Livre douzième. 
            
            Tout ce douzième livre est dédié à M. le duc de Bourgogne, alors âgé de huit ans. On
          avait ménagé la protection de ce prince à l’auteur des fables, déjà vieux, presque sans
          fortune et dénué d’appui. C’est, comme on l’a déjà observé, presque le seul grand homme de
          ce siècle, qui n’ait point eu part aux bienfaits de Louis XIV. L’inimitié de Colbert, le
          peu d’habileté de La Fontaine à faire sa cour, un talent peu fait pour être apprécié par
          le roi, de petites pièces qui paraissaient successivement, ne pouvaient avoir l’éclat d’un
          grand ouvrage, et semblaient manquer de cette importance qui frappait Louis XIV ; des
          contes un peu libres, dont on avait le souvenir dans une cour qui commençait à devenir
          dévote : toutes ces circonstances s’étaient réunies contre La Fontaine, et l’avaient fait
          négliger. Il songeait à passer en Angleterre ; il apprenait même la langue anglaise,
          lorsque les bienfaits de M. le duc de Bourgogne le retinrent en France, et sauvèrent à sa
          vieillesse les désagrémens de ce voyage.
            Il faut pardonner à un vieillard déjà accablé de peines et d’infirmités, le ton faible et
          le style languissant de cette épître dédicatoire ; il faut même s’étonner de retrouver
          dans plusieurs des fables de ce douzième livre, une partie de son talent poétique, et,
          dans quelques-unes, des morceaux où ce talent brille de tout son éclat.
            
               
               
                  
               
               Pourquoi l’unique ? La Fontaine fait mieux parler les animaux qu’il
            ne parle lui-même. Voyez, dans ce livre douzième, dédié à ce même duc de Bourgogne, la
            fable de l’Eléphant et du Singe de Jupiter. Elle a
            pour objet d’établir que les petits et les grands sont égaux aux yeux des immortels. Je
            n’accuserai point ici La Fontaine d’une flatterie malheureusement autorisée par trop
            d’exemples. J’observerai seulement que, tant que les écrivains, soit en vers, soit en
            prose, mettront, dans leurs dédicaces, des idées ou des sentimens contraires à la morale
            énoncée dans leurs livres, les princes croiront toujours que la dédicace a raison et que
            le livre a tort ; que, dans l’une, l’auteur parle sérieusement, comme il convient ; et
            dans l’autre, qu’il se joue de son esprit et de son imagination ; enfin qu’il faut lui
            pardonner sa morale, qui n’est qu’une fantaisie de poète, un jeu d’auteur.
               
                  
               
               M. le dauphin, qu’on appelait monseigneur, père du duc de Bourgogne, commandait l’armée
            d’Allemagne, et avait, sous ses ordres, et pour conseil, MM. les maréchaux de Duras, de
            Boufflers et d’Humières.
               
                  V. 16. Peut-être elle serait aujourd’hui 
téméraire.
               Ne dirait-on pas que le dauphin avait le choix d’avancer ou de n’avancer pas ? Il
            n’avançait point, parce qu’il ne le pouvait, parce qu’il s’élevait souvent des sujets de
            division entre les trois maréchaux.
               
                  
               
               On ne voit pas trop ce que les ris et les amours ont à faire dans une pièce de vers
            adressée à un prince de huit ans, élevé par le duc de Beauvilliers et par
            M. de Fénélon.
               
                  Ces sortes de dieux, et la raison qui tient le haut bout est d’un style très-négligé.
               
                  
               
               Le sujet qu’a pris ici La Fontaine, est plutôt un cadre heureux et piquant, pour faire
            une satire de l’humanité, qu’un texte d’où il puisse sortir naturellement des vérités
            bien utiles : aussi l’auteur italien que La Fontaine imite dans cet Apologue, en a-t-il
            fait un usage purement satirique. La force du sujet a même obligé La Fontaine à suivre
            l’intention du premier auteur, jusqu’au dénouement, où il l’abandonne. Nous nous
            réservons à faire quelques observations sur ce dénouement.
               
                  
               
               C’est une espèce de proverbe latin, la taupe par exemple : j’ignore
            l’origine de ce proverbe.
               
                  
               
               Quel bonheur dans le rapprochement de ces deux idées ! et quelle grâce fine à la fois
            et naïve, pour justifier Circé qui parle la première !
               
                  V. 47. Une 
déesse dit tout ce qu’elle a dans l’
âmeV. 52. Mais le voudront-ils bien 
? etc
….
               Ceci prépare le refus des compagnons d’Ulysse. On voit que chacune de leurs réponses
            est une satire très-forte de l’homme en société ; et l’auteur italien développe, d’une
            manière encore plus satirique, les raisons de leur refus.
               
                  
               
               C’est ici que La Fontaine abandonne son auteur pour approprier la morale de ce conte à
            l’âge et à l’état du prince auquel il est adressé ; mais l’auteur italien n’en use pas
            ainsi : il poursuit son projet ; et quand Ulysse, pour amener ses gens à l’état
            d’hommes, leur parle de belles actions et de gloire, voici ce que l’un d’eux lui
            répond : « Vraiment nous voilà bien. N’est-ce pas lui qui est la cause de tous nos
            malheurs passés, de dix ans de travaux devant Troye, de dix autres années de souffrances
            et d’alarmes sur les mers ? N’est-ce pas ton amour de la gloire qui a fait de nous si
            longtemps des meurtriers mercenaires, couverts de cicatrices ? Lequel valait le mieux
            pour toi d’être l’appui de ton vieux père qui se meurt de douleur, de ta femme qu’on
            cherche à séduire depuis vingt ans quoiqu’elle n’en vaille pas la peine, de ton fils que
            les princes voisins vont dépouiller, de gouverner tes sujets avec sagesse, de nous
            rendre heureux en nous laissant pratiquer sous nos cabanes des vertus que tu aurais
            pratiquées dans ton palais ? Lequel valait mieux de goûter tous ces avantages de la paix
            et de la vertu, ou de t’expatrier, toi et la plus grande partie de tes sujets, pour
            aller restituer une femme fausse et perfide à son imbécille époux, qui a la constance de
            la redemander pendant dix ans ? Retire-toi et ne me parle plus de ta gloire, qui
            d’ailleurs n’est pas la mienne, mais que je déteste comme la source de toutes nos
            calamités. »
               Il me semble qu’il y a, dans cette réponse, des choses fort sensées et auxquelles il
            n’est pas facile de répondre. Je suis bien loin de blâmer La Fontaine du parti qu’il a
            pris ; mais il est curieux d’observer que ce que dit le compagnon d’Ulysse, sur les
            guerres, sur les conquêtes, sur la gloire, etc., offre le même fond d’idées que Fénélon
            développa depuis dans le Télémaque : ce sont les principes dont il fit la base de
            l’éducation du duc de Bourgogne. Si ces principes, connus ensuite de Louis XIV, plus de
            quinze ans après, occasionnèrent la disgrâce de Fénélon, on peut juger de la manière
            dont La Fontaine aurait été reçu, s’il se fût avisé d’imiter jusqu’au bout l’original
            italien.
            
            
               
               Cette fable est joliment contée ; mais voilà, je crois, le seul éloge que l’on puisse
            lui donner.
               
                  
               
               Il ne faut pas voir quelques traits de la moralité d’un Apologue, il faut voir l’image
            toute entière. Dans la fable des animaux, dans celle de l’alouette et de ses petits, dans celle du rat retiré du monde,
            ce n’est pas une ombre douteuse et confuse que le lecteur entrevoit, c’est la chose
            même. L’auteur sait ce qu’il a voulu dire, et n’est pas obligé de s’en rapporter aux
            lumières d’un prince âgé de huit ans.
            
            
               
               
                  
               
               Fort jolie historiette, dont il n’y a pas non plus beaucoup de morale à , sinon
            que l’avarice est un vice ridicule ; et que, quand on a le malheur d’en être atteint, il
            faut bien fermer son coffre.
            
            
               
               
                  
               
               L’auteur emploie ici deux vers à insister sur cet instinct des chèvres, de grimper et
            de chercher les endroits périlleux. Il en a une bonne raison : c’est qu’il fallait
            inculquer au lecteur cette propriété des chèvres qui fait le fondement de sa fable.
               
                  
               
               C’est que ce sont deux chèvres de grande distinction, de grandes dames, comme on le
            verra plus bas. Aussi quittent-elles les bas prés pour ne point se gâter les pattes.
               
                  
               
               Pour quelque plante, quelque arbuste appétissant. Cela pourrait être mieux exprimé.
               
                  
               
               Ce vers inégal de trois syllabes fait ici un effet très-heureux. La Fontaine aurait dû
            ne pas prodiguer ces hardiesses, et les réserver pour les occasions où elles sont
            pittoresques comme ici.
               
                  
               
               Nous sommes accoutumés à ce jeu brillant et facile de l’imagination de La Fontaine, à
            qui le plus léger rapport suffit pour rapprocher les grandes choses et les petites. La
            comparaison de ces deux chèvres avec Louis-le-Grand et Philippe IV, et surtout la
            généalogie des deux chèvres, rendent la fin de cette fable un des plus jolis morceaux de
            La Fontaine.
            
            
               
               
                  
               
               Ceci rentre dans la moralité de carpillon frétin et du chien maigre.
               
                  
               
               Cela est plaisant : mais il ne fallait pas revenir sur cette idée à la fin de la fable.
            Cette maxime, que la vieillesse est impitoyable, n’est pas appliquée ici avec assez de
            justesse. Si le chat ne pardonne pas à la souris, ce n’est pas en qualité de vieux, c’est en qualité de chat. De plus, ces vérités
            qui ont besoin d’explication, de restriction, ne doivent-elles pas être réservées pour
            un âge plus avancé que celui du duc de Bourgogne ? Pourquoi mettre dans l’esprit d’un
            enfant que son grand-père, et peut-être son père, sont impitoyables. Je dis son père,
            car les enfans trouvent tout le monde vieux. Si Louis XIV lut cette fable, dut-il être
            bien aise que son petit-fils le crût homme dur et impitoyable ?
            
            
               
               
                  
               
               Cette fable rentre absolument dans la morale du Jardinier et son
              Seigneur, (livre IV, fable 4) et dans celle de l’Écolier, le Pédant
              et le Maître d’un jardin (livre IX, fable 5) ; mais elle est fort au-dessus des
            deux autres.
            
            
               
               
                  
               
               Voilà une association dont l’idée blesse le bon sens. Nul rapport, nul besoin réel
            entre les êtres qu’elle rassemble ; et l’esprit la rejette comme absurde. Comment un
            buisson peut-il voyager ? Quel besoin a-t-il de faire fortune, lui et ces deux animaux ?
            De ce fond défectueux, il ne peut naître que des détails non moins ridicules : tel est
            celui-ci,
               
                  
               
               On sait que c’était le symbole des banqueroutiers. La Fontaine baisse beaucoup.
            
            
               
               
                  
               
               C’est ici que cette vieillesse se montre encore davantage. Quel sens peut-on tirer de
            cette fable ? quelle était l’idée de La Fontaine ? On est fâché de dire que c’est une
            espèce de radotage. Quel rapport y a-t-il entre une querelle de chiens et de chats, et
            le combat des élémens, dont il résulte une harmonie qu’on ne peut concevoir, et dont le
            fabuliste ne parle pas ?
            
            
               
               
                  
               
               Voici une fable plus heureuse que les trois précédentes. La Fontaine a déjà établi
            plusieurs fois qu’on revient toujours à son caractère ; mais de toutes les fables où il
            a cherché à établir cette vérité, celle-ci est sans contredit la meilleure : aussi y
            avons-nous souvent renvoyé le lecteur. La manière dont le renard répète sa leçon, la
            comparaison de Patrocle revêtu des armes d’Achille, sont des détails très-agréables, et
            du ton auquel La Fontaine nous a accoutumés.
            
            
               
               
                  
               
               
                  Si grand, qu’il l’est peut-être trop ; si grand,
            qu’il mériterait l’honneur d’un Apologue particulier. Cet accessoire est trop étranger à
            l’idée d’éducation qui est ici la principale
               
                  
               
               Ce vers, dont le tour est très-hardi, est fort beau pour exprimer la rapidité avec
            laquelle Louis XIV fit plusieurs conquêtes, celle de la Franche-Comté, par exemple ; le
            secret du roi avait été impénétrable jusqu’au moment où l’on se mit en campagne.
               
                  
               
               Cette idée, qui fait le fonds de la fable, ne me paraît pas heureuse. Ce ne doit point
            être un défaut, aux yeux de l’écrevisse, de marcher comme elle fait. Elle ne saurait en
            faire un reproche à sa fille. Sa fille et elle marchent comme elles doivent marcher, par
            un effet des lois de la nature. C’est un faux rapport que celui qui a été saisi entre
            les deux écrevisses, et celui d’une mère vicieuse que sa fille imite. Cet Apologue, pour
            être d’Ésope, ne m’en paraît pas meilleur. Il a réussi, parce que cette image offre, en
            résultat, une très-bonne leçon.
               
                  
                  
               
               Il ne fallait pas y revenir. J’en ai dit la raison plus haut.
            
            
               
               
                  
               
               L’auteur explique pourquoi l’aigle ne mangea pas la pie.
               La raison que donne l’aigle du besoin qu’elle a d’être désennuyée, est très-plaisante ;
            et l’exemple de Jupiter est choisi merveilleusement.
               
                  
               
               Vers excellent ; mais je n’aime point l’habit de deux paroisses.
            
            
               
               Le prince à qui cette fable est dédiée, était le prince Louis de Conti, neveu du Grand
            Condé, et fils de celui qui joua un si grand rôle dans la guerre de la fronde. C’était
            un des grands protecteurs de La Fontaine, ainsi que le prince de la Roche-sur-Yon son
            frère, qui eut depuis le nom de prince de Conti. Ce dernier se rendit célèbre, par la
            valeur et les talens qu’il montra dans les journées de Fleurus et de Nervinde. C’est lui
            qui fut élu roi de Pologne en 1697, et qui mourut en 1709, sans avoir pu prendre
            possession de cette couronne.
               
                  
               
               Ceci est d’une meilleure morale que les deux vers qui se trouvent dans la fable 12 du
            livre X.
               
                  
                  
               
               J’ai négligé alors d’y mettre un correctif, pour éviter la longueur ; mais voilà La
            Fontaine qui met ce correctif lui-même. Il vaut mieux l’entendre que moi.
               
                  V. 11
…. En cet 
âge où nous sommes
.
               C’est un malheur de notre poésie, que, dès qu’on voit le mot hommes à la fin d’un vers,
            on puisse être sûr de voir arriver à la fin de l’autre vers, où nous
              sommes, ou bien tous tant que nous sommes. L’habileté de
            l’écrivain consiste à sauver cette misère de la langue, par le naturel et l’exactitude
            de la phrase où ces mots sont employés.
               
                  
               
               C’est un fort bon vers, quoique l’idée en soit assez commune.
               
                  
               
               Ce pronostic fut malheureusement bien démenti, puisque ce jeune prince mourut en 1685,
            deux ou trois ans peut-être après cette pièce.
               
                  
               
               C’était elle qui, avant d’être mariée, s’appelait mademoiselle de Blois. Elle était
            fille du roi et de madame la duchesse de la Valière. Elle ne mourut qu’en 1739. Il y eut
            aussi une autre mademoiselle de Blois, fille de Louis XIV et de madame de Montespan.
            Cette dernière fut mariée au duc d’Orléans régent, et ne mourut qu’en 1749.
               
                  
               
               Tous ces éloges directs ne me paraissent ni ingénieux ni dignes de La Fontaine : et ce qui sait se faire estimer joint à ce qui sait se faire
              aimer, tout cela me paraît d’un ton trivial et bourgeois.
               
                  
               
               Manque un peu trop de délicatesse ; et c’est une transition bien lourde que
            celle-ci.
               
                  
                  
               
               Cela me rappelle une transition aussi brusque, mais plus plaisante de Scarron, je
            crois. La voici : Des aventures de ce jeune prince à l’histoire de ma
              vieille gouvernante, il n’y a pas loin, car nous y voilà.
               Je ne ferai aucune note sur cette fable, qui me paraît au-dessous du médiocre, et où
            l’on ne retrouve La Fontaine que dans ces deux jolis vers :
               
                  
                  
               
            
            
               
               
                  
               
               La note de Coste indique une application assez juste de cet Apologue. Mais alors,
            pourquoi prendre le renard, le plus fin des animaux ? Il me semble que c’est mal choisir
            le représentant du peuple, lequel n’est pas, à beaucoup près, si spirituel et si délié.
            C’est qu’il fallait de l’esprit pour faire la réponse que fait l’animal mangé des
            mouches ; et sous ce rapport, le renard a paru mieux convenir.
            
            
               
               
                  
               
               La Fontaine suppose que l’amour est là, et lui tient compagnie. Cela devrait être,
            quand on écrit une fable aussi charmante que celle-ci.
               
                  
               
               Cette parenthèse est pleine de grâces, et les deux vers suivans sont au-dessus de tout
            éloge.
               
                  V. 9. Quelle 
suite eut ce 
mal, qui peut-être est un bien 
?
               Est-ce un bien, est-ce un mal, que l’amour soit aveugle ? Question embarrassante que La
            Fontaine ne laisse résoudre qu’au sentiment.
               Toute cette allégorie est parfaite d’un bout à l’autre : et quel dénouement ! Est-ce un
            bien, est-ce un mal que la folie soit le guide de l’amour ? C’est le cas de répéter le
            mot de La Fontaine :
               
                  
               
            
            
               
               
                  
               
               Il me semble que les six vers suivans ne disent pas grand chose : Junon et le maître des dieux, qui seraient fiers de porter les
              messages de la déesse Iris ; cela n’ajoute pas beaucoup à l’idée
            qu’on avait de madame de la Sablière. Il faut, dans la louange, le ton de la vérité.
            C’est lui seul qui accrédite la louange, en même temps qu’il honore et celui qui la
            reçoit et celui qui la donne.
               
                  
               
               Voilà un de ces vers qui font pardonner mille négligences, un de ces vers après lequel
            on n’a presque plus le courage de critiquer La Fontaine.
               
                  
                  
               
               Sa société étoit en effet très-recherchée, et cela déplaisait à plus d’une princesse.
            Mademoiselle de Montpensier, qui ne la connaissait pas, qui même ne l’avait jamais vue,
            dit, dans ses Mémoires, que le « marquis de Lafare et nombre d’autres passaient leur vie
            chez une petite bourgeoise, savante et précieuse, qu’on appelait madame de la
            Sablière. » Cela veut dire seulement, en style de princesse, que madame de la Sablière
            avait de l’esprit et de l’instruction, qu’elle voyait bonne compagnie à Paris, et
            n’avait pas l’honneur de vivre à la cour.
               
                  
               
               Ces quatre rimes masculines de suite sont aussi trop négligées. Et puis le firmament
            est presque un mot de théologie qui paraît ici déplacé.
               
                  
               
               Il ne fallait pas revenir là-dessus, après avoir dit beaucoup mieux et sans
            apprêt :
               
                  
                  
               
               Le reste me paraît faible.
               Je trouve aussi l’idée de la fable un peu bizarre, mais il y a des vers heureux. J’en
            remarquerai quelques-uns.
               
                  
               
               A la bonne heure, quoique je la trouve un peu singulière.
               
                  
               
               La Fontaine ne passe point pour misanthrope. C’est qu’il n’a point la mauvaise humeur
            attachée à ce défaut. Mais nous avons déjà vu plusieurs traits sanglans de satire contre
            l’humanité : et ce dernier montre assez ce qu’il pensait des hommes.
               
                  
               
               C’est-là un trait charmant d’amitié, de ne pas croire à l’oubli, aux torts, au
            refroidissement de ses amis.
               
                  
               
               C’est donc La Fontaine qui aura ce prix : car on ne peut mieux prendre le ton du cœur
            qu’il ne le prend dans ce dernier morceau. Il rappelle en quelque sorte celui qui
            termine la fable des deux amis, celle des deux
              pigeons. Mais le sujet ne permettait pas une effusion de sentimens aussi
            touchante. Il y a, entre ce morceau et les deux que je cite, la même différence qui se
            trouve entre l’intérêt d’une société aimable et le charme d’une amitié parfaite.
               Il paraît que cette fable avait été laissée dans le porte-feuille de l’auteur, et
            qu’elle était faite depuis longtemps  ; car il y parle un peu d’amour : ce qui eût été
            ridicule à l’âge où il était, quand ce douzième livre parut. Au reste, peut-être n’y
            regardait-il pas de si près ; peut-être croyait-il que, tant que l’âme éprouve des
            sentimens, elle peut les énoncer avec franchise. Il ne songeait point à une vérité
            triste qu’un autre poète a, depuis La Fontaine, exprimée dans un vers très-heureux ; la
            voici :
               
                  
               
            
            
               
               
                  
               
               Pourquoi cette prière si humble ? Pourquoi l’homme n’arrachait-il pas une branche ?
            Cela n’est pas motivé. D’ailleurs la morale de cet Apologue rentre dans celui du cerf et de la vigne, qui est beaucoup meilleur (Livre
            V, fable 15).
            
            
               
               
                  
               
               Même défaut dans cet Apologue que dans le précédent. C’est presque la même chose que
            celui du loup et du cheval (livre V, fable 8). Il
            est vrai qu’il a une leçon de plus, celle de la vanité punie.
               
                  
                  
                  
               
               L’avantage aussi que La Fontaine a trouvé en introduisant ici un acteur de plus qu’en
            l’autre, c’est de faire débiter la morale par le renard, au lieu que, dans l’autre
            fable, le loup se la débite à lui-même, malgré le mauvais état de sa mâchoire.
            
            
               
               
                  
               
               Cette fable est jolie et bien contée ; mais elle aura peu d’applications, tant qu’il
            sera vrai de dire qu’on ne guérit pas de la peur.
            
            
               
               
                  
               
               Comment est-il possible que La Fontaine ait fait une aussi mauvaise petite fable ?
            Comment ses amis la lui ont-ils laissé mettre dans ce recueil ? Un singe qui bat sa
            femme, qui va à la taverne, qui s’enivre : qu’est-ce que cela signifie ? et quel rapport
            cela a-t-il avec les mauvais auteurs ? Le froid imitateur, le plagiaire même d’un grand
            écrivain peut d’ailleurs n’être ni mauvais mari, ni mauvais père, ni ivrogne, etc.,
            enfin ne faire nul tort à la société, que de l’excéder d’ennui.
            
            
               
               
                  
               
               Après une mauvaise petite pièce, en voici une excellente. Ce n’est point à la vérité un
            Apologue, mais une fort bonne leçon de morale, et plusieurs vers sont admirables ; tels
            sont ceux-ci :
               
                  
                  
                  
               
               Tel est encore le dernier :
               
                  
               
               Mais ce qui est au-dessus de tout, c’est ce trait de poésie vive et animée, qui suppose
            que des arbres coupés et, pour ainsi dire, mis à mort, vont revivre sur les bords du
            Styx.
               
                  
                  
               
               Nul poète n’est plus hardi que La Fontaine ; mais ses hardiesses sont si naturelles,
            que très-souvent on ne s’en aperçoit pas, ou du moins on ne voit pas à quel point ce
            sont des hardiesses. C’est ce qu’on peut dire aussi de Racine.
            
            
               
               
                  
               
               Nous retrouvons pourtant un véritable Apologue, c’est-à-dire, une action d’où naît une
            vérité morale voilée dans le récit de cette action même.
               Cette fable est excellente, et on la croirait du bon temps de La Fontaine. La vanité de
            l’éléphant, le besoin qu’il a de parler voyant que Gille ne lui dit mot, l’air de
            satisfaction et d’importance qui déguise mal son amour-propre, le ton qu’il prend en
            parlant du combat qu’il va livrer et de sa capitale : tout cela est parfait. La réponse
            du singe ne l’est pas moins, et le dénouement du brin d’herbe à partager entre quelques
            fourmis, est digne du reste.
            
            
               
               
                  
               
               Joli petit conte, et bonne leçon pour qui peut en profiter ; mais j’imagine que les
            occasions en sont rares.
            
            
               
                
               Madame Harvey était une dame anglaise qui avait beaucoup d’amitié pour La Fontaine, et
            même c’est elle principalement qui l’engageait à passer en Angleterre, après la mort de
            madame de la Sablière et de M. Hervard. C’était une femme de beaucoup d’esprit.
               
                  
               
               Expression bien heureuse que La Fontaine a inventée et rendue célèbre.
               
                  
               
               Rien n’était plus vrai et plus exact. La société royale de Londres fondée sous
            Charles II, jetait les fondemens de la vraie physique établie sur les expériences et sur
            les faits.
               
                  
               
               Voilà qui me paraît étrange ; mais à toute force peut-être les chiens anglais
            sentent-ils mieux le renard que les nôtres. Ils le chassent plus souvent.
               
                  
               
               Nous avons vu dans la fable du chat et du renard :
               
                  N’en ayons qu’un
, mais qu’il soit bon
.
               Il faut qu’un auteur évite ces contradictions formelles.
               
                  V. 52
…. Est-il quelqu’un qui 
nie
               Quoi ! tous les anglais ont de l’esprit ! il n’y a point de sots chez eux ! A quoi La
            Fontaine songeait-il en écrivant cela ?
               
                  
               
               Ce tour est froid. Il faut revenir à son ami sans y penser et sans l’y faire songer
            lui-même.
               
                  
               
               Il veut dire étrangères. Corneille se sert du même mot dans ce sens ;
            mais ni Boileau, ni Racine ne se le sont permis. Toute cette fin me paraît dénuée de
            grâces, et le mot de Charles II à madame Harvey :
               
                  
                  
               
               Ce mot seul vaut mieux que tout ce que dit ici La Fontaine à cette dame et à madame de
            Mazarin.
            
            
               
               
                  
               
               Cela est très-vrai, témoin les quatre vers de cette pièce et ceux qui suivent.
               
                  
                  
                  
                  
               
               Mais, malgré la louange dont La Fontaine se gratifie, nous avons vu qu’il n’était pas
            si heureux dans l’éloge de M. le prince de Conti et de madame Harvey.
               Au reste, toute cette pièce est très-agréable ; mais elle fait peut-être allusion à
            quelque petit secret de société qui la rendait plus piquante : par exemple, au peu de
            goût que mademoiselle de la Mésangère pouvait avoir pour le mariage, ou pour quelque
            prétendant appuyé par sa mère.
               
                  
               
               Deux silences cités comme sublimes, l’un dans l’Odyssée, l’autre dans l’Énéide.
            
            
               
               
                  
               
               C’est un vieux proverbe qui devient ici plaisant, appliqué à la canonisation.
               
                  
               
               Ce vers aurait pu donner l’idée de la petite comédie intitulée le Procureur arbitre,
            dont le héros se conduit de la même manière.
               
                  
               
               Manière bien plaisante d’expliquer pourquoi les malades d’alors étaient insupportables.
            Le ton de satire appartient absolument à La Fontaine.
               
                  
               
               C’est-là un des meilleurs conseils que le sage pût donner ; et je voudrais que La
            Fontaine eût composé un ou deux Apologues pour en faire sentir l’importance.
               Tout le discours du solitaire est parfait, et ceux qui aiment les vers le savent par
            cœur.
               
                  
               
               La Fontaine a senti l’objection prise du tort que l’on ferait à la société, si le goût
            de la retraite devenait trop général. Il nie que cela puisse arriver.
               
                  
                  
               
               Et il revient de nouveau au plaisir de prêcher l’amour de la retraite : et quelle force
            de sens dans ces vers-ci :
               
                  
                  
                  
               
               Et surtout ce vers admirable qui suit :
               
                  
               
               On pourrait finir par un Apologue plus parfait, mais non par de meilleurs vers.
            
         
      
    
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