NOUVELLE
ICONOGRAPHIE
DE LA
S AL PÊ TRI ÈRE
TOME XXIV
1911
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NOUVELLE ICONOGRAPHIE
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SALPÊTRIERE
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GILLES DE la TOI'Itr'1'Tr. Paul RICIIER, ALBERT Longue
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ICONOGRAPHIE MÉDICALE
ET
ARTISTIQUE
Patronage scientifique :
J. BABINSKI. - G. BALLET. J. DEJERINJ. DENY -
E. DUPRÈ. A. Fournier GRASSET
KLIPI'EL. - PIERRE MARIE. PITRES
REGIS. SEGLA'S. J. A. SICARD. A. SOUQUES
ET
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE
DE PARIS
Di ectioit Rédaction :
PAUL R1CHER HENRY MEIGE
TOME VINGT-QUATRIÈME
PARIS
MASSON ET C'e, Éditeurs
LIBRAIRES DE L'ACADEMIE DE MEDECINE
120, Boulevard Saint-Germain (6<)
1911 I
NOUVELLE
ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÈTHIÈRE
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE
PAR
MAGALHAES LEMOS
Médecin de l'Hôpital de Conde de Ferreira (Porto).
Quelque curieux et déconcertant que cela paraisse, on peut avancer que
les géants et les enfants sont logés à la même enseigne. Je veux dire par là
que quelques géants ne sont que des infantiles excessivement hauts.
« Depuis que l'on connaît mieux les caractères de l'infantilisme, disent
MM. Brissaud et Meige (1),on s'aperçoit que ce syndrome, le plus souvent
constaté dans les gens de petite taille, peut s'observer aussi non seulement
chez les sujets de taille ordinaire, mais encore chez les individus de haute
stature. »
Dans quelques observations, comme celles que nous allons rapporter,
l'association du gigantisme avec l'infantilisme est un fait frappant, qui
s'impose de prime abord ; et, nier cette association, c'est, à mes yeux,
-nier l'évidence même.
Mais si le gigantisme donne ainsi une main à l'infantilisme, il tend
l'autre à l'acromégalie il n'y a point de doute à cet égard. Cependant,
si tous les auteurs s'accordent sur la fréquence des rapports qui existent
entre le gigantisme et l'acromégalie,les avis sont partagés quant à la nature
de ces rapports; malgré les travaux qu'elle a suscités, cette question
reste toujours ouverte.
On sait qu'une théorie uniciste se dresse en face d'une théorie dualiste.
Les uns, avec MM. Massalongo, Brissaud, Meige, Tamburini, Klebs,
etc., soutiennent l'identité de ces deux étals morbides. Pour ceux-ci, le
gigantisme et l'acromégalie représentent deux formes d'un même trouble
du développement de l'individu, le premier, survenant au moment de
(1) E. BRISSAUD et Henry MEtos, Type infantile du gigantisme, Nouvelle Iconogra-
phie de la Salpêtrière, 1904, p. 165.
xxiv !
2 - MAGALHAES LEMOS
l'adolescence, la seconde, lorsque le temps de la croissance normale est
passé. ,
Les autres avec M. Pierre Marie, G uinon, Sternberg, etc. s'élèvent
contre cette identification, et affirment qu'il s'agit là de deux états patho-
logiques absolument différents : « Contrairement au gigantisme, écrit
G. Guinon, qui n'est, le plus souvent, que l'exagération d'un processus
normal, l'acromégalie est une véritable maladie. »
Pour accentuer ces divergences, la congénitalité ou non congénitalilé du
gigantisme et de l'acromégalie ne sont pas suffisamment établies; et de plus,
l'étiologie et la pathogénie de ces deux états sont entourées d'obscurité.
Nous avons profité de l'examen d'un sujet où le gigantisme, l'infantilis-
me et l'acromégalie sont étroitement associés, pour, à notre tour, aborder
ces questions avec les documents que l'observation personnelle nous a
donnés sur le début, exceptionnellement précoce, l'évolution et la na-
ture de ces troubles.
Le cas que nous rapportons nous semble intéressant à beaucoup de points
de vue ; et, tout particulièrement, nous croyons qu'il peut apporter quel-
que lumière sur la congénitalité du gigantisme et de l'acromégalie.
Ce sera toujours une observation de plus sur le gigantisme, et les
documents positifs, fixant les idées, sont toujours utiles.' Les théories pas-
sent. Seuls les faits bien observés demeurent éternels.
Observation (PI. 1 et II).
José Lopes, âgé de bientôt 21 ans, est né à Farellos (AJgarve) le 12 fé-
vrier 1889. Sa haute taille attire immédiatement l'attention. Au conseil de
revision, qui a eu lieu le 21 septembre 1909, il fut inscrit comme mesurant,
2 m. 08, et reconnu inapte au service militaire. Il pesait 117 kilos, sans vête-
ments, le 18 novembre, et 120 kilos quelques mois plus tard.
Antécédents héréditaires. - 1° Côté paternel. - Le père, cultivateur, est
mort à t'age de 59 ans d'une maladie indéterminée. Vivant dans une région
marécageuse, où sévit le paludisme, qui frappe plus ou moins la population
entière, il paya son tribut il la maladie du pays ; mais, malgré cela, sa santé
était assez bonne. Pas de syphilis. Pas d'alcoolisme. Il était de très petite taille,
maigre et laborieux.
Deux tantes paternelles, sont plus grandes que leur frère, et d'une taille
peut-être supérieure à celle de la moyenne des femmes. Elles sont mariées, et
l'une a trois enfants.
2Q Côté maternel. La mère, âgée de 60 ans, est excessivement petite,
maigre, faible et active. De plus, elle est très nerveuse, d'une impressionna-
bilité extraordinaire, et appréhensive.
Elle a des craintes morbides, des phobies.
Nouvelle Iconographie de la ';ALPITRIiRE. 1'. XXIV Pl. I
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMEGALIE
(Magalhaes Lemos).
Le géant Jose Lopès (21 ans ; taille 2 m. 10 ; poids 117 kilos) et son frère.
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Nouvelle Iconographie DE la SALPCTRIl.RE. T. XXIV, PI, II
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE
(Magalbaes Lelllos).
Le géant Jose Lopès.
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROD1FGALlE 3
Il a trois tantes maternelles qui sont aussi de petite taille, mais laborieuses
et saines. Elles sont mariées : l'une a eu deux enfants, l'autre un garçon et
trois filles, et la troisième eut deux garçons, dont l'un est mort.
Ces enfants n'offrent rien d'anormal.
La grand'mère, assez forte et bien portante, était d'une taille inférieure à la
moyenne.
Le grand'père, vigoureux et gros, était d'une taille sensiblement supérieure
à la moyenne.
Comme nous venons de le voir, dans la famille du géant, les petites tailles
sont fréquentes et particulièrement le père et la mère étaient très petits.
De cette union sont nés cinq enfants - trois filles et deux garçons dont
notre géant est le cadet. Excepté celui-ci, ils sont tous de taille moyenne, ou à
peu près, et assez bien portants.
Maria Rita, l'aînée, âgée de 3G ans, est mariée, a une fille et trois garçons,
qui sont tous vivants.
Pas de fausses couches.
Domingas, âgée de 32 ans, est célibataire.
Cecilia, 30 ans, mariée, a un fils et est actuellement enceinte.
Antonio, 25 ans, marié, a un fils. Je l'ai fait photographier il côté de son
frère. C'est un homme maigre, très pâle, et passablement musclé, qui mesure
1 m. 68. Il dépasse donc de 3 centimètres la taille moyenne.
Comme son frère, il a eu la variole dans l'enfance, et ne fut pas, non plus,
épargné par la malaria. Ainsi que sa mère, il se plaint d'être très nerveux et
très émotif : « Si je vois, dit-il, une mouche, une impureté quelconque dans
mon verre, je suis pris d'angoisse, de palpitations et je me mets immédiate-
ment à trembler. C'est plus fort que moi. »
On sait que cette crainte morbide, franchement angoissante, accompagnée
de palpitations et de tremblement nerveux n'est autre chose qu'uue phobie.
« A cet égard, dit-il, je suis absolument comme ma mère. »
Antécédents personnels, - José est venu au monde, dit cet homme, après
un accouchement facile et normal. Dans ses antécédents personnels, on relève
une variole assez discrète et très bénigne à l'âge de 5 ans ; une maladie fébrile
(rougeole ? ) de très courte durée à l'âge de 10 ans ; et quelques mois après,
à l'occasion de travaux agricoles, qu'il faisait exposé aux ardeurs du soleil et
dans des terrains humides, il contracta les fièvres palustres, qui l'ont retenu
au lit pendant deux grands mois.
Il affirme n'avoir jamais vu de l'oeil gauche; nous y reviendrons plus loin.
De plus, il dit avoir toujours souffert de maux de tête, parfois assez intenses,
et qui se calment par le frottement du front et des tempes avec un crayon anti-
névralgique, qu'il porte toujours sur lui. Enfin, il a des épistaxis assez fréquen-
tes, qui soulagent .toujours les maux de tête, immédiatement et pendant les
jours qui s'en suivent.
Voilà son histoire pathologique.
La mère s'est aperçue que, à la naissance, il était déjà un peu plus grand
4 MAGALHAES LEMOS .
que les autres nouveau-nés, mais elle n'y attacha aucune importance spéciale.
C'est vers l'âge de 6 à 7 ans, après la variole, que sa croissance rapide attira
l'attention de tous ; et depuis cette époque, sa taille n'a pas cessé de s'ac-
croître assez régulièrement, sans poussées, et avec une rapidité surprenante
jusqu'à 12 ans.
Il n'aurait jamais eu les douleurs articulaires de croissance ; du moins il ne
se rappelle pas en avoir éprouvé. -
Il ne sait pas lire. Son père, ayant besoin de son travail, n'a pas songé à
l'envoyer à l'école. Ajoutons cependant, d'ores et déjà, qu'à son allure spéciale,
et dans sa façon de penser et d'agir, on voit bien le cachet de sa débilité
mentale.
A l'occasion de quelque petite contrariété, il se met de mauvaise humeur,
et alors, sa réaction habituelle est la bouderie.
Dans ses premières années, il travaillait aux champs avec les siens, mais,
à l'âge de 11 ans, il fut admis dans les travaux des mines de S. Domioâos, où
il gagnait 1 fr. 60 (320 reis) par jour. Tout dernièrement, profitant de l'admira-
tion provoquée à Lisbonne, lorsqu'il s'y présenta pour la révision, il abandonna
les mines pour aller s'exhiber en public, comme phénomène, à titre de géant.
C'est à son passage à Porto que j'ai pu l'étudier.
Etat actuel (décembre 1909). Lorsqu'on examine le géant José Lopes, un
fait principal frappe immédiatement les yeux, attire et retient l'attention : C'est
la persistance, malgré son âge et sa taille, des caractères sexuels de l'enfance
organes génitaux rudimentaires, avec absence de poils au pubis et aux aissel-
les. Mais nous reviendrons là-dessus plus loin. Examinons-le tout d'abord au
point de vue morphologique, et commençons par les caractères anthropométri-
ques qui, comme le dit Broca, ont le précieux avantage de pouvoir être expri-
més en chiffres ; ils se prêtent ainsi à des comparaisons précises, et surtout
à l'application de la méthode des moyennes, qui est la base la plus sûre de
l'anthropologie ; ceci va nous donner des documents très importants pour
discuter le diagnostic de l'acromégalie.
Dans la mensuration des diverses parties du corps, nous avons choisi les
points de repère et opéré d'après les instructions de la Société d'Anthro-
pologie.
Taille et membres inférieurs. Leurs rapports. La taille, dans la
station debout, est de 2 m. 100. Mais, cqmrne on le remarque dans les photogra-
phies que nous reproduisons, la longueur des membres inférieurs par rapport
à la taille est exagérée. D'après le canon égyptien de Lepsius, on voit que chez
l'homme normal la longueur des membres inférieurs, à partir du pubis comme
point de repère, représente les 10/19 de la hauteur totale. Or, si le géant José
Lopes gardait les mêmes proportious entre les parties du corps, et étant donnés
ses 2 m. 100 de taille, la hauteur du pubis au-dessus du sol devrait être de
1 m. 105 au lieu de 1 m. 165, que nous avons mesuré. La longueur de ses
membres inférieurs dépasse donc de 60 millimètres les proportions du corps
indiquées dans ce canon.
Ce manque de proportions entre la hauteur du corps et la longueur des
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 5
membres inférieurs apparaît encore plus grande si nous nous rapportons au
canon grec, construit par Quételet, qui donne pour une taille de 1000 une
longueur de 513 pour les membres inférieurs. D'après ce canon, à une taille de
2 m. 100 répond une distance du pubis au sol de 1 m. 077 ; et nous avons
1 m. 165, c'est-à-dire 88 millimètres en plus qu'il ne le faut pour la régularité
du corps d'après le type grec.
Et cette disproportion, déjà si importante, s'accentue encore davantage si
nous comparons nos mesures anthropométriques avec le canon de l'européen
adulte moyen, arrêté par Topinard (1). En effet, puisque ce canon donne pour
une taille de 100 une hauteur du pubis de 50,5, nous devrions avoir chez
José Lopes, une hauteur du pubis de 1 m. 060, c'est-à-dire 105 millimètres
en moins de ce que nous avons.
En nous appuyant sur ces chiffres, tirés de la comparaison de nos mesures
avec les trois canons ci-dessus mentionnés, nous pouvons conclure que le
géant portugais a les membres inférieurs notablement plus longs que ne le
comporterait sa taille. Et cet excès de longueur, comme on peut vérifier par
les mensurations, est dû au développement des deux segments cuisse et
jambe - sans que l'un ou l'autre soit plus particulièrement en cause.
Par contre, les dimensions du pied,avec leur 0 m. 363 de longueur est énorme
et en disproportion flagrante avec la partie fémoro-tihiale du membre le
pied du grand Charles, étudié par MM. Launois et Pierre Roy n'avait que
0 m. 287 dans la première mensuration, et 0 m. 299 dans la deuxième. De
plus, le pied est plat, toute sa face plantaire touche le sol, et il est éga-
lement difforme par le développement des os du tarse, particulièrement de l'as-
tragale et du scaphoïde.
Avec MM. Launois et Pierre Roy, nous disons que cet allongement des
membres inférieurs réalise un type tout à fait particulier de géant, de taille
un peu plus qu'ordinaire (1 m. 002) quand il est assis, grand échassier, haut
sur ses pattes quand il est debout (2 m. 100). Ce type, ajoutent ces auteurs,
diffère totalement de celui des géants au grand tronc, ou tout au moins au
tronc développé proportionnellement avec le reste du corps,type qu'on retrouve
surtout chez les géants acromégaliques et- dont le spécimen, présenté par
Achard et Loeper à la Société de Neurologie (2), était un bel exemple.'
Membres supérieurs. - De même que les membres inférieurs, les membres
supérieurs sont aussi très longs, comme le prouve la grande envergure, qui
atteint 2 m. 155. Elle l'emporte, donc, ur la taille de 55 millimètres - le
géant est un homme aux bras longs (3). Dans l'appréciation de cette différence
(1) ToPiNAnn, Eléments d'anthropologie générale, p. 1092.
(2) Cn. Achard et M. Loep ? Gigantisme, acromégalie et diabète. Nouvelle Icono-
graphie de la Salpêtrière, 1900, p. 398.
(3) La grande envergure a été prise directement. Elle est différente de la mesure
qu'on obtient en ajoutant deux fois la longueur du membre supérieur (950) à la dis-
tance bi-acromiale (420), ce qui donne 2 m. 320 ; c'est-à-dire, 165 millimètres en plus.
Dans les mesures du géant Charles il existe aussi une grande discordance entre la
grande envergure prise directement et celle obtenue par le calcul.
6 MAGALHAES LEM0S
entre la taille et la grande envergure, il faut tenir compte de la diminution de
la taille produite par l'affaissement de la voûte des pieds.
Si, maintenant, nous jetons un regard sur les proportions intrinsèques des
trois segments du membre supérieur, si nous les comparons entre eux et avec
le canon de l'européen adulte moyen, nous constatons que le bras est propor-
tionnellement moins accru que l'avant-bras et la main. L'allongement porte
de préférence sur ces deux segments. C'est, en effet, ce qu'on voit très nettement
si on compare les chiffres des colonnes ci-dessous. Les chiffres de la première
colonne indiquent les dimensions théoriques que les segments devaient avoir
pour une longueur totale de 0 m. 9JO, celle du membre supérieur de José
Lopes, si les rapports du canon de Topinard étaient conservés ; les chiffres de
la deuxième colonne indiquent les dimensions réelles, celles que nous avons
trouvées ; et les chiffres de la troisième colonne représentent la différence entre
les chiffres donnés par le calcul et les chiffres trouvés par la mensuration.
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE
C'est ensuite, l'uniformité de la longueur du tronc dans toute sa hauteur,
exactement limité par deux lignes verticales tirées par les aisselles.
Pas de bassin large, qui rappelle le type morphologique féminin.
Cou. Le cou, pédicule de la tête, n'est pas très haut, ni très gros il
mesure à sa base 0 m. 350 de tour.
Larynx peu saillant. Voix lente, grêle et aigre. Le. corps thyroïde, bien per-
ceptible à la palpation, n'est pas plus grand que celui d'un homme normale-
ment développé ; il parait même au-dessous du normal.
Tête. Comme on voit très nettement dans la photographie, la tête de
José Lopes, qui, au premier abord semble petite pour un si grand corps, est
pourtant plus grande que celle de son frère, surtout dans sa région antéro-
inférieure, la face; la partie crânienne est peine supérieure à la moyenne,
et pas même dans toutes ses dimensions. La longueur de la courbe horizontale
totale, qui oscille respectivement dans les deux sexes, et sur le vivant, autour
de 0 m. 560 (H) et 0 m. 520 (F), mesure chez José Lopes 0 m. 590; la courbe
iniofrontale totale, qui oscille autour de 0 m. 355 (H) et 0 m. 310 (F) mesure
0 m. 360; le diamètre antéro-postérieur maximum, qui oscille autour de
0 m. 190 (H) et 0 m. 170 (F) mesure 0 m. 198; et le diamètre transverse
maximum, qui oscille autour de 0 m. 160 (H) et 0 m. 140 (F), présente
0 m. 154.
La dernière de ces mesures nous donne un chiffre inférieur à la moyenne.
Le crâne appartient au type mésaticéphale avec un indice céphalique de
77,77, sans l'addition des deux unités, conseillée par Broca, en céphalométrie,
dans le but de compenser la différence en moins qui résulte de l'épaisseur des
chairs, plus grande dans le sens transversal (à cause du muscle temporal) que
dans le sens antéro-postérieur.
Comme pous venons de le voir, le crâne est à peine au-dessus de la moyenne.
C'est surtout la face qui est plus développée, que chez l'homme normal; les
chiffres de la mensuration que nous en avons faite renseignent très exactement
sur sa forme et son développement. Ils montrent, lorsqu'on les compare avec
les mesures du crâne, que le développement- plus grand de la tète se fait sur-
tout, presque exclusivement, aux dépens de la face, très nettement augmentée
en longueur et en largeur. Les saillies malaires, en particulier, sont très
développées.
Les lèvres sont épaisses, les paupières lourdes, le regard sans vivacité, et
le visage un peu bouffi.
Largeur buccale 0 m. 056. La langue est sensiblement plus grande qu'à
l'étal normal. La formule dentaire est complète. Le volume des dents, leur
direction, leur arrangement, et leur usure n'offrent rien de particulier.
Le nez est assez long, très large, et légèrement retroussé.
Les oreilles sont inégales et mal faites. Le pavillon de l'oreille droite, pour
une hauteur de 75 millimètres, mesure 38 millimètres de large ; tandis que le
pavillon de l'oreille gauche ne mesure que 68 millimètres de haut pour 32 de
large. De plus, les oreilles sout mal conformées dans leur ensemble; et, tout
pal ticulièrement, le bord libre de l'hélix, recourbé en dedans, au lieu d'être
8 MAGALHAES LEMOS
régulier, offre dans sa partie supérieure deux incisures assez profondes qui
limitent un lobe très distinct, ce qui est dû à un défaut de développement du
bord du pavillon (Meyer).
Son torse et ses bras sont peu musclés, ses jambes le sont davantage. La
peau, qui n'est pas très fine, présente une coloration un peu foncée, est sèche,
froide et glabre, et trop large dans quelques régions.
Les ongles ne sont pas striés et n'offrent rien de particulier.
Les organes génitaux sont rudimentaires, quoique bien conformés. La
verge, à l'état de flaccidité, ne mesure que 7 centimètres de long, et encore
deux centimètres sont dus au prépuce ramassé au-devant du gland. Les bour-
ses sont extrêmement petites, non épaissies, et renferment des testicules à peine
plus gros qu'un pois, et qui n'atteignent pas le volume d'une cerise. De plus,
le géant José Lopes, avec ses 21 ans, est absolument imberbe, et il n'a pas
un poil aux aisselles ni au pubis. Malgré son âge et sa taille il est bien un
infantile.
J'ajouterai qu'il n'a jamais eu de rapports sexuels ; et, qui plus est, il ne
peut pas en avoir, ce qui l'attriste beaucoup, parce qu'il n'a pas d'érection.
Avec cela, il m'a aussi avoué qu'il était d'une frigidité absolue ; et je m'en suis
bien aperçu en surprenant sa façon d'agir vis-à-vis des provocations des jeunes
filles qui faisaient le service dans les salons où il s'exhibait.
Il mange peut-être un peu plus que l'ordinaire d'un adulte, mais pas exces-
sivement. Pas de soif exagérée. Il ne boit pas de vin ; en compensation il aime
beaucoup le café et les confitures.
De même que son appétit, sa vigueur et son indurance au travail ne sont
pas en rapport avec sa taille, il s'en faut de beaucoup. D'après son dire, il fai-
sait sa besogne dans les mines comme les camarades de son âge, avec la même
aisance. Cependant, un des individus qui l'accompagnait m'informa que pen-
dant son séjour à Lisbonne il lui était pénible de monter et descendre les esca-
liers plusieurs fois par jour, et que alors, il se plaignait de douleurs dans les
genoux. La vérité,' c'est qu'il se fatigue très vite, et qu'il ne peut pas suppor-
ter une longue promenade.
La force musculaire au dynamomètre donne 22 pour la main droite et 20
pour la main gauche-moins de la moitié d'un adulte normal.
Cette constatation a vexé notre géant qui ne voulait pas avouer une si grande
faiblesse. Peut-être que sa force s'affaiblit avec la vie sédentaire qu'il mène de-
puis quelques mois, ou pour quelque autre raison.
Les réflexes rotuliens sont presque abolis ; les réflexes achilléens et tricipi-
taux sont très affaiblis.
La sensibilité générale (superficielle et profonde) et spéciale sont intactes,
excepté la vision. Il a des troubles très importants de l'appareil visuel.
Le prof. A. Placido a bien voulu se charger de cet examen, qui a donné le
résultat suivant :
Léger strabisme convergent des deux globes oculaires, comme on voit dans
la photographie, dû à la parésie des deux nerfs de la sixième paire.
La papille droite est petite et présente une coloration rosée claire ; la papille
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 9
gauche est rétrécie, blanche et les vaisseaux sont minces atropine congé-
nitale.
Il existe une sensible dilatation pupillaire de deux côtés.
Le réflexe lumineux et le réflexe accommodateur de l'iris sont presque abo-
lis à gauche et très affaiblis à droite.
L'acuité visuelle est normale pour l'oeil droit, et égale à zéro pour l'oeil gau-
che cécité absolue congénitale.
Le champ visuel de l'oeil droit offre dans la partie externe, ou temporale il
partir de 45°, un scotome très limité, où la sensibilité lumineuse est complè-
tement abolie, et une zone bien plus étendue, signalée à l'examen par l'aboli-
tion du rouge et du vert. Il y une hyperesthésie pour le bleu.
La figure représente l'état des deux champs visuels projetés sur les rétines
correspondantes.
Dans l'oeil gauche, la vision est complètement supprimée dans tout le champ
visuel. Dans le droit, la zone la plus fortement teintée indique la perte totale
de la vision, et la moins teintée, la perte du rouge et du vert.
Il s'agit d'une lésion qui intéresse tout le nerf optique gauche en le détrui-
sant complètement (ou ayant plutôt empêché son développement), et qui empiète
sur le faisceau croisé de la bandelette optique du même côté, qui s'irradie dans
les deux tiers internes de la rétine droite, en détruisant aussi quelques fibres
et en atteignant moins profondément beaucoup d'autres pas toutes.
Du moins, tout se passe comme si cette lésion existait.
Le pouls est petit et bat 84 pulsations à la minute.
L'analyse chimique des urines a été pratiquée par le Dr Souza Garcez ; elle
a donné les résultats suivants :
10 MAGALHAES LEMOS
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROnIGAL1E 11
12 ) MAGALHAES LEMOS
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 13
14 MAGALUAUS LEMOS
métacarpiens. Or, on saitque la soudure des épiphyses inférieures des os de
l'avant-bras a lieu, pour le cubitus de 21 a 25 ans (chez l'homme), et pour' le
radius de 20 à 5 ans. Quant à la soudure des points épiphysaires des méta-
carpiens et des phalanges, on sait qu'elle se termine de 18 à 20 ans, d'abord
dans les segments distaux, puis dans les segments proximaux.
Donc, la persistance des cartilages épiphysaires des os de la main, dépasse
déjà la limite physiologiquement permise.
Etant donné l'âge du géant portugais (21 ans moins 54 jours) lorsque la ra-
diographie a été faite, celle-ci ne saurait pas avoir une importance aussi grande
que chez les sujets qui ont dépassé l'époque de la soudure normale des épiphy-
ses. Toutefois, l'examen radiographique n'a pas été inutile, parce qu'il est venu
prouver que les soudures des épiphyses les plus précoces, qui devaient être
définitivement réalisées à cette date, ne sont pas encore commencées.
« Il serait à souhaiter, dit. Henry Meige, que l'on fît des radiographies de
géants ne présentant pas de signes d'acromégalie. Et il est très vraisemblable
que, pendant tout le temps que se poursuit la croissance en longueur, on
pourra constater la persistance des cartilages de conjugaison. Ceux-ci, au con-
traire, auront complètement disparu si le sujet présente des déformations acro-
mégaliques (1). ')
Si la première proposition est absolument vraie, en revanche, la seconde sem-
ble être encore à démontrer. L'observation du géant José Lopes lui est oppo-
sée.
José Lopes présente cet arrêt de développement sexuel, qui, avec un
ensemble de signes morphologiques, caractérise l'infantilisme vrai (2), du
type Brissaud. Je dois même dire que je ne connais pas, parmi les géants,
un cas plus accusé d'infantilisme, surtout en ce qui concerne les organes
génitaux et la puberté - les premiers n'ont encore subi aucune évolution,
et celle-ci brille par son absence.
Il y a ans, nous avons publié dans la Nouvelle Iconographie de la
Salpêtrière (no 1, janvier- février 1906) l'observation d'un infantile de noire
service alors âgé de 37 ans, qui présente aussi un remarquable arrêt des
organes génitaux. Après,avoir autorisé quelques sorties, nous l'avons de
nouveau repris dans nos salles de l'hôpital depuis le 3 octobre 1908 ; et
aujourd'hui, qu'il a 41 ans, nous n'avons rien à changer à la description
que nous en avons donnée,à l'exception de quelques rares poils qui depuis
lors,- après le traitement par le corps thyroïde sont apparus au pubis.
Cependant il ne s'agit pas ici d'un géant. C'est un individu de 1 m.G7
(1) HENRI MEIGE, Sur le gigantisme, Extrait des Arch. gén. de médecine, octobre
1902, p. 38.
(2) Il n'y a rien ici qui fasse songer à la débilité, gracilité et petitesse du corps,
qui caractérisent l'infantilisme du type Lorain.
GIGANTISME, INFANTILISME Er ACROMÉGALIE 15
de taille; mais en dehors de cette circonstance secondaire, en dehors de
la présence de l'obésité et de l'absence de déformations acromégaliques,
aucune différence essentielle ne le sépare du géant José Lopes.
Après avoir remarqué que la description classique de l'infantilisme,
d'après Il. Meige, lui était applicable, nous écrivions ceci : « Il y a ce-
pendant dans le tableau de l'infantilisme, un symptôme assez important,
la petitesse du corps, qui nous manque : notre malade dépasse de 2 centi-
mètres la moyennepour les Européens, puisqu'il mesure 1 m. 67 de taille.
Mais, malgré que ce caractère soit un des plus frappants de l'infantilisme,
il n'est pas essentiel. Il y a de « petits hommes » et de « grands enfants ».
Les adultes, comme M. Brissaud le remarque avec justesse, ont bien des
manières de rester enfants ;cela dépend d'une multiplicité de circonstances,
de la convergence de causes qu'on ne saurait pas spécifier. Cequi domine,
dans l'évolution physiologique, le passage de l'enfance vers l'adolescence
c'est, avec la métamorphose plastique éonnue, l'apparition de la fonction
sexuelle, et des caractères sexuels secondaires. La taille joue un rôle rela-
tivement secondaire, de façon qu'on peut voir la coexistence de l'infanti-
lisme et du gigantisme. Ainsi que l'arrêt de la croissance ne suffit pas à
justifier le diagnostic d'infantilisme, l'accroissement normal de la taille,
tout bien considéré, ne saurait l'exclure...
L'enfant a grandi, oui ; mais, chose essentielle, il ne s'est pas métamor-
phosé en homme, puisqu'il garde, à l'âge de 37 ans, les attributs morpho-
logiques fondamentaux de l'enfance » (1).
C'est justement ce qui arrive avec José Lopes. L'enfant a bien grandi ;
sa taille, qui poussait à vue d'oeil, dépassa la moyenne et de très bonne
heure (avant 12 ans) et devint gigantesque; mais il n'a pas pu se méta-
morphoser en homme, puisqu'il garde, lui aussi, les attributs morpholo-
giques et fonctionnels de l'enfance. En effet, notre géant, absolument
comme notre infantile, a un pénis très petit, et ses testicules plus petits
encore sont ceux d'un enfant de 7 à 8 ans ; de plus, son torse est cylindri-
que, et un peu proéminent, la peau uniformément glabre (pas un poil au
pubis, aux aisselles ou sur le visage), la face légèrement arrondie, les lèvres
saillantes et charnues, les cheveux fins, le larynx peu saillant,la voix grêle,
et le corps thyroïde semble un peu petit.
Bref, il est un homme par son âge (presque 21 ans), un géant par sa
taille (2 m. 100), et un enfant par l'état rudimentaire de ses organes géni-
taux', par l'absence complète de ses caractères sexuels secondaires et l'en-
semble de ses formes corporelles (excepté ses mains et ses pieds), ce qui lui
donne un habitus morphologique très spécial.
(1) Magaliiabs LE ! Os,lnfanlilis11le et dégénérescence psychiq ? le. 1\1 ouvelle Iconographie
de la Salpêtrière, no 1, 1906, p. 62.
'1(j MAGALHAES LEM0S
C'est donc un infantile par son corps.
Voyons maintenant son esprit.
Son visage exprime le découragement, l'apathie. Il a l'air timide, cher-
che la solitude, et est dominé par un sentiment d'invincible tristesse,
d'abattement, de dépression morale. Aussi, il n'aime pas à s'amuser comme
les individus de son âge; on le voit presque toujours silencieux, taciturne,
abstrait, comme absorbé par une idée, mais en réalité dans ces conditions
il ne pense généralement à rien.
Sans vouloir amoindrir l'importance de l'intervention des glandes à
sécrétion interne dans la pathogénie de cette dépression morale, il me
semble qu'on ne saurait pas en exclure tout à fait l'influence d'un déficit
de l'état cénesthétique, évidemment mutilé par l'absence des sensations
provenant des organes génitaux. On sait, en effet, jusqu'à quel point l'état
cénesthétique domine et actionne notre individualité psychique et notre
vie affective ; on sait encore qu'à l'époque de la puberté, pendant cette
période de métamorphose organique, une foule d'impressions inconnues,
liées en grande partie à l'éveil de la vie génitale, apparaissent, agissent et
se traduisent par des manières de comprendre et surtout de sentir toutes
nouvelles. Eh bien, puisque le gros lot des sensations génitales manque
chez José Lopes, il faut convenir que cette lacune cénesthésique doit être
pour quelque chose dans la torpeur et dans le déséquilibre de son esprit.
Ceci posé, continuons l'examen de son état mental.
L'idéation est limitée au cercle restreint des impressions journalières, ou
plutôt du moment. Le jugement, la mémoire et l'attention sont faibles. Il
est paresseux, sans initiative; il n'a pas notion des plus élémentaires devoirs
de politesse. Mais je précise. Il me proposait, par exemple, d'aller l'exa-
miner il 8 heures du matin, et comme je lui faisais observer que c'était trop
tôt, nous fixions rendez-vous pour les 10 heures. Eh bien, quand j'arrivais
à l'heure convenue, je le trouvais presque toujours tranquillement couché ;
il ne se gênait pas pour me faire attendre une demi-heure ou mémedavan-
tage. Il ne décidait jamais quoi que ce soit sans consulter son parrain. Et
j'ai l'impression que, livré à lui seul, il aurait beaucoup de difficultés à
parcourir le pays il ne fait jamais un pas sans être accompagné.
Il a une pudeur morbide, qui, soit dit en passant, a hérissé mon obser-
vation de désagréments et de difficultés; je l'attribue a la conscience
qu'il a de l'état rudimentaire de ses organes sexuels, en contraste avec sa
taille- il en est honteux ! Lorsque je faisais l'examen anthropométrique,
à chaque mesure que j'indiquais, il abandonnait la planche graduée,
adossée au mur, et prenait sa chemise pour s'habiller. Et comme j'insis-
tais pour qu'il restât un instant nu, il commença à se mettre de mauvaise
humeur, et... se mit à pleurer.
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 17
Un trait de son état mental, c'est encore la bouderie. J'arrive un matin,
comme c'était convenu, pour faire les mensurations de la tête, et par hasard
je le trouve assez content ; mais à peine commencé-je mon travail, d'ailleurs
très simple, qu'il a l'air de mourir d'ennui ; après les mensurations, bou-
dait, ne voulait pas déjeûner, disait qu'il n'avait plus d'appétit, tout en se
promenant de long en large dans la salle, tandis qne le repas se refroidissait.
Il a fallu le prier, le dorloter, le cajoler absolument comme un enfant
pour qu'il se décidât à manger.
Je crois avoir remarqué qu'il préférait la société des enfants de 8 il 12
ans, à la société des hommes de son âge.
En somme : faiblesse d'intelligence et de volonté, tristesse, mobilité de
caractère, irritabilité prompte, entêtement, bouderie, paresse, enfantillage.
Bref, un faible, un enfant, et un triste un vrai dégénéré.
Par sa taille associée à sa conformation corporelle, aussi bien que par
son état mental, José Lopes est un géant infantile.
Est-ce aussi un acromégalique ? La réponse ne saurait pas être dou-
teuse. En effet, sa tête est plus grande que la moyenne ; et, comme nous
l'avons remarqué, elle s'est accrue presque exclusivement aux dépens de
la face. En dehors des mesures prises on voit cela très nettement lors-
qu'on compare la photographie du géant avec celle de son frère. La
mâchoire inférieure est sensiblement pl us grande, les pommettes plus sail-
lantes, ainsi que la partie externe des arcades sourcilières, le nez long et
large, et les lèvres assez épaissies. On dira,peut-être,que ces signes ne sont
pas bien caractéristiques ; qu'il n'y a dans cela que des ébauches d'acro-
mégalie, tout au plus. Mais nous avons quelque chose de mieux : ce sont
les importants troubles oculaires, la céphalalgie, et surtout le développe-
ment disproportionné des mains et des pieds, par rapport aux autres seg-
ments de membres. Revenons donc sur ces déformations squelettiques
pour bien mettre en relief tout ce qu'elles offrent de particulier, de carac-
téristique. Rappelons tout d'abord que le développement de la main,
comme nous l'avons vu en nous rapportant au canon anthropométrique de
Topinard, contraste par son exagération avec la longueur totale du membre
supérieur, et surtout de son segment proximal (bras).
Maintenant, si nous prenons pour point de repère de la proportionnalité
des diverses parties du corps, le canon artistique romain oudeVitruve, qui
donne pour la longueur de la main la dixième partie de la taille, et si la main
de José Lopes était d'accord avec ce canon, nous devrions avoir 0 m. 210
au lieu de 0 111. 250. Bref, la main de JObé Lopes, au lieu de s'arrêter
xxiv 2
18 MAGALHAES LEMOS
dans sa croissance au dixième de sa taille, en mesuré près de un huitième.
Elle est donc très grande même par rapport à son corps gigantesque, mais
sans être ni trop large, ni trop grosse, sans prendre la forme en battoir.
Les doigts, d'une longueur sensiblement proportionnelle à la main,
sont peut-être un peu massifs, mais pas en saucisse.
En somme, la main de notre géant offre ce type en long, « caractérisé
par un développement en longueur à peu près proportionnel au dévelop-
pement en largeur», qui appartient, en général, à l'acromégalie à début
précoce. Et c'est bien son cas.
Le pied est grand et difforme, comme on peu[ facilement s'en rendre
compte en jetant un coup d'oeil sur les photographies, et comme d'ailleurs
le prouvent les mesures prises; il atteint 0 m. 363 tandis que celui du
géant Charles n'avait que 0 m. 299 à l'âge de 30 ans. Si on le compare
avec le canon de Vitruve, qui donne pour la longueur du pied la septième
partie de la taille, nous devrions avoir juste 0 m. 300, étant donnée la
taille du géant, chiffre dépassé de 63 millimètres. En somme, le pied de
José Lopes au lieu d'avoir un septième de sa taille, atteint presque
un sixième. Déplus, il est large de 0 m. 133, et mesure 0 m. 350 de
circonférence. Sa voûte s'est affaissée sous le poids du corps, le cou-de-
pied est énorme, les malléoles sont hypertrophiées et écartées (largeur
bi-malléolaire 0 m.100). Le gros orteil, long de 0 m.105,mesure 0 m. 105
de circonférence à la base de la première phalange et 0 m. 1 ? 0 à la base
delà deuxième. J'ajouterai que l'énormité du pied est frappante qu'elle
a été immédiatement signalée par les journalistes qui ont vu le géant.
Eh bien, cette singulière hypertrophie de la face, des mains, des pieds
et des malléoles, accompagnée de céphalée et des troubles oculaires, que
nous avons décrits, n'est autre chose que l'acromégalie. Et il ne s'agit pas
ici d'un de ces cas insuffisamment caractérisés en présence desquels le dia-
gnostic hésite : Il me semble que ces signes sont suffisants, et assez
accusés, pour caractériser l'acromégalie.
Le diagnostic de cette maladie se résume,en définitif.dans une question
anthropométrique, et les mesures prises donnent une réponse nettement
affirmative. , .
Et je peux encore y ajouter, comme appartenant aussi à la maladie de
Pierre Marie, l'augmentation du diamètre antéro-postérieur du thorax, la
diminution des réflexes tendineux surtout des rotuliens, qui sont presque
abolis, l'asthénie, la grande faiblesse musculaire, l'absence de puissance
génésique, la tristesse, etc.
Bref, José Lopes, comme presque la moitié des géants est acroméga-
lique. Mais à quel âge les premiers symptômes de la maladie de Pierre
Marie ont-ils fait leur apparition chez lui (1) ?
(1) On sait que la grande majorité des cas de l'acromégalie sont de début postérieur
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.
T. XXIV. PI. III
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE
(Magalhacs Lemos).
Main et pied du géant Jose Lopès, comparés à ceux de son frère.
Masson & Cie, Editeurs.
Nouvelle Iconographie DE la SAL('ÉI'RICRE.
T. SYIV. Pl, IV
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMEGALIE
(Magalhaes Lemos).
Radiographie de la main du géant José Lopès.
Masson & CI ! '} Éditeurs.
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 19
Interrogé à ce sujet, notre géant prétend qu'il a toujours eu les mains
et les pieds trop grands, ce qui est catégoriquement confirmé par son
frère et par son parrain d'après ceux-ci, les pieds et les mains seraient
apparus déjà hypertrophiés à la naissance.
Rappelons ici que sa mère s'est aperçue qu'à la naissance il était déjà
aussi plus grand que les autres nouveau-nés c'était vraiment un nou-
veau-né gigantesque (1).
Je ne sais pas jusqu'à quel point je dois tenir compte de ces informa-
tions, qui conduiraient à admettre la congénitalité de l'acromégalie
et du gigantisme, mais qui n'ont pas été établies médicalement ; dois-je
les considérer comme douteuses, ou au contraire leur prêter foi. Je tiens
cependant à remarquer qu'elles s'accordent sur tous les points avec la cé-
cité de l'oeil gauche et la céphalée ; le sujet les fait également remonter à
ses premiers souvenirs; elles sont enfin d'accord avec un fait de la
plus haute importance, avec l'aspect de la papille gauche -atrophie con-
génitale, constatée par un médecin ophtalmologiste des plus compétents.
Voilà des faits qu'il faut retenir et que, dans leur ensemble, s'appuyant
les uns sur les autres, parlent nettement d'une lésion congénitale de la
à 20 ans (97 sur 125).Les débuts les plus précoces ont été,en général, observés entre 14
et 15 ans (Surmont,Lynn,Thomas, Uhthoff) ; et d'après Sternberg les cas qu'on a décrits
chez les enfants sont contestables.
Moncorvo a rapporté un cas exceptionnel d'acromégalie chez une petite fille des
14 mois incapable de parler et de se tenir debout. Mais il se contente de faire remonter
le début de la maladie « à une époque très rapprochée de ia naissance », et ne croit
pas à son origine congénitale. Si on met de côté certaines déformations squelettiques,
observées chez le ? idiots et les arriérés, et décrites par Virchow sous le nom d'acromé-
galie partielle, on peut dire que la congénitalité de l'acromégalie est tout au plus dou-
teuse.
Et M. Pierre Marie est si convaincu de la non-congénitalité de sa maladie, qu'il fait
rentrer cette notion dans la définition qu'il nous en a donnée une hypertrophie
singulière, non congénitale, des extrémités supérieures, inférieures et céphalique.
(1) Dans l'immense majorilé des cas, le gigantisme se produit à 1 époque de la pu-
berté ou même plus tard; avant cette époque le gigantisme est excessivement rare,
niais on l'a cependant signalé.
Un sujet étudié par Sacchi présentait* les premiers signes de gigantisme à l'âge de
9 ans (1 m.43), un sujet rapporté par Meige et Brissaud à l'âge de 8 ans, un sujet de
Lambert à l'âge de 4 ans.Entin,Charles H..., étudié par Iludovernig, dans la Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière (1903, p. 1S1 et 1906, p. 398), et qui à la naissance étai
« extrêmement petit » s'est mis à grandir rapidement dès la deuxième année, et à
l'âge de 5 ans et 9 mois il mesurait 1 m.37 de taille et avait l'apparence d'un garçon de
15 a 16 ans. C'est le cas le plus précoce de gigantisme manifesté après la naissance,
dont j'ai pu prendre connaissance. Mais la croissance rapide du corps peut aussi com-
mencer pendant la vie intra-utenne, comme le prouve l'existence des nouveaux.nés-
gigantesques, dont la taille définitive est impossible à prévoir tantôt elle reste au
dessous de la moyenne, tantôt elle la dépasse, pouvant être gigantesque.
De même que l'infantilisme, le gigantisme peut n'être que transitoire.
20 MAGALHAES LEMOS
base; ou plutôt, puisqu'il s'agit d'un géant et d'un acromégalique, d'une
hypertrophie congénitale de l'hypophyse.
Et puisque la maladie et la lésion forment un tout, il est très vraisem-
blable et les renseignements donnés à ce sujet se trouvent ainsi être
exacts il est très vraisemblable, dis-je, que le gigantisme et l'acromé-
galie sont chez José Lopes d'origine congénitale. Du moins on ne saurait
pas le nier.
Il est, en tout cas, absolument certain que ces deux états, ont débuté
tous les deux de très bonne heure, au plus tard dans une époque rappro-
chée de la naissance, et sans qu'il soit possible d'affirmer que l'un deux a
précédé l'autre.
Il est pé1'emptoÙ'e, en particulier, que notre géant n'a pas attendu que
le développement en longueur des os fût enrayé par la soudure indestruc-
tible des épiphyses aux diaphyses pour s'acromégaliser.
Il est encore péremptoire que depuis longtemps José Lopes grandit,
devient géant, et du même coup s'acromégalise.
Ceci revient à dire que depuis bien longtemps ces deux déformations
squelettiques marchent de pair l'une à côté de l'autre.
Il a des chances de s'acromégaliser davantage,avec le temps, il est vrai ;
mais il peut aussi continuer à grandir, parce que les cartilages épiphysai-
res ne sont pas encore ossifiés, et, forl vraisemblablement, ils ne le seront
pas de sitôt.
Rien d'étonnant à ce qu'il grandisse, comme le porcher grec Simon Botis,
jusqu'à l'âge de 35 anus - c'est-à-dire pendant les 14 années à venir !
En résumé : chez José Lopes le début exceptionnellement précoce du
gigantisme et de l'acromégalie semble remonter à la vie foetale.
En effet, tout en convenant, et je tiens à insister encore une fois là-des-
sus, que les renseignements donnés au sujet de la congénitalité du gigan-
tisme et de l'acromégalie de José Lopes sont d'une importance douteuse,
considérés en soi, j'estime qu'ils deviennent assez démonstratifs après
l'appui qu'est venu lui donner l'examen ophtalmologique.
Enfin, l'évolution aussi bien que le début du gigantisme et de l'acromé-
galie affirment chez José Lopes l'existence d'une affinité très étroite entre
ces deux états.
La cause du gigantisme chez José Lopes, comme d'ailleurs chez tous les
géants, est mystérieuse. Il existe un certain nombre d'observations dans
lesquelles on a relevé la grande taille, parfois gigantesque» des ascendants
ou des collatéraux, en vertu de quoi on parle couramment de l'hérédité
similaire du gigantisme. Mais chez notre géant on ne trouve rien de pareil.
Tout au contraire, dans sa famille, les petites tailles sont fréquentes, et,
en particulier le père et la mère étaient très petits. Or, il faut avouer que
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 21 1
la petitesse du corps représente, elle aussi, un trouble de la fonction du
développement, qui peut-être, par l'intervention de causes accidentelles,
pourra se transformer, changer de sens dans la descendence.
En plus, j'ai relevé chez lui l'hérédité nerveuse du côté maternel, dont
son frère s'en ressent aussi.
Après ce que nous avons dit au sujet de la congénitalité du gigantisme
chez José Lopes, il me semble que dans la genèse de son état, il faut faire
une place importante à toutes les causes capables d'exercer leur influence
pathogénique pendant la vie foetale; et les deux legs héréditaires que
nous venons de relever se trouvent dans ce cas.
Et les causes accidentelles de toute nature, les maladies infectieuses
entre autres ? Quelle est leur influence dans le cas présent ?
Il est de notion courante que l'on observe parfois de brusques poussées
de-croissance à la suite de maladies infectieuses, de la lièvre typhoïde en
particulier. « On peut supposer alors, expliquent MM. Brissaud et Meige,
que l'agent infectieux ou ses toxines exercent une action stimulante sur
les surfaces ostéogéniques ou sur les centres trophiques dont dépend leur
activité (1.)»
Or, le géant portugais a eu une variole bénigne à Lige de 5 ans, et c'est
un an après que sa croissance rapide éveilla l'attention de tout le monde.
On peut donc, à la rigueur, admettre que cette maladie s'est associée à
la prédisposition congénitale pour lui donner un coup de fouet. Mais la
variole est une maladie si fréquente et le gigantisme une anomalie si rare,
que je me sens presque disposé il n'y voir qu'une simple coïncidence : Son
frère a eu comme lui la variole, à peu près au même âge, et cependant sa
croissance ne s'en est nullement ressentie.
Et voilà tout ce que j'ai pu recueillir au sujet de l'étiologie du gigan-
lisme chez José Lopes ; en définitive, elle reste assez mystérieuse.
Cette observation confirme l'existence de rapports très étroits que le
gigantisme affecte avec l'infantilisme, d'une part, et, d'autre part,
avec l'acromégalie. Nous retiendrons ces rapports pour les examiner encore
une fois, et pour discuter la pathogénie des troubles morphologiques pré-
sentés par José Lopes.
I. Gigantisme et infantilisme. - Comme nous avons vu, le géant José
Lopes est un infantile au point de vue morphologique et psychologique.
C'est un fait qu'on ne saurait pas nier. Le mot d'infantilisme convient
(1) E. HmssAliD et Heisry 1lFar.E, Type infantile du gigantisme, Nouvelle Iconographie
de la Salpètrière, t. XVII, p. 166.
22 MAGALIIA1S LKMOS
admirablement à un état, comme celui de notre géant, caractérisé par
l'immobilisation des phénomènes qui annoncent la puberté. Celle grande
transformation morphologique et fonctionnelle, qui devait être presque
accomplie, n'est pas encore commencée ! Aussi, il y a une différence
énorme entre )'age réel et )'age apparent de son appareil sexuel.
A quoi cette disproportion est-elle due ?
Après les beaux travaux du très regretté professeur Brissaud sur l'in-
fantilisme vrai, il faut penser à une lésion du corps thyroïde ; et, en effet,
cet organe nous a paru sensiblement atrophié, à la palpation.
Mais la lésion du corps thyroïde est-elle, en somme, bien nécessaire
pour expliquer l'infantilisme de José Lopes ?
11 n'est pas prouvé que toutes les variétés d'infantilisme, et tout parti-
cul ièrementle gigantisme à type infantile,qui en est une, soit exclusivement t
subordonnée à l'état de la fonction thyroïdienne. On a aussi, parfois,
incriminé les autres glandes à sécrétion interne. Mais, en admettant qu'un
trouble de la sécrétion thyroïdienne soit bien nécessaire pour expliquer
l'infantilisme de José Lopes, ce trouble ne saurait évidemment pas rendre
compte des autres anomalies morphologiques dont il est porteur.
Et puisqu'on parle de l'infantilisme testiculaire, caractérisé par l'arrêt
du développement des caractères sexuels secondaires et une croissance
exagérée, examinons l'influence de l'atrophie génitale de José Lopes sur
son état morphologique.
L'atrophie génitale des géants, qui est un fait définitivement acquis, a
été rapprochée de l'influence que la castration parait avoir sur le dévelop-
pement du squelette, lorqu'elle est pratiquée dans le jeune âge. Et on
rappelle, à ce propos, que les tailles gigantesques semblent fréquentes chez
les eunuques ; que leurs jambes sont d'une longueur exagérée par rapport
à la hauteur du tronc; et, enfin, que chez les animaux châtrés, le chapon
et le boeuf spécialement, rallongement des membres postérieurs est aussi
notoire, arrivant à donner à ces animaux une apparence particulière.
Or, tous ces faits - l'atrophie génitale des géants, le gigantisme des
eunuques (châtrés avant la puberté), l'accroissement du squelette des
animaux châtrés jeunes semblent indiquer l'existence d'un rapport très
intime, en sens inverse, entre les glandes sexuelles et le développement du
système osseux. Mais, comme judicieusement l'observent MM. Launois et
Roy, le lien qui rattache entre elles ces malformations n'est pas encore
connu, et le problème est plus complexe qu'on ne pourrait le supposer au
premier abord. Pour se convaincrede cette complexité, il suffit de se rappe-
ler qu'on observe aussi l'atrophie des glandes sexuelles dans des cas tout
à fait opposés, pour ce qui est du développement du squelette chez les
nains, chez les infantiles de petite taille, chez les hommes petits, trapus;
GIGAN'IISME, INFANTILISME ET ACRO.IÉGALIE 23
de petites jambes. Voilà, en tout cas, de quoi penser qu'une autre glande
s'en mêle.
D'autre part, Babinski, s'appuyant sur l'observation d'une jeune fille,
communiquée à la Société de Neurologie de Paris dans la séance du 7 juin
1900, se demande si l'arrêt de développemenl des organes génitaux qu'elle
présentait, ne serait pas lié à une lésion du corps pituitaire. « Il est vrai,
dit-il, en se rapportant à son observation, que l'examen du corps thyroïde
n'ayant pu être pratiqué, on pourrait supposer que cette glande était.
altérée et que l'infantilisme était sous la dépendance de celle lésion pré-
sumée. Il me semble toutefois, a,joute-t-il, que l'idée d'une relation de
cause à effet entre la tumeur du corps pituitaire et l'infantilisme est très
acceptable. On sait, en effet, que les lésions de l'hypophyse, quand elles
apparaissent chez l'adulte, peuvent amener des troubles des organes gé-
nitaux, la suppression des règles, l'atrophie de l'utérus ; il est donc bien
naturel qu'une semblable lésion, quand elle débute chez l'enfant, produise
un arrêt de développement des organes génitaux (1).»
J'estime que l'argument de Babinski est suffisant pour nous faire penser
à une lésion de l'hypophyse chez notre sujet ; mais nous avons bien d'autres
raisons, et de plus grand poids, non seulement pour penser à cette lésion
mais pour admettre son existence.
C'est que José Lopes est un géant, c'est qu'il estacromégalique; et nous
n'ignorons pas que l'hypophyse est presque toujours lésée aussi bien dans
le gigantisme que dans l'acromégalie.
C'est, enfin, qu'il a des troubles oculaires qui dénoncent une compres-
sion de la base du cerveau, dans le voisinage de l'hypophyse.
Ces considérations nous amènent à examiner de plus près les rapports
qui existent entre le gigantisme et l'acromégalie, au point de vue anatomo-
pathologique et pathogénique.
IL Gigantisme et acromégalie. Comme nous avons vu, le géant José
Lopes présente plusieurs stigmates d'acromégalie. La combinaison entre
ces deux états est laconiquement, mais avec éloquence, exprimée en chiffres
par la statistique de Sternberg, qui donne une proportion de 42 acromé-
galiques pour 100 géants ; et il faut y ajouter que beaucoup d'acroméga-
liques, sans être des géants, ne présentent pas moins une taille supérieure
à la moyenne -- ce qui a son importance au point de vue pathogénique.
Une semblable constatation numérique ne pouvant pas être expliquée par
la rencontre fortuite de deux entités morbides, conduit naturellement à
admettre l'existence de rapports assez intimes entre le gigantisme et l'acro-
mégalie ; mais la nature de ces rapports n'est pas interprétée par tous de
la même façon.
(i) Babinski, Tumeur du corps pituitaire sans acromégalie et avec arrêt de dévelop-
pement des organes génitaux. Revue Neurologique, 1900, p. 532.
24 MAGALHAES LEMOS
Pour quelques auteurs, l'acromégalie est purement et simplement un
des facteurs du gigantisme (Pierre Marie) ; ou bien le gigantisme prédis-
pose à toutes les dystrophies, et tout particulièrement à l'acromégalie
(Sternberg). Mais, chose essentielle, pour ces auteurs il s'agit des deux
états pathologiques « absolument différents l'un de l'autre : « contraire-
ment au gigantisme qui n'est, le plus souvent, que l'exagération d'un pro-
cessus normal, l'acromégalie est une véritable maladie » (G. Guinon).
A rencontre de cette théorie dualiste Massalongo, Brissaud, Meige, etc.,
expliquent la combinaison du gigantisme et de l'acromégalie par l'identité
des deux processus - identité qu'ils s'attachent à établir.
On sait que Brissaud et Meige considèrent le gigantisme et l'acromégalie
comme une seule et même maladie dont le développement à la période de
croissance engendrait le gigantisme et, cette période achevée, l'acro-
mégalie. L'acromégalie, d'après Brissaud, est le gigantisme de l'adulte,
de même que le gigantisme est l'acromégalie de l'adolescent. « En défini-
tive, écrit Meige de son côté, le gigantisme d'une part, l'acromégalie
de l'autre, représentent deux formes d'un même trouble du développe-
ment de l'individu, le premier survenant au moment de l'adolescence, la
seconde lorsque le temps de la croissance normale est déjà périmé,
l'acromégalie pouvant d'ailleurs succéder au gigantisme et semblant, dans
un assez grand nombre de cas, le mode de continuation naturelle de ce
dernier » (1 ).
L'association si fréquente du gigantisme avec l'acromégalie, la consta-
tation d'un certain nombre de phénomènes généraux communs (asthénie,
faiblesse musculaire, diminution de la puissance génésique chez l'homme
et l'aménorrhée chez la femme, céphalalgie, torpeur intellectuelle, irrita-
bilité, tristesse, etc.), ainsi que le début et l'évolution réciproque de ces
deux processus, semblent, en effet, affirmer l'existence d'une affinité très
étroite entre eux.
Et ce n'est pas tout.
Un des arguments invoqués par les unicistes pour établir l'affinité et
même l'identité de nature, qu'à leur avis relie ces deux états, c'est que,
dans presque la totalité des acroméga 1 iq ues, aussi bien que des géants, on
trouve une lésion commune l'hypertrophie de l'hypophyse, qui est
marquée sur les vieux crânes des géants conservés dans les musées, par
l'agrandissement de la selle turcique.
Mais l'hypophyse sera-t-elle aussi hypertrophiée chez notre sujet à la
fois géant et acromégalique, ou fera-t-il une exception sur ce point ?
Malgré l'absence de la radiographie du crâne qui n'a pu être faite, à
(1) Henry Meige, Sur le gigantisme. Extrait des Arch. gén. de médecine, octobre
1902, p. 27.
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 25
mon grand regret, j'oserais presque l'affirmer d'une façon péremptoire, à
cause de ses maux de tête, et surtout à cause de ses troubles oculaires
(fonctionnels et ophtalmoscopiques), qui dénoncent une compression de
la base du cerveau dans le voisinage de l'hypophyse.
Ce ne sont que des déductions ; mais dans l'espèce, elles ont une valeur
réelle et si grande, qu'elles comblent presque le vide laissé dans mon obser-
vation par l'absence de la radiographie du crâne ; qui d'ailleurs n'est pas
toujours d'une interprétation aisée et indiscutable.
Or, l'existence d'une lésion commune au gigantisme et à l'acromégalie
plaide puissamment en faveur de leur identité.
Et ainsi, nous remontons jusqu'à la source probable du mal. Il est, en
effet, fort vraisemblable que le point de départ de l'état morphologique que
nous avons décrit chez José Lopes réside dans l'hypertrophie de l'hypo-
physe. Mais, dès lors, comment admettre que le syndrome de l'infanti-
lisme, généralement considéré comme étant d'origine thyroïdienne chez
les infantiles vrais, et il en est ainsi assurément du moins pour la ma-
jorité des cas puisse relever d'un trouble de la sécrétion hypophysaire
dans le. type infantile du gigantisme ? Si l'hypothyroïdie, totale ou par-
tielle, fait des infantiles petits et de taille moyenne. et la chose n'est
plus douteuse, il paraît au premier abord que l'hyperfonction du corps
pituitaire peut donner naissance à des infantiles géants.
Et cependant nous ne voyons aucune démarcation entre les uns et les au-
tres. C'est toujours, au fond, le même infantilisme vrai, essentiellement
caractérisé par l'absence (parfois complète) de tout signe effectif de puberté.
Ce que nous voyons, au contraire, chez ces infantiles, chez les petits et
chez les géants, c'est une gradation insensible de stature, une transition
établie par des exemplaires de toutes tailles, comme celui que nous avons
étudié, il y a 4 ans, dans ce recueil. Pas autre chose.
Il faut donc admettre,soit que le trouble delà fonction hypophysaire est
suffisant pour produire, à lui seul, le type infantile du gigantisme ; soit
que le corps thyroïde (et peut-être les autres glandes), subissant le contre-
coup de la lésion de l'hypophyse, réagit à son tour, el. ajoute l'infantilisme
aux symptômes fournis par cette glande - et représentés par le gigan-
tisme.
On sait que parmi les glandes à sécrétion interne il y en a quelques-unes
de fonctions analogues, capables de s'entr'aider, de collaborer à la même
besogne et, en conséquence, de se suppléer réciproquement, dans une
certaine mesure, lorsqu'une d'elles est détruite, partiellement ou totale-
2G MAGALHAES LEMOS
ment. Cette suppléance est, naturellement, d'autant plus parfaite que
l'atteinte survient dans une époque plus rapprochée de la naissance (1).
Le corps thyroïde et l'hypophyse, par exemple, se trouvent dans ce cas ;
ils collaborent tous les deux à la fonction du développement, fonction
trophogène par excellence qui ainsi reste subordonnée, dans une large
mesure, à cette collaboration active.
On ne saurait pas mettre en doute que la croissance et le développement
organique sont très étroitement liés à la fonction thyroïdienne c'est un
fait sur lequel tous les auteurs sont d'accord. Mais il est aussi absolument
certain que ces phénomènes ne sont pas exclusivement soumis à cette sé-
crétion interne ; on sait. en effet, que l'hypophyse, entre autres, y prend
sa part. Et comme il est dans la logique des choses que ces glandes à fonc-
tions analogues produisent des troubles analogues, rien d'étonnant, à
priori, : ') ce que à côté de l'infantilisme d'origine thyroïdienne, assez bien
connu grâce au professeur Brissaud, nous ayons aussi un infantilisme sem-
blable de provenance hypophysaire, qui porte dans sa taille élevée,et parfois
gigantesque, la marque la plus caractéristique de son origine.
Et alors, de deux choses l'une : ou bien le type infantile du gigantisme
est toujours d'origine hypophysaire, et rien que hypophysaire ; ou bien il
y a parfois, sinon constamment, une association plus ou moins complexe
de troubles glandulaires ce qui est plus problable ; car non seulement
la lésion d'une .glande endocrine retentit généralement sur les autres,
mais la cause qui altère une de ces glandes peut généraliser son action en
se portant aussi directement sur les autres. Mais dans ce cas. en face de
cette multiplicité de lésions, il est très difficile de préciser la part qui re-
vient à l'une ou à l'autre de ces glandes dans la production de chaque
phénomène en particulier. On peut cependant dire que, très vraisemhla-
blement, l'hypophyse, agissant en première ligne et en première date,
produit le gigantisme et l'acromégalie (lorsqu'elle existe) ; qu'elle collabore
avec le corps thyroïde, secondairement lésé, dans l'hypogénilalisme et
dans la formation de la couche adipeuse sous-cutanée ; et, enfin, que
le corps thyroïde produit les autres phénomènes.
Mais l'insuffisance testiculaire, ou plutôt de la glande interstitielle du
testicule, dont l'influence sur le développement définitif de l'organisme
est aussi très bien établie, peut à son tour agir sur le squelette, en retar-
dant l'ossification des cartilages épyphisaires et en exagérant la croissance
en longueur des extrémités, surtout des jambes; aussi bien que sur le
(1) Ce qui explique la différence qui existe entre le myxoedème de l'enfant, qui arrête
le développement sans porter nécessairement aucune atteinte il la santé générale, et
celui de l'adulte qui produit la Cachexie strumiprive.
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 27
tissu adipeux et sur les phénomènes infantiles (caractères sexuels secon-
daires, etc.)...
Et tout cela sans qu'il soit permis, il va sans dire, de nier l'influence
possible des autres glandes.
Voilà comment la pathogénie du gigantisme infantile, associé à l'acromé-
galie, s'élargit et se complique en mettant en jeu l'hypophyse comme lésion
initiale, le corps thyroïde et le testicule comme processus secondaire
et peut-être quelquefois primitif. C'est un point auquel je m'arrêterai
bientôt.
Au préalable, je veux m'occuper des rapports entre ces trois organes,
On sait que l'hypophyse maintient des rapports fonctionnels très intimes
avec le corps thyroïde d'un côté et de l'autre avec les organes génitaux.
Le premier de ces rapports est affirmé par la coexisience de l'acromé-
galie avec le myxoedème, signalée dans quelques observations; par l'ex-
trême fréquence (sinon constance) de l'hypertrophie de l'hypophyse
consécutive à une lésion primitive du corps thyroïde, comme dans le cas
récemment rapporté par A. Calderera, et concernant un myxoedémateux
dont la thyroïde était très réduite de volume, et son parenchyme glandu-
laire en grande partie remplacé par un tissu connectif calcifié par places
et qui, comme processus secondaire, avait l'hypophyse doublée de volume,
présentant des cellules chromophiles en abondance, beaucoup de subs-
tance colloïde et une riche vascularisation.
Enfin, l'hypertrophie compensatrice de l'hypophyse provoquée par l'a-
blation du corps thyroïde (Rogowitsche, Stieda) parle dans le même sens.
Tous ces faits prouvent qu'il existe une relation fonctionnelle intime
entre ces deux organes. On est arrivé même, en s'appuyant sur la struc-
ture (Lothringer, Viola, Pisenti) et sur l'embryogénie (Valenti, Kupfer,
Pisenti) du lobe antérieur de l'hypophyse, à l'envisager comme une giande
aberrante, accessoire, annexe du corps thyroïde.
D'autre part, des relations à peu près analogues et également intimes
existent entie l'hypophyse et les organes génitaux. Dans presque tous les
cas de lésion hypophysaire, les auteurs constatent une atrophie des organes
génitaux, ou tout au moins l'affaiblissement de l'activité génitale.
Fichera (1l, dans un intéressant travail sur l'hypertrophie de la glande pi-
(1) Fichera, Sur l'hypertrophie de la glande pituitaire consécutive à la castration.
Archives italiennes de biologie, vol. 63, n°3, P. 4905. Cite par Marinesco et M. Goldstein,
Deux cas d'hydrocéphalie avec adipose généralisée. Nouvelle Iconographie de la Salpê-
trière, n° 6,1909, p. 646.
28 MAGALHAES LEMOS
tuitaire consécutive à la castration, s'atlache à démontrer expérimentale-
ment et à bien mettre en relief la réalité des rapports qui existent entre les
glandes génitales et l'hypophyse.Chez les animaux châtrés, l'hypophyse est
augmentée de volume et présente un développement exagéré des vaisseaux
sanguins et la multiplication de cellules éosinophiles. Mais, chose impor-
tante, si on fait à l'animal opéré quelques injections de liquide orchitique,
l'hypophyse reprend son aspect normal.
Du fait qu'on trouve une hypertrophie de la glande pituitaire dans l'acro-
mégalie et dans le gigantisme, et que dans ces dystrophies, ainsi que dans
la castration,il se produit un excès de développement du tissu osseux,
l'auteur tire la conclusion que dans la castration la cause du développe-
ment exagéré des os est également l'hyperfectionnement hypophysaire (Ma-
rine<co et Goldstein).
Les résultais des expériences de Fichera, assez démonstratifs, viennent
d'être confirmés par les constatations anatomiques de Yntaka-Kon, qui a
vu l'hypophyse plus grande et plus lourde qu'à l'étal normal dans 8 cas
de castration chez les femmes.
J'ai tout dernièrement observé une femme à laquelle on avait enlevé les
ovaires, il y a près de 20 ans, étant encore toute jeune, et qui se plaignait t
de maux de tôle « entre les yeux », de quelques troubles visuels, et qui
présentait une certaine obésité. Je me demande, en m'appuyant sur ces
faits, si on ne doit pas incriminer comme cause de tous ces troubles une
hypertrophie de l'hypophyse consécutive à l'ovariotomie.
Et de même dans tous les cas analogues.
Bref,étant donnée l'analogie fonctionnelle du corps thyroïde, de l'hypo-
physe et de la glande interstitielle du testicule, affirmée, avant tout, par
l'ingérence de chacun de ces organes' dans l'évolution du développement,
rien d'étonnant, à priori, à ce que, à côté de l'infantilisme dysthyroïdien
le seul qui, à l'heure actuelle, semble définitivement établi nous
ayons aussi un infantilisme hypophysaire et un infantilisme testiculaire
analogues au premier, comme nous avons une adipose d'origine thyroï-
dienne,une adipose hypophysaire et une adipose testiculaire,par exemple.
Cependant, en vue de la solidarité très étroite qui rattache entre elles ces
trois glandes, et parce que, la lésion de 1'uiiepi-o(luitgénéi,ilement des allé-
rations non seulement dans les deux autres, mais dans toutes les glandes à
sécrétion interne, est fort probable, comme le soutient Sancte de Sanctis,
que dans la genèse de l'iiifintilisme- thyroïdien,hypophysaire ou testicu-
laire collaborent en général, plus ou moins activement, par lésion di-
recte ou secondaire, voire par simple trouble fonctionnel, le corps thyroïde,
l'hypophyse, le testicule et encore les autres glandes à sécrétion interne,
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 29
sans qu'on puisse dégager, d'une façon un peu précise, la part respective
qui revient à chacune de ces glandes dans le résultat final (1).
Et dans l'ensemble de troubles évolutifs qui se' donnent rendez-vous,
s'enchevêtrentetse confondent chez le même sujet, il y a parfois, à côté
de quelques phénomènes d'arrêt (organes génitaux et caractères sexuels
secondaires) ou de ralentissement, des phénomènes de précocité et d'accélé-
ration (croissance des os). L'évolution du développement est ainsi troublée
suivant les organes et les tissus en deux sens tout à fait opposés ; ce qui
produit des anomalies morphologiques étranges, d'un contraste frappant,
contradictoire au premier chef- comme chez le géant José Lopes.
Maintenant, et revenant à notre point de départ après cette discussion
sur les fonctions des glandes à sécrétion interne, il me semble pouvoir éta-
blir, comme fort probable, que l'état morphologique et dystrophique du
géantJosé Lopes est essentiellement, mais non exclusivement, dû à l'hy-
pertrophie de l'hypophyse. Car, tout d'abord, cette lésion initiale peut
avoir provoqué des multiples lésions secondaires dans les autres glandes ;
et en conséquence, l'hypophyse, en outre de son action directe, a pu
agir indirectement, par l'intermédiaire de ces glandes, sur l'évolution de
la croissance. Ces lésions secondaires sont ainsi à la fois un effet et une
cause.
Ensuite, la cause qui a provoqué la lésion hypophysaire peul s'adresser
aussi directement aux autres glandes.
Tâchons d'éclairer ce dernier point ; et dans ce but cherchons la cause
de cette lésion.
L'hérédité similaire du gigantisme, quelquefois signalée, n'existe pas
chez José Lopes, qui est le seul géant de sa famille, où sont assez fréquentes
les petites tailles. Mais, à défaut d'hérédité similaire, faudra-t-il incri-
miner l'hérédité névropathique du côté maternel, qui a aussi frappé son
frère et encore la petitesse du père et de la mère, qui, en définitif, consti-
titue, elle aussi, comme le gigantisme, un trouble de la fonction du'déve-
loppement ? ` ?
On peut objecter que les soeurs du géant sont indemnes. Mais, puisqu'elles
sont plus âgées, est-il légitime de penser que la tare héréditaire, pour se
porter exclusivement sur les deux enfants plus jeunes, a été aggravée
(i) Cette collaboration, celte multiplicité des lésions glandulaires, avec l'âge et le
degré du trouble, expliquerait peut-être mieux que la multiplicité des fonctions de la
glande thyroïde, à cet effet invoquée par le prof. Brissaud (et sans en tout cas la né-
gliger) les variétés cliniques de l'infantilisme.
30 MAGALHAES LEMOS
par l'âge plus avancé des parents au moment de la conception de ces en-
fants ? ' !
En tout cas,et quoi qu'il en soit de ces antécédents héréditaires, il me
semble certain que José Lopes est de lui-même un dégénéré. J'estime qu'il
porte plus de stigmates physiques (arrêt de développement de l'appareil
sexuel, absence des caractères sexuels secondaires, strabisme, oreilles iné-
gales et mal conformées, etc.) et psychiques (frigidité absolue,débilité men-
tale, enfantillage de l'intelligence et du caractère, etc.) qu'il enfautpour
caractériser la dégénérescence.
Et dès lors, la cause qui l'a atteint, quelle que ce soit, mais qui en
somme est de nature dégénérative, pouvait ne pas limiter son action di-
recte à l'hypophyse ; elle était bien capable de frapper les autres glandes
à sécrétion interne, tous les organes, tous les tissus, sans rien épargner.
On sait comme la dégénérescence estcoulumière de cette multiplicité de
lésions.
Dans ce recueil, j'ai autrefois insisté d'une façon particulière sur l'héré-
dité neuro-pathologique comme une des causes primitives, lointaines,
de l'infantilisme vrai. De même que l'héréditésyphilitique etalcoolique,
ai-je-dit, elle peut produire, à côté des cas vulgaires de dégénérescence
qui encombrent les manicomes, « une dégénérescence toute spéciale, une
dégénérescence à type infantile, constituée par la fusion des caractères de
la dégénérescence mentale avec caractères de l'infantilisme du type Bris-
saud (1) ».
Tous ces infantiles ne seraient donc que des dégénérés.
J'ai émis cette opinion en l'étayant sur un cas clinique que je crois
assez démonstratif, et j'ai été heureux de la voir acceptée par le professeur
Brissaud dans les termes suivants : «... la simultanéité de plusieurs lé-
sions distinctes (dans le myxoedème, en particulier congénital) est conforme
à cette loi formulée pas Geoffroy St-Ililaire, en vertu de laquelle il n'y
a pas d'anomalies isolées. Une anomalie en appelle forcément une autre ;
et dans cet ordre d'idées nous nous rallions absolument à la thèse récem-
ment soutenue par noire collègue Magalhaes Lemos (de Porto), qui voit
dans tous les cas d'infantilisme général ou partiel- des syndromes de
dégénérescence (2). >
Eh bien, il doit en être de même pour l'immense majorité des géants,
qui, eux aussi, comme José Lopes, ne sont, en général, que des dégénérés
au premier chef - des monstres et des malades à la fois. On peut dire,
(1) Loc. cil., p. 15.
(2) E. BMSSAUD, L'infantilisme vrai, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1901',
p. 16.
GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE 31
d'une façon générale, que le gigantisme est, en lui-même et directement,
l'indice d'une constitution dégénéralive.
Il faut donc s'attendre à trouver chez les géants des lésions multiples
(glandulaires ou autres), comme d'ailleurs le démontrent 'les autopsies de
Simon Botis, Lady Aama, etc. ; et il y a lieu d'en prendre note dans l'ex-
plication du tableau clinique que le gigantisme présente dans chaque cas
particulier.
En tout cela, il va sans dire, c'est l'âge auquel survient le trouble du
développement, qui y joue un rôle de tout premier ordre, comme l'ont
fait remarquer Brissaud et Meige.
« Il est bien entendu,dit Meige,qu'une lésion, rigoureusement la même,
chez l'homme adulte ou chez l'enfant, produit des effets dystrophiques
absolument dissemblables. »
Si maintenant, l'esprit dégagé de toute idée préconçue, nous jetons un
coup d'oeil d'ensemble sur les faits relevés dans l'observation du géant
portugais, me semble que nous pouvons formuler les principales conclu-
sions suivantes :
1° Il existe un type de gigantisme infantile, caractérisé par la coexistence
d'une taille très élevée avec les caractères essentiels de l'infantilisme tirai,
et assez distinct, dans les cas purs, du type de gigantisme acromégalique.
2° Cependant, ce premier type peut s'associer à l'acromégalie; il forme
ainsi un type mixte constitué par la combinaison du gigantisme infantile
et de l'acromégalie.
, 3° De plus, celte association peut se manifester non seulement sur le
tard, et en deux temps successifs, comme c'est la règle ; c'est-à-dire, dans
l'âge adulte, lorsque le temps de la croissance est complètement ou à peu
près passé (géants Charles, Mazas, Tchang, Ko...), mais elle peut aussi
débuter d'emblée, bien avant que les cartilages épiphysaires soient ossifiés,
dans une époque très rapprochée de la naissance, et peut-être même avant
celle-ci (géant José Lopes).
4° Très vraisemblablement l'hypertrophie hypophysaire, lésion commune
du gigantisme et de l'acromégalie. peut être parfois congénitale, comme
semblent le prouver les troubles oculaires de José Lopes.
5° Le gigantisme et l'acromégalie semblent tenir d'un seul et même trou-
ble de la fonction ostéogénique.
6° L'état morphologique et dystrophique du gigantisme infantile paraît
être essentiellement dû à l'hypertrophie de l'hypophyse, qui semble être
sa lésion causale, du moins dans l'immense majorité des cas. Mais il est
32 MAGALHAES LEMOS. - GIGANTISME, INFANTILISME ET ACROMÉGALIE
fort probable, presque certain, que les autres glandes à sécrétion interne
(le corps thyroïde et les glandes sexuelles en particulier) collaborent dans
le résultai final, plus ou moins activement, et par lésion directe ou secon-
daire.
7° Tout en admettant l'existence du gigantisme acquis, indépendant d'une
prédisposition congénitale, et développé sous l'influence exclusive de
causes accidentelles (infections, intoxications, etc.) agissant après la nais-
sance il faut, dans l'étiologie de ce trouble de la fonction ostéogéaicue, et
comme sa cause primordiale, faire une place importante il l'hérédité (simi-
laire, névropathique, syphilitique ? etc.) et peut-être encore aux influences
pathogéniques de la vie foetale qui, s'exerçant sur l'organisme pendant la
période embryonnaire, auraient une action assez analogue à celle de l'hé-
rédité.
8° Enfin, on peut dire d'une façon générale que le gigantisme est en
lui-même et directement, l'indice d'une constitution dégénérative.
'.vroovrr.rF Iconographie de la Sai.p6trii'.re.
T. XXIV. Pl. V
OSTÉOMALACIE
Ses rapports avec les altérations des glandes eudocrines.
(G. Marinesco, C. Parhon et J. Millca),
Obs. 1.
OSTÉOMALACIE
Ses rapports avec les altérations des glandes eudocrines.
(G. Marinesco, C. Parhon et J. Minea).
Obs. I.
FACULTÉ DE MÉDECINE DE BUCAREST
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE
DE L'OSTÉOMALACIE
DANS SES RAPPORTS AVEC LES ALTÉRATIONS DES GLANDES ENDOCRINES.
PAR
G. MARINESCO, C. PARHON et J. MINEA
(de Bucarest).
L'ostéomalacie ne représente pas, selon beaucoup d'auteurs et c'est éga-
lement notre avis, une entité morbide, n'étant en réalité qu'un simple
syndrome.
Des causes et probablement des mécanismes multiples peuvent y con-
duire.
Les auteurs qui ont cherché à éclairer la pathogénie de l'ostéomalacie
ont invoqué surtoutdeux grands facteurs : l'infection et les troubles de la
nutrition générale.
Nous avons eu l'occasion d'étudier, au double point de vue clinique et
anatomo-pathologique, plusieurs cas (l'ostéomalacie qui nous ont permis
d'apporter une certaine contribution à la pathogénie de ce syndrome.
Nous commencerons par donner l'observation de nos cas pour discuter
ensuite la valeur des faits que nous avons observés et les conclusions gé-
né)'a)es qui nous semblent en découler.
Observation I (PI. V et VI).
Dans le premier cas il s'agit d'une crétine sourde-muette que l'un de nous
connaît depuis plus de six ans. Elle était porteuse d'un goitre volumineux,
présentait de grosses altérations dentaires, un degré assez accusé de cyanose
des lèvres et peut-être une très légère infiltration des tissus de la face.
La malade mangeait d'elle-même, était propre et était capable de marcher.
Pourtant elle avait l'habitude de rester la plupart du temps couchée, et quand
elle restait assise elle gardait longtemps la même position, le tronc courbé en
avant et les avant-bras en demi-flexion sur les bras.
Cette malade fut opérée pour son goitre au mois de juillet 1908. Depuis
lors son état s'est aggravé. La démarche devient impossible, son tronc s'est
ans 3
a4 MARINESCO, PARHON ET M1NEA
déformé, de sorte qu'au mois d'octobre, quand nous avons examiné attenti-
vement cette malade on constatait les faits suivants :
La malade dont l'âge apparent est d'à peu près 40 ans (1), garde d'ha-
bitude le décubitus latéral gauche ou droit, les membres inférieurs étant en
flexion.
La tête de conformation normale, un peu aplatie dans le sens transversal,
couverte de cheveux noirs parsemés d'autres blancs.
Les cheveux sont assez denses bien que dans certaines régions ils soient plus
rares.
Le front de moyennes dimensions, vertical, présente quelques rides trans-
versales. Les artères temporales sineuses s'observent de loin.
Les oreilles plutôt petites, éloignées du crâne, les lobules petits et adhé-
rents.
Les sourcils assez fournis ne sont pas plus rares dans leur moitié externe.
La malade ne présente donc pas le signe du sourcil.
Les ouvertures palpébrales sont égales et les téguments ridés au-dessous des
paupières inférieures. Les pupilles sont égales.
Le nez très légèrement aplati vers sa racine. La pointe mince. Les narines
allongées dans le sens antéro-postérieur.
Les sillons naso-géniens prononcés, surtout du côté droit. Les téguments des
joues un peu infiltrés et pâles.
La commissure labiale gauche un peu plus abaissée que celle du côté opposé.
Les lèvres un peu renversées.
Entre la lèvre supérieure et la cloison des fosses nasales, on observe un
sillon transversal très évident.
La lèvre inférieure plus épaisse que la supérieure proéminant hors de la
bouche.
Entre les deux lèvres, on observe une dent canine dont la pointe comprime
la lèvre supérieure.
Au-dessous de la lèvre inférieure, on observe un sillon dont la concavité
regarde en bas, il est formé par le renversement de cette lèvre.
Les téguments faciaux, ridés, semblent trop larges pour les tissus sous-ja-
cents.
L'expression de la figure est celle du dégoût. La circonférence crânienne
52 cm. 1/4.
La voûte palatine très ogivale. Les gencives sont tuméfiées et saignantes. A
la mâchoire supérieure il ne présente qu'une seule dent,ou pour mieux dire le
reste d'une seule dent (canine) très cariée.
A la mâchoire inférieure on remarque les restes des incisives, de la canine
droite, des molaires,et au milieu de ce débris, il est curieux de noter la persis-
tance normale de la canine gauche.
La tête est enfoncée entre les épaules. Les téguments sont ridés dans toute
la région du cou.
(1) Nous ignorons complètement ses antécédents.
contribution A L'1 : 'IUDG DE l'ostéomalacie 35
Les muscles steriio-iiiastoïdietis apparaissent comme deux cordes dures. La
fosse sus-sternale énorme laisse apparaître une cicatrice opératoire due à l'en-
lèvement du goitre. Les fosses sus-claviculaires très prononcées des deux côtés.
Le thorax aplati dans le sens transversal est par contre proéminent en avant
et en arrière où on constate une cyphose très prononcée. Les épaules très rap-
prochées de la ligne médiane. Le bord supérieur des muscles proéminent
comme une corde tendue.
La face postérieure de deux omoplates regarde en dehors. Ces os se trouvent
sur la partie latérale du thorax comme chez les oiseaux.
La musculature de la face postérieure du thorax semble très réduite. Les
vertèbres sont bien visibles.
Sur la face antérieure du thorax, on observe que sa partie supérieure pré-
sente une direction oblique en arrière, l'inférieure proémine en avant, de sorte
qu'au niveau de l'union du manuhrium sternal avec le corps de cet os on le-
marque une saillie angulaire.
Les deux clavicules ont pris une direction très oblique se rapprochant de la
verticale à cause de la position des épaules qui sont haussées et rapprochés de
la ligne médiane.
On constate une fracture consolidée de la clavicule droite dans son tiers
interne.
Les bords inférieurs des muscles pectoraux sont bien visibles.
Les glandes mammaires, petites, flasques, gardent encore assez de tissu glan-
dulaire, ainsi qu'on peut se rendre compte par la palpation.
Dans les creux axillaires très profonds il y a quelques poils bien rares.
La partie inférieure de la face postérieure du thorax très aplatis dans le
sens antéro-postérieur.
L'hémithorax gauche proémine en arrière, tandis que la moitié opposée sem-
ble plutôt portée en avant.
La colonne vertébrale présente dans la région dorsale inférieure une légère
scoliose dont la concavité regarde à droite.
La forme du bassin se dessine parfaitement sous les téguments. La partie
inférieure du thorax semble enfoncée dans le bassin, ce qui détermine un plis-
sement très accusé des téguments de la région antérieure et latérale de l'abdo-
men. La palpation montre que les dernières côtes viennent en contact avec la
crête iliaque.
Le tissu adipeux du mont de Vénus est disparu. Les poils de cette région
sont rares et très minces.
Les membres supérieurs gardent d'habitude la position en demi-flexion. Le
tissu adipeux et leurs muscles sont très réduits et les tendons se dessinent sous
les téguments.
Les espaces intermétacarpiens sont profonds. Les extrémités des doigts sont
froids et de coloration rouge violacée. '
Les phalangettes sont hypertrophiées, mais cette hypertrophie semble tenir
aussi à l'infiltration des parties molles.
Les ongles striés dans le sens longitudinal et friables.
36 MARINESCO, PAUHON ET M1NEA
En ce qui concerne les membres inférieurs, on constate que les cuisses sont
d'habitude demi.fléchies et il en est de même pour les jambes.
Les triangles de Scarpa des deux côtés très évidents. On peut palper et aper-
cevoir facilement les ganglions inguinaux.
La musculature du bassin et des membres inférieurs est très réduite.
Sur la partie externe de la cuisse droite on trouve un nodule ayant les di-
mensions d'une noix.
Le pied droit en demi-flexion dorsale, les orteils légèrement fléchis, les
métacarpiens sont également en ilexioti, de sorte que l'articulation tarsométa,
carpienne est saillante, ce qui ne s'observe pas du côté opposé.
La voûte plantaire droite est exagérée.
Les téguments dorsaux du pied gauche paralysé présentent un léger oedème
et la pression laisse un léger godet.
Le pied gauche en extension, la plante regarde en bas et en dedans. Cette
position tient à une paralysie traumatique du sciatique gauche.
La malade exécute tous les mouvements, excepté ceux du territoire du scia-
tique paralysé. Mais la rétraction tendineuse diminue l'amplitude de certains
d'entre eux. Les mouvements sont lents.
La malade garde quelques instants la position qu'on imprime ses membres.
La marche est impossible surtout à cause de la rétraction tendineuse des mus-
cles postérieurs de la cuisse.
En lui soulevant le membre supérieur et en le laissant tomber de lui-même,
la chute se fait lentement et en plusieurs temps.
Les mouvements passifs dans l'articulation scapulo-humérale sont très limi-
tés. Dans plusieurs autres articulations, ils sont également réduits à cause des
rétractions tendineuses que nous avons déjà signalées.
Si on essaie de dépasser une certaine amplitude, les mouvements deviennent
douloureux et la malade gémit.
Aux membres inférieurs, on constate que la flexion et l'extension des cuisses
est réduite. Il en est de même pour les mouvements d'abductiou et d'adduction
qui sont douloureux.
Les mouvements passifs dans l'articulation du genou tibiotarsienne et des
orteils du côté droit sont limités.
Du côté gauche (paralysé) ces mêmes mouvements passifs s'exécutent facile-
ment. -
La marche est impossible.
La sensibilité douloureuse est conservée, et il en est probablement de même
pour les autres formes de sensibilité.bien que l'état psychique de la malade ne
nous permette pas d'obtenir à ce point de vue des renseignements plus précis.
Le réflexe rotulien est conservé bien que le mouvement de la jambe ne se
produit pas à cause des rétractions ci-dessus citées. On observe en revanche
d'une façon bien nette la contraction du quadriceps.
En outre, la percussion du tendon rotulien détermine une contraction des
adducteurs et du droit interne de deux côtés (réflexe contra-latéral de Pierre
Marie).
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTEOMALACIE 37
Le réflexe achilléen ne se produit pas (à cause de la rétraction tendineuse ( ? )
du côté droit et de la paralysie du côté gauche).
Les réflexes tricipitaux existent. Les réflexes massétérin et zygomatique sont
exagérés.
La percussion de l'apophyse styloïde du radius détermine la flexion del'avant-
bras sur le bras et une série de trémulations du biceps. On observe en même
temps des contractions fasciculaires dans le deltoïde.
La percussion de la tête du péronée détermine des contractions dans le biceps
crural.
La percussion de la tubérosité interne du tibia détermine la contraction des
adducteurs.
La percussion des différents autres muscles détermine leur contraction. Le
réflexe plantaire ne se produit pas. '
La percussion des différentes branches du facial détermine la contraction
des muscles des territoires respectifs (signe de Weiss). On constate également
le signe de Trousseau, bien que le phénomène ne soit pas assez accusé.
L'examen de l'excitabilité galvanique a donné le résultat suivant :
En excitant le tronc du facial au niveau du trou stylomastoïdien avec un
courant de 1 m. 1/4, on peut obtenir des secousses très évidentes au moment
de la fermeture du circuit. Les secousses s'observent dans les orbiculaires des
lèvres et des paupières, dans les zygomatiques, dans le sourcilier.
En excitant le facial supérieur avec un courant de 1 m. a. on n'observe pas
de secousses. Par contre, avec 1 1/4 m. a. on observe des secousses dans les
orbiculaires.
En outre le courant diffuse facilement, car on observe en même temps des
secousses dans les muscles des lèvres.
L'excitation de fermeture des branches buccales avec un courant de ! m. 1/2
détermine des secousses dans les muscles des lèvres.
Avec un courant de 3 milliampères on obtient le tétanos musculaire qui est
encore plus marqué avec un courant de 3 1/2 ou 4 m. a.
L'excitation d'ouverture avec un courant de 2 et 3 milliampères ne détermine
pas de secousses. Mais elles apparaissent avec un courant de 3 1/2 m. a.
Les pouls, 102 par minute. La tension sanguine à l'artère radiale 16, au
spbygmo-manomètre de Potain.
Les bruits cardiaques semblent normaux.
Le foie n'est pas augmenté ni diminué de volume en jugeant par le résultat
donné par la percussion. La rate est percutable sur une étendue de 3-il travers
de doigt. Les fonctions digestives ne semblent pas altérées.
'La malade n'est pas constipée. Elle n'est pas menstruée.
Un traitement de quelques jours par le chlorure de calcium (4 gr. par jour)
amena une diminution importante de l'excitabilité électrique.
L'examen bactériologique du sang (ensemencement sur différents milieux),
fait par le Dr Danielopolu a donné un résultat complètement négatif.
L'examen histologique nous donne le résultat suivant :
Dans le corps thyroïde enlevé par l'opération, ainsi que dans la portion qui
38 MAItlNESCO, PARHON ET MINERA
est restée, on remarque une sclérose très prononcée avec dégénérescence du
tissu conjonctif qui reste incolore sur les coupes colorées par l'hématoxyline-
éosine. Ce tissu englobe des follicules dont un bon nombre sont dilatés. Il
contient du colloïde avec des réactions colorantes normales.
La coloration au schralacb montre que les cellules sent riches en granulations
thyroïdes. -
La paroi des vaisseaux a subi également la dégénérescence graisseuse.
L'hypophyse est constituée surtout par des cellules cromophobes, mais on
remarque aussi des régions où les cyanophiles sont assez nombreuses. Les
éosinophiles sont par contre absentes ou à peu près.
On observe de rares follicules contenant du colloïde hématoxylinophile.
Le tissu conjonctif est plus développé qu'à l'état normal.
Les capsules surrénales ne présentent pas de lésions. On peut noter tout
an plus une légère diminution de la graisse de la substance corticale.
La substance médullaire bien développée ne semble présenter rien d'anormal.
Dans les ovaires, on trouve des cicatrices des corps jaunes,mais pas de folli-
cules, ni des cellules épithéliales appartenant aux corps jaunes ou à la glande
interstitielle.
L'activité glandulaire de ces organes est éteinte. L'examen histologique des
os montre surtout des grandes lacunes contenant de la substance médullaire et
provenant de l'élargissement considérable des canaux de Hawers. La substance
osseuse (décalcifiée) avoisinant ces lacunes est souvent moins colorée que celle
qui ne vient pas en contact direct avec les canaux médullaires.
La moelle ne peut pas être bien étudiée sur les coupes des os ayant séjourné
dans l'acide nitrique pour la décalcification. Mais sur des frottis ou des coupes
de la moelle provenant des régions en contact immédiat avec l'os, il ne nous a
pas été possible de trouver des clasmatocytes.
Observation II (PI. VII et VIII).
Nous avons connu une deuxième malade, une vieille femme, présentant des
déformations rappelant celles de l'ostéomalacie sénile et chez laquelle nous
avons fait le même diagnostic. .
Nous ne possédons malheureusement pas l'observation de cette femme, la
malade étant dans un autre service et son observation n'ayant pas été prise.
Mais on sait que son poids était considérablement diminué et il en était de
même pour sa taille. Elle restait presque tout le temps couchée, la tète enfon-
cée entre les épaules, les jambes fléchies.
Cette malade succombant, nous avons pu confirmer notre diagnostic, et il
nous a été permis de pratiquer l'examen anatomo-pathotogique qui nous a
donné des résultats très intéressants.
Voici ce que l'on constate à la nécropsie de cette malade. Il s'agissait d'un
cadavre considérablement émacié.
Les téguments séchés et très atrophiés. Les cheveux grisonnants, très rares
et courts, ayant une longueur d'à peine la centimètres. Sur la lèvre snpé-
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRFHRE.
T. XXIV. Pl. VU
OSTÉOMALACIE
Ses rapports avec les altérations des glandes eudocrines
(G. Marinesco, C. Parhon et J. Minea).
OSTÉOMALACIE
Ses rapports avec les altérations des glandes endocrines
(G. Mtiriiiesco, C. Prrrhon et J. iYliuea).
CONTRIBUTION A l'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE 3U
rieure et le menton on observe de rares poils. Le tissu ccllulo-adipeux très ré-
duit, presque disparu.
Le corps thyroïde très petit, ne pèse que 8 grammes. Sa couleur est jaune-
rougeâtre. La consistance semble normale.
Après l'enlèvement du. plastron sternal, on constate des adhérences pleu-
rales qu'on détache relativement facilement. Ces adhérences sont plus fortes à
la partie inférieure où on ne peut pas les détacher sans déchirer le poumon.
Du côté droit on ne constate rien d'anormal.
Le poumon présente une coloration brune noirâtre. Ou ne constate pas
d'induration des sommets. Le lobule inférieur gauche est congestionné, mais'
on ne constate pas de régions atélectasiées.
Il semble exister un petit reste de thymus de la couleur de la graisse. Le
coeur relativement petit. Sur sa face antérieure, on constate une certaine quan-
tité de graisse qui manque sur sa face postérieure. Sa musculature est flasque,
friable et d'une coloration rouge-pâle. Sur une coupe on constate des petits
foyers fibreux sous la forme des îlots blanc rougeâtre qui tranchent sur la
coloration du tissu musculaire. La valvule mitrale n'est pas altérée. Le ventri-
cule droit est dilaté et sa musculature amincie. Il en est de même pour l'oreil-
lette dans la cavité de laquelle on trouve des caillots anciens. Les valvules des
artères pulmonaires sont normales. Les valvules aortiques présentent un léger
épaississement. Sur la surface intérieure de l'aorte, on trouve quelques pla-
ques blanchâtres dont une près de l'artère coronaire antérieure, plus grande,
dure et calcifiée. Sur la crosse on observe également quelques plaques qui se
continuent sur le tronc brachio-céphalique et l'aorte thoracique. Le calibre
de l'aorte est un peu petit.
Le foie très petit ne pèse que 470 grammes. Il présente une couleur rouge
brune. Sur une coupe, le tissu conjonctif semble hypertrophié. Dans la vési-
cule biliaire on trouve un gros calcul biliaire ayant les dimensions d'une
grosse prune. Le rein est petit et la capsule se détache relativement facilement
bien qu'avec un peu de la substance rénale.
La substance corticale réduite à peu près à la moitié. Les pyramides sont
pâles. Le rein gauche pèse 85 grammes. La capsule splénique est très épaissie
(périsplénite) spécialement vers le pôle supérieur où la capsule présente l'as-
pect d'une plaque nacrée.
Sur une coupe on constate que la pulpe splénique est ramollie, sa coloration
est rouge pâle et parsemée de petits îlots blanchâtres.
La capsule surrénale droite pèse 9 grammes, elle est entourée d'une zone
adipeuse très réduite.
La capsule gauche n'a pas été trouvée. A sa place on a trouvé deux petits
nodules des dimensions d'une lentille rappelant par leur coloration et aspect
la capsule surrénale.
Le pancréas, de coloration jaune-grisâtre montre sur une coupe que son tissu
est chargé de beaucoup de graisse.
L'estomac semble réduit de volume et sa musculature atrophiée. L'intestin
grêle, long de 5 mètres, présente également une diminution de son calibre.
40 MARINESCO, l'ARIION ET MINEA
Les ovaires petits, scléreux. L'utérus est petit, rétracté.
Le gros intestin, long de 1 m. 60, semble présenter également une réduc-
tion marquée de son calibre.
Les os présentent des altérations très accentuées mais variables suivant les
régions.
C'est ainsi que la calotte crânienne est épaissie, mais les tables de tissu com-
pact sont beaucoup amincies et le tissu'spongieux est augmenté.
L'humérus présente un amincissement considérable du tissu compact et un
agrandissement. parallèle du canal médullaire. La moelle osseuse très abondante
qui remplit ce canal élargi est rouge jaunâtre.
La coloration des os est rougeâtre, ce qui tient probablement à l'amincisse-
ment de la substance compacte qui est devenue translucide, laissant voir la
coloration de la moelle.
Il faut toutefois remarquer que les altérations osseuses ne sont pas partout
égales. C'est ainsi qu'elles sont très accentuées à l'humérus et un peu moins
aux os des avant-bras. Ici la substance compacte est devenue spongieuse, mais
l'élargissement du canal n'est pas si accentué et ! a moelle a la coloration jaune
de la moelle en repos.
Dans les phalanges on rencontre de nouveau un amincissement très impor-
tant de la substance compacte avec prolifération de la moelle qui élargit les
espaces du tissu spongieux qui semble plus abondant. Les articulations ne sont
ni déformées, ni tuméfiées.
Même état pour les os du bassin. On trouve dans ces derniers, comme dans
les phalanges, de la moelle rougeâtre rappelant celle des os jeunes.
Dans le fémur la raréfaction est moins accusée que dans l'humérus, mais
on constate pourtant ici encore l'élargissement du canal médullaire, l'amincis-
sement et la transformation spongieuse du tissu compact.
La moelle a une coloration jaune-rougeâtre. Dans les os de la jambe, la
moelle est jaune. Le tissu compact des diaphyses est transformé en grande par-
tie en tissu spongieux, mais le canal médullaire n'est pas très élargi.
Dans les os des orteils la moelle est jaune-rougeâtre et le tissu compact très
aminci. On peut très facilement couper transversalement la phalange avec un
bistouri.
Voici maintenant le résultat obtenu par l'examen microscopique des organes.
Le corps thyroïde. - Dans les follicules thyroïdiens et ;i la périphérie de
la colloïde on voit par ci par là des espèces de vacuoles remplies de granulations
colorées de la mèrne façon que le colloïde. Dans certaines vésicules la substance
colloïde est rétractée à la périphérie, en formant un espace entre la paroi du
follicule et le colloïde, ce qui est dû probablement à l'action des réactifs.
Parmi les follicules de l'organe, on observe une masse souvent homogène ou
parsemée de quelques noyaux et se continuant dans les espaces interfolliculaires.
Parfois ces masses occupent une vaste surface parmi les follicules en se rami-
fiant dans diverses directions et occupant dans le champ du microscope une
grande partie de la coupe. La coloration de cette masse est variable, rose pâle
ou bien rose pourpre.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTEOMALACIE 41 1
Parfois à la surface de cette masse on remarque des espèces de fentes don-
nant naissance à des images variées pouvant ressembler à un arabesque. Au-
dessous de la capsule on voit des veines considérablement dilatées et remplies
de sang.
Le tissu interstitiel augmenté en certains endroits, contient des vaisseaux
dont la paroi est épaissie.
Mais en général, dans le centre de la glande aussi, le tissu interfolliculaire est
constitué par cette masse disposée en forme de réseau et sur la nature de la-
quelle, sans être tout a fait affirmatif, nous pensons que c'est du colloïde épan-
ché dans des espaces et des fentes de nature lymphatique.
L'hypophyse présente à la périphérie un foyer de sclérose sous-capsnlaire
et dans la partie moyenne de la glande, qui attire l'attention par la réaction des
cellules, la forme des follicules et l'hyperplasie du tissu conjonctif. En effet, on
voit disséminés quelques follicules de dimensions variables séparées par des
bandes ou trabécules importants du tissu conjonctif. Les cellules ont la réac-
tion cyanophile, tandis que celles du reste de l'organe réagissent différemment,
et il s'agit des cellules éosinophiles.
Le colloïde s'observe dans une région limitée contenant des follicules dilatés,
au voisinage du lobe nerveux.
Toujours au voisinage de ce dernier, on observe une dilatation marquée des
vaisseaux qui sont remplis de sang.
Sur une coupe du foie, on ne constate des lobules hépatiques avec leur as-
pect radiaire quai la périphérie de la coupe.
Dans le centre de la coupe on ne distingue plus de lobules, mais des masses
confluentes de cellules hépatiques profondément altérées.
En effet, ces cellules sont constituées en général d'un peu de protoplasme
dont l'aspect est uniforme et le noyau diminué de volume.
Les cellules sont disposées sous forme de séries, parfois isolées, de forme
variable, rondes, oblongues ou irrégulièrement polygonales.
L'aspect est tout autre à la périphérie où on observe en général la disposi-
tion en lobules. Mais même ici on n'observe pas clairement la disposition des
lobules hépatiques.
Les trabécules cellulaires sont désorientés. Les vaisseaux capillaires intralo-
bulaires sont très dilatés, de sorte que les séries cellulaires sont éloignées. La
dilatation vasculaire arrive parfois jusqu'à l'hémorragie.
Dans le pancréas on constate une grande abondance du tissu adipeux. Dans
le tissu glandulaire lui-même, on observe à côté des régions dont les acini
présentent leur structure normale, d'autres présentent des lésions nécrotiques
'et atrophies marquées de cellules.
Dans les régions normales, ou constate des îlots de Langerhans présentant
également leur structure normale.
Les reins n'ont pas été examinés.
La capsule surrénale. - Dans la substance glandulaire les noyaux cellu-
laires sont bien colorés. Par contre, les noyaux de la substance trabéculaire
42 MABINKSCO, PARHON ET MINEA
sont pâles. Les cellules de cette dernière sont tassées et disposées sous forme
de tubes. Mais on n'observe pas la disposition trabéculaire. Les cellules sont
petites, leur noyau est pâle et le protoplasme pâle également, peu distinct et
contenant de fines granulations. Dans certains endroits, on remarque des
masses noires dans l'intérieur desquelles on observe des noyaux de lympho-
cytes. Avec un plus fort objectif, on distingue un contour cellulaire dans l'in-
térieur duquel il existe une quantité de noyaux et du pigment noir. Il s'agit
probablement des macrophages qui ont ingéré des restes de leucocytes ou d'au-
tres substances.
Il y a aussi des régions où on observe une quantité très marquée de bulles
graisseuses extracellulaires..
Parfois on observe parmi ces bulles des infiltrations cellulaires. La subs-
tance réticulée est infiltrée de pigment. Ces granulations pigmentaires ne se
colorent pas par le scharlach en rouge orange comme le lypochrome, mais en
rouge brun. Mais il est vrai que, même dans cette région, il existe aussi des
cellules infiltrées de lypochrome et qui contiennent parfois des cristaux de
protagon.
A la limite de la substance réticulée et trabéculaire on voit, par endroit, des
vaisseaux capillaires très dilatés, remplis de sang et disposés sous forme de
réseau. Parfois on trouve à ce niveau une masse de cellules glandulaires dont
certaines infiltrées de lypochrome et formant des nodules circonscrits par un
anneau de tissu conjonctif.
Sur d'autres coupes provenant d'autres régions, on peut voir par ci par là
la disposition en couches glomérulaire et trabéculaire, mais dans leur plus
grande étendue les trabécules sont confluents en formant des canaux irrégu-
liers qui ne permettent plus une délimitation de cette substance.
Sur la surface de cette masse il existe des nodules lymphocytaires dont la
forme et la grandeur est variable. Parfois ces dernières font une infiltration
diffuse au milieu de laquelle on observe un nombre assez marqué de cellules
plus grandes, probablement des macrophages.
On peut exclure une prolifération du tissu interstitiel. Bien que le processus
pathologique intéresse le tissu parenchymateux, on n'observe pas une phase de
sclérose. En ce qui concerne la substance médullaire, nos coupes ne nous per-
mettent pas d'affirmer si elle est altérée ou non.
Dans les centres nerveux, on observe que le lipochrome des cellules est
abondant, ce qui tient à l'âge de la malade. Mais la méthode de Nissl, comme
celle de Cajal, ne nous a pas permis de trouver des modifications appréciables.
Les nerfs présentent des altérations consistant en disparition d'un certain
nombre de fibres, fragmentation des autres, etc.
Les muscles (deltoïde, demi-membraneux, long péronier, etc.) présentent
des altérations marquées consistant en atrophie d'un grand nombre de fibres,
dont le volume n'atteint parfois que le cinquième ou même moins de celui des
fibres normales. Les noyaux sont proliférés et disposés en chaînettes ou en
amas irréguliers. Par endroits ils remplissent presque la gaine de sarcolemme
CONTRIBUTION A L 1-'TUDII, DE f, '0qTl' O.NIALAC[r, 43
dont la substance contractile a disparu. La coloration au scharlach montre des
granulations lipoïdes surtout dans le voisinage des noyaux.
Dans les fibres moins altérées, la striation transversale est conservée. Plu-
sieurs présentent une exagération de la striation longitudinale. Enfin on ob-
serve des divisions longitudinales de^certaines fibres.
Les os montrent l'élargissement des canaux de Hawers et l'amincissement de
la substance compacte.
Observation III (PI. VII et VIII).
Enfin nous avons eu l'occasion d'étudier au point de vue anatomo-patholo-
gique un troisième cas qui offre beaucoup d'intérêt parce qu'il s'agit d'une
trouvaille de nécropsie et que la lésion thyroïdienne constatée dans ce cas a
été prévue d'avance après l'examen des os.
Nous avons cherché pour comparaison des os normaux. Or à la nécropsie
d'une vieille femme provenant également d'un autre service nous constatâmes
avec surprise des altérations osseuses semblables à celles du cas précédent.
Etant donné notre expérience antérieure, nous avons pensé immédiatement
il une altération thyroïdienne et nous avons pu constater en effet que le corps
thyroïde pesait 40 grammes, étant formé d'un nodule calcifié pesant à lui-
seul 10 grammes, et d'une portion plus grande dont la coloration ne rappe-
lait nullement celle de la glande normale.
Sur une coupe on constate que l'organe présente une coloration jaune serin
franche qui devient verdâtre après la fixation dans la solution de formol
(10 0/0).
Au microscope on constata une sclérose très manifeste de la glande. Le tissu
conjonctif est partout proliféré. En revanche on ne voit nulle part- des folli-
cules normaux. Les follicules dont le volume est très réduit ont une forme
arrondie et contiennent chacun une goutte de colloïde colorée en violet par
l'llématoxyline-éosine. Les cellules de la paroi folliculaire sont en général
aplaties, endotéliformes. On voit souvent des capillaires remplis de sang. Par ci
par là on remarque une congestion marquée allant jusqu'à l'hémorragie.
Dans certains endroits les follicules sont disparus probablement à la suite
d'un processus de nécrose et on n'observe plus que des images effacées, qu'on
pourrait comparer à l'ombre des follicules ou des capillaires sanguins.
A la périphérie de l'organe on remarque une zone où les follicules, avec peu
ou sans colloïde, rappellent les follicules embryonnaires. Entre ces follicules on
observe des capillaires dilatés.
La coloration au rouge scharlach montre une abondance extraordinaire de
la graisse. Cette substance se trouve en grande abondance dans toutes les cel-
lules des follicules et surtout dans celles de la zone périphérique que nous
venons de mentionner. En outre tous les vaisseaux, surtout les vaisseaux plus
petits et les capillaires se sont colorés intensivement en rouge, ce qui montre la
quantité énorme de graisse contenue dans leur paroi.
44 MARINESCO, PABHON ET MINEA
Sur une section de l'ovaire on ne constate pas de follicules ni de corps
jaune en état d'activité.
Mais on constate des corpora albicantia contenant une grande quantité de
graisse ainsi que le montre la coloration au scharlach.
Les parois des vaisseaux se colorent également d'une façon intense par ce
iiième colorant, ce qui montre également leur grande richesse en graisse.
A la périphérie de l'organe nous avons rencontré quelques traînées de cel-
lules d'aspect épithélioïde et contenant également des granulations graisseuses
et représentant probablement des cellules de la glande interstitielle.
L'hypophyse est représenté surtout par des cellules chromophobes et par un
certain nombre de cellules cyanophiles. On remarque un certain nombre de
follicules contenant du colloïde hématoxilinophile. Mais ce nombre n'est pas
très grand.
Le tissu conjonctif est plus abondant qu'à l'état normal.
Un très grand nombre de cellules contient à leur intérieur des vacuoles assez
volumineuses.
M. Gh. Dumitresco a eu l'obligeance de rechercher les sels minéraux dans
les os de ces deux derniers cas.
Voici le résultat auquel il est arrivé.
Dans le premier cas l'os examiné contient 22.7282 0/0 sels minéraux, dont
3.0965 0/0 CaO. 1
Dans le second cas on trouve z9 0/0 sels minéraux, dont 5.0506 0/0
CaO.
Ainsi qu'on le voit, il existe une diminution considérable de sels minéraux
et de sels de calcium en particulier dans les os examinés.
Les épreuves radiographiques des os longs de ces deux derniers cas donnent
des résultats assez concordants, savoir : l'augmentation très importante de la
transparence osseuse, l'élargissement considérable du canal médullaire sur le
compte de la substance compacte dont l'épaisseur est réduite à la moitié et
même au tiers de celle qu'elle présente sur l'os normal. Enfin cette même
substance est transformée en une substance spongieuse et pauvre en sels miné-
raux, ce qui explique l'augmentation de la transparence que nous venons de
signaler.
En résumé, il s'agit, de trois femmes présentant comme troubles com-
muns des altérations osseuses considérables consistant en une réduction
très importante de la substance compacte du tissu osseux avec transforma-
tion de cette dernière en substance spongieuse et ensuite en un élargisse-
ment notable des espaces médullaires ainsi que du canal central par résorp
tion de la paroi osseuse.
Cette altération coexiste dans le premier cas avec l'ablation du corps
thyroïde qui a été extirpé après avoir subi la transformation goitreuse.
CONTRIBUTION A l'ÉTUDE DE L'OS1'ÉOJIAL.1CIE 45
Dans le second cas le corps thyroïde était très petit (8 grammes) et pré-
sentant des altérations importantes.
Dans le troisième enfin, cette même glande, bien que'pesant 40 gram-
mes, était infiltré de sels calcaires, présentait une sclérose très avancée et
des altérations atrophiques des follicules dont la sécrétion était avidement
altérée et dont un bon nombre avaient complètement disparu.
Faut-il voir entre les altérations osseuses et celles de la glande thy-
roïde dans ces trois cas une simple coïncidence, ou existe-t-il par contre une
relation plus étroite, le trouble dans le fonctionnement thyroidien étant
un fadeur important - peut-être le seul - dans la production du ramol-
lissement osseux.
En ne tenant compte que de notre expérience personnelle, cette dernière
supposition nous semble la plus probable.
C'est ainsi que deux d'entre nous ont publié les observations de deux
cas d'ostéomalacie sénile et dans les deux la glande thyroïde fut trouvée
malade (1 ).
Dans l'un de ces cas le corps thyroïde était transformé en un goitre pesant
120 grammes et montrait au microscope des altérations sclérotiques, et la
transformation des follicules dont la plupart ne contenaient pas de colloïde. Il
yavait aussi des infiltrations calcaires.
Dans le second cas la glande ne pesait que 15 grammes et présentait égale-
ment des altérations scléreuses.
Dans un autre cas publié par l'un de nous avec M. JiANo(2),j[ s'agissait d'une
jeune femme atteinte d'uue scoliose très prononcée ainsi que d'un goitre volu-
mineux. Ce dernier était apparu à l'époque prépubérale et la scoliose débuta
un an plus tard et marcha parallèlement avec l'augmentation du goitre.
L'examen histologique de ce dernier (la malade a été opérée) montra une
transformation adénomateuse du corps thyroïde, transformation qui, dans cer-
taines régions, était si prononcée, qu'un observateur non prévenu aurait eu
beaucoup de peine à dire de quel organe il s'agit.
La substance colloïde était dans ces régions complètement absente, et en gé-
néral les follicules étaient très pauvres en cette substance.
Or la scoliose, quand elle ne peut pas s'expliquer par un trouble d'ordre pa-
ralytique ou par une anomalie osseuse, semble bien pouvoir ètre considérée
comme une espèce d'ostéomalacie de la colonne vertébrale.
Mais ces cinq cas que nous avons pu étudier par nous-même sont loin
d'être les seuls démontrant l'existence d'une relation patliogénétique entre
l'ostéomalacie et une altération de la fonction thyroïdienne.
La littérature médicale est assez riche en faits de cet ordre, bien qu'on
ne leur a pas toujours prêté l'attention qu'ils semblent mériter.
46 MARIN ESCO, PARHON ET MINEZ
C'est ainsi que nous pouvons citer d'abord la coexistence de l'ostéoma-
lacie ou des troubles voisins avec le syndrome de Basedow.
Il en était ainsi dans le cas de KOFPEN (3) ayant trait à une femme de 23 ans
atteinte depuis 5 ans d'un goître avec palpitations et exophtalmie. Le coeur
était hypertrophié, il y avait de la tachycardie, du tremblement, des transsuda-
tions et le caractère « hystérique ». Elle a souffert aussi d'accès d'angine de
poitrine. On observe aussi des crampes qui fixaient les pieds dans l'attitude
du pied-bot ? 7
Une fois les crampes intéressèrent aussi les membres supérieurs. Le signe
de Trousseau n'existait pas dans l'intervalle des accès.
Dans le cours de la maladie il s'est produit aussi une cyphoscoliose, Elle a
perdu la voix, ne pouvant plus chanter.
REKLINGHAUSEN pratiqua l'examen anatomo-patllologiqué et trouva le cerveau
très gros, la substance grise particulièrement rouge.
Microscopiquement, pas de lésions nerveuses, on trouva un gros goître et
un très volumineux thymus. Le coeur était hypertrophié, les ganglions lym-
phatiques tuméfiés et les follicules spléniques également. Les os se coupaient
facilement comme le bois pourri.
Ils présentaient beaucoup d'exostoses surtout au niveau d'insertion des
tendons.
Microscopiquement il y avait beaucoup de vaisseaux dans la substance cor-
ticale des os, les canaux de Hawers étaient élargis. Il y avait des exostoses
dans le canal médullaire.
Reklinghausen (4) diagnostiqua l'ostéomalacie. Il publia le cas dans Vircchozv's-
Fesischrift (1881, Berlin).
L'auteur pense que l'ostéomalacie était conditionnée dans ce cas par le syn-
drome de Basedow et partage l'opinion de von Reklinghausen que le ramollis-
ment osseux était en rapport avec la vaso-dilatation des os.
Mais il doute si cette affection osseuse est identique à l'ostéomalacie vraie
qui se développe à la suite de l'accouchement et est régionnaire, tandis que
dans son cas elle s'est développée, dit l'auteur, sur des bases nerveuses.
L'auteur a vu encore une malade ayant perdu la voix et les dents et présen-
tant une cypho-scoliose et dont le sternum et la colonne étaient douloureux il
la pression.
Deux autres malades observés par l'auteur se plaignent que les dents ont
commencé à souffrir depuis le début de la maladie.
Dans la discussion Goldscheider dit que dans un cas de Basedow il a examiné
les os sans trouver rien de particulier ; mais il rappelle que Charcot a trouvé
le métabolisme phosphore altéré dans le syndrome de Basedow.
Dans l'observation de Ilfimi; (5),à la nérropsie d'une femme basedowienne,
les côtes furent trouvées très friables et n'étaient plus représentées que par une
écorce osseuse très mince. Dans les os du bassin on trouvait des lacunes et
des parties décalcifiées. On trouvait la même décalcification dans la colonne
vertébrale.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE 47
Moebius (6) cite l'observation clinique d'une femme de 48 ans ayant eu
4 grossesses et une fausse-couche, atteinte depuis la dernière grossesse de
phénomènes ostéomalaciques. Depuis cinq ans; à la suite d'une frayeur, elle
présente le syndrome basedowieu sans phénomènes oculaires. Le corps thy-
roïde avait les dimensions du poignet.
Latzko (7) a observé dans plusieurs cas la coexistence du syndrome de Ba-
sedow avec l'ostéomalacie.
Dans un de ces cas il s'agit d'une femme âgée de 54 ans atteinte depuis 1879
du syndrome de Basedow, et depuis 1893 d'ostéomalacie.
Dans un autre cas, il s'agit d'une femme de 32 ans, ostéomalacique depuis
1893, qui en 1896 présentait en outre des symptômes de tétanie et le syndrome
de Basedow.
Dans un troisième cas l'ostéomalacie datait depuis 1889, taudis que le syn-
drome de Basedow n'aurait apparu que 5 ans plus tard.
Enfin dans un quatrième cas le syndrome de Basedow aurait précédé de
7 ans l'ostéomalacie.
Dans la monographie de Hoenicke, nous trouvons que Latzko a observé dans
deux autres cas la coexistence de ces deux syndromes.
Un autre exemple de cette coïncidence fut rapporté par Hirschl (8), syn-
drome de Basedow depuis 1879 et ostéomalacie depuis 1893.
Dans le cas de Hofmeier (9), il s'agit d'une femme ayant eu treize grosses-
ses, atteinte d'une ostéomalacie ion puerpérale etayant été soignée auparavant
pour le syndrome de Graves. Le corps thyroïde avait volume d'un poignet.
Dans le cas de Hoenicke (10), il s'agit d'un homme de 47 ans ayant un père
aliéné et qui souffre depuis 3 ou 4 ans de faiblesse et douleurs rhumatiques dans
les jambes. Il présente lui aussi des troubles psychiques, phénomènes d'exci-
tation.
Le malade présente en même temps une cyphoscoliose, de l'exophtalmie, le
signe dé Graefe et de Moebins. Les dents étaient cariées et émoussées. Il exis-
tait aussi une hypertrophie thyroïdienne. Le pouls était souvent mais pas tou-
jours fréquent. Tremblement des mains.
Les premiers troubles basedowiens dataient depuis 8 ans.
L'examen anatomopathologique montre que les os crâniens étaient très min-
ces, légers, spongieux et se coupaient facilement.
La substance corticale était amincie et le diploë élargi. Les côtes très nexi-
hles et facilement coupables avec le couteau. La moelle était rouge foncé.
Altérations analogues pour le fémur qui pouvait se couper lui aussi, bien que
plus difficilement, avec un couteau.
Pas de tumeurs ni d'épaississements osseux.
Tolot et Sarvouat (11) ont publié l'intéressante observation d'une femme de
B2 ans présentant une tuméfaction thyroïdienne depuis l'âge de 20 ans. En
même temps apparurent des palpitations et de la difficulté de monter les esca-
liers.
Vers l'âge de 3G ans, le cou grossit encore et les palpitations devinrent plus
violentes. L'intumescence thyroïdienne augmentait au moment des règles.
48 MARINESCO, PARHON ET MINEA
Elle avait en même temps de fréquentes boudées de chaleur.
Les phénomènes ostéomalaciques (douleur en ceinture, déformation du tronc,
etc.), étaient apparus deux mois avant l'entrée de la malade à l'hôpital.
Pourtant, au dire de l'entourage, la malade présentait déjà une gibbosité re-
montant à une date indéterminée mais bien moins accentuée.
A son entrée à l'hôpital on observe une cyphose marquée de la région dor-
sale moyenne avec lordose compensatrice dans la région cervicale supérieure,
thorax projeté en avant, peu déformé, sternum normal, côtes fermes, indé-
prp,ssibles, indolores.
Depuis trois ans les règles étaient devenues plus abondantes. Elles étaient
d'ailleurs, à ce qu'il semble, plus abondantes que d'habitude dès le commence-
ment, à l'âge de 13 ans.
A la nécropsie le squelette ne semblait pas malléable. L'utérus portait un
fibrome du volume d'une tête d'enfant. Les ovaires sont atrophiés, blanchâ-
tres, scléreux.
Le corps thyroïde était le siège d'un goître volumineux, ayant des dimen-
sions de deux poings.
Les corps vertébraux, les côtes, le col du fémur se coupent au couteau avec
la plus grande facilité,et leur substance spongieuse semble plus rouge que nor-
malement.
L'examen microscopique montre qne la moelle présentait les signes d'une
activité marquée, il n'y avait que peu de vésicules de graisse et partout les
cellules de la moelle remplissaient les espaces intertrabéculaires ; parmi elles
les myélocytes amphophiles et les hématies nucléées paraissent tout particuliè-
rement nombreux ; par contre les éosinophiles sont relativement rares.
Le tissu osseux avait son aspect habituel, mais les travées étaient minces.
Dans le corps thyroïde, la substance colloïde remplit complètement les vési-
cules dont certaines sont extrêmement dilatées, à côté d'autres de volume nor-
mal ; les travées qui séparent les vésicules étaient très minces en général et
on ne trouvait pas à leur niveau d'ilôts cellulaires comme on le voit habituel-
lement. '
On ne trouvait nulle part de trace d'inflammation. Il semble s'agir d'un
corps thyroïde en hypersécrétion.
Von Jaksch et Rothy (12) ont rapporté l'observation d'une jeune fille de
20 ans atteinte du syndrome de Basedow typique chez laquelle les divers trai-
tements médicaux ayant resté sans effet, ont eu recours à la ligature de l'ar-
tère thyroïdienne supérieure et inférieure. On observa d'abord une améliora-
tion, mais la plaie opératoire suppura et on observa une rétrocession des
phénomènes basedowiens, ainsi qu'une paralysie d'une corde vocale et des
diarrhées intenses.
Deux ans à peu près après la ligature, la malade commença à présenter des
tuméfactions douloureuses des avant-bras.
Plus tard on observa de semblables tuméfactions aux côtes, aux omoplates, à
l'extrémité proximale de l'humérus et du fémur, à celles de la jambe, ainsi que
certaines altérations du bassin. Ou observa une flexion des clavicules et une
CONTRIBUTION A l'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE 49
cyphoscoliose et en même temps une paraplégie avec pied-bot, exagération du
réflexe rotulien mais sans troubles de la sensibilité et des sphincters.
La radiographie montre des espèces de crevasses obscures allant jusqu'à un
véritable décollement des épiphyses,qui n'étaient pourtant pas localisées exacte-
ment au niveau de l'ancien cartilage de conjugaison.
La substance compacte était surtout atteinte, tandis que la substance spon-
gieuse est très apparente.
Au niveau des fentes osseuses, on observait aussi un processus de répara-
tion, mais le calus était formé plutôt d'un tissu ostéoïde.
Von Jaksch et Rotky pensent que dans ce cas il s'agit d'un processus diffé-
rent de celui de l'ostéomalacie puerpérale, car la malade n'a jamais eu de gros-
sesse, les séparations osseuses se faisaient sans déficit de la substance osseuse
et les os du bassin étaient, moins atteints, et enfin que les os étaient bien visi-
bles sur les radiographies, tandis que dans l'ostéomalacie ils sont à peine visi-
hles.
Pourtant le processus serait vosin de l'ostéomalacie.
L'élimination du phosphore et du calcium par l'urine n'était pas modifiée.
Malheureusement on n'a pas fait l'examen des fèces.
L'examen microscopique du sang ne montra rien d'anormal. Enfin le pro-
cessus n'était pas progressif, car on assistait à la formation des calus bien que
pauvres en substance osseuse.
Le processus ne rappelle pas non plus le rachitisme.
Les auteurs se demandent si la suppuration chronique de la plaie opératoire
n'a pas donné l'impulsion au processus particulier de la dégénérescence osseuse,
en rappelant que les suppurations chroniqnes constituent des causes pour des
ostéomyélites et périostites locales.
Enfin les auteurs admettent que l'altération de la fonction thyroïdienne a
été responsable du processus osseux, mais n'admetteut pas, comme le fait
Iloenicke pour son cas, qu'il s'agit de l'ostéomalacie véritable, mais d'un pro-
cessus voisin peut-être. Ils pensent qu'il a dû exister dans leur cas un certain
degré d'hypothyroïdisme.
Il convient également de citer ici les cas où on trouve la coexistence du
syndrome de Basedow avec une scoliose plus ou moins prononcée, car,
ainsi que nous venons de le dire, la scoliose semble dans certains cas pou-
voir êlre considérée comme une sorte d'ostéomalacie de la colonne verté-
brale.
C'est ainsi que Louis Dubreuil-Chambardel (13) a vu la coexistence du
syndrome de Basedow avec la scoliose sous la forme héréditaire et fami-
liale, et l'un de nous a vu avec MM. Dona et Ghiulamila une jeune fille
atteinte de la scoliose de l'adolescence qui présentait en môme temps un
syndrome basedowien avec hypertrophie évidente du corps thyroïde.
Mais le syndrome de Basedow ne représente pas le seul syndrome thyroï-
dien dans lequel on peut rencontrer l'existence de l'ostéomalacie.
xxiv 4
50 MARINESCO, PARHON ET 1111NEA
Cette dernière peut se rencontrer dans le goitre dit simple et dans les
thyroïdites, etc.
C'est ainsi que, dans le cas de Senator (14), le corps thyroïde était volu-
mineux. Dans les cas de Finkelburg (15), Pommer (16), Poppe (17), l'os-
téomalacie était également accompagnée d'un goitre.
. Dans les cas de VTUIfI' (18), l3aal : e I t9), Sommer (20), le goitre ignoré
pendant la vie fut trouvé à la nécropsie.
Eckel (21), Sternberg (22), Masiegen (23) ont signalé également la co-
existence du goitre avec l'ostéomalacie.
Mais c'est surtout Hoenicke (24) qui a eu le mérite d'attirer l'attention
sur les rapports étroits qui unissent l'ostéomalacie aux troubles de la
fonction thyroïdienne.
Outre la coexistence de l'ostéomalacie avec le syndrome de Basedow,
cet auteur remarque que certaines régions où l'ostéomalacie est en quel-
quesorte endémique, sont aussi des pays à goitre. II cileà titre d'exemple
l'llsace, le Palatinat, le Harlz, la Bavière, la Saxe, la Bohême, les envi-
rons de Würzburg, de Heidelberg, de Baie, de Vienne, de Budapest, la
Croatie, l'Istrie, la vallé d'Olona près de Mian, la vallé d'Ergolz.
Par contre, pour Ilaeniclce, l'ostéomalacie comme le goitre manquent
dans l'Allemagne du Nord ou ne se rencontrent qu'à l'étal sporadique chez
des sujets déracinés.
Tolat et Sarvonat en citant l'opinion de lIoenicke,ajoutent(lUe la région
lyonnaise, que les travaux de Poncet et Jayet (25) ont fait connaître
comme une région goitreuse, semble être aussi un pays à ostéomalacie, et
ils citent à cé propos les travaux de Fochier (26), Mondau (27), Chaba-
lier (28), Gayet et Bonnet (29), Courmont et Paviot (30).
Hoenicke cite en outre la fréquence des symptômes basedowiens chez
les ostéomalaciques.
Enfin il a étudié, au point de vue de l'état du corps thyroïde, 33 cas
d'ostéomalacie à la Clinique du Professeur llofmeier (il Wurzburg), et
voici ce qu'il a trouvé.
Dans un de ces cas l'ostéomalacie coexistait avec le syndrome de Base-
dow. Dans trois autres il existait une hypertrophie assez importante du
corps thyroïde sans syndrome basedowien caractéristique (bien que cer-
tains phénomènes qui se retrouvent dans ce dernier sont présents). Dans
15 autres cas d'ostéomalacie on trouve un goitre moyen ou petit.
Dans la plupart de ces cas un trouve aussi des symptômes tels que des
palpitations, du tremblement vibratoire, etc., qui rappellent le syndrome
de Basedow.
Dans deux autres cas il existait une hypertrophie thyroïdienne légère :
Dans l'un de ces deux cas on retrouve le tremblement. Dans l'autre il est
noté que le pouls battait à 100 par minute.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE 5 L
Dans un autre cas on trouve en même temps l'ostéomalacie et une thy-
roïdite. La malade avait 90 pulsations par minute.
Dans 7 cas on ne trouvait pas (cliniquement) un corps thyroïde d'ap-
parence anormale, mais les malades présentaient pourtant certains symp-
tômes thyroïdiens (tremblement, palpitations), et on notait en outre
dans leur famille la présence des affections du corps thyroïde.
Ce n'est que dans quatre cas qu'on n'avait noté aucune manifestation
de la part du corps thyroïde (pourtant dans un de ces cas on trouve
108 pulsations par minute et la malade avait souffert de transpirations
généralisées).
Citons encore le cas récent de Haberkant (31) qui, dans un cas d'ostéo-
malacie avec troubles mentaux, trouva des altérations très évidentes du
corps thyroïde.
A l'appui d'une relation entre le corps thyroïde et l'ostéomalacie parle
aussi la constatation de Monéry (32) qui dans le corps thyroïde d'un cas
de ce syndrome ne put pas déceler l'existence de l'iode.
Cela ne veut pas dire qu'il en soit toujours ainsi, car dans les deux cas
communiqués par l'un de nous avec Goldsteim (33), l'iode était présente
et même en quantité assez grande (0,011 et 0,0088).
Ainsi qu'on le voit, de 33 cas d'ostéomalacie où on trouve certaines
indications sur l'état du corps thyroïde on ne peut retenir que trois cas,
on ne trouve aucun symptôme (et encore on peut se demander si une ana-
lyse plus approfondie n'avait pas donné un résultat différent).
Hoenicke arrive à la conclusion que l'ostéomalacie est une maladie du
corps thyroïde.
Révilliod (34), Girard parlent aussi d'une ostéomalacie en rapport avec
le thyroïdisme. Allara (35) est également d'avis que le crétinisme peut
engendrer le rachitisme et l'ostéomalacie.
Les faits que nous venons de citer parlent,nous semble-t-il,pour l'exis-
tence d'un rapport étroit entre l'ostéomalacie et les altérations thyroï-
diennes.
Quelle est la nature de ce rapport ? On pourrait se demander si les alté-
rations thyroïdiennes sont la cause immédiate de l'ostéomalacie ou bien
si les unes et l'autre ne sont pas en fonction d'un autre facteur, une in-
fection par exemple. On pourrait se demander encore si les altérations
thyroïdiennes ne sont pas la conséquence des troubles généraux des échan-
ges nutritifs qui produisent l'ostéomalacie ?
C'est la première opinion qui nous semble correspondre mieux à la réa-
lité.
En effet, outre que les altérations thyroïdiennes précèdent souvent les
52 IIIARINESCO, PARHON ET M1NEA
processus osseux, d'autres faits prouvent encore l'existence d'une action
du corps thyroïde dans la nutrition du tissu osseux.
Nous citerons d'abord l'arrêt ou le retard considérable de l'ossification
enchondrale dans l'insuffisance thyroïdienne spontanée ou expérimentale
quand elle apparaît dans le jeune âge et la reprise de la croissance sous
l'influence du traitement thyroïdien, de même que le fait trouvé par Holm-
green (36), que les enfants basedowiens augmentent plus vite et que l'os-
sification enchondrale finit également plus vite chez eux que chez les
témoins.
Nous citerons ensuite le fait établi par Gautier (37) (de Charolles) de
l'influence salutaire exercée par l'opothérapie thyroïdienne sur la guéri-
son des fractures sans tendances à la consolidation.
Ce fait fut ensuite confirmé par de nombreux auteurs, et il convient
de citer ici les noms de Reclus (38), Quenu (37), Folet (40), Féria (41),
Tronchet (42), Dejace (43), Poirier 44), Rappeler (45), Ser (46, Chape-
lier (47).
Gautier (48), en réunissant les cas publiés jusqu'à l'apparition de son
excellent livre 'sur l'opothérapie thyroïdienne, trouve sur 37 cas 32 résul-
tats positifs, et seulement cinq négatifs (cas de Guinard, un cas de Poi-
rier, le cas deRochard, celui de Slahel (49), un cas de Ser). El dans ces
cinq cas il s'agissait de cas de fractures compliquées ou d'ancienne pseu-
darthrose. Nous pouvons citer ici aussi les recherches expérimentées de
Ilanau et Steinlein (50),Bayon (51) qui ont observé que les fractures gué-
rissent plus lentement chez les animaux éthyroïdés que chez les témoins.
Pour Pizzolini (52) le retard de consolidation ne se produit après la
thyroïdeclomie que lorsque l'animal est arrivé à l'état de cachexie.
D'après Veillon (3), les injections thyroïdiennes n'atténueraient que
faiblement le retard apporté dans la consolidation par l'état strumiprive.
Bayon observa que le traitement thyroïdien accélère la consolidation
des fractures non seulement chez les animaux éthyroïdés, mais aussi chez
les témoins.
Carrière et Vauverts (34), en traitant par le corps thyroïde des ani-
maux avec des fractures expérimentales,mais dont le corps thyroïde était
normal,observent par contre que la consolidation se faisait plus lentement
que chez les témoins.
L'explication semble devoir être cherchée dans la dose trop grande de
substance thyroïdienne. Nous reviendrons plus bas sur cette question de
dose.
Enfin l'étude de l'action du corps thyroïde sur les échanges nutri-
tifs semble nous donner la raison de l'influence de cette même glande sur
la nutrition osseuse.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE 53
C'est ainsi que Scholz (55) en étudiant l'action du corps thyroïde chez
un homme sain et chez un basedowien a trouvé que le chlore urinaire
augmentait chez les deux dans la même proportion,le phosphore urinaire
n'étant pas influencé. Mais le phosphore des fèces augmentait de 25 0/0
chez l'homme sain. Chez le basedowien cette augmentation était énorme
car le phosphore des fèces décuplait.
Krauss dit que cette perte de phosphore trouvée par Scholz a peut-être
des rapports avec le ramollissement osseux et la sensibilité osseuse à la
pression. C'est d'ailleurs aussi l'avis de Scholz.
Roos (56) de son côté a trouvé une élimination exagérée du chlore, de
l'azote et du phosphore, urinaire sous l'influence du corps thyroïde chez
un goitreux.
La thyroïdeclomie chez le chien a amené par contre une diminution du
phosphore, ce qui pourrait tenir à sa rétention ou plutôt à son absence
d'absorption. Cette dernière hypothèse, disent Tolol et Sarvonat, serait
confirmée par l'arrêt de croissance et la torpeur intellectuelle du myxoe-
dème et du crétinisme.
Hoenicke, de même que Tolot et Sarvonat invoquent avec raison ces
faits pour expliquer les rapports des altérations thyroïdiennes avec l'ostéo-
malacie.
Si on étudie maintenant l'influence du corps thyroïde sur le métabo-
lisme du calcium, on trouve des faits non moins intéressants.
C'est ainsi que Moraczevski (57) en étudiant les échanges nutritifs dans
un cas d'acromégalie trouva que l'administration du corps thyroïde dé-
terminait une exagération de la rétention du calcium déjà existante dans
ce cas. IIaushalter etGuerin (58) trouvent que l'urine des myxoedéma-
teux est plus riche en calcium.
En partant de ces constatations, et sur la base des résultats donnés
par des urines dans un cas d'infantilisme avant et pendant le traitement
thyroïdien, ainsi que de plusieurs faits dont nous avons déjà énuméré
une partie (action du corps thyroïde sur la croissance, sur la guérison
des fractures avec retard de consolidation, tendance fréquente aux hémor-
ragies dans l'insuffisance thyroïdienne, etc.), l'un de nous avec M. Papi-
niau (59), a soutenu que le corps thyroïde a un rôle important dans l'as-
similation du calcium.
Silvestri et Tosatti (60),en reprenant récemment la question,ont trouvé
que l'administration d'une dose modérée de corps thyroïde chez des per-
sonnes ne souffrant pas d'une affection thyroïdienne déterminait une ré-
tention évidente du calcium.
Ces auteurs citent un travail deSinhuUer qui trouve qu'une forte dose
de corps thyroïde détermine une exagération dans l'élimination du calcium,
54 MARINESCO, PARHON ET MINEA
et c'est peut-être de la même manière qu'on doit s'expliquer le résultat
deSchiff (61) qui avait trouvé également une exagération dans l'élimination
du calcium. Plus récemment Nissipesco(62),avec des doses assez importantes
de corps thyroïde (2 à 3 grammes par jour), fit la même constatation,
et d'autre part Scordo et Franchini (G3) trouvèrent que dans le syn-
drome de Basedow il existe également une perte de calcium.
Si l'on ajoute que Scholz (G4) a constaté la même chose chez les crétins
jeunes on a un faisceau assez important de faits permettant de conclure
que le corps thyroïde exerce une action importante dans le métabolisme
du calcium. Il semble résulter encore que pour le maintien normal de ce
métabolisme, il soit nécessité d'une certaine dose d'un optimum quantitatif,
de sécrétion thyroïdienne, et qu'au-dessous ou au dessus de cette dose le
métabolisme du calcium est en défaut.
On conçoit de cette façon la possibilité d'un syndrome ostéomalacique
dans l'insuffisance thyroïdienne comme dans l'hyperthyroïdisme.
Mais la-glande thyroïde n'est pas le seul organe dont les altérations ont
pu être invoquées dans la pathogénie de l'ostéomalacie.
On a fait intervenir des troubles dans d'autres glandes à sécrétion
interne.
Nous citerons en première place les parathyroïdes . En effet les altéra-
lions de ces organes semblent influencer non seulement les fonctions ner-
veuses, mais aussi la trophicité d'autres tisssus.
Pour ne parler que du tissu osseux, nous rappellerons que dans certains
des cas que nous avons déjà cités il existait des phénomènes de tétanie et
que la malade de notre première observation présentait une tétanie,
latente il est vrai, mais indiscutable.
Nous dirons ensuite qu'Erdheim (65) a trouvé des altérations parathy-
roïdiennes à l'examen anatomo-pathologique d'un cas d'ostéomalacie.
Nous ajouterons enfin qu'on trouve bien fréquemment la tétanie infan-
tile, surtout sous la forme de laryngospasme, associée au rachitisme.
Or le rachitisme et l'ostéomalacie sont des processus bien voisins, et
certains auteurs, comme Bernard (66) par exemple les considèrent comme
étant de même nature.
Les recherches anatomo-pathoiogiques montrent dans le rachitisme
comme dans l'ostéomalacie l'élargissement des canaux de Havers avec
résorption progressive de leur paroi osseuse, ce qui donne un certain
appui à l'opinion que nous venons de citer.
Enfin certaines recherches expérimentales tendent également à démon-
trer que les parathyroïdes interviennent dans la nutrition du tissu osseux.
C'est ainsi que Léopold et 13eus (67) ont observé un arrêt de dévelop-
pement chez un jeune rat parathyroïdectomisé, et d'autre part Canal (G8)
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE 55
et Morel (69) ont trouvé que la parathyroïdectomie exerce un retard nota-
hle dans la consolidation des fractures. Pour ce dernier auteur la thyroï-
dectomie n'a pas la même influence, mais nous savons que d'autres
auteurs sont arrivés il des résultats différents.
Nous rappellerons ici que Erdheim a noté des altérations dentaires im-
portantes chez les jeunes rats parathyroïdectomisés et que des altérations
dentaires tout à fait semblables ont été notés par Weichelbaum et
Escherich î0) chez les enfants rachitiques, ce qui soulève le problème de
la nature parathyroïdienne du rachitisme. Nature pour laquelle la coexis-
tence de ce dernier avec la tétanie, plaide également.
Les altérations dentaires parfois très accusées comme chez notre
première malade sont fréquentes aussi dans l'ostéomalacie.
La raison de ces phénomènes semble devoir être cherchée dans l'influence
exercée par les parathyroïdes sur le métabolisme du calcium.
Cette influence supposée par l'un de nous dans un travail fait en col-
laboràtion avec Goldstein (71) a été affirmée récemment par Mac Callum
et Voeatelin (72). Ces auteurs ont confirmé l'action sédative des sels de
calcium sur les phénomènes convulsifs des animaux thyro-parathyroï-
dectomisés et ont trouvé en outre que le sang et le système nerveux de ces
animaux est plus pauvre en calcium que celui des témoins.
Pourtant les recherches que l'un de nous a fait avec MM. Dumitresco
et Nissipesco (73) n'ont pu confirmer que pour certains cas les résultats des
auteurs américains.
Ces deux auteurs ont trouvé encore que les animaux thyroparathyroï-
dectomisés perdent le calcium en quantité plus grande que les témoins.
Mais Léopold et Reuss, chez un animal avec parathyroïdectomie partielle,
ont trouvé une rétention de calcium.
Ces deux auteurs, en analysant les os des jeunes rats parathyroïdecto-
misés,les ont trouvés plus pauvres en calcium que ceux des témoins. Mais
quand il s'agit d'animaux adultes, il arrive plutôt le contraire. Pourtant t
chez ces derniers aussi on trouve une différence par rapport aux témoins
- 'dans les proportions du calcium des os et celui des parties molles.
Ces auteurs font remarquer que la quantité plus grande de calcium
trouvé dans les os des animaux parathyroïdectomisés n'exclut pas la pos-
sibilité d'une diminution de cet élément lorsqu'il s'agit seulement de ses
ions libres, remarque dont il faut reconnaître la justesse.
Ces faits nous semblent plaider pour l'existence d'une influence des
parathyroïdes sur la nutrition du tissu osseux, influence exercée vraisem-
blablement par l'intermédiaire d'une modification dans le métabolisme du
calcium, mais celle influence et celle action sur le métabolisme doivent
être précisées par de nouvelles recherches.
56 MARINESCO, PARHON ET Zen
Une autre glande a été surtout incriminée dans la pathogénie de l'os-
téomalacie. Nous voulons parler de l'ovaire. C'est Fehling (74) qui, trou-
vant que la castration guérit l'ostéomalacie, émit l'opinion que cette der-
nière serait la conséquence d'un phénomène réflexe à point de départ
ovarien et grâce auquel il se produisait une vasodilatation osseuse avec
hyperhémie passive, accumulation d'acide carbonique et décalcification.
Cette hypothèse manque de fondement.
Pourtant la théorie ovarienne resta debout, car elle est appuyée sur un
nombre de faits dont l'importance ne saurait être méconnue.
En laissant de côté les constatations de Velilz, Rozzier (75) qui trouvè-
rent dans les ovaires d'ostéomalaciques la dégénérescence hyaline des
vaisseaux, phénomène banal qui ne saurait nullement expliquer la patlio-
génie de ce syndrome,nous rappellerons que la constatation de Fehling de
la guérison ou l'amélioration de l'ostéomalacie par la castration fut confir-
mée par de nombreux auteurs tels que Winckel (76), Muiier, Iloffa (77),
Truzzi (78), Hofmeier (79), Schaula (80), Guéniot (81), Voikmann,
Polgar (82), Busche-Haddenhausen (83), Seligmann, Fochier, etc. (84).
Il est vrai qu'on trouve aussi des cas où l'opération est restée sans ré-
sultat, et Iloenicke cite à ce point de vue les cas de Poppe (85), Kunz,
Fehling, Latzko, Truzzi, Sutugin etTrachtenberg, LÕhnlein (86), Schaula,
Morisani, Gusserow (87).
Nous pouvons leur ajouter le cas de Cramer (88), et dire encore que
Frenkel et Schuller ont traité avec succès un cas d'ostéomalacie parle lait
de chèvre châtrée.
Quoi qu'il en soit, l'influence favorable de la castration dans un grand
nombre de cas ne saurait être contestée, et les statistiques publiées par
certains auteurs le démontrent suffisamment.
C'est ainsi que Polgar nota 6 guérisons sur 7 cas, Dusche-Iladdenhau-
sen, 3 guérisons sur 6 cas, et Truzzi, 82 guérisons sur 97 cas.
D'autre part nous connaissons aujourd'hui l'influence de la castration
sur l'ossification enchondrale.
Quand on pratique cette opération dans le jeune âge chez les animaux
comme chez l'homme, on observe la persistance prolongée du cartilage de
conjugaison avec prolongation de la durée de la croissance, d'où le gigan-
tisme qu'on observe dans de pareils cas.
Dans le même ordre d'idées il convient de rappeler ce fait intéressant
qui résulte d'une statistique de Sternberg (89). Jusqu'à l'âge de 40 ans,
la proportion des cas d'acromégalie est presque la même dans les deux
sexes. Par contre, après 40 ans,le nombre de femmes acromégales est dou-
ble par rapport aux hommes atteints du même syndrome.
Or c'est vers cette époque que débute souvent la ménopause, ce qui veut
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE 57
dire que l'insuffisance ovarienne constitue une prédisposition à t'acromé-
galie (Parhon et Goldstein) (90).
Enfin l'étude des échanges nutritifs après la castration ovarienne ou
sous l'influence de l'opothérapie ovarienne peut nous donner - au moins
jusqu'à un certain point la raison de celle action de l'ovaire sur l'os-
téogenèse.
En effet, les recherches de Curratullo et Tarulli (91), ainsi que celles
de Gomez (92) conduisent à la conclusion que l'ablation des ovaires dé-
termine la rétention du phosphore dans l'organisme.
Prinzani (93), Mossé et Oulié ont trouvé des modifications dans l'éli-
mination de l'acide phosphorique dans l'urine des femelles châtrées.
Il faut dire pourtant que Lambert (94) n'a pas confirmé ces résultats et
que Falk et Schulz, Lutje (95), Neumann et Vas, en dosant l'acide phos-
phorique dans l'urine et les fèces des femelles châtrées ont obtenu égale-
ment des résultats négatifs.
La question réclame de nouvelles recherches, et nous tenons à remar-
quer ici que l'ovaire étant une glande à fonction plus ou moins périodi-
que, les résultats peuvent varier d'un observateur à l'autre suivant l'état
fonctionnel de l'ovaire au moment de l'opération. Dans les recherches de
ce genre on voudra bien tenir compte de celle observation et on devra étu-
dier histologiquement (et même physiologiquement) l'étal de l'ovaire
enlevé.
Peut-être on arrivera à trouver de cette façon la raison de la divergence
des résultats obtenus par les divers expérimentateurs.
En ce qui concerne le calcium, Neuman (96) et Vas, Senator (97), l'un
de nous avec Papinian ont noté son élimination exagérée sous l'influence
de l'opothérapie ovarienne, et d'autre part Goldtlavait, Painter et Os-
good (98) en étudiant les échanges nutritifs chez une jeune fille atteinte
d'ostéomalacie ont observé une importante rétention du calcium sous l'in-
fluence de la castration, opération qui a eu dans leur cas comme dans
beaucoup d'autres une influence des plus favorables.
Nous ajouterons que Hoenicke se refuse à admettre un rôle aux altéra-
tions ovariennes dans la pathogénie de l'ostéomalacie, bien qu'il ne con-
teste pas l'influence favorable de la castration dans certains cas.
'Celte influence doit être cherchée en tout cas dans le rétablissement de
l'équilibre phosphoré et calcaire et le fonctionnement normal ou peut
être exagérée - de l'ovaire constitue probablement, d'après ce que nous
venons de dire, une entrave de plus au maintien de cet équilibre quand
d'autres facteurs contribuent également à le rompre.
Parmi les objections que Hoenicke apporte à la théorie ovarienne de
58 MARINESCO, PARHON ET MINEA
l'ostéomalacie, nous trouvons aussi la présence de l'ostéomalacie dans le
sexe masculin.
Mais cette objection ne semble pas irréfutable, car on peut supposer
que le rôle joué par les ovaires dans l'ostéomalacie féminine soit accompli
par les testicules dans le syndrome ostéomalacique du sexe masculin.
, L'influence du testicule sur l'ostéogenèse est aujourd'hui un fait bien
établi. En effet les éludes de Lortet (99), Iollet,l;cl;er (-Iû0), Becker (101),
Pelikan (102), Merschejewski, Pitard (103), chez l'homme ainsi que les
recherches expérimentales de Selheim (104), Briau (10a), Pirsche (106),
ont montré que la castration dans le jeune âge amène la persistance pro-
longée du cartilage d'ossification et de l'ossification enchondrale et par ce
fait un allongement de la taille des chaires par rapport aux témoins.
Inversement les recherches de Dor et Maisonave (107), deux expériences
de l'un de nous (108) ainsi que celles de Menziols (109) tendent à mon-
trer que les injections de suc testiculaire amènent un ralentissement de
la croissance.
Il serait intéressant de connaître l'influence de la castration testiculaire
sur les échanges du phosphore et du calcium. Mais sur ce point nous ne
possédons pas de faits précis.
Certains faits récents soulèvent le problème du rôle possible des capsu-
les surrénales dans l'ostéomalacie. C'est surtout l'action thérapeutique do
l'adrénaline contre ce syndrome constatée par Bossi et confirmée ensuite
par un grand nombre d'observateurs,'qui constitue le fait leplus important.
Bernard dans un travail récent cite 20 guérisons ou' améliorations dues à
Bossi, Tanturi, Reinhardt, Mangiagalli, Mertetti et Angelli, Rocchini,
Gatelli, Gregoria, Englander, Kuliga contre 15 insuccès obtenus par van
Velitz, Engelmann, Lovrigh, Kubiny, Baumm, Puppel (110), Neu llfan-
giagalli, Arcangeli, Ferroni, Stoker.
Bernard remarque encore que les différents cas ne sont pas comparables
en ce qui concerne leur forme, la durée du traitement ainsi que la manière
dont on a conduit ce traitement.
L'influence salutaire du même traitement contre le rachitisme, syndrome
dont nous avons vu les affinités avec l'ostéomalacie, constitue un autre
fait en faveur de l'intervention des capsules surrénales dans la nutrition
du tissu osseux.
L'infantilisme surrénal décrit par 1<lorlat pourrait être invoqué
également.
Dans le domaine des faits expérimentaux nous rappellerons que Bossi,
par l'extirpation d'une capsule surrénale, avait trouvé une décalcification
des os du même côté assez prononcée pour pouvoir être vue sur les épreuves
radiographiques.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE 59
Mais Salda (111), Silvestri et Tosatti ( ! 1) n'ont pu confirmer ces
résultats.
En ce qui concerne l'action de l'adrénaline sur le calcium, elle aurait,
d'après Quesl (113) plutôt une action favorisante sur son élimination.
Enfin tout récemment Carnot et Slavu ont trouvé que le traitement par
l'adrénaline accélère la guérison des fractures expérimentales.
Certains phénomènes ostéomalaciques pourraient peut-être avoir quel-
que rapport avec l'hypophyse.
Dans un cas d'acromégalie rapporté par Broca (114), lecalcanéum était
si ramolli qu'il se laissait déprimer par la pression au doigt.
IIutschinson (115) trouve dans un autre cas une osléoporqse marquée
de tout le squelette, et le même phénomène existait dans le cas de Prej-
beanu (116), l'analyse chimique montra d'ailleurs dans ce dernier cas, une
diminution considérable des sels minéraux.
Les relations de l'hypophyse avec et le gigantisme sont
d'ailleurs des raisons suffisantes pour invoquer l'intervention de cette
glande dans les phénomènes d'ostéogenèse. Et si dans certaines de ces
altérations ces phénomènes sont exagérés,on conçoit facilement qu'on doit t
observer le contraire quand les altérations seront d'ordre opposé.
Nous rappellerons d'ailleurs que si,dans le gigantisme et l'acromégalie,
on observe une croissance exagérée en rapport très probable avec l'hypo-
physe, on a publié aussi des cas d'infantilisme tel que celui de Nazari, en
rapport toujours avec des lésions de l'hypophyse.
Les recherches expérimentales parlent aussi en faveur de l'intervention
de l'hypophyse dans les phénomènes d'ostéogenèse, bien qu'elles ne soient t
pas toujours concordantes.
Nous dirons d'abord que plusieurs auteurs, tels que Caselli (LIS), Fi-
chera (119) et tout récemment Aschner (120) ontpu observer un arrêt ou
un ralentissement de la croissance à la suite de l'extirpation de l'hypo-
physe, que filassay (121) a observé d'importantes déforma lions osseuses
chez les jeunes chiens traités par un sérum hypophyso-toxique et que Cer-
letti (12),Lewandowsl,i (123) ont observé un ralentissement de la crois-
sance chez des animaux traités par des injections de suc hypophysaire,
tandis que Ascoli et Legnani (124) obtenaient le résultai opposé par l'hy-
pophytectomie.
Les recherches portant sur l'influence de l'hypophyse sur le métabo-
lisme du phosphore et du calcium montre que cette glande exerce une
action effective sur ce métabolisme, ce qui pourrait nous'donner jusqu'à
un certain point la raison de l'influence de celle glande sur le tissu osseux.
Malheureusement ces recherches ne sont pas non plus très concordantes.
60 MAHINESCO, PARHON ET MINEA
C'est ainsi que Narboutte (125), après l'extirpation de l'hypophyse,
trouve une perte exagérée du phosphore.
D'autre part, Moraczewski observa la rétention de cet élément sous l'in-
fluence de l'opothérapie hypophysaire. Malcolm (126) constata lui aussi
la rétention du phosphore sous l'influence de la portion glandulaire de
l'hypophyse, tandis que sous l'influence du lobe dit nerveux on observe
d'abord une élimination exagérée de phosphore suivie ensuite par une
phase de rétention.
Par contre, Schiff, ainsi que Thompson et Johnston (127), trouvèrent
l'élimination exagérée du phosphore sous l'influence de l'opothérapie hy-
pophysaire. .
En ce qui concerne le calcium, Moraczewski trouva sa rétention sous
l'influence du traitement par l'hypophyse, tandis que Malcolm trouva qu'il
s'élimine d'une façon exagérée tant sous l'action du lobe glandulaire que
sous celle du lobe nerveux. L'extrait glandulaire aurait, d'après Malcolm,
la même action sur le magnésium, tandis que l'influence du lobe nerveux
serait faible ou nulle.
Récemment Mochi (128) a publié le résultat de ses recherches sur le
métabolisme de l'azote, du phosphore et du calcium chez les animaux trai-
tés par des injections de suc hypophysaire.
Il trouva une perte peu importante d'azote et une déperdition beau-
coup plus forte de phosphore et de calcium. Ces deux éléments étant dans
les excrétions dans la même proportion que dans le tissu osseux, on peut
admettre que leur perte est due à la désassimilation du tissu osseux.
L'existence d'une ostéomalacie infantile, les rapports de l'ostéomalacie
avec le rachitisme et le fait que certains auteurs ont incriminé le thymus
dans la pathogénie de ce dernier syndrome nous amènent à parler du rôle
du thymus dans les phénomènes ostéogénétiques.
Les connaissances que nous possédons à ce point de vue sont d'ordre
expérimental.
C'est ainsi queTarrelli et Lo Monaco (129), Ghika (130),Basch (131),
Lucien et Parisot (132), et plus récemment Klose et Vogt (133) ont ob-
servé un retard de développement chez les animaux éthymisés.
Ces derniers auteurs ont observé en outre un état ostéoporotique chez ces
mêmes animaux et ont noté encore la difficulté de consolidation des frac-
tures pratiquées chez ces mêmes animaux.
Par contre, Langerhans et Saveliew (134), ainsi que Carbone (135) ont eu
des résultats négatifs au point de vue de la croissance. Inversement
Charrin (136) et Ostrowslci, en introduisant sous-cutané pendant un
mois,chez le chien, de 3 ou 4 grammes de thymus,ont observé dans un cas
des déformations costales, analogues à celles signalées par Bouchard, chez
les,jeunes filles au moment où le thymus termine sa résorption.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE (il
Nous ajouterons encore que d'après Basch l'extirpation du thymus dé-
termine une perte exagérée de CaO, perte empêchée par la greffe périto-
néale de cet organe. Il est vrai que Sinhuber n'a pas confirmé ce résul-
tat.
Mais les résultats positifs obtenus par la majorité des auteurs concer-
nant le rôle du thymus dans la croissance doivent marcher de pair avec
certains troubles du métabolisme calcique.
D'autres glandes interviennent encore probablement dans la nutrition
du tissu osseux.
On peut penser au pancréas, glande qui à plusieurs points de vue sem-
ble antagoniste de la thyroïde et qui, d'après Falta (137), exercerait une
action protectrice sur le phosphore de l'organisme.
Mais nous ne possédons pas de faits d'ordre chimique ou expérimen-
tal pouvant nous démontrer ce rôle,et nous finissons ici l'analyse des faits
prouvant l'action des glandes endocrines sur la nutrition osseuse et le
rôle de leurs troubles dans la pathogénie de l'ostéomalacie.
On peut admettre provisoirement que plusieurs de ces glandes inter-
viennent isolément ou en même temps dans la production de ce syndrome,
mais le rôle des altérations thyroïdiennes nous semble le mieux établi.
A côté de la théorie glandulaire de l'ostéomalacie, il convient de citer
la théorie infectieuse.
Zurn (138) et Kehrer, Hennig (139) ont supposé l'origine infectieuse
de l'ostéomalacie en trouvant des microorganismes dans la moelle osseuse.
Pétrone (140) aurait trouvé dans le sang et la moelle osseuse de ces ma-
lades le microbe nitrifiant de Winogradski et soutient avoir pu détermi-
ner un processus analogue à celui de l'ostéomalacie en inoculant ce mi-
crobe dans les veines des chiens.
Ce microbe produisait de l'acide-nitreux,et par ce moyen la décalcifica-
tion des os. Le même auteur avait trouvé l'acide nitreux dans l'urine de
ostéomalaciques.
Seligman, iIertz et Lolilein ont admis,eux aussi,sans des faits à l'appui,
la théorie infectieuse de l'ostéomalacie.
Arcangelli (141) a repris la même théorie sur la base de l'endémie
ostéomalacique de Lazio. ,
Morpurgo (142) observe une épidémie d'ostéomalacie chez des rats
blancs et réussit à isoler un diplocoque dont les cultures inoculées rendi-
rent la maladie à des rats blancs et non pas aux lapins. cobayes, etc. Il
produisit également le rachitisme par l'injection de ce microbe à des jeu-
nes animaux et considère les deux affections comme équivalentes au point
de vue étiologique.
Charin et Moussu (143) réussirent à rendre malades des animaux par
62 MARINESCO, PARHON ET MINEA
la cohabitation avec d'autres animaux osléomalaciques ou par l'inocula-
tion de la moelle de ces dernières.
Pecaud (144) réussit à isoler un diplocoque de la moelle osseuse et d'au-
tres organes des chevaux ostéomalaciques.
Enfin Arcangelli elFiocca (ils5) réussirent à isoler le diplocoque des cas
d'ostéomalacie humaine.
Nazan (146), Binaghi (147), Ettore Levi et Stefanelli (lu8), eurent
également des résultais positifs. Le microcoque se trouve, d'après ces au-
teurs, dans le sang, la moelle osseuse, l'urine, etc.
Dans le cas de notre crétine avec tétanie latente et ostéomalacie, la
recherche des microbes dans le sang resta négative.
Nous ne voulons pas contester la possibilité d'une ostéomalacie infec-
tieuse. Mais nous ne pensons pas que les choses doivent se passer de cette
façon dans tous les cas.
Avec d'autres auteurs nous admettrons que l'ostéomalacie représente le
syndrome de la décalcification osseuse, n'importe qu'elle soit la raison de
cette décalcification.
Nous rappellerons ici que Ilanot (149), en examinant les coupes du cas
d'ostéomalacie qu'il a publié avec Bouley (150) en 1874, estime rationnel
de le considérer comme une ostéomyélite syphilitique. Dans celui qu'il a
publié avec Gastou (151), il s'agissait d'un épithéliome tubulé, généralisé
à tous les conduits osseux, et lequel avait d'ailleurs donné aussi des mé-
tastases dans le foie.
La théorie discrasiquepar troubles glandulaires et la théorie infectieuse
ne sont pas d'ailleurs inconciliables. Les infections peuvent agir non
seulement d'une façon directe, mais aussi par les altérations des glandes
endocrines.
Nous devons dire ici que dans l'un des deux cas de Stefanelli et Lévi la
malade avait une hypertrophie du corps thyroïde ainsi que d'autres
phénomènes basedowiens. Le corps thyroïde n'a pas été examiné histo-
logiquement.
Mais quel est le mécanisme intime qui produit l'ostéomalacie ?
Les troubles glandulaires comme les maladies infectieuses peuvent agir
par des mécanismes différents.
On peut penser à une modification du milieu intérieur troublant le
métabolisme du calcium en exagérant sa désassimilation ou en empêchant
son assimilation ou amenant ces deux troubles en même temps.
On peut penser aussi à une action indirecte, le trouble glandulaire ame-
nant par exemple une réaction spéciale de la moelle osseuse (prolifération
des ostéoclastes) qui à son tour déterminerait, par un mécanisme mal pré-
cisé, la décalcification osseuse.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OSTÉOMALACIE 63
Ce mécanisme nous semble même très vraisemblable, et il y a lieu d'at-
tirer ici l'attention sur le grand intérêt qu'il y aurait à connaître d'une
façon exacte les réactions de la moelle osseuse dans les différentes modifi-
cations cliniques ou expérimentales de l'équilibre endocrinique.
Dans l'hypothèse d'une ostéomalacie infectieuse, l'agent pathogène
pourrait agir lui aussi par ce dernier mécanisme, ou bien la réaction
médullaire pourrait être secondaire aux altérations glandulaires détermi-
nées elles-mêmes par le microbe ou ses toxines.
On peut penser aussi à l'intervention dans une certaine mesure des
troubles du système nerveux - des altérations vasomotrices surtout -
pouvant être d'ailleurs elles aussi secondaires aux altérations glandulaires
ou ayant par contre déterminé ces altérations.
Les ostéo-arthropathies du tabes et de la syringomyélie montrent l'im-
portance du système nerveux dans la trophicité des os. La résorption des
phalanges dans certaines formes de syringomjélie, des fractures sponta-
nées dans le tabes parlent dans le même sens.
Au point de vue microscopique les os altérés des tabétiques présentent
un élargissement des canaux de Ilavers due d'après Dejerine ( 151) à une
décalcification des travées osseuses de leur voisinage qui serait elle-même
secondaire à des lésions des ostéoplastes qui s'arrondissent et sont atteints
de dégénérescence granulo-graisseuse.
« La moelle osseuse subit en même temps une transformation embryon-
naire et remplit de ses petites cellules les canaux de flavei-s (Rieliet,18811).»
Au point de vue chimique Hegnard (153) a trouvé une diminution
marquée de la substance minérale des os qui ne forme plus que 24 pour
100 au lieu de 66 pour 100, chiffre normal. Les substances organiques
sont au contraire augmentées.
La diminution des sels minéraux porte surtout sur les phosphates
qui ne se trouvent plus qu'en quantité de 10 pour 100 au lieu de 50
pour 100, chiffre normal.
Ainsi qu'on le voit, ces altérations microscopiques et chimiques rappel-
lent assez bien celles qu'on rencontre dans l'ostéomalacie.
Il est vrai que dans ces cas de tabes avec troubles osseux si marqués,
il serait intéressant de connaître l'état des glandes à sécrétion interne
dont les altérations pourraient avoir leur part dans la pathogénie de ces
(roubles.
Nous citerons encore ici les recherches de Magni (154), ainsi que celles
de Billiard et l3rillet (155) qui ont trouvé des modifications dans les dimen-
sions et le poids des os des membres après l'élongation ou l'arrachement
des nerfs respectifs. * -
.. x
Leur composition chimique ne serait pas modifiée d'après Magni.
64 MARINESCO, PARHON ET MINEZ
Avant de finir nous voudrions dire quelques mots sur les phénomènes
de tétanie latente présentés par la première malade.
Ces phénomènes doivent être en rapport, selon nous, avec le fait que le
chirurgien a enlevé avec beaucoup de probabilité en même temps que
la plus grande partie de la tumeur aussi un certain nombre de para-
thyroïdes. -
Peut-être une au moins est restée en place, ce qui pouvait expliquer l'étal
latent de la tétanie, bien qu'à la nécropie il n'a pas été possible de retrou-
ver aucune parathyroïde. Mais une autre explication pourrait peut-être
intervenir.
C'est l'insuffisance thyroïdienne non seulement depuis l'opération, mais
aussi l'insuffisance chronique préexistante.
Or les expériences de Vassale et Generalli (156), ainsi que celles de
Lusena (157) ont montré que les phénomènes tétaniques sont moins pro-
noncés chez les animaux thyruparathyroïdectomisés que chez ceux qui
ont subi la para-thyroïdectomie seule.
Il semble à plusieurs points de vue exister un antagonisme entre le
corps thyroïde et les glandes parathyroïdes.
Un autre fait intéressant à signaler,c'est le bon résultat obtenu chez celle
même malade par le traitement au chlorure de calcium.
Ce traitement (à la dose de 4 grammes par jour) a diminué d'une façon
marquée l'excitabilité galvanique et la suspension du traitement a été suivi
par l'augmentation de l'excitabilité.
Ce fait confirme l'action sédative des sels calcaires dans la tétanie, fait
établi d'abord par Neller (158) dans la tétanie infantile et par l'un de
nous avecUrechie (159) dans la tétanie expérimentale des animaux tlly-
ro-parathyroïdectomisés.
D'autres auteurs tels que Rise) (160) au point de vue clinique, Mac
Callum et Voegtelin, Frouin (161) ont confirmé, ces faits, et le dernier
auteur prétend même que le traitement de ces animaux par les sel de cal-
cium ou de magnésium suffit pour les guérir complètement.
Frouin a employé la voie buccale. Mais les conclusions de Frouin méri-
teraient d'être confirmées car l'un de nous avec Urechiepar les injections
iritra-péritonéales de sels de calcium et Canestro Corrado (162) par des
injections sous-cutanées de sels de magnésium n'ont pu obtenir qu'une
légère prolongation de la survie de ces animaux.
Nous devons ajouter encore que dans un cas de tétanie chronique du
service de l'un de nous, l'administration du chlorure de calcium n'a pro-
duit aucune amélioration.
Faut-il considérer la tétanie ainsi que le pense Silvestri, comme due
à l'insuffisance du système nerveux en.calcium.
/
CONTRIBUTION A L'ÉTUDK DE L'OSTÉOMALACIE
Il semble bien que les glandes parathyroïdes interviennent dans le méta-
bolisme de cet élément et, ainsi que nous l'avons dit, Mac Callum et Voeg-
lelin ont trouvé que les centres nerveux des chiens thyroparathyroïdecto-
misés contient moins de calcium que ceux des témoins.
Mais les recherches ultérieures que l'un de nous a fait avec MM. Du-
mitresco et Nissipesco ont conduit à la conclusion que cette diminution
ne peut être affirmée dans tous les cas.
On peut trouver en outre une diminution du calcium du cerveau dans
d'autres étals, l'inanition par exemple, sans que les animaux présentent de
phénomènes convulsifs.
On peut donc conclure, et cette conclusion est d'ailleurs partagée aussi
par Mac Callum et Voegtelin,que la diminution du calcium cérébral,quand
elle existe,peut bien contribuer à produire l'hyperexcitabilité des centres
nerveux. mais que la tétanie réclame probablement encore d'autres facteurs,
et à ce point de vue nous rappelerons que Mac Callum et Voegtelin ont
trouvé que les animaux ihyroparathyroïdectomisés éliminenl plus d'ammo-
niaque-par leurs urines que les animaux normaux et, que Isac Ott (163)
est d'avis que les parathyroïdes neutralisent une substance albuminoïde
toxique qui déterminerait les phénomènes d'insuffisance parathyroïdienne
en l'absence de ces organes. Nous dirons encore que le calcium des centres
nerveux peut varier non seulement au point de vue quantitatif,mais aussi
quant à la forme physico-chimique sous laquelle il se trouve, et que ces
variations peuvent influencer les phénomènes qui se passent dans les cen-
tres nerveux.
Mais la question est trop obscure et trop difficile à étudier à ce point
de vue aussi. Nous ne faisons que la signaler à notre tour,ce que Léopold
et Reuss ont fait également dans leur travail déjà cité.
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HOPITAL MAJEUR DL S-11NT JEAN-BAPTISTE (TUItIN)
SALLE DES ADMISSIONS ET DES CONSULTATIONS MÉDICALES
ET INSTITUT RADIOLOGIQUE
dirigé par SI. le docteur l3snro.oTr.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA MALADIE DE MADELUNG
(SUBLUXATION SPONTANÉE DU POIGNET)
PAR
Carlo QUADRONE
Assistant et Directeur de la salle des Admissions et des Consultations médicales.
Le cas que je 'désire rapporter appartient-il à la difformité soi-disant
de Madelung ou bien fait-il partie de quelque forme similaire ?
Pour pouvoir classifier mon cas avec de plus sûres données, je tâcherai
'avant tout d'exposer l'opinion que je me suis formée sur l'entité nosolo-
gique de cette bizarre difformité du poignet, en la faisant précéder d'une
courte synthèse critique de la littérature sur ce sujet.
Sous le nom de « subluxation spontanée de la main en avant », Made-
lung en 1889 nous avait donné dans un article paru clans les « Archiv
fiir klinische Chirurgie » la première et exacte description d'une diffor-
mité de l'articulation radiocarpienne jusqu'alors très peu connue et non
exactement classée. En effet, si avant cet auteur on avait décrit une
forme particulière de subluxalion radiocarpienne qui rappelait de près
celle que plus tard décrivait magistralement Madelung, il est certain que
les cas relatés ne pouvaient pas donner une lumière suffisante sur l'origine
exacte de la maladie en question.
Actuellement, si pour l'histoire de la maladie de Madelung l'on cite
les noms de Dupuytren,de Malgaigne, de Veber et de Busch, de Nélaton et
Jean, il est pourtant certain que pour avoir une connaissance exacte de
cette maladie il faut remonter à la description première que Madelung
nous a laissée.
Après 1889, c'est-à-dire dès que Madelung eut rappelé davantage
l'attention sur cette forme particulière de subluxation spontanée du poi-
gnet, les observations sur cette maladie se multiplièrent si bien que par
les données recueillies par Abadie (1903) et par celles plus récentes et
72 QUADRONE
plus complètes (1) de Siegrist (1908) on peul évaluer à 50 le nombre total
des cas décrits.
A ce chiffre on doit aujourd'hui joindre les cas publiés en 1908 c'est-ir-
dire les observations rapportées el décrites par Frauke (1908), Gangèle
(1908), Lévy (1908), Jacoulel (1909\ l'oncet et Lericlie (1909), Pull
(1909), Palazzi (1909) et le cas de Mac Léman (1909).
D'après la description de ces cas, description le plus souvent très précise
et diffuse, d'après les données anatomiques que nous possédons sur quel-
ques cas très rares (Madelung-Franke), et enfin d'après les résultats de
l'examen radiographique des dernières observations, on peut aflirmer que
les faits que l'on rencontre constamment, consistent :
1° Dans une subluxatioll de la main en avant.
2" Dans la 1'ét¡'oJiosition de la tète du cubitus sans qu'on puisse néces-
sairement incriminer, dans sa production, un traumatisme.
Comme exception à cette règle nous avons le seul cas de Kirmisson
dans lequel la main, par rapport au cubitus, était sulrluxée en arrière. A
côté de ces altérations il en existe d'aulres, variées, d'importance primor-
diale, et particulièrement intéressantes pour la pathogénie de- la lésion. Un
entre autres est représentée par la « courbure du radius arec inclinaison
consécutive de sa surface articulaire ».
Et c'est précisément celle altération de forme du radius qu'on peut très
souvent observer dans la maladie en question que beaucoup d'auteurs,
el Siegrist entre autres, considèrent comme la véritable cause de la sub-
luxation du poignet.
Je ne tenterai pas. par brièveté, d'en expliquer le mécanisme de pro-
duction et je passerai aussi sur la littérature.
Cependant dans le radius on peut observer d'autres altérations ; parfois
il conserve ses rapports avec le carpe (la plus grande partie des cas décrits) ;
parfois le radius perd ses rapports avec les os du carpe et il est comme
luxé (cas de Dupuytren, Begin, Boinet, Guépin).
Dans d'autres cas la radiographie nous permet d'observer des courbures
doubles du radius, et le cubitus aussi présente parfois des courbures, spé-
cialement à l'extrémité inférieure et en avant. Souvent l'image radiogra-
phique nous fait voir des hyperostoses au cubitus et au radius.
En beaucoup de cas la difformité est bilatérale et parfois parfaitement
symétrique. Selon Siegrist, sur 50 cas de maladie de Madelung, on note
cas avec des lésions unilatérales et 28 cas avec lésions bilatérales. La
difformité affecte les deux sexes, mais bien plus souvent le sexe féminin ;
selon Siegrist on trouve i'1 femmes contre 6 hommes seuls. L'âge de l'ap-
(1) Pour la bibliographie du sujet en question jusqu'il l08, V. le travail de SlEORlS1
(V. index bibliographique).
CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA MALADIE DE MADELUNG 73
parition de la maladie est très variable dans les diverses observations ;
d'habitude la difformité se manifeste évidente entre 10 et 20 ans !
Mais on cite des cas dans lesquels l'affection se manifesta insidieusement
et sans causes apparentes à un âge avancé. Dans un cas de Madelung la
suliluxalion en avant de la main se constitua à l'age de 22 ans ; dans un
cas de Bartliès elle fut observée à de 36 ans, mais dans ce cas, la
difformité doit probablement son débuta une chute faite 6 mois aupara-
vant. De même Barthès relate le cas d'un sous-officier qui présenta la
difformité typique du poignet à de 32 ans, probablement à la suite-
d'une contusion. Dans quelques cas très rares l'affection de Madelung peut
être congénitale, à cette opinion se range Jean, se basant sur un cas de
difformité bilatérale décrit en 1875 avec les résultats de l'examen analomo-
pathologique. Ce cas a été rapporté par Delbel auquel peut s'adresser qui
désire être plus amplement informé.
Jacoulet de même relaie une observation de la maladie de Dupuytren-
Madelung, comme il l'appelle, héréditaire, bilatérale, plus accentuée au
poignet gauche.
Mac Léman aussi affirme que la maladie de Madelung peut être congé-
nitale et associée à d'autres malformations. D'ordre congénital est aussi
le cas décrit par Arduin en 1902 sous le titre de « luxation congénitale
incomplète du poignet ».
Jagot estime aussi que son cas décrit en 1897 est d'ordre congénital
et héréditaire. Congénital fllt enfin mon cas qui certainement appartient
à la forme décrite par Madelung et que je m'efforcerai de décrire le plus
brièvement possible en me réservant de revenir plus tard sur Pédologie et
sur la pathogénie de celte affection
Observation (PI. IX).
M. A..., âgé de 28 ans, agriculteur-du Piémont. Rien dans ses antécédents,
soit comme difformité, soit comme maladies nerveuses. Pas de maladies graves.
Il ne fit pas de service militaire. Le malade assure qu'il eut toujours celle
saillie anormale à la région dorsale des deux poignets. Ses parents interrogés
s'accordent de même pour affirmer que leur enfant naquit avec la difformité
du poignet, observée par eux aussitôt après la naissance. Le malade et ses pa-
rents nous disent que la diftormité était parfaitement symétrique et qu'elle
n'augmenta jamais de volume avec l'âge. La mère exclut absolument un trau-
matisme quelconque. Le patient n'accusa jamais de douleurs au poignet
bien qu'il fasse des travaux manuels fatigants.
Comme on le voit par la photographie (PI. IX) la difformité est bilatérale et
parfaitement symétrique et consiste dans une rétro position de la tète de cubitus,
dans une subluxation évidente de la main en avant et dans un raccourcissement
apparent de la région carpienne, de façon que les mains sont séparées de
74 ' QUADRONE E :
Pavant-bras respectif par un profond sillon déterminé par la forte saillie de la
tête cubitale. En examinant le bras en des positions variées on ne peut ob-
server des déviations ni de l'avant-bras ni de la main. Les mouvements de la
main sont libres mais avec une certaine limitation : spécialement les mouve-
ments d'extension, de flexion et d'abduction de la main sur l'avant-bras sont
limités. Le patient est un homme très fort, de taille moyenne, bien nourri,
au teint brun. On ne peut observer nulle part les moindres signes de ra-
chitisme ancien. Le rachis est normal de même que la cage thoracique et les
extrémités inférieures. Dents saines et normales. L'examen des organes inter-
nes reste négatif.
Description de la radiographie première : en perspective face palmaire-
extrémité supérieure droite. L'élargissement de la région du poignet
apparaît évident, l'espace interosseux est aussi très augmenté. L'apophyse sty-
loïde du cubitus se trouve rejetée en has et en dehors, de manière qu'elle
vient prendre des rapports avec le grand os on le 5e métacarpien. Les rapports
respectifs des articulations carpo-métacarpienues, du reste, sont parfaitement
normaux, tandis que les rapports des articulations radio-carpiennes sont com-
plètement bouleversés sur cette [ hotographie par la superposition des images,
qui rend l'interprétation très difficile ; elle sera exclusivement possible
avec la radiographie de profil. On voit la diaphyse du radius régulièrement
droite sans exostoses. La tête du radius présente des dimensions régulières ;
mais on voit que la facette articulaire du radius au lieu d'avoir une direction
légèrement concave sur un plan normal se trouve dans une position très
oblique. La diaphyse du cubitus est légèrement recourbée en dedans et la tête
cubitale présente un contour irrégulier.
Description de la ` ? e radiographie : profil côté cubital {extrémité supé-
rieure droite).
La radiographie de la région radiocarpienne, vue dans son ensemble, nous
laisse voir de profil une déviation caractéristique qui rappelle la silhouette
d'une arme à feu. Le cubitus apparaît fortement dévié el luxé en arrière, la
première rangée des os du carpe est déviée en rotation dorsale. C'est
l'altération plus importante qu'on rencontre dans la radiographie de profil et
qui nous explique parfaitement l'altération des rapports photographiques.
La région radio-carpienne reste normale. Les diapbyses du radius et du
cubitus sont régulières sans exostoses, la facette articulaire du radius seule au
lieu de se présenter sur un plan transversal se présente en direction longitu-
dinale, presque parallèle à la diapliyse radiale. Au poignet et à l'avant-bras
gauches on observe les mêmes altérations. Je crois inutile d'en faire la descrip-
tion et d'en rapporter les images radiographiques.
On doit noter que chez notre sujet la luxation prit probablement une ex-
tension plus marquée, par suite de son travail professionnel, bien que le
patient nie avoir jamais observé une augmentation dans sa difformité ni avoir
jamais souffert la moindre douleur au niveau de ses poignets.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA MALADIE DE MADELUNG 75
Pour mieux éclairer les altérations topographiques qui produisirent la diffor-
mité dans notre cas,j'ai pensé utile de présenter ici un schéma des os du poignet
normal et de le comparer avec le schéma que sur le tracé des examens radio-
graphiques j'ai pu dessiner. Il représente exactement les altérations osseuses
de la région radio-carpienne observées dans notre cas (V. fig. schématiques
.1 et 2). Il suffit de comparer le profil radiorapliirlne normal avec la radiogra-
phie du profil cubital pour relever immédiatement la différence marquée qui
existe entre les deux.
On comprend comment le mécanisme de la déformation consiste duustene
rotation delà première rangée des os du carpe ; c'est-à-dire que le semi-
lunaire et le scaphoïde, au lieu d'avoir leurs facettes articulaires paral-
Fig. 1. - Poignet normal.
]ig. 2. - Po'gnet du malade.
76 QUADRONE -
léleS aux facettes articulaires radiales et cubitales se trouvent complètement t
déplacés avec leurs extrémités poslérieures tournées vers le haut. A cause
de cette rotation, la région carpo-métacarpienne en totalité reste dans un
plan antérieur, la facette articulaire de l'extrémité cubitale inférieure resle
très éloignée du pisiforme et on trouve une luxation postérieure de la tête
cubitale tandis que la facette articulaire radiale, au lieu de se développer
dans un plan vertical, évolue dans une direction entièrement anormale,
parallèlement à la diaphyse radiale. Celte déviation de la facette arlicu-
)aire du radius de sa direction normale représente le côté le plus intéres-
sant à étudier de la question. Par un examen très attentif de la région,
il est très possible de s'engager dans des conceptions pathogéniques pro-
pres à expliquer la formation de la dite difformité. Pour le moment il est
certain que dans notre cas ,'altération du squelette est congénitale, certi-
tude confirmée par les données anamnesliques très formelles, par la symé-
trie parfaite de la lésion bilatérale, par le manque absolu de sensation
douloureuse et en dernier lieu par l'absence de données éliologiques plus
communes mises en cause pour expliquer l'apparition de la maladie de
Madelung (mais de cela nous reparlerons plus loin).
Pour le moment on peut admettre que probablement la lésion slluelet-
tique congénitale du poignet est augmentée par les exercices et le tra-
vail pénible quoique, à vrai dire, les paroles du patient soient en absolue
contradiction avec notre affirmation.
En se basant sur les altérations squeletliques du poignet on peut donc
soutenir que la déviation delà direction des facettes articulaires du radius
ne peut avoir été produite que par la déviation congénitale primaire d'ordre
mécanique de la partie supérieure du carpe. Consécutivement et secondai-
rement, pendant le développement osseux, les cartilages de conjugai-
son de la tête radiale, au lieu de se développer suivant la direction normale,
prendraient une position vicieuse, précisément à cause de la déviation
des os semi-lunaire et scaphoïde et cela par l'effet de la traction exercée
par les ligaments. Il est en effet probable que pour la plus grande force
de l'articulation radio-carpienne, tandis que du côté cubital nous assistons
à la formation de la subluxalion, du côté radial nous assistons simplement
à un déplacement de position de la ligne articulaire. En somme l'on au-
rait affaire à une sitblitxatioit congénitale de la première rangée des os
du carpe avec altération consécutive de la position du radins et du cubitus.
On pourrait aussi admettre un fait de rachitisme congénital symétrique,
par l'effet duquel les cartilages de conjugaison des extrémités inférieures du
radius au lieu de prendre leur direction normale prendraient par l'altéra-
tion rachitique une direction complètement aiioi,î72ale.Ce fait de la dés ration
des cartilages de conjugaison suffirait probablement par lui seul à expli-
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA MALADIE DE MADELUNG 77
quer toute la difformité de la main. Mais cette deuxième hypothèse ne
peut être mise en jeu dans noire cas que cum grano salis ; soit parce
que la possibilité d'un rachitisme foetal est très douteuse et à ce propos il
suffira de citer les noms de Sclrildovichi, Kaufmann, Clivio, Fedeet Sin-
cinizio qui le nient absolument ; soit parce que, étant admise cette possi-
bilité, il est assez étrange que les altérations rachitiques se soient limi-
tées à deux os du carpe, en s'inslallant de façon parfaitement symétrique ;
soit enfin pour les altérations osseuses mêmes, qui à l'examen radiogra-
phique simulent une véritable subluxation de la première rangée des os
du carpe, avec rotation évidente du scaphoïde et probablement aussi du
semi-lunaire. Je crois donc pouvoir m'arrêter à la première hypothèse qui
est certainement la plus probable.
Celte hypothèse sur le mécanisme pathogène de la difformité que nous
étudions nous porte à discuter brièvement sur la pathogénie et l'étiologie
de la maladie de Madelung. Avant tout il n'y a aucun doute que mon cas
doit être considéré comme faisant partie de ce complexus symptomatique
connu sous le nom de maladie de Madelung, que je me suis efforcé d'ébau-
cher au début de ce travail, dans ses grandes lignes. Je dois encore faire
observer que la difformité en question constitue un exemple du manque
d'accord qui existe entre cliniciens.
Sur la pathogénie et sur l'étiologie de certaines affections, ce désaccord
est démontré par les différentes dénominations que chaque auteur donne
à celte difformité, dont quelques-unes, en effet, touchent déjà à l'essence
intime du processus morbide, d'autres casa façon de se manifester, d'autres
encore mettent en relief le symptôme le plus caractéristique, d'autres enfin
s'accordent sur le nom de l'auteur qui, le premier, l'étudia et la fit con-
naître. Ainsi Kirmisson la nomme « subluxation progressive du poignet
chez les adolescents », Delbet la nomme carpus carvus », Arduin et
Jean « luxation incomplète congénitale >, Guéry et Abadie « luxation
progressive du poignet », Duplay « rachitisme tardif du poignet », Sie-
grist « manus valga », Piollet « radius curvus » ; la plupart des auteurs
allemands parlent de cette maladie sous le nom de « difformité du poignet
de Madelung » en mémoire du premier auteur qui l'étudia.
J'estime que la dénomination qui convient le mieux à cette difformité
est celle donnée par Madelung lui-même : « subluxation spontanée du
poignet ».
Ni la nature ni l'origine de la difformité ne souffrent ainsi d'aucun
préjudice et en même temps on arrête l'attention sur un des symptômes
les plus constants et précisément sur la subluxation du poignet.
Certes il ne convient pas d'être trop affirmalif sur l'étiologie proha-
ble de cette affection. En elle[ on n'est pas trop d'accord il ce sujet, pro-
78 QUADRONR
bablement pour la raison très simple que la maladie de Madelung ne
reconnaît pas une cause unique, ni non plus un mécanisme de production
unique. Madelung pense que le processus morbide, cause de la diffor-
mité du poignet, doit être classé parmi les troubles de croissance des
articulations et des os parmi lesquels nous trouvons par exemple le
pied valgus et le genou valgus. Il serait dû à une transformation des sur-
faces articulaires, normales auparavant, sons l'impulsion d'inlluences mé-
caniques. 13arlhés au contraire décrit deux cas de maladie de Madelung ë'
chez des sujets âgés, consécutifs à des traumatismes survenus quelque
temps auparavant.
Dupuytren était déjà d'opinion que la subluxation progressive du poi-
gnet avait une origine traumatique ou professionnelle. Nous trouvons les
premiers indices de l'hypothèse que notre affection soit de nature rachitique
dans les travaux de Duplay et de Pellet : ces auteurs reconnaissent donc
un processus de rachitisme tardif, localisé spécialement sur les articula-
tions radio-carpienne et cubito-carpienne.
La plupart des auteurs qui suivirent dans l'étude de la difformité de
Madelung pal tajent cetle hypothèse.
Cependant tous les auteurs ne croient pas il celte donnée éliologique et
la plupart d'entre eux estiment qu'il existe d'autres facteurs dans la produc-
tion de la manus valga. Ainsi, par exemple, Siegrist qui s'occupa le plus
longuement de la question, pense que dans la formation de celle diffor-
mité troisfacteurs jouentun rôle d'égale importance : un processus de rachi-
tisme parfois tardif; une prédisposition spéciale, et à ce propos il fait
observer que parfois la difformité est héréditaire et on trouve dans les
ascendants ou les collatéraux d'autres difformités osseuses ou articulaires
(cas lez et 3e de Siegrist) ; enfin un facteur pour ainsi dire mécanique dû à
la profession exercée par le sujet. Ce dernier facteur évidemment n'a
qu'un rôle secondaire ; en effet la difformité débute le plus souvent chez
la femme presque toujours dans le premier âge et parfois elle est d'origine
congénitale.
Voici donc une autre condition éliologique d'une certaine importance.
J'ai déjà parlé plus haut des cas de maladie de Madelung d'origine
foetale et j'ai aussi montré l'origine congénitale de noire cas, exposant à
cet égard mes idées qui, basées sur des données positives, me conduisirent
à exclure le rachitisme foetal et à admettre que la subluxalion antérieure
du poignet est d'ordre mécanique. A ce propos il me plail de rappeler
que les théories modernes, c'est-à-dire les théories basées réellement sur
les données acquises par les sciences histologiques, nous portent à admet-
tre que la monstruosité des extrémités peut s'expliquer de trois façons :
ou par la théorie mécanique (anomalies de développement des extrémités
COYrfiIBUTION A l'étude de la maladie DE madelung 79
foetales, contractions utérines, traumatismes), ou par la théorie de l'ata-
visme, ou par la théorie des troubles trophiques consécutifs aux altéra-
tions du système nerveux. Par brièveté je renvoie le lecteur qui veut bien
s'intéresser à la question au travail de Vaiobra : « Difformité congénitale
des membres » où l'auteur étudie les susdites théories à travers les idées
des savants qui s'occupèrent de l'argument.
Ici je fais seulement observer que la théorie mécanique parait acquérir
de jour en jour plus de valeur, élanl la plus propre expliquer la plus
grande partie des difformités congénitales, et mon cas contribuerait ainsi
à éclairer le rôle du facteur mécanique, quelle que soit cause originaire
qui produise la difformité. Dans notre cas cependant à la période foetale,
pour une cause mécanique quelconque, il y a eu certainement unesubiuxa -
tion de la première rangée des os du carpe avec rotation dorsale du semi-
lunaire et du scaphoïde avec altérations consécutives dans la position du
cubitus et du radius. Par rapport à la pathogénie, mon cas se détache aussi
de tous les autres cas décrits. En effet, suivant la majorité des auteurs,
dont les idées se résument en celles de Siegrist, la difformité de Madelung
ne serait pas due au déplacement de l'articulation du poignet, mais bien
à la dévialion des os de l'avant-bras et spécialement au déplacement dorsal
de la surface articulaire du radius autour d'un axe transversal ; la diffor-
mité du cubitus serait passive et dépendante de la précédente disposition
anormale du radius ; l'état subluxé du poignet serait de môme consécutif
à cette disposition du radius.
Conclusions
1° Le cas que j'ai décrit, par la difformité caractéristique du poignet,
par les données anamnestiques et par les résultats des examens radiogra-
phiques, rentre dans l'altération spéciale du poignet connue sons le nom
de difformité de Madelung ou subluxation spontanée du poignet.
2° Dans mon cas la déformité est bilatérale et parfaitement symétrique.
3" Comme moment étiologique on ne peut invoquer ni un processus de
rachitisme foetal, ni un traumatisme pendant l'accouchement ou aussitôt
après : la difformité décrite est certainement congénitale, pas héréditaire
et comme facteur de cause, s'appuyant sur la théorie mécanique qui expli-
que bien des difformités d'ordre foetal, nous pouvons admettre que dans
notre cas, par des contractions utérines ou par quelques anomalies de
développement des membranes foetales, se soit produite une subluxation
delà première rangée des os du carpe, semi-lunaire ou scaphoïde, avec
altération consécutive dans la position du radius et du cubitus. On voit
que tout en étant comprise parmi celles décrites par Madelung et par les
autres auteurs, elle s'en détache quelque peu par deux faits ;
80 QUADRONE
a) Parce qu'elle est congénitale (et à ce propos je rappellerai qu'il existe
d'autres observations également) (plus haut).
b) Par sou mécanisme pathogène, congénitales, voyez puisque l'altération
du radius ne seraitpas primitive, mais hien secondaire à celle du carpe.
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pètrière, sept.-oct. 1905, n" 5.
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE, T, XXIV. PL IX
MALADIE DE MADELUNG
(F. Cotnutirri).
Masson & Cio, E,lucurs.
ASILE D'ALIÉNÉS DE 110,11C
Directeur : Prof. G. ]¡1ÎG \ZZI1ÎI,
CONSIDÉRATIONS SUK LA VALEUR MORPHOLOGIQUE
DE LA POLYDACTYLIE .
PAR ,
F. COSTANTINI
Aide-médecin des Hôpitaux assistant à l'Asile d'aliénés.
Les déformations congénitales des mains sont nombreuses. Bien que les
caractères morphologiques en soient connus, la signification en est encore
un objet de discussion. Au point de vue historique, je rappellerai seule-
ment qu'aux époques d'ignorance et de superstition ces déformations
étaient considérées comme élant le produit d'influences surnaturelles et
qu'on n'en a commencé l'étude scientifique qu'au xviiie siècle.
Roblot (1) classe ses anomalies de la manière suivante :
A. Anomalies par arrêt de développement :
1° Ectrodactylie (manque des doigts, absolu ou relatif).
2° Brachydacty 1 ie (doigts courls) encore appelée microdactylie (doigts
petits).
B. Anomalies par excès de développement :
4°Polydactylie (augmentation du nombre des doigts).
2° Mégalodactylie (augmentation de la longueur des doigts).
3- Macrodactylie (augmentation de la grosseur des doigts).
C. Anomalies survenues pendant le développement :
1° Syndactylie (union de deux doigts ou plus) qui peut être :
Complète,
Incomplète.
La polydactylie est l'anomalie dont nous nous occuperons, à l'occasion
d'un cas que nous avons observé nous-mème à l'hôpital de S.-Spirito.
Histoire clinique. Antonio Caso, âgé de trente ans, né à Sinescola (Sas-
sari), journalier, célibataire. Son père est mort d'une pneumonie. Sa mère vit
encore et se porte bien ; elle n'a jamais eu de fausses couches, mais a eu trois
fils qui sont en bonne santé, et une fille qui est morte d'une infection puerpé-
rale. Il n'y a dans la famille ni maladies nerveuses ou mentales, ni alcoolisme,
ni difformités quelconques. Le sujet est né à terme, par accouchement régu-
lier. Huit jours après la naissance de l'enfant, sa mère s'aperçut qu'il avait un
(1) HOIJLOT, La syndactylie congénitale. Paris, 1906, p. 11.
xxiv 6
82 ' COSTANTINI
doigt auriculaire de plus à chaque main. Il n'a commencé à parler qu'à l'âge
de trois ans, après que le médecin lui eût coupé le frein de la langue. Malgré
cela il lui en est resté un défaut de prononciation. Il n'a jamais eu d'infection
syphilitique, et il ne fait pas d'abus d'alcool. Il a toujours travaillé dans les
champs et n'a reçu aucune instruction. Il vient à l'hôpital pour une bron-
chite d'influenza. -
Objectivement, le sujet présente : le crâne ovoïde à contour régulier. Che-
veux châtains à un seul tourbillon médian, ligne d'insertion antérieure semi-
circulaire. Front de grandeur moyenne, avec des bosses manifestes et sillonné
de légères rides transversales. Sourcils épais, ayant une tendance à se réunir
sur la glabelle. Nez droit. Face symétrique. Lèvre inférieure grosse. Dents
régulières comme nombre, forme, grandeur et implantation. Etat normal du
tronc et des membres inférieurs. Quant aux membres supérieurs, on y re-
marque l'anomalie qui sera décrite ci-après. Taille 1 m. 62. Système pileux
passablement développé et régulièrement distribué. Blésité légère.
Main droite (PI. X). Elle présente un doigt auriculaire en surplus. Ce doigt
surnuméraire est uni à l'auriculaire, vers le milieu de la première phalange,
au moyen de parties molles seulement. Il est muni d'un ongle et mesure
2 cm. 5 de longueur, tandis que l'auriculaire a 7 cm. 5. Si l'on y imprime
des mouvements passifs, on sent qu'il est formé de deux petits os articulés
entre eux. Le sujet ne réussit à imprimer activement aucun mouvement à ce
doigt surnuméraire. Les autres doigts ont les phalangettes un peu grosses,
les ongles courts et larges.
Main gauche. Elle présente aussi un doigt auriculaire en surnombre. Ce
doigt est également uni à l'auriculaire vers le milieu de la première plia-
lange au moyen de tissus mous. La longueur en est d'environ 3 cen-
timètres,celle de l'auriculaire est de 7 cm. 5. Il est muni d'un ongle, un os uni-
que le constitue et, comme l'autre doigt surnuméraire, il est incapable de tout
mouvement actif. Les autres doigts présentent les mêmes caractères que ceux
de la main droite.
La radiographie démontre clairement ce que nous venons de décrire : le
doigt surnuméraire, des deux côtés, est uni à l'auriculaire seulement par des
parties molles ; le squelette de celui de droite est constitué de deux petits os
articulés entre eux, tandis que celui de gauche possède un os unique qui est
d'ailleurs composé de deux petits os soudés ensemble. Les phalanges des autres
doigts ainsi que les os métacarpiens et carpiens sont à l'état normal.
Il s'agit donc d'un cas d'hexadactylie bilatérale des mains,' sur un sujet
qui, du côté héréditaire, n'a rien de spécial et présente, du côté objectif
'anthropologique, l'anomalie dont nous avons parlé et, en plus, la lèvre
inférieure grosse et une légère blésité. Voyons maintenant si le cas pré-
sente quelque chose de particulier et quelle est la valeur la plus probable
qu'il convient d'attribuer la polydaclylie. Nous rappellerons tout d'a-
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T XXIV, PL. X.
POLYDACTYLIE
(F. Costantini).
\Inssoa ] : T Clt, 1 : <llonrs.
VALEUR MORPHOLOGIQUE t)E LA POLYDACTYLIE 83 --
bord que cette déformation est tantôt bilatérale, tantôt unilatérale, parfois
aux mains ou aux pieds seulement, assez souvent même aux mains et aux .
pieds en même temps et avec un nombre égal ou différent de doigts. Il y
a en cela une oscillation notable dans les divers cas. Ainsi, pour en citer
quelques exemples, Ruysch (1) rencontra dans un squelette sept doigts à
la main droite et six à la main gauche ; Morand (2) observa un cas où
chaque main présentait sept doigts ; Suviard (3) vit chez un nouveau-né
dix doigts à chaque main et à chaque pied ; Johnson (4.) rapporte égale-
ment une observation de dix doigts à chaque main et à chaque pied ;
Voight (5) trouva chez un nouveau-né treize doigts à chaque main et douze
à chaque pied ; Hagenbach (G) décrit, entre autres, un cas de quatorze
doigts à chaque pied ; etc.
Les auteurs ne sont pas d'accord sur la fréquence de la polydactylie.
Pour certains elle est très rare, si bien que Maupertuis en a rencontré
seulement trois cas sur 100.000 habitants. Blot ne l'a observée qu'une
seule fois sur 10.000 malades des hôpitaux et des cliniques, et Fort éga-
lement une seule fois sur ' ! 1..000 nouveau-nés. Spoto n'en a vu qu'un cas
en trois ans dans un asile d'aliénés abritant 1.500 malades. Pour d'autres,
au contraire, comme Guersant, Giraldes, Saint-Germain,Trélat, Gerlwrdt,
Hedard, etc., c'est une anomalie beaucoup plus fréquente (7). La poly-
dactylie des mains se rencontre beaucoup plus souventque celle despieds
dans le rapport de 3 à 1 (Spoto) (8). La forme la plus commune est l'hexa-
dactylie, mais l'heptactactylie est aussi assez fréquente, si l'on pense au
nombre immense de généra lions pentadigitées qui nous ont précédé (Gru-
ber) (9). Les doigts surnuméraires occupent de préférence le côté externe
ou même le côté interne de la main : cesontdonc un double pouce ou un
double orteil, un double auriculaire ou un double petit orteil
La polydaclylie est souvent héréditaire ou familiale. Ainsi, pour ne citer
que quelques-uns des exemples les plus remarquables, ylaupertuis observa
un cas, dans lequel cette anomalie se répétait jusqu'à la quatrième géné-
(1) Ruvscn, Squelette ayant sept doigts à la main droite et six à la gauche. Hirt.
Enc. des s. m., t. 30, p. 138.
(2) ifoaann, Recherches sur quelques conformations monsstueuses des doigls dans
l'homme. Histoire de l'Académie des sciences, 1810, p. 137.
(3) Suviard, Cfr. Riforma medica, 1893, p. 139.
(4) Johnson, Case of Polydaclylisen,elc. Transact. Path.Soc. London,IX, 1837. p. 427.
(5) VoienT, Cf. Riforma medica, loc. cit.
(G; UAG ! : NBAcn. Enfant ayant de la polydactylie. Corresp. Blatt. f. Schweiz. Aertte,
1879, n. 17, p. 520.
(7) Ctr. Spoto, Polilailtlia e degeuerazione. Arclivio di psichiatiia, 1SU4, p. 2.
(bd Spot, loc. cit., p. 2.
(9) Cfr. Morsclli, Anlropologia générale, p. 635.
(10) 111mssr : m.r, loc. rit., p. 635.
84 COS1'e1N'1 L
ration (1) ; Wilson l'a vue se continuer jusqu'à la 6° génération (2) :
Wliilcher rapporte une observation dans laquelle l'hexadactylie bilaté-
rale des mains se transmettait sans interruption à travers neuf généra-
tions (3). Devay raconte que dans le village d'Eycaux hommes et femmes
avaient presque tous un doigt surnuméraire aux mains et aux pieds (4).
Renon parle d'une famille dans laquelle la polydactylie se transmettait
indéfiniment malgré les unions contractées avec des personnes de familles
normales (5). On a également remarqué que la polydactylie peut se trans-
mettre soit seulement dans l'ascendance des femmes comme dans la famille
Hartmann, soit seulement en ligne de descendance mâle comme dans la
famille Kalleià (6). Les autres exemples de polydactylie héréditaire ne
manquent pas : il y a ceux de Rorberg (7), de De Carolis (8),de Lucas (9),
de Marzolo (10), de Furst (11), etc.
Le caractère d'hérédité de la polydactylie n'a cependant rien de cons-
tant. Il existe en effet à ce sujet dans la littérature des cas où l'hérédité
manque. D'ailleurs, si l'hérédité devait être une condition nécessaire de
la polydactylie, nous ne pourrions pas nous expliquer comment elle se
produit chez le premier auteur et de quelle manière celte conformation
se transmet de ses auteurs à leurs propres descendants (Spoto) (12).
La question de savoir quelle est la signification qu'on doit attribuer à
l'anomalie en question est très controversée. En effet, certains auteurs
(Darwin, Tonnini, Penta, Spoto, Mariani et Mannini, etc.) (13) soutien-
nent qu'elle représente un phénomène atavique ou de réversion, tandis
(1) Cfr. Martin, Histoire des monstres, 188 0, p. 241.
(2) Wilson, Ilereditary Polydaclylisrn, The Journal of Anatomy and Pl1ysiology,
vol. XXX, p. 43 î-449.
(3) Wiiitciieh, Ileredilary polydaclylism, The Lancet, 1896, p. 804.
(4) DEVAY, Danger des mariages consanguins, 1862, p. 763.
(5)-(6). Cfr. Riforma medica, p. 138 et 139.
(1) Ronasnc, Doigls surnuméraires héréditaires pendant cinq générations . Gaz. des
llôp., 1861, p. 439.
(8) De Carolis, Ueberzahl der Finger nul Werwachsungen etc. Jahrh. von Schmidt,
t. CXII, 1861, p. 159.
(9) Luc,s, Observation curieuse de tendance héréditaire à la production de doigts
surnuméraires. Eny's Hop. Reports, 125, 1882, p. 47.
(10) Marzolo, Intorno ad una familllia di sedigiti. Memorie del Il. Istituto Veneto di
scienze, lettere ed arti., vol. XX, 1879.
(il) Furst, Excès héréditaire de doigts et d'orteils avec augmentation successive des
l'excès. Nord. Med. Art., t. 13, 1881, p. 11.
(12) Spoto, loc. cie., p. 8.
(13) I)Alt\V1Y'1·owtNt. Cfr. GlUFFuDA-RuoGEm, Sulla digmtci mor/ologica dei segni
delti « degerteralivi ». Atti della Soc. Rom. di Antrop., vol. IV, 1896-97, p. 190 ; PE'T.I,
Su alcune nüt importanti anomalie etc. Arch. di psichiatria, vol. XVI, 1895, p. 331 ;
SPOTO, loc. cil. ; MAIIIA ? 1 et MAN'I'I, [ntol'110 ad alcune note lei-aloloqiche délie mani i
e dei piedi. Archivio di psichialrta, vol. XXV, 1904, p. 414.
VALEUR MORPHOLOGIQUE DE LA POLYDACTYLIE 85
que d'autres (Topinard, Delage, Delbierre, etc.) (t) nient l'atav isme et
pensent plutôt qu'il s'agit là d'un phénomène purement tératologique ou
pathologique.
La signification atavique de la polydactylie; selon les auteurs qui sou-
tiennent l'hypothèse de la réversion, ressortirait des données suivantes :
1° Données embryologiques : Schenk put observer, dans deux embryons
humains, un nombre de rayons, correspondant aux premiers linéaments
des phalanges, supérieur à cinq, dans un cas allant jusqu'à neuf (2).
2° Données d'anatomie humaine : Le squelette de notre main, tant du
côté ulnaire que du côté radial, possède des rudiments osseux qui auraient
la signification philogénétique de doigts perdus dans l'évolution de l'es-
pèce. Selon cette théorie, l'os pisiforme représenterait un sixième doigt et
les tubérosités qu'on trouve du côté radial sur le premier os du carpe et
du métacarpe un rudiment de « praepollex » (Bardeleben, Kollmann,
etc.) (3). 1
. 3° Données d'anatomie comparée. Cette science enseigne que, dans
des espèces vivantes d'animaux inférieurs, le nombre des doigts est varia-
ble. Ainsi certains mammifères (cétacés, taupe, etc.) ont plusieurs doigts,
d'autres (cheval) en ont un, tandis que la plupart des autres en ont qua-
tre ou cinq. Le fait même que la polydaclylie se manifeste plus fréquem-
ment aux membres supérieurs qu'aux membres inférieurs sérail bien en
harmonie avec ce qui se produit chez un grand nombre de mammifères
qui ont plus de doigts aux pattes antérieures qu'aux pattes postérieures
(chiens, chats, etc.).
4° Données de paléontologie. Il existe des espèces fossiles ayant plus
de doigts que n'en ont les espèces animales vivantes correspondantes.
Ainsi l'anchitel'ium avait trois doigts, tandis que le cheval n'en a qu'un.
L'ichthyosaure qui est un amphibie avait sept doigts, tandis que les gre-
nouilles n'en ont que six aux pattes postérieures, etc.
Aux critériums sus-indiqués, quelques auteurs ajoutent aussi celui de
la transmission héréditaire de la polydactylie et de la fréquence avec
laquelle elle se trouve unie à d'autres signes de dégénérescence. Comme
on le sait d'ailleurs, bien des auteurs attribuent il ces signes la valeur de
phénomènes réversifs. C'est dans les cas où la transmission directe man-
que que les auteurs mettent souvent en relief l'existence d'autres signes
de dégénérescence (alcoolisme, épilepsie, etc.) chez les ascendants, au
(1) Topinard, DELACE. Cfr. GiL'FFtUDA.HuGGEN, loc. cil. ; DELBICRRC, v. Centrait, f.
Anthropologie, 1898, p. 57.
(2) Scheik, Lehrbuch der vergleichenden Embriologie der Wirbelthiere, Wien, 1874,
p. 137.
(3) BAROELEREN, Praepollex und Praehallux, 1889 ; 1{0LLMA""N, Handskelet und Ilyper-
dactylie. Verhandlungen der anatomischell Gesellschaft, mai 188S, et AnatomiscLen
Anzeiger, 1888, n" 17-18.
86 COSTANTINI
point que certains de ces auteurs (Spoto) vont même jusqu'à parler d'une
transformation morbide de l'hérédité (1 ),11 faut pourtant rappeler que ce
genre d'hérédité ne se rencontre pas toujours dans les cas où il n'y a pas
d'hé) édité directe. Il y a en effet dans la littérature du sujet des obser-
vations (i'ortigliotti et autres) dans lesquelles il est impossible de relever
chez les ascendants quelque signe que ce soit de dégénérescence (2).
Notre cas même, et c'est là qu'en réside, à notre avis, l'unique intérêt,
démontre clairement que l'hérédité, tant directe qu'indirecte, n'est pas
une condition nécessaire de la polydactylie. D'autre part, il ne Faut pas
oublier que l'hérédité n'appartient pas seulement aux phénomènes ata-
viques mais aussi à beaucoup de phénomènes purement morbides. Par
conséquent elle dépose en faveur tant de la théorie atavique que de la
théorie pathologique.
Je rappelle enfin que, selon Devay, les doigts surnuméraires représen-
teraient le signe le plus sûr de la consanguinité des ascendants (3). Mais,
laissant même de côté ce fait qu'elle manque dans la plupart des cas, Huth
se demande alors comment il pourrait se faire que la consanguinité, qui
ne crée pas mais assure l'hérédité où peut-être elle aurait pu échapper,
donnât lieu à un fait qui n'existe pas dans l'ascendance (4).
Morselli est au nombre de ceux qui considérent l'heptadactylie et l'hexa-
dactylie comme des phénomènes ataviques. Mais il renonce à expliquer
par l'atavisme les exemples d'octodactylie, d'enneaclactylie, et de déca-
dactylie dont il pense que ce sont des phénomènes appartenant plutôt à
la tératologie (5).
Gegenbaur veut démontrer que la polydactylie ne représente pas un
phénomène de réversion. Cependant, dans sa conclusion, il n'exclut pas
l'élément atavique, en ce qu'il affirme « qu'il s'agit d'une monstruosité,
d'une formation par excès. Mais, ajoute-t-il, cette formation défectueuse
n'est point sans rapport avec un état antérieur (atavique), car les mons-
truosités ne diffèrent des états ataviques que par un défaut d'accommo-
dation qui est pour elle l'empreinte du caractère pathologique (6) ».
liasse croit que la plupart des cas de polydactylie appartiennent à la
tératologie, mais il admet l'atavisme si les mêmes formations se trouvent
aux deux mains et aux deux pieds (7).
(1) SPOTO, loc. cit., p. 10.
(2) Portigliotti, Tre casi de polidattilia.Arch. di psichiatria, vol. XXII, 19U1,p. 603.
(3) DEVAY, Nouvelles observations sur les dangers des mariages entre consanguins
au point de vue sanitaire. Gaz. hebd., 1860, n" 37, p. 593-599.
(4) Huth, The marriage ol near kin. London, 1881, p. 231-237.
(5) Morselli, Loc. cit., p. 635.
(6) Gegenbaur, cr. Revue d'hygiène, t. XIX, 1881, p. 455,
(7) Hausse, V. Centralbl, Anlhrop., 1898, p. 57,
VALEUR MORPHOLOGIQUE DB LA POLYDACTYHR 87
Liertacchni retient que la polydactylie a une signification diverse chez
les vertébrés pentadactyles et chez les oligodactyles. Chez ces derniers, il
est sûrement démontré que la présence de doigts surnuméraires peut avoir
la valeur d'un caractère réversif; chez les premiers, au contraire, la poly-
daclylie devrait être considérée plutôt comme un phénomène de schisto-
dactylie. Et comme celle-ci n'a pas une valeur atavique, puisqu'elle dé-
pend simplement de causes pathologiques, l'auteur refuse aux anomalies
en question chez les pentadactyles, et par conséquent chez l'homme,
toute signification réversive(l).
Grônberg, qui s'est occupé de la polydactylie chez les poulets, s'est .
basé sur une étude attentive de la distribution des muscles et des nerfs
et a pu conclure qu'elle est due à un simple phénomène de dédouble-
ment (2). Boas lui-même avait du reste déjà démontré que chez le cheval
et le porc la polydactylie est due au même phénomène (3).
Morselli, cependant, fait avec Albrecht remarquer à ceux qui soutien-
nent l'hypothèse du dédoublement, que la dactyloschise est normale chez
les sélaciens (4).
Ahfeld attribue l'hyperdactylie un fait purement mécanique, par l'ac-
tion des plis de l'amnios pendant la vie intra-utérine (5).
Weismann et Wilson pensent qu'il s'agit là d'une variation du plasma
germinatif par excès de nutrition locale (6).
Blanc distingue dans la polydactylie trois catégories :
z La polydactylie atavique par réapparition de doigts ancestraux.
2° La polydactylie tératologique par division de doigts normaux ou
ataviques. ,
3° La polydactylie hétérogène par formation de doigts qui ne viennent
ni de l'atavisme, ni de la schistodactylie (7).
Legge accepte la classification de Blanc et soutient que la polydactylie
est atavique lorsqu'elle est caractérisée par ce fait que le doigt surnumé-
raire se trouve ou au delà du cinquième doigt ou au delà du premier,
mais jamais entre les doigts normaux. Si, au contraire, ajoute l'auteur,
le doigt surnuméraire se trouve intercalé entre deux doigts normaux, mais
(1) Bertacciiini, Un caso di doppio pollice bilatérale nell'uomo e atcune considera-
zioni sul valore rnorfologico del l'iperdaltilia nell'uoruo, Intern. Monatschr. f. Anat.
u. Physiol., XXI, 1-3. Arch. di psichialria, vol. XXVI, 1905, p. 514.
(2) Gnonnsrse, Belll'iige zur Kenntniss der polydaclylen llùiieri-asseil. Anat. Anz., IX,
509-514, fig. 4, 1894.
(3) Boas, Btdi-aq til opfallelsen ot Polydactylihos Patledyrene. Videnskap. Middel.
fraden Naturh. Foreining i Kjobenhavn, 1883.
(4) ttIOR5F1.LI, loc. cit., p. 636. Albrecht, Srm la valeur morphologique de l'hyl)el'-
dactillie. Dent. Gesells. f. Chir., 1886.
(5-6) Ahfeld, Weismann et Wilson. Cfr. PORTIGI.IOITI, loc. Ci ? p. (,07.
(7) Blanc, Etude sur la polydactylie chez les mammifères . An. Soc, Linnéenne, Lyon,
1896.
88 COSTANTINI
n'a avec eux aucun rapport de connexion osseuse, ligamenteuse ou tendi-
neuse, s'il n'a avec eux qu'un rapport de proximité, on ne peut, dans ce
cas-là, parler de schistodactylie puisqu'il n'y a aucune donnée anatomi-
que qui le démontre d'atavisme à cause de la place occupée par le doigt
surnuméraire. On doit donc parler alors de polydactylie hétérogène. La
cause prochaine de la polydactylie atavique et de la schistodactylie se-
rait représentée, selon Legge,par un afflux excessif de liquides nutritifs,
de la même manière que la syndactylie et la brachydactylie seraient
dues à un afflux insuffisanl de ces mêmes liquides (1).
Mais afin que l'on puisse mieux comprendre la valeur do la polydac-
tylie et d'autres anomalies congénitales, il faut se rappeler aussi ce qu'en-
seigne la tératologie expérimentale. Après les recherches de Strasbur-
ger (2), de Pfeffer (3), de Dareste (t), deFéré (5), etc., nous savons que
des agents physiques (chaleur, secousses, air confiné, électricité, etc.) ou
des agents chimiques (alcool, substances alcaloïdes, essences, toxines mi-
crobiennes, etc.) sont capables d'agir sur l'oeuf fécondé. Elles peuvent
troubler plus ou moins profondément le développement normal de l'em-
bryon, au point de créer des états tératologiques qui arriveraient ainsi à
se produire dans des conditions naturelles. Aussi ces résultats nous in-
duisent-ils à croire que ces mêmes agents que nous trouvons comme cau-
ses dans la production des états pathologiques représentent également,avec
beaucoup de vraisemblance, la cause prochaine, direcle des phénomènes
tératologiques.
Rien n'empêche d'ailleurs que ces agents assument parfois le caractère
de souvenirs ataviques. Il doit môme sembler tout naturel qu'une cause
morbide venant agir pendant le développement de l'embryon dont elle
arrive à troubler l'évolution normale, des souvenirs ataviques revivent et
se fixent, surtout lorsqu'ils ont déjà dans l'ontogénésie une vie transi-
toile. Il semble en effet qu'il doit en être ainsi.
Les études de Schenk, que nous avons rappelées plus haut, montrens
en effet que dans l'embryon humain les phalanges seraient représentées
au moins par neuf indications cellulaires de doigts disposés en rayons,
dont ne reste que cinq normalement dans l'évolution successive.
Une autre considération en faveur de l'origine pathologique des défor-
mations congénitales ressort également de ce faitquecertaines altérations,
dont lagenèse est encore obscure, sejoignent à d'autres dont on peut dire
désormais que la nature morbide en a été démontrée. Ainsi, l'on a vu le
(1) LECGR, Di un nuovo caso di polidauilta, Bologne, 1896.
(2-3) STItASOIiftGHWPPEFfEItT, Cf. Roblot, loc. eti., p. 43.
(4) Daheste, Recherches sur la production artificielle des monstruosités, 2° éd., 1891.
(5) FIIII.. La famille névropalhique, Paris, 1891, p. 21E, 25 .
VALEUR MORPHOLOGIQUE DE LA POLYDACTYLIE 89
bec-de- lièvre coexister avec l'infantilisme (biquet) (1), et personne ne doute
plus aujourd'hui que c'est un fait d'origine morbide (glandulaire). Le
bec-de-lièvre peut aussi se trouver en même temps que la polydaclylie et
le pied-bot (Mars/¡) (2). Celle-ci peut, à son tour, s'unir au colobome de
l'iris et à la rétinite pigmentaire (Darier) (3) et ainsi de suite. Cette con-
comitance de formations défectueuses, en apparence si diverses, et d'orga-
nes éloignés l'un de l'autre, nous démontre, d'une part, l'étroite parenté
qu'il y a entre elles, et, d'autre part, nous induit à croire que les agents
qui les déterminent sont généralisés dans l'organisme. Mais il n'est pas
absurde de penser que des stimulants locaux (plis de l'amnios, comme le
voudrait Ahfeld, ou d'autres causes) peuvent, dans quelques cas, en loca-
liser l'action au point correspondant à la déformation qui se produira.
Cette idée,qui au fond accepte la signification pathologique attribuée par
Virchow aux états tératologiques, sans renoncer complètement pour cela au
concept atavique, s'accorde avec la conclusion générale, à laquelle arriva
Mingazzini dans ses études sur la microcéphalie : « Durant l'ontogonie,
dit l'auteur, les souvenirsphilogénétiques disparaissent en tant qu'ils sont
remplacés par des formations définitives appartenant à une forme ani-
male donnée et qui se fixent par loi d'hérédité. S'il se produit un trouble
dans la lutte entre l'ontogonie et la philogonie durant le développement,
non seulement les souvenirs ataviques ayant une vie transitoire resteront
vainqueurs, mais ceux qui ne sont qu'a l'état latent pourront se repro-
duire de nouveau et rester stables définitivement. Or, c'est précisément
aux processus morbides que nous devons attribuer l'élément le plus im-
portant et le plus apte à troubler l'achèvement régulier des processus
évolutifs H (4).
En nous basant sur ce que nous avons exposé jusqu'ici, nous croyons
pouvoir conclure que par analogie avec d'autres formations défectueuses
congénitales, la polydactylie, tout en rappelant une formation ancestrale,
a, très vraisemblablement, une valeur essentiellement pathologique, en
tant que très probablement déterminée par des moments étiologiques de
nature morbide et qui doivent agir pendant le développement de l'em-
bryon ou du foetus.
(1) Binet, Anomalie des organes genitaux mâles. Bull. Soc. anat., 1883.
(2) MARSII. A cale of double polydaclylil11s, double hf ! l'elip. etc. The Lancet, 1899,
t. II, p. 739.
(3) Darier, Quelques observations de rétinile pigmentaire avec anomalies intére-
santes. Arch. d'ophtalm., 1.881, VII, p. 1TG.
(4) IINGAZZI-11, Il cervello in 1'elazione coi fenoîneiii psiehxox. Bocca, Torino, 1895,
p. 192.
AMNÉSIE ET FABULATION.
Étude DU syndrome « hRESI3YOPHftI : NIQüE »,
PAR R
DEVAU$et LOGRE
La Presbyophrénie, conception nosologique d'importation allemande, a
été accueillie en France avec la bienveillance dont la Psychiatrie française
a coutume de faire preuve envers les doctrines étrangères. Les auteurs
français, à l'envi des auteurs allemands, ontétudié la séméiologie, porté
ou discuté le diagnostic, recherché l'anatomie pathologique de l'affection
nouvelle ; et récemment encore, on faisait à la Presbyophrénie les hon-
neurs de plusieurs présentations de malades à la Société de Psychiatrie et à
la Societé clinique de Médecine mentale.
Nous avons eu l'occasion d'observer quelques cas pouvant être rappor-
tés à la Presbyophrénie des auteurs allemands. Il nous a paru intéressant
d'entreprendre, à l'aide de ces documents, une étude séméiologique et
critique de la Presbyophrénie,
Avant d'envisager les applications cliniques de cette conception noso-
logique nouvelle, il convient de préciser, d'après les lertes originaux, le
tableau morbide décrit, sous nom de Presbyophrénie, par les différents
auteurs.
Ce rapide aperçu historique, en montrant les remaniements successifs
apportés à la conception primitive, sera comme la critique naturelle de la
Presbyophrénie « C'est l'évolution, disait Leibnitz, qui juge les doc-
trines ».
Le nom de Presbyophrénie semble avoir été imaginé parKahlbaum,
mais la référence au texte de cet auteur n'étant nulle part indiquée, la
description initiale du tableau morbide est pratiquement celle de Wer-
nicke ; dans cet exposé se trouvent contenues, pour ainsi dire en germe,
toutes les interprétations ultérieures de la Presbyophrénie.
AMNÉSIE ET FABULATION , 91
Textes de Wernicke.
Premier texte (1). - « Je vous ai souvent dit qu'en psychiatrie, on ne
peut établir de rapport entre le tableau clinique et l'étiologie, que dans les cas
où des formes cliniques bien nettes se manifestent couramment à la suite de
causes nocives bien déterminées ; par contre, l'expérience journalière montre
qu'il ne faut pas admettre un tel rapport d'une façon exclusive ; cette remar-
que s'applique à la psycho-polynévrite, envisagée d'un point de vue purement
empirique.
« A vrai dire, cette dénomination même indique déjà que des facteurs étiolo-
giques très variables peuvent intervenir, comme il est naturel d'ailleurs lors-
qu'il s'agit de polynévrites. La justesse de notre manière de voir sur ce point
reçoit une démonstration éclatante du fait que nous pouvons rencontrer exac-
tement le même tableau clinique, sans polynévrite. Un cas de ce genre m'est
rappelé par la femme d'un médecin qui, voyant son enfant tomber par la por-
tière d'un compartiment de chemin de fer, dont le verrou n'était pas fermé,
ne trouva rien de mieux à faire, dans son anxiété, que de se précipiter à sa
suite ; elle reçut une blessure grave à la tête, et.quand elle reprit conscience,
elle présenta le tableau typique de la forme délirante de la psycho-polynévrite.
A l'examen médico-légal, on put reconnaître que les quatre symptômes cardi-
naux du stade chronique existaient au complet.
« Je traite, en ce moment, un cas analogue qui se manifesta à la suite d'une
intervention chirurgicale, avec gastro-entérostomie bien réussie ; le malade est
aujourd'hui en convalescence.
« Comme le montrent ces deux observations, où la réunion de lésions somati-
ques et de modifications psychiques graves donna lieu à l'éclosion de la mala-
die, un certain nombre des faits très variés, que l'on considère comme des psy-
choses symptomatiques ou d'inanition, présente un tableau clinique analogue à
celui de la psycho-polynévrite ; mais l'argument le plus probant pour notre
thèse, est le tableau morbide de la presbyophrénie. presque identique, clini-
quement, à la psychose polynévritique.
« La presbyophrénie est la maladie spécifique de la sél11lilé,dlns le sens, et
avec la restriction que nous admettons, en général, dans une division étiolo-
gique des maladies mentales : c'est-à-dire que, contrairement à la psychose
polynévritique, elle ne se manifeste que chez les vieillards, et dans beaucoup
de cas, ne révèle aucune autre étiologie. En cela, elle représente une partie
importante des psychoses produites par la sénescence ; comme la psycho-poly-
névrite, elle s'observe sous deux formes, l'une aiguë, délirante, l'autre chro-
nique ; cette dernière peut, après longtemps, devenir incurable, et présente
alors les mêmes symptômes constitutifs que la psychose polynévritique, à son
stade de chronicité. Vous rencontrez les mêmes signes de désorientation allo-
psychique, avec absence de perte du jugement (fehlender Ratlosikeit), perte
de la mémoire de fixation, conservation de l'attention, confailulation et amnésie
(1) dei- Psychiatrie, p. 290. Leipzig, 1906,
92 DEVAUX ET LOGRE
rétroactive. Souvent aussi s'ajoutent des modifications pathologiques de l'état
affectif (Gemütslage) et cela sous deux formes : tantôt c'est une euphorie, qui
n'est pas en rapport avec les circonstances réelles, tantôt, une humeur colé-
reuse, de durée variable. Vous vous souvenez des deux exemples que je vous
ai présentés : dans un cas, il s'agissait d'une femme de 78 ans, Mme H..., qui
manifestait son bien-être par son bavardage facile, et, se croyant encore jeune
fille, prenait des allures prudes, qui, à son âge, étaient de l'effet le plus co-
mique.
« L'autre malade, Mme H..., âgée de 84 ans, était, vous vous en souvenez,
une femme violente, criarde, renversant tout, injuriant tout le monde,
et accusant son entourage des brutalités les plus extraordinaires. Probable-
ment,il il s'agissait de confabulation reposant sur le souvenir d'événements mal
interprétés et de sensations hypocondriaques. Ces deux malades avaient ceci
de commun que l'expression du visage, les gestes, les propos faisaient immé-
diatement penser à une démence.
« La forme aiguë ou délirante a les mêmes symptômes fondamentaux que la
forme chronique, excepté, peut-être, l'amnésie rétroactive ; en plus, on cons-
tate une légère excitation motrice, de l'insomnie et, de temps à autre, des
hallucinations, surtout visuelles.
« L'ensemble donne le tableau atténué dit delirium tremens, avec durée
analogue.
«Je me souviens d'un exemple fourni par une femme âgée de 76 ans, jus-
que-là très active, chez laquelle la maladie se termina si favorablement qu'elle
put encore, pendant de nombreuses années, conduire une affaire importante.
« La durée de l'a/fection,lorsqu'elle doit guérir,et c'est assez fréquenl,est de
4 à S semaines. Dans d'autres cas, la chronicité s'installe d'une façon insen-
sible, ou bien il reste une démence sénile simple qui représente toujours le
stade terminal de la forme chronique. »
Deuxième texte (1). - « L'influence exercée par la sénescence, ou invo-
lution sénile du cerveau, sur la forme et la marche des psychoses, est peu
connue. Pourtant la presbyophrénie, décrite antérieurement, psycliosejus-
qu'à un certain point spécifique, relève de cette étiologie. Vous vous souve-
nez que ce tableau clinique, dans ses traits importants, ressemble à celui de
la psychose polynévritique ; on peut cependant trouver quelques différences,
portant sur des points accessoires. '
« Il semble, par exemple, que la désorientation allopsychique de la presbyo-
phrénie change de degré au cours de l'évolution ; c'est ce que j'ai observé bien
des fois. Dans la psychose polynévritique, la désorientation est permanente,
dès le début. Les états délirants de la presbyophrénie se comportent de façon
analogue : ils ne se manifestent parfois que la nuit,et il existe des cas-limites,
dans lesquels toute la symptomatologie consiste uniquement dans ces accès de
délire nocturne, accompagnés de symptômes de déficit particuliers.
« Je vous ai déjà fait observer que la presbyophrénie ne rentre pas dans le
(1) Wernicke, loc. cit., p. 502.
AMNÉSIE ET FABULATION 93
cadre de la démence sénile ; ceci est prouvé déjà par l'expression d'attente du
visage, et par la promptitude de la réaction à l'excitation, abstraction faite de
la guérison, connue de vous, des accès de délire à début brusque. »
La description est, on le voit, complexe, et la pensée présente de nom-
breuses indécisions. Il est difficile de savoir au juste si Wernicke considère
la Presbyophrénie comme une espèce nosologique autonome. Sans doute,
à l'exemple de Kahlbaum, il lui donne un nom particulier, en rapport,dit-
il, avec une étiologie spéciale, la sénilité; il lui assigne, comme à une
entité morbide, des formes cliniques, une évolution propre et un diagnos-
tic différentiel. Mais, dans cette symptomatologie complexe, se trouvent
associés deux ordres d'éléments bien distincts, qu'il paraît difficile de ré-
unir dans une même affection : d'un côté, hallucinations, confusion,
curabilité; de l'autre côté, absence d'hallucinations, chronicité, incurabi-
lité.
Une telle conception, enfermant, dans l'unité d'une même synthèse,
deux groupements symptomatiques disparates, devait aboutir, chez les
successeurs de Wernicke, à un démembrement de la Presbyophrénie.
Voici le texte deKraepelin, relatif à la Presbyophrénie (1) :
« Parmi ces différentes formes de Démence sénile, il faut isoler un petit
groupe de faits, caractérisés par la conservation relative de l'activité psychique,
de l'ordre et de la suite dans les idées, et, jusqu'à un certain point, du juge-
ment, malgré les altérations profondes de la mémoire de fixation, et de la mé-
moire en général.
« Nous désignerons ce tableau clinique très particulier, sous le nom de pres-
,hyopUrénie, proposé par Kahlbaum et adopté par Wernicke.
« Les malades (2) sont d'un abord facile, et peuvent suivre sans difficulté
une conversation, même longue. Ils saisissent les détails des faits qui se
passent autour d'eux, tout en se trouvant néanmoins hors d'état d'avoir la
notion exacte de leur situation ef des liens intimes qui unissent les événe-
ments.
« Cette impuissance leur échappe du reste complètement ; ils oublient
avec une extrême rapidité ce qu'ils ont fait ou entendu ; seules quelques ra-
res impressions, ayant agi sur leur sensibilité, persistent plus solidement ; une
malade, par exemple, savait encore, au bout de quelques jours, que je l'avais
accusée de vol, tandis qu'elle avait oublié, après quelques instants, les
visites et les observations qu'on lui avait faites. Les malades ne savent
plus où et quand ils ont pris leur repas, les mets qu'on leur a servis, depuis
combien de temps ils ont quitté leur lit, si l'on se trouve en hiver, en été,
(1) Kraepelin, Psychiatrie, t. II, p. 603, Leipzig, 1910.
(2) Dans la précédente édition Kraepelillajoutait que ces malades « étaient pour la
plupart des femmes ».
U4 DEVAUX ET LOURE
le matin ou le soir. Ils sont incapables de recourir aux moyens on aux ob-
jets (horloges, calendriers), qui pourraient les renseigner.
« C'est l'orientation dans l'espace et dans le temps qui est le plus profondé-
ment altérée. Après des mois de séjour, les malades ignorent où ils se trou-
vent, depuis quand ils sont là, le nom des personnes qui les entourent. Les
réponses qu'ils font aux questions ont parfois un air de vérité, mais elles
varient continuellement. Les malades se croient à l'hôtel de l'Aigle, à un ma-
riage, la maison d'arrêt, dans leur appartement ; il leur faut quitter l'établis-
sement, ou bien ils sont retenus par un lombago ; ils saluent les étran-
gers comme de vieilles connaissances, prétendant les avoir déjà vus, mais ne
peuvent se rappeler leur nom, et, en hésitant, ils indiquent une désignation
quelconque qui leur était familière autrefois. C'est Monsieur le Directeur.
« Quelques patientes prennent pour des hommes d'autres femmes malades.
Elles ignorent la date du jour, de l'année, et même celle de leur propre nais-
sance ; interrogées sur leur âge, elles répondent par les contradictions les plus
grossières. La mort de leurs parents est ignorée. De l'air le plus naturel du
monde, elles parlent de leurs enfants comme s'ils étaient tout petits. La grand-
mère est âgée de 20 ans, le père a le même âge, le fils entre dans sa 80e
année ; une malade se disait plus jeune de deux ans que sa fille ; d'autres font
allusion à leur récent mariage, alors qu'elles viennent de parler, comme s'il
vivait encore, de leur mari, décédé, en réalité, depuis longtemps.
« Les connaissances acquises sont, d'habitude, très réduites; le calcul est
encore suffisant, de même que le sens de la vie pratique ; le souvenir dn prix
des denrées, des recettes de cuisine persiste encore assez bien ; tout le reste
est disparu : gros événements politiques, détails d'histoire et de géographie,
nom d'un prince régnant, souvent même le nom et l'âge de leurs propres en-
fants ; fréquemment le souvenir des événements qui remontent à une époque
éloignée est conservé ; par exemple, les malades se rappellent leur nom de
jeune fille, celui des pièces de monnaie et des poids d'autrefois.
« Les presbyophréniques ne se rendent compte que très imparfaitement de
cette altération énorme de leur « capital de représentation ». Si' on les presse
de répondre à des questions, certaines malades prétendent qu'elles ne se sont
jamais intéressées au sujet de la conversation, que les femmes ne s'occupent
pas de ces clioses-là : à la campagne, on n'a pas besoin de savoir tout cela ;
elles ont tout écrit sur la bible de famille, mais, pour le moment, ne peuvent
se souvenir de rien. Elles ont tellement couru, ont tant de choses en tête,
n'arrivent à rien, et puis, quand on est seule, on n'y pense pas, « cela appar-
tient au domaine de l'oubli ». Une malade disait : « Pour une femme de 80 ans,
ma mémoire est encore bonne ; c'est l'avis de tout le monde. »
« Dans bien des cas, par contre, il existe un sentiment exact de la maladie :
« Quand on est si vieux, la mémoire est mauvaise »,« La mémoire ne veut plus
rien savoir ». « Je suis un vieil homme et ne m'occupe de rien ». Certains
malades se sentent faibles de tète, mal à l'aise, étourdis, ne reconnaissent
plus personne ; depuis deux ans, ils ont perdu l'intelligence, ils ont tout ou-
blié, ils ont tant de confusion dans l'esprit, leurs idées sont si courtes.
AMNÉSIE ET FABULATION lui 5
« Ils comblent les lacunes de leurs souvenirs au moyen des faits les plus
récents, par de petites histoires inventées pour les besoins de la cause, et les
embellissent encore, si ou les y pousse. Le matin, certaines malades disent
avoir travaillé ; la veille, elles sont allées rendre visite à leur famille, y ont bu
du café, et y ont rencontré d'autres parents. On a illuminé l'arbre de Noël.
Maintenant, elles sont ici « pour aider » et elles s'en iront dès qu'elles auront
terminé, « chez le président qui les a engagées, et qui leur donue de bons ap-
pointements », ou bien chez leur père mourant, ou encore sOigner leur mari
(mort depuis longtemps) qui est gravement malade.
« On rencontre quelques rares et faibles idées délirantes.Le malade est atteint
d'une affection nerveuse, pulmonaire, on l'a volé, on ne lui donne rien à man-
ger, il doit mourir de faim, être crucifié, les autres parlent de lui. Le mari
d'une malade vient de prendre une autre maîtresse, sa belle-soeur veut s'em-
parer de son argent, dans son lit couche un étranger ; un malade vient de
faire un héritage, il s'adresse au médecin comme à une altesse, et prépare de
grands projets. Certains sujets prétendent voir des gens, des chiens, des
chats, des souris jaunes sur les murs, ou bien ils sont poursuivis par des
oiseaux ; d'autres trouvent des vipères dans leur lit, entendent, des hommes
chuchoter, se disputer dans l'escalier, et reconnaissent la voix de leur père ou
de leur soeur. Dans tous ces cas, l'alcool semble jouer un rôle important.
a Le jugement est bon tant qu'il s'agit de notions que les malades ont acquises
antérieurement. Des phrases dépourvues de sens, comme « la neige est noire »,
« les chevaux aboient», « les voleurs sont récompensés », sont accueillies par
un éclat de rire, ou par une réponse comme celle-ci : « la neige est noire,
quand on a jeté de la poussière dessus ».
Beaucoup de malades ne réagissent pas à des phrases dépourvues de sens,
si elles évoquent des impressions sensorielles, mais ils protestent immédiate-
ment.dès qu'on fait appel à des notions générales. Par exemple,la phrase « les
feuilles des arbres sont bleues » sera admise sans remarque; mais celle-ci : « les
menteurs sont de braves gens » soulève l'indignation. Ils écoutent sans réaction
les remarques les plus paradoxales sur le nombre et le nom de leurs enfants,
sur leur situation actuelle et celle de leur entourage, mais régulièrement ils
se récrient avec violence dès qu'on suppose qu'ils ont pu manquer à la mo-
rale, commettre quelque acte délictueux, voler de l'argent, cacher un objet
trouvé, être convoqués par les gendarmes. Une de mes malades racontait
qu'elle venait de voir le bourgmestre, à ce sujet, et qu'il lui avait assuré que
la coupable était une autre femme du même nom. Par contre, dans l'apprécia-
tion du temps, les malades commettent les contradictions les plus invraisem-
blables, sans s'en apercevoir, et même sans comprendre, lorsqu'on leur ex-
plique leur erreur. Ils trouvent tout naturel que leur père ait le même âge
qu'eux-mêmes ; que leur fils soit plus jeune de quatre années, et, cependant,
soit venu au monde dix ans auparavant ; qu'une femme de 86 ans puisse en-
core avoir des enfants : « Tout est possible », disait une malade.
« Au cours de la conversation, les malades sont actifs, souvent bavards,
assez présents, parfois pourtant inattentif ? leur humeur est ordinairement
96 DEVAUX ET LOGE
gaie, rarement, et seulement par instants, elle est pleurarde ou excitée ; ils
participent à ce qui se passe autour d'eux, et en sont émus ; ils acceptent les
plaisanteries et d'ordinaire, répondent rapidement, et sur le même ton.
« Leur conduite est ordonnée, ils s'occupent même un peu, en bavardant
avec l'un et avec l'autre, mais, de temps en temps, s'excitent légèrement, dé-
placent leur literie, veulent sortir, et sans savoir où aller, courent autour de
- leur lit.
« La presbyophrénie est-elle une maladie particulière, ou seulement ? file
forme ? ` ?
« Question discutable ; quoi qu'il en soit,on observe dans la démence sénile
simple, des états analogues transitoires, qui peuvent disparaître et, par le
retour de la lucidité, reproduire le tableau clinique antérieur.
«D'autre part,dans la presbyophrénie, l'activité intellectuelle et sentimentale
peut disparaître et faire place à une démence simple et stupide.
« De temps il autre, on voit aussi le tableau clinique de la presbyophrénie
durer des années, à peu près sans modification ; l'évolution se fait d'une façon
progressive ; il semble pourtant que, dans certaines circoustances, l'affection
peut s'installer en quelques mois et même se constituer en quelques semaines
complètement. Des symptômes de lésions cérébrales, en particulier les para-
lysies ou les ictus, sont très rares ; il s'agit presque toujours de sujets physi-
quement robustes. »
« Nous (1) observons aussi dans la presbyophrénie des troubles ac-
centués de la mémoire de fixation et d'évocation ainsi que la perte de l'o-
rientation. Mais ici il s'agit toujours de malades d'un âge avancé, tandis
que la psychose de Korsakoff se manifeste dans 55 0/0 des cas, entre 30 et
50 ans. En outre, abstraction faite d'antécédents alcooliques, notamment de
signes de polynévrite, les presbyophréniques sont beaucoup plus actifs que
les alcooliques. Ils sont présents, bavardent, s'intéressent à l'entourage, quel-
quefois même d'une façon un peu gênante. Ils manifestent un état d'esprit spé-
cial,gai et enfantin, et un incessant besoin d'occupation qui d'habitude augmente
encore la nuit ; le déficit dans le domaine des représentations est beaucoup plus
considérable, à tel point que souvent les malades ont perdu leurs acquisitions
antérieures les plus simples et cessent de réagir aux affirmations qui contredi-
sent grossièrement leur expérience journalière. En outre, l'éclosion, la marche
et la terminaison sont totalement différentes de celles de la psychose de Korsa-
koff. On peut tout au plus trouver des difficultés diagnostiques dans les cas où
il existe en même temps des excès notables d'alcool avec leurs conséquences. »
Wollenberg (2) se contente de résumer les idées de Wernicke et de
Kraepelin sur la Presbyophrénie.
Kraepelin, dans le tableau clinique qu'il trace de la Presbyophrénie,
isole donc, pour ainsi dire, l'un des deux ordres de symptômes décrits par
(1) KREPELIN, Psychiatrie, 1910, p. 184.
(2) Lelzrbuh der Psychiatrie, bearbeitet von Binswanger, Cramer, Hoche, Sieveuling,
iŸESTPIiALL und Wollenberg. Iéna, 1907.
AM.\ÉS1E ET FABULATION 9 ?
Wernicke. De la conception primitive, il récuse l'élément confusionnel
et ne retient que l'élément démentiel. La Presbyophrénie, pour Kraepe-
lin, n'est plus, semble-t-il, qu'une forme clinique de la démence sénile,
non une affection autonome ; mais ici encore, de l'aveu même de l'auteur,
quelque indécision subsiste. ,
Par cette dissociation, au profit de la démence, et il l'exclusion de l'élé-
ment confusionnel, Kraepelin éliminait du cadre de l'affection toute une
série de symptômes qui faisaient partie de la synthèse primitive, et que
les partisans de Wernicke, en Allemagne, continuaient à rattacher à la
Presbyophrénie.
En France, Dupré et ses élèves, ont, à leur tour, insisté sur la confor-
mité du tableau clinique de la Presbyophrénie avec la symptomatologie
de certaines psychoses de Korsakoff, subaiguës ou chroniques. La Pres-
byophrénie, pour ces auteurs,se présente fréquemment, mais non toujours,
comme une forme clinique de la psychose de Korsakoff, et, en règle géné-
rale, lorsqu'on observe un cas de Presbyophrénie, il y a lieu de recher-
cher systématiquement les signes de polynévrite, et en particulier, l'abo- ·
lition des réflexes rotuliens.
« Souvent la presbyophrénie (1) s'observe chez des malades qui présentent
des signes manifestes de polynévrite, surtout accusée aux membres inférieurs.
« Cette association morbide est d'ailleurs conforme aux enseignements de la
clinique qui démontre les grandes analogies qui existent entre le syndrome
presbyophréuique et le syndrome de Korsakoff.
« Dans les cas que nous avons observés, l'ensemble du tableau morbide, psy-
chopathique et névritique, peut être considéré comme une psychopolynévrite,
insidieuse et d'emblée chronique ou consécutive à une polynévrite aiguë, avec
syndrome de Korsakoff ayant évolué vers la chronicité. »
« La presbyophrénie (2) offre, avec le syndrome psycbopotynévritique, les
ressemblances cliniques les plus frappantes : amnésie continue, désorientation,
fabulation, et ne diffère guère de la psychose de Korsakoff que par l'étiologie,
l'évolution et l'absence de signes de polynévrite. La plupart des observations
de presbyophrénie sont muettes sur l'état des nerfs périphériques ; on n'y voit
pas mentionné l'examen de la sensibilité et de la réflectivité des membres in-
férieurs. D'un autre côté, l'étiologie de la presbyophrénie reste inconnue, et,
enfin, l'évolution même de l'affection ne permet guère de l'assimiler complète-
ment aux démences, puisque,dans certaius cas, la presbyophrénie peut guérir.
Ou voit ainsi s'effacer les caractères distinctifs qui semblaient séparer les deux
syndromes,et on comprend la difficulté qu'éprouvent Wernicke et Kraepelin à
(t) DUPRÉ et R. Charpentier, Psycho-polynvrites chroniques et démence. Encéphale,
février 1909.
(2) Dupn, Société de Psychiatrie. Séance du 7 mai 1909, Encéphale du 10 juin 1909,
p. 593.
xxiv 7
98 DEVAUX ET LOGRE
établir le diagnostic différentiel entre la presbyophrénie et la psychose de
Korsakoff.
« Dans beaucoup de cas,une enquête anamnestique minutieuse et un examen
neurologique complet permettront de retrouver, soit dans le passé, soit dans le
présent, l'existence d'une polynévrite, c'est-à-dire tous les éléments centraux
- et périphériques de l'atteinte bipolaire du système nerveux par une infection
ou une intoxication d'origine externe ou interne. »
Mais une telle interprétation n'est pas, comme celle de Kraepelin, ex-
clusive d'une conception plus large ; les deux thèses en présence peuvent
se concilier, si l'on admet, comme Dupré et ses élèves,que la psychose
de Korsakoff et la démence sénile sont, l'une et l'autre, susceptibles de
réaliser le tableau clinique de la Presbyophrénie.
Voilà donc la synthèse nosologique de Wernicke reconstituée dans sa
totalité, et même élargie, mais sa signification s'est modifiée : groupement t
symptomatique commum à plusieurs affections, la Presbyophrénie doit
être envisagée comme un syndrome.
« Il semble (1) bien que le syndrome presbyophrénique peut s'observer à
différents degrés, et dans des conditions variables, au cours de diverses encé-
phalopathies. »
« J'admets (2) volontiers que ces états d'affaiblissement intellectuel sont liés
souvent à la psychose polynévritique, mais je crois qu'il faut se garder de trop
généraliser ; il existe certaines formes de démence sénile dans lesquelles les
symptômes prédominants sont précisément des troubles de la mémoire, et la
fabulation. »
1 Enfin, une autre opinion, qui n'est pas non plus en contradiction avec
les précédentes, mais qui les complète et les précise, avait été antérieu-
rement formulée par Dupré, dans son étude sur « la Mythomanie » (3). Le
syndrome presbyophrénique se ramène à une variété de fabulation ; il re-
présente un cas de « Mythomanie associée».
« Cette forme (4) de la démence sénile, étudiée par Wernicke sous le nom de
presbyophrénie, et dans laquelle, comme dans le syndrome de Korsakoff, l'ac-
tivité intellectuelle se manifeste par une incessante confabulation, nous offre
également un exemple de syndrome mylliopatbique acquis et temporaire,
symptomatique de confusion et d'affaiblissement psychiques. »
Au cours de l'évolution historique, le groupement symptomatique,
d'abord isolé sous le nom de « Presbyophrénie », a donc, en quelque sorte,
(1) Dvrne, Société de Psychiatrie, Il novembre 1909 ; Encéphale, 10 novembre 1909,
p. 571.
, (2) Ségalas. Société de Psychiatrie, Il décembre 1908; Encéphale, 10 janvier 1909.
(3) ()UPIII, l.a,,uytlwlI1(tllie, n"lIetin médical, 2j mais, 1" el 8 üwl 1905.
(i),Di.ims, l,c. cit , p. 60.
AMNÉSIE ET FABULATION 99
parcouru toutes les étapes logiques par lesquelles peut passer une con-
ception nosographique nouvelle. La Presbyophrénie, d'abord posée plus
ou moins nettement.comme une entité morbide, a été considérée, tour à à
lour, comme une forme clinique de la démence sénile ou de la psychose
de Korsakoff, comme un syndrome, ou enfin comme la manifestation par-
ticulière d'un symptôme, comme une variété de fabulation.
Entre temps, des (iitatoiiio-1)(ithologisies, sur la foi d'une doctrine et
d'un néologisme, ont tenté de décrire à l'affection nouvelle des lésions
spécifiques.
Fischer fut le premier qui dota la Presbyophrénie d'une anatomie pa-
thologique. Dans plusieurs travaux (1), il décrivit comme spécifique une
lésion consistant en petits foyers, répartis d'une façon irrégulière, sans loca-
lisation régionale précise, dans l'écorce de l'encéphale. Ces foyers qu'il dé-
signe d'abord sous le nom de « Gourmes (Di-use),puis de « Sphoerotrichi »
sont bien mis en évidence par la méthode de Bielscholvsk.Ils sont consti -
tués par des amas de fibrilles, plus ou moins fines, dont l'ensemble rap-
pelle soit une étoile (Stem, Morgenslel'l1fol'lnation), soit une roue. Parfois,
il la périphérie des sphoerotrichi, )es fibrilles sont plus écartées les unes des
autres et figurent un éventail ou une natte. Dans d'autres formes, les
fibrilles sont plus épaisses, et reproduisent le dessin d'une pelote (dicke
faserige Knôul). Chacun de ces foyers se comporte vis-à-vis du tissu
nerveux comme un corps étranger, il écarte les cylindraxes, les rejette
à sa périphérie. Exceptionnellement, ces derniers sont modifiés dans leur
structure, et jamais Fischer ne remarqua de réaction inflammatoire. A
côté de ces formes délimitées, l'auteur décrit une lésion diffuse caracté-
risée par une infiltration du tissu nerveux par des fibrilles très courtes
qui ne se conglomèrent pas en masse.
Bien que spécifiques de la Presbyophrénie, et permettant de l'isoler
comme « une affection cérébrale au sens clinique et anatomique », ces
sphu;rolrichi auraient été rencontrées par Fischer lui-même dans l'écorce
cérébrale de vieillards atteints d' « arlério-sclérosepseudo-presbyophréni-
que » ( ? ) ou encore chez des gens âgés ayant présenté un « complexus de
symptômes paranoïdes» (paranoïdesSymptomenkomplex), voire même chez
(1) F)CHKH,;t7fVta')'e Nekroseo mit drusigen Wucherungen de.' Neurofibrillen, eiue regel
missige 1 érunctertsng der llirnrindc bei senile.' Demen. Monatsschrift f. Psychiatrie,
Bd XXII, p. 44; Die Hislopathologie der Presbyophrénie. Jahresvers, d, deuts ver.
f. Psych., Berlin, 1908 ; Die presbyophrene Demenz de, en anatomische Grundtage
und Klinische AbYI'C11Zllllg. Zeitschrift sur dir gesamte Neurologie u.Psychiatrie, 1910,
100 DEVAUX ET LOGRE
trois vieillards, sur neuf cerveaux examinés, morts sans qu'on ait pu ob-
server chez eux de troubles psychiques (1).
Les lésions décrites par Fischer avaient déjà été observées par d'autres
a uteurs. Blocq et Marinesco (1892) (2),Redlich ( 1898) (3),Sei ler (1901 ) (4 ),
Leri (5), Mijake (6), Alzlieimer (7) ont rapporté des observations anatomi-
~ques analogues. Pour certains d'entre eux, il est vrai, ces lésions étaient
pathognomoniques de l'épilepsie sénile. Hubner (8), Vogt (9), Op-
penheim (t0),Sarteschi (11) nient tout rapport entre les sphærotrichi et la
Presbyophrénie.
L'opinion qui semble prévaloir en Allemagne, aujourd'hui, confirmée
par Perusini (12), est que ces altérations, fréquentes chez les vieillards,
ne sont nullement caractéristiques de la Presbyophrénie ; elles représentent
des substances de désintégration (Abbaustoff) des tissus nerveux. Cette in-
terprétation, d'après notre expérience personnelle, semble être exacte.
Après cet exposé historique et au terme de cette évolution doctrinale,
le problème delà Presbyophrénie se présente, en pratique, sous une for-
me nouvelle : le terrain est, en quelque sorte, déblayé : certaines concep-
tions, en désaccord avec les données de l'expérience, tombent et dispa-
raissent. Par contre, les faits cliniques communs aux diverses descriptions
se dégagent et leur importance relative se précise.
( (1) Fischer, il est vrai, ajoute que deux de ces malades auraient été agités et confus
quelques heures avant leur mort.
(2) BLocQ et Marinesco, Sur les lésions el la pathogénie de l'épilepsie dite essentielle.
Semaine médicale, 1892, p. 445.
(3) REoucu , Ueber Pliliare Sklerose der llirnrinde bei seniler Atrophie. Jahrb. f.
Psych. u. Neurol., Bd XVII, 1898.
(4) SElLER, Ueber Spâtepilepsie. Thèse Leipzig, 1901.
(5) LERI, Le cerveau 'sénile. Congrès des médecins aliénistes et neurologistes, Lille,
1906.
(6) AIIJAKE, Beitrage zur Kenntnis der Altersoerdnderungen der menschlichell llirn-
, ? ,inde. Obersteiners Arbeiten, Bd XIII, 1906.
(7) ALGIIEINEII, Ueber den Abbau des Nenaertgewebes Allg. Zeitschr. f. Psych., Bd LXIII,
1906.
(8) lluj3,iÊii, Ueber das Greisenaller in ps ! }chologischer, ps ! }chopathologische ? u. {orel1-
sischer Beziehung. Allg. Zeitsch. f. Psych., 1908 p. 839 ; Zw'llistopathologie des seni-
len Gehirns. Archiv f. Psych. u. Neurol., Bd. 46, Mf. 2, 1908.
(9) VooT, Discussion. Jaliresvers. der deutschen Ver. f. Psych. Berlin, 1908.
(10) ÛPPENIIEIM, Neurologischen Zentralblatt, 1909.
(Il) SARTSSCIII, Revista di Frenatrie, vol. 35, 1909.
(12) G. Prnusiii, lieber klinisch und histologisch eigenarlige psychische Erlcranhun-
gen des spulerea Lebens allers. Uislologische u. lustopathologische Arbeiten Nissl's.
Bd III, hf 2, 1909
AMNÉSIE ET FABULATION 101
C'est ainsi que la conception de la Presb ! Jophrénie-maladie ne parait
plus, à l'heure présente, en France du moins, défendue par personne. Les
anatomo-pathologistes eux-mêmes, Fischer excepté, ne prétendent plus,
semble-t-il, qu'à décrire les lésions d'une forme clinique et non d'une entité
morbide.
La conception de Kraepelin, la Presbyophrénie forme clinique delà dé-
mence sénile, réunit, en Allemagne et en France (1), un grand nombre de
partisans. Elle a pour elle des éléments incontestables de. logique et de
précision elle est logique avec le motde Presbyoph rén ie,pu isclu'el le réserve
cette appellation à un état psychopathique, qui, par son étiologie, ne peut
se rencontrer que dans la vieillesse ; elle est précise parce qu'elle répond
à un tableau morbide bien délimité, assez typique, et dont l'auteur a mi-
nutieusement fixé les symptômes dans une description très exacte et très
vivante. Il y a là une contribution certainement heureuse, et relativement
originale, à l'étude des formes cliniques de la démence sénile.
Celte conception est, en outre, conforme aux habitudes de la no-
menclature kraepelinienne. Dans la classification de Kraepelin, la Pres-
byophrénie est. en effet, pour les psychoses de la vieillesse, l'exact pen-
dant de ce qu'est l'hébéphrébénie pour les psychoses de la puberté. Dans
les deux cas, l'auteur se propose d'isoler une espèce dans un genre ; et,
dans les deux cas, le nom de l'espèce n'est autre chose que la traduction
grecque du nom qui convient au genre lui-même (Presbyophrénie = Psy-
chose de la vieillesse.- Hébéphrénie = Psychose de la jeunesse).
L'esprit analytique des auteurs français s'accommode mal de la notion de
ces types nosologiques multiples et comme intriqués les uns dans les autres.
Au lieu de grouper el d'individualiser, il dissocie et généralise. Au lieu
de restreindre le diagnostic de Presbyophrénie, à une forme clinique de
la démence sénile, on peut observer au contraire, que les éléments dis-
tinctifs de cette forme spéciale (amnésie de fixation, désorientation, fausses
reconnaissances, fabulation), se retrouvent aussi bien dans la psychose
de Korsakoff, par exemple, que dans la démence sénile ; et si le tableau
clinique d'ensemble est différent, dans les deux affections, c'est parce que
les symptômes communs, qui font tout l'intérêt de la presbyophrénie,
s'ajoutent et se superposent, pour ainsi dire, aux signes ordinaires, soit
de la démence sénile, soit de la psychose de Korsakoff.
Cette analyse conduit à la conception plus compréhensive de la pres-
byophrénie-syndrome. On sait, par ailleurs, les services que peut rendre au
clinicien la notion des syndromes (2) dont la médecine générale fait, à
(t) Nouet et HALHHRSTADT, Encéphale, 1909. Nouet, Encéphale, février 1911.
(2) M. LABOE. Les grands syndromes pathologiques. Presse médicale du 26 février 1908.
1 02 DEVAUX ET LOGRE
l'heure présente, un usage de plus en plus fréquent et particulièrement
fécond. Tandis que la synthèse est un aboutissant, le dernier mot du dia-
gnostic, le point d'arrivée où tout progrès s'arrête, le syndrome, au con-
traire, n'est qu'un terme de passage, un instrument de perfection, et
comme le gage d'un diagnostic plus complet. Conclure à la Preshyophré-
nie, c'est, si l'on accepte- la conception de Wernicke, se référer à la no-
Lion d'une entité bien obscure, ou, si l'on suit Kraepelin, c'est s'exposer
à négliger, par idée préconçue, la recherche des signes de polynévrite,
comme il arrive souvent dans les premières observations allemandes de
Presbyophrénie, et par conséquent, à rapporter trop vite, et comme de
parti pris, le tableau morbide à une forme clinique de la démence sénile.
Transformée en syndrome, la Presbyophrénie ne peut plus conserver
une anatomie pathologique distincte.. Si, en psychiatrie, l'anatomie pa-
thologique d'une entité morbide esl possible, si celle d'une forme clinique,
quelque différenciée soit-elle, est très contestable, l'anatomie pathologi-
que d'un syndrome ne se conçoit même plus. Autant vaudrait rechercher
l'anatomie pathologique des idées de grandeur ou des idées de négation.
Du même coup, la presbyophrénie doit, logiquement, perdre son nom ; en
effet, le tableau clinique, n'étant plus spécial à une variété de démence
sénile, peut, dans la psychose de Korsakoff notamment, se rencontrer a
tous les âges (à l'âge adulte dans un cas de Deny et Camus) (1).
Mais la notion de syndrome une fois dégagée, l'analyse clinique peut
être poussée encore plus loin et s'appliquer aux éléments complexes du
syndrome lui-même. De ces éléments, l'un, représenté par l'amnésie de
fixation, avec ses conséquences : désorientation dans le temps et dans l'es-
pace, etc., est un symptôme d'ordre banal qui se trouve toujours, au moins
à l'état d'ébauche, et parfois très accusé, dans les formes les plus franches,
les plus normales, les plus classiques de la démence sénile ou de la psy-
chose de Korsakoff. Mais il est un autre symptôme, nullement constant
celui-là, et même assez insolite, qui imprime au tableau morbide une
physionomie à part, propre à dérouter parfois le clinicien, un symptôme
nouveau, qui seul confère au syndrome preshyophrénique une individua-
lité véritable, c'est la confabulation. Dés lors, les éléments complexes du
syndrome se trouvent ramenés à l'unité d'un symptôme essentiel et comme
central, autour duquel tous les autres convergent, et dont ils ne représen-
tent plus, pour ainsi dire, que les conditions d'apparition. Et la Presbyo-
phrénie, conception allemande, désignée d'un nom grec, ne sérail pas au-
tre chose, de ce point de vue, qu'une variété, d'ailleurs pleine d'intérêt,
de la fabulation et de la tendance aux récits imaginaires, symptôme très
anciennement signalé et décrit par les auteurs français.
(1) Derny et Camus, Société de Psychiatrie, 27 m d 1909 ; Encéphale, 20 juin 1909, p. 388.
AMNESIE ET FABULATION
103
C'est à l'étude de ce chapitre particulier de la confabulation, envisagée
dans ses rapports avec l'amnésie de fixation, et réalisant le syndrome de
l'amnésie fabulante, que nous nous proposons d'apporter, une contri-
bution personnelle, d'après les quelques cas dont nous allons résumer
l'histoire.
OBSERVATION I.
Mythomanie constitutionnelle. - Démence sénile. - Syndrome
IJ1'esbyoph1'l¿nÍque sans polynévrite.
M. H ? âgé de 72 ans, entre dans le service, atteint d'une hémiparésie gau-
che, avec exagération des réflexes tendineux, plus marquée à gauche, signe de
Babinski survenu il y a quelques mois la suite d'un ictus. Depuis deux ans,
le malade présentait des signes d'artério-sclérose cérébrale, du rire et du pleu-
rer spasmodiques, avec affaiblissement psychique progressif. Complètement
désorienté dans le temps et dans l'espace, il ne semble pas se préoccuper
de ce qui l'entoure ; il répond complaisamment aux questions qu'on lui adresse,
par des récits imaginaires qui lui permettent de combler les lacunes énormes
de sa mémoire, ou de masquer son ignorance du sujet de la conversation ; ne
se souvenant plus de son âge, il dit tantôt 30, tantôt 40 ans, et, si on lui fait
remarquer la contradiction : « Après 40 ans, les hommes ne doivent plus
compter », répond-il, en souriant avec malice. « Votre visage ne m'est pas
inconnu », dit-il au médecin qu'il voit plusieurs fois par jour ; « nous nous
sommes déjà rencontrés, au quartier latin probablement, lorsque j'étais
apprenti avocat. » Le jardin où il se promène est « le parc d'une ville d'eaux »
qu'il habite « depuis un certain temps ». « Le séjour est si agréable qu'on ne
veut plus songer depuis combien de jours ou de semaines on est arrivé » ; « le
temps passe si vite ! » »
Lui demande-t-on où va un infirmier portant une carafe sur un plateau :
« Chez un baigneur empêché d'aller à la buvette qui se trouve là-bas », dit-il
en indiquant un bosquet.
Un couple de personnes, inconnues de lui, passe : « C'est une femme qui se
fait courtiser par un ami de son mari : depuis plusieurs jours je les vois il la
même heure, et je les ai surpris s'embrassant ; il ne faut pas se fier à leur
allure correcte ! »
D'autres fois, il se croit dans une ville de province, où il a rendez-vous
avec une femme « qu'il aurait pu compromettre chez lui » »
Un stéthoscope doit être « un morceau de moulure détaché d'un cadre noir
qui entoure une toile achetée à un de ses amis » ; il une autre interrogation,
c'est un « instrument de musique inventé par une personne qu'il n'a pas
vue depuis longtemps » ! Il va peu chez son père, qui lui reproche de s'amu-
ser et fait toujours des difficultés pour lui donner de l'argent.
Avec les progrès de l'affaiblissement psychique, la confabulation devint
moins riche ; elle disparut complètement après un ictus qui survint un an
avant la mort et laissa le malade dans un état de démence absolue.
M. H..., après des études de droit, avait mené une vie désoeuvrée ; beau
lOi DEVAUX ET LOGRE
causeur, il était recherché pour sa conversation brillante et son esprit enjoué;
il écrivait avec facilité des nouvelles et des contes, et laissa un drame histori-
que, où les situations les plus romanesques montrent la fertilité de son ima-
gination.
Observation II.
Mythomanie constitutionnelle. - Démence sénile. - Syndrome
lJ1'esbyopltl'él ! ique sans polynévrite (1).
Malade âgée de 78 ans. Pas d'antécédents morbides intéressants. Douée
d'une imagination très vive. Revenait chaque soir de son travail avec une
bonne histoire, toujours prête, que ses enfants attendaient comme un régal.
Depuis plus d'un an, diminution de la mémoire : se couche et s'endort après
le déjeûner, qu'elle a pris pour le dîner; alimente perpétuellementson chat, à
l'en rendre malade ; etc.... Elle se perd dans la rue ; sa fille attache au collet
de la malade un papier portant son nom et son adresse ; la mère égare ce pa-
pier, et c'esten descendant l'escalier, dans sa propre maison, pour aller deman-
der à la concierge de lui remettre au cou un écriteau, qu'elle se donne une en-
torse ; envoyée à l'hôpital, elle accuse un infirmier de la maltraiter. La fille
s'indigne contre cet infirmier, sans avoir jamais vérifié le témoignage de sa
mère. La malade est ensuite envoyée à Sainte-Anne, puis à Ville-Evrard, sé-
jours dont elle n'a gardé aucun souvenir, enfin à la Salpêtrière.
Tenue au lit par une entorse, elle raconte qu'un monsieur est venu la voir,
qu'il était très poli ; il lui a offert le bras, et l'a reconduite chez elle ; ce mon-
sieur l'accompagne dans toutes ses promenades. Très loquace si on lui pose
des questions, elle se fâche. « Vous parlez tout le temps, je ne pourrai rien
dire ». Ordinairement très affable. « Je remercie Dieu de m'avoir donné un
beau langage et de belles manières », dit-elle; elle rencontre souvent « un
beau jeune homme » qu'elle va marier prochainement et à qui elle donne des
leçons de « beau langage »; elle se plaint de ne pas être parmi les autres ma-
lades « en bonne société ». Voici quelques exemples des récits qu'elle impro-
vise, chaque jour, et qu'elle a, d'ordinaire, oubliés le lendemain.
« Je viens d'aller à la mairie, mais je n'ai pas trouvé Monsieur le maire ; il
était absent ; on m'a dit de revenir un autre jour ; on ne les trouve jamais
dans les mairies I »
« J'ai reçu ce matin une roue sur le pied : c'est pour cela qu'il me fait mal ;
cela a fait du bruit, cela s'est détaché ; j'ai cherché à l'éviter, mais, à mon
âge, on ne court plus assez vite. »
« Je viens de voir un cheval qui est tombé, le charretier le battait ; il sai-
gnait, çà faisait pitié ; ces gens-là sont des brutes ; ils boiventcomme des trous,
et ils passent leur eau-de-vie sur les chevaux 1 Je rêve souvent de chevaux
qui tombent. »
On lui demande de décrire le costume du docteur qu'elle vient, dit-elle, de
(U Cette observation et la suivante ont été recueillies par l'un de nous dans le ser-
vice du D' Sêglas, auquel nous adressons nos plus vifs remerciements.
AMNÉSIE ET fabulation 105
recevoir : « Il s'habille à l'ancienne mode ; il a un grand ruban à son cll3-
peau ; il ne sait pas s'arranger; il paraît 10 ans de ! plus que son âge.C'est très
important le costume, pour un médecin. »
La malade est devenue maussade et coléreuse. Egarée dans les cours du ser-
vice Pinel, elle demande en maugréant qu'on la remettre dans son chemin.
Elle interroge : « c'est bien ici la Rue Pinel ? A deux pas d'ici, la Rue Panel ? »
.. Observation III.
Démence sénile. - Syndrome presbyoplirénique avec paramnésie.
Pas de polynévrite (1).
Malade âgée de 77 ans. Jamais d'affection grave ; caractère sérieux, aurait
été peu imaginative ; sentiments de famille très développés.
Depuis le début de 1909, perte progressive de la mémoire, surtout de la
mémoire des faits récents ; accuse un voisin de l'avoir volée : il est venu dans
sa chambre, et sous prétexte d'aider la malade à retrouver un objet perdu, il a
fouillé dans l'armoire : faits reconnus entièrement inexacts.
A l'examen : petite vieille proprette, affable, bonnes manières, langage
choisi ; a perdu la notion de son âge, de la date du jour et de l'endroit où elle
se trouve; se rappelle fort bien le nom de ses amies d'enfance; elle reconnaît
l'interne, qu'elle dit avoir vu chez elle.
« J'ai 38 ans, mon père est contrarié qu'on m'ait amenée ici, car je ne suis
pas malade; vous ne connaissez pas mon père ? Il est fatigué, mais il n'est pas
mort. Il est toujours dans la boucherie ; je vis avec lui, quai Bourbon. »
« Je couche dans ma chambre, et mon père dans une autre à côté ; il s'oc-
cupe actuellement des commandes pour la boucherie, mais il ne travaille
guère, il a des varices. » « Aujourd'hui, j'ai mangé avec mon père des côte-
lettes ; je lui prépare tout ce qu'il faut.» « On a parlé, au dîner, de la famille ;
il parle peu, mon père, et toujours de la famille ». « Des cousins m'ont proposé
de m'épouser. Un monsieur qui vient me voir me fait la cour : ce sont de
beaux partis, mais je ne veux pas me remarier, je veux rester avec mon père
pour le soigner. » -
Elle répète, à très peu de chose près, les mêmes propos à différents exa-
mens, pratiqués à plusieurs mois d'intervalle. Dans le service, elle reçoit ses
visites avec des révérences ; on lui apporte des gâteaux. « Je vais en garder
un pour mon père », dit-elle, « il sera si content, ce pauvre Eugène 1 »
Un jour, en pleurant, elle raconte que son père vient de se casser la jambe.
En réalité, son père est décédé depuis plus de 30 ans ; après la mort de sa
mère, la malade a, pendant plusieurs années, habité seule avec son père qui
était bouclier, souffrait de varices, et a eu la jambe cassée.
Pas de signes de polynévrite.
(1) Observation recueillie dans le service du 1)' Ségalas,
10G DEVAUX ET LOGRE
OnERVAT10N IV.
Syndrome presbyopltréniqzee. Démence avec polynévrite chez une femme
âgée (64 ans).
La malade dit quelle est entrée à l'hôpital parce qu'elle s'est surmenée en
venant d'Auxonne à Paris, pour voir son fils qui fait son service militaire.
Chaque jour, la malade indique un âge différent pour elle et pour son fils, et
cela parfois à quelques minutes d'intervalle. Elle dit, tour à tour, que son fils
est fautassin, chasseur à pied, artilleur, et elle décrit son costume, chaque fois,
d'une façon différente et souvent de la manière la plus fantaisiste. Son fils
rentre du régiment, et il a 30 ans ; elle reconnait toutes les personnes qu'elle
voit, elle les a vues à Auxonne. L'interne est son fils. Elle répond à toutes les
questions avec conviction ; elle est légèrement euphorique.
Signes de polynévrite : abolition des réflexes rotuliens et achilléens, douleurs
à la malaxation des mollets. Hyperesthésie marquée aux membres inférieurs,
moins nette aux membres supérieurs. Atrophie musculaire du quadriceps,
parésie des membres inférieurs.
Signes d'éthylisme : cauchemars, pituites, tremblement.
Observation V.
Syndrome presbyophréniqzce (1 ). - Fabulation fantastique consécutive à un
état onirique. Polynévrite élhylique fruste chez une femme adulte
(48 ans).
Amenée par son mari, à l'infirmerie spéciale de la préfecture de police ;
malade depuis 15 ans ; insomnies, irritabilité, troubles gastro-intestinaux,
diminution de la mémoire, mais depuis 3 mois, l'état s'est aggravé : hallucina-
tions nocturnes (voit des animaux, assiste à des scènes de meurtre).
A l'infirmerie, malade calme. Ignore la date et les événements récents de
son existence. S'imagine être à l'Hôtel Dieu, où elle aurait été déjà soignée.
Raconte que son voisin veut l'épouser. Il lui envoie des lettres dans lesquelles
il la menace de « l'assassiner comme son premier mari ». Elle est mariée, « en
troisièmes noces » ; voici comment son voisin a tué son premier mari. « Nous
étions en promenade près de l'eau ; il lui a coupé le cou complètement. J'ai
pris la tête de mon mari dans un tablier et je me suis sauvée ; le corps est
tombé l'eau ».
Son deuxième mari a été tué par le même homme : « il l'a pendu dans l'es-
calier, après avoir manqué de respect à sa soeur ». Puis il lui a « tranché le
cou : ça en faisait deux qu'il tuait en quinze jours ». « 1\Ion troisième mari était
maître d'hôlel dans la maison où travaillait le voisin, et ce monstre, pris de
jalousie, l'a tué parce qu'il était avant lui en grade. » « Il n'a pas été pour-
(1) Nous ne conservons ici que pour la commodité le nom de syndrome presbyo-
phrénique qui, nous l'avons fait remarquer, ne peut s'appliquer logiquement au
syndrome d'amnésie fabulante que dans les psychoses de la vieillesse.
AMNESIE ET FABULATION 107
suivi parce qu'il ressemblait la victime et qu'il a fait une substitution de
livret militaire. »
« Je n'ai plus d'enfants, parce qu'on les tués. J'ai porté huit têtes coupées
devant le tribunal. On m'a planté un coup de couteau derrière la tête, mais je
n'ai pas été blessée, parce que j'avais une fourrure très épaisse. »
La version qu'elle donne de ces différents assassinats est très variable ; la
malade se contredit souvent ; à plusieurs reprises, il est manifeste qu'elle
improvise son récit, en partie sous la suggestion de l'interrogatoire et en par-
tie pour justifier les événements invraisemblables qu'elle raconte ; elle recon-
naît les assistants : « Je les ai vus au tribunal », dit-elle. Elle est attentive
aux questions, parle avec une abondance intarissable. Diminution des réflexes
réfutions et disparition des achilléens, douleurs à la malaxation des mollets.
Signes d'éthylisme chronique.
Observation VI.
Démence. - Elhylisme chronique sans polynévrite. Epilepsie, - Paraly-
sie générale. Syndrome presbyophrénique chez une adulte (40 ans).
La malade a été arrêtée au moment où elle volait des rideaux dans une voi-
ture de première classe, à la gare du Nord. Remise en liberté, elle revient
d'elle-même au commissariat de police, présentant une chaise qu'elle a dérobée
à la terrasse d'un café; on la trouve porteuse d'une boîte de conserves et d'un
morceau de cire.
A l'infirmerie spéciale : agitation, insomnie; déchire ses draps et ses vête-
ments. Légèrement excitée et euphorique ; souriante, demande il sortir : « Ce
sera pour aller coucher avec un homme. » Désorientée, ignore le jour, le mois,
l'année, le lieu où elle est. Interrogée sur le délit qu'elle a commis, elle s'é-
tonne : « Je n'ai pas été arrêtée à la gare du Nord ; hier je n'ai pas bougé de
chez moi, je n'ai rien fait, j'ai passé ma journée à lire. » « On a trouvé une
boîte de conserves sur moi ? c'est faux, je n'en achète jamais ; quant à la chaise,
c'est une chaise de chez moi que j.'ai apportée ; je voulais l'expédier pour le
pays. La cire était à maman. J'ai l'habitude de toujours porter une boîte de
conserves sur moi. Je n'ai pas pris de rideaux ; c'étaient les miens que j'em-
portais, parce qu'ils étaient usés et que je voulais en acheter d'autres ; je n'en
suis pas à un rideau près.» Ses affirmations paraissent sincères; elle ne
s'indigne pas de l'accusation portée contre elle et semble ne pas se soucier des
conséquences de ses actes ; elle se déclare contente de son sort, et reçoit avec
indifférence la visite de son mari et de ses enfants. Croit reconnaître dans
l'assistance un médecin étranger qu'on lui désigne.
Réflexes rotuliens et achilléens normaux. Pas de signes de polynévrite.
Réactions pupillaires à la lumière paresseuses des deux côtés : tremblement
de la langue et des mains. Pas de dysarthrie. Antécédents éthyliques : habi-
tudes anciennes de boisson, cauchemars, pituites. Aurait eu des crises épilep-
tiques nombreuses : morsures de la langue, écume à la bouche, miction invo-
108 DEVAUX ET LOGRE
lontaire, blessures, etc.. Pas d'antécédents spécifiques connus, t enfants, pas
de fausse couche.
Cet ensemble d'observations met tout d'abord en lumière l'intérêt cli-
nique et diagnostique qui s'attache au syndrome dit presbyoplirénique.
Dans tous les cas, l'association de l'amnésie de fixation à la confabulation
imprime au tableau morbide une allure très particulière, qui assure
au syndrome une individualité légitime, mais qui est susceptible d'égarer'
parfois le diagnostic.
Ces vieillards affaiblis qui confabulent (obs. I, Il, III) n'ont pas
l'indifférence, l'inertie mentale ordinaire aux déments séniles. Cette autre
malade (obs. IV), qui présente de l'amnésie de fixation, confabule
à Lige de la démence sénile, el l'on pourrait se contenter de ce diagnostic,
si l'examen systématique des réflexes ne mettait en évidence un autre
élément : la polynévrite. Cette épileptique confabulante (obs. VI) n'est
pas, à coup sûr, une démente sénile, mais il est extrêmement difficile de
décider s'il s'agit d'une démence éthylique, d'un état crépusculaire post-
épileptique, ou même d'une paralysie générale au début, certains de ces
diagnostics pouvant d'ailleurs s'associer, En thèse générale, on conçoit que
la fabulation peut, en s'ajoutant : ') l'amnésie de fixation, donner naissance
au syndrome presuyophréniljue dans tous les états où l'amnésie de fixation
est susceptible de se manifester : non seulement démence sénile et psychose
deKorsakoff, mais encore épilepsie (1), paralysie générale (2), démences
organiques, notamment syphilitiques et ai-léi-io-scléi-etiges; fréquemment
on voit, en cas d'insuffisance hépatique ou rénale, surtout chez des déments
organiques, le syndrome presbyoplirénique évoluer parallèlement t à
l'ictère ou à l'albuminurie (3). Le diagnostic différentiel est, dans tous ces
cas, d'autant plus difficile que le syndrome observé est commun à un
plus grand nombre d'affections.
Ces observations nous permettent, en outre, d'étudier les rapports de
l'amnésie de fixation et de la confabulation, et de préciser les différentes
modalités cliniques de celle confabulation.
L'amnésie de fixation est, chez nos malades, très accusée ; aucun d'eux
n'est capable de rappeler, au cours d'une même conversation, un chiffre
ou un nom qu'on l'a prié de retenir quelques muants plus tôt. Leur inca-
pacité d'attention les expose à de fréquents traumatismes (entorses,
(1) Trenel, Discussion de la communication de MM. Brissot et Hamel. Société de
clinique mentale, 18 juillet 1910. O.
(2) Trenel et LI8EIIT, Paralysie générale sénile el piesbyophrénie. Société clinique
de médecine mentale, 18 juillet 1910.
(3) Klippel et TnENAurAY, Revue de psychiatrie 1900 et 1901.
AMNÉSIE ET FABULATION 109
fractures, etc.). Le malade n'inscrit plus, dans le registre des souvenirs,
les données de l'expérience actuelle, ou tout au moins, l'impression s'ef-
face presque aussitôt que perçue. La vie extérieure du sujet se rétrécit,
dans le temps, par suite de cette espèce de cécité mnésique presque com-
plète, et l'activité allopsychique se trouve limitée, pour ainsi dire tout
entière, à l'instant présent.
Cette désorientation allopsychique peut être le seul résultat clinique
de l'amnésie de fixation. Les cas sont fréquents où une amnésie de fixa-
tion, même très accusée, ne s'accompagne d'aucune tendance à forger des
récits imaginaires (1), mais on peut affirmer qu'une telle amnésie cons-
titue un terrain particulièrement favorable au développement de /abtc-
lation. Voici un sujet assez présent pour entendre les questions qu'on
lui pose, et pour y répondre. Mais cette présence est toute partielle
et momentanée; il y a rupture, dans la conscience, entre l'instant actuel
et les instants précédents. Interrogeons le malade sur ce qu'il vient de
faire, sur ce qu'il a fait le matin ou la veille : il peut répondre négative-
ment et alléguer qu'il ne se souvient de rien ; mais s'il donne une réponse
positive, elle sera imaginée, et le plus souvent inexacte. Quand on l'in-
terroge sur les événements récents, il doit : ou se récuser, ou fabuler.
L'illusion delà fausse reconnaissance, trouble complexe, où l'activité de
l'imagination supplée aux défaillances de la mémoire, représente ici
en quelque sorte, à l'état d'ébauche, le phénomène de l'amnésie fabu-
lante. C'est la fabulation complémentaire, fabulation de remplissage et de
suppléance, dont la richesse est directement proportionnelle à l'activité
mythique du sujet.
Pour préciser davantage les conditions cliniques de la fabulation, il y
a intérêt, croyons-nous, à comparer l'étal morbide du presbyophrénique
avec deux autres états très voisins, l'état de rêve et l'état de rêverie, à
l'opposer au rêve, et à le rapprocher de la rêverie.
Dans le rêve, l'homme qui dort ne communique plus avec le monde
extérieur; les images externes réductrices des images internes sont sup-
primées. Si l'activité de l'esprit continue à s'exercer, elle estessentielle-
ment d'ordre hallucinatoire : c'est le rêve. Dans le syndrome pwes6oph·é-
nique, au contraire, le sujet est assez éveillé pour percevoir les images ex-
ternes réductrices des images internes. L'activité créatrice de l'esprit, si
' elle continue à s'exercer, ne se manifeste plus sous la forme de l'halluci-
nation, comme dans Ierêve.L'objectivalion de l'image ou de l'idée ne peut
(t) DUPAI : , Amnésie antérograde continue, topo-agnosie et troubles de la psycho-réflec
tivilé émolzue, consécutifs à un choc moral. Bévue neurologique, la mai 1903. : : iÉGI, \5, .lléaingo-erzcéhlzalile syphilitique. Amnésie rétro-anlérograde sans conja6ula·
tion, ni délire. Encéphale, no 10, octobre 1904.
110 DEVAUX El' LOGRE
plus se faire dans le présent, perçu par le malade ; elle est rejetée ail-
leurs, dans le passé ou dans l'avenir, sous la forme, non d'un rêve, mais
d'une conception ou d'un récit imaginaires. C'est ainsi que, dans un état
différent du rêve, dans la rêverie, le sujet, assez éveillé pour tenir compte
du présent, n'est pas non plus un halluciné, mais, du moins vis-à-vis de
lui-même, un fabulant.
Une autre analogie rapproche la rêverie de la fabulation : dans les deux
cas, non seulement la vie allo-psychique est conservée à l'état rudimen-
taire, mais la vie auto-psychique est exaltée dans ses processus automati-
ques. Le sujet en état de rêverie associe ses idées avec abondance et faci-
lité et il est, assez souvent, du moins, euphorique. De même, le fabulant
associe ses idées avec aisance et quelquefois même avec une exubérante fer-
tillié. En outre, le ton affectif est, chez lui, d'ordinaire, légèrement ex-
cité ; et cet éréthisme se manifeste, en général, par l'expansion, la bien-
veillance, l'euphorie, si fréquemment liées à la suractivité des processus
imaginatifs; l'exquise aménité du presbyophrénique, qui n'est, d'ailleurs,
nullement constante, et s'observe, de préférence, sur le terrain de la dé-
mence sénile, était particulièrement remarquable;àcertains moments sur-
tout, chez nos trois premiers malades. Ce déroulement automatique facile
des associations d'images et d'idées, joint il cette légère excitation affec-
tive, souvent agréable, représente l'élément actif de la production image-
native, aussi bien dans la rêverie que dans la confabulation.
On sait que Lasègue disait du délire alcoolique : « Ce n'est pas un délire,
c'est un rêve ». De même, et pour des raisons analogues, on pourrait dire
de la fabulation : « Ce n'est pas un délire, c'est une rêverie ».
Après avoir recherché les conditions générales de la fabulation chez
les amnésiques de fixation, essayons d'analyser les modalités cliniques par-
ticulières de cette fabulation ; tâchons d'en dissocier les éléments consti-
tutifs. Nous distinguerons, à cet égard, chez nos malades, diverses moda-
lités de fabulation, ordinairement plus ou moins associées entre elles : la
fabulation consécutive ou équivalente aux étals oniriques ; la fabulation
para1/tllésique et ccntnésique ; la fabulation mylhopalhique constitutionnelle.
Les cas de fabulation consécutive ou équivalente aux états oniriques cons-
tituent un groupe naturel. La fabulation est si proche parente du rêve etde
l'onirisme qu'on la voit souvent alterner avec ces deux états, surtout leur
succéder et parfois s'y substituer. A la période onirique hallucinatoire de
la psychose de Korsakoff fait suite, dans l'observation V, une période de
fabulation où le rêve se transforme en confabulation post-onirique; le
thème hallucinatoire est repris, modifié et amplifié par l'imagination qui,
à chaque insu,ni, fabule, et improvise manifestement, au hasard des asso-
cialious d'idées, ou au gré de hi suggestion étrangère. Souvent aussi la
AMNÉSIE ET FABULATION ' 1 1 1
fabulation se poursuit sans emprunter au rêve qui l'a précédée aucun
souvenir précis ou s'installe d'emblée. La rêverie de l'homme éveillé
remplace le rêve de l'homme endormi.
Dans certains cas, le presbyophrénique, sujet à de fréquents accès de
somnoleuce, rumine et ressasse, à son réveil, les épisodes de son rêve, en
les complétant et les arrangeant, comme il est d'ailleurs nurmal, même
chez l'homme sain qui raconte un rêve. Il est souvent très difficile, en
pareil cas, de distinguer la fabulation consécutive à l'onirisme Oll au rêve,
de l'onirisme proprement dit, et surtout des souvenirs de l'onirisme (idée
post-onirique) ou des souvenirs d'un rêve. Il y a là toute une gamme d'états
assurément très voisins et souvent combinés, mais qu'une analyse psycho-
logique minutieuse doit tenter de différencier : onirisme, ou .rêve patho-
logique, et rêve normal, qui l'un et l'autre, relèvent essentiellement d'un
trouble d'ordre hallucinatoire ; souvenir de l'onirisme et souvenir du rêve
qui relèvent d'un trouble complexe, à la fois d'ordre hallucinatoire et
mnésique; souvenirs plus ou moins exacts de la vie réelle, relevantd'un
trouble plus ou moins isolé de la mémoire; enfin, fabulation proprement
dite, trouble qui n'est ni sensoriel ni mnésique, mais uniquement ima-
ginatif.
Ce genre de fabulation, si proche parent de l'onirisme des psychoses de
KorsakoIT,et de l'onirisme des psychoses de la v ieillesse (Régis), porte bien
souvent l'empreinte de l'élément onirique dont il procède ; il est fréquem-
ment de caractère professionnel, mouvementé, fantastique, terrifiant.
Dans les cas notamment où l'étiologie toxi-infectieuse s'impose, on peut
dire que la rêverie toxique fait suite ou se substitue au rêve toxique, en
conservant la même modalité générale d'association d'idées et les mêmes
dispositions sentimentales.
La fabulation chez les amnésiques de fixation emprunte, plus souvent
encore, son thème favori aux souvenirs anciens. Il s'agit alors de fabula-
tion pat-amnésique. En règle générale, et presque absolue, les récits ima-
ginaires des presbyophréniques portent sur le passé. D'après la loi bien
connue de la régression de la mémoire, on sait que l'amnésie de fixation et
la disparition des souvenirs récents s'associent d'ordinaire à la conser-
vation relative et même à l'exaltation de la mémoire des faits anciens,
surtout des plns habituels, des plus simples, des plus automatiques.
Par suite de celle recrudescence, de ce flot montant des souvenirs an-
ciens, qui déborde sur le passé récent et l'envahit, la fabulation dispose
surtout des matériaux psychiques d'ordre paramnésique ; seules les fonc-
tions végétatives et une activité psychique toute superficielle et momen-
tanée s'exercent dans le présent; les pensées du malade, son imagination
appartiennent au Il vit parmi ses contemporains, d'une vie en
112 ' DEVAUX ET LOGRÉ
quelque sorte ectopique, anachronique. Souvent même, il y a régression
de la personnalité du sujet vers une époque déterminée de son existence,
vers l'âge adulte, ou la jeunesse ordinairement, mais parfois aussi jusqu'à
l'enfance. Alors la fabulation mérite le nom d'ecmnésique, La vieille
femme de l'observation III, rajeunie d'une trentaine d'années, se consacre
à soigner son père, mort depuis longtemps et songe à se,marier ; elle revit t
une période assez bien déterminée de son existence (entre 30 et 40 ans).
Dans d'autres cas, on observe le tableau clinique du Puérilisme, décrit par
Dupré (1) et qui se rencontre surtout, lui aussi, chez les déments et chez les
confus (2).
Dans celle forme de fabulation paramnésique, plus particulière à la
démence sénile, les conceptions imaginaires sont en général pauvres et
niaises; il s'agit d'événements très simples, très habituels; le malade
évoque les occupations professionnelles de l'âge mûr, ou les jeux de l'en-
fance ; sa conversation se réduit bien souvent à des phrases banales, con-
ventionnelles, au formalisme vain de la civilité puérile. La confabulation
paramnésique comporte fréquemment un maximum de troubles du souve-
nir, l'imagination se bornant presque uniquement à combler les lacunes
de la mémoire. Il est, assez souvent, difficile de faire la part entre le sou-
venir, plus ou moins inexact, et la fabulation proprement dite.
Mais la fabulation est, parfois, d'une richesse beaucoup plus grande ; le
malade a quelque bonne histoire toujours prête et il improvise d'abon-
dance : alors domine, dans le mécanisme de la fabulation, un autre élément,
la mythomanie antérieure du sujet. La fabulation mythopathique consti-
tutionnelle entre en jeu. Vraisemblable à titre d'hypothèse, dans beau-
coup de cas de fabulation chez les amnésiques, et propre à expliquer
précisément l'apparition de la fabulation à la suite de l'amnésie, ce facteur
éliologique peut être relevé, en fait, dans certains cas, où, comme dans
nos observations 1 et II, l'activité fabulante du sujet se relie à des anté-
cédents mytliopathiques incontestables. - En pareil cas, l'activité créa-
trice n'est plus simplement proportionnelle au déficit de la mémoire. Son
rôle de suppléance à l'égard de l'amnésie de fixation ne lui estplus qu'un
prétexte à se déployer librement pour son propre compte avec complai-
sance et exubérance.
Ces cas particulièrement intéressants, permettent de rattachera litre de
fait, et non de simple hypothèse, la confabulation à l'histoire psychologi-
que tout entière du sujet ; ils autorisent à concevoir le syndrome presbyo-
phrénique comme la rencontre, dans un cas donné, d'une cause
(1) Duras, Puérilisme démentiel sénile. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, jan-
vier-février 1905. .
(2) Il. CliAlillENTII-1-il et CounuoN, Encéphale, 10 octobre et 10 décembre 1909.
AMNÉSIE ET FABULATION 113
occasionnelle : l'amnésie de fixation, et d'une cause prédisposante : le ter-
rain mythopathique,l'importance relative de ces deux ordres de causes étant
d'ailleurs extrêmement variable.
Dans la manifestation de cette activité mythique, toutes les gradations
peuvent être observées : fabulation provoquée par hétéro-suggestion, dans
les réponses portant de préférence sur les événements récents; fabulation
spontanée issue de l'auto-suggestion, lorsque le malade, au cours de la
conversation fait lui-même appel à ses souvenirs ; fabulation spontanée en
rapport avec l'hyperidéation imaginative, mythomanie de luxe, mythoma-
nie vaniteuse ou malicieuse, parfois mythomanie de défense, et,plus rare-
ment enfin, simulation.
Les conditions psychologiques de la fabulation, chez le presbyophréni-
que, peuvent donc se résumer dans les termes suivants : amnésie de
fixation, avec perception du présent, ce qui exclut le rêve, mais ten-
dance naturelle à remplacer, dans la reconstitution du passé récent, les
faits réels oubliés, par des faits inexacts, imaginés : d'où possibilité de
fabulation, Rupture d'équilibre entre la vie extérieure, rudimentaire, et
la vie intérieure prépondérante, qui s'exalte surtout dans ses processus
automatiques : d'où état de rêverie, Jabulation effective. Emprunt des
matériaux de cette activité fabulante aux éléments de la mémoire épar-
gnés par l'amnésie c'est-à-dire : soit aux souvenirs anciens bien conservés,
mais déplacés dans le temps : d'où fabulation paramnésique; soit aux sou-
venirs plus récents, portant de préférence sur les faits de la vie intérieure
automatique et onirique : d'où fabulation post-onirique (continuation de
l'activité de rêve par l'activité de rêverie); état mythopathique en apparence
acquis, mais, le plus souvent, simple réaction à l'amnésie d'un état my-
thopathique antérieur constitutionnel.
De l'analyse de nos observations, un dernier fait clinique se dégage :
c'est la croyance presque constante du malade il sa propre fabulation. En
vertu d'une loi générale, la mythomanie et la crédulité, ces deux symp-
tômes, à priori contradictoires, mais qui ne sont que les deux pôles d'un
même déséquilibre, s'associent constamment dans la pratique. Dans le syn-
drome presbyopllrénique, la crédulité est d'ordinaire portée au maximum.
Cet état qui, par tant de traits, se rapproche de la rêverie, en diffère par ce-
lui là : le sujet, dans la rêverie, n'est pas dupe, en général, des événements
qu'il imagine; il les rejette le plus souvent dans l'avenir,c'est à-dire dans la
domaine du possible, non du réel (Il y a cependant des exceptions :
qu'on se rappelle Perrette et le pot au lait) Le fabulant, lui, localise
les événements dans le passé, dans le domaine du réel. Son imagination
se présente à lui sous les apparences trompeuses de la mémoire. Il
affirme l'exactitude des récits qu'il avance, et il se fâche lorsqu'on les
xxiv s
1 J Í DEVAUX ET LOGRE. - AMNÉSIE ET FABULATION
1 conteste. Le malade tend à objectiver, à réaliser sesassociations d'idées. El,
dès lors, la signification clinique du syndrome se trouve précisée. Le sujet
1 est atteint, non seulement dans sa mémoire, mais aussi clans son jugement';
il n'a pas conscience des lacunes de sa mémoire, et il n'a pas conscience
* de sa fabulation. La presbyophrénie suppose une diminution du contrôle
intellectuel. Elle se constate, en effet, chez les sujets troublés et affaiblis,
Í c'est-à-dire chez les confus et chez les déments. Altération d'ordre régres-
sif, portant électivemeni sur la mémoire et l'imagination, elle ramène, à
certains égards, le malade aux conditions psychologiques de l'enfance.
De même que l'enfance, où la mémoire est insuffisamment fournie de
matériaux, où l'imagination est insuffisamment réfrénée par un contrôle
supéiieur, représente le terrain d'élection de la mythomanie primitive
et physiologique, de même, on peut dire que la Presbyophrénie constitue
une variété de mythomanie acquise et pathologique. Dans le domaine
spécial de l'imagination, elle est à la mythomanie primitive ce que,
dans le domaine de l'activité psychique générale, la démence ou la confu-
sion sont à la débilité. Et, dans la démence sénile, dans le puérilisme sur-
tout, elle marque un véritable « retour à l'enfance» ; il a là une sorte
de régression, de dissolution de l'imagination,parallèle à la dissolution de
la mémoire (1), et qui mérite, elle aussi, une élude particulière.
Syndrome moins aigu que l'onirisme, affaiblissement, en quelque sorte,
installé plus à demeure chez un sujet plus éveillé et chez qui l'erreur
pathologique persiste en dépit d'éléments réducteurs plus nombreux, la
rêverie du presbyophrénique s'oppose ainsi au rêve du confus et présente,
par conséquent, un pronostic pi us grave. Dans la psychose de Korsakoff, par l'
exemple, après la période onirique proprement dite, elle marque une étape
indécise, une zone frontière, où la confusion s'achève, où souvent la
démence va commencer. Dans les étals démentiels, dans la démence sénile,
par exemple, elle représente une forme aberrante, répondant à la période
initiale de l'affection ou à la période d'état, et sous laquelle se manifeste,
et.aussi se dissimule l'affaiblissement psychique; puis, le syndrome s'ef.
face d'ordinaire progressivement quand l'activité mentale, trop profondé-
ment déchue, ne peut plus faire les frais de la fabulation.
La Presbyophrénie caractérise donc, en pareil cas, des états d'affaiblis-
sement relatif, démentiel ou non, portant électivemeut sur la mémoire et
l'imagination. Cette signification clinique est d'autant plus intéressante
que l'apparente activité du sujet, la conservation plus ou moins complète
de certaines facultés (attention, jugement, etc...) et surtout l'exaltation
des processus imaginatifs peuvent masquer la faiblesse psychique sous-
(1) B-1130T, Maladies de la mémoire.
AMNÉSIE ET FABULATION 115 5
jacente. De même, chez les confus, l'excitation toxique peut faire mécon-
naître la torpeur réelle de l'activité psychique supérieure.
La confabulation qui n'est pas, à proprement parler, un délire, mais
une rêverie, peut, lorsqu'elle tend à se systématiser autour d'un thème
déterminé, afférent à la personnalité du malade, réaliser un délire vérita-
ble, délire dont le mécanisme psychique ne relève ni de l'hallucination ni
de l'interprétation, mais de l'état mythopathique du sujet. Il s'agit alors
d'un délire d'imagination. Dupré signalait récemment :
a Ces délires d'imagination qu'il faut opposer anx délires interprétatifs et
aux délires hallucinatoires. C'est ce délire d'imagination qui s'observe chez
certains mythomanes, lesquels ne sont ni des hallucinés, ni des confus, ni
des interprétateurs, mais des fabulateurs chroniques (1). »
Enfin la Presbyophrénie, par les illusions qu'elle entraîne chez des
sujets dont la démence n'est pas toujours évidente, peut offrir un certain
intérêt médico-légal. L'une de nos malades accusait un voisin de l'avoir
volée, et appuyait ses affirmations de récits imaginaires, qui parurent
tout d'abord vraisemblables; une autre accuse un infirmier de l'avoir
maltraitée, et le récit de la mère, démente et fabulante, entraîne la con-
viction de la fille, débile et crédule. En matière de témoignage judiciaire,
il convient au médecin légiste d'avoir toujours présente à l'esprit, surtout
lorsqu'il s'agit d'un vieillard,la possibilité du syndrome de l'amnésie fabu-
lante. En dépit de l'opinion reçue, la sagesse classique des vieillards, pas
plus que l'innocence proverbiale des enfants, n'est un sûr garant de vé-
racité ; le radotage des uns et le babillage des autres sont également tri-
butaires de la mythomanie, et le témoignage, toujours si suspect tous les
âges, acquiert, aux deux périodes extrêmes de la vie, un maximum d'in-
certitude. -
Qu'on envisage le syndrome « presbyophrénique » dans son mécanisme
psychologique, ses variétés cliniques ou ses conséquences médico-légales,
son principal intérêt théorique etpratique nous paraît donc résider, en défi-
nitive, dans l'élude des troubles si multiples, si riches, si nuancés, et, en
même temps, si spéciaux de celle fonction trop négligée peut-être en
.psychiatrie : l'imagination. Déèeiiibre 1910.
Décembre 1910,
(1) Société de Psychiatrie, Séance du 18 mars 1909 ; Encéphale, 10 août 1909, p 3' : 3 ;
- Duras et Logre, Les d« lires d'imagination. Congrès des aliénistes et neurologistes
de langue française. Bruxelles, 1910.
ESQUISSE ICONOGRAPHIQUE SUR QUELQUES NAINS
PAR '
P. E. LAUNOIS
Médecin de l'hôpital Lariboisière.
En entr'ouvrant mes cartons poury choisir les estampes destinées à illus-
trer cette étude iconographique sur les nains, ma pensée s'est reportée
vers mon regretté ami E. Brissaud. Il aimait à feuilleter parmi mes gra-
vures et, fidèle à la méthode que lui avait inspirée Charcot, il se plaisait
à mettre en valeur les difformités qui avaient plus particulièrement frappé
peintres et graveurs. Parmi les planches, que la toute gracieuse hospita -
lité de mon ami H, Meige me permet de reproduire, j'ai, à dessein, choisi
celles qui avaient retenu l'attention du maître commun, qui nous a incités
tous les deux à l'étude des « dyst1'ophiés de la nature », qu'ils soient grands
ou qu'ils soient petits.
Les nains peuvent, à l'exemple de Garnier (1), être classés en deux
grandes variétés. ' -
Les uns. remarquables tout autant par leur extrême petitesse que par
l'harmonie de leurs formes,, présentent à toutes les époques de leur exis-
tence une taille de beaucoup inférieure à celledes individus de leur âge : -.
ils naissent petits, restent petits pendant leur enfance et leur adolescence
et demeurent petits à l'âge adulte. Les autres, normalement constitués à
leur naissance et paraissant susceptibles de se développer suivant le type
moyen, subissent, à une époque variable de leur croissance, un arrêt de
développement qui les empêche de grandir ; leur taille demeure de beau-
coup inférieure à celle qu'elle aurait dû ou pu être.
Les nains de la première catégorie sont de véritables diminutifs du type
humain moyen (2). Les petits hommes ou les petites femmes « ressemblent à
des adultes vus par le gros bout de la loi-gnette» (Brissaud et Meige), Ce sont
de véritables miniatures humaines, dont la plastique reste, d'une façon
générale,conforme à celle du type moyen. « Leur tête n'est pas trop grosse,
leur troncn'estpas trop long, les membressontbien dessinés et proporl ion-
(1) Garnier, Les nains el les géants. Bibliothèque des Merveilles. Hachette, 1881.
(2) P. E. LAUNOis, Etude biologique sur les nains. Bulletin médical, 21 octobre 1909.
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.
T. XXIV. Pl. Xi
ESQUISSES ICONOGRAPHIQUES SUR LES NAINS
(`P. E. Launois).
Nouvelle ICO\OGR.1PIIIr de la SWPI.rRl1 RE
T. XXIV. PI. XII 11
ESQUISSES ICONOGRAPHIQUES SUR LES NAINS
(1 ? E. Launois).
Masson & Cie, Editeurs.
lbomq pne l1erthalld, l'a l'i
ESQUISSE ICONOGRAPHIQUE SUR QUELQUES NAINS 117 7
nés ». Ils présentent toutefois des caractères sexuels assez réduits et,chez
les mâles, l'examen des glandes génitales démontre leur atrophie. Chez
quelques-uns on a pu mettre en évidence l'influence dystrophiante d'une
spécificité héréditaire.
Parmi les miniatures humaines les plus célèbres on peut citer le gentil-
homme Borulawski et la reine des fées. J'en rapprocherai volontiers le
petit homme et la petite femme représentés dans la planche XI.
Le nain de la planche XI, A ne mesurait que trois pieds de haut à l'âge de
36 ans, comme nous l'apprend la légende qui accompagne son portrait.
« La représentation exacte de ces deux remarquables personnes, M. Bam-
field, le géant de Staffordshire et M. Goan, le nain de Norfolk, a été au-
torisée par M. Rat, qui les a moulées de leur vivant. L'un mesurant 7
pieds pouce de hauteur, l'autre ne dépassant pas 3 pieds de haut.
Chacun de ces personnages extraordinaires mourulà l'âgede 36 ans... ».
Nanette Stocker ou Stockerin (pI.XI,B)étaitnéeà Kaumer,dansleNord
de l'Autriche; ses parents et son frère, plus jeune qu'elle de deux ans,
étaient d'une taille ordinaire. Elle-même n'offrit rien de remarquable
jusqu'à l'âge de 4 ans, époqueà laquelleellecessa tout à coup de grandir.
Elle avait alors 33 pouces de haut (0 m. 891), était très bien propor-
tionnée dans sa petite taille, vive, gaie, douée d'un excellent appétit et
n'ayant jamais eu aucune indisposition. Après la mort de sa mère, sur-'
venue en '1797, son tuteur la montra comme une curiosité d'abord à Ratis-
bonne, puis dans toutes les villes d'Allemagne, où elle obtint un grand
succès, non seulement cause de sa petitesse et de sa grâce, mais aussi et
surtout à cause de son talent de musicienne. Elle rencontra John Haupmann
qui, né à Rigendorff, était plus âgé qu'elle de 4 ans, ne mesurai que 0 m. 97,
et était, lui aussi, un des virtuoses les plus distingués. Ils voyagèrent de
compagnie en France et en Angleterre. En 181a, Nanette pesait 33 livres
et avait 33 pouces de haut. Elle mourut à l'âge de 39 ans ; sa tombe se
trouve dans le cimetière de l'église Sain t-Phi 1 i ppe à Birmingham.
La seconde variété de nains, de beaucoup la plus nombreuse, comprend
une variété très grande de types, affligés de déformations plus ou moins
disgracieuses, relevant d'altérations du squelette, en particulier du car-
tilage conjugal, unissant les épiphyses à la diaphyse des os longs. Chez
nombre des nains de ce groupe, on a noté des lésions diverses (absence,
atrophie, dégénérescence) de la glande thyroïde.
Bien avant que Charcot, que Bourneville aient isolé le type si parti-
culier et si monstrueux du nain myxoedélllatez6X, en se basant sur une
étude détaillée du Pacha de Bicêtre, cette variété de nanisme avait déjà
attiré l'attention. Nous n'en voulons pour preuve que la planche XII,qui,
')18 LAUNOIS
datant de 1787, représente Kelam Whilelamb, âgé de 22 ans, mesurant
34 pouces de haut. Il répond en tous points à la description aujourd'hui
classique. « Les nains myxoedémateux sont laids, bouffis, souvent repous-
sants : leur corps est comme infiltré degélaline; ils ont une face en pleine
lune avec des paupières boursoufftées, peu de cils, peu de cheveux, pas
de poils, les membres cylindriques, en colonnes... Ce sont des dyslhy-
roïdiens aux gestes lents, au cerveau torpide »
Whitelamb est représenté appuyé à l'entrée de sa chaise à porteur, de
sa « boëte »,comme on disait alors, instrument de transport si décrié par le
poêle anglais Pope qui, au dire de Voltaire, étaitlui-mème aussi petit que
contrefait. « Heureux les nains aisés, a écrit Pope, qui n'éprouvent pas la
mortification d'être portés dans des boëtes, de foires en foires ! » »
Parmi les nains rachitiques doit prendre place celui que, par antiphrase,
on surnommait « le plus grand avocat de Paris ». Le volume exagéré de
son crâne, de sa face contraste singulièrement avec t'exiguïté du tronc et
des membres. Un vêtement, très seyant d'ailleurs, dissimule assez malles
déformations; en s'arrêtant aux genoux, la culotte rend plus apparente
l'incurvation du tibia. Habitué du Palais de Justice, il en tient dans la
main droite l'almanach. Son intelligence était très développée. « Possédaut
pour les questions légales un jugements ! pénétrant, il ne se charge jamais
d'une cause, que ce soit pour l'accusateur ou pour l'accusé, s'il n'est cer-
tain d'avoir le succès. Il a tôt fait de s'apercevoir s'il y a équité ou trom-
perie. Il ne soutient jamais la dernière el déjoue aisément les assauts fal-
lacieux de son adversaire. » (PI. XIII, D).
A l'un de ses portraits gravés par Le Bas est annexée la légende sui-
vante :
De Tliémis ce suppot comique
Est le célèbre La Grandeur.
Il sçaitdu palais la rubrique
Au gré du juge et du plaideur.
Chez la femme naine,le vêtemenl parvient mieux que chez l'homme à dis-
simuler les difformités On peul toutefois, par l'examen des parties décou-
vertes,la face,le crâne,juger des altérations profondes du squelette.La plan-
cIieXIII,>Jreprésenteunenaineracliitidue,quiétailnéeen 1709 à Salisbury.
Aux nains achondroplasiques appartient la supériorité numérique et
souvent aussi celle de la laideur. On les trouve représentés dans nombre
d'objets d'art, en particulier dans les tableaux que nous ont laissés les
maîtres de la Renaissance, l'Arétin, Manlenna, Veronèse, Velasquez. Ils
ont été pendant longtemps les favoris des princes et des rois ; aujourd'hui,
on les rencontre surtout dans les cirques où leur aspect, leur démarche si
particuliers suffisent pour entraîner l'hilarilé. Nous avons pu rassembler
OU'ïL1G Iconographie DE la SALPÎ; : TR1fRE
T. \\Il'. PI. XIV
ESQUISSES ICONOGRAPHIQUES SUR LES NAINS
(P. E. Launois).
Nouville Iconographie DE la SALPL7RIl.RE
T. XXIV. l'1. \lIl
ESQUISSES ICONOGRAPHIQUES SUR LES NAINS
(P. E. Launois).
MASSOn & Cm, Éditeurs.
ESQUISSE ICONOGRAPHIQUE SUR QUELQUES NAINS 119
es portraits de quelques-uns d'entre eux et même établir leur biographie.
Hans Worienbergh ou Womherg (planche VI), né en Suisse, s'exhibait
à Londres sous le règne de Jacques II. L'affiche annonçant son arrivée
était surmontée du chiffre et des armes du roi. « Ceci est pour donner avis
aux personnes de qualité qu'il est dernièrement arrivé, dans cette fameuse
cité de Londres, la rareté de l'univers, c'est-à-dire un homme de la plus
petite stature qui ait jamais été vu, ayant seulement 2 pieds 7 pouces
(0 m. 783) de haut et 37 ans d'âge. Il possède une longue barbe et chante
bien. »
La planche XIV, F le représente tel qu'il était à l'âge de 36 ans, à Ham-
bourg, où il se montrait pendant les mois de mai et de juin 1687. Copiant
exactement le modèle qu'il avait sous les yeux ? artiste a su mettre en valeur
la brièveté des membres, le développement disproportionné de la tète et
du tronc. Il n'a omis ni le ptosis de la paupière supérieure droite, ni la
difformité de l'auriculaire gauche. Dans un coin est figurée la boîte qui
lui servait dans ses déplacements, tout en le soustrayant aux regards des
indiscrets. -
Ce pauvre nain périt d'étrange façon, comme le rapporte Garnier ; il
fut noyé à Rotterdam en 1695, alors qu'on le transportait du quai sur le
bateau où il devait s'embarquer. La planche qui servait de passerelle se
rompit et l'homme qui le portait tomba à l'eau avec son fardeau. Le
pauvre nain mourut asphyxié dans sa boîte qui lui servit de cercueil.
Owers Farrel (planche XIV,G) véritable nain hercule, dit le nain irlan-
dais, était venu se placer comme domestique, à Londres, vers 1730, chez
un colonel. Mesurant 1 m. 13. Lourd et épais,il se faisait remarquer par sa
force, portant à la fois quatre hommes, deux sur chaque bras. Il alla de
ville en ville et, trop paresseux pour travailler, il tomba dans la misère.
Comme le représente le portrait gravé par Ilolett, il se promenait dans
les rues vêtu d'une veste de cuir, d'un chapeau déchiquetés sur leurs
bords, d'où le nom de Jack habit de cuir, sous lequel on le désignait
communément. Les chaussures étaient trouées ; à la main il tenait un
énorme gourdin à peu près anssi haut que lui. En 1742, quelque
temps avant sa mort, il avait vendu son corps moyennant une petite rente
qui lui était comptée par fractions lous les huit jours, à un chirurgien,
M. Osurod, qui monta son squelette avec soin et le plaça dans la collec-
tion du duc de Richemond. d'où il passa dans celle de Wiliam Hunier, à
l'Université de Glascow. Un écrivain anglais a dit de Owers Farrel : « La
nature s'est largement trompée en donnant à ce nain une taille qui égale
à peine la moite de celle d'un individu ordinaire, alors qu'elle lui a accordé
la force de deux hommes ».
Mynhere Wybrand Lolkes peut être considéré comme un type parfait
'I 20 LAUNOIS
de nain achondroplasique(PI.XV).Son histoire mérite d'être résumée. Fils
d'un pauvre pêcheur, il était né à Jelot, dans la Frise occidentale, en 1730.
Ses parents étaient d'une taille ordinaire et eurent sept autres enfants
qui ne présentaient rien de particulier dans leur conformation. Dès sa
jeunesse, Wybrand montra de si rares dispositions pour la mécanique que,
lorsqu'il eut atteint l'âge de quinze ans, son père le conduisit à Amsterdam
et le mit en apprentissage chez un des premiers norloners de la ville.Il devint
rapidement un très habile ouvrier, s'établit à Rotterdam où il se maria.
Plus tard, soit que ses affaires ne fussent pas brillantes, soit qu'il pensât
gagner plus facilement de l'argent en se montrant au public, il aban-
donna sa boutique d'horlogerie pour voyager de ville en ville et venir à
Londres en 1790. Il avait alors 60 ans et sa taille ne mesurait que 27 pou-
ces (0 m. 64) de haut. Sa femme se montrait toujours à côté de lui en
public et. bien qu'elle fût d'une stature fort ordinaire, elle était obligée
de se baisser beaucoup pour lui donner la main. Ils ont eu trois enfants,
dont un, mort à l'âge de 20 ans, mesurait cinq pieds et sept pouces de
haut. Malgré l'exiguïté de sa taille et son apparence un peu lourde,
Lolkes était d'une agilité remarquable, d'une force peu commune ; il pou-
vait, sans efforts, sauter à pieds joints du parquet sur une chaise. Sous le
rapport du caractère, il était généralement morose et très vaniteux.
« Mynhere Wybrand Lolkes, le célèbre homme en miniature, de la
Frise Occidentale et Madame Lolkes, son épouse, qui ont eu trois enfants,
tous vivants et baptisés. » Telle est la traduction de la légende qui accom-
pagne la gravure.
L'artiste n'a oublié aucun détail ; il a soigneusement figurée ! les mem-
bres raccourcis et la main en scie, déformations si particulières sur les-
quelles Pierre Marie a, depuis, avec juste raison attiré l'attention. La
chaise, figurée à côté des deux personnages,a pour but de mettre en valeur la
petitesse du nain ; peut-être même est-elle symbolique, cherchant à faire
deviner la façon dont pouvait s'égaliser la taille du nain et celle de sa femme.
Les épreuves photographiques et radiograpbiques, que nous avons
aujourd'hui à notre disposition, sont, à la vérité, plus précises et plus
scientifiques. Les estampes,que nous ont laissées les peintres et les graveurs
n'en sont pas moins des plus suggestives, car, tout en constituant des
documents de grande importance, elles nous montrent, comment on savait,
au temps passé, allier la plus scrupuleuse exactitude au sens le plus artis-
tique.
Le gérant : P. Bouchez.
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
NOUVEllE Iconographie DE la SALPI'1RTFRE.
T. XXIV. PI. XV
ESQUISSES ICONOGRAPHIQUES SUR LES NAINS
(P. E. Launois).
Masson & Cie, Éditeurs.
l'holollne Bertll.IIIII, P.Ir1<;
HOPITAL ? : : >'1'.1 RO-E/(A TElIlNhYS/(}' DE MOSCOU
('EHI ¡CE DES 11L : 1UII : S 1\1 : 1 ! \CUoLS%
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE EST UNE ENTITÉ MORBIDE SPÉCIALE )
(D'après 16 observations personnelles et 4 autopsies).
M. Nicolas ELDAROFF,
Interne de l'hôpital.
En un temps déjà éloigné, les maladies et les affections des articula-
tions de toute nature ont été décrites sous la dénomination générale de
« rhumatisme ». Le développement progressif des sciences médicales a
amené la division de la conception générale des affections rhumatismales
et la science moderne connaît deux grands groupes d'arthrites rhumatis-
males : les arthrites rhumatismales aiguës et les arthrites rhumatismales
chroniques.
Le premier de ces groupes est constitué de formes pathologiques assez
bien étudiées,tandis que la conception de l'arthrite chronique conserve de
nos jours encore son caractère de confusion. C'est pourquoi nous assistons
aujourd'hui à un effort soutenu qui tend à dégager du vaste cadre des
arthrites rhumatismales chroniques, une forme pathologique nouvelle,
une nouvelle unité pathologique. -
Eu 1892, le Professeur HekhteretI a décrit cinq cas « d'une affection
spéciale qui se manifeste par une déviation du corps en arrière, par l'im-
mobilité ou la rigidité de la colonne vertébrale et une série d'affections
du système nerveux ». Cette forme a reçu plus tard le nom de « Cyphose
hérédo-traumatique » (Pierre Marie).
En 1897, Slriimpell a décrit un cas d'ankylose complète de la colonne
vertébrale et des articulations du bassin ; dans ce cas, les articulations* de
l'épaule et toutes les autres articulations étaient restées intactes. Mais dans
cet effort pour dégager une nouvelle forme pathologique de la masse des
affections « rhumatismales », le plus grand mérite revient incontestable-
(1) Conférence faite le 22 avril 1910 à la Société des neurologistes et des aliénistes
de Moscou.
xxiv ''
IJ2 r ? W aH0lo .
ment au Professeur Pierre Marie qui a fait, en 1898, une 'description cli-
nique parfaite de deux cas d'arthropathie chronique sous le nom de Spon-
dylose rhizomélique (0'1<'(;'31)),0;, vertèbre, pix, racine, pÛQ" membre).
Dans ces deux cas, toute la colonne vertébrale et les articulations coxo-
fémorales sont soudées en un bloc osseux, tandis que les articulations des
.extrémités restent intactes; il existe une ankylose incomplète dans les
articulations de l'épaule.
Le tableau spécial de cette affection est complété par la cyphose, par
l'absence de déformations locales des os et des articulations et aussi par
l'absence de troubles de la sensibilité objective.
En se basant exclusivement sur des symptômes cliniques et sur l'évolu-
tion de la maladie, M. P. Marie se déclara pour la spécificité pathologi-
que de la spondylose rhizomélique. La justesse de cette opinion a été
prouvée au point de vue anatomo-pathotogique par l'autopsie' de ses ma-
lades faite et publiée par M. Léri en 1898 et 1905 ; les résultats de cette
autopsie permirent d'établir une différence entre la spondylose rhizomé-
lique et le rhumatisme chronique de la colonne vertébrale. L'article de
f. P. Marie amena la publication d'une telle quantité d'observationsana-
logues que,suivant l'expression de Senalor,on auraitpu croire qu'il s'agis-
sait d'une nouvelle épidémie.
La maladie elle-même n'est pas mortelle et les malades meurent de
causes accidentelles ou d'autres maladies; c'est pourquoi, dans la période
de douze ans qui s'est écoulée depuis la publication du premier article de
M. P. Marie, les observations cliniques ont été nombreuses, mais les au-
topsies, par contre, ont été assez rares. Nous avons trouvé, clans la litté-
rature, 15 cas d'autopsie (quelques cas décrits par MM. Bekhtereff, Marie
et Léri, Pie et Bombes de Williei-s, Gasne ; 1 r. Reuter, Siven, P. Jans-
sen, Milian, Zoubolf, etc.). Au début, le nombre minime des autopsies
provoqua une certaine confusion dans la compréhension des traits essen-
tiels de cette maladie et beaucoup d'auteurs, sous le nom de spondylose
rhizomélique, donnèrent la description des cas « d'immobilité » de la
colonne vertébrale ou des articulations, mais ces cas n'ont, au fond, rien
de commun avec la spondylose rhizomélique dans ses traits spéciaux, telle
du moins que M. Pierre Marie l'a décrite et que les autopsies ultérieures
l'ont constatée.
Nous avons eu l'occasion d'observer, au cours de ces 8 dernières années,
à l'Hôpital Staro-Ekaterininhky, à Moscou (Service pour les maladies ner-
veuses du Or Préobrajensky) 13 cas, et 3 cas hors de l'hôpital ; soit 16 cas
en tout d'immobilité delà colonne vertébrale et des grandes articulations
d'un t)¡Je qui s'approche de très près de la spondylose rhizomélique décrite
pour la première fois par M. P. Marie. Dans quatre cas qui ont eu une
Nouvelle Iconographie DE la SAlPiTRI)'111.. T. ]Il.
SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE
(N. Eldaroff).
Obs. I.
Masson & Cie, Editeurs
LA St'ONUYbUSË nmzortéctQuia- 123
issue mortelle, il a été procédé à l'autopsie et à l'analyse macro et micros-
copique des pièces anatomiques. A notre connaissance, une pareille étude
microscopique n'avait pas encore été faite.
Voici d'abord un exposé rapide de nos seize cas que nous avons observés
personnellement.
Observation I (PI. XVI)
Jean R..., 30 ans, ouvrier verrier, admis dans le service pour les maladies
nerveuses à l'hôpital Staro-Ekaterininsky, le 16 janvier 1902. Il se plaignait
de l'immobilité de la colonne vertébrale et de la tète, de douleurs et de difficulté
des mouvements dans les articulations des épaules, et dans l'articulation de la
hanche droite. Il a été malade près de deux ans. Il séjourna à l'hôpital pen-
dant dix mois (type de la spondylose rhizomélique de P. Marie) (PI. XVI).
Anamnèse, - L'hérédité pathologique, la syphilis et l'urétrorrhée sont ex-
clues : le malade était alcoolique depuis 10 ans. Depuis l'âge de 6 ans,il travaille
dans la verrerie, là il avait pris l'habitude de sortir en bras de chemise, en
hiver et tout échauffé par la chaleur du four ; pour se rafraîchir, il s'enfon-
çait dans la neige, l'été il se baignait dans un puits à eau glaciale..
A 28 ans, sans aucune cause apparente, il ressentit pour la première foi4
des douleurs irradiées et une difficulté des mouvements de la colonne verté-
brale dans la région du cou. La propagation de l'ankylose, qui descendit avec les
douleurs amena, en un mois, l'ankylose de toutes les régions de la colonne ver-
tébrale. Deux semaines après le début de la maladie, des douleurs et une pro-
pagation très lente de l'ankylose se manifestèrent dans l'articulation des épaules;
un an et dix mois après le début de la maladie, des douleurs irradiées appa-
rurent dans l'articulation du bassin du côté droit. Difficulté passagère des mou-
vements dans l'articulation temporo-maxillaire.
Etat au moment de notre examen. - Ankylose complète et immobilité
absolue de toute la colonne vertébrale et de la tête, cyphose dans les
régions cervicale inférieure et dorsale supérieure en forme de courbe, dont
les extrémités sont posées sur les premières vertèbres cervicales et les 4e et
3d vertèbres dorsales, la partie la plus convexe répondant aux 6-7" vertèbres
cervicales et à la première vertèbre dorsale. Dans le but de démontrer que l'im-
mobilité de la colonne vertébrale tient aux altérations osseuses et non à la mus-
culature le Dr Rosanoff, chirurgien de notre hôpital, sur notre proposition a chlo-
roformé le malade et nous avons constaté que l'incurvation et l'immobilité du
rachis ne se modifiaient en aucune façon. La cage thoracique est aplatie d'a-
vant en arrière, il existe une immobilité complète des côtes pendant la respi-
ration ; cette dernière est du type diaphragmatique.Les bras ne peuvent être éle-
vés passivement ou activement plus haut que la ligne horizontale ; il existe un
bruit de frottement dans les articulations, une forte diminution de mouvements
et un bruit de frottement dans l'articulation coxo-fémorale du côté droit. Enfin,
on note une légère sensibilité douloureuse dans les articulations maxillaires.
Toutes les autres articulations sont intactes, il n'y a ni exostoses, ni déformation
124 ELDAROFF
des os ; pas de douleurs spécifiques, mais des douleurs intenses au moindre
mouvement ; dans la région lombaire surtout, il y a des douleurs qui irradient
dans la cuisse droite, et, il la la région de la nuque, des douleurs semblables,
qui se portent dans les deux épaules. La colonne vertébrale n'est pas objecti-
vement douloureuse. Les muscles brachiaux, du côté droit surtout, et ceux de
toute l'extrémité inférieure, sont atrophiés légèrement (de 1 cm. à toutes les
hauteurs). Diminution quantitative, mais non qualitative de l'excitabilité fara-
dique et galvanique dans les muscles atrophiés. Exagération des réflexes tendi-
neux aux membres inférieurs. Le système nerveux est normal. Les viscères
sont intacts.
Observation II.
A. D..., 41 ans, cordonnier. Admis dans le service neuro-pathologique de
l'hôpital Staro-Ekaterininsky le 12 décembre 1902.
Le malade se plaignait de douleurs au dos, à la poitrine, aux deux articula-
tions du bassin et de l'immobilité du cou et du dos ; il était malade depuis
10 mois ; il est mort le 1er avril 1902, après un séjour à l'hôpital de 46 jours
(Spondylose rhizomélique).
Anamnèse, - Les parents du malade sont alcooliques et lui-même est alcoo-
lique ; le malade nie avoir eu la syphilis et la blennorrhagie. A 14 ans, ayant
pris froid, il fit une fièvre et, pendant cette maladie, il eut des convulsions
dans le bras gauche et dans la jambe droite.
Dix mois avant son entrée à l'hôpital, sans aucune cause apparente il souffrit
de maux de tête pendant trois semaines et ressentit des douleurs au cou ; une
immobilité de cette région se développa rapidement. L'évolution de l'ankylose,
descendant le long de la colonne vertébrale, amena l'immobilité complète de
toute la colonne vertébrale, de la tête au sacrum, des deux articulations du
bassin, et limita les mouvements des articulations des épaules.
Etat au moment de l'ecamen. - Cyphose peu accentuée dans les régions
cervicale inférieure et dorsale supérieure. La colonne vertébrale, dès les ver-
tèbres dorsales supérieures, présente une ligne presque droite. La lordose
lombaire a presque disparu. Immobilité complète de toute la colonne verté-
brale. Immobilité de la cage thoracique pendant la respiration.Les deux extrémi-
tés supérieures ne peuvent se soulever plus haut que la ligne horizontale ; l'an-
kylose desdeux articulations coxo fémorales est plus accentuée du côté droit ; il
existe une faible limitation de mouvements dans l'articulation du genou droit.
Toutes les autres articulations sont intactes. La musculature des extrémités
inférieures est un peu rigide. Il n'y a pas d'atrophie musculaire partielle.
Atrophie générale de l'extrémité inférieure droite, de 1/2 à 1 centimètre par
comparaison avec l'extrémité gauche. Douleurs à la région lombaire, à la poi-
trine et aux grandes articulations ; elles surviennent seulement a l'occasion des
mouvements. Les vertèbres ne sont pas douloureuses au toucher. Le système
nerveux est objectivement normal ; il existe pourtant une faible exagération
des réflexes rotuliens. --
Le compte-rendu de l'autopsie, faite par le prosecteur de l'Hôpital Staru-
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE ! 25
Ekaterininsky, M. V. Kolly, porte : « Tuberculose pulmonaire chronique. De-
generatio adiposa myocardii et hepatis. Offuscatio parencllymatosa renum.
Tuberculosis lienis. Spondylosis rhizomelica. Arthritis chronica, Toutes les
vertèbres sont soudées entre elles, les cartilages sont corrodés, on a disséqué
les articulations d6s épaules, des genoux et des hanches. Les membranes sy-
noviales sont agrandies ; dans l'articulation de la hanche la tête du fémur est
déformée, elle est aplatie. »
Observation III.
A. N..., 27 ans, infirmier, se plaignait de la déviation de la colonne verté-
brale et de douleurs survenant à chaque mouvement dans la colonne verté-
bra ! e et dans la jambe droite. S'est fait traiter pendant l'an 1903 à la clinique
privée du Dr Kourdumoil à Moscou. Il est malade depuis cinq ans (Spondylose
rhizomélique).
Anamnèse. L'hérédité pathologique n'existe pas. Avant t'age de 10 ans,
le malade eut la rougeole, la scarlatine, la diphtérie. Il dit n'avoir eu ni la sy-
phylis ni l'urétrorrhée et ne pas être alcoolique.
Au mois de janvier de l'an 1898, après avoir pris un bain chaud, le malade
est retourné à la maison pendant une tempête de neige, après avoir jeté
simplement son manteau sur les épaules sans se soucier de le boutonner.
Le lendemain il ressentit des douleurs aiguës le long de toute la colonne ver-
tébrale, surtout la région lombaire ; ces douleurs, plus ou moins accentuées,
durèrent toute une année ; puis apparurent des douleurs irradiées qui, de la ré-
gion lombaire, se propagèrent dans toute la jambe droite. Durant les deux pre-
mières années de la maladie se manifesta une lente propagation ascendante
de l'ankylose de la colonne vertébrale. Au bout de trois ans et demi se déve-
loppa une limitation progressive des mouvements des articulations des épaules.
Etat du malade au moment de l'examen. Le malade est pâle et amaigri.
Les viscères sont intacts. Cyphose de la région dorsale supérieure et cervi-
cale inférieure : la lordose lombaire est aplatie et la colonne vertébrale, à
partir des extrémités inférieures des omoplates, présente une ligne droite.
Immobilité absolue de toute la colonne vertébrale, sauf dans les vertèbres cer-
vicales supérieures ; la cage thoracique est aplatie et reste immobile pendant
la respiration; limitation des mouvements dans les articulationscoxo-fémnrales;
absence de déformation des os. Atrophie et épaississpment des muscles longs
du dos et de quelques muscles de la région de l'épaule. Absence complète de
douleurs spontanées ; les douleurs ne sont ressenties qu'à l'occasion des mou-
vements dans le sacrum et elles irradient dans l'aine. Sensibilité douloureuse
objective de la seconde vertèbre dorsale et du sacrum ; la perception est con-
servée ; le système nerveux est normal.
Observation IV.
Jean 1'cII..., 32 ans, commerçant, se plaint de douleurs aux articulations
des genoux, aux régions lombaire et dorsale, de l'impossibilité de redresser le
dos et d'une faiblesse générale. Malade depuis 10 ans (Spond. rliizom.).
1 ? G ELDAROFF
Anamnèse. - Hérédité normale. Le malade, dans soo enfance, était ché-
tif, mais n'eut aucune maladie. A 22 ans, pour la première fois, il eut une go-
norrhée aiguë ; ce moment marque le début de la maladie actuelle : le 10" jour
des écoulements accentués, apparaît une tuméfaction des talons et des articu-
lations des genoux avec douleurs irradiées. Après 4 mois de traitement les dou-
leurs et les tumeurs disparurent, mais elles réapparurent plusieurs fois ; à
26 ans le malade eut la syphilis. Un an et demi après, c'est-à-dire 8 ans et
demi après le début de la maladie, des douleurs et une propagation lente de
l'ankylose se manifestèrent dans la région lombaire et dans les articulations
de l'épaule.
Etat du malade au moment de l'examen. Le tissu adipeux et surtout la
musculature sont bien développés. Cyphose et ankylose des régions dorsale
et lombaire de la colonne vertébrale. Le cou est libre; très faible diminu-
tion de l'excursion de la cage thoracique pendant la respiration ; limitation des
mouvements et crépitation dans les articulations des genoux. Les autres arti-
culations sont intactes. Pas de dépôt osseux. Douleurs aux régions lombaire et
dorsale, aux articulations coxo-fémorales et,aux articulations des épaules, qui
ne sont ressenties qu'aux mouvements. Les systèmes musculaire et nerveux
sont dans un état normal.
Observation V.
Al. L..., 27 ans, rémouleur : se présenta le G avril 1903 au service neuro-
pathologique de l'Hôpital Staro-Ekaterininsky, se plaignant de douleurs au
dos, aux épaules et aux cuisses. Il était malade depuis deux ans et séjourna à
l'hôpital deux mois et demi (Diagn. clin. Spond. rhizomélique).
Anamnèse. - Le malade a un père alcoolique et sa mère est morte de la
tuberculose à 28 ans ; il a des tantes et des oncles alcooliques. Arrivé de la
campagne à Moscou, à 14 ans, il est dès ce temps rémouleur et fait une tournée
de 10 kilomètres et plus par jour, portant ses ustensiles lourds sur les épaules ;
à 19 ans, le malade eut la fièvre typhoïde et, à 20 ans, la syphilis ; il n'a pas
eu d'urétrorrhée, pas de contusions du dos. Le malade s'adonne à la boisson.
Deux ans avant sou entrée à l'hôpital, sans aucune cause apparente, il ressentit
des douleurs aux diverses régions du corps, surtout à la région lombaire et aux
cuisses; en même temps, sans que le malade s'en soit aperçu, se développa
la déviation et l'immobilité de la colonne vertébrale.
Etal du malade au moment de l'examen. Les viscères sont intacts.
Cyphose uniforme dans la région thoracique. La lordose lombaire physiologi-
que est aplatie. Immobilité des régions lombaire et thoracique. Le tronc se
meut comme un seul bloc aux dépens des articulations du bassin. Le cou est
libre. Le type de la respiration est abdominal. Il existe un bruit de frottement
et des douleurs à chaque mouvement dans les articulations des épaules et dans les
articulations coxo-fémorales ; l'amplitudedesmouvemNntsdans cesarticulations
reste normale. Les autres articulations sont intactes. Pas de douleurs sponta-
nées, les douleurs n'apparaissent ([n'il l'occasion des mouvements aux régions
lombaire, dorsale, aux omoplates, aux cuisses et aux muscles occipitaux;
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊfRitRE.
T. XXIV. P1. XVII
SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE
(N. Eldaro').
Obs. VI.
Masson & Cie, Editeurs ? - \H. ? l7F'fi ? 7fi ^ataix2
LA SPONDYLOSE H1UXOMÉL1QUË 127
les cordons nerveux de l'extrémité inférieure gauche ont une sensibilité dou-
loureuse ; le système nerveux est normal.
Observation VI.
Pr. F..., 28 ans, ouvrier. Se présenta dans le service neuro-pathologique
de l'Hôpital Staro-Ekaterininsky le 4 mai 1906. Il se plaignait de ne pouvoir
plus lever les bras et de ne pouvoir plus marcher sans canne; il disait res-
sentir des douleurs dans les articulations. Il est malade depuis deux ans et
séjourna à l'hôpital pendant 26 jours. (PI. XVIl) (Diagn. clin. Spoud. rhiz.).
Anamnèse. Le malade dit n'avoir eu ni la syphilis ni l'urétrorrllée.
Avant la maladie actuelle, il était toujours bien portant. Il y a deux ans, sans
aucune cause apparente, il ressentit des douleurs à la région lombaire et aux
articulations fémorales et une limitation de mouvements dans ces dernières.
Un an et demi après se manifestent : une propagation ascendante de l'ankylose
de la colonne vertébrale, une déviation de cette dernière en avant sans dou-
leurs spécifiques, enfin des douleurs et une limitation des mouvements dans
les articulations des épaules.
Etat du malade au moment de l'examen. - Les viscères sont intacts. Le
malade a l'air épuisé, il ne peut redresser le dos. Cypho-scoliose dans la région
dorsale, immobilité complète de toute la colonne vertébrale. Le côté gauche de
laçage thoracique est rejeté un peu en avant; toute la cage reste immobile
pendant la respiration. Sensation douloureuse pendant les mouvements, et li-
mitation de mouvements dans les articulations des épaules (les bras s'élèvent
jusqu'à 35°), dans les articulations des coudes et dans les articulations fémo-
rales (jusqu'à 6Do : , les cuisses se fléchissent. Bruit de frottement et douleurs
aux articulations des genoux. Toutes les autres articulations, le système mus-
culaire et le système nerveux sont intacts.
Observation VII.
V. P..., 31 ans, garçon de restaurant; admis dans le service neuro-patho-
logique le 21 septembre 1906. Le malade se plaignait de douleurs à la région
lombaire et au cou ; ces douleurs irradiaient dans les épaules ; il a des dou-
leurs et une faiblesse dans la main gauche et une immobilité du dos. Il est
malade depuis 5 ans (PI. XVIII). "
Anamnèse, - Le malade a un père alcoolique et lui-même s'adonne à la
boisson. Il dit ne pas avoir eu la syphilis. A 21 aus il a eu l'urètrorrhée qui
évolua sans complications. A 21 ans, le malade ressentit pendant 6 semaines
des douleurs irradiées dans l'articulation gauche du bassin. A part cela, il n'a
jamais été malade. Depuis l'âge de 12 ans, il est garçon de restaurant et passe
4fi heures par jour sur pied ; pendant tout le temps de son service, il est ex-
posé à des changements brusques de température, étant obligé de passer et
repasser d'un appartement chaud dans uue cave. A 26 ans, sans aucune cause
apparente, il ressentit, à chaque mouvement, des douleurs aiguës à la région
lombaire, 5 mois après au cou et plus tard des douleurs très aiguës le long de
la colonne vertébrale : en mois, les douleurs se calmèrent et une immobilité
128 ELDAROFF
absolue du dos se manifesta ; il y a un an et demi que les douleurs sont réap-
parues et les articulations du coude gauche aiusi que l'articulation gauche du
bassin ont été faiblement et passagèrement atteintes.
Etat du malade au moment de l'examen. Les viscères sont intacts.
Cyphose lt-courbe régulière, de grand rayon, de la partie dorsale de la colonne
vertébrale. Lordose lombaire physiologique peu accentuée. La cage thoracique
est immobile et très enfoncée, ce qui fait avancer les épaules. Immobilité com-
plète de la région lombaire et thoracique. Le cou reste libre. Absence d'expsto-
ses et de déformation des os. La faible limitation des mouvements des articu-
lations de l'épaule gauche, du coude gauche et de l'articulation du bassin, qui
s'était manifestée auparavant, disparut après un mois de séjour à l'hôpital.
Atrophie de quelques muscles de la région de l'épaule et de toute l'extrémité
supérieure gauche (3 cm.) ; cette atrophie ne s'accompagne pas de tremble-
ments fibrillaires ni de réaction de dégénérescence. Les douleurs n'apparais-
sent qu'à l'occasion des mouvements ; la colonne vertébrale par elle-même ne
fait pas souffrir le malade. Le système nerveux reste normal.
OnsERvArroN VIII.
Jean 0..., 26 ans, jardinier.Admis dans le service neuro-pathologique de l'Hô-
pital Staro-Ekaterininsky le 10 juillet 1906. Le malade se plaignait d'une immo-
bilité du dos, de douleurs et d'une limitation des mouvements de l'articulation
de l'épaule droite et de l'articulation coxo-fémorale droite. Le début de la mala-
die remonte à 6 ans (Spondylose rhizom. P. Marie).
Anamnèse. Les antécédents familiaux n'apprennent rien. Dans le passé
du patient, aucune maladie. La maladie actuelle fut chronique dès le début.
Dès l'âge de 20 ans, sans aucune cause apparente, apparaissent de faibles dou-
leurs aux mouvements dans la région du sacrum ; deux ans après, dans la
région lombaire et, plus tard, dans les articulations des genoux, dans l'articu-
lation de l'épaule droite et à la nuque ; en même temps, les différentes arti-
culations s'ankylosent progressivement. Les articulations temporo-maxillaires
sont intéressées passagèrement. A 21 ans, le malade a une gonorrhée qui
passe vite; à 24 ans, une pleurésie du côté droit et un érysipèle. Le malade
nie avoir eu la syphilis, il n'est pas alcoolique.
Etat du malade au moment de l'examen. La région cervicale de la colonne
vertébrale est libre; les régions dorsale et lombaire de la colonne vertébrale
se profilent en une ligne droite et. de cette manière, la cyphose physiologique
dorsale et la lordose lombaire sont aplaties ; faible scoliose de la région
dorsale inférieure ; aucune vertèbre n'est saillante. Les extrémités internes
des clavicules sont épaissies, la cage thoracique est aplatie d'avant en arrière,
elle est immobile pendant la respiration. Immobilité absolue de la colonne ver-
tébrale dans les régions dorsale et lombaire. Limitation des mouvements et
bruit de frottement dans les articulations des épaules ; d'autre pari, difficulté
de mouvements et faible sensation douloureuse dans l'articulation droite du
bassin. Les douleurs articulaires n'apparaissent qu'à l'occasion des mouve-
ments ; la palpation révèle l'existence de points osseux douloureux. Atrophie
Nouvelle Iconographie DE la SALPÉTRIÉRE.
T. XXIV. Pl. XVIII
Ob. VII
Obs. IX
SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE
(N. Eldnro').
LA spondylose rhizomélique 129
des muscles longs du dos, de deux muscles serrati ant. maj., supra et infras-
pinati, des deux portions supérieures des muscles grands pectoraux. Diminu-
tion quantitative de 1 excitabilité faradique et galvanique dans les muscles atro-
phiés. Le système nerveux est normal. Crépitation aux sommets des poumons.
Observation IX.
A. K... ? 5 aiis,elioriste. Admis dans le service neuro-patbologique de 1'ti()pikil
Staro-Ekaterininsky le 10 février 1907. Il se se plaignait de déviation et d'immobi-
lité du cou, d'une difficulté des mouvements dans les articulations des épaules
et du bassin et d'avoir des douleurs dans ces articulations. Il était malade
depuis 8 ans (PI. XVIII).
Anamnèse. Hérédité normale. A 8 ans, il a eu la petite vérole et, à 12 ans,
une « fièvre » qui le tint alité deux semaines ; à 24 ans, lors du service mili-
taire, en faisant la gymnastique, il tomba à terre en sautant et se donna un
coup à la région lombaire : pendant deux semaines il eut de l'incontinence
d'urine et de l'anesthésie locale; il 31 ans, blennorrhagie. Le malade nie avoir
eu la syphilis. Abus marqués in venere et in 13acclfo. Il est marié, mais depuis
15 années, il est pédéraste actif, quoique en même temps il continue à fréquen-
ter les femmes. Il y a 8 ans à peu près, sans aucune cause apparente, il ressentit
des douleurs à la région lombaire et aux articulations des hanches. Les douleurs
étaient faibles et rares au début, puis elles sont devenues aiguës et fréquentes,
Dans une période de 7 années se développa lentement et presque insensiblement
une incurvation de la colonne vertébrale et une difficulté croissante des mouve-
ments dans cette dernière et dans les articulations des hanches. Depuis un an
seulement sont apparues des douleurs et une difficulté des mouvements dans
les articulations des épaules ; depuis 5 mois, à la suite d'une chute sur le dos,
existent des douleurs et s'est développée une immobilité complète du dos.
Etat du malade au moment de l'examen. -Le malade est de hauts taille ;
il a un teint pâle Les viscères sont intacts. La cyphose de la région dorsale pré-
sente une courbe régulière à grand rayon ; la région loml)aire et le sacrum
sont sur le même plan. La cage tboracique est aplatie d'avant en arrière, elle
est complètement immobile pendant la respiration ; un pli horizontal passe à
trois centimètres plus haut que l'ombilic et divise l'abdomen en deux parties :
l'une, supérieure, est plate et l'autre, inférieure, fait saillie en avant ; les apo-
physes épineuses forment un bourrelet osseux uni; les extrémités internes
des clavicules et les condyles des extrémités inférieures sont épaissis ; il
existe une faible tumeur dans la région des métatarsiens gauches.
Absence d'autres déformations et de dépôts osseux sur tout le reste du corps .
Toute la colonne vertébrale est absolument immobile, sauf dans son segment 1
cervical (la tète se meut de 3 centimètres), les deux bras ne peuvent se sou-
lever plus haut que la ligne horizontale ; difficulté des mouvements des han-
ches (de la gauche surtout), gêne peu sensible dans les articulations des genoux.
Faible atrophie des muscles de la région des épaules et des muscles sous-cutanés
du dos ; absence dans ces derniers de tremblements fibrillaires et de réaction
130 ELDAROFF
électrique de dégénérescence. Les parties ankylosées sont douloureuses. Le
système nerveux ne présente aucun trouble objectif.
Observation X.
Jean K..., 37 ans, colporteur, entre à l'hôpital le 1er juin 1904 dans le ser-
vice neuro-pathologique. Il se plaignait de douleurs à la région lombaire qui irra-
diaient dans les jambes. Il est mort le 14 août 1904 après avoir séjourné 2 mois
et demi à l'hôpital (Spond, rhizom. Type de P. Marie).
Anamnèse - Enfance sans maladies ; à 17 ans, gonorrhée qui guérit sans
laisser de traces. Il y a 3 ails. après une chute dans un fossé, le malade eut
une contusiou du dos et une hémoptysie. Depuis trois mois il ressent des dou-
leurs dans les jambes et à la région lombaire et, depuis un mois, il ne peut
plus redresser le dos. Il est alcoolique. Le malade nie avoir eu la syphilis'.
Etat du malade au moment de l'examen. Assez chétif Signes de tu-
berculose pulmonaire. Cyphose de la colonne vertébrale et immobilité de cette
deruière dans les régions dorsale et lombaire. Les deux bras ne peuvent se
lever plus haut que la ligne horizontale ; crépitation dans les articulations des
épaules et dans le genou droit ; faible limitation de mouvements dans les ar-
ticulations coxo-fémorales. La cage thoracique dans ses deux tiers, supérieur
et médian, est complètement immobile. La respiration est du type costal infé-
rieur et abdominal. Atrophie symétrique des muscles autour des articulations
des épaules et des cuisses. Le système nerveux est normal. La température
durant le séjour à l'hôpital oscille entre 38 et 40° ; pendant ce séjour le malade
a eu un érysipèle. Le malade est mort des progrès de la tuberculose pulmo-
naire.
Le compte-rendu de l'autopsie, faite par le prosecteur de l'h8pital. \l. le
D. V. Voronine, porte : « Tuberculosis clnonica apicum et acuta pulmonis
utriusque. Adba3siones pleurarum, dextr. praecipu. Tuberculosis miliaris
renum et hepatis. Degeneratio parencllymatosa myocardii, hepatis, renum.
1'timor lienis acutus. Spondylose rhizomélique (Spondylitis ankylopoetica).
Arthritis sicca artic. humeri sinistri ».
Observation XI.
N. P... ,, 43 ans, paysanne. Admise à l'hôpital le 8 mai 1905. Se plai-
gnait d'une faiblesse générale, de maux de tête, de vomissements, de la dé-
viation et de l'immobilité du dos. La malade est morte le 14 mai 1905. Diagnostic
clinique : tabes dorsalis, spondylose rhizomélique.
L'histoire de la maladie signale que les viscères sont intacts, la colonne ver-
tébrale est déviée en forme de courbe, dont la convexité est tournée en arrière ;
limitation des mouvements de la colonne vertébrale et des articulations des
épaules et du bassin Crépitations dans l'articulation de l'épaule gauche. La pu-
pille droite est plus dilatée que la gauche. ; les pupilles ne réagissent pas à la
lumière. Absence de réflexes rotuliens. Ataxie des extrémités inférieures ;
la sensibilité, surtout la sensibilité musculaire, est alfalblie dans les membres
inférieurs. Douleurs de l'abdomen et vomissements. La malade est morte an
LA SPONDYLOSE rhizomélique Z1
milieu des symptômes d'une grande faiblesse générale et après avoir eu des
crises de douleurs dans l'abdomen et des vomissements.
Les résultats de l'autopsie, faite par le prosecteur M. Voronine, sont les
suivants : * Tabès dorsales. Pericarditis chr, adhaesiva, obliterati cavi peri-
cardii. Perihepatitis et perisplenitis chronica adllaesiva. Emphysema pulmo-
num. Spondylitis ankylopoetica. » Nombreuses nodosités de la grosseur d'un
pois dans la rate.
Observation XII.
K. M..., 27 ans, laboureur, admis dans le service neuro-pathologique le
10 mars 1908 ; il se plaignait d'immobilité et de déviation de la colonne verté-
brale,de douleurs et de difficulté des mouvements dans les articulations du bassin
et de douleurs à chaque mouvement dans la colonne vertébrale. Il séjourna à
l'hôpital pendant 7 semaiues. Le début de la maladie remonte à 5 ans (Spond.
rhizom. P. Marie). -
Anamnèse. Hérédité normale. Le malade se distinguait auparavant par
une grande force physique et n'était jamais malade. Il nie avoir eu la syphilis
ou la blenuorrhagie. A 29 ans, sans aucune cause apparente, pendant un mois
il eut une tumeur et une sensibilité douloureuse de l'articulation du genou
gauche. A 24 ans, lors du service militaire, pendant les exercices gymnasti-
ques, il ressentait une sensibilité douloureuse et une gêne dans l'articulation
gauche du bassin ; ces sensations disparurent pour un temps mais réapparurent
un an plus tard et se propagèrent a l'articulation droite du bassin. Quelque
temps après, des douleurs et une difficulté des mouvements apparurent dans la
région lombaire. Le malade passa trois mois à l'infirmerie et, pendant ce temps,
sans qu'il ait ressenti des douleurs névralgiques aiguës, se développa, à l'insu
du malade, une difficulté des mouvements de toute la colonne vertébrale, qui
aboutit plus tard à une immobilité complète de la colonne vertébrale. Pendant
une semaine environ, il ressentit des douleurs dans l'articulation de l'épaule
gauche ; aucune douleur ni dans l'articulation de l'épaule droite ni dans toutes
les autres articulations.
Etal du malade au moment de^'examen. - Le malade est d'une consti-
titution forte ; il a une bonne nutrition. La courbe de la déviation de la colonne
vertébrale dans la région dorsale est à grand rayon. La lordose de la région
lombaire est aplatie. Laçage thoracique est enfoncée et reste immobile pen-
dant la respiration. Il existe une immobilité absolue de la colonne vertébrale,
sauf dans la région cervicale. L'amplitude des mouvements n'est pas limitée
dans les articulations des épaules, dans les articulations des cuisses aussi bien
que dans les autres articulations. La force du mouvement est diminuée et les
mouvements sont douloureux dans l'articulation gauche du bassin. Absence
d'exostose et de déformation des os. Le système musculaire est normal. 11
existe des douleurs il chaque mouvement, au dos et aux articulations des han-
ches, ces douleurs sont plus fortes du côté gauche. Le système nerveux est
normal. 1.
132 ELDAROFF
Observation XIII.
N.Pr...,49 ans,portefaix dans une maison de commerce, admis dans le service
neuro-patholllgiqne le Il' février 1909. Il se plaignait d'une déviation accentuée
et d'immobilité de la colonne vertébrale, d'une tonx avec expectoration, de diffi-
culté de la déglutition et d'une faiblesse générale. Il fut malade pendant 3 ans
et mourut le ler mars 1909. Il séjourna à l'hôpital pendant 29 jours.
Diagnostic clinique : Spondylose rhizomélique. Tuberculosis pulmonum.
Anamnèse. Le père du malade était alcoolique. On ne trouve pas dans
la famille d'affection comme celle dont souffre le malade. A 18 ans, il eut la
syphilis, it 23 ans, 1'tiréti-oi@rliée. De 18 à 30 ans, il est colporteur et il
partir de 30 ans, il sert dans une maison de commerce comme portefaix. Il
eut, il y a trois ans, une grippe et durant la maladie il ressentit des rétré-
cissements et une immobilité du cou. Sans que le malade s'en soit rendu compte,
le dos commença graduellement à se cambrer et apparut l'ankylose dans les
articulations de la cuisse gauche. Le malade continua d'exercer son métier de
portefaix jusqu'au jour de l'entrée à l'hôpital.
Etal du malade avant son entrée. - Le malade est épuisé, amaigri, il a
un teint pâle. Symptômes de la tuberculose pulmonaire. La cyphose de la par-
tie dorsale de la colonne vertébrale forme une courbe régulière bien prononcée.
La cage tboracique est aplatie et immobile pendant la respiration. La tête et toute
la colonne vertébrale sont d'une immobilité absolue. Les articulations des han-
chesont des mouvements limités, toutes les antres articulations des jambes et des
bras sont intactes. Absence d'osléophytes et de déformations osseuses. La
région du pharynx est diminuée dans son diamètre antéro-postérieur. La
cause probable de ce fait est la saillie des corps des vertèbres cervicales et au
dépôt d'ostéophytes sur la face antérieurede ces dernières (Ainsi s'explique sans
doute la difficulté de la déglutition, dont le malade s'est toujours plaint). Amai-
grissement général de tout le système musculaire ; le système nerveux est nor-
mal. Après un séjour d'un mois à l'hôpital, le malade est mqrt de tuberculose.
Le compte-rendu de l'autopsie, opérée le 3 mars 1909 par le prosecteur de
l'Hôpital Staro-Ekaterininsky111 SlnelTporte : «Spoudylosis zhizomelica. Anky-
losis ossea inter processus spinosi et transversales columnae verlebralis. Tu-
herculosis chron. utriusque apicis pulmonum. Tuherculosis miliaris utriusque
pulmonis. Tuberculosis Iaryngis,iutestinorumque.Peritonitis chrun. adllaesiva
cum corpusculis oryzoideis multipllcibus. »
Observation XIV.
Pr. M..., 27 ans, marchand ambulant, admis dans le service pour les mala-
dies nerveuses de l'Hôpital Staro-Ekaterininsky le 23 février 1909. Le malade
se plaignait d'immobilité complète du dos, d'une limitation des mouvements
dans les articulations des épaules et dans les articulations du bassin, de dou-
leurs à la colonne vertébrale et aux articulations affectées. Il est malade de-
puis 4 ans 1/2 (Diagnostic, : Spond. rhizomélique).
Anamnèse. - Le père du malade a le dos un peu voûté, la mère souffre de
LA SPONDYLOSE rhizomélique 133
rhumatisme. Avant son service militaire, le malade jouissait d'une excellente
santé. Dès I âge de 13 ans, il était marchand ambulant à Moscou et portait un
lourd éventaire de 2 pouds 1/2 environ sur la tète. Comme conscrit, il prit
part à la guerre russo-japonaise et endura pendant toute une année le siège
de l'ort-Artlmr; il n'a pas été blessé, mais durant le siège, il a dû souvent
passer de longues heures tout trempé, avec les pieds humides, c'est alors qu'il
ressentit pour la première fois une arthralgie et une certaine difficulté des
mouvements et, plus tard, une limitation dans les articulations des hanches et
celles des genoux ; deux ans après les douleurs apparurent au sacrum et six
mois plus tard se manifesta une difficultés des mouvements dans la région loin-
haire, qui se propagea, dans l'espace de deux années, sur la région du thorax ;
les trois derniers mois, il ressentait des douleurs et une limitation des mou-
vements dans l'épaule gauche, dans les articulations du cou, plus tard dans l'é-
paule droite et, enfin, dans les articulations temporo-maxillaires.
Le malade n'a pas eu la gonorrhée ; 9 mois avant son entrée à l'hôpital, il
eut la la syphilis.
Etal du malade au moment de l'examen. Le malade est robuste. La co-
lonne vertébrale est d'une configuration normale, sauf dans la région lombaire
où la lordose est aplatie. Les mouvements de la tête sont limités; la colonne
vertébrale est d'une immobilité complète; il existe une limitation des mouve-
ments et un bruit de frottement dans les articulations coxo-fémorales. Absence
d'ostéophytes et de déformation des os ainsi que d'alnjjnhïe musculaire. Dou-
leurs à la région lombaire, au cou, dans les arlîcalafions des épaules et du
bassin, qui ne se ressentent qu'a l'occasion des monuments. Le système ner-
veux est normal.
Obsebvatiox XV.
N. G..., 27 ans, marchand, admis le 8 avril 1908 dans le service neuro-pa-
thologique de l'Hôpital Staro-Ekaterioiasky. Le malade se plaignait d'immobi-
lité complète du dos, du cou et de la tête, d'une grande limitation des mouve-
ments et de douleurs dans toutes les articulations des extrémités et dans les
articulations des épaules. Il est malade depuis 5 ans. Diagnostic : Rhumatisme
chronique ankylosant.
Anamnèse. On ne trouve pas d'affection articulaire chez les ascendants.
A 12 ans, pour la première fois, après un refroidissement, le malade eut pen-
dant un mois et demi des tumeurs et des douleurs dans les articulations des
genoux et dans les articulations du cou-de-pied. L'affection des mêmes arti-
culations se renouvela encore trois fois, à il, 17 et 20 ans. A 24 ans, il eut un
chancre induré, la plaie n'était pas encore guérie quand apparurent des douleurs
dans l'articulation de la hanche droite ; six semaines après, surviennent des
douleurs dans l'articulation du genou droit et plusieurs mois après, dans
l'articulation du cou de-pied de la jambe droite. En un an, l'affection se pro-
page successivement, avec des intervalles de quelques mois, aux articulations
des genoux, du bassin et du cou-de-pied gauche. Puis, un an plus tard, les
douleurs de la région lombaire s'accentuent et nue lente propagation de l'au-
131 i 1 III)AIIOFie
kylose se manifeste qui aboutit, en trois ans, à une immobilité complète de
toute la colonne vertébrale. Quand le processus eut atteint les articulations
des épaules, des douleurs et l'immobilité y apparurent. Le malade est alcoo-
lique. Il y a trois ans, il eut, pendant un mois et demi, des hémoptysies.
Etat du malade au moment de l'examen. Le malade est de haute
stature, il est pâle et maigre. La colonne vertébrale présente «ne ligne droite,
les déviations physiologiques sont aplaties. La cage tboracique est enfoncée,
les mouvements de la respiration sont limités, la respiration est d'un type
mixte (abdominal et costal). Tout le tronc ainsi que la tête sont dans une
immobilité complète. Grande limitation dans les mouvements articulaires des
épaules ; les autres articulations des extrémités supérieures sont intactes ;
ankylose des articulations des extrémités inférieures ; grande limitation de
la motilité des articulations des hanches, desgenoux et des articulations du cou-
de-pied ; un bruit de frottement s'y entend ; limitation des mouvements et
douleurs à leur occasion dans les articulations temporo-maxillaires. La région
des petites articulations des deux pieds est enflée. Atrophie ou tension de
quelques muscles de la région de l'épaule. Douleurs aux mouvements dans
les articulations affectées.
Le système nerveux est normal. 1.
Observation XVI.
A. S..., 19ans,élëvedecollège,admisdaus la clinique privée du Dr Kotirdumoff
le 19 mars 1902. Le malade se plaignait de douleurs dans les articulations des
genoux et des coxo-fémorales qu'il ressentait à l'occasion des mouvements, et
de douleurs dans le dos, dans les côtes et dans les muscles de l'épaule gauche.
Il est malade depuis 6 ans (Arthrite et spondylite citron, rhum. aukylos.).
Anamnèse, - Le malade eut, dans l'enfance, la scrofule, un abcès à l'oreille,
la rougeole et, trois fois, une fluxion de poitrine. A 12 ans, après un refroi-
dissement survint une inflammation aiguë des articulations des genoux avec
douleurs, tuméfaction et fièvre ; l'affection dura 6 semaines. Deux ans après,
nouveau refroidissement suivi de la même tuméfaction fébrile qui se propagea
déjà sur les articulations des genoux, des hanches et sur les articulations du
cou de-pied. L'affection prit un cours chronique et il eut plusieurs paroxysmes
avec les mêmes caractères. y a un an, apparurent des douleurs et une immo-
bilité dans le rachis. La syphilis, la gonorrhée et l'alcoolisme sont exclus.
Etat du malade au moment de l'examen. - Le malade se tient debout, les
pieds arqués dans les articulations des genoux et des coxo-fémorales, le corps
penché en avant et du côté droit. Scoliose de la région dorsale. Immobilité
de la région dorsale et lombaire du rachis ; le cou reste libre. Limitation des
mouvements et douleurs aiguës pendant les mouvements dans les articula-
tions du bassin et des genoux ; tuméfaction de ces dernières (plus marquée au
genou gauche) ; douleurs dans l'articulation de l'épaule gauche et douleurs en
ceinture. Absence de troubles objectifs de la sensibilité ; sensibilité dou-
loureuse des apophyses épineuses des vertèbres ankylosée et du sacrum ; ri-
LA Sl'ONOYLOSE RHIZOMÉLIQUE 135
gidité des muscles dorsaux. Il s'agit dans ce cas de rhumatisme articulaire
chronique, ayant débuté par des phénomènes aigus, qui s'est porté des articula-
tions des extrémités inférieures au rachis dans la direction ascendante. Il est im-
portant de signaler une certaine amélioration subjective et objective dans l'état
du malade après un traitement d'un mois ; un certain accroissement de mo-
bilité du rachis doit être expliqué par un affaiblissement de rigidité des muscles
dorsaux.
Sur les seize observations que nous venons de décrire, il s'agit 14 fois
de la forme d'immobilité de la colonne vertébrale et des articulations dé-
crite par M. le Professeur P. Marie, sous le nom de spondylose rhizomé-
lique, et deux fois (obs. XV et XVI) d'ankylose chronique consécutive
au rhumatisme articulaire, et qui rappelle beaucoup la forme précédente.
En se basant sur les données de ces 14 observations (qui toutes sont des
observations personnelles), sur les résultats des quatre autopsies et sur la
littérature de la question, nous allons essayer d'esquisser un tableau de
la spondylose rhizomélique, étudiée au point de vue de la symptomatologie,
de l'étiologie, de l'anatomie pathologique, etc..
Nous nous arrêterons plus spécialement sur le diagnostic différentiel.
Symptomatologie.
1° Cette maladie se rencontre presque exclusivement dans le sexe
masculin (13 hommes et 1 femme). La littérature ne signale, à notre
connaissance, qu'un cas chez la femme (le cas de Gasne).
2° Le début de la maladie se fail à un âge peu avancé : 20 il 40 ans
(9 malades de 20 à 30 ans, 4 malades de 30 à 40 ans, 1 malade de
19 ans).
3° La durée de la maladie est de dix ans et davantage.
4° La profession desmaladesesLdesplus variées : cordonnier, infirmier,
marchand, rémouleur, garçon de restaurant, choriste, marchand am-
bulant, etc...
. 5° L'état général est bon.
6° Les douleurs el l'iiitiiiobilité de la colonne vertébrale, des articulations
des hanches et des épaules constituent les deux symptômes fondamentaux de
la spondylose rhizomélique. Le rapport réciproque de ces deux symptômes
constitue tout le tableau clinique de la maladie.
7° Le début de la maladie peut être : a) aigu ou subaigu et b), plus fré-
quemment il se fait lentement et insensiblement et a un cours chronique.
Dans les formes aiguës (5 fois sur 14) la maladie commence immédiate-
ment ou bien une ou quelques années après le moment funeste, par des
douleurs aiguës dans toute la colonne vertébrale ou seulement dans une
136 ELDAROFF
de ses parties, le plus souvent dans la région sacro-lombaire avec irradia-
lion des douleurs dans les articulations coxo-fémorales ; les douleurs com-
mencent rarement dans la région du cou (obs. I, IV), dans les grandes
articulations du bassin, des genoux (obs. III- VI). Il n'existe pas de phéno-
mènes inflammatoires de tuméfaction, de rougeur de la peau ; il nj
ni pas d'élévation de température. Les douleurs spécifiques, lancinantes et
aiguës s'accentuent au moindre mouvement à tel point que les malades
sont obligés de conserver une immobilité absolue de la partie affectée.
Après quelque temps, quelques semaines ou quelques mois, les douleurs
s'apaisent et les parties du corps, que le malade tenait immobiles à cause
des douleurs (c'est le plus souvent la région sacro-lombaire avec les arti-
culations coxo-fémorales), restent immobilisées, ankylosées. C'est de cette
manière qu'apparaît le second symptôme de la maladie : l'ankylose.
Dans les formes subaiguës, le début de la maladie est le même, seule-
ment les douleurs sont moins aiguës.
b) Dans les formes clii,oiiiques(9cas),qili sont les plus fréquentes, la mala-
die commence lentement, insensiblement pour les malades, et se développe
dans une période de plusieurs années ; le malade ne ressent qu'une gêne
et de faibles douleurs, le plus souvent dans les mêmes parties de la colonne
vertébrale que dans les cas de la forme aiguë. Dans les mêmes parties se
développent, en même temps que les douleurs, une limitation des mouve-
ments et, plus lard, une ankylose absolue. Les cas sont très rares où le
processus de l'ankylose commence et se développe sans aucune douleur
(Gasne, Spillmann et Etienne).
8° Le moment où le malade s'aperçoit de l'immobilité objective après
l'apaisement ou la disparition des douleurs ne correspond pas au début
de l'apparition de l'ankylose; le début de ce processus ankylosant coïn-
cide probablement avec le moment de l'apparition des premières douleurs.
L'ankylose est le processus primitif et les douleurs ne sont qu'un symp-
tôme de ce processus.
9° La région principale de l'ossification dans la spondylose rhizomé-
lique est la colonne vertébrale et « les racines des extrémités », c'est-à-
dire les articulations des hanches et des épaules.
Le mode de propagation dit processus d'ossification le long de la colonne
vertébrale peut se produire de bas en haut ou vice versa. Au cas où les
douleurs et l'immobilité se propagent de bas en haut (onze cas) ces dou-
leurs se manifestent dans la région sacro-lombaire et dans les articulations
des hanches. Du moment où ces régions sont ankytoséesjeprocessusd'ossi
fication se propage très lentement, « en tache d'huile », le long de la co-
lonne vertébrale, et, après avoir atteint la région dorsale, s'arrête pour
longtemps. C'est à ce moment probablement que se produit l'ossification
LA SPONUYLOSE IIHIZOMÉLIQCE 137
de la cage thoracique. Longtemps après, quelquefois plusieurs années, les
douleurs aiguës et l'immobilité apparaissent dans la région des épaules,
comme elles sont apparues déjà dans la région du bassin. La colonne ver-
tébrale dans ses parties cervicale et dorsale se soude avec la tête et les arti-
culations des épaules. Le même processus de propagation se manifeste quel-
quefois, mais bien plus rarement, dans une direction opposée (trois cas) :
il commence à la région du cou et des articulations des épaules, descend
le long de la colonne vertébrale jusqu'à la région sacro-lombaire, s'arrête
dans celle-ci pour quelques années souvent, et soude enfin la région du
bassin et les articulations des hanches.
10° Après la première période de douleurs aiguës, les douleurs s'apai-
sent et dans le cours ultérieur de la maladie elles n'apparaissent que de
temps en temps, comme des crises isolées. Au premier plan du tableau de
la maladie ressort le second et le principal symptôme de la spondylose
rhizomélique : l'immobilité absolue delà colonne vertébrale. La colonne
vertébrale est immobile dans toute sa longueur, de la tête jusqu'au sacrum
(dans 8 cas), ou bien elle n'est immobile qu'à la région dorso-lombaire
(dans 6 cas).
11° La cyphose de la colonne vertébrale présente une déviation anté-
rieure en forme de courbe régulière et ordinairement de grand rayon. La
déviation ne se trouve le plus souvent qu'à la partie dorsale (8 cas), ou
bien elle siège à la partie cervicale inférieure et à la partie dorsale supé-
rieure (3 cas) ; il existe parfois une cyphose de la partie dorsale et lom-
baire (1 cas).
La configuration de la colonne vertébrale sauf la déviation en avant est
normale; dans un cas la cyphose s'est accompagnée d'une scoliose peu
marquée, il n'y a pas de saillies postérieures des vertèbres.
12° Dans nos 14 cas, la lordose lombaire physiologique est aplatie.
13° Dans toutes les observations, la cage thoracique est enfoncée d'avant
en arrière, elle est plate et immobile pendant la respiration ; le type de la
respiration est abdominal.
14° La région de l'abdomen est divisée par un pli horizontal, qui passe
à 3 centimètres au-dessus de l'ombilic, en deux parties : l'une, supérieure,
qui est plate, et l'autre, inférieure, qui est rejetée en avant.
15° Il y a dans toutes nos observations une affection plus ou moins
marquée des articulations des hanches et des épaules; il existe une faible
limitation des mouvements avec bruit de frottement; il peut y avoir une
ankylose complète ; les cuisses sont, pour la plupart, ankylosées en demi-
flexion.
16° La statique et la dynamique des malades dépendent : de l'état de
l'ankylose de la colonne vertébrale, du degré de sa propagation, de la diffi-
à'.IV 10
138 ELDAROFF
culte des mouvements ou de l'immobilité des articulations des hanches et
des épaules, de l'intensité et de la localisation des douleurs. Les parties
ankylosées sont soudées en un bloc osseux, « qu'il est plus facile de briser
que de lléchir » : \
17° Toutes les autres articulations dans les 14 observations (sauf les
articulations des hanches et des épaules) restent à peu près intactes (excepté
dans l'obs. VI où s'est manifestée une légère limitation des mouvements
dans les articulations du coude, et dans )'obis. IX, où les mouvements des
articulations des genoux ont été légèrement limités. Dans trois cas on
trouve dans les antécédents personnels, des affections passagères des arti-
culations lemporo-maxillaires).
18° Un bruit de craquement se manifeste presque toujours dans les arti-
culations ankylosées, qui ont encore conservé la possibilité du mouvement.
19° Un des symptômes caractéristiques pour la spondylose rhizomélique
est l'absence presque absolue de dépôts osseux et de déformations des os
(sauf une déviation cyphotique de la colonne vertébrale, qui a été signalée
plus haut).
Chez deux de nos malades (obs. VIII et IX) on a observé un léger épaissis-
sement des extrémités internes des clavicules ; dans l'observation IX, les
condyles des extrémités inférieures sont épaissis, dans l'observation -XII[,
il existe une saillie du corps des vertèbres cervicales à la région du pharynx
et un dépôt d'ostéophytes sur la surface antérieure de ces dernières.
Dans toutes les autres observations, l'examen clinique n'a permis de
déceler aucune exostose.
20° Non moins caractéristiques que l'ankylose sont, pour la spondylose
rhizomélique, les douleurs. Au début de la maladie, les douleurs aiguës
annoncent l'immobilité et du moment où cette immobilité s'est installée
dans les parties où se ressentaient les douleurs, ces dernières disparaissent.
Les douleurs ont leur maximum d'acuité dans les régions de la colonne
vertébrale qui ne sont pas encore ossifiées.
Au cours de la maladie, il n'existe pas de douleurs spontanées ; les dou-
leurs ne se manifestent qu'à l'occasion des mouvements.
21° Le toucher et la pression'n'éveillent, dans les vertèbres elles articu-
lations affectées, aucune sensation douloureuse qui aurait pu signaler la
présence d'un processus osseux. On parvient quelquefois à trouver des
points douloureux le long des apophyses épineuses des vertèbres et dans
quelques points des articulations affectées, mais ils n'ont aucun rapport
avec le squelette osseux.
22° Dans une des 14 observations (obs. XI) il y a un tabes, qui a été
diagnostiqué pendant la vie de la malade et confirmé par les résultats de
l'autopsie; à l'analyse microscopique de la moelle épinière on a constaté :
LA Sl'ONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 139
une complète dégénérescence des faisceaux postérieurs (un état semblable
a été décrit par le Dr Babinski).
Dans toutes les autres observations, le système nerveux, au point de vue
clinique et anatomique, ne présente aucun trouble objectif dans la sphère
sensitive ou motrice, sauf une faible exagération des réflexes tendineux.
23° Troubles trophiques. Dans presque toutes nos observations, les
troubles du côté des muscles sont manifestes : le plus souvent, ce sont de
faibles atrophies simples et une rigidité des muscles de la région des
épaules, du bassin et des muscles qui entourent « les racines îles extrémi
tés n ; on remarque quelquefois un amaigrissement des extrémités supé-
rieures ou inférieures, in loto (1 à 3 centim.) (obs. I, II, VII); une
atrophie avec épaississement des muscles longs du dos. Dans quelques
cas on observe un tremblement fasciculaire, mais on n'a jamais observé
de tremblement fibrillaire et de réaction électrique de dégénérescence.
Tous les troubles atrophiques des muscles doivent être mis sur le compte
de l'affection des articulations (Des convulsions myocloniques ont été
décrites dans la spondylose rhizomélique par Levi et Follet).
(A suivre.)
Ut\'IVLsliSl7'L' D'A THUNES.
ARTHROPATHIE AVEC FRACTURE SPONTANÉE
DU COL DU FÉMUR CHEZ UN CANCÉREUX
PORTANT DES TUMEURS SECONDAIRES MÉTASTATIQUES MULTIPLES
PAR li
G. CARYOPHYLLIS,
Professeur agrégé à l'Université d'Athènes.
Il est depuis longtemps connu, surtout depuis les mémorables travaux
de Charcot, que chez les tabétiques on rencontre très souvent des arthro-
pathies et des fractures spontanées, qui ont un caractère tout à fait par-
ticulier d'indolence ; elles sont déterminées par un traumatisme insigni-
fiant, ou surviennent sans aucun traumatisme, quelquefois même presque
sans effort. Un malade de Charcot s'est cassé la jambe en tirant sa botte..1
ces arthropathies et à ces fractures spontanées, on a reconnu une origine
trophique centrale.
A une des séances de l'année dernière, à la Société de neurologie de
Paris, à l'occasion d'une communication de MM. Barré elFIandin'Ia ques-
tion a été suivie d'une discussion à laquelle ont pris part MM. Déjerine,
Thomas, Girard, Gilbert Ballet, Babinski et P. Marie. Les opinions se
sont partagées, s'il fallait oui ou non reconnaître, comme on le croyait
jusqu'ici, une origine trophique centrale à ces lésions articulaires et os-
seuses et si elles sont toujours liées à une maladie de la moelle. Depuis les
travaux de Charcot, on a rapporté des observations d'arthropathie et de
fractures spontanées survenues aussi chez des malades syringomyéliques,
chez des diabétiques, et chez des syphilitiques, qui n'avaient pas de mala-
die de la moelle.
Nous rapportons ci-dessous une histoire que nous croyons intéressante
à plusieurs points de vue ; il s'agit d'un des malades de notre clinique,
chez qui nous avons observé une arthropathie de la hanche droite avec
fracture spontanée du col du fémur et disparition presque totale delà tète
de l'os, ce qu'on voit très bien dans la radiographie de ce malade (voir
pi. XX et XXI). ,
Observation. (PI. XIX)
S. Koz., marié, pas d'enfants, employé à la Douane. Mère morte de cancer.
Pas d'abus d'alcool. Rougeole à de G ans. Fièvre gastrique, comme il
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.
'I'. xxiv. Pl. XIX
ARTHROPATHIE ET FRACTURE DU COL DU FÉMUR
Tumeurs métastatiques secondaires chez un cancéreux.
(Caryophyllis) .
Masson & Cie, Editeurs
Phototypie Berthaud, Pari !
ARTHROPATHIE AVEC FRACTURE SPONTANÉE 141
pelle, à Page de 48 ans. Trois mois avant son entrée à notre clinique, étant
allé, comme d'ordinaire, s'asseoir à un café, il sentit une très forte douleur
dans son articulation coxo-fémorale droite et ne trouvant pas de repos, à cause
de cette douleur, retourna chez lui à pied, mais avec beaucoup de difficulté et
en s'appuyant sur sa canne. Quand il est arrivé à sa maison, et qu'il a voulu
monter la première marche de l'escalier, la douleur est devenue très forte et
il a même éprouvé un sentiment particulier, une sorte de craquement dans
son articulation. Les jours suivants pourtant, malgré les douleurs qu'il ressen-
tait dans son articulation malade, il sortait en boitant et en s'appuyant toujours
sur sa canne pour s'occuper de ses affaires de douanier, et cela pendant un
mois.
Après ce temps, les douleurs dans la hanche sont devenues tellement fortes,
que le malade n'a pu ni sortir, ni marcher. Celles-ci apparaissaient à tout
mouvement de son membre malade et même spontanément, de sorte que le
patient passait des jours et des nuits sans pouvoir reposer. La température
durant ce temps, ne s'est pas élevée à plus de 37 5.
Il est entré à la clinique le 9 avril 1910, avec 38°, pouls 115, et un étal
général plutôt mauvais. Il souffrait de douleurs continues jour et nuit, ne
lui laissant aucun repos; amaigrissement marqué. Le membre inférieur droit
est tout à fait immobile et, au moindre mouvement passif, le malade pousse
des cris à cause des douleurs provoquées. Toute la région autour de l'articu-
lation coxo-fémorale est oedématiée. Le grand trochanter est fortement porté
vers le haut jusqu'à 5-6 centimètres de la crête iliaque correspondante. Au
devant de l'articulation, à la région inguinale, on trouve une proéminence, au
lieu du creux normal de cette région. Le membre droit est beaucoup plus
court que le gauche. Il existe une atrophie très marquée de tous les muscles
du membre malade. Mais surtout l'atrophie est grande aux muscles de la v
face antéro-externe de la jambe, où l'on remarque une cavité creuse au lieu
de la proéminence normale des muscles de cette face. Les mouvements de tous
les muscles innervés par le nerf péronier sont totalement abolis. Le pied
droit est tourné en dedans et en bas (pied-bot paralytique) dans une immobi-
lité absolue, le malade ne pouvant exécuter que'quelques mouvements de flexion
de doigts seulement.
La sensibilité se conserve presque partout intacte, les réflexes existent du
côté sain. Il n'y a aucun signe de tabes (pas de douleurs fulgurantes, pas d'a-
taxie, pas de signe d'Argyll.Robertson). Le malade a parfois de la rétention
d'urine, pour laquelle on est obligé de le sonder.
Sur la face antérieure de la cuisse gauche, à l'union de son tiers inférieur
avec ses deux tiers supérieurs, il existe une tuméfaction oblongue, mesurant
12 centimètres de long sur 6 centimètres de large, adhérant intimement dans
la profondeur à l'os, de consistance solide plutôt ; la peau est mobile sur cette
tumeur, qui est douloureuse à la pression, et même spontanément ; le malade
ressent des douleurs à cet endroit. Une autre tumeur de même nature, grande
comme une pièce de 5 francs en surface et soulevant la peau, ayant une hau-
teur de 2 centimètres environ, se trouve placée sur les 4e et 5e côtes gauches,
il ? ) C : 1R10('IlYLLIS
exactement sous le sein ; elle adhère intimement aux côtes sous-jacentes, la
peau est mobile sur elle ; elle est de consistance plutôt solide et douloureuse il
la pression. Le malade ressent en outre des douleurs spontanées à cette ré-
gion. Une troisième tumeur, beaucoup plus petite que les deux premières,
grande comme une noix, se trouve située sur les 7° et 8*' côtes droites et sur
la ligne axillaire, ayant exactement les mêmes caractères que les deux antres. ? Coeur. - Le second bruit, il la base, est dur et parcheminé.
Urine. - Un peu d'albumine, pas de sucre.
Poumons. - Rien d'anormal.
Appareil digestif. Le malade présente des taches de muguet dans la
bouche, sur la langue, s'étendant jusqu'au pharynx. Il a de la dysphagie, de
l'anorexie, de la diarrhée alternant avec de la constipation. Pendant les der-
niers jours de son existence, le malade s'est plaint d'une forte douleur dans
la région cervicale de la colonne vertébrale, de sorte que les mouvements de
cette partie étaient douloureux et très restreints.
La réaction de Wassermann fut trouvée positive, malgré que le malade niait
qu'il eût jamais contracté la syphilis.
Vu cette réaction positive et le manque de signes d'une maladie quel-
conque de la moelle épinière, nous avons porlé tout d'abord le diagnostic :
Arthropathie avec fracture du col du fémur probablement syphilitiques.
Les tumeurs, que le malade présentait dans les autres parties de son
corps, furent considérées, provisoirement au moins, comme des gommes.
Nous avons par conséquent soumis le malade au traitement spécifique,
et appliqué au membre fracturé l'extension continue. L'état du malade
a paru s'améliorer au début, tant au point de vue local qu'au point de
vue général ; il faisait quelques mouvements avec son membre inférieur
droit, les douleurs ont été diminuées, la stomatite fut guérie, il mangeait
bien, le sommeil était revenu. Mais celte amélioration n'a pas duré long-
temps ; l'état du malade n'a pas tardé à empirer, celui-ci se cacheclisa de
plus en plus, la fièvre s'éleva de 37"S à 38°5.
Ayant soumis le malade entre temps à l'examen radiographique(Pl.XX),
nous avons dû rectifier, au moins pour la seconde partie, cellequi conCel'I1aI il
les tumeurs osseuses de la cuisse gauche et de la poitrine, notre diagnos-
tic. En effet si l'on veut bien observer pjrmi nos radiographies, celle de la
misse (et celle des côtes était pareille), on n'y trouvera point les caractères
décrits et mis en évidence par les observations de Ilahn, Kohler, Iiienhüclc,
Ilalm, Deycke, etc., de l'ostéite syphilitique gommeuse, dans laquelle la
néoformation spécifique, formée aux dépens du tissu osseux, qui paraît
épaissi, se distingue par une zone plus claire, limitée par un cercle som-
bre. Ce qui caractérise ici le néoplasme osseux, c'est l'érosion de l'os fail 1
par celui-ci, qui est très nette, l'os paraît comme rongé par la néoplasir,
qui faisant une brèche, pénètre en lui.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊ1RIÈRE.
T. XXIV. Po. xi
TUMEUR METASTATIQUE DE LA CUISSE GAUCHE CHEZ UN CANCÉREUX
(Caryopbillis) ,
Masson & Cie, Editeur;
Photoh rie nerlhnl1d, POri'>
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPf.TRIÈRr.
T. XXIV. Pl. XXI
ARTIIROPATHIE ET FRACTURE SPONTANÉE DU COL DU FÉMUR
CHEZ UN CANCÉREUX
(Ca1JoPbillis) .
Masson & Cie, Éditeurs.
ARTHROPATHIE AVEC FRACTURR SPONTANÉE 143
L'actinographie de l'articulation de la hanche (PI. XXI) montre une
fracture du-col du fémur avec déplacement de celui-ci en haut vers la fosse
iliaque.
La tête de fémur paraît atrophiée, ne se voyant presque pas dans la
cavité colyloïde ; peut-être aussi le col du fémur luxé est-il usé aussi à un
certain degré. .
La mort du malade est survenue le 13 mai z1910 clans une profonde
adynamie. Après la mort, on a enlevé des morceaux de la tumeur de la
cuisse et de celle située dans le sein droit, qu'on a soumis à l'examen
histologique.
Ces tumeurs étaient constituées par un stroma de tissu conjonctif, infil-
trépar places par des cellules rondes, dans lequel étaient contenus des tubes
pleins de cellules polygonales, disposées en plusieurs couches dont la
plus externe est formée de cellules cylindriques. Beaucoup de ces cellules
ont subi la dégénérescence granuleuse et muqueuse. Nous avons donc
affaire à un épithélioma glandulaire. Malheureusement, n'ayant pu faire
l'autopsie du malade, nous n'avons pas vu où était le siège primitif du
néoplasme.
Il y a plusieurs questions à résoudre, croyons-nous, à propos de cette
observation. D'abord l'arthropathie et la fracture spontanée qui sont sur-
venues chez ce malade étaient-elles dues aussi à une métastase cancéreuse
siégeant au col du fémur, qui, érodé par celle-ci, n'a pu, à cause de son
affaiblissement, supporter le poids du corps à un moment donné et s'esl
fracturé et tout le reste n'était que la conséquence nécessaire de cette
fracture ? Ou l'arthropathie et la fracture spontanée n'avaient pas de rap-
port étiologique immédiat avec une métastase épithéliomateuse locale,
mais elles sont survenues tout simplement chez un cancéreux cachectique,
comme des lésions articulaires et osseuses analogues surviennent chez les
tabétiques ? Et la syphilis, quel rûlejoua-t-elle là-dedans ? Peut- on attri-
buer une origine myélitigue é, ces lésions ostéoarticulaires ? Nous ne le
croyons pas, puisque le malade n'a pas eu de signes de tabes évidents,
ni d'autre maladie de la moelle. La paralysie du nerf péronier peul être
expliquée par névrite autotoxique survenue chez un cancéreux cachecti-
que, comme il n'est pas rare d'ailleurs de voir de pareilles névrites péri-
phériques chez d'autres cachectiques, des tuberculeux par exemple.
On peut donc conclure que des arthropathies et des fractures sponta-
nées peuvent être rencontrées non seulement chez des malades tabétiques
et syringomyéiiquesmais chez d'autres qui ne souffrent point de la moelle
épinière ; par conséquent ces lésions ne sont pas, comme on le croyait
jusqu'ici, d'origine trophique centrale, exclusivement liées à une lésion
des cordons postérieurs de la moelle.
ÉTUDE ANATOMO-PATHOLOGIQUE
- D'UN CAS DE
MALADIE DE DERCUM CHEZ UNE IMBÉCILE ÉPILEPTIQUE
par
L. MARCHAND, et H. NOUET,
Médecin de la Maison nationale Médecin de l'Asile
de St-Maurice. d'aliénés d'Evreux,
L'étiologie de l'affection décrite par Dercum sons le nom d'adipose dou-
loureuse, est encore peu connue. La maladie débute le plus souvent après
la ménopause. Guillain et Alquier (1), Le Play (2) insistent sur l'impor-
tance de ce facteur ; d'autre part,Sicard et Roussy (3), Sicard et Berko-
vitsch (4) ont noté l'apparition du syndrome de Dercum après l'ovarioto-
mie. Il semble donc exister des rapports étroits entre la suppression de la
fonction ovarienne et l'apparition de l'adipose douloureuse.
Les recherches anatomo-pathologiques, d'ailleurs très rares, n'ont pas
encore apporté à l'heure actuelle de résultats très précis. Sellerni (5),
dans une étude d'ensemble, considère que cinq fois sur cinq on relève
dans cette affection des lésions des nerfs périphériques (névrite intersti-
tielle), quatre fois sur cinq des lésions du corps thyroïde et deux fois sur
cinq des altérations de l'hypophyse. Outre ces lésions, quelques auteurs
ont trouvé des lésions des glandes surrénales. Pour MM. Ilallopeau et
Bourdet (6), il y a lieu d'attacher une grande importance aux troubles
concomitants de la nutrition et de l'innervation du grand sympathique,
ainsi qu'à celle des centres moteurs médullaires et des centres psychiques.
Toutefois les lésions du corps thyroïde et celles de l'hypophyse semhlent
jouer un rôle prépondérant dans la pathogénie de l'adipose douloureuse.
(1) GUILLAIN et ALQUIER, Etude analomo-patltol, d'un cas de mal. de Dercum. Arch.
de méd. exp. et d'Anat. pathol., 1906.
(2) Le PLAY, Un cas de mal. de Dercum. Soc. de Neurologie, 1903.
(3) Srcnno et Roussy, Deux cas d'adipose douloureuse, suite d'ovariotomie. Soc. méd.
des llôp., 1903.
(4) Sicard et Berkovitscii, Adipose douloureuse par insuffisance ovarienne. Soc.
méd. hôp., 1908.
(5) Sellerni, Coretrib. à l'élude de l'adipose douloureuse. Th. de Pari., 1903.
(6) HALLOPBAU et BOUDFT, Sur une variété lipomaleuse de la maladie de Dercum.
Soc. française de dermat. et de syphiligraphie, décembre 1906.
MALADIE DE DlcRCUM CHEZ UNE IMBÉCILE ÉPILEPTIQUE 145
La seule observation dans laquelle on relève des lésions isolées de l'hy-
pophyse est celle de Dercum et Mac Carthy (-1 ). Le système nerveux dans
ce cas était normal, part quelques anomalies des circonvolutions du lobe
frontal. Il existait de plus un épithélioma du corps pituitaire,Les capillai-
res des nerfs périphériques sous-cutanés étaient distendus ; les testicules
présentaient manifestement un arrêt de développement.Le corps thyroïde
était normal.
Bien plus communes sont les observations dans lesquelles on note une
lésion de la glande thyroïde. Pour Ghelphi (2) la maladie de Dercum est
sous la dépendance d'une dysthy,'oïdie, Fratti (3) et Gelphi (4) signalent
la présence de symptômes basedowiens chez leurs sujets. Dans le cas de
fini Nain et Alquier (5) il existait des lésions scléro-graisseuses du foie et
des reins, une hypertrophie avec sclérose assez développée du corps thy-
roïde et une hypertrophie considérable de l'hypophyse avec sclérose asso-
ciée.De plus ce dernier organe présentait des alvéoles irréguliers, remplis
de cellules basophiles accumulées sans ordre, comme les éléments d'un
carcinome alvéolaire dans de véritables alvéoles conjonctifs (processus
d'hypertrophie simple). D'autre part, dans les observations de G. Price(6)
on trouve les lésions suivantes : dans le premier cas des lésions inflamma-
toires de la glande thyroïde et de l'hypophyse, dans le deuxième cas une
prolifération du tissu conjonctif de la glande thyroïde et des lésions légères
de l'hypophyse.
La lésion des surrénales n'est constatée que dans un cas, celui de Mac
Carthy (7), et consistait en une hypertrophie. On a noté enfin dans plusieurs
observations des lésions des nerfs périphériques et sympathiques ; cette
lésion se trouve expressément notée par Dercum, Mac Carthy et G. Bal-
let (8). Taylor et Luce (9) ont observé un sujet atteint de névrite alcoo-
lique chez lequel se développèrent des masses graisseuses douloureuses et
plus tard des troubles mentaux. Le Meignen et Levesque (10) ont relevé
(1) Dercum et nlec Carthy, Autopsie d'un cas d'adipose douloureuse.American journal 1
of Med. Se, 1902.
(2) A. Ghelphi, Syndrome de Dercum avec phénomènes basedowiens. Bull, delle
cliniche Milan, septembre 1904.
(3) G. Fratti, Maladie de Dercum. Gazz. degli Ospedali et delle Cliuiche, 1901. -
(4) Gelphi, Loc. cit,
(5) Guillain et ALQl11EII, Loc. cil.
(6) G. PHICE, Adipose douloureuse. Diagnostic et Pathogénie. Philadelphie Soc.Neu-
rol., 1908. The journal nerv. and ment. disease, mars 1909.
(7) MAC Carthy, Philadelphie Neurological Society, 230 et 1906.
(8) G. Ballet, Adipose douloureuse. Presse médicale, 1903, à 28.
(9) E. V. Taylor et J. S. LUCE, Un cas d'adipose douloureuse. Boston med. journ ,
février 1906. ?
(10) Le Meignen et Levesque, On cas de maladie de Dercum à rémissions passagères^,
chez un homme. Bull. méd., 28 avril 1906..
1 Il(; MARCHAND ET NOUET
également des symptômes de névrite alcoolique chez un sujet atteint de
maladie de Dercum.
Dans l'observation suivante, concernant une imbécile épileptique,
atteinte d'adipose douloureuse généralisée, les lésions les plus accusées
siègent au niveau du corps thyroïde ainsi que l'a montré l'examen histolo-
gique qui a porté sur les principaux organes eL sur le système nerveux.
L'observation clinique de celle malade a été publiée ici même par
M. Prunier (1). Elle peut se résumer de la façon suivante :
H. P... est entrée à l'asile d'Evreux en 1870. Le certificat de transfert (Sal-
pêtrière) porte le diagnostic d'imbécillité avec épilepsie et cécité. La cécité et
l'épilepsie remonteraient aux premières années de l'existence.H. P... est inter-
née depuis l'âge de 10 ans. Les accès épileptiques sont au nombre de 30 à 40
par an environ.
C'est en 1899, après la ménopause, à l'âge de 49 ans, qu'apparut le syn-
drome de Dercum. L'infiltration graisseuse a toujours progressé depuis cette
époque.
Les joues et le menton sont recouverts d'une masse adipeuse, le cou est
énorme, la poitrine et l'abdomen ainsi que la région fessière présentent une li-
pomatose diffuse.
Les seins sont très volumineux. Au niveau des membres, il existe une in-
filtration intense qui augmente progressivement de la racine vers l'extrémité
pour s'arrêter brusquement aux poignets et aux chevilles. Les pieds et les
mains sont normaux. Toutes les régions adipeuses sont très douloureuses à la
pression.Le moindre contact amène chez la malade des mouvements de défense
et provoque des cris de douleur.
La peau est sèche, rugueuse et presque totalement dépourvue de poils aux
aisselles, au pubis. Les orteils ont une teinte asphyxique.
Les réflexes rotuliens sont normaux, ainsi que les différents appareils ; on
ne note rien de particulier dans les urines.
Le poids du corps est de 80 kilogrammes ; la taille de 1 m. 38.
Tel était l'état de II. P... en 1907. Elle était alors âgée de 57 ans. Depuis
cette époque jusqu'à sa mort, la situation ne s'est pas sensiblement modifiée.
La malade est décédée à l'âge de 58 ans le 3 janvier 1909, : '1 la suite d'un ?
affection cardio-pulmonaire qui dnra quelques jours et fut caractérisée par
les symptômes suivants : toux, dyspnée, cyanose de la face, râles crépitants
aux deux bases. A l'auscultation du coeur, les bruits étaient sourds, mal
frappés. Le pouls était petit et irrégulier. II. P... mourut dans un accès de
dyspnée. . -
Aittoisir, L'autopsie est pratiquée 2t heures apr ? 8 le décès.
(I) Pnomen, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, mars-avril 1907.
MALADIE DE DERCUM CHEZ UNE IMBÉCILE ÉPILEPTIQUE 147
Les poumons sont le siège d'une congestion très prononcée.
Le cour pèse 250 grammes. Il présente une infiltration graisseuse considé-
rable. A la coupe la moitié de l'épaisseur des parois ventriculaires est envahie
de tissu adipeux. La valvule mitrale est sclérosée, déformée. Les valvules
aortiques sont le siège d'un athérome très prononcé.
Les reins pèsent : le droit 145 grammes, le gauche 175 grammes. On ne note
aucune lésion appréciable.
La rate est volumineuse; son poids est de 275 grammes. Elle est de con-
sistance très dure, scléreuse ; son tissu crie sous le couteau.
Le foie, du poids de 1.400 grammes, a un aspect normal. Dans la vési-
cule biliaire, on trouve six calculs composés de cholestérine.
Les ovaires sont très petits, scléreux. Ils pèsent chacun 5 grammes.
L'hypophyse est de taille et d'aspect normaux à la coupe.
La glande thyroïde est énorme : 172 grammes. Elle a conservé sa forme
normale, l'hypertrophie est symétrique. A la coupe, elle présente un aspect
grisâtre; son tissu crie sous le couteau et prend par endroits un aspect carti-
lagineux L'ensemble de la glande est atteint de sclérose très accusée.
Les nerfs périphériques (médian, radial) paraissent infiltrés de graisse.
Le tissu cellulaire sous-cutané est formé d'une masse adipeuse de couleur
jaune, comparable à de la graisse de boeuf. Il n'existe pas de sérosité, mais
seulement du tissu adipeux. Cette couche mesure au niveau des membres une
épaisseur de 5 centimètres environ.
Cerveau. Le crâne est très épais et résistant. Ou ne note rien de parti-
culier à l'extraction du cerveau. Le liquide céphalo-rachidien se trouve en
quantité normale. Les méninges molles sont épaissies par endroit. Le volume
des ventricules latéraux est normal. Pas d'athérome des artères de la base. Sur
les coupes vertico-transversales on ne note aucune lésion localisée. Le plan-
cher du quatrième ventricule est normal. L'hémisphère droit est manifestement
plus petit que le gauche, il pèse 400 grammes, le gauche 450 grammes, le
bulbe et le cervelet 155 «ranimes.
Examen nts'roLOCnUE. - L'examen a porté sur la deuxième ciconvolution
frontale droite, sur les circonvolutions de la région motrice gauche. La pie-
mère est adhérente au cortex et présente des épaississements. La substance
corticale est d'une épaisseur moindre que chez l'individu normal, les circonvo-
lutions ont une surface bosselée. Les vaisseaux sont sains. On note une pro-
lifération névroglique très accusée et diffuse. Les fibres tangentielles sont
totalement disparues, la strie de Baillarger elle-même est à peine indiquée.
. Bulbe. - On ne trouve aucune lésion; les cellules des noyaux des nerfs
crâniens sont normales.
Cervelet.- Les circonvolutions sont peu développées ; on n'observe aucune
lésion des éléments constituants.
Nerfs périphériques. L'examen a porté sur le nerf médian et le sciatique
poplité externe ; on note autour des nerfs, du tissu graisseux, mais cette dis-
position est normale. Le tissu conjonctif périfasciculaire, les gaines lamelleuses
148 MARCHAND El' NOUET
et le tissu intra-fasciculaire ne présentent aucune infiltration graisseuse ou
hypertrophie. On ne relève aucune lésion des fibres myéliuiques.
Rate. - Elle présente une sclérose très appréciable.
Reins. On ne relève aucune altération des éléments parenchymateux et
interstitiels.
Foie. -- On ne note aucune lésion.
- Tissu adipeux. Ce tissu ne présente aucun caractère spécial.
Muscles. Le tissu musculaire a une constitution normale.
Ovaires. - Les ovaires sont atteints d'une légère sclérose diffuse, la
couche musculaire est très diminuée d'épaisseur. On ne trouve aucun ovisac.
Plexus choroïdes. Ces organes sont normaux et contiennent quelques
concrétions calcaires.
Glande thyroïde. Elle est formée d'un tissu scléreux très dense domi-
nant partout Par places les vésicules ont conservé leur forme normale et les
cellules épithéliales ont conservé leur ordination régulière. Dans d'autres
régions, il y a un bouleversement total des cellules épithéliales. Non seule-
ment les vésicules ont perdu leur caractère régulier, mais on trouve épar-
pillées dans le tissu conjonctif extrêmement dense, des cellules épithéliales
formant des groupes composés d'un nombre plus on moins grand d'éléments
(figure). Ces groupes sont tellement nombreux et confluents que le tissu revêt
la constitution et la physionomie de l'adénome. Dans d'autres régions de la
Adénome de la glande thyroïde.
1, Tissu fibreux. 2, 2, Cellules épithéliales disséminées dans le tissu flhreux. - \'é- V
sicule normale contenant de la matière colloïde.
MALADIE DE DERCUM CHEZ UNE IMBÉCILE ÉPILEPTIQUE 149
glande thyroïde, on observe des zones complètement séparées les unes des
autres par un tissu scléreux très dense. Il s'agit de régions présentant les
caractères du goître folliculaire enkysté. La coque du kyste est formée de
tissu pareuchymateux glandulaire refoulé et comprimé ; au sein du tissu
fibreux on trouve de nombreux amas de cellules épithéliales provenant de fol-
licules atrophiés. Le contenu du kyste est formé de tissu glandulaire dont les
alvéoles sont irréguliers. Les vésicules sont d'autant plus dilatées par la matière
colloïde qu'elles sont situées davantage au centre de ces régions enkystées.
En résumé, chez une femme atteinte d'imbécillité congénitale et d'épi-
lepsie, se développent, à Cage de 49 ans, les symptômes de la maladie de
Dercum. La malade meurt à l'âge de 58 ans. A l'autopsie on ne rencontre
que des lésions portant sur la glande thyroïde et les ovaires. L'hypophyse
examinée macroscopiquement ne présente aucune hypertrophie, aucune
altération apparente. Les lésions des ovaires consistent en une sclérose
diffuse avec disparition de la couche ovigène ; cette altération est commune
chez les femmes qui ont passé l'âge de la ménopause et qui n'ont présenté
cependant aucun trouble rappelant le syndrome de Dercum. Il est intéres-
sant de relever que chez notre malade, il n'existait donc comme lésions
importantes que celles de la glande thyroïde. Les autres organes, foie, reins,
rate, etc... ne présentaient rien de particulier; le système nerveux lui-
même, à part les lésions corticales scléreuses déterminant l'imbécillité, était t
indemne; les nerfs périphériques étaient normaux. On peut admettre
que dans notre cas les altérations dystrophiques étaient bien sous la
dépendance des altérations de la glande thyroïde; peut-être l'insuffisance
ovarienne est-elle venue surajouter son action au fonctionnement défec-
tueux de la glande thyroïde. -
Les lésions du corps thyroïde sont particulières ; elles ne consistent pas
en lésions scléreuses banales, comme il est fréquent d'en rencontrer chez
des sujets qui n'ont présentéaucun troubled'insuffisancethyroïdienne (1) ;
il s'agit d'un véritable tissu néoformé portant à la fois sur le tissu libreux
et sur les éléments épithéliaux, en un mot d'un véritable adénome.
D'autres régions de la glande, divisées en ilots, présentent les lésions du
goitre folliculaire enkysté.
(1) J. 11A,%i.ii)itii et L. \Lwcuwu, lctl tilde thyroïde chez les aliénés. L'Encéphale,
110 8, août 190S.
ASILE DE l3GL-dlli (GENÈVE)
DE QUELQUES -ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL
DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS (1)
PAR
le Professeur R. WEBER (de Genè\e).
àl. V. Monakow, dans son ouvrage sur « l'état actuel de la question
des localisations cérébrales » (p. 582, fig. 105 et 10(3) (2), décrit une
tumeur ayant détruit presque totalement les voies optiques du lobe occi-
pital gauche, sans produire d'hémianopsie. En examinant de plus près
les deux dessins donnés de cette région, on remarque que sur l'un l'angle
inféro-externe de Fli et la partie de ce faisceau qui tapisse la paroi inféro-
interne du ventricule occipital sont conservés. Sur la figure suivante et
plus rapprochée du pôle, c'est la région calcarine qui est relativement
indemne. Si l'on tient compte du fait que les tumeurs refoulent fréquem-
ment les faisceaux nerveux, en altérant la disposition sans les détruire
complètement, on peut supposer que ces restes de la conduction optique
ont suffi pour empêcher la production d'une hémianopsie nette.
Je dispose d'une observation analogue, plus compliquée cependant, car
les deux lobes occipitaux furent envahis par des néoplasmes.
Observation XIII (PI. XXII).
F. V., 54 ans, paveur, italien, n'a séjourné que trois semaines it l'asile, où
il est décédé. Les renseignements qu'a pu fournir sa fillette sont fort incom-
plets. Pleurésie il y a 10 ans ; a « pris froid » il y a quatre mois et depuis lors
n'a plus travaillé. Depuis deux semaines, début de la maladie mentale : « s'est
mis à parler seul ». Le médecin appelé crut avoir affaire il un alcoolique et nous
l'envoya avec ce diagnostic. z
F. est complètement désorienté sur le temps et le lieu ; il n'est plus capable
de raconter son passé de façon suivie. Puis son état s'améliore passablement ;
il sait qu'il est à Bel-Air, se souvient de la visite de sa fille. Bientôt cependant
l'obnubilation augmente de nouveau, changeant du reste d'intensité d'un jour
à l'autre. Il se lève souvent de son lit, va aux portes.
(1) Voir Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1905, 1906, 1907, 1908.
(2) V. MoNAKOW, Ueber den gegenwài ligen Stand der Fraye nach der Localisation
im Grosshirn, Wieshaden, 1907.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtriére.
T. XXIV. Fi. XXII t
ALTÉRATIONS DU TISSU CLKL13RAI, DUES A LA PRESENCE DE TUMEURS
(R. Weber).
Obs. XIII.
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 151
Au point de vue somatique, on note dès l'entrée la lenteur du pouls. La réac-
tion pupillaire, diminuée d'ampleur et de rapidité, n'est cependant pas abolie.
Pas d'aphasie, ni de troubles de la vision, au début.
Neuf jours après l'admission, F. n'est plus capable de se tenir debout, il
tombe en arrière. Les mouvements des bras sont ataxiques ; il ne sait plus
retrouver son lit, dont il s'est peine éloigné. On est frappé du fait qu'il re-
garde souvent à côté des personnes qui l'interpellent ; mais il reconnaît les
objets présentés à environ 50 centimètres de distance et de tous côtés. Il loca-
lise mal la piqûre, ce qui est en partie dû à l'ataxie du bras, mais distingue
la pointe de la tête de l'épingle. Pas de Stauungspapille, cinq jours avant le
décès.
Puis la somnolence devient de plus en plus profonde et F. succombe en état
de marasme provoqué en partie par les vomissements continuels.
. L'autopsie révéla qu'il s'agissait d'une sarcomatose généralisée ; on trouva
des noyaux néoplasiques dans le mésentère, la capsule surrénale droite, le
tissu adipeux du rein droit, le pancréas, les ganglions bronchiques, les deux
corps thyroïdes et diverses vertèbres (Prof. Askanazy).
La dure-mère est tendue, signe d'exagération de la pression intra-cra-
nienne. La pie-mère est sèche, les espaces arachnoïdaux ayant été fermés
autant que possible pour gagner de la place.
Les veines ont creuse des espèces de canaux dans les circonvolutions,
ce qui prouve une fois de plus « l'énergie vitale », si je puis dire ainsi
de la circulation sanguine ; de petites destructions locales du tissu
cérébral permettent de maintenir la nutrition de l'organe dans sa totalité.
Les circonvolutions sont aplaties, plus à gauche qu'à droite ; les sillons
sont fermés surtout dans les parties postérieures clés hémisphères.
Au point de vue de la pression, le cerveau n'est pas comparable à un
liquide ; certes, la pression est augmentée partout, mais elle l'est en CeI'-
tains endroits plus qu'eu d'autres. Chez F ? une « localisation » ils vira
fut impossible; par contre, une fois la dure-mère enlevée, on put ainsi
prévoir que surtout les lobes occipitaux seraient le siège de néoplasmes,
la masse la plus considérable serait sans doute à gauche.
On constata en outre qu'une tumeur de la grosseur d'une fève, sise dans
la région de l'hypophyse, se continuait dans la substance osseuse de la selle
turcique.
En ne tenant compte que des sarcomes macroscopiques, j'en ai compté 15,
9 à droite, 6 à gauche. C'est bien dans les lobes occipitaux qu'ils sont ou le
plus grands, ou le plus denses. Le plus gros noyau est à gauche.
Le planimètre indique les rapports moyens suivants entre surface totale de
l'hémisphère et tumeur :
Gauche 3 : 1. - Droite 8 : 1.
L'hémisphère gauche est plus grand que le droit.
152 VvEBEK
La planche XXII et la figure 1 montrent ce qui est resté plus ou moins intact
des faisceaux sagittaux : seulement la partie inférieure de Fli et de Rth., je la taxe
à l/3 au plus en longueur,alors que la largeur en est notablement réduite aussi.
Et ces restes ont suffi iL éviter la production d'hémianopsie ; il est
expressément noté dans l'observation que F. reconnaissait les objets dans
toutes les directions du champ visuel.
Tous ceux qui ont été appelés à soigner des malades atteints de tumeur
cérébrale ont été frappés de leur somnolence remarquable : le patient parait
ne s'intéresser à rien, mais si l'on arrive à le réveiller, on est souvent
étonné de la justesse de ses réponses. .
Il me semble que les troubles visuels de F. out eu un caractère abso-
lument analogue. D'abord, il regarde « à côté » ; il faut revenir la charge,
fixer son attention ; une fois cela obtenu, F. voit et reconnaît les objets.
Il paraîtrait ensuite permis d'admettre qu'une part très importante
dans la conduction des images optiques revient au tiers inférieur des fais-
ceaux sagittaux qui longent la paroi extérieure de la corne occipitale
pour se rendre à la calcarine.
Rth étant, dans notre cas, plus rapproché de la tumeur et lésé de façon
plus intense que Fli, c'est bien à ce dernier que nous devons sans doute
attribuer le rôle principal dans la vision. On ne peut que s'étonner de la
puissance de résistance de ces faisceaux de projection.
Dans un cas précédent (obs. VIII), l'évacuation des ventricules avait
servi il gagner de la place. Cette fois-ci, deux des tumeurs la plus
grande à gauche, une autre à droite se sont développées aux dépens du
ventricule, dans lequel elles ont fait irruption. Praliquement, cela revient
au même résultat, condition cependant que le néoplasme ne fasse pas bou-
F16, 1. (Obs. lIIll.
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière
T. XXIV ? Pl"XXIII ? w
ALTÉRATIONS DU TISSU CEREBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS
(R. Weber).
. Obs. XIV.
DE QUELQUES ALIÉNATIONS DU TISSU CEREBRAL J 53
chou, n'obstrue pas totalement le courant du liquide céphalo-rachidien.
Enfin; on serait tenté, chez F., de parler de « tumeur galopante a ; en
réalité, nous ignorons avec quelle rapidité croissent ces néoplasmes ; ils
peuvent avoir été latents, pendant nne période assez longue, parce que
disséminés et en partie intra-ventriculaires. Ce que je puis affirmer une
fois de plus (voir obs. XI), c'est que ces cerveaux ne présentent pas les
lésions anatomiques de la compression chronique ; ces semis multiples et
simultanés - à en juger d'après les dimensions atteintes - de germes
néoplasiques, conduisent bien avant à la mort.
Deux des 1 tumeurs sont très riches en substance colloïde; ce ne sont t
point les plus grandes, ni les plus anciennes, il supposer qu'il y ait une
certaine proportionnalité entre t'age et les dimensions. Il semblerait donc
ne pas s'agir ici simplement d'une forme de nécrose. Je ne trouve pas non
plus d'explication dans leur topographie; par contre, elles sont toutes
deux riches en hémorragies d'étendue variable (fig. 1). L'épanchement
sanguin, détruisant du tissu néoplasique, représenterait en quelque sorte
un processus curatif. D'autre part, ces hémorragies pourraient expliquer
les variations rapides des symptômes cliniques.
On distingue, dans le tableau clinique de l'apoplexie, les symptômes
initiaux des résiduels. Il serait fott intéressant de pouvoir faire de même
dans les tumeurs cérébrales : séparer les phénomènes de la compression
de ceux qui sont attribuables aux destructions occasionnées par le néo-
plasme. Ces derniers persisteraient après la décompression. Ayant soigné
un malade qui survécut G ans à une trépanation, j'osais espérer arriver
à quelque résultat dans ce domaine; il n'en fut rien. Il s'agissait, en effet,
d'une tumeur s'infiltrant clans- la masse cérébrale et dont la marche
envahissante ne fut nullement arrêtée par l'opération.
OB ? IIVATIUN XIV (PI. XXIII).
J. L..., mort à 52 ans; fut atteint d'une première crise épileptique à l'âge de
35 ans. La seconde ne survint que 4 ans plus tard. Un matin, à son réveil,
J. veut se lever, mais il tombe immédiatement - car tout son côté gauche
est paralysé et reste 24 heures sans secours. Convulsions du bras gauche,
flexion forcée de la main et des doigts il tel point que les ongles pénètrent dans
la chair ; grimace» de la face. D'abord les attaques sont quotidiennes, puis
elles disparaissent pendant un mois, éclatent de nouveau et deviennent défi-
nitives.
La paralysie du bras gauche subit également des variations, mais les mus-
cles s'atrophient.
xxiv JI I
1 54 WHBMH
Les crises sont précédées d'une aura sous forme de courant électrique dans
la moitié gauche du corps.
Un traitement par le bromure jusqu'à 10 grammes par jour reste
sans effet appréciable. Ayant entendu parler de la trépanation, J. demande
a y être soumis ; l'opération eut lieu en mars 1901. A travers la dure-mère
de la région rolandique, on ne sentit rien d'anormal ; c'est pourquoi on décida
~de l'inciser. Il s'ensuivit immédiatement une hernie considérable et irréducti-
ble. De tumeur, pas de trace, en apparence du moins, et l'on dut se borner
à suturer la peau aussi bien que possible.
L'opération eut pour résultat de délivrer J. de ses crises pendant environ
15 mois. Malheureusement, elles réapparurent ensuite et cette fois-ci s'accom-
pagnèrent de symptômes mentaux des plus pénibles. -J. est très déprimé; il
s'accuse d'onanisme et sa maladie actuelle est la punition méritée de ce vice. Son
corps est en décomposition, il est mort et n'existe plus qu'à l'état de « sur-
vie ». On le méprise « avec raison » et on le persécute. C'est après une ten-
tative de suicide qu'il fut conduit à Bel-Air, en décembre 1904.
L'hémiplégie gauche est complète; les membres sont affectés d'une contrac-
ture que l'on peut encore vaincre cependant. La sensibilité à la piqûre est
émoussée. Les moitiés droites des deux rétines sont hors de fonction. Gâtisme
périodique. Hernie cérébrale dans la région pariétale droite.
J. est un dément ; cependant avec de la patience, on retrouve encore chez
lui nombre de souvenirs et de vestiges des connaissances acquises autrefois.
Son existence ultérieure fut bien misérable; à diverses reprises il chercha
à se détruire pour échapper à tous les maux qu'on lui infligeait en l'empoi-
sonnant et en torturant. Au cours d'une crise, il buta contre l'angle
d'une table, s'attira un décollement de la rétine gauche.-En 1905 sa fin parut
imminente, mais à peine sorti de son état comateux, il se mit à insulter et à
battre son entourage. Ce ne fut qu'en avril 1907 et après plusieurs jours
d'une somnolence profonde, qu'enfin il fut délivré.
Le tout premier enseignement qui se dégage de cette histoire est qu'on
a rendu à J. un bien mauvais service en le trépanant. Reculer l'échéance
fatale n'est un avantage pour le malade que lorsque les jours qui lui sont
donnés sont supportables. Ce ne fut point le cas. Nous devons par tous
les moyens possibles chercher il établir notre pronostic sur des bases plus
sûres, afin d'éviter de pareilles erreurs. L'étude anatomique nous fournira
quelques données à ce sujet.
Nous observons assez fréquemment chez nos hémiplégiques des phases
rappelant la manie ou la dépression, parfois aussi des symptômes para-
noïdes. Il est rare cependant qu'ils arrivent il l'intensité de ceux que je
viens de décrire. Presque toujours, il me fut possible de démontrer que
ces « organiques » avaient déjà été des natures pathologiques aupara-
vant. J., par exemple, s'était séparé de sa famille, avait mené une vie
excentriqueet solitaire. D'autre part, les tumeurs cérébrales détruisent sans
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CEREBRAL 155
doute moins que les affections d'origine vasculaire ; le malade est donc
plus conscient de son état misérable et enfin, il souffre en général davan-
tage, deux circonstances qui sont bien de nature à altérer son psychisme.
J. a porté sa tumeur cérébrale au total pendant 17 ans ; cette constata-
tion n'est pas banale. La cause immédiate de la mort fut une pleuro-
pneumonie, du reste peu étendue.
Il ne présenta jamais ici de ralentissement du pouls, n'eut pas de vomisse-
ments ; un observateur superficiel l'eût pris pour un simple hémiplégique.
Ce qui nous intéresse de l'autopsie est que J. avait en outre quelques an-
giomes dans la peau de la poitrine et au foie. Fausses côtes en majeure partie
ossifiées.
Les bords du défect de l'os pariétal droit sont un peu irréguliers et émous-
sés. Les parties molles ne sont plus bombées mais au contraire déprimées en
cet endroit.
Sous l'aponévrose épicrânieune, le couteau rencontre un tissu lardacé et
fibreux qui pénètre à travers l'ouverture du crâne et est soudé au cerveau.
M. le professeur Askanazy, qui procéda à l'autopsie, fut immédiatement
frappé de voir que le plancher de la fosse crânienne antérieure était un peu
concave, et que les apophyses clinoïdes antérieures étaient effacées. La selle
turcique était un peu aplatie et élargie ; la crête sphénoïdale très peu élevée.
La dure-mère a, dans la fosse antérieure,un aspect tendineux, avec des traî-
nées fibreuses parallèles. Une fois la dure-mère basale enlevée, on constate
que les apophyses clinoïdes postérieures sont pointues et tranchantes. Le fond
de la selle turcique est aplati et rugueux.
Toute l'hypophyse est aplatie et l'infuudibulum y a creusé à la partie posté-
rieure une dépression de la grosseur d'un pois.
On voit donc qu'une tumeur de longue durée peut modifier la forme
du crâne, même de l'adulte. Il est très curieux que le tissu en apparence
le plus résistant de notre corps doive céder à une masse aussi peu solide
que celle du cerveau.
Conformément à ces constatations, les bases des lobes frontaux sont
proéminenles. Les parties postérieures des lobes frontaux et les antérieu-
res des temporaux s'emboîtent les unes dans les-autres. En dehors de cela,
le cerveau paraît peu comprimé, sauf dans les régions occipitales. '
Il s'agit donc probablement d'altérations osseuses de date ancienne,
'ayant débuté déjà avant la trépanatiou.
Relevons le fait remarquable que l'endroit de la trépanation, bombé
pendant la vie, était déprimé après la mort. La cessation de la circulation
doit en être la cause, sans toutefois que je puisse en expliquer le méca-
nisme. Peut-être l'ouverture de la boîte crânienne servait-elle de passage
au liquide céphalo-rachidien et celui-ci s'est-il dispersé suivant la pesan-
teur après la mort.
1511 WEBIOE
Celte explication parait d'autant plus probable que des parties profondes
du cerveau étaient oedématiées, ce que démontrent fort. nettement le poids
de cet organe (1.645 gr.) et les dimensions peu communes de la protubé-
rance (4, 5 cm. en largeur).
Ventricules. Comprimés dans le tiers postérieur, ils sont au contraire
un peu dilatés dans l'antérieur (G. > D).
Dans les plans correspondant à l'ouverture du crâne, le ventricule latéral
est étroit, mais s'allonge loin (PI. XXIII) vers celle-ci. son extrémité se voient
des fissures irrégulières dans le tissu qui, peut-être, communiquaient entre
elles et donnaient issue au liquide ventriculaire.
Il y a donc eu d'abord évacuation, plus tard stase du liquide céphalo-
rachidien ; mais elle ne s'est pas accentuée, celui-ci ayant trouvé un
débouché par l'ouverture du trépan.
Coupes sériées. - Très tôt déjà, le lobe occipital droit se distingue du gau-
che. Les noyaux sont plus denses et plus grands dans la substance blanche,
les vaisseaux y sont plus engorgés ; les espaces périvasculaires contiennent
presque tous du pigment.. Ces altérations sont plus fortes dans la moitié supé-
rieure des coupes et bientôt on s'aperçoit que cela tient déjà à ce que la partie
supérieure de Pa, Parc. et L. sont envahis par la tumeur.
Celle-ci dépasse en longueur le corps calleux ; formant une proéminence
qui remplit le trou du trépan endroit où elle est compacte et en partie
fibreuse elle s'infiltre sous forme de tissu glio-sarcomateux dans une grande
partie de l'hémisphère droit (voir PI. XXIII). A droite elle occupe avant tout :
Cc., Li, Fi, Fa, Pa, Thaï, opt., C. i., N. R., la région de l'insula et jusqu'au
lobe temporal, c. g. e, le pied du pédoncule. Elle n'a guère épargné que les
parties les plus inférieures de Pa et Fa et la zone lenticulaire, envahissant sur
certaines coupes, la moitié de la surface à droite.
Dans l'hémisphère gauche, elle a passé par contiguïté clans LI, de là elle s'est
étendue dans la zone blanche voisine de l'angle extérieur du ventricule laté-
ral et le long du bord ventriculaire du Thal. opt.
Sauf au point de départ du néoplasme, dans la région centrale droite, où le
tissu nerveux fut repoussé et en partie détruit, on retrouve partout des libres
nerveuses, altérées il est vrai, mélangées aux cellules sarcomateuses. C. g. e. il à
droite est transformé en une masse volumineuse, mais dont on ne reconnaît
que difficilement la structure originale. C'est doue ici que se trouve la cause
de l'hémianopsie constatée chez J.
La tumeur a envoyé un prolongement dans la C. A. à droite, et nous la
retrouvons encore dans la région protubérantielle (1/3 sup.). Le trigone droit
est sarcomateux dans sa partie antéro-supérieure. Il est dégénéré jusque dans
le tub mam. plus petit il droite qu'à gauche.
Ce cas, qui par sa longue durée semblait devoir être utilisable au point de
vue des dégénérescences secondaires, ne l'est guère en réalité, aussi bien parce
qu'il y a peu de destructions totales, que parce que les mêmes faisceaux sont
touchés en plusieurs endroits et de façon plus ou moins intense.
DE QUELQUES ALTERATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL
)H7 7
Je me bornerai donc à relever que, dans la moelle allongée, la pyramide
droite est complètement dégénérée et que le ruban de Bel correspondant est
nettement atrophié, surtout dans sa partie ventrale.
Si les modifications du crâne ont été relevées en détail, c'est que peut-
être elles ont quelque rapport avec des dépôts calcaires remarquables, en
différents endroits du cerveau, surtout : dans le pulvinar à droite; dans
la courbure du C. c. et de la couronne rayonnante, en dehors de l'angle
du ventricule latéral des deux côtés et à droite dans la protubérance,
entre les faisceaux de substance blanche.
Ce sont des amas,de formes variées, jaunes et réfringents au carmin, noirs
au Weigert, entourés de tissu qui n'est pas du tout ramolli. C'est notre
collègue, M. Askanazy, qui en établit la nature calcaire (1). Il y en a de
punctiformes, d'autres rappellent des bâtonnets, parfois recourbés. Cela
me donna l'idée qu'il pourrait bien s'agir de vaisseaux modifiés ainsi, et
en effet, on peut voir dans le voisinage de ces foyers des capillaires qui se
font immédiatement remarquer par leur réfraction spéciale : on dirait des
vaisseaux en verre. Le fort grossissement démontre qu'ils sont composés
de gouttelettes s. I. v. apposées les unes aux autres.
De pareils vaisseaux se rencontrent dans le Th. opt., les îlots postérieurs
de N. L. il droite et Li il gauche (fig. 2).
Il est remarquable que les dépôts symétriques appartiennent au terri-
toire de vascularisation des artères cérébrales antérieures dont la circu-
lalion aura sans doute été particulièrement gênée par la tumeur.
D'autre part, le néoplasme lui-même, au voisinage de l'ouverture du
trépan, est riche en dépôts calcaires : on a quelque peine à se défendre de
(1) ASGAYA7.1',Centralblalt f. patliol. Anat., 1896.
Fie. 2. Dépôts calcaires dans Tli. opt. dr. (Obs. XIV).
158 WEBER
l'idée, par trop simpliste sans doute, que le crâné ait été rongé en quelque
sorte par le liquide où il baignait, et que ces massés aient été déposées en
des endroits où la stase était particulièrement intense (D. > G.).
La même hypothèse s'appliquerait aux concrétions du pulvinar, amenées
depuis la base et déposées dans les parois des artères terminales de ce noyau
gris. Quoi qu'il en soit~ce phénomène était nouveau pour moi ; il doit être
relativement rare, car il n'en est pas fait mention dans la littérature que
j'ai pu parcourir. D'autre part, aucune des tumeurs observées jusqu'ici à
Bel-Air n'avait eu pareille durée. '
On peut mettre en parallèle avec le manque d'hémianopsie du cas pré-
cédent, le fait que J. ne fut pas apraxique ; ce qui reste du corps calleux
suffit à empêcher la production de ce symptôme et plus tard la paralysie
fut si forte qu'elle domina complètement le tableau clinique.
On sait que l'on a déjà cherché à expliquer les formes paranoïdes par
une lésion anatomique de la substance blanche (Rémond et Chevalier-
Lavaur, Encéphale, 1910).
Notre observation se prêterait particulièrement bien à pareille hypo-
thèse, car l'écorce y est relativement très bien conservée. Mais d'une pari,
ceci est fréquemment le cas dans les cerveaux à tumeurs, tandis que le
type paranoïde y est plutôt rare; enfin, il nous paraît démontré par
l'anamnèse que.1. était déjà «persécuté '' avant l'époque où débuta son
néoplasme cérébral.
A bien des reprises déjà l'anatomo-patholoâiste de notre Université.
M. Askanazy, nous a fait remarquer combien rarement les tumeurs céré-
brales font des métastases lointaines alors que fréquemment elles en sont
elles-mêmes.
Les deux cas ci-dessus illustrent cela de façon frappante : Obs. XIII, sar-
comatose de divers organes ; métastases multiples au cerveau ; mort en
quelques semaines. Obs.XIV,glio-sarcome de la périphérie du cerveau ;
durée 17 ans, point de métastase. Il n'est pas improbable que la compres-
sion exercée par la boîte crânienne, l'influence beaucoup moindre des
mouvements corporels sur le cerveau et peut-être aussi l'organisation par-
ticulière de la circulation lymphatique cérébrale jouent un rôle important
dans l'explication de ce fait. ,
Je ne puis m'empêcher de critiquer ici en quelques mois l'opéra lion
faite sur .1. Elle a prolongé son existence, il est vrai, mais ce fut une exis-
tence indigne d'être vécue. Eût-on pu le prévoir ? Il est probable que
oui. - Une ponction faite soigneusement eut démontré la nature de la tu-
meur, fixé le pronostic et suspendu 1 '¡ ntervention, - L'al iéniste qui, plus
tard, eu t empêcher la réussite des diverses tentatives de suicide de J. fit
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 1 : i ! 1
son devoir « réglementaire », mais en réalité il fut inhumain et par consé-
quent, son tiaitement ne fut pas « médical ».
Certes, J. était devenu bien dément et son horizon se bornait presque
à son bien-être, du reste fort relatif, comme on l'a vu. Cependant jamais,
sauf tout à la fin de son existence, il ne présenta la lenteur de réaction,
la difficulté associative des tumeurs cérébrales. Ces symptômes sont donc
sans doute à mettre au compte de la pression exagérée. Voyant le vaste
domaine envahi par le néoplasme, on ne peut que s'étonner du capital 1
intellectuel qui était resté à J. - N'oublions toutefois pas qu'il n'y avait
pas de destruction complète étendue et que l'hémisphère gauche n'était
que peu lésé. Les voies du langage en particulier, par lesquelles nous avons
pris l'habitude de penser, fonctionnaient et permirent ainsi la conservation
de bon nombre de phrases usuelles qui sont plutôt des automatismes que
des produits de réflexion.
S'il est peut-être vrai que l'on a une tendance à exagérer la démence
des aphasiques, il est encore beaucoup plus certain que l'on en attribue
trop peu aux aliénés qui ont gardé l'usage de la parole.
Résumé. - Une tumeur décomprimée par trépanation produit à peu
près la symptomatologie d'un foyer de destruction d'origine quelconque.
Ces 14 néoplasmes cérébraux nous ont appris à connaître les modes
suivants de« faire place».
1° La surface du cerveau s'applique aussi étroitement que possible à la
face interne du crâne, réduisant à un minimum les espaces normalement
ouverts entre les méninges.
2° Les sillons se ferment et l'hémisphère où siège la tumeur empiète
sur l'espace réservé à son jumeau.
3° Comme conséquence de 1 et 2 : les lobes (p. ex. frontaux et occipi-
taux) se tassant, prennent une forme massive ; leurs bords médians sont
plaqués l'un contre l'autre. A- leur périphérie, les circonvolutions sont
recourbées à angle droit, laissant juste de la place aux vaisseaux.
4° Evacuation plus ou moins complète des ventricules.
5" Développement du néoplasme dans l'espace ventriculaire, ce qui
pratiquement aboutit au même résultat que h.
6° Perforation spontanée du crâne ;
7° Dans des cas de tumeur spécifique, le ramollissement de certaines
régions « compense » le développement de gommes dans d'autres.
8° Destruction de tissu dans la tumeur même, par dégénérescence col-
loïde, ce qui permet fout au moins un maximum d'adaptation de la forme.
9° Destruction de tissu nerveux, ce qui sans doute est la dernière res-
source, une fois les autres épuisées. La substance blanche en souffre plus
que les masses grises.
1110 WEBER
10° Enfin, dans des cas très chroniques, on peut observer, même chez
l'adulte, des modifications de la configuration de la boîte crânienne.
Dans les cas de tumeur d'un seul hémisphère et surtout à partir du
moment où le courant ventriculaire rencontre un obstacle, on constate
que les ventricules sont inégalement dilatés ; le plus grand est opposé au
-néoplasme.
Les ventricules qui normalement servent sans doute de lacs lymphati-
ques et de coussinets pour adoucir les chocs produits par les mouvemenls
brusques, deviennent alors un danger pour le tissu cérébral. Ils favorisent
la généralisation de la pression exagérée suivant une formule telle que
par exemple hémisphère + tumeur + petit ventricule = hémisphère -I-
grand ventricule. L'hémisphère épargné par la lumeur est maltraité par
la pression du liquide.
Les néoplasmes métastasiques à semis multiples, peuvent prendre une
allure quasi foudroyante. On n'y retrouve pas les altérations hislologiqnes
de la compression chronique.
A la réunion de la Société neurologique suisse, en avril 1910, il Genève,
j'ai pu, en choisissant parmi les 14 observations publiées dans l'Iconogra-
phie, fournir des exemples et des coupes il l'appui de ces conclusions.
En même temps, ces projections démontrèrent que, suivant le siège de
ta tumeur, les effets généraux peuvent être précoces ou tardifs. Ils sont
précoces lorsque le néoplasme fait obslacle au courant du liquide céphalo-
rachidien, allant du T11" au IV ventricule et de là, par le trou occipital,
au canal rachidien. Tout en admettant que ce courant puisse en partie
être alimenté par sécrétion des plexus choroïdes, il me paraît certain
également que ce liquide céphalo-rachidien a pour tâche d'emporler les
déchets de la nutrition des régions profondes des hémisphères. S'il ne la
remplit plus, l'accumulation de ces produits usagés - outre qu'elle mel
obstacle à la nutrition normale - pourrait produire une sorle d'intoxica-
tion. Ceci doit être pris en considération avant d'affirmer la présence et
l'action de substances toxiques sécrétées par les néoplasmes.
Au point de vue opératoire, il est peut-être permis à un aliéniste de
fournir les remarques suivantes :
I. Les tumeurs à retentissement général précoce (voisinage de l'rlque-
duc, du IVe ventricule, du trou occipital) forcent le malade à se présenter
lôt au médecin ; à celui-ci à penser alors déjà à cette possibilité et à en
assurer le diagnostic. Elles pourront alors être opérées naturellement
si leur situation le permet avant d'avoir atteint de grandes dimensions
et le résultat pourra être favorable.
Il. Les néoplasmes à siège indiffèrent - dans ce sens sont souvent
négligés pendant longtemps par le patient, preuve en soit la malade de
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 1 si 1
notre observation X qui se rend en clinique hémiplégique et à peu près
aveugle. Pourtant cette tumeur eût été parfaitement opérable puisque
facilement accessible et bien délimitée.
Les rôles sont donc renversés ; du fait que le néoplasme est d'abord
plutôt bénin, on le néglige; lorsqu'on voudrait opérer, les destructions
du tissu cérébral sont déjà trop avancées. Même si le chirurgien réussit,
le résultat est plutôt pitoyable : cela me semble confirmé par la présenta-
tion de malades que fit M. Krônlein, de Zurich un chirurgien de qui
je n'ai pas à faire l'éloge à la Société suisse de neurologie (Courr. f.
schweiz. Aerzte, n° 10, 1910); les parésies s'atténuent, il est vrai, mais
il n'y a plus restitution complète. L'un des patients, opéré il y a 14 ans,
est resté quasiment hémiplégique et ses crises épileptiques n'ont pas
disparu.
Dans notre observation XIV, une ponction avec extraction de tissu eût
sans doute démontré la nature sarcomateuse du néoplasme et l'inutilité
d'une intervention chirurgicale : ce moyen de diagnostic ne devrait jamais
être négligé. La ponction des ventricules peut être également très utile au
chirurgien : elle diminuera la tension et facilitera son travail. Deux remar-
ques s'imposent toutefois :
1° Du fait que la ponction ventriculaire donne un résultat négatif, il
faut se garde de conclure à une pression non exagérée. En effet, les vent
tricules peuvent avoir été évacués, ou être, le siège de la tumeur. L'opé-
rateur qui ouvre alors la dure-mère se trouvera en présence d'un prolapsus
cérébral irréductible.
2° Les ventricules pouvant être l'un de dimensions réduites (côté de la
tumeur) ; l'autre dilaté (côté opposé), il peut y avoir avantage à ponction-
ner ce dernier.
Dans les cas de néoplasmes qui mettent obstacle au courant ventricu-
laire, la ponction lombaire peut déranger l'équilibre hydrostatique des
cavités crânienne et rachidienne au point de mettre la vie en danger
(Obs. IX).
Quant à la décompression par trépanation, en tant qu'opération pallia-
tive, elle ne fait parfois que prolonger une vie qui estplutôt un supplice.
Mieux vaut la mort.
INJECTIONS MERCURIELLES ET HÉMIPLÉGIE
PAR
RENÉ CHARON et PAUL COURBON
Médecins de l'Asile d'aliénés d'Amiens.
Le tissu cellulaire en raison de l'extrême richesse des capillaires san-
guins el lymphatiques qui prennent part à sa constitution, présente au
suprême degré les conditions nécessaires à la fonction physiologique de
l'absorption.
1\laendie le premier démontra l'existence de cette propriété pour le
tissu sous-cutané ; mais l'expérience a prouvé depuis, que les parties
profondes de la nappe cellulaire, enfoncées entre les faisceaux musculai-
res,possédent un pouvoir absorbant supérieur à celui de la couche super-
ficielle. Un liquide injecté dans l'épaisseur du muscle est plus rapidement
absorbé que si l'injection a été faite sous la peau.
Cela se comprend aisément si l'on songe que, d'une part les capillaires
intramusculaires sont plus gros, comme il est aisé de le constater par la
plus grande abondance des hémorragies après piqûre dans le muscle même
et que d'autre part, l'élasticité et la contractilité des fibres musculaires
exercent sur le liquide introduit une pression qui facilite sa pénétration
;'1 l'intérieur des vaisseaux.
Il est donc tout naturel qu'on ait eu l'idée d'appliquer la thérapeuti-
que celte donnée physiologique, et de s'adresser au tissu cellulaire pour
suppléer à la défaillance du tuhe digestif.
La médication hypodermique a en outre l'avantage de permettre l'in-
troduction directe dans le torrent circulatoire de l'agent médicamenteux.
Elle lui évite ainsi toutes les combinaisons plus ou moins neutralisantes
que peuvent lui faire subir les ferments digestifs, et elle le soustrait aux
effets destructeurs de la fonction antitoxique du foie. Absorption plus
romplète du remède et rapidité plus grande de son action sont donc les
principaux bénéfices de celle méthode.
Aussi, afin d'en généraliser l'emploi, s'esl-on efforcé de trouver pour
chaque corps, des solutions ou des suspensions dont l'injection ne soit ni
caustique ni douloureuse, la douleur et la causticité productrice de kys-
INJECTIONS MERCURIELLES ET HÉMIPLÉGIE 1R3
tes, d'abcès, d'hémorragies et de sphacèles étant les seuls obstacles qui
s'opposent à son application.
En étendant la dilution de certaines substances comme le chlorhydrate
de,quinine, dont l'injection à la dose de 0,50 centigrammes pour 1 cenli-
mètre cube, est intolérable, tandis qu'à la dose de 0,50 centigrammes ponr
5 centimètres cubes, elle est parfaitement supportée, en augmentant au
contraire la concentration de certaines autres, comme le recommande
Lévy Bing (1), pour le biiodure de mercure qui est, prétend-il, d'autant
plus indolore que le véhicule dissolvant est moins considérable, en modi-
fiant la composition chimique de certains agents thérapeutiques comme le
prescrit Manquât (2) pour l'argent dont le sel éleclrargol est préférable
au collargol, on est arrivé à rendre utilisables par la voie hypodermique
la plupart des médicaments. .
Mais,du fait qu'une solution donnée présente toutes les conditions phy-
siques et chimiques nécessaires pour être injectée, il ne s'ensuit pas for-
cément que son absorption soit faite par n'importe quel tissu. A côté du
remède à administrer, il faut tenir compte de l'organisme auquel il est
destiné. Et de même que,chez certains sujets, l'intolérance digestive oblige
à renoncer à l'ingestion, il en est d'autres dont le tissu cellulaire est
rebelle à l'injection.
Il en est ainsi dans toutes les affections du tissu cellulaire, c'est-à-dire
dans tous les oedèmes séreux ou adipeux, quelle qu'en soit la cause :
oedèmes rénal, cardiaque, cachectique, mécanique, inflammatoire, infec-
tieux, tonique ou nerveux, myxoedème, maladie de Dercum, etc.
A côté de ces cas, où l'infiltration même du tissu donne de son état
pathologique une preuve évidente, il en est d'autres encore où, malgré
une apparente intégrité, il se trouve en imminence morbide. Cette dimi-
nution de sa vitalité retentit fatalement sur ses fonctions physiologiques,
et toute tentative de mise en oeuvre de celles-ci risque d'être infructueuse
ou même néfaste. On connaît,par exemple, les insuccès et les dangers des
injections sous-cutanées chez les cirrhotiques, alors même qu'il n'y a
aucune infiltration au niveau où l'on pratique la piqûre.
Semblables conditions d'intolérance sont réalisées dans chaque segment t
du corps dont un obstacle quelconque vient entraver l'innervation. Le
tissu cellulaire, comme tous les organes de ce territoire, est frappé clans
sa nutrition et subit par là même une atteinte d'impotence fonctionnelle
plus ou moins considérable. Tout travail a lui imposé est désormais un
(1) Lévy, R'NG, Les injections mercurielles intra-musculaires dans le traitement (le la
syphilis, 1909, p. Il.
(2) M \'Q ! 1.\T, Principes de thérapeutique l'IIism111ée et pratique, t909, p. 2;1\'
1G4 CHARON ET COTIR1301Z
surmenage et peut, s'il est répété, produire la désorganisation des élé-
ments anatomiques.
C'est le fait que nous avons constaté chez notre malade. Des injections
de biiodure de mercure à dose habituellement inoffensive, ont provoqué
une vaste gangrène de la fesse hémiplégiée où elles furent pratiquées.
Observation.
B ... Charles, chiffonnier, âgé de 29 ans, entre à l'asile d'Amiens le 17 juin
1910, avec le diagnostic : confusion mentale hallucinatoire et aphasie.
Ce que l'on connaît de ses antécédents héréditaires n'offre rien à signaler.
Il est marié et père de 2 enfants en bonne santé.
Lui-même n'avait jamais été malade, mais se livrait, depuis plusieurs années,
à de nombreux excès alcooliques. Il buvait chaque jour plusieurs absinthes, et t
force verres de vin ou de liqueurs.
Depuis un an environ, sa conduite paraissait anormale. Il accomplissait avec
irrégularité son métier de chiffonnier, avait des colères terribles, et tenait par
moment des propos dépourvus de sens. Mais sa femme mettait tout cela sur le
compte de l'ivresse, qui de plus en plus semblait être continuelle, fait peu
étonnant vu l'intempérance habituelle de son mari.
Elle ne le considéra malade qu'au début de février, une paralysie complète
du côté droit, l'ayant en quelques jours rendu incapable de marcher et de parler.
Aussi, le conduisit-elle à l'hôpital, où, à la suite d'un traitement ioduré, les
troubles moteurs s'améliorèrent.
Il y était en traitement, lorsque dès la fin du mois de mai, la docilité et la
passivité,dont.il avait fait preuve jusque là, firent place à une turbulence déplus
en plus accentuée. Il ne tenait pas en place, errait au hasard, frappait ses voi-
sins, poussait par instants des cris de terreur, cassait les carreaux, et ne cé-
dait ni devant les prières, ni devant les menaces. Aussi, le considéra-t-on
comme aliéné, et il fut transféré à l'asile.
A son entrée, il présente une obnubilation très marquée de l'intelligence.
Il est impossible d'obtenir le moindre renseignement ; il répond par gestes
désordonnés et sans aucune signification aux questions qu'on lui pose, tantôt
éclatant de rire, tantôt menaçant, le plus souvent mimant des grimaces absur-
des. Il ne parle pas, pousse de petits cris inarticulés. Les demandes concer-
nant son nom, son âge, sa profession, son état civil, sa famille, la date, le lieu
ne provoquent aucune réaction intelligente de sa part. Cependant, il exécute
les ordres simples : levez le pied droit, tirez la langue, prenez le porte-plume,
etc...; ce qui prouve que, malgré le trouble mental et l'aphasie motrice, il
entend la signification des mots prononcés devant lui ! donc aphémie sans
aphasie sensorielle.
A certains moments, son regard prend une expression terrifiée; il bondit
de son lit, lance des cris d'effroi et boxe des êtres imaginaires ainsi que les
infirmiers qui s'approchent de lui.
L'examen somatique révèle un état cachectique, une inégalité pupilbiire,
INJECTIONS JUERCURIELLES ET HÉMIPLÉGIE 1 (¡5
avec abolition du réflexe lumineux du côté gauche myotique, un tremblement
marqué de la langue et des lèvres, une exagération des réflexes rotuliens, sur-
tout à droite, une hémiparésie droite intéressant le facial inférieur et les mem-
bres, sans trouble sensitif, ni trophique appréciable, une incontinence des
sphincters.
Ce malade présente donc le syndrome de confusion mentale avec accès hal-
lucinatoires pantophobiques, hémiparésie droite et aphasie motrice.
Ces dernières constatations chez un homme de 29 ans firent penser à la
syphilis et prescrire le traitement mercuriel : injections quotidiennes de
1 centigramme de biiodure de mercure dans 1 centimètre cube d'eau distillée.
L'interne chargé de lesappliqueropéraalternativementsurlesdeuxfesses. La
première injection eut lieu le 24 juin. A la date du 4 juillet on notait une amé-
lioration de l'état général : disparition du gâtisme,et des accès hallucinatoires ;
mais le 10 juillet, c'est-à-dire le lendemain de la 17e piqûre, on constatait une
large ecchymose de la peau de la fesse droite, qui avait ainsi reçu 8 centigram-
mes de biiodure. On suspendit aussitôt les injections.
Les jours suivants, la fesse ecchymotique était soulevée par un hématome
douloureux, perceptible il la palpation et d'un volume recouvrant tout l'os coxal ,
Insensiblement, la surface cutanée se racornit, et le 14 août un placard noirâ-
tre de 11 centimètres sur 11, sonore la la percussion, indolore, et limité par un
sillon à pus fétide, était constitué.
Le 24 août ce lambeau mortifié était éliminé sans hémorragie laissant une
vaste ulcération de 13 centimètres sur 13 au fond de laquelle les faisceaux du
160 CUAltoN ET COUltl3OiN
muscle grand fessier apparaissent déchiquetés et baignant dans un liquide pu-
rulent et nauséabond. Pendant toute la période d'élimination, la température
ne dépassa pas 38°i et l'état général fut excellent : appétit et embonpoint mar-
chèrent de pair.
Celle eschare a été traitée par les douches d'air chaud quotidiennes et par
des pansements secs. L'application pneumothermique a été intermittente par
suite du dérangement de l'appareil et l'évolution du processus réparateur eut
une marche oscillante avec les applications d'air chaud. Pendant leur adminis-
tration, la cicatrisation était rapide ; elle se ralentissait au contraire pendant
leur interruption. A l'heure actuelle, la perte de substance est complètement
réparée.
Au point de vue mental, le malade est dans le même état de confusion. Son
aphasie et son hémiparésie ne sont pas modifiées. Il n'a plus d'accès halluci-
natoires, ne gâte plus, et a conservé l'embonpoint acquis depuis son entrée.
L'apparition d'une gangrène cutanée à la suite des injections mercuriel -
les, pour être très rare, n'en est pas moins signalée à propos de la plupart
des sels de mercure (1). Mais les cas où le processus gangreneux a atteint
une aussi grave extension, ne se sont produits qu'avec le bichlorure et le
biiodure.
Pour le sublimé, nous rappellerons l'observation de Raconicéanu (2) où
la gangrène nécessita l'amputation du membre et celle de De Amicis (3)
suivie de mort par gangrène du dos, après injection faite entre l'angle de
l'omoplate et la colonne vertébrale.
Quant au biiodure, ce sont toujours les solutions huileuses qui causèrent
pareilles complications. Il en fut ainsi chez celte malade de Fournier (4),
qui, à sa 20e piqûre, eut un hématome avec sphacèle considérable et para-
lysie des extenseurs du pied. Ce fut encore 1 centimètre cube d'huile
contenant 1 centigramme de biiodure qui causa l'eschare de 13 centimètres
de largeur sur 8 de longueur et 5 centimètres d'épaisseur que présenta
Brocq (5) à la Société de dermatologie.
Par contre, les solutions aqueuses de ce sel sont généralement considé-
rées comme exemples de tout accident local (6). C'est pourtant d'une telle
solution que l'on s'est servi pour notre malade. Mais on ne saurait s'éton-
ner qu'une substance inoffensive pour un organisme dont l'innervation
est normale, ait provoqué des désordres dans les tissus hypotrophiés d'une
fesse hémiplégiée. Aussi, l'abstention de toute pratique mercurielle bypo-
(1) Fournier, Traitement de la syphilis, 1909, p. 186.
(2) Raconicéanu et BItOCQ, Société de Dermatologie.
(3) De Amicis in FOURNIRR, loc. cit., p. 187.
(4) FOURNIER, loc. cit., p. 111.
(5) BnocQ. Société de Dermatologie, avril 1908.
(6) Fournier, loc. cit., p. 113.
INJECTIONS MELWtJR1ELLES El HÉMIPLÉGIE 167
dermique, dans la moitié paralysée du corps d'uu hémiplégique, doit-elle
être de règle.
Est-ce à dire que cette médication puisse être appliquée sans danger
sur l'autre moitié du corps réputée saine ? A cette question concernant
le mode d'administration du mercure aux hémiplégiques, dont la maladie
a souvent pour cause la syphilis, il ne nous semble pas qu'on puisse ré-
pondre par l'affirmative'
On peut en effet poser en principe, comme le disent Brissaud et Sou-
ques (1), « que le côté sain des hémiplégiques n'est jamais complètement
sain ». Toutes les libres du faisceau pyramidal, organe dont la lésion con-
ditionne l'hémiplégie, ne s'entrecroisent pas avant de se terminer autour
des centres moteurs et trophiques que sont les cellules radiculaires de la
moelle. Une partie d'entre elles ne subit pas cet entrecroisement; ce sont
les fibres pyramidales homolatérales de Déjerine dont le nombre varie
pour chaque individu. Leur dégénérescence explique les troubles patho-
logiques du côté non hémiplégie, et ceux-ci sont d'autant plus percepti-
bles, que le nombre des libres homolatérales du sujet est plus consi-
dérable.
La motricité du côté valide est toujours atteinte, comme l'ont montré
Pitres (2) et Diânat (3), mais il faut pour s'en rendre compte un examen
minutieux, dont Faure (4) a exposé les détails. On peut dire qu'il en est
de même pour la trophicité : l'état hypotrophiclue des parties non hémi-
plégiées est latent, mais il suffit que l'occasion se présente pour le rendre
manifeste.
Les ulcérations cutanées bilatérales ne sont pas rares. Dans certains cas
mêmes, la perturbation des actes nutritifs semble prédominer sur les
régions réputées saines. Charmeil et Tibierge (5) ont vu les éruptions se
limiter au côté non hémiplégie et respecter l'autre. en fut de même
pour les érosions d'une variole observée par Raviart et Tonneil.
On peut en conclure que si les troubles trophiques sont les plus fré-
quents dans la moitié du corps paralysée des hémiplégiques, l'atteinte
portée à la vitalité de leurs tissus est générale.
Peau, tissu cellulaire, et muscles du côté valide, sont en état de moindre
résistance et pour ces organes ainsi débilités l'injection de substances
(1) Brissaud et Souques, Hémiplégie, ni Traité de médecine CHARCOT et UOUCIIAI1U ,
1904, t. IX, p. 62.
(2) Pitres, Leçons, 1882-83.
(3) DioNAT, Thèse de Paris, 1884.
(4) rnuna, Elude sur les phénomènes observés du côté sain chez les hémiplégiques,
Th. Lyon, 1893.
(5) P. Marie, Hémiplégie, in Traité de médecine BnouAKHL et GLur.ar, 1901,
1. VIII, p. 503.
1 (i8 CIIAIION ET COURBON
aussi énergiques que les sels mercuriels, est toujours susceptible de pren-
dre les proportions d'une véritable effraction.
Nous pensons donc que, chez de tels malades, il est prudent de recourir
a un autre mode d'administration du mercure, que celui des injections
hypodermiques et intra-musculaires.
La certitude d'éviter les complications parfois redoutables de la gan-
grène nous semble justifier l'abstention d'une méthode, qui, suivant les
propres paroles du professeur Fournier (1), o n'est pas une médication
qui puisse être dite particulièrement, ni puissamment active, et ne mé-
rite pas d'être considérée comme supérieure à toute autre, en tant
qu'intensité thérapeutique ».
(1) Fournier, loc. cil., p. 180.
LE TRIUMPHE
DE TRÈS 11AULTE ET PUISSANTE DAME VÉROLLE
AVEC LE POURPOINT FERMANT A BOUTONS
ET LA
FÊTE DES FOUS DU MUSÉE DE BLOIS
l'AH
M. TRÉNEL.
Au Musée de Blois (1) existe une série d'estampes données comme re-
présentant une fête des fous sous Henri III.
Comme nous le verrons, il paraît bien s'agir d'une fête des fous, mais
d'une espèce particulière : en réalité, c'est là une monstre ou triomphe de
la Gorre de Rouen, de la Vérole. L'époque indiquée nous parait inexacte,
ainsi que nous le justifierons plus loin; les dessins ne datent pas de
Henri III, mais sont vraisemblablement très antérieurs et remontent à
z39, aux temps héroïques de l'histoire de la syphilis, en plein règne de
François ICI' (2) : les détails de certains costumes le démontrent. Henri III
n'aurait peut-être pas permis cette exhibition ; car il n'aimait pas qu'on
plaisantât sur sa vérole, comme le prouve une historiette de Tallemant
des Réaux, dans laquelle il disgracie un personnage qui s'était permis
une raillerie un jour que « le roy suait la ),ét'olle Sl-Cloud » (3).
Les estampes qui se font suite sont imprimées sur une sorte de parche-
min, nous a-t-il semblé, et collées bout à bout sur une poutre longue de
4 mètres trouvée dans les démolitions du faubourg du Foix, à Blois. Cha-
cune porte sa signature permettant le classement. Elles sont encadrées
d'une bordure de fleurettes.
Nous n'avons pu être renseigné exactement sur les circonstances et la date
(1) Nous nous faisons un agréable devoir de remercier M. BELTO'¡, conservateur du
Musée de Blois, de l'obligeance avec laquelle il nous a renseigné et nous a facilité
l'examen et la reproduction des eslampes.
(2) L'année de l'aventure de la Belle Féronnière, d'après Cabanes, Cabinet secret de
l'histoire, T. I.
(3) Tallejunt des Réaux, Historiettes, T. I. (VIII. - Desportes).
\NI% v 12
170 M. TRÉNEL
de cette trouvaille ni sur son entrée au Musée de la ville. Les mémoires
de la Société des sciences et lettres du Loir-et-Cher n'en font pas men-
tion. L'exemplaire en serait unique; il n'en existe pas de fragments à
la Galerie des Estampes de la Bibliothèque Nationale.
Les estampes sont d'une qualité moyenne : néanmoins les personnages
ne manquent pas d'un certain mouvement et le dessin est bon. Mais ce qui
en fait l'intérêt pour nous, c'est que plusieurs personnages représentent
au vrai les « verollez très précieux comme dit maistre Alcofribas Na-
sier en ses Pantagruelines hystoires» » et comme ceux-ci « etltre eulx de telle
guerre de parler se plaisent et font feste, aussi leur a-t-on faict nouvelle-
ment mettre en pourtraict le triumphe de celle qui les a vaincus, aflin
qu'ils soy recognoissent ».Et certes il n'y a point qu'eux qui reconnaissent
la vérole : l'exécution est si exacte sur certains visages que le médecin
n'hésite pas dans le diagnostic. D'ailleurs chaque personnage est souligné
d'un couplet (1) où il se décrit lui-même sans circonlocution.
Est-ce une fantaisie d'artiste, une suite d'images satyriques comme il en
existe d'autres de la même époque, ou bien la représentation d'une mas-
carade qui aurait eu lieu réellement ? La question est résolue par l'exis-
tence d'un précieux ouvrage du xvie siècle dont il ne subsiste que trois
exemplaires et que le bibliophile Jacob (2) et de Montaiglon ont étudié :
Le Triumphe de très haulte et puissante dame Verolte, rogne du puy
d'Amours, nouvellement composé par l'inventeur des menus plaisirs hon-
neste, MDXXXIX.
Cet ouvrage (3) est illustré d'une série de petits bois qui sont sembla-
bles, presque identiques aux estampes de Blois (4).
L'iconographie de la syphilis est pauvre en documents datant de l'épo
que de son apparition (5). Chéreau (6) ne cite pour la période toute primi-
tive que la-gravure de Grünbeck (ou Grûnepeck) (1496) où sont repré-
sentées deux femmes et un homme montrant une éruption confluente
de pustules syphilitiques, et celle de Steber (1497) représentant deux
hommes et une femme. La première a été reproduite par Ricord. Cette
(1) Ces couplets sont les mêmes que ceux du Triumphe dont nous parlons plus loin
sauf des variantes typographiques sans importance. Ils sont très incomplets.
(2) Bibliophile lAcoB, Curiosités de l'histoire des moe1ll's au moyen-âge, 1858. Le
mal de Naples. Cet article est reproduit dans ses Recherches historiques sur le mal
de Naples, 1883.
(3) L'original unique se trouve à la Bibliothèque Nationale, Y, 4464 A.
(4) Ces bois ont été reproduits par Nass [Curiosités médico-arfistiques), mais,nous sem-
ble t-il, d'une façon un peu schématisée en ce qui concerne les visages des personnages
que l'auteur avait défigurés d'une manière évidemment volontaire.
(5) Comme ouvrage d'histoire de la médecine le plus récent sur la syphilis, signa-
lons A. von NOTTnAFT.Die Légende von der dltertums Syphilis, 1908 (voir France mé-
dicale, li,)07, p. ! t%3).
(0) Art. Syphilis, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, p. 274.
LE TRIUMPHE DE TRES HAULTE ET PUISSANTE DAME VÉROLLE 171 L
rareté des images nous a engagé à étudier médicalement le Triumphe, leu-
tative justifiée parce que l'auteur dit eu propres termes (1) qu'il a voulu
représenter « les diverses sortes de verollez qui y sont les ungs bouton-
nants, les autres refondus et engressez, les autres pleins de fistules la-
chrimantes, les autres tous courbés de gouttes nouées, les autres estantz
encore aux faulxbourgs de la vérole bien chargez de chancres, pourreaulx,
filletz, chaudes-pisses, bosses chancreuses, carnosités superflues et autres
menues drogues que l'on acquiert et amasse au service de dame Paillar-
dise ».
Montaiglon a édité le Triumphe dans la Bibliothèque Elzévirienne (2), et
plus tard l'a reproduit en fac similé (3) avec les gravures. Sa savante pré-
face nous servira de guide. Mais il ne parait pas qu'il ait connu, du moins
il cette époque, les estampes de Blois car il n'y fait aucune allusion.
Le Triumphe se compose d'une lettre-préface, de deux poèmes donnés
comme de Jean Lemaire, puis d'une série de strophes ou dictons se rappor-
tant à chacune des gravures dont la suite forme le Triumphe. C'est cette
dernière partie qui nous intéresse plus particulièrement. L'auteur l'an-
nonce d'une façon curieuse dans une lettre supposée ainsi intitulée :
Martin d'Orchesino à Gilles Meleanc son amy et cousin, salut.
Après avoir rappelé que « les anciens Romains avaient de coutume,
de 'recevoir en la cité avec gros honneur et triumphe leurs capi-
taines..... », il déclare que « quant je considère quels ils ont estez, ne
méritent qu'on en face sinon bien petit d'estime, fors par advanturecelluy
d'une grand dame nommée Verolle, laquelle, issant en gros équipage du
Puy d'Amours, son royaulme et pays, a couru et faict ses fors exploitz de
guerre par tout le monde, et vaincu à peu degensjusquesà aujourd'huy
plus d'ennemis que ne feirent oncques tous les plus excellents capitaines
qui furent jamais ».
L'auteur du Triumphe est inconnu. La bibliographie, de la syphilis du
Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, indique Dorchesino
comme auteur de l'ouvrage d'après la lettre-préface. Montaiglon repousse
(1) Le Triumphe ... (Epilogue). '
(2) Recueil de poésies françaises des xv* et xvc° siècles, morales, facétieuses et Iiis
toriques. A. de Montaiglon, t. IV, Jannet, Paris, 1856.
(3) Le Triumphe, A. de Montaiglon, Paris, Willem, 1871.
Notre ami G. Durante nous a signalé une réplique du Triumphe bien connue des
Bibliophiles : Le Triumphe de Haulle Folie. Lyon, Antoine Volant, petit in-80 goth.
24 f. sans date. Réédité en fac-similé par A. de Montaiglon (Willem) sur l'exemplaire
unique de la Bibliothèque municipale de Versailles. C'est une réimpression de la plu-
part des bois du Triumphe avec adjonction de quelques autres sans intérêt médical,
accompagnés do dictons moraux.
172 M. TRÉNEL
cette paternité : « On écarte, dit-il, avec autant de facilité la supposition
que ce soit une traduction de l'Italien. Martin d'Orchesino a beau avoir été
catalogué par Duverdier (éd.Rig. de Juv., t.\', p. 39) pour avoir composé
en vers ce triomphe, c'est un masque, et je n'ai dans les bibliographes
-, italiens trouvé personne qui le connaisse comme auteur. » De même,
pour lui les bois ne seraient certainement pas italiens.
Par contre Montaiglon rapporte et discute longuement une opinion bien
séduisante pour un médecin. C'est que l'auteur du Triumphe serait Rabe-
lais (1). Les arguments en faveur de celte opinion sont d'abord matériel-
lement que le sujet, la forme et le style sont bien rabelaisiens (tellement
que Montaiglon qui n'ose accepter l'hypothèse admet que c'est au moins
un pastiche de Rabotais) ; ensuite que l'imprimeur Juste était son libraire ;
enfin chronologiquement que Rabelais était il Lyon en 1538, médecin du
grand hôpital.
Plus exactement encore, d'après Cabanes, Rabelais étaità Lyon au mois
d'avril 1538, puisque Dolet dans le 5e Livre des Carminaa imprimé en son
honneur une pièce de vers sur le pendu qui avait servi de sujet pour ses
leçons anatomiques (2).
C'est même vers cette époque, rappelons-le en passant, qu'il fut révo-
qué de son poste de médecin par les consuls. Cela est réjouissant, Rabe-
lais médecin, révoqué ! Cette hostilité envers les médecins date donc de
loin. On n'a aucune peine à se représenter le consul qui révoqua Rabelais
et dont l'histoire a conservé le nom : ce Durand devait être quelque per-
sonnage bouffi d'orgueil, insolent, rageur et braillard, animé, comme cela
se voit, d'une haine innée contre les médecins. Cette espèce, hélas ! existe
toujours.
Il est à supposer que cette révocation ne fut que la constatation d'une
situation de fait et que Rabelais écoeuré d'avanies répétées dont de tels
gens sont prodigues, s'était sans doute retiré : il fut d'ailleurs remplacé
au rabais, ce qui complète le tableau. Il est consolant pour des médecins
en butte aux injures de tyranneau de l'espèce du conseiller recteur, desa-
voir que cette docte tête, comme l'appelait Guillaume Budé, que ce pré-
curseur de Vésale, eut à souffrir des agissements de quelque petit esprit.
Le Triumphe ne serait point, on le sait, le seul ouvrage qu'on se soit
plu à attribuer à ce grand maître, ni même les seules images. « Les son-
ges drolatiques de Pantagruel » en sont un autre exemple (4fi). Mais
cette série de bois (3) est très postérieure à la mort de Rabelais (1553).
(1) Le bibliophile Jacob déclare avoir été le premier à faire cette attribution.
(2) Cabanes, Chronique médicale, 189G, p. 237 ; Rabelais praticien ; LE Double, Rabe-
lais, anatomiste et physiologiste, Paris, 1899 ; Le Double, Le Dr Rabelais. Congrès rabe-
laisien de Chinon (Bibl. de la Faculté de médecine, 57.136).
(3) Les songes drolatiques de Pantagruel où sont contenues plusieurs ligures de
LE TRIUMPHE DE TRÈS HAULTE ET PUISSANTE DAME VCR0LLK 173
Il y a longtemps déjà que Champfleury a tenté de démontrer qu'ils sont
attribuables.à Breughel (1) et il réfute l'opinion de Lacroix qui considère
une phrase d'une lettre deRabelais comme prouvant qu'il est dessinateur.
Si Rabelais a inspiré l'une et l'autre série d'images les vrais auteurs en
restent ignorés, malgré les suppositions que fait Montaiglon au sujet du
Triumphe.
Le Triumphe est accompagné dans sa seconde édition (2) d'un singulier
opuscule intitulé le Pourpoint fermant à boulons, intéressant au plus
haut degré, au point de vue médical, car il renferme une foule de rensei-
gnements cliniques et thérapeutiques. Il ne peut, à noire avis, avoir été
écrit que par un médecin. Montaiglon le trouve trop inférieur pour l'at-
tribuer à Rabelais ; force est de s'incliner devant son autorité, mais l'hy-
pothèse est tentante. Dans les nombreuses citations que nous en ferons,,
on trouvera certainement un subtil parfum rabelaisien, et telle enfilade
(l'épithètes ne serait pas déplacée dans la bouche de Panurge ; voire, n'y
a-t-il pas une petite strophe annonçant que l'ouvrage se vend it Angers ;
- 1\njou et Touraine avoisinent, mais si comme il semble, le Pourpoint date
de 1533, il y avait longtemps que Rabelais avait quitté le pays et le mo-
nastère de Ir'ontenay-le-Comte où il s'attira les foudres ecclésiastiques par
ses études et occupations profanes.
Nous ne dirons rien des deux contes allégoriques en vers de Jehan
Lemaire; ils sont fort ennuyeux. Nous n'y noterons qu'une singulière
origine de la vérole. Amour étant ivre s'est trompé d'arc; il a pris celui
(L\.tropos : Volupté s'étant par malheur piquée en quelque endroit avec
une des flèches, il lui est venu soudain une enflure : c'est de là qu'est née
la vérole :
Sur un coussin, ou depuis se vient seoir,
Volupté gente, et se met au cul nu
Sans y viser, sur l'arc de fer cornu
Et sur un traict plein de poisons mortelles.
Si se picqua et receut douleur telle
Qu'elle gecta ung hault cry et aigu.
Vénus lance dans le fossé de son château les flèches empoisonnées, et
pour « les poyson curer et nettoyer » y fait jelter des fleurs et du miel.
Mais l'eau, si elle s'éclaircit, reste
l'invention de maistre François Rabelais : et dernière oeuvre d'iceluy, pour la récréation
des bons esprits. A Paris, par Richard Breton, Rue St-Jacques, à l'Escrevisse d'argent. 7
MDLXV. Réimpression, par M. 1 ? T. Paris, Tross, 1869. - Nass a écrit un article sur
les Songes dans ses Curiosités n1édico'aI.ti.tiques.
(1) Ciiampfi.eury, La caricature au moyen-âge. La caricature sous la Réforme.
(2) Le Triumphe... Avec Le Pourpoint fermant à boutons, 1540, on les vend 11 Paris,
en la rue Neufve Nostre-Dame, à l'enseigne de l'Escu de France, par Alain LOTRI1\
(Bibliothèque nationale. Y, 44firr, B, petit in-81).
174 M. TRÉNEL
Plaine de mort et poyson serpentine..
et qui en boit est pris d'une horrible maladie.
Le Triumphe proprement dit se compose d'une série de vignettes, cha-
cune accompagnée d'une strophe. Ce sont ces vignettes qui ont leurrépli-
que dans les Estampes de Blois. Ces estampes sont-elles la reproduction
ou le programme d'une mascarade qui aurait eu lieu réellement ? La
qualification de fête des fous est exacte car plusieurs personnages son L
coiffés du capuchon à oreilles d'âne terminées par des grelots, l'emblème
bien connue, a bords
Décoppés et en lanbiaus
comme les chaperons de la ballade (-1) et les personnages ont bien, dans
les estampes de Blois agrémentées de quelques teintes plates,
Pourpoinctz rouges, tannez et noirs,
décrits dans le Pourpoint.(Ces teintes onl été sans cloute ajoutées à la main,
à moins que ce ne soit là un essai d'estampe en couleur.)
Le mot de Triomphe est le terme consacré pour désigner les fêtes des
fous et les mascarades qui leur succédèrent, tels les Triomphes de l'ab-
baye des Conards (2) et les Chevauchées de l'Asne exactement contem-
porains.
Or quel sujet mieux que la vérole se prêterait à une mascarade, et que
ces malades croûteux et dépilés, victimes de « cette quinte espèce de vé-
role, nommée la Pellade, en grec ophiasis, moyennant laquelle on change
de poil et de peau » (Pantagruel, L. V, ch. XXI), car « une chose qui a
étonné tout le monde, c'est la chute des cheveux et des autres poils du
corps ; cela donne un air ridicule », écrit Fracastor.
Au temps de la Renaissance on n'était pas bien délicat sur le choix des
II) Ballade sur la mode des haulx bonnets, Montaiglon, Recueil des poésies fran-
çaises du xv et xvi* siècle, p. 331.
(2) Recueil des actes el depesches faites aux hauts jours de conarderie tenus à Rouen
depuis la dernière =epmaine janvier de jusques au mardi gras suyvant pénultième jour
de febviier 1540, avec le triomphe de la monstre et ostentation de magnifique et très
glorieux abbé des Conardz, monarche de Conardie. Rouen, in-4, de 19 pp.
Les Triumphes de l'abbaye des Couards, sous le resveur-en-décimes Fagot, abbé des
Conards, conten. les criées et proclamations faites depuis son advenement jusques il
l'an présent : plus l'ingénieuse lesine qu'il ont conardement montrée aux jours gras
en l'an 1540 : plus le Testament d'ouinet ; plus la Litanie, l'antienne et l'oraison faict
en ladite maison abbatiale en l'an 1580. Rouen, Nie, DlIgord, in-8^ de 5C pp.
LE- TRIUMPHE DE TRÈS HAULTE ET PUISSANTE DAME VÊROLLE t 7;j
plaisanteries. Et puis, les défilés de vérolés n'étaient pas chose sortant de
l'ordinaire. Les villes avaient vu plus d'une fois les pèlerins traversant
la France pour se rendre au couvent de Sainl-l\1éen ou Saint-Main réputé
pour guérir la lèpre et la vérole qu'on confondait au début de la pandé-
mie ; ces pèlerins loin de cacher leur [maladie la signalaient à tous par
deux grandes mains d'étoffe qu'ils portaient l'une sur la tête, l'autre sur
la poitrine, par allusion en forme de rébus au nom du saint, ainsi que le
raconte Aslruc (1) d'après le traité de la vérole de Gaspard Torelli.
Le sous-titre de la partie du poème qui a trait à nos images, paraît bien
indiquer que la mascarade eut réellement lieu. : -
« Le Triumphe vérolique commence à marcher''par ordonnance de 2alîc
eu ranc ainsi que ¡'CITez, le tout bien en ordre. » ..
Et d'Orchesino écrit qu'il a « sollicité ung sien souldart mon familier
et voisin, lequel suyvait en son renc de bien, près le chariot triumphal,
qu'il luy pleusl me mander succinctement la raison de tout l'ordre d'icel-
luy triumphe vérolique. Le dit Souldart non seullement me l'a envoyée
par escript, mais pour me faire plaisir... a convenu avec ung excellent
maistre peintre (2) et par luy m'a fait le tout diligemment pourtraire et
depeindre ».
Enfin le titre du Triumphe est suivi de l'annonce suivante : on les vend
il Lyon chez François Juste devant Notre-Dame de Confort. Ce pluriel ne
s'appliquerait-il pas à la collection des grandes estampes, car il ne se
rapporte pas au litre. Il est probable que les grandes images se vendaient
couramment. En cas de succès, les éditeurs étaient même obligés de se dé-
fendre contre les contrefaçons. C'est ce que prouvent les privilèges donnés
aux éditeurs des Chevauchées de l'Asne (3), autre mascarade Lyonnaise
dont on possède le programme de plusieurs années successives.
Peut-être les images étaient.elles distribuées pendant la marche du cor-
tège par certains figurants : cela paraît presque prouvé d'après une phrase
(1) Astruc, Traité, L. I, Ch. I, p. 12.
(2) Montaiglon regrette justement que ce nom soit ignoré. Il ne croit pas que les
dessins soient de Claude Corneille, de Lyon, il cite sous toutes réserves le petit Der-
nard.
(3) Privilège.
il est permis à Guillaume Testefort, Pierre Ferdelat et Claude Bouillaud, impri-
meurs, d'imprimer ou faire imprimer ; et exposer et faire exposer en vente la présente
Chevauchée, ensemble les dictons par eux jouez, ledict jour de la chevauchée, avec
defences à tous Imprimeurs et autres, de n'imprimer ou faire imprimer, vendre ou
faire exposer en vente icelle Chevauchée sans la permission des dessusdicts durant
le temps et terme de quatre mois, et ce sur peine aux contrevenants, de confiscation
desdites chevauchées, et d'amende arbitraire. A Lyon le XVIII de novembre f5;8.
Signé : de MO'IJRLOT (Chevauchée de l'Asne).
176 - - M. TRÉNEL ' *
des Chevauchées de zone ; il y est dit clairement que les strophes expli-
catives étaient offertes au public (ou vendues ? ), peut être avec illustra-
tions ; « S'ensuit l'exposition des Droites, marchant devant ledict
Seigneur de la Coquille, à l'occasion desquelles estoyent baillez les
msdictz 71'tsictain.s imprimes ».
Arrivons au Triumphe « en pompe esniei-veillableeljaniiis non ouïe».
D'abord le Hérault ; après lui, le Seigneur de Verdure est le protago-
niste obligatoire d'une fête des fous : c'est le 1er mai, la fête du vert.
Pour le triumphe commencer,
.; Je suis le seigneur de verdure ;
. Des premiers me venlx advencer,
- Car sans moi jeunesse ne dure ;
Combien que la peine soit dure
Quand le puy d'amours est ouvert,
Soit en temps chault, ou de froidure
Jamais l'on ny est pris sans verd. '
Dans le dernier vers n'y aurait-il pas un mauvais calembour faisant
allusion, en même temps qu'au printemps, il certaines onctions de pom-
mades vertes que le Hérault évoque dans une strophe citée plus loin et
dont le Pourpoint ne manque déparier : « Les ungans, les huylles, les
unctions universelles et particulières, universelles par tout le corps, par-
ticulières aux pieds et aux mains, et aux joinctures, d'oygnements diver-
sicolorez, noirs, marguinez, gris, vers, blancs, cendrez, tennez, rouges.
jaulnes, qui rendent le patient en couleur de sansue couvée en plume de
loriot, piverré comme le ventre d'une lamproye ; Hecipe ungentum Apos-
tolorum, Egyptiacum, de Agripa, g-ratia Dei... », etc. Nous faisons grâce
de l'énumération d'ailleurs bien curieuse.
Puis vient Malheur conduisant le char de la Gorre de Rouen. Pourquoi i
de Houen ? On n'en ignore : la réputation de la « vérolle de Rouen » étail
faite. Il est oiseux de rappeler que Rabelais la vante comme « bien fine » ; ;
mais sans doute pour lui celle de Paris n'y cédait en rien : on se souvient de
ce qu'il dit des murs de la capitale bâtis à la mode de Panurge, d'où « dis-
tille decebenoist fruict de grosse vél'ole, menu commepluye » (Pantagruel,
].H,ch.XV;.
D'Orchesinoécritquela gorre a « trayné après son curre triumphal plu-
sieurs grosses villes par forces prinses et réduictes en sa subjection, mes-
mement la ville de Rouen, capitale de Normandye où elle a bien fait. ripe
LE TRIUMPHE DE TRÈS HAULTE ET PUISSANTE DAME VÉROLLE 177 - "
siennes, comme l'on dict, et publié ses loix et droitz diffusément ». La
première épidémie de syphilis (1525) y fut en effet des plus graves. La
syphilis actuelle n'y a pas démérité : il y a peu d'années C. Nicolle don-
nait une fréquence dans cette ville d'un syphilitique sursepl malades dans
sa statistique. Montaiglon cite le vieux proverbe : «Crotte de Paris et vérolle
deRouen ne s'en vont qu'avec la pièce (1) o. Le nombre des paralytiques
généraux que nous avons observés à l'asile Saint-Yon laisse à penser qu'il 1
en est encore de même aujourd'hui.
Rappelons que le premier ouvrage médical français sur la vérole est
d'un médecin rouennais t3ethencourt (2). On sait que les spécialistes de
Rouen étaient alors réputés, et le furent longtemps. C'est encore à l'un
d'eux que Mathurin Régnier (3) vint en 1013 demander sa guérison, et
c'està Rouen qu'il mourut en l'hôtellerie de l'Ecu d'Orléans. Il y était
allé, écrit Tallemant des Réaux (4) « pour se faire traiter de la vérolle
par un nommé Le Sonneur. Quant il fut guery, il voulut donner à man-
ger à ses médecins. Il y avait du vin d'Espagne nouveau. Ils luy en lais-
sèrent boire par complaisance ; il en eut une pleurésie qui l'emporta en
trois jours ».
Quant au terme de gorre ou grande gorre, c'est le nom vulgaire de la
vérole qui en a en tant :
Si a encore d'autres noms plus de quatre.
Mais ce nom est peut-être plus spécialement venu du Nord de la France.
Jean Lemaire dit de Beiges, de son pays natal (aujourd'hui Ravay en Hai-
naut) était bien placé pour l'affirmer,
Mais le commun quand il la rencontra
La nummait gorre ou la vérolle grosse
Qui n'épargnoit ne.couronne ne crosse.
Ainsi (5) l'ont dit, les flammens et piquars.
Nous rapprocherons de ces vers la phrase de la chronique de 111élinet (6).
« Lors commença il avoir son cours en Haynaut et Marche une sorte de
illésolici-ie, très horrible et abominable maladie, nommée grosse Pocques
grosses véroles, grosse gaulre. »
D'autre part, le mot gorre est couramment employé dès 1490 dans les
(1) Souri., Francion, l. X.
(2) Jac. A. nF,TAF.'COUHT, Nova l'oe/litelltialis q21adrage.iiiia (Parisiis, 1521, in-8).
(3) OEuvres complètes de RirNIER, Ed. Jannet, 1814.
(4) 'C,m.cu ;VT ne. nique Historiettes, t. I (VIII, Desportes).
(5) Variante; POCQUES, Le 11' Crinon nous disait dernièrement que le mot pocques
est encore usité couramment en Picardie.
(0) IE1.IF.T, Chronique, CCL\\\'I, llichaud (dans Godefroy).
178 M. TRKNI3L
curieuses archives de Besançon éditées par le Pileur (-1), où il semble
donné comme un mot nouveau : « A causes davoir à pansser et à curer les
malades de la maladie que l'on dit la gorre. »
Les dictionnaires de Godefroy et de Lacurne donnent les orthographes :
gorre, gore, goire, gourre, gaulre, et expliquent le terme de la façon
suivante : élégance de la pompe, vanité, luxe, faste, braverie, débauche (2).
On comprend dès lors facilement la déviation du sens. L'étymologie reste
néanmoins douteuse; l'origine serait-elle le mot Scorra ? Le hibliophile
Jacob est tenté de l'admettre,mais cela paraît peu justifiable au pointde vue
linguistique. C'est Grunepeck qui a employé ce dernier terme dans son
Tractatus de peslilentiali scora (1496) : « Originem insuper hlljus soi-dis,
quam mentagoram alii, Scorram seu plantain noclis ceteri, vocitare so-
ient. »
Et plus loin il donne les vers suivants dans son Eulogium Sebastiani
Brandi, où il décrit sans nul doute le chancre induré :
Scorram, Galle vocas a Scor (3) quod Gra ? cus oletum
Dicit, impurum rancidulumque sonat.
Hic Thimius dici posset, si rupta cruorem
Verruca daret : at siccior illa sedet.
La Gorre de Rouen, pour en revenir au Triumphe, a un emplâtre en
losange sur la joue gauche. Comme emblème professionnel, c'est caracté-
ristique, car ;< les plaies se arrestent au visage », mais c'est insuffisant.
Peut-être trouverons-nous d'autres attributs ? La femme qui figure la
Gorre est assise sous un dais en forme de tente. Ne serait-ce point par ha-
sard la reproduction du dispositif consacré pour les fumigations au cina-
bre et à l'arsenic (4) ? « On échauffoit un cabinet bien clos pour servir
d'étuve, où l'on dressoit une espèce de pavillon, nommé communément
\' Archet. C'était là qu'on plaçait le malade nud, ou en camisole, assis ou
(1) Le Pileur, La prostitution du XIllo au XVII' siècle. Paris, Champion, 1908.
(2) Cette orthographe permet-elle de supposer comme étymologie ou comme ayant
une commune origine le vieux mot goron (cochon) : d'autant plus qu'il présente les
formes gorron, goron, gourron (Godefoy), analogues a gore, gorre, gourre.
Nous trouvons une autre orthographe encore dans Olivier de la Marche : « Pendant
que le Roy se tenait à Paris le signeur du Lau estoit le mignon du Roy, et s'habilloit
pareil de lui : et se faisoyent parmy Paris grandes guorres et grans festeyements. Il
(Mémoires. Ed. Petilot,t.2, p. 229). Remarquons de plus qu'OI. de la Marche est un
Français du Nord.
(3) "OJp Slercus, Olelum, Merda (Thesaurus d'Rstienne).
(1) Noter l'emploi de 1 arsenic : la médication en ce moment il l'ordre du jour a de-
précédents. Le Pourpoint cite l'arsenic en bonne place.-Il cite encore l'onguent à la
céruse et à l'orpiment. Les actuels protagonistes des arsenicaux ont eu de lointains
précurseurs.
LE TRIUMPHE DE TRÈS HAULTE ET PUISSANTE DAME VÉROLLE 179
debout, la tête couverte ou découverte, suivant les forces. On metloit ai ses
pieds un réchaud plein de braise, et par un trou fait exprès, on y jeltait a
diverses reprises quelques trochisques ou tablettes de parfum ;en sorteque
le malade demeuroit exposé depuis les pieds jusqu'à la tête, à la fumée qui i
s'en exhalait, jusqu'à ce qu'il suât abondamment » (1).
Une tente de ce genre recouvre le tonneau où se fait étuver l'Espttiglto !
affligé du mal de Naples, d'une estampe de la Bibliothèque Nationale (2).
Ce sont là les limbes d'où le Hérault évoque les « amoureux malheu-
reux »
Sortez, saillez des limbes ténébreux.
Des fourneaulx, chaux, et sépulchres umhreux :
Où pour suer de gris et verd on gresse
Tous verollez ; se goutte, ne vous presse :
Nudz et vestuz faut délaisser vos creux
De toutes pars.
Après la Gorre de Rouen viennent les Tabourins et Fifres, le Cappi-
taine des gens de pied, le 1er ranc, le 2e et le ranc, le Port'Enseigne, le
le, 5e et 6e ranc, les Poursuyvans, le Scelleur, les Lacquais, la Chancel-
lerie, le Chancellier du Puy, Souvenir amoureux, la Goutte, la Diète, les
Boucz qui traînent le chariot de Vénus, Vénus, Volupté, Cupido, les Lar-
rons clandestins, le Seigneur, les Refondeurs, les Faiseurs de nouveau
cuyr, Dame Vérolle, le Bagage.
Les tantbo2crittsont tous trois au-dessous dugenou au bas de leurschausses
un bourrelet à crevés comme dans les costumes contemporains des soldats
suisses et allemands (Montaiglon). Tous ces personnages ont à leur haut
de chausses de singuliers appendices à la mode de Panurge sans doute,
qui voulait « une braguette longue de quatre pieds,et carrée et non ronde».
...(Pantagruel, liv. JI, ch. XV).ou des Frères Fredons de l'Isledes Esclots
qui « avaient la braguette de leurs chausses à forme de pantoufles (Pan-
tagruel, liv. V, ch. XXVII) ». Ce fut une mode indécente tournée en
ridicule dans les caricatures des Songes drolatiques; on peul se deman-
der si elle ne fut pas inventée par quelque personnage obligé de porter
un pansement très spécial pour certaine affection telle que ces phimosis
représentés à chaque page des Songes drolatiques. «Et disoit souvent que
le monde n'avoit encores cogneu l'émolument et utilité qui est de porter
grande braguette; mais le temps leur enseigneroit quelque jour, comme
(1) AsTnuc, Traité des maladies vénériennes. Edition de Louis, liv. Il, ch. VIII,
p. 183.
(2) Reproduite par CwANi.s. Les indiscrétions de l'histoire, 1, p. 100. Le tonneau est
figuré dans Ambroise Paré.
180
t) J'RÉNH.
toutes choses ont été inventées en temps ') (Pantagruel liv. II, ch. XV).
Le cccypittcine cles gens de pied a son bas de chausse gauche rabaissé
pour montrer sa jambe entourée d'une bande roulée à la partie inférieure
et formant un croisé à la partie latérale interne du mollet (fig. 1). Nous
trouvons une quantité de panse-
ments dans ces images et à une
assez grande échelle pour avoir
une idée nette des méthodes du
xvie siècle. De plus le Pourpoint
en donne une description bien dé-
taillée, tout à fait intéressante :
« lesquelles gourmes, playes, ul-
cères, il fautcouvrir, envelopper,
empoupeliner d'emplasires, d'oi-
gnements, de cataplasmes, d'huy-
les, de toiles cirées, de linges
simples et doubles, dépannes, de
blanchet eschardé et brisé, et les
lyer de seinctures de blanchet et
de compresses garnies de cotlon et
de laine à tout le suif... » et ail-
leurs, « les charpis, les tenles,
les esponges, les mouelles de
jonc, de lyège, de boys pourris,
pour détirer et abolir l'humidité
des plaies ».
Dans le premier rang, le pre-
miel' soldat a la main gauche en écliarpe et sa chausse droite est fendue
pour laisser voir les tours de bandes qui lui enveloppent le mollet. Le troi-
sième soldai a la jambe droite enveloppée comme l'a le capitaine, et aussi
le troisième soldat du troisième rang (fig. 2).
Au deuxième rang les figures sont couvertes d'emplâtres losangiques ;
l'un des soldats s'appuie sur une potence ; ses deux jambes sont pansées,
mais le dessin du Triumphe ne permet pas de voir exactement comment ;
son bras droit est soutenu par son bâton emblématique plutôt qu'il ne le
soutient ; son voisin a le bras en écharpe, la main tout a fait tombante. Ce
sont eux que nous avons 'fait représenter en un fac-similé de l'estampe
de Blois beaucoup mieux détaillée que les figures de Triumphe (1), Re-
(1) Les dessins reproduils d'après l'original (f)g. 1,2, 3,4) sont dus il l'obligeance de
M. Germain Debré.
Fin. 1
LE TItIUDIP11P DE TRÈS 11AULTE ET PUISSANTE DAME VÉROLLE 181
Fic.. 2, - Le 21 Ranc.
1S2 1\1. fRÉNEL
marquez le premier figurant qui eiitr'ouvre la bouche pour expirer « la
alaine courte, puante, punaise », une bouche édentée, car on sait que la
syphilis (à moins que ce ne soit le traitement) en fait, a les dents noires,
jaulnes, dorées, pourries, qui branslent es machouères, comme les loylles
de ung moulin à vent » (Le Pourpoint). Ces « troys véreux cornbatants »
ont leur bonne part
Et sont plus rongneux que vieili, citons.
Mais le troisième rang qui les raille n'a rien à leur envier.
Nous avons assez bon couraigc
Se n'estoit que jambes nous faillent,
Et ses emplastrez au visage....
Ils out en effet la face couverte l'emplastres; l'un d'eux a la jambe
entourée d'un double tour de bandes, et sur l'Estampe de Blois le nez du
deuxième est quelque peu effondré (fig. 3).
Le porte-enseigne a aussi des emplastres aux jambes et sa ligure parait
déformée. Mais c'est dans l'estampe de Blois qu'il est particulièrement
intéressant. Il a, à n'en pas douter, le nez en lorgnette. Est-ce une repro-
duction au naturel ou un faux-nez de carnaval. C'est assez difGcile , dire :
comme on peut le voir sur notre fac-similé (fig. 4), quelques traits parais-
sent figure)'soit des emplâtres sur un nez effondré, soit des bandelettes
destinéesà retenir un nez postiche. Nous préférons la première explica-
tion, car ne dil-il pas lui-même
Ftfi.3 3
LE TRIUMPHE DE rné5 HAUL1E ET PUISSANTE DAME VËKOLLH 1W
Au puy d'Amours vray Porteuseigne
Je me puis dire en double sorte ;
Mon nez, ma joue en donne enseigne,
Aussi l'estendart que je porte :
Et d'ailleurs celte « bonne trongne » comme chante le quatrième rang,
n'est-elle pas beaucoup mieux décrite que nous ne saurions le faire, et
surtout de façon plus pittoresque dans le Pourpoint : « Les yeux leur
demeurent rouges et esraillez qui filent la cyre et sont de couleur de tête
de pyvert, de pied de canard et de bec de sygoigne, aussi le nez remu-
selé, raccourcy, pressé comme figue de vieulx cabas, où a souvent ung
esgout comme une canelle à laver les mains, qui est en façon de pertuys
de flûte d'Allemant, rond comme un poys. »
Le dl'apealtmériteunemenlion (f1g.4); suivons ladescriplion héraldique
de Montaiglon. « Il est chargé d'une croix cantonnée au premier d'un puits
et aux autres quartiers de quatre flammes évidemment au naturel et qui
représentent le feu sauvage. Peut-être sont-ce de même des flammes qui
terminent les bâtons de la compagnie. » Dans l'estampe de Blois ces em-
blèmes ne sont évidemment pas des flammes, mais plutôt quelque plante
officinale caractéristique dont nous ne saurions deviner le nom (1).
(1) Ou bien peut-être des glands. Sauvai ne dit-il pas d'après Fernel : « Ce n'était
FiG. 4. - Le Portenseiône.
184 M. 'l'ltl;NLL
Nous ajouterons que du puits sort un amour les yeux bandés et l'arc
tendu, allégorie facile à expliquer.On sait que l'amour est toujours aveugle,
mais les poursuyvanls de la gorre de Rouen ont négligé à leur damne le
précepte :
Si vous voulez parler brayes nettes
Ne chevauchez point sans lunettes.
Uans l'estampe de Blois le quatrième rang montre des emplâtres, une
jambe pansée et un nez effondré. A n'en pas douter le personnage doit
avoir un de ces « palais, auquel souvent s'y forme le chancre qui fait ung
pertuis ou deux soulz les naseaux et les cartilages dudict palays, qui font
parler le patient en homme qui a huyé le loup en trompette percée et
nasarder en liault boys de l'oyctou » (Le Pourpoint). C'est ainsi que par-
lait le roi François Iet' qui, s'il avait eu la chance de conserver son fameux
nez, avait perdu sa luette comme nous l'apprend Mézeray et parlait de fa-
çon peu compréhensible. Dans l'image du Triumphe on voit à ce rang un
bandage spiral du bras et un autre de la jambe.
Au cinquième le premier soldat a le pied nu entouré d'un pansement
en spirale qui ne laisse libres que les orteils; et son voisin a le bras en
écharpe; la main tombante
Les poursuyvans tours de malheurs,
Possedans comme Ion peult veoir
Les benefices des doulleurs
sont à cheval, couverts de longues robes, mais rien dans la gravure ne laisse
deviner que
En poursuyvant le jeu d'aymer
Qui au commencer semble doulx,
Mais à la fin ce n'est qu'amer ;
La preuve se peult veoir par nous.
La goutte aux jambes et genoux
Nous faict le Puy d'Amours comprendre,
Lecteurs, jeunes, vieulx, saines et foulx,
Ainsi vous en puisse il prendre.
Et, nous savons par le Pourpoinct qu'à ces pauvres malades incapables
de marcher, il faut y avoir...la petite mulleprivéeneallantque le pas..
les grandes mouflles au lieu de poupis, les robes à haut collet... la fémi-
nine fourrée tache... »
qu'ulcères sur eux et qu'on aurait pris pour du gland à en juger par la grosseur el la
couleur... » (Antiquités de Paris, 111-fiv, p. 37).
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XXIV. PI. XXIV
LA CHANCELLERIE»
La chancellerie»
Icy est la chancellerie
De ce triumphe magnifique,
D'ont la vereufe feigneurie
En a belle ledre autenticque :
Qui bien au long son faic praticque
Et veult a la fin regarder,
II trouuera par la replicque
Que heureux est qui fén fcait garder»
LA FÊTE DES FOUS DU MUSÉE DE BLOIS
(M. Trertel)
Masson & Cie, Editeurs
LE TRIUMPHE DE TRES HAULTE ET PUISSANTE DAME VÉROLLE 185
Le scelleur quoiqu'il dise
Que mon état ne peut celer
ne nous montre dans l'une ni l'autre gravure rien de caractéristique. Mais
il porte une sorte de longue spatule décorée de l'image du Puits, un de ces
penonceaux, dont parlent les Chevauchées de l'Asne. Montaiglon suppose
que c'était làson sceau fait en relief et frotté de craie qu'il appliquait par
plaisanterie ou pour désigner à la malignité publique les véroles sup-
posés sur les assistants qu'il pouvait atteindre :
...se aucun se celle .
Ou est de noz biens recelleur,
De mon scel fault que je le scelle.
L'hypothèse de Montaiglon est, d'après ces vers, des plus plausible,
car on ne se faisait pas faute au bon temps, de stigmatiser publiquement les
gens. Dans les Chevauchées de l'Asne (1) où l'on tournait en ridicule les
maris battus par leurs femmes les autorités devaient prendre des précau-
tions pour leur éviter celte avanie :
« Et depuys, la dicte Chevauchée fut prolongée jusques au Lundy
quatrième de novembre, pour la difficulté qui fut lors, pour obvier si
ce que les pauvres Martyrs, ayans esté en telle sorte battuz et mutiliez par
leurs femmes, ne fussent nommez par noms et surnoms, comme de co'us-
tume est de faire audictes Chevauchées. »
Les laquais sont bien lotis ; se traînant avec des béquilles en potences,
les jambes enlourées de bandes en spirales ou croisées, ou couverts d'em-
plâtres, ils mènent péniblement âne de la Chancellerie (PI. XXIV). Celui :
ci est « chargé d'un petit étal ambulant à jour en formelle gibet carré et au
cadre supérieur duquel sont suspendus divers objets, de petites potences,
peut-être des bouts de parchemins avec des formules et des sonnettes pour
tinter en marchant. C'est à un pareil échafaudage que les vendeurs de
fausses reliques devaient suspendre leurs chapelets » (Montaiglon).
Nous ne croyons pas qne l'interprétation de Montaiglon soit entière-
ment exacte. Sur l'estampe de Blois, les plus grandes dimensions de
l'image permettent de mieux voir les détails : il y a bien une série de
potences'; mais ce que Montaiglon regarde comme des sonnettes nous pa-
raît être de ces sachets curatifs qu'on employait alors, ou bien et plutôt ,
des ventouses ou de ces scarificateurs d'alors, à 18 roues tranchantes
dont le dessinateur a figuré, semble-t-il, comme des gouttelettes de sang
(1) Recueil fuict au vray de la Chevauchée de l'Asne, faicte en la ville de Lyon : Et
commencée le premier jour du moys de septembre mil cinq cens soixante six : avec
tout l'ordre tenu en icelle. A Lyon, par Guillaume Teslefort. Réimpression, B. D. P.
Lyon, 1819 (Barnet). Editée de nouveau par BcUeuring. Lyon, 1862, in-8".
xxiv 13
J 86 M. TRKNEL
qui en tombent. Les scarifications étaient très employées, ainsi que ne
manque pas de le dire le Pourpoint : ... « les nouets apéritifs, instractés
en l'orifice du longaon (1), après les seignées de liault et de bas, des lan-
cettes, des ventouses, des sansues, aussi l'égousl des scarifications... »
Le Chancelier ne se fait remarquer que par les mauvais jeux de mots
qu'il débite. Mais le Souvenir amoureux
Garny de boytes et spatulles
a en. effet une longue robe couverte de ces emblèmes et il en tient un
exemplaire en main ; ce sont les boîtes aux c unganz doulx, frais, stupê-
factifz, discatifz, repertifz, dissolutifz, infrugatifz, attractifz, consolida-
tifz, nutritifz, résolutifz, molificatifz et de douleurs sedatifz », dont nous
avons relevé plus haut le commencement de la liste interminable qu'en
donne le Pourpoint.
La Dielle tient d'une main un objet oblong, où, dans l'estampe de
Blois, sont marquées 3 petites rondelles, de l'autre, une fiole à demi
pleine. Elle lève cette fiole et paraît l'examiner à la façon des Médecins
aux Urines (2). Nous retrouvons ces trois rondelles ou pilules représen-
tées dans une miniature delà Bibliothèque Nationale.
Viennent ensuite le Char de Vénus traîné par des boucs, Volupté,
Cupido, les Larrons clandestins. Ceux-ci démolissent le Puits d'amour.
A propos du Puits d'amour, Montaiglon remarque que le mot est or-
thographié Puy et viendrait alors de Podium comme dans le terme géogra-
phique (Puy-de-Dôme), et signifierait saillie, mamelon. On voit que le
fond de son idée, qu'il liésite exprimer, est que le mot a lesens de 1110ns
Veneris. Or dans la gravure de Blois, l'orthographe est bien Puys, ce qui
esl mieux en rapport avec les armoiries du drapeau et la scène des lar--
rons. Rappelons d'autre part que jusque sous François Nier le mot Puy a
désigné des confréries littéraires (le Puy de Dieppe par exemple d'après
Petit de Jullevillei.
Le Seigneur du puy d'amour tient en main un bouquet de fleurs. Il est
trainé par deux femmes, sans doute en costume professionnel. Le bouquet
est évidemment symbolique ; il sort de semblables fleurs du puy d'amour,
démoli par les larrons clandestins, et la Volupté de l'édition du Pour-
point d'Adam Lotrian, antérieure au Triumphe, porte une gerbe iden-
tique. Nous n'avons pu reconnaître quelle Heur, médicinale évidem-
ment, est là représentée. Le l'ourpoinct cite maintes espèces, la bour-
(1) « Longano et longanon, c'est, en latin, le nom du gros intestin » (Montaiglon).
(2) Il. Meige, Les Urologues. Archives générales de médecine, mai-juin 1900 ; Le Mal
d'Amour. Nouvelle Iconographie, 1897, 1 à 5 ; Ch. NICOLI.E, Les Urologues normands.
Revue médicale de Normandie et La Médecine et l'Art en Normandie, 1903, Rouen,
Lestringant.
Nouvelle Iconographie DE la Salpètriere.
T. XXIV. PL XXV
LE BAGAGE. z
Le bagage» '5
Ï3e ce Triumphe icy est le bagage . ?
(Comme on peuh veoir) acouftré pauurcméfr
Garde toy bien d'en eftre fy es rage,' .. :
Sy .ial11ais ne veux' foûffrir tourment; ?
Car ceulx,. a qui ofte l'entendement "
Venus l'infede, & les redutd a elle, " '
omunement font de noftre fequellr l " .
- SubmJz a mal, - 8l priuez de plaifir : -
Parquoy ne doibz fuyure Dedlè telle,
Sy de,tain viure as vouloir, 8 defir»
LA FÊTE DES FOUS DU MUSÉE DE BLOIS
(il. Tréncl).
Masson & Cie, Éditeurs.
LE TRIUMPHE DE TRÈS HAULTE ET PUISSANTE DAME VI : ROLLE 187
racle, violette, civette, et parle même d'un bouquet « de mesnues
pensées entrelardé de soulcy et garny de passerage », mais ceci n'a rien
de médical et n'est qu'une série de très faibles jeux de mots (I).
Un mot des Retordeurs (2) et des Faiseurs de nouveau CIl ! }I' qui ne
nous paraissent pas être comme le veut Montaiglon, des médecins, mais des
éttiveurs et masseurs à en juger par les couplets qu'ils débitent. D'ail leurs
pendant longtemps les soins aux syphilitiques furent abandonnés aux
chirurgiens et barbiers ; bien des médecins considéraient cela comme au-
dessous de leur dignité. Les relevés faits par Le Pileur dans les registres
d'Avignon et de Besançon le montrent bien (3). C'estsansdoule en raison
du mépris où étaient tenus ceux qui faisaient métier de soigner les syphi-
litiques clu'Epistemon revenant des enfers dit y avoir vu, entre autres
morts déchus de leurs grandeurs terrestres, « le pape Sixte, gresseur de
vérole » (Pantagruel, L. 11, Ch. XXX).
Le Char de Dame Vérolle bien gorgiaseest traîné par deux personnages
aux jambes entourées de bandages. Le Pourpoint donne pour la vérole
une liste de synonymes qui n'ont point cours en clinique (4) et dont un.
petit nombre se trouvent aussi dans Rabotais.
Dans les Bagages (PI. XXV) abondent les nez effondrés, les jambes ban-
dées (remarquer le deuxième personnage portant un croisé du genou), les
pansements de tête, minerves, croisés de l'oeil. Tous les personnages sont
béquillards, couverts d'emplâtres sur la face,les bras, la poitrine, les jam-
bes.Il est regrettableque la figure de l'enfant porté avec sa mère sur un âne
soit peu distincte, il eût été intéressant de voir dès cette époque la repré-
sentation d'une syphilis héréditaire. La mère est couverte d'emplâtres, a
un bras amaigri et bandé porté en écharpe, le pied pansé aussi. Il est bien
fâcheux que cette planche qui montre un si grand nombre de figures
n'existe pas à Blois ; le fini de l'estampe et son grand format en auraient :
fait un document médical des plus précieux. 1
Comme le Triumphe, l'estampe de Blois date de la troisième période
(1) Les plantes dont il est parlé çà et là dans le Pourpoint sont : bourrache, cinna-
mone, bryone, fenouil, gayac, salsepareille, girolle, rue, laurier, moutarde, passerage,
pensée, plantain, poirée, romarin, staphisaigre, sureau. Il n'y a à retenir que la sal-
separeille et gayac. C'est de gayac qu'est faille sommier des orgues de la Reine
de Quinte-Essence dont elle s'accompagne en chantant ses chansons qui guérissent
toutes les maladies.
(2) Rabelais emploic, ai ec un jeu de mot plaisant, le terme de « femme refondue ».
Pantagruel, L. V. Ch. XXI.
(3) Le Pileur, La Prostitution du 1111° au XVII' siècle (Bibl. de la Faculté de mé-
decine, 60.S18).
(i) A UUEII 1, dans son article Sur quelques vieilles expressions sur la vérole (France,
médicale, 1908, p. 306) n'en parle pas; non plus que la Chronique médicale {passim).
-'188 M.TRÉEL
de la maladie, suivant la division historique qu'en a donnée Aslruc (1) ;
« cette période s'étend de 152G à 1540 et est marquée par un certain
adoucissement de la maladie n. On a eu très grand peur, mais maintenant
on se reprend quelque peu ; on la chante comme Jean Dru) 11 V'Amiens (2),
comme Fracastor, Jean Lemaire et tant d'autres ; on peul bien s'en mo-
. quer et en faire la mascarade.
Celle atténuation de la vérole affirmée par Fracastor n'était pas une
illusion comme l'écrit t Chéreau, La maladie a suivi la loi générale de tou-
tes les maladies infectieuses, quille à présenter des recrudescences.
Remarquons en passant que le Triumphe (1539) est contemporain du
poème de Fracaslor ()330).
Il n'y a pas lieu de s'étonner que la béquille soit l'emblème le plus im-
portant du Triumphe. Les malades sont bien affaiblis, mais de plus, il est
d'hier ce symptôme nouveau, le bubon décrit par Nicolas Massa (1532) et
dont Antoine Lecoq nous apprend qu'on l'appelle poulain (Panurge dit :
poulains grenés. Pantagruel, 1. V, ch.XXX), parce que ceux qui en sont
attaqués marchent en écartant les jambes comme s'ils étaient à cheval;
aussi plus d'un a besoin de béquille pour s'aider, et est obligé de porter
« chausses de mariniers, larges et fendues par devant »; « des chausses à la
marinière pour mieux soulager les rognons », dit aussi Rabelais.
La plupart des figures on[ une expression douloureuse : « ils tordent la
gueule », comme Panurge « contrefaisant ceux qui ont eu la vérole » ; il
n'y a.pas lieu de s'en étonner : «On voit depuis environ vingt ans, dit
Fracastor, moins de pustules et plus de tumeurs gommeuses, tout au con-
traire des premières années. Les pustules, lorsqu'il en paraît, sont plus
sèches, et les douleurs, lorsqu'il en survient, plus cruelles. »
Nous ne nous étonnerons pas de l'importance donnée à la goutte dont
le nom revient continuellement et qui figure en bon rang dans le cortège.
Nous rencontrons dans Rabelais trace de ce rapprochement que l'on fai-
sait de son temps de la goutte et de la syphilis. Dans le répertoire des li-
vres que Pantagi-Liel trouve dans la magnifique librairie de Saint-Victor
(Pantagruel, I. II, ch. VII), en bonne place, bien avant d'autres ouvrages
médicaux, comme le Cacatol'iltlllmcdicol'll11l,le Campi cl ! }sterio1'll1n par S.
C., le Baisecul de chirurgie, le Tirepet des Apothicaires, entre les Péla-
(1) Rappelons cette curieuse division en quatre périodes sans doute bien artificielles,
1" Période de 1494 à 114 : Description de l'ensemble des symptômes ,
2' Période, l14-1526 : Apparition des exostoses el de la carie des os et des verrues ou
poireaux des parties génitales.
31 Période, 1b26-1540 : Adoucissement de la maladie, chute des poils, bubon.
4' Période, 1540-1550 : Description de la gonorrhée.
5* et 6' périodes, 1610 : Tintement des oreilles et description des vésicules cristallines.
(2) Voir sa ballade (15121 dans l'article du bibliophile Jacob, p. 309.
LE TRIUMPHE DE TRÈS HAULTE ET PUISSANTE DAME VÉROLE 189
rades des bullistes, copistes, scripteurs, abbréviateurs, référendaires et
dataires, compilés par Régis et les Maneries 1'amonandi fourlle/Ills, par
M. Eccium, il cite l'Almanach perpétuel pour les goutteux et vérolés,
malheureusement sans nom d'auteur. Mais sans doute, en beau joueur,
Rabotais, auteur de nombreux almanachs (I) se moque ici de lui-même.
Ailleurs, il accorde aux syphilitiques ce qu'on ne considère plus que com-
me l'apanage des rhumatisants, l'influence des conditions atmosphériques
sur leurs douleurs : "Et ainsi comme vous, vérolés, de loin à vos jam-
bes ischiatiques et à vos omoplates sentez la venue des pluyes, des vents,
du serain, tout changement de temps » (Pantagruel, 1. V, ch. IX). Enfin
il affuble les goutteux des mêmes épithètes et les place au même rang
que les véroles, car il met sous leur invocation, de même sorte, son tiers
livre au début de son prologue : «Bonnes gens, beuveurs très illustres, et
vous goutteux si précieux... »
Le Pourpoint met aussi au compte de la vérole les « gouttes nouées ».
« Aussi, ne fault laisser les douleurs, les enflures des mains et des piedz
dont il faut avoyr battons à pommelles et à potances. »
Malgré l'autorité de Rabelais, nous croyons qu'il ne s'agit pas là de sy-
philis. Si pour quelques-uns de nos poursuyvanls, comme par exemple
ceux que Germain Debré a copiés pour nous avec une absolue fidélité sur
l'Estampe de mois, on peut admettre qu'il s'agit peut-être de monoplé-
gies ou d'hémiplégies syphilitiques, nous ne voyons pas très bien à
quelle lésion spécifique on peut attribuer ces bras en écharpe et ces dé-
marches pénibles ; le rhumatisme syphilitique si rare, aurait-il été plus
fréquent au xvI° siècle ? Les douleurs ostéocopes suffisent-elles pour
jusiifier cette abondance de béquilles, nous ne le croyons pas, quoi-
qu'elles fussent bien connues.
Les ungs sont pris à la nassettp,
Les autres par le tibia.
Nous ne croyons pas non plus que ce soient elles qui rendent
Podagres et emmantelez,
La potence en la main contrite.
Pour les pansements de la main, il ne peut guère s'agir d'onyixs bien
que souvent soient « les ongles rompus, fendus, retirez, raccourcis, noirs
et gris etlellnez », ni de psoriasis palmaire qu'on peut reconnaître dans
la description du Pourpoint« La grille, la broche chaude et le farcin entre
les doygts et au creux des mains,dont elles sont dures et espe-rses,i*ab6tèli-
(1) Sauf la Pantagruéline Prognostication on n'a que des fragments ou des titres;
mais on suppose que la série s'eu étendait de 1533 à 1550 (L. Moland),
190 M. TRMNEL
ses et farcineuses et rudes comme la peau d'ung chien marin, en coulleur
et forme de la pelure d'un vieil formage. »
Les malades passés à l'éluve sous l'archet étaient aussi toujours bien
épuisés ; mais cela n'explique pas tous ces éclopés. Nous croyons qu'il
s'agit plutôt d'arlbriies uleonorragillues.
- La chaude-pisse parait avoir pris une virulence exlrème a l'époque.
Si parmi les auteurs du temps quelques-uns comme Bélhencourt, Vigo
avaient reconnu que la blennorragie soit une maladie sui generis, la plu-
part à la suite de Bernard Tomilan, n'y voyaient qu'un symptôme delà
vérole, et plus tard Ambroise Paré lui-même, si judicieux, après avoir hé-
silésemble-til, s'était rattaché à cette théorie (1). Sydenham la regardait
comme « une espèce d'issue par où le virus cherche à s'échapper ».
Le rhumatisme blennorragique du être extrêmement fréquent; on
sait combien ces arthrites sont douloureuses. L'auteur du Pourpoint le
savait bien : « car quant le souvenir leur vient, il leur fait tortre la
gueulle, rechigner, maugréer, despiler, jurer, blasphémer, se donner au
diable. » Leur localisation fréquente au poignet, au genou, au cou-de-
pied explique d'une façon très satisfaisante la plupart de nos images.
Notons que le Pourpoint distingue les goutes froydes et les goules
chauldes, et ailleurs des gouttes nouées. Il connaît même la talalgie.
Mille malheurs mescllans en sont venus,
Desquelz font foy et ample tesmoignage,
Goutte ès tallons et boutions au visage.
Cette dernière est en général gonococcique ; les gouttes chaudes le sont
sans doute aussi ; il est probable que les gouttes froides se rapportent plu-
tôt à des arthrites tuberculeuses, froides en effet, et les gouttes nouées au
rhumatisme chronique. On a là un exemple de la confusion extrême qui
existait alors.
Quant aux emplâtres et aux autres pansements, à eux s'appliquent
très bien les vers de Jean Lemaire (2) :
Mais en la fin, quand le venin feust meur, '
Il leur naissait de gros boutons, sans fleur,
Si très hydeux, si laidz et si enormes,
Qu'on ne vit olleques visages si difformes
N'onc ne receut si très mortelle injure
- Nature humaine en sa belle figure.
(1) Toute l'histoire de la blennorragie est à lire dans l'excellente Thèse de Roucay-
rot (Paris, 1901-1908) qui est pleine d'enseignements (Très importante bibliographie).
Voir aussi W¡CKERgIIEI11ER, La médecine et les médecins en France à l'époque de la Re-
naissance, Paris,1906. ·
(2) Jean Lemaibe, Premier conte envers (Le Triumphe). w -
LE TRIUMPHE DE TRES HAULTE ET PUISSANTE DAME VÉROLLE 191
Au fronc, au col, au menton et au nez
Onc ne vit tant de gens boulonnez,
Et, qui pis est de ce venin nuysible,
Par sa malice occulte et invisible
Allait chercher les veines et artères
Et leur causait si estranges mistères,
Dangier, douleur de passion et goutte,
Qu'on n'y sçavoit remède, somme toute,
Fors de crier, souspirer, lamenter,
Plourer et plaindre et mort se souhaiter
Ne ne sceut oncques lui bailler propre nom
Nul médecin, tant eust-il de renom.
Force nous a été tout au long de notre article de multiplier les citations
et nous n'avons guère fait qu'un travail de marquetterie; mais, pour l'
terminer nous ne saurions manquer de donner comme dernière citation
le rondeau très joliment troussé de l'auteur du Pourpoint, et qu'il aurait
pu dédier aux avariés passés, présents et futurs.
A cinq cens dyables la vérolle
Et l'ord vaisseau où je la prins ! 1
Je n'ay dent qui ne branle ou crolle.
A cinq cens dyables la vérolle ! 1
La goutte si me rompt et rolle
Et suis d'ulcères tout esprius.
A cinq cens dyables la vérolle
Et l'ord vaisseau où je la prins.
Le gérant : P. Boucnez.
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
SUClll : ' DE l1'EUltOLOGIE DE PARIS
(Séance du 6 avril 1911).
HÉMORRAGIE CEREBRALE RÉCENTE
A FOYERS MULTIPLES
PAR
A. SOUQUES.
L'hémorragie du cerveau est généralement unique. Il est rare d'en
rencontrer deux foyers et tout à fait exceptionnel d'en trouver davantage.
Je ne parle pas ici de foyers hémorragiques d'âge différent. On trouve
assez souvent, en effet, une hémorragie récente coexistant avec un ou
deux foyers ocreux, visiblement anciens. Je veux seulement parler de
foyers récents et contemporains. Par contemporains, je n'entends pas ap-
parus au même moment ; j'entends apparus à la même époque, c'est-à-dire
à quelques jours ou quelques semaines de distance, sans offrir de traits
différentiels qui permettent de les distinguer chronologiquement, en un
mot paraissant du même âge. '
J'ai eu l'occasion d'en observer deux cas dont l'histoire clinique est
obscure et présente des lacunes. Ce sont des curiosités, des trouvailles
d'autopsie. En voici le résumé :
Observation I (PI. XXVI).
Cor..., 64 ans, journalier, entre bien portant le 20 mars 1909, à l'hospice
d'Ivry.
Trois semaines plus tard, le 10 avril, il est brusquement pris, pendant la
nuit, d'une crise convulsive qui le fait conduire à l'infirmerie. Examiné à
6 heures du soir, il est immobile, les yeux ouverts, dans un demi-sommeil, et
ne répond pas aux questions posées. La tête est fortement penchée sur
l'épaule gauche et les yeux eu déviation extrême vers la droite, avec de petites
secousses de nystagmus, très rapides. Les membres inférieurs sont raides,
surtout le droit, les réflexes rotuliens vifs et égaux des deux côtés ; il n'y
a pas de trépidation épileptoïde. Le réflexe cutané plantaire se fait, à gauche,
en flexion avec des mouvements de défense ; à droite, mouvement de défense
avec, par moments, extension de tous les orteils difficile à différencier de l'en-
semble des mouvements de défense, si bien que le signe de Babinski parait
douteux. La contracture est très marquée dans les deux membres inférieurs. : \ : \1\' . 13
194 SOUQUES
La sensibilité n'est pas abolie : le malade retire les jambes quand on les pique
mais retire moins la droite que la gauche.
Aux membres supérieurs, la contracture est plus marquée à gauche qu'il
droite et les réflexes tendineux paraissent normaux. Le malade élève cons-
tamment le membre gauche en dirigeant sa main vers la partie droite du
champ visuel, comme pour saisir un objet placé en haut et à droite.
Il n'y a pas de paralysie faciale apparente ; on ne peut faire tirer la langue
au malade.
Pendant l'examen, il présente à plusieurs reprises des contractions grima-
çantes dans la partie droite du visage ; en même temps, le membre supérieur
droit s'agite d'une façon non rythmique. Le membre inférieur, découvert dès
le début de la crise, ne participe pas aux phénomènes jacksonniens.
Le malade perd ses urines. La température est à 38° et le pouls à 96. Il n'y
a rien du côté des poumons.
11 avril. Dans la nuit, dit le veilleur, il a eu des crises convulsives dans
lesquelles la face et le membre supérieur, du côté droit, auraient seuls été
agités. ' -
Le malade est dans le même état de demi-sommeil, ne répondant pas aux
questions. La tète n'est plus inclinée sur l'épaule gauche, comme hier soir,
mais le visage regarde à droite et les yeux sont déviés à droite avec petites
secousses de nystagmus transversal. Pupilles égales et réagissant bien à la
lumière. Le côté droit du corps est fortement contracture ; les réflexes rotu-
liens sont égaux, mais la contracture diminue l'amplitude de celui du côté
droit. Pas de clonus, pas de signe de Babinski. Pendant l'examen on note
encore quelques secousses dans le côté droit de la face et dans le bras corres-
pondant. La main gauche s'élève comme hier et se dirige vers la droite.
Une ponction lombaire montre un liquide clair, hypertendu, avec leucocy-
tose abondante et polynucléose prédominante. Température : 39°.
12 avril. Il n'y a plus de mouvements convulsifs. Rien à la face. Pas de
déviation conjuguée de la tête et des yeux, pas de nystagmus.
L'hémiparésie droite est nette : les membres de ce côté retombent lourde-
ment sur le lit ; il n'en et pas ainsi à gauche. Il y a encore un certain degré
de contracture, à droite. L'excitation de la plante du pied provoque le retrait
du membre, à gauche ; à droite, ce retrait reste faible, à cause de la contrac-
ture. A gauche, flexion très nette des orteils ; à droite, pas d'extension, mais
assez souvent immobilité, le plus souvent flexion légère. Les réflexes rotuliens
paraissent égaux des deux côtés. Dans les urines, grande quantité d'albumine.
Le malade est toujours dans le demi-sommeil, ne répondant pas aux ques-
tions posées et n'exécutant aucun des ordres simples qui lui sont donnés.
A 11 h. 1/2, nouvelle crise convulsive dans le membre supérieur droit ; pas
de secousses au membre inférieur qui est seulement raidi. De nouveau, la tête
s'incline sur l'épaule gauche, la face regardant à droite et les yeux se déviant
de ce côté. Pas de mouvements convulsifs dans les muscles de la face. La main
gauche se dirige toujours vers la droite, comme à la recherche d'un objet ima-
ginaire. Température 37°5, ce matin.
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÉTRILRE.
1'. 1S1\'. 1'1. XXVI
HÉMORRAGIES CÉRÉBRALES RÉCENTES A MULTIPLES FOYERS
Obs. I
(A. Souques).
i. Hémisphère droit. Coupe passant par le tiers supérieur de la couche optique (4 loyers).
lIlOHH.A.GOE CÉRÉBRALE RÉCENTE A FOYERS MULTIPLES 195
13 avril. Il y a chez le malade une raideur généralisée très prononcée
(membres supérieurs et inférieurs, nuque, trismus invincible). Pas de signe
de Kernig, pas de Babinski, pas de photophobie.
Le malade est sorti de sa torpeur; il ne présente plus de déviations de la
tête ni des yeux. Il prononce quelques phrases : « Vous êtes bien gentil, je
vous remercie beaucoup. »
Température 36°9, pouls 80. Le malade a été à la selle pour la première fois
depuis son entrée à l'infirmerie. Il n'a pas eu de vomissements.
21 avril. Depuis quelques jours que le malade est sorti de la torpeur, il
est gâteux et paraît très affaibli intellectuellement.
On voit au niveau du membre supérieur droit des secousses assez lentes (70
à 80 à la minute) qui amènent un léger déplacement des doigts et de l'avant-
bras. Quelquefois deux ou trois secousses se succèdent rapidement, puis le
rythme redevient régulier et plus lent. Rien à la face ni au membre inférieur.
Le malade a une espèce de stéréotypie : si on lui lève le bras ou la main, il
répète ce mouvement trente fois, quarante fois de suite, et même davantage.
30 avril. Il quitte l'infirmerie, la température étant redevenue normale
depuis le 13 avril, avec une petite et courte poussée le 20 avril au soir (38°5).
ler août 1909. Le malade est ramené à l'infirmerie, après avoir présenté
dans sa salle des convulsions. Il est dans le coma complet, sans déviation de la
tête. Il y a hémiplégie gauche, avec réflexe rotulien exagéré et Babinski posi-
tif de ce côté. A droite les réflexes sont normaux.
2. Coma moins profond ; mêmes signes d'hémiplégie gauche.
3. Le malade présente dans le membre supérieur droit des mouvements
convulsifs déplaçant les divers segments du membre. Ces mouvements persis-
tent toute la matinée puis disparaissent. Dans l'après-midi, nouvelles convul-
sions dans le membre supérieur droit. Rien à la face ni au membre inférieur. Le
coma est absolu.
4. Le malade meurt à Il heures du matin, sans avoir présenté d'autres
phénomènes convulsifs. -
. La température avait atteint 38° ! ), le 2 ; 39°7, le 3 août ; le 4 août, avant
la mort, elle était à 39°.
Autopsie. L'autopsie n'a porté que sur le système nerveux central. Pas
de sang dans le crâne. Il y a sur l'hémisphère droit trois petites hémorragies
méningées, sous-arachnoïdiennes, très circonscrites, indépendantes l'une de
l'autre et sur l'hémisphère gauche une hémorragie méningée, sous-arachnoï-
dienne, diffuse, occupant la majeure partie de la face externe, c'est-à-dire le
lobe temporal et les régions adjacentes des lobes frontal, pariétal et occipital.
En outre, il existe dans l'un et l'autre hémisphères du cerveau de nombreux
foyers d'hémorragie contemporains, que les coupes horizontales permettent de
bien apercevoir.
Dans l'hémisphère droit, une coupe horizontale passant au-dessous du
genou et du bec du corps calleux montre une petite hémorragie dans la région
pariétale postérieure. Une coupe à un centimètre au-dessous fait voir quatre
foyers distincts : un dans la capsule interne,un plus volumineux situé eu arrière
196 SOUQUES
de celui-ci et deux dans la région' occipitale (Pl. XXVI, I).Une coupe passant à un
centimètre au-dessus de la précédente révèle un foyer d'hémorragie très ancien,
jaune ocre (région frontale) et quatre foyers récents dont l'un est le prolon-
gement du plus volumineux des foyers sous-jacents et dont les trois autres sont
nouveaux : l'un, antérieur, en plein centre ovale, et les deux autres postérieurs
(PI. XXVI, II). Enfin une coupe passant au-dessus de la précédente, à un cen-
timètre environ, montre un second foyer ocreux d'ancienne hémorragie et trois
foyers récents de petit volume (lentille) indépendants des foyers du plan sous-
jacent.
Dans l'hémisphère gauche, sur une coupe horizontale faite au-dessous du
genou et du bec du corps calleux, on relève une petite hémorragie récente au
niveau de la substance blanche du lobe occipital. Une coupe rasant le bord su-
périeur du corps calleux montre cinq petits foyers récents d'hémorragie. Enfin
une coupe passant à un centimètre au-dessus fait voir un foyer ocreuxd'ancienne
hémorragie et deux foyers récents hémorragiques du volume d'un petit pois
dans la partie moyenne du centre ovale.
Il faut noter qu'on ne voit aucune communication entre les foyers hémor-
ragiques intra-hémisphériques et les hémorragies méningées sous-arachnoï-
tiennes, ni dans l'un ni dans l'autre hémisphère. Ces foyers ne communiquent
pas davantage avec les ventricules. Ils siègent tous dans la substance blanche
des hémisphères et beaucoup sont sous-corticaux.
Au niveau du cervelet (PI. XXVI, 111), une coupe transversale décèle trois
foyers récents : l'un volumineux dans l'hémisphère droit et deux tout petits dans
l'hémisphère gauche. Il y a, en outre, dans ce dernier hémisphère une hémor-
ragie méningée sous-arachnoidienne, circonscrite et tout il fait indépendante
des foyers intra-liémispliériques.
Enfin, sur la face postérieure de la moelle, il existe une hémorragie sous-
araclmoïdienne, née sur place, occupant la moitié inférieure de la région dor-
sale et la partie voisine de la région lombaire. Les région cervico-dorsale et
lombo-sacrée sont indemnes. Pas de foyer intra-médullaire.
Athérome très notable des artères de l'hexagone de Willis, et assez nom-
breuses petites lacunes dans les noyaux centraux des deux hémisphères.
Observation Il (PI. XXVII et XXVIII).
Demau ? 68 ans, jardinier, admis depuis trois ans à l'hospice d'lvry,
était depuis cette époque gâteux et ne bougeait pas de sou lit. Il remuait bien
ses membres et parlait facilement. Il est conduit à l'infirmerie, le 3 juin 1910,
parce qu'il ne mange plus et a des étouffements.
On le trouve couché dans son lit, ne faisant aucun mouvement spontané,
plongé dans un demi-coma dont il ne sort qu'en entr'ouvrant les yeux, quand
on s'approche de son lit ou quand lorsqu'on l'interroge, pour y retomber aussitôt
après. Il ne répond, du reste, que par monosyllabes à quelques questions qu'il
comprend avec peine.
La motilité n'est pas abolie. Il essaie de faire les mouvements qu'on lui or-
donne, mais ces mouvements sont incomplets et très lents. Quand il untr'oiivro
NOUVELLE Iconographie DE la SALPLTRIERH.
T. XXIV. PL XXVII
HÉMORRAGIES CÉRÉBRALES RÉCENTES A MULTIPLES FOYERS
(A. Souques).
.1. Obs. 11. Coupe frontale.
5. Obs. IL Coupe passant par la tubercule mamillaire.
Masson & Cte, Editeurs
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.
T. XXIV. Pl. XXVIII
HÉMORRAGIES CÉRÉBRALES RÉCENTES A MULTIPLES FOYERS
(A. Souques).
6. - Obs. II. Coupe passant par la région pédonculo-protubérantielle.
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les yeux, ceux-ci ont une direction à peu près fixe, regardant toujours en liant,
et les paupières restent sans clignement. Si on lui parle, il regarde son inter-
locuteur d'un regard inexpressif.
La sensibilité n'est pas abolie : le malade réagit quand on le pince.
La face est pâle et maigre ; il n'y a d'oedème nulle part.
En plus de ce demi-coma, ce qui frappe chez cet homme, c'est un rythme très
net de Cheyne-Stokes, avec pauses respiratoires de 2o à 30 secondes. Une
saignée de 400 grammes, faite trois jours après son entrée, a fait disparaître
ce rythme pendant quelques heures seulement, mais une ponction lombaire et
une nouvelle saignée, faites plus tard, n'ont eu aucune action sur cette dyspnée.
L'examen somatique montre qu'il n'y a chez ce malade ni paralysie ni con-
tracture proprement dites. Rien de net à la face. Il remue également les mem-
bres des deux côtés et serre assez fortement le dynamomètre. Les réflexes ten-
dineux rotuliens, achilléens, olécràniensparaissent un peu plus brusques et plus
forts à droite qu'à gauche. Les réflexes abdominaux existent, et le signe de
Babinski est impossible à affirmer en raison des mouvements de défense faits
par cet homme.
Incontinence des sphincters et commencement d'eschare à la région sacrée.
Le coeur est gros, le deuxième bruit vibrant, claqué, donnant presque la
sensation d'un souffle ; le pouls régulier à 72 ; les arlères très dures, la pres-
sion artérielle exagérée (21 au Potain), les urines claires et albumineuse ? . Pas
de bruit de galop. Pas d'oedèmes. '
Deux ponctions lombaires, pratiquées le 11 et le 13 juin, montrent un liquide
clair, sans éléments cellulaires, sans hypertension.
Le malade reste pendant près de trois mois à l'infirmerie, sans présenter de
l11odificaLionsappréciahles (IeCheyne-Stokes à la longue était moins net). En août,
la somnolence augmente peu il peu. Puis le coeur faiblit, le pouls devient rapide,
irrégulier, inégal, la respiration fréquente et embarrassée. Et le malade meurt,
le 18 août 1910, sans oedème, sans fièvre ni hypothermie.
Autopsie. Le coeur est volumineux ; son hypertrophie porte surtout sur
le ventricule gauche. Les reins sont petils, granuleux, avec petits kystes il la
surface ; leur décortication est difficile. Sur une coupe, la substance corticale
est très réduite. '
Le cerveau ne présente aucune lésion appréciable à sa surface ; il n'y a pas
d'hémorragie sous-arachnoïdienne, sauf en un point du pôle frontal où il en
existe un petit foyer communiquant avec un foyer intra-bémisphérique. Mais
dans l'intérieur des hémisphères'on constate un grand nombre de foyers hémor-
ragiques récents. Une coupe vertico-transversale, à 3 centimètres en arrière du
pôle frontal, montre un foyer volumineux (volume d'une grosse noix) détrui-
sant la substance blanche de la première frontale (Pl. XXVII, IV) depuis l'écorce
jusqu'au ventricule latéral et fusant en avant sous l'arachnoïde pour former la
petite bémorrag.e méningée dont il vient d'être question. Sur une coupe, pas-
sant à 3 centimètres en arrière de la précédente, on note la limite postérieure
de ce foyer. Sur cette même coupe, on aperçoit quatre petits foyers du volume
d'une lentille (deux dans chaque hémisphère). L'un occupe le pôle temporal.
198 SOUQUES
Une coupe passant par les tubercules mamillaires (PI. XXVII, V) montre
deux foyers du volume d'une noisette : l'un dans la région pariétale inféro-
externe, l'autre dans le noyau lenticulaire de l'hémisphère droit.Sur une coupe
passant par la protubérance apparaît un gros foyer intra-pontique, que l'on
retrouve diminué de volume, sur un plan situé à 2 centimètres en arrière, en
' même temps que se montre un nouveau foyer, situé dans la substance blanche
du lobe temporal (PI. XXVII, VI). Enfin la figure VII montre de nouveaux
foyers dans la substance blanche de la partie postérieure du lobe pariétal droit.
Il existe de nombreuses petites lacunes dans les noyaux gris centraux. Pas
d'athérome des gros vaisseaux de la base.
Dans ces deux observations l'hémorragie est remarquable par le nom-
bre de ses foyers. Dans la première, on peut en compter 28 récents (et
3 anciens) occupant le névraxe : les hémisphères cérébraux, le cervelet,
les espaces sous-arachnoïdiens de l'encéphale et de la moelle. Dans la
seconde, on en relève 11. Dans l'un comme dans l'autre cas, c'est un
nombre minimum : les coupes ayant été assez espacées, plusieurs foyers
ont pu passer inaperçus ; d'autre part, il n'a pas été tenu compte de cer-
tains d'entre eux ayant les dimensions d'une tête d'épingle.
Leur volume est très variable : il va d'une grosse noix il un pois. Il est
généralement petit, et cela explique pourquoi la plupart d'entre eux ne
ne sont manifestés par aucun signe clinique appréciable et ont permis
une longue survie.
Comme siège, ces foyers occupent la substance blanche; la plupart
sont immédiatement sous-corticaux et ont cependant peu de tendance a
envahir les espaces sous-arachnoïdiens.
L'histoire clinique est très obscure. Le diagnostic n'a pas été fait :
dans le second cas on a pensé à de l'urémie, dans le premier à un simple
foyer de ramollissement cérébral ou d'hémorragie méningée. Il faut
bien dire que rien ne pouvait faire soupçonner ces foyers hémorragiques
disséminés. Ces deux malades ont présenté, comme trait commun,la longue
évolution qui duré ici plus de trois mois et là près de quatre. Ils étaient
l'un certainement et l'autre probablement brightiques. Et c'est là une no-
tion de première importance, étant donnée la fréquence de l'hémorragie
cérébrale dans lemal deBrigllt. Des lésions vasculaires très disséminées,
portant sur des artérioles de tout petit calibre, et une hypertension arté-
rielle permanente paraissent les conditions principales de ces hémorragies
à foyers multiples et contemporains.
TUMEUR OBLITÉRANT L'AQUEDUC DE SYLVIUS
HYDROCÉPHALIE VENTRICULAIRE
par
L. ALQUIER et B. KLARFELD.
On admet, généralement que l'oblitération de l'aqueduc de Sylvius sufl1t L
pour déterminer l'hydrocéphalie de 3 premiers ventricules cérébraux, mais
les faits probants sont encore peu nombreux. Le hasard des autopsies nous
a mis en présence de deux petites tumeurs dont la comparaison semble bien
significative à cet égard : toutes deux mesurent environ 1 centimètre de
diamètre, et occupent la partie inférieure des pédoncules cérébraux, dans
la région de la calotte, mais l'une située latéralement, respecte l'aqueduc,
et ne détermine ni hydrocéphalie ventriculaire, ni cliniquement, le syn-
drome d'hypertension intra-crànienne ; au contraire, la 29 située sur la
ligne médiane, semble obturer l'aqueduc : les trois premiers ventricules
sont fortement distendus, la malade avait présenté le syndrome d'hyper-
tension intra-crànienne.
Voici, plus en détail, les deux observations.
Observation I.
Femme admise à la Salpêtrière, à l'âge de 29 ans, pour douleurs rhnmatoï-
des sans déformations articulaires. 20 ans plus tard, à l'âge de 49 ans, elle
vint mourir à l'infirmerie, d'une crise d'asystolie avec dyspnée, cyanose, gros
oedème des membres inférieurs, stase pulmonaire ; l'auscultation révélait une
grosse insuffisance mitrale. Au 6e jour de l'admission à "infirmerie, elle fit une
hémiplégie droite complète, bras, jambe, face, avec hypoesthésie de toute la
moitié du corps, orteil indifférent, sans exagération nette des réflexes tendineux.
Enfin, la malade semblait atteinte d'aphasie, ne pouvant articuler que les mots :
« docteur « et « médecin » quoique semblant bien comprendre ce qu'on lui di-
sait, et exécutant les ordres qu'on lui donnait : tirer la langue, mettre l'index
gauche sur le nez.
Le lendemain, apparition brusque, l'aine droite, aux genoux et à l'abdomen,
d'une éruption purpuriforme Il vésicules continentes, devenues presque aussi-
tôt croûteuses. Mort deux jours plus tard.
Cette femme avait, en outre, une atrophie des membres supérieur et inférieur
200 ALQUIER ET KLAIIFELD
gauches, dont tous les segments présentaient, à l'autopsie, une diminution de
volume d'un tiers au moins, en comparant avec leurs homologues ; pied gauche
en varus équin. D'après les renseignements que donnait la malade, cette atro-
phie serait survenue à l'âge de 3 ans, les quatre membres auraient été paraly-
és, au début.
Aucun symptôme ne permettait de penser à une tumeur cérébrale.
L'autopsie, pratiquée par nous-mêmes, donna les résultats suivants :
4 Maladie mitrale, coeur chiffon, foie muscade de 1230 grammes, reins dé-
colorés, mous de 155 grammes, rate cardiaque très petite et très dure, pesant
seulement 60 grammes, enfin l'éruption pétéchiale des derniers jours.
2'' Ramollissement récent, rose, du noyau lenticulaire gauche, empiétant sur
les faisceaux blancs des capsules externe et interne.
3° Sous le tubercule quadrijumeaux inférieur gauche, est un petit psammome
calcifié, étoile, de 1 centimètre de diamètre environ (fig.1 ) : provenant des ménin-
ges de la fente de Bichat.il se creuse une loge dans la calotte pédonculaire,respec-
tant complètement l'aqueduc de Sylvius. Les méninges crâniennes et les plexus
choroïdes n'offrent aucune lésion macroscopique, les ventricules ont leurs di-
mensions habituelles, le droit est cependant un peu plus grand que le gauche
sans cependant que l'on puisse parler de distension véritable.
Observation IL
Femme de 23 ans, admise dans le service de M. le Professeur Raymond pour
syndrome d'hypertension intra-crâniennr, avec le diagnostic de tumeur céré-
brale. Deux ans auparavant, trois mois après la naissance de son deuxième en-
fant, elle avait commencé souffrir d'une céphalée continue avec des paroxys-
mes, violente surtout la nuit, localisée habituellement aux régions frontale et
occipitale droites. Presque au même moment, survenaient le matin, des vo-
missements sans nausées, de liquide glaireux, bilieux, sans aliments. Ces
vomissements n'ont duré que 2 ou 3 mois.
L'année suivante, la céphalée sembla s'atténuer sous l'influence d'un traite-
ment mercuriel : elle est nettement moins forte depuis 6 mois.
La vue a continué à baisser progressivement : un an avant l'entrée, il y
aurait eu de la diplopie et de l'hémiopie intermittentes, ces troubles n'ont pas
reparu depuis.
L'examen, pratiqué rentrée, ne révéla pas de troubles moteurs, en particu-
lier, pas d'ataxieou d'asynergie ; intégrité des réflexes et de la sensibilité, sauf
Fig. t. Obs. 1.- Position de la tumeur (figure schématique).
NOUVELLE Iconographie de la SALYLTRIFRE.
T. XXIV. PI. XXIX
Obs. I
ABSENCE D'HYDROCÉPHALIE VENTRICULAIRE
Foyers lacunaires multiples dans le noyau lenticulaire.
(Alquier et Klarfeld).
Masson & Ci-, Editeurs. ? z
TUMEUR OBLITÉRANT L'AQUEDUC DE S1 LV1US 201
un peu d'hypoesthésie sur le côté droit de la face, pour la piqûre surtout, avec
intégrité du réflexe cornéen. La percussion crânienne est douloureuse dans la
région fronto-pariétale droite.
L'examen ophtalmoscopique est dû à M. Dupuy-Dutemps : quelques jours
après l'entrée, atrophie papillaire double plus accentuée à gauche, avec con-
tours papillaires flous : l'atrophie est consécutive à une stase dont les signes
(saillie papillaire, dilatations veineuses) ont complètement disparu.
L'oeil droit compte les doigts à 1 m, 50, le gauche voit seulement passer
la main. Pupilles larges, il réactions très faibles : strabisme divergent proba-
blement fonctionnel et dû à l'amblyopie. Champ visuel normal à droite, très
rétréci à gauche. Cet état n'est pas modifié à un nouvel examen, pratiqué en-
viron un mois après le premier.
Un mois après l'entrée à l'hôpital, on notait un peu d'hypoesthésie à la pi-
qûre sur tout le côté droit du corps, avec intégrité des sensibilités profondes.
A gauche, très légère exagération des réflexes tendineux, sans le signe de
Babinski, mais, avec une légère flexion de la cuisse sur la jambe. La malade
subit une large trépanation et succomba le jour même.
A l'autopsie, cerveau énorme avec circonvolutions aplaties, légèrement
oedématiées. Les méninges crâniennes sont absolument saines, aussi bien sur
la convexité qu'à la base. Les trois premiers ventricules cérébraux sont le siège
d'une hydrocéphalie assez considérable (PI. XXIX). avec état lisse et intégrité
macroscopique de leurs parois, les plexus choroïdes ne semblent pas non plus
nltérés. Au contraire, le 48 ventricule est normal, nullement distendu. Il en
est de même pour le canal de l'épendyme, par contre, il semble que les gaines
radiculaires des nerfs spinaux présentent à un léger degré, la distension
signalée par Lejonne dans d'autres faits de tumeur cérébrale.
La tumeur de 1 centimètre environ de diamètre, légèrement aplatie cepen-
dant, de haut en bas, et un peu allongée transversalement, est située en pleine
calotte pédonculaire, sous les tubercules quadrijumeaux inférieurs, à peu près
sur la ligne médiane, qu'elle déborde de chaque côté, davantage à gauche tou-
tefois. Elle semble obturer complètement l'aqueduc dont elle occupe la place.
(PI. XXX) Etudiée historiquement à l'aide de la coloration névroglique de
Lhermitte, cette tumeur présente la structure d'un gliôme.
Tels sont les faits que nous a\ons observés. Dans la littérature des
quinze dernières années, nous avons trouvé quelques faits d'oblitération '
de l'aqueduc de Sylvius par tumeur ou par méningite. En voici un href
résumé :
10 Tumeurs Seeligmiillel' (l) trouve une hydrocéphalie énorme des
trois premiers ventricules et de celui duseptumpeHucidum, avec ohstrnc-
z FEf.IGMUT.L6R, Lehrbuch der T<l'al1hheilel1 des flllec ! ! 1J11111w'1¡es u. Gehirns sowie
der nllgP11leinen Neurosen, 1887, p. 524.
202 ALQUIEll ET IiLARFELO '
tion de l'orifice supérieur de l'aqueduc de Sylvius, par un cysticerque gros
comme une cerise. Pas d'autre cysticerque. Atrophie excessive des os du
crâne. Il s'agit d'un homme de 30 ans, dément (mélancolie avec idées de
persécution, stéréotypies). Il avait présenté des crises de vertige, la der-
nière fut suivie de coma et se termina par la mort au bout de 18 heures.
Bielschowsky (1 ). Son observation I concerne une tumeur issue du
plexus choroïde du 3" ventricule, et remplissant l'aqueduc de Sylvius.
Hydrocéphalie, protrusion de l'infundibulum. Ce dernier comprimait le
chiasma, qui présentait des lésions dégénératives d'où abaissement de
l'acuité visuelle avec, à l'ophtalmoscope, atrophie temporale des deux pa-
pilles.
Ilerringliam (2) a observé un garçon de 1 ans, souffrant de céphalée
avec somnolence continuelle. G mois après, vomissements pendant 24. h.
Quelques mois plus tard, crises de raideur sans convulsions, avec perte
de connaissance et déviation conjuguée des yeux vers la gauche, la mar-
che devient spasmodique, titubante, avec tendance Ù la chute droite. Le
Iraitement iodo-mercuriel amena la disparition des accidents, qui repa-
rurentdeux ans plus tard ; titubation, crises do céphalée, vomissements,
raideur de nuque, somnolence, mort subite. A l'autopsie, hydrocéphalie
des trois premiers ventricules par oblitération de l'aqueduc de Sylvius,
causée par un gliome gros comme un pois, situé dans le canal, à proxi-
mité des noyaux oculaires. A part la déviation conjuguée pendant les cri-
ses, il n'y avait pas d'autre symptôme oculaire.
2° Méningites ; proliférations diverses. - Boettinger (3) a observé,
chez un garçonnet, les symptômes d'une tumeur cérébelleuse. Deux opé-
rations furent pratiquées sans résultat. Mort au bout de plusieurs années.
L'autopsie montra une grosse hydrocéphalie ventriculaire, sans tumeur,
avec oblitération cicatricielle de l'aqueduc de Sylvius (4).
Bourneville et Noir (5). Fillette de 9 ans, dont la mère avait eu la va-
riole au 7e mois de sa grossesse qui s'était terminée par un accouchement t
prématuré à 7 mois. A la naissance, l'enfant ne pesait qu'un kilogramme.
A 0 mois, convulsions suivies de l'augmentation de volume de la tête. A
(1) BIE(.4CIIOW51(S', Z ? Patol. u. Ilistol. der Ilirngeschwiilsle, Deulsch. Zeitschr. f.
Nervenleilkunde, T. 22, p. 51.
(2) III : nllI : <1oll\JI, Bartholomews Hosp. Report, 1900, t. 36, p. Il.
(31 BOCTriioFn, Neurol. Centmlbl., 1898.
(4) Weber et Papailaki, Iconographie de la Salpêtrière, 1905, p. 140, estiment que
l'importance de l'oblitération de l'aqueduc est indiquée par leurs olis. IV et V : l'obs.
IV concerne un gliome allant du chiasma à la protubérance, et, comp' ÏIuant l'aqueduc
en divers points ; hydrocéphalie des ventricules, circonvolutions aplaties. L'obs. V est
un cas d'angiosarcôme comprimant la protubérance, le bulbe et l'hémisphère réré-
belleux droit (détails anatomiques insuffisamment précisl.
(5) BocftNBVfLLE et Noir, Progrès Med., 1900, n- 2R, p. 17.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XXIV Pl. XXX
Obs. Il
TUMEUR OBLITÉRANT L'AQUEDUC DE SYLVIUS
(Une tranche sagittale a été enlevée pour l'étude histologique).
(Alquier et Klarfeld).
Masson & Cite, Editeurs
TUMEUR OBLITÉRANT L'AQUEDUC DE SYLVIUS 203
8 ans, crises épileptiformes. A 9, menstruation. On trouvait alors une lête
d'hydrocéphale, léger strabisme divergent, paraplégie des membres infé-
rieurs avec contracture en flexion. Onanisme, hyperalgésie. Crises épilep-
tiformes bien caractérisées. Vertiges fréquents, gâtisme, idiotie. Mort après
un an de séjour à l'hôpital avec cachexie progressive par tuberculose
pulmonaire. A l'autopsie : énorme hydrocéphalie des 3 premiers ventri-
cules avec oblitération de l'aqueduc de Sylvius. Le 4e ventricule est très
légèrement dilaté, la pie-mère tapissant les ventricules, épaissie et for-
tement vascularisée.
Spiller (1). Son observation 1 concerne une hydrocéphalie du ventri-
cule latéral droit par occlusion du trou de Monro correspondant, due à une
prolifération névroglique, peut-être de nature tuberculeuse. Dans son
2e cas, il s'agit d'un homme de 19 ans, qui présenta une céphalée intense,
des vomissements, vertiges, titubation, exagération des réflexes, légère
exophtalmie, névrite optique bilatérale. Mort subite. A l'autopsie, hydro-
céphalie des 3 premiers ventricules, avec occlusion presque complète de
l'aqueduc de Sylvius par prolifération névroglique.
Touche (2) constate de même, l'hydrocéphalie des 3 premiers ven-
tricules et l'oblitération de l'aqueduc, au niveau de la dépression séparant
les tubercules quadrijumeaux antérieurs et postérieurs. Il note, de plus,
des adhérences du chiasma, la compression de la 3e paire gauche par la
partie inférieure du 3" ventricule, bosselée, distendue, la compression des
tubercules quadrijumeaux antérieurs par la corne occipitale saillante en
dedans.
Ludlum (3) dans deux cas de méningite, l'une cérébro-spinale aiguë,
purulente, l'autre, tuberculeuse, a constaté l'hydrocéphalie des trois pre-
miers ventricules par « blocage » de l'aqueduc de Sylvius, par des cel-
lules rondes mononucléées : l'épendyme n'était que très légèrement en
prolifération, et, seulement par endroits.
Enfin, Spiller et Allen (4) font une constatation analogue à l'autopsie
d'une femme de 62 ans, qui semblait atteinte d'une hydrocéphalie congé-
nilale, avec crises épileptifonnes, vomissements fréquents, et attaques de
vertiges sans troubles de la vue, de l'ouïe, de la parole, de l'état mental.
Jamais de paralysies. Néphrite chronique environ 6 ans avant la mort. A
l'autopsie, existait une hydrocéphalie énorme des 3 premiers ventricu-
les, avec atrophie du manteau cérébral, due à une occlusion presque com-
plète de l'aqueduc de Sylvius, probablement congénitale. Les auteurs font t
(1) Srll,Li : n, Amer. Jouira. of the med. sciences, t. 121, p. il.
(2) Touciir, Bull. Soc. méd. des hôpitaux de Paris, 1902, p. 941.
(3) Ludlum, New-York med. journ., 1908, p. 1207.
(4) Spir.t.rn et A.t.cs, Jotirn. of the amer. med. as.;oc., t. 48, p. 122;i..
204 ALQUIER ET KLARFELD
remarquer combien peu élevé est le nombre des faits positifs d'hydro-
céphalie par oblitération de l'aqueduc.
Iloppe (1) admet théoriquement que les cas oit le syndrome de tumeur
cérébrale guérit peuvent être dus, soit à un néoplasme ayant subi une trans-
formation régressive ou à un tubercule calcifié, dont le cerveau s'accom-
mode ; d'autres fois, il s'agit d'une hydrocéphalie acquise, par obstruction
des passages intercentriculaires, causée par une inflammation localisée
autour de l'orifice du Il.' ventricule, ou le long de l'aqueduc de Sylvius, el
susceptible de guérison.
Mocquin (2) A l'autopsie d'un homme de 32 ans ayant présenté des
signes d'hypertension cérébrale avec troubles mentaux les 15 der-
niers jours, ne trouve pas de tumeur, mais une méningite localisée, pa-
raissant avoir débuté dans la région protubérantielle puis pénètre le IVRE
ventricule et déterminé l'obstruction de l'aqueduc par des masses puru-
lentes. C'est à cette obstruction que l'auteur rapporte la dilatation des trois
premiers ventricules, et les signes d'hypertension intra-cranienne.
Des faits que nous venons de passer en revue, nous pourrions rapprocher
ceux dans lesquels l'obstruction s'est faite au niveau du 4" ventricule : lel
celui, souvent cité, de Mayer (3) : il s'agil d'un homme de 20 ans, qui
avait eu, à Page de 1-li ans, une infection aiguë, probablement méningée,
avec céphalée, vomissements, délire. Depuis, il souffrait de céphalée fré-
quente, de douleurs dans la nuque, avec crises violentes accompagnées
de vomissements, la main gauche était atteinte de parésie avec mouvement.-»
athétosiques, et paresthésies. A 18 ans, après une chute dans un escalier,
suivie de perte de connaissance pendant 3/4 d'heure, et d'hémorragies
par le nez et les oreilles, l'état empira : vertiges, évanouissements, stase
papillaire bilatérale, surdité gauche, abolition des réflexes rotuliens des
deux côtés, faiblesse vésicale, avec pareslhésies des memhres supérieurs,
parésie des inférieurs, et contractions toniques dans les quatre membres.
Somnolence les quatre derniers mois, cécité complète. Mort par marasme.
A l'autopsie, pas de tumeur : hydrocéphalie considérable des 3 premiers
ventricules, oblitération de la partie supérieure du 4" par du tissu cica-
triciel fibreux renfermant descellulesépendymaires. La toilechoroïdienne
adhérait au plancher du ventricule à partir du noyau du facial, sur une
longueur de 13 millimètres. L'auteur note en outre, la méningite chro-
nique de la base, de la toile du 4.e ventricule, adhérences du vermis infé-
rieur à la cicatrice. Névrite chronique interstitielle de la 8e paire gauche
avec dégénération des libres. Méningite chronique de la moelle, surtout
il) tlorrc, Jour, of nerv. and mental diseasp, t. 34, p. 91.
(2) Mocquin, Iconographie de la Salpêtrière, 1905, p. fi51.
-1) 3LIYF.B, Wien. klin. Vochenschr., 1892, p. 389.
TUMEUR 013L1'l'ÉHA\l' L'AQUEDUC DE SYLVIUS 205
dans la région dorso-lombaire. Araclmoïdite productive, dégénération des
cordons de Goll.
Dans le fait de Hanot et Jolfroy (9) l'oblitération, suite de méningite
aiguë, siégeait à la partie inférieure du 4° ventricule, avec énorme hy-
dropisie de cette cavité.
Pour ce qui est des tumeurs oblitérant le 4e ventricule, nous citerons
les faits suivants :
Quincke (2). L'auteur rapporte un cas de « Stauunas hydrocepllalus »
hydrocéphalie par stase, dans lequel on constata chez un homme de 21 1 ali ?
des céphalées, vertiges, vomissements, diplopie, stase papillaire, amblyopie.
Le malade compte à peine les doigts, faiblesse de mouvements, stupor.
A l'autopsie on trouva un gliôme issu du cervelet dans le récessus latéral
gauche et remplissant le 4° ventricule avec hydrocéphalie des trois ventri-
cules, dilatation de l'aqueduc de Sylvius. -
L'auteur mentionne encore sans le rapporter en détail un cas
d'hydrocéphalie des 3 ventricules par un kyste du cenelet obturant le
4" ventricule.
Gordinier et Carrey (3).Cas H.Garçon z10 ans,céphalées, vertiges,démar-
che incertaine, pupilles paresseuses, léger nystagmus accompagnant le re-
gard vers les 2 côtés, stase papillaire bilatérale, tituba lion en station debout
et marche, penche a droite, réflexe patellaire dr. plus fort qu'à g. Raideur
de nuque, amaurose transitoire, troubles de la conscience. Exitus après
4 mois. A l'autopsie, hydrocéphalie des trois ventricules ; le 4° ventricule
rempli par une tumeur issue du plexus choroïde, très vascularisée, et com-
primant fortement le vermis inférieur du cervelet. -
A. Stern (4). L'auteur publie 4 cas personnels et rapporte 68 cas ras-
semblés dans la littérature. Il retrouve presque partout une hydrocéphalie
interne quelquefois externe. Il J'attribue à deux facteurs : a) à l'épelidymile
chronique, que le cysticerque provoque dans son entourage ; b) dans
l'obturation permanente ou passagère des passages interventriculaires
(l'aqueduc de Sylvius) ou des communications entre les ventricules et les
espaces sous-arachnoïdiens par le cysticerque, quelquefois aussi la com-
pression de la veine de Galien joue un rôle important.
' L'auteur explique même la mort subite dans ces cas-là par une obtura-
tion complète d'un passage, survenu brusquement et ayant ainsi provo-
(1) Hanoï et Joimov, G.u. de méd. de Paris, 1873, p. 441.
(2) H. QUI;iCKc, Ueber .tleningilis senosa, Sammlung klin. Vortrage (Volkmann),
1893, N. F., 11° 67 (Innere Med., no 23), p. 655.
(3) Gordixier et CARREY, Journ. of nerv. and ment. Dis., 1906.
(4) A. Stehn, Uber Cyslicci-keiz in ¡. Venlrikel, Zcitschr. f. klin. Med., 1907, t. 61,
p. 61.
20foi ALQUIER ET I\LAI\Io'ELD
qué une hydrocéphalie par stase, survenue elle aussi brusquement et
amenant une hypertension intra-crànienne brusque.
Dans d'autres cas, l'oblitération n'est plus évidente, mais les auteurs
invoquent la compression des voies d'écoulement du liquide céphalo-
rachidien, c'est ainsi, pour ne citer que cet exemple, que Ménétrier et
Gauckler (t), à propos d'un kyste médian du cervelet, du volume d'une
mandarine, attribuent l'hydropisie ventriculaire à la compression de l'a-
queduc de Sylvius et de la veine de Galien.
Tous les faits que nous venons d'énumérer semblent bien démontrer
que l'oblitération de l'une des communications entre les ventricules
cérébraux détermine l'hydropisie des cavitées situées au-dessus de l'obs-
tacle, la comparaison de nos deux faits personnels est, à cet égard,
bien instructive. Il convient cependant,, de formuler quelques réserves
et ne pas adopter de conclusions trop absolues : dans notre premier cas,
où l'aqueduc de Sylvius n'est pas intéressé, le ventricule cérébral droit
est peut-être très légèrement dilaté ; dans le deuxième, où l'aqueduc est
oblitéré, les gaines radiculaires des nerfs spinaux paraissent, autant, du
moins qu'on en peut juger à l'oeil nu, présenter un léger degré de la dis-
tension étudiée par Lejonne dans d'autres tumeurs cérébrales. Il ne faut
donc pas dès maintenant, rapporter tout à l'oblitération lorsqu'elle est
manifeste.
Un point de détail pour terminer : Reichardt (2) qui s'est livré à une
étude approfondie de la question de l'hypertension intra-cranienne,
estime que l'oblitération de l'aqueduc de Sylvius par une tumeur ne suf-
fit à provoquer l'hydrocéphalie que si, en même temps, la partie de la
fente de Bichat contenant le plexus choroïde de la corne sphénoïdale est
oblitérée par leptoméningite : cette lésion manquait totalement dans notre
cas personnel, où les méninges de la base étaient absolument saines à
l'oeil nu. Si leptoméningite il y a, force est de recourir au microscope pour
en déceler l'existence et l'oblitération de la fente de Bichat ne saurait être
dès lors que bien hypothétique. ,
(1) Ménétrier et GUCKLER, Soc. méd. des hôpitaux de Paris, 8 juillet 1904.
(2) HR1CHAI1DT, Deutsche Zeitschr. f. Nervenheilk., t. 28, p. 306.
ÉCOLE SUPÉRIEURE DE MÉDECINE UEJllLI\'
DIHBC1EUB-PnOl'. L. Devoto.
SUR UN ASPECT PARTICULIER DE LA MAIN
DANS LA SYRINGOMYÉLIE.
LA MAIN EN « PEAU DE LÉZARD ,
PAR
Pierre BOVERI,
Pnvat-docent à la Faculté de Médecine de Pavie.
Chef de Clinique
On sait que la syringomyélie est, parmi les maladies du système ner-
veux, celle qui donne lieu le plus souvent à des troubles trophiques.
Laissant de côte les troubles trophiques articulaires et osseux et les trou-
bles sécrétoires sudoraux, nous considérons seulement les troubles tro-
phiques cutanés ; il est remarquable de noter la grande variété de ces
troubles dans leur expression clinique.
La main type Morvan, la main chéiromégalique de Charcot et Brissaud,
la main succulente de Pierre Marie et Marinesco, la sclérodermie, le mal
perforant plantaire ou palmaire, l'hémiatrophie faciale progressive, etc.,
sont autant de variétés de retentissement de l'affection primaire sur la
nutrition de la peau et des tissus sous jacents.
J'ai eu dernièrement l'occasion de voir un malade de syringomyélie,
qui présentait un aspect particulier de la peau de la main. C'est sur cette
particularité symptomatique que je désire appeler l'attention des neuro-
logistes, car je crois qu'en pathologie nerveuse les moindres détails ont
leur importance et peuvent être d'un grand secours dans la recherche du
diagnostic exact.
Voici l'observation du cas :
i Observation (PI. XXXI, XXXII).
Bon... Joseph, 40 ans, tailleur.
Allaitement maternel. Il commença à marcher très tard, vers deux ans et
demi, et se rappelle d'avoir entendit dire qu'il avait les jambes un peu tordues.
Aujourd'hui on constate seulement un léger degré de genou valgus droit.
Bronchite à 16 ans et pneumonie à 36 ans.
208 BOVERI
Maladie actuelle. Les premiers symptômes de la maladie actuelle se ma-
nifestèrent dans le mois de novembre 1907. Il s'aperçut d'une extraordinaire
lourdeur du bras droit et d'une diminution de la force dans ce membre. Plus
tard (3-4 mois après) le malade constata que la main et les doigts à droite de-
venaient faibles et que les doigts n'obéissaient pas aux mouvements volontai-
res qu'il désirait faire ; par exemple il avait grand'peine à fermer son parapluie
une fois ouvert; il ne pouvait pas réunir les doigts par le même bout comme
pour en faire un faisceau, etc.
Eu juillet 1908, la flexion des doigts se faisait mal ; il ne pouvait écarter
les doigts ou exécuter des mouvements un peu délicats ; cependant, tant
bien que mal, il tirait encore l'aiguille et travaillait de son métier de tail-
leur.
Dans le mois de mars 1909, le malade note que la main, ou plutôt le premier
espace du métacarpe, maigrit et prend l'aspect d'une gouttière ; peu après la
première phalange des doigts se porte en extension, tandis que la deuxième et
la troisième fléchissent ; la main a pris la forme de main en griffe.
Les muscles interosseux s'atrophient graduellement (août 1909), et les espa-
ces métacarpiens deviennent de plus en plus évidents.
Les muscles de l'éminence thénar et hypothénar deviennent petits, atrophi-
ques (décembre 1909) ; la main est plus froide que la gauche, fréquemment
rouge, et même cyanosée pendant l'hiver.
Si la main est maintenue pendant longtemps dans la position verticale, le
malade a une sensation spéciale, à' endurcissement, qui lui est très pénible.
Le malade se brûle fréquemment les doigts ou la main avec le fer à repasser,
et tout cela sans s'en apercevoir, sans éprouver de douleur à la chaleur, ou bien
il s'en rend compte très tard. Le même phénomène s'est produit aussi du côté
gauche, où la main n'offre rien en apparence d'anormal (pas d'atrophie, mou-
vements libres). Nous avons constaté deux escarres par brûlure sur le bord
cubital de la main droite, brûlures qu'il s'était fait presque sans douleur quelques
jours avant de venir nous consulter. D'autres fois il se trouve une aiguille en-
foncée dans la peau sans qu'il en ait été averti par la douleur ; il s'en aperçoit
seulement en la voyant.
Le malade nous raconte que les doigts de la main droite présentent de temps
en temps des secousses, des petites contractions, et qu'il voit des contractions
fibrillaires dans les muscles du premier espace métacarpien.
Dans les premiers mois de la maladie (janvier 1908) le thorax commença à se
déformer. Ce ne fut pas le malade qui s'en aperçut mais un ami à lui, tailleur
également, qui, lui faisant, comme d'habitude, ses vêtements, constata que la
région scapulaire droite était plus proéminente que la gauche ; il dut en effet
mettre de l'ouate de l'autre côté, le gauche, pour compenser cette proéminence
du côté droit.
Etal actuel (janvier 1911). Membre supérieur droit.
La main droite est en légère extension sur l'avant-bras. Les quatre der-
niers doigts ont la première phalange en extension sur le métacarpe, la
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPLrRIERE.
T. XXIV. m. XXX[
MAINS EN PEAU DE LEZARD DANS LA SYRINGOMYÉLIE
(Boveri) .
Masson & Cie, Editeurs.
Phololtpne 13eUliaud, l'uns
ASPECT PARTICULIER DE LA MAIN DANS LA SYRINGOMYÉLIE 20U )
deuxième et la troisième en flexion légère, ce qui fait qu'il n'y a pas de contact
des pulpes digitales avec la panme de la main.
Le pouce est en adduction et en rotation interne légère, la première pha-
lange continue la direction du métacarpien, la seconde phalange est en flexion.
La contracture qui maintient les doigts dans cette position n'est pas forte, et
l'on peut ramener en extension les doigts sur les métacarpiens. Atrophie des es-
paces interosseux et des muscles de l'éminence thénar et de l'éminence hypo-
tbénar, avec aplatissement remarquable de celles-ci. La main présente l'aspect
de la main en griffe. On constate un élargissement de la main au niveau de
la, partie métarcapienne ; malgré l'atrophie des muscles de l'éminence hypothé-
nar et du premier espace du métacarpe, le diamètre de la main droite est de
6 millimètres sunérieur à celui se la main tranche.
210 BOVERI
Quelques contractions fibrillaires dans les muscles de l'avant-bras et du
bras.
Pas de tremblement intentionnel, pas d'ataxie dans les mouvements.
Membre supérieur gauche. - Le membre supérieur gauche se présente
d'aspect tout à fait normal. La main, l'avant-bras, le bras nesont pas atrophiés
ni modifiés de volume.
Les mouvements des doigts, de la main, de l'avant-bras, du bras sont ac-
complis sans aucune difficulté et d'une façon normale.
Le cou ne présente rien de particulier. La flexion et l'extensiou sont bonnes;
les muuvements de latéralité sont bien exécutés.
Le thorax est antérieurement bien développé. En arrière on constate que la
région papillaire droite est un peu plus saillante et plus en haut que la ré-
gion gauche correspondante. Il existe une légère cypho-scoliose à convexité
droite, de la 4e jusqu'à la 10e dorsale. Le malade s'aperçut de cette deforma-
tion au commencement de la maladie (janvier 1908).
Par conséquence de cette déformation, le malade penche vers le côté gau-
che ; de ce côté, à peine au-dessus de la crête iliaque, on voit un pli cutané
transversal très net, qui n'existe pas du côté droit.
Vision. Le malade voit très bien. Les mouvements des globes oculaires
sont bien exécutés.
La fente palpébrale est moins ouverte du côté droit que du côté gauche. La
globe oculaire droit semble plus enfoncé dans l'orbite et plus petit.
La pupille droite est en myosis, mais elle réagit bien à la lumière et à la
convergence.
Il n'y a pas de rétrécissement du champ visuel ; l'examen du fond de l'ceil 1
ne montre rien de particulier.
On n'observe pas d'hémiatrophie de la face, la langue est normale.
Les nerfs crâniens ne semblent pas touchés.
Aspect spécial de la peau de la main droite. Nous avons donné plus hau t
la description de la main droite pour ce qui est de son altitude (en griffe), de
l'état des muscles (atrophie) et des mouvements relatifs.
Mais ce qu'il y a de singulier dans cette main et qui lui donne un cachet
spécial qui nous a frappé de suite en voyant le malade, c'est l'état de la peau.
Les petits carrés de la peau, compris et limités entre les plis épidermiques,
sont augmentés de largeur ; ils ont un diamètre double de ce côté par
comparaison avec le côté sain et sont plutôt luisants. Il en résulte que les pores
de la peau sont très éloignés les uus des autres, ils semblent rares et plus
profonds il cause d'une légère boursouflure de l'épiderme (PI. XXXI, XXXII).
Les plis de l'épiderme sont très marqués. Cette façon de se présenter de la
peau, rappelle la peau d'un lézard ou d'un crocodile, où la peau de la face
ventrale est précisément en larges carrés ou écailles bien limités par des plis
profonds. ,
Réflexes. Réflexes rotuliens exagérés des deux côtés, plus à droite qu'à
gauche. Pas de clonus vrai du pied.
Réflexes achilléens normaux.
MouVËHH Iconographie de la Salpêtrière.
T. XXIV. PI. XXXII
MAINS EN PEAU DE LÉZARD DANS LA SYRINGOMYÉLIE
1
(Boveri).
Masson & Cite, Editeurs
PII(lI(11ple Hert1.nutl, Pal
ASPECT PARTICULIER DE LA MAIN DANS LA SYRINGOMYELIE 211
Le réflexe cutané plantaire se fait avec flexion des orteils à droite et à
gauche. ,
Le réflexe crémastérien et le' réflexe cutané abdominal sont présents; à
gauche le réflexe crémastérien est plus évident qu'à droite.
Le réflexe du radius est aboli à droite, faible à gauche ; le réflexe du triceps
brachial existe, mais très faible.
Le réflexe pharyngé est conservé.
Les pupilles se contractent bien à la lumière et à l'accommodation (nous
avons déjà dit plus haut que la pupille droite est en myosis).
Pas de troubles sphinctériens, ni vésicaux, ni intestinaux, ni génitaux.
Sensibilité. Sensibilité subjective. - Le malade n'éprouve aucune sensa-
tion anormale; pas d'engourdissements, pas de paresthésies, pas de douleurs.
Sensibilité objective. - La sensinilité tactile est conservée sur tout le corps
et paraît normale.
La sensibilité à la piqûre est conservée partout mais, quelquefois, il y a
retard léger dans la perception de la piqûre ; de plus, il n'y a pas de notion
d'intensité de la douleur. Si, par exemple, on le pirlue très légèrement, il répond :
piqué. Mais si on lui enfonce dans la peau l'aiguille, profondément, il répond :
vous me piquez légèrement et vous appuyez ». Il ne sent jamais de douleur
vive. Il y a donc là un trouble dans la notion de l'intensité de la douleur.
Le malade, du reste, nous raconte qu'il se trouve parfois des aiguilles enfoncées
dans la peau des mains le malade est tailleur sans s'en apercevoir. Ces
altérations de la sensibilité à la piqûre sont bien manifestes sur les membres
supérieurs, sur le cou et sur la poitrine jusqu'au mamelon.
La sensibilité à la pression n'est pas intéressée.
La sensibilité thermique est pervertie sur presque toute la partie supérieure
du corps, mais cette altération est plus manifeste sur les membres supérieurs
et sur la région de l'épaule. Dans ces régions le malade ne fait pas de distinc-
tion entre le chaud et le froid ; eu général le chaud est pris pour le froid ou
pour une simple sensation de contact. -
Parfois, sur la poitrine ou sur la région scapulaire une température très éle-
vée (90°) est perçué comme tiède, après un retard qui peut atteindre à 20 se-
condes.
Nous avons déjà rapporté que le malade se brûle fréquemment et profondé-
ment sans s'en apercevoir. '
Cette thermo-anesthésie occupe les deux membres supérieurs, le cou, la par-
tie supérieure de la poitrine et la partie supérieure du dos (région de l'é-
paule et région scapulaire).
La notion de position, la perception des mouvements passifs et actifs, des
sensations de poids et de résistance sont normales.
Le sens stéréognostique, la sensibilité osseuse ne sont pas modifiés.
Un phénomène digne d'être mentionné est l'augmentation de la sécrétion
sudorale du côté droit; à la cavité axillaire le fait est surtout manifeste, et le
sujet s'en aperçut dès le début de sa maladie.
212 Z BOVERI
Aucun autre trouble trophique cutané, en dehors de celui que nous avons
décrit plus haut.
Comme trouble vaso-moteur, il y a lieu de rappeler un léger degré de rou-
geur violacée qui n'existe pas de l'autre côté; de plus la main droite est sou-
vent froide et elle se refroidit facilement, beaucoup plus et beaucoup plus vite
que la main gauche.
Il est hors de doute qu'il s'agit,, chez notre malade, d'un cas de sy ringo-
myélie.
La main en griffe, la dissociation de la sensibilité, l'enophtalmie, la
cypho-scoliose sont des caractères qui suffisent à établir le diagnostic. Il
me semble donc inutile de rappeler aussi les autres symptômes existant
chez notre malade et discuter un diagnostic différentiel, la conclusion n
étant déjà évidente.
Je me limiterai donc à considérer l'état de la peau de la main.
La peau de la main n'est ni oedémateuse, ni sèche, elle ne se desquame
pas, ne présente pas de succulence. Les doigts ne sont pas gros et sont
de volume égal des deux côtés.
Ce qui donne un cachet spécial à cette main est, comme nous l'avons dit,
une largeur anormale des petits carrés de la peau, entre les plis épidermi-
dues. Ces carrés sont plutôt luisants. Cette distance spéciale des petits
plis cutanés, unie à une légère boursouflure, donne l'aspect d'une peau
en écailles, juxtaposées et non superposées, comme il en est de la
peau d'un lézard ou d'un crocodile sur la face ventrale. Les plis, au lieu
d'être presque disparus, comme dit Brissaud dans ses leçons sur la scléro-
. dermie, sont au contraire bien marqués, même plus marqués que d'ha-
bitude.
Les pores de la peau semblent plus rares parce que la distance entre
eux est augmentée, et le malade même, qui est d'ailleurs un homme intelli-
gent, interrogea ce propos, dit avoir constaté que z les pores de la peau
depuis sa maladie sont devenus plus distants entre eux du côté malade
que du côté sain n.
L'épaisseur de la peau est très peu augmentée; la peau est parfaite-
ment mobile. La couleur est normale.
Le phénomène que nous venons de décrire, est bien évident sur toute
la face dorsale de la main ; il disparaît vers l'articulation de la première
phalange avec la deuxième.
Il va sans dire que, de l'autre côlé, la peau de la main est tout à fait
normale, même délicate et fine, ce qui fait ressortir de plus la différence
avec le côté malade.
Nous sommes donc en présence d'un aspect particulier de la peau qu'on
ASPRCT PABTTCUDnn DE LA MAIN DANS LA SYRINGOMYÉLIE 213
peut dénommer peau de lézard, terme qui fait image et traduit approxima-
tivement les caractères saillants, à savoir : carrés assez luisants et légère-
ment boursouflés de l'épiderme, larges el limités par des plis cutanés bien
prononcés.
Si nous passons maintenant en revue les altérations trophiques cuta-
nées décrites jusqu'à présent dans la syringomyélie, nous ne trouvons rien
de semblable à ce que présente notre malade.
Brissaud (1), à propos de la sclérodermie, s'exprime ainsi : «... Le derme
fait corps avec les parties sous-jacentes..... la peau est lisse, sans plis,
sans mobilité aux doigts surtout la peau est lisse, collée sur les dessous
fibro-périostiques, sans une ride, sans un sillon épidermique »
Et Dejerine () : « La sclérodermie débute par une tuméfaction diffuse
de la peau et du tissu cellulaire sous-cutané, sorte d'oedème dur qui peut
s'étendre à tout le tégument..... la peau a une consistance ligneuse et a
perdu sa mobilité sur les tissus sous-jacents. ».
La main succulente a des caractères bien différents : « Tous les détails
qu'on constate à l'état normal sur la face dorsale de la main, sont effacés
ou, ont disparu et remplacés par d'autres symptômes d'ordre pathologique.
On peut dire d'une façon générale que cette face est tuméfiée. Mais il ne
s'agit pas là d'un véritable oedème, bien que certains auteurs qui s'en sont
occupés l'appellent oedème dur, car la pression digitale ne laisse pas de
godet, comme cela arrive dans les oedèmes.....
Cette tuméfaction fait disparaître tous les détails de structure de la
face dorsale de la main... Cette rondeur de la face dorsale delà main, lui
donne un aspect potelé... on ne voit pas les espaces interosseux comme
cela se voit dans un cas d'atrophie vulgaire.
La couleur de la peau de la face dorsale contribue aussi à lui donner
ce cachet spécial, mais, il faut le reconnaître, cette couleur dépend beau-
coup de la température du milieu ambiant. Pendant l'hiver la couleur de
la main lui donne l'aspect d'une main gelée, Il suffit que ces malades
sortent pour que leur main prenne un aspect rouge violet, dù à des mar-
brures de différentes couleurs... Les doigts ne sont pas moins caractéris-
tiques. Leur forme est modifiée ; ils sont fusiformes chez tous ces malades
mais avec des nuances.
Il s'agit en somme d'un main tuméfiée, froide et faible, avec des doigts
fuselés, ne présentant pas de crises de douleurs » (Marinesco) (3).
Je néglige à dessein d'énumérer les caractères de la main cheiroméga-
lique ou de la main type Morvan, car avec ces cas une confusion nepour-
rail pas se faire.
Et même en dehors de la syringomyélie, on n'a pas décrit, autant que
je sache, de troubles trophiques semblables à celui qui nous occupe et
2 1 4 BOVERI
qui soient sous la dépendance d'affections nerveuses. Ce sont plutôt des
phénomènes d'atrophie cutanée, où la peau est lisse, luisante même,
sans plis, altérations qui s'accompagnent à l'atrophie musculaire et qui
sont consécutives à certaines maladies nerveuses, notamment aux névrites
(Glossy-Skin, de Weir-Michlell et Pagel).
' Ballet et Outil (4) ont signalé dans le tabes une hyperproduction de
l'épiderme épaissi et desquamant avec hypertrophie des corps papillaires,
et souvent aussi de toute la profondeur de la peau ; celle-ci est sèche et
se laisse soulever en gros plis surtout aux extrémités supérieures (dos des
mains) ; c'est cet aspect que ces auteurs ont exprimé en employant la
dénomination d'état ichthyosique de la peau.
Mais ce n'est pas ainsi que se présente la peau chez notre malade. En
effet, chez lui l'altération est limitée à la main atrophique, il n'y a pas de
desquamation, pas d'épaisseur considérable de la peau, et celle-ci n'est
pas plus sèche que d'habitude chez l'individu sain.
Il y a donc là un trouble trophique de la peau, comparable aux autres
de ces troubles déjà connus dans la syringomyélie et dont la pathogénie
est encore si obscure. Un autre fait mérite d'être mentionné.
Le malade, depuis l'âge de 12 ans, exerce la profession de tailleur ; il
est obligé, par son métier, de contracter continuellement, pendant la jour-
née et la soirée, les muscles de la main droite, en maniant les gros ciseaux
de tailleur, et c'est justement celte main qui est lésée.
Or, on peut se demander la fatigue, le surmenage physique, localisés
à une partie de l'organisme ne sont pas capables de jouer le rôle de cause
occasionnelle ou favorisant le développement de la maladie sur un terrain
prédisposé ?
Rien n'empêche d'admettre une relation entre ces faits qui viendrait
ainsi à établir une cause professionnelle ; l'avenir nous dira si cette
conception est soutenable et jusqu'à quel point elle est exacte.
BIBLIOGRAPHIE.
1. Brissaud. Leçons sur les maladies nerveuses, 2e série, Paris, Masson et Cie, 1899.
2. J. Diiebine. Sémiologie du système nerveux, in Traité de Pathologie générale de
Bouchard, Paris, Masson et Cie, 1901.
3. G. MARINESCO. - Main succ7tlente sel alrophie musculaire dans la .<j/)'ttt<,fom)/e/te, thèse
de Paris, 1891.
4. G. Ballet et DUTIL. - Noie sur un trouble trophique de la peau, etc., Progrès
médical, 1883.
INTERMITTENCE ET DÉMENCE PRÉCOCE
PAR
CHASLIN et SÉGLAS,
Médecins de la Salpêtrière.
Observation 1 (Pl. XXXIII).
G... Gustave, entré à Bicêtre le 15 décembre 1908, à l'âge de 34 ans.
Il y a 20 ans, en 1891, l'un de nous l'a examiné et suivi à la consultation de
la Salpêtrière, puis dans le service de Charcot où il avait été placé, et voici les
notes prises au moment où il était à la clinique.
2o juillet 1891. Renseignements fournis par le père du malade.
Le père et le côté paternel n'offriraient rien de particulier, sauf des rhuma-
tismes chez le grand-père.
La mère, hystérique, a des attaques de nerfs. Son père est mort de la poitrine,
sa mère d'un cancer à la joue.
Le malade est venu à terme. La grossesse de sa mère avait été bonne.
Dans l'enfance pas de convulsions, pas de maladies nerveuses, pas d'ona-
nisme. Pas d'obsessions apparentes.
Très peureux, timide, toujours sombre, la tète baissée, il était aussi très
jaloux de sa mère, ne voulait pas qu'elle rie, lui disant qu'elle était trop jeune.
Il était aussi très méticuleux ; un de ses camarades l'avait surnommé le père
La Brosse, parce que si G. sortait dix fois dans une journée, il se brossait à
chaque fois. En pension, il se'trouvait dans la première moitié de sa classe ; il
apprenait lentement.
Il y a deux ans G. a été très malade, paraît-il, pour avoir entendu crier une
dame qui accouchait au-dessus de sa chambre. Employé de commerce.
Le début de l'affection remonte à peu près à trois mois. Depuis quelque
temps le jeune G. (qui a 17 ans) se préoccupait beaucoup de son travail, il
devient taciturne, paresseux, disant qu'il se sentait malade, se plaiguant
d'avoir mal à la poitrine (D'ailleurs depuis longtemps, deux ou trois ans, il avait
des étouffements, devenait cramoisi ; une fois même il s'était presque trouvé
mal). Lui qui aimait beaucoup sa mère, il paraissait l'avoir prise en aversion.
Le sommeil devient mauvais,G.se levant et se recouchant ; frayeurs nocturnes,
pas d'hallucinations. Il faisait de grandes difficultés pour manger il y u six
semaines ; était très long à se décider, mais une fois en train il finissait par
manger. Il s'est enfui plusieurs fois de chez lui et a passé des journées entières
à se promener.
21 G CHASL1N ET SÉGLAS
G. a une attitude profondément affaissée, le corps tout entier en flexion, la
tête immobile, les yeux fixés en avant très légèrement baissés. On constate des
mouvements de déglutition fréquents accompagnés d'un léger bruit. La voix
est basse, monotone. Il faut insister pour obtenir une réponse.
D. - A quoi penses-tu toute la journée ?
R. A rien. -
D. Que fais-tu toute la journée ?
R. Je reste couché.
D. - Pourquoi ?
IL -- Je me sens fatigué.
D. Tu ne dors pas la nuit ?
R. - Un peu.
D. - Qu'est-ce que tu as lu hier ? ` ?
R. - Je ne m'en rappelle plus.
Il se rappelle pourtant être venu hier au laboratoire. Ne sait pas le jour, ni
la date où il est entré dans le service. Il pense quelquefois à sa famille. Il
souffre des rems et des pieds et il dit qu'il a peur parce qu'il est éreinté ; il se
plaint d'étouffer et montre depuis le creux de l'estomac jusqu'à la gorge.
D. - Dors-tu la nuit z
R. Pas trop.
D. - Pourquoi ? z
R. - J'entends des potins.
D. Tu entends des voix ?
R. - Oui.
D. Quand il n'y a personne ?
R. Oui.
D. Elles te menacent ?
R. Pas positivement.
Pas de cauchemars avoués. Pas d'idées d'auto-accusation. Idée vague
que sa mère voulait se débarrasser de lui sans qu'il sache pourquoi.
Pendant tout cet examen il a la physionomie ennuyée, une tête figée, comme
de marbre (1), le sourcil froncé. Pas de tension musculaire généralisée. Cepen-
dant, il résiste à tous les mouvements qu'on veut imprimer à ses membres et
fait des gestes d'impatience ; pourtant il écrit correctement ses nom, âge
et adresse, puis des mots non terminés. Pas d'anesthésie il la piqûre. Léger
dermographisme. Le testicule gauche paraît plus sensible que le droit. Vari-
oocèle peu prononcée. Léger hypospadias.
28 juillet 1891. G. répond mieux aux questions.
11 août 1891. Lenteur et indécision des mouvements volontaires, pour
se lever, pour prendre quelque chose. Les mouvements sont plus rapides si
on le commande énergiquement. Secousses musculaires spontanées. Si on frappe
sur un tendon,-le malade saute tout entier. Pas d'attitudes cataleptiques.
(1) Quelques jours avant son entrée dans la clinique Charcot, il avait manifesté à un
premier examen rapide une vive frayeur provoquée par le tintement d'une sonnette.
INTERMITTENCE ET DEMENCE PRÉCOCE 217
27 août. Il a dit que sa mère venait ici ayant des rendez-vous avec
M. J... (au début de la maladie, voulait à toute force coucher avec elle ? ) Len-
teur et indécision de tous les mouvements : s'y prend à plusieurs reprises
pour se lever de sa chaise, pour prendre un objet quelconque.
28 août. -- Il dit : « Je suis malade ; c'est la flemme, ça dure plusieurs
mois, ça cesse et ça reprend ; ça mène à la mélancolie. C'est parce que j'ai
trop mangé de salade. »
Rires par intervalles. Il regarde en dessous d'un air narquois après ses
réponses et se met souvent à rire ou à siffler. .
5 septembre. Soubresauts musculaires surtout du biceps droit. Même in-
décision des mouvements pour s'habiller, se lever. A les mains froides, pas
de troubles vaso-moteurs. Même aspect, mais oeil méfiant, impatienté. Ne pa-
rait pas halluciné.
Fin septembre 1891. Sort de la clinique Charcot.
25 mars 1892. - Après avoir travaillé depuis sa sortie de la Salpêtrière
dans les magasins du Bon Génie, il retombe malade. Il est envoyé à Sainte-
Anne avec le certificat suivant de l'un de nous : « Troubles intellectuels carac-
térisés par des interprétations délirantes multiples, idées érotiques, impulsions
violentes; il a fait une tentative d'homicide contre sa mère. Onanisme. Ins-
tabilité mentale. »
Il est transféré à Vaucluse, où le Dr Legrain délivre le certificat suivant :
« Délire hallucinatoire ; confusion extrême dans les idées et dans les actes ;
frayeurs ; attention impossible à fixer : idées de persécution, idées mélancoli-
ques ; actes impulsifs de nature variée » (26 mars 1892).
Par la suite, il serait resté dans le mutisme complet ; il se serait tenu la
bouche pour ne point parler ( ? ), il aurait été nourri à la sonde ; il aurait eu
un abcès de l'oreille gauche ; enfin un jour il aurait demandé brusquement des
cordons de souliers. C'était le premier symptôme d'une amélioration qui ne fit
que s'accentuer jusqu'à sa sortie le 9 juin 1894.
Quelque temps après il s'engage pour quatre ans. Il fait très bien son service
militaire, n'étant jamais puni-; mais sa surdité commençante l'aurait empêché
d'être gradé.
Après son service il entre comme employé à la comptabilité dans une com-
pagnie d'assurances, où il fait progressivement son chemin.
Enfin il se marie 33 ans sans que sa famille ait rien remarqué d'anormal
en lui depuis sa sortie de Vaucluse. Mais il était toujours, comme dans sou en-
fance, ombrageux et jaloux (1).
Le 20 septembre 1908 il est opéré d'un varicocèle. Le surlendemain il
paraît bizarre. Le 24 on le conduit dans le service du docteur Ballet à l'Hôtel-
Dieu. Il y reste un mois sans vouloir manger, en disant qu'il s'ennuie, qu'il
est perdu ; il écrit pourtant correctement à sa femme. Au bout de deux mois sa
femme le reprend, et pendant douze jours son état paraît se modifier très fa-
(1) Ces renseignements sur le séjour : 1 Vaucluse el. la vie postérieure de G. sont four-
nis par la mère.
218 CHASLIN ET SÉGLAS
vorablement. Il sort seul. L'un de nous le vit à ce moment et ne constata chez
lui d'autres symptômes que des préoccupations hypocondriaques ayant leur
point de départ dans l'opération subie en septembre.
Tout à coup il retombe, parlant sans discontinuer pendant deux jours en
disant des gros mots et en gesticulant. Une nuit il a comme une syncope pour
laquelle sa femme va chercher un médecin. Il s'inquiète de voir ainsi sa femme
à une heure indue dans la rue. Il se plaint que sa mémoire s'en aille, que ses
idées ne se suivent pas. « Il me semble, dit-il, que je deviens fou. » Pour s'oc-
cuper il écrit des heures entières des notes de pharmacie. Enfin un soir il a
l'air d'entendre quelque chose, « des voix et des cloches » ; très agité, il saisit
une chaise en criant : « il faut que je le crève », puis il a regret de cet acte, il
dit qu'il y a trop longtemps que cela durait, qu'il fallait qu'il « cassât quelque
chose ». Le scandale causé par cette scène émeut les voisins qui se plaignent
au commissaire. Celui-ci fait envoyer G. au dépôt. Il va de là à Sainte-Anne
et enfin à Bicètre le 15 décembre 1908.
Sa femme, qui donne ces renseignements, affirme qu'il ne boit pas, qu'il est
très rangé ; mais il était très soupçonneux. G. aurait maigri d'une vingtaine
de kilos depuis le début des troubles mentaux en septembre.
16 décembre 1908. -- Entre dans le cabinet du médecin avec une démarche
lente, sans signe de politesse, la casquette sur la tête ; le corps tout entier en
llexion légère, les yeux fixés en avant et en bas, I air un peu soucieux et les
traits complètement figés dans cette expression. Le teint est grisâtre sans indi-
cation pathologique précise. Le malade, s'étant assis sur l'injonction répétée à
voix très haute (il est assez sourd et on est obligé de crier ou de parler à son
oreille pour se faire entendre), garde la même attitude générale.
D. Pourquoi êtes-vous soucieux, M. G. ?
R. Je pense à elle.
D. - Qui. elle ?
R. -- Ma femme.
D. Depuis combien de temps êtes-vous ici ? (Il est arrivé hier.)
R. Je ne sais pas.
D. Où êtes-vous ?
Geste vague.
D. - Quel àge ?
R. - 3fi ans.
D. En quelle année êtes-vous né ?
R. - 1874.
D. En quelle année sommes-nous ?
Zen 1900.
Il paraît faire une grimace de douleur.
D.- Où souffrez-vous ?
R. Dans le côté ; un point de côté.
D. Qu'est-ce qu'il a donc, ce côté ?
Pas de réponse. - Il se lève, fait un mouvement accompagné d'une grimace.
D. Vous avez reçu un coup ?
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIERE.
T. XXIV. PI. XXXIII
INTERMITTENCE ET DÉMENCE PRÉCOCE
(Chaslin et Seglas).
Masson & Cie, Editeurs
INTERMITTENCE ET DÉMENCE PRÉCOCE 219
Roui.
D. Quand ?
Pas de réponse.
D. - Votre corps est en bon état ?
R. (A voix très basse) Pas trop.
D. Votre coeur est-il à sa place ' ?
R. - Non.
D. En avez-vous encore un ? ?
R. - (Eu souriant, voix plus haute) Ben ! cela serait malheureux !
D. Avez-vous de l'appétit ?
R. Je ne sais pas.
D. Avez-vous votre estomac bouché ?
R. Pas encore.
D. Vous aimez bien votre femme ? -
R. Oui.
D. Croyez-vous qu'elle vous faisait des infidélités ? 2
Pas de réponse ; se met à rire doucement, avec geste de doute.
D. C'est cela qui vous rend triste ?
R. Non, c'est l'estomac qui ne va pas.
Pas d'idées de persécution ni d'auto-accusation constatâmes. Ne se rappelle
pas avoir cassé une chaise chez lui, avoir subi une opération. Toutes ses ré-
ponses sont faites il voix basse, lente, monotone, indifférente ; ni négativisme,
ni catalepsie. Il s'en va du même air qu'il était venu, sans avoir manifesté
spontanément une idée ou un sentiment. Rien à noter au point de vue somati-
que. Dans les urines dépôt phosphatiqne abondant et pigment biliaire. Ré-
gime lacté.
18 décembre. - G. dans la salle sourit de temps en temps, embrasse ses
mains, les tourne et retourne (PI. XXXIII). Embrasse le bol ou le gobelet
qui lui sert à boire, fait des signes de croix au-dessus, regarde dessous,
puis absorbe une partie du contenu. Il refuse le lait (sa femme et sa mère di-
sent qu'il ne l'aime pas) en disant qu'on le réserve pour sa femme, afin qu'elle
le mette dans sa soupe. G. parle rarement et à voix basse. Il a les yeux pres-
que constamment tournés vers le plafond. Il a demandé hier à sa femme si
elle avait fait remplacer la chaise qu'il avait cassée chez lui Mis au premier
degré avec lait.
28 décembre. - Refuse toute nourriture. On est obligé de le nourrir à la
sonde.
^janvier 1909. Ecrit à sa femme une assez longue lettre où il dit qu'il
commence à aller un peu mieux ; il donne de ses nouvelles et demande de
celles de sa famille, mais avec des phrases incomplètes. L'orthographe est cor-
recte. Suppression de la sonde.
8 janvier. - Ecrit sa femme une lettre tout à fait normale d'après
celle-ci.
9 janvier. Maintenu au lit depuis le commencement de l'année'. Il
est un peu amélioré; il recommence à manger seul avec les mêmes gestes
220 CT1 LIN ET SI : GLAS
bizarres qu'il avait au début. Continue dans l'intervalle des repas à faire des
gestes et à remuer la tête. Il répond un peu plus facilement et d'une façon un
peu plus animée. Autorisé à se lever par l'interne, lorsque le malade va aux
W -C., il va, vient, tourne sur lui-même, puis se met à cheval sur la cuvette du
côté opposé où on se place ordinairement.
13 janvier. Même attitude qu'à l'entrée ; même expression de phy-
sionomie, figée et légèrement soucieuse, les yeux baissés, mais regardant de
temps en temps très rapidement en face et en dessous par suite de l'inclinaison
de la tête en avant (Pl. XXXIII). Il fait constamment des gestes étranges avec
les mains, il lève et agite un instant sa casquette, sans qu'on puisse savoir
pourquoi tout cela. Toujours pas d'orientation précise dans le temps et l'es-
pace ; il sait vaguement qu'il esta Bicètre, mais pas depuis combien de temps
et ne sait pas l'année ; pas d'idées délirantes révélables.
D. - Mettez votre bras sur votre tète.
R. Pourquoi faire ?
On répète l'ordre. Il exécute le mouvement. Il marche sur injonction, tou-
jours avec la même attitude penchée, figée, à tout petits pas lents. En passant
sur le tapis, il s'essuie les pieds. Puis il s'arrête spontanément au bord du tapis
et reste planté là sans rien dire (PI. XXXIII).
On le prie de s'asseoir à une chaise près de la table. Il le fait en marmottant
quelques mots : « Le marron d'Inde, le marronnier. » On essaye en vain de
savoir pourquoi il parle ainsi. On le prie d'écrire ; de la main droite il fait d'abord
quelques gestes bizarres avec la plume; il hésite et écrit lentement enfin. Son
écriture spontanée est peu correctement tracée ; il efface quelques syllabes
avec le doigt passé sur l'encre fraîche : « Deux Genève je pense a m enfants
« étant près ou éloignem
« mère = 5 pied
« leurs coiffures et leur toilette
« leur déjeux ».
C'est tuut à fait incohérent comme phrases, mots, syllabes et idées.
On lui dicte l'instruction sur l'alcoolisme qui figure sur les feuilles d'ordon-
nance ; il écrit : « L'alcoolis est un empoisonnement chronique » Puis on
veut lui faire copier une phrase dans un journal ; au lieu de cela il écrit spon-
tanément et rapidement : La chimère et l'albuminerie font notre vie ou notre
perte. » Plusieurs lettres sont mal tracées, quelques-unes tremblées.
On lui montre deux journaux ; il répond que ce sont des journaux officiels
et en souriant ajoute : « Voulez m'en donner un ? » Puis il prend sur la table
nue feuille d'ordonnance et lit spontanément à voix basse l'instruction sur l'al-
coolisme et dit : « On voit cela partout encadré avec des dessins., Puis il sort de
sa poche un morceau de pain et le montre en ajoutant : Ça c'est de la croûte. »
D. Pourquoi est ce faire ?
iL Pour porter à quelqu'un.
D. Pourquoi ?
Il. - Quelqu'un qui peut avoir faim.
D. Qui cela ?
INTERMITTENCE ET DEMENCE PRÉCOCE 221
IL - Une femme.
Puis ne répond plus. Il sort sans forme de politesse. - On a noté qu'il urine
de temps en temps au lit.
25 janvier,- Mutisme complet. Toujours ses gestes bizarres,d'ailleurs variés.
9 mars. - Est conduit de nouveau dans le bureau du médecin. Même atti-
tude, même mimique, etc. Pas de négativisme ; il s'assied et répond aux
questions plus ou moins comme ci-dessus. Il fait les gestes bizarres déjà men-
tionnés d'une façon continuelle. On lui demande à plusieurs reprises quelle en
est la signification. Il interrompt ces gestes et se frotte la tête avec une main,
mais ne répond pas, puis reprend ses gestes. Sur une nouvelle question il ré-
pond enfin : « C'est afin de m'occuper pour faire quelque chose. » On continue
il essayer de causer avec lui. Il finit par manifester de l'ennui par une mimi-
que suffisamment claire et il s'agite sur sa chaise. On lui pose la question : « Cela
vous ennuie, M. G. ? » Il ne répond pas.
Le surveillant lui tend la main. G. fait un geste de refus net. L'interne lui
tend la main ; G hésite et finit par donner la sienne en faisant un mouvement
décomposé par trois saccades Le surveillant lui demande alors : « Vous ne
voulez pas me donner la main, Monsieur G. ? » Le malade sourit et répond :
' Un de ces jours. »
On lui dit de mettre sa casquette sur sa tête ; il le fait sans hésitation ;
d'ouvrir la bouche ; de tirer la langue ; il obéit et ajoute en montrant du doigt
des dents plombées : « Je mets du coton et de l'huile. » ? On continue à poser
des questions. Finalement G. se détourne d'un air profondément ennuyé et ne
répond plus rien. « Vous pouvez vous retirer. » A ce mot, G. se lève len-
tement et va vers la porte en disant : « Où qu'on me mène ? de quel côté qu'on
va ? » Il met ses mains dans ses poches d'un air ennuyé. Le médecin lui crie :
« Bonjour, Monsieur G. » G. esquisse un salut militaire et s'en va la porte ;
il manque de tomber en franchissant le seuil.
14 mars. Depuis son entrée ne manifeste à peu près aucune sponta-
néité ; restant à l'infirmerie ordinairement couché on quelquefois levé et de-
bout ou assis, immobile,en faisant ses gestes particuliers qui ne paraissent pas
être toujours les mêmes. Depuis environ un mois, G. n'a plus uriné au lit, il
se promène depuis trois jours dans la cour dix minutes à 1/4 d'heure. Lui qu'ou
était obligé de guider en tout et de faire manger, il se met à la table commune,
triture les aliments avec sa cuiller, mais attend qu'on lui enfourne les aliments.
20 mars. Analyse complète d'urine.
222 CHASLIN ET SÉGLAS
25 mars. Sa femme, venue pour avoir des nouvelles, dit que dimanche
dernier il faisait des gestes plus rapides que jamais et qu'il prétendait vouloir
imiter le kanguroosans dire pourquoi ; un autre jour il faisait le geste déjouer
au zanzibar. Il s'intéresse, dit-elle, à la situation de grossesse de sa femme, à
l'enfant futur, à son nom, à la santé de ses tantes. Il aurait parlé il y a trois
semaines de la chaise cassée. Elle le trouve mieux, plus animé en sa présence.
Il lui a dit que ces gestes étranges étaient dus à la « maladie enfantine ».
1 or avril. G. dit spontanément à son infirmier qu'il lui devrait un fameux
cierge quand il serait sorti d'ici.
Sa femme prétend qu'à elle, G. se plaint toujours de souffrir quelque part,
fluxion de poitrine, douleurs de jambes, rhumatismes, etc.
On fait venir G. avec sa femme et on assiste à leur conversation. Il s'anime
évidemment un peu, manifeste de la tendresse pour sa femme, demande spon-
tanément des nouvelles de la famille, tout en continuant de temps à autre à
faire ses gestes. Sa femme lui demandant pourquoi il les fait, il répond : « C'est
machinal. » Il affirme manger tout seul maintenant (ce qui est inexact) à une
question de Mme G. Celle-ci nous raconte que son mari a dit à une cousine qui
est venue le voir qu'il se souvenait parfaitement avoir été déjà malade une pre-
mière fois.
22 avril. Commence à gâter au lit et, levé, dans son pantalon. Va dans
les W.-C. de la cour et y ramasse des matières fécales. Hier il s'était com-
plètement barbouillé de matières ; à la sortie du bain de nettoyage, il s'est age-
nouillé sans rien dire devant l'infirmier, en se prosternant plusieurs fuis.
26 avril. Pour la première fois il dit : « J'ai un remords qui fera le mal-
heur de ma vie, c'est pour cela qu'il faut que je jeûne. »
3 mai. Il demandé à sa femme si le 1er mai il n'y avait pas eu de bruit
dans la rue.
17 mai. Lettre de G. à sa femme presque raisonnable, sauf qu'il ne mani-
feste aucun étonnement d'être à Bicêtre ; il donne de ses nouvelles et demande
de celles de sa famille d'une façon presque correcte.
16 juin. Nouvelle lettre aualogue à celle du 20 mai :
Lettre adressée par le malade G. à sa femme, le 16 juin 1909.
« Ma chère petite femme,
« Comment va-tu, je commence à m'ennuyer de toi. Mère est venue hier et
j'étais un peu content d'avoir de ses nouvelles. Paraît que ça a été dur pour toi
et que tu a souffert beaucoup.
« L'essentiel est que ça va mieux et que le bébé se porte bien.
« Je voudrais bien le voir car ça commence à être long.
« Lui donue-tu à téter ou le biberon.
« Je te dirai que ça va un peu plus mieux et que la patience d'attendre de
ses nouvelles me fera grand plaisir. , ,
« Les médecins t-on ils bien soignée ? .
« De mon côté j'ai bien souffert aussi et je crois que je ne suis pas au bout, t,
maintenant que je suis appelé il être papa.
INTERMITTENCE- ET DÉMENCE PRÉCOGE 223 3
« Ce qu'il faut songer c'est le baptême ou son prénom. '
« Bien des choses tua mère et à mon beau frère pour moi.
« J'espère qu'ils se portent bien tous les quatres.
« Dans l'espoir d'avoir de tes nouvelles le plus tôt possible, je t'embrasse
ainsi que ma petite fille.
« Quand ça ira et que je serai auprès de toi, nous irons la faire tirer en
portrait.
« Comment va Ch. et sa femme ?
« Les affaires vont-elles en cette époque de l'année.
« Une poignée de main par moi.
« Bonsoir et réponds-moi de suite, car je trouve le temps long.
LÉo" G,
« Embrasse bien ma petite fille pour moi. Est-elle gentille ? »
22 juillet. Mutisme absolu, négativisme. Paraît de temps en temps s'in-
téresser à quelqu'objet et alors son masque immobile se revêt d'une légère et
fugitive expression. G. est sans chaussettes dans ses souliers, On veut le
faire écrire ; il demande « la craie et l'ardoise » ; enfin, après bien des gestes
et des hésitations, il se décide à prendre le crayon bleu qu'on lui tend et écrit
des mots incohérents, mal lormés et trace des dessins informes entremêlés de
lettres. Ne répond rien aux questions écrites qu'on lui pose. Comme on lui de-
mande depuis combien de te.nps il est ici, il répond : Il y a un temps in-
fini. v
4 août. On lui annonce avec précaution la mort de sa femme. Il ne pa
raît en rien ému. Au bout d'un instant il dit : « Alors je suis veuf, c'est
affreux », et c'est tout.
12 septembre. L'infirmier de la salle rend compte que G., à '2 Il. z
pendant la visite de sa mère, s'est levé subitement de sa chaise, le regard fixé
en avant et a crié deux fois : « M. Courcelles ! » puis a frappé violemment la
table, à coups de poing. Physionomie courroucée.'Au bout d'un instant, G.
a repris sa placidité ordinaire.
17 octobre. Une partie de.la matinée, grande excitation et agitation. G.
se met à courir subitement dans la cour, jetant son paletot qu'il vient d'en-
lever sur la tête des malades qu'il rencontre. Paroles incohérentes prononcées
avec volubilité. « Je tiens la chèvre à Landouski et lui tire la queue ; j'ai tué
la chèvre, je l'ai dépecée et fait avec des côtelettes de mouton dont nous nous
sommes régalés C'est le petit trou (ferme à moitié la main). Je ne tra-
vaille pas, mais je ne suis pas une p...
« Mon père m'a cassé les dents.
« Je fais des peignes avec de la graisse, verts, rouges, bleus.
« J'ai fait dans une queue de poêlon... »
Depuis quelques jours le matin, G. semble avoir de l'excitation par bouffées
relativement courtes.
28 octobre. Nouvel examen. Sensiblement mêmes résultats que précé-
demment. A noter seulement qu'à un moment .on l'interpelle : « M. G. ! Il II
répond par un jeu de mots sur son nom.
224 CHASLIN ET SÉGLAS
Depuis son entrée, le malade n'a en somme guère varié; on a noté à diver-
ses reprises la façon dont il se comporte en général à la section. Comme un
exemple résumant bien l'ensemble, voici la note du surveillant concernant les
derniers temps :
G. ne fait pas sa toilette seul, no s'habille pas seul. Il n'entend pas la clo-
che des repas. On le déshabille et on le couche comme un enfant. Il va seul
aux W.-C. où il fait des gestes bizarres. Il ne gâte couché ou levé que de temps
en temps. Il est indifférent à tout ce qui se passe autour de lui. Accueille avec
indifférence son père et sa mère, leur parle à voix basse de choses banales et
incohérentes. Se promène rarement. Se tient le plus souvent dans un coin
dans l'attitude figée déjà décrite et avec des gestes menus et variés des mains.
Dans les quelques périodes d'excitation qu'il a présentées, parle à n'importe qui
avec incohérence.
On le fait aller à table. Mange rarement seul, mais lorsque cela lui arrive.il
reste un temps infini pour manger, s'arrètant longuement à chaque bouchée,
mâchant lentement. Il lève la cuiller à hauteur de sa bouche, l'y maintient un
certain temps, puis, après avoir regardé dessous et fait plusieurs gestes de la
main gauche, il la met dans la bouche. Souvent, lorsqu'il attend trop long-
temps pour ce dernier acte, l'infirmier lui dit : « Mangez » et il obéit. Lors-
qu'il boit, il élève son gobelet à deux mains comme le calice la messe, re-
mue les pouces et les index sur le gobelet, puis regarde plusieurs fois dessous.
Il mange souvent avec ses doigts n'importe ce que l'on sert; mais paraît
préférer ce que sa mère lui apporte.
Lorsque celle-ci laisse des provisions en dépôt et que l'infirmier les lui
offre, il n'y touche pas et ne semble pas les voir, mais dès que le garçon les a
replacées dans l'armoire, il profite de l'éloignement de l'infirmier, jette un
regard circulaire pour s'assurer qu'on ne le remarque pas et ayant été cher-
cher ces provisions, les avale gloutonnement.
5 décembre. Crise convulsive avec secousses généralisées au début de
l'accès, localisées ensuite au côté droit. Bave non sanguinolente. Pas de ster-
tor ; le malade revient à lui au bout de deux minutes environ. De petites se-
cousses continuent à la main droite après la crise, puis s'espacent et cessent
complètement.
En résumé, début des troubles mentaux à l'âge de 17 ans.
De juillet à septembre 1891, état catatonique. -
D'octobre 1891 à mars 1892, rémission pendant laquelle le malade,
sorti de l'asile, travaille dans un grand magasin.
Le 25 mars 1892, reprise des accidents délirants, internement de deux
années.
Sorti de l'asile le 9 juin 189'1, le malade traverse une longue intermit-
tence de plus de quatorze ans, pendant lesquels il fait quatre ans de ser-
vice militaire, puis entre comme comptable dans une compagnie d'assu-
INTERMITTENCE ET DEMENCE PRÉCOCE 22o 'a'
rances où il reste et arrive à gagner suffisamment pour subvenir à ses
besoins et même pouvoir se marier à l'âge de 32 ans.
Eu septembre 1908, à la suite d'une légère intervention chirurgicale,
réapparition des troubles mentaux, d'aspect catatonique, qui nécessitent
l'internement le 15 décembre 1908 el durent encore aujourd'hui sous la
même forme (fig. 9).
Comment le cas doit-il être interprété ? Suivant la nomenclature aujour-
d'hui à la mode,est-ce un cas de folie maniaque dépressive ou de démence
précoce catalonique ?
A en juger d'après l'état actuel, il ne semble pas qu'il puisse y avoir
d'hésitation. Le tableau clinique, dans son ensemble, est très caractéris-
tique ; et l'indifférence du malade, la maniérisme, les stéréotypies, le
négativisme, le gâtisme, l'incohérence des discours et des actes sont des
raisons suffisantes pour en l'aire un dément catatonique.
Sans aucun doute, les différents symptômes dits catatoniques n'ont par
eux-mêmes rien de caractéristique et peuvent se rencontrer dans des
affections mentales diverses.C'est un fait clinique sur lequel nous avons
insisté il y a déjà plus de vingt ans (1) et qui semble désormais acquis.
Toutefois, il est à remarquer qu'en général on ne retrouve alors que
des symptômes catatoniques isolés et transitoires ; et que le syndrome
catatonique ne se présente guère, sous son aspect complet, d'une façon
durable, que dans ces cas de démence juvénile, qu'en raison de leur ana-
logie avec l'hébéphrénie, on a englobés avec elle sous la dénomination de
démence précoce (2).
Or, les détails de notre observation nous montrent nettement réunis
chez notre malade, d'une façon persistante, les éléments divers d'un
syndrome catatonique, tel qu'on le rencontre dans les cas qualifiés de
démence précoce. Et l'on n'aurait pas la moindre hésitation à porter ce
diagnostic si l'on ne connaissait pas l'évolution antérieure de la maladie.
G., en effet, s'il se présente aujourd'hui avec les allures d'un dément
(1) Séglas et Ciesi.m,La Catatonie (Arch. de Neurologie, 18S8) ; SéGALAS, Nouv. Iconog.
de la Salpêtrière, n° i, 1907.
(2) Finzi et Vedrani, Della demeia : a précoce (Riv. sp. di. fren.,\1V,1899) ; J. Si : GLAS,
Démence 1" écoce el catatonie, Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, n" 1, 10=.
xxiv 15
FI( ? 1 .1
221) CI ! AbLIN ET SéGALAS
précoce catatonique, a évolué à la façon d'un intermittent ; et, pendant
près de quinze ans, entre deux phases catatoniques, il a vécu au dehors,
menant une existence active, tenant sa place dans la société tout comme
eût pu le faire le premier venu.
Si importante qu'elle soit, cette notion d'une intermittence aussi com-
plète et aussi prolongée n'est pas exclusive d'une démence précoce.
Tout récemment, l'un de nous, en collaboration avec M. Logre, a pré-
senté à la Société de Psychiatrie (1) l'observation d'une malade, âgée de
45 ans, certainement démente depuis de longues années, se présentant
aujourd'hui comme une démente précoce (PI. XXXIV) el dont l'histoire
offrait quelques particularités intéressantes pour cette question de dia-
gnostic.
Chez cette malade en effet, de 1892 à 1896, l'affection a procédé par
poussées successives, constituant des sortes d'accès (figez). La symptomato-
logie en était assez polymorphe et se caractérisait surtout par la coexistence
d'une agitation de teinte maniaque avec un délire de teinte mélancolique
prédominante, comme dans certains de ces cas qu'on appelle aujourd'hui
pes cas mixtes. De plus il était à noter que ce trait particulier, comme
d'ailleurs les détails principaux du tableau clinique, se retrouvaient,
depuis le début de la maladie, dans toutes les poussées successives. 1
Enfin, au point de vue de l'évolution, ces sortes d'accès furent séparés
par trois périodes de rémission de deux, trois et quatre mois, et par une
période plus longue, d'une vingtaine de mois, que l'on peut considérer
comme une intermittence, puisque, pendant tout ce temps, la malade a
repris sa place dans la vie sociale et a pu faire il la maternité des études
et son stage de sage-femme.
Cette observation vient à l'appui de cette remarque de Kroepelin que
« bien des cas qui se montrent sous la forme d'accès semblables et bien
séparés n'appartiennent pas à la folie maniaque dépressive ».
Elle nous montre que la démence précoce peut présenter au cours de
son évolution non seulement des rémissions permettant au malade de
(1) Séglas et LOGIIL, Des réntisaions dans la démence précoce. Encéphale, n° 3,
1911, p. 2 : 6.
F ! G.2 2
OU'ELLE ICONOGRAI'IIIE DE 1.A SALPTRILRE.
T. XXIV. P. XXXIV
INTERMITTENCE ET DÉMENCE PRÉCOCE
(Chaslin et Séglas).
Masson & Cie, Editeurs.
1)IIOlOl\rle umad, rti
INTERMITTENCE ET DÉMENCE PRÉCOCE 227
vivre au dehors sans attirer l'attention, mais aussi de véritables intermit-
tences, prolongées, complètes, etdont le véritable caractère s'affirme dans
ce fait que le malade peut jouer un rôle actif, tenir sa place dans la so-
ciété aussi bien que quiconque.
La notion de ces rémissions, et surtout de ces intermittences, est assez
déconcertante si l'on veut admettre que, dans la démence précoce, la dé-
mence soit primitive, initiale. Il n'en serait pas de memesi l'on ne voyait,
comme jadis, dans la démence qu'un syndrôme terminal d'une évolution
morbide ayant pu osciller jusque-là à travers des phases diverses.
C'est là une raison, entre bien d'autres, qui nous donne à penser que
dans le vaste cadre de la démence précoce, à côté de quelques cas méri-
tant peut-être vraiment une description à part, se trouvent entassés pêle-
mêle les syndromes les plus dissemblables n'ayant d'autre point de con-
tact que leur terminaison commune par la démence.
Encore convient-il de ne pas oublier qu'aujourd'hui nombre d'auteurs
se refusent à voir dans le processus fondamental de ladite démence pré-
coce une véritable démence, et lui ont attribué, en conséquence, les
noms divers de paradémence (Brugia), schizophrénie (Bleuler), ataxie
intra-psychique (Urstein).
La présence possible, en pareil cas, d'intermittences complètes et pro-
longées s'accorderait avec cette manière de voir.
Quoi qu'il en soit, sans aller jusqu'à dire, d'une façon aussi absolue que
Morel (1), que l'intermittence n'est qu'un des éléments essentiels des
affections nerveuses et mentales en général, et qu'on n'y trouve aucune
des conditions requises pour créer une variété particulière d'aliénation
mentale ; tout en admettant une folie intermitente, telle que l'a bien
décrite M. Magnan, englobée depuis dans la folie maniaque dépressive,
il ressort des cas du genre de ceux que nous venons de rapporter que
l'intermittence par elle-même n'est pas spécifique de la folie maniaque
dépressive et n'est pas exclusive d'une évolution démentielle.
Si l'on réfléchit que jusqu'ici il n'existe pas non plus de critérium
symptomatique permettant à coup sûr, dans un cas douteux, de distin-
guer les deux formes, on peut se rendre compte de la difficulté de ce
problème de diagnostic.
Kroepelin lui-même a relevé à ce sujet, dans sa propre statistique, de
nombreuses erreurs dont la correction a contribué à diminuer d'une façon
sensible, au profit de la maniaque dépressive, le nombre des cas de dé-
mence précoce dans ces dernières années.
La lecture d'autres travaux récents, comme ceux de Urstein (2), de
(1) Morel, 1', aité des maladies mentales (p. 473 et suiv.).
(2) Urstein, Die Dementia praecox und ihre Stellung ZUIlt manisrle-depre.csiuea
Irresein, 1909.
228 CHASLIN ET SÉGLAS
Von Hôsslin (1), nous montrent aussi toute la complexité de cette ques-
tion de nosographie clinique.
Ce sont ces considérations qui ont amené certains auteurs à admettre
entre la maniaque-dépressive et la démence précoce des rapports plus
étroits qu'on ne le croit généralement et à distinguer des formes intermé-
diaires.
C'est ainsi qu'au point de vue qui nous occupe, Wieg W iclcental de
Halle admet une forme intermittente comme sous-groupe défini de la dé-
menceprécoce. William Rush Dunton (2) décrit aussi comme distincte
une forme intermittente, comprenant une variété circulaire, de la dé-
mence précoce, et fait remarquer que, dans bien des cas, l'identité
d'évolution peut faire attribuer à tort une partie de ce groupe démentiel à
la folie maniaque-dépressive. La description que donne cet auteur des cas
qu'il a observés rappelle beaucoup nos propres observations.
Ce sont là des faits cliniques dont il importe de tenir compte ; car ils
peuvent contribuer, avec d'autres d'un ordre- différent, à modifier nos
conceptions actuelles sur ces deux groupes, essentiellement provisoires,
de la nosographie Kroepelinienne : la folie maniaque dépressive et la dé-
mence précoce.
(1) Vox 11(SSLIli, 7entralblait f. Nervenh. und Psych., novembre 1909.
(2) William Rush Dunton, The intermittent (orllls of dementia l,raeeox, The ameri-
can journal of insanity, t. 57, n° 2.
A PROPOS DE LA SYSTÉMATISATION DES 10EVI
PAR. R
G. FOURMAUD
Interne des Asiles de la Seine
(Service du Dr Vigouroux)
Au moment où la question de la systématisation de certaines lésions
cutanées, soulève autant de théories diverses, pour ne pas dire contradic-
toires, nous avons cru intéressant de signaler trois cas de noevi observés
récemment, et qui offrent le caractère particulier de se présenter chez des
dégénérés délirants. '
Comme l'a fait remarquer M. Rose ( I), plusieurs auteurs, et en parti-
culier Gerhardt et Morrow avaient déjà signalé la fréquence des noevi chez
les épileptiques, les arriérés, les hydrocéphales, etc. ; cependant nous de-
vons ajouter que l'opinion de ces observateurs n'avait pas été partagée
par tous les dermatologistes et que Blaschko, rapporteur au congrès des
dermatholoistes allemands en 1900, était arrivé à des conclusions oppo-
sées aux leurs. Nous-mème, nous n'avons pu trouver que ces trois cas
parmi les 500 aliénés de notre service.
Quoi qu'il en soil, il paraît assez naturel, a przori, d'admettre qu'une
cause, agissant au moment de la vie intra-utérine sur le système nerveux
central puisse produire également des malformations cutanées par l'in-
termédiaire du système nerveux périphérique ; en d'autres termes, il pa-
rait assez naturel d'admettre la théorie nerveuse des noevi.
Dans un mémoire récent, MM. Klippel et Pierre Weill (2) ont, en outre,
montré qu'une quantité énorme de noevi avaient une topographie corres-
pondant à une distribution radiculaire, et que nombre d'observations de
ces lésions, publiées sous le nom de « noevi à distribution spino-métamé-
rique ou de « noevi à distribution névro-métamérique » étaient en réalité
des noevi correspondant à une lésien radiculaire. Par contre,nous citerons
l'opinion de M. Etienne (3), qui, d'après ses observations personnelles
(1) F. Rose, Rapport au Congrès de Bruxelles, 1910.
(2) KuppKL et Pierre Weill, Iconographie de la Salpêtrière, 1909.
(3) ETIENNE, Sur les noevi systématiques et leur pathogénie, Iconographie de la Sal-
pêtrière, 1910.
230 FOURMAUD
conclut à la plus grande fréquence des noevi correspondant au territoire
d'innervation d'un nerf.
Nous nous sommes demandé dans quelle catégorie pouvaient rentrer
les trois cas que nous avions recueillis, et nous avons cherché à les clas-
ser d'après leur topographie, sans tenir grand compte de l'aspect descrip-
tif des lésions.
Voici d'abord les observations sommairement résumées.
Observation 1.
P... ? 48 ans, maçon. Entré à l'asile de Vaucluse en juillet 1909, avec un
délire de persécution assez mal systématisé, hallucinations de l'ouïe et de la
sensibilité générale, impotence partielle du membre supérieur droit, due à
une chute récente causée par une automobile. Cette chute et le procès qui s'en
est suivi paraissent avoir, sur un terrain de dégénérescence, favorisé l'éclosion
du délire.
Le malade présente quelques varices surtout marqués au membre inférieur
droit, et un noevus vasculaire constitué par cinq taches couleur lie de vin,
parsemés de petites verrucosités légèrement saillantes et de couleur plus foncée.
Ces taches occupent en avant et à gauche : l'une la région correspondant à
la partie interne de la clavicule, au premier et deuxième cartilages costaux,
l'autre à la partie moyenne du sterno-cléido-mastoïdien; en arrière et toujours
du côté gauche, la région temporale postérieure, occipitale, et plus bas la
Fin. 1
'117. 2
A PROPOS DE LA SYSTÉMATISATION DES NOEYI 231
région de la nuque correspondant au bord externe du trapèze. Les placards
n'empiètent pas sur la ligne médiane; leur extrémité inférieure correspond,
en avant, au bord inférieure de la deuxième côte, et en arrière, une ligne
horizontale passant par le sixième espace iuterépiueux de la colonne cervicale.
(Fig. 1 et 2). ,
Dans ce cas-là, il semble bien que les théories cutanées soient insuffi-
santes à expliquer la situation de ces différents placards : ils ne paraissent
pas occuper des surfaces correspondant à des dermato-métaméres ; ils ne
paraissent pas exactement localisés selon les lignes frontière de Voigt. Si on
passe en revue les différentes théories nerveuses, on reconnaîtra que ce
noevus dans son ensemble ne correspond pas au territoire d'innervation
d'un segment de moelle ni d'un nerf périphérique. Au contraire, une lésion
intéressant les 2e, 3e et 4e racines cervicales gauches, permet d'expliquer
cette topographie.
Observation IL
M..., 19 ans, garçon d'hôtel. Déjà traité à l'Asile de Chamuéry en 1908,
entré à l'Asile de Vaucluse comme débile, avec accidents alcooliques en voie
de rémission et crises d'excitation maniaque.
Ce.malade présente une légère asymétrie faciale (le côté droit de la face est
moins développé que le gauche),une voûte palatine ogivale et à la cuisse gauche
un noevus pigmentaire caractérisé par des taches assez pâles, mal délimitées,
non saillante, de couleur uniforme café-au. lait. Leur dimension moyenne est
la dimension d'une pièce d'un franc. En avant ces taches ne dépassent pas la
ligne médiane du membre autrement dit une ligue réunissant le milieu du pli
de l'aine au sommet de la rotule; elles sont surtout disséminées sur la face
externe de la cuisse et quelques-unes sur sa face postérieure (deux tiers exter-
nes). En haut elles ne dépassent pas le niveau du pli fessier. En bas elles
empiètent à peine-sur la moitié inférieure de la cuisse. Quelques-unes sont
très pâles et à peine visibles. De même que dans l'observation précédente, on
ne constate au niveau des placards aucun trouble de la sensibilité.
Ici encore, il semble bien que nous nous trouvons en présence d'un
noevus-névrite, pour employer l'expression de Klippel et de Pierre Weill,
mais à quelle sorte na;vus-névrite avons-nous affaire ? La réponse est
assez embarrassante ; ces taches pigmentées n'occupent pas tout un seg-
ment de membre, et ne semblent pas correspondre par conséquent à un
segment médullaire ; elles ne correspondent pas davantage au territoire
d'innervation d'un nerf périphérique; tout au plus pourrait-on dire qu'elles
occupent le territoire des nerfs petit-sciatique et féll1oro-cutané, mais
ces deux nerfs ont des origines assez distantes l'une de l'autre ; il faudrait
admettre l'existence à la période embryonnaire de deux lésions différentes
el très localisées. D'un autre côté, la théorie radiculaire nous oblige à ac-
232 FOURMAUD
cepter l'hypothèse d'un processus toxi-infectieux ayant agi au niveau de la
3e et 4e racine lombaire, lre et 2e sacrée, ce qui est beaucoup, si l'on
compare l'étendue du territoire de ces racines au peu d'étendue et à la dis-
position des taches pigmentées. Nous avouerons que nous n'avons pas sur
ce cas d'opinion bien arrêtée.
Observation III.
Mans..., couturière, âgée de 68 ans, entrée à l'Asile de Vaucluse le 11 oc-
tobre 1910 avec le certificat suivant : « Affaiblissement des facultés intellec-
tuelles avec hallucinations probables, excitation, propos incohérents, désordre
des actes. Trouvée errante. Cauchemars anciens. Crampes, amaigrissement,
habitudes alcooliques ».
Cette malade présente un noevus vasculaire, qui nous paraît remarquable par
son étendue et sa localisation : il recouvre en effet la plus grande partie du
membre supérieur et du thorax du côté droit ; sa teinte générale lie de vin est
plus accentuée sur la face antéro-interne du bras et de l'avant-bras, ou l'on
remarque également quelques verrucosités ; au contraire sur la face postérieure
du membre supérieur, et autour des îlots de peau saine que nous décrirons
tout à l'heure, la coloration est plutôt rosée (fig. 3, 4, 5).
Ce noevus s'étend (saus faire d'ailleurs saillie) sur une surface limitée en
haut, à la naissance du cou par une ligne sensiblement horizontale dont le pro-
longement passerait par l'apophyse épineuse de la 0e vertèbre cervicale ; en
arrière, à 3 centimètres environ de la crête des apophyses épineuses, cette
ligne séparative se recourbe en bas ; elle descend sur la face postérieure du
thorax, en décrivant une légère courbe, assez irrégulière, dont la convexité
tournée vers la colonne vertébrale n'atteint pas la ligne médiane. Plus bas, au
niveau de la 7e côte, elle forme un nouveau coude, se dirige horizontalement
en avant, coupe le sein dans son quart inférieur et remonte vers le sternum ;
elle atteint enfin la ligne médiane au niveau de la 3° côte et gagne obliquement
la région sus;claviculaire, notre point de départ.
Tout le membre supérieur est envahi, à part cependant quelques îlots de
peau saine, à bords dentelés, situés au niveau et un peu en arrière du creux
axillaire, à la face postéro-externe du bras et sur le bord cubital de l'avant-bras,
enfin à la main l'annulaire et l'auriculaire ne présentent aucune tache ou colo-
ration anormale ; le médius est atteint mais seulement dans la moitié externe
de ses deux faces.
Nous signalerons aussi, toujours du côté droit, 3 taches dont la plus volumi-
neuse parait correspondre comme situation à l'extrémité postérieure du 8"
espace intercostal ; quant aux deux autres, elles sont situées en dehors et en
bas de la précédente.
Cette malade nous paraît également intéressante, à cause de la disproportion
qui existe entre les deux membres supérieurs ; tandis que les membres infé-
rieurs ne présentent qu'une différence d'un demi-centimètre environ dans leur
' 23 i FOURMAUD
circonférence, en faveur du droit, voici les dimensions comparatives des divers
segments des deux membres thoraciques :
Circonférence maximum du bras.
1 A PROPOS DE LA SYSTÉMATISATION DES NOEVI 235
certain nombre d'observations. MM. Klippel et Trenaunay (1) ont en 1900
complété la description du syndrome auquel ils ont donné le nom de
noevus variqueux ostéo ? ypertrop)jique.
Dans le cas qui nous occupe, les varices paraissent faire défaut; ceci peut
tenir à ce que le noevus ostéo-hypertrophique généralement localisé aux
membres inférieurs siège ici au membre supérieur, ou encore à ce qu'une
légère dilatation veineuse peut être masquée par le développement anormal 1
du tissu cellulaire et graisseux; dans tous les cas nous pouvons admettre
l'existence d'une forme fruste, avariqueuse.
Mais ce qui nous intéresse surtout, c'est la localisation et par suite la pa-
thogénie de ce large noevus ; Klippel et Trenaunay, sans repousser com-
plètement l'influence du système nerveux avaient admis en 1900 l'hypo-
thèse d'un agent infectieux, agissant au moment de la vie intra-utérine,
en un point ou en divers points du système vasculaire. Nous ne passerons
pas en revue, toutes les théories pathogéniques qui ont été émises au sujet
des noevi. Nous ferons seulement remarquer que la théorie radiculaire
permet à elle seule d'expliquer tous les troubles que nous venons de dé-
crire ; c'estelle qui nous paraît la plus acceptable et ceci pour plusieurs
raisons :
1° Le placard vasculaire est limité sur le cou et sur le thorax par des
lignes sensiblement horizontales et parallèles qui répondent bien à des li-
mitesde territoires radiculaires ; de plus il est exclusivement localisé au
côté droit du corps.
2° Il existe sur la face postéro-interne du membre supérieur une série
d'îlots de peau saine qui dans leur ensemble dessinent une bande radi-
culaire et reproduisent jusqu'à un certain point ce que Slierrington avait
réalisé expérimentalement sur des animaux, c'est-à-dire un territoire ra-
diculaire sain entre deux zones de lésions.
3° Il est assez naturel d'invoquer une lésion nerveuse pour interpréter
les troubles variés que nous venons de décrire.
En résumé, les lésions précédentes peuvent être expliquées, à notre avis,
par l'hypothèse d'un processus toxi -infectieux, ayant porté sur les racines
rachidiennes du côté droit, de la 4° cervicale à la 5e dorsale, inclusivement
les 7e et Se racines cervicales ainsi que la lre dorsale paraissent avoir été
moins atteintes par ce processus toxi-infectieux. Quant aux trois petites
lâches de la région dorso-lombaire, nous devons avouer qu'elles semblent
avoir un trajet un peu trop oblique pont, dessiner un territoire radiculaire.
Nous conclurons de tout ceci, que la théorie de MM. Klippel et Pierre
Weill est jusqu'à présent une de celles qui nous satisfont le mieux. La
situation qu'occupent les noevi sur la surface du corps parait bien, dans
un grand nombre de cas, correspondre à une disposition radiculaire.
(1) Klippel et Trenaunay, Archives générales de Médecine, 1900.
HOPITAL STARO-Elil7ERI1'IVSlCI DE MOSCOU
(sEn "CE IIES 1lALAfUES NERVEUSES)
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE.
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE EST UNE ENTITÉ MORBIDE SPÉCIALE (I)
{D'après 16 observations personnelles et li autopsies)
(Suite el fin).
PAR
M. Nicolas ELDAROFF, ,
Interne de l'hôpital
ANATOMIE PATHOLOGIQUE
Considérant cet article comme un précis préalable de la monographie que
nous espérons publier, et en raison de la similitude presque totale des 11 té-
rations macro et microscopiques du squelette dans nos quatre observations
nous allons nous borner, dans l'exposé de l'anatomie pathologique delà
spondylose rhizomélique, à une description détaillée d'un seul cas, mais
les conclusions que nous poserons seront basées sur l'étude des quatre
cas.
Toutes les figures qui suivent sont des photographies de nos pièces
anatomiques (macro et microscopiques).
Examen macro et microscopique. (Obs. 2, voir le compte rendu de
l'autopsie). Ont été extraites : la partie dorsale de la colonne vertébrale
avec les côtes adjacentes, les articulations des épaules, du bassin, des han-
ches et des genoux. Après une macération prolongée de la colonne verté-
brale, toutes les parties molles et cartilagineuses se sont séparées des oset
la préparation anatomique ne fut plus constituée que pal' l'élément osseux.
Après avoir été placée sur la table, la partie du squelette, au lieu de se
désagréger en vertèbres et côtes, ne montra aucune mobilité dans ces
dernières ; les vertèbres, les côtes et les articulations avec leurs capsules
articulaires apparurent soudées en un bloc osseux homogène; les por-
tions des côtes ressemblaient aux apophyses des corps vertébraux.
Le canal rachidien et les trous intervertébraux sont de dimension nor-
male ; il existe une raréfaction osseuse des vertèbres très augmentée ; leur
poids est diminué.
(1) V. le commencement de cet article, t. XXIV, n- 2, p. 121.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE,
T. XXIV, PL.XXXV.
FIG. 1. - Vue macroscopique de la partie dorsale de la colonne vertébrale avec les côtes adjacentes, vue
de faco. Les corps des vertèbres et les côtes ont conservé la configuration normale : ils Sont soudés en
un seul os : a, les lig. costo-vertébraux sont ossifiés et ont conservé un processus régulier en formo do
rayons sur le corps de la vertèbre. Absence totale do dépôts osseux et de transformations. (Gr. nul).
FIG. 2. - Vue macroscopique do la rangée des arcs
des vertèbres qui forme avec les apophyses képi-
neuses nne colonne séparée des corps des vertèbres.
mis de l'intérieur, du côté du canal rachidien' z
0, arcs vertébraux ; b, ig. jaunes, qui sont
ossifiés et qui répètent fidèlement 1'11lcllrvaLion des
arcs dos vertèbres. Absence d'ostéoplules et do
déformations. (Grandeur naturelle;
Fin. 1. - Les apophyses épineuses, séparées sur
toute la longueur des corps des vertèbres, forment
une colonne osseuse. Les lig. sus-bpinew sont
ossifias. (Gross. : 1/2.) Les Il ? iiiiei-ipie4eux qui
sont dans l'état normal faibles el percés de trous,
ne se sont pas conservés sur la pièce anatomique.
Les lig. lo ? iyil. commun uni. el pnsl. sonl intacts.
LA SPONDYLOSE RIIIZOMGLIQUE
(Nicolas Eldaroff) : \1 \""O PT r,1t ! , J;ctlt('nrs,
LA SPONDYLOSE RHLGOML1QUE 237
Appareil ligamenteux de la colonne vertébrale. Aspect macroscopique. -
Sur notre pièce anatomique, l'ossification intéresse les capsules articulai-
res qui entourent les têtes des côtes et les ligments costo,ve1'tébraux qui, à
l'état normal, sont constitués par des libres qui partent en rayonnant de la
tête costale vers les corps des vertèbres. n'y a pas d'exostose, donc pas de
déformations. Par contre,les masses osseuses ont conservé leur disposition
radiée et là où les têtes des côtes s'articulent avec les deux vertèbres adja-
centes, ces ligaments rayonnes osseux ont uni en un seul bloc, par un point
ininterrompu, la côte et les corps des vertèbres voisines (fig. 1, Pi. XXV).
Ainsi que le ligament costo-vertébral, le ligament costo-transversaire
postérieur est ossifié. Les intervalles entre les arcs des vertèbres connexes
qui contiennent à l'état normal le ligament jaune, sont remplis sur notre
pièce anatomique par une masse osseuse et compacte.Cette masse a le même
aspect et la même densité que les arcs des vertèbres adjacentes; elle répète
fidèlement l'incurvation de ces dernières; sur leurs surfaces- tournées
vers le canal rachidien, se rencontrent très rarement les ostéophytes iso-
lés, de la grandeur d'une lentille; les petites fentes fines sagittales qui
se trouvent sur quelques-unes d'elles, rappellent la structure fibreuse des
ligaments qui s'y trouvaient auparavant (fig. 2).
Les ligaments sus-épineux, sans avoir changé d'épaisseur, se sont
transformés par endroits en petits ponts osseux qui unissent les extrémités
d'apophyses épineuses voisines (fig. 2). De celte manière, sur notre pièce
anatomique, les apophyses des 10 vertèbres échelonnées sur toute la
longueur de la pièce forment, avec les arcs des vertèbres, une colonne
osseuse (fig. 2 et 3, PI. XX.V).
Les ligaments ossifiés ont été examinés au microscope, - Cet examen
avait pour but de voir si les ligaments sont simplement imprégnés de sels
de chaux ou s'ils sont composés d'un vrai tissu osseux et présentent par
suite des phénomènes de métaplasie ou de néoformation osseuse. Dans
ce but, nous avons fait une série de coupes anatomiques microscopiques
de notre malade et, pour comparaison, des préparations microscopiques
d'un homme normal de même âge que notre malade et mort d'une cause
accidentelle. A l'étal normal le ligament jaune (fraîchement disséqué,
coupé au microtome à congélation et coloré) (1), présente au microscope
un réseau serré de fibres élastiques avec une faible addition de fibres
collagènes (fig. 4).
Nous avons prélevé dans trois directions (frontale, sagittale et trans-
versale) des lamelles d'os dans les ligaments jaunes ossifiés; des coupes
sèches ont été préparées et colorées suivant la méthode de Zimmermann
(1) Par l'hémalo>yline non acide et le van Gicson.
238 KLDAROi--)'-
(à la fuchsine). Sur ces pièces microscopiques, on voit que les ligaments
jaunes, dans les parties dorsale inférieure et lombaire de la colonne ver-
tébrale, sont composés dans toute leur épaisseur d'un tissu compact ; dans
les parties dorsales moyenne et supérieure, la couche compacte n'existe
qu'à la surface, qui est tournée vers l'intérieur du canal rachidien et
tout le ligament d'avant en arrière est composé d'un tissu osseux spon-
gieux..4M microscope apparaissent tous les éléments d'un vrai tissu osseux :
canaux de Havers, corpuscules et lamelles osseuses, il n'existe pas de vesti-
ges de la structure antérieure (pas de tissus conjonctifs ni de libres élasti-
ques collagènes). Les canaux de Havers sont de grand diamètre, ils ont
pour la plupart une direction verticale de haut en bas, ils se ramifient,
s'anastomosent entre eux et forment assez souvent des élargissements en
forme d'anse. Les corpuscules et les lamelles osseuses, qui forment la
substance fondamentale au point de vue anatomique, sont disposés comme
dans l'os normal : autour des canaux de Havers ils forment un réseau régu-
lier plus ou moins serré de cercles concentriques le système des la-
melles de Havers et, dans les intervalles de ces derniers, un système
irrégulier de lamelles intercalées : les cavités osseuses où se trouvent
les corpuscules osseux s'anastomosent entre elles, avec les parois des ca-
naux de Havers et avec leurs processus en forme d'araignée (fis. 5, (j
et 7, PI. XXVI).
luc. 4. Ligament jaune normal de la partie dorsale de la colonne vertébrale frai-
chement disséqué et coupé au microtome à congélation (coupe frontale).
Réseau noir serré de grosses fibres élastiques. - Coloration de l'hématoxyline non
acide et le Van Gieson. Grossissement : 200.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XXIV, PL.XXXVI
Fin. 5. - Coupe sèche dune lamelle osseuse, prise
dans le ligament jaune ossifié de notre Obs. dans une
direction sagillaic (voir nir. 26). A la place de
réseau des fibres élastiques (ng. 4), tissu osseux
véritable. (Gross. : 4.)
FIG. 6. - La même pièce de lif. jaune ossihé fJ110
fier. 5. (fin ss. 200) - un voit la paroi du canal do
lia\ers dans la coupe longitudinale avec de nom-
breux corpuscules osseux. Lamelles osseuses. Colo-
lation à fuchsine (métbode Zimmermann).
1·'IC.7.-Coupe c; : èche d'une lamelle d'os prise dans le li. jaune ossifié dans une direction transversale. On voit
une coupe trnnsver-ale du canal de Havers : a, lumière du canal de Ilavois : b, cavités et lamelles
osseuses qui forment des cercles concentriques réguliers autour des canaux de IIavers. Coloration à la
fuchsine (méthode Zimmermann). (Gross. : 200.) '
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE
{Nicolas Eldaroff)
Masson ET C'e, Éditeurs.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XXIV, PL.XXXVI1.
Fie 8. - Coupe sagittale, prise sur la ligne médiane
d'un disque interv. (H) normal avec les parties
adjacentes d'un vertèbre supérieure (Aj et infé-
rieure (c). On voit sur la pièce la partie antérieure
de la coupe. Le disque atteint la face antérieure
(il) de la vertèbre avec sa longueur verticale (c).
Rangée limitrophe des cellules cartilagineuses.
Décatctnation daprès do ChatTer et colorée à la
méthode de Hansen. (Grossis. : 5.)
Fig. 0. - La même pièce qu'à la fig. 8, mais
pathologique. (A et el, vertèbres, (B), disque; il
n'atteint pas la face ant. de la colonne vertébrale
il il est séparé par le tbsu osseux, spongieux
(F) qui est néoformé ; ainsi ce dernier occupe la
place du cartilage qui y était avant. Le rang des
cellules cartilagineuses (e, de la lit. 8) a disparu.
Décaleination et coloration comme pour la pièce
de la fig. 8.
FIG. 10. - Coupe frontale au milieu d'une
articulation normale, prise outre la tète
(F) do la cote et deux vertèbres (A et C) :
B, disque intervertébral; d, e, rh C31ll-
lages arlicul. des el't(\bres et de la tète
do la côte ; /t, cavités articulaires ; i, lig.
de la tête de la côte et du disque (nécal-
cif. il la méthode de Chafler). Agran-
diss. : 5.)
Fic.. IL - Mémo coupe frontale d'une articulation prise
entre la tête (F) de la côte et deux vertèbres (A et C) du
cas do Spondluse rhizom. : B, disque interv. conservé ;
d, absence de cartilages et de cavités articulaires, partout
do petits ponts osseux et des cavités médullaires d'un tissu
osseux homogène et spongieux qui a soudé entre eux le
tissu spongieux de ? vertèbres et la tête de la côte. La
porosité du tissu spongieux partout est augmentée en com-
paraison de l'état normal (fig. 10). (agrandies. 5.)
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE
(Nicolas Eldaroff)
Masson hT CII, Éditeurs.
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 239 9
Les autres ligaments ossifiés de la colonne vertébrale (le ligament sus-
épineux, le ligament costo-vertébral, le lig. costo-transversal et les autres)
présentent la même structure : tissu osseux vrai.
Les disques intervertébraux ne se sont pas conservés sur la pièce ma-
croscopique macérée. .
La partie du squelette qui a été plongée dans le formol, ne présente
aucune modification macroscopique de l'épaisseur des parties anté-
rieures ; pour l'analyse microscopique, une partie de la région dorsale de
la colonne vertébrale a été sciée en deux parties égales suivant la ligne
sagittale médiane.
De la partie antérieure de cette section a été prise une lamelle qui
passait le long de tout le cartilage intervertébral dans la direction verti-
cale et le long des corps des vertèbres adjacentes placées au-dessus et au-
dessous (décalcification par l'acide nitrique, coloration par le bleu de
méthylène, fixation par l'ammonium de molybdène). Des sections pareil-
les permettent d'étudier le ca rti lage dans toute l'épaisseur et d'analyser les
rapports du cartilage avec les vertèbres connexes. A l'état normal (fig. 8,
Pl. XXVII), la face antérieure du cartilage atteint le niveau de la face
antérieure des corps des vertèbres et se trouve ainsi sur le même plan
vertical; le cartilage dans toute sa longueur dans le sens postéro-anté-
rieur, conserve partout presque la même épaisseur ; la structure inté-
rieure du cartilage est la suivante : en bas et en haut, se détache du tissu
spongieux une rangée de cellules placées très près l'une contre l'autre et
comme creusées dans la substance fondamentale; les capsules renfer-
ment chacune de 20 à 30 cellules cartilagineuses; cette couche de cap-
sules, dont les cellules ont une direction verticale, est suivie d'une cou-
che cartilagineuse périphérique très riche en capsules, dans lesquelles se
trouvent les cellules; enfin, plus loin, un cartilage fibreux, pauvre en
cellules, qui occupe les trois quarts moyens de l'épaisseur totale.
Sur nos pièces pathologiques (tic,. 9, PI. XXVII) les disques deviennent
moins larges à leur partie antérieure et n'atteignent pas le niveau de la face
antérieure des vertèbres ; le cartilage, bleu, il un demi-centimètre de la
ligne antérieure, n'est plus coloré par le bleu de méthylène, mais reste
rose, comme le tissu osseux de la vertèbre ; toute cette partie antérieure
est occupée par des éléments de tissu spongieux néoformé et par des
espaces médullaires riches en vaisseaux sanguins, par endroits des restes
du cartilage qui y était avant sont conservés.
Quelques-uns de ces éléments sont formés de tissu osseux, les autres
sont formés de faisceaux tendineux qui sortent de la substance fondamen-
tale des parcelles cartilagineuses encore conservées quoique transformées.
Ces faisceaux tendineux se continuent dans les bâtonnets osseux néofor-
240 ELl>AnOFF
niés ou dans le tissu connexe des vertèbres; dans les légions médullaires
qui viennent de se former à la place du cartilage, apparaît une grande
quantité de faisceaux collagènes, surtout autour des vaisseaux sanguins.
Il n'y a pas de rangée de capsules aux extrémités des corps des vertè-
bres.
Sous tous les autres points, les cartilages intervertébraux ne dif-
fèrent pas de la normale.
Elude des petites articulations de la colonne vertébrale. Aspect macros-
copique. A l'état normal dans les coupes qui passent transversalement
ou frontalementpar le milieu de l'articulation de la tête delà côte avec le
corps de la vertèbre, les cartilages qui enveloppent les têtes des côtes elles
surfaces articulaires des corps des vertèbres forment la cavité de l'articula-
tion avec le ligament qui va de la crête de la tète vers le cartilage interver-
tébral (fis.10, PI.XXVII).Sur la pièce pathologique de notre cas, aucune
structure articulaire n'apparaît ; on ne distingue ni les contours de la tête
de la côte, ni les facettes articulaires des corps des vertèbres, ni la pente
de l'articulation ; toute la région où se trouvait l'articulation est envahie
par une masse osseuse spongieuse et homogène, qui passe uniformément
de la tète de la côte dans le tissu dentelé du corps de la vertèbre. Mais
on voit bien sur ces pièces le disque conservé (15) (fig. 11, PI. XXVII).
Une autre étude macro-microscopique a été faite d'une coupe transver-
sale qui passe dans la' même articulation et prend encore l'articulation
entre la côte et l'apophyse transversale, l'apophyse transversale même et
l'apophyse oblique (fig. 12).
L'analyse microscopique de ces pièces confirme ce qui a été déjà cons-
taté a l'analyse macroscopique : la soudure de différents os en un seul,
l'augmentation de la porosité et la raréfaction du tissu spongieux des os
connexes, la disparition complète des cartilages du ligament et des cavités
articulaires; les cartilages se transforment par endroits en une sorte de
poutre en tissu osseux compact qui a gardé la configuration du cartilage ;
dans d'aulres parties, ce cartilage est remplacé par un tissu spongieux à
larges mailles, parsemé de lamelles osseuses (fig. 11 d, PI. XXVII).
A une étude minutieuse de ces pièces on trouve des parcelles isolées du
cartilage, entourées de tous les côtés par un tissu osseux, qui remplace le
cartilage (lig. 13 et 1.4, PI. XXVIII).
Le tissu osseux-médullaire qui remplit les mailles de cette région où se
trouvait d'abord l'articulation normale est très riche en cellules adipeuses
et pauvre en éléments lymphatiques, ce qui distinguesur les pièces micros-
copiques colorées cette région des parties connexes de la côte et du corps
de la vertèbre, dont les mailles sont remplies des cellules lymphatiques
(fig. 12, PI. XXVIII). On ne voit pas de signes d'inflammation, quoique
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE
T. XXIV, PL XXXVIII
FiG. î9. - Coupe transversale : A, disque intervertébral ; B, articulation costo-vertébrale ; C, côte;
D, Apophyse transv. et artic cnsto-transv. ; E, Apophyse oblique. Absence totale de cartilages et do
C3\ Ilés articulaires. (Gross. : 2 fois.)
FiG. 13. - Parcelle microscopique du cartilage hyaloïde
prise dans l'articulation de la tète de la côte et des
vertèbres : a, parcelle du cartilage et des cellules carti-
laginenses; b, petits ponts du tissu osseux spongieux
qui entourent la parcelle du cartilage avec la tendance
de la remplacer; c, cavités médullaires 0 ? d, lumière
du canal de Havers; e, cellule cartilagineuse détachée
par le tissu osseux néol'ormé. Pièce décalcifiée, colo-
ration à la méthode de Ilansen. (Agrandiss. 70.)
FIG. Il. - Parcelle du cartilage d'une même articulation
où le processus de l'ossification du cartilage est encore
plus développé. Le tissu fondamental du cirhlage (a)
est déjà presque transformé en os et les cellules carti-
lagineuses se détachent encore plus sur son son i : n, car-
tallage, b, os ; c, cavités médullaires ; d, la canal de Ila-
vers. Même préparation et coloration que coupe de fig. 13.
(Agrandiss de 70.)
Fin. 15. - Surface de la tète de l'humérus droit do la spond. rhiz (coupe verticale : A, cartilage relative-
ment conservé ; B, absence absolue du cartilage ; C, fibre conjonctive néoformée ; Dt le corps
spongieux de la tête. (Gross. : i fois )
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE
- (Nicolas Eldaroff)
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 241 1
les vaisseaux soient dilatés. 11 n'y a pas d'épaississement du périoste.
Les surfaces articulaires des apophyses obliques à l'état normal se tou-
chent étroitement et ont une capsule ligamenteuse courte qui ne permet
qu'un mouvement court. Dans notre cas, tous les rangs des apophyses
obliques à ossification uniforme se sont transformés de haut en bas en
deux liges osseuses unies; les facettes articulaires ne se distinguent ni à la
coupe, ni sur la surface, et dans une coupe qui traverse toute la colonne
des apophyses articulaires apparaît une masse osseuse, spongieuse et ho-
mogène.
LES GRANDES ARTICULATIONS DES MEMBRES
Vue anatomique macroscopique. - La tête de l'humérus droit est dimi-
nuée d'un tiers de son volume et aplatie surtout sur sa surface posté-
rieure. Aux endroits de l'aplatissement, le cartilage articulaire n'est pas
visible et à sa place apparaît une substance osseuse ; tout le reste de la
surface articulaire est couvert de cartilage dont la surface est sèche ; par
endroits dans les couches superficielles elle est usée en de petits points.
Les parties recouvertes de cartilage et celles qui en sont dépourvues, se
séparent par un petit bourrelet cartilagineux, surtout sur la tête gauche.
La capsule est épaissie,les membranes synoviales qui couvrent les cols des
deux os de l'épaule sont couvertes de cils jaunâtres qui ont quelquefois
plusieurs millimètres de longueur.
La tête du fémur est de dimension normale, elle n'a pas subi de défor-
mation et elle est couverte du cariilagequi a une surface sèche et est usé
par endroits. La surface cartilagineuse est séparée du col du fémur par un
petit bourrelet cartilagineux tubéreux qui est comme corrodé. La torea
capitis jemoris est agrandie dans toutes ses dimensions ; elle est privée de
cartilage et a un fond osseux tubéreux et corrodé. Les bords de la partie
usée sont effacés par endroits et passent peu à peu à la surface générale
cartilagineuse ; par endroits apparaît une tuhérosité cartilagineuse. Sur
la surface inférieure du col du fémur se. trouve une a;'<WMeeHce ! 7-
lilère, qui occupe tout l'angle formé par la tête et le corps de l'os. Celle
excroissance arborescente part de la membrane synoviale qui recouvre le e
col du fémur. Chaque papille est posée sur une mince tige. Quelques-unes
des papilles sont plus grandes,jusqu'à deux centimètres de longueur, avec
un épaississement lentiforme au bout ; cet épaississement a quelquefois
une dimension d'une noisette de cèdre, il est d'une couleur d'un jaune
grisâtre ; ces papilles sont probablement d'une formation plus récente et
occupent le haut du faisceau arborescent ; d'autres papilles sont plus pe-
tites, d'une formation ultérieure et sont posées à la base du faisceau.
x.xiv 16
242 LLDARUFP
La capsule articulaire est épaissie, un entrecroisement plus faible des
cils s'y trouve. Dans l'articulation du genou, sur l'extrémité inférieure
du fémur sur le côté antérieur du condyle interne, presque une moitié
de la surface cartilagineuse est usée.
L'échancrure intercondylienne est remplie à moitié par la même pro-
duction arborescente papillifère que nous venons de signaler dans l'arti-
culation de la hanche. La tubérosité cartilagineuse ne s'y trouve point.La
membrane synoviale qui entoure toute la tête articulaire est parsemée de
petites excroissances papillifères qui se propagent sur la capsule articu-
laire ; cette dernière est épaissie. Dans toutes les articulations et dans
tous les os, qui ont été analysés, il n'y a pas de dépôt osseux.
L'analyse microscopique du cartilage des articulations des hanches, des
genoux et des épaules dans notre cas, montre qu'il présente en divers en-
droits des caractères différents : sur les parties qui se sont relativement bien
conservées (fig. 15, PI. XXVIII et 16y1), le cartilage hyaloïde est d'une
épaisseur normale,mais la substance fondamentale n'est pas homogène com-
me l'étal normal,el leestfibreuse,lescellules cartilagineusesne sont isolées
que dans les couches périphériques, tandis que dans toute la masse du car-
tilage elles se présentent sous forme d'agglomération de 5, 10 cellules
et plus. La partie extérieure du cartilage est recouverte d'une mince cou-
che d'un tissu de fibrocarlilage ; il l'intérieur Je cartilage est séparé du fond
Ftc. 16. - Cartilage de l'humérus gauche (coupe verticale)
A, cartilage hyalin relativement conservé, mais modifié. On voit le mode de dispari-
tion du cartilage.- B, absence absolue de cartilage. - C, ligne calcaire. - D, tissu
spongieux de l'os. Grossissement : Il fois.
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉL1QUE 243
osseuxpar une ligne de démarcation très foncée en zig-zagde dépôt calcaire.
Dans d'autres endroits, le cartilage est corrodé, les fibres fines se transfor-
ment en fibres plus épaisses et la matière hyaloïde n'est plus visible, les fi-
bres traversent tout le cartilage transversalement de la périphérie en dedans
(fig. 15). La couche extérieure des fibres horizontales est très épaissie dans
ces parties; dans les parties des têtes des articulations qui sont aplaties
et usées, le cartilage n'apparaît pas au microscope. Sur la pièce micros-
copique, on ne retrouve que la mince couche du tissu conjonctif périphé-
rique etla ligne de démarcation calcaire qui sont posées sur l'os sans inter-
médiaire (B). Les faisceaux des fibres conjonctives traversent par endroits
cette dernière, ces fibres qui partent de la membrane périphérique vers la
région médullaire, contiennent quelquefois dans leur épaisseur un lin
vaisseau sanguin qui se détache des vaisseaux de la moelle.
Chaque papille de l'arborescence papillifère de la membrane synoviale
présente au microscope une tendre substance conjonctive riche en larges
vaisseaux aux parois minces ; ces vaisseaux sont plus nombreux à la péri-
phérie de la papille.
Système nerveux. Nous avons soumis à l'analyse microscopique : la
moelle épinière (tous ses segments), les racines postérieures et antérieures,
les méninges, l'encéphale et le cervelet.
Les pièces microscopiques ont été colorées par la méthode de Weigert-
Pal, de Weigert-Pal et Van Gieson. Les deux colorations n'ont démontré
nulle part d'altérations pathologiques : les substances blanche et grise
de l'encéphale et de la moelle épinière sont dans un état normal, aussi
bien que les racines des nerfs rachidiens antérieurs et postérieurs. Une
coloration à l'acide osmique appliquée à des pièces semblables, a montré
une faible dégénérescence de la substance blanche et des racines anté-
rieures et postérieures des nerfs rachidiens. Cette dernière dégénérescence
est partout également faible : dans la région sacrée, lombaire et dorsale,
cette dégénérescence est uniforme sur toute la préparation microscopique ;
elle est un peu plus intense dans les faisceaux de Goll de la région cervi-
cale. Une dégénérescence aussi faible et uniforme dans toutes les parties
de l'encéphale et de la moelle épinière, qui ne peut être découverte qu'à
une coloration à l'acide osmique, doit être considérée comme le résultat
d'un épuisement général de l'organisme, l'effet de sa cachexie,et non comme
le foyer de l'affection, qui a un rapport avec la maladie de la spondylose
rhizomélique.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
En nous basant sur les faits que nous avons observés et sur la littéra-
ture de la question, nous allons étudier le diagnostic différentiel de la
244 1
BLDAHOFF
Conclusions générales de l'anatomie pathologique de la spondylose rhizo-
mélique et signes anatomiques différentiels des quatre formes les plus
voisines d'ankylose de la colonne vertébrale.
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 2 H;
26 ELDAROFF
une rigidité vertébrale ; mais les déformations, luxation ou fracture de
vertèbres, les troubles radiculaires ou médullaires désignent la nature
même de l'affection.
2° Spondylite tuberculeuse. En ce cas, les douleurs ne sont pas aussi
intenses; elles sont spontanées, limitées dans une ou deux vertèbres ma-
lades ; ces douleurs s'accentuent par la pression sur les vertèbres mala-
des ou sur les épaules du malade et surtout à l'occasion des mouvements
du rachis; elles s'apaisent par l'immobilité ou l'application d'un corset.
Ce sont ces douleurs qui provoquent l'immobilisation de la colonne ver-
tébrale. Plus tard, les méninges sont aussi affectées, les douleurs irra-
dient en ceinture ; les vertèbres malades font une saillie en arrière et
forment une cyphose locale accentuée. Les grandes articulations, au cas de
spondylite tuberculeuse, sont rarement atteintes. Dans le cours ultérieur
de la maladie se développent des phénomènes de compression de la moelle
épinière.
3" Pachyméningite cervicale hypertrophique. Au début, stade
« névralgique » : les douleurs, les hyperesthésies, la rigidité réflexe des
muscles dépendent de l'inflammation des méninges et de la compression
des racines postérieures; la maladie se localise dans la partie cervicale
du rachis, les parties dorsale et lombaire restent libres. Les vertèbres
cervicales sont douloureuses à la pression ; plus tard, au cours de la ma-
ladie, se développent les paralysies, les anesthésies, les atrophies d'ori-
gine radiculaire et, enfin, des troubles de la moelle épinière.
li Le rhumatisme articulaire aigu de la colonne vertébrale (ou chroni-
que à début aigu) rappelle la spondylose rhizomélique à cause des dou-
leurs etde la limitation des mouvements de la colonne vertébrale, mais
le cours ultérieur de ces rhumatismes apporte assez de symptômes pour les
différencier de la spondylose. Nous en parlerons avec plus de détails en
faisant le diagnostic différentiel de la spondylose rhizomélique et des
autres affections chroniques.
ri0 La spondylite syphilitique est une affection très rare. Dans sa forme
d'ostéite et de périostite gommeuses, elle présente des symptômes analo-
gues à ceux de la carie; dans sa forme d'ostéite ossifiante, les corps des
vertèbres et leurs apophyses, le plus souvent les vertèbres cervicales su-
périeures, se recouvrent d'exostoses et de dépôts osseux qui forment sail-
lie sur la surface extérieure du rachis et produisent diverses déformations
de la colonne vertébrale; d'autre part, en poussant vers le canal rachidien,
ces exostoses produisent une compression de la moelle épinière et des
racines nerveuses. Les dépôts osseux extérieurs peuvent être sentis sous
la peau d'un malade, ce qui n'arrive pas dans la spondylose rhizomé-
lique.
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 247
6° Le cancer du rachis est presque toujours une affection secondaire;
elle porle sur quelques vertèbres; la tumeur en traversant les muscles
dorsaux forme sur la colonne vertébrale des excroissances compactes, par-
fois très massives, qui provoquent des déformations, des douleurs aiguës
intermittentes névralgiques par compression radiculaire, et rendent les
vertèbres douloureuses. Dans les cas douteux, les symptômes caractéristi-
ques sont : la présence chez le malade d'un cancer primaire, l'existence
d'adénopathie, de la cachexie générale spéciale.
7Q Lc goutte de la colonne vertébrale par ses dépôts d'urates peut pro-
voquer des accès de douleurs névralgiques intermittentes; l'évolution de
la maladie la fait reconnaître. La goutte n'aboutit jamais à l'ankylose
de la colonne vertébrale.
8° Dans le cours des maladies infectieuses aiguës (fièvre typhoïde, spon-
(1%,ville typhique, etc.), on observe très rarement des arthiites des vertè-
hres ; elles sont faciles à diagnostiquer, car tous les symptômes d'une
arthrite aiguë existent : douleurs, rougeur, tuméfaction, fièvre, etc.. et
tous symptômes qui sonl étrangers la spondylose rhizomélique.
II. A une période avancée de l'évolution de la maladie, la spondylose
rhizomélique doit être distinguée de toutes les affections qui ont parmi
leurs symptômes l'immobilité la déviation de la colonne vertébrale. Sur
le tableau ci-après sont réunies les variétés cliniques les plus proches de
la spondylose rhizomélique. Nous tâcherons par comparaison dessymp-
tômes de bien séparer la spondylose rhizomélique de l'affection similaire
et d'établir, en concordance avec l'opinion de M. P. Marie, son existence
comme entité morbide.
TABLEAU COMPARATIF
1. Spondylose rhizomélique {P. Marie) (colonne vertébrale plus les arti-
dilutions des épaules et les articulations coxo-fémorales)
2 - Chronische f ! )i/t ! 7os)rct : (/et : uttf/tM6f6s 1Vi1'bplsaitle und Hriflgelenke
(Slrltmpell) (colonne vertébrale plus les articulations coxo.fémorales).
3. Cyphose hérédo-lraumalique (Relihtere/j).
4. Ankylose de la colonne vertébrale sans traumatisme et sans hérédité pallio-
logique spéciale (Brissaud et Grenet). '
5. Sporzdylosis rlaezzznaticachronica.
Rhumatisme chronique de la colonne vertébrale.
G. Spondylihs s. arthrilis déformons.
7. - Rigidiltrs dorsalis myopalica (Senator).
Rigidité de la colonne vertébrale d'origine myopathique.
8. Maladie f;)t/.y/osa)t<e;))'o9)'ess ! Me<c/;)'ottit;e (Raymond).
Ankylose de toutes les articulations des extrémités avec une tendance
à se propager à la colonne vertébrale.
2n8 ELDAROFF
1 La déviation de la colonne vertébrale due au tabès dOl'salis, la syrin-
gomyélie, à l'acromégalie et a d'autres a/Jections nerveuses est facilement
distinguée de la spondylose rhizomélique par l'absence dans celle-ci de
troubles fonctionnels et d'altérations anatomiques du système nerveux
central. Ces affections-provoquent, en outre, des déformations locales du
squelette osseux, à caractère atrophique et hypertrophique, ce qui n'a pas
lieu dans le cas de la spondylose rhizomélique.
2° L'inflammation chronique aralyloscaaale du rachis et des articulations
des hanches que décrit Striimpell est évidemment une forme de la spon.
dylose rhizomélique de Il. Marie, avec la seule différence que la mala-
die, après avoir atteint la région lombaire de la colonne vertébrale et les
articulations coxo-fémorales, s'y arrête. Il est probable qu'après quel-
ques années les articulations des épaules et la région dorso-cervicale du
rachis auraient pu être atteintes à leur tour comme dans la forme de la
spondylose rhizomélique.
3° Forme traumatique héréditaire de M. 13c%Irtere/f. Dans tous les
cas que décrit Bekhtereff, l'affection se porle exclusivement sur la co-
lonne vertébrale, toutes les articulations grandes et petites sont respec-
tées. Une cyphose prononcée à l'angle droit, une ankylose de la colonne
vertébrale, une série de troubles nerveux (paresthésie, hyperesthésie,
douleurs, hypoesthésie, parésie, légères atrophies des muscles dans les
régions occipitale, dorsale et lombaire, des soubresauts et convulsions
des extrémités). La cause de la maladie dans tous les cas est l'hérédité et
le traumatisme, d'où le nom de « cyphose bérédo-traumatique »
(P. Marie). Le professeur Bekhtereff explique tous les phénomènes clini-
ques par le développement d'une inflammation chronique qu'il a consta-
tée sur les deux méninges de la moelle épinière et le tissu cellulaire qui
les entoure. Cette inflammation survient sous l'influence du traumatisme
et c'est elle qui provoque la compression et la dégénérescence des racines
des nerfs rachidiens. Les pièces anatomiques de ces cas montrent des
foyers isolés de dégénérescence de la substance blanche de la moelle épi-
nière et une dégénérescence des cellules des ganglions spinaux; en
outre, il existe une atrophie importante du cartilage intervertébral, tan-
dis que les articulations et l'appareil ligamenteux du rachis, sauf la liga-
ture longitudinale antérieure, restent normaux.
La déviation cyphotique du rachis, l'aplatissement et l'immobilité de
la cage thoracique sont dus à la parésie des muscles cervicaux et dorsaux,
consécutive à la dégénérescence des racines nerveuses correspondantes.
On peut se demander s'il ne s'agit pas simplement dans certains cas de
maladie de Bekhtcreff, de pachyméningile spinale hypertrophique ( ? )
lio Brissaud el Grenet ont, en 1 ! IO, décrit un cas (l'ankylose du rachis
LA SPONDYLOSE nI11Z0111hLIQUF 249
chez un homme de 37 ans ; ce cas diffère du type P. Marie et Strumpell
par l'intégrité des articulations des extrémités et du type Bekhteresspar
l'absence de l'hérédité pathologique spéciale et de traumatisme dans l'a-
namnèse. L'affection n'intéresse que le rachis dévié en forme de cyphose
régulière depuis le sacrum jusqu'à la nuque, absolument immobile.
1)0 Spondylose rhumatismale. - Il arrive quelquefois qu'en même
temps qu'un rhumatisme aigu ou blennorrhagique se développe une affec-
lion rhumatismale de la colonne vertébrale; cette localisation vertébrale
se montre très rarement comme une manifestation unique du rhuma-
tisme et de la blennorrhagie : une sensibilité douloureuse et des douleurs
névralgiques aiguës apparaissent dans le rachis, bientôt suivies d'une
limitation des mouvements et d'une déformation. Dans cette période l'af-
fection rappelle la spondylose rhizomélique, mais son évolution ulté-
rieure la différencie de la spondylose rhizomélique. On distingue trois
formes de la spondylose rhumatismale :
a) Dans la forme simple, la spondylose se propage sur tout le ra-
chis ou seulement sur quelque partie (lumbago, torticolis articulaire) ;
après une période plus ou moins longue où il existe des douleurs,1110dé-
rées et une limitation des mouvements provoquée par ces douleurs, l'af-
fection guérit.
b) Dans la /onHeMKo-M6r< ! t</Me, la spondylose provoque, dès le
début, des douleurs aiguës et une ankylose passagère du rachis ; l'affection
guérit également.
c) Dans la forme allkylosallte la spondylose, après une période de dou-
leurs, aboutit à une ankylose complète du rachis.
Opposons le tableau de cette forme dernière avec celle de la spondylose
rhizomélique. Les signes cliniques différentiels sont : l'aplatissement de la
lordose lombaire, l'absence d'incurvations du rachis (la colonne vertébrale
est en ligne droite), la participation des petites articulations des extrémi-
tés au processus pathologique et l'intégrité des articulations « de ces
racines des membres », un affaiblissement de la mobilité (n'allant pas
jusqu'à l'immobilité complète) de la cage thoracique. Au point de vue
anatomique, les particularités sont la grande quantité d'ostéophytes sur
tout le squelette, l'intégrité du cartilage intervertébral et un rétrécisse-
ment inégal des trous intervertébraux. La spondylose rhumatismale est,
par excellence, une affection des articulations Nous avons donné plus
haut la description des deux observations d'ankjlose chronique rhuma-
tismale que nous avons recueillies.
6° Spondylite déformante (forme partielle d'arthrite déformante).- On
distingue aujourd'hui trois formes de celte affection :
I. - L'arthrite ou spondylite détol'1/lamte considérée par certains au-
250 ELDAROFF
leurs comme une forme nosologique spéciale, est le résultat d'un trouble
général constitutionnel de l'organisme et, souvent, de son état de marasme
(Pribram). Au point de vue anatomique, cette affection est caractérisée
par les déformations suivantes :
a) Dans les cartilages articulaires, il existe des processus atrophiques
qui se manifestent par la dégénérescence vacuolaire et des processus
hypertrophiques qui se traduisent par la formation de gros tubercules et
même d'ossifications progressives en couronne. Cette hyperplasie ossi-
fiante des cartilages articulaires caractérise la nature même de ce proces-
sus pathologique. b) Des déformations semblables d'un caractère régressif
et progressif se manifestent aussi dans les os. c) Les capsules articulaires
présentent un épaississement de leurs ligaments et des franges synoviales
(Synovite proliférante. Lipome arborescent;. Ces déformations, au point t
de vue clinique, produisent tout un ensemble de symptômes : une immo-
bilité et une difformité très prononcée du rachis, des saillies osseuses
anormales et une série de troubles radiculaires (douleurs aiguës, anes-
thésies, parésies et atrophies musculaires d'origine dégénérative) qui sont
provoqués par les dépôts osseux compresseurs. Dans cette forme, les
petites articulations des extrémités sont toujours affectées.
II. - L' arthrite sèche ulcéreuse se distingue de la forme précédente
par une prédominance des altérations atrophiques sur les altérations hy-
pertrophiques. Le caractère essentiel de l'affection consiste dans la dé-
composition du tissu fondamental du cartilage et dans la dégénérescence
graisseuse de ses cellules, d'où résulte l'usure. C'est une affection géné-
rale constitutionnelle qui provient d'une altération sénile du tissu osseux
(mal sénile, morbus coxae senilis).
III. L'arthrite chronique adhésive présente une transformation du
cartilage articulaire en tissu conjonctif et une soudure des surfaces arti-
culaires entre elles par les faisceaux de ce tissu conjonctif; il résulte de
ces modifications soit une « ankylose fibreuse n, soit (au cas de transfor-
mation du tissu conjonctif nouvellement formé en os spongieux) une
« arthrite osseuse ou arthrilis ankilopoetica de Ziegler ». Enfin, il y a
une sclérose des capsules et des tissus périarticulaires secondaire à une
inflammation aiguë ou chronique ou constituant par elle-même une affec-
tion idiopathique à début chronique, mais non inflammatoire : il s'agit de
Polyarthrite chronique rhumatismale. Cette dernière forme d'affection
se rencontre le plus souvent entre 40 et 50 ans et plus souvent chez la
femme que chez l'homme ; elle attaque d'ordinaire la classe pauvre de
la population, les individus à nutrition générale très affaiblie, d'où la
seconde dénomination de la maladie : « Arthrite des pauvres ».
Les trois formes signalées de spondylite-arthrite déformante peuvent
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 251
être observées séparément, se transformer l'une dans l'autre ou être ob-
servées simultanément chez le même malade en différentes articulations.
7° Spondylose myopathique. - Le professeur Senator et Cassirer,
de la clinique d'Oppenheim de Berlin ont décrit des cas d'immobilité du
rachis d'origine myopathique. Les malades se plaignaient de douleurs à la
nuque, au dos et dans les articulations des épaules et des hanches; ces
douleurs s'accentuaient à l'occasion des mouvements. Dans deux cas, le
rachis constituait une colonne verticale et dans le troisième il présentait
une cyphose dans la région cervicale supérieure, tandis que sa lordose
physiologique était aplatie. Les muscles du dos et des hanches étaient
contractures et. les mouvements volontaires du rachis. des articulations
des épaules et du bassin faisaient absolument défaut. Mais, sous la narcose
chloroformique, il fut possible d'obtenir tous les mouvements passifs.
Il est donc évident que tous les phénomènes signalés plus haut résultaient
de l'étatdes muscles et des douleurs provoquées par les mouvements.
Une autre forme d'immobilité du rachis d'origine myopathique (DrPo-
poff)dépend des spasmeshystériques des muscles du clos.Dans l'observation
n" 1, l'incurvation et l'immobilité du rachis du malade ne subirent aucune
modification sous le chloroforme. Dans toutes les observations que nous
avons décrites, on ne pouvait songer qu'à la spondylose rhizomélique.
8° Le professeur Raymond a décrit en 1901, sous la dénomination de :
Afaladieankylosante progressive et chronique, une forme d'ankylose
des articulations. En 1905, M. Berger a décrit un cas analogue.
Les signes communs des deux cas sont les suivants : le jeune âge des malades
(22-23 ans), l'évolution très lente et sans fièvre de la maladie, l'anky-
lose symétrique progressive, presque sans douleurs, des articulations des
extrémités, la tendance à la propagation de l'ankylose sur le rachis,
l'immobilité complète des articulations ankylosées, l'absence d'altérations
des tissus mous périarticulaires, l'absence de troubles de sensibilité et,
enfin, la persistance d'un état général satisfaisant. Tous ces symptômes,
bien que constituant un tableau clinique particulier, rappellent de très
près la formed'arthrite ankylosante du type P. Marie que nous avons dé-
crit plus haut. Il n'y a que le siège de l'affection qui établisse une diffé-
rence entre ces formes. Toutes les parties du squelette qui sont affectées
dans la spondylose rhizomélique : colonne vertébrale, articulations des
hanches et des épaules, restent intactes dans la forme Raymond-Berger,
et, réciproquement, loutes les articulations qui restent intactes à la spon-
dylose rhizomélique sont ankylosées à la forme Raymond Berger.
ÉTIOLOGIE
L'étal actuel de la question ne permet pas encore de se prononcer affir-
252 ELDAROFF
mativement sur les vraies causes de la spondylose rhizomélique. Dans
plusieurs cas, il n'y a aucun rapport évident entre une cause nocive quel-
conque et le début de la maladie : la maladie commence alors peu à peu
sans aucune cause apparente, mais, dans quelques observations, ce rapport
existe. P. Marie et Léri ont incriminé les causes infectieuses ou toxi-in-
fectieuses (blennorrhagie surtout, tuberculose, etc.).
Dans nos observations personnelles, les causes nocives sont :
1° Les changements brusques de température que nous trouvons dans
4 cas : l'ouvrier de la verrerie, exposé à la chaleur du haut-fourneau, avait
l'habitude de sortir tout en nage et de s'enfoncer dans la neige pour se
rafraîchir pendant l'hiver et de se baigner dans un puits pendant l'été
(Obs. 1). L'infirmier était retourné à la maison après un bain chaud
pendant une tempête de neige sans avoir boutonné son manteau, le len-
demain il tomba malade (Obs. 3). Le garçon de restaurant courait 16 heu-
res par jour d'un appartement chaud à une cave froide (Obs. 8). Le soldat
pendant le siège de Port-Arthur, qui dura un an, resta, chaque jour,
trempé de longues heures dans les tranchées des fortifications (Ohs. 14).
2° Certains auteurs attribuent une grande influence éliologique à la
blennorrhagie; ils croient que l'agent actif de l'affection peut être non le
gonocoque lui-même, mais ses toxines (Marie, Léri). Dans une de nos
observations (Obs. 10), la maladie commença par les genoux, le 10° jour
de l'écoulement; l'anamnèse de cinq autres malades signale une légère
forme d'urétrorrhée sans aucun rapport évident avec l'affection princi-
pale ; dans les 8 autres cas l'urétrorrhée n'existait pas.
3° Dans 9 cas, l'affection commença sans cause aucune.
si La tuberculose. Dans trois des quatre autopsies que nous eûmes à
notre disposition, la mort avait été provoquée par la Luberculose pulmo-
naire sans aucune affection tuberculeuse locale des os. Mais nous avons le
droit de considérer celte tuberculose comme une complication qui vint
s'ajoutera l'affection idiopathique. Parmi les 9 autres cas, il n'en est qu'un
où la tuberculose des sommets des poumons soit signalée.
5° Le traumatisme'. Certains auteurs considèrent comme « trauma-
tisme » des voyages fréquents en chemins de fer une attitude du corps
dans une position fixe exigée par la profession pendant de longues heu-
res. Nous trouvons dans nos observations celle d'un malade avec ankylose
du rachis, du cou et de la tête dans la même position qu'il devait garder
pendant son labeur journalier : le soufflage du verre (Obs. 1) ; de même,
la colonne vertébrale du cordonnier est ankylosée dans la position qu'il
gardait pendant son ouvrage (Obs. du D' Lubovitcli).
6° La syphilis est signalée dans cinq cas sur quatorze.
Nous ne pouvons considérer aucune de ces causes comme spécifique ; il
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 233
semble que la cause principale soit l'existence d'une dia thèse dont la na-
ture est encore un problème à résoudre.
PATHOGÉNIE
Tous les faits que nous venons d'exposer nous donnent le droit de cou-
sidérer la spondylose rhizomélique comme une maladie indépendante,
comme une entité morbide spéciale.
La Spondylite déformante (forme partielle de l'arthrite déformante) et
la Spondylose myopathique sont toutes les deux des affections spéciales
qui se distinguent de la spondylose rhizomélique par leur nature et leurs
symptômes. On peut assigner une place à part à la forme du profes-
seur Bekhtereff, « la cyphose hérédo-traumatique »,mais en ce qui concerne
la forme de Strumpell : « inflammation ankylosante chronique du rachis
et des articulations des hanches » et « l'ankylose du rachis » de Brissaud
et Grenel, nous ne les considérons pas comme des affections différentes de
la spondylose rhizomélique.
Les altérations anatomiques de la spondylose rhizomélique, exposées
plus haut, expliquent parfaitement tous les phénomènes observés pendant
la vie du malade, mais pour comprendre la pathogénie de l'affection, il est
indispensable de rechercher les relations réciproques de ces altérations
anatomiques.
1. L'ostéoporoae,
2. La vraie ankylose des os des petites articulations du rachis,
3. L'ossification de certains ligaments du rachis constituent les 3 faits
anatomiques principaux.
Quel est de ces trois faits celui qui doit être considéré comme primitif ?
Cette question est de grande importance et souffrira sans doute des diffi-
cuités, car chacune de ces altérations peut être dans les différentes affections
du squelette la,cause primaire dont dépendent pins ou moins les deux autres.
En laissant de côté, pour un moment, l'ostéopol'ose, nous voyons que
les relations entre l'ossification des ligaments et l'ankylose des articula-
tions sont les suivantes : l'ossification des ligaments est la cause primaire,
le facteur le plus important, le facteur actif, et la soudure des surfaces
articulaires n'est qu'une conséquence de l'immobilité complète de l'arti-
culation due il l'ossification des ligaments. L'analyse microscopique de
nos préparations nous donne le droit d'affirmer que l'ossification des
ligaments se produit dans la spondylose rhizomélique avant la sou-
dure des surfaces articulaires, et ceci pour les raisons suivantes :
a) L'ossification des ligaments se présente à l'analyse microscopique
comme un processus définitivement constitué ; il n'y a plus traces de la
structure conjonctive des ligaments normaux. On ne voit partout qu'un
vrai tissu osseux; tandis que quelques restes microscopiques des carti-
254 ELDAROFF
lages articulaires se sont encore conservés (voir fig. 13 et 1 ) qui prou-
vent que l'ossification est l'aboutissant terminal.
b) Dans les cavités médullaires des os spongieux des articulations an-
kylosées, aussi bien que dans les parties antérieures ossifiées des disques
intervertébraux, se rencontrent quelquefois une quantité considérable de
fibres collagènes jeunes et de vaisseaux néoformés qui tous, les uns et les
autres, ne peuvent être que des formations récentes. ?
c) L'état des cartilages qui recouvrent les têtes des os des épaules et
des hanches nous montre à l'analyse microscopique :
1° Une transformation du cartilage hyalin en cartilage fibreux.
2° Un processus d'atrophie idiopathique de la substance cartilagineuse.
A la plus minutieuse analyse microscopique, on ne parvient à décou-
vrir aucune cause en dehors de la couche cartilagineuse ou de la subs-
tance osseuse spongieuse capable d'expliquer toutes ces altérations; il
n'existe aucun signe de processus inflammatoire. C'est pour cela que ces
altérations microscopiques des cartilages articulaires doivent être considé-
rées comme le résultat de l'immobilité de l'articulation occasionnée par
l'ossification des ligaments.
d) Dans la première observation, décrite par M. P. Marie, une résec-
tion des têtes des fémurs des deux articulations ankylosées du bassin a
été pratiquée, mais peu de temps après les ligaments de ces articulations
ont ramené une ankylose aussi complète qu'avant l'opération.
En ce qui concerne la question de la précession de l'ostéoorose de la
colonne vertébrale ou de l'ossification des ligaments, P. Marie et Léri
pensent qu'il y a entre ces faits relation de causalité. Nous avons déjà
agité cette question dans notre travail qui traite spécialement de l'ana-
tomie pathologique de la spondylose rhizomélique (1).
La lésion primitive et essentielle de la maladie est l'ostéoporose du corps
des vertèbres qui produit une déviation du rachis en avant; la secondaire
est l'ossification des ligaments des petites articulations du rachis sur sa sur-
face convexe et des articulations des hanches et des épaules ; cette ossi-
fication se produit comme un phénomène de compensation de la part de
l'organisme qui tend instinctivement à remédier au premier trouble ana-
tomique ; après l'ossification des ligaments, grâce à l'immobilité qui en
résulte, se développe progressivement, comme nous venons de le signaler,
l'ankylose osseuse dans les articulations du rachis.
L'ensemble de ces faits produit la transformation du rachis et des « ra-
cines des membres » en un seul bloc osseux. L'ostéoporose est la lésion
primordiale, mais il reste à trouver la cause de cette ostéoporose, autre-
ment dit, la vraie cause de toute la maladie. Il s'agit évidemment ou de
(1) Voir Medizinskoie Obosrenie, 1909, n° 6. L'anatomie pathologique de la spondy-
lose rhizomélique. '
LA SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 255
troubles chroniques de la nutrition générale qui ont pour base une affec-
tion spéciale neurotrophique ou bien d'une diathèse spéciale d'origine in-
fectieuse ou toxi-infectieuse (P. Marie). Les résultats de ces troubles
généraux portent surtout sur le système osseux.
PRONOSTIC
1. La maladie qui se développe très lentement et qui n'attaque que le
squelette n'est pas par elle-même mortelle, mais la guérison ne s'observe
guère et les altérations anatomiques expliquent que l'amélioration réelle
soit très douteuse. ,
2. Les malades meurent de causes accidentelles ou d'affections concomi-
tantes, le plus souvent de tuberculose pulmonaire, développée d'autant
plus facilement dans la spondylose rhizomélique, qu'à cause de l'immo-
bilité complète de la cage thoracique, les poumons, surtout les sommets
des poumons, sont imparfaitement ventilés. Sur nos quatre cas d'autopsie,
trois fois la mort a été due à la tuberculose.
TRAITEMENT
Dans tous nos cas, on a largement administré les médicaments internes
suivants : salicylate, salol, iodure de potassium, arsenic, ferrugineux, etc.,
et comme médicaments externes : des vésicatoires, l'iode, des pointes de
feu, le massage, les bains, l'électrisation, l'hydrothérapie, la gymnastique
passive, les bains à vapeur sèche, etc.
Sous l'influence du régime de l'hôpital, du repos et de tous les traite-
ments physiques, les douleurs s'apaisaient, l'état général s'améliorait et
parfois les mouvements devenaient un peu plus amples dans les articula-
tions des épaules, moins des hanches, mais pas dans les articulations de
la colonne vertébrale. Dans l'observation 7, après un mois de traitement
à l'hôpital, la faible limitation qui existait auparavant dans les articula-
tions des épaules et du bassin disparut presque complètement.
On n'a jamais eu recours au traitement chirurgical vu les résultats de
l'opération dans l'observation de P. Marie.
En terminant mon travail, je prie l'honoré directeur de notre hôpital
médecin en chef M. Iena Saritcheff et 31. P. Préobrajensky, actuellement 1
professeur de l'Université de Varsovie, d'agréer ma profonde reconnais-
sance pour l'aimable autorisation qu'ils nous ont donnée d'observer des
malades, M. le Professeur V. Voronin, qui a bien voulu m'aider dans les
préparations anatomiques et M. le Professeur-Agrégé A. Abricossoff pour
la préparation des microphotographies de ce travail.
Je tiens aussi à remercier M. le Professeur P. Marie, MM. A. Léri,
H. Meige et A. Barré qui ont bien voulu me prêter leur aimable concours
pour la publication de cet article.
LE BUSTE DE BRISSAUD,
A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS.
Les collections de la Faculté de médecine de Paris viennent de s'enri-
chir d'une nouvelle oeuvre d'art : un buste en bronze du professeur Bris-
saud.
C'est un portrait sincère, qui a du charme et de la grandeur.
C'est bien Brissaud : son cou massif, sa tête puissante, ses cheveux léo-
nins, son oeil profond ombragé de sourcils broussailleux. Dans les plis
de la bouche et des paupières, une vivacité tempérée de douceur évoquent
l'ardeur de son intelligence, tout son esprit, toute sa bonté.
Ceux qui n'auront pas connu Brissand s'arrêteront quand même de-
vant son buste, séduits par l'impression de jeunesse, de force et de fran-
chise qui s'en dégage. S'ils ne connaissent rien de sa vie, ils devineront,
à sa mise, qu'il fut modeste et laborieux, et qu'artiste, autant que médecin,
il sut mettre sa fantaisie au service de l'enseignement. Si ses traits ne
peuvent donner la mesure de son savoir prodigieux, du moins reflètent-
ils à travers ce fin sourire qui lui était familier, la noblesse de son coeur,
la hauteur de sa pensée. C'est bien Brissaud.
Son buste a un autre intérêt. Il est dû au talent d'un confrère, le
Dr Paulin, qui, chose à peine croyable, l'a exécuté de souvenir.
Brissaud avait toujours esquivé les séances de pose devant un statuaire ;
il était cependant sur le point de céder aux sollicitations de son ami Pau-
lin, quand la mort vint le terrasser. L'artiste eut la pieuse audace d'en-
treprendre le buste de Brissaud, sans modèle. Il y a réussi au delà de tou-
tes les prévisions, car il a fait une oeuvre vraie et une belle oeuvre.
Un petit groupe d'intimes s'est uni pour offrir à la Faculté de méde-
cine de Paris un exemplaire en bronze de ce buste. La Faculté a accueilli
avec reconnaissance cette oeuvre d'un confrère artiste, discret hommage
rendu à un maître qui inspirait à tous autant d'affection que d'admi-
ration.
Ceux qui ont contribué à cet hommage, possèdent une réplique réduite
du buste de Brissaud, en bronze ou en grès, fine et précieuse figurine qui
perpétuera le souvenir d'une des plus belles figures médicales contempo-
raines, prématurément disparue, universellement regrettée.
Le gérant : P. BOUCLIEZ.
Imp. J. Thovenot, 8aint-Dizicr (Haute-Marne).
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XXIV, PL.XXX1X.
LE BUSTE DE BRISSAUD
pai le Dr PAULIN
à la Faculté de Médecine de Paris.
Mas-son eT CIC, éditeurs.
SCT llA.YS IIOSPII'AL, D, ! N EJf A}OE
Travail du laboratoire de M. le professeur Pierre Marie,
et du laboratoire de M. le professeur HOHMELLE,
SUR LA GLANDE PINEALE CHEZ L'HOMME
par
Knud KRABBE.
La glande pinéale est un organe au sujet duquel ont été formulées
beaucoup d'hypothèses. même dans ces derniers temps. Pour ne pas abuser
des répétitions historiques, nous renverrons à la thèse de Mlle Dimi-
trova : Recherches sur la structure de la glande pinéale.
Comme traits capitaux, il suffira de rappelerces notions que l'organe
pourrait être constitué soit par des éléments lymphatiques, soit par des
cellules nerveuses, soit par des élémenls névrogliques. En outre une
théorie admet l'existence d'une sécrétion interne; elle est spécialement
fondée sur la constatation des symptômes produits par les tumeurs qui
siègent dans la région de la glande pinéale. Le résultat des examens de
Dimitrova est que l'organe est constitué essentiellement par de la névro-
glie, mais elle a trouvé des granulations protoplasmiques qui lui permet
de penser que l'organe peut aussi représenter une glande.
Parmi les travaux récents, il faut spécialement mentionner celui de
0. Marburg. Il s'est occupé surtout du développement du recessus supra-
pinealis et de l'involution du taenia Iiabenulte ; il a trouvé chez les
enfants, au-dessus de la glande pinéale, un petit cordon de fibres ner-
veuses, au bout duquel on voit un amas de cellules nerveuses, formation
qu'il regarde comme un oeil pariétal rudimentaire. Marburg s'est occupé
aussi des tumeurs de la glande pinéale; en se fondant sur les symp-
tômes produits par ces tumeurs, il émet cette théorie que la glande pinéale
est une glande vasculaire sanguine qui aurait une action d'arrêt sur l'évo-
lution des organes génitaux ; en outre, par son hypersécrétion, elle pro-
duirait un état d'adipose.
Von Frankl-Hochwarl émet la même opinion ; il énumère tous les symp-
tômes produits par des tumeurs de la glande pinéale. A. Pappenheimer
donne le résumé des 36 cas de tumeurs de la glande pinéale qui sont
décrits et il en ajoute encore d'autres.
Après le travail de Dimitrova, a paru en outre une communication de
xxiv z 1
238 tClt.1$13f;
Galalescu et Urechia qui ont trouvé quelques cellules à noyaux fortement
colorés el si protoplasma acidophile, contenant quelquefois de fines gra-
nulations ; ces auteurs pensent qu'elles ressemblent à certaines cel-
lules de la glande parathyroïdienne et qu'elles ont une fonction de
sécrétion interne. Anglade et Ducos ont examiné quelques glandes de
l'homme ; ils concluent qu'il existe toujours de la névroglie dans la glande
pinéale, mais tantôt celle-là parait former un soutien accessoire par rap-
poil au tissu conjonctif, tantôt les travées sont en grande partie formées
d'éléments névrogliques ; dans les alvéoles il y a toujoms des fibres et des
cellules névrogliques, mais il y a aussi probablement des éléments cellu-
laires d'une autre nature.
En 1905, a paru un grand travail sur « les organes pariétaux » de Stud-
nicka ; il a décrit d'une manière très détaillée la glande pinéale chez les
différents vertébrés ; pour l'homme, il donne surtout un résumé histori-
que et semble accepter les opinions de Dimitrova.
Les examens de Exner et Boese sont aussi très intéressants. Ces auteurs
ont extirpé la glande pinéale chez 100 jeunes lapins et ont constaté que
cette extirpation n'a produit chez les lapins survivants aucun symptôme,
en particulier aucun trouble de l'évolution des organes génitaux.
Les recherches que nous avons faites sont exclusivement anatomiques.
Nous avons essayé de les faire porter avec plus de détail sur quelques
points qui semblent encore énigmatiques.
Matériaux d'études et technique.
Nos matériaux se sont constitués par 100 glandes pinéales d'hommes ou
de femmes de l'âge de 14 à 92 ans. En outre nous avons examiné quel-
ques glandes d'enfants nouveau-nés; nous regrettons de n'avoir pas pu
faire des examens plus nombreux et plus détaillés sur la structure de
cette glande chez les enfants.
53 des glandes ont été prises sur des cerveaux d'hommes morts à l'Hos-
pice de Bicêtre ; presque tous étaient âgés de plus de 65 ans. Le
reste provient pour la plupart de malades morts à Sct Hans Ilospi-
tal ou au 6" service du Iiommunehospitalet (la Sainte-Anne de Copen-
hague). Ensuite il y a des glandes de sujets n'ayant présenté aucune
maladie du système cérébrospinal. Aux malades de l'Hospice de Bicêtre
il a été fait une injection de 20 0/0 de formol dans l'espace subdural. l,
tout de suite après la mort. Ces glandes ont élé pour une grande
partie fixées au sublimé (selon le procédé Dominici), pour une autre par-
tie au formol bichromate. Parmi les glandes de Se[ Hans Ilospilal quel-
ques-unes ont été injectées ou avec 20 0/0 de formol ou avec 96 0/0 d'al-
cool, tout de suite après la mort. Le reste des glandes provient d'autop-
NOUVELLE ICONOGRAPIIIt DE LA SALI'ÈrRli.RE
T. \SI\'. 1>l. XL
Fig. 2 .
ÇELLLJLES.DELAGLATDE1'I\ÉALE CHEZ L'HOMME, . -
(IL Krabbe)
Fig. 1. Cellules dans le parenchyme, colorées par la méthode de Unna-Pappenheim.
a. Cellules pinéales au repos. b. Cellules pinéales avec des boules dans les noyaux.
c. Cellule pinéale dont la boule s'évacue du noyau, d. Cellules pinéales en régénéres-
cence. c. Cellule névroglique. /. Cellules névroglique pyknotique.
Fig. 2 Partie d'une cloison élargie colorée par bleu de toluidine. a. Vaisseaux. b. Noyaux de
tissu conjonctif. c. Parenchyme. il. Cellules du groupe des Mastcellules. e. Cellule
du deuxième groupe. f. Cellule du troisième groupe à granulations régulières. g. Cellule
du troisième groupe à granulations irrégulières.
SUR LA GLANDE PINÉALE CHEZ L'HOMME 259
sies faites de5 à 20 heures après la mort; elles sont fixées à l'ilcool,subli-
mé, acide osmique (selon Lindsay-Jones), solution de Weigert, 4. 0/0 bi-
chromate de potassium.Souvent nous avons divisé la glande en deux par-
ties et fixé chaque partie dans un liquide pour faire des comparaisons.Nous
avons coloré avec les méthodes suivantes : éosine-bleu de toluidine (selon
Dominici), bleu de toluidine, safranine, coloration de Giemsa ; liéma-
téine d'alun, hématéine ferrique et chromique (selon Hansen) avec la pi-
crofuchsine de V. Gieson ; phénol-vert méthylique-pyronine selon
Unna-Pappenheim ; hématoxyline ferrique de IIeidenhain, quelquefois
combinée au rouge de Bordeaux ; les colorations de névroglie , de myé-
line et d'élastine selon Weigert ; fuchsine d'acide-vert lumière selon
Alzheimer; coloration du protoplasma névroglique selon Alzheimer avec
l'hématoxyline de Mallory, coloration de tissu conjonctif selon Mallory ;
méthodes de Cajal, Golgi et Bielschowky. La coloration selon V. Gieson-
Hansen nous a donné les meilleurs résultats ; la coloration au bleu de
toluidine seul ou combiné avec l'éosine s'est montré préférable pour les
cellules granulées périvasculaires, la méthode deUnmf-Pappenheim pour
la sécrétion des noyaux et celle I-Ieidenhain au rouge de Bordeaux pour la
relation entre la névroglie et le protoplasma (Pl. XL).
Le parenchyme.
La glande pinéale se compose d'un parenchyme qui, par des travées de
tissu conjonctif, est divisé en îlots. Les cellules de ce parenchyme sont
d'ordinaire réunies sans ordre ; pourtant on voit dans quelques .glandes
que les cellules sonl situées en rangées le long des parois de tissu conjonc-
tif.
Ces cellules de parenchyme sont de plusieurs types. Dimitrova a tenté
une classification ; mais comme celle-ci a essentiellement son fondement
dans la contenance des noyaux en chromatine, et non pas dans ce qui
nous semble plus important, c'est-à-dire dans la relation avec les fibres
névrogliques, nous proposerons ici une autre division,sans nous en tenir
à l'opinion de Pappenheimer d'après laquelle unedivisiondes cellules en
différents types ne serait pas possible.
Premier TYPE : LES CELLULES pinéales.
Le premier type de cellules, celui qui représente la plus grande partie
des cellulesparencllymateuses, est caractérisé par un grand noyau dont la
forme est variable, ordinairement ovale, qui contient peu de chromatine,
pour la plus grande part rejetée à la périphérie. Ordinairement, il y a un
nucléole qui, par la méthode de fuchsine acide-vert lumière, se colore
en rouge et par la méthode de Unna-Pappenheim se colore intensivement
260 K.RAUBE
par la pyronine. Le protoplasma est relativement peu abondant ; tantôt il
n'entoure que le noyau comme un anneau mince, tantôt le noyau y est
situé excentriquement, et quelquefois on le voit pourvu de prolonge-
ments courts et aigus. Avec les fixations au formol et au sublimé et
parles colorations avec l'hématoxyline, le protoplasma se montre homo-
gène ; par la fixation à l'alcool au contraire on voit, surtout à la colo-
ration de Unna-Pappenheim, dans toutes les cellules des granulations
fines et régulières, dans quelques-unes en outre des granulations plus
fortes et plus irrégulières composée de granules plus rouges; donc tou-
tes ces granules sont basophiles ; des granules acidophiles sont beau-
coup plus rares ; les rapports des granules seront mentionnés plus tard.
Le protoplasma n'est pas très distinctement limité, les cellules ne sont
pas en contact intime; entre elles on voit un réseau constitué partiel-
lement par des fibres névrogliques; cependant les fibres névrogliques
remplissent incomplètement les espaces intercellulaires ; même dans
les préparations fixées à l'alcool-chloroforme-acide acétique dans les-
quelles on n'observe pas des rétractions des parties voisines du cer-
veau, on voit qu'il y a des espaces entre les fibres névrogliques, et il
n'est pas impossible que la glande soit pénétrée d'un système de cana-
licules par lesquels s'évacuent ses produits de sécrétion. Nous avons
essayé de faire une injection lente dans la substance de la glande avec de
la gélatine colorée au bleu de Berlin; nous avons vu alors que dans les
coupes, les espaces intercellulaires étaient remplis d'un fin réseau bleu ;
cependant il est impossible de juger si le bleu de Berlin a pénétré dans
des canalicules artificiels ou naturels. ,
Dimitrova est la première qui ait mentionné les sortes de boules singu-
lières qui existent dans quelques noyaux du parenchyme ; elle déclare le
problème non résolu en ce qui concerne ces boules; elle mentionne aussi
quelques noyaux en forme de fer à cheval.
Certains auteurs, après elle, semblent considérer ces boules comme des
vacuoles.
Parmi les 100 glandes pinéales de l'homme adulte que nous avons exa-
minées, nous n'en avons trouvé qu'une seule dans laquelle il n'y eût pas
de parenchyme, mais seulement du tissu conjonctif et du tissu névro-
glique. Dans tous les autres cas, les noyaux en fer à cheval ont été trou-
vés constamment, souvent très abondamment.
La méthode de coloration qui montre le mieux ces formations dans les
noyaux est la méthode de Unna-Pappenheim utilisée pour les cellules du
plasma. Par cette méthode, on voit ce qui suit : dans les noyaux la chro-
maline prend une coloration bleuâtre ; le nucléole est intensivement rouge,
le protoplasme a une couleur rouge très variable dans son intensité. Dans
SUR LA GLANDE PINÉALE CIIFZ L'HOMME 261
un grand nombre des noyaux on \ oi t des formations qui sont ordinairement
en forme de globe, plus rarement triangulaires, stellaires. ou ba tonnées ; il
n'y a ordinairement qu'une seule boule dans chaque noyau, quelquefois
pourtant deux ou trois. Le diamètre des houles varie du quart jusqu'à la moi-
tié de celui d'un noyau ; labouleestgranuleuseet souvent on voit que les
granules d'une partie de la boule sont colorées plus vivement que celles de
t'autrepartie. Les bouiessontsou vent en contact in lime a veclenucléole. El les
montrent les relations de colorations suivantes : avec les hématoxylines eu les
couleurs d'aniline ordinaires elles sont colorées plus intensivement que le
proloplasma,mais plus faiblement que la chroma Une; elles ne montrent pas
demétachromasie.Par la fixation avec l'acide osmique elles ne sont pas noir-
cies ; elles ne sont pas colorées en rouge avec le Sudan III. A la coloration
avec fuchsine acide et vert lumière selon Alzheimer, on voit ordinaire-
ment que les boules sont colorées avec la couleur basique ; mais dans un
petit nombre des boules on voit aussi qu'il existe des granules colorés en
rouge par la fuchsine acide ; alors on voit aussi qu'il peut y avoir des granu-
les rouges au fond des coupes des noyaux en fer à cheval et dans le proto-
plasma.
L'origine de ces boules nous semble incertaine. Mais à l'égard de leur
situation on voit ce qui suit : dans quelques noyaux on voit la boule ap-
puyée sur la membrane du noyau.Ensuite on voit des cas où la membrane
est rompue et la boule en train d'évacuer son contenu de granules ; celui-ci
ne traverse pas le protoplasma pour entrer directement dans les espaces
intercellulaires, mais les granules sont disséminés dans le protoplasma et
sont d'abord situés près du noyau,sur le côté par où la boule s'ouvre. Dans
quelques autres cellules, on voit les granules disséminés dans tout le pro-
toplasma.
Nous n'avons pas réussi à suivre plus loin le sort des granules ; mais
nous pensons que, vraisemblablement, ils quittent le protoplasma pour
traverser les espaces intercellulaires et entrer enfin, soit dans le sang, soit
dans la lymphe, soit dans le liquide cérébrospinal ; toutefois nous regar-
dons un point comme certain ; c'est que les produits des noyaux ne sonl
pas ramassés par les cellules granuleuses paravasculaires qui seront men-
tionnées plus loin, parce que ces cellules ont paru être les plus communes
dans un cas où le parenchyme était détruit, et où par conséquent il n'y
avait pas de sécrétion des noyaux.
Il est impossible de dire si toutes les granulations qu'on trouve dans le
protoplasma des cellules ont cette origine; on ne voit aucune différence
entre les granules qui sont évacués d'un noyau et ceux qu'on trouve dans
le protoplasma d'une cellule à noyau « au repos ).
Le problème suivant est intéressant : comment se comportent les noyaux
2P¡2 -) KRABBE
après l'évacuation ? Comme nous l'avons mentionné, on trouve quelques
noyaux échancrés. Dimitrova incline vers l'opinion qu'il s'agit de noyaux
ayant évacué leur boule, mais ellene rejette pas la possibilité qu'il s'agisse
d'amitoses. Nous regardons comme certain qu'il ne s'agit pas défigures
amitotiques. Premièrement en effet, si l'on trouve quelquefois des ami-
toses dans la glande pinéale celles-ci ont un aspect tout différent des cel-
lules aux noyaux échancrés ; on voit dans ce cas deux noyaux unis par un
pont plus mince qui appartient également aux deux noyaux.Secondement,
comme Dimitrova l'a mentionné, on trouve toutes sortes de degrés depuis
les noyaux qui évacuent leur boule jusqu'à ceux qui ont la forme d'un fer
à cheval et jusqu'à ceux qui n'ont qu'une petite échancrure, laquelle de-
vient ensuite indistincte et finalement disparait. Troisièmement et ceci
nous semble la preuve définitive : par la méthode de Unna Pappenheim
on voit presque toujours au fond des échancrures beaucoup de granules
rouges, ce qui s'explique bien quand les granules proviennent d'une boule
qui était sortie du noyau et ne sont pas encore disséminés dans le proto-
plasma, tandis qu'il serait très invraisemblable que les granules du proto-
plasma soient amassés si souvent dans une exavation produite par un pro-
cessus amitotique.
Il faut donc supposer que le noyau est régénéré après avoir évacué le
contenu de sa boule. En effet on trouve des noyaux qui ont une boule et
une échancrure; mais ceux-ci peuvent être des noyaux qui ont contenu
plusieurs boules et qui en ont évacué une. Enfin rien n'empêcherait que
la sécrétion soit répétée par le même noyau ; et nous regardons cela
comme le plus vraisemblable. Rien de plus variable que le nombre des
noyaux des cellules mentionnées, qui contiennent des boules, qui sont
en régénération et qui ont un aspect « au repos ». Cependant, comme
ces cellules, sous tous les autres rapports, ont le même caractère, nous
pensons avoir le droit de les considérer comme un groupe spécial et nous
proposons de les appeler : cellules pinéales.
Il faut ajouter ici que nous avons trouvé quelquefois chez les sujets
peu âgés de petits groupes de cellules qui diffèrent des cellules pinéales
parce que les noyaux sont plus petits, plus riches en chromatine, que les
granules de chromatine sont plus fins, que les cellules sont situées plus
profondément, qu'on ne voit entre elles aucun noyau à boules ou à échan-
crures. Ces cellules ressemblent beaucoup à celles qui constituent le pa-
renchyme chez les nouveau-nés et nous croyons qu'il faut les regarder
comme des cellules pinéales qui ont conservé leur caractère infantile.
Deuxième type : LES CELLULES névrogliques.
Cionini a constaté le premier l'existence de cellules névrogliques dans
SUR LA GLANDE PINÉALE CHEZ L'HOMME 263 3
la glande pinéale ; ensuite Weigert a examiné la névroglie et Dimitrova
a essayé de prouver définitivement que les cellules du parenchyme sont
pour la plus grande part des cellules névrogliques. Elle dit dans ses
conclusions : « La glande pinéale est constituée essentiellement..... par
des éléments névrogliques groupés dans les intervalles laissés libres par
les travées d'une charpente conjonctive..... Par éléments névrogliques
nous entendons à la fois des cellules et des fibres, quels que soient d'ail-
leurs des rapports qui existent entre ces cellules et ces fibres. »
Les auteurs venus ensuite semblent avoir donné leur approbation à cette
opinion, Anglade et Ducos écrivent, il est vrai, qu'il y a aussi probable-
ment des éléments cellulaires d'autre nature que névroglique, mais ne
s'expliquent pas en détail sur la nature de ces cellules.
Marburg cite la description de Dimitrova, mais ne dit pas non plus net-
tement s'il pense que la plupart des cellules sont des cellules névrogliques
ou non. Studnicka suit putôt Dimilrova ; Pappenheimer est d'accord avec
Studnicka. Contre ces opinions nous nous opposerons, non seulement à
cause de nos propres examens de glandes pinéales, mais même en nous
reportant aux figures de Dimitrova ; ces figures sont très exactes,mais c'est
leur explication qui nous semble inexacte. Il ne suffit pas en effet de
constater qu'une cellule est en contact avec des fibres névrogliques pour
affirmer qu'elle est une cellule névroglique. Si l'on suit sur une coupe
quelques libres névrogliques on verra qu'après avoir été en contact peu
intime avec le protoplasma des cellules pinéales, elles ont une tendance à
se réunir ; et quelquefois on verra beaucoup de fibres réunies par une cel-
lule ; cette cellule émet en effet un grand nombre de fibres, si grand que
les fibres de relativement peu de ces cellules suffiront pour être en contact
avec toutes les cellules du parenchyme.
De plus, on remarque que : 1° le protoplasma de ces cellules suit un peu
les faisceaux de fibres névrogliques, ce qui ne se voit jamais pour les
cellules pinéales; 2° les noyaux sont différents des noyaux des cellules
pinéales; ils sont plus riches en chromatine et la chromatine est plus
distincte ; 3° on ne voit jamais de boules dans ces cellules.
Ces cellules sont en effet des cellules névrogliques. Sur la figure 7 et
la figure 19 du travail de Dimitrova on voit de ces cellules (a) que Diiiii-
trova a considérées elle aussi comme des cellules névrogliques. Mais elle
n'a pas noté dans son texte qu'il y a une très grande différence entre les
cellules qui émettent des fibres et les autres qui sont en contact avec les
fibres, et du reste indépendantes d'elles. Nous notons donc ceci en suivant
l'opinion de Ileld selon laquelle les fibres névrogliques sont des produits
du protoplasma, mais non pas une substance intercellulaire
Donc faut modifier l'opinion d'après laquelle la glande pinéale serai t
264 li. KRABBE
essentiellement constituée par des éléments névrogliques, et dire que le
parenchyme de la glande pinéale consiste essentiellement en cellules non
névrogliques, entre lesquelles il existe un nombre moindre de cellules
névrogliques, émettant un très grand nombre de fibres qui s'entrecroisent
avec les autres cellules.
Ces cellules névrogliques sont de formes différentes. Ordinairement elles
émettent leurs fibres dans plusieurs directions ; mais on voit assez souvent
des cellules fusi formes à noyaux oblongs qui émettent seulement dans deux
directions des fibres qui se divisent dès leur origine en forme de pin-
ceau.
On trouve encore d'autres cellules dans le parenchyme. Elles sont sans
doute partiellement identiques celles que Dimitrova appelle des cellules
à noyaux foncés. s'agit de cellules dont les noyaux se colorent très inten-
sivement ; seulement par une différenciation plus forte on voit due le noyau
n'est pas homogène, mais qu'il contient plusieurs grosses granulations
indistinctement limitées. Les noyaux ont ordinairement une forme triangu-
laire. Il y a peu de protoplasma qui se colore aussi très intensivement et
émet des prolongations courtes qui ne se colorent pas comme les fibres né-
vrogliques. Nous pensons que ces cellules sont des cellules névrogliques
pylinotiques ; aussi pensons-nous que les cellulles que Dimilrova considère
comme des cellules avec des noyaux clairs à granulations plus grosses sont
identiques aux cellules névrogliques vraies.
LE TISSU conjonctif.
Comme on l'a dit, dans les coupes le parenchyme est divisé en îlots
par des travées de tissu conjonctif. Il a été constaté par plusieurs auteurs
(Bizzozero, Flesch, Dimitrova) qu'il ne s'agissait pas d'une division com-
plète ; on suppose que tous les « îlots » de parenchyme communiquent de
sorte que la construction de la glande chez l'homme adulte n'estpas folli-
culaire.
Par la coloration de V. Gieson comme par celle de Mallory, on voit
que les fibres de ce tissu conjonctif se colorent d'une manière relativement t
faible par comparaison avec les fibres des méninges avoisinantes ; quand
les septa sont épais le tissu se colore moins intensivement au milieu des
septa où il semble un peu myxomateux.
Les variations de grosseur des septa et de distribution du tissu conjonc-
tif produisent différents types de glandes :
1) Les glandes qui paraissent les plus normales montrent sur les cou-
pes des îlots réguliers de parenchyme surplombés par des septa relative-
ment minces.
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SUR LA GLANDE PINÉALE CHEZ L'HOMME 11< 265
... Mil
2) On voit quelquefois des glandes aux septa énormes ; leur épaisseur
est presque la moitié de celle des îlots de parenchyme.
3) On voit des glandes où les limites entre le parenchyme et le tissu
conjonctif sont confondues de telle sorte que la glande donne une impres-
sion un peu chaotique.
4) Il y a des glandes où les septa sont très fortement vascularisés.
Si nous avons décrit ces types c'est seulement pour aider à s'orienter
ceux qui regardent pour la première fois une glande pinéale ; car on peut
être surpris de la différence entre la glande que l'on regarde et celle qu'on
a vue représentée sur une ligure. En effet il y a de toutes les transitions
de l'un à l'autre type et surtout on verra souvent que quelques parties de
la glande affectent un type tandis que quelques autres parties en présen-
tent un autre. Rien de plus difficile que de dire à propos de cet organe,
ce qui est l'état pathologique et ce qui est l'état normal ; car l'augmenta-
tion du tissu conjonctif est sans doute un processus d'involution comme
il en existe tant dans la glande pinéale. Nous avons cherché s'il existait
quelque relation entre la sécrétion des noyaux et l'augmentation du tissu '
conjonctif, mais nous n'en avons trouvé aucune.
Dans les glandes de structure régulière on ne voit pas de fibres con-
jonctives dans le parenchyme ; mais il y a, spécialement là où les septa
sont enfoncés, des cellules pinéales ou des cellules névrogliques isolées
(avec des fibres névrogliques) situées dans les septa, probablement séparées
du parenchyme par la poussée de cioissance de ces septa.
Enfin, on trouve dans les travées de tissu conjonctif d'autres cellules
qui seront mentionnées ci-dessous. Nous ajouterons seulement que nous
avons cherché des fibres élastiques selon la méthode de Weiberl ; mais
nous n'en avons trouvé aucune à l'exception de celles qui sont dans les
vaisseaux. Nous avons cherché aussi des fibres nerveuses il gaine de myéline
selon la méthode de Kulschilzsl : y-Volters, nos résultats ont confirmé ceux
des autres auteurs : il n'existe pas des fibres nerveuses à gaine de myéline
ni dans le parenchyme ni dans le tissu conjonctif; ce n'est qu'à la base
de la glande qu'un petit faisceau nerveux, venant de la commissure pos
térieure, peut s'être égaré.
Cr.i.i.m.rs de déblai.
En avril 1910, Galalescu et Urechia ont décrit quelques cellules qu'ils
ont trouvées autour des vaisseaux de la glande pinéale. Ces cellules sont
rondes ou ovales aux noyaux fortement colorables, situés au milieu d'un
protoplasma -coloré vivement par des couleurs acides comme l'éo-
sine, fuchsine acide de van Gieson, etc. Le protoplasma de ces cellules
est distinctement limité et contient quelquefois de fines granulations;
2G6 KRABBE
quelquefois il est si dense qu'on ne peut pas distinguer le noyau. Les
auteurs pensent que ces cellules se rapprochent morphologiquement de
quelques cellules semblables observées dans la glande parathyroïdienne
et qu'elles ont une fonction de sécrétion interne.
Nous avons examjnédescoupesde 100 glandes (14 à 92 ans) spécialement
à l'égard de ces cellules ; la meilleure coloration dans ce but est la colora-
tion au bleu de toluidine ou éosine-bleu de toluidine ; du reste nous les
avons examinées aussi colorées aux autres couleurs.
Dans 67 glandes nous avons trouvé dans les septa des cellules diffé-
rentes des cellules pinéales, des cellules névrogliques et des cellules de
tissu conjonctif. Nous les divisons en trois groupes.
1) Du premier groupe les caractères sont les suivants : il y a des cel-
lules dont le noyau est petit et contient des granules de chromatine dispo-
sées le long de la membrane de noyau et un protoplasma relativement
abondant, distinctement limité et neutrophile ou faiblement acidophile.
La forme de ces cellules est très variable ; elles sont ordinairement ron-
des ou ovales; quelquefois elles sont angulaires et ont de courts prolonge-
ments aux angles.
Dans la plupart de ces cellules le protoplasma est rempli de petits gra-
nules ronds et de la même largeur dans la même cellule. Ces granules
sont fortement basophiles et par coloration pal' thionine, bleu de toluidine
ou bleu mélhylique polychrome, ils montrent de très différents degrés
de métachromasie : dans quelques cellules tous les granules sont colorés en
rouge, dans quelques autres ils sont colorés en bleu et on trouve toutes
les transitions d'une couleur à l'autre ; quelquefois on voit que les gra-
nules dans une partie de la cellule sont bleus, dans l'autre rouges. Par
coloration avec pyronineou rouge neutre ces granules montrent aussi
de la métachromasie. Par traitement avec l'acide osmique on voit qu'une
minorité des granules est noircie; également par l'hématoxyline de Ilei-
denhain un petit nombre des granules est coloré.
Le protoplasma est rempli des granules à de très différents degrés;
quelques-unes des cellules sont tellementt remplies de granules qu'elles
se montrent comme une masse compacte uniformément violette, où on
reconnaît seulement l'état granuleux dans la périphérie. Dans quelques
autres on voit un plus petit nombre de granules également distribués
dans le protoplasma ; enfin on voit des cellules où le noyau est entouré
de granules pendant que la périphérie du protoplasma est libre.
Dans quelques cas, autour de quelques-unes de ces cellules granuleu-
ses, on voit des granules métachromatiques ou dispersés de ious les côtés
ou situés en une certaine direction comme si ils étaient lancés parle
trou d'une membrane cellulaire ; déjà Ehrlich et Westpbai avaient men-
SUR LA GLANDE PINEALE CHEZ l'hOMME 267
tionné ce trait des « mastcellulen ». Quoique nous ne nions par la possi-
bilité que ce soient des granules en train d'immigrer, ou plutôt d'émigrer,
nous pensons qu'il est plus probable qu'il s'agit d'une émigration pro-
duite artificiellement par la préparation.
Ce qui caractérise ce premier groupe de cellules est la grande régula-
rité et la basophilie, quelquefois la métachromasie des granules. Une
grande partie ressemble beaucoup aux mastcellules : ce qui viendrait
plutôt à l'encontre de cette supposition c'est ce fait qu'on voit beaucoup
de liens de transition entre ces cellules et celles qui sont un peu différentes
de mastcellules ; peut être s'agit-il pour une partie de cellules analogues
aux cellules de déblai à granules métachromaliques qui sont décrites
d'une manière détaillée par Atzheimer ; d'un autre côté, elles diffèrent de
ces cellules par la régularité des granules. Dans nos 67 glandes nous
avons trouvé ces cellules ; quelquefois elles étaient en très grand nom-
bre ; on pourrait voir des glandes où les vaisseaux en étaient entourés
copieusement. Leur abondance est surtout frappante si on la compare à
celle des cellules semblables dans les autres parties du cerveau. Nous
ajouterons que nous avons vu, dans un seul cas, outre ces cellules, quel-
ques cellules semblables avec des granules qui étaient colorés par la
fuchsine acide, tandis que les autres étaient colorés par le vert de lu-
mière ; nous pensons qu'il s'agit des cellules acidophiles d'Ehrlich ; elles
sont beaucoup plus rares que celles qui ont des granules basophiles.
2) Le deuxième groupe diffère du premier par les qualités suivantes :
le noyau est beaucoup plus grand ; le protoplasma est coloré plus faible-
ment ; les granules sont en partie plus grandes, mais d'une largeur va-
riable ; enfin les granules ont un caractère chimique différent. Par co-
loration à thionine ou bleu de toluidine elles sont bleuâtres, mais ja-
mais métachromatiques. Par coloration au bleu de toluidine et éosine
elles sont lilas en beaucoup de nuances; l'acide osmique noircit un nom-
bre plus grand que dans le premier groupe ; une partie est aussi colorée
par la méthode de Heidendain.
Ces cellules sont moins communes que celles du premier groupe ; nous
ne les avons pas trouvées dans toutes les glandes examinées.
3) Le troisième groupe consiste en cellules dont toutes les granulations
sont lipoïdes.En quelques cas on voit dans le protoplasma des granules pe-
tites,rondes et régulières,mais ordinairement les granulations sont grandes
irrégulières et anguleuses; toutes ces granulations sont jaunes dans les
coupes qui ne sont pas colorées ; elles sont verdatres dans les coupes colo-
rées au bleu de toluidine ; par traitement à l'acide osmique ellessontbru-
nes, mais jamais complètement noires ; par le soudan 111 elles prennent
une couleur faiblement rouge.
268 KRABBE
Ces cellules sont aussi communes que celles du premier groupe.
La signification de ces trois groupes de cellules sera discutée dans nos
conclusions,
Calcifications, pigment, graisse, FIBRES musculaires, kystes.
Des concrétions ont été décrites très souvent par les auteurs, nous
pouvons seulement confirmer qu'elles sont très communes et qu'elles sont
produites ordinairement par le parenrhyme,comme nous l'avons vu dans
les coupes en série où elles sont souvent complètement en tourées du paren-
chyme sans être en conlact avec le tissu conjonctif. Cependant dans peu
de cas nous avons observé des calcifications dans les septa ; elles sont alors
plus petites et d'une forme oblongue,
Le pigment est aussi souvent décrit ; on l'a trouvé dans le tissu con-
jonctif et dans le protoplasma des cellules pinéales et dans celles où le
noyau est divisé. Le pigment est lipochrome.
Dans les septa on a Irouvé quelquefois de la graisse, mais jamais en
grande quantité. Elle joue un moindre rôle que les substances lipoïdes.
Nous n'avons jamais vu de libres musculaires dans la glande pinéale.
Nicola et Dimitrova les ont trouvées chez le boeuf. l'appenheimer a décrit
une tumeur de la glande pinéale contenant des fibres musculaires; c'est
pourquoi il pense (se rapportant à leurexistencechez le hoeuf) qu'on pour-
ra en trouver sans doute aussi chez l'homme. Contre cette opinion nous
objectons que, si l'on trouve relativement souvent des tumeurs tératoides
de la glande pinéale, il n'est pas invraisemblable que ce qu'on appelle
rhabdomyome ait pareille origine.
Nous avons trouvé souvent, mais non constamment. les plaques névro-
gliques qui sont décrites spécialement par Marburg. Prohablement elles
jouent un rôle dans la description des différents types de glandes faites
par Anglade et Ducos.
Dans plusieurs des cas examinés, nous avons trouvé de petits kystes,
une fois seulement de la grandeur d'un petit pois, les autres à peine plus
grands que la tête d'une épingle. Ils ont toujours été du type que Marburg
a décrit comme la conséquence d'un ramollissement central des plaques
névrogliques. L'autre type,qui serait le résultat d'une division de l'épen-
dyme n'a été trouvé dans aucun des cas que nous avons examinés ; on le
suppose d'ailleurs très rare.
Conclusions.
Le problème tenu pour nous comme fondamental, pendant nos examens
a été le suivant : Peut- on,par une rechercheanatomique arriver à celle con-
SUR LA GLANDE PINÉALE CHEZ l'hOMME zoo
clusion que la glande pinéale de l'homme adulte et sénile est un organe
complètement dégénéré, ou bien cette glande a-t-elle une certaine fonc-
tion ? Il n'y a pas de doute qu'on trouve chez l'homme adulte des signes
certains d'involution. Les auteurs antérieurs en ont décrit trois : les con-
crétions, la prolifération du tissu conjonctif, les plaques névrogliques
avec leurs kystes. Nous pouvons y ajouter un quatrième : les cellules de
déblai. Quant aux deuxième et troisième groupes, il n'est pas douteux
qu'il s'agit de cellules analogues à celles qui reçoivent des produits de
déblai dans les autres parties du cerveau, le deuxième groupe devant re-
cevoir des substances albuminoïdes et le troisième groupe des substances
lipoïdes.
Quant au premier groupe des cellules, nous les avons trouvées en grand
nombre dans la seule glande où tout le parenchyme avait péri, remplacé
par du tissu névroglique et conjonctif et où il n'existait aucune cellule
pinéale sécrétante ; aussi concluons nous qu'elles n'ont aucune relation
avec la sécrétion interne, comme Galalescu et Urechia l'avaient pensé.
Nous pensons plutôt qu'elles ont aussi une relation avec les processus de
dégénérescence ; comme nous l'avons mentionné, on ne peut certifier
qu'un grand nombre d'entr'elles sont des mastcellules ou une certaine
forme de cellules de déblai. En tout cas il est remarquable que ces cel-
lules se trouvent souvent en nombre beaucoup plus grand que dans toute
autre partie du cerveau.
Donc, les différentes formes de cellules que nous avons trouvées dans
les septa n'ont certainement aucune fonction productive; mais sont plu-
tôt une expression de l'involution de la glande pinéale.
D'un autre côlé, on trouve des indices qui conduisent à supposer que
la glande a une fonction chez l'homme adulte. Ce qui nous a frappé le plus
c'est l'intégrité que la glande conserve dès le commencement de l'âge adulte
jusqu'à l'âge le plus avancé. On dit ordinairement que l'involution com-
mence déjà vers l'àge de 7 ans ; nous regrettons de n'avoir pas eu de ma-
tériaux de l'àge de 7 à 14 ans.Mais il est remarquable qu'on ne trouve pas,
sauf la sclérose des vaisseaux, de changements relativement plus grands à
l'âge de 92 ans qu'à l'âge de U4 ans. Déjà chez les jeunes gens on trouve
des signes de processus de dégénérescence ; par contre même chez les sé-
niles on trouve des processus qui sont des indices d'une fonction. Si bien
que la glande pinéale a une fonction. Dans un seul cas nous avons trouvé
une dégénére-cence totale de l'organe ; nous regrettons beaucoup que
nous ayons reçu dans ce cas deux glandes confondues ; celte glande fut,
ou celle d'une femme de 41 ans, morte pendant une mélancolie agitée ou
celle d'une femme petite, très grasse, de 51 ans, morte d'une pneumonie ; i
cette dernière femme avait eu une démence après une méningite.
270 KRABBE
Du reste, nous avons examiné, s'il existait une relation entre l'état delà a
glande et la maladie qu'avaient eue les sujets ; sauf que nous avons trouvé
beaucoup de cellules plasmatiques dans les glandes de paralytiques géné-
raux nous n'avons pu établir aucune relation.Nous avons trouvé aussi chez
des malades qui n'ont eu aucune maladie cérébrale les mêmes processus
que chez les sujets atteints de différentes maladies mentales.
Si l'on s'attend à trouver une fonction, il faut la chercher dans le
parenchyme, et là dans les cellules pinéales. Déjà ce fait qu'il y a une
différence marquée entre les cellules pinéales et les cellules névrogliques
fait soupçonner une fonction des premières différente de celle des cellules
névrogliques; mais il n'y a rien dans la structure qui soit l'indice d'une
fonction nerveuse de la glande pinéale. .
Au contraire, il y a un fait dans la structure microscopique de la glande
pinéale qui fait soupçonner une fonction sécrétoire ; c'est la formation des
boules granuleuses dans le noyau des cellules pinéales et l'évacuation des
granules dans le protoplasma. Il est vrai qu'on pourrait penser que
ce processus est aussi l'expression d'une dégénérescence de la glande.
Mais ce qui plaide contre cette opinion, ce sont les faits suivants : 1° le
noyau régénère après avoir évacué sa boule; 2° on trouve dans d'autres
glandes de l'organisme (épididyme, pancréas de -la salamandre) des pro-
cessus semblables d'évacuation des produits de sécrétion du noyau dans
le protoplasma ; 3° le processus se continue pendant toute la vie adulte
sans que les cellules pinéales disparaissent. Si le processus d'évacuation
des boules des noyaux était l'expression d'un anéantissement de la glan-
de, il serait surprenant que la glande, après 70 ans d'anéantissement,
conservât presque le même aspect que chez un sujet de 14 ans.
Nous ne pensons pas qu'on pourra résoudre ce dernier problème sur
la sécrétion par un simple examen microscopique. On a essayé il est vrai
d'arriver à une solution par d'autres méthodes.
D'abord, on a tiré des conclusions d'après les tumeurs. Marburg pense
qu'on pourrait supposer une hyperpinéatisme et une apinéalisme, selon
que les tumeurs elles-mêmes produisent les mêmes produits que la glande
pinéale, ou selon que la glande est détruite par la tumeur.
Von Frankl-Huchwart donne une explication plus détaillée des symp-
tômes ; ce sont surtout les rapports avec la graisse et à l'évolution des
glandes génitales qui plaideraient en faveur d'une sécrétion interne de
l'organe. Cependant, il nous semble qu'on peut admettre la possibilité
d'une aclion des tumeurs sur les centres nerveux, peut-être trophiques,
situés près de la glande pinéale; et les conclusions qu'on peut tirer des
tumeurs nous semblent trop hasardeuses.
Les méthodes qui donneront selon nous les plus grandes chances d'abou-
SUR LA GLANDE PINÉALE CHEZ L'HOMME 271
tira une solution, sont celles de la pathologie expérimentale, et surtout
de l'extirpation de la glande et l'injection avec de l'extrait des glandes (1).
La première de ces méthodes a été essayée parExner et Boese sur de jeu-
nes lapins avec un résultat négatif; mais il nous semble qu'on doit con-
tinuer ces recherches avec quelques autres animaux et surtout aussi avec
des animaux adultes.
Une autre méthode qui doit être essayée est celle des injections de pilo-
carpine, atropine etc. sur les animaux. Nous avons fait une injection de
pilocarpine sur un lapin et ensuite examiné la glande ; mais comme on ne
trouve pas chez le lapin les houles des noyaux et que nous n'avons vu
qu'une granulation 'du protoplasma, nous ne pouvons tirer aucune conclu-
sion de cette expérience (2).
Résumé.
1° Le parenchyme de la glande pinéale ne consiste pas essentiellement
en cellules névrogliques, mais en une sorte de cellules spéciales,/^ celln-
les pinéales, dans lesquelles il se fait un processus qui semble sécrétoire.
Entre les cellules pinéales on voit un nombre beaucoupplus petit de cellules
névrotiques.
2° Le processus sécrétoire se fait de la manière suivante : il se forme
dans les noyaux des boules à granulations faiblement basophiles; ces granu-
lations sont évacuées dans le protoplasma où elles se distribuent ; elles
passent ensuite probablement dans les espaces intercellulaires. Ce processus
secrétaire est un phénomène constant pendant tout )'age adulte jusqu'à
l'ââe le plus'avancé.
3° Dans le tissu conjonctif de la glande pinéale on trouve toujours dif-
férentes formes de cellules dont une partie ressemble à celles qui reçoivent
des produits de déblai dans le cerveau. Un autre groupe, qui, pour une
grande partie, ressemble aux mastcellules, se trouve en nombre beaucoup
plus grand qu'on ne trouve d'ailleurs les mastcellules dans le cerveau.
(1) Ceci a été essayé par V. Cyon. Nous regrettons que la littérature sur cette matière
n'ait pas été à notre disposition.
(2) Nous tenons a remercier profondément : d'abord M. le professeur Pierre Marie,
qui nous a incité à faire ce travail, nous a donné des matériaux et nous a aidé pen-
dant notre séjour à Paris ; M. le professeur Roussy et M. le docteur Ameuille, qui nous
ont aidé pendant notre travail dans le laboratoire de -NI. le professeur Pierre Marie ; i
M. le professeur Rohmell qui nous a permis de travailler dans sou laboratoire ; M. le
docteur Mailing qui nous a donné des matériaux ; et « last notleast » M. le docteur Ber-
telsen qui nous a rendu de multiples services pendant notre travail à St-Hans Hos-
pital.
272 KRABBE
bibliographie.
Dimithova (Z.).- Recherches sur la structure de la glande pinéale chez quelques mam-
mifèl'es, Thèse. Le Névraxe, t. II, 1901.
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LÉGENDE DE LA PLANCHE XL
FIG. 1. Cellules dans le parenchyme, coloration par la
méthode de Unna-Pappenheim.
a. Cellules pinéales au repos. - b. Cellules pinéales avec des boules dans les noyaux.
c. Cellule pinéale dont la boule s'évacue du noyau. d. Cellules pinéales en
régéuérescence. - e. Cellule névroglique. - f. Cellule névroglique en pycnose.
Fio. 2. Partie d'un septum élargi, coloration par bleu de toluidine.
a. Vaisseaux. b. Noyaux de tissu conjonctif. c. Parenchyme. d. Cellules du
groupe de Mastcellules. e. Cellule du 2e groupe. f. Cellule du 3' groupe à
granulations régulières. - g. Cellule du 3° groupe à granulations iriégulieres.
(Travail du Laboratoire de M. le professeur Pierre Marie)
RECHERCHES CYTOPATHOLOGIQUES
SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS
DANS DEUX CAS DE PARALYSIE SPINALE
INFANTILE DE DATE ANCIENNE
P 41t
Victor JONNESCO.
Ayant eu l'occasion de faire dans le service de M. le Professeur Pierre
Marie, il Bicêtre, la nécropsie de deux sujets atteints de paralysie spi-
nale infantile de date ancienne, l'un à typemonopiégique, l'autre à type
paraplégique, nous avons pris les ganglions rachidiens de toutes les ré-
gions (cervicale, dorsale et lombo-sacrée) et par la lecture des coupes his-
tologiques il nous été donné de constater la présence des lésions dans les
ganglions rachidiens correspondant aux membres malades. Ainsi, dans le
premier cas de paralysie spinale à type monopiégique, seuls les ganglions
de la région cervicale du côté correspondant au membre atrophié sont lé-
sés. Dans le deuxième cas de paralysie spinale à type paraplégique les
ganglions de la région lombo-sacrée sont les seuls altérés.
Dans ce travail, nous nous proposons de décrire les lésions microsco-
piques trouvées dans ces ganglions. Nous étudierons successivement :
1° les lésions cellulaires (altérations de l'appareil nucléolaire, du noyau,
du cytoplasme et de la subtance chomatophile); 2° les lésions péri-cellulai-
res (altération des vaisseaux de la capsule fibreuse du ganglion et des
capsules endothéliales).
Avant d'entrer dans le sujet de cette étude, nous sommes heureux d'a-
voir l'occasion de remercier notre cher Maître M. le Professeur Pierre
Marie qui nous dirige et nous donne toute la latitude de travailler dans
son laboratoire et M. le Docteur Gabriel Delamare à qui nous devons une
grande partie de notre éducation histologique.
LÉSIONS CELLULAIRES
Les altérations rencontrées dans les cellules nerveuses des ganglions
rachidiens de la région malade portent sur l'appareil nucléolaire, les
noyaux, le cytoplasma et les corps chromalophiles de Nissl.
xiiv " 18 s
271 .10',%NESCO
Altérations de l'appareil nucléolaire.
Il nous paraît indispensable pour la compréhension des lésions fines qui vont
être passées en revue, de consacrer quelques lignes de ce mémoire à la descrip-
tion de l'appareil nucléolaire normal.
Aperçus cylologiques. Dans la constitution du noyau des cellules uervpu-
ses ganglionnaires entre : 1 la membrane nucléaire qui les délimite et les sé-
pare du cytoplasma ; 2° le cargoplasma ou contenu nucléaire constitué de deux
parties : a) une partie figurée c'est-à-dire le réseau de linine, le nucléole et un
grand nombre de granulations qui ont reçu le nom de granulations acidophiles.
basophiles etc... suivant leur affinité pour les différentes substances coloran-
tes ; et b) une partie non figurée constituant le suc nucléaire.
Le nucléole est un organe constant des cellules nerveuses ganglionnaires.
D'habitude, chaque noyan n'a qu'un seul nucléole, mais on peut voir des noyaux
à deux nucléoles de taille à peu près identique. Dans les cellules normales où
on ne peut déceler aucune trace de lésion du cytoplasma ou du noyau, le nu-
cléole est de règle situé presque au centre du noyau. Par les méthodes ordi-
naires de coloration (hématoxyline-éosine, Méthode de Nissl), le nucléole appa-
raît comme un corpuscule sphérique, homogène, intensivement coloré et sans
aucune trace de structure. Mais ce corpuscule est beaucoup plus complexe que
ne le laissent soupçonner les méthodes ordinaires de coloration, car, en usant
des techniques appropriées, on voit qu'il est constitué de deux substances à
affinités tinctoriales différentes et qu'il possède une structure. Grâce aux re-
cherches de : G. Levi (1), on sait que le nucléole est constitué de deux parties :
l'une, centrale, acidophile ou oxyphile, l'autre, périphérique, basophile (hasi-
chromatine de Levi). La différenciation de ces deux parties constituantes s'ob-
tient surtout sur les pièces fixées dans le sublimé ou le liquide de Hermann et
colorées suivant les indications de Lévi par le liquide de Biondi dilué. Enfin,
les pièces, traitées par la méthode de Cajal à l'argent réduit, nous montrent
que le nucléole est constitué par de nombreuses sphérules entassées les unes
contre les autres et unies entre elles par une sorte déciment Marinesco (2), par
la même méthode et par les méthodes de Marchi, Busch, Nissl, constate entre
les sphérules du nucléole et à la périphérie de celui-ci, la présence de vacuo-
les dont le nombre et la situation sont variables d'une cellule à l'autre ; ces
vacuoles sont très fréquentes dans les nucléoles des cellules nerveuses gan-
glionnaires et apparaissent très nettement sur les coupes traitées par le mélange
triacide d'Ehrlich ou le mélange dilué de Giemsa. Dans les mêmes cellules et
sur les pièces fixées au liquide de Dominici et colorées par la triple coloration
de Mallory, on peut voir deux petits corpuscules de forme sphérique très rap-
prochés l'un de l'autre et situés à la périphérie du nucléole en un point où la
basichromatine fait défaut ; d'autres fois, ces corpuscules au lieu d'être rap-
(1) GIUSEP1E Lévi, Considerazioni sulla slrullura del nucleo della c. nervosa. Rivisla
de pathologie nerv. e. ment., 1898.
(2) G. Marinesco, Journal sur psychologie und neurologie. Leiptig, 190;i, La
cellule nerveuse, t. 1, 1909. -
IiL ? CLIELI(;IIES CYTUL'd'l'tIULUGIyCES SUR LLS GANGLIONS RACHIDIENS 275 5
proches l'un de l'antre ont une situation diamétralement opposée comme les
corpuscules polaires. Cette situation s'observe surtout sur les nucléoles émi-
grés hors du noyau dans le cytoplasma. Au point de vue des réactions tinc-
toriales, ils se colorent en rouge par le Mallory et le triacide d'Elii-lieli, en bleu
par le mélange de Giemsa et par la thionine ; ils sont donc amphophiles. Mari-
nesco z) a décrit dans les cellules du locus nigel' et du locus coeouleus des
petits corpuscules auxquels il a donné le nom de corpuscules acidophiles
para-nucléolaires; ces corpuscules diffèrent des formations précédemment
décrites pour les raisons suivantes : Il leur nombre n'est pas variable comme
dans le cas des corpuscules paranucléolaires, car ils sont toujours au nombre
de deux et seulement de deux ; 2° avec l'objectif le plus puissant (immersion
apocliromaliqne de Zeiss) on ne peut pas déceler la présence de vacuoles ou,
comme le dit Marinesco, « ... l'apparence d'un autre corpuscule beaucoup plus
petit, coloré d'une façon plus intense » car il s'agit de toutes petites granules
homogènes; 3° ils sont toujours situés au voisinage du nucléole et paraissent
même faire partie de l'appareil nucléolaire car, presque toujours, lorsque le
nucléole émigré, ils suit ce dernier comme nous allons le voir un peu plus
loin ; 4° ils sont toujours de très petite taille, et beaucoup plus petits que les
granulations fuchsinophiles du noyau tandis que, au sujet des corpuscules
paranucléolaires, le même auteur dit : « ... Ils dépassent rarement le volume
du nucléole » ; 5° Au point de vue des réactions colorantes, ils sont ampho-
philes et pas acidophiles. Tous ces arguments me conduisent à penser que ces
petits corpuscules polaires amplioplnles, satellites du nucléole sont des forma-
tions qui n'ont aucune analogie avec les corpuscules acidophiles paranucléaires
de Marinesco et je serais plutôt porté à croire qu'il s'agit d'éléments spéciaux
qui font partie intégrante de l'appareil nucléolaire.
Au point de vue de ces affinités tinctoriales, le nucléole est amphophile
puisqu'il se colore aussi bien par les couleurs acides que par les couleurs basi-
ques, quoiqu'il ait cependant une plus grande prédilection pour les premières ;
Cette opinion a été soutenue depuis longtemps par Marinesco et confirmée par
un grand nombre d'auteurs.
En résumé, l'appareil nucléolaire est conslittté : 1° par une substance
acidophile ou oxyphile, à structure granuleuse ; 2° par une substance baso-
phile (basicltromaline de Zeu)') ; 3° par deux petits corpuscules polaires am-
phophiles.
Hypertrophie et bourgeonnement du nucléole. Dans un grand nom-
bre de cellules nerveuses ganglionaires, tant dans les grandes cellules
que dans les petites, le nucléole est considérablement hypertrophié. En
général, à cette hypertrophie nucléolaire correspond l'hypertrophie du
noyau, mais on peut voir dans quelques cellules que ce rapport n'est pas
conservé, c'est-à-dire qu'il y a des noyaux à dimensions normales ou
(1) Mamnesco, La cellule nerveuse, p. 191.
276 JONNESCO
même atrophiés qui contiennent dans leur intérieur un nucléole hyper-
trophié : ce désaccord entre le volume du noyau et celui du nucléole se
présente surtout dans les petites cellules ganglionnaires, A cette hyper-
trophie correspond l'hyperplasie des sphérules nucléolaires et il en résulte
que le nucléole n'a plus son contour nettement circulaire, mais devient
irrégulier, bosselé. Quelquefois aussi il s'allonge ou garde son contour
régulier sur trois quarts ou la moitié de sa circonférence et, dans le reste,
présentedes bosselures ou plutôt des bourgeons plus ou moins proéminents.
Sur les pièces fixées au sublimé (liquides de Dominici ou de Gilson)
et colorées parla triple coloration de Mallory, le nucléole des cellules
ganglionnaires normales apparaît constitué de deux substances : l'une
centrale, oxyphile, l'autre, périphérique, basophile : la substance oxy-
pbile, colorée en rouge, est absolument homogène et ne laisse aper-
cevoir aucune sphérule nucléolaire. Par la même fixation et la même
coloration appliquées à des cellules ganglionnaires à nucléoles hypertro-
phiés, la structure granuleuse de la substance oxyphile apparaît très
nettement et on peut voir qu'elle est constituée d'un grand nombre de
sphérules hyperplasiées, de tailles inégales et proéminant vers la péri-
phérie du nucléole auquel elles donnent l'aspect d'une morula. Sur
d'autres nucléoles, ce processus d'hyperplasie et de prolifération exté-
rieure des sphérules, au lieu d'être généralisé, est cantonné à une seule
partie et alors, le nucléole, au lieu d'avoir l'aspect d'une morula, présente
du côté du processus prolifératif une sorte de coin plus ou moins accen-
tué, à contours bosselés, dans le reste, les sphérules ont leur volume
normal et comme elles ne proéminent pas à la périphérie, le nucléole
garde en cet endroit sa forme circulaire. De la périphérie du nucléole
hypertrophié se détache un grand nombre de sphérules qui devenant
libres s'éparpillent dans le caryoplasma et, très souvent, ce phénomène
de bourgeonnement est si actif que le noyau nous apparaît bourré d'un
grand nombre de sphérules fuchsinophiles, situées dans les mailles du
réseau de linine.
Du côté de la basichromatine, on ne peut constater aucune modification
et il semble qu'elle ne joue aucun rôle dans le processus de bourgeonne-
ment nucléolaire, mais comme sur bon nombre de coupes colorées au
liquide de Biondi dilué, au triacide d'L : hrlich ou au Mallory, il nous a
été impossible de constater sa présence autour du nucléole en état de
bourgeonnement très actif, nous sommes tenté de croire que quand ce
processus atteint son maximum et que le nucléole reste dans l'intérieur
du noyau, la basichromatine passe dans le cytoplasma ou bien disparaît.
Le bourgeonnement nucléolaire s'observe surtout dans les grandes
cellules ganglionnaires, entourées d'un grand nombre de capillaires dis-
nECHEUCtIUS CYTOPATHOLOGIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIOIENS 277
tendus et gorgés de sang, et dont les corps de Nissl sont en état de désin-
tégration granuleuse et d'acUromalose partielle, dont les noyaux sont
hypertrophiés. Dans les petites cellules ganglionnaires, on peut voir des
phénomènes de bourgeonnement mais, d'habitude, la réaction nucléolaire
se limite à la simple hypertrophie.
Un autre fait qu'on peut constater très souvent, c'est la situation
périphérique du nucléole. Les nucléoles de volume normal, hyper-
trophiés ou à l'état de bourgeonnement, quittent leur situation normale
qui est au centre du noyau et viennent loger à la périphérie contre la
membrane nucléaire ; quelquefois cette tendance à s'extérioriser de-
vient si grande qu'elle refoule la membrane nucléaire dans le cyto-
plasma environnant. Ce déplacement n'est dû à aucune cause mécanique ;
comme nous le verrons plus loin au sujet de l'émigration du nucléole,
il est en rapport avec un Irouble intense de l'équilibre nutritif de ces
cellules ganglionnaires. Dans les cellules normales, le nucléole est tou-
jours situé vers le centre du noyau et, jamais on ne peut le trouver à la
périphérie de celui-ci ; cette même position, on peut la retrouver dans
les cellules normales des ganglions sympathiques, des cornes antérieures
de la moelle dans les grandes, moyennes et petites cellules pyramidales
de l'écorce cérébrale. Marinesco n'admet pas une position fixe du nucléole
dans le noyau des cellules normales, mais lui aussi constate que : «... on
ne le rencontre jamais à la périphérie du noyau ». Mais si dans les cellules
normales la position périphérique fait toujours défaut, dans les cellules
altérées celle position est à peu près de règle. En effet, dans les deux cas
de poliomyélite antérieure chronique, j'ai pu constater que, dans les cel-
lules ganglionnaires rétractées ou comprimées par la prolifération des
cellules endothéliales de la capsule et présentant une altération profonde
de la substance cllromatoplliledelVissl (désintégration granuleuse, achro-
matose) ou l'état vacuolaire du cytoplasma, le nucléole est situé à la péri-
phérie du noyau, contre la membrane nucléaire ; d'habitude, il la repousse
en dehors ou bien quitte complètement le noyau en passant dans le cyto-
plasma cellulaire. Dans quelques grandes cellules ganglionnaires, on voit
la moitié des corps de Nissl en état de désintégration gi-antileuseej l'autre
en achromatose complète ; au centre de la cellule, le noyau hypel trophié est
tout à la périphérie, le nucléole considérablement hypertrophié et poussant
la membrane nucléaire du côté de la substance chromatophiie en état de
désintégration granuleuse. Dans d'autres cellules de la même catégorie,
mais dont les corps de Nissl sont sur toute la surface cellulaire en état de
désintégration granuleuse, le nucléole conserve sa position centrale, mais
il présente des phénomènes intenses de bourgeonnement ; le noyau est
hypertrophié et contient un grand nombre de sphérules fuchsinophiles,
278 JONNESCO
D'après lout ce que je viens de dire,je serais tenté de croire qu'il existe
un rapport très étroit entre l'élût des corps de Nissl el la situation
périphérique du nucléole. En effet, dans les cellules à substance
clarontatoplaile normale el également réparties dans le corps cellu-
laire, le nucléole se trouve toujours situé au centre du noyau ; dans
les cellules à substance chromatophile altérée à l'état de désintégra-
tion partielle ou d'achromatose partielle, le nucléole se trouve en
règle générale, contre la membrane nucléaire et très souvent du
côté de la substance chromatophile la moins altérée. Mais je ferai
remarquer que quand la désintégration gianuleuse ou /'se/M'oH ! ae
au lieu d'être partielles sont généralisées dans tout le corps cellu-
laÍ1'e, le nucléole n'est pas déplacé el le plus souvent on le trouve à
l'état de bourgeonnement manifeste.
Et si maintenant on cherche à donner une explication à tous ces faits
on pourrait admettre qu'en dernière analyse tout se réduit à un trouble
de l'équilibre nutritif de la cellule nerveuse ganglionnaire, survenant à la
suite des altérations de la substance chromatophile. Dans les cellules à
corps de Nissl non altérés et par conséquent dans lesquelles les échanges
nutritifs s'effectuent normalemenl, on trouve le nucléole au centre du
noyau : de même si des facteurs nocifs interviennent en agissant sur
loute la substance chromalophile de la cellule, le nucléole n'est pas sus-
ceptible de se déplacer ; le plus souvent, en ce cas il réagit par un bour-
geonnement intense. Mais, si l'altération de cette substance est partielle,
désintégration granuleuse, partielle, achromatose, partie;le,-le nucléole
a toujours une situation périphérique et, le plus souvent, il se déplace
vers la partie qui contient la substance chromatophile la moins altérée.
Dans les deux premiers cas, la situation centrale du nucléole pourrait
être expliquée en admettant que les échanges nutritifs normaux (corres-
pondant morphologiquement l'état normal de la substance chromato--
phile)et les échanges nutritifs pervertis (correspondant morphologiquement
à la désintégration granuleuse, généralisée) se font bien entendu d'une
manière différente mais avec la même intensité dans tout le corps cellu-
laire ; il en résulte que les forces attractives étant les mêmes sur toute la
périphérie du nucléole celui-ci doit garder sa situation normale.
Dans le troisième cas, les échanges nutritifs sont complètement abolis
dans une partie de la cellule (achromatose partielle), normaux ou dimi-
nués dans l'autre (substance de Nissl normale ou en état de désintégra-
tion granuleuse) ; il en résulte l'inégalité d'intensité dans ces échanges et
l'inégalité des forces attractives exercées sur le nucléole et, par suite, le
déplacement de celui-ci vers la partie la moins lésée de la substance
chromatophiie.
RECHERCHES CYTOPATHOLOGIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 279
Cette position périphérique du nucléole n'est pas, bien entendu, un phé-
nomène propre aux cellules des ganglions rachidiens car on peut l'observer
aussi dans d'autres cellules de l'axe cérébro-spinal. Dans son remarquable
travail sur la Malaria pernicieuse, Ugo Cerlelli (1) note dans ces grandes
cellules pyramidales de l'écorce cérébrale dont les corps de Nissl ont com-
plètement disparu ou persistent encore seulement à la périphérie du cyto-
plasma que lenuléole est, le plus souvent, excentrique ou rejeté à la périphé-
rie du noyau; de même dans les petites et moyennes cellules pyramidales,
dont les corps de Nissl ont complètement disparu et dont le cytoplasma pré-
sente des sortes d'anneaux plus ou moins réguliers, avec noyaux défor-
més et diminués de volume, le nucléole est très souvent déplacé à la
périphérie du noyau. Au sujet de ce déplacement nucléolaire, l'auteur
dit que dans beaucoup de cas, il a observé un déplacement du nucléole
accompagné de ses corpuscules polaires vers la périphérie du noyau.
Quelquefois il trouve le nucléole engagé dans un prolongement de la
membrane nucléaire comme s'il était repoussé par la force centrifuge du
noyau. Cerlelli a pu constater ce môme phénomène dans la névroglie.
Comme on le voit, dans les cellules pyramidales de l'écorce cérébrale
de même que dans les cellules des ganglions rachidiens on peut constater
les mêmes phénomènes nucléolaires, c'est à-dire : déplacement périphé-
rique en rapport avec les lésions de la substance chromatophile. Mais il
faut remarquer que l'analogie n'est pas complète, car tandis que, dans
les cellules de l'écorce cérébrale il y a déplacement nucléolaire, dans
les cellules qui présentent une lésion généralisée de la substance chroma-
tophile, dans les cellules des ganglions rachidiens, ce déplacement a lieu
comme nous l'avons vu, le plus souvent dans les cellules dont la
substance chromatophile est partiellement altérée ou altérée à des degrés
différents (désintégration granuleuse, achromatose).
En laissant de côté loute interprétation et toute hypothèse eten nous li-
mitant strictement aux faits d'observation, nous croyons pouvoir affirmer
que :
1° Dans les cellules ganglionnaires normales, le nucléole se trouve situé
au centre du noyau.
2° Dans les cellules qui présentent une altération généralisée de la
substance chromatophile, le nucléole garde sa position normale.
3° Dans les cellules qui présentent une altération partielle de celte SIlVS-
tance, le nucléole se déplace t'ers la périphérie du noyau, et le plus souvent
(I) Von UGo CEnLETTI : Die histopathologischen Verânderhungen der Ilirnrinde bei
Malaria perniciosa. - Abdruck aus hislologische und hislopathologische Arbeiten,
IV and, 1 neft. 1910.
280 JONNESCO
ce déplacement a lieu vers la partie la moins lésée de la substance chl'o-
matophile.
Emigration de 1'(ipp(it,eil ii ? tcléolaire. - Le passage du nucléole dans
le protoplasme cellulaire paraît être une des questions les plus délicates
et les plus controversées de la cytologie. 1
Cette migration a été observée par un grand nombre d'auteurs dans
différentes parties de l'organisme ; mais la valeur qu'ils attribuent à ce
phénomène est très différente. La grande majorité des auteurs réduit ce
phénomène à un simple entraînement mécanique du nucléole, dû au
rasoir du microtome ; quelques-uns seulement considèrent cette émigration
comme un phénomène physiologique, fonction de la vie cellulaire ; d'au-
tres enfin admettent qu'une partie seulement de l'appareil nucléolaire esl
susceptible de se déplacer. Ceux qui ne voient dans cette émigration qu'un
fait mécanique, un artifice, sont trop exclusivistes ; ceux qui y voient un
fait biologique, une émigration active, sont de plus souvent forcés de
recourir à des hypothèses car ils n'ont pu suivre toutes les phases du
phénomène. Ceux qui admettent une émigration active mais partielle,
migration de la partie chromatique, basophile de l'appareil nucléolaire-
ont étudié ce phénomène chez les oiseaux, animaux chez lesquels on
trouve, à côté d'un nucléole acidophile, un nucléole basophile. Celle
émigration partielle est facile à expliquer car il s'agit de deux forma-
tions différentes par leur réaction colorante et peut-être par leurs pro-
pl iétés physico-chimiques.. Mais, à ces derniers auteurs, comme aux
précédents, on peut faire la même objection : manque de faits morpholo-
giques ; et même R. Collin (1) qui soutient l'origine nucléaire de la subs-
tance chromatophile de Nissl, dit à ce sujet « ...quoique, nous penchions
de préférence vers l'hypothèse d'une issue normale du nucléole chroma-
tique dans certains cas, nous sommes impuissants, à l'heure actuelle, à
faire la preuve péremptoire de ce phénomène et nous devons attendre
des observations plus concluantes pour transformer l'hypothèse en certi-
tude ».
En nous appuyant seulement sur des faits d'observations et sans le
concours d'aucune hypothèse, nous croyons pouvoir démontrer que dans
les ganglions rachidiens, il y a deux sortes d'émigrations nucléolaires :
4° Emigration passive,
2° Emigration active (2).
(1) R. Coc.i.m, Développement de la cellule nerveuse. Le névraxe, Vol. VIII. 1906.
(2) Sous le nom nd'éniigralion active du nucléole j'entends un phénomène biologi-
que en rapport avec la vie cellulaire, tindis que sous le nom « d'émigration passive du
nucléole »j'entends un simple entraînement mécanique sans aucun rapport avec la vie
cellulaire.
RECHERCHES CYTOPATHOLOGIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 281
Le premier phénomène est facile à démontrer, car il esl dû à un trau-
matisme brutal s'apercevant du premier coup. Le deuxième est plus dif-
ficile, car, pourpouvoir affirmer l'émigration active du nucléole, il faut :
a) saisir toutes les phases successives de cette émigration, c'est-à-dire
suivre, étape par étape, le chemin parcouru par le nucléole du noyau
jusqu'au cytoplasma ; b) exclure la possibilité d'une intervention mécani-
que. Celte manière de faire met, croyons-nous, à l'abri de toute erreur
d'interprétation et permet d'affirmer que le phénomène enregistré a bien
toute la valeur d'un phénomène biologique.
Nous allons étudier : 1° l'émigration passive du nucléole (mécanique,
artificielle) ; 2° l'émigration active (considérée comme un phénomène cel-
lulaire) ; 3° La destinée du nucléole ainsi émigré et 4° l'état des cellules
dans lesquelles a lieu ce phénomène.
L'émigration passive du nucléole est un phénomène très fréquent dans
toutes les cellules des ganglions rachidiens. Il est à peu près impossible
d'examiner une coupe, et surtout une coupe fine, de ganglions rachidiens
sans pouvoir constater dans grand nombre de cellules une telle émigration
du nucléole. Cette fréquence est due au fait que le nucléole, ayant une
consistance plus grande que le reste des éléments cellulaires, est pins sus-
ceptibledesubir, au cours des différentes manipulations, l'influence d'une
action mécanique qui tend à le déplacer. A ce sujet, R. Collin (1) a lrès
judicieusement écrit les lignes suivantes : « Quand 'une particule solide
est entraînée par le rasoir à la surface d'une coupe, son déplacement
amène dans les tissus certains désordres facilement reconnaissables tels
que : creusement d'un sillon, dont la largeur est égal à la particule migra-
trice... Dans le cas du nucléole, il semble que son issue mécanique doive
amener une rupture de la membrane nucléaire : on peut imaginer le pas-
sage d'une particule dense en travers d'une membrane moins dense sans
qu'il en résulte une solution de continuité. Enfin, nous admettons aussi
par hypothèse que l'entraînement mécanique du nucléole, quand il existe,
doit toujours se faire dans une même direction perpendiculaire au tran-
chant du rasoir. Telles sont les conditions qui nous paraissent nécessai-
res pour faire accepter l'issue mécanique du nucléole. « Et; en effet,
nous pouvons affirmer que « telles sont les conditions ».... « nécessai-
res » de l'émigration passive du nucléole car la manière de voir de
R. Collin est en parfait accord avec ce que nous avons constaté sur toutes
nos coupes de ganglions rachidiens. Tout prouve que cette émigration pas-
sive du nucléole n'est due qu'aux tranchées du rasoir qui, en se heurtant
aux particules les plus consistantes de la surface de la coupe, c'est-à-dire
au nucléole, les entraîne hors du noyau et même hors du cytoplasma.
(t) COU.¡ : -¡, lor. ctc.
282 JONNESCO
Passons maintenant aux faits morphologiques en relation avec cet en-
traînement mécanique du nucléole, c'est-il-dire donnons la description
exacte du phénomène tel qu'il se présente .sous le microscope. En exami-
nant une coupe de ganglion rachidien, l'attention est attirée tout de suite
par certaines cellules qui, au lieu d'avoir leurs nucléoles au centre des
noyaux, le possèdent dans leur cytoplasma, à quelque distance du noyau.
A première vue, on serait tenté de croire qu'il s'agit d'une expulsion nu-
cléolaire, physiologique, mais par un examen un peu plus attentif, cette
hypothèse est vite rejetée car on constate deux choses qui font.penser à
l'entraînement mécanique : 1° la rupture de la membrane nucléaire et la
présence d'un sillon ; 2° l'absence des modifications morphologiques spé-
ciales en rapport avec l'émigration active du nucléole. Le sillon en ques-
tion qui pourrait s'appeler sillon d'émigration, commence au centre du
noyau, passe par la solution de continuité de la membrane nucléaire et
s'étend jusqu'à l'endroit où se trouve le nucléole. La longueur de ce sillon
varie avec la situation du nucléole déplacé. Plus celui-ci sera entraîné à
une grande dislance du noyau, plus le sillon sera long et vice versa.
Mais dans les cellules normales, ce qui est constant c'est son point de départ
qui est toujours au centre du noyau. Ce point de départ central prouve
que le nucléole était bien situé au centre de la cellule- comme cela exista
dans toutes les cellules normales et qu'il n'avait aucune tendance à
s'extérioriser. La direction du sillon d'émigration est perpendiculaire au
tranchant du rasoir et, pour se rendre compte de ce fait, on n'a qu'à noter
soigneusement l'orientation de la pièce sur le microlome et de coller la
coupe sur lames en ayant soin de l'orienter dans la même position que
sur le microtome. Dans l'intérieur du noyau, le sillon apparaît limité par
les filaments du réseau de linine qui ont été déchirés sur tout son pour-
tour ; dans le cytoplasma et sur les pièces colorées par la méthode de
Nissl, le sillon apparaît délimité par les corpuscules chromatophiles de la
périphérie du noyau jusqu'au nucléole où il se termine. Enfin, sur tout
son parcours, il présente une largeur identique à celle du nucléole. Du
côté du noyau, on observe un orifice dû à la rupture de la membrane
nucléaire, rupture manifestement consécutive au passage du nucléole;
cet orifice a la même dimension que le sillon qui passe à cet endroit et,
par conséquent, la même dimension que le nucléole émigré. L'orifice reste
toujours béant. Le reste du noyau ne présente rien d'anormal ; il a ses
dimensions habituelles, une forme ovalaire; les filaments du réseau de
linine convergent vers le centre et ne présentent que la solution de con-
tinuité, dont nous avonsparlé, à propos du sillon d'émigration. Détail
important, la membrane nucléaire garde son épaisseur normale surtout t
le pourtour du noyau.
RECHERCHES CYTOPATHOLOGIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 283
La solution de continuité de la membrane nucléaire et la présence du
sillon d'émigration peuvent être considérées comme les équivalents mor-
phologiques de l'action mécanique exercée par le tranchant du rasoir sur
le nucléole. 1
Enfin, on peut constater que le nucléole déplacé a son volume normal
qu'il n'est ni hypertrophié, ni bourgeonnant, et que, parfois il se trouve
situé sur un plan plus superficiel que le reste de la cellule. Les deux cor-
pusculessatellites amphophiles suivent le nucléole et on peut constater
leur présence en un point de la périphérie de ce dernier où ils se trouvent
rapprochés l'un de l'autre. En un mot, on voit assez clairement qu'il s'a-
git d'une cellule ne présentant rien de spécial ou de pathologique, mais
qui, au cours des différentes manipulations, a subi un traumatisme brutal
se traduisant morphologiquement par la rupture de la membrane et le
sillon d'émigration.
Lorsqu'on envisage la question au point de vue général, l'état normal
ou pathologique de la cellule n'a pas d'importance car ce phénomène, du
moment qu'il est purement mécanique, se rencontre dans n'importe quelles
cellules et n'a aucun rapport avec l'état de celles-ci. Mais, dans notre des-
cription, nous nous sommes servis comme type d'une cellule normale,
puisque le phénomène d'émigration passive s'observe très souvent sur les
coupes de ganglions rachidiens qui, au point de vue cellulaire et péri-
cellulaire, ne représente aucune altération.
Le phénomène d'émigration mécanique est très typique dans les cellu-
les ganglionaires dont les noyaux présentent l'altération connuesousle nom
d'homoénéisalion(1).Le noyau atteint d'une telle lésion a une memhrane
nucléaire ratatinée ; son contenu ne présente plus de réseau de linine et
apparaît uniformément et intensivement coloré; dans le milieu de celte
masse, on peut voir quelquefois un nucléole de volume normal ou très
atrophié. Si dans un tel noyau, il y a eu un entraînement mécanique du
nucléole, on voit alors la masse homogène présenter un petit sillon avec
une extrémité centrale et arrondie et une extrémilé périphérique occupée
par la partie du nucléole qui se trouve encore à l'intérieur du noyau.
La membrane nucléaire est déchirée, mais la déchirure n'apparaît pas
aussi nettement que dans les cellules à noyaux normaux car il s'agit d'un
noyau atrophié à membrane nucléaire très ratatinée et quelquefois con-
fondue avec son contenu homogène.
En résumé, dans toute émigration passive du nucléole on doit consta-
later les faits suivants :
1- Rupture de la membrane nucléaire.
(1) L'homogénéisation du noyau s'observe très souvent dans les ganglions rachidiens
des individus âgés.
284 JONNESCO
2° Présence du sillon d'émigration qui a son point de départ du centre
du noyau, quand le phénomène a lieu dans une cellule normale.
3° Sillon à direction perpendiculaire au tranchant du rasoir.
4° Situation du nucléole sur un plan plus superficiel que le resle de
la cellule.
5' Absence des modifications morphologiques observées dans l'émigra-
tion active du nucléole.
A part ce phénomène, d'entraînement mécanique du nucléole qui n'a
aucune importance au point de vue des réactions cellulaires, mais qu'il est
utile de connaître pour être à l'abri de toute interprétation erronée, il
existe dans les ganglions rachidiens de la paralysie spinale, infantile, un
autre processus qui n'a aucune analogie avec le premier. Nous voulons par-
ler de l'émigration active du nucléole, c'est-à-dire d'un phénomène biologi-
que inhérent à la vie cellulaire et correspondant probablement à unétatspé-
cial de la cellule dans laquelle il a lieu. Dans ce cas, il ne s'agit plus d'un
simple entraînement mécanique du nucléole, s'agit d'un déplacement actif f
vital, d'une nécessité cellulaire. On dirait que la cellule, sous l'influence
exercée par un facteur nocif quelconque (microbes, toxines, virus), qui
l'irrite et trouble son équilibre nutritif, cherche à réagir contre ce dernier
en transportant son nucléole du noyau dans le cytoplasme; ce déplacement
parait s'effectuer grâce à la collaboration des différentes parties consti-
tuantes de la cellule.
Ce phénomène d'émigration aclive ne se laisse pas apercevoir d'emblée
comme le phénomène d'émigration passive car, pours'effectuer,il demande
des modifications graduelles des parties cellulaires qui entrent en action,
ces modifications sont très probablement en relation étroite avec l'état
de la cellule.
Dans l'émigration passive, le phénomène se laisse dévoiler d'un seul
coup et sur la même cellule, tandis que dans l'émigration active, le fait
d'avoir vu une cellule à nucléole située dans son cytoplasma et n'ayant
aucune trace de traumatisme ne nous avance à rien ou bien nous fait
soupçonner la possibilité de la sortie du nucléole hors du noyau par
un mécanisme ignoré.
Pour pouvoir se rendre compte de la manière dont le nucléole est
expulsé du noyau, il faut recourir à l'analyse histologique d'un grand
nombre de cellules et notant dans chacune d'elles les différentes modifica-
tions qui se présentent, on peu assister au déroulement de toutes les phases
successives de ce processus.
Première phase (pi. XLI, fig. a). - Ce qui caractérise cette première
Nouvelle Iconographie DE la SALPÉTRIkRE.
T. XXIV Pl. XCI
LES GANGLIONS RACHIDIENS
DANS LA PARALYSIE SPINALE INFANTILE DE DATE ANCIENNE
(V. Jonnesco).
Masson & Cite, Editeurs.
"110101) He nerlll1tlld. Paris
RECHERCHES CYTOPATiiOLOG1QUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 285
phase, c'est le déplacement du nucléole. Le plus souvent hypertrophié, le
nucléole quille le centre du noyau et vient se placer au voisinage de la
membrane nucléaire, laquelle jusqu'à présent n'a subi aucune modifica-
lion. Le réseau de linine affecte des rapports très différents avec le nu-
cléole ainsi déplacé et, pour pouvoir se rendre compte deces rapports, il
faut se servir de pièces fixées dans le sublimé (liquides de Gilson, Domi-
nici), qui a la propriété de rendre très visible ce réseau ; d'autres fixateurs,
comme l'alcool, le formol ou le liquide de Bouin ne peuvent nous fournir
aucun renseignement à ce sujet. Sur les pièces ainsi fixées, le réseau de
linine apparaît très nettementeton peut apercevoir le plus souvent, qu'il
affecte avec le nucléole trois rapports différents : 10-Tous les filaments du
réseau convergent vers le nucléole déplacé la périphérie et, avant de l'at-
teindre, se fusionnent entre eux en lui constituant une sorte de ceinture
(péri-nucléole de Lâche et Marinesco) finement granuleuse qui délimite
ce dernier sans paraître contracter aucune relation avec sa périphérie. On
dirait que le nucléole est situé dans une sorte de logette conslituée parcelle
ceinture granuleuse, avec laquelle il ne contracte d'ailleurs aucun rapport
perceptible. Cette disposition des filaments de linine est analogue à celle
observée dans les noyaux à nucléole central ; 2° Les filaments de linine
au lieu de converger vers le nucléole se dirigent vers le centre du noyau
et aboutissent à une ceinture granuleuse identique qui délimite un petit
espace vide. Le nucléole se trouve alors contenu dans une des mailles les
plus périphériques de ce réseau ; 3° Les filaments de linine sont
disposés sans aucun ordre dans tout le noyau mais de tout cet enchevêtre-
ment se dégagent deux, trois ou même quatre filaments qui paraissent
s'attacher contre la périphérie du nucléole en se confondant avec sa subs-
tance basophile.
Mais, quelle que soit l'apparence de ces différents rapports entre le nu-
cléole et,le réseau de linine, le seul fait qui mérite de retenir notre attend.
tion c'est que ce réseau ne présente aucune solution de continuité.
Deuxième phase (PI. XLI, fig. b). Dans cette deuxième phase, nous
assistons à la modification de la membrane nucléaire. La membrane nu-
cléaire n'a plus la même épaisseur sur tout le pourtour du noyau. Du
côté où se trouve placé le nucléole, on trouve la membrane considéra-
blement amincie sur une étendue variable, mais ne dépassant jamais le
quart du contour du noyau. Cette partie amincie, proémine dans le cyto-
plasma cellulaire où elle forme une sorte de ménisque convexe ou une
sorte de coupole. Entre la partie de la membrane qui a gardé son épaisseur
normale et celle qui s'est amincie, il n'y a aucune zone intermédiaire
d'épaisseur moyenne. La transition entre ces deux parties ne s'effectue
pas graduellement, mais d'une manière brusque; on voil tout d'un coup
286 JONNESCO
à l'épaisseur normale de la membrane nucléaire, succéder la partie amincie
en forme de coupole. Sur les pièces colorées au triacide d'Ehrlich ou par
la Iriple coloration de Mallory, la portion de la membrane nucléaire qui
n'a subi aucune modification apparaît colorée en rouge vif tandis que la por-
tion amincie prend une teinte rose pâle. Le noyau qui possède une sembla-
ble membrane prend, dans l'ensemble, une forme spéciale qu'on pourrait t
grossièrement comparer à l'aspect que présente une coupe sagittale du
globe oculaire dans lequel la cornée transparente représenterait la por-
tion amincie de la membrane tandis que le reste correspondrait à la par-
tie non modifiée de cette même membrane.
En se demandant à quoi est dû ce refoulement de la membrane, on est
tenté de croire qu'il s'effectue sous l'influence du nucléole, qui la pousse
vers le cytoplasma. En effet, dans un grand nombre de cellules, le nucléole
est intimement adossé il la paroi de la coupole qui seule la sépare du cyto-
plasma environnant. Il y a aussi un nombre plus restreint de cellules
dans lesquelles le nucléole se trouve engagé dans celle coupole mais sans
être accolé à sa paroi, entre celle-ci et le nucléole reste un intervalle
libre plus ou moins grand. Mais, très probablement, le contact plus
ou moins intime avec la paroi de la coupole dépend du stade plus ou
moins avancé du processus de migration, car comme nous le verrons
- dans la phase suivante, le nucléole est toujours en contact immédiat avec
la paroi de la membrane ainsi modiliée.
Troisième phase (I'l. XLI, fig. c) La portion amincie de la membrane
tend à proéminer de plus en plus dans le cytoplasma et en même à temps
changer de forme pour prendre celle d'un cône il sommet émoussé, arrondi.
Une fois parvenue dans cet état, elle parait être à son maximum de
tension, car dorénavant elle ne subit plus aucun changement.
A cette phase, le nucléole est toujours intimement accolé au sommet
du cône ou bien on le voit se créer à cet endroit un orifice de sortie par
lequel il quittera définitivement le noyau. Dans ce dernier cas, on peut
voir des cellules dont la membrane modifiée présente l'aspect décrit plus
haut et au sommet du cône on trouve un orifice dans lequel vient s'enga-
ger le nucléole qui présente une moitié extra-nucléaire en contact immé-
diat avec le cytoplasma et une autre moitié inlra-nucléaire.
Maisce qui reste difficile à expliquer, c'est la manière dont se produit
cet orifice de passage. Pour être en mesure de donner une explication sa-
tisfaisante, il faudrait avoir une idée exacte sur la nature de la membrane
nucléaire. Malheureusement, à l'heure actuelle encore, la constitution in-
time de cette membrane est loin d'être connue et les opinions émises à ce
sujet sont nombreuses et très différentes. Pfitzner, ltetzius, Brass, Strass-
burger nient l'existence d'une membrane : d'après Ileuser, la membrane
RECHERCHES (7TOPa1'fH0l.(7GIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 287
serait poreuse; pour Van Beneden, elle serait perforée; pour Carnoy,
réticulée; et pour C. Schneider, fibrillaire. Du grand nombre de faits
observés, il parait résulter que cette membrane jouit d'une perméabilité
plus ou moins marquée à l'égard des substances dissoutes ou les élé-
ments figurés. Henneguy (1) qui admet la continuité de la membrane se
prononce ainsi au sujet de sa perméabilité» ; si, comme je le crois, elle
possède cette propriété (d'être continuel), elle jouit aussi en tout cas d'une
certaine perméabilité. Elle peut laisser sortir du noyau des corps solubles
puisqu'on a observé et que j'ai constaté moi-même dans les cellules em-
bryonnaires, la diffusion de la chromatine dans le corps cellulaire. Elle
peut même, à la façon d'une lame de caoutchouc, s'ouvrir momentané-
ment pour laisser passer des granulations chromatiques, que l'on trouve
souvent dans le cytoplasma ». De même, pour Marinesco (2) t< ... il est
impossible de s'imaginer que la membrane du noyau puisse constituer
un barrière impénétrable entre le contenu du noyau et le cytoplasma.
L'augmentation rapide de volume du noyau et du nucléole après les sec-
tions nerveuses montre l'activité des phénomènes d'osmose et la facilité
avec laquelle cette membrane permet le passage de substances nutritives
à l'intérieur du noyau. D'autre part, la diminution aiguë du volume
nucléaire après l'arrachement d'un nerf confirme cette perméabilité et
l'intensité des phénomènes d'osmose.»
R. Legendre (3), dans son mémoire très documenté, compare la mem-
brane nucléaire à une membrane semi-perméable à travers laquelle dialy-
sent des colloïdes et dit : «... qu'il est probable que cette membrane
nucléaire n'y laisse passer entre le cytoplasma et le noyau que des subs-
tances dissoutes et que les sorties des corps figurés, si elles sont réelles,
ne peuvent être qu'exceptionnelles. »
Mais, .revenons aux faits qui nous intéressent, il nous semble que la
manière la plus logique d'expliquer la formation de l'orifice de passage
serait la suivante : comme Henneguy, nous serions tentés d'admettre
que, sous l'influence de la pression exercée par le nucléole ou peut-être
même sous l'influence d'une action extérieure, la membrane s'étire à la
manière d'une lame élastique, et quand cette tension atteint son maximum,
elle s'ouvre pour laisser passer le nucléole. En faveur de cette manière
devoir, nous pouvons invoquer le fait suivant : lorsque le nucléole a
quitté complètement le noyau, le segment de la membrane ainsi modifié
ne laisse plus apercevoir l'orifice de passage et reprend à peu près son
aspect normal.
(1) IIENNEGUY, Leçons sur la cellule.
(2) Marinesco, loc. cit.
(3) R. LEGENDHS, Contribution à la connaissance de la cellule nerveuse, Arch.
d'Anat. mic., 1909.
288 JONNESCO
Quatrième phase (Pl. XLI, fig. d, e, f). - Le nucléole qui a quitté
complètement son noyau, se trouve dans le cytoplasma. Du côté du noyau,
on voit que le segment de la membrane qui a subi les modifications décri-
tes est revenu plus ou moins à sa position normale, mais en tous cas elle
ne peut pas se confondre avec le reste de la membrane car, au lieu d'avoir
un contour régulier et la même épaisseur que cette dernière, elle apparaît
irrégulière, comme festonnée et toujours moins épaisse.
La position du nucléole est toujours très variable; dans certaines cel-
lules, on le trouve à une distance plus ou moins grande du noyau et du
même côté que son point de sortie ; dans d'autres, au contraire, on le
voit prendre une position diamétralement opposée au segment modifié
de la membrane. Dans les cellules à substance chromatophile partielle-
ment altérée, on voit le segment de la membrane modifiée dirigé vers la
partie la moins altérée de la substance chromatophile et, au lieu de trou-
ver le nucléole dans cette même région, on le voit presque toujours dans
l'amas pigmentaire. En faveur de l'hypothèse d'un déplacement nucléolaire
dans le cytoplasma, on peut invoquer les différentes positions occupées
par le nucléole et surtout sa position diamétralement opposée à son lieu
de sortie.
Pendant les différentes phases de cetle migration, les corpuscules polai-
res, amphophiles se trouvent toujours à la périphérie du nucléole, même
lorsque ce dernier a quitté complètement le noyau. Dans quelques cellu-
les, nous avons pu constater qu'ils se séparent l'un de l'autre et qu'au lieu
d'occuper un seul point de la périphérie du nucléole, ils sont situés en
des points très différenls et quelquefois même diamétralement opposés.
Cet éloignement des corpuscules paraît tout à fait spécial car, comme
nous l'avons vu dans ('entraînement mécanique du nucléole, ils suivent
ce dernier tout en restant rapprochés l'un de l'autre. De plus, quand le
nucléole vient en contact avec la membrane nucléaire par la partie qui
présente les corpuscules en question on voit à ce niveau la membrane
nucléaire former une sorte de cul-de-sac qui les entoure.
Quant à la basichromatine, en règle générale, on la trouve toujours à
la périphérie du nucléole émigré et ne paraissant pas avoir subi de modi-
fications. Dans quelques cas, il nous a été impossible de constater sa pré-
sence ; dans d'autres, il nous a paru que les petites plaquettes de basichro-
matine étaient un peu augmentées de volume.
Cette description étant terminée, nous tenons à insister sur les trois
points suivants : 1° Les phénomènes précédemment décrits n'ont pu être
constatés que dans deux cas de paralysie spinale infantile. Sur un grand
nombre de coupes de ganglions rachidiens provenant d'individus morts au
Cours des affections les plus diverses, nous n'avons rien vu de semblable ;
RECHERCHÉS CYTOPATHOLOGIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 289
il s'agissait toujours de migration passive du nucléole. Mais, nos observa-
tions ne portent, jusqu'à présent que sur deux cas de paralysie spinale,
infantile, nous n'avons évidemment pas le droit d'aflirmer qu'il s'agit
d'une lésion spécifique et nous nous bornons simplement pour le moment
à attirer l'attention sur elle ; 2" cette migration paraît être en rapport avec
l'étal de la cellule car toutes les fois que nous l'avons observée, il s'agis-
sait de cellules malades ; cellules à noyaux et nucléoles hypertrophiques,
corps de Nissl en chromatolyse ou en achromatose, prolifération intense
de la capsule endothéliale comprimant et repoussant la cellule vers un
point de sa capsule : 3° enfin, la prédilection du nucléole pour l'amas
pigmentaire.
Le nucléole une fois dans le cytoplasma peut se présenter sous trois
états différents : a) d'hypertrophie. b) de bourgeonnement, c) de désinté-
gration.
L'hypertrophie est considérable : le nucléole apparaît quelquefois à
peu près deux fois plus grand que dans le noyau et, comme probable-
ment, ce travail d'hypertrophie n'a pas lieu sur toute sa surface avec la
même intensité, on voit que le corpuscule nucléolaire se déforme. Ainsi,
au lieu d'être nettement circulaire, il apparaîtde forme allongée, ova-
laire, triangulaire, ou de forme irrégulière. Dans cet état sa structure
granuleuse se montre très nettement.
Dans l'amas pigmentaire, le nucléole se trouve le plus souvent en état
de bourgeonnement ou de désintégration ; à l'état de désintégration, les
sphérules qui entrent dans sa constitution se séparent de leur substance
unissante, s'invidualisent mais gardent encore certains rapports entre
elles; le nucléole apparaît comme une masse irrègulière, constituée d'un
nombre variable de sphérules. Dans certaines cellules, les sphérules sont
au nombre de treize ou même de quinze. Dans d'autres, nous avons pu
en compter vingt et même vingt-huit. Leur taille peut être égale ou de
dimension variable ; quant à leur forme, elle est toujours sphérique.
Quant au bourgeonnement du nucléole protoplasmique, nous n'avons pas
besoin d'insister car le bourgeonnement est identique à celui du nucléole
encore contenu dans le noyau.
Lorsque le nucléole se trouve dans l'amas pigmentaire, nous avons
observé l'existence d'un grand nombre de granulations, sur lesquelles
nous croyons nécessaire d'insister. La première question qui se pose est
de savoir si ces granulations proviennent du nucléole, ou bien si elles
n'ont aucun rapport avec lui. Mais, comme c'est dans celle zone pigmen-
taire que siègent le plus souvent les granulations oxyneutrophiles de
xxiv 19
: ! VU JONNESCO
Marinesco, il reste à savoir s'il s'agit de ces dernières ou bien des sphé.
rules nucléolaires qui se sont éparpillées dans toute la masse du pigment
jaune.
Par l'emploi de différentes méthodes de coloration, on peut constater
que les granulations oxyneutrophiles de Marinesco, les sphérules du nu-
cléole et certaines granules du noyau se colorent de la même manière :
ainsi, par le procédé de Galleotti (fuchsine acide; vert de méthyle), la
triple coloration de Mallory (fuchsine. acide, bleu de méthylène, orange),
par le mélange dilué de Biondi, toutes ces granulations se colorent en
rouge. De même, le triacide d'Ehrlich les colore en rouge et quelquefois
en rouge violet ; ces deux nuances nous paraissent dépendre de la façon
d'employer le réactif, car si on se sert du triacide formolé sur les pièces
fixées dans le fixateur de Dominici, toutes ces granulations se colorent
franchement en rouge. Si, par exemple, sur une coupe colorée par le
triacide d'Ehrlich ou la triple coloration de Mallory., nous tombons sur
une cellule à nucléoles contenus dans son noyau et possédant des granu-
lations oxyneutrophiles dans son protoplasme, on voit la partie acidophile
du nucléole, certaines granulations du noyau et les granulations du
cytoplasma, colorées en rouge. De même, dans les cellules dont le nucléole
se trouve dans l'amas de pigment jaune à l'état de bourgeonnement ou
de désintégration granuleuse, on peut voir que les sphérules nucléolaires
comme le reste des granulations éparpillées dans le pigment prennent la
même teinte. En somme, de l'emploi des différents mélanges colorants,
il résulte que : les sphérules du nucléole, les granulations décrites par
Marinesco sous le nom de granulations oxyneutrophiles et ce; faines gra-
nulations du noyau présentent les mêmes affinités tinctoriales. D'après
l'identité des affinités odorantes entre les sphérules nucléolaires et les-
granulations oxyneutrophiles, on serait porté à croire que ces dernières
proviennent directement du nucléole. Mais à celte manière d'envisager
les choses, deux arguments d'inégale valeur s'opposent : 1° Fait capital,
dans certaines cellules des ganglions rachidiens, il existe normalement t
des granulations oxyneutrophiles groupées en certains endroits du
corps cellulaire et dans le pigment jaune sans que le nucléole se trouve
dans cette région ; 2° Il y a certaines différences morphologiques enlre
les sphérules du nucléole et les granulations oxyneutrophiles. Ces der-
nières sont de taille inégale, de forme plus ou moins irrégulière tandis
que les sphérules sont le plus souvent de taille égale et de forme réguliè-
rement sphérique. Mais cette différence pourrait tenir au fait que les
sphérules nucléolaires une fois individualisées, se désintégreraient en des
granules plus petits ou, au contraire, seraient susceptibles d'augmenter de
volume et de prendre une forme irrégulière. Comme l'origine nucléolaire
RECHERCHES CYTOPATHOLOGIQUHS SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 291
des granulations qu'on trouve en même temps avec le nucléole dans le
pigment jaune, ne paraît pas certaine, vu les arguments invoqués, il reste
à voir d'où elles pourraient provenir.Mari nesco (1 ) et Olmer ( ? ) considèrent
ces granulations oxyneutrophiles comme un produit spécifique du proto-
plasma. Nous serions tenté de croire d'une part que l'origine protoplas-
mique n'est pas à l'abri de toute critique el d'autre part que le terme de
granulation oxyneutrophile est trop restreint si on l'applique tel que le
fait Marinesco -- seulement aux granulations du cytoplasma. En effet,
d'après cet auteur, la caractéristique des granulations esl la manière dont
elles se comportent avec les substances colorantes. Ainsi elles se colorent
toujours par les couleurs acides et par les mélanges neutres d'Ehrlich et
de Biondi. Mais, comme nous venons de le voir, certaines granulations
du noyau se comportent de la même manière vis-à-vis des substances
colorantes acides (méthode de Galleoti, triple coloration de Mallory) et
des mélanges neutres d'Ehrlich et de Biondi. Donc nous ne voyons pas
pourquoi on ne pourrait pas donner le même nom de granulations oxy-
neutrophiles à celles contenues dans le noyau qui se comportent de la
même manière en face des substances colorantes que celles du cyloplasma.
Enfin, il nous a étédonné de voir dans certaines cellules ganglionnaires
de ces granulations nucléaires contenues dans une sorte de petit diverti-
cule de la membrane en forme de doigt de gant et plus mince que le reste,
aspect ayant une grande analogie avec une des phases d'émigration active
du nucléole. Cette constatation serait en faveur d'un pareil processus de
la part des granulations nucléaires mais nous ne pouvons pas l'affirmer
étant donné que nous n'avons jamais trouvé une phase un peu plus avan-
cée. En tout cas, nous croyons qu'on pourrait considérer l'extériorisation
de certains granules nucléaires comme une tendance à quitter ce der-
nier.
Enfin si l'origine nucléolaire des granulations oxyneutrophiles reste
encore douteuse, l'identité des réactions colorantes de ces granulations
avec certaines granulations du noyau et des sphérules nucléolaires nous
parait démontrée d'après ce que nous venons de dire.
Altérations DES noyaux.
Dans la majorité des cellules les noyaux se trouvent situés vers le centre
du corps cellulaire. Un nombre plus restreint de cellules ont leurs noyaux
situés tout à fait à la périphérie. D'une façon générale on peut voir que la
position centrale ou périphérique dépend de la catégorie des éléments cel-
lulaires considérés ; ainsi dans les cellules ganglionnaires volumineuses ou
de taille moyenne les noyaux se trouvent de règle vers le centre de la
(1) G. Marinesco, loc. cit., p. 260.
(2) D. R. Olmer, Recherches sur les granulations de la cellule nerveuse. Thèse, 1901.
292 JONNESCO
cellule, tandis que dans les petites cellules ganglionnaires le plus souvent
i 18 sont déplacés tout à fait à la périphérie de l'élément.
Les altérations nucléaires le plus souvent rencontrées sont les suivantes :
a)hypertrophie nucléaire ;6)disparition ; c) dégénérescence acidedu noyau.
L'hypertrophie nucléaire est manifeste dans grand nombre de cellules.
On se trouve en présence de noyaux à contours réguliers, de forme ronde
ou ovalaire, situés au centre de la cellule et à nucléole le plus souvent
hypertrophié. Ce dernier occupe des positions différentes : il peut être
central,excentrique, ou intimement adossé contre la membrane nucléaire ;
mais d'après ce que nous avons déjà dit, il semble que ces différentes
positions du nucléole sont en rapport avec l'état de la substance chroma-
tophile. Rares sont les noyaux en étal d'atrophie et d'habitude sur chaque
coupe on ne peut trouver qu'un nombre restreint de petites cellules gan-
glionnaires avec des noyaux atrophiés et même dans ce cas on trouve tou-
jours l'hypertrophie du nucléole. '
La disparition du noyau s'observe dans les cellules à vacuoles multiples
et surtout dans les cellules à nucléoles émigrés hors du noyau. Dans cer-
taines cellules à nucléoles protoplasmiques, le noyau ne présente d'aulres
modifications que de la part de sa membrane, modifications consécutives
aux processus de migration et consistant en un amincissement et ratatine-
ment de la membrane sur une portion limitée. Le reste de cette membrane
nucléaire et le réseau de linine conservent leur aspect normal, mais le plus
souvent dans de pareilles cellules on voit la membrane nucléaire et le
réseau de linine disparaître et, à la place occupée par le noyau, se trouve
une zone claire qui se confond insensiblement avec le reste du cytoplasma.
Quelquefois dans cette zone on peut observer trois ou quatre granulations
fuchsinophiles (1) dernier vestige du contenu nucléaire. D'autres fois cette
disparition n'est que partielle, car on voit une moitié du noyau qui se
confond avec le cytoplasma et l'autre moitié reste encore délimitée par la
membrane nucléaire et on peut déceler les restes du réseau de linine et
quelques granulations fuchsinophiles.
Dans la majorité des noyaux nous constatons les faits suivants : a) les
noyaux hypertrophiés ou de volume à peu près normal à membrane nuclé-
aire régulière contiennent dans leur intérieur un grand nombre de granu-
lations fuchsinophiles à peu près de même taille réparties d'une façon à peu
près égale sur toute la surface nucléaire et deux nucléoles situés aux deux
pôles de la vésicule nucléaire ; un des nucléoles laisse apercevoir deux
plaquettes de basichromatine adossées à la substance acidopliile, l'autre
n'en laisse pas apercevoir et il s'agit probablement de nucléole accessoire
(1) Les granulations fuchsinophiles se comportent en face des substances colorantes
de la même manière que les granulations oxyneutrophiles de Marinesco.
RECHERCHES CYTGPATHOLOGIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 293
hypertrophié ; b) dans d'autres noyaux on voit la membrane nucléaire rata-
tinée ou festonnée sur toute son étendue. A l'intérieur on rencontre un
nucléole central ou périphérique et en même temps un nombre considé-
rable de granulations fuchsinophiles. Dans ce cas ces granulations apparais-
sent de (aille inégale, les unes sont volumineuses de forme sphérique
d'autres beaucoup plus fines, isolées les unes des autres ou bien certaines
d'entre elles rapprochées et ayant l'air de se confondre en une masse uni-
que. Le réseau de linine est encore apercevable en certains points entre les
nombreuses granulations fuchsinophiles ; c) enfin dans d'autres noyaux on
ne peut plus distinguer ni membrane, ni réseau de linine, ni granulations;
tout le contenu apparaît uniformément et intensivement coloré par les cou-
leurs acides.
Le nucléole peut se confondre avec tout le reste de la masse homogé-
néisée, mais souvent il ne perd pas son individualité et dans ce cas il
apparaît assez nettement. Grand nombre de fois nous l'avons trouvé en
état d'hypertrophie et situé en un point de la périphérie de cette masse,
proéminent dans le cytoplasma. La masse nucléaire dans son ensemble
apparaît ovalaire ou pyriforme irrégulière à contours crénelés et se trouve
délimitée sur toute sa périphérie par une zone claire plus ou moins large
qui la sépare du cytoplasma environnant. Cette dégénérescence nucléaire
diffère de celle décrite par Nissl, Sarbo, Marinesco, Lugaro, etc... sous
le nom de homogénéisation du noyau par la manière de se comporter en
face des substances colorantes ; en effet dans les deux cas l'aspect du noyau
est le même, mais les affinités tinctoriales sont différentes. Ainsi dans la
dégénérescense acide du noyau le contenu a une grande prédilection pour
les couleurs acides tandis que dans l'homogénéisation telle qu'elle a élé
décrite par Nissl le contenu nucléaire se colore tout aussi bien par les co-
lorants acides et basiques.
Dans les coupes de ganglions rachidiens d'individus âgés, morts au cours
de différentes affections (vieil hémiplégique, tabétiqueetc...)on peut voir
grand nombre de noyaux en état d'homogénéisation, si sur de pareilles
coupes on utilise comme procédé de coloration la triple coloration de illal-
lory ou le mélange de bleu de crésille, rubineS, orange ou fuchsine acide,
bleu de méthylène, les noyaux ainsi altérés ont une grande affinité pour
les bleus basiques. Par contre en employant les mêmes méthodes de colora-
tion,mais sur des coupes de ganglions de polyomyélite, les noyaux en état
de dégénérescence acide prennent le colorant acide, et par le Mallory
apparaissent colorés en rouge,et en rouge violet par le mélange de bleu de
crésyle. De plus on peul rencontrer sur des coupes colorées au Mallory des
noyaux homogénéisés colorés en bleu et un peu plus loin des noyaux homo-
généisés colorés en rouge.
2,) i JONNESCO
Altérations DU CYTOPLASMA ET DE la substance
Cnn011tATOP111LE de NISSL.
Sur les cellules d'aspect vacuolaire ou fenêtre. -- On sait que la pré-
sence des cellules vacuolaires a été démontrée par un grand nombre d'auteurs
dans les ganglions rachidiens de l'homme et des vertébrés. Ces cellules se
rencontrent dans les ganglions d'apparence normale et dans différents états
pathologiques. Van Gehnchten et Nelis (1898) (1) ont décrit des cellules vacuo-
laires dans les ganglions rachidiens de lapin, et les considèrent comme appar-
tenant à un type cellulaire spécial ; Nelis (1899) retrouve ces cellules dans les
ganglions rachidiens des animaux atteints de rage et croit qu'il s'agit d'un état
pathologique de la cellule. Lugaro (1900) (LI) a observé l'augmentation de nom-
bre des cellules vacuolaires chez les animaux (lapins, chiens), qui on a sec-
tionné les nerfs correspondants ; pour cet auteur la cellule vacuolaire est une
cellule en état de dégénérescence kystique. Athias (190G) (3) décrit les cellu-
laires vacuolaires dans les ganglions spinaux des animaux normaux (chiens,
chats, cobayes, lapins, canards) et admet que la vacuolisation du protoplasme
peut exister indépendamment de toute altération cellulaire, mais ce même auteur
un an après revient sur la question et considère la vacuolisation comme une
altération pathologique aboutissant souvent à la disparition complète des cellu-
les ainsi altérées.
Mott (1906) (4) insiste sur l'abondance des cellules vacuolaires dans les gan-
glions rachidiens des chevaux atteints de dourine chronique. Enfin les cellules : '[ vacuoles ont été maintes fois trouvées dans les différentes parties dn névraxe
à la suite des intoxications et maladies infectieuses les plus diverses.
Ce qui nous fait insister sur ces cellules ce sont certaines particularités de
structure qu'elles présentent et la manière (Ion[ elles sont réparties dans les
ganglions rachidiens examinés. Les cellules ainsi altérées (PI.LII,6. 1)
apparaissent criblées d'un grand nombre de vacuoles réparties sur toute
la surface du corps cellulaire d'une façon irrégulière, Nous avons vu des
cellules qui contiennent de vingt jusqu'à trente vacuoles de tailles diffé-
rentes ; dans d'autres le nombre est moins élevé mais toujours supérieur à
celui qu'on rencontre dans les ganglions normaux. Ces vacuoles sont de
forme arrondie, ovalaires ou moniliformes séparées les unes des autres
par des bandes de proloplasma plus ou moins épaisses; l'aspect monili-
forme parait dû à la fusion de plusieurs vacuoles situées l'une après l'autre
(1) VAN GEHUCHTEN et NELIB, Quelques points concernant la structure des cellules
des ganglions spinaux, 13ull. de l'Acad. royale de médecine de Belgique, 1898.
(2) LuoAno, Sulla pathologia del cellule dei gangli sensilim, Riv. di Patologia ner-
vosa mentale, 1900.
(3) Athias, La vacuole des cellules des ganglions spinaux chez les animaux à l'état
normal, Anat. Anzeiger Centralblatt, 1905.
(4) MoTT, Proceeding o/ the Royal Society Lo ? zdoit, vol. 78, 1906.
Nouvelle Iconographie DE la SALPLTRILRE.
rig 4
, LES GANGLIONS RACHIDIENS
DANS LA PARALISIEvSPINALE iVl'AVTILE, DE DATE A.TCIENNE
RECHERCHES CYTOPATHOLOGIQUFfi SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 295
ou bien à la dissolution des cloisons protoplasmiques qui les séparent.
Mais l'absence d'un contenu, l'absence d'éléments cellulaires cellules
endothéliales de la capsule ou cellules sallellitlesde Cajal - dans la ma-
jorité de ces vacuoles ou pseudo-vacuoles leur disposition périphérique
qu'on peut rencontrer quelquefois et qui donne à la cellule l'aspect fenê-
tré tel qu'il a été décrit par Cajal, Naeotte, Marinesco, ne permet pas
d'affirmer avec certitude qu'on se trouve en présence de véritables cellules
à vacuoles. L'aspect vacuolaire pourrait être dû aux différentes modifica-
tions des prolongements dendritiques, de l'axone ou de l'appareil neu-
rofibrillaire, mais en ce cas on ne peut tirer aucun renseignement de nos
pièces celles-ci étant fixées dans le sublimé ou le liquide de Flemming,
fixateurs qui empêchent l'emploi de la méthode de Cajal à l'argent réduit
ou celle de Bielschowski.
Ce qui nous a particulièrement frappé dans ces cellules vacuolisées ou
pseudo-vacuolisées de même que dans celles d'aspect fenêtré, c'est d'avoir
rencontré à l'intérieur de quelques vacuoles ou anses péricellulaires des
globules sanguins. La présence de ces globules sanguins suggère deux
hypothèses : 1° on pourrait se demander s'il ne s'agit pas d'un simple
artifice de préparation ; 2° si l'on ne se trouve pas en face d'un véritable
processus pathologique. A l'appui, la première hypothèse serait le fait de
trouver dans certaines cellules des globules rouges en nombre variable à
l'intérieur des vacuoles et sur le corps cellulaire et en tournant la vis mi-
crométrique en différents sens, il est facile de se rendre compte que ces
globules sanguins et le corps de la cellule ne se trouvent pas sur le même
plan. En ce cas il s'agit très probablement d'une dislocation de quelques
globules sanguins au cours de différentes manipulations (prélèvement,
section de la pièce, fixation, etc...). L'hypothèse d'un processus patholo-
gique, même s'il en existe est difficile à démontrer ; et comme la lecture
d'un grand nombre de coupes ne nous a pas permis de saisir le mécanisme
par lequel s'effectue la pénétration des globules sanguins dans l'intérieur
des vacuoles, nous nous bornons simplement à signaler les faits observés.
La substance chromatophile de ces cellules d'aspect vacuolaire seliouve
toujours altérée : ainsi dans la majorité des cas, les corps de Nissl font L
complètement défaut (achromatose complète) ou bien sont réduits à des
grains très fins, poussiéreux, répandus sur toute la surface du corps cellu-
laire (état poussiéreux). On peut aussi constater des cellules qui se colorent
uniformément et intensivement avec le bleu polychrome ou le bleu de
toluidine (état chromophile).
Le noyau est aussi altéré souvent, on le trouve vers la périphérie du
corps cellulaire très atrophié ou en état d'homogénéisation. Dans certai-
nes cellules la vésicule nucléaire n'est plus visible et on peut remarquer
2Vô JONNESCO
dans l'intérieur d'une vacuole un amas de sphérules fuchsinophiles qui
pourrait être pris comme le dernier vestige du contenu nucléaire.
Avant de terminer avec ces cellules nous devons ajoutai' que l'aspect
vacuolaire avec substance chromatophile et noyaux altérés s'ob-
serve surtout dans les cellules nerveuses petites et moyennes de la
zone centrale du ganglion, tandis que dans la zone périphérique ces
cellules sont très rares on font complètement défaut.
Altérations de la substance chromatophile. Dans la majorité des
cellules ganglionnaires les blocs chromatôpbiles sont fragmentés, réduits à
des corpuscules plus petits, irréguliers, poussiéreux, ou bien ont disparu
complètement. L'aspect des cellules varie suivant l'intensité du proces-
sus de chromatolyse : à côté d'une cellule en achromatose complète on
observe des cellules à substance chromatophile en état de désintégration
granuleuse partielle ou généralisée et plus rarement des cellules à corps de
Nissl d'apparence normale. Dans les grosses cellules ganglionnaires ainsi
que dans celles de tailles moyennes on voit sur la moitié ou environ aux
trois quarts du corps cellulaire les corps de Nissl réduits à une fine pous-
sière chromatophile ou faisant complètement défaut et dans le reste de la
cellule ils conservent leur aspect normal ; tout à fait à la périphérie de
la cellule les corps de Nissl apparaissent de forme fusiforme allongés et
disposés à peu près sur un seul rang. Dans ces cellules le noyau garde sa
position normale, hypertrophié, homogénéisé où en voie de disparition
on le trouve toujours au centre. Sur la position du nucléole nous n'avons
plus besoin d'insister car nous en avons parlé dans un des paragraphes
précédents. Dans d'autres cellules appartenant à la même catégorie, les
corps de Nissl ont disparu complètement sur toute la surface de la cel-
lule sauf tout à fait à la périphérie où on retrouve encore quelques élé-
ments chromatophiies. D'une façon générale dans ces catégories de cel-
lules la substance chromatophile de la périphérie est la moins atteinte,
le noyau n'est pas déplacé, il n'y a pas de surcharge pigmentaire, le corps
cellulaire parait de taille normale et quelquefois il est augmenté de vo-
Lime.
Dans les petites cellules obscures l'aspect est tout à fait différent, car
ces cellules sont en état d'atrophie pigmentaire ; leur corps protoplasmi-
que envahi par une grande quantité de pigment jaune n'entre plus en
contact avec leur capsule que par un ou deux points. Leurs noyaux apla-
tis, de forme à peu près fusiforme ou incurvés en forme de croissant se
trouvent déplacés tout il fait à la périphérie des éléments cellulaires.
Sur une formation spéciale des cellules ganglionnaires. -- Dans le cyto-
plasma de certaines cellules des ganglions rachidiens correspondant au
membre paralysé il nous a été donné de constater la présence d'une for-
RECHERCHES CYTOPATHOLOGIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 297
mation d'aspect tout à fait particulier. Cette formation le plus souvent en
forme de rosace se trouve dans les cellules à substance chromatophile en
état d'achromatose ou de désintégration granuleuse ; dans les cellules
d'apparence normale on ne rencontre que très rarement. Toujours uni-
que à l'intérieur d'une cellule, détaille égale ou inférieure à celle du
noyau elle est susceptible d'occuper dans le cytoplasma les positions les
plus diverses : tantôt tout à fait à la périphérie de l'élément cellulaire,
tantôt au voisinage de l'amas pigmentaire ou diamétralement opposé à ce
dernier mais d'une manière générale toujours à une distance assez grande
du noyau. Au point de vue structural la formation apparaît constituée
d'un nombre variable de filaments axiaux simples, non ramifiés, ayant à
peu près la même épaisseur sur toute leur étendue ou s'épaississant et se
ramifiant en plusieurs branchioles primaires et secondaires au sur et à
mesure qu'ils s'approchent de la périphérie de la formation et d'une sorte
de plasmosphère d'aspect hyalin et homogène qui la sépare du cytoplasma
environnant. Dans quelques cellules cette plasmosphère se trouve entou-
rée sur tout son pourtour d'une large zone de substance chromatophile
d'aspectpoussiéreux. L'examen à un fort grossissement nous montre que
ces filaments axiaux sont constitués par un grand nombre de petits gra-
nules sphériques disséminés sur une sorte de substance fondamentale
d'aspect pulvérulent ; quelquefois au centre de la formation on peut trou-
ver un granule plus volumineux. Cette formation en rosace se colore par
tous les bleus basiques d'aniline et par l'hématoxyline au fer. La technique
qui nous parait la meilleure pour mettre en évidence tous les détailsdestruc-
ture est la suivante : Inclusion des pièces à la paraffine, collage des coupes
sur lame avec de l'eau albumineuse, coloration par la méthode de Mallory
(fuchsine acide, orange G. bleu de méthylène) ou à l'hématoxyline au fer ;
de même la méthode de Lenhossek (fixation au sublimé picrique, colora-
tion par le bleu de toluidine-éosine ou la coloration des coupes par le
mélange de Giemsa dilué après n'importe quelle fixation) permet démettre
en évidence la formation décrite et en même temps de se rendre compte
de l'état de la substance chromatophile. Par toutes ces méthodes de colora-
tion, on voit les deux parties constituantes de la formation. Les filaments
et la soi-disant plasmosphère qui d'une manière constante présentent tou-
jours la même constitution, c'est-à-dire que les filaments apparaissent
dans tous les cas constitués d'un nombre variable de granules sphériques
colorés en noir ou en bleu suivant la méthode employée et la plasmos-
phère toujours homogène, hyaline et sans structure apparente. Mais ce qui
varie d'une cellule à l'autre, c'est le nombre, la disposition et la manière
dont se ramifient les filaments axiaux, l'épaisseur de la plasmosphère, la taille
et la situation de la formation en général. Dans les cellules en état d'achro-
298 JONNESCO
matose absolue (PI.XLIIJ,flg, 1) la formation en rosace acquiert la taille du
noyau ou môme la dépasse, chaque si iamentou branche, immédiatement après
avoir quitté le centre, se ramifie en un grand nombre de rameaux primaires
et secondaires, l'ensemble de tout cet appareil diversement ramifiés trouve
entouré par la soi-disant plasmosphère. Dans les cellules à substance chro-
matophile en état de désintégration granuleuse (PI.Xl,lil,fig. 2), la forma-
tion est d'habitude de taille inférieure à celle du noyau, les filaments au
lieu de se ramifier comme dans le cas précédent en plusieurs branches, aug-
mentent d'épaisseur au sur et à mesure' qu'ils s'éloignent du centre. Dans
les deux cas la formation se trouve située à une distance assez grande du
noyau et le plus souvent au voisinage de l'amas pigmentaire. Enfin, dans
les cellules d'apparence normale, les filaments sont nombreux, rapprochés
les uns des autres, très courts, et gardent à peu près la même épaisseur
sur toute leur étendue. La plasmosphère bien qu'elle ne fasse pas défaut se
trouve beaucoup moins marquée que dans les cas précédents. Donc, l'exis-
tence d'un certain rapport entre l'état des corps de Nissl et le degré de
développement de la formation en question parait exister, car comme on le
voit, plus cette substance est altérée, plus la formation s'accroît, s'amplifie,
et ces aspects différents que nous venons de décrire pourront être considé-
rés comme des états successifs d'un processus d'évolution vers une forme
définitive qui serait celle que l'on retrouve dans les cellules en état d'achro-
matose absolue.Le polymorphisme de ce corpuscule n'est que relatif car les
formes ne varient pas a ! 'infini mais paraissent bien subordonnées à l'état de
la substance chromatophile ; en effet dans les cellules en état de désintégra-
tion granuleuse 011 remarque la forme A,danslescellulesprésentantla même
altération on aura à peu près toujours la même forme A au lieu de C,D,E..x.
Dans d'autres cellules en état d'achromatose absolue on aura la forme B.
Examinant un nombre variable de cellules en achromatose absolue nous
verrons dans toutes, à peu près la même forme B, c'est-à-dire le même
type au lieu de C, D, E... x. De par ses aspects et ses affinités tinctoriales
ce corpuscule particulier ne peut être rapproché d'aucune autre formation
cytoplasmique décrite dans les cellules ganglionnaires : granulations
nucléoïdes de l.owenthal, les corpuscules de César Bianci, les corps de
Negri etc...; certaines analogies paraissent exister entre cette formation et
le corps énigmatique de R. Legendre (1), des cellules ganglionnaires
d'flelix pomatia. La partie finement fibrillaire du corps de Legendre
correspondrait aux filaments axiaux de notre formation, les deux corpus-
cules présentent une'soi-disant plasmosphère, sont de taille variable et
séparés du noyau par une zone plus ou moins large de cytoplasma, Mais
(1) M. le professeur Prenant qui a eu l'obligeance de regarder nos microphotogra-
phies est de cet avis.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRitRE.
T. XXIV. PI. XVIII
LES GANGLIONS RACHIDIENS
DANS LA PARALYSIE SPINALE INFANTILE DE DATE ANCIENNE
(Tr ....1 \
RECHERCHES CVTOPATHOLOGIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 299
à côté de ces analogies on trouve aussi certaines différences, ainsi Legen-
dre (2) décrit et figure des cellules nerveuses contenant trois corps énig-
matiques, donc, ces formations sont parfois multiples, tandis que la nôtre
est toujours unique ; la soi-disant plasmosphère du corps énigmatiqueest
remplie de grains de lipochrome. tandis que la nôtre est d'aspecl hyalin et
homogène. Enfin le corps énigmatique, quand il est unique, on le trouve
suivant la description de cet auteur dans une position déterminée...« Dans
la région d'origine de l'axone, un peu latéralement ? » Tandis que noire
formation occupe dans les cellules les positions les plus variables.
Sur l'origine et la nature de celte formation il nous est difficile de nous
prononcer. S'agit-il d'un centrosome, d'un pyrénosome ou d'un plasmo-
pyrénosome ? par sa forme, sa taille, sa structure, et sa situation a une
grande distance du noyau il nous semble peu probable que ce soit l'une
de ces formations. S'agit-il d'une formation cristalloïde nouvelle des cel-
lules ganglionnaires, qui ne serait visible que grâce à la chromatolyse de
la substance chromatophile ? c'est l'hypothèse qui nous parait la plus pro-
bable mais elle se trouve en désaccord avec deux faits : 1° Comme nous
l'avons dit, la formation peut se trouver également dans les cellules à corps
de Nissl d'apparence normale présentant seulement l'hypertrophie du
noyau et de son nucléole ; 2° la formation n'apparaît que dans quelques
cellules en état de chromatolise, mais on ne la trouve pas dans toutes les
cellules.
LÉSIONS PÉRI-CELLULAIRES
A côté des lésions cellulaires décrites prennent place les lésions péri-
cellulaires qui portent sur la capsule fibreuse du ganglion, les vaisseaux
et les capsules endothéliales des cellules ganglionnaires. Examinons cha-
cune de ces parties : 1° la capsule fibreuse du ganglion est considérable-
ment épaissie et sillonnée d'un grand nombre de vaisseaux capillaires. En
comparant deux coupes de ganglions appartenant à la même paire rachi-
dienne,maisdont l'un correspondant au côté paralysé et l'autre au côté sain,
par exemple les sixièmes ganglions cervicaux du cas de paralysie spinale
type monoplénique, il est facile de constater que la capsule fibreuse du
ganglion de la région paralysée est trois ou quatre fois plus épaisse et plus
vascularisée que celle du ganglion du côté sain.
2° Les modifications de la capsule endothéliale consistent en une pro-
lifération très aclive des éléments cellulaires, prolifération qui aboutit à
l'envahissement de la cellule nerveuse et à la constitution de nodules
semblables au nodule rabique de Van Gehuchten et Nelis. Les éléments
cellulaires qui prennent part à la constitution de ce nodule sont d'aspect
morphologique différent : ainsi à côté des cellules constituées par un
300 JONNESCO
noyau et une mince couche de protoplasma on remarque des cellules à
protoplasma abondant et granuleux ou d'aspect homogène et très basophile
et à noyau excentrique. A l'intérieur de ces cellules proliférées, nous
n'avons jamais pu remarquer la présence de pigment ou d'autres débris
de la cellule ganglionnaire". détruite ; quelquefois la prolifération cellulaire
au lieu de se limiter à l'intérieur de la capsule franchit la limite de cette
dernière. Les cellules se multiplient activement vers l'extérieur, effaçant
la limite de la capsule et peuvent même venir en contact avec d'autres
nodules du voisinage. Autour de ces nodules on remarque d'une manière
à peu près constante la présence de plusieurs vaisseaux capillaires quel-
quefois très distendus et gorgés de sang, de plus on peut observer certains
nodules comprimés ou même envahis par des capillaires de nouvelles for-
mations. Cet envahissement des cellules envahissantes par des vaisseaux
de nouvelle formation nous parait tout à fait caractéristique. La destruc-
tion de la cellule nerveuse par la prolifération des cellules satellites, en
un mot la formation d'un nodule ne peut plus être considérée dans notre
cas comme la dernière étape du processus pathologique, car probablement
qu'une fois le nodule constitué la réaction vasculaire entre en jeu, les
vaisseaux de nouvelle formation compriment et pénètrent entre les élé-
ments cellulaires du nodule. Nous sommes tentés de croire que c'est ce
remaniement du nodule par les vaisseaux de nouvelle formation qui cons-
titue la dernière étape du processus pathologique. Ces nodules remaniés
ou non, se rencontrent presque exclusivement immédiatement en dessous
de la capsule fibreuse du ganglion ; an sur et à mesuie qu'on s'éloigne de
cette capsule les nodules deviennent de plus en plus rares ou font com-
plètement défaut. Dans les cellules nerveuses situées au centre du gan-
glion nous n'avons jamais pu constater la présence de ces nodules et d'une
manière générale on peut dire que la destruction des cellules par la pro-
lifération des éléments capsulaires est strictement limitée à la zone immé-
diatement sous-capsulaire, La présence de ces nodules a été constatée
dans les ganglions rachidiens des animaux inoculés avec le virus polio-
myélique (Flexner, Lewis, Levaditi). Tout récemmentl\1M. C. Levadili,
G. Froin et J. Pignot (1) ayant eu l'occasion d'examiner les ganglions
rachidiens d'un individu ayant succombé à la suite d'une poliomyélite
aiguë insistent sur « la ressemblance frappante » qui existe entre ces
ganglions et ceux de la rage humaine expérimentale. En ce qui concerne
l'élude de nos deux cas de paralysie spinale infantile de date ancienne
nous ne pouvons pas arriver aux mêmes conclusions que les auteurs que
nous venons de citer. L'aspect que présentent ces ganglions est en tous
(1) Sur un cas parisien de Poliomyélite nigné (Maladie de Ileine-Medin) transmis
de l'infection au singe, Bull, et lllém, de la Soc. des Hôpitaux de Paris.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XXIV. Pl. XLIV
LES GANGLIONS RACHIDIENS
DANS LA PARALYSIE SPINALE INFANTILE DE DATE ANCIENNE
(V, jonrreco).
Masson & Cie, Editeurs
I'holollpm l3erthand, l'an
RECHERCHES CYTOPATHOLOGIQUES SUR LES GANGLIONS RACHIDIENS 301
points différent de celui qu'on observe dans la rage humaine ou expéri-
mentale. La seule présence de nodules analogues aux nodules rabiques
ne nous autorise pas à rapprocher les lésions décrites de celles qu'on
observe dans la rage. De plus même dans cette dernière maladie, le nodule
n'a pas une valeur pathognogmonique ; le diagnostic histologique de rage
ne peut être porté qu'après l'examen de toutes les parties constituantes
de la cellule ganglionnaire et surtout de l'appareil réticulé (Cajal, Mari-
nesco) (1).
3° Enfin tous les ganglions examinés sont très vascularisés à parties
nombreux vaisseaux capillaires distendus et gorgés de sang, les vaisseaux
de nouvelle formation qui compriment et traversent les nodules on re-
marque un processus très intense de périartérite scléreuse autour de tou-
tes les artérioles du ganglion.
En résumé, l'aspect général que présente une coupe totale d'un glan-
glion rachidien est le suivant :
a) A la périphérie on voit la capsule fibreuse du ganglion très épaissie
et abondamment vascularisée ; b) immédiatement sous la capsule on voit
toute une zone de cellules nerveuses détruites par l'envahissement des
éléments cellulaires de leur capsule endothéliale, en d'autres termes toute
une zone de nodules ; et nous ferons remarquer encore une fois que ces
nodules se trouvent seulement immédiatement au-dessus delà capsule ;
c) dans le reste de cette zone périphérique les cellules ganglionnaires
présentent les altérations du noyau du nucléole, et de la substance chro-
matophile sur lesquelles nous nous sommes entretenus assez pour ne plus
être forcés de revenir ; d) dans les îlots des cellules ganglionnaires de la
zonecent.rale,les lésionscp,llulaireset péri-cellula ires di ITèl'entcomplètement
de celles qu'on rencontre dans la zone périphérique. Le prolifération
des éléments cellullaires des capsules endothéliales fait complètement
défaut et l'on ne peut même pas remarquei' un commencement d'envahis-
sement des cellules nerveuses par ces éléments. Les capillaires ne sont
pas si nombreux que dans la zone périphérique et on voit seulement quel-
ques artérioles entourées d'un large manchon de fibres collagènes adultes.
La majorité des cellules se trouve très atrophiée et envahie par le pig-
ment, leurs noyaux sont atrophiés et déplacés vers la périphérie des
éléments cellulaires ; seul les nucléoles se trouvent aussi hypertrophiés que
dans les cellules de la zone périphérique. A part ces cellules en état de
dégénérescence pigmentaire on remarque par ci parla quelques cellules
d'apparence vacuolaire ou fenêtrée. Enfin nous devons ajouter que dans
cette région nous n'avons jamais pu constater de phénomènes d'émigration
active du nucléole ou la formation cytoplasmique décrite.
(i) G. Marinesco, De la constance des lésions de l'appareil fibrillaire des cellules
nerveuses dans la rage humaine el leur valeur diagnostique. Comp. rend. de la Soc.
de Biologie, t. LXVIII, lfll0.
Plaque XLI.
Fie. a, b, c, Phase. successives du processus d'émigration active du nucléole.
En (e) on voit que le noyau n'est plus représente que par son réseau de linine, la
membrane nucléaire a disparu. Le nucléole émigré se trouve en etat de bourgeonne-
ment très manifeste. Dans le reste du corps cellulaire on peut remarquer un grand
nombre de sphérules et granules fuchsinophiles. Dans la figure (f) nous représentons
une cellule ganglionnaire envahie par les éléments de la capsule et contenant son
nucléole en état de bourgeonnement dans l'amas pigmentaire. Au voisinage du
nucléole on peut remarquer quelques granulatious fuchsinophiles beaucoup plus
petites que les sphérules nucléoaires. '
Fie. g. - Exemple d'entraînement mécanique du nucléole.
Planche XLII.
FiG. 1. Fixation Dominici. Triple coloration Mallory. Coupe du V ganglion
cervical. En (c) capsule fibreuse du ganglion ; (n, n, n" nodules poliomyéliques
(n"') un nodule beaucoup plus volumineux- que les autres ; et (c. v.) Cellule vacuo-
lisée, (m) cellule augmentée de volume contenant un corpuscule ovalaire constitué
de plusieurs sphérules fuchsinophiles qui probablement représentent le nucléole.
Fio. 2. Même technique. Coupe du Vle ganglion cervical.
En (c) capsule fibreuse ; (v) vaisseaux capillaires distendus et gorgés de sang au
voisinage d'un petit nodule (n) ; (u) nodule poliomyélique pénétré par un vaisseau
de nouvelle formation.
Planche XLIII.
Fig. 1. - Fixation Dominici. Triple coloration de Mallory. coupe du Il' gan-
glion sacré. En (c) capsule Obreuse du ganglion ; (ni deux nodules poliomyéliques
fusionnés; (nr) nodule remanié par un vaisseau de nouvelle formation (v v' v")
vaisseaux capillaires.
Etc. 2. Même technique Coupe du IV' ganglion lombaire; (e) commencement
d'envahissement de la cellule nerveuse par les éléments de sa capsule ; (c, v,) cel-
lule avec plusieurs vacuoles.
Planche XLIV.
Fio. 1. Cellule ganglionnaire à substance chromatophile en état de désintégra-
tion granuleuse irrégulière (a) en (b) noyau central hypertrophié et contenant un
grand nombre de cellules fuchsinophiles, (c) nucléole considérablement hypertrophié et
adossé contre la membrane nucléaire.
FiG. 2. Cellule ganglionnaire augmentée de volume avec en (a) substance chro-
matophile d'apparence plus ou moins normale et en (b) en état de désintégration
granuleuse. Au centre de 1.1 cellule le noyau (m) hypertrophié avec nucléole consi-
dérablement hypertrophié (d) et déplacé vers la substance chromatophile la moins
altérée.
Fie. 3. Cellule ganglionnaire avec noyau (n) sans membrane nucléaire et sans
réseau de linine, (g) sphérules fuchsinophiles de tailles inégales, (b) nucléole hyper-
trophié et en état de bourgeonnement. Dans le reste du cytoplasme on remarque un
grand nombre de granulations fuchsinophiles (c).
Fio. 4. (n, g, b, c,) comme pour la fig. 3), en plus désagrégation du nucléole et en
(v) amas de vacuoles.
FIG. 5. Cellule criblée d'un grand nombre de vacuoles, (v) amas de sphérules
fuchsinophiles à l'intérieur d'une vacuole (g).
Fio. 6. Fixation au liquide de Dominici. Triple coloration de Mallory. En (a)
les corps de Nissl ont complètement disparu, le cytoplasme apparaît coloré en rouge,
(b) large zone de substance chromatophile d'aspect poussiéreux, (p) plasmosphère,
(f) filaments axiaux (dans cette cellule le noyau n'est pas visible).
Fto. 7. - Fixation au Dominici. Coloration au bleu de toluidine éosine. En (a) subs-
tance chromatophile en état de désintégration granuleuse, (b) noyau d'aspect normal.
Autour du nucléole entle deux plaquettes de basichromatine on remarque deux cor-
puscules satellites (c),fortnaiion en rosace située au vois-mage de l'amas pigmentaire (d).
Fm. 8. - Fixation au Dominici. Triple coloration de Mallory en (c) formation en
rosace (b) noyau et nucléole hypertrophiés.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPC7RI1.RE
T. XXIV. l'1. XLVI
mu 'iu-jiijii u ... . r-WsrTg - .g ? g6 ? AdRr ? s ? m..jw ! ^IWBMU.j
(C. Foixj.
C. La malade- levant les épaules, a. Angulaire. 1. Trapèze paralysé à gauche.
r. Rhomboïde.
D. Hémiatrophie linguale et paralysie faciale gauches.
Masson & Cie, Edocurs.
NOUYLLLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPtTRltRE
'-1'. XXIV. Pl.-XEV-
HÉMISYNDROME BULBAIRE
(C. Foix).
A, Paralysie faciale gauche. - La malade regardant a gauche, l'oeil gauche reste immobile (paralysie de
l'abiuceus)
B, B' Différence entre les régions sus-claviculaires droite et gauche.
HOSPICE DELA SALPÊTRIÈRE
Laboratoire de lI. le professeur PIEIIRE MAIllE.
HÉMISYNDROME BULBAIRE PAR LÉSION PÉRIPHÉRIQUE
INTRA-CHANtENNE DES NERFS BULBAIRES
PAR
Charles FOIX,
Ancien interne, médaille d'or des Hôpitaux.
La malade dont nous apportons l'observation présente un hemisyndrome
bulbaire caractérisé par l'atteinte des 6", 7% 9°, 11e et 12e paires gauches,
par lésion intracrânienne très vraisemblablement périphérique et non
pas nucléaire de ces nerfs (l'I. XLV et XLVI).
Observation.
Mme Louise M..., 72 ans, non mariée, femme de ménage, est malade depuis
deux ans environ.
Elle n'avait eu jusque-là que des affections insignifiantes, lorsque sans pro-
dromes et sans douleur elle s'est réveillée un matin avec = la la figure de travers ».
La jambe et le bras du même côté étaient parfaitement libres.
Comme malgré son âge elle travaillait encore, elle ne se sentit pas suffisam-
ment malade pour interrompre ses occupations et se rendit comme de coutume
au magasin central de la Salpêtrière. 1
Cependant la figure demeurait déviée sans autre modification de la situation
lorsqu'il y a six mois elle ressentit de vives douleurs dans la tête le soir en
revenant de son travail. -
C'était une céphalée tenace, surtout occipitale, avec exacerbation lancinante
dans la nuque. Cette céphalée s'accompagnait d'une Impression de raideur, et en
effet il est encore impossible à la malade de tourner sa tête dans un sens ou
dans l'autre. Depuis elle a renoncé à son travail.
A mesure que la malade parle, on constate un enrouement très marqué. La
voix est à la fois enraillée, sourde et rauque. La malade racle perpétuellement
sa gorge. Cet enrouement daterait d'une dizaine d'années, renseignement im-
portant si l'on pouvait y accorder une foi complète, car il s'agit, comme nous
le verrons, de la paralysie d'une corde vocale.
1 ? xanie ? z. - La malade est une petite vieille, sèche, ridée, parcheminée,
présentant une maigreur et un état d'émaciation extrêmes dus en partie à une
tuberculose qui semble d'ailleurs ancienne et stationnaire. Elle avance lente-
304 FOIX
ment, comme une sénile, mais ne présente aucun trouble caractérisé de la dé-
marche. Elle n'a pas en particulier la démarche des lacunaires.
Dès qu'on la regarde, ou est frappé de l'asymétrie de son visage, la face est
déviée, les yeux en strabisme convergent par suite de l'immobilité de l'oeil
gauche dans le regard externe, le cou amaigri présente dans sa moitié gauche
une fosse profonde due à l'atropliie du stermo-cleido-l1lastoïdien.
Cette malade présente en effet, dans le domaine des nerfs bulbaires une série
de troubles paralytiques strictement unilatéraux portant sur les 61, 7°, 9% 19e e
et Il-), paires gauches.
Paralysie de la 6e paire. - A l'état statique on constate un strabisme
convergent de l'oeil gauche.
A l'état dynamique, ce strabisme s'exagère dans les mouvements vers la
gauche.
La mobilité de i'<.s : 7 gauche est normale en haut, en bas et en dedans.
En dehors l'oeil dépasse à peine la ligne médiane.
Il en est de même en haut et en dehors et en bas et en dehors.
Du côté de l'oeil droit, la motilité est normale. On note quelques secousses
nystagmiformes excessivement lentes dans la position extrême du regard vers
la gauche.
Il n'y a jamais eu de diplopie, mais la malade présente une amblyopie
de l'oeil droit.
Cette amblyopie explique également les secousses nystagmiques que l'on
observe à droite dans le regard vers la gauche. Il n'y a donc pas lieu d'mvo-
quer le pouvoir régulateur de la 6" paire sur la 3° du côté opposé.
Eu résumé, paralysie de l'abducens du côté gauche chez une malade présen-
tant d'ailleurs d'autres lésions oculaires dont nons donnerons plus loin le détail
complet.
Paralysie de la 7e paire. C'est une paralysie gauche du type périphéri-
que portant à la fois sur le facial supérieur et inférieur.
A l'état statique :
La Louche est en point d'exclamation.
La commissure peu abaissée.
Le sillon naso-géuien moins marqué du côté gauche.
L'oeil est un peu plus largement ouvert.
Les rides du front sont effacées du même côté.
A l'état dynamique : .
Quand la malade lève les yeux la différence entre les rides du front s'accen-
tue considérablement.
Elle peut fermer les yeux, mais elle le fait beaucoup plus mal du côté gauche
où il subsiste une fissure tandis que du côté droit l'occlusion est énergique.
La bouche est beaucoup mieux ouverte à droite, elle devieut alors très ova-
laire et la lèvre inférieure est tirée vers la droite. Le rire est unilatéral droit.
La malade ne peut ni souffler, ni siffler, l'air s'échappe entre les 2 lèvres
gauches. Elle gonfle mal ses joues.
Paralysie des 91 et 1 Il paires. On note du côté gauche une paralysie
très nette du pharynx et également une paralysie moins nette du voile.
La luette est légèrement déviée, le voile est flasque quand on fait prononcer
HÉMISYNDROME BULBAIRE PAR LÉSION PÉRIPHÉRIQUE 308
les voyelles « a u o » il se relève moins bien à gauche; il y a asymétrie, le
pilier se contractant moins bien à gauche.
Il y a en même temps paralysie sensitive avec diminution très marqnée de
la sensibilité au tact et à la chaleur dans la moitié gauche du pharynx et du
voile.
La sensibilité est conservée au niveau de la moitié gauche de la langue.
qui cependant comme nous le verrons, présente une amyotrophie très marquée
Le spinal est touché dans sa branche interne et externe.
En effet l'examen laryngoscopique pratiqué par le Dr Lemaitre a montré une
paralysie de la corde vocale gauche qui est en position intermédiaire.
D'autre part on note une paralysie avec atrophie du trapèze et du sterno-
mastoïdien.
A l'état statique, en avant : la disparition presque complète du sterno-mastoï-
dien s'ajoutant à la maigreur extrême de la malade creuse une véritable fosse
dans le creux sns-claviculaire gauche.A la palpation le muscle apparaît comme
une bande mince.
En arrière l'omoplate gauche est éloignée de la ligne médiane, le creux sus-
épineux paraît amaigri.
A l'état dynamique la déformation s'accentue en avant et surtout en arrière.
On voit, lorsqu'on commande à la malade de porter ses épaules en haut et en
arrière, l'omoplate du côté droit se porter en haut et en dedans pendant que le
bord supérieur du trapèze se dessine fortement sous la peau. Au contraire, du
côté gauche l'omoplate reste éloignée de la ligne médiane. Ce sont les faisceaux
du rhomboïde que l'on aperçoit tendu, entre l'omoplate et la colonne. Le bord
supérieur du trapèze est réduit à une mince lame horizontale et c'est l'angu-
laire de l'omoplate dont on aperçoit la saillie.
Il faut noter en outre que la malade éprouve une grande gêne dans tous les
mouvements de latéralité. Elle porte son cou en masse à droite ou à gauche sans
mobiliser sa colonne vertébrale. Elle penche beaucoup mieux la tête en avant
mais assez mal en arrière. La pression de la colonne est peut-être un peu dou-
loureuse à ce niveau.
Paralysie de la XIIe paire. C'est une paralysie de la moitié gauche de
la langue avec hémiatrophie. On constate en même temps le phénomène qui a
été mis en lumière par M. Babinski (1) dans ces sortes de paralysie. La lan-
gue qui, à l'intérieur de la bouche est déviée vers la droite, se dévie vers la
gauche quand on commande à la malade de la tirer au dehors.
L'hémiatrophie est extrêmement marquée, le sillon médian dévie, la langue
flasque et anémiée du côté gauche.
La sensibilité de la muqueuse linguale est conservée.
En résumé, l'on constate un hémisyndrome bulbaire constitué par la
paralysie des 6e, 7", 9e, 11e el 12e paires gauches.
La 8e paire est respectée.
(1) BAi31Nsizi, Bull. et Rev. de la Soc. méd. des Hôpitaux, 1890, p. 6 ! 1.
xxiv 20
306 poix
La 10° paire parait l'être, mais ce dernier point est plus délicat à affir-
mer, les deux pneumogastriques possédant un territoire commun.
Les troubles qui accompagnent cet hémisyndrome se réduisent à peu de chose.
3/o/ ! 7 ? La force est relativement conservée au niveau des membres
supérieurs et inférieurs aussi bien à droite qu'à gauche.
La malade marche avec lenteur comme une grande sénile, mais il n'y a pas
de trouble caractérisé de la locomotion.
En particulier l'on ne constate rien qui puisse faire penser à un étatspasmo-
dique ou à une démarche lacunaire.
Les réflexes tendineux sont conservés, ceux du poignet sont un peu forts,
ainsi que les réflexes rotuliens, mais sans différence d'un côté à l'autre. Les
réflexes achilléens existent, les réflexes abdominaux également. Il n'y a pas de
clonus du pied, pas de réflexes des raccourcisseurs.
Le signe de Babinski se fait en flexion à droite, à gauche l'on n'obtient pas
de réponse nette. '
Sensibilité. - Aucun trouble de la sensibilité superficielle ou profonde,
sauf au niveau de la muqueuse vélo-pharyngée, où l'on constate une hémihy-
poesthésie gauche.
Sensooialüé. La malade entend parfaitement il droite et ;i gauche.
Mise sur le tabouret tournant, on ne note pas de troubles d'origine lahyrin-
thique.
.Elle présente une amblyopie extrêmement marquée du côté droit (voir plus
loin l'examen ophtalmologique.
Equilibre et mouvements commandés. Rien d'anormal dp ce côté. Pas
d'ataxie. Pas d'asynergie.
Examen des yeux (Dr Coutela). Les cornées présentent en plus d'un gé-
rontoxou des taies anciennes de la cornée, très diffuses et qui ne gênent pas
l'examen opblalmoscopique.
La chambre antérieure est très légèrement diminuée des deux côtés ce qui
semble en rapport avec des opacifications commençantes des cristallins (tonus
normal). ),
Il existe du côté gauche à la partie inférieure du champ pupillaire deux
petits dépôts pigmentaires sur la face antérieure du cristallin (iritis anciennes).
Les pupilles réagissent normalement à la lumière et l'accommodation.
Le cristallin présente du côté gauche des rayons cataractes périphériques,
du côté droit une zone d'opacification centrale occupant le champ pupillaire et
gênant légèrement l'examen oplitalrnoscopique (cataracte sénile).
Examen op/i;(t/MOf ! c'o/)tt<e. OEil droit : chorio-rétinite et
pigmentaire diffuse (surtout atrophique).
La papille présente un aspect jaune sale et est très légèrement atrophique par
suite des lésions concomitantes de la chorio-rétine.
OEil gauche : Pas de lésions ophtalmoscopiques appréciables.
Acuité visuelle. VOU : compte les doigts à 40 centimètres à peine.
VOG : la malade ne sait pas lire. Son acuité paraît normale,
IIRDiISYNOROME BULBAIRE PAR LÉSION PÉRIPHÉRIQUE
307
Musculature. A l'état statique : strabisme convergent de l'oeil gauche.
A l'état dynamique : le strabisme s'exagère dans les mouvements vers la
gauche.
OD : motilité normale.
Quelques secousses nystagmiformes (1), excessivement lentes dans la po-
sition extrême du regard vers la gauche.
OG : motilité normale en haut, en bas et en dedans.
L'oeil dépasse à peine la ligne médiane dans le regard en dehors, en haut,
et en dehors, et en bas et en dehors.
Impossibilité de prendre la diplopie, par suite de l'amblyopie accentuée de
l'oeil droit.
Conclusion. Paralysie de l'abducteur du côté gauche chez une malade
présentant des traces d'iritis gauche et de chorio-rétinite atrophique et
pigmentaire droite.
Cataracte sénile.
Examen laryngoscopique (Dr Lemaitre). 1° Paralysie de la corde vocale
gauche, corde en position intermédiaire.
2° Parésie très nette du pharynx buccal (moitié gauche).
3° Paralysie moins nette de la moitié gauche du voile.
Il Paralysie sensitive de la moitié gauche du voile et du pharynx.
Examen électrique (D'' Legros). - La contractilité au courant faradique
et galvanique est un peu diminuée dans le trapèze et le sterno-mastoïdien du
côté droit.
A gauche il y a perte de la contractilité au niveau du sterno-mastoYdien
grosse diminution et réaction de dégénérescence au niveau du trapèze.
(1) Dans le champ d'excursion reproduit ci-contre, une ligne ondulée indique dans
quelle direction du regard se produisent les secousses nystagmiformes.
FIG. 1
308 poix
Au niveau de la face, la contractilité faradique et galvanique est normale à
droite, très diminuée à gauche avec réaction de dégénérescence.
Au niveau de la langue les secousses sont normales à droite.
A gauche, l'on n'obtient pas de contractions aux courants faradique et galva-
nique.
Ponction lombaire. -Pas de lymphocytose. Deux lymphocytes environ par
champ d'immersioa. '
Albumine sensiblement normale.
Glycose en quantité normale.
Réaction de Wassermann. Positive dans le sérum.
Négative dans le liquide céphalo-rachidien.
Examen viscéral. Tuberculose probable du sommet droit.
Pouls 80.
Rien autre d'anormal.
Somme toute, on note chez cette malade :
1° Un hémisyndrome bulbaire gauche caractérisé par l'atteinte du mo-
teur oculaire externe, du facial, du glosso-pharyngien, du spinal (branche
interne et branche externe), de l'hypoglosse.
L'auditif est respecté.
2° L'absence de symptômes nets du côté des voies pyramidales, sensi-
tives et cérébelleuses.
3° L'absence de stase papillaire.
4° L'absence de modification du liquide céphalo-rachidien.
DO Une réaction de Wassermann positive dans le sérum, négative dans
le liquide céphalo-rachidien.
La malade présente par conséquent à la fois les syndromes d'Avellis, de
Schmidt et de Jackson, associés à une paralysie des VIe et VIIO paires.
Des syndromes analogues s'observent assez fréquemment au cours de
deux affections du système nerveux : le tabes et la syringomyélie.
Plus spécialement c'est au cours du tabes que l'on voit ordinairement
les syndromes de paralysie récurrentielle associée auxquels nous avons
fait allusion.
Il est cependant rare qu'une paralysie tabétique atteigne un aussi grand
nombre de nerfs crâniens et en pareil cas la lésion est ordinairement plus
ou moins bilatérale. '
Au reste notre malade ne présente aucun signe de tabes. Les réflexes
sont conservés, il n'y a pas de douleurs fulgurantes, pas de signe d'Argyll
Roberston.
Les syndromes strictement unilatéraux sont plus fréquents dans les
HÉIVfISYNDROME BULBAIRE PAR LÉSION PÉRIPHÉRIQUE 309
formes bulbaires de la syringomyélie et nous-môme avons eu l'occasion
d'examiner une malade qui présentait du côté droit une paralysie du mo-
teur oculaire externe du facial et une hémiatrophie de la langue.
Des observations analogues ont été publiées par Raymond, Schlesinger,
Maixner, Jolly, etc. Elles sont donc loin d'être rares.
Il nous paraît cependant impossible de penser chez notre malade à une
syringomyélie étant donné l'intégrité parfaite de la motilité et de la sen-
sibilité des membres supérieurs. Or on ne peut même pas supposer que
la lésion soit limitée au bulbe car le trapèze et le sterno-mastoïdien atro-
phiés dénoncent l'atteinte profonde du spinal médullaire.
S'agit-il d'une polio-encéphalile inférieure ?
L'atteinte des noyaux est ici progressive et presque toujours bilatérale.
Il existe cependant quelques observations, d'ailleurs sans autopsie de polio-
encéphalite unilatérale. Mais alors le syndrome est bien moins étendu
et ne touche pas le spinal médullaire. Il semble certain quepour une telle
lésion, l'on constaterait des troubles bulbaires graves que notre malade ne
présente pas.
Nous ne croyons pas davantage qu'il s'agit d'une lésion en foyer.
Celle-ci pourrait expliquer la paralysie de l'hypoglosse du moteur oculaire
externe et du facial si elle était placée en ce point du plancher bulbaire
où le noyau de la 12e paire est si rapproché de celui de la 6e et où le nerf
facial vient contourner ce dernier. A la rigueur une lésion un peu plus
étendue expliquerait l'atteinte de la racine bulbaire du spinal et par
conséquent la paralysie récurrentielle.
Mais il existe en outre une atrophie du trapèze et du sterno-mastoïdien
qui suppose la destruction de la longue colonne du spinal médullaire.
Une telle lésion devient bien improbable et dans tous les cas entraîne-
rait infailliblement l'atteinte des voies pyramidales ou des voies cérébel-
leuses. Or il n'existe ni signe d'hémiplégie, ni syndrome cérébelleux rap-
pelant celui deBabinski-Nageotle, ni troubles sensitifs à type syringomyél i-
ques comme on en observe parfois dans les lésions bulbaires.
En définitive, c'est donc à une lésion des nerfs crâniens si tuée entre leur
émergence et la base du crâne qu'il parait nécessaire de rattacher les
phénomènes.
Sous le nom de polynévrite des nerfs crâniens, Minor de Moscou (1)
décrit une affection caractérisée par la lenteur de son évolution et sa locali-
sation à une seule moitié de la tête.
Cette affection comporte trois signes ; l'hém ia trophie de la langue, le syn-
dromed'Avellis (corde vocale et voile du palais), la paralysie de l'abdomen.
(1) 1\11 : '101\, Société de Neuro-Psychiratrie de Moscou, Polynévrite des nerfs crâniens,
22 novembre 189H.
310 poix
A l'appui de cette description, Minor apporte trois observations com-
portant toutes trois les paralysies des 6e, 11e et 12e paires. Dans les trois, le
nerf facial et l'auditif restent indemnes.
En réalité,et Minor d'ailleurs le reconnaît, de tels syndromes sont avant
tout des syndromes de compression intra-crànienne. Des trois cas qu'il 1
apporte,deux s'accompagnent de stase papillaire, le troisième est survenu
chez un jeune homme tuberculeux.- Dans l'un des cas avec stase la lésion
parait vraisemblablement de nature syphilitique.
Cette hypothèse d'englobement nous parait donc la plus vraisemblable.
Reste à savoir quelle en est la cause. L'on peut soupçonner une tumeur,
la syphilis, la tuberculose.
L'hypothèse de tumeur a pour elle la fréquence aujourd'hui démontrée
des tumeurs de cette région el en particulier de l'angle ponto-cérébelleux.
On apubliédenombreuses observations de ce genre de tumeur,on en trouve
l'énumération dans la thèse récente de M. Jumentie et dans la Revue gêné-
rale de D1VI ? Iquier et Klarfeld. La plupart d'entre elles déterminent la
paralysie de la VIP paire,beaucoup celle de la VIe, quelques-unes la para-
lysie de l'hypoglosse avec celle du spinal. Tel était probablement le cas des
malades de Minor et en particulier il en était probablement ainsi dans
la remarquable observation de M. Souques (1) et dans le cas récent de
Ferrari (2).
Cependant ces tumeurs sont ordinairement plus antérieures vers la Ve
plutôt que vers les XIe et XIIe paires.
Presque toujours elles s'accompagnent de phénomènes cérébelleux qui
manquent complètement chez, notre malade, phénomènes cérébelleux par l'
compression qu'il est d'autant plus bizarre de voir manquer que la tu-
meur supposée devrait avoir un volume considérable pour comprimera Ù
la fois les Vive, v.ue, 11,11° eLXII,3paii,es.
Symptôme encore plus important, l'atteinte du nerf acoustique est la
règle, et quand plusieurs nerfs sont touchés il est presque toujours le pre-
mier atteint. Or dans notre cas, S des 7 dernières paires sont sûrement
atteintes et seul le nerf acoustique est sûrement épargné.
Enfin nous ajouterons qu'il n'y a pas de stase papillaire. La stase
papillaire est un signe inconstant de tumeur, mais son absence dans un
cas comportant l'atteinte d'un aussi grand nombre de nerfs nous parait
significative.
(1) Souque», Lésion bulbo prolrcbéranlielle intéressant l'hypoglosse, le facial et la
branche veslibulaire du nerf acoustique. Revue neurologique, 1905, p. 441.
(2) FEIII,1111, Réforme médicale, 13 janvier 1910. L'obervalion comporte l'atteinte des
Vil-, IX- et XI, paires bulbaires et spinale.Le ner auditif parait atteint, mais il y a otite
double.
HÉMISYNDROME BULBAIRE PAIT LÉSION PÉRIPHÉRIQUE 311
Pour ces raisons nous éliminerons le diagnostic de tumeur cérébrale; de
façon absolue pour ce qui est des tumeurs dites du nerf acoustique ; avec
réserves pour certains endotlléliomes en surface de l'étage postérieur de
la base du crâne.
Un symptôme avait attiré notre attention du côté de la tuberculose.
C'est la raideur de la nuque que présente notre malade, et qui l'empêche
de tourner librement sa tète foi. droite et à gauche. D'autre pari la pression
de l'atlas et de l'exis est quelque peu douloureuse sans que celle douleur
soit suffisamment nette pour constituer un signe important. Enfin la
malade se plaint de douleurs de tête qui prédominent il la région occipitale
si bien que l'on pourrait penser à la compression des branches postérieures
des deux premiers nerfs cervicaux par un mal de Pott tout à fait haut placé.
Il existe dans la littérature quelques observations de ce genre, en par-
ticulier un cas de Ilvana et Vysin (1) où il s'agissait d'une tuberculose
de l'atlas et de la partie condyloïdede l'occipital ayant déterminé une para-
lysie du spinal et de l'hypoglosse avec hémiatropbie linguale. Pareillement
c'est à une lésion rachidienne que MM. Grenet etTanon () rattachent un
syndrome bulbaire comprenant outre l'héllliparalysie du voile et du larynx
une hématrophie de la langue et de la raideur de la nuque.
Mais cette raideur parait jusqu'à un certain point un symptôme des
affections de la région et elle est notée dans plusieurs observations où il
ne s'agissait certainement pas de luberculose.
D'autre part, si l'atteinte du spinal et de l'hypoglosse s'explique relati-
vement bien par une lésion osseuse, il devient beaucoup plus malaisé
d'expliquer celle du facial et surtout du moteur oculaire externe dont les
rapports osseux sont beaucoup plus importants.
Enfin nous avons décrit avec M. Sicard (3) un syndrome constitué par
des modifications du liquide céphalorachidien, syndrome dont nous avons
complété l'étude avec M. Salin (4), et qui est sensiblement constant dans
les cas de compression nerveuse par lésion tuberculeuse des os et de la
pachyméninge. Ce syndrome comporte, comme élément essentiel, la
dissociation albaenaino-cloloicl2ce, c'est-à-dire :
La présence d'albumine en quantité généralement considérable et l'ab-
sence de lymphocytes ou tout au moins leur présence en nombre peu
important relativement à l'abondance de l'albumine.
Autour de ce signe constant se groupent d'autres modifications : xanto-
chromie légère,présenced'atbumose,pouvoirbémo)y tique du 1 iquidecépha-
(1) IIVANA et Vysin, Société des Médecines tchèques de Prague, 1 férier 1898.
(2) Gueaer et Twov, Revue neurologique, 1906, p. 1113.
i : l) 5c.ntu et Foix, Revue neurologique, 30 juin 1910.
nl Sicu'id, Fou et Sacm, Presse Médicale, 1010,
312 poix 1
Io-rachidien, diminution du glycose normal, qui ne s'observent que dans
la moitié environ des cas.
Ces modifications du liquide manquaient complètement chez notre
malade, et ce signe ajouté aux considérations que nous avons déjà exposés
nous paraît éliminer le mal de Pott.
Reste la syphilis sous ses diverses.formes, gommes, méningite bacillaire,
pachyméningite syphilitique. Malgré l'absence de lymphocytose cette
dernière hypothèse nous paraît la plus vraisemblable. Notre malade qui
présente des lésions oculaires (Iritis, chorio-rétinite) de nature très pro-
bablement spécifique, a en outre une réaction de Wasserman positive
dans le sérum (négative il est vrai dans le liquide céphalo-rachidien). La
syphilis d'autre part est une cause fréquenlede ces syndromes bacillaires,
et notamment il en était ainsi dans un des cas déjà cités de Minor.
Dans tous les cas et malgré quelques réserves sur la possibilité d'une
tumeur en surface des méninges, cette malade paraît justiciable d'un
traitement qui restera prudent en raison de son âge.
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
SÉANCE DU 4 M.\ ! 1911.
DÉFORMATIONS ACROMÉGALOIDES
PAR
S. MOSSÉ
Interne des hôpitaux.
Le syndrome de l'acromégalie a été magistralement isolé et défini par
Pierre Marie. Si Brissaud et H. Meige, Launois et P. Roy, ont fait con-
naître certains liens de parenté entre l'acromégalie, le gigantisme et
l'infantilisme, l'autonomie de la maladie de Pierre Marie demeure in-
contestée et incontestable.
Mais, il semble que à côté du type pur, classique; de l'acromégalie,
« maladie non congénitale» (P. Marie), apparaissant vers l'âge de 30 ou
35 ans, il existe d'autres états corporels qui s'en rapprochent par cer-
tains côtés sans toutefois s'identifier avec lui. C'est un cas de ce genre
que nous avons observé récemment. Un examen attentif de notre malade
nous a montré qu'il existait chez lui tout un groupe de signes qu'il est
classique de décrire dans l'acromégalie, et cependant nous ne saurions
prétendre qu'il s'agit d'un acromégalique.
Ces états corporels sont encore peu connus et mal classés. Clinique-
ment, faut-il les rattacher à l'acromégalie ? Faut-il au contraire tenter de
les ranger dans un groupe spécial ? Au point de vue pathogénique, s'a-
git-il, comme pour l'acromégalie de troubles liés à l'altération fonction-
nelle des glandes à sécrétion interne ? L'hypophyse entre-t-elle seule en
jeu ou les autres glandes telles que le testicule, le corps thyroïde, la
surrénale, interviennent-elles ? Enfin, chez ces sujets, les troubles res-
tent-ils toujours à l'état d'ébauche ?
Ne sont-ils pas susceptibles, d'évoluer ? Et s'ils évoluent, dans quel
sens- s'effectuera cette évolution.
Autant de questions donton entrevoit le grand intérêt. Nous n'avons pas
qualité pour les résoudre. Nous nous contentons d'apporter des faits qui
plus tard peut-être, pourront être utiles, à ceux qui aborderont ces pro-
blèmes cliniques :
Voici notre observation :
314 MOSSÉ
Observation.
Le malade André L..., âgé de 20 ans, boulanger à Paris, entre à l'hôpital
pour des ulcérations superficielles siégeant sur la face supérieure du gros orteil
et sur la partie inférieure de la jambe. '
Il s'était le matin même présenté à la Consultation et n'avait pas été admis.
Ce n'est que sur les instances de notre surveillante qui connaissait sa mère
que nous consentons à le garder quelques jours.
Ce qui attira notre attention immédiatement lorsque nous avons voulu l'exa-
miner ce fut d'une part son état mental bien particulier, d'autre part les di-
mensions vraiment anormales de ses extrémités et surtout de ses pieds.
Au point de vue héréditaire, on note.
Du côté paternel :
Père boulanger, très sobre, de taille moyenne, 1 m. 65, âgé de 48 ans.
Du côté collatéral : trois frères et une soeur, de taille au-dessous de la
moyenne.
Un de ses frères est actuellement interné dans une maison de santé. Il serait
devenu fou à la suite de chagrins intimes. Il ne travaillait plus, vagabondait
et se trouvait dans la misère quand sa famille le fit placer dans un asile.
Le grand-père paternel, 83 ans, est encore vivant, très solide, de taille nor-
male.
Du côté maternel.
Sa mère, 42 ans, est une femme vigoureuse. Elle mesure 1 m. 68.
A 18 ans elle a fait une pleurésie et il y a a ans une pneumonie grave, qui
a d'ailleurs bien guéri.
Elle a une soeur, très grande : 1 m. 73, mariée et de bonne santé.
Son père et sa mère vivants, sont bien portants et de taille ordinaire.
De celle union sont nés 4 enfants.
Deux mois et demi après son mariage, la mère de notre malade fit une fausse
couche.
Elle l'attribue à une frayeur subite et violente due à la rencontre d'un chien,
animal particulièrement redouté par la malade. Ensuite, grossesse normale,
donnant deux jumeaux nés à terme, André et Marcel. Tous deux sont vivants,
l'un d'eux André est le malade qui nous intéresse.
L'accouchement fut laborieux et nécessita une intervention par le forceps.
Marcel ne présente aucune des tares de son frère avec lequel il contraste
étrangement. Sa taille est moyenne 1 m. 72, ses pieds et ses mains de volume
normal ; de plus c'est un garçon sérieux, intelligent et travailleur.
Un an après la naissance des deux jumeaux nouvelle fausse-couche de
3 mois attribuée à la fatigue et au surmenage.
Au bout de 3 ans, grossesse normale terminée par un accouchement à terme,
facile ; c'est la naissance d'un troisième enfant. Georges âgé de 16 ans. Il est
déjà très grand; ses pieds présentent un volume exagéré (pointure 46) ; il
exerce consciencieusement son métier de boulanger.
MKFORN ETIONS ACROMÉGALOÏDES 315
Il y a 10 ans, nouvelle fausse couche de 2 mois, également attribuée à des
fatigues.
Un an après, naissance d'un garçon Ferdinand, âgé de 7 ans, sage, docile,
plutôt petit.
Il nous a été impossible de trouver des traces de syphilis chez le père ou
chez la mère.
Quant aux trois avortements, ils ne paraissent pas dus à la syphilis.
Au point de vue personnel, voici ce que nous avons recueilli :
Dès sa naissance, notre malade a été considéré par sa famillo comme un
être particulier et anormal. Ce fut d'autant plus facile que sa mère avait un
terme de comparaison dans le frère jumeau Marcel.
A sa naissance, André était fort et robuste, non seulement par rapport à
son frère très chétif, mais aussi tous les nouveau-nés auxquels sa mère le
comparait. t.
Il a grandi très vite, restant maigre, bien'que faisant preuve d'une voracité
étonnant tout l'entourage.
Sa mère le croyait rachitique : à 2o mois seulement il commence à marcher
alors que son frère faisait ses premiers pas à 15 mois.
Pas de rhumatisme articulaire de ses antécédents.
La croissance fut normale ; cependant, il est toujours resté plus grand que
son frère.
A 18 ans, ses parents ayant résolu de le faire engager au service militaire,
il se présenta au conseil de revision. Sa taille était de 1 m. 78.
Elle est la même aujourd'hui. Il semble donc que depuis l'age de 18 ans,
c'est-à dire depuis 2 ans, il n'ait plus grandi.
Ces faits s'accordent d'ailleurs avec l'examen radiographique des extrémités
osseuses qui montrent les épiphyses définitivement soudées.
Parmi les maladies de l'enfance, nous relevons une coqueluche à 4 ans,
quelques mois après la rougeole, toutes deux bénignes, sans complication ni
séquelles.
Jamais de convulsions.
A 18 ans, fièvre typhoïde sans gravité.-
Tout jeune il était aussi différent de son frère moralement que physiquement.
A l'école, il ne travaillait pas, et n'a su lire que très tard. Il fut renvoyé
plusieurs fois pour son mauvais caractère.
A 14 ans, il fait une fugne de 48 heures. Mis à l'apprentissage, il ne put
jamais rester dans aucune place, se faisait renvoyer par ses patrons.
A 16 ans, nouvelle fugue de 5 jours, décidant ses parents à le placer dans
une colonie pénitentiaire.
Son caractère ne s'était pas amélioré, motivant des plaintes continuelles du
directeur. C'est ainsi qu'on le vit un jour engloutir coup sur coup 18 assiettes
pleines de riz.
Au conseil de revision il est ajourné pour pied plat et varices internes.
Il y a environ un an, il a de nouveau quitté subitement sa famille, restant
4 mois sans donner de ses nouvelles. Il a voyagé en Normandie et n'est rentré
316 MOSSÉ .
qu'en mars à Paris dans la plus profonde misère. Il était d'une saleté repous-
sante et avait sur les membres inférieurs des plaies superficielles mais infectées.
Etat actuel. -Nous nous sommes servis pour l'examen de notre malade
d'une excellente observation publiée par M. Magalhaes Lemos sur le gigantisme
et l'acromégalie dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière (n° 1,1911).
Taille : 1 m. 78 dans la station debout.
Hauteur des membres inférieurs partir du pubis : 0 m. 90.
Par conséquent, si le malade gardait les mêmes proportions entre ses diffé-
rentes parties du corps, étant donné sa taille de 1 m. 78, la hauteur du pubis
au-dessus du sol devrait être de 0 m. 87 au lieu de 90 cent. trouvés, puisque
d'après le canon égyptien de Septuis chez l'homme normal, la longueur des
membres inférieurs à partir du pubis représente 10/19 de la hauteur totale.
Si l'on s'en rapporte aux mesures de Toponard (Eléments d'anthropologie
genevoise, p. 1092) cette disproportion au profit des membres inférieurs appa-
rait encore mieux. '
Les diverses mensurations du membre inférieur droit et du membre infé-
rieur gauche nous ont donné des chiffres identiques, tant au point de vue de
la longueur, que du volume.
Les pieds proportionnellement à la taille sont très développés : en effet si
l'on s'en rapporte au canon de vitrase le pied doit avait la 7° partie de la
longueur totale du corps : sa longueur devrait donc être 25 centimètres au lieu
des 30 trouvés (PI. XLV11).
Aucune portion des membres inférieurs n'est difforme, les orteils sont bien
conformés, de longueur concordant avec celle du tarse et du métatarse.
Les cuisses sont admirablement charpentées, mouvements articulaires
normaux.
Le malade fait preuve d'ailleurs d'une certaine agilité dans la course et pour
grimper aux arbres.
Des deux côtés on constate des cicatrices brunâtres, bronzées, irrégulière-
ment disséminées survenues d'après lui à la suite de la gale contractée en
décembre dernier.
A la partie inférieure de la jambe droite et sur la face antérieure on note
une cicatrice rosée de la largeur d'une pièce de 2 francs, ovalaire, entourée
d'un cercle brunâtre qui s'estompe à la périphérie et qui serait une cicatrice
d'ulcère variqueux.
Ou note d'ailleurs des varices des veines superficielles au niveau de la jambe
droite et du genou.
Nous avons vu enfin que le malade a les pieds plats, ce qui d'ailleurs ne le
gêne pas pour accomplir de longues marches.
Membres supérieurs. Grande envergure : 1 m. 88, prise directement en
mesurant la distance qui sépare l'extrémité inférieure du médius droit de
l'extrémité du médius gauche, le malade étant debout, les membres supérieurs
étendus en croix.
Cette grande envergure dépasse de 10 centimètres la hauteur de sa taille.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALYL'7RIL`AC.
T. XXIV. P. XLVII
DÉFORMATIONS ACROMÉGALOÏDES
(Mossé) .
A, A'. Le malade A. L. et son frère.
B, lui'. Pieds du malade A. L. et de son frère.
DÉFORMATIONS ACROMÉGALOÏDES 317
Notre malade a donc non seulement des extrémités énormes mais des mem-
bres supérieurs relativement très longs.
Nous insistons sur le fait que les bras et les avant-bras ont conservé entre eux
des rapports normaux. Il n'existe à ce niveau aucune difformité appréciable.
Les mains sont bien conformées, avec des phalanges normales. Mais ce qu'il est
curieuxde noter, ce sont les longueurs différentes des deux membres supérieurs.
Il suffit de jeter un coup d'oeil sur le tableau que nous avons dressé pour cons-
tater que le droit l'emporte sur le gauche. La différence très appréciable est
de 35 millimètres.
Cet allongement porte sur tous les segments du membre supérieur, qui pris
individuellement sont chacun plus longs que leurs homologues du côté opposé.
Par contre le membre supérieur gauche est plus gros que le droit. On le
voit par la comparaison des chiffres indiquant la circonférence des bras et
avant-bras prises des deux côtés en des points symétriques.
Côté gauche, bras : 10 millimètres et avant-bras 5 millimètres de plus que
de l'autre côté.
La largeur de la main est identique des deux côtés : 14 centimètres. Ajou-
tons que le malade n'est pas gaucher.
Comme les pieds, les mains bien conformées sont énormes. Elles affectent
le « type en long » ; les doigts sont de longueur proportionnelle à celle du mé-
tacarpe et du carpe. Si l'on s'en rapporte au canon de vitruse, on trouve que
les mains qui doivent avoir la dixième partie de la longueur totale du corps
devaient mesurer 175 millimètres au lieu de 72 centimètres.
Tronc. Le thorax est loin de présenter les déformations classiques de
l'acromégalie. Ce qui domine dans son aspect c'est une structure solide plus
qu'harmonieuse. Les clavicules présentent leurs courbures normales mais sont
épaisses et résistantes.
Le thorax n'est pas bombé et le tour de poitrine (circonférence au-dessous
des oreilles : 0 m. 95) donne une large idée de la structure puissante de notre
malade.
Dos normal. Pas de cyphose. Pas de déformation qui attire l'oeil.
Les divers mouvements de la colonne vertébrale s'accomplissent très bien ;
il existe môme une certaine souplesse qu'on pourrait s'attendre à ne pas trou-
ver chez un homme aussi solidement bâti.
Les épaules sont larges et carrées.
La distance entre les acromiaux est de 40 centimètres.
L'abdomen n'est pas proéminent mais le bassin parait élargi sans se rappro-
cher beaucoup cependant du type féminin. D'ailleurs toutes ces particularités
et notamment cette .impression de force, de solidité que donne le tronc du
malade se remarquent aussi très bien sur la photographie que nous avons fait
reproduire. Si maintenant nous opposons ces trois parties du corps, membres
supérieurs, tronc et membres inférieurs, nous constatons que ces derniers
bien que proportionnellement longs, s'harmonisent assez bien avec le tronc.
Tronc solide, membres inférieurs robustes, pieds énormes.
Les membres supérieurs au contraire paraissent plus grêles.
318 MOSSÉ
Les bras, les avant-bras ne sont pas très développés surtout si l'on tient
compte que L..., boulanger de son métier, fait aècomplir beaucoup d'exercice
à ses bras.
Le cou est épais, solidement implanté sur de larges épaules. Sa circonfé-
rence est de 40 centimètres. Le larynx est peu saillant, la voix plutôt grêle.
Le corps thyroïde n'est pas perceptible la palpation.
Tête. La tête qui au premier abord paraît petite, présente néanmoins
des dimensions qui ne sont pas inférieures à la moyenne. Les cheveux sont
coupés court, absents au niveau des tempes.
Le front est bombé, rétréci à la partie supérieure et se rapproche fortement
du front olympien. Les arcades sourcilières sont saillantes : les yeux petits,
allongés dans le sens transversal ; pas de strabisme.
Nous donnons ci-après l'examen ophtalmologique qui a été pratiqué dans le
service d'ophtalmologie de l'hôpital Beaujon.
Au point de vue visuel on constate :
Aspect normal des deux yeux : pupilles égales réagissant normalement à la
lumière et à l'accommodation.
Fond d'oeil normal : teinte normale de la papille.
Rétrécissement du champ visuel surtout marqué du côté droit.
L'acuité visuelle réduite de chaque côté à 6/10 est due à un astigmatisme
myopique selon la règle.
Les pommelles sont peu saillantes ; le nez est large à sa racine, légèrement
retroussé. Les lèvres sont épaisses, le menton sensiblement pointu avec un
prognathisme peu accentué.
Au contraire les angles de la mâchoire des deux côtés sont massifs, un peu
déjetés en dehors, ce qui achève de donner à la tête un aspect pyriforme.
La bouche présente une longueur de 0 m. 065; la dentition est bonne et
normale pour les canines et les incisives ; les prémolaires supérieures et infé-
rieures sont cariées.
Les sourcils sont bien marqués, mais il existe fort peu de poils au niveau
de la lèvre supérieure et du menton.
La langue ne paraît pas trop augmentée de volume et la prononciation n'est
pas défectueuse.
Les oreilles sont bien dessinées, plutôt petites; le lobule n'est pas adhérent.
La peau est épaisse et contribue à donner au visage un aspect légèrement
bouffi. 1
Radiographie. L'examen radiographique des diverses pièces du sque-
lette a permis de noter ce fait très intéressant, à savoir que les épiphyses sont
déjà soudées (le malade n'a que 20 ans). -
Les travées osseuses sont très nettes et leur architecture remarquablement
puissant.
Enfin l'examen du crâne a montré une épaisseur considérable des os.
La radiographie dans le sens frontal n'est pas très instructive, mais à la
radiographie de profil il semble bien qu'il n'y ait pas une sensible augmentation
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRlrRE.
T. XXIV. Pl. XL\'111
DÉFORMATIONS ACROMÉGALOÏDES
(Mossé) .
Radiographie du crâne de A L., dilatation énorme des sinus frontaux.
Masson & Cie, Éditeurs.
Pholot pie BCI (11111111, 1'.111'1
DÉFORMATIONS ACROMÉGALOÏDES 319
de volume de la selle turcique. Il a au contraire un accroissement énorme du
volume du sinus frontal (Pl, XLVIII).
Organes génilo-urinaires. Les urines ont été analysées à l'entrée du malade
à l'hôpital : on a constaté la présence de traces d'albumine, mais pas de sucre.
Les organes génitaux paraissent bien développés : la région sus-pubienne est
recouverte de poils ; la verge en état flexible mesure 10 centimètres, sans
anomalie.
Les bourses sont plutôt volumineuses bien que le malade n'ait aucune trace
de varicocèle.
Elles renferment des testicules d'un volume moyen : d'ailleurs d'un inter-
rogatoire minutieux, il résulte que le malade a eu de fréquents rapports sexuels.
A son dire, il a commencé dès l'âge de 12 ans à voir des femmes. Lorsqu'il
était dans la colonie pénitentiaire, il a eu des rapports avec des jeunes enfants.
Enfin depuis qu'il est dans le service, il a été fréquemment surpris en train
de se masturber. Il nie la syphilis et la blennorrhagie.
Son appareil digestif ne paraît rien présenter de particulier. Jamais de
vomissements, selles régulières.
Toutefois les premiers jours de son hospitalisation, il était excessivement
vorace et buvait plusieurs litres de liquide par jour.
Au bout de quelques jours, cet appétit excessif s'est calmé et le malade a
avoué qu'il n'avait pas toujours mangé ô'sa faim les jours précédents.
Le foie paraît de dimension normal.
La rate n'est pas percutable.
Le coeur ne paraît présenter aucune lésion.
La respiration est normale, mais le malade est rapidement essoufflé après
une petite course.
Système nerveux. Le malade se plaint fréquemment de céphalée ; ses
maux de tête reviennent presque tous les 8 jours ; ils siègent dans la région
frontale et s'accompagnent de sensation douloureuse au niveau des yeux. Ils
passent en général au bout de 2 ou 3 heures de repos.
La sensibilité générale est intacte.
Les réflexes rotulieus et achilléens paraissent normaux.
La force musculaire au dynamomètre donne du côté gauche 65, du côté droit
60. Le malade savait d'ailleurs mal s'en servir. Il semble doncque le membre
supérieur gauche soit plus fort que le membre supérieur droit, ce qui cadrerait
avec nos mesures puisque nous avons vu que le membre supérieur gauche
était à la fois plus gros et plus court que le droit.
Etat mental. - Notre malade n'est pas seulement un homme aux grands
pieds et aux grandes mains. Il n'est pas seulement un déséquilibré physique ;
mais il .est encore un déséquilibré mental.
Il aime jouera des jeux d'enfants ; à l'hôpital, il s'amusait à courir dans les
couloirs et à grimper aux arbres; il est capricieux et boudeur refusant de
manger lorsqu'on l'a contrarié. Il est souvent emporté, répondant aux obser-
vations qu'on lui fait avec la pins grande impolitesse ; et souvent même avec
une extrême.grossièreté, ce qui=explique qu'il n'a jamais pu rester longtemps
320 mossé
chez les patrons en qualité de garçon boulanger. Il a fuit il diiréreiiles reprises
des fugues de plusieurs semaines vivant au jour le jour comme un vagabond.
Il est également très insouciant et paraît avoir peu d'affection pour les divers
membres de sa famille.
Il a assez bonne mémoire, mais un jugement restreint. Il est enfin vantard
et raconte sans cesse ses prouesses amoureuses et les nombreuses marches
qu'il a faites à pied sans la moindre fatigue.
Il sait lire, écrire et compter suffisamment, étant resté à l'école jusqu'à
12 ans.
Enfin, d'une mobilité de caractère très grande refusant parfois de se laisser
examiner, puis quelques instants après, se prêtant de bonne grâce à l'examen.
Tableau DE TOUTES LES mensurations.
Hauteurs au-dessus du sol.
DÉFORMATIONS ACROMÉGALO1DES 321 t
322 aossn.
Face.
DÉFORMATIONS ACROMÉGALOÏDES 323
Notre sujet doit-il être considéré comme un géant ? Non, si l'on con-
sidère seulement sa taille qui, pour être grande n'est cependant pas gigan-
tesque. Toutefois, nous avons cru devoir insister sur sa charpente osseuse
solide, sur son architecture puissante. Son thorax n'est pas déformé, mais
son périmètre thoracique témoigne de son ampleur. Les membres supé-
rieurs sont moins gros ; toutes proportions gardées que les membres
inférieurs et nous avons montré l'asymétrie si appréciable entre le
membre supérieur droit et le membre supérieur gauche.
Ce n'est pas non plus un infantile. Il suffit de le regarder, d'examiner
ses organes génitaux bien conformes, de lui entendre raconter ses proues-
ses sexuelles pour être convaincu du contraire. Et pourtant, s'il n'a pas
le corps d'un enfant, il en a bien l'esprit instruit, boudeur, irritable,
capricieux, il n'a qu'un jugement et une idéation restieints. Comme un
enfant, il est incapable de se conduire bien et seul dans la vie.
En résumé :
Ce sujet n'est ni un acromégalique, ni un géant, ni un infantile. Et
cependant, on retrouve chez lui quelques signes, plus ou moins nettement
ébauchés de ces diverses affections. Il semble donc qu'il représente une
modalité clinique atypique qui reste encore à préciser et à classer.
La pathogénie de ce complexus symptomatique est nécessairement en-
core très obscure. Il est bien difficile de déceler un trouble' dans les
glandes à sécrétion interne. L'hypophyse ne paraît pas hypertrophiée, le
corps thyroïde est, il est vrai, difficilement perceptible, mais les testicules
sont normaux. Et enfin, comment expliquer par la pathologie glandulaire
cette asymétrie des membres supérieurs ? Le système nerveux est-il
atteint ? Les antécédents ne nous ont permis de relever ni convulsions,
ni infections graves. On le voit, les cas de ce genre sont d'un classement
et d'une interprétation difficiles au point de vue clinique comme au
point de vue pathogénique. Il y aurait grand intérêt à recueillir les faits
similaires. C'est par leur groupement et leur comparaison qu'on peut
espérer apporter quelque lumière dans l'étude de ces états corporels.
ASILE D'ALIÉNÉS DE KOULPARKOW, GALICIE.
DÉMENCE PRÉCOCE. ACROMÉGALIE ATYPIQUE
PAR
Ant. MIKULSKI.
L'acromégalie comme entité morbide spéciale a été décrite pour la pre-
mière fois par M. le professeur Marie, en 1886; à partir de ce moment,
le nombre de cas publiés a rapidement augmenté, et d'après la statistique
de Sternberg, il a monté jusqu'à 282 en 1897.
La plupart des cas publiés sont conformes au type classique décrit par
Marie ; on rencontre cependant des cas atypiques, où manquent quelques
symptômes signalés comme classiques par M. le professeur Marie. Ainsi ,on
a vu des cas où il n'y avait point de lésions du côté des pieds [Ganser(l),
Israël (2). Rad (3)], de la colonne vertébrale [Rad, Gajkiewicz (4)], de
la langue [Engelhardt (5), Bregman (6)], de la mâchoire (Engelhardt),
et Chauffard (7) a publié un cas d'acromégalie sans déformation des pieds
ni des mains.
La pathogénie de l'acromégalie n'est pas encore connue. L'opinion ac-
tuellement la plus répandue, basée sur les recherches les plus récentes et
confirmées par l'opération célèbre de Hochenegg, attribue à la glande hy-
pophysaire le rôle principal dans l'apparition de cette affection. Cepen-
dant les altérations des organes génitaux, de la glande thyroïde et du
thymus se rencontrent si fréquemment dans l'acromégalie qu'on ne peut
pas les considérer comme accidentelles. Sans discuter plus longtemps
cette question, je passe à la description d'un cas d'acromégalie fort inté-
ressant que j'ai observé dans l'asile d'aliénés de Koulparkow, près de
Léopol. -
Observation.
N. N..., âgé de 39 ans, est entré à l'asile au mois de mars 1901. Bien portant
à sa naissance, il fut allaité par sa mère pendant 3 semaines ; au bout de ce
temps, la mère étant malade, l'enfant fut confié aux soins d'une nourrice.
Quelque temps après, on constata sur le corps de l'enfant une éruption qua-
lifiée de spécifique par les médecins. La nourrice étant atteinte de sypliilis,
l'enfant en fut contagionné. Un traitement énergique fut appliqué ; malgré cela
on vit apparaître les symptômes tertiaires qui furent très tenaces. Un traite-
ment énergique et le séjour à Iwonicz plusieurs saisons de suite eurent pour
NOUVELLE ICONOGRAPHIE ne SALPLTRILR1.
D1 : COR\1ATIONS ACROMÉGALOÏDES
(Maué) .
·OUVELLE Iconographie de la Salpêtrière.
T. XXIV Pl. L
DÉFORMATIONS ACROMÉGALOÏDES
(Mossé) .
Radiographies des pieds de A. L.
Masson & Cie, Editeurs.
l'IlIItOI)llIl' H"III'IIII.I. l'III
UVULE Iconographie DE la SALPLTRILRE.
T. XXIV, Pl. LI
DÉMENCE PRÉCOCE ET DÉFORMATIONS ACROMÉGALOÏDES
(A. Mikiilski)
A. Le malade N. N. à l'âge de 2 ans. - B. B'. Etat actuel. - C. Le malade atteint de son
tic douloureux.
Masson & Cie, Éditeurs.
DÉMENCE PRÉCOCE. ACROMÉGALIE ATYPIQUE 325
effet la disparition des symptômes de la syphilis, mais les facultés intellec-
tuelles de l'enfant se développèrent lentement. Il souffrait de maux de tête,
d'une inquiétude inexplicable ; l'intensité de ces symptômes dépendait de l'é-
nergie du traitement appliqué. A l'âge de 16 ans, le malade commença à
souffrir de maux de tête intenses ; au bout d'un certain temps, les troubles
psychiques apparurent sous la forme d'une forte agitation, d'hallucinations,
d'illusions sensorielles ; le malade s'emportait et se querellait facilement, enfin,
ses facultés intellectuelles s'étant notablement affaiblies, le malade fut interné.
Etal acluel. La taille est de 170 centimètres ; la circonférence de la tête
est de 58 centimètres, le diamètre longitudinal de 19,8 ; le diamètre transver-
sal de 15,6 ; le diamètre oblique droit de 19,0 ; le diamètre oblique gauche
de 18,5 ; la largeur du nez est de 3.6. La longueur de la mâchoire inférieure
(depuis la condyle jusqu'à la protubérance mentonnière) est de 14,8 (1), sa
largeur est de 10,5. Les dents sont saillantes, inégales, grandes, les inférieures
dépassant les supérieures ; les canines et les molaires sont très espacées les
unes des autres ; déformées, chancelantes ; il y a un commencement de gingi-
vite. La langue n'est pas épaissie, mais elle est plus longue qu'à l'état normal,
et pend en dehors de la bouche. Les lèvres, l'inférieure principalement, sont
épaissies, retournées en dehors. Il existe une scoliose légère et une cyphose
cervico-dorsale très prononcée, ce qui fait que les mouvements de la tête sont
très lents et très maladroits. Les orteils ainsi que les doigts des mains n'ont
point augmenté de volume ; les mains, quoique fortes, ne dépassent pas la
normale ; les pieds, surtout les orteils, sont petits (Pl. LI).
Les pieds enflent fréquemment; poumons, coeur, foie et rate sont normaux.
Le pouls est de 80 ; pas d'albumine ni de sucre dans les urines.
On constate l'absence du testicule gauche. Le corps thyroïde est petit,
impalpable, et au-dessus du bord supérieur du sternum, on arrive à sentir le
thymus hypertrophié. On ne trouve point la matité sternale signalée parErb.
Le globe oculaire gauche est saillant; les paupières sont hypertrophiées et
épaissies.
Système nerveux. Le sens de l'odorat n'a pas pu être étudié suffisamment.
La vision est bien conservée. Hémianopsie bilatérale. Les pupilles sont égales,
réagissent bien à la lumière.* Les mouvements des globes oculaires sont limités.
Le nerf trijumeau est sensible à la pression. On note une névralgie faciale
unilatérale. La force musculaire des mains et des pieds est bien conservée.
Les réflexes tendineux sont affaiblis. La sensibilité est complètement abolie au
niveau de l'omoplate gauche et de la nuque, partout ailleurs elle est bien
conservée.
Dans le cas actuel, nous avons affaire à un cas d'acromégalie atypique,
vu l'absence des déformations du côté des extrémités ; son diagnostic ce-
ci) J'ai mesuré la mâchoire inférieure de 70 malades qui se distinguaient soit par
une taille au-dl ssus de la moyenne, soit par la glandeur anormale de la télé ou de la
mâchoire. La longueur de la mâchoire inférieure ne dépassait jamais 13.6.
326 MIKULSKI
pendant n'est point douteux. L'épaississement du nez et des lèvres, l'aug-
mentation de la langue et de la mâchoire inférieure, les déformations du
crâne et l'existence d'une cyphose cervico-dorsale parlent bien en faveur
de l'acromégalie, la coexistence de toutes ces déformations se rencontre
uniquement dans celle affection. Les symptômes du côté des nerfs crâniens,
faisant penser à une tumeur, ne font que confirmer le diagnostic. À notre
grand regret, le crâne n'a paspu être radiographié, le ma lade s'étant violem-
ment opposé à cet examen ; pour la. même cause, on n'a pas pu examiner
le fond de l'oeil.
Etat mental. - Le malade est arrivé à l'hôpital dans un état de démence
fort accentué, qui jusqu'à ces jours-ci ne s'est point amélioré. Ce qui frappe au
premier abord, c'est la diminution de l'intelligence, le défaut de la mémoire, le
manque d'orientation et l'apathie générale envers tout ce qui l'entoure. Le ma-
lade, qui a fréquenté une école secondaire, ignore les faits les plus simples ; il
ne sait pas compter, ne distingue pas la monnaie, ne connaît pas la date du
jour. écrit très indistinctement, en commettant des fautes nombreuses et gra-
ves ; il n'arrive pas à exécuter les fonctions les plus simples : par exemple,il ne
sait pas remonter une montre, ni ouvrir un tiroir fermé à clef la clef étant
dans la serrure. A côté de ces signes d'un grand affaiblissement intellectuel,
on observe chez le malade des mouvements stéréotypés, des bizarreries,
des grimaces; le malade contemple des heures entières son image dans le
carreau d'une fenêtre, dans un globe luisant, dans la glace, en même temps
il exécute des mouvements rythmiques et lents avec la main, tord sa mous-
tache, gratte son nez, se frotte les paupières. La parole est embarrassée ;
le malade parle la langue pendante, remuant les lèvres avec difficulté sa
voix est enrouée, dépourvue de toute modulation.
Aux personnes de son entourage, médecins, surveillants et malades, il donne
des surnoms fantasques, quelquefois bien drôles.
Il passe son temps à ne rien faire, insensible à tout ce qui l'entoure ; la voix
de la soeur de charité, distribuant aux malades leur nourriture, le réveille de
cette apathie ; il se lève précipitamment, court dans la salle voisine et tâche
de recevoir sa ration le plus vite possible ; il revient ensuite à sa place,s'asseoit
sur son lit et se met à consommer lentement ce qu'il vient de recevoir. Il
éprouve de la difficulté à manger ; il absorbe uniquement les aliments mous,
qu'il mâche lentement, en les triturant soigneusement ; on voit souvent les
liquides ainsi que la salive s'écouler sur sa joue par le' coin droit de la bouche.
Ce qui attire l'attention chez notre malade,c'est le tic douloureux de la face
dont il souffre. Pendant l'automne et l'hiver de 1908 il en souffrit beaucoup,
et parfois on arrivait à compter chez lui 20 crises par heure. La durée de la
crise était d'uue minute; elle était toujours de même type : le malade portait
brusquement la main droite il l'oreille ou bien a la paupière qu'il frottait avec
le médius - le face se contorsionnait de plus en plus, enfin on voyait survenir
une forte contraction tonique des muscles de la joue, contraction qui durait
DÉMENCE PRÉCOCE. - ACROMÉGALIE ATYPIQUE 327 "1
quelques secondes ; pendant la crise, le malade tapait le genou gauche avec sa
main, ou bien portait la main au-dessous de son pantalon et tripotait ses orga-
nes génitaux. Le tic survenait parfois,quoique rarement,pendant le sommeil ;
quelquefois on arrivait à le provoquer en exerçant une pression sur le nerf
trijumeau.
La marche de la maladie, son début à l'âge de l'adolescence avec l'affai-
blissement ultérieur des facultés intellectuelles, en même temps que la
bizarrerie et les mouvements stéréotypés démontrent bien que nous avons
affaire ici à la démence précoce.
Le cas que nous venons de décrire se distingue par certains symptômes
atypiques et rares : on n'y trouve point de déformation des pieds et des
mains. Chauffard a publié une observation analogue, mais, dans son cas
il s'agissait d'une acromégalie au début, tandis que nous avons affaire à
une maladie durant déjà depuis 8 ans au moins Nous constatons chez notre
malade des troubles du côté du corps hypophysaire, des organes génitaux,
du corps thyroïde et du thymus. Malgré cela la maladie porte le caractère
d'une maladie à marche lente.
Il faut noter également que notre malade a eu de la syphilis dans son
enfance. Il est difficile à dire jusqu'à quel point cette circonstance a con-
tribué à l'apparition de l'acromégalie ; le rapport entre ces deux affections
- l'acromégalie et la syphilis z- n'est pas bien défini jusqu'à présent.
Le fait particulièrement intéressant chez notre malade est la coexistence
de l'acromégalie avec une maladie mentale.
Les troubles psychiques dans l'acromégalie sont fréquents. Brunet (8)
les a observés 14 fois sur un nombre total de 52 malades, ce qui fait : .5 0/0. Un certain degré d'abattement et d'apathie, la torpeur, l'absence
d'initiative accompagnent presque toujours l'acromégalieetontpour cause
soit l'action de poisons inconnus jusqu'à présent, soit une tumeur céré-
brale, soit l'action déprimante des douleurs qui accompagnent toujours
cette maladie.
Il est bien plus rare d'observer une maladie mentale au sens propre du
mot, coexistant avec l'acromégalie. La statistique exacte de ces cas n'est
pas facile à faire d'une part à cause de la non-existence d'une classifica-
tion généralement admise des maladies mentales, d'autre ! part à : cause de
la description souvent insuffisante de la forme clinique de la maladie.
C'est la psychose maniaque dépressive qui accompagne le plus souvent
l'acromégalie ; tels sont les cas de Pick, de Garnier et de Saintenoise, que
Barros (9) cite dans sa thèse; tel est probablement le cas de Brunet et
328 MIKULSKI
celui de Tinzi-Grage (10) qui, en 490, présentèrent à Hambourg une
femme acromégalique atteinte d'une psychose maniaque dépressive.
Barros enfin décrit un cas d'acromégalie ayant des équivalents épilep-
tiques et de la psychose maniaque dépressive.
L'acromégalie accompagnée de démence précoce a été observée suivant t
Barros, 2 fois en tout (Lynn-Thomas, Haskovec).
La fréquence des maladies mentales au cours de l'acromégalie nous
amène à conclure que la coexistence de ces deux maladies n'est pas acci-
dentelle ; nous remarquons que la maladie mentale, dans cescas,se distin-
gue probablement par des symptômes spéciaux qu'on n'observe point
chez les sujets non acromégaliques.
Aussi, serait-il très précieux de réunir et de publier tous les cas d'acro-
mégalie accompagnées d'une psychose, afin de savoir si on ne devrait pas
créer une nouvelle entité morbide, la psychose acromégalique,
BIBLIOGRAPHIE
1. GANSER, - Mùnch. Med. Woch., 1908.
2. Israël. - Jahresber. üb. die Leist. d. Psych., 1901.
3. Rad. Ibid., 1902.
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6. BREGMAX. Pam. Tow. Lek., 1908.
7. Chauffard. Revue neurolog., 1895.
8. BRUNET. - Etal mental des acromégaliques. Thèse de Paris, 1899.
9. Barros R. - Des psychoses et des névroses au cours de l'acromégalie . Thèse (le
Paris, 1908.
10. GRAGE. Münch. Med. Woch., 1905.
'1 ri
CLINIQUE DES MALADIES NERVEUSES DE ROMPE
Directeur : Professeur G. Mingazzini.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE
DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES ASSOCIÉES DES MAINS
. (ECTRO-POLY-MACRO SYNDACTYLIE
ET NIICRO-TIIOFtACO-11fL[E UNILATÉRALE)
PAR R
G. FUMAROLA
Assistant. t.
Dans la salle de visite annexée à la clinique des maladies nerveuses
dont le directeur est le professeur Mingazzini et qui est destinée aux mala-
des du système nerveux, j'ai eu l'occasion d'observer un cas de difformité
congénitale des mains sur lequel je crois utile de publier une étude car,
si la littérature du sujet est déjà abondante, le cas présente toutefois
quelques caractéristiques spéciales qui méritent d'être mises en lumière.
Histoire clinique. E. Attilio, âgé de 27 ans, cordonnier. Il a son père
et trois soeurs ; sa mère et un frère sont morts de maladies qu'il n'est pas
facile de préciser. Le sujet est né à terme, d'un accouchement normal. Il dit
ne pas avoir contracté la syphilis et ne pas abuser des alcools. A l'âge de 21 ans,
il subit à la tête un traumatisme qui fut suivi d'une hémiparésie droite. Cette
hémiparésie subsiste encore chez lui. Une enquête minutieuse faite sur les
antécédents héréditaires du malade fournit comme résultat que parmi ses as-
cendants et ses collatéraux personne n'a jamais présenté de difformité des
doigts des mains ou des pieds.
Objectivement, le sujet présente : un crâne-ovoïde, à contour régulier, re-
couvert de cheveux noirs, à un seul tourbillon médian et à ligne d'insertion
antérieure semicirculaire. Front de grandaur moyenne, sillonné de légères
rides transversales. Sourcils épais ayant une tendance à se réunir sur la gla-
belle. Lèvres minces. Dents normales quant au nombre, à la forme, à la gran-
deur, et régulièrement plantées. Développement abondant de poils sur les
épaules, sur les membres supérieurs, sur le thorax et sur la région sacro-
lombaire. Le squelette du bassin et des membres inférieurs est normal. Pieds
plats. Le thorax est asymétrique ; la moitié droite est beaucoup plus ample
que la gauche, surtout dans son contour postérieur. Les deux semicirconfé-
rences thoraciques mesurent, au niveau du bout des seins, 50 centimètres à
330 FUMAROLA
droite, 46 centimètres à gauche. Les clavicules ont une forme et une direc-
tion normale. La colonne vertébrale présente une légère scoliose à convexité
droite.
NUUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPJ3 : 1RIÈRE. T. XXIV, PL. LU.
Main droite.
Main fauche.
Figure 2.
Main gauche. Main droite.
1 : CTISO-POT.I'-\IrlCRO-SY\ D1CTYL r E
(G. Fumarola.)
1Asso : '\ r.T Cte, Éditeurs,
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
T. XXIV, PL. LUI.
]'-LGL;RL 3.
Main droite.
Main gauche.
1 ? CTISO l'01.1'-\ItlCRO-SY\T1).1C'C1'l.11 ? ET MICROMÉLIE UNILATÉRALE
(G. Fumnrola.)
\l.aaw itr C ? lalUeurs
CONTRIBUTION A l'ÉTUDE DES DIFFORMITÉS CONGENITALES 331
Les mouvements passifs offrent dans les divers segments du membre, une
augmentation de résistance un peu supérieure à la normale. Les mouvements
actifs sont tous un peu limités, surtout ceux des supinateurs de l'avant-bras,
la flexion dorsale de la main et l'opposition du pouce aux derniers doigts.
En dehors de la légère parésie spastique droite que j'ai déjà signalée, l'exa-
men objectif général du malade donne un résultat négatif.
L'examen radiographique de la main et du tiers inférieur de l'avant-bras
a permis de relever ce qui suit (PI. LUI) :
A gauche : les extrémités du radius et du cubitus plus petites que celles du
côté opposé, têtes arrondies, apophyses styloïdes qui se dessinent à peine. La
première série des os du carpe n'est constituée que par l'os pisiforme et par
un autre os de forme allongée, semilunaire, à convexité supérieure et qui est
articulé en grande partie avec le radius, un peu avec le cubitus. La seconde
série est formée de trois os, l'os unciforme, le grand os et un autre de forme
ovale, légèrement proéminent, dû évidemment à la fusion du trapèze et du
trapézoïde. La squelette des métacarpiens et des phalanges fait voir avant tout
que le premier métacarpien et les deux phalanges du pouce manquent complè-
tement. On constate également que les métacarpiens et les phalanges sont moins
développés de ce côté que de l'autre.
A droite : Extrémités du radius et du cubitus normales quant à la forme. Il
n'en est pas de même de leur grandeur. Comparée avec celle de ces os chez des
individus de taille moyenne comme le sujet, et n'ayant aucune dilformité quel-
conque dans leur squelette,elle paraît être un peu supérieure à la moyenne. Les
os du carpe ne présentent aucune anomalie ni dans le nombre, ni dans la for-
me. Le squelette des métacarpiens et des phalanges est un peu plus développé
que celui des mômes os du côté opposé et aussi que celui que l'on trouve chez
des individus normaux. La disproportion ressort davantage si l'on considère
surtout le développement du premier métacarpien. La dernière phalange du
pouce mérite une attention toute particulière ; elle est grosse, élargie, bifur-
quée (phalange en fourchette).
En résumé, et si l'on tient compte de toutes les données recueillies, surtout
de celles que l'examen radiographique a permis de relever, le sujet est affecté
(en plus de la légère hémiparésie spastique que nous avons constatée chez lui)
des anomalies congénitales suivantes du côté des membres- supérieurs et du
thorax :
a) Au membre supérieur droit : développement anormal du squelette des
métacarpiens et des phalanges, surtout du pouce (macrodactylie) ; dédouble-
ment de la dernière phalange de ce doigt (polydactylie) et fusion partielle à la
base des deux os qui la constituent (syndactylie incomplète).
b) Au membre supérieur gauche : absence congénitale du pouce (ectrodac-
tylie absolue) et légère atrophie congénitalede l'avant-bras (micromélie congé-
nitale). ' .
c) Au thorax : légère atrophie congénitale de toute la moitié gauche.
Voyons maintenant quelles sont les particularités du cas en présence du-
quel nous nous trouvons.
332 FUMAROLA
Avant tout, il faut remarquer que le sujet n'a pas d'antécédents héré-
ditaires directs ou indirects, en ce qui concerne les anomalies qu'il pré-
sente. Et l'on sait en effet que quelques auteurs considèrent comme des
phénomènes purement héréditaires les diverses anomalies congénitales des
extrémités (syndactylie, ectrodactylie, polydactylie). Mais il n'en est pas
toujours ainsi. L'étude de Costantini (1) est précisément importante pour
le fait qu'elle « démontre clairement», ainsi que le dit l'auteur lui-même,
« que l'hérédité, tant directe qu'indirecte, n'est pas une condition néces-
saire de la polydactylie ».
D'autres donnent à ces anomalies l'importance de phénomènes dus tout
simplement à la dégénération. Ils soutiennent qu'elles sont presque
toujours associées à de nombreux signes somatiques et parfois même
psychiques de dégénérescence. Mon cas prouve que cette doctrine ne peut
pas non plus être généralisée. L'examen anthropologique n'y a laissé
relever qu'un détail de bien peu d'importance, un développement légère-
ment anormal du système pilifère. L'intelligencedemon sujet est d'ai lieurs
normale.
Prenant comme guide les radiographies obtenues, il me semble que
c'est tout autrement qu'il faut interpréter le mécanisme pathogénique de
ce genre d'altérations. On peut, en effet, moyennant l'examen analytique
de ces radiographies, constater que, dans les cas de simples déformations
congénitales des mains (polydactylie, ectrodactylie, syndactylie), non
associées à des altérations graves des os de l'avant-bras (micromélie pro-
noncée, absence du radius), il n'y a presque jamais de lésions du côté des
os du carpe. Le sujet que j'ai étudié présente au contraire des anomalies
très prononcées de ces os et que certainement le degré très léger d'atrophie
des extrémités du radius et du cubitus n'arrive pas à justifier. Un autre
fait qui doit encore être remarqué chez le sujet dontje m'occupe, c'est la
légère atrophie de la moitié gauche du thorax, qui n'a d'égale en aucun
autre cas de la littérature médicale. Le détail morphologique curieux en ce
qui concerne la dernière phalange du pouce de droite {phalange en four-
chette), exemple unique du genre, mérite bien enfin qu'on le signale.
Or, du mémoire de Itol)lot (2) et de l'étude de Costantini (3) on déduit
que les auteurs considèrent pour la plupart aujourd'hui que ces défor-
mations sont des anomalies dues à un arrêt de développement, ou à un
excès de développement, ou bien qu'elles sont survenues durant le cours
du développement de l'individu (classification de Roblot). Mais « dire qu'il
(1) COSTANTINI, Considérations sur la valeur morphologique de la polydactylie. Nou-
velle Iconographie de la Salpêtrière, no 1, janvier-février 1911, p. 1.
(2) Roblot, La syndactylie congénitale, Paris, 1906.
(3) Costantini, loc. ,;il.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DES DIFFORMITES CONGENITALES 333
y a un arrêt de développement.... c'est constater un fait, ce n'est pas en
donner la raison. Pourquoi cet arrêt de développement ? » (Polaillon) (1).
Aussi les auteurs se sont-ils successivement appliqués dans leurs recherches
à établir quelles étaient les causes capables de déterminer toutes ces dévia-
tions du type physiologique. Ils ont, en somme, cherché à voir s'il s'agit
là de phénomènes dus à une inflammation des tissus qui forment la main
de l'embryon ou du foetus, ou bien des vases ou du système nerveux, ou
encore s'il ne s'agit pas plutôt d'influences traumatiques et toxiques.
La pathologie expérimentale, selon les recherches de Strasburger (2),
de Pfeffer (3), de Dareste (4) et de Féré (5), nous enseigne que les agents
physiques el chimiques sont capables d'agir sur l'oeuf fécondé et d'en
modifier plus ou moins profondément le développement normal. S'ap-
puyant précisément sur les résultats de ces expériences, Costantini (6)
pense, par analogie avec d'autres formations congénitales défectueuses
que, vraisemblablement, les déformations ci-dessus rappelées et la poly-
dactylie dans le cas dont il s'occupait, ont une valeur essentiellement
pathologique, en tant que très probablement déterminées par des moments
étiologiques de nature morbide qui doivent agir durant le développement
de l'embryon ou du foetus. Mais cette explication, quoique d'ailleurs on
en doive faire grand cas, est, à mon avis incomplète. On doit toujours
demander, au moyen de quel mécanisme agissent ces prétendus moments
étiologiques de nature morbide, et pourquoi presque toutes les déforma-
tions congénitales s'observent surtout dans les parties digitales des mem-
bres et pourquoi la fréquence en diminue à mesure qu'on se rapproche des
segments proximaux.
Pour expliquer quelques anomalies congénitales (polydactylie, macro-
dactylie) symétriques des quatre extrémités, Babès (7) a émis une hy-
pothèse fort ingénieuse. Ayant presque constamment rencontré dans ses
observations la présence de lésions sphénoïdales (inflammatoires, peut-
être spécifiques ou traumatiques), il supposa « qu'il existe à la base du
crâne une région dont le dérangement foetal.... détermine la transforma-
tion de tous les membres dans le sens d'un excès, d'un défaut ou d'une
déviation, pouvant emporter un changement de certains caractères de
(1) POLAILLON, in Dict. Dechambre, t. 30, art. Doigt, p. 133.
(2) S1RUUUIIGER, cité par Costantini.
(3) ŸFEFFEIi, ibid. .
(4) DARESTB, ibid.
(5) FÉRÉ, ibid.
(6) COSTANTINI, lOC. cit.
(7) Babès, Anomalies congénitales de la tête déterminant une transformation symé-
trique des quatre extrémités, ack-o ? ? zélageilèse. Acad. des Sciences, 18 janvier 1904 ;
Comptes rendus, p. 114-in8, t. 138.
334 runARoLA
l'espèce... » (1). Or, il me semble que cette hypothèse, qui s'appuie sur
des données anatomo-pathologiclues, mérite d'être de nouveau prise en
considération. Cette prétendue région de la base du crâne, laquelle, lésée,
devrait donner lieu à la formation des anomalies les plus variées du
côté des extrémités des membres, est certainement trop hypothétique.
Mais on peut, en analysant mieux et en se laissant guider par des argu-
ments scientifiques, donner corps à la supposition de Babès et la rendre
plus vraisemblable. On sait que l'hypophyse est située à la base du
crâne, en rapport immédiat avec le sphénoïde, et logée sur la selle turci-
que. Or, il n'est pas absurde de supposer que la région de la base du
crâne dont parle Babès (2) et capable, de par l'influence qu'exercent sur
elle les lésions sphénoïdales, de donner origine aux déformitéscongéni-
tales des extrémités du squelette, n'est pas autre chose que l'hypophyse.
En effet, il n'y a plus personne aujourd'hui qui doute des rapports
étroits existant entre la fonction de l'hypophyse et le développement du
système osseux (acromégalie). Aussi peut-on supposer que tous ces di-
vers moments étiologiques de nature morbide, auxquels on attribue un
rôle dans la genèse des difformités congénitales des extrémités, ont de la
valeur à ce sujet, en tant qu'ils sont capables de produire des lésions
sphénoïdales et respectivement, de la selle turcique. Celles-ci influant à
leur tour sur l'hypophyse et venant en altérer en partie la fonction arri-
vent aussi partiellement à troubler le développement normal des os. Toutes
ces anomalies congénitales regardent, en effet, le squelelle des parties
distales des membres et celui de la face, précisément celles qui sont le
plus intéressées dans l'acromégalie. Quanta expliquer pourquoi les lésions
de l'hypophyse durant la vie mtra-utérine provoqueraient des altérations
du squelette qu'on ne voit pas se produire dans les os complètement dé-
veloppés, ce n'est vraiment pas difficile, si l'on considère qu'il s'agit dans
le premier cas d'influences qui agissent sur un système en voie de déve-
loppement, et dans le second cas qu'elles s'exercent sur un système com-
plètement développé.
En outre, il n'est pas invraisemblable d'admettre que les divers mo-
ments étiologiques morbides (p. ex.intoxications et infections) peuvent
produire des déviations du type normal de développement des os, ou des
altérations dans le sens d'un défaut ou d'un excès, même sans qu'il soit
question des lésions sphénoïdales que je viens de rappeler, mais directe-
ment, en exerçant une influence sur la fonction de la glande pituitaire.
(1) Cf. aussi CI1BVAI,LiER, La brachymélie métapodiale congénitale. Nouvelle Icono-
graphie de la Salpêtrière, 1910, p. 511.
(2) BASES, loc. cit.
Le gérant : f. ijoucuez.
Imp. ,1. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
FACULTÉ DE MEDECINE DE NANCY
PARAPLÉGIE SPASTIQUE SPINALE EN FLEXION
PAR
G. ÉTIENNE et E. GELMA
L'observation suivante est un type de paraplégie avec contracture en
flexion tel qu'il a été décrit par Babinski en 1899 à la Société médicale
des Hôpitaux, puis d'une façon plus précise à la Société de Neurologie, où
il a fait l'objet de discussions récentes.
G. Coralie, journalière, 58 ans, est entrée à l'Hospice Saint-Julien de Nancy
le 30 octobre 1879 pour des accidents névropathiques, troubles parétiques et
tremblement, qui avaient nécessité déjà un séjour à l'Hospice Saint-Charles
de Nancy et à Lariboisière.
Etat actuel (PI. LIV) (31 mai 1911, service de M. Etienne).
Attitude générale.-Inertie complète, décubitus dorsal, inclinaison du
corps à gauche, traits figés exprimant l'indifférence. Membres inférieurs
immobiles et fléchis. Poings fermés, bras fortement repliés sur les avant-bras.
Membres supérieurs.- Parésie complète et flexion des avant-bras sur les
bras. La contracture est imparfaite, car, sans douleur, on peut défléchir com-
plètement les avant-bras. Doigts en flexion forcée, comprimés les uns coutre
les autres, de sorte qu'ils sont effilés et amincis. Contracture complète avec
rétraction tendineuse des deux derniers doigts. Les phalangines et phalan-
gettes des autres doigts peuvent être défléchies facilement par des manoeuvres
lentes. Poing toujours fermé et en pronation, le pouce en dedans et en exten-
sion. Flexion du bras gauche : 103° ; Flexion du bras droit : 130°.
Lenteur des mouvements volontaires qui sont toujours incomplets. Impos-
sibilité de manger seule.
Tremblement et mouvements involontaires. Les doigts, la main, les
avant-bras sont animés d'un tremblement particulier qui n'existe pas au repos
ni pendant le sommeil. Il est éveillé par la moindre excitation psychique ou
physique, par le pincement, la percussion lors de la recherche des -réflexes
tendineux, l'excitation d'un point cutané quelconque. Il est mis en évidence
lorsque la malade ébauche ou s'efforce de faire un mouvement commandé ; il
a alors l'allure d'un tremblement intentionnel de 120 à 150 oscillations.
Minime et à courtes oscillations au début d'un mouvement, il prend des
proportions de plus en plus fortes : les oscillations devenues très amples don-
nent aux mouvements l'allure de la sclérose en plaques.
xxiv 22
338 ETIENNE ET GELMA
Ce sont des mouvements rythmés, rapides, de flexiou et d'extension dans
lesquels la flexion prédomine : l'avant-bras sur le bras, la main sur l'avant-
bras avec un léger mouvement rotatoire en dedans, les doigts sur la main ;
le pouce est animé de petits mouvements de llexion et d'adduction avec le
phénomène de roulement parkinsonien. -
Réflectivité cutanée très exagérée : ce sont des réflexes cutanés non adap-
tés ; par exemple, un pincement de la peau du bras ou d'un endroit quelconque
du corps provoque les mouvements de flexion et d'extension décrits plus haut.
Réflectivité tendineuse abolie. Abolition des olécrâniens ; l'excitation des
radiaux donnent une réaction imperceptible.
Trophicilé. Amyotrophie diffuse des éminences thénar et hypothénar,
des lomhricaux et interosseux. Sécheresse de la peau dorsale de la main. On-
gles striés, déformés, cassés. Ephydrose du creux de la main avec desquama-
tion épidermique entretenue par la compression de l'extrémité des doigts en
flexion forcée dans la main.
Sensibilité. Rien d'appréciable. L'inertie de la malade rend la recherche
difficile. 1
Membres inférieurs. Paraplégie complète avec contracture en flexion :
cuisses fléchies sur le bassin, les jambes fortement fléchies sur les cuisses, la
jambe droite en adduction sur la jambe gauche, les pieds fléchis sur les jambes
avec rotation en dedans, en varus équin ; le bord externe des deux pieds appuie
sur le plan du lit, les deux plantes se regardent. Petits orteils fortement flé-
chis. Contracture bilatérale symétrique très intense. Impossibilité de provo-
quer la déflexion de la jambe sur la cuisse; rétraction musculo-tendineuse..
Flexion de la jambe sur la cuisse : à droite, 75° ; à gauche, 63°.
Flexion de la cuisse sur le bassin : à droite, 1` ? ,i° ; à gauche, 110°.
Dislance du talon au siège : à droite, 32 centimètres ; à gauche, 29 centimè-
tres. -
Réflectivité tendineuse abolie. Impossibilité de sentir l'expansion du
crural ou des jumeaux pendant la percussion du tendon rotulien ou achil-
léen. Clonus bilatéral.
Réflectivité cutanée de défense exagérée. Le pincement de la peau de la
rotule provoque une série de contractions fibrillaires ou fasciculaires de cer-
tains muscles. La piqûre de la peau de la face interne des cuisses provoque
des mouvements fasciculaires des adducteurs et des muscles de la face interne
des jambes.
Abolition des réflexes cutanés adaptés. Disparition du réflexe cutané
abdominal.
Phénomène de l'orteil en extension des deux côtés.
Troubles trophiques . Amyotrophie diffuse, moins marquée qu'au mem-
bre supérieur ; érythème purpurique à la face dorsale du pied droit. Sécheresse
de la peau.
Sensibilité diminuée. - Variations dans les réactions de la malade, lorsque
l'on pique diverses zones cutanées des jambes.
Pas de troubles sphinctériens.
NOUVELLE Iconographie DE la SALP1 : TRIL`RC.
T. XXI\'. PI. LI\'
Malade en 1890
Malade en 191 1
PARAPLÉGIE SPASTIQUE SPINALE EN FLEXION
(G. Etienne et E Grill/il).
Masson & C ? Editeurs.
PARAPLÉGIE SPASTIQUE SPINALE EN FLEXION 339
Face. Tête inclinée fortement à gauche, mais pouvant être défléchie par
des efforts de redressement.
Affaiblissement des plis et sillons à gauche, surtout du sillon naso-génien.
Rire et pleurer spasmodiques.
Parole lente, scandée, explosive. Pas d'aphonie.
Pas de troubles de la déglutition.
Réflexe massetérin conservé.
Troubles psychiques. Démence. - Obtusion, apathie, torpeur, indiffé-
rence. Réactions violentes : paroxysmes de colère, crises de larmes. Troubles
de la sensibilité générale, sensations de paille de fer dans son lit. Idées va-
gues de persécution dirigées contre son entourage.
Pas de lésions viscérales saisissables.
La malade eut, il y a quelques jours, uu singulier épanchement sanguin,
sans cause connue, au niveau du rebord alvéolaire gauche supérieur et de la
gencive. L'hémorragie a duré deux à trois jours et a disparu.
HISTOIRE DE la maladie.
Le début aurait été brusque et serait en rapport avec un choc moral vio-
lent : au moment où la malade travaillait dans les champs, elle fut surprise
par l'orage, un coup de tonnerre éclata à quelques pas ; elle fut précipitée à
terre. Revenue à elle, ses mains tremblaient et ce tremblement ne fit que
s'accentuer et gagna tous les membres. Elle avait alors 17 ans.
En octobre 1879, au moment de son entrée à St-Julien, la marche était pos-
sible, mais pénible ; la malade avait tendance à tomber en avant ; l'impotence ne
tarda pas à s'installer et à devenir complète en novembre 1883. A ce moment,
la malade est dans le décubitus dorsal, elle ne peut se nourrir seule. On note
alors : spasticité des membres inférieurs sans flexion, varus équin à droite
seulement; pas de clonus ; membres supérieurs en flexion sans contracture
véritable, animés d'nu tremblement à oscillations rapides et régulières sans
augmentation d'amplitude lorsque le mouvement devient plus prononcé. Ce
tremblement est mis eu évidence par la moindre excitation psychique ou par
une tentative d'exécution d'un mouvement commandé.
En décembre 1884, rien de particulier.
En novembre 1885,bourdonnements d'oreille ; mouvements de trombone de
la langue ; flexion des jambes sur les cuisses, pied gauche en varus équin ;
réflectivité exaltée. Tous ces troubles ne cessent de s'accentuer.
On a noté de tout temps un phénomène curieux : l'impotence fonctionnelle
s'améliore dans l'obscurité et en particulier dans la nuit, où elle peut exécuter
une série de mouvements qu'il lui devient impossible d'accomplir lorsque le
gaz est allumé. Jusqu'en 1910, elle pouvait la nuit se retourner dans son lit
pour se saisir de son vase dans sa table de nuit.
Vers 1881, la malade, à la suite d'une émotion vive, la mort de sa mère,
contracte brusquement une aphonie qui fut considérée comme hystérique dans
le service. Cette aphonie rétrocède lentement.
340 KTtkNNEETGrEmA
Eu 1J0, apparition du clonus à gauche. Les réflexes tendineux sont notés
comme moins vifs. L'affaiblissement psychique, apparu dès 1884, ue fait que
progresser.
Aniécédents irÉRÉDiTAiRES. Père asthmatique ( ? ),mère morte d'une tumeur l'
utérine. Aucune notion de prédisposition névropathique dans la famille.
ANTÉCÉDENTS ph;soNNELS. Rétention d'urine dans l'enfance de nature
indéterminée. Affection chirurgicale de l'anus qui nécessita des cautérisations
répétées. Caractère impressionnable.
Le diagnostic porté avait été : Tabès spasmodique atypique, aboutissant
de lésions médullaires, dont la symptomatologie était faite d'éléments par-
kinsoniens et d'un syndrome de sclérose en plaques, sur un terrain hysté-
rique.
Il est évident que l'anomalie du tabès dorsal spasmodique était précisé-
ment la contracture en flexion du type Babinski avec abolition des
réflexes tendineux, doul l'exagération caractérise les dégénérations py-
ramidales, et exagération des réflexes cutanés de défense. En réalité,
notre malade constitue un exemple des plus purs de paraplégie spasti-
que en flexion telle qu'elle a été décrite par Babinski et dont les ob-
servations ont été confirmées par Claude.
La lé·ion fondamentale reste, obscure ; nous n'avons pu la localiser à
l'aide du procédé de Babinski-Jarkowski.
LE MECANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE
ÉTUDE CLINIQUE
P\R
NOICA
(de llllC31'csl).
Il nous semble que si la question du mécanisme de l'alaxie chez les
tabétiques est encore irrésolue, c'est qu'ayant intéressé tout le monde, la
discussion a pris un caractère trop général.
L'alaxie est un phénomène pathologique, et par conséquent, c'est aux
cliniciens en première ligne que s'impose la nécessité de résoudre le
mécanisme de l'ataxie tabétique. Les physiologistes ont voulu leur venir
en aide, mais ils ont trop élargi le champ des recherches.
C'est de là qu'est sortie la difficulté : ceux ci, au lieu de s'occuper
à expliquer l'ataxie seulement, ont cherché à comprendre toute la
coordination en général. Mais qu'est-ce que la coordination ? Comment
devons-nous comprendre l'incoordination ? La coordination est-elle bien
l'opposé de l'ataxie ? Autrement dit l'incoordination et l'ataxie sont-
ils deux mots synonymes ? Voilà bien des questions sur lesquelles les
cliniciens et les physiologistes ne sont pas près de s'enlendre. Et pour
prouver ce que nous disons, nous n'avons qu'il citer un exemple. Aujour-
d'hui les physiologistes considèrent que les troubles consécutifs aux
lésions du cervelet provoquent de l'incoordinalion, el que le cervelet
est l'organe de la coordination. Au contraire les cliniciens, depuis Du-
chenne de Boulogne, n'ont jamais voulu confondre les troubles de mot i I i té,
provoqués par les lésions du cervelet, avec ceux qu'on observe dans le
tabès.
Il résulte de cette difficulté de s'entendre que, pour résoudre le
problème du mécanisme de l'ataxie tabétique, il faut, limiter le terrain des
recherches aux troubles que l'on a décrits en clinique sous ce nom ; car,
si nous avons l'intention d'expliquer en même temps l'ataxie tabétique et
la coordination en général, surtout telles que les comprennent aujourd'hui
les physiologistes, nous ne pouvons que nous égarer..
342 NOCE
Il est un fait dont nous n'avons personnellement aucun doute aujour-
d'hui et sur lequel Duchenne de Boulogne a insisté le premier :
Il y a des ataxiques tabétiques, qui ne présentent pas de troubles de
sensibilité objective consciente, ou qui en présentent si peu, qu'on ne peut
pas mettre sur leur compte les phénomènes d'ataxie qu'on observe chez eux.
Ces phénomènes ataxiques, nous les considérons comme constituant un
premier groupe, ayant des caractères propres et un mécanisme unique. Ils
sont tous bien connus, depuis que Duchenne de Boulogne en a donné la
première description.
Voici quelques-uns de ceux-ci :
1° Le malade étant couché dans son lit, si nous lui demandons de sou-
lever la jambe en l'air - le genou en extension on observe : que le
membre oscille pendant l'exécution du mouvement; et même s'il veut
l'arrêter à une hauteur quelconque, il ne peut le maintenir fixe, car il os-
cille latéralement en dehors ou en dedans.
2° Le malade étant couché dans la même position, si on lui demande de
toucher avec un talon le genou opposé, on remarque que pendant l'exé-
cution du mouvement, le talon oscille; et même s'il arrive à toucher le
genou, il ne peut pas le maintenir immobile, appuyé sur le genou, car il
continue de bouger.
3° Disons au malade de rester debout ; on remarque, s'il est bien ataxi-
que, qu'il ne peut pas rester immobile avec les talons rapprochés, car son
corps oscille dans différents sens. '
Les oscillations sont encore plus évidentes, si on lui recommande de
se maintenir sur une seule jambe, etc. Tous ces troubles deviennent plus
accentués, c'est-à-dire les oscillations des membres inférieurs et du corps
en général sont d'autant plus marquées, que le malade tien les yeux fermés
pendant les exécutions de ces mouvements volontaires.
Si nous demandons au malade de marcher avec les yeux ouverts, il
marche assez facilement, à moins que son ataxie ne soit pas trop avancée.
Dans ce cas, la marche est plus difficile, les pieds sont écartés de 20 ai
30 centimètres, les membres plus raides, les pas plus courts, et les pieds
se mettent par terre avec un certain bruit.
Mais le malade ne jette pas le pied démesurément, et si le pied se balance
légèrement et latéralement, on voit qu'il cherche à le garder dans la bonne
direction et à bien conserver l'équilibre de son corps. Si au contraire
nous prions le même malade de marcher avec les yeux fermés, sa marche
devient immédiatement beaucoup plus difficile : les pieds plus écartés,
les pas plus courts, les jambes et le corps oscillant nettement, et même
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 343
si fortement que le malade risque de tomber à droite ou il gauche. Il fait
en somme un peu l'impression d'un ivrogne, sans qu'il ail tendance
nettement déterminée il changer de route ; et sans se plaindre de vertiges
il ce moment-là, et faisant des efforts très grands pour ne pas perdre
son équilibre. Si pour marcher nous le soutenons en lui donnant le bras,
ou en lui donnant une canne pour s'appuyer, le malade marche beau-
coup plus facilement, l'équilibre est mieux conservé, quoiqu'il fasse des
pas plus grands qu'auparavant.
Nous allons exposer ici une observation d'alaxie tabélique, sans trouble
de sensibilité objective, et dans laquelle on verra que le malade présentait t
seulement les phénomènes ataxiques précédents.
. ' Observation.
G. G..., âgé de 52 ans, cordonnier, entré le 3 mars 1911 dans le service de
M. le professeur Stoicescun il l'hôpital Coltzea et sorti le 17 avril de la même
année.
Antécédents héréditaires. Père mort d'un anthrax. Mère vit et bien por-
tante. Deux frères et une soeur bien portants ; un frère mort de( ? ).
Antécédents personnels. Toujours bien portant. Marié, a eu de ce mariage
deux garçons très bien portants, dit-il ; sa femme n'a jamais fait de fausse
couche.
Dans sa jeunesse, il aj eu une blennorrhagie et un chancre à 20 ans, sans
aucun accident consécutif, qui a guéri de lui-même, sans aucun traitement
ni pendant, ni après.
Histoire de sa maladie actuelle. - Il prétend qu'il est malade seulement
depuis l'année dernière, quand il a senti pour la première fois une sensation
de pesanteur dans son abdomen ; on aurait dit, d'après son expression, qu'un
gros caillou était entré dans son abdomen ; puis il a senti que sa poitrine était
serrée de temps en temps comme dans un corset, et que souvent, lorsqu'il était
couché sur l'oreiller, il était gêné pour respirer, et pour se soulager il devait se
soulever ou se mettre debout. Le travail devenait fatigant. En réalité, sa ma-
ladie date de longtemps, car, depuis 20 ans, c'est-à-dire 10 ans après le
chancre, quand le temps est froid et humide, des douleurs fulgurantes lui
passent par les membres inférieurs. De plus, depuis ce temps-ia, il a re-
marqué aussi que son urine sort avec beaucoup de difficulté, qu'il doit faire
des efforts pour uriner et quand ce besoin lui vient, il est impérieux. La dé-
fécation va mieux. Depuis deux ans, il n'a plus de rapports sexuels.
L'hiver dernier, il est tombé sur la main droite, qui enfla, sans le faire
souffrir beaucoup. Après deux semaines, l'oedème limité seulement à la région
de la main a disparu complètement,en lui laissant une main déformée, absolu-
ment comme une main de rhumatisant chronique, etqui fait un contraste avec
la main gauche, qui est normale. Cette main, nous l'avons fait radiographier,
et on voit sur les plaques que les épaississements des articulations de plu-
344 NOICA
sieurs'doigts sont produites par des ostéo-périostoses des extrémités phalan-
giennes correspondantes.
Aujourd'hui le malade a un mauvais état général, caractérisé par une fai-
blesse générale et la teinte de sa peau qui est très pâle, ce qui s'explique par
le régime lacté absolu auquel il a été soumis depuis deux ans ( ! ) et par une
lésion aortique très accentuée qu'on constate la la base du coeur.
Les pupilles sont inégales, la gauche un peu plus grande que la droite ; elles
réagissent à la distance et ne réagissent pas à la lumière (signe d'Argyll
Robertson positif).
Quoique n'observant aucune paralysie des muscles de l'oeil, quand on demande
au malade de regarder en divers sens, nous dit que très souvent il voit double.
Les réflexes rotuliens et achilléens sont abolis. Les réflexes abdominaux sont t
conservés. Les réflexes crémastériens et plantaires sont abolis. La réaction de
Wassermann cherchée dans le sang a été positive.
Toutes les sensibilités superficielles - toucher, thermique et douleur
et profondes des attitudes et vibratoire sont bien conservées. Nous avons
cherché avec minutie la sensibilité des attitudes pour chaque articulation des
membres inférieurs, y compris l'articulation des orteils, et nous n'avons trouvé
rien d'anormal.
Il n'existe pas d'hypotonie, car en lui faisant des mouvements passifs dans
l'articulation coxo-fémorale, on ne pouvait pas faire plus d'un angle droit
avec la cuisse sur le plan horizontal de l'abdomen. En comparant avec une
autre personne normale qui se trouvait à côté, nous n'avons pas trouvé de
différence marquée.
La force musculaire est relativement bien conservée ; comme exemple,
nous ne pouvions pas lui plier les genoux s'il nous résistait.
Aux membres supérieurs, rien d'anormal.
Quoique ce malade ne présente ni des troubles de sensibilité superficielle
ou profonde, ni de l'hypotonie, il présente des phénomènes très nets d'ataxie.
En le.voyant marcher dans la salle, habillé, chaussé et appuyé sur une canne,
on ne penserait pas qu'il est ataxique ; et cependant le malade nous dit que,
souvent dans la rue, surtout quand il a trop marché et se sent fatigué, ses
jambes chancellent, si bien quelquefois que les personnes étrangères faisaient
la réflexion qu'il était ivre.
Si nous cherchons maintenant l'ataxie chez lui, soit étant couché au lit,
soit debout ou en le faisant marcher sans canne, nous trouvons tous les symp-
tômes précédents d'ataxie, que nous avons décrits d'après ce même malade. Il
est inutile par conséquent de les reproduire encore une fois. Ajoutons que le
malade ne jette pas la jambe en l'air et ne talonne pas. Il descend avec difficulté
l'escalier, même en s'appuyant sur une canne. Il lui est presque impossible de
marcher avec les yeux fermés si on ne le soutient pas. Avec les yeux ouverts,
il s'assied facilement sur une chaise, et il peut se lever facilement; mais s'il
veut s'asseoir ou se relever avec les yeux fermés, on observe un balancement.
Celui-ci est plus marqué lorsque le malade se love de sa chaise ; et comme il
a peur de tomber, nous devons le soutenir. Debout, il peut rester tranquille
LE MÉCANISME DE l'at\XIE TABÉTIQUE 343
avec les yeux ouverts, mais s'il les ferme, on observe que son corps oscille
légèrement. Le malade est incapable de se maintenir sur un seul pied, surtout
si les yeux sont fermés.
Il y ci donc des cas incontestables de malades tabétiques et ataxiques
sans aucun trouble de sensibilité objective consciente.
L'examen d'un assez grand nombre de malades tabétiques nous a con-
duit iL la conclusion : que les premiers troubles ataxiques qui apparaissent
sont ceux indiqués plus haut.
Avant que d'autres symptômes ataxiques n'apparaissent, et ceux-là ont
pour nous un tout autre mécanisme, nous trouvons les troubles décrits plus
haut. Mais, même plus tard, quand les symptômes du second groupe
arrivent et viennent se mêler avec ceux-ci, il est facile encore de les dis-
tinguer. Nous pourrions citer d'autres exemples de malades pareils il celui
de l'observation précédente, même avec des troubles ataxiques plus accen-
tués et toujours sans aucune perte de la sensibilité et surtout de la sensi-
bilité profonde. Et s'ils en présentent, c'est si peu, et d'une façon si
limitée aux articulations des orteils ou du pied, que nous ne pouvons pas
admettre que cetle perte de sensibilité puisse aggraver l'ataxie. Il est bien
entendu que ces malades, avec de légers troubles de sensibilité, sont des
malades de transition entre le malade décrit dans notre observation el
ceux par exemple que nous citerons dans la seconde partie de ce travail.
« Nat/1,1'(/, non facit saltns ». Pour comprendre le mécanisme de ces trou-
bles ataxiques, revenons en arrière, à la description du symptôme ataxique
le plus classique, celui que Duchenne de Boulogne disait patbonomo-
nique : le malade étant couché dans son lit, et s'il veut soulever la jambe
en l'air le genou en extension cette jambe oscille en dehors ou en
dedans, et même elle continue à osciller si le malade veut la maintenir
il une hauteur fixe, une fois soulevée en l'air. '
Nous pouvons comparer celle jamhe avec un levier soulevé par une
extrémité, qui oscille parce que l'autre extrémité n'est pas fixée. Sup-
posons que nous avons un bâton de- la longueur du membre inférieur ;
à l'une des extrémités, celle qui va être soulevée en l'air, nous avons
attaché une ficelle de deux mètres de longueur par exemple, tandis
que l'autre extrémité, qui restera par terre, aura le bout arrondi
poli el traînera sur un parquet bien glissant, ou sur une glace.
En tirant sur la ficelle, soulevons jusqu'à la hauteur d'un mètre, par
exemple, l'extrémité supérieure du bâton, et cherchons à la maintenir
fixe à celte hauteur. Qu'est-ce qui va arriver ? Non seulement pendant
le soulèvement, le bâton pourra osciller, mais il continuera à osciller
môme quand nous voudrons l'arrêter à un mètre de-hauteur. Pour arrêter
346 NOICA
ces oscillations, c'est très simple, nous n'avons qu'à appliquer notre pied
sur l'extrémité inférieure du bâton qui est restée par terre. D'où il 4-
résulte, que si notre bâton oscille, c'est parce que son extrémité inférieure
étant ronde et polie, elle glisse sur le parquet luisant.
Il nous semble que la comparaison avec la jambe de notre ataxique,
qui oscille quand le malade la soulève et veut la maintenir en l'air, est
absolument exacte. Certainement que chez notre malade, l'extrémité mo-
bile du levier, c'est-à-dire la tête du fémur correspondant, glisse dans la
cavité cotyloïde involontairement, contrairement à ce qui se passe chez
l'homme normal, où elle ne glisse que seulement d'après sa volonté à lui,
dans le sens qu'il veut, et ne glisse plus quand il veut maintenir la jambe à
une hauteur fixe.
Ilétait logique alors de se demander, en faisant cette comparaison, qu'est-
ce qui est troublé chez le tabétique ataxique, pour que sa jambe oscille
indépendamment de sa volonté ?
Au début de nos recherches, nous avions pensé que tous les muscles
autour de l'articulation coxo-fémorale, y compris les ligaments et la
capsule péri-articulaire, présentent chez l'homme normal une telle
consistance, une telle tonicité, que la tête du fémur ne peut bouger que
dans le sens que l'homme désire ; par conséquent c'était, chez l'ataxique, à
la perte de cette consistance, de cette tonicité que nous devions attribuer
les oscillations. En d'autres termes, que le malade ataxique devait pré-
senter une telle hypotonie et un tel relâchement des ligaments et de la
capsule articulaire que la tête du fémur ne puisse plus se maintenir fixe
pendant l'exécution des mouvements volontaires.
Biais en examinant nos malades, comme on fait d'habitude pour chercher
l'hypotonie, nous fûmes surpris de voir que celte hypotonie, tel le qu'elle a
été décrite par Frenkel n'existait pas. Ce n'est pas que nous voulions
contester ce phénomène au cours du tabes, ni l'importance des troubles
consécutifs à l'hypotonie dans la station bipède et pendant la marche;
mais il nous semble qu'on ne la trouve que rarement à un tel degré
d'intensité, que nous en avons vu dernièrement un cas dans le service de
M. le professeur Marinesco ; à cause de l'hypotonie du genou genu
recurvatum - la station était presque impossible, tant était grand l'angle
que faisaient les cuisses avec les jambes. Quant l'hypotonie des articula lions
coxo-fémorales, comme l'a décrite Frenkel, on la constate surtout dans les
cas d'ataxie très avancée.
C'est alors qu'en voulant chercher la vraie cause des premiers troubles
ataxiques, nous avons remarqué que si, pendant que nous cherchions
l'ataxie, le malade était découvert, on observait chez lui que, dès l'instant
qu'il soulevait la jambe en l'air, il apparaissait des contractions muscu-
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 347
laires, intéressant des muscles entiers,et même des fascicules des muscles,
autour des articulations coxo-fémorales. Ces contractions musculaires
étaient et si nombreuses qu'elles provoquaient une vraie danse désor-
donnée, une vraie chorée musculaire.
C'est alors que nous est venue l'idée d'attribuer, à ces contractions, l'ab-
sence de fixité de la tête du fémur, quand le membre est soulevé en l'air,
comme dans l'exemple précédent. En étlfet, si on observe ce qui se passe
chez un homme normal, on voitque tous les muscles pendant l'exécution
d'un mouvement volontaire, ou pendant que la jambe est simplement
soutenue en l'air, gardent un degré de tonicité continue, et toujours la
même; au contraire, chez l'ataxique,tous les muscles péri-articulaires sont
dans un continuel état d'agitation.
Ces contractions, qui s'observent quand le malade relève en l'air le
membre inférieur, on les observe aussi quand il exécute tout autre mou-
vement, comme par exemple : toucher avec le talon du membre relevé le
genou de l'autre membre qui repose sur le lit; rester debout avec les
talons rapprochés, rester sur un pied, sauter à cloche-pied, marcher, etc.
Certes, on remarque ces contractons non seulement dans les muscles
fessiers, adducteurs, quadriceps, etc., c'est-à-dire les muscles qui envelop-
pent l'articulation coxo-fémorale, mais aussi dans les muscles des jambes
et des pieds, quand le malade, par exemple, reste debout ; mais certaine-
ment, ce sont les premiers surtout qui,par leurs contractions doivent provo-
quer les oscillations quand le malade couché dans son litsoulévela gauche
en l'air. Il en doit être ainsi, car ce sont eux qui se trouvent autour d'une
articulation qui est mobile dans tous les sens. De même, ce sonteux aussi
qui, par leurs contractions, provoquent ces oscillations du bassin et du
tronc quand le malade est debout, car ce sont surtout ces muscles qui
jouent le rôle principal dans l'altitude de station bipède et dans la marche.
Nous disions tout à l'heure que si le malade précédent fermait les
yeux, ces oscillations étaient plus intenses encore ; autrement dit, il pré-
sentait le signe de Romberg, sans avoir des troubles de la sensibilité pro-
fonde. L'explication est la suivante- : le malade ayant les yeux fermés,
se rend moins bien compte dans quel sens il risque de perdre l'équilibre,
tandis qu'avec les yeux ouverts, il intervient rapidement, presque imper-
ceptiblement, par des contractions volontaires, pour corriger les oscilla-
tions. Par conséquent, dans ce jeu des contractions, il doit y avoir deux
sortes de contractions, les unes subconscientes ou peut-être inconscientes,
involontaires, et d'autres conscientes, volontaires. Toutes ces contractions
involontaires et volontaires n'apparaissent que pendant l'exécution d'un
mouvement volontaire, car aussitôt que le malade laisse, par exemple,
reposer la jambe sur le lit, ou s'il est couché, les contractions cessent
M8 8 NOICA
complètement. On comprend maintenant que, si le malade est debout ou
s'il marche, n'étant plus fixé dans ses articulations, surtout dans ses
articulations coxo-fémorales, à cause de ces contractions et de ces oscilla-
tions, il risque à tout moment de perdre son équilibre. Voilà pour-
quoi les malades ataxiques, s'ils sont priés de ne pas se servir d'une
canne, marchent à petits pas ; au contraire s'ils s'appuient sur une
canne, ou si nous leur donnons le bras, ils ont beaucoup plus de courage
et font de grands pas en marchant : car lorsqu'ils trouvent un point
d'appui pendant les différents temps de la marche, leur corps risque moins
de perdre son équilibre et de tomber. Il est certain qu'en faisant des grands
pas, les jambes oscillent plus facilement ; mais si les malades ont gardé
leurs forces musculaires, s'ils peuvent suivre des yeux ces oscillations in-
volontaires, et s'ils ont un point d'appui, ils sont en moindre danger de
perdre leur équilibre.
Voilà comment on comprend que des malades, très ataxiques, peuvent
marcher dans la rue et faire même des kilomètres, à condition que leurs
forces musculaires soient bien conservées et qu'ils s'appuient sur une
canne ou sur le bras de quelqu'un.
De ces considérations, nous avons essayé de tirer une application prati-
que. Si l'ataxie, au moins les phénomènes précédents, dépend d'une
cause mécanique, c'est-à-dire de l'absence de fixation des extrémités
osseuses dans leurs articulations et, quand il s'agit de la station bipède et
de la marche, de l'absence de fixité de la tête du fémur dans la cavité coty-
loïde, et vice-versa, du bassin sur la tète du fémur, nous n'avons qu'à
corriger ce défaut par un bandage.
Ce bandage est très simple, on n'a qu'à entourer la partie inférieure du
tronc, l'abdomen et les fesses, en descendant en bas jusqu'au milieu des
cuisses ; on se sert d'abord par une légère couche d'ouate, ensuite d'une
bande de tarlatane non empesée faisant le tour plusieurs fois, de sorte
qu'on en forme un corset depuis les seins jusqu'au-dessus des genoux, en
ayant soin de faire des spires bien serrées, autour des articulations coxo-
fémorales, en moulant le plus possible les jesses. En résumé il s'agit de
faire un bandage en double spire.
Le résultat est le suivant : Si le malade est couché dans son lit,on observe
qu'il soulève la jambe en l'air, la maintient à une hauteur fixe sans oscil-
lez- ; il touche correctement avec un talon le genou opposé, et le main-
tient fixe dessus, aussi longtemps et qu'il veut, sans que nous observions
aucune oscillation. Il peut exécuter les mêmes mouvements tout aussi bien
avec les yeux- fermés, sans que nous observions aucune oscillation. Les
mouvements sont naturellement un peu gênés dans leur exécution, un
peu limités, mais suffisants dans leur ampleur. En somme, si l'on n'était
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 34H
pas prévenu, en voyant exécuter ces mouvements au lit, on ne pourrait pas
soupçonner que le malade est ataxique.
S'il est debout, le malade paraît au début un peu gêné dans cet appareil
qui lui semble rigide, mais quelques mouvements sur place, ou quelques
pas dans la salle, et il se sent moins serré, et même satisfait, car, dit-il
étant serré comme il est, il se sent plus sûr de lui, plus solide sur ses
jambes. La station bipède est presque parfaite, et même j'ai vu des malades
se maintenir sur une seule jambe, chose qu'ils étaient incapables de faire
avant l'application du bandage. Ils peuvent rester sur place, même avec
les yeux fermés, tandis qu'avant ils présentaient le signe de Romberg. Si le
malade marche, on observe que, quoique ses pas soient limités, ils sont
suffisants comme longueur, ils sont réguliers, les jambes n'oscillant plus
latéralement, de sorte que le malade met les pieds où il veut, c'est-à-dire
en bonne place. Son équilibre est beaucoup plus assuré, car il peut marcher
sans canne et même s'il la garde, il n'a plus besoin de suivre des yeux
ses pieds, car le malade étant sûr de leur direction, il regarde droit devant
lui. Il est certain que s'il fermait les yeux, l'incoordination le signe de
Romberg - réapparaîtrait, mais à un degré moindre qu'auparavant. En
somme, notre malade, quoique se servant d'une canne, marche tout seul,
descend l'escalier, sort dans la rue, peut se promener pendant une demi-
heure, etc.
Et ce qui le satisfait surtout, c'est qu'après avoir marché, il se sent
beaucoup moins fatigué. Il rentre certainement là dedans non seulement
un élément mécanique qui, ayant été troublé, a été beaucoup corrigé par
le bandage,mais il y a aussi un élément psychique ; la crainte de tomber,
de perdre à tout instant son équilibre, a disparu dès le moment qu'avec
son bandage, le malade se sent plus sûr de lui.
J'avais essayé plusieurs fois de remplacer mon bandage, qui ne peut être
que provisoire, car vingt-quatre heures après il commence à se relâcher, par
un bandage orthopédique. Le résultat n'a pas été tout à fait satisfaisant,
quoique mes malades aient été contents ; car l'appareil, tel qu'on me l'avait
fait, était trop lourd. J'espère peut-être mieux réussir à l'avenir.
Avec notre bandage, fait simplement avec de la ouate et de la bande
tarlatane, nous n'avons certes pas fai disparaître complètement ces phéno-
mènes ataxiques, et d'autant plus nous n'avons pas guéri l'ataxie, mais nous
avons pu venir en aide à nos malades, et avec un résultat immédiat. Ce ban-
dage convient seulement aux malades ataxiques pas trop avancés. Il est bien
entendu qu'il ne faut pas cessé de soigner l'étal général du malade, d'en-
tretenir ses forces musculaires par des exercices, massages et toniques,
et il faut lui éviter toute cause d'affaiblissement et de fatigue.
En fermant cette parenthèse, nous dirons que les troubles d'équilibre
350 NOICA
statique et cinétique, nous les observons surtout aux membres inférieurs
de nos malades ataxiques, car il s'agit ici de segments du corps, qui sont
très gros et très lourds et qui doivent se maintenir bout à bout. Quand le
malade est debout, il faut que tout le poids de son corps reste maintenu
fixement sur les têtes des fémurs. Cette fixité est plus difficile à être main-
tenue quand l'individu cherche à se tenir sur une seule jambe, ou s'il
veut sauter à cloche-pied, etc. Dans tous ces cas, l'organisme a été pourvu
de muscles puissants qui se contractent tous en même temps, harmo-
nieusement, pour que l'individu normal puisse garder continuellement
son équilibre statique et cinétique ; au contraire, chez l'ataxique, cette
harmonie étant détruite, le malade risque sans cesse de perdre son équi- -
libre.
Cette absence d'harmonie, remplacée par un état choréique des muscles,
ne pouvait pas échapper à des observateurs comme Duchenne de Boulo-
gne. En effet cet auteur a bien vu ces contractions et nous ne pouvons
faire mieux que de reproduire ici une de ses admirables pages.
« Chez les sujets atteints d'ataxie locomotrice, les oscillations du corps,
pendant la station debout, ont un caractère bien différent; elles sont
brusques, plus courtes et plus rapides. J'ai déjà comparé l'ataxique debout
à un danseur qui, sans balancier, veut se tenir sur une corde raide : rien
n'est plus juste que cette comparaison (1). Les contractions musculaires qui,
dans la station verticale, produisent alors ces oscillations brusques du
tronc, ressemblent à des spasmes. Pour constater ce fait, il faut que les
membres inférieurs soient nus et à découvert; alors on voit, quand le
corps est agité plus ou moins vivement par ces oscillations, certains
muscles de ces membres se contracter fortement et brusquement, et
pendant un espace de temps très court. Ce sont ces contractions qui
impriment au tronc ces petits mouvements oscillatoires, brusques.
« Ces contractions cependant ne sont pas seulement spasmodiques ; elles
sont aussi fonctionnelles, car elles ont toujours lieu pour maintenir le
corps dans la ligne de gravité. J'ai constaté, en effet, que, lorsque le sujet
oscille dans un sens, ce sont toujours les muscles qui le ramènent dans
un sens opposé, qui entrent vivement en action. Ces contractions sont
autant instinctives que volontaires. Il arrive en effet quelquefois, surtout
au début de l'incoordination musculaire, que le malade oscille très légère-
ment, sans qu'il en ait conscience ; et l'on peut constater déjà des contrac-
tions petites et courtes parmi les muscles qui meuvent les pieds et les
orteils, J'ai vu dernièrement une observation faite par la femme d'un
malade atteint d'ataxie locomotrice, auprès duquel j'étais appelé en consul-
(1) DucHENNE de 130ULOONE, De l'electl'isatiorl localisée, 3' édition, p. '757, de l'année
1872.
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 351
talion par mon ami le D' Contour. Pendant quelques mois, disait-elle,
avant que son mari s'aperçut qu'il conservait difficilement son équilibre,
elle avait remarqué que, lorsqu'il se tenait debout, et sans être chaussé,
ses pieds, au lieu de rester tianquillement posés à plat sur le tapis,
étaient agités de petits mouvements continuels, et que ses orteils étaient
incessamment et alternativement abaissés et relevés. Alors aussi elle
voyait son corps osciller faiblement.
« Mais à ces contractions instinctives viennent bientôt se mêler des
contractions volontaires. Dès que le malade a conscience de la perte de
son équilibre, on le voit s'en préoccuper sans cesse, dès qu'il se tient
debout*, et faire, pour le conserver, des efforts qui l'épuisent bientôt.
Aussi ne peul-il se tenir longtemps debout sans éprouver de la fatigue. »
Duchenne de Boulogne, en constatant ce phénomène, et d'autres faits
du môme ordre, dus, dit-il, à l'expérimentation électro-physiologique et
à l'observation clinique, arrivait à cette conclusion que généralement, pour
l'exécution d'un mouvement volontaire, nous avons besoin de mettre en
jeu plusieurs ordres d'associations musculaires. Ces associations, l'auteur
les divise en associations musculaires impulsives et en associations muscu-
laires antagonistes. Par associations musculaires impulsives, Duchenne
comprend les contractions musculaires synergiques, destinées à imprimer
à une partie du corps un mouvement volontaire vers une situation ou une
attitude quelconque.
Quant aux associations musculaires antagonistes, il les subdivise en
deux espèces. Les unes sont composées par les muscles qui peuvent s'op-
poser directement aux associations musculaires impulsives, mais qui ne
s'unissent à elles que pour les modérer, d'où il les appelle associations
musculaires modératrices; et les autres, il les nomme associations murs-
culaires collatérales, parce qu'elles sont formées par les muscles qui
assurent le mouvement, en empêchant la partie du corps qui se déplace
de s'écarter latéralement de sa direction. Ces dernières associations vien-
nent en aide aux mouvements qui ont lieu seulement dans les articulations
mobiles dans tous les sens (les énarthroses et les arthrodies).
Si nous appliquons ces principes aux troubles ataxiques précédents, il
nous est facile de comprendre alors que si la tête du fémur glisse dans
tous les sens, contre la volonté du malade, c'est parce que, pendant l'exécu-
tion d'un mouvement volontaire, les associations musculaires et surtout
les collatérales sont troublées dans leur mécanisme. D'où il en résulte
des oscillations que nous observons, soit quand le malade est couché et
désire soulever le membre inférieur en l'air, ou toucher avec le talon un
de ses genoux, soit quand il est debout sur les deux pieds, et encore
plus s'il désire rester sur un seul pied, ou marcher, etc.
352 NOICA
On comprend très bien que le mécanisme des associations musculaires
est absolument nécessaire dans l'exécution de tout mouvement simple.
L'exemple classique d'ataxie, que nous avons donné plus haut, dans
lequel le malade, étant couché dans son lit, soulève le membre inférieur
étendu, est un mouvement simple. Pour que ce mouvement s'exécute
correctement et pour que la jambe'n'oscille pas latéralement, il est abso-
lument nécessaire, comme le dit Duchenne, que le jeu des muscles situés
autour de l'articulation coxo-fémorale soit harmonieux. En effet, si on
regarde la hanche à ce moment-là chez une personne normale, pendant
qu'elle soulève la jambe en l'air, on n'observe rien en apparence, c'est-à-
dire que tous les muscles péri-articula ires sont tellement contractés à
l'unisson, que rien ne bouge sous la peau. Au contraire, chez l'ataxique,
pendant que la jambe oscille latéralement, on observe sous la peau de la
hanche et de la cuisse une vraie chorée musculaire. Il est absolument
logique de conclure que les oscillations du membre sont consécutives à
ces contractions.
Mais il n'est pas suffisant de saisir le mécanisme d'un mouvement
simple, pour expliquer en même temps le mécanisme des mouvements
coordonnés, résultant de la réunion de plusieurs mouvements simples.
Certes, quand l'homme est debout, toutes les articulations du bassin
sur les cuisses, des cuisses sur les jambes, des jambes sur les pieds, se
trouvent maintenues immobiles et par conséquent les extrémités osseuses
intra-articulaires sont maintenues bout à bout immobiles. Pour que
l'homme, étant debout, puisse rester immobile, il faut absolument que ses
muscles soient contractés à l'unisson. Si quelques-uns d'entre eux,
surtout ceux qui se trouvent autour d'une articulation qui est mobile
dans tous les sens comme est l'articulation coxo-fémorale, se mettent à se
contracter et à se relâcher les uns après les autres, sans aucun ordre, il
est bien entendu que le tronc se mettra à osciller. Mais ici il s'agit seu-
lement d'un trouble des mouvements nécessaires à l'équilibre statique
et non pas de coordination.
Citons un autre exemple : Si de la station debout, nous voulons nous
asseoir sur une chaise, ou si, assis sur une chaise, nous voulons nous
relever, il faut, pour que ce mouvement puisse s'exécuter dans de bonnes
conditions, que non seulement nos pieds soient bien fixés par terre, mais
aussi que le tronc n'oscille pas latéralement. Supposons, dans ce cas, que
les muscles situés autour de l'articulation coxo-fémorale articulation
mobile dans tous les sens et aussi les muscles sacro-lombaires et abdo-
minaux ne se contractent pas à l'unisson, que des contractions involon-
taires et intempestives surviennent, il en résultera que le tronc et le
bassin pourront être entraînés latéralement, et l'individu risquera de
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉI'IQUE 353
tomber. C'est ce qui arrive en effet chez le malade ataxique. Faut-il
considérer ce trouble comme un phénomène incoordonné ? Et faut-il
alors considérer cette fixation des segments du corps nécessaire pour
pouvoir s'asseoir ou, étant assis, pouvoir se relever, comme un mouve-
ment coordonné ?
Certes, pour que l'homme sain ou le malade puisse s'asseoir ou se
relever, plusieurs articulations entrent en jeu ; mais si mon malade tabé-
tique ne peut faire de mouvements qu'en se balançant involontai-
rement, il ne s'agit pas ici d'un trouble des mouvements coordonnés, mais
seulement d'un trouble d'équilibre cinétique. Il est si peu incoordonné
que le malade précédent, étant assis sur une chaise, si, en lui disant de
fermer les yeux, je lui déplace les pieds, et puis je lui recommande de se
relever, en- gardant les yeux fermés, alors il rapproche les pieds, les met
dans la bonne position,puis une fois qu'il est fixé sur ses pieds, il cherche
à se relever. Si en se relevant, le corps se balance, c'est-à-dire s'il ne
garde pas son équilibre, il a pu tout de même coordonner les mouvements
nécessaires à l'action de se relever.
Enfin un dernier exemple. Le malade est debout, s'il veut soulever la
jambe avec l'intention de marcher, la jambe risque d'osciller en dedans
ou en dehors, et si le malade veut marcher, le corps oscillera lui aussi.
Est-ce qu'il s'agit là d'un trouble de coordination ? Nous croyons qu'il
s'agit, là aussi, seulement d'un trouble dans l'équilibre cinétique, provoqué
par la même cause, c'est-à-dire que la tête du fémur est remuée latérale-
ment et le tronc aussi, par des contractions musculaires désordonnées.
En résumé, tous les phénomènes ataxiques décrits jusqu'ici sont des
troubles de l'équilibre statique ou cinélique.
Le mécanisme des mouvements coordonnés est plus délicat. Pour que
l'homme puisse les exécuter, il a fallu les apprendre, et nous verrons,
quand nous étudierons le second groupe des phénomènes ataxiques, quel
est le mécanisme des mouvements coordonnés et comment ce mécanisme
étant troublé, le malade tabétique s'en ressent.
Il est temps maintenant de se demander pourquoi se produisent ces
contractions ? Quel est le premier trouble ataxique, qui est la cause de
l'apparition de ces contractions et de ce trouble d'équilibre statique et
cinétique ? Il faut nous demander si le mécanisme des associations muscu-
laires modératrices et des associations musculaires collatérales, tel qu'il
a été formulé par Duchenne de Boulogne, répond à la réalité des faits,
s'il est au-dessus de la critique ?
Je commence par ce dernier point car, pour comprendre un phéno-
mène pathologique, il faut toujours se rendre bien compte de ce qui se
passe chez l'homme normal.
' xxiv 23
35 i NOICA
Nous observons, quand l'homme sain soulève lo membre inférieur en
totalité, le genou en extension, que toute la masse musculaire de la cuisse
et du bassin est dure pendant qu'il exécute ce mouvement et pendant
'tout le temps qu'il maintient le membre en l'air, à condition que le mem-
bre ne fasse pas encore un angle droit avec le plan horizontal.
A quoi est due cette consislance musculaire, partout la même Nous
croyons comme Duchenne de Boulogne qu'elle esl due à ce que tous les
muscles qui entourent l'articulalion coxo-fémorale sont contractés en même
temps. Et voilà sur quoi nous nous basons.
1° Quand l'homme normal soulève la cuisse en l'air, dès le début on voit
et on sent sous la main appliquée sur la face antérieure de la cuisse que
le muscle quadriceps se contracte. Celle contraction persiste pendant toute
la durée du mouvement, et pendant tout le lemps qu'il maintient le
membre en l'air, à condition que le membre ne fasse pas un angle droit
avec l'abdomen. Si le membre est soulevé jusqu'à un angle droit, la
contracture du quadriceps diminue un peu, sans disparaître complè-
lemenl. Il est facile de s'expliquer pourquoi celle contracture diminue
à ce moment-là : parce que l'homme n'a plus besoin d'un grand effort,
car dans cette position verticale le membre s'appuie déjà sur son centre
de gravité.
Si maintenant nous lui disons d'abaisser le membre lentement, on sent
alors que la contracture du quadriceps, tout en persistant continuellement,
diminue progressivement, et c'est seulement quand le membre est bien
appliqué sur le lit qu'on sent que la dureté disparaît.
Par contre, si, le membre étant soulevé, nous lui disons de le laisser
' appuyer sur notre main libre, alors la contracture du quadriceps disparaît,
le muscle est relâché ; et si nous abaissons lentement la jambe sur le lit,
le muscle est tout le lemps mou.
2° Si maintenant nous disons à l'homme normal de relever le membre
en l'air, pendant que nous tenons dans une de nos mains la masse muscu-
laire postérieure de la cuisse, on sent alors dès le commencement du
mouvement que celle masse durcit, et puis en continuantde la relever, on
sent que la masse durcit de plus en plus, et elle devient beaucoup plus
dure encore quand le membre arrive à faire un angle droit et même à le
dépasser.
Nous pensons qu'au début, la duielé tient à la contraction musculaire,
et si celle dureté est encore exagérée, c'est que le membre se renversant
sur l'abdomen, le muscle s'étend. En s'étendant le muscle durcit, et dans
ce cas, il durcit d'aulant plus qu'il est contracté dès le début du mou-
vement. t.
Si nous soulevons nous-même le membre du malade en lui disant de ne
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE ,TABÉTIQUE 355
pas se raidir du tout, on sent que la muscle ne durcit pas dès le début,
mais seulement un peu plus tard, quand il commence à être étendu.
Le membre étant soulevé en l'air, par la volonté de l'individu, si on lui
dit alors de le laisser se reposer, soutenu seulement par noire main
appliquée derrière le membre, on se rend compte alors que la dureté des
mucles postérieurs ne disparaît pas complètement. Ce qui prouve que celle
dureté dépendait aussi d'un élémentpassif, l'extension des muscles posté-
rieurs.
En effet cette dureté ne disparaît que seulement quand nous lui plions
le genou, ou quand nous lui baissons passivement la cuisse sur le bassin.
3° Quand l'homme normal soulève le membre- inférieur en l'air, nous
sentons, en maintenant dans une de nos mains la masse musculaire des
adducteurs, que dès le début les muscles adducteurs se contractent, puis,
continuant de relever le membre, celle dureté diminue et disparaît même,
surtout quand le membre se rapproche de la position verticale. Cela
s'explique facilement, car les muscles se contractent au début de l'effort,
puis se décontractent quand l'effort n'est plus nécessaire.
Si l'homme abaisse maintenant lentement le membre, la masse muscu-
laire des adducteurs est tout le temps flasque, sauf à la fin du mouvement,
quand le membre est près d'arriver sur la surface du lit, alors on sent une
nouvelle contraction. Cette contraction disparait ensuite rapidement dès
que la jambe repose complètement sur le lit. On comprend ce phénomène :
les muscles adducteurs étaient mous pendant toute la durée de la descente,
n'ayant aucun rôle d'être contractés, et seulement à la fin du mouvement
ils se contractent de nouveau, probablement parce que l'homme croyant
qu'il a abaissé trop vite le membre, il contracte ces muscles de nouveau
pour retenir la chute du membre, mais ceci pour très peu de temps.
Il résulte de cette description que, sauf quelques détails qui n'ont
sûrement pas pu échapper à un observateur comme Duchenne de Boulogne,
le mécanisme des associations musculaires est tel qu'il a été décrit par
lui, c'est-à-dire que tous les muscles se contractent au début de tout
mouvement qui demande un certain effort. Avant d'aller plus loin, j'ouvre
ici une parenthèse pour répondre à la critique qu'on a faite à ce mécanisme.
Les physiologistes modernes n'ont jamais voulu accepter le fait que pen-
dant que l'homme exécute un mouvement avec certains muscles, les
autres muscles, les antagonistes se contractent eux aussi comme dit
Duchenne de Boulogne. En effet, s'il s'agit par exemple de fléchir sim-
plement l'avant-bras sur le bras mouvement qui ne demande qu'un
effort très faible, le muscle triceps ne doit pas se contracter, il ne
fait que s'étendre. Mais supposons qu'en voulant plier le coude, notre
avant-bras rencontre un obstacle que nous voulons tout de même vaincre ;
36 NOICA
on sent alors que non seulement le muscle biceps se contracte plus fort
qu'auparavant, mais que le muscle triceps se contracte lui aussi. Si nous
reprenons l'exemple précédent, quand l'homme soulève le membre infé-
rieur en l'air, nous avons vu que dès le début du mouvement les muscles
postérieurs de la cuisse se contractent eux aussi, en même temps que les
muscles antérieurs, parce que l'homme, sachant qu'il doit faire un effort
pour relever un levier, lourd comme l'est le membre inférieur, fait un
effort beaucoup plus grand que celui qu'il a fait pour plier simplement
l'avant-bras sur le bras. De même, en abaissant le membre, nous avons
vu que pendant toute la durée de la descente, et même quand il est arrivé
à le laisser reposer sur le lit, les muscles antérieurs cette fois-ci
antagonistes ont été continuellement à l'état de contraction. Nous
avons vu de même que les muscles adducteurs, qui étaient mous pendant
la descente du membre, se sont contractés eux aussi à la fin, car
l'homme craignant d'avoir abaissé trop rapidement son membre, il
contracte ceux-ci pour le retenir. Voilà je pense pourquoi Duchenne de
Boulogne s'est exprimé avec justesse en disant : «Agissez, en effet, avec
un peu de force sur un levier, vous verrez qu'il est impossible de l'arrêter
exactement en un point donné, s'il n'est pas retenu par une force modé-
ratrice. »
En fermant cette parenthèse,je répète que le mécanisme des associations
musculaires décrit par Duchenne répond à la réalité des faits, et on com-
prend très bien, maintenant, pourquoi l'homme normal, en soulevant le
membre inférieur étendu en l'air, contracte tous les muscles ; tous, en se
durcissant, font une cuirasse parfaite autour de l'articulation coxo-fémo-
rale, et ne permettent pas au membre d'osciller.'
La physiologie d'un mouvement simple comme celui de la flexion dn
membre inférieur, étant bien saisie, il est très facile maintenant de se
rendre compte de ce qui se passe chez l'ataxique ; ici le mouvement s'exé-
cute imparfaitement, à cause des oscillations qui troublent involontaire-
ment l'équilibre statique et cinétique du membre. Regardonsunataxique,
à qui on dit de soulever la jambe en l'air ; son membre oscille en
dedans ou en dehors. Profitons d'un moment que le membre n'oscille
pas, et palpons-lui ses muscles : on se rend compte facilement que
tous les muscles postérieurs, internes el- externes, sont mous et flasques,
sauf les muscles antérieurs qui sont durs, et ceux-ci par la volonté du
malade. Disons-lui d'abaisser le membre, et de le laisser sur le lit, on voit t
que rapidement le membre tombe , tant la contracture des muscles
antérieurs a cédé facilement; de même aussi aucune contracture n'est
survenue dans les muscles latéraux pour retenir la descente trop brusque
du membre.
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 357
Au contraire, attirons son attention, en lui disant de bien maintenir,
le membre en l'air, de ne pas le laisser osciller; on voit et on sent alors
que tous les muscles, antérieurs, postérieurs et latéraux se contractent
ensemble. Mais cette contracture générale n'est pas continue, elle se relâche,
puis rapidement les muscles durcissent de nouveau, et de nouveau ils se
relâchent et puis le malade laisse tomber son membre, en nous disant qu'il
n'en pouvait plus, qu'il se sentait fatigué. Ceci s'explique parce que le
malade, pour maintenir fixement le membre en l'air, avait besoin de
grands efforts volontaires et de beaucoup d'attention, tandis que l'homme
normal maintient longtemps le membre en l'air, on peut dire presque
automatiquement.
Voilà pourquoi dans ce dernier cas la fatigue met beaucoup de temps
pour apparaître.
Si le membre oscille par conséquent quand le malade le soulève
et quand il veut le maintenir dans une position fixe, c'est parce que les
muscles péri-articulaires, sauf les antérieurs, sont à l'étal de relâchement,
de flaccidité, et ne font plus cette cuirasse partout résistante comme
chez l'homme normal. Et s'il survient des contractions, inconscientes et
conscientes, c'est pour corriger ces oscillations, ces glissements de la têle
du fémur dans la cavité cotyloïde.
Le premier phénomène anormal, par conséq uent,c'estla flaccidité muscu-
laire^ l'absence de contraction des muscles postérieurs et des muscles
latéraux.
Cet état de flaccidité, qui est d'un degré inférieur à la tonicité normale
des muscles, on l'observe même quand le membre repose tranquillement
sur le lit, et il dure quand le malade soulève le membre et le maintient en
l'air. Il est vrai qu'au début du mouvement, on sent une certaine raideur en
Irain de se produire dans les muscles postérieurs et dans les muscles laté-
raux, mais elle est si discrète qu'on la sent très peu et qu'elle disparaît
rapidement.
Il est vrai aussi que plus le malade soulève le membre, plus on sent.
seulement du côté postérieur, que ces muscles-là s'étendent et se durcis-
sent. Il en résulte que le membre ne peut osciller que latéralement, ce
qui arrive en réalité.
Si les muscles sont mous et flasques, il ne faut pas croire qu'on puisse
implicitement renverser plus qu'il ne faut le membre sur le bassin ; il
se peut très bien que la masse musculaire des membres inférieurs soit
déjà molle et fiasque, quand la cuisse relevée passivement en l'air nepent
pas dépasser encore l'angle droit.
Si nous considérons, alors que cette flaccidité intéresse tous les muscles,
que chacun d'eux peut jouer le rôle de se contracter volontairement
358 NOICA
la flaccidité n'implique pas l'impossibilité de contracter le muscle volon-
tairement - ou lie jouer le rôle d'antagoniste ou de collatéral, nous
comprenons alors pourquoi les segmenls du corps du malade ataxique
ne peuvent plus se maintenir fixement, bout à bout, pendant lorsque le
malade a la volonté de conserver l'équilibre statique et cinétique.
Et si nous ajoutons que par le progrès de la maladie l'état général
s'affaiblit, et que même les muscles perdent une partie de leur force de
contraction volontaire, nous comprenons alors pourquoi les ataxiques
deviennent avec le temps des parétiques.
La station debout et la marche deviennent de plus en plus difficiles, la
station sur un pied, soit restant sur place, soit quand le malade marche
et doit s'appuyer à un moment donné seulement sur une jambe, sont
d'autant plus difficiles que, dans ces cas-là, le malade doit se raidir vigou-
reusement pour ne pas se laisser entraîner au delà par le centre de
gravité et risquer de perdre l'équilibre. D'où la nécessité d'écarter les
pieds, pour élargir la base de sustention, et le besoin de s'appuyer sur
une et même deux cannes à la fois.
Ce phénomène de flaccidité a été observé chez les malades tabétiques
depuis très longtemps. Dans le travail bien connu de Frenkel (1), voilà
ce que nous trouvons comme indication bibliographique, p. 75 :
« En lisant les auteurs anciens, nous trouvons déjà signalée dans les
observations de malades communiquées par eux la flaccidité de la mus-
culature. Mais si loin que je puisse remonter, Leyden est le premierqui,
complétant les recherches de Coll1lstein, rapporte cette flaccidité à la
perte du tonus musculaire. Voici comment cet auteur s'exprime à ce sujet
dans son travail paru en 1863 (Die gratte Degeneralion der hinteren Rü-
clcenmarksstrànge) : d'après les recherches de Cohnstein (Beitrag zur
Lellre des l\IuskelLon us, Y 01'1. Bemerkaug. Allg. med. Central. Zig" 1861 ,
n" 100) et celles de Brondgeest (Ouderzocknigen olier tien tonus der TViI-
ler- Ke2crige spiercn), il est vraisemblable que les muscles se trouvent ordi-
nairement dans un état de légère contraction, que nous désignons sous le
nom de tonus, et que cet état est dépendant de l'intégrité des racines
postérieures sensitives de la moelle épinière. La section de ces racines le
fait cesser. Il faut donc le considérer comme l'expression d'une excita-
tion réflexe continue des extrémités des nerfs sensitifs. Force est par
conséquent d'admettre que le tonus musculaire doit considérablement
souffrir d'une maladie des racines postérieures. Je crois qu'il faut y rap-
porter la flaccidité et la mobilité anormale des membres. Ils n'ont pour
ainsi dire plus de frein, il n'y a plus de mesure à leur élévation, à leur
(1) L'ataxie labetique, ses origines, son traitement par la rééducation des ? )101tle-
menla. Edition françnise, Alcan, 1907,
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 351l )
flexion; ils sont lancés comme les membres d'un polichinelle. L'liarmo-
nie des antagonistes fait défaut. Probablement il faut rapportera celle
cause une partie des troubles qui intéressent les sphincters de la vessie
et du rectum. »
Debove et Boudel (Soc. de Biologie, -1 '1 fév. 1880) étudièrent aussi le
tonus s dos mll¡;lcs r,hcz Il's tabÚliql1e, 1'1 ('0111'1111'1'111 ! Jill' lous les mus-
cles n'ont pas un tonus égal, parce que pendant leurs contractions, le son
n'est pas le même pour chaque muscle. Debove eu Boudel émettent alors
une théorie de l'alaxie. « Ces diverses recherches nous ont fait admettre
chez les ataxiques une très grande inégalité de la tonicité musculaire, et
celle inégalité nous paraît être la cause de l'incoordination motrice. »
Cette théorie de l'inégalité de tonicité musculaire, telle que nous ve-
nons de la voir émise par Debove et Boudet,est la même que celle soutenue
par Lochart Clarl;e (Hammond, Maladies du système nerveux, édition
française, p 705) avant eux.
Quoique le mot d'hypotonie ait été créé par Frenkel, cet auteur n'a
pas voulu identifier le mot Je flaccidité musculaire avec ce mot d'hypo-
tonie, et il applique celui-ci seulement aux mouvements passifs qui dé-
passent par leur étendue l'état normal. Et pour confirmer ce qu'il sou-
tient, Frenkel ajoute qu'il trouve l'hypotonie, lel qu'il la comprend,
même chez des malades tabétiques, dont la musculatule au repos ne pré-
sente ni à l'oeil, ni à la palpation, le moindre signe d'altération. Nous ne
pouvons pas nous associer à cette conclusion de Frenkei, car nous n'avons
pas observé de pareil cas ; nous sommes mieux d'accord avec Frenkel
quand il dit plus loin : » Par contre on trou\e des tabétiques dont les mus-
cles sont maigres et flasques.sans que l'hypotonie soit bien marquée «.Au-
trement dit, pour nous, l'étal de flaccidité apparaît longtemps avant qu'on
puisse constater de l'exagération d'amplitude des mouvements passifs.
L'hypotonie telle que la définit Frenkel n'est pas la cause de l'ataxie; elle
ne peut pas n'èlreqtf une elle est si exagérée, comme
dans les cas de genu recurvatum,que les tibias sont luxés en arrière. Les
acrobates qui se sont exercés dès leur enfance à faire des mouvements
très étendus avec leurs membres, ne sont pas pour cela, des ataxiques.
L'exagération de l'amplitude des mouvements volontaires et passifs lient
chez eux, a l'élasticité très grande, développée par l'exercice, de tout
l'appareil fibro-ligamenteux des articulations et du tissu musculaire, el
non pas à une perte de la tonicité musculaire.
L'ataxie par conséquent - c'est -Ù, dire les phénomènes alaxiques que nous
avons décrits dans cette première partie de notre travail est la coitsé-
rprenceclelra flaccidité musculaire, quand celle-ci coexiste avec une corser-
vation de la force musculaire,
(A suivre),
CLINIQUE DES MALADIES NERVEUSES DE L'UNiVERSiTÉ DE MOSCOU
Professeur : W. Roth.
ATROPHIE CURIEUSE ET RARE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
ET DE LA MOELLE ALLONGÉE
(SYPHILIS CRÉBItO-SP1NALE.
PAR R
A. HEIMANOWITSCH
Grâce à la direction bienveillante de M. le professeur W. Rotli à qui
j'adresse tous mes remerciements, il m'a été possible de faire l'étude d'un
cas particulièrement intéressant de syphilis cérébro-spinale. Le malade
était demeuré en observation pendant de longues années dans le service
de la Clinique des maladies nerveuses de l'Université de Moscou. Il
s'agissait d'une syphilis du système nerveux dont l'évolution progressive
dura 26 ans ; sa symptomatologie ne cessa de se compliquer par l'appa-
rition successive de la plupart des phénomènes qu'il est possible d'observer
dans la syphilis il détermination cérébro-spinale.
Le tableau anatomique correspondant à une telle complication clinique
se montra, comme on s'y attendait, extrêmement touffu et varié. Mais le
fait, dominant tous les autres, est une atrophie très prononcée de la
moelle épinière et d'une partie de la moelle allongée. C'est sur cette
atrophie que je m'étendrai.
Une telle constatation, si exceptionnelle il première vue, répondait
pourtant à l'idée qu'on pouvait se faire d'un système nerveux épuisé par
l'évolution interminable d'un processus lentement progressif. D'autre
part, il était de grand intérêt immédiat de rechercher le mécanisme et
l'origine de cette atrophie.
Je ne me propose nullement, dans l'article actuel, de donner la des-
cription systématique et complète du cas considéré au point de vue
clinique et au point de vue anatomique. Je n'envisagerai que la question
« atrophie ». Les renseignements concernant l'évolution de la maladie et
l'examen anatomo-histo ! ogique seront réduits au minimum.
L'observation du malade remplit à elle seule plusieurs cahiers d'obser-
vations de la Clinique ; le professeur Roth et plusieurs de ses assistants
ont contribué il relever les phases successives de cette longue histoire.
ATROPHIE CURIEUSE ET RARE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 361
C'est à l'âge de 18 ans, en 1878, que notre homme s'infecta de syphilis
et déjà, deux ans plus tard, celle-ci s'annonçait comme « nerveuse » par
un premier symptôme de participation du système nerveux, par l'inégalité
pupillaire.
En 1884, à l'âge de 24 ans, le malade fut frappé d'un premier ictus,
qui le laissa, mais pour deux jours seulement, hémiplégique du côté droit
et aphasique. Un deuxième ictus, survenu deux semaines plus tard,
reproduit l'aphasie et détermina une hémiplégie gauche ; les conséquences
de ce second ictus furent plus graves ; elles ne se dissipèrent qu'au bout
d'une année entière.
En 1891, le malade présenta les premiers indices d'un symptôme qui
devait dès lors donner à toute la maladie une physionomie particulière ;
c'est d'une atrophie musculaire qu'il va s'agir, et c'est par le deltoïde
gauche qu'elle débuta. Au même moment, les troubles iriens s'accentuaient
et atteignaient à l'immobilité pupillaire.
En 1892, troisième ictus, suivi de la parésie du voile du palais. Du
côté gauche du corps, les atrophies musculaires s'étaient développées dans
la direction du centre à la périphérie, du côté droit, au contraire, les
atrophies devaient remonter de la périphérie à la racine des membres;
ayant débuté à droite, en 1895, par la main et l'avant-bras, l'atrophie ne
cessa d'agrandir son domaine; l'extension progressive des atrophies
amena leur généralisation aux bras avec cette particularité fort originale
que l'envahissement se fit dans deux sens opposés soit, comme il a déjà
été dit, à gauche suivant la direction centrifuge, à droite suivant la
direction centripète. En cette même année 1895, le malade souffrit dans
les organes pelviens de troubles qui ne devaient plus le quitter pendant
tout le reste de sa vie. '
Parmi les phénomènes qui se produisirent après 1895, il faut citer le
quatrième ictus, survenu en 1897, à la 37° année d'âge du malade; il
détermina des troubles des nerfs crâniens VI, VII et X du côté droit et
notamment la difficulté de déglutir ; il existait une anesthésie du côté
gauche, localisée au tronc.
En 1901, lemalade commença visiblement à perdre de sa mémoire.
Vers le même temps ses extrémités inférieures se parésièrent. En 1903,
les aliments passaient dans les fosses nasales. En 1905, cinquième iclus,
suivi d'aphasie. En 1906, le malade était absolument dément et il mourut
cette année même avec des symptômes de cystite.
Il y. a lieu de signaler que l'on pouvait, dans ce cas, parler de pseudo-
tabes syphilitique. Depuis l'année 1894, jusqu'en 1897, le malade pré-
senta à l'observation l'abolition de la réflectivité pupillaire, des douleurs
d'arrachement, des sensations de brûlure à la plante des pieds, de l'ataxie
362 HEIMANOWLTSCH
avec signe de Romberg, des érections insuffisantes et des retards dans
l'émission d'urine. Bien que l'absence du- réflexe patellaire ne fut pas
observée, ce tableau rappelait le labes de très près. Le traitement spéci-
fique réussit à faire disparaître quelques phénomènes : ataxie, Romberg,
brûlures de la plante des pieds. Ce fui la première atteinte au tableau qui
dès lors devint imprécis.
Les manifestations du côté des organes pelviens et des membres infé-
rieurs s'expliquaient par l'hypothèse d'une lésion transversale de la moelle
que le microscope ultérieurement confirma.
L'évolution compliquée de la maladie se poursuivit malgré la mise en
oeuvre d'un traitement spécifique énergique; le malade y fut soumis à
différentes reprises de 1878 jusqu'en 1897. Ultérieurement, il ne fut plus
appliqué qu'un traitement Ionique et symptomatique.
L'examen anatonau-hrathologique fournit les résultats qui suivent :
A l'autopsie de l'encéphale, on constata une méningite ancienne et de vas-
tes foyers de ramollissement dans la substance blanche. y avait des ramol-
lissements dans la région des capsules internes ; sous le microscope, on
reconnut une légère diminution du volume des cellules nerveuses et une
certaine multiplication des vaisseaux.
Dans la région du tronc cérébral, il existait u ne leptoméningite moin
ancienne avec abondante infiltration de cellules rondes qui pourtant ne se
trouvait pas en tous points avec des lésions vascuiaires type de Heubner
et portant à la fois sur les artères et sur les veines.
Un grand foyer occupait la protubérance et la moelle allongée dans sa
partie droite, et à peu près tous les noyaux de la région étaient plus on
moins intéressés par le processus pathologique.
C'est au niveau de la partie inférieure de la moelle allongée que com-
a b c d, coupes de la moelle atrophiée. a' b' c' d', coupes d'une moelle nor-
mole, - aa' moelle cervicale. bb' région dorsale ; La moelle dorsale atrophiée
est doublée d'une pachyméningile. - ce' région lombaire. - dd' Cône terminal.
ATROPHIE CURIEUSE ET RAHE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
363
menée l'atrophie ; elle passe insensiblement du bulbe à la moelle cervicale'
tout en accentuant son intensité. La moelle épinière, dans toute sa hauteur,
présente une atrophie fortement accusée ; de plus une pachyméningite
développe son épaississement sur la moelle dorsale, du 2e au 11° segment.
L'état atrophique est très marqué pour la moelle épinière, il l'est d'une
façon plus légère dans la moelle allongée. Si on considère l'atrophie dans
les diverses régions médullaires, on note qu'elle est très forte dans la
région cervicale; dans la région dorsale, elle est extrême, mais ici il y a il
compter avec l'existence de la pachyméningite ; enfin, dans la région
lombaire, elle se trouve un peu moins accentuée que dans la région cervi-
cale.
Nous croyons utile de reproduire ici les chiffres obtenus dans la mensu-
ration de la moelle épinière fixée dans la formaline.
364 . HEIMANOW1TSCH
La description du cas extrême d'atrophie dont nous nous occupons
exige, pour être complète, en outre de la mensuration in toto des coupes,
le dénombrement et la mensuration des fibres.
Nous citerons les chiffres obtenus pour le quatrième segment dorsal,
niveau où la moelle se présente atrophiée au maximum. Faisant usage
d'un grossissement de 650 fois, nous comptons dans la partie périphérique
de la substance blanche du cordon antérieur une moyenne de 70 à 80 fibres
par champ de microscope. Dans les faisceaux pyramidaux dégénérés, nous
trouvons la moitié de ce nombre, soit 35, et dans les colonnes dégénérées
de Goll, G0.
La mensuration des fibres donne les nombres suivants. Dans les fais-
ceaux pyramidaux latéraux, le diamètre minimum des fibres intactes est
de 0.7S ; ces fibres très minces sont assez nombreuses dans le champ du
microscope. La plus grande dimension des fibres pyramidales croisées
s'exprime par les chiffres 7,7 p. X 4,6 mesurés sur les coupes. Or, nor-
malement, lesplus grandes dimensions diamétrales des fibres pyramidales
sont de 10 . X 7,7 et les fibres fines qui se présentent très serrées ont un
diamètre de 1,7 1'"
Dans les cordons postérieurs, le minimum du diamètre des fibres est de
0,7 ? et les plus grosses mesurent 3 y. x 2 y.. Or, normalement, les
fibres fines ont 3 X 3 1"; les plus grosses ont pour dimension
7,7uX3,8 ?
Les chiffres moyens que nous présentons ont été obtenus par l'examen
d'une série de préparations normales.
L'anatomie pathologique ne saurait réunir en un groupe unique et
différencié les atrophies de la moelle et de l'encéphale ; à plus forte raison,
la clinique serait-elle incapable de grouper un syndrome quelque peu
précis et les manifestations de ces états atrophiques.
Le diagnostic neurologique se propose de parvenir à la connaissance
de l'étiologie des processus morbides et de déterminer la topographie des
lésions dans le sens de la plus large acception de ce terme.
Il était donc, dans notre cas, impossible d'arriver à poser le diagnostic
d'atrophie médullaire et c'eût été même un contre-sens logique que de
chercher à l'établir, La possibilité d'un diagnostic d'atrophie ne saurait
être admise que dans les cas où il peut s'agir d'une atrophie systématique
(maladie de Friedreich, atrophie olivo-ponto-cérébellense, etc.). Mais
l'idée générale de l'atrophie de la substance nerveuse considérée en soi
comme ayant sa réalité propre, comme une entité si l'on veut, ne saurail
ATROPHIE CURIEUSE ET RARE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE I 365
être admise ; en effet, l'atrophie n'est qu'une diminution de volume et de
multiples processus morbides diminuent le volume des organes encépha-
lo-médullaires. Telle est la myélite dont la conséquence est la sclérose de
la moelle ; telle est la lésion destructive des cornes grises provoquée par
une infection ou une intoxication; telle est une oblitération des artères
spinales qui supprime l'apport nutritif; dans l'un et l'autre cas, la moelle
subit des rétractions.
Cela n'a pas empêché certains cliniciens (1) d'employer le terme
d' « atrophie de l'encéphale », notamment pour désigner le processus
de la porencéphalie ; cependant ici, il n'est pas question de l'atrophie
des fibres.
Si nous envisageons les causes aptes à provoquer l'état atrophique du
système nerveux central, il est besoin, avant toute autre considération, de
penser aux troubles circulatoires.
Oppenheim a publié un seul cas d'atrophie du système nerveux central
(moelle épinière). Long et Wiki, qui ont décrit un fait analogue, ont mis
l'atrophie en rapport avec les troubles en question.
Dans le cas de ces derniers auteurs, le malade avait présenté pendant sa
vie une paralysie spinale spasmodique avec altération de la sensibilité de
la vessie et du rectum. L'autopsie permit de constater l'existence, dans
l'étendue du premier jusqu'au 9e segment dorsal, d'une atrophie de la
moelle s'exprimant par les nombres suivantes :
366 HEIIfANOWITSCH
Le rapport de l'évolution morbide à l'altération des cellules nerveuses
est de même forme et ceci est prouvé par les recherches expérimentales de
Soukhanoff et d'autres.
Cependant le cas d'atrophie que nous présentons ici paraît unique dans
son genre. Il reconnaît une tout autre étiologie que le cas de Long et
Wiki, dans lequel d'ailleurs l'atrophie est fort loin d'atteindre l'intensité
reconnue dans notre cas. Après ce que nous allons ajouter, il paraîtra évi-
dent que, dans le fait étudié par nous, la cause de l'atrophie n'avait rien à
voir avec des troubles de la circulation.
La cause de l'atrophie ne pouvait pas tenir non plus à une compression
de la moelle, circulaire ou non. La compression médullaire qui s'exercerait
delà façon la plus lente possible ne laisserait pas de provoquer la dégé-
nération parenchymateuse de tous les faisceaux. Or cela n'existe pas dans
notre cas.
Dans la région dorsale de noire moelle, c'est-à-dire là où l'épaississement
pachyméningitique se présente avec ses plus fortes dimensions, la moelle
épinière se trouve considérablement réduite. Il n'en est pas moins évident
que, même avant l'examen histologique, il était impossible de mettre .
l'atrophie sous la dépendance de la seule compression exercée par des
membranes devenues plus épaisses. La pachyméningite en effet ne se
trouve que dans la région dorsale; dans la région lombaire, il n'existe pas
trace de méningite et cependant la moelle épinière s'y montre aussi consi-
dérablement atrophiée.
Cette dernière circonstance élimine également la possibilité d'une
atrophie par constriction des vaisseaux du fait de la méningite; on ne
saurait invoquer en celte région la possibilité d'un étranglement des vais-
seaux par le tissu inflammatoire de la leptoméningite environnante et leur
sclérose consécutive.
Donc, comme nous l'avons déjà dit, notre atrophie médullaire a une
cause qui n'a rien à voir avec des troubles circulatoires, quels qu'ils soient,
de l'axe nerveux.
Dans la région lombaire, l'atrophie existe d'une façon bien nette. Ici
nous trouvons les \aisseaux absolument normaux ; il n'existe pas trace
de sclérose et rien qui puisse éveiller l'idée de troubles circulatoires pou-
vant être la cause de l'atrophie. On ne constate pas non plus ici de mul-
tiplication vasculaire avec sclérose des tissus, fait anatomique qui pour-
rait être rapporté à la régression d'un processus inflammatoire ayant
terminé son évolution.
En résumé, nous nous sommes'efforcé de démontrer que ni la pachy-
méningite, ni la leptoméningite ne sauraient être, dans notre cas, la cause
de l'atrophie; on ne peut cependant pas refuser une certaine importance
. ATROPHIE CURIEUSE ET RARE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 367
au processus J.1aclJ)'tJléniugiti,]ue très développé dans la région dorsale
en ce qui concerne la détermination d'une diminution du diamètre de la
moelle en cette région.
Sur toute la hauteur de la moelle dorsale, en même temps que nous
constations la pachyméningite, nous observions les traces d'un processus
myélitique depuis longtemps éteint; les vaisseaux sont sclérosés et le
tissu intermédiaire est devenu plus abondant et plus touffu. Au moment
du plus grand développement du processus myélitique, ayant eu pour
conséquence la sclérose et la rétraction des tissus, cette dernière, s'ad-
joignant à l'atrophie, a provoqué la diminution maximale de la moelle
épinière dans la région dorsale.
Il ne semble pas utile de prolonger celte discussion; la seule cause
qui dans notre cas est susceptible d'expliquer l'état atrophique de la
moelle épinière et de la moelle allongée est une lente influence toxique.
En d'autres termes, l'action lente et prolongée des toxines de la syphilis
sur le névraxe nous parait constituer la cause nécessaire et suffisante de
l'atrophie de la substance nerveuse que nous avons décrite. C'est à cette
conclusion que nous désirions aboutir.
FACULTÉ DE MÉDECINE DE LYON
UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE
(ÉTUDE CLINIQUE ET radiographique),
1
PAR
J. REBATTU,
Chef de clinique médicale adjoint à la Faculté de Lyon.
Depuis que la question de l'achondroplasie est sortie en 1900, avec
Pierre-Marie, du domaine des curiosités médicales, elle a été étudiée par de
nombreux auteurs : Porak et Durante, Poncet et Leriche, Apert, Regnault,.
pour ne citer que les principaux,et de nombreux cas ont été publiés à pro-
pos desquels les nouvelles données ont été précisées et les acquisitions
récentes mises au point. Contentons-nous de signaler les travaux d'en-
semble d'Ettore Levi en 1909 et de Franchini et Tanazi en 1910 dans la
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, qui s'attachent surtout à l'étude
de la pathogénie de cette dystrophie et de son caractère héréditaire si
discuté : ces derniers auteurs se rallient nettement aux idées soutenues
par Poncet et Leriche affirmant l'existence d'une achondroplasie physiolo-
gique, véritable retour ancestral.
Nous voulons simplement apporter un nouveau cas qu'il nous a été
donné d'observer dans le service de M. Mollard, médecin des hôpitaux
de Lyon, alors que nous étions son interne (1). Si, de l'étude d'un cas
isolé la question dé l'achondroplasie ne retire qu'un bénéfice médiocre,
c'est de l'examen du plus grand nombre de faits possible que pourra
peut-être se dégager un jour une conception définitive, vraiment satis-
faisante. Cette idée légitime la publication des nouveaux cas d'achondro-
plasie, qui se sont multipliés d'ailleurs ces dernières années : leur nombre
était de 42 en 1904, nous avons relevé 44 nouvelles observations : ce qui
porte à 86 le nombre de documents sur lesquels doit porter l'élude de
cette dystrophie.
(1) Nous remercions notre maître, M. le D' Mollard, qui a bien voulu nous permettre
d'utiliser cette observation.
UN nouveau cas d'achondroplasie 369
Observation.
B... Adrienne, âgée de 48 ans, née à llIontalieu-Vercieu, dans le département
de l'Isère.
Antécédents / ! e<ëa ! 6t ! ' ? 'M. Ses parents sont morts âgés ; ils étaient d'une
stature élevée ainsi que ses grands-parents qu'elle a bien connus. Son père
était gendarme et sa mère était plus grande que lui : tous deux étaient origi-
naires du Bourg-d'Oisans.
Elle est la seconde d'une famille de 3 enfants ; une soeur, morte à 18 ans,
était bossue. Une autre qui est eu bonne santé, est d'une taille un peu au-
dessus de la moyenne.
Antécédents personnels . - Née à terme, elle a marché assez tard sans
qu'elle puisse préciser davantage. Elle ne sait si on s'aperçut à sa naissance
qu'elle avait les bras et les jambes anormalement courts ; mais elle raconte
qu'elle a loujours été plus petite que les enfants de son âge ; ce défaut de taille
fut attribué à la vive impression causée sur sa mère, pendant sa grossesse, par
des saltimbanques qui montraient des curiosités difformes. Le fait que l'on
ait cherché à l'interpréter ainsi, semble bien prouver l'absence de tout carac-
tère héréditaire et familial dans la dystrophie de notre naine.
Ajoutons qu'elle affirme n'avoir jamais été nouée.
Elle a eu la scarlatine et la rougeole dans son enfance. Pas d'adénite, n
d'otorrhée. Pas de bronchite.
Elle a fréquenté l'école de 8 ans à 13 ans ; elle apprit à lire, non sans quel-
que difficulté, car, déclare-t-elle, elle avait la tête dure ; là se borna son ins-
truction.
Elle fut réglée à 23 ans seulement, très régulièrement jusqu'à 46 ans, épo-
que à laquelle survint une ménopause normale.
Mariée à 30 ans, elle a eu de nombreuses grossesses : 9 exactement. La
première se termina à 7 mois 1/2 par la naissance de deux jumeaux qui ne
vécurent pas. Les suivantes se terminèrent à 6 ou 7 mois, les nouveau-nés
n'étant pas viables. Seules la 5e et la 6" grossesses allèrent jusqu'à terme : elle
eut ainsi un garçon qu'elle ne put nourrir que 15 jours et qui mourut à
8 mois de la diarrhée, puis un second garçon qui ne vécut que 2 mois. Il
faut noter que ces 2 enfants nés à terme paraissent avoir été hydrocéphales,
car elle déclare qu'ils avaient [une tête énorme et que, au dire du méde-
cin, ils avaient de l'eau dans la tête ; elle ne se rappelle pas les dimensions de
leurs membres, et il est impossible de savoir s'ils étaient achondroplasiques.
. Elle eut encore 3 grossesses qui se terminèrent vers 7 mois; car elle avait
pris l'habitude de venir accoucher à la Charité de Lyon, où l'on provoquait,
par l'introduction de sondes, l'accouchement prématuré vers 7 mois. Jamais
les enfants ne vécurent. C'est pour cela que, désirant avoir des enfants vivants,
elle n'a.lla pas à la Maternité pour ses 8* et 6° grossesses ; mais elle fut très
malade : ses enfants ne vécurent que quelques mois : aussi recommença-t-elle,
lors de ses nouvelles grossesses, à venir accoucher vers 7 mois. Toujours l'ac-
couchement fut provoqué par des bougies, et la césarienne ne fut jamais pra-
xxiv « ' 24
370 REBATTU
tiquée. Nous n'avons d'ailleurs pu retrouver trace des observations qui durent
être prises à la Charité. La dernière grossesse date de 1900 : la malade avait
alors 37 ans.
Etat actuel. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les photographies pour
se rendre compte que notre naine présente le type classique du nanisme
achondroplasique : la' tête volumineuse, la micromélie à prédominance rhizo-
mélique, la lordose lombaire, la forme des mains, etc.
, Voici les résultats métriques des principales mensurations effectuées :
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPCTRIl.RE.
T. XXIV. PI. LV
ACHONDROPLASIE
(J. Rebattu).
Mnsson W f ! tr FHÎTf"nn :
UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE 371
372 REBATTU
Les cuisses sont courtes, épaisses, un peu arquées en avant; les jambes
dessinent une légère courbe à concavité interne. La musculature est normale.
Les pieds, courts, ont une tendance à être carrés ; il n'y a pas d'implantation
défectueuse des métatarsiens. L'absence complète de voûte plantaire constitue
un pied plat des plus typiques.
Examen des viscères et des téguments. - Rien à signaler du côté des dif-
férents appareils : la tension radiale est de 15 au Potain. Les poumons son-
nent et respirent bien ; les sommets ne sont pas suspects.
Pas d'albumine dans les urines.
La menstruation est devenue irrégulière, mais la ménopause à son début
doit en être rendue reponsable.
Les réflexes cutanés, tendineux sont normaux.
Le système pileux est normalement développé.
Aucun trouble trophique ; le corps thyroïde est normal.
Pas de troubles du côté des organes des sens.
Etat psychique. Au point de vue psychique, la malade présente une in-
telligence plutôt, au-dessous de la moyenne, sans qu'il y ait un déficit très
marqué. Elle a en, dans son enfance, beaucoup de peine à apprendre à lire et à
écrire. Actuellement elle ne sait plus écrire du tout, et elle lit très défectueu-
sement.
Elle est timide, elle n'est pas menteuse ni blagueuse. Elle s'est montrée
très complaisante pour ses voisines de lit à l'hôpital, et aimait à rendre ser-
vice aux soeurs.
Ses sentiments affectifs sont très développés, à l'encontre de beaucoup d'a-
chondroplasiques dont l'égoïsme a été remarqué.
Examen radiographique. La radiographie du coude montre un épais-
sissement marqué de l'épiphyse humorale inférieure et aussi de l'extrémité
supérieure du cubitus. L'épiphyse radiale ne présente pas de développement
exagéré; au-dessous de la tubérosité bicipitale du radius un peu forte, la dia-
physe décrit une courbure à concavité interne (PI. LVIII).
Au niveau de l'articulation radio-carpienne, l'épiphyse cubitale présente
une apophyse styloïde très longue qui s'avance vers le carpe.
Rien de particulier au niveau du carpe.
Les métacarpiens sont courts, épais, leurs épiphyses sont très développées. A
noter que le quatrième métacarpien est de chaque côté notablement plus court
et surtout plus grêle que les autres (PI. LVI).
Les premières phalanges sont également épaissies.
Du côté de l'articulation du genou les épiphyses fémorale et tibiale sont volu-
mineuses et forment une surface articulaire élargie. Le péroné est de longueur
normale et ne participe pas à l'articulation du genou ainsi qu'on l'a souvent t
noté (Pl. LIX). .
Rien à noter du côté du tarse. Les métatarsiens ont des épiphyses volumi-
neuses, des diaphyses normales (PI. LVII).
Notons que le cartilage de conjugaison ne subsiste, même partiellement, en
aucun point ; les soudures diaphyso-épiphysan'essont partout complètes, et ce
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XXIV. Pl. LVI
ACHONDROPLASIE
(Radiographie des mains).
(J. Rebattu).
)UVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPLTRIkRE.
T. XXIV. PI. LVII
ACHONDROPLASIE
(Radiograpliie du pied).
(J. Rebattu).
'VFLLE ICONOGRAPHIE DE LA SALl'hTRIEKh. T. XXIV. PI. LVIII
ACHONDROPLASIE
(Radiographie de l'avant-bras).
(J. Rebattu).
- Masson & Cite, Editeurs.
! tJVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XXIV. PI. L IX
ACHONDROPLASIE
(Radiographie du genou).
(f. Rebattu).
UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE
373
qui frappe le plus, c'est le volume des épiphyses et aussi des diaphyses par rap-
port à la longueur des os.
La simple inspection de notre sujet permet de porter le diagnostic d'achon-
droplasie. On ne peut songer au rachitisme, pas plus qu'à l'infantilisme
de Brissaud ou de Lorain ; la micromélie fait éliminer le nanisme banal.
Le diagnostic de nanisme achondroplasique s'impose; macrocéphalie ri
type brachycéphalique, micromélie à prédominance rhizomélique, lordose'
lombaire, mains carrées en trident, il ne manque aucun des caractères
primordiaux.
Rappelons brièvement les principaux traits de l'observation, en notant
l'absence de certains caractères secondaires, inconstants d'ailleurs dans
cette dystrophie.
La macrocéphalie n'est pas seulement relative, mais réelle, ainsi qu'en
témoignent les mensurations ; elle est du type b1'((chycép/wlique, el l'index
céphalique 98, 4 est un des plus élevés qui aient jamais été constatés.
Le tronc est tout il fait normal comme dimensions; à noter la lordose
lombaire, la proéminence de l'abdomen, constantes chez les femmes achon-
droplasiques.
L'exiguïté de la taille tient uniquement à la brièveté des membres
inférieurs. La micromélie est aussi marquée au niveau des membres su-
périeurs, elle est rhizomélique, ; en effet, les index tihiofémoral et radio-
huméral sont nettement supérieurs à la moyenne. Le raccourcissement est
moins accusé au niveau des mains et des pieds, qui présentent à un certain
degré la conformation carrée ; la déformation en trident est incontestable,
quoique peu accusée.
Ce qui ressort avant tout de l'examen radiographique, c'est là soudure
complète diaphyso-épiphysaire, la non-persistance des cartilages de conju-
gaison, et aussi le volume des épiphyses : quant aux diaphyses, elles sont
aussi larges que celles des os d'un sujet normal, et leur épaisseur est dispro-
portionnée avec leur longueur.
En outre, nous avons remarqué l'anormale brièveté du 4e métacarpien,
à gauche aussi bien qu'à droite : c'est une mal formation signalée par 1Je Levi
qui l'a retrouvée dans les cas de Marie et de Dufour et la considère comme
caractéristique de l'achondroplasie. Tel n'est pas l'avis de Chevalier qui,
dans une longue et récente étude consacrée à la brachymélie métapodiale
congénitale, déclare l'avoir constatée dans d'autres affections, notamment
chez des sujets atteints d'exostoses ostéogéniques.
C'est là la seule anomalie constatée au niveau de la main ; mais il faut
374 REBATTU
ajouter que l'apophyse styloïde du cubitus, présentant un développement
exagéré, atteint presque le milieu du carpe.
Le cubitus ne présente pas une brièveté anormale ainsi que E. Levi l'a
signalé, et le péroné ne participe pas à l'articulation du genou.
Du côté du pied, les métatarsiens, notamment les quatrièmes, ne pré-
sentent aucune anomalie. Mais il faut relever l'existence d'un pied plat,
alors qu'on note plus souvent une voûte plantaire très excavée.
Le développement des muscles est lout à fait normal, sans être exagéré.
Les seins sont bien développés : la vie sexuelle de notre naine a été
active, puisqu'elle a eu 9 grossesses, qui ont nécessité à plusieurs reprises
l'accouchement prématuré à 7 mois. Elle n'a jamais subi de césarienne.
La peau ne présente aucun trouble. Il n'y a pas trace de myxoedème ;
le corps thyroïde paraît normal.
Les différents appareils fonctionnent régulièrement. Il n'existe aucun
stigmate de syphilis, et la tuberculose ne peut être soupçonnée.
Au point de vue psychique, tout a été dit sur les achondroplasiques,
considérés par certains auteurs comme très intelligents, par d'autres comme
présentant une certaine débilité d'esprit, et l'on a même parlé de la débi-
lité d'esprit achondroplasique. Boulenger a décrit un cas d'idiotie chez
une achondroplasique, et Cbaumier et Taty ont constaté de la confusion
mentale. Notre sujet présentait une intelligence plutôt au-dessous de la
moyenne, mais beaucoup de bon sens et un bon caractère. Il semble qu'on
ne puisse décrire un psychisme spécial des achondroplasiques, dont l'in-
telligence, suivant les cas, peut être supérieure, égale ou inférieure à la
normale.
En ce qui concerne le caractère héréditaire, nous n'avons relevé aucun
antécédent, aucune tare chez les parents el même chez les grands-parents
de notre sujet qui se les rappelle très bien. Une soeur paraît avoir été
scoliotique. Elle-même déclare que ses deux seuls enfants qui sont venus
à terme avaient une grosse tête, et que, au dire du médecin, ils avaient de
l'eau dans la tête; mais elle ne sait leurs membres étaient anormalement
courts, et l'on ne peut savoir de façon certaine s'il s'agissait également
d'achondroplasiques.
Tels sont les points les plus importants à relever dans l'observation et
dans l'histoire de notre sujet. Peuvent-ils nous permettre de décider à
quelle variété d'achondroplasie nous avons affaire, et pouvons-nous en
tirer quelque indication au point de vue pathogénique ?
Tout caractère héréditaire paraît devoir être éliminé chez notre sujet.
Mais ce n'est pas un argument contre la conception héréditaire, en faveur
· ' UN nouveau cas d'achondroplasie 375
de laquelle des faits impressionnants ont été produits et qu'ont récemment
soutenu Franchini et Zanazi : ces auteurs n'ont d'ailleurs pas défendu le
caractère héréditaire constant de l'achondroplasie, mais ont établi son
existence dans quelques cas. Notons cependant des faits, d'apparence
paradoxale, comme celui de lIutcliinson qui a constaté une dystrophie
achondroplasique typique chez une jumelle dont la soeurétaitparfaitement
conformée. En revanche, les deux achondroplasiques de Franchini et
Zanazi ont eu une tille également achondroplasique. Ce fait est canoter,
car il est rare de pouvoir accoupler deux achondroplasiques et, déplus, le
rétrécissement du bassin empêche souvent la grossesse d'arriver à terme,
et rarement les nouveau-nés prémalurés sont viables.
A défaut de caractère héréditaire, notre sujet présente-t-il des stigmates
de tuberculose, de syphilis ? Nous avons noté le résultat négatif de nos
recherches dans cet ordre d'idées. On ne peut nier d'une façon absolue
l'existence de ces tares chez ses parents, pas plus que l'alcoolisme ; mais
rien n'y fait penser spécialement, et la malade affirme que ses parents
étaient très sobres. A discuter plus longuement cette question, nous entre-
rions dans le domaine des hypothèses, et si une enquête peut donner des
résultats,c'est uniquement en présence d'un nouveau-né achondroplasique :
on peut alors rechercher les infections et intoxications qu'a pu présenter
la mère pendant la grossesse.
La soudure complète diaphyso-épiphysaire doit, chez notre sujet, faire
penser à un vice de développement plutôt qu'à une affection sclérosante
des cartilages fertiles, et c'est dans le cadre des achondroplasies dites phy-
siologiques que nous croyons devoir le ranger.
Ce n'est là qu'une probabilité; car seul un examen histologique pour-
rait nous permettre de nier la sclérose des cartilages de conjugaison. Sans
doute, notre sujet jouit d'une santé excellente; ce n'est pas une malade,
et pour ceux qui sont partisans de l'achondroplasie physiologique, de l'rc-
chondroplasie retour ancestral c'esl, après les données de la radiographie,
un des meilleurs arguments. Remarquons en passant que le fait que de
tels sujets ont une bonne santé ne permet pas d'éliminer une affection
intrautérine, ayant produit une sclérose des cartilages, une cicatrice indé-
lébile, mais ayant guéri, ayant respecté les différents appareils. Combien
souvent les maladies de l'enfance, ayant abouti à une, infirmité, n'ont
retenti en aucune façon sur l'état général !
Mais pour prouver d'une façon incontestable l'existence très probable
de l'achondroplasie physiologique, des examens histologiques sont néces-
saires. Les examens, déjà anciens, pratiqués par Winckler, Kassowitz,
Spillmann, Porak et Durante, ont toujours montré de la sclérose. Les
examens récents, très peu nombreux, n'ont jamais, à notre connaissance,
376 REBATTU ,
établi l'absence de sclérose. Il serait également à désirer que de pareils
examens soient pratiqués chez les animaux « bas sur pattes » comme les
chiens bassets, les boeufs natos etc., dont les analogies avec les nains
achondroplasiques sont évidentes. L'absence de lésion des cartilages chez ces
animaux et chez les achondroplasiques fournirait un argument singulière-
ment probant en faveur de l'achondroplasie dite physiologique.
Lorsqu'il y a sclérose, on est en droit de penser à une maladie infectieuse
ou toxiqne ayant retenti sur les cartilages, par l'intermédiaire très pro-
bable des glandes sécrétion interne, qu'elle ait entrainé un hypofonction-
nemenl des glandes excitatrices de la croissance (thymus, corps thyroï-
de, etc.), ou bien un hyperjoncti01l1lemel/t des glandes frènatrices de la
croissance, comme le testicule et l'ovaire.
D'ailleurs, l'absence de sclérose ne permet pas d'éliminer une affection,
ou au moins un trouble fonctionnel des glandes à sécrétion interne, ayant
produit une soudure haiivediapbyso-épiphysaire, tandis que dans le gigan-
tisme cette soudure est retardée, expliquant ainsi le développement exa-
géré des membres, L'opposition enlre le gigantisme et l'achondroplasie a
d'ailleurs attiré depuis longtemps l'attention des observateurs. Dans ces
deux dystrophies, le tronc est sensiblement normal, l'anomalie porte exclu-
sivement sur les membres, qui présentent soit une brièveté anormale, soi t
une longueur démesurée. Il est donc permis de penser que c'est une lésion
différente, ou plutôt un trouble fonctionnel en sens contraire du système
glandulaire qui tient sous sa dépendance la croissance des membres, qu'il
faut incriminer.
Il existe d'ailleurs des cas de gigantisme atténué, que l'on a décrits aussi
sous le nom d'infantilisme prolongé; ce sont des adolescents, détaille
,élevée, aux membres très développés, mais dépourvus des caractères sexuels
secondaires, aux testicules encore petits malgré leur âge. Ce n'est que lors-
que ceux-ci se développent complètement et que le système pileux fait son
apparition et, que la croissance cesse. Il semble donc bien qu'en pareil cas
l'hypofollctionnement du testicule soit responsable de la croissance anor-
malement prolongée elle cesse quand le fonctionnement du testicule est
devenu normal.
Nous croyons qu'il existe, de même, un certain nombre d'achondropla-
sies frustes chez l'adulte. Qui ne se souvient avoir vu au collège, au lycée
des jeunes gens qui, en seconde ou même en troisième, paraissent déjà de
petits hommes : précocement barbus, il sont de la taille de leurs condisci-
ples ; leur buste est développé, mais les membres sont un peu courts, les
jambes surtout ; en môme temps, leur système pileux présente un dévelop-
pement précoce, leurs testicules ont le volume de ceux de l'adulte ; et ils se
vantentdéjàde leurs.prouesses génitales. Qu'on les revoie quelques années
UN nouveau cas D'ACHONDIIOPLASIE . 377 7
plus tard : ils n'ont pas grandi ; leur buste et leur tronc son bien dévelop-
pés, mais la brièveté relative des membres attire l'attention. Il semble bien
qu'en pareil cas, le développement des fonctions testiculaires soit très pré-
coce et qu'il faille lui attribuer l'arrêt précoce de la croissance des mem-
bres, par suite de l'action d'arrêt, de l'action frénalrice de la glande testi-
culaire.
On ne peul nier d'une façon générale le rôle de la thyroïde, du
thymus, etc..... mais étant donné l'absence de troubles thyroïdiens, étant
donnés les faits sur lesquels nous venons d'insister, nous croyons que
I'Ijype-lo il etioiiiieîiî eii 1 iles 91(111 des génitales (testicule, ovaire) parait plus
plausible que l'hypofonctionnementde la thyroïde, etc....
La lésion, ou plutôt le trouble fonctionnel des glandes à sécrétion interne,
régulatrices de la croissance, paraît être la cause immédiate de l'achondro-
plasie, qu'elle soit sous la dépendance d'une infection ou d'une intoxication
utérine (achondroplasie dite pathologique) ou qu'elle soit elle-même la fixa-
tionhéréditaire d'une disposition ancestrale, reparaissant sous une influence
inconnue (achondroplasie dite physiologique) ; c'est la cause prochaine due
trouble de croissance, l'intermédiaire nécessaire par lequel agit la cause
éloignée, quelle qu'elle soit et sur laquelle les hypothèses les plus ingé-
nieuses et les plus séduisantes ont été émises sans qu'on puisse au moins
jusqu'à présent les étayer sur des preuves irrécusables.
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FACULTÉ DE MÉDECINE DE MONTPELLIER
A PROPOS D'UNE NOUVELLE OBSERVATION,
D'ACHONDROPLASIE
PEUT-ON, DE LA FORME DES TROUBLES PSYCHIQUES DANS CETTE MALA-
DIE, TIRER QUELQUE ÉCLAIRCISSEMENT SUR SON ORIGINE ÉTIOLO-
GIQUE ?
PAR '
J. EUZIÈRE et J. DELMAS
Professeur agrégé Chef de clinique
à la Faculté de médecine de Montpellier.
Le problème de la nature de l'achondroplasie n'est pas encore résolu-
On s'est posé à son sujet bien des questions, et toutes sont restées sans
réponse. A l'heure actuelle l'idée qui tend il prévaloir fait de l'achondro-
plasie le résultat d'un vice des sécrétions internes ; c'est là une hypothèse
séduisante qui, basée surtout sur des comparaisons avec les autres formes
de nanisme et avec le gigantisme, manque cependant de l'appui d'une
constatation matérielle. Les glandes vasculaires qu'on a eu l'occasion
d'examiner après autopsies d'achondropiases, ont en effet paru avoir une
constitution normale; cet argument n'est pas suffisant pour faire abandon-
ner la théorie endocranienne, car un trouble fonctionnel peut exister
sans altération accessible à l'investigation microscopique ; mais il est
évident que cette recherche négative laisse la question entière avec toutes
ses obscurités, et il faut chercher ailleurs pour la résoudre. Voilà pourquoi
il est parfaitement légitime de chercher des arguments pour ou contre
telle ou telle théorie pathogénique dans l'observation des symptômes conco-
mitants de la dystrophie. De ce nombre sont les troubles psychiques. Nous
nous proposons dans cet article de rechercher si de ce côté particulier
le genre de recherche que nous venons d'exposer peut amener quelque
résultat. Nous donnerons d'abord l'observation qui a a été le point de départ
de notre étude ; nous entrerons ensuite dans le vif du sujet.
Observation (1).
B... Charles, âgé aujourd'hui de 64 ans, est né le 8 avril 18'>7 au Vigan
(Gard). Son père, qui y était huissier, était normalement constitué ; il en était
(1) Le malade est dans le service des vieillards de l'hôpital général de Montpellier.
Nous avons recueilli son observation pendant que l'un de nous suppléait M. le Pro-
A propos D'UNE nouvelle observation d'achondroplasie 381
de même de sa mère. Ni l'un ni l'autre ne semblent avoir présenté de maladies
sérieuses, ni d'alcoolisme, ni de syphilis. Tous deux sont morts rapidement
d'affections aiguës dont le diagnostic rétrospectif est difficile poser. Ils avaient
un autre enfant : une fille normalement conformée elle aussi, qui se retira
avec sa mère dans un couvent de l'étranger il est impossible de savoir ce
qu'elle est devenue. Le malade affirme qu'il est le seul achondroplasique de
sa famille, cependant nous savons de source certaine qu'une tante maternelle
présentait la même difformité que lui, qu'elle devint enceinte et mourut en
couche. Il est impossible de remonter plus haut dans son hérédité.
B... est né à terme, et dès sa naissance présenta les malformations caracté-
ristiques que nous décrirons tout à l'heure, il fut d'abord élevé dans sa famille
sans présenter au point de vue pathologique de particularités dignes de remar-
ques. Au point de vue intellectuel il se développa aussi normalement, ses
parents, dans son enfance, le présentaient comme un petit prodige ; il remporta
plusieurs succès scolaires à l'école des frères qu'il fréquenta. Vers l'âge de
quatorze ans commencèrent ses aventures. On ne sait trop pourquoi il quitta
sa famille, y revint, fut placé dans un magasin pour y apprendre le commerce,
et après plusieurs avatars finit par rentrer un titre mal défini dans une étude
d'avoué. A l'entendre, il y était premier clerc et faisait marcher lui tout seul
toutes les affaires, il profita, dit-il, de ce passage dans la basoche pour passer
brillamment plusieurs examens de droit, auxquels il n'eut que des boules
blanches. Il est difficile ici comme pour le reste de vérifier ce qu'il y a d'exact
dans son récit ; ce qui est certain, et ce sur quoi il insiste moins, c'est qu'il
passa dans plusieurs études, s'occupa de courtage, devint défenseur de justice
de paix, s'exhiba même dans des foires et finit par devenir agent d'affaires ; il
fut alors l'objet de plusieurs poursuites pour lesquelles il bénéficia de non-lieu,
puis enfin fut condamné pour abus de confiance. Ceux qui l'ont connu à cette
époque s'entendent à reconnaître son intelligence et son esprit retors, mais
certains qui l'ont approché de plus près lui reprochent sa méchanceté, son
égoïsme et son ignorance des sentiments moraux.
Au point de vue génital, si on l'écoute aujourd'hui, sa puissance génésique
était très grande et ses succès féminins plus nombreux que ne le rend vrai-
semblable sa conformation physique. Il est certain, et ce n'est pas la moins
étonnante de ses aventures, qu'il trouva à se marier, et que relativement à lui
sa femme était une fort belle femme. De ce mariage naquirent deux enfants :
une fille et un garçon bien constitués. Mais l'accord dans le ménage ne dura
qu'un temps, la famille se sépara, la femme et les enfants vécurent de leur
côté, B... du sien, sans que jamais rien vînt les rapprocher.
A l'heure actuelle B... vit à l'hôpital général de Montpellier où il est hospi-
talisé ; il vit seul, fumant sa pipe, arpentant les cours dont il frappe le sol d'une
canne qui ne le quitte jamais, on ne le voit jamais parler à personne, il fuit la
société de ses compagnons qu'il a l'air de tenir en petite estime. Il s'est tou-
jours refusé à rendre les petits services que son instruction et son état de
fesseur Vires, chargé du cours de clinique ; nous remercions ce dernier d'avoir bien
voulu nous autoriser à la publier.
382 EUZIÈRE ET. DELMAS
santé permettaient d'attendre de lui. On ne peut obtenir quelques réponses et
la faveur d'une audience qu'en lui promettant une étrenne qu'il dépense bien-
tôt dans l'achat de gâteaux. Il est en effet très gourmand, et muni d'une sorte
de besace, transformation ultime de l'enveloppe d'un traversin, il va chez les
pâtissiers et fait provision de débris de gâteaux. Il lui arriva, au début de son
hospitalisation, de revendre ce genre de marchandise à d'autres malades, cela
à des prix trop avantageux pour lui, si bien qu'on dut lui interdire ce commerce
trop lucratif. Une particularité psychique qui frappe encore chez B... dès que
l'on cause un peu avec lui, c'est l'absence complète de tout sentiment affectif.
Le sort de sa soeur, de sa femme et de ses enfants le laisse parfaitement indif-
férent, il en parle comme s'il s'agissait d'étrangers. Au jour de son entrée, le
23 septembre 1901, le fond intellectuel de B... était absolument indemne,
aujourd'hui il y a un certain degré de déchéance, exécute convenablement
les calculs qu'on lui donne, même assez compliqués, mais il est un peu déso-
rienté dans le temps : c'est ainsi qu'il déclare n'avoir que 56 ans alors qu'il
en a 64 et qu'il prétend être dans l'établissement depuis 4 ans, alors qu'il y est
depuis 10.
Comme on peut en juger par les photographies ci-jointes (PI. LX), B... est
un type d'achondroplasique; voici les données anthropométriques qui confir-
ment cette première impression (1).
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XXIV. Pl. LX
ACHONDROPLASIE
(J. EllzJère el J. De/mils).
Masson & Czt, Editeurs.
A PROPOS D'UNE NOUVELLE OBSERVATION D'ACHONDROPLASIE 383
384 EUZ1RE ET DELMAS
A PROPOS D'UNE NOUVELLE OBSERVATION D'ACHONDROPLASIE 388
nérés. Nous verrons plus loin si cette assimila lion est parfaitement légitime,
voyons tout d'abord si ce genre d'altérations psychiques est bien celle- que
l'on rencontre d'ordinaire chez les achondroplasiques.
Cetle étude des troubles psychiques dans l'achondroplasie est en somme
assez peu avancée et les contradictions apparentes sont assez nombreuses
à son sujet. Bien des auteurs estiment avec Souques que l'état mental de
ce genre de malade n'a rien de spécial ; ce qui n'est pas un argument à
faire valoir contre l'existence de lares du genre de celles qui nous occu-
pent ; elles passent facilement inaperçues lorsqu'on ne les recherche pas
expressément. Ce qui, au contraire, est franchement en opposition avec
ce que nous avons observé dans notre cas, c'est la limitation de l'intelli-
gence dont parlent quelques-uns (Parhon, Shunda, Zalplalcha), mais
celte opinion n'est jamais exprimée que pour une observation particulière.
Quand on se place à un point de vue général, c'est le phénomène contraire
qui est noté, et l'on entend parler de la vivacité d'intelligence de ce genre
de nains. C'est ce que font notamment Meige et Bauer (1) qui parlent des
achondroplases comme des nains « vigoureux et alertes d'esprit ». Lauze (2)
dont le travail est, à notre connaissance, le seul qui soit uniquement con-
sacré à l'état mental des achondroplasiques, insiste particulièrement sur
ce point; il rappelle la réputation des anciens bouffons de roi qui souvent
furent des achondroplases, et qu'on nous représente comme spirituels,
espiègles, logorrhéiques, prompts à la répartie, amoureux de tout ce qui
brille et sujets parfois à des crises d'excitation rappelant par quelques
caractères la manie. Tout cela se trouve jusqu'à un certain point chez
notre malade, à l'exception cependant des crises de manie qui, si elles
avaient existé, n'auraient été qu'une ressemblance de plus avec les instables
moraux. Pour Lauze cet état mental est la conséquence d'une hypersé-
crétion de la glande génitale interstitielle, c'est une thèse défendable mais
qui, comme on le voit, ne se superpose pas à l'hypothèse de dégénérescence
que nous étions amenés à formuler tout à l'heure et qui, elle aussi, explique
logiquement les mêmes troubles.
Si l'on veut tirer des caractères des altérations psychiques que l'on
rencontre dans l'achondroplasie quelque conclusion pathogénique, on con-
çoit l'embarras oit plonge l'incertitude de leur classification ; car avant de
conclure de leur nature l'origine de l'achondroplasie, il faudrait être fixé
sur cette nature même; or nous voyons que solution de la question n'est
(1) H. Meige et BAVER, Nanisme et chétivisme. Presse médicale, 11 jawier 1911,
n 4, p. 25.
(2) Lauze, De l'achondroplasie spécialement eludiée au point de vue mental. Thèse de
Paris, 1910, no 33S.
xxiv 25
38(5 EUZIÈRE ET 11ELMAS
pas des plus aisée puisqu'on peut balancer au moins entre deux hypothè-
ses : troubles de sécrétion interne ou dégénérescence. Il y aurait bien un
moyen de tout concilier qui serait de montrer la dégénérescence comme
la conséquence d'un trouble des sécrétions internes, mais la démonstration
n'est pas encore faite, et l'aborder ici même serait se lancer dans une question
épineuse et sortir singulièrement de l'ordre d'idées qui nous occupe. Quelle
conduite faut-il donc adopter ? La plus simple c'est d'ajourner le débat, de
reconnaître qu'à l'heure actuelle, dans l'état présent de nos connaissances,
l'étude des troubles psychiques de l'achondroplasie ne conduit à aucune
conclusion touchant l'origine pathogénique de cette dystrophie. La solution
du problème est ainsi remise au jour où nous serons mieux fixés sur la
nature même des troubles psychiques, à moins que par un renversement
fort vraisemblable de données de la question la nature de ces troubles ne
vienne à s'éclairer par la découverte certaine de l'origine pathogénique de
l'achondroplasie elle-même. On peut aussi épuiser d'embléè la discussion
en montrant que si les troubles psychiques coïncident toujours avec les
symptômes dystrophiques de l'achondroplasie, ils sont loin d'avoir la même
valeur nosologique ; qu'ils ne sont pas un symptôme primitif de la dystro-
phie découlant directement de la cause primordiale qui entraîne les défor-
mations, mais une conséquence éloignée, un symptôme secondaire entraîné
non pas par le même facteur que les déformations, mais dérivant directe-
ment de ces déformations mêmes. Cette façon peut-être un peu simpliste
d'expliquer les choses est celle qu'adoptent le plus volontiers les littérateurs
qui mettent en scène des achondroplasiques. Waller Scott l'a exprimée de-
puis longtemps, il avait eu l'occasion, au dire de Lauze, d'observer un
achondroplasique authentique dont il a fait le héros, le nain noir d'un de
ses contes. Fidèle à la coutume de ses congénères, ce nain nourrissait les
plus noirs desseins, ignorant de toute affection et de toute obligation, et
l'explication de ce psychisme n'embarrassait pas Walter Scott qui disait :
« La conscience de sa difformité le poursuivait comme un fantôme et les
insultes et les mépris auxquels l'avaient exposé cette difformité avaient
rempli son coeur de sentiments amers et cruels qui n'auraient point été
dans sa nature s'il eût ressemblé au reste des humains. » C'est sans doute
parce qu'il établit la même relation entre le caractère et la conformation
physique que l'on voit dans Perrault les êtres malfaisants,maldisauts,causti-
ques et haineux se présenter volontiers sous l'aspect de nains difformes que
l'on peut considérer comme des achondroplases. C'est là une application
particulière delà croyance très générale dans le parallélisme qui existe
entre la beauté physique et la bonté morale qui, exprimée déjà par
le 7),os : Mf/fx8o<; des Grecs, se retrouve dans les légendes populaires. Quant»
au mode d'enchaînement logique de la malformation physique et des parti-
A PROPOS D'UNE NOUVELLE OBSERVATION D'ACHONDROPLASIE 387
cularités psychiques,il n'est pas besoin de l'exposer longuement, chacun a
dans sa mémoire les tirades du Tril)oulet de Victor Hugo, il y verra comment
un bouffon, un nain difforme, sans doute un achondroplasique «pris dans
un corps mal fait où il est mal à l'aise » devient « jaloux de toute force et
de toute beauté ».
Voilà l'exposé rapide d'une façon de comprendre la genèse des par-
ticutarités psychiques de l'achondroplasie de laquelle on ne peut tirer
aucune lumière sur l'origine de la dystrophie elle-même. Cette manière
de voir est simple et paraît très vraisemblable à notre esprit, c'est peut-
être une raison pour s'en méfier et il faut se garder de se laisser trop
facilement convaincre. Nous n'avons jusqu'à présent cité que des autorités
littéraires, et avec elles nous avons supposé le cerveau de l'achondropla-
sique bâti comme celui de tout le monde, c'est une méthode qui peut être
dangereuse, et nouspourrions, en la suivantenaveugles, encourir le reproche
de Dupré et Devaux (1) d'appliquer « indûment les lois de la psychologie
normale au fonctionnement du cerveau malade » et de tomber ainsi dans
un « vice de raisonnement commun non seulementà tous les gens du monde,
mais aussi aux médecins qui n'ont pas l'expérience [des maladies men-
tales ».
Un premier argument à faire valoir pour se disculper d'une telle accu-
sation, c'est qu'il est un point sur lequel tout le monde est d'accord :
les médecins aussi bien que les gens du monde reconnaissent que notre
conformation physique rejaillit sur notre état mental. Il est même tel état
pathologique où l'altération psychique a été rattachée par de bons esprits
médicaux à une malformation physique. C'est le cas par exemple pour la
maladie de Parkinson. Ici le problème se pose presque de la même façon
que pour l'achondroplasie, l'intelligence est conservée mais l'état mental
est atteint : en apparence apathique, lesparkinsonniens sont en réalité
instables, portés à la tristesse et à l'hypocondrie; est-ce le trouble des
sécrétions internes ou la lésion nerveuse (suivant l'opinion pathogénique
à laquelle on se rallie) qu'il faut accuser des modifications psychiques :
faut-il comparer la « soudure intellectuelle » (Brissaud) à la soudure
physique de ces malades ou bien se demander s'il << s'agit bien là, comme
on l'a prétendu, d'un trouble mental et s'il ne suffirait pas d'y voir la
conséquence naturelle et en quelque sorte légitime d'une infériorité péni-
ble et cruellement méditée » (Grasset et Rauzier) (2). Ces troubles ne sont-
ils pas « la conséquence légitime de la triste condition à laquelle les ma-
lades se voient réduits, de l'incapacité physique à laquelle ils se voient
(1) Duras et DEvAux, La mélancolie du peinhe Hugo vaa derGoes. Nouvelle Icono-
graphie de la Salpêtrière, 1910, p. 611.
(2) Grasset et RAU7.lEII, Maladie de Parkinson, in Traité de médecine et de thérapeu-
tique de Brouardel et Gilbert.
388 EUZIÈRE ET DELMAS '
condamnés » (Dutil) (1). Voilà donc une maladie pour laquelle il n'a pas
paru étrange d'expliquer les troubles psychiques par les désordres phy-
siques ; pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'achondroplasie ?
Déjà Regnault (2) a appliqué ce genre d'explication à la tendance marquée
des achondroplasiques à cultiver leurs muscles : « On sait, dit-il, que les
achondroplases sont vaniteux, et tandis que le bossu, pour se faire res-
pecter, cultive son intelligence et s'exerce à la moquerie, l'achondroplase
cultive ses muscles. Or, il a des os épais, ce qui favorise l'épaississement
des muscles ; il a comme membres des bras de leviers courts, ce qui favo-
rise les mouvements de force ; il a un ventre long, saillant en avant, qui
repose sur un bassin large, ce qui favorise la capacité du tube digestif et,
par suite, la digestion et l'assimilation ; enfin il a un petit format, ce qui
le rend vif etagile. Aussi devient-il souvent un souple et vigoureux lutteur
et un dangereux adversaire. » ,
Il est donc possible, même à des esprits médicaux, d'admettre que les
particularités psychiques des achondroplasiques sont la conséquence de
leurs malformations physiques. Pour juger définitivement cette hypothèse
reconnue admissible, il nous reste à rechercher si cette altération du psy-
chisme est ou non pathologique. Pathologique elle ne peut s'expliquer
uniquement par les conditions spéciales où se trouve l'achondroplasique
du fait de sa conformation; dans lecas contraire l'explication doit être
acceptée sans restriction. Le problème ainsi posé est sans doute très précis ;
on devine qu'il n'est pas facile à résoudre puisqu'il n'est qu'un cas parti-
culier de cette question si souvent posée et jamais résolue : où commence
la folie ?
Dans sa thèse Lauze n'hésite pas à prononcer les mots de manie et
d'hypomanie qui montrent bien que, pour lui, l'achondroplasique est un
malade mental, mais il est le seul auteur à être aussi affirmatif. Pour ce
faire il se base sur deux ordres de raisons : d'abord sur la présence d'accès
de manie incontestables chez certains des sujets de ses observations,
ensuite sur les ressemblances existant entre les particularités psychiques
des sujets atteints de la dystrophie en cause et celles des hypomaniaques.
Le premier des arguments est singulièrement affaibli par ce fait qu'il ne
s'appuie que sur deux observations : une qui est personnelle à Lauze,
l'autre qui est empruntée à Parrhon. Deux observations c'est peu, étant
donné le nombre relativement considérable des cas d'achondroplasie pu-
bliés. Le second ordre d'argument est plus contestable, Lauze qui a
(1) DUTIL, Troubles psgehiques dans la maladie de Parkinson, in Gilbert Ballet,
Traité de pathologie mentale, p. 873.
(2) Regnault, La forme du corps chez les bossus, les achondroplases et les eunuques.
Presse médicale, 13 août 1910, n° 65, annexe, p. 665-667.
A PROPOS D'UNE NOUVELLE OBSERVATION D'ACHONDROPLASIE 38)
surtout en vue ici les achondroplases bouffons royaux, dont l'histoire est
parvenue jusqu'à nous, rappelle la vivacité de leurs réparties, leur lo-
gorrhée, leur amour pour les costumes bariolés et leur excitation génésique,
tous caractères que l'on retrouve comme on sait chez les hypomaniaques.
Mais ne peut-on pas se demander si la facilité avec laquelle on prête de
l'esprit aux nains achondroplasiques ne vient pas de la comparaison que
l'on en fait machinalement avec le nain myxoellémalf\nX à intelligence
endormie ou avec le nain infantile à esprit non développé. Ne faut-il pas
encore se souvenir que les bossus jouissent du même privilège de caus-
ticité et de vivacité d'esprit, et que pour eux jamais on n'a parlé d'altéra-
tion mentale ? Il est bien possible] aussi/que ce ne soit pas leur goût
personnel qui ait revêtu les bouffons de costumes à couleur voyante, mais
la nécessité qui leur impose la livrée de leur emploi. Enfin, pour ce qui est
de l'excitation génésique, à de rares exceptions près, le détail des odserva-
tions publiées montre surtout que les achondroplases ne sont ni impuis-
sants, ni inféconds; ce n'est peut-être pas suffisant, on le reconnaîtra,
pour en faire des aliénés.
Il y a au contraire dans leur histoire quelques particularités qui militent
plutôt en faveur de leur intégrité mentale. Pour parler encore des bouffons
de rois, il est curieux de constater qu'ils sont peut-être les seuls parmi
les courtisans qui n'aient jamais encouru de disgrâces, ce qui semhle
montrer que dans leurs méchancetés et leur moquerie, ils savaient garder
une mesure bien étonnante chez des gens qui ne jouissent pas de la plé-
nitude de leurs facultés. Apert écrivait à Lauze « qu'à l'exhibition de
Lilliput au jardin d'acclimatation, c'est un achondroplase qui était régisseur
de la petite troupe et qui menait avec tact et intelligence ces 150 nains ».
Enfin le malade dont nous avons rapporté plus haut l'observation avait
fort bien mené sa barque, et si sa carrière d'agent d'affaires fut brisée, ce
ne fut pas par son manque de bon sens, mais par une indélicatesse justi-
ciable des tribunaux. Eh bien ! ce savoir-faire, ce tact, cette mesure, cette
habileté ne sont pas le fait des aliénés vrais, pas même celui de ces insta-
bles moraux, de ces déséquilibrés, de ces êtres au conlin de la folie dont
nous avons montré déjà la ressemblance avec les achondroplasiques, mais
qui n' « en sont pas moins des anormaux » au point que « le caractère pa-
thologiquede leurexubérance etdeleurs fugues n'échappe pas toujours aux
personnes qui ont l'occasion de les approcher » (Lauze). La-naturepatho-
logique de la mentalité des achondroplasiques ne nous[parait donc pas tout
à fait établi, est certain qu'elle n'est pas celle de tout le monde, mais ses
particularités peuvent être interprétées comme le résultat d'un travail d'a-
daptation nécessité par la conformation physique. Le Dr Toulouse (1),
dans un de ses livres si originalement pensés, fait un amusant parallèle des
(1) Tournuse. Comment se conduire dans la vie, Hachette, 1910, p. 201.
? )0 ozaasr ET DELMAS
différences d'attitudes qu'impose aux grands el aux petits hommes la
différence de leur taille. Chacun d'eux pour réussir doit se conduire de
façon appropriée à son allure physique, adapter sa manière d'agir sa
manière d'être corporelle; il faut, dit-il, « que les petits se préparent dès
l'aube de leur vie à-réagir contre leur infériorité physique. Ils devront
montrer plus d'énergie et plus de sérieux que les grands pour obtenir la
même attention ». N'est-ce pas pour avoir senti consciemment ou non une
nécessité de même nature que nous voyons^e développer chez l'achondro-
plasique comme chez le bossu des qualités d'esprit destinées à compenser
dans la bataille pour la vie, leur infériorité corporelle ? Il n'est sans doute
pas trop téméraire de le penser, et en somme, celte façon d'envisager les
choses est tout à fait en harmonie avec l'opinion plus haut exprimée des
conteurs et des gens du monde.
Nous ne voudrions pas cependant paraître attacher une trop grande
importance à ce système de compensation et négliger par là d'autres facteurs
dont le rôle est loin d'être méprisable. Il est certain que si la réaction
psychique des nains achondroplasiques à leurs malformations physiques est
telle que nous venons de l'exposer et aboutit en somme à un véritable
balancement de cette dernière, cela ne va pas sans montrer que leur orga-
nisme tout comme celui des bossus se trouve réunir des conditions parti-
culières qu'on ne rencontre plus chez les autres espèces de nains, savoir
l'intégrité de leurs facultés intellectuelles et aussi de leurs glandes intersti-
tielles, puisqu'il est entendu que le courage, la force d'affronter le combat
-pour la vie ont une origine testiculaire ou ovarienne. Une déformation
physique peut en effet entraîner autre chose que la réaction salutaire que
nous venons d'envisager, mais au contraire pousser son porteur à la mélan-
colie, la timidité et la tristesse ou tout au moins coexister avec l'un de ces
sentiments ; c'est ce qu'a vu par exemple Bernard (1) chez lesscoliotiques.
Nous sommes donc bien amenés par l'élude des fonctions psychiques de
l'achondroplasique à penser que leurs glandes génitales et leur cerveau
ne sont pas insuffisants à leur lâche, ne présentent aucun trouble hypo ;
mais nous ne pouvons affirmer que leur trouble hyper ou para, s'il existe,
soit à la base même de l'achondroplasie.
Nous pensons avoir montré qu'il ne faut pas chercher dans la nature
des troubles psychiques de l'achondroplasie la clef de l'origine étiologique
de cette dystrophie. Si toutes les raisons que nous en avons données ne
paraissent pas également convaincantes, il y en a une au moins que l'on ne
peut contester : c'est que la nature de ces troubles psychiques n'étant pas
à l'abri de toute discussion, il est au moins prématuré d'en vouloir tirer
argument pour l'éclaircissement d'autres problèmes.
(t) BER;>I.RD, : [.a timidité : des scoliotiques. Essai de pathogénie. Nouvelle Iconographie
de la Salpêtrière, 1910, p. 224. ..
Nouvelle Iconographie DE la SALPLIRILRE.
T. SYIV. Pl. Lkl
POLYDACTYLIE CHEZ LES ALIÉNÉS
Obs. 1
Goitre et polydactylie.
(C. Pm'ho1l et C. Urechie).
CONTRIBUTION CASUISTIQUE A L ÉTUDE
DE LA POLYDACTYLIE CHEZ LES ALIÉNÉS,
PAR li
C. PARHON et C. URECHIA
(de Bucaresi).
L'intéressant travail Cf ue l\LConstanti ni (1) a publ ié récemment dans celle
Revue remet de nouveau en discussion la signification pathogénétique de
la polydactylie.
Tandis que ce phénomène sérail dû simplement à l'atavisme pour
certains auteurs, il est considéré d'ordre pathologique par d'autres, et
Constantini se range parmi ces derniers.
Il est un fait sur lequel il convient d'insister et qui nous semble en
faveur de cette dernière opinion. Nous voulons parler de la présence
de la polydactylie chez les aliénés.
Il semble bien que ce phénomène se retrouve plus fréquemment chez de
pareils malades que chez les hommes au psychisme normal.
Plusieurs auteurs ont insisté sur ce fait. Voisin le note parmi les
troubles observés chez les idiots. Dans le traité des maladies mentales de
Gilbert Ballet, on trouve la photographie d'une aliénée polydactyle,
observée par Roubinovitcb, malheureusement sans plus de détails
La question mérite d'être encore étudiée.
Nous avons pu observer, au cours de ces deux dernières années deux
cas de polydactylie chez des aliénés, et il nous a semblé intéressant de les
faire connaître avec les réflexions qu'ils nous suggèrent.
Observation I (PI. LXI, LXII).
S. C..., 28 ans, d'après les actes (la malade prétend n'en avoir que 22).
Ses parents ainsi que ses frères et soeurs seraient bien portants. La malade
ne peut pas nous donner de renseignements sur ses antécédents. Elle n'a pas
été à l'école. N'est pas mariée.
L'examen de la malade nous montre les faits suivants :
Sa taille est de 1 ni. 57. Le poids est de 45 kilogr. Le tissu cellulo-aclipeux
(i) Valeur morphologique de la polydactylie. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, "
n° 1, 1911.
3')2 9 PARHON ET URECHIA
est peu abondant. La circonférence céphalique est de 550 mm. Le diamètre
longitudinal de 180 mm. Le diamètre transverse : 150 mm.
Les cheveux sont peu abondants. Les oreilles présentent des lobules demi-
adhérents. A gauche on remarque le tubercule de Darwin. Le front est assez
large. Les sourcils bien développés sont légèrement imbriquées sur la ligne
médiane. Les pupilles sont égales et leurs réflexes conservés. Le nez est large
;i sa hase. Les dents sont cariées et en grande partie ahsentes surtout au
maxillaire supérieur (1). Voûte palatine ogivale.
Corps thyroïde nettement hypertrophié, surtout dans son lobe droit et
moyen. La circonférence du cou dans la région moyenne du corps thyroïde
est de : in cm. Au-dessus de cette glande elle est de 31 cm. et au-dessous de
3' cm.
Les poils de la région pubienne et axillaire sont bien fournis.
Les deux mains présentent au niveau de l'extrémité métacarpienne du petit
doigt un appendice charnu ayant un diamètre longitudinal d'à peu près un
centimètre et représentant,à notre avis,des doigts surnuméraires rudimentaires :
La malade ne présente pas de troubles de la sensibilité objective générale.
Au point de vue de la sensibilité sensorielle nous signalons la diminution de
l'ouïe.
Les réflexes présentent les caractères normaux.
Pouls, 78 par minute, 16 respirations par minute. Les menstrues sont
irrégulières, parfois il se passe un ou même deux mois sans que la malade soit
réglée. L'examen du sang au point de vue de la formule leucocytaire donne
les chiffres suivants :
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XXIV. Pl. LXIII
POLYDACTYLIE CHEZ LES ALIÉNÉS
Obs. Il
(C. Parhon et C. Urechie).
DE LA POLYDACTYLIE CHEZ LES ALIENES 393
Mémoire passablement bonne. L'attention est par contre assez faible, et
il faut insister beaucoup pour la lui attirer surtout pour des choses qu'elle ne
connaît pas.
Son état mental a quelque chose d'infantile. Quand nous nous approchons
d'elle pour lui parler, elle se montre gênée, fait des grimaces, rit et s'enfuit
'souvent. Pour beaucoup de nos questions nous n'obtenons pas de réponses du
tout, ou seulement après beaucoup d'insistance. Calcul mental assez médiocre
pour de petits chiffres, devient impossible lorsqu'il est plus compliqué.
Si on lui demande la raison de son internement, elle nous dit que ce sont
ses parents qui l'ont battue et envoyée chez nous. Ils la considèrent comme
folle, dit-elle, mais elle ne l'est point. Elle nous raconte ces choses en riant.
Très affectueuse avec la surveillante et les infirmières. Le sentiment de pu-
deur est bien développé. Montre, sans trop d'insistance, le désir de la liberté.
Lorsqu'elle est de bonne humeur elle raconte des incidents sans importance
de sa vie passée. Ses descriptions sont un peu incohérentes. Elle confectionne
assez bien des chemises à la mode du pays.
Le sommeil est bon.
Observation II (PI. LXIII, LIX).
A. Sp..., reçu à l'hospice Marcoutza le 21 juin 1908. Il avait alors 3 ? ans.
Nous ne possédons pas de détails précis sur les antécédents du malade. Son
père ne vit plus. Sa mère est bien portante. Les parents n'ont pas été consan-
guins. Le malade a encore un frère et une soeur bien portants.
Le malade a suivi l'école primaire z classes). Il était mécanicien aux che-
mins de fer. Il paratt avoir eu la syphilis.
Malade depuis deux ans. Trois mois avant le début de sa maladie, il a subi
une agression et des coups qui l'ont beaucoup effrayé. Après avoir été interné
une année à l'hospice Socola de Jassy, il eut une rémission puis la maladie re-
prit son cours.
A son entrée daus le service, ou constata que les traits du visage sont plus ac-
centués du côté gauche ainsi qu'un léger prognathisme inférieur. La pupille
gauche un peu plus grande que du côté opposé. Les dents sout mal implantées.
La voûte palatine ogivale. Les oreilles présentent l'aiititélix plus proéminent
que l'hélix. La main droite présente sur le côté externe du pouce un sixième
doigt plus court que les autres et dont le malade ne peut pas se servir. Trem-
blements de la langue et des doigts (peu prononcés). Les réflexes rotuliens
exagérés, celui plantaire aboli, les réllexes abdominaux sont normaux. Les
réflexes pupillaires normaux.
La sensibilité douloureuse semble diminuée. Pas de troubles apparents des
viscères thoraco-abdominaux. Le corps thyroïde semble petit (i). Pas de der-
mographisme prononcé.
' En co qui concerne l'état psychique, on note que le malade reste tranquille
(1) Pour les relations du corps thyroïde avec la catatonie, voir notre travail : Sur les
rapports de la catatonie avec les altérations de l'appareil thyroparalhyroïdien. Con-
grès de Dijon. 1908.
394
PARHON ET URECHIA
dans la salle, avec une figure hébétée et le regard vague. Il ne parle à personne
et répond difficilement quand on lui adresse la parole. Attention faible. La
perception semble retardée probablement à cause de l'inattention. Il ne connaît
pas le mois et le jour où nous sommes bien qu'il se rende compte qu'il est
dans l'hospice depuis 21 jours. Il présente des phénomènes de négativisme, car
on n'obtient de lui que des réponses très courtes après beaucoup d'insistance.
Si on continue à l'interroger, il se fâche, sa figure se congestionne et il donne
des réponses plus ou moins ironiques et souvent paralogiques. Par exemple,
à la demande pourquoi il est venu dans l'hospice, il répond « pour perdre mon
temps » :
- Quel jour ? Vendredi, toute la journée jusqu'au soir, ce n'est pas du
maïs, c'est du plomb.
Nouvelle Iconographie DE la SALP6TRIÎRE.
T. XXIV P1.LX1V
POLYDACTYLIE CHEZ LES ALIÉNÉS
Obs. Il
Attitudes catatoniques.
(C. Parbon el C. Urechie).
DE LA POLYDACTYLIE CHEZ LES ALIÉNÉS 395
Lorsqu'il parle un peu plus on observe quelques idées délirantes.
C'est ainsi qu'il prétend que dans l'hospice dont il méconnaît ou semble
méconnaître la signification, il se fait un examen réciproque, c'est-à-dire
que tous les vauriens du monde qui ont occupé quelque chose conformément
à la loi pénale, sont soignés par nous en signe de protection.
Ou : « Vous comme maîtresse d'école vous m'examinez et moi je vous ré-
ponds avec bienveillance que vous m'opérez à un de mes doigts. »
On lui dit de prononcer le mot anticonstitutionnel. Il répond « anticonstional
veut dire « entreprendre sans limites ». Si on continue à le faire prononcer des
mots difficiles, il répond d'un air fâché : « Laissez-moi tranquille, vous me pre-
nez la langue, c'est pour ça que je ne peux pas parler comme tout le monde ».
- Vous êtes riche ? ` ? - « Le capital c'est l'intelligence. Pourquoi m'inter-
rogez-vous.» » ,
Affectivité bien diminuée. Il déclare qu'il lui est bien égal de rester chez
nous ou d'aller chez lui, et il ajoute : je suis content de tout, je n'ai besoin de
rien et maintenant laissez-moi, vous m'avez assez examiné et vous attendez
que je vous donne l'invocation », puis il se lève et part. Il mange seul,le som-
meil est bon. ,
Examiné par l'un de nous le 4 décembre 1909, il connaît son nom et son
âge, il dit que nous sommes le 4eT septembre 1893.
Il se trouve dit-il à l'hospice Socola et cet hospice se trouve à Ploesti
(en réalité Socola se trouve à Jassy, Ploesti est une ville près de Bucarest).
Ici, ajoute-t-il, on soigne des malades pour l'aliénation mentale et pour insu-
bordination, mais jusqu'à présent il ne pense pas qu'il soit lui-même un aliéné.
. S'il a des parents, des frères, etc. ? Maintenant je suis sous votre protection.
Il garde une attitude respectueuse pendant toute la conversation, mais on
observe en même temps qu'il garde certaines attitudes sans nécessité. Il tient,
pendant tout le temps que nous parlons avec lui, la main droite sous le menton.
Il lit bien mais lentement. Il a suivi, dit-il, quelques classes. Quand vous
m'avez examiné, j'étais dans le quatrième banc. » Il ne retient pas ce qu'il lit.
Le calcul mental pour les nombres d'un seul chiffre est assez bon, excepté la
division où les réponses sont inexactes. Mais il faut remarquer que le malade
donne les, réponses sans essayer le moindre effort d'attention.
Il garde assez longtemps la plupart des attitudes qu'on lui imprime. Il garde
aussi des attitudes incommodes qu'il prend de lui-même, par exemple la tète
projetée en avant, le cou en extension, etc. (PI. LXIV).
Nous avons à plusieurs reprises examiné le malade surtout à ce point de vue
de la flexibilité céreuse. Il s'est maintenu pendant tout le temps que nous
avons pu l'observer et d'une façon très accentuée et très caractéristique. C'était
même le malade qui la présentait de la façon la plus accentuée de tous les
malades de l'hospice dont la population dépasse 900 malades.
Voici donc deux cas de polydactylie observés tous les deux dans un
hospice d'aliénés. -
Dans le premier de-ces deux cas il s'agit d'une femme.atteinte de créti-
3') G PAR H ON ET URECHIA
nisme dont les troubles cérébraux représentent un vice très probablement
congénital comme la polydactylie elle-même.
Dans l'étal somatique et psychique qui caractérise le crétinisme, les
troubles de la fonction thyroïdienne ont certainement leur part.
- En est-il de même pour la polydactylie ? Sans pouvoir donner une
réponse précise, nous rappelons que la polydactylie a été observée par
Cyon (1) chez des malades présentant des troubles trophiques atribuables
à une altération hypophysaire et que d'autres malformations, tels que le
bec-de-lièvre, ont été vues par Binet coexister avec l'infantilisme, et que
d'autre part la polydactylie,le bec-de-lièvre et le pied-bot ont été ohscrvés
parMarsh ( ? ) chez une même malade. Ces faits auxquels notre cas vient
s'ajouter parlent au moins pour la nature pathologique de la polydactylie
chez l'homme.
En admettant que le trouble thyroïdien a pu avoir un rôle dans l'appari-
tion de la polydactylie chez la femme crétine observée par nous, rôle qui
pourrait être conçu comme celui d'un facteur entravant le développement,
il y aurait ici un nouveau fait montrant le rôle des altérations endocrines
dans la pathogénie des phénomènes dégénératifs, sujet sur lequel l'un de
nuus a insisté dans un travail antérieur (3).
Dans notre premier cas la polydactylie n'est que rudimentaire, car la
radiographie montre l'état normal des os de la main.
' Dans le second cas on voit un doigt surnuméraire implanté sur le
'même métacarpien que les phalanges du pouce. Chez ce malade le phéno-
mène est unilatéral. - .
v Les auteurs qui considèrent la démence précoce comme une maladie
constitutionnelle pouvaient voir dans la présence de l'anomalie de notre
malade un argument en faveur de leurs idées.
Quoi qu'il en soit de cette conception, nous devons reconnaître en effet
que la polydaclylie représente chez.ce malade la trace d'un trouble congé-
nital du développement, trouble que nous considérons comme pathologique.
L'unilatéralité même du phénomène dans ce cas spécial nous semble devoir
être interprété dans ce sens. Il en est de même pour le fait que le malade
ne peut pas se servir de son doit surnuméraire.
En somme, des différentes théories de la polydactylie que Constantini a
exposées avec les détails nécessaires dans le travail cité,celle qui voit dans
ce phénomène une manifestation pathologique nous semble la plus con-
(1) Cyon, Traileihent de l'acromégalie par l'hyppophysine. Acad. de médecine, octo-
bre-novembre 1898.
(2) MARS ? A case of double polydactylises, double hoselep, etc. Lancet, 1899, I. Il,
p. 139.
- (3) C. P.111lLoi, Considérations sur le rôle des glandes endocrines de la falhogénie de
la dégénérescence. Congrès des aliénistes. Dijon, 1908.
DE LA POLYDCTYLIE CHEZ LES ALIÉNÉS 397
l'orme à la vérité. C'est d'ailleurs aussi l'opinion de Constantini. Les mul-
tiples altérations osseuses rencontrées par Regnault et Lépinay (1) dans la
squelette de chat polydactyle qu'ils ont étudié récemment peuvent égale-
ment être invoquées ici.
EXPLICATION DES FIGURES
Pl. LXI. Malade de la première observation vue de face et de profil. On observe
très nettement le goitre.
Les deux mains de la même malade. Remarquer le rudiment du sixième doigt au niveau
de la première phalange du petit doigt.
Pl. LXII. Radiographies des mains de la même malade montrant l'état normal
des os. Le petit apendice chirnu n'a pas de rapports avec le squelette osseux.
Malade de la seconde observation. Remarquer le doigt surnuméraire de la main
droite. '
PI. LXIII. Main droite. On observe très bien le sixième doigt.
Radiographie montrant l'articulation du pouce et du doigt surnuméraire, sur le premier
métacarpien. Celui-ci est bifurqué. Le doigt supplémentaire est représenté par une
seule phalange.
PI. LXIV. - Malade de la seconde observation dans les attitudes cataleptiques im-
primées.
(1) Regnault et Lépinay, Squelette de chat polydactyle. Bull, el mém, de la Soc.
allaI, de Pans, iio 4, avril 1911.
MALADIE DE RAYNAUD
A LOCALISATIONS NASALE ET AURICULAIRE
ET ËRYTHROMËLALOECHEZ UN ENFANT,
par
P. AKA. et Ch. LAFON
(de Périgueux).
Depuis plusieurs années, nous suivons un enfant atteint d'érythromé-
lalgie et de maladie de Raynaud à localisations nasale et auriculaire ; la
rareté de ces manifestations, leur association et le jeune âge du malade
donnent, croyons-nous, quelqu'intérêt à notre observation.
Albert R..., est actuellement âgé de douze ans (PI. LXV).
En dehors du complexus symptomatique que nous alluns décrire, on ne
relève dans ses antécédents qu'une coqueluche bénigne, suivie de kérato-con-
jonctivite phlycténulaire.
Son père, sans être alcoolique, n'a pas toujours été d'une sobriété parfaite.
Sa mère est morte en 1907 de tuberculose pulmonaire. Il a un frère, âgé de
cinq ans, dont la santé générale paraît bonne, mais qui a une otorrbée.
En décembre 1904, par un froid vif, l'enfant, qui avait alors quatre ans et
demi, se serait endormi sur les marches d'un escalier de pierre ; à son réveil. son
nez et ses oreilles auraient été très rouges, et cette coloration aurait persisté
pendant tout l'hiver, pour s'atténuer au printemps. Telle est, du moins, la
version de ses parents sur le début de l'affection ; mais des personnes, qui
l'ont souvent approché, nous ont affirmé que son nez présentait une rougeur
anormale pendant l'hiver depuis sa naissance.
L'année suivante, au début de l'hiver 1905-1906, son nez gonfla et devint
de nouveau très rouge ; puis le lobule prit une teinte bleue noiràtre et il se
forma une escarre, qui se détacha assez vite, en laissant à sa place Il peau
reformée. Cette mortification, qui s'accompagna de vives douleurs, se repro-
duisit trois fois jusqu'à la fin de mai, de sorte que, pendant cet hiver-là,
quatre escarres évoluèrent successivement. En même temps, les oreilles et
les mains présentaient aussi du gonflement et une teinte rouge violacée. Du-
rant l'été qui suivit, ces phénomènes s'amendèrent ; le lobule du nez, blanchit-
tre, resta entouré par une zone rosée.
Dès le début de l'hiver 1906-1907, les accidents reparurent; mais les dou-
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPft1RIl'RE,
T. XXIV. Pl. LXII
POLYDACTYLIE CHEZ LES ALIÉNÉS
Obs. I
(C. Parhon et C. Urechie).
NOUVELLE ICONOGRAPIiIE DE LA SALPf : TRI1RE.
T. XXIV. PI. LXV
MALADIE DE RAYNAUD
à localisation nasale et auriculaire et Erythromélalgie.
(P. Aka et Ch. Lafon),
Masson & 0\ Editeurs.
MALADIE DE RAYNAUD A LOCALISATION NASALE ET AURICULAIRE 399
leurs furent moins vives et l'évolution des escarres nasales plus lentes ; il
ne s'en forma que deux successives. -'
Pendant l'hiver 1907-1908, cette atténuation des accidents nécrotiques du nez
s'accentua ; nous n'assistâmes qu'à la mortification d'une seule plaque, qui mit
un mois et demi à se détacher et tomba en mai. Par contre, à l'extrémité supé-
rieure du pavillon de l'oreille droite, il se forma une escarre, qui évolua
parallèlement à celle du nez; son élimination provoqua de vives douleurs et
laissa une perte de substance intéressant toute l'épaisseur du pavillon. Au
mois d'avril, pendant le travail d'élimination, l'enfant eut une hématurie qui-
dura deux jours ; les urines, acajou foncé, contenaient des hématies, dont il
nous fut facile de constater la présence au microscope.
Au cours de l'hiver 1908-1909, les phénomènes se reproduisirent, mais
encore plus atténués. Il se forma quelques taches noirâtres sur le lobule du
nez, mais il n'y eut pas d'élimination.
Au mois de juillet 1909, nous eûmes à traiter une conjonctivite phlycténu-
laire légère.
Le 26 novembre 1909, par un temps assez froid, alors que le lobule du nez
recommençait à bleuir, l'enfant se plaignit de douleurs dans le bras gauche.
Le lendemain, ces douleurs reparurent dans l'après-midi, beaucoup plus
vives et gagnèrent la jambe du même côté; il se produisit alors des mouve-
ments convulsifs des membres gauches, avec chute, rotation de la tête à gau-
che et mouvements désordonnés des yeux. L'enfant ne perdit pas connaissan-
ce, ne se mordit pas la langue et n'eut pas de miction involontaire ; mais il lui
était impossible de parler et il bavait abondamment. Ces accidents durè-
rent un quart d'heure environ, ne laissant après eux qu'une grande lassitude.
Dans le cours de l'hiver 1909-1910, il ne se produisit qu'une petite escarre
sur le lobule du nez ; elle tomba au début de juin et les douleurs furent à peu
près nulles.
Enfin, pendant l'hiver 1910-1911, il n'y a pas eu de mortification.
A présent que nous -avons indiqué la marche des lésions, nous pouvons
décrire leurs différents aspects.
En plein été, le nez est plus gros que normalement. L'augmentation de vo-
lume commence dès la racine et s'accrl"trégulièrementjusqu'à l'extrémité, qui
est globuleuse. La peau, qui est f ! , sans trace de cicatrice et recouverte d'un
fin duvet, a l'aspect terne et flétri ; sa coloration permet de la diviser en deux
régions très tranchées : la zone centrale, qui est arrondie, occupe le lobule et
la partie antérieure des ailes et de la sous-cloison ; elle est blanc rosé et c'est
presque sans transition que cette coloration fait place à celle de la zone péri-
phérique, qui est rouge vineux et qui s'étend au reste du nez ; au niveau de'
la racine et des sillons naso-géniens, cette teinte se dégrade et la peau
reprend ses caractères normaux. ..
Il suffit d'un très léger abaissement de la température, pour que la zone cen-
trale devienne bleutée. Dès le mois de novembre cette coloration est perma-
nente ; en outre le nez gonfle dans son ensemble et la peau devient luisante.
400 AKA ET LAFON
A mesure que le froid augmente, cette teinte bleue se fonce, devient violacée,
livide. A la palpation, les tissus sont fermes, cartilagineux. La pression, qui
n'est pas douloureuse, ne provoque aucun changement de coloration. La sen-
sation du contact est conservée; la sensibilité thermique est très émoussée et
la sensibilité à la douleur abolie. La température de la peau dépend de celle
du milieu où est l'enfant ; elle est basse, quand il vient de dehors, tandis qu'elle
s'élève progressivement quand il séjourne dans une pièce chauffée, en même
temps que la coloration bleue s'éclaircit. Vers la fin de décembre, on voit appa-
raître de petits territoires plus ou moins arrondis, d'abord ardoisés, puis noi-
râtres, qui donnent au lobule un aspect truffé; ils sont légèrement saillants,
complètement insensibles et ils peuvent s'accroître lentement jusqu'à devenir
confluents.
Parallèlement à ces modifications de la région centrale, on voit la zone péri-
phérique devenir plus saturée, plus violacée. A son niveau, la pression du
doigt produit une tache blanche, qui demande dix à douze secondes pour dis-
paraître. Les diverses sensibilités sont normales et la température locale est
également influencée par celle du milieu extérieur, mais à un degré moindre
que la zone centrale.
A ce stade, le nez n'est pas douloureux ; cependant, quand le petit malade,
venant de dehors, entre dans une pièce chaude et surtout s'approche du feu,
il ressent des picotements et des élancements assez vifs.
La chaleur et le repos au lit amendent ces troubles ; aussi le matin le nez
est moins gonflé et sa coloration est moins saturée. Par contre, les phénomè-
nes atteignent leur maximum dans la soirée, surtout les jeudis et les diman-
ches, quand l'enfant s'est amusé dans la rue pendant toute la journée au lieu
d'aller à l'école.
En somme, à cette période, la coloration des deux régions est très foncée ;
cependant elles se distinguent bien, car la zone centrale a des tonalités bleues,
tandis que celles de la zone périphérique sont rouges. Malheureusement ces
couleurs sont très photogéniques et elles ne paraissent pas sur notre photo-
graphie.
Nous avons vu que, pendant deux hivers, l'évolution des taches noires
s'était arrêtée. Mais quand elles doivent se mortifier, elles provoquent des dou-
leurs lancinantes, parfois très vives. Files deviennent sèches, ternes, plus
noires; elles se boursouflent, s'entoura. d'un étroit sillon et, quand on ap-
puie sur elles, il sourd une sérosité sanguinolente. Puis leurs bords se raccor-
nissent, se relèvent et il ne reste' plus qu'une escarre qui se détache entière-
ment en laissant à nu la peau reformée, encore fine et rose. En somme la
nécrose ne détruit que l'épiderme, et encore respecte-t-elle la couche germina-
tive, ce qui explique l'absence de cicatrice.
A aucun moment nous n'avons constaté de modification de la muqueuse
nasale, ni des cavités de la face; pas de végétations adénoïdes.
Les oreilles sont gonflées en hiver, mais elles ne sont pas déformées comme
le nez. Elles ont une coloration rouge vineux, qui devient violacée le soir; la
pression du doigt laisse une tache blanche nuancée de mauve, qui met une
MALADIE DE RAYNAUD A LOCALISATION NASALt ! leT AURICULAIRE 401
dizaine de secondes à disparaître; la sensibilité cutanée est émoussée, surtout
quand l'enfant est resté exposé au froid pendant longtemps. En somme l'aspect
des oreilles est analogue à celui de la zone périphérique du nez. Il se produit
également une sensation de brûlure pénible, quand le petit malade entre sans
transition dans une pièce chauffée et quand il s'approche du feu.
Nous avons vu qu'une seule fois il s'était formé une escarre au sommet du
pavillon droit. Ici la mortification a atteint le derme et le cartilage sous-jacent,
car la chute des tissus nécrosés a laissé une perte de substance, véritable
encoche, longue de vingt-cinq millimètres et haute de huit. A son niveau,
existe maintenant une cicatrice linéaire, non douloureuse.
En été, les oreilles dégonflent, mais elles restent plus rouges et plus grandes
que normalement.
Les mains présentent les mêmes caractères que les oreilles.
Elles sont rouges foncées et deviennent violacées au froid; elles sont très
gonflées, surtout sur leur face dorsale et certains soirs il fut nécessaire, pour
déshabiller l'enfant, de découdre ses manches. Les doigts sont boudinés et les
ongles ont une teinte bleutée. Quand le petit malade est resté exposé au froid,
le soir surtout, ces phénomènes deviennent très intenses et l'engourdissement
et le gonflement le rendent très maladroit; comme pour les oreilles et le nez,
il ressent des fourmillements et une sensation de brûlure dès qu'il s'approche
du feu. Il ne s'est jamais formé d'escarres à leur niveau.
L'été les mains dégonflent, mais restent rouges ; il existe à leur niveau une
hyperhydrose assez marquée.
Enfin les pieds participent au même processus que les mains, mais à un
degré moindre.
En dehors des régions atteintes, les téguments ont leurs caractères normaux.
Au niveau de la face, notamment, la coloration du nez et des oreilles tranche
vivement sur celle du front et des joues, ce qui donne à l'enfant un aspect
étrange.
A part les légères poussées de conjonctivite phlycténulaire que nous avons
signalées, nous n'avons jamais constaté de trouble oculaire. Nous n'avons pas
observé d'altération circulatoire au niveau des vaisseaux rétiniens.
Les incisives supérieures sont petites et espacées; la voûte palatine est
très ogivale. Si l'on excepte ces dystrophies, on ne trouve aucune lésion soma-
tique. On ne note pas de tendances aux hémorragies, ni aux ecchymoses. Pas
d'adénopathie. Depuis l'hématurie que nous avons signalée, l'urine a toujours
été normale. Pas de trouble de la motilité, ni de la sensibilité, ni des réflexes.
La croissance est régulière. L'intelligence est moyenne; cependant, quand l'en-
fant a froid, ses facultés baissent et sont comme engourdies.
Comme traitement, nous avons d'abord conseillé le repos dans une chambre
chaude pendant l'hiver ; mais il nous a été impossible de l'obtenir. En second
lieu, le séjour au bord de la mer ou à la campagne pendant l'été. Enfin, comme
médication, nous avous prescrit du triiodure d'arsenic (gouttes païdophiles de
Guiraud), qui nous a paru avoir une influence favorable sur ia marche de
l'affection.
402 AKA LT LAFON
Il nous parait inutile d'ajouter de longs commentaires à cette observa-
tion. Nous nous bornerons à souligner :
La nécrose du nez et des oreilles, qui n'avait jamais été vue par Ray-
naud, mais qui a été signalée, après lui, par quelques auteurs ;
L'association de t'érythrométatgie et de la gangrène des extrémités,
formant un complexus, qui n'a été observé qu'un petit nombre de fois;
Enfin la rareté des syndromes de Raynaud et de Weir-Mitchell chez
les enfants
Le Gérant : P. Bouchez.
Imp. J. 1 hevenol, Saint-Dizier (Haute-Marne).
FACULTÉ DE MÉDECINE DU LYON
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF
PAR
Victor CORDIER et Jean REBATTU
Cller. de Clinique adjointe a la Faculté de médecine de Lyon.
I. Historique de la question.
Il y a fort longtemps qu'au sein des descriptions d'infantilismessesont
glissés quelques mots relatifs à notre étude : Brissaud avait par exemple
expressément noté certains symptômes infantiles qui n'avaient atteint
leur plein développement qu'après une première période de vie normale ;
mais sans doute les cas qu'il en avait observés n'étaient ils pas d'une net-
teté suffisante, puisqu'au cours de ses nombreux travaux sur l'infanti-
lisme, ce maître ne leur avait pas accordé une part spéciale. De même,
Pierre-Marie, dans une observation que nous rappelons plus loin avait
écrit qu'un traumatisme testiculaire survenu chez un adulte normal s'était
accompagné d'une déchéance spéciale et d'un rappel de type infantile. Enfin
nous avons retrouvé dans les Mémoires de Larrey (campagne d'Egypte)
la description précise de faits analogues. Mais, en réalité, c'est à Gandy
que revient le mérite d'avoir isolé ce cadre nosologique, ou, si l'on veut,
ce syndrome provisoire, à l'aide de deux cas remarquablement étudiés,
en 1906.
Cette première phase de découverte était à peine close, que s'eu ouvrait 1
une seconde avec des discussions très serrées. La première est due à
MM. Brissaud et Bauer, qui, en rapportant un nouveau cas à la même So-
ciété Médicale des Hôpitaux de Paris, s'élevaient contre le nom d'infanti-
lisme réversif proposé par Gandy. Pour eux, il ne s'agissait que d'une
apparition relardée des caractères infantiles, et non point d'un retour
complet aux caractères de l'enfance comme le laisserait entendre le mot
de réversion. Le terme implique la i-éacquisition totale d'un type perdu el
ne s'applique en biologie qu'aux individus momentanément éloignés de
la souche et qui reviennent, à la suite de générations plus ou moins nom.
breuses, au type de l'espèce primitive. ' .
xxiv V 26
406 CORDIER ET REBATTU
Toutefois le mot tardif ne nous semble'pas plus heureux ; Brissaud
en convenait lui-même. Et nous proposerions celui de régressif qui se
définit ainsi : « qui, après avoir offert des phénomènes de développement,
s'atrophie, se résorbe, ou se décompose » (Dict. de Littré). Il n'y a
d'ailleurs là qu'une discussion de terminologie déjà trop prolongée, qu'il
est facile de clore en adoptant le nom d' « Infantilisme type Gandy ».
Gandy lui-mêmeabordait,à propos desonsecond cas une discussion autre-
ment intéressante sur le terrain de la pathogénie; des examens nécropsiques
et microscopiques lui faisaient se demander si la glande thyroïde était à la
tête des troubles observés,ou si les glandes sexuelles en étaient responsa-
bles. Le débat toujours pendant sur la pathogénie de l'infantilisme vrai
s'ouvrait pour l'infantilisme de Gandy. L'un de nous s'engageait avec Gal-
lavardin dans une hypothèse qui était plus en faveur du rôle testiculaire,
tandis que Gandy se rattachait plutôt à la dysthyroïdie.
Enfin Claude et Gougerot s'attaquaient non plus à la dénomination du
syndrome, non plus aux pathogénies qu'on pouvait placer à sa base,
mais à son existence même. Ils contestaient d'abord qu'il pût s'agir
d'une réversion ; ils pensaient ensuite qu'il ne s'agissait même pas d'un
infantilisme, mais d'une simple modalité de myxoedème. Enfin ils esti-
maient que l'édification d'une telle entité clinique était prématurée, et
que, plus sagement, on pouvait la faire rentrer dans le cadre des syndro-
mes pluri-glandulaires. On trouvera plus loin exposées les objections de
ces auteurs et les réponses qu'on peut y faire. Mais nous estimons qu'il est
possible par la lecture des observations de prouver l'existence de l'infan-.
tilisme de Gandy.
Nous croyons à son individualité clinique, et nous tenterons d'en déga-
ger les symptômes.
IL Type'clinique.
Cette élude ne'peut se faire que par l'analyse critique des observations :
nous ne pouvons prétendre à les relater toutes, car dans les descriptions
de myxoedème il doit s'en être glissé beaucoup que l'on retrouvera ulté-
rieurement, lorsque l'attention sera suffisamment attirée sur ce syndrome
d'infantilisme.
D'autre part, dans les observations citées, il en est qui ne méritent pas
d'y être comprises, et en particulier celle de Karakascheff qui ne com-
porte aucune étude clinique, mais simplement des résultats d'autopsie.
Enfin il en est qui sont reproduites d'une façon par trop brève pour pou-
voir être utilisées. Le nombre des observations retrouvées est actuelle-
ment de vingt. On les retrouvera reproduites et résumées à la fin de ce
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 407
mémoire. Nous en avons extrait les caractères essentiels eL c'est de leur
réunion que nous avons lire la première description théorique de cette
affection. Nous avons, après une étude éliologique et un rappel de la vie
antérieure, fait passer en première ligne l'habitus général et les troubles
relatifs à la sexualité; la participation des autres glandes est étudiée en-
suite ; enfin nous avons relaté les résultats des essais thérapeutiques.
A. Terrain. Existence antérieure. Vie sexuelle. Il ne semble pas
que ces malades aient une hérédité chargée : ce ne sont pas des enfants de
myxoedémateux ou de syphilitiques ; ils ne sont pas en général de souche
tuberculeuse (bien que cette affection soit parfois retrouvée chez les pa-
rents : 7 observations). Ce ne sont pas des prématurés, ils n'ont pas eu une
enfance souffreteuse ; ils n'ont qu'exceptionnellement présenté des signes
de scrofule ou de tuberculose (ganglions, otites, rachitisme). Enfin, en règle
générale, ils se sont développés normalement. et c'est même une des condi-
tions essentielles qu'on peut demander à l'observation.
Les hommes ont en général fait leur service militaire. A ce moment
ils ont atteint leur plein développement : ils ont de la barbe ou de la mous-
tache et ce n'est point une vaine affirmation, car sur leur photographie
de la vingtième année on peut le constater, comme nous l'avons fait dans
une de nos propres observations (obs. XVIII). Ils se sont montrés, à cette
période, intelligents, pouvant conquérir des grades, nullement handi-
capés dans la vie sociale comme le sont les infantiles; leur développement
moral a été normal, si l'on excepte un de nos sujets que sa vie de mousse
excuse ; enfin, après leur service militaire, ils ont travaillé physiquement
et intellectuellement comme des sujets ordinaires.
La vie sexuelle qu'ils ont pu avoir est plus difficile à apprécier. Si pour
les femmes la régularité des règles et l'événement d'une grossesse sont
des preuves abondantes, on n'a, pour les hommes, que leurs récits. Or
ceux-ci sont obtenus à une période où la mentalité infantile s'est déjà
développée, avec ses mensonges, ses vantardises. Les succès qu'ils accu-
sent sont toutefois confirmés par la paternité et mieux encore par une
blennorragie (obs. III, VIII, IX, XI, XII, XV) ou par une syphilis.
Enfin,si la présence du système pileux antérieur est prouvé parle récit
des proches ou la photographie, le développement d'une voix normale est
bien spécifié : tel a été sergent instructeur (obs. II), tel autre était
«basse profonde », tel enfin avait une « voix de commandement » ;
on trouvera souvent dans les observations cette mention : était un beau
mâle, un bel homme. .
Il est évident enfin que les hommes sont bien plus souvent frappés.
Bref, il est indispensable que les sujets aient eu un développement com-
plet aux points de vue moral, intellectuel, physique et sexuel.
408 CORDIER ET REBATTU
B. Circonstances et dates du début L'affection se développe sous t'in-
tluence de causes diverses : tantôt elles sont précises et locales, tantôt res-
sortissent à une affection générale, tantôt sont difficilement déterminables.
Dans quelques observations, s'est agi d'une lésion testiculaire, provo-
quée par un traumatisme (obs.1(I,XVI),par une orchite blennorragique,
par une orchite syphilitique double (obs. Il, V). Ici le facteur élioloiul-
que nous parait sans conteste, d'autant que c'est environ six mois après
la lésion que se développent les premiers symptômes.
Dans quelques autres, il s'est agi d'une maladie générale, d'une ty-
phoïde ayant déterminé l'atrophie des testicules (obs. XVII), d'une grippe
(obs. XVIII), d'une abondante hémorragie (obs. IV). En pareil cas, on
ne sait au juste où l'infection a frappé : est-ce au. niveau des bourses
ou de la glande thyroïde ? Nous verrons cependant plus loin combien il
serait intéressant de connaître le primum movcns.
Enfin, dans quelques observations plus rares, le syndrome s'établit
sans cause apparente, et le sujet ne sait exactement à quelle époque il
s'est aperçu que ses testicules avaient disparu. On ne sait trop l'impor-
tance qu'il faut attribuer à l'alcoolisme. Enfin l'ablation des mamelles
chez un jeune garçon ne semble pas être une inconstance étiologique bien
intéressante (obs. VII).
Ce qu'il y a de plus frappant, c'est l'cige du début. La moyenne des 20
cas donnerait 32 ans ; mais à part les observations X, XIII et XIV où les
phénomènes apparaissent respectivement à 53, 48 et 41 ans, il s'agit tou-
jours de sujets dans la force de )'age entre 20 et 30 ans, dans le plein épa-
nouissement de leur vie sexuelle, ce qu'il convenait de faire remarquer
tout spécialement. ,
Enfin le mode de début lui-môme est des plus variables : s'il ne s'agit
bien souvent que d'une diminution des forces, de l'appétit, d'allure assez
commune, ce qui frappe toujours les malades, c'est la baisse, puis la perte
de leurs fondions génitales, dont ils donnent les explications les plus va-
riées : la chute des poils apparaît en second lieu, c'est ce que nous appel-
lerons le mode de début génital.
Le mode de début thyroïdien est plus rare : il s'agit de frilosité, de sen-
sation de lassitude, d'oedèmes fugaces au niveau de la face, de troubles
trophiques cutanés, enfin de paresse intellectuelle.
On rencontre dans deux observations la mention de faits singuliers et
auxquels on ne peut donner aucune explication satisfaisante : ce sont des
écoulements aqueux ahondants par les fosses nasales coexistant avec une
sensation de pesanteur au niveau de la face et du front. S'est-il agi en pa-
reil cas de simples coïncidences ? De même, des polyuries remarquables,
l'infantilisme RÉGRESSIF OU TARDIF 409
sans glycosurie, sont difficilement rattachables à des lésions de glandes
endocrines.
Cette période de début peut traîner cinq il six ans avant que le syn-
drome soit définitivement constitué.
C. Habitus infantile. L'examen des photographies jointes à ce
mémoire montre qu'il s'agit bien de véritable infantilisme. Les sujets onl
repris cette gracilité des formes, cette minceur de la taille et du thora\,
cette largeur du bassin qui est la caractéristique du jeune garçon impu-
bère. Aussi bien, avait-on très justement proposé de dénommer un lel type
le juvénilisme, pour l'opposer il l'infantilisme qui resterait l'apanage du
lotit jeune sujet (au dessous de 12 ans).
On voil bien qu'en ce cas, il ne s'agit pas de ces castrats ou eunuques
difformes, ni du type « féminisme » à seins exagérés. On notera enfin que
ces sujets ne présentent pas de myxoedème. En un mot ils semblent plus
jeunes qu'ils ne le sont en réalité, et n'ont pas du tout une allure
vieillotte Toutefois lous ne se présentent point avec celle pureté de symp-
tômes ; même dans les cas originaux de Gandy, on note une fois une cer-
taine houffissure généralisée qui fait mieux penser au myxoedème qu'à ce
que l'on a l'habitude de considérer généralement pour de l'infantilisme :
et (puisqu'il ne s'agit ici que de l'habitus général) l'allure des malades,
d'après les photographies que nous en avons pu examiner dans les mémoi-
res des différents auteurs, est inégalement répartie en deux types. Les
uns (et ce sont ceux des observations d'Achard et Démanche, de Gan-
dy, II) sont bien proprement des infantiles, minces, grêles, d'allure
juvénile ; les photographies de nos deux malades en reproduisent bien les
traits; les autres, moins fréquents, sont plus lourds, plus empâtés; ils
gardent encore dans une certaine mesure l'allure masculine. Mais il est à
noter que ces derniers (cas de Gougerol) sont des sujets déjà âgés, qui ont
eu plus de chemin à faire dans leur régression, qui avaient déjà perdu les
caractères de jeunesse, pour acquérir ceux de l'âge mûr sinon de la vieil-
lesse, et qui, bien difficilement, pouvaient à nouveau donner l'impression
de prépubëres.
Enfin, il est curieux de noter qu'on a pu observer deux phases succes-
sives dans l'évolution d'un de ces infantilismes régressifs ; le jeune homme
observé par Djenlil-Pacha reprit le caractère d'un jeune garçon; puis
dans un second temps s'installa un état myxeedemateux qui étouffa les
caractères d'infantilisme et leur succéda : on avait alors affaire à un infan-
tile d'allure myxoedémaleuse.
Quoi qu il en soit de cette division, de cette dualité des types : infantile
pur et infantile teinté de myxoedème, il faut admettre, en regardant la
4111 CORDIER ET REBATTU
photographie II, que l'on a devant soi un homme de 35 ans qui présente
les caractères d'un jeune garçon de 17 ans encore impubère.
D. Les téguments et le système pileux. Si la raréfaction du sys-
tème pileux est hors de conteste et ne garde qu'un intérêt symptomatique,
l'élude des troubles cutanés est de piemière importance : c'est en partie
autour de leur interprétation que gravitent les discussions pathogéniques.
La question pourrait se résumer ainsi : ces malades présentent-ils du
myxoedème ? C'est bien de myxoedème qu'il faut parler et non de troubles
hypothyroïdiens, car ceux-ci sont hors de doute. Que résulte-t-il de l'ana-
lyse des 20 observations ?
On voit noté,d'une façon très générale,que les malades ont le teint pâle
et blafard et la peau fine ; accessoirement ils ont un peu d'oedème, soit de
la face, soit des membres; parfois entin des rides. Voyons avec quelle
fréquence. De la pâleur de la peau toutes les observations s'occupeut, sans
exception : cette teinte blafarde des téguments a frappé tous les auteurs ;
tantôt elle tourne au gris sale et trisle, tantôt elle reste dans les tons jaunes
et graisseux assez vibrants ; la bouffissure est déjà plus rare ; beaucoupde
cas s'accompagnent de la note : pas de bouffissure ou pas de myxoedème.
Dans les neuf dernières observations (IX à XVIII), peau n'est pas infil-
trée ; dans l'observation de Djemil-Pacha, elle ne l'était pas au début et ce
n'est que secondairement que s'est installée un myxoedème généralisé.
Rumpell parle d'une peau qui semble infiltrée de graisse, Sainton de bouf-
fissure localisée à la face, Gandy (obs. IX et XIII) de peau sèche, dans un
seul cas d'oedème passager, et. dans son cas I, de bouffissure franchement
généralisée.
Si la bouffissure et l'infiltration myxoedémateuse sont loin de se rencon-
trer clans la majorité des observations, par contre la sécheresse et l'état
squameux se retrouvent presque chaque fois. Cet état squameux peut
confiner à une véritable ichthyose, d'origine sans doute thyroïdienne dans
trois cas au moins. Mais c'est un symptôme qui s'installe tardivement.
Enfin le plissement de la peau, les rides restent un fait d'exception :
sauf pour les malades âgés (au-dessus de 45 ans), on ne voit pas cet état
ridé du front, des joues et du cou, si particulier aux myxoedémateux con-
génitaux ou acquis.
Les troubles de la pigmentation vont être étudiés dans un instant.
Tout le système pileux est profondément touché : les cheveux sont dans
la moitié des cas sinon raréfiés, du moins durs, cassants, comme ceux
d'un séborrhéique ou d'un hypothyroïdien : cependant on ne trouve pas
de calvities, on ne trouve même pas de vraies alopécies en clairières ou
en aires. ,
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 411 i
Quant au reste du système pileux.il a disparu ou bien est singulièrement
restreint; le cou, les joues, le busle sont toujours aussi glabres que les
membres, le pénil n'a que quelques rares poils clairsemés, durs et cas-
sants, et, plus rarement aucun ; les bourses en sont dépourvues. Les cils
et sourcils sont plus rarement louches. Les aisselles sont glabres. Enfin
les lèvres sont presque toujours munies d'un léger duvet qui n'arrive pas
à les nuancer. Cette dépilation se fait toujours d'une façon rapide, pres-
que brusque et se distingue comme signe de début : c'est de suite après la
baisse des fonctions génitales que tombent les premiers poils ; les autres
suivent en trois à quatre mois.
Les poils n'ont en général aucune tendance à repousser ; le contraste
entre la conservation des cheveux et la chute des poils permet d'éliminer
presque toujours, et en l'absence de tout autre symptôme, l'idée d'une
pelade généralisée ou d'une alopécie avec atrichie comme l'un de nous a
pu en relater des observations après la fièvre typhoïde.
E. Organes génitaux et fonctions sexuelles. L'atrophie des uns
et le déficit des secondes sont réalisés dans l'unanimité des cas, et sont
d'ailleurs une des conditions indispensables de la constitution du syndro-
me. Si les bourses sont parfois encore assez volumineuses, c'est que leur
rétraction n'a pas en le temps de se faire, mais c'est encore là l'exception
et le scrotum a perdu à la fois son volume, sa consistance et sa pigmen-
tation. 1
Les testicules sont réduits à un volume infime : celui d'une noisette,
d'une cerise, d'un haricot, d'un pois ; parfois l'épididyme scléreux est
perçu lorsqu'il y a eu orchi-épididymite. La verge a tantôt subi une sim-
ple diminution de volume, tantôt une atrophie vraiment surprenante;
tel le malade de l'observation II, qui, après avoir possédé une verge nor-
male et capable de belles érections, est tombée à l'exiguïté qui la fait com-
parer au pénis d'un garçonnet de 8 ans. Enfin les cordons ne sont plus
perçus et dans le cas où le toucher rectal a été fait (comme chez nos ma-
lades), on n'a senti aucun point résistant et l'on a pu en tirer cette con-
clusion que la prostate était également atrophiée.
Chez les femmes,où un examen complet,ou mieux nécropsique,a pu être
fait, on a trouvé des grandes lèvres très réduites de volume, et un utérus
tout à fait comparable à celui d'une jeune fille vierge : cela est d'autant
plus remarquable que chez une de nos malades il s'agissait d'une multi-
pare et qu'il a bien fallu, en conséquence, assistera une véritable régres-
sion d'un utérus jadis gravide.
Les fonctions génitales sont profondément diminuées. Mais encore faut-
il se défier des affirmations trompeuses de sujets qui, frappés par leur
412 CORDOER ET REBATTU
déchéance génitale, s'en consoleraient par des récils imaginaires. Dans les
deux liers des observations, on noie une disparition complète des érections
et des éjaculations, par conséquent des possibilités d'un coït. Ceux même
des malades qui sont encore capables de turgescence la voient survenir
par hasard, et non sous l'influence d'un désir, et ne peuvent la -mener à
bien. L'un de nos malades affirmait avoir de temps à autre une pollution ;
il cherchait à se vanter : car le liquide examiné sur du linge (microsco-
pie, recherche de la réaction de Florence) n'avait aucun rapport avec du
sperme, ni même avec de la sécrétion prostatique. Les réllexes génitaux,
bulbo-caverneux et crémaslériens, recherchés dans la moitié des cas sont
abolis.
Enfin c'est le désir psychique qui est lui-même touché. La frigidité ahso-
lue, l'indifférence (qui ne coïncide pas avec une déchéance intellectuelle)
vis-à-vis de l'autre sexe est complète et définitive, sans répulsion : c'est
l'étal de neutralité d'un prépubère qui s'installe à nouveau.
F. Etat physique et moral. - C'est encore le puérilisme qui carac-
térise les troubles intellectuels : il est à noter que presque tous les mala-
des conservent leur rang social et que dans leur entourage on ne s'aper-
çoit pas d'une baisse de leurs facultés psychiques : la lecture, l'écriture et
le calcul sont toujours effectués avec la même facilité. La mémoire est
conservée. La conversation ne décèle aucun trouble ; la riposte est vive.
Ceci pour la plupart des cas et au moins dans un premier slade : car lors-
que s'accusent des troubles thyroïdiens, la mémoire devient infidèle et la
parole un peu traînante (ohs. 1 de Gandy) et même un peu d'indifférence,
d'apathie s'installe ; mais encore ces troubles, tardifs comme nous l'avons
dit, ne s'étahlissent-ils que dans la moitié des cas.
Par contre, l'état moral se modifie davantage ; ce qui frappe, c'est l'en-
fantillage des exigences, l'irascibilité aboutissant à des accès de colère, le
mensonge facile et la hâblerie, la querelle avec les voisins de la salle.
Tout cela est bien plus du caractère de l'infantilisme que de celui du
myxcedéme : dans ce dernier mode, la dégénérescence morale et intellec-
tuelle conduit plutôt à l'apathie. Les réactions vives de nos sujets, leurs
craintes excessivement exprimées à l'occasion d'un examen radioscopique
par exemple, sont tout à fait celles d'un enfant peureux.
La voix enfin, dont nous parlons un peu arbitrairement dans ce cha-
pitre, est celle des jeunes gens qui sont en train de muer : parfois
(obs. XVI), on note qu'elle est féminine, mais elle ne prend jamais un
caractère aigu, eunuchoïde. Enfin, il semble que lorsque le syndrome
s'installe tardivement, c'est-à-dire au delà de 30 ans, les modifications de
la voix soient moins accusées.
G. Symptômes d,origine"thyroïdienne. L'atrophie du corps thy-
L INFANTILISME REGRESSIF OU TARDrF "a IL 3 : .r "
roïde est quelquefois décelée du vivant du malade, et l'on signale alors
concomitamment des phénomènes athyroïdiens très nets ; on a aussi plus
précieusement constaté son atrophie à l'autopsie, se traduisant par une
pesée de lui ou 7 grammes.
Nous avons déjà suffisamment parlé du myxoedème vrai, de sa possibi-
lité, de son peu de fréquence, de sa venue tardive, de sa localisation pré-
pondérant à la face, de sa généralisation très rare. Mais à défaut de ce
symptôme, on décèle de petits troubles cutanés : sécheresse, ichthyose,
état cassant et sec des cheveux.
Les signes fonctionnels sont moins bien et plus rarement signalés. Si
l'observation principale de Gandy en signale plusieurs, on ne les retrouve
bien nets que dans l'observation de Djemil- Pacha (et encore tardifs) dans
celle de Gaillard, dans celle de Claude et Gougerot. Lorsqu'ils sont au
complet, ils ne frappent pas encore, et doivent être recherchés avec soin :
il s'agit de frilosité (notée trois fois), de crampes dans les jambes, d'en-
gourdissement des extrémités un peu refroidies et cyaniqlles,d'une fatigue
rapide à la marche, d'un peu d'abaissement de la température centrale
(mais la température est trop rarement notée). Enfin l'état d'apathie mo-
dérée, avec lenteur des réponses et paresse de la mémoire, n'est signalée
que trois fois.
De tout ceci on peut retenir que les troubles thyroïdiens ne manquent
pour ainsi dire jamais, mais ils sont si frustes dans les trois quarts des
observations qu'ils passent de toute évidence au second plan et que l'on
peul se demander si leur présence n'est pas une des conditions très secon-
daires du syndrome qui nous occupe.
H. Symptômes dépendant d'autres glandes endocrines. La sicrné-
nale ne semble intervenir que d'une façon très accessoire. Pourtant les
troubles pigmenta ires sont fréquents : on voit souvent mentionnées, à côté
de la dépigmentation des seins, du scrotum et de l'anus, des surcharges
pigmentaires du cou et de la face. C'est ainsi que l'un de nos malades,
sans avoir de vraie mélanodermie et sans présenter de surcharge brune
des muqueuses jugales, avait un curieux masque brunâtre réservant la ré-
gion de l'orbite en blanc pâle (obs. XVIII).
Plus intéressants seraient les troubles du pouls trop rarement notés :
la baisse de pression est la règle ; elle est évidente chez le malade de Gan-
dy el chez l'un des nôtres (120 mm. au Riva-Rocci, obs. XVIII). Citons
accessoirement un pouls à 55 observé une fois. Enlin chez ce même ma-
lade nous avons trouvé la raie de Sergent avec une grande netteté Bien
entendu ces signes d'hypoépinëphrie sont inconstants (4 fois sur 20) et
sont de second ordre.
414 CORDIER ET HEBATTU
L'hypophyse peut être rendue responsable de symptômes plus curieux :
en effet, on trouve souvent noté que le nez est élargi, la voûte palatine
ogivale à type adénoïdien, le thorax voussure (obs. Il) ; que la taille s'est
lassée de 1.63 à 1.59, en donnant une voussure et une cyphoscoliose
(obs. III). Parfois la voûte palatine est ogivale (obs. IV) ; il y a de la
cyphoscoliose et les pieds ont grandi (obs. VI) ; il y a de la spondy-
lose rhizomélique (obs. XV) ; il y a de la cyphose, des mains en
battoir et de l'hémianopsie (obs. XVIII) ; ;-les bum-éruset leslibias-mni
des dimensions anormales (obs. XVI); les doigt-> sont élargis Heur
extrémité, le nez s'est aplati, les maxillaires supérieurs se sont étalés, et
la taille a grandi de 6 centimètres depuis le service militaire et l'établis-
sement du syndrome à 24 ans (obs. XVII). Comment expliquer tous ces
faits ?
Un bon nombre, comme les mains en battoir, l'allongement des pieds
et l'hémianopsie, sont indiscutablement en rapport avec des lésions hypo-
physaires, établies secondairement, et qui sont venues apporter leur con-
tribution par contre-coup et d'une façon toujours tardive ?
Les troubles osseux du massif facial (voûte palatine, nez et maxillaire)
sont peut-être encore rattachables à la glande pituitaire, mais ce serait déjà
plus discutable.
Le tassement de la taille, la cyphoscoliose et la voussure thoracique
sont-elles de nature dysorchidienne ? La question est encore plus difficile
à résoudre lorsque les malades ont continué à grandir entre 25 et 35 ans
et de façon sensible, comme on peut s'en apercevoir en comparant leurs
mensurations militaires diverses et leur taille actuelle et en interrogeant
l'entourage. Dans ce dernier fait que nous avons nous-même étudié, il y
a pourtant aujourd'hui soudure des cartilages de conjugaison,et la selle tur-
cique est absolument normale à la radiographie (obs. XVII).
Chez le sujet de l'obs. XVI qui eut à 18 ans et demi une orchite trau-
matique, nous avons noté un allongement insolite des membres supérieurs
et inférieurs. La radioscopie et la radiographie nous ont montré l'absence
de soudure des épiphyses inférieures du radius et du cubitus. Les autres
épiphyses sont complètement soudées. Ceci nous explique l'allongement
anormal du squelette dont la croissance s'est anormalement prolongée
par suite du mauvais fonctionnement du frein testiculaire. La soudure
des épiphyses et l'arrêt de la croissance ne se produisent d'ailleurs nor-
malement que bien après l'installalion de la puberté et l'établissement
des fonctions sexuelles.
Si l'on se rapporte aux expériences de Thaon et à celles de Delille
sur les troubles osseux d'origine hypophysaire, on ne trouve rien d'exac-
tement calqué. Par ailleurs les allongements des os des membres infé-
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 415
rieurs constatés chez les castrats ne sauraient être comparés à ceux de no-
tre malade ; car la croissance s'est faite chez l'adulte et non chez le jeune
sujet. Et d'autre part nous verrons dans un instant à quel point doivent
être différenciés les castrats, même castrés adultes,et nos malades qui sont
dysorchidiens et non pas anorchidiens.
Enfin, les résultats éloignés de la résection déférentielle, ou les lésions
expérimentales de la glande orchidienne, tout en ne réalisant pas l'insuffi-
sance diastématique, ne créent pas de troubles comparables.
Bref, ni l'expérimentation ni la clinique ne nous fournissent d'élé-
ments assez probants pour attribuer ces tassements ou ces croissances au
testicule ou à l'hypophyse.
I. - Symptômes divers . - La polyurie sans sucre trois fois relatée,
des écoulements aqueux par les narines (deux cas) d'une abondance
étrange, des céphalées tenaces, nous paraissent encore plus difficilement
explicables : l'hypophyse semble devoir plus raisonnablement être incri-
minée quoique, dans un de ces cas, elle se soit montrée normale à l'au-
topsie et à l'examen histologique.
L'hypertrophie des mamelles chez un jeune garçon (obs. VII) est
étrange, mais reste un fait unique : son exérèse semble avoir favorisé
l'éclosion du myxoedème.
L'anémie profonde, des hémorragies fréquentes, l'ictère ne nous sem-
blent que des phénomènes accessoires.
Mais la fréquence de la tuberculose doit être signalée (7 obs. sur 20),
car on peut se demander si elle n'a pas été un des facteurs créant la sclé-
rose des diverses glandes endocrines, plutôt qu'un élément surajouté
évoluant sur un terrain débilité.
J. Evolution. Essais thérapeutiques. Des vingt malades cités
quatre sont morts ; celui de Djemil-Pacha de myxoedème aigu, les autres
de tuberculose ; nous dirons plus loin les résultats nécropsiques.
Il ne semble pas que les essais opothérapiques aient été couronnés de
succès ; tous ont été incomplets. Nous avons dû, chez l'un de nos malades,
le délaisser en raison de l'amaigrissement rapide que toute tentative ap-
portait, qu'il s'agisse d'extraits thyroïdiens ou d'extraits orchidiens. La
plupart du temps,l'abandon se produisait par négligence ou par nécessité,
comme il arrive trop souvent dans la clientèle hospitalière. PourtantGandy
a signalé des résultats tl'a nSltoi l'es et ])a Iché (Ob5, V) a fourni la contribution
la plus intéressante. Son malade suivit avec constance son traitement opo-
Ihérapj(IUe testiculaire : il en obtint d'heureux effets pour ses troubles
de la mémoire, pour sa faiblesse générale et sa frilosité. Mais son im-
puissance ne s'améliora pas et son atrophie testiculaire ne rétrocéda pas*
41( ! CORDIER ET REBATTU
Il y a là une preuve excellente de la théorie que nous allons tenter d'éta-
blir et pour laquelle les lésions orchidiennes sont absolument autonomes
et primitives, précédant, si elles ne les régissent pas, les lésions elles ma-
nifestations thyroïdiennes.
111. Diagnostic.
Reste à situer ce syndrome clinique, à déterminer sa place au milieu
des types analogues ou proches voisins.
Ce dont les infantiles réversifs se distinguent le mieux, c'est précisé-
ment des infantiles ordinaires, qu'il s'agisse de l'infantilisme myxoedé-
mateux de Brissaud, du type Lorain, du chétivisme de Bauer ou du pué-
ril isme d'Ellore Lévi.Car les malades dont nous nous occuponsonteu une
phase de plein développement, et n'ont point été de chétifs adolescents. On
conçoit pourquoi nous avons insisté à un tel point sur l'épanouissement
physique sexuel et intellectuel qui constituaient obligatoirement la pre-
mière phase.
Il ne faut pas davanlage les ranger dans la catégorie du m.·rcoedème
acquis. En en'et ce dernier, par quelque mécanisme qu'il puisse être dé-
terminé, ne provoque pour ainsi dire jamais de troubles aussi sévères de
la fonction et des organes sexuels que ceux que nous avons décrits : en tout
cas il agit bien plus sur la fonction et sur la partie physique de celle-ci,
que sur les testicules ou les ovaires proprement dits. Enfin, si le myxoe-
dème à lui seul peut créer des réactions aussi profondes, c'est à la faveur
d'un état général grave, avec des signes d'athyroïdie et de déchéance
totale qu'aucun des sujets ici étudiés n'a présentés. Nous ne nions
pas que le corps thyroïde puisse agir d'une façon exquise et sclérosante
sur la glande sexuelle interne et exlerne : la preuve en est patente chez
les infantiles type Brissaud ; mais la dyslhyroïdie n'a alors devantelle
que des glandes jeunes, éminemmentvulnérables, n'ayant jamais exercé
leur fonction externe.
Par leur physionomie générale, cessujets ne peuvent d'ailleurs être in-
troduits dans le cadre des myxoedémateux : nous renvoyons à la descrip-
tion que nous en avons faite, pour établir le rôle symploinalologiq ne secon-
daire de la viciation strumiyue. Les signes qui y ressortissent sont d'abord
inconstants et ne sont ensuite pas nécessaires; et dans les cas où ils exis-
tent ils ne se sont que rarement imposés, laissant prendre aux caractères
sexuels modifiés la première place ; c'est une étude minutieuse qui est
nécessaire pour les mettre en lumière.
Aussi bien noire discussion se rouvrira-t-elle sur ce point lorsqu'il sera
question de pathogénie.
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 417
Restent les sujets privés de leurs glandes sexuelles. Nous laisserons de
côté les castrais ou les spadones, qui châtrés dans l'adolescence ou dans
l'enfance, offrent des troubles constants et caractéristiques de la croissance
du squelette ; or la disproportion des membres inférieurs, les caractères de
la voix et la mentalité spéciale aux eunuques sont étrangers au syndrome
de Gandy.
On pourrait assimiler les infantiles régressifs à des châtrés adultes :
l'objection est plus difficile à éliminer. En effet, les troubles obtenus dans
les deux cas devraient logiquement être calqués les uns sur les autres :
c'est même là une des critiques pathuflénétiques dont nous aurons à nous
occuper ultérieurement. Mais nous ferons remarquer que chez les castrés,
il s'agit d'une suppression totale de la glande et non point de sa transfor-
mation pathologique : jamais dans la régression infantile il n'y a dispa-
rition complète du testicule.
Encore faut-il apprendre à les distinguer cliniquement; or, les châtrés
adultes sont mal connus dans nos régions ; les castrations chirurgicales
doubles restent exceptionnelles ; il faut rechercher de tels cas pathologi-
queseu Russie, où la secte religieuse des Sl : optzy pratique l'ablation mysti-
que des glandes sexuelles mâles : on semble s'êtl e j IIStj u'a ujourd'hui moins
préoccupé de les étudier médicalement que de les pourchasser politique-
ment.
Les castrés chirurgicaux ne reparaissent guère devant le médecin
et ne semblent que rarement modifier leur babitus. Quand ils le font, ils
inclinent vers un lype spécial assez mal classé, et dénommé de façon
inexacte et incomplète par le terme dejéminisme. MM. Leriche et Cotte en
ont récemment rapporté un fort beau cas, et leur sujet, obéissant à la règle,
a perdu ses fonctions génitales. Mais il a fait un pas de plus ; il est entré
dans un étal mixte participant également des caractères sexuels de l'homme
et de ceux de la femme. Outre que ses seins se sont accrus, et que ses
poils se sont raréfiés, il est arrivé à un stade d'indifférence génitale, plus
appréciable encore du côté psychique. Il est parvenu à un état neutre,
asexué, ce qui est quelque chose de différent de la simple perte des fonc-
tions génitales.
Ceci correspondrait assez bien à l'équivalence sexuelle de ceux des
hermaphrodites (ou des uranistes) qui ne deviennent sexués dans un sens,
que sous la pression des conditions sociales qui dirigent leurvie, plus que
suivant leurs désirs et leur instinct. Du côlé féminin, quoique plus rare-
ment observé, ce retour à l'état neutre se traduirait par du virilisme.
Mais dans les deux cas, ces individus ne font que tendre à uu type indiffé-
rent, sans faire de régression sur les autres domaines
Enfin la castration de la femme, plus fréquente, devrait fournir des si-
418 CORDIER ET REBATTU
gnes d'infantilisme : il n'en est rien. De la consciencieuse étude de Jayle,
de la thèse de Ferry, on en relire la conviction : les femmes castrées
adultes ne présentent guère que des troubles des désirs sexuels, une invo-
lution de l'utérus, de la suppression des règles, mais quelquefois sim-
plement de l'irrégularité, des rêves érotiques et, plus rarement, une
adiposité d'origine ovarienne gênante.
Enfin si l'on se reporte aux articles « Castration » du dictionnaire de
Richet et de celui de Dechambre, on voit qu'il est admis peut-être sans
preuves suffisantes que la castration chez l'homme adulte n'amène que
des troubles insignifiants.
Si bien que l'on est amené à admettre que la castration de l'adulte peut
provoquer une double réaction : l'une toute locale, mal étudiée, et sur-
tout surveillée trop peu de temps ; l'autre, s'accompagnant de phénomènes
généraux, définis sous le vocable provisoire de féminisme, mais ayant des
analogies très profondes avec le type d'infantilisme qui nous étudions.
Concluons donc que les deux processus de féminisme par castration de
l'homme adulte et d'infantilisme par atrophie testiculaire de l'adulte ont
des ressemblances singulièrement prononcées, et que les nuances subtiles
des troubles de l'instinct sexuel, la présence de mamelles hypertrophiées
peu ou prou, élèvent entre eux une bien frêle frontière.
De là à les confondre il n'y aurait qu'un pas que nous ne trancherons
pas pour l'instant : nous nous contenions de retenir le fait comme venant
à l'appui de la théorie testiculaire de certains de nos infantilismes, puis-
qu'on ne saurait guère invoquer le corps thyroïde pour expliquer le fémi-
nisme des castrés.
IV. Pathogénie.
La description clinique, la classification et la dénomination même du
syndrome sont conditionnées si étroitement par les notions pathogéniques,
qu'au cours même de la discussion de ces différents points, nous avons dû
faire de fréquentes incursions dans le chapitre que nous abordons main-
tenant, rendant quelques répétitions inévitables.
A. Nous devons d'abord reconnaître que l'anatomie pathologique ne
peut nous être d'un grand secours. Les autopsies sont peu nombreuses jus-
qu'ici ; elles montrent l'atteinte d'un plus ou moins grand nombre de
glandes à sécrétion interne, avec une prédominance du côté du corps
thyroïde et des glandes génitales, alors que l'hypophyse, les surrénales
peuvent être indemnes.
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 419
L'examen histologique, pratiqué par Gandy, Brissaud et Bauer, Claude
et Gounerot, montre simplement une sclérose plus ou moins marquée; il
faut signaler toutefois la préserce de follicules tuberculeux dans le corps
thyroïde signalée par Claude et Gougerot.
Mais d'une façon générale, l'anatomie pathologique ne peut, devant ces
lésions univoques, sans caractères spécifiques, permettre de déterminer
la nature de l'affection, et il est impossible de reconnaître quelle est la
glande qui a été primitivement touchée.
B.- Des renseignements plus précis résultent parfois des circonstances
étiologiques relevées. Mais si, dans un certain nombre d'observations, il
y a une cause précise (orchite syphilitique, traumatique, etc.), bien sou-
vent le syndrome s'établit sans qu'on puisse invoquer une cause détermi-
nante, et sous la dépendance vague d'une infection générale (tuberculose,
grippe, fièvre typhoïde) entraînant un processus atrophique et sclérosant.
C. Si nous pénétrons maintenant sur le terrain de la pathogénie
proprement dite, nous devons, sur-le-champ, écal'te1'l'injrll1tilisme l'égres-
du cadre si vaste des syndromes pluriglandulaires. Deux hypothèses sont
en effet possibles : ou bien le syndrome est réalisé par une insuffisance
pluriglandulaire des glandes à sécrétion interne, sans qu'on puisse
démêler si l'une d'elles a été atteinte primitivement et imprime au syn-
drome son caractère spécial : ou bien l'atteinte de l'une d'elles est cons-
tamment primitive et prédominante ; et alors est-ce toujours l'insuffi-
sance de la même glande endocrine qui est en cause ?
A la première hypothèse se rallient Claude et Gougerot en rangeant
l'infantilisme régressif parmi les syndromes polyglandulaires. Dans le
groupe très vaste compris sous cette dénomination, viendraient se classer
tous les troubles imputables au fonctionnement défectueux (diminué, exa-
géré ou vicié) des glandes à sécrétion interne. '
Si, au contraire, l'infantilisme régressif a véritablement une autonomie
clinique, s'il mérite d'être isolé de la famille des « syndromes pluriglan-
dulaires », est-il possible de déterminer quel est l'organe dont l'insuffi-
sance fonctionnelle entraîne la réalisation du syndrome. Et faut-il incri-
miner le corps thyroïde, les organes génitaux, dont l'atteinte parait
^constante, ou encore une autre glande endocrine ?
1° Là notion de syndrome polyglandulaire ou pluriglandulaire a déjà
été entrevue depuis longtemps : Rénon et Del ille,dans un cas d'insuffisance
420 CORDIER ET RE13A'lTU
surrénale aiguë, constatèrent, eh outre, à l'autopsie, des lésions thyroïdien-
nes, ovariennes et hypophysaires ; G. Balletet Laignel-Lavastine trouvè-
rent chez un acromégalique à côté des lésions de l'hypophyse une thyroï-
dite et une hypertrophie surrénale. Il suffit de feuilleter quelque peu la
littérature médicale et de compulser les anciennes observations pour trou-
ver un certain nombre d'exemples très nets de syndromes pluriglandu-
laires. Mais c'est depuis quelques années seulement que l'attention a été
attirée de ce côté et que l'on range sous cette appellation des faits com-
plexes, qui ne peuvent être étiquetés autrement, et dans lesquels aucun
symptôme saillant ne domine la scène clinique et ne lui imprime une
allure particulière.
Anatomiquement l'intervention pluriglandulaire est certaine.
2° Mais il paraît excessif de vouloir ranger dans ce groupe si compréhen-
sif, des syndromes d'une netteté clinique incontestable, sous le prétexte
qu'à l'autopsie on aura trouvé un degré plus ou moins marqué de sclérose
au niveau de plusieurs glandes endocrines ? Pourquoi alors ne pas refuser
l'autonomie au myxoedème, à la maladie d'Addison, puisqu'il est excep-
tionnel de ne pas trouver, dans ces affections, quelques autres lésions
glandulaires ?
Claude et Gougerot, s'appuyant sur la multiplicité des lésions glandu-
laires fréquemment constatées dans l'infantilisme régressif, lui refusent
toute autonomie. Sans doute, la notion du syndrome pluriglandulaire per-
met d'admettre, sans les discuter, l'hypofonctiouiiement ou l'hyperfonc-
tion nement des différentes glandes à sécrétion interne, la coexistence de
1'liypei-foiie[lotiiiemeiit de l'une avec l'liypofonctionnemeut de l'autre ;
elle dispense de se demander quelle est celle qui a été primitivement
atteinte ; et un tel diagnostic n'est guère compromettant. Il est vrai que
pour Claude el Gougerot, il y a simultanéité de l'atteinte de tout le sys-
tème endocrine sous l'influence d'une même cause, et c'est là la notion
nouvelle qu'ils apportent à la conception des syndromes pluriglandulaires.
3° Or, si l'on peut admettre dans certains cas cette simultanéité de l'at-
teinte des glandes à sécrétion interne, il est possible au contraire, dans la
plupart des observations de déterminer la glande dont le trouble est le
premier en date; l'examen attentif des mémoires montre assez souvent
l'insuffisance testiculaire, par exemple, précédant nettement toute autre
manifestation pathologique.
Et même, dans le cas de Claude et Gougerol, si les glandes endocrines
présentaient toutes de l'hypoplasie et de la sclérose,seule la thyroïde atro-
phiée contenait des follicules tuberculeux ; on peut donc se demander si la
L INFANTILISME REGRESSIF OU TARDIF
lésion thyroïdienne n'a pas été primitive et n'a pas commandé les autres
lésions : ce qui correspond d'ailleurs à la symptomatologie observée.
Il est bien certain qu'on ne peut préjuger du mode de retentissement; s'a-
git-il d'une suppléance, d'un fonctionnement exagéré, diminué ou dévié ?
On ne peut faire que des hypothèses à ce sujet, et l'on peut bien admettre
l'atteinte primitive d'une glande, sans avoir la prétention d'expliquer la
répercussion de son trouble fonctionnel sur tout le système endocrine.
Rien ne prouve que toujours les différentes glandes à sécrétion interne
soient atteintes simultanément sous l'influence d'une cause commune ; c'est
d'ailleurs l'opinion de Roussy qui arrive à cette conclusion que « aucun
fait n'a prouvé la simultanéité des lésions notées dans les syndromes
pluriglandulaires n.
D'ailleurs, Gougerot semble avoir récemment voulu dissocier ce syn-
drome dans lequel il voulait englober toute la pathologie des glandes en-
docrines. Il en dégage un cas de syndrome de Mickulicz avec hypo-ovarie,
hypothyroïdie, hypo-épinéphrie ; mais le diagnostic qui s'imposait chez
son malade était celui de syndrome de Mickulicz. Il tend de même à indi-
vidualiser un cas de maladie de Dercum avec insuffisance thyroïdo-testi-
culaire.
Nous croyons que le syndrome de l'infantilisme régressif doit avoir une
autonomie non moins manifeste, et que ce ne sont pas les signes de l'at-
teinte, d'ailleurs inconstante, de la surrénale, de l'hypophyse, qui, tout
en modifiant un peu le type clinique, doivent le faire rentrer dans le gi-
ron des syndromes pluri-glandulaires. Cette classification correspondrait
d'ailleurs à une interprétation pathogénique et nullement à une descrip-
tion clinique.
D. Le second point à débattre est le suivant : s'agit-il d'une dysor-
chidie ou d'une dysthyroïdie ? L'étude anatomique et clinique nous a en
effet permis de mettre au premier plan les signes testiculaires puis thy-
roïdiens ; et dans le paragraphe précédent nous avons admis leur double
atteinte.
10 Gandy ,qui individualisa le syndrome, après avoir discuté l'hypothèse
de l'insuffisance testiculaire et de l'insuffisance thyroïdienne, n'hésita pas
à se prononcer en faveur de cette dernière. Il a pu faire l'autopsie d'un
de ses sujets ; or si les testicules étaient frappés, si les tubes séminifères
étaient à l'état d'inactivité complète, ce qui attirait surtout l'attention,
c'étaient les lésions thyroïdiennes ; la glande ne pesait que 7 grammes
et était le siège d'une inflammation nodulaire avec sclérose intersti-
422 CORDIER ET REBATTU
tielle très marquée. Il paraît donc certain qu'en pareil cas la dysthyroïdie
ait eu le rôle primordial.
Il semble en être de même dans les cas de Rumpell, de Djemil-Pacha,
et aussi, croyons-nous, de Claude et Gougerot, de Gougère ! , et Gy, de Gal-
liard, de Gandy (obs. 11),de Gouilloud, deJosserand. Le corps thyroïdien
primitivement lésé entraîne des troubles et des lésions des glandes géni-
tales. A la dysthyroïdie primitive s'ajoute une dysorchidie secondaire,
absolument constante (ainsi qu'en témoignent les dimensions et l'état des
organes génitaux et l'impuissance) : le syndrome est alors constitué.
Il existe donc certainement un infantilisme tardif ou régressif fl ! yxoedé-
mateux, réalisé (ou plutôt déclanché) par l'insuffisance thyroïdienne.
2°,Mais est-ce la seule pathogénie possible ? Ne doit-on pas appliquer à
l'infantilisme tardif le mot d'Ettore Levi au sujet de l'infantilisme vrai et
trouver trop vaste le giron de l'origine thyroïdienne ? N'y a-t-il pas, à côté
de l'infantilisme tardif myxoedémateux, un infantilisme tardif du type
Lorain ressortissant à une origine non thyroïdienne ?
P. Marie hésitait à se prononcer entre l'origine thyroïdienne et l'ori-
gine testiculaire dans la dystrophie qu'il lui fut donné d'observer : le
premier phénomène pathologique fut toutefois une orchite. Dans le cas de
Dalché également, le début des troubles fut marqué par une orchite syphi-
litique bilatérale. La suppression des érections et l'atrophie testiculaire
ouvrirent la scène clinique dans le cas de Sainton et Dupré. La lésion tes-
ticulaire (orchite atrophique d'origine traumatique) est incontestablement
la première en date chez les malades de Coffin et Lereboullet, Achard et
Démanche, Gallavardin et Rebattu. Chez celui de Cordier et Francillon,
des signes de myxoedème, d'ailleurs très discrets, n'apparurent qu'après
l'atrophie testiculaire bilatérale et l'impuissance consécutives à une fièvre
typhoïde. Dans le cas de Brissaud et Bauer, s'il y avait un peu de myxoe-
dème, le corps thyroïde pesait 15 grammes et paraissait normal ; en re-
vanche les ovaires étaient très scléreux, et l'origine génitale paraissait plus
probable. Notons aussi l'absence complète de signes d'hypothyroïdie chez
les malades de Gallavardin et Rebattu, Achard et Démanche, et leur carac-
tère peu accusé et même discutable dans plusieurs observations.
Dans certains cas enfin, la thyroïde et le testicule (ou l'ovaire) semblent
être atteints simultanément, comme le pensent Claude et Gougerot, sous
l'influence d'une maladie infectieuse. Il est impossible en tout cas de s
déterminer avec certitude si l'un de ces organes a été touché primitive-
ment.
Il existe donc des cas d'orchite atrophique syphilitique, traumatique,
qui ont réalisé le syndrome d'infantilisme régressif et dans lesquels la
dysthyroïdie, parfois à peine estompée ou même discutable, est en tout
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 423
cas certainement secondaire. Dysthyroïdie et dysorchidie peuvent aussi
évoluer simultanément, sous l'influence d'une même cause. ,
D'ailleurs, pour De Sanctis, « l'infantilisme n'est jamais le résultat de
l'altération isolée d'une seule glande à sécrétion interne, mais procède
d'une déviation de la fonction harmonique formative protectrice de toutes
les glandes il sécrétion interne déterminée, en apparence du moins, par
l'altération visible (anatomique) d'un ou plusieurs de ces organes glandu-
laires ».
Les circonstances étiologiques plus précises que l'on peut relever dans
l'infantilisme tardif permettent de déterminer plus facilement la glande
qui a été primitivement lésée et dont la lésion a entraîné un trouble dans
le fonctionnement des autres glandes à sécrétion interne. Cette détermi-
nation n'est pas toujours possible : nous avons vu que le même processus
peut frapper simultanément plusieurs glandes. Mais, ce qui est certain,
c'est que la glande génitale est toujours intéressée : l'atrophie testiculaire
ou utéro-ovarienne, l'impuissance ne font jamais défaut et nous croyons
qu'il n'y a pas d'infantilisme tardif sans participation des glandes génita-
les, que la dysorchidie soit primitive (quelle qu'en soit l'origine) ou qu'elle
soit secondaire à la dysthyroïdie.
Le primum movens peut donc varier ; c'est tantôt le corps thyroïde,
tantôt le testicule ou l'ovaire. Nous proposons donc de distinguer un in-
fantilisme myxoedémateux (ou thyroïdien), et un infantilisme non myxoe-
démateux (ou génital). Cette distinction est plus étiologique que vérilable-
iiientpatliogénique, car l'intervention des glandes génitales, qu'elles soient
atteintes d'emblée ou secondairement, est indispensable pour la réalisa-
tion du syndrome.
E. En troisième lieu examinons pourquoi une lésion thyroïdienne
chez l'adulte, crée seulement le myxoedème sans déterminer de régression
infatttile.
Il est exceptionnel en effet clans le myxoedème acquis de l'adulte d'ob-
server un état d'infantilisme incontestable. Mais il va souvent un trouble
léger des fonctions génitales. Les troubles menstruels sont parfois signalés,
et même l'atrophie des organes génitaux. Meige précise davantage : «Le
myxoedème tardif entraîne en outre chez la femme une série de modifi-
cations qui semblent faire subir à son corps une évolution rétrograde vers
l'enfance : arrêt des règles, chute des poils. » C'est ta, en raccourci, la
description de l'infantilisme tardif de la femme.
Brissaud avait remarqué que le myxoedème peut refaire à ceux qu'il
42 i CORDIER ET REBATI U
frappe « une pitoyable première enfance ; leur intelligence s'atténue, leur
appétit vénérien s'émousse ».
Mais, en général, l'état et le fonctionnement des organes génitaux chez
les adultes devenus myxoedémateux n'est pas mentionné : ce qui permet
de supposer qu'ils sont habituellement normaux. A part les descriptions
de llTeigeetde Brissaud, il n'y a guère que Magnus-Lévy qui ait signalé
un cas d'impuissance, et Ewald la diminution de l'instinct sexuel. Von
Eiselberg écrit même que les troubles des organes génitaux font défaut
« puisqu'il s'agit d'adultes ». *
Il est en somme exceptionnel de noter des troubles ^génitaux impor-
tants dans le myxoedème de l'adulte, alors qu'ils sont la règle dans le
myxoedème de l'enfant. Chez ce dernier, les organes génitaux, non encore
développés, ne peuvent, lorsque la sécrétion thyroïdienne est viciée,
achever leur évolution normale. Chez l'adulte au contraire, leur développe-
ment est complet ; leur fonctionnement peut rester normal chez les hy-
pothyroïdiens elles dysthyroïdiens. Or, leur intervention est indispensa-
ble pour que le myxoedème fasse place au syndrome d'infantilisme tardif.
Pourquoi dans certains cas, qui restent l'exception, l'insuffisance thy-
roïdienne entraîne-t-elle secondairement la dysorchidie, réalisant de ce
fait le syndrome d'infantilisme tardif ? On ne peut faire que des hypothè-
ses pour expliquer l'inconstance de ce retentissement secondaire.
Bornons-nous à faire remarquer que c'est chez les sujets relativement
jeunes (20 à 35 ans) que se produit la régression infantile, c'est-à-dire chez
les sujets dont le fonctionnement des glandes génitales est en pleine acti-
vité, et se trouve sans doute plus étroitement sous la dépendance de la
glande thyroïde.
F. Mais la castration bilatérale de l'adulte n'est-elle pas capable
d'entraîner, au même litre que l'atrophie des testicules, une régression in-
fantile.
Une question préalable se pose ; l'atrophie testiculaire produit-elle les
mêmes effets que la castration ? Pour savoir si une telle assimilation est
légitime, il est indispensable de rappeler en quelques mots les effets pro-
duits par l'absence ou la suppression des testicules.
La castration bilatérale est, somme toute, une opération assez rare,
surtout chez l'adulte ; en ce qui concerne les pays orientaux, où la moisson
de faits pourrait être riche, les documents n'ont qu'exceptionnellement
la valeur d'observations médicales ; ce qui ne permet pas de serrer le pro-
blême d'une façon réellement scientifique. Quant à la castration bilatérale
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 2 : ;
d'ordre chirurgical, c'est une intervention peu fréquente; il s'agit en gé-
néral de sujets âgés ou bien présentant des lésions graves,tumeurs le plus
souvent, qui ne permettent pas une survie très longue ; si bien qu'on ne
peut étudier les troubles à distance de la castration, et ce sont précisément
ces troubles éloignés qui sont les plus intéressants à connaître et les plus
discutés.
Voici, brièvement résumés, les effets de la castration d'après les don-
nées classiques :
Chez l'enfant apparaît la conservation du type infantile, un allonge-
ment insolite des membres, une légère infériorité intellectuelle et morale.
Le tableau clinique ne rappelle en rien celui de l'infantilisme myxccdé-
ma aïeux.
Chez l' adulte, les modifications sontheaucoup moins accusées; l'épiderme
blanchit, la barbe tombe, les régions velues s'éclaircissent ou deviennent
glabres. Il peut se produire un épaississement des formes avec développe-
ment des seins, constituant un certain degré de féminisme. Les troubles
mentaux sont rarement très marqués : ils résultent le plus souvent du regret
qu'occasionne la privation des testicules, de la sensation d'amoindrisse-
ment qui tourmente le sujet. Ces faits sont très bien notés dans l'observa-
tions de Leriche et Cotte, utilisée dans notre chapitre de diagnostic.
Le point le plus discuté parmi les effets de la castration, c'est son in-
fluence sur les instincts génésiques. Chez l'enfant, les appétits sexuels ne
s'éveillent pas : c'est là un fait incontesté. Chez l'adulte, on peut dire,
d'une façon générale, que la faculté d'entrer en érection et d'avoir des
rapports sexuels persiste un temps assez long, mais finit par disparaître.
On a bien cité (Teinturier, Princeteau), des castrats ayant des ardeurs
sexuelles excessives, mais l'époque à laquelle remontait la mutilation
n'est pas mentionnée.
D'après les vétérinaires, deux ou trois pour cent des jeunes chevaux
hongres sont capables d'effectuer la saillie. Mais il est nécessaire pour
cela qu'ils soient recherchés par des juments en chaleur. Il faudrait savoir
si cette faculté persiste longtemps et en pareil cas, il serait intéressant
de s'assurer s'ils ne seraient point pourvus d'îlots lesticulaires eclopiques.
En somme, il semble que, par leur sécrétion interne, les testicules aient
une action sur les centres génitaux, entretiennent les instincts sexuels,
exaltent l'impressionnabilité génitale. Un individu normal voit se pro-
duire un éveil spontané des appétits sexuels, en dehors de toute provo-
cation extérieure. S'il est castré, il est voué, de par là-même au silence
génital ;'des excitations extérieures sont nécessaires. Ses instincts sont d'au-
tant plus émoussés qu'il a été opéré plus jeune. Si la castration est plus
tardive, les conséquences sur la puissance génitale ne sont pas immédia-
426 CORDIEII ET REBATTU
tes. Pendant un temps assez long, il peut conserver ses habitudes, ses
appétits, Il se refroidit à la longue; l'érection devient plus difficile et
plus rare; il faut alors des excitations sensorielles ou psychiques beau-
coup plus intenses. Après un laps de temps très variable, la faculté d'en-
trer en érection et d'avoir des rapports finit par disparaître ainsi que tout
désir sexuel. Il semble donc qu'il faille admettre que par sa sécrétion
interne, le testicule exerce une action Ionique ou trophique sur les cen-
tres médullaires génitaux qui-finissent par perdre la réactivité nécessaire
à l'accomplissement de l'acte génital. Pendant un temps très court, l'im-
prégnation des centres, pendant un temps plus long, le secours que leur
apportent l'habitude d'un mécanisme physiologique antérieurement éta-
bli, l'action des centres psychiques liés chez l'homme de façon si intime
au fonctionnement de l'appareil génital, suffisent encore à amener l'ac-
complissement de l'acte sexuel ; mais bientôt les habitudes nerveuses
s'émoussent, les excitations psychiques finissent par disparaître et l'acte
physiologique qui a survécu quelque temps il la fonction meurt il son
tour.
G. -Telles sonl les modifications entraînées d'une façon plus ou moins
immédiate, par la suppression anatomique des testicules. Ce que fait la
cassation, C atrophie testiculaire, d' O1'dre pathologique, peut le réaliser
parfois, quoique, à la vérité, les conditions ne soient pas parfaitement
semblables. Dans l'infantilisme régressif, la glande génitale est le siège de
lésions accusées, mais elle ne disparaît pas. Elle est donc bien différente
de ce qui reste de l'arbre génital après la castration de l'adulte, comme
aussi de la glande de l'infantile congénital qui est de petit volume parce
que non développée, mais n'a pas subi d'atrophie après avoir achevé son
développement normal. Il se passe à coup sûr des phénomènes secrétoires
d'ordre nouveau répondant à une activité non pas entravée, mais viciée et
déviée, et que le microscope ne peut évidemment apprécier. Peut-être
l'expérimentation radiothérapique pourra t-elle réaliser des processus
identiques, car il s'agit d'une dysorchidie et non d'une anorchidie. Cette
distinction a plus d'importance qu'il ne paraît au premier abord.
Ces réserves faites, il faut reconnaître que l'atrophie testiculaire d'or-
dre pathologique entraîne des troubles très voisins de ceux qui sont la
conséquence de la castration chez l'adulte. La disparition de la fonction
génitale, de l'instinct sexuel et des caractères sexuels secondaires fait de
l'individu atteint un sujet neutre. Cette disparition de la virilité produit
tantôt une régression infantile, tantôt une sorte de féminisme, les limites
qui séparent ces deux types étant aussi mal tranchées que le syndrome
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 427
« féminisme» » estmal décrit. II estdifrieile d'expliquer pourquoi dans cer-
tains cas c'est le féminisme qui est réalisé et dans d'autres l'infantilisme.
Il semble que c'est surtout chez les sujets encore jeunes, ayant moins de
30 ans, que se font les régressions infantiles.
Il faut noter d'ailleurs que les conditions ne sont pas les mêmes chez le
sujet castré et chez le sujet atteint d'une lésion testiculaire : celui-là est
un mutilé ; celui-ci seul est un malade, el verra de ce fait se produire des
lésions secondaires des autres glandes à sécrétion interne, suivant un més
canisme d'ailleurs très mal connu.
H. -Mais il est des cas d'atrophie testiculaire en apparence totale
qui ne suffisent pas à entraîner la réalisation du syndrome de Gan-
dy. Il est paradoxal de voir en pareil cas persister la fonction endocrine
du testicule, ainsi qu'en témoigne la persistance des érections, la conser-
vation des caractères sexuels secondaires : c'est ce qui avait lieu notam-
ment dans un cas de MM. Widal et Lutier, ayant trait à un sujet pré-
sentant une atrophie congénitale complète des deux testicules et n'ayant
aucun trait d'infantilisme ou de féminisme.
Il semble que, indépendamment de. l'hypothèse toujours possible d'îlots
endocrines ectopiques, on puisse en donner l'explication suivante : qu'une
portion de la glande interstielle continue à sécréter, que quelques groupe-
ments cellulaires seulement continuent à fonctionner (ce qui est possible
même avec une atrophie testiculaire très marquée) et la fonction diasté-
matique n'est pas troublée, alors qu'il suffit d'une lésion minime, parfois
purement épididymaire, pour entraîner du coup l'insuffisance spermatique.
On voit des lésions très étendues du pancréas, sans aucun signe d'insuffi-
sance pancréatique. Pourquoi n'en serait-il pas de même au niveau du
testicule ? Et alors que la palpation des bourses fait croire à une atrophie
complète, il peut subsister une partie de la glande interstitielle, et les
.troubles de l'insuffisance diastématique n'apparaissent pas.
Il est possible d'ailleurs que l'insuffisance diastématique soit elle-même
dissociée et présente toute une série de variantes : disparition des carac-
tères sexuels secondaires avec persistance des érections, etc..
Pour en revenir à l'infantilisme régressif, il semble que tantôt on relève
nettement une atteinte primitive du corps thyroïde, avec dysorchidie se-
condaire (mais nécessaire pour la réalisation du syndrome) et l'on est
autorisé alors à parler d'infantilisme tardif nyxcedétateux; tantôt c'est
la lésion testiculaire qui a débuté; il est indispensable qu'il y ait sup-
pression complète de la fonction diastématique ; les troubles thyroïdiens
428 CORDIER ET REBATTU
sont alors secondaires, ou peuvent faire défaut : il s'agit alors d'infanti-
lisme tardif non )Ky.r</e'HaM/C d'origine testiculaire. Parfois aussi une
même cause frappe il la lois testicule et thyroïde, Ql même d'autres glandes
à sécrétion interne, dont le trouble peut être aussi la conséquence de
l'atteinte testiculaire ou thyroïdienne primitive. Les combinaisons les plus
diverses sont alors réalisées suivant que telle ou telle glande est en hyper-
fonctionnement ou en hypofonctionuement. Cette répercussion paraît des
plus capricieuses et sa marche ne peut être déterminée.
V. Conclusions.
On doit isoler du vaste groupe des syndromes pluri-glandulaires l'in-
fantilisme tardif ou régressif, nettement décrit pour la première fois par
dandy, dont le nom doit y rester attaché, et actuellement établi d'après
une vingtaine d'observations complètes.
Au point de vue clinique, cet infantilisme régressif ou de Gandy appa-
raît chez un individu adulte, c'est-à-dire ayant achevé son développement
physique, sexuel, intellectuel et moral et ayant donné des preuves de sa
puissance génitale.
Consécutivement à une lésion de ses glandes sexuelles, et parfois sans
qu'on puisse relever des circonstances étiologiques certaines, il voitdispa-
raître ses désirs, ses érections en môme temps que s'atrophient ses orga-
nes génitaux ; ses formes s'amincissent et l'on assiste à une chute presque
complète des poils du corps et du visage. Souvent on note aussi un degré
variable de myxoedème, de l'apathie, de la frilosité, de l'ichthyose, Le
corps thyroïde peut être atrophié et l'on peut voir aussi des symptômes
d'insuffisance hypophysaire (troubles du squelette) ou surrénale (hypoten-
sion, troubles pigmentaires, etc.).
Enfin la mentalité se modifie dans le sens du puérilisme, et le sujet,
bien qu'ayant souvent atteint ou dépassé la trentaine, donne au premier
abord l'impression d'un adolescent à la période pré-pubère. Ce syndrome
ne doit être confondu ni avec l'infantilisme vrai ou prolongé (puisqu'il y
a eu développement complet et vie génitale), ni avec le myxoedème acquis
de l'adulte. Les limites qui le séparent du féminisme et de l'eunuchisme
sont moins' tranchées.
Au point de vue anatomo -pathologique, on ne trouve que des lésions
atrophiques et scléreuses des diverses glandes à sécrétion interne, mais
surtout des glandes génitales et du corps thyroïde; l'atteinte des pre-
mières est constante et souvent prédominante.
En ce qui concerne la pathogénie, nous croyons que l'atteinte de tout le
'système endocrine n'est pas constante et que, au moins dans certains cas,
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 429
on ne peut admettre la simultanéité de l'insuffisance des diverses glandes
à sécrétion interne.
On peut considérer deux variétés étiologiques, suivant que l'atteinte et
les signes d'insuffisance testiculaire ont été précédés ou non de symptô-
mes thyroïdiens. Ii existe, à côté d'un infantilisme régressif myxoedé-
mateux d'origine thyroïdienne, un infantilisme régressif d'origine testicu--
laiie. Mais la dysthyroïdie ne peut, à elle seule, expliquer la réalisation
du syndrome qui ne peut être constitué sans la dysorchidiesecondaire.
Quand la dysorchidie est primitive, elle entraîne souvent mais non
nécessairement, une dysthyroïdie secondaire.
On ne peut prétendre déterminer le mode de retentissement du trouble
d'une glande à sécrétion interne sur le reste du système endocrine. On
est réduit à faire des hypothèses à ce sujet.
L'opothérapie n'a donné que des résultats discutables et purement
temporaires.
OBSERVATIONS
Nous avons relaté les observations d'après leur ordre chronologique; nous
avons cru devoir en négliger une ou deux, en particulier celle de Karakas-
chefi qui n'est constituée que par un protocole d'autopsie et ne comporte pas
d'histoire clinique.
Quant aux autres, nous les avons résumées, 'et cela suivant un ordre tou-
jours le même, qui est précisément celui de notre description symptomatique :
ainsi l'on pourra mieux comparer entre eux les tableaux cliniques relatés par
les auteurs, retrouver plus facilement le rôle joué par telle ou telle glande et
suivre mieux notre argumentation :
Observation 1 (L.ARREY).
Larrey cite ces faits intéressants dans le second volume de ses Mémoires de
chirurgie militaire el campagnes, 1''e édition, 1812, tome II, p. 62. Campa-
gnes d'Egypte. « De l'atrophie des testicules. Plusieurs soldats de l'armée
d'Egypte, au retour des campagnes de l'an VII, se plaignirent delà disparition
presque totale des testicules, sans nulle cause de maladie vénérienne. Surpris
de ce phénomène, dont je n'avais pas vu d'exemple, je fis des recherches pour
connaître la cause et la marche de cette singulière maladie : je vais en présen-
ter les symptômes tels que je les ai observés.
« Les testicules perdent de leur sensibilité, s'amollissent, diminuent de vo-
lume d'une manière graduée, et paraissent se dessécher. Le plus ordinaire-
ment l'altération commence par l'un d'eux.
« Le malade ne s'aperçoit de cette destruction, qui s'opère insensiblement,
qu'autant que le testicule est réduit à un très petit volume : on le trouve rap-
430 CORDIER ET REBATTU
proché de l'anneau, sous la forme et la grandeur d'un haricot blanc. Il est in-
dolent et d'une consistance assez dure : le cordon spermatique est lui-même
aminci et participe à l'atrophie.
« Lorsque, les deux testicules sont atrophiés, l'homme est privé des facultés
génératrices, et il en est averti par l'absence des désirs, des sensations amou-
reuses et par la laxité des parties génitales. En effet, tous les individus qui
ont éprouvé cet accident n'ont eu, depuis, aucun désir de l'acte vénérien, et
cette perte influe sur tous les organes de la vie intérieure. Les extrémités in-
férieures maigrissent et chancellent dans la progression ; le visage se décolore ;
la barbe s'éclaircit, l'estomac perd son énergie, les digestions sont lentes et
laborieuses elles facultés intellectuelles dérangées. Plusieurs militaires ont été
jugés, par suite de ces infirmités, dans le cas de l'invalidité absolue.
« J'attribue principalement cette maladie aux fortes chaleurs du climat égyp-
tien, qui, en ramollissant le tissu du testicule, l'ont disposé à la décomposi-
tion. Les parties les plus fluides de cet organe sont entraînées au dehors... »
etc. Suivent deux pages de pathogénie et de thérapeutique qui datent un peu
trop... Les privations et les fatigues de la guerre, l'usage de l'eau-de-vie de
datte, l'action néfaste de capricum, pseudo-capricum, solanum et belladonna,
dont on aromatise cette liqueur, l'abus des femmes, sont tour à tour invoqués.
Les bains de vapeurs, les frictions sèches sur la surface du corps, l'urtication
sur les fesses, les remèdes rafraîchissants et stomachiques et de bons aliments
sont les ressources thérapeutiques proposées.
Mais plus loin, Larrey précise encore sa description : « Depuis notre retour
en France, nous avons eu l'occasion d'observer et de traiter cette maladie
chez plusieurs militaires de la garde impériale : elle a suivi la même marche que
celle qui s'est déclarée en Egypte ; et nous avons appris des malades eux-
mêmes qu'elle reconnaissait la même cause, c'est-à-dire t'usage immodéré des
femmps et l'abus des liqueurs fortes.
«Chez l'un d'eux, cette maladie est parvenue en peu de temps au dernier
degré, de manière à faire disparaître entièrement les deux testicules. Le sujet,
d'abord d'une constitution très robuste, ayant une barbe fort épaisse et des
traits prononcés, a perdu ces caractères de virilité ; il n'a présenté depuis ce
moment que l'aspect d'un être efféminé ; sa barbe s'est éclaircie ; sa voix est
devenue extrêmement faible et grêle ; ses parties génitales étaient sans action
et privées des facultés génératrices. Aucun des moyens que nous avons mis en
usage n'a pu arrêter les progrès de cette affection et ce militaire a été ré-
formé. »
Observation Il (Coffin et LEREBOULLET, résumée).-
Homme de 27 ans. Au service militaire, il a les galons de sergent, commande
d'une voix forte et virile. Sa barbe est très touffue. Il est grand et vigoureux.
Sa verge et ses testicules sont volumineux. Syphilis à 24 ans. Orchite syphi-
litique bilatérale à 25 ans, avec atrophie consécutive des testicules.
Peau blanche. Cheveux longs. Formes féminines. Point de barbe.
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 431
Sa verge a le volume de celle d'un enfant de 6 à 8 ans. Ses testicules celui
d'un petit haricot. Pas d'érection ni d'émission de liquide spermatique ou sper-
moïde.
Seins développés. Formes arrondies du corps.
Faiblesse musculaire.
Observation III (Rumpell, résumée).
Homme de 36 ans. Typhoïde à 15 ans ; blennorrhée à 24; excès alcooli-
ques et vénériens. A 30 ans, troubles nerveux avec lassitude, chute des che-
veux, polyurie et polydypsie sans glycosurie. Perte rapide de l'instinct sexuel,
puis frigidité, épaississement des mains et des pieds, sécheresse de la peau.
Pâleur de la peau et des muqueuses. Peau squameuse semblant infiltrée de
graisse, sèche et sensible. Quelques poils clairsemés à la lèvre supérieure et
au menton. Absence presque totale à la région axillaire et au pubis.
Pénis normal. Scrotum diminué de volume ; testicules très atrophiés ayant
la dimension d'une cerise, mais sensibles ; prostate normale ; réflexes génitaux
abolis ; frigidité totale.
Thyroïde non perçue ; affaiblissement de la mémoire et de l'énergie, fatigue
facile; frilosité transitoire.
Pas de pigmentation anormale.
Pouls à 72. Température : 36°2.
Augmentation du volume des pieds et des mains. '
Polyurie avec urines normales. Champ visuel normal.
Anémie profonde.
Echec de l'opothérapie thyroïdienne.,
Observation IV GOU1LLOUD, résumée).
Femme de 37 ans, mère de 3 enfants. A eu il y a quatre ans une très forte
hémorragie avec état syncopal. Elle se remit très lentement de son anémie
et ne revit plus ses règles. Il y a un an, sa famille commença à remarquer un
changement de son caractère, mais c'est surtout depuis 6 mois que son- état
s'est accentué.
Pâleur du visage sans albuminurie; état glabre des régions sus-pubienne,
axillaire ; disparition partielle des sourcils ; les cheveux sont secs, décolorés
et tombent facilement.
L'utérus est atrophié comme un utérus sénile. Règles supprimées- .
Les parents insistent sur la transformation de son intelligence, de sa.vo-
lonté, de sa parole : d'active elle est devenue lente, somnolente, comme enfan-
tine ; parole traînante ; mémoire infidèle.
La thyroïde est manifestement atrophiée,réduite à deux petits lobes du volume
d'une noisette ; aspect crétinoïde de la face ; mains oedématiées, froides, roides,
maladroites; oedème sus-malléolaire ; frilosité, lassitude, essoufflement.
Amélioration douteuse par l'opothérapie thyroïdienne.
432 CORDIER ET REBATTU
Observation V (DALCHË, résumée).
Homme de 36 ans. Syphilis il 20 ans ; orchite à 30 ans. Début à la même
époque par de la faiblesse générale; puis gonflement des membres inférieurs
et de la face.
La peau est pâle, non infiltrée de graisse, ne semble pas épaissie, n'a pas de
rides, sauf au niveau du front. Absence complète de poils, sauf au cuir chevelu.
Les testicules sont très atrophiés et ont les caractères des testicules syphi-
litiques ; la frigidité est absolue ; les réflexes sont normaux.
L'intelligence est faible, la mémoire diminuée, les pleurs faciles.
Le corps thyroïde a un volume difficile à apprécier, mais n'est pas hypertro-
phié ; apathie, frilosité, lenteur des mouvements. , ,
Pas de manifestations pigmentaires anormales.
Cyphoscoliose, augmentation de volume des pieds.
Polyurie avec urines normales. Anémie.
Le traitement a consisté en cachets d'orchitine, iodure et frictions mercu-
rielles. Seule l'opothérapie testiculaire a eu quelque action, mais elle n'a amé-
lioré que le myxoedème et n'a pas modifié l'impuissance.
Observation VI (Pierre Marie, résumée).
Homme de 63 ans. Compression testiculaire traumatique vers l'âge de 3S ans.
Atrophie testiculaire consécutive.
Depuis 7 ans environ, perte des poils du pubis, des aisselles. Il est difficile
de dire si ce phénomène doit être rattaché à l'atrophie des testicules ou à un
léger degré d'insuffisance de la glande thyroïde.
Observation VII (DjEMtL-PACHA, résumée).
Homme, 18 ans. Pas de crétinisme dans sa localité. Depuis 3 ans, hypertro-
phie progressive des mamelles. En même temps, les testicules fondent, les
forces génitales s'éteignent; la voix prend le caractère féminin. Les seins sont
énormes, et leur ablation devient nécessaire : ils contenaient un tissu glandu-
laire normal histologiquement. Après l'intervention, l'appétit sexuel reparaît ;
il y a de fréquentes pollutions. Les petits testicules reprennent du volume.
Cinq mois après l'intervention, le malade revient et l'on note :
Face d'une pâleur cireuse, bouffie, en pleine lune, avec oedème plus accen-
tué aux paupières, aux lèvres et aux narines :
Myxoedème dur, sans godet, généralisé. Cheveux secs et cassants.
Abolition des fonctions sexuelles.
Torpeur cérébrale et physique.
Thyroïde non perçue. Hypertrophie de la langue. Cachexie rapide, malgré la
médication thyroïdienne.
Mort. Pas d'autopsie.
l'infantilisme RÉGRESSIF OU tardif 433
Observation VIII (Sainton et DUPRÉ, résumée).
Homme, 45 ans. 4 ans de service militaire en Tunise. 6 blennorragies; syphi-
lis. Paludisme. Rhumatisme. Jusqu'à 30 ans, facultés génésiques tout à fait
normales. Puis suppression brusque des érections. A cette date, chute progres-
sive des poils, mais non des cheveux.
Peau pâle, bouffie. Le facies est loin de donner l'impression de l'âge réel du
malade. Les joues sont glabres, les moustaches sont celles d'un adolescent, les
cheveux sont raides et secs. Aisselles glabres. Au pénil, rares poils.
Verge petite. Scrotum flasque. Testicules du volume d'un haricot, mous.
Désirs sexuels absolument nuls. Pas d'érections.
Pas de troubles intellectuels ni vocaux.
Le corps thyroïde et les seins paraissent normaux.
Pas de troubles du squelette.
Urémie gastro-intestinale.
. Observation IX (GANDY, 1, résumée).
Homme de 33 ans ; entré pour ictère léger; dans les antécédents on relève
une kérato-conjrnctivile droite ; une blpnuorrhée ; des hémorroïdes ; pas de
syphilis. Marié à 26 ans ; était « très fort », au dire de sa femme qui a eu,
de lui, après une fausse couche, deux beaux enfants. Début à 27 ans par des
sueurs très abondantes, suivies de soif continue, impérieuse, de polyurie, de
polydypsie, de céphalée très vive. Urines normales. Six mois après, oedème
de la face, chute des cheveux, hydrorrhée nasale, frilosité et apathie. Dispari-
tion rapide des fonctions génitales (désirs et érections). Un an après, chute de
la moustache, de la barbe, des sourcils, des poils axillaires et pubiens. C'est
alors (très probablement), qu'est survenue l'atrophie des organes génitaux
qui a passé inaperçue aux yeux du malade. Il est soigné à diverses reprises
dans deux hôpitaux pour « de l'anémie » ; on lui trouva une hypertrophie du
foie et de la rate.
On donnerait au malade à peine 18 ans, alors qu'il en a 33. Sous une teinte
subictérique due à de l'angiocholite, on retrouve un fond de pâleur généralisé.
Ni bouffissure du visage, ni épaississement des téguments, ni rides. La peau
est sèche, légèrement squameuse. La moustache est réduite à quelques poils
très courts ; les sourcils sont très clairsemés ; quelques rares poils irès grêles à
peine visibles sur le pubis ; le reste du corps est entièrement glabre ; la peau
est sèche, légèrement squameuse.
Le scrotum rappelle celui d'un jeune garçon de 12 ans ; on y sent des testi-
cules nettement atrophiés, mous, insensibles à la pression, de dimension infé-
rieure à celle d'un oeuf de pigeon, la prostate est également atrophiée; l'im-
puissance et la frigidité sont absolues ; ui désirs, ni érections, ni même émis-
sion de liquide prostatique. La verge mesure 6 à 7 centimètres. Abolition des
réflexes crémastériens, les réflexes bulbo-caverneux sont très faibles.
Pas de troubles intellectuels appréciables.
434 CORDIER El' HEBATTU
La glande thyroïde n'est nullement perceptible. Pas d'infiltration des tégu-
ments, mais apathie.
Dépigmentation de l'aréole du sein ; les régions périnéale et génitales sont
dépigmentées.
Pas de modification du squelette sauf une voussure sternale due peut être à
sa profession de parqueteur.
Tension (au Potain), 15. Pouls : 64.72.
Voix lente et monotone, n'a pas son timbre modifié.
Paralysie de la III8 paire droite.
Traitement par l'opothérapie thyroïdienne ; mais il meurt peu après.
Autopsie. Kyste hydatique du foie ;
La thyroïde pèse 7 grammes, et au microscope présente de larges bandes
de sclérose et inflammation nodulaire subaiguë ; ni bacilles de Koch. ni trépo-
nèmes.
Les testicules, petits et mous, pèsent 8 et 10 grammes ; atrophie des tubes
éminifères, avec absence complète des cellules interstitielles dans les espaces
intertubulaires.
Lésions de lepto-méningite basilaire avec oedème cérébral.
- Observation X (GANDY, II, résumée).
Homme de 46 ans ; 4 ans de service militaire. Erysipèle à 25 ans ; marié
à 30 ans : il remplit ses devoirs conjugaux dans une large mesure ; sa
femme meurt de tuberculose ; remarié ; il n'a pas eu d'enfants de ses deux
mariages A partir de 33 ans, érysipèles à répétition et syphilis dont la porte
d'entrée reste douteuse. Perte progressive des poils et des cheveux survenant
peu après, dysphonie et céphalée. A 36 ans, polydypsie et polyurie ; ses for-
ces génésiques commencent alors à décliner. Un an après, disparition de la
moustache et de la barbe ; anéantissement complet des fonctions génitales, ni
appétence, ni érection ; atrophie des testicules; bouffissure transitoire de la
face.
Pâleur jaunâtre de la face, qui n'est pas bouffie ; la moustache est réduite à
quelques poils courts, clairsemés au menton ; cils noirs, sourcils peu four-
nis ; cheveux abondants ; le reste du corps est entièrement glabre, à part quel-
ques très rares poils grêles sans couleur au niveau du pubis.
Atrophie très marquée des organes génitaux ; la verge a à peine 4 à 5 cen-
timètres de long; les testicules mous, mais réguliers, ont la dimension d'une
olive. La prostate est également atrophiée : impuissance et frigidité absolue
depuis 2 ans. Les réflexes cutanés de la région génitale sont abolis.
Aucun trouble psychique.
Le corps thyroïde n'est pas perceptible : le visage n'est pas bouffi ; infiltra-
tion adipeuse légère du tronc et des membres ; les téguments du tronc et des
membres inférieurs sont un peu épaissis ; la peau est ridée au niveau du visage
et du cou, de la face dorsale des mains des doigts et des pieds (mais le malade
a 45 ans) : Asthénie.
l'infantilisme RÉGRESSIF OU tardif 435
Les aréoles sont pâles, dépigmentées, comme le pénis.
Pouls à 80. Tension, 18 iPotam).
La taille au régiment était de 163 ; elle est de 159 ; on note une légère cy-
phoscoliose cervico-dorsale.
Urines normales ; pas de traitement.
Observation XI (GALLIARD, résumée).
Homme, 57 ans, employé. Une blennorragie sans orchite. Une otite. Pas
d'oreillons ni de syphilis. Marié à 20 ans, il n'a eu qu'un enfant qui ne vécut
que quelques jours.
Il fut soigné à 53 ans pour un eczéma, mais lorsqu'il sortit de l'hôpital, il se
mita pâlir et vit tomber ses poils, en même temps que s'affaiblissaient ses
facultés génésiques, et que s'atrophiaient ses testicules.
Pâleur extrême, blafarde. La barbe et les moustaches sont clairsemées. Les
cheveux sont secs, ternes, sans reflet. Les aisselles sont glabres. A peine quel-
ques poils sur le pubis.
Les testicules, mous, déformés, de consistance lisse, peu sensibles à la pres-
sion, ont le volume d'une cerise. Le scrotum et la verge sont peu développés.
Impuissance absolue. Pas d'érection depuis 4 ans.
Pas de troubles intellectuels.
Il est difficile d'apprécier le volume de la thyroïde.
Pas de bouffissure du visage, ni de rides d'une façon exagérée.
Pas d'infiltration des téguments. Les mamelons sont petits.
Les régions normalement pigmentées sont décolorées.
La voix est dolente, monotone.
Apathie manifeste. Le pouls est petit.
Ni polydpysie, ni polyurie.
Légère amélioration par le traitement thyroïdien.
Observation XII (Achard et Démanche, résumée).
Homme, 68 ans, maçon, entré à l'hôpital pour de l'hyposystolie. Une blen-
norragie à 18 ans. Pas de syphilis. Habitudes alcooliques.
Il reçut à 25 ans un violent coup de pied dans les bourses : ses testicules
devinrent le siège d'un gonflement considérable, puis s'atrophièrent, surtout à
droite. Il commença à perdre ses cheveux, sa barbe et les poils du corps,
jusque-là abondants. Les désirs sexuels persistèrent, mais il n'y eut plus d'éja-
culations. Sa vigueur musculaire diminua. Il eut à 56 ans la fièvre typhoïde.
Le teint est pâle. La face est complètement glabre, à part quelques rares
poils au niveau de la lèvre supérieure et du menton. Les sourcils sont peu
fournis. Les poils du pubis sont rares. La peau est sèche, pâle, terreuse, flas-
que, épaisse et ridée.
- Le scrotum est moins développé du côté droit. Le testicule droit, de consis-
tance molle, a le volume d'une petite noisette. Le testicule gauche, de volume
4136 CORDIER ET REBATTU
réduit, est de consistance normale, mais il a perdu sa sensibilité spéciale. Le
réflexe crémastérien, faible à droite, est presque aboli à gauche.
L'iiitellig,nce est peu développée, la mémoire confuse, le caractère irascible.
On ne sent pas la thyroïde. Pas d'infiltration cutanée, ni de troubles trophi-
ques. Les seins ne sont pas hypertrophiés.
La voix est grêle et aigre ; mais elle aurait toujours eu ce timbre
Observation XIII (Batssnun et BAUER, résumée).
Femme, 29 ans, domestique; entrée à l'hôpital pour une hémiplégie par em-
bolie d'origine cardiaque. Elle s'en remet, mais succombe 6 mois après d'une
péritonite tuberculeuse.
Pas d'antécédents à relever. La menstruation s'est établie à 15 ans. A 20 ans,
elle accouche, à 8 mois, d'un enfant qui ne vit que quelques jours. Ses règles
ne reparaissent pas ; ses seins diminuent de volume, ses cheveux et ses poils
se mettent à tomber. En même temps, son teint pâlit, ses traits s'épaississent ;
sa voix devient grêle et monotone. Elle devient apathique.
Aspect infantile du visage et du corps. Le visage, pâle, est celui d'une toute
jeune fille. Les sourcils sont très rares. Absence complète de poils axillaires
et pubiens. Les cheveux sont secs et peu abondants.
Légère bouffissure de la face.
Céphalalgie. Urines abondantes.
Nombre des globules rouges (4.357.000 et 3.9O,400).
A l'autopsie : Péritonite tuberculeuse généralisée. Endocardite et symphyse
péricardique probablement tuberculeuses.
Le corps thyroïde, d'apparence normale, pèse 15 grammes.
Salpingo-ovarite gauche. L'ovaire droit, dur, scléreux, a le volume d'une
amande sèche.
L'utérus a les dimensions de celui d'une jeune fille.
Observation XIV (CLAUDE et GOUGEROT, résumée).
Homme de 49 ans ; père alcoolique, mère hystérique ; ni blennorrhée, ni sy-
philis ; marié à 19 ans ; satisfait les appétits sexuels de sa femme dans une large
mesure ; il a eu trois enfants dont l'un meurt à 2 ans de méningite tubercu-
leuse ; début de la maladie actuelle à 42 ans ; habitudes alcooliques. A 42 ans,
à l'occasion d'une chute, aurait eu des contractures et des crises ressemblant
à de la tétanie ; il aurait eu de l'oedème des jambes. Pendant la convalescence,
il vit tomber ses cheveux et ses poils et s'atrophier ses testicules. Il eu aussi
des troubles de la voix ; il ne put reprendre ses relations sexuelles. En même
temps ses testicules s'atrophièrent.
La peau est pâle, épaissie, sans myxoedème ; le malade n'a que de rares poils
au menton et aux lèvres; il est complètement glabre partout ailleurs.
La verge est petite, infantile, les bourses sont aplaties, les testicules atro-
phiés et mousjde la grosseur d'une petite olive ; les réflexes crémastériens sont
Nouvelle Iconographie DE la SALPRI'R11RE. T. XXIV. PI. LXVi
1\IvA\TIIIS\IF 'l'ARI>II'
Obs. XVI
(Cas de Gall<l1'erdill et Reballll),
¥.¡¡'iflt1 't nez ? €'1.H'
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 437
faibles. L'impuissance sexuelle est absolue ; le malade n'a pas eu d'érections
depuis l'âge de 43 ans.
Le corps thyroïde n'est pas perçu à la palpation ; pas d'infiltration des tégu-
ments ; la peau est ridée ; le visage est celui d'un vieux (mais il est tubercu-
leux et touche à la cinquantaine). Apathie.
Tension artérielle 10 ; pigmentation diffuse sur le front et la base du nez ;
pas de troubles du squelette.
En outre, lésions tuberculeuses pulmonaires, cutanées (gommes), ganglion-
naires.
L'opothérapie thyroïdienne semble donner une amélioration passagère.
A l'autopsie : lésions pulmonaires cavitaires ; la thyroïde pèse 12 grammes .
et présente une sclérose diffuse très marquée avec follicules tuberculeux. Tes-
ticules pesant 22 grammes à eux deux, petits et mous, atrophiés ; les cellules
de la lignée séminale ont disparu ; les cellules interstitielles sont diminuées
de nombre, mais il en persiste encore. Scoliose surrénale et hypophysaire.
Observation XV GOUGEROT et Gy, résumée).
Homme, 52 ans, fièvre typhoïde à 20 ans ; 3 ans de service. Une blennor-
ragie ; forces et fonctions génitales normales ; soigné à 48 ans pour une
affection aiguë mal déterminée qui lui laissa de l'asthénie et de la polydypsie.
Bientôt apparut une frigidité génitale ; les éjaculations disparurent, puis les
érections ; dans le même temps, son teint jaunit et sa barbe se raréfie ; il est
soigné successivement pour un lupus du nez, pour un érysipèle et pour une
pneumonie droite.
Facies pâle, jaune cireux, aspect vieillot; les cheveux sont drus et bien
fournis; la moustache est rare, ainsi que la barbe, les cils et les sourcils; le
reste du corps est complètement glabre.
Atrophie de la verge et des testicules; frigidité totale; ni désirs, ni érections.
On ne sent pas les lobes latéraux du corps thyroïde; apathie et frigidité;
la peau est lisse, un peu épaissie et blafarde ; pas de troubles intellectuels
signalés. .
Pigmentation du front, des mains et des pieds. Pouls à 75. Tension 12.
Homme courbé en deux, avec une spondylose rhizomélique très nette.
Galop avec urines normales. Tuberculose du sommet gauche.
Echec complet du traitement thyroïdien.
Observation XVI (GALLAVARBIN et Rebattu) (Pl. LXVI).
(avec détails complémentaires inédits).
Homme de 26 ans,' matelot. A fait un premier séjour à l'hôpital de la Croix-
Rouge daus le service de M. Gallavardin, en février 1909, pour une grippe
légère. "
Il fait un second séjour à l'hôpital, en juin 1911, pour des accidents syphi-
litiques secondaires, avec chancre lingual en voie de cicatrisation.
xxiv 28
438 CORDIER ET REBATTU
A part ces accidents spécifiques, l'état du malade est exactement semblable à
celui quia été noté lors du premier séjour.
Rien à signaler dans ses antécédents héréditaires et collatéraux. Ses parents
sont vivants et bien portants ainsi que deux soeurs et un frère.
Lui-même n'a eu aucune maladie dans son enfance. Il est parti à 10 ans
comme mousse et a toujours navigué depuis lors. Il eut au Canada quelques
accès de paludisme qui ne se reproduisirent pas.
A l'âge de 18 ans 1/2, il reçut dans les bourses un violent coup de pied ; il
venait de débarquer à l31o-de-Janèiro, et allait tirer une bordée avec quelques
autres matelots, lorsque, s'élant un peu éloigné, il fut brusquement assailli
par un indigène qui lui porta un coup de couteau. Il put le parer avec le bras
droit, qui porte toujours la cicatrice de la blessure, mais tandis qu'il parait
ainsi le coup de couteau, il reçut, dans la région scrotale, un violent coup de
pied qui l'étendit sans connaissance. Lorsqu'il revint à lui (au bout de 3 heu-
res, assure-t-il), il était à l'hôpital et souffrait d'une douleur très vive. Rapi-
denent le volume des bourses augmenta, tandis que le scrotum prenait une
teinte ecchymolique violacée très foncée. Il raconte qu'il fut très malade. Lors-
qu'il quitta l'hôpital après un séjour de 3 mois, le volume et la coloration des
bourses étaient redevenus normaux, le volume des testicules n'était pas sensi-
blement modifié, mais au bout de quelques mois, il constata que ses testicules
fondaieut; les testicules diminuèrent progressivement de volume, en même
temps que la verge s'atrophiait et que disparaissaient les caractères sexuels
secondaires ; le duvet qui commençait à revêtir sa lèvre supérieure, loin de
faire place à ses moustaches, disparut ; la barbe ne poussa pas ; ses aisselles se
dégarnirent de poils, et s'étant amusé un jour à se raser la région pubienne
(divertissement très en honneur chez les marins, paraît-il), les poils ne repous-
sèrent pas. Enfin ses appétits sexuels, normaux jusque-là, s'émoussèrent, et
l'éjaculation puis l'érection devinrent impossibles.
Il ne se présenta pas au conseil de revision, de peur d'être réformé pour
cette infirmité. Aussi fut-il incorporé d'office dans un régiment d'infanterie.
Mais lorsqu'on eut, 15 jours après, constaté l'atrophie de ses organes génitaux,
il fut réformé à son grand mécontentement.
Il recommença alors son existence errante de matelot. En mai 1909, il fit un
séjour de deux mois dans un hôpital de Marseille pour une lièvre typhoïde. Trois
semaines après sa sortie, il eut un étourdissement suivi de chute. Depuis, de
pareils accidents se sont renouvelés environ une fois par mois, alors qu'avant
sa typhoïde il n'avait jamais eu de crise. prévoit la chute, mais n'a pas le
temps de se retenir à un objet voisin ; il ne sait combien de temps dure la
crise, et si elle s'accompagne de mouvements convulsifs. Il lui est arrivé
d'uriner au lit sans s'en apercevoir.
A l'examen, jeune homme de haute stature (1 m. 74) ayant l'aspct d'un
adolescent de 15 ans. On est frappé par la disproportion qui existe entre la
longueur des membres et celle du tronc. Assis, il paraît d'une taille très ordi-
naire ; quand il se lève, on est étonné de la hauteur de sa taille, L'étendue de
la grande envergure est considérable. Voici d'ailleurs le résultat de quelques
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 439
mensurations, comparées à celles qu'on devrait trouver d'après Manouvrier,
chez un adulte de même taille normalement conformé : - "
z140 CORDIER ET REBATTU
OBSERVArION XVII (CORDIER et Francillon) (1) (PI. LXVII à LXIX),
(avec détails complémentaires inédits).
Homme de 35 ans, étudié à trois reprises : une première fois à l'hôpital
Saint-Potbin, ensuite à l'Hôtel-Dieu dans le service du professeur Courmont,
enfin à la clinique médicale du professeur Roque.
Cinq frères et soeurs sont morts pour des raisons indéterminées et en bas
âge ; les parents sont en bonne santé. Le malade n'a gardé le souvenir d'aucune
affection de l'enfance. Il a fait quatre ans de service militaire (trois il Greno-
])le et un à Tunis). A Grenoble il a eu deux atteintes de rhumatisme articu-
laire subaigu qui n'ont pas eu de retentissement sur son endocarde ; il a eu
la dysenterie en Tunisie ; enfin, au moment de son rapatriement il a contracté
une fièvre typhoïde grave qui fut soignée à Marseille : l'entourage nous a dit
que la maladie avait été grave, suivie d'une pleurésie et d'une longue convales-
cence ; enfin il eut de 24 à 27 ans des ganglions cervicaux peu apparents, non
suppurés. Pas d'alcoolisme net.
Avant la typhoïde, c'était un jeune homme robuste, pouvant effectuer de
lourds travaux,subissant sans peine les fatigues du métier iiiiiitair(.11 mesurait
1 m. 725 (et non 1 m. 765 comme il a été imprimé par erreur) d'après son livret
militaire qui mentionne 365 millimètres de tour de cou et 850 millimètres de
tour de poitrine sous les aisselles. Sa voix était forte et grave. Il avait une
moustache bien fournie ; une photographie prise au moment de son service
militaire et qu'il peut nous montrer en témoigne ; à cette date enfin, il était
obligé de se raser deux ou trois fois par semaine. Le pubis et les aisselles
étaient garnis de poils.
Au point de vue génital, il s'est livré à la masturbation jusqu'à )'age de
16 ans ; puis il eut un grand nombre de maîtresses ; il pouvait fournir sans
fatigue plusieurs rapports dans une nuit. A Tunis, il avait même plusieurs
maîtresses simultanément et enfin il contracta une blennorragie, mais pas de
syphilis.
Six mois après sa fièvre typhoïde, il s'aperçut que sa moustache tombait,
que sa barbe ne repoussait pas, et enfin ses poils pubiens et axillaires dispa-
rurent peu à peu. Les cheveux et les sourcils n'ont pas été frappés et il n'a
donc pu s'agir d'une alopécie post-typhique comme nous en avons décrit.C'est
cette même période que le malade s'aperçoit de la disparition progressive et
à peine sensible de ses « testicules », de la baisse de ses désirs génitaux qui
aboutit rapidement à la frigidité absolue. Dès cette époque, l'état physique est
profondément modifié, car on ne conçoit pas très bien qu'un jeune homme dans
toute sa force physique et sexuelle reste indifférent devant une impuissance
inexplicable pour lui et de ne pas même s'étonner que ses testicules s'atro-
pliaient. Les forces physiques diminuent sur le même pied et bientôt il ne peut
plus continuer son métier d'imprimeur; il devient revendeur de marché.
(1) Des circonstances imprévues ont empêché la correclion des épreuves du a Lyon
médical » du le, janvier 1911 et les fautes grossières d'impression sont nombreuses
dans la première observation publiée (présentation du 22 novembre 1910).
Nouvelle Iconographie de la SALPIRIARE.
"1", XXIV. PI. LXVI
1\IvAN'l'1LIS\(E TARDIF
Ob,. XVII
(Cas de Cordier el Frauiillnu, photographie d'.ltvil 7 ? i)
Masson & Cie, Ede ? b
"'14OUVr',LLI. ICONOGRAPIIIL DE la SAL1)ITRILRE.
T. XXIV. Pl. LXVI11
INFANTILISME TARDIF
(Cordier et Rebattu).
Obs. \V11. - Radiographie de la main. Soudure des épiphyses.
Le malade continue cependant grandir.
Masson & Cie, Editeurs
(Conillf Jo ICONOGRAPHIL DE LA SALPi IIiICRF.
T. XXIV. PI. LXIX.
INFANTILISME TARDIF
(Cordier et Rebattu) .
Obs. XVII Radiographie du cr.îne.
Masson & Cm, Éditeurs,
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 441 1
Depuis 3 à 4 ans enfin, les forces semblent avoir réapparu, il a pu porter des
fardeaux ; il a tenté chaque année d'avoir trois ou quatre rapports sexuels in-
complets ; les désirs sont revenus ; mais la vue a baissé.
Il est entré le 26 juillet 1910 à l'hôpital Sl-Pothin pour se faire arracher une
dent,et, bien qu'il ne soit pas bémophitique, il a présenté une hémorragie con-
sidérable qui a nécessité son entrée dans le service du professeur Courmont.
A ce moment ont été constatés des signes de régression infantile et des
signes de tuberculose pulmonaire au début s'accompagnant d'anorexie, de toux
nocturne, d'expectoration mucopurulente, d'amaigrissement et de température.
C'est à ce moment que le malade a été présenté à la Société Médicale des Hôpi-
taux de Lyon.
Un traitement par des extraits orchidiens et thyroïdiens associés fut pour-
suivi pendant 3 mois sans aucun succès.
Depuis le malade est parti la campagne. Mais il est revenu dans le service
du professeur Roque, où il a été examiné il nouveau en octobre et décembre
1911, c'est-à-dire dix-sept mois après sa première observation.
A l'entrée (octobre 1911) : Homme de 34 ans, qui, soit debout, soit au lit,
n'en paraît que 18. L'aspect un peu âgé qu'il avait encore il y a un an a com-
plètement disparu : on est, croirait-on, devant un adolescent. Les formes géné-
rales du corps sont plutôt féminines, avec les hanches larges et la taille plus
étroite. Les membres sont assez mal proportionnés ; étendu sur un plan résis-
tant, le malade mesure debout 1 m. 730. Or on trouve :
442 CORDIER ET REBATTU
plus que de rares plis an niveau dps tempes et du cou, et qui d'ailleurs ne
peuvent se retrouver qu'a un examen attentif. L'oedème des membres existe
uniquement aux parties déclives et encore est-il fugace. La pigmentation
anormale de la face s'est maintenue ; mais il n'est pas apparu de taches jugales
ou buccales : cette hypeMiromie. donne une couche brunâtre uniforme sur
tout le visage, créant un masque foncé qui ne respecte que la région orbitaire,
mais que la photographie a difficilement pu rendre. La raie de Sergent est très
nette sur l'abdomen. Il y a encore quelques cicatrices byperpigmentées.
Les organes génitaux sont très modifiés ; la verge, qui était de dimensions à
peu près normales au premier séjour,s'est atrophiée depuis un an.Mais le scro-
tum, jadis de dimension normale, est de la taille de celui d'un enfant impubère
et ne contient que deux testicules mous, indolores il la pression et de la taille
d'une noisette. Le malade a prétendu, mais il tort, qu'il avait encore des érec-
tions : en tout cas, depuis un an il n'a eu aucune émission de liquide prostati-
que ou séminal : le massage de la région des vésicules séminales n'a rien fait
sourdre et n'a pas provoqué de filaments dans l'urine; la prostate n'a pas été
perceptible au toucher.
L'étal mental est très modifié : a) On constate des troubles de la mémoire
pour tous les événements de la vie sociale du sujet qui se rattachent à celte
dernière période de dix années : la date de la typhoïde, la ville où elle fut
traitée, la façon dont on le fit, les suites immédiates, tout est confus. Pour les
événements plus récents, même incertitude. Un constate enfin une grande len-
teur des réponses lorsqu'on interroge sur des faits précis courants (histoire,
vie politique).
b) L'indillérence anormale pour sa maladie est frappante; la fonte de ses
testicules, la disparition de ses appétits sexuels et de ses poils ne lui sont pas
matière à plaisanterie plus qu'à regret.
c) Il est devenu querelleur, discutant de tout, envieux de ses voisins ; et
peureux comme un enfant, à l'occasion de la prise d'une goutte de sang ou d'un
examen radiographique.
d) Il n'y a ni délire, ni troubles de la lecture ou de l'écriture ; la parole est
un peu lente, la voix jeune (mais ni enfantine ni féminine).
Le corps thyroïde n'est pas perçu à la palpation, mais ce signe n'a pas
beaucoup de valeur; d'autre part, il n'y a ni myxoedème vrai, ni ichthyose ; à
peine peut-on relever un peu de frilosité : la faiblesse générale, d'ailleurs sans
apathie, est bien facilement rattachable à la tuberculose pulmonaire en évo-
lution.
Les surrénales sont-elles en cause ? L'hyperpigmentation de la face, la pré-
sence de la raie de Sergent, la faible pression artérielle (85 mm. au Recklin-
ghausen) en semblent des preuves suffisantes. .
Le rôle de l'hypophyse est plus intéressant : disons d'abord que le malade
n'a pas d'hémiall()ple et que la radiographie de son crâne n'a pas montré de
selle turcique anormale (voir le cliché). D autre part, lorsque le malade est de-
bout, il présente une. légère cyphoscoliose qui gène la mensuration au point que
l'on pourrait croire que sa taille a plutôt diminué depuis le service militaire,
T.'INF1TTILIS\Ils nIGRHSS1F OU TARDIF 43
passant de 1 m. 725 à 1 m.715.. C'est là la mensuration que nous avions faite
il son premier séjour. Mais en prenant ses dimensions sur un plan horizontal
rigide, à quinze mois d'intervalle, nous avons pu constater que sa grandeur
réelle qui étaitde 1 m. 735 a passé il 1 m. 760, et que debout il mesure encore
1 m. 730.11 est donc certain qu'il a grandi depuis son service militaire, et bien
plus certain encore qu'il a grandi dans ces dix-sept derniers mois. Il est proba-
ble que cet accroissement s'est fait au niveau des membres qui, d'après les
chiffres donnés plus haut, sont nettement disproportionnés. L'envergure des
mains ne manifeste pas d'acromégalie plns que la taille du pied.Enfin le massif
facial tout entier s'est atrophié, aplati. Pas d'ostéomalacie, pas de signe de
Laszko. La radiographie des membres a montré des cartilages soudés (voir la
planche) et une structure osseuse normale.
Le système ne> veux est normal par ses réflexes et parla recherche de la
sensibilité : l'oeil droit a une petite tache cornéenne et une lésion ancienne de
l'iris qui l'a laissé un peu déformé. Pond d'oeil normal. Champ visuel normal.
Pas de dyschromatopsie (Examen obligeant du Dr Genet, chef de clinique oph-
talmologique). 1 -
Urines sans sucre ni albumine; élimination régulière du bleu de 25 minu-
tes à 36 heures. Taux d'urée normal. Glycosurie alimentaire et glycosurie
phloridiqne normales.
Le ceellr n'offre rien d'anormal.
Aux poumons, signes bilatéraux et antéro-postérieurs de tuberculose ulcé-
reuse en évolution (caverne au sommet droit), de pleurésie en voie de dispari-
tion à la base gauche. Ces signes ne sont apparus que depuis septembre 1910 et
s'accompagnent d'une fièvre modérée, d'anorexie, d'amaigrissement et de toux.
Les crachats nummulaires renferment des bacilles de Koch nombreux.
Le tube digestif, à part quelques troubles fonctionnels en rapport avec les
lésions pulmonaires, n'offre rien d'anormal. En particulier la rate et le foie ne
sont pas accessibles à la palpation.
Le sang a été examiné en juillet 1910 et en octobre 1911,.11 Il donne les ré-
sultats suivants :
444 CORDIER ET REBATTU
En examinant le malade que nous a présenté M. Cordier daus la précédente
séance, j'ai revu trait pour trait plusieurs sujets dont l'observation est restée
dans ma mémoire et dans mes notes. Voici l'exemple le plus typique :
Il y a quatre ans, je voyais entrer dans mon cabinet un homme de trente
ans environ, d'une pâleur d'anémie grave, l'air vieillot, imberbe, le cuir che-
velu semé de vastes plaques d'alopécie. Il me raconta ainsi son histoire. Cinq
ans auparavant, il s'était mis assez brusquement à pâlir, perdre ses forces et
son embonpoint, à maigrir rapidement de 13 kilogs. Ce fléchissement de l'état
général avait débuté par des malaises d'apparence grippale ayant nécessité
pendant trois semaines le séjour au lit, et accompagnés de douleur et de gon-
flement dans plusieurs articulations. La convalescence s'éternisa, et rapide-
ment il perdit sa barbe, ses cheveux, les poils du pubis, des aisselles. En
même temps il constata une espèce de boursouflement général, sa peau deve-
nait grasse, infiltrée, surtout au niveau des seins, lui donnant un aspect de
féminisme dont il se rendait très bien compte. Parallèlement, ses testicules
s'atrophiaient ainsi que la verge, tandis que les érections et les désirs véné-
riens déclinaient de plus en plus. Vers le huitième mois, l'état général était
alarmant, la faiblesse extrême. Puis une certaine amélioration survint pour
aboutir à la situation encore cachectique et précaire dans laquelle il se présen-
tait à moi.-
L'examen me montrait un individu pâle (3.636.000 hématies), à la fois sé-
nile et infantile d'aspect cyphotique, glabre d'une façon généralisée, avec une
peau myxoedémateuse et des testicules de la grosseur d'une petite noisette.
Thyroïde absente à la palpation. Pas de céphalalgie, pas d'albuminurie, pas de
glycosurie.
Mais ce qui faisait le principal intérêt, de l'observation, c'était l'association
de signes hypophysaires. Le malade que nous a présenté M. Cordier ne pré-
sentait à ce point de vue qu'une diminution de la taille interprétée dans ce
sens. Le mien avait des troubles visuels remontant environ au huitième mois
de la maladie, assez accentués pour l'empêcher de lire et presque de se con-
duire, améliorés quand je le vis et relevant nettement d'une hémianopsie bitem-
porale, constatée par M. Jacqueau au campimètre, et attribuée par lui à une
lésion du chiasma.
Mis en éveil par ce symptôme, je cherchai du côté acromégalie ; je ne cons-
tatai ni céphalée, ni glycosurie, ni hypertrophie du massif osseux de la face ;
mais il y avait de la cyphoscoliose, et surtout des extrémités massives, des
doigs boudinés, des mains en battoirs. Interrogé, le malade fut très affirmatif ;
il avait été obligé d'augmenter la pointure de ses chaussures et de ses gants.
Depuis quatre ans ce malade vient me voir deux ou trois fois par an ; arse-
nic, fer, opothérapie hypophysaire et thyroïdienne ont été mis en oeuvre. Il
s'est amélioré sensiblement au point de vue anémie, faiblesse, alopécie du cuir
chevelu- et même oculaire, l'examen campimétrique relevant un peu d'exten-
sion du champ visuel.
J'ai dans mes souvenirs un cas bien plus indiscutable, puisque je connais-
sais le sujet depuis l'enfance. A 35 ans, il fit une grippe dont il sortit vieillard,
épilê, anémique.
L'INFANTILISME RÉGRESSIF OU TARDIF 445
Il y a dix ans de cela, et il vit encore, ou plutôt il se survit, frileux,
recroquevillé, au coin du feu, indifférent, répondant à peine avec une voix
eunuchoïde aux questions qu'on lui pose. Or ce malade m'avait donné dès son
enfance une impression particulière d'organisme plus ou moins avorté.
Observation XIX (GANDY, III, résumée).
Homme de 42 ans; 3 ans de service militaire ; a eu de deux mariages suc-
cessifs 3 enfants; vers l'âge de 30 ans, chute de la barbe et de la moustache,
des poils du pubis et des aisselles; à 32 ans, orchite blennorragique ; les
organes génitaux s'atrophient, l'impuissance apparaît; à 39 ans, il y a de la
bouffissure du visage ; il présente depuis huit mois des signes de tuberculose
pulmonaire.
Il est difficile de donner un âge à cet homme de 42 ans ; le teint est pâle,
d'un jaune cireux particulier ; la peau est sèche et finement plissée de rides
parallèles; la moustache est très raréfiée ; quelques rares poils courts au men-
ton ; le pubis ne porte que quelques poils courts et lins, les aisselles sont
complètement disparues.
Atrophie remarquable des organes génitaux ; les testicules ont le volume
d'une petite noix ; la verge est réduite dans toutes ses dimensions, les réflexes
crémastérieus sont abolis ; pas d'éjaculations, éreclions incomplètes très rares,
tentatives infructueuses de coït.
L'intelligence est peu modifiée; la mémoire est légèrement affaiblie.
On ne sent aucune trace de glande au palper thyroïdien; l'adiposité légère
a disparu; apathie marquée; frilosité.
Les mamelons sont dépigmentés ainsi que la région génitale ; le pouls à 68,
la tension 12 (au Potain). Pas de troubles du squelette.
Légère diminution de l'acuité visuelle : ni polydypsie, ni polyurie, urines
normales.
Observation XX (Cordier, inédite).
Homme de 29 ans; ses parents et sou frère sont bien portants; dans son
enfance, pas d'autre maladie infectieuse qu'une rougeole bénigne ; à 16 ans,
fracture de jambe assez mal consolidée (cal exubérant).A 21 ans, service mili-
taire dans les chasseurs alpins. Après deux ans, il est nommé sergent. Il porte
le bouc (habituel dans ce corps de troupe), bien fourni d'après la photogra-
phie qu'il présente.
A 25 ans, il se marie et a un enfant l'année suivante. Traumatisme des
testicules à 25 ans 1/2. C'est à 26 ans 1/2 qu'il voit survenir ses premières
modifications; sa moustache tombe et sa barbe (qu'il tenait raqée depuis son re-
tour au régiment) ne repousse pas, et il n'est plus obligé de se raser que
toutes les deux semaines : il s'en inquiète, consulte et on lui parle de pelade ;
c'est pour cette affection d'ailleurs qu'il est soigné depuis deux ans et qu'il est
revu. .
C'est à peu près à la même époque que ses rapports sexuels s'espacent, parce
446 CORDIER ET rebattu
que ses désirs tombent et sont moins fréquents ; pourtant il a les mêmes sen-
timents affectifs pour sa femme, il s'étonne de cette anomalie. On lui donne des
fortifiants qui n'ont d'ailleurs aucun effet; il va même jusqu'à prendre de la
cantharide qui agit. A 28 ans, c'est-à-dire l'an dernier, ses désirs s'espacent
de plus en plus, pour devenir tout à fait intermittents et ne lui permettre de
coïts que tous les mois à peu près; il ne s'inquiète qu'à un seul moment de
l'état de ses testicules : c'est en décembre 1907, où au cours d'une glissade sur
la neige, il tomba à cheval sur une pièce de bois, ressentit une vive douleur et
s'aperçut que les jours suivants sou scrotnm était violacé. Toutefois il put con-
tinuer son travail et peu après ses rapports.
Depuis un an, l'état est à peu près le même.
A l'exa.nen. Homme semblant vigoureux, sans surcharge graisseuse; le
visage est un peu pâle, sans décoloration des muqueuses ; la face n'est ni bouffie
ni ridée ; par l'absence des poils de la moustache et de la barbe (qui est réduite
à quelques poils décolorés qu'il ne rase môme plus), elle donne l'impression
du visage d'un adolescent de 18 ans encore impubère : les sourcils et les cils
sont à peu près intacts ; les cheveux sont peu abondants, mais sans aller jus-
qu'au clairsèmement; ils sont raides et un peu cassants : leur bulbe n'est mi-
croscopiquement pas atrophié. Les poils des aisselles sont totalement absents
ainsi que les vibrisses. Le pénil a encore quelques poils, minces, duveteux,
mais assez longs et frisés, alors que jadis le malade avait une toison abondante
remontant jusqu'à l'ombilic; l'anus et le périnée sontglabres, comme les mem-
bres, jadis velus modérément. En nul point du corps, il n'y a de surcharge
graisseuse ou pigmentaire ou d'oedème.
Les 01 ganes 9p.n/tallx sont modifiés ; la verge semble à peu près normale de
consistance et d'aspect; mais en érection, elle est parait-il beaucoup moins
volumineuse qu'auparavant. Le scrotum n'est pas atrophié; mais il est mou,
et ne contient plus que des glandes molles, en filasse, indolores à la pression,
ayant le volume d'une grosse noisette ; l'épididyme est perçu isolément d'une
façon curieusement nette et il ne semble pas atrophié ; les cordons ne laissent
percevoir que leurs vaisseaux : la prostate passe inaperçue au toucher. Actuel-
lement, le malade n'a plus guère qu'une érection par mois ; il la provoque,
essaie un coït, incomplet en général, et qui ne semble pas suivi d'émission
spermatique : nous n'avons pu examiner le liquide rejeté. Les désirs propre-
ment dits ont disparu. Il est difficile au premier abord de s'en rendre
compte, le patient ayant conservé à sa femme toute son affection, et confond
volontiers les deux sentiments. Mais sa femme dit très nettement la diffé-
rence qu'elle y voit.
L'intelligence ne semble pas touchée : ses fonctions bureaucratiques sont
toujours remplies avec la même régularité et l'initiative qui lui est permise
augmente par la confiance progressive de ses patrons. Mais il est singulièrement
indifférent à sa déchéance sexuelle, même devant les témoignages attristés de
sa femme : il n'y a ni apathie,ni paresse de la mémoire ou de la voix qui ne s'est
pas modifiée.
Le corps thyroïde ne semble pas atrophié 1 la palpation : il n'y a pas d'in-
l'infantilisme RÉGRESSIF OU TARDIF 447
différence, de tcrpeur, de perte des forces, de crampes; on ne trouve pas
d'ichthyose, et s'il y a de la frilosité, ce sont les questions très pressantes
qui y font penser le malade.
Pas de pigmentation addisonienne, la tension est de 130 au Riva Itocci, le
coeur régulier; la taille n'a pas changé (1 m. 65) depuis le régiment ; les mains
et les pieds ne sont pas mortifiés (même pointure) ; le crâne est normal ; la
vision intacte (sans hémianopsie) comme les autres sens ; la sensibilité parfaite
et les réflexes conservés aux membres et aux yeux.
Le tube digestif fonctionne parfaitement ; les poumons ne présentent sub-
jectivement aucun signe anormal et en particulier de tuberculose; la tempé-
rature est à 37 ? le foie et la rate ne sont pas perçus ; les urines sans sucre
ni alumine. Le sang (examiné seulement sur lames sèches) présente une for-
mule leucocytaire normale.
Des photographies ou radiographies n'ont pu être faites.
Un traitement opothérapique orcbidien a été entrepris le 20 septembre 1911,
date de l'examen.
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448 CORDIER ET REBATTU
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INSUFFISANCE PLURIGLANDULAIRE INTERNE
TI1YR0-TESTICUL0- SURRÉNALE
NOUVELLE OBSERVATION CLINIQUE ET ANATOMIQUE.
Par MM,
Ii. GOUGEROT et A. GY
Professeur agrégé Chef de clinique
à la Faculté de Médecine de Paris.
Le syndrome d'insuffisancepluriglandulaire thyro-testiculo-surrénale a
été individualisé par Claude et Gougerot en 1907 et il servit àces auteurs
pour donner la démonstration clinique et anatomique de l'existence des
syndromes d'insuffisance pluriglandulaire.
« Sous le nom d'insuffisance pluriglandulaire interne (endocrinienne),
il faut comprendre tous les syndromes cliniques dus à l'insuffisance asso-
ciée de plusieurs glandes à sécrétion interne : thyroïde, testicules, surré-
nales, hypophyse, etc.... Jusqu'ici on n'avait décrit que des syndromes
d'insuffisance d'une glande à sécrétion interne déterminée : myxoedème
par hypothyroïdie, maladie d'Addison par hypoépinéphrie chronique
avec atteinte du plexus solaire, syndrome d'hypoépinéphrie aiguë, acro-
mégalie par dyshypophysie, etc. Des observations nouvelles nous sem-
blent prouver que plusieurs glandes à sécrétion interne peuvent être frap-
pées simultanément ou successivement par une même cause ou par des
causes différentes chez un même individu. De l'association de ces diver-
ses insuffisances résulte chez un malade un syndrome complexe d'insuf-
fisance pluriglandulaire où l'on retrouve mêlés les signes plus ou moins
évidents, individualisés dans les cas schématiques d'insuffisance de
chacune de ces glandes.
« Les associations étant multiples et à des degrés divers, on conçoit
qu'il n'y ait pas un syndrome d'insuffisance pluriglandulaire, mais toute
une série de syndromes d'insuffisance pluriglandulaire variables suivant
le nombre de glandes atteintes, suivant le degré de la lésion de chacune
d'elles » (clade et Gougerot).
La démonstration clinique et anatomique de cetteconception a été donnée
pour la première fois dans la note de Claude et Gougerot à la Société de
450 GOUGEROT ET GY
Biologie en 1907, à propos d'une observation où ce syndrome était de
toute évidence : insuffisance thyroïdienne, testiculaire et surrénale (1).
Elle a été développée dans deux Mémoires des mêmes auteurs (2) parus
dans le « Journal de physiologie et de pathologie générale »en mai 1908.
« Le premier détaillait l'histoire clinique de ce syndrome, et insistait sur
la multiplicité des syndromes pluriglandulaires, les classait et ennuierait
les facteurs de variabilité. Le second résumait l'étude anatomique et his-
tologique, montrait la multiplicité des atteintes glandulaires. Il fixait la
pathogénie de ces syndromes : faiblesse acquise ou congénitale du système
endocrinien ; il précisait l'étiologie infectieuse de ces lésions : tubercn-
lose dans notre cas, syphilis dans d'autres.
« Déjà plusieurs auteurs : Collin, Rumpell, 1896 ; Dalché, 1902;
Djemil-Pacha, 1903 ; Sainton et Dupré, -190 ; Galliard, 1906; Achard
et Démanche, 4906 ; Brissaud et Bauer, 1907 et surtout Gandy, 1906,
avaient signalé quelques cas cliniquement semblables, mais ces auteurs
les avaient interprétés dans un sens différent; ils plaçaient au premier
plan l'insuffisance d'une des glandes, le plus souvent la thyroïde, et met-
taient sous sa dépendance l'insuffisance des autres glandes. Si les faits ne
sont pas nouveaux, la conception de l'insuffisance pluriglandulaire endo-
crinienne est donc nouvelle » ; elle est de grande importance pratique,
car elle commande un traitement opothérapique mixte pluriglandulaire
dont Renon et Arthur Delille ont montré tout l'intérêt.
« Celte interprétation des faits n'est pas celle, avons-nous dit avec
M. Claude, des auteurs qui publièrent les premiers cas de cet ordre; il
nous a donc fallu, dans un troisième Mémoire (3), justifier la conception
de l'insuffisance pluriglandulaire, discuter les théories que cette concep-
tion veut remplacer, préciser ce qu'on doit entendre par myxoedème,
états hypothyroïJiens sans myxoedètne, infantilisme, en conservant à
chaque mot son sens primitif. »
Ce syndrome thyroïdo-testiculo-surrénal n'est qu'un cas parmi le vaste
groupe des insuffisances pluriglandulaires, et dès leurs premiers mémoi-
res Claude et Gougerot en citaient des exemples pris parmi les observations
anciennes. Ils signalaient encore l'existence de syndrome pluriglandulaire
complexe, mélange d'insuffisance, d'hyperfonctionnemenl et dysfonc-
tionnement glandulaires : sur la même malade, on notait, en effet, du
(1) CLAUDE et Gougerot, Insuffisance pluriglaniulabe endocrinienne, Soc. Biol.,
28 déc. 1907.
t2 CLAUDE et Gougerot, Insut finance ]1l", {glandulaire endocrinienne. Individualisa-
tion clinique -.la, mémoire) : Confirmation analomique des faits cliniques : observations
anatomique et Itis/uloyi'lue 2' mémoire), Journal de physiologie et pathologie géné-
rale, n° 3, mai 1908, p. 469 et 505 (9 fleures).
(3) CLAUDE et GourEROT, Les syndromes d'insuffisance pluriglandulaire leur place
en nosographie, Revue de Médecine, nos 10 et il, oct. et nov. 1908, p. 861 et 950.
INSUFFISANCE l'LURIGLANDULAIRE INTERNE 4SI
myxoedème et du goitre exophtalmique, de l'hypo-ovarie et peut-être des
troubles surrénaux.
Ce sont donc Claude et Gougerot qui ont les premiers donné la preuve
anatomo-clinique de ces syndromes pluriglandulaires. Déjà J. Rénon et
Arthur Delille, par deux guérisons à la suite (l'opothérapie combinée, en
avaient donné la preuve thérapeutique (I). Peu après ils publiaient des
cas de même ordre et vulgarisaient la valeur thérapeutique del opothéra-
pie combinée (2-3).
La conception nouvelle a fait fortune : les travaux sur ce sujet se mul-
tiplient chaque jour. Cette conception, inconnue avant 1907, semble
aujourd'hui si naturelle que beaucoup croient qu'elle a toujours été connue
et ne citent même pas les premiers travaux qui l'ont individualisée et dé-
montrée. N'est-ce pas là la meilleure preuve de succès ?
On a aussitôt cherché dans cette conception nouvelle l'explication de
syndromes à pathogénie obscure.Sicard avec Roussy, puis avecBercowitch
interprète le syndrome de Dercum comme un syndrome d'insuffisance plu-
riglandulaire ovaro thyroïdienne, ce que confirme Rénon.
Raymond et Claude pensent qu'un syndrome pluriglandulaire associé
à l'lypo-épipltysie peut expliquer l'adipose, le développement anormal de
tout l'individu et surtout des organes génitaux chez les enfants présentant
des signes d'hypertension crânienne (4).
Sous des titres plus ou moins explicites, plusieurs observations d'insuf-
fisance pluriglandulaire sont publiées par Sainton et Rathery z), etc.
Les observations deviennent si nombreuses qu'on ne peut les citer tou-
tes. L'un de nous résumait récemment deux observations nouvelles (6) : la
première donne la preuve d'une variété nouvelle de syndrome pluriglan-
dulaire : syndrome de Mickulicz (ou hypertrophie lacrymo-parotidienne)
avec insuffisance ovaro-thyroïdo-surrénale, ce que confirment les observa-
lions de Apert et Dalché, publiées dans la thèse de Berthon, le deuxième
syndrome de Dercum avec pigmentation buccale et hypertension artérielle
(1) Renom et Anrwa DRLILLB, De l'utilité d'associer les médications opollaérapiquea,
Sociéte de Iherapeulique, 12 juin 1907, p. 269.
(2) Rénon. Les syndromes polygtandulaires et l'opothérapie associée, Journal des Pra-
ticiens, n° 30, 25 juillet 1908, p. 465.
(3) Louis Rénon et Arthur DELILLE, Insuffisance thyro-ovarienne et hyperactivite hy-
pophysaire (troubles acroméyaliques). Amélioration par l'opothérapie rhyro-ovarienne,
augmentation de l'acromégalie par la médication hypophysaire, Soc. méd. des h8p.,
19 juin 1908.
(4) P. Sainton et Hathey, Myxoe¡fp>11c et tumeur de l'hypophyse. Contribution à l'é-
tude des insuffisances pluriglamtulaires. Soc. méd. des hop., 8 mai 1908, p. 647.
(5)Rnrxovv et CLAUDE, Les tumeurs de la glande pinéale chez l'enfant, Acad. de
méd., 15 mars 1910.
(6) Uoucenor, Syndromes pluriglandulaires Une variété nouvelle : syndrome de Mic-
tmlicz avec hypoovane hypo-thyroïdie et hypo-épinéphrite, Paris médical, 1911.
452 GOUGEROT ET GY
laisse supposer (mais sans en donner la preuve) une insuffisance thyroïdo-
testiculaireavec hyperépinéphrie.
« En résumé, cette conception des syndromes pluriglandulaires éclaire
nombre de faits restés obscurs ; elle permet d'ouvrir un nouveau chapitre
déjà riche de faits dans la pathologie des glandes vasculaires internes » ;
elle permet surtout de classer exactement nombre d'observations qui ne
pouvaient, sans les forcer, entrer dans les cadres anciens.
L'observation que nous résumons ici est un nouvel exemple d'insuffi-
sance pluriglandulaire interne thyroïdo-testiculo-surrénale. Elle semble
calquée sur celle de Claude et Gougerot, publiée en 1907-1908. L'évo-
lution a été identique ; le malade avait le même habitus, le même faciès ;
les ressemblances cliniques sont si frappantes qu'on pourrait confondre
les deux observations (1) et que le diagnostic fut posé dès que nous vîmes
le malade. Les lésions anatomiques, macroscopiques et microscopiques
sont superposables chez les deux malades. Chez tous deux on retrouve la
même éliologie bacillaire, la même apparition des phénomènes à la suite
d'une affection aiguè ..
Cette nouvelle observation pourrait servir à justifier toutes les critiques
et appuyer les conceptions des trois mémoires de Claude et Gougerot, elle
apporte confirmation à toutes leurs conclusions; elle montre la fréquence
relative de ce type si net et si particulier d'insuffisance tllyroïdo-testiculo-
surrénale, dont ils ont donné la preuve anatomo-clinique.
Nouvelle OBSERVATION ANATI,fO clinique d'insuffisance PLURIGLANDULA1RE
interne TLIYRUïDO-TE·TICULU-sURRÉNALE (Pl. LXX).
Les insuffisances associées de la thyroïde, des testicules, des surrénales
furent diagnostiquées pendant la vie et vérifiées à l'autopsie ; celle-ci révéla
encore des lésions de l'hypophyse, du pancréas, du rein. L'observation est
démonstrative, car l'observation clinique a été suivie de longs mois et l'autopsie
a pu être complète.
Cet homme a été vigoureux jusqu'en 1904, peut-être pourtant était-il déjà
entaché de tuberculose, car il souffrait de bronchites et d'un lupus facial.
En 1 ! JO, survint une infection aiguë indéterminée.
A la suite de la convalescence de cette infection qui parait avoir été fort
grave, il note une asthénie progressive et rapide, un état épais du tégument
qui prend une teinte jauue, la chute de la barbe, des moustaches, des poils
(1) En voyant le deuxième m tlade, nous avons cru revoir le premier, les photographies
des deux malades sont presque impossibles à différencier.
NOUVFLLE Iconographie DE la SALPLTRIL`RE.
T. XXIV. l'1. LXX
INSUFFISANCE PLURIGLANDULAIRE
'1 h\To-testiculo-surréndle
(Gougerot el Gy).
INSUFFISANCE PLURIGLANDULAIRE INTERNE 453
axillaires et pubiens, tous symptômes qui joints à la torpeur psychique et phy-
sique, à la cryesthésie affirment l'hypothyroïdie ; à la palpation, le corps thy-
roïde paraît atrophié. Hypothyroïdie, mais non myxoedème car le facies est
amaigri, vieillot, ridé et jamais il n'a été bouffi d'infiltration mucoïde qui est la
définition môme du myxoedème.
En môme temps le malade se plaint d'une abolition des fonctions génitales :
la disparition des caractères sexuels secondaires, l'atrophie des testicules et
des organes génitaux externes indiquent l'hyporchidie. Atrophie des organes
génitaux mais non infantilisme, car il ne présente ni la complexion ni l'aspect
du visage d'un infantile, la ligure était au contraire ridée et vieillote.
Enfin dans les derniers mois, apparurent la pigmentation et une hypoten-
sion artérielle qui traduisaient les lésions des surrénales.
L'évolution a été lente et insidieuse.
Le malade atteint de spondylose rhizomélique progressive se cachectisait de
plus en plus, il mourut de pneumonie le 19 décembre 1908. Les traitements
opothérapiques mixtes méthodiquement institués avaient été impuissants à
arrêter la marche de la maladie.
Gi..., S2 ans, porteur aux Halles, entre le 30 mai 1908 dans le service du
professeur Brissaud, salle Saint-Charles, n° 12.
Il vient à l'Hôtel-Dieu parce qu'il est faible, et marche difficilement... Vieil
habitué des salles d'hôpital, il passe d'un service dans l'autre, et après quel-
ques jours de repos on le renvoie, croyant qu'il exagère son état de faiblesse.
Histoire de la maladie. C'était autrefois un homme fort et vigoureux
porteur aux Halles, se vantant « d'aimer les femmes », mais qui, dit-il, était
« peu poilu ».
Le début des accidents remonte en 1904 il y a 4 ans. Au milieu de l'hiver
1904 il a été atteint d'une alfection difficile à cataloguer ; il a eu de la fièvre,
et il a souffert de partout, dans les lombes, dans les membres inférieurs ; les
douleurs abdominales s'accompagnaient de vomissements ; cette maladie sem-
ble avoir été grave ; car il dit ne pas s'être rendu compte de son état et il est
resté obnubilé pendant plusieurs jours ; il affirme qu'il n'avait pas d'oedème
des jambes et il a entendu dire qu'il n'avait pas d'albumine. On ne sait si cette
maladie aiguë s'est localisée sur la thyroïde, ou sur les testicules. Le malade
ne se rappelle aucun trouble ni du côté du cou, ni du côté des bourses ; il
est resté ainsi 2 mois 1/2 à l'HOtel-Dieu annexe.
A sa sortie de l'hôpital, en février il, il a repris ses occupations de porteur
aux Halles, mais ses forces étaient diminuées ; il ne pouvait plus porter les mê-
mes fardeaux. Alors qu'autrefois il soulevait des charges de 120 kilogs, à peine
lève-t-il et avec difficulté GO à 70 kilogs. Malgré cette faiblesse, l'état général
n'était pas mauvais. L'appétit était conservé.
Il a eu à ce moment une crise de polydipsie qui duraune quinzaine de jours ;
il buvait plus de trois litres de tisane par nuit sans apaiser sa soif. Peu à peu
ce symptôme disparut.
l ' Il remarqua vers la même date une frigidité qui n'a fait que s'accentuer.
\ ".N 1 v 20
454 GOUGEROT ET GY
Alors qu'autrefois et depuis de 17 ans,il avait des rapports sexuels 2 il 3 fois
par semaine, il vit les désirs devenir d'abord moins fréquents : les réactions
provoquées s'accompagnaient encore de sensations voluptueuses mais elles
n'étaient pas suivies d'éjaculation. Puis, en quelques semaines, elles devinrent
de plus en plus rares et cessèrent complètement.. Depuis sa maladie de 1904,
il n'a eu aucun rapport sexuel.
Peu à peu son teint se modifie et jaunit, les poils de la barbe deviennent
plus rares, mais les cheveux restent aussi abondants; les poils des aisselles et
du pubis tombent presque complètement. Tous ces symptômes : faiblesse, frigi-
dité, chute de poils, modification du teint ne datent que de la maladie de 1904.
Ces troubles ne font que s'accentuer dans les années qui suivent. Aussi en
1907 et en 1908, doit-il faire plusieurs séjours à l'hôpital ; il entre dans le
service du Professeur Ballet en juillet 1907, le traitement thyroïdien institué
et surveillé par M. Sicard n'a aucun effet. Eu janvier 1908, il entre salle Saint-
Charles, dans le service du Professeur Brissaud, on le traite incidemment
pour un petit lupus siégeant sur l'aile droite du nez, qui ne daterait que de
6 mois. Entre temps, il a un érysipèle de la face qui, récidive 3 mois après.
Son état était alors sensiblement identique à celui qu'il présente actuellement.
Après un séjour de 3 mois dans le service il est envoyé à l'asile de convales-
cence de Vincennes ; il y prend froid et contracte une pneumonie droite. A sa
sortie de Vincennes, il essaie de reprendre ses occupations, mais il en est
incapable, il est recueilli par des amis et peu à peu, voyant que son état ne
s'améliore pas, il rentre de nouveau dans le service du Professeur Brissaud, le
30 mai 1908.
En résumé, cet homme a été vigoureux et normal jusqu'en 1904. Il est
alors atteint d'une infection aiguë, indéterminée. Immédiatement après, s'ins-
tallent une asthénie, des troubles d'impuissance sexuelle, des modifications des
téguments et du système pileux qui n'ont fait que s'accentuer jusqu'à la date
actuelle. Le malade est en même temps un tuberculeux, ainsi qu'en témoigne
un lupus nasal. Deux érysipèles et une pneumonie sont survenus alors que
tous les accidents étaient constitués, ils ne semblent pas avoir aggravé la mar-
che de la maladie.
Etat en mai 1908 (1). - C'est un homme voûté, qui marche difficilement,
courbé eu avant, la tète relevée, car il présente une spondylose rhizoméli-
que commençante.
Il est amaigri ; son facies est pâle, jaune cireux ; il a l'aspect vieillot, les
trails sont uu peu empâtés et pourtant il n'existe aucune bouffissure, les pau-
pières sont délicatement plissées, le nez est massif et la peau il ce niveau sem-
ble un peu tendue et épaissie ; le front est plissé, les yeux grand ouverts et
la bouche entr'ouverte; les lèvres sont un peu épaisses. Alors que les cheveux
grisonnants, sont restés drus et bien fournis, tout le système pileux facial est
touché, les sourcils sont très clairsemés et font défaut il la partie externe, les
(1) Le malade a été présenté en collaboration avec notre regretté Mattre le Profes-
seur Brissaud à la Société de neurologie en juin 1908.
INSUFFISANCE PLURIGLANDULAIRE INTERNE 455
cils sont rares, la moustache est formée de poils peu serrés, rigides et gros.
La barbe elle-même est mal fournie, les poils en sont très clairsemés et mau-
quent presque complètement à la partie médiane. Le malade fait spontané-
ment remarquer que sa barbe rasée ue repousse que très lentement. Les dents
sont légèrement déchaussées, enfin le front est pigmenté. L'ensemble de la
figure est inerte, le regard est sans expression, la parole assez lente sur un
ton dolent et monotone. -
Le cou, le tronc et les membres sont un peu amaigris : la peau est lisse,
semble un peu épaissie et blafarde. L'absence de poils sur le tronc, aux
aisselles et au pubis frappe immédiatement, ainsi que l'aspect atrophié de la
verge et des bourses. Les mains et les pieds sont légèrement pigmentés, la
peau du dos du pied est tendue presque d'aspect sclérodermique et sillonnée
d'une traînée chéloïdienne, due à la blessure d'un sabot.
Le cou est amaigri et l'exploration minutieuse de la région thyroïdienne ne
permet pas de sentir l'itlrsme et les lobes latéraux du corps thyroïde. La pal-
pation des bourses montre que les testicules sont atrophiés.
Le malade qui, autrefois, était prompt au travail, se plaint d'être fatigué au
moindre effort, il reste apathique et indolent, ses mouvements sont rares et
lents. Il réagit mal aux excitations extérieures, il sént à peine les mouches qui
couvrent son visage et ne prend pas la peine de les chasser. Il se plaint de
vives douleurs dans les lombes et dans les jambes ; bien qu'on soit en plein
été, il a constamment froid. L'asthénie est très prononcée, l'impuissance géni-
tale est absolue, il n'a plus ni désir ni érection.
On ne trouve pas de troubles de la motilité, pas de troubles de la sensibilité,
sauf une paresse de la sensibilité. Pas de troubles des réflexes moteurs et sen-
sitifs, pas de troubles sensoriels ni pupillaires. Les réactions électriques sont
normales.
L'examen des viscères montre au sommet gauche une respiration faible avec
quelques craquements secs à la partie interne de la fosse sous-épineuse. Ces
lésions pulmonaires, un petit lupus facial, affirment l'existence de tuberculose.
Au coeur, on note un bruit de galop, sans souffles orificiels ; les artères ne
sont ni dures, ni flexueuses, la tension artérielle est à 12°, le pouls est à 75.
Il n'y a pas de troubles des fonctions gastro-intestinales et l'appétit est conservé.
Les urines de quantité normale ne renferment ni sucre, ni albumine.
Antécédents héréditaires et personnels. Il n'a connu ni son père ni sa
mère qui est morte lorsqu'il n'avait que 14 mois.
Il a eu la fièvre typhoïde à l'âge de 20 ans.
Ajourné d'abord pour faiblesse de constitution, il a fait ensuite 3 aus de ser-
vice militaire, contractant une blennorragie qui n'a pas eu de suite ; il ne
semble pas avoir eu la syphilis dont on ne trouve aucun stigmate, il ne sem-
ble pas être entaché d'alcoolisme, il ne buvait qu'un litre de vin par jour. Il ne
fume- pas. Il est tuberculeux ainsi qu'en témoignent un lupus du nez et les
lésions du sommet. .
Evolution. - Le traitement thyroïdien avec ou sans adjonction d'extraits
testiculaires et surrénaux fut institué il plusieurs reprises sans succès.
456 GOUGEROT ET GY - -
La marche devient de plus en plus pénible, le malade se voûte encore da-
vantage, il se plaint de douleurs diffuses dans le rachis, l'ankylose des vertè-
bres et des articulations rhizoméliques augmente, entraînant de vives douleurs
dans toute la hauteur du tronc, dans les épaules et les hanches, aussi le ma-
lade cesse-t-il de se lever ; il demeure constamment au lit, immobile, chaque
mouvement (dont au reste l'exécution est des plus lentes), provoque des souf-
frances ainsi qu'en témoignent les cris et les larmes du pauvre homme.
Les troubles généraux et locaux s'accentuent.
La teinte bistre de la peau s'accroît particulièrement aux pommettes et
dans les régions sus-orbitaires. Les taches pigmentées ressortent sur la pâleur
du front.
La tension artérielle oscille entre 10 et 12 au sphygmomanomètrede Potaiu.
L'été et l'automne se passent sans incident notable ; mais la cachexie pro-
gresse. Le 19 décembre 1908, G... contracte une pneumonie d'allure bâtarde,
insidieuse, qui l'enlève en moins de quarante-huit heures. -
Autopsie. L'autopsie pratiquée 28 heures après la mort confirme le dia-
gnostic clinique en montrant des lésionsthyroïdiennes,testiculaires,surrénales,
elle révèle en outre des lésions des reins et de l'hypophyse.
Le poumon gauche atteint d'emphysème généralisé est intiltré d'oedème dans
un lobe inférieur et parsemé de quelques tubercules crétacés au sommet.
Le poumon droit est enveloppé d'adhérences pleurales à la partie posté-
rieure et inférieure du thorax ; le lobe supérieur est atteint d'hépatisation grise,
les lobes moyen et inférieur d'hépatisation rouge. -
Le coeur (250 gr.) n'a pas de lésions valvulaires ; l'aorte présente une
grande plaque athéromateuse ovalaire, dure, irrégulière, siégeant quatre cen-
timètres au-dessus des sigmoïdes aortiques.
Le foie (1.350 gr.) est pâle.
La rate (320 gr.), non diffluente, est congestionnée.
Le pancréas (36 gr.) est sclérosé.
Les reins (R. D. 120 gr. ; R. G. 100 gr.) sont pâles et décolorés ; leur subs-
tance corticale est notablement réduite et leur décortication est malaisée.
Le corps thyroïde est atrophié, scléreux, le lobe droit ne dépasse pas 6 gram-
mes, le lobe gauche 5 grammes.
Les parathyroïdes peuvent être mises en évidence dans la masse sclé-
reuse.
Les testicules mous et atrophiés pèsent, le droit 18 grammes, le gauche
20 grammes.
, Les surrénales, indurées, scléreuses et légèrement atrophiées, pèsent chacune
5 grammes.
L'hypophyse dont la capsule paraît épaissie, fibreuse, pèse 0 gr. 30 (on se
souvient que le poids normal oscille entre 0 gr. 48 et 0 gr. 66 suivant les
auteurs : 0 gr. 57 en moyenne d'après M. Launois).
Le thymus est atrophié, ne présentant pas de reviviscence. -. '
INSUFFISANCE PLURIGLANDULAIRE INTERNR 457
L'examen HISTOLOGIQUE révèle des lésions intenses des glandes vasculaires
internes : thyroïde, testicules, surrénales, pancréas, etc.
Thyroïde. La thyroïde est scléro-atropliique, profondément lésée.
La sclérose inter et intralobulaire est très marquée, adulte, peu cellulaire
sans nodule ni traînées cellulaires. La sclérose pénétrant à l'intérieur des lo-
bules devient inter et périacineuse, monoacineuse enveloppant les vésicules
thyroïdiennes une : ') une dans ses mailles fibreuses; elle esl plus jeune, plns
fibrillaire et riche en cellules fusiformes.
Les vésicules thyroïdiennes persistent nombreuses dans ce tissu scléreux
quoique leur nombre soit certainement diminué.
Elles restent vésiculeuses et sont remplies de colloïde, mais leur taille est
inégale, les grosses et moyennes vésicules de taille normale sont les plus rares,
la plupart sont petites en voie d'atrophie. La paroi de ces vésicules est formée
par une rangée de cellules cubiques ou aplaties à protoplasma acidophile peu
abondant sans différenciation, à noyau compact ; le colloïde l'intérieur ne
présente pas de réaction anormale.
Quelques vésicules présentent de lésion plus manifestes; quelques-unes, ex-
ceptionnelles, sont dilatées, leur flaque colloïde est parsemée de grosses cellules
dissociées vaguement arrondies ou polygonales à noyau unique, foncé, plutôt
petit, à protoplasma large, acidophile, réticulé et vacuole (colloïde ? ) ; quel-
ques-unes plus petites sont revêtues de cellules larges stratifiées, claires
et vésiculeuses, la lumière centrale se rétrécit ; quelques acini assez rares ne
possèdent plus de colloïde et forment des boyaux cellulaires pleins.
Sur plusieurs segments de la glande thyroïdienne, on surprend le processus
de destruction des acini ; la nappe scléreuse est tachetée de vésicules en voie
d'atrophie, ces vésicules sont petites, vides, ou ne renferment plus qu'une
gouttelette de colloïde plus ou moins altéré ; les acini s'allongent et s'applatis-
sent, bientôt ils disparaissent.
Les capillaires sont peu nombreux et étroits, les petits vaisseaux sont sclé-
rosés.
Nulle part on ne trouve de colloïde interacineux ou intravasculaire en voie
de résorption.
Les lésions sont donc intenses, l'atrophie scléreuse tend à détruire la
glande dont pourtant il persiste de nombreux acini pleins de colloïde normal,
mais la résorption ne semble pas se faire.
Ces lésions de sclérose et d'atrophie semblent un peu plus marquées encore
que dans le cas de Claude-Gougerot.
Parathyroïdes. - On ne trouve, ni à l'autopsie par une dissection mi-
nutieuse, ni à l'examen histologique par des coupes sériées, des parathyroïdes
nettement individualisées (1). Sur un bord interne de la thyroïde sclérosée, on
découvre seulement une petite masse scléreuse incluse dans la glande thyroï-
dienne et mal délimitée des acini thyroïdiens. Dans cette masse, la sclérose est
intense, compacte, dissociant des traînées cellulaires lobulées, allongées et plus
(1) Il en fut de même dans le cas de Claude-Gougerot.
458 GOUGEROT ET GY
ou moins ramifiées. Ces trainées sont constituées par une seule assise de cellu-
les cubiques ou aplaties mal différenciées, elles limitent une lumière très
étroite qui reste vide. Il est impossible d'affirmer s'il s'agit de parathyroïde
sclérosée se confondant avec les lobules thyroïdiens ou de thyroïde en voie de
sclérose atrophique. Les lésions sont en tous cas très marquées.
Testicules. Les testicules sont atrophiés, profondément lésés.
La plupart des tubes séminipares sont détruits et il ne reste pas un seul tube
intact. On no trouve que de rares tubes isolés et profondément lésés, difficiles
à reconnaître, noyés dans une masse compacte de sclérose fibreuse adulte
pauvre en cellules.
Les quelques rares tubes qui persistent sont sclérosés et atteints de dégéné-
rescence hyaline, leur membrane propre est épaissie, fibreuse, formée de
fibrilles collagènes, treillisées. avec fibroblastes à noyau fusiforme; à l'intérieur
du tube, les assises cellulaires de la lignée séminale ont complètement disparu
et sont remplacées par une large bande hyaline fibrillaire plissée, épaisse,
presque dépourvue de noyaux prenant le rouge vif du mélange du Van Gieson.
Cette masse remplit la totalité ou la presque ^totalité du tube, il ne persiste
qu'une très étroite lumière bordée d'un liseré hyalin plus coloré et parfois
d'une sorte d'assise cellulaire il cellules plates disposées sur un seul rang et
munies d'un noyau ovalaire foncé ; exceptionnellement dans l'étroite lumière
du tube séminipare se pressent quelques cellules petites à noyau foncé ovalaire
ou rond, à protoplasma étroit. t.
Dans l'intervalle des tubes on ne trouve que le tissu scléreux adulte, com-
pact, traversé de rares capillaires et de quelques petits vaisseaux à paroi
fibreuse; il est impossible de retrouver des cellules interstitielles à fonction
diastématique du testicule. Dans certains fragments, la destruction des tubes
est complète, la lumière s'efface, on ne trouve plus qu'une masse scléreuse,
pleine, qui se confond avec la sclérose interlobulaire et qu'on ne reconnaît
qu'à sa forme et sa paroi moins dense.
Les lésions sont donc encore plus intenses que dans le cas Claude-Gougerot,
où la sclérose intertubulaire était peu prononcée, où l'on retrouvait des cel-
lules interstitielles où les tubes séminipares persistaient plus nombreux. Mais
les lésions des tubes séminipires sont identiques : même sclérose de la paroi
fubulaire, même dégénérescence et transformation sclérohyaline de la lignée
séminale qui a complètement disparu, même lumière étroite, même persistance
des quelques cellules mal dilférenciées dans la lumière de quelques tubes ; dans
le cas Claude-Gougerot, on notait dans la lumière de certains tubes des gros-
ses cellules vacuolées analogues aux cellules interstitielles qu'on ne trouve
pas ici.
Surrénales. Les deux surrénales sont atteintes de surrénalite scléreuse
atrophique.
La capsule conjonctive est épaissie, fibreuse.
La sclérose à l'intérieur de la glande est diffuse, mais inégale suivant les
segments ; elle est toujours plus marquée dans la corticale qui est amincie, atro-
INSUFFISANCE PLURIGLANDULAIRE INTERNE 439
phiée, elle est légère dans la médullaire qui a conservé un volume presque 1101'-
mal.
Dans la corticale atrophiée la sclérose est formée d'un lacis de fines fibrilles
avec de rares cellules fusiformes et sans jamais de nodules, les capillaires sont
peu ou pas visibles, non congestionnés. Souvent les trabécules scléreux sont
assez larges dissociant et segmentant les travées glandulaires, si bien que la
couche glomérulaire ne peut plus être distinguée de la fasciculée. Les travées
glandulaires plus ou moins segmentées forment alors des amas arrondis ou
allongés de 1 à ` ? 0 cellules, agglomérées sans ordre, pressées les unes contre
les autres comme fusionnées. Rarement les cellules sont dissociées. Ces cellu-
les sont altérées, leur protoplasma est homogène, granuleux, fortement chromo-
phile, acidophile, le noyau unique rarement double est petit, arrondi, foncé
comme contracté. Il n'y a pas de spongiocytes. Parfois un placard scléreux est
parsemé de nombreuses petites cellules surrénales atrophiées, arrondies'ou
polygonales disposées sans ordre, isolées les unes des autres ou par amas de 2.
Ces cellules atrophiées ou « microcytes surrénaux » ont les caractères des cel-
lules surrénales et on surprend toutes les transitions entre la cellule de vo-
lume à peu près normal et ces cellules plus lésées qui s'atrophient. Enfin
dans d'autres points de la corticale les lésions sont moins marquées, la struc-
ture mieux conservée permet de distinguer la fasciculée, mais les spongiocytes
sont très rares. En aucun point on ne trouve d'îlot d'hyperépinéphrie.
La couche réticulaire est moins atteinte, la sclérose y est plus déliée, les
capillaires y sont souvent congestionnés, les cellules d'ordination il peu près
normale ont le pigment habituel ; on note quelques très rares spongiocytes.
La médullaire semble peu lésée : sclérose légère diffuse, cellules rétractées.
La veine centrale est sclérosée et sa paroi épaissie porte une sorte de nodule
fibreux.
Le tissu périsurrénal est graisseux et légèrement scléreux, on ne trouve pas
de ganglion nerveux.
Pancréas. - Le pancréas est sclérosé, et sur certains segments enlrans-
formation scléro-adipeux.
La sclérose est mono et périlobulaire, intralobulaire et périacineuse. Au-
tour des lobules et dans leur intervalle le tissu scléreux est adulte, fibreux,
dur, compact, peu cellulaire, formant des anneaux et travées vivement colo-
rés par la fuchsine du Van Gieson. A l'intérieur des lobules et autour des acini,
le tissu scléreux est plus lâche, plus fibrillaire quoique toujours fort peu cellu-
laire, il ne se teint par le Van Gieson qu'en rose ? pâle.
Les lésions glandulaires sont peu nettes,difficiles à affirmer,à peine note-t-on
un peu de dissociation des cellules de beaucoup d'aciui.
Les îlots de Langerhans sont nombreux et ne présentent pas de lésions en-
docrines évidentes ; à peine les cellules semblent-elles plus petites, plus dis-
sociées et mal rangées.
La transformation scléroadipeuse frappe inégalement les lobules, isolant
certains lobules sclérosés.
Hypophyse. L'hypophyse est atrophiée ne pesant que 0 gr. 30 (au lieu
460 GOUGEROT ET GY
de 0 gr. 58, poids moyen d'après Launois), elle est sclérosée. Les cellules nobles
semblent altérées, mais leurs lésions sont difficiles à interpréter.
La capsule fibreuse est épaissie. La masse glandulaire est parcourue d'un
reticulum scléreux formé de fibrilles collagènes hyalines à travées. plus ou
moins larges suivant les points, qui délimitent des alvéoles où sont amassées les
cellules nobles. Suivant les régions, la sclérose est inégale ; au centre et ? une
des extrémités latérales, elle est intense, formant de grosses travées ; à la par-
tie supérieure et à l'autre extrémité, elle est peu prononcée; en revanche la
congestion est intense en ces points, les capillaires sont très dilatés, gorgés de
globules rouges.
Les cellules nobles semblent altérées : les cellules cyanophiles, petites et
grandes, unies et binucléées, persistent nombreuses, leur protoplasma est très
granuleux, vacuolaire. Les grosses cellules à protoplasma éosinophile sont
rares, elles sont nettement granuleuses. -
De petites cellules à noyau rond foncé, à protoplasma éosinophile sont in-
filtrés en grand nombre.
On note çà et là de grosses cellules à large noyau clair, ponctué, presque
vésiculeux, à protoplasma étroit éosinophile, parfois multinucléées formant
plasmode.
Il n'y a que peu ou pas de pyknose.
On ne voit de substance colloïde ni dans les vaisseaux, ni entre les cellules,
il semble donc bien qu'il y ait hypofonctionnement.
Le foie est peu lésé :
Un peu de périphlébite et une ébauche de sclérose portale insulaire, stel-
laire, fibrillaire et cellulaire ; il n'y a pas de stéatose ni de dégénérescence évi-
dente des cellules hépatiques. La congestion est minime, non systématisée.
La rate est très congestionnée et légèrement scléreuse.
Capsule fibreuse très épaissie. Sclérose vasculaire et strictement périvascu-
laire. Follicules de Malpighi diminués, à contour diffus sans centre clair. Pulpe
splénique très congestionnée avec petits hématomes, capillarités, inflammations
des cellules endothéliales et tuméfaction du reticulum, réaction mononucléaire
diffuse, macrophigique et pigmentaire. Pas de réaction myéloïde nette : rares
polynucléaires éosinophiles, mégacaryocytes exceptionnels.
Les reins sont atteints de néphrite scléreuse.
La sclérose est diffuse, intertubulaire, nette, mais peu intense, elle est formée
de fines fibrilles collagènes encerclant les tubes. Les tubes contournés sont at-
teints de tuméfaction trouble avec quelques fois dissociation des cellules (lé-
sions de néphrite dégénérative ou altérations cadavériques ? ) ; parfois les cellu-
les épithéliales sont abrasées et la lumière tubulaire est remplie par un cylin-
dre hyalin. Çà et là s'ajoutent de petits placards fihrocellulaires à bords diffus
ne contenant plus que des tubes très altérés. La plupart des glomérules sont
en prolibération cellulaire, quelques-uns sont entièrement scléreux ne formant
plus qu'un bloc hyalin presque acellulaire. Les petits vaisseaux sont peu ou
pas lésés. ,
INSUFFISANCE PLURIGLANDULAIRE INTERNE 461
En résumé, il y a donc anatomiquement, macroscopiquement et micros-
copiquement atrophie de la thyroïde, des testicules, des surrénales, du
pancréas, de l'hypophyse... L'autopsie et l'examen histologique confirment
le diagnostic clinique, les altérations pluriglandulaires étant plus mar-
quées encore que ne le laissait supposer la clinique.
La pathogénie et l'étiologie de ce syndrome semblent les mêmes que
dans la première observation de Claude et Gougerot. Cette observation
soulève les mêmes questions et comporte les mêmes incertitudes. La tu-
berculose doit avoir eu une grande part dans la production des lésions
glandulaires, mais de- quelle nature était celte infection qui précéda les
premiers signes de la maladie ? La bacillose associée à cette infection aiguë
(bacillaire peut-être) a frappé simultanément et successivement le système
glandulaire interne rendu sans doute fragile par une prédisposition héré-
ditaire ou acquise.
Cette observation est une confirmation complète de l'étude que Claude et
Gougerot ont faite du syndrome d'insuffisance IhYl'oïdo-lesticuJo-surréna 1 ;
elle confirme entièrement nos conclusions de 1907 : « La clinique et l'a-
natomie pathologique, disions-nous avec M. Claude, se prêtent un mutuel
appui pour affirmer l'insuffisance pluriglandulaire et justifient l'appella-
tion nouvelle que nous proposons. Le clinicien qui connaît les syndromes
d'insuffisance des glandes vasculaires internes, mais qui n'a pas de souve-
nir bibliographique, reconnaît une atrophie des organes génitaux exter-
nes, des testicules, l'abolition des fonctions génitales, que va-t-il dire ? Il
affirmera l'insuffisance testiculaire. Il est frappé de l'asthénie du malade,
de la chute des poils, de la desquamation et de la consistance de la peau, il
palpe la région thyroïdienne et trouve la glande atrophiée, que peut-il
dire ? Il est forcé d'admettre une insuffisance thyroïdienne, il ne pensera
pas au myxoedème, puisque l'état myxoedémateux qui définit le syndrome,
la bouffissure, manque ; il ne pensera pas à l'infantilisme puisque le ma-
lade a le corps d'un adulte et le facies vieillot d'une vieille femme.
« Plus lard, il voit l'asthénie progresser, la tension artérielle baisser,
des pigmentations apparaître, il pensera à une insuffisance des surréna-
les. Il résumera son diagnostic sous le nom d'insuffisance de trois glandes
vasculaires internes : thyroïde, testicule, surrénale, insuffisances associées
avec prédominance de l'insuffisance testiculaire; il conclura donc à une
insuffisance pluriglandulaire.
« A l'autopsie, il verra les glandes internes, lésées, petites, atrophiées,
souvent scléreuses, à l'examen histologique. il confirmera ces lésions; aux
insuffisances que cliniquement il avait constatées, il ajoute celle que l'his-
4()2 *) GOUGEROT ET GY
tologie lui révèle : pituitaire, etc., il dira donc encore une fois insulfi-
sance pluriglandulaire.
« C'est cette dénomination qui vient tout naturellement à l'esprit, et
qui s'impose aux examens successifs. Il n'y a ni infantilisme, ni myxoe-
dème, ni régression sexuelle. Constatant chez un adulte une lésion beau-
coup plus marquée des testicules que de la thyroïde, un observateur non
prévenu n'aura pas l'idée de soutenir que l'hypothyroïdie a été la cause
de l'anorchidie, d'autant plus que l'expérimenta lion montre que chez l'a-
nimal adulte la fonction thyroïdienne n'a pas d'action notablesurla fonc-
tion testiculaire. Seule donc l'expression d'insuffisance pluriglandulaire
interne qui est pathogénique apparaît conforme à la clinique, à l'analomie
pathologique, à la pathologie générale.
« Telle est la conception qui se dégage des faits cliniques et anatom; -
ques.
« Avec la conception des insuffisances pluriglandulaires internes s'ou-
vre un chapitre nouveau de la pathologie des glandes vasculaires internes.
Grâce à elle, on peut reconnaître, définir et classer tous les faits, même
les syndromes frustes, sans être gêné par les interprétations pathogéni-
ques, sans forcer les cadres cliniques, ni changer les définitions classiques
des termes nosographiques ».
La conception des syndromes pluriglandulaires a déjà permis d'obtenir
par une opothérapie pluriglandulaire des améliorations, voire même des
guérisons dans des cas où l'opothérapie uniglandulaire n'avait pas réussi.
Celle conception nouvelle n'a donc pas seulement un intérêt doctrinal
et nosographique, elle a en même temps un intérêt pratique et théra-
peutique, qu'on ne saurait trop souligner.
NOUVELLE Iconographie DE la SALPL'IIàIlRP.
T. XXIV. Pl. LXXI
\IICROD1LIE HUMÉRALE BILATÉRALE CONGÉNITALE
(H. S. Stall1l1l5 et S. A. K. lililson).
Masson & Cil', Edltcurs.
LA MICROMÉLIE HUMÉRALE BILATÉRALE CONGÉNITALE
ET SES RELATIONS AVEC L'ACHONDROPLASIE
PAR R
H. S. STANNUS M. B.LONG. et S. A. K. WILSON M. D.
Médical Officier, Nyasaland National Hospital, Queen
Protectorate Square, London.
L'un de nous, au cours de cinq années d'exercice en Nyasaland. a ren-
contré maintes anomalies congénitales; il en est une, observée une douzaine
de fuis, qui mérite d'être signalée tout parliculiculièrement vu la singu-
larité de son aspect et sa fréquence relative ; il s'agit d'une dysplasie des
extrémités supérieures. Elle peut être décrite en un mot : elle consiste en
un raccourcissement symétrique des humérus reproduisant la condition
ordinaire de cet os dans l'achondroplasie, mais la règle veut qu'il ne s'y asso-
cie aucun autre symptôme de celle affection. Remarquons en passant que
l'achondroplasie se rencontre, et sous sa forme habituelle, dans l'Afrique
centrale. Nous donnons ici la photographie d'un cas qui provient de l'An-
ouilandtPl.LYXI,f.1 ¡; nous en sommes redevables au Dr Murray; un autre
cas, dans la même région, a été mentionné par le Dr J.-B. Davey ; un troi-
sième a été rapporté par le Dr Howard. Plus récemment, nous avons ob-
servé (H. S. Stannus) un cas typique d'achondroplasie à Zanzibar, chez
un indigène d'une tribu alliée à celles du Nyasaland.
Nous nous proposons de décrire ici, avec quelque détail, six cas de
micromélie humérale congénitale, quatre chez des hommes et deux chez
des femmes, dans le dessein d'attirer l'attention sur cet état envisagé
comme type défini de malfaçon congénitale ; nous discuterons la possibilité
de ses relations avec l'achondroplasie. Autant que nous sachions, et réser-
ves faites aux deux ou trois cas existant dans la littérature et dont il sera
fait mention ultérieurement, la micromélie humérale congénitale paraît
avoir échappé ci l'observation médicale. Les faits de ce genre ne semblent
pourtant pas d'une rareté exceptionnelle. En outre, du fait qu'elle jette
quelque lumière sur la question controversée à l'achondroplasie, l'étude
de la micromélie humérale congénitale prend un intérêt considérable.
464 II. S. STANNUS ET S. A. K. WILSON
Il Juma, garçon âgé de 16 ans, appartenant à la tribu Yao ; observé le
19 avril 1911.
Son père et sa mère, ses frères aînés et puînés sont tous normaux ; on nous
affirme que sa difformité existe depuis sa naissance; ce garçon est dans un
état de santé générale parfaite et, en dehors de l'état de ses membres supé-
rieurs, il ne présente aucune difformité.
Lorsqu'on l'examine, on est de suite frappé par la disproportion de longueur
existant entre les bras et les avant-bras (PI. LXXI,lig, 2). Alors que le tronc et
les membres inférieurs sont bien proportionnés et d'un développement moyen,
alors qu'il en est de même pour les avant-bras et pour les mains, les bras sont
environ de quatre pouces plus courts que ceux d'un individu normal. La mus-
culature de la ceinture scapulaire paraît bonne et elle ne présente rien de par-
ticulier à signaler. Autant qu'on peut en juger en l'absence d'un examen
radiographique, les deux humérus ne présentent aucune altération du diamè-
tre de leur corps ou de la configuration de leurs extrémités. On peut eu dire
autant des autres os concourant à la formation de l'articulation de l'épaule.
Les deux articulations du coude sont normales et leurs mouvements sont
parfaitement libres.
Les articulations des épaules paraissent normales à l'inspection ; mais on
note que, lorsque ce garçon porte ses bras en élévation, bien qu'il n'existe pas
de limitation actuelle l'étendue du mouvement, l'omoplate commence à bas-
culer plus tôt que normalement ; son mouvement de bascule est aussi plus
grand que normalement, de telle sorte qu'une modification dans l'articulation
huméro-glénoïdienne paraît possible. En outre une crépitation fine, mais dis-
tincte, peut être provoquée par les mouvements passifs imprimés à l'articu-
lation.
Il. Graham, garçon de 18 ans, appartenant à la tribu de Mananja ; ob-
servé en janvier 1910. Il n'existe d'état similaire chez aucun membre de la
famille. Autant qu'il peut être établi, l'anomalie existe depuis l'enfance.
Ce garçon est dans un excellent état de santé générale ; il est vif et actif ;
l'examen de ses différents systèmes et de ses organes ne décèle rien qui s'écarte
de la normale. De même que dans le cas précédent, la seule défectuosité à si-
gnaler concerne les membres supérieurs. Un coup d'oeil sur la photographie
(fig. 3) montre que la tête, le cou, le tronc sont parfaitement proportionnés ;
il en est de même pour les avant-bras et pour les mains. alors que les bras sont
beaucoup plus courts qu'ils ne devraient. Les mensurations qui suivent ont
été relevées :
1° Avant-bras, depuis le condyle externe jusqu'à l'extrémité du médius :
43 centimètres des deux côtés.
2° Depuis la pointe de l'acromion jusqu'au condyle externe : 23 centimètres
à droite et 20 à gauche.
Chez les indigènes normaux de même stature, cette dernière mensuration
NOUVELLE Iconographie de la SALYtfRIRG.
r. XXIV. PL LXXII
VlICItOAIFI,Ih : HUMÉRALE BILATÉRALE CONGÉNITALE
(H. S SUtiniuset S. A. K. Wilson).
LA MICROMÉLIE HUMÉRALE BILATÉRALE CONGÉNITALE 465
donne environ 33 centimètres. Le raccourcissement des bras atteint et dépasse
ainsi le tiers de la longueur normale du segment de membre.
= 3° Hauteur du sujet : 163 centimètres.
4° Distance d'une extrémité à l'autre des deux bras mis en croix : 150 cen-
timètres.
L'examen d'une série de 500 indigènes a montré que la grande envergure
normale dépasse la stature de 5 à 10 centimètres.
Les mensurations de la tête ont donné en centimètres les chiffres sui-
vants :
4ütj t; H. S. STANNUS ET S. A. K, WILSON
A certains égards, la condition de la micromélie présente quelque différence
avec ce qui vieut d'être décrit dans les autres cas. Le sujet montre bien le fait
caractéristique du raccourcissement congénital des humérus, exactement
comme ci-dessus, mais il y a plus : les deux avant-bras sont raccourcis et les
mains, ainsi que les pieds, sont affectées d'une façon qui sera tout à l'heure
décrite en détail. A l'exceptio des deux tibias qui se présentent quelque peu
arqués, les deux membres inférieurs, le tronc et la tète sont normalement
conformés. Comme on le voit sur la figure (PI. LXXH,fig.5), les bras montrent
leurs proportions raccourcies par rapport au reste du corps ; et le raccourcisse-
ment affecte les deux segments du membre supérieur ; de plus le membre su-
périeur gauche est plus court que le droit (Voy. les mensurations ci-dessous).
La musculature des deux bras est bonne. Par la palpation, lors des mouve-
ments passifs imprimés à l'articulation du coude et aussi à celle du poignet,
on a l'impression qu'il existe une certaine laxité ligamenteuse et que les sur-
faces osseuses de l'articulation ne sont pas parfaitement constituées. Les arti-
culations du poignet sont quelque peu élargies ; elles paraissent comme molles
et pâteuses et elles permettent des mouvements d'une amplitude insolite, pres-
que une luxation partielle. Cette curieuse condition ne se reproduit pas dans
les articulations de l'épaule. On perçoit quelque craquement dans les coudes
lorsqu'on imprime des mouvements passifs à ces articulations qui semblent
quelque peu élargies. Cette condition rappelle à quelques égards le stade pré-
coce d'une artliropathie de Charcot dans le tabès.
L'état des mains et des doigts est tout à fait intéressant (fig. 1). La main
gauche est large ; les doigts sont trapus et curieusement triangulaires, pres-
que cunéiformes. Le second doigt, le troisième et le quatrième sont à peu près
de la même longueur, tandis que le premier est relativement court. La forme
en trident de la main est bien évidente sur la photographie et les doigts tom-
bent naturellement dans la position ici représentée. Les articulations méta-
carpo-phalaiigiennes et inter-phalangiennes sont plutôt gonflées et bonifies;
en fait elles présentent les mêmes caractéristiques que les autres articulations
dont il a été parlé plus haut.
La main droite aussi est large. Le médius est à peu près de la longueur
normale alors que le 1er doigt, le 3e et le 4e sont courts et de longueur sensi-
blement égale. L'aspect triangulaire et trapu des doigts est identique à ce qui
a été écrit pour la main gauche ; les articulations également sont semblables
à ce qui existe de l'autre côté. Ce n'est pas le véritable aspect de la main en
trident.
L'état du pied est représenté sur le dessin ci-joint (fig. 2) qui donne une idée
fort exacte de la réalité. Le pied est court et trapu ; en même temps il paraît, si
l'on peut dire, épaissi. Nous avons l'impression que les articulations sont in-
téressées de la même manière que celles du carpe et celles des doigts, mais il
nous est impossible de nous assurer complètement de ce fait. Il est dilficile de
distinguer, par la palpation, lés différents os du métatarse. Les deux gros or-
teils sont courts, surtout le droit; il y a syndactylie des 2e et 3" orteils à
LA MICROMMLIE HUMERALE BILATÉRALE CONGÉNITALE 467
droite, alors que les deux derniers orteils restent séparés. A gauche, le petit
orteil est nettement écarté des autres.
Les mensurations suivantes ont été prises :
1° De l'acromion au condyle externe : il droite, 30 centimètres, à gauche 29.
2° Du condyle externe à l'épiphyse styloïde du radius : à droite : .3, à gau-
che 19.
3° De l'articulation radio-carpienne à l'extrémité du doigt médius : à droite
14, à gauche 13.
4° Largeur de la main : 8 des deux côtés.
La stature du sujet est de 164 centimètres ; sa grande envergure, d'une ex-
trémité à l'autre des bras en croix, est de 158 centimètres.
Les mensurations de la tête ont donné :
'468 ' H. S. STANNUS ET S. A. K. WILSON
- V. Mana, femme de 35 ans ; c'est l'épouse du chef du village de Kamte-
kete, district de Nyassa occidental, tribu Acheta.
La stature de cette femme est de 137 centimètres ; elle dit que sa mère était
aussi petite qu'elle-même ; son père était de taille moyenne. Elle n'a ni frère
ni soeur. Elle a un fils, actuellement atteint de lèpre ; il est âgé de 16 ans.
Mana a une fille, âgée de 17 ans et qui est un peu plus petite qu'elle-même. Ce
fils et cette fille sont de conformation normale à cette exception près que la
fille présente une fistule de l'hélice droite, anomalie que l'on retrouve chez
la mère, notre micromèle. Elle est vigoureuse. Elle se dandine en marchant.
Les membres inférieurs sont normaux aussi bien que le tronc et la tête.
Comme dans les cas précédeuts, les humérus sont raccourcis d'une façon
typique ; les mains sont un peu en forme de bêche. A droite, l'annulaire et le
médius sont de la même longueur. Les deux petits doigts des deux mains sont
très courts. En dehors de ceci, la main gauche est normale.
VI. Agalatuolele, femme de 35 ans, appartenant à. la tribu Achewa, vil-
lage de Komgopi, district du Nyassa occidental.
La stature du sujet est basse. Les humérus présentent leur raccourcisse-
ment typique. Les mains sont plutôt en forme de bêche. Les doigts de la main
gauche sont conrts; le fer doigt, le 2e et le 3e sont de la même longueur. Les
deux doigts auriculaires sont recourbés en çrochet.
Dans le cas actuel, de même que dans le cas V, les mouvements des articu-
lations des bras sont normaux et il n'existe pas de crépitation.
Fig. 2.
LA MICROMÉLIE HUMERALE BILATERALE CONGENITALE 469
Si nous envisageons dans leur ensemble les six cas décrits en détail ci-
dessus, nous notons qu'ils présentent un faitcommun de première impor-
tance : c'est le raccourcissement bilatéral plus ou moins symétrique et tou-
jours très prononcé des humérus, c'est-à-dire une micromélie humérale ;
un coup d'oeil sur les photographies suffit à convaincre de l'évidence et de
la réalité du fait.
L'anomalie est congénitale ; ceci ressort d'abord de ce fait que tous les
sujets, sans exception, ont déclaré qu'elle existait depuis leur naissance ;
ceci résulte mieux encore de son association, au moins dans trois cas,
avec d'autres anomalies que tout le monde admet être congénitales.
Vu ces considérations, il est à peine nécessaire de remarquer que la
micromélie n'a rien à voir avec des séquelles d'épiphysites post-natales ;
aucune cause, ni la syphilis, ni les yaws, ni la tuberculose, ni d'autres
processus toxi-infectieuxnese retrouvent qui puissent justifier d'existence
d'une telle inflammation épiphysaire. D'ailleurs nous ne reconnaissons
aucun de ces facteurs comme capable de déterminer un raccourcissement
huméral symétrique analogue à celui que nous avons noté dans nos cas. Il
est vrai que Bryantet Birkitt, en 1862, ont décrit indépendamment l'un de
l'autre deux cas de raccourcissement humerai unilatéral, et qu'en 1895
Jonathan Hutchinson en a décrit un troisième. Mais nul de ces trois cas
n'est comparable aux noires, non seulement en raison de leur unilatéralité,
mais aussi parce que les auteurs mentionnent à leur sujet une histoire,
soit de traumatisme soit de suppuration.
L'important est maintenant de discuter la signification nosologique de
la micromélie humérale congénitale. Trois possibilités doivent être envi-
gées :
1° L'anomalie doit-elle être considérée comme une entité clinique et
pathologique sui generis ?
2° La micromélie humérale bilatérale représente-I-elle l'un des élé-
ments d'un complexus capable d'affecter les autres segments des membres ?
3° Ne s'agit -il que de l'une des caractéristiques ordinaires del'acfondro-
plasie s'étant cliniquement manifestée comme phénomène plus ou moins
isolé ?
1° En faveur de cette opinion que la micromélie humérale bilatérale et
congénitale constitue une entité morbide propre, on .peut avancer le fait
que dans trois cas sur les six ici décrits, elle se présente sous une forme
absolument pure. Et d'ailleurs l'un de nous (H. S. Sla11l111S)-se rappelle
avoir vu d'autres cas similaires, également sans complications d'aucune
sorte; mais aucune note n'a été prise à leur sujet.
. xxiv 30
].70 H. S. STANNUS ET S. A. K. WILSON
Depuis l'époque où nos premières observations (H. S. Stanuus) ont été
faites,un cas du môme genre a été rapporté par Banjos, AperletFlandin.
Non seulement l'anomalie s'y présentait strictement limitée aux humérus,
mais il a été aussi noté qu'elle existait dès la naissance ; elle existait éga-
lement chez un frère aine du malade. « .
Les enquêtes pratiquées dans les familles de nos sujets ont uniformé-
ment donné des réponses négatives ; mais comme il fut impossible d'exa-
miner, sauf dans un cas, les parents de nos sujets, l'information ne sau-
rait être donnée comme pleinement satisfaisante.
La ressemblance remarquable que l'on constate enlre l'habitus pré-
senté par nos sujets et la photographie publiée par les observateurs qui
viennent d'être nommés, aussi bien que la similitude des descriptions cli-
niques, ne laisse subsister aucun doute dans l'esprit au sujet de l'identité
de nature de leur cas et des nôtres. En conséquence, il semble justifié de
considérer la micromélie humérale congénitale comme une condition siti
genenis.
2° Pour pouvoir soutenir cette manière de voir, il faut considérer les
cas IV, V et VI. Dans les cas V et VI, l'anomalie de l'humérus se montre
associée avec le raccourcissement d'un certain nombre de doigts. Dans le
cas IV, il y a en outre raccourcissement des avant-bras et un état anormal
des pieds. En raison de notre ignorance concernant la pathologie de ces
conditions morbides, il serait oiseux de s'étendre sur la possibilité de re-
lations causales dans les cas considérés. Il semble suffisant de consigner
ici les faits. Néanmoins il est permis de présumer que le raccourcissement
des humérus et le raccourcissement de certains doigts peuvent être, l'un
comme l'autre, le résultat d'un seul et même processus pathologique.
3° La micromélie humérale est bien, on le sait, un des faits ordinaire-
ment relevés dans l'achondroplasie typique, bien que nous ayons à rappe-
ler que certains cas de celle maladie ont été décrits qui ne présentaient
pas la malformation en question. Dans la série de cas ici publiée, c'est
plus particulièrement le n° IV qui présente des ressemblances avec l'achon-
droplasie. On y note par exemple le raccourcissement de tous les segments
du membre supérieur et la main gauche y présente les caractères de la
main en trident. Par contre la syndactylie observée au pied droit n'offre
aucune relation avec l'achondroplasie.
Dans nos deux cas qui concernent des femmes, l'état des doigts ne se
montre pas très éloigné de ce qui existe dans l'achondroplasie.
Maintenant il importe de rappeler qu'un grand nombre de cas ont été
publiés comme des exemples d'achondroplasie et dans lesquels les symp-
tômes ont été décrits comme partiels, atypiques, incomplets. Ainsi Jules
et Roger Voisin ont décrit un cas dans lequel les membres étaient plus
LA 1111CRO}IÉLOE HUMÉRALE BILATÉRALE CONGÉNITALE 471 1
longs que dans l'achondroplasie et dans lequel il n'y avait pas d'inversion
dans les proportions relatives des deux segments du même membre. Du-
four a enregistré un cas où il y avait absence de la main en trident et où
les caractères mentionnés ci-dessus n'existaient pas. Chavigny a rapporté
un cas d'achondroplasie dans lequel l'unique symptôme de la maladie
était l'état des mains. Si de tels faits doivent être acceptés comme des cas
d'achondroplasie, il n'est pas douteux qu'un jour ou l'autre on nous en
offrira présentant la lésion localisée à une unique phalange.
Il est clair que le fait d'introduire sans discrimination de pareils cas
dans le cadre de l'achondroplasie ne prèle pas seulement à confusion,
mais de plus est de nature à retarder l'élucidation de la question tout
entière.
Il n'y a pas un seul symptôme ni caractère qui soit pathognomonique
de la maladie; nous sommes par conséquent d'avis que rien ne saurait
justifier le classement de notre série de cas sous la dénomination d'achon-
droplasie.
En raison de l'indigence des connaissances actuelles sur la pathologie
de l'anomalie qui fait l'objet de ce mémoire, la question de sa palhogénie
demeure dans le domaine de sa spéculation.
Toutefois un certain éclaircissement est peut-être apporté au sujet par
une intéressante observation de Regnault. Cet auteur a décrit un sque-
lette présentant un raccourcissement humerai congénital, associé à des
anomalies de développement intéressant la ceinture scapulaire, le sternum
et la partie adjacente des arcs costaux. Il fait observer que ces anomalies
sont segmentaires ou métamériques dans leur distribution, et que par
conséquent leur origine doit remonter à une période précoce de la vie
foetale. Il est possible que la micromélie congénitale soit l'expression
d'un arrêt de développement de certains métamères.
En ce qui concerne les manifestations articulaires dont il a été question
chez certains de nos malades, leur association aux manifestations osseuses
n'infirme pas l'hypothèse de l'arrêt de développement qui vient d'être
envisagée.
BIBLIOGRAPHIE
9. BIRKETT, Guy's Hospital Reports, vol. VIII, 1d62, p. 251.
2. BRYANT, Guy's Hospital Reports, vol. VIIf, 1862, p. 254.
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4. DatvLOS, APPERT, ('LANDI\, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1909, p. 882.
5. DUFOUR, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1906, p. 133.
6. Hurcmnsox, British Médical Journal, vol. Il, 1885, p. 152.
1. REGNWULT, Société anatomique, 1897, p. 740.
DYSTROPHIES OSSEUSES POST-TRAUMATIQUES
LEUR IMPORTANCE AU POINT DE VUE DES EXPERTISES DANS LES
ACCIDENTS DU TRAVAIL,
Par
A. HALIPRÉ et JEANNE
Médecin des Hôpitaux de Rouen Chirurgien des Hôpitaux de Rouen.
Les travaux de Charcot ont établi l'existence de certaines atrophies
musculaires se produisant brusquement à la suite de lésions articulaires.
La rapidité d'évolution de ces atrophies abarticulaires les différencie des
atrophies liées à une simple impotence fonctionnelle. L'expérimentation
a montré que ces atrophies exigent pour se -produire l'intégrité des filets
sensitifs qui ontpour mission de renseigner les centres sur l'état des organes
périphériques. La section expérimentale de ces filets avertisseurs empêche
l'atrophie de se produire avec la même soudaineté. Il y a donc une alro-
phie musculaire active en quelque sorte, placée sous la dépendance effec-
tive des centres trophiques, et une atrophie passive observée dans tout
membre condamné à l'immobilité.
Le système osseux présente, lui aussi,après certains traumatismes,desmo-
difications de structure, des atrophies qu'on peut rapprocher des atrophies
abarticulaires et qui sont, comme nous le verrons,justiciables d'une même
interprétation. L'intérêt qui s'allache à la connaissance de ces faits, au
point de vue de l'estimation des incapacités en matière d'accidents du
travail, nous engage à publier les trois observations suivantes.
Limites du sujet. Il ne s'agit pas dans nos observations de lésions
osseuses consécutives à des traumatismes intéressant directement les troncs
nerveux périphériques ou les centres nerveux. Ces faits connus depuis
longtemps ont fait l'objet il y a quelques années de recherches expérimen-
tales consignées dans la thèse de Bellet (1905) (1). Plus récemment,
Claude et Chauvet ont publié un mémoire sur la Séméiologie réelle des
sections totales des nerfs mixtes périphériques (2). Ces ailleurs, après
(1) Franck BFLLET, Influence des traumatismes des nerfs sur le développement el la
nutrition des os longs (étude expérimentale). Th. Pans, 1905.
(2) Henri CLAUDE et STEPIIEN CUAUVET, Séméiologie réelle des sections totales des nerfs
DYSTROPHIES OSSEUSES l'OST-TIiAUIIfA'l'1QUES 473
avoir insisté sur les altérations trophiques ostéo-articulaires et cutanées,
complètent très heureusement les notions anciennes sur les troubles
objectifs et subjectifs consécutifs aux lésions nerveuses, en signalant l'im-
portance dans ces cas des troubles des réactions vaso-motrices et sudorales.
Nous n'aurons en vue ici que les lésions osseuses consécutives à des
traumatismes dans lesquels aucune atrophie musculaire systématisée,
aucun trouble sensitif localisé ne permettent de soupçonner la lésion d'un
tronc nerveux périphérique. S'il existe dans les cas que nous étudions
des lésions périphériques, ce sont des altérations discrètes, insidieuses,
qu'il faut dépister et qui, dans lous les cas,ne présentent pas de distribu-
tion topographique répondant à un territoire nerveux précis. Les fractu-
res des os de l'avant-bras, celles des os de la jambe sont particulièrement
propices à l'étude des faits de ce genre. Les os du carpe et du métacarpe,
les os du tarse qui sont touchés par l'atrophie se prêtent en effet tout
spécialement, en raison de leur agencement et de leur'structure, à l'exa-
men radiographique, examen indispensable actuellement pour établir
l'existence des lésions osseuses de ce genre.
Historique.
Les altérations de structure des os à la suite des traumatismes ont été
signalées pour la première fois en Allemagne par Sudeck (1902) (1) et en
France par Imbert et Gagnière qui reproduisent en partie les recherches de
Südeckdans un article de la Revue de chirurgie (1903) (2). Ces atrophies
osseuses calcaires tantôt uniformes, tantôt disposées par zones, sont essen-
tiellément caractérisées par une augmentation de la transparence des os à
l'écran radioscopique. Or les blessés chez lesquels se produit celte raréfac-
tion osseuse accusent une diminution de la force musculaire et des douleurs
que l'aspect généralement satisfaisant du membre blessé ne peut expliquer.
Pour Sudeck, la lésion des os s'accompagne de troubles trophiques et
vaso-moteurs des muscles et de la peau. ïmbert et Gagnière, tout en admet-
tant au début la coexistence de ces différents symptômes, pensent que plus
lard les lésions objectives des muscles et de la peau peuvent disparaître,
laissant subsister une altération des os que la radiographie est seule capa-
ble de mettre en évidence. Quoi qu'il en soit, la coexistence de lésions
osseuses et de douleurs accusées par le blessé mérite de retenir l'attention.
mixtes périphériques. Considérations sur la technique concernant les troubles des sen-
sibililés,les modifications des réactions vaso-motrices et sudorales, les altérations trophi-
ques oslén-articulaires et cutanées (4 planches dans ie texte), 1911.
() SUDEC1C (de Hambourg), Fortschritte au/ d. G. der 7<OH6ns<ra/teH, 1902.
(2) Imbert et GACNOEKE, Des atrophies osseuses calcaires consécutives à un trauma-
tisme, Revue de Chirurgie, 1904, t. 27, p. 689.
'<74 IIALI ! '111 El' JEANNE
Nous vcrrons plus loin dans quelle mesure on peul aujourd'hui en tenir
compte dans l'évaluation de l'incapacité professionnelle.
Faits cliniques.
Observation I (publiée dans la thèse de Sans) (PI. LXXIII).
Homme de 30 ans, vigoureux, tombe d'une hauteur de2m. 50 (janvier).
Le poignet droit reçoit le choc principal, le bras ayant été porté instinctive-
ment en avant. Le médecin traitant ne constate aucune autre lésion qu'une
fracture de l'avant-bras (extrémité inférieure) sans plaie, pour laquelle le bras
est immobilisé pendant trois semaines.
Nous examinons le blessé au mois de mai (4 mois après l'accident). Le poi-
gnet droit présente un gonflement uniforme, sans changement de coloration de
la peau. Il n'y a pas d'oedème. L'augmentation de volume porte principale-
ment sur le massif osseux, plus spécialement au niveau de l'extrémité infé-
rieure du radius. Le carpe dans son ensemble et la tête des métacarpiens par-
ticipent à cet accroissement de volume.
La palpation est peu douloureuse.
Les mensurations donnent :
ft t
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière.
p « - f r
T. XXIV. PI. LXXIII
Obus. - Poignet gauche témoin
Obs. I. Poignet droit traumatisé
radiogr. 4 mois après l'accident.
DYSTROPHIES OSSEUSES POST-TKAUMATIQUES
- (2ïtilipé eljeaiiiie). - - -
IWSTR0PH1ES OSSEUSES POST-rnAwaraTrQUrS
n;)
Toutefois, pour plus de prudence, avant de conclure, nous faisons radiogra-
phier le poignet blessé.
Première radIOgraphie, Les clichés que nous devons à l'extrême obli-
geance de M. Gascaud, professeur à l'Ecole de médecine de Rouen, montrent
comme lésions chirurgicales : un léger déplacement de l'extrémité inférieure
de la tête du radius (déplacement visible sur les clichés mais, peu net sur la
reproduction), une fracture du scaphoïde,séparant l'os par un trait vertical en
deux parties égales, un arrangement de l'extrémité inférieure de l'apophyse
styloïde du cubitus.
Mais ce qui frappe surtout, c'est une raréfaction osseuse intéressant tous les
os du carpe, l'extrémité inférieure du radius et du cubitus, la tête des méta-
carpiens. Les travées osseuses sont effacées. L'os est devenu plus transparent.
plus homogène, mais le contour des différents os reste facile à suivre, au
moins sur le cliché.
La comparaison des deux radiographies côté sain et côté blessé est absolu-
ment démonstrative (Notons en passant que les deux mains ont été radiogra-
phiées sur un même cliché pour éviter toute erreur d'interprétation imputable
à une différence dans le temps de pose ou l'éclairage. La source lumineuse était
située sur une verticale tombant au centre du radio-chromomètre de Benoit,
placé lui-même à égale distance des deux mains).
Telles furent les lésions constatées quatre mois après l'accident.
Six mois plus tard (novembre), nous avons pu examiner à nouveau le
blessé. Il a repris depuis quatre mois un travail très réduit, proportionné à
ses forces, et l'état local s'est aggravé sous certains rapports. La force mus-
culaire a diminué. La sensibilité s'est atténuée sous tous ses modes dans
toute l'étendue de la main, du bras, de l'épaule, jusque dans la région du grand
pectoral et la région scapulaire. La peau est légèrement cyanosée. La contrac-
tilité faradique (appareil à chariot, intermittences lentes, une par seconde)
donne une diminution variant de une division à deux divisions pour tous les
groupes musculaires de l'avant-bras, du bras et de l'épaule.
Deuxième radiographie (10 mois après l'accident). Une nouvelle radio-
graphie nous ayant donné un cliché absolument superposable à celui qui avait
été recueilli six mois plus tôt, il nous a paru inutile de le reproduire. '0
RÉSUMÉ DE L'OBSERVATION I.
Traumatisme initial ayant occasionné une fracture du scaphoïde et des
lésions légères de l'extrémité inférieure du radius et du cubitus. A la suite
de cet accident, évolution de troubles trophiques semblant avoir débuté par
les os ou tout au moins paraissant avoir atteint d'emblée dans les os une
importance prépondérante, devançant les lésions de même ordre observées
plus tard dans les muscles et la peau. Les lésions osseuses ne sont pas limi-
tées aux os intéressés par le traumatisme, mais s'étendent à une certaine
distance du foyer primitivement lésé. Les altérations osseuses, manifestes
470 ' HALIPRÉ ET JEANNE
quatre mois après l'accident, ne se sont pas modifiées dans les six mois qui
ont suivi.
Observation II (PI. LXXIV).
Un homme de 54 ans fait en avril 1907 une chute d'une hauteur de 4 mè-
tres et tombe sur les genoux et le poignet droit. Quand il se relève, il lui est
impossible de se servir de la main. Un appareil est appliqué pendant trois
semaines. On constate quand on enlève l'appareil une déformation dont rend
compte la première radiographie pratiquée deux mois après l'accident.
Première radiographie (juin 1907) : Fracture de l'extrémité inférieure du ra-
dius avec mouvement de bascule en dehors ayant entraîné toute la main. La
partie compacte de l'os a pénétré dans la partie spongieuse de la tête, amenant
en outre par ce télescapage une ascension de la tête du radius. Les lésions du
cubitus sont insignifiantes.
Tous les os du carpe, la tête et la base des métacarpiens, l'extrémité infé-
rieure du radius et du cubitus présentent une atrophie osseuse très marquée.
Les os sont transparents ; on ne retrouve aucune trace des travées osseuses
normales ; la décalcification est très prononcée.
Le blessé affirme que la position de la main, son aspect extérieur, les dou-
leurs, les troubles objectifs de la sensibilité étaient dès cette époque compara-
bles à ceux que nous constatons aujourd'hui. L'impotence fonctionnelle était
à peu près absolue.
Actuellement, quatre ans après l'accident, le blessé ne peut se servir de sa
main, l'ankylose partielle des articulations du poignet et des doigts, la perte
de la force musculaire empêchent tout travail.
La main est étendue sur l'avant-bras ; tous les mouvements de la main sur
le poignet sont très limités (flexion, extension, latéralité, pronation, supi-
nation).
Les doigts sont placés dans l'extension à peu près complète et les différents
mouvements de flexion sont très limités, seul le pouce a conservé une certaine
liberté de mouvements. La peau des quatre derniers doigts est épaissie,
lisse, contrairement à ce qui existe pour le pouce qui présente l'aspect normal.
La peau de la face palmaire et de la face dorsale de la main n'offre aucune
altération. Elle est souple, non épaissie, non oedématiée.
Nous insistons sur ces caractères avec intention pour bien montrer que les
lésions rendues si évidentes par la radiographie, au niveau des métacarpiens
en particulier sont indéniables. L'absence dans celte région de toute modifica-
tion des parties molles permet d'écarter une erreur d'interprétation qui serait
due à la modification de l'image radiographique par des oedèmes. Il s'agit donc
bien d'une lésion osseuse. Cet exemple leverait tous les doutes s'il en pouvait
subsister.
Sensibilité. Atténuation légère pour tous les modes de sensibilité sur la
main (pouce excepté) et l'avant-bras. Cette atténuation est extrêmement faible,
car le blessé perçoit le contact d'une boulette de coton,
Troubles vaso-moteurs. Dans la position de repos, à l'abri du froid, on
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XXIV. Pl. LXXIV
Poignet traumatisé
radiogr. 4 mois après l'accident
Poignet témoin
DYSTROPHIES OSSEUSES POST-'l'RAU.tA1'IQUES
(Halipré et Jeanne).
Poignet traumatisé
radiogr. 2 mois après l'accident
Masson & Cite, Editeurs. '1
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XXIV. Pl. LXXV
DYSTROPHIES OSSEUSES POST-TRAUMATIQ.UES
(Halipd et Jeanne/.
Obs. III. Luxation du semi-lunaire; l'os luxé est intact ; contraste avec la décalcification
des autres os du carpe.
Masson &. Cil" éditeurs.
DYSTROPHIES OSSEUSES POST-TRAUMATIQUES 477
ne remarque aucun changement de coloration.Sous l'influence du froid, la main
devient légèrement violacée. Elle est plus sensible au froid que la main
gauche.
Ces troubles circulatoires auraient existé dès le début. Ils ne se sont pas
modifiés.
Atrophie musculaire. - Les éminences thénar et hypothénar sont un peu
atrophiées. A l'avant-bras, on trouve une diminution d'un centimètre pour la
circonférence prise au-dessous du pli du coude, entre les deux côtés.
La force de préhension est à peu près nulle, le mouvement d'opposition en
raison de l'ankylose en extension des quatre derniers doigts, ne pouvant
s'effectuer qu'entre le pouce et la deuxième phalange de l'index.
Deuixémc radiographie (novembre 1911). Une radiographie, faite plus
de quatre ans après la première, montre une amélioration manifeste. Les os
sont plus opaques, les travées osseuses se reconstituent.
Toutefois la comparaison des deux mains montre encore une différence des
plus nettes entre les deux côtés. La décalcification existe sur l'extrémité in-
férieure du radius et du cubitus, sur les os du carpe, sur le métacarpe et les
phalanges.
Résumé DE L'OBSERVATION II.
Fracture de l'extrémité inférieure du radius droit ayant entraîné une an-
kylose partielle du poignet et une ankylose presque complète des quatre
derniers doigts. Réduction à peu près absolue de la capacité de travail. Une
première radiographie faite deux mois après l'accident révèle l'existence
d'une décalcification des os du carpe, de l'extrémité inférieure du radius et
du cubitus, de la têle et de la base des métacarpiens. La deuxième radiogra-
phie faite quatre ans plus tard montre une reconstitution partielle de la
trame osseuse au niveau du carpe, laissant toutefois subsister une différence
appréciable entre les deux côtés. La décalcification reste très marquée au
niveau du métacarpe et des phalanges.
(N. Il, Les deux épreuves onl été faites sur la même plaque.)
L'interprétation des faits de ce genre pouvait êlre rendue plus facile
par les notions acquises sur les atrophies abarticulaires. Un troisième cas
se présentant dans des conditions particulièrement favorables à cet égard,
vient, nous semble-t-il, établir sur des bases précises l'analogie que l'on
pouvait soupçonner entre les amyotrophies abarticulaires et les atrophies
osseuses posl-traumatiques.
Observation III (PI. LXXV).
Le 30 mai 1910, le nommé P... tombe à terre d'une hauteur de 2 m. 50,
l'avant-bras étendu,sur la paume de la main droite. Le poignet enfle; la radio-
478 8 rr,w.rru6 : ET JEANNE
graphie u'est pas faite, malgré la demanda des Médecins traitants, et l'on se
contente de massages.
Au mois d'août, le blessé est vu par nous. Le poignet est tuméfié et raide,
« encloué », les doigts' à demi-fléchis, la main amaigrie. L'ankylose radio-
carpienne est complète, l'impotence est absolue. Nous portons le diagnostic
clinique de luxation ancienne du semi-lunaire, diagnostic confirmé par la radio-
graphie.
Radiographie. L'épreuve de profil montre l'énucléation du semi-lunaire ;
le grand os est derrière lui et s'est mis en rapport avec le rebord postérieur
du radius.
L'épreuve de face montre une déformation et un agrandissement de l'os
semi-lunaire.
Mais, fait inattendu, tandis que son ombre est opaque, vigoureuse, tous les
autres os du carpe donnent une ombre plus claire, demi-transparente, et sont
manifestement atteints d'ostéite raréfiante.
Cette raréfaction atteint également les bases et les têtes des métacarpiens, et
l'extrémité inférieure des deux os de l'avant-bras. Elle est particulièrement
accentuée au niveau de la tête du cubitus.
Or les interventions opératoires confirmèrent de tous points la radio-
graphie.
Dans une première opération, faite le 15 août, le semi-lunaire fut enlevé ; il il
était normal. Une seconde intervention faite le 18 septembre pour remédier à
des raideurs persistantes enleva la plupart des os du carpe. Ils étaient fria-
bles, s'effritant, s'écrasant sous les pinces, graisseux, minces ; leur surface
poreuse, piquetée.
En sorte que les constatations directes furent en parfait accord avec l'exa-
men aux rayons X.
*
....
Dans ce cas, la clinique a réalisé une véritable expérience de labora-
toire. Le seul os qui ait conservé une structure sensiblement normale est
détaché du massif osseux et a perdu de ce fait ses connexions vasculaires
et nerveuses. Le semi-lunaire arraché de sa loge se comporte comme les
muscles dont les filets sensitifs ont été sectionnés et qui ne présentent
qu'une atrophie lente proportionnelle à l'impotence du membre. Les os
qui ont conservé leurs relations normales avec les centres nerveux pré-
sentent au contraire l'atrophie osseuse caractéristique. La lésion s'étend
au delà du foyer traumatisé. Il y a atrophie osseuse articulaire et abrcrti-
culaire comme il y avait amyotrophie abarticulaire.
Intérêt de la question au point de vue des accidents
du travail.
S'il est intéressant de connaître l'existence des atrophies osseuses post-
DYSTROPHIES OSSEUSES t'oST=r111UVIATIQUI.S 47') )
traumatiques et de pouvoir déterminer leur fréquence elles conditions
de leur apparition, il est surtout important d'établir dans quelle mesure
cette lésion entraîne pour l'ouvrier blessé une diminution de la capacité
de travail.
La lumière est loin d'être faite sur ces points.
Imbert et Gagnière (1), ayant passé en revue 3.000 clichés, ne peuvent
donner, disent-ils, de statistique, mais ont l'impression que les atro-
phies osseuses sont assez fréquentes. Pour notre part, nous avons mis il 1
contribution l'obligeance de M. Gascaud et nous avons examiné une ving-
taine de clichés de fractures de l'avant-bras. Nous n'avons relevé de lésion
nette que dans les trois cas que nous publions.
Il est vrai que suivant la remarque judicieuse de Imbert et Gagnière,
la date d'apparition de l'atrophie peut être très variable.
Elle n'a pas eu le temps de se produire si la radiographie est pratiquée
à une date rapprochée de l'accident en vue d'aider au diagnostic. Elle
peut avoir disparu s'il s'agit d'une radiographie tardive faite après conso-
lidation de la blessure. Pour établir la fréquence et les conditions d'appa-
rition, il faudrait faire des examens systématiques et répétés en vue de
cette recherche spéciale. -
La durée de l'atrophie peut être fort longue. Nos Confrères citent des faits
datant de quinze mois, deux ans et deux ans 1/2, dans lesquels l'atrophie
persistait avec ses caractères habituels. Chez notre premier malade, la
lésion osseuse persiste dix mois après l'accident. Et cela malgré une reprise
de travail datant de quatre mois et un élat de santé excellent.Chez le blessé
de l'observation 11, la radiographie montre quatre ans après l'accident des
lésions encore très nettes. Les deux cas ne sont pas superposables car le
second blessé, contrairement au premier malade, n'a pas repris le travail.
L'existence de l'atrophie osseuse étant démontrée, y a-t-il lieu d'en
tenir compte en matière d'expertise chez les accidentés du travail ?
Comme nous l'avons vu, la constatation d'une lésion osseuse chez notre
première malade modifia complètement notre impression première. An
moment de l'examen, les symptômes accusés par le blessé, douleurs,
perte des forces, nous paraissaient très exagérés. En effet, la palpation
était peu douloureuse; la réduction des mouvements n'était pas excessive,
étant donnée la date rapprochée de l'accident ; il n'y avait pas de craque-
ments articulaires; la sensibilité était à peu près normale; il n'y avait pas
de troubles vaso-moteurs. Comment dans ces conditions songer à une lésion
grave, alors que le traumatisme lui-même n'avait entraîné que des dé-
sordres peu importants.
(1) Loc. cit.
480 HAL1PRÉ ET JEANNE
L'examen de la radiographie fut pour nous une révélation ; et modifia
totalement notre appréciation. Nous sommes heureux d'avoir tenu compte
de ces données, puisque, au cours des six mois qui suivirent, l'état du
blessé, loin de s'améliorer, s'est plutôt aggravé. Dans ce cas, la lésion tro-
phique des os constitua un signe précoce, peut-être même un signe pré-
curseur de grande valeur.
Un fait isolé ne suffit pas pour poser des conclusions. Il mérite pourtant
d'être retenu, car s'ajoutant aux cas déjà publiés, il comporte un ensei-
gnement. Toutes les fois qu'un blessé accuse des sensations douloureuses et
une perte des forces qui ne paraissent pas justifiées par les signes objectifs,
qu'il s'agisse des membres supérieurs ou des membres inférieurs, il y a
lieu, avant de s'arrêter l'idée de simulation ou de sinistrose, de pratiquer
la radiographie. Un résultat positif constituera dans ces cas un élément
précieux qu'il serait impossible de négliger.
Conclusions. Ceci posé, nous ne pouvons que reproduire presque
textuellement les conclusions de la thèse de Sans; elles nous paraissent
résumer l'état actuel de la question :
to On peut observer à la suite d'un traumatisme banal, qui n'intéresse
en aucune façon les troncs nerveux, une décalcification, véritable dystro-
phie osseuse, de la région blessée et des os voisins. Cette altération peut
s'étendre à une notable distance du foyer traumatisé. Cette décalcification
n'est pas en rapport direct avec l'importance du traumatisme ;
2° L'analogie qui existe entre cette dystrophie osseuse et les amyotro-
phies abarticulaires permet d'attribuer à ces deux ordres de lésions une
origine identique.
La clinique, l'expérimentation, l'anatomie pathologique ayant montré
que les atrophies abarticulaires sont sous la dépendance du système ner-
veux, on peut considérer également l'atrophie osseuse post-traumatique
comme un véritable trouble trophique.
3° Les dystrophies osseuses peuvent constituer un élément d'apprécia-
tion important dans l'évaluation du taux d'incapacité chez les accidentés
du travail.
Bien qu'il soit impossible de déterminer exactement l'influence de ces
atrophies osseuses sur les incapacités fonctionnelles, il est légitime d'en
faire état pour relever le taux de l'indemnité, sous réserve de provoquer
un nouvel examen médical dans les délais de révision.
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE
(Suite et fin) ,
PAR
D. NOICA,
de Bucarest.
Nous allons décrire dans ce chapitre le second groupe de phénomènes
ataxiques qu'on observe chez les tabétiques et le mécanisme qui les pro-
duit.
Ces phénomènes, nous les trouvons seulement chez des malades qui pré-
sentent de grands troubles de sensibilité, et en particulier du sens des atti-
tudes, appelé aussi sens articulaire ou sens musculaire.
Observation I.
La première fois que nous nous sommes rendu compte de cette étroite rela-
tion entre ces phénomènes ataxiques et le sens articulaire, c'était chez un ma-
Jade atteint d'une hémiplégie droite, qui présentait, avec de grands troubles de
sensibilité superficielle et profonde surtout aux extrémités, des membres ma-
lades quelques phénomènes ataxiques. Voilà ce qu'on observait chez ce
malade, dont nous n'avons pas pu prendre indépendamment de notre vo-
lonté l'observation complète.
Si je disais à ce malade de toucher avec sou index droit le bout de son nez,
les yeux fermés, il tâtonnait à l'entour, sans pouvoir arriver à le toucher. Pen-
dant ces tâtonnements, je l'ai vu s'arrêter avec son index, à une hauteur de
deux ou trois centimètres au-dessus du nez, quand il fallait, pour réussir, qu'il
fasse simplement uu mouvement de llexion avec son index. Je lui demandai
alors pourquoi il ne touchait pas son bout du nez ? Qu'est-ce qu'il attendait ? ! \la question fut même un peu vive, tellement j'étais surpris de voir que le
malade, ne faisait pas cette chose, qui me paraissait à moi si simple. Alors il
me répondit qu'il voulait bien faire ce que je lui demandais, seulement il ne
le pouvait pas, car quoiqu'il savait où se trouvait le bout de son nez ; il ne se
rendait plus compte de la position dans laquelle se trouvait son doigt. C'est
alors que nous avons eu l'idée de mettre son doigt sur le lobule de l'oreille,
et après l'avoir senti, et s'être rendu bien compte où se trouvait cette fuis-ci
son index dans l'espace, nous lui avons demandé d'aller directement au bout
482 noica
du nez par le chemin le plus court, mais sans quitter un moment le contact
entre son doigt et la peau de la figure. En effet de cette manière, le malade a
parfaitement bien réussi. Nous avons fait ensuite l'expérience contraire,en de-
mandant au malade, que tout en partant du lobule de l'oreille avec le doigt,
d'aller toucher le bout de son nez, après avoir quitté le contact et voltigé un
peu en l'air avec son doigt. Cette fois-ci le malade n'a pas pu exécuter notre de-
mande, car une fois le lobule quitté son doigt s'est égaré dans l'espace.
De celte épreuve et de cette- : contre-épreuve, nous étions par conséquent au-
torisés de tirer la conclusion que, si notre malade se trouvait dans l'impossi-
bilité de loucher son nez, avec les yeux fermés car avec les yeux ouverts il
réussissait - c'était,parce qu'il avait perdu la notion de savoir à tout moment
où se trouvait son doigt dans l'espace. Si une personne normale louche
même avec les yeux fermés le bout de son nez, c'est parce qu'elle se rend
compte continuellement de la situation que son doigt occupe dans Cespace, et
celte connaissance, elle ne peut l'avoir que par le sens des attitudes.
Au contraire, notre hémiplégique ataxique, n'ayant plus ce sens, ne peut
toucher son bout du nez que s'il a les yeux ouverts. En d'autres termes,
par la vue il a pu remplacer le sens des attitudes, et en lui fermant les yeux,
nous avons pn réussir à lui faire exécuter le mouvement, en lui permettant de
remplacer la vue par le toucher. Ces faits d'ailleurs n'ont rien de nouveau, ils
sont connus déjà dans la science, surtout depuis Lasègue.
Les expériences précédentes, nous les avons reproduites avec le même
résultat chez nos malades tabétiques, ataxiques des membres supérieurs,
et puis encore chez un autre hémiplégique ataxique.
Mais ces expériences et d'autres analogues que nous allons exposer
bientôt, nous les avons étudiées minutieusement en les variant à l'infini
chez un malade tabétique et très ataxique, dont l'observation sera expo-
sée maintenant.
Observation II.
Il s'agit d'un malade, J... A..., tabétique et ataxique des quatre membres,
âgé de 56 ans, et entré à l'Hospice Zerlendi, le 12 avril 1906. Rien d'intéres-
sant dans ses antécédents héréditaires et collatéraux.
Il dit avoir souffert de taenia et de blennorrhagie, mais nie avoir eu la
syphilis. Il reconnaît avoir souffert longtemps de'maux de tète. Marié, il a eu
deux enfants qui sont morts, l'un do la rougeole, l'autre il ne sait pas de quoi.
Sa femme vit encore et dit n'avoir jamais eu de fausses couches. Sept ans
avant de tomber malade de tabès, il a eu une hémiplégie droite, qui a été gué-
rie au membre supérieur presque complètement, mais son membre inférieur
est resté paralysé depuis ; son tabès est survenu pendant qu'il était encore pa-
ralysé, par des engourdissements aux pieds, qui petit il petit ont envahi tout
le corps, y compris les membres supérieurs, sauf la tête. Puis sont survenues
des douleurs assez fortes dans les membres, mais non comparables au début
avec les douleurs fulgurantes. Rapidement la marche est devenue difficile et
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 483
même impossible et les mains très maladroites. La malade se trouve dans l'im-
possibilité de marcher depuis 19 ans. Trois ans après le début du tabès, il a com-
mencé à souffrir et souffre aujourd'hui encore de douleurs fulgurantes et téré-
brantes, qui sont calmées de temps eu temps avec des injections de morphine.
Etat actuel. Le malade, d'une apparence très forte et un peu obèse, ne
quitte jamais le lit. On le trouve toujours couché dans son lit dans la position
dorsale, ou assis dans son lit avec les jambes croisées.
Du côté de la tête, on ne remarque rien d'anormal. Les pupilles sont égales,
mais ne réagissent pas à la lumière et réagissent à la distance (signe d'Argyll-
Roberston positif). '
Le membre supérieur droit ne se ressent plus de l'attaque d'hémiplégie que
le malade a eue autrefois ; la force dynamométrique à la maiu droite indique
95 divisions et à gauche 85 divisions.
Le membre inférieur droit est.au contraire bien paralysé, car le malade peut
à peine faire quelques mouvements limités de flexion et d'extension du genou,
mais il est incapable de détacher le membre entièrement de la surface du lit.
Quant à la résistance qu'il oppose aux mouvements que nous voulons imprimer
à cette jambe elle est nulle.
Les mouvements actifs du membre inférieur gauche sont conservés, mais
faibles et limités, il peut à peine le soulever à 20 centimètres au-dessus du lit,
et ne peut pas aller plus loin, parce que, dit-il, il sent des douleurs très gran-
des du côté du bassin. Tous les réflexes tendineux et cutanés sont abolis des
deux côtés, aux membres supérieurs comme aussi aux membres inférieurs. Le
malade souffre de constipation, mais jamais de troubles de mictions.
Le malade présente des troubles très grands de sensibilité générale, car il
ne peut apprécier le toucher un morceau de papier qu'on lui passe légè-
rement sur la peau - que seulement sur la peau de la tête, du cou et jus-
qu'à deux travers de doigts au-dessous des clavicules. Tout le reste du corps,
plus bas, est insensible au loucher. Sur les mêmes parties où le toucher est
aboli, les sensations au chaud au froid et à la douleur par la piqûre d'épin-
gle sont très diminuées ; elles sont bien conservées au-dessus. Le sens des at-
titudes est complètement perdu aux articulations des membres inférieurs et à
toutes les articulations des membres supérieurs, sauf aux articulations sca-
pndo-humérales. Le sens de la pression est aussi presque complètement perdu
sur la même surface que les autres sensibilités. Les mouvements de la tête
sont conservés et bien sentis par le malade. -
Reprenons maintenant nos expériences précédentes. Nous disions qu'avec
les yeux bandés, le malade pouvait toucher le bout de son nez, du moment que
depuis le lobule de l'oreille, son point de départ, jusqu'au nez, son point d'ar-
rivée, la peau avait conservé le toucher, mais à la condition que le doigt ne
quitte pas le contact.
Voici d'autres expériences. Nous demandons au malade, de partir avec son
doigt - toujours avec les yeux bandés - du bout du nez, et d'aller toucher l'om-
bilic sans quitter le contact de la peau. Observons ce qu'il fait : il part résolu-
ment dans la bonne direction, mais une fois qu'il a dépassé la ligue des clavi-
484 NOICA
cules, il quitte la peau -à ce moment il est tombé dans la zone où le toucher
est disparu et à partir de ce moment il agite le doigt en l'air plus ou
moins au-dessus de l'ombilic, mais sans pouvoir parvenir à le toucher.
Une autre expérience est l'inverse de celle-ci. Nous lui demandons de partir
de son ombilic, qu'il sent peut-être un peu, si nous pressons fortement son
doigt dessus, et d'aller toucher le bout de son nez. Voici ce qu'il fait : aussitôt
qu'il a lâché l'ombilic, et cessé d'appuyer sur son ventre, le doigt quitte la
peau, et il serait en impossibilité d'exécuter notre demande, s'il ne survenait
le fait suivant : le malade quittant de sa main brusquement l'ombilic, vient tou-
cher son cou ; alors,sentant le contact,on voit le malade chercher avec la pulpe
de son index, pour bien se rendre compte où il se trouve, et une fois qu'il est
bieu assuré que le doigt touche un point connu de son corps, il part sans hési-
tation par le chemin le plus court, pour toucher le bout de son nez, cette
fois-ci sans quitter le contact de la peau. .
Voici encore une dernière expérience de ce genre. Si le malade part avec
son doigt de l'ombilic pour arriver à l'épine iliaque, ou de celle-ci vers l'om-
bilic,il n'y arrive pas ; car en quittant immédiatemont la peau,dès qu'il a com-
mencé à déplacer son doigt,le malade promène son doigt inutilement dans l'air.
Ces deux points, l'ombilic et l'épine iliaque, sont situés, nous le rappelons,
dans une zone de la peau qui a perdu le sens du toucher.
Il nous semble que ces expériences prouvent une fois de plus le rapport
qui existe entre la motilité et la sensibilité, et la faculté que nous avons de
remplacer un sens par un autre.
Le sens des attitudes,ou sens musculaire, n'est pas seulement utile pour diri-
ger volontairement nos membres vers un but déterminé, quand nous avons les
yeux'fermés, ou que nous ne regardons pas nos membres quand ils se meu-
vent, comme nous venons de le voir, mais il est utile aussi pour les qualités que
nous voulons donner à ces mouvements. Parmi ces qualités,nous pouvons citer
la vitesse : c'est grâce à cette sensibilité profonde que nous dirigeons nos
membres et nos segments des membres, avec la vitesse que nous voulons, et
dont nous avons connaissance à tout moment, par des renseignements qui
nous arrivent de la périphérie à notre conscience. Il est connu que le malade
ataxique, non seulement n'arrive pas à toucher avec un doigt son bout du
nez quand il a les yeux fermés, mais aussi que, s'il veut faire ce mouvement,
il va très vite et alors il heurte sa figure dans différents points. Ce fait s'ob-
servait nettement chez notre malade, et voilà encore quelques expériences
analogues, que nous avons fait faire sur lui dans ce sens, en partant de l'ob-
servation suivante. Le malade était dans l'impossibilité de quitter son lit, il
prenait ses repas dans son lit. Je remarquai un jour, quand il était en train
de déjeûner, que pour couper son pain, le patient se soulevait sur son séant,
croisait ses jambes et mettait une planche carrée de bois sur ses genoux.
Pendant qu'il tenait avec la main gauche son pain, il coupait vigoureusement
de grandes tranches, avec le couteau qu'il tenait dans la main droite. Comme le
malade coupait son pain trop vite et trop brusquement, je lui ai demandé pour
quoi, au lieu de couper doucement la tranche, il allait si brusquement, car il
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 485
peine mettait-il le couteau sur le pain, qu'il arrivait à la croûte opposée, tel-
lement il appuyait fort. Le patient nous répondit ne pas comprendre lui-
même pourquoi il ne peut pas couper le pain en allant doucement, mais c'est
bien à cause de cette brusquerie involontaire qu'il met la planche sur les
genoux, car autrement il risquerait de se couper les genoux. En effet, on
voit sur la planche de nombreuses incisions faites avec le couteau. S'il vou-
lait couper son pain les yeux fermés, cela lui serait impossible, parce qu'ayant
perdu le toucher et le sens de la pression,il ne peut pas se rendre compte qu'il
tient le pain dans la main gauche, et même s'il le pouvait, en arrivant à
la croûte opposée, il continuerait de couper dans la planche, car il ne se rend
pas compte de la longueur du mouvement, de la résistance qu'il rencontre,
ni du grand effort qu'il doit faire en coupant dans la planche au lieu de
couper le pain. Ces phénomènes, de couper brusquement et de couper même
la planche de bois, sont consécutifs à la perte du sens profond. Nous avons vu
aussi que pendant que le malade coupait son pain les yeux fermés, souvent le
couteau déviait et coupait de travers, sans que le malade puisse s'en rendre
compte. Ce phénomène doit être attribué de même à la perte du sens profond.
A la place du pain, nous lui avons donné une orange pour la couper en tran-
ches, et nous avons vu les mêmes phénomènes. Il la coupait trop brusquement,
même les yeux ouverts, et en y portant toute son attention ; et quand il
coupait avec les yeux fermés, en finissant de couper la tranche, il continuait
à couper dans'la planche, sans se rendre compte de ce qu'il faisait.
Nous avons voulu analyser encore ce phénomène de brusquerie. Dans ce
but je lui ai donné un dynamomètre, en lui recommandant de serrer jusqu'à
la 20D division, et puis de s'arrêter. Pour plus de facilité je lui ai dit de suivre
l'aiguille avec les yeux. Le résultat a été que le malade dépassait toujours le
but de 5 et même 10 divisions. Je lui ai demandé de serrer le dynamomètre
jusqu'à la 501, division, en faisant des étapes, trois par exemple. Jamais il n'a
pu y réussir, même en regardant l'aiguille, parce que dès le début de l'effort de
serrer, il arrivait, presque jusqu'à la fin, jusqu'à la 45e division par exemple.
De ces exemples il résulte que le malade ne peut graduer la vitesse du
mouvement qu'il désire faire, et donne dès le début le maximum de l'effort ;
de plus, il ne se rend compte ni de la direction, ni de la vitesse, ni de la résis-
tance qu'il rencontre, ni des nouveaux efforts qu'il fait pour surmonter cette
résistance.
Je citerai maintenant d'autres expériences. En lui fermant les yeux, j'ai mis
entre le pouce et l'index du malade, qui s'appuyait de la main droite sur la
planche, une pierre ronde, et je lui ai dit de la prendre et de la soulever en
l'air. Il nous répondit qu'il ne pouvait pas le faire, car il ne sentait pas qu'il
avait quelque chose entre les doigts. Je lui ai dit alors d'ouvrir les yeux et de
prendre la pierre qu'il voyait maintenant devant lui. Le malade, après quel-
ques hésitations, la prit entre son pouce et son index, mais il la serra avec une
telle force que la pierre lui échappa. On remarqua, à ce moment-là, que plus
il serrait de ses deux doigts, plus les autres doigts se fléchissaient aussi nous
reviendrons plus loin sur ce dernier phénomène. Le malade nous explique
XXIV 31
486 ' noicA
pourquoi il serre si fort l'objet : « pour pouvoir sentir la pierre jusqu'à
l'os ». Certainement si la pierre avait des facettes, il lui serait plus facile de la
prendre, car elle ne pourrait pas glisser, même en la serrant fort. Si elle glis-
sait facilement quand la pierre était ronde, c'était parce qu'en serrant, les
doigts - pour une cause que nous verrons plus loin - se fléchissaient sur
eux-mêmes plus qu'il ne faut, et alors la pierre glissait sur le dos de l'index, et
ne pouvant plus être maintenue, elle lui échappait.
Mais pourquoi serrait-il si fort et si vite ? C'est parce qu'il ne savait pas
graduer son effort, et en même temps il ne se rendait pas bien compte qu'il
avait un objet entre ses doigts, et surtout il n'était pas sûr qu'il leserraitsuffi-
samment pour qu'il ne lui échappe pas.
Je lui donnai de la mie de pain, en le priant d'en faire des boulettes. Le
malade, malgré sa bonne volonté, ne réussissait pas, parce que toutes les fois
qu'il voulait en faire, il écrasait la mie entre la pulpe de ses doigts et même
très souvent elle lui tombait en miettes des doigts. Cette expérience était plus
démonstrative encore et on comprend pourquoi - quand le malade la faisait
avec les yeux fermés.
L'explication est la même que dans le cas précédent : le malade écrasait la
mie, parce qu'il la pressait trop vite et trop fort, et tout ceci parce qu'il man-
quait de sensations de la périphérie.
Il résulte de ces deux exemples que la motilité volontaire pour la préhen-
sion est très troublée quand il manque aux malades des sensations périplié-
riques, comme celles du sens du toucher, de la pression et du sens musculaire
ou articulaire.
Nous allons passer maintenant à une autre série de troubles que présente ce
malade, et que nous attribuons seulement à la perte du sens articulaire. Nous
voulons parler de l'impossibilité dans laquelle se trouve aujourd'hui notre
malade de faire beaucoup de mouvements isolés des doigts. Voici quelques
exemples :
1° Il peut fléchir isolément le pouce et l'index de chaque main, mais il ne
peut fléchir isolément chacun des autres derniers doigts, car tous les cinq se
fléchissent ensemble.
2° Les mouvements d'opposition du pouce à la main gauche se font avec
chacun des autres doigts, tandis qu'à la main droite ils se font seulement avec
l'index et avec le médius et si le malade essaie de les faire avec les autres, tous
les doigts se rapprochent en même temps.
3° S'il veut étendre un seul doigt, laissant les autres faire le poing, il réus-
sit un peu, mais s'il veut étendre complètement ce doigt, il est obligé d'ouvrir
toute la main.
Ces troubles, on les observe quand le malade a les yeux ouverts, mais s'il
ferme les yeux, ils sont encore plus accentués, car il ne peut plus faire de
mouvement isolé avec aucun de ses doigts, ni même l'ébaucher, parce que tous
les doigts se ferment et s'ouvrent à la fois, sans la moindre résistance. Les
mouvements d'ensemble remplacent si impérieusement les mouvement isolés,
que le malade ne peut pas même relâcher un doigt et plier les autres seule-
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 487
ment. Par exemple, s'il ferme le poing, et si nous désirons lui ouvrir passive-
ment un doigt du milieu, pendant que les autres restent fermés, le malade ne
nous laisse pas faire, car en tenant fermés ceux-ci,il serre aussi celui que nous
désirons étendre passivement.
De ces expériences, on comprend très bien que même avec les yeux ouverts
beaucoup de mouvements nécessaires à l'homme sont troublés chez notre ma-
lade, à cause de cette perte des mouvements isolés des doigls. Nous allons
citer quelques exemples.
Le malade ne peut pas frapper avec un doigt isolément, comme ferait un
pianiste en frappant sur une seule touche, car tous les doigts se mettent à
frapper ensemble.
Dans un exemple antérieur, nous avons vu que le malade ne peut pas pren-
dre un objet entre le pouce et l'index, qui doivent faire la pince, sans que tous
les doigts ne fléchissent ; en plus, ils se fléchissent tellement que l'objet glisse
sur le dos de l'index, de sorte qu'il lui échappe.
S'il veut prendre un crayon entre le pouce et l'index pour écrire, tous les
doigts se ferment et même plus qu'il n'en faut, et le crayon glisse entre le dos
des doigts et la pulpe du pouce, et ne pouvant plus être maintenu, il tombe.
Il rencontre la même difficulté pour prendre une pièce de monnaie, à moins
qu'on n'ait réussi à la redresser.
Mais dans ces derniers exemples, il y a deux éléments qui sont troublés :
1° tous les doigts se fléchissent, quand nous voulons nous servir seulement
du pouce et de l'index ce qui s'explique par l'absence des mouvements iso-
lés et 2° tous, y compris le pouce et l'index, ne font pas la pince, mais
se fléchissent segment sur segment. Ce dernier phénomène est susceptible d'une
autre explication que nous verrons plus loin.
Nous citerons maintenant d'autres phénomènes que nous observons chez le
même malade. Il s'agit de l'impossibililé dans laquelle il se trouve de faire
des mouvements volontaires avec une seule main ou avec un doigt d'une seule
main, sans que le même mouvement ne se reproduise involontairement du côté
opposé. Voici quelques exemples.
1° Quand le malade fléchit un doigt, même de ceux qu'il peut remuer isolé-
ment, il ne peut pas le faire à une seule main, car celui de l'autre main se
ferme aussi.
2° Quand il veut étendre un doigt, nous avons vu qu'il peut l'étendre un
peu, pendant ce temps celui du côté opposé ne s'étend pas ; mais si le malade
insiste pour étendre le doigt complètement, on le voit faire des efforts inutiles,
à moins qu'il ne les lâche tous. - Durant tous ces efforts, les autres doigts,
pour ne pas s'ouvrir, se fléchissent de plus en plus fort, entraînant dans cette
flexion le doigt qu'on veut étendre. Pendant ce temps, l'autre main se ferme
aussi..
3° Quand il ferme une main, il ferme aussi l'autre; de même aussi pour
l'ouvrir, il ouvre les deux mains à la fois. Dans ce dernier cas, il arrive que,
nous nous opposons à ce qu'il ouvre une main, le malade, après avoir ouvert
488 NOICA
involontairement l'autre main, referme celle-ci et s'appuie avec elle sur son lit,
ou sur son genou, pour prendre, dit-il, plus de force.
Il faut que les mains soient bien rapprochées l'une de l'autre, et qu'il les
surveille très attentivement, pour qu'il puisse réussir à fermer une main sans
fermer l'autre ; et il y arrive bien incomplètement ; car, si le pouce de l'autre
main peut rester encore étendu, au contraire tous les autres doigts se ferment.
Mais si nous lui demandons, pendant qu'il fait le poing, de serrer un peu celui-
ci, ou simplement si nous lui demandons de faire le poing avec les yeux fermés,
il ferme alors simultanément l'autre main. De même avec les yeux fermés, il
ouvre les deux poings la fois, sans qu'il se rende compte de ce que fait l'autre
main.
Il peut plier et étendre le coude de chaque côté, sans faire le même mouve-
ment du côté opposé ; mais si nous lui résistons un peu, ou s'il exécute sim-
plement le mouvement avec les yeux fermés, le même mouvement se reproduit
alors de l'autre côté involontairement, et sans que le malade le sache. Les seuls
mouvements de l'épaule peuvent s'exécuter isolément. Nous rappelons avoir dit,
au cours de l'observation du malade, que c'était la seule articulation du mem-
bre supérieur où le sens des attitudes était conservé.
Il y a encore une autre série de mouvements que notre malade ne peul
plus faire, et qui sont très intéressants pour comprendre la grande nécessité
que nous avons du sens profond, dans l'exécution de nos mouvements déli-
cats el complexes de la main. C'est grâce au développement de celle sensi-
bilité profonde, et par un exercice que nous avons fait autrefois, que nous
pouvons exécuter tant de mouvements délicats avec noire main ; mais si
un jour cette sensibilité disparaît, par une lésion organique comme celle
qu'on trouve chez tabétique, nous risquons de ne plus pouvoir faire tous
ces mouvements. Voici quelques exemples :
a) Je demande au malade de fléchir les deux dernières phalanges de tous
les doigts d'une main, en laissant les premières phalanges étendues sur les
métacarpiens correspondants. C'est un mouvement qui doit être fait par la
contraction des muscles fléchisseurs des doigts, qui fléchissent les deux der-
nières phalanges, et par les extenseurs des doigts qui étendent les premières
phalanges. Le malade, avec la meilleure volonté, ne peut pas faire ce douhle
mouvement : au début, on le voit fléchir toutes les phalanges, y compris les
premières, puis il essaie d'étendre ces dernières, tout en laissant les premières
fléchies; mais il ne peut réussir, car s'il insiste trop, toutes les phalanges
s'étendent à la fois.
2° On lui recommande de mettre la main dans telle position que les pulpes du
pouce et des autres doigts soient mises en contact et réunies en faisceau. Dans
ce but, pour pouvoir réussir, il faut étendre les deux dernières phalanges des
quatre derniers doigts et fléchir les premières phalanges sur les métacarpiens,
- ce qui est l'action des muscles interosseux et lombricaux puis il faut fléchir
en avant le pouce, pour pouvoir bien opposer sa pulpe aux pulpes des autres
doigts réunis - celle-ci,c'est l'action du court abducteur du pouce (Duchenne).
- Le malade, pour exécuter ce double mouvement, réussit à peine à opposer
LE MÉCANISME DE LATAXIE TABÉTIQUE 489
le pouce à l'index ; quant aux autres derniers doigts, ils fléchissent leurs pha-
langes les unes sur les autres. Je pense que les fléchisseurs interviennent ici
et troublent le mouvement, parce que le malade voulant approcher et serrer
sur la pulpe du pouce les autres doigts réunis en faisceau, le fléchisseur
commun des doigts intervient et annihile la fonction des interosseux, en flé-
chissant les doigts phalange sur phalange.
Plus haut, en parlant des mouvements d'ensemble des doigts, nous avons
dit que la malade ne pouvait prendre un objet rond entre le pouce et l'index,
car non seulement les autres doigts se fléchissaient, mais les deux premiers,
le pouce et l'index, se fléchissaient eux aussi, phalange sur phalange, et l'objet
glissait alors sur le dos des doigts et lui échappait. Il s'agissait là aussi d'un
mouvement combiné à exécuter : d'un côté, les interosseux étendaient le pouce
et l'index ; d'un autre côté, les fléchisseurs intervenaient pour serrer plus;
et comme ceux-ci sont les plus forts, ils annihilaient les autres, et toutes les
phalanges de tous les doigts se fléchissaient les unes sur les autres.
3° Un mouvement combiné est encore celui d'ouvrir la main, en étendant
complètement les doigts, c'est-à-dire y compris les deux dernières phalanges
de chaque doigt. En effet, quand on ouvre la main, par la seule contraction
des muscles extenseurs des doigts, le poing s'ouvre; les doigts s'étendent,
mais incomplètement, c'est-à-dire que seulement les premières phalanges s'éten-
dent bien sur les métacarpiens correspondants, tandis que les deux dernières
phalanges restent un peu fléchies. Pour étendre celles-ci, il faut que les inter-
osseux et lombricaux entrent en jeu pour leur propre compte. A l'état normal,
nous faisons ces deux mouvements d'un seul coup, nous ouvrons la main en
étendant complètement les doigts. Ce n'est pas la même chose avec notre ma-
lade, car si du côté gauche il peut faire ces deux mouvements en un seul
temps comme une personne saine, du côté droit, au contraire, où il recon-
natt d'ailleurs qu'il est plus maladroit -, il ouvre dans un premier temps la
main en étendant seulement les premières phalanges et seulement dans un
second temps, et avec beaucoup 'd'effort, il réussit à étendre aussi les deux
dernières phalanges.
La main du malade étant ouverte et tous les doigts bien étendus et écartés,
je demande au malade de rapprocher les doigts (adduction), tout en laissant toutes
les phalanges étendues. Le patient est incapable de faire ce mouvement, parce
que, en essayant de les rapprocher, il fléchit les doigts en même temps. C'était
encore un mouvement double que je lui demandais, car, pour approcher les
doigts, il fallait contracter les interosseux palmaires, qui approchent et fléchis-
sent en même temps les doigts, et pour les maintenir en même temps étendus,
il aurait fallu contracter les extenseurs.
Si je passe maintenant aux membres inférieurs, pour voir quels sont les
troubles moteurs provoqués par la perte de la sensibilité et en particulier par
la perte du sens articulaire, on constate, comme c'était à prévoir, qu'il serait
impossible de les étudier, parce que le malade ne peut ni marcher, ni même se
mettre debout. Il remue à peine le membre inférieur et ceci avec beaucoup de
difficulté. Je décrirai seulement un phénomène, analogue aux précédents que
490 NOICA
nous venons d'observer à la main, et chose curieuse, je l'ai observé chez ce
seul malade. La présence de ce phénomène seulement chez ce malade, tient
peut-être au fait,que ce n'est que chez celui-ci que nous avons trouvé des trou-
bles de la sensibilité, et en particulier de la sensibilité profonde, à un de-
gré aussi intense et tellement généralisés qu'il ne se rendait compte qu'aux
épaules et au cou des mouvements passifs qu'on lui faisait faire.
Si je demandais au malade de fléchir le genou, tout en maintenant le pied
correspondant renversé sur la jambe, il ne pouvait pas le faire. Il n'était
capable-d'exécuter ces mouvements que séparément, pas les deux à la fois.
Le malade se trouvait dans la même impossibilité, si on lui demandait d'étPn-
dre le genou, en tenant le pied renversé. Il ne réussissait à faire ce mouve-
ment, ainsi que le mouvement précédent, que s'il relâchait le pied.
Le malade nous explique cette difficulté en nous disant que, pour renverser
le pied avant de fléchir le genou, il faudrait raidir toute la musculature du
membre inférieur, et par conséquent, il ne peut pas plier en même temps le
genou. De même, il ne peut étendre le genou sans relâcher le pied, car tenant
celui-ci renversé, il raidit aussitôt les extenseurs de la cuisse, qui, à leur tour,
empêchent le genou de fléchir.
Cette impossibilité dans laquelle se trouve notre malade de pouvoir faire les
mouvements combinés avec le membre inférieur doit nous faire réfléchir un
instant. Nous' savons, depuis Duchesne, que la marche est une réunion de
mouvements combinés que nous faisons avec nos membres inférieurs. Par
exemple, pour porter la jambe en avant, quand on veut marcher, il faut, non
pas faire un mouvement de pendule comme l'ont cru les frères Weber, mais il
faut exécuter un vrai mouvement combiné : c'est-à-dire il faut fléchir la cuisse
sur le bassin, la jambe sur la cuisse et renverser le pied, et dans un temps
suivant, il faut étendre le genou, en tenant la pointe du pied en haut. Ce sont
ces mouvements combinés qui manquent ce malade. A quoi peut tenir cette
perte, sinon à l'absence du sens musculaire ou du sens des attitudes, comme
nous l'avons vu aussi au membre supérieur, pour beaucoup de mouvements
combinés ?
Quoique nous n'ayons pas trouvé chez nos autres malades, ataxiques des
membres inférieurs, cette absence des mouvements.combinés, il n'empêche pas
que nous avons trouvé de grands troubles de ce côté-là, comme nous le verrons
plus loin, dans les observations suivantes. Car, il ne suffit pas d'exécuter pen-
dant la marche tous les mouvements combinés, coordonnés dans un but dé-
terminé ; il faut encore que ces mouvements soient exécutés avec une étendue,
une vitesse et une alternance bien régulière, pour que la marche soit parfaite.
Déjà au membre supérieur nous avons vu chez notre malade que les mouve-
ments se faisaient trop rapidement et d'une étendue plus grande qu'il ne
fallait.
Si nous considérons que pendant la marche de pareils malades - que nous
verrons immédiatement il intervient aussi de grands troubles d'équilibre
cinétique -troubles ataxiques du premier groupe on comprend alors com-
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 491
Lien la marche chez l'ataxique, présentant les deux groupes des symptômes
ataxiques, doit être troublée.
Mais avant de citer des exemples de pareils malades, nous ne voulons pas
laisser incomplète l'observation actuelle. Nous désirons ajouter que celui-ci
présentait aussi au membre inférieur gauche des troubles du premier groupe,
parce que, en relevant la jambe en l'air, elle oscillait latéralement ; de même
elle oscillait s'il voulait toucher avec le talon le genou opposé. Il est vrai que
ces oscillations n'étaient pas grandes, car il soulevait la jambe à peine à une
hauteur de 20-30 centimètres. En plus, le malade présentait de très grands
troubles ataxiques du tronc, qu'on ne pouvait expliquer que par le même
mécanisme que les troubles ataxiques du premier groupe, c'est-à-dire qu'ils
consistaient en un trouble d'équilibre statique. Comme ces troubles ataxiques
du tronc étaient très démonstratifs, je désire les décrire un peu.
Déjà en s'approchant du malade, on était frappé de voir que le lit était d'un
côté fermé par une grande planche mise tout du long, Le malade nous explique le
besoin de cette planche : très souvent, en voulant se lever sur son séant, il
risquait, avant qu'on mît la planche, de tomber de son lit. Quand il est assis, il
croise les jambes l'une sur l'autre, et incline son corps un peu en avant. Le
malade ne peut pas rester assis avec les jambes étendues, sans que le corps ne
tombe en arrière (Cette position de rester assis avec les jambes étendues est
relativement difficile, même pour les hommes normaux avec un peu d'em-
bonpoint). Si je lui demande de redresser son tronc, immédiatement il perd
son équilibre, et risque de tomber en arrière, s'il ne mettait pas une main
pour prendre point d'appui sur la planche, ou s'il ne mettait la main sur son
lit, derrière son corps.
Assis toujours sur son séant, je lui demande de relever les bras en l'air : le
malade les soulève à peine jusqu'à la position horizontale, et s'il essaie de les
soulever plus haut encore, il perd l'équilibre et tombe en arrière. Au contraire.
quand il est couché sur le dos, le malade soulève les bras tout aussi bien que e
nous.
De ces expériences, il résulte nettement combien nous avons besoin que
l'équilibre statique du corps ne soit pas troublé, quand nous voulons exécuter
des mouvements volontaires avec nos membres.
Observation III
A. F..., âgé de 46 ans, ancien ouvrier dans une confiserie, entre le 24 no-
vembre 1910 dans le service ,de M. le professeur Nanu-Muscel, à l'hôpital
Filanthropia. Il vient dans le service, se plaignant de douleurs fulgurantes et
de l'impossibilité de marcher.
Antécédents héréditaires. Il ne peut nous donner aucun renseignement
sur la mort de ses parents. Il a eu deux soeurs,mortes toutes les deux d'angine
diphtérique.
Antécédents personnels. Il dit avoir eu une blennorrhagie, une adénite
suppurée et un chancre il y a 18 ans, mais sans autres accidents consé-
cutifs.
492 NOICA
Histoire de sa maladie. Sa maladie a commencé il y a huit ans, par des
douleurs fulgurantes dans les membres inférieurs, qui ont été longtemps con-
sidérées comme des douleurs rhumatismales ; puis sont survenues des douleurs
en ceinture, de temps en temps de la diplopie, et puis depuis trois mois de
l'incontinence d'urine.
Avec tous ces phénomènes de tabès, la marche était encore satisfaisante jus-
qu'à il y a cinq mois. A partir de cette époque, le malade a commencé à sentir
que ses jambes devenaient lourdes, qu'il se fatiguait vite, et il se trouva bien-
tôt dans l'impossibilité de marcher,surtout un mois avant son entrée il l'hôpital.
Etat actuel. De constitution faible, le malade tousse un peu. A l'examen
des organes, on trouve un peu de respiration rude dans les fosses sus-épineu-
ses droites et la toux retentissante à gauche. Le coeur est normal, sauf à la base
où le second temps est fort ; les reins, le foie, la rate sont normaux.
Le malade se plaint des douleurs fulgurantes, d'incontinence d'nrine surtout*
la nuit et de l'incontinence des matières fécales.
Rien du côté des yeux, les pupilles sont égales et réagissent à la lumière et
à l'accommodation à distance. Les réflexes rotuliens et achilléens sont abolis.
Les réflexes cutanés abdominaux sont seuls conservés. Aux membres supé-
rieurs, les réflexes sont normaux.
Les sensibilités superficielles sont conservées partout, les piqûres à l'é-
pingle sont senties avec retard. Ce n'est pas la même chose avec le sens des
attitudes qui est complètement aboli à toutes les articulations des membres in-
férieurs.
Aux membres supérieurs, le sens des attitudes est conservé, et on n'y ob-
serve pas d'ataxie. Au contraire, aux membres inférieurs, l'ataxie est très
grande, quoique la force musculaire soit relativement bien conservée. Il existe
un certain degré d'hypotonie, qu'on observe quand on lui renverse le mem-
bre sur l'abdomen.
Le malade étant couché au lit, si on lui demande de soulever la jambe en
l'air, il la soulève brusquement et au delà du point marqué; de même, il la
laisse tomber trop rapidement. Quand il soulève la jambe en haut, elle oscille
latéralement, surtout en dehors, et elle risque de tomber de ce côté-là, si le
malade exécute ce mouvement avec les yeux fermés.
Pour toucher avec un talon le genou opposé, son membre mobile oscille, et
ne peut pas toucher le genou, s'il ne suit pas du regard son talon. Car voilà ce
qu'il fait : quand il veut toucher le genou en tenant les yeux fermés, il fléchit
la jambe du membre avec lequel il veut toucher le genou opposé, si brusque-
ment et si fort, que le talon est porté alors beaucoup plus haut que le genou
qu'il doit atteindre ; puis. comme il se rend compte en tâtonnant que son talon
touche la peau de la cuisse au-dessus du genou, il glisse alors son talon de
haut en bas, en suivant progressivement la face antérieure de la cuisse, jus-
qu'à ce qu'il arrive au genou, qu'il sent grâce au toucher qui est conservé.
Il lui arrive aussi, en exécutant ce mouvement, que la talon soit porté dès lo
début en dehors du genou, et talon alors touche la surface du lit au lieu du
genou, tout ceci parce qu'il ne peut pas mesurer son effort.
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 493
Il est bien entendu que, même s'il arrive à mettre le talon sur le genou
opposé, il ne peut pas le maintenir en place, tant il oscille sur place. Le malade
est incapable de se mettre debout, à moins qu'il ne soit aidé, et même étant
debout, il ne peut pas se maintenir tout seul, si on ne le soutient pas par les
aisselles, ou si on ne lui donne pas deux cannes pour s'appuyer' dessus.
Il est indiscutable que ce malade ne peut pas rester debout sur un seul
pied, même ayant les yeux ouverts. Soutenu par les aisselles, ou s'appuyant
seul sur.ses deux cannes, il peut à peine faire péniblement quelques pas dans
la salle, en rejetant ses jambes plus qu'il ne faut, ne posant jamais les pieds
par terre dans la bonne place et les posant toujours avec bruit.
Si on lui dit de s'asseoir sur une chaise, que nous avons fait mettre derrière
lui, il arrive à s'asseoir mais avec précaution et à condition qu'il puisse bien
voir ce qu'il fait. Mais si .on lui dit de s'asseoir avec les yeux fermés, il le
fait si rapidement qu'on dirait un corps inerte qui tombe brusquement, en fai-
sant du bruit. Il arrive, surtout dans ce dernier cas, qu'avant de s'asseoir son
bassin oscille et le malade risque alors de s'asseoir à côté de la chaise, et tombe
même si on ne le soutient pas vigoureusement. Si, étant assis, nous lui disons
de se relever, c'est encore plus difficile. Il réussit tout de même à le faire, s'il
tient les yeux ouverts et s'il s'appuie sur ses deux cannes. Avec les yeux fer-
més, c'est beaucoup plus difficile : on voit, au début, qu'il arrange bien ses
cannes, puis quand il s'est assuré que ses bras appuient bien dessus, il cher-
clie alors à se lever. Dans ce cas, il lui arrive, ou bien de ne se lever qu'en
partie, et s'arrêter à mi-chemin, en croyant qu'il était complètement levé, ou
de se lever en réalité complètement, mais d'un élan si brusque qu'il tomberait
en avant si on ne le maintenait pas.
Réfléchissons un peu sur les symptômes ataxiques que nous venons de voir.
Ce qui frappe en observant la station bipède, la marche, la façon de s'asseoir,
ou la façon de se lever chez ce malade, c'est un trouble très grand d'équilibre
statique et cinétique. Nous avons vu avec quelle difficulté il peut se maintenir
debout, et ceci, il le peut seulement quand il est soutenu ou quand il s'appuie
sur ses deux cannes. Avec quelle précaution il doit prendre point d'appui sur
les cannes pour s'asseoir ou se lever, de même aussi pour marcher. Nous
avons vu aussi que s'il ne regarde pas, il risque, en s'asseyant, de s'asseoir
dans le vide, tant son bassin oscille latéralement et à son insu. Tous ces
symptômes, en les comparant avec le malade de la première observation
prouvent que les muscles de la partie inférieure du corps sont arrivés à un
degré de flaccidité beaucoup plus avancé, et que le jeu des associations mus-
culaires se fait beaucoup moins bien. En somme chez ce malade, les moyens
de fixité qui maintiennent fixement les os des articulations bout à bout sont
très altérés.
Mais il y a encore, chez le malade actuel, d'autres faits nouveaux, d'un tout
autre ordre.
Nous avons vu qu'il soulève le membre trop brusquement et plus fort qu'il
ne faut. De même aussi, pour fléchir la jambe sur la cuisse, dans l'action de
toucher avec un talon le genou opposé, il fléchit plus qu'il ne faut la jambe
494 NOICA
sur la cuisse correspondante. De même pour marcher, il jette la jambe trop
fort, et quand il veut s'asseoir ou se lever, ce mouvement se fait si brusque-
ment, que dans le premier cas il fait du bruit eu s'asseyant et dans le second
il risque de tomber en avant. tellement il se relève brusquement. En d'au-
tres mots, ce que nous observons chez ce malade, c'est l'absence de gradation,
la brusquerie et la démesuration des mouvements volontaires. A quoi peut
tenir ce trouble ? Si nous nous rappelons les troubles ataxiques des membres
supérieurs que présentait le malade de la seconde observation, nous voyons
alors que de ce côté-là, nous avons aussi remarqué ces phénomènes. Nous
avons interprété ces phénomènes par l'absence du sens profond aux membres
supérieurs, d'où il ne peut plus graduer son effort, par manque de renseigne-
ments périphériques. C'est la même explication qu'on doit donner à cette brus-
querie, et à cette exagération que nous observons ici.
Notrepensée ne serait pas complètement exprimée, si nous n'ajoutions pas que,
dans ce phénomène d'exagération, au moins pour la partie inférieure du corps,
il y a encore un autre élément à côté du sens profond,qui yjoue un rôle impor-
tant. Quand le malade, cité plus haut,est couché au lit et soulève le membre infé-
rieur trop brusquement, et plus loin que l'homme normal le fait, cette brus-
querie et cette exagération tiennent certainement à l'absence du sens articu-
laire. La preuve est que, si le malade exécute ce mouvement avec les yeux
ouverts, et s'il le fait avec grande précaution, il réussit à soulever le membre
presque comme une personne normale, c'est-à-dire moins brusquement et sans
dépasser la limite qu'il veut atteindre. Mais nous avons vu, chez le malade
dont nous exposerons l'observation plus loin, et qui présentait le même trou-
ble : que si le membre dépassait, en s'élevant, l'angle droit, c'était, disait-il,
non pas parce qu'il ne sentait pas au moins à ce moment-là, quand il fai-
sait un angle droit - que le membre va trop loin, mais que s'il allait trop
loin, c'était parce qu'il ne pouvait pas l'arrêter. Il est logique de penser alors
que chez ces deux malades, qui avaient de l'hypotonie dans le sens de Frenkel,
c'est-à-dire chez qui on pouvait renverser passivement le membre sur l'abdo-
men plus que chez l'homme normal, les muscles de la partie postérieure et
peut-être même les ligaments articulaires s'étendaient plus qu'il n'était normal
- de le faire, et le malade ne pouvait plus retenir le membre, qui avait pris trop
d'élan. Mais est-ce tout ? Nous avons vu dans la première partie de notre
travail, que chez l'homme normal, quand on soulève volontairement le mem-
bre inférieur, les muscles antagonistes se contractent en même temps que les
muscles qui vont faire le mouvement de flexion. Cette contraction des anta-
gonistes doit jouer certainement, comme l'a dit Duchenne, le rôle de modéra-
teur ; car supposons que ces muscles ne se contractent pas ce qui se passe
en réalité chez des pareils malades trop avancés le membre prend alors dès
le début un grand élan, ne pouvant être modéré par les muscles postérieurs.
Autrement dit, l'exagération des mouvements volontaires tient d'un côté
à la perte du sens profond et d'un autre côté à l'absence de contraction des
muscles antagonistes et à l'extension passive plus facile et plus grande des
mêmes muscles.
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABÉTIQUE 495 '
En fermant la parenthèse, nous avons remarqué que le signe de Romberg
existait dans ce cas et qu'il était même très accentué. L'explication nous
parait très simple, car, chez ce malade, l'équilibre statique et cinétique étaient
très troublés, et encore parce que, dans ce cas, le sens articulaire étant aboli aux
membres inférieurs, le malade était privé de renseignements de sensations
périphériques sur les oscillations et surtout sur le sens des oscillations du
tronc et des membres inférieurs.
Avant de passer à une autre observation, qui nous servira à compléter la
symptomatologie de l'ataxie, voici encore chez ce malade un phénomène ataxi-
que (1) très intéressant. Ce symptôme, nous l'avons trouvé aussi chez d'autres
malades, qui, comme celui-ci, avaient perdu le sens articulaire à toutes les ar-
ticulations des membres inférieurs, y compris les articulations coxo-fémorales.
Ce phénomène ne peut être interprété que par la perte de la sensibilité, et sur-
tout de la sensibilité articulaire. Voilà de quoi il s'agit. Le malade'étant assis
sur une chaise, si nous lui demandons de se relever, sans fermer les yeux, il
regarde alors ses pieds, très attentivement, les approche de la chaise, s'assure
de les avoir mis dans la position nécessaire pour pouvoir s'appuyer dessus, et
une fois sûr des jambes, il se préoccupe de ses cannes, les arrange aussi à leur
tour, et enfin, après avoir pris toutes ces précautions, il se lève. Si maintenant
nous lui demandons de se relever ayant les yeux fermés, et après lui avoir
posé les pieds par terre, chacun dans une position différente, nous observons
ce qui suit. Le malade qui ne sait pas dans quelle position se trouvent ses
pieds parce qu'il a perdu le sens articulaire- cherche à se soulever en se
servant de ses cannes. Mais comme il n'a pas pris la précaution d'arranger ses
pieds, il n'arrive pas à se lever, malgré toutes les peines qu'il se donne : on le
voit alors agiter ses pieds dans tous les sens, sans cependant arriver à se sou-
lever.
Ce phénomène ne se voit pas chez l'homme normal, ni même chez le ma-
lade dont .l'observation a été rédigée dans la première partie de ce travail, car
l'un et l'autre ayant le sens articulaire conservé, nous pouvons leur placer les
pieds comme nous voulons, ils les remettront toujours dans la position néces-
saire pour pouvoir se relever, même avec les yeux fermés.
Observation IV.
J... D..., âgé de 55 ans, cireur de bottines, né en Perse, est entré à l'hôpital 1
'erleudi le 22 octobre 1910. Observation prise le 7 juin 1911.
Dans sa jeunesse, il a eu une blennorrhagie et un chancre compliqué d'une
adénite inguinale. Après son chancre, quoiqu'il n'ait suivi aucun traitement, il
n'a eu aucun accident depuis. Marié, il n'a pas eu d'enfants. Sa femme n'a pas
fait de fausses couches. Il ne reconnaît pas avoir fait d'autres maladies.
Histoire de sa maladie actuelle. Son tabès a débuté probablement il y a
dix ans, par une sensation de brûlure aux orteils du pied droit, qui progres-
sivement dans une année a envahi tout le membre inférieur, jusqu'à sa racine.
(1) Ce phénomène, nous l'avons vu décrit aussi par Frenkel.
496 noica
Puis cette sensation de brûlure, bien pénible dit-il, a commencé à être sentie
au pied gauche, et rapidement - cette fois-ci dans trois mois est montée
jusqu'à la racine du membre correspondant. Il est survenu après un engour-
dissement autour de la ceinture, qui rapidement est descendu en bas, envahis-
sant les deux membres inférieurs jusqu'aux pieds. .
Cet engourdissement était si fort que pendant un mois il ne put pas mar-
cher et il dut rester à l'hôpital Colentina. Il est sorti de là amélioré, car il
pouvait marcher assez bien, mais depuis,et petit à petit, la marche a commencé
à redevenir difficile, de sorte qu'il à dû se servir d'une canne - pendant deux
ans, puis de deux cannes pendant quatre ans ; enfin, depuis l'année
dernière,-il est presque incapable de pouvoir quitter son lit, comme nous le ver-
rons plus loin. La sensation de brûlure, il aent aux membres inférieurs et
surtout aux pieds, encore aujourd'hui, pendant une heure seulement, et rien
que la nuit. Elle est tellement forte qu'il rejette la couverture, et l'hiver il se
sent soulagé en mettant de la neige sur ses pieds. Une fois les brûlures pas-
sées, il a continuellement les membres froids, depuis les genoux jusqu'aux
orteils.
Depuis six ans, il a des douleurs térébrantes surtout la nuit : il a la sensation
qu'on lui implante dans les membres inférieurs des couteaux et qu'on les tord
sur place.
Le malade n'a jamais eu de douleurs lancinantes. La miclion se fait avec
difficulté, l'urine sort goutte par goutte et avec beaucoup d'effort de la partdu
malade. Aucun appétit sexuel depuis 6 ans.
La vue a- baissé et souvent il lui arrive de voir double. Les pupilles sont
égales et ne réaclionnent pas à la lumière.
Depuis 10 ans, il sent un léger engourdissement aux doigts des deux mains.
Pas de troubles de sensibilité objective, sauf une légère diminution du toucher
sur le bord interne de la main droite. Pas d'ataxie aux membres supérieurs,
mais il y a tout de même un commencement : le malade ne peut plus rouler sa
cigarette, et si nous lui donnons de la mie de pain pour la rouler en boulettes,
il lui est presque impossible de le faire, surtout avec- main droite.
Pas d'ataxie au tronc.
blembresin('érin.urs. Le toucher et la douleur à la piqûre d'épingle sont
légèrement diminués depuis les genoux jusqu'aux orteils ; le chaud et le froid
sont conservés. La sensibilité la pression est abolie.
Il localise mal les piqûres sur la peau des jambes et des pieds, et toujours
avec un certain retard.
Le sens articulaire est complètement aboli aux articulations des pieds et aux
genoux, très troublé aux hanches, sans être aboli complètement. La chair des
membres inférieurs est molle, flasque, et en plus le malade a une telle hypo-
tonie que lui-même nous montre avec quelle facilité il met ses pieds derrière la
nuque.
Les pieds sont tombants, et appuyent sur la surface du lit par leur bord
externe.
Tous les mouvements actifs sont conservés. Les mouvements passifs se font
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABETIQUE 497
avec la plus grande facilité. La force musculaire est affaiblie à droite et sur-
tout du côté des fléchisseurs. A gauche elle est encore bien conservée relative-
ment, car nous ne pouvons pas plier son genou, si le malade résiste.
Tous les réflexes tendineux des membres inférieurs et des membres supé-
rieurs sont abolis ; de même les réflexes cutanés, sauf que peut-être de temps
en temps, on observe un léger réflexe crémastérien gauche. -
Quand le malade soulève la jambe en l'air, celle-ci oscille latéralement, et
tombe en dehors s'il fait ce mouvement avec les yeux fermés. Il touche un
genou avec le talon opposé, mais le talon oscille même aqrès l'avoir mis dessus.
S'il fait ce mouvement avec les yeux fermés, il commence à toucher la face
antérieure de la cuisse au-dessus du genou qu'il veut atteindre, et puis il va
en descendant à la recherche de celui-ci.
Assis sur le bord du lit, il peut se mettre debout comme une personne nor-
male, à condition qu'il tienne les yeux ouverts, mais si ayant les yeux fermés
nous lui déplaçons les jambes, il cherche en vain à se soulever, car, quoiqu'il
remue ses pieds, il ne peut pas les approcher et les mettre dans la bonne po-
sition, pour se fixer sur eux.
S'il est debout avec les yeux fermés, il s'asseoit sur le lit brusquement ;
avec les yeux ouverts, il s'asseoit au contraire beaucoup plus doucement.
Comme le malade est très ataxique, et que par conséquent la station bipède
et la marche sont très difficiles, nous le voyons souvent marcher dans la
salle, comme fait dans la rue un cnl-de-jatte.
Le malade est très démonstratif pour se rendre compte des phénomènes
ataxiques pendant la station bipède et pendant la marche. Nous regrettons de
ne pouvoir disposer d'un cinématographe pour pouvoir enregistrer ces troubles,
comme l'a fait M. le Professeur Marinesco. Nous essayerons tout de même de
les analyser.
Notre malade se tient debout, se fixant sur le bord du lit par une main, et
avec l'autre s'appuyant vigoureusement sur une canne. Il a déjà placé ses
pieds dans la position de marcher, l'un devant l'autre, et il fait une pose avant
d'aller plus loin.
Pendant ce temps le malade se trouve appuyé sur ses deux pieds, toute la
plante des pieds appuie par terre, et les genoux sont tous les deux en exten-
sion forcée. Cette position du pas antérieur est différente de celle d'une per-
sonne normale qui se trouve en marche. L'homme sain se lève déjà sur la
pointe du pied qui est en avant, et fléchit légèrement le genou de la jambe qui
est restée en arrière, tout prêt à porter celle-ci devant l'autre. Pourquoi le
malade ne fait-il pas la même chose que l'homme sain ? Parce que le malade a
peur qu'en s'appuyant seulement sur une jambe celle qui est devant il
risquerait de perdre son équilibre, d'autant plus qu'il devrait se relever avec
tout le poids de son corps sur la pointe du pied.
Mais notre demande de marcher, il se décide à porter la jambe de derrière
en avant, ce qu'il fait, une fois qu'il est assuré d'être bien appuyé sur le bord
du lit et sur sa canne. Mais ce mouvement de porter la jambe en avant, il ne
fait pas comme une personne normale : il fléchit trop son genou et le relève
498" nota
plus haut que normalement, puis après, il étend rapidement la jambe et se
hâte de mettre le pied par terre - presque à plat - de peur qu'il ne reste pas
trop longtemps en l'air, appuyé sur une seule jambe. Pendant l'exécution de
ce mouvement, il surveille bien des yeux le membre qui se déplace, pour qu'il
n'oscille pas, et pour ne pas le poser trop loin, ou trop en dehors, ou en de-
dans de la ligne de direction. Car s'il ne regarde pas, ou s'il déplace le membre
en fermant les yeux, on observe qu'il relève le pied plus haut qu'avant, que
la jambe oscille un peu latéralement, et qu'elle est rejetée en avaut si
brusquement, et avec une telle exagération, que l'on dirait que le pied va être
posé par terre, plus loin que s'il avait fait son pas antérieur avec les yeux
fermés.
En réalité le malade, pose le pied moins loin qu'auparavaut lorsqu'il avait
les yeux ouverts, et voilà la preuve. Le malade est debout et s'appuie avec la
main gauche sur le bord du lit et avec la droite sur sa canne. Nous lui disons
de rapprocher ses talons qu'il préfère tenir écartés habituellement, pour
grandir la base de sustension et nous traçons sur le parquet avec la craie
blanche une ligne horizontale, immédiatement derrière ses talons. On lui de-
mande alors de faire un pas en avant avec la jambe droite, pendant que nous
lui recommandons de surveiller celle-ci attentivement. Le malade soulève assez
bien le pied, en oscillant très légèrement et puis il le pose par terre, à plat, à
une distance assez rapprochée du pas normal. Une fois le pied par terre nous
prenons avec la craie l'empreinte du pied, et nous lui recommandons de remet-
tre son pied à côté de l'autre sans que son talon dépasse en arrière la ligne
horizontale que nous avons tracée. En effet le malade porte assez correctement
le pied eu arrière et le met à côté de l'autre sans dépasser la ligne. Jusqu'ici,
sauf la légère oscillation, il exécute assez correctement notre demande.
On prie maintenant le malade de faire le même pas en avant, mais avec les
yeux fermés. Cette fois-ci il soulève le pied plus haut que normalement, les
segments du membre fléchissent plus qu'il ne faut, et quand il étend la
jambe et qu'il veut poser le pied par terre, nous nous-attendons qu'il pose le
pied beaucoup plus loin que dans le cas précédent. En réalité, après avoir fait
poser au malade le pied par terre, je prends à nouveau son empreinte, et je
constate que la nouvelle empreinte est plus en dehors et plus en arrière que
la fois précédente lorsqu'il exécutait le pas les yeux ouverts.
On le prie après, tout en maintenant les yeux fermés, de retirer sou pied et
de le remettre à côté de l'autre. On voit alors que le malade soulève très haut
le genou, et remet son pied à côté de l'autre, mais toujours son talon est placé
quelques centimètres plus en arrière de la ligne horizontale. Cette expérience a
été répétée plusieurs fois, sans que le malade sache ce que nous voulions' cher-
cher, et toujours avec le même résultat. En d'autres mots, le malade avec les
yeux fermés, en voulant faire le pas en avant, pose le pied plus en dehors et
plus en arrière qu'il ne le faisait quand il exécutait le même pas avec les yeux
ouverts. Voilà quelle est pour nous l'interprétation de ce phénomène. Le ma-
lade met le pied plus en dehors, parce que sa jambe étant suspendue en l'air
se met à osciller, et comme il tient les yeux fermés et comme le sens articu-
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TABETIQUE 499
laire est très troublé chez lui; il ne peut pas se rendre bien compte de l'oscilla-
tion de sa jambe. Voilà pourquoi le pied se pose en dehors de la ligne de direc-
tion. Si maintenant il met le pied plus en arrière, c'est qu en exécutant les
mouvements toujours avec exagération, sans mesure à cause de la flaccidité
des antagonistes et à cause de la perte du sens musculaire nécessaires à la
gradation du mouvement il étend trop sa jambe en avant, et puis, quand il
veut poser le pied par terre, il le fléchit trop en arrière pour les mêmes motifs :
voilà pourquoi le pied se pose un peu plus en arrière. De même quand il pose
son pied à côté de l'autre,il dépasse en arrière laligne horizontale, car ses mou-
vements sont toujours rapides et démesurés.
Si nous demandons au malade de faire quelques pas avec les yeux fermés,
s'appuyant sur sa canne et sur une personne, il nous répond qu'il ne peut
marcher plus de deux ou trois pas. Il nous explique même que s'il a pu faire
un pas tout à l'heure, il ne peut plus en faire d'autres avec les yeux fermés,
car il ne sait pas où se trouvent ses pieds.
Nous insistons qu'il essaye tout de même, mais il soutient qu'il lui est im-
possible de marcher avec les yeux fermés. Si le malade, qui paraît sincère, nous
dit la vérité, ce phénomène ressemble à un autre que nous avons vu dans la
première observation, lorsque le malade ne touchait pas son nez et s'arrêtait
avec son doigt presque au-dessus, parce qu'il ne savait plus où se trouvait son
doigt dans l'espace. En d'autres mots, le malade, après avoir fait un pas ou
deux, avec les yeux fermés, perd ses jambes dans l'espace et ne sait plus les
conduire.
Pour compléter l'observation, ajoutons que le malade a les pieds tombants
et use ses bottines sur leur bord externe. Cette chute des pieds tient plus pro-
bablement à la flaccidité des muscles extenseurs des pieds qu'à une névrite
périphérique ; les muscles extenseurs ne sont pas atrophiés et les mouvements
de renversement des pieds sur le dos des jambes, sont conservés.
Conclusion de la deuxième partie.
Il résulte de cette seconde partie de notre travail qu'il existe un.
second groupe de phénomènes, ou de troubles, que nous observons chez
les tabétiques ataxiques, et qui sont consécutifs aux pertes de sensibilité
consciente et surtout de la sensibilité consciente profonde. Les malades z
qui présentent ces phénomènes ont, en même temps que ceux-ci, des
troubles que nous avons décrits dans la première partie de notre travail.
Mais cette fois-ci, ces derniers sont beaucoup plus exagérés que nous ne
les avons trouvés chez nos malades décrits dans la première partie, car la
maladie évoluaut,ces troubles ont augmenté d'intensité. En d'autres ter-
mes, nous pensons que généralement, sinon toujours, l'ataxie commence
par des troubles d'équilibre statique et cinétique 1er groupe des phé-
nomènes ataxiques - et que ce n'est qu'après que l'ataxie se complique
par d'autres troubles, consécutifs ceux-ci à des pertes de sensibilité cons-
500 NO1CA
ciente - 2e groupe des phénomènes ataxiques. Entre ces sensibilités,
nous citons la sensibilité tactile, la sensibilité à la pression et surtout la
sensibilité musculaire ou articulaire.
Nous n'avons encore jamais rencontré de malades tabétiques ataxiques
présentant ces derniers phénomènes, sans présenter aussi des troubles
d'équilibre statique ou cinétique.
Si maintenant nous faisons une incursion rapide dans l'historique du mé-
canisme de l'ataxie, nous voyons que la grande majorité des auteurs sou-
tiennent que le mécanisme de l'ataxie doit tenir à la perte de la sensibilité
consciente et surtout à.la perte de la sensibilité profonde. D'ailleurs, il était
bien logique de penser ainsi, du moment que les physiologistes, en com-
mençant par Schiff, ont trouvé expérimentalement qu'en réséquant les
cordons postérieurs de la moelle chez les animaux, ceux-ci présentaient
ensuite des phénomènes d'incoordination,et que les anatomo-patliologistes,
d'un autre côté, trouvaient dans les autopsies des sujets morts de tabès,
des lésions des mêmes cordons postérieurs. C'est de ces arguments qu'est
sortie la théorie de la sensibilité de Vulpian-Leyden, pour expliquer tout
le mécanisme de l'ataxie. Malheureusement pour cette théorie, des faits
cliniques sont survenus après et dernièrement c'est Egger qui a insisté
sur ce point -dans lesquels on ne trouvait ni des troubles de sensibilité
superficielle, ni des troubles de sensibilité profonde, ce qui n'empêchait t
pas que les malades soient des tabétiques ataxiques.
Ceux qui soutiennent cette théorie ont, pensons-nous, le tort de croire
que tous les phénomènes ataxiques doivent s'expliquer par la perte de la
sensibilité consciente, comme d'un autre côté, nous croyons qu'Egger a eu
le tort de rejeter complètement cette théorie.
Si nous revenons à Duchenne de Boulogne, nous voyons,qu'il n'admet-
tait pas la perte de la sensibilité profonde, comme étant la cause de
l'ataxie, mais il ne la rejetait pas non plus complètement (I). D'autant
plus, que dans l'article suivant « Paralysie de la conscience musculaire et
de l'aptitude motrice, indépendante de la vue », l'auteur, quoique se ser-
vant malheureusement pour la démonstration, de cas hystériques, arrive
tout de même à cette conclusion (2) : « Il parait exister une sorte de sens
qui siège dans le muscle, qui sert à l'accomplissement de la contraction
musculaire volontaire, et qui, dans l'absence de la vue, éclaire pour ainsi
dire le cerveau, avant que ce dernier, excité par les ordres de la volonté,
provoque des contractions musculaires ».
Duchenne n'a pas voulu reconnaître que ce sens, qu'il appelle conscience
musculaire, ou aptitude motrice indépendante de la vue, était le même
(1) V. Eleclrisation localisée, p. 118.
(2) Loc. cit., p. 793.
LE MÉCANISME DE L'ATAXIE TARÉTIQUE 50 1
que le sens musculaire de Charles Bell, et avec le sens profond articu-
laire. Et l'erreur de Duchenne est venue de ce que, ayant affaire é.des
malades hystériques, il croyait ceux-ci de bonne foi, quand tout en
pouvant marcher avec les yeux fermés, Duchenne prétendait que ses ma-
lades ne présentaient plus aucune sensibilité consciente. ni snperficielle,
ni profonde.
Malgré cette confusion, voici comment le célèbre auteur, résume son
opinion sur le mécanisme de l'ataxie tabétique (1). Il soutient qu'il y a
deux ordres de phénomènes ataxiques. Dans le premier ordre, il considère
les phénomènes provoqués par la désharmonie des antagonistes, ce que
nous avons vu dans la première partie de notre travail, et dans le second
ordre, il décrit des phénomènes qu'il considère comme étant consécutifs
à la dissociation musculaire. Pour la démonstration du second mécanisme,
il cite, du côté des mains et du côté des membres inférieurs, des exemples
des phénomènes ataxiques que nous avons dit avoir trouvés chez les mala-
des avec de grands troubles du sens profond. Senlement,Duclienne se con-
tente de constater les phénomènes, d'analyser les dissociations musculai-
res, mais sans chercher si les malades présentaient des pertes de sensibilité
profonde et sans saisir le mécanisme de ces troubles.
Si aujourd'hui on examine de nouveau les exemples qu'il donne de la
dissociation musculaire, nous voyons que ce sont des mouvements r6ul-
tant de la dissociation de mouvements plus compliqués, des mouvements
coordonnés, comme il en est pour le mouvement coordonné de la marche,
et tant de mouvements délicats et fins que nous faisons avec nos mains.
Tous ces mouvements coordonnés résultent de la réunion de plusieurs
mouvements simples, que nous avons appris à combiner, pensons-nous,
grâce à la sensibilité consciente surtout la sensibilité profonde muscu-
laire ou articnlaire -- et par des exercices souvent répétés. Supposons
qu'à la suite d'une lésion anatomique, nous perdions ce sens profond, il
arrivera, alors, que nous ne pourrons plus associer les mouvements
simples, et que par conséquent beaucoup de mouvements coordonnés
nous manqueront,ou bien qu'on les exécutera très imparfaitement. Autre-
ment dit, on reviendra de nouveau à notre état antérieur, quand étant
enfants, nous étions maladroits pour tout mouvement nouveau coor-
donné qu'on voulait nous apprendre.
A cause de la perte du sens profond, il résulte encore que les mouve-
ments volontaires sont plus exagérés comme amplitude et comme vitesse,
parce que le malade n'a plus dans sa conscience de renseignements péri-
phériques pour graduer ses mouvements. Pour la même raison, les mem-
(1) Loc. cil., p. 71 : ;
xxm
32
502 NOICA
bres ne gardent plus la direction qu'on veut leur donner, quand on exé-
cute un mouvement volontaire.
L'absence de mouvements isolés des doigts, la présence de mouvements
d'ensemble des doigts et la présence de mouvements bilatéraux sont en-
core la conséquence de la perte du sens articulaire.
Conclusions générales.
Il résulte de notre travail sur le mécanisme de l'ataxie tabétique,
les faits suivants : Toute ataxie tabétique est caractérisée, au début, par
des phénomènes consistant dans des troubles d'équilibre statique et ciné-
tique. Ces phénomènes coexistent avec une diminution ou une perte
des moyens de fixité qui maintiennent bouta bout les segments de l'orga-
nisme, et avec une mobilité volontaire relativement normale.
Plus tard, à ces phénomènes s'en ajoutent d'autres, constituant un second
groupe, et ceux-ci coexistant toujoursa\ec des pertes de la sensibilité cons-
ciente, et surtout de la sensibilité profonde (sens musculaire ou articu-
laire), et avec une mobilité volonlaire l'elatilcment normale. Nous pou-
vons citer quelques-uns de ces phénomènes : troubles ou pertes des mou-
vements isolés des doigts, présence 'des mouvements d'ensemble des
doigts, présence des mouvements associés bilatéraux, absence de tous les
mouvements fins et délicats des mains, absence ou (rouble de tous les
mouvements coordonnés des membres supérieurs et inférieurs, etc. De
plus,les mouvements volonlaires perdent leurs caractères de précision,
de direction, de graduation dans leur vilesse, elc.
A la fin de ce travail, 'exprime mes vifs remerciements à mon ami le D' Goilar,
chef de l'hôpital Ferlendi, pour l'amabilité avec laquelle il a toujours mis à ma dispo-
sition les mulades de son service, et pour le vif intérêt avec lequel il a suhi toutes
mes recherches.
TABLE DES MATIÈRES
Accidents du travail (Dystrophies osseuses
post-trwtlnaliques. Leur importance au
point de vue des expertises dans les )
(2 pl.), por Il \LIPIII et ,JE\N : 'OE, 472.
Achondroplasie (5 pl. par Rebattu, 368.
- {Nouvelle observation d' -. Peul on de la
forme des troubles psychiques dans celte
maladie tirer quelques éclaircissements sur
son origine étiologique pl.), par EUZIÈI\E
et Delmas, 380.
- (Micromélie humérale bilatérale congéni-
tale et ses relations avec l' -) (2 pl. par
STAXNUS et Wilson, 463.
.Icromégalie,gi,r/anlisme et infantilisme (4p1.),
par Lrlos, 1.
- atypique. Démence précoce (1 pl.), par
MIKULSKI, 324.
Acromégaloides (Déformations) (4 pl.), par
Dlosst : , 313.
Amnésie el fabulation (Elude du syndrome
presbyophrélii'lue). par Devaux et LocnE,
90.
.1),lhi-oj)alhie avec fracture spontanée du col
du fémur chez un cancéreux portant des
tumeurs secondaires nletastaliques multi-
ples (3 Pl.), par C.vsvorHm.Lt, 140.
.Ilaxie labéliqite, mécanisme, par NOlc.\,
31l, 481.
Atrophie de la moelle épinière el de la moelle
allongée. Syphilis médullaire, par flctxa-
vownrscn, 360.
Jl'f.SS(ltlll (1 pL), `3J6.
Ilulbaire (IIemisynd/'0111e par lésion périphé-
rique inlra-craniemle des nerfs bulbaires)
(2 pl ), par Foix, 303.
Cancéreux (.1l'fltr'Ol)rtlllte avec fracture spon-
tanée du col du fémur chez Icre - portant
des tumeurs secondaires métastatiques mul-
tiples) (3 pl ), par C.111YOPII)'LlIS, 140.
Démence précoce, acromégalie atypique
(1 pl.), par MIKULSKI, 324.
- et intermittence (2 1V.), par Cl ! \SLtX et
SEGLIS), 215.
Dercum [Maladie de - chez une imbécile
épileptigue) , par Marchand et Nouet, 144.
Difformités congénllales associées des mains
(2 pi.), par Fuii 329.
Dystrophies osseuses post-traumatirlues, leur
importance au point de vue des expertises
dans les accidents du travail (3 hI.), par
llnt.trrsé et 412.
G'clro-1»lrl-uzacro syndactylie et micro-
ihoracomélie unilatérale (2 pl,), par FI;-
)[11OLI, 329.
Epitep/iglta (Maladie de Dercum chez- une
imbécile -), ), par Marchand et Nouet, 1f'z.
Erylhromélalgie (Maladie de Raynaud à 10. z
calisation nasale el auriculaire et - chez
un enfant) (1 Pl.), parafa et Lafon, 398.
Fabulation (Amnésie et -.Etude du syndrome
presbyophrénique), par DEVAUX et Ligne,
90.
Fracture spontanée (ilrihropalhie avec - du
col du fémur chez un cancéreux portant
des tumeurs secondaires métastatirlues
multiples) (3 pl,), par Caryopiullis, 440.
Ganglions rachidiens (Recherches cylopallto-
log igues sur les - dans deux cas de para-
lysie spinale infantile de date ancienne)
(4 1)1.), par JOX1>LSCO, 273.
Gigantisme, infantilisme et acromégalie
' (4 pl.), par Lemos, 1.
Glande pinéale chez l'homme (1 t pl.) , par
lltE13E, 257.
Glandes endocrines (Ostéomalacie dans ses
rapports avec les altérations des-) (4 pl.),
par Marinesco, Piriion et Minea, 33.
Hémiplégie el injections mercurielles, par
CIIAHON et COLtiBON, 162.
Hémorragie cérébrale (récente à foyers mul-
tiples) (3 pl.) par Souques, 193.
Hydrocéphalie ventriculaire (Tumeurs obli-
térant l'aqueduc de Sylvius) (2 pl.), par
Alquier et KLIHFELD, 199.
Infantilisme, gigantisme et acromégalie
(.1 pl.), par LEMOS, 1.
504
- régressif ou tardif (4 pl.), par COnOlE11
et Rebattu, 405.
Injections mercurielles et hémiplégie, par
CounnoN et Cu.wov, 46 ? .
Insuffisance pluriglandulaire (1 pl.), par
Gougerot et Gy, 449.
Intermittence et démence précoce (1 pi.),
par CIIASLll' : et Séglas, 215.
Madelung (Contribution à l'étude de la mala-
die de -. Subluxation spontanée du poi-
gnet) (1 1'1.). par QUADRONE, 71.
Main en peau de lézard dans la syringomyé-
lie (2 pl.), par L;0\'EBI, 207.
Mains, difformités congénitales associées
(2 P). par l' unt snot, s, 329.
Micromélie humérale bilatérale congénitale
et ses relations avec l'achondroplasie
(2 Pl.), par et 'Wilson, 463.
Naevi (9 propos de la systématisation des ),
par Foonamuo, 229.
Nains (Esquisse iconographique sur quelques
- ) (5 pi.), par Launois, 116.
Nerfs bulbaires (Ilémisyndrnnte bulbaire
par lésion intra-cranienne des -) (2 pl. j,
par Foix, 303.
Ostéomalacie dans ses rapports avec les 01,
léralions des glandes endocrines (4 pl.),
par Marinesco, Camion et Minea, 33.
Paralysie spinale infantile (llecherehes ryto-
pathologi(lues sur les ganglions rachidiens
dans deux cas de - de date ancienne)
(4 pl.). par Jonnesco, 273.
Paraplégie spastique s iiiale en flexion
(1 Pl ), par E11FME et Gct.n,s. 337.
Pinéale, structure (1 1'1.), P;11» Kraube, 257.
Plttriglandulaire interne (Insuffisance )
(1 pl.), par GOI : GbHOT et Gy, 449.
TAULE DES MATIÈRES
Poignet, subluxation spontanée ( 1 1)1.), par
uadroxe, 71.
Polydaclylie (La valeur morphologique de la
- ) (1 1)1.), par (,OST.11T1Nt, 81.
- chez les aliénés (4 pl.), par Paiuion et
ullecilir, 391.
Presbyophrenique (Amnésie et fabulation.
Elude du syndrome par Devaux et
Logre, 90. '
Raynaud (Maladie de - à localisations na-
sale et auriculaire e el él'y/hromélalg ! e chez
un enfant) (1 pl.), par Ain et Lafon, 398.
Spondylose 1 hizomelique (La ? est une en-
lité morbide spéciale) (7 pl.), par EI.n \1101'1',
1'-)l, 236.
Syphilis médullaire (Atrophie curieuse et
rare de la moelle épiniel el de la moelle
allongée -), par IIEIE1.1Y0\\'l'l'SCII, 3GO,
Syr,w/onl.'lé[¡e (Aspect particulier de la
main dans la -. Main en peau de lézill d)
(2 1'1.1, par 13ovrnt, 207.
Tabes, mécanisme de l'alarie, par Noica,
341, \81.
1'ltl/ro-zeslir ttlo-surrenale (/nsuffisallce plu1'Ï-
glandulaire interne -) (1 pl), ), par Gou-
cmor et Gy, 449.
Tissu cérébral, altérations dues il la pré-
sence de l/w¡r1/J'S' (2 par '\'1 ueh, 150.
Triumphe de tres haiille et puissante dame
r érolle avec le pourpoint lei muni à boutons
et la fêle des loas du musée de lIIoi81(2 1'1.),
IH\1' TIIHI JG9.
Tumeur (oblitérant l'aqueduc de Sylvius.
Jtydrocéphalée ventriculaire) (2 1)1.), par
.\ ! .QUJl;11 Cl ! \¡'\I\FlLD, 199.
Tumeurs cérébrales altérations des tissus
(2 pi.), par Weber, 150.
TABLE DES AUTEURS
elxA (P.) et Lafon Cu.). Maladie de Ra-
naud à localisation nasale et auriculaire
et érythromélalgle chez un enfant (1 pl.),
398.
ALQUIER (13.) et Klarfeld (I3.).1'umeurobli-
ttlranll'aqueduc de S) Ivius. Hydrocépha-
lie ventriculaire (2 pl.), 199.
130YEIU (Pierre). Sur un aspect particulier
de la main dans la s) l'Ingomyéllc La
main en « peau de lézard » (2 [il.), 207.
Caryophlylis (G ? Arthroatlie avec fracture
spontanée du col du fémur chez un can-
céreux portant des tumeurs secondaires
mélalastiqucs multiples (3 pl.), 140.
Charon et Courbon (Paul). Injections
mercurielles et hémiplégie, 162.
Ciuslin et Séglas. Intermittence et dé-
mence précoce (2 pi.), 215.
Cordier (Victor) et Rebattu (Jean). L'infan-
tilisme régressif ou tardif 4 pl.),405.
C OSTA : \Tl1 (F.). Considérations sur la va-
leur morphologique de la polydactylie
(1 tll.), S1.
COURDON (Paul) et Ciiauon (René). Injections
mercurielles et hémiplégie, 162.
DEL) ! AS (J.) et Euzière. Une nouvelle ohser-
vation d'achondroplasie. Peut-on de la
forme des troubles psychiques dans cette
maladie, tirer quelque éclaircissement
sur son origine éliologique ? (1 pl.),350.
DEVAux et Logre. Amnésie et fabulation-
Etude du syndrome presbyoplirénique,
90.
1-l'i.ib%i%oFF (Nicolas), La spondylose rhizo-
mélique est une entité morbide spéciale
(7 pi.), 121, 236.
Etienne .(G.) et GEL31% (E.). 1'.lI'aplégic
spastique spinale en flexion (1 1)1.), 337.
>;czP.uc (J.) et Uwuas. Une nouvelle obser-
vation d'achondroplasie. Peut-on de la
forme des troubles psychiques dans cette
maladie, tirer quelque éclaircissement
sur son origine étiologique (t pl.). 350.
Foix (CUarles). llémisyndrome hulhaire par
lésion périphérique mtra-crânienne des
nerfs bulbaires (2 pl.), 303.
1"OUII)[,%UD (G.). A propos de la systémati-
sation des nxw, 229.
FuàiAli0t.A. Contribution à l'élude des dif-
formités congénitales associées des mains
(Eclro-polj-macro-syndactj lie et micro-
lhoracomélie unilatérale) 12 pl.), 329.
Gelma (E.) el Etienne (G ). Paraplégie,
spastique spinale en flexion (I pl.). 337.
Gougerot (11.) et Gy (A.). Insuffisance plu-
riglandulaire interne thyro-testiculo-
surrémcln (1 pl.), 449.
Gy (A.) et Gougerot (11.). Iusuffisance plu-
riglandulaire interne tlyro-testiculo-
surrénale (1 pl.), 449.
Il mrm. (A.) et Jeanne. Dystrophies osseu-
ses post-traumatiques. Leur importance
au point de vue des expertises dans les
accidents du travail (1 pi.), 472.
IIEIJ11 : \o\\'tTscn (A.). Atrophie curieuse et
rare de la moelle épinière. et de la moelle
allongée, 360.
JEANNE et Halipré. Dystrophies osseuses
post-traumatiques (2 pl.). 472.
Jonnesco (Victor). Recherches cytopatholo-
giques sur les ganglions rachidiens dans
deux cas le paralysie spinale infantile
de date ancienne (4 pl.), 273
KLAnFELD (n) et Alquier (f3.). Tumeur
oblitérant l'aqueduc de Sylvius. Hydro-
céphalée ventriculaire (2 Pl.), 199.
){nluDE Stit1-i gliiide pinéale chez
l'homme (1 pl.), 257.
Lvfon (Cu.) et AK 1 (P.). Maladie de Ray-
naud à localisations nasale et auriculaire
et érythromélalgie chez un enfant (1 pi.),
398.
Liu,Nois (P.-E.). Esquisse iconographique
sur quelques nains (5 pl.), 116.
506
TABLE DES AUTEURS
Lemos (lIIalg,tlhaes). Gigantisme, infantilisme
et acromégalie (4 Pl.), 1.
LOGE et Dey lux. Amnésie et fabulation.
Etude du syndrome presbyoplirénique,
90.
111wcuwu (L.) et NOUET Etude ana-
tomo-patliologiquc d'un cas de maladie
de Dercum chez une imbécile épilepti-
que, 144.
Marinesco, 1'.\1\110)/ et Minei. Ostéomalacie
dans ses rapports avec les altérations des
glandes endocrines (4 pL), 33.
Mikulski. Démence précoce. Acromégalie
atypique (1 pl.), 324. '
Minea, Marinesco et 1'.Iltlloi. Ostéomalacie
d,ms ses rapports avec les altérations des
glandes endocrines (4 pl.), 33.
JOSSI (S.). Déformations acromégaloides
(4 pi.), 313.
Noici. Le mécanisme de l'atavio tabélique,
3 : ), 4SI.
NOUET (Il.) et )laucuwu (L.). Elude ana-
tomo-palhologiclue d'un cas de maladie
de Dercum chez une imbécile éplieliti-
que, 144.
Paiuion (C.) et Ureciiia (C.). Contrilution
casuistique à l'étude de la polydactylie
chez les aliénés (4 pl.), 391.
PAIIIIOX, 1)1.%ItINP.Sco et Minei. Ostéomalacie
dans ses rapports avec les altérations des
glandes endocrines (4 pi.), 33.
l,u,unoac (Carlo). Contribution à l'étude
de la maladie de Madelung (1 pi.), 71.
lteu,twu (J ). Un uoweau cas d'acUonlro-
('I ? ie (5 pl). 368,
REU \'1 iU (Jean) et COIIOICII (Victor). L'infan-
tilisme régressif ou tardif (i pi.), 405.
Séglas et Cuislin. Intermittence et dé-
mence précoce (2 pl.), 2t5.
Souques z1.). Hémorragie cérébrale récente
'a foyers multiples (3 pl.), 193.
STIUS (II. S.) et WI1.so (S. A. IC). La
micromélie humérale bilatérale congé-
nitale et ses relations avec l'achondro-
plasie (4 pi.), 463.
'l'uf.w. (M.). Le triumphe de très haulte
et puissante dame vérolle avec le pour-
pomt fci mnnt boutons et la fêle des
fous du musée de Rlois (2 pi.), 69.
Ulloelll.\ (C.I et 1',\lInON (C.). Contribution
casuistique à l'étude de 1,\ polyùact¡ lie
cltez les alténés (4 l : l ), 391.
WCBllI (R.). De quelques altérations du
tissu céi élirai dues la présence de tu-
meurs (-2 pi.), 150.
WII.SON (S, A. 1\.) rt SrAus (II. S.I. La
micromélie humérale congénitale bilaté-
rate(tpi.),t63.
TABLE DES PLANCHES
Achondroplasie (EUZILHE el DEU[ 15), LX.
Achondroplasie (Rebattu), LV à I,1\.
Acromégalie (LElOs). 1 il 1\'.
Acromégaloïdcs (déformations) (Mossé),
XLVII : " L,
- et démence précoce IIISULShI, LI.
Arlhropathie et fracture du col du fémur.
Tumeurs métastatiques secondaires chez
un cancéreux (G.in1'oPllS'f.LIS), XIX il XXI.
Brissaud, son buste ;c la Faculté de 111éde-
cine (rri.tn), XXXIX.
Cellules de la glande pinéale chez l'homme
tIW .wue), \L.
Démence précoce et déformations acromé-
galoïdes (Mikulski), LI.
11) ;,trophics osseuses post-traumatiques
et .Tetsse), LXXIII à LXXV.
lie (Fnl.\noLl),
LU et LUI.
Fête des fous du musée de Blois (Tnenrt.),
XXIV et XXV.
Ganglions rachidiens dans la paralysie in-
f,mtile de date ancienne (JONNESCO), XLI
1 XLIV. ·
Gigantisme, infantilisme et acromégalie
(Lcoos), I à IV.
Hémisyndrome bulbaire par lésion péri-
phérique inlra-erfmienne des nerfs bul-
baires (Foix), XLV et XLVI.
Hémorragies cérébrales récentes à multi-
ples foyers (Souques), XXVI a XXVIII.
Hydrocéphalie ventriculaire. Foyers lacu-
naires multiples dans le noyau lenticu-
laire (Alquier et Klarfeld), XXIX et XXX.
Infantilisme régressif (Cordier et REBATTU),
LXVI il LXIX,
Insuffisance pluriglandulaire (Gougerot et
G t ), L1X .
Intermittence et démence précoce (CnASDN
et Séglas), \1XIII et XXXIV.
Mains en peau de lézard dans la syringo-
myélie (Bo\EnI), XXXI et XXXII.
Maladie de Madelung (Quadrone). IX.
Micromélie humérale bilatérale congénitale
(Stannus et Wilson), LXXI 1 LXXII.
Nains, esquisses iconographiques (Launois),
XI : '1 XV.
Ostéomalacie, ses rapports avec les altéra-
lions des glandes endocrines (Marinesco,
Parhof et Minea), V 1 VIII.
Paraplégie spastique spinale en flexion
(Etienne et GEL\I : 1), LIV.
Polydact3lie (Costantini), X.
Polydactylie chez les aliénés (Parhon et
Urechie'), LXI à LXIV.
Raynaud (Maladie de - 1 localisations na-
sale et auriculaire et érythromélalgie
chez un enfant (AKA et LAFON), LXV,
Spondylose rhizomélique (Eldaroff), XVI
à XVIII, XXXV à XXXVIII.
Tumeurs cérébrales (VEOrn), XXII, XXIII.
Le gérant : P. Bouchez.
lmp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).