Livre premier. 
            
            
               
               Cette fable est une des plus faibles de La Fontaine. Elle n’est très-citée que parce
            qu’elle est la première. La fourmi qui paiera l’intérêt et le principal. Je
              chantais, eh bien ! dansez maintenant. La brièveté la plus concise vaudrait mieux
            que ces prétendus ornemens.
               
                  
                  
               
               Il y a là une équivoque, ou plutôt une vraie faute. La Fontaine veut dire que d’être
            prêteuse est son moindre défaut, pour faire entendre qu’elle ne l’est pas ; et on peut
            croire qu’il dit que de n’être pas prêteuse est son moindre défaut, c’est-à-dire qu’elle
            a de bien plus grands défauts que de ne pas prêter.
            
            
               
               C’est ici qu’on commence à trouver La Fontaine. Le discours du renard n’a que cinq
            vers, et n’en est pas moins un chef-d’œuvre. Monsieur du corbeau, pour
            entrer en matière ; et à la fin, vous êtes le phénix, etc.
               V. 14. Il est plaisant de mettre la morale dans la bouche de celui qui profite de la
            sottise : c’est le renard qui donne la leçon à celui qu’il a dupé, ce qui rend cette
            petite scène, en quelque sorte, théâtrale et comique.
               Il est fâcheux que Monsieur rime avec Flatteur,
            c’est-à-dire ne rime pas ; mais c’était l’usage alors de prononcer l’r
            de monsieur. On tolère même de nos jours cette petite négligence au théâtre, parce
            qu’elle est moins remarquable.
            
            
               
               Cette petite fable est charmante par la vérité de la peinture, pour le dialogue des
            deux grenouilles, et pour l’expression élégante qui s’y trouve.
               Plusieurs gens de goût blâment La Fontaine d’avoir mis la morale, ou à la fin, ou au
            commencement de chaque fable ; chaque fable, disent-ils, contient sa morale dans
            elle-même : sévérité qui nous aurait fait perdre bien des vers charmans.
            
            
               
               V. 5. Relevé. Mauvaise rime qu’on appelle suffisante ; La Fontaine
            pouvait mettre d’un pas dégagé.
               
                  
               
               Est un vers heureux, et d’harmonie imitative, qui s’est trouvé sous la plume de
            l’auteur.
               La Fontaine ne manque pas, du moins autant qu’il le peut, l’occasion de mettre la
            morale de son Apologue dans la bouche d’un de ses acteurs. Cette fable des deux Mulets
            est d’une application bien fréquente.
               
                  
                  N’eût voulu pour beaucoup en être 
soulagé.
               Ce mulet-là fait songer à bien d’honnêtes gens.
            
            
               
               Cette fable du loup et du chien est parfaite d’un bout à l’autre ; il n’y a à critiquer
            que l’avant-dernier vers.
               
                  Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
               
               Un loup n’a que faire d’un trésor.
            
            
               
               Voilà certainement une mauvaise fable que La Fontaine a mise en vers d’après Phèdre.
            L’association de ces quatre personnages est absurde et contre nature. Quel besoin le
            lion a-t-il d’eux pour chasser ? ils sont eux-mêmes le gibier qu’il cherche. Si Phèdre a
            voulu faire voir qu’une association avec plus fort que soi est souvent dangereuse ; il y
            avait une grande quantité d’images ou d’allégories qui auraient rendu cette vérité
            sensible. Voyez la fable du Pot de terre et du Pot de fer.
            
            
               
               La Fontaine pour nous dédommager d’avoir fait une fable aussi mauvaise que l’est la
            précédente, lui fait succéder un apologue excellent, où il développe avec finesse et
            avec force le jeu de l’amour-propre de toutes les espèces d’animaux, c’est-à-dire de
            l’homme, dont l’espèce réunit tous les genres d’amour-propre.
               On ne finirait pas si on voulait noter tous les vers heureux de cette fable.
               
                  
                  
                  
                  
               
               Et les deux derniers vers.
               C’est donc la faute à Jupiter si nous ne nous apercevons pas de nos propres défauts.
            Esope, que Phèdre a gâté en l’imitant, dit, et beaucoup mieux, chaque homme naît avec
            deux besaces, etc. De cette manière, la faute n’est point rejetée spécialement sur le
            fabricateur souverain. La Fontaine aurait mieux fait d’imiter Esope que Phèdre en cette
            occasion.
            
            
               
               Autre Apologue, excellent d’un bout à l’autre.
            
            
               
               V. 27. Fi ! Espèce d’interjection qu’on n’emploie que proverbialement
            et dans le style très-familier.
            
            
               
               Cette fable est connue de tout le monde, même de ceux qui ne connaissent que celle-là.
            Ce qui en fait la beauté, c’est la vérité du dialogue. Plusieurs personnes ne semblent
            voir dans cet Apologue qu’une vérité triviale, que le faible est opprimé par le fort. Ce
            ne serait pas la peine de faire une fable. Ce qui fait la beauté de celle-ci, c’est la
            prétention du loup qui veut avoir raison de son injustice, et qui ne supprime tout
            prétexte et tout raisonnement, que lorsqu’il est réduit à l’absurde par les réponses de
            l’agneau.
               V. 19 et 20. Si je n’étais pas né ne rime pas avec l’an
              passé. Pure négligence.
            
            
               
               Ce n’est point là une fable, quoiqu’en dise La Fontaine ; c’est un compliment en vers
            adressé à M. le duc de la Rochefoucault sur son livre des Maximes. Un homme qui s’enfuit
            dans le désert pour éviter des miroirs : c’est là une idée assez bizarre, et une
            invention assez médiocre de La Fontaine.
               
                  V. 21. On voit bien où je veux 
venir.
               On le voit à travers un nuage ; cela est si vrai, que La Fontaine est obligé
            d’expliquer son idée toute entière, et de dire enfin :
               
                  
                  
               
               Cela rappelle un peu le peintre qui mettait au bas de ses figures, d’un coq, par
            exemple, ceci est un coq.
            
            
               
               La plupart des fables et des contes ont fait le tour du globe. La Fontaine met en
            Europe la scène où il suppose que fut fait le récit de cette aventure, récit que les
            Orientaux mettent dans la bouche du fameux Gengiskan, à l’occasion du Grand Mogol,
            prince qui dépendait en quelque sorte de ses grands vassaux. Au surplus, ce récit ne
            peut pas s’appeler une fable ; c’est une petite histoire allégorique qui conduit à une
            vérité morale. Toute fable suppose une action.
            
            
               
               V. 10. Au lieu de deux, etc. Voilà deux traits de naturel qu’on ne
            trouve guère que dans La Fontaine, et qui charment par leur simplicité.
               V. 12. De nul d’eux. Transposition que de nos jours on trouverait un
            peu forcée, mais qui se pardonnait alors dans le style familier.
               V. 13. Un quart, un quatrième.
               
                  Un quart voleur survient, etc. Voilà les conquérans appelés voleurs, c’est-à-dire par leur nom. Nous sommes bien loin de l’Epître
            dédicatoire, et de ce roi qui comptera ses jours par ses conquêtes.
            
            
               
               Encore de la mauvaise morale : on peut trop louer sa maîtresse, et tout éloge qui n’a
            pas l’air d’échapper à un sentiment vrai, ou d’être une galanterie aimable d’un esprit
            facile, déplaît souvent même à celle qui en est l’objet. On peut trop louer son roi,
              1e quand on le loue et qu’il est blâmable ; 2e
            quand on le loue démesurément pour une bagatelle, etc.
               
                  
               
               Au contraire presque toujours mauvaises.
               Castor et Pollux ne font pas un beau rôle dans cette fable. Quel mal avaient fait ces
            pauvres conviés et ces échansons ? Cela dut faire grand plaisir à ce Simonide, qui était
            fort avare.
               Un jour un athlète qui avait remporté le prix aux courses de mules lui offrit une somme
            d’argent pour chanter sa victoire. Simonide, mécontent de la somme, répondit : Moi,
            faire des vers pour des animaux qui sont des demi-baudets ! Le vainqueur tripla la somme
            offerte. Alors Simonide fit une pièce très-pompeuse qui commence par des vers dont voici
            le sens : « Nobles filles des coursiers qui devancent les aquilons. »
               
               Le même Simonide fut avec Anacréon à la cour d’Hipparque, fils de Pisistrate. Le
            dernier ne voulut que des honneurs, il fallut des présens au premier.
               V. 64. Melpomène. Tout cela signifie qu’un poète peut tirer
            quelqu’avantage de ses travaux.
            
            
               
               
                  
                  
               
               Ce vers de six syllabes, suivi d’un autre de trois, si l’on peut appeler ce dernier un
            vers, ne me semble qu’une négligence et non une beauté. Quand cette hardiesse sera une
            beauté, je ne manquerai pas de l’observer.
               À proprement parler, cette pièce n’est pas exactement une fable, c’est un récit
            allégorique ; mais il est si joli et rend si sensible la vérité morale dont il s’agit,
            qu’il ne faut pas se rendre difficile.
            
            
               
               V. 4 Besogne, (autrefois besongne) n’est pas le mot propre ; mais, à
            cela près, la fable est charmante d’un bout à l’autre. Elle me rappelle le trait d’un
            riche particulier qui avait fait dîner ensemble un antiquaire, qui hors de là ne savait
            rien, et un physicien célèbre dénué de toute espèce d’érudition. Ces deux messieurs ne
            surent que se dire. Sur quoi on observa que le maître de la maison leur avait fait faire
            le repas du renard et de la cigogne.
            
            
               
               Dans ce récit, La Fontaine pouvait se dispenser d’annoncer son dessein. Cela diminue la
            curiosité, d’autant plus qu’il y revient à la fin de la fable, et même d’une manière
            trop longue et peu piquante.
            
            
               
               Ces deux petits faits mis ainsi à côté l’un de l’autre, racontés dans le même nombre de
            vers et dans la même mesure, font un effet très-piquant. Les six derniers vers ne sont
            que l’explication des six premiers, mais le  plaît autant que le texte.
               V. 3. Le beau premier, le fin premier, mots reçus dans l’ancien style
            pour dire simplement le premier. On le disait encore de nos jours dans le style
            familier.
            
            
               
               V. 7. Les témoins déposaient. Cette formule de nos tribunaux est
            plaisante : elle nous transporte au milieu de la société. C’est le charme et le secret
            de La Fontaine ; il nous montre ainsi qu’en parlant des animaux, il ne nous perd pas de
            vue un seul instant.
               V. 31. Plût-à-Dieu, etc. Tous les procès ne sont pas de nature à être
            jugés ainsi ; et quant a la méthode des Turcs, Dieu nous en préserve. La voici : Le
            juge, appelé Cadi, prend une connaissance succincte de l’affaire, fait donner la
            bastonnade à celui qui lui paraît avoir tort, et ce tort se réduit souvent à n’avoir pas
            donné de l’argent au juge comme a fait son adversaire : puis il renvoie les deux
            parties.
            
            
               
               Je ne connais rien de plus parfait que cet Apologue. Il faudrait insister sur chaque
            mot, pour en faire sentir les beautés. L’auteur entre en matière sans prologue, sans
            morale. Chaque mot que dit le chêne fait sentir au roseau sa faiblesse.
               
                  
                  
                  
               
               Et puis tout d’un coup l’amour-propre lui fait prendre le style le plus pompeux et le
            plus poétique.
               
                  
                  
               
               Puis vient le tour de la pitié qui protège, et d’un orgueil mêlé de bonté.
               
                  
                  
               
               Enfin il finit par s’arrêter sur l’idée la plus affligeante pour le roseau, et la plus
            flatteuse pour lui-même.
               
                  
               
               Le roseau, dans sa réponse, rend d’abord justice à la bonté du cœur que le chêne a
            montrée. En effet, il n’a pas été trop impertinent, et il a rendu aimable le sentiment
            de sa supériorité. Enfin le roseau refuse sa protection, sans orgueil, seulement parce
            qu’il n’en a pas besoin.
               
                  
               
               Arrive le dénouement ; La Fontaine décrit l’orage avec la pompe de style que le chêne a
            employée en parlant de lui-même.
               
                  
                  
                  
                  
                  
                  
                  
               
               Remarquez que La Fontaine ne s’amuse pas plus à moraliser à la fin de sa fable qu’au
            commencement. La morale est toute entière dans le récit du fait. Cet Apologue est
            non-seulement le meilleur de ce premier livre, mais il n’y en a peut-être pas de plus
            achevé dans La Fontaine. Si l’on considère qu’il n’y a pas un mot de trop, pas un terme
            impropre, pas une négligence ; que dans l’espace de trente vers, La Fontaine, en ne
            faisant que se livrer au courant de sa narration, a pris tous les tons, celui de la
            poésie la plus gracieuse, la plus élevée : on ne craindra pas d’affirmer qu’à l’époque
            où cette fable parut, il n’y avait rien de ce qu’on a dans notre langue. Quelques autres
            fables, comme celle des animaux malades de la peste, présentent peut-être des leçons
            plus importantes, offrent des vérités qui ont plus d’étendue, mais il n’y en a pas d’une
            exécution plus facile.
            
         
      
    
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