Août 1886.
Dernières nouvelles
Bayreuth, 6 août. — Les quatre premières représentations du mois d’août viennent d’avoir
lieu, avec le même succès que les précédentes.
Voici la distribution projetée pour les six dernières : les 12, 15 et 19 août. Sucher
et Vogl dans Tristan ; les 13, 16 et 20 août, Materna et Winkelmann
dans Parsifal.
Les représentations de la Tétralogie à Munich et à Dresde tiennent toujours32 ; à Dresde, un Cycle Wagnérien complet sera
donné pendant le mois de septembre ou d’octobre, suivant l’ordre chronologique. A Dresde
et à Munich, entre les deux représentations de la Tétralogie, le répertoire
ordinaire.
Télégramme
Bayreuth, 9 août. — Les prochaines représentations à Bayreuth auront lieu en été 1888 ;
on donnera Tristan, Parsifal et un autre drame de Wagner, peut-être
les Maîtres chanteurs.
Bayreuth, le 1er août.
1
e
Correspondance
Le 23 juillet ont été reprises les représentations du Théâtre de Fête de Bayreuth ;
c’est la cinquième année que le théâtre est ouvert, la quatrième que Parsifal y est représenté, la première pour Tristan.
Avant tous détails, disons que, jusqu’aujourd’hui, les représentations ont été
admirables et le succès complet. L’orchestre, sous la direction de MM. Levi et Motti est
plus parfait encore que précédemment ; les interprètes, toujours les premiers artistes
d’Allemagne, sont tout à fait maîtres de leurs rôles : les personnages secondaires ont
la même bonne volonté ; enfin, la mise en scène est simple toujours et minutieusement
soignée ; et, toujours, c’est l’effet de ce théâtre vraiment féerique, où
le drame apparaît comme la vision d’un autre univers qui se révèle aux assistants.
De ce résultat il faut savoir gré tous les artistes universellement qui prennent part
aux représentations ; c’est en effet par le zèle, par le dévouement, souvent par
l’abnégation des participants qu’est obtenue cette perfection d’ensemble qui donne aux
Fêtes de Bayreuth leur marque spéciale. Mais quiconque a joui de l’œuvre merveilleuse de
Bayreuth doit savoir à qui est due l’initiative et la direction des Fêtes ; M. Adolphe
Grossan, aujourd’hui l’exécuteur testamentaire
de Wagner, après avoir par son concours assidu permis au maître de mettre en pratique à
Bayreuth l’œuvre qu’il avait connue, a su, depuis au moment où chacun désespérait de les
voir renouvelées, continuer les Fêtes et les garder dignes absolument de leur glorieux
fondateur.
Et qu’hommage enfin soit rendu, très dévotement, a celle par qui la pensée du maître
vit intimement, à la vénérée et auguste veuve par qui se perpétue, en ces Fêtes, l’âme
de Richard Wagnerao.
Signalons quelques changements survenus dans la distribution des rôles que nous avons
publiée il y a un mois.
M. Levi dirige seulement Parsifal, M. Mottl seulement Tristan.
Madame Materna chante seulement Kundry, M. Winkelmann seulement Parsifal.
Une seconde Brangaene, Madame Sthamer-Andriessen, de l’Opéra de Leipzig ; Mesdames
Sthamer-Andriessen et Staudigl chantent encore (dans la coulisse) les quelques mesures
de l’alto solo, à la fin du premier acte de Parsifal.
Un troisième Marke, M. Gura, déjà chargé d’Amfortas.
Titurel est chanté par MM. Haiper et Schneider,
Aux noms des artistes des rôles secondaires, ajoutons celui de M. Demuth33
23 juillet. — Sont arrivés : M. et Madame H. S. Chamberlain, MM. Winchester du
Bouchet, Édouard Dujardin, Amédée Dutacq, M. et Madame Lecrosnier, Madame Pelouze,
M. Moullé, M. et Madame du Rolland du Roquan, le comte et la comtessede Romain, le
vicomte et la vicomtesse de Vigier34.
Des étrangers notons : Liszt, qui n’a pu assister qu’aux deux premières
représentations, le prince Wilhelm de Hessen, le prince héritier de
Hohenlohe-Langenburg, les princes de Meiningen, M. de Puttkamer, la princesse Werra de
Würtemberg, le prince et la princesse Wilhelm de Würtemberg.
Madame Wagner a momentanément quitté la villa de Wahnfried et demeure au théâtre où
elle dirige les représentations ; ses enfants, M. et Madame Thode, font les honneurs
de Wahnfried avec leurs deux jeunes sœurs et leur frère.
A Bayreuth, déjà une grande affluence ; un plus grand nombre d’Allemands, mais
beaucoup d’Anglais, et des gens un peu de tous les pays.
Un orage a, la veille, rafraîchi la température ; le temps est admirable ; on
retrouve l’enchantement de ce théâtre en plein parc, à mi-côte de la colline, et des
longs entractes avec les promenades dans la campagne ou les péripéties du dîner dans
la « restauration » du théâtre …
A 4 heures, on entre ; la salle est maintenant éclairée, à mi-hauteur des colonnes,
par des lampes électriques qui s’éteignent complètement pendant la représentation, et,
en haut des colonnes, par le gaz qui est ensuite aux trois quarts baissé. Sur la scène
on a mis également l’électricité ; la rampe n’a plus qu’un rôle très restreint ; la
lumière vient principalement d’en haut.
La distribution était, le 23 : Mademoiselle Malten, MM. Winkelmann, Reichmann,
Scheidemantel, Siehr.
Places prises : 1 200 environ35.
Le lendemain 24 a eu lieu, à 9 heures du matin (salle de la Société Frohsinn)
l’assemblée générale annuelle de l’Association Wagnérienne Universelle36.
La séance était présidée par M. Carl Wimmer, président du Comité Central de
l’Association, assisté de MM. Oskar Merz, second président, E. Sachs et Porges,
secrétaires, Hermann, Lévi, Hans de Wolzogen, Franz Fischer, Rud, Seitz et Alfred
Schmid, membres du comité.
Une centaine de délégués étaient présents, représentant environ 3 000 des membres de
l’Association.
L’ordre du jour était ainsi fixé :
1° Règlement des comptes ;
2° Règlement de la caisse ;
3° Règlement des révisions ;
4° Propositions du Comité Central : fondation Wagner ; modification aux statuts ;
5° Discussion des modifications aux statuts proposées par les membres de
l’Association ;
6° Election du bureau pour la révision des statuts.
La modification de statuts proposée par le Comité a été longuement discutée et
finalement votée.
Cette modification avait pour but — sans rien changer à l’esprit général et à
l’organisation pratique de l’Association — de donner à l’Association un caractère légal
qui lui permît d’établir ensuite une « Fondation-Wagner » et de recevoir des legs.
D’après les nouveaux statuts, le centre de l’Association sera à Bayreuth et le
président de l’Association choisi à Bayreuth ; mais le Comité Central, chargé des
affaires courantes, reste à Munich. Le président de l’Association n’a pas encore été
nommé, les membres du Comité Central ont tous été réélus.
L’assemblée s’est terminée à 7 heures du soir.
Le soir du même jour, à 8 heures, arrivait à Bayreuth le train des Viennois. La
Société Wagnérienne de Vienne avait organisé un train spécial de Vienne à Bayreuth,
pour lequel s’étaient inscrits environ 580 personnes. Un grand nombre des artistes du
théâtre et d’étrangers ont été à la gare au devant du train ; un orchestre de cuivres
réuni parmi des artistes de bonne volonté jouait la marche de Tannhaeuser ; les Viennois débarquèrent au milieu des acclamations.
On attend, au mois d’août, un autre train spécial, de Munich.ap
Les représentations du 25, 26, 29 et 30
Le 25, — étaient arrivés : MM. Paul Bourget, Alfred Bovet, la comtesse de Brantes,
MM. Albert Cahen, Dépinay, Gustave Fridrich, Charles Lenoir, Georges Saint-René
Taillandier.
Tristan : Sucher, Vogl, Staudigl, Plank, Wiegand.
Places prises : 1150.
Le 26, — Parsifal : Materna, Gudehus, Reichmann, Plank, Siehr.
Places prises : 1 400.
Le 29, — arrivés : la comtesse de Beausacq, M. Clémenceau, M. et Madame Diémer,
MM.Xavier Perreau, Teodor de Wyzewa.
Tristan : Malten, Gudehus, Sthamer-Andriessen, Scheidemantel,
Gura.
Places prises ; 1 100.
Le 30, — arrivés : MM. André Hallay, André Messager.
Parsifal : Materna, Vogl, Gura, Plank, Wiegand.
Places prises : 1 500.
Liszt était arrivé depuis quelques semaines à Bayreuth : il venait du château de
Colpach en Luxembourg où l’avaient reçu M. et Madame de Munkacsy. Très affaibli et
souffrant, il continua cependant à recevoir à Wahnfried et chez lui, dans la Siegfriedstrasse ; ce n’est que quelques jours avant de mourir qu’il dut
garde le lit. Enfin le samedi, 31 juillet, à minuit, il s’est éteint doucement, sans
agonie, au milieu de sa fille et de ses petits-enfants.
Saluons le glorieux artiste dont la présence, tant de fois, a été un signe d’espérance
et de victoire, le très magnanime ami à qui Richard Wagner un jour dut sa fortune.
C’est le sujet facile aux conversations, dans Bayreuth, que la comparaison des divers
artistes qui interprètent Tristan et Parsifal ;
comme chaque rôle est tenu en triple ou en double, il y a beau jeu à discussions, parmi
les pèlerins de Bayreuth. Mais les détails de chaque rôle ayant été réglés par Wagner et
la tradition s’en imposant aux artistes, la comparaison ne peut plus être que sur des
points très secondaires ; d’ailleurs, n’y a-t-il pas quelque étroitesse, surtout au
théâtre de Bayreuth, à tant se préoccuper des spéciales qualités des acteurs ; serait-ce
encore, même ici, l’histoire des gens qui écoutent l’acteur, non la pièce ?…
Aujourd’hui tous les artistes ont été entendus, et chacun presque dans leurs deux
rôles ; je n’essaierai pourtant pas de discuter leurs qualités et défauts. Vraiment,
tous sont excellents. Ils ont ces voix allemandes un peu dures, quelques-uns
excessivement, comme Siehr, d’autres moins, comme Winkelmann ; mais c’est pour de telles
voix qu’écrivait Wagner ; et tous ils sont excellents musiciens, très sérieux, très
consciencieux ; et tous, des acteurs plus ou moins gauches.
Hors de pair, MM. Gudehus et Vogl : Gudehus, moins bon acteur, mais d’une superbe voix,
et d’une remarquable intelligence ; Vogl, dont la voix se fatigue, mais le seul de ces
acteurs qui sache à peu près poser son personnage.
Winkelmann, Gura, Plank, Scheidemantel, Wiegand. Siehr sont des artistes fort
convenables à la manière allemande ; Reichmann est plus distingué et sa voix est
meilleure qu’aux années précédentes.
Dans les rôles secondaires s’affirme la façon allemande de comprendre et de jouer le
drame : ces très honnêtes gens traduisent en leur vie de tous les jours la vie toute
mythique de leurs personnages ; sincères donc et simples, mais toujours en ces
chevaliers du Saint Gral on reconnaît les sympathiques habitués des brasseries.
Ce défaut n’est pas aux chanteuses, mais le contraire ; les trois chanteuses ont
d’admirables voix, mademoiselle Malten plus impressionnante, madame Sucher plus simple,
mais les trois continuent à jouer suivant tout le faux des usages scéniques ; défaut
sensible surtout chez madame Materna qui toujours semble jouer l’Africaine
aq.
Ferons-nous des compliments aux très gentilles Floramyes ? Oui, car dans ce théâtre
chacun donne toute sa force à cette tâche au-dessus des moyens des gens de théâtre,
réaliser une pensée artistique.
Mais les compliments sans restrictions, sans réserves, sans atténuations, à l’orchestre
qui semble avoir atteint l’expression adéquate de la pensée du maître ; c’est, en toute
exactitude (donc en toute perfection), le rendu de toutes les indications de mouvement,
de nuance, d’expression ; MM. Levi et Mottl se sont faits les fidèles ouvriers de cette
terrible besogne, et, à force de soins, sont arrivés à ce simple et unique but, faire
entendre la partition du maître ; aussi quelle merveille, quand monte de cet orchestre,
le grand, le seul personnage du drame, l’essence profonde et totale de la pensée
wagnérienne.
Parsifal nous est revenu tel qu’il nous était apparu en 1882, 1883 et
1884 ; Tristan est, en réalité, une nouveauté.
Certes, l’admirable disposition de la scène de Bayreuth, l’orchestre invisible, la
salle obscure, devait donner à la représentation de Tristan une beauté
spéciale ; encore, le très grand soin mis aux scéneries (décorations, plastiques,
mimiques) ; mais ce qui transforme Tristan, c’est surtout l’effet
acoustique de l’agencement des instruments de l’orchestre et l’effet tout moral du
milieu.
L’orchestre invisible est une innovation favorable à l’audition plus encore qu’au
spectacle : en atténuant la sonorité, il permet de donner aux instruments toute leur
puissance, de déchaîner, sous les paroles et sans les couvrir, tous les éclats de
l’instrumentation : à Bayreuth, on entend pour la première fois ce qu’est la musique de
Tristan. L’orchestre invisible unit encore les sonorités ; en outre,
la disposition des instruments par groupes donne à chacun une valeur presque
topographique qui décuple l’effet de leurs agencements : ainsi sont encore, à la fois,
précisés et fondus les timbres.
De l’effet moral produit par l’agencement du théâtre, il a été souvent question. Toute
comparaison est impossible entre les théâtres ordinaires et celui de Bayreuth ; le
caractère particulier de Bayreuth, l’emplacement du théâtre, l’air de sérénité qu’on y
respire, l’imposant mystère de la salle, tout cela s’ajoute en cette communion qui
nécessairement unit les assistants … Ainsi apparaît Tristan,
transfiguré de ce que nous l’avions vu à Munich ou ailleurs. Dans la nuit de la salle,
le prélude s’élève, en un mouvement d’abord extrêmement lent ; et maintenant va
s’épandre ce flux ininterrompu d’émotions qui est le drame.
Voilà les deux condamnés à l’amour, Tristan, Isolde, que le sort a
jetés dans les bras l’un de l’autre et qui vont vivre la vie terrible de l’amour jusqu’à
la mort. Le premier acte, c’est l’instant décisif où, après de longues luttes, de longs
mensonges, apparaît enfin la passion victorieuse ; puis c’est comme l’épanouissement du
nouvel amour, la scène où Isolde frémissante attend Tristan, la scène
où Tristan et Isolde, unis, cherchent vainement l’apaisement de leur
insatiable désir, et la scène où, en présence de Marke et de ses gens, les deux amants,
oublieux de Marke et des hommes et du monde, se donnent enfin, au dernier instant, le
baiser par lequel ils entrevoient la suprême délice de leur libération ; enfin, le
troisième acte, dans ce paysage de mer et de plage dont les bruissements s’enroulent
autour de leurs âmes, la mort au monde et la transfiguration des amants ; la mort au
monde, le déchirement de l’heure dernière, la torture des dernières humaines
souffrances, et l’entrée à l’apaisement infini, — à la consolation de ceux qui ont
gémi.
Drame de passionnément intense et incessé, dont nous repose à peine la vision finale
d’Isolde mourante ; mais le drame de pacification, — et la conclusion de celui-là,
— c’est alors dans Parsifal qu’il nous est offert.
Tristan et Isolde sont encore là, les souffrants du désir mortel,
dans Amfortas et dans Kundry ; mais voilà le libérateur, — le libérateur des désirs,
— Parsifal. Les souffrances d’Amfortas, emplissent le premier acte ;
et le second acte c’est la lutte de ces deux contraires, le désir et le renoncement ;
puis, le triomphe, total et absolu, du Pur et Fol. Ainsi se développe cette action
profonde en ces mots résumée, — ce me semble, — ces mots du Renonceur
triomphant : « J’ai vu se faner — celles qui me souriaient, — maintenant après le salut
aspirent-elles ?… »
En cet admirable cadre de Bayreuth on sent mieux de quelle intense et formidable vérité
l’œuvre de Richard Wagner touche le fond intime de notre être.
E. D.
On a beaucoup écrit sur Parsifal. Nous ne voulons pas refaire ce que
d’autres ont fait ; nous ne voulons pas non plus, dans cet article, examiner les vieux
romans, sources du poème, car ces intéressantes recherches, appliquées aux œuvres de
Wagner, sont la cause d’innombrables malentendus ; nous nous abstiendrons aussi de tout
jugement et de toute réfutation. Le but de ces lignes est, simplement, de faire un peu
mieux connaître Parsifal, en rassemblant les données historiques et
critiques précises qui se rapportent à ce drame, et qui sont propres à en éclairer la
signification.
Tout d’abord, écartons l’erreur commune qui consiste à voir dans Parsifal l’œuvre de la vieillesse du maître. Wagner avait trente-deux ans
lorsqu’il commença à s’occuper de la littérature ayant trait au Saint-Gral et à Parsifal ; à quarante-deux ans il fît son premier essai de dramatisation
du personnage (dans le projet primitif de Tristan) : à quarante-quatre
ans il esquissa le drame et quelques fragments musicaux ; à cinquante et un ans, en
1864, il établit le projet complet du Parsifal que nous possédons
aujourd’hui. Les années de gestation du poème sont celles qui vont de 1855 à 1864. Nous
savons de la source la plus autorisée que c’est de cette année, 1864, que date le projet
complet et définitif, rédigé sur le désir que témoignait le roi Louis II de voir
accompli ce drame dont le maître lui parlait. Les nombreuses péripéties des années qui
suivirent, la nécessité d’achever les autres œuvres, la fondation du théâtre de Bayreuth
et les innombrables labeurs et fatigues qui s’en suivirent jusqu’aux premières
« représentations de fête » en 1876, tout cela empêcha Wagner de se consacrer à son Parsifal. Mais il ne cessait pas de s’en occuper ; l’œuvre d’élaboration
se poursuivait37. Aussi le travail final fut-il rapide. C’est au milieu de
tous les ennuis et tracas causés par le déficit qu’avaient laissé les représentations de
1876, que, en quelques semaines du printemps de 1877, le projet de poème fut parachevé
et la versification terminée (Glasenapp, Biogr. 11, 483) ; et le 29 avril 1879 la
composition était finie (1. c. 11, 512). C’est l’instrumentation seule qui ne fut
terminée que le janvier 1882 ; ce retard était causé par la maladie, et par
l’impossibilité de donner Parsifal avant cette époque. On le voit,
Wagner n’a fait que mettre sur le papier ce qu’il portait depuis longtemps en lui ; il
serait absurde de vouloir dater l’œuvre qu’il méditait depuis trente ans, du jour où le
hasard lui permit ce travail manuel.
Si, maintenant, nous examinons les origines du poème, nous verrons que celui-ci
contient trois choses, trois idées fondamentales, qui primitivement n’étaient point
nécessairement liées dans l’esprit du maître. Nous verrons aussi comment, intimement,
Parsifal se rattache à Tristan, à l’Anneau du
Nibelung, aux Vainqueurs et à Jésus de Nazareth
ar.
C’est la figure de Tristan qui inspira, comme contraste, celle de Parsifal. Dans la première ébauche du drame de Tristan et
Isolde, de 1855, Parsifal, à la recherche du Saint-Gral,
devait, dans le troisième acte, arriver en pèlerin à Karéol (Bayr. Bl., 1885, 289). Sa
foi avait même déjà trouvé son expression dans une mélodie qui répondait aux désespérées
plaintes de Tristan. Quel était ce Parsifal ? cet
homme arrivant, on ne savait d’où ; cherchant Monsalvat, on ne savait pourquoi. C’était,
uniquement, le héros du renoncement, — du renoncement pur et simple, buddhique. L’idée
d’opposer à Tristan ce personnage était plus philosophique que
poétique ; aussi Wagner l’abandonna-t-il. Mais, immédiatement après, au printemps de
1856, il esquissa les Vainqueurs, où réapparut, sous le nom d’Ananda, ce Parsifal du renoncement, et spécialement du renoncement à l’amour entre les
sexes : le violent amour sensuel de Prakriti et sa finale rédemption par le vœu de
chasteté nous montrent la première esquisse du caractère de Kundry (Voir Revue Wagnérienne, 1885, XI, 308).
Evidemment le maître ne fut pas non plus content de cette ébauche, et, laissant tous
ces projets de côté, il se remit au Ring et composa le premier acte de Siegried. C’est
pendant ce travail que, le jour du Vendredi Saint, 1857, grâce à un ensemble de
circonstances fortuites, Wagner se ressouvint de la figure divine poétisée par lui dans
son Jésus de Nazareth ; il entendit ce soupir de la plus profonde pitié qui, jadis,
retentit de la croix sur Golgotha, et qui, aujourd’hui, s’échappe de notre propre
poitrine » (R. Wagner, Bayr. Bl., 1881, 123). La vieille légende du Charme du Vendredi
Saint revînt à sa mémoire ; ce jour où Dieu, par pitié donna sa vie pour l’homme,
l’homme lui-même a pitié des animaux et des plantes, il ne leur fait point de mal, et
ses larmes de repentir arrosent les prés et les font fleurir. Rapidement, il esquissa un
drame dont cette idée, la pitié fut le centre ; Parsifal en était le
héros, mais cette fois le héros de la pitié, de la compassion. Cette esquisse est le
vrai noyau du drame que nous possédons aujourd’hui ; non seulement elle contenait des
scènes importantes de celui-ci, mais en outre des fragments de motifs musicaux. Et il
est important de remarquer que cette esquisse de Parsifal, est
antérieure à l’achèvement du poème de Tristan, car, le 25 août 1857,
Wagner déclara à quelques amis qu’il ne savait pas encore de quelle manière il ferait le
troisième acte de Tristan (R. Pohl, Musik. Woch., 1883, 337) ; il en
avait éliminé Parsifal, devenu le héros d’un nouveau drame, il lui
fallait trouver un autre dénouement.
Wagner se remit à Siegfried après avoir terminé la composition du
second acte, il reprit son projet de Tristan et, pendant deux ans,
jusqu’à l’achèvement complet de l’ouvrage, en 1859, il s’y voua entièrement. Ensuite
vinrent les pénibles années qui vont de l’automne 1859 à l’été 1864, les années de Tannhaüser à Paris, des éternels projets de Tristan à
Vienne, des tournées de concerts en Russie, etc., et qui conduisirent le maître à un
état de dénuement tel, que, littéralement, il n’avait plus de quoi manger. Pendant ce
temps il ne créa rien. Mais — quelle preuve que l’idée de Parsifal le
hantait ! — à peine le roi de Bavière, Louis II l’avait-il appelé à Munich et lui
avait-il ôté tout souci, qu’il s’occupait à établir le projet définitif de ce drame. Le
Ring n’était pas terminé, les préparatifs pour les solennelles représentations de Tristan devaient commencer, le roi avait ordonné d’élaborer,
immédiatement, les projets pour l’école d’art dramatique et pour le Théâtre de Fête
qu’il voulait ériger à Munich … : avant tout il s’agissait, pour le maître, de fixer les
lignes et de tracer l’esquisse de ce que lui-même appela toujours « sa dernière
œuvre ».
Et c’est ici que nous pouvons aborder l’examen de la troisième idée fondamentale qui
présida à la création de Parsifal ; elle est la plus importante et
donne la véritable clef de la signification du drame. Certainement elle était antérieure
aux deux autres, mais ce n’est que postérieurement au projet de 1857 que Wagner
s’aperçut de la possibilité de la poétiser dans la légende de Parsifal, et, aussi, de l’allier avec les deux autres conceptions, du Parsifal renonciateur et du Parsifal compatissant.
En 1848, en même temps que Wagner écrivait le Mythe des Nibelungs « esquisse d’un
drame », il publiait une brochure Les Nibelungs « l’Histoire Universelle dans la
Légende ». (Cette étude avait été entreprise en vue du drame parlé, un moment projeté,
de Frédéric Barberousse)as. La signification réelle et idéale du Trésor des Nibelungs y
est traitée à fond ; ensuite, dans un chapitre intitulé « Transformation du contenu
idéal de la légende du Trésor des Nibelungs en la légende du Saint Gral », Wagner montre
la connexité des deux. Il dit : « … le Gral, tel que les poètes allemands l’ont
interprété, prend la place du trésor des Nibelungs et devient son successeur idéalisé …
la recherche du Gral remplace les combats pour s’emparer de l’Or… »38. Ce Saint Gral, qui forme le centre du drame de Parsifal, en ce sens qu’il est l’objet de toutes les adorations et de toutes les
convoitises et qu’il symbolise une puissance mystérieuse, est donc poétiquement
identique à l’Or du Rhin, lequel dans le Ring joue le même rôle. Mais cette connexité
que Wagner apercevait déjà en 1848, acquit avec le temps une signification plus profonde
et autre, et cette idée que le Gral est l’Or du Rhin idéalisé l’amena à concevoir un
drame entier qu’on pourrait fort correctement nommer l’Anneau du nibelung « idéalisé ».
Ce cadre se réalisa, dans Parsifal. Il ne s’agit pas ici de
coïncidences fortuites, ni d’interprétations forcées ; le maître a rendu son intention
d’un parallélisme dans l’antithèse si indubitable, qu’on ne peut s’étonner que d’une
chose, c’est qu’un fait aussi significatif ait pu passer jusqu’ici inaperçu. Lui-même a
dit que la voix qui sort du tombeau de Titurel n’est autre que celle de Wotan « chez qui
s’est brisée la volonté de vivre » (Glasenapp, Calendrier de Bayreuth, 1880, 61) ; pour
montrer l’identité entre cette moitié de Wotan, Bruunhilde, et Kundry, il a forgé pour
elle le nom de « Gundryggia »at, qui signifie Walküre (Lœffler, Bayr. Bl., 1878, 100), et le sommeil de Kundry, d’où elle se
réveille sans force, est analogue à celui de Brunnhilde ; Klingsor, qui se mutile pour
s’approcher du Gral et qui devient ainsi la cause efficiente du drame, est évidemment
conçu d’après le prototype Alberich, qui « maudit l’amour » pour se saisir de l’Or du
Rhin … Connaissant cette intention, on pourrait poursuivre ces analogies sans crainte
d’aller trop loin : la lance, par exemple, qui a donné tant de mal aux savants
critiques, parce qu’ils ne la retrouvaient pas (sous cette forme) dans les poèmes qui
racontent les légendes de Parsifal et du Gral, cette lance que Parsifal conquiert par la chasteté on l’aurait trouvée, si on avait
songé à la « sainte lance » de Wotan, taillée dans le bois de « l’arbre du monde » …
Nous expliquerons la raison de cette intention poétique ; pour le moment, il nous suffît
d’avoir établi par quelques indications précises, l’existence dans Parsifal d’une parenté, ou antithèse, voulue avec le Ring39.
Parsifai, lui, n’en resta pas moins l’Ananda du renoncement ; et le pèlerin qui, à
Karéol, répandait aux plaintes de Tristan par l’inutile opposition
d’une autre foi, acquit une signification vivante lorsqu’il eut entendu « le soupir de
divine compassion », qu’il put guérir la plaie de Tristan-Amfortas, et
lui dire : « Bénies soient tes souffrances, qui ont enseigné à l’irrésolu Fol la très
haute puissance de la Compassion et la force de la plus pure Science. »
Il est superflu, après cet historique, de déclarer que Parsifal n’est
pas la glorification d’un dogme religieux. Il n’y a pas plus de Christianisme dans Parsifal qu’il n’y a de Paganisme dans le Ring et dans Tristan. Ces trois œuvres, nous l’avons vu, sont contemporaines ; Wagner y
travaillait simultanément ; elles sont reliées entre elles par de nombreux liens de
conception, et forment pour nous — comme elles formèrent dans la pensée du maître — un
Tout. Wagner a toujours reconnu les liens qui unissent l’Art à la Religion ; il n’a
jamais outrepassé les limites qui les séparent. En 1864, donc précisément au moment où
il écrivait Parsifal, Wagner dit : « dans le domaine apparemment si
éloigné de la religion, je n’ai jamais cherché, en vérité, que mon art … » (VIII, 8) ;
en 1850 il avait dit la même chose (III, 77) ; et en 1880 il répète : « si on me
demandait ; voulez-vous créer une religion ? je répondrais que cela est impossible … mes
idées à ce sujet ne me sont venues que comme artiste créateur… » (X, 322).
Mais, dans cette même brochure de 1864, État et Religion, Wagner indique aussi la note
caractéristique de l’œuvre qui l’occupait, de Parsifal ; plus tard, en
1882, il revint à ce sujet et rendit son intention indubitable. Ici se révèle la
question du parallélisme signalé plus haut.
Dans de récents articles, M. de Wyzewa a résumé la théorie wagnérienne de l’Art :
« l’Art doit créer la Vie … il faut, au-dessus de ce monde des apparences habituelles
profanées, bâtir le monde saint d’une meilleure vie : meilleur par ce que nous le créons
… » Il montre ensuite que « l’artiste ne peut prendre les éléments de cette vie
supérieure nulle part, sinon dans notre vie inférieure, dans ce que nous appelons la
Réalité. » Or, dans Parsifal, Wagner, tout en se servant de signes
empruntés à cette Réalité, a voulu créer une Vie aussi éloignée que possible des
« apparences habituelles profanées ». En 1864, Wagner dit : « l’œuvre de l’art le plus
élevé doit se mettre à la place de la vie réelle, elle doit dissoudre cette Réalité dans
une illusion, grâce à laquelle ce soit la Réalité elle-même qui ne nous apparaisse plus
que comme une illusion … La nullité du monde ! ici nous la reconnaissons franchement,
sans amertume, en souriant » (VIII, 37). Et en 1882, dans l’article daté de Venise, 1er novembre, et consacré au souvenir des représentations de Parsifal qui venaient d’avoir lieu, il écrit : « Oublier dans la
contemplation de l’œuvre d’art — rêvée mais vraie — le monde réel du mensonge, c’est la
récompense pour la douloureuse véracité qui nous a forcés de reconnaître que ce monde
n’est que misère » (X, 395). — Nulle part, dans ce poème de Parsifal,
nous ne touchons au monde réel. Nous ne sortons du « domaine du Gral », où « nul ne peut
pénétrer que le Pur » et où la seule grâce du Gral nourrit les croyants, que pour entrer
dans les jardins enchantés que Klingsor « s’est créés dans le désert » et qu’il a
peuplés de Floramyes. Primitivement, nous ne devions voir Parsifal
qu’errer par le monde ; aujourd’hui, ce long épisode de sa vie, qui remplit les vieux
poèmes, est réduit à une simple mention, dans ce seul vers : « Je suivis les sentiers de
l’erreur et des souffrances … »
Dans le Ring et dans Tristan (que le maître considérait comme un acte
du Ring) Wagner avait créé l’image de la vie-réelle, du « monde qui n’est que misère » :
dans Parsifal, — où il a expressément, tenu à établir un strict
parallélisme avec le Ring — il a « bâti le monde saint d’une meilleure vie »au.
Houston Stewart Chamberlain.
Rìenzì l’ultimo dei Tribuni. Grande opera tragica in cinque atti. Poesia et Musica di
Riccardo Wagner, Traduzione italiana dal testo originale tedesco di Arrigo Boito.
Milano coi tipi di Francesco Lucca. Petit in-8°.
Tannhaüser ovvero la lotta di Bardi al castello di Varteburgo.
Opera romantica in tre atti. Parole e Musica di Riccardo Wagner. Tradotta in italiano
da Salvatore de C. Marchesi. Da rappresentarsi perla prima volta in Italia nel Teatro
comunale di Bologna. Concertata e diretta dal M. Cav. Angelo Mariani L’Autunno 1872.
Milano stabilimento musicale di F. Lucca. Petit in-8°.
Lohengrin : Grande opera romantica in tre atti. Parole e Musica di
Riccardo Wagner. Traduzione italiana dal testo originale tedesco di Salvatore de C.
Marchesi. Milano stabilimento musicale di Francesco Lucca. Petit in-8°.
Tristano e Isotta. Opera in tre atti di Riccardo Wagner. Versione
italiana dal testo originale tedesco di Arrigo Boito.
Quatre Poèmes d’opéras traduits en prose française précédés d’une Lettre sur la
Musique, par Richard Wagner, — Le Vaisseau fantôme, — Tannhaeuser,
— Lohengrin, —Tristan et Iseult. Paris, A.
Bourdilliat et Cie éditeurs. 1861 in-8°.
Art et Politique, par Richard Wagner, (1re
Partie.) Bruxelles. Imprimerie de J. Sannes. 1868. Petit in-8°.
Théâtre de Strasbourg. Représentation de la Troupe allemande, dirigée par M. Roeder.
Tannhaeuser. Grand-opéra romantique en 2 actes, paroles et musique
de Richard Wagner, 1855. In-8°.
Tannhaüser : Opéra en trois actes de Richard Wagner. Représenté
pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Académie impériale de Musique, le
13 mars 1861.Parisela Librairie théâtrale, Mme Ve Jonas, éditeur,
Libraire de l’Opéra. 1861. Petit In-8°.
Rienzi : Opéra en cinq actes. Paroles et Musique de Richard Wagner.
Traduction française de M. M. Ch. Nuitter et Jules Guilliaume. Représenté pour la
première fois, à Paris, sur le Théâtre Lyrique Impérial, le 6 avril 1869. Paris,
Librairie dramatique, 1869. Petit in-8°.
Lohengrin : Opéra en trois actes de Richard Wagner, traduction de
Charles Nuitter. Paris E. Dentu, éditeur. Librairie de la Société des Auteurs et
Compositeurs dramatiques et de la Société des Gens de Lettres. 1870. in-8°
Le Vaisseau Fantôme : Opéra en Trois Actes de Richard Wagner.
Traduction française de Charles Nuitter. Paris, E. Dentu, éditeur. 1872. Petit
in-8°.
Essai de traduction analytique sur le Parsifal.
Pièce d’Inauguration théâtrale de Richard Wagner par Jules de Brayer. Paris au Bureau
du Progrès artistique, 1879. Petit in-8°.
Le Judaïsme dans la musique, par Richard Wagner. ( du Guide
Musical.) Bruxelles, Imprimerie de J. Sannes 1869. in-8°.
Richard Wagner et la Neuvième Symphonie de Beethoven.
pour cette Symphonie et observations au sujet de son exécution,
par Richard Wagner. Traduit de l’allemand par M(aurice) K(ufferath). du Guide
Musical. Paris, Maison Schott. Bruxelles, Schott frères. Londres, Schott et Cie. Mayence, les fils de B. Schott. 1875. in-8°.
L’Art du Chef d’Orchestre, par E. Deldevez. Paris. Librairie de
Firmin-Didot et Cie. 1878. Appendice : Réflexions sur certaines observations de R.
Wagner. Gr. in-8°.
La France musicale : N° 18. 2 Mai. 1869. Le Judatisme
dans la musique (3e article), par M. Richard Wagner.
LES RÉPÉTITIONS PRÉLIMINAIRES EN 1875
1° Communication aux chanteurs : 15 janvier 1875
Comme vous le savez par les relations qui se sont nouées entre nous, je désire votre
concours pour l’exécution de mon projet de trois représentations exceptionnelles de ma
Pièce de Fête en quatre parties, l’Anneau du Nibelung. — Je crois que la réalisation
sera due d’un côté à la sympathie des amis et protecteurs de mon art,
d’autre part à la ferme et cordiale volonté des excellents artistes eux-mêmes dont
j’ai sollicité le concours ; car la participation de mes Patrons ne devait et ne
pouvait se faire que pour une entreprise dans laquelle toute idée d’une spéculation
lucrative était exclue. Ainsi, vous vous voyez — peut-être pour la première fois de
votre vie d’artistes, — appelés à vouer vos forces à un but idéal d’art, c’est-à-dire
à montrer au public allemand ce dont l’Allemand est capable en son art, et en même
temps à montrer aux étrangers, desquels nous avons vécu jusqu’à présent, une chose
qu’ils ne pourront pas imiter.
Permettez-moi de vous faire part des obligations que vous prendrez si vous me donnez,
comme je vous en prie cordialement, la promesse de votre concours. Vous pourrez
vous-mêmes déterminer au mieux ces devoirs après communication du plan des préparatifs
et des représentations qui me semble indiqué et dans lequel, selon le rôle dont vous
vous serez chargés, vous verrez marquée votre part à chacun et combien de temps il
vous faudrait donner.
Du 1er juillet au 15 août de cette année 1875 doivent avoir lieu
à Bayreuth les premières représentations préparatoires ;
La première semaine sera donnée à des répétitions au piano du Rheingold,
La deuxième, de la Walküre,
La troisième, de Siegfried,
La quatrième, de Goetterdaemmerung.
Du 1er au 15 août ces mêmes répétitions avec l’orchestre
complet ; cela autant pour donner aux musiciens une première connaissance de leur
tâche, que pour indiquer l’ensemble musical aux chanteurs.
La troisième semaine d’août doit être donnée à l’étude des évolutions scéniques, sous
la direction du machiniste et du décorateur, avec le concours, nécessairement, des
artistes.
Après ces préparatifs de l’année 1875, les mois de juin et juillet 1876 seront
employés aux répétitions générales de l’œuvre entière ; je veux dire que tout en
évitant une trop grande fatigue, les différentes parties seront essayées, jour par
jour, avec orchestre et scénerie complète, de façon que du 1er
juin au 15 juillet, successivement, le Rheingold, la Walküre,
Siegfried et Goetterdaemmerung, et, du 15 au 30 juillet, selon les nécessités
du moment41.
Dans la première semaine d’août, la première représentation de l’œuvre entière doit
avoir lieu de la façon suivante :
Dimanche : à 7 heures du soir, le rheingold ;
Lundi : à 4 heures, premier acte de la Walküre, à 6 heures
deuxième, à 8 heures troisième ; (de longs entractes offriront un repos au public dans
les environs du théâtre, et aux artistes dans des locaux arrangés près de leurs
loges).
Mardi : à 4 heures Siegfried.
Mercredi : Goetterdaemmerung42.
De la même façon se répéteront dans la deuxième et troisième semaine d’août la
deuxième et la troisième représentation de l’œuvre entière. Je vous demande que, par
une promesse concluante, vous me mettiez en état de regarder votre concours comme
assuré et que vous me disiez eu même temps si vous demandez un dédommagement, et
lequel. Vous avez compris parce que je vous ai dit de la position des Patrons vis à
vis de moi, que l’idée d’un gain pour les acteurs est exclus, qu’il faut même les
considérer comme disposés à un sacrifice ; j’ai cependant arrangé les choses pour que,
au cas d’un sacrifice impossible, il y eût possibilité de dédommagements ; et même
grâce au dévouement de plusieurs artistes distingués, je suis en mesure d’empêcher
qu’aucun des artistes n’ait à me refuser à cause de difficultés matérielles.
J’attends donc votre décision pour pouvoir vous compter
parmi ceux qui, en s’obligeant volontairement pour la réalisation d’un idéal
artistique nouveau, veulent se réunir à une association de la plus précieuse
signification.
Bayreuth, 15 janvier 1875. »
2° Communication aux membres de l’orchestre.
Les membres de l’orchestre furent invités par deux circulaires semblables et eurent à
signer un bulletin par lequel ils s’obligeaient à un séjour de trois mois à Bayreuth
en 1876 contre dédommagement, logement et voyage payés, ainsi que pour 187543.
Les fêtes de 1876
Annonce des Représentations.
Les représentations sont fixées et les chanteurs et musiciens sont convoqués, de
même les Patrons et les membres honoraires. Dans les circulaires d’invitation pour
les Patrons, Wagner développe encore une fois l’idée de Bayreuth. En même temps sont
publiées quelques remarques :
Sur le rappel des acteurs. — « Les Patrons ne doivent pas prendre en mauvaise part
ni des artistes ni de l’auteur, si ceux-ci ne répondent pas aux applaudissements en
s’avançant sur la scène ; ils se sont décidés à cette abnégation pour se tenir dans
le cadre de l’œuvre d’art qu’ils ont à présenter au public. »
Sur l’usage du texte. — « Pour obtenir le juste effet scénique il faut pendant la
durée de l’acte diminuer l’éclairage de la salle au point de rendre impossible la
lecture du texte. Il est donc à conseiller, si l’on ne se fie pas à la
représentation dramatique, de prendre connaissance du texte avant la représentation
ou pendant les entractes. »
Paroles d’adieu aux artistes :
« Je désire faire mes adieux à mes honorés amis, les acteurs de ma Pièce de Fête,
comme à ses patrons et promoteurs, et cela d’une façon qui réponde à la merveille du
résultat. Je prie donc les membres de l’Association qui ne seraient pas en scène le
dernier soir, de me faire le sacrifice de mettre encore cette fois le costume de
leur rôle pour ne pas trancher péniblement avec les acteurs de Goetterdaemmerung et
aussi pour donner encore une fois — peut-être à moi-même seulement — un coup d’œil
sur toute cette œuvre . »
Katalog einer Richard Wagner-Bibliothek, par Nikolaus Oesterlein,
deuxième volume (chez Breitkopf et Hiertel, 1 vol. in-8°, de 356 pages, à 12 fr.
50).
Nous avons annoncé la publication de cet ouvrage dont le titre complet est :
« Catalogue d’une bibliothèque wagnérienne, répertoire authentique et complet de la
littérature wagnérienne établi systématiquement selon l’ordre chronologique d’après
les originaux inclus et augmenté de citations et de notices, par Nikolaus Oesterlein,
membre honoraire de l’Association Wagnérienne Académique de Vienne, — deuxième volume,
clos en novembre 1881 (n° 3.373 jusqu’à 5.567)45. »
Cet ouvrage contient, — après une table des matières, une préface, un guide et une
table des signes :
1re partie : Richard Wagner ; œuvres en
prose et en vers : manuscrits ; télégrammes ; lettres ; discours et allocutions ;
mots ; communications imprimées et fragments ; articles de journaux ; œuvres
musicales.
2e partie : Traductions ; arrangements ; portraits ; vues ;
divers.
3e partie ; L’art et l’œuvre de Richard Wagner en général :
littérature ; dessins et photographies ; divers.
4e partie : Associations Wagnériennes : associations locales ;
patronat de Bayreuth.
5e partie : Bayreuth : préparation aux fêtes de 1876 ; les fêtes
de 1876 ; préparation des fêtes de 1882.
6e partie : Curiosa : sur l’œuvre Wagnérienne ; divers.
Appendice : étude des sources ; arrangements des sujets Wagnériens en un sens plus
large ou plus étroit ; explications et ; littérature se rapportant à
l’œuvre Wagnérienne ; divers.
Second appendice : manuscrits, œuvres et portraits de
parents et d’amis de Richard Wagner ; littérature sur Liszt. Liste des dons et registre
des noms.
Richard Wagner-Jahrbuch, édité par Joseph Kürschner, première année
(à Stuttgart, 1 vol. in-8° de 520 pages, à 12 fr. 50).
Cet ouvrage, qui vient de paraître à l’occasion des Fêtes de Bayreuth, contient :
Préface en mémoire de Wagner (par H. Bulthaupt) ; but et fin (M. Koch).
Biographie : la famille et la jeunesse de Wagner, 1763-1823, (d’après Glasenapp) ;
Wagner à l’école de Leipzig, 1829, (A. Loehn-Siegel) ; Wagner à Dresde, 1847, (J.
Nordmann) ; Liszt à Triebchen, 1867, (R. Pohl) ; Wagner, 1873-1877 (A. Lesimple) ;
fête d’anniversaire chez Wagner à Naples, 1880 (M. Plüddemann),
La vie et l’art : notes esthétiques sur le drame musical (F.
Kœgel) ; l’école romantique littéraire allemande et ses rapports avec Wagner (A.
Ettlinger) ; le naturalisme en littérature et l’œuvre de Wagner (Ernst von Wolzogen) ;
la nature dans l’œuvre de Wagner (H. von Stein).
L’oeuvre de Bayreuth : les Fêtes de Bayreuth (K. Heckel) ; un
discours de Wagner, le 15 octobre 1877 (communiqué par F. Muncker).
Œuvres détachées : une comédie allemande (R. Wœrner) ; Lortzing et
Wagner (H. Welti) ; la question du roi Marke (M. Wirth) ; correspondances de Paris,
par Wagner 1841, (J. Kürschner) ; variantes et compléments de l’autobiographie (J.
Kürschner).
L’étranger : Wagner et l’étranger (L. Schemann) ; L’art Wagnérien en France (P. Marsop).
Chronique et divers : 1877-1886 (Hans von Wolzogen) ; appel pour l’Association
Wagnérienne : liste des sociétés Wagnériennes ; bibliographie ; liste des
représentations, concerts, lettres, communications.
Richard Wagner et la poésie française contemporaine, par Edouard
Dujardin, article paru dans la Revue de Genève, du 23 juillet
1886.
Dans la seconde partie de cet article (spéciale à l’œuvre de Richard Wagner), les
deux pages suivantes donnent une interprétation de l’Anneau du Nibelung ; de Tristan et de Parsifal.
« D’abord, ce fut l’énorme et malheureux essai de l’Anneau du
Nibelung ; — énorme, car n’est-ce point sa commune fortune, que l’artiste
souhaite employer à une œuvre universelle la loi nouvellement trouvée ? —
malheureuse : cela est nécessaire, donc, à trop d’audace. Par l’Anneau du
Nibelung
av, Richard
Wagner voulut, totalement, expliquer le monde : c’est le symbole de l’Or opposé à
l’Amour, et il voulut, totalement représenter la vie de l’Ame ; il créa toutes ces
âmes, spéciales chacunes, chacunes proprement vivantes, que symbolisent Wotan, Freia,
Loge, — Fafner, — Alberich, Mime, — Siegmund, Sieglinde, Hunding, — Brunnhilde, Siegfried … Et parmi cette énormité d’efforts inégalement heureux, dès
là, en quelques figures, je sens réellement créée la supérieure vie : ainsi, l’âme
qu’est Wotan, — l’âme originairement stagiaire46, contente en le repos introublé de sa
puissance, que rien n’agite ; et la vie de cette âme se fait plus vive, une
contemplation des choses plus active, une pensée de quelque chose nouvelle, un
mouvement, un besoin de plus, un souhait ; le désir, oh ! le désir montant en l’âme,
et qui surgit dans la paix du non-désir ; donc lutte, lutte plus terrible, et terrible
lutte ; — l’Or ou Freia ? — et la sombre élection du désir, très fatal, qui damnera.
Puis47,
l’âme ayant connu future la damnation : se racheter, se sauver, retrouver la première
joie du repos, et la paix du non-désir ; donc agir et souffrir, agir et s’inquiéter,
agir et préparer, convoiter, humilier, être humilié, être et faire misérable,
souffrir ; hélas ! et voilà que son propre acte se tourne contre elle-même, et c’est
le suicide institué quand l’âme incarnée de Wotan, Brunnhilde, pense contre lui.
Maintenant48,
c’est une résignation à la nécessaire fin ; l’âme sachante de la nécessaire fin, erre
désintéressement par les mondes, pour savoir, non pour agir ; et dans les cavernes où
tâchent les désirs, dans les bois vastes où s’extasient les désirs, dans les champs
admirables où pousse le haut désir, errante et contemplative, elle erre sous la
mélancolie tranquille de l’Erdaaw enténébrée ; et, quand par le désir
resurgi (par le désespoir, subitement conscient, de n’être plus) retraînée à l’action,
l’âme est par l’action trahie, elle se retire, l’âme, dans le sombre de son
condamnement… Walhall, burg splendide, burg maudit, adieu, voici, le crépuscule !
effacez-vous, disparaissez, tombez, croulez, mourez, allez, magnificences des Dieux
éteints, voici, voici le crépuscule, oh ! dormez votre fin, Wotan, éternellement
repose : repose, Dieu !
Telle, semble vivre une âme, en ces drames, tandis que d’autres, autour d’elle,
vivent. Mais Wagner, lui-même, aperçut combien dangereux était développer
simultanément plusieurs séries émotionnelles ; un jour, voulant dire l’amour, il
quitta sa tétralogie, et fit Tristan.
Deux âmes49
seulement exprimées ; deux âmes concevant toutes antres vivantes formes ; deux âmes
uniques personnages de ce drame et le vivant ; et deux âmes qui ne sont que deux
façons d’une âme, les deux sexualités, les deux modes de l’âme aimante ; une âme donc,
évoquée. Là, le mortel combat de l’esprit erroné de l’Apparence contre l’esprit tout
véridique de la Réalité ; ce qu’on dit lumière, jour et vie, contre tout le nommé
ombre et nuit et mort ; l’illusoire univers de nos habituelles créations, contre celui
miraculeux de la pensée. Alors, ce drame : l’âme livrée primitivement à la mensongère
tromperie de l’Apparence, et niant l’amour ; puis, cette heure (l’heure possible parmi
les pâles existences banalement dévouées aux vies mauvaises, dans le croupissement des
animalités, sous l’aveuglement de l’être faux), l’heure (suprême) où le rêve, vague
emportement de la pensée, hors le monde habituel te prend, âme, et t’enveloppe de
ténèbres majeures et te donne cette vision du Vrai, donc ce choix, — l’heure,
, (l’heure du Breuvage) où l’âme songe tout à coup qu’il est une autre
vie, qu’elle peut vivre, qu’elle vivra ; dès lors, la lutte ; et le bien heureux
moment où, âme, libre tu t’en iras, âme libre, libre du monde faux, éclosant dans le
plein ciel de ton monde authentique, ô joyeuse de ton libre amour !
Ayant achevé Tristan, Wagner admit le
jeu des plaisantes variations, et, dans les Maîtres Chanteurs, il
dit les folles choses d’âmes légères. Puis, ces recréations de vies luxuriantes et
apaisées, la Fest Marsch, Siegfried-Idyll.
Enfin, le Parsifal.
C’est ; d’abord50, une entrée à quelque monde, lointain,
de nouvelles réalités, et c’est le confus emmêlement de vies religieuses, lointaines,
comme en l’attente de leur forme … Alors le Pur et Folax une âme pure, où entre
la vie d’une vie très exaltée, et d’une vie très concupiscente, très adorante,
l’éternel languir, le souffrir et le jouir éternel de l’âme, et la vie de fornication,
— la vie luxurieuse et mystique, — jusque le surgissement, en lent exhaussement,
triomphal, de la vie voulue. Car Amfortas, c’est Parsifal
visionnaire d’une vie concupiscente ; Klingsor, c’est encore la vision, en Parsifal, d’une vie autrement vécue ; et Kundry, les Filles, ce n’est
rien que des visions de Parsifal ; les chevaliers, toutes ces
ombres, les images de sa voyance : vie de l’âme religieuse et charnelle. Parsifal, c’est nos désirs, nos vouloirs, nos regrets, nos vouloirs éteints,
l’homme réel : et, par le tout divin langage des musiques (à notre faiblesse facilité
par le symbole des gestes et des mots), c’est, vécue, la vie qu’il faut vivre,
— expliquée, l’explication, — une formule inventée au très vieil idéal. »
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