[Lamartine.]
J’ai été sévère pour Lamartine romancier et historien au tome Ier et au tome IV de ces Causeries. Voici un
supplément et un correctif à ces articles :
Remerciement adressé à
M. de Lamartine pour les deux lettres qu’il m’a consacrées dans ses Entretiens.
Ce 13 juillet 1864.
Mon cher Lamartine,
Je reçois votre deuxième Entretien, votre
seconde lettre : j’ai ma couronne, ma double couronne ! Ce que vous avez
bien voulu dire de moi à tous, venant de vous et découlant de votre
plume avec cette grandeur et cette magnificence, est ce que je n’aurais
osé ambitionner et ce qui me fait désormais une gloire, — mot bien grand
et que je ne me serais jamais avisé de prononcer auparavant. — Vous avez
dit de ma mère, entrevue par vous, des choses qui montrent que tout
poète a l’âme d’un fils et des divinations de premier coup d’œil. — Vous
avez choisi dans mes écrits avec une intelligence amie ce qui pouvait le
plus faire aimer le poète. — Vous avez glissé sur les défauts et voilé
avec délicatesse les parties regrettables chez celui qui s’est trop
abandonné en écrivant aux sentiments éphémères et au courant des
circonstances. En choisissant et indiquant les points élevés et
lumineux, vous avez obéi à cette noble nature qui va, comme le cygne, se
poser à tout ce qui est limpide, éclatant et pur ; et vous m’avez ainsi,
rien que par le bonheur amical de vos citations, élevé à ta fois et
idéalisé à votre exemple.
J’aurais couru, aujourd’hui même, vous dire tout cela et bien d’autres
pensées encore, que les vôtres ont réveillées en moi et ont fait
naître ; mais je suis comme vous, j’ai cet honneur, et je suis de corvée tous ces jours-ci : je ne pourrai aller rue de
la Ville-l’Évêque que vers la fin de la semaine, et je n’ai pu attendre
jusque-là pour vous envoyer les remerciements d’un cœur comblé, pardonné
et récompensé à jamais par vous.
Sainte-Beuve.
À M. Paul Verlaine qui avait loué Les Rayons
jaunes de Joseph Delorme dans le journal L’Art,
mais qui avait parlé légèrement de Lamartine.
Ce 19 novembre 1865.
L’Ombre de Joseph Delorme a dû tressaillir de se voir si bien traitée et
louée si magnifiquement pour une des pièces les plus contestées
de tout temps et les plus raillées de son
recueil. Il se permettrait toutefois, si je l’ai bien connu, une
observation au sujet dc dédain qu’on y témoigne, tout à côté, pour
l’inspiration lamartinienne. Non, ceux qui n’en ont
pas été témoins ne sauraient s’imaginer l’impression vraie, légitime,
ineffaçable, que les contemporains ont reçue des premières Méditations de Lamartine, au moment où elles parurent en 1819.
On passait subitement d’une poésie sèche, maigre, pauvre, ayant de temps
en temps un petit souffle à peine, à une poésie large, vraiment
intérieure, abondante, élevée et toute divine. Les comparaisons avec le
passage d’une journée aigre, variable et désagréable de mars à une tiède
et chaude matinée de vrai printemps, ou encore d’un ciel gris, froid, où
le bleu paraît à peine, à un vrai ciel pur, serein et tout éthéré du
Midi, ne rendraient que faiblement l’effet poétique et moral de cette
poésie si neuve sur les âmes qu’elle venait charmer et baigner de ses
rayons. D’un jour à l’autre on avait changé de climat et de lumière, on
avait changé d’Olympe : c’était une révélation. Comme ces pièces
premières de Lamartine n’ont aucun dessin, aucune composition
dramatique, comme le style n’en est pas frappé et gravé selon le mode
qu’on aime aujourd’hui, elles ont pu perdre de leur effet à une première
vue ; mais il faut bien peu d’effort, surtout si l’on se reporte un
moment aux poésies d’alentour, pour sentir ce que ces élégies et ces
plaintes de l’âme avaient de puissance voilée sous leur harmonie
éolienne et pour reconnaître qu’elles apportaient avec elles le souffle
nouveau. Notre point de départ est là. Hugo, ne l’oublions pas, à cette
date où déjà il se distinguait par ses merveilles juvéniles, n’avait pas
cette entière originalité qu’il n’a déployée que depuis, et je ne crois
pas que lui-même, dans sa générosité fraternelle, démentît cet avantage
accordé à son aîné, le poète des Méditations.
Et maintenant je demande excuse pour cette petite dissertation posthume
de Joseph Delorme. Je remercie M. Paul Verlaine de toute sa
bienveillance, et je le prie de recevoir, ainsi que ses amis du groupe
de L’Art, l’assurance de mes sympathies dévouées.
Sainte-Beuve.
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