José-Maria de Heredia58
Cette Histoire d’une conquête
59 en est une sur l’imagination… Cette antique chronique d’un vieux
chroniqueur oublié et à peu près inconnu en France, traduite par la fantaisie éprise
d’un écrivain qui a du sang espagnol et conquérant dans les veines et
la plus profonde culture de la langue française, ce récit, si différent, par les
sentiments et par le ton, du ton et des sentiments de l’histoire moderne, a fait son
chemin en deux temps, comme les Dieux d’Homère. On est déjà au bout de l’édition ; et,
en attendant le second volume, il en faut une seconde du premier… C’est un succès dont
la fatuité d’Alphonse Lemerre, qui doit avoir la fatuité d’un homme heureux, pourrait
cependant s’étonner. Il est vrai que ce vieux Bernai Diaz del Castillo n’est pas tout
seul dans le livre. A côté de son individualité, il y a celle de son traducteur, qui —
en dehors de sa traduction — a fait œuvre d’histoire pour son propre compte et à sa
manière, et cette manière est telle qu’elle mérite que la Critique s’y arrête, pour la
bien caractériser.
Chose facile, d’ailleurs ! José-Maria de Heredia a placé à la tête de sa traduction
deux tableaux historiques qui lui appartiennent en propre : le tableau de l’Espagne de
1513 à 1514, et celui de la jeunesse de Cortez ; et ces deux tableaux introduisent et
classent très haut leur auteur dans la littérature historique de ce temps. Ils sont
réellement d’un relief . Heredia a donné là un très beau support d’écusson aux armoiries du vieux chroniqueur Diaz, avec ces deux
resplendissants morceaux. On dirait, à les voir l’un et l’autre, le lion lampassé et
onglé de gueules et la licorne du blason qu’ils soutiennent. On dirait qu’ils font
ressortir, tous les deux, par leur beauté fabuleusement héraldique, la simplicité de cet
héroïque écusson. Délicieux et piquant contraste entre la naïveté charmante du
chroniqueur et la pompe de l’homme qui, dans sa traduction, à respecté cette naïveté
divine ; et qui nous apparaît ; à côté, avec un talent fulgurant de l’éclat damasquiné
d’une armure !
Flexibilité et magnificence ! Dons de poète ! C’est que Heredia a commencé par en être
un. C’est, chez lui, sur le brillant pilotis du poète que se trouve bâti le prosateur.
Jeune, il y a quelques années, il débuta dans la littérature par des vers, et fit partie
de cette école qui s’intitula elle-même « les Parnassiens ». Je n’aime, pour les poètes,
ni les écoles ni même les groupes. Les poètes ne sont pas faits, selon moi, pour aller
et paître en troupeaux. S’ils sont vraiment grands, ils sont solitaires et ne relèvent
que d’eux… Malheureusement, Heredia relevait un peu trop, comme tous les Parnassiens, du
reste, de ce lapidaire d’Emaux et Camées qui, pour nous avoir jeté, si
l’on veut, des diamants à la tête, ne nous en pas moins lapidés ! Heredia est, dans son
fond intime (qu’il me permette de le lui dire !), poétiquement un gautiériste… C’est là le mal commun de la poésie de ce moment du siècle… Or
Gautier, c’est le symbole de Pygmalion renversé. Pygmalion faisait sortir la femme de la
pierre, et Gautier l’y faisait rentrer. Galatée, pour Gantier, c’est le marbre et sa
ligne. Ce n’est pas la femme ce n’est pas le cœur qui est là dedans, et que le Génie
doit en arracher ! Je sais bien que José-Maria de Heredia a composé beaucoup de vers que
je pourrais citer et dans lesquels il a su mêler au marbre impassible de Gautier une
veine de sentiment superbe que Gautier ne connut jamais, — la veine rouge de la fierté
humaine, — mais il n’en est pas moins certain que l’ensemble des poésies de ce poète,
qui a cette noble veine, porte la trace ou le souvenir d’une admiration que je ne
voudrais pas voir dans ses œuvres pour le grand pétrificateur de la poésie passionnée.
Et voilà pourquoi la prose de José de Heredia me paraît au-dessus de ses vers. Si
travaillés, si fouillés et ciselés qu’ils puissent être, ces vers ont le destin de la
pierre, même précieuse ; et ils ne s’enlèvent pas aussi légèrement que cette prose, qui
a plus d’ailes, parce qu’elle a plus d’âme, et, parce qu’elle a plus d’âme, qui a plus
de vie et plus de couleur !
La couleur !… C’est là, en effet, qu’il faut en venir, puisqu’il s’agit de Heredia, de
ce grand coloriste en prose inconnu encore, même dans le coloriste en vers qu’on
connaissait, et qui rayonne et se projette en ces deux morceaux historiques comme une
promesse, faite à l’Histoire, d’un artiste pour plus tard de la plus singulière
puissance de plasticité. La couleur, cette chose moderne qui est devenue une exigence,
était rare dans la littérature historique d’autrefois, plus grave et plus nerveuse que
colorée. Nous avions eu, en ces derniers temps, Saint-Simon, Chateaubriand, Michelet,
ces Titiens ou ces Tintorets de l’Histoire ; mais ils étaient les seuls. Je ne crois pas
qu’en fait de coloristes on pût remonter beaucoup plus haut qu’à l’historiographe
Mathieu, un artiste énorme et oublié, dont Lemerre, qui a eu la hardiesse d’éditer un
Agrippa d’Aubigné intégral, et qui publie la Chronique de Diaz
del Castillo, devrait bien éditer le Louis XI, lequel, par le
pittoresque, ferait pâlir le Louis XI de Michelet. Telles étaient nos
richesses. Voici maintenant Heredia ! Mais celui-ci n’est point un historien que je vous
annonce dans la tradition de la plupart, ou même de la totalité (à l’exception de
Mathieu peut-être) des historiens qui ont dominé ou illustré l’Histoire. Lui, c’est un
artiste en histoire bien plus qu’un historien, et il faut être précis dans le maintien
de cette distinction… Les historiens ont des jugements, et des passions, et des
convictions, et des partis pris et des polémiques… Ils font incessamment acte de
cerveau, à chaque minute de la durée ; mais le coloriste que voici ne fait, lui, qu’acte
de pinceau. Seulement, ce pinceau, chose exceptionnelle ! a une magie qui met la vision,
dans l’esprit du lecteur, à la place de la pensée.
On voit, sous ce pinceau qui n’est jamais une plume, l’Espagne à cette date de 1513 à
1514 ; on la voit, en masse, comme si on y était, ou plutôt on y est,
dans cette Espagne dont on partage les sensations, comme le peintre qui, s’il n’en
vibrait pas lui-même, ne pourrait pas nous les donner ! Ici l’impression et la couleur
sont si justes que l’écrivain n’a pas besoin de peser sur son récit. Il vole et passe
comme un résumé qui a tout pris sans rien étreindre, et il nous emporte dans le plus
rapide, mais le plus net des panoramas. Jamais l’art des ensembles n’a été plus grand…
Nous sommes uniquement ici dans les sensations générales de l’époque et de l’universel
milieu. Tout y est, rien n’est oublié de l’inventaire épique de la civilisation
espagnole au moment de la mort de la grande Isabelle la Catholique et de l’invasion de
cette sacrée soif de l’or qui s’empara alors de la militaire et religieuse Espagne, et
qui la jeta, après l’avoir dépravée, comme un vampire, sur le Nouveau Monde. Écoutez
l’histoire de ce vampirisme de l’or !
« Les femmes — dit Heredia après Salazar — sont les rêts dont Satan lie les cœurs.
Armes du diable, ainsi les définit la Célestine, ce bréviaire d’amour tant de fois
imprimé à Séville. Les Andalouses, s’il faut en croire les vieux moralistes, ont
toujours été singulièrement douées de cette antique malice qui voua la race d’Adam aux
flammes de l’enfer. Leurs maris, qui sont des plus jaloux de l’Espagne, avaient beau
jeu à les tenir sous des verrous solides, derrière des fenêtres savamment grillées.
Mais il n’est point, d’après le commun proverbe, de porte de fer que ne brise un
marteau d’argent. Les Sévillannes avaient dès lors le renom de préférer aux galants
qui allaient chercher fortune aux Indes ceux qui eu revenaient avec les galions.
« Elles ne voulaient déjà plus de Galaors ni d’Adonis. Les mains pleines de dons
avaient plus d’efficace près d’elles que les sourires et les promesses. Elles ne
cherchaient plus qu’à mesurer l’amour avec l’aune de l’intérêt. L’ardente jeunesse qui
avait suivi Pedrarias (l’amiral de l’Armada) dut l’éprouver à ses dépens… Vivès
emploie plus d’un de ses Dialogues au fastueux dénombrement de ces somptuosités. Les
Sévillannes aimaient les promenades à la prairie de l’Alameda. Elles y allaient, en
allègres compagnies, faire collation sur l’herbe de confitures et de pâtisseries que
l’on servait dans ces belles terres émaillées de Valence, de Triana et de Malaga où la
lumière fait chatoyer des reflets de saphir, de cuivre rouge ou d’or pâle, dans la
concavité éblouissante, sur l’ombilic armorié des plats. Elles se plaisaient à goûter
les vins blancs, rouges, paillets, de Candie, de Ribadavia, de Guadalcanal et de
Manzanilla, dans ces frêles verreries de Cadahalso où persiste la nerveuse gracilité
des formes orientales. Les assignations secrètes se donnaient alors volontiers dans la
calle de Chicarreros, qui est la rue des Orfèvres, ou dans la galerie des Merciers.
L’argent des patrimoines vendus et des majorats engagés fondit vite. Le jeu, le trente
par force, la prime, les alburs, le chilindron, la triomphe, le reynado, les dés,
prirent le reste. Les aventuriers insoucieux encore voyaient sans inquiétude s’épuiser
leurs bourses… Les soldats se contaient leur misère. Ils avaient vu depuis longtemps
disparaître a leur dernier castillan d’or. Des deux mois de solde qui leur avaient été
payés à leur arrivée, il ne restait plus une blanque, plus un maravedi. Ils étaient en
train, comme dit énergiquement Oviedo, de manger leurs capes dans les hôtelleries.
L’enchanteresse Séville n’avait plus de charmes pour eux. Ils avaient tout vu… »
Quelle fresque ! mais on est obligé de s’arrêter, tant elle se prolonge ! et tout est
fresque de cette beauté dans cette longue description, dans cette empreinte levée si
ardemment de l’Espagne du xvie
siècle… L’évocateur de
cette Espagne perdue et retrouvée ajoute encore, quelques pages plus bas :
« Les danseuses d’Andalousie n’avaient point dégénéré depuis le temps de Martial
et de Pline où elles emplissaient de leur folie lascive les festins consulaires et les
voies impures de Suburra. Elles avaient, comme alors, dans leurs cheveux d’un noir
d’enfer, une fleur d’œillet ou de grenadier insolemment piquée au-dessus de la conque
de l’oreille, des lèvres rouges que gonfle une sève luxurieuse, les pauser pières
sombres, l’œillade furtive et fulgurante, des reins onduleux, lascivos
docili tremore lumbos… A toutes ces promesses de paradis diaboliques,
s’ajoutait un charme nouveau, irrésistible. Le danger les faisait plus désirables. Le
soir, les soldats s’égaraient volontiers, au-delà du Guadalquivir, dans les faubourgs
obscurs et mal famés. Ces rues tortueuses, les taudis qui les bordent, s’animent,
après le coucher du soleil, d’une vie étrange. L’alguazil s’y hasarde peu. Des
vieilles femmes crient des boudins, des beignets frits à l’huile, du vin noir.
D’autres, assurément plus sorcières que madones, font commerce d’amulettes, et, à voix
basse, de philtres équivoques. Elles savent aussi lire dans une paume ouverte les
pensées les plus secrètes, l’espoir, la fortune future. Des hommes passent rapidement,
embossés dans leur cape. Plus loin, des éclats de voix, des rires, des battements de
mains. Une porte s’ouvre. C’est une cour moresque tapissée d’arbustes et de plantes
comme on en voit tant à Séville. Des lampes fumeuses, de forme antique, l’éclairent.
Là, au milieu d’un cercle de figures farouches, brigands de la Sierra, contrebandiers,
bravaches, vauriens, dont les yeux ardents l’enveloppent de leurs effluves, quelque
fringante fille, mal vêtue de haillons éclatants, se cambre dans une pose hardie. Le
claquement sec des castagnettes, le râle des guitares, les tambours bourdonnants, les
cris gutturaux, l’odeur capiteuse des orangers fleuris, le vertige d’une danse
enragée, la nuit, des vins brûlants, des bouffées chaudes, le vent des jupes envolées
sifflant autour des hanches, troublent, énervent, font courir dans les veines de ces
hommes à demi africains, toute la flamme, tous les frissons d’une ivresse furieuse,
sanguinaire et bestiale. Un mot, un geste, et tous les couteaux sont en l’air,
cherchant des gaines neuves ! Le rêve de plus d’un Conquérant s’acheva dans la boue
fétide et sanglante des ruelles de Triana. Les ruffians de Séville, dit Ambrosio de
Salazar, dans son Miroir général de la Grammaire, ont toujours été
réputés vaillants mâles, plus lestes qu’aucun moine à expédier un chrétien avec le
viatique d’un blasphème et du sang frais en guise d’huiles saintes. »
Voilà la manière de José-Maria de Heredia, — de ce peintre qui ne porte pas pour rien,
comme vous voyez, un nom espagnol. La couleur — la couleur espagnole aussi ! — répandue
ici partout, rougit tout, et flambe et fume dans chacune de ses phrases comme du sang de
taureau versé, et cette couleur, il ne se contente pas de la répandre, il la boit ; et
comme Cambyse, qui, lui ! mourut d’avoir bu du sang de taureau, il ne meurt pas du
sien ; il ne meurt pas de sa couleur ; mais recommence de la répandre et de la boire !
Il en est inépuisable et insatiable. Ce peintre, qui s’enivre de sa peinture, ne se met,
je l’ai dit, je crois, jamais à part de ce qu’il peint. Il est le centre de ce que lord
Byron appelait « la puissance congrégatoire »
de la poésie. Quand, parmi
les touches vivantes et palpitantes de son style, une réflexion ou une ironie lui
échappe, comme, par exemple, « ces couteaux qui cherchent des gaines
neuves »
, ou encore « ce viatique du blasphème et ces saintes huiles
d’un sang frais »
, ce sont bien là des ironies ou des manières de dire de ces
gens du peuple de 1514 en Espagne. Le peintre est devenu l’homme foule
de ce peuple qu’il ramène sous une poussée de traits pressants et de coups de pinceaux
acharnés, dans l’orbe visuel de la Postérité. Quand il arrive à la jeunesse de Cortez,
d’ailleurs peu connue, de ce grand homme qui commença par le ribaud, de ce mauvais sujet
obscur dont le visage physique, « couleur de cendre, — dit-il, — mais aux yeux de
braise »
, n’a été illuminé plus tard que par la gloire, José-Maria de Heredia
a moins l’aisance de son talent, trop large pour s’étrangler dans une biographie qui
tourne au portrait. Il lui faut, à ce peintre de masses, à ce maître de la fresque qui
procède toujours par de magnifiques accumulations de détails, et qui, pour les entasser,
a besoin d’espace, il lui faut, pour jouer dans sa force, le pourtour d’un peuple,
l’hémicycle d’une société ou d’une époque, et je ne connais guères que Macaulay, dans
plusieurs de ses beaux Essais historiques, publiés dans La Revue
d’Edimbourg, qui ait cette étendue et cette largeur d’embrasse ; mais Macaulay, bien plus littéraire que plastique, n’a pas la
couleur de José-Maria de Heredia, quoique Macaulay, comme Heredia, ait été un poète
avant de devenir un prosateur !
Eh bien, le croira-t-on ? c’est ce coloriste d’aujourd’hui et dont j’ai essayé de faire
connaître la palette qui, au lieu de traduire quelque grand écrivain de génie, a mieux
aimé emboîter le pas, en le traduisant, derrière un vieux soldat oublié, et bravement
chausser les vieilles bottes et la casaque de guerre de cet héroïque roquentin ! Charme
des qualités contraires ! Le vieux Conquistador en a eu un pour ce fils des
Conquistadores qui s’était promis d’écrire un jour l’histoire de leurs
Conquêtes. Sur le chemin de cette histoire projetée, il a rencontré le sublime bonhomme,
pur comme un croisé des premières croisades, net de l’or qui avait taché tant de mains
et corrompu jusqu’aux épées, et il a fait avec lui accointance. Peut-être est-ce d’une
main gourde de vieillesse ou endolorie de blessures que le vieux soldat chroniqueur, Don
Quichotte anticipé, avait écrit, pour l’honneur de la vérité, cette pauvre relation
ignorée, et bonne pourtant à remettre en lumière à l’usage des grands cœurs, s’il en
reste encore, et José-Maria de Heredia l’y a remise. Grâces lui soient rendues !
Certes ! avec sa nature poétique et plastique, avec ses facultés de coloriste débordant,
Heredia a dû souffrir de s’être passé cette gourmette du mot à mot, humble et résigné.
Il a dû terriblement lui en coûter pour se tasser et se ramasser dans ce rail ! Mais la
traduction qu’il s’est infligée est si bien obtenue, elle est si bien
réussie, qu’on ne dirait jamais qu’elle nous vient de ce Somptueux !
Si La Fontaine eût su l’espagnol, il l’aurait ainsi faite. Heredia est aussi un
Conquistador comme ses pères. Il a conquis la naïveté qu’on ne conquiert pas
d’ordinaire, ce verre d’eau de source que le plus brillant ou le plus charmant talent
n’a pas toujours à nous offrir, et qui est le meilleur breuvage, pour nos esprits et
pour nos âmes, que le génie lui-même puisse nous donner !
Et il s’est trouvé qu’ainsi traduite, la pauvre relation était un
chef- d’œuvre ! D’accent, je ne connais rien de plus touchant et de plus savoureux que
cette Chronique, où des choses épiques par la grandeur sont racontées avec une
simplicité sublime. L’indomptable, l’ineffaçable chrétien respire toujours dans le
capitaine d’aventure, dans le Jason de cette toison d’or, qui était plus touché de voir
planter une croix dans le sol conquis que de voir arracher l’or, par paquets, de ses
entrailles !… Pour avoir quelque livre à comparer à cette Chronique, il faut, selon moi,
remonter jusqu’aux adorables Mémoires du sire de Joinville. Non que je
compare les deux compagnons ! Joinville est une figure presque céleste. Il n’y a pas
d’âme, dans toute l’Histoire, de supérieure à la sienne, si ce n’est celle de Jeanne
d’Arc ; mais Jeanne d’Arc était un Séraphin ! L’ami de Cortez n’était pas l’ami de saint
Louis, et Joinville est le saint Jean Évangéliste de ce saint Roi, en Notre Seigneur
Jésus-Christ. Et cependant l’homme de sac et de corde espagnol, l’aventurier à la
diable, avait quelque chose de commun avec le pur Sénéchal, et c’est la foi chrétienne,
qu’il n’a jamais perdue ! et c’est encore ce souffle de simplicité qui vient de
l’Evangile et qu’on trouve aussi dans sa Chronique, — brise de Dieu qui passe, à chaque
instant, sur ses récits !
J’ai dit en commençant que cette Chronique n’est pas finie, et qu’elle va continuer.
José-Maria de Heredia se contentera-t-il de publier le second volume de sa traduction,
— de cette traduction dont il n’a pas eu besoin de nous donner le texte original, tant
elle est pénétrante et tant nous sentons dans notre âme, en la lisant, qu’elle est
exacte et sincère ? Ou bien ajoutera-t-il au second volume de sa traduction des
fragments d’histoire de son chef, comme ceux dont il a accompagné le premier ? Pourquoi
ne pas lui dire que je le voudrais ?… Je ne connais rien de Heredia que le grand
coloriste en histoire. Il m’a fait admirer un artiste auquel je ne m’attendais pas. Il a
fleuri pour moi, dans ma tête, comme un cactus qui déchire avec éruption son enveloppe.
Mais le grand historien va peut-être surgir et éclater à son tour… José-Maria de Heredia
nous annonce non plus des tableaux historiques, mais une histoire complète de la
conquête du Mexique, et l’historien, qui est fait de hauteur de vue et de moralité,
va-t-il planer ici sur la vie de sa couleur, et s’y dresser dans l’auguste attitude de
cette double force nouvelle ?… Alors, au lieu d’un grand artiste, nous compterions un
grand historien, et, toujours conquistador, il aurait planté son
pennon dans l’Histoire, comme Pizarre sur la terre des Incas, et, pour finir par un mot
de sa connaissance :
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