Angellier, Auguste (1848-1911)
[Bibliographie]
La Vie de Robert Burns (1895). — À l’Amie perdue (1896).
OPINIONS.
Armand Silvestre
J’ai rarement l’occasion de signaler un volume de vers de la valeur de celui que
M. Auguste Angellier
vient de publier sous ce titre : À l’Amie perdue, et avec cette
jolie épigraphe latine, dans le goût ancien :
Amissæ
Amicæ
. Il comprend cent soixante-dix sonnets développant tout un
roman d’amour qui commence par la floraison des aveux et des premières tendresses,
se continue au bord des flots bleus, dans les monts, s’attriste d’une querelle, se
poursuit en rêveries, devant la mélancolie des vagues grises, se termine enfin par
le sacrifice, le deuil et l’acceptation virile qui n’est pas l’oubli… C’est bien
l’histoire commune et éternelle des cœurs… C’est un véritable écrin que l’Amie
perdue, un écrin plein de colliers et de bracelets pour l’adorée, et aussi de
pleurs s’égrenant en rosaire harmonieux… C’est un des plus nobles livres d’amour
que j’aie lus, parce qu’il est plein d’adorations et exempt de bassesses, parce
que la joie et la douleur y sont chantées sur un mode toujours élevé, entre ciel
et terre, comme le vol des cygnes qui ne s’abaisse pas même quand leur aile
s’ensanglante d’une blessure… Je vous assure qu’il est là tel sonnet que les
amants de tous les âges à venir, même le plus lointains, aimeront à relire, où ils
retrouveront leur propre pensée et leur propre rêve, comme le doux André Chénier souhaitait qu’il en
fût de ses vers d’amour…
Henri Potez
M. Angellier est né dans la ville qui a produit Sainte-Beuve : Boulogne-sur-Mer, cité curieuse et diverse qui établit une transition et un lien entre la France et l’Angleterre… Il y a, en Sainte-Beuve, à le bien chercher, un cottage environné de roses de mer. Il y a en M. Angellier, qui s’est tout particulièrement imprégné du génie de nos voisins, une fraîche et mouvante campagne britannique, une de celles qu’emplit le clair de lune du Songe▶ d’une nuit d’été, une de celles qui chantent dans les poètes pénétrants et subtils dont la voix nous arrive d’outre-mer.
Gaston Deschamps
De même que l’auteur de l’Imitation a voulu se perdre en Dieu, Angellier a voulu s’abîmer en Burns. On pourra regretter cet élan presque mystique. Si l’on ◀songe que, tout en commentant les vers d’un autre, le narrateur de la Vie de Robert Burns a écrit des vers comme ceux-ci :
Les caresses des yeux sont les plus adorables ;Elles apportent l’irae aux limites de l’êtreEt livrent des soi-rets autrement ineffables.Dans lesquels seuls le fond du cœur peut apparaître.Les baisers les plus purs sont grossiers auprès d’elles ;Leur langage est plus fort que toutes les paroles ;Bien n’exprime que lui les choses immortelles,Qui passent par instants dans nos êtres frivoles.Lorsque l’Âge a vieilli la bouche et le sourireDont le pli lentement s’est comblé de tristesse,Elles gardent encor leur limpide tendresse.
Faites pour consoler, enivrer et séduire,Elles ont les douceurs, les ardeurs et les charmes !Et quelle autre caresse a traversé des larmes ?
Relisez cela, je vous prie. Relisez-le doucement, avec la voix intérieure. Savourez-le comme on déguste, à petites doses, une liqueur précieusement distillée. Il faudrait avoir le goût très blasé par les grosses nourritures pour n’y pas reconnaître d’abord quelque chose de délicat, de subtil et de rare, dont la ténuité si frêle et si pénétrante résiste à l’oubli. Remarquez, entre autres, le dernier vers. À lui tout seul, il est un signe d’élection.