Poésie lyrique.
David (2e partie) À la fin du dernier Entretien sur la poésie sacrée nous comparions David à Pindare. Quelle différence d’accent, disions-nous, avec le poète lyrique de Bethléem ! Dans Pindare, c’est l’imagination cultivée ; dans David, c’est le cœur humain inculte qui éclate. Parcourons ses principales odes sacrées en les rattachant à sa vie.
« Pourquoi ces nations ont-elles bouillonné dans leurs cœurs ? Pourquoi ces peuples ont-ils rêvé dans leur esprit des néants ? « Ils se sont dressés contre nous, les chefs de la terre ennemie ; ils ont fait des pactes contre Jéhovah et contre son consacré ! « Brisons, brisons leurs courroies, et rejetons loin de nous le joug de leurs bœufs qu’ils veulent nous imposer sur le cou ! « Celui qui habite dans le firmament rira ; il portera le défi à leurs complots, Jéhovah le Seigneur ! « Moi, dit-il, j’ai versé l’huile sur mon roi ; je lui ai versé l’huile sur Sion, ma montagne de prédilection ! « Voici ce que m’a dit Jéhovah, ajoute à l’instant le poète en se transportant tout à coup dans la personne et dans la pensée de Saül, devant qui et pour qui il chante. « Jéhovah m’a dit : Tu es mon fils, je t’ai conçu aujourd’hui dans mes desseins ! « Demande, et je te donnerai ces nations en héritage et toute cette terre pour domination ! « Tu les écraseras avec une houlette de fer, tu les concasseras en morceaux comme l’œuvre d’argile du potier ! »Ici, comme transfiguré par l’enthousiasme, il apostrophe d’un vers impérieux les ennemis campés sur l’autre rive du torrent de la vallée de Térébinthe ; il lui semble porter sa voix et son défi jusqu’à leurs oreilles :
« Et maintenant, rois de la terre, entendez ! Repentez-vous, juges et chefs de la terre ! « Soumettez-vous à Jéhovah avec crainte, et réjouissez-vous tout en tremblant ! « Prosternez-vous dans la poussière devant son choisi, de peur qu’il n’entre en courroux et que vous ne périssiez tous sur son chemin ! Quand sa colère s’allume, heureux seulement ceux qui se confient en lui ! »
« Ô Jéhovah ! qu’ils sont nombreux ceux qui me persécutent ! que d’ennemis s’élèvent contre moi ! « Combien il y en a qui disent, en parlant de moi : « Il n’y a point de salut pour lui dans son Dieu ! »On peut supposer entre ce vers et celui qui va suivre un long repos rempli par un gémissement en refrain de sa harpe, gémissement interrompu tout à coup par ce cri de défi à ses persécuteurs et d’assurance dans son Dieu :
« Mais toi, Jéhovah ! mais toi, tu es mon bouclier, tu es ma gloire ! Tu me redresses la tête ! « Et je l’appelle à haute voix, et il m’entend du sommet de sa montagne sainte ! »Puis, avec la quiétude d’un esprit qui ne redoute plus rien, il continue sur un mode musical vraisemblablement plus lent et plus doux :
« Et je m’étends sur ma couche, et je m’endors ; et, après avoir dormi, je me réveille, car Jéhovah est l’oreiller de ma tête ! « Lève-toi, Jéhovah ! sauve-moi, mon Dieu ! Frappe tous mes ennemis à la mâchoire ; brise-leur les dents, à ces impies ! « Le salut est en Dieu ! ses protections sont sur son peuple ! »Quelle confiance assurée en Dieu !
« Quand je t’invoquerai, ô Jéhovah ! exauce ma prière. Élargis l’espace autour de moi quand je suis à l’étroit dans ma détresse ! « Le vulgaire dit : Qui nous enseignera la félicité ? Et nous, nous disons : Jéhovah, fais luire sur nous la lumière de ta face. « Tu as mis ainsi plus de joie dans mon cœur que dans le cœur de ceux dont tu multiplies le blé et le vin. « Je me couche et je me rendors tour à tour, car c’est en toi que je me repose ! »On voit, par cette répétition de la même image du sommeil à si peu de distance, combien elle lui avait paru naturelle et expressive à la fois pour figurer sa sécurité en Dieu, et combien il se complaisait à la reproduire presque dans les mêmes termes. C’est qu’en effet il n’y en a point de plus figurative que ce sommeil et ce réveil alternatifs des paupières et de l’esprit de l’homme, qui attestent le cours régulier et paisible de son sang, ruisseau de sa vie.
« Ô Jéhovah ! ne me rebrousse pas si violemment dans ta colère ! Dans ton irritation ne me détruis pas ! « Fais-moi miséricorde, car je suis exténué ; soulage-moi, car mes membres sont disloqués, « Et ma vie chancelle en moi !… Mais toi, Jéhovah, jusqu’à quand ?… »Y a-t-il dans la gamme des douleurs humaines un cri plus capable de tout peindre sans l’exprimer et de faire violence par le silence même à la compassion de Dieu que ce : Jusqu’à quand ?… suivi sans doute dans le chant d’un front abattu du poète sur sa harpe et d’un long silence de son instrument ?
« Oh ! reviens à mon aide, reprend le poète ; reviens, Jéhovah ! Délivre mon âme ! assiste-moi, non à cause de moi, mais à cause de ta compassion divine ! »Puis, comme s’il se repentait de s’être trop effacé lui-même, comme s’il voulait prendre Jéhovah par sa gloire et le cointéresser à la délivrance de Saül par le souvenir reconnaissant que les vivants seuls gardent de ses bienfaits :
« Car, s’écrie-t-il, la mort n’a point de mémoire, et dans la caverne (dans le sépulcre) qui est-ce qui chantera ton nom ? » Puis le mal se fait de nouveau sentir, et l’élégie reprend : « Je me suis fatigué de gémir ; toutes les nuits je mouille de mes larmes ma couche ! j’en arrose l’oreiller de ma tête ! « Mon visage s’amaigrit de mes angoisses ; la multitude de mes douleurs vieillit avant le temps ma face. »Ici on ne sait quel esprit soudain de jubilation et d’innocence saisit tout à coup le poète et le malade. L’élégie se transfigure en hymne, la harpe change de mode ; l’infirme, qui se sent apparemment soulagé, lance en trois strophes sa reconnaissance à Dieu, la menace et l’insulte aux ennemis de celui qui l’a guéri.
« Loin de moi ! loin de moi les fabricateurs d’iniquités ! car Jéhovah a exaucé le murmure de mes larmes. »Quelle expression, qui donne une voix aux larmes et qui fait comprendre à Dieu les plaintes de l’eau, ces cascades du cœur tombant des yeux de ses créatures !
« Ainsi Jéhovah a exaucé mes plaintes ! Jéhovah a recueilli mes invocations ! »Puis enfin l’idée de la patrie sauvée avec lui remonte à l’esprit du roi soulagé. On le voit se redresser sur son séant à la voix de son barde, et il s’écrie sans transition, dans une dernière strophe accompagnée sans doute d’un cri martial et d’un geste menaçant à ses ennemis :
« Disparaissez ! soyez confondus ! soyez foudroyés d’effroi, ô mes ennemis ! Fuyez confondus avec la rapidité de la paupière qui s’ouvre et qui se ferme sur l’œil ! »
« Lève-toi, Jéhovah mon Dieu ! lève-toi contre eux ! accomplis ce que tu as décrété sur eux ! « Que la perversité des mauvais ait un terme ! Replace le juste debout ! Tu es ma cuirasse ! « Si le pervers ne se repent pas, Jéhovah tend son arc et vise. »Il paraît ici que le poète, justifié et vengé, se complaît à chanter un cantique de reconnaissance, et l’on retrouve, avec quelques images plus suaves, les images grandioses du livre de Job dans cet hymne. Qu’on en juge.
« Ô Jéhovah ! ô notre Dieu ! que ton nom est resplendissant sur toute la terre, tandis qu’il resplendit si magnifiquement dans le ciel ! « Dans la bouche des enfants et sur les lèvres qui tètent encore le lait, tu as mis tes louanges à la confusion de tes ennemis. « Quand je vois le firmament, ouvrage de tes mains ; quand je contemple cette lune et ces étoiles que tu as semées… »L’humilité ici succède sans transition, ou plutôt par une transition tacite et naturelle, à l’extase.
« Qu’est-ce que l’homme, fils de la mort, pour que tu penses à lui ? Qu’est-ce que le fils de l’homme, pour que tu t’en souviennes ? »Mais un juste orgueil, dérivant de la grandeur de sa destinée, arrête tout à coup le poète et le fait passer de l’humilité de sa condition de fils de la mort à l’orgueil de sa destinée morale.
« Tu l’as placé dans l’échelle de tes êtres, ô Jéhovah ! à peine un peu au-dessous des Éloïm (les anges, esprits intermédiaires entre Jéhovah et ses créatures). « Tu l’as couronné de splendeur et de royauté ! Tu l’as constitué dominateur des ouvrages même de tes mains ! Tu as mis l’univers sous la plante de ses pieds ! « La brebis, le bœuf, tout, et aussi les animaux sauvages des forêts ! « L’oiseau et les poissons de la mer ! ils se fraient des chemins sur les vagues !… « Ô Jéhovah ! que ton nom est sublime sur toute la face de la terre ! »Que chanterions-nous de mieux aujourd’hui après ce Te Deum de l’âme, tour à tour abaissée jusqu’à la poussière et relevée jusqu’aux étoiles par la contemplation de l’œuvre de Dieu en soi et hors de soi ?
« Je disais : Je t’aime ! Dieu ! toi, ma force ! « Toi, mon rocher, ma forteresse ! « Toi, mon Dieu ! mon rocher, ma forteresse ! « Je m’abrite en toi ! « De son palais il entendit ma voix. « Mes cris entrèrent dans ses oreilles. La terre convulsive trembla, les fondements des montagnes chancelèrent, parce qu’il s’irrite, mon Dieu, contre mes ennemis. « Une fumée sortit de ses narines, « La flamme de sa bouche. « Elle aurait allumé des charbons ! « Il fit descendre les cieux sous lui et descendit sur un océan de ténèbres. « Monté sur un Chérubin, il prit son vol. « Il plana sur les ailes du vent ; « Il replia dans l’obscurité sa demeure, sa tente des nuées autour de lui. « Partout des vagues profondes, d’épaisses nuées !… « Par le seul souffle de ses narines. « Les fondements de la terre furent dénudés ! »
« Jéhovah me rétribue selon ma foi en lui ! « Car toutes ses inspirations sont ma loi ! « Je suis sans tache devant lui ! « Je me préserve de l’injustice ! « Il me rétribue selon ma foi, « Selon l’innocence de mes mains devant ses yeux ! « Tu es bon avec les bons ! « Tu es juste avec les justes ! « Tu es pur avec les purs ! « Tu allumes toi-même la lampe dans mon âme, Jéhova ! tu fais resplendir mes ténèbres ! « Quel autre Dieu y a-t-il que Jéhovah ? « Quel autre rocher que lui ? « Il égale la vitesse de mes pieds aux pieds des biches ! « Il me transporte sur les hauteurs inaccessibles des montagnes ! « Il solidifie mes muscles pour le combat, « Et ma main bande l’arc d’airain ! « Il élargit sous moi la plante de mes pieds, « Et mes talons ne glissent pas ! « Mes ennemis crient vers Jéhovah… « Mais point de salut ! il ne leur répond pas ! « Je les fais évanouir comme la poussière le vent ! « Je les foule comme la fange des chemins ! « Tu me fais chef des peuples ; « Les fils de l’étranger me servent et m’exaltent. « Vive Jéhovah ! vive mon rocher ! « Que le Dieu de mon salut soit glorifié ! « Voilà pourquoi je le chante parmi les multitudes ! »
« Les cieux racontent la gloire de Dieu ; le firmament prophétise l’œuvre de ses mains ! « L’aurore parle à l’aurore, et la nuit enseigne à la nuit ses mystères. « Point de parole ici-bas et là-haut qui soit vide de lui ! « L’écho de ces louanges retentit dans tout l’univers. Il a dressé une tente pour le soleil ; et lui (le soleil), comme un nouvel époux sortant de sa couche, s’élance, ivre de joie, pour parcourir sa carrière. « Il part du bord des cieux, et sa course s’étend jusqu’à l’autre bord ; rien ne peut échapper à sa chaleur ! »Puis, passant sans transition de l’ordre matériel à l’ordre moral, le poète chante en strophes réfléchies la sagesse de Jéhovah empreinte dans la conscience de l’homme vertueux. Puis un chant pour inspirer la confiance au peuple la veille des batailles :
« Ceux-ci se confient dans leurs chariots de guerre, ceux-là dans leurs chevaux de bataille ; mais nous, Jéhovah, dans ton nom ! »
« Jéhovah ! Jéhovah ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? « Pourquoi si loin de ton oreille aujourd’hui mes cris qui appellent ton secours, et mes cris vers toi ? « Mon Dieu ! je rugis de douleur le jour et tu ne réponds pas ! La nuit je ne trouve ni repos de corps ni repos d’esprit ! « Je suis un vermisseau écrasé, et non un homme ! Tous ceux qui me voient passer desserrent les lèvres pour rire de moi et secouent la tête avec dérision ! « Plains-toi à Jéhovah et il te relèvera », ajoute-t-il avec le désordre d’une pensée qui succède à l’autre sans attendre qu’elle soit achevée dans l’esprit. Il se rassure par la mémoire de ce que son Dieu a fait jadis pour lui : « Tu m’as tiré du ventre de ma mère ; sur le sein de ma mère tu m’as bercé, endormi ! « Je tombai sur ton sein en sortant du sein de ma mère ; dès ma sortie du ventre de ma mère, c’est toi qui fus mon Dieu ! « Ne t’éloigne pas de moi tout à fait, car l’angoisse approche ! « Des multitudes de taureaux m’environnent ; les taureaux de Basan m’ont assailli ! »Il s’apitoie sur lui-même :
« Je m’écoule comme l’eau ; tous mes os se disloquent ; mon cœur s’est fondu comme la cire. Ma vigueur s’est desséchée comme l’argile ; ma langue s’est collée à mon palais ; tu m’as réduit à une pincée de poussière trouvée dans le sépulcre ! « Je compte mes os. Eux, les chiens, me regardent et assouvissent de mon squelette leurs regards ! « Ils se partagent mes habits entre eux et sur mon manteau ils jettent le dé du sort ! « Hâte-toi, mon Dieu ! hâte-toi !… »Puis, comme s’il était déjà secouru :
« Je dirai ton nom à mes frères ; au milieu de l’assemblée du peuple je chanterai ton nom ! »On chercherait en vain dans toute la poésie antique ou moderne de telles prostrations de l’âme exprimées par de telles figures de style et de tels redressements de l’espérance rendus par de tels enthousiasmes de la piété. Le verset bondit de la terre au ciel, du ciel à la terre, comme le cœur du poète ou comme les taureaux de Basan. On s’étonne que les cordes de la harpe ne se soient pas brisées sous de si fortes touches. Si le cœur humain était devenu harpe, c’est ainsi qu’il aurait résonné !
« Jéhovah est mon berger ! Je ne manquerai de rien. Il me fait parquer dans les herbes vertes, il me chasse vers les eaux transparentes. « Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort je ne crains pas qu’il m’arrive du mal ; ta houlette et ton bras sont ma sécurité. « La coupe est pleine pour moi ! »L’enthousiasme toujours figuré du vrai poète le ressaisit aussitôt ; il chante d’une voix immortelle l’entrée triomphale de Dieu dans ses mondes par les portes immenses des éternités.
« Écartez-vous ! ouvrez-vous, portes de l’éternité ! Écartez-vous ! que le Roi de gloire entre dans ses empires ! « Qui est donc le Roi de gloire ? disent les portes. C’est Jéhovah ! c’est le Tout-Puissant ! c’est le Fort ! Jéhovah, le Fort dans la bataille ! « Portes, écartez-vous ! portes de l’éternité, ouvrez-vous, que le Roi de gloire entre ! Qu’il entre, le puissant, le fort Jéhovah Tsebaoth ! C’est lui qui est le Roi de gloire !… »
« Je n’ai demandé qu’une chose à Jéhovah, c’est la seule à laquelle j’aspire : demeurer dans la demeure de Jéhovah tous les jours de ma vie ; goûter la douceur de mon Dieu, habiter avec lui dans son temple ; « Car il me cache dans sa cabane au temps de l’adversité. « C’est de lui que mon cœur dit : Recherchez sa présence ! Je rechercherai ta présence, ô Jéhovah ! « Mon père et ma mère m’ont abandonné, mais Jéhovah me recueille ! »La note héroïque se retrouve au même instant sur la corde.
« Terrible est le nom de Jéhovah ! « Elle brise les cèdres ! Jéhovah de sa voix brise les cèdres, les cèdres du Liban ! « La voix de Jéhovah souffle l’incendie ! « Elle soulève le désert, elle fait ondoyer le désert de Cadès ! « Elle épouvante les biches, elle fait tomber les feuilles des forêts ! « Mais sa colère ne dure qu’un clignement de ses yeux, sa miséricorde dure toute la vie ! Le soir les larmes entrent dans sa demeure ; le matin, la joie ! « Dans tes mains je couche ma vie ! « Approchez, petits enfants, écoutez-moi ; je vous enseignerai la crainte de Dieu ! « La vieillesse approche. « Voilà que tu as mesuré mes jours par la paume de ta main », chante-t-il à Dieu, « et l’espace que j’ai parcouru est devant toi comme néant ! « L’homme se montre et s’évanouit comme un fantôme ; hélas ! il fait un petit bruit, il accumule sans savoir qui recueillera ! « Comme la biche soupire après l’eau des fontaines, ainsi mon âme après toi ! « J’ai soif du Dieu vivant ! »Il est malade ; la tristesse lui remonte du cœur comme la lie d’un vase.
« Mes larmes deviennent ma nourriture quand j’entends dire autour de moi tout le jour : Où donc est ton Dieu ? « L’abîme crie à l’abîme au bruit de la chute des torrents : Toutes tes ondes et toutes tes écumes ont roulé sur moi ! »
« Est-ce que je mange la chair des taureaux ? » fait-il dire à Jéhovah ; « est-ce que je bois le sang des boucs ? « Si j’avais faim, je ne te le dirais pas, car il est à moi l’univers et tout ce qui l’habite. « Offre à Dieu, ô homme ! ta reconnaissance et rends-lui l’hommage que tu lui dois ! « Le sacrifice agréable à Dieu, c’est un esprit prosterné sous sa main ! »Le spectacle du monde le trouble, lui fait regretter la solitude.
« Que n’ai-je les ailes de la colombe ! Je m’envolerais, et je chercherais l’abri et la paix ! « Je fuirais loin, bien loin, et j’habiterais la nuit dans les lieux déserts ! « Plus vite que le vent des tempêtes je m’enfuirais vers mon refuge. »Là une misanthropie terrible et sublime contre les infidélités des affections humaines et contre les calomnies !
« Ce ne sont pas les ennemis qui m’outragent ! » s’écrie le poète ; « c’est toi, homme, qui avais ma confiance, ma tendresse, mes secrets ! « Ensemble nous échangions de doux entretiens en montant ensemble tout attendris à la maison de Dieu ! « Le soir, le matin, au milieu du jour, je soupire et je gémis ! « Ses discours étaient plus onctueux et plus pénétrants que l’huile, mais c’étaient des glaives hors du fourreau ! « Les dents des fils de l’homme sont des dards et des flèches, et leur langue a le tranchant du fer ! »Il s’encourage à tout supporter dans le Seigneur.
« Réveille-toi, ma gloire passée ! réveillez-vous, ma lyre et ma harpe ! Avec vous je réveillerai moi-même l’aurore matinale dans le ciel ! « Que ces pervers se fondent comme la pluie, comme le limaçon qui se fond en traînant sur la terre humide, comme l’avorton né avant terme et qui n’a pas vu la lumière ! « Qu’ils s’évaporent plus vite que l’eau de vos chaudières ne sent la flamme des épines qui la font frémir dans le vase ; « Et que l’on dise : Il y a un Dieu ! « Ne les tue pas, ces méchants, Seigneur ! « Mais qu’ils reviennent le soir aboyer, comme des chiens errants, autour de la ville ! « Mais moi je ferai résonner ma harpe à ta gloire ! « Les fils de l’homme ne sont que néant ; s’ils étaient tous ensemble dans le plateau de la balance, un souffle de ta bouche sur l’autre bassin les ferait monter ! »
« Tu couves la terre et tu la fécondes ! La rivière se remplit d’eau jusqu’aux bords ; tu leur sèmes le blé, tu arroses le sillon, tu l’amollis, tu lui commandes de végéter, tu couronnes l’année de tes dons, et dans tous les sentiers s’épanche l’abondance. Les plaines du désert en débordent, les collines sont enceintes de joie, les prés sont couverts d’agneaux, les vallées vêtues de moissons ; on est dans la joie et on chante ! « Lorsque vous vous reposez entre les rigoles de vos champs, les ailes de la colombe vous semblent revêtues d’argent et ses plumes d’un or jaune ! »Théocrite est égalé par ces images ; mais dans Théocrite l’imagination seule est satisfaite. Ici c’est l’âme qui fait remonter toutes ces délices de la création à leur auteur, et qui de sa volupté fait un holocauste. Où est Pindare, où est Horace, quand on a goûté la saveur sévère d’une pareille poésie ?
« Je suis devenu inconnu à mes frères ; oui, étranger aux fils de ma mère ! « Je fais un sac de mes habits, et je deviens pour eux un sujet de confabulation ! « Ceux qui sont assis sur leurs portes parlent contre moi, et les chansons de ceux qui boivent des liqueurs enivrantes sont égayées de mon nom ! « L’humiliation me comprime le cœur. Je tombe en défaillance, j’espère être plaint. Mais non ; je cherche des consolations, mais il n’y en a pas. « Ils ont jeté du fiel sur ce que je mange et du vinaigre dans ce que je bois… « Mais mes chants plaisent à Jéhovah plus que leurs bœufs avec leurs cornes et leurs sabots ! »
« Ils ne partagent pas les misères de nous autres mortels : l’orgueil est le collier qui relève leur tête ; la violence est leur vêtement. « À force de graisse leurs yeux sortent de leurs orbites ; leurs désirs satisfaits débordent. Ils boivent à longs traits les eaux d’iniquité, et ils disent : Comment Dieu le saura-t-il ? « Et moi, c’est donc en vain que j’ai purifié mon cœur ? « Tes ennemis élèvent leur drapeau contre tes propres drapeaux pour qu’on les aperçoive de loin, comme le bûcheron qui élève la cognée au-dessus de sa tête dans une épaisse forêt. « N’abandonne pas au serpent l’âme de la tourterelle, Seigneur ! « Je dis aux superbes : N’élevez pas si haut votre front ; car ce n’est ni de l’orient, ni de l’occident, ni du septentrion, ni du désert que vient la fortune. Dieu seul est roi ! « Je me console en pensant aux jours d’autrefois, aux années du temps qui a coulé ! « Je me souviens de mes chants pendant la nuit, et je retourne mon cœur pour méditer dans mon esprit ! »Il se rappelle le passage de la mer Rouge.
« Les eaux t’ont vu, Seigneur ! les eaux t’ont vu et elles ont bouillonné d’effroi ! Les abîmes ont remué ! « Tu passas à travers la mort, et on ne revit pas même l’empreinte de tes pas. »Tout à coup, dans une série de cantiques, il chante en hymne l’épopée du peuple de Dieu. Depuis Moïse jusqu’à lui, il recompose toutes les destinées de sa race. Chaque récit est un prodige, et chaque prodige fait éclater sur sa harpe un cri de bénédiction. C’est le poème national d’un peuple exclusivement théocratique, chanté aux pieds de ses autels par un pontife-roi. L’épopée finit par ses propres aventures :
« Il fit choix de David, son esclave, et il le tira d’un parc de brebis ! »Cette revue lyrique des temps écoulés et des prodiges accomplis le rend plus pieux et plus poète.
« Moi », dit-il, « mon âme languit après tes parvis ! Mon cœur et ma chair te chantent, ô Dieu vivant ! « Le passereau trouve sa demeure, l’hirondelle un nid pour ses petits, tes autels à moi ! Heureux ceux qui habitent ta demeure ! « Un jour à l’ombre de ton temple vaut mieux que mille dans les tentes des pervers. « Ou poète, ou joueur de flûte, toutes mes pensées sont à toi ! »
« Avant que les montagnes fussent nées, avant que les cieux et la terre fussent éclos de l’éternité jusqu’à l’éternité, tu es Dieu ! « Tu pulvérises l’homme et tu lui dis : Renais ; « Car mille ans à tes yeux sont comme le jour d’hier qui a été et comme une faction montée dans la nuit ! « Tu répands l’humanité comme l’eau ; ils sont, les hommes, comme un sommeil, comme une herbe née du matin ! « À l’aurore elle fleurit et passe, le soir elle est desséchée et morte ! « Le nombre de nos années est de soixante-dix ans à quatre-vingts ans pour les plus robustes ; puis le fil de nos jours est coupé en un clin d’œil, et nous ne sommes plus ! « Enseigne-nous à compter ces jours, afin que nous leur fassions rapporter les fruits de la sagesse ! « Que tes œuvres me réjouissent à contempler, ô mon Dieu ! Que j’aime à les chanter, soit sur l’instrument à dix cordes, soit sur le nébel, soit dans des hymnes méditées sur la harpe ! « Le juste fleurit comme le palmier ; il monte comme le cèdre, il fructifie encore dans sa vieillesse ! »L’évidence de la Providence lui est révélée ailleurs dans deux versets aussi saillants d’expression qu’irréfutables de pensée.
« Celui qui a planté l’oreille n’entendra-t-il pas ? et celui qui a aplani l’œil ne verra-t-il pas ? »Il chante jusqu’à sa politique dans la cinquante et unième ode ; il chante jusqu’à son agonie dans la suivante.
« Mes jours s’évaporent comme une fumée ; mes os sont consumés comme un tison au feu. « À force de gémir ma chair s’attache à mes os. « Je ressemble au pélican du désert ; je suis devenu comme le hibou habitant des ruines. « Je veille et je deviens comme le passereau solitaire sur le toit ! « Mon âme est collée à la poussière. Ranime-la, selon ta promesse ! « Constamment, Seigneur, je porte ma vie dans ma main, et je te l’offre ! « Je lève mes yeux vers les montagnes d’où me viendra ton secours ! « De même que les yeux de l’esclave sont fixés sur les mains de son maître, de même que les yeux de la servante sont attachés aux mains de sa maîtresse, de même, ô Jéhovah ! mes yeux sur mon Dieu !… « Ramène, ô Jéhovah ! nos captifs comme l’eau des torrents sur une terre nue ! « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie. « Il s’en allait devant lui et pleurait en marchant, celui qui portait le sac des semailles ; il revient joyeux et chargé de gerbes ! « Mon âme t’attend, mon Dieu, plus impatiemment que les gardes de nuit, aux portes de la ville, n’attendent le matin ! « J’ai apaisé devant toi et assoupi mon âme comme un enfant sevré qui est sur les bras de sa mère ; comme un enfant sevré mon âme est assoupie de confiance en moi ! »Où trouver sur la lyre antique des notes de flûte semblables à celle de ce berger ?
« Qu’il est doux et qu’il est agréable que les frères habitent ensemble dans la paix ! « Moins douce et moins parfumée est l’huile répandue sur la tête, qui coule de là sur la barbe, barbe d’Aharon, et qui coule de sa barbe jusque sur les bords de son habit sacerdotal ! « Moins douce est la rosée qui descend sur les collines d’Hermon ! »Et comme la figure de l’enthousiasme, la répétition, mise par lui en refrain dans la bouche du chœur ou du peuple, ajoute le retentissement d’une foule à l’accent jailli d’une seule âme ! Écoutez !
Le poète. Le chœur. Le poète. Le chœur. Le poète. Le chœur. Le poète. Le chœur. Le poète. Le chœur. Le poète. Le chœur. Le poète. Le chœur.Et ainsi de suite pour toutes les phases de l’histoire nationale où Jéhovah a signalé sa protection sur Israël. Horace chantait-il un tel Poëme séculaire aux Romains ? Tyrtée a-t-il, dans l’élégie patriotique, des plaintes égales à celles qui pleurent et grondent dans les strophes suivantes ?
« Au bord des fleuves de Babylone nous nous sommes assis et nous pleurions. « Aux saules de leurs rivages nous avions suspendu nos harpes ! « Chantez-nous quelques-uns des chants de Sion, votre patrie, nous disaient, en nous commandant la joie, les oppresseurs qui nous retenaient en captivité. « Comment chanterions-nous les chants de Jéhovah à la terre étrangère ? « Si je pouvais t’oublier, ô Jérusalem ! que ma main droite m’oublie moi-même ! « Si je pouvais ne plus penser nuit et jour à toi, si je ne te plaçais plus, ô ma Jérusalem ! sous ma tête, que ma langue reste collée à mon palais ! « Fils de Babylone, la rosée du sol ! tremblez, etc., etc. »L’élégie du captif finit par l’imprécation sourde contre l’oppresseur.
« Chantez le Seigneur dans les profondeurs du firmament ! « Chantez-le, vous ses anges ! vous ses armées ! « Soleil et lune, chantez ! chantez, vous, astres lumineux ! étincelantes constellations ! « Voûtes des cieux, chantez ! Chantez, vastes eaux qui flottez au-dessous des cieux ! « Éclairs, grêle, neige, brouillards, vents des tempêtes qui exécutez ses paroles, chantez ! « Montagnes, collines, arbres qui portez des fruits, cèdres qui portez l’ombre, chantez ! « Jeunes hommes, jeunes vierges, adolescents, vieillards, chantez ! « Célébrez son nom par des danses, par des fanfares à sa gloire sur la peau du tambour et sur la corde du kinnor (la harpe) ! « Célébrez-le dans son temple ! célébrez-le dans son firmament ! « Célébrez-le par le déchirement du son de la trompette ! célébrez-le par le nébel à dix cordes ! « Célébrez-le par la flûte et par les cymbales retentissantes ! « Que tout ce qui a le souffle dise : Jéhovah ! Dieu !… »Voilà l’enthousiasme presque inarticulé du poète lyrique, tant les paroles se pressent confusément sur ses lèvres, qui s’emporte à sa vraie source, à Dieu, comme les flocons de la fumée d’un incendie de l’âme par un vent d’orage ! Voilà David, ou plutôt voilà le cœur humain avec toutes les notes que Dieu a permis de rendre sur la terre à cet instrument de douleur, de larmes, de joie ou d’adoration ! Voilà la poésie sanctifiée à sa plus haute expression ! Voilà le vase des parfums brisé sur le parvis du temple et répandant ses odeurs du cœur de David dans le cœur du genre humain presque tout entier ! Car, hébraïque, chrétienne ou même mahométane, toute religion, tout gémissement, toute prière a recueilli une goutte de ce vase répandu sur les hauteurs de Jérusalem pour en faire un de ses accents. Ce petit berger est devenu le maître des chœurs sacrés de tout l’univers. Il n’y a pas une piété sur la terre qui ne prie avec ses paroles ou qui ne chante avec sa voix. On dirait qu’il a mis une corde de sa pauvre harpe dans tous les chœurs religieux ou seulement sensibles, pour l’y faire résonner partout et éternellement à l’unisson des échos de Bethléem, d’Horeb ou d’Engaddi ! Ce n’est plus le poète, ce n’est plus le prophète ; c’est la vibration des murs de tous les temples répercutant son cœur. C’est le psalmiste de l’éternité. Quelle destinée, quelle puissance a la poésie quand elle s’inspire de la divinité !
« Qu’est devenu son royaume ? m’écriai-je. Les Persans, les Arabes, les califes, les croisés, les sultans s’en sont arraché les morceaux ; les pèlerins n’y viennent plus adorer que la poussière, et le vent l’emporte au désert ou à la plage de la grande mer avec le même mépris qu’il emporte le brin de paille du nid de l’hirondelle, quand la nichée a pris son vol en automne vers d’autres climats ! Mais sa flûte, mais sa harpe, mais ses notes lyriques du roi des cantiques ont survécu à son empire détruit, à sa race dispersée parmi les nations ! Ô puissance de l’âme ! ô éternité de la parole inspirée ! Le roi est poussière ; il ne possède pas même son propre tombeau ; mais sa harpe possède l’univers, et qui sait si elle n’a pas son écho jusque dans le ciel ? — Jamais homme n’eut une telle apothéose. »
Que faut-il pour te faire rendre les sons d’autrefois ? demandai-je à cette harpe sacrée :Et qui puisse un jour sur ta corde
Et de cet égouttement d’âme
Avec la nôtre s’entrecoupe