Mendès, Catulle (1841-1909)
Le Roman d’une nuit (1863). — Philomela, livre
lyrique (1864). — Histoires d’amour, nouvelles (1868). — Hespérus, poème, avec un dessin de G. Doré (1869). — Sternlose Næchte (Nuits sans étoiles), de E. Glaser (trad.) (1869). — Contes épiques, avec un dessin de Claudius Popelin (1870). — La Colère d’un franc-tireur, poème (1871). — Odelette
guerrière (1871). — Les Soixante-treize Journées de la
Commune (1871). — La Part du Roi, comédie en un acte et en
vers (1872). — Les Frères d’armes, drame (1873). — Poésies, 1re série : Le Soleil de minuit,
Soirs moroses, Contes épiques, Intermède, Hespérus, Philomela, Sonnets, Panteleïa,
Pagode, Sérénades, avec portrait (1876). — Justice, drame
en trois actes, en prose (1877). — Le Capitaine Fracasse,
opéra-comique en trois actes et six tableaux, d’après le roman de Th. Gautier,
musique de Pessard (1878). — La Vie et la mort d’un clown : la
demoiselle en or, roman (1879). — La Vie et la mort d’un clown :
la petite Impératrice, roman (1879). — Les Mères ennemies,
roman (1880). — La Divine Aventure, en collaboration avec Richard
Lesclide (1881). — Le Roi vierge, roman contemporain (1881). — Le Crime du vieux Blas, nouvelle (1882). — Monstres
parisiens, 1re série (1882). — L’Amour qui
pleure et l’Amour qui rit, nouvelles (1883). — Les Folies
amoureuses, nouvelles, réédition (1883). — Le Roman d’une
nuit, réédition (1883). — Les Boudoirs de verre, contes
(1884). — Jeunes filles, nouvelles (1884). — Jupe
courte, contes (1884). — La Légende du Parnasse
contemporain (1884). — Les Mères ennemies, drame en trois
parties (1883). — Les Contes du rouet (1885). — Le
Fin du fin ou Conseils à un jeune homme qui se destine à l’amour (1885).
— Les Îles d’amour (1885). — Lila et Colette,
contes (1885). — Monstres parisiens, 2e série
(1885). — Poésies, nouvelle édition en sept volumes, augmentée de
soixante-douze poésies nouvelles (1885). — Le Rose et le Noir
(1885). — Tous les baisers, 4e vol.
(1884-1885). — Contes choisis (1886). — Gwendoline, opéra en deux actes et trois tableaux, musique d’Emmanuel
Chabrier. — Lesbia, nouvelle (1886). — Un-miracle de
Notre-Dame, conte de Noël (1886). — Pour les belles
personnes, nouvelles (1886). — Richard Wagner (1886). — Toutes les amoureuses, nouvelles (1886). — Les Trois
Chansons : La Chanson qui rit, la Chanson qui pleure, la Chanson qui rêve
(1886). — Zo’har, roman contemporain (1886). — Le
Châtiment, drame en une scène, en vers (1887). — L’Homme tout
nu, roman (1887). — Pour lire au couvent, contes (1887).
— La Première Maîtresse, roman contemporain (1887). — Robe montante, nouvelles (1887). — Le Roman rouge
(1887). — Tendrement, nouvelles (1887). — L’Envers
des feuilles, contes (1888). — Grande Maguet, roman
contemporain (1888). — Les Oiseaux bleus, contes (1888). — Les Plus Jolies Chansons du pays de France, chansons tendres,
choisies par Catulle Mendès, notées par Chabrier et Gouzien (1888). — Pour lire au bain, contes (1888). — Le Souper des
pleureuses, contes (1888). — Les Belles du monde : Gitanas,
Javanaises, Égyptiennes, Sénégalaises, avec R. Darzens (1889). — Le Bonheur des autres, nouvelles (1889). — Le Calendrier
républicain, avec Richard Lesclide (1889-1890). — L’Infidèle, nouvelles (1889). — Isoline, conte des fées en
dix tableaux, musique de Messager (1889). — Le Cruel Berceau,
nouvelle (1889). — La Vie sérieuse, contes (1889). — Le Confessionnal, contes chuchotés (1890). — Méphistophéla., roman contemporain (1890). — Pierre le
Véridique, roman (1890). — La Princesse nue, nouvelles
(1890). — La Femme enfant, roman contemporain (1891). — Les Petites Fées en l’air, contes (1891). — Pour dire
devant le monde, monologues et poésies (1891). — Jeunes
filles, réédition (1892). — Les Poésies de Catulle Mendès,
trois volumes (1892). — La Messe rose, contes (1892). — Lieds de France (1899). — Luscignole, roman
(1892). — Les Joyeuses Commères de Paris, scènes de la vie
moderne, avec G. Courteline (1899). — Les Meilleurs Contes (1892).
— Isoline-Isolin, contes (1833). — Le Docteur
Blanc, mimodrame fantastique (1893). — Le Soleil de Paris,
nouvelles (1893). — Nouveaux contes de jadis (1893). — Poésies nouvelles (1893). — Ghéa, poème dramatique
de Von Goldschmidt, mis en français par Catulle Mendès (1893). — L’Art
d’aimer (1894). — La Maison de la Vieille, roman
contemporain (1894). — Verger fleuri, roman (1894). — L’Enfant amoureux, nouvelles (1895). — La Grive des
vignes, poésies (1895). — Le Chemin du cœur, contes (1895).
— Rue des Filles-Dieu, 56, ou l’Heautonparatéroumène, nouvelle
(1895). — L’Art au théâtre (1896). — Gog, roman
contemporain (1896). — Chand d’habits, pantomime (1896). — Arc-en-ciel et Sourcil rouge, nouvelle (1897). — Contes
choisis (1897). — L’Art au théâtre (1897). — Le Procès des roses, pantomime (1897). — Petits poèmes misses
mis en vers français (1897). — L’Évangile de l’Enfance de N.-S.
J.-C. (1897). — Le Chercheur de tares, roman contemporain
(1898). — Les Idylles galantes, contes (1898). — Médée, drame antique, en trois actes (1898). — La Reine
Fiammette, conte dramatique, en six actes, en vers (1898). — Le
Cygne, ballet-pantomime (1899). — Briséis, drame musical,
avec E. Mikhaël et Em. Chabrier (1899). — Farces (1899). — Les Braises du cendrier, poésies (1900). — L’Art au
théâtre, troisième volume (1900).
Philoméla ! un nom, un mot si doux, si triste à la fois, qu’il
donne presque l’idée, en effet, de ce chant poignant et délicieux dont les nuits
d’été s’enivrent, et dont le poète emprunte les notes enflammées pour faire parler
l’ineffable et pour traduire la langue mystérieuse de l’amour :
Tel est l’excellent et charmant morceau par lequel s’ouvre le livre lyrique de
M. Catulle Mendès. N’y
reconnaît-on pas tout de suite l’artiste savant et le poète de race ! Autre temps,
autres chansons, dit Henri
Heine ; et nous ne manquons pas de chansons en ce moment-ci, sans
oublier les chansons de Mlle Theresa, célèbres au même titre que J’ai un pied
qui r’mue, et que Ah ! zut alors, si Nadar est malade ;
sous les décors bleus et autour des aquariums du moderne
Parnasse, ce ne sont que gloussements et piaillements de toutes sortes ; mais le
chant du rossignol est assurément devenu le plus rare de tous ; aussi l’hymne
tendrement éploré de la nouvelle Philoméla a-t-il singulièrement
stupéfié les premiers philistins qui l’ont entendu. On connaît la charmante
anecdote de ce paysan disant avec fureur : « Je n’ai pas pu dormir ; il y avait là
une canaille de rossignol qui n’a fait que gueuler toute la
nuit ! » Peu s’en faut que le rossignol évoqué par le jeune et gracieux poète,
M. Catulle Mendès, n’ait
été injurié encore plus durement que celui-là.
La Philoméla de M. Catulle Mendès est un des livres les plus singuliers qu’il nous
ait été donné de lire… La muse de M. Mendès cherche le beau et la lumière, et tombe dans le mal et
dans la nuit, non involontairement et par imprudence, mais de propos délibéré.
C’est un des aspects de son esthétique. De là, un effet crépusculaire et
fantastique, effrayant et attrayant
Avec son jeune visage apollonien, et son menton ombragé d’un léger duvet
frissonnant que n’a jamais touché le rasoir, rien n’empêcherait ce jeune poète
d’avoir été le prince Charmant d’un des contes de Mme d’Aulnoy, ou mieux encore d’avoir été dans la Sicile sacrée, à
l’ombre des grêles cyprès et du lierre noir, Damoitas ou le bouvier Daphnis,
jouant de la Syrinx et chantant une chanson bucolique alternée, si ses yeux
perçants et calmes, et sa lèvre féminine, résolue, d’une grâce un peu dédaigneuse,
n’indiquaient tous les appétits modernes d’un héros de Balzac. Son front droit, bien
construit, que les sourcils coupent d’une ligne horizontale, est couronné d’une
chevelure blonde démesurée, frisée naturellement, et longue comme une perruque à
la Louis XIV. C’est sans doute d’une pareille chevelure dorée, ensoleillée et
lumineuse qu’était coiffé le fils de la muse Calliope, quand cet excellent
musicien déménageait les arbres tout venus par un procédé élégant et économique
dont il n’a malheureusement pas légué le secret à nos jardiniers actuels.
M. Catulle Mendès s’est
lassé très vite de ces allures tapageuses et de cette gaminerie poétique… Il
explique maintenant les mystères du Lotus, fait dialoguer Yami et Yama, célèbre
l’enfant Krichdna et chante Kainadèva en vers d’une rare perfection de forme,
malgré la difficulté d’enchâsser dans le rythme ces vastes noms indiens qui
ressemblent aux joyaux énormes dont sont ornés les caparaçons d’éléphants.
C’est une énigme (La Révolte, de Villiers de
l’Isle-Adam), un rébus, un casse-tête qui vient de Chine, comme la
poésie de M. Catulle
Mendès.
Ce n’est pas tout à fait une « part de roi » que M. Catulle Mendès a prise hier soir
dans la littérature dramatique du Théâtre-Français ; mais, ma foi, cela semblait
presque celle d’un petit Dauphin… qui grandira et qui sera peut-être un jour, qui
sait ? aimé comme un roi !…
La Comédie-Française donnait La Part du Roi, une saynète en
vers de M. Catulle Mendès.
M. Catulle Mendès est un
des plus jeunes adeptes de la nouvelle école poétique. Il a un nom, et je crois
que les Parnassiens le regardent comme un des saints les plus authentiques et les
plus révérés de leur petite chapelle. Je crains qu’il n’en soit de la poésie des
imitateurs de Hugo au théâtre
comme de la musique des imitateurs de Wagner. L’Opéra-Comique nous convie à la représentation de Djamileh. Point de livret, une musique très distinguée et d’un
tour parfaitement moderne. Mais sans mélodie, difficile à comprendre à d’autres
qu’à des initiés ; pleine de détails curieux et fouillés ; mais ennuyeuse, oh !
mais ennuyeuse !… La Part du Roi est la Djamileh du Théâtre-Français. Du même au même.
Les Poésies de
Catulle Mendès : Il est si
rare de rencontrer un livre qu’on aime parce qu’on y retrouve tout ce qui vous
plaît, et la forme et la pensée, et toutes ces préoccupations d’artiste que
beaucoup de poètes ne soupçonnent même pas.
Jamais nous n’avons vu, au théâtre, de drame aussi malsain et aussi dangereux
(Justice). Jamais nous n’avons assisté à une représentation
aussi lamentablement désolante… Que la censure, puisque cette institution existe,
ait toléré la mise en scène d’un spectacle si bien fait pour énerver les âmes,
pour leur donner l’admiration de ce crime qu’on a raison d’appeler le plus grand
de tous, puisqu’il est le seul dont on ne puisse se repentir, — que la censure,
disons-nous, se soit associée, en la laissant jouer, à cette sanctification du
suicide, qu’elle ait donné son visa officiel à cette sorte d’hymne de la mort
volontaire, et qu’elle ait permis qu’on la représentât comme une œuvre suprême
d’honneur et même de religion, c’est là un acte sans excuse et contre lequel nous
demandons une répression éclatante.
M. Catulle Mendès est une
figure littéraire fort intéressante. Pendant les dernières années de l’Empire, il
a été le centre du seul groupe poétique qui ait poussé après la grande floraison
de 1830. Je ne lui donne pas le nom de maître ni celui de chef d’école. Il
s’honore lui-même d’être le simple lieutenant des poètes ses aînés ; il s’incline
en disciple fervent devant MM. Victor
Hugo, Leconte de Lisle, Théodore de Banville, et s’est efforcé avant tout de maintenir la
discipline parmi les jeunes poètes qu’il a su, depuis près de quinze ans, réunir
autour de sa personne.
Rien de plus digne d’ailleurs. Le groupe auquel on a donné un moment le nom de
« parnassien » représentait, en somme, toute la poésie jeune sous le second
Empire. Tandis que les chroniqueurs pullulaient, que tous les nouveaux débarqués
couraient à la publicité bruyante, il y avait, dans un coin de Paris, un salon
littéraire, celui de M. Catulle
Mendès, où l’on vivait dans l’amour des lettres. Je ne veux pas
examiner si cet amour revêtait d’étranges formes d’idolâtrie. La petite chapelle
était peut-être une cellule étroite où le génie français agonisait. Mais cet amour
était quand même de l’amour, et rien n’est beau comme d’aimer les lettres, de se
réfugier même sous terre pour les adorer, lorsque la grande foule les ignore et
les dédaigne.
Depuis quinze ans, il n’est donc pus un poète qui soit arrivé à Paris sans entrer
fatalement dans le cercle de M. Catulle Mendès. Je ne dis point que le groupé professât des idées
communes. On s’entendait sur la supériorité de la forme poétique, on en arrivait à
préférer M. Leconte de
Lisle à M. Victor
Hugo, parce que le vers du premier était plus impeccable que le vers
du second. Mais chacun gardait, à part soi, son tempérament, et il y avait bien
des schismes dans cette église. Je n’ai d’ailleurs pas à raconter ce mouvement
poétique, qui a copié en petit et dans l’obscurité le large mouvement de 1830. Je
veux simplement établir dans quel milieu M. Catulle Mendès a vécu.
Ses théories sont que l’idéal est le réel, que la légende l’emporte sur
l’histoire, que le passé est le vrai domaine du poète et du romancier. Ce sont là
des opinions aussi respectables que les opinions contraires. Seulement, lorsque
M. Catulle Mendès aborde
un sujet moderne et accepte ainsi notre milieu contemporain, il a certainement
tort de le faire sans modifier ses croyances. Dans un sujet moderne, l’idéal n’est
plus le réel, et cet idéal devient un singulier embarras. Pour obtenir du réel, il
faut surtout avoir du réel plein les mains. Selon moi, Justice
est l’œuvre d’un poète qui n’a pas songé à couper ses ailes, et que ses ailes font
trébucher. Nous retrouvons là le chef de groupe, grandi dans un cénacle, avec le
clou d’une idée fixe enfoncé dans le crâne… Le grand défaut de Justice est d’être une création en l’air, tout comme s’il s’agissait d’un
poème… À quoi bon une thèse lorsque la vie suffit ? Comment M. Catulle Mendès, qui est avant
tout un homme d’art, a-t-il pu vouloir descendre jusqu’à jouer le rôle d’un
moraliste ?…
Voilà toute la vérité. Je la devais à M. Catulle Mendès, qui est un esprit distingué dont je fais le plus
grand cas. Je la lui devais, d’autant plus que nous sommes dans deux camps
opposés, et que toute complaisance de ma part aurait pu faire croire que je le
traitais en adversaire peu sérieux.
Justice… Mais c’est là le contraire du théâtre !… M. Catulle Mendès appartient à une
école qui prétend renouveler l’art dramatique, qui affiche le mépris des anciennes
conventions et ne tient nul compte des critiques. Cela est plus commode que
d’apprendre le métier, qui est difficile.
Quant à l’idée du drame Justice, elle a la gloire et aussi le
tort, si je la comprends bien, d’être une idée purement abstraite, que l’auteur a
traduite matériellement, cela va sans dire, sans quoi il n’eut pas fait une pièce
de théâtre, mais qui, néanmoins, force le spectateur à lever les yeux un peu plus
haut que le niveau ordinaire de la vie. Cette idée, voici comment, pour être
clair, je la formulerais sous la forme d’un axiome : « La Justice absolue est, par
sa nature même, essentiellement idéale et divine ; la Justice humaine ne peut et
ne doit agir que d’une manière relative, et sans tenir compte de ce qui jetterait
le trouble dans ses indispensables règles, car la société doit songer avant tout à
sa conservation… » Telle est à peu près la situation de Valentin ; il a de toute
façon et sous toutes les formes offensé les hommes et le devoir humain ; c’est
Dieu seul qu’il a quelquefois essayé de satisfaire ; aussi est-ce seulement à Dieu
qu’il peut demander la pitié, qui, dans l’ordre divin est la même chose que la
justice. Et la plus tendre et consolante justice ne lui est pas refusée, car,
chassé de la vie et forcé de se réfugier hors de la vie, il goûte la mort la plus
délicieuse dans les bras de la vierge qu’il aime, et qui, non attendue, vient le
surprendre et s’enfermer avec lui dans l’air de sa chambre close, qu’un subtil
poison a rendu enivrant et meurtrier. Ah ! sans doute, Valentin veut persuader à
Geneviève qu’elle doit fuir, le laisser expirer seul ; mais n’a-t-elle pas trop
beau jeu à lui dire :
Toi !… tu n’as pas le cœur d’une épouse chrétienne,
Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva.
… Cette longue scène, mouvementée, émouvante, pleine de surprises et de
péripéties qui se passent dans la pensée et n’en sont que plus réelles (car rien
de matériel n’est vrai), est une élégie tragique de la plus grande beauté, écrite
d’un style précis dans l’idéal et dans le raffinement, et qui, à elle seule,
accueillie comme elle l’a été par mille bravos enthousiastes, eût suffi à établir
la réputation d’un écrivain. On en garde dans l’esprit quelque chose comme une de
ces frémissantes apothéoses que M. Catulle Mendès lui-même a su rendre visibles, par la magie des
mots, dans son beau poème d’Hespérus.
Ce qu’il faut surtout louer dans l’œuvre de M. Catulle Mendès (Justice), c’est la forme littéraire dont il a su la revêtir. À part
quelques expressions qui conviennent plus au livre qu’au théâtre et sont trop
raffinées pour dépasser la rampe, toute la pièce est écrite dans une très belle
langue pleine de pensées et d’images. Nous avons entendu dire que ce n’était point
là le style du théâtre ; mais tel n’est pas notre sentiment. Sous le prétexte de
faire parler les gens à la scène comme ils parlent dans la vie, on nous a depuis
longtemps habitués à toutes les trivialités, à tous les bégaiements de la phrase,
et il faut savoir gré aux écrivains qui protestent contre cette tradition funeste
à la littérature dramatique.
M. Catulle Mendès vient de
publier un beau volume in-8º, contenant toutes ses œuvres, depuis les premiers
vers du poète, au rythme élégant, à la vive allure, légèrement inspiré de
Th. de Banville,
jusqu’aux Poèmes épiques d’un si fier langage Jusqu’à Hespérus et au Soleil de minuit où l’auteur
donne complètement sa note originale. M. Catulle Mendès est un artiste merveilleux ; il possède la science
du mot élevé et juste et sait toujours maintenir son inspiration à la hauteur où
il la place ; il a trouvé, surtout dans les Poèmes épiques, des
vers superbes et qui s’imposent à la mémoire, de ces vers qui semblent écrits dans
le texte en caractères plus gros, tellement l’œil s’arrête sur eux, attiré par la
forme des mots, leur arrangement, tout ce qui fait le dessin d’un beau vers avant
que la musique en soit intelligible.
Les Mères ennemies : Cette situation émouvante et neuve est
d’un irrésistible effet. Quelles que soient mes réserves sur ce qui va suivre, je
me plais à dire qu’une pareille scène aussi largement conçue que hardiment
exécutée atteste la présence, chez M. Catulle Mendès, de hautes facultés littéraires qui permettent de
tout espérer de lui…… C’est un plaisir pour moi de constater le succès éclatant
d’une œuvre incomplète mais de haute valeur, intéressante, élevée, pathétique,
servie par un style magistral auquel on ne saurait reprocher que son excessive
vérité de facture et l’abus de détails trop amoureusement caressés.
Tel est le drame bizarre, incomplet (Les Mères ennemies),
incohérent, où éclatent deux ou trois belles scènes d’opéra, à travers des
inexpériences et des puérilités singulières. Le style est d’une facture très
savante, mais il est laborieux et tendu. Sa simplicité même en est voulue, avec
des affectations de profondeur ou de sublimité.
Vous êtes le seul à avoir fait le poème proprement dit (Hespérus), qui a plusieurs centaines de vers, le seul de nous autres ; et
pas qu’une fois. Or, c’est la forme suprême, incontestablement ; et celle qui
prouve son homme. Je vous félicite beaucoup. Tenir une heure durant quelqu’un sous
le charme d’une histoire rare et magnifique dite en paroles rythmées, voilà ce qui
ne vous est pas étranger, et à quoi vous avez droit été, cela, avec l’incroyable
talent que vous mettez partout, vous fait des aujourd’hui une place à part ; et,
Les Poésies de Catulle Mendès, ce titre signifie parfaitement
ce qu’il dit.
Hespérus, ce poème rayonnant de toutes les splendeurs de
l’illuminisme svedenborgien, est unique dans notre langue. Là, Catulle Mendès est grandiose dans
le mysticisme ; ailleurs, il est beau de mâle énergie. Ses lieders sont d’un charme félin et d’une perverse innocence vraiment
irrésistibles. — Que dire encore ? Il a parcouru toutes les notes du clavier, mais
d’un clavier à lui, au timbre imprévu, puissant et mièvre.
La psychologie littéraire de M. Catulle Mendès, malgré les apparentes complications que suppose
la diversité de son œuvre, est aisée à fixer. Elle se résume en un mot et un fait,
lesquels n’ont besoin d’être expliqués, parce qu’ils portent en eux une évidence
et une certitude. M. Catulle
Mendès est un poète. Depuis les Contes épiques aux
larges envols ; depuis le mystérieux et métaphysique Hespérus ;
depuis les boréales splendeurs et les saignantes neiges du Soleil de
minuit ; depuis Pagode, évoquant l’immémoriale énigme des
farouches divinités de l’Inde, accroupies parmi les flammes, au fond des temples
et tout embrasées d’or, où les strophes ont des sonorités de gong et des rythmes
inquiétants de danses sacrées ; depuis les rires ailés, les mélancoliques sourires
et les grâces attendries de l’Intermède ; depuis les Soirs moroses, où sont pleurés, avec quelle magnifique et
douloureuse tristesse, les lassitudes, les souffrances, les effrois de l’amour et
du doute, jusqu’aux modernes paysages dans lesquels la Grande
Maguet dresse sa terrible silhouette de sorcière sublime, M. Mendès a fait œuvre de poète.
Poète en ses drames que gonfle un souffle énorme (l’épopée ; poète en ses études
de critique, où il dit l’âme et le prodigieux génie de Wagner ; poète en ses fantaisies
légères d’au jour le jour, harmonieuses et composées ainsi que des sonnets, en ses
contes galants où, sous les fleurs de perversité et les voluptés féeriques et
précieuses des boudoirs, percent parfois le piquant d’une ironie et l’amer d’un
désenchantement ; poète en ses romans, surtout avec Zohar, aux baisers maudits ;
même avec la Première maîtresse, et qui ne craint pas de
descendre jusque dans le sombre enfer contemporain de nos avilissements d’amour,
tout arrive à son cerveau en sensations, en visions de poète ; tout, sous sa
plume ; se transforme en images de poète, exorbitées et glorieuses, la nature,
l’homme, aussi bien que la légende et que le rêve.
Il y a des pièces, dans son œuvre, où il est lui, vraiment ; et elles sont
délicieuses ; Je ne crois pas qu’il ait d’égaux dans le rondel, dans le sonnet,
dans le madrigal, dans les chansons d’amour, dans ce qu’on nommait autrefois « les
petits genres ». Il est admirable dans les bagatelles ; et s’il y a un « sublime »
du joli, comme La Bruyère n’était pas loin de le penser, il est sûr qu’il l’a
souvent atteint.
Il faut avoir dans les veines le plus pur-sang de littérature pour engendrer Zôhar ou Grande Maguet, ou la Femme
enfant de l’admirable poète qu’est M. Catulle Mendès.
M. Catulle Mendès est un
poète toujours ; il n’est jamais plus poète que si, dans l’expression d’une
délicate pensée ou d’un sentiment héroïque, il consent à être simple. Il n’y
consent pas souvent. Mais tel qu’il est, avec sa multiple virtuosité, c’est un
grand classique de la Décadence.
M. Catulle Mendès,
soucieux de ne pas laisser les lecteurs de l’Écho de Paris
privés de poésie, après leur avoir offert exceptionnellement G. Rodenbach et E. Haraucourt, éprouve le besoin
de rimer, avec moins de génie et plus de chevilles, si c’est possible, que feu
M. de Banville, des
odelettes sur des traits d’actualité, ou des sujets voluptueux, mais d’une sûre
vacuité.
Un charmeur ; une grâce légère, brillante, enlaçante, sensuelle, parfumée,
quelque chose comme « du rosolio sucé dans une flûte mousseline »
,
ainsi qu’il l’a écrit lui-même dans une adorable petite pièce. Cela simplement ?
Non point. Une hautaine clameur d’épopée aussi, et de fulgurantes parades avec
l’épée à deux mains héritée du Charlemagne du romantisme. C’est avec ce côté
héroïque de la poésie du maître que les deux premiers volumes nous font refaire
connaissance, et il faut proclamer qu’Hespérus, les Contes épiques, le Soleil de minuit, les Soirs moroses sont de très nobles poèmes, de perfection achevée ;
d’imagination flambante et grandiose. Dans le troisième volume, Catulle Mendès paraît avoir
abandonné un peu le mode épique pour se livrer à la confection des plus délicates
orfèvreries. Tous ces rondels, villanelles, odelettes sont d’un pimpant, d’un
scintillant, d’un chatoyant merveilleux. Impossible d’aller plus loin dans
l’assemblement mélodieux des rimes, dans la virtuosité et fleurie du
badinage. C’est l’enchantement du joli ; et le poète serait sans conteste le
premier si la poésie n’avait d’autre mission que de briller comme un bijou. Mais
quelque lassitude se mêle à cette ivresse quasi physique ; et après toute cette
débauche de gentillesses fondantes, de strophes musquées, d’odelettes glacées à la
framboise, on aspire violemment après le verre d’eau pure d’une simple émotion.
L’émotion : voilà ce que Catulle
Mendès semble avoir souci de fuir à tout prix.
M. Catulle Mendès est un
voluptueux ; mais il est aussi et surtout un mystique. S’il a parfois souillé à
l’oreille de Ninon des secrets que Ninon elle-même ignorait et qui la firent
rougir jusqu’au lobe délicat de ses oreilles, il a dit dans Hespérus la joie du renoncement et annoncé l’Évangile de
l’enfance. S’il faut absolument chercher la figure de ce poète excellent
dans l’iconographie chrétienne, j’arrangerai tout peut-être en choisissant cette
figure des catacombes où l’on voit le Christ en Orphée charmant les animaux des
sons de sa lyre. La lyre mystique et fée n’a livré tous ses secrets qu’à M. Catulle Mendès. Il est poète et
toujours poète, et quand il écrit des romans, c’est Apollon chez Balzac.
J’ai reçu avant-hier les trois volumes de vos poésies complètes et je sors de les
relire. Je connaissais la plupart de ces beaux vers, quelques-uns depuis presque
mon enfance, car je vous suis depuis la Revue
fantaisiste, mais quel plaisir sans pair que de faire connaissance à
nouveau avec eux 1 Quant à ceux très rares, que je ne savais pas encore et qui
datent des époques où j’étais absent de France et de toute littérature, je les ai
dévorés et redévorés à belles et bonnes dents : aussi, ce régal !
J’aime Philoméla de jeunesse, si je puis ainsi parler, aussi
les Sérénades, aussi les Soirs moroses.
J’admire en toute ferveur néo-parnassienne la Pagode, qui fut
jadis l’œuf d’un gros volume à finir, Mendès, à finir ! le Livre des Dieux, si ma
mémoire est bonne. Hespérus est un mystérieux et si lumineux
chef-d’œuvre et le Soleil de minuit votre note peut-être la plus
forte avec les Contes épiques.
Vous avouerai-je maintenant que j’adore votre troisième volume, surtout les
heureusement si nombreux poèmes d’amour et de joie ? Cette prédilection me
vient-elle de ce que, moi aussi, j’éprouve, plus qu’au milieu d’une carrière si
aventureuse et parfois douloureuse, comme un regain d’adolescence dans cet été
comme de la Saint-Martin où j’entre quelque peu fourbu, mais si plein de bonne
volonté !…
… M. Catulle Mendès qui
n’a certainement jamais voulu exprimer, soit dans ses vers, soit dans sa prose, la
moindre idée.
Le poète aux intentions mystérieuses, frère d’Edgar Poe et de Marivaux, compliqué comme
personne et dont la plume, soit qu’il fasse des vers, soit qu’il écrive en prose,
est souple et changeante à l’infini.
Le poème de Gwendoline est dû à la plume de M. Catulle Mendès. C’est assez dire
que nous n’avons pas affaire à l’habituel et plat livret si souvent subi.
M. Catulle Mendès a écrit
des vers chauds, colorés, d’un rythme très habilement varié, et il a offert au
musicien des situations intéressantes, dramatiques, passionnées… M. Emmanuel Chabrier a tiré un
admirable parti de ces situations si franches et si claires. Sa musique, joyeuse
et passionnée tour à tour, s’adapte à tous les contours du poème. Elle le
souligne, elle le soulève jusqu’à produire cette émotion intense et sincère que,
seules, procurent les grandes œuvres. Rarement l’école française nous a donné un
exemple plus complet de ce que peut l’inspiration unie à la science. Car il faut
entendre et réentendre Gwendoline pour en connaître à fond les
merveilles harmoniques.
À coup sûr les pantomimes de M. Catulle Mendès garderont leur charme précieux et spécieux de
petits poèmes animés. Lorsque, de leur propre poids, les Mères
ennemies seront tombées au fond de l’oubli, le Docteur
Blanc surnagera.
Le principal élément de beauté dans la littérature c’est la puissance vitale.
Balzac nous paraît
dominateur par ces accumulations de faits soutenus par des pyramides d’idées qui
donnent à chacun de ses romans une force égale aux drames de Shakespeare. Honneur à ceux
dont l’œuvre nous accable, nous pétrit, laisse notre mémoire bouillonnante et même
fatiguée !…
C’est une magie de cet ordre qui met hors de pair le nouveau livre de M. Catulle Mendès : La
Maison de la Vieille.
… Le style de M. Mendès
est d’une prodigieuse adresse. Il a toutes les audaces et tous les détours ; sa
rapidité est frénétique. Ce sont des enfilades d’incidentes dont la série ne se
perd et des abréviations d’une saveur aiguë. On y trouve avec joie des élans
lyriques. Le lyrisme dispose d’effets sublimes dont notre époque s’est privée on
ne sait pourquoi, par une vague crainte du ridicule qui a paralysé bien des
écrivains.
… M. Mendès ne craint pas
de se mêler à la multitude qu’il a créée, insultant les uns, louant les autres,
consolant, bravant et cravachant. Marcher dans le sens de la nature tout est là.
Le reste n’est que contrefaçon. Un vigoureux talent, une observation perpétuelle,
une ardeur alerte, voilà ce qu’on remarque dans la Maison de la
Vieille, et qu’on ne croît pas que ce livre est décousu ; malgré son
grouillement, il est systématique et construit de main d’ouvrier.
C’était M. Mendès
lui-même, avec la prestigieuse souplesse d’un talent qui a su se hausser jusqu’à
la plus noble puissance épique dans son poème suedenborgien d’Hespérus, digne pendant poétique de la Séraphita de
Balzac.
Dans Rue des Filles-Dieu, 56, M. Mendès s’est exercé à une petite
histoire de psychologie morbide. Il a excellé dans la finesse d’analyse comme dans
le décor et le lyrisme. Le Poe de la Lettre volée, le Maupassant des derniers contes
revivent ici, mais en désinvolture pittoresque. Et ce n’est pas un des moindres
tours de force du prestidigitateur Catulle Mendès que d’avoir — amalgamant en adroit romantique le
cocasse et le tragique — tenté et réussi un Cauchemar
amusant.
Philoméla me transportait par sa malice initiale et sa
miraculeuse outrance dans l’ordonnance magistrale du rythme dur et sur et de la
rime toujours correcte sans grimace inutile vers une richesse bête.
Sur la Grive des vignes :
Et dont encore
, au
bec, elle a
,
Gog ne le cède point à l’Assommoir pour
exprimer le tumulte et l’agitation des foules ; la Maison de la
Vieille est bien supérieure à l’Œuvre, pour dire en quel
terreau peut éclore la mentalité, et de quelles forces mises en faisceau par le
hasard de la faim et de la sympathie se forme une phalange alerte pour gagner à
l’assaut des esprits le verger de la bonne soif. Autant que la Faute
de l’abbé Mouret ou la Joie de vivre, le Roi vierge fit
saisir aux mains actives l’inanité charmante des chapeaux de rêve. Mais si
Zola détruisit de loin sans
offrir à ses milices la consolation du pillage, Mendès apprit aux jeunes hommes à
savourer le plaisir sur les ruines de l’hypocrisie et derrière la déroute du
mensonge. Il y a dans Gog moins de tristesse que de gaîté
puissante, quasi rabelaisienne. Les hommes se ruent aux femmes, à l’argent, à la
nourriture, au trône et à Dieu en se grisant de fanfares ou de voix d’orgues. Nous
ne sentons pas le besoin de les plaindre. Leur vie est intense. Ils cueillent à
toutes treilles.
Ils récoltent chacun selon son effort. Ils sont sur l’ennemi. Ils en vivent. Ils
ne l’anéantissent pas seulement. À la tête de ses voluptueuses, de ses satyres, de
ses bohèmes, de ses rois extatiques, de ses moines hallucinés, Mendès est lui-même le Christ de
cet assaut qui crie aux troupes : « Frappez et on vous ouvrira ».
Son geste enthousiaste rejette en arrière sa chevelure d’archange dont les
boucles se mêlent, dans l’élan, aux bouts battants de sa cravate lâche en soie
blanche.
De ses épaules les habits volent, manteaux où s’engouffrerait le veut contraire à
sa course victorieuse. Il entraîne. Il pleure de joie. Il excite. Il répand et il
embrasse. Il brandit son épée. Il escalade l’échelle de soie. Il chante la mélodie
de cent rimes. Il pourfend et il s’indigne. C’est un tourbillon chatoyant de
vigueurs juvéniles, multiples et différentes, mirées aux yeux innombrables des
amoureuses.
Gog : Enamourés tous les deux des choses du divin, ces deux
esprits si opposés, Villiers et
Catulle Mendès, en même
temps amis intimes et adversaires l’un à l’autre également redoutables, liés
normalement par la parité de leur merveilleuse puissance de travail, et non moins
normalement séparés par leur différente compréhension du mystère, ces deux hommes
terribles pouvaient seuls, au monde des lettres, concevoir la terrible idée d’une
substitution de Dieu. Villiers est
mort ; assez tôt pour demeurer, selon le jugement égoïste des jeunes générations,
le génie pur par excellence. Mendès vit ; toujours battant l’enclume de diamant de la pensée
romantique, il continue la belle tradition du poème-légende, et, peut-être, pour
cela surtout que sa poigne implacablement vigoureuse fait jaillir encore
l’étincelle divine, nombre de jeunes ont l’air de lui reprocher de rester… après
l’Autre. Ce n’est pas logique. Gog contient
une idée géniale. Il fallait donc écrire ce livre. Puisque
Villiers est mort, pourquoi voudrait-on que Mendès ne l’eût pas écrit ?
C’est parallèlement aux romans de MM. de Goncourt, Daudet et Zola
qu’il faut étudier les romans de Catulle Mendès. Le roman romanesque où se plaît M. Anatole France est d’autre
nature, et, s’il est bien distinct du roman naturaliste, il l’est au moins autant
de la Maison de la Vieille, de la Première
Maîtresse ou de Gog. Le roman de M. France est en général bien fait,
fin, réticent, ironique, suggestif ; il n’a jamais la forte coulée, le brouhaha
ordonné, l’harmonie complexe d’un roman de Mendès.
Dans les premières œuvres, mettons hors de pair Pierre le
Véridique ; avec sa langue contournée, précieuse, sa surcharge presque
d’expressions d’atmosphère et de mots chronologiques, il reste la meilleure
évocation que nous ayons de l’ancienne civilisation de langue d’oc, avant
l’invasion du Nord.
Les personnages en sont peut-être mièvres, mais vivants, gais ou douloureux,
probables, en place plus sans doute que des personnages de tapisseries au geste
lent parce que figé, d’un procédé trop immobile. Dans le Roi
vierge, il faut choisir, pour lui rendre justice, le beau personnage de
Gloriane et l’agile silhouette de Brascassou relevé de toute sa louche agilité,
cette statue de chair vive, cette reine d’opéra. La première vision de Gloriane,
dans la ville de Navarre où les cheveux d’or flambent dans le plus ensoleillé des
décors, doit être retenue. Ce n’est point que des beautés ne se trouvent éparses
dans les premiers romans de Mendès. Il y a, au travers des histoires du Clown
Papiol, une belle symphonie de Paris ; de jolis contes dans les Folies amoureuses, des scènes héroïques dans les Mères
ennemies ; mais ce sont promesses et prémices à côté des dernières
réalisations : la Maison de la Vieille et Gog.
Chand d’habits est une œuvre puissante, aimable quelquefois, le
plus souvent terrible, et, au dénouement, grandiose. Plusieurs scènes en sont
vraiment belles : la scène, entre autres, où, à contempler le sabre qu’il a
dérobé, par jeu, au Marchand d’habits, Pierrot conçoit l’idée du meurtre, et celle
où, tandis qu’il tient enlacée Musidora, lui apparaît le spectre de l’homme
assassiné. Tout le troisième tableau est d’un tragique terrible et majestueux.
Comme pantomime, Chand d’habits nous semble un chef-d’œuvre.
Du temps que j’étais écolier, cancre invétéré de rhétorique en ce petit collège
de Meaux que déjà le poète Jacques Madeleine émerveillait de ses sonnets, si on était venu me
dire qu’un jour je présenterais au public un livre de Catulle Mendès, j’eusse haussé
les épaules et répondu « vous me faites rire », sans l’ombre d’une hésitation.
Je devais pourtant connaître cet honneur. C’est à l’humble auteur de Lidoire
que l’auteur de Panteleïa
, des Mères
ennemies et de tant d’autres chefs-d’œuvre absolus en leur perfection a
daigné confier la préface du très beau livre que voici, et si je m’étonne
modérément, à ce témoignage nouveau d’une amitié capable de tout, je sens
défaillir au fond de moi, de stupéfaction et d’orgueil, le rhétoricien de
jadis.
Vu à travers la majesté de Imprécations d’Agar, à travers la
splendeur de Pierre le Véridique, où les phrases sont
pareilles à de frêles guirlandes tressées de pâquerettes, de boutons d’or, de
myosotis et de toutes petites roses, Mendès m’apparaissait comme une espèce de dieu, tout en rayons,
planant au-dessus de la foule. Je me l’imaginais claustré, ainsi qu’un simple
Fils du Ciel, au fond d’un farouche lyrisme, où il vivait, muet solitaire,
refusé aux regards des profanes ; — car je ne doutais pas qu’il se tînt à
l’écart de la conversation des hommes, faite, selon moi, pour écœurer de nausées
son absolutisme hautain de chantre éternellement visité par la Muse. Candeurs de
la seizième année, ingénues et saugrenues !… C’est sous ces apparences dénuées
de complications que je me représentais l’être exquis, de douceur et de
simplicité, qui devait devenir non seulement le plus fidèle de mes amis, mais
encore le plus délicieux et le plus jeune de mes camarades.
…………………………………………………………………………
J’écrivais ces lignes l’an dernier. En ajoutant comme je le faisais : « Il
y a d’ailleurs tout à attendre du cerveau qui enfanta tant de
merveilles »
, je savais ce que je disais, et, à la fois, je ne croyais
pas si bien dire ; n’ayant pas lieu de supposer qu’à quelques semaines de là
l’événement donnerait raison — avec quel retentissement ! — à ma perspicacité.
C’est en effet, au mois de mai 1895, que Mendès publia son premier compte
rendu dramatique : un compte rendu qui fut un compte réglé à je ne sais plus
quelle opérette dont la célébrité égalait la niaiserie, en vingt lignes qui
riaient comme des folles, faisaient des blagues comme des rapins et montraient
leurs derrières comme des femmes mariées. Trois jours plus tard, en trois épaisses
colonnes accouchées entre messe et vêpres, d’un jet, sous l’impérieuse et
furibonde poussée de N.-D. l’Inspiration, il déshabillait les Demi-Vierges d’une
main accoutumée à ce genre d’exercice, et livrait, superbe d’audace, à
l’effarement de l’aréopage, leur nudité délicate et scabreuse. L’article fit un
beau tapage, tombé dans la mare aux grenouilles de la critique contemporaine, où
quatre crétins, onze ratés, deux prophètes, huit philosophes, revenus des erreurs
de ce monde, et soixante-quatorze bons garçons équitablement partagés entre la
crainte de peiner un ami et le désir bien légitime de ne pas compromettre leurs
titres à la réception d’un lever de rideau, disputaient à notre Bon Oncle
l’honneur de rectifier le tir. Ces messieurs s’entreregardèrent, puis, à l’instar
du marquis Ubilla au troisième acte de Ruy Blas :
Fils, dirent-ils, nous avons un maître.
C’était cent fois mon avis ; et tout Paris, déjà, le partageait avec moi, saluant
en ce dernier venu le triomphe du premier arrivé.
Ainsi tient dans le creux de la main l’historique de cet Art au
théâtre dont notre ami Eugène
Fasquelle lance aujourd’hui la première édition, qui sera suivie de
tant d’autres : livre nouveau, tout à fait beau, je le répète,
débordant de bonne foi, ce qui est bien, et de foi, ce qui est encore mieux, et où
alternent avec un égal bonheur les envolées et les culbutes, les coups d’aile et
les coups de bâton. Cent fois digne du grand artiste qui l’emplit non seulement de
sa verve charmante, mais encore de son radieux, de son lumineux bon sens, il
m’apparaît comme une des expressions les plus définitives de son génie et de sa
noblesse, car il n’en est pas une page, il n’en est pas une ligne, un mot, qui ne
hurle, ne chante, ne proclame le triomphe et la gloire des Lettres !
Les traditions généreuses qui sont un legs du romantisme revivent par vous,
Monsieur Mendès ! La voix
qui inspirait les admirables critiques de Théophile Gautier dicte
aujourd’hui vos articles. Vous y recherchez la vérité, vous y vivez pour le
triomphe de l’idéal avec une passion que nos confrères ni leur « prince » n’ont
connue ; avec une érudition qui humilie même les ignorants et avec ce vrai Bon
Sens qui se défend d’être l’opinion moyenne, car il appartient aussi aux
poètes !
Quand vous êtes né aux lettres, Hugo, radieux, était déjà le Maître vénéré, le Père accueillant. Il
vous fallait un héros, comme à Byron : vous
avez, l’un des premiers, reconnu le génie de Richard Wagner ; son apothéose
éblouissante n’est pas le moindre de vos titres à la gratitude des artistes et à
la gloire qu’elle vous donne !
Votre enthousiasme est communicatif, vous faites jaillir la flamme partout… Vous
avez vu avec quel entrain, quel zèle, je dirai aussi quelle joie, les artistes de
l’Odéon se sont voués à l’œuvre qui était entreprise, en donnant plus que leur
talent, leur âme, retrouvant cette ivresse sainte de la poésie que vous savez si
noblement inspirer, car vous croyez avec raison qu’il y a un prestige magique dans
la beauté du vers. C’est pourquoi, si simplement, sans nul artifice de mise en
scène, sans qu’ils offrissent le moindre spectacle, nos samedis populaires de
poésie ont si bien réussi.
Quand parut le premier poème de Catulle Mendès, Sainte-Beuve, un peu
effrayé et très certainement séduit, résuma son jugement en cette exclamation :
Miel et poison !
Nous ne sommes plus habitués
à cette forme de critique ; mais Sainte-Beuve ne
manquait pas de perspicacité. L’originalité de Catulle Mendès, c’est d’être un
poète à la fois doux et brutal, tendre et cruel, naïf et pervers ; toute son
œuvre, romans, vers, drames et comédies, atteste ce contraste : il aime les fleurs
et les oiseaux, l’air pur, le ciel bleu, la nature claire des contes de fées, mais
il se complaît aussi à la vue des Parisiennes en pantalon de dentelles et dont les
jupons frissonnent de blancheur. Il évoqua amoureusement Jo, Lo et Zo et défendit
contre tous l’œuvre de Wagner. Il aima à la fois la rudesse des temps barbares, la
civilisation affinée de l’antique Grèce et la gracieuse décadence de Paris ; son
intelligence et ses sens vibrèrent à toutes les beautés, et s’il nous est cher,
c’est parce qu’il ne se confina pas en une manière, parce qu’il
fut toujours un artiste sincère et bien vivant. Jamais il ne méprisa une tentative
et un effort ; et toujours il jugea avec modération les nouveautés, même celles
qu’il ne comprenait pas. N’ayant pas, comme tant d’autres, une foi absolue en
l’infaillibilité de son esprit, il cherche patiemment à s’initier aux ouvrages qui
lui sont mystérieux.
Médée est l’œuvre noble d’un poète qui croit que l’étude des
passions éternelles transportées dans le monde de la légende, s’exprimant en une
belle langue, dramatique et lyrique à la fois, interprétée, et j’ajoute : mise en
scène par une tragédienne et une artiste incomparables, peut encore plaire à un
public très désorienté et le rallier à une pure œuvre d’art. Croire ceci, c’est
déjà bien. Faire du rêve une réalité par le succès, c’est mieux encore ; et je ne
cache pas la joie que j’éprouve à entendre applaudir un drame qui ne cherche pas à
réussir en offrant à la foule incertaine et qu’il faut chercher à ramener vers les
sommets, l’appât de quelque curiosité vulgaire.
(Sur Médée.) Le drame de M. Catulle Mendès vaut moins par
l’intérêt du poème, par l’étude psychologique des sentiments et des caractères que
par un grand sens du pittoresque et en même temps par un emportement
de passion physique. La langue en est somptueuse, éclatante, un peu
précieuse et obscure par endroits ; le vers est toujours d’un maître ouvrier qui
possède et manie avec une incomparable habileté tous les secrets du rythme…
… Ah ! que j’applaudis M. Mendès qu’il n’y ait point en sa Médée trop de
« beaux vers », vous savez des alexandrins lapidaires (et si faciles !) qui
rebondissent comme un aérolithe dans un champ de betteraves. Médée est d’une beauté poétique continue et harmonieuse. L’ouvrier de
conscience et de savoir unique qui « instrumenta » ce poème, en modula les chants
suivants la variété infinie des sentiments qu’il voulait exprimer. Selon le
mouvement du drame, le vers jaillit violent tour à tour ou badin, ou sensuel, ou
dramatique, ou cruel, ou familier, ou légendaire.
Telle est la tragédie d’Euripide, telle est aussi la Médée de M. Mendès, qui a traduit les
emportements et les désolations de l’enchanteresse légendaire en une langue
poétique d’une réelle puissance et d’une richesse d’images infinie. Les vers ne
sont peut-être pas toujours d’une clarté absolue, mais, même en ces quelques
passages où la pensée du poète apparaît un peu confuse et parée de métaphores trop
éclatantes, le rythme et l’harmonie y demeurent d’un charme si prenant, que nous
subissons une impression sans songer à l’approfondir.
(Médée.) M. Mendès a suivi pas à pas Euripide, et pourtant il a
trouvé une péripétie centrale qui change complètement la marche de l’action et qui
donne à la tragédie comme un coup de barre et à la fois une direction nouvelle et
une impulsion et qui ranime l’intérêt au moment où il commençait à languir. Oh !
ce n’est rien, c’est très simple, mais il fallait s’en aviser. C’est l’œuf
célèbre… Il y a une autre manière d’être original, c’est d’écrire bien. La pièce
de M. Catulle Mendès est
souvent écrite en très beaux vers. Il y en a de vraiment tragiques, de ces vers
condensés et forts qui frappent le public en plein contact et le font
tressaillir.
La Reine Fiammette : C’est œuvre d’artiste et de poète que
l’œuvre dont je dois parler aujourd’hui, et je n’en cache pas ma joie… Non que le
métier en soit absent, car le drame est bien établi. Mais il n’est que la
charpente où s’étaye le discours du poète, qui est toujours charmant, souvent
admirable.
(Sur la Reine Fiammette.)
Mais voilà que pendant deux actes, deux interminables actes, Catulle Mendès accumule un tas de
noires horreurs ! La politique, l’odieuse politique entre en cause, et
l’Inquisition et le pape ! Niais laissez-moi tranquille. Il ne s’agit pas de tout
ça ! Comment, sarpejeu ! je suis là, bien en train de me divertir ; je ris avec
cette gentille petite reine, je m’amuse de tous ces complots d’Opéra-Comique, et
puis voilà que tout à coup, sans me dire gare, vous affectez de prendre au
tragique ces aimables fantaisies de poète amoureux d’amour et de gaîté ! Oh non,
non, cent fois non ! Je vous quitte ; bien le bonsoir, mon cher Mendès, bien le bonsoir !
Je suis sûr que la Reine Fiammette est le chef-d’œuvre
dramatique des Parnassiens. Aussi bien Fiammette n’est-il pas
tout à fait un drame ; c’est un jeu, un « conte dramatique », mais ce jeu est
« prenant », on s’y passionne mieux qu’aux mélos dûment machinés.
Il ne faut pas seulement reconnaître que Fiammette est le
meilleur conte qu’un artiste ait porté à la scène, il faut dire que c’est le seul
qu’on écoute avec un plaisir vrai et sans une minute d’effort. Fiammette, c’est l’Italie en sa Renaissance, rêvée par un poète. Ces
tapisseries aux soies vives, c’est les scènes de Mendès ; cette musique ailée, c’est
les vers de Mendès.
M. Catulle Mendès me
semble aussi adroit, aussi preste, aussi prestigieux, aussi riche et aussi
prodigue que le Théodore de
Banville des Odes funambulesques et de Dans la fournaise. Je ne vois pas par quel côté il peut lui être
inférieur. La grandeur des dons, le nombre des notions, la finesse du rythme, la
variété des sujets, la surabondance de l’esprit, la grâce alerte et piquante, la
joie, la frénésie, l’éloquence, la gaîté, la bouffonnerie loquace, les profusions
d’un style imagé ou sonore, et par-dessus tout la sûreté technique, font de
M. Catulle Mendès l’égal
du Banville des Odes et du Gautier des critiques, des romans et des poèmes.
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