. Ce long travail terminé, j’ai trouvé qu’à l’exception de quatre ou cinq, épisodiques, tous ces motifs n’étaient que les aspects particuliers d’un seul motif générateur. Je les ai classés et orientés tels qu’on les voit sur mon tableau. Il n’y a qu’un motif dans les Maîtres Chanteurs, et l’on peut dire qu’il emplit et anime tout le drame. Si l’on tient compte du nombre de mesures, de l’étendue moyenne de chaque forme musicale, du nombre de fois que cette forme se présente, on pourra voir que si l’on sectionnait tout l’opéra au moyen de coupes successives, comme au microtome, on rencontrerait ce motif au moins une fois dans une coupe de trois mesures, dix-huit centièmes d’épaisseur. Je ne l’ai pas relevé moins de 3348 fois, et, chaque fois, analysé.

Je ferai remarquer seulement le grand réalisme musical du parlé-chanté Wagnérien. Dans les seuls Maîtres Chanteurs, en éliminant les passages où la situation même exige le chant proprement dit, sur 4162 mesures pendant lesquelles on doit parler, la proportion des mesures où le langage est simplement noté selon la musique propre à la langue allemande n’est pas moindre de 96 %. Chez nous, en France, il faut prendre Manon, la belle petite œuvre de M. Massenet, pour trouver une proportion de 22 %. Il est vrai que le français a une musique plus délicate, et moins monotonale par conséquent ; mais cela suffit pour relever à nos yeux l’opéra français et nous faire oublier le néant artificiel de nos entrepreneurs de musique.

Motif 1 (pages 94, 95, 97, 117, 118, 119, 120, 128, 143, 144, 145, 146, 160, 164, 248, 254, 261, 309)62. — Il est l’expression même de la vie ardente, chaude, jeune et fécondante du printemps ; c’est le motif générateur de tous les autres ; c’est lui qui emporte tout le chant de Walther : « Es schwillt und schallt, es tœnt der Wald, nun laut und hell, schon nah zur Stell. » — « Das Blut, es walt mit Allgewallt, aus warmer Nacht, mit Ubermacht. » — « Es schwillt das Herz, vor süssem Schmerz », et chaque fois que l’impression vivifiante qu’apporte avec lui Walther se fait sentir, on le retrouve. Au second acte, il hante Sachs, le trouble, l’arrache à son travail et se dérobe quand le vieux chanteur veut le ressaisir : « Es klang so alt, dit Sachs rêveur, und war doch so neu, wie Vogelsang in süssen Mai ». Puis, tout à coup, sa signification se révèle : « Lenzes Gebot, die süsse Noth, die legt es ihm in die Brust. » C’est bien ce qu’éprouve aussi Eva quand, furieuse de l’injustice des maîtres, elle s’écrie que Walther trouvera bon accueil : « Wo warm die Herzen noch erglühen. » C’est ce motif même, haletant, entrecoupé, qui secoue les premières phrases du chant d’Eva quand elle s’élance au devant de Walther. Encore une fois il revient à Sachs, au troisième acte, avec toute sa force et sa précision : « Es ist halt der alte Wahn, ohne den nichts mag geschehen, es mag gehen oder stehen. » — « Steht es wo im Lauf, es schlaeft nur neue Kraft sich an : gleich wacht er auf dann schaut wer ihn bemeistern kann. » C’est lui que nous appellerons le motif du printemps.

Motif 2 (p. 5, 6, 7, 15, 17, 18, 30, 44, 91, 94, 95, 96, 97, 98, 100, 104, 117, 118, 119, 120, 144, 145, 146, 254, 259, 271). — Ce motif est la première transformation du motif 1. Il a une allure plus souple, plus rapide pour se prêter mieux à la vie du drame. Sous une forme contenue et voilée, il accompagne les premiers mots de Walther : « So rief der Lenz in der Wald », et « So rief es mir in der Brust » ; il souligne toute l’ardeur du poète, son désir d’Eva, de la maîtrise qui la lui donnera ; il apparaît quand le chevalier trouve l’art des maîtres nouveau et étranger pour lui ; pendant le choral, dans la mimique tendre de Walther, et quand il voit Eva s’avancer vers lui pour sortir de l’Église ; c’est lui qui proteste pendant que les maîtres accablent le héros ; lui qui s’insinue dans la pensée de Sachs, le trouble et lui fait dire plus tard à Walther : « All Dichtkunst und Poeterei ist nichts als Wahn-traumdeuterei. »

Motif 3 (p. 34, 171, 264, 265, 266, 276,287, 300, 301, 315, 316, 318, 375, 379). — Les trois premières notes de ce motif sont les trois dernières du motif 2, et la seconde partie de la phrase est la répétition de la première où apparaît la note ré, trois fois répétée. Le motif prend ainsi une forme plus solide, tonalement parlant, plus nette comme expression, et ces trois notes, mi-si-ré, se retrouveront maintenant partout. Ce n’est plus le printemps c’est Walther, le printemps individualisé avec son désir et sa puissance. Walther obtiendra Eva par le concours, et ce motif est celui du rêve dont Walther fera son chant de maître ; il correspond bien à la dernière phrase de Sachs citée plus haut ; on ne lui trouve plus cette liberté indéfinie d’allure qu’il présentait quand il signifiait le printemps, il rappelle à présent Eva, le concours, le nouveau mode que Walther doit créer. De lui sortiront, comme on peut le voir sur notre tableau, les motifs d’Eva, de Sachs, du concours, de Nuremberg, des apprentis, de Beckmesser, et des maîtres eux-mêmes : ou, si l’on préfère, on le trouvera dans l’amour d’Eva, dans le renoncement tendre et généreux de Sachs, sa jeune poésie populaire et son ardent amour pour ce qui possède vie et passion, dans la mâle poésie de Walther, dans la hardie et saine volupté de son chant, auquel il devra Eva et le titre de maître, dans la joyeuse et bonne vie du peuple de Nuremberg qui décidera des prix et comprendra Walther, dans l’amoureuse sérénade de Beckmesser, dans la ronde des apprentis, dans la fête de la Saint-Jean, et de proche en proche dans la marche des Maîtres. C’est à la prodigieuse organisation musicale de Wagner, qui permet d’exprimer l’écho que peut trouver une poésie jeune dans tous les cœurs qui l’entourent, que l’œuvre doit à la fois une si grande uniformité et une si admirable organisation de la vie dramatique.

Motif 4 (p. 148, 150, 151, 153, 154, 294, 295). — Ce motif est une des plus délicieuses appropriations du premier. On le voit dans la fine scène où Eva veut tout savoir de Sachs sans rien dire elle-même. L’harmonie y est riche et palpitante, tantôt profonde, tantôt trillée, légère, vibrante, chaude et délicate. C’est le motif de la jeunesse même d’Eva : « : Ihr nehmt mich für Weib und Kind ins Haus », dit-elle à Sachs. Dickens, et après lui Daudet, diraient : femme-enfant. Et comme il devient brillant et merveilleux quand Eva apparaît au savetier-poète, dans ses beaux habits de riche fiancée !

Motif 5 (p. 70, 258, 259, 260, 261, 262, 283, 315, 347). Provient du précédent. Le sens se précise : le motif apparaît quand Pogner déclare que la fiancée devra confirmer le jugement des maîtres ; quand Walther dit plus tard, à l’acte deux. « Ich liebe ein Weib, und will es freien ! » et chaque fois que l’idée d’Eva apparaît à Walther comme prix du concours.

Motif 6 (p. 170, 172, 174, 198, 233, 235, 239, 251, 298, 299). — Signifie surtout l’apaisement et le calme qu’Eva apporte à la bouillante ardeur de Walther. Il se montre tout d’abord immédiatement après le coup de trompe du veilleur de nuit, qui porte à son comble l’hallucination où Walther se débat contre les maîtres qui cherchent, grimaçants, à lui arracher Eva. Ce motif, dans son harmonie, est d’une douceur étonnante. « Geliebter, spare den Zorn », dit Eva en lui saisissant les mains. Il revient plus tard après la bagarre, et dans l’apparition de Walther à Eva déchaussée. Détail curieux, ce motif se montre, tout gai et comique, tandis que David explique à Sachs distrait comment Magdeleine sait lui faire oublier ses déboires dans sa cuisine. C’est un des joyaux de la partition.

Motif 7(p. 34, 105, 107, 111, 137, 171, 172, 199, 277, 295, 296, 297, 298, 299, 300, 305, 306, 310, 311, 314, 319). — Le commencement du motif apparaît avec l’embarras d’Eva qui ne sait comment causer de Walther avec Sachs (p. 296), et quand celui-ci plus loin dit à Eva qu’il voit bien où le soulier la blesse. La fin du motif, surtout la partie ascendante, caractérise l’espoir d’obtenir Eva, soit chez Walther (motifs 12 et 13), soit chez Sachs, soit même chez Beckmesser (p. 107).

Motif 8 (p. 105, 109). — Il provient du précédent. Il est dans la bouche de Beckmesser qui, irrité de l’intervention de Sachs, et pressentant dès lors deux rivaux, lui reproche de faire les vers aussi mal que la chaussure.

Motif 9 (p. 309, 314, 315, 317, 319, 395). — Bonheur d’Eva. Le commencement du quintette exprime la reconnaissance d’Eva envers Sachs, et plus tard on le retrouve quand Walther, débordant de la même joie qu’Eva, refuse la chaîne d’or des maîtres.

Motif 10 (p. 314, 315, 317, 318, 319, 345). — Motif caressant de reconnaissance ; se présente soit avec Eva, soit à propos d’elle, d’abord dans le quintette, puis quand Walther refuse la chaîne d’or, se trouvant trop heureux de posséder Eva.

Motif 11 (p. 315, 318). — Se trouve encore dans le quintette avec une expression voisine de celle du motif 10.

Motif 12 (p. 141, 142, 149, 150, 152, 156, 157, 158, 159, 162, 164, 165, 166, 197, 241, 242, 244, 272, 371, 372, 373, 374). — Eva veut savoir le résultat du concours et si Walther l’obtiendra. Elle se sait chérie de Sachs : — Ce motif caractérise l’espoir d’obtenir Eva : « Serait-ce un jour de noce », dit Sachs à David qui apporte des fleurs ; autre part, c’est sur ce motif que Sachs reconnaît que Walther est aimé, et c’est encore pendant qu’il sonne magnifiquement à l’orchestre qu’il lui recommande de s’habiller de façon à faire honneur à Eva.

Motif 13 (p. 78, 104, 105, 142, 143, 144,149, 150, 155, 156, 157, 158, 160, 161, 162, 165, 244). — C’est le même motif que le 12, mais, grâce aux notes chromatiquement affaissées qui le terminent et le contredisent, il signifie, tant chez Sachs que chez Walther, le renoncement à Eva ou la crainte de ne pas l’obtenir. Il semble que Beckmesser n’ait pas été jugé digne de ce motif. Page 158, Sachs, sentant qu’Eva ne sera jamais à lui, ne peut se refuser le malin plaisir de feindre de s’indigner contre la hardiesse poétique de Walther : « Freund ihm noch sein ! ihm vor dem alle sich alle fühlten so klein ! » Il réapparaît enfin une dernière fois quand Sachs, au troisième acte, plein d’une douce mélancolie ne sait pas encore s’il doit renoncer à Eva, tout grisé par l’odeur des fleurs, l’air-si heureux d’un restant d’espoir, que David lui dit qu’il serait volontiers garçon d’honneur, plutôt que son héraut à la fête. Il faudrait pouvoir analyser à l’infini la délicatesse de chaque situation pour bien goûter la profonde et vivante poésie que Wagner a dû sentir en lui-même lorsqu’il écrivait ces pages.

Motif 14 (p. 24). — Ne vient qu’une seule fois quand Eva, s’oubliant, dit à Walther qu’elle épousera « Euch, oder keinen ! »

Motif 15 (p. 18, 19, 20). — À rapprocher du 18. Walther supplie Eva de lui dire si elle est fiancée.

Motif 16 (p. 137). — Pogner ne sait s’il fait bien de donner sa fille comme prix. Il est avec elle devant l’échoppe de Sachs et il ne sait s’ils doivent entrer. Nous sommes ici déjà loin du motif du printemps, presque à l’extrémité du personnage d’Eva : son sort est bien loin d’être fixé.

Motif 17 (p. 32, 236). — Tout devient vague : David dit à ses compagnons qu’il a autre chose à penser qu’à travailler avec eux ; le motif est esquissé dans sa réponse. Mais il est entier dans le beau prélude du troisième acte : Sachs aussi a autre chose à penser, et, comme une solution à ses réflexions, ce motif qui avait d’abord peu à peu pris le rhythme du motif 2, se fond même dans celui-ci, avec une décision psychologique que la musique pouvait seule exprimer.

Motif 18 (p. 5, 9, 10, 18, 24, 30, 31, 173, 260, 270, 302, 303, 318, 382, 383, 385, 386, 387, 395, 398). — Ces quelques notes ont une expression vive et enthousiaste le plus souvent. Le motif 18 est la réponse au motif 79. Il apparaît avec le sourire bienheureux et timide d’Eva dans la scène de l’église ; il est l’expression hardie du désir de Walther ; c’est de lui qu’est formée la phrase « Eines zu fragen ! » Où Wagner fait chanter à un personnage le motif qui se trouve à l’orchestre, on peut affirmer presque toujours que le même sentiment est là sous ses deux formes, poétique et musicale ; ainsi, p. 30, Walther s’écrie : « Mit allen Sinnen euch Zugewinnen ! »

Motif 19 (p. 5, 29, 31). — D’abord Walther à Eva demande la réponse qui décidera de sa vie, et plus tard Eva à Walther demande si elle le reverra ; et cet espoir qu’ils ont maintenant en commun, se retrouve dans le trio d’Eva, de Walther et de Magdeleine, page 31.

Motif 20 (p. 45, 315). — Ce motif a plusieurs sens, mais il s’explique surtout par son parent, le 31. David dit que pour être maître il faut trouver « un nouveau mode », et c’est ce mode que chante Eva dans le quintette, page 315, sixième mesure.

Motif 21 (p. 238, 239). — David fait l’éloge de Magdeleine.

Motif 22 (p. 79, 80, 82, 89, 90, 91, 93, 98, 99, 100, 101, 110, 111, 112, 156, 157, 164, 271, 272, 273, 274, 275, 277, 278, 280, 288, 351,360, 362, 363, 367, 370, 371, 372, 373). — Ce motif est celui du chevalier Walther de Stolzing. — Dans certains cas, ce motif au lieu de se relever fièrement vers la fin, et de se rattacher ainsi au motif 12, prend une fin analogue à celle du motif 13, descendante, indéfinie : il a l’air abattu et caractérise soit l’abattement de Walther sous les railleries de Beckmesser, soit plus tard les défaites et les déboires de l’infortuné Sixtus lui-même, et je l’ai, dans ce cas, chiffré 83.

Motif 23 (p. 388). — « Keiner wie du so hold zu werben weiss », dit Eva à Walther en le couronnant. Il est une modification du motif 79, et c’est à dessein que Wagner a fait chanter à Eva le motif même qui la donne à Walther comme prix du concours.

Motif 24 (p. 2, 14, 17, 18). — Il appuie les instances de Walther pour obtenir un mot d’Eva, instances hardies devant sa timidité, et alors sous la forme du désir, la fin de la phrase se redresse comme aux motifs 12 et 22, — ou timides et suppliantes, et alors les dernières notes s’inclinent de plus en plus. La mimique d’Eva est timide quand celle de Walther est hardie, et devient hardie dès quelle le peut à son tour. Tous ces passages sont d’une finesse admirable. Page 10, une forme agitée et enthousiaste bien que contenue se dissimule dans le choral, marquant l’extase de Walther après le regard brûlant d’Eva.

Motif 25 (p. 17). — De même dissimulé dans l’harmonie du choral, il colore la mimique entre les deux amoureux.

Motif 26 (p. 34, 236, 237, 238, 240, 247, 248, 265, 273, 276, 303, 307, 346). — Avec ce motif, une des plus belles adaptations du motif primordial, apparaît une modification profonde. Après avoir rendu plus « humain » le motif du printemps en substituant à la seconde qui le termine une tierce, majeure ou mineure, Wagner l’attribue à Sachs, mais obtient une gravité plus douce et plus noble en étendant la quarte qui sépare la première note de la seconde, à l’intervalle d’une quinte. Nous avions d’abord, pour le printemps, quarte et seconde, puis pour Walther, quinte et tierce, puis maintenant nous aurons pour Sachs quinte et tierce. Le motif s’élargit et semble se solidifier en passant à la personnalité de Sachs, comme il s’était assoupli, féminisé en quelque sorte par sa chromatisation délicate, pour appartenir à Eva. Toujours Sachs apparaît avec lui, aussi bien quand Walther dit à David qu’il ne sait même pas s’il est chanteur, que dans le merveilleux prélude du troisième acte, dans le mélancolique renoncement de Sachs et dans ses rêveuses réflexions « Wahn, Wahn, ueberall Wahn ! » aussi bien quand Eva le remercie, que quand le peuple l’acclame.

Motif 27 (p. 178, 179, 236, 304, 305). — Motif populaire adapté par Sachs à l’avertissement qu’il donne à Eva et à Walther, et dans la douce mélancolie de sa plainte, pages 304, 305. Il appartient à Luther, et peut être le caractère qu’il emprunte aux trois notes mi-sî-ré, l’a-t-il recommandé à Wagner.

Motif 28 (p. 293). — C’est l’air de la Saint-Jean, que chante David : « Am Jordan Sankt Johannes stand. » Il est proche parent du 27.

Motif 29 (p. 35, 136). — À Sachs encore : « Schuhmackerei und Poeterei ».

Motif 30 (p. 136). — Il exprime la mélancolie de Sachs encore sous l’impression de la vigueur poétique de Walther, et le pressentiment de la pénible déception qui l’attend dès qu’il causera avec Eva.

Motif 31 (p. 39, 150, 166, 241, 242). — Motif un peu mélancolique. Eva l’emploie pour rendre l’espoir à Walther, et Sachs quand il demande à David chargé de ses fleurs si par hasard ce serait jour de noce. Le même motif apparaît dans la bouche de David énumérant à Walther les noms des modes : « Gelbveigleinweise ». Comparez au 20.

Motif 32 (p. 34, 104, 107, 156, 253, 254, 255, 256, 257, 262, 263, 283, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 346, 347, 368). — Se montre dès qu’il s’agit de l’intervention de Sachs en faveur de Walther, soit devant les maîtres, soit plus tard quand il se dévoue à lui faire obtenir le prix du concours.

Motif 33 (p. 152, 153). — Sachs rejette l’espérance que lui offre Eva : « Lieb’ Evchen, machst mir blauen Dunst ! » Le motif alterne ensuite avec le motif de l’amour de Walther, contrastant avec l’amour un peu paternel de Sachs.

Motif 34 (p. 253, 256, 262). — Sachs se dévoue à Walther et veut en faire un maître.

Motif 35 (p. 21, 27, 83, 84, 86, 88, 95, 132, 133, 154, 235). — Cet air représente l’attrait de la jeunesse d’Eva, soit chez Walther, soit chez Sachs, et en même temps la splendeur de la forêt : « Waldes Pracht », ou dans quelques modifications : « das süsse Lenzeslied ». De ce motif partent de nouveaux embranchements, soit vers Sachs, soit vers les Maîtres, soit vers la poésie et le chant de Walther. Il est le véritable motif qui anime tout le drame, et pour donner une faible idée de sa circulation, il suffira de le retrouver à la fin de l’acte deux, où il se dégage de la sérénade de Beckmesser, pour se retrouver dans toute sa simplicité et son charme, page 235.

Motif 36 (p. 42, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 105, 109, 135, 136, 137, 142, 143, 144, 145, 151, 155, 156, 158, 159, 160, 161, 162, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 182, 183, 185, 186, 190, 192, 193, 194, 197, 198, 205, 207, 233, 247, 274, 278, 280, 296, 306, 322, 324, 325, 366). — Ce motif, le plus répété (pas moins de 340 fois) est pour Sachs ce que le 22 est pour Walther. Comme lui, il a son correspondant détraqué et ridicule, appartenant à Beckmesser. En effet le greffier est la caricature de l’amoureux comme celle du chanteur. Ce motif tient les 15/100 de l’espace occupé par l’ensemble des motifs, ce qui marque nettement l’importance du personnage de Sachs, le savetier-poète. C’est en effet aussi le motif des disciples de Saint-Crispin. Il est intéressant de suivre les modifications rapides de se motif, pages 159 et 160. Pendant qu’Eva s’indigne contre les maîtres et contre Sachs à la fois, ce motif prend une forme malicieuse, fine et gaie ; puis, le motif de Sachs dans son intégrité reparaît sombre sous la forme doucement railleuse, et le motif mélancolique 13 se montre au milieu des syncopes de la basse en même temps que Sachs reprend : « Das dacht ich wohl ! » Il y a là en quelques mesures toute une fine psychologie musicale.

Motif 37 (p. 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 62, 66, 67, 68, 77, 131, 347, 348, 349, 350, 351). — Ce motif, comme le précédent, est très éloigné du motif 1. Il accompagne Pogner le bourgeois de Nuremberg, artiste et citoyen, fier de son art et de sa ville ; il s’étend un peu aux maîtres, et en général caractérise la générosité du riche bourgeois qui donnera sa fille à un maître-chanteur.

Motif 38 (p. 25, 26, 28, 29, 33, 46, 47, 48, 49, 51, 132, 139, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 244, 245, 246, 282). — Comme le 42 et le 47, il appartient aux apprentis, mais surtout à David.

Motif 39 (p. 334, 335, 336). — Le voilà encore, ce même souffle printanier de jeunesse et d’ardeur, c’est lui, la danse : les fleurs, les rubans et les filles tournent dans sa ronde vive et brillante, gaie et douce.

Motif 40 (p. 336). — Il est le milieu entre le motif 38 et le 39. Il s’enrubanne joyeusement au milieu de la valse, et en assouplit gracieusement le rhythme.

Motif 41 (p. 321, 322). — Annonce la fête où Eva et Walther verront consacrer leur bonheur inespéré.

Motifs 42 et 47 (p. 50, 51, 75, 76, 121, 123, 124, 127, 128, 130, 393). — Caractéristiques de David et des autres apprentis. Ils empruntent leur air de jeunesse au motif du printemps. Le 47 surtout que nous avons placé du côté d’Eva, représente la belle couronne de fleurs que chantent ironiquement les apprentis autour de Walther.

Motif 43 (p. 173, 250, 258). — Avec ce motif nous quittons Walther et Sachs pour pénétrer dans Nürnberg même, avec ses gens et ses rues. « Des chevaux nous attendent sur la route », dit Walther à Eva dans la rue. Et Sachs dans ses réflexions : « Wie bald auf Gassen und Strassen fangt der da an zu rasen ! Mann, Weib, Gesell und Kind, faellt sich da an wie toll und blind ». Tout ce monde, toutes ces rues sont possédées du même souffle d’animation, et pourquoi ? Sachs le dit à Walther : « Kam Sommer, Herbst und Winterzeit », et autre part : « Der Lenz, der sang für sie. »

Motifs 44, 48 et 53 (p. 15, 19, 20, 34, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 72, 74, 76, 77, 103, 104, 107, 108, 129, 130, 131, 134, 135, 252, 259, 294, 321, 332, 333, 348, 349, 350). — Sous la forme 53 il appartient à Walther : « Ich liebe ein Weib », et quand tout d’abord il supplie Eva de lui répondre. Dans les autres cas, 44, il prend la signification de la fête de la Saint-Jean, de la joie et des espérances qui y sont attachées : « Das schœne Fest, Johannistag ! » dit Pogner, chantant le motif même. — « Tout ce tapage, dit plus tard Sachs, provient de ce que nous sommes à la nuit de la Saint-Jean », et il ajoute : « Nun aber kam Johannistag ! » — On comprend la liaison des idées de printemps, de Saint-Jean, de fête et d’exaltation populaire. — Sous la forme 48, par une intention profondément sage de Richard Wagner, ce motif populaire, célébrant les joies de la cité, marque aussi la confiance de l’artiste dans le jugement du peuple, et, chose délicate, dans le bon sens féminin : « Der Frauensinn, dit Pogner, gar umbelehrt dunkt mich dem Sinn des Volks gleich werth !? » C’est en effet devant le peuple et devant la femme que triomphera la poésie nouvelle, la jeunesse même de la poésie naturelle. Wagner sait ici reconnaître à l’influence féminine et populaire le pouvoir de transfuser un sang nouveau et vivace aux vieilles formes, comme avaient fait le Dante et le Buddha à propos de langage.

Motif 45 (p. 40, 149, 152, 153, 154, 199). — Motif de sens peu précis, mais visant toujours l’union de Walther et d’Eva, au moyen du concours et avec l’aide ce Sachs.

Motif 46 (p. 138, 139, 248, 249, 252, 271, 272, 273, 284, 294, 319, 320, 321, 396). — Ce motif, proche du 44, représente Nuremberg et surtout Nuremberg en fête : Cette belle soirée, dit Pogner à sa fille, nous annonce une belle matinée pour demain ; et plus loin, sur le motif même : « Wenn Nuremberg, die ganze Stadt, mit Bürgern und Gemeinen, mit Zünften, Volk und hohem Rath vor dir sich soll vereinen. » — Et Sachs : « Wie friedsam treuer Sitten, getrost in That und Werk, liegt nicht in Deutschland’s Mitten, mein liebes Nuremberg. » Il conseille à Walther de s’habiller splendidement pour la solennité, et dit au peuple, à la fin : « Ehrt eure deutschen Meister ! » le motif caractérise l’amour du milieu vivant, fécond et riche de la cité allemande ; il ne contient pas seulement la joie de la fête, il marque la fierté civique des bourgeois de Nuremberg : On verra, dit Sachs, « Dass Nuremberg, mit hœchstem Werth die Kunst und ihre Meister ehrt. »

Motif 47 (Voyez 42).
Motif 48 (Voyez 44).

Motif 49 (p. 54,56, 57, 59, 61, 65, 69, 73, 248, 352). — Caractéristique de la personne d’Eva qui, disent d’abord Pogner et plus tard Sachs, jugera en même temps que le peuple et les maîtres. D’autre part, la jeunesse de l’art de Walther, qui gagnera le peuple et Eva, s’y manifeste encore avant d’être soumise aux règles : « Die alte Zeit dünkt mich erneut », dit Pogner.

Motif 50 (p. 18, 54, 55, 56, 58, 59, 60, 61, 79, 80, 81, 271, 273, 277, 341, 347, 348, 349, 350, 351). — Il représente la décision que prend Walther de se soumettre à l’examen et à la critique des maîtres pour arriver lui-même à être reconnu maître et à obtenir Eva. Cette forme est parente du 32.

(p. 54, 84, 86, 89, 138, 249, 273). — Sous une forme qui tire vers celle du 46, la signification est plus particulière : Walther dit à Kothner qu’il chantera sur un sujet sacré, l’amour. D’autre part, c’est pendant qu’il résonne tranquille et joyeux à l’orchestre que Pogner dit à Eva qui s’inquiète de lui et veut rentrer : « Nicht doch, ’s ist mild und labend, gar lieblich der Abend ».

Motif 51 (p. 158, 186, 187, 189, 190, 193, 196, 197, 198, 199, 201, 239, 240, 243, 251, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 280, 281, 359). — En général ce motif, qui est celui de Beckmesser surtout, est hostile à Walther, mais il est surtout caractéristique des malheurs du greffier, et il règne surtout pendant le charivari qui suit la sérénade. Il s’approche alors du 43.

Motif 52 (p. 200, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 207, 208, 209, 210, 212, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 234, 235, 240, 242, 248, 251, 257, 273, 274, 276, 286, 287, 289, 290, 292, 293, 350, 362, 365, 366). — Sérénade de Beckmesser et tout ce qui s’ensuit. Remarquons le motif mi-si-ré qui termine la première phrase : il semble que même dans Beckmesser l’amour, ou ce qui veut paraître tel, doive s’exprimer par ces notes jeunes et ardentes. Comparez ensemble 36, 83, 52, 51, 63 et 83 et vous aurez tout Beckmesser.

Motif 53 (Voyez 44).

Motif 54 (p. 37). — Réponse ironique de Walther à David qui lui avoue que, bien qu’ayant travaillé longtemps avec Sachs, il n’est pas arrivé à grand’chose.

Motif(p. 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169). — Marque généralement l’opposition que peuvent apporter les maîtres au bonheur d’Eva et de Walther.

Motif 56 (p. 1, 2, 7, 15, 24, 339, 362). — Marche des Maîtres. N’êtes-vous pas maître ? dit Eva à Walther, dans l’église.

Motif 57 (p. 3, 11, 339, 345, 397), et
Motif 58 (p. 1, 22), et
Motif 59 (p. 32), et

Motif 60 (p. 1, 22, 167, 245, 283, 321, 338). — Dans tous ces motifs se manifeste l’idée des maîtres et du concours qu’on prépare. Walther dit à Eva qu’elle devra épouser un maître ; et Sachs à David, qu’il pourrait bien encore concourir. Même motif 60 quand Beckmesser aperçoit le feuillet de Walther et qu’il croit que Sachs concourra.

Motifs 61 et 62. Trois formes dans ces deux motifs : la première, le motif de la marche proprement dit (p. 1, 6, 7, 9, 10, 11, 13, 23, 27, 47, 71, 75, 128, 167, 338, 340, 352, 353, 395, 391, 395, 396, 397, 400, 401), caractéristique de la qualité et de la dignité de maître : c’est la première partie du 62. La seconde partie, qui emprunte la forme du motif d’amour (comparez avec 7, 14, 12) signifiera principalement le rôle des maîtres pendant le concours et la fête : (p. 1, 7, 9, 22, 23, 26, 71, 167, 338, 352, 353, 397.)

La troisième forme (p, 1, 2, 3, 4, 8, 10, 11, 12, 23, 24, 65, 71, 73, 74, 75, 76, 88, 89, 91, 92, 106, 107, 129, 131, 167, 169, 189, 190, 192, 313, 321, 337, 338, 344, 350, 351, 354, 356, 371, 395, 397, 401) souligne les passages, où il s’agit de règlements, d’appareil magistral, de marqueur, bref le côté plutôt matériel du rôle des maîtres-chanteurs.

Motif 63 (p. 195, 196, 197, 348). — Provient des précédents. Il caractérise soit la critique de Sachs marqueur du greffier, soit le jugement du peuple.

Motif 64 (p. 3, 10, 11, 12, 13, 25, 27, 28, 29, 42, 43, 245, 339, 340, 345, 357, 358, 392, 393, 394, 395, 396, 397, 398, 399, 402). — Meistergild : — On le retrouve quand il s’agit de la corporation, de la bannière et du roi David qui y est représenté, ainsi que sur la chaîne que Pogner offre à Walther.

Motif 65 (p. 14, 15). — Motif du baptême du nouveau mode et de Saint-Jean-le-Baptiste.

Motif 66 (p. 30, 31, 123, 265, 269, 270, 301, 345, 379). — Se trouve dans le chant de Walther, mais exprime en général l’idée d’obtenir Eva par le concours, par la pureté et le mérite de son chant. Sous une forme voisine (p. 31, 32, 45, 110, 139, 252, 253, 254, 255, 257, 258, 259, 264, 265, 269, 271, 294, 300, 301, 305, 375, 376, 377, 378, 380, 381, 395), on le voit aux passages où il s’agit encore pour Walther de gagner Eva par son chant, et où Sachs veut l’aider, jusqu’à l’endroit où le chant de Walther éclate, tandis que Sachs dit à Eva : « Lausch, Kind ! Das ist ein Meisterlied ! » et jusqu’au couronnement.

Motif 67 (p. 26, 38, 57, 70, 82, 83, 263). — Se montre quand Walther se résout à soumettre sa liberté poétique aux règles magistrales.

Motif 68 (p. 55). — Walther dit à Pogner qu’il veut devenir maître.
Motif 69 (p. 261). — Sachs explique à Walther que les règles peuvent développer l’art.

Motif 70 (p, 83, 86, 87, 147, 148). — Appartient au chant de Walther et caractérise la « manière » du jeune poète.

Motif 71 (p. 6, 95, 97, 145, 146, 147). — Nous entrons dans le chant si naïf et si frais de Walther ; il souligne les phrases ; « wie Glockenhall ertoes’t des Jubels Gedrœnge », et « im wildem Wonne Gewuhle ». C’est ce motif qui fait dire à Sachs : « wie Vogelsang im süssen Mai ». Il exprime le tumultueux amour et la douce fièvre du chevalier.

Motif 72 (p. 95, 98, 138). — « Der Wald wie bald antwortet er dem Ruf der neu ihm Lebenschuf stimmte au das süsse Lenzeslied » et « das hehre Liebeslied. »

Motif 73 (p. 95, 97). — Suite du 72. « Es toent der Wald von holder Stimmen gemenge » et « geschwillt von neuen Gefühle ». Son harmonie lui donne un charme mystérieux et profond.

Motif 74 (p. 85, 168, 184, 325, 372, 374). — C’est à proprement parler la mélodie de la forêt. C’est lui, c’est ce besoin de vie libre, et de génie indépendant qui pousse Walther à enlever Eva, et qui se retrouve plus tard quand Sachs dit au chevalier : « Montrez que le lied n’est pas de moi ».

Motif 75 (p. 97, 115, 116, 117, 143, 144). — Chant de Walther, dont les phrases réapparaissent plus tard avec l’odeur du lilas, si forte et si pénétrante, qui fait dire à Sachs : « Was düftet doch der Flieder so mild, so stark und voll ». Toujours la poésie du printemps.

Motif 76 (p. 83, 84, 85, 86, 121, 122, 138, 147). — Ce motif explique l’inspiration de Walther, il est très proche du 35 ; il va de la forêt et du vieux Vogelweid jusqu’à l’amour même qui l’anime : « Da sing ich hell und hehr der liebsten Frauen Ehr. — Nun sang er wie er müsst, und wie er musst, so konnt er’s. »

Motif 77 (p. 87). — « In eigenem Wort und eigener Weise ».

Motif 78 (p. 5, 9, 31, 45, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 59, 60, 61, 62, 65, 66, 67, 68, 69, 72, 73, 78, 132, 137, 143, 169, 170, 192, 234, 235, 258, 264, 269, 276, 300, 301, 302, 348, 352, 375, 382, 395). — Ce motif appartient à l’idée de concours. — Je saurai trouver ce ton propre pour mes vers, dit Walther, et en effet partout où Walther paraît devoir réussir, ce motif est perceptible. Il apparaît même dans l’hallucination de Walther et en dernier lieu quand Sachs dit au chevalier que c’est aux maîtres qu’il doit son bonheur.

Motif 79 (p. 5, 9, 16, 30, 31, 114, 122, 170, 171, 173, 269, 270, 271, 272, 237, 283, 301, 318, 371, 381, 382, 384, 385, 388, 395, 396). — C’est le printemps devenu chanteur. Partout où l’on sent que le chant de Walther lui donnera Eva, apparaît ce motif (voyez 23).

Motif 80 (p. 18, 21, 24, 138, 159, 165, 171, 306). — Motif personnel d’Eva, extrêmement souple et d’allure serpentine.

Motif 81. — Cadence terminant les couplets de Sachs au deuxième acte, et quelques autres phrases de style un peu déclamé.

Motif 82 (p. 35, 36, 37, 40, 41, 42, 48, 49, 85, 135, 136, 137, 142, 143, 239). — Appartient à Sachs et le représente à sa rêverie et à son travail.

Motif 83. (voyez 22).

Outre les motifs de Tristan qui se trouvent naturellement rappelés par les rapports que Sachs établit entre Mark et lui, il serait curieux de comparer page 138 les mesures 3-4-5-6 et 13-14-15-16 à des motifs bien connus de Parsifal. — De même (p. 146) l’impression que Sachs traduit par « wie Vogelsang un süssen Mai » se retrouve dans Parsifal, modifiée par les circonstances, mais identique au fond, quand Parsifal chante, pendant le motif si voluptueusement printanier de la prairie en fleurs : « Wohl traf ich Wunderblumen… » Et enfin ne trouve-t-on pas, aux pages 272, où Sachs recommande à Walther de briller au milieu de la fête, et 371-372, où il va chanter, entouré de l’admiration et des faveurs de la foule, la même griserie de lumière, de bonheur et d’enivrante suavité dont bercent les Filles-fleurs le jeune Parsifal, « holder Knabe » en dansant mollement autour de lui ?

En se bornant à la seule étude musical du drame, on voit que chaque personnage se trouve éclairé de la chaude lumière du génie de Walther. Dans tous est un écho de la mélodie du printemps, de la forêt, et si l’on veut repasser rapidement les différentes significations des motifs 1, 2, 3, 17, 35, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 79, pour le printemps et la forêt ;

  • — 1, 2, 3, 5, 9, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 31, 35, 44, 45, 49, 50, 53, 54, 66, 67, 68, 70, 71, 72, 73, 74, 76, 77, 78 et 79, pour Walther ;
  • — 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 23, 24, 25, 31, 33, 35, 44, 45, 48, 49 et 80, pour Eva ;
  • — 1, 2, 4, 12, 13, 17, 26, 27, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 45, 63, 66, et 82, pour Sachs ;
  • — 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 46, 47, 48, 49, pour Nuremberg, son peuple et sa bourgeoisie ;
  • — 20, 50, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 66, 68, 69, 78, pour les Maîtres et leur art ;

On reconnaîtra nettement la circulation de ce même dessin mélodique à travers tout le drame musical ; la vie, l’organisation de cette idée réalisée dans une œuvre étonnante de génie ; l’art vivant s’imposant par la force même de sa fraîcheur, de sa naïveté, de sa « neuveté » dirai-je même, à un vieux poète populaire, à une jeune fille, à tout un peuple et à tout le vieux art des maîtres chanteurs : « Et antiquum documentum novo cedat ritui ! »

Cette analyse que je viens de présenter donne une idée suffisante du procédé de Wagner et justifie amplement le nom de motif-organe que j’ai donné à tout ce système d’expression organisée, si musicalement dramatique.

Cette étude, je l’espère, peut aussi me permettre d’énoncer ce que je regarde comme un axiome de critique expérimentale : Si une œuvre est vivante c’est qu’elle est organisée ou qu’elle porte l’empreinte de l’organisation de celui qui l’a créée.

Et cette vie si puissante, participant du sentiment populaire et du sentiment féminin, cet art « pur simple » devenant le sauveur de l’art vieillissant, n’est-ce pas cette jeunesse que l’espèce, peuple et femme, doit rendre continuellement à notre vie vieillie par l’artificialisme, ne renaissant que par le naturalisme, à travers les cahots de l’évolution individuelle, sociale et sexuelle ?

C’est cette vision profondément réelle de Wagner, cette prophétie mille fois réalisée et de jour en jour plus réalisable, cette palpitation d’une renaissance par l’avènement de la vie sociale et de la maturité féminine, cette aurore qui croît, cette bienheureuse conscience de notre voie véritable, que nous devons entendre par le nouveau mode « Selige Morgentràum. »

Pierre Bonnier

 

La bibliographie sera publiée dans le prochain numéro. Dès immédiatement, notons deux importantes publications : la seconde année du petit Calendrier de Bayreuth (Bayreuther Taschen-Kalendar für 1886), — et la version française de la. Walküre, la Vakyrie, par M. Victor Wilder.

Complément au mois wagnérien de Septembre.

BERLIN

  • 14, 20 Sept. Opéra : Le Hollandais Volant.

CARLSRUHE

  • 9 Sept. Opéra : Tannhaeuser
  • 23 Sept. Opéra : La walkure.

COLOGNE

  • 8,23 Sept. Opéra : Lohengrin.

DUSSELDORF

  • 20, 28 Sept. Opéra : Lohengrin.

LINZ

  • 7 Sept. Opéra : Le Hollandais Volant
  • 29 Sept. Opéra : Les Maitres Chanteurs.

MAGDEBOURG

  • 20 Sept. Opéra : Lohengrin.

MANNHEIM

  • 20 Sept. Opéra : Les Maitres Chanteurs.

PRAGUE

  • 27 Sept. Opéra : Tannhaeuser.

ROTTERDAM

  • 16, 20, 22, 25 Sept. Opéra : Lohengrin.

STUTTGART

  • 6 Sept. Opéra : Lohengrin.

WEIMAR

  • 11 Sept. Opéra : Le Hollandais Volant.

WIESBADEN

  • 12 Sept. Opéra : Le Hollandais Volant.
  • 24 Sept. Opéra : Lohengrin.

 

Au dernier moment nous sommes obligés à remettre au numéro prochain le mois Wagnérien d’Octobre, qui sera publié avec celui de Novembre.

Correspondances.

BAYREUTH. — Les dates des Représentations de Fête pour 1886 sont ainsi fixées :

Parsifal, les 23, 26, 30 juillet, 2, 6, 9, 13, 16 et 20 août ;

Tristan, les 25, 29 juillet, 1, 5, 8, 12, 15 et 19 août.

C’est à dire, du 23 juillet au 30 août, tous les lundis et vendredis, Parsifal, et, tous les dimanches et jeudis, Tristan.

Nous saurons prochainement les noms de tous les interprètes.

 

ANVERS. — La société de Symphonie a donné le 3 octobre un grand concert Wagnérien. Nous applaudissons d’autant plus à cette initiative, que jusqu’ici nous n’avions que peu ou rien entendu du Maître aux nombreux concerts qui ont été donnés à l’Exposition.

Le public, un public choisi, était accouru en masse : l’immense salle était littéralement remplie, et ce qui prouve que la musique de Wagner commence à être très appréciée à Anvers c’est que presque personne n’a quitté la salle avant le dernier accord de l’orchestre. — Cela prouve en même temps que l’exécution s’est trouvée tout à fait digne de cette musique grandiose qui ne souffre pas la médiocrité dans l’interprétation.

Ne joue pas Wagner qui veut ; il faut le connaître à fond et être un musicien consommé, pour parvenir à la perfection d’exécution et d’interprétation que nous avons constatée dimanche dernier, et que l’on a obtenue d’un orchestre composé, à deux ou trois exceptions près, exclusivement d’amateurs. Aussi après ce concert, M. Giani, le directeur de la Société de Symphonie, bien qu’il fasse de la musique pour son plaisir, doit-il être classé parmi les premiers chefs d’orchestre du pays.

Le programme, fort bien composé, permettait de se faire une idée des diverses époques du Maître. On a entendu et applaudi tour à tour des fragments du Tannhauser, de Lohengrin, des Maîtres chanteurs, de la Valkyrie, de la Tétralogie, voire du Parsifal, la dernière création Wagnérienne, dont le prélude a été joué d’une façon admirable.

Quant aux solistes, nous pouvons également les complimenter sans réserve : Mlle Pauline Mailhac, une des premières chanteuses de l’Allemagne que nous avons déjà applaudie à un des derniers concerts de la société, Mlle Ernest Van Dyck et M. Léopold Claeys, deux de nos concitoyens.

X.

 

DRESDE. — les représentations de Siegfried ont été interrompues par l’indisposition de Kruis (Mine). En revanche, il y a eu une reprise de la Walkure : l’orchestre, sons Schuch, est incomparable ; Mlle Malten non seulement excellente chanteuse, mais vraie tragédienne ; le reste suffisant. On ne saurait protester trop énergiquement contre la mise en scène baroque, ne cherchant que des effets de féerie, — aujourd’hui, surtout, que les œuvres de Wagner vont traverser la frontière, et que les directeurs de théâtres français viennent en Allemagne les étudier. Sur aucun théâtre la mise en scène n’est conforme à l’esprit de ces œuvres et aux indications du Maître, qui exigeait « comme premier principe, une majestueuse simplicité ».