Heredia, José Maria de (1842-1905)
La Véridique Histoire de la conquête de la Nouvelle-Espagne,
traduit de l’espagnol de Bernal Diaz de Castillo (1877-1887). — Les
Trophées (1893). — La Nonne Alferez (1894).
José-Maria de
Heredia que son nom espagnol n’empêche pas de tourner de très beaux
sonnets en notre langue.
M. José-Maria de
Heredia fait des vers presque aussi beaux que ceux de M. Leconte de
Lisle, avec je ne sais quoi de plus ample, de plus chaud et de plus
flottant ; un assez long fragment de poésie narrative et descriptive, les Conquérants de l’or, inséré dans le tome second du Parnasse contemporain, contient quelques pages splendides.
Tandis que d’autres donnaient dans le mysticisme sensuel de Baudelaire ou dans le
bouddhisme de Leconte
de Lisle, et tandis que presque tous étaient profondément tristes, le
sentiment que M. José-Maria de
Heredia exprimait de préférence, c’était je ne sais quelle joie
héroïque de vivre par l’imagination à travers la nature et l’histoire magnifiées
et glorifiées. En cela, il se rencontrait avec M. Théodore de Banville ;
mais ce qui peut être le distinguait entre tous, c’était la recherche de l’extrême
précision dans l’extrême splendeur… M. José-Maria de Heredia est
un excellent ouvrier en vers, un des plus scrupuleux qu’on ait vus et qui apporte
dans son respect de la forme quelque chose de la délicatesse de conscience et du
point d’honneur d’un gentilhomme… Je ne lui demande qu’une chose : Qu’il continue
de feuilleter le soir, avant de s’endormir, des catalogues d’épées, d’armures et
de meubles anciens, rien de mieux ; mais qu’il s’accoude plus souvent sur la roche
moussue où rêve Sabinula.
On retrouve, dans ces merveilleux poèmes, la nature ardente et fleurie où
s’écoula l’enfance du poète, l’âme des Conquistadors dont il descend, les purs
souvenirs de la beauté antique qu’il évoque pieusement. Le sonnet, avant M. José-Maria de Heredia,
n’approchait pas de la richesse et de la grandeur que cet ouvrier poète lui a
donnée.
D’un rêve d’or et de sang, bellement théâtral, M. de Heredia fait des
poèmes sans pensées et pleins de mouvements et de couleur, des vers sonores et
rudes.
Ces Trophées me semblent valoir moins par leur signification de
la noblesse d’une âme que par celle d’une bien stérile victoire sur la seule
matière de la poésie. L’or ne vaut pas par lui-même, mais par ce qu’il représente.
Or, le trésor dont se sont rendus maîtres les Parnassiens — rimes riches, rythmes
complexes, formes fixes — me fait souvent songer à ces anciennes monnaies qui
n’ont plus aucune valeur de représentation. Et à toutes ces factices richesses je
préférerais quelques vers inestimables de Ronsard, de Racine ou de Verlaine… Les sous-titres des Trophées indiquent assez que son souci fut plutôt celui d’un
historien en vers que d’un véritable chanteur : La Grèce et la
Sicile, Rome et les Barbares, le Moyen Âge et la Renaissance, l’Orient et les
Tropiques. C’est, on le voit, une sorte de Légende des
siècles en sonnets.
Fanfares, cymbales, trompettes et buccins ! Voilà les Trophées
de M. José-Maria de
Heredia qui se dressent, or sur or, flamboyants sur le ciel
splendide. Lamartine
disait qu’il mettait des lunettes bleues pour lire la prose de Saint-Victor. Qu’eût-il mis
pour lire les vers de M. de Heredia ? Ce ne sont que ruissellements de joailleries
luisantes et étincelantes et gerbes magnifiques de gemmes somptueuses. Il y a là
comme une gageure, et elle est toujours gagnée ; il y a là comme un parti pris de
montrer que notre « gueuse fière », c’est à savoir la langue française, est
capable, pour qui connaît ses ressources, des richesses de couleur et des
richesses de sonorité les plus rares et les plus abondantes que jamais langue
colorée et langue sonore ait pu étaler ; et ce parti pris, je suis enchanté que
M. de Heredia ait
montré par le succès qu’on pouvait le prendre.
Couleurs et sonorités, ce n’est pas tout Heredia, et je crois que je
le montrerai, mais c’est bien ses deux qualités essentielles et les deux dons tout
particuliers qu’il a reçus. Gautier aurait été enchanté, lui qui aimait tant les
« transpositions d’art », de ce poète rival, en un seul volume, du peintre le plus
éclatant et du musicien le plus puissant. Et il faut avouer que ce n’est pas peu
de chose de voir, avec cette force et cette précision, le relief et l’éclat des
objets, et d’entendre et de faire entendre avec l’instrument du vers tous les
bruits majestueux, terribles ou caressants de la nature.
Un des livres du siècle (Les Trophées) est éclos, ce m’est
l’escompte d’une joie historique de m’en sentir contemporain. Comme nous, nous
disons : « 1857, l’année de Bovary, des Fleurs du
mal, des Poésies barbares, de Fanny »,
on dira seulement, mais c’est quelque chose : « 1893, l’année des Trophées », et dans un tiers de siècle, j’espère, les nouveaux me
permettront de mentir un peu sur ce 1893 et sur cette apparition des Trophées, avec la grâce délicate que les jeunes gens ont tant raison de
garder au bon chroniqueur devenu mûr et qui se souvient tout haut.
Le triomphe de M. de Heredia, c’est la couleur, — si peut-être
celui de M. Leconte de
Lisle, son maître, serait plutôt la lumière ; — et
je ne crois pas que jamais vers aient mieux rendu que les siens la diversité des
époques ou le changeant décor des lieux.
Qui donc remplacerait, à l’heure actuelle, Leconte de Lisle,
si ce n’est le pur et parfait poète des Trophées
, M. José-Maria de
Heredia ?
Les cent dix-huit sonnets des Trophées ne sont assurément pas
tous de la même valeur, n’en est de pâles dont l’idée se révèle avec peine et ne
semble pas valoir l’honneur de tant de soins. Il en est qui, faute d’une pensée
assez abondante pour les emplir jusqu’au bout, laissent flotter à vide bien des
vers. Il en est surtout de rudes, où les mots, trop violemment comprimés, grincent
les uns contre les autres et saccadent mal à propos la strophe de rejet convulsif.
Mais quelques-uns, alliant avec toute la virtuosité voulue la sûreté du dessin à
la vigueur du coloris, sont sans aucun doute, pour la perfection du rendu, les
plus beaux qui aient jamais été écrits en français.
M. José-Maria de
Heredia, le prince de ces sonnettistes qu’a
suscités Sainte-Beuve. Il a publié lentement des sonnets sonores, enfin
recueillis dans les Trophées, qui, par la fermeté du dessin,
l’éclat des tons et la puissance du modèle, suggèrent un plaisir esthétique rival
de celui qui est propre aux arts plastiques, et qui donnent souvent par l’accord
de l’idée et de la forme le sentiment même de la perfection.
José-Maria de
Heredia ne me pardonnerait pas si je le louais aux dépens de son
illustre maître. Pourtant je suis obligé de dire que ses vers attestent un plus
vif souci d’exactitude et serrent davantage la vérité. Que voulez-vous ? Quand on
a été chartiste, on reste toujours ami des | textes et des documents. Heredia est un ancien élève
de l’École des chartes, tout comme MM. Gaston Paris et Paul
Meyer. Il a fréquenté, tout jeune, les archives, les vieilles armures
et les églises vénérables. Il s’est habitué à saisir d’une vue directe la figure
du passé. Il s’est plu aux doctes dissertations, aux monographies, au recueil de
parchemins, aux albums d’armoiries, aux glossaires. Il est demeuré grand lecteur
de mémoires érudits, de brochures rares, de peu connus. Les sociétés
savantes des départements lui ont fourni, plusieurs fois, des motifs de poésie :
souvent une planche d’archéologie entrevue dans une bibliothèque, un pan de mur,
une statue cassée qui git dans l’herbe, un fragment de stèle, une guirlande de
palmettes qui court sur une frise, se fixent dans son esprit, l’accompagnent
partout, à pied et à cheval, en voiture et en omnibus, au théâtre et dans le
monde. Les jours passent, les semaines, les mois, parfois les années. La vision
s’enrichit de lectures et de méditations nouvelles ; elle attire des mots colorés
et sonores ; elle se vêt de pourpre, d’azur et d’or ; elle se couvre de cristaux
et d’aiguilles, comme ces branches de bois mort que l’on jette dans les mines de
Harz. Brusquement elle éclate en une magnificence de phrases, en un triomphe de
rimes ; elle scintille, elle éblouit, elle émerveille. La poésie française compte
un sonnet de plus… Successeur des poètes qui ont introduit l’Espagne en France,
héritier d’une longue lignée qui va de Jean Chapelain à Pierre Corneille et d’Abel
Hugo à Victor
Hugo, l’auteur des
Trophées
se distingue cependant de tous ses
devanciers par des traits qui lui sont personnels. Son chartisme
n’a pas nui, tant s’en faut, à son esthétique. Les triomphes de la philologie
l’ont émerveillé. Il a vu les profondeurs du passé magnifiquement illuminées par
ces sciences très spéciales que le vulgaire ignore ou méprise, et qui sont
d’admirables lampes de mineur : l’archéologie, l’épigraphie, la diplomatique. Il a
compris que l’office et le bienfait de la littérature consistent surtout à ouvrir
au public des trésors cachés et à faire entrer dans le domaine de tous ce qui
était auparavant l’exclusive propriété de quelques spécialistes volontiers jaloux.
Il a puisé à des sources mystérieuses et nouvelles. Ce Parnassien est un
moderne.
M. José-Maria de
Heredia, savant comme Ovide, en d’éclatants sonnets nous a donné l’émotion des siècles
disparus. Les fêtes de sa mémoire couronnent des travaux pensifs. Il a su réduire
l’abondance de ses sensations aux strictes cadences d’où naît la splendeur
classique. Comme un sanctuaire il a disposé son livre. Chacun de ses purs autels
cache un enseignement ésotérique. Ces vers parfaits sont le corps rythmique d’une
divinité. Ainsi qu’une sonate plusieurs fois entendue, ils s’ouvrent soudain à la
compréhension. Derrière leur sens précis réside leur beauté symbolique. Lorsqu’on
a pénétré leur ordonnance intime, ils vous mettent dans l’état d’harmonie où l’on
aime les morts mêlés aux vivants.
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