Paris, le 8 septembre 1886.
Dresde et Munich
2e Correspondance
Les représentations de Bayreuth se sont achevées avec un succès qui garantit leur
continuation. Jusqu’à la fin, les interprètes ont montré autant de zèle ; les chefs
d’orchestre, MM. Lévi et Mottl, dirigeaient avec la même maîtrise et le même courage les
dernières représentations de Tristan et de Parsifal ; aucune fatigue n’était sensible dans l’orchestre.
Nous avons à revenir sur les acteurs, dont quelques-uns se sont révélés aux derniers
jours. MM. Plank et Scheidemantel notamment étaient devenus excellents, le premier dans
les rôles de Kurwenal et de Klingsor, le second dans celui d’Amfortas ; tous deux ont
chanté avec une exactitude et une sûreté de style admirables, donnant la note expressive
sans exagération et avec une absolue fidélité. M. Vogl est resté superbe aux premier et
troisième actes de Tristan ; l’insuffisance de la voix était plus
pénible au second Rien à ajouter sur les autres interprêtes ; l’absence de M. Gudehus et
de Mademoiselle Malten, retournés à Dresde, était regrettable aux dernières
représentations, malgré les très belles qualités vocales de M. Winkelmann et de Madame
Materna. Enfui, dans le rôle d’Isolde, nous devons rappeler le beau succès de Madame
Sucher.
Dans notre dernière correspondance, quelques amis ont trouvé sévère notre appréciation
des artistes du théâtre de Bayreuth ; nous ne pouvons pourtant que maintenir ce que nous
avons écrit, Les représentations de Bayreuth sont certes admirables, et évidemment
incomparables à celles de quelque théâtre que ce soit ; mais elles ne sont pas
parfaites, il faut bien s’y attendre. Et le le meilleur moyen de les approcher de la
perfection souhaitée, n’est-ce pas justement d’en connaître les défauts ; de même, le
meilleur moyen d’en faire comprendre la magnificence , n’est-ce pas de
dire toute la vérité ? Ainsi, nous semble-t-il, monte plus haut, au milieu du néant des
théâtres environnants, l’œuvre, à peine ébauchée, mais si grosse de promesses, de
Bayreuth.
Le dimanche 1er août. — étaient arrivés51 :
Madame Beulé, MM. Charles Bonnier, Jules Bonnier, Pierre Bonnier, Paul Bruck, Alfred
Ernst, Marcel Gaupillat, M. et Madame Roll.
Tristan : Sucher, Gudehus, Staudigl, Plank, Wiegand.
Le 2, — Parsifal : Malten, Vogl, Reichmann, Plank, Siehr.
A cette représentation assistait le prince royal et impérial Friedrich-Wilhelm de
Prusse.
Le mardi 3 août, à u heures, eurent lieu les funérailles de Lisztay suivant les cérémonies du culte
catholique ; le deuil fut conduit avec une grande et très digne simplicité, et suivi par
un cortège nombreux. Le lendemain, service funèbre à l’église catholique.
Le 5, — arrivés : M. Charles Bordes, la comtesse de Chambrun, MM. Camille Chevillard,
Alexandre Guilmant, Hardion, Henri Lavedan, Paul Poujaud, Charles Toché, Vauvray.
Tristan : Malten, Gudehus, Sthamer-Andriessen, Scheidemantel,
Gura.
Le 6, — Parsifal. : Materna, Vogl, Reichmann, Scheidemantel,
Wiegand.
Le 7, soirée chez Madame Gross ; Madame Sthamer-Andriessen et MM. Gudehus, Gura et
Scheidemantel chantèrent des scènes Wagnériennes accompagnées au piano par MM. Lévi et
Mottl, et M. Camille Chevillard joua une transcription pour le piano de la scène finale
de Gœtterdaemmerung.
Le dimanche 8, — arrivés : MM. d’Avendano, Henry Bauer, Emile Courmont, Albert Cousino,
Robert d’Egusquiza, la comtesse de Gumbrun, MM. Albert Henningen, Kunkelmann-Kerval,
Henry Lutz, Paul Pannier.
Tristan : Sucher, Gudehus, Staudigl, Plank, Gura.
Le 8, arrivée d’un train spécial de Munich ; un autre train spécial, de Nuremberg.
Le 9, — arrivés : M. et Madame Duttenhofer.
Parsifal : Malten, Winkelmann, Gura, Plank, Siehr.
Le 9, le prince Hermann de Weimar.
Le 10, grande fête de l’orchestre du théâtre, dans la salle de la société Frohsinn,
Madame Wagner y assistait.
Le 11, à 6 heures, notons à titre de curiosité, un concert donné, à la société
Philharmonique de Bayreuth, pour un petit orchestre d’harmonie ; en voici le
programme :
La Marche de Fête, de Wagner : une ouverture de Wallace ; des valses de Waldteufel ; un
préluge de Podbertasky ; l’Angelus et la Fête Bohême, de Massenet ; le prélude de Tristan ; la romance de l’Etoile, de Tannhaeuser ; une
masurka de Behr ; un pas redoublé d’Ascher ; une fantaisie sur la Walküre ; des valses.
Le 12, — arrivés : MM. Maurice Bagès, Bellaigue, Pierre de Bréville, le marquis de
Cambford, le comte Roger de Chabrol, MM. Marcel Cogniet, de Conchy, Dukas, Flat, Robert
Godet, M. et Madame Hellman, MM. Raymond Koechlin, Hugues Krafft, M. et Mademoiselle
Lamoureux, MM. A. Lascoux, Silvio Lazzari, le comte Robert de Montesquiou-Fezensac,
MM. Oppenheim, Fernand Petit, Mademoiselle Picot, le comte de Podenas, le marquis de
Podenas, MM. Gabriel Saint-René Taillandier, Georges Violat.
Le 12, le grand-duc de Mecklenburg-Strelitz.
Tristan : Sucher, Gudehus, Sthamer-Andriessen, Scheidemantel,
Wiegand.
Le 15, — arrivés : M. et Madame Émile Lévy, M. Henri Sylvestre.
Parsifal : Materna, Winkelmann, Scheidemantel, Plank, Siehr.
Dans la matinée, M. Alexandre Guilmant exécuta, à l’église luthérienne, les pièces
d’orgue suivantes : Toccata et fugue en ré mineur, de Bach ; toccata et fugue en ut, de
Bach ; sonate, de Guilmant ; toccata en fa, de Bach.
Le dimanche 15, — arrivés : MM. André A Hard, Raoul Baron, Bonheur, Jules de Brayer,
M. et Madame Henry Cordier, MM. Michel Couillard, Charles Dettelbach, Eberstadt, Vincent
d’Indy, Jean Kœchlin, Marioni, Georges Marty, le comte de Messays, M. et Madame Penel,
MM. Émile Soldi, Julien Tiersot, le comte de Jossouin de Valgorge, MM. Emmanuel Vaney,
Paul Vidal, la marquise de Virieu, le baron de Westweiler.
Le 15, la duchesse Amalie de Bavière.
Tristan : Sucher, Vogl, Staudigl, Plank, Wiegand.
Le 16, arrivé : M. Albert Bataille.
Parsifal : Materna, Winkelmann, Scheidemantel, Plank, Wiegand.
Le 17, soirée à Wahnfried ; un assez grand nombre de nos compatriotes y figuraient ;
M. Scheidemantel chanta deux mélodies de Schubert, et madame Materna la scène finale de
Gœtterdamerrung ; MM. Levi et Mottl accompagnaient au piano52.
Le 19, — arrivés : MM. Charles Bannelier, Charles Delagrave, Deldevez, la comtesse de
Denterghem, M. et madame Derenbourg, M. et madame van Dyck, M. Fourchy, Madame Fuchs,
MM. Paul Fuchs, Jules Garcin, Pépin le Halleur, M. et Madame Hartmann, Madame et
Mademoiselle de Lagrénée, M. Gustave Lauth, la baronne Legoux et Mademoiselle Legoux,
M. Jules Massenet, le duc de Montpensier, MM. Maurice Nicolle, de Souza, Francis Thomé,
M. et Madame Weiland, MM. Wiernsberger, Victor Wilder et Mademoiselle Wilder.
Le 19, le prince Wilhelm de Prusse, fils aîné du prince impérial et royal
Friedrich-Wilhelm de Prusse. Aussi, le prince de Jurn et Jaxis. Nous avons noté, parmi
nos compatriotes, le duc de Montpensier.
Tristan : Sucher, Vogi, Sthamer-Andriessen, Plank, Wiegand.
Le 20, — arrivés : M. Fouques-Duparc, le marquis de Villeneuve et la marquise de
Villeneuve (née princesse Bonaparte).
Le 20, la grande-duchesse-de Bade,
Parsifal : Materna, Winkelmann, Scheidemantel, Plank, Wiegand.
A cette dernière représentation toutes les places du théâtre étaient prises.
Les frais ont été évalués à 295, 000 marks.
Les recettes à 312, 000 marks.
L’excédent a donc été de 17, 000 marks. En 1883, il avait été de 22, 000 marks ; mais
l’orchestre était pavé par le roi. En 1884, le roi ne paya plus l’orchestre ; l’excédent
fût de 500 marks. En 1884 lorsque Parsifal fut monté, il y avait un
fonds de Patronat ; la comparaison est donc impossible. Il ne faut pas oublier que cette
année Tristan a été monté.
Le nombre des places vendues est de 16, 000 ; l’Association Wagnérienne Universelle en
avait acheté 1, 600 au prix réduit de 30, 000 marks53. La moyenne des places vendues pour les représentations de
Parsifal est de 1.280 ; pour les représentations de Tristan de 640 ; donc les deux tiers des places pour Parsifal
et un tiers pour Tristan.
2, 000 entrées gratuites furent données.
Sur les 295, 000 marks de frais, l’orchestre est pour environ 60, 000 marks ; chaque
membre de l’orchestre a été payé en moyenne 500 marks, répétitions et
représentations.
Les principaux artistes n’ont demandé que des indemnités, outre le logement ; aucune
indemnité n’a dépassé 3, 000 marks ; quelques artistes, mesdames Materna et Sucher,
n’ont voulu recevoir aucun argent.
Un nouveau Patronat est en ce moment établi à Bayreuth. En attendant plus de détails,
voici brièvement ce que l’on se propose d’organiser.
Une association de soixante personnes s’engageant à donner, pendant cinq ans, mille
marks chaque année, pour constituer un fonds de réserve et de garantie et assurer la
perpétuité des Fêtes de Bayreuth. Les souscripteurs bénéficieraient d’une place fixe à
toutes les représentations du Théâtre de Fête.
Le 20 août, jour de la dernière représentation de Parsifal,
trente-cinq personnes avaient déjà signé leur adhésion ; l’exemple avait été donné par
le fils du prince impérial, le prince Wilhelm, et par la grande-duchesse de Bade : parmi
ces trente-cinq premiers souscripteurs, deux dames parisiennes, connues notamment des
Wagnéristes français ; quelques jours plus tard arrivait l’adhésion d’un de nos amis de
Genève, souscrivant immédiatement pour 10.000 marks.
En outre, deux bourses de voyage de 130 marks chacune furent données, par
l’administration du Fonds des Bourses de voyage, à deux jeunes musiciens membres de
l’Association, habitant à Paris.
Les représentations de la Tétralogie à Dresde commençaient le 16 août, avant la fin des
fêtes de Bayreuth. Une vingtaine de nos compatriotes, venant de Bayreuth, s’y sont
rendus ; l’un d’eux nous a envoyé quelques notes.
L’ensemble de la Tétralogie excellent, sauf peut-être le Rheingold ; un public nombreux
et enthousiaste ; l’orchestre admirable sans conteste, sous la direction de M. Schuch :
M. Schuch ne suit pas toujours les traditions et presse généralement les mouvements ;
mais il donne à son orchestre un élan superbe. Mademoiselle Malten, une Brünnhilde de
premier ordre ; M. Gudehus toujours exact et scrupuleux interprète ; les autres rôles
convenables, les décors passables, quelques uns réussis comme le lever du soleil de
Goetterdaemmerüng ; la Chevauchée et le tableau final tout à fait manqués …
On nous écrit encore que la représentation de la Walküre a été
entachée d’une grande coupure, au deuxième acte, dans le récit ce Wotan (vingt pages
environ de la partition de piano, depuis dann waere Walhall verloren,
jusqu’à so nimm meinen Segen, Nibelungensohn …). Pas même à Dresde on
ne joue donc la Walküre
54 !
Le 15 août, quelques Français allant de Bayreuth à Dresde par Prague, ont entendu dans
cette ville, grâce à l’obligeance de M. Angelo Neumann, une représentation des Maîtres Chanteurs très soignée et réussie.
Quittant Bayreuth le plus grand nombre des Français a été directement à Munich, où les
représentations de la Tétralogie allaient commencer. C’est là que nous nous sommes
également rendus, après avoir assisté, en deux jours, à la dépopulation soudaine et
complète de Bayreuth.
Munich est la ville connue du wagnérisme ; c’est là qu’on va de France pour entendre du
Wagner, et Dresde aura beaucoup à taire encore pour changer cette habitude. Le voyage de
Munich à Paris est d’ailleurs le plus facile ; et puis c’est à Munich que nous
retrouvons le plus grand nombre des artistes bayreuthiens, le capellmeister Levi en
tête. Enfin, là règne le souvenir du roi, et tout autour de la ville, très près, c’est
les fameux châteaux, aujourd’hui ouverts aux visiteurs.
Le lundi 53, le Rheinoold, cette délicieuse et amusante féerie, avec, parfois, des
envolées de drame où sont pressenties les péripéties des choses qui vont suivre ; mais,
le plus constamment, une musique légère et très fine, admettant le comique, et d’une
émotion discrète. Là un Loge inimitable, M. Vogl.
Le 25, la Walküre : M. Vogl est moins bon dans Siegmund ; comme dans
le Rheingold et Siegfried, un Wotan très convenable, M. Gura, sans
qualités exceptionnelles, mais sans défauts gênants ; le cas de madame Vogl commence à
inquiéter les spectateurs français. Le succès de la Walküre est grand
toujours ; son premier acte, d’un effet facile, emporte les applaudissements ; les
étonnantes beautés des premières scènes du deuxième acte et du milieu du troisième sont
moins goûtées ; là pourtant se développe cette épopée aux larges signifiances qu’est
l’Anneau du Nibelung ; ni un roman psychologique comme Tristan, ni un
poème symbolique purement émotionnel comme Parsifal, mais, au moins
dans ses trois premiers drames, un roman d’aventures en même temps un poème
philosophique, l’épanouissement d’une âme juvénile en grandes actions et en pensées
vastes et luxurieuses.
Le 27, le premier acte de Siegfried est parfaitement exécuté ;
M. Vogl est excellent ainsi que M. Schlosser. C’est, et aussi le second acte, un
apaisement des choses plus poignantes de la Walküre, un retour aux
amusements émus du début, pour cette naissance de Siegfried. Mais le
troisième acte, après son terrible premier tableau, entrant brusquement dans la
troisième manière du Maître, nous jette au plein des émotions multiples où transperce le
drame … Cette fois, Madame Vogl donne des craintes de plus en plus vives.
Enfin, le 29, le drame attendu de Gœtterdaemmerung, un drame dans la
manière de Parsifal, c’est à dire un poème de pure musique disant
l’éternel des passions humaines, sous le symbole de quelque vague conte que jouent des
gens : — l’amour, Siegfried ; la séduction, Gutrune et Siegfried ; et la douleur, Brünnhilde, par lesquels ces deux premiers actes
vivent l’essence de notre vie, jusqu’à la péroraison finale et héroïque, très charmante,
du troisième acte. Là, il était besoin de voix : M. Vogl en a encore un peu ; Madame
Vogl n’en a plus du tout : l’indignation était générale parmi les étrangers ; Madame
Vogl est, certes, une excellente artiste et fut une excellente chanteuse ; mais on ne
peut laisser que tout un rôle comme celui de Brünnhilde soit annulé par l’absolue
insuffisance vocale d’une actrice ; l’administration de l’Opéra de Munich y devrait
songer autrement, aux prochaines représentations wagnériennes il y aura des
désertions.
L’orchestre marche bien, et M. Levi reste toujours le chef admirable de ces
représentations.
Le 31 août, enfio, le Hollandais Volant était donné avec Madame
Weckerlin et M. Gura ; c’est une bien intéressante œuvre, ce drame si simple, où, plus
qu’en Tannhaeuser et Lohengrin, l’émotion est
sincère et profonde.
Nous donnerons quelque idée du wagnérisme à Munich en publiant une semaine wagnérienne
de la Lœwenbraeu-Keller ; parmi les trois ou quatre grandes brasseries ou cafés qui
donnent chaque soir, à Munich, des concerts, nous avons pris les programmes de la
brasserie de Lœwenbraeu, jour par jour, pendant la semaine que nous avons passée à
Munich ; les programmes des autres maisons ressemblent à ceux là. Qu’on n’oublie pas
qu’à Lœwenbraeu comme autre part, l’orchestre est un orchestre d’harmonie, presque
toujours une musique militaire. Donc on a joué, de Wagner, à Loewenbraeu :
Dimanche, 22 août : Fantaisie sur Tannhaeuser ; hymne de Rienzi.
Lundi : rien.
Mardi : Marche de Tannhaeuser ; le voyage du Rhin ; cortège nuptial
d’Elsa,
Mercredi : Entracte, première scène et duo de Lohengrin.
Jeudi : Chœur et finale de Lohengrin.
Vendredi : Air de la forge de Siegried
Samedi : Fantaisie sur le Rheingold ; choeur de Goetterdaemmerung
Dimanche : Grand bal précédé d’un concert : La Chevauchée
Lundi : Chœur des matelots du Hollandais ; trio des
Filles-du-Rhin.
Mardi : Ballade du Hollandais.
Autres jours (anciens programmes) : Fantaisie sur la Walküre ; marche
funèbre de goetterdaemmerung ; préludes de Lohengrin, Tristan, les
maîtres, Parsifal, etc., etc.
Il paraît que l’avantage de ces exécutions est de faire entrer dans les oreilles
populaires les motifs wagnériens ; au moins se présentent-elles aux étrangers venus pour
entendre du Wagner, entourées, inéluctablement, de valses de Faust et marches de
Tziganes.
Le rapport des dimensions du plan que nous publions n’est qu’approximatif, ce plan
ayant été pris au crayon pendant un entracte.
La disposition des instruments est celle de Parsifal ; il ne faut pas
oublier que le nombre des instruments à vent était plus considérable pour la
Tétralogie.
Le chef d’orchestre, assis, en hauteur, est visible de toute la scène et voit toute la
scène ; il est recouvert ainsi que les violons par le premier paravent (du côté de la
salle) ; le second paravent (du côté de la scène) recouvre les harpes, violoncelles,
flûtes et hautbois ; la rampe de la scène se trouve au-dessus de la ligue de séparation
des hautbois et des cors-clarinettes-bassons : les cors, clarinettes, bassons,
trompettes, trombones et timbales sont donc sous la scène même.
Chacun des traits simples de notre plan représente une différence de niveau, plusieurs
marches ; on sait que l’orchestre s’abaisse par degrés depuis les violons jusqu’aux
trombones et timbales : la tête d’un homme debout au fond de l’orchestre, près des
timbales, arrive au niveau du pied des altos, qui est lui-même de quelques marches plus
bas que les violons.
Les traits doubles de ce plan représentent les pupitres.
L’orgue, à gauche, servait dans la Tétralogie pour suppléer, dans le grave, la
contre-basse-tuba ; il donne le contre mi bémol et le contre ré.
Le Figaro vient de publier sous ce titre un article important ; nous en le
passage suivant dont les renseignements concordent avec ceux que nous avons reçus, et
qui nous paraît émaner d’une source autorisée.
Nous ajouterons que pendant les Fêtes de Bayreuth un traité a été effectivement signé,
pour la représentation de Lohengrin, entre M. Lamoureux et M. Gross,
le représentant de la famille Wagner.
C’est chose décidée.
Lohengrin, traduit par M. Charles Nuitter, sera représenté à Paris au
mois d’avril prochain.
Dans ce but, M. Lamoureux s’est entendu avec la Société actuelle d’exploitation de
l’Eden-Théâtre, dont les représentations chorégraphiques cesseront à cette époque.
L’entreprise, dirigée par M. Lamoureux, commencera le 15 avril et finira le 1er juin.
Pendant ces quarante-cinq soirées qu’il s’occupe, dès à présent, de préparer,
M. Lamoureux se propose de nous faire entendre, outre Lohengrin, deux
ouvrages importants, l’un d’un maître français, l’autre d’un célèbre compositeur
étranger. De plus, le fondateur des Nouveaux-Concerts organisera une série de festivals,
où paraîtront les chanteurs et les instrumentistes les plus renommés de l’Europe. Grâce
à cette combinaison, les lendemains de Lohengrin seront plus
qu’assurés.
M. Lamoureux ne donnera, en effet, que dix représentations de l’opéra de Wagner. Bien
que l’éminent chef d’orchestre n’ait d’autre souci que de faire œuvre d’art et que toute
idée de spéculation lui soit étrangère, on conçoit aisément qu’il ait voulu mettre de
son côté toutes les chances de succès.
C’était d’autant plus nécessaire que les répétitions commenceront dès le mois de
janvier ; ce ne sera pas trop de trois mois d’études pour arriver à une perfection dans
l’exécution égale à celle qui a valu tant de succès aux concerts de M. Lamoureux. Avant
donc que la première représentation ait lieu, des déboursés considérables auront été
faits, et il est tout naturel de se préoccuper de les couvrir.
Tous les rôles seront sus en double, de façon à pouvoir parer n’importe quelle
éventualité ; les chœurs et l’orchestre, recrutés avec un soin tout particulier,
comprendront quatre-vingts voix et quatre-vingt-dix instruments.
Costumes et décors, confiés aux plus réputés de nos décorateurs, seront aussi exacts
que somptueux ; l’Eden se prête, d’ailleurs, admirablement aux exigences de la mise en
scène.
Meminisse juvat
Un soir du printemps passé, notre directeur, de passage à Berlin, me demanda pour sa
chère Revue Wagnérienne une réduction de la minutieuse et longue étude que je viens de
publier dans la Revue de Bayrteuh55 sur le « Motif de réminiscence » avant Wagner.
Voici cette réduction. Je vais essayer de donner un aperçu raisonné des principaux
passages où, avant Wagner, c’est-à-dire jusqu’à 1840-50. nous trouvons la Réminiscence, embryon de ce qui fut plus tard le Leitmotif du
Maître ; et cela, successivement dans la musique instrumentale, la musique de chambre et
la musique vocale.
On sait que les détracteurs de Wagner aiment à insinuer que son Leitmotif ne lui appartient pas. Mon but est de placer ici sous les yeux du
lecteur dilettante la Réminiscence telle qu’elle était à l’époque où
Wagner commença de mettre en œuvre son Leitmotif dans le
Vaisseau Fantôme et Tannhaeuser. On verra la distance capitale
qui sépare ces velléités hésitantes et éparses, du véritable organisme systématique et
fonctionnant créé par le Maître, j’espère d’ailleurs compléter plus tard, ici même, ces
premières notes de l’enquête, en donnant une caractéristique de ce sublime élément
musico-dramatique, le Leitmotif Wagnérien.
Ab jove principium ! Le retour si surprenant d’une quarantaine de
mesures du Scherzo au beau milieu du final de la symphonie en ut
mineur arracha une exclamation d’admiration jalouse à Louis Spohr56, adversaire enragé de tout cet
hymne triomphal. Et voici encore, au début du final de la symphonie avec chœurs, ce
passage immortel où le prodigieux récitatif des basses est interrompu successivement par
le retour inattendu et fugitif de quelques mesures du thème principal de chacune des
trois parties précédentes. Ecoutez bien, entre autres, l’effet expressif et merveilleux
de la tierce majeure des contrebasses, dont l’absence avait prêté un caractère si
mystérieux aux premières mesures de la symphonie ! Admirons ces effets de
« réminiscence » comme touchants et profondément humains à la fois !
La première audition de la Symphonie Fantastique (5 décembre 1930)
précéda de quatre mois la première exécution de la Neuvième au Conservatoire de Paris.
C’est là que Berlioz réalisa la conception si neuve de la célèbre « Idée fixe ». Ce fut
là le premier « motif conducteur » proprement dit dans la musique instrumentale. En
regard des innombrables métamorphoses par où passe le Leitmotif chez
Wagner, je me bornerai à indiquer, parmi les modifications si originales de ce thème de
l’« Idée fixe » de Berlioz, la fin du premier mouvement, fortissimo et en accords
syncopés, haletants, dominés par la petite flûte aiguë d’un caractère sauvagement
désespéré et diaboliquement triomphal, — et encore, et surtout, le fameux épisode du
final, en mouvement dansant de 6/8 où la « Mélodie aimée », confiée à la petite
clarinette en mi doublée de la petite flûte si vulgairement criarde,
est travestie selon la remarque même de Berlioz, en « un air de guinguette triviale,
ignoble et grotesque. » On connaît la pensée secrète de Berlioz et le sous-entendu
vengeur de cette ironie sanglante à l’adresse de la belle miss Smithson57
az. Deux ans plus tard, juste, le « Mélologue » ou « Monodrame
lyrique » Lelio ou le retour à la vie, fut exécuté
comme suite et conclusion de la Fantastique. L’« Idée fixe » surgit
encore ici à deux reprises58 ;
d’abord lorsque Lélio, entendant ce motif, s’écrie :
« Sirène ! Sirène !… Dieu ! mon cœur se brise ! » ensuite, à la fin de l’œuvre, lorsque
s’arrêtant comme frappé au cœur d’un coup douloureux, il écoute et dit : Encore ?…
Encore et pour toujours ! » — Meminisse dolet ! Dans cette même œuvre,
en outre, le n° 5 intitulé La Harpe éolienne, est entièrement fait
d’une réminiscence du morceau précédent, le chant du bonheur du ténor,
chanté ici par une clarinette quasi lointaine et enveloppée à cet effet dans un sac de
cuir ou de toile. Deux ans plus tard, encore, apparaît le second « motif conducteur
59 » dans la symphonie de Harold,
la belle et large phrase en soi. majeur dite par l’alto solo et
accompagnée par la harpe dans le premier mouvement. — « Ainsi que dans la Fantastique, un thème principal (c’est Berlioz lui-même qui parle) se reproduit
dans l’œuvre entière, mais avec cette différence que, là-bas, l’« Idée fixe »
s’interpose obstinément, comme une idée passionnée épisodique, au milieu des scènes qui
lui sont étrangères et leur fait diversion, tandis que le chant d’Harold se superpose
aux autres thèmes de l’orchestre, avec lesquels il contraste par son mouvement et son
caractère, sans en interrompre le développement. Remarquons surtout la poétique
apparition de ce motif d’Harold à la fois noble, sombre et tendre, dans la marche des
pèlerins (dans un rhythme allongé cette fois), la sérénade (de même, pendant qu’en même
temps le cor anglais chante la mélodie de la sérénade) et l’orgie des brigands. Les
souvenirs des scènes précédentes, d’un si bel effet, dans ce morceau peuvent être
considérés comme un pastiche du fameux épisode du Final de la neuvième, dont je viens de parler ; Franz Liszt les a splendidement caractérisés et
interprétés, comme du reste le rôle entier du motif de l’alto, dans sa célèbre analyse
de « Harold »60.
Deux symphonies de Robert Schumann, celles en ut majeur (1866, et en
ré mineur (1841-1851) contiennent également un thème principal, qui,
posé dès l’introduction lente, réapparaît dans la plupart des morceaux suivants, mais
d’une manière peu intéressante, et au fond sans modifications véritables, si bien que
l’éloge excessif de l’érudit docteur Richard Pohl : « ici Schumann entre véritablement
dans une voie nouvelle »61 nous surprend parce qu’il a été l’un des premiers à approfondir et
célébrer le génie de Berlioz. — à moins qu’il n’ait voulu dire : en ce qui concerne la
musique allemande. Voici le tour de l’auteur des symphonies très célèbres mais fort peu
connues de Dante et de Faust, ébauchées l’une et
l’autre de 1840 à 1845, écrites définitivement en 1856 et 1854. Dans le Dante, que Wagner a appelé « un des exploits les plus étonnants de la musique »
62, le
motif du premier morceau (l’enfer), d’une monotonie si sombre et si
grandiose, est désigné par le compositeur lui-même par l’inscription : « Lasciate ogni
speranza, voi ch’entrate ».
Dans toute cette partie, qui fait penser à Michel-Ange par la conception, à Delacroix
par le coloris, ce motif joue un rôle important, surtout au moment où, confié au corea
sons bouchés, il interrompt et termine brusquement, mystérieusement le délicieux et
suave Andante amoroso de l’épisode de Francesca et Paolo ; voir encore les dernières
mesures du morceau où il se relève dans toute sa grandeur diabolique, en tutti et en FFF, éclatant comme un coup de foudre, comme un cri strident
d’anéantissement universel, abolissant l’espoir à tout jamais. Mais c’est surtout dans
son Faust que Franz Liszt s’est servi d’une façon vraiment géniale du
retour de thèmes antérieurs, et de leurs transformations multiples. Dans l’Andante
intitulé Gretchen, il n’a pas ramené moins de quatre thèmes du premier
mouvement (Faust) caractéristiques du héros ; le motif de l’Amour, du
Désir, celui de l’Impulsion passionnée et celui de la Fierté, mais tous quatre
remarquablement métamorphosés ; car, pour le moment, Faust lui-même, prosterné aux pieds
de son amante, est devenu un tout autre homme. C’est encore par de nouvelles
modifications de plus en plus spirituelles, et traitées de main de maître, avec un art
consommé, qu’il a ramené ces motifs dans le Scherzo, consacré à la peinture du caractère
de Méphistophélès. Par moment ils ne sont qu’à peine reconnaissables ; l’un d’eux se
présente même sous les traits d’un Fugato bouffonnement et pédantesquement sérieux.
Dans la pensée de l’auteur ils sont ainsi parodiés, mutilés même par « l’Esprit de
Négation » : il faut lire de quelle façon intelligente et vraiment supérieure le docteur
Pohl a interprété la conception et la mise en œuvre générales de toutes ces
transformations, dans sa magnifique étude de l’œuvre qui nous occupe63. Dans la
transition si originale et si grandioses du Scherzo au Final (avec chœur d’hommes et
solo de ténor), c’est au thème de Marguerite qu’échoit la tâche de dissiper peu à peu
les artifices du Démon vaincu, tandis que plus loin le ténor entonne sa phrase :
« l’Eternel Féminin nous attère » sur cette mélodie si purement suave. Restent encore
les Poèmes symphoniques de « Maître Franz entre autres Le
Tasse ; mais nous devons nous borner.
Signalons en passant le concerto de piano de Schumann, où la transition de l’Ancante au
Final est obtenue par une réminiscence de quelques mesures du thème principal de la
première partie, et son concerto de violoncelle, où la même transition est amenée d’une
manière presque analogue. Citons enfin le concerto de piano en mi
bémol de Liszt, où les motifs principaux des deux premières parties sont ramenés
dans le Final.
Parmi les chefs d’œuvre de la musique de chambre la première mention, à part la
Sérénade-trio, œuvre 87, de Beethoven, est due au dernier numéro de la première série
des Quatuors de ce maître où l’Adagio, La Malinconia est ramené
pendant quelques mesures et à deux reprises, dans le Final ; à sa sonate de piano en la, op. 101, où la phrase de début fait sa réapparition avant le Final ;
à celle en la bémol, op. 110, où l’Arioso est ramené dans la dernière partie ; enfin à la grande Fantaisie pour
violon et piano en ut majeur de Schubert, où le retour du début du
premier morceau forme la transition de l’avant-dernière partie au Final, pendant que,
plus tard, la mélodie de l’Andante (celle du Lied, « Sei mir gegrüsst ») fait une courte
réapparition un peu avant les dernières mesures, Presto. Voici maintenant cette
admirables Invitation à la panse de Weber, le Carnaval de Schumann et ses ravissants impromptus à quatre mains ; les Scènes d’Orient, op. 66, (1848) où le retour fugitif du thème de te
délicieuse quatrième pièce dans le sixième et dernier morceau est de l’effet le plus
poétique.
Durant l’été de 1825, Beethoven s’était senti plus qu’à l’ordinaire souffrant : alors
son âme, longuement accoutumée aux émotions, fut — sous l’influence encore de maints
embarras matériels, — très saisie par des multiples émotions : le maître les recréa
volontairement, les promut à la vie enfin réelle de l’art, en son dernier quatuor
64.
Quelque douce brise de jouerie, l’émoi d’un léger rêve consolant. Et malgré les
souvenirs parfois du mal, la discrète joie s’affermit ; des ondées scintillent ;
rappel d’heureux passés, imaginations gaies ? Puis voici qu’au torrent gracieux afflue
une inquiète coulée : voici revenue la coutumière douleur, s’insinuant de toutes parts
en la pauvre âme un peu divertie. Un large flot d’angoisse ; il se gonfle, il se
divise ; oh ! combien toujours impitoyable ! Vainement l’artiste se retrouve aux
discrètes joueries : le chagrin reparaît, demeure ; au milieu de la ’plus joyeuse
ondée, voyez-le. Fini le doux exil au bon réel nouveau ; le chant d’angoisse qui l’a
interrompu est seulement plus cruel. Alors l’âme hautaine du poète — elle sait bien
qu’elle crée volontairement sa peine — saisit le chant de ses angoisses, elle le force
à être égayé, elle l’unit intimement avec sa légère jouerie. C’est maintenant le
triomphe du libre pouvoir, une transfiguration radieuse des souffrirs ; et la fête
follement insouciante des oublis, comme elle s’épand, dans un rythme plus rapide65, à travers l’âme reposée ! C’est les
tourbillonnants ébats de la danse ; des légèretés royales : et cela se mène d’une
poussée si vive, que l’on aperçoit sans arrêt, sous cette frénésie, la volonté
créatrice : impétueusement, l’artiste projette loin du monde son ivresse tumultueuse,
tandis que rôde aux coins du cœur, guettant la première fente, le mai dépossédé.
Le mai a ressaisi son domaine. « Pouvoir de qui je dépends, Moi donc ! gémit le poète
— et la musique ne dit point son cri, mais l’émotion qu’il en a, douloureuse et
désespérée — Pouvoir, sans doute il faut que je subisse à jamais ces tortures66 » La résignation s’efforce ; impossible
bientôt : alors c’est des soupirs, un effrayant sanglot ; puis les deux passions
s’étreignent : plainte plus impatiente, et résistance toujours. Alors l’âme éperdue se
redresse67 : « Faut-il que cela soit ainsi ? » Elle jette
impérieusement à Dieu, à elle-même, cette décisive question. Et la réponse, d’abord un
peu grave, bientôt paraît toute éclairée de quelque impérissable bonheur. « Oui, il
faut que cela soit ! mais parce que toi même le veux ; et ce mal, qui doit être, n’est
un mal que si tu le veux ! » Oh ! la bonne et consolante réponse ! Maintenant l’âme ne
cherchera plus d’autres jeux : elle se jouera, délicieusement de sa douleur, elle
redira, mille fois, la divine réponse. Entendez revenir la demande : à peine elle
paraît, un épanouissement de gaîté l’arrête : toujours la certitude tout à l’heure
répondue. C’est donc l’insoucieuse marche de l’âme désormais guérie : à plaisir, elle
peut être prolongée. Encore un lent soupir ? Au diable ces mensonges ! hourrah ! et
sur un refrain de chahut, c’est par un pied de nez que se termine l’œuvre dernière de
Beethoven68.
Beethoven a tenu dans l’Art un rôle très net. Musicien, il devait éprouver et
traduire des émotions. Il les a éprouvées toutes, toutes absolument, et il les a
traduites avec une précision telle qu’aux amis de son œuvre surnaturelle chaque note
est un mot, un mot certes plus expressif, au point de vue émotionnel, que ne le sont,
au point de vue notionnel, les vocables d’un langage verbal.
Ses prédécesseurs lui avaient donné la mélodie. La modifier ?
Il ne le voulut point, d’abord. Mais, suivant l’expression de Wagner, « il l’imprégna
de la musique. » Il destina chaque rythme, chaque mouvement, à une signification
propre. Que l’on prenne pour la commodité de l’exemple une de ses romances vocales
69.
Ce n’est point les mots traduits : à quoi bon ? Sous les mots, le fond émotionnel de
l’âme, celui seul que comportent ces mots. Puis vinrent — mais ainsi précédées — les
réformes extérieures : la phrase fut allongée, les retours, les codas furent
supprimées, sauf lorsque l’émotion requérait des figures telles, ou quelques structure
traditionnelle du chant.
Le contrepoint avait été chez Bach un procédé constant, la forme même de la mélodie :
par Beethoven encore fut promu à l’Art le contrepoint, il le destina à traduire les
marches simultanées, dans l’âme, d’émotions diverses. Ici encore, suppression,
aussitôt, des ornements inutiles ; suppression lente et graduelle des formes convenues
70.
Les premières sonates pour le clavecin, les chansons, furent le chef-d’œuvre unique
et final de la mélodie : en les dernières sonates, les derniers quatuors, le
contre-point abstrait, encore mélodique ainsi, trouve sa légitimation. J’avoue que les
créations orchestrales de Beethoven m’émeuvent beaucoup moins. La plupart ces
symphonies (4, 5, 6) me sont d’une vaine rumeur intolérable ; les premiers morceaux de
la symphonie en la m’indiffèrent : la symphonie en fa est un merveilleux divertissement trop prolongé ; la symphonie avec chœurs,
une production de forme indécise, un essai plutôt qu’une œuvre vivante. Peut-être
fus-je habitué par les musiciens romantiques à des fracas plus variés, ou bien les
règles trop ineptes de la symphonie furent elles — seules de toutes règles — une
entrave au génie de Beethoven. Ainsi on pourrait expliquer, en regard, l’écrasante
splendeur des ouvertures71 : là,
nulle règle cruelle, et le droit de ne point développer les émotions au-delà de leur
mesure vécue.
Toutefois, et même en les symphonies, la tâche de Beethoven (je n’ai point à
mentionner ici les émotions qu’il a exprimées) demeure tout admirable. Il a voulu
donner un sens spécial aux divers timbres des instruments. Que l’on considère les
partitions des diverses ouvertures : chaque instrument, toujours, intervient
lorsqu’est à traduire tel état de l’esprit. Mais Beethoven a compris encore une vérité
plus profonde. Il a vu que deux musiques étaient possibles ; l’une personnelle,
traduisant, dans le minutieux détail, les émotions d’une âme individuelle ; l’autre
exprimant les émotions générales, totales, d’une masse humaine, la résultante d’états
multiples, mais surgis en des âmes pareilles de foule. Le Mage Divin Beethoven comprit
que, à la traduction d’émotions personnelles et intimes, seyait seulement une musique
discrète, pouvant être lue dans le recueillement, ou jouée sur quelque piano, tandis
qu’autour est le silencieux oubli. Les musiques instrumentales, les orchestres,
peuvent-ils dire ces détails très subtils, à mille auditeurs, dans le tumulte d’une
assistance ? A une foule peuvent être offerts seulement les grosses émotions d’une
foule : l’orchestre, jusque le jour où il deviendra vraiment invisible (où il sera lu
en un livre) est à dire, uniquement, les grandes passions collectives, les blocs
d’émotions généraux. Ainsi les œuvres orchestrales de Beethoven, au contraire des
sonates et quatuors, expriment toujours des états très généraux, revivent l’âme de
foules, non d’individus choisis. C’est moins de minutie dans la suite des analyses, un
emportement plus continu de la phrase musicale ; et des allegros furieusement
vulgaires coupés de quelque gracieuse danse, ou d’un bref repos un peu triste.
A l’art furent donnés quelques maîtres admirables, qui créèrent sagement, par les
procédés spéciaux de leurs temps et de leurs arts, une réelle vie bienheureuse :
Platon, et le Vinci, et Rubens, et Bach, et Racine, et Stendhal, et Franz Hals qui sut
comprendre le secret de la sensation. Mais un seul homme a été qui vraiment fut un
artiste ; Beethoven, seul de tous, a constamment et dans une entière conscience,
institué au-dessus de la réalité habituelle ce monde artistique d’une réalité
meilleure : il a balayé de son art les immondices et les ornements inutiles, il a
connu et recréé tout le domaine, à jamais possible peut-être, de son art : il a soumis
ses œuvres, sans arrêt, à une théorie, mais à une théorie lente et sérieuse, et qui
nous apparaît seulement sous les œuvres qui en naquirent. Les chefs-d’œuvre qui
enlèvent entièrement à la réalité coutumière, Beethoven seul les a créés. Il méritait
d’être compris par un petit nombre, un petit nombre, à lui dédiant leurs âmes, très
humblement.
Aujourd’hui sa gloire est plus splendide. Les professeurs de piano recommandent
quelques-unes de ses sonates — en raison de leur caractère inoffensif — aux jeunes
demoiselles qui leur sont confiées. Les critiques autorisés aiment lui rendre justice,
le nommant le père de la symphonie. Le grand public, par des auditions répétées de la
symphonie en ut mineur et de la Pastorale — où est
un si bel orage ! — est unanime à apprécier le génie de l’aigle de Bonn : une place
lui est donnée, dans l’estime universelle, à côté de Mozart ; et, sur le fronton de
notre Grand Opéra, entre Boïeldieu et Berton. Les jeunes wagnéristes seuls lui
reprochent un usage immodéré de la grosse basse ; avouant d’ailleurs qu’il était, pour
son temps, un maître vraiment fort, et, même pour le nôtre, un précurseur. Cette
année, au concours public ce piano du Conservatoire, le final de la sonate op. 27 fut
joué dix-neuf fois de suite, par dix-neuf jeunes gens très distingués. On peut même,
tous les trois ou quatre ans, entendre à Paris un de ses derniers quatuors (au moins
en partie) exécuté par une société spéciale qui le joue tout à fait à la manière d’un
quatuor de M. Vieuxtemps.
Son noble front, considérablement agrandi, à cet effet, par nos photographes, était
bien digne de ces lauriers. Il couvrait un cerveau où furent senties, et vécues, et
recrées parfaitement, toutes les douleurs et les espérances et les joies de la nature
humaine.
Pendant que la musique instrumentale moderne, créée par Johannes Bach, à jamais était
légitimée par le maître Beethoven, une autre forme musicale, l’opéra, né presque vers
le même temps, occupait maints artistes mémorables. La différence des deux formes, à
dire vrai, était plutôt extérieure : la musique d’opéra, comme la musique
instrumentale, demeurait exclusivement des musiques. L’adjonction aux sons des
paroles, ce n’était nullement une survenue de l’art littéraire dans la musique ; car
les paroles, toutes destinées à être chantées, n’exprimaient point des notions
précises, elles dirigeaient seulement l’émotion, indiquant sa nature exacte. Un
quatuor de Beethoven nous suggère des émotions définies ; mais le maître nous a
laissés libres de choisir à ces émotions les causes, le siège, les accompagnements
notionnels qui nous paraissent les plus propres. Un opéra de Gluck, au contraire, et
sans rien exprimer d’autre, sinon des émotions, — nous indique, au moyen des paroles,
la situation de l’âme émue, et ce qui l’émeut. Le personnage souffrant les angoisses
traduites dans le quatuor, c’est à notre gré, Beethoven ou nous-mêmes ; le personnage
souffrant les angoisses traduits dans l’opéra, c’est Orphée, Alceste, le héros imposé
par le livret de l’œuvre.
Recréer exactement des émotions réelles au moyen d’une langue musicale instituée, ce
fut l’objet de Lulli. Sa naïve langue nous est devenus incompréhensible ; mais peu
gardèrent un si admirable souci de l’expression rigoureuse, Après lui Rameau, artiste
bien moindre, acquit au vocabulaire musical des significations un peu rapides, tôt
perdues. Et comme les émotions étaient, au dix-huitième siècle, adorablement simples
et fines, une musique d’opéra fut dressée, simple, exclusivement mélodique, mais
adorable de fine grâce et d’achevée clarté : par Monsigny, Philidor, Duni, qui
traduisirent — ainsi qu’avaient fait Haydn et Mozart pour l’Allemagne — les ingénues
tendresses de leur âge et de leur société ; mais par Grétry, surtout, le très parfait.
Qu’on lise tels airs de Richard cœur de Lion, « Je crains de lui
parler la nuit … » « La danse n’est pas ce que j’aime … » les notes y ont la précision
merveilleuse de mots ; et puis c’est un âge délicat et léger qui s’épand, tandis que
sont inquiètement dandinées les phrases douces.
Le temps des naïves afféteries est enfui ; les âmes s’aggravent, à mesure que le
siècle va. Voici les émotions plus fortes exprimées par Christophe Glück ; et déjà le
langage est plus riche ; deux parties, le chant et l’orchestre, concourant à
l’expression ; une scrupuleuse application — et chez nul, peut-être, autant que chez
Glück — à ce que la musique recrée seulement les émotions définies du personnage en
scène ; des opéras rigoureusement divisés en deux parties : l’une, d’amusement (les
ballets, certains airs), l’autre, d’art ; une profondeur d’analyse jusque là
insoupçonnée : avec cela, un très petit nombre d’émotions, les mêmes sans cesse
traduites, et par les mêmes moyens. Et comme le cœur d’Orphée est douloureusement
abîmé, lorsqu’il voit soudain Eurydice à nouveau perdue !
Un seul homme, après Gluck, pouvait exercer l’opéra. Beethoven a construit l’opéra
idéal, sacrant ce genre, comme il a sacré tous les genres. Non point Fidelie, recueil d’aimables chansonnettes, entre lesquelles splendit une
page ; l’opéra véritable de Beethoven est une messe solennelle en ré majeur, composée pour les voix, l’orchestre et l’orgue. C’est un
drame en cinq actes, le drame émotionnel d’une âme pieuse :
Le souvenir de soi-même, d’abord, devant le Dieu ; une plainte, les émois de la
honte : ayez pitié, Maître, de moi ! Et c’est l’oubli de soi-même, l’envahissement
total du cœur par l’éblouissante Gloire. Une illusion, cela, peut-être ! L’âme,
furieusement, s’affirme la Foi. Elle croit, elle veut croire. Il y a là des paroles expliquant les vérités à croire ; la musique qui
recrée le fond de l’âme, répète toujours l’affirmation furieuse : l’âme croit, veut croire. Puis la voici à l’ivresse des certitudes
conquises : elle est bénie, elle flotte en un doux fleuve un peu lent. Belle joie,
elle s’efface : « Car je suis un pécheur misérable ; agneau divin, pardonneur des
péchés, vois mon cœur ; aie pitié, agneau divin ! Oh ! merci à toi ! tu m’as donné le
seul bien céleste, le repos ! »
Un opéra en cinq actes ou — ce qui est meilleur — en cinq paroles. Tous les moyens de
la plus savante musique employés à recréer, suivant leurs nuances profondes, ces cinq
émotions. Un chef-d’œuvre tel, que les psychologues y pourraient chercher, ainsi qu’en
les derniers quators, l’analyse scientifique des passions.
Je pense que ces merveilles auraient dû terminer toute musique ; elles terminent, du
moins, la musique dite classique. Le romantisme musical naissait.
Le romantisme, amené dans tous les arts par les mêmes causes eut, dans tous les arts,
les mêmes caractères. Il fut déterminé par l’avènement de la démocratie : les âmes
furent modifiées : les choses apparurent sous un aspect plus sensible : le sentiment
de leurs rapports s’atténua : grandit le sentiment de leurs forces externes. Dans le
même temps les émotions acquirent une intensité plus vive ; mais elles perdirent leurs
nuances intimes. Ce fut un continuel contraste de passions très vives.
Sous ces influences mentales fut instituée la musique romantique. Les émotions par
elles recréées sont toujours très intenses ; et des heurts soudains, les passages de
la poignante angoisse aux ivresses exaltées ; nulle analyse de détails émotionnels :
plutôt une tendance à exagérer. Puis, par la hantise des sensations chaudes, la
musique fut menée à vouloir sortir de sa destination : elle tâchait maintenant à être
une peinture, imitant les bruits naturels, les mouvements des corps, leurs
couleurs.
Le vieux langage, si précis et si minutieux, des musiciens classiques fut
dangereusement compromis : vulgarisé, détourné de son but essentiel, pollué par les
colossales passions faciles où on l’asservit. Cependant le romantisme eut un résultat
précieux : il créa l’harmonie.
Les musiciens antérieurs, et Beethoven lui-même, connaissaient seulement la mélodie :
ils l’avaient faite polyphonique, mais c’était toujours la mélodie, car les divers
sons, pris séparément, n’avaient pas une signification distincte ; leur rapport seul
valait pour l’expression. Les musiciens romantiques, accoutumés à l’aspect sensible
des choses, vêtirent chaque son d’une signification distincte. Désormais quelques
notes, même prises isolément, avaient un sens par elles-mêmes. Et l’harmonie amena la
distinction des timbres : on reconnut à chaque instrument une portée émotionnelle
qu’il eut seul. Les instruments furent perfectionnés, leur nombre multiplié.
Mais les romantiques ne surent point mettre ces progrès au service de l’art. Ils
tentèrent recréer des émotions non réelles dans la vie coutumière, impuissantes donc à
produire une supérieure vie. Emportés par une subite fièvre généreuse, ils cessèrent
être réalistes : ils perdirent ainsi le pouvoir de toucher les âmes un peu délicates.
Sincères, quelques-uns le furent pourtant : Schubert et Weber, tous deux disant leurs
fougueuses passions, des passions chez l’un mortellement désolées, chez l’autre tout
brillantes et bruyantes. Puis Chopin, le seul vrai poitrinaire : il sonne aujourd’hui
funèbrement faux : combien pourtant il a voulu éprouver les languides désespérances
qu’il a dites !
Schumann fut un inquiet : ses romans, d’une prétentieuse simpletterie, occupent les
doigts et les larynx, des pâles jeunes femmes ; mais point davantage en ses œuvres
sérieuses il n’a exprimé une émotion réelle. Pareillement. Berlioz, incapable
d’émotion, mais exemplaire dramaturge romantique, s’exténuait à traduire par la
musique des emportements littéraires et verbaux. Il enrichit la langue musicale de
timbres : mais il ne fit aucun usage artistique des termes qu’il créait.
Tandis que les Italiens improvisaient quelques agréables sentimentalades, tandis que
Boïeldieu prostituait le vénérable opéra-comique de Grétry, le vidant de toute
signification émotionnelle, Meyerbeer reprenait plus habilement la besogne que Berlioz
avait mal exercée. Il comprenait, avec le flair avisé d’un négociant, que la musique,
si elle ne répond pas à des émotions, doit, sans vaines recherches savantes, être
seulement un sonore trémolo destiné à retenir l’attention des masses sur des actions
de mélodrame. Il marqueta de banales romances, pour les âmes très sensibles, et les
dissémina parmi une suite de bruyances assourdissantes et creuses ; le tout seulement
pour qu’on ne perdît pas de vue les gestes et mouvements de pantins démenant quelque
scribeuse histoire.
Cependant d’autres romantiques, imitant Berlioz et l’universitaire Mendelssohn,
ouvraient de gracieux trompe-l’oreille. On eut des musiques orientales, hindoues,
hébraïques, languedociennes.
M. Gounod introduisit dans le commerce une formule nouvelle, vite aulamée : un
mélange anodin de Bellini, de Schumann et de Meyerbeer, le tout gentiment accommodé,
saupoudré même, d’une langueur spéciale, gracieuse et vulgaire.
Dois-je ranger entre les musiciens romantiques le compositeur Jacques Offenbach ?
Celui-là, du moins, a créé une vie d’émotions spéciale. Son œuvre, close encore
naguère à notre intelligence par une barrière de sottes admirations, est aujourd’hui,
pour les races érudites qui la considèrent, un très louable effort à restituer la
passion collective de bruyantes âmes parisiennes. Entre les deux musiques, dont l’une
exprime et analyse les émotions d’un individu, dont l’autre recrée les émotions
collectives de masses humaines, Offenbach a, constamment, choisi la seconde : les
personnages de ses opérettes n’ont point de nature propre : les plaies mélodies par
eux débitées ne traduisent nullement des états d’âme personnels. Mais l’ensemble de
son œuvre apparaît comme la curieuse traduction de ce que jouissaient et souffraient,
communément, dans l’extérieure vie do Paris, les hommes de la génération précédente.
La Belle Hélène, la Grande Duchesse, c’est le quadrille d’âmes
grossières et vaines, comme tel final des symphonies de Beethoven fut la valse d’âmes
passionnées et naïves. Et je crois bien que j’admirerais Offenbach si ce maître
n’avait, après lui, donné le droit d’exister à d’ compositeurs
d’opérettes, incapables d’être expressifs comme d’être spirituels. D’ailleurs, Auber
bb n’est-il pas plus
responsable qu’Offenbach de MM. Lecocq et Audran ?
La musique romantique, sous ses formes diverses, a séduit, comme elle le devait, les
esprits peu complexes. Issue de la démocratie, elle est devenue la musique préférée de
nos démocraties. De longtemps encore elle vivra. Comme en littérature le drame et le
roman-feuilleton, elle suffira aux besoins artistiques d’âmes nombreuses et pareilles.
Mais pour les rares « différents », pour ceux qui furent habitués par Bach, et par
Grétry, et par Beethoven, à la recréation affinée d’émotions délicates, elle demeure
précieuse seulement comme une inconsciente fabrication de termes nouveaux et d’utiles
procédés. Elle n’a produit nulle œuvre d’une vie supérieure, jusque le jour où un
maître enfin intelligent, Wagner, voulut restituer, par les moyens d’elle comme de
toute musique, les émotions très subtiles de son âme.
Je voudrais dire encore l’héroïque essai de Wagner à sauver la Musique, et la valeur
des formes musicales nouvelles qu’il a indiquées.
Teodor de Wyzewa
DRESDE. — La Tétralogie sera jouée les 18, 19, si et 23 septembre ; on annonce ensuite
plusieurs représentations de Tristan,
Le 9 septembre dernier, M. Scheidemantel a chanté pour la première fois, avec un grand
succès, le Hollandais Volant,
LONDRES. — Nous recevons de M. Charles Dowdeswell, l’un des secrétaires de la Société
Wagnérienne de Londres, quelques intéressantes notes au sujet de M. Ferdinand Praeger,
qui s’ajouteront utilement à l’article que nous a envoyé sur le Wagnérisme en
Angleterre, notre collaborateur, M. Louis N. Parker.
Le nom de Ferdinand Praeger, dit M. Charles Dowdeswell, doit, en tout droit et tout
honneur, être le premier dans la liste des artistes qui se sont occupés avec ardeur en
Angleterre de la cause de Richard Wagner ; car c’est lui qui, pendant des années, en a
été le seul, l’unique prophète ; ainsi était-il dénominé, et attaque en conséquence,
quand personne encore cher nous ne pensait à Richard Wagner.
Je puis préciser certains détails spéciaux par des dates de journaux. J’ai devant moi
un numéro du English Gentleman, un journal de Londres de l’année 1845,
qui contient un article écrit par Ferdinand Praeger sur la première représentation de
Tannhaeuser à Dresde en 1845 : Ferdinand Praeger a été le premier
qui prononça et écrivit le nom de Richard Wagner en Angleterre, et qui endura plus tard
des années de persécution pour avoir non seulement reconnu son génie mais pour l’avoir
envers et contre tous proclamé sans cesse.
En 1855, quand la Philharmonique de Londres cherchait un chef d’orchestre, c’était ce
même Ferdinand Praeger qui, par l’intermédiaire de son amie Prosper Sainton alors un des
directeurs de ces concerts, proposa Richard Wagner ; M. Andersen, un autre des
directeurs, pria Ferdinand Praeger d’offrir un engageaient à Wagner ; Wagner l’accepta,
et, à son arrivée à Londres, il descendit chez Ferdinand Prœger.
Dans la Revue Musicale de New-York de cette époque,
pour laquelle Ferdinand Praeger était correspondant, on trouve des articles qu’il
signait de trois étoiles ; et le « Musical World » de Londres de la
même époque contient des attaques aussi brutales que sottes contre l’enthousiasme du
correspondant Praeger.
En 1877, lorsque Richard Wagner vint ici pour le « Wagner Festival », ses admirateurs,
devenus nombreux, donnèrent un grand banquet en son honneur « à Cannon Street hôtel »,
choisissant le 22 mai, anniversaire de sa naissance pour le fêter. A ce banquet, Richard
Wagner proposa un toast à l’ami qui lui était resté fidèle plus d’un quart de siècle
malgré les ennuis et les attaques qu’on lui prodiguait sans relâche (voir dans le Daily News du 23 mai 1877, en rapport sur le banquet et sur le « toast »
que proposa Richard Wagner.
Je pourrais ajouter, conclut M. Dowdeswell, un grand nombre de faits pour Montrer que
le titre de « Prophète de Richard Wagner », employé depuis des années par les ennemis et
les amis, pour désigner Ferdinand Praeger, était bien mérité par lui. Et je me félicite
de cette occasion, de rendre honneur et justice à qui honneur et justice sont dûs.
NEW-YORK. — La saison d’opéra au Métropolitain, d’après le prospectus qui vient d’être
livré à la presse, commencera le 8 novembre, et se terminera le 26 février 1887.
Parmi les quinze œuvres promises, nous en comptons sept de Wagner ; ce sont :
Rienzi, Tannhaeuser, Lohengrin, La Walkure, Les Maîtres Chanteurs, Siegfried
et Le Hollandais Volant. De ces drames, le hollandais fut représenté l’année dernière,
avec éclat et succès, à l’opéra américain ; Siegfried, si je ne me trompe, n’a jamais
été présenté au public de New York.
Je note parmi les artistes dont le concours nous est assuré, Mesdames Lilli Lehmann et
Marianne Brandt, de l’Opéra Impérial de Berlin, Léonore Better du Conservatoire de
Vienne, et Thérèse Farster, de l’Opéra de Stuttgart ; MM. Alvary, de Weimar, Albert
Niemann, de Berlin, Otto Remlitz, de Hanovre, Adolphe Robinsen, de Hambourg, enfin
Wilhem Basch et Emil Fischer, de Dresde.
L’orchestre restera sous la direction sympathique du capellmeister Anton Seidl, que
le » Wagnériens d’Amérique ont regretté de ne pas retrouver cet été à Bayreuth.
J’espère sous peu vous annoncer le programme de l’Opéra Américain, dont les artistes,
tous nationaux, ont hautement interprété, l’année dernière, plusieurs des œuvres
wagnériennes.
Nous triomphons sur toute la ligne. A votre tour, confrères de France !
S. M.
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