Note relative à l’article Villehardouin.
J’ai dit, p. 382 : « Il y a pourtant plus de six cents ans qu’il a écrit dans
le français qu’on jargonnait alors… » Ce mot de jargonnait me chiffonne ; il me donne après coup des
scrupules, et je sens le besoin de faire jusqu’à un certain point réparation
à Villehardouin et à nos bons aïeux de la seconde moitié du xiie
siècle. Je viens de lire le Mémoire sur la langue de Joinville, par M. Natalis de Wailly. Que
n’a-t-il fait le même travail sur la langue de Villehardouin ! Sans doute
l’orthographe, comme la prononciation, était extrêmement variable au Moyen
Âge ; mais même à cette époque reculée n’y avait-il pas certaines règles de
grammaire, certaines manières de dire et d’écrire, qui étaient réputées les
bonnes et les préférables ? La question paraît aujourd’hui résolue pour ceux
qui ont étudié de plus près les textes, et qui en sont arrivés à observer ou
à induire un tel type de langue française romane offrant son genre de
perfection à son moment et très reconnaissable sous la plume des bons
clercs. En admettant même que cette perfection fût chose très fugitive et
seulement approximative, que ce ne fût en quelque sorte qu’une velléité de
perfection, il suffit qu’elle se rencontre ou se conçoive en cette période
de Philippe Auguste à saint Louis pour que l’expression de jargonner ne soit plus à sa place et qu’il la faille retirer comme
une injustice et
une impertinence des époques
modernes postérieures. Voilà, ce me semble, un mea culpa
par lequel je romps avec l’école de la routine et des à-peu-près et je me
mets en règle avec la jeune science philologique.
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