I. Salon de 1845
Nous pouvons dire au moins avec autant de justesse qu’un écrivain bien connu
à propos de ses petits livres : ce que nous disons, les journaux n’oseraient l’imprimer.
Nous serons donc bien cruels et bien insolents ? non pas, au contraire, impartiaux. Nous
n’avons pas d’amis, c’est un grand point, et pas d’ennemis. — Depuis M. G. Planche, un
paysan du Danube dont l’éloquence impérative et savante s’est tue au grand regret des
sains esprits, la critique des journaux, tantôt niaise, tantôt furieuse, jamais
indépendante
, a, par ses mensonges et ses camaraderies effrontées, dégoûté
le bourgeois de ces utiles guide-ânes qu’on nomme comptes rendus de Salons1.
Et tout d’abord, à propos de cette impertinente appellation, le bourgeois, nous déclarons que nous ne partageons nullement les préjugés de nos
grands confrères artistiques qui se sont évertués depuis plusieurs
années à jeter l’anathème sur cet être inoffensif qui ne demanderait pas mieux que
d’aimer la bonne peinture, si ces messieurs savaient la lui faire comprendre, et si les
artistes la lui montraient plus souvent.
Ce mot, qui sent l’argot d’atelier d’une lieue, devrait être supprimé du dictionnaire
de la critique.
Il n’y a plus de bourgeois, depuis que le bourgeois — ce qui prouve sa bonne volonté à
devenir artistique, à l’égard des feuilletonistes — se sert lui-même de cette
injure.
En second lieu le bourgeois — puisque bourgeois il y a — est fort respectable ; car il
faut plaire à ceux aux frais de qui l’on veut vivre.
Et enfin, il y a tant de bourgeois parmi les artistes, qu’il vaut mieux, en somme,
supprimer un mot qui ne caractérise aucun vice particulier de caste, puisqu’il peut
s’appliquer également aux uns, qui ne demandent pas mieux que de ne plus le mériter, et
aux
autres, qui ne se sont jamais doutés qu’ils en étaient dignes.
C’est avec le même mépris de toute opposition et de toutes criailleries systématiques,
opposition et criailleries devenues banales et communes2, c’est avec le même esprit d’ordre, le même amour du
bon sens, que nous repoussons loin de cette petite brochure toute discussion, et sur les
jurys en général, et sur le jury de peinture en particulier, et sur la réforme du jury
devenue, dit-on, nécessaire, et sur le mode et la fréquence des
expositions, etc… D’abord il faut un jury, ceci est clair — et quant au retour annuel
des expositions, que nous devons à l’esprit éclairé et libéralement paternel d’un roi à
qui le public et les artistes doivent la jouissance de six musées (la galerie des
Dessins, le supplément de la galerie Française, le musée Espagnol, le musée Standish, le
musée de Versailles, le musée de Marine), un esprit juste verra toujours qu’un grand
artiste n’y peut que gagner, vu sa fécondité naturelle, et qu’un médiocre n’y peut
trouver que le châtiment mérité.
Nous parlerons de tout ce qui attire les yeux de la foule et des artistes ; — la
conscience de notre métier nous y oblige. — Tout ce qui plaît a une raison de plaire, et
mépriser les attroupements de ceux qui s’égarent n’est pas le moyen de les ramener où
ils devraient être.
Notre méthode de discours consistera simplement à diviser
notre travail en tableaux d’histoire et portraits — tableaux de genre et paysages —
sculpture — gravure et dessins, et à ranger les artistes suivant l’ordre et le grade que
leur a assignés l’estime publique.
M. Delacroix est décidément le peintre le plus original des temps anciens
et des temps modernes. Cela est ainsi, qu’y faire ? Aucun des amis de M. Delacroix, et
des plus enthousiastes, n’a osé le dire simplement, crûment, impudemment, comme nous.
Grâce à la justice tardive des heures qui amortissent les rancunes, les étonnements et
les mauvais vouloirs, et emportent lentement chaque obstacle dans la tombe, nous ne
sommes plus au temps où le nom de M. Delacroix était un motif à signe de croix pour
les arriéristes, et un symbole de ralliement pour toutes les
oppositions, intelligentes ou non ; ces beaux temps sont passés.
M. Delacroix restera toujours un peu contesté, juste autant qu’il faut pour ajouter
quelques éclairs à son auréole. Et tant mieux ! Il a le droit d’être toujours jeune,
car il ne nous a pas trompés, lui, il ne nous a
pas menti comme quelques
idoles ingrates que nous avons portées dans nos panthéons. M. Delacroix n’est pas
encore de l’Académie, mais il en fait partie moralement ; dès longtemps il a tout dit,
dit tout ce qu’il faut pour être le premier — c’est convenu ; — il ne lui reste plus —
prodigieux tour de force d’un génie sans cesse en quête du neuf — qu’à progresser dans
la voie du bien — où il a toujours marché.
M. Delacroix a envoyé cette année quatre tableaux :
1° La Madeleine dans le désert
C’est une tête de femme renversée dans un cadre très-étroit. A droite dans le haut,
un petit bout de ciel ou de rocher — quelque chose de bleu ; — les yeux de la
Madeleine sont fermés, la bouche est molle et languissante, les cheveux épars. Nul, à
moins de la voir, ne peut imaginer ce que l’artiste a mis de poésie intime,
mystérieuse et romantique dans cette simple tête. Elle est peinte presque par hachures
comme beaucoup de peintures de M. Delacroix ; les tons, loin d’être éclatants ou
intenses, sont très-doux et très-modérés ; l’aspect est presque gris, mais d’une
harmonie parfaite. Ce tableau nous démontre une vérité soupçonnée depuis longtemps et
plus claire encore dans un autre tableau dont nous parlerons tout à l’heure ; c’est
que M. Delacroix est plus fort que jamais, et dans une voie de progrès sans cesse
renaissante, c’est-à-dire qu’il est plus que jamais harmoniste.
2° Dernières paroles de Marc-Aurèle
Marc-Aurèle lègue son fils aux stoïciens. — Il est à moitié nu et mourant, et
présente le jeune Commode, jeune, rose, mou et voluptueux et qui a l’air de s’ennuyer,
à ses sévères amis groupés autour de lui dans des attitudes désolées.
Tableau splendide, magnifique, sublime, incompris. — Un critique connu a fait au
peintre un grand éloge d’avoir placé Commode, c’est-à-dire l’avenir, dans la lumière ;
les stoïciens, c’est-à-dire le passé, dans l’ombre ; — que d’esprit ! Excepté deux
figures dans la demi-teinte, tous les personnages ont leur portion de lumière. Cela
nous rappelle l’admiration d’un littérateur républicain qui félicitait sincèrement le
grand Rubens d’avoir, dans un de ses tableaux officiels de la galerie Médicis,
débraillé l’une des bottes et le bas de Henri IV, trait de satire indépendante, coup
de griffe libéral contre la débauche royale. Rubens sans-culotte ! ô critique ! ô
critiques !…
Nous sommes ici en plein Delacroix, c’est-à-dire que nous avons devant les yeux l’un
des spécimens les plus complets de ce que peut le génie dans la peinture.
Cette couleur est d’une science incomparable, il n’y a pas une seule faute, — et,
néanmoins, ce ne sont que tours de force — tours de forces invisibles à l’œil
inattentif, car l’harmonie est sourde et profonde ; la couleur, loin de perdre son
originalité cruelle dans
cette science nouvelle et plus complète, est
toujours sanguinaire et terrible. — Cette pondération du vert et du rouge plaît à
notre âme. M. Delacroix a même introduit dans ce tableau, à ce que nous croyons du
moins, quelques tons dont il n’avait pas encore l’usage habituel. — Ils se font bien
valoir les uns les autres. — Le fond est aussi sérieux qu’il le fallait pour un pareil
sujet.
Enfin, disons-le, car personne ne le dit, ce tableau est parfaitement bien dessiné,
parfaitement bien modelé. — Le public se fait-il bien une idée de la difficulté qu’il
y a à modeler avec de la couleur ? La difficulté est double, — modeler avec un seul
ton, c’est modeler avec une estompe, la difficulté est simple ; — modeler avec de la
couleur, c’est dans un travail subit, spontané, compliqué, trouver d’abord la logique
des ombres et de la lumière, ensuite la justesse et l’harmonie du ton ; autrement dit,
c’est, si l’ombre est verte et une lumière rouge, trouver du premier coup une harmonie
de vert et de rouge, l’un obscur, l’autre lumineux, qui rendent l’effet d’un objet
monochrome et tournant.
Ce tableau est parfaitement bien dessiné. Faut-il, à propos de cet énorme paradoxe,
de ce blasphème impudent, répéter, ré-expliquer ce que M. Gautier s’est donné la peine
d’expliquer dans un de ses feuilletons de l’année dernière, à propos de M. Couture —
car M. Th. Gautier, quand les œuvres vont bien à son tempérament et à son éducation
littéraires,
bien ce qu’il sent juste — à savoir qu’il y a deux
genres de dessins, le dessin des coloristes et le dessin des dessinateurs ? Les
procédés sont inverses ; mais on peut bien dessiner avec une couleur effrénée, comme
on peut trouver des masses de couleur harmonieuses, tout en restant dessinateur
exclusif.
Donc, quand nous disons que ce tableau est bien dessiné, nous ne voulons pas faire
entendre qu’il est dessiné comme un Raphaël ; nous voulons dire qu’il est dessiné
d’une manière impromptue et spirituelle ; que ce genre de dessin, qui a quelque
analogie avec celui de tous les grands coloristes, de Rubens par exemple, rend bien,
rend parfaitement le mouvement, la physionomie, le caractère insaisissable et
tremblant de la nature, que le dessin de Raphaël ne rend jamais. — Nous ne
connaissons, à Paris, que deux hommes qui dessinent aussi bien que M. Delacroix, l’un
d’une manière analogue, l’autre dans une méthode contraire. — L’un est M. Daumier, le
caricaturiste ; l’autre, M. Ingres, le grand peintre, l’adorateur rusé de Raphaël.
— Voilà certes qui doit stupéfier les amis et les ennemis, les séides et les
antagonistes ; mais avec une attention lente et studieuse, chacun verra que ces trois
dessins différents ont ceci de commun, qu’ils rendent parfaitement et complètement le
côté de la nature qu’ils veulent rendre, et qu’ils disent juste ce qu’ils veulent
dire. — Daumier dessine peut-être mieux que Delacroix, si l’on veut préférer les
qualités saines, bien portantes, aux facultés étranges et étonnantes
d’un
grand génie malade de génie ; M. Ingres, si amoureux du détail, dessine peut-être
mieux que tous les deux, si l’on préfère les finesses laborieuses à l’harmonie de
l’ensemble, et le caractère du morceau au caractère de la composition, mais ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙
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aimons-les tous les trois.
3° Une sibylle qui montre le rameau d’or
C’est encore d’une belle et originale couleur. — La tête rappelle un peu l’indécision
charmante des dessins sur Hamlet. — Comme modelé et comme pâte, c’est incomparable ;
l’épaule nue vaut un Corrége.
4° Le Sultan du Maroc entouré de sa garde et de ses officiers
Voilà le tableau dont nous voulions parler tout à l’heure quand nous affirmions que
M. Delacroix avait progressé dans la science de l’harmonie. — En effet, déploya-t-on
jamais en aucun temps une plus grande coquetterie musicale ? Véronèse fut-il jamais
plus féerique ? Fit-on jamais chanter sur une toile de plus capricieuses mélodies ? un
plus prodigieux accord de
tons nouveaux, inconnus, délicats, charmants ?
Nous en appelons à la bonne foi de quiconque connaît son vieux Louvre ; — qu’on cite
un tableau de grand coloriste, où la couleur ait autant d’esprit que dans celui de
M. Delacroix. — Nous savons que nous serons compris d’un petit nombre, mais cela nous
suffit. — Ce tableau est si harmonieux, malgré la splendeur des tons, qu’il en est
gris — gris comme la nature — gris comme l’atmosphère de l’été, quand le soleil étend
comme un crépuscule de poussière tremblante sur chaque objet. — Aussi ne l’aperçoit-on
pas du premier coup ; — ses voisins l’assomment. — La composition est excellente ;
— elle a quelque chose d’inattendu parce qu’elle est vraie et naturelle ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙
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P. S. On dit qu’il y a des éloges qui compromettent, et que mieux
vaut un sage ennemi…, etc. Nous ne croyons pas, nous, qu’on puisse compromettre le
génie en l’expliquant.
Cette peinture africaine est plus froide qu’une belle journée d’hiver. — Tout y est
d’une blancheur et d’une clarté désespérantes. L’unité, nulle ; mais une foule de
petites anecdotes intéressantes — un vaste panorama de cabaret ; — en général, ces
sortes de décorations sont divisées en manière de compartiments ou
d’actes, par un arbre, une grande montagne, une caverne, etc. M. Horace Vernet a
suivi la même méthode ; grâce à cette méthode de feuilletoniste, la mémoire du
spectateur retrouve ses jalons, à savoir : un grand chameau, des biches, une tente,
etc… — vraiment c’est une douleur que de voir un homme d’esprit patauger dans
l’horrible. — M. Horace Vernet n’a donc jamais vu les Rubens, les Véronèse, les
Tintoret, les Jouvenet, morbleu !…
Que M. William Haussoullier ne soit point surpris, d’abord, de l’éloge violent que
nous allons faire de son tableau, car ce n’est qu’après l’avoir consciencieusement et
minutieusement analysé que nous en avons pris la résolution ; en second lieu, de
l’accueil brutal et malhonnête que lui fait un public français, et des éclats de rire
qui passent devant lui. Nous avons vu plus d’un critique, important dans la presse,
lui jeter en passant son petit mot pour rire — que l’auteur n’y prenne pas garde. — Il
est beau d’avoir un succès à la Saint-Symphorien.
Il y a deux manières de devenir célèbre : par agrégation de succès annuels, et par
coup de tonnerre. Certes le dernier moyen est le plus original. Que l’auteur songe aux
clameurs qui accueillirent le Dante et Virgile, et qu’il persévère
dans sa propre voie ; bien
des railleries malheureuses tomberont encore
sur cette œuvre, mais elle restera dans la mémoire de quiconque a de l’œil et du
sentiment ; puisse son succès aller toujours croissant, car il doit y avoir
succès.
Après les tableaux merveilleux de M. Delacroix, celui-ci est véritablement le morceau
capital de l’Exposition ; disons mieux, il est, dans un certain sens toutefois, le
tableau unique du Salon de 1845 ; car M. Delacroix est depuis longtemps un génie
illustre, une gloire acceptée et accordée ; il a donné cette année quatre tableaux ;
M. William Haussoullier hier était inconnu, et il n’en a envoyé qu’un.
Nous ne pouvons nous refuser le plaisir d’en donner d’abord une description, tant
cela nous paraît gai et délicieux à faire. — C’est la Fontaine de
Jouvence ; — sur le premier plan trois groupes ; — à gauche, deux jeunes gens,
ou plutôt deux rajeunis, les yeux dans les yeux, causent de fort près, et ont l’air de
faire l’amour allemand. — Au milieu, une femme vue de dos, à moitié nue, bien blanche,
avec des cheveux bruns crespelés, jase aussi en souriant avec son partenaire ; elle a
l’air plus sensuel, et tient encore un miroir où elle vient de se regarder ; — enfin,
dans le coin à droite, un homme vigoureux et élégant — une tête ravissante, le front
un peu bas, les lèvres un peu fortes — pose en souriant son verre sur le gazon,
pendant que sa compagne verse quelque élixir merveilleux dans le verre d’un long et
mince jeune homme debout devant elle.
Derrière eux, sur le second plan, un autre groupe
étendu tout de son long
sur l’herbe : — ils s’embrassent. — Sur le milieu du second, une femme nue et debout,
tord ses cheveux d’où dégouttent les derniers pleurs de l’eau salutaire et
fécondante ; une autre, nue à moitié couchée, semble comme une chrysalide, encore
enveloppée dans la dernière vapeur de sa métamorphose. — Ces deux femmes, d’une forme
délicate, sont vaporeusement, outrageusement blanches ; elles commencent pour ainsi
dire à reparaître. — Celle qui est debout a l’avantage de séparer et de diviser
symétriquement le tableau. Cette statue, presque vivante, est d’un excellent effet, et
sert, par son contraste, les tons violents du premier plan, qui en acquièrent encore
plus de vigueur. La fontaine, que quelques critiques trouveront sans doute un peu
Séraphin, cette fontaine fabuleuse nous plaît ; elle se partage en deux nappes, et se
découpe, se fend en franges vacillantes et minces comme l’air. — Dans un sentier
tortueux qui conduit l’œil jusqu’au fond du tableau, arrivent, courbés et barbus,
d’heureux sexagénaires. — Le fond de droite est occupé par des bosquets où se font des
ballets et des réjouissances.
Le sentiment de ce tableau est exquis ; dans cette composition l’on aime et l’on
boit, — aspect voluptueux — mais l’on boit et l’on aime d’une manière très-sérieuse,
presque mélancolique. Ce ne sont pas des jeunesses fougueuses et remuantes, mais de
secondes jeunesses qui connaissent le prix de la vie et qui en jouissent avec
tranquillité.
Cette peinture a, selon nous, une qualité très-importante, dans un musée
surtout — elle est très-voyante. — Il n’y a pas moyen de ne pas la voir. La couleur
est d’une crudité terrible, impitoyable, téméraire même, si l’auteur était un homme
moins fort ; mais… elle est distinguée, mérite si couru par
MM. de l’école d’Ingres. — Il y a des alliances de tons heureuses ; il se peut que
l’auteur devienne plus tard un franc coloriste. — Autre qualité énorme et qui fait les
hommes, les vrais hommes, cette peinture a la foi — elle a la foi de sa beauté,
— c’est de la peinture absolue, convaincue, qui crie : je veux, je veux être belle, et
belle comme je l’entends, et je sais que je ne manquerai pas de gens à qui plaire.
Le dessin, on le devine, est aussi d’une grande volonté et d’une grande finesse ; les
têtes ont un joli caractère. — Les attitudes sont toutes bien trouvées. — L’élégance
et la distinction sont partout le signe particulier de ce
tableau.
Cette œuvre aura-t-elle un succès prompt ? Nous l’ignorons. — Un public a toujours,
il est vrai, une conscience et une bonne volonté qui le précipitent vers le vrai ;
mais il faut le mettre sur une pente et lui imprimer l’élan, et notre plume est encore
plus ignorée que le talent de M. Haussoullier.
Si l’on pouvait, à différentes époques et à diverses reprises, faire une exhibition
de la même œuvre, nous pourrions garantir la justice du public envers cet artiste.
Du reste, sa peinture est assez osée pour bien porter les affronts, et
elle promet un homme qui sait assumer la responsabilité de ses œuvres ; il n’a donc
qu’à faire un nouveau tableau.
Oserons-nous, après avoir si franchement déployé nos sympathies (mais notre vilain
devoir nous oblige à penser à tout), oserons-nous dire que le nom de Jean Bellin et de
quelques Vénitiens des premiers temps nous a traversé la mémoire, après notre douce
contemplation ? M. Haussoullier serait-il de ces hommes qui en savent trop long sur
leur art ? C’est là un fléau bien dangereux, et qui comprime dans leur naïveté bien
d’excellents mouvements. Qu’il se défie de son érudition, qu’il se défie même de son
goût — mais c’est là un illustre défaut, — et ce tableau contient assez d’originalité
pour promettre un heureux avenir.
Approchons vite — car les Decamps allument la curiosité d’avance — on se promet
toujours d’être surpris — on s’attend à du nouveau — M. Decamps nous a ménagé cette
année une surprise qui dépasse toutes celles qu’il a travaillées si longtemps avec
tant d’amour, voir les Crochets et les Cimbres ; M. Decamps a fait du Raphaël et du
Poussin. — Eh ! mon Dieu ! — oui.
Hâtons-nous de dire, pour corriger ce que cette phrase a d’exagéré, que jamais
imitation ne fut mieux
dissimulée ni plus savante — il est bien permis, il
est louable d’imiter ainsi.
Franchement — malgré tout le plaisir qu’on a à lire dans les œuvres d’un artiste les
diverses transformations de son art et les préoccupations successives de son esprit,
nous regrettons un peu l’ancien Decamps.
Il a, avec un esprit de choix qui lui est particulier, entre tous les sujets
bibliques, mis la main sur celui qui allait le mieux à la nature de son talent ; c’est
l’histoire étrange, baroque, épique, fantastique, mythologique de Samson, l’homme aux
travaux impossibles, qui dérangeait les maisons d’un coup d’épaule — de cet antique
cousin d’Hercule et du baron de Munchhausen. — Le premier de ces dessins —
l’apparition de l’ange dans un grand paysage — a le tort de rappeler des choses que
l’on connaît trop — ce ciel cru, ces quartiers de roches, ces horizons graniteux sont
sus dès longtemps par toute la jeune école — et quoiqu’il soit vrai de dire que c’est
M. Decamps qui les lui a enseignés, nous souffrons devant un Decamps de penser à
M. Guignet.
Plusieurs de ces compositions ont, comme nous l’avons dit, une tournure
très-italienne — et ce mélange de l’esprit des vieilles et grandes écoles avec
l’esprit de M. Decamps, intelligence très-flamande à certains égards, a produit un
résultat des plus curieux. — Par exemple, on trouvera à côté de figures qui affectent,
heureusement du reste, une allure de grands tableaux, une idée de fenêtre ouverte par
où le soleil
vient éclairer le parquet de manière à réjouir le Flamand le
plus étudieur. — Dans le dessin qui représente l’ébranlement du
Temple, dessin composé comme un grand et magnifique tableau, — gestes, attitudes
d’histoire — on reconnaît le génie de Decamps tout pur dans cette ombre volante de
l’homme qui enjambe plusieurs marches, et qui reste éternellement suspendu en l’air.
— Combien d’autres n’auraient pas songé à ce détail, ou du moins l’auraient rendu
d’une autre manière ! mais M. Decamps aime prendre la nature sur le fait, par son côté
fantastique et réel à la fois — dans son aspect le plus subit et le plus
inattendu.
Le plus beau de tous est sans contredit le dernier — le Samson aux grosses épaules,
le Samson invincible est condamné à tourner une meule — sa chevelure, ou plutôt sa
crinière n’est plus — ses yeux sont crevés — le héros est courbé au labeur comme un
animal de trait — la ruse et la trahison ont dompté cette force terrible qui aurait pu
déranger les lois de la nature. — A la bonne heure — voilà du Decamps, du vrai et du
meilleur — nous retrouvons donc enfin cette ironie, ce fantastique, j’allais presque
dire ce comique que nous regrettions tant à l’aspect des premiers. — Samson tire la
machine comme un cheval ; il marche pesamment et voûté avec une naïveté grossière —
une naïveté de lion dépossédé ; la tristesse résignée et presque l’abrutissement du
roi des forêts, à qui l’on ferait traîner une charrette de vidanges ou du mou pour les
chats.
Un surveillant, un geôlier, sans doute, dans une attitude attentive et
faisant silhouette sur un mur, dans l’ombre, au premier plan — le regarde faire.
— Quoi de plus complet que ces deux figures et cette meule ? Quoi de plus
intéressant ? Il n’était même pas besoin de mettre ces curieux derrière les barreaux
d’une ouverture — la chose était déjà belle et assez belle.
M. Decamps a donc fait une magnifique illustration et de grandioses vignettes à ce
poëme étrange de Samson — et cette série de dessins où l’on pourrait peut-être blâmer
quelques murs et quelques objets trop bien faits, et le mélange minutieux et rusé de
la peinture et du crayon — est, à cause même des intentions nouvelles qui y brillent,
une des plus belles surprises que nous ait faites cet artiste prodigieux, qui, sans
doute, nous en prépare d’autres.
M. Robert Fleury reste toujours semblable et égal à lui-même, c’est-à-dire un
très-bon et très-curieux peintre. — Sans avoir précisément un mérite éclatant, et,
pour ainsi dire, un genre de génie involontaire comme les premiers maîtres, il possède
tout ce que donnent la volonté et le bon goût. La volonté fait une grande partie de sa
réputation comme de celle de M. Delaroche. — Il faut que la volonté soit une faculté
bien belle et toujours bien fructueuse, pour qu’elle
suffise à donner un
cachet, un style quelquefois violent à des œuvres méritoires, mais d’un ordre
secondaire, comme celles de M. Robert Fleury. — C’est à cette volonté tenace,
infatigable et toujours en haleine, que les tableaux de cet artiste doivent leur
charme presque sanguinaire. — Le spectateur jouit de l’effort et l’œil boit la sueur.
— C’est là surtout, répétons-le, le caractère principal et glorieux de cette peinture,
qui, en somme, n’est ni du dessin, quoique M. Robert Fleury dessine
très-spirituellement, ni de la couleur, quoiqu’il colore vigoureusement ; cela n’est
ni l’un ni l’autre, parce que cela n’est pas exclusif. — La couleur est chaude, mais
la manière est pénible ; le dessin habile, mais non pas original.
Son Marino Faliero rappelle imprudemment un magnifique tableau qui
fait partie de nos plus chers souvenirs. — Nous voulons parler du Marino
Faliero de M. Delacroix. — La composition était analogue ; mais combien plus de
liberté, de franchise et d’abondance !…
Dans l’Autodafé, nous avons remarqué avec plaisir quelques
souvenirs de Rubens, habilement transformés. — Les deux condamnés qui brûlent, et le
vieillard qui s’avance les mains jointes. — C’est encore là, cette année, le tableau
le plus original de M. Robert Fleury. — La composition en est excellente, toutes les
intentions louables, presque tous les morceaux sont bien réussis. — Et c’est là
surtout que brille cette faculté de volonté cruelle et patiente, dont nous parlions
tout à l’heure. — Une seule chose est choquante, c’est la
femme demi-nue,
vue de face au premier plan ; elle est froide à force d’efforts dramatiques. — De ce
tableau, nous ne saurions trop louer l’exécution de certains morceaux. — Ainsi
certaines parties nues des hommes qui se contorsionnent dans les flammes sont de
petits chefs-d’œuvre. — Mais nous ferons remarquer que ce n’est que par l’emploi
successif et patient de plusieurs moyens secondaires que l’artiste s’efforce d’obtenir
l’effet grand et large du tableau d’histoire.
Son étude de Femme nue est une chose commune et qui a trompé son
talent.
L’Atelier de Rembrandt est un pastiche très-curieux, mais il faut
prendre garde à ce genre d’exercice. On risque parfois d’y perdre ce qu’on a.
Au total, M. Robert Fleury est toujours et sera longtemps un artiste éminent,
distingué, chercheur, à qui il ne manque qu’un millimètre ou qu’un milligramme de
n’importe quoi pour être un beau génie.
a exposé Un Chapitre de l’ordre du Temple. Il est généralement
reconnu que M. Granet est un maladroit plein de sentiment, et l’on se dit devant ses
tableaux : « Quelle simplicité de moyens et pourtant quel effet ! » Qu’y a-t-il donc
là de si contradictoire ? Cela prouve tout simplement que c’est un artiste fort adroit
et qui déploie une science très-apprise dans sa spécialité de
vieilleries
gothiques ou religieuses, un talent très-roué et très-décoratif.
Voilà un beau nom, voilà un noble et vrai artiste à notre sens.
Les critiques et les journalistes se sont donné le mot pour entonner un charitable
De profundis sur le défunt talent de M. Eugène Devéria, et chaque
fois qu’il prend à cette vieille gloire romantique la fantaisie de se montrer au jour,
ils l’ensevelissent dévotement dans la Naissance de Henri IV, et
brûlent quelques cierges en l’honneur de cette ruine. C’est bien, cela prouve que ces
messieurs aiment le beau consciencieusement ; cela fait honneur à leur cœur. Mais d’où
vient que nul ne songe à jeter quelques fleurs sincères et à tresser quelques loyaux
articles en faveur de M. Achille Devéria ? Quelle ingratitude ! Pendant de longues
années, M. Achille Devéria a puisé, pour notre plaisir, dans son inépuisable
fécondité, de ravissantes vignettes, de charmants petits tableaux d’intérieur, de
gracieuses scènes de la vie élégante, comme nul keepsake, malgré les prétentions des
réputations nouvelles, n’en a depuis édité. Il savait colorer la pierre
lithographique ; tous ses dessins étaient pleins de charmes, distingués, et
respiraient je ne sais quelle rêverie amène. Toutes ses femmes coquettes et doucement
sensuelles étaient les idéalisations de celles que l’on avait vues et désirées
le soir dans les concerts, aux Bouffes, à l’Opéra ou dans les grands salons.
Ces lithographies, que les marchands achètent trois sols et qu’ils vendent un franc,
sont les représentants fidèles de cette vie élégante et parfumée de la Restauration,
sur laquelle plane comme un ange protecteur le romantique et blond fantôme de la
duchesse de Berry.
Quelle ingratitude ! Aujourd’hui l’on n’en parle plus, et tous nos ânes routiniers et
antipoétiques se sont amoureusement tournés vers les âneries et les niaiseries
vertueuses de M. Jules David, vers les paradoxes pédants de M. Vidal.
Nous ne dirons pas que M. Achille Devéria a fait un excellent tableau — mais il a
fait un tableau — Sainte Anne instruisant la Vierge, — qui vaut
surtout par des qualités d’élégance et de composition habile, — c’est plutôt, il est
vrai, un coloriage qu’une peinture, et par ces temps de critique
picturale, d’art catholique et de crâne facture, une pareille
œuvre doit nécessairement avoir l’air naïf et dépaysé. — Si les ouvrages d’un homme
célèbre, qui a fait votre joie, vous paraissent aujourd’hui naïfs et dépaysés,
enterrez-le donc au moins avec un certain bruit d’orchestre, égoïstes populaces !
a donné une Sainte Famille, détestable ;
Les Bergers de Virgile, médiocres ;
Des Baigneuses, un peu meilleures que des Duval Lecamus
et des Maurin, et un Portrait d’homme qui est d’une bonne pâte.
Voilà les dernières ruines de l’ancien romantisme — voilà ce que c’est que de venir
dans un temps où il est reçu de croire que l’inspiration suffit et remplace le reste ;
— voilà l’abîme où mène la course désordonnée de Mazeppa. — C’est M. Victor Hugo qui a
perdu M. Boulanger — après en avoir perdu tant d’autres — c’est le poëte qui a fait
tomber le peintre dans la fosse. Et pourtant M. Boulanger peint convenablement (voyez
ses portraits) ; mais où diable a-t-il pris son brevet de peintre d’histoire et
d’artiste inspiré ? est-ce dans les préfaces ou les odes de son illustre ami ?
Il est à regretter que M. Boissard, qui possède les qualités d’un bon peintre, n’ait
pas pu faire voir cette année un tableau allégorique représentant la Musique, la
Peinture et la Poésie. Le jury, trop fatigué sans doute ce jour-là de sa rude tâche,
n’a pas jugé convenable de l’admettre. M. Boissard a toujours surnagé au-dessus des
eaux troubles de la mauvaise époque dont nous parlions à propos de M. Boulanger, et
s’est sauvé du danger, grâce aux qualités sérieuses et pour ainsi dire naïves de sa
peinture. — Son Christ en croix est d’une pâte solide et d’une bonne
couleur.
Hélas ! que faire de ces gros tableaux italiens ? — nous sommes en 1845 — nous
craignons fort que Schnetz en fasse encore de semblables en 1855.
Le kalife de Constantine suivi de son escorte
Ce tableau séduit tout d’abord par sa composition. — Cette défilade de chevaux et ces
grands cavaliers ont quelque chose qui rappelle l’audace naïve des grands maîtres.
— Mais pour qui a suivi avec soin les études de M. Chasseriau, il est évident que bien
des révolutions s’agitent encore dans ce jeune esprit, et que la lutte n’est pas
finie.
La position qu’il veut se créer entre Ingres, dont il est élève, et Delacroix qu’il
cherche à détrousser, a quelque chose d’équivoque pour tout le monde et d’embarrassant
pour lui-même. Que M. Chasseriau trouve son bien dans Delacroix,
c’est tout simple ; mais que, malgré tout son talent et l’expérience précoce qu’il a
acquise, il le laisse si bien voir, là est le mal. Ainsi, il y a dans ce tableau des
contradictions. — En certains endroits c’est déjà de la couleur, en
d’autres ce n’est encore que coloriage — et néanmoins l’aspect en est agréable, et la
composition, nous nous plaisons à le répéter, excellente.
Déjà, dans les illustrations d’Othello, tout le monde avait remarqué la
préoccupation d’imiter Delacroix. — Mais, avec des goûts aussi distingués et un esprit
aussi actif que celui de M. Chasseriau, il y a tout lieu d’espérer qu’il deviendra un
peintre, et un peintre éminent.
Bataille d’Hastings
Encore un pseudo-Delacroix ; — mais que de talent ! quelle énergie ! C’est une vraie
bataille. — Nous voyons dans cette œuvre toutes sortes d’excellentes choses ; — une
belle couleur, la recherche sincère de la vérité, et la facilité hardie de composition
qui fait les peintres d’histoire.
Voilà un tableau qui a eu du guignon ; — il a été suffisamment blagué par les savants du feuilleton, et nous croyons qu’il est temps de
redresser les torts. — Aussi quelle singulière idée que de montrer à ces messieurs la religion, la philosophie, les sciences et les arts éclairant
l’Europe, et de représenter chaque peuple de l’Europe par une
figure qui occupe dans le tableau sa place géographique ! Comment faire goûter
à ces articliers quelque chose d’audacieux, et leur faire comprendre que l’allégorie
est un des plus beaux genres de l’art ?
Cette énorme composition est d’une bonne couleur, par morceaux, du
moins ; nous y trouvons même la recherche de tons nouveaux ; de quelques-unes de ces
belles femmes qui figurent les diverses nations, les attitudes sont élégantes et
originales.
Il est malheureux que l’idée baroque d’assigner à chaque peuple sa place géographique
ait nui à l’ensemble de la composition, au charme des groupes, et ait éparpillé les
figures comme un tableau de Claude Lorrain, dont les bonshommes s’en vont à la
débandade.
M. Victor Robert est-il un artiste consommé ou un génie étourdi ? Il y a du pour et
du contre, des bévues de jeune homme et de savantes intentions. — En somme, c’est là
un des tableaux les plus curieux et les plus dignes d’attention du Salon de 1845.
a exposé le Christ descendu de la croix. Bonne couleur, dessin
suffisant. — M. Brune a été jadis plus original. — Qui ne se rappelle l’Apocalypse et l’Envie ? — Du reste il a toujours eu à son service un talent
de facture ferme et solide, en même temps que très-facile, qui lui donne dans l’école
moderne une place honorable et presque égale à celle de Guerchin et des Carrache, dans
les commencements de la décadence italienne.
M. Glaize a un talent — c’est celui de bien peindre les femmes. — C’est la Madeleine
et les femmes qui l’entourent qui sauvent son tableau de la Conversion de
Madeleine — et c’est la molle et vraiment féminine tournure de Galathée qui
donne à son tableau de Galathée et Acis un charme un peu original.
— Tableaux qui visent à la couleur, et malheureusement n’arrivent qu’au coloriage de
cafés, ou tout au plus d’opéra, et dont l’un a été imprudemment placé auprès du Marc-Aurèle de Delacroix.
Nous avons vu de M. Lépaulle une femme tenant un vase de fleurs dans ses bras ;
— c’est très-joli, c’est très-bien peint, et même — qualité plus grave — c’est naïf.
— Cet homme réussit toujours ses tableaux quand il ne s’agit que de bien peindre et
qu’il a un joli modèle ; — c’est dire qu’il manque de goût et d’esprit. — Par exemple,
dans le Martyre de saint Sébastien, que fait cette grosse figure de
vieille avec son urne, qui occupe le bas du tableau et lui donne un faux air d’ex-voto
de village ? Et pourtant c’est une peinture dont le faire a tout
l’aplomb des grands maîtres. — Le torse de saint Sébastien, parfaitement bien peint,
gagnera encore à vieillir.
Martyre de sainte Catherine d’Alexandrie
M. Mouchy doit aimer Ribera et tous les vaillants factureurs ; n’est-ce pas faire de
lui un grand éloge ? Du reste son tableau est bien composé. — Nous avons souvenance
d’avoir vu dans une église de Paris — Saint-Gervais ou Saint-Eustache — une
composition signée Mouchy, qui représente des moines. — L’aspect en
est très-brun, trop peut-être, et d’une couleur moins variée que le tableau de cette
année, mais elle a les mêmes qualités sérieuses de peinture.
L’Assomption de la Vierge a des qualités analogues — bonne peinture
— mais la couleur, quoique vraie couleur, est un peu commune. — Il nous semble que
nous connaissons un tableau du Poussin, situé dans la même galerie, non loin de la
même place, et à peu près de la même dimension, avec lequel celui-ci a quelque
ressemblance.
Les derniers instants de Néron
Eh quoi ! c’est là un tableau de M. Bigand ! Nous l’avons bien longtemps cherché.
— M. Bigand le coloriste
a fait un tableau tout brun — qui a l’air d’un
conciliabule de gros sauvages.
est un des rares élèves de Delacroix qui brillent par quelques-unes des qualités du
maître.
Rien n’est doux, dans la vilaine besogne d’un compte-rendu, comme de rencontrer un
vraiment bon tableau, un tableau original, illustré déjà par quelques huées et
quelques moqueries.
Et, en effet, ce tableau a été bafoué ; — nous concevons la haine des architectes,
des maçons, des sculpteurs et des mouleurs, contre tout ce qui ressemble à de la
peinture ; mais comment se fait-il que des artistes ne voient pas tout ce qu’il y a
dans ce tableau, et d’originalité dans la composition, et de simplicité même dans la
couleur ?
Il y a là je ne sais quel aspect de peinture espagnole et galante, qui nous a séduit
tout d’abord. M. Planet a fait ce que font tous les coloristes de premier ordre, à
savoir, de la couleur avec un petit nombre de tons — du rouge, du blanc, du brun, et
c’est délicat et caressant pour les yeux. La sainte Thérèse, telle que le peintre l’a
représentée, s’affaissant, tombant, palpitant, à l’attente du dard dont l’amour divin
va la percer, est une des plus heureuses trouvailles de la peinture moderne. — Les
mains sont charmantes. — L’attitude, naturelle pourtant, est aussi poétique que
possible. —
Ce tableau respire une volupté excessive, et montre dans
l’auteur un homme capable de très-bien comprendre un sujet — car sainte
Thérèse était brûlante d’un si grand amour de Dieu, que la violence de ce feu lui
faisait jeter des cris… Et cette douleur n’était pas corporelle, mais spirituelle,
quoique le corps ne laissât pas d’y avoir beaucoup de part.
Parlerons-nous du petit Cupidon mystique suspendu en l’air, et qui va la percer de
son javelot ? — Non. — À quoi bon ? M. Planet a évidemment assez de talent pour faire
une autre fois un tableau complet.
Jésus-Christ entouré des principaux fondateurs du christianisme
Peinture sérieuse, mais pédante — ressemble à un Lehmann très-solide.
Sa Sapho faisant le saut de Leucade est une jolie composition.
Il avait volé le cœur du public sentimental avec le tableau du Soir. — Tant qu’il ne s’agissait que de peindre des femmes solfiant de la
musique romantique dans un bateau, ça allait ; — de même qu’un pauvre opéra triomphe
de sa musique à l’aide des objets décolletés
ou plutôt déculottés et
agréables à voir ; — mais cette année, M. Gleyre, voulant peindre des apôtres, — des
apôtres, M. Gleyre ! — n’a pas pu triompher de sa propre peinture.
est évidemment un artiste érudit ; il vise à imiter les anciens maîtres et leurs
sérieuses allures — ses tableaux de chaque année se valent — c’est toujours le même
mérite, froid, consciencieux et tenace.
L’évanouissement de la Vierge
Voilà un tableau évidemment choquant par la couleur — c’est d’une couleur dure,
malheureuse et amère — mais ce tableau plaît, à mesure qu’on s’y attache, par des
qualités d’un autre genre. — Il a d’abord un mérite singulier — c’est de ne rappeler,
en aucune manière, les motifs convenus de la peinture actuelle, et les poncifs qui
traînent dans tous les jeunes ateliers ; — au contraire, il ressemble au Passé ; trop peut-être. — M. Auguste Hesse connaît évidemment tous les grands
morceaux de la peinture italienne, et a vu une quantité innombrable de dessins et de
gravures. — La composition est du reste belle et habile, et a quelques-unes des
qualités traditionnelles des
grandes écoles — la dignité, la pompe, et une
harmonie ondoyante de lignes.
M. Joseph Fay n’a envoyé que des dessins, comme M. Decamps — c’est pour cela que nous
le classons dans les peintres d’histoire ; il ne s’agit pas ici de la matière avec
laquelle on fait, mais de la manière dont on fait.
M. Joseph Fay a envoyé six dessins représentant la vie des anciens Germains ; — ce
sont les cartons d’une frise exécutée à fresque à la grande salle des réunions du
conseil municipal de l’hôtel de ville d’Ebersfeld, en Prusse.
Et, en effet, cela nous paraissait bien un peu allemand, et, les regardant
curieusement, et avec le plaisir qu’on a à voir toute œuvre de bonne foi, nous
songions à toutes ces célébrités modernes d’outre-Rhin qu’éditent les marchands du
boulevard des Italiens.
Ces dessins, dont les uns représentent la grande lutte entre Arminius et l’invasion
romaine, d’autres, les jeux sérieux et toujours militaires de la Paix, ont un noble
air de famille avec les bonnes compostions de Pierre de Cornélius. — Le dessin est
curieux, savant, et visant un peu au néo-Michel-Angelisme. — Tous les mouvements sont
heureusement trouvés — et accusent un esprit sincèrement amateur de la forme, si ce
n’est amoureux. — Ces dessins nous ont attiré parce qu’ils
sont beaux,
nous plaisent parce qu’ils sont beaux ; — mais au total, devant un si beau déploiement
des forces de l’esprit, nous regrettons toujours, et nous réclamons à grands cris
l’originalité. Nous voudrions voir déployer ce même talent au profit d’idées plus
modernes, — disons mieux, au profit d’une nouvelle manière de voir et d’entendre les
arts — nous ne voulons pas parler ici du choix des sujets ; en ceci les artistes ne
sont pas toujours libres, — mais de la manière de les comprendre et de les
dessiner.
En deux mots — à quoi bon tant d’érudition, quand on a du talent ?
Le Massacre des Innocents, de M. Jollivet, dénote un esprit sérieux
et appliqué. — Son tableau est, il est vrai, d’un aspect froid et laiteux. — Le dessin
n’est pas très-original ; mais ses femmes sont d’une belle forme, grasse, résistante
et solide.
Jésus chez Marthe et Marie
Tableau sérieux plein d’inexpériences pratiques. — Voilà ce que c’est que de trop s’y
connaître, — de trop penser et de ne pas assez peindre.
a donné trois sujets antiques, où l’on devine un esprit sincèrement épris de la
forme, et qui repousse les tentations de la couleur pour ne pas obscurcir les
intentions de sa pensée et de son dessin.
De ces trois tableaux c’est le plus grand qui nous plaît le plus, à cause de la
beauté intelligente des lignes, de leur harmonie sérieuse, et surtout à cause du
parti-pris de la manière, parti-pris qu’on ne retrouve pas dans Daphnis
et Naïs.
Que M. Matout songe à M. Haussoullier, et qu’il voie tout ce que l’on gagne ici-bas,
en art, en littérature, en politique, à être radical et absolu, et à ne jamais faire
de concessions.
Bref, il nous semble que M. Matout connaît trop bien son affaire, et qu’il a trop ça
dans la main — Indè une impression moins forte.
D’une œuvre laborieusement faite il reste toujours quelque chose.
Nous n’avons pu trouver qu’une seule figure de M. Janmot, c’est une femme assise avec
des fleurs sur les genoux. — Cette simple figure, sérieuse et mélancolique, et dont le
dessin fin et la couleur un peu crue rappellent les anciens maîtres allemands, ce
gracieux Albert Durer, nous avait donné une excessive curiosité de trouver
le reste. Mais nous n’avons pu y réussir. C’est certainement là une belle peinture.
— Outre que le modèle est très-beau et très-bien choisi, et très-bien ajusté, il y a,
dans la couleur même et l’alliance de ces tons verts, roses et rouges, un peu
douloureux à l’œil, une certaine mysticité qui s’accorde avec le reste. — Il y a
harmonie naturelle entre cette couleur et ce dessin.
Il nous suffit, pour compléter l’idée qu’on doit se faire du talent de M. Janmot, de
lire dans le livret le sujet d’un autre tableau :
Assomption de la Vierge — partie supérieure : — la sainte Vierge
est entourée d’anges dont les deux principaux représentent la Chasteté et l’Harmonie. Partie inférieure : Réhabilitation de la femme ; un ange brise ses chaînes.
Ô sculpteur, qui fîtes quelquefois de bonnes statues, vous ignorez donc qu’il y a une
grande différence entre dessiner sur une toile et modeler avec de la terre, — et que
la couleur est une science mélodieuse dont la triture du marbre n’enseigne pas les
secrets ? — Nous comprendrions plutôt qu’un musicien voulût singer Delacroix, — mais
un sculpteur, jamais ! — Ô grand tailleur de pierre ! pourquoi
voulez-vous jouer du violon ?
Un très-beau portrait de femme, dans le Salon carré.
M. Léon Coignet est un artiste d’un rang très-élevé dans les régions moyennes du goût
et de l’esprit. — S’il ne se hausse pas jusqu’au génie, il a un de ces talents
complets dans leur modération qui défient la critique. M. Cogniet ignore les caprices
hardis de la fantaisie et le parti pris des absolutistes. Fondre, mêler, réunir tout
en choisissant, a toujours été son rôle et son but ; il l’a parfaitement bien atteint.
Tout dans cet excellent portrait, les chairs, les ajustements, le fond, est traité
avec le même bonheur.
M. Dubufe est depuis plusieurs années la victime
de tous les
feuilletonistes artistiques. Si M. Dubufe est bien loin de sir
Thomas Lawrence, au moins n’est-ce pas sans une certaine justice qu’il a hérité de sa
gracieuse popularité. — Nous trouvons, quant à nous, que le Bourgeois a bien raison de chérir l’homme qui lui a créé de si jolies femmes,
presque toujours bien ajustées.
M. Dubufe a un fils qui n’a pas voulu marcher sur les traces de son père, et qui
s’est fourvoyé dans la peinture sérieuse.
Beau coloris, — dessin ferme et élégant. — Cette femme a l’intelligence des maîtres ;
— elle a du Van Dyck ; — elle peint comme un homme. — Tous ceux qui se connaissent en
peinture se rappellent le modelé de deux bras nus dans un portrait exposé au dernier
Salon. La peinture de mademoiselle Eugénie Gautier n’a aucun rapport avec la peinture
de femme, qui, en général, nous fait songer aux préceptes du bonhomme Chrysalde.
M. Belloc a envoyé plusieurs portraits. — Celui de M. Michelet nous a frappé par son
excellente couleur. — M. Belloc, qui n’est pas assez connu, est un des hommes
d’aujourd’hui les plus savants dans leur art.
— Il a fait des élèves
remarquables, — mademoiselle Eugénie Gautier, par exemple, à ce que nous croyons.
— L’an passé, nous avons vu de lui, aux galeries du boulevard Bonne-Nouvelle, une tête
d’enfant qui nous a rappelé les meilleurs morceaux de Lawrence.
est vraiment coloriste, mais n’est peut-être que cela ; — c’est pourquoi son portrait
de femme, qui est d’une couleur distinguée et dans une gamme de ton très-grise, est
supérieur à son tableau de religion.
est avec M. Planet un des hommes qui font honneur à M. Delacroix. — Le portrait du
docteur H. de Saint-A… est d’une franche couleur et d’une franche facture.
Nous avons rencontré un pauvre petit portrait de demoiselle avec un petit chien, qui
se cache si bien qu’il est fort difficile à trouver ; mais il est d’une grâce exquise.
— C’est une peinture d’une grande innocence, — apparente, du moins, mais très-bien
composée, — et d’un très-joli aspect ; — un peu anglais.
Encore un nouveau nom, pour nous, du moins. M. Haffner a, dans la petite galerie, à
une très-mauvaise place, un portrait de femme du plus bel effet. Il est difficile à
trouver, et vraiment c’est dommage. Ce portrait dénote un coloriste de première force.
Ce n’est point de la couleur éclatante, pompeuse ni commune, mais excessivement
distinguée, et d’une harmonie remarquable. La chose est exécutée dans une gamme de ton
très-grise. L’effet est très-savamment combiné, doux et frappant à la fois. La tête,
romantique et doucement pâle, se détache sur un fond gris, encore plus pâle autour
d’elle, et qui, se rembrunissant vers les coins, a l’air de lui servir d’auréole.
— M. Haffner a, de plus, fait un paysage d’une couleur très-hardie — un chariot avec
un homme et des chevaux, faisant presque silhouette sur la clarté équivoque d’un
crépuscule. — Encore un chercheur consciencieux… que c’est rare !…
a envoyé neuf portraits, dont six de femmes. — Les têtes de M. Pérignon sont dures et
lisses comme des objets inanimés. — Un vrai musée de Curtius.
M. Horace Vernet, comme portraitiste, est inférieur à M. Horace Vernet, peintre
héroïque. Sa couleur surpasse en crudité la couleur de M. Court.
M. Flandrin n’a-t-il pas fait autrefois un gracieux portrait de femme appuyée sur le
devant d’une loge avec un bouquet de violettes au sein ? Mais il a échoué dans le
portrait de M. Chaix-d’Est-Ange. Ce n’est qu’un semblant de peinture sérieuse ; ce
n’est pas là le caractère si connu de cette figure fine, mordante, ironique. — C’est
lourd et terne.
Nous venons de trouver, ce qui nous a fait le plus vif plaisir, un portrait de femme
de M. Flandrin, une simple tête qui nous a rappelé ses bons ouvrages. L’aspect en est
un peu trop doux et a le tort de ne pas appeler les yeux comme le portrait de la
princesse Belg…, de M. Lehmann. Comme ce morceau est petit, M. Flandrin l’a
parfaitement réussi. Le modelé en est beau, et cette peinture a le mérite, rare chez
ces messieurs, de paraître faite tout d’une haleine et du premier coup.
a peint une jeune dame vêtue d’une robe noire et
verte, — coiffée avec
une afféterie de keepsake. — Elle a un certain air de famille avec les saintes de
Zurbaran, et se promène gravement derrière un grand mur d’un assez bon effet. C’est
bon — il y a là dedans du courage, de l’esprit, de la jeunesse.
a fait un portrait de mademoiselle Garrique, dans le Barbier de
Séville. Cela est d’une meilleure facture que le portrait précédent, mais
manque de délicatesse.
Nous n’osons pas supposer, pour l’honneur de M. Henri Scheffer, que le portrait de Sa
Majesté ait été fait d’après nature. — Il y a dans l’histoire contemporaine peu de
têtes aussi accentuées que celle de Louis-Philippe. — La fatigue et le travail y ont
imprimé de belles rides, que l’artiste ne connaît pas. — Nous regrettons qu’il n’y ait
pas en France un seul portrait du Roi. — Un seul homme est digne de cette œuvre :
c’est M. Ingres.
Tous les portraits de Henri Scheffer sont faits avec la même probité, minutieuse et
aveugle ; la même conscience, patiente et monotone.
En passant devant le portrait de mademoiselle Brohan, nous avons regretté de ne pas
voir au Salon un autre portrait, — qui aurait donné au public une idée plus juste de
cette charmante actrice, — par M. Ravergie, à qui le portrait de madame Guyon avait
fait une place importante parmi les portraitistes.
M. Diaz fait d’habitude de petits tableaux dont la couleur magique surpasse les
fantaisies du kaléidoscope. — Cette année, il a envoyé de petits portraits en pied. Un
portrait est fait, non-seulement de couleur, mais de lignes et de modelé. — C’est l’erreur d’un peintre de genre qui prendra sa revanche.
a donné les Oies du frère Philippe, un conte de la Fontaine.
C’est un prétexte à jolies femmes, à ombrages, et à tons variés quand même.
C’est d’un aspect fort attirant, mais c’est le rococo du romantisme. — Il y a là
dedans du Couture, un peu du faire de Célestin Nanteuil, beaucoup de tons de Roqueplan
et de C. Boulanger. — Réfléchir devant ce tableau combien une peinture excessivement
savante et brillante de couleur peut rester froide quand elle manque d’un tempérament
particulier.
Un intérieur d’alchimiste
Il y a toujours là-dedans des crocodiles, des oiseaux
empaillés, de gros
livres de maroquin, du feu dans des fourneaux, et un vieux en robe de chambre,
— c’est-à-dire une grande quantité de tons divers. C’est ce qui explique la
prédilection de certains coloristes pour un sujet si commun.
M. Isabey est un vrai coloriste — toujours brillant, — souvent délicat. Ç’a été un
des hommes les plus justement heureux du mouvement rénovateur.
Salomon de Caus à Bicêtre
Nous sommes à un théâtre du boulevard qui s’est mis en frais de littérature ; on
vient de lever le rideau, tous les acteurs regardent le public.
Un seigneur, avec Marion Delorme onduleusement appuyée à son bras, n’écoute pas la complainte du Salomon qui gesticule comme un forcené dans le
fond.
La mise en scène est bonne ; tous les fous sont pittoresques, aimables, et savent
parfaitement leur rôle.
Nous ne comprenons pas l’effroi de Marion Delorme à l’aspect de ces aimables
fous.
Ce tableau a un aspect uniforme de café au lait. La couleur en est roussâtre comme un
vilain temps plein de poussière.
Le dessin, — dessin de vignette et d’illustration. A quoi bon faire de la peinture
dite sérieuse, quand on n’est pas coloriste et qu’on n’est pas dessinateur ?
Le tableau de madame Céleste Pensotti s’appelle Rêverie du soir. Ce
tableau, un peu maniéré comme son titre, mais joli comme le nom de l’auteur, est d’un
sentiment fort distingué. — Ce sont deux jeunes femmes, l’une appuyée sur l’épaule de
l’autre, qui regardent à travers une fenêtre ouverte. — Le vert et le rose, ou plutôt
le verdâtre et le rosâtre y sont doucement combinés. Cette jolie composition, malgré
ou peut-être à cause de son afféterie naïve d’album romantique, ne nous déplaît pas ;
— mais cela a une qualité trop oubliée aujourd’hui. C’est élégant, — cela sent
bon.
Un petit tableau de religion presque galante. — La Vierge allaite l’enfant Jésus —
sous une couronne de fleurs et de petits amours. L’année passée nous avions déjà
remarqué M. Tassaert. Il y a là une bonne couleur, modérément gaie, unie à beaucoup de
goût.
Tous leurs tableaux sont très-bien faits, très-bien peints, et très-monotones comme
manière et choix de sujets.
Sujets à la Henri Berthoud (voyez le livret). — Tableaux de genre, vrais tableaux de
genre trop bien peints. Du reste, tout le monde aujourd’hui peint trop bien.
M. Guillemin, qui a certainement du mérite dans l’exécution, dépense trop de talent à
soutenir une mauvaise cause ; — la cause de l’esprit en peinture.
— J’entends par là envoyer à l’imprimeur du livret des légendes pour le public du
dimanche.
M. Muller croit-il plaire au public du samedi en choisissant ses sujets dans
Shakespeare et Victor Hugo ? — De gros amours Empire sous prétexte
de sylphes. — Il ne suffit donc pas d’être coloriste pour avoir du goût. — Sa Fanny
est mieux.
a été imprudent d’aborder un sujet traité déjà par M. Roqueplan.
M. Gigoux nous a procuré le plaisir de relire dans le livret le récit de la Mort de Manon Lescaut. Le tableau est mauvais ; pas de style ;
mauvaise composition, mauvaise couleur. Il manque de caractère, il manque de son
sujet. Quel est ce Des Grieux ? je ne le connais pas.
Je ne reconnais pas non plus là M. Gigoux, que la faveur publique faisait, il y a
quelques années, marcher de pair avec les plus sérieux novateurs.
M. Gigoux, l’auteur du Comte de Cominges, de François
Ier assistant Léonard de Vinci à ses derniers moments,
M. Gigoux du Gil Blas, M. Gigoux est une réputation que chacun a
joyeusement soulevée sur ses épaules. Serait-il donc aujourd’hui embarrassé de sa
réputation de peintre ?
Ses Italiennes de cette année nous font regretter celles de l’année passée.
a peint un parc plein de belles dames et d’élégants messieurs, au temps jadis. C’est
certainement fort joli, fort élégant, et d’une très-bonne couleur. Le paysage est bien
composé. Le tout rappelle beaucoup Diaz ; mais c’est peut-être plus solide.
La saison des roses. — C’est un sujet analogue, — une peinture
galante et d’un aspect agréable, qui malheureusement fait songer à Wattier, comme
Wattier fait songer à Watteau.
est un peintre de la vie élégante, high life. — Sa Châtelaine est jolie ; mais les Anglais font mieux dans le genre paradoxal.
— Ses scènes d’animaux sont bien peintes ; mais les Anglais sont plus spirituels dans
ce genre animal et intime.
a peint une Femme nue à sa toilette, vue de face, la tête de profil
— fond de décoration romaine. L’attitude est belle et bien choisie. En somme, cela est
bien fait. Madame
Calamatta a fait des progrès. Cela ne manque pas de
style, ou plutôt d’une certaine prétention au style.
promettait beaucoup, dit-on. Son retour d’Italie fut précédé par des éloges
imprudents. Dans une toile énorme, où se voyaient trop clairement les habitudes
récentes de l’Académie de peinture, M. Papety avait néanmoins trouvé des poses
heureuses et quelques motifs de composition ; et malgré sa couleur d’éventail, il y
avait tout lieu d’espérer pour l’auteur un avenir sérieux. Depuis lors, il est resté
dans la classe secondaire des hommes qui peignent bien et ont des cartons pleins de
motifs tout prêts. La couleur de ses deux tableaux (Memphis. — Un
assaut) est commune. Du reste, ils sont d’un aspect tout différent, ce qui
induit à croire que M. Papety n’a pas encore trouvé sa manière.
M. Adrien Guignet a certainement du talent ; il sait composer et arranger. Mais
pourquoi donc ce doute perpétuel ? Tantôt Decamps, tantôt Salvator. Cette année, on
dirait qu’il a colorié sur papyrus des motifs de sculpture égyptienne ou d’anciennes
mosaïques (les Pharaons). Cependant Salvator et Decamps, s’ils
faisaient Psammenit ou Pharaon, les feraient à la Salvator
et à la
Decamps. Pourquoi donc M. Guignet… ?
Trois tableaux : Soldats jouant aux dés — Jeune homme feuilletant un
carton — Deux buveurs jouant aux cartes.
Autres temps, autres mœurs ; autres modes, autres écoles. M. Meissonier nous fait
songer malgré nous à M. Martin Drolling. Il y a dans toutes les réputations, même les
plus méritées, une foule de petits secrets. — Quand on demandait au célèbre M. X*** ce
qu’il avait vu au Salon, il disait n’avoir vu qu’un Meissonier, pour éviter de parler
du célèbre M. Y***, qui en disait autant de son côté. Il est donc bon de servir de
massue à des rivaux.
En somme, M. Meissonier exécute admirablement ses petites figures. C’est un Flamand
moins la fantaisie, le charme, la couleur et la naïveté — et la pipe !
fabrique toujours du Delaroche, vingtième qualité.
Peinture aimable (argot de marchand de tableaux).
Jeune école de dix-huit cent vingt.
Auprès de Madame Roland allant au supplice, la Charlotte Corday est une œuvre pleine de témérité. (Voir aux portraits).
« Le plus têtu des trois n’est pas celui qu’on pense. »
Voir le précédent.
Voir le précédent.
À la tête de l’école moderne du paysage, se place M. Corot. — Si M. Théodore Rousseau
voulait exposer, la suprématie serait douteuse, M. Théodore Rousseau unissant à une
naïveté, à une originalité au moins égales, un plus grand charme et une plus grande
sûreté d’exécution. — En effet, ce sont la naïveté et l’originalité qui constituent le
mérite de M. Corot. — Evidemment cet artiste aime sincèrement la nature, et sait la
regarder avec autant d’intelligence que d’amour. — Les qualités par lesquelles il
brille sont tellement fortes, — parce qu’elles sont des qualités d’âme et de fond —
que l’influence de M. Corot est actuellement visible dans presque toutes les œuvres
des jeunes paysagistes — surtout de quelques-uns qui avaient déjà le bon esprit de
l’imiter et de tirer parti de sa manière avant qu’il fût célèbre et sa réputation ne
dépassant pas encore le monde des artistes. M. Corot, du fond de sa
modestie, a agi sur une foule d’esprits. — Les uns se sont appliqués à choisir dans la
nature les motifs, les sites, les couleurs qu’il affectionne, à choyer les mêmes
sujets ; d’autres ont essayé même de pasticher sa gaucherie. — Or, à propos de cette
prétendue gaucherie de M. Corot, il nous semble qu’il y a ici un petit préjugé à
relever. — Tous les demi-savants, après avoir consciencieusement admiré un tableau de
Corot, et lui avoir loyalement payé leur tribut d’éloges, trouvent que cela pèche par
l’exécution, et s’accordent en ceci, que définitivement M. Corot ne sait pas peindre.
— Braves gens ! qui ignorent d’abord qu’une œuvre de génie — ou si l’on veut — une
œuvre d’âme — où tout est bien vu, bien observé, bien compris, bien imaginé — est
toujours très-bien exécutée, quand elle l’est suffisamment — Ensuite — qu’il y a une
grande différence entre un morceau fait et un morceau fini — qu’en général ce qui est fait n’est pas fini, et qu’une chose très-finie peut n’être pas faite du tout — que la valeur d’une touche spirituelle, importante et
bien placée est énorme…, etc…, d’où il suit que M. Corot peint comme les grands
maîtres. — Nous n’en voulons d’autre exemple que son tableau de l’année dernière —
dont l’impression était encore plus tendre et mélancolique que d’habitude. — Cette
verte campagne où était assise une femme jouant du violon — cette nappe de soleil au
second plan, éclairant le gazon et le colorant d’une manière différente que le
premier, était certainement une audace et une audace très-réussie.
— M. Corot est tout aussi fort cette année que les précédentes ; — mais l’œil du
public a été tellement accoutumé aux morceaux luisants, propres et industrieusement
astiqués, qu’on lui fait toujours le même reproche.
Ce qui prouve encore la puissance de M. Corot, ne fût-ce que dans le métier, c’est
qu’il sait être coloriste avec une gamme de tons peu variée — et qu’il est toujours
harmoniste même avec des tons assez crus et assez vifs. — Il compose toujours
parfaitement bien. — Ainsi dans Homère et les Bergers, rien n’est
inutile, rien n’est à retrancher ; pas même les deux petites figures qui s’en vont
causant dans le sentier. — Les trois petits bergers avec leur chien sont ravissants,
comme ces bouts d’excellents bas-reliefs qu’on retrouve dans certains piédestaux des
statues antiques. — Homère ressemble peut-être trop à Bélisaire. — Un autre tableau
plein de charme est Daphnis et Chloé — et dont la composition a
comme toutes les bonnes compositions — c’est une remarque que nous avons souvent faite
— le mérite de l’inattendu.
est aussi un paysagiste de premier mérite — d’un mérite analogue à Corot, et que nous
appellerions volontiers l’amour de la nature — mais c’est déjà moins
naïf, plus rusé — cela sent beaucoup plus son peintre
— aussi est-ce plus
facile à comprendre. — Le soir est d’une belle couleur.
Un vieux château sur des rochers. — Est-ce que par hasard M. Paul
Huet voudrait modifier sa manière ? — Elle était pourtant excellente.
Prodigieusement original — surtout par la couleur. C’est la première fois que nous
voyons des tableaux de M. Haffner — nous ignorons donc s’il est paysagiste ou
portraitiste de son état — d’autant plus qu’il est excellent dans les deux genres.
fait toujours de beaux et de verdoyants paysages, les fait en coloriste et même en
observateur, mais fatigue toujours les yeux par l’aplomb imperturbable de sa manière
et le papillotage de ses touches. — On n’aime pas voir un homme si sûr de
lui-même.
a peint un site très-original appelé les Houblons. —
C’est tout simplement un horizon auquel les feuilles et les branchages des premiers
plans servent de cadre. — Du reste, M. Curzon a fait aussi un très-beau dessin dont
nous aurons tout à l’heure occasion de parler.
Voilà ce qu’ont chanté longtemps toutes les toiles de M. Flers. — Qu’on ne prenne pas
ceci pour une moquerie. — C’est qu’en effet tous ces paysages étaient poétiques, et
donnaient l’envie de connaître ces éternelles et grasses verdures qu’ils exprimaient
si bien — mais cette année l’application ne serait pas juste, car nous ne croyons pas
que M. Flers, soit dans ses dessins, soit dans ses tableaux, ait placé une seule
Normandie. — M. Flers est toujours resté un artiste éminent.
peint toujours très-bien ses Effets d’hiver ; mais nous croyons que
les bons Flamands dont il semble préoccupé ont une manière plus large.
Pendant longtemps on a cru que c’était le même
artiste atteint de dualisme chronique ; mais depuis l’on s’est aperçu qu’il affectionnait
le nom de Calame les jours qu’il peignait bien…
Toujours de l’Orient et de l’Algérie — c’est toujours d’une ferme exécution !
(Voyez le précédent.)
en revanche a quitté l’Orient ; mais il y a perdu.
fait toujours des paysages d’une couleur assez fine : ses Bergers des
Landes sont une heureuse composition.
Toujours des beffrois et des cathédrales très-adroitement peints.
Un palais des papes d’Avignon, et encore une Vue de
Venise. — Rien n’est embarrassant comme de rendre compte d’œuvres que chaque
année ramène avec leurs mêmes désespérantes perfections.
Toujours des vues indiennes ou chinoises. — Sans doute c’est très-bien fait ; mais ce
sont trop des articles de voyages ou de mœurs ; — il y a des gens qui regrettent ce
qu’ils n’ont jamais vu, le boulevard du Temple ou les galeries de Bois ! — Les
tableaux de M. Borget nous font regretter cette Chine où le vent lui-même, dit H.
Heine, prend un son comique en passant par les clochettes, — et où la nature et
l’homme ne peuvent pas se regarder sans rire.
Qu’on éteigne les reflets dans une tête pour mieux faire voir le modelé, cela se
comprend, surtout quand on s’appelle Ingres. — Mais quel est donc l’ et le
fanatique qui s’est avisé le premier d’ingriser la campagne ?
Ceci est autre chose, — c’est plus sérieux, ou moins sérieux, comme
on voudra. — C’est un compromis assez adroit entre les purs coloristes et les
exagérations précédentes.
sont deux bons et sérieux élèves de M. Corot. — M. Lapierre a fait aussi tableau de
Daphnis et Chloé, qui a bien son mérite.
Certainement, l’on parle trop de M. Brascassat, qui, homme d’esprit et de talent
comme il l’est, ne doit pas ignorer que dans la galerie des Flamands il y a beaucoup
de tableaux du même genre, tout aussi faits que les siens, et plus
largement peints, — et d’une meilleure couleur. — L’on parle trop aussi de
qui est de l’école de Lyon, le bagne de la peinture, — l’endroit du monde connu où
l’on travaille le mieux les infiniment petits. — Nous préférons les fleurs et les
fruits de Rubens, et les trouvons plus naturels. —
Du reste, le tableau
de M. Saint-Jean est d’un fort vilain aspect, — c’est monotonement jaune. — Au total,
quelque bien faits qu’ils soient, les tableaux de M. Saint-Jean sont des tableaux de
salle à manger, — mais non des peintures de cabinet et de galerie ; de vrais tableaux
de salle à manger.
Des tableaux de chasse, — à la bonne heure ! Voilà qui est beau, voilà qui est de la
peinture et de la vraie peinture ; c’est large, — c’est vrai, — et la couleur en est
belle. — Ces tableaux ont une grande tournure commune aux anciens tableaux de chasse
ou de nature morte que faisaient les grands peintres, — et ils sont tous habilement
composés.
Le rat de ville et le rat des champs
est un tableau très-coquet et d’un aspect charmant. — Tous les tons sont à la fois
d’une grande fraîcheur et d’une grande richesse. — C’est réellement faire des natures
mortes, librement, en paysagiste, en peintre de genre, en homme d’esprit, et non pas
en ouvrier, comme MM. de Lyon. — Les petits rats sont fort jolis.
Les petits tableaux de M. Béranger sont charmants — comme des Meissonier.
Un grand entassement de gibier de toute espèce. — Ce tableau, mal composé, et dont la
composition a l’air bousculé, comme si elle visait à la quantité, a néanmoins une
qualité très-rare par le temps qui court — il est peint avec une grande naïveté — sans
aucune prétention d’école ni aucun pédantisme d’atelier. — D’où il suit qu’il y a des
parties fort bien peintes. — Certaines autres sont malheureusement d’une couleur brune
et rousse, qui donne au tableau je ne sais quel aspect obscur — mais tous les tons
clairs ou riches sont bien réussis. — Ce qui nous a donc frappé dans ce tableau est la
maladresse mêlée à l’habileté — des inexpériences comme d’un homme qui n’aurait pas
peint depuis longtemps, et de l’aplomb comme d’un homme qui aurait beaucoup peint.
a peint le Yucca gloriosa, fleuri en 1844 dans le parc de Neuilly.
Il serait bon que tous les gens qui se cramponnent à la vérité microscopique et se
croient des
peintres vissent ce petit tableau, et qu’on leur insufflât
dans l’oreille avec un cornet les petites réflexions que voici : ce tableau est
très-bien, non parce que tout y est et que l’on peut compter les feuilles, mais parce
qu’il rend en même temps le caractère général de la nature — parce qu’il exprime bien
l’aspect vert cru d’un parc au bord de la Seine et de notre soleil froid ; bref, parce
qu’il est fait avec une profonde naïveté — tandis que vous autres, vous êtes trop…
artistes. — (Sic).
M. Brillouin a envoyé cinq dessins au crayon noir qui ressemblent un peu à ceux de
M. de Lehmud ; mais ceux-ci sont plus fermes et ont peut-être plus de caractère. — En
général, ils sont bien composés. — Le Tintoret donnant une leçon de
dessin à sa fille, est certainement une très-bonne chose. — Ce qui distingue
surtout ces dessins est leur noble tournure, leur sérieux et le choix des têtes.
Une sérénade dans un bateau, — est une des choses les plus
distinguées du Salon. — L’arrangement de toutes ces figures est très-heureusement
conçu ; le vieillard au bout de la barque, étendu au milieu de ses guirlandes, est une
très-jolie idée. — Les compositions
de M. Brillouin et celle de M. Curzon
ont quelque analogie ; elles ont surtout ceci de commun, qu’elles sont bien dessinées
— et dessinées avec esprit.
Nous croyons que M. de Rudder a eu le premier l’heureuse idée des dessins sérieux et
serrés ; des cartons, comme on disait autrefois. — Il faut lui en
savoir gré. — Mais quoique ses dessins soient toujours estimables et gravement conçus,
combien néanmoins ils nous paraissent inférieurs à ce qu’ils veulent être ! Que l’on
compare, par exemple, le Berger et l’Enfant, aux dessins nouveaux
dont nous venons de parler.
La Grappe est sans doute un beau pastel, et d’une bonne couleur ;
mais nous reprocherons à tous ces messieurs de l’école de Metz de n’arriver en général
qu’à un sérieux de convention et qu’à la singerie de la maestria,
— ceci soit dit sans vouloir le moins du monde diminuer l’honneur de leurs efforts.
— Il en est de même de
dont, malgré tout son talent et tout son goût, l’exécution n’est jamais à la hauteur
de l’intention.
a fait deux fort bonnes aquarelles, d’après le Titien, où brille réellement
l’intelligence du modèle.
Des fleurs à la gouache, — consciencieusement étudiées et d’un
aspect agréable.
Les portraits de M. Masson sont bien dessinés. — Ils doivent être très-ressemblants ;
car le dessin de l’artiste indique une volonté ferme et laborieuse ; mais aussi il est
un peu dur et sec, et ressemble peu au dessin d’un peintre.
Toutes ces fantaisies ne peuvent être que celles d’un sculpteur.
— Voilà pourtant où le romantisme a conduit quelques-uns !
C’est l’an passé, à ce que nous croyons, qu’a commencé le préjugé des dessins Vidal.
— Il serait bon
d’en finir tout de suite. — On veut à toute force nous
présenter M. Vidal comme un dessinateur sérieux. — Ce sont des dessins très-finis, mais non faits ; néanmoins cela, il faut
l’avouer, est plus élégant que les Maurin et les Jules David. — Qu’on nous pardonne
d’insister si fort à ce sujet ; — mais nous connaissons un critique qui, à propos de
M. Vidal, s’est avisé de parler de Watteau.
est ce qu’elle a toujours été ; — ses portraits sont parfaitement bien exécutés, et
madame de Mirbel a le grand mérite d’avoir apporté la première, dans le genre si
ingrat de la miniature, les intentions viriles de la peinture sérieuse.
nous a procuré le plaisir de contempler une seconde fois le magnifique portrait de
M. Bertin, par M. Ingres, le seul homme en France qui fasse vraiment des portraits.
— Celui-ci est sans contredit le plus beau qu’il ait fait, sans en excepter le
Cherubini. — Peut-être la fière tournure et la majesté du modèle a-t-elle doublé
l’audace de M. Ingres, l’homme audacieux par excellence. — Quant à la gravure, quelque
consciencieuse qu’elle soit, nous craignons qu’elle ne rende pas tout le parti pris de
la peinture. — Nous n’oserions pas
affirmer, mais nous craignons que le
graveur n’ait omis certain petit détail dans le nez ou dans les yeux.
M. Jacque est une réputation nouvelle qui ira toujours grandissant, espérons-le.
— Son eau-forte est très-hardie, et son sujet très-bien conçu.
— Tout ce que fait M. Jacque sur le cuivre est plein d’une liberté et d’une franchise
qui rappelle les vieux maîtres. On sait d’ailleurs qu’il s’est chargé d’une
reproduction remarquable des eaux-fortes de Rembrandt.
Nous avons le droit de nous défier à Paris des réputations étrangères. — Nos voisins
nous ont si souvent pipé notre estime crédule avec des chefs-d’œuvre qu’ils ne
montraient jamais, ou qui, s’ils consentaient enfin à les faire voir, étaient un objet
de confusion pour eux et pour nous, que nous nous tenons toujours en garde contre de
nouveaux pièges. Ce n’est donc qu’avec une excessive défiance que nous nous sommes
approchés de la Nymphe au Scorpion. — Mais cette fois il nous a été
réellement impossible de refuser notre admiration à l’artiste étranger. — Certes nos
sculpteurs sont plus adroits, et cette préoccupation excessive du métier absorbe
aujourd’hui nos sculpteurs comme nos peintres ; — or c’est justement à cause des
qualités un peu mises en oubli chez les nôtres, à savoir : le goût, la noblesse, la
grâce — que nous regardons l’œuvre de M. Bartolini
comme le morceau
capital du salon de sculpture. — Nous savons que quelques-uns des sculptiers dont nous
allons parler sont très-aptes à relever les quelques défauts d’exécution de ce marbre,
un peu trop de mollesse, une absence de fermeté ; bref, certaines parties veules et
des bras un peu grêles ; — mais aucun d’eux n’a su trouver un aussi joli motif ; aucun
d’eux n’a ce grand goût et cette pureté d’intentions, cette chasteté de lignes qui
n’exclut pas du tout l’originalité. — Les jambes sont charmantes ; la tête est d’un
caractère mutin et gracieux ; il est probable que c’est tout simplement un modèle bien
choisi3. — Moins
l’ouvrier se laisse voir dans une œuvre et plus l’intention en est pure et claire,
plus nous sommes charmés.
Ce n’est pas là, par exemple, le cas de M. David, dont les ouvrages nous font
toujours penser à Ribéra. — Et encore, il y a ceci de faux dans notre comparaison, que
Ribéra n’est homme de métier que par-dessus le marché — qu’il est en outre plein de
fougue, d’originalité, de colère et d’ironie.
Certainement il est difficile de mieux modeler et de mieux faire le morceau que
M. David. Cet enfant qui se pend à une grappe, et qui était déjà connu par quelques
charmants vers de Sainte-Beuve, est une chose curieuse à examiner ;
c’est de la chair, il est vrai ; mais c’est bête comme la nature, et c’est pourtant
une vérité incontestée que le but de la sculpture n’est pas de rivaliser avec des
moulages. — Ceci conclu, admirons la beauté du travail tout à notre aise.
au contraire se rapproche de Bartolini par les hautes qualités qui séparent le grand
goût d’avec le goût du trop vrai. — Sa Jeune Indienne est
certainement une jolie chose — mais cela manque un peu d’originalité. — Il est fâcheux
que M. Bosio ne nous montre pas à chaque fois des morceaux aussi complets que celui
qui est au Musée du Luxembourg, et que son magnifique buste de la reine.
On dirait que M. Pradier a voulu sortir de lui-même et s’élever, d’un seul coup, vers
les régions hautes. Nous ne savons comment louer sa statue — elle est incomparablement
habile — elle est jolie sous tous les aspects — on pourrait sans doute en retrouver
quelques parties au Musée des Antiques ; car c’est un mélange prodigieux de
dissimulations. — L’ancien Pradier vit encore sous cette peau nouvelle, pour donner un
charme exquis à cette figure ; — c’est là certainement
un noble tour de
force ; mais la nymphe de M. Bartolini, avec ses imperfections, nous paraît plus
originale.
Encore un habile — mais quoi ! n’ira-t-on jamais plus loin ?
Ce jeune artiste a déjà eu de beaux salons — sa statue est évidemment destinée à un
succès ; outre que son sujet est heureux, car les pucelles ont en général un public,
comme tout ce qui touche aux affections publiques, cette Jeanne d’Arc que nous avions
déjà vue en plâtre gagne beaucoup à des proportions plus grandes. Les draperies
tombent bien, et non pas comme tombent en général les draperies des sculpteurs — les
bras et les pieds sont d’un très-beau travail — la tête est peut-être un peu
commune.
M. Daumas est, dit-on, un chercheur. — En effet, il y a des intentions d’énergie et
d’élégance dans son Génie maritime ; mais c’est bien grêle.
M. Étex n’a jamais rien pu faire de complet. Sa conception est souvent heureuse — il
y a chez lui une
certaine fécondité de pensée qui se fait jour assez vite
et qui nous plaît ; mais des morceaux assez considérables déparent toujours son œuvre.
Ainsi, vu par derrière, son groupe d’Héro et Léandre a l’air lourd et les lignes ne se
détachent pas harmonieusement. Les épaules et le dos de la femme ne sont pas dignes de
ses hanches et de ses jambes.
avait fait autrefois une assez belle bacchante dont on a gardé le souvenir — c’était
de la chair — son groupe de la première Famille humaine contient
certainement des morceaux d’une exécution très-remarquable ; mais l’ensemble en est
désagréable et rustique, surtout par devant. — La tête d’Adam, quoiqu’elle ressemble à
celle de Jupiter olympien, est affreuse. — Le petit Caïn est le mieux réussi.
est un peintre qui a fait un groupe charmant, le Berceau primitif.
— Eve tient ses deux enfants sur un genou et leur fait une espèce de panier avec ses
deux bras. — La femme est belle, les enfants jolis — c’est surtout la composition de
ceci qui nous plaît ; car il est malheureux que M. Debay n’ait pu mettre au service
d’une idée aussi originale qu’une exécution qui ne l’est pas assez.
La Lesbie de Catulle pleurant sur le moineau
C’est de la belle et bonne sculpture. — De belles lignes, de belles draperies,
— c’est un peu trop de l’antique, dont
s’est néanmoins encore plus abreuvé, ainsi que
qui a évidemment du talent, mais qui s’est trop souvenu de la Polymnie.
a fait une jolie bacchante — d’un bon mouvement ; mais n’est-ce pas un peu trop
connu, et n’avons-nous pas vu ce motif-là bien souvent ?
a fait quelques bons bustes, nobles, et évidemment ressemblants, ainsi que
qui a mis beaucoup de distinction et d’élégance dans les portraits du duc de Nemours
et de madame Marie de M…
A fait un buste romantique de Cordelia, dont le type est assez original pour être un
portrait ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙
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Nous ne croyons pas avoir fait d’omissions graves. — Le Salon, en somme, ressemble à
tous les salons précédents, sauf l’arrivée soudaine, inattendue, éclatante de
M. William Haussoullier — et quelques très-belles choses, des Delacroix et des
Decamps. Du reste, constatons que tout le monde peint de mieux en mieux, ce qui nous
paraît désolant ; — mais d’invention, d’idées, de tempérament, pas davantage qu’avant.
— Au vent qui soufflera demain nul ne tend l’oreille ; et pourtant l’héroïsme de la vie moderne nous entoure et nous presse. — Nos sentiments vrais
nous étouffent assez pour que nous les connaissions. — Ce ne sont ni les sujets ni les
couleurs qui manquent aux épopées. Celui-là sera le peintre, le vrai peintre, qui
saura arracher à la vie actuelle son côté épique, et nous faire
voir et
comprendre, avec de la couleur ou du dessin, combien nous sommes grands et poétiques
dans nos cravates et nos bottes vernies. — Puissent les vrais chercheurs nous donner
l’année prochaine cette joie singulière de célébrer l’avénement du neuf !
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