La volonté libre
I. L’idée de liberté. — Définition de la liberté au point de vue psychologique.
II. Genèse de l’idée de liberté.
III. Les récentes théories du libre arbitre.
IV. Réalisation progressive de l’idée de liberté. — Ses moyens psychologiques. Comment la liberté est un objet de désir. Comment le désir produit la réalisation approximative des divers éléments de la liberté.
Le terme du développement volontaire est ce qu’on nomme liberté. De nouvelles discussions se sont élevées récemment sur ce sujet toujours actuel ; la situation respective des divers partis semble s’être précisée. Quoique nous ayons ailleurs traité tout au long le problème166, nous ne pouvons-nous dispenser de revenir sur une question qui n’est pas épuisée, ne fût-ce que pour dissiper certains malentendus et répondre, directement ou indirectement, à des objections dont nous avions jusqu’ici différé l’examen. Nous ne considérerons d’ailleurs le sujet qu’au point de vue psychologique.
L’idée de liberté
Genèse de l’idée de liberté
Les récentes théories du libre arbitre
« La durée et l’intensité de notre effort sont-elles ou ne sont-elles pas des fonctions fixes de l’objet ? Voilà le problème. »— Remarquons que M. James pose mal la question, car il est clair qu’à l’objet pensé ou désiré il faut ajouter le sujet pensant et désirant, avec ses dispositions actuelles : il y a là deux termes également nécessaires. Selon nous, la décision finale est « fonction » dépendante des deux termes, et elle exprime leur rapport ; selon M. James, au contraire, on peut admettre qu’il y a dans toute volition « une variable indépendante, à savoir l’intensité ou la durée de notre effort d’attention à une idée » ; étant donnée cette variation d’intensité et de durée dans le maintien d’une idée, nous rendrons dominante et fixe une idée qui, sans cela, eût passé vite ou eût été faible, et les mouvements corporels suivront. « L’unique fonction de la volonté, avait déjà dit M. Renouvier, est la fonction d’appeler ou de maintenir dans la conscience, ou d’éloigner de la conscience les idées de toute nature ». Voilà ce qui semble tout « simple » à M. W. James. Cette théorie remonte jusqu’à Lotze, pour ne pas aller plus loin. Ainsi, entre une idée et une autre, entre un désir et un autre, on imagine un phénomène spécifique : le maintien ou l’abandon de la première idée, du premier désir, comme si, entre une vague et une autre, on imaginait je ne sais quel phénomène intermédiaire consistant dans le « maintien » ou dans la suppression de la première vague, de façon à changer ainsi la direction du navire. Si l’unique fonction de la volonté est ainsi d’appeler ou de maintenir les idées dans la conscience, autant dire que cette fonction est égale à zéro ; le maintien d’une idée ou d’une passion à un certain degré d’intensité, au milieu d’idées ou de passions d’intensité moindre, n’est rien de plus, pour le psychologue, que l’idée même avec son intensité et les autres idées avec leur intensité. Le maintien du vent du nord n’est rien de plus, pour le physicien, que le mouvement du vent du nord avec sa force supérieure à celle du vent du sud. Le maintien ne serait quelque chose de nouveau que si l’intensité qui le produit sortait tout d’un coup du néant. Et c’est en effet à cette hypothèse que M. James aboutit avec M. Renouvier et avec Lotze ; une représentation ou une passion qui devient tout d’un coup plus intense ou moins intense, sans que la raison s’en trouve dans une relation antérieure avec les autres représentations et passions ou avec l’état de notre moi. Il y a donc des idées et des désirs qui commencent absolument ; il y a des vagues qui naissent tout d’un coup dans la mer intérieure, sans être formées par les gouttes d’eau précédentes, sans s’expliquer par la combinaison, l’intensité, la durée, la direction finale des mouvements inhérents aux particules d’eau. Il y a des flots qui s’appellent eux-mêmes, se maintiennent, se suspendent, sans qu’on puisse ramener leur mouvement à une loi. Cette théorie, loin de supprimer la liberté d’indifférence, n’en est qu’une aggravation, puisqu’elle la transporte dans le domaine de l’intelligence même, c’est-à-dire là où elle est le moins à sa place. La volonté, dans cette hypothèse, n’agit pas sans motifs présents, ni contre les motifs présents, mais elle peut sans motif changer tout d’un coup son motif présent en un motif subséquent contraire ; donc il y a toujours un changement qui, comme tel, est sans motif et qui, par conséquent, se confond avec la liberté d’indifférence. D’autres psychologues, enfin, croient échapper tout ensemble au déterminisme et à l’indéterminisme, à la théorie qui veut que les mêmes causes produisent les mêmes effets et à la théorie qui veut que les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets, en soutenant que, dans la vie psychique, les mêmes causes ne reviennent jamais, le même état profond ne se reproduit pas. Ainsi se trouverait supprimée, avec la possibilité des mêmes causes, l’alternative des effets identiques ou différents. Chaque état psychique étant, par rapport à l’état antérieur, hétérogène, nouveau et original, du moins dans ce qu’il offre de vraiment personnel et de caractéristique, il n’y aurait plus lieu de lui appliquer un raisonnement qui ne conclut à l’identité des effets que par l’identité des causes. En un mot, l’action est libre, selon cette doctrine, parce que
« le rapport de l’action à l’état d’où elle sort ne saurait s’exprimer par une loi, cet état psychique étant unique en son genre et ne devant plus se reproduire jamais170 ».— Nous répondrons d’abord que l’intervention d’un nombre immense de lois pourrait elle-même produire un phénomène original, qui ne s’exprimerait plus par une loi, mais par des milliers de lois ; au lieu d’être attaché à une chaîne, il serait attaché à mille ; en serait-il plus libre ? En outre, quand même ici toute loi serait impossible, faute d’une répétition du phénomène, il n’en résulterait pas l’absence de causes déterminant par une rencontre unique cet effet unique. La variabilité ou la complexité, même infinie, n’exclut nullement la causalité. Le principe de causalité ne consiste pas, comme on se l’imagine, à dire simplement que les mêmes causes produisent les mêmes effets, mais à dire qu’un effet quelconque, fût-il unique au monde et sui generis, sans rien d’identique auparavant, sans rien d’identique après, est lié à un ensemble de raisons ou de causes qui le détermine tel qu’il est présentement. Causalité, c’est un lien tel que, A étant donné, fût-ce une seule fois, B est donné par cela même, et donné une seule fois comme A ; B est donc nécessairement, ou déterminément, si vous préférez ; il est donné en fait. Contentons-nous de dire : il est donné ou il est ; cela suffit. Si vous prétendez qu’il est librement, tandis que d’autres disent nécessairement, peu importe cette querelle de mots ; le fait est qu’il est donné réellement, et que lui seul est donné. On en peut dire autant de chaque état du monde, à chaque instant ; si vous voulez prétendre que cet état est libre, à votre aise ; il est ce qu’il est, et au-delà il n’y a rien à chercher. C’est précisément la thèse fondamentale du vrai déterminisme. On accuse les déterministes défaire reposer leur opinion sur des considérations de passé ou de futur, de dire que telle chose aurait pu être autrement, ou encore que l’on aurait pu d’avance la prévoir. Mais ces considérations sont tout indirectes. Soit qu’on pût ou non prévoir les choses, soit qu’il y eût ou non une intelligence capable de les calculer, soit qu’elles fussent ou non accessibles à l’intelligence, le déterministe soutient que, sous le rapport de l’être et non du connaître, elles étaient déterminées au moment même où elles se sont produites et comme elles se sont produites. Quant à savoir si elles auraient pu être autrement, ce sont les partisans du libre arbitre qui se livrent à ces hypothèses en dehors de la réalité et qui construisent des romans dans le passé ou dans l’avenir ; le déterministe, lui, se contente de dire : A est, donc B est ; la réalité de l’un est la cause unique de la réalité de l’autre ; cela est ainsi de fait, et le fait coïncide avec le droit, parce que le fait est réel et que toute autre hypothèse est purement imaginaire. L’impossibilité du contraire n’est qu’une expression indirecte de ce qu’il y a d’unique et d’original dans la réalité actuelle. Au reste, pourvu qu’on ne cesse jamais de revenir ainsi à la réalité et à l’actualité, la considération du possible et de l’impossible peut avoir sa valeur comme considération auxiliaire. Il n’est pas vrai que l’argumentation des déterministes sur le passé revête cette forme puérile : « l’acte une fois accompli est accompli », ni qu’on puisse ramener à cette tautologie l’assertion déterministe que l’acte contraire était impossible.
« Il ne saurait être question, dit-on, ni de prévoir l’acte avant qu’il s’accomplisse, ni de raisonner sur la possibilité de l’action contraire une fois qu’il est accompli ; car se donner toutes les conditions, c’est, dans la durée concrète, se placer au moment même de l’acte et non plus prévoir. »— Sans doute on se donne toutes les conditions, mais idéalement ; on sait que, quand toutes les conditions seront données, y compris telle condition ultime, l’acte aura lieu ; en quoi cette prévision est-elle chimérique parce que toutes les conditions prévues n’existeront qu’au moment même de l’action ? Niera-t-on aussi la possibilité de prévoir une éclipse de soleil, parce que ce serait se donner d’avance toutes les conditions, y compris l’intercalation de la lune entre le soleil et la terre, qui ne sera donnée qu’au moment même de l’éclipse ? — On nous répondra que l’éclipse « revient », tandis qu’un acte concret et profond ne revient pas. Mais la même éclipse ne revient pas plus que la même action ; jamais le soleil, ni la terre, ni la lune ne sont aux mêmes points de l’espace dans des conditions absolument identiques. Le second vol commis par un voleur n’est jamais identique au premier ; ce n’en est pas moins un vol, et on peut prévoir que, si Cartouche a une bonne occasion de voler pour la seconde fois, il en profitera. On réplique encore que la prévision consiste, en astronomie, à laisser précisément la durée véritable hors du calcul, pour se borner à déterminer une série de rapports de position, de simultanéités ou coïncidences, une série de relations numériques, tandis que la prévision psychologique porte sur les intervalles mêmes, non sur les extrémités, sur la durée réelle et non sur les limites dans lesquelles on l’enferme artificiellement. Nous répondrons que la prévision psychologique ne porte pas plus que l’autre sur la durée comme telle, mais sur des rapports de succession ou de simultanéité entre certains états de conscience et leurs conditions, soit internes, soit externes. Prévoir que vous refuserez, vous, de voler pour vous enrichir, ce n’est pas s’occuper de la durée ni en elle-même ni en vous : c’est déterminer des relations entre votre caractère supposé connu et certains actes compatibles ou incompatibles avec ce caractère ; et ces relations sont précisément indépendantes de la durée. Enfin on veut prêter une action à la durée vraie, à la « durée concrète », en la considérant elle-même « comme une force », non sans doute dans les êtres matériels et inertes, sur lesquels la durée glisse sans les atteindre, mais chez les êtres vivants et conscients, où la durée produit un changement perpétuel. « Une sensation, dit-on, par cela même qu’elle se prolonge, se modifie au point de devenir souvent insupportable ; le même ne demeure pas ici le même, mais se renforce et se grossit de tout son passé171. » Qu’importe, s’il se grossit selon des lois ? Et comment soutenir qu’une sensation prolongée soit libre ? D’ailleurs, la distinction est artificielle. Si telle sensation prolongée devient insupportable, ce n’est pas simplement parce qu’elle est prolongée dans la durée, mais parce que, les conditions organiques ayant changé et une accumulation d’effets s’étant produite, de nouvelles sensations se produisent aussi et sont déterminées ; le temps n’y est pour rien. Ce n’est point de son passé que la sensation se renforce et se grossit ; elle est renforcée par les conditions présentes du corps et du cerveau. C’est donc arbitrairement qu’on veut faire de la durée une sorte de « vie interne » qui se déploierait toujours différente de soi et toujours hétérogène, une liberté en devenir, échappant aux lois de la répétition et de la conservation. Cette idée du temps nous semble mythique ; fût-elle réalisée, elle ne constituerait pas pour cela une véritable liberté, mais une sorte de hasard vivant. Ce serait le triomphe de cet indéterminisme auquel on prétendait échapper. L’indéterminisme ne consiste pas seulement à prétendre que les mêmes effets ne s’expliquent pas par les mêmes causes, mais aussi que des effets toujours changeants et nouveaux ne s’expliquent pas par quelque changement et quelque nouveauté dans les causes. Enfin l’hétérogénéité absolue qu’on imagine dans la conscience est chimérique. Nous n’avons, prétend-on, aucune raison de conserver à un sentiment « son ancien nom, sauf qu’il correspond à la même cause extérieure ou se traduit au dehors par des signes analogues ». Ainsi donc l’amour ne serait pas toujours l’amour, parce qu’il se nuance sans cesse ? Et on ne pourrait rien prévoir à son sujet, pas même le plaisir que causera la vue de l’objet aimé, parce que
« une cause interne profonde donne son effet une fois, et ne le produira jamais plus »? Si nouveauté, hétérogénéité, originalité étaient synonymes de liberté, il faudrait dire alors que nous sommes libres non pas seulement dans nos résolutions et actions, mais aussi dans nos sentiments profonds, dans nos plaisirs et nos douleurs les plus intenses, qui intéressent notre être tout entier, qui le font vibrer en toutes ses parties et aboutissent à un cri de joie ou de douleur sans précédents en nous. Le désespoir d’avoir perdu l’être que nous avons le plus aimé est un état d’âme absolument hétérogène aux autres dans sa partie affective et sensitive, non pas seulement dans sa partie active. Si donc il suffit qu’un « état psychique » soit « unique en son genre et ne doive plus se produire jamais en nous » pour que cet état soit libre, alors nous sommes libres jusque dans les souffrances les plus aiguës et les plus profondes, uniques en leur genre, où pourtant la fatalité nous domine tout entiers. Bien plus, nous sommes libres en tout et partout, car aucun état psychique, même « superficiel », ne se reproduira absolument le même. C’est donc par un véritable paradoxe que l’école de Lotze identifie le libre avec le nouveau, avec le changeant, avec l’hétérogène. De ce qu’un acte de libre arbitre introduirait une nouveauté absolue dans le monde, il n’en résulte nullement que les nouveautés relatives qui existent dans le monde soient libres.
Réalisation progressive de l’idée de liberté — Ses moyens
« le concept abstrait de la force des concepts172. »Au reste, même en réduisant l’idée de liberté à cette formule digne de Zénon d’Elée, si manifestement incomplète, l’idée de liberté aurait encore une influence. Un « concept abstrait » peut avoir sa part comme facteur dans nos déterminations, grâce à toutes les idées concrètes, à tous les sentiments concrets dont il est le centre et qu’il éveille. Devoir, honneur, patrie, humanité, liberté civile et politique, égalité, fraternité, voilà des concepts abstraits qui n’ont pas été, croyons-nous, sans avoir quelque rôle dans l’histoire. Le concept de la liberté intérieure et celui même de la puissance des idées ne sont nullement indifférents : ils ne laissent point l’esprit dans la même inertie qu’une formule de pure algèbre. Notre puissance indépendante et spontanée doit pouvoir s’exercer à l’égard même des contraires, afin de nous permettre de remonter toujours dans l’échelle des biens d’un degré à l’autre, de ne jamais être immobilisés dans telle alternative aux dépens de l’alternative opposée. En ce sens, chacun des contraires choisis doit laisser place, autant que faire se peut, à la possibilité du contraire : c’est ce qu’on exprime par le nom de contingence. Et c’est le quatrième élément de la liberté. Notre puissance n’est pas pour cela absolument ambiguë et indéterminée ; mais elle est déterminable par quelque idée supérieure à tels contraires donnés, idée qu’elle peut toujours élever au-dessus d’eux et qui les rend relativement contingents. Ce pouvoir ascendant est sans nul doute un bien et doit être un objet de désir, comme le pouvoir qu’a un oiseau de toujours voler plus haut que tels rameaux d’un arbre : sursum voluntas. Un dernier pas dans la réflexion intérieure nous fait comprendre que la plus haute expansion de notre moi et de sa spontanéité indépendante n’est pas l’égoïsme, mais l’amour universel d’autrui. Cet achèvement de la liberté, qui constitue la perfection morale, est le « suprême désirable ». Il n’est donc pas étonnant que l’idée de liberté morale ou de perfection morale, ainsi entendue, soit un idéal capable d’exercer un attrait sur l’être raisonnable. Une intelligence qui conçoit l’univers et l’identification volontaire de son individualité avec l’universel ne saurait demeurer indifférente à cette idée, la plus haute de toutes en même temps que la plus large. Donc, à tous les points de vue et à tous les degrés, la liberté est désirable, et son idée doit exercer une action. Déterminons davantage la nature de cette action. Au point de vue à la fois psychologique, on distingue avec raison les effets répressifs et les effets excitants, les effets inhibiteurs et les effets dynamogènes. Par elle-même et par ses concomitants cérébraux, l’idée de liberté, avec la tendance qui l’accompagne, doit nécessairement provoquer ces deux sortes d’effets. Si une impulsion passionnelle, par exemple, développe ses conséquences sans que se présente à l’esprit l’idée même d’une résistance possible, d’une certaine indépendance du moi intelligent par rapport à ses inclinations, il est clair que rien ne viendra, au moins de ce côté, contrebalancer l’impulsion actuelle et sa réalisation en mouvements conformes. Au contraire, l’idée de la résistance possible pour le moi, par le seul fait qu’elle surgit, produit déjà un certain ralentissement dans l’impulsion qui se développe. Toute idée nouvelle enlève de son intensité à l’idée antérieurement dominante, car elle partage la conscience. Si cette idée nouvelle agit dans le même sens que l’idée précédente, les deux impulsions finissent par s’ajouter et se fusionner ; ce qui entraîne à la fin une inclination plus forte. Mais, si l’idée nouvelle est en quelque sorte négative par rapport à l’autre, l’effet est un arrêt plus ou moins complet de la précédente, une diminution d’intensité. Or c’est ce qui arrive quand, sous l’empire d’une impulsion, nous concevons l’opposition possible à cette impulsion : par le fait même, il se produit déjà une certaine opposition réelle. Si, de plus, l’idée de l’opposition possible éveille en nous le désir que nous avons normalement de notre indépendance, c’est-à-dire notre tendance à nous posséder nous-mêmes et à demeurer des êtres raisonnables, si, par conséquent, cette idée réveille l’amour que nous avons naturellement et de notre puissance personnelle et de notre intelligence impersonnelle, comment n’en résulterait-il pas un effet d’inhibition prononcé ? Physiologiquement, tous les mouvements moléculaires correspondant à ces idées et à ces tendances vont à l’opposé du mouvement centrifuge qui entraîne à l’acte. Psychologiquement, les idées provoquent ce qu’on appelle le retour sur soi, la concentration et la possession de ses forces : on « rentre en soi-même », au lieu de se laisser pousser par le dehors et vers le dehors. L’effet répressif et inhibiteur de l’idée de liberté est donc incontestable. On connaît l’effet excitateur et dynamogène que peuvent avoir beaucoup d’idées. Ce sont d’abord les idées relatives à quelque sensation ou sentiment, surtout agréable, puis les idées relatives à notre puissance personnelle, laquelle nous cause d’ailleurs un sentiment de plaisir et de satisfaction intime. Le seul fait de penser d’avance soit à une sensation, soit à une action, prépare à recevoir la sensation et la rend plus intense, prépare à l’action et la rend plus facile. L’attente a des effets connus pour favoriser ce qu’on attend. A plus forte raison la confiance en soi est-elle dynamogène et, pour ainsi dire, tonique. Or, le type de la confiance, c’est la conviction que nous avons de notre liberté. Si je me persuade qu’il dépend de moi de réaliser un idéal que je conçois, j’acquiers du même coup un commencement de force pour le réaliser. L’idée et le désir de la puissance, surtout s’il s’y joint la conviction de la puissance même, produisent donc des effets dynamogènes. Il est bien clair qu’il ne suffit pas de s’attribuer une puissance quelconque pour la créer de toutes pièces en soi ; par exemple, il ne me suffit pas de me persuader que j’amènerai 100 au dynamomètre pour obtenir ce chiffre. Mais il s’agit là d’une puissance physique subordonnée à des conditions tout extérieures. Même en ce cas, la force dynamométrique est augmentée par l’idée, le désir et la persuasion du succès. A plus forte raison quand le point d’application de la volonté est intérieur ; bien plus, quand il est la volonté même. Il s’agit alors d’une puissance sur soi, d’une sorte de réflexion de la puissance. L’idée, ici, n’est pas encore omnipotente, mais elle peut produire des accroissements successifs d’énergie interne. Au fond, il s’agit de développer en nous une puissance consciente et intelligente ; donc, plus j’ai conscience, plus la puissance croit : l’idée même de la puissance s’ajoute à la puissance réelle et l’élève à un degré supérieur. Il est bien entendu que nous ne parlons pas d’une puissance en l’air et sans objet, mais du pouvoir de se décider à tel acte déterminé, par exemple adresser des excuses à quelqu’un qu’on a offensé. Si je conçois fortement la possibilité pour moi de vouloir faire ces excuses, par conséquent ma puissance sur moi-même, et si, d’autre part, je conçois les excuses comme bonnes à tel ou tel point de vue, cette idée de ma puissance, jointe à celle de l’effet désiré, me mettra dans des conditions favorables à l’exercice de ma puissance propre. Il peut même arriver que toute ma puissance réside de fait dans cette idée ; en tout cas, si je ne l’eusse pas conçue, aucune volonté d’excuses n’eût été possible : l’idée est donc bien la condition de ma puissance sur moi. Du même coup, elle enlève de leur force à toutes les idées adverses, elle produit un effet d’arrêt sur les mouvements contraires à sa direction propre. En somme, est incomplète toute analyse qui considère seulement l’idée de la puissance sans celle de l’objet désirable auquel elle s’applique, ou l’idée de l’objet désirable sans celle de la puissance. Je ne me confère aucune puissance par la conception d’une puissance sans objet ; mais, d’autre part, il n’est pas vrai que l’idée de l’objet agisse seule, par son degré de désirabilité intrinsèque, sans que l’idée de ma puissance personnelle vienne y ajouter son action. La réalité concrète enveloppe à la fois et l’idée de ma puissance et l’idée d’un objet auquel elle s’applique : les deux termes sont inséparablement objets de pensée et de désir. Après les effets généraux de l’idée de puissance, examinons plus particulièrement les effets produits par l’idée d’indépendance. Ils sont encore à la fois dynamogènes et inhibiteurs, quoique les résultats d’inhibition soient ici les plus visibles. Se concevoir indépendant ou se désirer indépendant, d’une manière vague et absolue, dans l’abstrait, ce serait à coup sûr un faible secours. L’idée d’indépendance a toujours besoin d’être spécifiée et n’offre vraiment de sens que sous tel ou tel rapport, par conséquent d’une façon relative. Etre indépendant, c’est pouvoir agir et vouloir dans telles circonstances, sans que l’acte ou la volition soit l’effet de tel et tel ordre de causes ou de raisons. Dira-t-on que l’acte indépendant ou la volition indépendante doivent être affranchis de toute espèce de causes et de raisons ? Comme il s’agit alors d’une impossibilité, il est certain que l’idée de cette impossibilité ne la rendra pas possible. Toutefois je pourrai encore agir sous cette idée et produire certains effets qui auront à coup sûr une cause, mais dont la cause sera, en partie du moins, l’idée même de ma prétendue indépendance des causes. Il y aura chez moi une tendance inhibitrice à l’égard de toute cause autre que moi. Mais, pour me porter ensuite à telle action déterminée, il faudra quelque raison positive et particulière. Si donc l’idée chimérique d’indépendance absolue n’est pas sans entraîner certains effets, par le reste d’éléments admissibles qu’elle renferme encore à côté des éléments inadmissibles, à plus forte raison l’idée d’indépendance relative est-elle parfaitement réalisable. Etant donné un objet quelconque, je puis toujours concevoir mon indépendance relativement à cet objet, et, si cette indépendance, sous un rapport quelconque, me paraît désirable, l’idée et le désir peuvent en préparer, en commencer la réalisation. Cette réalisation ne sera peut-être ni complète ni durable, mais elle n’eût même pas été ébauchée sans l’idée et le désir ; en outre, elle ne s’achèvera que par l’accroissement de l’idée et du désir. Nous avons dit que le troisième élément de l’idée de liberté est l’idée de spontanéité, c’est-à-dire d’action ayant son origine dans le moi, d’initiative personnelle. Cette idée est en harmonie avec toutes les tendances de notre être ; celles qui nous portent à nous concentrer comme celles qui nous portent à nous répandre ont également besoin de trouver dans le moi une puissance de spontanéité toujours à leur disposition et constituant de l’énergie accumulée. L’idée de spontanéité doit donc aussi avoir une action. De fait, elle produit un effet inhibiteur sur tout ce qui nous apparaît comme contrainte, soit externe, soit interne. Elle est éminemment propre à développer l’instinct de résistance à l’égard de toute force conçue comme étrangère à notre moi. Par cela même, elle est aussi dynamogène. Elle nous fournit, dans l’idée même de notre activité personnelle, un point d’appui pour l’action, un motif toujours présent et toujours capable de s’opposer aux sollicitations ou impulsions étrangères. Les partisans du libre arbitre vont, nous l’avons vu, jusqu’à considérer la spontanéité comme absolue et, en conséquence, comme constituant un « premier commencement », une initiative complète de changement ou de mouvement. C’est alors la causalité s’exerçant sans raison en un sens plutôt qu’en l’autre ; il y a bien encore, selon eux, activité, mais non intelligibilité : la cause rend raison de l’effet en tant qu’elle le produit, mais elle n’en rend pas raison en tant qu’elle le produit tel et non tel. Par-là la spontanéité devient contingence absolue, c’est-à-dire possibilité des contraires dans les mêmes conditions ; on suppose dans la volonté une indétermination échappant à toute prévision de l’intelligence. Nous touchons au point où l’inintelligible pénètre dans l’idée de liberté. Malgré cela, nous avons dit que l’idée de liberté, même sous ses formes illégitimes, offre encore des parties réalisables. L’idée de l’indétermination de la volonté pourra-t-elle donc produire des effets ? — Cette idée, objectera-t-on, n’est ni une image, ni l’idée d’une action, ni l’idée d’un objet ; elle n’est pas même l’idée d’un rapport ; elle est précisément l’idée de la négation d’un rapport : comment donc pourrait-elle agir et surtout se réaliser ? — Certes répondrons-nous, on ne peut réaliser l’idée d’une indétermination absolue de la volonté, comme celle qu’admettent les partisans de la liberté d’indifférence et de la contingence complète ; nous aurions alors, en effet, la négation de tout rapport, notamment du rapport des conditions et raisons à leurs conséquences. « La liberté, dit M. Renouvier, échappe aux lois. » S’il en est ainsi, il ne dépend pas de nous de réaliser des phénomènes qui seraient vraiment sans raison et sans loi. Mais l’idée de l’indétermination de la volonté n’en contient pas moins des éléments réalisables par l’effet même que cette idée exerce, et c’est ce qui nous reste à montrer. Remarquons d’abord que l’idée d’indétermination, si elle était absolument seule et à l’état d’abstraction pure, n’agirait point. On ne peut pas vouloir à vide ; on ne peut donc pas vouloir uniquement pour vouloir, dans l’abstrait, en un état d’indétermination absolue : il faut toujours en venir à vouloir quelque chose de déterminé, comme de remuer le bras. Mais on peut fort bien vouloir cette chose déterminée, remuer le bras, non pour elle-même, mais en vue d’une autre fin ; et cette fin peut être, en certains cas, totalement ou partiellement, d’exercer notre vouloir, de manifester notre indétermination sous tel ou tel rapport. Par exemple, je veux remuer mon bras pour vouloir, pour exercer ma volonté et mon pouvoir relatif des contraires, qui me permet de lever ou d’abaisser le bras arbitrairement, de le mouvoir à droite ou à gauche, etc. Mon action a donc ici, comme éléments déterminés : 1° la fin de vouloir et de manifester mon indépendance ; 2° le mouvement du bras, moyen en vue de cette fin. Quant à la direction finale du mouvement, elle demeure indéterminée pour ma volonté, qui, comme on dit, l’abandonne au hasard. Et n’oublions pas que ce hasard est, au fond, le déterminisme cérébral : quand j’imprime indifféremment telle direction à mon bras, l’indifférence de ma volonté n’empêche pas certaines différences mécaniques d’exister dans mon cerveau en faveur de tel mouvement, par exemple vers la droite ou la gauche. Il en résulte que, quand je me suis dit : « je veux mouvoir mon bras indifféremment à droite ou à gauche », la solution déterminée du problème en faveur de la droite vient de l’état mécanique actuel de mon cerveau et de mon bras, qui aboutit nécessairement au mouvement vers la droite. On peut donc très bien se proposer pour lin de réaliser une volonté indéterminée sous certains rapports. Mais, en se réalisant, la volonté se trouve déterminée : 1° par l’idée même de son indétermination relative ; 2° par l’objet particulier auquel cette volonté s’applique pour se réaliser in concreto (l’idée de mouvoir le bras). Le reste est déterminé par des circonstances physiques décorées du nom de hasard (direction du bras en haut, en bas, à droite, à gauche, etc.). La volonté peut ainsi, dans une certaine mesure, se prendre elle-même pour fin, non arbitrairement, encore une fois, mais en se voulant elle-même dans tel acte particulier et concret qu’elle ne veut pas pour lui seul, mais pour elle. Elle agit alors sous une certaine idée d’indépendance et en vue de cette indépendance. Par cela même, elle réalise une certaine dose de liberté, qui se ramène à la détermination par un motif supérieur à tels et tels autres motifs donnés ; et ce motif supérieur est le moi lui-même, se posant en face des autres choses. Il y a toujours déterminisme, mais il y a en même temps une indépendance relative du moi, qui mérite de s’appeler une liberté relative et qui, pratiquement, produit les résultats attribués au libre arbitre par le vulgaire. Que peut-on demander de plus si on ne se paie pas de chimères ? En somme, de même que l’idée de spontanéité absolue engendre une spontanéité relative, l’idée de contingence absolue engendre une contingence relative. Nous ne pouvons pas faire, en concevant le contraire de telle action, qu’il soit possible absolument, mais nous pouvons, par l’idée même de la contingence des contraires, le rendre possible relativement. Son existence sera alors déterminée, totalement ou partiellement, par l’idée même et le désir de réaliser des possibles qui, sans cette idée et ce désir, seraient restés latents. En outre, si la contingence ne peut être absolue, du moins elle peut s’étendre de plus en plus loin. En d’autres termes, la possibilité des contraires peut former une série de plus en plus longue jusqu’au point qui exclut toute possibilité des contraires. Or, de même qu’il n’est pas indifférent de suspendre notre science à une ignorance de plus en plus reculée, il n’est pas indifférent de suspendre nos volitions contingentes à une nécessité de plus en plus éloignée, d’attacher la chaîne des doubles possibilités à un clou placé de plus en plus haut. Demander que ce clou disparaisse à son tour, c’est demander qu’un levier soulève le monde sans point d’appui. Et serions-nous bien avancés d’être dans le vide, dans l’indifférence ? Concluons que la volition appelée libre est celle qui a pour première condition l’idée même de notre liberté comme pouvoir de choisir avec conscience entre deux contraires, dont aucun ne peut se réaliser sans ce choix. Nous avons fait voir que le choix n’est pas pour cela arbitraire, indéterminable et absolu ; il est relatif : 1° à notre caractère ; 2° à nos motifs et mobiles, qui sont la réaction actuelle de notre caractère par rapport aux circonstances ; 3° à l’intensité avec laquelle notre moi conçoit sa puissance indépendante et l’oppose aux motifs extérieurs. De là la part de vérité et la part d’erreur que contient la notion du libre arbitre. On a défini le libre arbitre
« un pouvoir réel et présent, une quantité de force actuellement disponible, suffisante pour faire équilibre à tous les motifs173 », et on prétend que nous avons « conscience » de ce pouvoir. Certes, il y a des cas où nous avons en effet conscience d’un pouvoir réel, d’une force disponible qui peut faire équilibre à tous les motifs intellectuellement conçus, mais, d’après ce qui précède, quelle est cette force ? Elle est double : c’est d’abord la partie sensitive de notre être, la force de nos inclinations subconscientes ou inconscientes, la force de notre caractère. On peut se déterminer contre les raisons, mais non pas pour cela sans causes ; seulement les causes peuvent être déraisonnables, ou du moins étrangères à la raison.
« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas », la passion aussi, et l’habitude, et le caractère. En second lieu, nous pouvons faire équilibre, au moins momentanément, à toutes les raisons objectives par le moyen d’une idée, qui est celle même de notre pouvoir de choisir celle de notre indépendance, de notre moi autonome. Nous avons toujours cette force disponible, cette idée à opposer aux autres idées, le fameux moi : moi, dis-je, et c’est assez. Mais l’idée du moi est encore une raison, l’idée d’indépendance et de liberté est une raison, tout interne, il est vrai, et non plus externe, — d’autant plus importante pour nous permettre de « rentrer en nous-mêmes ». La résolution finale sera donc déterminée en raison composée de toutes les causes internes et externes saisies par l’intelligence, plus les mobiles subconscients et inconscients. Il résulte de notre analyse que la liberté est la subjectivité par excellence, puisqu’elle est le moi posant son indépendance en face du dehors, se prenant pour fin et agissant sous l’idée même de sa liberté. Aussi la pleine liberté supposerait-elle la pleine conscience de soi. Tout ce qui est ou subconscient ou inconscient est en dehors de la liberté vraie : tout ce qui n’est pas d’une transparence absolue pour soi retombe du coup dans les impulsions aveugles, qui sont le contraire de la liberté. C’est donc abusivement qu’on oppose la liberté à l’intelligence, alors qu’elle est l’intelligence exerçant son action sous l’idée de sa propre causalité. Par cela même, la liberté n’est pas « sans lois », mais elle a des lois propres, très différentes par leur nature des lois physiques. Ce sont des lois de finalité intellectuelle, qui permettent au moi de se prendre pour fin et, dans l’acte moral, de prendre en même temps pour fin l’être universel. On n’est pas libre par l’affranchissement des lois de l’intelligence, mais, tout au contraire, par leur entier accomplissement. On n’est pas libre par l’absence de motifs, mais par la présence même de tous les motifs pour et contre, que dominent, d’une part, l’idée de notre liberté et, d’autre part, l’idée de la fin universelle. La liberté, terme du développement volontaire, est ainsi la motivation par excellence, la motivation complète, s’étendant aussi loin qu’il est possible, embrassant dans la pleine lumière un ensemble de fins aussi vaste qu’il est possible, pour les ramener à l’unité du moi. Les Stoïciens n’avaient pas tort de placer la liberté idéale dans la plénitude et l’universalité de l’intelligence ; leur tort fut de ne pas voir que le moi, en se concevant lui-même, arrive à concevoir sa propre indépendance, sa propre liberté, et à la vouloir ; qu’ainsi le sujet pensant ne s’absorbe pas entièrement dans l’objet, mais se pose au contraire en face de lui et agit sous l’idée de son activité personnelle. Plénitude de la connaissance objective et plénitude de la conscience subjective, tel est l’idéal de la volonté. Une dernière conséquence dérive de la théorie précédente. C’est par un préjugé invétéré qu’on donne pour caractéristique des actes libres l’impossibilité de les prévoir. En ce qui concerne l’agent lui-même, est-ce à condition de ne point prévoir ce qu’il fera qu’il est vraiment libre ? J’hésite entre ma passion et mon devoir, je ne sais pas qui l’emportera ; je ne me connais pas assez moi-même pour savoir si je suis plus entraîné dans une direction que dans l’autre, et ainsi je me trouve divisé en deux : un moi intelligent et lumineux qui regarde un autre moi passionné et obscur en se demandant ce qu’il va faire. Tout ce qui est incertain pour moi n’est point attribuable au moi ni à sa causalité. Si ma volition finale est pour moi impénétrable, c’est qu’elle dépend de conditions étrangères à moi, conditions qui, pour leur part, la détermineront sans moi et peut-être contre moi. Au contraire, je sais parfaitement que je ne tuerai pas un homme pour lui voler sa fortune : suffit-il, comme dans l’exemple de Cicéron, de lever le petit doigt pour faire disparaître l’homme et avoir ses millions, je prévois, de prescience certaine, que je refuserais de lever le doigt. Cette parfaite détermination de l’avenir dans ma pensée prouve que mon avenir, ici, dépend véritablement de moi, être conscient et raisonnable, non de telle ou telle influence extérieure, non de telle passion, qui se réduirait elle-même à une action extérieure et à une perturbation nerveuse. J’embrasse dans mon unité de conscience tous les termes avec le lien de l’un à l’autre, et c’est vraiment ici que le déterminant et le déterminé tendent à se confondre. C’est alors la conscience claire de mon vrai moi qui détermine ce moi : j’agis sous l’idée de moi-même et de ma causalité propre. Prétendre que cette auto-détermination, pour laquelle l’avenir même n’a plus de secret, exclut la liberté, c’est la plus étrange des erreurs, puisque la vraie liberté consiste à être déterminé par soi-même, en tant qu’être raisonnable, non à être indéterminé et indifférent, comme un corps en équilibre instable qui attend que le moindre souffle extérieur le fasse pencher d’un côté ou de l’autre. L’obsession de l’indéterminé nous est devenue naturelle par ce fait que nous avons besoin d’être relativement indéterminés, ou plutôt non déterminés en présence des choses extérieures ; mais transporter cette indétermination au sein de nous-mêmes et jusque dans notre intelligence, sous prétexte de nous rendre libres, voilà l’erreur vulgaire. Pour être presque inévitable, ce n’en est pas moins une illusion. C’est donc dans le déterminisme, non en dehors, qu’il faut chercher la vraie liberté, puisqu’elle est la détermination par des raisons supérieures, ayant leur unité dans l’idée même de notre moi comme cause et comme fin.