Livre sixième. 
            
            
               
               
                  
               
               Voici encore un Prologue, mais moins piquant et moins agréable que celui du livre
            précédent ; cependant on y reconnaît toujours La Fontaine, ne fût-ce qu’à ce joli
            vers :
               
                  
               
               Ce vers devrait être la devise de tous ceux qui font des fables et même des contes.
               
                  
               
               Cette fable et la suivante semblent être la même et n’offrir qu’une seule moralité. Il
            y a cependant des différences à observer. Dans la première, c’est un paysan qu’on ne
            peut accuser que d’imprudence, quand il suppose que sa brebis n’a pu être mangée que par
            un loup. Il se croit assez fort pour combattre cet animal, et trouve à décompter quand
            il voit qu’il a affaire à un lion. Il n’en est pas de même de la fable suivante. Celui
            qui en est le héros, sait très-bien qu’il va combattre un lion, et cependant il est
            saisi de frayeur quand il voit le lion paraître. C’est un fanfaron qui l’est, pour ainsi
            dire, de bonne foi, et en se trompant lui-même.
               Il convenait, ce me semble, que La Fontaine exprimât cette différence et donnât deux
            moralités diverses. Le paysan n’est nullement ridicule et le chasseur l’est beaucoup. Je
            crois que la morale du premier Apologue aurait pu être : connaissez bien la
              nature du péril dans lequel vous allez vous engager. Et la morale du second : connaissez-vous vous-même, ne soyez pas votre dupe, et ne vous en rapportez
              pas au faux instinct d’un courage qui n’est qu’un premier mouvement. Au surplus,
            l’exécution de ces deux fables est agréable, sans avoir rien de bien saillant.
            
            
               
               V. 1. Borée et le soleil… Voici une des meilleures fables. L’auteur y
            est poète et grand poète, c’est-à-dire grand peintre, comme sans dessein et en suivant
            le mouvement de son sujet. Les descriptions agréables et brillantes y sont nécessaires
            au récit du fait. Observons tous ce vers imitatif… siffle, souffle,
              tempête, etc. N’oublions pas surtout ce trait qui donne tant à penser :
               
                  
                  
               
               Enfin la moralité de la fable exprimée en un seul vers :
               
                  
               
               Je n’y vois à critiquer que les deux mauvaises rimes de paroles et
              d’épaules.
            
            
               
               
                  
               
               L’idée de rendre sensible par une fable, que la Providence sait ce qu’il nous faut
            mieux que nous, est très-morale et très-philosophique ; mais je ne sais si le fait par
            lequel La Fontaine veut la prouver est vraisemblable. Il paraît certain que le laboureur
            qui disposerait des saisons, aurait un grand avantage sur ceux qui sont obligés de les
            prendre comme elles viennent, et qu’il consentirait volontiers à laisser doubler ses
            baux à cette condition. À cela près, la fable est très-bonne, quoiqu’un goût sévère
            critiquât peut-être comme trop familiers et voisins du bas ces deux vers :
               
                  
                  
                  
               
               Ces mots pleut, vente, pour dire, fait pleuvoir, fait
              venter, ne sont pas français en ce sens.
               Ce sont de ces verbes que les grammairiens appellent impersonnels, parce que personne
            n’agit par eux ; mais La Fontaine a si bien préparé ces deux expressions, par ce mot tranche de roi des airs ; ces mots, pleut, vente,
            semblent en cette occasion si naturels et si nécessaires, qu’il y aurait de la
            pédanterie à les critiquer. L’auteur brave la langue française et a l’air de l’enrichir.
            Ce sont de ces fautes qui ne réussissent qu’aux maîtres.
            
            
               
               
                  
               
               Voici encore une de ces fables qui peuvent passer pour un chef-d’œuvre. La narration et
            la morale se trouvent dans le dialogue des personnages, et l’auteur s’y montre à peine,
            si ce n’est dans cinq ou six vers qui sont de la plus grande simplicité. Le discours du
            souriceau, la peinture qu’il fait du jeune coq, cette petite vanité,
               
                  
               
               Ce beau raisonnement, cette logique de l’enfance, il sympathise avec les
              rats.
               
                  
                  
               
               Tout cela est excellent, et le discours de la mère est parfait : pas un mot de trop
            dans toute la fable, et pas une seule négligence.
            
            
               
               
                  
               
               Cette fable écrite purement et où le fait est bien raconté, a, ce me semble, le défaut
            de n’avoir qu’un but vague, incertain, et qu’on a de la peine à saisir.
               
                  
               
               dit La Fontaine ; mais il y avait bien d’autres choses renfermées dans cet Apologue. La
            sottise des animaux qui décernent la couronne aux talens d’un bateleur, devrait être
            punie par quelque catastrophe, et il ne leur en arrive aucun mal. Les animaux restent
            sans roi. L’assemblée se sépare donc sans rien faire. Le lecteur ne sait où il en est,
            ainsi que les animaux que l’auteur introduit dans cette fable.
            
            
               
               Fable très-bonne dans le genre le plus simple et presque sans ornemens.
            
            
               
               
                  
                  
               
               On ne cesse de s’étonner de trouver un pareil vers dans La Fontaine, lui qui dit
            ailleurs :
               
                  
                  
               
               Lui qui a dit dans une autre fable :
               
                  
                  
               
               On ne lui passerait pas maintenant un vers tel que celui-là, et on ne voit pas pourtant
            qu’on le lui ait reproché sous Louis XIV. Les écrivains de nos jours, qu’on a le plus
            accusés d’audace, n’ont pas poussé la hardiesse aussi loin. On pourrait observer à La
            Fontaine que notre maître n’est pas toujours notre ennemi, qu’il ne l’est pas lorsqu’il
            veut nous faire du bien et qu’il nous en fait ; que Titus, Trajan furent les amis des
            Romains et non pas leurs ennemis ; que l’ennemi de la France était Louis XI, et non pas
            Henri IV.
            
            
               
               
                  
               
               C’est-là un des Apologues de La Fontaine dont la moralité a le plus d’applications, et
            qu’il faut le plus souvent répéter à notre vanité, qui est, comme il dit ailleurs,
               
                  
               
            
            
               
               
                  
               
               C’était l’herbe avec laquelle on traitait la folie. Cette plante a perdu chez nous
            cette propriété.
               
                  
                  
               
               Toujours la vanité.
               V. 31. Furent vains… La coupe de ce vers et ce monosyllabe au
            troisième pied, expriment à merveille l’inutilité de l’effort que fait le lièvre.
               
                  
                  
               
               Trait admirable ; la tortue non contente d’être victorieuse, brave encore le vaincu.
            C’est dans la joie qui suit un avantage remporté, que l’amour-propre s’épanche plus
            librement. La nature est ainsi faite chez les tortues et chez les hommes. Louez une
            jolie pièce de vers, il est bien rare que l’auteur n’ajoute, je n’ai mis qu’une heure,
            un jour, plus ou moins ; et s’il s’abstient de dire cette sottise, c’est qu’il y
            réfléchit, c’est qu’il remporte une victoire sur lui-même, c’est qu’il craint le
            ridicule.
            
            
               
               
                  
               
               Il faut convenir que l’âne n’a pas tout-à fait tort de se plaindre. Le Destin, dans
            cette-fable-ci, a presque autant d’humeur que Jupiter dans la fable des grenouilles, du
            soliveau et de l’hydre. Mais j’ai déjà observé que la morale de la résignation est
            toujours excellente à prêcher aux hommes, bien entendu que le mal est sans remède.
            
            
               
               
                  
                  
               
               Voici une de ces vérités épineuses qui ne veulent être dites qu’avec finesse et avec
            mesure. La Fontaine y en met beaucoup ; et ce dernier vers, malgré son apparente
            simplicité, laisse entrevoir tout ce qu’il ne dit pas. Cela vaut mieux que, notre ennemi, c’est notre maître.
            
            
               
               
                  
               
               Et à la fin,
               
                  
                  
               
               Voilà ce qu’il fallait peut-être développer. Il fallait faire voir que la bienfaisance
            qui peut tourner contre nous-mêmes, ou contre la société, est souvent un mal plutôt
            qu’un bien ; que, pour être louable, elle a besoin d’être éclairée. C’est-là la matière
            d’un bon Prologue. La Fontaine en a fait de charmans sur des sujets moins heureux. Au
            reste, il n’y a rien à dire à l’exécution de cet Apologue. Le tableau du serpent qui se
            redresse, le vers
               
                  
               
               mettent la chose sous les yeux. On pourrait peut-être critiquer, cherche à
              se réunir, pour dire à réunir les trois portions de son corps ; mais La Fontaine
            a cherché la précision.
            
            
               
               
                  
                  
                  
               
               J’ai déjà observé que ces formules, prises dans la société des hommes et transportées
            dans celle des bêtes, ont le double mérite d’être plaisantes et de nous rappeler sans
            cesse que c’est de nous qu’il s’agit dans les fables.
               
                  
               
               Peut-être était-il d’un goût plus sévère de s’arrêter là et de ne pas ajouter les vers
            suivans, qui n’enchérissent en rien sur la pensée. Cependant on a retenu les trois
            derniers vers de cet Apologue, et c’est ce qui justifie La Fontaine.
               
                  
                  
                  
               
            
            
               
               
                  
               
               Voyez combien ce vers de sentiment jette d’intérêt sur le sort de cette pauvre
            allouette.
               
                  
               
               
                  Maligne rime très-mal avec machine. C’est ce qu’on
            appelle une rime provinciale.
               
                  
                  
               
               Le défaut de cet Apologue est de manquer d’une exacte justesse dans la morale qu’il
            veut insinuer. Ce défaut vient de ce qu’il est dans la nature qu’un autour mange une
            allouette, et qu’il n’est pas dans la nature bien ordonnée qu’un homme nuise à son
            semblable. De plus, l’autour aurait bien pu manger l’alouette, quand celle-ci n’aurait
            pas été prise dans le filet.
            
            
               
               Cette fable très-simple n’est susceptible d’aucune remarque intéressante.
            
            
               
               Un chien qui est dans l’eau trouble l’eau, et ne saurait y voir l’ombre de sa proie. Si
            ce chien était sur une planche ou dans un bateau, il fallait le dire.
            
            
               
               
                  
               
               Aucun poète français ne connaissait, avant La Fontaine, cet art plaisant d’employer des
            expressions nobles et prises de la haute poésie, pour exprimer des choses vulgaires ou
            même basses. C’est un des artifices qui jette le plus d’agrément dans le style.
               
                  
               
               Vers charmant qui méritait de devenir proverbe, comme l’est devenu le dernier
            vers :
               
                  
               
               Remarquons la vivacité du dialogue entre le charretier et la voix d’Hercule.
            
            
               
               
                  
               
               Le fond de cette fable est un fait arrivé dans une petite ville d’Italie ; mais le
            charlatan n’avait fait cette promesse qu’à l’égard d’un sot, d’un stupide, et non pas
            d’un âne : cela était moins invraisemblable, mais n’était pas si plaisant. Que fait La
            Fontaine ? Il charge, pour rendre la chose plus comique ; à la place du stupide, il met
            un âne, un âne véritable. Pour cela, il fait parler le charlatan même. Scène entre le
            charlatan, le prince et un plaisant de la cour. De ce fonds, qui était assez médiocre,
            La Fontaine sait tirer des détails plaisans ; et le tout finit par une leçon
            excellente.
            
            
               
               
                  
                  
               
               Bonne satire de l’humanité en général ; puis vient la satire de la société, de l’homme
            civilisé qui n’a fait, par les conventions sociales, que multiplier les sujets de
            discorde. La Fontaine ne sort pas du ton de la plus simple bonhommie, et c’est ce qui
            rend cette fable si piquante. La difficulté de loger la discorde, parce qu’il n’y avait
            point de couvent de filles, est un trait imité de l’Arioste, qui la loge chez les
            moines ; mais La Fontaine qui voulait la loger chez les époux, a su tirer parti de cette
            imagination de l’Arioste.
            
            
               
               
                  
               
               Le seul défaut de cette fable est de n’en être pas une. C’est une pièce de vers
            charmante. Le Prologue est plein de finesse, de naturel et de grâce. Tous ceux qui
            aiment les vers de La Fontaine, le savent presque par cœur.
               Le discours du père à sa fille est à la fois plein de sentiment, de douceur et de
            raison. La réponse de la jeune veuve est un mot qui appartient encore à la passion ou du
            moins le paraît. La description de divers changemens que le temps amène dans la toilette
            de la veuve ; ce vers :
               
                  
               
               Et enfin le dernier trait :
               
                  
               
               On ne sait ce qu’on doit admirer davantage. C’est la perfection d’un poète sévère avec
            la grâce d’un poète négligé.
            
            
               
               
                  
                  
               
               On verra, par un grand nombre de fables du volume suivant, que La Fontaine aurait bien
            fait de prendra pour lui-même le conseil qu’il donne ici. On verra que plusieurs des
            fables qu’il fit dans sa vieillesse, déparent un peu son charmant recueil.
               V. 5. Il s’en va temps…. Tournure un peu gauloise, mais qui n’est pas
            sans grâce, pour dire, il est bien temps.
               V. 15. Heureux ! On sait que l’époux de Psyché, c’est l’Amour.
            
         
      
    
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