(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dupont, Pierre (1821-1870) »
/ 1972
(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dupont, Pierre (1821-1870) »

Dupont, Pierre (1821-1870)

[Bibliographie]

Les Deux Anges, poème (1842). — Les Chants et chansons de Pierre Dupont (1852-1854). — Muse juvénile (1809). — Sur certains bruits de coalition (1860). — La Légende du Juif-Errant (1862). — Dix églogues (1864).

OPINIONS.

Sainte-Beuve

Ces sortes de chants sont, à proprement parler, le pendant et l’accompagnement du genre d’épopée rustique et d’idylle que Mme Sand, au même moment, mettait à la mode par le Champi, la Mare au Diable et la Petite Fadette. Mme Sand raconte, décrit et peint ; elle fait le drame. Pierre Dupont mène le chœur et remplit les intermèdes par ses chansons.

[Causeries du lundi ().]

Charles Baudelaire

C’est à cette grâce, à cette tendresse féminine, que Pierre Dupont est redevable de ses premiers chants. Par grand bonheur, l’activité révolutionnaire, qui emportait à cette époque presque tous les esprits, n’avait pas absolument détourné le sien de sa voie naturelle. Personne n’a dit, en termes plus doux et plus pénétrants, les petites joies et les grandes douleurs des petites gens. Le recueil de ses chansons représente tout un petit monde où l’homme fait entendre plus de soupirs que de cris de gaîté et où la nature, dont notre poète sent admirablement l’immortelle fraîcheur, semble avoir mission de consoler, d’apaiser, de dorloter le pauvre et l’abandonné.

[L’Art romantique ().]

Paul Mariéton

Soulary, qui n’est pas populaire, passe pour classique auprès des dilettanti, le dernier public des poètes. Pierre Dupont, qui le sera un jour, n’est encore que populaire… Mais il est venu à son heure ; et en rendant, je le répète, la chanson plus humaine, il a fait œuvre de génie.

[Joséphin Soulary et la Pléiade lyonnaise ().]

Henri Avenel

Pierre Dupont n’est pas un chansonnier proprement dit, c’est un faiseur d’idylles, c’est une façon de Virgile égaré parmi les poetæ minores qui s’occupent de la chanson. La Révolution de 1848 l’a, un instant, détourné de sa voie, mais après les événements il y est vite revenu. Les grands bois, la verdure, le murmure du ruisseau, le chant de l’oiseau, les grands bœufs, les paysans, les rossignols et les roses, lui ont fait vite oublier les pavés des barricades, les maigres menus des banquets démocratiques, les bruits politiques de la rue et les conciliabules de l’estaminet. Il avait un génie rustique qui s’accordait mal avec la vie bruyante des villes.

[Chansons et chansonniers ().]

Armand Silvestre

Pierre Dupont ce n’est pas seulement un poète, mais un très grand poète ayant, pour frère, dans nos lettres et l’amour de la nature, notre La Fontaine qui, d’ailleurs, n’était pas un rimeur plus sévère que lui. Les Sapins sont certainement une autre noble idylle que le Chêne et le Roseau. Personne n’a cependant encore eu, que je sache, l’intention de rayer La Fontaine de la liste de nos poètes. Oui, Dupont est de la même famille, avec un ardent amour de l’humanité et de la misère, qui ne me paraît pas moralement inférieur à l’égoïsme épicurien du familier de Mme de La Sablière et de Fouquet.

[La Plume ().]

Eugène Lintilhac

… Le Théocrite lyonnais, l’auteur des Bœufs , qui est aussi le Tyrtée du peuple, par l’accent si pénétrant, les nobles coups d’ailes et aussi par les délicieuses rencontres et la poésie naturelle de ses chansons intitulées : Le Chant du pain, le Chant des ouvriers, le Louis d’or, le Braconnier, etc… qui vieilliront moins que celles de Béranger.

[Précis historique et critique de la littérature française ().]

Henri Roujon

Nous l’aimons parce qu’il verse la joie. Assez de poètes ont mis et mettront encore leur moi périssable au centre des choses, et feindront de pleurer sur tous pour avoir le droit de pleurer sur eux-mêmes. L’éternelle révolte de l’homme contre les lois inéluctables est aussi vieille que le monde ; elle exhalera éternellement sa plainte inutile. Nous ne voulons pas dire qu’elle n’a pas inspiré de beaux cris. Mais que la poésie est donc meilleure conseillère lorsqu’elle nous persuade de pardonner à la nature, et d’y voir le bien en même temps que le mal ! Pierre Dupont ne montrait pas moins de clairvoyance que les élégiaques pessimistes quand il déclarait les joies vivantes et réelles, à l’égal des douleurs. On sort de son œuvre comme d’un bain de jeunesse et de santé, plus vaillant, meilleur, presque en confiance avec cette compagne si peu sûre qui s’appelle l’humaine destinée. Il est le Tyrtée, tendre et fort, des batailles du pain quotidien.

Nous l’aimons aussi pour avoir reflété en son clair regard les mille et mille merveilles du décor où se joue le drame éphémère de notre destin. Il trouvait la vieille terre adorable, il la contemplait avec des yeux d’amant. C’est en le lisant que nous comprenons, nous autres serfs de l’existence moderne et prisonniers des villes, à quel point notre existence est un long crime contre la nature. Nous n’apercevons le ciel qu’entre deux toits, nous ne saluons jamais l’aurore chez elle, le couchant déroule ses pourpres loin de nos yeux. Mais les vers de Pierre Dupont nous envoient la fraîcheur des brises et tous les parfums de la forêt. Son panthéisme ingénu, sa botanique de berger chercheur de simples, sa divination de Sylvain initié au langage des bêtes, nous font entrevoir, mieux que tous les livres, le mystère de l’immense vie qui circule autour de notre conscience éperdue. Pierre Dupont amène l’homme à se réjouir de sa royauté d’un instant ; il lui persuaderait, à force d’optimisme et de bonne humeur, que l’univers se rapporte à lui. Il nous conduit au verger ; il y répand le sang des fraises comme une libation de gratitude. Il énumère dans les métamorphoses des sapins géants autant de bienfaits pour l’être chétif que leur majesté domine. Il vénère et chérit nos humbles frères, ces animaux que nul n’a chantés, pas même La Fontaine, avec plus de justice et de tendresse. Quand il parle du bœuf et de l’âne, il s’inspire lui-même des pensées naïves qu’il prête à ses paysans de la nuit de Noël, au retour de la messe de minuit. Dans ces deux infatigables compagnons de l’effort humain, il honore les créatures, élues entre toutes pour réchauffer de leur haleine la crèche où vagissait l’esprit de fraternité.

Nous l’aimons parce qu’il triompha de Belzébuth et du sombre génie de la haine. « Aimons-nous », voilà son refrain. S’il est vrai, comme le dit une parole magnifique, qu’« aimer c’est comprendre », nul n’aura compris à ce point. Le « nom infini de l’amour » sort toujours de ses lèvres. À force de vouloir l’homme heureux, il parviendrait à le rendre tel, par un miracle de charité. Il se souhaiterait meunier, pour remplir la huche du pain de l’aumône ; il se rêve roi, pour distribuer des largesses à tous les gueux de son empire :

C’est le rêve qu’il a rêvé.

Mais ce qu’il refuse d’accepter, c’est l’anathème qui fait du travail une loi de colère et de malédiction. Il encourage un par un tous les métiers, il anoblit toutes les tâches qu’accomplit l’homme, aux villes comme aux champs. Sa muse visite la grange et l’atelier. Elle montre au forgeron les rougeurs féeriques de l’incendie qui l’environne, elle chante à l’oreille du soldat pour rythmer l’étape, elle siffle avec le maçon sur son échelle, elle montre au bûcheron les nids qui s’envolent à chaque coup de la cognée, elle berce le pêcheur sur la mer, et, pour égayer le laboureur, elle pose sur les cornes noires de ses bêtes la gentillesse de l’oiseau. Pierre Dupont, pour tous ceux qui peinent, est le donneur de bonnes réponses. On trace plus droit et l’on creuse plus profond dans les sillons où passe sa chanson.

[Discours prononcé à Lyon à l’inauguration du monument de Pierre Dupont (le 30 avril ).]