Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales
J’ai imprimé, l’année dernière, une édition à petit nombre de l’Orphée, qui forme le quatrième volume de la présente publication.
La préface de cette édition provisoire était terminée par un post-scriptum, que je crois devoir en détacher, pour le placer ici, avec quelques changements, comme addition au chapitre X. La question traitée dans ce chapitre se présentera encore par la suite ; toutes celles qui viennent d’être exposées se présenteront aussi de nouveau, sous différentes formes ; mais je ne ferai plus ni des unes ni des autres l’objet d’une discussion séparée. Maintenant il faut que ma pensée se suffise à elle-même, pour se développer, ou pour se modifier au besoin, à mesure que j’avancerai.
Une note de M. Damiron, placée par lui dans son ouvrage sur la philosophie du dix-neuvième siècle, et un article inséré dans le Globe m’obligent à ajouter ici quelques mots. Mais, avant tout, je dois remercier M. Damiron et l’auteur de l’article du Globe du souvenir si plein de bienveillance qu’ils ont accordé à l’Essai sur les Institutions sociales, publié en 1818. Je saisis également cette occasion pour prier M. le baron d’Eckstein d’agréer l’expression de ma reconnaissance pour la manière dont il veut bien quelquefois entretenir ses lecteurs, de mes divers écrits.
Je n’entends pas reprendre en sous-œuvre toutes les parties de l’Essai sur les Institutions sociales, mais seulement la partie qui se rapporte à la question de l’institution du langage.
Les philosophes qui dans cette question ont pris pour cause initiative, pour impulsion originaire, la révélation de la parole, ont toujours été mal compris, ou se sont mal expliqués▶, ce qui a donné lieu à de trop faciles accusations de paralogisme. On leur prête la conception, j’oserai dire ridicule, d’admettre que la parole ait été enseignée à l’homme par des notions grammaticales sur les diverses parties du discours. Dieu aurait été un pédagogue, et l’homme un marmot. Je croyais avoir assez nettement posé les conditions d’un problème aussi sérieux pour croire avoir évité une telle confusion d’idées, une telle parodie de la Bible. Toutefois je ne me plans point ; il faut qu’il y ait eu de ma faute : et tout à l’heure nous verrons bien où le terrain a manqué sous nos pas. Mais j’espère surtout que ma pensée jaillira des nouveaux développements contenus çà et là, soit dans les Prolégomènes de la Palingénésie sociale, soit dans cette Addition, soit dans la Formule générale, objet du cinquième volume.
Les lois, qui furent traditionnelles avant d’être écrites ; les préceptes religieux ou moraux, les connaissances primitives, sources des traditions ; les formes de l’intelligence humaine, l’intuition des vérités nécessaires, la faculté de pénétrer l’essence des êtres et des choses, pour imposer les noms, l’insufflation divine pour imprimer mouvement à la sensation et à la pensée : c’est dans tout cela que j’avais cherché les éléments de la parole ; c’est cet ensemble que j’avais signalé comme étant la révélation du langage. Ce que j’avais voulu induire, et non prouver, c’était l’identité de l’homme et de la parole ; c’était le moi humain s’éveillant en présence du monde extérieur. Tous mes lecteurs cependant ne se sont pas trompés sur ma théorie de la parole. Plusieurs ont compris qu’il s’agissait de savoir s’il y avait simultanéité dans la manifestation des facultés humaines, ou s’il y avait succession. Un de mes amis, fort occupé lui-même de philosophie, me fit parvenir, dans le temps, des objections qui s’adressaient bien directement à la théorie que j’avais conçue, et non à celle de je ne sais quel drame où Dieu interviendrait pour faire épeler l’homme. Je pourrais, sans doute, aujourd’hui reproduire ces objections, afin de les discuter : ce serait une occasion que j’aimerais à saisir de rendre hommage à la mémoire d’un homme qui eût pu laisser un nom s’il eût voulu se mettre en rapport avec le public, et dont d’inexprimables chagrins ont causé la mort prématurée ; mais il faudrait discuter de nouveau les grandes et immenses questions relatives à l’institution du langage, à la formation des sociétés, aux traditions, aux castes : au point où j’en suis, je dois abandonner à ma pensée le soin de se compléter elle-même, et ensuite de se défendre.
Je me contenterai de fixer, en peu de mots, le véritable sujet de dissentiment qui existait entre l’ami dont je parle et moi.
Aristote avait reconnu que les règles premières de nos jugements étaient données par la logique et par les formes absolues du langage ; Kant a déduit de ces formes absolues les notions a priori de l’entendement. De Brosses a analysé avec une admirable sagacité les fonctions de l’instrument vocal ; il a pris rang, pour cette prodigieuse analyse, parmi les esprits du premier ordre : mais enfin il n’a défini et ◀expliqué▶ que l’instrument, et non la faculté.
Court de Gébelin a voulu se rendre compte de la loi qui préside à la formation des différentes parties du discours, à leur construction grammaticale, à leur réunion en propositions ; et, à son tour, il a bien mérité de la science.
Mais il est impossible de ne pas sentir une lacune dans cet enchaînement de faits qui ne sont point liés les uns aux autres, d’où ne peut résulter encore, la connaissance ni l’appréciation de cette haute faculté que nous nommons la parole. Mon ancien contradicteur, esprit très distingué, croyait que la lacune dans l’investigation de tant de faits importants consistait en ce que les langues avaient été considérées comme peintures, comme expressions de nos idées et de nos rapports perçus ; et qu’elles n’avaient point été considérées comme résultats, pour remonter de là aux puissances de l’intelligence. Restait donc à savoir, selon lui, comment le son émis par un organe, reçu par un autre organe, passe à l’état de signe abstrait et général, en vertu de la faculté fondamentale du moi, l’absolu, qui tient à notre nature d’être infini ; comment nous obtenons ainsi la série de l’ordre des signes vocaux ou oraux, laquelle se substitue successivement à l’ordre des signes visuels et tactiles.
Or le problème ainsi posé n’avait pas été résolu par moi, pas plus que par d’autres philosophes ; je ne puis le nier ; mais ce n’était pas là le problème que j’avais l’intention de résoudre, car c’est identiquement celui de l’union de l’âme et du corps : il y a un terme qu’aucune psychologie ne saurait franchir.
Tout ce que l’on peut faire, c’est de poser le problème, d’en présenter toutes les conditions ; et je crois l’avoir fait.
Il est un autre reproche sur lequel j’ai besoin de m’◀expliquer▶ ; c’est celui de n’avoir pas osé m’élever dans la sphère vaste et religieuse par excellence de l’infini, au lieu de rester fixé dans la sphère étroite et funeste du fini.
Tels sont les termes de l’accusation : comme elle est très grave, surtout aujourd’hui que la théorie brillante de l’infini s’est fait au milieu de nous un si éloquent interprète, je dois mettre quelque prix à me disculper.
Une première remarque va jeter un jour décisif sur toutes les questions de ce genre.
Il me paraît évident que la révélation et l’infini sont deux mots différents pour exprimer une même chose : religieusement et historiquement, c’est la révélation ; philosophiquement et idéalement, c’est l’infini.
L’accusation portait donc à faux : je ne m’étais point perdu dans le fini ; s’il est une préoccupation qui m’ait dominé, c’est bien plutôt la préoccupation religieuse.
J’avais fait assez d’efforts pour ne pas sortir de la thèse spéculative et purement philosophique ; mes efforts avaient été complètement inutiles. Le philosophe ignoré qui me gourmandait n’a pu lui-même m’offrir le moyen de dégager l’inconnue ; c’est qu’en effet cela n’était pas possible : Ancillon y avait échoué.
Si depuis j’ai été porté dans la sphère libre et indépendante de l’infini, c’est par mes études sur les origines de la langue latine ; en d’autres termes, par le sentiment des déductions historiques. Encore là fallait-il aboutir à la révélation, qui est toujours la grande inconnue, le dernier résultat de toutes les éliminations.
Par tout ce qui a été dit plus haut, il est facile de comprendre que l’infini, ou le spontané, ou l’intuition, ou la forme primitive de l’intelligence humaine, ou la parole, sont ce que j’appelais la révélation.
Les vieux monuments de la langue latine, sous ce rapport, nous raconteront, plus tard, comme la Bible.
J’en ai l’intime conviction, toute étude approfondie et consciencieuse d’une langue ancienne, n’importe laquelle, sera toujours adéquate à la tradition générale.
Ainsi donc, en changeant de route, en prenant un autre guide, je suis arrivé au même lieu. Mon expérience devrait enseigner à commencer par perfectionner sa faculté d’intuition pour l’appliquer ensuite à une langue particulière, puis, de là conclure pour toute langue, pour l’institution de la parole, identique à l’homme social et à l’homme individuel
Maintenant je dois aborder une autre question qui me fut faite par le même philosophe. J’avais signalé, toujours dans cet ordre d’idées, un phénomène que je croyais être le caractère métaphysique, le signe le plus énergique de l’époque actuelle, de l’âge où nous sommes de l’esprit humain.
À mesure que nous avançons dans la civilisation, à mesure que notre éducation sociale se perfectionne, en un mot à mesure que le genre humain se développe, la pensée va s’affranchissant, de plus en plus, des liens de la parole : tel est, en effet, le résumé de ma théorie de la révélation du langage.
Il est de mon devoir de présenter, dans toute sa sévérité, l’objection de mon antagoniste. Je me servirai de ses propres expressions ; seulement je les condenserai un peu, pour qu’elles tiennent moins de place.
« Plus la civilisation se perfectionne, plus la pensée devient esclave des signes oraux et vocaux, c’est-à-dire de la parole, moins nous avons de pensées sans employer cet ordre de signes : les signes oraux sont tout pour nous ; nous finissons par ne plus évoquer les idées (les rapports rendus concrets et fixés), et par ne plus opérer le rappel des images et des sentiments qu’avec le secours de ces signes.
« Dans l’origine, les mots ont tous été imitatifs ou analogiques, et destinés à peindre ou à rappeler une relation physique. Par une transformation opérée en vertu des lois merveilleuses de l’analogie, l’on s’est servi de ces mêmes sons vocaux pour représenter soit nos perceptions intellectuelles, soit les rapports intellectuels, les volontés, les actes de l’esprit, que faisaient naître nos sensations et nos besoins. L’abbé Morellet, dans son Traité de l’imitation musicale, a parfaitement développé la marche de l’esprit humain dans l’emploi de ces modes analogiques.
« Tant que l’on conserve, comme cela a lieu dans les langues primitives, la double intelligence du sens physique et de son analogie avec le sens intellectuel, les mots restent des peintures à double fonction ; les langues sont figurées et poétiques. Avant la création de ces mots, ou pendant les différentes époques successives du perfectionnement de la parole, on pense souvent avec des images ; un grand nombre de perceptions de rapports a lieu, et ces perceptions sont des idées, des pensées réelles, qui demeurent indépendantes de la parole, faute de mots pour les rendre concrètes, les fixer, les exprimer.
« Ce phénomène a dû se manifester chez les peuples neufs, tout comme chez les autres peuples ; c’est un phénomène analogue à celui que l’on peut supposer dans les enfants et dans les sourds-muets. Mais à mesure que les mots se créent, que les conjugaisons et les déclinaisons s’établissent, enfin que les formes grammaticales s’organisent, les idées, les pensées (liaisons d’idées), passent dans le domaine de la parole, se fixent dans l’ordre des signes vocaux ;
« Et la pensée devient, de plus en plus, dépendante de la parole.
« La pensée alors n’est plus évoquée que par cette nature de signes ; la perception d’un rapport rappelle immédiatement son signe oral représentatif ; et la perception et le signe se confondent ensemble, sont simultanément perçus.
« En Europe, où nos langues ne sont que des langues dérivées, la valeur des mots qui peignent à la fois le rapport physique, ou l’être physique, avec le rapport analogique intellectuel ; s’est presque totalement perdue. Cet événement avait eu lieu dans les langues primitives ; mais il est bien plus promptement survenu dans les langues dérivées. Non seulement nous n’avons plus de pensées sans qu’il s’y lie des signes oraux simultanément perçus avec elles, mais pour nous s’est évanoui dans l’ordre intellectuel le sentiment de l’analogie physique du mot. »
Or cet événement que, dans une telle hypothèse, j’aurais confondu avec celui que j’ai voulu signaler, c’est cet événement que j’aurais pris pour l’émancipation de la pensée des liens de la parole.
Si j’eusse dit, toujours dans cette hypothèse, que les mots ne sont plus l’expression nette, significative de nos idées, de nos perceptions de rapports intellectuels ; que l’analogie de ces rapports intellectuels avec les êtres physiques et les rapports physiques n’est plus sentie ; que le langage a cessé d’être figuré, pour former comme une classe de signes purement abstraits lorsqu’ils frappent notre entendement, j’aurais dit une grande vérité.
Ici, il faut être juste, la patience échapperait s’il ne s’agissait pas de répondre à un homme qui fut si éclairé, et que la religion de l’amitié prend sous sa sauvegarde ; la patience échapperait, car c’est encore l’événement que j’ai retracé, mais mal saisi, mal raconté, mal caractérisé. N’est-il pas évident que l’abstrait se dégage du concret, et que chacun est tenu de faire sa langue pour la conformer à sa pensée ?
« D’ailleurs, ajoute mon contradicteur, quand on reporte son attention sur les mots et les expressions considérés en eux-mêmes, dans nos langues dérivées, l’on parvient souvent et facilement à en découvrir la nature physique et matérielle. Un ouvrage curieux serait le tableau de ces concordances. De Brosses, Court de Gébelin, les étymologistes, s’en sont quelquefois occupés ; mais nous ne possédons rien de complet ni de systématique sur cette partie de la métaphysique du langage : on éclaircirait, par un pareil tableau, d’une manière lumineuse, les recherches psychologiques. »
Ce tableau, à mon avis, remplirait la lacune qui existe entre le président de Brosses et Court de Gébelin, mais laisserait subsister la lacune bien autrement importante qui resterait toujours entre ces deux grands grammairiens et Aristote, Kant et Ancillon.
Quoi qu’il en soit, celui qui, au sujet de l’institution du langage, m’accusait de m’être placé en dehors de la sphère de l’infini, en était bien plus éloigné qu’il ne le croyait. Et cependant il avait reconnu l’absolu dans le moi de l’homme exprimant par le son un rapport entre l’être physique et l’être métaphysique, et faisant passer ce son émis à l’état de signe abstrait.
Comment se fait-il alors qu’il ait professé la formation successive de la parole, la coordination graduelle des éléments dont toutes les langues se composent ? comme si l’intelligence humaine n’était pas tout d’une pièce ! comme si le moi humain n’était pas toujours et n’avait pas été toujours identique à lui-même !
Ceci néanmoins s’◀explique▶ très bien. Celui qui se croyait l’antagoniste du fini plaçait l’infini dans l’homme même. Ainsi l’homme aurait commencé par s’inventer ; puis il aurait inventé le monde ; puis il aurait inventé Dieu. Mais alors il resterait toujours à trouver la lumière qui fit que l’homme put s’apercevoir une première fois ; le moteur qui dut le porter inévitablement à sortir, une première fois aussi, de lui-même.
L’homme est progressif, et non successif.
Il y a gradation dans l’échelle animale, et même on ignore où elle commence ; il y a saut lorsqu’on arrive à l’homme : la Genèse consacre pour l’homme une création à part.
Chaque essence animale souvent y est désignée par un nom collectif, mais les individus en sont séparés ; l’homme seul est un.
Il faut donc chercher la gradation intellectuelle de l’homme dans l’espèce humaine ; cette gradation s’est manifestée dès l’origine : j’apporterai en preuve le système contenu dans la langue latine, où j’ai trouvé, ainsi qu’on le verra, le dogme enveloppé et simultané de la déchéance et de la réhabilitation ; ce dogme est le véritable lieu de l’infini pour l’espèce humaine.
Selon moi, prétendre faire commencer le langage par l’interjection et l’onomatopée, c’est comme prétendre faire commencer la religion par le fétichisme ; encore serait-ce le fétichisme entendu dans le sens que lui donnent les auteurs d’un pareil système ; car le fétichisme, dans son véritable sens, n’est autre chose que la croyance en l’esprit enchaîné, par un lien magique, dans le signe grossier ; et ce n’est qu’ainsi que ce signe est pourvu de puissance.
Qui a mis dans les mots cette force logique, qui est à elle seule un destin ?
Qui a conservé dans le verbe l’infinitif, qui est un aoriste général, et qui témoigne de l’infini, lieu primitif de toutes les langues ?
Qui a fait que la langue latine, par exemple, contient toute une psychologie, tout un ordre social ? Comment se fait-il que cette psychologie soit une des expressions de l’Orient ? Comment se fait-il encore que cet ordre social nous soit révélé par des mots, et qu’il nous ait été si longtemps voilé par l’histoire ? Un tel phénomène attirera souvent toute notre attention.
J’ai cité un exemple général, je vais citer un exemple particulier.
Le mot quelquefois ne signifie pas la chose, mais la chose oblige le mot à être vrai ; car il est dans sa nature d’être une expression vraie, ou destinée à devenir vraie. Ainsi le mot hostis des xii Tables désigne une sorte d’existence sans nom dans nos langues modernes : c’est l’individu frappé d’une incapacité absolue d’entrer jamais dans la communion civile. Ensuite ce mot a signifié, selon les progrès de l’ordre social, étranger, hôte, ennemi. N’est-il pas vrai que toutes ces diverses acceptions sont contenues et comme enveloppées dans l’acception primitive ? n’est-il pas vrai que l’on trouverait toute une série de faits découlant du principe inconnu qui a produit ce mot ?
L’histoire d’un grand nombre de mots serait aussi féconde en enseignements.
Je ne veux pas disséquer ce mot jusqu’au bout, mais je ne puis m’abstenir de remarquer que, soit M. Lévesque, en le comparant avec des mots de l’ancien slavon et de l’ancien grec, soit MM. Lennep et Scheid, dans leur savant Etymologicum, ont trouvé qu’il implique l’idée d’exclusion, d’expulsion. Je ne puis m’abstenir de remarquer surtout que ni les uns ni les autres n’avaient en vue d’◀expliquer▶ le fameux texte des xii Tables. Cette confirmation de mes théories me paraît un fait assez considérable.
Il a été un temps ou le mot faisait le sens, et un autre temps où le sens faisait le mot : voilà tout le problème de l’institution et de la génération du langage.
La lettre tue et l’esprit vivifie ; c’est là toute la doctrine de l’affranchissement de la pensée.
L’Institut royal de France avait proposé pour sujet du prix qu’il devait adjuger en 1825, « d’examiner si l’absence de toute écriture, ou l’usage soit de l’écriture hiéroglyphique ou idéographique, soit de l’écriture alphabétique ou phonographique, ont eu quelque influence sur la formation du langage chez les nations qui ont fait usage de l’un ou de l’autre genre d’écriture, ou qui ont existé longtemps sans avoir aucune connaissance de l’art d’écrire ; et, dans le cas où cette question paraîtrait devoir être décidée affirmativement, de déterminer en quoi a consisté cette influence »
.
La même question a été remise au concours en 1825 et 1826. Le concours de 1826 n’ayant pas répondu aux espérances de la commission chargée d’examiner les mémoires, le prix fut prorogé à 1828 ; et de nouveaux développements furent ajoutés au programme, pour mieux ◀expliquer▶ les conditions du problème à résoudre.
J’ignore les termes du programme et des développements qui ont été jugés nécessaires ; je sais seulement que le prix a été partagé entre M. le baron Massias et M. Schleiermacher, bibliothécaire à Darmstadt, et que ces deux concurrents ont donné chacun une solution différente. M. Massias fait imprimer son mémoire ; M. Schleiermacher fera sans doute imprimer le sien.
J’avoue que j’ai besoin de connaître ces deux mémoires pour saisir la question proposée, qui sans doute a reçu son sens de celui que lui ont donné les deux concurrents couronnés.
M. Fabre d’Olivet a voulu montrer une langue dérivée tout entière du signe : c’est là l’objet de sa Grammaire hébraïque, publiée en 1815.
M. Fabre d’Olivet est-il parvenu à asseoir une opinion aussi extraordinaire sur des bases incontestables ? Pour ◀expliquer comment il a pu prétendre à établir une telle opinion, comment il est arrivé à un tel résultat, il faudrait discuter ses idées sur les langues en général, sur la langue sacrée des Égyptiens en particulier, sur le génie hiérographique contenu, selon lui, dans l’hébreu ; et je n’ai point assez de science, ni assez d’espace. Je n’ajouterai rien à ce que j’en ai dit plus haut, page 233. Ce qui me rappelle ce grand travail de M. Fabre d’Olivet, c’est la question proposée par l’Institut, et surtout les termes dans lesquels elle est proposée.
M. Fabre d’Olivet avait dit ailleurs : « Il n’y a rien de conventionnel dans la parole. »
Oui ; mais une loi existe, et il s’agit de savoir s’il est possible de la découvrir.