Première partie. Écoles et manifestes
La confusion est générale. Elle a gagné le domaine littéraire après
l’action politique. À en croire les industriels, les économistes, les coloniaux, les
commerçants, les agriculteurs, ils auraient les mêmes motifs de gémir et d’accuser
l’anarchie universelle, destructrice des réserves morales du passé, de ses méthodes et
de ses espoirs. On ne doit donc plus s’étonner de cette confusion des genres, cause
première de notre décadence générale,
Encore ne faudrait-il point nous
abuser sur les mots. Actuellement, il est impossible d’affirmer ce que présage la
confusion dont on se plaint : décadence ou rénovation. Est-ce une société qui meurt,
est-ce une société qui va naître ?… Avons-nous des précurseurs ou bien voyons-nous les
dernières lueurs de l’esprit français ?
La situation géographique de notre patrie, ses ressources intellectuelles, la force de
nos atavismes, le bon sens indéfectible de la race permettent, néanmoins, les espérances
les plus vastes. Il est difficile de prophétiser, il est plus consolant d’espérer.
Constatons seulement, — puisqu’il est indéniable, — le malaise d’aujourd’hui.
L’anarchie littéraire a été préparée par ceux-là mêmes qui sont, depuis, revenus aux
méthodes sévères d’un art classique. Par réaction contre les pastiches, contre la pâle
littérature des auteurs officiels, la jeunesse symboliste brisa les barrières, voulut
aérer le palais des Muses. Quinze ans plus tard, on assiste à ce spectacle curieux,
d’anciens libertaires, — nous parlerons au sens littéraire, — redevenus les gardiens de
la tradition, tandis que le public commence à admettre des innovations désormais
caduques.
Comme toujours, l’Université consacre les réformes, à l’heure même où elles sont
généralement abandonnées. Mais ce n’est point dans les livres quelle inspire, que le
lettré cherchera le tableau de la nouvelle
littérature dont le caractère le
plus apparent est une sorte d’inquiétude, un état de crainte permanente, de regrets, une
tendance à revenir en arrière. Dans le désarroi universel des énergies, on ignore le but
poursuivi, on redoute l’émotion pour rechercher la sensation et, depuis qu’on ne cesse
de nous répéter qu’il faut aller vers la Vie, qu’il faut vivre, la
quantité des œuvres artificielles n’a cessé d’augmenter. La nuance a détrôné la couleur,
l’écriture a détrôné le style, les thèses et les systèmes ont chassé la vie. Aucune
époque ne fut aussi pauvre en romans et en comédie de mœurs. Dans la hâte de tout savoir
et de tout comprendre, on aboutit à l’abâtardissement unanime des genres.
Et si même, — comme on le prétend à tort, — on ne lisait plus en France, il faudrait
avouer que la faute en remonte aux écrivains.
M. René Boylesve déclare (Gil Blas, 23 août 1904) :
« La tendance la plus nette qui m’apparaisse est celle qui aboutit à tout confondre ;
la politique avec le sentiment ; la raison avec la passion ; les pouvoirs entre eux ;
l’oppression avec la liberté, l’art avec la science ; la littérature avec la peinture,
avec la musique, avec la morale, avec la philosophie, avec la sociologie, voire avec
la carrière littéraire !
« Après 1870, Flaubert attribuait notre décadence au même vice, déjà ; il appelait
cette confusion “fausseté” et il en voyait la cause dans un reste de romantisme, à
savoir :
« “La prédominance de l’inspiration sur la règle.” Je
ne veux pas
discourir sur cette opinion qui ne me paraît pas dénuée de bon sens ; je me borne à
constater d’une part : que le plus grand nom et le plus original que l’art du roman
ait produit avec chance de durée, depuis Flaubert, est Maupassant, qui reçut de son
maître la règle et ne s’en cacha point ; et, d’autre part, que jamais plus
qu’aujourd’hui on ne poussa plus loin l’aversion d’une discipline, ni la croyance à
l’inspiration individuelle. C’est que former son talent compte
aujourd’hui pour peu de chose ; c’est un génie qu’il faut être d’emblée, et le préjugé
court qu’un génie est nécessairement un esprit indompté, tumultueux, semblable aux
éléments déchaînés, de préférence un peu fou…
« Ce que je regrette aujourd’hui, c’est qu’aucune voix ne soit assez forte ou assez
autorisée pour rétablir un peu d’ordre dans la confusion générale, remettre la
littérature à sa place, et dans la littérature, apprendre, sans pédanterie et avec le
ton persuasif d’une belle foi d’artiste, à discerner la beauté propre à chaque
genre. »
De cette confusion, la responsabilité se répand de Victor Hugo à M. Jules Lemaître et
aux Parnassiens. Lorsque l’auteur des Contemporains déclare préférer à
Bossuet « cette littérature de la seconde moitié du xixe
siècle, si intelligente, si inquiète, si folle, si morose, si
détraquée, si subtile »
et l’aimer « jusque dans ses
affectations »
, le trop intelligent critique justifie les erreurs qu’il
condamnera bientôt.
Louis Blanc écrivait en février 1839 dans la Revue du Progrès :
« On a essayé de faire frémir à la fois
toutes les cordes de l’âme
humaine, faute de pouvoir en faire résonner assez puissamment une seule »
, et
envisageant l’avenir littéraire, il prévoyait les désastres du
romantisme. Aussi lorsqu’en 1897, à propos de M. F. Gregh, le rapporteur des prix à
l’Académie, M. Gaston Boissier, constate que « plus personne ne se contente de
son métier et ne peut s’empêcher d’empiéter sur celui des autres »
il ne fait
que confirmer la réalisation des craintes soulevées, cinquante ans plus tôt, par
l’auteur de l’Histoire de la Révolution.
Dans une étude de la Revue des Deux Mondes, M. René Doumic (Le Bilan d’une génération, 1902) développa avec des conclusions
identiques une thèse semblable :
« Réputé jadis pour son bon sens un peu court, et pour la lucidité de son esprit
étroit, le Français se découvrit tout à coup une intelligence indéfiniment
compréhensive. Nulle idée ne lui paraissait plus vraie ou fausse mais vraie et fausse
tour à tour ou tout ensemble. Entre le bien et le mal, il n’apercevait plus
d’opposition irréductible. Nulle part aucune distinction tranchée, mais seulement des
nuances imperceptibles se résolvant l’une dans l’autre par une série de dégradations
continues. Nulle assertion qui ne dût être aussitôt corrigée par l’assertion
contraire. Une rhétorique nouvelle enseignait à ménager d’habiles transitions, en
sorte que la fin de chaque phrase en détruisit le commencement. Entraîné d’un pôle à
l’autre et sans cesse emporté dans un mouvement de pendule, l’esprit devenait
incapable de se fixer,
c’est-à-dire de choisir, de conclure et de se
décider. Il fallait tout comprendre, partant tout admettre. Un seul état d’esprit
paraissait intolérable ; c’est ce qu’on appelait entre initiés “l’horrible certitude”.
L’origine de ce mouvement remonte à Renan dont l’influence a si lourdement pesé sur
cette génération pénétrée de son esprit. Il se plaisait alors à donner par les propos
frivoles de sa vieillesse un démenti à une vie consacrée tout entière à la recherche
laborieuse de la vérité. Pour sa part, il continuait de rester fermement attaché aux
principes de la critique rationaliste et d’avoir la même foi inébranlable dans
l’avenir de la science ; aux autres, il recommandait une philosophie de doute
universel, d’indifférence sceptique, d’insouciance. De la philosophie, la contagion
s’étendait à toute la littérature, roman, poésie, théâtre, et aux genres mêmes dont la
définition répugne le plus au dilettantisme, tels que la critique. Il n’était plus
question pour le Critique ni de juger ni de classer, mais de raconter les aventures de
sa sensibilité à travers les livres. Où donc aurait-il pris le droit d’émettre un avis
d’une valeur générale, réduit qu’il était à noter des impressions incertaines,
changeantes, dépendant de mille causes variables, du caprice de son humeur et de l’air
du temps ? Bien peu ont résisté à cet entraînement, au risque de s’entendre reprocher
leur épaisseur d’esprit… »
La négation des vérités platoniciennes ne laissa subsister que le culte de la forme. On
sait à quel fanatisme les Parnassiens le poussèrent, se condamnant ainsi à la perfection
stérile ou la mort.
L’art classique ce fut le tourment de l’Unité, l’art parnassien ce fut l’absorbant
souci du pittoresque
ou de l’éclat, la dernière fusée au ciel romantique, et
par un de ces retours, plus fréquents qu’on ne croit en littérature, l’acheminement à
cette uniformité dans le pittoresque qui n’était que l’exagération de l’unité classique,
brisée par les disciples de Hugo.
Le naturalisme, avec sa passion absorbante du frisson nouveau, échouait bientôt à la
même erreur, se traînait entre les deux pôles du bizarre et du vulgaire, sans parvenir à
nous révéler la vie ; car toutes ces écoles avaient oublié que pour traduire la vie, il
faut la porter en soi d’abord, ensuite, par une connaissance précise de sa langue et de
son métier, la révéler le plus simplement possible. La méthode classique subordonnait
les détails à l’ensemble ; les romantiques, les parnassiens, les symbolistes, les
naturalistes, — comme tous les artistes, — s’hypnotisèrent dans la
contemplation du détail original. « L’harmonie des couleurs est d’un effet plus puissant
que leur opposition brusque, mais c’est un effet plus difficile à obtenir. (Louis
Blanc) » L’affaiblissement général de la culture « humaniste » masqua
longtemps cette vérité générale aux yeux du public français1.
Ce manque de culture générale sera le principal
défaut des jeunes écoles.
Elles aussi prônaient la domination de l’inspiration sur la règle. Cependant, elles
contribuèrent à réintégrer quelques vérités oubliées.
Ce que le symbolisme avait voulu, M. Henri de Régnier l’a dit excellemment (Poètes d’Aujourd’hui, Mercure de France, août 1900).
« Le poète cherchera moins à dire qu’à suggérer. Le lecteur aura moins à comprendre
qu’à deviner. La poésie semble donc résigner son vieux pouvoir oratoire dont elle
s’est servie si longtemps. Elle n’exige plus, elle suggère. Elle ne chante plus, elle
incante. De vocale, si l’on peut dire, elle devient musicale.
« Ce désir d’être plus suggestive que péremptoire est, je crois bien, l’invention
capitale de la poésie d’aujourd’hui. C’est à cela qu’elle doit la plupart de ses
qualités et de ses défauts. Cela explique ce qu’elle a acquis de vague, d’incertain et
de mystérieux2.
« Le Symbole est le couronnement d’une série d’opérations intellectuelles qui
commencent au mot même, passent par l’image et la métamorphose, comprennent l’emblème
et l’allégorie. Il est la plus parfaite, et la plus complète figuration de l’idée.
C’est cette figuration expressive
de l’idée par le Symbole que les Poètes
d’aujourd’hui tentèrent et réussirent plus d’une fois. Ce très haut et très difficile
désir artistique est tout à leur honneur. Par là, ils se rattachent à ce qu’il y a de
plus essentiel en poésie. La visée est ambitieuse peut-être, mais il n’est point
interdit de chercher haut, et même, si parfois la corde de l’arc se rompt, il est des
buts qu’il est déjà méritoire d’avoir envisagé, même en pensée…
« Les Poètes récents ont considéré autrement les Mythes et les Légendes. Ils en
cherchèrent la signification permanente et le sens idéal ; où les uns virent des
contes et des fables, les autres virent des symboles. Un Mythe est sur la grève du
temps, comme une de ces coquilles où l’on entend le bruit de la mer humaine. Un Mythe
est la conque sonore d’une idée… »
Le symbolisme nous a donné, en outre d’une réforme poétique, une intelligence plus
claire du rythme3 et des moyens d’expressions de l’art. Entre la perfection vide du Parnasse et les obscénités des sous-Zola, il a arrêté
la pensée des élites sur un art
souvent agaçant, souvent puéril, parfois
condamnable, mais intéressant presque toujours, à coup sûr nouveau. Le symbolisme a
augmenté la sensibilité esthétique de notre époque et, sans lui, le mouvement de
renaissance latine ne se serait pas produit ou serait resté une simple continuation du
lyrisme parnassien. Pour le rythme, l’expression, les naturistes eux-mêmes lui sont
redevables encore.
Après avoir vaincu, le symbolisme devait connaître la défaite :
« Une nouvelle génération qui vient, rêve à son tour un art à sa convenance et à
l’empreinte de son esprit. Son travail est commencé ; de nouvelles tendances se
manifestent ; des réputations s’esquissent qui grandiront à leur tour. Que sera demain
cette littérature de tout à l’heure ? Il est difficile de le dire. Tout ce qu’on peut
affirmer, c’est qu’une belle activité apparaît parmi les jeunes gens. On fait beaucoup
de vers en France à l’heure actuelle. Le meilleur moyen de savoir ce que veulent les
poètes de demain est encore de savoir ce qu’ils reprochent à la Poésie qui est déjà
pour eux la Poésie d’hier. Or, le reproche général que l’on fait au symbolisme et qui
les résume tous en un mot : c’est d’avoir négligé la Vie. Nous avons rêvé : ils
veulent vivre et dire ce qu’ils ont vécu, directement, simplement, intimement,
lyriquement. Ils ne veulent pas chanter l’homme en ses symboles, ils veulent
l’exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments. C’est le vœu des
meilleurs d’entre les nouveaux venus, des Fernand Gregh, des Charles Guérin ou des
Francis Jammes4… »
M. Saint-Georges de Bouhélier réagissait brusquement et préparait un
manifeste tumultueux. Le Naturisme groupait MM. Maurice Le Blond.
Eugène Montfort, Andriès de Rosas, Michel Abadie, Albert Fleury, Jean Viollis, Joachim
Gasquet, Louis Lumet. Une ère de polémiques brutales, s’ouvrit alors. Le nouveau groupe
publiait les Documents sur le Naturisme (11 nos),
puis la Revue Naturiste (2 séries). Au début, il fut soutenu
partiellement par la revue toulousaine l’Effort
5.
M. Maurice Le Blond (Essai sur le Naturisme), en fut le
théoricien.
« Nos aînés ont préconisé le culte de l’irréel, l’art du songe, la recherche du
frisson nouveau. Ils ont aimé les fleurs vénéneuses, les ténèbres et les fantômes et
ils furent d’incohérents spiritualistes. Pour nous, l’au-delà ne nous émeut pas, nous
croyons en un panthéisme gigantesque et radieux. Ah ! comme ces gens nous semblent
fades et puérils, avec leurs petits sadismes, leurs petites crises d’ascétisme. Et les
âmes-sœurs, les vierges-cygnes qui constituaient dans leur tour d’ivoire toute la
compagnie de nos Jules Bois, sont des amantes peu fécondes… en art surtout. Oui, comme
cet art nous paraît suranné alors que les plus jeunes hommes tendent
à se
passionner pour des Édens charnels, quand la matière divinisée semble reconquérir des
croyants et à l’aube, semble-t-il, d’une renaissance païenne.
« “Dans l’étreinte universelle, nous voulons rajeunir notre individu. Nous revenons
vers la Nature. Nous recherchons l’émotion saine et divine. Nous nous moquons de l’art
pour l’Art et de ces questions si vaines et stériles…”
« Paganisme, Chrétienté, Génie national, auxquels nous devrons ajouter le mouvement
scientifique (qui remontant aux époques immémoriales de Prométhée et de l’inventeur de
la charrue, pour aboutir à Képler et Ampère, modifie tous les jours la nature par ses
nobles découvertes), voilà les quatre grandes traditions que doivent rénover pour une
définitive synthèse, les jeunes et candides esprits, soucieux d’une œuvre humaine,
conforme à la nature6.
« “La mission de l’art est de reconstruire des archétypes ; des paysages il fait des
paradis et il ressuscite le Dieu Mort qui gît en chacun des hommes. Le poète ne crée
rien. Et c’est l’eurythmie de la Nature qui détermine les rythmes de son
harmonie.”
« Il ne faut point qu’un poète fasse retentir dans les dures trompettes
mugissantes, les bruissements doux de l’eau, des printemps, des fleurs. Mais le poète
est lui-même cette pompeuse trompette qu’embouchent, tour à tour, les eaux et les
fleurs.
« “Toute chose est balancée et sonne selon un rythme. Ce n’est pas le poète qui crée
le rythme, mais c’est le rythme essentiel des choses qui scande et dirige le
poète.”
« Si, comme nous l’avons vu, le poète est prédestiné, le poème aussi a ses lois, et
il doit être consubstantiel à l’objet qu’il célèbre : car un hymne est un élément de
la nature. Sa grâce est l’effet de son eurythmie. Il lui est docile comme une fleur et
non moins qu’une étoile, les rocs. — Ah ! qui dira les lois de l’hydraulique,
l’attraction et la répulsion, par quoi se nécessitent tel chant, et cette églogue, et
cette puissante statue ?”… Un hymne comme un autre a ses lois. Le paysage le polarise
et il subit les attractions7.
« Ainsi le poème est nécessaire et supérieur à la nature, puisqu’il s’affranchit des
visions contingentes et triomphe
de la mort. Il devient, à la fois,
emblème, allégorie, symbole et réalité. Il ne se préoccupe que des types généraux. Il
n’est point subjectif, proportionnée à la vision individuelle et étroite d’un seul,
mais impersonnel. La rose chantée par le poète surpasse en grâce toute rose, elle est
la rose véritable et réelle, et les merveilles de toutes les autres s’y cristallisent
et y chantent. La théorie de l’Art-Miroir, préconisée par Émile Zola, se trouve ici
outrepassée. L’art n’est plus, comme l’a promulgué le chef du naturalisme, la Nature
vue à travers un tempérament, c’est la Nature elle-même qui se volatilise, se
transverbe ou s’immobilise, selon que le musicien, le poète ou le peintre l’envisage.
Ce n’est plus l’Art-Miroir qu’il faudrait dire, mais le Poète-Protée, qui revêt, tour
à tour, et selon ce qu’il veut chanter, une forme nouvelle et une apparence
imprévue.
« Cette théorie universelle et frémissante, comme un tressaillement du vieux Pan,
aura, en morale et en sociologie, d’importantes et prochaines conséquences. Mais c’est
surtout dans la tragédie et dans le roman, qu’il faut en attendre d’immédiates
réalisations. Sans futiles artifices, elle présentera une œuvre d’harmonie et de
simplicité. Car dans le moindre frisson où se pâment les blés et les cœurs, le poète
percevra une loi éternelle ; de la réalité il déduira le paradis et sur ce banal fait
divers, que nous apporte le gris papier du jour, il bâtira une éclatante épopée… »
M. Jean Viollis objectait :
« Si M. de Bouhélier voulait strictement s’en tenir à sa théorie,
il rendrait, par le fait même, impossible tout roman et tout théâtre. Elle m’apparaît
cette théorie (la théorie naturiste) bien plutôt comme une lumineuse méthode
d’interpréter la vie quotidienne, de
s’intéresser avec une égale
allégresse aux successives représentations de l’heure et du jour — que comme un moyen
de fixer dans leur détail la multiplicité des réalités vivantes… Où donc
M. de Bouhélier trouverait-il les éléments d’un roman ? Tout au plus, pourra-t-il
trouver des thèmes à méditations ; or, un roman ne fut et ne sera jamais, que je
sache, une suite de méditations présentées en chapitres et groupées selon un certain
plan d’unité dans leur ensemble. »
En réalité c’était une révolte de la sensibilité contre la discipline8. Venant après les excès du symbolisme, le naturisme parut en progrès ; en
vérité, considéré dans le sens de l’évolution logique de la littérature française, il
n’était pas moins dangereux. M. de Bouhélier déclarait :
« Pour moi, si je chante la lumière, le précieux printemps ou les belles campagnes,
je ne le fais jamais que dans l’extase. Car toute chose étant Dieu demande une grande
ferveur.
« Que mes poèmes soient des prières ! que tous mes écrits soient des odes ! Voilà
toute mon aspiration. J’essaye de la réaliser. La forte patience de l’esprit me
soutient. Je sais que seul un juste ouvrage peut posséder l’éternité Je m’applique à
ce dur travail obstinément. »
Ce style singulier et immodeste, ce panthéisme cessèrent rapidement d’être à la mode.
En préface
des Chants de la Vie Ardente M. de Bouhélier
renonce à l’empire. « Je ne demande qu’à être compté comme un franc et probe
ouvrier9… »
Parallèlement au naturisme s’était formé à Toulouse le groupe de l’Effort, par la fusion des Essais de jeunes avec Les Pages d’art. Le premier numéro parut en mars 1896. Il indiquait comme
collaborateurs : G. Bidache, J.-R. de Brousse, Élie Clavel, Cœlio, E. Delbousquet,
Fortuné, A. Demeure de Beaumont, Charles Guérin, Marc Lafargue, André et Maurice Magre,
Raymond Marival, Jacques Nervat, G. Picard, Pierre Pouvillon, Sybaris, Gabriel Tallet,
Verdier, J. Viollis. Plus tard à ces noms s’ajoutèrent R. A. Fleury, Léon Lafage, Jean
Vignaud, G. Frejaville, François Perilhou, F. Pradel, etc…
Ils ne dédaignaient pas les grands mots :
« Nous ne sommes pas une coterie, nous n’organiserons pas des congrès, nous ne nous
estomaquerons pas d’éloges réciproques, nous ne nous offrirons pas de mutuelles
frairies, nous n’avons pas de grand homme de neige à pousser au soleil de la renommée,
nous ne tenterons pas de restaurer sur des tréteaux de baladins les tables saintes de
Cana, dans la secrète espérance d’y voir
surgir entre la poire et le
fromage quelque nouveau messie qui nous ferait participer, sur le vain Thabor de la
gloire humaine, au resplendissement de son éventuelle divinité.
« Non ! nous voulons simplement dire ce qu’il nous paraît beau et nécessaire de dire.
Et s’il nous arrive dans l’exubérance de notre jeune foi de prendre à notre insu des
postures d’apôtres, l’on voudra bien nous pardonner, considérant que nos exagérations
ne servant pas notre propre gloire ne peuvent provenir d’un hypocrite calcul mais
plutôt d’un débordement de nos bonnes volontés. Oh ! nous savons que l’habileté
suprême de Tartuffe est de crier au Tartuffe quand il voit passer un juste ; mais cela
même ne nous décourage pas. Quant au ridicule, il ne peut effleurer que des âmes
incapables de comprendre qu’il n’y a pas puritanisme, mais élémentaire probité à
réagir contre le libertinage quand il se change en dégradation. Bien loin de nous
tenir pour présomptueux, nul doute que les honnêtes gens ne tiennent à encourager
notre tentative d’édification personnelle et sociale.
« Constituons donc une jeunesse intègre et résolue ! Préparons-nous à bien tenir coup
aux chocs qu’un avenir évidemment prochain nous réserve. Première génération adulte
d’esprits formés par un socialisme dégagé des brumes utopiques et pénétré de claire
science, il faut que nous portions témoignage par notre moralité meilleure, notre
intellectualité plus nourrie, notre sensibilité toujours aussi vive mais mieux
disciplinée des bienfaits que peut conférer à l’homme l’adhésion ardente et méthodique
à une théorie rationaliste de l’Univers, de l’individu et de la Société10 » (15 mai 1903).
En 1898, l’Effort avait organisé un referendum sur le sens énergique chez la Jeunesse.
Mais le groupe toulousain comme le groupe naturiste n’était uni que par les liens
factices d’une haine commune envers le Symbolisme. Lorsque le Symbolisme abdiqua
lui-même, l’erreur de ces jeunes hommes apparut et, seuls, ceux d’entre eux que
désignait leur tempérament, continuèrent à écrire.
L’ère des manifestes semblait définitivement close, lorsque dans le Figaro du 12 décembre 1903, en réponse à un article de M. Claveau, M. F. Gregh
prononçait le mot d’humanisme. Ce n’est pas une philosophie,
« c’est avant tout une esthétique et même essentiellement une poétique11 »
. Dans Gil Blas
(19 février 1905) M. Fernand Gregh précise :
— Oui, le nom rajeuni d’humanisme me paraît convenir, précisément, parce que, les
nouveaux poètes veulent réaliser un art humain. Il ne s’agit pas, comprenez-moi bien,
de fonder une école, mais d’exprimer une idée en une formule commode, et qui soit le
moins inadéquate possible. D’ailleurs, qu’on les appelle, si l’on préfère renaissants
classiques, ou même naturistes, ce qui importe, c’est moins un nom, que de réunir des
individus faits pour se comprendre, s’aimer…
Cette école en suscita, par antithèse, une autre. MM. Adolphe Lacuzon, Cubelier de
Beynac et Adolphe
Boschot et quelques amis signaient à la Revue
Bleue (16 janvier 1904) le manifeste de l’Intégralisme.
« Le rôle de la poésie est d’agrandir la conscience humaine au-delà même des vérités
contrôlées : la poésie réalisée est la forme transcendante du savoir. La poésie,
phénomène subjectif, est la volupté de la connaissance. Intégralisme
s’explique ainsi : exprimer la vie en fonction de la vie universelle. »
En réalité ce n’était pas, comme on l’a cru, une poésie scientifique, mais une sorte
d’intégration, et non de synthèse, l’aboutissement de l’harmonie universelle. Enfin de
compte, les théories exprimées par M. A. Lacuzon, en termes moins solennels, se ramènent
aux formules classiques de l’Hermès d’André Chénier12.
Le 15 avril 1903, La Renaissance latine publiait sous le
titre « La Renaissance classique » la préface que M. Louis Bertrand destinait aux Chants séculaires de Joachim Gasquet. Avec plus de fougue que de mesure,
avec plus d’enthousiasme que de sens critique, l’auteur du Sang des
races, glorifiait le culte de la Tradition, de la terre et des morts, l’Âme, la
Race, l’Épée. On s’étonna. Pourtant ce que M. Bertrand venait de crier, dix écrivains
l’avait clamé en vain, au cours de ces dernières années. MM. Xavier de Ricard (Le Fédéralisme, 1875), Auguste Fourès, Péladan, Maurice Barrès, Charles
Maurras, Amouretti, Jean Carrère, avec des talents inégaux sans doute s’étaient fait les
champions de cette thèse. Ce qu’ils vantaient n’était pas à proprement parler une
renaissance classique, mais une renaissance latine, le retour à la discipline, à
l’harmonie, mais aussi le culte de l’inspiration personnelle, du lyrisme conforme aux
aspirations de la race, le dédain des abstractions factices, du subjectisme vulgaire, du
document spécial — en un mot les soucis classiques de l’âme, de
l’idée, de
la race, de l’essentiel humain et de la vérité générale, augmentés d’une préoccupation
de lyrisme facilement romantique13 — et
aussi des conceptions politiques divergentes.
Ce genre un peu spécial de classicisme qui n’est ni celui de Bossuet,
ni celui de Racine, ni celui de Fromentin, a son origine dans l’œuvre du plus grand
poète européen : Frédéric Mistral. C’est de là qu’elle s’est infiltrée jusqu’à nous. Mireille, le Poème du Rhône, Les Îles d’Or ont eu leur retentissement
aussi bien sur M. Charles Maurras que sur M. Joséphin Péladan.
Car il y a deux sens au mot classique, ainsi que l’a marqué Sainte-Beuve :
« Le mot classicus se trouve employé dans Aulu-Gelle et appliqué
aux écrivains ; un écrivain de valeur et de marque, classicus assiduusque
scriptor, un écrivain qui compte, qui a du bien au soleil… Un vrai classique,
comme j’aimerais à l’entendre définir, c’est un auteur qui a enrichi l’esprit humain,
qui en a réellement augmenté le trésor, qui lui a fait faire un pas de plus, qui a
découvert quelque vérité morale non équivoque ou ressaisi quelque passion éternelle…
qui a rendu sa pensée,
ou son observation, sous une forme n’importe
laquelle, mais large et grande, fine et sensée, saine et belle en soi, qui a parlé à
tous dans un style à lui, et qui se trouve celui de tout le monde, dans un style
nouveau sans néologisme, nouveau et antique, aisément contemporain de tous les âges.
Un tel classique a pu être un moment révolutionnaire, il a pu le paraître du moins,
mais il ne l’est pas… il n’a renversé ce qui le gênait que pour rétablir l’équilibre
“au profit de l’ordre et du beau”… »
C’est aussi :
« Les écrivains d’un ordre moyen, justes, sensés, élégants, toujours nets, d’une
passion noble et d’une force légèrement voilée… écrivains modérés et accomplis… Cette
théorie dont Scaliger a donné le premier signal chez les modernes est la théorie
latine à proprement parler et elle a été aussi pendant longtemps la théorie française…
Le chef-d’œuvre que cette théorie aimait à citer c’est Athalie. »
En somme, c’est ici la théorie de l’unité soutenue par Buffon dans le Discours sur le style, et Sainte-Beuve conclut :
« Il n’y a pas de recettes pour faire des classiques : ce point doit être enfin
reconnu évident.
« Croire qu’en imitant certaines qualités de pureté, de sobriété, de correction et
d’élégance, indépendamment du caractère même et de la flamme, on deviendra classique,
c’est croire qu’après Racine père, il y a lieu à des Racine fils, rôle estimable et
triste, ce qui est le pire en poésie. Il y a plus : il n’est pas bon de paraître trop
vite et d’emblée classique à ses contemporains ; on a
grande chance alors
de ne pas rester tel pour la postérité. Fontanes, en son temps, paraissait un
classique pur à ses amis ; voyez quelle pâle couleur cela fait à vingt-cinq ans de
distance. Combien de ces classiques précoces qui ne tiennent pas et qui ne le sont que
pour un temps ! On se retourne un matin, et l’on est tout étonné de ne plus les
retrouver debout derrière soi. Il n’y en a eu, disait gaiement Mme de Sévigné, que pour un déjeuner de soleil. En fait de
classiques, les plus imprévus sont encore les meilleurs et les plus grands :
demandez-le plutôt à ces mâles génies vraiment nés immortels et perpétuellement
florissants. Le moins classique, en apparence, des quatre grands poètes de Louis XIV
était Molière ; on l’applaudissait alors bien plus qu’on ne l’estimait ; on le goûtait
sans savoir son prix. Le moins classique après lui semblait la Fontaine ; et voyez
après deux siècles ce qui, pour tous deux, en est advenu. Bien avant Boileau, même
avant Racine, ne sont-ils pas aujourd’hui unanimement reconnus les plus féconds et les
plus riches pour les traits d’une morale universelle ? »
Néanmoins, malgré les erreurs qu’elle comporte, la théorie de M. Louis Bertrand semble
prévaloir. Sainte-Beuve d’ailleurs l’eût approuvée puisqu’il déclare : « L’important, aujourd’hui, est de maintenir l’idée et le culte (du
classicisme). »
La tâche a été rendue facile par les influences subies.
M. Stéphane Mallarmé, sur lequel on s’est si généralement mépris fut le théoricien d’un
classicisme rigoureux, et ceux qui l’écoutèrent savent quelle clairvoyance saine, quel
sens infiniment averti de la
mesure et des limites de l’art, il possédait.
Un temps, M. Maurice Barrès agit dans le même sens. « Le culte du moi » aboutissant au
culte du souvenir et de la patrie, fut essentiellement classique. L’artifice des phrases
ne doit pas nous induire en erreur. Le barrésisme est un développement de l’unité
intellectuelle et morale du français. Épanouissement de la sensibilité dans les limites
que nous tracent l’exemple du passé, les forces du présent, la logique du devenir humain
et national.
Ce qui fut mauvais et contraire à notre génie propre dans les influences reçues de
l’étranger, une influence étrangère le neutralisa. Frédéric Nietzsche fit contrepoids à
Tolstoï. Avec Zarathoustra, c’était, mêlée aux inquiétudes modernes,
toute la lumière d’Hellas qui venait à nous, ses méthodes, son âme, ses erreurs, sa
volupté précise. Au troupeau stupide, il opposa le conducteur de troupeau ; à
l’adoration naturaliste de l’éphémère, il opposa le culte de l’inactuel ; à
l’observation hésitante et méticuleuse du détail, la vision lyrique, la prescience du
prophète. Il nous apprit surtout à discipliner les forces et les élans de la cité
intérieure. Sa morale fut haute comme son esthétique, elles étaient humaines dans le sens que la Grèce antique donnait à cette épithète, surhumaines
par rapport à nous. Ses disciples eurent l’ivresse de la plastique idéale. À la religion
de la pitié il substitua celle de l’énergie, du désir de dominer « La vertu qui
donne »
.
Par Nietzsche, nous revenions au grand lyrisme du Prométhée, de l’Ecclésiaste, d’Hésiode, aussi quelque peu à la
déclamation et aux subtilités des philosophes Alexandrins. Il réveilla « la pitié
pour les dieux souffrants et voilés »
, source des forces dominatrices de
nous-mêmes et des autres. Zarathoustra a contribué à annihiler chez nous la lourde
hypocrisie sentimentale et germanique. Par là, son influence fut conforme aux
aspirations françaises. Hugues Rebell le découvrit, M. Robert de Bonnières et surtout
l’infatigable Henri Albert assurèrent une victoire nouvelle de la raison.
Cependant Charles Maurras, nourri de Taine et d’Auguste Comte devait aboutir aux mêmes
conclusions. Une affaire judiciaire et politique, après avoir bouleversé le pays, marqua
une division nouvelle des esprits. Le romantisme de Zola se heurta aux partisans de la
vérité française. La préface de M. Louis Bertrand consacre la victoire du goût français
sur les enthousiasmes étrangers14.
Mais, il ne faudrait point croire que cette victoire soit définitive ou complète. La
confusion règne toujours. Les tentatives d’écoles ou de cénacles que nous avons
signalées et qui sont caractéristiques, d’autres qu’il nous plaît d’oublier et qui sont
le fait d’ambitions
passagères ou basses n’ont point réussi à grouper la
jeunesse d’aujourd’hui, encore moins à la diriger. Aux collaborateurs de l’Action Française d’un côté, à M. Marc Sangnier et ses amis du Sillon d’un autre, s’opposent les jeunes rédacteurs de la Petite
République, de l’Aurore, des Pages Libres, en
politique et en littérature. Il n’y a plus de revue qui soit l’organe d’un groupement
d’idées littéraires. Il n’y a que quelques cénacles d’amateurs ou de camarades sans
opinions directrices. Aux anciennes querelles d’écoles, a succédé une fusillade de
partisans isolés. C’est par cet état seul de la littérature actuelle qu’il faut
expliquer le succès qui accueille les femmes de plus en plus nombreuses et qui
écrivent.
Deux courants généraux, trop généraux semblent pourtant avoir entraîné un certain
nombre d’énergies.
L’Art social a vite dégénéré en un poncif social, c’est-à-dire
socialiste, car, jusqu’à présent, les pièces socialistes ont été les seules pièces
sociales. Un insuccès complet fut la récompense de ces tentatives, souvent
intéressantes. Toute œuvre d’art est sociale, par cela seul qu’elle est vivante ; toute
œuvre tendancieuse, si elle l’est entièrement et clairement, est
artificielle. Ces vérités évidentes demeurent encore incomplètement admises.
Le Régionalisme attire davantage les jeunes hommes. À ce jour, il n’y
a pas de théorie précise
du régionalisme ou, du moins, il y en a mille ;
c’est un groupement d’opposition qui convient au caractère français et qui obtiendra
d’importants succès de détail. Nous doutons qu’il réussisse absolument ; pour cela il
devrait avoir un credo ; ce serait la dispersion de ses adeptes.
L’Art social et le Régionalisme ne sont que, par
accident, de la littérature. Nous manquons d’une foi neuve et profonde, d’une tendance
qui entraîne et divise les écrivains. L’art comme la vie a besoin de luttes pour
s’exalter et s’accroître. Une foi confessionnelle, morale, politique ou esthétique est
nécessaire. Sans elle, il n’y a que la sincérité individuelle qui est insuffisante.
Certes, un grand nombre de nos meilleurs écrivains se rallie à la foi française, mais un
nombre important de jeunes gens s’en éloigne. Cependant, le salut semble résider là. Par
une culture raisonnée et profonde des énergies françaises, un écrivain peut se former
entièrement et admirablement. Il serait temps d’abandonner nos petites psychologies, nos
petites formules, nos petites pitiés et nos grands mots, et notre vague humanitarisme.
Il y a une âme française d’aujourd’hui aussi enthousiaste, aussi franche, aussi vive
qu’autrefois ; elle sourit davantage, mais elle ne souffre pas moins ; c’est la
princesse au bois, qui ne dort plus, mais qui s’amuse dans l’attente du Prince Charmant.
L’oisiveté et l’attente sont dangereuses. Qu’il
vienne, le maître de la
pensée et du verbe, la jeune âme française lui obéira et le suivra. On a dit à tort que
nous manquions de critiques, non, nous manquons davantage d’œuvres vivantes. En effet,
par une erreur singulière des écrivains, à l’instant où l’amour semble de plus en plus
vaincu par l’argent, la littérature est à peu près totalement sexuelle. À l’heure où les
modes d’existence tendent à se diversifier, tous les écrivains dédaignent l’observation
des mœurs, dans le roman et au théâtre, pour rabâcher éternellement les mêmes aventures
de romanesque sentimental, de fantaisie vieillotte ou les mêmes évocations de
rétrospective passionnelle. Le mépris des idées, la confusion des intentions nous mènent
plus sûrement à l’uniformité. Depuis que chacun fait ou veut chercher du nouveau, toutes
les œuvres se ressemblent. Le nouveau, c’est dans la culture de notre
tradition que nous le trouverons, si nous sommes dignes de le trouver, mais dans une
culture intelligente, active, féconde.
Il faut savoir regarder, comprendre et sentir pour être un écrivain, mais cela ne
suffit pas. Un observateur qui ne sait pas son métier d’écrivain, un écrivain qui n’a ni
sensibilité, ni rectitude de vision sont des artistes incomplets. Malheureusement ce
sont eux qui dominent…
Et il y a ces graves symptômes.
1º L’ignorance encyclopédique des jeunes écrivains, leur manque de culture
générale.
2º Le goût de la barbarie qui s’affirme. Une partie du public en est venue
à préférer l’ébauche au travail achevé, à aimer les œuvres informes, mal composées, sous
prétexte qu’elles sont plus proches de la vérité.
M. Remy de Gourmont disait autrefois : « L’instinct abolit le génie… »
Nous pourrions ajouter : « la France est un pays de tradition, d’élégance, de méthode…
Elle a préparé la victoire d’un art aux lignes parfaitement délimitées… » Gardons-nous
de l’oublier. Notre industrie et notre commerce sont morts, pour avoir oublié que notre
industrie et notre commerce étaient commerce et industrie de luxe. Ne
visons pas à la quantité. Toutes les productions françaises sont
au-dessus de l’utilité immédiate. N’imitons pas les grossiers bariolages anglo-saxons.
Nous sommes des latins !…
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