CLXVIIe entretien.
Sur la poésie
Il y a, dans toutes les choses humaines, matérielles ou intellectuelles, une partie
usuelle, vulgaire, triviale, quoique nécessaire, qui correspond plus spécialement à la
nature terrestre quotidienne et en quelque sorte domestique de notre existence ici-bas.
Il y a aussi dans toutes les choses humaines, matérielles ou intellectuelles, une partie
éthérée, insaisissable, transcendante, et pour ainsi dire atmosphérique, qui semble
correspondre plus spécialement à la nature divine de notre être. L’homme, par un
instinct occulte, mais fatal, semble avoir senti, dès le commencement des temps, le
besoin d’exprimer dans un langage différent ces choses différentes. Placé lui-même pour
les sentir et pour les exprimer sur les limites de ces natures humaines et divines qui
se touchent et se correspondent en lui, l’homme n’a pas eu longtemps le même langage
pour exprimer l’humain et le divin des choses. La prose et la poésie se sont partagé sa
langue, comme elles se partagent la création. Il a parlé des choses humaines, il a
chanté les choses divines. La prose a eu la terre et tout ce qui s’y rapporte ; la
poésie a eu le ciel et tout ce qui dépasse dans l’impression des choses terrestres
l’humanité. En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le
langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par l’impression, la passion, la pensée, à
sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. La poésie est la noblesse du verbe.
Voulez-vous une preuve de cette distinction puisée dans le fait et non dans la
théorie ? Observez depuis l’origine des littératures ce qui a été le partage de la
prose, ce qui a été le domaine de la poésie.
Dans toutes les langues, l’homme a parlé et écrit en prose des choses nécessaires à la
vie physique ou sociale, domesticité, agriculture, politique, éloquence, histoire,
sciences naturelles, économie publique, correspondance épistolaire, conversation,
mémoires, polémique, voyages, théories philosophiques, affaires publiques, affaires
privées, tout ce qui est purement du domaine de la raison ou de l’utilité a été dévolu
sans délibération à la prose.
Dans toutes les langues, au contraire, l’homme a chanté généralement en vers la nature,
le firmament, les dieux, la pitié, l’amour, cette autre pitié des sens et de l’âme, les
fables, les prodiges, les héros, les faits ou les aventures imaginaires, les odes, les
hymnes, les poëmes enfin, c’est-à-dire tout ce qui est d’un degré ou de cent degrés
au-dessus de l’exercice purement usuel et rationnel de la pensée.
Le verbe familier s’est fait prose ; le verbe transcendant s’est incarné dans les vers.
L’un a discouru, l’autre a chanté.
Pourquoi cette différence dans ces modes divers de l’expression humaine ? qui est-ce
qui a enseigné ou imposé à l’humanité qu’il fallait parler ces choses et chanter en vers
celles-là ? Personne. Le maître de tout, l’instituteur et le législateur des formes de
l’expression humaine n’est pas autre que l’instinct, cette révélation sourde, mais
impérieuse et pour ainsi dire fatale de la nature dans notre être et dans tous les
êtres.
L’homme sensitif et pensant est un instrument sonore de sensations, de sentiments et
d’idées. Chaque corde de cet instrument monté par le Créateur éprouve une vibration et
rend un son proportionné à l’émotion que la nature sensible de l’homme imprime à son
cœur ou à son esprit par la commotion plus ou moins forte qu’il reçoit des choses
extérieures ou intérieures.
À l’exception de l’extrême douleur qui brise les cordes de l’instrument et qui leur
arrache un cri inarticulé, cri qui n’est ni prose, ni vers, ni chant, ni parole, mais un
déchirement convulsif du cœur qui éclate, quand l’émotion de l’homme est modérée et
habituelle, l’homme se sert pour l’exprimer d’un langage simple, tempéré et habituel
comme son émotion.
Quand l’émotion, au contraire, est extrême, exaltée, infinie sur les fibres sensitives
de l’instrument humain, quand l’imagination de l’homme se tend et vibre en lui jusqu’à
l’enthousiasme et presque jusqu’au délire, quand la passion imaginaire l’exalte, quand
l’image du beau dans la nature ou dans la pensée le fascine, quand l’amour, la plus
mélodieuse des passions en nous parce qu’elle est la plus rêveuse, lui fait imaginer,
peindre, invoquer, adorer, regretter, pleurer ce qu’il aime ; quand la piété l’enlève à
ses sens et lui fait entrevoir, à travers le lointain des cieux, la beauté suprême,
l’amour infini, la source et la fin de son âme, Dieu ! et quand la contemplation
extatique de l’être des êtres lui fait oublier le monde des temps pour le monde de
l’éternité, enfin quand, dans ses heures de loisir ici-bas, il se détache sur l’aile de
son imagination du monde réel pour s’égarer dans le monde idéal, comme un vaisseau qui
laisse jouer le vent dans sa voilure et qui dérive insensiblement du rivage sur la
grande mer, quand il se donne l’ineffable et dangereuse volupté des songes aux yeux
ouverts, ces berceurs de l’homme éveillé, alors les impressions de l’instrument humain
sont si fortes, si inusitées, si profondes, si pieuses, si infinies dans leurs
vibrations, si rêveuses, si extatiques, si supérieures à ses impressions ordinaires, que
l’homme cherche naturellement pour les exprimer un langage plus pénétrant, plus
harmonieux, plus sensible, plus imagé, plus crié, plus chanté que sa langue habituelle ;
et qu’il invente le vers, ce chant de l’âme, comme la musique invente la mélodie, ce
chant de l’oreille, comme la peinture invente la couleur, ce chant des yeux, comme la
sculpture invente les contours, ce chant des formes ; car chaque art chante pour un de
nos sens, quand l’enthousiasme, qui n’est que l’émotion de sa suprême puissance, saisit
l’artiste. L’art des arts, la poésie seule chante pour tous les sens à la fois et pour
l’âme, ce sens intellectuel, résumé divin et immortel de tous les sens.
Donc à une impression transcendante, un mode transcendant d’exprimer cette impression.
Voilà, selon nous, toute l’origine et toute l’explication du vers, cette transcendance
de l’expression, ce verbe du beau, non dans la pensée, mais dans le sentiment et dans
l’imagination.
Mais comment l’homme discerne-t-il, nous dit-on encore, ce qui doit être parlé ou ce
qui doit être chanté dans les sensations ou dans les sentiments qui l’émeuvent ?
Nous répondons encore par le même mot : mystère. L’homme n’a pas besoin de le
discerner, il le sent. Ce qui est poésie dans la nature physique ou morale, et ce qui
n’est pas poésie se fait reconnaître à des caractères que l’homme ne saurait définir
avec précision, mais qu’il sent au premier regard et à la première impression, si la
nature l’a fait poëte ou simplement poétique.
Ainsi, prenez pour exemple la nature inanimée, le paysage : voilà une plaine immense
cultivée, fertile, couverte d’épis ou de prairie, grenier de l’homme, mais qui n’est ni
sillonnée par un fleuve, ni bordée par des collines, ni penchée vers la mer, et dont les
horizons monotones se confondent avec le ciel bas et terne qui l’enveloppe. Certes,
c’est un spectacle agréable au laboureur et consolant pour l’économiste qui calcule
combien de milliers d’hommes et d’animaux seront nourris après la moisson par le pain ou
par l’herbe fauchée sur ces sillons. Mais vous traverseriez pendant des jours et des
mois une plaine de cette fécondité et de ce niveau sans qu’un atome de poésie sortît
pour les yeux ou pour l’âme de ce grenier de l’homme.
Où est la poésie dans tout cela ? J’y vois bien la richesse, j’y vois bien l’utile,
mais le beau, mais l’impression, mais le sentiment, mais l’enthousiasme, où sont-ils ?
Il n’y a peut-être d’autre poésie à recueillir sur cette immense étendue de choses
utiles que la plus inutile de toutes ces choses, le vol soudain et effarouché d’une
alouette, fouettée du vent, qui s’élève tout à coup de cet océan d’épis jaunes, pour
aller chanter on ne sait quel petit hymne de vie dans le ciel et qui redescend après
avoir donné cette joie à l’oreille de ses petits, cachés dans le chaume ; le cri
strident du grillon qui cuit au soleil sur la terre aride, ou le bruissement sec et
métallique des pailles d’épis frôlées par la brise vague les unes contre les autres, et
qui interrompent de temps en temps par un ondoiement de mer le silence mélancolique de
l’étendue.
Or, pourquoi la plaine est-elle prosaïque et pourquoi l’alouette, le grillon, la brise
dans les épis sont-ils poétiques ? Qui pourrait le dire ? Peut-être parce que l’alouette
présente le contraste d’un peu de joie au milieu de cette monotonie de tristesse et d’un
peu d’amour maternel au-dessus de son nid, cette délicieuse réminiscence de nos mères ;
peut-être parce que le grillon nous rappelle le désert aride de Syrie où le cri du même
insecte anime seul au loin la route silencieuse du chameau sur les sables brûlés de la
terre ; peut-être parce que ce bruissement et cet ondoiement d’épis mûrs sous la brise
folle nous transporte par l’analogie de son sur les vagues ridées de l’océan au pied du
mât où frissonne ainsi la toile.
Et pourquoi ces trois petits phénomènes et ces trois images sont-ils à nos yeux la
seule poésie de ce vaste espace ? Parce que de ces trois phénomènes et de ces trois
images il sort pour nous une émotion, et que de cette immense plaine d’épis il ne sort
que de la richesse.
Ce n’est donc pas l’utile qui constitue la poésie, c’est le beau. L’épi est utile, mais
l’alouette vit, le grillon rappelle, la brise représente, le cœur sympathise, la mémoire
se déplie, l’image surgit, l’émotion naît, avec l’émotion naît la poésie dans l’âme.
Vous pouvez chanter l’alouette, le grillon, la brise dans le chaume, je vous défie de
chanter le champ de blé, la meule de gerbes, le sac de froment, cela se compte, cela ne
se chante pas. L’instrument humain n’a point d’écho pour le chiffre.
Mais vous approchez des Alpes, les neiges violettes de leurs cimes dentelées se
découpent le soir sur le firmament profond comme une mer, l’étoile s’y laisse entrevoir
au crépuscule comme une voile émergeant sur l’Océan de l’espace infini ; les ombres
glissent de pente en pente sur les flancs des rochers noircis de sapins, des chaumières
isolées et suspendues à des promontoires, comme des nids d’aigles, fument du feu du
soir, et leur fumée bleue se fond en spirales légères dans l’éther ; le lac limpide,
dont l’ombre ternit déjà la moitié, réfléchit dans l’autre moitié les neiges renversées
et le soleil couchant dans son miroir ; quelques voiles glissent sur sa surface,
chargées de branchages coupés de châtaigniers, dont les feuilles trempent pour la
dernière fois dans l’onde ; on n’entend que les coups cadencés des rames qui rapprochent
le batelier du petit cap où sa femme et ses enfants l’attendent au seuil de sa maison,
ses filets y sèchent sur la grève, un air de flûte, un mugissement de génisse dans les
prés interrompent par moment le silence de la vallée ; le crépuscule s’éteint, la barque
touche au rivage, les foyers brûlent çà et là à travers les vitraux des chaumières, on
n’entend plus que le clapotement alternatif des flots endormis du lac, et de temps en
temps le retentissement sourd d’une avalanche de neige dont la fumée blanche rejaillit
au-dessus des sapins ; des milliers d’étoiles, maintenant visibles, flottent comme des
fleurs aquatiques de nénuphars bleus sur les lames, le firmament semble ouvrir tous ses
yeux pour admirer ce coin de terre, l’âme la quitte, elle se sent à la hauteur et à la
proportion de s’approcher de son Créateur presque visible dans cette transparence du
firmament nocturne, elle pense à ceux qu’elle a connus, aimés, perdus ici-bas et qu’elle
espère, avec la certitude de l’amour, rejoindre bientôt dans la vallée éternelle, elle
s’émeut, elle s’attriste, elle se console, elle se réjouit, elle croit parce qu’elle
voit, elle prie, elle adore, elle se fond comme la fumée bleue des chalets, comme la
poussière de la cascade, comme le bruissement du sable sous le flot, comme la lueur de
ces étoiles dans l’éther, avec la divinité du spectacle.
Voilà la poésie du paysage ! Je vous défie de parler en sa présence le langage
vulgaire. Chantez alors, car vous êtes ému autant que les fibres de l’instrument peuvent
l’être sans se briser. La poésie est née en vous, elle vous inonde, elle vous submerge,
elle vous étouffe, l’hymne ou l’extase naissent sur vos lèvres, le silence ou le vers
sont seuls à la mesure de vos émotions !
Voilà une des poésies de la terre ! Nous ne finirions pas, si nous les énumérions en
parcourant les scènes diurnes ou nocturnes de notre séjour terrestre. Tout ce qui a son
émotion a sa poésie. Tout ce qui a sa poésie demande à être exprimé dans une langue
supérieure à la langue usuelle, expression des choses ordinaires.
Mais la mer, soit que nous voguions sur ses lames, soit que nous contemplions sa
surface du haut des falaises, a mille fois plus de poésie que la terre et les montagnes.
Pourquoi ? nous dit-on souvent. Nous répondons en deux mots : parce qu’elle a plus
d’émotion pour nos yeux, pour notre pensée, pour notre âme. Un livre entier ne suffirait
pas à les énumérer et à les définir toutes. Disons les principales.
D’abord, la mer est l’élément mobile, sa mobilité semble lui donner avec le mouvement
la vie, la passion, la colère, l’apaisement d’une âme tantôt calme, tantôt agitée. Ce
mouvement et cette instabilité produisent en nous une première impression de plaisir ou
de terreur. — Émotion !
Ensuite, elle est transparente, elle ressemble au firmament ou à l’éther qui
répercutent la lumière de l’astre du jour ou des étoiles de la nuit, elle se transfigure
sans fin comme le caméléon par ses couleurs changeantes, roulant tantôt la lumière,
tantôt la nuit dans ses vagues. — Émotion !
Elle est immense, et elle imprime par son étendue sans limite une idée de grandeur
démesurée qui fait penser à l’infini. — Émotion !
Ses vagues, quand elles lèchent sans bruit la grève de sable humide, rappellent la
respiration douce du sommeil d’un enfant sur le sein de sa mère. — Émotion !
Quand elle écume, au lever d’un jour d’été, sous la brise folle, et que le goëland,
renversé comme un oiseau blessé, trempe une de ses ailes dans la poussière de cette
écume, la mer rappelle les bouillonnements harmonieux de l’onde qui commence à
frissonner sur le feu. — Émotion !
Quand elle s’accumule en montagnes humides sous le vent lourd d’automne et qu’elle
s’écroule avec des coups retentissants sur le sol creux des caps avancés, elle rappelle
les mugissements de la foudre dans les nuages et les tremblements de la terre qui
déracinent les cités. — Émotion !
Si un navire en perdition apparaît et disparaît tour à tour sur la cime ou dans la
profondeur de ses lames, on pense aux périls des hommes embarqués sur ce bâtiment, on
voit d’avance les cadavres que le flot roulera le lendemain sur la grève, et que les
femmes et les mères des naufragés viendront découvrir sous les algues, tremblant de
reconnaître un époux, un père ou un fils. — Émotion !
Si une voile dérive par un jour serein du port, on pense aux rivages lointains et
inconnus où elle ira aborder après avoir traversé pendant des jours sans nombre ce
désert des lames ; ces terres étrangères se lèvent dans l’imagination avec les mystères
de climat, de nature, de végétation, d’hommes sauvages ou civilisés qui les habitent, on
s’y figure une autre terre, d’autres soleils, d’autres hommes, d’autres destinées.
— Émotion !
Si une flotte dont on attend le retour montre au coucher du soleil les étages
successifs de ses voiles surgissant une à une, comme un troupeau de moutons qui monte
une colline au-dessus de la courbe de l’horizon, on songe aux canons qui ont grondé dans
ses bordées, aux vaisseaux qui ont sombré sous les boulets des ennemis, aux morts et aux
blessés qui ont jonché ses ponts sous la mitraille, toutes les images de la guerre, de
la mort pour la patrie, de la gloire et du deuil assiégent la pensée. — Émotion !
Si la mer est peuplée de barques de pêcheurs comme un village flottant, on songe à la
joie des chaumières qui attendent le soir le fruit du travail du jour, on voit sur la
côte s’allumer une à une les lampes des phares, étoiles terrestres des matelots.
— Émotion !
Si la mer est vide, on songe à l’espace qu’aucun compas ne circonscrit, domaine
incommensurable du vent qui laboure ses vagues pour on ne sait quelle moisson de vie ou
de mort. — Émotion !
Si l’œil cherche à sonder le lit murmurant de ces vagues, on songe à la profondeur des
abîmes qu’elles recouvrent, aux monstres qui bondissent, ou rampent, ou nagent dans les
mystères de ce monde des eaux. — Émotion !
Enfin, si on calcule par la pensée l’incalculable ondulation de ces vagues succédant
aux vagues qui battent depuis le commencement du monde de leur flux et de leur reflux
les falaises dont les granits pulvérisés sont devenus un sable impalpable à ces
frôlements de l’eau, on s’égare dans la supputation des siècles et on a quelque
sentiment de l’étendue. — Émotion !
Toutes ces émotions éparses ou réunies forment pour l’homme la poésie de la mer, elles
finissent par donner au contemplateur le vertige de tant d’impressions, qu’il s’assoit
sur le rivage élevé des mers, comme dit Homère, et qu’il demeure immobile et muet à
regarder et à écouter les flots ; et s’il essaye, en présence d’un tel spectacle, de se
parler à lui-même, il cherche involontairement une langue qui lui rappelle la grandeur,
la profondeur, la mobilité, le sommeil, le réveil, la colère, le mugissement, la cadence
de l’élément dont son âme, à force d’émotions montées de l’abîme à ses sens, contracte
un moment l’infini. Il ne parle pas, il s’exclame, il gémit, il pleure, il s’exalte, il
frissonne, il jouit, il tremble, il s’anéantit, il se prosterne, il adore, il prie, il
chante le Te Deum de la grandeur de Dieu et de la petitesse de
l’homme, et son chant prend instinctivement la symétrie, la sonorité, la majesté, la
chute et la rechute des vagues. Ses vers se façonnent et s’harmonient sur la succession
et sur l’alternation des ondes par le rhythme, c’est-à-dire par la mesure musicale des
mots.
Si nous parcourions ainsi successivement tous les phénomènes du monde visible ou du
monde social, nous trouverions partout des éléments sans nombre de poésie, cachés aux
profanes dans toute la nature comme le feu dans le caillou. Tout est poétique à qui sait
voir et sentir. Ce n’est pas la poésie qui manque à l’œuvre de Dieu, c’est le poëte,
c’est-à-dire c’est l’interprète, le traducteur de la création.
Mais que serait-ce si nous parcourions la gamme entière de l’âme humaine depuis
l’enfance jusqu’à la caducité, depuis l’ignorance jusqu’à la science, depuis
l’indifférence jusqu’à la passion, pour y discerner d’un coup d’œil ce qui est du
domaine de la poésie de ce qui est du domaine de la prose ? Nous trouverions partout que
c’est l’émotion qui est la mesure de la poésie dans l’homme ; que l’amour est plus
poétique que l’indifférence, que la douleur est plus poétique que le bonheur, que la
piété est plus poétique que l’athéisme, que la vérité est plus poétique que le
mensonge ; et qu’enfin la vertu, soit que vous la considériez dans l’homme public qui se
dévoue à sa patrie, soit que vous la considériez dans l’homme privé qui se dévoue à sa
famille, soit que vous la considériez dans l’humble femme qui se fait servante des
hospices du pauvre et qui se dévoue à Dieu dans l’être souffrant, vous trouveriez
partout, disons-nous, que la vertu est plus poétique que l’égoïsme ou le vice, parce que
la vertu est au fond la plus forte, comme la plus divine des émotions.
Voilà pourquoi les vrais poëtes chantent la vérité et la vertu, pendant que les poëtes
inférieurs chantent les sophismes et le vice ! Ces poëtes du vice sont de mauvais
musiciens qui ne connaissent pas leur instrument. Ils touchent la corde fausse et courte
au lieu de la corde vraie et éternelle. Ils se trompent même pour leur gloire. À talent
égal, le son que rend l’émotion du bien et du beau est mille fois plus intime et plus
sonore que le son qu’ils tirent des passions légères ou mauvaises de l’homme ; plus il y
a de Dieu dans une poésie, plus il y a de poésie, car la poésie suprême, c’est Dieu.
Il nous a semblé que rien ne pouvait mieux compléter ces pages laissées inachevées que
cette naïve et touchante image des deux natures de poésie et des deux natures de sons
que rend l’âme du poëte aux différents âges, reprise d’une des dernières préfaces des
Méditations et que les ravissants vers tirés des Destinées de la poésie.
« Quand nous étions enfants, nous nous amusions quelquefois, mes petites sœurs et
moi, à un jeu que nous appelions la musique des anges. Ce jeu
consistait à plier une baguette d’osier en demi-cercle ou en arc à angle très-aigu, à
en rapprocher les extrémités par un fil semblable à la corde sur laquelle on ajuste la
flèche, à nouer ensuite des cheveux d’inégale grandeur aux deux côtés de l’arc, comme
sont disposées les fibres d’une harpe, et à exposer cette petite harpe au vent. Le
vent d’été, qui dort et qui respire alternativement d’une haleine folle, faisait
frissonner le roseau, et en tirait des sons d’une ténuité presque imperceptible, comme
il en tire des feuilles dentelées des sapins. Nous prêtions tour à tour l’oreille, et
nous nous imaginions que c’étaient des esprits célestes qui chantaient. Nous nous
servions habituellement, pour ce jeu, des longs cheveux fins, jeunes, blonds et
soyeux, coupés aux tresses pendantes de mes sœurs ; mais un jour, nous voulûmes
éprouver si les anges joueraient les mêmes mélodies sur des cordes d’un autre âge,
empruntées à un autre front. Une bonne tante de mon père, qui vivait à la maison, et
dont les cachots de la Terreur avaient blanchi la tête avant l’âge, surveillait nos
jeux en travaillant de l’aiguille à côté de nous dans le jardin. Elle se prêta à notre
enfantillage, et coupa avec les ciseaux une longue mèche de ses cheveux, qu’elle nous
livra. Nous en fîmes aussitôt une seconde harpe, et, la plaçant à côté de la première,
nous les écoutâmes toutes deux chanter. Or, soit que les fils fussent moins tendus,
soit qu’ils fussent d’une nature plus élastique et plus plaintive, soit que le vent
soufflât plus doux et plus fort dans l’une des petites harpes que dans l’autre, nous
trouvâmes que les esprits de l’air chantaient plus tristement et plus harmonieusement
dans les cheveux blancs que dans les cheveux blonds d’enfant ; et, depuis ce jour,
nous importunions souvent notre tante pour qu’elle laissât dépouiller par nos mains
son beau front.
Ces deux harpes dont les cordes rendent des sons différents selon l’âge de leurs
fibres, mais aussi mélodieux à travers le réseau blanc qu’à travers le réseau blond de
ces cordes vivantes ; ces deux harpes ne sont-elles pas l’image puérile, mais exacte,
des deux poésies appropriées aux deux âges de l’homme ? Songe et joie dans la jeunesse ;
hymne et piété dans les dernières années. Un salut et un adieu à l’existence et à la
nature, mais un adieu qui est un salut aussi ! un salut plus enthousiaste, plus solennel
et plus saint à la vision de Dieu qui se lève tard, mais qui se lève plus visible sur
l’horizon du soir de la vie humaine !
Je ne sais pas ce que la Providence me réserve de sort et de jours. Je suis dans le
tourbillon au plus fort du courant du fleuve, dans la poussière des vagues soulevées par
le vent, à ce milieu de la traversée où l’on ne voit plus le bord de la vie d’où l’on
est parti, où l’on ne voit pas encore le bord où l’on doit aborder, si on aborde ; tout
est dans la main de celui qui dirige les atomes comme les globes dans leur rotation, et
qui a compté d’avance les palpitations du cœur du moucheron et de l’homme comme les
circonvolutions des soleils. Tout est bien et tout est béni de ce qu’il aurait voulu.
Mais si, après les sueurs, les labours, les agitations et les lassitudes de la journée
humaine, la volonté de Dieu me destinait un long soir d’inaction, de repos, de sérénité
avant la nuit, je sens que je redeviendrais volontiers à la fin de mes jours ce que je
fus au commencement : un poëte, un adorateur, un chantre de la création. Seulement, au
lieu de chanter pour moi-même ou pour les hommes, je chanterais pour lui ; mes hymnes ne
contiendraient que le nom éternel et infini, et mes vers, au lieu d’être des retours sur
moi-même, des plaintes ou des délires personnels, seraient une note sacrée de ce
cantique incessant et universel que toute créature doit chanter, du cœur ou de la voix,
en naissant, en vivant, en passant, en mourant devant son Créateur.
Il y a un morceau de poésie nationale dans la Calabre que j’ai entendu chanter souvent
aux femmes d’Amalfi en revenant de la fontaine. Je l’ai traduit autrefois en vers, et
ces vers me semblent s’appliquer si bien au sujet que je traite, que je ne puis me
refuser à les insérer ici. C’est une femme qui parle :
Ce que les femmes de Calabre disaient ainsi de leur ange gardien, l’humanité peut le
dire de la poésie. C’est aussi cette voix intérieure qui lui parle à tous les âges, qui
aime, chante, prie ou pleure avec elle à toutes les phases de son pèlerinage séculaire
ici-bas.
Fénelon naquit d’une famille noble et militaire du Périgord vivant tantôt dans les
camps, tantôt dans le fond de cette province.
Son père, Pons de Salignac, comte de Fénelon, retiré du service, avait eu plusieurs
enfants d’un premier mariage avec Isabelle d’Esparbis. Veuf et déjà avancé en âge, il
avait épousé Louise de Saint-Abre, dont il eut François de Fénelon.
Fils d’un vieillard et d’une jeune épouse, Fénelon reçut de la nature la maturité de
l’un et les grâces de l’autre. Il fut élevé jusqu’à l’âge de douze ans dans la maison
paternelle.
La littérature sacrée et les littératures grecque et latine, furent sous un précepteur
particulier les premiers aliments de son imagination.
L’université de Cahors acheva son éducation.
Le bruit de ses heureuses dispositions parvint jusqu’à son oncle, Antoine de Fénelon
qui, arrivé au premier grade de l’armée, appela son neveu auprès de lui à Paris.
On destinait l’enfant à l’Église. On lui fit poursuivre ses études philosophiques et
théologiques dans les hautes écoles de Paris. Son génie précoce y éclata comme il
avait éclaté à Cahors. La gloire anticipée et la faveur générale qui entourait le
jeune Fénelon, firent craindre quelque enivrement du monde au vieil oncle, son tuteur,
qui se hâta de le faire entrer dans le séminaire Saint-Sulpice, pour l’attacher au
sacerdoce par des vœux.
L’ardente imagination du jeune lévite devait naturellement le porter à l’héroïsme de
sa profession. Il forma la résolution de s’enrôler parmi les missionnaires qui
allaient convertir le Canada au christianisme, et de se consacrer, comme les premiers
apôtres de l’Évangile, à la poursuite des âmes parmi les idolâtres, dans les forêts du
nouveau monde.
Le directeur de Saint-Sulpice, homme sage et prudent, avertit le marquis Antoine de
Fénelon de la résolution de son élève. On l’envoya chez un autre de ses oncles, évêque
de Sarlat, qui lui défendit, au nom du ciel, de poursuivre ce dessein téméraire, et le
fit rentrer au séminaire de Saint-Sulpice.
Le jeune homme ne tarda pas à devenir prêtre, resta à Paris, et fut employé, pendant
trois ans, à expliquer les mystères aux enfants du peuple, les jours de fête et les
dimanches, dans la sacristie de l’église Saint-Sulpice.
L’évêque de Sarlat l’appela de ces humbles fonctions dans son diocèse, pour le faire
nommer représentant du clergé de la province à l’assemblée générale du clergé.
La jeunesse de Fénelon fit échouer l’ambition de son oncle : un autre ecclésiastique
de haute naissance obtint les suffrages. Fénelon reprit à Sarlat sa passion
d’apostolat lointain et poétique pour la conversion des peuples.
« Je médite, écrit-il alors à Bossuet, un grand voyage. La Grèce s’ouvre devant mes
pas ; l’islamisme recule, le Péloponèse redevient libre, l’Église de Corinthe
refleurit, la voix de l’apôtre s’y fait encore entendre. Je me vois transporté dans
ces belles contrées, et parmi ces ruines sacrées pour y recueillir, avec les plus
curieux monuments, l’esprit même de l’antiquité. Je visite cet aréopage où saint
Paul annonça aux sages du monde le Dieu inconnu ; mais le profane vient après le
sacré, et je ne dédaigne pas de descendre au Pirée, où Socrate fit prendre sa
république. Je ne t’oublierai pas, ô île consacrée par les visions du disciple
bien-aimé, heureuse Pathmos ! J’irai baiser ta terre sur les pas de saint Jean, et
je croirai, comme lui, voir les cieux ouverts ! Je vois déjà le schisme qui tombe,
l’Orient et l’Occident qui se réunissent, et l’Asie qui voit renaître le jour, après
une si longue nuit ! »
Cette lettre ne fut qu’une confidence sans réalisation. L’évêque de Sarlat parvint à
incliner l’esprit de son neveu d’un autre côté.
Fénelon, rappelé à Paris par l’archevêque, M. de Harlay, fut nommé, malgré sa
jeunesse, supérieur des Nouvelles-Converties au catholicisme, dont les persécutions de
Louis XIV avaient multiplié le nombre à Paris. Il n’avait que vingt-sept ans, il
gouverna cet ordre de femmes de son administration et de sa parole, avec une sagesse
prématurée.
Il pouvait aspirer, sous les auspices de M. de Harlay, aux plus hautes et aux plus
célèbres dignités de l’Église ; il leur préféra l’amitié stérile alors de Bossuet.
M. de Harlay, jaloux de l’évêque de Meaux, ressentit cette négligence du jeune prêtre.
« Monsieur l’abbé, lui dit-il un jour, en se plaignant de son peu d’empressement à lui
complaire, vous voulez être oublié, vous le serez. »
Fénelon fut oublié, en effet, dans la distribution des faveurs de l’Église. Son
oncle, l’évêque de Sarlat, fut obligé, pour soutenir son neveu à Paris, de lui
résigner le petit prieuré de Carénac, dépendant de son évêché. Ce revenu de trois
mille francs fut la seule fortune de Fénelon jusqu’à l’âge de quarante-deux ans.
Il passa quelques semaines dans ce prieuré ; il distribua aux indigents de la contrée
tout ce qu’il put retrancher de ce modique revenu à ses besoins les plus restreints.
Il y composa des vers, où le sentiment de la solitude, qui porte à Dieu, se mêle aux
sentiments de Dieu qui remplit la solitude. Ces vers avaient la mollesse et la grâce
de la jeunesse ; ils n’avaient pas la virilité de l’âme véritablement poétique. Il le
sentit lui-même et se résigna à la prose ; mais il ne cessa pas d’être le génie le
plus poétique de son temps.
Il reprit et poursuivit, pendant dix ans, à Paris, la direction de l’établissement
qui lui était confié ; il s’exerçait à parler et à écrire sur des choses saintes. Il
composait, pour la duchesse de Beauvillers, mère d’une jeune et nombreuse famille, un
traité de l’Éducation des filles. Ce livre, bien supérieur à l’Émile, de Jean-Jacques Rousseau, n’est point l’utopie, mais la
pratique raisonnée d’une éducation domestique pour l’époque où Fénelon écrivait. On y
sent le tact parfait d’un homme qui n’écrit pas pour être lu, mais pour profiter aux
familles.
Fénelon entremêlait à ces travaux et à ces devoirs de sa profession des
correspondances intimes, pleines d’onction sainte et d’enjouement avec ses amis. Il en
avait déjà un grand nombre ; le plus cher et le plus assidu était le jeune abbé de
Langeron. Bossuet était pour lui plus qu’un ami, c’était un maître ; mais un maître
chéri autant qu’admiré.
Fénelon, l’abbé Fleury, l’abbé de Langeron, l’élite de l’Église et de la littérature
sacrée suivaient Bossuet dans sa retraite de Germigny ; ils partageaient ses loisirs
sévères, ils recevaient les confidences de ses sermons, de ses oraisons funèbres, de
ses traités de polémique ; ils lui soumettaient leurs essais, ils s’enrichissaient de
ses entretiens familiers, dans lesquels cet homme de premier mouvement était plus
sublime encore que dans sa chaire, parce qu’il était plus naturel.
Ce furent les plus belles années de Fénelon ; il était loin de supposer que les
foudres sortiraient bientôt pour lui de ce cénacle où il ne respirait que la paix, la
modestie et le bonheur.
La révocation de l’édit de Nantes venait de frapper la liberté de conscience en
rompant le traité de paix, entre les religions, promulgué avec Henri IV. Trois cent
mille familles étaient expulsées, dépouillées, privées de leurs enfants, des milliers
d’autres familles, dans les provinces protestantes, étaient contraintes, moitié par la
persuasion commandée, moitié par la violence imposée, à désavouer la religion du
roi.
Bossuet approuvait ces croisades intérieures contre la réforme. Le but légitimait à
ses yeux et sanctifiait même les moyens.
Des missionnaires, appuyés de troupes et de geôliers, parcouraient les provinces,
imposant la foi, convertissant les faibles, sévissant contre les obstinés. Les parties
du royaume, où le protestantisme avait laissé le plus de racines, n’étaient qu’un
vaste champ de bataille après la victoire, où des commissions ecclésiastiques
ambulantes armées à la fois de la parole et du glaive, ramenaient tout par le zèle,
par la séduction ou par la terreur, à l’unité de la foi.
Bossuet était le ministre intime de cet empire sur les consciences. L’évêque de Meaux
s’imposait à Rome par ses services à l’Église, à laquelle il conquérait par la main du
roi la France protestante au catholicisme ; il s’imposait à Versailles par son
ascendant à Rome, au monde, par la sublimité de son génie.
Une persécution dont deux siècles n’ont pu effacer l’effroi dans la mémoire de ces
provinces, consternait une partie du Languedoc et du Vivarais. L’excès des sévices
criait vengeance. Ce cri des victimes commençait à importuner la cour ; on voulait
l’apaiser, non par des libertés rendues à la conscience des peuples, mais par des
ministres plus insinuants et plus humains.
Bossuet jeta les yeux sur Fénelon. Celui-ci, qu’il présenta pour la première fois à
Louis XIV, ne demanda pour toute grâce au roi que de désarmer la religion de toute
force coercitive, d’éloigner les troupes des provinces qu’il allait visiter, et de
laisser la parole, la charité et la grâce opérer seules sur les convictions qu’il
voulait éclairer et non dompter. Louis XIV fut charmé de l’extérieur, de la modestie,
de l’éloquence naturelle du jeune prêtre. Il lui confia les missions du Poitou.
Fénelon s’adjoignit, pour cette œuvre, l’abbé Langeron et l’abbé Fleury. Il ne tarda
pas à pacifier les esprits, et obtint des abjurations libres. Accusé d’indulgence par
les agents de la persécution : « Si l’on veut, écrivit-il à Bossuet, leur faire
abjurer le christianisme et adopter le Coran, il n’y a qu’à leur renvoyer les dragons.
— Continuez à faire venir des blés, écrit-il ailleurs aux ministres du roi, c’est la
controverse la plus persuasive pour eux… Les peuples ne se gagnent que par la parole.
Il faut leur trouver autant de douceurs à rester dans le royaume, que de périls à en
sortir. »
À son retour du Poitou, Fénelon fut désigné au roi, par le duc de Beauvillers et par
madame de Maintenon, pour précepteur du duc de Bourgogne, son petit-fils. L’amitié eut
la première pensée de Fénelon après son élévation. Il fit nommer l’abbé Fleury
sous-précepteur, et l’abbé de Langeron lecteur du jeune prince. L’abbé de Beaumont,
son neveu, fut associé comme sous-précepteur à l’abbé Fleury.
Le jeune disciple, par son caractère, donnait autant à redouter qu’à espérer de sa
nature. Dur, colère jusqu’aux emportements contre les choses inanimées, incapable de
souffrir la moindre contradiction, opiniâtre à l’excès, passionné pour tous les
plaisirs, la bonne chère, la chasse, la musique, le jeu, où il ne pouvait supporter
d’être vaincu ; il ne regardait les hommes que comme des atomes, avec qui il n’avait
aucune ressemblance, quels qu’ils fussent. L’esprit, la pénétration brillaient en lui
de toutes parts jusque dans ses violences ; ses reparties étonnaient, ses réponses
tendaient toujours au juste et au profond ; il se jouait des connaissances les plus
abstraites ; l’étendue et la vivacité de son esprit étaient prodigieuses et
l’empêchaient de se fixer sur une seule chose à la fois. Tel était l’enfant qu’on
donnait à transformer à Fénelon. Le roi, madame de Maintenon et le duc de Beauvillers
avaient été admirablement servis par le hasard ou par le discernement, en rencontrant
et en choisissant un tel maître pour un tel disciple.
Fénelon avait reçu de la nature les deux dons les plus nécessaires à ceux qui
enseignent : le don d’imposer et le don de plaire. Il ne tarda pas à captiver la cour
tout entière, à l’exception des envieux et du roi, qui avait contre le génie les
préventions du plus simple bon sens, et qui n’aimait pas qu’on regardât trop un autre
homme que lui dans sa cour.
▲