Paul Chalon
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Vous rappelez-vous deux ou trois nouvelles très distinguées, parues il y a quelques
années dans la Revue bleue et signées Paul Chalon ? L’auteur était un
jeune homme de beaucoup de cœur et d’esprit, qui avait su inspirer à notre cher directeur
Eugène Yung une vive sympathie, et qui mourut peu après, à vingt-sept ans, Mme Paul Chalon
vient de réunir en volume les essais de son mari. Je les ai relus avec plaisir, et non
sans attendrissement.
Je me rappelle ceux de mes amis, à moi, qui sont morts à vingt ans et qui resteront, à
cause de cela, les plus aimés. Vous avez dû le remarquer : ceux de nos compagnons de
jeunesse qui nous ont été enlevés dans leur printemps, ce sont presque toujours les
meilleurs et les mieux doués, ceux dont nous attendions le plus, ceux à qui nous croyions
du génie. Nous joignons, dans notre souvenir, à ce qu’ils ont été, ce que nous sommes sûrs
qu’ils auraient fait s’ils avaient vécu. Qui dira ce qu’eût fait Henri Regnault ? Qui dira
ce qu’eût fait Adrien Juvigny ? Les plus belles œuvres d’art et les plus beaux livres, ce
ne sont peut-être pas ceux que nous avons, mais ceux qui devaient sortir de l’âme de tous
ces jeunes morts. Sans doute ils achèvent leur tâche ailleurs. Si quis piorum
manibus locus, nous retrouverons cet art et cette littérature d’outre-tombe, qui
seront la joie du paradis qu’il est permis de rêver. Un Dieu moissonne les adolescents de
génie et les belles jeunes filles, afin que ses élus soient un jour réjouis par leur
beauté et par leurs chants ; et le printemps éternel sera fait de ces printemps humains
brusquement interrompus… Je livre cette idée consolante et déraisonnable à quelque poète
spiritualiste.
Revenons au livre posthume de Paul Chalon. Il y a dans les Violettes,
une jeunesse et une fraîcheur de sentiment tout à fait charmantes… Nous sommes pleins de
bienveillance pour les morts que nous avons connus et aimés. Nous les transfigurons sans y
prendre garde. De loin, leur jeunesse paraît plus fleurie, plus avide de vie et de lumière
parce qu’ils ne jouissent plus du soleil ; et leur tendresse paraît plus tendre parce que
leur cœur ne bat plus. Nous nous disons : « Quoi donc ! ils étaient ainsi ? » Et c’est
comme si nous les découvrions. Mais, parmi d’autres pages où, sous une forme encore
hésitante, se trahissent une âme douce et chaude et un esprit ingénieux, je vous
recommande particulièrement les Deux gendarmes. Cela n’est point
parfait, assurément ; mais cela est simple, franc et tragique. Le tableau de ce duel au
sabre, de ce duel à mort, dans une écurie close, derrière la croupe des lourds chevaux et
sous la lumière fantastique d’une lanterne, n’est point d’une imagination médiocre. Il est
triste que cette imagination soit éteinte ; il est triste que tout passe et il est
triste que nous ne puissions même pas concevoir un monde où rien ne passerait.
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