Aubanel, Théodore (1829-1886)
La Grenade entr’ouverte (La Miougrano
entraduberto) (1860). — Lou Pan dou pecat (Le
Pain du péché), drame (1878). — Lou Pastre, drame (1880).
— Lou Robatori, drame (1880). — Li Fiho
d’Avignoun (1891).
« Et toi, fier Aubanel, dit M. Mistral dans Mireio, toi qui des bois et des
rivières cherche le sombre et le frais pour ton cœur consumé de rêves
d’amour ! »
C’est ce poète passionné qui va se révéler dans les Amertumes ; son recueil, espèce de romancero de
la douleur, est composé de pièces distinctes et unies cependant par une chaîne
invisible, si bien que toutes les phases de la passion s’y développent, comme les
péripéties d’un drame. N’est-il pas évident, à première vue, qu’un tel poème
s’adresse à des esprits cultivés ? Ce ne sont ni les paires de la Camargue ni les
fermiers des Alpines qui apprécieront ce romancero.
Auprès de Mistral, il
est juste de placer Aubanel, auteur de la Grenade entr’ouverte
, dont les vers ont la
fraîcheur vermeille des rubis que laisse voir en se séparant la blonde écorce de
ce fruit, éminemment méridional.
Le Théâtre-Libre a donné, avec un grand succès, le Pain du
péché, de Théodore
Aubanel. Je vous avais promis de vous dire mon impression ; mais,
vous l’avouerai-je ? je n’ai pu parvenir en huit jours à la tirer au clair. Ce
n’est pourtant pas faute d’avoir été averti et renseigné. Il y avait autour du
drame, pendant les entractes, un bruit de félibres très excités, et comme un
crépitement d’ardentes cigales. Les uns disaient : « Té ! c’est de l’Eschyle ! » et les autres :
« C’est du Shakespeare, vé ! » et tous : « C’est la Phèdre
provençale, pas moins ! » Et, en effet, je sentais bien moi-même, dans l’œuvre
d’Aubanel, de la
grandeur, de la simplicité, de la poésie, et une flamme partout répandue. Mais, en
même temps, j’y découvrais une irréflexion, une étourderie d’improvisateur, un
tragique tout en superficie, un échauffement sans profondeur, une outrance et
comme une gesticulation de Canebière. J’y trouvais, moi, pauvre homme du Centre,
plus d’assent » que d’accent, c’est-à-dire plus de Midi que d’Humanité ; trop de
« poivrons » et de « fromageons », trop de « mas », de « nouvelets » et de
« Gabrielous »… Et je ne sais pas bien encore, à l’heure qu’il est, si la tragédie
d’Aubanel est shakespearienne ou
tartarinesque… La légende est belle ; et si, comme on me l’a affirmé, c’est
Aubanel lui-même qui
l’a inventée de toutes pièces, il l’en faut louer grandement, car elle offre tous
les caractères des légendes populaires… Pour trouver de ces choses belles et
obscures, pour inventer un symbole qui semble vieux de plusieurs centaines
d’années et qui a l’air d’avoir subi les déformations et les additions de
plusieurs siècles, certes il ne faut pas être un médiocre poète, et je n’ai pas
dit que Théodore Aubanel
en fût un.
Sur quoi Aubanel, grand
poète, mais ouvrier un peu maladroit, à ce qu’il me semble, a donné de tout son
cœur sur le point désobligeant et périlleux, que la légende dérobait et lui
épargnait, et s’y est attaché de tout son cœur, et en a fait le tout de son œuvre…
Comme poème proprement dit, le Pain du péché est une belle
œuvre. Les vers sont très beaux. Il y en a d’une largeur et d’une sonorité
magnifiques, qui emplissent l’oreille délicieusement et qui vibrent longtemps dans
la mémoire. Ce style est d’une facture large et aisée, qui convient admirablement
au poème épique porté à la scène. C’est un beau succès pour Aubanel, et pour son brillant
traducteur, M. Paul Arène.
Nous ne l’avons plus parmi nous, le lumineux poète de la Grenade
entr’ouverte
, des Filles d’Avignon, et le
dramaturge puissant du Pâtre
, du Pain du péché ! Et voilà
que partout on invoque son nom comme un symbole de passion, de nouveauté et de
génie. C’est que le grand Félibre ne cherchait pas la gloire ; il ne vécut que
pour la Beauté. Enfermé dans son Avignon, devant l’horizon de sa Provence, il
écrivait ses vers à l’ombre reprochant aux meilleurs compagnons de son art et de
sa jeunesse les témoignages mêmes de leur enthousiasme. Et il n’était pas
seulement cet artisan de l’art plastique qu’on nous représente. Le Beau est
partout comme Dieu : il y a dans Aubanel réaliste à sa manière et quand sa pensée l’exige, un
merveilleux poète de la nature.
Des trois félibres de la première heure, Roumanille, Aubanel et Mistral, que Saint-René Taillandier
signalait, il y a trente-cinq ans, à la curiosité et à la sympathie des lettrés,
il en est un dont l’étude directe servira exactement notre dessein : c’est
Théodore Aubanel. En
effet, l’auteur des Margarideto
, Roumanille, se voua, dès la seconde heure et presque exclusivement,
à la prose de son cher Armana prouvençau. Le talent de Mistral est toujours vert, et il
n’a pas dit son dernier chant. Mais Aubanel, lui, a suivi jusqu’au bout son inspiration poétique, et il
a terminé sa carrière… Son meilleur recueil de vers, les Filles
d’Avignon, presque introuvable naguère, a pu être réédité enfin… Sa vie fut
très simple. Elle s’écoula presque tout entière en Avignon,
comme on dit là-bas, où il était né et où il mourut, après y avoir vécu
cinquante-sept ans (1829-1886)… Son œuvre offre partout la clarté native du génie
latin.
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