La déclamation.
C’est l’art de rendre le discours en chaire, au barreau, au théâtre,
& toutes les fois qu’on fait une lecture à voix haute. De quelque
manière qu’on envisage la déclamation, elle a divisé les esprits.
On a d’abord été partagé sur la déclamation théatrâle, tant celle des
anciens que la nôtre.
La première a fourni plusieurs objets de discussion ; mais je ne
m’arrêterai qu’aux principaux, à celui du partage réel ou prétendu
de la récitation & du geste, & à celui de la déclamation
notée.
Est-il bien vrai ce qu’on dit, que, chez les Romains, l’action
théâtrale étoit partagée entre deux acteurs ; de manière que l’un
faisoit les gestes dans le temps que l’autre récitoit. Un passage de
Tite-Live le donne à entendre. Il rapporte que Livius Andronicus,
qui, suivant l’usage de ce
temps-là,
jouoit lui même dans ses pièces, s’étant enroué à force de répéter
un morceau qu’on redemandoit, obtint la permission de faire chanter
ses paroles par un jeune comédien, & qu’il se contenta de les
accompagner du geste.
Mais la possibilité de ce partage de la déclamation entre deux
acteurs, est contestée par quelques écrivains, du nombre desquels
est M. Duclos. Ils aiment mieux croire qu’on a mal pris le sens du
passage que de supposer les Romains capables de se plaire à un
spectacle bisarre, puérile & du genre de Brioché.
L’académicien, auquel il est bien glorieux d’avoir succédé à tant de
grands hommes dans l’emploi d’historiographe de France, se flatte
d’avoir mieux entendu Tite-Live. C’est, dit-il, de la séparation du
chant & de la danse dont l’historien a voulu parler, & non
de celle du chant & du geste.
La difficulté du texte, que chacun interprête différemment, tombe sur
ce mot canticum. Le canticum
étoit composé de chants & de danses. Andronicus, qui d’abord
chantoit son cantique ou sa cantate, & qui exécutoit,
alternativement ou en même temps, les intermédes de danses, ayant
altéré sa voix, chargea un autre acteur de chanter, & dansa, par
ce moyen, avec plus de liberté & de force. De-là, cet usage de
partager, entre différens acteurs, la partie du chant & celle de
la danse.
Quelques passages de Valère-Maxime & de Lucien sont favorables à
M. Duclos. Il faut convenir que si son explication n’est pas la
véritable, elle est du moins la plus naturelle.
Passons à la déclamation notée. Quelques écrivains ont peine à la
concevoir. La parole s’écrit, le chant se note ; mais la déclamation
expressive de l’ame, ne sçauroit, disent-ils, être arrêtée. Comment
déterminer les tons, les nuances du sentiment imperceptibles &
sans nombre ? Comment les exprimer par des signes, représenter tous
les changemens rapides des passions, observer toutes les proportions
harmoniques ? En conséquence, ils révoquent en doute ce qu’on a dit
de la déclamation Grecque & Romaine, & s’élèvent fortement
contre l’abbé Dubos qui l’admire, & qui desireroit qu’on notât
également la nôtre.
Il dit qu’il a consulté là-dessus des
musiciens, & qu’ils l’ont tous assuré qu’il étoit très-facile
d’en exprimer les inflexions avec les notes actuelles de la
musique ; qu’il suffiroit de leur donner la moitié de la valeur
qu’elles ont dans le chant, & de faire la même réduction à
l’égard des mesures.
M. Duclos combat & le sentiment de l’abbé Dubos & celui des
musiciens qu’il a consultés. Il prétend que, si l’usage des notes
déclamatoires a eu lieu, quelquefois, chez les anciens, ce n’a
jamais été qu’en faveur de certains acteurs qui parloient mal leur
langue & dont la prononciation étoit vicieuse. Des maîtres les
dressoient pour le théâtre, & tâchoient de réparer le défaut
d’éducation. Ils leur apprenoient la bonne prononciation, la durée
des mesures & l’intonation des accens : ils faisoient, en un
mot, ce que nous serions encore obligés de faire, si nous avions à
former pour le théâtre un acteur Normand ou Provençal, quelque
intelligence qu’il eût d’ailleurs : mais un cas particulier, ajoute
M. Duclos, ne doit pas être donné pour une règle générale.
Il va plus loin, & prétend que, quand
même il seroit possible de noter la déclamation comme la musique, on
ne devroit pas admettre le systême de l’abbé Dubos ; parce que ce
systême nuiroit plus qu’il n’aideroit aux acteurs ; qu’il
étoufferoit le talent des meilleurs, & rendroit les médiocres
détestables. Rollin ne pense pas ainsi : il vante beaucoup la
déclamation des anciens. L’abbé Vatri l’a défendue également : il
ose dire qu’elle étoit un vrai chant musical, & regrette fort
que nous n’ayons pas cette musique.
Voilà pour la déclamation des Grecs & des Romains. La nôtre n’a
pas moins excité de contestations.
On demande s’il doit en être d’elle comme d’un tableau destiné à être
vu de loin. On le peint à grandes touches, on en exagère les traits.
Riccoboni, ce chef de troupe de comédiens, & qui a fait des
observations sur son art, condamne cette pratique. Il ne veut, sur
le théâtre, ni un ton plus haut, ni un discours plus soutenu, ni une
prononciation plus marquée que dans la conservation. Il réduit la
déclamation à l’expression ordinaire. « C’est
une erreur, dit-il,
de nos pères, d’avoir imaginé la déclamation théâtrale, telle
qu’on la voit en France. Le grand point sur la scène est de
faire illusion aux spectateurs & de leur persuader, autant
qu’on le peut, que la tragédie n’est point une fiction ; mais
que ce sont les héros mêmes qui agissent & qui parlent,
& non pas les comédiens qui les représentent. La déclamation
tragique opère tout le contraire. Les premiers mots qu’on entend
font évidemment sentir que tout est fiction ; & les acteurs
parlent avec des tons si , si éloignés de la
vérité, qu’on ne peut pas s’y méprendre. »
On réfuta Riccoboni. On lui répondit que la déclamation tragique,
quoique chargée, ne détruisoit point l’illusion nécessaire au
spectacle ; que l’imagination des spectateurs se prêtoit à ce
langage comme à la mesure, à la rime & au chant de nos opéra ;
que cette supposition, une fois admise, est une source de plaisir,
pourvu que l’auteur ne la pousse pas trop loin, & qu’en
conservant « la sublimité du ton de la
tragédie, il suive, autant qu’il est
possible, la nature, & ne fasse que l’élever sans la
guinder, l’aggrandir sans l’enfler, l’ennoblir sans la
détruire »
.
Riccoboni donne la déclamation théâtrale pour cause de la plupart des
fausses idées que nous avons du véritable héroïsme. Nous sçavons,
dit-il, que César, Alexandre, Annibal étoient des hommes comme nous,
passionnés comme nous, ne valant pas mieux que nous, mais séduits
dès l’enfance par l’expression outrée de la déclamation, nous
prenons ces héros de l’antiquité sur le pied que les comédiens nous
les donnent, c’est-à-dire pour des hommes d’une autre nature que la
nôtre. « On les voit marcher, parler tout autrement que nous,
& avoir une contenance tout-à-fait . »
Il rapporte qu’il se trouve à Paris des personnes si révoltées d’une
pareille déclamation, qu’elles aiment mieux renoncer au spectacle
que d’y aller entendre déclamer à contre sens.
L’abbé Desfontaines a suivi tous les raisonnemens de Riccoboni, &
n’en a pas trouvé un seul fondé. D’autres
écrivains ont rejetté également le ton familier de la
déclamation.
Ce n’est pas qu’ils approuvent les tons forcés, les gestes convulsifs
& tout ce qui est hors de nature, dignes sujets de l’admiration
des provinciaux. Ils veulent seulement que tout réponde à la dignité
de la tragédie : ils s’appuyent de l’exemple de nos grands
acteurs.
Baron a ressuscité la belle déclamation. Il avoit toutes les parties
d’un acteur accompli ; le port, la figure, la voix, le geste, une
ame peu commune, ce talent admirable de saisir toutes les nuances
d’un caractère. Disons mieux : il n’étoit point acteur, il étoit
Achille, Agamemnon, Pyrrhus, Cinna, &c. Sa présence sur le
théâtre contenoit les spectateurs dans le plus grand silence. Son
jeu étoit varié singulièrement : il disoit quelquefois à ses
camarades : Vous m’avez vu jouer aujourd’hui d’une telle façon,
demain je jouerai d’une autre ; & toujours il faisoit également
bien. On lui reprochoit pourtant de parler du nez & de tourner
le dos à ceux avec lesquels il étoit en scène. Ce dernier défaut
blessoit
surtout le Grand. Il n’aimoit
pas Baron : il le contrefit un jour, & chargea ce ridicule
pendant toute la représentation d’une pièce où il ne se trouvoit pas
beaucoup de monde.
Beaubourg s’éleva bientôt, & quel acteur encore ! Quelle force,
quelle vérité mâle & fière ne mettoit-il pas dans son jeu ! Il
étoit fait pour les rôles de Rhadamiste &
d’Atrée. Avec quelle supériorité n’eût il pas
rendu celui de Gengis-Kan ! Beaubourg, dans
certaines scènes de hauteur, faisoit baisser les regards aux
spectateurs eux-mêmes.
Laissons la Chammelai & la Duclos, pour parler de la Le Couvreur,
à laquelle le théâtre est si redevable. Elle abolit* les cris, les lamentations
mélodieuses & apprêtées, ressource
des actrices médiocres. Son jeu fut plein d’expression & de
vérité. Mal partagée, à quelques égards, de la nature, l’ame lui
tint lieu de tout, de voix, de taille & de beauté.
De quelque manière simple & naturelle que les grands acteurs
aient joué, ils ne sont jamais tombés dans le ton ordinaire &
familier. Ils ont concilié la noblesse & la majesté qu’exige le
théâtre.
Qu’on jette les yeux sur les meilleures actrices de nos jours. Tous
leurs efforts tendent à rendre la nature. C’est sur elle qu’elles
règlent leur prononciation, la gradation des accens, l’éloquence des
regards, le geste toujours à l’unisson de la pensée, l’expression
étonnante des mouvemens. Le triomphe de mademoiselle Clairon est
dans Électre, Ariane, Médée, Idamé.
Les rôles de tendresse, Inès
& Zaïre, conviennent à mademoiselle Gaussin.
Quel son de voix intéressant ! Le Kain joue avec force, noblesse
& précision. Le successeur de Sarrasin tâche d’en avoir le
sentiment & les entrailles. Les uns & les autres ont pour
objet, de jouer avec la plus grande vérité ; mais ils se gardent
bien de réciter comme on parle.
Il n’y a que mademoiselle Dumesnil qui soit sur le théâtre comme on
est dans un cercle. Ses bras admirables ; ses tons alternativement
familiers, perçans & précipités ; ses gestes, peut-être
désordonnés ; cet oubli d’elle-même auquel elle a recours, &
qui, en certaines occasions, est le dernier effort du sentiment ;
mille traits vraiment sublimes, mais gâtés, selon quelques
critiques, par des petitesses, la caractérisent dans Rodogune, Cornélie, Athalie, Mérope, Sémiramis. Son port & ses regards ont une grandeur qui
tient de l’atrocité de ses rôles.
En fait de déclamation, la négligence est aussi condamnable que
l’emphase. On ne doit ni écrire ni déclamer précisément comme on
parle. Dans la
conversation, on se
communique ses idées pour ainsi dire de bouche à bouche ; mais, sur
le théâtre, il faut garder les proportions de la perspective :
c’est-à-dire qu’il faut « que l’expression de la voix soit au
dégré de la nature, lorsqu’elle parvient à l’oreille des
spectateurs »
.
On peut donner Racine & M. de Voltaire pour chefs aux partisans
de la déclamation noble & soutenue. Racine exigeoit qu’elle fût
outrée, & la sienne l’étoit. Il récitoit ses vers avec un feu
prodigieux. Étant un jour aux Thuileries, il se vit tout d’un coup
environné d’ouvriers qui avoient quitté leur travail pour le suivre,
dans la crainte que ce ne fût un homme prêt de se jetter, par
désespoir, dans le bassin. Ceux qui connoissent le jeu de M. de
Voltaire, sçavent quelle ame, quelle force, quel enthousiasme il met
dans son action, & quelle chaleur il demande également dans les
autres.
Les écrivains ne sont pas d’accord sur la déclamation qui convient le
mieux à l’orateur sacré, & sur les défauts qui choquent le plus
en lui.
Riccoboni reproche aux prédicateurs de trop imiter les comédiens, de
copier leurs tons, leurs gestes & leur action. L’abbé Des
fontaines ajoute, que ceux qui ont voulu porter en chaire la
déclamation du théâtre, n’ont réussi qu’à scandaliser en se faisant
moquer d’eux. Cependant, continue-t-il, on ne doit pas regarder
comme un défaut général celui de quelques particuliers. Il
n’appartient qu’aux prédicateurs du premier ordre de sçavoir tirer
parti de la fréquentation des spectacles & du jeu des grands
comédiens ; témoin le P. La Rue, qui se faisoit exercer par
Baron.
Desfontaines passe ensuite à l’énumération des défauts qu’on remarque
communément dans les prédicateurs,
&
qui sont les tons d’écolier, des exclamations périodiques &
déplacées ; une véhémence ridicule dans des choses triviales, au
lieu d’une noble simplicité qu’on devroit avoir jusques dans les
plus beaux morceaux ; des cris & des transports de routine ; une
monotonie ennuyeuse, une déclamation dénuée d’attention,
d’intelligence & de sentiment. « Il n’y a que le corps
qui prêche ; la mémoire seule dirige la langue, les yeux, les
bras : l’esprit & le cœur semblent absens. On en voit,
surtout parmi les missionnaires, qui, par des tons trop
familiers, avilissent la dignité de la chaire. »
A ces traits peut-on ne pas reconnoître la plupart de nos
prédicateurs ? Mais ceux d’Italie font-ils mieux ? Ils s’étendent,
ils s’agitent, ils se tourmentent, ils poussent des hurlemens, &
semblent jouer de pieuses comédies. Ceux de Londres sont aussi
froids dans leur débit, que secs, compassés & didactiques dans
leur composition. On riroit, dans les pays protestans, de voir un
orateur sacré prendre, en chaire, le ton de déclamateur.
On ne chicane Riccoboni sur aucune
des
choses sensées qu’il dit par rapport à la différente manière de
débiter un sermon, un panégyrique, une oraison funèbre ; mais on
n’approuve point son idée de vouloir qu’il en fut des prédicateurs,
comme des artistes & des ouvriers, qu’on admet à l’essai, &
auxquels on n’accorde l’exercice public de leur profession qu’après
avoir fait preuve de talent. « Les peintres, observe-t-il, les sculpteurs, les
poëtes, ne mettent point leurs noms aux ouvrages par lesquels
ils ont commencé. Les ouvriers ne peuvent point passer maîtres,
s’ils ne présentent un chef d’œuvre qui fasse connoître qu’ils
méritent ce titre ; & un jeune orateur aura l’impudence de
déclamer en public, sans avoir auparavant exercé ses talens en
particulier, ou corrigé ses défauts en secret. »
Il est étonné qu’il n’y ait pas une chaire publique pour apprendre à
déclamer. Autant vaudroit, lui a-t-on répondu, qu’il y en eut une
pour montrer le goût du chant. Les principes, de quelque art que ce
soit, ne sont jamais mieux sentis que par l’étude des modèles.
Nous n’avons plus, il est vrai,
Bourdaloue, La Rue, Massillon ; mais l’idée qui nous reste de leur
débit peut tenir lieu de leçons : chacun avoit le sien propre,
toujours assorti aux lieux, aux temps, aux circonstances, aux
auditeurs, au stile, & au sujet du discours.
Bourdaloue, avec un air concentré en lui-même, faisant très-peu de
gestes, les yeux le plus souvent fermés, pénétroit tout le monde par
un son de voix uniforme & terrible. Le ton avec lequel un
orateur sacré prononça ces paroles :
Vous êtes
cet homme
*
, en les
adressant à un de nos rois, frappa plus encore que leur
application.
La Rue paroissoit un vrai prophête. Sa manière étoit imposante,
noble, pleine de chaleur, d’intelligence & de force. Il avoit
des traits uniques. Certains vieillards frémissent encore au
souvenir de l’expression qu’il mit dans cette apostrophe au dieu des
vengeances :
Tirez votre glaive
**
On a surtout présent Massillon. « Il
semble le voir, disent ses
admirateurs, dans nos chaires avec cet air simple, ce
maintien modeste, ces yeux humblement baissés, ce geste négligé,
ce ton affectueux, cette contenance d’un homme pénétré, portant
dans les esprits les plus brillantes lumières, & dans les
cœurs les mouvemens les plus tendres. »
Baron l’ayant
rencontré dans une maison ouverte aux gens de lettres, le lendemain
d’un jour qu’il avoit été l’entendre, lui fit ce compliment :
« Continuez, mon pere, à débiter comme vous faites : vous
avez une manière qui vous est propre, & laissez aux autres
les règles. »
Cet avis se ressent du caractère de Baron,
le plus fier des hommes. Au sortir d’un autre sermon, la vérité
arracha à ce célèbre acteur cet aveu humiliant pour sa profession :
« Mon ami, dit-il, à un de ses
camarades qui l’avoit accompagné, voilà un orateur,
& nous nous ne sommes que des comédiens. »
Un jeune homme, qui se destine à la chaire, doit former sa
déclamation sur tout ce qu’on raconte de celle de ces grands hommes,
les imiter en tout,
excepté dans les
défauts qu’on leur a reprochés. Quant aux célèbres prédicateurs
vivans, il doit les étudier, se souvenir que les qualités qu’on
estime le plus dans un prédicateur, sont une expression noble &
vraie, les traits du visage, une belle prononciation, un débit aisé,
naturel, intéressant.
Le même Riccoboni trouve qu’il n’y a que les avocats qui s’entendent
à bien déclamer, qui sçachent modérer leur feu, prendre un air de
vérité, & parler comme des hommes doivent parler à
d’autres hommes, qu’il n’y a qu’eux qui soient attentifs à
rendre les tons, & les accens de
la nature.
Les adversaires de cet acteur & auteur qui fait ressortir toutes
les déclamations à son tribunal, & qui les y condamne toutes
hors celle dont il est ici question, se soulevèrent contre lui. Ils
conviennent qu’on débite au barreau d’une manière propre au genre
d’affaires qu’on y traite ; mais ils
remarquent en même temps que les avocats, à force de vouloir être
simples & modérés, deviennent souvent froids, pesans &
monotones, & qu’ils prononcent un discours comme s’ils le
lisoient.
Riccoboni reprit la plume pour défendre son sentiment, & pour
démontrer qu’on doit réciter une tragédie, un sermon, comme on
récite un plaidoyer. Cette dispute alloit devenir plus vive.
Heureusement on conseilla à celui qui l’avoit excitée de désarmer,
& de ne pas irriter davantage des ennemis plus exercés que lui
dans le polémique.
Cette partie de la déclamation si nécessaire, & d’une utilité si
générale, est celle des quatre qu’on a le moins discutée. Les plus
célèbres rhéteurs, tant anciens que modernes, n’ont pas senti
combien il importoit de la traiter.
Il n’y a eu de contestations sur cette
matière qu’entre quelques écrivains, dont le nom n’est pas d’un
grand poids. Il est inutile même d’exposer la contrariété des
sentimens. Il suffit de rapporter quelques-unes de leurs
observations, & d’ de leurs écrits ce qui peut faire un
lecteur parfait.
Pour l’être, il faut qu’en lisant on fasse tout sentir, qu’on ne
mette personne dans le cas de mal juger, de trouver détestable à la
représentation, ce qu’on a beaucoup applaudi à la lecture.
On ne se méprend guère, en général, sur les tons qu’exigent
l’interrogation, la plainte, l’exclamation, les mouvemens
d’indignation, de colère, de joie, de tendresse, &c ; mais les
modifications de ces tons, sensibles à tous les hommes, sont
difficiles à démêler, & peu les saisissent. On rend ces nuances
avec plus ou moins de vérité,
selon la force
& la délicatesse du sentiment, & selon la
flexibilité des organes dont la nature nous a
doués
.
Celui qui a de l’oreille & de la musique, toutes choses égales
d’ailleurs,
lit & déclame mieux qu’un
autre. C’est pour cela que l’étude de la musique entroit dans
l’éducation des Grecs.
Les meilleurs lecteurs que nous ayons eus sont Despréaux, Racine, La
Mothe, & l’abbé Grécourt. Ce dernier séduisoit principalement.
Ses poësies perdoient leur prix dans toute autre bouche : aussi les
lisoit-il lui-même dans toutes les sociétés où il se trouvoit.
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