De l’analogie. — Comparaisons et contrastes. — Allégories Un autre ressort de l’invention, dont l’usage est fréquent, consiste à chercher des analogies ou des différences : on se demandera à quoi l’objet ressemble le plus, à quoi il est le plus opposé. L’esprit est ainsi conduit à découvrir des liaisons secrètes ou des contrastes imprévus entre les choses : quelquefois, par sa volonté même de les associer, il crée entre elles le rapport de sympathie ou d’antipathie. Ainsi Lamartine, quand une dame lui présente un album pour y écrire des vers, s’inspire de la circonstance, de l’objet qu’il a sous les yeux, et improvise cette belle comparaison :
Quand on a l’esprit plein d’une idée ou d’une passion, on y rapporte tout : il n’est rien qu’on ne trouve moyen d’y rattacher ; tout y ramène. Le procédé naturel de l’esprit est alors la comparaison et l’opposition, qui éclairent et déterminent l’objet dont il est occupé. Il y faut de la mesure : peu de manies sont plus insupportables que celle de trouver partout des ressemblances ou des différences ; c’est une recherche des plus fatigantes, et qui sent l’artifice. Sans doute il ne faut pas attendre que la comparaison jaillisse pour ainsi dire toute droite et dans sa forme parfaite, comme Minerve est sortie du cerveau de Jupiter. Elle doit être en germe dans l’esprit ; il faut que l’on sente plus ou moins vaguement un rapport. La réflexion travaillera là-dessus, éclaircira l’impression confuse, développera le germe, et joindra les objets par les côtés où ils se conviennent. Quand l’imagination est forte et capable de suivre dans leur développement parallèle une double série d’images successives, sans jamais en perdre de vue le rapport, la comparaison initiale aide puissamment à l’invention. Chaque image d’une série évoque une image correspondante de l’autre série ; si l’imagination est à bout d’un côté, elle se soutient de l’autre. Souvent on confond les deux séries en une seule : elles se remplacent et se recouvrent alternativement ; et, s’évoquant mutuellement, elles sont à tour de rôle exprimées et sous-entendues. C’est là ce qui rend si saisissante la fameuse pièce de Barbier sur Bonaparte. Partant de la vieille et banale comparaison d’un peuple libre à un cheval sauvage, Barbier a traduit dans les images qui montrent l’animal dompté, enlevé, poussé, crevé par son écuyer, l’histoire de la France asservie par Bonaparte, lancée à travers l’Europe, épuisée de guerres, et agonisante enfin avec lui. Toute la série des faits historiques est sous-entendue : de temps en temps seulement un mot la fait paraître, pour resserrer le lien des deux séries et en préciser la concordance.
Lorsque la comparaison se développe avec cette ampleur et cette richesse, sans perdre de sa précision, l’effet est merveilleux. Mais il faut être bien sûr de soi, bien maître de sa pensée et de la langue. Quand on commence à écrire, il est dangereux parfois de comparer, on oublie de définir. Les comparaisons sont les portes par où le vague envahit le discours. On prendra garde de se laisser aller à comparer ce qu’on ne conçoit pas, comme cet aveugle qui disait que le mot rouge le faisait penser au son de la trompette. On ne cherchera à quoi un objet ressemble que lorsqu’on saura bien ce qu’il est. Des comparaisons comme celle de Barbier que je viens de citer, sont vraiment des allégories, et ne présentent plus que des symboles. L’emploi en peut être utile comme moyen d’investigation et de recherche. Les esprits jeunes ne savent guère opérer sur des abstractions : elles manquent de corps et échappent à la prise de l’imagination. Aussi peut-il être bon, la nature de l’objet une fois bien définie, de se le figurer par une représentation concrète. Je conseillais plus haut de décomposer le groupe en ses individus : il s’agit ici de réaliser l’idée même du groupe en une forme personnelle, vivante, individuelle. On peut être embarrassé de peindre le caractère du peuple athénien, et de résumer en quelques traits l’histoire du paysan français, tandis que l’on se tirerait convenablement du portrait du vieillard Dêmos ou de la vie de Jacques Bonhomme. Mais il y a là un terrible écueil : l’allégorie induit l’écrivain inexpérimenté à manquer éternellement la justesse et la précision. On n’en tirera une véritable utilité que si l’on se condamne au labeur pénible de convertir il chaque moment l’image en idée, le symbole en abstraction, de passer de la métaphore au mot propre, enfin si l’on refait en sens inverse le chemin déjà parcouru.