(1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Deuxième cours des études d’une Université » pp. 489-494
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(1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Deuxième cours des études d’une Université » pp. 489-494

Deuxième cours des études d’une Université

(suite de la faculté des arts.)

Qui commencera avec le premier cours, et sera commun à tous les élèves qui le
suivront jusqu’à leur sortie de la faculté des arts dont il est la suite.

L’objet du premier cours est de préparer des savants ; l’objet de celui-ci est de faire des gens de bien : deux tâches qu’il ne faut point séparer.

Les élèves reçoivent dans l’une des leçons dont l’utilité devient de moins en moins générale ; les leçons qu’ils reçoivent dans l’autre sont d’une nature qui reste la même.

Inepte ou capable, il serait à propos qu’un sujet s’y arrêtât pendant un certain intervalle de temps. Homme, il faut qu’il sache ce qu’il doit à l’homme ; citoyen, il faut qu’il apprenne ce qu’il doit à la société ; prêtre, négociant, soldat, géomètre ou commerçant, célibataire ou marié, époux, fils, frère ou ami, il a des devoirs qu’il ne peut trop connaître.

Le cours précédent rassemblera les élèves pendant une partie de la matinée ; celui-ci les rassemblera pendant une partie de la soirée.

Ils ne finiront l’un et l’autre qu’au sortir de la faculté des arts, ou qu’à l’entrée des facultés de médecine, de jurisprudence et de théologie.

Les classes en seront moins nombreuses et les leçons moins variées. Le premier cours se distribuera en huit classes, celuici ne se distribue qu’en trois ; mais l’enseignement reçu dans ces trois classes, toujours le même pour le fond des matières, s’étendra de plus en plus, deviendra successivement plus détaillé et plus fort ; on n’en saurait trop approfondir les objets, les élèves n’en peuvent trop écouter les préceptes.

Le premier cours est élémentaire, celui-ci ne l’est pas ; on sort des classes de l’un, écolier ; des classes de l’autre, il serait à souhaiter qu’on en sortît maître.

Les leçons sur les sciences suffisent lorsqu’elles ont indiqué au talent naturel l’objet particulier qui deviendra l’étude et l’exercice particulier du reste de la vie. Les leçons sur la morale, les devoirs et la vertu, les hommes, la bonne foi, la jurisprudence usuelle sont d’une tout autre nature.

Il y a un milieu entre l’ignorance absolue et la science parfaite, il n’y en a point entre le bien et le mal, entre la bonté et la méchanceté. Celui qui est ballotté dans ses actions de l’une à l’autre est méchant.

Sans l’histoire, il est difficile d’entendre les auteurs anciens ; sans la morale universelle, il est impossible de fixer les règles du goût : et, sous ces deux points de vue, l’enseignement de ce second cours reflète encore sur l’enseignement du premier.

Première classe.

1° Les premiers principes de la métaphysique ou de la distinction des deux substances : de l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’ame et des peines a venir, s’il y en a ; 2° la morale universelle ; 3° la religion naturelle ; 4° la religion révélée.

Sa Majesté Impériale n’est pas de l’avis de Bayle, qui prétend qu’une société d’athées peut être aussi ordonnée qu’une société de déistes, mieux qu’une société de superstitieux79 ; elle ne pense pas, comme Plutarque, que la superstition est plus dangereuse dans ses effets et plus injurieuse à Dieu que l’incrédulité80 ; elle ne définit pas avec Hobbes la religion une superstition autorisée par la loi, et la superstition une religion que la loi proscrit. Elle pense que la crainte des peines à venir a beaucoup d’influence sur les actions des hommes, et que la méchanceté que la vue du gibet n’arrête pas, peut être retenue par la crainte d’un châtiment éloigné. Malgré les maux infinis que les opinions religieuses ont faits à l’humanité, malgré les inconvénients d’un système qui met la confiance des peuples entre les mains du prêtre, toujours rival dangereux du souverain, qui donne un supérieur au chef de la société et qui institue des lois plus respectables et plus saintes que les siennes ; elle est persuadée que la somme des petits biens journaliers que la croyance produit dans tous les États compense la somme des maux occasionnés entre les citoyens par les sectes et entre les nations par l’intolérance, espèce de fureur maniaque à laquelle il n’y a point de remède81.

Il est donc à propos que l’enseignement de ses sujets se conforme à sa façon de penser et qu’on leur démontre la distinction des deux substances, l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et la certitude d’une vie à venir, comme les préliminaires de la morale ou de la science qui fait découler de l’idée du vrai bonheur, et des rapports actuels de l’homme avec ses semblables, ses devoirs et toutes les lois justes ; car on ne peut, sans atrocité, m’ordonner ce qui est contraire à mon vrai bonheur, et on me l’ordonnerait inutilement.

La religion n’est que la sanction de la volonté de Dieu, révélée et apposée à la morale naturelle.

On pourrait terminer ces leçons par une démonstration rigoureuse, qu’à tout prendre, il n’y a rien de mieux à faire pour son bonheur en ce monde, que d’être un homme de bien, ou par un parallèle des inconvénients du vice, ou même de ses avantages avec ceux de la vertu.

Si peu d’hommes savent tirer parti de leurs talents, soit pour conserver leur bien, soit pour l’accroître, la misère est une si puissante ennemie de la probité, le renversement des fortunes est si fréquent et a de si funestes effets sur l’éducation des enfants, que j’ajouterais ici les éléments de la science économique, ou de l’art de conduire sa maison ; art dont les Grecs et les Romains faisaient si grand cas.

Il serait difficile de parler de la richesse sans parler, du moins sommairement, de l’agriculture, source de toute richesse.

Que Sa Majesté Impériale ne s’effarouche pas du mot économique ; il ne s’agit point ici des visions politiques de cette classe d’honnêtes gens qui s’est élevée parmi nous, et qui nous fera beaucoup de bien ou beaucoup de mal.

Livres classiques de la première classe du second cours d’études

(La métaphysique.) Il y a l’ouvrage de Clarke. Son traité de l’Existence de Dieu passe pour le meilleur. Il faudrait un peu le paraphraser et l’adoucir. Fénelon a traité le même sujet.

(La morale universelle.) Je ne connais guère sur la connaissance de l’homme qu’elle suppose que le petit traité d’Hobbes intitulé : De la Nature humaine, que j’ai déjà recommandé. On imprime à présent à Amsterdam sous ce titre un ouvrage où je suis sûr qu’il y aura d’excellentes choses82. Il faudrait resserrer et analyser le système social et la politique naturelle.

(La religion ou la morale universelle révélée.) Il faut un

Abrégé de l’Ancien Testament, un Abrégé du Nouveau. Ces deux ouvrages sont faits.

Le Petit Catéchisme historique de Claude Fleury.

Le Grand Catéchisme du même, en changeant dans l’un et l’autre ce qu’il y aurait à changer.

On trouvera dans Abbadie autant et plus qu’il n’en faut savoir sur l’authenticité des livres saints, la certitude de la révélation et la divinité de Jésus-Christ.

(La morale particulière, ou le droit naturel et celui des gens.) Il y a l’Abrégé de Puffendorf 83, le Traité de Burlamaqui84, les Devoirs de l’Homme et du Citoyen, par Hobbes, et beaucoup d’autres.

(La morale civile, ou le droit national.)

C’est vraisemblablement un ouvrage à faire en Russie.

Et puis feuilleter la nuée des moralistes tels que Montaigne, Nicole et d’autres qui ont ressassé nos devoirs particuliers, pour en tirer ce qu’ils ont dit de plus sensé.

Je me rappelle une petite morale écrite en latin par l’Anglais Hutcheson85 ; elle m’a paru vraiment classique. L’auteur y établit les principes généraux de la science des mœurs, et finit par les contrats, les actes de mariage, les promesses verbales, les promesses écrites, le serment et le reste de ces engagements que nous prenons si légèrement et qui ont des suites si longues et si fâcheuses.

(L’économique.) La science économique est ébauchée dans Xénophon. C’est d’ailleurs, ainsi que l’agriculture, le sujet de deux discours faciles à faire.

Deuxième classe.

L’histoire, la mythologie, la géographie
et la chronologie.

Je crois qu’il faudrait commencer l’étude de l’histoire par celle de sa nation, et celle-ci ainsi que toutes les autres, par les temps les plus voisins en remontant jusqu’aux siècles de la fable, ou la mythologie. C’est le sentiment de Grotius. « En général, dit-il, ne pas commencer par des faits surannés qui nous sont indifférents, mais par des choses plus certaines, et qui nous touchent de plus près, et s’avancer de là peu à peu vers l’origine des temps86. » Voilà ce qui nous semble plus conforme à un véritable enseignement, c’est l’étude des faits soumis à notre principe général : et pourquoi en serait-elle une exception ?

Sans la mythologie, on n’entend rien aux auteurs anciens, aux monuments, ni à la peinture, ni à la sculpture, même modernes, qui se sont épuisées à remettre sous nos yeux les vices des dieux du paganisme, au lieu de nous représenter les grands hommes.

Quelques-uns penseront peut-être que la connaissance de l’histoire devrait précéder celle de la morale. Je ne puis être de leur avis : il me semble qu’il est utile et convenable de posséder la notion du juste et de l’injuste, avant la connaissance des actions, des personnages et de l’historien même, auxquels on doit l’appliquer.

Lorsqu’on a dit de la géographie et de la chronologie qu’elles étaient les deux yeux de l’histoire, on a tout dit.

Je désirerais qu’on diminuât la sécheresse de l’étude du globe par quelques détails sur les religions, les lois, les mœurs, les usages bizarres, les productions naturelles et les ouvrages des arts.

L’Anglais Martin87 a ébauché cette tâche.

Il y a la géographie ancienne et la géographie moderne : il n’en faut point faire des études séparées : il en coûterait si peu pour joindre au nom d’une ville ou d’une rivière celui qu’elle portait autrefois.

Livres classiques de la deuxième classe.

(L’histoire.) Il y a l’Introduction à l’Histoire, par l’abbé Lenglet du Fresnoy.

L’Histoire ancienne par l’abbé Millot.

L’Abrégé de l’Histoire de France par le même. Si cet abbé Millot était encouragé à fournir le reste de sa carrière, tous les livres classiques sur l’histoire seraient faits. Il écrit bien, il est sage et hardi.

Il y a un Abrégé de l’Histoire universelle dans le Cours d’Education de l’abbé de Condillac, aussi bon instituteur que son élève88 est mauvais.

(La mythologie.) Outre les ouvrages89 de l’abbé Banier et l’Histoire du Ciel de Pluche, il y en a cent autres sur cette matière.

(La géographie.) Il faut un globe, des sphères et le meilleur atlas qu’on pourra former.

On consultera, sur la géographie ancienne, Strabon, Ptolémée, Pomponius Mêla et surtout les ouvrages modernes de Cluvier, de Cellarius et de notre d’Anville.

(La chronologie.) Celle du jésuite Petau, Rationarium Temporum90 , est peut-être le meilleur livre sur la connaissance des temps.

(L’économique.) J’ai cité Xénophon ; il ne sera question que de l’étendre et de l’approprier à nos temps.

(L’agriculture.) Le discours sur l’économique serait trop court, si les premiers principes de l’agriculture et du commerce ne s’y trouvaient pas.

M. l’abbé de Condillac vient de publier les Éléments du Commerce considéré relativement au Gouvernement  ; c’est un ouvrage simple, clair et précis.

Et nous voilà sortis du second cours de la faculté des arts. Je n’ai qu’un mot à dire sur le troisième.