(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XV. Le fils du sérigne »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XV. Le fils du sérigne »

XV. Le fils du sérigne

(Ouolof)

Samba Atta Dâbo, l’exorciste, m’a raconté ceci :

Il y avait un sérigne165 très savant qui envoya son fils voyager : « Pars demain matin de bonne heure, lui recommanda-t-il, et la première chose que tu trouveras sur ton chemin, avale-la. La deuxième chose que tu verras, tu devras l’enterrer. Quant à la troisième qui se rencontrera, regarde-la bien pour te rendre compte exactement de ce que ce sera. Enfin, si tu vois encore quelque chose pour la quatrième fois, demandes-en le nom. Et quand le nom t’en aura été donné, alors tu reviendras ici. »

Au matin le gourgui166 s’est mis en route. Il a suivi le chemin que lui avait indiqué son père jusqu’à ce que quelque chose se soit montré à ses yeux. Cette première chose c’était une sorte de grande case.

« Comment avaler cela ? » se demande-t-il, tout effrayé.

Mais la case diminue, diminue… et devient grosse à peine comme une graine de dar’har167. Il l’a avalée sans difficulté.

Il poursuit son voyage. Et voici qu’il rencontre de nouveau quelque chose : un siga, c’est-à-dire un petit morceau de bois, de la grosseur d’un crayon à peu près. Se souvenant des ordres de son père, il a mis le siga dans le sable, mais, immédiatement, le siga saute du trou où il a tenté de l’enterrer. Et chaque fois que le gourgui essaie de remettre en terre le siga, le siga lui saute des mains. Pas moyen de le faire rester aux endroits où il veut le mettre ! Il y renonce.

Ensuite le gourgui a rencontré 3 séanes168. Dans le premier il y avait de l’eau ; dans le dernier aussi, mais rien dans celui du milieu. Après qu’il eut laissé les séanes derrière lui, il se trouva en face d’un ouarhambâné169 plus fort qu’Oumar170, deux fois plus grand. Il est venu ramasser du bois avec deux lanières de cuir. Il en a formé un énorme fagot. Chaque fois qu’il soulève ce fagot pour se le mettre sur la tête, le trouvant trop lourd, il le rejette à terre et se remet à ramasser du bois pour l’ajouter à cette charge qu’il lui est déjà difficile de soulever.

Le gourgui demande à cet homme :

« Comment t’appelles-tu ? » — Et l’autre lui répond : « Mon nom est Adina ».

Le fils du marabout est revenu chez son père pour lui raconter ce qui lui est arrivé. Le sérigne lui dit : « Qu’as-tu vu, mon petit garçon ? — Mon père, dit-il, j’ai d’abord vu quelque chose qui ressemblait à une case ». — « C’est la misère qu’elle représente, explique le père. Ceux qui gardent bien leur misère en leur cœur verront un jour leur ennui les quitter. Qu’as-tu rencontré après cela ? »

« — Voilà un heureux présage pour tout le monde ! Allah vous revaudra plus tard ce que vous aurez fait sur terre. Et personne ne pourra cacher dans la terre les bonnes actions faites par autrui. Elles en ressortent toujours. »

« — J’ai vu encore trois séanes, dit le gourgui. Le premier communiquait avec le troisième mais, dans celui du milieu, il n’y avait rien. Que signifie cela ? »

« — Cela veut dire, répond le sérigne, qu’à la fin du monde seuls les hommes riches seront en bons rapports entre eux. Quant aux pauvres, on les rejettera : ils ne compteront plus ».

Le gourgui rapporte enfin que le porteur de bois ne pouvait arriver à soulever son fardeau et que, chaque fois qu’il avait en vain tenté de le faire, il allait chercher d’autres branches pour les ajouter à ce fagot déjà trop lourd : « Ce porteur, dit-il m’a déclaré se nommer Adina171 ».

« — Ah ! répond le savant marabout, celui-ci a dit vrai en se donnant ce nom. A la fin du monde on verra ceux qui ne peuvent venir à bout de leur tâche en augmenter eux-mêmes les difficultés, ne faire que des sottises, de sorte que leur embarras n’aura pas de fin. Ils feront comme les débiteurs qui augmentent sans cesse le chiffre de leurs dettes. »

C’est ainsi que le sérigne expliqua à son fils ce que ce dernier avait vu.

Conté par SADIANDIAM DABO.

Interprété par AHMADOU DIOP.

ÉCLAIRCISSEMENTS

Cf. (présent recueil) Kahué l’omniscientTrois frères en voyage et (Monteil, Contes soudanais), le conte khassonké, intitulé : Curieux.