Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques
deivei parentum(loi des douze tables, de parricidio) ; comme parle l’Histoire sainte,
le Dieu de nos pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob. De là encore la loi que propose Cicéron,
sacra familiaria perpetua manento; et les expressions si fréquentes dans les lois romaines, filius familias in sacris paternis, sacra patria pour la puissance paternelle. Ce respect du foyer domestique était commun aux barbares du moyen âge, puisque même au temps de Boccace, qui nous l’atteste dans sa Généalogie des dieux, c’était l’usage à Florence, qu’au commencement de chaque année, le père de famille assis à son foyer près d’un tronc d’arbre auquel il mettait le feu, jetait de l’encens et versait du vin dans la flamme ; usage encore observé, par le bas peuple de Naples, le soir de la vigile de Noël. On dit aussi tant de feux, pour tant de familles. L’institution des sépultures, qui vint après celle des mariages, résulta de la nécessité de cacher des objets qui choquaient les sens. Ainsi commença la croyance universelle de l’immortalité des âmes humaines, appelées dii manes, et dans la loi des douze tables, deivei parentum... Les philologues et les philosophes ont pensé communément que dans ce qu’on appelle l’état de nature, les familles n’étaient composées que de fils ; elles le furent aussi de serviteurs ou famuli, d’où elles tirèrent principalement ce nom. Sur cette économie incomplète ils ont fondé une fausse politique, comme la suite doit le démontrer. Pour nous, nous commencerons à traiter de la politique des premiers âges, en prenant pour point de départ ces serviteurs ou famuli, qui appartiennent proprement à l’étude de l’économie.
Les premiers hommes qui fondèrent la civilisation avaient été conduits à la société par la religion et par l’instinct naturel de propager la race humaine, causes honorables qui produisirent le mariage, la première et la plus noble amitié du monde. Les seconds qui entrèrent dans la société y furent contraints par la nécessité de sauver leur vie. Cette société dont l’utilité était le but, fut d’une nature servile. Aussi les réfugiés ne furent protégés par les héros qu’à une condition juste et raisonnable, celle de gagner eux-mêmes leur vie en travaillant pour les héros, comme leurs serviteurs. Cette condition analogue à l’esclavage fut le modèle de celle où l’on réduisit les prisonniers faits à la guerre après la formation des cités. Ces premiers serviteurs se nommaient chez les Latins vernæ, tandis que les fils des héros, pour se distinguer, s’appelaient liberi. Du reste, ces derniers n’avaient aucune autre distinction :
dominum ac servum nullis educationis deliciis dignoscas. Ce que Tacite dit des Germains peut s’entendre de tous les premiers peuples barbares ; et nous savons que chez les anciens Romains le père de famille avait droit de vie et de mort sur ses fils, et la propriété absolue de tout ce qu’ils pouvaient acquérir, au point que jusqu’aux Empereurs les fils et les esclaves ne différaient en rien sous le rapport du pécule. Ce mot liberi signifia aussi d’abord nobles : les arts libéraux sont les arts nobles ; liberalis répond à l’italien gentile. Chez les Latins les maisons nobles s’appelaient gentes ; ces premières gentes se composaient des seuls nobles, et les seuls nobles furent libres dans les premières cités. Les serviteurs furent aussi appelés clientes, et ces clientèles furent la première image des fiefs, comme nous le verrons plus au long. Sous le nom seul du père de famille étaient compris tous ses fils, tous ses esclaves et serviteurs. Ainsi, dans les temps héroïques on put dire avec vérité, comme Homère le dit d’Ajax,
le rempart des Grecs (πύργος Αχαιών), que seul il combattait contre l’armée entière des Troyens68 : on put dire qu’Horace soutint seul sur un pont le choc d’une armée d’Étrusques ; par quoi l’on doit entendre Ajax, Horace, avec leurs compagnons ou serviteurs. Il en fut précisément de même dans la seconde barbarie [dans celle du moyen âge] ; quarante héros normands, qui revenaient de la terre sainte, mirent en fuite une armée de Sarrasins qui tenaient Salerne assiégée. C’est à cette protection accordée par les héros à ceux qui se réfugièrent sur leurs terres, qu’on doit rapporter l’origine des fiefs. Les premiers furent d’abord des fiefs roturiers personnels, pour lesquels les vassaux étaient vades, c’est-à-dire obligés personnellement à suivre les héros partout où ils les menaient pour cultiver leurs terres, et plus tard, de les suivre dans les jugements (rei ; et actores). Du vas des Latins, du βας dérivèrent le was et le wassus employés par les feudistes barbares pour signifier vassal. Ensuite durent venir les fiefs roturiers réels, pour lesquels les vassaux durent être les premiers prædes ou mancipes obligés sur biens immeubles ; le nom de mancipes resta propre à ceux qui étaient ainsi obligés envers le trésor public. Nous venons de donner la première origine des asiles. C’est en ouvrant un asile que Cadmus fonde Thèbes, la plus ancienne cité de la Grèce. Thésée fonde Athènes en élevant l’autel des malheureux, nom bien convenable à ceux qui erraient auparavant, dénués de tous les biens divins et humains que la société avait procurés aux hommes pieux. Romulus fonde Rome en ouvrant un asile dans un bois,
vetus urbes condentium consilium, dit Tite-Live. De là Jupiter reçut le titre d’hospitalier. Étranger se dit en latin hospes.
Si quis nexum faciet mancipiumque, uti linguâ nuncupassit, ita jus esto. Un tel état civil étant supposé, nous pouvons en inférer ce qui suit. I. On dit que dans les temps les plus anciens, les achats et les ventes se faisaient par échange, lors même qu’il s’agissait d’immeubles. Ces échanges ne furent autre chose que les cessions de terres faites au moyen âge, à charge de cens seigneurial (livelli). Leur utilité consistait en ce que l’une des parties avait trop de terres riches en fruits dont l’autre partie manquait. II. Les locations de maisons ne pouvaient avoir lieu lorsque les cités étaient petites, et les habitations étroites. On doit croire plutôt que les propriétaires fonciers donnaient du terrain pour qu’on y bâtît ; toute location se réduisait donc à un cens territorial. III. Les locations de terres durent être emphytéotiques. Les grammairiens ont dit, sans en comprendre le sens, que clientes était quasi colentes. Ces locations de terres répondent aux clientèles des Latins. IV. Telle fut sans doute la raison pour laquelle on ne trouve dans les anciennes archives du moyen âge, d’autres contrats que des contrats de cens seigneurial pour des maisons ou pour des terres, soit perpétuel, soit à temps. V. Cette dernière observation explique peut-être pourquoi l’emphytéose est un contrat de droit civil, c’est-à-dire du droit héroïque des Romains. À ce droit héroïque Ulpien oppose le
droit naturel des peuples civilisés (gentium humanarum); il les appelle civilisés ou humains, par opposition aux barbares des premiers temps ; et il ne peut entendre parler des barbares qui de son temps se trouvaient hors de l’Empire, et dont par conséquent le droit n’importait point aux jurisconsultes romains. VI. Les contrats de société étaient inconnus, par un effet de l’isolement naturel des premiers hommes. Chaque père de famille s’occupait uniquement de ses affaires, sans se mêler de celles des autres, comme Polyphème le dit à Ulysse dans l’Odyssée. VII. Pour la même raison, il n’y avait point de mandataires. De là cette maxime qui est restée dans le droit civil : nous ne pouvons acquérir par une personne qui n’est point sous notre puissance,
per extraneam personam acquiri nemini. VIII. Le droit des nations civilisées, humanarum, comme dit Ulpien, ayant succédé au droit des nations héroïques, il se fit une telle révolution, que le contrat de vente, qui anciennement ne produisait point d’action de garantie, si on n’avait point stipulé en cas d’éviction la cause pénale appelée stipulatio duplæ, est aujourd’hui le plus favorable de tous les contrats appelés de bonne foi, parce que naturellement elle doit y être observée sans qu’elle ait été promise.