(1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441
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(1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

La déclamation.

C’est l’art de rendre le discours en chaire, au barreau, au théâtre, & toutes les fois qu’on fait une lecture à voix haute. De quelque manière qu’on envisage la déclamation, elle a divisé les esprits.

Déclamation du théatre.

On a d’abord été partagé sur la déclamation théatrâle, tant celle des anciens que la nôtre.

La première a fourni plusieurs objets de discussion ; mais je ne m’arrêterai qu’aux principaux, à celui du partage réel ou prétendu de la récitation & du geste, & à celui de la déclamation notée.

Est-il bien vrai ce qu’on dit, que, chez les Romains, l’action théâtrale étoit partagée entre deux acteurs ; de manière que l’un faisoit les gestes dans le temps que l’autre récitoit. Un passage de Tite-Live le donne à entendre. Il rapporte que Livius Andronicus, qui, suivant l’usage de ce temps-là, jouoit lui même dans ses pièces, s’étant enroué à force de répéter un morceau qu’on redemandoit, obtint la permission de faire chanter ses paroles par un jeune comédien, & qu’il se contenta de les accompagner du geste.

Mais la possibilité de ce partage de la déclamation entre deux acteurs, est contestée par quelques écrivains, du nombre desquels est M. Duclos. Ils aiment mieux croire qu’on a mal pris le sens du passage que de supposer les Romains capables de se plaire à un spectacle bisarre, puérile & du genre de Brioché.

L’académicien, auquel il est bien glorieux d’avoir succédé à tant de grands hommes dans l’emploi d’historiographe de France, se flatte d’avoir mieux entendu Tite-Live. C’est, dit-il, de la séparation du chant & de la danse dont l’historien a voulu parler, & non de celle du chant & du geste.

La difficulté du texte, que chacun interprête différemment, tombe sur ce mot canticum. Le canticum étoit composé de chants & de danses. Andronicus, qui d’abord chantoit son cantique ou sa cantate, & qui exécutoit, alternativement ou en même temps, les intermédes de danses, ayant altéré sa voix, chargea un autre acteur de chanter, & dansa, par ce moyen, avec plus de liberté & de force. De-là, cet usage de partager, entre différens acteurs, la partie du chant & celle de la danse.

Quelques passages de Valère-Maxime & de Lucien sont favorables à M. Duclos. Il faut convenir que si son explication n’est pas la véritable, elle est du moins la plus naturelle.

Passons à la déclamation notée. Quelques écrivains ont peine à la concevoir. La parole s’écrit, le chant se note ; mais la déclamation expressive de l’ame, ne sçauroit, disent-ils, être arrêtée. Comment déterminer les tons, les nuances du sentiment imperceptibles & sans nombre ? Comment les exprimer par des signes, représenter tous les changemens rapides des passions, observer toutes les proportions harmoniques ? En conséquence, ils révoquent en doute ce qu’on a dit de la déclamation Grecque & Romaine, & s’élèvent fortement contre l’abbé Dubos qui l’admire, & qui desireroit qu’on notât également la nôtre.

Il dit qu’il a consulté là-dessus des musiciens, & qu’ils l’ont tous assuré qu’il étoit très-facile d’en exprimer les inflexions avec les notes actuelles de la musique ; qu’il suffiroit de leur donner la moitié de la valeur qu’elles ont dans le chant, & de faire la même réduction à l’égard des mesures.

M. Duclos combat & le sentiment de l’abbé Dubos & celui des musiciens qu’il a consultés. Il prétend que, si l’usage des notes déclamatoires a eu lieu, quelquefois, chez les anciens, ce n’a jamais été qu’en faveur de certains acteurs qui parloient mal leur langue & dont la prononciation étoit vicieuse. Des maîtres les dressoient pour le théâtre, & tâchoient de réparer le défaut d’éducation. Ils leur apprenoient la bonne prononciation, la durée des mesures & l’intonation des accens : ils faisoient, en un mot, ce que nous serions encore obligés de faire, si nous avions à former pour le théâtre un acteur Normand ou Provençal, quelque intelligence qu’il eût d’ailleurs : mais un cas particulier, ajoute M. Duclos, ne doit pas être donné pour une règle générale.

Il va plus loin, & prétend que, quand même il seroit possible de noter la déclamation comme la musique, on ne devroit pas admettre le systême de l’abbé Dubos ; parce que ce systême nuiroit plus qu’il n’aideroit aux acteurs ; qu’il étoufferoit le talent des meilleurs, & rendroit les médiocres détestables. Rollin ne pense pas ainsi : il vante beaucoup la déclamation des anciens. L’abbé Vatri l’a défendue également : il ose dire qu’elle étoit un vrai chant musical, & regrette fort que nous n’ayons pas cette musique.

Voilà pour la déclamation des Grecs & des Romains. La nôtre n’a pas moins excité de contestations.

On demande s’il doit en être d’elle comme d’un tableau destiné à être vu de loin. On le peint à grandes touches, on en exagère les traits. Riccoboni, ce chef de troupe de comédiens, & qui a fait des observations sur son art, condamne cette pratique. Il ne veut, sur le théâtre, ni un ton plus haut, ni un discours plus soutenu, ni une prononciation plus marquée que dans la conservation. Il réduit la déclamation à l’expression ordinaire. « C’est une erreur, dit-il, de nos pères, d’avoir imaginé la déclamation théâtrale, telle qu’on la voit en France. Le grand point sur la scène est de faire illusion aux spectateurs & de leur persuader, autant qu’on le peut, que la tragédie n’est point une fiction ; mais que ce sont les héros mêmes qui agissent & qui parlent, & non pas les comédiens qui les représentent. La déclamation tragique opère tout le contraire. Les premiers mots qu’on entend font évidemment sentir que tout est fiction ; & les acteurs parlent avec des tons si extraordinaires, si éloignés de la vérité, qu’on ne peut pas s’y méprendre. »

On réfuta Riccoboni. On lui répondit que la déclamation tragique, quoique chargée, ne détruisoit point l’illusion nécessaire au spectacle ; que l’imagination des spectateurs se prêtoit à ce langage comme à la mesure, à la rime & au chant de nos opéra ; que cette supposition, une fois admise, est une source de plaisir, pourvu que l’auteur ne la pousse pas trop loin, & qu’en conservant « la sublimité du ton de la tragédie, il suive, autant qu’il est possible, la nature, & ne fasse que l’élever sans la guinder, l’aggrandir sans l’enfler, l’ennoblir sans la détruire ».

Riccoboni donne la déclamation théâtrale pour cause de la plupart des fausses idées que nous avons du véritable héroïsme. Nous sçavons, dit-il, que César, Alexandre, Annibal étoient des hommes comme nous, passionnés comme nous, ne valant pas mieux que nous, mais séduits dès l’enfance par l’expression outrée de la déclamation, nous prenons ces héros de l’antiquité sur le pied que les comédiens nous les donnent, c’est-à-dire pour des hommes d’une autre nature que la nôtre. « On les voit marcher, parler tout autrement que nous, & avoir une contenance tout-à-fait extraordinaire. » Il rapporte qu’il se trouve à Paris des personnes si révoltées d’une pareille déclamation, qu’elles aiment mieux renoncer au spectacle que d’y aller entendre déclamer à contre sens.

L’abbé Desfontaines a suivi tous les raisonnemens de Riccoboni, & n’en a pas trouvé un seul fondé. D’autres écrivains ont rejetté également le ton familier de la déclamation.

Ce n’est pas qu’ils approuvent les tons forcés, les gestes convulsifs & tout ce qui est hors de nature, dignes sujets de l’admiration des provinciaux. Ils veulent seulement que tout réponde à la dignité de la tragédie : ils s’appuyent de l’exemple de nos grands acteurs.

Baron a ressuscité la belle déclamation. Il avoit toutes les parties d’un acteur accompli ; le port, la figure, la voix, le geste, une ame peu commune, ce talent admirable de saisir toutes les nuances d’un caractère. Disons mieux : il n’étoit point acteur, il étoit Achille, Agamemnon, Pyrrhus, Cinna, &c. Sa présence sur le théâtre contenoit les spectateurs dans le plus grand silence. Son jeu étoit varié singulièrement : il disoit quelquefois à ses camarades : Vous m’avez vu jouer aujourd’hui d’une telle façon, demain je jouerai d’une autre ; & toujours il faisoit également bien. On lui reprochoit pourtant de parler du nez & de tourner le dos à ceux avec lesquels il étoit en scène. Ce dernier défaut blessoit surtout le Grand. Il n’aimoit pas Baron : il le contrefit un jour, & chargea ce ridicule pendant toute la représentation d’une pièce où il ne se trouvoit pas beaucoup de monde.

Beaubourg s’éleva bientôt, & quel acteur encore ! Quelle force, quelle vérité mâle & fière ne mettoit-il pas dans son jeu ! Il étoit fait pour les rôles de Rhadamiste & d’Atrée. Avec quelle supériorité n’eût il pas rendu celui de Gengis-Kan ! Beaubourg, dans certaines scènes de hauteur, faisoit baisser les regards aux spectateurs eux-mêmes.

Laissons la Chammelai & la Duclos, pour parler de la Le Couvreur, à laquelle le théâtre est si redevable. Elle abolit* les cris, les lamentations mélodieuses & apprêtées, ressource des actrices médiocres. Son jeu fut plein d’expression & de vérité. Mal partagée, à quelques égards, de la nature, l’ame lui tint lieu de tout, de voix, de taille & de beauté.

De quelque manière simple & naturelle que les grands acteurs aient joué, ils ne sont jamais tombés dans le ton ordinaire & familier. Ils ont concilié la noblesse & la majesté qu’exige le théâtre.

Qu’on jette les yeux sur les meilleures actrices de nos jours. Tous leurs efforts tendent à rendre la nature. C’est sur elle qu’elles règlent leur prononciation, la gradation des accens, l’éloquence des regards, le geste toujours à l’unisson de la pensée, l’expression étonnante des mouvemens. Le triomphe de mademoiselle Clairon est dans Électre, Ariane, Médée, Idamé. Les rôles de tendresse, Inès & Zaïre, conviennent à mademoiselle Gaussin. Quel son de voix intéressant ! Le Kain joue avec force, noblesse & précision. Le successeur de Sarrasin tâche d’en avoir le sentiment & les entrailles. Les uns & les autres ont pour objet, de jouer avec la plus grande vérité ; mais ils se gardent bien de réciter comme on parle.

Il n’y a que mademoiselle Dumesnil qui soit sur le théâtre comme on est dans un cercle. Ses bras admirables ; ses tons alternativement familiers, perçans & précipités ; ses gestes, peut-être désordonnés ; cet oubli d’elle-même auquel elle a recours, & qui, en certaines occasions, est le dernier effort du sentiment ; mille traits vraiment sublimes, mais gâtés, selon quelques critiques, par des petitesses, la caractérisent dans Rodogune, Cornélie, Athalie, Mérope, Sémiramis. Son port & ses regards ont une grandeur qui tient de l’atrocité de ses rôles.

En fait de déclamation, la négligence est aussi condamnable que l’emphase. On ne doit ni écrire ni déclamer précisément comme on parle. Dans la conversation, on se communique ses idées pour ainsi dire de bouche à bouche ; mais, sur le théâtre, il faut garder les proportions de la perspective : c’est-à-dire qu’il faut « que l’expression de la voix soit au dégré de la nature, lorsqu’elle parvient à l’oreille des spectateurs ».

On peut donner Racine & M. de Voltaire pour chefs aux partisans de la déclamation noble & soutenue. Racine exigeoit qu’elle fût outrée, & la sienne l’étoit. Il récitoit ses vers avec un feu prodigieux. Étant un jour aux Thuileries, il se vit tout d’un coup environné d’ouvriers qui avoient quitté leur travail pour le suivre, dans la crainte que ce ne fût un homme prêt de se jetter, par désespoir, dans le bassin. Ceux qui connoissent le jeu de M. de Voltaire, sçavent quelle ame, quelle force, quel enthousiasme il met dans son action, & quelle chaleur il demande également dans les autres.

Déclamation de la chaire.

Les écrivains ne sont pas d’accord sur la déclamation qui convient le mieux à l’orateur sacré, & sur les défauts qui choquent le plus en lui.

Riccoboni reproche aux prédicateurs de trop imiter les comédiens, de copier leurs tons, leurs gestes & leur action. L’abbé Des fontaines ajoute, que ceux qui ont voulu porter en chaire la déclamation du théâtre, n’ont réussi qu’à scandaliser en se faisant moquer d’eux. Cependant, continue-t-il, on ne doit pas regarder comme un défaut général celui de quelques particuliers. Il n’appartient qu’aux prédicateurs du premier ordre de sçavoir tirer parti de la fréquentation des spectacles & du jeu des grands comédiens ; témoin le P. La Rue, qui se faisoit exercer par Baron.

Desfontaines passe ensuite à l’énumération des défauts qu’on remarque communément dans les prédicateurs, & qui sont les tons d’écolier, des exclamations périodiques & déplacées ; une véhémence ridicule dans des choses triviales, au lieu d’une noble simplicité qu’on devroit avoir jusques dans les plus beaux morceaux ; des cris & des transports de routine ; une monotonie ennuyeuse, une déclamation dénuée d’attention, d’intelligence & de sentiment. « Il n’y a que le corps qui prêche ; la mémoire seule dirige la langue, les yeux, les bras : l’esprit & le cœur semblent absens. On en voit, surtout parmi les missionnaires, qui, par des tons trop familiers, avilissent la dignité de la chaire. »

A ces traits peut-on ne pas reconnoître la plupart de nos prédicateurs ? Mais ceux d’Italie font-ils mieux ? Ils s’étendent, ils s’agitent, ils se tourmentent, ils poussent des hurlemens, & semblent jouer de pieuses comédies. Ceux de Londres sont aussi froids dans leur débit, que secs, compassés & didactiques dans leur composition. On riroit, dans les pays protestans, de voir un orateur sacré prendre, en chaire, le ton de déclamateur.

On ne chicane Riccoboni sur aucune des choses sensées qu’il dit par rapport à la différente manière de débiter un sermon, un panégyrique, une oraison funèbre ; mais on n’approuve point son idée de vouloir qu’il en fut des prédicateurs, comme des artistes & des ouvriers, qu’on admet à l’essai, & auxquels on n’accorde l’exercice public de leur profession qu’après avoir fait preuve de talent. « Les peintres, observe-t-il, les sculpteurs, les poëtes, ne mettent point leurs noms aux ouvrages par lesquels ils ont commencé. Les ouvriers ne peuvent point passer maîtres, s’ils ne présentent un chef d’œuvre qui fasse connoître qu’ils méritent ce titre ; & un jeune orateur aura l’impudence de déclamer en public, sans avoir auparavant exercé ses talens en particulier, ou corrigé ses défauts en secret. »

Il est étonné qu’il n’y ait pas une chaire publique pour apprendre à déclamer. Autant vaudroit, lui a-t-on répondu, qu’il y en eut une pour montrer le goût du chant. Les principes, de quelque art que ce soit, ne sont jamais mieux sentis que par l’étude des modèles.

Nous n’avons plus, il est vrai, Bourdaloue, La Rue, Massillon ; mais l’idée qui nous reste de leur débit peut tenir lieu de leçons : chacun avoit le sien propre, toujours assorti aux lieux, aux temps, aux circonstances, aux auditeurs, au stile, & au sujet du discours.

Bourdaloue, avec un air concentré en lui-même, faisant très-peu de gestes, les yeux le plus souvent fermés, pénétroit tout le monde par un son de voix uniforme & terrible. Le ton avec lequel un orateur sacré prononça ces paroles : Vous êtes cet homme * , en les adressant à un de nos rois, frappa plus encore que leur application.

La Rue paroissoit un vrai prophête. Sa manière étoit imposante, noble, pleine de chaleur, d’intelligence & de force. Il avoit des traits uniques. Certains vieillards frémissent encore au souvenir de l’expression qu’il mit dans cette apostrophe au dieu des vengeances : Tirez votre glaive **

On a surtout présent Massillon. « Il semble le voir, disent ses admirateurs, dans nos chaires avec cet air simple, ce maintien modeste, ces yeux humblement baissés, ce geste négligé, ce ton affectueux, cette contenance d’un homme pénétré, portant dans les esprits les plus brillantes lumières, & dans les cœurs les mouvemens les plus tendres. » Baron l’ayant rencontré dans une maison ouverte aux gens de lettres, le lendemain d’un jour qu’il avoit été l’entendre, lui fit ce compliment : « Continuez, mon pere, à débiter comme vous faites : vous avez une manière qui vous est propre, & laissez aux autres les règles. » Cet avis se ressent du caractère de Baron, le plus fier des hommes. Au sortir d’un autre sermon, la vérité arracha à ce célèbre acteur cet aveu humiliant pour sa profession : « Mon ami, dit-il, à un de ses camarades qui l’avoit accompagné, voilà un orateur, & nous nous ne sommes que des comédiens. »

Un jeune homme, qui se destine à la chaire, doit former sa déclamation sur tout ce qu’on raconte de celle de ces grands hommes, les imiter en tout, excepté dans les défauts qu’on leur a reprochés. Quant aux célèbres prédicateurs vivans, il doit les étudier, se souvenir que les qualités qu’on estime le plus dans un prédicateur, sont une expression noble & vraie, les traits du visage, une belle prononciation, un débit aisé, naturel, intéressant.

Déclamation du barreau.

Le même Riccoboni trouve qu’il n’y a que les avocats qui s’entendent à bien déclamer, qui sçachent modérer leur feu, prendre un air de vérité, & parler comme des hommes doivent parler à d’autres hommes, qu’il n’y a qu’eux qui soient attentifs à rendre les tons, & les accens de la nature.

Les adversaires de cet acteur & auteur qui fait ressortir toutes les déclamations à son tribunal, & qui les y condamne toutes hors celle dont il est ici question, se soulevèrent contre lui. Ils conviennent qu’on débite au barreau d’une manière propre au genre d’affaires qu’on y traite ; mais ils remarquent en même temps que les avocats, à force de vouloir être simples & modérés, deviennent souvent froids, pesans & monotones, & qu’ils prononcent un discours comme s’ils le lisoient.

Riccoboni reprit la plume pour défendre son sentiment, & pour démontrer qu’on doit réciter une tragédie, un sermon, comme on récite un plaidoyer. Cette dispute alloit devenir plus vive. Heureusement on conseilla à celui qui l’avoit excitée de désarmer, & de ne pas irriter davantage des ennemis plus exercés que lui dans le polémique.

De la manière de lire.

Cette partie de la déclamation si nécessaire, & d’une utilité si générale, est celle des quatre qu’on a le moins discutée. Les plus célèbres rhéteurs, tant anciens que modernes, n’ont pas senti combien il importoit de la traiter.

Il n’y a eu de contestations sur cette matière qu’entre quelques écrivains, dont le nom n’est pas d’un grand poids. Il est inutile même d’exposer la contrariété des sentimens. Il suffit de rapporter quelques-unes de leurs observations, & d’extraire de leurs écrits ce qui peut faire un lecteur parfait.

Pour l’être, il faut qu’en lisant on fasse tout sentir, qu’on ne mette personne dans le cas de mal juger, de trouver détestable à la représentation, ce qu’on a beaucoup applaudi à la lecture.

On ne se méprend guère, en général, sur les tons qu’exigent l’interrogation, la plainte, l’exclamation, les mouvemens d’indignation, de colère, de joie, de tendresse, &c ; mais les modifications de ces tons, sensibles à tous les hommes, sont difficiles à démêler, & peu les saisissent. On rend ces nuances avec plus ou moins de vérité, selon la force & la délicatesse du sentiment, & selon la flexibilité des organes dont la nature nous a doués .

Celui qui a de l’oreille & de la musique, toutes choses égales d’ailleurs, lit & déclame mieux qu’un autre. C’est pour cela que l’étude de la musique entroit dans l’éducation des Grecs.

Les meilleurs lecteurs que nous ayons eus sont Despréaux, Racine, La Mothe, & l’abbé Grécourt. Ce dernier séduisoit principalement. Ses poësies perdoient leur prix dans toute autre bouche : aussi les lisoit-il lui-même dans toutes les sociétés où il se trouvoit.