(1909) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 22] : iconographie médicale et artistique
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(1909) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 22] : iconographie médicale et artistique

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

TOME XXII ..

Avec de nombreuses figures intercalées dans le texte et 74 planches hors texte

1909

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIERE

J. M. CHARCOT

Gilles DE la TOURETTE, PAUL Riciier, ALBERT LONDE

Fondateurs

ICONOGRAPHIE MÉDICALE

ET

ARTISTIQUE

Patronage scientifique. :

J. BABINSKI. G. BALLET. E. BRISSAUD

DEJERINE. E. DUPRÉ. A. FOURNIER. GRASSET

KLIPPEL. - PIERRE MARIE. PITRES. RAYMOND

RÉGIS. SÉGLAS

ET

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE

DE PARIS

Direction :

PAUL RICHER

Rédaction : .'

HENRY MEI(3

TOME VINGT-DEUXIÈME

Avec de nombreuses figures intercalées dans le texte et 74 planches hors texte

PARIS

MASSON ET ce, ÉDITEURS

LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE H

190, Boulevard Saint-Germain (6')

1909

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTHIÈRE

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS

Séance nu 5 novembre 1908 :

A PROPOS D'UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE.

LA PATHOGÉNIE

DE LA MALADIE OSSEUSE DE PAGET,

PAR

M. KLIPPEL,

Médecin de l'hôpital Tenon

M. PIERRE-WEIL,

Interne des Hôpitaux.

' Depuis que, dans ses deux mémoires bien connus, James Paget (1) eut

donné droit de cité à l'affection osseuse qui porte aujourd'hui son nom,

et que Huilier (1812), Wrang (1867), Wilks (1868) n'avaient fait qu'en-

trevoir (2), une centaine (3) d'observations de cette curieuse maladie ont

été recueillies ; ce nombre est certes bien réduit quand on pense que voici

plus de trente ans que l'attention des auteurs anglais est fixée sur cette

entité morbide, et que son élude a passé la Manche il y a un quartde siè-

cle déjà, avec le mémoire fondamental de Lancereaux(4) (1883). L'ostéite

déformante est donc une affection relativement rare.

Mais ce n'est pas seulement cette rareté qui doit forcer l'attention lors-

que le hasard met en présence de ces malades ; il faut les examiner avec

d'autant plus de soin que de ce processus « la cause première nous

échappe » (Dieulafoy) et que la constatation d'un nouveau symptôme

aidera peut-être à mieux comprendre la pathogénie de l'affection.

(1) James PAGEOT. On a forme of chi-onic inflam.of bones. Medic. chir. Society, no-

vembre 1876 (Medic. chirurg. Trans., 1877, p. 37). - Ad41tionnal cases of osteilis de-

formans. Chirurg. Soc. London, 1882.

(2) Cités par P,\GR'r,

(3) JULES VINRENT, Maladie osseuse de Paget. Thèse Paris, 1904.

(4) Lancereaux, Traité de l'hel'pétisme"

xxii 1

G KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

Nous avons eu l'honneur récemment de présenter il la Société de

Neurologie de Paris (1) une malade âgée de 56 ans atteinte de l'affection il

en question. Le début remontait à onze ans ; l'évolution s'était faite pro-

gressivement, sans douleur, accompagnée tout au plus de quelques très

vagues malaises thoraciques.

La malade venait nous trouver, moins pour son affection osseuse, que

pour des palpitations qui lui empêchaient le moindre effort, et qui sem-

blent liées à une insuffisance mitrale. Les troubles osseux, très typiques,

ne permettent aucun doute sur leur nature nosologique ; mais ils présen-

tent un très grand intérêt à plusieurs points de vue (Pl. I).

Les lésions en effet sont unilatérales : seule la moitié droite du sque-

lette est malade, frappée au niveau des os de la jambe, de la cuisse, de la

rotule, du bassin, et des mains ; la colonne vertébrale, organe médian,

présente une scoliose dorsale, sans incurvation latérale. La photographie

et les radiographies ci-jointes montrent bien l'état des lésions. La malade

reslera-t-elle toujours une « Unipaget », ou bien fera-t-elle ultérieure-

ment des lésions de môme ordre du côté gauche du corps ? Cela est diffi-

cile à dire : mais quoi qu'il doive arriver, il est très intéressant de voir,

après onze ans d'évolution, une ostéite déformante léser un assez grand

nombre d'os situés tous d'un seul côté de la ligne médiane : un cas sem-

blable n'avait pas encore été rapporté,à notre connaissance tout au moins.

La main du côté malade est atteinte, nous l'avons dit : en effet, les

doigts, du côté droit, présentent des nodosités d'Heberden, surtout mar-

quées au niveau de l'index ; et il ne semble pas qu'il y ait là une simple

coexistence : la mensuration, en effet, précisant les renseignements four-

nis par l'examen visuel, nous a montré que toutes les phalanges des doigts

sont notablement hypertrophiées du côté droit, par rapport à ceux de

l'autre côté qui est sain ; le processus a frappé leur diaphyse et leurs

épiphyses, cela surtout d'ailleurs au niveau des trois premiers doigts.

Si l'existence de digitol'll1n nodi plaide en faveur du rhumatisme chro-

nique, l'élargissement de toutes les phalanges, l'absence de tout trouble

articulaire, infirment absolument ce diagnostic ; notre malade est simple-

ment une pagétique qui a lésé les diaphyses de ses phalanges (d'où leur

élargissement), et leurs épiphyses : en certains points le processus épiphy-

saire est assez accentué pour aboutir à la formation des fameuses nodosit

of the joint. Nous reviendrons plus loin sur les déductions qui peuvent

être tirées de cette constatation.

(1) Klippel et P1EIIIIE-WW., Maladie oiseuse de Pagel unilatérale avec hyperlhtrmii

locale et nodosités d'Heberden du cola correspondant. Soc. de Neurol., 5 novembre

1908, Revue de Neurologie, 1908, n 22, p. 2028.

NOUVELLLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE

T. XXII. PI. 1

OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

(Klippel et Pierre-Weil).

Masson et Cie, Editeurs

PhototypIe Derlha.ud, Pans.

A PROPOS D'UN CAS D'OST1 : LTE DEFORMANTE 3

Notre malade présente enfin, au niveau du membre inférieur atteint,

une hyperthermie locale, très marquée ; après une exposition temporaire

de ses membres inférieurs à l'air extérieur, la main appliquée sur la

jambe gauche, saine, a une sensation de frais; sur la cuisse droite (malade)

une sensation de tiède, et une sensation de chaud, au niveau de la jambe

du même côté (très malade).

La température est donc surtout élevée au niveau du maximum des

lésions. -

Celte hyperthermie locale est manifeslement de plusieurs degrés : nous

n'avons pu la mesurer avec les appareils ad hoc, mais en nous servant de

thermomètres ordinaires appliqués sur la peau pendant un certain temps,

en nous plaçant de chaque côté dans les mêmes conditions d'expérience,

et en évitant la déperdition de calorique par un enveloppement ouaté,

nous avons constaté, entre les tibias droit et gauche, la différence énorme

de 5° centigrades. Cette hyperthermie toutefois ne s'accompagne ni de

rougeur, ni d'aucun état inflammatoire de la peau, et nous insistons sur

ce point. Elle est liée non pas à une diminution du rayonnement cutané,

mais à une augmentation de la thermogénese. Le thermomètre monté

avec une vitesse bien supérieure à droite qu'à gauche.

Il est vrai que cette méthode de mesure de la thermogénèse, proposée

par Grasset, est scientifiquement insuffisante (Guinon) (1), et que le calo-

Limétre est le seul instrument de précision pour ces évaluations : mais

la différence de rapidité dans l'ascension de la colonne de mercure est telle

qu'elle impose à l'esprit l'idée d'augmentation de la thermogénèse ; et la

vascularisation cutanée égale des deux côtés infirme la théorie de Traube,

la théorie de l'hyperthermie par diminution de la déperdition de chaleur.

L'hyperthermie locale n'a encore été signalée que deux fois, à notre

connaissance tout au moins, au niveau des os atteints d'ostéite déformante ;

cette constatation a été faite par L. Jacquet (2) d'une part; par Chartier

et Paul Descomps de l'autre (3). « Il nous faut signaler, disent ces

derniers auteurs, un symptôme particulier bien évident, consistant en une

élévation de température locale occupant les membres supérieurs et infé-

rieurs du côté droit. » Ils la considèrent comme « l'indice d'un travail

inflammatoire ». Quant à nous, nous serions plutôt portés à considérer

(1) L. Guinon, De la fièvre. In Traité de Pathologie générale de Bouchard, t. III,

p. 9-92.

(2) L. Jacquet, Maladie osseuse de Paget guérie par le traitement antisyphilitique.

Soc. méd. des hôpitaux, 7 juillet 1905; Bulletin de la Soc., 1905, p. 629.

(3) M. Chartier et PAUL Descomps, Ostéite syphilitique déformante, type Paget, chez

une tabétique. Soc. de Neurol., 6 décembre 1906, et Nouvelle Iconographie delà

Salpêtrière, 1907, n° 1.

4 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

celte hyperthermie locale comme la traduction du processus pagétique

lui-même, et nous ne ferions intervenir, pour l'expliquer, aucun trouble

surajouté (inflammatoire ou autre) : car, dans notre cas tout au moins, celle

élévation de la température locale ne s'accompagnait d'aucun état inflam-

matoire de la peau : pas la moindre rougeur, pas la moindre circulation

collatérale. C'est au processus d'ostéite qu'il faut rapporter celle hyper-

thermie locale, et, peut-être, plutôt au processus de rénovation osseuse

qu'à celui de raréfaction (ce sont ces deux processus, on le sait, qui,

surajoutés l'un à l'autre, aboutissent à la formation des lésions pagétiques).

Il y a là un signe qu'il faudra dorénavant rechercher dans tous les cas, qui

permettra peut-être de différencier la maladie de Paget d'affections os-

seuses analogues (ostéomalacie, syphilis, etc.), et de dire si, à un moment

donné, c'est le processus de raréfaction ou celui de néoformation qui

l'emporte.

Voici, dans tous ses détails, l'observation de notre malade :

Observation. C'est pour des palpitations que Mme Baud... s'est présen-

tée, le 19 octobre 1908, à la consultation de l'hôpital Tenon, où elle a été reçue

dans notre service, salle Magendie, n° 19 b. Elle est âgée de 56 ans ; elle

exerçait la profession de ménagère, qu'elle a dû interrompre à cause de palpi-

tations, il y a quelque temps.

Ce qui frappe à première vue, lorsqu'on examine cette malade, c'est la

déformation osseuse qu'elle présente au niveau du membre inférieur droit et

de la colonne vertébrale. Sur la date du début de sa maladie la malade man-

que de précision : sa mémoire en effet a fortement baissé depuis quelques

années. Sa fille nous apprend que c'est à la suite de sa dernière grossesse,

qui remonte à onze ans, que les déformations osseuses de Mme Baud... ont

débuté, au niveau du tibia droit et de la colonne vertébrale. Les jupes devin-

rent trop longues en avant, la malade se voûta et s'ankylosa dans cette posi-

tion ; l'affection évolua lentement et progressivement, s'accompagnant de

douleurs au niveau des derniers espaces intercostaux gauches. Dans les pre-

miers jours de juillet 1902 apparut subitement une attaque d'apoplectiforme,

sans cause apparente : la malade qui se trouvait dans sa chambre eu train de

vaquer à son ménage perdit brusquement connaissance et tomba, sans avoir

été prévenue par une aura.

Le subcoma aurait duré une dizaine de jours.

A la suite de cet ictus, et pendant un certain temps, la malade comprit

mal ce qu'on lui disait, parla mal, en bégayant, eut de la difliculté à se faire

comprendre. Peu à peu, la malade revint à son état antérieur, ne conservant

de son ictus qu'une diminution considérable de la mémoire. Nous y revien-

drons d'ailleurs en l'étudiant au point de vue intellectuel. Aux dires de la

malade ce serait surtout depuis cet ictus que les troubles osseux seraient de-

venus plus manifestes.

NOUVELLLE Iconographie DE la SALPG1'RI$RE T. XXII. PI. II

OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

(Klippel et Pierre-Weil).

Radiographie du bassin.

Masson et Cm, Editeur :

Phototypie f3erthaud, Par 15

A PROPOS D'UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE ' 5

C'est il ya dix-huit mois environ que sont apparues les palpitations accompa-

gnées de douleurs à l'épigastre. Ces accidents ont été croissant, et acquirent,

il y a quatre mois environ, une intensité telle que la malade dut s'aliter : il

est remarquable de noter que ce sont pour ces troubles de la sensibilité car-

diaque que la malade a dû interrompre son travail, et non pour les accidents

si marqués qu'elle présente au niveau des membres inférieurs, qui ont été

indolores jusqu'à ce jour.

Lorsqu'on examine la malade, elle frappe, à première vue, par son aspect

grotesque. Vue de face, elle semble formée de deux moitiés bien distinctes

appartenant à deux individus différents, séparées par une ligne transversale,

qui répond à la base du thorax. La moitié supérieure est mince et fluette,

l'autre moitié est d'une largeur révoltante (PI. I).

Le bassin est en effet extrêmement élargi ; la paroi abdominale proémine

en avant ; les membres inférieurs sont augmentés de calibre et largement

écartés l'un de l'autre à leur origine ; réunis au niveau des talons, ils limi-

tent entre eux un ovale allongé, dont le bord droit est beaucoup plus con-

vexe en dehors que le gauche.

Vue de dos, l'opposition entre ces deux portions du corps est moins accen-

tuée : la portion sons-diaphragmatique heurte toujours par sa largeur ; les

muscles fessiers sont atrophiés et la peau se plisse à leur niveau ; mais une

grosse scoliose dorsale s'oppose au contraste relaté plus haut, lorsque la

malade était vue de face : il n'y a plus superposition de deux demi-corps ap-

partenant à deux êtres différents, l'un sain, l'autre malade.

La malade peut marcher ; elle le fait sans que ses jambes ne se croisent « en

ciseaux » ; mais le membre droit, très incurvé, est apparemment moins long '-

que le gauche, et la malade boite, le tronc s'élevant en quelque sorte lors-

qu'elle s'appuie sur le membre droit, et s'abaissant au contraire lorsque l'autre

pied prend contact avec le sol.

L'examen systématique de tous les os fournit les renseignements suivants :

La- tête ne semble pas touchée par le processus d'hypertrophie et de défor-

mation ; elle n'est pas asymétrique ; la malade n'en a pas souffert ; elle n'y a

pas constaté de modification de volume.

Les chiffres fournis par les mensurations sont d'ailleurs d'ordre normal :

54 centimètres pour le tour de la tête pris au-dessus des oreilles ; 34 cen-

timètres pour la distance qui sépare la racine du nez de la protubérance occi-

pitale.

Les os de la face (os maxillaires; malaires, arcades zygomatiques, etc.) sont

épargnés. Les dents du maxillaire inférieur semblent, il est vrai, s'avancer

un peu plus en avant que le 1ebord inférieur du maxillaire supérieur, mais ce

fait doit être rapporté sans doute à une atrophie régressive du rebord du

maxillaire supérieur, qui a complètement perdu ses dents. ' *

Pas de modification de l'os hyoïde. La colonne vertébrale est manifestement \

atteinte. La malade présente une scoliose très marquée, qui commence au ni- 1

veau de la 7e vertèbre cervicale ou de la 1" dorsale ; son maximum est au

niveau de la 5e vertèbre dorsale, elle se termine avec les dernières vertèbres J

Ii KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

dorsales. Elle revêt donc complètement le type classique dans la maladie de

Paget. Il n'y a pas de courbure de compensation. Celte scoliose a contribué,

avec l'incurvation fémoro-tibiale, à diminuer considérablement la taille de la

malade ; les bras pendants, les extrémités digitales arrivent à 3 centimètres du

bord supérieur de la rotule.

Il n'y a pas de déviation latérale de la colonne vertébrale. Les apophyses

épineuses ne semblent pas hyperostosées, mais elles doivent être soudées, car

aucun mouvement ne peut être provoqué dans la colonne dorsale. Ni les omo-

plates, ni les clavicules, ni le sternum, ne semblent lésés par le processus

morbide.

II n'y a pas de déformation thoracique. L'abdomen est proéminent ; une

hernie à grand axe vertical apparaît lors des efforts entre les deux muscles

grands droits de l'abdomen.

Du côté du membre supérieur on ne constate aucune grossière altération

osseuse ; les mensurations du bras, du coude, de l'avant-bras, du poignet,

fournissent les mêmes chiffres d'un côté et de l'autre.

Seuls les doigts, et encore les doigts de la main droite exclusivement, pré-

sentent des modifications morphologiques intéressantes; les premiers doigts

de la main droite, en effet, le deuxième et le troisième surtout, sont d'un

calibre plus considérable que la normale, taudis que les doigts du côté opposé

ont conservé toute leur finesse..

L'hyperostose intéresse tous les segments des doigts ; au niveau de l'index

droit elle forme deux petits nodules du type Heberden, de chaque côté de

l'articulation phalangetto-phalanginienne (PI. III).

Voici les mensurations comparées des doigts, destinées à montrer la circon-

férence plus grande des doigts de la main droite par rapport à ceux de la main

gauche.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÉTRRÈRE.

T. XXII. Pi. m

OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

(Klippel et Pierre- Weil).

- Mac;l5on et Cie, Editeurs

A PROPOS D'UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 7

nous avons vu des os iliaques étiquetés « normaux » dont la largeur était à

peu près la même à ce niveau. Ce qui est certain, c'est que la crête iliaque

droite, mesurée en son point maximum, a, elle, plus de 4 centimètres d'épais-

seur, et semble moins effilée que l'autre en avant et en arrière (PI. II).

L'écartement des deux épines iliaques antéro-supérieures est de 34 centi-

mètres ; le pourtour du bassin de 86 centimètres.

Une crête iliaque ne semble pas déjetée plus que l'autre par rapport à la

ligne médiane. Sur les radiographies du bassin on constate manifestement des

lésions très marquées de l'os coxal : si l'on prend comme point de comparai-

son l'os gauche, qui semble sain, l'os iliaque du côté droit apparaît plus dense ;

la branche ischio-pubienne est très notablement hypertrophiée ainsi d'ailleurs

que tout le pourtour du trou obturateur ; celui-ci, d'antre part, est de dimen-

sions beaucoup plus considérables de ce côté-ci que de l'autre côté.

C'est surtout au niveau des fémurs et des tibias droits que les altérations

« pagétiques » sont marquées (PI. IV).

La cuisse décrit une courbe à grand rayon à convexité antérieure, à conca-

vité postérieure ; sa surface est dure et lisse. Du côté gauche on ne relève

aucune déformation fémorale.

Les muscles de la cuisse sont manifestement plus atrophiés à droite qu'à

gauche, tant au niveau du quadriceps que des muscles de la loge postérieure

de la cuisse. ,

Enfin, la chaleur locale est manifestement plus marquée au niveau du sum-

mum de la courbe fémorale droite qu'au niveau de la partie homologue du

fémur gauche.

Les mensurations comparées de la circonférence des cuisses droite et gau-

che donnent les chiffres suivants :

8 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

l'os. On ne peut vraiment pas dire que l'os est aplati en « fourreau de lame

de sabre » (Lannelongue).

Sur les radiographies comparées des deux jambes, on voit manifestement

que l'un est sain, tandis que l'autre, curviligne, est fortement hypertrophié.

C'est au niveau de l'exostose dont nous venons de parler que la température

locale est surtout considérable, très manifestement surélevée par rapport à

celle du côté opposé ; en réalité toute la jambe droite est plus chaude que la

gauche, mais à un degré moins élevé.

Lorsque les membres ont été laissés quelque temps à l'air libre, la main ap-

pliquée sur le tibia gauche a une sensation de « frais » sur la partie inférieure

du tibia droit, elle perçoit une sensation de « tiède », et une sensation nette-

ment « chaude » lorsqu'on la place sur l'exostose en question. Nous avons me-

suré ces différences de température : il y a 5 degrés de différence de température

locale entre les deux jambes.Et pourtant, nous voulons insister sur ce point,il il

n'y a ni rougeur de la peau, ni le moindre état inflammatoire des téguments

Nous n'avons pas constaté de modification du squelette des pieds.

La tête du péroné est hypertrophiée à droite (4 cm. 5 de largeur) et nor-

male à gauche (2 cm. 8 de largeur).

L'examen détaillé du système nerveux s'imposait chez notre malade : or il

nous a révélé peu de choses. La motricité est normale, tant aux membres droits

que gauches ; la malade s'oppose avec une énergie suffisante à tous les mouve-

ments qu'on veut exécuter, et sa force est égale à droite et à gauche. La force

de pression, mesurée au dynamomètre, est de 15 kilogrammes à droite ainsi

qu'à gauche. Seuls les fléchisseurs de la jambe sont moins énergiques à droite

que du côté opposé. L'exploration de la sensibilité à ses différents modes (con-

tact, piqûre, chaud, froid) ne donne que des résultats négatifs ; le sens stéréo-

gnostique et le sens des attitudes sont conservés. Les réflexes sont égaux des

deux côtés, peut-être un peu vifs. Du côté de l'intellectualité enfin on constate

une diminution considérable de la mémoire ; la malade, nous l'avons dit, ren-

seigne mal sur le début de son affection, et sa fille nous a été utile pour le pré-

ciser ; elle a oublié le lendemain ce qu'on lui a dit la veille ; elle ne retrouve

pas les objets placés par elle-même dans sa chambre. Du côté de la vaso-mo-

tricité, rien à signaler ; des lésions d'amyotrophie existent, nous l'avons vu

surtout marquées du côté des lésions ;enrrll T3ppelons les différences de tem-

pérature locale considérables qui existent entre les deux fémurs et les deux

tibias. Du côté des organes des sens, il faut noter une diminution, relative

d'ailleurs, des facultés auditive et visuelle : son ouïe diminue depuis trois ou

quatre mois seulement ; c'est il y a seize ans environ qu'elle a dû commencer

à porter des lunettes.

Du côté des viscères, rien d'important : les poumons, le foie, la rate,les reins

semblent sains. Au coeur existe un souffle systolique a la pointe, qui est cons-

tant, se propage vers l'aisselle, et semble symptomatique d'une insuffisance

mitrale (La malade nie toute atteinte antérieure de rhumatisme articulaire

aigu). La malade n'est pas très notablement artério-scléreuse (pas de second

OU\'ELLLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPEl'RI) : 116 T. XXII. Pl. IV

OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

(Klippel et Pierre- Weil).

A PROPOS D'UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 9

bruit claqué au coeur; absence du signe de la temporale, etc.), mais la radiale

pourtant est assez dure. La tension, mesurée avec l'appareil de Potain, est de

14 à droite et de 13 à gauche.

L'analyse des urines de 24 heures a fourni les chiffres suivants (la malade

est au 2e degré d'alimentation hospitalière) :

10 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

Notre malade elle-même n'a jamais éprouvé le moindre symptôme morbide

jusqu'au début de l'affection actuelle ; rien dans son histoire ne peut faire soup-

çonner la spécificité héréditaire ou acquise. Elle a eu 8 enfants et une fausse

couche (entre le 4' et le 5° enfant). Tous ses enfants sont nés à terme : trois

sont morts, l'un à 6 mois, un autre à 17 mois (tous deux de croup), le troi-

sième de méningite à 7 aus. -

Une question des plus importantes se pose au sujet de notre malade .

quelle est la pathogénie de son affection ?

C'est malheureusement là un point difficile à résoudre, et les nombreu-

ses appellations données successivement au syndrome qui nous occupe

montrent assez les divergences des auteurs (ostéite déformante de Paget;

ostéite ossifiante diffuse de Lancerceux ; ostéomalacie locale d'Ollier ;

ostéomalacie hypertrophique de Vincent;pseudo-rachitisme sénile de Pozzi;

rhumatisme ostéo-hypertrophique de Féréol). Si le nom de « maladie

osseuse de Pagel» » a prévalu, c'est qu'il ne préjuge de rien.

Examinons tout d'abord, comme non fondées, la théorie de l'ostéomala-

cie (Vincent) que personne ne soutient plus, et l'hypothèse d'une lésion

vasculaire sanguine (Labadie-Lagrave) qui,'bien que très souriante, n'a

jamais été confirmée par les faits.

Mais avant d'entreprendre toute discussion ultérieure, nous devons nous

arrêter à la théorie syphilitique delà maladie de Pagel. Cerlains auteurs,

en effet, à la suite de Lannelongue (1) et de Fournier (2), font jouer à la

syphilis un rôle capital et exclusif dans l'étiologie de cette maladie osseuse.

Une telle théorie est-elle actuellement fondée ?

C'est, on le sait, la syphilis héréditaire qui a été incriminée tout d'a-

bord. Lannelongue pense même que si les auteurs ne recueillent jamais

d'antécédents syphilitiques chez les sujets atteints, si ces antécédents

font défaut dans tous les cas sans exception, cela doit être, puisque les

sujets, en puissance de syphilis héréditaire, ne sauraient contractera à

nouveau la syphilis ; ils sont vaccinés » (3).

(1) LANNELONGUE, De l'origine héddo..synhilitiqlle des maladies de Parrot et de Pa-

get. Acad. de Médecine, 3 mars ]9U3. Syphilis héi éuitaire tardive, type Pagel. Types

infantile et adolescent, types de l'adulte et du vieillard. Leçons des 18 et 20 février 1903,

Builflin medicnl, 1903, p 161 et 116.

(2) A. Fouumea. A provos de la maladie de Paget considérée comme une m'mires-

talion delà syphilis liérédilahe tardive. Acad. de Médecine, 31 mars 1903 ; Bulletin

médical, 190 ? Il' 26, p. 301. -

(3) Il semble pourtant démontré, grâce aux recherches permises par la syphiligra-

phie expérimentale, que le principe qui veut qu'un syphilitique ne puisse pas con-

tracter à nouveau la vérole tant qu'il n'est pas guéri, tant qu'il est sous le coup de

A PROPOS D'UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE il 1

Toutefois la syphilis acquise a pu être imputée dans cerlains cas. M. Mé-

nétrier a insisté sur cette étiologie, et a rapporté trois observations de

maladie de Pagel survenue chez des syphilitiques acquis, deux avec Gau-

ckler (1),une avec Rubens Duval (2); la malade de Cltartier et Descomps (3)

était tabétique, et peut-être donc syphilitique : cela porterait à cinq les

cas de maladie de Paget observés chez des sujets ayant acquis la vérole.

On a beaucoup insisté sur les connexions qui existent entre la syphilis

héréditaire tardive, et la maladie osseuse de Paget, cette « syphilis ultra-

tardive » de certains auteurs. Fréchou (4) a consacré sa thèse à ces analo-

gies, queFournier (5) classe sous cinq chapitres principaux : Prédilection

particulière pour le tibia et forme spéciale en « fourreau de lame de sa-

bre » (6) de l'ostéopathie ; Ostéopathie ; Stade de douleurs, prélude habi-

tuel ; Caractère massif de ces ostéopathies ; Ostéopathies déformantes.

Nous ne voulons pas nous appesantir sur tous ces points communs sur

- lesquels d'autres ont insisté mieux que nous ne saurions le faire, mais

nous voulons montrer que si ces deux affections se ressemblent beaucoup

par certains points, que si le tibia Lannelongue rappelle le tibia Paget,

certains caractères toutefois séparent nettement ces deux maladies.

Les pagétiques souffrent parfois, mais ces douleurs n'ont pas l'inten-

sité que l'on observe dans la syphilis, où elles peuvent arracher des cris ;

elles ne sont pas circonscrites, comme elles le sont dans la spécificité ;

elles revêtent parfois le type fulgurant ; elles n'ont pas enfin ce maxi-

mum nocturne si fréquemment noté dans la vérole.

On a discuté beaucoup sur le manque d'antécédents spécifiques chez les

pagétiques ; l'origine hérédo-syphi 1 i tique sera établie, selon le profes-

sa syphilis ancienne, n'est pas aussi fortement fondé qu'on avait voulu le dire ; Neisser

en Allemagne, Queyrat en France, Finger et Landsteiner à Vienne ont insisté sur ce

point. D'après les expériences de Finger et Landsteiuer, le singe à besoin de 54 jours

au moins pour acquérir l'immunité. Chez l'homme l'immunité, assez forte à la suite

des accidents secondaires, subirait plus tard une diminution considérable : l'ino-

culation pourrait se faire dans 85 p. 100 des-cas.Il est bon de rappeler que l'inocula-

tion est suivie presque immédiatement alors, non d'un chancre, mais bien d'un acci-

dent tertiaire, la gomme (METÀCHNIKOFF, Leçons inédites professées à l'Institut Pasteur,

1907-1908). ).

(1) Ménétrier et G,WCKLKR, Deux cas de maladie osseuse de Paget avec examen

anatomique, Société médicale des hôpitaux de Paris, 29 mai 1903 ; Bulletins de la Soc.

méd., 1903, p. 574.

(2) l1rrreTmsn et liuBCVS-D VAL. Maladie osseuse de Pagel et Syphilis. Soc. méd.

des hôpitaux, 25 mai 1905 ; Bulletins de la Soc. méd., 1905, p. 429.

(3) CII-1HTI1·n et Paul Ureconsr., loc. Ci(.

(4) ,1 E \ FIIICCIIOU, Des rapports de Thérédo-syphilis osseuse tardive avec l'osteile

déformante progressive, 'lhèse de Paris, 1902-03.

(5) A. Fournie». Bulletin médical, loc. cit.

(6) Et non en « lame de sabre » comme on le dit trop souvent.

12 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL '

seur Fournier, lorsqu'à l'occasion d'un même sujet on trouvera : « 1° une

maladie de Paget typique; 2° des manifestations bérédo-syphiiitiques de

la puer-adolescence ; 3° la syphilis avérée du procréateur ».

« Cette trouvaille, dit t'éminent syphilologue, mettrait un terme à

toute discussion. » « Ah ! alors,devant ce fait modèle, devant ce fait idéal,

l'évidence sera acquise » (A. Fournier). Non pas, croyons-nous ; celle

observation idéale prouvera simplement que la maladie de Paget peut se

développer chez des hérédo-syplii 1 i tiques - une pathogénie ne peut se fon-

der sur un seul cas.

Tout au plus, pourra-t-on préjuger d'un certain nombre d'observations

de ce genre que la maladie osseuse de Paget a peut-être plus de prédilec-

tion à se développer chez les syphilitiques que chez les autres sujels, que

la syphilis joue un certain rôle dans la pathogénie de la maladie de Paget :

nous reviendrons d'ailleurs sur ce point.

Le traitement antisyphilitique a été fréquemment essayé chez tesla-

gétiques ; il a presque toujours échoué. A. Robin (1) a insisté sur l'inac-

tivité du traitement d'épreuve ; pour M. Cornil (2), cet échec serait dû à

ce que l'on s'attaque à des lésions avancées, tandis que seules, les lésions

récentes, formées de cellules vivantes, non encore incrustées de sels cal-

caires, sont susceptibles d'amélioration ; Lannelongue (3) croit que le

manque d'action est dû à ce que les lésions sont confirmées.

Cependant, comme le fait remarquer lui-même le professeur Four-

nier (4), « une maladie lente, et surtout une maladie à phases successives,

forcément n'est pas constituée d'une façon exclusive par les lésions

accomplies et définitives ; elle se compose nécessairement de lésions de

divers âges, c'est-à-dire qu'elle présente, à côté de lésions réelles et irré-

ductibles, des lésions plus jeunes et encore accessibles à l'action thérapeu-

tique. Elle devrait donc, pour le moins, subir quant à ces dernières une

action résolutive notable de la part du mercure et de l'iodure de potas-

sium ». .

Depuis lors, il est vrai, quelques observa lions de maladie de Paget amen-

dées par le traitement antisyphilitique ont été publiées [Gaucher et Ros-

(1) ALBERT Robin, Discussion 1 propos de la communication de L1\NELONGUE. Acad.

de médecine, 3 mars 1903.

(2) CORNIL, Discussion à propos de la communication de Lannelongue. Acad. de mé-

decine, 3 mars 1903.

(3) Lannelongue, LOC. cit.

(4) A. Fournier, Bulletin médical, loc. cit.

A PROPOS D'UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 13

taille (1) ; Ménétrier et Rubens-Duval (2) ; Jacquet (3)] ; le traitement

mixte a calmé les douleurs dans un cas de Schwartz, a fait rétrocéder les

exostoses dans un cas de Labadie-Lagrave [cité en thèse Fréchou (4)], a

arrêté la marche de l'affection dans un cas de Lannelongue.

Mais dans toutes ces observations il ne s'agit que d'un arrêt de la ma-

ladie ou d'une atténuation de symptômes, jamais de guérison complète ;

très fréquemment ce traitement a été inefficace [du Castel et Semper (5) ;

Fournier, etc.], quelquefois il a été nuisible [Vincent (6)]. Il ne faut pas

oublier enfin qu'une certaine amélioration causée par l'introduction dans

l'organisme d'un certain médicament ne veut pas dire que ce médicament

agit sur la cause même de la maladie, qu'il est spécifique. L'introduc-

tion, dans un organisme quelconque, et à plus forte raison dans un

organisme malade, d'une substance médicamenteuse, peut donner à la

nutrition une orientation nouvelle, peut en modifier puissamment la

réaction vitale; J. Teissier et Roque (7) relatent des améliorations de

manifestations arthritiques tenaces obtenues à la suite d'une injection de

sérum antitétanique; le Dr Blanc (d'Aix-les-Bains) (8) a vu un rhuma-

tisme chronique très amélioré par une injection de sérum antidiphté-

rique.

Si donc une amélioration légère des symptômes, obtenue par le traite-

ment syphilitique, ne plaide pas d'une façon absolue pour l'origine

spécifique de la maladie de Paget, il existe pourtant certaines observations

où ce traitement semble avoir eu un tel résultat qu'on ne peut lui dénier

toute valeur : nous verrons plus loin comment on peut, selon nous, inter-

préter ces cas. Nous voulons nous borner, pour le moment, à montrer que

si certaines, maladies de Paget relèvent peut-être de la syphilis, grâce

d'ailleurs, selon nous, à un intermédiaire (t'artérite peut-être ;ou la névrite

dégénérative, ou toute autre cause, sur lesquelles nous reviendrons dans la

suite), toutes les maladies de Paget ne sont pas d'origine syphilitique, que

celle affection n'est pas « parasyphilitique » (Fournier). Une preuve, bien

(1) Gaucher et ROSTA1NE, Maladie osseuse de Paget améliorée par le traitement

antisyphililique. Société de dermatologie et de syphiligraphie, 11 avril 1904 ; Bulletins

de la Soc, 1904, p. 127.

(2) lli\6TI11Eft et Rubens-Duval, 10C. Cit.

(3) Jacquet, loc. Cit..

(4) Fréchou, loc. cil.

(5) Du Castel et SFBIPER, Maladie osseuse de Pagel. Soc. de dermat. et syphil.,

11 avril la04 ; Bulletins de la Soc., 1904, p. 127.

(6) Vinrent, loc. cil.

(7) J. TEissi«n et Roque, Rhumatisme chronique. In Traité de médecine et de théra-

peutique de BnouAIIDEL-G1LlJlmT, 1906, t. VIII, p. 116..

(8) Cité par TEISSIER et Roque.

14 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

scientifique pourtant, puisque c'est de la rigueur des chiffres qu'elle tire

toute sa force, a été fournie par la chimie osseuse.

On sait que l'os pagétique est caractérisé essentiellement par une aug-

mentation des matériaux organiques et une diminution des matériaux

minéraux (1). Or, le professeur A. Robin (2), dont la haute compélence

est bien connue, a montré les différences fondamentales qui séparent l'os

pagélique de l'os syphilitique. Si tous deux ont une teneur approximati-

vement semblable en sels minéraux, ils se séparent nettement l'un de l'au-

tre par leur teneur en eau et en matières grasses : l'os poétique renferme

beaucoup moins d'eau que l'os syphilitique, mais beaucoup plus de ma-

tières grasses que lui : celui-ci en effet est pauvre en graisse, celui-là en

est très riche.

D'autres arguments encore montrent l'insuffisance de la théorie syphi-

litique de la maladie osseuse de Paget. Gaston Legros (3) et André Léri (4)

ont radiographié récemment des squelettes de pagétiques,et ils ont cons-

(1) Voici par exemple les chiffres obtenus par An. Robin, Note sur un cas d'os-

téite déformante de Paget. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1894, p. 15 :

A PROPOS D'UN CAS D OSTÉITE DÉFORMANTE 15

talé entre ces os et ceux des syphilitiques tertiaires de grosses différen-

ces. Ceux ci ont des os compacts, les hyperostoses y sont formées par une

grosse ostéite condensante (il est vrai qu'ils n'ont pas pu examiner de vrai

tibia en lame de sabre, lésion rare dont le musée Dupuytren ne possède

pas d'exemplaire) ; chez les pagétiques au contraire,I'os donne à la radio-

graphie un aspect tout spécial : « il y a ostéite condensante et ostéite

raréfiante, mais l'ostéite raréfiante domine en général de beaucoup, il y a

une dislocation, une désorientation extrême des travées osseuses qui ont

sur une image radiographique l'aspect emmêlé de flocons d'ouate »

(A. Léri).

On a recherché dans le fond de l'oeil, selon les conseils de Fournier (1),

la signature du spirochète, et M. IVIorax et Vergne (2) ont rapporté ré-

cemment un cas de chorio-rétinite chez un pagétique. Mais cette chorio-

rélinite, aux dires de M. Chevallereau (3), n'a pas les caractères de la

spécificité. Pour être pagétique, on n'en est pas moins voué à toutes les

affections possibles du fond de l'oeil.

Enfin, on a décrit, chez des animaux, des ostéites déformantes compa-

rables à celle de Paget. Goldmann (4) a observé il y a quelques années le

squelette d'une poule dont les os longs présentaient des difformités qu'il

attribue à une véritable osteilis déformons. Or la syphilis de la poule

n'existe pas, on le sait, pas plus d'ailleurs que celle du cheval, chez

lequel on a décrit, sous le nom de Maladie du son (Big Head), une affec-

tion que Barthélémy (5) considère comme identique à l'ostéite déformante.

Un point pourtant nous frappe dans son étude et nous laisse quelque

peu indécis, c'est de constater que la maladie du cheval lèse surtout les

épiphyses tandis que l'ostéite déformante de l'homme frappe surtout la

diaphyse de l'os : ne s'agirait-il pas plutôt de rhumatisme chronique que

d'ostéite déformante à type pagétique, dans le Big Head ?

Ainsi donc, s'il est prouvé que certaines analogies cliniques unissent

l'ostéite de Paget à la syphilis osseuse, il n'en est pas moins vrai que des

différences existent entre ces deux processus. En réalité un syphilitique

peut devenir pagélique ; sa syphilis est sans doute une cause adjuvante

pour le développement de sa lésion osseuse tardive, mais il n'y a pas

entre cette lésion et l'infection syphilitique un rapport direct de cause

à effet.

(1) Fournier, Discussion à propos de la communication de Du Castel et Semper,

loc. cil.

(2) Morax et VEII01OE, loc. cit.

(3) Chevallereau, Discussion à propos de la communication de 111onnAg et VERONE.

(4) Goldmann, Verein Freiburger Aerzte, 30 mai 1902.

(5) BAa1'HÉLEItT, Maladie osseuse de Paget chez l'homme et maladie du son chez le

cheval. Thèse de Lyon, 1901.

16 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

En face de la théorie syphilitique de la maladie de Pagel se dresse la

théorie tropho-névrotique, moins vivement défendue, il est vrai, et dont

il nous faut maintenant examiner la valeur.

Cette théorie se base tout d'abord sur des analogies ; à la suite de cer-

tains troubles nerveux peuvent se développer des accidents osseux, dont

le type est l' : rrêt de développement que l'on observe presque toujours

dans l'hémiplégie cérébrale infantile ou dans la paralysie infantile, trou-

bles nerveux qui expliquent peut-être la fréquence des fractures chez les

hémiplégiques adultes, sur laquelle a insisté M. Debove. Charcot et Mor-

veau attribuent la scoliose des syringomyéliques à un trouble trophique

des vertèbres; et une telle origine est attribuée par Leyden à la scoliose

de la paralysie infantile.

D'autre part, on sait que la section des nerfs des membres provoque du

côté des os des lésions bien étudiées par Schiff zut) et par Vulpian (2),

caractérisées d'abord par une ostéite raréfiante, puis par une ostéite con-

densante ; or c'est là même le processus anatomique de l'ostéite défor-

mante (3) ; c'est en se basant sur cette constatation que Lancereaux (4)

dit que « le système nerveux paraît jouer un rôle important dans la pro-

duction de l'ostéite déformante ». Que la trophonévrose soit un processus

étiologique possible, que des lésions nerveuses puissent provoquer des

altérations du squelette, cela est incontestable : mais la maladie de Paget

relève-t-elle toujours d'une telle pathogénie ? Pitres et Vaillard (5) le

pensent et attribuent la maladie à la névrite dégénérative des filets ner-

veux qui pénètrent par le trou nourricier de chaque os. Reclilinhausen (6)

rapporte l'observation d'une pagétique de 66 ans à l'autopsie de laquelle

on a trouvé une myélite chronique; Pic (7) relate, dans son cas,certaines

manifestations nerveuses (exagération des réflexes, troubles vésicaux) ;

Gilles de la Tourelle et Marinesco (8) relatent deux autopsies de pagéti-

ques à l'autopsie desquels ils ont trouvé des lésions médullaires; L.Lévi (9),

HudeloetHeitz(t0) ont trouvé des lésions médullaires et névritiques chez

(t) Schiff, Comptes-rendus de l'Académie des sciences, 1854.

(2) VULP1AN, Vaso-moteurs.

(3) Ki,iPPEL et P1ERRE-WEIL, Présentation d'un squelette de maladie osseuse de Pagel. Soc.

de Neurol., séance du 5 novembre 1908; Revue neurologique, 1908, n" 22, p. 2043.

(4) LANCEREAUX, Traité d'anatomie pathologique, 1883.

(U) Pitres et Vaillard, Archives de physiologie normale et pathologique, 1885.

(6) RECKLINGIIAUSEN, Abtheilung sur allgemeine Pathologie und pathologische Anato-

mie, 1886.

(1) Pic, Gazette des hôpitaux de Toulouse, octobre 1896.

(8) Gilles DE la ToURETTE et DIARINESCO, La lésion médullaire de l'ostéite déformante de

Pagel. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, juillet 1895, p. 205.

(9) L. Lévi, Bull, de la Société anatomique, 1896.

(10) Hudelo et HEITZ, loc. cit.

NOUVELLLE Iconographie de la Salpêtrière

T. XXII. PI. V

AFFECTIONS DYSTROPHIANTES DES OS 1

(A. Léri el G. Legros).

Trois fémurs (en haut photographies, en bas radiographies). 1

A A' : fémur racbilirlue : remarquer la conservation de la disposition normale des travées, l'épaisissement de la coud

compacte du côté de la concavité.

lil3' : Jérnor os/éomaiaciql/c : remarquer la disparition des travées normales et la néoformation de cloisons épaisse

transversales ou obliques, qui donne à l'os un aspect grossièrement alvéolaire.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊRRIÈRIR.

T. XXII. Pl. VI

AFFECTIONS DYSTROPHIANTES DES OS

(A. Léri et G. Legros).

Détail de deux têtes fémorales : A), de maladie de Paget ; 13), d'ostéomalacie.

On voit l'aspect ouaté et la disparition partielle des contours dans la maladie de Paget, l'aspect alvéolaire

si particulier dans l'ostéomulacée.

Masson et Cm, Editeurs

Phototypie Berlhaud, Pans

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. 3YII. Pl. VII

A et B. - Détail de l'extrémité inférieure de deux fémurs. A), de maladie de Paget.

B), d'ostéomalacie.

C. - Un tibia et un péroné de maladie de Paget.

AFFECTIONS DYSTROPHIANTES DES OS

(A. Léri ci G. Legros) .

Nouvellle Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. VIII

AFFECTIONS DYSTROPHIANTES DES OS 1

(A. Léri G. Legros). J

Un tibia de syphilis osseuse héréditaire tardive (A) et un tibia de maladie de Paget (B).

Comparer la coque compacte d'hypérostose localisée du tibia syphilitique et la désorganisation complète »

atées é aississcmcnt d'un bord et disparition presque complète de l'autre dans le tibia J

A PROPOS D'UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 17

leurs malades et de même, Eugenio Medea et Corrado de Fano (1) chez le

leur. Rappelons enfin l'observation de Chartier et Descomps (2) d'une mala-

die de Pagel chez une tabétique, Curcio (3) a même été jusqu'à décrire

un centre trophique des os dans la moelle épinière, au voisinage du canal

central, centre que Hudelo et Heitz n'ont d'ailleurs pas retrouvé sur

leurs coupes.

Quelle est la valeur pathogénique de toutes ces constatations anatomi-

ques ? Léopold Lévi pense que les lésions médullaires de son malade sont

dues à la sénilité : il y a pour lui une simple coïncidence entre ces lésions

et le pagétisme.

Hudelo et Heitz attribuent une certaine valeur aux lésions névritiques

qu'ils ont observées et font remarquer que dans les trois cas où les nerfs

ont été étudiés liistologiquement, ils ont paru malades (leur cas ; celui de

G. de la Tourelle et IVIarinesco ; celui de L. Lévi). Mais ces altérations

peuvent elles-mêmes être dues, comme ils le font remarquer, aux trou-

bles artériels sur lesquels nous allons revenir : «Il faudrait, disent-ils,

dans les autopsies de maladies de Paget, prélever pour chacun des grands

os l'artère et le nerf, et étudier ce dernier tant sur des coupes que sur des

dissociations. »

Eugenio Medea et Corrado de Fano ne veulent pas conclure de leur cas

à la théorie tropho-névrotique : les lésions qu'ils ont constatées sont en

effet très diffuses, lésant les faisceaux pyramidaux directs et croisés, les

faisceaux cérébelleux directs, les cordons postérieurs, la zone de Lis-

sauer ; le triangle de Gomhault et Philippe,le champ ovale de Flechsig, le

faisceau en virgule de Seliultze sont à peu près indemnes.

Les deux malades autopsiés par Gilles de la Tourette et Marinesco pré-

sentaient tous deux des lésions médullaires beaucoup plus marquées à un

examen macroscopique (coloration jaune-pâle des cordons postérieurs

tranchant d'une façon très nette sur le fond plus foncé du reste de la subs-

tance blanche) qu'à un examen microscopique (raréfaction légère des cor-

dons postérieurs, avec un peu d'épaississement du tissu de soutènement ;

pas de véritable sclérose des cordons postérieurs). Mais il est difficile d'af- '

, firmer que ces lésions sont cause des altérations osseuses : le fait estmême

très peu probable, étant donné le caractère léger, diffus, peu systématisé

de ces lésions. Elles peuvent tout aussi bien n'avoir aucun rapport avec

. Il) Eugenio Medea et Conn,\IJO de Fano, Contributo ail allutomia delta malatlia di Pagel,

Il Morgagni, an XLVIII, fasc. G, juin 1906, p. 337.

(2) CIIAIiTIEIi et Descomps, loc. cit.

(3) Curcio, Anali di med. nav., novembre 1892.

xxii é .

18 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

l'ostéite déformante, être dues par exemple à des troubles vasculaires dans

1 le domaine des artères spinales postérieures.

En résumé, des lésions de l'axe nerveux ont été observées chez les

pagétiques ; mais elles sont peu accentuées, elles manquent de toute

systématisation, et, pour ce qui est des altérations médullaires, il ne sem-

ble pas permis, aujourd'hui, de les considérer comme la cause de la

maladie osseuse. Elles sont liées sans doute à des troubles de l'irrigation

vasculaire de la moelle ; certaines peut-être sont conditionnées par la lésion

* osseuse primitive.

Toutes ces lésions, nullement systématisées, à caractères vagues et

imprécis, rappellent celles qui ont été observées au cours du rhumatisme

chronique. On sait en effet qu'au cours de cette affection certains symp-

tômes ont pu être notés, qui, intéressant la sensibilité, la motricité, la

trophicité, la vasomotricité, ou la réflectivité, le psychisme même, mon-

trent l'atteinte du système nerveux [Klippel (1), Cousin (2), Skoda, Risen-

mann, Remak (3)].

Or l'un de nous (4) a montré, le premier, que les lésions médullaires

ne sont pas primitives mais bien secondaires aux troubles articulaires.

« Il est certain qu'une arthrite chronique, quelle que soit son origine, rhu-

matismale, traumatique, tuberculeuse ou autre, détermine parfois jusqu'à

des lésions matérielles, dans les centres trophiques correspondants, de

la corne antérieure de la moelle. »

Les plaques de méningites spinales diffuses observées par Tessier et

Roque (5), les plaques de pachyméningite relatées par Touche (6) ne sont

donc pas la cause du rhumatisme chronique, pas plus que des altérations

diffuses de légère sclérose médullaire ne sont à la base des lésions osseuses

de la maladie de Paget. Mais il est probable pourtant que toutes ces lé-

sions une fois formées, contribuent à aggraver les processus osseux et ar-

ticulaire.

Mais, si l'origine médullaire de l'ostéite déformante est loin d'être

prouvée, on pourrait peut-être penser, avec plus de raison, à la cause

(1) M. KLIPPEL, Des accidents nerveux du rhumatisme chronique et de la goutte. Ann.

médico-chirurg., 1885, n° 6.

(2) Cousin, De quelques symptômes communs au rhumatisme chronique el aux affections

nerveuses. Thèse de Paris, 1890.

(3) Cités par Teissilh et Roque, Loi. cit.

(4) M. KLIPPPL, Sur une variété de rhumatisme déformant des mains et sur l'intervention

du système nerveux dans les arthropathies de ce genre. Archives générales de médecine,

octobre 1891. Atrophie musculaire suite d'arthrite du genou. Examen histologique de la

moelle et des nerfs. liull. de la Soc. anatomique, janvier 1888, p. 31.

(5) Teissier et Roque, loc. cit.

(6) Touche, Journal d'anatomie, 1900.

A PROPOS D'UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 19

« névrite » puisque, dans les trois cas où les nerfs ont été examinés, ils

étaient malades. Mais ces altérations de névrite ne seraient-elles pas dues

à l'athérome des vasa-vasorum ? ' ?

Les troubles artériels d'origine artério-scléreuse sont en effet très fré-

quemment rencontrés chez les pagétiques et M. Béclère (1) a été un des

premiers à insister sur ces faits : il radiographie le malade de M. Gail-

lard (2) dont les artères périphériques étaient très indurées et voit nette-

ment dessinées, (lexueuses, annelées, les artères des membres, incrustées

de sels calcaires.

« Les lésions osseuses de la maladie de Paget semblent être, selon lui,

des lésions secondaires, consécutives à l'incrustation calcaire des artères

nourricières des os. »

Or l'artério-sclérose semble un fait extrêmement fréquent chez les pa-

gétiques ; elle est notée dans un très grand nombre d'observations :

le malade de Ménétrier et Gauckler avait des artères tellement infiltrées

de sels calcaires qu'il fallut les décalcifier avant de pouvoir les couper ;

sur les radiographies, l'artère fémorale apparaissait nettement dessinée,

ainsi que la tibiale postérieure et le tronc tibio-péronier ; le malade de

Medea et de Fano était emphysémateux et athéromateux ; Jules Vincent,

dans sa thèse, rapporte trois observations personnelles de pagétiques :

l'un a les artères « indurées, athéromateuses » ; chez l'autre « l'athéro-

masie artérielle est généralisée » ; chez le dernier on note « de l'em-

physème » ; et « au coeur, une hypertrophie, avec de la sclérose sur-

tout à l'orifice aorlique » ; les deux malades deJ. Walter (3) (qui sont

d'ailleurs le frère et la soeur) sont tous deux athéromateux ; un des

malades d'Apert et Bornait-Lagueute (4) est artério-scléreux (chez l'autre

l'état des vaisseaux n'est pas noté) ; notre malade, sans présenter des ar-

tères aussi calcifiées que cela se voit parfois, l'était incontestablement,

à un moindre degré. Un des malades de Paget avait de grosses lésions

cardiaques ; un malade de Thibierge(S) avait le 2° bruit aortique claqué,

et les artères dures ; un malade de Marie (6) était artério-scléreux ; le

malade de Moizard et Bourges (7) avait des plaques athéromateuses sur

(1) Béclère, Radiographie d'un cas de maladie de Pagel. Soc. médic. des hôpitaux

9 juillet 1901 ; Bulletins de la Soc., 1901, p. 929.

(2) Gaillard, On cas d'ostéile déformante. Soc. médic. des hôpitaux, 19 juillet 1901 , 1

Bulletins de la Soc., 1901, p. 927.

(3) J. WALTER, The Lancet, 23 janvier 1904.

(4) APERT et BOPN.11T-LAGUEUL6, Deux cas de maladie de Pagel. Soc. médie. des hôpi-

taux, 8 mars 1907.

(5) THIBIERGE, Arch. génér. de médecine, 1890, f. 32.

(6) Marie, Soc. méd. des hôpitaux, 10 juin 1892.

(7) Moizard et BOURGES, De l'ostéite de Paget. Arch. de méd. expérim., 1892, p. 479,

20 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

l'aorte, sur les valvules aortiques eu mitrales ; le malade de G. de la Tou-

rette et rylagdelaine, celui d'A. Robin, celui de Meunier (1), celui de L.

Lévi (2) étaient artério-scléreux. Le malade de Guinon (3) semble seul

faire exception : Hudelo et Heitz observent que l'examen n'a porté que sur

le coeur et l'aorte, et « il est bien possible que les lésions artérielles se

soient localisées sur les petits rameaux ». Mais si cela est possible, cela

n'est pas certain ; et dans toutes les observations dont nous venons de

parler l'examen microscopique des artérioles terminales n'était pas fait

davantage, et pourtant il était incontestable que ces malades étaient des

artério-scléreux, au sens clinique du mot. Donc l'athérome est fréquent,

sinon constant, au cours de la maladie osseuse de Paget ; malheureusement

dans toutes les observations publiées on n'a pas noté l'état du coeur et des

vaisseaux, et d'un grand nombre d'observations on ne peut rien préjuger

dans un sens ou dans un autre.

De l'état des artères il faut rapprocher celui des veines : on sait la fré-

quence des varices,cette « phlébo-sclérose», chez les pagétiques,fréquence

notée depuis longtemps par Thibierge (4), Chrétien, etc. Les ulcères va-

riqueux sont fréquents chez ces malades, ainsi que la sclérose cardiaque,

l'emphysème, la bronchite chronique, des troubles de la vision, déroute,

de la fonction hépatique, de la fonction rénale, tous liés à l'artério-sclé-

rose.Et peut-être serait-ce moins par une susceptibilité héréditaire du tissu

osseux que du tissu artériel, qu'il faut expliquer .certains cas d'hérédité

pagétique, cas signalés par Lann, Berger (5), Chauffard (6) OEttinger et

Agasse-Lafont(7), J. Walter.

La pathogénie « artérielle » de la maladie osseuse de Paget explique

bien comment l'affection peut rester localisée à un os (Thibierge, Lance-

reaux), à un petit nombre d'os (aux deux tibias : Paget et Lann ; à trois

os : Richard) ; comment elle peut envahir un certain nombre d'os sans

aucune systématisation : le malade Gaillard-Béclère avait, ainsi que l'a

montré l'examen radiographique, certains os du squelette de la main aug-

mentés de volume, boursouflés, déformés, irrégulièrement cylindriques,

(1) Meunier, On cas d'ostéite déformante de Pagel. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,

1894, p. Il.

(2) L. Lévi, Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1897, p. 113.

. (3) Guinon, Soc. anatomique, 1885, p 344.

(4) TAIBIERGS, Deux cas d'ostéite déformante de Paget. Soc. médic. des hôpitaux,

17 février 1893 ; Bulletins de la Soc., 1893, p. 116.

(5) Cité in thèse VINRENT,

(6) Chauffard, Académie de médecine, 3 mars 1903.

(7) OI : TT1GER et AG.155GL.1FOVT. Maladie osseuse de Pagel. Trois cas observés dans une

même famille. Hypothèse nouvelle sur la pathogénie de cette affection. Nouv. leonogr. de

la Salpêtrière, 1905, mars-avril, p.,29+. '

A PROPOS d'un cas d'ostéite DÉPOSANTE 21

opaques, en « morceaux de boudin » ; ils ne permettaient de voir aucun

détail de structure interne. Il nous faut rapprocher de ce cas l'observa-

tion de notre malade, qui, elle aussi, présentait des altérations du sque-

lette de la main droite, et des phalanges tout particulièrement. Chez

le malade Gaillard-Béclère ces lésions étaient très irrégulièrement

réparties, et de même dans notre cas, bien qu'à un moindre degré. « Cette

singulière répartition des lésions osseuses du squelette de la main jointe

à l'intégrité des extrémités ailiculaires, ne s'accorde guère avec l'idée d'un

trouble trophique d'origine nerveuse ; elle s'explique mieux par l'hypo-

thèse d'une lésion artérielle, intéressant l'artère nourricière de tel ou tel

métacarpien, de telle ou telle phalange, respectant ou n'intéressant qu'à

demi Tarière nourricière de l'os voisin... Les lésions osseuses de la mala-

die de Paget semblent être des lésions secondaires, consécutives à l'ai lé-

ration et à l'incrustation calcaire des artères nourricières des os » (Bé-

colère).

La théorie de l'artério-sclérose, cause de la maladie de Paget, concorde

bien avec les constatations anatomiques très intéressantes faites par

MM. Ménétrier et Gauckler (1). Ces auteurs, en effet, ont mis en relief les

analogies qui existent entre les lésions osseuses pagétiques et celles des

scléroses viscérales : dans les espaces médullaires des os atteints d'ostéite

déformante, ils ont noté une sclérose adulte avec disparition de la plus

grande partie des éléments cellulaires, remplacés par un tissu conjonctif f

pauvre en vaisseaux ; « dans les lamelles osseuses prédomine une subs-

tance, physiologiquement homologue de la substance conjonctive, la subs-

tance osseuse fondamentale, avec diminution du nombre des éléments cel-

lulaires, écartés par la surabondance de substance interstitielle ».

Pourrait-on, en s'engageant plus avant dans cette théorie « artérielle »

de la maladie de l'aget, dire que c'est par l'intermédiaire de l'artério-sclé-

rose qu'agit la syphilis héréditaire ou acquise ? On sait l'affinité qu'a cette

infection pour le système artériel, et quel est son pouvoir sclérosant. On

pourrait se demander si ce ne pourrait être également de la même ma-

nière, par l'intermédiaire des artères, qu'agiraient les acides minéraux,

dont le pouvoir sclérogène est également fort grand : MM. OEtlinger et

Agasse-Lafont (2) ont particulièrement insisté sur cette étiologie, et sur

la fréquence de l'intoxication acide chez les pagétiques : ils rapportent

dans leur mémoire trois cas personnels qui semblent ressortir de cette pa-

Ihogénie, et, parmi les observations françaises publiées antérieurement

à leur mémoire et dans lesquelles la profession est indiquée, ils en notent

(1) Ménétrier et GAUCKLER, loc. cil.

(2) ATTIIIGER et AGISSE-L\FONT. loc. cit.

22 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

13 qui concernent des sujets exposés à l'intoxication des acides (blanchis-

seurs, mégissieurs et chapeliers, peintres et ouvriers en papiers peints,

tourneurs en cuivre et limeurs, imprimeurs lithographes). On relève cette

même notion de vapeurs acides dans l'un des deux cas d'Apert etT3ornait-

Lagueule (1).

Si donc certains arguments militent assez fortement pour la théorie

athéromateuse de t'osteitis deformans, il nous semble pourtant que cette

théorie est insuffisante, elle aussi. Elle n'explique pas ces cas où la ma-

ladie débute précocement : un des malades de Paget vit, à 28 ans, débu-

ter ses altérations ; c'est à 15 ans que les douleurs auraient débuté chez

le malade de Cadet, à 10 ans chez celui de Schwartz ( ? ! ) ; c'est à l'âge de

21 ans que les déformations commencèrent chez le malade de Moizard et

Bourges. « On a l'âge de ses artères », certes, mais ce n'est pourtant pas

à 10, 15, 21 ou 28 ans que l'on est artério-scléreux ! D'autre part,

nous ne comprenons pas non plus, à la lueur exclusive de cette pathogé-

nie, comment l'ostéite déformante a pu dans certains cas débuter à la

suite d'un traumatisme : le fait est rare, certes, mais il existe. Le malade

de Moizard et Bourges, tout particulièrement, vit son tibia gauche s'incur-

ver à la suile d'un accident, et c'est 48 ans plus tard qu'à la suite d'un

second traumatisme son tibia droit s'incurva ; puis l'affection envahit le

fémur gauche, et la clavicule droite ultérieurement. Enfin tous les pagé-

tiques ne sont pas artério-scléreux : nous avons vu que celui de Guinon

ne l'était nullement. Ce n'est pas parce que l'artério-sclérose est fréquente

chez les pagétiques que l'on peut assurer qu'elle provoque ce trouble

osseux, car, combien n'y a-t-il pas d'artério-scléreux qui ne sont pas

pagétiques ? Ménétrier et Gauckler s'appuyent sur ces mêmes arguments.

C'est par un raisonnement tout analogue à celui qui veut faire de la

maladie de Pagel une manifestation de l'artério-sclérose que l'on a voulu

autrefois l'identifier au rhumatisme chronique.

La constatation fréquente, chez les pagétiques, de troubles « arthriti-

ques » ou « herpétiques » (Lancereaux) ; d'autre part la constatation fré-

quente de ces mêmes troubles chez les rhumatisants chroniques, a pro-

voquél'éclosioii de l'ancienne théorie rhumatismale de la maladie de Paget

que Huchard et Binet 2), que Lancereaux, que Richard (3) ont créée ou

défendue. Thibierge (4) l'a discutée dans son mémoire, et a montré les

différences fondamentales qui séparent les deux processus.

(1) (EPEIIT et Bornait-Lagueule, toc. Cil.

(2) Huchard et BINET, Bull. de la Soc. clin., Paris, 1882.

(3) Richard, Thèse de Paris, 1887.

(il) TIIIUIERGE, Arch. gén. de méd., janvier, 1890, p. 52, .

A PROPOS d'un cas D'OBSTÉITE DHFORMANTR 3 3

Les troubles arthritiques sont fréquents chez les pagétiques ; mais

combien de ces malades qui ne sont ni arthritiques, ni rhumatisants ! 1

En réalité, on ne peut, à l'heure actuelle, se rallier à une des théories

successivement soutenues pour expliquer le mécanisme de t'ostéite défor-

mante : toutes sont en défaut. La théorie syphilitique est insuffisante ;

la théorie tropho-névrotique manque encore de preuves convaincantes,

indiscutables ; la théorie vasculaire ne satisfait pas l'esprit, car l'artério-

sclérose est trop fréquente, et l'ostéite déformante, cette « sclérose osseuse

hypertrophique » (Ménétrier et Gauckler),est trop rare : c'est un processus

trop particulier pour qu'il puisse dépendre d'une cause aussi banale que

l'artério-sclérose. Un fadeur important nous échappe encore dans la pa-

thogénie de la maladie osseuse de Paget.. N

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DB ? i7S

SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 1908.

ÉTUDE RADIOGRAPHIQUE COMPARATIVE

- DE

QUELQUES AFFECTIONS DYSTROPHIANTES DES OS

(MALADIE DE PAGET, SYPHILIS OSSEUSE, OSTÉl\L\.L.\.CIE, RACHITISME).

PAR R

' G. LEGROS et A. LERI.

Un certain nombre de maladies osseuses ont été souvent jusqu'ici diffi-

ciles à différencier en clinique ;il était intéressant de savoir si la radio-

graphie ne pouvait en certains cas fournir un élément de diagnostic.

La collection du musée Dupuylren nous offrait la réunion d'une série

de déformations osseuses dont nous ne pouvions espérer trouver l'équiva-

lent sur le vivant dans un service quelconque ; nous avons donc commencé

à faire une série de radiographies d'os secs, nous en avons étudié et noté

les différents aspects en recherchant les éléments de différenciation sus-

ceptibles d'être retrouvés sur le vivant ; dans un certain nombre de cas

nous avons eu l'occasion de vérifier sur des malades les observations que

nous avons faites sur des os secs.

Parmi les résultats qui nous ont paru intéressants, nous voulons signa-

ler aujourd'hui ceux que nous a fournis l'étude de quatre affections

osseuses dystrophiantes qui présentent entre elles certaines similitudes

cliniques : d'une part maladie de Paget et syphilis osseuse tardive dont

les manifestations sont considérées par certains auteurs comme assez sem-

blables et parfois identiques, d'autre part ostéomalacie et rachitisme dont

les déformations parfois plus ou moins analogues à celles des maladies

précédentes sont souvent assez comparables entre elles.

D'une façon générale toutes les lésions osseuses dystrophiques ou in-

flammatoires ont été ramenées par les auteurs à deux processus anatomi-

ques que l'on peut dire toujours associés en proportions variées : l'ostéite

raréfiante et l'ostéite condensante ; la radiographie nous a montré que ces

processus prennent en fait suivant les affections considérées des orienta-

tions nettement distinctes et par suite donnent aux os atteints des aspects

absolument différenciés.

Une affection qui nous a donné des lésions très curieuses et des mieux

caractérisées est la maladie de Pagel. L'examen d'os atteints de ma-

DE QUELQUES AFFECTIONS DYSTROPHIANTES DES OS 25

laclie de Paget montre en dehors d'une condensation ou d'une raréfaction

parfois extrêmement accentuée de la couche compacte périphérique (1)

un aspect en écheveau fin emmêlé, aspect ouateux tout à fait spécial. Cet

aspect est réalisé sur les épreuves radiographiquespar une série de taches,

claires ou foncées, et par une extrême abondance de travées très fines, plus

ou moins claires ou foncées, finement réticulées, anastomosées entre elles et

prenant parfois l'aspect de tourbillons. Ces lésions peuvent s'étendre jus-

qu'à la périphérie de l'os ou rester limitées à la partie centrale. En hau-

teur elles gagnent souvent jusqu'aux épiphyses (Pl. VI et VII, A) ; com-

plètement envahies, celles-ci perdent alors leurs contours précis, elles

gardent cependant encore quelquefois dans la disposition irrégulière des

flocons ouatés un « souvenir » de la disposition régulière normale des

travées (PL V, A). De plus les os ont perdu leur rebord net, leur limite

est devenue floue et parfois ondulée, leur partie la plus périphérique est

par places assez raréfiée pour apparaître à peine la radiographie, le

pourtour photographique n'est pas superposable au pourtour radiogra-

phique, la silhouette de l'os se trouve modifiée et un os trapu semble grêle

(Comparer PI. V, C et C').

L'aspect que nous qualifions de ouaté avait été déjà signalé par Levi et

Londe et surtout bien décrit par Hudelo et Heitz (2) ; mais nous insiste-

rons sur ce fait que de toutes les radiographies d'os secs qu'il nous a été

donné de faire, seule la maladie de Paget réalise cette disposition et cet

aspect bien spécial.

Nous avons pu radiographier des tibias atteints de syphilis héréditaire

tardive : ils présentaient à la radiographie sur un tiers de la longueur de

0

l'os un épaississement considérable, le déformant elle rendant opaque aux

radiations pour des rayons doués d'un faible pouvoir pénétrant. (PL VIII,

A).Une véritable coque de tissu compact consti tuait cet épaississement, for-

mée de couches concentriques de néoformation osseuse; rien dans le canal

osseux, rien dans les épiphyses ne rappelait l'aspect ouaté des os de Paget,

on y retrouvait au contraire la disposition régulière et normale des tra-

vées osseuses (3).

(Il Un tibia par exemple nous a montré, à un degré extrêmement accentué, ce pro-

cessus combiné de raréfaction et de condensation. Le burd antérieur convexe très

clair ne présentait plus en certains points qu'une épaisseur de 3 à 4 millimètres, le

bord postérieur concave, complètement opaque, avait une épaisseur moyenne de 2 cen

timètres et maxima de 2 cm. 1/2 (PI. VIII, 13), .

(2) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1901.

(3) Nous aurions voulu comparer un tibia atteint de maladie de Paget avec un libia

« en lmme de sabre », puisque cette déformation est considérée comme le type des

déformaiions osseuses de la syphilis tardive ; mais elle est beaucoup plus rare qu'on ne

le croit ; nous n'avons pu trouver un seul exemplaire de « tibia Lannelongue » dans

la si riche collection du musée Dupuytren ni dans celle de l'hôpital St-Louis.Aussi nos

26 ' LEGROS ET LERI

L'ostéomalacie offre sur les os que nous avons radiographiés une struc-

ture bien spéciale encore, presque aussi caractéristique que celle de la

maladie de Paget.

La couche compacte est conservée au moins en partie sur une certaine

hauteur de la diaphyse, les épiphyses au contraire sont extrêmement

claires et l'on ne voit plus que des traces de l'aspect normal ; mais cequi

est tout à fait spécial, c'est la structure de toute la partie centrale de la

diaphyse, cette partie ne présente plus aucunement de fines travées obli-

ques normales, elle est uniformément claire à l'exception d'un certain

nombre de cloisons épaisses, opaques, très foncées, transversales ou plus

ou moins obliques, joignant complètement ou incomplètement les deux

faces de l'os ; ces travées limitent ainsi un certain nombre d'alvéoles

remarquablement claires, de grandes dimensions, de 1 centimètre à

3 ou 5 centimètres de diamètre, irrégulières, qui paraissent fermées ou

communiquent entre elles (pli. V et VI, B').

Dans le rachitisme, malgré les courbures de l'os, la disposition des tra-

vées est plus ou moins conservée, on voit surtout un épaississement mar-

qué de la couche compacte du côté concave et au centre une légère ostéite

raréfiante avec quelques fines travées irrégulières, mais pas de grosses tra-

vées, pas de grosses alvéoles ; au niveau des épiphyses on n'observe pas

la raréfaction intense de l'ostéomalacie, l'os au point de vue radiographi-

que est un os d'aspect général normal, mais déformé, avec ostéite conden-

sante du côté de la concavité (Pl. V, A).

En résumé on peut, ce nous semble, Irouver dans certains aspects tout

à fait typiques une différenciation des diverses affections osseuses préci-

tées, différenciation qui assurément ne sera souvent que le complément

d'un diagnostic clinique déjà fait, mais qui néanmoins pourra parfois

prendre une grande importance dans certains cas en apparence intermé-

diaires où les déformations cliniques des os ne semblent pas très dissem-

blables. L'aspect ouaté de la maladie de Pagel, l'aspect alvéolaire de l'os-

Léomalacie sont vraiment caractéristiques et absolument dissemblables des

hyperostoses et exostoses syphilitiques et des incurvations avec épaississe-

ments localisés du rachitisme.

examens radiographiques sont assurément un argument insuffisant contre la théorie

de l'identification de la maladie de Paget et de « l'hérédo-syphilis ultra-tardive » ;

nous pouvous dire seulement qu'ils ne lui sont pas favorables.

T. XXII. PI. IX

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. xxii. Pl. IX

FRACTURE SPONTANEE DE LA ROTULE CHEZ UN TABÉTIQUE

FRACTURE SPONTANÉE DE LA ROTULE

CHEZ UNE TABÉTIQUE

PAR

Paul GAUTHIER,

Ancien Interne des Hôpitaux de Lyon.

Il est peu de parties du squelette, sur lesquelles n'aient été signalées des

fractures spontanées au cours du tabes. Les fractures de la rotule cependant

semblent, si l'on s'en rapporte à la littérature, être d'une extrême rareté.

Les descriptions classiques, soit neuro-pathologiques, soit chirurgicales,

ne les mentionnent pas. Guillet, dans sa thèse (Paris, 1902-1903) sur les

fractures spontanées tabétiques, en signale un cas personnel, qu'il croit t

unique dans la science. Depuis le travail de cet auteur, nous n'avons

trouvé qu'un nouveau cas publié par Mauclaire en 1905, dans la Tribune

médicale. La grande rareté de tels faits nous engage à rapporter ici l'ob-

servation d'une malade qui fut soignée dans le service de notre maître

M. le professeur Lannois et dont l'histoire est très intéressante à ce point

de vue.

Observation (PI. IX).

Femme M..., 57 ans, ménagère.

Entre dans le service de M. le professeur Lannois, le 19 février 1904.

Rien à noter dans ses antécédents héréditaires.

Réglée à 12 ans et demi, régulièrement. Mariée à 24 ans, elle a eu 7 en-

fants. Pas de fausses couches.

Dans ses antécédents pathologiques, on ne relève qu'une éruption cutanée

papuleuse, généralisée, à l'âge de 40 ans : à peu près à la même époque, elle

se souvient d'avoir eu de l'oedème des grandes lèvres. Pendant un an ou deux

ello eut fréquemment des « boutons » sur le corps. Elle soupçonne son mari

de lui avoir communiqué une affection vénérienne. Elle n'a suivi aucun trai-

tement. Pas de grossesse depuis cette époque.

La malade n'estjpas alcoolique.

L'affection, pour laquelle la malade vient à l'hôpital, semble avoir débuté il

y a cinq ou six ans par des crises gastriques. A peu près à la même époque,

elle commença à souffrir de douleurs lombaires, puis de douleurs fulgurantes

28 GAUTHIER

dans les membres inférieurs. Dès cette période de début la malade présenta

aussi de la diplopie.

Il y a trois ans. trois ictus laryngés : après quelques brèves secousses de

toux ou bien après une sensation de chatouillement à la gorge, la malade tom-

bait et perdait connaissance. Le malaise durait d'ailleurs fort peu de temps et

rapidement.tout rentrait dans l'ordre. -

Depuis la même époque à peu près, il existe de l'hypoesthésie plantaire et

aussi quelques troubles sphinctériens caractérisés d'abord par des mictions

fréquentes et impérieuses, et dans la suite par de l'incontinence véritable, la

malade urinant sans s'en apercevoir.

En janvier 1902 (il y a par conséquent deux ans) la malade, se trouvant

dehors, voulut soulever un sac de bois pour le poser sur un mur : sans que

son genou ait subi aucun choc, en faisant effort pour soulever son sac, elle

tomba brusquement à terre, sans ressentir aucune douleur dans le genou.

Lorsqu'elle fut à terre, elle ne put se relever seule. Elle n'a jamais souffert

dans son genou ni au moment de l'accident, ni dans les jours qui ont suivi.

L'impotence fonctionnelle fut assez longue : la malade ne put se remettre à

marcher que trois mois plus tard.

C'est postérieurement à cet incident qu'apparurent les troubles de la démar-

che : talonnemeut, incoordination, ataxie. Cette ataxie fut progressive : depuis

dix mois la malade ne peut marcher seule.

Actuellement. - Ataxie très marquée. La malade ne peut marcher que si

on la soutient sous les bras : elle lance les jambes, celles-ci sont très faibles et

fléchissent.

Hypotonie musculaire très accentuée aux membres inférieurs. Tendance au

pied varus à droite : le pied droit de plus semble un peu raccourci.

Pas d'incordination motrice des membres supérieurs.

Pas de paralysies. Tous les mouvements sont possibles, tant aux membres

supérieurs qu'aux membres inférieurs.

Sensibilité. - Au-dessous d'une ligne circulaire correspondant à peu près

à la ceinture, anesthésie au contact de toute la moitié inférieure du corps :

l'anesthésie est d'autant plus marquée qu'on approche de l'extrémité des mem-

bres inférieurs. Il existe de l'anesthésie à la piqûre au niveau de la plante

des pieds.

Sens stéréognostique conservé aux mains.

Réflexes tendineux. - Réflexes rotuliens et achilléen abolis. Réflexes du

bras et de l'avant-bras conservés.

Réflexes cutanés. - Réflexes plantaires et abdominaux abolis.

Réflexes muqueux intacts.

Aux yeux, on note de la parésie du droit externe de I'oeil droit, quelques

secousses nystagmiformes dans les positions extrêmes. Pupilles égales ; les

réflexes pupillaires sont très faibles, surtout il droite.Acuité visuelle diminuée,

surtout à droite : cette diminution de l'acuité s'est faite d'une mauière lente-

men progressive.

FRACTURE SPONTANÉE DE LA ROTULE CHEZ UNE TABETIQUE 29

De temps à autre, la malade a des mouvements de déglutition involontaires,

parfois suivis d'éructation. La voix est un peu rauque.

Il y a toujours de l'incontinence des urines, sous forme de mictions invo-

lontaires. Il ne s'agit pas d'incontinence par regorgement.

Au genou gauche, fracture de la rotule non guérie. La rotule est divisée en

deux parties par un trait de fracture transversal et l'espace qui sépare les deux

fragments est de quatre travers de doigt environ (confirmation par la radio-

graphie). La malade ne peut pas détacher son talon du plan du lit.

Depuis quelques mois, la malade n'a pas vomi. Elle a bon appétit, digère

bien : les selles sont régulières.

Au coeur, second bruit éclatant à la base.

Rien aux poumons.

Rien à signaler d'autre part à l'examen viscéral.

Ni sucre, ni albumine dans les urines.

25 octobre 1904. On est frappé aujourd'hui en examinant la malade de

voir aux membres inférieurs une atropliie musculaire très marquée, plus mar-

quée que celle qui résulterait d'un repos au lit même prolongé. On remarque

également des taches bleuâtres en différents endroits des membres inférieurs ;

elles sont apparues spontanément, sans que la malade se soit heurtée et fout

penser aux ecchymoses spontanées décrites chez les tabétiques.

10 décembre 99U. - La malade présente ce matin une agitation générale

inusitée ; elle dit ne pas pouvoir tenir en place et éprouver des sensations de

fourmillement et de piqûres cutanées.

6 avril 1905. La malade a un peu de peine à tirer la langue, dont la

pointe est légèrement déviée à droite. Elle semble un peu atrophiée.

28 octobre. La malade a de la difficulté pour avaler ; la mastication est

difficile, le voile est paresseux ; la parole est malaisée.

Au coeur, existent maintenant des signes d'insuffisance aortique.

11 décembre 1905. La malade meurt à la suite d'une pleuro-pneumonie

gauche.

Autopsie. Crâne présentant des lésions d'ostéite raréfiante au niveau de

la table interne du frontal. 'Apophyses clinoïdes très saillantes, un peu ru-

gueuses, se détachant sous la simple pression du doigt.

Rien au niveau des méninges encéphaliques, ni à l'examen de l'encéphale.

Sclérose des cordons postérieurs de la moelle. Lésions de méningite posté-

rieure chronique.

Gros cour, Insuffisance aortique. Aortite.

Epanchement pleural gauche. Hépatisation du poumon du même côté.

Petits reins scléreux.

La cavité articulaire du genou gauche est développée sur une hauteur de

10 centimètres sur la face antérieure par suite de l'ascension du fragment

supérieur de la rotule. La synoviale est très épaissie (1 centimètre d'épais-

seur) et renferme de la synovie en quantité assez abondante.

Des deux fragments le plus volumineux est le fragment inférieur. Sur

30 GAUTHIER

chacun d'eux la surface de fracture n'est plus reconnaissable : on trouve à sou

niveau uu bord aminci, lisse, atrophié.

La fracture spontanée de la rotule est bien le point le plus intéressant

de l'observation ci-dessus. '

Lorsque cette malade entra à l'hôpital, complètement impotente et

ataxique, racontant qu'elle s'était fracturé la jambe gauche deux ans au-

paravant, et qu'un premier examen superficiel eut révélé la présence d'une

petite saillie dure au niveau de la partie inférieure du fémur, on pensa

tout d'abord à une ancienne fracture spontanée du fémur consolidée avec

cal exubérant. Ce n'est qu'ultérieurement, par un examen'plus attentif

que l'on se rendit compte que le prétendu cal offrait de légers mouvements

de latéralité et que l'on posa le diagnostic de fracture de la rotule, que

vint confirmer de façon aussi évidente que possible la radiographie repro-

duite ici (Dr Chanoz).

Cette fracture était survenue au cours de la période préataxique, à un

moment où la malade n'avait encore que de l'hypoesthésie de la plante des

pieds et avait eu des crises gastriques, des douleurs lombaires et trois ictus

laryngés. Elle se produisit dans les conditions, que l'on a vues, à la suite

d'un effort très peu violent, sans aucune douleur : ultérieurement l'évo-

lution fut absolument indolente : c'est bien là un type de fracture spon-

tanée tabétique. D'ailleurs les deux autres observations que nous avons

retrouvées nous présentent des circonstances étiologiques analogues.

Dans le cas de Guillet, il s'agit d'une femme de 38 ans, qui, brusque-

ment, en marchant dans la rue, ressentit comme un coup de fouet au ni-

veau du genou et tomba sans pouvoir se relever, bien que n'éprouvant

aucune douleur. Le malade de Mauclaire s'était fracturé la rotule en vou-

lant se relever, étant à genoux. Dans tous les cas, l'effet fut donc dispro-

portionné avec la cause : il s'agit toujours de fracture par simple contrac-

tion musculaire. Or les chirurgiens considèrent les fractures de la rotule

par contraction musculaire comme exceptionnelles la rotule normale

présentant une résistance énorme et pouvant subir sans se briser des trac-.

tions atteignant 350 kilos (Fleuriot) et n'admettent leur possibilité

qu'autant qu'il existe une fragilité spéciale de l'os. Les altérations du sys-

tème osseux bien connues dans le tabes rendent parfaitement compte de

cette fragilité dans les cas qui nous occupent.

Nous ferons remarquer que, dans notre observation, l'autopsie permit t

de constater, en outre, des lésions articulaires : il existait en effet un

épaississement anormal de la synoviale du genou gauche. Un certain degré

FRACTURE SPONTANEE DE LA ROTULE CHEZ UNE TABÉTIQUE 31

d'arthropathie est d'ailleurs la règle dans les cas analogues, lorsqu'il se

produit une fracture spontanée intéressant une jointure. On a signalé

depuis longtemps cette formeostéo-articulaire en particulier dans les frac-

tures vertébrales et surtout dans les fractures des os du pied.

On a vu que chez notre malade il n'y avait eu aucune consolidation : il

est vrai qu'elle n'avait subi aucun traitement. Il n'en fut pas de même dans

les casde Guillet et de Mauclaire. Dans celui-ci la guérison fut complète

à la suite de l'hémicerclage latéral ; dans le premier le cerclage fut suivi

d'insuccès. Il est bien difficile, en présence d'un nombre aussi restreint de

documents, de tirer aucune conclusion en ce qui concerne les indications

thérapeutiques. '

GOITRE ET SCOLIOSE DE L'ADOLESCENCE

CONTRIBUTION A LA PATHOGÉNIE DE CETTE SCOLIOSE

PAR

C. PARHON

et .

J. JIANO

(de Bucarest).

La pathogénie de la scoliose de l'adolescence est restée jusqu'à présent

bien obscure. C'est assurément la théorie qui invoque un trouble dans la

nutrition osseuse, théorie soutenue aussi par KIRAIISSON, qui correspond

le mieux à la réalité des faits.

Mais d'où vient ce trouble, quel est son mécanisme intime ?

C'est un point qui est resté presque complètement ignoré jusqu'à pré-

sent.

Nous venons d'observer un cas qui, rapproché d'autres faits que nous

citerons, nous permettra de jeter une certaine lumière sur cette question

et d'indiquer la direction dans laquelle on doit poursuivre de nouvelles

recherches.

C'est là la raison de ce travail.

Nous donnerons d'abord l'observation pour discuter ensuite les points

sur lesquels nous voulons insister.

Il s'agit d'une jeune fille âgée de 24 ans, née dans le village Câtunu (Jalo

mitza) en Roumanie. C'est un village situé loin des régions montagneuses des

Carpathes où on trouve le goitre endémique.

Dans ses antécédents héréditaires on note le goitre chez sa mère.

La malade elle-même (J. G.) souffrit pendant l'enfance de paludisme et plus

tard vers 17 ans de fièvre typhoïde.

Menstruée à 15 ans, les règles se sont succédé régulièrement, sans douleurs

mais très abondantes.

Mais les événements les plus intéressants de ses antécédents pathologiques

sont l'apparition des deux phénomènes qu'elle présente encore à son entrée

it l'hôpital et aux rapports desquels nous consacrerons ce travail : un goitre

kystique très volumineux et une scoliose très prononcée.

Le gottre fit son apparition il y a quinze ans,donc à l'âge de 9 ans.La malade

remarqua dans la région thyroïdienne du côté gauche une tumeur des dimen-

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. X

GOITRE ET SCOLIOSE DE L'ADOLESCENCE

ÇParhon et Jiano).

Masson & Cic, Éditeurs.

GOITRE ET SCOLIOSE DE L'ADOLESCENCE 33

sions d'uue noix qui gagna bientôt aussi le côté droit pour grandir progressi-

vement et envahir toute la région thyroïdienne et sus-sternale. La tumeur était

indolore mais déterminait une certaine gêne dans la déglutition et la mastica-

tion ainsi qu'une sensation de pesanteur dans la région sus-sternale.

La colonne vertébrale au dire de la malade était bien conformée jusqu'à

l'âge de 10 ans. C'est depuis cette époque que survinrent les déformations

qui se continuèrent peu à peu pour atteindre l'état où elles se trouvent aujour-

d'hui (PI. X).

Etat actuel. La malade est de petite taille, 1 m. 25, ce qui tient assuré-

ment à la déformation rachidienne. Les téguments sont pâles, les muqueuses

présentent la coloration normale. La conformation du crâne ne présente aucune

anomalie, la face est un peu allongée. Cheveux assez abondants et sourcils bien

fournis. L'angle interne de l'ceil est un peu large.

Les dents ne présentent pas d'altérations. La région cervicale antérieure est

le siège d'une tumeur ayant les dimensions d'une tête de foetus, bilobée, le lobe

droit étant plus grand que celui du côté opposé. Entre les deux lobes volumi-

neux on trouve une tumeur plus petite.

Les téguments correspondants sont lisses et n'adhèrent pas aux tissus sous-

jacents. Le réseau veineux est apparent. Au-dessous du maxillaire inférieur on

remarque plusieurs plis cutanés.

Les limites de la tumeur sont : en haut le maxillaire inférieur, en bas les

clavicules et la région sus-sternale, bien que dans certains endroits ces limites

soient même dépassées.

Eu arrière enfin la tumeur est limitée par les fascicules sterno-mastoïdiens

du muscle sterno-cléido-mastoïdien qu'elle repousse en arrière. En arrière de

ces fascicules sterno-mastoïdiens on observe les pulsations carotidiennes.

La tumeur adhère aux régions profondes,elle présente une consistance semi-

fluctuante et la palpation et même la simple inspection de la région nous mon-

trent une espèce de lobulation secondaire. La palpation nous montre que ces

lobes secondaires sont pour la plupart réguliers et plus rarement rugueux.

La tumeur suit les mouvements inspiratoires et semble se contracter pen-

dant l'inspiration et se dilater au contraire pendant l'expiration.

La déglutition et la mastication ainsi que les mouvements du maxillaire in-

férieur en général sont gênés. Par contre la respiration est assez libre.

La tumeur n'a pas déterminé de symptômes indiquant la participation du

sympathique cervical (phénomènes oculo-pupillaires, etc.).

Si on examine le tronc, vu de face, on constate que le thorax est fortement

incliné du côté droit à tel point que la dernière côte vient presque en contact

avec la crète iliaque. Les téguments abdominaux font à ce niveau des larges et

longs plis qui dépassent un peu la ligne médiane.

Les mamelles sont peu développées.

Si on examine la face dorsale du thorax, on constate une énorme scoliose

dont la concavité est dirigée du côté gauche.Cette scoliose commence à s'accen-

tuer au niveau de la 4e vertèbre dorsale et se continue jusqu'au commence-

xxn 3

34 PARHON ET JIANO

ment de la région lombaire. La moitié gauche du thorax proémine en arrière ;

celle du côté droit proémine davantage surtout vers sa base. Elle est délimitée

en bas par un pli cutané.

L'extrémité inférieure du thorax n'est séparée que par un espace peu impor-

tant de la crête iliaque. -

Les membres supérieurs semblent trop longs par rapport au tronc ce qui tient

aux déformations du thorax et de la colonne vertébrale. Le bassin semble plus

évasé que d'habitude. .

Le tissu cellulaire sous-cutané est en général peu développé.

Les organes thoraco-abdominaux ne semblent pas présenter de troubles

importants.

La malade ne présente pas de tachycardie.

La tension artérielle est normale.

Un examen des urines donne les chiffres suivants.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XI

GOITRE ET SCOLIOSE DE L ADOLESCENCE

(Après l'opération).

(Pnr7ou et liallo),

Masson et Cie, Editeurs

PhototYIH8 Berthaud, Pans

GOITRE ET SCOLIOSE DE L'ADOLESCENCE 35

La scoliose des adolescents ou la scoliose prépubérale représente certai-

nement une altération qui Louche directement la colonne vertébrale,c'est-

à-dire que la déviation n'est pas secondaire à une altération nerveuse,

paralysie, névralgie, etc.

Certains auteurs considèrent la scoliose comme ayant des rapports de

cause à effet avec le rachitisme. Nous citerons ici Chipault (2) et

Mlle Rousse (3). LEICIINAM (4) ne partage pas celte manière de voir, mais

il considère la scoliose des adolescents comme un trouble de la nutrition

en rapport avec une insuffisance des éléments formatifs des os, pendant la

puberté. Le traitement phosphoré et celui par le chlorure de calcium

seraient les plus indiqués.

Mais peut-on invoquer aussi une pathogénie thyroïdienne ?

Nous croyons pouvoir répondre par l'affirmative. Voici les faits qui

parlent pour celle manière de voir.

CuIPAULT a décrit une scoliose myxoedémateuse. Cette forme s'observe-

rait surtout dans les cas de myxoedème fruste touchant de près l'infanti-

lisme et le rachitisme. Elle guérirait par le traitement orthopédique

combiné au traitement thyroïdien. L'un ou l'autre de ces traitements

employé seul et insuffisant.

D'autre pari, Louis DUBREUIL-CHABIBARDEL (5) a vu la coexistence du

syndrome de Basedow avec la scoliose sous la forme familiale et hérédi-

taire et l'un de nous a vu avec M. DON-\. et Ghiulamila une jeune fille

atteinte de la scoliose de l'adolescence et qui présentait également un syn-

drome basedowien avec hypertrophie évidente du corps thyroïde.

Ainsi qu'on le voit la coexistence de la scoliose avec des altérations

thyroïdiennes que nous rencontrons dans notre cas ne constitue pas tout t

à fait une exception rare et les cas se multiplieront assurément dès que

l'attention des observateurs sera portée sur celle association.

En outre la théorie rachitique et l'interprétation de Leiciinam peuvent

se concilier avec la théorie thyroïdienne.

Plusieurs auteurs tels que IIeiuogiie (6). AU : >SET (7), 13U\YI1'iG et lBoo-

KLYN (8), Iu.wvool, (9\ 13ENIfl ? Ih1-1lARIiIsIi (10) ont soutenu l'hypothèse

d'une relation entre le corps thyroïde et le rachitisme, ou on( apporté des

fails tels que la coexistence des déformations rachitiques avec le myxae-

dème vient évidemment à l'appui de l'opinion dont nous parlons.

D'autre part nous estimons qu'on peut considérer la scoliose de l'ado-

lescence comme une sorte d'ostéomalacie de la colonne vertébrale, ce

qui n'e.,t p;ls en contradiction avec l'opinion de I,r.,lcmw. Seulement il

36

PARHON ET JIANO

faut se demander si le trouble n'est pas en relation, au moins dans un

certain nombre de cas, plutôt avec un défaut d'utilisation des sels cal-

caires et phosphatiques nécessaires à l'édification des os qu'avec une in-

gestion insuffisante de ces sels.

Cette interprétation nous semble d'accord avec les faits connus et cités

plus haut.

Les recherches que l'un de nous a faites avec Papinian (11), ainsi que

celles de 1VIORAC7FVSIW (12), HAUSIIALTER et GUÉRIN (13), SILVESTRI et

TOSATTI (14.). Schiff (15), Siniiuber (16), NissipESCO (17), ont montré le

rôle considérable de la glande thyroïde dans le métabolisme du calcium.

L'assimilation de cet élément est défectueuse dans l'insuffisance thyroï-

dienne et d'autre part ce corps s'élimine en excès dans l'hyperthyroïdisme

ainsi que dans le syndrome de Basedow (Scoltno et Franchini) (18).

Ces faits nous donnent la raison de la coexistence du syndrome de Ba-

sedow avec l'ostéomalacie observés par Revilliod (19), KÜPPI¡N (20), VON

RKCKLINGHAUSEN (21). HAMIG (22), IIOE : \'ICIOE (23), llOFMEIER (24), ToLOT et

Sarvonat (25), ainsi que de celui trouvé parHoENicrE (2ü) de la superpo-

sition des territoires atteints de goîlre endémique à ceux entachés par

le crétinisme (en Bavière).

Si l'on considère la scoliose des adolescents ainsi que d'autres cas de

scoliose comme une forme d'ostéomalacie de la colonne vertébrale, on

comprend suffisamment bien sa pathogénie. C'est la perte considérable

des sels calcaires ou le défaut de leur assimilation qui cause la déformation

vertébrale.

D'autre part comme la coexistence du myxoedème franc avec l'ostéoma-

lacie est discutable ei celle du goitre exophtalmique avec ce même syndrome

assez fréquente, c'est à l"hyperthyroïdisation ou à une perversion de la sé-

crétion thyroïdienne qu'on doit attribuer l'ostéomalacie et dans notre cas

la scoliose.

L'analyse des urines que nous possédons bien qu'incomplète (car nous

ignorons la quantité de 24 heures) parle pourtant toujours dans le sens de

l'hyperthyroïdie, car on trouve des chiffres élevés surtout pour l'urée

et pour l'acide phosphorique (37,70 ; 3,90 pour 1.000 cent. c.), chiffres

qui tombent à 23,20 et 1 gr. 90 après l'extirpation d'une grande partie du

goitre. L'oxyde de calcium tombe lui aussi de 0,4 l il 0,29 après l'opéra-

tion.

Nous remarquerons encore que dans h scoliose de l'adolescence on a

noté souvent une accélération de la croissance, fait qui parle également

pour 1'liypei-iliyi,oï(lisme et qui est il l'approcher de la même constatation

faite par 1101,IICIiEFN (27) chez les jeunes filles basedowiennes.

GOITRE ET SCOLIOSE DE L'ADOLESCENCE . 37

En outre il faut encore dire que la scoliose de 1 ? LlolesceiiceesL beaucoup

plus fréquente dans le sexe féminin que dans le sexe masculin, ce qui la

rapproche une fois de plus des syndromes en fonction des altérations

thyroïdiennes. C'est ainsi que Hom (28) sur 200 cas eu trouve 185 chez le

femmes. KETSCII (29) sur 229 cas eu trouve 186 chez le même sexe. Enfin

Koelliker (30) sur un nombre de721 cas en trouve 577 pour le sexe fé-

minin.

La différence est très importante. Il faut peut-être penser aussi à une

nfluence des ovaires bien que cette dernière ne nous semble pas encore

prouvée, et nous dirons ici que chez la jeune fille observée par l'un de

nous avec Giiiulamila et DONA la menstruation était peu abondante, ce qui

parle plutôt pour une insuffisance relative des ovaires.

Notons en passant que chez celle malade comme chez celle que nous

avons étudiée dans ce travail, les mamelles étaient peu développées. On

sait d'ailleurs que l'atrophie de ces organes a été vue dans certains cas du

syndrome de Basedow.

Dans le myxoedème et dans l'infantilisme hypothyroïdien on observe

également l'absence ou le peu de développement de ces mêmes glandes, et

à ce point de vue il est intéressant de remarquer que des modifications de

sens opposé du milieu intérieur peuvent conduire à un résultat assez

semblable.

Kirmisson rapproche la scoliose de l'adolescence d'un autre trouble

squeletlique qu'on observe également à cette époque. Il s'agit du genu

valgum.

Or il ne nous semble pas douteux que ce trouble présente également

des rapports avec certaines altérations endocrines.

Lauxois et Roy (31) l'ont noté dans le gigantisme. Il a été vu chez des

eunuques par les mêmes auteurs. L'un de nous l'a observé chez un skoplzy.

La scoliose et d'autres déformations de la colonne vertébrale s'obser-

vent d'ailleurs assez fréquemment chez d'autres malades présentant des

altérations des glandes à sécrétion interne et nous avons en vue ici sur-

tout le gigantisme. Le géant de Monlaslruc dont l'observation fut publiée

par Brissaud et i\I11GE (32), le malade de Matignon (33), représentent

des exemples démonstratifs.

Faut-il encore rappeler que l'hypertrophie thyroïdienne est bien fré-

quente dans le gigantisme ? `' /

Celle môme hypertrophie semble se rencontrer aussi assez souvent t

dans l'ostéomalacie sénile où les déformations vertébrales sont des plus

accentuées.

L'un de nous a observé l'hypertrophie thyroïdienne deux fois sur trois

cas d'ostéomalacie sénile. Dans un autre cas la glande était d'un volume

38

PAR [ION ET ,JIANO

inférieur à la normale mais, en jugeant d'après sa teneur en iode on doit

penser qu'elle était plulôl en hyperfonction.

Nous ajouterons que le début même de la scoliose pendant l'adolescence

est un argument pour la théorie endocrine de la palhogénie de cette sco-

liose.

En effet la puberlé est l'oeuvre des glandes à sécrétion interne et d'abord

celle du corps thyroïde.'

L'hypertrophie thyroïdienne à l'époque pubéraleet prépubérale est un

fait bien connu.

Dans notre cas il a existé un parallélisme étroit entre l'évolution du

goitre et celle de la scoliose.

Ajoutons que l'examen histologique de morceaux interkystiques de ce

goitre nous a montré une structure analogue à celle des adénomes thy-

roïdiens,car on trouve des follicules rappelant ceux des glandes jeunes et

ne contenant pas de colloïde ,ce qui d'aprèsLL1'I ELROTIISCHILD (34) appar-

tient également au goitre basedowien.

Dans certaines régions on ne distingue même plus de formations folli-

culaires et on ne trouve qu'une quantité infime de petites cellules et la

structure de ces régions ne rappelle nullement celle de la thyroïde nor-

male. On trouve pourtant aussi des régions dans lesquelles on constate un

petit nombre de follicules contenant du colloïde rose et d'autres où on

observe des follicules à colloïde violet. Mais en général le colloïde est très

peu abondant dans cette glande. On remarque encore une sclérose de

moyenne intensité de cet organe.

Notre cas nous mène à cette conclusion importante que dans la patlio-

génie de certaines scolioses et surtout dans celle dite de l'adolescence il

faut faire la part d'un trouble de la fonction thyroïdienne (et peut-être

d'autres glandes à sécrétion interne), trouble de nature plutôt hyperfonc-

tionnelle.

Il y a lieu également de chercher dorénavant si la diminution de l'ac-

tivité thyroïdienne par n'importe quel procédé thérapeutique (intervention

opératoire comme dans notre cas,r6ntgénisation de la région thyroïdienne,

sérum, sang ou lait d'animaux éthyroïdés) ne serait indiquée pour le trai-

tement de ces scolioses sans renoncer pour cela au traitement orthopédi-

que qu'on devra par contre ajouter à celui dont nous venons de parler.

Il aurait été intéressant d'étudier à l'aide de la radiographie la colonne

vertébrale de la malade dont nous venons de parler.

Malheureusement cela ne nous a pas été possible jusqu'à présent

Il serait intéressant également d'étudier à l'aide du même moyen l'état

de la colonne vertébrale avant et sous l'influence du traitement que nous

avons indiqué.

GOITRE ET SCOLIOSE DE L'ADOLESCENCE 39

Nous nous permettons d'attirer sur ce point l'attention de ceux qui

auront l'occasion d'observer de pareils cas.

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40 PARHON ET JIANO

30. KoELUKKn.(Cite comme les deux auteurs précédents d'après l'article de liravrsson),

3t. Lannois et Roy. Nouvelle Iconographie de la Sdlpètrièi,e, novembre-décembre

1902.

32. BRISSAUD et MEIGE. Gigantisme et acromégalie. Journal de méd. et de chir. pra-

tique, 25 janvier 1895, p. 49.

33. MATIGNON. Un cas d'acromègalo-gigantisme. Méd. moderne, 6 novembre 1897.

34. Lévi et ROTIISCHILD. Ryperthy)-oïdie basedowienne. Sa base anatomique. Compte-

rendu de la Soc. de Biol., 19 décembre 1903. - ~

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XII

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE CERVICALE

(Berlololfi) .

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE

DE LA MOELLE CERVICALE

- ATTEINTE BILATÉRALE ET SYMÉTRIQUE

DES NOYAUX BULBAIRES ET MÉDULLAIRES DE LA Xi- PAIRE

AVEC INTÉGRITÉ ABSOLUE DES AUTRES NERFS CRANIENS,

PAR

M. BERTOLOTTI,

Médecin-Directeur de l'Institut de Radiologie médicale

de l'Hôpital Saint-Jean de Turin.

Le cas que je vais relater ici présente un double intérêt soit au point

de vue de la rareté du syndrome observé, soit encore à cause des impor-

tantes questions de physiopathologie nerveuse qu'il peut soulever.

. Observation (pal. XII).

Le 15 octobre 1908, on nous envoya à l'Institut de radiologie médicale une

malade alitée dans un service de chirurgie de l'hôpital avec le diagnostic de

luxation de la troisième ou quatrième vertèbre cervicale, en nous priant

d'étudier bien le cas par la radiographie.

Voici en peu de mots l'histoire de la malade :

Tarello Margherita, âgée de 25 ans, née à Borgo d'Ale, mariée depuis 7 ans,

ménagère.

Sou père et sa mère sont encore vivants et très bien portants, un frère en

bonne santé, terrassier.

Pas de maladies nerveuses dans la famille.

Antécédents personnels. Aucune maladie antérieure, aucun signe ni

d'éthylisme ni de syphilis, pas de fausses couches.

Mariée à 17 ans, après deux ans elle accouche d'une façon tout fait nor-

male. L'enfant né à terme pesait 5 kilogs, était très bien portant et fut nourri

au sein de sa mère. Actuellement il est âgé de 5 ans et n'a jamais présenté

aucun phénomène morbide.

Son mari est un homme très vigoureux, athlétique et meunier de son état.

Notre femme était très active, très travailleuse et, en plus de son ménage,

elle s'occupait tous les jours aider son mari dans le transport de sacs de blé

ou de farine, de façon qu'elle s'était habituée à déplacer des poids assez consi-

42 BERTOLOTTI

dérables (jusqu'à 50-60 kilogs), qu'elle soulevait de terre et chargait sur son

épaule gauche.

Début de l'affection. Il y a deux ans et demi, c'était en mars 1906,

notre malade devint enceinte une deuxième fois. Après deux ou trois mois, elle

commença à ressentir une faiblesse insolite et il noter que sa démarche prenait

une allure différente ; en effet, tandis que pendant sa première grossesse elle

marchait bien et sans fatigue, cette fois elle était obligée de porter ses épaules

et sa tète beaucoup plus en arrière. Toutefois sa santé n'était pas mauvaise,

elle continua sa vie habituelle jusqu'au jour de son accouchement, qui se lit

aussi bien que la première fois. Après une vingtaine de jours (fin décembre

1906) elle se leva et commença à travailler dans son ménage, elle était un peu

faible, mais elle ne tarda pas à reprendre ses travaux pénibles. Un jour, un

mois après la naissance de son bébé, elle s'était chargée un sac de blé sur son

épaule gauche pour le transporter dans une ferme située à 10 minutes de

chemin de chez elle. Tout coup elle ressentit une grande faiblesse et l'im-

possibilité de tenir son fardeau sur ses épaules, Une de ses amies, qui l'accom-

pagnait, l'aida tout de suite se débarrasser de son sac et elle retourna à pied

à la maison qui n'était pas loin. Comme elle était très fatiguée, sa mère lui

conseilla d'aller se coucher et envoya chercher le médecin du village. Elle

resta alitée pendant trois jours, sans lièvre, paraît-il, avec la sensation d'une

gêne douloureuse dans les mouvements de latéralité de la tète et une insuffi-

sance fonctionnelle remarquable à tenir sa tête dans la position verticale.

Après trois ou quatre jours, ne se trouvant pas trop incommoder, elle se

leva et reprit ses occupations habituelles, toutefois elle remarqua que sa tète

avait toujours une tendance à tomber en avant et qu'elle était obligée de mar-

cher toute droite avec les épaules projetées en arrière ; de cette façon elle ne

ressentait pas beaucoup de fatigue à maintenir sa tête dans la position normale.

En même temps que cette faiblesse dans les mouvements de la nuque s'ac-

centuait, notre malade commença à remarquer que le timbre de sa voix avait

changé, elle avait la voix voilée et faisait beaucoup d'efforts pour causer avec

son entourage, si bien que sa famille pensa de l'envoyer se faire soigner la

gorge et on consulta le médecin du pays, qui la visita (pas d'examen laryngo-

scopique) et fut frappé par la maigreur du cou et par la proéminence des apo-

physes épineuses de la région cervicale postérieure, notamment de la septième

cervicale, tandis qu'au niveau de la quatrième cervicale l'on relevait une

encoche où pouvait s'enfoncer le doigt.

Le médecin posa tout de suite le diagnostic de luxation des vertèbres cervi-

cales en se basant sur ces faits, d'autant plus que la malade accusait en même

temps une gêne dans la déglutition et qu'à l'exploration de la paroi postérieure

du pharynx on avait la sensation que l'un des corps vertébraux fût projeté

en avant.

Plusieurs autres médecins consultés ensuite, tombèrent d'accord sur le dia-

gnostic de luxation ou fracture de la colonne cervicale, et la malade fut envoyée

à l'hôpital Saint-Jean de Turin où le diagnostic au premier abord fut confirmé

et la patiente passa dans un service de chirurgie.

POLIOMYÉLITE Ai\TII11EUIII'i CHRONIQUE 43

Avant de relater les résultats de l'examen radiographique pratiqué par nous,

étudions l'étal présent de la malade. Elle a une allure tout à fait particulière

et qui frappe tout de suite l'observateur. La malade marche d'une façon un

peu gênée sans aucune altération relevable aux membres inférieurs, mais avec

une démarche spéciale donnée par le maintien de la tête qui est immobile et

rejetée en arrière, tandis que le regard est dirigée en avant et un peu au des-

sus de l'horizon. On observe tout de suite que les épaules sont tombantes,que

le cou est long et mince, que le dos est bombé et qu'il existe une remarquable

lordose lombaire ; en un mot on est frappé par la démarche de la malade qui

ressemble à celle des joseaux.

Examen de la face. - Notre femme a une mine un peu souffrante, pâle et

donne plus que son âge ; elle, est intelligente et très éveillée. Il n'existe aucune

asymétrie notable dans le domaine du nerf facial soit dans la position de repos,

soit dans les mouvements mimiques du visage, les deux branches supérieure et

inférieure sont indemnes, l'occlusion des paupières, l'occlusion de la bouche

se fait normalement, les sillons naso-labiaux sont symétriques, la bouclie est

bien en place, aucun signe d'atropine des lèvres, la langue est tirée dans la

ligne médiane et projetée en avant, à droite, à gauche en haut et en bas assez

vigoureusement. L'élévation et la contraction des muscles frontaux et sourcil-

liers se fait avec une mobilité normale.

Si l'on ordonne à la malade d'ouvrir largement sa bouche, on peut voir que

ce mouvement vient exécuté en deux temps. Dans un premier temps les arca-

des dentaires s'éloignent d'un centimètre environ et puis après un moment

d'arrêt la mâchoire inférieure continue à descendre normalement. Nous verrons

dans la suite comment on peut expliquer ce trouble fonctionnel de l'abaisse-

ment de la mâchoire inférieure, bien que la branche digastrique du facial ne

soit pas en cause.

Les muscles masticateurs sont indemnes, la malade peut serrer ses dents

avec force et peut casser une noisette sans difficulté. Le réflexe massétérin

existe, mais il n'est pas exagéré. La sensibilité est parfaite dans tout le domaine

de la V° paire des deux côtés.

Les peauciers du visage et du cou ont leur contractilité normale.

Examen des yeux. Rien à noter du côté des yeux,les pupilles sont égales

et réagissent aussi bien à la lumière qu'à l'accommodation. Les muscles intrin-

sèques et extrinsèques des globes oculaires, soit isolément, soit dans les mou-

vements associés, ont un fonctionnement normal. Il n'existe aucun signe

d'exophtahnie, ni de syndrome oculaire sympathique. La vue est bonne et

égale des deux côtés, le fond de l'oeil est normal, le champ visuel aussi, le

réflexe cornéal existe. '

Examen des autres sens spécifiques. A gauche l'ouïe est normale tandis

qu'à droite elle est fortement diminuée à cause d'une otite moyenne suppurée

avec lacération presque totale de la membrane du tympan et dépôt des concré-

tions puriformes.

L'odorat est bien conservé et égal des deux côtés. L'examen du goût n'a rien

montré d'anormal, les facultés tactiles et gustatives de la langue sont aussi bien

44 BERTOLOTTI

développées à droite qu'à gauche et aussi bien dans les deux liers antérieurs

(trijumeau), que dans le tiers postérieur de la langue (glossopharyngien).

Chez notre malade on observe des troubles plus ou moins accentués du côté

de la phonation, de la déglutition et de la respiration.

Examen de la phonation. - La malade parle à voix très basse, presque

aphone. Ce trouble s'est constitué peu à peu en même temps que les autres

symptômes morbides ; ;'depuis un an son état est à peu près stationnaire.

Examen laryngoscopique. Cet examen pratiqué plusieurs fois par un

distingué laryngologiste, M. Maltese, assistant de la clinique Gradeuigo,a donné

les résultats suivants :

Aucune altération de J'aditus la1'yngis, Les cordes vocales ont un aspect

normal et sont très brillantes, aucune trace ni de rougeur ni de sécrétion

catliarrale. v

Les deux moitiés du larynx sont parfaitement symétriques, mais tandis que

dans les mouvements d'inspiration les cordes se portent en abduction complète

(Voir fig. 1), au contraire dans la phonation l'adduction est incomplète et les

deux cordes restent séparées entr'elles (Voir Og,2), En d'autres termes il

existe une paralysie bilatérale et symétrique des muscles adducteurs du larynx,

c'est-à-dire des muscles arythénoïdes et crico-arytlénoïdes latéraux.

En conclusion les troubles laryngiens chez notre malade peuvent se résumer

ainsi :

Paralysie des muscles adducteurs ou paralysie de phonation, avec intégrité

des muscles tenseurs et des muscles abducteurs (postices) préposés à la fonc-

tion respiratoire.

L'examen laryngoscopique chez la patiente, tout en étant assez facile, est

Fig. 1. Abduction complète des cordes vocales dans l'acte inspiratoire.

Intégrité des muscles tenseurs et abducteurs du larynx.

Fig. 2. - Paralysie bilatérale des adducteurs (Phonation-émission de la voyelle e).

Insuffisance des musclés arythénoïdes et crico-arythénoïdes latéraux.

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE 45

gêné soit par le réflexe pharyngien très vif, soit par la sensibilité laryngée qui

est exquise. Notre malade réagit tout de suite au toucher de la glotte par des

quintes de toux, en outre elle présente d'une façon très sensible la toux galva-

nique. En effet, pendant l'examen électrique des muscles de la région cervicale

postérieure, la toux galvanique apparaît avec un milliampère et demi.

Tous ces signes démontrent bien l'intégrité de la sensibilité endo-laryngée,

qui est sous la dépendance de la Xe paire.

Examen de la fonction respiratoire el cardiaque. Notre malade présente

en moyenne 14 à 15 inspirations à la minute, pas de dyspnée, sauf celle due à

l'effort. L'on note tout de suite que la respiration se fait par le type abdomi-

nal tout a fait comme chez l'homme. Dans l'inspiration forcée l'on remarque

que les clavicules et les premières côtes ne sont pas entraînées en haut à cause

de l'insuffisance fonctionnelle du chef claviculaire du muscle sterno-cléido-mas-

toïdien, du faisceau cléido-occipital du trapèze et des muscles supérieurs de

laçage thoracique : pectoraux, dentelés, etc.

La respiration et l'excursion diaphragmatique contrôlée à la radioscopie se

font suffisamment bien, mais l'on voit le creux épigastrique s'enfoncer dans

l'inspiration par l'insuffisance du nerf phrénique.

Pas d'altération dans le rythme, ni de phénomène de Cheyne-StokeSt

Fic. 3. Schéma décalqué sur la radiographie latérale gauche de la région cervicale.

1. apophyse coronoïde 2. articulation temporo-maxillaire, 3. apophyse mastoïde,4. ap.

styloïde, 5. pavillon de l'oreille, 6. lobule de l'oreille, 7. branche orizontale de la

mâchoire inférieure, 8. région occipitale, 9. apophyse odontoide, 10. tubérole anté-

rieur de l'atlas.

a. Corps vertébral.

b. Pédoncule.

c. Apophyses articulaires.

d. Apophyses épineuses.

46 BERTOLOTTI

Le pouls est parfaitement régulier et rythmique (70-80 à la minute). Aucun

signe de bradycardie ou de tachycardie pas même paroxystique, pas de bruits

anormaux au coeur, pas de souffles.

Examen de la déglutition. Nous avons observé notre malade pendant ses

repas à plusieurs reprises. Il est indéniable que chez elle il existe des trou-

bles dans la déglutition ; elle mange lentement en tenant sa tête en arrière

dans sa position habituelle, le bol alimentaire séjourne longtemps dans la bou-

che avant de passer dans le pharynx, toutefois à peine franchie cette première

étape il est dégluti d'une façon normale. Les liquides sont souvent rejetés par

le nez.

Si nous observons le jeu des muscles innervés par V hypoglosse, on peut voir

que tous ces muscles sont indemnes.

La langue est parfaitement mobile et peut être tirée énergiquement au dehors

dans tous les sens. Il n'existe aucune atrophie de la langue (V. PI. XII, 3), ni de

contractions fibrillaires, ni de scialorrée.Tous les muscles sus-hyoïdiens et sous-

hyoidiens sont valides. Dans les mouvements de la déglutition l'on peut voir

l'os hyoïde faire ses excursions de bas en haut. et redescendre ensuite d'une

façon tout à fait normale (1).

L'électrodiagnostic de cette région est parfaitement négatif, de même que

l'examen électrique des muscles de la langue. Tous les troubles que nous avons

constatés chez la malade pendant l'acte de la déglutition se résument donc dans

une insuffisance fonctionnelle du voile du palais qui est abaissé dans sa posi-

tion de repos et qui dans l'émission de la voyelle e ne se relève qu'à moitié,

La paralysie du voile se montre bien quand la malade veut avaler des liquides

En plus les muscles de la première portion du pharynx sont parésiés : Il existe

donc une paralysie limitée au voile du palais et au muscle constricteur su-

périeur du pharynx.

Examen du cou. Nous avons déjà signalé en passant la démarche très

particulière de la malade : ce qui frappe à première vue,ce sont les altérations

morphologiques intervenues dans cette région.

La malade vue de profil avec sa tête maintenue légèrement en arrière, mon-

tre un cou d'une longueur et d'une exiguïté exagérées.

On remarque tout de suite que les limites entre la région occipitale et la

nuque sont accentuées par une entaille anormale, de telle façon que la région

occipitale semble enfoncée dans région cervicale postérieure comme par un

coup de hache. Le cou est incliné en avant et le larynx est déplacé antérieure-

ment d'une façon anormale chez une femme.

(1) Si l'hypoglosse ou la branche digastrique du facial eussent été tant soit peu

lésés, notre syndrome laryngien n'aurait plus aucune valeur.

Si les muscles élévateurs du thyroïde vers l'hyoïde ou de l'os hyoïde vers la mâ-

choire inférieure avaient démontré la moindre insuffisance fonctionnelle, nous n'au-

rions pu attribuer au spinal l'attitude des cordes vocales de notre malade pendant la

phonation. On peut retenir en effet que les muscles sous-hyoïdiens soient les antago-

nistes des muscles inlrinséques du larynx. Etant donné la faillite d'un des muscles

sous-hyoidiens, la corde vocale ne trouvant plus la controextension nécessaire à sa

rigidité peut demeurer à moitié chemin.

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE 47

La colonne vertébrale présente une cyphose dorsale tl ès prononcée et l'on

voit nettement la saillie de la vue vertèbre cervicale. Cette position très parti-

culière du cou rappelle vraiment l'allure de certains oiseaux de basse cour.Notre

malade regardée de profil semble promener sa tête sur un véritable cou de pou-

larde (V. PI. XII, 4).

Il existe un contraste remarquable entre la largeur des épaules et la minceur

du cou. L'insertion du cou sur les épaules se fait avec une attaque brusque

angulaire tout à fait anormale. Le rebord antérieur des clavicules est très pro-

noncé de même que la saillie des acromions en arrière de façon à déterminer

un sillon véritable tout autour du cou (V. PI. XII, 5).

Les insertions claviculaires et sternales du sterno-cléido-mastoïdien sont

minces, effilées. Des deux côtés de la nuque l'on peut suivre deux cordons re-

levés sous la peau, qui vont se terminer à l'acromion et qui constituent tout ce

qui reste du faisceau cléido-occipital du trapèze.

L'atrophie musculaire s'étend encore à tous les muscles de la gouttière cer-

vicale postérieure et à la région scapulo-humérale des deux côtés.

En examinant le cou dans la région postérieure (V. PI. XII, 6), l'on voit que

la fossette normale de la nuque formée par la saillie bilatérale du faisceau cléido-

occipital du trapèze et du splénium est complètement disparue. Au contraire,

alors que la malade tient sa tête fléchie en avant, l'on voit un relief osseux très

prononcé au niveau de la troisième vertèbre cervicale. L'on remarque de même

la largeur des épaules, la cypho-scoliose cervico-dorsale et la saillie des acro-

mions des deux côtés. .

Si à présent on veut examiner la motilité de cette région, on s'aperçoit

qu'elle est réduite au prorata de la remarquable atrophie musculaire.

Notre femme marche en maintenant sa tête un peu en arrière dans une po-

sition d'équilibre statique très instable; en effet, si la tête est portée un peu

plus en avant, elle vient entraînée et projetée sur la poitrine par une chute

brusque et anormale (V. PI. XII, 7).

Si l'on ordonne alors il la malade de relever sa tête dans la position verti-

cale, elle ne peut le faire qu'en s'aidant avec un petit truc qui consiste à don-

ner un coup d'entraînement en avant aux épaules, en exagérant la lordose

lombaire et en pliant un peu ses genoux.

Si l'on dit à la malade de ramasser un objet par terre ou d'ôter ses souliers^

elle s'exécute avec une seule main, tandis qu'avec l'autre elle soutient sa tête

en l'empêchant de tomber. 1

Placée dans le décubitus horizontal, elle est absolument impuissante à relever

la tête.

Les mouvements de rotation et d'inclinaison latérale à droite et à gauche se

font encore assez bien. La flexion directe en avant peut s'accomplir non seule-

ment avec le muscle sterno-cléido-mastoïdien qui est atrophié, mais encore

avec l'Io71ol1yoïlien, l'angulaire de l'omoplate et peut-être avec les scalènes.

Avant de relater les résultats de l'examen électrique, nous reproduisons ici

un de nos clichés de la radiographie latérale gauche de la région cervicale.

48 BERTOLOTTI

Nous avons cherché à radiographer ce cas d'une façon très soigneuse pour

nous mettre justement à l'abri d'uue interprétation erronée.

Plusieurs symptômes cliniques en effet avaient entraîné des chirurgiens

très distingués à poser le diagnostic de luxation totale ou partielle de la Ille

ou IVe vertèbre cervicale.

Nous avons relaté ces symptômes et nous les pouvons résumer ainsi : en-

taille de la nuque, porte de la tête en arrière; chute de la tête, proéminence

de la IlIe vertèbre cervicale dans la flexion en avant, disparition de la fo.s--

sette sous- occipitale, palpation d'une saillie osseuse par le toucher pha-

ryngien, troubles dans la déglutition et dans la phonation.

Etant donné une telle symptomatologie, on conçoit la valeur d'un bon exa-

men radiographique.

Dans la figure 3 reproduite plus haute, la colonne cervicale a été radiographiée

de côté; l'on voit tout de suite que la chaîne des corps vertébraux est parfaite-

ment en place (1). Au surplus, du côté purement radiographique on peut signa-

ler la grande netteté du cliché qui permet de bien suivre la branche montante de

la mâchoire inférieure, l'apophyse coronoïde, l'articulation 'emporo-maxillaire,

l'apophyse mastoïde, l'apophyse styloïde et tout le pavillon de l'oreille. Tous

détails qui à l'état normal sont généralement moins évidents. Cette différence

tient simplement à l'atrophie profonde de lous les muscles de la région cervi-

cale postérieure chez notre malade, de telle façon que le cliché radiographique

a permis de voir des détails plus nets encore que d'habitude.

Nous ajouterons encore que notre malade a été radiographiée debout et as-

sise de façon à pouvoir étudier le jeu de la colonne cervicale dans le chan-

gement de position de l'horizontale à la verticale, mais dans tous les cas nos

clichés ont donné les mêmes résultats.

Examen de la ceinture scapulo-humé1'ale et des membres supérieurs . - Le

faisceau postérieur du deltoïde, les muscles pectoraux (plus à droite), le fais-

ceau horizontal et descendant du trapèze, les grands dentelés se présentent

manifestement atrophiés. Le muscle rhomboïde est assez bien respecté, le grand

et le petit rond, le sous-épiueux, soit à droit, soit à gauche sont épargnés.

A l'exception du deltoïde, du biceps et du triceps qui sont un peu atrophiés,

tous les autres muscles du bras, de l'avant-bras et de la main sont absolument

indemnes.

Tous les mouvements de la main : opposition des doigts et du pouce, flexion,

adduction et abduction des doigts, flexion, adduction et abduction de la main,

flexion et extension de l'avant-bras, rotation en dedans et en dehors, se font

très bien. La dinamométrie de la main à droite donne 2f¡, kg. et 16 à gauche*

Au contraire le mouvement d'élévation du bras est gèné, la malade difficile-

ment peut maintenir ses bras dans la position horizontale et ne peut pas les

(1) Au Congrès d'Amsterdam (5 sept. 1908) j'ai communiqué une étude comparée

sur la radiographie latérale de la colonne cervicale à l'état normal et à l'état palholo-

gique. C'est en me basant sur l'expérience de mes recherches que j'affirme que celte

colonne est parfaitement normale. Voir in Annales d'électrobiologie et de radiologie

de Lille, 1908, ne 4.

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE 49

lever plus haut. De même le mouvement d'adduction horizontale des bras ne peut

s'exécuter qu'avec difficulté par l'atrophie des muscles pectoraux. Le mouve-

ment d'élévation et d'abaissement des épaules est limité et sous la dépendance

du rhomboïde.

En avant le creux sus-claviculaire est très prononcée, de même que la région

sons-claviculaire qui présente un méplat assez évident par l'atrophie du grand

pectoral.

Postérieurement on voit les deux omoplates qui vont un peu en s'éloignant

de la ligne médiane avec une inclination de haut en bas et de dedans en dehors.

Le rebord antérieur de l'omoplate est situé à 12 centimètres des apophyses

épineuses et dans les tentatives d'élévation des bras apparaissent les scapulée

alatz' produits par un léger mouvement de bascule, et la saillie des acromions

des deux côtés. L'abaissement de l'angle interne de l'omoplate est plus pro-

noncé dans l'élévation en croix des bras.Toute l'omoplate est considérablement

abaissée en totalité de même qne le moignon de l'épaule.

L'on ne voit plus trace de la portion inférieure du trapèze et l'on peut entre-

voir le relief du rhomboïde qui se dessine sous la peau.

Si l'on regarde la malade pendant qu'on lui ordonne de lever les bras dans

la position horizontale, on peut voir se former une dépression sus-claviculaire

très profonde. Cette ensellure est donnée par l'atrophie du faisceau claviculaire

du trapèze (V. PI XII, 5).

En regardant la malade par derrière, on constate que les deux omoplates sont

éloignées entr'elles. La maigreur du cou et de la nuque contraste d'une façon

frappante avec la rondeur des bras (V. PI. XII, 6).

L'acte du rapprochement des épaules en arrière est limité. L'on sent alors

le muscle rhomboïde qui est contracté, tandis qu'on ne perçoit aucune con-

traction du trapèze.

Tous les autres muscles du tronc, de l'abdomen et des membres inférieurs

n'offrent aucune trace d'atropine.

La fonction des muscles sphinctériens est parfaitement normale, on n'a

rien trouvé du côté des urines.

Tous les viscères ont été examinés et retrouvés en bon état et parfaitement

en place. Depuis trois mois la malade a vu cesser ses règles, elle a des nau-

sées, le sein parait avoir augmenté, l'utérus est palpable au-dessus du pubis.

La malade se croit enceinte (1).

La sensibilité objective dans toutes ses formes a été retrouvée intacte partout.

L'examen des réflexes tendineux et cutanés nous démontre les données sui-

vantes :

Réflexe rotulien un peu faible, égal de deux côtés.

Réflexe acbilléen normal de deux côtés.

(1) Dernièrement (19 février 1909) j'ai reçu des nouvelles de la malade : elle se

sent toujours plus faible. Il y a 8 jours elle a eu une métrorragie abondante, pen-

dant laquelle elle a expulsé un fibrome polypiforme avec l'assistance du médecin trni,

tint et d'une sage-femme.

Il s'agissait donc d'une fausse grossesse.

xxii 4

50 BERTOLOTTI

Pas de clonus, pas de signe de Babinski.

Le réflexe cutané abdominal existe, le réflexe cutané plantaire est absent.

Les réflexes tendineux des membres supérieurs sont affaiblis.

L'exploration de la tonicité musculaire nous a relevé l'absence de toute trace

de rétractions tendineuses, au contraire nous avons noté un certain degré d'hy-

potonie dans le domaine des muscles atrophiés.

Il existe des contractions fibrillaires dans les- muscles de la ceinture sca-

puio-huméraie, elles augmentent par l'exposition au froid et plus encore par la

percussion directe des muscles avec le marteau de Dejerine.

La malade présente une cyphose cervico-dorsale et une lordose très accusée

de la région lombaire. Cette déviation anormale delà colonne vertébrale peut

s'expliquer par l'altération de l'équilibre statique de la colonne. Nous revien-

drons sur cette altération particulière ; pour le moment nous dirons qu'elle est

tellement accusée que la malade a remarqué que ses jupons depuis quelque

temps étaient devenus trop longs et qu'elle rapetissait.

Voici le résumé de V examen électrique :

Sur le nerf.et tous les muscles actionnés par ce nerf l'excitabilité faradique

et galvanique est parfaitement conservée. Les muscles : temporal, masséter et

anglo-hyoïdien se contractent bien. L'excitabilité élpctlique du nerf facial

hypoglosse est normale, tous les muscles de la langue et les muscles sus-liyoï-

diens présentent une contractihté tout à fait bonne.

L'examen de l'excitabilité galvanique sur le nerf spinal et sur les plexus cer-

vical et brachial a donné les résultats suivants :

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE 51

Ce dernier muscle peu excitable avec le courant faradique, avec le galvani-

que donne Ka CCH > An CIIC (5 m. Amp. à gauche et 6 m. Amp. à droite).

Le point moteur du splénium est complètement muet aux excitations élec-

triques des deux côtés.

L'angulaire de l'omoplate répond avec 2 m. Amp. à droite et 2,5 m. Amp. à

gauche (Ka CHC = An CHC). '

Le faisceau postérieur du deltoïde est très peu excitable au faradique (30 mm),

au galvanique on trouve Ka CHC = An CHC avec 8 m. Amp.

Le faisceau antérieur est un peu mieux conservé (Ka CHC > An CHC avec

6 m. Amp).

Le biceps à droite donne au galvanique Ka CHC>An CHC avec 5 m. Amp.

et à gauche Ka CHC > An CHC avec 4 m. Amp.

Le triceps est complètement inexcitable au faradique des deux côtés.Au gal-

vanique à droite et à gauche l'on trouve Ka CHC = An CHC.

Le grand pectoral à droite ne répond qu'avec un courant induit très fort.

Avec le galvanique on observe l'effacement du point moteur avec réaction à

distance et secousse lente (Ka CHC = An CHC). A gauche les réactions sont

meilleures.

Les muscles grand dorsal, grand et petit dentelé sont peu excitables sans

altération de la formule.

Les muscles épineux, grand et petit rond répondent mieux que les précé-

dents.

Tous les muscles de l'avant-bras et de la main présentent des réactions élec-

triques absolument normales.

En résumé le résultat de l'électro-diagnostic nous démontre l'existence d'un

syndrome partiel de la D. R. sur les nerfs et les muscles de la région cervicale

postérieure et de la ceinture scapulo-humérale.

Nous retrouvons l'hypoexcitabilité des nerfs et des muscles au courant fara-

dique, la diminution de l'excitabilité galvanique des nerfs, l'hipoexcitabilité des

muscles avec secousse lente et égale aux deux pôles et transposition à distance

des points moteurs.

Les modifications de la contractilité musculaire au faradique sont parallèles

au degré de l'atrophie. Les muscles excités se fatiguent très vite sous l'influence

du courant électrique, ces faits joints à l'existence de la réaction partielle de

dégénérescence sont très importants à fixer.

Signalons enfin la fréquence de la toux galvanique chez notre malade, qui

réagissait à un faible courant d'un milliampère et demi.

En résumant l'examen clinique du cas que nous avons relaté, voici ce

que l'on peut retenir :

Une jeune femme de 25 ans, en plein état apparent de santé, pendant

le transport d'une lourde charge, est prise par des troubles de la motilité

52 BERTOLOTTI

du cou. Ces troubles vont en augmentant peu à peu en même temps que

surviennent des symptômes d'insultisance fonctionnelle du voile du palais

et du larynx.

L'examen clinique démontre une amyotrophie remarquable du trapèze,

du stel'l1o-cléido-mastoïdien, de tous les muscles de la région cervicale

postérieure et des épaules. En plus il existe de troubles laryngiens

caractérisés par une paralysie de la phonation et une insuffisance fonction-

nelle du voile du palais.

La sensibilité sous toutes ses formes demeure parfaitement intacte. A

l'examen électrique on trouve les signes d'une réaction dégénérative par-

tielle dans le domaine de la XIe paire et de la moelle cervicale.

Quel est le diagnostic que l'on peut faire dans ce cas ? 2

Au premier abord, en songeant au début de l'affection, on serait porté

à croire qu'il s'agit d'une lésion post-traumatique.

En effet, les médecins consultés en se basant sur les symptômes cliniques

que nous avons rappelés, avaient porté le diagnostic de luxation trauma-

tique de la colonne cervicale.

Notre examen radiographique a démontré d'une façon indéniable qu'il 1

n'existe pas trace de luxation des vertèbres.

Reste à discuter la possibilitéd'un liraillement porté sur les racines cer-

vicales. Si les troubles de la motilité eussent été seulement à gauche, du

côté de l'épaule où la malade avait placé son lourd fardeau, cette hypo-

hèse pourrait être envisagée et discutée, mais ici nous avons affaire avec

une lésion parfaitement symétrique qui s'étend des noyaux bulbaires du

spinal jusqu'aux derniers segments de la moelle cervicale. Une lésion

radiculaire ou de névrite périphérique aurait démontré à l'examen élec-

trique un syndrome de dégénérescence accentué. Or à l'époque de notre

examen, le début de l'affection remontant à 20 mois en arrière, les trou-

bles auraient dû aller en diminuant, tandis que chez notre malade nous

nous trouvons en présence d'une affection systématique et progressive.

Dans toute la littérature il n'existe que deux cas très obscurs cités

par Albert dans son Traité sur le diagnostic des maladies chirurgical-

les (1), où l'on peut songer à une névrite périphérique des premiers nerfs

cervicaux.

Dans l'un des cas il s'agissait d'une jeune fille qui à la suite de longs

efforts faits à coudre,avait présenté une atrophie de tous les muscles de la

gouttière cervicale postérieure de façon que la têle tombait en avant et le

menton avait creusé une plaie sur le sternum. Cette malade guérit avec le

port d'un appareil orthopédique et après un traitement électrique. L'autre

(1) E. Alueiit, Diagnostic des maladies chirurgicales. Traduction italienne du Pro-

fesseur A. d'Antona, p. I.

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE 53

cas a irait à un vieux- qui présentait la même symptomatologie et qui fut

amélioré lui aussi par le massage et l'électricité.

Dans notre cas il faut exclure encore la possibilité d'une névrite ou d'une

lésion radiculaire due à une carie tuberculeuse ou cancéreuse des vertè-

bres cervicales. Dans les cas de ce genre, il existe presque toujours des

signes de rigidité ou de contracture des muscles de la nuque et des alté-

rations très graves de la sensibilité. De même dans la pachyméningite

cervicale bypertrophique il y a une période initiale très douloureuse et

les symptômes paralytiques se cantonnent surtout dans le territoire du nerf

cubital et du nerf médian.

Voyons si notre cas peut être placé dans un des différents tableaux des

myopathies. '

Dans le type scapulo-huméral par exemple,on peut voir participer à l'a-

trophie les mêmes muscles qui ont été pris chez notre malade et plus pro-

prement le trapèze, le grand dorsal, les dentelés, le rhomboïde,etc. ; mais

il faut songer au début très lent et à l'évolution du syndrome myopathi-

que qui est caractérisé par des symptômes bien différents, qui font défaut

ici. Ajoutons que le résultat de l'examen électrique nous autorise à rejeter

le diagnostic de myopathie, et que dans celte dernière on n'observe pas

des paralysies du voile du palais ou du larynx.

Notre cas ne peut être classé que dans une des formes d'amyotrophie

myélopalhique. L'âge de la malade, l'absence de tout caractère héréditaire

et familial, les contractions fibrillaires, les données de l'examen électri-

que, la paralysie du voile du palais et du larynx, voilà autant de symptô-

mes qui cadrent bien avec le diagnostic d'une affection myélopathique.

Parmi ces dernières on pourrait songer à la syringomyélie, si l'on tient

compte de la cypho-scoliose cervico-dorsale présentée par la malade, mais

tous les autres symptômes sont négatifs. Toute forme de gliose de la moelle

cervico-dorsale a un début bien différent, s'accompagne à des troubles de

la sensibilité, à des altérations trophiques, à des signes oculo-pupillaires,

à une distribution moins symétrique et à un état de la réflectivité tendi-

neuse tout à fait dissemblable.

Par les mêmes raisons il faut rejeter l'hypothèse d'une lésion en foyer

due à une hémalomyélie ou à un hémato-rachis,

Il nous reste à choisir entre la polyomyélite antérieure subaiguë ou

chronique et la sclérose latérale amyotrophiqae.

Chez notre malade nous nous trouvons en présence d'une amyotrophie

qui est bien loin de ressembler au type Aran-Duclienne de la polyomyélite

chronique ou la topographie radiculaire de l'atrophie débute par la VIIIe

cervicale et la Ire dorsale et gagne ensuite les muscles du bras, atteint d'a-

bord le biceps, le brachial antérieur et puis le deltoïde et le triceps et

54 . 13ERTOLOTTI

seulement après s'étend aux muscles des épaules. Généralement dans la

polyomyélite antérieure chronique, le chef claviculaire du trapèze persiste

le dernier. Comme le dit Dejerine, c'est 1'ttltirnui2z morierls des muscles

du tronc et du cou et il est intéressant de voir dans ces formes, le trapèze

envahi de bonne heure dans son chef scapulaire et respecté dans son chef

claviculaire, qui est innervé par le spinal. -

Dans notre cas nous avons bien démontré que l'amyotrophie avait débuté

par le faisceau cléido-occipital du trapèze et par les muscles innervés par

les premiers segments cervicaux, pour s'étendre ensuite aux muscles de

l'épaule et du bras, tout en respectant les muscles de l'avant-bras et de la

main. Nous nous trouvons donc en présence d'une amyotrophie qui s'est

établie avec une topographie tout à fait différente, mais nous ne croyons

pas que l'on puisse rejeter le diagnostic de la polyomyélite seulement en

se basant sur sa localisation atypique.

Il faut se rappeler encore que dans notre cas le tableau morbide est

dominé par des symptômes bulbaires. L'on sait à ce propos que certains

auteurs ont décrit une forme bulbaire de la polyomyélite antérieure chro-

nique où l'atrophie gagnerait les nerfs crâniens et donnerait naissance

au syndrome labio-glosso-laryngé.

M. Dejerine ne croit pas absolument qu'il soit permis d'admettre cette

extension (1), et déclare que la paralysie iabio-giosso-iaryngée appartient

en propre à la sclérose latérale amyotl'ophique. Selon Dejerine on peut

poser en règle générale que toute atrophie musculaire progressive qui

débute par le bulbe est une maladie de Charcot fruste, de même que toute

atrophie myélopathique qui se termine par une paralysie labio-glosso-

laryngée.

Je crois que l'on puisse se rallier à l'opinion de M. Dejerine en règle

générale, mais dans le cas présent je persiste à poser le diagnostic de

polyomyélite antérieure, parce que à part l'atteinte des noyaux spino-

bulbaires de la XI' paire, tous les autres nerfs dubulbeontété respectés.

Si dans noire cas ]'hypoglosse eût été tant soit peu lésé, on aurait eu

peut-être un argument pour admettre la sclérose latérale plutôt que la

polyomyélite, bien que dans le cas en discussion il nous ait été impossible

de déceler le moindre signe d'une altération du faisceau pyramidal, mais

chez notre malade la XIIe comme la Xe et la IX. paires sont absolu-

ment indemnes et nous nous trouvons en présence d'une lésion systéma-

tisée qui a envahi les cellules des cornes antérieures de la moelle cervi-

cale, et en plus s'étend à cette colonne cellulaire qui occupe la zone

postéro-externe des cornes antérieures et qui va du premier au cinquième

nerf cervical, c'est-à-dire au système du spinal médullaire.

(1) In Traité de médecine de IJnouARDEL et GILnmn, t. IX, p. 726.

i

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE 55

Or cette colonne de substance grise qui s'étend en bas jusque au cin-

quième nerf cervical, fait part des cornes latérales et est parfaitement

analogue à la substance grise des cornes antérieures : de telle façon que

la plupart des physiologistes (1) ont établi sur des observations histolo-

giques et embriologiques que tout le système de la XIe paire rentre

dans le système moteur des racines spinales antérieures, et notre cas

par conséquent doit être classé parmi les formes de la polyomyélite anté-

rieure et non de la sclérose latérale.

On comprend tout de suite l'importance cliniquedu cas décrit par nous,

où l'on peut tabler sur des faits symptomatiques d'une pureté exception-

nelle, où l'on peut démontrer la systématisation de la lésion aux noyaux-

moteurs du nerf spinal et apporter d'autre part une contribution clinique

sérieuse à ce problème autant discuté qu'incertain qui s'attache à l'inner-

vation de XIe paire. '

Dans notre cas il faut étudier avant tout le moment étiologique, le

début de l'affection et son évolution, nous étudierons ensuite la séméio-

logie de l'atrophie cantonnée au muscle de la région cervicale postérieure

et les troubles statiques et dynamiques survenus dans la colonne verté-

brale.

Le moment étiologique mérite d'être un peu discuté. Bien que à

première vue l'on puisse croire que l'étiologie de cette forme morbide soit

en rapport à un fait traumatique survenu pendant que la malade était char-

gée de son sac de blé et que tous les médecins consultés précédemment

soient tombés d'accord la-dessus, il y a dans l'histoire de notre malade

quelques faits qui peuvent jeter une autre lumière sur la façon du début

de cette amyotrophie. 1

C'est au mois de juin 1906, dans les premiers temps de sa grossesse,

que notre malade commença à ressentir ses premiers troubles; elle se sen-

tait toujours fatiguée, et tandis que dans sa première grossesse elle mar-

chait bien et sans fatigue, cette fois elle avait pris une allure différente,

étant obligée de porter ses épaules et sa tête beaucoup plus en arrière.

Après sa délivrance (fin novembre 1906) elle était souffrante et acca-

blée par une grande faiblesse ; sur ces entrefaites elle s'éprouva dans un

effort très fatiguant et alors ses malaises s'accrurent.

Il est donc probable que le début de la polyomyélite soit antérieUl au

mois de décembre 1906, c'est-à-dire à l'époque où la malade s'était alitée

(1) Voir la dernière édition du Traité de LI'CIANI sur la physiologie de l'homme.

56 BERT0L0TTI

pendant trois jours à la suite de ces troubles soudains qui l'avaient frap-

- pée en transportant sa charge.

On peut admettre que la cause étiologiqtie était latente et qu'elle éclata

favorisée par un brusque effort, puisque en réalité les premiers symptô-

mes ont élé antérieurs.

Parmi les causes écologiques de la polyomyélite chronique, déjà Aran

Duchenne avait placé le surmenage : selon cet auteur l'atrophie débute-

rait par les muscles soumis à un travail exagéré : ainsi les muscles du

mollet chez un danseur (cas de IIamtnoud), le deltoïde chez un ouvrier qui

levait et abaissait les bras alternativement dans son travail, les épaules

chez un meunier qui portait des lourds fardeaux sur le cou (Etienne).Deje-

rine rejette complètement celle étiologie ; pour notre part, sans y insister

beaucoup, nous ferons observer que chez notre malade la polyomyélite a

débuté précisément parles muscles du cou et des épaules, c'est-à-dire

par ces muscles que depuis plusieurs années elle surmenait le plus souvent

dans le transport de très lourds sacs de blé ou de farine.

Le débat de l'affection chez notre malade demeure toujours exception-

nel par sa topographie. Nous avons constaté dans la littérature la rareté

des faits de ce genre.

On peut citer le cas de Vulpian (1) qui en 1869 a décrit une forme de

polyomyélite chronique à début scapulo-humél'al, G ans après Pierret et

Troisier (2) en relatent un deuxième cas avec autopsie. Ensuite Etienne,

en 1899 (3), dans un travail d'ensemble, décrivit deux cas depolyomyélite

chronique à début scapulo-homéral avec symptômes bulbaires, mais sans

comparlicipation des muscles de la nuque et dernièrement dans un mémoire

vraiment intéressant (4), le Professeur Ferrio de Turin,en étudiant le plo-

sis de ta tête, c'est-à-dire le syndrome clinique dû à la paralysie des mus-

cles extenseurs de la tête, a relaté l'histoire d'un cas qui a une remarquable

analogie avec le nôtre.

La séméiologie et le diagnostic de la paralysie des muscles de la nuque

ont été illustrés d'une façon très soigneuse par Ferrio qui donna au

syndrome clinique observé le nom de plosis de la tête.

Voici le résumé du cas très intéressant illustré par cet auteur. Un homme

de 57 ans, intelligent, photographe de sa profession, sans antécédents

morbides personnels ou héréditaires, après une attaque de rhumatisme ( ? ),

(1) VI1LPL1N, Archives de physiologie normale et pathologie, 1869.

(2) l'IERII'T et Tnoisicn, Archives de physiologie normale et pathologie, 1815.

(3) Etienne G., Nouvelle Iconographie de la Sdlp., vol. XII, 1899.

(4) L. FBIIRIO, Stillh ptogi. del c.ipo.Ce mémoire a paru dans un recueil des travaux

publiés en 19d4 dans l'occasion du XXVe anniversaire de l'enseignement du Professeur

C. Sozzolo de Turin.

POLIOMYÉLITE ANTERIEURE CHRONIQUE 57

est pris par un croissant état de faiblesse dans les muscles du cou et des

épaules, la tête devient lourde et il ne peut la tenir relevée sans effort.

Bientôt il est obligé de s'aider avec ses mains pour empêcher sa tète de

tomber en avant. Pour remédier à cet état il se construit un support en

carton, une espèce de faux-col géant avec lequel il pouvait travailler avec

ses mains laissées disponibles.

A l'examen clinique on constate une amyotrophie énorme dans toute la

région cervicale postérieure, les épaules et la ceinture scapulo-humérale.

Le chef scapulaire elle chef claviculaire du trapèze sont complètement

atrophiés ; il persiste seulement un grêle faisceau horizontal qui réunit

l'acromion aux apophyses épineuses. La région delà nuque a perdu sa

configuration normale, la fossette sous-occipitale a disparu et le ligament

cervical supérieur est très saillant.

Le muscle sterno-cléido-mastoïdien est aussi très atrophié, cette atro-

phie qui s'étend encore aux muscles de l'épaule, a épargné complètement

les muscles de l'avant-bras et de la main qui sont parfaitement conservé

des deux côtés.

A cause de l'atrophie des muscles de la nuque, la tète ne peut être main-

tenue dans la position verticale et tombe sur la poitrine du malade qui est t

obligé de la soutenir avec sa main dans l'altitude du médiateur,

Rien d'anormal du côté des yeux, toutes les fonctions sensorielles sont

respectées. Il existe toutefois une atrophie de la langue, une paralysie

symétrique du voile du palais et une paralysie d'abduction des cordes

vocales dans l'inspiration.

La sensibilité estparfaitementnormalepartout,y compris la sensibilité

endo-laryngée. Le tonus musculaire, les sphincters, les réflexes tendi-

neux et cutanés sont normaux, il n'existe aucun signe d'altération du

faisceau pyramidal.

L'examen électrique des muscles innervés par le spinal et par la moelle

cervicale donne des réactions cadrant avec le tableau de la D. R.partielle.

L'auteur posa : le diagnostic d'amyotrophie myélopathique à début scapulo-

huméral, avec participation des muscles delà nuque et symptômes bul-

baires.

L'histoire clinique est suivie par des considérations intéressantes sur

la fonction et l'innervation des muscles de la région cervicale postérieure.

Il fait remarquer dans son cas la conservation du faisceau de Schlodtmann.

On se rappelle que Schlodtmann (1) avait attiré l'attention sur ce fait

que dans la paralysie périphérique du nerf spinal le trapèze s'atrophie

dans son chef scapulaire et dans son chef claviculaire, tandis qu'il persiste

(1) Schlodtmann, Deutsche Zeitschrift f. Nervenheilk., vol. V, p. 463,894.

58 RERTOL01"rf

un faisceau horizontal qui s'attache d'un côté à l'acromion et de l'autre aux

apophyses épineuses des dernières vertèbres cervicales.De ce fait, Schlodt-

mann avait conclu que ce faisceau n'est pas innervé par la XIe paire, mais

plutôt par des branches du plexus cervical.

Le cas de Ferrio vient donc il l'appui des observations de Schlodtmann.

Dans notre cas nous n'avons pu mettre en évidence aucun faisceau

superstite analogue à celui de Schlodtmann et Ferrio et cela peut bien

s'expliquer par l'atteinte du plexus cervical chez notre malade.

Dans le cas de Ferrio l'hypoglosse était touché de façon que, selon les

idées de Dejerine, il faudrait pencher plutôt pour le diagnostic de sclérose

latérale amyotrupltique. A part ce fait sur lequel nous n'avons pas à entrer

en discussion, on voit l'analogie frappante qui existe entre le cas de

Ferrio et le syndrome présenté par notre malade.

Dans le cas de Ferrio le ptosis de la tète était au complet, tandis que

chez la jeune femme examinée par nous, l'insuffisance des muscles de la

nuque était un peu moins prononcée, mais chez tous les deux nous re-

trouvons le même syndrome constitué par la paralysie du voile, la para-

lysie laryngée et la paralysie des muscles extenseurs de la tête.

En présence du syndrome de Ferrio ou ptosis de la tête, avec les signes

d'une lésion bilatérale et symétrique de la XIe paire, il est bien évident

qu'en raison de la topographie des noyaux moteurs de la moelle cervicale

et des noyaux médullaires du nerf spinal, le diagnostic du siège de la

lésion reste facilité et, comme dit Ferrio, en présence d'une paralysie

atrophique bilatérale du stel'J1o-clèido-mastoïdien et du trapèze, jointe

à la paralysie atrophique des muscles innervés par les premiers

quatre ou cinq nerfs cervicaux, il faut admettre une lésion nucléaire

dans la moitié supérieure de la moelle cervicale.

Après avoir démontré la nature et le siège de la forme myélopathique

présentée par notre malade, il nous reste à traiter la question h'ès débattue

aujourd'hui de l'innervation de la branche interne et de la branche externe

du spinal. Le cas que nous avons relaté présente un syndrome d'une netteté

absolument exceptionnelle dominé par le fait d'une lésion bilatérale et

symétrique de la XIe paire, lésion qui est indéniablement nucléaire.

Etant donné que tous les autres nerfs crâniens sont indemnes, il est

certain que les symptômes bulbaires présentés par la malade tombent sous

la dépendance de cette lésion et doivent être attribués à l'atteinte du

nerf spinal.

Voyons dans un aperçu très rapide quel est l'étal actuel de cette

question. *

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE 59

Sur l'innervation du nerf spinal ont été émises les théories plus con-

tradictoires qui s'attachent d'un côté à l'innervation du larynx et du voile

du palais et de l'autre à celle de deux muscles très importants qui sont le

trapèze et le sterno-cléido-mastoïdien,

L'on sait que la XIe 'paire, tout de suite après sa sortie par le trou

latéro-postérieur, se divise en deux branches, l'une interne qui se jette

dans le plexus ganglionnaire du vague, et l'autre externe qui innerve avec

les rameaux du plexus cervical le trapèze et le sterno-cléido-mastoïdien.

Pour ce qui a trait à la branche externe, après les derniers travaux de

Schlodtmann, de Remak et de Ferrio (1), il est bien démontré que le

faisceau cléido-occipital du trapèze est innervé presque exclusivement

par le spinal et il y aurait seulement un petit faisceau de [la portion acro-

miale où l'innervation serait mixte et se ferait par le spinal et les branches

du plexus cervical (Schlodtmann et Ferrio). A ce propos notre cas ne peut

apporter aucune élucidation, étant donné la coparticipation à la fois

du spinal et du plexus cervical.

Pour Schlodtmann l'innervation du sierno-cléido-mastoïdien se ferait

uniquement par la branche externe de la XIe paire; il existe aussi une

observation probante de MM. Brissaud et Bauer où à la suite d'une in-

tervention chirurgicale qui avait intéressé l'hypoglosse, la branche ex-

terne du spinal et quelques rameaux inférieurs du nerf facial, on avait

observé une atrophie complète du stel'l1o-cléido-mastoïdien et une atro-

phie partielle du chef claviculaire du trapèze (2).

Chez les animaux les expériences de laboratoire auraient tendance à

démontrer que l'innervation du l\ stel'l1o-cléido-mastoïdien serait mixte.

La question de l'innervation de la branche interne du spinal est encore

plus incertaine.

Bischoff, en 1832, Longet(1841) et Morgant (1843) avaient proclamé

que la branche interne du spinal était un nerf vocal. CI. Bernard en

poussant plus loin ses études, avait cru pouvoir démontrer que les nerfs

vocaux restricteurs du larynx ou nerfs de la phonation sont dépendants

des racines du spinal, tandis que les nerfs dilatateurs du larynx ou nerfs

respiratoires sont en relation avec les racines du vague.

Mais la doctrine de CI. Bernard fut combattue par Schiff et par Hei-

denhaim et ensuite par Volkmann (1840), Bidder et Stilling (1862) qui

nièrent complètement l'influence de la X18 paire sur les mouvements des

muscles du larynx.

(1) L. Ferrio, Su di un caso di emiatro/ia della lingua con pamlisi dell'accessorio

dello stespo loto, in niforrna Medica, n° 119, 1895.

(2) Brissaud et Bauer, Paralysie de l'hypoglosse, du spinal et de quelques rami/ica-

tions du facial après ablation d'une adénite rétro-maxillaire. Communication à la

Société de Neurol., séance du 12 janvier 1905.

60 BERTOLOTTI

Enfin Grabower (1889) en expérimentant sur des chats et des chiens

aurait démontré que le spinal accessoire n'a rien à voir avec l'innervation

motrice du larynx qui au contraire serait sous la dépendance des faisceaux

plus bas de la XI paire préposés aussi à l'innervation sensilive du larynx.

Presque contemporainement Grossmann et Exner auraient obtenu des

résultats analogues : en conclusion selon les dernières doctrines des physio-

logistes (1), l'influence du spinal sur le larynx et sur le coeur serait abso-

lument nulle.

La question de l'innervation du spinal sur le pharynx et sur le voile

du palais a été résolue d'une façon moins négative par les physiologistes.

En effet Benz et Longet, par l'excitation des racines de la XI" paire au-

raient vu se contracter la plupart des muscles du pharynx ; Chauveau li-

mite l'action motrice du spinal au constricteur supérieur et Beevor et

Horsley (1888) en expérimentant sur des singes auraient démontré que

les muscles : azigos, élévateur du palais et la plupart des muscles pharyn-

giens sont sous la dépendance de la XIepaire.

En résumé les recherches de laboratoire seraient positives pour l'inner-

vation du spinal sur le voile et la partie supérieure du pharynx, tandis

qu'elles seraient négatives pour le larynx.

Il nous reste à voir à présent si l'on peut conclure de la même façon

pour l'innervation de la branche interne du spinal chez l'homme.

A ce propos il faut citer la contribution clinique très importante don-

née par Walter Schlodtmann (2) qui, en 1894, a décrit un cas où la frac-

ture de la base du crâne avait produit une lésion des VIe, VIII" et XI"

paires avec paralysie du voile du palais et du larynx tandis que la sensihi-

lité endo-taryngée demeurait parfaitement intacte.

Un an après, Ferrio dans un autre travail (3), relate le cas d'une jeune

femme de 24 ans qui,pendant un grossesse, fut frappée par des troubles de

la déglutition et de la phonation, le médecin consulté tout de suite posa le

diagnostic de laryngite aiguë.

Après quelque temps Ferrio examina la malade et constata une amo-

trophie de la langue à gauche, une paralysie du voile du même côté et une

position cadavérique de la corde vocale gauche. En plus le trapèze et le

sterno-cléido-mastoïdien, toujours du même côté, étaient très atrophiés.

L'examen de la sensibilité générale, des fonctions sensorielles et des

réflexes donna un résultat négatif. L'examen électrique de la moitié gau-

che de la langue el des muscles innervés par la branche externe du spinal

démontra la D. R. complète.

(1) Loc. cil.

(2) WALTER SCHLODTnIANN Ueber in Falle von peripherischer accessorius paralyse.

Deut. Zeitschr. f. Nervenheilkunde, 5" Pand., 61 Heft., 1894, p. 473.

(3) Loe. cet.

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE 61

Il existait un souffle systolique sur la pointe du coeur et les troubles

étaient survenus soudainement pendant une grossesse. Ferrio posa le dia-

gnostic d'embolie des petits vaisseaux aux pourtours des noyaux de la XIe

et de la XIIe paire.

Etant donné la comparticipation de l'hypoglosse, ce cas ne peut éluci-

der la question de l'innervation du voile du palais, mais il est très pro-

bant au contraire par le fait de la paralysie de la corde vocale gauche qui

assurément était sous la dépendance de la XIe paire.

Parmi les cas d'Etienne que nous avons cités plus haut(1), nous retrou-

vons l'histoire clinique d'un malade atteint de poliomyélite antérieure

chronique, qui avait débuté par les petits muscles de la main et du bras

et avait envahi ensuite les muscles de l'épaule et de la nuque avec réali-

sation du syndrome de Ferrio ou ptosis complet de la tête. Or il faut noter

que, chez le malade en question, il existait des troubles du larynx et du

voile du palais.

Citons encore le cas de MM. Brissaud et Bauer où, à la suite de l'abla

tion d'une adénite rétro-maxillaire avec lésion post-opératoire de l'hvpo-

glosse,du spinal et de quelques ramifications inférieures du facial (branche

digastrique et stylo-hyoïdienne), la maladeavait présenté une hémiatrophie

de la langue, une hémiparésie de voile et des troubles parétiques de la corde

vocale du même côté. Les deux auteurs, en s'appuyant sur ces faits et sur l'

l'existence concomitante de l'atrophie du trapèze et du sterno-cléido-mas-

toidien, conclurent qu'il faut mettre l'hémiparésie laryngée à la charge

d'une lésion du spinal.

Revenons enfin au cas de Ferrio publié en 1904 et que nous avons déjà

résumé. Ici nous avons vu qu'il existait tous les signes d'une lésion

bilatérale des noyaux de la XIe paire et la malade présentait des troubles

paralytiques symétriques du voile du palais et du larynx.

Notre cas vient donc à l'appui des précédents et en plus il se présente

avec une netteté clinique remarquable et répond à une localisation systé-

matisée d'une façon tellement précise qu'il serait difficile de lui ôter sa

valeur.

Si l'on songe en effet que tous les autres nerfs crâniens chez notre ma-

lade ont été retrouvés indemnes, il est bien certain que les troubles

laryngiens et du voile du palais doivent être mis sous la dépendance de la

lésion du nerf spinal.

Chez la jeune femme que nous avons examinée, il existait des trou*

bles dans la musculature du voile et de la portion supérieure du pharynx,

troubles parfaitement analogues à ceux produits chez les animaux de la-

boratoire, par la lésion des racines intra-cràniennes de la XIe paire.

(1) Loc. cit.

62 BERTOLOTTI

En plus nous avons constaté et fait constater par des laryngologistes,

qu'il existait une paralysie du larynx localisée aux muscles arytliénoïdes et

crico-arythénoïdes latéraux, tandis que les muscles du larynx préposés à la

fonction respiratoire étaient indemnes.

J'ai été tout de suite frappé par les analogies qui existent entre le

syndrome laryngien présenté par cette malade et les résultats de labora-

toire obtenus par CI : Bernard,qui à la suite de ses expériences avait affirmé

que les nerfs vocaux restricteurs du larynx sont innervés par les racines

du spinal, tandis que les nerfs dilatateurs du larynx, ou nerfs respiratoires

sont dépendants du vague.

En conclusion,sans pousser trop loin la localisation motrice des muscles

laryngiens, je crois qu'il est permis dans mon cas d'attribuer, contraire-

ment aux données plus récentes des physiologistes, un rôle certain au spi-

nal dans la fonction motrice du larynx.

Dans l'histoire de la malade, nous avons soigneusement relevé l'état de

la sensibilité endo-laryngée : elle était parfaite, nous avons en plus noté

la présence de la toux galvanique. Il est donc certain que le vague n'était

pas en cause. Nous rappellerons la régularité du pouls, l'absence de tout

trouble cardiaque ou des troubles vaso-moteurs.

Nous avons observé, il est vrai, que cette femme avait un type de res-

piration abdominale au lieu du type costal commun chez la femme.Or ce fait

était dû à l'insuffisance des muscles élévateurs des clavicules et des pre-

mières côtes ; de même que l'enfoncement du creux épigastrique dans les

actes inspiratoires était secondaire à l'atteinte du nerf phrénique.

A part cette irrégularité fonctionnelle, la respiration a toujours été nor-

male sans dyspnée, sauf la dyspnée d'effort par insuffisance respiratoire,

sans altération du rythmeni intervention du phénomène de Cheynes-Stokes.

En d'autres termes nous avons observé l'intégrité absolue de la Xe paire

soit pour l'absence des troubles sensitifs dans l'innervation du larynx,

soit par le défaut d'altération dans les fonctions respiratoires, cardiaques

et digestives.

Dans la démarche normale la position de la tête est telle qu'une ligne

droite verticale passant par son centre de gravité, tombe en avant du point

d'appui de l'articulation atlanto-occipital. Sans l'action des muscles de la

gouttière cervicale postérieure, la tête tomberait en avant, de telle façon

que ces muscles ont vraiment une fonction importante dans le soutien de

la colonne cervicale.

POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE 63

Toutefois, comme il. a été bien démontré par les expériences des frères

Weher, il y a une position dans laquelle la tête peut se maintenir dans

la station verticale par un état d'équilibre statique sans le concours de l'ac-

tivité musculaire.

Dans cette position la tête est rejetée un peu en arrière et le regard es t

dirigé en avant et légèrement en haut. Or nous avons vu que le maintien

de la tête chez notre malade était parfaitement le même que dans la posi-

tion cadavérique des frères Weber. II suffisait en effet qu'elle penchât un

peu son corps en avant pour réaliser le ptosis de la tête.

On conçoit facilement alors les altérations intervenues dans la courbe

normale de la colonne vertébrale.

Chez notre malade nous avons noté une lordose cervicale exagérée, une

cypho-scoliose dorsale prononcée et une remarquable lordose lombaire de

compensation.Cette dernière était tellement accentuée qu'au premier abord

notre malade avec son ensellure lombaire et son amyotrophie à typesca-

pulo-huméral pouvait faire songer à une myopathie.

Les anomalies intervenues dans la courbure physiologique de la co-

lonne cervicale ne tiennent pas seulement à l'atrophie musculaire qui en

réalité était cantonnée à la région cervico-dorsale, mais elles ont été déter-

minées notamment par le maintien delà tête dans une position d'équilibre

instable, de façon que l'articulation atlanto-occipitaleportée en avant avait

exagéré la flexion des autres vertèbres cervicales en augmentant la cour-

bure du dos et produisant ensuite l'ensellure lombaire.

Dans notre observation nous avons relevé un phénomène particulier

dans l'abaissement de la mâchoire inférieure.

Nous avons noté en effet que si l'on'ordonnait à la malade d'ouvrir com-

plètement sa bouche, ce mouvement s'exécutait en deux temps.

Dans un premier moment les arcades dentaires s'éloignaient d'un cen-

timètre environ et puis après un instant d'arrêt la mâchoire inférieure

recommençait à se baisser d'une façon normale.

Je crois que l'on peut expliquer cette anomalie de la façon suivante :

A l'état normal les muscles extenseurs de la tête sont les antagonistes

des muscles abaisseurs de la mâchoire inférieure. Quand ces derniers se

contractent, les muscles de la gouttière cervicale postérieure se raidissent

pour empêcher que la tête soit fléchie en avant.

Chez notre malade, étant donné l'insuffisance des muscles extenseurs de

la tête, l'antagonisme normal était troublé et la descente de la mâchoire

64 BERTOLOTTI. POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE CHRONIQUE

inférieure ne pouvait se faire qu'après la suppléance des muscles intrin-

sèques de la colonne cervicale (inter-transverses et inter-épineux) qui se

faisait un peu en retard et après un effort volontaire de la malade ; voilà

pourquoi, tout en étant parfaitement indemne la branche digastrique du

nerf facial, notre femme présentait une anomalie étrange dans l'abaisse-

ment de la mâchoire inférieure. -

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES

(SPASMES FONCTIONNELS.- NÉVROSES COORDINATRICES D'OCCUPATION)

par

MAGE de LÉPINAY

INTRODUCTION

« Les maladies les plus faciles à observer ne sont pas toujours les

mieux connues. Il en est qui s'imposent, pour ainsi dire, par l'extério-

risation de leurs symptômes, à l'attention des médecins, et dont l'étude

a néanmoins été négligée pendant fort longtemps. Les tics, les bégaie-

ments, les obsessions psychiques et beaucoup d'autres syndromes né-

vropathiques sont dans ce cas. » Cette phrase du professeur Pitres, qui

sert de préface au livre de René Cruchet sur les torticolis spasmodiques

(39)*, nous paraît devoir s'appliquer avec autant de justesse aux crampes

professionnelles. Nombreuses en effet sont chaque année, tant en France

qu'à l'étranger, les observations publiées qui relatent soit des crampes

professionnelles nouvelles, soit des associations curieuses de spasmes

fonctionnels avec d'autres névroses. Et cependant, si l'on veut se docu-

menter sur ces questions, on est tout surpris de constater qu'en dehors

de certains ouvrages déjà anciens, comme celui de Duchenne de Boulo-

gne (47) (1861), ou l'article de Zuber (163) dans le Dictionnaire ency-

clopédique des sciences médicales (1881), et du chapitre, d'ailleurs très

bien fait, mais forcément succinct, écrit par Meige (98) pour le Traité

de médecine de Bouchard-Brissaud et la Pratique médico-chirurgicale

il n'existe, en France, aucun travail d'ensemble sur cette question. Plus

récemment, Renia k (114), dans la Real Encyclopédie (1907), a consacré

un intéressant chapitre aux névroses d'occupation ; mais sa classification

nouvelle nous a paru obscure et ne nous a point semblé englober tous

* Les numéros d'ordre placés à la droite des noms d'auteurs ou des indications

d'ouvrages renvoient au numéro correspondant de la table bibliographique, qui a

été faite aussi complète que possible.

xxii 5

66 MACÉ DE LÉPINAY

les cas de crampes professionnelles. Ayant eu l'occasion d'observer dans

différents hôpitaux, et notamment à la Salpêtrière, un certain nombre

de spasmes fonctionnels fort différents les uns des autres, tant par leurs

manifestations que par leur nature, il nous a paru intéressant de re-

prendre l'étude de cette question, et, en essayant de mettre un peu

d'ordre dans la classification de ces affections souvent fort différentes les

unes des autres, de mieux les faire connaître Enfin si, chaque année,

on peut lire dans les différentes revues de nombreux articles relatant des

succès thérapeutiques obtenus dans le traitement de ces all'ections par

de nouveaux procédés, trop souvent le médecin, découragé par l'éparpil-

lement de ces méthodes et l'inconstance de leurs résultats, abandonne

son malade à lui-même en lui disant que son affection est incurable ; il

nous a donc paru utile de grouper en un long chapitre les différents

procédés thérapeutiques que l'on a tour à tour employés, et de montrer

que s'il n'existe pas actuellement de méthodes essentielles et infaillibles

pour venir à bout de ces crampes, il est néanmoins un certain nombre

d'entre elles qui ont fait leurs preuves, qu'à telle nature de spasmes

doit convenir telle nature de soins, et qu'en tout cas, loin de se décou-

rager, malade et médecin doivent unir leurs efforts pour triompher de

l'affection et obtenir, dans bien des cas, la guérison f 1).

HISTORIQUE

Définition. Division DU sujet.

On a donné le nom de crampes professionnelles, spasmes fonctionnels,

névroses ou dyskinésies fonctionnelles à des troubles moteurs qui ne se

produisent qu'à l'occasion d'un même acte fonctionnel coutumier.

La crampe des écrivains est la plus commune et la mieux connue de

ces affections. C'est elle qui, la première, semble avoir attiré l'attention

des médecins ; un auteur allemand, Brüclc (25), la décrit en 1831 ; Gierl

(63) en 1832, Albers (1) en 1835, Ileyfelder (73) en 1838 l'étudient de

façon plus précise. Le mot de crampe apparaît pour la première fois

dans un travail de Cazenave (33) en 1835.

Quelques années plus tard, de nouvelles formes de crampes profes-

(1) Qu'il me soit permis de remercier ici tous ceux qui m'ont aidé dans la rédac-

tion de ce travail : M. le professeur agrégé Sicard qui m'en a inspiré le sujet; M. le

professeur agrégé Claude ; M. le D' Meige ; M. le D' Kouindjy; M. le D' de Ranse,

qui ne m'ont ménagé ni leurs observations, ni leurs conseils.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 67

sionllelles sont décrites tour à tour : c'est la crampe des trayeurs de

vaches décrite par Basedow (167) en 1851 ; la crampe des cordonniers

signalée en 1856 par démens (173) ; puis celle des couturières, en 1856

également, par Locher-Balber (185). Onimus (193) consacre en 1875 un

travail à la crampe des télégraphistes; Napias (191) en 1879 étudie la

crampe des photographes. Puis d'année en année les observations se

multiplient de crampes affectant les professions les plus variées, et, à

mesure que la vie industrielle se complique et que le surmenage pro-

fessionnel augmente, de nouvelles névroses d'occupation surgissent,

comme la crampe des dactylographes, et, tout dernièrement, la crampe

des automobilistes.

Le travail d'ensemble le plus important sur ces questions est celui de

Duchenne de Boulogne (47). C'est cet auteur qui le premier propose le

terme de spasmes fonctionnels pour désigner ces troubles : « J'appelle

spasmes et impotences fonctionnelles, dit-il, des affections caractéri-

sées, soit par des contractures continues, douloureuses ou indolentes,

soit par des contractions cloniques ou des tremblements, soit par une

paralysie*, qui se manifestent seulement pendant l'exercice de cer-

tains mouvements volontaires ou instinctifs, et se localisent dans quel-

ques-uns des muscles entrant alors synergiquemeut en action. »

Duchenne de Boulogne montre en outre que ces spasmes fonctionnels

peuvent siéger dans toutes les régions du corps et se manifester à l'oc-

casion des actes les plus variés. La plus grande fréquence de ces

désordres aux membres supérieurs s'explique par la multiplicité des

actes fonctionnels exécutés par la main et les doigts, mais on peut

observer des troubles analogues aux membres inférieurs et aux muscles

du cou, de l'épaule et du tronc.

Convient-il de garder, ou non, ce mot de crampes professionnelles,

tel que l'a donné Cazenave en 1835, voulant traduire la dénomination

allemande Schreiberlcrampf ? Remarquons que krampf a plutôt la si-

gnification de convulsion ; le mot crampe au contraire désigne, d'après

le Dictionnaire Dechambre, « une contraction douloureuse, involontaire

et passagère de certains faisceaux musculaires striés ». Ce mot de crampe

professionnelle est donc doublement inexact, d'abord parce qu'il est une

traduction erronée du mot allemand krampf; ensuite parce que les

crampes fonctionnelles comprennent toute une série de phénomènes

complexes qui, d'ordinaire, ne rappellent de la crampe ni la rigidité

musculaire, ni la douleur spéciale, ni la rapide transition ; l'élément

douleur en particulier est très inconstant.

C'est en faisant ces objections que Duchenne proposait de remplacer

le mot de crampe par le terme de spasme. Or le spasme (de anâu, je con-

68 MACÉ DE LÉPINAY

tracte) est une contraction involontaire des muscles, notamment de ceux

qui n'obéissent pas à la volonté » (Dictionnaire Dechambre) ; et comme

exemples de spasmes, Zuber cite le phénomène de la chair de poule,

l'oesophagisme, le spasme de la glotte. Ce mot de spasme, bien qu'adopté

par Zuber dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, est

également critiquable : il donne à entendre qu'il s'agit de phénomènes

convulsifs provoqués par une lésion irritative d'un conducteur nerveux,

ce qui n'ebt pas démontré, et ce qui en tout cas n'est pas la règle

générale. De plus, comme le remarquait Gallard (60), « il a dans

tous les.cas, non pas faiblesse ou exagération de la contractilité muscu-

laire, non pas impuissance d'agir, mais seulement impossibilité d'obtenir

une action régulière et bien coordonnée, ce qui constitue à proprement

parler une véritable impotence, bien plus qu'une gêne causée par une

lésion anatomique quelconque ». Aussi Gallard propose-t-il de donner

à ces affections le nom d'impotences fonctionnelles.

Mais ce mot d'impotence évoque, en général, l'idée de paralysie ou

d'atrophie musculaire; or, celles-ci sont l'exception. Ce terme n'est

donc pas encore parfaitement heureux. '

Le mot de dyslcinésies professionnelles a élé proposé parJaccoud (80).

Il nous semble répondre mieux à l'ensemble des troubles observés, sans

préjuger de leur nature. De même le mot de névroses coordinatrices

d'occupation (koordinatorische l3eschaftigungsneurosen), proposé par

Benedikt (8) et adopté par Oppenheim (106) et par Remak (H4),

nous parait être celui qui s'appliquerait avec le plus de justesse à ces

affections si différentes les unes des autres. Toutefois, ce dernier auteur

étend beaucoup le sens de Beschaftigungsneurosen, et dans ce cadre il

fait rentrer : 1° les névralgies d'occupation, douleurs occasionnées par

le travail ; tel par exemple les cas publiés par Féré (177) sous le nom

d'épicondytatgie ; ou les Tennisschmerzen deBâhr (165) ; et 2° les para-

lysies d'occupation, survenant par suite de l'attitude professionnelle

avec pression des muscles ou des nerfs. Mais ces douleurs ou paralysies

une fois établies ne sont pas électives; elles ne répondent pas la défini-

tion des névroses fonctionnelles qui ne se manifestent qu'à propos de

l'exercice d'une fonction spéciale. C'est donc avec le sens restreint que

lui donne Benedikt, que nous adopterons le terme de névroses coordi-

natrices d'occupation. '

Quant au terme d'ataxie fonctionnelle que Kouindjy (228) propose

de donner à ces diverses impotences, il ne nous semble pas devoir être

généralisé à toutes les formes de névroses professionnelles. Sans doute

il sera peut-être justement applicable à certaines formes de crampes

professionnelles comme celles décrites par Belmondo (7), où lesymptô-

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 69

me dominant serait l'ataxie ; sans doute aussi au début de l'apparition

des premiers symptômes on peut dire que la crampe des écrivains notam-

ment se présente avec tous les caractères d'un manque d'équilibre entre

les groupes musculaires antagonistes. Mais le véritable mouvement

ataxique (de a, privatif, el -cdt, ordre) présente les particularités sui-

vantes : il est volontaire, en ce sens que sans l'impulsion de la volonté

il ne se produirait pas et que, les muscles rentrant dans le repos, il

s'arrête de lui-même ; il esl normal quant à l'incitation qui le provoque;

il l'est encore par {'énergie avec laquelle il s'exécute; le défaut d'or-

dre et d'harmonie dans les détails en fait seulement un phénomène

morbide. Or « on ne saurait donner le nom d'ataxie, dit le Dictionnaire

Dechambre, à la crampe des écrivains,pas plus qu'à l'agitation choréi-

que ou aux divers tremblements : car le désordre du mouvement, qu'on

observe dans ces affections, résulte principalement de secousses convul-

sives qui entravent le mouvement intentionnel en le déviant de sa direc-

tion primitive ; el ces secousses n'attendent pas toujours pour se produire

l'occasion d'un mouvement suscité par la volonté, ou se prolongent bien

au delà, en dépit des efforts que fait le malade pour les arrêter ».

Enfin, le mot d'ataxie se lie, involontairement même, tant est grande

la force de l'habitude, au mot de tabès; or, ce serait une fâcheuse

erreur d'assimiler, ne fût-ce qu'un instant, les troubles moteurs des

dyskinésies professionnelles à ceux du tabès, maladie aussi bien définie

au point de vue anatomique qu'au point de vue clinique.

Nous préférons donc, en résumé, le lerme de dyskinésies profession-

nelles ou de névroses coordinatrices d'occupation, et ce n'est que pour

nous conformer à l'usage, et parce que vulgairement on dit « crampe

des écrivains », « crampe dès télégraphistes », etc., que nous garderons

l'expression de crampes professionnelles.

Les troubles moteurs communs à ces différentes impotences fonction-

nelles sont soit des convulsions toniques, soit des secousses c Ioniques ;

parfois des tremblements et parfois encore des troubles parétiques.

Mais, ainsi que le fait remarquer Meige (98), malgré la variété de leurs

manifestations objectives, ces accidents ont entre eux des caractères

communs qui justifient leur distinction nosographique ; c'est :

- 1° Leur localisation dans un groupe de muscles habitués e.xéczc-

fer synergiquement un acte fonctionnel oit professionnel cout1l1nie)' ;

2° Le fait qu'ils ne se produisent qu'à l'occasion de cet acte.

Il est encore un point par lequel ces différentes névroses se rappro-

chent : c'est leur étiologie, le terrain spécial sur lequel elles évoluent.

Aussi nous paraît-il avantageux d'étudier en un seul chapitre l'étiologie

commune, intimement liée au problème palhogénique, de ces diverses

70 MACÉ DE L1 : P1NAY

impotences fonctionnelles. Notre travail sera donc divisé en trois parties : : ,

Dans la première nous étudierons l'étiologie et la pathogénie si dis-

cutée de ces crampes professionnelles ;

Dans la seconde, purement descriptive, nous énumérerons les mul-

tiples dyskinésies fonctionnelles que l'on a observées, en insistant sur

les plus intéressantes ; - .

Dans la troisième enfin nous passerons en revue les différents traite-

ments que l'on a proposés, en décrivant surtout ceux qui ont fait leurs

preuves.

I. ÉTIOLOGIE. - PATHOGÉNIE

On peut dire, d'une façon générale, que ne fait pas qui veut une

crampe professionnelle. Pour que ces accidents, à caractères électifs, se

produisent, il faut deux conditions :

1° une PREDISPOSITION congénitale DU sujet ;

2° La répétition fréquente D'UN même acte fonctionnel.

L'une et l'autre de ces conditions, comme le dit Meige, sont nées-

saires, mais aucune d'elles isolément n'est suffisante.

^prédisposition congénitale du sujet se retrouve dans toutes les

observations si l'on recherche avec soin les antécédents du malade. Tous

sont des névropathes, tous présentent soit de la timidité, des phobies,

des idées fixes, soit des crises de colère, de larmes ; tous ont une émoti-

vité extrême ; tous se frappent de leur affection, et, sous l'influence de

cette idée fixe, augmentent bien vite leur névrose. Souvent dans les an-

técédents héréditaires du patient on retrouve des cas de maladies sem-

blables : un malade de Berger, atteint de crampe des écrivains, avait un

oncle atteint de la même affection ; un malade de Cassirer, pianiste,

souffrant d'une crampe des pianistes, avait un fils atteint de la crampe

des écrivains ; Gallard cite une malade sujette à la crampe des écrivains

dont la soeur et la mère avaient la même maladie.

La répétition fréquente d'un même acte fonctionnel se rencontre

au plus haut degré chez ceux qui, par profession, écrivent toute la jour-

née : aussi la crampe des écrivains est-elle la plus fréquente de toutes

ces névroses d'occupation. Le surmenage professionnel, l'attention sou-

tenue, concentrée du sujet, nuisent à la bonne exécution d'un travail

habituel. De là les premiers désordres moteurs qui frappent l'esprit de

l'individu, exagèrent par là même son trouble et le mettent dans l'in-

capacité bientôt absolue de coordonner ses efforts. Celle même cause se

retrouve à l'origine de toutes les autres crampes professionnelles, et il

n'est pas de métier qui ne puisse, si ces deux conditions primordiales

sont réunies, donner lieu à un spasme fonctionnel particulier.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 71

Meige fait remarquer à juste litre que la distinction, que certains

auteurs ont voulu faire, entre les crampes fonctionnelles et les crampes

professionnelles est tout à fait arbitraire. « Tel acte qualifié de fonc-

tionnel peut aussi être qualifié de professionnel. L'écriture, par exem-

ple, est un acte fonctionnel commun à la majorité; c'est aussi un acte

professionnel pour quelques-uns : de môme le jeu du violon, du piano,

la danse, l'escrime. Tous ces actes nécessitent une éducation préalable

et n'arrivent à s'exécuter correctement qu'après une longue série de ré-

pétilions motrices. »

Si l'étiologie des crampes professionnelles est en somme connue, et

peut se trouver résumée dans les deux propositions sus-énoncées, il n'en

est point de même pour la pathogénie, actuellement encore fort obscure,

et qui de tout temps a été des plus discutée. Deux théories sont en pré-

sence pour expliquer la nature de ces spasmes : les uns pensent qu'ils

peuvent être d'origine périphérique ; les autres invoquent l'origine

centrale.

Parmi les premiers, défenseurs de l'origine périphérique, se trouve

V. Poore (109), qui apporte un certain nombre d'arguments intéres-

sants. « La crampe des écrivains, dit-il, la prenant comme type des

autres crampes professionnelles, étant de sa nature progressive et gra-

duelle, et non subite, ne peul tenir à une lésion d'un centre coordonna-

teur qui, par accident, serait susceptible de cesser subitement son fonc-

tionnement à l'instar du centre de Broca. » Et plus loin, il ajoute :

« Qu'il y ait ou non un centre de la coordination de l'écriture, il est

clair que l'incoordination peut prendre naissance dès qu'il y a lésion

périphérique, causant une incertitude dans la réaction du muscle, vis-à-

vis du stimulus mental. Ces lésions sont la parésie musculaire et un ex-

cès d'irritabilité. Lorsque la paralysie est complète, le membre atteint

cesse bientôt d'entrer dans les calculs du cerveau. »

Un autre argument est encore fourni par Poore et appuyé par Ro-

senthai (1 lui) : c'est la production artificielle de la crampe des écrivains

toujours prise comme exemple au moyen de l'excitation faradique

(courant fort). « Si l'on applique en même temps les conducteurs sur

les deux premiers interosseux et sur l'éminence thénar, pendant que la

main écrit, il se produit, surtout dans le tracé des déliés, une crampe

tonique dans les extenseurs du pouce et de l'index : les caractères de-

viennent contournés, la plume roule surelle-même,eteu(iu abandonne le,

papier. Si le courant agita la face dorsale de l'avant-bras, au niveau

des points moteurs de l'extenseur propre de l'index et du lung exten-

72 MACÉ DE LÉPINAY

seur du pouce, la plume est soulevée, et si Je courant dure un certain

temps, les doigts sont pris de tremblement et d'une crampe persis-

tante. »

Mais Vaschide (147) nie ce fait que la crampe puisse être provoquée

par l'excitation faradique : ayant essayé à plusieurs reprises sur lui-

même, il ne put jamais obtenir autre chose qu'une convulsion muscu-

laire plus ou moins banale ou brusque.

Féré (59) par contre montre que, chez les névropathes, l'excitation

mécanique du cubital au niveau du coude est capable de déterminer un

spasme des muscles innervés par ce nerf, spasme offrant l'aspect d'une

des formes de la crampe des écrivains.

D'autres auteurs sont venus, à la suite de Poore, défendre l'origine

périphérique des crampes professionnelles.

Les uns, comme Valleroux (145), Froriep (218), citent l'influence

d'un traumatisme sur l'apparition d'un spasme ; d'autres apportent les

preuves de lésions anatomiques dans le membre atteint : périostite

(Runge) (123) ; névrite (Remak) (194), (Meyer) (236) ; myosite (Haupt)

(71), Norstrôm (103), Ilugon. ' *

Parmi les premiers adversaires de l'origine périphérique des crampes

professionnelles se trouve Duchenne de Boulogne, défenseur de l'origine

centrale. « Comment admettre, dit-il, qu'un muscle serait plus surex-

citable, se contracterait ou s'agiterait convulsivement, ou qu'il aurait

perdu son aptitude à réagir sous l'influence de l'excitation nerveuse quand

U aurait à remplir certaines fonctions, tandis qu'il se contracterait

normalement pour toutes les autres fonctions ? Il ne nous répugne

nullement, au contraire, de supposer que la perturbation règne dans

l'acte nerveux central. Cette hypothèse me paraît justifiée par la cli-

nique. »

« Existerait-il ailleurs, écrit-il encore, un point des centres nerveux

qui, surexcité ou épuisé par l'exercice souvent répété de certaines

fonctions musculaires, tantôt ferait une démarche nerveuse trop consi-

dérable et produirait la contracture de certains muscles; tantôt leur

enverrait l'excitant nerveux irrégulièrement et occasionnerait des trem-

blements ou des mouvements cloniques ; tantôt enfin cesserait de leur

distribuer la force nerveuse, et tout cela seulement pendant l'accomplis-

sement de ces mêmes fonctions musculaires ? J'avoue que je ne suis pas

actuellement en mesure de résoudre cet important problème, mais je

penche beaucoup pour cette hypothèse. »

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 73

De nombreux auteurs, à la suite de Duchenne, sont venus appuyer

cette théorie pathogénique, et ont apporté, à l'appui de leur hypothèse,

des exemples fort probants. Dans ces dernières années surtout les études

très complètes de Meige et Feindel (97) sur les tics, de Cruchet (39)

sur les torticolis spasmodiques, et surtout de Brissaud (22) sur le tor-

ticolis mental, en montrant l'origine évidemment psychique de la plupart

de ces désordres, ont amené à penser, par analogie, que les spasmes

fonctionnels devaient bien, eux aussi, être d'origine centrale.

De ces deux opinions contradictoires, mais défendues l'une et l'autre

avec valeur, et appuyées par des exemples probants, laquelle choisir, et

quelle idée impartiale peut-on se faire de la pathogénie de ces désor-

dres ?

A notre avis les deux théories sont vraies suivant le cas, et l'on peut

observer soit des crampes d'origine périphérique, soit des crampes

d'origine centrale. Nous avons eu en effet l'occasion d'observer dans

le service de notre regretté maître le Dr Merklen un cas de crampe des

écrivains où l'origine artérielle du spasme était évidente et démontrée

par le traitement ; nous avons publié ailleurs cette observation (95). En

recherchant dans la littérature étrangère, nous avons retrouvé un certain

nombre d'observations semblables. D'autre pari les constatations anato-

miques que l'on a pu faire dans un certain nombre de cas prouvent à

n'en pas douter que les crampes professionnelles peuvent être, sinon

causées de toutes pièces, au moins provoquées par une lésion anato-

mique.

Mais ces lésions anatomiques, pour importantes qu'elles soient, ren-

dent mal compte du caractère électif si particulier de ces crampes qui

n'apparaissent qu'à l'occasion d'un même acte fonctionnel coutumier,

et laissent au membre toute son habileté pour les autres actes de la vie

courante.

Ce caractère électif des crampes esl, à la vérité, nié par certains

auteurs. Kouindjy (228), Poore (109) rapportent un certain nombre

de faits dans lesquels les malades avaient une légère impotence fonction-

nelle pour cerlains actes, en dehors de leur incapacité professionnelle.

Un malade de Poore avait de la difficulté à mouvoir le régulateur de sa

montre avec la pointe d'un canif. Un autre « avait d'abord nié tout

dérangement en dehors de l'écriture, puis avait fini par admettre qu'en

tenant une cuiller à thé il trouvait que son index glissait sur le manche,

et que, dans ses affaires (il était banquier), il avait une grande diffi-

74 MACÉ DE LÉPINAY

culte à épingler les billets de banque ». Un autre encore avait de la

difficulté à tenir une pièce de monnaie entre le pouce et l'index.

Nous avons recherché systématiquement chez tous nos malades

atteints de crampes professionnelles s'il n'existait pas, en dehors de la

profession, une maladresse plus ou moins grande du membre atteint

pour les autres actes de la vie courante. Dans certains cas, des malades

sujets à la crampe des écrivains ont accusé pendant quelque temps une

certaine maladresse à tenir leur verre, leur fourchette. Il s'agissait tou-

jours, soit de sujets ayant une lésion locale, soit de malades s'observant

de très près, craignant de devenir maladroits dans toutes leurs occupa-

tions, et par cela même se donnant mentalement une incapacité passa-

gère. Mais même dans ces cas la crampe professionnelle gardait un

caractère électif prédominant, comme nous en donnerons un certain

nombre d'exemples (voir obs. I, VII).

Il faut donc autre chose qu'une lésion locale pour faire une névrose

d'occupalion : cette autre chose, c'est un élément psychique,

Pour qu'un individu fasse une crampe professionnelle, il faut, nous

l'avons vu, qu'ilprésente un terrain spécial. Dès lors une lésion anato-

mique, même minime, va être l'épine irritative qui, avec l'aide du

surmenage, localisera la névrose. L'élément psychique pourra n'être

que peu de chose, en comparaison de l'élément anatomique, mais sa par-

ticipation, si on la cherche bien, sera constante. Dans d'autres cas au

contraire, la lésion périphérique sera nulle, ou du moins invisible, et

l'élément psychique prendra la place prépondérante; c'est alors qu'on

devra invoquer l'origine centrale. '

Ce mot d'origine centrale doit-il sous-entendre une lésion cérébrale,

soit diffuse, soit localisée ? Oui pour certains auteurs qui, comme Sa-

vill (198), pensent qu'il existe dans ces cas un trouble de fonctionne-

ment de la substance grise cérébrale : à un premier slade d'irritation

simple de cette substance correspondraient les spasmes ; à un deuxième, z

de deslruction partielle, appartiendraient les tremblements; un troisiè-

me, de destruction complète, produirait les paralysies. Ce ne sont là

qu'hypothèses, dont la preuve anatomique n'a jamais été donnée. D'au-

tres, regardant avec Dubois (de Berne) les névroses comme des maladies

de l'esprit, des psychonévroses, ne font intervenir ni des centres coor-

donnateurs, ni des lésions anatomiques précises dans la production des

crampes professionnelles. Il est impossible, dans l'état actuel de nos

connaissances, de prouver qu'il y a, ou non, lésion anatomique de telles

ou telles cellules cérébrales, à l'origine des spasmes dont la cause péri-

phérique n'est pas visible. Peut-être s'agit-il simplement d'un trouble

dynamique, physiologique, passager, de ces cellules soumises de par la

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 75

profession à un surmenage intensif. Peut-être faudrait-il admettre une

altération des fonctions du cervelet qui, d'après certaines expériences,

physiologiques, semblerait avoir pour rôle de coordonner les mouve-

ments : les cellules du cervelet préposées à telle ou telle fonction, épui-

sées parle surmenage professionnel, seraient insuffisantes à remplircor-

rectement leur rôle de coordination ? ... Quoi qu'il en soit, étant donné

la part plus ou moins grande, mais nécessaire, de l'élément psychique

dans la production des crampes professionnelles, il semble bien qu'on

puisse classer toutes ces affections - que leur origine soit périphéri-

que ou centrale dans la classe des névroses, en adoptant la défini-

tion toute récente de Pierre Janet (Revue scientifique, 30 janvier 1909) :

« Les névroses sont des maladies portant sur les différentes fonctions de

l'organisme, caractérisées par une altération des parties supérieures de

ces fonctions, arrêtées dans leur évolution, dans leur adaptation au mo-

ment présent, et par l'absence de détérioration des parties anciennes et

simples de ces mêmes fondions » ; et comme, dans le cas des spasmes

fonctionnels, ces névroses se traduisent par un trouble du mécanisme de

coordination, le terme de névroses coordinatrices d'occupation proposé

par Benedtkt nous semble, comme nous l'avons dit, être celui qui con-

vient le mieux à leur désignation.

Pour nous résumer, une cause organique périphérique peut être à

l'origine des ciampes professionnelles : artérielle, musculaire, névriti-

que ; mais elle ne sera que l'épine irritative fixant la névrose, et, pour

que celle-ci se produise avec son caractère électif, il faudra une partici-

pation mentale, peut-être minime, mais nécessaire Dans d'autres cas au

contraire, en l'absence de toute lésion périphérique, il faudra invoquer

une origine centrale, cérébrale ; et ce sera d'ailleurs dans la majorité

des cas ; mais, sous ce terme d'origine centrale, nous ne pouvons, dans

l'étal actuel de nos connaissances, affirmer la nalure anatomique ou

purement psychique de l'affection. '

La distinction de deux groupes de crampes professionnelles : l'une

d'origine périphérique, l'autre d'origine centrale, est assurément un

peu théorique, car entre les deux existent des termes de passage dont

nous donnerons quelques exemples. Elle est néanmoins satisfaisante

pour l'esprit auquel elle permet de classer et de coordonner certains

faits en apparence disparates. Elle est également nécessaire au point de

vue de la thérapeutique, car, comme nous le verrons, à côté d'un trai-

ment commun qui est la psychothérapie, il y aura, dans tous les cas de

crampes d'origine périphérique, un traitement local approprié dont l'u-

tilité ne peut faire aucun doute.

Nous allons appuyer d'un certain nombre d'exemples celte théorie

pathogénique complexe et tenter de justifier celle classification.

76 MACÉ TIE LÉPINAY

A. Crampes professionnelles DE cause périphérique.

- 1 ° Origine vasculaire.

Il existe un certain nombre de cas de crampes professionnelles dont

la cause provocatrice paraît bien être ainsi que le démontre le trai-

tement approprié- une altération vasculaire localisée au membre atteint

du trouble fonctionnel.

Voici tout d'abord une observation, la première publiée en France,

de claudication intermittente du membre supérieur droit, se tradui-

sant par une crampe des écrivains.

Observation I (personnelle).

M. B..., instituteur public, est actuellement âgé de 50 ans.

Rien d'intéressant à noter dans ses antécédents héréditaires, lui-même a

eu, outre la varicelle, la rougeole, la scarlatine et un érysipèle dans son

enfance, deux crises de rhumatisme articulaire aigu : la première très forte,

en 1881; la seconde accompagnée de complications cardiaques en 1892. En

1899, il eut pour la première fois, au mois de juillet, une crise d'angine de

poitrine, crise qui se renouvela en septembre, puis à diverses reprises pen-

dant plusieurs mois. Ces crises étaient caractérisées par une douleur subite

et angoissante, avec sensation d'élan, siégeant dans la région rétro-sternale,

et irradiant dans la région cubitale des deux bras, surtout du bras gauche.

Les années suivantes, la douleur rétro-sternale, perdant ses allures de

brusquerie passagère, prit un caractère de ténacité remarquable : dès que le

malade voulait marcher vite cette douleur angoissante rétro-sternale appa-

raissait et forçait le malade s'arrêter; la marche un peu longue était de

même impossible, non cause de phénomènes douloureux dans les jambes,

mais en raison de l'oppression et de la douleur cardiaque. C'est quelques

années plns tard, vers mars-avril 1902, que survint l'impossibilité d'écrire

vile ou longtemps. Le malade étant instituteur écrivait beaucoup, soit au

tableau, soit pour la correction des devoirs. Pour écrire au tableau il était

obligé d'élever le bras ; or, au bout de quelques secondes, il lui semblait que

sa main devenait lourde, que les doigts s'engourdissaient ; une douleur vive

avec fourmillements apparaissait dans la main, puis le bras droit, et le ma-

lade devenait incapable de maintenir cette position ; persistait-il, la douleur

augmentait d'intensité et s'accompagnait d'angoisse et d'irradiations rétro-

sternales. L'écriture la plume était arrêtée par des phénomènes semblables :

pendant quelques lignes les lettres étaient tracées avec régularité, puis des

fourmillements apparaissaient au bout des doigts, gagnant la main et le bras ;

une douleur très vive remontait de la main à l'avant-bras et au bras ; la

étude SUR LES crampes professionnelles 77

main pâlissait et se refroidissait légèrement et, devant l'intensité de la dou-

leur et la raideur des muscles qui ne pouvaient plus mouvoir le porte,

plume, le malade devait s'arrêter d'écrire. Après quelques instants de repos

M. B... pouvait se remettre à écrire, mais les mêmes phénomènes reparais-

saient avec même ténacité au bout d'une ligne ou deux, surtout s'il fallait

écrire vite, et le malade devait s'arrêter encore.

Peu à peu les troubles fonctionnels augmentèrent d'intensité. M. B... très

inquiet de cette affection qui le gênait dans sa profession, souffrant de plus

en plus de sa douleur rétro-sternale, se mita dormir mal, à digérer difficile-

ment, à devenir irritable à l'excès. Il remarqua que sa « crampe » de la

main droite était d'autant plus rapide à apparaître qu'il pensait davantage à

elle ; l'émotion, l'écriture en public, augmentaient encore le trouble. C'est

dans ces conditions qu'il vint consulter le Dr Merklen, en juin 1902.

On fit aussitôt prendre la plume à ,,1. B ? et l'on constata cette-crampe

des écrivains avec les caractères si particuliers qu'il venait de nous décrire.

L'examen cardio-vasculaire montra plusieurs signes fort intéressants. Le

coeur avait une matité absolue verticale de 11,5 sur 9 transversalement ; le

premier bruit mitral, éclatant, était immédiatement suivi d'un souffle systo-

tique très intense et se prolongeant jusqu'à la diastole. Le second bruit était

normal. On constatait en outre une faiblesse extrême des pouls radiaux et

fémoraux ; la tension artérielle à la radiale droite était de 11 au spbygmorna-

nomètre de Potain. Un tracé spbygmographique montrait, à gauche comme

à droite, une ondée sanguine extrêmement faible (fig. 1).

Ces signes paradoxaux donnaient l'impression dune lésion empêchant, ou

du moins entravant l'arrivée du sang dans le système artériel. La matité car-

diaque et les caractères du pouls étaient bien ceux d'un rétrécissement aorti-

que. Le foyer d'intensité maxima du souille paraissait mitral, mais cependant

un peu interne par rapport à la pointe ; il ne s'irradiait pas du tout vers l'ais-

selle ; eu tout cas ce souffle était nettement distinct du premier bruit auri-

culo-ventriculaire qui avait gardé son timbre normal : il s'agissait peut-être

d'uu rétrécissement mitro-sigmoïdien ou sous-aortique. Quant aux troubles

fonctionnels angineux, ils pouvaient être imputés à l'ischémie du myocarde,

du fait de l'insuffisance artérielle générale. Par ailleurs, M. B..., robuste, bien

constitué, ne présentait aucune autre affection, et tous ses autres organes

paraissaient normaux. Le sujet prenait depuis quelque temps de la trinitrine ;

on continua ce traitement et l'on y adjoignit des injections de sérum de Tru-

necek et un régime alimentaire.

¡;, FIG. 1. - Claudication intermittente du bras droit. Tracé du pouls radial droit.

78 MACÉ DE LTP1NAY

Huit jours plus tard, M ? B. se déchirait déjà soulagé, sa crampe de la main

droite n'apparaissait qu'au bout de 3 gaz 4 pages d'écriture. Mais il avait encore

ses douleurs rétro-sternales et gardait l'impossibilité de marcher vite.

Les mois suivants, tous ces troubles fonctionnels diminuèrent progressi-

vement : la crampe en écrivant disparut la première au bout de six semaines

environ de traitement et ne reparut plus ; les crises angineuses s'espacèrent

et diminuèrent d'intensité ; la marche fut-plus facile, la tension artérielle se

releva à 15 1/2 gauche, 16 à'droite.

En mai 1904, le malade, après plusieurs mois de rémission complète, fut

repris de douleurs précardiales en marchant. On constata à ce moment une

" d, 12 T

matité cardiaque de 12 T,

mallte par laqne e 10 V '

La tension artérielle était de 10 à gauche. On continua le même traite-

ment : trinitrine et sérum de Trunecek.

Le malade fut ensuite perdu de vue pendant cinq années, puis retrouvé

en février 1909. Pendant ces cinq années M. B... a eu plusieurs atteintes de

grippe qui ont amené chaque fois des crises angineuses. Cependant dans l'en-

semble son état est resté fort satisfaisant. Il peut écrire longtemps sans fati-

gue, mais l'écriture au tableau noir lui est encore impossible s'il est obligé

d'élever le bras. Au bout de quelques minutes d'écriture dans cette position,

il ressent des fourmillements dans la main élevée, fourmillements qui sont

bientôt suivis de douleur, cette dernière assez pénible pour l'obliger à aban-

donner la position. Il est à noter que le malade pourrait garder assez facile-

ment le bras élevé s'il n'écrivait pas dans cette attitude. C'est ainsi qu'il lui

est possible de tracer des figures de géométrie, sur le tableau, ou même des

cartes géographiques, au moins pendant quelques minutes consécutives. La

marche lente ne s'accompagne pas de douleurs du côté du coeur, mais celles-ci

apparaissent, avec palpitations et angoisse, dès que le malade bâte le pas.

A part cette infirmité, le malade, qui a une bonne hygiène, peut remplir

ses fonctions assez fatigantes de professeur et il conserve un excellent état

général.

)2 T

L'examen actuel du coeur montre une matité absolue de 10 V la matité

aortique déborde très légèrement le bord droit du sternum. Les signes d'aus-

cultation sont absolument les mêmes qu'en 1902, souffle fort systolique à la

région endo-apexienne, second bruit normal. Les deux pouls radiaux sont

toujours d'une petitesse extrême, la tension artérielle est de 12,5 à gauche,

13 à droite au sphygmomanomètre de Potain. Le malade prend depuis plu-

sieurs mois, trois semaines par mois, deux cuillerées à café par jour d'eup-

nine Vernade ; s'il en suspend l'emploi, il trouve que les douleurs rétro-

sternales augmentent d'intensité.

Voici donc un exemple, qui nous semble probant, de crampe des

écrivains sous la dépendance d'une altération du système artériel.

Voici une autre observation, résumée, de crampe des écrivains et

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 79

crampe des pianistes, dont l'origine vasculaire ne nous semble non plus-

faire aucun doute. Elle a élé publiée récemment par Kronenberg (de

San Francisco) dans le Wiener klin. 1,Vocheîz. (8 octobre 1908).

Observation Il, résumée (Kronenberg).

Il s'agissait d'un homme de 30 ans, employé de bureau, qui n'ayant eu

jusqu'à 25 ans aucune maladie, fut pris à cette époque de douleurs et

sensation de froid dans le pied droit pendant la marche. En janvier 1906, il

ressentit des douleurs très vives dans le gros orteil gauche, qui bientôt chan-

gea de couleur, se momifia, si bien que l'on dut amputer cet orteil. Depuis

ce temps, dès que le malade voulait marcher vite ou longtemps, il ressentait

des douleurs très vives dans les jambes et les pieds : ces- douleurs deve-

naient si vives qu'il était obligé de s'arrêter ; après quelques minutes de

repos il pouvait repartir, mais bientôt les mêmes douleurs reparaissaient. A

la fin de 1906, le malade eut des douleurs dans la main droite : douleurs

dans le petit doigt et sur le côté cubital de l'avant-bras ; peu à peu elles aug-

mentèrent d'intensité ; enfin survint une crampe de la main droite dès que

le malade écrivait vite ; les douleurs devenaient alors si fortes que le sujet

était obligé de s'arrêter ; après quelques minutes de repos, l'écriture pou-

vait être reprise. Les mêmes phénomènes se produisaient lorsque le malade

jouait du piano ; en dehors de ces circonstances, la crampe de la main droite

n'apparaissait pas. A l'examen clinique, on constatait que, tandis que la pul-

sation radiale gauche était normale, à droite le pouls était à peine percepti-

ble. La pression artérielle, qui était sur la radiale gauche, et l'humérale

droite ou gauche, de 114 au Sahli n'était que de 30-M millimètres à la ra-

diale droite.

Remarquons tout d'abord que, tandis que la claudication intermittente

des membres inférieurs, étudiée depuis longtemps par les vétérinaires

chez le cheval, décrite ensuite chez l'homme en 1858 par Charcot, est

souvent signalée par- les auteurs, la claudication intermittente des

membres supérieurs n'a au contraire fait jusqu'à présent le sujet que

d'un très petit nombre de travaux ; il est possible que, mieux connue,

elle soit trouvée plus tard plus fréquemment que par le passé. Nous

n'avons relevé en tout qu'une quinzaine de cas publiés jusqu'à ce jour :

ce sont ceux deNothnagel ()04), Uppenheim (106), deux cas de Goldflam

(65), un ie Massaut (96), Wewedenski, Kabn et Bassler (82); Erb

(.52) ; Gokistein (67) ; Schlesiuger (12) ; Cappuccio (29) ; Wandel (150).

Dans tous ces cas on trouve un certain nombre de caractères com-

muns : ce sont les fourmillements, les troubles de calorificalion dans les

mains ; puis les douleurs en crampes, avec paroxysme, survenant au mo-

ment de l'exécution rapide de certains mouvements. Ces désordres cor-

80 , MACÉ DE LÉPINAY

respondent à des lésions anatomiques constantes : on trouve en effet

dans les cas de claudication intermittente une diminution du calibre des

artères correspondantes au territoire atteint, due la plupart du temps à

l'athérome, sous forme d'endartérite oblitérante (voir Arche. des mal.

du coeU1', mars 1909).

Mais nous ferons remarquer que dans aucune de ces observations,

sauf celle de Kronenberg et nôtre, ne sont survenues des crampes

électives, caractère si particulier des névroses d'occupation. Notre ma-

lade n'avait de crampe que lorsqu'il écrivait des lettres, non des figures,

au tableau noir ; ou lorsqu'il écrivaitsur le papier ; mais le spasme s'ac-

cusait d'autant plus vite qu'il était ému, qu'il pensait à sa crampe, qu'il

écrivait en public. De même, le malade de Kronenberg n'avait sa crampe

que lorsqu'il écrivait, ou jouait du piano ; il pouvait remuer longtemps

sa main en dehors de ces deux occupations, par exemple jouer de longs

moments au tennis, sans avoir de douleurs. C'est que dans ces deux cas

intervenait le psychisme particulier d'individus prédisposés au nervo-

sisme ; et la lésion artérielle qui chez les autres malades ne provoquait

qu'un spasme banal, se spécialisait chez ceux-ci, gràceà l'élément men-

tal qui « professionnalisait » la crampe. -

Brissaud (22), à propos d'un malade atteint de claudication intermit-

tente du membre inférieur, avait déjà fait ressortir l'importance de l'élé-

ment psychique dans la production du spasme artériel ; il avait montré

que la neurasthénie se retrouvait presque toujours à l'origine de l'an-

giospasme. Il citait, à l'appui de cette opinion, une observation de Mari-

nesco (Sem. médic, 15 février 1896), où il s'agissait d'une folie à dou-

ble forme dans laquelle la période d'excitation était remplacée par une

période de simple angiospasme artériel ; ce qui prouvait bien l'origine

centrale de certains spasmes vasculaires.

Mais comment expliquer, chez notre malade, ou celui de Kronenberg,

l'influence du psychisme sur la spécialisation des troubles moteurs ? On

sait que l'expérimentation physiologique, comme le disent Brissaud,

Hallion et Meige(21), montre qu'une excitation de l'écorce cérébrale,

au niveau de la zone psycho-motrice, peut non seulement déchaîner des

manifestations motrices, mais encore produire des réactions vaso-motri-

ces très nettes, à tel point qu'on a pu parler de centres vaso-moteurs cor-

ticaux. M. François Franck admet, non des centres vaso-moteurs corti-

caux proprement dits, c'esl-à-dire des centres spécialisés comme tels,

mais plutôt des centres qui sont en rapport avec les véritables centres

vaso-moteurs à siège bulbo-spinal. Quoi qu'il en soit, dit Brissaud, le

cortex exerce de façon certaine une influence sur l'innervation vaso-mo-

trice. Il cite comme exemple le cas de certains hémiplégiques dont la

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 81 t

lésion est strictement localisée à l'écorce cérébrale, et chez lesquels on

voit survenir des troubles vaso-moteurs dans les membres paralysés,

troubles qui existent toujours à un certain degré (froideur, cyanose), et

dont la « main succulente » est une des manifeslationsles plus nettes.

Il est donc permis de penser que, chez noire malade, le fait d'écrire

provoquait une association morbide corticale entre les centres moteurs

et les centres vaso-moteurs, d'où spasme artériel périphérique venant

aggraver les troubles circulatoires d'un membre déjà atteint, et que l'é-

motion, le fait d'écrire en public faisaient ressortir les désordres moteurs

parce qu'ils augmentaient le spasme vaso-moteur.

Ainsi, à côté de troubles circulatoires, d'origine purement artérielle,

se traduisant par de la claudication intermittente non spécialisée, prend

place une névrose vaso-motrice et motrice, provoquée sans doute par la

lésion vasculaire, mais spécialisée par le spasme vaso-moteur d'origine

psychique.

Un pas de plus vers l'importance du rôle psychique dans la produc-

tion des troubles à la fois moteurs et vaso-moteurs, sans qu'on puisse

trouver de lésions vasculaires périphériques, et nous arrivons à des cas

où le spasme artériel peut être au même titre que le spasme musculaire

rapporté à une origine centrale. Brissaud, Hallion et Meige en ont pu-

blié un intéressant exemple ; voici cette observation résumée :

Observation III (Brissaud, Hallion et Meige).

Il s'agissait d'un jeune garçon de 16 ans, employé chez un architecte, pour

lequel il avait de longs mémoires à transcrire. De caractère bizarre, fantasj

que, se flattant d'être un original, il avait toujours eu une écriture détesta-

ble, lorsque peu à peu il remarqua qu'il écrivait « avec contraction », ployant

et crispant le pouce et l'index. Lorsqu'on lui demandait de tracer quelques

lettres, commençait correctement, mais au bout de quelques lignes sa main

ne pouvait plus se mouvoir ; la plume s'enfonçait dans le papier, les doigts

se crispaient, et le sujet devait attendre quelques secondes pour recommen-

cer ; plus on prolongeait l'examen, plus la crampe s'exagérait. Cependant les

caractères graphiques avaient un aspect'3 tout particulier : certaines lettres

étaient informes ou réduites il de simples points ; d'autres au contraire,

démesurément agrandies, étaient ornées de paraphes interminables, ou même

complètement transformées et méconnaissables. Le sujet, cherchant cons-

tamment par sa mimique et ses paroles à surprendre et émerveiller autrui,

visait en réalité au même effet par son écriture extraordinaire ; au lieu de

laisser sa main tracer automatiquement les caractères appris, il cherchait à

modifier constamment ses lettres de façon nouvelle; ne réussissant pas tou-

jours, mais ne voulant pas tracer les caractères usuels, et ne trouvant pas

sur-le-champ une innovation snffisamment imprévue a son gré, il concluait

xxii 6

82 MACÉ DE LÉPINAY

qu'il lui était impossible d'écrire. Ainsi il n'écrivait pas sans penser qu'il

écrivait, sans penser qu'il ne pouvait, pas écrire. Le phénomène d'arrêt dans

l'écriture avait donc, dans ce cas, une origine corticale évidente.

Localement, le malade présentait un signe intéressant : c'était de l'acro-

cyanose. Les deux mains avaient une coloration violacée ; elles étaient froi-

des, engourdies ; et l'exploration du pouls capillaire confirmait l'existence

d'un spasme vasculaire anormal. Il s'agissait donc d'interpréter la coïnci-

dence de l'acrocyauose et de la crampe des écrivains. Par un examen un

peu attentif on pouvait affirmer que les troubles moteurs n'étaient pas la

cause du trouble vasculaire, et qu'inversement les troubles vasculaires

n'étaient pas la cause immédiate des désordres moteurs. On remarquait au

contraire que la perturbation de l'écriture était subordonnée dans son inten-

sité, dans sa rapidité d'apparition, dans son existence même, à la nature du

travail exécuté ; que, s'il s'agissait d'un travail d'écriture agréable ou inté-

ressant, ta crampe était considérablement atténuée et retardée ; qu'elle

apparaissait au contraire avec rapidité et intensité s'il s'agissait de transcrire

un mémoire ennuyeux ; on ne pouvait donc nier l'importance du facteur

psychique, et l'on pouvait conclure que la crampe et l'anriospasme parais-

saient être sous la dépendance d'un trouble cortical, au même titre que le

déséquilibre psychique.

Nous pensons avoir démontré par ces quelques exemples qu'une

lésion vasculaire périphérique peut amener des phénomènes de claudi-

cation intermittente; qu'il s'y ajoute un élément psychique et la crampe

devient élective, prend les caractères professionnels d'une névrose

d'occupation. A côté de ces cas, encore peu décrits, l'observation de

Brissaud, Hallion et Meige, nous montre que les troubles vasculaires

peuvent être, comme les troubles moteurs, d'origine centrale. C'est un

lien de passage entre les crampes professionnelles d'origine périphé-

rique et les spasmes fonctionnels, névroses pures.

2° Origine musculaire.

Haupt (71), dès 1860, avait spécifié que, dans certains cas de crampes

professionnelles, on trouvait des allérationsmusculaires localisées. Nors-

trôm,Hugon rencontrent à leur tour des foyers de myosite chronique dans

les muscles atteints, A. Pick, dans plusieurs cas de crampe des écrivains,

constata un amincissement, ou un épaississement des tendons des mns-

cles extenseurs des doigts. Il est évident que l'action mécanique locale,

le traumatisme du muscle par les tiraillements qu'y provoque tout exer-

cice un peu violent, peuvent amener un certain degré de myosite et de

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 83

ténosite. On conçoit que ces altérations musculaires soient peu connues,

en raison du peu de vérifications anatomiques que l'on a pu faire jusqu'à

ce jour.

Dans tous les cas, de même que les altérations vasculaires -, les

lésions musculaires ou tendineuses, si elles existent, ne peuvent être

qu'une épine irritative localisant et fixant sur des membres surmenés

professionnellement, le désordre psychique. II est néanmoins intéres-

sant de les rechercher toujours systématiquement, car une. théra-

peutique locale appropriée amènera plus rapidement la sédation des

troubles.

De ces lésions musculaires ou tendineuses on peut rapprocher les

lésions de synovite sèche telles qu'il nous a été donné d'en voir chez un

de nos malades, atteint de crampe des écrivains, et dont voici l'obser-

vation :

Observation IV (personnelle).

M. M..., comptable, est âgé de 36 ans. Il a toujours eu une bonne santé,

mais il a contracté la syphilis à l'âge de 24 ans ; il s'est d'ailleurs aussitôt

soigné, et, bien qu'il n'ait pas eu d'accidents graves depuis cette époque, il

prend encore actuellement de l'iodure de potassium.

Il y a trois ans, à la suite de surmenage professionnel, et, dit-il, d'excès

génésiques, il remarqua un jour que sa main se fatiguait vite en écrivant, et

qu'il tremblait légèrement. Au bout de quelques jours, le malade qui s'étu-

diait attentivement, observa que les troubles de l'écriture augmentaient d'in-

tensité ; la main devenait bientôt mal habile à tracer les lettres, se raidissait

sur le porte-plume,puis les doigts se crispaient, et le sujet devait interrompre

son travail. Se frappant beaucoup de cette infirmité et craignant de ne plus

pouvoir exercer ses fonctions de comptable.M. M... chercha d'abord,en chan-

geant de porte-plumes, à éviter les contractions des doigts mais les troubles

augmentèrent encore d'intensité. Se persuadant alors que ces accidents étaient

d'origine syphilitique, le malade suivit un traitement spécifique plus sévère,

et consulta médecins et pharmaciens ; on put enfin le convaincre qu'il n'y

avait pas là de manifestations syphilitiques. Mais le moral de M. M... restait

fortement touché ; plus il pensait à sa crampe, plus les troubles s'accusaient ;

s'il était obligé d'écrire en public, s'il était ému, les doigts se crispaient, avant

même de tracer les mots, en prenant le porte-plume. Il dut donc recourir,

pour écrire, à certains artifices ; et, en fléchissant très fortement la main en

dedans, tout en la renversant légèrement sur le côté dorsal, il arrive à écrire

correctement et longtemps, mais assez lentement, avec des caractères droits

et arrondis.

A l'examen du malade, on constate qu'il n'existe du côté des memhres su-

périeurs aucune altération vasculaire, musculaire ou nerveuse appréciable.

Mais, en mettant la main au niveau de la face antérieure du poignet sur la

84 MACÉ DE LÉPINAY

gaine des fléchisseurs des doigts, on sent, lorsque ceux-ci se contractent, des

craquements très nets de synovite sèche, crépitation neigeuse très marquée

des deux côtés, mais surtout à droite, et que le malade a observée d'ailleurs

spontanément. Or, si le sujet tient la plume comme tout le monde, les cra-

quements synoviaux s'accusent dès que les doigts remuent pour tracer les

lettres, et le malade localise la gène fonctionnelle au niveau des gaines des

fléchisseurs. Si, air contraire, M. M... écrit en portant la main en dedans, les

craquements synoviaux ne se produisent pas, et l'écriture dans cette position

peut être prolongée longtemps. L'adresse de M. M... est d'ailleurs absolue

pour tous les autres actes de la vie courante. Ajoutons que M. M... est timide,

émotif, de caractère très impressionnable.

Une thérapeutique locale appropriée : révulsions, frictions alcooliques,

bains chauds locaux, a amené une amélioration.

Cet exemple nous montre, une fois de plus, l'importance d'une lésion

locale périphérique pour la détermination d'une crampe, qui se spécia-

lise sur un terrain surmené et chez un sujet prédisposé.

3° Origine nerveuse : névralgies, névrites.

De nombreux auteurs ont rapporté des observations de crampes pro-

. fessionnelles avec troubles sensoriels : tantôt douleurs névralgiques,

tantôt anesthésies. Gallard (60), Gowers ont trouvé de l'anesthésie sur

le trajet du cubital et du médian chez des sujets atteints de crampe

des écrivains. Duchenne (47), Poore (109), J. Millier ont constaté de

l'abolition de la sensibilité musculaire dans des cas semblables. Charcot

(35) a noté de l'amyotrophie sur le territoire du sciatique chez des ou-

vriers employant la machine à coudre, et qui avaient dans la jambe

correspondante une crampe professionnelle.

Remak (194) a observé une crampe des écrivains avec paralysie et

atrophie du fléchisseur du pouce droit, et névrite du filet nerveux cor-

respondant.

Poore (109) rapporte l'observation d'un malade, ébéniste, qui, lors-

qu'il voulait scier du bois, avait une crampe dans le bras droit. Or on

constatait chez lui une amyotrophie très marquée de la portion sternale

et claviculaire du grand pectoral droit, d'origine névritique.

La névrite, dans ces différents cas, étai t marquée, soitpardes douleurs

le long du tronc nerveux, soit par des anesthésies dans le territoire

cutané correspondant, soit par des troubles trophiques et la réaction

électrique de dégénérescence dans les muscles animés par ces nerfs.

ÉrUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 85

Un certain nombre d'autres auteurs signalent encore des crampes

professionnelles d'origine névritique.

Remak (114) a par exemple observé une crampe de la traite chez

une jeune fille de 30 ans qui, trois fois par jour, devait traire neuf

vaches; au bout d'un certain temps étaient apparus des fourmillements

dans les doigts, puis des douleurs, enfin des crampes survenant au

moment où les doigts pressaient le pis. On trouvait des troubles de la

sensibilité sur le territoire du radial droit, et de la réaction de dégéné-

rescence sur les muscles innervés par le médian. Remak cite ce cas

comme un exemple typique de crampe réflexe d'origine névritique.

Stéphan (137) rapporte un cas analogue où existait une atrophie des

éminences thénar et hypothénar, ainsi que des interosseux, avec DR et

diminution de la sensibilité dans le pouce et l'index.

G. Kaster (86) publie de même plusieurs cas de crampes profession-

nelles avec douleurs et tremblement, chez des tailleurs et des cordon-

niers, cas où l'origine névritique, dit-il, était non douteuse.

Remak rapporte encore l'observation d'un plieur de journaux, qui

à la suite de son travail répété, avait eu d'abord des fourmillements

puis des douleurs dans les trois derniers doigts de la main droite, enfin

des crampes dans ces mêmes doigts, l'empêchant de faire son travail.

Mais, ajoute Remak, bientôt il eut aussi de la difficulté à enlever son

chapeau, à mettre son faux col, nouer sa cravate : il avait alors des

douleurs et des convulsions dans l'épaule et le bras. '

Le caractère électif, professionnel, de la crampe ne disparaît-il pas dans

cet exemple, et n'est-ce point une tendance fâcheuse qu'ont certains au-

teurs à confondre les névrites, et les crampes professionnelles. Remak

assurément les distingue, tout en les réunissant sous le nom générique

de Beschaftigungsneurosen. Mais certains auteurs, comme Savill (198),

ne font point cette distinction. Or, comme le remarque Oppenheim (106),

on ne devrait point confondre les névroses d'occupation et les névrites

professionnelles. Celles-ci se traduisant soit par des névralgies, soit par

des paralysies, apparaissent à la suite de l'attitude professionnelle, occa-

sionnant une pression des muscles ou des nerfs, et siègent sur le terri-

toire correspondant au muscle ou au nerf lésé. Les observations en sont

très nombreuses : telles sont par exemple les névrites des repasseuses

(Remak) qui, conduisant constamment le fer avec les deux mains, peu-

vent voir survenir une paralysie dans le territoire du médian, avec atro-

phie de l'éminence thénar, puis des interosseux (1er et 2e) et adducteur

du pouce. Ce sont les « Arbeitsparesen » des ouvrières cigarières qui,

aplatissant constamment les feuilles de tabac entre le pouce et l'index,

puis les roulant très rapidement, voient survenir des douleurs dans ces

86 MAC DE LÉPINAY

deux doigts, puis de l'atrophie des muscles de l'éminence thénar et des

interosseux [Côster (38)]. C'est encore la paralysie du muscle long fléchis-

seur du pouce gauche (3 cas) ou du long extenseur du pouce (19 cas).

décrite par Zander (209) chez des joueurs de tambour, avec troubles de

la sensibilité, par suite delà contraction répétée et exagérée de ces mus-

cles dans la mise en marche des baguettes. On pourrait multiplier les

exemples de névralgies ou de paralysies professionnelles, car presque

tous les métiers manuels : serruriers, tisserands, polisseurs d'or (Gess-

ler), tailleurs de diamants (Wertheim), raboteurs de parquet (Remak),

arracheurs de betteraves (Hoffmann, Seiffer, Schultz), etc., peuvent P

être l'occasion de surmenage musculaire ou de compressions nerveuses.

Mais ce qui différencie essentiellement ces affections d'origine névriti-

que des crampes professionnelles, c'est que, le trouble sensitif ou mo-

teur une fois établi, ne s'observe pas seulement à l'occasion de l'acte

professionnel déterminé, mais aussi dans tous les actes de la vie cou-

mute. Au contraire la névrose, la crampe, le spasme professionnels,

ont, comme nous l'avons établi dans notre définition, pour caractère

essentiel d'être électives, c'est-à-dire de ne se manifester qu'à l'occasion

d'un même acte fonctionnel coutumier. Il importe donc de ne point

confondre névrites et névroses fonctionnelles.

Il ne faudrait pas davantage confondre les névroses professionnelles

avec certaines crampes ou paralysies, sous la dépendance d'une névrite,

qui sont professionnelles, en ce sens qu'elles gênent la profession, tout

en laissant l'intégrité des mouvements pour une grande partie des actes

courants ; mais qui, si on les examine attentivement, s'accompagnent

d'incapacités fonctionnelles pour tous les actes qui exigent la mise en

marche des mêmes muscles que ceux qui agissent dans l'exécution de la

profession. Nous en trouverons un exemple frappant dans l'observation

suivante :

Observation V (personnelle).

M. G. Dr., musicien, âgé de 45 ans, a remarqué il y a cinq ans qu'il fai-

sait des fausses notes en jouant du hautbois parce que le petit doigt de la

main droite s'étendait difficilement. Quelques mois plus tard la même gêne

d'extension apparut dans le quatrième doigt, sans aucune douleur et sans

troubles de sensibilité. Le jeu du hautbois devint ainsi impossible, et le jeu

du piano difficile. Un an après le médius se prenait à son tour, puis l'index,

et la gêne professionnelle devint telle que M. Dr. dut abandonner le jeu de

ces deux instruments ; il devint chef d'orchestre, et n'éprouva jamais aucune

peine à serrer sa baguette et à remuer le bras droit en tous sens. Il consulta

un grand nombre de médecins qui portèrent différents diagnostics, et lui in-

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 87

diquèrent plusieurs traitements, restés d'ailleurs sans résultat. Enfin, le

professeur Brissaud constata sur la branche antérieure du radial une petite no-

dosité, vraisemblablement un névrome, et conseilla au malade de se le faire

extirper. Pour diverses raisons, le malade a jusqu'à maintenant ajourné cette

opération. Un constate, outre la présence de ce petit névrome, une atrophie

marquée des muscles extenseurs des doigts et d'une partie des muscles de

l'éminence thénar ; il n'existe aucun trouble de sensibilité. L'impotence

fonctionnelle est professionnelle en ce sens que le malade ne peut jouer du

hautbois ni du piano, par impossibilité de faire agir les extenseurs des doigts ;

et la main peut cependant exécuter un grand nombre de mouvements ; mais

en examinant avec attention, on constate que tous les actes de la vie courante

qui nécessitent la mise en marche des extenseurs sont mal exécutés, ou bien

le malade « truque » pour en venir à bout ; ainsi pour écrire il tient le 'porte-

plume et la main de façon spéciale; et de même pour manger, saluer, etc.

En résumé il s'agit dans ce cas d'une névrite, qui gène la profession,

mais qui, n'étant pas élective, ne rentre pas dans le cadre des dyskiné-

siesprofe5sionnelles telles que nous les entendons.

On peut dès lors se demander s'il existe bien des crampes profession

nelles, avec leur caractère électif, occasionnées par des lésions nerveuses.

Il est facile, à la vérité, d'en retrouver un certain nombre d'exemples

dans la littérature médicale; tous ces cas s'accompagnent de troubles

mentaux plus ou moins marqués, comme nous l'avons fait observer pour

les autres crampes d'origine périphérique.

C'est, entre autres, un chimiste, signalé par Remak (114), qui,

pendant trois mois, avait dû ouvrir et fermer, environ cinq cents fois

par jour, un robinet dur au moyen des deux premiers doigts de la main

droite ; une névralgie se déclara sur le trajet du médian, et cette névral-

gie amena une impotence fonctionnelle, spécialisée l'acte de l'écriture.

D'après Zabludowski (257), la crampe des pianistes aurait souvent

pour origine une névralgie des nerfs du bras, amenée et entretenue par

les traumatismes répétés des doigts sur le clavier. Or cette crampe,

lorsqu'elle est pure, est exclusivement limitée à l'action de jouer du

piano. Un exemple tort intéressant de crampe des écrivains, d'origine

nerveuse, consécutive à la compression du nerf cubital, a été apporté

par Féré (59) à la Société de biologie ; voici le résumé de cette obser-

vation.

Observation VI (Féré).

Il s'agissait d'un homme de 38 ans, travaillant dans une maison d'assu-

rances, où il écrivait deux à trois heures par jour. Il était d'un tempérament

irritable, sujet à des colères brusques. Un jour il s'endormit à son bureau,

88 MACÉ DE LÉPINAY

appuyé sur le coude droit, incliné de telle façon que le coude portait en

dedans et en arrière. Quand il se réveilla, il ressentit dans le bord interne

de l'avant-bras et de la main une sensation d'engourdissement, avec picote-

ments douloureux. Il remarqua bientôt en marchant, un peu préoccupé de

cet engourdissement persistant, qu'il se produisait' de temps en temps de

petites secousses dans la région interne déjà paume de la main. Pendant

toute la soirée il fut tenu en éveil par des spasmes qui s'étendaient à l'émi-

nence hypothénar, aux doigts et au ponce. Le lendemain matin, les spasmes

augmentèrent plutôt d'intensité. Il partit à son bureau dans un état d'inquié-

tude disproportionné avec le mal qu'il éprouvait ; il n'était pas au travail

depuis un quart d'heure que les mouvements spasmodiques d'adduction du

ponce et de flexion des doigts devenaient assez intenses pour qu'il fut bientôt

incapable de tenir la plume. Après une demi-heure de repos, il fit une nou-

velle tentative, mais il dut renoncer bientôt définitivement au travail. On ne

constatait aucun trouble de la sensibilité, ni du bras, ni de l'avant-bras ; la

pression du cubital au niveau de la gouttière épitrocliléenne ne provoquait

aucune sensation anormale, ni aucune recrudescence des troubles moteurs.

Et cependant, si l'on voulait faire écrire le malade, on constatait que, dès

que le bec de la plume touchait le papier, les deux derniers doigts se fléchis-

saient fortement dans tous leurs segments, l'index et le médius, étendus dans

leurs deux dernières phalanges, se fléchissaient dans les premières, et le pouce

se portait violemment en dedans,poussant la plume entre l'index et le médius,

dans une position telle que le bec était renversé le dessus en dessous. En

dehors de ces mouvements d'écriture, le malade pouvait se servir parfaite-

ment de sa main pour tenir un objet, faire sa toilette, etc.. Sous l'influence

du repos, de l'hydrothérapie, du bromure de potassium, de la psychothé-

rapie, les troubles disparurent progressivement au bout d'un mois, et le

malade put reprendre ses fonctions.

B. Crampes professionnelles D'ORIGINE centrale.

Dans la majorité des spasmes fonctionnels, malgré les recherches les

plus attentives, on ne trouve dans le membre atteint aucune trace de

lésion anatomique qui puisse expliquer la localisation de la névrose. On

en est donc conduit à admettre une origine centrale. En employant ce

mot, nous ne voulons point préjuger, nous l'avons déjà dit, qu'il s'agit

d'une lésion anatomique céréhraleou cérébelleuse, diffuse ou en foyer,

ou qu'il y a simple trouble dynamique des cellules nerveuses préposées

à telle ou telle fonction ; l'état actuel de nos connaissances sur le rôle

physiologique des centres nerveux est trop peu avancé pour que l'on

puisse être al'lirmatif sur ce point. Nous voulons simplement dire que,

dans la plupart des cas. les troubles moteurs apparaissent nettement t

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES S 89

comme la conséquence d'un trouble mental. On peut voir en effet, dans

presque tous les spasmes fonctionnels, certains muscles se contracter

avec excès, d'autres ne point se contracter au moment nécessaire ; c'est

alors, comme ditaleige, une véritable « anarchie fonctionnelle » ; et ces

désordres moteurs semblent être le résultat « d'aboulies ou amnésies

motrices, exclusivement limitées à un acte fonctionnel déterminé, et se

traduisant par l'incapacité de régler les contractions synergiques néces-

saires à la bonne exécution de cet acte ».

L'origine mentale de toute une catégorie de crampes professionnelles

est démontrée par un certain nombre de faits que nous pouvons réunir

en plusieurs groupes : c'est tout d'abord l'influence des émotions sur

l'apparition des crampes professionnelles; c'est l'association fréquente

des névroses d'occupation avec des troubles mentaux ; c'est ensuite le

passage facile d'une crampe professionnelle à une autre crampe profes-

sionnelle ou leur association ; ou la transformation d'un spasme droit

en un spasme gauche ; c'est l'association quelquefois observée d'une

crampe professionnelle avec un torticolis mental; c'est l'existence de

mouvements associés chez des sujets atteints d'un spasme fonctionnel

déterminé. Tous ces phénomènes viennent à l'appui de l'origine ou cor-

ticale ou mentale des affections qui nous occupent.

Nous allons donc passer en revue ces cinq groupes de preuves en les

illustrant d'un certain nombre d'exemples.

1° Influence des émotions sur l'apparition de certaines

crampes professionnelles.

Un certain nombre d'auteurs ont rapporté des cas de malades voyant

survenir une névrose d'occupation à la suite d'une peur. C'est par

exemple un malade de Berger (cité par Remak) qui eut une crampe des

écrivains après avoir été jeté à l'eau.

Un sujet, observé par Oppenheim (106), eut la même névrose après

une séance de spiritisme qui l'avait impressionné. Le même auteur cite

le cas d'une dame, qui après avoir soigné son mari atteint de crampe

des écrivains, et redoutant fort d'avoir semblable infirmité, fut prise à

son tour de cette névrose.

Un malade de Joil'i-oy (81), caissier, ayant vu à côté de lui un employé

atteint de crampe des écrivains, et craignant d'être atteint, eut à son

tour une crampe de plus en plus violente à mesure qu'il y pensait

davantage,

Raymond et Janet ont rapporté (113) un exemple bien typique de

crampe des écrivains survenant à la suite d'une émotion : il s'agissait

90 MACÉ DE MPINAY

d'un abbé, âgé de 4 ans, professeur, très surmené par ses cours, la

correction des devoirs, écrivant beaucoup, d'ailleurs très nerveux et

très émotif, qui un jour vit la toiture de la chapelle s'effondrer et écra-

ser devant lui un fidèle; il eut, comme cela se conçoit, une très vive

émotion. Dès ce moment, et tout en conservant sa force et son adresse

pour tous les actes usuels, il lui fut impossible d'écrire de la main droite :

dès qu'il prenait le porte-plume, les doigts se crispaient et la plume ne

pouvaient tracer les lettres. Ainsi le trouble se localisait sur une fonction

déjà affaiblie et fatiguée, comme s'il y avait eu là un lien de moindre

résistance. Or, fait important à noter, et qui montre bien encore l'ori-

gine mentale de ces troubles, deux ans plus tard survinrent des spasmes

de la joue droite pendant la parole attentive, produisant des grimaces,

alors qu'aucune contraction ne survenait lorsque le malade mangeait,

soufflait, au même sifflait un air.

D'autre part il est facile de s'apercevoir que, chez tous les malades

atteints de spasme fonctionnel, l'émotion augmente notablement les

troubles. Elle peut même suffire à ramener la névrose. Ainsi un malade

de Turner, joueur de cornet âgé de 29 ans. et jouant de cet instrument

depuis l'âge de 10 ans, ne pouvait plus, depuis deux ans, émettre de

sons, par impossibilité de remuer la langue : or ce trouble n'apparaissait

que lorsque le malade devait jouer à la chapelle ; s'il était seul à la mai-

son, il pouvait jouer sans aucun accident.

Un autre malade, observé par Raymond et Janet (113) écrivait fort

bien lorsqu'il était seul ; mais venait-on il le regarder, aussitôt la crampe

des écrivains apparaissait. Il se sentait gêné, puis il faisait des mouve-

ments brusques, incohérents, et n'était plus capable d'écrire un mol ;

si l'on s'écartait, l'émotion se calmait et le malade pouvait écrire indéfi-

ment. t.

2° Crampes professionnelles associées à des troubles mentaux.

Nous avons déjà fait remarquer que, en rechercha ni avec soin chez

les sujets atteints de crampes professionnelles, les stigmates psychiques,

on pouvait dans tous les cas retrouver des traces de névropathies : soit

crises nerveuses, soit émotivité extrême, soit encore tendance à la neu-

rasthénie, disposition aux idées fixes obsédantes, etc. Mais dans certains

cas les phénomènes mentaux pathologiques peuvent être très accusés, et

passer au premier plan.

Il en était ainsi chez une malade de Raymond et Janet (113), atteinte

de crampe des écrivains, aboulie professionnelle, scrupules, état neuras-

thénique. Cette femme, âgée de 35 ans, copiste, ne pouvait plus écrire

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 91

depuis six mois. Aussitôt qu'elle prenait la plume, ses doigts se resser-

raient, une douleur remontait tout le long du bras jusqu'à l'épaule, et

la plume tombait des doigts. Or, depuis longtemps déjà, la malade avait

un dégoût profond de son métier ; elle n'avait plus le courage de se

mettre à ses copies ; elle présentait en somme l'aboulie professionnelle

qui est si fréquente chez les psychasthéniques; depuis quelque temps

aussi son travail lui paraissait mal fait, ridicule, honteux ; quand elle se

mettait à l'ouvrage, il lui fallait un effort énorme; elle sentait l'atten-

tion lui échapper; elle rêvait à une foule de choses ; elle avait en même

temps des émotions, des suffocations, des sueurs profuses ; en un mot

elle avait une foule de dérivations intellectuelles et viscérales.

Chez un autre malade de Raymond et Janet, la crampe des écrivains

coïncidait avec une neurasthénie évidente, et alternait avec des crises

d'agitation motrice. C'était un employé de bureau, âgé de 44 ans, neu-

rasthénique, souffrant perpétuellement de la tête et de l'estomac, qui,

sous l'influence d'une émotion, pouvait avoir deux sortes de troubles :

tantôt, devenant agité, il ne pouvait plus tenir en place; il sortait de

chez lui et faisait des courses énormes, gardant d'ailleurs le souvenir

des endroits par lesquels il avait passé; tantôt, quand l'émotion était

moins forte, il ressentait une agitation dans le bras droit : la main deve-

nait incapable de tenir la plume à cause de ses mouvements incoordon-

nés et de ses spasmes. Chacune de ces crises alternait avec l'autre, et

durait deux à trois mois.

3° Passage d'une crampe à une autre crampe.

Il arrive assez fréquemment qu'un malade atteint d'un spasme fonc-

tionnel du côté droit soit pris quelque temps après d'un spasme du côté

gauche, ou inversement. Le cas le plus commun est celui d'individus

affectés d'une crampe des écrivains du côté droit, qui apprennent à

écrire de la main gauche ; mais la crampe des écrivains survient bientôt

également de ce côté. Assurément ces cas ne sont point la règle, -et Ber-

ger, Gowers citent des malades pouvant écrire depuis de longues années

de la main gauche sans avoir de spasme; nous-mêmes en connaissons

un exemple (voir obs. XV). Néanmoins le passage d'une crampe d'un

côté à l'autre est assez fréquent; n'est-ce point là une objection impor-

tante à l'origine périphérique de certaines crampes, et une preuve pres-

que absolue de l'origine centrale de ces névroses ? .

On peut également trouver chez certains sujets des crampes fonc-

tionnelles successives simultanées. Meige (Congrès de Dijon, 1908) a

rapporté l'histoire curieuse d'un de ses malades, atteint successivement

92 MACÉ DE L1 : P1NtlY

de crampe des écrivains de la main droite, crampe des dactylographes

de la main gauche, enfin de crampe des pianistes des deux mains. Voici

d'autre part l'observation d'un malade atteint d'une crampe des écrivains

à droite, puis à gauche, puis d'une crampe des dactylographes.

- r- Observation VII (personnelle).

M. V., percepteur,est actuellement âgé de 47 ans. Il nous raconte que son

grand-père paternel, et son père, étaient atteints d'un tremblement continu

des mains, qui les gênaient dans leurs occupations. Lui-même a toujours été

très émotif, mais il n'a jamais eu de crises nerveuses. Etant enfant il écrivait

fort mal, mais surtout quand on l'observait ; il se rappelle notamment que

pour diverses compositions de concours, ses copies étaient, surtout dans les

premières pages, absolument illisibles, tant était grande son émotion qui

amenait du tremblement des mains. Lorsqu'il dut signer, en public, son di-

plôme de bachelier, ce tremblement de la main fut tel que la signature fut

tout à fait informe. Toutefois, jusqu'à l'3ge de 30 ans, il ne remarqua aucun

empêchement spécial dans l'acte d'écrire. Il a toujours joui d'ailleurs d'une

excellente santé ; il n'a pas eu d'affection sérieuse, sauf des palpitations de

coeur à la moindre émotion, et, chaque année, du rhume des foins ; il n'est

pas syphilitique ; il est sobre (il prenait autrefois deux tasses de café par

jour, et quelquefois un peu de rhum, mais il a cessé ces habitudes, et ne

prend plus qu'une seule tasse de café). Il est marié, et a uue petite fille de

10 ans, qui, dit-il, a un léger tremblement des mains.

Sa maladie actuelle a commencé en 1891, à l'âge de 30 ans. A cette épo-

que, il fut nommé comptable à la Caisse des dépôts et consignations de Paris.

Son travail consistait à faire toute la journée des écritures, et surtout des

calculs : longues additions qu'il inscrivait de haut en bas sur un gros registre ;

or, en arrivant au bas des pages, la main droite n'était plus appuyée sur la

table, en raison de l'épaisseur du registre, et l'écriture, la main ainsi avide,

le fatiguait. En outre, on lui fit remarquer à cette époque que son écriture

était laide : trop penchée, trop anguleuse ; on le pria d'écrire plus droit et

plus rond ; il en résulta une préoccupation soutenue dans l'acte d'écrire. C'est

à ces deux circonstances réunies que M. V. attribue sa maladie. Vers la fin

de 1891, le sujet remarqua que sa main droite devenait malhabile à tracer

les mots ; à la fin de la journée, et au bas des pages,il ressentait une sorte de

tiraillement dans les muscles des doigts et de l'avant-bras. Peu à peu la gêne

s'accentua, et la crampe survint C'était et c'est encore une brusque

flexion du pouce avec adduction forcée contre la paume de la main, dès que

le malade prenait le porte-plume. En même temps les autres doigts se crispent

sur le porte-plume, puis se raidissent en extension ; enfin la main tout en-

tière se renverse et se porte en supination. Cette succession de mouvements

s'accompagne de douleurs dans les muscles de l'avant-bras, qui irradient

souvent jusqu'à l'épaule. Le malade est d'ailleurs mal à son aise pendant toute

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 93

la durée de la crampe ; il a une certaine angoisse, et il ressent des fourmil-

lements jusque dans les jambes. La crampe, et l'angoisse, cessent dès qu'il

lâche le porte-plume. Le reprend-il, aussitôt la crampn revient. Au début, la

crampe ne survenait que de temps à autre, et lorsque le malade avait écrit

pendant un certain temps ; mais bientôt elle devint plus fréquente, quoti-

dienne, et enfin elle survint à chaque tentative d'écriture. La fatigue, l'émo-

tion, l'écriture en public, la faisaient survenir à coup sûr ; et plus le malade

faisait d'efforts pour s'en débarrasser, plus il pensait à son affection, plus la

crampe était tenace et angoissante. Si, au lieu de plume, le malade prenait

un crayon, la crampe ne se produisait pas, ou n'avait pas la même rapidité;

le malade trouve qu'avec un crayon il peut mieux prendre un point d'appui,

et qu'au moins la pointe n'accroche pas le papier.

Cependant, M. V. se préoccupait de plus en plus de son état ; il avait

peur de perdre sa situation ; aussi apprit-il à écrire de la main gauche ;

l'apprentissage fut assez facile, mais l'écriture ne fut jamais aussi courante

qu'avec la main droite. Néanmoins il commençait à écrire de la main gauche

pour les besoins de sa profession, lorsque, au bout de six mois, il remarqua

une certaine raideur de la main gauche, spécialement de l'index, et peu de

temps après survint une crampe, tout à fait semblable à celle de la main

droite, et avec le même sentiment d'angoisse. Mais là c'est le fléchisseur de

l'index qui se contractait, d'où l'impossibilité d'écrire.

A peu près à la même époque, le malade eut de la peine à saisir avec la

main droite son verre de table, en raison d'une crampe dans le pouce, et il

devait l'empoigner à pleine paume, ou bien se servir de la main gauche.

Toutefois ce trouble fut très passager, et il n'en subsiste rien actuellement.

Pour tout acte, autre que celui d'écrire, le malade est très adroit de ses

mains ; il n'a aucun tremblement, pas plus au repos qu'à l'extension des

doigts ; il peut facilement enfiler une aiguille ; et couramment il fait de la

menuiserie fine, prenant sans aucune peine une lime, un ciseau ou un poin-

çon entre les doigts.

Le malade, écrivant de plus en plus difficilement aussi bien de la main

gauche que de la main droite, acheta uue machine à écrire, et apprit à s'en

servir. Tout alla bien pendant un certain temps, lorsque, au bout d'uu an,

survint dans la main droite une crampe des fléchisseurs. Le malade se con-

fectionna alors une sorte de palette qui allougeait les doigts, et lui permet-

tait, au lieu de remuer les phalanges, d'actionner la main tout entière par

mouvements du poignet. Mais bientôt, même pour ces mouvements étendus,

la crampe survint avec ses mêmes caractères, s'accompagnant d'angoisse, et

de douleurs dans le bras et l'épaule. Le malade abandonna dès lors la ma-

chine à écrire, et n'a plus essayé de s'en servir depuis.

Actuellement M. V. écrit peu ; il donne des signatures de la main droite,

écrit au crayon de la main droite, ou à la plume de la main gauche ; et, à la

condition d'être seul, de n'être pas ému, et d'écrire peu longuement, il n'a

plus de crampes. Localement, il n'existe aucune lésion périphérique appré-

94 MACÉ DE LFPINAY

ciable. Mentalement le malade, très intelligent, est un timide et un émotif.

Habitant actuellement la campagne, il n'a pu être traité de-façon suivie.

Le Dr de Ranse a bien voulu nous communiquer l'intéressante his-

toire d'une de ses malades qui, atteinte depuis plusieurs années de

crampe des écrivains, fut prise d'un spasme fonctionnel concomitant des

muscles du larynx :

Observation VIII.

Madame de M., âgée de 60 ans, névropathe d'ancienne date, est atteinte

depuis plusieurs années d'une crampe des écrivains de la main droite. Depuis

quelque temps, elle souffre d'un nouveau spasme fonctionnel : dès qu'elle

veut parler à voix haute, elle éprouve une certaine peine à prononcer les

mots ; contrairement à ce qui se passe dans le bégaiement, elle n'éprouve pas

de gêne à commencer la phrase, et d'ailleurs ne répète aucune syllabe, mais

elle est obligée de faire un effort de plus en plus considérable pour articuler

les mots ; la parole devient hachée, entrecoupée ; enfin la respiration s'accé-

lère et devient de plus en plus difficile. Il s'agit ici, non d'un bégaiement

mais d'un véritable spasme dans les muscles du larynx qui se produit quand

la malade parle à voix haute, en public. Sous l'influence d'une cure hydro-

thérapique à Néris, ce spasme a en partie disparu. '

On peut, dans un certain nombre d'observations, noter ainsi l'exis-

tence de différents spasmes fonctionnels associés; cette concomitance est

bien en faveur de l'origine centrale de la plupart des crampes profes-

sionnelles.

ho Association d'une crampe professionnelle avec un torticolis

mental.

Certaines formes de torticolis spasmodiques ont, à n'en point douter,

une origine mentale ; le professeur Brissaud qui les a bien décrites les a

assimilées aux tics, et les a groupées sous le nom de torticolis mental.

Or, un certain nombre d'auteurs ont signalé l'association de crampe des

écrivains et de torticolis mental (Duchenne, de Quervain, Russel Rey-

nolds). Destarac (44) a rapporté un cas où la crampe des écrivains était

associée avec un torticolis, un mouvement convulsif de la hanche, et un

tic du pied. La crampe peut précéder le torticolis : ainsi en était-il chez

un malade de Meige (98) qui, dans l'adolescence eut une crampe des

écrivains, et, à l'âge adulte, un torticolis mental : la crampe reparut

quelque temps au cours de ce torticolis. Un malade de Pitres avait eu

de même un torticolis spasmodique sept ans après une crampe des écri-

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 95

vains (108). Bonnus (19) a rapporté un cas semblable. Dans d'autres

cas c'est seulement au moment où apparaît la difficulté d'écrire que le

torticolis se manifeste : le malade suivant, que nous avons soigné la

Salpêtrière, n'avait son torticolis qu'au moment où il écrivait, et en

même temps que sa main se contractait.

Observation IX (personnelle).

M. Lef..., receveur des' postes, est âgé de 52 ans. Il a toujours eu une

bonne santé, mais il est extrêmement émotif, impressionnable. Il y a un an,

la suite d'une vive contrariété, il fut pris d'un léger tremblement en écri-

vant, et il remarqua qu'en même temps sa face avait tendance à se tourner

vers l'épaule droite. Les jours suivants, les troubles se précisèrent, et arri-

vèrent au point où nous les trouvons en décembre 1908. Veut-on faire

écrire M. Lef ? on le voit s'installer, prendre de l'encre, et commencer à

tracer un mot ; mais aussitôt la face regarde l'épaule droite, les yeux quit-

tent le papier ; et en même temps la main droite, agitée d'un léger tremble-

ment se met à tracer irrégulièrement les lettres qui deviennent illisibles ;

enfin le malade est obligé de s'arrêter, et ce pour deux raisons : la première

c'est que, regardant sou épaule, il ne voit plus ce qu'il écrit ; la seconde

c'est que sa crampe de la main à elle seule empêche l'écriture. M. Lef... a

imaginé de lui-même un moyen d'empêcher sa tête de tourner : il porte

l'index gauche sur sa joue gauche, et ce simple contact fait tenir la tête

immobile ; c'est bien là le geste antagoniste décrit par Brissaud ; dans cette

position, l'écriture est plus facile, mais la crampe de la main survient néan-

moins quand le malade est fatigué ou ému. A plusieurs reprises, M. Lef...

a vu son torticolis apparaître également lorsqu'il mangeait sa soupe, mais le

spasme n'a été que passager dans ces conditions. La sensibilité de la main

droite est parfaite ; on ne trouve aucun signe périphérique pouvant expli-

quer la crampe. Sous l'influence de l'hydrothérapie, du massage et de la

rééducation, l'état de M. Lef... s'est en six semaines très rapidement amé-

lioré.

Meige et Feindel (97) ont rapporté l'intéressante histoire d'une jeune

fille chez laquelle on constatait à la fois un torticolis mental, des mou-

vements choréi(01'Jnes des membres du côté droit, et une crampe des

écrivains de la main gauche. La malade, malgré son hémichorée droite,

pouvait écrire de la main droite, mais, lorsqu'elleprenait le porte-plume

de la main gauche, tous les doigts de cette main devenaient raides, se

contractaient sur le porte-plume, et l'écriture était impossible. La

chorée de celle jeune fille était une forme de la chorée variable des

dégénérés décrite parBrissaud (Revue médicale, 15 février 1899). Or,

ainsi que l'ont montré Meige et Feindel, chorée variable et tics varia-

bles sont certainement bien proches parents ; l'association de ces deux

96 MACÉ DE LÉPINAY

maladies, avec une crampe des écrivains montre la parenté de ces trois

névroses.

Rudler (122) a observé, dans le même ordre d'idées, un jeune soldat

atteint d'un tic tonique du membre supérieur droit, et d'une crampe

des écrivains. La coïncidence de ces accidents montre que CI tics et cram-

pes professionnelles sont de la même famille comme le disent Meige

et Feindel ; tous deux ont à leur origine un déséquilibre mental; mais

nous verrons plus loin qu'il n'y a pas lieu de les identifier.

(à suivre).

LES FOUS DANS L'ART

PAR

HENRY MEIGE.

Il n'y a guère plus de vingt ans que les médecins se sont avisés d'appli-

quer leurs connaissances spéciales la critique des oeuvres d'art. Depuis

lors, les perfectionnements de l'image, le goût des recherches rétro- pec-

tives, et peut-être aussi la mode, qui sévit jusque dans les questions

d'ordre scientifique et esthétique, toutes ces raisons ont contribué à don-

ner de la vogue aux études de ce genre.

Publiés au début dans des ouvrages de luxe, connus et appréciés d'un

petit nombre, les documents artistiques qui intéressent le médecin sont

répandus aujourd'hui à profusion, voire gratuitement, à titre de réclames,

dans tout le monde médical. Sans doute, dans les travaux médico-artisti-

ques ainsi diffusés, certaines interprétations sont souvent téméraires,

certaines images, et les remarques qui les accompagnent, donnent l'impres-

sion de pastiches faciles. En tout cas, ces tentatives témoignent de la faveur

dont jouit la critique médicale des oeuvres d'art.

Dans leurs articles, dans leurs livres, dans leurs cours ou leurs confé-

rences, les médecins se plaisent à mettre en regard de l'image actuelle

d'une maladie, des oeuvres d'art anciennes, qui, parfois, en sont de très

vivantes figurations. L'enseignement ne peut que gagner à cette alliance

du Vrai et du-Beau.

Aujourd'hui donc, presque tous les chapitres de la pathologie humaine

ont un complément médico-artistique.

L'un deux cependant, et non des moindres, semble avoir été négligé.

Il n'est guère question des Fous dans l'Art.

A vrai dire, il y a fous et fous.

Dans leurs beaux ouvrages, Charcot et Paul Richer ont fort bien étu-

dié les tous de cour ; mais ces fous-là sont des bouffons, et non des aliénés.

Au temps de leur splendeur, ils se recrutaient parmi les nains rachitiques,

myxoedémateux, achondroplasiques,elc; leur petitesse, leur laideur,leurs

difformités, revêtues d'oripeaux somptueux, faisaient ressortir davantage

xxn 7

98 HENRY MEIGE

la belle prestance d'un prince et des gens de cour. Ces bouffons, loin

de ressembler à des fous, se distinguaient, au contraire, si l'on en croit

l'histoire, par la vivacité de leur esprit, l'à propos de leurs réparties, la

finesse de leur intelligence. Tout au plus, peut-on découvrir, dans ce qu'on

connaît de ces disgraciés physiques, des signes de débilité mentale chez

les uns, chez d'autres des marques d'une certaine déséquilibration ; mais

jamais de grands désordres psychopathiques ; nul monarque n'eût pu les

tolérer.

Bref, les fous de cour n'ont guère'des fous que le nom,

Des vrais fous, l'iconographie médico-artistique ne s'était guère soucié

jusqu'à ces toutes dernières années.

Quelles furent les causes de cette abstention ?

D'abord, contrairement aux maladies organiques qui impriment à l'in-

dividu des déformations, dont les caractères objectifs sont faciles à recon-

naître par l'examen visuel, les affections meniales sont rarement justicia-

bles de ce procédé de diagnostic, le seul qu'on puisse appliquer aux

documents figurés.

On arrive bien à dépister de visu certaines psychoses congénitales, lors-

que celles-ci s'accompagnent d'arrêts ou de vices du développement de

l'individu : par exemple, l'idiotie peut se reconnaître par l'image seule,

des déformations physiques permettant de présager presque à coup sûr

.l'infériorité mentale correspondante. Il est parfaitement licite de faire un

diagnostic rétrospectif d'après une peinture ou une sculpture, si l'on y

reconnaît des anomalies morphologiques fidèlement reproduites par les

artistes, sans que ceux-ci se soient même doutés de la signification qu'elles

pouvaient avoir pour le médecin. Ainsi, l'on retrouve assez souvent dans

les portraits anciens des malformations du crâne et de la face, tares dé-

génératives dont l'intérêt devient plus grand encore s'il s'agit de person-

nages sur la vie desquels on puisse avoir des renseignements confirmatifs,

grâce aux- textes contemporains. Le beau livre du Dr V. Galippe sur

L'hérédité des stigmates de dégénérescence et les familles souveraines (1)

en contient de nombreux et frappants exemples.

Mais, dans les grands états psychopathiques, les caractères différenciels

ne peuvent guère être appréciés par la seule inspection d'une image.

Les éléments de diagnostic sont alors plutôt d'ordre dynamique que

d'ordre statique. L'examen de l'aliéné au repos est insuffisant; il faut

le voir en action, observer ses gestes, écouter ses paroles, renouveler

maintes fois cette analyse pour arriver, et non toujours, diagnostiquer sa

(1) Masson et Cie, éditeurs. Paris 1903.

LES FOUS DANS L'ART 99

psychose. Sans doute, l'image de la mélancolie avec stupeur, ne se con-

fondra pas avec celle de la manie furieuse. Mais comment distinguer,

le masque imprimé par la mélancolie, psychose chronique, de la mi-

mique exprimant une tristesse immense, qui serait logique et passagère ?

En quoi diffère le geste désordonné de l'aliéné, en état d'agitation ma-

niaque, de celui d'un homme qui, sous l'empire d'une terreur ou d'une

colère légitime, se livre, pour un moment, à des actes exaspérés ?

La science psychiatrique n'est pas encore en mesure de préciser ces

nuances. Et c'est là une des raisons de la difficulté d'introduire la

critique médicale dans les oeuvres d'art représentant des aliénés.

Cependant, les figurations de la folie sont nombreuses.

Par leur mimique outrée, par leurs gestes insolites, par leurs accoutre-

ments bizarres, autant que par leurs actes incohérents ou par leurs propos

incompréhensibles, les aliénés ont toujours attiré l'attention. Trop d'im-

prévu et trop de mystère entourent les dérangements de l'esprit de l'hom-

me pour que celui-ci ne soitpas vivement impressionné par de tels désor-

dres. Et la folie n'est-elle pas aussi créatrice de drames, dont la réalité

dépasse en étrangeté ou en horreur tout ce que peut enfanter l'imagina-

tion ? ...

On conçoit donc que la représentation de la folie ait inspiré les écri-

vains, notamment les dramaturges, par tous pays et à tous les âges. On

comprend aussi qu'elle ait tenté le pinceau des artistes.

Les oeuvres que ces derniers lui ont consacrées sont de deux sortes :

Les unes nous font voir des aliénés, qui, tantôt dans la rue, tantôt à

l'asile, n'ont été que des modèles passagers. Les peintres, séduits par

un facies étrange ondes attitudes inusitées se sont efforcés de les traduire

en copiant plus ou moins fidèlement la nature. Alors leurs oeuvres, si

elles restent conformes à la vérité pathologique, intéressent l'aliéniste au

même titre que les photographies cliniques. Ce qui ne veut pas dire que

telles figurations soient toujours dépourvues de valeur esthétique. Loin

de là. Les qualités personnelles de l'auteur sont capables de transformer

en chef-d'oeuvre l'exacte reproduction d'un type morbide. Voyez les fous

et les idiots de Velasquez.

D'autres fois, plus souvent même, la folie suscite une oeuvre d'art en

raison des événements dramatiques auxquels elle est associée, quand elle

n'en est pas la cause première.

Ici, la figuration de l'aliéné peut manquer d'exactitude clinique sans

que pour cela l'oeuvre perde de sa valeur. Au point de vue médical, ces

documents imagés offrent moins d'intérêt. C'est par l'ensemble de sa com-

100 ' HENRY MEIGE

position que l'auteur a cherché à provoquer une émotion artistique. Telles

les peintures inspirées par l'histoire de Jeanne la Folle.

L'Iconographie des fous, des vrais fous, existe donc. Elle méritait d'être

étudiée.

Le premier pas dans cette voie a élé tenté par un médecin italien, le

Dr Portibliotti, de Gênes. Il a publié, en 1907, un livre intitulé / Pazzi

nell'arte, dans lequel il a analysé une trentaine d'oeuvres d'art relatives

aux aliénés. '

On y trouve des figurations allégoriques comme la Slultitia de Giotto

(PI. XIII), qui faitpartie des fresques décorant la chapelle de la Madona

dell'Arena, à Padoue. Certains détails de cette image ont été manifeste-

ment inspirés par l'observation d'aliénés contemporains et sont d'un réa-

lisme instructif. Par contre, l'allégorie fait tous les frais d'une peinture

de l'allemand Alfred Kubin, de ? , Wahsinn.

Dans un autre groupe d'oeuvres d'art,il s'agit de peintures inspirées aux

artistes par la visite d'asiles d'aliénés, comme Das Narrenhaus de W. von

Kaulbach (vers 1837), ou comme la célèbre Casa de Locos de Goya, ou

enfin le tableau de T. Rohert-Fleury représentant Pillel à la Salpêtrière,

celui aussi de Jean Béraud intitulé Charelllon, enfin ceux de T. Signoi ini,

la Salla delle Agitate du manicomio de San Bonifacio, il Florence, et de

Silvio Rotta, Il 1 : fanicomio, Tous ces documents présentent un réel inté-

rêt pour l'histoire de l'assistance des aliénés à travers les âges. Dans la

plupart d'entre eux on trouve également quelques types de fous représen-

tés avec beaucoup d'exactitude clinique.

On peut en dire autant de certains portraits isolés, notamment la Loca

de Ximénès Aranda.

Enfin, l'auteur a collationné les tableaux inspirés par les grands drames

historiques engendrés par la folie, comme la Folie du Tasse à Bissaccia par

Bernardo Celentano, Le Roi Lear par Dominico Morelli, les peintures

consacrées à Jeanne la Folle par Vallès, lllaureta, F. Pradilla, W. Geets ; -,

La Folie de van der Goes par Wanter, Ivan le Terrible par E. Répine, La

Boyarine Mo1'[tzolT par Sourikoff, etc. Dans celle dernière série, l'intérêt

anecdotique et dramatique l'emporte sur l'intérêt réaliste ; parfois, cepen-

dant,on peut y relever des particularités intéressantes pour les aliénistes.

Ainsi documenté, le livre du DrPortigliolli, agréablemen l écri l et i Il us-

tré, a le mérite de commencer à combler une lacune regrettable des

études de critique médico-artistique.

NOUVELLLE IcONOGRAPII1E DE LA SALPÊTRIÈRE

T. 1111. Pl. YIII

« LA rOLIE »

(St1l1titia) .

Fresque de GIOTTO, chapelle de la Madona dell' Arena, à Padoue

Masson et C",Editeurs

PhoIOIYIIIt ! UcUliaol, ('ans.

LES FOUS DANS L'ART 101

Là ne se limite pas la série des figurations qui pourraient être consa-

crées à illustrer l'histoire des Fous dans l'Art.

Un vaste chapitre se constituerait avec des documents imagés qui, jus-

qu'à ce jour, ont été systématiquement rattachés à l'hystérie.

Quelques remarques préalables sont ici nécessaires.

Depuis une quinzaine d'années, une véritable révolution nosographique

s'est opérée dans l'histoire de l'hystérie. Son vaste domaine tend à se dé-

membrer. Une nouvelle conception, dont M. Babinski s'est fait l'ardent

promoteur, rallie chaque jour des adeptes, parmi ceux mêmes qui, jadis,

contribuèrent le plus à enrichir le fief de la « grande névrose ». Un sin-

gulier revirement d'opinion s'opère, à quelques années de distance : les

plus fidèles admirateurs d'un enseignement mémorable n'hésitent pas à

s'en détacher aujourd'hui, conquis par l'évidence des faits, par la néces-

sité de s'incliner devant une observation plus rigoureuse.

L'unanimité presque absolue avec laquelle est acceptée cette évolution,

qui demeure profondément respectueuse du passé et qui n'est dictée que

par des arguments d'ordre purement scientifique, est une garantie de

l'impartialité et de la valeur de l'oeuvre de révision qui s'accomplit en ce

moment même. Les moins osés reconnaissent volontiers qu'une foule

d'accidents qui ne lui appartiennent pas en propre ont été attribués à

l'hystérie, et qu'il est nécessaire d'envisager ces phénomènes en soi, ou

de les ramener vers d'autres formes morbides.

Dans le nombre, certains désordres, bien connus des anciens aliénistes

et prématurément englobés par l'hystérie, font peu à peu retour aux psy-

choses. Les hallucinations dites hystériques, les délires dits hystériques,

sont à nouveau étudiés comme des manifestations psychopathiques au-

tonomes. La démence précoce revendique pour elle des catatoniques que

la catalepsie hystérique enrôlait autrefois. Le mensonge morbide et les

actes déconcertants qu'il entraîne, jadis apanage axclusif des hystériques,

sont maintenant du ressort de la mythomanie de Dupré.

D'autres phénomènes enfin, les troubles vaso-moteurs et trophiques, ne

paraissent plus avoir avec l'hystérie les liens intimes qu'on admettait cou-

ramment.

Cette évolution présente un vif intérêt au point de vue scientifique, et

l'on ne peut nier ses conséquences dans le domaine pratique, notamment

en thérapeutique et dans les expertises médico-légales. Elle ne saurait res-

(1) G. Portioliotti, I l'azzi alleZ/'l'le, un volume de 146 pages avec nombreuses

figures. R. Streglio, éditeur, Turin. Milan, Gênes, 1907.

102 HENRY MEIGE

ter sans influence sur les applications de la critique médicale, que celle-ci

s'exerce dans le domaine de l'histoire ou le domaine artistique. Envi-

sageons l'un et l'autre successivement. , ,

On se rappelle les intéressantes études suscitées par les anciens procès

de sorcellerie et les drames de la possession diabolique. Et bien ! la cri-

tique médicale des textes anciens mériterait d'être révisée aujourd'hui, si

l'on voulait tenir compte des acquisitions delà science psychiatrique.' Et

il est vraisemblable que l'on ne porterait plus aduellemenl le même dia-

gnostic sur soeur Jeanne des Anges et sur Françoise Fontaine qu'à l'époque

où leurs prétendus stigmates et leurs propos délirants semblaient ne

pouvoir être rattachés qu'à la seule hystérie. Car il n'est pas contestable

qu'on a fait en faveur de cette dernière des interprétations abusives. Sans

doute, on n'ignorait pas, même alors, que les délires de possession ou.les

délires mystiques s'observent en dehors de l'hystérie; mais les critiques mé-

dicaux, entraînés par un exclusivisme scientifique inévitable,ne songeaient

guère à faire intervenir les psychoses quand la névrose suffisait à tout expli-

quer. De plus, l'attention n'avait pas été attirée suffisamment sur certains

désordres psychopathiques,tels que les troubles de la cénesthésie,les délires

de lazoopathieinterne, etc, dont l'existence autonome est aujourd'hui

unanimement reconnue. '

J'ai tenté, pour ma part, il y a déjà une quinzaine d'années, d'exprimer

quelques réserves sur l'opinion médicale couramment formulée alors l'é-

gard-de la possession démoniaque.

« En ce qui concerne les idées de possession, l'hystérie n'est pas seule à

incriminer. Celles-là peuvent même exister, et sous leur forme la plus

saisissante, en dehors des phénomènes qui appartiennent en propre à la

névrose. C'est ainsi qu'on les voit prendre naissance et se coordonner en

un délire sytématisé chez des sujets qui n'ont aucun stigmate physique ou

psychique de l'hystérie.

a Le trouble mental qui constitue les hallucinations psychomotrices,

les hallucinations verbales motrices surtout, peuvent être l'origine d'un

délire, qui rappelle à s'y méprendre celui des possédés du Moyen Age.

M. Séglas a rapporté de cet ordre de faits des exemples très démonstratifs.

Il importe de ne pas les perdre de vue, car on peut y trouver raison de

certains délires de possession qu'en l'absence des signes somatiques évi-

dents on ne saurait rapporter à l'hystérie.

« Enfin d'autres phénomènes névropathiques ne relèvent pas toujours

de la névrose ; on peut les voir se produire chez des sujets qui n'ont aucun

des stigmates classiques de l'hystérie. x (1)

(1) HENRY Meige, Les Possédées Noires. Imprimerie Schiller, 1894.

LES FOUS DANS L'ART 103

Si je me suis permis de rappeler ces remarques, ce n'est point pour

m'en prévaloir, car elles ne m'ont point empêché de faire trop grosse

encore la part de l'hystérie dans plusieurs études de critique médico-

historique.

N'ai-je pas publié, dans ce recueil, en 1896 (2), l'étrange aventure de

la fille d'un tireur de pierres de St-Geosmes, qui fit accroire à toute une

province qu'elle rendait par la vessie des brouettes de cailloux ? .... A me

remémorer aujourd'hui les commentaires de cette histoire, je dois à la

vérité de reconnaître que l'hystérie en fait trop libéralement les frais.

Plus avisé avait été le médecin commis pour examiner cette prétendue

calculeuse : il se nommait Morand, et concluait, à la lin de son rapport,

qui date de 1754 :

« Au temps de Gallien même il se trouvait des gens qui avaient des

maladies fausses. Et, soit qu'il y ait simplement de la manie ou du dessein

prémédité dans ces sortes de cas, c'est au médecin à tirer le voile mystérieux

qui peut en imposer ».

De nos jours, le plus sagace des experts ne conclurait pas autrement.

Car, couverts du « voile mystérieux » de l'hystérie, les supercheries

et les débordements de la fille de St-Geosmes peuvent encore « en im-

poser ». Aujourd'hui, guidés par une analyse plus circonspecte, nous ap-

puyant sur des observations plus rigoureuses, nous reconnaîtrions dans

cette histoire un mélange de mythomanie inconsciente et de simulation

préméditée, sans faire intervenir l'hystérie plus que ne le fit Morand lui-

même, et, somme toute, nous ne dirions ni plus ni mieux que lui, malgré

des termes différents.

De telles extravagances pathologiques, de même que les trop fameux

troubles trophiques qui firent le succès des anciennes stigmatisées, ne doi-

vent plus être rattachés à l'hystérie. Car, dans l'immense majorité des cas

similaires observés plus attentivement aujourd'hui, on reconnaît qu'il

s'agit de stratagèmes inventés par ces simulateurs plus ou moins cons-

cients, auxquels le P. Dieulafoy a fait récemment les honneurs d'un néo-

logisme : les pathomimies,

Il est impossible que la critique médicale ne tienne pas compte de ces

récentes acquisitions de la science neuro-psychiatrique. Et ceux-là mêmes,

qui, de bonne foi, se sont laissés entraîner à répandre des idées, recon-

nues par la suite erronées ou abusives, doivent être les premiers à opérer

la révision de leurs anciens jugements. Pour ma part, je n'éprouve aucune

hésitation à le faire, croyant fermement que l'aveu d'une erreur est le

moyen le plus sûr d'accélérer ta marche vers la connaissance de la vérité.

z(1) Henry Meige, La maladie de la fille de St-Geosmes d'après J. François Clément

Morand (t ï54). Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, N 4, 1896.

104 HENRY MEIGE

Ce que nous venons de dire pour la critique médico-historique, s'ap-

plique également à la critique médicale des oeuvres d'art.

On sait quel admirable dossier iconographique a été constitué avec

les figurations de Poss·dées,de Démoniaques, de Délirants, d'Extatiques.

Toutes ces images ont été systématiquement rattachées à l'hystérie. Et il

n'en pouvait guère- être autrement à l'époque où s'est exercé ce genre de

critique, tant était-grand le prestige de l'hystérie, tant son domaine sem-

blait vaste, assuré, intangible.

La nouvelle conception qu'on se fait aujourd'hui de l'hystérie ne per-

mettrait plus une interprétation aussi exclusive. Sans doute, pour les in-

nombrables figurations de Possédés que nous ont léguées les artistes du

Moyen âge et de la Renaissance, il serait difficile de remplacer les anciens

diagnostics par de nouveaux, étayés sur des données plus valables. Du

moins, une critique plus prudente et plus avisée saurait envisager d'au-

tres hypothèses et ne se contenterait plus d'affirmer que, nécessairement,

les artistes, pour peindre des possédées, n'avaient-pu prendre que des

hystériques pour modèles.

Je me souviens d'avoir contribué à commenter.il y a une douzaine d'an-

nées, une statue qui se trouvait dans l'ancien Hospice d'Aliénés d'Amster-

dam. Cette belle oeuvre d'art, qui date d'environ 1615, attribuée au sculp-

teur IIendrick de Kejser, représente une femme presque entièrement

nue, dans une pose contorsionnée, le visage convulsé, s'arrachant les

cheveux des deux mains. On l'appelait L'image du Délire. (1)

Entraîné par la tradition, oublieux de l'origine de cette oeuvre d'art,

j'ai trouvé plus d'un argument pour démontrer qu'il s'agissait « d'une

représentation de phénomènes convulsifs de nature hystérique ». J'ai

retrouvé avec plaisir la reproduction de cette image dans le livre du

Dr Portigliotti sur les Fous dans l'Art, où elle me paraît tout à fait à

sa place. Mais, lorsque l'auteur conclut, lui aussi, que c'esl là une figura-

tion « du délire démoniaque dans la grande attaque d'hystérie », je me

demande si mon appréciation première n'a pas influencé son jugement.

Car, aujourd'hui, je me garderais bien d'affirmer qu'il faut rattacher ce

document au dossier de l'hystérie dans l'art. L'image du délire : voilà le

seul et le meilleur des diagnostics qu'on puisse en faire. Comment démon-

trer que ce délire est d'origine hystérique, et combien d'autres délirants,

qui ne sont pas des hystériques, délirants aigus ou délirants chroniques,

grands intoxiqués ou grands maniaques, auraient pu inspirer semblable

oeuvre d'art ! ...

Même remarque au sujet de cet admirable dessin de Michel-Ange inti-

(1) PAUL Riciieii et Ilr-,Jty Meige, Documents inédits sur les Démoniaques dans l'art.

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, ne 2, 1896.

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PI. XIV

« LA FURIE » OU "LAME DAMNEE »

Dessin de Michel-Ange.

Masson et Ge, Editeurs

PhotolYIJlC IIclthnlltl, l'uns.

LES FOUS DANS L'ART 105

tulé la Furie ou l'Ame damnée, que le Dr Portigliotti a également repro-

duit dans son ouvrage. (Pl. XIV). On a tout lieu de croire que Michel-

Ange s'est inspiré de la nature pour exécuter ce dessin ; il faut avoir

eu sous les yeux la vérité pathologique pour rendre avec tant de justesse

tous les détails d'un tel masque grimaçant. Mais le modèle de Michel-

Ange fut-il nécessairement une démoniaque ? - Il y a quelques années, le

doute m'eût paru impossible ; aujourd'hui, il me semble inévitable.

Ainsi, l'on a été conduit, par la force irrésistible d'un dogme scientifi-

que, à voir dans l'hystérie l'inspiratrice d'oeuvres d'art, à la genèse des-

quelles il n'est plus possible d'affirmer qu'elle ait pris part.

L'évolution nosographique que subit l'hystérie et les progrès parallèles

de la psychiatrie doivent donc désormais rendre plus prudente la critique

médico-artistique. Assurément, il serait prématuré d'entreprendre dès à

présent le démembrement de l'hystérie dans l'art, sous prétexte que le dé-

membrement de l'hystérie traditionnelle est en train de s'accomplir. Mais

on doit envisager qu'un certain nombre de figurations, rattachées systéma-

tiquement à l'hystérie, viendront un jour se ranger sous la rubrique des

fous dans l'art. Et,en attendant, il faut redoubler de circonspection dans

les diagnostics rétrospectifs de ce genre.

Ici encore, ceux qui onl pu contribuer à accréditer des interprétations

aujourd'hui contestables, ont le devoir de signaler le revirement d'opinion

qui leur est imposé par un contrôle plus rigoureux, par une plus mûre

réflexion.

Dans une étude de critique médico-iconographique sur les Fous, il se-

rait impardonnable d'oublier une catégorie d'images qui sont du plus haut

intérêt, notamment pour les psychiatres. Il ne s'agit plus ici de portraits

d'aliénés plus ou moins exacts, ni de compositions ayant la folie pour

thème, mais bien de productions artistiques émanant d'individus atteints

eux-mêmes de dérangement cérébral. Dans les oeuvres d'art que nous

avons envisagées jusqu'ici, la folie était leprétexte, mais l'exécutant pos-

sédait la plénitude de ses facultés ; dans celles que nous avons maintenant

en vue, l'auteur lui-môme est un fou, et ses compositions artistiques sont

un des modes d'expression de sa folie.

Presque tous les asiles renferment quelques-uns de ces dessinateurs,

peintres ou sculpteurs, qui ont eu parfois leurs heures de succès avant de

verser dans l'aliénation mentale, et qui continuent à exprimer par le cra-

yon ou par le pinceau les idées qui les hantent. Avant que leur psychose

106 HENRY MEIGE

soit devenue évidente, il est possible de découvrir dans leurs produc-

tions des bizarreries qui étonnent, mais on n'est pas toujours en droit de

se baser sur ces étrangetés pour pronostiquer l'avènement prochain d'une

maladie mentale. Cependant les critiques d'art avertis peuvent faire cer-

taines réserves sur l'équilibre psychique de ces artistes. Lorsque leur dé-

rangement mental est définitivement confirmé, et s'ils sont encore capables

de dessiner ou dépeindre, alors on peut suivre sur leurs oeuvres, comme

sur un graphique les oscillations et les progrès de leur psychose. Ces do-

cuments imagés sont vraiment des documents cliniques^ dont la valeur

diagnostique équivaut à celle des paroles, des écrits, de la mimique.

Leur étude n'a pas été négligée par les aliénistes, particulièrement

dans ces dernières années. Il suffit de rappeler, parmi les plus récents

travaux de ce genre, celui du Dr. Pailhas publié dans ce recueil, l'année

dernière, et les curieuses images reproduites par le Dr Kéraval (1). Rien

de plus intéressant que la traduction par l'image des manifestations d'un

délire, ou que de suivre, dans une série de figurations, l'évolution d'une

psychose.

Dans le même ordre d'idées, rentrent les oeuvres d'art anciennes, qui,

par leur étrangeté, semblent témoigner du déséquilibre mental de leur

auteur. Si l'absence de renseignements médicaux diminue dans ce cas la

valeur des critiques médico-artistiques, on peut cependant, par analogie

avec les productions d'aliénés avérés, émettre parfois des hypothèses plau-

sibles sur certames compositions déconcertantes.

Quelle pouvait être la mentalité de ce Jérôme Bosh, dont les oeuvres

fantasmagoriques et cependant d'un coloris si vif, d'un dessin si ferme,

témoignent,à n'en pas douter,d'une folle incohérence ? S'agi t-il seulement,

commeon l'a prétendu, d'allégories plus ou moins fantaisistes, dont le sens

nous échappe aujourd'hui ? Ou ne faut-il pas y reconnaître l'expression du

désordre psychopathique de leur auteur ? N'est-il pas singulier que ces com-

positions aient tant de ressemblance avec celles qui sont exécutées sous

l'influence d'un poison de l'esprit, l'opium et surtout le haschich ? Enfin

peut-on oublier que les tableaux d'El Bosco aientservià orner cet oratoire

de l'Escurial, où délirait le farouche persécuté persécuteur que fut Phi-

lippe II ? ...

Autre exemple. Le Dr Portigliotti a reproduit dans son livre un tableau

de A. Wiertz, représentant la Folie. Non moins intéressante serait l'élude

de l'oeuvre entière de ce peintre belge, expression artistique de conceptions

grandiosement cruelles il la genèse desquelles un trouble mental n'est

peut-être pas étranger.

(1) Voy. L'Informateur des Aliénistes et Neurologisles, no), 1909 et seq.

LES FOUS DANS L'ART 107

Et serait-il trop téméraire d'ajouter que dans les expositions d'art con-

temporain se rencontrent des productions qui permettent de douter du par-

fait équilibre mental de leurs auteurs ? ... Dailleurs, il n'y a pas très long-

temps que certains d'entre eux se glorifiaient d'appartenir au groupe des

« Incohérents».

Dans les peintures anciennes ou modernes, le psychiatre peut donc être

appelé à donner son appréciation.

De tout ce qui précède, on peut conclure que la critique médico-artis-

tique trouve plus d'une occasion de s'exercer dans le domaine de l'aliéna-

tion mentale.

Qu'il s'agisse de figurations reproduisant d'après nature des aliénés

isolés ou groupés dans un asile, qu'il s'agisse des compositions inspi-

rées par des événements dramatiques auxquels la folie s'est trouvée

mêlée, qu'il s'agisse enfin de productions artistiques émanant d'artistes qui

sont eux-mêmes des aliénés, on voit qu'il est,non seulement possible, mais

intéressant et profitable, d'étudier les Fous dans l'art.

Le gérant : P. Bouchez.

lmp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Hte-Marne)

L'ACTION DU RADIUM SUR LES TISSUS DU NEVRAXË

PAR

ALQUIER et M. FAURE-BEAULIEU

Plusieurs expérimentateurs ont abordé avant nous ce sujet :

Danysz (1) introduit un tube de verre contenant 1 centigramme de

bromure de radium sous la peau du dos, contre le rachis, à une souris, et

répète la même expérience sur le cobaye et le lapin.

Après des phénomènes de parésie, d'ataxie et des convulsions, tous les

animaux meurent, la souris plus rapidement que les autres (l'auteur fait

observer que les animaux jeunes résistent moins que les vieux, peut-être

à cause de l'état encore cartilagineux de leur rachis).

Au microscope, le névraxe présente surtout des lésions vasculaires :

capillaires rompus, substance nerveuse « noyée dans le sang », sans alté-

ration appréciable des cellules nerveuses (examen fait par Manouélian).

Danysz ajoute que dans les cas où la mort est survenue tardivement (10-12

jours), on ne retrouve pas ces phénomènes congestifs, et il émet l'hypo-

thèse d'une action directe sur les cellules nerveuses.

Scholz (2) expérimente sur 5 lapereaux et 10 souris. Il assujettit

sur le crâne une petite capsule de caoutchouc fermée par une mince

plaque de mica, à travers laquelle passent les radiations,émises par 25 mil-

ligrammes de bromure de radium inclus dans la capsule. Les souris sont

enfermées dans une cage, à la paroi supérieure de laquelle se trouve la

source de radium, distante de 3 centimètres environ du sommet de leur

tête. La durée d'application est de 1-3 heures pour les lapereaux et de 30

z 50 pour les souris. Voici les résultats : pour les lapins, au bout de

3-4 jours, léger état de fatigue, de dénutrition, réflexes paresseux. Cet

état se termine tantôt par la guérison en 10-14 jours, tantôt par la mort,

précédée de phénomènes paralytiques. Les souris présentent les mêmes

symptômes, mais plus rapidement et avec une intensité plus grande. ,

(1) DANYSZ, De l'action pathogène des rayons et des émanations émis par le radium

sur différents tissus et différents organismes, C. R. Acad. des sciences, 1903, p. 461.

De l'action du radium sur les différents tissus, Ibid., 1903, p. 1294.

SCHOLZ, Ueber die physiologische Wirkung der Radium s Iranien und ihre thera-

peutiscne, Verwendung-Deutsche med. Woch., 1904, p. 9, no 3. ; '

xxii 8

110 ALQUIER ET FAURIi-BEAULIEU

Toutes meurent au bout de 3 à 4 jours. A l'autopsie, les unes et les

autres présentent une injection très violente des vaisseaux méningés, sans

foyer de ramollissement (pas d'examen histologique).

Obersteiner (1) expérimente sur 36 souris. Chaque animal est presque im-

mobilisé dans une petite boîte métallique, dont le couvercle est perforé d'un

trou, répondant à la région de la tête. Au-dessus, se trouve la source radifère,

représentée par une capsule contenant, tantôt 10 milligrammes, tantôt 50

milligrammes de bromure de radium, dont les rayons traversent une plaque

de mica. La durée d'application varie de 24 96 heures : les troubles sont,

d'une manière générale, proportionnels à l'intensité et à la durée de l'irradia-

tion, mais avec des différences individuelles. Outre les modifications de la peau,

ils consistent en troubles nerveux, presque uniquement d'ordre paralytique,

soit faiblesse musculaire diffuse, soit monoplégies ou paraplégies : dans un cas,

le tableau fut celui de la paralysie ascendante de Landry. Les phénomènes

d'excitation, plus rares, consistent en contractures, parfois toniques, jamais

cloniques, en mouvements désordonnés et, dans un cas, en mouvement de

manège.

Presque toutes les souris ont succombé en un temps variant de 12 heures à

66 jours.

A l'autopsie, hyperhémie méningée, avec ou sans hémorragies méningées.

Le processus hémorragique est encore plus apparent sur les sections avec

maximum pour la moelle épinière ; on le trouve également dans l'encéphale, en

particulier dans le bulbe olfactif, le cervelet, les pédoncules cérébraux. Il existe

également quelques foyers de ramollissement, avec amas de cellules rondes,

le long des gaines vasculaires, surtout à la base. De son examen histologique,

le savant professeur conclut que « l'existence d'altérations spécifiques des élé-

ments du névraxe, directement imputables à l'action du radium, reste problé-

matique... Les divers phénomènes observés ne sont, pour la plupart, que l'ex-

pression directe ou indirecte d'un trouble général de la circulation et de la

nutrition, provoqué par les rayons du radium ». En effet, il note, pour les

cellules nerveuses,un certain degré de chromatolyse,parfois l'aspect mûriforme

du noyau, parfois, également, une tendance à la dégénérescence graisseuse des

cellules épithéliales, des capsules péricellulaires dans les ganglions rachidiens.

Le Marchi montre, dans les cellules des cornes antérieures et de l'écorce céré-

brale, quelques grains noirs, de signification douteuse, et, dans les cordons

blancs de la moelle, quelques corps granuleux, peut-être plus nombreux qu'à

l'état normal. Au voisinage des foyers les plus importants, notamment dans

les cornes antérieures, quelques cylindraxes sont gonflés. Enfin l'auteur signale

une tendance à la dégénérescence graisseuse de l'endothélium des capillaires

sanguins.

Ces expériences ont déterminé une mortalité qui contraste singulière-

(1) Obehsteiner, Ueber die Wirkiengen der Radimerbestrahlung auf das Central-

nervensyslem, Arbeiten aus dem neurologischen Institute an der Wiener Universitat,

1905, p. 86-104.

L'ACTION DU RADIUM SUR LES TISSUS DU NÉVRAXE 111 1

ment avec les résultats de la clinique : on a fait souvent des applications

de radium sur le crâne, pour des tumeurs cutanées par exemple, sans

avoir jamais eu aucun accident nerveux à déplorer. Des différences d'es-

pèce (souris, dont on connaît la fragilité), la résistance moins grande des

animaux jeunes (lapereaux), peut-être aussi, comme l'a indiqué Oberstei-

ner, certaines susceptibilités individuelles suffisent-elles pour expliquer

le fait ? La question de dose nous semble particulièrement importante,

aussi avons-nous repris ces expériences sur le lapin adulte, en nous pla-

çant dans des conditions d'intensité et de durée aussi voisines que pos-

sible de celles réalisées en clinique. A titre de contrôle, la dose du sel

radifère a été considérablement augmentée chez un des animaux.

Les appareils ont été mis à notre disposition par notre ami, le Dr Domi-

nici, que nous remercions vivement. Ils appartiennent à la catégorie des

appareils à sels collés, consistant en un disque métallique, recouvert d'un

vernis, auquel est incorporée la poudre radifère. 2 expériences sur le

cerveau et 1 sur la moelle ont été faites avec des appareils 0,025, d'ac-

tivité 500.000 (1).

Nos appareils étaient assujettis sur la peau des lapins, laissés en liberté

dans leur cage. Ceux appliqués sur le crâne furent engaînés d'une lame

de plomb de 1/10 de millimètres d'épaisseur, elle-même recouverte d'une

feuille de caoutchouc ; celui appliqué sur le rachis fut recouvert d'une

lame de plomb de 2/10 de millimètre pour obtenir le « rayonnement

ultra-pénétrant» de Dommici (2). Cette épaisseur de plomb « arrête tous

les rayons oc, la presque totalité des {3 et la fraction des y dont la puissance

de pénétration correspond aux rayons X ordinaires, pour ne laisser pas-

ser qu'une minorité des (3 et la fraction des y dont la puissance de péné-

tration est supérieure à celle de la plupart des rayons X ordinaires » (Do-

minici) ; c'est ce qui explique pourquoi, dans la 3e expérience, la peau

était bien moins altérée que dans les deux premières.

L'action du radium se poursuivant plusieurs semaines après la fin de

l'application, nous avons laissé à 2 lapins une survie suffisante pour

obtenir la totalité des altérations possibles.

Nous n'avons observé aucun trouble ni de la santé générale, ni du sys-

tème nerveux.

(t) Rappelons que, pour désigner un appareil radioactif, on note : 1* le poids de la

substance radioactive exprimée en grammes, et 2° son activité rayonnante, par rap-

port à celle de l'uranium, prise comme unité ; celle du radium pur est de 2.000.000.

Nos appareils, d'activité 5.000.000, contiennent 0 gr. 025 d'un mélange formé d'une

partie de sulfate de radium et de 3 parties d'un sel indiffèrent (sulfate de baiyum).

(2) DOMINICI, Du traitement des tumeurs malignes par le rayonnement zeltra-pené-

tent du radium, Bull. ass. fr. pour l'étude du cancer, 1908, p. 124.

112 ALQUIER ET FAURE-BEAUL1EU

Voici maintenant la durée d'application pour chaque cas en particu-

lier.

Exp. i . En 4 jours, 60 heures d'application sur le crâne, entre les

oreilles. Mise à mort après un délai de 9 jours.

Exp. 2. 60 heures d'application sur le crâne en 7 jours. Mise à mort

50 jours plus tard. -

Exp. 3. - En 36 jours, 130 heures d'application sur le rachis, entre

les omoplates. Mise à mort 32 jours après la fin de l'application.'

Les constatations anatomiques sont, pour les 2 premières expériences, à

peu après identiques. Le point d'application était marqué, sur la peau, par

des lésions (épaississement, chute des poils, petites croûtes sans ulcéra-

tions) sur lesquelles nous n'insisterons pas. L'os sous-jacent est peut-être,

dans un cas seulement, plus friable et légèrement grisâtre, sans altérations

histologiques. Pas de modifications macroscopiquement appréciables, ni

des méninges, ni du cerveau.

Les seules lésions constatées dans ces deux cas sont de petites hémor-

ragies de même genre que celles décrites el figurées par Obersteiner, mais

infiniment plus minimes (P. XV, A) : elles ne sont visibles qu'au micros-

cope, dépassent la zone irradiée et s'étendent également en largeur et en

profondeur. Elles sont de 2 sortes : les unes étalées entre la pie-mère et

l'écorce qu'elles érodent à peine, les autres, disséminées en divers points

des substances blanche et grise, sont localisées à la gaîne des petits vais-

seaux ; c'est à peine si les tissus avoisinants sont légèrement érodés et

infiltrés de pigment sanguin. La névroglie ne parait pas modifiée ; quant

au tissu nerveux, ses fibres ne présentent aucune altération par la méthode

de Marchi ou l'hématéine-éosine, ses cellules n'apparaissent nullement

modifiées ni par la méthode de Nissl, ni par celle de Ramon y Cajal, qui

montre les neurofibrilles intra et extra-cellulaires parfaitement intactes

(Pl. XV, D).

Dans la 3e expérience, les hémorragies sont plus considérables mais

neus donnerons une idée de leur faible volume en disant que les plus im-

portantes dépassent à peine le diamètre d'une cellule des cornes antérieu-

res : 2 à 3 seulement ont des dimensions un peu supérieures (PI. XV, C).

Ellesoccupent la régioncervico-dorsale et répondent assez bien la zone irra-

diée ; on n'en rencontre pas dans la région lombaire. Sur toutes les coupes,

ellessont strictement limitées la substance grise et aux parties limitrophes

de la substance blanche. On les trouve également sur toutes les coupes de

la région cervico-dorsale. Dans les régions cervicale et lombaire, le canal

de l'épendyme, légèrement dilaté, contient des hématies déformées, et une

substance amorphe, grenue, colorée en rose pâle par l'éosine. L'épithélium

épendymaire est intact. Pas plus que dans le cerveau, la névroglie et le

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière T. XXII. PI. XV

ACTION DU RADIUM SUR LES TISSUS DU NEVRAXE ^

(Alqiiici- et Faure-Bentliea).

A Exp. 2. Hémorrhagies minimes sous la pie-mère cérébrale.

B - Exp. 4. (Dose de sel radifère presque doublée) hémorrhagies bien plus considérables, sous la pie-mère, et

dans l'intérieur de l'écorce cérébrale.

C - E\p. 3. Moelle cervicale inférieure (au voisinage du point d'application du radium). Nombreuses petites

hémorrhagies dans la substance grise, intégrité des cellules nerveuses (coloration par le Bleu de toluidine-

éosine-orange).

D - Exp. 2. Cellules pyramidales du cerveau, dans la région des hémorrhagies. Méthode de Ramon y Cajal.

E - Exp. 3. Cellules nerveuses de la corne antérieure, niveau très voisin de celui de la Fig. 3. Méthode

L'ACTION DU RADIUM SUR LES TISSUS DU NEVRAXE 113

tissu nerveux n'apparaissent modifiés (Pl. XV, E) : c'est à peine si, dans la

région lombaire, on trouve quelques rares cellules présentant une ébauche

de chromatolyse, et si, par le Marchi, apparaissent, dans la profondeur

de la substance blanche, quelques gaines myéliniques plus fortement

colorées en noir,mais sans aucune déformation. Enfin, de cLde là, on trouve

quelques très rares corps granuleux. Aucune lésion dans le cerveau.

Ainsi donc, le radium, appliqué sur le crâne ou le rachis du lapin, aux

doses thérapeutiques, ne détermine d'autres lésions du névraxe que de

minimes hémorragies, sans altération des éléments nerveux, décelables

par les méthodes de la technique actuelle.

.Nous voici loin des résultats de nos devanciers. Notre4'expérience vient

démontrer l'action nocive, pour le lapin, de,doses supérieures à celles des

3 premières, et se rapprochant davantage de celles des autres auteurs.

L'appareil, appliqué sur le crâne, dans des conditions analogues à celles

des 2 premières expériences, et d'activité 500.000, contenait 40 mmgr. de

sulfate de radium. Bien que l'application ait été mal faite, n'intéressant

que la partie tout antérieure du cerveau, nous avons trouvé, dans ce cas,

des hémorragies bien plus considérables que dans les autres, non seulement

dans le cerveau (PI.XV, B), mais encore dans toute la hauteur de la moelle.

Ces lésions n'avaient d'ailleurs déterminé aucun accident clinique.

Qu'on nous permette, en terminant, un rapprochement d'un tout autre

ordre : l'un de nous (1) a observé, avec Anfimow, dans le cerveau ou sous

la pie-mère cérébrale d'épileptiques mortes en état de Mal, ou après des

crises nombreuses, des hémorragies analogues à celles que produit le ra-

dium et y voyait plutôt une conséquence que la cause des accès épilepti-

ques. Or l'expérimentation vient nous montrer que, chez l'animal, de

semblables lésions peuvent, ou bien, comme dans nos cas, ne pas avoir

d'histoire clinique, ou bien, comme dans ceux d'Obersteiner, s'accompa-

gner surtout d'accidents paralytiques, plus rarement de contractures, sans

convulsions cloniques. Ceci vient singulièrement étayer notre manière de

voir et semble bien montrer que ces hémorragies sont insuffisantes pour

provoquer l'épilepsie.

(1) ALQUIIIR et ANF1MOW, Soc. de neurologie, 1907.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU SYNDROME PÉDONCULAIRE

UN CAS AVEC HÉMIPLÉGIE GAUCHE ET OPHTALMOPLÉGIE

TOTALE BILATÉRALE

PAR LE

Dr P. ZOSIN,

Docent chargé du cours des maladies nerveuses et mentales à la Faculté '

de Médecine de Jassy (Roumanie).

Aujourd'hui on connaît trois types de syndrome pédonculaire : le type

de Weber, qui est le plus commun, caractérisé par une hémiplégie du côté

opposé à la lésion avec ophtalmoplégie unilatérale du même côté que la lé-

sion, le type de Grasset dans lequel on a signalé l'adjonction de la para-

lysie du nerf oculo-moteur externe du côté correspondant à la lésion et le

type de l3énédiclt caractérisé par une hémiparésie avec paralysie croisée du

nerf oculo-moteur commun et avec le tremblement des extrémités paraly-

sées. Mais les troubles pédonculaires peuvent dépasser les limites habituel-

les comme cela se voit dans le cas suivant.

Observation.

Kira Basan, âgée de 31 ans, paysanne du district Falciu, mariée, mère de

9 enfants, est amenée le 27 novembre vieux style ou 10 décembre nouveau

style 1908, à l'hôpital St-Spiridon de Jassy, dans le service clinique du pro-

fesseur Dr Russ, où nous l'avons observée.

Antécédents. - Ses parents vivent et sont bien portants.Du côté des colla-

téraux, un frère et deux soeurs, rien à remarquer.

Dans son enfance elle a souffert du paludisme et probablement aussi de cer-

taines fièvres éruptives.

Mariée vers 18 ans, elle a eu 9 enfants dont 4 sont morts en bas âge sans

pouvoir bien déterminer les maladies dont ils ont souffert : l'un est mort avec

diarrhée probablement dysentérique, un autre ne pouvait pas marcher, etc. Il

y a plus de deux ans depuis son dernier accuuchement. Avant la maladie dont

elle souffre maintenant, elle a été toujours bien portante. Son mari est aussi

bien portant.

Elle nie la syphilis et n'en présente aucun accident ; pas d'avortements. Nie

l'alcoolisme, ne présente pas de tremblement ; pas d'artério-sclérose précoce,

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU SYNDROME PÉDONCULAIRE 115

ses artères sont souples. Pas de tabagisme. Aucune intoxication chronique; pas

de signes ou de symptômes de pellagre.

Début et marche de la maladie. - Dans le mois de juin 1908, quelques

jours avant la fête des Saints Pierre et Paul (29 juin vieux style, 12 juillet

nouveau style), après avoir beaucoup travaillé dans la journée en lavant du

linge, après avoir mangé le soir, avoir arrangé son ménage, couché les

enfants, sans avoir éprouvé aucun malaise d'après ce qu'elle dit et nous ren-

seignent ses proches, ni céphalée, ni vertige, elle s'est couchée ; et après

minuit son mari et ses enfants ont été réveillés à cause de sa respiration

bruyante (sans doute stertor) et ont commencé à faire des préparatifs comme

pour une personne qui va mourir.

La malade se rappelle seulement avoir fait dans la nuit fatale un rêve af-

freux : il lui semblait qu'elle était entourée d'un grand feu, et puis elle ne

s'est rendu compte d'elle-même qu'après une semaine.

Quand elle a repris connaissance d'elle-même, elle ne pouvait plus quitter

son lit, ne pouvait plus voir parce que ses paupières supérieures étaient pen-

dantes et elle ne pouvait les relever qu'avec la main droite, tantôt l'une tantôt

l'autre, ne pouvait pas se servir de son membre supérieur gauche ni de son

membre inférieur gauche. Elle présentait de l'incontinence d'urine dans la

première semaine de sa maladie. On était aussi obligé de la faire manger.

De même elle ne pouvait pas parler quoiqu'elle comprenait en partie ce

qu'on lui disait et ce n'est qu'après trois semaines que son langage lui est

revenu d'un jour iL l'autre presque complètement.

Après avoir été soignée chez elle à la campagne, par de vieilles femmes

qui lui faisaient aussi des charmes, et par des prêtres qui disaient des prières

près de son lit, après un mois quand elle avait repris presque complètement

connaissance et pouvait marcher un peu, quoique difficilement, on l'a con-

duite à l'hôpital rural le plus prochain, d'où après être restée presqu'un mois

elle est retournée chez elle, sans un grand résultat, sauf qu'elle pouvait

mieux marcher et n'avait plus de troubles sphinctériens. A l'hôpital et aussi à

la maison on lui administrait de l'iodure de potassium.

Après trois mois, son état restant stationnaire, on l'a fait entrer à l'hôpital

St-Spiridon de Jassy.

N'ayant pas été vue au commencement par un médecin, nous ne pouvons

nous édifier en détail sur l'évolution de sa maladie. D'après ce qu'elle nous dit

et d'après les renseignements de ses proches, nous sommes presque certains

qu'elle a eu un ictus apoplectique suivi de coma sans pouvoir bien déterminer

les autres symptômes et surtout si l'ophtalmoplégie s'est manifestée chez elle

tout d'un coup avec l'hémiplégie ou après un certain intervalle pendant lequel

l'état comateux aurait duré. Il semble aussi avoir existé un état aphasique

(aphasie motrice) qui s'est résolu complètement après trois semaines.

De même nous ne pouvons être fixés sur l'état de ses réflexes et de sa sen-

sibilité avant son entrée à l'hôpital, pour savoir s'il y a eu au commencement

hémianesthésie superposée à l'hémiplégie et si son hémiplégie a passé par l'état

flasque habituel. ,

116 ZOSIN

, Etat actuel. Son état général est passable ; sa constitution faible ; l'intel.

ligence médiocre. La taille plutôt petite et maigre.

Ce qui frappe à première vue c'est sa physionomie (voir sa photographie,

PI. XVI) présentant un ptosis bilatéral plus accentué à gauche qu'à droite où par

le renversement de la tête en arrière et par la contraction du muscle frontal la

paupière supérieure se relève un peu pour lui permettre d'apercevoir les ob-

jets. De cette manière elle présente le facies d'Hutchinson : tête renversée,

brides accentuées du front, paupières tombantes cachant presque complètement

les globes oculaires. On remarque de même que la commissure labiale gau-

che est un peu tirée en dehors, le sillon naso-labial étant beaucoup plus pro-

noncé à gauche qu'à droite où les traits n'ont rien d'anormal. De même l'aile

nasale gauche étant plus tirée, le trou nasal respectif est plus étroit. La tête

est un peu tournée et penchée à gauche par la contraction des muscles du cou

de ce côté.

Les membres supérieur et inférieur gauches présentent aussi un certain

degré de contracture qui se révèle quand on leur imprime des mouvements

de flexion et d'extension. D'ailleurs leur attitude même révèle cet état quoi-

que les mouvements volontaires s'exécutent dans leur ensemble suffisamment

bien : par exemple la malade peut relever son bras gauche, mouvoir l'avant-

bras et même les doigts ; elle peut aussi fléchir sa cuisse gauche, sa jambe,son

pied, leur donner des mouvements d'adduction et d'abduction, mais elle ne

peut pas faire de mouvements plus fins et la force est presque de moitié ré-

duite à gauche ; à droite aussi elle est moindre qu'à l'état normal :

NOUVELLLE'ICONOGRAPHIE DE la Salpêtrière

T. XXII. PI. XVI

SYNDROME PÉDONCULAIRE

Hémiplégie gauche et ophtalmoplégie totale bilatérale.

(Zosin).

CONTRIBUTION A L'RTUDE DU SYNDROME PEDONCULAIRE 117

obliques) et la musculature intrinsèque (muscles ciliaires, sphincters pupil,

laires) des yeux dépendante des nerfs oculo-moteurs communs.

Du côté des membres gauches, outre l'état de contracture, révélé par l'atti-

tude, la démarche et le mouvement imprimé par nous -même, on trouve les

réflexes exagérés : le rotulien se produit même en frappant au-dessus de la

rotule, ce qui est pour nous un signe caractéristique de l'exagération dégéné-

rative des réflexes. On obtient de même le clonus ou la trépidation du pied

gauche et l'extension de ses orteils par l'attouchement de la plante (signe de

Babinski). Du côté du membre supérieur gauche, les réflexes sont aussi exa,

gérés : en frappant sur la région de l'apophyse coracoïde il se produit un mou-

vement de contraction du membre entier. Du côté du visage les réflexes exa-

gérés de la moitié faciale gauche révèlent la contracture, mise en' évidence

aussi par les traits accentués de ce côté.

Quant à la sensibilité, elle est un peu obtuse dans toute la moitié gauche du

corps pour toutes ses formes : tact, douleur, température.

Il y a aussi à remarquer une manifeste diminution.du volume des mem-

bres gauches, surtout du membre supérieur. Les mensurations des deux côtés

donnent les résultats suivants' :

118 ZOSIN

postérieure du plancher du 3° ventricule et de la partie antérieure de l'a-

queduc de Sylvius, où sont situés en rangées les noyaux des nerfs oculo-

moteurs communs, en empiétant vers la droite pour au moins toucher le

faisceau sensitif respectif et le cordon moteur du pédoncule cérébral

droit.

Nous n'insistons pas tant sur la nature de la lésion qui a provoqué les

troubles décrits chez notre malade, parce que la chose est très difficile à

établir avec certitude, ayant égard à l'âge de la malade et à l'insuffisance

des renseignements sur son passé morbide.

La survenance brusque des manifestations éloignerait la supposition

d'une maladie infectieuse chronique, telle que la syphilis, la tuberculose,

etc., et de même l'existence d'une tumeur, la malade ne présentant aucun

symptôme plausible pour cette dernière hypothèse. Donc, il ne s'agit pas

d'une thrombose ni d'une compression.

Son âge et le manque de signes caractéristiques excluent aussi l'idée

d'un athérome. L'hystérie, de même, est exclue parce qu'on voit que

nous avons affaire avec des troubles nettement organiques,et puis il n'y a

pas de stigmates.

La survenance brusque des manifestations telles qu'on nous les a ra-

contées (ictus avec coma) et puis l'évolution tout à fait classique de l'hé-

miplégie, supposent plutôt une embolie ou une hémorragie.

Quant à l'embolie, l'examen minutieux que nous avons fait du coeur

qui parait normal et des autres organes que nous avons trouvés aussi

normaux, ne nous permet pas de le supposer. Ainsi, il ne reste que l'hé-

morragie suivie du ramollissement qui serait avec grande probabilité le

substratum du syndrome tel que nous l'avons observé.

Mais ce qu'il y a de plus intéressant dans notre cas, ce n'est pas la na-

ture de la lésion que seule la nécropsie pourrait nous révéler avec certi-

tude ; c'est la forme de ce syndrome. Si l'ophtalmoplégie était seulement

unilatérale droite, nous aurions affaire avec la forme connue d'hémiplé-

gie pédonculaire dite aussi alterne supérieure (syndrome de Weber).

Dans notre cas, il y a ophtalmoplégie bilatérale totale, c'est-à-dire l'oph-

talmoplégie totale gauche ajoutée au syndrome de Weber, et c'est juste-

ment par cette particularité que notre cas constitue une forme à part de

syndrome pédonculaire.

TROIS OBSERVATIONS DE RIRE ET DE PLEURER SPASMO-

D1QIJES CHEZ DES HÉMIPLÉGIQUES DU COTÉ DROIT

PAR

VIRES

Agrégé, médecin de l'hôpital général,

et

ANGLADA,

Interne des hôpitaux,

de l'Université de Montpellier.

Observation I.

D..., âgé de soixante-six ans. Pas d'antécédents pathologiques, héréditaires ou

personnels. Ethylisme léger dans la jeunesse ; pas de syphilis.

Le malade a été pris en janvier 1907 d'un ictus d'apparition brusque, proba-

blement par hémorragie cérébrale, qui a déterminé la présence d'une hémiplé-

gie droite coml,lèle, suivie trois mois après de crises de pleurer spasmodiques.

C'est un artério-scléreux, chez qui on trouve à l'auscultation un éclat diasto-

lique de l'aorte à timbre éclatant. Le fonctionnement de ses autres appareils est

assez bon. Rien d'anormal dans les urines.

L'hémiplégie est entrée assez rapidement en décroissance, dans une résolu-

tion très incomplète, mais qui permet au malade de se servir à peu près conve-

nablement de sa main et de son bras droit. En marchant, il traîne la jambe, qui

est légèrement contracturée, et décrit un arc de cercle assez prononcé.

La sensibilité tactile et thermique droite est normale ; à la piqûre, elle parait

diminuée. La réflectivité tendineuse est dans son ensemble exagérée, on trouve

le signe de Bahinski positif. Il n'y a pas de tremblements, ni de rétractions

musculo-tendineuses. Les sphincters ne sont pas touchés. A gauche, rien de

pathologique. La face étant au repos, on ne constate pas de modifications bien

appréciables ; lorsqu'elle se contracte, on distingue une déviation de l'ensemble

des traits vers la gauche : les saillies musculaires sont moins nettes, la bouche

descend obliquement du côté opposé, le releveur de la paupière droite est pa-

résié. Il n'y a pas à signaler de perturbations dans la musculature des yeux

et de la langue. Pas d'atteinte des sensibilités sensorielles, pas de troubles de

la déglutition, pas de ptyalisme.

L'articulation des mots est lente, mais se fait d'une manière satisfaisante.

Le malade étant intelligent comprend parfaitement les questions qu'on lui pose,

et il est dès lors facile de se rendre compte qu'il n'y a ni troubles d'élocution,

ni troubles de compréhension, ni atteinte de la sphère psychique.

Pas de phénomènes trophiques particuliers, sauf une diminution peu marquée

120 VIRES ET ANGLADA

du reste de la tonicité musculaire et du volume des muscles du côté qui es

paralysé.

Crises spasmodiques. - Elles sont très fréquentes, mais leur durée est

en général courte et leurs manifestations sont discrètes. Elles affectent le type

larmoyant, mais le malade se prépare la plupart du temps beaucoup plus à

pleurer qu'il ne pleure véritablement. Il élargit les commissures buccales en

un rictus triste, contracte tous les muscles de la mimique faciale et arrive à

prendre un air lamentable, qui constitue toute la scène. Parfois aussi, mais

moins souvent, ce sont de véritables crises convulsives de pleurs, et il verse

de nombreuses larmes.

La crise peut être provoquée par le rappel d'une idée triste, par une émo-

tion, un reproche. Mais dans la grande majorité des cas, elle se produit spon-

tanément, d'emblée, sans que l'on puisse trouver une cause suffisante qui

explique son apparition.

Avant et pendant la crise, aucune tristesse ; une fois que tout est rentré

dans l'ordre, le malade devient morose parce qu'il redoute de ne jamais guérir.

Mais cette idée, même tenace et intense, est généralement impuissante à créer

un nouveau spasme de pleurs.

La durée des crises est courte ; mais elles se reproduisent fréquemment

dans la même journée. Pourtant, depuis à peu près un mois, elles ont une

tendance certaine à diminuer comme fréquence et intensité. Jamais la crise

n'a pris un caractère joyeux.

Actuellement, D... ne présente que d'une façon très incomplète le tableau

plus haut résumé. Au point de vue hémiplégique, l'atténuation est presque

devenue une guérison. La crise spasmodique immobilise les muscles faciaux

dans un rictus qui n'est ni le pleurer ni le rire (PI. XVII, D).

Observation II.

B..., âgé de 53 ans. Aucun renseignement sur ses antécédents héréditaires;

au point de vue personnel, il aurait eu à 8 ans une scarlatine grave ; il est

depuis sa jeunesse un fervent des apéritifs ; pas de syphilis avouée.

Au mois de mars 1906, B... a été pris subitement d'un ictus qui, une fois

la disparition des accidents aigus accomplie, l'a laissé porteur d'une hémiplégie

droite complète, bientôt suivie de phénomènes de pleurs et de rires spasmo-

diques. Il présentait quelques jours avant l'ictus une certaine difficulté pour

s'exprimer. Le système nerveux est seul intéressant à examiner, les autres

appareils ne présentent pas de signes pathologiques à relever ; la formule uri-

naire est normale.

A droite, on trouve de l'hémiplégie avec contracture prédominante aux

membres. L'avant-bras est en flexion sur le bras, la main sur l'avant-bras,

les doigts sont repliés sur eux-mêmes ; on n'arrive pas à vaincre complètement

cette contracture. Le malade fauche en marchant, tout son membre inférieur

est raide et immobile. Du côté de la face, les manifestations paralytiques sont

moins nettes, il faut pour constater leur présence amener chez le malade une

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XVII

RIRE ET PLEURER SPASMODIQUES

chez des hémiplégiques du côté droit.

(Pires et AlIglada).

TROIS OBSERVATIONS DE RIRE ET DE PLEURER SPASMODIQUES 121

crise faciale spasmodique. On voit qu'il y a alors un certain degré de contrac-

ture du côté hémiplégie, les reliefs musculaires s'affirment plus nettement, la

commissure buccale est tirée en haut.

A gauche, pas de signes particuliers. La langue est normale, même intégrité

pour la musculature des yeux et dans le domaine du facial supérieur. '

Les différentes sensibilités sont conservées du côté hémiplégie ; pas de

troubles trophiques importants. A droite, il y a une exagération très forte de

la réflectivité, on obtient facilement la trépidation épileptoïde du pied et la

danse de la rotule ; le réflexe du genou est vif, le signe de Babinski positif.

Il y a des troubles manifestes du côté du langage et de l'articulation des

mots. La parole, lente, pénible, s'accompagne d'achoppement des syllabes, de

répétitions du même mot. Le malade bredouille et s'arrête par moments. Son

domaine psychique, qui n'a jamais dû remplir un horizon intellectuel un peu

vaste, est suffisamment conservé, mais les troubles d'articulation se compli-

quent d'un retard notable dans la transmission de l'idée au mot qui doit

la représenter. B... demeure parfois pendant un long moment sans

pouvoir exprimer sa pensée, ou, en la rendant en des termes qui ne sont pas

l'expression de ce qu'il voudrait. Il y a donc un degré appréciable d'aphasie

verbale. Pas de surdité verbale, de cécité, d'agraphie. ,

Comme nous l'avons déjà vu, la langue se mobilise bien, pas de ptyalisme.

Le malade s'engoue habituellement au moment de son repas. C'est du reste

un gros mangeur.

Pas de modifications dans la sphère sensorielle. Les limites de son intellec-

tualité sont restreintes, mais il en a été, paraît-il, toujours ainsi. Pas de troubles

des sphincters.

Crises spasmodiques. - Sur ce cadre pathologique habituel et invariable

apparaissent de façon intermittente des accès de rire et de pleurs convulsifs.

La crise est fréquente, elle est rarement spontanée. C'est surtout à l'occasion

d'un effort intellectuel, une interrogation qui ne trouve pas de réponse, une

coutrariété futile que se produisent les phénomènes. Il suffit même de regarder

B... fixement dans les yeux pour qu'il entre en crise de rire spasmodique.

C'est en effet le rire qui domine ; une fois la première impulsion donnée, il

se répète des heures entières avec une intensité progressivement croissante. Il

prend d'abord une allure étonnée, pitoyable, puis le malade rejette la têtf en

arrière et le rire devient alors béat, puis tu ni ? "ux, violent. Il donne une

sensation de fatigue profonde. La malade met tout en jeu pour modérer et

juguler cette hilarité convulsive, mais vainement, et la crise ne s'arrête pour

ainsi dire qu'au moment où B... est brisé, suant, comme effondré. Chaque

accès dure de une à deux minutes, mais la succession et le nombre sont tels

que l'on assiste parfois à un véritable état de mal.

Il n'est pas rare alors de voir apparaître des manifestations de tristesse qui s'ac-

compagnent de pleurs inextinguibles, parfois coupés par des rires qui donnent

au malade successivement uue allure lugubre et joviale qui sont très caracté-

ristiques. On a essayé toutes sortes de médications pour diminuer ces phénol

mènes excessivement pénibles pour le malade, mais sans résultat thérapeutique

satisfaisant (hl. XVII, B).

122 VIRES ET ANGLADA

Observation. III.

S..., âgé de 66 ans, n'a jamais présenté de maladies- importantes avant la

maladie actuelle. Il prétend qu'il n'est ni syphilitique, ni alcoolique. Pas d'in-

toxication d'aucune sorte. Sa femme a eu cinq fausses couches et. le seul

enfant qui ait vu le jour est un porencéphale complètement idiot.

Il y a à peu près trois ans, pendant qu'il travaillait (il est tailleur), il ressentit

dans le mollet droit une crampe douloureuse. En même temps, il se sentait

pris d'un état vertigineux accentué, avec brouillard devant les yeux, bour-

donnements d'oreilles. Le vertige diminua et lui permit de rentrer seul chez

lui où il s'alita. Le le ndemain, au réveil, il avait une hémiplégie droite com-

plète, sans avoir jamais perdu réellement connaissance.

La paralysie dura six mois, puis il retrouva le fonctionnement partiel du

côté hémiplégie ; c'est plus d'un an après le début de ces événements qu'ont

apparu les crises spasmodiques de pleurs. .

Les troubles paralytiques persistants sont des troubles de contracture très

atténuée. Les autres appareils ne sont pas touchés.

Le malade traîne la jambe en marchant ; les doigts de la main et l'avant-

bras sont en demi-flexion, naturellement, mais le malade peut les mobiliser

comme il le désire avec cependant une certaine difficulté. La force musculaire

est très diminuée. Il n'y a pas de tremblements, de rétractions tendineuses.

C'est encore à la face que la contracture est la plus nette du côté malade ;

les sillons nasogéniens sont accentués, la bouche est déviée à droite, l'oeil est

à demi-fermé par contracture de l'orbiculaire, le nez est déjeté du même côté.

Les plis du front sont assez marqués. Lorsque S... mobilise les muscles de la

face, ces divers signes sont plus marqués.

La sensibilité cutanée est peut-être moins nette à la piqûre du côté droit,

mais sa recherche est difficile : le malade réagit peu, n'écoute pas, ou apporte

aux questions posées un grande paresse mentale.

Les réflexes sont exagérés à droite avec signe de Babinski positif; à gauche

ils sont plutôt diminués. Pas de troubles sphinctériens, ni de troubles trophi-

ques importants, pas de paralysies oculaires, linguales, de ptyalisme, de trou-

bles sensoriels.

Le malade parle posément, sans se reprendre, sans répétitions, sans achop-

pements. La tonalité de la voix est monotone, le débit un peu scandé, chan-

tonnant. Chaque mot est articulé ainsi qu'il convient avec un rythme

uniforme. Parfois il hésite, s'arrête, fait des efforts, mais ne parle pas et si

on le prie de répéter une phrase qu'il sent difficile,il préfère garder le silence ;

s'il parle il est forcé de s'arrêter, les mots lui faisant défaut. L'ingestion d'a-

liments solides et surtout de boissons amènent des quintes de toux et des

phénomènes d'engouement ; il y a du reste de la paralysie du voile du palais.

Crises sosmoc"M.ENfS sont peu fréquentes. Du reste leur apparition

spontanée est rare. D'ordinaire c'est une pensée triste, une lecture attendris-

sante, un ennui qui déclanche la provision des pleurs convulsifs. Alors ce

TROIS OBSERVATIONS DE RIRE ET DE PLEURER SPASMODIQUES 123

sont des crises bruyantes pendant lesquelles le malade verse de grosses larmes,

pleure comme un véritaole enfant, avec désespoir. Il ne faut pas songer à

l'arrêter, il y a comme un arriéré de contractions faciales et de manifestations

lacrymales qu'il lui faut épuiser jusqu'à ce que ses traits retrouvent le calme

de leur cadre habituel. La crise passée, et elle dure de quelques minutes à un

quart d'heure, le malade demeure abattu, mais bientôt il n'y paraît plus. Après

la crise, il n'y a pas de tristesse consécutive mais au contraire une grande

insouciance (PI. XVII, S). n

Les trois malades dont nous présentons les observations sont affectés

de rire ou pleurer spasmodiques, consécutifs à une hémiplégie droite dé-

terminée vraisemblablement par une hémorragie capsulaire pour le pre-

mier, à un ramollissement pour les deux autres.

Nous savons que le syndrome rire ou pleurer spasmodique se retrouve

dans des états pathologiques dont les lésions siègent en des points diffé-

rents des centres nerveux ; -les unes frappent l'étage supérieur, cortical

des neurones, comme le ramollissement, les tumeurs ; les autres occupent

l'étage inférieur des neurones, l'étage basilaire, avec les noyaux opto-

striés, la couche optique, la capsule interne. D'autres enfin, se retrou-

vent dans les noyaux moteurs de la mimique faciale, en plein bulbe. Il

faut éviter de confondre ces modalités cliniques et anatomiques avec d'au-

tres manifestations émotives, la sénilité et le gâtisme, par exemple, et ne

pas les identifier non plus avec celles du rire. ou pleurer spasmodique in-

dépendants d'une lésion organique des centres nerveux.

Lorsque la lésion siège uniquement sur les noyaux bulbaires, elle se

manifeste, ainsi que l'a dit BRISSAuo, par des spasmes grimaçants. Ce n'est

pas en somme le véritable rire et pleurer spasmodique.

Si l'on a été tenté, au début, de faire jouer un rôle au facial dans la

production de ces phénomènes, il est bien évident actuellement que le

facial n'y est pour rien. CHARLES Bell, le premier, différencia nettement la

paralysie du nerf de celle de la mimique proprement dite, un homme '

pouvant contracter ses muscles faciaux sans pouvoir arriver à rire ou

pleurer, un homme pouvant rire ou pleurer quoique porteur d'une hémi-

plégie complète et même de paralysie bilatérale. Ce sont là des faits uni-

versellement admis par Magnums, STROAIEI'LB, R0111BERG, NOTHNAGEL,, Go-

WERS, GAYET, ROSCNBACI1, etc.

Actuellement aussi, on s'accorde à regarder la couche optique comme

jouant le rôle important dans la production ou la disparition de la mi-

mique faciale. Sur la valeur exacte de ce rôle se groupe seulement en

échelons divers l'avis des principaux neurologistes.

Il ressort des faits expérimentaux, des matériaux cliniques réunis par

124 VIRÉS ET ANGLADA

BETCHEREw, que le thalamus est le centre important des mouvements d'ex-

pression innée (1).

Le thalamus est relié d'une part à la corticalité, d'autre part à l'étage

inférieur bulbaire ; il est donc tout entier sous la dépendance d'excita-

tions : psychiques; réflexes par excitations cutanées ou sensorielles;

spasmodiques par. excitation organique de voisinage.

Pour BETCHEREW, la lésion corticale intervient par un double méca-

nisme possible : excitation corticale directe, inhibition volontaire rendue

impossible par suppression des connexions nerveuses réunissant entre

eux les centres, puisque un conducteur nerveux peut être et excitateur et

inhibiteur. Mais si la lésion porte directement sur le thalamus, le syn-

drome est pareillement obtenu et pour Betcherew c'est le cas le plus ha-

bituel.

Pour DIoNAi : ow, les lésions peuvent siéger sur le thalamus, mais les

causes du phénomène doivent se chercher en dehors de ce ganglion et

probablement dans l'écorce..

Pour Oppenheim, le rire ou pleurer spasmodique proviennent de l'inter-

ruption organique produite entre les centres d'arrêt du cerveau et les

noyaux des nerfs bulbaires ; or, on sait bien maintenant que les centres

d'innervations bulbaires siègent dans la corticalité.

Il faut admettre aussi que les voies nerveuses qui commandent soit au

rire soit au pleurer dans les lésions cérébrales sont certainement les mê-

mes, et qu'il y a toujours intervention des couches optiques et de leurs

fibres nerveuses (2).

BETCHEREW insistait sur le processus de destruction du thalamus, comme

agent pathogénique primordial dans la production du rire et du pleurer

spasmodique.

Brissaud devait s'élever contre cette interprétation et proposer une ex-

plication nouvelle qui est une des pages les plus vigoureuses de ses tra-

vaux et son interprétation s'applique aussi bien aux troubles paralytiques

qu'aux troubles spasmodiques où s'étale nettement le syndrome rire et

pleurer. Il faut considérer ce thalamus comme un centre réflexe de coor-

dination de la mimique, en rapport avec les circonvolutions frontales. Un

trouble dans la grande voie cortico-thalamo-bulbaire amènera le syndrome

et c'est au niveau de la capsule que siège la lésion qui le déterminera. Les

phénomènes émotionnels d'origine corticale suivent deux voies pour se ren-

(1\ BFTCIIEREW, Die levenlung der Selalügel auf Grund von exprimera telle und pa-

thologischen Butes, Archives de Virchow, CX, 1887; Dte Luitungsbahnen itnd Gehirne

und Ruckenmark, 2 Aull., 1899.

(2) Du pleurer impulsif dans les lésions cérébrales, Revue russe de Psychiatrie, de

Neurologie et Psychologie expérimentale, Ne 11, 1906. Barssnun : Leçons cliniques

sur les maladies nerveuses, Paris, 1S95, leçon XXI. 1. ,

TROIS OBSERVATIONS DE RIRE ET DE PLEURER SPASMODIQUES 125

dre au thalamus ; le faisceau géniculé qui est un faisceau moteur ; le fais-

ceau d'Arnold ou faisceau psychique, véritable trait d'union entre le cen-

tre originel d'expression de la mimique et le centre de son réflexe automa-

tique, le thalamus, qui ne joue aucun rôle comme centre moteur autonome,

comme l'ont montré Dejerine (1) et il n'y a pas bien longtemps Roussy

dans sa thèse (2).

Le faisceau psychique passe dans la partie antérieure de la capsule in-

terne, c'est une voie volontaire et tout faisceau volontaire étant un fais-

ceau d'inhibition, on comprend de quelle importance sera son altération

sur le centre coordinateur du rire et du pleurer. Cette altération peut être

déterminée par deux sortes de lésions, les unes sectionnant directement la

capsule, les autres déterminant seulement une irritation de contact ; elles

aboutissent l'une comme l'autre à la suppression du pouvoir inhibiteur.

L'effet sera variable suivant que l'altération est uni ou bilatérale, et, si elle

se complique d'une lésion du faisceau géniculé, il y aura,en plus,abolition

partielle ou totale de la motilité volontaire des muscles de la face; l'exci-

tation des noyaux moteurs bulbaires devient alors déréglée. ils sont « en

ébriété » et spontanément,ou sous une influence très légère,le phénomène

spasmodique se produit.

Mingazzini admet aussi l'existence de fibres psychothalamiques,destinées

à discipliner le rire et le pleurer. Ces fibres traversent le putamen pour

porter à la couche optique leur influence régulatrice, elles passent dans

la partie antérieure de la capsule ; Mingazzini n'indique pas si elles en oc-

cupent tout ou une partie (3).

Le tout se résume donc en ceci : le thalamus, centre de coordination

réflexe, répond à une excitation qui doit être soumise au contrôle, à la

maîtrise des neurones d'association corticaux; s'il est réduit à réagir de

lui-même, cette réaction est déréglée, sensible aux moindres influences,

aboutissant aux phénomènes de mimique spasmodique. Le processus ana-

tomique qui détermine le phénomène est différent suivant qu'il est corti-

cal, central, unilatéral, ou bilatéral comme chez les pseudo-bulbaires,mais il

aboutit toujours à un résultat commun, le dérèglement du thalamus livré

à lui-même, aux excitations du dehors, agissant sur les colonnes motrices

bulbaires.

On le trouve avec des destructions étendues de la capsule et des noyaux

optoto-striés (4) ; s'étendant parfois au thalamus des deux côtés chez les

(t) Dsjkrine et Roussy, Soc. de neurologie, 7 juin 1906.

(2) Roussy, Le syndrome thalamique. Th. Paris, 1907.

(3) Mingazzini, Osservazioni cliniche et anatomiche sutiedemennepost apoplettiche

Riv-speriment di fren. XXIII, 1841, in SOURY, Système nerveux central, 1899.

(4) FRANcEsio Franceschi, Sur lemécanisme pathogénique du rire et pleurer spasmo-

tique et sur la fonction motrice du noyau lenticulaire, Revista di pathologia nervesa e

mentale, juin 1905.

xxii 9

12 6 VIRES ET ANGLADA

pseudo-bulbaires (1) ; avec des lésions capsulaires simples, accompagnées

d'hémiplégie banale, cas où l'interprétation de Babinski peut seule nous

satisfaire.

L'émotivité particulière des malades est discutée ; chez certains elle est t

nulle et l'explosion de mimique spasmodique en est complètement indé-

pendante (2) ; pour d'autres elle joue un rôle certain.

Chez le premier de nos malades, les phénomènes spasmodiques sont

peu intenses, ils marchent de pair avec une forme hémiplégique qui n'est

relativement pas grave puisqu'il y a une rétrocession notable de la para-

lysie. L'émotivité personnelle ne joue aucun rôle, et s'il est triste, c'est

qu'il a pleuré involontairement (3). Son spasme paraît bien sous la dé-

pendance d'une lésion capsulaire (par hémorragie cérébrale) comme le

veut BRISSAUD.

Le second de nos malades a généralement besoin d'un excitant pour

mettre en branle son instabilité mimique, son intelligence est assez rudi-

mentaire. De par son aphasie, on peut le considérer comme un cortical,et

sa lésion corticale doit joindre son rôle à celui de l'irritation capsulaire

secondaire.

Enfin, chez le troisième de nos malades, il existe un état émotionnel

accentué qui joue le rôle prédominant dans la formation de ses crises. Il

y a, en plus, quelques phénomènes d'origine bulbaire, et un certain degré

de troubles du langage.

La thérapeutique employée chez chacun de ces malades (traitement

mercuriel) n'a donné de résultats que pour le premier d'entre eux.

(1) FRANCESIO G1ANULG1, Rire spasmodique. Annale deil Instituto psychiatrico della

Universita di Roma, IV, 1905.

(2) DERouBAix, Rire et pleurer spasmodique, Journ. neurologie, Bruxelles, 1906.

(3) Grasset, Ceux qui sont tristes parce qu'ils pleurent el ceux qui pleurent parce

qu'ils sont tristes, Province médicale, 11 novembre 1905.

SPASME DE LA PAROLE ARTICULÉE AVEC HÊM1SPASME

FACIAL ET SPASME BILATÉRAL

DES MUSCLES DU COU ET DE LA CEINTURE SCAPULAIRE

PAR Il

L.RIMBAUD, et

Chef de la Clinique médicale à la Faculté

J. ANGLADA,

Interne des hôpitaux

de Montpellier.

Observation.

Le nommé H... P..., 31 ans, mineur, entre dans le service de M. le Profes-

seur Grasset le 19 janvier 1909.

Antécédents personnels. - Pas de maladies antérieures. Il se dit « très ner-

veux », se met en colère à tout propos, pleure fréquemment pour des motifs

futiles, a le rire facile.

N'a jamais eu de crises nerveuses, pas de chorée, pas de tics de l'enfance, pas

de convulsions.

A l'âge de 3 ou 4 ans survient une petite tumeur de la peau du cou dans la

région prélaryn-ienne. Cette tumeur a été enlevée ; il reste une cicatrice non

adhérente, de 3 centimètres de longueur, située à deux centimètres de la ligne

médiane à droite et un peu au-dessus de la saillie du corps thyroïde. N'a pas

fait de service militaire. Aurait été réformé, nous dit-il, pour « faiblesse de

constitution ».

Antécédents héréditaires. Père (68 ans) et mère (56 ans) en bonne

santé. Deux soeurs et un frère bien portants. Personne dans sa famille ni dans

son entourage ne présente de trouble du langage ; il n'a jamais vu personne

qui soit atteint de manifestations analogues à celles qu'il présente. .

Début de la maladie actuelle. - A l'âge de 22 il 23 ans se sont produits

les phénomènes spasmodiques et les troubles de la parole dont il est aujourd'hui

atteint. Cet état s'est installé progressivement,allant sans cesse en s'accentuât.'

pendant 7 ans, pour attendre son maximum il y a 2 ans et rester depuis sta-

tionnaire.

Etat actuel le 20 janvier 1909 ? Dès le début de l'interrogatoire on est

frappé par la difficulté avec laquelle s'exprime le malade : la voix est voilée,

enrouée, les lèvres, les joues se contractent, le ma.ade paraît faire un gros

effort pour parler.

Lorsque l'interrogatoire se prolonge, les troubles, en 5 à 10 minutes, attei-

gnent leur maximum.

128 RIMBAUD ET ANGLADA

La voix est faible, par moments presque éteinte, elle paraît arrêtée par une

constriction delà glotte. « La gorge est serrée », dit-il, comme lorsque l'on

éprouve une forte émotion. En même temps se produisent des contractions

musculaires dans toute la face et le cou; elles s'étendent même aux membres

supérieurs et à la partie supérieure du tronc. Le front se plisse, les joues se

creusent,les lèvres se resserrent, les contractions spasmodiques sont plus mar-

quées du côté gauche de la face que du côté droit. Au niveau du cou les peau-

ciers se tendent des deux côtés et font une saillie très nette ; les sterno-cléido-

mastoïdien se raidissent, le thorax et les bras s'immobilisent.

Dans l'ensemble le malade prend un air pleurard qu'accentue encore le ton de

sa voix profondément modifiée. Par moments au contraire la physionomie du

sujet se transforme, il a l'air ue vouloir retenir le rire, de faire des efforts pour

siffler.

Dès qu'il cesse de parler, tous ces phénomènes spasmodiques cessent et l'ex-

pression du visage devient à peu près normale ; les lèvres cependant restent

serrées et légèrement contractées, surtout si l'on prolonge l'examen et si le

sujet se sent observé.

Lorsqu'il ne parle pas, le malade ouvre normalement la bouche, sa langue

est parfaitement mobile.

Les voyelles a et e sont mal prononcées ; les voyelles i, o, u sont émises à

peu près convenablement.

Les consonnes dites isolément sont assez bien articulées ; mais dès que

l'on fait répéter les lettres, l'articulation s'altère, la voix s'éteint, la parole

devient presque impossible.

Quand le malade parle à voix basse, les mêmes phénomènes spasmodiques

se produisent.

Tous ces troubles sont intermittents : légers au début d'une conversation, ils

vont s'accentuant peu à peu pour atteindre leur maximum au bout de quelques

minutes. Le matin au réveil le sujet peut prononcer quelques phrases comme

tout le monde. Lorsqu'il se met en colère la parole devient normale ; dès que

le mouvement violent a cessé les troubles reparaissent.

A la difficulté de l'élocution s'ajoute à un certain degré la difficulté de la

mastication. Le malade ne peut mâcher que lentement ; il sent,dit,il, « les

nerfs qui le tirent » ; tous ses muscles se raidissent ; il prolonge ses repas

d'une heure de plus que ses camarades.

Parfois, quand il veut boire, sa figure grimace et il a quelque difficulté à

ouvrir la bouche.Mais la déglutition proprement dite n'est pas troublée : jamais

le sujet n'a eu de spasme pharyngien, ne s'engoue pas,les liquides ne refluent

pas par le nez. . /

Tous ces phénomènes spasmodiques sont absolument indolores. Le sujet

accuse simplement une vague sensation de compression au-dessus du cartilage

cricoïde. /

L'examen de la bouche montre une voûte palatine étroite très creusée en

gouttière profonde. Mauvaise dentition. /

SPASME DE LA PAROLE ARTICULÉE 129

Examen laryngoscopique par le Pr Mouret :

Congestion des deux cordes vocales, surtout de la corde vocale gauche.

Pendant la phonation les cordes vocales se rapprochent complètement

et restent immobilisées, en contracture.

Pendant la respiration la glotte prend la position dite cadavérique.

Les diverses fonctions se font bien. Le sujet accomplit sans peine son tra-

vail de mineur.

Pas d'essoufflement, pas de toux, pas d'expectoration ;

Pas de troubles de sensibilité ; pas de douleurs ;

Force normale dans les membres ;

Réflexes tendineux normaux ;

Anesthésie pharyngée ; pas d'anesthésie cornéenne ;

Digère normalement. Urines normales ; ,

Bon sommeil. Réactions électriques normales.

Traitement électrique : après trois semaines de traitement, pas d'améliora-

tion appréciable.

En résumant les grandes lignes de cette observation, on voit qu'il s'agit

ici en somme d'un spasme fonctionnel où interviennent les muscles de la

face du côté gauche et de la musculature du cou (sterno-cléido-mastoïdiens

et pauciers), de la partie supérieure du tronc (pectoraux, trapèze, bras et

épaules), et des muscles du larynx. En ce qui concerne ce dernier, les

phénomènes spasmodiques impossibles à vérifier objectivement pendant

les crises se traduisent par les troubles dans le son de la voix du malade,

sans phénomènes respiratoires.

Les groupements musculaires mis en jeu sont sous la dépendance de

nerfs différents : facial, spinal, plexus brachial. Sauf en ce qui regarde la

face où le spasme est hémilatéral, l'action nerveuse se manifeste synergi-

quement et symétriquement.

Les spasmes des muscles' du cou et de la partie supérieure du tronc sont

très rares ; nous ne retrouvons que deux observations, l'une de Du-

chenne de Boulogne (1), l'autre de Gaussel (2).

Dans la première c'est un paveur dont les sterno-cléido-mastoïdiens se

contracturent pendant la contraction instinctive des muscles qui main-

tiennent la tête en équilibre entre la flexion et l'extension : spasme pro-

fessionnel puisque cette attitude est celle de l'ouvrier qui manie la demoi-

selle (3).

(1) DucnENNK de BorLoaNE, Traité de l'èlectrisation localisée, 1861. obs. CCXXXIV.

(2) GAUSSEL, Spasme bilatéral des muscles du cou et de la face, Nouvelle Iconogra-

phie de la SalplÎtriè. e, septembrE-octobre 1904.

(3) Grasset et RAUZIER, Maladies du système nerveux, t. II, p. 554.

130 RIMBAUD ET ANGLADA

Dans l'autre observation, le malade présente, par crises, des contrac-

tions subites et intenses de la musculature du cou et de la face, sous la dé-

pendance d'un état psychique tel qu'on peut rapprocher cette manifesta-

tion de celles qui caractérisent le torticolis mental de Brissaud.

Le cas que nous publi ons diffère des précédents par une extension plus

grande des troubles musculaires, par une allure clinique plus délicate

à interpréter, et prête aux quelques considérations qui vont suivre.

Et tout d'abord afin de limiter les grandes lignes de cette courte dis-'

cussion, il ne paraît pas que la contracture intermittente présentée par le

malade ait une allure quelconque professionnelle, il ne paraît pas non plus

qu'il soit légitime de la considérer comme une manifestation hystérique,

l'anesthésie pharyngée légère déjà mentionnée étant insuffisante à faire

prononcer en ce sens (Pl. XVIII).

Il demeure évident, et il n'y a qu'à se rapporter aux photographies ci-

jointes, que le malade montre par moment des contractions de l'hémi-face

gauche, du cou et de la partie supérieure du tronc. Le point intéressant à

éclaircir est celui de savoir si nous avons affaire à un tic ou à un spasme.

L'analyse des caractéristiques saillantes d'une crise et des périodes inter-

médiaires peut nous le permettre. A l'état normal, dans la veille ou le

sommeil, il y a simplement un très léger degré de contracture musculaire

(Phot. n° 1) qui ne se manifeste naturellement pas du côté du larynx puis-

que pour présenter ce tableau le malade doit garder le silence absolu.

Lorsqu'il parle, la contracture prend une allure spasmodique, progres-

sive, quant à son intensité et à sa répartition géographique musculaire. La

voix est enrouée, la parole pénible comme tonalité d'abord, comme ex-

pression articulaire ensuite, les premiers mots étant prononcés nettement

et sans fatigue. On assiste alors à une contraction d'abord faciale, puis cer-

vicale, puis de toute la ceinture scapulaire et aux moments où la crise est

à son maximum, les phénomènes sont tels que le malade immobilise tous les

muscles désignés,et est finalement placé dans l'impossibilité absolue d'arti-

culer le moindre mot.On a la sensation que l'on est en présence d'un spasme

produit par une fatigue rapide à point de départ laryngé, le larynx pre-

nant point d'appui sur les muscles de la face et du cou immobilisés, puis

sur ceux de la partie supérieure du tronc. Le malade n'émet que des sons

inintelligibles et est alors dans la situation physiologique de l'homme

normal qui contracte tous ses muscles pour pousser un cri perçant.

Mais ce qui caractérise cette attitude musculaire, c'est qu'elle est invo-

lontaire ; elle est subie par le malade et non provoquée. De plus elle suit

toujours les premières phrases prononcées, sans jamais les précéder, se

rapprochant ainsi du phénomène spasmodiqueconnu sous,le nom de cram-

pe des écrivains. 1

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PI. XVIII

SPASME DE LA PAROLE ARTICULEE

HEMISPASME FACIAL ET SPASME BILATÉRAL DES MUSCLES DU COU

ET DE LA CEINTURE SCAPULAIRE.

(Rinabaicd et Aylnda; .

SPASME DE LA PAROLE ARTICULÉE 131

Doit-on considérer la crise ainsi résumée comme un spasme ou comme

un tic.

En faveur du tic, il y a cet argument que la scène ne se produit jamais

pendant le sommeil, que la distribution musculaire s'étend en somme à la

musculature qui intervient dans les cas où le facteur moteur d'articulation

est troublé, donc à un groupe fonctionnel, que les spasmes sont rarement

bilatéraux.

Mais d'autre part, il ne semble pas qu'il intervienne ici un facteur men-

tal quelconque : pas de besoin impérieux, pas de sensation de satisfaction,

la crise une fois accomplie, au contraire, une impression de gêne et de

fatigue. Pas d'infantilisme mental, de phénomènes émotifs.

Gilbert Ballet et Naguet ont publié un cas qui se rapproche assez du nô-

tre pour en faire une différenciation (1). Il s'agit d'une jeune fille atteinte

de « tic inhibitoire du langage articulé datant de l'enfance ». Comme notre

malade, à peine prononce-t-elle quelques paroles qu'elle éprouve une gêne

progressivement croissante, comme lui elle immobilise ses mucles péri-la-

ryngés, Mais, différence essentielle, elle arrive par sa propre volonté à

vaincre finalement la résistance, c'est volontairement qu'elle contracte dans

ce but les muscles du cou et des membres inférieurs ; elle a de l'infanti-

lisme mental et les troubles qu'elle présente sont intermittents ; il faut

qu'elle soit entourée, écoutée, pour qu'ils se manifestent. Lorsqu'elle est

seule, ils n'existent plus. Chez notre malade au contraire, cette influence

psychique est nulle. Ses spasmes sont indifférents des circonstances exté-

rieures qui les entourent, ils ne sont pas bridés par la volonté qui cepen-

dant est forte et se double de l'aléa possible d'une situation sociale qu'il

lui faudra peut-être abandonner.

Autres signes distinctifs en faveur du spasme : l'impossibilité pour le

malade de contracter sa musculature volontairement, jusqu'à lui faire pré-

senter l'aspect que l'on retrouve dans la photographie ; la prise progressi-

ve et envahissante des régions musculaires. Avec Brissaud, Meige, Babinski,

Fraenkel, Mourier (2), etc., nous retrouvons certains caractères spéciaux

aux spasmes de la face et du cou, qui ne manquent pas dans cette obser-

vation. On peut notamment voir sur nos photographies la contraction dé-

formante par incurvation du nez (Pli. n° 2), la contraction parcellaire du

peaucier, la contraction contradictoire du peaucier et des lèvres (Ph. n° 3),

Il semble donc légitime de cataloguer spasme ce qui à un examen rapide

pouvait paraître un tic, et le spasme est aussi bien facial que cervical ;

(1) Gilbert Ballet ET Naguet, Tic inhibitGÏ1'e du langage articulé datant de l'en-

fance. Société de neurologie, 9 novembre 1905.

(2) Voir MEIGE, OEuvre médico-chirurgicale, article Tics, 1905, n° 42.

132 RIMBAUD ET ANGLADA

et il n'y a pas ici de dissociation comme dans le cas de Babinski (1).

Quant à déterminer le point de départ du spasme, le pourquoi delà

localisation bilatérale au cou et aux membres supérieurs, unilatérale à la

face, il ne nous est pas possible de donner une explication qui soit rigou-

reusement valable. Le malade, qui est un homme intelligent, assure que

tous les phénomènes actuellement constatés ont toujours marché progres-

sivement de pair, consécutivement à la fatigue laryngée. Il faut donc pla-

cer le point de départ dans la région laryngée (la déglutition peut agir aussi

par passage rétro-laryngé), mais cela hypothétiquement et sans préjuger

davantage sur la nature exacte du phénomène et de sa cause essentielle.

Nous ne pensons pas que la cicatrice laryngée, souple, indolore et très mi-

nime, ait pu jouer un rôle quelconque.

(1) BABiNSKi, Spasme du trapèze droit et Tics de la Face, Soc. neurologie, 6 juillet

1905, voir aussi Hémi-spasme facial, Soc. neurologie, 6 avril 1905.

INSTITUT D'ÉTUDES SUPÉRIEURES DE FLORENCE

CLINIQUE MÉDICALE GÉNÉRALE,

dirigée par 1VI. le Professeur Sén. PIÉTRO Gnocco,

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE

CHEZ L'ADULTE

PAR a

ETTORE LEVI

Assistant à la clinique médicale de Florence.

Les observations d'achondroplasie chez l'adolescent et l'adulte qui ont

été publiées après la description classique de M. Pierre Marie (1900)

dépassent à peine la cinquantaine : en 1905, Parhon, Shunda etZalplachta

en comptaient 42 cas.

Depuis lors quelques autres observations ont été publiées dont on trou-

vera la citation dans la bibliographie de ce mémoire qui ne comprend, en

effet, que les travaux parus après 1905 ; il nous a semblé inutile de faire

différemment car l'excellent mémoire de MM. Porak et Durante est enrichi

d'une étude complète de la littérature médicale relative à l'achondroplasie

jusqu'à cette date.

Nous avous cru utile de donner une description complète de ce nouveau

cas non seulement parce que la rareté des observations de ce genre est

encore très grande, mais aussi parce que le nain que nous allons décrire

nous semble présenter quelques particularités somatiques nouvelles, à

plusieurs égards intéressantes.

MM. Porak et Durante ont donné dans leur mémoire une si large part

à l'historique, à l'anatomie pathologique et à la pathogénie de cette

affection, qu'il nous semble tout à fait superflu de traiter à nouveau ces

points déjà suffisamment mis en lumière par ces auteurs.

Nous nous bornerons, par conséquent, à la description clinique de

notre cas, et à la discussion de quelques points relatifs à la pathogénie de

l'achondroplasie, qui nous semblent mériter une certaine critique.

Plusieurs auteurs considèrent aujourd'hui, en effet, l'achondroplasie

comme une maladie analogue par opposition au gigantisme, et veulent la

reconduire à une altération fonctionnelle de certaines glandes à sécrétion

interne : cette théorie que les auteurs mêmes considèrent comme hypo-

thétique, ne nous semble aujourd'hui encore fondée sur aucun argument

134 ETTORE LEVI

vraiment positif et nous semble, au contraire, heurter contre nos actuelles

connaissances sur le substratum anatomo-pathologique de cette singulière

affection.

Luigi Lusti, âgé de 25 ans, de Vallombrosa (Toscane) (PI. XIX).

Antécédents héréditaires. Le père est mort d'une maladie infectieuse

aiguë à 45 ans ; il était de haute taille, bien bâti ; sa femme affirme qu'il n'é-

tait ni alcoolique, ni syphilitique. La mère est vivante et saine ; nous l'avons

visitée et elle ne présente le moindre symptôme d'achondroplasie ; somatique-

ment normale, elle est d'intelligence très au-dessous de la moyenne. Deux

soeurs et un frère de notre nain sont vivants et sains ; trois soeurs sont

mortes de maladies aiguës ; aucun de ces six enfants ne présentait de symp-

tôme d'achondroplasie. Ni chez les ascendants, ni chez les collatéraux, aucun

cas analogue. La mère de notre patient n'a pas fait de fausses couches.

Antécédents personnels. - Notre nain est né à terme, après une grossesse

physiologique. Dès sa naissance, la mère s'aperçut qu'il avait une très grosse

tête et les jambes et les bras très courts. Il se développa normalement, marcha

précocement et à deux ans il parlait assez correctement; la dentition fut nor-

male.

Abandonné à deux ans par les siens, il fut élevé par l'Assistance publique.

II n'eut aucune maladie digne d'être mentionnée ; son intelligence était assez

vive et il apprit facilement à lire et à écrire.

Pendant l'enfance et l'adolescence, la disproportion dans l'accroissement du

tronc et de la tête vis-à-vis des extrémités se maintint et sa taille extrême-

ment petite le rendit l'objet de la curiosité de ceux qui l'entouraient.

A l'âge pnbéral, le développement des caractères sexuels secondaires se fit

normalement; le pouvoir sexuel fut toujours normal ; pendant l'adolescence il

s'adonna à la masturbation; depuis 8 ans il a des contacts sexuels réguliers

quoique peu fréquents, car notre patient est très sensible aux moqueries dont

il est l'objet.

Il gagne sa vie en tenant les livres d'un boucher ; il n'est pas très aimé par

ceux qui l'entourent car il est menteur et très susceptible.

Etat actuel. Comme on voit par les photographies, notre patient est un

type classique d'achondroplasique adulte : la tête énorme, le nez camard, le

tronc robuste ayant les proportions de celui d'un adulte normal, le dos plat,

la lordose lombaire, les bras et les jambes extrêmement courts, très musclés,

les pieds et les mains typiquement carrés en font un exemple classique de la

maladie si bien décrite par M. P. Marie. Les mensurations suivantes en sont

la meilleure preuve :

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XIX

ACHONDROPLASIE

(Ettore Levi).

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE 135

136 ETTORE LEVI

Extrémités inférieures :

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE 137

bien timbrée. Le réflexe massétérin est normal.La mobilité des muscles faciaux

est parfaite. Rien du côté du Ve nerf. Il n'y a pas d'hyperexcitabilité mécani-

que des troncs nerveux. La face en général n'est pas très petite, elle est large,

à traits bien marqués, mais elle apparaît enfoncée sous le front olympien ; les

mâchoires sont très dèveloppées ; il y a prognathisme accentué.

La mimique est normale, assez vive ; l'expression de la physionomie est

intelligente, bon enfant.

L'examen psychique systématique ne nous permet de mettre en relief aucun

fait de déficit bien déterminé ; le patient qui a eu une instruction très mo-

deste, se rappelle très bien de ses connaissances scolaires, la mémoire est ex-

cellente, l'imagination assez vive, les associations assez amples. Il n'y a aucun

caractère d'infantilisme psychique. Le patient n'est ni vantard, ni blagueur,

il est plutôt timide ; sa caractéristique principale est d'être un menteur ef-

fronté ; il s'amuse à tromper les gens en racontant les histoires les plus in-

vraisemblables. L'affectivité est très pauvre.

Sur toute la surface du corps les téguments ne présentent rien d'anormal.

Le tissu adipeux est normalement développé, mais il n'y a aucune trace d'adi-

posité. Pas de tuméfactions glandulaires.

Le système musculaire est extrêmement développé, athlétique.

La nuque est très aplatie ; le cou est fort, un peu court et cylindrique. La

trachée est proéminente. La glande thyroïde n'est pas facilement palpable.

Le tronc est très bien développé et robuste. Le thorax a les proportions de

celui d'un adulte ; il est large mais très aplati ; l'angle de Louys est rentrant.

Les mamelles sont bien dessinées ; les aréoles très évidentes et régulièrement

dessinées ; les pointes des seins très développées.

Le sternum- rentrant dans son tiers supérieur est de longueur normale et

très épais. Les clavicules sont normales ; les espaces intercostaux peu accen-

tués. Aucune trace de rosaire rachitique.La ligne xipho-ombilicale très allongée ;

la ligne ombilico-pubique au contraire très courte.

En regardant le malade par derrière on voit que le dos est extrêmement aplati

ce pendant que la concavité lombaire est très accentuée ; la lordose lombaire

apparaît d'autant plus forte que les muscles des fesses sont très développés.

Il y a une légère déviation du rachis avec scoliose cervico-dorsale droite ;

l'épaule droite est plus soulevée que l'épaule gauche.

Les omoplates sont extrêmement courtes ; leurs extrémités inférieures sont

soulevées des parois thoraciques et regardent en dedans.

Tous les muscles du tronc sont très forts et toniques. Les poils sont rares

aux aisselles et au menton, très abondants et normaux au pubis.

La peau est brune au visage et noirâtre au scrotum et à la verge.

Les organes thoraciques et abdominaux sont complètement normaux et tou-

tes les fonctions viscérales se font parfaitement. Les réflexes abdominaux sont

vifs.

Le ventre est proéminent par le fait de la lordose lombaire.

Les organes génitaux sont de proportions supérieures à celles de la moyenne.

138 ETTORE LEVI

des hommes ; la verge est longue et bien conformée ; les testicules très gros..

Les réflexes scrotal et crémastérien sont normaux.

Le pouvoir sexuel est normal, mais le patient n'est pas très porté aux fem-

mes tout en n'étant pas frigide. La fonction des sphincters est normale.

Le bassin est également rétréci dans tousses diamètres et il est en antéver-

sion. -

Extrémités supérieures. La brièveté des extrémités supérieures est des

plus évidentes ; dans la position du soldat sans armes les bras restent

nettement écartés du tronc et les sommets des doigts atteignent à peine le grand

trochanter.

Le raccourcissement des membres est du type ryzomélique, mais tous les

segments étant très raccourcis, l'index radio-huméral (94) ne dépasse pas de

beaucoup la moyenne.

Les proportions anormales de la tête humérale en rapport à la petitesse de

la cavité glénoïde de l'omoplate et la courbure assez accentuée de la diaphyse

humérale ont pour effet une attitude anormale des membres pendant le long du

tronc ; nous voyons en effet que les avant-bras sont en pronation totale de

telle façon que la face palmaire des mains est tournée complètement en arrière.

Les avant-bras sont égalemeut très raccourcis et l'examen radiographique

nous montrera l'anormale brièveté de l'ulna.

Les mains sont épaisses, courtes et charnues et elles affectent le type carré

si bien décrit par M. P. Marie. Le petit doigt et l'annulaire d'un côté, le doigt

moyen et l'index de l'autre sont de longueur presque égale. Le IVe doigt

de chaque côté a une base d'implantation un peu postérieure à celle des autres

doigts.

La peau des mains est extrêmement ridée et surabondante ; entre les doigts

on observe la persistance d'un pli cutané très accentué, presque une membrane

interdigitale.

Les muscles sont tous très développés et saillants ; leur contraction est très

énergique ; la mobilité des extrémités supérieures est normale en tous sens.

- Il y a hypotonie articulaire très accentuée au niveau des articulations mé-

tacarpo-phalangiennes et intra-phalangiennes ; en conséquence de cela notre

achondropldsique a subi trois fois la luxation traumatique du gros doigt des

deux côtés.

La main de notre nain ne présente pas spontanément le type en trident dé-

crit par M. P. Marie, mais cette déformation est chez lui virtuelle et peut être

provoquée passivement ; en posant sa main sur un plan solide on peut en effet

juxtaposer les doigts à leurs bases et les écarter avec toute facilité par leurs

extrémités ; la déformation en trident est dépendante de l'hypotonie articulaire

et de l'imparfaite adaptation des surfaces articulaires.

Les masses musculaires et les troncs nerveux sont indolents à la pression.

Les réflexes tendineux et périostaux sont normaux.

Extrémités inférieures. Ici aussi la réduction des segments des membres

est plus totale que ryzomélique et en effet l'index tibio-fémural est presque

normal (90).

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE 139

Les cuisses sont courtes, épaisses, un peu arquées en avant, les jambes

courtes massives, légèrement arquées en dehors ; cet aspect arqué est accentué

par le développement énorme des muscles delà région externe de la jambe. A

gauche il y a un faux aspect de genu valgum donné par la luxation interne de

la rotule, luxation d'origine traumatique. Cette luxation comme celle des doigts

des mains dépend d'un état d'anormale hypotonie des liens articulaires qui

est très évidente aussi aux articulations iléo-fémurales.

Les muscles des fesses, des cuisses et des jambes sont extrêmement dévelop-

pés, forts et toniques.

Les pieds sont relativement moins courts et carrés que les mains. Les pre-

mier, deuxième, troisième et cinquième orteils, sont disposés sur une même

ligne ce pendant que le quatrième orteil apparaît des deux côtés beaucoup plus

court, car il a une base d'implantation nettement postérieure aux autres. Ce

doigt est claviforme à base très rétrécie et son extrémité pose sur les surfaces

unguéales des deux doigts plus proches. '

La mobilité est parfaitement normale ; la démarche de même.

Les réflexes patellaires et achilléens sont normaux ; le réflexe plantaire

se fait en flexion.

La sensibilité est normale dans toutes ses formes sur toute la surface du

corps.

Examens spéciaux :

Séro-réaction de Wassermann pour la syphilis : négative.

Examen chromocilométrique du sanq :

1 40 ETTORE LEVI

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE CHEZ L'ADULTE 1 41

zontal ; il faut noter aussi les proportions relativement énormes du petit tro-

canter.

A l'articulation tibio-fémurale on voit les épiphyses du fémur et du tibia

qui sont très épaisses et à surfaces articulaires très élargies (surtout pour le

tibia). Le raccourcissement total du péroné est de beaucoup inférieur à celui

du tibia ; nous voyons en effet que l'épiphyse péronéale supérieure arrive

jusqu'à la ligne articulaire du genou et dépasse même le plateau tibial : cela

correspond à l'observation primitive de M. Pierre Marie (PI. XXIII).

Cette longueur relative du péroné n'est pas apparente mais réelle car à l'ar-

ticulation tibio-tarsienne, nous voyons que cet os dessine une malléole externe

saillante qui dépasse notablement, comme chez le normal, la malléole interne;

il n'est pas, cependant, en contact avec le calcaneum.

L'épiphyse inférieure du tibia est très volumineuse ; sa surface articulaire

est très élargie ; la malléole interne très accentuée.

Pied. - Les os du tarse ne présentent rien de très notable. Seulement le

calcaneum montre sa marge inférieure plus droite et linéaire que d'habitude.

Comme à la main on voit au pied aussi que le raccourcissement total est dû

surtout à la brièveté des métatarsiens ; ces os ont les épiphyses très grosses

et au contraire les diaphyses assez fines ; de même qu'à la main, le quatrième

métatarsien est de beaucoup plus court que les autres ; cela explique que la

base du quatrième doigt soit implantée beaucoup plus en arrière que celle des

autres orteils.

Les premières phalanges ne sont pas très raccourcies -et ne sont pas, comme

à la main, épaisses et trapues ; leur diaphyse est courte mais bien dessinée, ce

qui ne se voit pas à la main. La deuxième phalange du gros orteil a une base

énorme et finit presque en pyramide ; les deuxièmes et troisièmes phalanges

des autres orteils sont très atrophiées ; les deuxièmes apparaissent comme des

boulettes osseuses informes ; les troisièmes sont très petites, triangulaires, poin-

tues.

La description que nous venons de donner de notre nain est suffisante,

il nous semble, à affirmer le diagnostic d'achondroplasie telle qu'elle a

été décrite dans les formes complètes de l'adulte.

La taille de notre nain permet de le ranger entre les plus petits achon-

droplases adultes mâles qui ont été décrits jusqu'à aujourd'hui ; le plus

petit homme achondroplasique connu est celui qui a été décritpar Parhon,

Shunda et Zalplachta : il mesurait, en effet, 105 cent. 5 ; la plus petite

naine achondroplasique connue est celle de Boeckl qui mesurait 97 centi-

mètres.

Chez notre nain, comme chez tous les achondroplasiques, les dimen-

sions du tronc sont presque normales ; nous voyons, en effet, que chez

lui la distance entre la fourchette sternale et le pubis est de .46 centi-

mëtres ; du pubis au sol au contraire, la distance n'est que de 43 centi-

mètres seulement* Le tronc de notre nain présente, en outre, d'autres

xxii 10

') 42 ETTORE LEVI

légères déformations qui ont déjà été décrites chez les acliondroplases

classiques; l'angle de Louys est très rentrant, le dos est plat, il y a une

très légère scoliose cervico-dorsale et une lordose lombaire accentuée; le

ventre est en conséquence proéminent; la ligne xipho-ombilicale est plus

longue que la ligne ombilico-pubique (16 à 12 centimètres).

Le bassin est uniformément rétréci et en antéversion.

La micromélie apparaît à l'inspection du type nettement ryzomélique ;

les mensurations montrent, au contraire, que les segments des membres

supérieurs et inférieurs sont entre eux presque égaux avec une légère su-

périorité pour les segments proximaux, et, en effet, l'index radio-hu-

méral et tibio-fémural sont de peu supérieurs à la moyenne. On peut tout

de même, ici, parler de micromélie ryzomélique car, relativement, les

segments proximaux des membres sont plus réduits que les segments

distaux.

Les mains et les pieds présentent aussi les déformations classiques

avec quelques particularités dignes de mention (PI. XX).

Chez notre nain, la main n'a pas la déformation en trident décrite par

M. P. Marie, mais cette déformation qui n'existe pas chez lui à l'état fixe

est, pour ainsi dire, virtuelle; elle est liée, en effet, un état d'anormale

hypotonie des liens articulaires et, en même temps, à une certaine

disproportion entre les surfaces articulaires. La déformation en trident

des doigts peut se produire très facilement chez lui artificiellement; on

peut, en effet, passivement éloigner l'une de l'autre les dernières pha-

langes digitales et produire ainsi la plus typique déformation en trident.

. L'hypotonie articulaire est démontrée aussi chez notre nain par le

fait qu'il a été sujet à de très fréquentes luxations traumatiques des

doigts ; la rotule du côté gauche été aussi luxée et il en reste une défor-

mation actuelle.

Les mains et les pieds de notre patient présentent aussi une autre ano-

malie qui a été décrite déjà par M. P. Marie (pour les mains seulement)

mais dont l'origine n'a pas, que je sache, été suffisamment éclairée.

Le quatrième doigt des mains, et beaucoup plus évidemment celui des

pieds, a une base d'implantation nettement postérieure à celle des autres

doigts ; ce fait ressort très clairement à l'examen des photographies.

. Cette déformation s'explique par une anomalie métacarpienne et

métatarsienne qui jusqu'ici n'a été décrite, à ma connaissance, par aucun

observateur.

Nous voyons, en effet, par les radiographies des pieds et des mains de

notre nain que le quatrième métacarpien et le quatrième métatarsien

de chaque côté sont de beaucoup plus courts que tous les autres (PI. XXI

et,XXII).

Ce fait, qui est absolument en contraste avec l'étal normal etqui est tout

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XX

ACHONDROPLASIE

(Ettore Levi).

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PI. XXI

ACHONDROPLASIE

(Ettore Levi).

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PI. XXII

ACHONDROPLASIE

(Ellor-c Levi).

Pied carré. Brièveté anormale du 4' métacarpien. zur , -

NOUVELLLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

T. XXII. Pl. XXIII

Péroné dépassant le plateau tibia ! .

Epaississement de l'épiphyse tibiale inférieure

ACHONDROPLASIE

(Ettore Levi).

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XXIV

ACHONDROPLASIE

(Et tore Levi).

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE CHEZ L'ADULTE 143

à fait évident chez notre nain ne lui est pas personnnel mais doit, selon

nous, être considéré comme fréquent ou même constant car nous avons

pu en constater l'existence dans la radiographie de la main du nain Clau-

dius de M. P. Marie, et dans celle d'un cas d'achondroplasie partielle

atypique publié dans ce même journal en 1906 par Dufour. Ni M. P.

Marie ni M. Dufour ne font cependant aucune mention de celle particula-

rité anatomique très évidente dans leurs cas, quoique moins accentuée

que chez le mien. Cette anormale brièveté du quatrième métacarpien et

du quatrième métatarsien qui est la cause de l'implantation postérieure des

doigts correspondants, peut donc être considérée comme un nouveau carac-

tère propre au squelette de certains achoii(Iloplasiq ? ies ; peut-être est-elle

même un fait d'ordre général et constant dans cette affection ; mais je ne

peux l'affirmer car je ne ne suis pas en possession des documents radio-

graphiques relatifs à tous les nains achondroplasiques décrits par les dif-

férents auteurs. Ce nouveau caractère propre à la main et au pied des

achondroplasiques s'ajoute ainsi aux précédents si bien décrits déjà par

M. P. Marie et qui font de la main des achondroplasiques quelque chose

de tout à fait caractéristique.

Cette déformation est du reste en parfait accord avec d'autres anomalies

déjà décrites par M. P. Marie et qui prouvent que les différents segments

osseux des membres ne sont pas chez les achondroplasiques également rac-

courcis.M. P. Marie, a montré en effet, que le péroné est relativement moins

raccourci que le tibia et l'examen radiographique montre dans mon cas

que la tête péronéale rejoint et dépasse le plateau tibial. M. P. Marie a

aussi, déjà montré que ce fait est une des causes principales de l'aspect

arqué des membres inférieurs des achondroplases.

De même dans mon cas, le cubitus est des deux côtés bien plus court que

le radius; nous voyons en effet dans les radiographies que l'épiphyse

inférieure cubitale reste bien au-dessus de celle du radius. Ce fait n'est

pas commun et ne résulte pas des observations que je connais.

Le crâne est chez les achondroplasiques, parfois normal, plus souvent

agrandi ; chez notre nain la macrocéphalie (sans aucun signe clinique d'hy-

drocéphalie) est des plus évidentes et a, comme nous l'avons vu, tous les

caractères typiques décrits dans les cas analogues.

Chez notre nain, la conformation du crâne est remarquable surtout à deux

points de vue ; nous avons remarqué en effet une platicéphalie occipitale

des plus évidentes et surtout un prognathisme extrêmement marqué ; les

mâchoires sont en effet très fortes et nettement proéminentes. Ces deux

caractères non plus ne sont pas communs (PI . XXIV).

Notre nain a aussi un palais typiquement ogival ; les dents sont au con-

traire normales quoique très grandes et irrégulièrement implantées

144 ETTOHE LEVI

L'étude radiographique du squelette nous a permis de relever tous les

autres caractères déjà observés par les auteurs : c'est-à-dire le grossisse-

ment des épiphyses, la brièveté des diaphyses, la saillie très évidente des

insertions musculaires. Dans notre cas, la tubérosité bicipitale du radius,

et surtout les proportions relativement énormes du petit trochanter, étaient

spécialement remarquables. -

Dans quelques cas d'achondroplasie les extrémités sont très arquées et

on observe souvent des coudures brusques à l'union de l'épiphyse avec la

diaphyse, plutôt que dans la continuité de cette dernière. Dans notre cas,

au contraire, les os longs présentent plutôt de légères incurvations ar-

quées à grand arc et nous ne voyons des coudures relativement brusques

qu'à l'épiphyse supérieure du fémur et du radius.

L'ossification des cartilages épiphysaires est partout complète comme

chez un homme normal du même âge ; la proportion relative du tissu osseux

compact et spongieux est normale aussi dans tous les os longs et brefs.

On a souvent observé chez les achondroplases, surtout de sexe féminin,

une tendance à l'obésité plus ou moins marquée dans les différents cas; ce

caractère, qui n'est pas constant, manque dans notre cas.

Notre nain est comme presque tous les achondroplases, un petit athlète ;

ses apparats musculaires sont richement fournis et il ne s'agitpas chez lui

d'une pseudo-hypertrophie, car ses muscles, à l'aspect puissant, sont en

effet extrêmement vigoureux et réagissent normalement aux différentes sti-

mulations électriques.

Le système lymphatique est dans notre cas parfaitement normal. Les té-

guments sont aussi d'aspect normal ; il n'y a aucun symptôme de dysthy-

roïdie quoique la glande thyroïde soit apparemment très petite ; nous sa-

vons que Lugaro, Devey, Papillon et Lemaire ont publié des exemples

d'achondroplasie liée aux myxoedème.

Un seul détail dans le système cutané de notre patient est digne de men-

tion ; c'est-à-dire l'abondance de l'enveloppe cutanée des mains ; celles-ci ap-

paraissent en effet toutes ridées comme si la peau était en excès et les doigts

sont unis entre eux par un pli cutané haut de presque un centimètre : vé-

ritable membrane interdigitale.

Il n'y a chez notre nain aucun signe de dystrophie du système pileux ;

les poils sont rares aux aisselles et à la face, normaux à la tête et au pubis.

Nous avons déjà parlé de l'hypotonie articulaire ; cette laxilé articu-

laire a déjà été mise en relief chez l'enfant achondroplasique par Kasso-

witz, et serait surtout accusée au genou; nous avons vu que notre nain

a une luxation de la rotule gauche; chez lui les articulations des doigts et

les articulations iléo-fémurales sont aussi très hypotoniques.

Les organiques viscéraux sont chez notre nain parfaitement normaux et

leur fonction est parfaite.

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE CHEZ L'ADULTE 145

Comme presque tous les achondroplases, notre nain est sexuellement

normal et ses organes génitaux sont bien conformés et même plus déve-

loppés que chez l'homme normal ; notre nain n'estpas cependant un liber-

tin et il ne se vante pas comme d'autres achondroplases de ses prouesses

sexuelles.

L'examen du système nerveux nous a donné des résultats absolument

négatifs.

La formule hématique est chez notre patient physiologique : nous ne

pouvons faire remarquer à ce sujet qu'un léger défaut dans la quantité des

lymphocites ce pendant que les grands monucléaires et les formesde passage

sont augmentés ; il n'y a pas de myélocites et les hématies sont d'aspect

normal. I .

L'examen des urines donne un seul caractère anormal : l'abondance de

l'indican, du scatol et du phénol, c'est-à-dire un signe non douteux de

putréfactions intestinales anormalement augmentées. Ce même fait, qui est

fréquent chez les infantiles, est constant chez les acromégaliques et je l'ai

observé récemment chez un géant chez lequel j'ai fait, en collaboration

avec M. le D1' Franchini, une étude complète de l'échange matériel.

Je ne veux cependant donner aucune signification spéciale à cette anor-

male richesse des putréfactions intestinales, car je n'ai pu dans mon cas faire

une étude complète de l'échange matériel, et ce seul symptôme ne nous

permet aucunement de faire un rapprochement entre achondroplasie et

acromégatogigantisme ; c'est-à-dire deux affections qui, selon certains au-

teurs, auraient des analogies cliniques et pathogéniques par opposition.

, Le psychisme des achondroplasiques ne montre en général rien de bien

caractéristique; le plus grand nombre des observations parlent d'un état

intellectuel normal ou légèrement enfantin ; dans quelques cas il y aurait

des symptômes d'infantilisme conclamé et même d'imbécillité.

Selon Parhon, Shunda et Zalplachta l'intelligence serait plus limitée chez

les achondroplasiques les plus macrocéphales; en se basant sur les cas con-

nus, ces AA. affirment que l'intelligence est, chez les nains achondropla-

siques en général, d'autant plus limitée que les dimensions du crâne sont

plus grandes.

Nous devons avouer que nous ne voyons aucune raison d'ordre général

qui rende acceptable cette loi et pour ce qui regarde notre cas, nous pou-

vons affirmer que l'intelligence n'était sensiblement réduite (relativement

à l'éducation de notre patient et au milieu dans lequel il a vécu) quoique

son crâne présentât des dimensions certainement remarquables.

. Les nains achondroplasiques sont souvent vantards et fanfarons, et ai-

ment à raconter leurs prouesses sexuelles surtout. Rien de tout cela dans

notre cas qui se distinguait par une intelligence moyenne sans aucun ca-

146 ETTORE LEVI

ractère de déficit soit total soit partiel, ni aucun trait d'infantilisme psy-

chique.

Notre nain est, au contraire, timide et cachottier ; le seul caractère qui

frappe dans sa mentalité est la tendance au mensonge et à la malignité.

Cet homuncules nous a donné en effet, sans aucun but, des renseigne-

ments absolument faux sur sa famille ; il nous a dit n'avoir jamais connu

sa famille et être un enfant trouvé. Nous apprîmes ensuite que sa mère

vivait et qu'il l'avait visitée le jour même et nous l'avons connue nous-

mêmes quelques jours après.

Dans bien d'autres cas, il s'est montré avec nous et avec d'autres,men-

teur sans but et même avec malignité rappelant en cela les nains légen-

daires.

Dans l'excellent mémoire de MM. Porak et Durante, paru dans ce même

journal en 1905, tout ce qui regarde l'historique, l'anatomie pathologi-

que et la pathogénie de l'achondroplasie a été traité avant tant d'ampleur,

que nous pouvons nous passer de revenir systématiquement sur ces su-

jets et nous nous bornerons à toucher quelques points dont la discussion

ne nous semble pas inutile.

Le caractère héréditaire de l'achondroplasie, longuement mis en doute,

ne peut plus être nié aujourd'hui après la démonstration de cas assez

nombreux dans lesquels la maladie avait le caractère héréditaire et fa-

milial.

Dans son beau livre sur les maladies familiales et congénitales, Apert

a largement traité cette question et a recueilli tous les cas familiaux ob-

servés par lui et par d'autres auteurs ; nous pouvons ajouter à cette caté-

gorie les observations récentes de Porter, Decroly et celle que Apert a

communiquée tout dernièrement à la Société de Pédiatrie de Paris (16 fé- ,

vrier 1909) d'une famille composée du père et de trois enfants tous

achondroplasiques à un degré variable, ce pendant que la mère et deux au-

tres enfants étaient normaux.

L'achondroplasie est donc une affection à caractère assez souvent héré-

ditaire et familial, mais il est plus difficile d'admettre qu'elle le soit au

même titre que chez les races animales, moutons ancôns et boeufs natos,

qui ont été considérés comme tout à fait analogues aux achondroplases hu-

mains.

Apert est catégorique sur ce point ; il écrit en effet : « si la sélection

était faite dans l'espèce humaine comme dans les espèces animales domes-

tiques, ou si les circonstances ne défavorisaient pas les individus atteints

d'achondroplasie dans la lutte pour la vie et dans les concurrences sexuel-

les, les achondroplases feraient souche de races humaines nouvelles, ana-

logues à celles des mou tons ancôns ou des boeufs natos ».

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDKOPLASIE CHEZ L'ADULTE 147 %

Nous ne croyons pas qu'il soit légitime d'accepter aujourd'hui ces

conclusions ; il ne nous semble pas que l'identité absolue entre les achon-

droplases humains et les animaux domestiques apparemment achondro-

plasiques (moutons ancôns, boeufs Iatos,chiens bassets et certaines races de

dogues) ait été solidement démontrée; l'examen extérieur du squelette n'est

pas suffisant pour nous persuader de cette identité et nous nous associons

à MM. Porak et Durante pour invoquer une étude histologique complète

du système osseux de ces animaux; seulement la démonstration de l'i-

dentité des lésions anatomo-patholobiques (sclérose du cartilage épiphy-

saire d'ossification) nous donnera la preuve absolue de l'unicité de ces

différentes formes.

Nous ajouterons aussi qu'il nous manque toute preuve historique sûre

de l'existence de races de Pygmées ; les Négrillos de l'Afrique centrale ne

sont pas non plus des micromèles et doivent être considérés, selon Porak

et Durante, comme parfaitement constitués.

Nous sommes parfaitement d'accord avec MM. Porak et Durante en

niant, en général, la possibilité de la fixation héréditaire durable d'une

disposition anatomique qui non seulement ne donne pas à l'individu Une

supériorité dans la lutte pour la vie, mais qui constitue au contraire un

caractère d'infériorité absolue.

Ce fait serait contraire à toutes les lois fondamentales sur l'hérédité des

caractères pathologiques. -

L'hypothèse d'une race achondroplasique ou d'un retour ancestral tombe

du reste naturellement par la connaissance plus complète des lésions ca-

ractéristiques de l'achondroplasie. L'étude histologique de cette affection,

en éclaircissant sa pathogénie, nous permet aujourd'hui de comprendre

pourquoi, bien que l'achondroplasie ait une tendance à se transmettre par

l'hérédité, il ne se forme pas de races achondroplasiques pas plus qu'il ne

se forme des races tuberculeuses ou des races syphilitiques. Nous accep-

tons sans restriction cette partie des conclusions de MM. Porak el Durante z

La pathogénie de l'achondroplasie est encore complètement obscure. De

même que l'infantilisme en général, elle a été mise en rapport avec l'in-

fluence héréditaire pathologique de la syphilis, de la tuberculose, de l'im-

paludisme, de l'alcool, etc. ' '

Chez notre nain, aucune de ces causes ne semble pouvoir être invoquée,

et nous pouvons particulièrement meure de côté l'influence de la syphilis

soit héréditaire soit acquise, car la sera-réaction de Wassermann (déviation

du complément) nous a donné un résultat complètement négatif.

L'achondroplasie qui se présente histologiquement comme une sclérose

du cartilage de conjugaison, affecte une forme histologique plus souvent

réalisée par les infections, les intoxications microbiennes, l'alcool, etc.

148 ETTORE LEVI

Ces faits ont porté MM. Porak et Durante à rechercher parmi les agents

sclérosants et particulièrement dans la classe des infections,l'étiologie pre-

mière de cette affection, et cette hypothèse serait confirmée par la pré-

sence des lésions congestives et inflammatoires trouvées par ces auteurs

dans les autres organes histologiquement examinés.

La syphilis surtout, qui de toutes.les infections est certainement la plus

sclérosante; serait, selon MM. Porak et Durante, la plus probablement in-

criminable; mais la tuberculose, l'alcoolisme, l'impaludisme, pourraient

produire les mêmes effets.

L'achondroplasie serait en somme une sclérose d'origine variable du car-

tilage d'accroissement.

Cette hypothèse nous semble aujourd'hui encore la plus probable quoi-

que la théorie de l'auto-intoxication émise par M. P. Marie ait en soi

quelque chose de très séduisant ; selon M. Marie, la maladie du cartilage

serait secondaire à une dystrophie de cause générale, à un trouble de la

fonction ou du développement de quelque organe glandulaire.

Leblanc et Edyworth pensent à la comparticipation de la glande thy-

roïde et nous savons d'ailleurs que Lugaro, Dewey, Papillon et Lemaire

ont trouvé dans leurs cas d'achondroplasie la coexistence du myxoedème.

Ce fait ne peut être considéré, selon nous, que comme accidentel, car

la grande majorité des achondroplases ne présente aucun stigmate soit

conclamé, soit fruste d'hypothyroïdie et l'opothéropie ne modifie en rien

le syndrome.

Vargas a pensé que l'achondroplasie est liée à une altération fonc-

tionnelle du thymus, et Poncet et Leriche ayant entrevu un contraste

entre achondroplasie et gigantisme et pensant au rôle que la glande in-

terstitielle du testicule et de l'ovaire a certainement sur l'accroissement

du squelette, supposent que l'achondroplasie puisse être, au rebours du

gigantisme, en relation directe avec une viciation ou un excès de fonction

de cet organe à sécrétion interne.

Parhon, Shunda et Zalplachta ont repris la même hypothèse et admet-

tent pour l'achondroplasie un mécanisme pathogénique inverse que pour

le gigantisme, c'est-à-dire une hypofonction de certaines glandes, comme

l'hypophyse, la thyroïde et le thymus (ou peut-être l'absence de certaines

de ces fonctions) avec exagération des fonctions antagonistes des glandes

sexuelles. Les auteurs basent celle hypothèse sur le fait que les géants et

les achondroplases sont cliniquement l'opposé les uns des autres.

Ces mêmes idées ont été acceptées aussi par MM. Parhon et Marbé.

Si l'aspect extérieur des achondroplases est, en effet, de certaine ma-

nière, l'opposé de celui des géants, cela ne nous semble pas cependant un

argument suffisant pour accepter cette hypothèse ; et cela d'autant plus

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE CHEZ L'ADULTE 149

que celle-ci se base sur une interprétation du mécanisme pathogénique

du gigantisme qui est elle-même encore tout à fait hypothétique et qui,

comme telle, n'est pas acceptée par nombre d'auteurs éminents. Seule-

ment, de solides données anatomiques pourront résoudre cette question.

La glande pituitaire de deux achondroplasiques vrais a été étudiée,

d'ailleurs, par MM. Porak et Durante et trouvée normale, et nous n'avons

aucune preuve certaine que la fonction des glandes génitales soit altérée

dans les cas d'achondroplasie pure.

Les troubles fonctionnels des glandes à sécrétion interne doivent être

forcément invoqués dans la pathogénie des dystrophies somatiques géné-

rales en excès et en défaut telles que le gigantisme, l'acromégalie, Yadipo-

sitas universalis d'unepart, et les infantilismes dans toutes leurs variétés

d'autre part.

J'ai largement traité ce sujet dans mon mémoire sur l'infantilisme de

Loi'ain, paru sur ce même journal (1908, nO' 5 et 6) et tout en acceptant

la génèse polyglandulaire des infanlilismes non nettement thyroïdiens,

j'ai cherché de montrer comme il soit difficile de défendre avec rigueur

l'action déterminante exclusive soit de la thyroïde, soit des glandes sexuel-

les, soit de l'hypophyse, etc. dans la genèse des infantilismes.

Nous considérons, en général, le gigantisme comme lié à une lésion

hypophysaire et d'autre part, nous connaissons déjà plusieurs cas d'in-

fantilisme, et j'en ai donné moi-même un exemple des plus typiques,

dans lequel cette glande est certainement lésée. Les extraits hypophy-

saires (administrés par voie buccale ou par injection) ont donné d'ailleurs

expérimentalement à plusieurs auteurs (Cerletti, Sandri) une réduction

notable de la taille et du poids chez les animaux en expérience. Voilà

donc l'action hypophysaire invoquée pour des causes diamétralement

opposées.

Mais si à la rigueur nous pouvons arriver à comprendre qu'un état

fonctionnel radicalement opposé de la glande pituitaire puisse être en

cause dans la genèse de l'infantilisme d'une part et du gigantisme de

l'autre, nous ne voyons pas comment on puisse invoquer ce même méca-

nisme pour expliquer l'origine de l'achondroplasie.

Dans cette maladie, en effet, il ne s'agit pas d'un simple défaut ou d'un

retard de l'accroissement du squelette en général comme dans l'infanti-

lisme, mais au contraire d'une maladie anatomiquement bien caractérisée

du cartilage de conjugaison ; et cette maladie n'est pas étendue à tout le

squelette mais est limitée, au contraire, comme nous savons, à certains

os, et épargne toujours les autres.

Rien de tout cela dans l'infantilisme et dans le gigantisme dans lesquels

les procès d'accroissement, ralentis chez les uns, activés chez les autres,

se font selon la formule normale et'ne déterminent ni l'inflammation ni

150 ETTORE LEVI

la sclérose proprement dite du cartilage de conjugaison qui est caractéris-

tique de l'achondroplasie.

Ce dernier argument qui a été invoqué aussi par MM. Porak etDurante

nous semble constituer la plus forte objection contre la genèse glandulaire

de l'achondroplasie telle qu'elle est soutenue aujourd'hui.

Nous ferons remarquer aussi que dans l'achondroplasie, la dystrophie

du squelette est limitée surtout aux extrémités dont la déformation est sur-

tout caractéristique, ce pendant que dans le gigantisme tous les segments

du squelette sont altérés dans leurs dimensions de la même façon que

cela arrive, dans le sens opposé, dans l'infantilisme.

L'hypothèse susdite ne nous semble donc, actuellement, non seulement

aucunement prouvée, mais elle nous semble aussi se heurter contre les

seuls faits positifs qui sont à notre connaissance sur l'anatomie-patholo-

gique de l'achondroplasie.

Nous admettons donc avec MM. Porak et Durante que l'achondroplasie

doive être, avec une relative probabilité, interprétée comme une affection

secondaire à une hérédo-intoxication venant de l'organisme maternel.

La syphilis, la tuberculose, l'alcool pourraient être les agents étiologi-

ques primitifs de cette singulière affection et comme ces mêmes agents sont

le plus souvent la cause première des maladies que nous considérons comme

d'origine auto-toxique par lésion des glandes à secrétion interne (infanti-

lisme, gigantisme, etc.), il se peut qu'on trouve dans l'achondroplasie ac-

cidentellement la compromission de l'un ou l'autre de ces organes glan-

dulaires sans que pour cela l'altération de leur fonction doive être inter-

prétée comme fondamentale et primaire dans la détermination des cas

classique d'achondroplasie.

Une lésion éventuelle de certaines glandes à sécrétion interne nous sem-

ble relativement plus probable dans les cas d'achondroplasie chez lesquels

il y a retard dans l'ossification des cartilages épyphysaires, quoique selon

Variot, même dans la forme hypoplasique décrite par Kauffmann, la mé-

dication thyroïdienne ne produise aucun effet. Nous sommes d'accord avec

Souques en niant qu'au point de vue de l'ossification, on puisse assimiler

les myxoedémateux aux achondroplasiques.

Le cas d'achondroplasie non congénitale de l'adulte récemment décrit

par Schrumpf, tout en étant très intéressant, ne nous semble pas rentrer

dans le cadre morbide de l'achondroplasie, non seulement parce que le

caractère congénital est inséparable du diagnostic de cette affection, mais

aussi parce que les symptômes cliniques de la malade de Schrumpf et sur-

tout les données de l'examen radiographique nous semblent parler en fa-

veur de l'hypothèse d'une forme non encore décrite d'origine rachi tique ;

cette hypothèse est d'ailleurs acceptée par M. Schrumpf et par M. Marie.

SUR UN NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE CHEZ L'ADULTE 151

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ESSAI SUR LA. PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT

PAR

Le Dr L. LEFÈVRE

de Bruxelles.

Si ce n'est pas une superfétation d'avancer que toute fonction organique

ne peut trouver son explication rationnelle, définitive que dans la connaissance

complète de l'organe qui en est le substratum, on avouera sans peine que les

médecins aliénistes et neurologistes et, en général, tous les savants qui s'oc-

cupent des choses de l'esprit se trouvent dans une situation difficile et bien

faite pour décourager les meilleures volontés. Les uns et les autres assistent à

des opérations intellectuelles, normales et pathologiques, c'est-à-dire à des

manifestations apparentes du fonctionnement d'un ensemble d'organes, le sys-

tème nerveux dont la fine anatomie est à peine connue et dont la physiologie

est encore enveloppée d'épaisses ténèbres. C'est la situation d'une personne

intelligente qui se trouverait pour la première fois en présence d'une montre

et qui, complètement ignorante de la mécanique, s'efforcerait de comprendre

le fonctionnement de cet instrument nouveau, sans qu'il lui soit possible d'en

découvrir l'intérieur ou dont elle aurait simplement sous les yeux quelques

rouages isolés. Placés dans des conditions aussi difficiles, personne ne s'éton-

nera que les meilleurs esprits n'aient souvent erré et parfois divagué.

Mais quelle est donc alors la valeur de la psychologie qui prend le nom de

science et qui a pour objet l'étude des manifestations intellectuelles ? Le simple

rapprochement que je viens d'opérer entre la nécessité absolue de connaître

l'anatomie et la physiologie d'un organe pour comprendre et expliquer sa fonc-

tion d'une part et l'état insuffisant de nos connaissances au sujet du fonction-

nement du système nerveux d'autre part, montre clairement en quelle mince

estime on doit tenir et ses propositions et sa terminologie. Elle forme une

oeuvre si peu consistante et si peu positive que ses adeptes peuvent souvent

en faire varier les conclusions au gré de leurs impressions personnelles, sans

qu'on puisse leur démontrer qu'ils ont tort aussi longtemps que l'on reste sur

le même terrain et sans qu'il leur soit possible d'établir leurs affirmations sur

des bases solides et convaincantes. Tout en elle est débile, instable et fra-

gile.

Quelques psychologues, soit par le peu de place que tiennent dans leurs

écrits les éléments matériels du cerveau, soit par l'indifférence avec laquelle

ils les traitent ou même l'oubli dans lequel ils les tiennent, soit de façou plus

explicite encore, semblent supposer ou croire que la fonction intellectuelle est,

154 LEFÈVRE

en tout ou en partie, de nature purement spirituelle et qu'elle s'exécute sans

organe, c'est-à-dire sans moyen.Une telle opinion dénoterait chez leurs auteurs

une absence radicale d'esprit scientifique, un manque complet de pensée posi-

tive. Les oeuvres d'imagination, la littérature et la poésie offriraient, je pense,

un bien meilleur débouché a leurs talents souvent fort remarquables. Ils res-

sembleraient complètement à la personne intelligente signalée plus haut, si

celle-ci venait à déclarer, soit qu'elle ne voie pas les rouages de la montre, soit

qu'elle ne sache ni les imaginer ni même les supposer, que le fonctionnement

en est tout spirituel, parce qu'elle ne parvient pas à comprendre comment des

résultats aussi précis pourraient être obtenus au moyen de simples éléments

matériels.

La spiritualité des opérations intellectuelles m'apparaît comme une concep-

tion vraiment choquante, aussi barbare, aussi sauvage que peut l'être celle

de la montre. Elle est la conséquence logique de l'ignorance des mécanismes

et aussi d'une incompréhension ou d'un manque de généralisation des faits

scientifiques. La conception du spirituel qui est littéralement inconcevable n'est

avec les religions et les philosophies pures qui souvent s'y rattachent, qu'une

condensation de nos ignorances.

Auguste Comte nous apprend que les connaissances humaines passent suc-

cessivement par l'état théologique, puis métaphysique et enfin positif. C'est

.là une vue profonde, admirable, géniale. Si l'on se représente les étapes par-

courues par l'humanité depuis son apparition embryonnaire à la fin de la pé-

riode tertiaire jusqu'à la phase actuelle de son évolution, le développement

progressif des connaissances dont le point de départ est le zéro absolu, ainsi

que les progrès corrélatifs dans la puissance et l'étendue de la pensée, on a la

claire vision, me semble-t-il, que l'interprétation des phénomènes naturels a

dû subir des variations correspondant aux différents degrés de ce perfection-

nement. Au début, l'homme qui, dans son ignorance générale, a pris d'abord

conscience de son activité propre, a cru trouver une explication satisfaisante de

la nature dans l'intervention d'êtres semblables à lui, mais plus puissants et

dont il se faisait uue vague représentation. Pour lui, dans sa pensée bornée

et ignorante, ce n'est pas le vent qui secoue les arbres, mais des êtres fantas-

tiques, des lutins, des farfadets, des dieux. On peut observer encore actuelle-

ment ce même niveau de pensée, ces mêmes adaptations simplistes chez les

ignorants, plus spécialement lorsque se produisent de grands cataclysmes, des

bouleversements extraordinaires. Que d'âmes naïves s'imaginent encore que ce

sont les dieux qui produisent les tremblements de terre et provoquent des dé-

sastres, puisqu'elles se livrent à de grandes démonstrations de dévotion et se

rendent pitoyables pour apaiser leur colère et invoquer leur clémence.

L'esprit humain progresse. Au milieu de l'ignorance générale surgissent des

hommes d'une culture plus haute et qui taxent d'enfantines les explications

théologiques. Mais l'avancement des connaissances n'est pas encore suffisant

pour fournir la vraie explication de la nature et tout le progrès réalisé par les

métaphysiciens ne consiste que dans le remplacement, dans l'interprétation

des phénomènes, des êtres plus ou moins humains par des mots, mais pas

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 155

encore par des choses. Pour eux, ce un sont plus des êtres imaginaires qui

secouent les arbres, mais ce sera par exemple une force agitante, inétendue ou

quelque chose d'inappréciable, donc de spirituel. Une fois imaginé, ce mot

qui ne représente rien de précis, de positif, prend une importance extraordi-

naire, est considéré comme une entité, devient vivant et agissant à son tour

et toute la science métaphysique se réduit à jongler savamment avec lui.

Demandez à un métaphysicien d'expliquer le mouvement d'une locomotive,

en supposant, pure hypothèse assurément, qu'il n'en ait jamais vu, jamais

entendu parler, qu'il soit dans l'ignorance la plus complète des sciences physi-

ques en général, ainsi que de toutes les créations mécaniques de la civilisation,

il vous entretiendra de son sommeil, de son intelligence, de son obéissance,

de sa volonté. L'explication théologique sera beaucoup moins compliquée :

Allah est grand, s'exclama tout simplement un jeune sauvage qui avait été

amené expressément devant une locomotive par je ne sais plus quel voyageur,

M. G. Lebon, je crois. Le spiritisme qui a été et est encore pour la plupart de

ses adeptes à la phase d'interprétation théologique, puisqu'ils invoquent l'in-

tervention d'esprits, commence à entrer dans l'état métaphysique en se récla-

mant d'une force inconnue.

Enfin, malgré bien des dénégations de la part des métaphysiciens qui géné-

ralement meurent impénitents, victimes de l'autorité aveuglante et de la

puissance irrésistible de leurs mots à effet ; malgré les révoltes des âmes

simples et naïves capables seulement de comprendre l'explication théologique

qui ne demande ni effort intellectuel ni préparation spéciale, la connaissance

passe à l'état positif au moment où la science en l'expliquant la ramène aux

lois naturelles et la fait comprendre comme une application des forces physi-

ques et chimiques. Maintenant les arbres sont secoués par le vent, c'est-à-dire

par l'air atmosphérique qui a telle composition et dont les mouvements recon-

naissent telle et telle cause précise.

Je ne connais d'Aug Comte que l'énoncé de sa géniale proposition rencontré

par hasard dans un dictionnaire et j'ignore la façon dont il l'a développée et

même la compréhension exacte qu'il a pu en avoir. Du court exposé qui pré-

cède cependant, il me paraît résulter qu'à une même époque, on peut observer

un seul et même fait à ses trois élats d'explication suivant les milieux où on

le considère, suivant le degré de culture des personnes en cause ; que la con-

naissance de faits différents progresse inégalement pour chacun d'eux et plus

ou moins vite suivant la difficulté de la question et qu'à une même époque on

peut en rencontrer qui sont arrêtés à l'une des trois phases explicatives ; que

la succession des trois états n'est nécessaire que pour autant que l'explication

ait été tentée dès l'enfance de l'humanité ou par des hommes dont l'ignorance,

sur ce point particulier, est égale à celle qui existait à cette époque reculée.

En effet, si un savant moderne entreprend l'étude d'une question qui est

supposée n'avoir jamais retenu l'attention auparavant, la formation des cours

d'eaux souterrains, par exemple, il est évident que l'explication entrera d'em-

blée dans la phase positive.

On peut se demander maintenant à quel point est parvenue l'interprétation

156 LEFÈVRE

des manifestations intellectuelles ; auquel des-trois états d'Aug. Comte corres-

pond la psychologie qui occupe tant de grands esprits et remplit tant de pages.

Cette science nous parle d'affaiblissement de l'esprit sans nous dire d'une façon

concrète et positive ce qu'est l'esprit ni même en quoi consiste l'affaiblissement.

Le terme intelligence est une de ses expressions favorites, sans qu'elle lui ait

jamais donné un sens parfaitement intelligible, en lui fournissant uue expli-

cation de nature physique ou chimique. Elle opère des synthèses et des

désagrégations des facultés où « l'esprit » se perd facilement, parce qu'elles ne

lui représentent rien d'accessible aux sens. Si l'abstraction consiste à considérer

isolémeul une qualité séparée de son objet, la psychologie n'opère même pas

par abstraction, car elle travaille sur des qualités qui ne sont pas unies à des

objets matériels ou sur des objets sans réalité concevable. Pour elle, beaucoup

de mouvements reconnaissent pour cause la volonté qui, en somme, n'est pas

autre chose que la capacité d'agir.

La psychologie est donc bien une science d'explication par les mots et non

par les choses. Elle est incontestablement l'état métaphysique de la connais-

sance des opérations intellectuelles. Or, nous savons que ce n'est jamais là le

dernier terme évolutif de l'explication des faits. Ce n'est qu'un stade intermé-

diaire, une phase d'attente d'une durée plus ou moins longue suivant la diffi-

culté du sujet, un précurseur du progrès ultime de la connaissance, de sa

- conception comme réalité positive.

Nous pouvons donc avancer sans crainte et prédire sans erreur possible que

la psychologie se transformera en physiologie des manifestations intellectuelles

ou qu'elle disparaîtra du cadre des sciences. A cause d'une habitude séculaire,

le nom subsistera peut être et marquera le dernier vestige du passage des faits

intellectuels par l'état métaphysique, mais sa nature aura subi des transforma-

tions profondes. Déjà maintenant, sous le nom de psycho-physiologie, la science

métaphysique de l'esprit commence à opérer sa conversion et glisse timide-

ment et lentement sur un terrain plus positif, celui de la physico-chimie.

Quand on aura pénétré le mystère de la fonction intellectuelle, on restera stu-

péfait en présence de la frivolité des explications qui ont satisfait les plus grands

esprits. Ce n'est pas sans raison que j'ai appliqué tantôt quelques expressions

psychologiques à un fonctionnement dont les rouages nous sont connus, celui

d'une locomotive. C'est l'ignorance dans laquelle nous nous trouvons du véri-

table mécanisme ou la folle croyance à laquelle nous nous cramponnons qu'un

tel rouage serait impuissant à effectuer des opérations aussi délicates que les

diverses manifestations de la pensée, ce sont ces conditions, dis-je, qui font

que l'on accorde une confiance aveugle à des interprétations purement méta-

physiques et que l'on n'aperçoit pas immédiatement la profondeur du vide

laissé par elles. Il est, du reste, naturel et même fatal que les choses se passent

ainsi, car ce n'est qu'au moment où on acquiert une meilleure compréhension

d'un fait que l'explication antérieure apparaît dans toute sa puérilité. Les hom-

mes de l'âge de pierre et nos ignorants sont pleinement satisfaits par des in-

terprétations théologiques de la nature, parce que leur esprit privé de con-

naissances plus exactes est impuissant à concevoir des raisons plus justes et

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 157

que leur pensée vacillante ne peut que se complaire dans le vague et l'impré-

cision.

Quelle aura été l'importance des résultats acquis par la psychologie, lorsque

la situation ne sera plus tenable pour elle et qu'elle devra céder la place à la

physiologie ou devenir elle-même une science positive ? Bien minime assuré-

ment, mais peut-être pas tout à fait nulle. Quelques-uns parmi les savants

qui se sont occupés des manifestations intellectuelles ont montré une telle

perspicacité, une pénétration si grande qu'il m'a semblé, à tort ou à raison,

que quelques-unes de leurs propositions pourraient acquérir un sens physiolo-

gique, en supposant la présence d'un mécanisme nerveux déterminé dont la

pensée n'existait pas vraisemblablement dans l'esprit de leurs auteurs. Mais

ces heureuses et rares conclusions, en les supposant exactes, n'ont malgré tout

qu'une valeur très minime, car la découverte du mécanisme cérébral, si elle

doit se produire un jour, permettrait au premier venu de les reconstituer en

. quelques instants. Si les avantages de la psychologie restent douteux, ses in-

convénients, au contraire, sont manifestes, car elle a le tort grave d'avoir formé

des dispositions d'esprit, d'avoir moulé la pensée moderne et de constituer un

roc sur lequel viendront s'émousser, pendant de longues années, les meilleurs

arguments.

Toutefois, ne disons pas trop de mal de la psychologie, car c'est une ten-

dance bien naturelle à l'esprit humain de masquer par des mots les lacunes

de ses connaissances et, de couvrir son ignorance d'un verbiage ou savant ou

rivole. Aussi, dans la situation actuelle de l'avancement des idées, un pen-

seur ne petit-il guère parvenir à la phase positive de la conception de l'esprit,

sans passer plus ou moins par l'état métaphysique et même lorsqu'il est

devenu physiologiste convaincu et absolu, il reste encore métaphysicien par

bien des côtés. Trop d'inconnues, en effet, se présentent à ses yeux et, pres-

que fatalement, il se verra dans l'obligation de recourir au langage psycholo-

gique qui convient à merveille pour expliquer ce qui reste encore incompré-

hensible.0u peut espérer seulement que ce penseur positif ne sera pas la dupe

de ses expressions et qu'il ne laissera pas surprendre son jugement par la

magie des mots.

I

La psychologie est donc une science d'attente, une fausse science. Seconde

étape de l'esprit humain dans la connaissance des opérations intellectuelles,

elle doit tôt ou tard, nécessairement, faire place à la physiologie. Ni ses concep-

tions en général ni sa terminologie ne sont adaptées à la réalité des choses.

Elle est à la connaissance de la fonction intellectuelle ce que l'astrologie est à

l'astronomie, l'alchimie à la chimie.La complexité de la question,l'impénétra-

bilité du mystère expliquent seules sa longue survivance et il serait fort dési-

rable pour la science positive du xx° siècle au milieu duquel elle constitue un

véritable anachronisme, que la solide position qu'elle occupe encore en ce mo-

ment soit, si pas ruinée immédiatement, au moins fortement ébranlée. Mais ne

nous illusionnons pas. A partir du moment où l'erreur psychologique sera

XXII il i

158 LEFÈVIIE

péremptoirement démontrée, trente ou soixante ans s'écouleront encore avant

que tous les meilleurs esprits ne se soient empreints de la bonne nouvelle.

Lorsque la pensée a pris une certaine orientation et s'y est stéréotypée par

suite du progrès de l'âge, il devient physiquement impossible, à part de bril-

lantes et rares exceptions, de la faire sortir de l'ornière où elle s'est enlisée.Le

degré le plus élevé de perfectionnement auquel l'homme puisse atteindre est

de ne plus faire corps avec ses pensées et de conserver l'aptitude à pouvoir

s'en létacher, dès qu'elles ont été vaincues dans la lutte pour l'existence. Hé-

las nous n'en sommes pas là encore et les idées meurent en même temps

que les hommes qui les défendent et dont les illusions n'ont pu être brisées ni

par des preuves ni par les défections successives de la jeunesse moins routi-

nière. C'est là une situation qui ne doit ni nous chagriner, ni nous révolter,

mais que nous devons accepter philosophiquement comme la pluie et le soleil

parce qu'elle est logique et imposée par la constitution cérébrale.

- Mais comment s'y prendre, à quelles méthodes scientifiques faut-il avoir

recours pour faire éclater à tous les yeux la vérité physiologique ? L'observa-

tion strictement limitée aux faits intellectuels n'a donné lieu qu'à des consta-

tations et n'a servi en somme qu'à fournir la preuve objective de leur exis-

tence. Le raisonnement basé uniquement sur l'observation des faits intellec-

tuels a conduit directement à la psychologie et n'a pas eu d'utilité réelle.

L'expérimentation est et semble devoir rester, dans l'espèce, fort difficile et

d'une application très limitée. En fait, elle n'a fourni que quelques chiffres et

quelques graphiques parfois intéressants, mais d'une valeur fort relative et

sans aucune portée générale.

Aucune de ces trois méthodes prises ensemble ou isolément et qui sont les

seules dont dispose la science positive pour marcher à la conquête de la vérité

n'a permis jusque maintenant de déchiffrer l'imbroglio de la fonction cérébrale.

C'est qu'apparemment elles ne peuvent aboutir à aucun résultat valable, au

moins par la manière dont on les applique actuellement. Aussi longtemps que

l'on persistera à limiter leurs applications à l'interprétation des faits intellec-

tuels par les faits intellectuels eux-mêmes, sans avoir au préalable aucune

idée directrice et en supposant même que l'observation microscopique puisse

être poussée beaucoup plus loin dans le domaine de l'anatomie aussi bien que

dans celui delà biologie, est fort vraisemblable que nous n'approcherons pas

de la solution de l'énigme. Pour aboutir, il est donc indispensable de changer

de système, en n'ayant toutefois jamais recours qu'aux méthodes scientifiques.

Il m'a semblé que le raisonnement basé non plus exclusivement sur l'obser-

vation des faits intellectuels, mais sur des phénomènes naturels pouvait être

une ressource précieuse et de nature à orienter tout au moins l'esprit vers une

solution positive. Il ne faut plus s'inspirer de la méthode psychologique, ni

même s'efforcer de déchiffrer la physiologie de la fonction intellectuelle par

l'analyse des détails de la structure cérébrale exclusivement, mais il y a lieu,

au moins à titre d'essai,de chercher à la découvrir par le raisonnement, c'est-

à-dire au moyen d'une série de déductions logiques à fondement positif. Sans

voir le mécanisme cérébral, nous devons arriver, avec le seul secours de nos

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 159

connaissances générales, à dire ce qu'il doit être. Il faut l'inventer ou plutôt

le reconstituer par le seul raisonnement ; non pas à l'aide d'un de ces schémas

dont on a usé et peut-être abusé et que l'on peut qualifier immédiatement de

constructions chimériques, parce qu'ils ne correspondent pas dans leurs par-

ties constituantes ni d'ailleurs dans l'esprit de leurs auteurs à un mécanisme

physiologique connu ou seulement concevable, mais au moyen d'un agence-

ment nerveux dont on pourra nier l'existence peut-être dans ce cas spécial,mais

non la possibilité. En d'autres termes, il faut avant tout formuler une hypo-

thèse rationnelle du fonctionnement intellectuel, puis chercher sa vérification

dans l'observation des faits et, si possible, dans l'expérimentation. L'hypo-

thèse pourra être considérée comme suffisamment démontrée, si des faits con-

nus peuvent s'en déduire et si les conséquences que l'on peut déduire de son

existence se trouvent réalisées comme faits dans la nature, sans être en con-

traction avec d'autres faits et elle le sera avec d'autant plus de force qu'il y

aura plus de faits pour en contrôler la justesse. L'hypothèse est, on le sait, le

principe directeur de toutes recherches. Sans hypothèse préalable, le savant

ne saurait ni établir d'expérience, ni faire des recherches.

Mon idée de reconstituer le mécanisme cérébral par le raisonnement n'aura

plus rien d'étrange ou d'extraordinaire, si l'on veut bien se rappeler que

quelques sciences, la paléontologie et la géologie particulièrement,ne sont avant

tout que-des sciences fondées sur l'induction et la déduction. La première n'a

pour sujet d'observation que des os fossilisés et quelques empreintes ; la seconde

n'a devant elle que des couches de terrain diversement superposées et les

transformations actuelles de la croûte terrestre. Dans aucune d'elles l'expéri-

mentation n'est possible et elles ne doivent attendre d'éclaircissements de

personne, puisque leur étude porte sur des faits qui n'ont pas eu de témoins.

Cependant, par le raisonnement elles sont parvenues à reconstituer l'histoire

de l'évolution des êtres et les différentes périodes de la formation de la terre.

Bien que leurs conclusions soient uniquement fondées sur le raisonnement,

elles ont acquis une si grande évidence qu'elles ont rallié tous les esprits

réfléchis. Si le concours des bonnes volonté était assuré à mon entreprise,

peut-être ne serait-il pas impossible de reconstituer le mécanisme cérébral

sur une base analogue.

L'homme est le roi de la terre. Dans le cours des âges, il a porté sur les

phénomènes naturels des jugements strictement adaptés à son niveau intellec-

tuel et que les générations suivantes ont successivement rectifié parallèlement

à l'élévation de la pensée et à l'accroissement des connaissances. Dans ces

conditions n'est-il pas à craindre que les jugements qu'il a portés sur lui-même

ne soient entachés d'erreurs, provenant non seulement de son ignorance, mais

encore de sa partialité ? N'a-t-il pas dû subir à un degré d'autant plus fort

que lui-même était placé plus bas sur l'échelle intellectuelle la tendance si

humaine encore universellement répandue et qui consiste à amplifier ses

mérites et à mécounaître ses défauts ? Il ne s'est trouvé personne pour juger

l'homme qui, lui, appréciait toutes choses, et la croyance en sa supériorité

160 LEFÈVRE

exagérée ne reconnaît peut-être pas d'autres causes que cette absence de juge

autorisé.

En abordant l'étude du problème délicat et troublant du mécanisme des opé-

rations intellectuelles, problème qui touche de si près à la dignité de la cons-

cience humaine et pis encore aux fondements des religions, le penseur devrait

pouvoir rejeter toutes idées préconçues et être suffisamment dépourvu de pré-

jugés pour bannir de son jugement toutes considérations sentimentales et savoir

ne reconnaître d'autre autorité que celle des arguments. Il serait également

désirable qu'il pût se dépouiller momentanément de ses attaches humaines

et s'élever assez haut pour juger les hommes avec une superbe indifférence,

comme si c'étaient des choses, des êtres avec lesquels il n'a rien de commun.

. II

Avant de rechercher les fondements d'une hypothèse qui puisse servir de

fil conducteur à travers le dédale des opérations de l'esprit, il est de bonne

logique d'établir sur une base solide et inattaquable la matérialité absolue des

faits intellectuels qui n'a encore présenté, au cours de cette étude, que le

caractère d'une nécessité rationnelle. De cette façon, l'existence d'un mécanisme

physiologique pour expliquer la fonction intellectuelle étant solidement établie

sur des preuves objectives, si l'observation et l'expérience ne vérifiaient pas

une première hypothèse sur la nature de ce rouage vivant, on serait amené

fatalement, non pas à rejeter toute hypothèse, mais à en chercher une meil-

leure.

. L'expérience a démontré d'une façon certaine non seulement que la fonction

intellectuelle a pour organe l'axe cérébro-spinal et plus particulièrement le

cerveau, mais encore que les gradations subies par elle se trouvent en corréla-

tion avec des variations correspondantes dans la qualité ou la quantité de

matière cérébrale. Cette proposition étant, je pense, admise sans conteste, je

mie bornerai à énoncer quelques faits qui ont servi à en démontrer l'exacti-

tude. : Il existe une remarquable différence de poids entre le cerveau de l'homme

normal et celui des idiots.

. La fonction intellectuelle subit l'influence 'de l'inanition, de la faiblesse, de

la maladie. Elle est modifiée par certaines substances : opium, alcool, chloro-

. forme, etc.

. Le fonctionnement de l'esprit'exige l'apport de matériaux réparateurs et se

traduit par la présence de produits de désassimilation.

" Les opérations intellectuelles ne sont pas instantanées et demandent pour

s'accomplir un temps très court, mais parfaitement appréciable et d'autant

.plus long qu'elles sont plus compliquées. : Les maladies et les traumatismes de l'organe atteignent la fonction intellec-

tuelle elle-même qui présente des lacunes, un amoindrissement ou des modifi-

cations parfaitement en rapport avec les lésions de la matière nerveuse, pour

autant que celles-ci soient connues dans leurs effets.

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 161

On peut, d'une façon expérimentale ou thérapeutique, modifier les idées par

suggestion, c'est-à-dire par l'excitation mécanique des vibrations sonores repré-

sentatives d'idées.

En résumé, la fonction intellectuelle se distingue des autres comme celles-ci

se différencient entre elles, uniquement par une différence dans la nature de

leur activité propre. Elle diffère de la fonction circulatoire comme celle-ci se

distingue de la fonction respiratoire Sous tous les rapports, elle se trouve

eomme les autres dans une situation de stricte dépendance vis-à-vis des états

de la matière qui lui servent de substratum. Les modifications de l'organe

retentissent infailliblement sur la fonction. La cause et l'effet subissent paral-

lèlement des variations qui s'appellent et s'enchaînent. Or, toutes ces fonctions

sont absolument soumises aux lois de la matière et régies par des mécanismes

physiologiques. Le fonctionnement intellectuel doit donc être assujetti aux

mêmes nécessités inéluctables. En conséquence, la psychologie n'ayant rien de

physiologique dans ses conceptions n'est qu'une vaine science dont il n'y a

vraiment pas lieu de se préoccuper plus longtemps.

- Si vous voyiez un animal (simple supposition) attribuer ses qualités remar-

quables de bâtisseur et d'architecte à des forces suprasensibles, ne trouveriez

vous pas cette prétention complètement ridicule ? Si vous aviez sur les hommes

une supériorité égale à celle que ceux-ci possèdent vis-à-vis des animaux, ne

vous semblerait-il pas puéril de voir des êtres qui sont seulement plus élevés

èn organisation idéaliser, diviniser pour ainsi dire leurs facultés spéciales ?

L'homme n'étant pas une exception dans la nature, ne doit pas être l'objet, de

raisonnements exceptionnels. Sa présence sur la terre ne peut faire subir

aucune déviation aux forces naturelles. Les attributs particuliers dont il re-

couvre sa nature ne sont donc que des preuves éclatantes de sa partialité ou

de son ignorance.

Si la fonction intellectuelle dépend du système nerveux comme un effet

est assujetti à sa cause, il est rationnel, lorsqu'on entreprend l'étude dé la

cérébration, de ne plus considérer l'homme tout entier, mais exclusivement

l'axe cérébro-spinal qui en est le substratum. L'homme est constitué par une

agglomération d'organes dont chacun remplit une mission spéciale et dont les

activités réunies concourent à produire l'activité humaine qui, en elle-même,

n'est qu'une résultante de fonctionnements divers. On ne dit pas dans le langage

habituel que l'homme élabore de la bile ou qu'il projette le sang dans les diffé-

rentes parties de son corps, mais on rapporte ces manifestations vitales aux

organes qui les produisent, au foie et au coeur dans l'espèce. C'est donc par

suite d'une extension de signification réellement abusive et qui a été néfaste

dans ses conséquences que l'on attribue à l'homme des manifestations intellec-

tuelles qui constituent un produit de l'activité exclusive d'un de ses organes.

Ce n'est pas l'homme qui pense, c'est le cerveau, et le fait est si vrai qu'il ne

pense bien que pour autant que l'organe soit normal. '

Quand on aborde l'étude des opérations intellectuelles, ce n'est donc pas

l'homme qu'il faut avoir sous les yeux, mais le cerveau. Cette manière d'agir

est infiniment plus exacte et d'emblée elle écarte de nombreuses possibilités

162 LEFÈVRE

d'erreur et restreint les écarts d'imagination. Il ne faut pas faire d'exception

pour le fonctionnement intellectuel, mais se comporter vis-à-vis de lui comme

on a l'habitude de le faire en présence d'une fonction physiologique quelconque.

Quel est le médecin qui envisage l'homme tout entier quand il s'occupe de

l'élaboration du sang ? J'insiste sur ce point. Je ne connais pas de meilleur

réfrigérant de toute conception métaphysique que la vision claire et constante

de l'organe intellectuel, quand on porte toute son attention sur les choses de

l'esprit. Des mots tels que volonté, intelligence dans leur acception psycholo-

gique actuelle ont quelque chose de particulièrement choquant et deviennent

inintelligibles, lorsqu'on les applique au cerveau et que l'on a la conviction

profonde que l'on ne peut les appliquer qu'à lui. Ce simple rapprochement

montre déjà combien on a dû se fourvoyer dans l'explication des facultés

intellectuelles.

III .

Bien des questions complexes ne deviennent intelligibles qu'à partir du

moment où l'on se résout à entreprendre séparément l'examen de leurs com-

posantes. Lorsque la chose est possible, on arriveau même résultat en faisant

remonter leur étude jusqu'au moment où elles n'avaient pas encore acquis ce

caractère de complexité et en les suivant ensuite dans leurs complications suc-

cessives. En allant ainsi du simple au composé, l'esprit humain surprend

.mieux les voies de la nature et dans l'isolement d'abord puis dans l'accroisse-

ment successif des faits, il découvre des rapports d'antériorité et d'importance

qu'une complexité trop grande cache à l'oeil le plus perspicace.

L'homme est, sans conteste, un être extrêmement compliqué. Pour l'ana-

lyser et le comprendre, on peut, suivant l'objectif que l'on vise, ou bien le

décomposer en ses parties constituantes, ou bien faire remonter son étude

jusqu'au moment où il était composé d'un nombre moindre de parties et de

parties plus simples. Si l'on ne veut pas tenir à l'égard de l'homme des rai-

sonnements exceptionnels, il faut admettre qu'il est issu de formes ayant une

structure moins compliquée, comme tous les animaux et les végétaux d'ailleurs

et probablement comme tous les corps simples de la chimie inorganique. L'hy-

pothèse de son humble origine est suffisamment établie. Elle a si bien rallié les

esprits les plus élevés qui se laissent guider uniquement par des arguments

scientifiques et non pas par des considérations sentimentales que l'on peut se

baser sur elle pour en tirer des conclusions fermes. La science dans la stricte

acception de ce terme, c'est-à-dire désintéressée et indifférente à la nature de

la vérité n'a, du reste, pas l'embarras du choix et ne peut formuler d'autre

hypothèse sans verser dans la légende et la mythologie.

A un moment donné, il y a de cela bien des millions d'années, apparut sur

la terre la première molécule vivante, lorsque se sont trouvées réalisées les

conditions permettant la réunion de quelques corps inorganiques en une com-

binaison douée d'un grand pouvoir d'instabiliLé, se décomposant et se recons-

tituant constamment sous t'influence d'excitations extérieures, ayant par con-

séquent du mouvement,donc de la vie. D'autres conditions avaient réalisé les

ESSAI SOR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 163

corps qui détonent, d'autres les corps qui éclairent ; une autre a permis la

constitution du corps vivant. Cette molécule et plus tard cette cellule furent la

première ébauche de l'homme, du règne animal et végétal.

Je ne me propose pas de retracer toute l'évolution, mais seulement d'esquis-

ser à larges traits, l'origine des facultés humaines en montrant les causes des

mouvements élémentaires et successivement plus compliqués du protoplasme

cellulaire et d'émettre ensuite l'opinion que la simplicité primitive doit se re-

trouver sous la complexité actuelle. '

Cette substance vivante, cette cellule qui n'appartient encore ni au règne

animal, ui au règne végétal, mais qui est déjà un homme en puissance, a été

entièrement constituée par un apport d'éléments venus du dehors. A l'endroit

précis où elle se trouve, il ne préexiste pas autre chose que quelques corps

chimiques doués d'affinité réciproque dans les conditions données. Comme elle

ne détient, dès sa formation, aucune spontanéité, aucune force suprasensible

et incompréhensible, nous pouvons dire que tous les matériaux qu'elle incor-

porera dans la suite toutes les propriétés et qualités qu'elle pourra acquérir

au cours de son perfectionnement ultérieur seront également d'origine externe ,

Elle ne peut avoir que les propriétés de ses composants et jamais d'elle-même

elle n'y ajoutera quelque chose, car, elle-même n'étant qu'une résultante, ce

serait supposer qu'il puisse se produire un effet sans cause. . :

Notre première ébauche humaine n'est pas seulement issue du milieu ; elle

ne dépend pas seulement de lui sous le rapport de son accroissement ultérieur,

mais ses propres manifestations vitales lui restent encore soumises. En effet,

la matière vivante participe à la propriété d'inertie générale de la matière.

Son activité n'est jamais spontanée mais toujours provoquée par des excitations

du milieu, de nature chimique, électrique, lumineuse, mécanique ou thermi-

que. Elle périrait immédiatement, si elle ne recevait pas à tous les instants

des excitations qui la maintiennent en vie en lui donnant le mouvement c'est-

à-dire en conditionnant l'instabilité de sa composition chimique. Si à une phase

déterminée de l'évolution de la matière vivante, on croit découvrir en elle une

activité personnelle, volontaire, on ne peut expliquer son existence qu'au

moyen d'une organisation intérieure d'une force extérieure et on ne peut en

comprendre les manifestations qu'en les faisant dépendre à leur tour de con-

ditions externes. Cependant, il est certain que différentes forces extérieures

organisées à l'intérieur peuvent réagir les unes sur les autres jusqu'à épui-

sement de leurs matériaux de réserve, mais il faut que toujours l'impulsion

première vienne du dehors. ' "

Dans un travail intitulé : Contribution à l'étude de la pathogénie des névro-

ses, publié dans le numéro de septembre-octobre 1908 de la Nouvelle Icono-

graphie de la Salpêtrière et auquel le lecteur fera bien de se reporter pour

obtenir un supplément d'explication, j'ai montré que les excitations extérieu-

res agissant sur la matière vivante plastique avaient pour effet d'y produire

des modifications de structure, un aspect physico-chimique nouveau qui de-

venait un équivalent organique de la force opérante. En continuant à repré-

senter celle-ci au sein du protaplasme cellulaire, lorsqu'elle avait cessé d'agir,

164 LEFÈVRE

il est clair qu'il constitue une organisation intérieure de la force extérieure;

Entre le milieu et la matière vivante, il se passe tout un ensemble d'actions

et de réactions. Le protoplasme cellulaire, l'homme n'est qu'un organe de

réaction vis-à-vis du milieu et les actions qui se produisent dans son intérieur

ne sont elles-mêmes que des réactions conditionnées par. des influences exter-

nes, thermiques, chimiques, électriques lumineuses, mécaniques qui résument

tous les modes d'excitation connus (1). '

Sans parcourir tons les échelons du perfectionnement structural des êtres,

nous pouvons induire, en nous basant sur les constatations actuelles des

savants biologistes, que, dans les premières phases de son évolution, aucune

des parties constituantes de notre ébauche d'homme n'était différenciée et que

toutes étaient également douées de sensibilité et de mouvements. A vrai dire,

il n'existait encore qu'une irritabilité générale sans sensibilité spéciale. Sous

l'influence d'un excitant, le protoplasme exécute un mouvement caractérisé

par un déplacement dans la position relative des parties de sa masse et cette

activité est strictement conditionnée en qualité et en quantité par la nature

de l'excitant.

C'est ainsi que la cellule se nourrit, s'accroît et prolifère. Déjà nous remar-

quons que ces mouvements sont inconscients, involontaires,intelligents, c'est-

à-dire parfaitement adaptés au but à atteindre et qu'ils ont toutes les appa-

rence d'une activité volontaire et réfléchie pour celui qui n'aperçoit que les

changements sans entrevoir leurs causes. Les choses se passent comme si la

cellule voulait et, à un degré moins avancé de connaissances, nous dirions

qu'elle veut, puisque tous les sauvages primitifs, par suite d'une illusion an-

thropomorphique, attribuent à la matière même inanimée, à une ancre par

exemple, la volonté et les pouvoirs des hommes. Et notez que ces raisonne-

ments de sauvages sont extrêmement logiques relativement à leurs connaissan-

ces. Prenons donc garde d'être, nous aussi, victimes d'une illusion naturelle,

en nous attribuant de la volonté dans l'acception psychologique du mot.

A un stade plus avancé de développement et de différenciation, le mouve-

ment se localise dans un organe qui y est particulièrement adapté, le muscle et

la masse vivante, tout en restant sensible ou plutôt irritable en chacun de ses

points, acquiert en certains autres une sensibilité spéciale vis-à-vis de certai-

nes excitations lumineuses ou sonores par exemple. Alors l'excitant physico-

chimique extérieur, en touchant la matière réagissante, se transforme immé-

diatement en un mouvement qui lui est adapté, de telle façon que celui-ci de-

vient une représentation interne de l'excitation externe. Si nous considérons

maintenant dans son milieu cette masse vivante déjà plus élevée en organisa-

tion, nous sommes émerveillés en présence de l'intelligence dont elle fait

preuve et cependant ses mouvements sont inconscients et involontaires et ne

sont que des réactions mécaniques en présence d'excitations. Toujours la réac-

(1) Je passe sous silence l'excitation magnétique dont l'action sur la matière vivante

est fortement contestée ainsi que la radio-activité dont la biologie n'a pas encore

parlé.

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 165'

tion est conditionnée par l'excitation et dans sa formation et dans sa produc-

tion. Elle représente dans la matière vivante un travail plus ou moins compas

rable l'action exercée par les rayons solaires sur les corps inanimés, sur les-

tissus par exemple dont ils modifient lentement la structure, puisqu'ils leur

font perdre leurs qualités de résistance et de coloration.

Etqui produit ces perfectionnements successifs, ces merveilles d'organisa-

tion ! Un être tout puissant, intelligent ! Ce serait là une explication théologi-

que, une véritable conception de sauvages et qui ne ferait, du reste, que recu-

ler la question. L'intelligence moderne si modeste qu'elle soit encore ne peut

déjà plus admettre qu'un être, si puissant qu'on le suppose, puisse faire ou

une chose vraiment impossible, ou une chose sans moyen. Dans cette hypo-

thèse, il resterait encore à découvrir les forces qu'il a utilisées. Non, pour'

dévoiler le mystère, il est plus rationnel, plus scientifique de s'adresser uni-

quement aux propriétés de la matière, puisque c'est en elles exclusivement

que nous avons trouvé jusque maintenant les seules explications qui aient

jamais satisfait complètement notre esprit.

La masse vivante continuant à s'accroître, il arrive un moment où ses par-

ties plus spécialement irritables qui sont devenues des organes des sens ne se

trouvent pins immédiatement en contact avec les organes du mouvement, de

sécrétion ou de reproduction qui se sont développés entre temps. Il se forme

alors pour unir ces différents rouages une cellule nerveuse qui reçoit et transmet

l'excitation reçue aux organes dont la fonction est d'y répondre. Le système

nerveux se complique à son tour et, à un degré d'organisation un peu plus

élevé, on rencontre deux, trois, quatre cellules nerveuses intermédiaires, de

sorte que, à ce moment, l'arc réflexe est constitué. Le mouvement est main-

tenant commandé à distance, sans que pour cela les rapports entre l'excitation

et la réaction aient cessé d'être de nature purement mécanique. Chaque exci-

tation conditionnant en nature et en degré sa réaction spéciale, celle-ci peut

toujours être considérée comme une représentation organique, une photographie

en chair de la première. Un rayon lumineux par exemple tombant sur l'eau,

sur un corps chimique, un cristal ou un tissu y produit des effets déterminés

qui toujours permettent de reconnaître la cause ; s'il vient à atteindre la

matière vivante, il y provoque également des réactions qui lui sont absolument

personnelles et qui permettraient, si elles étaient connues, de remonter à leur

origine. L'effet, la réaction peuvent donc être considérés comme des représen-

tations de la cause, comme étant la cause elle-même sous une nouvelle forme,

lorsque celle-ci est vivante et douée d'énergie. Et toujours nous remarquons

que les admirables manifestations vitales de cet être déjà fort perfectionné

sont, bien que d'apparence volontaire, absolument inconscientes et purement

réflexes. Cette matière plastique n'est qu'un lieu de circulation de l'énergie.

Celle-ci y entre par les organes de la sensibilité, y produit des manifestations

absolument personnelles, s'y peint en d'autres termes et, éventuellement,

reparaît à l'extérieur sous forme de mouvements communiqués au milieu am-

biant par le corps excité et réagissant. L'épiderme de l'homme n'est pas une

cuirasse qui arrête les forces naturelles. i

166 LEFÈVRE

L'organisation s'élève au sur et à mesure que le système nerveux se com-

plique, mais on continue à comprendre et son accroissement de volume et la

conservation de son fonctionnement réflexe. Plus le corps est volumineux et

plus il y a de surface excitable à relier aux organes internes et plus il y a

d'organes internes à relier entre eux. Intermédiaire entre l'ambiance d'une

part, le milieu intérieur et les différentes parties de ce dernier d'autre part, le

système nerveux n'est en somme qu'un organe de transmission qui réfléchit

les excitations dont il a été l'objet et qui est parfaitement adapté à sa fonction,

parce que le travail auquel il est soumis, le laisse modifié spécifiquement dans

sa structure physico-chimique. Les perfectionnements successifs laissent

toujours place à de nouvelles possibilités d'excitation et par conséquent à des

organisations nouvelles.

En suivant ainsi, à grands pas, l'évolution des précurseurs de l'homme à tra-

vers les espèces animales, nous arrivons aux mammifères inférieurs, c'est-à-

dire au seuil d'une fonction nouvelle, la conscience que je ne crois pas encore

devoir leur attribuer, d'accord en cela avec Haeckel. Je sais bien que cette dé-

cision est tout arbitraire, mais ainsi que nous le verrons tantôt, la conscience

n'étant que la connaisssance des phénomènes -intellectuels el nullement leur

production, il importe vraiment peu que l'on commette une erreur dans la

supputation du moment où elle fait son apparition dans l'espèce. Nos mammi-

fères inférieurs sont donc supposés ne pas avoir de conscience et, malgré cela,

nous remarquons une complication déjà grande dans leurs phénomènes vitaux.

Ils ne se livrent pas encore à des opérations intellectuelles proprement dites,

leurs actes sont involontaires, réflexes, inconscients, mais les choses se pas-

sent absolument comme s'ils agissaient avec réflexion. Si la conscience seule

permettait la manifestation d'actes intelligents, on ne pourrait, certes, pas leur

refuser cette fonction. Grâce à des ajustements intérieurs, les réactions sont

strictement proportionnées aux actions et ces opérations seraient conscientes

qu'elles ne se feraient pas mieux. Et en quoi consistent-elles ? Mais à poursui-

vre une proie, à la chercher là où elle se trouve, à manger, à dormir, à se re-

produire, à lutter,pour l'existence. Il y a beaucoup d'hommes qui n'ontjamais

fait autre chose que de se livrer à ces occupations tout animales sans s'être

même trouvés dans l'obligation de lutter pour vivre et dont la pensée est restée

étroite et petite, tout en jouissant du privilège d'exprimer par des mots les

actes auxquels ils viennent de se livrer. Les manifestations sociales si élémen-

taires qu'elles soient sont déjà considérées comme des opérations intellectuelles

lorsqu'on les-observe chez l'homme. Comme on rencontre déjà dans les espè-

ces inférieures des modes d'expression autres que la parole, on est amené à

penser que nos animaux communiqueraient entre eux au moyen de sons arti-

culés, s'ils possédaient une organisation appropriée. Le réflexe qui donne le

mouvement aux modes d'expression autre que la parole, pourrait, tout aussi

bien, actionner l'émission des sons.

Nous serions d'autant plus autorisé à qualifier d'opérations intellectuelles

rudimentaires ces manifestations intelligentes que toutes les connaissances

indistinctement,et c'est un point sur lequel j'insiste et serai obligé de revenir,

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 167

sont nécessairement d'origine externe et qu'elles se résolvent en dernière

analyse en une certaine somme, une certaine complexité d'excitations pure-

ment mécaniques. Un spectacle, une audition musicale, une lecture, un serre-

ment de mains, un bouquet odorant, la joie et la tristesse ambiantes n'impres-

sionnent nos sens et ne nous sont connus que parce qu'ils détiennent une

portion de l'énergie universellement répandue, que parce qu'ils dégagent des

excitations mécaniques, thermiques, lumineuses, chimiques ou électriques,

seules capables d'influencer la matière vivante. Nous ne percevons du monde

extérieur que les excitations énergétiques qui en émanent et qui nous en

fournissent une représentation, parce qu'elles sont spécifiques pour chaque

objet et chacune des variations de cet objet. Un mot entendu, c'est-à-dire une

idée n'est qu'une certaine somme de vibrations sonores et ne diffèrent des

autres mots et par conséquent des autres idées que par le nombre, l'amplitude

et la somme des vibrations. Tout le monde extérieur, c'est-à-dire tout ce qui

est susceptible de devenir connaissance peut être ramené à des équivalents

mécaniques qui font sur la matière vivante une impression correspondant à

l'objet dont ils émanent. On voit donc qu'il n'y a pas de différence essentielle

entre une excitation dégagée de toute signification, une simple impression

physico-chimique, une onde sonore par exemple et une excitation représenta-

tive d'un objet extérieur, d'une chose susceptible d'être connue, telles une

poire, une personne. Elles ne diffèrent pas entre elles par la nature des exci-

tations qui restent dans les deux cas chimiques, lumineuses, électriques,

thermiques ou mécaniques, mais seulement par le nombre et la complexité de

ces excitations. Les connaissances, c'est-à dire les objets de pensée, étant ainsi

ramenées, sans qu'il soit permis d'émettre aucun doute à cet égard, à des

conditions purement physiques, on comprend que l'on puisse déjà parler

d'opérations intellectuelles chez les animaux inférieurs et que le mécanisme

réflexe suffise pleinement à les produire. Il n'y a pas que les sensations tactiles

qui soient susceptibles de déterminer des actions réflexes. C'est là une propriété

qui appartient, sans conteste, à tous les excitants.

L'organisation nerveuse des mammifères inférieurs subsiste assurément

lorsque le perfectionnement continu de l'espèce conduit celle-ci à un stade

d'évolution supérieur. A priori, il paraît même vraisemblable de penser

le simple réflexe donnant déjà lieu à des opérations si intelligentes qu'un

accroissement dans le nombre ou la difficulté de celles-ci peut être expliqué

par l'existence d'un surcroît de ces subtiles mécanismes.

Quoi qu'il en soit, nous observons chez les mammifères supérieurs, en même

temps qu'une augmentation importante du poids du cerveau et qui atteint son

maximum non pas chez l'homme tout court, mais chez l'homme très intelligent,

nous observons, dis-je, l'apparition de phénomènes nouveaux et intéressants ;

la conscience, la faculté d'éprouver des sentiments (honte, joie, tristesse) et de

ressentir des émotions (peur), ainsi que le pouvoir de faire des raisonnements

rès simples. Des exemples nombreux de manifestations de ce genre sont rap-

portés dans les ouvrages spéciaux. En voici un qui est inédit. Un chien accom-

pagnait chaollp. jour son maître à la promenade et le précédait toujours à la

168 ' ' LEFÈVHE -

porte d'une maison amie où celui-ci avait l'habitude de se rendre en passant.

~Le soir du déménagement, le maître et l'ami suivis du chien firent le tour de

'cette maison pour prévenir tout oubli. Le lendemain, le chien spécialement

observé passa en face de l'habitation sans détourner la tête. Il avait compris

qu'elle était inhabitée. Le pouvoir de raisonner existe donc déjà bien certaine-

ment, à l'état d'ébauche, chez les animaux, mais atteint sa plus grande étendue

chez l'homme instruit et intelligent. De ce dernier aux mammifères supérieurs,

on pourra observer toute une série de cas intermédiaires qui comblent la

distance séparant ces états extrêmes, et, quelquefois même, on sera forcé de re-

connaître la supériorité intellectuelle de l'animal sur certains hommes, sur

les idiots par exemple.

L'apparition, au cours de l'évolution, des sentiments, des émotions, de la

conscience et l'augmentation sensible du poids de la matière cérébrale sem-

ble être concomitante. Laquelle de ces manifestations vitales est la plus im-

portante et engendre les autres ? Parlant en physiologiste et non en psycho-

logue, j'affirme que l'accroissement de la masse nerveuse suffit à expliquer

l'établissement de fonctions nouvelles et qu'il est absolument impossible que

celles-ci puissent jamais apparaître sans le développement corrélatif d'un

substratum organique. La preuve en est qu'elles ne se produisent pas, lorsque

celui-ci n'atteint pas son développement complet, chez les idiots par exemple.'

La conscience ne peut rien expliquer. Elle n'est que la perception des certains

faits intellectuels. Grâce à elle, des choses qui existaient sans être connues,

deviennent conscientes. La conscience ne fait pas les raisonnements, elle les

perçoit et seulement quand ils se passent dans sa sphère, mais ils peuvent se

produire en dehors de celle-ci, être quand même réellement existants et se

traduire au dehors par des manifestations intellectuelles qui les dénotent. De

même encore on peut être ému sans en avoir conscience et même dans les

états d'émotion extrême on perd conscience. '

L'enfant vient au' monde dans un état d'inconscience manifeste. Pendant

longtemps il ne parle pas ou parle de lui à la troisième personne. Ses actes

réflexes qui sont à l'espèce humaine ce que l'agitation des feuilles est aux ar- j

bres, font l'admiration de parents aveugles et aimants qui croient y découvrir

de l'intelligence et de la volonté. La conscience apparaît donc à un moment

donné du développement phylogénétique et ontogénétique, C'est un perfection-

nement sans doute, mais un phénomène accessoire qui se surajoute à des opé-

rations intellectuelles déjà intelligentes et qui n'a peut-être d'autre rôle à

remplir que de percevoir quelques-unes des manifestations qui se passent en

dessous d'elle. L'homme est' une bonne machine avec ou sans conscience,

écrivait déjà Maudsley. '

Pour les motifs qui précèdent et pour ceux qui vont suivre, heurtant par

trois fois la conception psychologique de l'esprit, j'émets avec une conviction

profonde les trois propositions suivantes : 1° même chez l'homme, dans l'exer-

cice des facultés, le rôle de la conscience est fort elfacé ; 2°. les opérations in'-

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 169

tellectuelles sont, pour la plus grande partie, involontaires ; 3* elles sont tou-

jours accomplies jusque dans leurs parties les plus subtiles au moyen d'un

mécanisme et celui-ci, dans presque tous les cas et vraisemblablement dans

tous est de nature réflexe. Reprenons avec quelques détails ces différents

points.

Le rôle de la conscience est fort effacé dans l'exercice des facultés intellec-

tuelles. C'est une erreur centrale de la psychologie de considérer la conscience

comme la clef de voûte des manifestations intelligentes. Aussi la psycholo-

gue forcé d'admettre, après bien des hésitations et des révoltes, l'existence de

facultés intellectuelles inconscientes dans la somnambulisme, l'écriture auto-

matique, par exemple, est-il complètement désorienté et ne réussit-il à se

tirer d'affaire qu'en inventant, pour les besoins de la cause, d'autres états de

conscience dont personne n'a connaissance, pas même les intéressés. L'ina-

nité de semblables explications doit sauter immédiatement aux yeux de tout

esprit non prévenu, dès qu'il se met à peser la valeur des mots et à appro-

fondir la question. Si la conscience n'est que la connaissance que l'esprit a de

lui-même, on se demande en quoi et comment cette faculté de perception peut

intervenir dans la production des faits intellectuels. Elle peut simplement en

prendre connaissance, mais elle ne les élabore pas. Elle assiste, dans certaines

conditions qui ne se trouvent pas toujours réalisées, à leur éclosion, à leurs

manifestations et aperçoit ainsi les différences qui les séparent et qu'elle cons-

tate sans les créer. Elle n'est pas, même par définition, un moyen d'action, un

organe producteur, mais plutôt un agent de perception.

Nous avons bien conscience, dans des circonstances favorables, des pensées

élaborées, mais le mécanisme de leur production nous échappe complètement.

C'est même pour ce motif que nous nous efforçons de la reconstituer. Dans

une oeuvre intellectuelle comme ce travail, par exemple et dans la réalisation

de laquelle la conscience joue un rôle capital au dire de tous les psychologues,

je ne puis cependant reconnaître à celle-ci aucun pouvoir créateur. Il me sem-

ble que les choses se passent comme si les pensées élaborées en dessous de la

conscience par un mécanisme quelconque surgissaient dans sa sphère et défi-

laient devant elle. Parmi les idées qui se présentent, il y en a de mauvaises

ou d'insuffisantes et si la conscience dirigeait leur éclosion autant qu'on veut

bien le dire, on comprend qu'elle aurait soin de ne pas s'embarrasser de sem-

blables impedimenta. Elle retrouverait encore immédiatement les belles pen-

sées qui apparaissent comme un éclair, puis s'échappent quelquefois pour

toujours. Mais, m'objectera-t-on, c'est à la conscience que vous devez de pou-

voir apprécier la valeur relative des idées ? Oui, je perçois grâce à elle, mais

elle ne fait.que constater des différences existantes et quand je vois des indi-

vidus écrire de bonnes pages dans les états d'inconscience, je ne suis pas

absolument convaincu qu'il est indispensable que ces différences soient per-

çues pour être opérantes. '

Ainsi que je le disais tantôt, le somnambulisme, l'écriture et' la parole auto-

matiques des médiums ou des personnes qui pourraient le devenir permettent

la manifestation d'opérations intellectuelles intelligentes quoique inconscientes

170 O LEFÈVRE

pour autant qu'il nous soit possible de les apprécier. Mais, puisque les sujets

qui, seuls, peuvent nous renseigner, nous déclarent qu'au moment considéré

leur esprit n'avait aucune connaissance de lui-même, nous avons pour affirmer

l'inconscience la seule preuve que nous puissions jamais obtenir et la seule

qu'il soit rationnel de demander. Les états de distraction c'est-à-dire de cons-

cience concentrée sur quelques pensées n'abolissent nullement d'autres travaux

intelligents. Si les rêves donnent lieu à des manifestations intellectuelles

incohérentes, il n'eu est pas moins vrai que, pendant le sommeil, l'exercice

des facultés reste possible et parfois se fait dans de meilleures conditions

que dans l'état de veille, ainsi que chacun a pu le constater en trouvant au

réveil la solution d'une question qu'il avait en vain cherchée dans les révéla-

tions de la conscience. Remarquons que, pendant le sommeil, la valeur relative

des pensées a dû être différenciée sans être perçue.'

Dans l'exercice des facultés intellectuelles, la conscience n'est qu'un témoin,

précieux sans doute, mais non pas un acteur. Son rôle est passif. Elle regarde

sans qu'elle aperçoive toutefois tout ce qui pourrait être vu. Le mécanisme des

opérations intellectuelles reste inconnu et toujours fonctionne inconsciemment.

Ses produits seuls défilent parfois devant la conscience, mais le mécanisme

existe ainsi que ses produits qu'ils soient conscients ou non. La conscience est

l'accessoire, le reste est tout. Elle n'est évidemment pas indispensable à l'exer-

cice des facultés intellectuelles, puisque son apparition dans l'espèce et chez

l'individu a été précédée de manifestations hautement intelligentes auxquelles

sa présence n'aurait rien pu ajouter dans les conditions données de développe-

ment du cerveau. i

Tous les rouages du corps humain fonctionnent en dehors de la conscience.

Le mécanisme cérébral ne fait donc pas exception à la règle générale. Tous

nous seraient inconnus sans l'étude de la physiologie qui n'a réussi d'ailleurs

qu'à en élucider quelques-uns. Le mécanisme cérébral n'est donc pas le seul

qui reste à découvrir, mais ses produits présentent ce caractère unique de

pouvoir être perçus sans le concours des sens et grâce à la formation d'un or-

gane, d'un substratum organique en tous cas, doué d'une propriété nouvelle,

la perception.

Quelque incompréhensible que nous apparaisse eu ce moment le dévoloppe-

pement de la conscience et sans entrer dans aucune discussion à ce sujet, sans

même signaler la théorie de Verworm qui ramène à leurs éléments psychiques

les phénomènes matériels, nous aurons cependant fait un grand pas dans sa

connaissance, quand nous serons convaincu que nous devons la considérer

comme uue fonction, c'est-à-dire comme ayant un substratum matériel dont

les altérations la modifient ou l'anéantissent. Cette affirmation est, à priori,

évidente pour tout esprit positif qui n'admet pas qu'il puisse exister des pro-

priétés indépendantes de tout élément matériel mais elle jouit encore de cet

avantage inestimable dans l'espèce de pouvoir être démontrée par l'expérimen-

tation. En effet, la conscience ne résiste pas à l'influence des anesthésiques,

chloroforme, somnoforme ; elle disparaît dans les méningites. les traumatismes

du cerveau, dans les simples compressions de cet organe, même dans le, cas de

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 171

trouble circulatoire, dans la syncope. N'avons-nous pas dans ces faits la preuve

convainquante de mon affirmation ? Il ne nous reste réellement plus à décou-

vrir que le substratum organique, mais déjà nous savons que celui-ci a son

siège dans le cerveau.

En m'appuyant sur ce qui précède, je me crois autorisé, dans le but d'acqué-

rir une connaissance approximative de l'exercice des facultés, à répartir le

fonctionnement intellectuel en deux étages. L'inférieur sera inconscient et

contiendra tout le mécanisme cérébral dont le travail est insensible, puisque

son existence même est méconnue. Le siège de la conscience sera placé dans le

supérieur et nous y ajouterons d'une façon tout à fait psychologique et jusqu'à

meilleure interprétation l'exercice conscient de deux facultés, le jugement et

la volonté, en ayant soin d'insister sur ce point que tout le mécanisme et tous

les éléments de connaissance se trouvent dans l'étage inférieur et que, par

conséquent, le supérieur n'a d'autre moyen d'action que les rouages situés sous

lui. 11 est plus simple encore et probablement plus exact de considérer celui-ci

comme un simple oeil ouvert sur l'inférieur et sans pouvoir personnel.

Je ne me dissimule nullement tout ce que présente d'arbitraire et de con-

ventionnel cette séparation nette et je ne suis pas absolument convaincu que

la conscience ait dans l'encéphale une localisation précise. Il se pourrait qu'elle

soit liée à un degré d'excitation déterminé. Mais il m'a paru que les choses se

passaient comme s'il existait une zone consciente et je ne me rappelle pas, dans

les nombreuses réflexions auxquelles je me suis livré à ce sujet, avoir jamais

surpris en défaut cette conception physiologique.Je ne compte d'ailleurs plus

m'occuper ici de l'étage supérieur que j'ai qualifié d'accessoire, m'estimant

déjà suffisamment heureux si je réussis à projeter quelques lumières dans les

sombres profondeurs de l'inconscient.

Les opérations intellectuelles sont involontaires de façon prépondérante. -

Le mécanicien connaît tous les rouages de sa machine et sait ainsi comment

s'y prendre pour lui faire produire ce qu'il désire. Comment l'homme peut-il

émettre la prétention justifiée d'agir sur son mécanisme cérébral dont il ignore

tout jusqu'à l'existence ! Comme on ne connaît pas le ressort sur lequel il faut

presser, le fonctionnement intellectuel ne peut être actionné que par des forces

existant en dehors de l'individu ou organisées en lui et la pensée comme la bile

ou la salive est certainement élaborée par elles. L'homme se place, sans le sa-

voir, dans des conditions qui laissent le champ libre à l'exercice de telle ou

telle force naturelle et c'est ce qui lui donne l'illusion de son pouvoir. Ainsi

par exemple, il sécrète de la salive non pas par un acte de volonté mais en

croquant un fruit savoureux ou y pensant, c'est-à-dire en se plaçant dans les

conditions où cette sécrétion se produit naturellement. Il semble bien que les

manifestations intellectuelles ne doivent pas reconnaître d'autre cause. L'homme

est un point dans l'espace où circule l'énergie ambiante.

C'est encore une grosse erreur de la psychologie de croire à l'intervention

d'une volonté dans la plupart des manifestations humaines. Vous êtes à table

et au moment où la main armée de la fourchette arrive à bonne portée,.la bou-

che s'ouvre. Est-ce là un acte volontaire ? Pas le moins du monde. La vue

172 LEFÈVRE

distraite de la fourchette, la sensation kinesthésique dans la position du bras

constituent des excitations qui déterminent automatiquement l'agrandissement

de l'ouverture buccale. L'acte s'exécute en pensant à autre chose. Entre la di-

latation de la pupille sous l'influence de l'obscurité et le mouvement de la

bouche, il n'y a que des différences et dans la nature des résultats et dans la

nature des excitations. La volonté. ne prend aucune part l'exécution du tra-

vail de la mastication. -Il lui serait possible de l'arrêter sans doute, c'est-à-

dire qu'il pourrait se produire sous l'influence d'une autre excitation une

modification biologique qui aurait pour effet d'inhiber le mouvement, mais du

moment qu'elle ne l'empêche pas elle cesse d'être, car ou ne peut concevoir la

volonté dans un rôle passif.

En vous retournant; vous voyez un poing dirigé vers vous et brusquement

votre bras s'élève pour parer le coup. Qui est responsable de cet acte ? Mais

c'est un pur réflexe et le mouvement est déjà exécuté avant que vous n'ayez

pensé à le faire. La vue du. poing, l'excitation lumineuse spécifique a déjà

suffi à actionner l'acte de défense. Elles sont innombrables les manifestations

humaines psychologiquement volontaires, mais d'origine incontestablement

réflexe. On n'aurait jamais inventé le terme volonté,si,dans tous les cas où l'on

fait intervenir cet agent psychologique, on avait écarté avec soin toute possi-

bilité d'excitation mécanique d'origine externe on interne.

Au moment d'apposer sa signature au bas d'un acte, une persoune voit sa

main, qui n'est pas paralysée cependant, lui refuser obstinément tout service.

C'est une aboulique. Pour expliquer semblable faiblesse, Molière aurait fait

.dire à Sganarelle que le malade ne savait signer, parcequ'il était atteint d'une

incapacité d'agir. La psychologie se tire d'affaire en invoquant une maladie de

la volonté, c'est-à-dire une maladie de la faculté de se déterminer librement à

poser certains actes. Le malade sait vouloir pourtant, mais sa volonté n'est

plus opérante. Malgré le respect et l'admiration que je professe si pas pour la

psychologie, du moins pour les psychologues, je ne puis m'empêcher de pen-

ser qu'il est vraiment comique de voir des esprits sérieux et éminents se con-

tenter d'une explication aussi réjouissante. La maladie ne consiste pas non

plus dans un manque d'impulsion, puisque l'ohjet n'a rien perdu de son pou-

,voir excitateur, mais dans un trouble intérieur. Si je devais, à mon tour,

tenter d'expliquer cette incapacité momentatée,je dirais que le groupement cel-

lulaire qui a pour mission d'exécuter le mouvement est frappé d'inhibition,

c'est-à-dire qu'il présente dans sa structure physico-chimique une modification

dont l'essence est inconnue, mais qui est de telle nature qu'il est devenu in-

capable de réagir à l'action des excitants. La cause de l'inhibition elle-même

doit probablement être cherchée dans les idées du malade qui, au moment où

il veut signer, a fortement présent à l'esprit, le souvenir, la pensée d'une in-

capacité antérieure réalisée dans une condition fortuite. J'expliquerai ceci dans

,quelques instants.

En amoindrissant le rôle de la conscience dans l'exercice des facultés, j'ai

.réduit du même coup celui de la volonté. Là où la conscience n'est plus,

.celle-là disparaît et n'apparaît pas nécessairement là ou l'autre subsiste encore .

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE l'esPRIT 173

Dans un travail purement intellectuel comme celui que j'élabore en ce moment,

je né suis pas absolument convaincu de l'existence de ma liberté. Ma volonté

se borne à être passive, donc à ne pas être, je n'ai pas voulu positivement

l'entreprendre, mais j'ai été poussé à le faire et si je n'ai pas été l'objet d'une

impulsion dans toute l'acception du terme, j'ai subi au moins une pression. Je

me suis laissé aller à l'écrire sans penser à rechercher en moi-même la parti-

cipation de ma volonté. A certains moments, je suis pour ainsi dire obsédé

par toutes ces idées à ce point que je me trouve incapable de m'intéresser à

autre chose. Malgré ma volonté qui n'est pas malade ou, [tout au moins, mal-

gré mon désir, elles m'intéressent à tous moments plus que les autres et m'ont

littéralement poursuivi. Mon étage inférieur les produisaient et elless'imposaient

à ma conscience et séduisaient ma volonté. Je les ai subies.

C'est ainsi que les choses se passent toujours et je suis persuadé que tous les

savants, tous les écrivains doués d'originalité se sont trouvés dans une situation

analogue. L'inspiration ne vient pas sur commande et, à moins que de la noyer

dans le vin, ne disparait pas sur un signe. Il faut qu'il se produise d'énergi-

qués diversions pour neutraliser une poussée d'idées qui, elle-même, a déjà

annihilé la puissance des préoccupations journalières et parfois chassé le som-

meil. Les psychologues ne se sont pas rendus compte que, lorsqu'on ne scrute

pas les profondeurs de sa conscience, ce n'est pas en vertu d'un acte de volonté

que l'on se détermine à agir, mais à cause d'une impulsion que l'on subit sans

qu'on y pense. La volition n'est autre chose qu'une sorte d'impulsion involon-

taire à laquelle il serait possible de résister facilement, si on le voulait, mais

on ne le veut pas. Pour le vouloir, il faudrait la présence de deux poussées

simultanées de sens contraire et d'inégale puissance. Qui pourrait soutenir que

les ignorants ou les sauvages songent à sonder leur conscience et posent des

actes nettement volontaires ? Mais ils suivent leurs inclinations sans réflexion

ils s'abandonnent à leurs penchants et l'on peut aisément découvrir beaucoup

d'impulsion dans leurs manifestations intellectuelles. Celles-ci ne constituent

à proprement parler que des réactions en présence d'excitations. La volonté

n'est qu'une création psychologique à lequelle personne ne songe dans la pra-

tique de la vie ; c'est un mot qui a fait fortune et dont s'embarrassent bien à

tort les explications physiologiques.

Malgré bien des raisons, j'ai cependant laissé subsister une volonté cons-

ciente dans l'étage supérieur, en attendant une interprétation définitive. Ce

n'est qu'une concession provisoire faite à la psychologie. Mais déjà pour moi

la pensée et la volonté n'est que la pensée de l'exécution d'un acte est

un équivalent énergétique de la chose pensée. En pensant, l'homme obtient des

effets qu'il désire et d'autres qu'il croit n'avoir pas voulu, parce qu'il ignore le

pouvoir énergétique des pensées, telle l'éclosion de manifestations névrosiques

par exemple. C'est ainsi que tout en croyant vouloir signer un acte, notre

aboulique a peut-être voulu ne pas signer, parce qu'il était obsédé par la pen-

sée de son incapacité antérieure, obsession qui elle-même peut être 'incons-

. ciente, puisqu'elle a sa cause dans une modification biologique d'un ou plu-

sieurs neurones de l'étage inférieur. On fait apparaître l'incapacité, on la veut,

xxu 12

174 LEFÈVRE

rien qu'en laissant l'idée de doute prendre une place prépondérante dans l'en-

tendement, parce que cette pensée a comme équivalent énergétique l'impuis-

sance effective. En doutant de ses forces, on se place à son insu dans les con-

ditions qui réalisent ce que l'on redoute de voir apparaître.

Le schéma ne représente que les articulations des neurones voisins entre eux, mais,

en réalité les articulations entre V' et T', entre A' T' etc., sont les mêmes que en-

tre V' et A'.

Le mécanisme à l'aide duquel les manifestations intellectuelles sont tou-

jours réalisées est toujours vraisemblablement dénature réflexe.- L'existence

et la nécessité de ce rouage s'imposaient de plus en plus au sur et à mesure

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 175

que je ramenais à de plus justes proportions le rôle de la conscience et de la

volonté dans l'exercice des facultés intellectuelles, en même temps que j'en

donnais, je pense une meilleure compréhension. C'est là un résultat particu-

lièrement heureux, car le réflexe n est pas l'invention d'un esprit en mal d'ex-

plication, mais un rouage dont l'existence est parfaitement démontrée et par-

tout admise. Non seulement nous l'avons vu réaliser seul, dans le cours de

l'évolution phylogénétique et ontogénétique de l'espèce, des opérations intelli-

gentes qualifiées d'intellectuelles, lorsqu'on les rencontre chez l'homme ; non

seulement il nous a paru apte à produire,par une complication et une extension

plus grandes, des manifestations intellectuelles plus nombreuses et plus diffici-

les, mais nous le retrouvons encore dans la moelle dont il est l'unique rouage.

Or,comme le cerveau et la moelle ne forment qu'un seul organe, l'axe cérébro-

spinal,arbitrairement séparé en plusieurs parties pour la facilité de son étude ;

comme on ne pourrait pas toujours distinguer sous le microscope une cellule

médullaire d'une cellule cérébrale,il il devient logique, même à priori,de suppo-

ser dans le cerveau,' pour l'exercice des facultés intellectuelles, un mécanisme

analogue à celui qui existe dans la moelle.

IV

Avec les éléments dont nous disposons en ce moment et ceux que nous

rencontrerons encore chemin faisant, nous possédons une base suffisante

pour reconstituer au moyen du raisonnement le mécanisme des phénomènes

intellectuels. Nous aurons ensuite à examiner la question de savoir si notre

reconstitution s'accorde avec les manifestations humaines qu'il nous est donné

d'observer tous les jours. Nous exposerons d'abord, dans une vue panorami-

que et dans toute sa simplicité, le mécanisme tel qu'il doit fonctionner chez

les peuples sauvages, les enfants et les ignorants, tel qu'il a une tendance à

fonctionner toujours même chez les personnes instruites, puis nous nous ef-

forcerons de montrer les complications et les modifications apportées par

l'organisation des connaissances dans le cerveau. Dans le premier cas, ce sont

principalement les excitations extérieures qui agissent sur la matière cérébrale

soit immédiatement soit médiatement par l'intermédiaire de la moelle et y

conditionnent les réactions qui leur sont propres; dans le second cas, les exci-

tations externes n'ont plus devant eux le champ aussi libre et rencontrent des

organisations internes de connaissances qui, physiologiquement excitées par

eux, mettent en liberté des forces physico-chimiques, non seulement capables

de les neutraliser, mais encore de conditionner elles-mêmes des réactions per-

sonnelles.

Les seules excitations externes qui intéressent les manifestations intellec-

tuelles sont celles qui prennent comme voie de pénétration les organes des

sens. Dans la 6g. I, j'ai donc' représenté schématiquement les cinq organes des

sens articulés physiologiquement avec leur centre de mémoire respectif et

176 LEFÈVRE

ceux-ci reliés entre eux de façon à figurer l'association des idées. L'examen

de cette simple figure permet déjà de remarquer ce fait curieux et inattendu

et que je signale en passant que toute idée, celle d'orange par exemple, est

représentée dans le cerveau sous autant de formes physiologiques différentes

qu'elle est susceptible d'impressionner d'organes des sens. Elle a sa forme

visuelle, gustative, tactile et dont chacune constitue une fraction de l'idée

complète, fraction qui suffit cependant à en produire tous les effets, lorsqu'une

excitation actionne le substratum organique sur lequel elle repose.

Dans la fig. II et dans un but de simplification, j'ai confondu les cinq orga-

nes récepteurs en un seul et représenté les cinq mémoires par un seul organe,

le centre I. Ainsi est constituée l'extrémité sensitive de l'arc diastaltique et

l'excitation partie de l'extérieur a pénétré jusqu'à un ou plusieurs neurones

du centre qui, modifiés par elle si peu que ce soit dans leur situation physi-

co-chimique, en conserve la mémoire. De ce point l'excitation peut, suivant

sa nature, son intensité ou d'autres circonstances, être réfléchie à la fois dans

quatre directions différentes ou dans une ou plusieurs d'entre elles. Elle peut

être dirigée vers l'étage supérieur, atteindre la zone consciente et alors elle

est perçue, mais il est important de remarquer que les autres réflexions ne

sont modifiées en rien de ce fait et qu'elles se comportent comme si l'excitation

n'avait pas pris cette voie. De cette façon la conscience est bien un phénomène

accessoire, surajouté aux autres. Elle peut ainsi prendre connaissance de la

mémoire latente (centre I), c'est-à-dire de faits déjà enregistrés ou en voie

d'enregistrement, devenir par le fait mémoire consciente et encore assister à

l'éclosion et au développement des manifestations intellectuelles.

En se réfléchissant, l'excitation primitive, c'est-à-dire la sensation peut en-

core atteindre le centre Il où elle sera extériorisée par la parole, la mimique

ou l'écriture, trois groupements neuroniques différents unifiés dans le centre II,

soit encore, si sa nature s'y prête, parvenir au centre III, c'est-à-dire être

réalisée, devenir effective. Ainsi, par exemple, l'excitation visuelle constituée

par la vue de gens qui dansent, en se réfléchissant sur le centre II, fera crier

danser... danser, et, en passant par le centre III, déterminera l'action de dan-

ser. C'est ainsi encore que la vue de gens pris de panique inspire une sou-

daine terreur, fait pousser des cris de circonstance et tout le monde s'enfuit

avec ensemble, sans réllexion, impulsivement, sans l'ombre de raison souvent.

On cherche en vain la volonté individuelle dans ces démonstrations collectives.

Il ne serait pas difficile de remplir de longues pages en citant des exemples

analogues et dans lesquels le caractère réflexe des manifestations apparaît net-

tement à quiconque sait considérer les choses d'un point de vue assez élevé,

car il est évident que les victimes ne se rendent pas compte du sentiment au-

quel elles obéissent. C'est bien à tort qu'elles rendraient leur volonté respon-

sable de leur fuite et ce serait une erreur tout aussi grande de croire qu'elles

sont libres de s'arrêter quand elles le veulent. Il faut, pour obtenir un change-

ment de direction dans la statique humaine, que la nature de l'excitation

change. Sans m'appesantir davantage sur cette question, il y a un point qui

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 177

reste acquis, c'est que la psychologique volonté aurait dû empêcher cette course

folle, qu'elle ne l'a pas fait et qu'elle a eu tort. Les deux centres II et III con-

ditionnent seulement les mouvements d'ensemble, de telle sorte'que [les exci-

tations qui en partent doivent encore passer par les centres moteurs de chaque

muscle en particulier.

i. Lie centre 1 résume toutes les mémoires : visuelle, uuuitive, etc., que i eurume-

ment sensitif provienne du monde extérieur du corps

L'arc diastaltilue est formé par tous les centres compris entre l'extrémité sensitive

(entrée) et l'extrémité motrice (sortie) du mécanisme cérébral.

Enfin, l'excitation extérieure ne manque jamais de se réfléchir sur les orga-

nes de la vie végétative et de les affecter en plus ou moins grand nombre et

d'une façon plus ou moins large suivant sa nature et son intensité. On sait, en

effet, en physiologie que les sensations retentissent sur la circulation en ré-

Fic. II. - A représente les cenlres récepteurs de toutes les sensations, conscientes

ou végétatives, venant du monde extérieur ou de l'intérieur du corps.

........ ? ....

178 LEFÈVRE

récissant ou en.élargissaut le calibre des artères ou en agissant sur la circula-

tion cardiaque ; qu'elles peuvent modifier la tonicité des muscles, dilater la

pupille et conditionner la direction du regard, agir sur les organes glandulai-

res et provoquer un flux de salive ou un écoulement de larmes. Chaque exci-

tation ayant un retentissement qui lui est propre, on peut dire qu'elle déter-

mine une configuration interne qui lui est adaptée et que celle-ci constitue une

peinture, une photographie en chair de l'excitation. Lorsque des sensations

différentes affectent.en même temps l'organisme, leur forme intérieure est une

résultante de leurs~actions. Il est fort possible que ce soit cet équilibre physio-

logique personnel à chaque excitation qui détermine le sentiment, l'impression

qui lui est propre.

De même que le réflexe a des organiques localisés d'autant plus près du

point excité que l'excitation est plus faible et susceptibles de se développer

jusqu'à atteindre le corps entier au sur et à mesure que celle-ci devient

plus intense, de même la sensation qui n'est qu'une excitation agit d'autant

plus fortement et profondément qu'elle est plus forte et la matière plus

excitable. Dans ces conditions, la configuration interne, l'équilibre physio-

logique déterminé deviennent manifestes et peuvent se traduire par une

physionomie et une attitude spéciales dénotant la joie, la colère, la tristesse, le

découragement suivant la nature de l'excitant. Une matière peu excitable ou

des excitations faibles provoquent seulement des modifications intérieures peu

appréciables et suscitent le sentiment ; dans les conditions opposées, les

changements sont devenus parfaitement visibles et sont accompagnés d'une

émotion. Celle-ci n'est donc que l'exacerbation du sentiment correspondant.

Eutre les deux, il n'y a qu'uue différence dans le degré de développement de

la photographie en chair d'un même excitant.

L'émotion n'est donc pas le résultat d'une influence morale, mais l'effet

d'une excitation physique. Le moral est d'ailleurs inconcevable et il est impos-

sible d'expliquer et antiscienlifique de prétendre que la matière vivante puisse

être impressionnée par antre chose que des excitations ou chimiques ou lumi-

neuses etc. L'émotion étant elle-même constituée par un équilibre organique

qui lui est propre, il devient plus facile de comprendre le fâcheux retentisse-

ment qu'elle exerce parfois sur les facultés intellectuelles. Elle s'imprime dans

les tissus d'autant plus fortement qu'elle est plus intense et cette impression

peut être si forte que l'équilibre physiologique déterminé survit à la cause qui

l'a fait naître par suite d'une manifestation de l'habitude Il n'est donc pas éton-

nant de voir tant de malades rester' sous l'influence d'un choc « moral » dont

ils ont subi antérieurement les atteintes. L'émotion s'est littéralement figée. '.

Les malades sont impuissants à surmonter leur tristesse par exemple parce

que leurs tissus conservent leur physionomie triste. L'émotion ne se produit

que chez les êtres pourvus d'une organisation réflexe appropriée et d'autant

plus fortement que la matière est originellement plus excitable. Elle corres-

pond à une phase plus avancée de l'évolution, mais laisse place à un progrès

ultime qui se traduit par une réduction de ses effets au moyen de connaissan-

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 179

ces organisées dans le cerveau. Les gens bien doués ne conservent pas indé-

finiment leur émotivité première.

Ainsi que je le disais tantôt, la pensée, équivalent énergétique de la chose

comme pensée, doit se comporter par une excitation externe et se traduire par

une configuration interne et externe, une circulation, une physionomie, une atti-

tude qui lui sont spéciales. La pensée n'est autre chose que l'excitation externe

correspondante organisée dans le cerveau et momentanément consciente. Si

celle-ci avait parcouru l'axe réflexe sans atteindre la zone consciente, elle au-

rait constitué une « pensée » inconsciente, uue idée virtuelle.

Inversement, tout équilibre physiologique étant produit soit par une excita-

tion externe soit par une pensée, l'émotion qui est caractérisée par une confi-

guration organique fortement dessinée est un effet qu'une pensée intense au-

rait pu déterminer. Une même émotion peut donc prendre sa source soit dans

les excitations du milieu soit dans les pensées, c'est-à-dire dans ces mêmes ex-

citations organisées dans le cerveau. Une pensée, selon le degré de son inten-

sité, conditionne le sentiment ou l'émotion correspondants et l'excitation ex-

terne, suivant sa puissance, détermine la pensée le sentiment (terme qui

s'applique à certaines catégories de pensée, compassion, joie, etc.) ou l'émo-

tion correspondants. On comprend main'enant que les idées se réfléchissent

sur la physionomie et, réciproquement, que les expressions physionomiques,

engendrent des états adéquats et encore que l'organisme vibre à l'unisson des

impressions qui l'assaillent. La joie intérieure est peinte sur les traits du visage.

Une expression joyeuse donnée à la physionomie fait naître un sentiment de

joie intérieure et les milieux où règne la gaieté dérident tout l'organisme. Les

personnes qui sincèrement s'associent à la peine des autres et pleurent avec

elles sans motif personnel, font preuve non pas d'un bon coeur, mais d'une

grande aptitude réflexe, grâce à laquelle leur organisme se met rapidement en

équilibre avec le milieu. Aussi, chez elles, le rire se communique-t-il aussi fa-

cilement que les larmes et peut-il leur succéder sans transition. Cette facilité

à réfléchir en soi les impressions du milieu, bonnes ou mauvaises, gaies ou tris-

tes, enthousiastes ou furibondes est une tendance bien humaine qu'on observe

surtout chez les êtres les moins perfectionnés, les enfants, les jeunes gens,

beaucoup de femmes, dans le peuple.

Pour mieux comprendre le fonctionnement du réflexe intellectuel, nous allons

saisir au moment de sa pénétration une sensation quelconque et la suivre

dans tout son parcours intracérébral. L'examen de la figure II montre qu'elle

sera successivement reçue, enregistrée (centre I), perçue et réfléchie dans dif-

férentes directions. Supposons donc qu'une personne ait sous les yeux le spec-

tacle d'une foule enthousiaste assistant à une cérémonie patriotique par exem-

ple. Ainsi que je l'ai exposé plus haut, elle ne verrait ni geste ni atlitude et

n'entendrait aucun cri, elle ne saisirait rien de ce qui se passe autour d'elle,

si le monde extérieur n'émettait des vibrations lumineuses, sonores, etc., c'est-

à-dire des formes de l'énergie qui constituent l'équivalent et qui, seules, sont

susceptibles d'impressionner nos sens. Les gestes, les cris, les mouvements ne

180 LEFÈVRE £

sont pour nous qu'un complexus énergétique. Au niveau de l'oeil et de l'oreille,

les vibrations se transforment ep oscillations, en vibrations du courant nerveux

qui constituent elles-mêmes un équivalent physiologique de l'équivalent méca-

nique qui lui-même est le spectacle, de telle sorte que celui-ci est prolongé jus-

qu'au centre I. Réfléchie de ce point la sensation-spectacle devient consciente

dans l'étage supérieur, se transforme en mouvements et en cris appropriés

(imitation) dans les centres II et III et, enfin-, en conditionnant un équilibre

physiologique qui lui est personnel, elle développe encore un équivalent orga-

nique pour ainsi dire des équivalents physiologiques et mécaniques, de telle

façon que tout l'organisme touché et peut-être ému vibre à l'unisson des sen-

sations qui l'impressionnent. Grâce à une série de transformations iéquivalen-

tes de l'énergique extérieure, l'homme n'a fait que refléter l'ambiance. Lors-

qu'il a atteint un degré de perfectionnement plus élevé, il reflète en outre ou

principalement ses idées, c'est-à-dire une organisation intérieure de forces ex-

térieures.

La matière vivante et plus spécialement nerveuse reproduit, en vertu de sa

structure physico-chimique, des phénomènes semblables à ceux dont émanent

les énergies qui l'excitent. La pensée ou la vue même distraite d'un mouve-

ment tend à le produire. Un cri tend à provoquer un cri semblable chez celui

qui l'entend. Je ne fais plus que signaler en passant cette propriété d'imitation

de la matière sur laquelle je me suis étendu plus longuement dans le travail

sur les névroses déjà cité. Je ne la rappelle ici que pour faire comprendre la

possibilité et la réalité d'un développement intellectuel sous la seule influence

des causes naturelles. Ce n'est qu'un cas particulier de l'adaptation de la

matière aux énergies qui la pétrissent. Soumise à des excitations qui la modi-

fient, chacun suivant sa nature, dans sa structure physico-chimique, elle prend

un nouvel équilibre et acquiert les propriétés de ses excitants dont elle devient

ainsi, une forme organisée et vivante.

Le seul fait que le monde extérieur se ramène pour nous à des formes de

l'énergie établit sur une base d'une valeur indiscutable la nécessité d'un méca-

nisme cérébral et ne laisse place à aucune conception psychologique, puisqu'il

est inconcevable qu'un esprit, une volonté ou uue conscience puissent agir sur

des phénomènes purement physiques. Tout le travail de la cérébration est donc

certainement mécanique malgré les croyances contraires, car il ne peut com-

prendre que des transports et des transformations de forces. Le mécanisme

réflexe suffit pleinement à cette tâche et il ne me paraît pas qu'il y ait lieu

d'en chercher un autre. Reste la question de savoir s'il est possible de déceler

dans les manifestations humaines leur origine réflexe, leur caractère purement

automatique que la conscience ne fait que masquer, d'y découvrir un enchaî-

nement d'actions et de réactions.

Pour démontrer l'intervention d'un mécanisme réflexe dans les opérations

intellectuelles et, par conséquent leur production automatique, j'ai réuni un

certain nombre d'arguments et de faits dont je me bornerai à faire l'énuméra-

tion. ' .

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 181

L'automatisme cérébral apparaît à chaque instant dans la manifestation de

la vie intellectuelle, à tel point que celle-ci ne paraît pas possible sans lui. S'il

fallait un acte de volonté ou seulement de l'attention pour écrire chaque lettre,

épeler chaque mot, associer le geste à la parole, les communications entre les

hommes seraient bien lentes et difficiles. Alors si ce n'est pas la volonté qui

produit ces manifestations, elles se forment d'elles-mêmes c'est-à-dire par

action réflexe.

C'est une loi psychologique bien connue que les idées tendent à se faire acte

c'est-à-dire à se transformer en mouvements, en sensations ou en actes d'inhi-

bition. Elle est démontrée par l'enregistrement des mouvements inconscients,

par des expériences d'hypnotisme et de cumberlandisme.

L'imitation qui est si répandue dans l'espèce humaine s'explique parfaite-

ment par le moyen du réflexe intellectuel. C'est un sujet qui prête à de longs

développements que la description de l'imitation dans la mode, les habitudes,

les usages et les coutumes, dans les paniques honteuses et les charges héroï-

ques, dans la joie et la tristesse, dans les pensées même, mais je ne puis

m'étendre indéfiniment..Je me borne à signaler ces cas de contagion sociale,

éclatante démonstration des propriétés d'imitation de la matière vivante dont

l'exercice se manifeste sous forme de tendances, d'inclinations, de poussées

qui entraînent et éperonnent tout l'organisme, y compris la psycholique vo-

lonté.

Les paroles qui échappent aux personnes seules plongées dans leurs pen-

sées et le rire et les pleurs qui se manifestent pendant le sommeil sont des

phénomènes purement réflexes.

Les impulsions et les obsessions pathologiques que les philosophes appellent

sans doute des maladies du libre arbitre doivent être considérées comme une

exagération de l'automatisme normal. Il en est de même des convulsions et de

bien des manifestations hystériques. Ce sont des démonstrations par la patho-

logie de l'existence des mécanismes réflexes.

L'aboulie et bien d'autres symptômes nerveux restent physiologiquement

incompréhensibles si 'on ne les rattache à un vice de fonctionnement, à un

trouble, à une inhibition de mouvements automatiques.

Le retentissement de la fonction intellectuelle sur la vie végétative comme

on l'observe par exemple dans les cas d'anorexie consécutifs à l'annonce d'une

mauvaise nouvelle est encore une preuve complémentaire de l'existence des

réflexes intellectuels et de leur répercussion sur les fonctions organiques.

Toutes les expériences d'hypnotisme mettent à nu pour ainsi dire le méca-

nisme réflexe qui régit les faits d'intellectualité et constituent des démonstra-

tions du fonctionnement de la machine humaine au moyen de mots et de gestes

c'est-à-dire d'énergies mécaniques. L'homme est un milieu au séin duquel se

passent des actions physiologiques de nature intellectuelle aussi bien que végé-

tative. -

L'irréflexion, l'imprévoyance humaines dont il es.t bien inutile de fournir

les exemples doivent être considérées comme des conséquences logiques et

i 82 LEFÈVRE

nécessaires du fonctionnement réflexe qui donne des réponses aux excitations

actuelles seulement et, par conséquent, ne réfléchit pas, ne prévoit rien.

L'inconstance dans les résolutions, l'instabilité d'humeur, la versatilité dans

les idées ont également une origine purement réflexe. Autres excitations, autres

réactions.

La crédulité humaine qui, comme le ciel, ne connaît pas de bornes est encore

une manifestation de l'automatisme. La vérité intérieure n'est que le décalque

de ce qui est vérité à l'extérieur. Les excitations externes se peignent dans

la matière cérébrale. Les choses doivent, du reste, se passer ainsi, car pour

découvrir des impossibilités, il faut connaître les possibilités.

L'homme est éminemment suggestible ce qui démontre son obéissance aux

énergies qui lui viennent du dehors. Victime de la réclame, victime de la

presse, victime des orateurs, victime du faste, on le mène comme uu enfant

en faisant résonner à ses oreilles de la belle musique, des paroles sonores et

creuses et en faisant briller devant ses yeux d'étincelantes couleurs. Toutes ces

excitations se réfléchissent en lui et l'équilibre s'établit entre les milieux exté-

rieur et intérieur.

L'homme est avant tout un être réflexe, car il est extrêmement peu sensible

à l'influence des arguments. Il est vrai qu'il peut ne pas les comprendre parce

qu'ils dépassent la portée de son intelligence ou ne rentrent pas dans la sphère

de ses connaissances, mais, même dans le cas contraire, il est généralement

victime d'un parti-pris dont il ne se rend pas compte et dont ceux-là seuls qui

ont réussi à s'en débarrasser plus ou moins connaissent la puissance et l'éten-

due. Ce sentiment d'injustice, ce parti-pris est une manifestation de l'automa-

tisme cérébral qui prend sa source dans les organisations intérieures vivantes

et réagissantes.

L'homme peu sensible à la valeur des arguments est,en revanche, fort acces-

sible à l'émotion. Celle-ci détermine en lui un équilibre physiologique qui tient

lieu de preuve. C'est en émouvant leur auditoire que les grands orateurs for-

ment les convictions et triomphent des résistances. Il ne faut jamais chercher

à convaincre les foules, mais les séduire, les enchanter, les fasciner .[Contrai-

rement à ce que l'on croit et écrit, l'homme est un être fort peu raisonnable.

L'histoire est un éternel recommencement. Voilà une vérité qui a si bien

conquis sa place au soleil qu'elle est devenue banale. C'est donc que les mêmes

excitations conditionnent toujours les mêmes réactions.

A ceux qui ont suivi pas à pas mes déductions, la reconstitution du méca-

nisme cérébral, pour autant qu'elle ait quelque valeur, paraîtra peut-être

facile et naturelle, mais n'ayant pas suivi la même voie pour la découvrir, la

conception ne s'en est formée que lentement et progressivement dans mon es-

prit. J'ai tâtonné dans les ténèbres de l'inconnu et parfois je me suis engagé

sur de fausses pistes. C'est ainsi que dans mon ouvrage, Les phénomènes de

suggestion et d'aulo-suggeslion, premier effort pour ramener intégralement à

la physiologie le fonctionnement intellectuel et que le présent travail rectifie

et en partie complète, j'avais placé dans l'étage inférieur, sous la pression des

ESSAI SUR LA PHYSOLOGIE DE L'ESPRIT 183

anciennes idées, un centre inconscient dont la fonction était de réaliser, d'une

manière que je ne comprenais pas bien, les opérations intellectuelles incons-

cientes. Je m'étais comporté comme un psychologue avec cette différence que

je masquais mon ignorance au moyen d'un centre et non plus avec un mot.

Il était cependant si simple de laisser courir, sans cette interpositiou inutile et

incompréhensible, les courants nerveux qui constituaient des équivalents

physiologiques, des équivalents mécaniques du monde extérieur. Malheureu-

sement, cette idée ne m'est venue que plus tard et par fragments.

Je me représente donc la structure cérébrale comme un lacis inextricable

d'arc réflexes naissants, les excitations extérieures ou les idées c'est-à-dire

leur équivalent organisé dans le cerveau à leurs phénomènes d'expression

et de réalisation ainsi qu'à la conscience d'une part et d'autre part aux fonc-

tions végétatives. La pensée seule peut entrevoir et démêler l'infinie com-

plexité des manifestations réflexes. Il faudra toujours que le raisonnement

philosophique interprète, complète et généralise les résultats de la physiolo-

gie et de la biologie, aussi loin que puissent s'étendre dans l'avenir les ives-

tigations de ces sciences.

V

Le fonctionnement intellectuel réflexe s'effectue avec une régularité, une

irrésistibilité, une fatalité d'autant plus grandes que la substance cérébrale se

rapproche davantage de son état primitif chez les sauvages, les enfants et les

ignorants, pour autant qu'elle ne présente aucun vice de matière. C'est ainsi,

pour ne citer que des exemples banaux, que l'injure appelle l'injure et le coup

la riposte, toutes choses égales. L'homme conserve toujours une tendance as-

sez marquée à subir l'influence subtile des excitants qui viennent l'animer à

son insu. Peu de personnes, par exemple,sont capables de résister aux sugges-

tions de leur journal. Mais au sur et à mesure que le cerveau se meuble de

connaissances, les sensations excitatrices éprouvent de la résistance dans leur

parcours réflexe et des interférences peuvent se produire, car ce procédé de

neutralisation est connu aussi bien en biologie qu'en physique. C'est le motif

pour lequel il faut en général, pour apercevoir le fonctionnement intellectuel

réflexe, considérer l'humanité de haut et ne se laisser aller que plus rarement

à envisager des cas particuliers. Il y a bien trop de variantes dans la nature

et le nombre des connaissances aux différents degrés de l'échelle sociale pour

qu'on puisse être assuré, dans tous les cas, de voir la réaction en acte ou, tout

au moins en pensée, suivre l'excitation avec uue promptitude toute réflexe. Un

individu habituellement assujetti aux influences externes peut, dans un cas

donné, avoir reçu des leçons de l'expérience et ne plus être aussi étroitement

enchaîné aux événements extérieurs qui dictent ses actes et ses pensées dans

toutes les autres circonstances. Tel autre conserve une liberté relative devant

une excitation faible et succombe lorsqu'elle devient plus forte ou se répète

souvent. En d'autres termes, bien que des manifestations intellectuelles va-

181 LEFÈVRE

riables en nombre et en nature avec les personnes conservent toujours le ca-

ractère réflexe; bien que celui-ci ait continuellement une tendance à réappa-

raître, lorsque, la pression devient plus forte, l'homme à un moment donné de-

vient capable de réflexion et, dans la reconstitution du mécanisme cérébral, il

y a lieu de tenir compte de ce perfectionnement de la matière.

Affirmons d'abord bien haut que ce travail de réflexion est complètement

mécanique puisqu'il ne peut s'opérer qu'au moyen de réactions biologiques

conditionnées par des équivalents mécaniques des idées ou des sensations.

Ajoutons encore qu'il semble, lui aussi, être la conséquence d'un fonctionne-

ment réflexe, puisqu'il s'agit d'un transport et d'une transformation d'énergies.

Ses résultats sont donc absolument déterminés et je vais essayer de montrer

que pour les prévoir avec certitude, il ne nous manque que la connaissance

des antécédents. Cette proposition est déjà démontrée à priori par le fait que

ce n'est pas l'homme qui pense, mais le cerveau, et que n'ayant aucune action

sur celui-ci, n'en connaissant pas les rouages, il est obligé d'en subir les pro-

ductions ou raisonnables ou folles. Si l'homme avait la faculté et le pouvoir

de déterminer ses pensées, il ne manquerait pas d'empêcher le cerveau de fonc-

tionner follement et l'on ne connaîtrait pas la folie. C'est donc bien l'ignorance

des ressorts qui le font mouvoir qui lui donne l'illusion de la liberté.

Aussi bien physiquement qu'au point de vue intellectuel, l'homme est dé-

terminé, comme tout être vivant par l'hérédité et le milieu, deux forces anta-

gonistes, si l'être ne se trouve plus exactement dans le milieu qui a conditionné

son hérédité.

Si, par hypothèse, le cerveau pouvait se développer dans l'isolement le plus

complet à l'abri de toutes excitations extérieures en dehors de tout milieu, il

acquerrait, en vertu des forces de l'hérédité certaines mais encore inconnues,

un certain volume et une structure physico-chimique donnée. Les propriétés

de la matière étant en rapport avec sa composition, l'individu ne pourrait ma-

nifester, si des réactions intellectuelles étaient possibles dans les conditions

supposées, que les aptitudes et le caractère strictement dépendant de la con-

formation biologique des cellules. Il serait d'une nature tranquille ou empor-

tée, il posséderait une facilité plus ou moins grande à effectuer des travaux

divers, mais il n'aurait pas d'idée, n'ayant pas de mot sa disposition et d'ail-

leurs ne parlerait pas, puisque l'apparition du langage est postérieure à la nais-

sance que son développement dépend des sensations auditives. Le sourd-muet

ne parle pas, parce qu'il est sourd. J'ai consacré une brochure intitulée : Du

mode de transmission des idées (1), à démontrer notamment la formation de la

mentalité sous l'influence exclusive des excitations du milieu. Mais je m'aper-

çois que la aussi j'ai commis un oubli, si pas une erreur, ce qui n'a rien d'é-

tonnant dans un sujet aussi nouveau et aussi ardu, en ne signalant pas que

l'homme élevé dans ces conditions d'isolement jouirait cependant de la cons-

cience vague intraduisible des actes qu'il pose. Il aurait la pensée sans le mot

(1) Chez Weissenbruch, imprimeur, Bruxelles.

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 185

pour l'exprimer et si l'on essaie de se représenter ce que peut être un tel état

on le trouve indéfinissable formé d'une impression flottante, imprécise. C'est

une conscience animale. Eu résumé et c'est le premier point, l'homme subira

complètement son hérédité aussi longtemps que celle-ci ne sera pas modifiée par

le milieu. Cette sujétion doit passer inaperçue, puisque l'organe transmis est

lui-même acteur et témoin et qu'il réunit eu lui seul tout ce qu'il y a de pensée

dans l'homme. C'est le motif pour lequel les fous en général ne s'aperçoivent

pas de leur folie.

Les conditions de l'hypothèse ne sont jamais réalisées, mais celle-ci avait

une certaine utilité pour séparer aussi nettement que possible la part qui re-

vient à chacun des facteurs de la cérébration. Le cerveau se développe toujours

dans un milieu quelconque et, par l'intermédiaire des organes des sens, les

événements extérieurs, les idées répandues, les usages, les coutumes, les rites

vont atteindre la substance nerveuse sous forme d'équivalents mécaniques et

s'y transformer en équivalents physiologiques ou organiques. Elles vont meu-

bler le cerveau de telle façon que celui-ci devient en quelque sorte le décalque

des choses extérieures. Et si l'on a toujours bien présent à l'esprit la pensée

non pas de l'homme, mais de son organe intellectuel, on remarque immédiate-

ment que celui-ci ne peut jouer qu'un rôle passif dans l'acquisition des con-

naissances qui successivement viennent orner son intérieur.

A ce moment l'excitation au mouvement peut provenir non pas seulement

de l'ambiance, mais également des pensées enregistrées et organisées c'est-à-

dire des équivalents physiologiques vivants et agissants du monde extérieur. Ces

idées qui existent à l'état latent dans le cerveau (mémoire) peuvent à certains

moments devenir conscientes, mais il est à remarquer que le champ de la

conscience est strictement limité aux pensées contenues dans le cerveau. On

ne peut penser qu'aux choses que l'on connaît et jamais à celles qu'on ignore.

Les idées originales dérivent toujours de la juxtaposition, de la comparaison

de connaissances anciennes, ce que l'on peut expliquer en disant que les acqui-

sitions sont susceptibles de réagir entre elles et vis-à-vis du monde extérieur.

Au moment où il est apparu de façon inéluctable que la matérialité des opé-

rations intellectuelles ne pouvait plus être révoquée en doute, le fait, malgré

l'évidence, pouvait encore paraître incroyable, parce qu'il était impossible de

concevoir leur mode de réalisation. Mais maintenant que l'on sait d'une ma-

nière certaine que les sensations constituent des équivalents mécaniques des

choses et qu'il semble que les idées ne soient que des équivalents organi-

ques de ces mêmes choses, la physiologie de l'esprit prend une tournure satis-

faisante et l'on commence à comprendre que les pensées puissent réagir les

unes sur les autres, puisqu'on ne voit plus en elles que des forces agissantes

parce qu'elles sont vivantes. Nous sommes bien loin d'avoir pénétré toutes les

voies de la nature, mais il semble déjà qu'il ne doit pas être plus difficile au

cerveau d'élaborer des pensées qu'aux femmes de donner la vie. Voilà certai-

nement un fait qui paraîtrait incroyable, si nous n'en avions pas chaque jour

sous les yeux les preuves les plus convaincantes.

186 LEFÈVRE

Parmi les connaissances successivement enregistrées, il faut signaler les

dures leçons de l'expérience qui sont de nature à modifier la conduite, en annihi-

lant les réflexes naturels. Et, ici non plus, je ne crois pas à la nécessité d'un

raisonnement conscient pour obtenir ce résultat. Le transport et la transfor-

mation d'énergie peuvent et doivent suffire à expliquer ce phénomène. L'ani-

mal inférieur recherche l'action bienfaisante du soleil sans procéder à aucun

raisonnement conscient. Le dressage des animaux est le fruit d'une série d'ex-

périences successives. La conscience assiste simplement aux manifestations de

l'automatisme et le raisonnement n'est que la conscience des produits de l'ex-

citation. Lorsqu'un individu est placé entre deux alternatives qui ont déjà

produit, à l'expérience, des effets respectivement agréables et douloureux, il

me semble qu'il est possible de comprendre que celui-ci choisisse le meilleur

parti sous la pression des seules actions mécaniques, si l'on admet, ce qui ne

parait pas douteux, que chacune de ces circonstances est figurée dans la ma-

tière nerveuse, représentée par un équivalent organique vivant. La réflexion

n'est que la conscience du travail souterrain qui s'accomplit dans l'étage infé-

rieur.

J'ai laissé en présence dans le cerveau les forces de l'hérédité et celles du

milieu, mais dans la réalité elles se combinent, se pénètrent, s'enchevêtrent.

Sous la pression d'excitations extérieures, la cellule nerveuse organisée par

l'hérédité se modifie dans sa structure physico-chimique et acquiert ainsi des

propriétés nouvelles en rapport avec la nature de la force dont elle a subi l'ac-

tion. Suivant des conditions biologiques qui échappent à nos sens, mais que le

raisonnement philosophique permet de comprendre et de démêler, la lutte entre

les deux facteurs de la cérébration, quand l'un des deux n'est pas complète-

ment annihilé dans ses effets, doit aboutir à la constitution d'une situation

biologique intermédiaire dans laquelle les deux forces sont plus ou moins éga-

lement représentées. Jusqu'à détermination plus exacte, on peut donc penser

qu'une force nouvelle s'est interposée le long de la voie réflexe naturelle ou

que l'énergie qu'elle dégage interfère avec celle de l'hérédité. Le résultat se

traduit chez l'homme par une diminution de l'impulsivité originelle, par une

plus grande pondération, plus de sagesse, plus de réflexion. C'est le deuxième

point.

Si nous supposons maintenant qu'une excitation, une sensation c'est-à-dire

lin mot, un écrit, un événement etc. arrive au contact d'un cerveau à un mo-

ment quelconque de son développement, leurs effets pourraient toujours être

prévus, si l'on connaissait parfaitement tous les éléments réactionnels. Ils

seront toujours la résultante mathématique de l'action de l'excitation sur l'hé-

rédité modifiée par le milieu et encore, faut-il ajouter, par des circonstances

momentanées de nutrition. En effet, l'alcool, les infections, les intoxications,

en excitant ou en déprimant les facultés intellectuelles, sont de nouvelles

preuves de leur origine biologique Toutes les réflexions, tous les raisonne-

ments humains sont étroitement déterminés et assujettis aux lois de la matière

dans leur production aussi bien que dans leur étendue. Dans une brochure

ESSAI SUR LA PHYSIOLOGIE DE L'ESPRIT 181

intitulée : Les échelons de V inlelleclualité (1), j'ai montré que les différences

dans les niveaux intellectuels étaient également marquées au coin du détermi-

nisme le plus absolu. N'est pas intelligent qui veut. En signalant les bases sur

lesquelles repose et se développe l'intelligeuce, j'ai montré les conditions à

remplir pour acquérir de la .valeur intellectuelle. Le niveau de pensée ne s'é.

lève pas par un acte de volonté, mais sous l'empire d'un concours de circons-

tances heureuses auxquelles le cerveau a été soumis et qui se trouvent réalisées

à l'insu des individus qui en profitent. L'homme n'ayant pas plus d'action sur

son cerveau'que sur son foie est aussi impuissant à élaborer des pensées qu'à

fabriquer de la bile. Il ne peut soumettre ses organes qu'en leur obéissant.

Je termine non pas parce que j'ai tout dit, non pas même parce que j'ai

écrit tout ce que j'aurais pu mentionner, mais parce qu'il est temps de s'ar -

rêter. J'espère cependant m'être suffisamment étendu sur le sujet pour orien-

ter les savants non prévenus vers la physiologie de l'esprit en leur montrant

et le néant de la psychologie et la valeur du raisonnement comme méthode

possible de reconstitution du mécanisme cérébral. Pour faire sortir les affec-

tions mentales et certaines maladies nerveuses des ténèbres où elles sont encore

plongées, il faut absolument les asseoir sur les données positives de la physio-

logie et de la biologie. C'est là le résultat auquel doivent tendre tous les efforts

et auquel peuvent légitimement aspirer les bonnes volontés. Les imperfections

et les lacunes inévitables des premières tentatives seront successivement cor-

rigées et comblées et ceux qui s'y seront livrés auront au moins la satisfaction

de penser que les résultats tout imparfaits de leurs premiers efforts étaient

déjà supérieurs aux meilleures conclusions de la psychologie et marquaient

une première étape nécessaire dans la voie du progrès.

On objectera peut-être que la conception physiologique de la cérébration at-

tente à la dignité humaine, qu'elle fait déchoir l'homme et le place sur le

même rang que l'animal. Une telle objection étant d'ordre exclusivement sen-

timental n'aurait aucune valeur. La reconnaissance de son humble origine et

de son assujettissement aux forces naturelles, ne l'abaissera pas plus que ne

l'ont élevé les titres de noblesse qu'il s'est conféré lui-même. Ces choses-là

u'ont d'autre importance que celle qu'on y attache. La science se livre à la

recherche de la vérité et ne fait pas de sentiment. Toutes les opinions sur la

nature humaine sont conventionnelles et creuses. L'homme est une produc-

tion naturelle et cet état ne comportè en lui-même ni bassesse ni grandeur :

Le progrès ne s'échafaude que sur les débris des vieilles croyances. Heureux

sont ceux qui sont assez forts pour apercevoir leur faiblesse.

Il n'est pas donné à tout le monde de pouvoir modifier des croyances qui

se sont empreintes dans le cerveau, sous l'action du milieu, dès la plus tendre

enfance.

Quoi que l'on pense, quoi que l'on dise, quoi que l'on fasse, il restera toujours

ce fait indéniable que tous les organes fonctionnent conformément aux lois de

(1) Chez Severeyns, imprimeur, Bruxelles t,

188 lefèvre

la biologie et de la physiologie, c'est-à-dire sous l'action de forces inhérentes

à la matière et qu'il est tout simplement enfantin de créer, sans preuve et sur-

tout malgré les preuves, une situation spéciale pour le cerveau, parce qu'il est

l'organe de la pensée. Avant d'affirmer l'impuissance de la nature à condition-

ner des pensées et de croire au spiritualisme qui n'explique rien et n'est

qu'un mot vide de sens positif, il faudrait d'abord connaître les forces natu-

relles et leur puissance et tout spécialement la biologie qui est l'étude des éner-

gies vitales. Jamais on ne comprendra la' véritable nature humaine, si on ne

réussit à la dégager des conceptions transcendentales de la philosophie.

Non seulement on n'atteint pas la théorie en disant qu'elle a pour consé-

quence la déchéance de l'homme, mais on en montre indirectement la valeur,

car en ramenant la nature humaine à l'obéissance aux lois naturelles et en ne

lui créant pas une situation favorisée, elle s'accorde complètement avec les

données de la science moderne qui ne progresse qu'en agrandissant indéfini-

ment le domaine de la physique et de la chimie. La physiologie de l'esprit est

corrélative de la théorie de l'évolution humaine qu'elle complète et couronne.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES

(SPASMES FONCTIONNELS.- NÉVROSES COORDINATRICES D'OCCUPATION)

(suite).

PAR

MACÉ de LÉPINAY

5° Crampes professionnelles avec mouvements associés.

Les mouvements associés, chez les sujets normaux ont été décrits par

Muïïer ; dans les muscles paralysés par Benedikt, Nothnagel, Hitzig,

Onimus, Westphall, Eulenburg, Strumpell, Senator, Babinski, etc. Or

Haskovec (de Prague) (69) a signalé trois cas de malades atteints de

spasme professionnel chez lesquels existaient des mouvements associés.

Chez l'un de ces sujets il y avait à la fois flexion du gros orteil droit,

varus équin spasmodique, et flexion des doigts de la main droite avec

léger tremblement chaque fois que le malade, tailleur de pierres de son

métier, se mettait au travail. Chez les deux autres sujets, atteints de

crampe des écrivains de la main droite, il y avait, lorsque le malade se

mettait à écrire de la main gauche un spasme de la main droite, se tra-

duisant par une flexion brusque de l'auriculaire et de l'annulaire droits,

puis mouvements de tout le bras droit. Nous avons pu observer un

phénomène de tous points analogue chez un de nos malades, atteint de

crampe des écrivains à forme spasmodique, et dont voici l'histoire :

Observation X (personnelle).

M. Mal..., âgée de 23 ans, employé de bureau, est depuis cinq mois atteint

de crampe des écrivains de la main droite. Il a toujours joui d'une bonne

santé, mais il est très nerveux, très impressionnable. Son métier l'obligeait

à écrire toute la journée ; de plus, préparant des examens de droit, il était

arrivé, à la fin de l'été dernier, à un véritable surmenage.. A cette époque il

* Les numéros d'ordre placés à la droite des noms d'auteurs ou des indications

d'ouvrages renvoient au numéro correspondant de la table bibliographique, qui a

été faite aussi complète que possible.

xxii 13 3

J 9O MAC DE LÉPINAY

commença à ressentir un léger tremblement en écrivant, puis survinrent

quelques contractions dans les doigts, notamment le pouce ; enfin se consti-

tua une crampe spasmodique des écrivains : dès que le malade prend la plume,

le pouce droit se contracte, la main se crispe sur le porte-plume, et l'écriture

devient irrégulière et illisible. Le malade se frappe beaucoup de cette affec-

tion qui peut le priver de ses moyens d'existence. Il peut néanmoins employer

la machine à écrire sans avoir de crampe dans la main droite. Tous les autres

/actes de la vie courante sont exécutés sans aucune gêne. Il n'existe aucun

signe d'affection périphérique. M. Mal... a appris à écrire de la main gauche,

et il le fait avec assez de facilité, mais, si on l'observe pendant qu'il écrit de

la main gauche, on voit que le bras droit se contracte au niveau du deltoïde,

et a tendance à remuer en même temps que la main gauche ; le malade se

rend d'ailleurs très bien compte de cette contraction involontaire.

La coexistence de mouvements associés avec la crampe des écrivains est

fort intéressante, ainsi que le remarquait M. Pierre Marie à propos des

observations d'Haskovec. En effet les mouvements associés ne peuvent

être, dans ce cas, que d'origine centrale et corticale, quoique les sen-

sations périphériques puissent être leurs agents provocateurs.

En ce qui concerne l'origine périphérique des mouvements associés,

il n'existe qu'une observation de Senator sur laquelle puisse s'appuyer

cette théorie. Il s'agissait d'une hémichorée post-hél1liplégiqlle, avec

glossoplégie du côté droit; on observa des mouvements associés dans

l'extrémité supérieure paralysée pendant les mouvements actifs ou pas-

sifs de la langue. Or on constata dans la région du plexus cervical et

brachial du cou une région douloureuse et endurcie et l'on expliqua

les mouvements associés dans ce cas, ou bien par l'excitation des nerfs

sensitifs et on les considéra comme un réflexe ; ou bien on sup-

posa que la pression pouvait agir ici comme une excitation centrifuge

sur les nerfs moteurs. On ne crut pas, dans ce cas, à une participation

centrale.

Mais, comme le remarque M. Pierre Marie, si cette manière d'expli-

quer ces mouvements associés était correcte, combien de fois devrait-

on observer des mouvements associés dans les cas de traumatisme péri-

phérique de plexus nerveux ? : '

Il est beaucoup plus logique d'admettre que les mouvements associés

n'ont pas lieu sans la participation du cerveau malade,et leur coexistence

avec une crampe professionnelle acquiert ainsi de la valeur au point de

vue de la démonstration que nous faisons de l'origine centrale de cer-

taines dyskinésies fonctionnelles.

L'origine centrale de la majorité des névroses coordinatrices d'occu-

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 191

pation reposant ainsi sur un certain nombre de preuves, on est amené

tout naturellement à rapprocher ces affections d'autres maladies dont

l'origine mentale est bien prouvée : les tics et le bégaiement. Quels

sont les points communs qu'ont entre eux ces trois syndromes morbides ;

par quels côtés se différencient-ils ? peuvent-ils enfin coexister ? Telles

sont les trois questions auxquelles nous allons brièvement répondre.

« Le tic, dit Meige, est un acte primitivement commandé par une

cause extérieure, ou par une idée, et coordonné vers un but; mais par

la répétition il prend les caractères d'un mouvement convulsif et intem-

pestif, répété à l'excès'; souvent son exécution est précédée d'un besoin,

sa répression cause un malaise; la volonté, la distraction peuvent le

suspendre; il disparaît dans le sommeil. »

Les tics ont, avec les crampes fonctionnelles, un certain nombre de

points communs : ils évoluent sur le même terrain névropathique.

« Tous les tiqueurs, a dit Brissaud, présentent un état mental spécial,

des bizarreries, de l'excentricité, bref une tournure d'esprit qui marque

plus ou moins de déséquilibration. » Il en est souvent de même, nous

l'avons vu, chez les sujets atteints de crampes professionnelles. Le travail

cérébral exagéré favorise l'apparition ou la recrudescence de l'une et de

l'autre de ces névroses. La crampe des écrivains peut coexister d'autre

part avec un tic, en particulier avec le torticolis mental, mais aussi avec

d'autres tics, comme nous l'avons montré précédemment.

Toutefois les tics se différencient nettement des crampes profession-

nelles, car les crampes ne se manifestent, comme nous l'avons établi,

qu'à l'occasion d'un acte bien déterminé, et uniquement à cette occasion ;

les tics au contraire éclatent en toute circonstance, à propos de tout

comme à propos de rien. Les crampes surviennent sans cette sensation

de besoin qui précède souvent l'exécution d'un tic ; la volonté, la dis-

traction ne peuvent arrêter la production d'une crampe, alors qu'elles

peuvent suspendre un tic.

Les crampes professionnelles ont de même avec le bégaiement un

certain nombre d'analogies, mais s'en différencient cependant par des

points importants.

« Le bégaiement, ditl3onnet(lC), est un vice de prononciation à type

irrégulièrement intermittent, caractérisé essentiellement par la répétition

convulsive d'une même syllabe, et par l'arrêt inopiné devant telle ou

telle syllabe, répétition et arrêt se manifestant surtout au commencement

d'un mot ou d'une phrase. Souvent en même temps surviennent des

mouvements convulsifs des muscles de la face, de la tête, du tronc ou

des membres, complètement étrangers à l'articulation normale des

mots. » '

192 MACÉ DE LÉPINAY

Bégaiement et crampes fonctionnelles frappent les mêmes prédisposés ;

dans le bégaiement comme dans les crampes professionnelles, les causes

occasionnelles, le plus souvent invoquées par les malades, sont les émo-

tions. Les conditions enfin du bégaiement sont identiques à celles des

crampes fonctionnelles : bégaiement, et crampe des écrivains par exem-

ple, ne se produisent qu'à l'occasion. de la parole à voix haute ou de

l'écriture à la plume.

Le bégaiement ressemble encore, comme le montre Bonnet, à la crampe

fonctionnelle : par sa localisation à un groupe systématisé de muscles

habitués à exécuter synergiquement un acte fonctionnel coutumier ; par

le défaut de coordination dans les mouvements préposés à la fonction :

il y a asynergie fonctionnelle qui met obstacle à la production de l'acte

coutumier, vice par excès ou par défaut dans les contractions musculai-

res ; hyper ou hypokinésie, comme dans la crampe des écrivains par

exemple; enfin les agents modificateurs d'ordre psychique qui ont tant

d'influence sur le bégaiement influent aussi considérablement sur les

crampes fonctionnelles.

Toutefois le bégaiement se distingue des crampes fonctionnelles par

un certain nombre de points différents : l'imitation intervient souvent

dans l'étiologie du bégaiement; exceptionnellement dans les névroses

d'occupation ; les agents modificateurs d'ordre physique ont peu d'in-

fluence sur les crampes professionnelles, contrairement à ce qui se passe

pour le bégaiement. Enfin, si « la discipline psycho-motrice », décrite

par Brissaud, est applicable aussi bien au bégaiement qu'aux crampes

.professionnelles, son action est beaucoup plus rapide sur le premier que

sur ces dernières.

En résumé, le bégaiement présente des analogies avec les tics, comme

-avec les névroses d'occupation, mais s'en différencie très nettement par

certains côtés.

Nous devons noter d'ailleurs que le bégaiement se complique habi-

tuellement, de même que les crampes professionnelles, d'un état mental

particulier : préoccupation, anxiété au sujet de la fonction compromise,

impressionnabilité excessive, mobilité psychique.

Aussi, en raison de leur parenté morbide, n'est-il point surprenant de

voir coïncider ces deux névroses chez le même sujet. Bonnet a rapporté

un intéressant exemple de celle coexistence : voici cette observation

résumée : * 1

Observation XI (Bonnet).

M. X..., surnuméraire aux postes, est âgé de 27 ans; très neurasthéni-

que, souffrant de troubles dyspeptiques, il vit, à l'âge de 23 ans, apparaître

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 193

un bégaiement, surtout marqué, lorsqu'il lui fallait parler en public ; ce

bégaiement, qui existe encore, est. caractérisé par des répétitions saccadées,

pénibles, de syllabes, surtout au commencement des phrases, et des arrèts

inopinés devant certaines syllabes. A voix criée, le bégaiement disparaît ; il

augmente au contraire sous l'influence de la colère, la tristesse, la joie. Ces

temps derniers est apparue une crampe des écrivains avec tous ses carac-

tères habituels ; l'écriture est particulièrement difficile, lorsqu'il faut l'exé-

cuter en public. Le malade, qui emploie le télégraphe Morse, éprouve beau-

coup de peine à combiner les traits et points de l'alphabet : le bras devient

raide, et il est impossible de continuer le travail.

Nous espérons avoir démontré, par un certain nombre de preuves

s'appuyant sur des documents cliniques, que, à côté de dyskinésies pro-

fessionnelles provoquées par une lésion anatomique périphérique, mais

nécessitant toujours un état mental particulier, la grande majorité des

crampes professionnelles ne s'accompagnent d'aucun trouble anatomique

appréciable, et semblent relever uniquement d'une cause centrale, cé-

rébrale. Avant de clore ce chapitre palhogénique, nous devons insister

sur l'importance des intoxications sur la genèse ou sur la détermination

des névroses coordinatrices d'occupation. On peut expliquer ce rôle des

intoxications en disant que la toxine se localise de préférence sur un

membre déjà altéré dans ses tissus et exposé au surmenage professionnel,

ce membre étant locus minoris 1'esistentiæ,Que si l'on a affaire au con-

traire à une névrose d'origine centrale, le rôle des intoxications peut

également s'attribuer à la fixation du poison sur des cellules cérébrales

physiologiquement épuisées par un travail trop soutenu. Quoi qu'il en

soit, les faits sont là qui démontrent que très souvent, à l'origine des

troubles, on trouve une intoxication, soit professionnelle, soit exogène,-

plus ou moins latente. ' '

En première ligne vient l'alcoolisme, que Berger relève chez 38 de

ses malades.

L'intoxication par le plomb peut s'observer à l'origine du spasme

fonctionnel. Ainsi un malade de Berger travaillait dans une fabrique de

chapeaux de paille où il employait de la céruse ; il eut des coliques de

plomb, puis un jour des fourmillements passagers, et sans paralysie,

dans le bras droit. Deux ans plus tard il fut atteint de crampe des écri-

vains, et l'on pouvait retrouver chez lui le liseré gingival de Burton, et

une anémie saturnine marquée.

L'existence du mal de Bright chez certains malades atteints de cram-

pes professionnelles a été montrée pour la première fois par Pierre Bon-

194 MAGE DE LÉPINAY .

nier (17). La crampe, remarque cet auteur, est un symptôme fréquent,

parfois initial, du mal de Briht. Chez les bi-igliliqltes on trouve des

crampes des mollets, du torticolis,du lumbago, des douleurs intercostales

(Dieulafoy). N'y faudrait-il pas joindre un bon nombre de crampes, lo-

calisées par le surmenage professionnel, chez les sujets dont l'appareil

moteur périphérique et central est également soumis à l'imprégnation

brightique ? -

P. Bonnier rapporte un cas vraiment curieux où la crampe des télégra-

phistes semblait manifestement sous la dépendance d'un brightisme

méconnu.

Observation XII (Pierre Bonnier).

M. X..., 23 ans, télégraphie sept heures par jour à l'appareil Morse. Au

bout de deux ans de ce travail il fut pris dans la main droite d'une crampe

professionnelle, et en même temps apparnrent de petits signes de brightisme.

Il abandonna le télégraphe pendant deux ans ; à peine reprit-il ses fonctions

que la même crampe reparut : c'était une crispation du pouce droit qui se

portait en dedans et en opposition, et des mouvements désordonnés de la

main. Il suivit sans succès divers traitements. A l'examen clinique on cons-

tatait un bruit de galop, une tension artérielle exagérée, et tous les petits

signes du mal de Brigue. Sous l'influence du régime lacté, le pouce, en huit

jours, reprit une partie de son agilité, et en quinze jours put recouvrer ses

fonctions. A deux reprises la suspension du régime lacté fit revenir la crampe,

qui disparut quand le malade se remit au régime.

Il est probable, dit Bonnier, que si l'on recherchait systématiquement

le brightisme chez tous les malades atteints de crampes professionnelles,

on le retrouverait dans un bon nombre de cas. '

Un malade du Dr de Ranse, atteint de crampe des écrivains, rentrait

dans cette catégorie.

La morphine semble agir au même titre que le plomb et l'alcool,

pour la détermination d'une crampe professionnelle. Le Dr Billon (de

Marseille) a bien voulu nous communiquer t'intéressante observation

suivante qui montre l'apparition d'une crampe des écrivains chez un

morphinomane. 1

Observation XIII.

M. M..., 49 ans, demande en juillet 1904, à suivre une cure de démor-

phinisalion. Depuis quatre ans, le malade se fait chaque jour dix injections

sous-cutanées de 0 gr. 01 de morphine. La première piqûre fut faite pour

soulager les douleurs très vives d'une pseudo-occlusion intestinale ; pendant

quelques mois, le sujet a remplacé la morphine par 0 gr. 30 d'héroïne en

injections sous-cutanées.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 195

Trois mois environ après le début de la morphinisation, M. M... éprouva

une certaine difficulté à écrire : les doigts se crispaient sur le porte-plume

et la main se raidissait. La crampe devint bientôt de plus en plus fréquente,

et l'écriture de la main droite fut complètement impossible. Le malade apprit

à écrire de la main gauche, mais éprouva ensuite dans cette main des phéno-

mènes semblables. Le malade fut soumis à la cure de démorphinisation par

le sevrage rapide. Sept semaines plus tard, M. M ? put écrire de nouveau

de la main gauche ; la main droite fut plus longue à redevenir apte à écrire.

Actuellement, quatre ans après, M. M..., s'il a la moindre contrariété ou la

plus légère fatigue, reste plusieurs jours sans pouvoir écrire ; en temps or-

dinaire, il peut écrire de la main droite, mais de temps en temps sa crampe

le reprend ; il écrit alors de la main gauche. Au point de vue intellectuel,

M. M... est un minutieux, se mettant en peine pour la moindre des choses ;

il se frappe vivement de son affection.

Cette influence des intoxications sur la détermination des dyskiné-

sies fonctionnelles est fort importante à connaître, car la thérapeutique

devra, comme nous le verrons plus tard, s'adresser en première ligne à

cet élément morbide, et pourra même par cela seul amener dans certains

cas la cessation complète des troubles.

II. SYMPTOMATOLOGIE

De toutes les névroses coordinatrices d'occupation, la crampe des

écrivains est de beaucoup la plus fréquente et la mieux connue; c'est

elle qui la première a attiré l'attention des médecins, et a suscité les

intéressants travaux de Cazenave, Duchenne de Boulogne, Gallard, etc.

C'est donc par elle que nous allons commencer notre étude descriptive.

Crampe des écrivains.- Encore appelée chorea scriptortsnz (les

anciens), mogigraphie (Ilii,scli), dyskinésie des écrivains profession-

nels (Jaccoud), contracture par abus fonctionnel (Woi 1 lez), tremble-

ment oscillatoire (Cazenave), bégaiement des muscles de la main

(Debout), celte affection « consiste dans l'impossibilité d'écrire, par

suite de contraction particulière des muscles fléchisseurs, ou plus rare-

ment des extenseurs des doigts, quoique la main, en général, exécute

facilement lous les mouvements quand il s'agit d'un acte autre que l'é-

criture » (Valleix). Cette névrose survient le plus souvent entre 20 et

40 ans. Sur 198 observations de Berger, Poore, Gowers, Remak,

Bernhardt, on trouve :

196 MACÉ DE LÉPINAY

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 197

l'existence d'un centre de l'écriture n'est rien moins que prouvé, et les

récentes études de M. Pierre Mariesur l'aphasie ont montré qu'en réalité

le centre même du langage articulé, que l'on croyait bien délimité, était,

en tant que centre, très discutable. A Vaschide on peut répondre d'au-

tre part que l'activité psychologique est sans doute beaucoup plus grande

dans l'action d'écrire que dans une foule d'autres actes professionnels,

où l'automatisme est prépondérant ; mais ce n'est là qu'une question de

degré, insuffisante à mettre une barrière entre la crampe des écrivains

et les autres crampes professionnelles ; l'acte d'écrire étant plus compli-

qué au point de vue psychique que l'acte de traire une vache ou decou~

dre des souliers, il est tout naturel, connaissant l'intervention du cer-

veau dans la production d'une névrose, d'observer beaucoup plus

fréquemment une crampe des écrivains qu'une crampe de la traite ou

une crampe des cordonniers ; mais la pathogénie reste la même pour

l'une et l'autre de ces dyskinésies fonctionnelles.

La crampe des écrivains apparaît, en général, progressivement. Le

malade s'aperçoit qu'il éprouve une certaine peine à tenir la plume, que

les doigts ou la main se fatiguent vite et sont difficiles à mouvoir ; s'il

veut persister dans son travail, les troubles augmentent ; souvent des

douleurs apparaissent ; enfin il est oblige de s'arrêter. Mais bientôt, les

repos doivent être de plus en plus longs. C'est en vain que le sujet

essaye des porte-plumes plus gros, triangulaires, des plumes de ronde,

des plumes d'oie ; la difficulté d'écrire est de plus en plus considérable,

et apparaît bientôt dès que le malade prend le porte-plume. Souvent

cependant le sujet peut continuer à écrire au crayon ; cela s'explique

par ce fait que, comme le remarque Poore, « la pointe du crayon peut

supporter un certain poids, et arrive par suite à rendre au malade le

même service que la béquille à l'estropié » ; déplus la pointe du crayon,

contrairement à celle de la plume, ne pénètre jamais dans le papier; et

enfin avec un crayon on n'a pas à craindre de salir par des taches le

papier. Le malade se frappe toujours de son infirmité qui menace de lui

faire perdre ses moyens d'existence ; sous l'influence de cette idée fixe

les désordres fonctionnels augmentent encore d'intensité, et l'écriture

devient de plus en plus difficile, ou même impossible. ,

Mais l'évolution de la crampe des écrivains est des plus variables sui-

vant les sujets, et l'on peut dire avec Meige qu'il n'y a pas deux crampes

qui se ressemblent.

On peut cependant décrire un certain nombre de types cliniques :

Duchenne, Zuber admettent deux formes : spasmodique et pa1'al ! Jti-

que. Jaccoud distinguait quatre variétés : ]'akinpsie, les troubles de

stabilité (tremblements), l'ataxie, et l'7apewinésie (crampes ou spas-

198 MACÉ DE LÉPINAY

mes).Avec Benediktnous décrirons trois types cliniques : la forme spas-

modique, la forme paralytique, et la forme trémulente ; ces trois for-

pies peuvent d'ailleurs se combiner entre elles.

l A. Forme spasmodique.

Dans celle variété, on observe, dès que le malade se met écrire, tantôt

une brusque. extension de l'index, tantôt une flexion soudaine, avec

opposition, du pouce, parfois une contraction de l'extenseur propre du

pouce. Dans cerlains cas il y a mouvements inverses dans l'un ou l'autre

de ces deux doigts. Le porte-plume se trouve ainsi, soit propulsé brus-

quement vers le troisième ou quatrième doigt, soit au contraire étroite-

ment serré entre les trois premiers doigts qui se contractent sur lui et

empêchent tout mouvement de la plume. Parfois le médius et les autres

doigts de la main se fléchissent aussi brusquement, soit dans tous leurs

segments, soit seulement dans leurs dernières phalanges. Si les inter-

osseux se contractent, on observe une flexion de la première phalange

avec extension des deux autres. Tous ces spasmes cessent dès que le

sujet renonce à écrire. Cependant, comme nous l'avons fait déjà remar-

quer, il se peut que la crampe reparaisse dans certaines opérations

menues et délicates des doigts ; cela se produit soit lorsqu'il y a lésion

périphérique, soit lorsque le sujet très nerveux s'étudie et craint d'avoir

sa crampe en dehors de l'écriture ; en tout cas il est rare que ces cram-

pes accessoires subsistent, et si elles persistent elles restent de beaucoup

prédominantes pour l'acte d'écrire, et gardent ainsi le caractère électif

qui est le propre des crampes professionnelles.

Il se peut même que le spasme se produise par le fait seul que le su-

jet pense qu'il va écrire ; ou bien (Brissaud, Hallion et Meige) la crampe

disparaît lorsque le sujet est très préoccupé de l'idée qu'il va écrire, car

alors il ne pense plus à l'acte même de l'écriture.

Des douleurs peuvent apparaître au début ou au cours du spasme ;

mais elles sont loin d'être constantes, et c'est une des raisons pour les-

quelles nous avons rejeté le mot de crampe pour désigner ces dyskiné-

sies. Les douleurs apparaissent en général lorque les contractures attei-

teignent une grande intensité ; elles peuvent siéger au niveau des doigts et

de la main, remonter au bras le long des gros troncs nerveux, irradier à

l'épaule ; dans quelques cas rares elles s'accompagnent d'une certaine

angoisse. Les douleurs en tous cas cessent avec le phénomène spasmo-

dique. Leur intensité est quelquefois telle que certains auteurs ont pu

décrire une forme névralgique de la crampe des écrivains ; mais celte

forme surtout isolée, sans contractions spasmodiques, est tout à fait ex-

ceptionnelle.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES J93 z

Quelquefois le spasme ne se passe plus seulement dans la main et l'a-

vant-bras, mais aussi dans les muscles du bras et de l'épaule : Duchenne

a ainsi observé deux malades dont la main exécutait un mouvement de

supination, par spasme du long supinateur, sitôt qu'ils avaient tracé un

mot, de sorte que le bec de leur plume regardait en l'air sans qu'ils

pussent s'y opposer. ,

En résumé, dans la forme spasmodique de la crampe des écrivains,

tous les muscles des doigts,de l'avant-bras, du bras et de l'épaule peuvent

se contracter ensemble ou isolément. Or si l'on considère que dans l'acte

d'écrire tous ces muscles interviennent dans une certaine mesure, on

comprend les perturbations aussi nombreuses que variées que subit ré-

criture par ces contractions intempestives. Selon Burckhardt, trois

groupes musculaires jouent un rôle important dans l'acte d'écrire, soit

que l'acte soit tonique (fixation de la main et de la plume),soit que l'acte

soit clonique (formation des caractères) : c'est tout d'abord le groupe des

interosseux ; c'est ensuite le groupe des longs extenseurs ; c'est enfin

le groupe des longs fléchisseurs. Les extenseurs viendraient surtout en

aide quand les mouvements sont plus étendus, et leur action serait plu-

tet fonique ; les fléchisseurs sont de véritables antagonistes des inleros-

seux qui sont à la fois toniques et cloniques. Kouindjy a bien montré

que très souvent chez les sujets atteints de crampe des écrivains il y

avait hypotonicité des extenseurs et des interosseux, et bypertonicité

des fléchisseurs qui impriment il la main une légère déformation ; d'où

sa méthode thérapeutique qui, nous le verrons, s'adresse surtout aux

extenseurs, les tonifiant par le massage.

En réalité tous les muscles du membre supérieur : tous ceux de la

main, tous ceux de l'avant-bras, tous ceux du bras,tous ceux de l'épaule,

coopèrent, ainsi que le dit Meige, simultanément et successivement à

l'acte d'écrire. Nous écrivons donc, non seulement avec nos doigts, mais

avec notre poignet, notre avant-bras, notre bras, et beaucoup aussi avec

notre épaule.

Quoi qu'il en soit, « si l'on songe, écrit Zuber, à la multiplicité des

organes musculaires et nerveux mis enjeu par l'acte d'écrire, à la régu-

larité et à la longue durée de la distribution nerveuse nécessaire au con-

sensus harmonique de toute sorte d'appareils peu destinés à agir simul-

tanément, on arrive à s'étonner que les altérations fonctionnelles de

cet acte compliqué entre tous ne soient pas plus fréquentes ».

Les caractères graphologiques de l'écriture, dans la forme spasmodi-

que de la crampe des écrivains, sont assez variables : les traits sont tantôt

ondulés, tantôt interrompus par de brusques échappées de la plume ;

200 MACÉ DE LÉPINAY

souvent les lignes sont irrégulières, les lettres petites, illisibles : le pa-

pier est parsemé de taches d'encre, ou percé par le bec de la plume.

Nous allons, avant de quitter cette forme, en donner une description

tant au point de vue clinique qu'au point de vue graphologique, en rap-

portant l'histoire d'un de nos malades, soigné depuis deux mois à la

Salpêtrière ; -

- -- Observation XIV (personnelle),

M. Pet..., dessinateur, est atteint depuis un an d'une crampe des écrivains

de la main droite.

Il n'a jamais été malade ; il n'est point syphilitique, mais il est notoire-

ment éthylique ; autrefois il prenait de l'absinthe et de nombreux apéritifs ;

actuellement il prend encore au moins trois litres de vin par jour ; son facies

est vultueux ; la parole est saccadée ; il existe un léger tremblement éthyli-

que des mains ; le sommeil est agité par des cauchemars.

Le métier de M. Pet..., consiste surtout à dessiner des plans et des motifs

d'architecture ; il y emploie le crayon, la plume, le tire-lignes.

Le malade a commencé à ressentir, il y a un peu plus d'un an, une cer-

taine gêne de la main droite lorsqu'il voulait inscrire sur un plan des chiffres

fins ; cette' maladresse existait surtout au réveil, lorsqu'il se mettait à sa

table de travail ; mais au bout de quelques minutes il « se dérouillait » et

pouvait écrire plus facilement. Rapid ment l'impotence fonctionnelle se pré-

cisa et augmenta : l'écriture fine et calligraphique des plans devint impossible

à exécuter, puis l'écriture courante à la plume ; au crayon le malade pouvait

Fia. 2, Crampe des écrivains. Forme spasmodique.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 201

encore écrire assez couramment et exécuter quelques dessins. Inquiet devoir

les progrès de cette affection qui l'empêchait de remplir ses fonctions,M. Pet...,

vit rapidement sous l'influence de cette idée obsédante augmenter les désor-

dres de son écriture. Il se décida donc, après avoir vu inutilement plusieurs

médecins, à venir consulter à la Salpêtrière le 5 janvier 1909.

M. Pet... est grand, très solide, bien musclé ; il n'a aucune atrophie mus-

culaire du bras droit ; tous les muscles et tendons semblent normaux ; il

n'existe ni troubles vaso-moteurs, ni troubles de la sensibilité. Tous les orga-

nes sont sains.

Au point de vue mental, nI. Pet... est intelligent ; les idées sont vives

et bien enchaînées ; mais il semble persister une légère excitation éthylique.

Le sujet s'inquiète de son infirmité ; dans la vie habituelle il est vif, dit-il,

et facilement irritable.

Veut-on faire écrire le malade devant soi, il commence par vous dire que

cela ne lui sera point possible. Il s'installe, l'air embarrassé, devant la table

dont il reste éloigné ; puis, portant la feuille de papier loin à gauche et tour-

née de travers, il la maintient de la main gauche ; alors tout le bras droit,

dans l'extension, raide, formant un angle de 43° avec le tronc, porte la

plume vers le papier d'un geste maladroit et comme soudé. La main qui tient

la plume est fortement fléchie en dedans ; la plume oscille, puis s'abat brus-

quement sur le papier qu'elle égratigne ; alors, par mouvements saccadés

qui se passent dans l'articulation de l'épaule, le membre supérieur tout entier

formant un bâton rigide, le malade trace avec peine des lettres irrégulières,

de plus en plus mal formées, souvent presque illisibles. Si l'on palpe à ce

moment les muscles du bras et de l'avant-bras, on constate que les muscles

extenseurs du bras sout fortement contractures, ainsi que les fléchisseurs des

doigts. La contracture sur le porte-plume est très marquée ; elle cesse dès

que le malade lâche la plume.

Veut-on faire écrire le malade en tenant le coude fléchi, l'impotence est

plus forte encore : la plume va en tous sens ; l'encre tache le papier ; l'écri-

ture est tout à fait impossible. Avec un crayon, la maladresse est moindre,

et le malade peut exécuter quelques dessins (fig. 2).

Au tire-lignes, les traits sont bien tracés, mais la maladresse reparaît lors-

qu'il s'agit de repérer ces traits par des chiffres. Au contraire, s'agit-il de

tracer à main-levée, sur du papier ou au tableau noir, des arabesques, des

spirales, des majuscules de grandes dimensions, le dessin est exécuté sans

effort et sans hésitation. Le malade est d'ailleurs fort adroit pour tous les

menus actes de l'existence.

Soumis au traitement de Kouindjy ; hydrothérapie, massage, rééducation

progressive, M. Pet... a été très rapidement amélioré, et actuellement, au

bout de deux mois, il peut écrire assez couramment sans avoir de crampe,

en renversant la main sur le dos, et en tenant le porte-plume incliné entre

le pouce et les quatre autres doigts.

202 MACÉ DE LÉPINAY

B. Forme paralytique.

Cette forme a été décrite pour la première fois par Duchenne de Bou-

logne qui l'observa chez deux de ses malades. « Les doigts dirigeaient

parfaitement la plume, mais dès que la fatigue survenait, après avoir

écrit un ou plusieurs mots, la main et l'avant-bras semblaient cloués au

bureau ; un certain temps de-repos permettait à nouveau d'écrire quel-

ques lignes, puis bientôt reparaissaient les mêmes troubles fonction-

nels. »

En somme, dans celle variété, le malade est pris subitement, pendant

qu'il manie la plume, d'une sensation de fatigue, accompagnée d'une

roideur spéciale de la main et de l'avant-bras qui ne lui permet pas le

moindre mouvement. Un malade de Gallard (60) disait : « Mon porte-

plume se trouve comme dans un trou. » Si le malade laisse la plume,

roideur et fatigue disparaissent aussitôt, pour revenir à la' première

tentative. Ces troubles peuvent relever d'un simple phénomène d'arrêt

qui n'implique pas nécessairement l'existence d'une paralysie véritable.

Dans certains cas, au contraire, on a pu observer la paralysie évidente

d'un muscle déterminé. Duchenne cite un teneur de livres chez lequel

l'adducteur du pouce était frappé d'inertie au point que la plume lui

tombait des doigts ; cependant il se servait facilement de ce même adduc-

teur du pouce toutes les fois qu'il ne s'agissait pas de tenir la plume

pour écrire.

Duchenne cite également un cas curieux observé par lui où l'impos-

sibilité de poursuivre l'écriture était liée à l'empêchement de porter le

bras en dehors; le malade écrivait ainsi quelques mots, puis s'arrêtait,

la main ne pouvant plus avancer vers la droite ; il devait alors tirer le

papier à lui avec la main gauche pour pouvoir continuer l'écriture. Il

s'agissait là d'une paralysie fonctionnelle des muscles de l'épaule, en

particulier du faisceau moyen du deltoïde, et si l'on venait à exciter

faradiquement ce groupe musculaire, on voyait disparaître cette impo-

tence passagère.

Souvent la forme paralytique de la crampe des écrivains se combine

à la forme spasmodique ; il y a dès lors paralysie des doigts, puis

spasme. Les caractères graphologiques permettent d'ailleurs de recon-

naître la succession des troubles; on voit d'abord quelques lettres bien

tracées, puis, la main s'engourdissant, les caractères se rapetissent et

deviennent irréguliers; enfin, le spasme survenant, les lettres se défor-

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 203

ment tout à fait et deviennent illisibles. Un malade, observé par nous,

présentait nettement cette association des deux phénomènes :

Observation XV (personnelle).

M. A. Br..., caissier, est âgé de 52 ans. Il est atteint depuis quinze ans

d'une crampe des écrivains de la main droite. Il n'a jamais eu de maladie

sérieuse. Obligé d'écrire' toute la journée, il vit en 489lui, à la suite d'une

vive émotion, survenir tout d'abord de la fatigue de la main droite en écri-

vant, puis une gêne progressive qui de plus en plus l'empêcha de tenir cor-

rectemeut ses livres. Les caractères devenaient irréguliers, puis illisibles a ¡

la fin des lignes ; enfin l'impotence devint telle qu'au bout d'un an il lui

était presque impossible de remplir son métier. C'est alors que M. Br..., par

un effort de volonté remarquable, apprit en quelques jours à écrire de la

main gauche ; les premiers essais furent heureux, et très rapidement la

tenue des livres aussi bien que l'écriture courante furent exécutées de la main

gauche. Depuis ainsi quatorze ans, M. Br... n'écrit que de la main gauche,

et jamais aucun spasme fonctionnel n'est survenu de ce côté. Par contre, la

main droite, malgré le repos prolongé, n'a jamais pu reprendre l'écriture

courante : il chaque essai, la crampe reparaît avec les mêmes caractères que

jadis. Les premières lettres sont correctement tracées, puis la main devient

lourde, s'embarrasse phase paralytique - puis le spasme apparaît, les

doigts se contractent sur le porte-plume qui fait exécuter à la plume des

échappées irrégulières ; les lettres se déforment de plus en plus, et le ma-

lade est obligé de s'arrêter. Après un instant de repos, il peut reprendre

l'écriture, mais presque aussitôt les mêmes phénomènes reparaissent,. tou-

jours dans le même ordre (fig. 3).

Fio. 3. Crampe des écrivains. Forme paralylico-spasmodique.

204 MACÉ DE LÉPINAY

En dehors de l'acte d'écrire, M. Br... n'éprouve dans le bras droit aucune

gêne fonctionnelle : c'est ainsi qu'il se rase de la main droite avec beaucoup

d'adresse. Toutefois, M. Br... assure fait qui affirme une fois de plus le

terrain névropathique sur lequel se développent les dyskinésies fonction-

nelles, qu'il ne peut se raser que le matin en se levant ; chaque fois qu'il

se rase à un autre moment de la journée, il se persuade qu'il va se couper,

et se coupe effectivement ; aussi, dans ces conditions, il va toujours chez un

coiffeur s'il n'a pas pu se raser lui-même le matin. M. Br... est d'ailleurs

très impressionnable : chaque fois qu'il entre dans une église au moment

d'un enterrement, même d'une personne qu'il ne connaît pas, il ne peut

s'empêcher de pleurer. A diverses reprises, M. Br... a même eu de vérita-

bles phobies : c'est ainsi que plusieurs fois, pendant qu'il se rasait, il a eu

une peur irrésistible de se trancher la gorge, à tel point qu'il a dû sur le

champ abandonner le rasoir et aller faire terminer sa barbe chez un coiffeur.

Localement il n'existe, sur tout le bras droit, aucune lésion périphérique

appréciable pouvant expliquer ces troubles fonctionnels. M. Br... n'a jamais

suivi de traitement régulier ; il vit avec son infirmité sans en être inquiet,

ayant pu sans difficulté depuis quatorze ans suppléer à la main droite par la

,main gauche.

C. Forme TRéMULANTE.

Cazenave (33), en 1846 et 1852, a bien étudié cette variété de crampe

des écrivains : c'est un tremblement tout spécial de la main au moment

de tracer les lettres ; ce tremblement est oscillatoire, et « consiste en un

mouvement alternatif, en sens contraire, de la main droite; les doigts

annulaire et auriculaire étant appuyés sur le papier, la plume étant

tenue par les trois premiers doigts, la main se balance, oscille plus ou

moins rapidement de droite à gauche, de façon que le malade qui écrit

est obligé d'accomplir cet acte complexe par surprise, de l'escamoter en

quelque sorte ».

Cazenave publie six observations très documentées se rapportant toutes

à ce tremblement oscillatoire.

Quelquefois le tremblement, au lieu de se passer dans la main, est

produit par des alternatives d'adduction et abduction du bras ; c'est un

véritable mouvement penduliforme (Wilde).

Le tremblement est d'abord arrêté par la volonté, mais bientôt il

devient impossible de l'empêcher. L'émotion l'augmente de façon nota-

ble. Larrey (92) cite « un savant qui écrit tous les jours beaucoup et

assez rapidement lorsqu'il se trouve seul, et dont la main tremble dès

qu'il se sert d'une plume sous les yeux de quelqu'un ».

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 203

Un caractère important de ce tremblement est qu'il ne se produit qu'à

l'occasion de l'écriture, qu'il cesse lorsque le malade abandonne le porte-

plume, et qu'il ne se manifeste pas pour tous les autres actes de la vie

ordinaire. C'est ce caractère qui permet de le rattacher aux névroses coor-

dinatrices d'occupation et de le distinguer -du tremblement delà sclérose

en plaques, de la paralysie générale, de l'éthylisme, de la sénilité, etc.

Cette forme de tremblement exclusivement limité à l'acte d'écrire est

rare ; aussi certains auteurs comme Duchenne, Zuber, ne le décrivent

point. D'autres, au contraire, comme Oppenheim, Remak l'admettent.

Humble (79), de son côté, l'appelle forme trépidente.

Nous avons eu l'occasion, à la Salpêtrière, d'observer un malade qui

présentait un tremblement très marqué de la main droite, tremblement

qui ne se manifestait que pour écrire, ou jouer du violon.

Observation XVI (personnelle).

M. A..., âgé de 48 ans, comptable, vient consulter le Dr Voisin en février

1907 pour un tremblement de la main droite qui l'empêche absolument

d'écrire depuis deux mois. C'est à la suite d'une vive discussion avec un de

ses chefs que le tremblement est apparu, généralisé à tout le corps, comme

un frisson, pendant dix minutes, puis localisé au bras droit, et ne se mani-

festant que dans certaines conditions. Au repos en effet le tremblement

n'existe pas ; il commence à se montrer si l'on attire l'attention du malade

sur sa main droite en lui disant de prendre la position du serment, mais il

ne se manifeste réellement que lorsque M. A... prend la plume et veut

tracer des lettres ; alors la plume est agitée de mouvements alternatifs très

menus et très rapides, et l'écriture irrégulière, surchargée, illisible, doit

être abandonnée (fig. 4).

Mu 14

Fm, 4. Crampe des écrivains. Forme trémulente.

206 - MACÉ DE LÉPINAY

Le tremblement cesse lorsque le malade abandonne la plume ; il ne se

montre, dans la vie courante, que lorsque M. A... veut jouer du violon ;

alors l'archet, tenu de la main droite, est agité de mouvements rapides d'al-

lées et venues, qui empêchent absolument de tenir un son. Par ailleurs ,

M. A... peut s'habiller, manger, boire de la main droite ; en un mot ne res-

sent aucune gêne dans les fonctions multiples de la main droite.

Obligé d'abandonner son métier, M. A... s'afflige beaucoup de sa situa-

tion ; il a 'd'ailleurs un état mental particulier : de tout temps il a été beau

parleur, se posant comme le défenseur des opprimés, le redresseur de torts ;

il écrit dans des journaux contre son administration, ayant de vagues idées

de persécution. Ses nuits sont agitées depuis le début de son affection, à

laquelle il pense sans cesse.

On peut éliminer chez M. A... l'éthylisme dont il ne présente aucun

signe. Il n'est pas là non plus question d'hystérie, car l'affection résiste à la

suggestion, et à l'hypnotisme. On hésite, à cause de l'état mental de M. A...

à faire le diagnostic de paralysie générale au début ; mais le malade n'est

pas syphilitique ; il a sept enfants bien portants ; il n'y a point de signe

d'Argyll, et une ponction lombaire est négative. On porte donc le diagnostic

de tremblement fonctionnel (crampe des violonistes et des écrivains) chez

un obsédé.

Revenu quelque temps après, M. A... voit plutôt son tremblement de

l'écriture augmenter ; le tremblement est toujours exactement limité ri l'acte

d'écrire et de jouer du violon ; il n'existe aucun trouble somatique appré-

ciable. M. A... a malheureusement été perdu de vue depuis cette époque.

La crampe des écrivains, quelle que' soit sa forme, suit une marche

généralement progressive, dans les cas où elle est abandonnée à elle-

même, ou si le traitement a été institué trop tard. Parfois elle présente

spontanément des alternatives d'amélioration et d'aggravation. Sa durée

est tout à fait indéterminée, et dépend de la forme, du terrain sur lequel

elle évolue, de sa cause, et du traitement employé.

On ne peut donc établir un pronostic qu'en connaissant tous ces

facteurs, c'est-à-dire en étudiant à fond le malade et son syndrome

morbide.

D'une façon générale, il faut distinguer, au point de vue du pronos-

tic, les crampes d'origine périphérique, et les crampes d'origine centrale.

Sur les premières peut agir un traitement local qui dans bien des cas

amènera la cessation des troubles, surtout si la névrose n'est point encore

profondément enracinée. Le pronostic des secondes se basera surtout

sur l'état mental habituel du sujet, sur la concomitance d'autres spasmes

ou d'autres névroses, sur l'ancienneté des troubles, sur l'inefficacité de

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 207

divers traitements antérieurement essayés ; une névrose à son début,

vierge de tout traitement, évoluant isolément chez un sujet confiant en

son médecin et sans tares mentales trop marquées, peut guérir, et guérit

en effet bien souvent. Les formes douloureuses, les crampes avec mou-

vements associés sont en général moins favorables.

La plupart des auteurs classiques portent le pronostic le plus sévère

pour toutes les crampes des écrivains, et regardent ces affections comme

presque toujours incurables. C'est là un pronostic trop grave pour

une affection qui, prise à ses débuts, est au contraire assez souvent

curable. Sans doute il faut craindre les récidives, et redouter aussi

l'apparition de nouvelles névroses sur un terrain prédisposé; mais en

réalité un traitement méthodique et patient peut venir à bout dans

bien des cas de ces dyskinésies, et la guérison une fois obtenue peut se

maintenir définitivement.

Le diagnostic de ces affections est en général facile ; le plus souvent

les malades le font d'eux-mêmes. Le premier point à rechercher est de

savoir si la gêne est tout à fait spécialisée, ou si au contraire toutes les

fonctions du membre sont troublées. Le caractère électif de la maladie

permettra d'éliminer aussitôt les accidents paralytiques ou spasmodi-

ques dus à une lésion des centres ou des conducteurs nerveux : hémi-

plégie d'origine cérébrale par exemple, section traumatique du nerf

médian ou cubital, anévrysme de l'artère axillaire comprimant le paquet

vasculo-nerveux (Poore), etc.

On devra rechercher ensuite s'il n'existe pas de lésion périphérique

artérielle, musculaire, ou nerveuse, qui puisse expliquer dans une

certaine mesure l'apparition du trouble fonctionnel. Mais ce que l'on

doit examiner surtout avec le plus grand soin, c'est l'état mental du

sujet, son passé pathologique, ses antécédents héréditaires, son caractère,

son émotivité. Presque toujours on trouvera des stigmates nets de né-

vropathiequi donneront la clef du problème pathogénique et guideront

les applications thérapeutiques.

Si l'on se bornait à faire écrire le malade devant soi, et à examiner

les altérations graphologiques, on pourrait être amené à confondre ces

troubles avecceux que l'on observe parfois dans la paralysie générale,

la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques, la chorée ; mais l'examen

somatique, qui doit toujours être fait, pourra toujours montrer les si-

gnes cardinaux de ces différentes affections, et permettra d'éviter une

erreur. Toulefois il existe un certain nombre de cas où véritablement le

diagnostic peut être il. bon droit hésitant, et où plusieurs examens

successifs seront nécessaires pour préciser la maladie. Il en était ainsi

208 MACÉ DE LÉPINAY

dans l'observation suivante rapportée par Féré (59) sous le titre de

« pseudo-crampe des écrivains de nature épileptique ».

Observation XVII (Féré).

M. D..., 33 ans, employé de banque, fut pris, après un travail d'écriture

prolongé, d'une crampe de la main droite. Il commença à éprouver des

fourmillements et une sensation de froid dans les troispremiers doigts de la

main, puis ces trois doigts se fléchirent avec une force irrésistible dans la

paume de la main, et assez brusquement pour que la plume fût brisée ; il

éprouva en même temps de la raideur dans l'avant bras et le bras. Tout le

membre s'anima d'un tremblement peu étendu qui ne dura que quelques

secondes, puis tout rentra dans l'ordre ; il ne resta dans la main qu'un peu

d'engourdissement qui ne l'empêcha pas de reprendre la plume et de conti-

nuer à écrire. Des accidents semblables se reproduisirent ; chaque fois l'action

d'écrire redevint possible sitôt l'accès terminé. Une fois, il y eut morsure

de la langue assez forte, avec plaie saignante, mais il n'y eut pas de perte de

connaissance. Ce spasme fut pris pour une crampe des écrivains.

Deux ans plus tard, le malade écrivait saus iuterruption depuis trois

heures, lorsqu'il seutit son fourmillement prémonitoire ; il n'eut que le

temps de poser sa plume : la maiu se crispa, l'avant-bras et le bras s'élevè-

rent en tremblant ; la tête se porta vers la gauche ; il perdit connaissance,

et ne revint à lui qu'après 3/4 d'heure. Il avait eu uue attaque convulsive

généralisée, avec cri, morsure de la langue, évacuation d'urine et des ma-

tières fécales, et sommeil stertoreux. Depuis cette époque, le malade a pris

5 grammes de bromure par jour, et il n'a plus eu ni accès, ni crampes.

En réalité le traitement n'avait guère besoin d'intervenir dans ce cas

pour indiquer la nature épileptique de l'affection, qui se distinguait de

la crampe des écrivains ordinaire par ce fait que, le spasme terminé, le

malade pouvait reprendre la plume.

Cliez un petit malade que nous avons pu observer, et guérir à la Sal-

pêtrière, il s'agissait d'une pseudo-crampe des écrivains par chorée hys-

térique limitée au bras droit.

Observation XVIII (personnelle).

Le jeune C..., âgé de 13 ans, vient consulter le Dr Voisin le 2 février 1907

pour un tremblement du bras droit, apparu brusquement un mois aupara-

vant, et se manifestant surtout lorsque l'enfant veut écrire. Le malade, très

intelligent, a toujours été émotif, impressionnable ; il a eu déjà une crise

nerveuse avec perte de connaissance ; il pleure et rit pour la moindre chose.

Au repos, le tremblement cesse presque complètement; la nuit, il disparaît ;

veut-on faire exécuter au commandement des mouvements du bras droit, on

observe que tout le membre est agité de mouvements rythmés de va et

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 209

vient ; le tremblement s'exagère beaucoup lorsque le malade est ému, et

lorsqu'il est en public ; mais il prend toute son intensité lorsque l'enfant se

met à écrire ; et la plume devient inapte à tracer les mots (fig. 5).

Le tremblement diminue dès que le malade repose la plume ; il est moins

intense, mais cependant manifeste lorsqu'il s'agit de prendre un objet, de

porter un verre à la bouche, etc. Au début le tremblement a atteint égale-

ment le membre supérieur gauche, mais actuellement le trouble s'est localisé

au membre supérieur droit. Il n'existe aucun mouvement choréique ni à la

face, ni au tronc, ni aux membres inférieurs. Se basant sur ce fait que le

tremblement n'est pas exclusivement limité à l'acte d'écrire, on élimine la

crampe des écrivains à forme trémulente, et l'on porte le diagnostic de

chorée rythmée unilatérale, de nature hystérique. On agit donc par la per-

suasion pour arrêter le tremblement ; on ordonne des douches, et un long

séjour à la campagne où le petit malade devra exécuter les gros travaux des

champs. Deux mois plus tard, l'enfant revient complètement guéri ; le trem-

blement a disparu spontanément peu de jours après l'arrivée à la campagne ;

il n'existe plus même au moment d'une émotion, et l'écriture est redevenue

tout à fait normale.

Enfin il ne faut point prendre pour une crampe des écrivains certai-

nes formes de dysgraphie qui peuvent être dues soit à une folie dudoute

(Séglas) (128), soit une inhibition psychique par émotion,comme dans

le cas qu'a rapporté Féré sous le nom de dysgraphie émotionnelle (59).

Observation XIX (Féré).

M. R.... 41 ans, expéditionnaire à l'Assistance publique, éprouve une

grande difficulté à écrire en présence d'une personne quelconque. Sujet mi-

, Fic. 9. - Ecriture dans la chorée rythmée.

210 U MACÉ DE LÉPINAY '

graineux,il a toujours été émotif ; voulant passer un examen, lui fut imposai-

ble d'écrire un seul mot sous la dictée. Depuis ce moment, il a toujours été

obsédé par cette idée qu'il perdrait sa profession parce qu'il ne pourrait plus

écrire. Lorsqu'on lui demande de prendre la plume, on constate une rigidité

extrême de la main et de tout le membre supérieur, et le malade peut à peine

tracer une lettre ou deux. Mais, au bout de quelques minutes, M. R... peut

écrire, et, une fois lancé, n'éprouve plus aucune difficulté. En somme, ce

malade présente, sous l'influence de l'émotion, une immobilisation passagère

avec rigidité du membre. '

Cette dysgraphie se sépare nettement de la crampe des écrivains par

ce caractère qu'elle cesse par la répétition de l'effort. D'une façon géné-

rale, le diagnostic de crampe des écrivains est en somme aisé, et nous

n'avons cité ces deux ou trois diagnostics délicats que parce qu'il faut

y penser comme cas embarrassants d'ailleurs fort rares.

Nous avons signalé précédemment que la crampe des écrivains pou-

vait affecter la main gauche. Ces cas sont loin d'être exceptionnels, et

nous en avons rapporté un exemple (obs. VII).

La crampe de la main gauche peut suivre de très près celle de la main

droite, et survenir dès les premières tentatives d'écriture de ce côté.

Dans d'autres cas, au contraire, la crampe n'apparaît à gauche que plu-

sieurs mois, ou plusieurs années après le spasme du côté droit. Quoi

qu'il en soit, la crampe de la main gauche ne diffère en rien de sa congé-

nère du côté droit, et tout ce que nous avons dit de cette dernière s'ap-

plique exactement à l'autre ; nous n'y insisterons donc pas davantage.

Crampe des dactylographes.

Cette crampe se rapproche tout naturellement de la crampe des écri-

vains, en raison du travail mental qui intervient de la même façon dans

ces deux modes d'écriture.

Vaschide (147) n'est point de cet avis : « Je ne connais, dit-il, aucun

cas de crampe des dactylographes, et l'explication est possible, car la

main joue un rôle automatique et ne modèle rien, ne subit aucune mo-

dification subconsciente, comme dans l'acte d'écrire. » Sans doute la

mise en jeu de la machine à écrire fait intervenir simultanément les

deux mains, et nécessite des contractions musculaires fort différentes de

celles qu'emploie l'écriture ordinaire ; par ce côté l'emploi de la ma-

chine à écrire est assez semblable au jeu du piano ; mais, pour traduire

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 211

la pensée par des signes l'acte mental est le même, ou du moins fort

analogue à la machine à écrire, ou par des lettres tracées à la plume ;

aussi l'on conçoit sans peine qu'un individu qui se sert journellement

et avec excès de la machine à écrire, soit aussi bien sujet à une crampe

professionnelle qu'un comptable par exemple qui écrit sans discontinuer.

En réalité, les observations de crampe des dactylographes se font de

jour en jour plus nombreuses, au fureta mesure que se généralise

l'emploi de la machine à écrire, et nous en avons personnellement

observé un cas. Remak, Cassirer ne citent que des cas féminins ; le

nôtre, celui de Meige, étaient masculins.

Cette crampe se caractérise par l'impossibilité soudaine pour l'une

ou l'autre main, ou pour les deux simultanément, de faire agir les tou-

ches de l'instrument, et par cela même de traduire correctement la pen-

sée. Tantôt c'est une raideur d'un ou de plusieurs doigts, avec brusque

flexion ou extension d'une des phalanges, tantôt flexion soudaine ou ex-

tension du poignet, qui résiste ainsi aux injonctions motrices ; tantôt

la main ou l'un des doigts s'engourdit, devient impossible à remuer ;

mécanisme tout à fait semblable à celui qui produit la crampe des écri-

vains, et pouvant ainsi occasionner soit une forme spasmodique,soit une

forme paralytique. Remak dit que les douleurs névralgiques sont fré-

quentes au moment du spasme, Le malade que nous avons pu suivre

(observ. VII) avait d'abord ressenti de brusques flexions dans les doigts

de la main droite qui survenaient au bout de quelques instants de l'em-

ploi de la machine à écrire ; les doigts avaient peine à se relever avant

de taper les touches ; il en résultait une maladresse qui faisait imprimer

une lettre pour une autre on pourrait dire : faire des fausses notes ;

puis bientôt l'impossibilité de continuer devenait absolue ; lespasme

cessait dès que le malade quittait la machine à écrire, mais reparaissait

à toute nouvelle tentative d'écriture ; c'est en vain que le malade s'é-

tait fabriqué une sorte de palette suppléant les doigts, de façon à ce que

le poignet seul fit les mouvements d'extension et de flexion ; la contrac-

ture avait peu à peu gagné le poignet, et le jeu de la machine à écrire

avait dû être abandonné. Ce malade avait d'ailleurs été atteint simulta-

nément de crampe des écrivains de la main droite et de la main gauche.

La simultanéité de ces crampes montre bien l'étroite parenté qui unit

ces deux affections. Meige (234) a-de même tout récemment observé un

malade qui avait eu successivement une crampe des écrivains à droite,

une crampe des dactylographes de la main gauche, et une crampe des

pianistes des deux mains.

La concomitance de la crampe des écrivains avec la crampe des dacty-

lographes, et l'impossibilité pour le malade de remplacer momentané-

212 MACÉ DE LÉPINAY

ment un de ces modes d'écriture par l'autre, assombrit singulièrement

le pronostic de ces deux affections.

Crampe des télégraphistes.

La manipulation de l'appareil Morse, ou Hughes les deux instru-

ments le plus fréquemment employés pour la télégraphie, n'est pas

moins compliquée que l'acte d'écrire à la plume ou de jouer de la ma-

chine à écrire.

Dans le télégraphe Morse, les lettres sont représentées par une réunion

de points et de traits, qui s'obtiennent par des contacts électriques plus

ou moins prolongés. Ces contacts sont produits par le télégraphiste au

moyen d'oscillations autour de son point d'appui d'un petit levier, le

manipulateur,tenu dans la main droite par l'intermédiaire d'un bouton-

La main doit donc exécuter une série non interrompue de mouvements

de flexion et d'extension sur l'avant-bras ; celui-ci ne peut être appuyé,

car les mouvements devant se passer dans l'articulation radio-carpienne

réclament, pour être exécutés avec rapidité et sans fatigue, une grande

liberté d'action des muscles qui fléchissent la main sur l'avant-bras ; les

trois premiers doigts conservent sur le bouton à peu près la même posi-

tion que sur le porte-plume. Enfin, « si l'on observe, dit Simon (203),

que le jeu du levier est très borné, puisqu'on l'abaisse de un millimètre

à peine, et que la vitesse imprimée à ce levier'par la main,de l'employé

doit être telle qu'il transmette en moyenne dix mots par minute, ce qui

en admettant que chaque mot comporte environ dix signaux- donne

déjà un chiffre de cent contacts à exécuter dans l'intervalle d'une mi-

nute, on comprendra de quelle flexibilité, de quelle souplesse, devra

être douée l'articulation radio-carpienne, quand il s'agira d'exécuter

avec ce petit instrument les combinaisons si variées de l'alphabet télé-

graphique ». Un employé d'une habileté moyenne transmet et reçoit

environ 7.000 signaux à l'heure, donc 49.000 par jour s'il a sept heures

de service. On conçoit quelle tension d'esprit nécessite un pareil tra-

vail. Connaissant l'importance de ce facteur mental dans l'apparition des

crampes professionnelles, nous ne nous étonnerons pas de savoir que la

crampe des télégraphistes est une des plus fréquentes névroses d'occu-

pation après la crampe des écrivains.

Elle fut décrite pour la première fois par Onimus (193) en 1875, qui

rapporta l'observation suivante :

Observation XX (Onimus).

M. M ? 42 ans; entra au télégraphe en 1856 ; il travaillait tous les

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 213

jours au Morse ; sa transmission était irréprochable, lorsqu'en 1860 il

s'aperçut qu'il avait de la peine à faire la lettre S qui se compose de 3 points ;

même difficulté ensuite pour l'I (2 points), l'U (2 points, 1 trait) ; cette der-

nière lettre renversée (1 trait, 2 points) qui forme le D se faisait mieux,

mais cependant avec précipitation, et comme dans un mouvement d'élan.

Peu à peu les autres lettres subirent successivement le même sort. Il essaya

alors avec le pouce, et pendant deux ans ce mode de transmission lui réus-

sit très bien ; mais le pouce fut pris à sou tour, puis l'index et le médius ;

enlin la main tout entière devint inapte à ce genre de travail. Plus il s'opi-

niâtrait à vouloir continuer, plus les difficultés augmentaient. Lorsqu'il

voulait imposer le mouvement au manipulateur, il éprouvait comme une

sorte de vertige avec inquiétude ; la face se congestionnait ; il devenait

irascible. Tous ces symptômes disparaissaient par le repos ; néanmoins son

caractère était devenu très irritable, et les nuits étaient privées de sommeil.

De 1866 à 1868, le malade interrompit la manipulation, mais lorsqu'au bout

de ces deux années, il voulut reprendre le Morse, les mêmes accidents

réapparurent au bout de quelques semaines.

Les observations de crampe des télégraphistes se sont multipliées de-

puis Onimus ; hommes et femmes en sont égalements atteints. Le travail

cérébral intensif et le surmenage local que nécessite la manipulation

du télégraphe sont des facteurs suffisants à expliquer l'apparition de

cette névrose. A ce propos, Onimus citait déjà cette intéressante page de

Maxime du Camp ( Paris, sa vie et ses organes) que nous nous faisons

un plaisir de reproduire :

« La fatigue que cause le travail de manipulation est excessive. L'appa-

reil est desservi par deux agents : l'un reçoit ou expédie la dépêche, l'autre

la traduit si elle est arrivée par l'appareil Morse ; on la coupe, on la colle

sur une feuille de route, si elle est parvenue par l'appareil Hughes. Cela

n'a l'air de rien au premier abord ; être assis sur une chaise en présence

d'une machine intelligente qui paraît fonctionner d'elle-même, suivre du

regard les traits qu'elle dessine, dérouler lentement une feuille de papier :

c'est là tout le travail apparent ; mais, pour être bien fait, il nécessite une

rapidité de main, une lixité de regard, une tension d'esprit, et souvent

même un déploiement de force considérables. Tout l'être participe à la

fonction ; un instant d'inadvertance peut amener une erreur, il faut savoir

les éviter. Il n'y a pas une seconde de repos ; tous les nerfs sont tendus et

surexcités ; la diversité même des dépêches qui se succèdent sans relâche

amène une lassitude de plus : affaires de famille, tripotages de Bourse,

opérations commerciales, nouvelles politiques, lettres chilllées, langues an-

glaise, française, italienne, espagnole, hollandaise, allemande, arrivent

l'une après l'autre, comme les battements d'une pendule, régulièrement et

infatigablement dans l'espace du même quart d'heure. A cela il faut ajouter

le bruit ininterrompu des appareils, bruit nerveux, saccadé, presque aigre,

214 MACÉ DE LÉPINAY

tant il est sec, et qui, à force de se reproduire sans discontinuité, finit par

ébranler les natures les plus vigoureuses. Si jamais on arrive à écrire l'his-

toire des maladies spéciales à chaque corps de métier, je suis persuadé que

le télégraphe électrique fournira un contingent remarquable et tout à fait

particulier. »

D'une façon générale, on retrouve dans le « mal télégraphique »,

comme disent les employés, les troubles moteurs de la crampe des écri-

vains ; ce sont tantôt des contractions toniques ou cloniques, tantôt des

phénomènes parétiques, tantôt du tremblement. Quoi qu'il en soit, le

malade est dans l'impossibilité d'exécuter correctement la transmission

des mots; le levier devient un appareil difficile il manier, les combinai-

sons des divers signes entre eux deviennent défectueuses ; les contacts se

précipitent d'une façon désordonnée,ou sont établis trop longtemps; les

distances ne sont plus observées. Tous les troubles moteurs cessent lors-

que le sujet quilte l'appareil télégraphique, et ne se manifestent point

dans les actes de la vie courante.

Le système Hughes, également employé dans un grand nombre de

bureaux télégraphiques, produit moins facilement la crampe que l'appa-

reil Morse. Dans l'appareil Hughes en effet le levier, mobile, se déplace

devant un cadran immobile sur lequel sont tracées les lettres de l'alpha-

bet ; et la transmission consiste à mettre successivement ce levier en

contact avec la lettre que l'on veut écrire ; la main n'exécute donc point

pes alternatives d'extension et de flexion qu'elle doit effectuer dans l'ap-

pareil Morse, et chaque lettre ne nécessite qu'un mouvement de la main,

au lieu d'exiger une succession de lignes et de points. Le surmenage

local est donc moindre avec l'appareil Hughes qu'avec le système Morse,

aussi Onimus avait-il autrefois conseillé de remplacer le Morse par le

Hughes pour les employés affectés de crampe des télégraphistes. En réa-

lité, quel que soit le mode de transmission, le travail cérébral garde sa

même intensité avec les deux sortes d'appareils, elles télégraphistes qui

ne se servent que du Hughes peuvent, comme les employés au Morse, être

atteints de crampe professionnelle, quoiqu'avec moins de fréquence.

Cronhach (174) en a cité des exemples; Savill (198) a de son côté rap-

porté l'histoire d'une télégraphiste, âgée de 27 ans, qui, obligée de trans-

mettre jusqu'à 25 mots à la minute avec l'appareil Hughes, avait eu au

bout de peu de temps un spasme clonique du trapèze et du deltoïde,

se manifestant dès qu'elle étendait le bras pour loucher l'appareil ; cette

femme, névropathe avérée, eut plus tard une crampe des écrivains delà

main droite, puis de la main gauche.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 215

Crampe des pianistes.

Les pianistes de profession, les professeurs de piano, obligés de jouer

de leur instrument plusieurs heures par jour, sontplus souvent atteints

que les amateurs. Les pianos à touches dures prédisposeraient à la

crampe, d'après Zabludowski (257), en raison du plus grand effort né-

cessité par la production des notes. Cet auteur peuse que les traumatis-

mes répétés des doigts amènent une fatigue exagérée des muscles et des

articulations d'où névralgies d'abord, puis crampes. Le surmenage pro-

fessionnel agit sans aucun doute, mais dans cette forme comme dans les

autres névroses d'occupation, il faut pour produire les désordres mo-

teurs un terrain névropathique spécial.

L'impossibilité de jouer du piano est due la plupart du temps à une

impotence fonctionnelle passagère : les doigts deviennent raides, s'en-

gourdissent, separalysent, et le jeu doit être interrompu. Un seul doigt

peut être atteint ; plus souvent deux ou trois doigts subissent en même

temps l'inlilbition motrice ; la main droite est plus fréquemment atteinte

que la gauche, sans doute en raison delà plus grande vélocité qu'elle

doit déployer dans le jeu des morceaux ; cependant les deux mains peu-

vent être prises simultanément.

Quelquefois la névrose se caractérise par un spasme, qui comme la

paralysie peut affecter un ou plusieurs doigts. Reuter,cite un composi-

teur de 30 ans qui, depuis 10 ans, avait un spasme du médius droit

dès qu'il mettait la main sur le clavier. Savill (198) cite de même une

femme de 32 ans, professeur de piano, qui avait un spasme de l'index

et du médius gauches dès qu'elle voulait jouer.

Souvent aussi la dyskinésie se traduit par une névralgie de plus en

plus intense, partant des doigts, irradiant il l'épaule, et obligeant l'ar-

tiste à suspendre son jeu.

Il en était ainsi chez une jeune musicienne de 19 ans, observée par

Berger, qui, après quelques minutes de jeu, éprouvait une certaine dif-

ficulté à remuer le bras droit, puis ressentait une douleur de plus en

plus intense dans l'avant-bras, à tel point qu'elle devait quitter le piano.

Quelle que soit sa forme celle névrose, comme toutes ses congénères,

cesse dès que le malade interrompt son acte professionnel.

Le Dide Hanse a bien voulu nous communiquer une observation de

crampe des pianistes, à forme névralgique :

216 11f ACF DE LÉPINAY

Observation XXI.

Mlle du P..., âgée de 20 ans, a toujours été nerveuse et impressionnable ;

très intelligente, ayant travaillé beaucoup, elle s'était adonnée depuis quel-

ques années à l'étude du piano dont elle jouait plusieurs heures par jour. Au

bout de quelque temps elle ressentit dans le bras droit une douleur, irra-

diant jusqu'à l'épaule, qui se montrait quelques instants après la mise au

piano, et n'apparaissait pas en dehors de cet exercice. Les douleurs névral-

giques prirent bientôt une telle intensité que la malade dut renoncer momen-

tanément au jeu de son instrument favori. Une cure hydrominérale prati-

quée à Néris amena la sédation presque complète de ces douleurs.

Chez une autre malade du Dr de Ranse, la crampe des pianistes ac-

compagnait une crampe des écrivains de la main droite. Le malade cité

par Meige avait à la fois une crampe des pianistes, et une crampe des

écrivains droite et gauche. Une malade de Savill avait une crampe des

pianistes et une crampe des violonistes.

Crampe des violonistes.

,

Dans le jeu du violon, la main gauche remplit le rôle de beaucoup

le plus fatigant. Les 4 derniers doigts sont appelés à exécuter des mou-

vements très rapides dans une position forcée ; le petit doigt en particu-

lier (lié doigt pour les violonistes) doit s'étendre de façon exagérée, dans

les exercices notamment appelés les 1 Oes,

Il y a là un véritable surmenage local, exagéré encore, dit Zabluclowski

(257), par la musique de certains auteurs « véritables casse-cous, ana-

logues à des courses de chevaux hérissées d'obstacles, et faisant trébucher

beaucoup de joueurs de violon, tels : der Wanderer de Schubert arrangé

par Liszt, l'étude en ut majeur de ltuhinstein, etc. ».

La main gauche est en effet plus souvent atteinte que la droite. On

peut rencontrer soit la forme spastique, soit la forme douloureuse.

Berger cite par exemple un violoniste de 33 ans, neurasthénique, qui

avait une contraction des doigts de la main gauche dès qu'il voulait

jouer ; la crampe n'apparaissait pas en dehors de l'exercice. Oppenheim

a vu un artiste qui, dès qu'il se levait pour jouer du violon, avait dans

tout le bras gauche une douleur si vive qu'il devaitposerson instrument.

Zabludowski explique ces douleurs par les tiraillements incessants

imposés aux doigts pour jouer sur la première corde notamment, et par

la pression continue qu'imprime la corde sur la pulpe du doigt; aussi

propose-t-il dans ces cas de mettre un doigtier protecteur.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 217

La crampe des violonistes peut aussi atteindre le bras droit, soit

isolément, soit en même temps que la main gauche; mais alors c'est

une crampe tétanique d'une portion du deltoïde, provenant de la répé-

tition continue de coups d'archet « détachés », qui s'exécutent très ra-

pidement avec la partie supérieure de l'archet.

Tout à fait analogue, tant par son mécanisme que par ses manifesta-

tions, est la crampe des violoncellistes, dont Cassirer (32) a observé un

cas : il s'agissait d'un artiste qui, dès qu'il commençait à jouer, avait

des douleurs très vives dans les trois doigts médians de la main gauche,

douleurs qui cessaient quand l'artiste abandonnait son instrument.

La crampe des -flûtistes se manifeste soit par un spasme, soit par une

paralysie fonctionnelle d'un ou plusieurs doigts ; les deux mains prenant

une part également active dans le jeu de cet instrument, peuvent être

atteintes simultanément ou isolément. Un malade de Remak, âgé de

52 ans, et jouant de la flûte depuis l'âge de 30 ans, avait depuis quelque

temps une gène croissante dans les cinq doigts de la main gauche, dès

qu'il voulait jouer : le pouce notamment se contracturait sur le trou

correspondant, et ne pouvait plus se détacher de l'ouverture.

Crampes de la couture (Nhelcrampfe).

On peut réunir sous ce nom tous les spasmes fonctionnels qui sur-

viennent chez ceux qui manient l'aiguille : couturières, tailleurs, cor-

donniers, etc. La crampe siège surtout dans le pouce et l'index de la

main droite. Ainsi un cordonnier, cité par Berger, avait une crampe

tonique dans l'extenseur et l'abducteur du pouce dès qu'il cousait, et

surtout lorsqu'il piquait le cuir avec son alêne. Montesano a observé une

couturière qui, lorsqu'elle voulait coudre, avait une crampe dans les

pronateurs de la main, et lorsqu'elle voulait tricoter, dans les extenseurs

des doigts et les adducteurs du bras. Le spasme ne se manifestait pas en

dehors de ces deux actes.

La crampe peut également siéger dans les muscles du bras ou de l'é-

paule (deltoïde, trapèze, sous-scapulaire), surtout chez ceux qui doivent

couper des étoffes dures avec de gros ciseaux.

Duchenne cite une couturière qui avait dans ces circonstances une

rotation du bras en dedans par crampe du sous-scapulaire. Nous avons

déjà fait remarquer qu'il ne faut point confondre des cas de ce genre,

ne se manifestant qu'à l'occasion de l'acte professionnel, et cessant avec

lui, avec ce que l'on a appelé la paralysie des ciseaux ; cet instrument

appuyant constamment sur l'éminence thénar peut amener à la longue

218 MACÉ DE LÉPINAY

une atrophie des muscles, d'où paralysie flaccide, mais permanente, et

non plus élective. La paralysie des ciseaux rentre dans les paralysies

professionnelles, mals non dans les névroses coordinatrices d'occupa-

tion. '

- Crampe des photographes.

Elle a été décrite par Napias (191) en 1879. Il s'agissait d'un photo-

graphe qui émaillait ses épreuves photographiques : pour ce faire il les

appliquait sur une plaque de verre, puis avec le bord radial de l'index

de la main droite il lissait les épreuves pour obtenir une cohésion par-

faite avec la plaque, et pour chasser les bulles d'air qui pouvaient se

trouver interposées. Ce mouvement de l'index, très rapide, était répété

3 à 4 heures par jour. Le sujet avait vu se manifester au bout de quel-

que temps une crampe de l'index, se traduisant par des fourmillements,

puis par des douleurs aiguës avec impossibilité de fléchir le doigt. Le

désordre n'apparaissait que dans l'exercice de la profession.

Crampe des barbiers.

Décrite par Weiss (153), puis par Oppenheim sous le nom de Kei-

rospasmus, cette affection consiste en une crampe de la main et des mus-

cles des doigts chaque fois que le coiffeur prend son rasoir ou son fer à

friser ; Oppenheim en a rapporté deux cas.

Régis (Bulletin méd., 2 déc. 1908) a tout récemment observé un gar-

çon coiffeur atteint d'une névrose de ce genre ; il l'appelle le trac des

coiffeurs. Il s'agissait d'un homme de 30 ans, très impressionnable, qui,

il y a deux ans et demi, après avoir rasé toute la matinée, et très fati-

gué, éprouva dans la main droite un léger tremblement, perçu par un

client qui lui en fit la remarque. Il en éprouva une émotion très vive ;

à partir de ce moment, il eut une vive appréhension chaque fois qu'il

devait raser ce client ; il avait peur de trembler, el il tremblait ; bien-

tôt le tremblement se produisit également lorsqu'il lui fallait raser une

autre personne. Régis a vu trois autres coiffeurs atteints de la même

affection, dont deux frères qui se contagionnèrent l'un l'autre. Nous

même, à la Salpêtrière, avons observé un cas semblable.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 219

Crampe des forgerons.

Cette névrose se caractérise par une contracture des muscles du bras

et de l'épaule, avec parfois douleurs très vives, dès que l'ouvrier lève

son marteau, ou frappe. Duchenne a signalé pour la première fois cette

crampe (obs. CCIV) chez un ouvrier ferblantier qui, dès qu'il voulait

placer une plaque de métal, éprouvait dans le bras tenant le marteau

une contraction douloureuse du deltoïde et du biceps ; ce spasme fonc-

tionnel ne se manifestait qu'à l'occasion de ce travail. Romberg (118)

observa de même un cloutier chez lequel survenait une vive douleur

avec raideur de l'avant-bras chaque fois qu'il soulevait son marteau, et

seulement pendant cet acte musculaire. Le docteur de Ranse a bien

voulu nous faire part de l'observation suivante, où se manifestait une

crampe analogue :

Observation XXII

M. R..., maréchal- ferrant , remplissait depuis plusieurs années son mé-

tier, lorsque survint progressivement une gêne dans les mouvements du

bras et de l'épaule, qui ne se manifestait que pour les actes professionnels :

dès que le malade prenait le marteau et commençait à battre le fer, il res-

sentait une forte douleur dans les muscles de l'épaule et du bras droits, avec

sensation de fatigue extrême ; il lui fallait un vrai courage pour continuerson

travail, et encore devait-il fréquemment l'interrompre, tant la douleur de-

venait vive. Une cure hydrominérale à Néris améliora très rapidement son

état.

Nous devons signaler une fois de plus qu'on ne doit pas confondre

cette névrose exclusivement professionnelle avec ce que Franck Smith

(de Scheffield) (56) a appelé hémiplégie héphestique (de 'H<pcw1roç, Vul-

cain), ou paralysie des forgerons, paralysie survenant à la suite de l'exer-

cice de la profession, mais restant permanente, une fois établie, et ne

demeurant pas élective comme les dyskinésies professionnelles.

On peut rapprocher de la crampe des forgerons ce spasme fonctionnel

que Gilb. Ballet et Rose (166) ont observé chez un ciseleur, et qu'ils

décrivaient ainsi : le sujet tenait de la main gauche son ciseau, et de la

main droite son marteau ; chaque fois que la main droite devait s'éten-

dre pour frapper sur le ciseau, une douleur très vive envahissait le poi-

gnet droit ; l'annulaire elle médius se fléchissaient fortement sur le

manche du marteau, tandis que l'index, en s'étendant, s'en écartait ; ce

spasme n'apparaissait que pour les actes du métier.

220 MACÉ DE LÉPINAY

Crampe de la traite.

Décrite pour la première fois par Basedow (167), cette crampe s'ob-

serve chez les paysannes, parfois chez les garçons de ferme, qui ont de

nombreuses vaches à traire plusieurs fois par jour. Le malade ressent

assez souvent des fourmillements dans les doigts, surtout le pouce droit,

puis le spasme s'installe, empêchant de plier les doigts et de fermer la

main ; la crampe ne se manifeste d'ailleurs que lorsqu'il s'agit de traire

les animaux. Remak, Siépliiti out, nous l'avons déjà dit, observé dans

deux cas de la névrite sur le territoire du médian, et la crampe réflexe

semblait alors être provoquée par une irritation périphérique.

Crampe des cigarières.

Wilde (156) a le premier signalé cette crampe professionnelle; elle

consiste en contractures passagères des doigts chez les ouvrières des

tabacs qui sont chargées de la confection des cigarettes. Berger a ainsi

observé une ouvrière. qui depuis plusieurs années roulait, onze heures

par jour, des feuilles de tabac pour en faire des cigares : après quelques

années, celte femme éprouva de la raideur dans les doigts, puis de vives

douleurs lorsqu'elle se mettait au travail. Un ouvrier qui roulait des

cigarettes, observé par Goltman, avait une crampe du fléchisseur et de

l'abducteur du pouce dès qu'il commençait à travailler; et la contracture

était telle que la cigarette tombait à terre; le spasme cessait avec le

travail. Il importe de distinguer cette crampe professionnelle de la névrite

correspondante, avec atrophie de l'éminence thénar et des interosseux,

signalée par Côster (38).

Autres crampes professionnelles des membres supérieurs.

Toutes les professions qui imposent un surmenage musculaire local,

et demandent un effort intellectuel soutenu, peuvent occasionner une

névrose coordinatrice d'occupation correspondante. Nous nous contente-

rons d'en signaler un certain nombre parmi les professions manuelles :

c'est par exemple cet allumeur de réverbères, signalé par Remak (194)

qui devait chaque jour allumer et éteindre 70 lanternes ; à chaque fois

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 221 1

il devait élever sa perche ; au bout d'un certain temps, toutes les fois

qu'il voulait exécuter ce mouvement, il avait une brusque extension du

troisième et du quatrième doigts de la main droite, qui l'empêchait ainsi

de bien saisir son bâton.

Delthil (15) a observé un peintre de cadrans de montres, qui,sur-

mené par ce travail minutieux, avait une crampe de la main droite dès

qu'il prenait le pinceau. Stéphan (137) a constaté le même phénomène

chez un tailleur de diamants. Runge (123) a vu un garçon de restau-

rant qui, à force de porter des plateaux sur la main droite en extension

et supination, avait une crampe de cette main dès qu'il voulait porter

une assiette de cette manière. Un bijoutier, observé par Wilde (156),

avait une crampe de la main droite lorsqu'il voulait se mettre au tra-

vail.

Kodym (183) a vu un polisseur de lettres, qui uniquement pour

l'exercice de-sa profession, avait une crampe douloureuse des doigts.

Duchenne de Boulogne a rapporté l'histoire (obs. CCIII) de ce mi ?

lre d'armes dont l'humérus, du côté qui tenait l'épée, tournait en rola-

tion sur son axe en dedans, et dont l'avant-bras s'étendait vivement et

fortement sur le bras, sitôt qu'il se mettait en garde. On a décrit encore

la crampe professionnelle des mégissiers (llôffmayer) ; dss joueurs de

tennis (Cado) ; des bûcherons (Oppenheim). La dernière en date semble

être la crampe des automobilistes : le Dr Sicard nous a dit avoir oit-

servé en effet un chauffeur qui, depuis quelque temps, était pris, lors-

qu'il conduisait sa voiture, d'une crampe de la main gauche ; cette

crampe ne se manifestait que lorsque le malade tenait le volant, mais

elle était alors si intense que la main devenait tout à fait impuissante à

maintenir la direction. Il n'est pas douteux que, en raison de la tré-

pidation incessante que subissent les mains sur la roue directrice, des

efforts musculaires que doivent souvent accomplir les bras, et surtout

du surmenage cérébral qu'impose la conduite d'une automobile pendant t

des journées entières, la crampe des automobilistes ne devienne fré-

quente chez les chauffeurs de profession.

Crampes professionnelles des membres inférieurs.

Le type de ces dyskinésies est la crampe des danseuses, décrite pour

la première fois par Schultz (202), et ensuite par Kravssold (1184), Oni-

mus (193), Oppenheim (106). Ce sont surtout les premières danseuses,

les « étoiles Il, qui présentent cette affection. Pour exécuter des pointes,

XXII 15

222 MACÉ DE LÉPINAY

la danseuse porte tout le poids du corps sur le gros orteil, et les exten- :

seurs du pied et du gros orteil subissent une contraction exagérée; la

répétition incessante de cet exercice difficile et fatigant amène parfois des

douleurs débutant à la plante du pied, et gagnant le mollet et la cuisse.-

La névrose d'occupation des danseuses se caractérise par une crampe

tonique et extrêmement douloureuse des muscles des mollets; cette

crampe se. manifeste dès que le sujet veut exécuter son exercice, mais

n'apparaît point en dehors de la profession, pour la marche notamment.

Le docteur de Ranse a bien voulu nous communiquer l'observation

suivante, qui se rapporte à cette dyskinésie.

Observation XXIII

Mlle M..., danseuse à l'Opéra, devait faire chaque jour de longs exercices

pour se maintenir sur les pointes de ? pieds. Au bout de quelque temps de

ces essais fatigants, elle éprouva des douleurs dans le cou-de-pied de chaque

côté ; bientôt cette douleur augmenta d'intensité, remonta dans les jambes,

et se manifesta dès que l'artiste voulait reprendre son exercice ; la crampe

apparut dans les muscles des mollets ; elle était si intense que Mlle 1\1 ?

était obligée de s'arrêter ; enfin le spasme et les douleurs se montrèrent avec

tant de régularité à chaque nouvelle tentative d'exercices que la danseuse

dut interrompre son engagement.

Les ouvriers qui dans l'exercice de leur profession mettent constam-

ment une pédale en mouvement présentent assez souvent des dyskiné-

sies fonctionnelles des membres inférieurs. C'est ainsi que Duchenne a

vu un tourneur (obs. CCV) chez lequel les fléchisseurs du pied sur la

jambe se contracturaient dès qu'il l'appliquait sur la planche pour faire

mouvoir son tour ; cependant ce phénomène n'apparaissait pas dans les

mouvements de la marche ou dans les autres mouvements volontaires.

La même crampe a été observée chez des repasseurs de couteaux,

chez des ouvrières à la machine à coudre (Remak). Eulenburg (54) a

constaté une crampe du quadriceps de la cuisse chez un fabricant

d'argenterie qui mettait une pédale en mouvement.Stürtz (142) a vu une

contraction des muscles postérieurs de la cuisse chez un tanneur et un

perceur ; Edel (49) annoté la crampe des muscles antérieurs et posté-

rieurs de la cuisse chez un tisserand qui actionnait son métier avec le

pied.

On peut'rapprocher de ces différents cas la malade observée par Bon-

nus (171), harpiste, qui avait une crampe dans le triceps sural gauche.

Cette jeune fille employait la harpe chromatique qui n'a qu'une seule

pédale, actionnée par le pied gauche ; elle jouait de son instrument

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 223

plusieurs heures par jour. Le spasme disparut par le repos à la campa-

gne, mais se manifesta de nouveau quand la malade reprit sa profession.

Crampes professionnelles du cou, de la face, de la langue.

Andral a observé en 1855 a un malade dont la tête tournait à droite par

la contraction des muscles rotateurs, lorsqu'il lisait, jusqu'à ce qu'il

eût rejeté son livre. Ce monsieur était également atteint de la crampe

des écrivains. » Toutefois Andral ne dit pas si cette crampe de cou se

manifestait uniquement au moment de la lecture et non en dehors de cet

acte ; il est donc possible que ce cas soit un torticolis mental et ne ren-

tre pas dans les névroses coordinatrices d'occupation. De même en est-il

pour la crampe des liseurs, décrite par Naëcke (190), crampe de la

nuque observée par l'auteur sur lui-même, concurremment à une

crampe des écrivains : la tête se portait à gauche et en bas pendant la

lecture, mais de temps en temps pendant la marche ou la position de-

bout, la même inclinaison de la tète apparaissait involontairement.

Le cas suivant au contraire, rapporté par Duchenne (obs. CCIX), sem-

ble bien être une crampe exclusivement professionnelle : Il s'agissait

« d'un étudiant qui, pour préparer son baccalauréat, s'était livré à un

travail forcé et continu. Cette trop grande contention d'esprit et les

efforts qu'il faisait pour vaincre le sommeil provoquaient, disait-il, un

serrement douloureux dans les tempes, son front et ses yeux, ce qui

l'avait forcé de discontinuer ses études. Il ne pouvait se livrer à la

lecture sans en être empêché, bientôt après, par le retour de ces trou-

bles fonctionnels : les sourcils s'élevaient par la contracture de ses mus-

cles frontaux, et les paupières se fermaient par la contracture des orbi-

culaires, tandis que la face s'injectait et que les veines temporales se

gonflaient. Cet état dura plusieurs années, et n'était provoqué que par

la lecture. Ce jeune homme se tua de désespoir ».

A la face, on a également observé un certain nombre de crampes pro-

fessionnelles : telle la crampe de l'orbiculaire des paupières, observée

chez un horloger par Colin : le spasme apparaissait dès que l'ouvrier

voulait mettre à l'oeil droit la petite loupe employée constamment dans

ce métier. On a de même observé de véritables crampes optiques, par

spasme des accommodateurs chez ceux qui emploient constamment le

microscope, par exemple chez un employé aux abattoirs qui était chargé

d'examiner au microscope la viande de boucherie (Oppenheim). Le même

auteur a vu un cas de nystagmus passager chez un violoniste obligé à

224 MACÉ DE LÉPINAY

faire de violents efforts d'accommodation pour lire sa musique tiop éloi-

gnée de lui et mal éclairée. Tranjen a décrit la même affection chez des

habitants des montagnes (Nystagmus der Bergleute) continuellement obli-

gés de faire des efforts d'accommodation pourvoir de loin. Mais ces diffé-

rents auteurs ne spécifient pas si les spasmes n'apparaissaient qu'a

l'occasion de l'acte qui leur avait donné naissance ; il y a là une tendance

fâcheuse, que nous avons déjà signalée, à confondre un spasme provoqué

par la profession, mais définitif et banal, une fois établi, avec une

crampe ou spasme qui se manifeste uniquement à l'occasion de l'exer-

cice professionnel qui les a provoqués.

La crampe des musiciens à vent rentre au contraire tout à fait dans

notre sujet ; elle se manifeste par un spasme des muscles des lèvres ou

de la langue au moment où l'artiste veut se servir de son instrument t

alors que ces mêmes muscles fonctionnent parfaitement pour la masti-

cation, la parole, etc.

Tel, ce joueur de basson, observé par Stadler (136), qui avait une

crampe de la lèvre inférieure dès qu'il approchait de sa bouche le bec

de son instrument. Oppenheim cite un joueur de trompette qui, aus-

sitôt l'instrument posé aux lèvres, avait une crampe de l'orbiculaire des

lèvres, et se trouvait dans l'impossibilité de donner un son. Turner (cité

par Remak) a vu un joueur de cornet à piston, âgé de 29 ans, se ser-

vant de son instrument depuis l'âge de 10 ans, qui, lorsqu'il voulait

jouer en public, ne pouvait plus émettre une note, par impossibilité de

remuer la langue ; s'il jouait seul chez lui, le spasme n'apparaissait pas.

Frânkel (58) a décrit sous le nom de mogiphozzie des crampes de la

langue, soit spastiques, soit trémulentes, survenant chez des névropathes

au moment où ils veulent articuler distinctement. Zerner (162) a observé

un cas analogue chez un commissaire-priseur, obligé de parler toute la

- journée : depuis quelque temps, chaque fois que ce sujet devait crier

les chiffres à haute voix, il avait une contraction de l'orbiculaire des

lèvres qui l'empêchait d'ouvrir la bouche. Dans tous ces cas, comme

pour les autres névroses d'occupation, il faut avoir grand soin de distin-

guer ce qui est définitif et banal de ce qui est passager et électif, et de

ne pas prendre un tic ou un bégaiement pour une crampe profession-

nel le ; nous avons longuement insisté dans le chapitre précédent sur les

caractères différentiels de ces trois névroses.

Le pronostic de toute crampe professionnelle est, comme nous l'a-

vons déjà dit à propos de la crampe des écrivains, sérieux. Il dépend en

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 225

premier lieu de la cause qui lui a donné naissance : une crampe pro-

voquée par une lésion périphérique telle que lésion artérielle, névrite,,

myosite, si celle-ci est incurable, est de pronostic évidemment moins

favorable qu'une dyskinésie causée par un simple trouble physiologi-

que ou dynamique d'origine centrale. La concomitance,ou la succession

de plusieurs névroses d'occupation : crampe des pianistes et des écri-

vains par exemple, est en second lieu un élément de pronostic mauvais.

Il faut tenir compte en outre de l'état mental du sujet : si le malade

est un aboulique, un psychopathe avéré ; s'il se frappe outre mesure

de son affection qui devient ainsi obsédante ; s'il se persuade d'avance

qu'il ne guérira jamais, la disparition de la névrose devient effecti-

vement très problématique. Enfin un dernier élément de pronostic sera

l'ancienneté de la maladie : une névrose négligée ou mal soignée pen-

dant de longues années, ancrée pour ainsi dire dans l'esprit, guérira

difficilement. Au contraire une crampe sans lésion organique définie

prise à ses débuts, chez un sujet n'ayant point d'autre névrose, et con-

fiant en son médecin, guérira souvent; il faudra sans doute se méfier

toujours des fausses guérisons et redouter une récidive possible, mais le

pronostic dans ces conditions spéciales,el tout en restant réservé, ne doit

pas être si alarmant que l'ont dit nombre d'auteurs.

Le diagnostic d'une crampe professionnelle autre que la crampe des

écrivains sera en général facile. Il comportera tout d'abord une enquête

minutieuse sur le genre de travail du sujet, sur les troubles que le ma-

lade accuse, sur les circonstances dans lesquelles est née et apparaît

encore la crampe : il faudra autant que possible observer soi-même les

accidents, et bien examiner si, en dehors de l'acte professionnel, les

troubles n'apparaissent point. Il sera dès lors facile d'éliminer les né-

vralgies et paralysies d'occupation, les spasmes banaux, les tics, et

il plus forte raison les troubles moteurs des maladies organiques :

chorées, tabès, paralysie générale, maladie de Parkinson, qui s'accom-

pagneront toujours de quelques-uns des signes cardinaux correspondants.

Il faut toujours songer à Y hystérie, cette grande simulatrice, en par-

ticulier dans les cas où les troubles moteurs sont apparus à la suite d'un

traumatisme professionnel. Les récentes études de Brissaud sur les né-

vroses traumatiques ont bien montré que certains sujets pouvaient,

môme inconsciemment et sans vouloir frauder, avoir des troubles moteurs

de nature hystérique à la suite d'accidenls du travail. Il serait donc

possible qu'exceptionnellement l'hystérie revêtît la forme élective des

2 6 MACÉ DE LÉPINAY

crampes professionnelles; mais l'origine hystérique des troubles pour-

rait toujours se reconnaître, - en l'absence des stigmates dits hystéri-

ques à la suggestionnabilité spéciale du sujet,et à la disparition sou-

daine des accidents sous l'influence de la persuasion.

Nous avons signalé l'importance des intoxications, mal' de Bright,

empoisonnement chronique par le plomb, la morphine, etc., à l'origine

des crampes professionnelles. Il importera donc d'y penser, et d'en

rechercher les signes.

Le diagnostic se précisera ensuite par un examen somatique général,

et une étude attentive du membre atteint : on recherchera s'il n'exisle

point localement une altération musculaire, tendineuse, vasculaire ou

nerveuse qui puisse expliquer l'origine des troubles ; mais même si cette

cause périphérique existe, il ne faudra point négliger l'étude de la

mentalité du sujet qui seule peut expliquer la spécialisation de la

névrose. ,

Le diagnostic en effet, pour être complet, doit s'appuyer sur l'examen

psychologique du malade. Il importe de rechercher ses antécédents

névropathiques héréditaires et personnels, ses tares mentales, ses défi-

cits moraux ; il faut scruter sa volonté et peser sa force de caractère. Ce

n'est qu'armé de tous ces éléments de diagnostic que le médecin pourra

former un pronostic, et entreprendre avec quelque chance de succès un

traitement approprié.

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XXV

UN NAIN ACHONDROPLASIQUE

(Ettore Levi).

Fragment d'une fresque de BENOzzo GozzoLi.

Campo Santo de Pise.

- Masson et Cte, Editeurs

UN DOCUMENT MÉDICO-ARTISTIQUE

SUR L'ACHONDROPLASIE

PAR

ETTORE LEVI

Voici un document iconographique inédit et qui nous semble intéres-

sant, concernant l'achondroplasie (PI. XXV) :

Nous reproduisons ici la photographie d'un des merveilleux panneaux

peints vers z469 par Benozzo Gozzoli dans le Campo Santo de Pise.

Ce panneau mural représente la Tour de Babel. L'artiste y a reproduit

l'image de quelques contemporains célèbres, tels que Cosme de Médicis,

son fils Pierre, ses petits-fils, Laurent et Julien.

Au premier plan du panneau, à gauche, on voit l'image d'un nain

manifestement micromélique et macrocéphale, ayant des caractères virils

et ne montrant aucun stigmate cle myxaedéme. La micromélie est surtout

évidente aux extrémités inférieures.

Le mauvais état de conservation de ce panneau ne permet pas de relever

en détail la conformation des mains; la petitesse des pieds apparaît au

contraire évidente.

Le nain est revêtu d'un riche costume de chasseur (oiseleur), il tient

sur le poignet gauche un faucon ; un couteau et une sacoche pendent à sa

ceinture.

Le gérant : P. Boucher.

Imp. J. Thevenot. Saint-Dizier (Haute-Marne).

HOSPICE DE BIC £ TnE

(Service de M. le Professeur PIEIInu MARI).

LES ALTÉRATIONS OSSEUSES AU COURS DE LA

MYOPATHIE

PAR

PIERRE MERLE et RAULOT-LAPOINTE.

Les altérations osseuses ont été étudiées au cours de différentes maladies

nerveuses : certains auteurs ont constaté une fragilité particulière des os

chez leurs malades ; d'autres ont recherché des modifications de la struc-

ture du squelette par l'exploration roentgénienne : par exemple, dans des

cas de paralysie infantile (1) et de syringomyélie, chez les aliénés, les

paralytiques généraux (Régis-Campbell), et même dans un cas de maladie

de Basedow (Koeppen).

Nous n'avons trouvé en revanche dans la littérature que peu de rensei-

gnements sur l'état du squelette au cours de la myopathie. Il n'est cepen-

dant pas rare d'assister chez les myopathiques à des fractures après trau-

matismes légers qui font penser à une fragilité particulière des os. Cer-

tains cas en ont été publiés (2) ; nous en avons observé récemment un

exemple dans le service de notre maître, le professeur Pierre Marie ;

il s'agissait d'un myopathique de 20 ans qui tomba de son chariot, sur

le côté, sans violence particulière, et qui se fractura l'humérus à la jonc-

tion du tiers moyen et du tiers supérieur. Il est vraisemblable, malgré

la lourdeur avec laquelle tombent les myopathiques, qui perdent l'é-

quilibre, que la fracture doit être imputée à la fragilité spéciale de l'os.

Chez deux autres sujets, on constate une fracture de la rotule à la suite

d'une chute légère sur le genou.

Ces considérations nous ont engagé à rechercher l'état du tissu osseux

sur une série de myopathiques par l'exploration radiographique.

(1) ACIIAIIO et L. Lévi, Radiographie des os dans la paralysie infantile, Nouvelle

iconographie de la Salpêtrière, 1897.

(2) Pierre Marie et Crouzon, Fracture par atrophie de l'humérus chez un nty0-

palhique, Revue neurologique, 1903.

xxii 16

230 MERLE ET RAULOT

Schlippe (1) a publié un cas de myopathie avec examen du squelette

par les rayons X ; il a noté les faits suivants : Petitesse de la colonne

vertébrale et des côtes, raréfaction des fines travées de la zone spongieuse,

diminution d'épaisseur des diaphyses,sans troubles de l'accroissement en

longueur. Les épiphyses seraient d'un volume considérable, l'aspect des

arcs et des trabécules de soutien du tissu spongieux à leur niveau est

complètement effacé, remplacé par du tissu spongieux moins dense, à

larges mailles. Les articulations ne paraissent pas modifiées : « Il s'agit,

dit l'auteur, d'une raréfaction de la substance spongieuse de presque tout

le squelette avec diminution considérable d'épaisseur des os longs, sans

altération de leur croissance en longueur. Il faut en conclure que nous

avons ici affaire à un processus frappant le développement du tissu osseux

en tous ses points, bien différents de l'atrophie réflexe, trophoneurotique

des os (Ludeck, Kienbôck, Exner) ; dans ce cas, la raréfaction de la subs-

tance spongieuse apparaît par places ; la substance compacte est comme

fibrillaire. Les altérations particulières dans notre cas se réunissent au

contraire pour former un tableau d'ensemble s'écartant de toutes les ma-

ladies et atrophies osseuses typiques. »

Lothar Dreyer (2), dans deux cas observés aux rayons de Roentgen, et

comparés à des radiographies d'enfants de même âge, fournit comme fait

le plus frappant un amincissement très marqué des diaphyses qui res-

tent de longueur normale. Les épiphyses sont au moins correspondantes

à celles des sujets normaux de même âge, et par la façon dont elles sur-

montent les diaphyses, elles évoquent l'image d'haltères. La diminution

d'épaisseur correspond à une diminution 'de l'espace médullaire tandis

que la substance compacte n'a pas subi de modifications. Le dessin carac-

téristique des travées osseuses est altéré. Les nervures sont plus écartées

et plus minces, projetant une ombre plus indistincte qu'à l'ordinaire.

Noïca (3) conclut à l'absence de lésions osseuses après examen radio-

graphique de deux cas de myopathie.

MM. Landouzy et Lortat Jacob (4) ont trouvé de la raréfaction du tissu

compact, avec disparition des travées de soulèvement, donnant un as-

pect de dentelle.

Nous résumerons très brièvement l'état des différents malades sur les-

(1) Sciilipre, Deutsch. Zeitschr. f. Nervenketllk., B. XXX, p. 128

(2) LoTnwrs-Dn ? fin, Geb. Squcletten veründerungen (Inaugural dissertation, 1906,

Marburg).

(3) NoïcA, Deux frères atteints de myopathie, Nouvelle Iconographie, 1905.

(4) LAKDouxY et Lortat-Jacou, Histoire d'un 1/ ! ? Iopalhique, Presse médicale févr.

1909.

LES ALTÉRATIONS OSSEUSES AU COURS DE LA MYOPATHIE 231

quels ont porté nos examens, pour étudier ensuite successivement les

altérations qui nous ont paru notables, au niveau du genou, de l'épaule

et du coude (1).

1° Borg..., 34 ans, issu d'une famille dont plusieurs membres sont tubercu-

leux. L'affection débute à 4 ans par les membres inférieurs. Actuellement,

c'est un homme de petite taille. Il peut marcher assez facilement et s'occuper

à des travaux manuels. L'atrophie des muscles de la cuisse n'est pas extrême-

ment marquée, et l'on peut obtenir un léger réflexe rotulien. Mollet assez bien

conservé. Atteinte des muscles du thorax et de l'abdomen. C'est surtout pour

les muscles du bras et de l'épaule que l'atrophie est marquée. L'épaule est

assez bien fixée à la cage thoracique ; le malade présente en outre du ptosis

bilatéral, et de l'atrophie des muscles masticateurs et moteurs de la langue,

particularité pour laquelle il a été présenté à la Société de Neurologie, en mai

1901.

2° Meut... Arthur, 50 ans. Appartient à une famille de myopathiques

(2 frères .atteints). Début à l'âge de 9 ans, par la face. Cesse de travailler à

20 ans, et ne peut plus marcher depuis 6 ans ; il figure dans la séméiologie de

M. Dejerine comme exemple du type facio-scapulo-huméral, avec participation

des muscles de la main et des avant-bras. Il présente encore de la déformation

en taille de guêpe. L'atrophie est extrêmement marquée pour la cuisse.

Les réflexes rotuliens ne peuvent être obtenus.

La rotule gauche est luxée en dehors, et cette particularité résulte d'une

fracture de l'os que nous avons découverte par la radiographie, et que le ma-

lade ignorait. Il existe une tendance au pied-but varus équin, malgré la conser-

vation des masses musculaires des jambes. La main gauche est très atrophiée,

surtout l'éminence thénar ; le malade ne peut qu'ébaucher la llexion du poi-

gnet, ne peut fermer la main et faire le poing ; l'opposition du pouce est im-

possible. Quand on percute les os avec le marteau, le malade accuse une dou-

leur assez marquée, ce phénomène nous a frappé chez plusieurs de nos myopa-

thiques.

3° Meul... Léopold, 35 ans. Le frère du précédent. Début à l'âge de 16 ans,

Mais évolution plus rapide. Membres inférieurs pris d'abord, puis les bras, ne

peut plus marcher depuis 2 ans. L'état des membres supérieurs et des mains

lui permet encore de faire de petits travaux. Les cuisses, les quadriceps, sont

très atrophiés, le réflexe rotulien nul (légère douleur quand on percute le

genou). Les bras, les moignons de l'épaule tout très pris, et l'épaule est déta-

chée du thorax.Les mouvements d'extension et de flexion du tronc sont presque

impossibles. Il n'y a pas d'atrophie marquée pour les mains, et les avant-bras

sont assez bien conservés. Le facies est atteint, et caractéristique.

Notons encore la présence de masses musculaires en boules, au niveau du

bras, en arrière.

(1) Afin de pouvoir comparer entre eux les résultats, les radiographies ont été prati-

quées avec une distance constante de 30 centimètres, entre l'anticathode et la plaque.

232 MERLE ET RAULOT

4° Mah..., 45 ans. C'est un malade moins atteint que les précédents. Il peut

encore marcher et vaquer à des occupations assez actives. Son père mort

depuis quelques années était aussi myopathiques. Début ! 'age de 16 ans par

l'épaule et le bras droit. Puis, jambe gauche et les autres membres. Actuelle-

ment, il travaille toujours debout,étant donnée la difficulté qu'il a à s'asseoir et

à se relever. Les bras sont très atrophiés ; il ne peut les mettre sur sa tête.

Les mains présentent un certain degré d'atrophie pour l'éminence thénar. Les

avant-bras sont pris également, mais de façon moins marquée que les bras.

Les cuisses sont très atrophiées, surtout la gauche, dont le volume est nette-

ment moins considérable que la droite. Les réflexes ne sont pas perceptibles.

Le faciès est caractéristique. Ce malade s'est fracturé la rotule à la suite

d'une chute sur le genou.

5° Dav..., 50 ans. Pas d'autre myopathique dans sa famille. Débuta 19 anus,

par les membres inférieurs, avec des phénomènes douloureux, crampes dans

les mollets. Peut encore marcher, jusque vers de 40 ans. Actuellement,

il peut encore se mouvoir avec des béquilles. C'est un homme très grand,gros,

presque ohèoe,Cet embonpoint survenu depuis deux ans masque l'atrophie mus-

culaire. Les cuisses sont beaucoup plus atteintes que les bras ; le malade peut

encore mettre les mains sur la tête assez facilement. La flexion et l'extension

du tronc sur le bassin sont très compromis ; le malade peut même à peine se

tenir en équilibre dans la position assise : il tombe en avant ou en arrière. La

face paraît épargnée. Les réflexes ne peuvent être obtenus.

6° Dar..., 21 ans. Début précoce de l'affection. L'enfant marche tard, vers

6 ans seulement; jusque vers 9 ans, il marche assez bien, mais ne peut pas

courir. A partir de 9 ans, la faiblesse apparaît ; vers 14 ans, il ne peut plus

marcher et est hospitalisé. 1,'ankylose et les rétractions s'établissent ensuite

progressivement, relativement peu de temps après l'immobilisation (2 ou 3 ans).

L'atteinte des membres supérieurs a été à peu près parallèle. L'affaiblissement

apparaît vers 12 ans. A 15' ans, il ne pouvait plus mettre le bras sur la tête.

Actuellement, l'impotence des membres supérieurs est à peu près complète;

cependant le malade peut écrire encore un peu. Quand les muscles du bras se

contractent, on observe la formation de boules musculaires dans le triceps.

Les membres inférieurs sont ankylosés en flexion, la jambe formant avec la

cuisse un angle de 90°. L'atrophie est surtout marquée pour la cuisse et le

quadriceps. La face est prise, ainsi que les muscles du trouc et de l'abdomen,

le malade ne peut rester assis; c'est lui qui s'est fracturé l'humérus en tom-

bant de sa voiture.

70 pot ? 12 ans. Malade que nous avons pu examiner et radiographier

grâce à l'obligeance de M. le D Nageotte dans le service duquel il se trouve.

Commence à marcher vers 2 ans et demi, niais mal, dès le début ; depuis, les

troubles n'ont fait que s'accroître. C'est vers 9 ans et demi que les lésions du

côté du membre supérieur ont apparu. Actuellement, il s'agit d'un enfant peu

développé pour son âge. Il est dans l'impossibilité de marcher, et les membres

inférieurs sont le siège de rétractions avec ankylose du genou, et flexion de la

jambe sur la cuisse. Le faciès ne présente pas d'altérations. Les membres supé-

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PI. XXVI

ALTÉRATIONS OSSEUSES DANS LA MYOPATHIE

(Pierre Merle et Raulot - Gapointe) .

A. - Genou normal.

B. - Genou de myopathique

LES ALTÉRATIONS OSSEUSES AU COURS DE LA MYOPATHIE

233

rieurs sont atrophiés, surtout au voisinage de leurs racines scapulaires ; les

muscles les plus atteints sont le grand pectoral et le deltoïde. L'épaule cependant

n'est pas détachée du tronc ; l'avant-bras est mieux conservé, la main ne

présente qu'une légère atrophie de l'éminence thénar. Les mouvements sont

très limités ; le malade ne peut mettre la main sur la tète, ni fléchir l'avant-

bras sur le bras qu'en prenant de l'élan. Il fléchit et étend les doigts, mais ne

peut serrer qu'à peine. Les phénomènes sont un peu plus marqués à gauche.

Le membre inférieur présente surtout de l'atrophie du quadriceps et de la

racine du membre ; l'enfant ne peut étendre la jambe sur la cuisse et l'angle

formé par les deux segments de membre est au plus de 45°. La cuisse est

assez mobile sur le bassin, mais ne peut être étendue complètement. Les

muscles de la jambe sont mieux conservés, ou ne peut obtenir de réflexes.

Modifications osseuses.

Genou. C'est l'articulation qui nous a montré les altérations les

plus nettes, surtout si on compare les radiographies de myopathiques avec

celles obtenues chez un sujet sain adulte (PI. XXVI).

Chez Borg... (no 1) (1), l'aspect anormal des os est manifeste au premier

abord. On remarque leur extrême gracilité; le fémur est particulièrement

mince. De plus les os sont presque transparents, ce qui. indique la dimi-

nution de la densité des couches osseuses aussi bien du tissu compact que

du tissu spongieux.

Fémur, - Les rapports de volume entre la diaphyse et l'épiphyse sont

modifiés; la diaphyse est proportionnellement plus petite ; elle présente

de la diminution du cylindre de tissu compact périphérique. Mais c'est

surtout au niveau de l'épiphyse et de la zone d'union avec la diaphyse

que les modifications apparaissent le plus nettement. La forme de l'extré-

mité inférieure de l'os est arrondie, les contours amollis. Les condyles, en

particulier, n'ont pas le développement normal ; leur masse osseuse, qui

d'ordinaire fait une saillie marquée en arrière au point de figurer de profil

une sorte de crochet, ne se présente plus que comme un renflement pres-

que globuleux de l'extrémité inférieure de la diaphyse. L'angle formé par

le bord postérieur de la diaphyse et le bord supérieur du condyle, au lieu

de se rapprocher de l'angle droit comme on le voit d'habitude, est très

obtus, l'os adulte rappelant ainsi la forme de l'os infantile.

La limitation entre diaphyse et épiphyse est normalement marquée sur

la surface de l'os par une ligne courbe à concavité supérieure qui répond

à l'insertion de la capsule fibreuse de l'articulation et à une petite crête

(1) Les numéros sont ceux des observations.

234 MERLE ET RAULOT

de tissu compact ; cette crête n'est plus visible, les segments diaphysaires

et épiphysaires se fusionnent sans transition ; il en est de même pour la

crête qui correspond à la limite supérieure du cartilage d'encroûtement.

Dans l'épaisseur de l'os, on ne voit plus de travées ; le tissu est presque

homogène, d'une teinte grise uniforme, extrêmement transparent; la

couche compacte, d'une minceur extrême, est pour ainsi dire invisible sur

l'image, sauf au niveau des contours où par suite du changement d'orien-

tation des faces de l'os,'les rayons X ont abordé le tissu compact non plus

par la surface, mais par sa tranche.

De ces modifications de la consistance à la fois du tissu spongieux et du

tissu compact, résulte une apparence spéciale qui est intéressante, car

nous l'avons retrouvée dans toutes nos radiographies de myopathiques :

L'image est uniformément claire, entourée d'un étroit liseré foncé;

l'os perd tout relief, il est aplati, semblable à une coupe mince, à une

véritable tranche d'os.

Tibia. Les modifications de forme sont aussi des plus nettes ; au

lieu d'un plateau solide, à contours bien arrêtés et parfois anguleux

comme on en obtient avec un os normal, on a un renflement arrondi de

dessin très différent, à tel point que l'extrémité supérieure du tibia res-

semble à l'épiphyse inférieure du fémur et que sans la présence du péroné,

on pourrait confondre les deux os et hésiter dans l'orientation de l'image.

Péroné. Il présente un aspect à peu près normal.

Rotule. De tous les os examinés, la rotule est certainement celui

dont les altérations sont les plus nettes.

Elle n'a pour ainsi dire pas arrêté les rayons ; elle apparaît presque

transparente, sans aucun relief, et la raréfaction du tissu osseux est ici

remarquable. Le véritable bouclier du tissu compact qui protège la face

antérieure, si visible à l'ordinaire, a ici complètement disparu.

Chez les autres malades, on retrouve sensiblement les mêmes modifica-

tions, quoique un peu moins accentuées. La rotule, en particulier, est

toujours extrêmement transparente et montre la même raréfaction du tissu

osseux.

Chez Mes ! ... Léopold (no 3),et Meus... Arthur (no 4), nous avons noté un

caractère assez particulier en ce qui concerne le plateau tibial. Il fait en

arrière une saillie plus considérable que pour l'os normal; il semble

s'être laissé infléchir en arrière et en bas sous le poids du corps, de façon

à constituer une sorte de console; il est probable qu'il y a dans cette

déformation en crosse une conséquence de la diminution de la résistance

des os.

Chez Dar... (n°6), le sujet de 21 ans, avec rétractions et ankyloses,plu-

sieurs particularités sont à noter : d'abord la minceur de la diaphyse fé-

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PL XXVII

ALTÉRATIONS OSSEUSES DANS LA MYOPATHIE

(Pierre Merle et Raulot-Lapointe).

A. - Bras d'un sujet normal (12 ans).

B. - Bras d'un myopathique de même âge.

LES ALTÉRATIONS OSSEUSES AU COURS DE LA MYOPATHIE 235

morale, ensuite les altérations de l'extrémité inférieure du fémur qui est

extrêmement arrondie, comme émoussée.

Dans cette épiphyse, le tissu compact paraît énormément diminué, et

remplacé par du tissu spongieux d'aspect grisâtre et uniforme. La rotule

n'est pas isolable et forme avec le reste de l'os une masse compacte dans

laquelle il n'est plus possible de la distinguer. Pour le tibia, il faut noter

une raréfaction considérable de la tubérosité antérieure, presque transpa-

rente, alors que c'est un des points les plus opaques sur une radiographie

normale.

ChezMeul...Arlh.(n°2) (genou gauche),nous avons trouvé sur la radio-

graphie une fracture de la rotule que le malade ignorait complètement. Il

s'est détaché de la partie inférieure un fragment à peu près égal au tiers

de l'os, qui s'est assez profondément engagé dans l'angle fémoro-tibial et

est séparé du reste de la rotule par une zone transparente. Ce fait indique

assez nettement la fragilité de cet os chez nos myopathiques, puisque la

fracture a été provoquée par un traumatisme tellement léger, que le ma-

lade en a perdu le souvenir.

Chez Pog... (n° 7), enfant de 12 ans, il faut surtout noter la gracilité

extrême des os portant sur les diaphyses, et l'aspect du tube osseux dû à

l'atrophie du tissu spongieux.

Humérus. L'étude de l'humérus nousa donné moins de renseignements

que celle du genou. Les reliefs osseux sont moins accentués à ce niveau,

il est plus difficile de se rendre compte des altérations, quoique le même

genre de troubles puissent être relevés (PI. XXVI).

Chez Borg... (n° 1), la gracilité de la diaphyse est considérable par rap-

port au volume des épiphyses (os en haltères de Lothar Dreyer). De plus,

l'os apparait formé d'une bande médiane claire et de deux bandes latérales

sombres très étroites qui lui donnent l'aspect de tube évidé, beaucoup plus

que celui d'un cylindre plein et en relief. Nous avons déjà noté plusieurs

fois ce caractère, surtout en examinant les épiphyses fémoro-tibiales (os en

tranches).

. Chez Dar... (n° 6),un autre point important noter est un épaississement

fusiforme de la diaphyse humérale, situé un peu au-dessus de la partie

moyenne, et qui est très marqué. Remarquons que ce malade présentait

dans le milieu de la masse du triceps des épaississements musculaires en

forme de boules de la grosseur d'une petite mandarine particulière appré-

ciables lors de la contraction du muscle, et tels d'ailleurs qu'on les a assez

fréquemment signalés chez les myopathique. Sans vouloir rapprocher

d'une façon précise ces deux faits, il est cependant intéressant d'en noter

la coïcidence.

Quant à l'épiphyse humérale, on note chez elle des modifications ana-

236 MEULE ET RAULOT

logues à celles de l'extrémité inférieure du fémur déjà décrites : contours

arrondis et comme émoussés, disparition de l'aspect modelé, image apla-

tie, homogène de nuance ; absence complète des saillies osseuses d'inser-

tion musculaire. Le même genre de modifications se rencontre chez les

autres malades.

Coude. Dans une radiographie de coude normal, on reconnaît facile-

ment le relief assez compliqué des diverses épiphyses ainsi que des ogives

trabéculaires disposées autour de la cavité olécranienne. Chez la plupart

de nos malades, les trabécules osseuses ontpresque disparu. L'opacité des

parties compactes de l'épitrochlée, de l'épicondyle, des gouttières delà

trochlée est remplacée par un tissu grisâtre et homogène qui tend à occuper

toute l'extrémité inférieure de l'os; de plus, la modification de forme est

nettement caractérisée par la diminution des diaphyses par rapport aux

épiphyses, de la même façon que pour les os du membre inférieur. L'épi-

physe du radius est très homogène, très transparente, particulièrement

chez Borg... (n° l)et Dar... (n° 6). Il en est de même pour l'apophyse olé-

cranienne dans la plupart des cas. ,

Chez Dar... (n° 6), il n'est plus possible de reconnaître les limites res-

pectives des os ; ils sont réunis en une masse compacte par des formations

fibreuses presque aussi opaques que les os eux-mêmes.

Chez Pog...(n°7) (12 ans),la radiographie du coude et de l'humérus est

des plus intéressantes. Il existe un amincissement extraordinaire des dia-

physes. La diaphyse humérale est d'une petitesse telle qu'elle est à peu près

moitié moins grosse que la diaphyse d'un enfant normal de huit ans radio-

graphié dans les mêmes conditions. La direction de l'os n'est pas ce qu'elle

devrait être normalement : il existe une légère coudure formant un angle

ouvert en arrière, très obtus, un peu au-dessus de la partie moyenne ; ce

point correspondant à l'insertion des dernières fibres du deltoïde; c'est

aussi la région où l'épaisseur de la couche musculaire autour de l'os est

le plus faible. Cette diaphyse, malgré sa gracilité, possède une couche de

tissu compact assez épaisse et n'a pas l'aspect de tube creux.

Dans toutes nos radiographies, la diminution du volume de l'humérus

est plus considérable que celle du radius et du cubitus, comme d'ailleurs

l'atrophie musculaire est plus marquée pour le bras que pour l'avant-bras.

Squelette des mains. - Chez 1\leul...Artlur, qui présente de l'atrophie

des éminences thénar et hypothénar, les altérations osseuses ne sont pas

extrêmement marquées. Il existe cependant des modifications appréciables

par comparaison avec une main normale : amincissement des os, surtout

marqué pour les métacarpiens qui présentent à leur partie moyenne l'as-

pect de tubes creux. Les épiphyses ne semblent pas beaucoup modifiées ;

- pour les phalanges, il y a un certain état de raréfaction du tissu dont on

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière T. XXII. Pl. XXVIII

ALTÉRATIONS OSSEUSES DANS LA MYOPATHIE

(Pierre Merle et Raulot - Lapoillte) ,

A. Myopathie sans atrophie des masticateurs.

B. - Myopathie avec atrophie des masticateurs.

LES ALTÉRATIONS OSSEUSES AU COURS DE LA MYOPATHIE 237

distingue cependant bien les trabécules osseuses ; la diminution de tissu

compact sur les côtés et aux extrémités est très sensible.

Enfin, la radiographie a montré chez Borg...(n° 1), qui présente de l'a-

trophie des muscles masticateurs, des maxillaires très transparents, par-

ticulièrement au niveau de l'angle du maxillaire inférieur, point d'insertion

du masséter, si nettement opaque sur les os normaux.

La radiographie a été faite comparativement chez un sujet myopathique

sans altération des masticateurs (Bel... 30 ans). Les résultats ont' été plus

nets. La double épaisseur des branches montantes superposées, chez Borg ?

est plus transparente qu'une seule branche du maxillaire de Be ! ... D'autre

part, chez Bel..., myopathique sans altérations des masticateurs, on cons-

tate que l'ombre des dents et des branches du maxillaire donne une teinte

analogue (PI. XXVIII).

Sur Borg..., au contraire, il existe un contraste frappant entre ces

deux ombres : l'ombre du maxillaire est beaucoup plus claire que celle

des dents : cela est d'autant plus remarquable que l'ombre du maxillaire z

est donnée chez ce sujet, radiographié de profil, par la superposition des

deux os, droit et gauche, alors que sur le précédent il n'y a qu'une bran-

che interposée (obliquité des rayons).

, Cette constatation nous permet donc de préciser d'une façon tout à fait

nette la superposition des altérations osseuses et musculaires.

De plus chez notre myopathique dont les masticateurs sont atteints, il

n'y a pas d'inaction des mâchoires : grâce à ses mains il les fait mouvoir

et peut ainsi se servir de sa denture, du reste, parfaitement bien conser-

vée. Il mange du pain, de la viande, exactement comme ses voisins de

salle dont il partage l'ordinaire.

Nous voyons qu'il s'agit bien d'une altération osseuse parallèle l'atro-

phie musculaire et non pas d'une modification due à l'inaction. C'est bien

plutôt Bel... qui devrait présenter des altérations osseuses, si l'on admet-

tait cette pathogénie : il ne possède plus que deux dents et ne s'alimente

qu'avec du lait et des purées : et cependant il n'en est rien, grâce il la

conservation de ses masticateurs. 1

En résumé, 'les altérations que nous avons notées prédominent dans les

segments où domine l'atrophie musculaire et peuvent se préciser de la

manière suivante :

1° Le tissu osseux subit des modifications de quantité (amincissement,

petitesse) et de qualité (densité plus faible, transparence plus grande) ;

2° Les os subissent des modifications de forme.

238 MERLE ET RAULOT

Les modifications du premier genre portent sur le tissu osseux dans

son ensemble : les altérations du tissu compact, contrairement à l'opinion

de Lothar-Dreyer, existent, et si elles sont moins manifestes que celles

du tissu spongieux dans les diaphyses, du moins, dans les épiphyses, au

niveau des insertions musculaires, et surtout dans la rotule, elles sont

constantes et contribuent à donner à l'os du myopathique un aspect carac-

téristique sur une radiographie.

Les diaphyses sont amincies, extrêmement transparentes au niveau de

la partie axiale de l'os, leur image ressemble à celle d'un tube transparent

de verre mince.

Les épiphyses encore plus claires semblent formées d'un tissu homo-

gène ou clairsemé, où ne sont plus visibles les trabécules et les voûtes de

renforcement qui existent chez les sujets sains; le tissu compact, seule-

ment visible au contour de l'os et réduit parfois à une mince pellicule,

supprime à l'image tout relief et lui donne cet aspect aplati que nous

avons retrouvé d'une manière constante dans nos examens.

Enfin, le tissu compact peut disparaître tout à fait dans la rotule (rotule

de verre), en rapport direct avec le quadriceps fémoral toujours très

atrophié. .

La fragilité toute particulière de l'os cause des fractures fréquentes,,

qui peuvent passer inaperçues du malade.

Les altérations de forme consistent dans :

L'amincissement des diaphyses par rapport aux épiphyses (os en haltè-

res), amincissement souvent plus marqué au niveau des segments juxta-

épiphysaires, d'où l'aspect fuselé de l'os.

Les courbures anormales fréquentes dans l'humérus.

La disparition ou l'atténuation de tous les reliefs osseux et apophyses

d'inserlions musculaires.

Les contours des épiphyses sont arrondis, émoussés. comme si l'os avait

été poli au papier de verre, ou plongé dans un liquide corrosif.

Enfin notons la déformation particulière du plateau tibial, affaissé, in-

fléchi en arrière, formant console,ceci dû probablement à la diminution

de résistance de l'os.

Les altérations sont d'autant plus considérables que la maladie a débuté

chez des sujets plus jeunes ; ainsi il semble qu'il y ait non seulement myo-

pathie ; mais aussi ostéopathie progressive, et que les deux éléments de

l'appareil moteur sont touchés, pour les mêmes segments, d'une manière

parallèle.

Sans doute, les os peuvent être altérés secondairement à l'atrophie mus-

culaire, et l'on conçoit que les reliefs osseux puissent s'émousser quand

les muscles n'agissent plus sur leurs insertions. Mais l'examen des radio-

LES ALTÉRATIONS OSSEUSES AU COURS DE LA MYOPATHIE 239

graphies qui concernent les sujets jeunes donne bien l'impression que

les lésions osseuses observées constamment se développent parallèlement

à celles des muscles sous l'action d'une cause commune.

Il convient à ce sujet de rappeler l'origine mésodermique commune des

deux tissus, ainsi que l'opinion de plusieurs auteurs (Legendre, Fried-

reich, Eulenburg, Schulze), qui attribuent aux os et aux muscles une

disposition analogue aux altérations trophiques. «Les altérations des os ne

doivent en aucune façon être considérées comme secondaires ; dans cer-

tains cas, il y a peut-être coïncidence, dans d'autres, elles tirent leur

origine, comme la dystrophie musculaire, de troubles trophiques. »

L'examen du maxillaire de Borg..., atteint d'atrophie des muscles

masticateurs (phénomène très rare, chez les myopathiques), nous a per-

mis de localiser d'une façon précise et indiscutable la superposition des

altérations, et d'éliminer l'inaction, comme cause possible d'altération

osseuse, puisque ce malade se sert journellement de ses mâchoires qu'il

mobilise avec ses mains. Nous ne parlons pas, bien entendu, des anky-

loses articulaires.

Que ces phénomènes soient dus à un trouble trophique atteignant les

deux systèmes, ou à une lésion d'involution osseuse parallèle à l'involu-

tion musculaire, c'est une question que nos recherches ne peuvent résou-

dre. Elles montrent seulement la coexistence des deux altérations :

osseuse et musculaire au cours de la myopathie, ou, pour parler plus

exactement, de « l'ostéo-myopatlaie » progressive.

UNIVERSITE DE MONTPELLIER

MYOPATHIE GÉNÉRALISÉE

AVEC PSEUDO-HYPERTROPHIE ET ATROPHIE

HYPERTROPHIE DU COEUR

OBSERVÉE A DIX ANS D'INTERVALLE

PAR

VIRES et ANGLADA

Agrégé, Médecin de l'Hôpital Général Interne des Hôpitaux

de la Faculté de Montpellier.

Observation (PI. XXIX et XXX).

H. Dominique, figé de 16 ans et demi, est depuis cinq ans à l'Hôpital général

(service de M. le Professeur agrégé Vires).

Antécédents héréditaires. Le père du malade a joui d'une bonne santé

jusqu'à l'âge de trente-cinq ans. On ne relève dans ses antécédents qu'une va-

riole légère à 25 ans. A trente-cinq ans, une année juste avant la naissance de

H., il fut pendant trois mois atteint d'une grippe à prédominance nerveuse qui

aurait été assez grave. Trois ans plus tard il eut une sciatique rebelle qui per-

sista pendant 18 mois. Puis en 1901 il fut pris d'une bronchite aiguë qui passa

à l'état chrpnique. Des manifestations tuberculeuses pulmonaires se déclarè-

rent alors, et il est mort de tuberculose pulmonaire chronique en 1905.

Il n'y avait dans ses antécédents, ni alcoolisme, ni nicotinisme, ni syphilis.

Pas trace non plus d'intoxications professionnelles. Caractère violent, mais

pas de stigmates nerveux.

La mère est une femme robuste ; elle aurait eu unevariole à 3 ans,une fièvre

typhoïde à 31 ans. Bien réglée elle a eu neuf enfants qui sont venus à terme

et déclare n'avoir jamais eu de fausses couches. '

Le premier enfant serait mort 15 jours après la naissance, d'athrepsie ; le se-

cond, à un mois, de convulsions ; le troisième, à 17 mois, de méningite tuber-

culeuse. Le quatrième a toujours joui d'une bonne santé, n'a jamais présenté

de troubles ni de manifestations nerveuses. Il est actuellement garçon d'hô-

tel. Le cinquième est notre malade.

Le sixième et le septième sont mort jeunes, l'un de méningite, l'autre de

gastro-entérite.

Les deux derniers vivent et se portent bien. Ils sont vigoureux, nous les

avons soigneusement examinés ; ils se présentent aucune tare pathologique.

Du côté paternel, on ne relève pas d'hérédité nerveuse. Le grand-père et

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XXIX

MYOPATHIE PRIMITIVE

(Vires et AnJlada).

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PL XXX

MYOPATHIE PRIMITIVE

(Vires et Allg1ada),

Masson & Cie, Editeurs.

VIRES ET ANGLADA. MYOPATHIE GÉNÉRALISÉE 241

la grand-mère sont morts à un âge avancé. Il y a eu dans la famille 14 frères

ou soeurs; sept d'entre eux sont morts d'affections aigués ou d'accidents, les

six autres ont eu de nombreux enfants qui vivent et sont dans un état de santé

satisfaisant.

Du celé maternel, cinq frères ou soeurs, mariés. Leur descendance ne pré-

sente rien d'important au point de vue pathologique.

Les arrière-parents sont morts âgés, il y a simplement à relever ce fait

qu'entre le mari et la femme il y avait 42 ans de différence. On ne trouve

dont point dans l'hérédité de notre malade de trace d'hérédité nerveuse ; sim-

plement un père mort de baccillose bien après la naissance de H..., et cinq

frères ou soeurs décédés en bas-âge.

Antécédents personnels. - IL est né à terme, sa mère ne se rappelle pas à

quel âge il a marché, c'était un bel enfant. Jusqu'à 7 ans.1/2 il jouit d'une

bonne santé, chez lui pas de traces de manifestations nerveuses, de convul-

sions ni d'émotivité spéciale ; pas d'infections, même de celles qui sont com-

munes à la plupart des enfants, comme la rougeole par exemple.

En août 1899 il tomba dans un fossé plein d'eau, resta mouillé pendant quel-

ques heures, l'accident n'eut aucune suite. Pourtant peu de temps après on

s'aperçut qu'il devenait maladroit, courait difficilement et se laissait tomber

fréquemment. L'attention de sa famille fut attirée par ce fait qu'il ne montait

plus qu'avec peine les escaliers, était obligé de s'accrocher à la rampe ; la fai-

blesse prit rapidement de l'extension. Pendant trois ans il ne reçut aucun trai-

tement spécial ; cependant comme ses mollets grossissaient eu même temps

que sa vigueur diminuait, les parents effrayés le firent voir à un médecin.

Celui-ci prescrivit une saison à Balaruc qui n'amena aucun changement ; il le

fit alors entrer au serviee de M. le Par Baumel de la clinique des maladies des

enfants, le 11 février 1902. A cette époque l'observation complète fut prise

par M. le Dr Orsaut, interne des hôpitaux de Montpellier. Nous en emprun-

tons les traits les plus saillants à sa thèse de doctorat sur les myopathies.

Aspect extérieur. - Tête : Crâne fortement brachycéphale, aplati en ar-

rière ; front fuyant, menton en galoche, indice céphalique élevé 99,9 ; 52 cen-

timètres de tour de tête, diamètre mento-maximum de 22 1/2.

Face indemne, tous les mouvements de la mimique, de l'articulation des

mots sont conservés, pas d'asymétrie, on relève seulement un peu d'atrophie

des orbiculaires ; du prognathisme alvéolo-dentaire,une voûte palatine ogivale.

Le cou est amaigri, il a 26 centimètres de tour.

Thorax amaigri, sa forme générale est en barillet. Au niveau des aisselles il

a 59 centimètres de circonférence ; 64 au niveau des mamelons ; cinq centi-

mètres au-dessous, 63. ; au niveau des fausses côtes et au niveau de l'ombilic

même circonférence de 60 centimètres. Pas de taille de guêpe. Le sternum est

vertical, déprimé à son extrémité inférieure par un retrait en arrière de l'ap-

pendice xiphoïde.

Dans le dos pas de saillie des omoplates qui présentent une obliquité en bas

et en dehors de leur bord interne.

Légère scoliose de la colonne vertébrale. La convexité est droite. Convexité

242

VIRES ET ANGLADA

gauche compensatrice au niveau des deux dernières lombaires. La courbure

normale est exagérée et empiète sur les premières lombaires. Comme la cour-

bure lombo-sacrée est normale, il en résulte une ensellure considérable.

Atrophie des masses lombaires ; le matelas des muscles fessiers ne présente

pas d'atrophie manifeste.

L'abdomen et les organes génitaux externes sont normaux, on peut consta-

ter simplement'de la saillie des grands droits.

Les membres supérieurs sont graciles, de diamètre à peu près uniforme ;

simplement une saillie légère indique la présence du biceps et du deltoïde.

L'avant-bras est amaigri ; les éminences thénar et hypothénar sont aplaties.

Les espaces interosseux sont normaux.

Les membres inférieurs présentent un contraste frappant entre les cuisses

amaigries et les mollets hypertrophiés et saillants. Les jumeaux très dévelop-

pés donnent au toucher la sensation de noyaux irréguliers, les uns très durs,

les autres ramollis. Les pieds sont nettement tombants.

Mensuration

Membres supérieurs.

MYOPATHIE GÉNÉRALISÉE 243

que par son extrémité antérieure. Pour se tenir en équilibre le malade cambre

la taille et rejette en arrière sa tête et ses épaules. ,

Marche. - Se fait par le soulèvement successif des membres inférieurs, le

malade balance latéralement les hanches et le tronc en rejetant les bras en

arrière d'un air prétentieux.

Station assise. Pour s'asseoir, il se fléchit à angle droit sur ses cuisses et

ses jambes où ses mains prennent point d'appui pour limiter l'action du poids

du corps ; il se rejette alors en arrière tout d'une masse pour tomber brusque-

ment sur le siège.

Veut-il se relever, nouvelle flexion à angle droit jusqu'à ce qu'il abandonne

tout contact avec le siège, puis il relève le tronc en grimpant de ses mains le

long des jambes.

Enfin s'il est couché il se place sur le ventre, écarte les pieds en arrière,

rejette le bassin en arrière en appuyant ses mains sur le sol. Il se rapproche

ainsi de ses pieds. Lorsqu'il les a atteints il grimpe pareillement le long de ses

jambes.

L'examen électrique qui fut fait l'époque par MM. Imbert et Bertin Sans

donnait comme résultat « un peu de lenteur dans les secousses pour les mus-

cles jumeaux à droite et à gauche ; une égalité des secousses par l'anode et la

cathode pour tous les muscles examinés (jumeaux interne, externe droit, gau-

che ; orbiculaire des paupières, des lèvres) sauf pour le jumeau interne droit

qui présente nettement une inversion dans la loi des secousses ».

Pas de troubles de la trophicité et de la sensibilité, sauf l'apparition à la

partie moyenne du bord interne du pied gauche d'une phlyctène de la grosseur

d'une noix, apparue spontanément,et de durée très brève ; et quelques troubles

douloureux au niveau des sommets.

Induration suspecte au sommet droit. La taille est de 1 m. 28, le poids de

21 kil. 900. Au dynamomètre il développe une force de 9 kil. pour la main

droite, de 7 kil. pour la main gauche.

L'enfant resta quelque temps dans le service de M. le Il Baumel, puis il fut

envoyé à l'hôpital général (service du prof. agrégé Vires). Jusqu'il y a trois ans

il marchait encore, mais avec une difficulté telle qu'il a dû finalement aban-

donner toute tentative de marche. Il garde le fit, ou reste assis sur une chaise

où on est forcé de le faire asseoir, ses jambes se refusant à porter le corps qui

se dérobe sur elles.

Nous l'examinons 9 années et demie après le début de l'affection.

Aspect général du malade au repos. Le malade, assis sur son lit, offre

l'aspect suivant : la tête est aplatie d'avant en arrière, élargie transversalement.

Le regard est intelligent mais triste et interrogateur. Une saillie prononcée

du mentou. -

La tête a une tendance très nette à se renverser en arrière, le cou est habi-

tuellement implanté dans les épaules qui se relèvent, sont maigres et saillan-

tes. Cet affaissement disparaît du reste lorsque le malade le désire. La ceinture

scapulaire et les bras sont atrophiés dans leur ensemble, la tête humérale fait

241 ip VIllES ET ANGLADA

saillie sous la peau. Les avant-bras sont au contraire bien développés, les mains

sont larges et aplaties. ,

Le relief claviculaire est net, les pectoraux assez bien dessinés. L'ensemble

du tronc et du thorax est déformé de haut en bas, d'avant en arrière, latérale-

ment.

De haut en bas et en avant le tronc semble plonger en forme de cône vers

le ventre qu'il refoule et qui se sillonne de nombreux plis ; d'avant en arrière

c'est un aplàtissement asymétrique des côtes ; l'ensemble de la cage thoracique

est déformé par la présence d'une scoliose dorso-lombaire à convexité gauche

qui projette les côtes en arrière et à gauche sous la formé d'une gibbosité costo-

vertébrale postéro-latérale de dimensions étendues mais arrondie tandis qu'en

avant et à droite il y a exagération de la convexité naturelle des côtes. Le

thorax est dans son ensemble oblique ovalaire.

L'allure générale de la statique du corps est formée par la rencontre de

lignes obliques au niveau de la onzième dorsale, les deux lignes lombaires et

thoracique se rencontrent en un angle presque droit en arrière, angle dont le

centre siège dans la gibbosité. Toute une partie du tronc dépasse la limite pos-

térieure des hanches qui en avant sont évasées comme pour recevoir le cône

thoraco-abdominal.

Les organes génitaux externes sont conformés normalement.

Les cuisses sont hypertrophiées à leur partie antérieure et postérieure ; dans

le lit elles sont en flexion et abduction totale ; les jambes caractéristiques par

le volume des mollets sont en demi-flexion, les pieds en équinisme compliqué

d'un certain degré de varus.

Le système nerveux sera étudié en détail avec chaque partie du corps.

Rien d'anormal à signaler du côté de l'appareil digestif.

Les poumons sont d'un examen assez difficile à cause des déformations con-

sidérables de la cage thoracique. Les sommets sont nettement tuberculeux :

induration à gauche, ramollissement à droite ; un peu de congestion aux deux

bases.

Du côté de l'appareil vasculaire ou trouve une hypertrophie très prononcée

du coeur dont la pointe bat dans le septième espace intercostal très en dehors du

mamelon. L'impulsion cardiaque est énergique mais pas de bruits anormaux,

ni de souffle. On note un léger souffle systolique à l'orifice valvulaire de l'artère

pulmonaire ; l'aorte et les vaisseaux du cou ont un fonctionnement régulier.

Le pouls, régulier, fort, bat à 88 par minute; la tension artérielle relevée

au niveau des radiales avec le sphygmomanomètre de Potain est de 15.

La température du soir oscille entre 37° 2 et 37° 4.

Pas de troubles fonctionnels du territoire urinaire. L'analyse des urines, faite

par M. le Dr Florence, chef du laboratoire de clinique de l'hôpital général, donne :

MYOPATHIE GÉNÉRALISÉE 245

246 VIRES ET ANGLADA

II. - Tronc et abdomen. - -

Aspect. En avant. Projection antérieure du plastron sterno-costal ; in-

flexion latérale très prononcée vers la droite et que caractérisent : 1° une dif-

férence très nette de distance entre le creux axillaire et le bord supérieur de la

crête iliaque respectée, 18 centimètres à droite et 25 centimètres à gauche ;

2° l'obliquité d'une ligne passant par les deux mamelons ; 3° la direction,

oblique aussi^des plis de l'abdomen.

Les quatre dernières côtes paraissent soudées entre elles. A droite elles ont

subi un mouvement de torsion qui les rapproche du plan postérieur de la

cage thoracique comme si elles se retournaient sur elles-mêmes. Par suite on

peut sans abandonner leur face antérieure remonter avec elles à l'intérieur du

thorax. Cette déformation n'existe pas à gauche.

En avant toute la partie supérieure de la paroi thoracique droite est en

saillie ; à gauche au contraire il a de l'aplatissement marqué. La muscula-

ture du tronc paraît relativement conservée.

L'abdomen comprimé entre les hanches et le tronc est plissé et effacé ; exa-

miné latéralement il semble avoir disparu.

En arrière. Aplatissement costal droit, gibbosité gauche très prononcée où

interviennent la scoliose vertébrale, la déformation des côtes consécutive et

surtout une cyphose volumineuse, arrondie, régulière, qui part de la sixième

dorsale pour aboutir au pli fessier, déterminant latéralement un pli cutané

profond.

Le rideau musculaire du dos est très amaigri. Les omoplates ne sont point

saillantes.

Troubles moteurs. - Les mouvements du tronc sont gênés dans leur am-

plitude par les multiples déformations thoraciques que nous avons signalées.

Pourtant si l'on tient compte de l'obstacle déterminé par ce facteur on voit que

les mouvements d'extension, de flexion, d'inclinaison latérale, quoique un

peu pénibles, s'effectuent bien. La rotation du thorax sur le bassin est seule

très réduite.

Troubles sensitifs. - Rien.

Troubles trophiques. - Un certain degré d'atrophie des intercostaux ; le

pectoral gauche est atrophié, le droit semble présenter au contraire une légère

hypertrophie, mais si on le saisit à pleine main on lui trouve une mollesse

caractéristique avec quelques points d'induration.

Le trapèze et le grand dorsal sont très amincis. La musculature des parois

abdominales parait conservée. Les vertèbres ne sont pas saillantes.

Troubles de la réflectivité. - Rien.

III. Membres supérieurs.

Aspect. -Ceinture scapulaire et épaule.

La tète humérale fait des deux côtés une saillie très nette, plus prononcée à

droite. Les deux épaules portées en avant tendent se séparer du corps ; dé-

pression sous-claviculaire marquée à droite.

MYOPATHIE GEI'IÉRAL1SÉE 247

On ne retrouve pas la forme normale du deltoïde.

Les omoplates ne se détachent pas, mais elles sont très nettement visibles

et les reliefs osseux se dessinent sous la peau.

Les bras grêles dans leur partie supérieure, sont irrégulièrement épaissis à

leur partie inférieure. Les avant-bras, arrondis, paraissent d'un volume nor-

mal ; les mains sont larges, aplaties ; les doigts sont gros.

Troubles moteurs. La motilité de tous les doigts est conservée mais se

fait lentement ; l'opposition du pouce est possible. La force musculaire de

pression ou de traction mesurée au dynamomètre est absolument rudimentaire.

La flexion, l'extension, les mouvements de latéralité du poignet sont nor-

maux, quoique plus lents. Il n'y a pas de maladresses ni de troubles de la pré-

hension. La pronation et la supination s'effectuent dans les conditions habi-

tuelles. Tous ces mouvements sont possibles, mais le malade ne les produit

qu'avec une certaine lenteur.

Par contre les mouvements de l'avant-bras sur le bras sont limités, et à peu

près au même degré de chaque côté, peut-être un peu plus fortement à droite.

L'extension est incomplète, la flexion ne dépasse qu'à peine l'angle droit.

La mobilisation devient très réduite au niveau de l'articulation scapulo-hu-

mérale, il n'y a que les mouvements d'abduction qui persistent mais excessi-

vement atténués. C'est à peine si le malade peut écarter légèrement le bras

du corps. De tout le membre supérieur les seuls segments qui puissent encore

agir sont l'avant-bras et la main.

Il n'y a pas de contractures, de tremblements, de mouvements athétosi-

formes.

Le malade écrit mais en traînant un peu la main, en s'appliquant et en

mettant surtout beaucoup de temps.

Troubles sensitifs. - Absolument rien. Les reclierches faites avec l'esthé-

siomètre, le frôlement d'une bande de papier, la piqûre, la pression profonde,

les agents thermiques montrent qu'il y a intégrité absolue de toutes les sensi-

bilités.

Troubles trophiques. La peau est légèrement violacée ; hypothermie cons-

tante, refroidissement rapide des téguments, pas de poils.

On trouve de l'atrophie et de la pseudo-hypertrophie ou tout au moins des

zones d'empâtement localisées plus ou moins et d'une consistance qui varie de

la dureté ligneuse à un ramollissement partiel. -

248 VIRES ET ANGLADA

L'atrophie siège : a) au niveau du trapèze et des muscles de l'omoplate où

le rhomboïde n'est point touché ; (3) au niveau du deltoïde,de la partie supérieure

du bras, du triceps dans ses deux tiers supérieurs, du brachial, du biceps très

réduit de volume, et qui forme une corde dure et tendue, que l'on arrive à

palper facilement.

L'atrophie deltoïdienne est moins marquée à gauche.

La pseudo-hypertrophie siège : «) à l'insertion du V deltoïdien, sous la forme

d'une masse indurée, arrondie, non mobilisable et peu étendue qui fait corps

avec l'os ; (3) au niveau de l'articulation du coude depuis l'insertion du triceps

brachial jusqu'à trois doigts au-dessus, elle envahit la zone externe de la région

et dessine un relief sensible. On a l'impression qu'elle adhère intimement à

l'articulation, et qu'elle bride étroitement toutes les tentatives de flexion qui

dépasserait l'angle droit. Il semble même qu'elle joue un rôle dans la limita-

tion de l'extension complète, dans les mouvements forcés l'empâtement prend

une consistance plus dure ; y) à la région antéro-externe de l'avant-bras où elle

est légère, diffuse, comme si elle recouvrait les muscles d'une épaisseur très mo-

dérée. Il semble qu'il y ait aussi sous le rideau musculaire une exostose de la

partie supérieure du radius.

Les doigts de la main sont volumineux, mais il n'y paraît pas d'hypertrophie

localisée manifeste.

L'empâtement de l'articulation huméro-antibrachiale est moins prononcé à

gauche.

Troubles de la réflectivité. Pas de réflexes au membre supérieur.

IV. Membres inférieurs.

Aspect. Dans le lit, les deux membres inférieurs sont à peu près dans la

même situation ; les cuisses sont en demi-flexion sur le bassin, flexion iden-

tique des jambes s'accompagnant d'abduction extrême ; les deux pieds revê-

tent le type équin, légèrement à gauche, très prononcé à droite où l'extension

est assez étendue pour que la crête antérieure du tibia se prolonge insensible-

ment avec le rebord dorsal du pied.

Troubles moteurs. La mobilisation des membres inférieurs est essentiel-

lement réduite. Le malade ne peut ni marcher, ni se tenir sur ses jambes.

Dans le lit il peut simplement mobiliser certains groupes musculaires, et cela

de façon très rudimentaire.

Les quelques mouvements qu'il peut exécuter sans trop de peine, sonl l'ex-

tension et la flexion des orteils qui se fait assez facilement. Le pied a conservé

ses mouvements de latéralité, par rapport à la jambe il peut exagérer un peu

son extension, mais toute tentative de flexion reste sans résultat, par suite de

la rétraction du tendon d'Achille, tendu et saillant.

Les mouvements de la cuisse sur le bassin, de la jambe sur la cuisse ont

presque totalement disparu, ils se réduisent à une flexion très légère, et le

malade pour changer de place ses membres inférieurs est obligé de se servir

de ses mains. Si l'on tente une mobilisation forcée, on n'obtient qu'une modi-

MYOPATHIE GÉNÉRALISÉE 249

fication à peine appréciable des angles d'extension et de flexion par suite, de

certaines rétractions tendineuses. ?

Troubles sensitifs. Comme aux membres supérieurs, on ne trouve ici

rien d'anormal après l'examen des différents modes de sensibilité. Il n'y a pas

non plus de phénomènes douloureux.

Troubles trophiques. La peau violacée devient blanchâtre lorsqu'on la

comprime légèrement, mais cette coloration disparaît rapidement. Les tégu-

ments sont squameux au niveau du genou ; les poils ont presque complète-

ment disparu. Il n'y a pas de troubles trophiques plus saillants de la surface

cutanée. On note de l'hypothermie manifeste : pas d'oedème.

On retrouve ici encore des régions musculaires soit atrophiées soit hyper-

trophiées. L'attention est tout d'abord attirée du côté des mollets anormale-

ment développés ; le développement exagéré est limité auxgastrocnémiens qui

font saillie et dessinent à travers la peau leur relief, l'hypertrophie empiète du

reste sur la partie latéro-externe de la jambe, on la retrouve à la partie interne

du triceps, à la partie tout inféro-externe de la cuisse. Les régions musculaires

frappées ont une consistance tantôt dure, tantôt pâteuse, mais invariable.

La fesse est dans son ensemble atrophiée, à son niveau il y a un méplat

assez accentué qui fait ressortir d'autant la saillie de la crête iliaque. Pas

d'autre région atrophiée. Le tendon d'Achille, les insertions tendineuses du

biceps, du demi-tendineux sont saillants et rétractés.

Troubles de la réflectivité. Les réflexes rotuliens et achilléens sont abolis,

le réflexe plantaire est diminué mais non inverti, le réflexe crémastérien per-

siste.

Nous faisons suivre cette observation de deux tableaux : dans l'un sont les

différentes mensurations que nous avons effectuées, dans l'autre est le résultat

de l'examen électrique des muscles et nerfs.

Mensurations pratiquées le 14 mai 1908 mesurées en centimètres.

Tête :

25U VIMES ET ANGLADA

Distance entre le creux de l'aisselle et la crête iliaque :

MYOPATHIE GÉNÉRALISÉE 251

diaque, peu fréquente dans les myopathies, n'avait point été signalée en

1902, il faut donc la considérer comme un phénomène nouveau.

En ce qui concerne le cou et la tête, il ne s'est pas produit en somme,

de grands changements, le développement semble s'être fait normalement.

La paralysie des muscles de la face n'est pas encore bien accusée ; elle

semble plus nette au niveau du frontal, de l'orbiculaire des paupières et

particulièrement de l'orbiculaire des lèvres où l'on signale de la lenteur

de contraction à l'excitation faradique. Les mouvements se font bien : le

seul élément nouveau est la tuméfaction que l'on trouve à l'insertion oc-

cipitaledu trapèze.

L'abdomen et la cage thoracique ont été plus fortement frappés, et il

y a une forte aggrava lion des troubles moteurs et trophiques. La cyphose

dorso-lombaire pris un développement énorme, et la scoliose très éten-

due aussi a sa convexité tournée vers la gauche. Les côtes ont été largement

intéressées, droite les fausses côtes se sont comme repliées sur elles-mê-

mes, dans son ensemble le thorax a une forme oblique ovalaire. L'ensel-

lure lombaire a disparu.

La région abdominale, très plissée, a conservé sa musculature à peu

près indemne, tandis que dans le dos, l'atrophie qui n'étaitprimitivement

que lombaire, s'est étendue toute la musculature sauf aux muscles inter-

scapulaires. En avant il y a atrophie et pseudo-hypertrophie des pecto-

raux. Les mouvements sont pénibles, réduits, mais persistent à un degré

atténué.

C'est surtout du côté des membres que l'évolution de la myopathie s'est

orientée.

Depuis trois ans le malade a cessé de marcher, et l'étendue de sa mo-

bilisation est actuellement bien restreinte quant aux membres inférieurs ; -,

quelques mouvements limités persistent encore. A côté de la pseudo-

hypertrophie des jumeaux, phénomène ancien, apparaissent la pseudo-

hypertrophie et l'atrophie réparties inégalement dans la jambe et la

cuisse, les troubles trophiques des extrémités, le pied-bot, les rétractions

tendineuses.

Les phénomènes de paralysie et de dégénérescence nerveuse sont par-

ticulièrement prédominants pour le droit antérieur, les jumeaux, les

fessiers.

Mais la plupart des muscles et nerfs sont frappés à un degré du reste

extrêmement variable.

Enfin les membres supérieurs participent à la symptomatologie de la

myopathie.

Toute la musculature est atteinte, principalement la ceinture scapu-

laire. Il y a comme aux membres inférieurs des signes d'hypertrophie et

252 VIRES ET ANGLADA

de pseudo-hypertrophie ; ils prédominent aux bras et à l'épaule, mais la

mobilisation de l'avant-bras est aussi réduite. Les troubles de dégéné-

.rescence sont nets.

Du côté delà sensibilité générale du corps on ne trouve aucune modi-

fication.

La myopathie prend donc chez ce malade une amplitude qui tend à

occuper tous les groupes musculaires. Le coeur lui-même est un peu tou-

ché.La paralysie, la pseudo-hypertrophie et l'atrophie se répartissent sur la

plupart des muscles du corps. On peut encore dans le cadre de ce tableau

différencier quelques types qui se fondront bientôt dans l'ensemble des

phénomènes : ce sont le type pseudo-hypertrophique de Duchenne, le

type d'Erb, le type de Landouzy- Dejerine, très légèrement pour ce der-

nier, d'autres encore qu'il est difficile d'individualiser étant donné la

multiplicité des muscles atteints et leur degré variable d'altération. Cetle

observation est intéressante en ce sens qu'elle constitue un cas de plus à

l'appui de l'unité nosographique des myopathies ; on peut la rapprocher de

celle de Raymond parue en 1907 dans l'Iconographie,

HOPITAL MAJEUR DE SAINT-JEAN-BAPTISTE

El DE LA VILLE DE TURIN

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

PAR

Le Professeur B. PESCAROLO

Médecin en premier de

l'hôpital.

et

Le U· M. BERTOLOTTI

Directeur de l'Institut de

Radiologie.

L'histoire anatomo-clinique de la maladie de Paget est déjà ancienne ;

elle date de 1876 alors que fut publié le premier mémoire de Sir James

Paget (4). Dans ce premier travail et dans un deuxième publié en 1882 cet

auteur rassembla plusieurs observations d'une nouvelle entité morbide

qu'il dénomma ostéite déformante.

Dès cette époque, l'ostéite déformante de Paget est entrée dans un cadre

nosographique nettement distinct des autres affections du système osseux

et dans ces dernières années on a publié successivement plusieurs cas de

cette forme morbide qui, toutefois, ne cesse pas d'être trop peu connue.

On compte actuellement dans la littérature médicale une soixantaine

d'observations delà maladie de Paget ; la plupart d'entr'elles ont été étu-

diées à l'étranger ; en Italie, on n'en compte guère que deux ou trois cas,

ce qui fait supposer que chez nous l'ostéite déformante de Paget doit être

très rare.

Parmi le groupe mal classé dans lequel on avait englobé autrefois les

hyperostoses multiples se sont dégagés en conséquence des types morbides

dont les mieux définis jusqu'à présent restent toujours l'acromégalie de

P. Marie et l'ostéite de Paget.

Celle-ci possède en effet des caractères propres qui permettent de la dia-

gnostiquer, même si l'affection n'est pas arrivée à ses dernières limites.

L'observation qui va suivre en est un exemple :

Observation.

N. N..., actuellement âgé de 53 ans, israëlite. Dans ses antécédents

héréditaires on ne peut relever rien d'anormal. Sa mère très bien por-

tante, était d'une excellente santé, elle eu 12 enfants parmi lesquels 10

vivants ; elle mourut à l'âge de 60 ans à la suite d'une maladie intestinale.

Son père, lui aussi, sauf quelques accès de goutte, n'a pas eu un passé

bien chargé ; il était dans ses dernières années souffrant d'une maladie de coeur

qui l'emporta à l'âge de 66 ans.

254 PESCAROLO ET BERTOLOTTI

Parmi ses nombreux frères et soeurs, aucun n'a jamais présenté des altéra-

tions du squelette.

Dans la famille on peut relever le diabète et la diathèse arthritique, chose

d'ailleurs fréquente chez les israëlites. Aucun fait ne nous permet de supposer

l'existence de la syphilis chez les parents du malade.

Antécédents personnels. - Il a été élevé dans un milieu sain. Dès l'enfance

il a toujours joui d'une excellente santé. Il paraît toutefois que, à l'âge de

8 ans, il a été atteint d'une fièvre malarique ; depuis cette époque, de temps

en temps, il est encore sujet à quelques accès de fièvre.

A l'âge de 19 ans, il fut enrôlé dans l'armée dans une troupe d'élite. Il faut

noter que, à cette époque, notre malade était un bel homme, bien portant et

très bien constitué ; sa taille était de 1 m. 65, son poids de 68 à 70 kilogs. Il

était très actif, très vigoureux et très alerte. Il nie -absolument toute maladie

vénérienne ; il est très affirmatif à cet égard, et tout porte à croire que réelle-

ment notre malade n'ait jamais eu aucune infection syphilitique.

Il a été toujours sobre et n'a jamais commis d'excès alcooliques, vénériens

ou autres ; il a été un fumeur modéré. A l'âge de 31 ans, il fut atteint d'une

fièvre typhoïde qui se manifesta sous une forme bénigne, ne dura pas plus de

4 semaines et guérit très bien sans aucune suite fâcheuse.

Il se maria à l'âge de 34 ans et sa femme eut deux fausses couches, après

quoi elle fut soumise au curettagede l'utérus, et depuis cette époque elle n'est

plus devenue enceinte.

Quatre ou cinq ans après son mariage, c'est-à-dire à l'âge de 38 ans à peu

près, il commença à ressentir les premiers troubles de la maladie actuelle. Ils

se manifestèrent par une sensation douloureuse et diffuse à tous les os. Bien

que cet état de malaise fut général, il avait remarqué que les douleurs étaient

plus accentuées aux membres inférieurs. Contemporairement les petites articu-

lations des mains et des pieds se prirent à leur tour et en plus ; il fut atteint

par une gêne douloureuse au niveau de la région dorso-lombaire.

Les médecins consultés à cette époque, en présence des symptômes présentés

par le malade : atteinte des petites articulations des mains, lumbago, douleurs

généralisées, posèrent le diagnostic d'arthrite goutteuse et il lui fut prescrit un

traitement à base de salicyliques et d'iodures.

Ce traitement demeura sans aucun effet et notre malade continua a ressentir .

ses douleurs sans toutefois cesser ses occupations habituelles. Peu à peu

s'ajoutèrent encore d'autres symptômes plus alarmants : il remarqua en effet

que sa démarche devenait pénible et que ses jambes prenaient une attitude

vicieuse. Sa jambe gauche fut la première à se déformer.

Quelque temps après, le malade s'aperçut que son dos s'était voûté et que sa

taille se faisait plus petite. Ensuite remarqua avec surprise que ses chapeaux

étaient devenus trop étroits et qu'il lui fallait changer progressivement de

mesure.

Cette déformation du crâne s'installa en peu de temps et futaccompagnée

par une chute rapide des cheveux, et par l'apparition d'un réseau artériel très

prononcé dans la région temporale et pariétale.

Le malade de soi-même s'aperçut encore que l'augmentation de sa tête

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XXXI

MALADIE OSSEUSE DE PAGET

(Pascarolo et Bei-tolotti).

Photographie du malade en 1893 et aujourd'hui (1909)'

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 255

s'était faite spécialement dans le sens transversal, si bien que son fournisseur

avait été obligé de lui confectionner ses, chapeaux melons avec une forme par-

ticulière.

Pendant que toutes ces altérations du squelette allaient s'établissant, notre

malade remarqua encore que son visage s'était modifié, son nez avait tour-

né un peu à gauche et son menton s'était fait proéminent et anguleux, en

même temps qu'il éprouvait des difficultés à mâcher ses aliments, à cause de

la mâchoire inférieure qui semblait s'être déplacée en avant.

Malgré toutes ces altérations du système osseux, l'état général du malade

ne commença à se modifier que dans ces derniers temps. Ce n'est en effet que

depuis deux ou trois ans qu'il commença à ressentir parfois des troubles gastro-

intestinaux caractérisés par des crises diarrhéiques qu'il mettait sur le compte

de quelques excès diététiques.

Dernièrement sa démarche s'était faite de plus en plus pénible et il accusait

encore de l'essoufflement et des palpitations faciles au moindre effort.

Etal actuel. C'est un homme de petite taille, un peu bossu, qui paraît

plus que son âge.

A l'examen on est frappé par l'aspect souffrant du visage. Son teint est

pâle et un peu jaunâtre. On remarque tout de suite la dimension exagérée de

la tète qui se présente sous une forme plutôt oxycéphalique et qui semble

avoir pris un développement excessif aux dépens de la face. Ses yeux sont

enfouis dans l'orbite et les arcades sourcilières sont très prononcées. Le nez

est effilé et dévié à gauche, la bouche est mince et le menton aigu a la forme

caractéristique des mentons des vieillards édentés, avec un prognathisme

évident. '

Ces faits joints aux nombreuses rides du visage, à la calvitie et à l'existence

d'un réseau artériel très saillant dans la régiou temporale des deux côtés, con-

tribuent à donner à sa figure un aspect franchement sénile (PI. XXXI).

La tête du malade dans son ensemble a une forme particulière ; très déve-

loppée vers le haut par un élargissement des bosses frontales et pariétales du

crâne, elle se rétrécit au niveau de la face et va en s'effilant exagérément

jusqu'au menton : c'est là une véritable tête en poire. Le cuir chevelu est

parsemé d'un fin duvet grisâtre ; au toucher on sent sous la peau que la boîte

osseuse du crâne est lisse, que les soudures sont régulières sans aucune hypé-

rostose ni autre irrégularité osseuse. Aucun point douloureux n'existe sur toute

la surface du crâne.

Le visage ne présente pas d'asymétrie notable, à part la légère déviation des

os du nez; la voûte palatine est aplatie, la langue est plutôt volumineuse et

large. Les dents sont très endommagées et très rares, la mâchoire inférieure

sans être hypertrophiée est assez proéminente.

Le cou est affaissé et la tête semble rentrer dans les épaules et incliner en

avant. t.

Le malade, étant habillé, se présente comme un rachitique quelconque avec

sa bosse un peu déviée du côté gauche, sa tête en poire et ses jambes courbées

en dedans. Ce n'estqu'en examinant le malade complètement nu que les altéra-

tions caractéristiques de son squelette peuvent être justement interprétées

256 PESCAROLO ET BERTOLOTTI

(PI. XXXII). On est frappé alors par le tassement du thorax qui semble abso-

lument enfoncé dans le bassin. Le dos est très voûté, la taille est petite, les

bras paraissent très longs et les mains descendent jusqu'aux genoux comme

chez les singes.

Toutes les altérations de la charpente osseuse semblent nettement plus ac-

centuées du côté gauche. La cyphoscoliose est plus prononcée à gauche, l'en-

foncement du thorax de ce côté est plus grand, de même l'omoplate est plus

volumineuse, le bras plus long et la jambe plus déformée.

A part cette exagération de la difformité du côté gauche, nous retrouvons

aussi à droite les mêmes altérations, quoique à un degré moins avancé.

La déformation des membres inférieurs est constituée par une double incur-

vation, l'une à concavité interne et l'autre il convexité antérieure. Par leur

courbure en dedans les membres inférieurs forment deux arcs à concavité in-

terne, de façon que les talons peuvent venir en contact, mais les genoux ne

peuvent se rapprocher et restent écartés de 20 centimètres.

Cet écartement des membres inférieurs rappelle la forme d'une ellipse.

Par leur incurvation antérieure les cuisses et les jambes sont courbées en

avant. Cette déformation est surtout accentuée à .a hauteur de la jambe où le

tibia rappelle beaucoup la déformation en fourreau de sabre qu'on voit dans

la syphilis héréditaire. Bien que les membres inférieurs soient recourbés

dans deux directions différentes toutefois, ils apparaissent encore exagéré-

ment longs en proportion du tronc. Dans le tronc en effet, ce qu'il y a de

plus remarquable c'est le tassement du thorax, qui est tellement accentué que

les arcs costaux des deux côtés sont littéralement posés sur les crêtes ilia-

ques (Pl. XXXII).

La cage thoracique est déformée d'une façon particulière ; en effet en dépit

du tassement du thorax sur l'abdomen, on voit que cette cage n'est pas élargie

mais que au contraire elle est très mince dans le sens transversal. Ce fait

est très prononcé chez notre malade notamment du côté gauche.

A l'examen détaillé des os de la cage thoracique, on s'aperçoit que les côtes

sont volumineuses et rapprochées, le sternum est hypertrophique et proémi-

nent et les clavicules sont déformées notamment dans leur partie externe.

Comme il a été remarqué, le raccourcissement du tronc fait paraître les bras

beaucoup trop longs ; toutefois ils ne sont pas déformés, leur volume n'est pas

accru et tout au plus présentent-ils une légère courbure en dedans au niveau de

l'avant-bras.

Les mains ne sont,pas plus volumineuses qu'à l'état normal, cependant la

plupart des phalanges sont atteintes par une déformation semblable à cellequi se

rencontre dans l'arthrite sénile et l'on peut noter la présence de véritables

nodosités d'Héberden.

Les pieds sont moins endommagés, seulement le gros orteil se présente un

peu volumineux et il est gêné dans ses mouvements articulaires, du reste au-

cune déformation n'est visible ni au calcaneum, ni aux os du tarse.

En examinant de près la ceinture pelvienne, on peut remarquer que tout le

bassin est aplati d'avant en arrière et élargi dans ses dimensions transversales,

on voit en effet que les crêtes iliaques sont très débordantes et évasées, comme

NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XXXII

MALADIE OSSEUSE DE PAGET

1

(Pascarolo et Bertolotti).

Masson & Cm, Editeurs.

PhototYPie Berthaud

. SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 257

si le rebord costal, exerçant une pression sur l'os iliaque, l'eût deformé en

le repliant en deliors.

Vu de profil, le malade présente une silhouette altérée il cause de la cypho-

scoliose dorsale qui est très prononcée. On voit que les deux omoplates sont

augmentées de volume et au toucher on peut s'apercevoir que l'épine de l'omo-

plate est déformée.

En regardant en bas de l'apophyse ensiforme du sternum, entre le thorax et

le bassin, on voit qu'il existe une dépression en bande sous laquelle le ventre

se dèveloppe en besace. 1

Les mesures des différentes parties du corps du malade ont donné les chiffres

suivants : '

Tête :

258 PESCAROLO ET BERTOLOTT1

altérations profondes. Le cou est très gêné dans ses mouvements d'extension

en arrière, les autres mouvements de flexion et de latéralité sont diminués.

La flexion de la colonne dorso-lombaire s'accomplit d'une façon très défec-

tueuse, le malade ne peut se plier, ni ramasser un objet placé à ses pieds.

La pression des apophyses épineuses des vertèbres est parfaitement indolore.

Notons enfin l'atteinte des petites articulations des phalanges et la présence

des nodules d'Héberden. -

Examen radiographique.

Chez notre malade les parties du squelette les plus intéressantes à étudier par

la radiographie sont les diaphyses des os longs.

La radiographie du cràne et du thorax nous a donné seulement des clichés

médiocres où l'on peut voir confirmées les déformations osseuses, sans que l'on

puisse en étudier les détails. Il en est tout différent, au contraire, pour ce qui a

trait aux os longs, où la radiographie nous a permis de relever des altérations

particulières au tissu osseux.

En effet à l'état normal la radiographie de la diaphyse d'un tibia, par exem-

ple, nous montre le cylindre diaphysaire régulièrement constitué et traversé

dans son milieu par le canal médullaire.

En examinant de près sur un cliché normal on peut voir de longues lignes

noires parallèles ou très légèrement obliques, qui sont les travées osseuses et

qui forment entr'elles des mailles très allongées dans la direction de la longueur

de l'os. En regardant au niveau des épiphyses on voit que les travées osseuses

se font plus grandes et plus nombreuses et sont croisées transversalement

par d'autres travées qui forment ainsi avec les premières le tissu spongieux

épiphysaires.

Comparons maintenant à un échantillon normal le tibia gauche de notre

malade, c'est-à-dire la partie de son squelette qui est la plus déformée.

On voit alors que dans son aspect général ce tibia gauche (PI. XXXIII) se

montre plus transparent qu'un os normal. Les travées osseuses sont très

irrégulières, elles ont perdu leur direction et de temps en temps elles sont

interrompues par une zone plus claire d'ostéite raréfiante.

On peut encore remarquer que l'épaisseur du cylindre diaphysaire n'a plus

cette régularité de formation qui caractérise la diaphyse normale. Au contraire

tout l'os est déformé et recourbé avec les parois diaphysaires irrégulièrement

épaissies. Ça et là on remarque de l'atrophie osseuse, tandis qu'à côté on

peut voir des travées irrégulièrement semées qui témoignent d'une véritable

néoformation osseuse. .

En somme, on peut remarquer dans ce cliché, que en plus, des altérations

de nature atrophique, il existe un état de réaction inflammatoire qui a donné

lieu à une production ostéophyteuse.

Dans cette radiographie on voit tout de suite que les altérations osseuses du

tibia sont bien plus évidentes que celle du péroné. En effet ce dernier ne semble

presque pas atteint, aucune déviation n'étant visible dans sa diaphyse, c'est à

peine si les trabécules osseuses sont un peu irrégulières et transversales à la

région moyenne où d'habitude les travées sont seulement verticales.

''Nouvelle Iconographie DE*LA*SALPLTRItRE"

T. XXII. PI. XXXIII

MALADIE OSSEUSE DE PAGET

(Pescarolo et l3erlolofli).

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XXXIV

MALADIE DE PAGET

Radiographie de la main.

(Pascarolo et Bertolotti),

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 259

Dans la radiographie de l'avant-bras gauche que nous présentons ici (PI.

XXXIII) on peut faire les mêmes remarques que pour la jambe, mais il s'agit

en tout cas d'un degré d'altération bien moins avancé.

On notera l'irrégularité de l'espace interosseux et la courbure des deux os

qui est plus accusée qu'à l'état normal,

Enfin la radiographie plus intéréssante à étudier est celle de la main gauche

(PI. XXXIV), ici on peut constater facilement l'altération des articulations des

petites phalanges.

Les trabécules osseuses sont altérées, le tissu spongieux aussi ; l'interligne

articulaire est déformée. Le processus d'ostéophytose des apophyses latérales

donnaut lieu aux nodules d'Héberden est très évident.

Les altérations les plus remarquables portent sur les doigts de la main gau-

che ; à droite elles sont aussi très nettes.

On notera encore que l'interligne métacarpo-phalangienne est absolument

indemne.

Examen des viscères. A l'examen des poumons on ne peut relever rien

d'anormal, l'excursion diaphragmatique contrôlée à la radioscopie se fait encore

assez bien.

On remarque tout de suite que le coeur est déplacé à droite ; à l'inspection

de la région cardiaque on peut remarquer la présence d'une pulsation au niveau

du troisième et quatrième espace intercostal à un doigt à peu près en dehors

de la marginale gauche. Au contraire on ne peut ni voir ni entendre le batte-

ment de la pointe.

A la percussion, l'aire absolue du coeur est limitée en haut par le bord infé-

rieur de la troisième côte, à droite elle déborde de trois centimètres en dehors

de la marginale droite et à gauche elle se porte jusqu'à la ligne mamillaire.

Les bruits du coeur sont nets, toutefois le premier bruit est accompagné

d'un léger souffle aux foyers de la mitrale et de l'aorte. Ce bruit devient plus

âpre sur la pulmonaire.

La radioscopie a décélé une augmentation de l'arc aortique et une dilatation

du coeur tout à fait analogue à celle que l'on peut observer chez les bossus.

L'examen de la pression artérielle fait avec le sphygmo-manomètre de Riva

Rocci a donné à droite 110 mm. Hg. avec un pouls de 94 à la minute, et à

gauche 125 mm. avec 98 pulsations à la radiale.

On est frappé tout de suite par la remarquable hypotension artérielle présen-

tée par le malade.

L'abdomen est un peu douloureux à la palpation, le foie paraît augmenté

de volume, en effet ses limites supérieures arrivent à la 6e côte et son bord

inférieur déborde sous l'arc costal jusque à la ligne ombilicale transverse.

Alors que le malade est placé dans le décubitus horizontal, en examinant la

région du foie, on peut relever l'existence d'un sillon assez profond qui sépare

la face antérieure de cet organe en deux parties bien distinctes. Ce sillon

suit une direction parallèle au rebord costal tout en étant de quelques doigts

plus bas du rebord même dans le décubitus horizontal, tandis que, alors que le

malade est debout, ce sillon se porte plus eu haut et vient coïncider avec l'arc

costal.

60 PESCAROLO ET BERTOLOTTI

Il est évident que cette dépression du foie a été causée par la pression de la

cage thoracique sur le viscère.

La rate n'est pas palpable.

Le fonctionnement des sphincters anal et vésical s'accomplit d'une façon

normale.

Le réflexe cutané abdominal est affaibli des deux côtés.

Le réflexe crémastérien existe.-

Les réflexes tendineux sont un peu vifs.

Il n'existe aucun réflexe pathologique. .,

Pas de clonus, pas de Babinski, le réflexe plantaire se fait en flexion. Le,

réflexe pharyngien existe, de même que le réflexe cornéal.

La sensibilité objective du malade a été examinée sous toutes ses formes :

les sensibilités : tactile, douloureuse, thermique, osseuse, stéréognostique, etc.

ont été trouvées normales. .

La motilité des membres s'accomplit au prorata des altérations osseuses et

articulaires. -

Le tonus musculaire est peut-être un peu diminué, toutefois il n'existe pas

une véritable hypotonie.

Aux membres supérieurs l'on peut noter un léger tremblement à caractère

sénile.

La peau est lisse, humide, pâle et légèrement teintée en jaunâtre.

Il n'existe pas des troubles trophiques évidents, l'on peut remarquer

pourtant que le système pileux est atrophié : le cuir chevelu, les aisselles, le

pubis sont presque dépourvus de poils : les sourcils sont très rares, les cils

aussi ; la moustache seule est bien conservée.

L'examen des fonctions sensorielles a démontré que la vue est bonne, l'ouïe

excellente, le goût très bien conservé.

Les mouvements des muscles intrinsèques et extrinsèques des globes ocu-

laires ont leur amplitude normale. Le champ visuel aussi est régulier.

A l'examen de l'appareil génital on remarque un développement assez

considérable de la verge et des testicules, toutefois la puissance génitale du

malade dans ces derniers temps a diminué beaucoup et actuellement elle est

à peu près éteinte.

La glande thyroïde semble être un peu atrophiée.

Le tissu sous-cutané est très peu développé.

La voix du malade n'a pas changé de tonalité.

Le larynx est normal.

Les urines émises dans les 24 heures atteignent dès 1200 à 1500 ce. a peu

près.

L'analyse des urines a donné :

Acidité normale. Couleur jaune claire, limpide.

Densité 1014..

Légère trace d'albumine.

Pas de sucre.

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 261

262 PESCAROLO ET BERTOLOTTI

Après les observations qui, dernièrement encore, ont paru sur l'ostéite

déformante de Paget, nous ne croyons pas qu'il soit difficile de classer

notre cas et d'établir le diagnostic chez notre malade.

Il s'agit incontestablement ici d'un cas typique de la maladie de Paget

et nous nous bornerons à souligner les quelques points qui nous ont paru

les plus intéressants dans cette observation en y relevant les traits les plus

caractéristiques :

On peut remarquer d'abord l'évolution très lente de cette dystrophie

osseuse, qui a débuté il y a plus de 15 ans et qui ne semble pas en train

de vouloir s'arrêter, la vie malheureuse de notre malade n'étant pas encore

sérieusement compromise.

Dans notre cas, il faut donc admettre une certaine lenteur dans l'évolu-

tion, puisque les déformations osseuses du malade, que nous avons étu-

diées cliniquement et pal' la radiogradhie, n'ont pas encore atteint ce degré

avancé que l'on peut voir chez la plupart des observations relatées par les

auteurs.

Dans la généralité des cas publiés,l'ostéitedéformante se montre dans sa

complète évolution, après une période de développement qui rarement

dépasse les 15 ans.

Au contraire il n'est pas rare de voir des cas où la déformatiou osseuse

se fait d'une façon presque subaiguë rappelant un peu la faconde débuter

de l'ostéomalacie. Un exemple typique de cette variété de début dans l'os-

téite déformante de Paget nous est donné par l'observation de Rusconi et

Sconfietti (40) où il s'agissait d'une femme chez laquelle les altérations os-

seuses étaient vraiment énormes et elles s'étaient établies dans un espace

de temps relativement court, c'est-à-dire en 5 ou G ans.

Parmi toutes les observations que nous avons consultées, celle qui se

rapproche le plus de notre cas est l'observation donnée par Ferrio (43) dans

sa traduction italienne d'Albutt, et qui a trait à un malade du Professeur

Bozzolo de Turin. Il s'agissait d'un homme de 63 ans, où les troubles du

squelette avaient débuté à l'âge de 32 ans et où l'évolution avait été d'une

lenteur absolumentexceptionnelle, de telle façon que, après plus de trente

ans il pouvait encore marcher relativement assez bien.

Bien que la difformité du squelette chez notre sujet ne soit pas encore

trop avancée, l'on y peut déjà voir déclarés tous les traits particuliers à

l'ostéite déformante de Pagel. Depuis, l'augmentation du volume du crâne,

la diminution de la taille, la courbure du dos, les déformations thoraci-

ques, celles des membres inférieurs, jusqu'à la forme caractéristique du

ventre en bissac (V. la planche XXXII), rien n'y manque.

Parmi les particularités de cette observation, il faut rappeler la pré-

SUR UN CAS D'OSTÉITE DEFORMANTE DE PAGET 263

dominance de la dystrophie osseuse du côté gauche. En effet le thorax, les

épaules, les bras, les jambes et les mains sont nettement plus altérés du

côté gauche ; le fait,bien qu'il ne soit pas exceptionnel dans l'ostéite défor-

mante de Paget, en général n'est pas fréquent. Il s'agit ordinairement

d'une déformation qui peut être plus accentuée d'un côté,et alors c'est dans

la plupart des cas un des deux membres inférieurs qui est le plus atteint.

Chez notre malade au contraire celle distribution asymétrique est régu-

lièrement plus accusée du côté gauche, de façon à faire songer à un trou-

ble trophique sous la dépendance du système nerveux. Cette théorie tro-

pho-névrotique semble devoir gagner du terrain de plus en plus, après la

très intéressante communication de (Klippel et Weil, faite iL la

Société de Neurologie de Paris le 5 novembre 1908, sur un cas de mala-

die osseuse de Paget à forme unilatérale. L'observation des auteurs est la

première faite jusqu'à présent sur l'ostéite déformante à type exclusi-

vement unilatérale (1).

Un autre fait important qu'il faut relever dans l'histoire pathologi-

que de notre malade est celle qui tient à sa manifestation initiale. En

effet,le malade nous a dit d'une façon tout à fait affirmative que ses trou-

bles ont débuté par les petites articulations des pieds et des mains, si

bien que dans les premiers temps, il avait été soigné comme un arthritique

goutteux. Or c'est là un début tout à fait exceptionnel ; en effet si l'on a vu

des manifestations articulaires dans un certain nombre de cas d'ostéite

déformante, l'on doit surtout noter que les lésions observées dans ces cas

sont peu considérables, se limitent à un petit nombre de jointures et n'of-

frent pas la marche extensive et progressive qui caractérise le rhumatisme

articulaire chronique. En général, dans la maladie de Paget il s'agitseule-

ment de quelques troubles articulaires qui sont secondaires aux altérations

osseuses. Pour ce qui a trait au rhumatisme des petites jointures, on peut

dire qu'il fait absolument défaut dans toutes les observations des auteurs,

qui au contraire,ont été frappés par l'intégrité des petites articulations des

mains.

Il suffit de regarder un peu de près la radiographie de la main gauche de

(1) Dans l'intéressante observation de MM. Klippel et Weil, comme il a été dit plus

haut, il s'agissait d'un cas de maladie osseuse de Paget à forme unilatérale et à ce

propos les deux auteurs relatent ce détail fort curieux à savoir que, du côté malade

où il existait des déformations osseuses, on avait trouvé ü plusieurs reprises une hy-

perthermie considérable de la peau d'un ou deux degrés plus haute que du côté sain.

Nous n'avions pas fait cette remarque à l'époque de notre premier examen (sep

tembre 1908). L'un de nous se chargea donc ultérieurement de poursuivre cette re-

cherche d'autant plus que notre cas, analoguement à celui de MM. Klippel et Weil,

se présentait avec une prédominance très nette des troubles trophiques pour le côté

gauche. Or nous avons été déçus dans noire attente, puisque les examens répétés

plusieurs fois dans ce but ont permis de constater que la température de la peau

était parfaitement égale des deux côtés.

264 PESCAROLO ET BERTOLOTTI 1

notre malade pour noter l'importance des lésions osseuses et articulaires

des phalanges, qui révèlent un trouble remarquable dans la nutrition des

os digitaux (Voir la planche XXXIV).

Or, ce qui est plus intéressant encore à relever c'est l'analogie remar-

quable que notre cas montre avec l'observation déjà citée plus haut de : V1M. Klippel et Weil. Ici encore une des particularités plus rares était

donnée par des nodosités tout à fait semblables à celle du rhumatisme d'Hé-

berden. Les auteurs pensent, avec raison, que ces nodosités sont une

manifestation du trouble osseux hypertrophique, puisque leur malade

ne présentait aucune autre lésion pouvant être rapportée au rhumatisme

chronique et arrivent à la conclusion que l'existence des nodules d'Iléber-

den chez leur malade plaide pour la parenté qui existe entre la maladie de

Paget et le rhumatisme chronique.

Les rapports de l'ostéite déformante et du rhumatismechronique seraient t

donc confirmés par l'observation de Klippel et Weil et aussi encore par

notre cas, où les nodosités d'Héberden sont très évidentes. Sans vouloir

donner pourtant une signification trop exclusive à ce fait nous ferons re-

marquer que notre malade était de famille goutteuse et arthritique.

Bien que l'attention se concentre avant tout sur le système osseux, il y

a d'autres lésions et d'autres symptômes qui sont loin d'être négligeables

chez notre malade.

Nous rappellerons en effet qu'il existait chez lui des lésions du coeur

et de l'aorte, puisqu'à l'auscultation on entendait un souffle mitral et

pulmonaire et à la radioscopie on avait remarqué une augmentation nota-

ble de l'aorte.

Les troubles cardiaques dans l'ostéite déformante de Paget sont loin

d'être exceptionnels. Déjà dans le premier malade du mémoire classique

de Paget, l'auteur avait constaté des signes d'insuffisance mitrale et à l'au-

topsie on découvrit des lésions athéromateuses avec dépôts calcaires. Chez

le malade de M. Lévy aussi, on avait constaté une insuffisance mitrale et

une induration des artères, de même que dans nombre d'autres observa-

tions postérieures : citons parmi les plus importantes celles de Gilles de

la Tourette et Magdelaine ; de Moizard et Bourges, de P. Marie, de Gail-

lard, de Sée, de Dieulafoy, de Medea, etc.

Il y a toutefois chez notre malade une particularité tout à fait étrange

et qui a trait à l'hypotension artérielle relevée avec toutes les mensurations

sphygmomanométriques.

Nous avons remarqué en effet que la pression artérielle loin d'être

augmentée, comme il est de règle chez les artério-scléreux, était au con-

traire notablement au-dessous de la normale, atteignant au maximun

125 mm Hg. au sphygmomanomètre de Riva Rocci.

De même en regardant la sinuosité et J'en chevé tremeii des artères teiri-

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 265

porales chez notre malade, on aurait pu croire qu'elles étaient le siège

d'un processus athéromateux, tandis que à la palpation tout ce réseau

artériel se présentait avec une tonicité parfaitement normale.

On peut encore se rappeler à ce propos les études radiographiques faites

par Beclère qui avait réussi à suivre sur le cliché le trajet des artères cal-

cifiées dans quelques cas d'ostéite déformante de Paget. Nous n'avons pu

constater rien de semblable avec l'investigation radiographique, bien que

les recherches cliniques nous portent à admettre dans le cas présent des

troubles d'artériosclérose avec hypotension. Dans notre observation, on

pourrait croire que les troubles cardio-vasculaires sont consécutifs aux

déformations osseuses.

, On a entendu beaucoup parler dans ces derniers temps des théories

émises par Lannelongue et Fournier sur la cause pathogénique de l'os-

téite déformante'de Paget qui serait pour ces auteurs un trouble dépendant

de la syphilis héréditaire. La théorie de l'hérédo-syphilis dans la maladie

de Paget a rassemblé des nombreux partisans notamment en France où

des thèses intéressantes ont paru à ce sujet. Nous avons soigneusement

analysé les antécédents héréditaires de notre malade, mais nous n'avons

pu rassembler aucun fait positif qui nous puisse faire admettre avec

la moindre probabilité la syphilis héréditaire chez le malade.

L'examen chimique des urines nous a révélé des altérations profondes

portant sur les échanges organiques.

Nous avons constaté en effet que bien que l'élimination des matériaux

soit plus élevée qu'à l'état normal, toutefois les phosphates terreux de

chaux et magnésie sont en très grande diminution.

On serait donc porté au premier abord à penser que les sels terreux de

chaux et de magnésie qui ne sont pas éliminés par les urines, peuvent être

retenus dans l'organisme et accumulés dans le tissu osseux. Cette expli-

cation n'est pas légitime, il suffit de se rappeler l'analyse chimique des os

faite par quelques auteurs dans l'ostéite déformante progressive, où dans

la plupart des cas on avait constaté un état de malacie osseuse et une di-

minution très sensible des phosphates terreux.

Ces faits coïncident du reste avec les détails de l'examen radiographique

qui nous démontre en plusieurs endroits des zones d'ostéite raréfiante

avec diminution des sels minéraux. Il est donc problable que les troubles

des échanges organiques dans la maladie de Paget ne sont pas constitués

par une simple rétention des phosphates terreux dans l'organisme, mais

que ce trouble est plus grave et porte directement sur la constitution

chimique des différents sels minéraux dans les échanges.

2(1)6 PESCAROLO ET BERTOLOTTI

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NOUVELLLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÉTRIÈRE

T. XXII. PI. XXXV

MALADIE DE DUPUYTREN

(Roudnew).

Masson & Ce Editeurs.

Phototypie Berthaud

UNIVERSITE D'ODESSA

MALADIE DE DUPUYTREN

PAR R

W., ROUDNEW

Privat-Docent de l'Université d'Odessa.

A l'hôpital des aliénés d'Odessa se trouve un malade chez lequel se

développa peu à peu une contracture des deux mains, laquelle ne frappa

qu'un doigt de chaque côté. Ce cas de contracture de doigts, connue sous

le nom de contracture de Dupuytren, parait assez intéressant pour la pa-

thogénie de la maladie, encore obscure à bien des égards; d'un autre

côté, elle offre certaine importance au point de vue de la transmission

héréditaire.

Il s'agit d'un sujet de58 ans, dont le père a eu le doigt annulaire courbé

avant la naissance du fils; la lésion s'est produite à la suite d'une bles-

sure pendant le travail ; le fils, âgé alors de 1 ans, a entendu faire à son

père, ce récit quand il lui a demandé la cause de ce doigt recourbé.

Le père est mort il y a 18 ans, à Page de 91 ans. Quinze ans après sa

mort, c'est-à-dire il y a trois ans, notre malade, âgé alors de 55 ans, com-

mença à voir se courber,doigt annulaire on droit de même que chez le

père ; ce doigt se rétracta peu à peu.

Le même sort a frappé, un an et demi plus tard, symétriquement

l'autre doigt annulaire. La rétraction des doigts n'empêche pas au malade

de se servir des autres. Le doigt droit est plus retracté que celui de gau-

che ; le malade peut des deux côtés faire des mouvements de flexion et

d'extension, plus facilement à gauche. Sur la photographie (PI. XXXV),

on voit un trait tendu venant du doigt droit à la paume de la main.

Le malade a souffert auparavant d'obsessions. Maintenant il présente

encore une volonté faible.

En somme, une contracture commença à se développer peu à peu chez

notre malade à l'âe de 55 ans sans cause apparente ; le doigt frappé est

le même qui a été blessé el contracturé chez son père. S'agit-il d'une

coïncidence accidentelle, ou bien y a [-il quelque rapport avec le trau-

matisme du père ? Si elle n'est pas accidentelle, il est nécessaire de cher-

cher à préciser le rapport de la contracture du fils avec le traumatisme du

268 ROUDNEW

père ? Est-ce la cause héréditaire par suite de prédisposition transmise

par le père qui a agi, et la contracture pourrait-elle être conditionnée par

l'âge, par la maladie mentale ?

Faut-il considérer une cause psychique ? Le fils, sans avoir acquis une

prédisposition héréditaire, a pu graver dans son cerveau le fait du doigt

fléchi qu'il voyait tous les jours chez le père. Le temps aidant, la contrac-

ture a pu se créer ainsi.

Quanta l'influence sur le fils de l'attitude vicieuse du doigt paternel, on

peut dire pour éclaircir cette dernière circonstance que le fils n'y fit pas

attention dans son enfance; il raconte qu'il apprit par hasard que son

père s'était blessé au doigt. Chez le fils, la contracture du doigt commença

à se développer quinze ans après la mort du père. Au commencement, il

n'y prit pas garde et quand la contracture eut atteint un certain degré, il

pensa : « mais, c'est comme chez mon père ». L'apparition de la contrac-

ture à l'autre main l'étonna davantage : cela n'existait pas chez son père.

Mais parce que le doigt était symétrique, le malade étant intellectuel (aca-

démicien), conclut qu'il y avait une certaine relation entre les deux

doigts.

Mais, arrêtons-nous d'abord à la première hypothèse, comme si l'in-

fluence héréditaire était vraie. Le père a transmis au fils la contracture

que lui même a acquise longuement avant la naissance du fils à la suite

d'un traumatisme. Cette contracture ne se manifesta pas immédiatement

après la naissance, mais presque au même âge que le père l'a acquise.

S'il en est ainsi, la transmission héréditaire des propriétés acquises

pendant la vie, lalente pendant des dizaines d'années, peut se manifester

avec le temps.

Dans la littérature, il y a de nombreuses indications sur l'hérédité se

manifestant à l'âge moyen.

Chez un homme, ditSedjvick, le petit doigt commença à se courber par

une cause inconnue ; le même phénomène se produisit au même âge chez

ses deux fils. On connaît plusieurs cas de transmisston héréditaire de la

contracture de Dupuytren. La question du transport héréditaire des pro-

priétés acquises pendant la vie a une importance énorme pour éclairer la

théorie de l'hérédité.

On sait que, dans ces derniers temps,Weismann a développé sa théorie

héréditaire qui nie tout à fait la transmission héréditaire des propriétés

acquises. Galton au contraire admetce transport.La théorie de Weismann

est fondée sur la base de la discontinuité de protoplasme foetal. Cette

théorie remarquable et séduisante, a été soumise néanmoins à une cri-

tique sévère par Romanes qui démontre qu'elle ne fournit aucune preuve

directe de la discontinuité éternelle de protoplasme foetal.

MALADIE DE DUPUYTREN 269

La doctrine du stoïcisme absolu de protoplasme foetal n'est pas vrai-

semblable et elle dément toutes les analogies naturelles et toutes les proba-

bilités. Rien ne prouve, dit Romanes, que les propriétés acquises n'aient

aucune influence sur l'hérédité et que les qualités innées soient en tout

cas héréditaires au plus haut degré. De cette façon, Romanes se range à

l'opinion de Galton qui soutient que les propriétés acquises peuvent être

transmises par hérédité.

Il nous parait que lespropriétés acquises, pouvant dans un certain degré

modifier l'organisme du sujet, peuvent être transmises à la postérité. Mais

qu'il y ait, dans ce cas, influence de l'hérédité ou non, la contracture

elle-même mérite de retenir l'attention comme phénomène pathologique

intéressant.

Nous trouvons les indications suivantes de la maladie de Dupuytren dans

la littérature. Pour la première fois, Dupuytren a remarqué en 1832 que

chez certains sujets, par suite de la rétraction de i'aponévrose palmaire,

un doigt commence à se courber peu à peu et progressivement sans cause

apparente. Goyrand en 1832 émit l'opinion qu'il s'agit là de la formation

d'un faisceau dans le tissu cellulaire sous-cutané. Cénas décrit, en 1884,

un cas où chez un sujet, à la suite d'une blessure par arme à feu du nerf

cubital droit avec l'atrophie musculaire de la main droite et la contracture

de trois derniers doigts se développa en huit ans une contracture de Du-

puytren, à gauche et non pas à droite. Cénas explique le fait par une

myélite cervicale trophique apparue à la suite de la névrite traumatique

du côté opposé.

(xurlt en 1896 supposa un processus inflammatoire qui, déterminant

la disparition de tissu adipeux amenait par suite la rétraction cicatri-

cielle. Merker en 1897 trouva la rétraction de l'aponévrose palmaire

associée à la formation du tissu conjonctif. Remak en 1899 examina le

cas d'Eulenbourg où chez une pianiste se développa une contracture bi-

latérale de Dupuytren avec concomitance de douleurs. En désaccord avec

Eulenbourg, il n'admit pas que la névrite fut la cause de la contracture.

Remak observa 43 cas de névrite dégénérative du nerf cubital à étiolo-

gies diverses, et seulement chez un diabétique la contracture de Dupuy-

tren était peut-être en liaison avec la névrite. Remak croitque le moment

étiologique de l'inflammation du nerf cubital et plutôt accidentel et que

la contracture de Dupuytren ne s'en suit pas nécessairement. En niant la

névrite, Remak n'émit aucune explication de ce phénomène étrange.

Janssen, s'appuyant sur des données d'anatomie pathologique, montre

que dans les cas de contracluie de Dupuytren, il y a hyperplasie de tissu

cellulaire qui a tendance à se rétracter, ce qui amène le raccourcissement

de l'aponévrose et de tout l'appareil de connexion (inflammation chroni-

270 ROUDNEW

que plastique de Langhaus). Le trouble vasculaire, la dégénérescence des

petits vaisseaux paraissent être la cause des modifications du tissu con-

jonctif.

Nichols, examinant en 1899 le cas de la contracture de Dupuytren,

trouva que le tissu cellulaire sous-cutané, le derme et l'épiderme étaient

normaux ; le tissu adipeux n'existait pas, le trousseau fibreux palmaire

s'unissait avec le stratum corneum. Ce trousseau palmaire était formé de

tissu fibreux épais, avec de nombreuses grandes cellules de tissu conjonc-

tif. Pour Janssen, la cause de la contracture de Dupuytren est le trau-

matisme et il s'appuie sur les recherches cliniques et anatomiques, il nie

les autres moments étiologiques.

Doberauer, examinant sept cas de maladie de Dupuytren, pense que les

professions mécaniques peuvent causer la lésion du fait de la pression

mécanique des outils ; la cicatrice qui s'en suit peut à la fin donner la

contracture. Neutra en 1903, discuta d'une manière détaillée la patho-

génèse de la contracture de Dupuytren. Après avoir rencontré des cas

combinés de cette contracture avec le tabès dorsalis, la sclérose en plaques,

la syringomyélie, il arrive à la conclusion que la contracture de Dupuytren

est un trouble trophique et doit se rencontrer surtout dans les mala-

dies de la moelle. Le traumatisme n'est pas exclu absolument ; mais ce

serait une erreur de croire que l'origine de la contracture est seulement t

le traumatisme.

Nichols croit aussi que le trouble nerveux ou trophique se trouve au

fond de la contracture de Dupuytren et il propose l'appeler «sclérose pal-

maire ».

Enfin en 1905, Perrero et Festi, se basant sur les données pathologi-

co-anatomiques de la moelle dans la contracture de Dupuytren, pensent que

dans leurs cas, à la suite de l'affection spinale (syringomyélie), il se fit

une solution de continuité de l'arc trophique, d'où contracture de Dupuy-

tren. Dans les observations de Festi, la contracture de Dupuytren exis-

tait chez trois frères.

Goldflam et Bergmann donnent aussi des cas héréditaires de la contrac-

ture de Dupuytren.

Jordini en 1906 appuya la théorie nerveuse de l'origine de la contrac-

ture de Dupuytren. Pour lui l'artério-sclérose peut donner une maladie

non seulement par la modification du substratum cérébral mais encore

peut-être plus souvent par suite d'un simple trouble dynamique.

On voit que sur la question de la contracture de Dupuytren les auteurs

ne sont guère d'accord. La question n'étant pas résolue, notre cas pré-

sente certain intérêt au point de vue de l'étiologie et de la pathogénie.

Chez notre malade, sans cause extérieure, sans phénomènes de névrite,

MALADIE DE DUPUYTREN 271

se développe peu à peu une contracture d'un doigt. Il faut repousser la a

névrite de même que la cause périphérique. Sans aucun doute,il s'agit ici

d'un phénomène d'origine centrale. Mais quels sont les centres pris ?

Sont-ils logés dans le cerveau ou bien dans la moelle ? D'après les don-

nées physiologiques et pathologiques, les cellules motrices des cornes anté-

rieures de la moelle sont aussi les centres trophiques des différents tissus.

Leur maladie donne un trouble de la nutrition de tissu ce qui aboutit aux

différents troubles trophiques. On connaît, d'autre part, l'influence des

centres corticaux sur la nutrition des tissus; on décrit les atrophies et les

différentes maladies de la peau d'origine cérébrale. Le docteur Majevsky

examinant une maladie d'origine corticale a remarqué par exemple l'ap-

parition d'urticaire qui en dépendait. Dans un cas de vitiligo chez une

aliénée nous avons supposé la localisation corticale de la maladie. Des

cas frappants de l'inlluence de la suggestion sur l'apparition de troubles

trophiques sont décrits en grand nombre. Podjapolsky parle de l'appari-

tion d'une papule après la suggestion. Pour le moment nous observons

un malade avec six doigts à la main dont la mère étant enceinte a vu une

mendiante ayant six doigs. La peur peut blanchir les cheveux. L'écorce

cérébrale peut ainsi influencer la nutrition de la structure des tissus et

c'estpourquoi, dans les cas de troubles trophiques, faut en tenir compte

et ne pas oublier aussi quele neurone médullaire se trouve en rapport avec

le neurone cortical.

L'étude des symptômes particuliers des troubles trophiques dans les

maladies du cerveau et de la moelle nous aidera à comprendre et à mar-

quer leur différence, ce qui est très important pour le diagnostic diffé-

rentiel. Quanta notre cas, nous supposons la localisation corticale du

processus. Les fondements pour cette supposition sont : a) l'hérédité ;

b) le le fils est atteint d'une maladie d'origine corticale ; c) voyant le doigt

fléchi chez son père,il a pu se graver involontairement dans le cerveau cette

circonstance.

En émettant la supposition de la localisation corticale de lésion pour

notre cas, nous n'en excluons pas l'origine médullaire de la contracture

de Dupuytren dans d'autres cas. D'une façon générale, quand il s'agit

de détermination de la localisation des maladies nerveuses, nous nous

sommes convaincus qu'elle peut être différente pour des phénomènes cli-

niques identiques. Il est nécessaire de discerner de quoi il s'agit dans tous

les cas donnés. Par exemple, la contracture musculaire peut être d'ori-

gine cérébrale et d'origine médullaire,maisdans l'un et l'autre cas elle a

ses particularités. Si l'apparition de la contracture chez notre malade à la

main droite peut être expliquée par l'hérédité ou par l'auto-suggestion,

l'existence de la contracture à l'autre main parait assez étrange. Elle n'a

272 ROUDNEW

pu être transmise par l'hérédité ; le malade n'a jamais pensé à la possibi-

lité de ce fait. Par conséquent il faut faire la supposition que l'état du

centre de la main droite influence le centre trophique de la main gauche

et peut y faire naître le môme phénomène. C'est pour ainsi dire un empié-

tement d'un centre sur l'autre. Cénas a proposé dans son cas une explica-

tion pareille après la blessure du doigt chez son malade et à la suite de

l'irritation d'un côté qui en résulta, il apparut, d'après lui, une myélite

trophique de l'autre côté. Si l'on tient compte du fait que dans les né-

vrites ordinaires,d'après Remak,on n'observe pas de trouble trophique du

côté opposé,on peut émettre une autre supposition.Etant donné une mala-

die du centre cortical, l'innervation bilatérale de l'écorce a pu faire le

même état du côté opposé du cerveau ou de la moelle, pareillement aux

phénomènes observés dans les hémiplégies d'origine cérébrale où les

symptômes morbides apparaissent, quoique à un degré plus faible, du

côté opposé qui n'est pas atteint.

Et en effet, chez notre malade, le doigt gauche est moins frappé que le

doigt droit.

Quant au traitement de la contracture de Dupuytren, jusqu'en ces

derniers temps le traitement chirurgical fut seul appliqué. Récemment

nous avons pu encore en observer les conséquences chez notre camarade,

le Dr B...,qui nous a raconté les faits suivants sur sa maladie. En 1886,

en tirant au revolver de petit calibre il s'est blessé par imprudence au

bord externe de la main. La douleur du coup disparut au bout d'un

quart d'heure. La peau ne fut pas entamée, il ne remarqua pas d'ecchy-

moses. Il ne s'émotionna pas autrement. Au bout de trois semaines, il

apparut à l'endroit du coup une dépression comme si la peau fut

tirée. Cette dépression infundibuliforme, ihdolente, persista longtemps.

sans autre modification. Quinze ans plus tard le redressement du petit

doigta cet endroit parut embarrassé. En 1902, la dépression parut plus

marquée, les mouvements furent plus limités; la contracture du doigt

progressa surtout pendant ces trois dernières années. Deux gonflements

parurent, l'un à l'articulation phalango-phalangienne, l'autre au dernier

pli de la paume de la main. Ces gonflements devinrent plus durs et plus

grands. L'effort de redresser le doigt s'accompagna de douleur et de ti-

raillement. Enfin la contracture a atteint telle intensité que le doigt se

poussa à angle droit par rapport à la paume de la main ce qui embarrassait

les mouvements de la main, et pour cela on résolut de faire une opération.

L'incision de la peau commença au niveau de la deuxième phalange et

prolongea jusqu'au milieu de la paume de la main.

Le redressement du doigt ne fut possible qu'après l'extirpation du trous-

seau fibreux qui fut lié avec la peau et le tissu conjonctif environnant. Le

MALADIE DU DUPUYTREN 273

redressement devint complet quand le tendon fut délivré de tissu fibreux.

Le faisceau fibreux extirpé était assez épais et long de deux centimètres.

La plaie est réunie par sutures; au bout de deux semaines, guérison par

première intention. Après l'opération, les mouvements de la deuxième

phalange restent un peu limités.

Peckham recommande aussi le procédé de dissection et d'extirpation à

ciel ouvert, l'incision sous-cutanée donnant assez souvent la récidive.

Jotlleissen, dans des cas légers, applique le massage ou bien l'incision

sous-cutanée du faisceau tendu. Dans d'autres cas plus tenaces, il recom-

mande l'extirpation du faisceau fibreux ; -l'incision doit dépasser le ten-

don, la peau ne doit pas donner une nouvelle contracture cicatricielle.

En outre, on a proposé un traitement médical. Zengemann, dans deux

cas de contracture de Dupuytren, a appliqué les injections de thiosinamine

et obtint dans un cas la guérison après 28 injections quotidiennes d'un

centimètre cube de la solution à 10 pour cent dans l'infiltrat et la paume

de la main. Dans l'autre cas,il obtint l'amélioration après 12 injections.

Notre malade a refusé tout traitement.

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VARIÉTÉ DE TROPHOEDÉ1'IE ACQUIS

CHEZ UNE FEMME OVARIOTOMISÉE,

GOITREUSE ET ALIÉNÉE

PAR

J. RAMADIER

Médecin-directeur

de l'asile de Blois.

et

L. MARCHAND

Médecin adjoint de la Maison

nationale de Charenton.

Sous le nom de trophoedème, H. Meige (1) a décrit un « oedème chro-

nique, blanc, dur, indolore, à répartition segmentaire, unilatéral ou bi-

latéral, frappant notamment les membres inférieurs, isolé ou familial et

héréditaire, parfois aussi peut-être congénital ». A la suite des travaux de

cet auteur, de nombreux cas de trophoedème furentpubliés, et actuellement

on considère que cette affection peut être congénitale ou acquise dans

l'enfance [cas de Rapin (2), D41lroy (3), Nonne (4), IIertoghe (5), Ma-

bille (6), Lortal Jacob (7), Courtellemont (8), Senlecq (9), Achard et

Ramond (10), «leil et Péhu (11)], héréditaireou familiale (cas de Milroy,

(1) H. Meige, Le trophoedème chronique héréditaire. Nouv. Iconographie de la Sal-

pêtrière, 1899, p. 453. - Sur le t,'ophoedème, Nouv. Iconographie de la Salpêtrière,

1901, no 6.

(2) Rapin, Sur une forme d'hypertrophie des membres [dystrophie conjonctive myé-

lopalhique). Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1901, nc 6, p. 413.

(3) Milroy, New-York med. Journ., 1892.

(4) Nonne, Arch. f. path. anat. Berlin, 1891.

(5) Hertoghe, Contribution à l'étude du trophoedème chronique. Nouv. Iconographie

de la Salpêtrière, ne 6, p. 496, 1901.

(6) MANLLE, Observation de trophtxdème. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1901 ,

p. 503.

(1) Lortat-Jacob, Deux cas de trophoedème héréditaire chez des enfants. Soc. de neu-

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(8) Courtellemont, Trophoedème chronique, variété congénitale unique. Soc. de neu-

rol., 5 déc. z

(9) SBNLBCQ, Un cas de trophtedème congénital chez un nouveau-né. Soc. d'obst.,

de gyn. et de pédiatrie, 10 déc. 1905.

(10) CH. Achard et L. RAMON, Trophmdème. Soc. de neurol., 5 nov.1908.

(11) Vsu. et Pentu, Trophmdème chronique non congénital du membre inférieur droit

chez une enfant de 11 ans. Soc. méd. des Hôp. de Lyon, 31 mai 1904.

276 RAMADIER ET MARCHAND

Nonne, Tobiesen (1), Lannois (2), Lortat Jacob), acquise et non fami-

liale [cas de Debove, Vigouroux (3), Rapin, Hertoghe, Lannois et Lan-

çon (4), Parhon et Florian (5), Sicard et Laignel-Lavastine (6), Sainton

et Voisin (7), Laignel-Lavastine et Thaon (8), Testi (9). Jousset (10)] ;

enfin, suivant le mode évolutif de l'affection, on dit que le trophoe-

dème est progressif ou non progressif.

L'étiologie et la pathogénie des trophoedèmes restent encore entourées

d'obscurité. Tantôt on invoque les traumatismes [Etienne (11)], tantôt une

lésion du système nerveux central (Testi) ; ou une altération des centres

spinaux tenant sous leur dépendance la nutrition du tissu conjonctif; cer-

tains auteurs attribuent l'oedème à une lésion du sympathique et secon-

dairement à une altération du système lympho-secréteur Valobra (12)] ;

d'autres à une anomalie de développement du feuillet moyen, d'autres

encore à une altération ou à un trouble dans les fonctions des glandes à

sécrétion interne.

L'observation suivante se rapporte à un cas de trophoedème dont la

pathogénie et les caractères sont tels qu'il est difficile de le classer dans

les variétés de trophoedème actuellement décrites.

Observation.

M..., âgée de 56 ans, entre à l'asile de Blois le 8 avril 1904.

Antécédents héréditaires.- Père mort à 73 ans d'une maladie de coeur ; mère

morte à 52 ans de la variole. Une tante paternelle est morte d'une maladie de

foie ; une tante maternelle est morte d'une fluxion de poitrine. Un frère, plus

âgé que M... est actuellement en bonne sauté.

(1) TOBIÉSEN, Jahrbuch f. Kinderh., na 49.

(2) Lannois, Trophcedème chez une épileptique. Lyon méd., 1904.

(3) Vigouroux, OEdème dystrophique du membre inférieur gauche. Nouv. Iconogra=,

phie de la Salpêtrière, 1899, p. 481.

(4) Lannois et Lançon, Trophmdème hystérique. Journ. de méd. pratique de Lyon et

de la région, 31 déc. 1903.

(5) C. Parhon et S. FLORIAN, Sur un cas de trophcedème chronique. Nouv. Iconogra-

phie de la Salpêtrière, 1907, p. 159.

(6) Sicard et Laignel-Lavastine, Trophoedème acquis et progressif. Nouv. Iconogra-

phie de la Salpêtrière, 1903, p. 30.

(7) P. SANTON et Il. Voisin, Contribution à l'élude du trophoedème, Nouv. Iconogra-

phie de la Salpêtrière, no 3, mai-juin 1904, p. 189.

(8) LAIGNEL-LAVASTINE et P. Thaon, Syndrome de Basedow chez une goitreuse avec

trophoedème . Soc. de Neurologie, 9 nov. 1905.

(9) A. TESTI, OBdème neurolrophique et vaso-moteur du membre supérieur droit.

Riv. critica de clinica medica, an V, ne 43, Florence, 1904.

(10) JoussET,Un cas de trophoedème. &oc. de l'internat des Hop.de Paris,29 juillet 1907.

(11) G. Etienne, Des trophoedèmes chroniques d'origine traumatique, Nouv. Iconogr.

de la Salpêtrière, mars-avril 1907, p. 146.

(12) N. VALOBRA, Pathogénie des oedèmes d'origine nerveuse. Soc. de neurol., 2 mars

1905.

VARIÉTÉ DE TROPHOEDÈME ACQUIS CHEZ UNE FEMME 277

Antécédents personnels. z M... n'a pas eu de maladie grave dans sa jeu-

nesse. Son développement physique et intellectuel fut normal ; M... est d'une

intelligence moyenne et reçut une instruction supérieure; elle a toujours ma-

nifesté des idées religieuses exagérées. Réglée pour la première fois à 13 ans,

elle le fut toujours régulièrement dans la suite.

Mariée à z4 ans, M... eut deux filles qui sont bien portantes.

A 42 ans, M... fut atteinte de pleurésie ; depuis, elle fut toujours souffrante.

Elle présenta des métrorragies continuelles et passa, pendant dix ans, la plus

grande partie des journées assise dans un fauteuil.

En 1900, les hémorragies prirent un développement inquiétant ; on

constata à la même époque la présence d'un fibrome utérin. Une intervention

fut décidée. M... fut d'abord opérée de son fibrome qui pesait dix livres et,

quarante jours après la première opération, elle subit une hystérectomie totale

(utérus et annexes). Elle resta quatre mois à la maison de santé où elle fut

opérée et en sortit bien rétablie.

Quelques mois après son opération, M... commença à ne plus pouvoir sup-

porter aucun bruit. Le son des cloches d'une église voisine de son habitation

l'énervait ; elle manifesta des idées mélancoliques et des idées de suicide. A

plusieurs reprises, elle se frappa la tête contre les murs. Sur les conseils de

son médecin, elle fit, sans aucun résultat d'ailleurs, une saison à Néris ; de re-

tour chez elle, M... vit son état s'aggraver; son placement dans une maison

de santé fut décidé à la suite d'une tentative de suicide ; elle avait avalé le con-

tenu d'un flacon de chloral.

M... resta internée sept mois; elle présenta durant cette période des idées

de persécution ; elle accusait l'infirmière qui la soignait de lui donner des

coups sur la tête, de lui enlever les amygdales, de lui casser les dents, de lui

mettre une éponge dans la bouche pour l'empêcher de crier, de lui abîmer les

yeux. M... prétend que l'infirmière lui disait à chaque instant : do ferai tout

ce que je pourrai pour vous rendre affreuse. » Une autre infirmière était de

connivence avec sa garde pour la maltraiter et, à elles deux, elles auraient

cherché à lui casser les doigts de pieds.

Sortie de la .maison de santé. M... retourna dans sa famille, où elle resta

deux ans ; elle habitait une maison de campagne loin de tout bruit, car elle

n'avait pas voulu retourner dans son ancienne demeure. Elle manifesta bien-

tôt des idées mélancoliques et des hallucinations de l'ouïe, de l'odorat et du goût.

Elle se croyait ruinée, demandait à chaque instant ce que deviendraient ses en-

fants et sa famille si elle mourait. Des voix lui disaient qu'elle était damnée ;

qu'elle était un démon, qu'elle sentait mauvais. Elle se plaignait du mauvais

goût de ses aliments, les trouvait amers comme de la quinine. Elle manifesta

à plusieurs reprises l'idée de se tuer et fit même plusieurs tentatives de sui-

cide. On se décida alors à l'interner de nouveau.

A son entrée à l'asile de Blois, M... est calme, elle a une attitude déprimée 5

la voix est sourde; le visage exprime la souffrance. D1... répond volontiers

aux questions qu'on lui adresse. Nous constatons les symptômes suivants : la

mémoire est intacte et même conservée pour les moindres faits. M... se rap-

xxii 19

278 RAMADIER ET MARCHAND

pelle les plus petits détails de son existence. Qu'il s'agisse de faits anciens ou

récents, elle connaît toutes les dates des anniversaires de ses parents ; aucun

événement ne lui échappe. ,

Les troubles mentaux consistent surtout en un délire de persécution por-

tant sur tout son séjour à la maison de santé où elle fut internée la première

fois. M... décrit avec un luxe de détails toutes les persécutions que lui firent

subir les infirmières ; elle attribue son état actuel aux mauvais traitements

qu'elle subit.

M... manifeste en outre des idées mélancoliques et des idées hypochondria-

ques. Elle a le dégoût de la vie et désire la mort ; elle prétend qu'elle va rui-

ner sa famille ; ses filles vont tomber malades parce qu'elles se sont tuées à la

soigner. Les idées délirantes hypocbondriaques sont secondaires aux idées de

persécution manifestées antérieurement; M... prétend que ses membres supé-

rieurs sont atrophiés parce qu'elle a été camisolée jour et nuit et qu'elle est

restée ligotée ; sa nuque est aplatie, son crâne est défoncé ; elle n'a plus d'os ;

elle prétend également que ses membres sont paralysés et ne fait aucun effort

pour serrer un objet qu'on lui présente ; elle refuse de marcher.

Les hallucinations de l'ouïe persistent; elle entend des voix qui lui disent

qu'elle est damnée, qu'elle est une salope, qu'elle sent mauvais ; les halluci-

nations sont bilatérales.

Au point de vue physique on constate les symptômes suivants : les appa-

reils circulatoire, respiratoire et digestif paraissent ne présenter aucun trouble.

Les urines ne contiennent ni sucre, ni albumine. La palpation du ventre

ne décèle aucune tumeur. 1

La sensibilité tactile à la douleur, au chaud et au froid est normale, le sens

de position est conservé. Pas de trouble de la sensibilité visuelle et auditive.

Les reflexes patellaires sont normaux. Les pupilles sont égales, leurs ré-

flexes se font normalement.

Pas de trouble de l'équilibre ; la marche est lente ; la malade semble lever

difficilement ses pieds; on ne constate cependant aucun trouble paraplégique.

Pas de tremblement de la langue et des extrémités.

Pas de troubles de la parole articulée et des fonctions du langage.

L'appareil cutané présente les modifications suivantes : la peau des mains

est pâle, lisse, luisante, glabre ; les ongles des doigts sont cassants et portent

dessillons longitudinaux; les doigts sont effilés. La peau des membres, aussi i

bien que celle du corps, ne porte plus aucun poil, sauf quelques poils rares aux

aisselles et au pubis. Depuis plusieurs mois, M..., a perdu une grande quan-

tité de cheveux. Les dents présentent des érosions et certaines se sont effri-

tées. A noter enfin un papillome de la grosseur d'une noisette sous le sein

gauche.

Les membres inférieurs sont légèrement oedématiés ; il s'agit d'un oedème

dur, localisé surtout au dos du pied.

Au niveau du cou, on constate la présence d'un goitre ; le corps thyroïde

est uniformément hypertrophié et atteint le volume d'une grosse mandarine.

VARIÉTÉ DE TKOPHOEDÈME ACQUIS CHEZ UNE F ? l\IME 279

D'après les renseignements donnés par la malade, l'apparition de ce goitre re-

monterait à moins d'un an.

Les mois suivants, l'état mental de M... reste stationnaire.Par contre l'oedème

des pieds augmente et s'étend non seulement au dos du pied, mais également

à la partie inférieure de la jambe. Cet oedème n'est pas dépressible ; il est moins

accentué le matin au réveil ; la peau ne présente aucune modification de

couleur; sa température est normale ; la malade ne se plaint d'aucune douleur

spontanée dans ses membres inférieurs ; la pression des régions cedématiées

est douloureuse.

2 novembre. - Le papillome situé sous le sein gauche s'est ulcéré ; on l'ex-

tirpe après insensibilisation à la cocaïne.

.3. Crises d'excitation au cours desquelles M... invective les médecins

et les infirmières ; elle les accuse de l'avoir charcutée sur des côtes écra-

sées ; elle les fera aller tous en prison ; ils n'y échapperont pas ; ils ont fini

de l'atrophier.

20 décembre. A la suite d'un bain qu'elle vient de prendre contre sa vo-

lonté, M... prétend qu'on lui a cassé la colonne vertébrale et écrasé le ventre.

Elle refuse de se lever,'disant qu'elle est perdue, qu'on l'a tuée.

22. Même état mental. Insomnie presque complète. Sous l'influence

de l'alitement continu, les jambes et les pieds oedématiés ont diminué de

volume, mais l'oedème reste toujours prononcé.

27. La malade consent à se lever. Elle reste assise dans un fauteuil

toute la journée ; seuls les membres supérieurs exécutent quelques mouve-

ments.

2 janvier 1905. - M... dort mieux; mêmes idées hypochondriaques et

mélancoliques ; hallucinations auditives ; asthénie neuromusculaire. L'oedème

des jambes est très prononcé. Ni sucre, ni albumine dans les urines. On ne

constate aucune lésion cardiaque.

5 juillet. M... dort chaque nuit de 8 heures du soir à 5 heures du matin ;

aussitôt réveillée, elle pousse des gémissements ; elle prétend ressentir des dou-

leurs intolérables au niveau de la nuque et des épaules ; ses os, dit-elle, sont

atrophiés, ses côtes sont aplaties. Elle entend toujours les mêmes voix qui lui

disent qu'elle est sale, malpropre, etc. L'oedème des jambes forme un bourrelet

de deux centimètres environ au niveau des malléoles. M... ne fait aucun mou-

vement et reste assise toute la journée dans un fauteuil.

Février 1906. Depuis quelques mois, le caractère de M... est insuppor-

table ; la malade se plaint de tout et de tout le monde ; elle prétend qu'on lui

donne de mauvais aliments ; son lait a mauvais goût ; elle invective les infir-

mières ; on ne s'ait pas la soigner, etc.

M... fait tous les soirs des difficultés pour se coucher; elle somnole sur son

fauteuil et refuse d'aller au lit. Aussitôt couchée, elle s'endort jusqu'à cinq où

six heures du matin. Dès qu'elle est réveillée, elle veut qu'on la lève, et si on

ne le fait pas, se met à gémir, répétant sans cesse comme une complainte : « ils

veulent me tuer ».

280 RAMADIER ET MARCHAND

L'oedème des membres inférieurs a encore augmenté ; la peau présente par

places de petites écailles brunâtres.

Les urines ne contiennent ni sucre, ni albumine.

Dans la suite, mêmes troubles mentaux et physiques. A noter des crises

de colère journalières pour les motifs les plus futiles.

20 janvier 1907. M... se plaint dans la soirée de maux de tête violents.

A dix heures du soir, elle est prise subitement de vomissements indolores se

produisant sans effort ; pas de perte de connaissance .Les vomissements se sont

renouvelés pendant toute la nuit ; on constata dès le début des accidents une

paralysie faciale droite prédominant sur le facial inférieur et un léger embarras

de la parole. L'ouïe est douloureuse du côté droit. Les membres ne présen-

tent aucun trouble paralytique. Malgré l'absence apparente de lésion cardiaque,

on fait le diagnostic d'embolie cérébrale.

21 janvier. Les vomissements ont complètement cessé ; les troubles de

la parole ont disparu, la paralysie faciale droite persiste ; l'ouïe est douloureuse

du même côté. Pas de fièvre.

30 janvier. - Le caractère irritable de M... s'est encore exagéré depuis

l'apparition de la paralysie faciale. L'oedème des membres inférieurs présente

le même aspect.

45 jvin. - Caractère toujours difficile. Les hallucinations de l'ouïe sont

moins actives ; la malade entend encore de temps en temps qu'on l'appelle

misérable, salope, etc. Elle conserve les mêmes idées bypochondriaques ; elle

dit qu'elle a la colonne vertébrale brisée ;, ses os sont atrophiés; ses côtes

aplaties, etc..

L'oedème des membres inférieurs s'est considérablement accru. Il occupe

chaque segment du pied ; chaque partie comprise entre les articulations des

doigts de pied forme un bourrelet; le dos du pied présente l'aspect d'uue

masse énorme semblable à une demi-sphère. Au niveau des malléoles internes,

et externes, il existe une région triangulaire séparée des régions voisines par

des sillons très profonds. A la jambe, l'oedème ne commence qu'a la partie

moyenne et augmente progressivement jusqu'à la partie inférieure où il

forme un très gros bourrelet venant recouvrir comme une collerette une

partie des autres régions oedématiées des pieds. La localisation de f'oedème

est symétrique aux deux membres inférieurs, mais il est plus accentué à la

jambe droite. La peau est de couleur rosée et d'une température normale;

par places, elle est recouverte de petites squames jaunâtres qui résistent au

savonnage et aux bains de pied prolongés ; elle est irrégulière, granuleuse, a

les rugosités d'une peau d'orange. Au toucher, la pean donne une sensation de

fermeté, d'élasticité ; elle est très épaissie et repose sur un tissu de consistance

plus molle. La pression du doigt ne détermine pas de godet. On n'observe

aucune altération des artères, des veines, des capillaires, des os ; aucune veine

ne se dessine sous la peau des régions oedématiées ; pas de varices veineuses

ou lymphathiques.

La malade a encore perdu une grande partie de ses cheveux ; la plupart

des grosses dents se sont effritées ; les gencives sont enllammées.

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière.

T. XXII. Pl. XXXVI

VARIÉTÉ DE TROPHOEDÈME ACQ.UIS

Chez une aliénée, goitreuse et ovariotomisée

(Rallladier et Marchand)

MH550n & Cie. Edltcurs.

VARIÉTÉ DE TROPHOEDÈME ACQUIS CHEZ UNE FEMME 281

Pas de dermographisme.

Les réflexes patellaires sont faibles ; le réflexe cutané plantaire est normal.

Quand la malade soulève les pieds au-dessus du sol, ceux-ci sont animés

d'un tremblement à oscillations étendues et assez rapides.

Les muscles des membres inférieurs sont atrophiés ; l'atrophie paraît résul-

ter de l'inertie même de la malade.

Les muscles de la face du côté droit sont légèrement contractures.

Janvier 1908. - Même état mental ; l'oedème des membres inférieurs a pris

encore des proportions plus considérables. A la face dors' le du pied droit, au

niveau d'un tissu cicatriciel résultant d'une brûlure ancienne, il s'est produit

une ulcération. '

Mars. La plaie du pied droit est cicatrisée.

Novembre. Depuis quelques jours, M... est plus déprimée; les hallucina-

tions sont devenues plus fréquentes ; M... entend à chaque instant des [voix

qui lui reprochent ses tentatives de suicide ; on lui dit qu'elle est damnée,

qu'elle est un démon ; mêmes idées hypochondriaqnes ; M... se plaint surtout

des parties de son corps autres que les régions oedématiées. La cicatrice du pied

droit s'est encore ulcérée. Asthénie très prononcée. -

Janvier 1909.- Même état mental ; l'ulcération delà face dorsale du pied

droit est en voie de guérison. La circonférence du pied droit atteint à sa partie

moyenne 38 centimètres ; celle de la partie inférieure de la jambe droite 49

centimètres. La circonférence du pied gauche à sa partie moyenne est de 37

centimètres ; celle de la partie inférieure de la jambe gauche de 39 centi-

mètres (La planche XXXVI reproduit une photographie). Les urines ne con-

tiennent ni sucre, ni albumine.

20 Mars 1909. - Depuis deux mois, M... est soumise à un traitement opo-

thérapeutique ; elle absorbe chaque jour vingt centigrammes d'extrait de glande

thyroïde et trente centigrammes d'ovarine. Aucune amélioration ne s'est

manifestée dans son état.

On peut résumer ainsi notre observation ; chez une femme ovarioto-

misée apparaissent simultanément des troubles mentaux, un goitre avec

altérations trophiques de la peau, des poils et des dents, de l'oedème des

membres inférieurs. Quelques mois plus tard, le goitre disparaît, mais les

troubles mentaux persistent, tandis que l'oedème des membres inférieurs

atteint des proportions monstrueuses.

Les troubles mentaux ne présentent rien de particulier; il s'agit de

dépression mélancolique avec idées de persécution et hallucinations de

l'ouïe ; l'asthénie neuro-musculaire qui est très accentuée est à noter cepen-

dant ; les moindres mouvements sont pénibles; cette asthénie est de règle

chez les myxoedémateux,

Les troubles trophiques présentés par notre malade sont à rapprocher

de,ceux l'apportés. actuellement à la dysthyroïdie. La peau lisse et glabre

282 RAMADIER ET MARCHAND

des mains, les sillons longitudinaux des ongles qui sont cassants, les

lésions dentaires, la chute des poils, l'oedème des membres inférieurs, qui

au début rappelait le pseudo-oedème décrit par Dide (1) chez les catatoni-

ques et qui actuellement ressemble à l'éléphantiasis, sont autant de signes

que l'on peut rapporter à un trouble de la fonction thyroïdienne. L'abla-

tion des ovaires, organes qui appartiennent au groupe des glandes à

sécrétion interne, a joué également un rôle évident dans l'éclosion des

accidents; c'est après l'opération de l'ovariotomie que survint le goitre

qui disparut dans la suite et qui peut être attribué à une exagération

compensatrice momentanée de la sécrétion thyroïdienne.

L'intérêt de notre observation repose également sur les caractères de

l'oedème des membres inférieurs qu'il est impossible de rattacher à un

type nosographique défini. La peau des régions oedématiées est rosée et

non pâle comme dans le trophoedème ; l'oedème est bien segmen taire au ni-

veau des orteils et des pieds, mais à la partie inférieure de la jambe l'in-

filtration va en progressant de haut en bas ; la peau et le tissu cellulaire

sous-cutané sont distendus par un liquide qui paraît être entraîné dans

les parties les plus déclives sous l'influence de la pesanteur. Tandis que

le trophoedème est dur et non dépressible, l'oedème de notre sujet est géla-

tineux ; il semble que la peau très hypertrophiée repose sur un tissu plus

mou; notre malade se plaint en outre de douleurs spontanées dans les

membres inférieurs et gémit dès qu'on exerce sur la peau la plus légère

pression ; or, le trophoedème est indolore.

Notre observation établit l'existence de variétés d'oedème dont les carac-

tères s'éloignent notablement de ceux de la maladie de Meige. Courtelle-

mont (2) a rapporté dernièrement un cas de ce genre ; chez son sujet la

peau des régions oedématiées était rosée ;on obtenait un godet à la pression ;

le gonflement augmentait à la suite de la station debout ; il existait une

élévation delà température locale. Dans notre observation, l'oedème for-

me également une variété bien spéciale. On ne peut actuellement que

classer tous ces cas disparates et conclure avec Aievoli (3) qu'il existe

toute une classe de dystrophies dont le myxoedème et le trophoedème de

Meige sont les formes les plus tranchées. Entre ces deux affections, il

existe toute une série de formes intermédiaires différant plus ou moins

par leurs caractères cliniques et leur pathogémie.

(1) M. vIDE, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1906, p. 96.

(2) Courtellemont, loc. Cit,

(3) AIEVOLI, Sur les rapports entre les lipomes, l'adipose douloureuse, l'adéno-lipo-

matose et les affections ou productions similaires. Il Morgagni, nOS 8 et 9 ; août-septem-

bre 1905.

INTERVENTION CHIRURGICALE DANS UN CAS

DE PSYCHALGIE BRACHIALE HYSTÉRIQUE,

PRÉTENDUE COTE CERVICALE

e PAR

' - Le Professeur A. STCHERBAK

(de Varsovie).

Observation.

Il s'agit d'une malade âgée de 25 ans, d'une famille névropathique. Depuis

longtemps elle présente des symptômes d'hystérie grave (entre autres, vomis-

sements hystériques pendant deux ans, à l'âge de 12 à 14 ans). La maladie

actuelle a débuté il y a deux ans et demi après une fièvre typhoïde. Elle se

manifestait par des douleurs très vives, par des paresthésies et l'affaiblisse-

ment de la force motrice de l'extrémité supérieure droite et par l'atrophie des

petits muscles de la main. Après divers traitements demeurés sans résultat, il

y a 18 mois, les médecins qui traitaient la malade lui ont fait la résection d'une

prétendue côte cervicale, dont on supposait l'existence en se basant non seu-

lement sur les symptômes cliniques, mais aussi sur les résultats de la radio-

graphie. Après l'opération, les douleurs dans l'extrémité supérieure droite ces-

sèrent, mais, au dire de la malade, survinrent des symptômes de lésion trau-

,matique de diverses racines du plexus brachial (parésie des muscles deltoïde,

grand dentelé, rhomboïde). Après quelques mois d'un traitement méthodique,

les suites de l'opération disparurent et la malade se rétablit complètement.

Pourtant, il y a deux mois, les douleurs, aussi bien que les autres symptômes,

reparurent. La malade eut recours aux mêmes médecins, qui lui conseillèrent

de se soumettre derechef à une opération. La malade s'adressa alors à moi

(elle m'avait déjà demandé conseil avant l'opération, que je lui avais catégori-

quement déconseillée, mais elle ne m'obéit pas). Je refis l'examen complet de

la malade et le retrouvai le même tableau que j'avais noté 18 mois auparavant,

j'ai fait un diagnostic identique à celui qui avait suivi mon premier examen.

En ce qui concerne le tableau clinique, des douleurs atroces y figuraient en

premier lieu ; elles étaient presque continues, de caractère diffus dans toute

l'extrémité supérieure droite. Ces douleurs empêchaient la malade de dormir,

de manger et s'aggravaient au moindre mouvement. Cependant, en détournant

l'attention de la malade, on pouvait produire des mouvements passifs très éten-

dus sans provoquer la moindre douleur. Dans la région de l'extrémité supé-

284 STCHERBAK

rieure droite, de même que dans les autres parties du côté droit du corps, on

constatait des plaques anesthésiques et hyperalgésiques, qui changeaient de

limites dans les examens réitérés. Parésie diffuse peu prononcée de l'extrémité

supérieure droite, réflexes profonds affaiblis. Atrophie des muscles intérosseux,

des muscles de l'éminence thénar et hypothénar à droite, avec simple dimi-

nution de l'excitabilité électrique. Dans les muscles du pouce on voit des

secousses particulières; ces secousses provoquent des mouvements convulsifs

du pouce, éclatant spécialement alors que la malade y prète son attention ;

elles disparaissent avec abduction et adduction du pouce et alors se trans-

forment parfois en tremblement non seulement des doigts, mais aussi de toute

l'extrémité en masse. Les réflexes de la conjonctive faisaient défaut et ceux de

la cornée étaient affaiblis des deux côtés. Rétrécissement concentrique du

champ visuel.

Par ailleurs, l'examen objectif n'a rien constaté de pathologique.

Me basant sur les faits ci-dessus décrits, cette seconde fois comme la pre-

mière fois, j'ai fait le diagnostic de psychalgie brachiale hystérique, compli-

quée de névrite. La psychalgie prédominait dans le tableau clinique à un tel

point que, évidemment, le traitement devait en premier lieu être dirigé contre

elle.

J'ai recommandé le traitement hypnotique, le docteur Calpan l'appliqua et

obtint d'excellents résultats. Après trois séances hypnotiques survint une amé-

lioration considérable ; après dix séances les douleurs et les secousses dispa

rurent complètement et la force motrice de l'extrémité supérieure ^droite fut

reconstituée. L'atrophie des muscles diminua rapidement, et un mois après,

c'est à peine si l'on pouvait en percevoir les traces. Des symptômes névritiques

il ne restait plus qu'une certaine sensation douloureuse à la pression du nerf

médian et du nerf cubital du côté droit et une légère diminution des réflexes

profonds dans l'extrémité supérieure droite Comparativement â ceux de l'extré-

mité gauche.

\

Ainsi, nous n'avions affaire qu'aux reliquats d'une névrite (d'après les

données de l'anamnèse, d'une névrite post-typlioïdique) qui par elle-même

ne faisait nullement souffrir la malade. Les médecins, qui avaientd'abord

observé la malade, envisageaient, évidemment, la prétendue côte cervi-

cale comme cause des symptômes névritiques. L'image radiographique,

actuelle (V. la figure représentant l'exacte copie de l'image radiographi-

que réduite qualre fois), montre que pendant l'opération on avait, à pro-

prement parler, réséqué l'apophyse transverse de la septième vertèbre

cervicale, apophyse qui, d'ailleurs, n'offrait aucune-altération mani-

feste ; en même temps, la radiographie ne fournit aucune preuve de

l'existence de côtes cervicales (généralement bilatérales).

J'en eus une confirmation le médecin qui avait pris la radiographie,

il y a dix-huit mois, me fil part qu'alors il n'y avait non plus de signes

INTERVENTION CHIRURGICALE DANS UN CAS DE PSYCHALGIE 285

précis de l'existence de la côte cervicale. Le tableau clinique et la marche

de la maladie de leur côté témoignent clairement que les douleurs dont

la malade a si atrocement souffert n'étaient nullement d'origine organi-

que pas plus actuellement qu'il y a dix-huit mois, avant l'opération,

quand j'avais constaté les mêmes signes de psychalgie.

Or, il semble évident que l'opération, qui a pu pour un an faire cesser

les douleurs chez la malade, agissait en qualité de moment psychique et

n'était pas de rigueur, même si la côte cervicale eût existé.

Kn ce sens, l'observation actuelle présente un certain intérêt pratique,

une sorte d'avertissement contre l'exagération du rôle des côtes cervi-

cales dans l'étiologie de la névrite du plexus brachial.

Une revue de la riche littérature médicale, qui concerne les côtes cer-

vicales (1), de son côté, amène à la conclusion que le diagnostic de la

(1) La plus grande partie de la littérature contemporaine est citée dans le travail

du D. Fûrnrohr (Die Rüutgenstrahlen im Dienste der Neurologie, Berlin, 1906). Mais

dans ce livre la question de l'importance clinique des côtes cervicales, à mon avis,

n'est éclairée que partiellement et quelques points importants sont laissés dans l'om-

bre. La casuistique chirurgicale est réunie chez De Quervain (Cenir. f. Chir., 1895,

n° 47), Spijarny (Medic. Obosr., 1901. p. en russe; l'auteur cite quinze cas d'interven-

tion chirurgicale), Filmann (Detits. 7eil. f. Chir., 1895, Bd. 41), Erich (Beilr. zur klin.

Chir., 1895, Bd. 14), Fikhof (Arch. chirur. (en russe), 1905, v. II, l'auteur a réuni cin-

quante-cinq observations cliniques). Bogoluboff (Med. Obosr. (en russe), 1906, n° 17).

Baradouline (Med. Obosr., 1908. n° 2).

286 STCHERBAK

compression du plexus brachial par la côte cervicale doit être posé avec

de grandes précautions.

Les côtes cervicales, connues depuis longtemps, ont été décrites exac-

tement pour la première fois et étudiées anatomiquement par le profes-

seur Grouber (1) en 1869; il parait que la côte cervicale fut pour la pre-

mière fois déterminée sur le vivant par Willshire (2). Avant la décou-

verte de Roentgen on considérait les côtes cervicales comme une des

causes rares de la névralgie du plexus brachial (Bernhardt (3), Kuster (4),

Pilling) (5) et sa résection fut parfois suivie d'un brillant succès (Coote,

en 1861, Fischer en 1892, Boyd en 1893) (6).

Depuis la découverte de la radiographie, le nombre des descriptions de

cas des côtes cervicales a considérablement augmenté et leur importance

clinique a fait l'objet de plusieurs travaux.

Avant tout, il résulte de ces recherches, que dans le plus grand nom-

bre de cas, les côtes cervicales ne fournissent aucun symptôme ni du côté

du plexus brachial, ni du côté des vaisseaux sous-claviers. Ces symptômes

se manifestent tout au plus dans la proportion de 5 à 10 0/0 des cas

UORHARDT (7), Lévi (8)] ; par conséquent, le plus souvent, les côtes cer-

vicales peuvent être considérées seulement comme un signe de dégénéres-

cence (Oppenheim, Lévi) et elles peuvent coexister avec différentes autres

affections fonctionnelles et organiques du système nerveux, sans provoquer

par elles-mêmes des symptômes BORIIAIiDT (9), MARBURG (10), Lévi (11),

REUTER (12), SPILLER and Gittings (13)]. Cette coexistence peut égarer le

diagnostic en ce qu'on attribue un rôle essentiel à la côte cervicale déter-

minée par la radiographie, tandis que, de fait, il existe un processus cen-

tral, comme par exemple la syringomyélie donnant naissance à des symp-

tômes locaux (Borhardt, MARHURG) (14). C'est ainsi que MARBURG décrit

un cas d'hystérie, dont les symptômes simulaient la compression du

plexus par la côte cervicale.

(1) Mém. de l'Aead. des scienc. de Sainl-Pélersbour,q, 1869, VII, v. p. 1.

(2) Lancet, 1860, p. 633.

(3) Berlin klin. Wochens., 1895, no 4.

(4) Die klinische Bedeutung der Halsrippen. Diss. Berlin, 1895.

(5) Ueber die IIalsrippen der Neuschen. Diss. Rostock, 1894.

(6) Cités par Bernhardt, Berlin, alita. Wochens., 1895, n- 4.

(7) Berlin, klin. ll'ochen ? 1901, no 51.

(8) Neurol. Centralb., 1904, p. 988.

(9) Loc. cit.

(10) Wien. klin. 4Vocbens., 1906, p. 389; Neurol. Centralb., 1906, p. 779.

(11) Loc. cit.

(12) Neurol. Centrnlb., 1905, p. 879.

' (13) New-York met, journ., 1907, 6 octobre, Jakresb., 1907, p. 702.

(14) Loc. cit.

INTERVENTION CHIRURGICALE DANS UN CAS DE PSYCHALGIE 287

Il paraît arriver très rarement que les côtes cervicales déterminent par

elles-mêmes, des symptômes dus à leur longueur et à leur direction; dans

ces cas,les symptômes de la compression du plexus existent dès ï en fance ;

parfois ils ne s'observent que dans des mouvements déterminés SIEF-

FER (1), Fischer (2), IEETLEr(3), SYrJARNV (4)1; mais le plus souvent ces

symptômes ne se développent qu'à l'âge adulte (par exemple vers 33 ans)

(Dejerine et ARAfAND DELILLE) (5) et même 43 ans (ASCHER) (6) ; alors, il

faut supposer ou bien un processus ostéogénique tardif (Dejerine et AR-

MAKD DEL1LLE (7) ou bien un processus pathologique d'ostéite ou d'hy-

pertrophie. On peut noter que souvent le traumatisme précède le dé-

veloppement des symptômes locaux (SPIJARNY) (8).

En soi, la constatation des côtes cervicales par la radiographie, aussi

bien que celle de l'accroissement partiel de l'apophyse transverse de la

septième vertèbre cervicale, - n'est pas toujours chose facile, et même

des spécialistes compétents peuvent s'égarer (Comp. Huco Lévi) (9) en

croyant trouver des anomalies là où elles n'existent pas. l\IOSSE (10) et

WILLIAM (11) indiquent le contraste entre les appréciations des radiogra-

phies et les faits et constatés pendant l'opération.

Les symptômes de la pression qu'exercent parfois les côtes cervicales

sur les vaisseaux sous-claviers [même la gangrène des doigts peut se dé-

velopper dans ces circonstances, comme le montrent les observations de

CoopER and IIODYTON (11), Russel (12)] et sur le nerf sympathique (Op-

PENHErnM) (syndrome sympathique) sont inconstants; ils dépendent de la

grandeur et de la direction de la côte cervicale et le plus souvent sont ab-

sents. On décrit assez souvent la scoliose cervicale concomitante à la côte

cervicale (13) ; cette scoliose a une origine tantôt réflexe [IIELBING (1.),OT-

TENDORF (15. tantôt mécanique (GARRE (16), iVIErER0wIT7 (17)]. Dans cer-

(t) Monatschr. /. Psych. und Neurol., 1904, Bd. 16, p. 4.

(2) Neurol. Centrals., 1905, p. 120.

(3) Cité par Borhardt, Berl. klin. Wochenschri¡t, 1895, n" 4.

(4) Loc. cit.

(5) Revue neurol., 1902, p. 1060.

(6) Neurol. Centralb., 1904, p. 625.

(1) Loc. cil.

(8) Des côtes cervicales. Mediz. Obosr., 1901, p. 681, en russe.

(9) Loc. cil.

(10) Central /. Chir., 1898, n° 22.

(11) lahresberichl d. Chir., Bd. 4, p. 440.

(12) Beitr. /. Chir. Bd. XIV, p. 207.

(13) Medic. Record, v. 7, )907,ne 7, p. z3 ; lahresb. der. Neur., 1907, p. 723.

(14) Pour les indications littér., IV. roxaaonrs (toc. cit.).

(15) Deutsch. medic. Wochensch., 1903. lVereinsbeit., p. 223.

(16) Cité par FUIINROHII, loc. cit., p. 233. - (6) Ibid., p. 232.

(17) Ueber scoliose bei Halsrippe. Dis. Konigsberg, 1904, laresbericht d. Neurol., 1905,

p.273.

288 STCHERBAK

tains cas elle a un caractère inné et ne dépend pas des côtes cervicales

[DsEdunNN (1)] ; il n'est pas rare non plus qu'elle fasse complètement dé-

faut.

Ainsi, les symptômes supplémentaires que je viens d'énumérer ne

peuvent pas jouer de rôle décisif dans le diagnostic. Enfin, les données

existant dans la littérature médicale prouvent que la résection de la côte

cervicale n'est pas toujours sans danger et peut laisser des reliquats plus

ou moins persistants, comme suite d'une lésion du plexus L RSEIFFER (2)].

Les notions sus-mentionnées,en résumé, indiquent que le diagnostic des

côtes cervicales, même à l'aide de la radiographie, et que la détermination

du rapport causal entre l'existence de la côte cervicale et les symptômes

locaux névralgiques ou névritiques, ne sont pas toujours chose facile ; en

tout cas, il ne faut pas entreprendre d'intervention chirurgicale, sans

avoir préalablement examiné à fond le tableau clinique en entier, vu que

l'opération par elle-même peut faire courir des dangers.

Notre cas démontre, que le succès de l'opération, succès même durable,

ne saurait être la preuve que la côte cervicale soit la cause vraie des

symptômes locaux. Après la réseclion de la côte cervicale ou de l'apo-

phye prétendue telle, notre malade parut s'être rétablie complètement.

Les douleurs et la parésie cessèrent ; même, le symptôme organique qu'est

l'atrophie des muscles, au dire de la malade, disparut aussi. Si cela eût

été réel, c'était un cas heureux de réseclion de la côte cervicale ; cepen-

dant, de fait, comme nous l'avons vu, non seulement les symptômes

locaux ne dépendaient pas de la côte cervicale, mais la côte cervicale

elle-même n'existait pas.

Il faut signaler encore dans notre cas la disparition rapide, à vue d'oeil,

sous Y influence d'un moment psychique, de l'atrophie des petits muscles

de la main, atrophie qui rappelle d'une manière surprenante une forme

très rare de l'atrophie locale hystérique et qui est au fond l'atrophie d'ori-

gine mixte hystéro-névritique. Pareillement, les secousses particulières

dans la région des muscles atrophiés disparurent ; ces secousses repré-

sentaient la simulation hystérique des contractions fibrillaires et fascicu-

laires. Selon moi, les secousses sus-nommées étaient le résultat de la sug-

gestion de la part des médecinsqui avaient traité la malade et qui, voulant

trouverchez elle des symptômes de lésion organique, attirèrent l'attention

de la malade sur la possibilité de la présence des a contractions fibrillai-

res ». La malade, en effet, les reproduisit telles qu'elle les avait compri-

ses. L'origine psychique de ce symptôme se manifeste, entre autres cho-

ses, en ce que la malade elle-même (femme non intelligente et non initiée

à la connaissance de la médecine) attirail mon attention sur ces secousses,

comme sur un symptôme très grave de la maladie.

(1; M1Íllch. med. 4'oc%ensc%., 1906, no 15.

(2) /c. cil.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES

(SPASMES FONCTIONNELS.- NÉVROSES COORDINATRICES D'OCCUPATION)

(suite et fin).

PAR

MAGE de LÉPINAY

, III. TRAITEMENT

Le traitement prophylactique des crampes professionnelles n'existe

pas, à proprement parler, car certaines professions s'accompagnent né-

cessairement comme le métier de télégraphiste, de greffier, de

professeur de piano, par exemple d'un double surmenage muscu-

laire et mental. Peut-être cependant serait-il sage d'interdire l'accès de

ces professions a des sujets particulièrement prédisposés aux névroses,

névropathes héréditaires ou personnels. D'autre part certaines précau-

tions pourraient être prises en particulier par ceux qui écrivent beau-

coup ; la méthode d'écriture a en effet, d'après Zabludowski,une grande

. importance pour prédisposer, ou non, à la crampe des écrivains. Une

position correcte du corps, du papier et de la plume, exigée dès les pre-

mières leçons d'écriture, empêchera dans une certaine mesure le sur-

menage musculaire; l'écriture grosse, ronde et droite - préconisée

comme nous le verrons par Meige comme procédé curateur, fatiguant

moins la main, permettra souvent d'éviter le spasme fonctionnel.

Enfin il importera au plus haut point, quelle que soit la profession,

d'éviler toute intoxication, endogène ou exogène, qui, nous le savons,

prédisposerait de manière certaine aux crampes professionnelles :

l'alcoolisme, Je tabagisme et le brightisme seront particulièrement à à

redouter.

Mais la plupart du temps, le médecin n'est consulté que lorsque les

* Les numéros d'ordre placés à la droite des noms d'auteurs ou des indications

d'ouvrages renvoient au numéro correspondant de la table bibliographique) qui a

été faite aussi 'complète que possible. .

290 MACÉ DE LÉPINAY

troubles sont installés de façon durable. Quel traitement curateur con-

vient-il alors d'appliquer, de façon générale, à une crampe profession-

nelle ? Nous devons dire qu'à l'heure actuelle, malgré la diversité des

méthodes thérapeutiques employées, il n'en est aucune qui puisse assurer

à coup sûr la guérison du malade. Sans doute il existe un certain nom-

bre de procédés, physiques ou psychiques, qui ont amené, de façon

durable, la disparition des troubles ; ce sont ces seules méthodes que

nous décrirons, en insistant sur celles qui nous ont paru le plus fidèles ;

et nous nous contenterons de citer rapidement une foule de médicaments

ou dé pratiques qui n'ont eu, à juste titre, qu'un succès éphémère de

curiosité.

Avant de commencer tout traitement, on se trouvera bien d'imposer à

son malade, s'il en a la possibilité, un repos professionnel plus ou

moins prolongé. La plupart des auteurs qui ont étudié la question sont

d'accord sur l'utilité du repos dans la cure de ces névroses. Jaccoud

toutefois n'est point de cet avis : « le repos prolongé, dit-il, a été rare-

ment utile»; Kouindjy de son côté compare les effets du repos dans

ces cas à ceux du repos au lit chez les tabétiques ou les hémiplégiques :

« Tant que l'alaxique ne marche pas, il va bien ; mais il suffit de le met-

tre.debout après un repos prolongé, pour constater que son ataxie n'a

non seulement pas diminué, mais que souvent elle s'est aggravée par ce

repos prolongé. De même les personnes atteintes de crampe profession-

nelle ne ressentent leur impotence que le jour où elles reprennent leur

occupation coutumière». Sans aucun doute, le seul repos, même pro-

longé, est incapable d'amener la sédation des troubles : nous avons cité

ce malade, atteint delà crampe des écrivains de la main droite, qui,

malgré la cessation de toute écriture de la main droite depuis quatorze

ans, voit encore apparaître ses troubles dès que la main droite veut tra-

cer quelques mots (observ. XV). D'autre part, il est souvent impossible

d'imposer un long repos professionnel à un malade qui n'a que son mé-

tier pour vivre.

Néanmoins, lorsque cela sera possible, le repos sera utilement con-

seillé, et son rôle sera double; il forcera le malade à penser à autre

chose qu'à sa profession, à détourner pour un temps son attention de

ses troubles pathologiques habituels ; d'autre part il permettra aux

muscles surmenés, et aux cellules cérébrales excitées ou épuisées, de

reprendre leur tonicité normale, et de répondre ensuite avec plus de

docilité aux injonctions de la volonté.

Le traitement interne et médicamenteux des crampes profession-

nelles n'existe pas en réalité. Il ne sera indiqué de donner des médicâ-

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 291

ments que dans un seul cas : s'il existe, localement, sur le membre

atteint, des lésions vasculaires, telles que artériosclérose, athérome,

spasme artériel ou varices, lésions qui, comme nous l'avons vu, favori-

sent et fixent la névrose. Un traitement médical approprié : trinitrine,

sérum de Trunecek, etc., combattra fort utilement ces troubles vascu-

laires spéciaux. De même un régime lacté sera-t-il indiqué en cas de

brightisme ; nous n'avons pas besoin d'insister sur ces indications par-

ticulières. En dehors de ces quelques cas très spéciaux, aucun médica-

ment interne ne pourra venir à bout d'une crampe professionnelle. ,

C'est en vain que l'on a essayé successivement les toniques : arsenic,

ferrugineux (en vertu de l'adage : sanguis moderator nervorum), la

belladone, la strychnine, l'atropine, le gelsemium sempervirens ;

Savill insiste beaucoup sur l'utilité de l'huile de foie de morue, en

raison de sa richesse en phosphore.

D'autres auteurs ont essayé des injections sous-cutanées de strychnine

(Bianchi), de chlorhydrate de morphine et de belladone (Debout), d'a-

tropine (Reuben Vence).

Tous ces médicaments peuvent être des adjuvants passagers, pour

combattre tel ou tel symptôme, mais ne peuvent d'une manière géné-

rale, être conseillés. Tout au plus pourra-t-on prescrire du bromure de

potassium lorsque le malade, comme cela se présente souvent, est un

excité, qui se frappe outre mesure de son affection.

Puisque le repos seul est insuffisant à assurer la guérison, et que la

médication interne n'est indiquée que dans un très petit nombre de

cas, que faut-il faire à un malade qui vient vous trouver pour une

crampe professionnelle ? Nous devrons agir aussitôt, en prenant la

névrose le plus près possible de ses débuts et notre thérapeutique sera

double : physique et psychique.

Le traitement physique, ou externe, comprendra .

1° Des soins locaux répondant à telle ou telle indication spéciale ,

2° Des applications locales ou générales de l'électricité ;

3° Des séances de massage ;

4° Une cure hydrothérapique, ou mieux hydrominérale.

Le traitement psychique, ou mental comportera :

1" Dans certains cas très spéciaux, l'hypnotisme;

2° La rééducation motrice ;

3° La discipline psyclw-mot1'ice, par la méthode de Brissaud.

Nous allons passer en revue ces différents procédés. '

292 MACÉ DE LÉPINAY

A. - Traitement physique, ou externe

1° S'il existe une lésion périphérique locale qui paraisse être la

cause provocatrice de la crampe, un traitement local approprié devra

bien entendu être aussitôt appliqué.

Si l'on'constate par exemple des troubles vasculaires, on pourra ten-

ter soi t des immersions dans l'eau très chaude du membre atteint ; soit des

applications locales de bandes élastiques ou de bracelets, qui permettront

d'utiliser le principe de la méthode de Bier. Le bracelet de Nûssbaum

répondra à ce but. Hartenberg (225) employa, par analogie, dans un cas

de crampe des écrivains, un tube de caoutchouc noué autour du bras,

au-dessus du biceps et laissé en place durant vingt minutes matin et

soir ; la stase veineuse ainsi obtenue, amena dans ce cas,et sans autre trai-

tement, une guérison complète en deux mois. Zabludowski (257) recom-

mande un laçage partiel du membre atteint, au moyen d'un tube de

drainage. « Ces laçages partiels, dit-il en parlant de la crampe des écri-

vains, n'ont pas seulement pour but de procurer aux articulations des

doigts et de la main de meilleurs-points d'appui, mais ils transforment

aussi simultanément, d'une manière importante, les conditions locales

de pression du sang, la vitesse de circulation de ce dernier, et la tension

superficielle des tissus. Le cordonnet pour ces laçages est un tuyau de

caoutchouc de 2 mètres de long et de huit millimètres de diamètre ; on

serrera les deux bouts du tuyau au moyen d'une pince de bois. »

S'il s'agit de myosite chronique, de sclérose musculaire (Vigouroux),

ou de synovite, on utilisera avec fruit tous les modes de révulsion lo-

cale : liniments, irritants, pulvérisations d'éther (Berger), frictions alcoo-

liques. Vigoureux (254) a recommandé la cautérisation ponctuée, et

dans un cas de crampe des écrivains, il a obtenu une guérison complète

en un petit nombre de séances ; on pourra donc user de cette méthode

en faisant plusieurs rangées de pointes de feu au niveau des muscles

malades. On y pourra joindre le massage, comme nous le verrons plus

loin, et une « gymnaslique » rationnelle des muscles atteints, comme l'a

proposé plus récemment Vigouroux. A vrai dire, ces différents auteurs

conseillent d'appliquer d'une façon générale leurs méthodes spéciales ; il

nous paraît plus logique de n appliquer ces thérapeutiques locales qu'à

bon escient, c'est-à-dire seulement dans les cas où il existe une lésion

périphérique apparente et déterminée.

S'il existe sur le territoire atteint des phénomènes de névrite péri-

phérique, le traitement local sera beaucoup moins actif; néanmoins

dans ces cas encore le massage méthodique et l'électricité pourront ame-

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 293

ner dans une certaine mesure la sédation des troubles, et la rééducation,

comme.dans les autres cas de polynévrites, aura presque toujours un

résultat bienfaisant.

Avant de terminer l'énumération de ces traitements spéciaux, nous

devons dire un mot des traitements palliatifs que l'on a essayés contre

la crampe des écrivains. Sans doute le repos momentané, par suspension

de l'écriture, est, comme nous l'avons vu, vivement à conseiller, mais

il n'est pas toujours possible au malade de quitter pour quelque temps

sa profession. Aussi les porte-plumes et les appareils spéciaux pour

crampe des écrivains peuvent-ils, dans une certaine mesure, rendre des

services.

Les porte-plumes peuvent varier à l'infini : on en a fait de triangu-

laires, d'autres avec la place réservée à chaque doigt; les uns sont en

liège, d'autres en métal ; il y en a de lourds ; il y en a de légers. Zablu-

dowski a fait construire chez Wincller (de Berlin) un porte-plume qui

tient à l'index par un anneau de caoutchouc. Guth a imaginé un porte-

plume qui consiste en un morceau de liège traversé à la fois par l'index

et par le porte-plume, de sorte que la conduite de la plume est sous-

traite à certains muscles, et confiée à la main entière.

Les appareils qui permettent à la main de conduire la plume sans que

les doigts soient forcés de remuer peuvent être divisés en deux catégories :

ceux qui maintiennent les doigts (Cazenave, Martin, Collin), et ceux qui

maintiennent l'attitude de la main (Velpeau, Mathieu, Cazenave,

Duchenne). Velpeau avait imaginé pour lui-même « un appareil qui per-

met d'écrire en saisissant le porte-plume à pleine main et en faisant

exécuter, non plus par les doigts ni même par la main ou le poignet,

mais bien par l'avant-bras, les mouvements nécessités par l'écriture»

(Gallard) (V. fig. 6).

XXII 20

Fio. 6. - Appareil articulé de Velpeau.

294 MACÉ DE LÉPINAY

Collin a proposé un appareil fort simple qui consiste en un anneau

double, fixant, l'index et le médius au porte-plume (fig. 7).

L'appareil de Duchenne consiste en une volumineuse pelote, qui

prend assez exactement le moule de la paume de la main, et qui permet

ainsi de faire agir indirectement le porte-plume (fig. 8).

Ces divers appareils répondenl, écrit Gallard (60), « à toutes les in-

dications exigées par chacune des variétés de l'impotence fonctionnelle

des écrivains, et lorsqu'on les examine, ou même lorsqu'on les essaie,

sans être affligé de l'infirmité qui oblige à y avoir recours, on se prend

facilement à les admirer. Mais cette admiration est loin d'être partagée

par ceux qui se trouvent dans la douloureuse obligation d'y avoirrecours,

Ils les prennent avec un certain enthousiasme ; mais, après un très court

FIG. 7. - Appareil Collin.

Fio. 8. - Appareil de Duchenne (de Boulogne).

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 295

usage, ils ne tardent pas à les abandonner, préférant suppléer à leurs

mouvements défectueux par des combinaisons plus ou moins compli-

quées, dans lesquelles ils mettent en jeu des muscles très différents de

ceux qui devraient être physiologiquement appelés à produire ces mou-

veinents. »

Beaucoup d'auteurs rejettent complètement l'usage de ces appareils ;

Zuber (163) va jusqu'à les traiter de « pure plaisanterie ». En réalité,

comme le dit Vaschide (147), a ils peuvent rendre de réels services, car

ils répondent à ces deux desiderata : 1° immobiliser les doigts et donner

à la main une nouvelle synergie musculaire ; 2° la nouvelle position de

l'écriture, la tenue musculaire de la main sont tout autres ».

On pourra donc, à défaut du repos complet, conseiller l'usage de

l'un de ces appareils, tout au moins pendant le temps nécessaire à ap-

prendre l'emploi de la machine à écrire ou l'écriture de la main gauche.

Ces appareils restent un moyen de traitement palliatif, mais non de

traitement curateur.

Par contre il y a lieu de s'élever contre tout traitement chirurgical

dans la crampe des écrivains. Dans le cas seul où il existerait nettement,

soit une exostose comprimant un nerf,dans le territoire duquel est appa-

rue une crampe professionnelle fFroriep (218), Runge (123)], soit un

névrome, il serait indiqué de proposer une intervention chirurgicale.

Mais on ne peut comprendre l'utilité de sections tendineuses, comme

certains auteurs en ont fait pendant quelque temps. Stromeyer (llrl)

avait, il est vrai, pratiqué la ténotomie du long fléchisseur du pouce

chez un malade atteint de crampe des écrivains, et le sujet avait été

guéri. Mais à sa suile, Langenhecl (91), Dieffenbach (46) n'obtinrent

dans des circonstances semblables aucun bon résultat ; et Tuppert (252)

pratiqua trente ténotomies sur un bras sans observer la moindre amé-

lioration. On a donc justement renoncé aujourd'hui à l'emploi de pro-

cédés chirurgicaux pour la cure des crampes professionnelles.

2° L'électricité a été utilisée sous toutes ses formes ; elle est loin

d'avoir donné, même en des mains exercées, des résultais constants. Ce

n'est pas à dire qu'elle ne puisse rendre aucun service, ni que son em-

ploi doive être rejeté.

Duchenne expérimenta successivement la faradisolion el l'applica-

tion des courants continus ; malgré sa grande expérience, il n'obtint en

douze ans que deux succès. Meyer (236) soigna par l'électricité deux cas

de crampes des écrivains ; chez un de ses malades, il pratiqua la fara-

dilation des muscles extenseurs ; chez l'autre il employa le pinceau

électrique ; dans les deux cas il obtint une guérison permanente. A sa

296 MACÉ DE LÉPINAY

suite Eulenburg et Berger réussirent médiocrement, et considérèrent

même le traitement électrique comme nuisible.

Erb (52) conseille de pratiquer la galvanisation du cerveau, et en-

suite celle du membre malade : le cerveau est électrisé tantôt d'une tempe

à l'autre,tantôt du front à l'occiput. Pour l'électrisation des muscles, on

place une électrode au niveau du renflement cervical ou lombaire, sui-

vant que la crampe occupe le membre supérieur ou inférieur ; l'autre

électrode est placée sur les trajets nerveux. L'intensité du courant doit

être faible : 2 à 5 milliampères ; la durée d'application de 3 minutes,

deux fois par semaine environ. Dans la forme trémulente et paralytique

de la crampe des écrivains, le pôle positif est appliqué sur la colonne

vertébrale ; le pôle négatif sur les muscles et nerfs affectés. Dans la

forme spasmodique, l'anode est au contraire utilisée comme électrode

active et appliquée sur les muscles contracturés.

Sparling (Electrotherap. stud.) rapporte sept observations de névro-

ses professionnelles améliorées par ce procédé. Cependant Larat (Trait.

prat. d'électric. médic.) n'a jamais eu de succès par la galvanisation.

La faradisation a également ses partisans : elle offre une série de

procédés variant avec la vitesse des interruptions, avec la grosseur du fil

de l'induit, ce qui permettra de lui demander des effets très différents :

tel muscle en hypotonie fera un travail profitable et augmentera de vo-

lume sous l'influence des chocs espacés, tandis qu'il se fatiguera si on

le surmène par une tétanisation violente. Il faut dans tous les cas, dit

Laquerrière (Congr. franc, de médecine, 9° session) procéder avec mé-

thode : si l'on veut agir utilement, il faut localiser l'excitation aux seuls

muscles malades, mais là encore il est nécessaire de prendre des pré-

cautions : si, comme on le fait souvent, on place une électrode en un

point quelconque et l'électrode active sur le muscle à traiter, il peut

arriver que ce muscle étant hypoexcitable, on soit forcé de recourir à

une intensité assez forte pour le faire contracter ; mais alors, comme le

courant est intense, la quantité qui diffuse sur les muscles voisins est

appréciable, et si ces muscles voisins sont sains, ce sont eux qui se con-

tractent le plus. Il est donc indispensable dans bien des cas de placer

les deux pôles sur le même muscle, comme le recommandait déjà Du-

chenne de Boulogne, de façon à éviter toute diffusion ; si l'on agit

autrement, il arrive fréquemment que l'on voie l'impotence augmenter

parce qu'on a inconsciemment soigné plus les antagonistes sains que

les muscles malades.

Enfin Arthuis et Vigouroux ont employé la /yc ! K ? ? ! M6 ! o ? ! . Malgré

l'incertitude des résultats, c'est ce procédé qui, d'après Larat, donnerait

le plus souvent des améliorations sensibles.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 297

En résumé, les applications locales de l'électricité semblent surtout

réussir dans les cas où il existe une altération anatomique localisée ;

c'est dans ces conditions que l'on en conseillera donc l'emploi.

L'électricité statique sera plutôt indiquée dans les cas de névropathie

avec excitation en raison de son action sédative sur le système nerveux.

30 Le massage, sous toutes ses formes, a donné des résultats plus

constants.

Cederschjôld (34) a conseillé V irritation mécanique des troncs ner-

veux. On cherche le tronc par un massage méthodique écartant soi-

gneusement les muscles ; et l'on exerce alors une pression vigoureuse.

Le massage est la base de la méthode de Wolff (256), célèbre en

Allemagne, pour le traitement de la crampe des écrivains, et adoptée

d'ailleurs, à quelques modifications près, par un grand nombre d'au-

teurs : Billrolh, Bamberger, Benedikt, Nüssbaum, Esmarch, Bardele-

ben, Westphat, Vigoureux, de Watteville. Cette méthode consiste

essentiellement à faire du massage des muscles malades, puis de la

gymnastique active et passive des fléchisseurs et extenseurs du bras et

de l'avant-bras ; les séances ont lieu deux fois par jour pendant 25 à

30 minutes ; on termine par quelques minutes de réapprentissage de

l'écriture par une méthode spéciale.

La technique employée pour le massage diffère suivant les cas ; tous

les procédés : effleurage, tapotage, pétrissage, etc., peuvent être tour à

tour utilisés, mais il y a certains principes dont on ne doit jamais se

départir,et cela conslitue le massage méthodique qui, dit le Dr Kouind-

jy, « est une combinaison des manoeuvres massothérapiques destinées

à combattre les symptômes de l'affection traitée ». Ainsi Kouindjy a

posé comme règle générale le principe de « ne masser que les muscles

en état d'hypotonie, en laissant absolument tranquilles les muscles en

état d'hypertonie ». Et voici sur quelles raisons sa méthode est fondée '-

« Lorsqu'un des groupes musculaires, dit-il (Congrès français de mé-

decine, 96 session), est en état d'hypotonie : parésie, atonie, paralysie,

son groupe antagoniste est en hypertonie : contraction ou contracture :

Or, le massage, surtout deux de ses manoeuvres, les pressions profondes

et les percussions, a pour fonction d'augmenter la tonicité musculaire.

Supposons que nous massons en même temps les deux groupes antago-

nistes dont- la tonicité est diamétralement opposée, nous augmenterons

la force musculaire des, deux antagonistes : les muscles en hypotonie

profiteront sans doute ; mais les muscles en hypertonie profileront égale-

ment ; l'équilibre ne sera pas rétabli, tout au contraire, et le malade

deviendra non seulement un impotent, mais un infirme; car les mus-

298 3fACE DE LÉPINAY .

cles hypertonifiés, se fortifiant, tiendront toujours leurs antagonistes

hypotoniflés en échec. »

Dans la crampe des écrivains, par exemple, les muscles contracturés

sont en général les fléchisseurs. On fait donc d'abord « deseffleurages lon-

gitudinaux et circulaires de tous les extenseurs de la main, puis des pres-

sions circulaires superficielles et profondes, auxquelles succèdent des

percussions, du tapotement et un léger pétrissage. Le massage des interos-

seux se fait avec la pulpe de l'index, et consiste en pressions circulaires

puis en percussion légère "[Pcssard (240)].

Le massage vibratoire peut rendre également de très grands servi-

ces. Lanel (Fr, méd., 27 janvier 1909) l'emploie avec succès, notam-

ment dans la crampe des écrivains. Comme ces manoeuvres sont délicates

et particulièrement fatigantes pour l'opérateur, « on tend déplus en

plus à s'adresser au moteur électrique qui les' donne bien égales, bien

rythmées, pendant tout le temps nécessaire, d'une amplitude variable

à volonté » ; on emploie donc les vibrateurs mécaniques (Zander, Max

Herz), appropriés au membre atteint. La vibration produit d'abord une

vaso-constriction, puis rapidement une vaso-dilatation ; « en un mot

un grande activité circulaire périphérique qui ne peut être que des plus

utiles pour activer le processus de réparation des vaisseaux, des muscles

et des nerfs malades ».

Ainsi le massage, sous toutes ses formes, peut rendre les plus grands

services dans le traitement des crampes professionnelles, et son emploi

deviendra particulièrement indispensable lorsqu'il existe une altération

périphérique localisée.

4° L'hydrothérapie générale et locale ne sera pas moins utile aux

malades que le massage.

L'hydrothérapie générale, sera particulièrement indiquée dans deux

circonstances : lorsque le malade est un névropathe excité, ce qui est le

cas le plus général ; on lui recommandera alors soit la douche tiède quo-

tidienne en jet et en pluie, soit le bain chaud de chaque jour ; - ou

lorsque le malade est déprimé, neurasthénique ou psychasthénique; et

dans ce cas on ordonnera au contraire la douche froide et brève, à plein

jet, ou la douche écossaise. L'hydrothérapie, en stimulant la circulation

périphérique, favorise la nutrition générale, et vient en aide de façon

précieuse au traitement spécial de la névrose. t

L'hydrothérapie locale conviendra surtout aux cas où le membre

atteint présente des lésions locales évidentes.

Les bains locaux chauds prolongés seront indiqués particulièrement t

dans les cas de spasmes et de névralgies; les douches locales froides et

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 299

percutantes réussiront plutôt dans les cas de parésies ; la douche-mas-

sage, et la douche « sous-marine » trouveront là des indications éviden-

tes. Toutes ces applications hydrothérapiques peuvent être exécutées

de façon banale dans un établissement de bain quelconque ; mais le ré-

sultat sera meilleur sans aucun doute si ces applications peuvent être

faites sous le contrôle d'un médecin dans un établissement hydrothéra-

pique ; alors les bains ou douches, progressivement gradués comme tem-

pérature et comme durée, verront leurs résultats rigoureusement obser-

vés chaque jour; des modifications utiles, ou des adjuvants nouveaux

pourront être apportés avec fruit pendant la durée de la cure, et l'hy-

dl'othérapie ainsi scientifiquement conduite jouera un rôle important

dans le rétablissement du malade.

Si le patient a la possibilité d'interrompre pour un mois ses occupa-

tions, et si ses moyens lui permettent de voyager, on se trouvera mieux

encore de lui conseiller de pratiquer ces manoeuvres hydrothérapiques

dans une station thermale. La cure thermale joindra en effet aux bien-

faits du repos, du grand air et de la distraction, les mérites particuliers

de ses sources plus ou moins actives.

Certaines indications particulières pourront guider le médecin dans

le choix de telle ou telle station thermale. C'est ainsi qu'a un hypertendu

les eaux de Royal conviendront spécialement ; un anémique se trouvera

bien d'une cure à la 13ourboule; un rhumatisant d'une saison à Aix- les-

Bains, Bourbon-Lancy, Luxeuilou Néris-les-Bains.

Cette dernière station, par sa spécialisation pour les nerveux algiques

et excités, semble particulièrement indiquée, de façon générale, pour la

cure des névroses coordinatrices d'occupation. Par la haute thermalité

de ses eaux indéterminées, très riches en hélium et en substances radio-

actives, Néris exerce sur tous les malades, après une courte excitation

passagère, une sédation très nette de tous leurs symptômes éréthiques

et douloureux. L'emploi de ces eaux sera donc conseillé de préférence

aux crampes professionnelles avec spasme, ou douleurs, et les névro-

pathes excités obtiendront presque toujours un bénéfice marqué d'une

saison dans celte station.

Le docteur de Ranse a bien voulu nous communiquer les observa-

tions de 17 malades, atteints de crampes professionnelles, qu'il a eu

l'occasion de soigner durant ces dernières années à Néris. Dans 13 cas

il 's'agissait de crampe des écrivains, deux fois de crampe des pianistes ;

une fois de crampe des danseuses ; une fois de crampe des forgerons.

Presque lous ces malades avaient des formes spasmodiques et doulou-

reuses de dyskinésies fonctionnelles. Sur ces 17 malades, 10 éprouvèrent

rapidement une amélioration durable; les phénomènes douloureux

300 MACÉ DE LÉPINAY

étaient les premiers à disparaître; les contractions musculaires étaient

plus rebelles au traitement. Celui-ci consistait, à quelques variantes

près, en bains généraux à 34-35°, progressivement portés de 1/4 d'heure

à 3/4 d'heure; bains locaux de 20 minutes à 35°; douches sédatives

sur les parties malades, en pluie et à faible pression, à 35° pendant

10 minutes ; et enfin massage léger sous la douche. Sept fois les résultats

demeurèrent imprécis ; dix fois, sous l'influence de ce seul traitement

des crampes professionnelles, même anciennes, diminuèrent et virent

une partie de leurs symptômes disparaître.

Il semble donc bien que l'on trouve dans l'hydrothérapie, et en par-

ticulier dans certaines cures hydrominérales, non pas un remède certain

et universel, mais du moins un adjuvant thérapeutique précieux, dont

l'emploi mériterait d'être généralisé.

Lanel a, tout dernièrement (Pr. ? Me ? 27 janvier 1909), vanté les

bons effets du massage local à l'air chaud pratiqué à l'aide d'un ven-

tilateur électrique donnant de l'air à 120°. Peut-être, par analogie,

pourrait-on compléter dans certaine(stations thermales l'effet bienfaisant

des eaux par l'action locale des gaz émanés des sources chaudes, et captés

au griffon même; les substances radio-actives, encore mal connues,

contenues dans ces vapeurs brûlantes, auraient peut-être une action sé-

dative toute spéciale.

B. - Traitement psychique.

Aidé par tous ces adjuvants précieux, dont quelques-uns, comme le

massage et l'hydrothérapie, sont, par leur utilité même, presque indis-

pensables, le traitement psychique, ou mental, devra être appliqué

avec patience et méthode, et sera véritablement curateur. Il comportera :

dans quelques cas spéciaux, l'hypnotisme ; d'une manière générale,

la rééducation à la fois musculaire et mentale, c'est-à-dire la discipline

psycho-motrice. .

10 L'hypnotisme a été employé par Vaschide (147) dans trois cas

de crampe des écrivains ; les résultats en ont été satisfaisants.

Voici le procédé auquel eut recours cet auteur :

Observation XXIV (Vaschide).

Il s'agissait d'un littérateur, âgé de 34 ans, qui depuis sept mois avait re-

marqué que sa main ne supportait guère la plume quand il écrivait, quand il

« créait ». Dans ses travaux de copie cette sensation disparaissait, mais pour

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 301

apparaître violemment dès qu'il s'agissait de l'écriture spontanée, de la plus

simple phrase écrite sans dictée, sans modèle. Pour faire sa correspondance,

il passait toute sa journée. Le pouce se contractait spasmodiquement, l'index

devenait raide, et la main s'ouvrait rythmiquement et chroniquement, de

sorte que la plume ne pouvait être gardée longtemps entre les doigts. Son

infirmité l'ennuyait surtout parce que, vivant de sa plume, il lui était im-

possible de gagner sa vie. On employa l'électricité, des plumes de toutes

sortes, lourdes, légères ; la série des calmants fut vite épuisée et l'hydrothé-

rapie ne réussit pas davantage. Vaschide eut l'idée d'employer l'hypnotisme :

le sujet était suggestionnable, mais on ne put l'endormir qu'au bout de

quatre séances.

On fit quatre mois de traitement pendant lequel on lui suggéra au

commencement, deux fois par semaine et ensuite une fois, que sa main était

« engourdie » et qu'elle pouvait très bien s'adapter à écrire et sans pour

cela qu'il fasse d'autre exercice que celui de copier. Chaque jour il copiait

soit des pages de ses anciens écrits, soit des pages d'auteurs classiques. Il

lui était défendu de faire le moindre essai d'écriture spontanée. Au réveil

sa main était laissée- légèrement engourdie. Il faut ajouter que le sujet ne

présentait aucun trouble sensoriel. Au bout de deux mois, le sujet commença

à écrire d'abord pendant le sommeil hypnotique, et quelque temps après,

avant même la fin du troisième mois, il commença à écrire, mais il ne pou-

vait le faire que tout doucement, lentement, et éprouvant une certaine gêne

dans l'épaule et au coude. Le malade fut guéri, et il recommença sa vie,

gardant de son infirmité une vague appréhension chaque fois qu'il s'agissait

de commencer un travail, et une impossibilité d'écrire aussi vite qu'aupa-

ravant. Laissé à voler de ses propres ailes, il eut une rechute, mais assez

légère, au bout de sept mois ; mais revu trois ans plus tard, il pouvait conti-

nuer à travailler sans se plaindre d'autre chose que de l'impossibilité de sui-

vre sa pensée, d' « d'écrire vite ».

Dans deux cas tout à fait analogues, Vasct11de employa le même pro-

cédé thérapeutique, et obtint des améliorations notables. « Il convient,

dit Vaschide, d'endormir profondément le malade et d'attaquer la genèse

de ses préoccupations sans s'inquiéter du spasme fonctionnel. » Ce sont

là procédés d'une délicatesse extrême ; d'ailleurs l'hypnose ne peut être

indifféremment appliquée à tous les malades, et Vaschide lui-même ne

conseille pas d'en généraliser l'emploi.

2° La rééducation motrice s'appliquera au contraire avec fruit à toutes

les névroses coordinatrices d'occupation, quelle que soit leur nature, et

quel que soit leur siège ; seuls les modes d'application et les méthodes

pourront différer suivant les cas.

La rééducation des mouvements, imaginée par Charcot, Leyden, Pierre

Marie^ mais vulgarisée surtout grâce à Frenkel (1889) et Raymond

302 MACÉ DE LÉPINAY

(1896), a été tout d'abord appliquée au traitement des tabéliques ; les

importants travaux de Constensoux (1903), de Maurice Faure (1903),

d'André Thomas (1906), d'Hirschberg (1907), ont définitivement établi

la valeur de cette méthode chez les tabétiques. ,

La rééducation motrice a été appliquée avec non moins de succès chez

les hémiplégiques, et les malades atteints de polynévrite (Faure, Kouind-

jy, Raymond, Paul-Emile Lévy). Mais son application aux crampes pro-

fessionnelles et aux tics date des travaux du professeur Brissaud (22),

de Meige et Feindel (235). Kouindjy (228) a consacré une importante

étude à la rééducation chez les malades atteints de crampe profession-

nelle. Chacun de ces auteurs ayant une méthode un peu spéciale, nous

passerons en revue les principaux procédés, avec leurs particularités

pour telle ou telle crampe.

Voici comment procède Kouindjy pour la rééducation motrice dans

la crampe des écrivains (voir thèse de Pessard, Paris, 1908, La réédll-

cation motrice la clinique Charcot). Le traitement commence toujours

par des manoeuvres de massage, puis par des exercices gradués qui ont

pour hut de tonifier les muscles en état d'hypotonie, c'est-à-dire pres-

que toujours dans le cas présent, les extenseurs. Ces exercices peuvent

être variés à l'infini ; voici les plus usuels : '

a) On fixe au bout d'une ficelle de 40 à 50 centimètres de longueur

un petit sac ou un seau pouvant contenir une série de poids. L'avant-bras

du patient reposant sur une table, de telle sorte que sa main reste dans

le vide en pronation, l'autre extrémité de la ficelle s'attache alors, suc-

cessivement, aux différentes phalanges des doigts. On met dans le réci-

pient des poids variables, en commençant par exemple par 50 grammes,

et l'on augmente progressivement de 25 ou de 50 grammes jusqu'à 300

ou 400. Chaque doigt sera soumis avec cet appareil à quatre ou cinq

mouvements d'extension.

b) Le sujet tenant le bras tendu et la main en pronation, une petite

balle de caoutchouc creuse est placée sur la face dorsale des doigts. Le

malade projette la balle en l'air et la saisit avec la main. Renouvelant

l'exercice, il laisse retomber la balle sur la face dorsale des doigts entre

l'index et le médius, ou entre le médius et l'annulaire.

c) Une pièce de 5 francs sera utilisée de la même façon. On la place

sur la face dorsale des doigts, on la projette en l'air, on la laisse tom-

ber deux ou trois fois sur le dos de la main, et finalement on la saisit

avec la main.

d) Le même exercice est répété avec une canne couchée transversa-

lement sur le dos de la main puis projetée en l'air, et enfin saisie au vol.

e) Un autre emploi de la canne est celui-ci. Le bras et l'avant-bras

ÉlUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES U3

1 ic. 9. exercices de reéducation ae lecnture pour le traitement

de la crampe des écrivains.

304 MACÉ DE LÉPINAY

étant en extension et la main dans l'attitude de la pronation, la canne

est tenue par son milieu entre le médius et l'annulaire placés en des-

sous, et l'index et le petit doigt passant sur elle. Le sujet reste ainsi

quelques moments le bras tendu. Puis il fait tourner la canne autour

du bord cubital de la main de telle façon qu'elle se trouve placée sur le

dos de l'index et du petit doigt, tandis que le médius et l'annulaire lui

deviennent supérieurs. On fait exécuter ainsi plusieurs tours à la canne.

Ces exercices préparatoires sont suivis de la rééducation à propre-

ment parler de l'écriture. Voici comment on procède.

Le malade s'assied en présentant à la table son côté droit, la chaise

étant placée de trois quarts.

La feuille de papier est parallèle au bord antérieur de la table.

L'avant-bras du sujet repose sur la table, parallèlement à ce bord anté-

rieur. -

Le porte-plume, ordinaire ou triangulaire, est muni d'une plume

de ronde.

Ces dispositions prises, le malade écrira la main renversée. Tandis

que les quatre derniers doigts, moyennement fléchis et en adduction,

s'appuieront par leur face dorsale sur la feuille de papier, le pouce

mis sur le porte-plume le maintiendra couché sur leur pulpe, de telle

façon que la plume soit dirigée vers le bord de la table correspondant

au sujet. ,

On commence par tracer d'abord des bâtons, en ayant soin de re-

prendre de l'encre après chacun d'eux. Cela se fera au commandement :

« Un bâton,... l'encre ;... un bâton,... l'encre ;... etc. »

Puis vient l'écriture des lettres, qui sera décomposée en plusieurs

temps. Par exemple l'O, l'A, le P, prendront deux temps. Le K, l'R,

l'A, le B majuscules en demanderont trois (fig. 9). Il faut recommander

au malade d'écrire aussi lentement que possible, et en fixant son esprit

sur l'exécution des signes de l'écriture.

Lorsqu'on juge qu'il est arrivé à tracer facilement les lettres de la

façon qui vient d'être dile, on diminue le nombre des pauses, et l'on

fait exécuter, toujours sans commandement, d'abord chaque lettre en

entier avant d'aller chercher de l'encre, puis deux lettres consécutive-

ment, ensuite trois lettres, un mot, deux mots et ainsi de suite.

Le patient s'habitue en peu de temps à cette écriture avec la main

renversée.

On lui recommande alors de s'exercer tous les jours chez lui pendant

une dizaine de minutes à écrire de cette façon. Il rapporte chaque fois

son devoir, dont on corrige les défauts. De plus, on lui fait des dictées,

afin de le familiariser de nouveau avec les différentes vitesses de l'écri-

ture.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 305

D'autres exercices consistent à tracer des spirales, des cercles, des S,

mis bout bout,et qu'on exécute en deux temps, des lignes horizontales,

verticales, diagonales, faites en déplaçant le poignet seul et en fixant le

coude sur la table.

On emploie souvent aussi l'exercice des petits carrés. Une feuille de

papier est divisée en petits carrés numérotés. Sur l'un d'eux, indiqué

par son chiffre, le patient doit inscrire au commandement et dans un

temps déterminé, suit un cercle, soit une croix.

On peut d'ailleurs avantageusement varier tous ces exercices. C'est

ainsi que l'on utilisera les différents appareils inventés pour la réédu-

cation de l'ataxie tabétique des membres supérieurs : règle triangulaire,

planchette à chevilles, etc. De même dans les exercices de l'écriture,

on remplace après quelque temps la plume de ronde par la plume ordi-

naire, et quand le sujet est parvenu à écrire facilement avec la main

renversée^ on lui fait répéter les mêmes essais avec la main en position

normale. Les figures 10 et 11 montrent les résultats excellents que l'on

peut obtenir en deux à quatre mois pas la rééducation méthodique de

Kouindjy.

luc. 10. Crampe des écrivains ic forme paralytique, avant et après le traitement.

306 MAGE DE LÉPINAY

Nous avons nous-môme appliqué cette méthode sous la direction de

M. Kouindjy, sur trois malades atteints de crampe spasmodique des écri-

vains ; nous avons été surpris de voir avec quelle facilité les malades

apprenaient ce nouveau mode d'écriture ; tous y prenaient goût, reve-

naient la semaine suivante avec leurs cahiers où l'on pouvait jour par

jour, constater leurs progrès. Dans ces trois cas, dont la cure n'est d'ail-

leurs point terminée, l'amélioration a été très rapide et très nette.

Est-ce à dire que ce procédé doive toujours réussir, et amener une

guérison complète ? Non, sans doute, car, nous le savons, il faut tenir

compte du terrain, de la docilité du malade, de la forme et de l'ancien-

neté de la névrose.

Il faut en outre, môme après guérison, redouter une récidive toujours

possible lorsque le malade est soustrait à l'influence du médecin ; c'est

pour cela que Kouindjy recommande de « garder le contact » avec son

malade, en le faisant revenir tous les mois ou tous les deux mois pen-

dant plusieurs années, pour contrôler son état, et recommencer énergi-

quement la cure à la première menace de récidive.

FIG. 11. Crampe des écrivains à forme spasmodique, avant el après le traitement.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 307

Quoi qu'il en soit, cette méthode de rééducation, jointe comme nous

l'avons dit au repos momentané, au massage et à l'hydrothérapie, donne

un nombre considérable de résultats heureux : d'après la statistique per-

sonnelle de M. Kouindjy, il aurait obtenu, pour la crampe des écrivains,

18 0/0 deguérisons; 18 0/0 de grandes améliorations; 55 0/0 d'amé-

liorations moyennes ; 9 0/0 de résultats douteux.

Celle méthode, à quelques modifications près, est applicable à toute

espèce de crampe professionnelle : il suffira de varier les exercices pré-

liminaires de façon à toujours faire agir les muscles en état d'hypotonie,

et d'approprier les exercices de rééducation proprement dits au genre

de profession du malade

Pour la crampe des pianistes, par exemple, comme ce sont encore les

extenseurs qui so montrent en état d'hypotonie dans la plupart des cas,

les exercices préparatoires seront les mêmes que pour le traitement de

la crampe des écrivains. Les exercices de rééducation se feront d'abord

sur la table : les doigts frapperont successivement, lentement, puis de

plus en plus vile, et, avec une force de plus en plus grande, des touches

imaginaires; Kouindjy recommande même de s'exercer à jouer avec la

face dorsale des doigts, la main étant renversée en supination : c'est un

exercice peut-être bien compliqué. Quoi qu'il en soit, on pourrait dans

ces exercices de rééducation employer le petit clavier imaginé par Za-

bludowski, qu'il appelle « pianos pour la jeunesse » ; le clavier est de

petite dimension, les touches sont étroites, et faciles à enfoncer ; l'effort

que la main doit accomplir est ainsi très réduit, et peu à peu on pour-

ra reprendre sur ce clavier l'habitude du jeu, avant de jouer à nouveau

sur un piano ordinaire. .

Pour la crampe des violonistes, comme c'est la main gauche qui

d'habitude est le siège du spasme et des douleurs, c'est cette main qu'il

faudra rééduquer par un entraînement progressif; les muscles de la

main seront donc tour à tour exercés par une gymnastique active et pas-

sive ; puis les doigts exécuteront sur une canne, tenue en guise de vio-

lon, les mouvements de la gamme, faite avec lenteur, et avec une pres-

sion se rapprochant de plus en plus de la pression ordinaire. Au bout

de quelque temps de cet entraînement, le violon remplacera la canne,

et la main gauche exécutera d'abord seule des morceaux de plus en plus

difficiles ; enfin la main droite reprenant à son tour l'archet, le jeu du

violon redeviendra possible.

Le malade atteint de crampe des télégraphistes, outre les exercices

préparatoires analogues à ceux du traitement de la crampe des écrivains,

devra, dit M. Paul Faurt (d'Alger) abandonner le « travail de vitesse en

ligne » pour s'adonner aux exercices cl en local » comme au temps de

308 MACÉ DE LÉPINAY

son apprentissage télégraphique; il lui faudra s'astreindre à une extrême

lenteur, et « décomposer » les lettres qu'il ne peut plus former régu-

lièrement.

Il sera facile d'imaginer des exercices du même genre pour toute

espèce de crampe, aussi bien du membre inférieur que du membre su-

périeur. Le tout est d'aller lentement, patiemment, progressivement,

de donner confiance au malade, et de ne point se décourager si les pro-

grès sont hésitants, et même s'il survient une récidive.

Les différents auteurs qui se sont occupés de la rééducation motrice

dans la crampe des écrivains ont apporté quelques variantes dans les

exercices gradués que le patient doit accomplir chaque jour.

C'est ain ^que Thomas (251) recommande à ses malades de s'exer-

cer à calquer les lettres de l'alphabet : on passe ensuite à la copie des

bàtons et des lettres sur un cahier d'écolier ; enfin les lettres sont tra-

cées lentement une à une, puis les mots. L'entraînement doit être pro-

gressif.

Zabludowski (257) conseille « d'écrire de grandes initiales, accompa-

gnées de mouvements de l'avant-bras à partir du coude, et même du

bras à partir de l'articulation de l'épaule. L'avant-bras doit rester libre

et toucher à peine la table ; la main ne repose que sur la surface

unguéale du petit doigt, qui est replié avec l'annulaire vers la surface

palmaire de la main : c'est donc « une espèce de gymnatique de l'écri-

ture o que doit accomplir le malade.

Comme on a remarqué, dit Zabludowski, que le bègue peut quelque

fois arriver à chanter correctement, de même une personne dont la main

tremble en écrivant de petits caractères, sera encore en état de tracer de

grands cercles ou des lettres de grandes dimensions. Nous pouvons

remarquer un fait analogue chez les dessinateurs : ils peuvent souvent

exécuter encore d'une manière convenable les travaux de leur spécialité,

et dans les lignes plus ou moins longues qu'ils tracent à main levée on

ne remarque aucun indice de tremblement, tandis que leur écriture est

peut-être déjà un griffonage tout à fait illisible.

Meige a vanté les bienfaits de l'écriture en miroir. Voici en quoi

consiste ce procédé thérapeutique : Le malade s'assied devant une feuille

de papier double, et chaque main s'arme d'un porte-plume ; la main

droite se met alors à écrire de gauche à droite, comme dans l'écri4ure

ordinaire, en ayant soin toutefois de tracer les lettres avec une certaine

lenteur ; pendant ce temps la main gauche écrit de droite à gauche, en

faisant tous les mouvements symétriques, mais inverses, de la main

droite; celle écriture de la main gauche, vue dans un miroir, ou lue à

Fw, 12. - Ecriture en miroir.

310 MACÉ TeE LÉPINAY

travers la feuille de papier par transparence, reproduit l'écriture de la

main droite ; en somme la feuille d'écriture gauche est le cliché négatif

de la feuille d'écriture droite (voir fig. 12).

Pendant que le sujet écrit ainsi des deux mains, son attention se

trouve éparpillée sur les deux tracés d'écriture, et la nouveauté de ce

travail,le petit effort qu'il nécessite pour être bien exécuté, empêchent

le malade de penser avec autant d'intensité à ses troubles morbides ha-

bituels.

L'écriture en miroir, exécutée ponctuellement pendant un certain

temps, rendrait, d'après Meige, de réels services aux malades atteints de

crampe des écrivains, et pourrait à elle seule amener dans un certain

nombre de cas la sédation des troubles.

Mais le plus souvent, l'écriture en miroir seule est insuffisante à

amener la cessation des accidents. Il y faut joindre une véritable réédu-

cation motrice de la main droite, et Meige propose de la pratiquer en

faisant écrire le malade peu, lent, rond, gros, droit. Cette formule

composée de cinq monosyllabes, a l'avantage d'être facile à retenir.

Meige en justifie d'ailleurs les termes de la façon suivante :

a) Le malade atteint de crampe des écrivains devra écrire peu; il

fera même bien de s'abstenir complètement d'écrire pendant environ

un mois. Nous avons d'ailleurs insislé précédemment sur l'utilité du

repos.

b) Il faudra écrire lentement. En elfet, « la préoccupation hâtive de

voir les caractères graphiques matérialiser la pensée ou traduire les

mots copiés contribue beaucoup à déranger le mécanisme psycho-moteur

de l'écriture. Pour remédier à cette perturbation, il est essentiel d'abord

que le malade s'impose d'écrire lentement ; il faut par suite qu'il ne

soit jamais pressé pour écrire, et il devra s'abstenir d'écrire dans toutes

les circonstances où il prévoit qu'il sera obligé de se hâter ».

c) Un sujet atteint de crampe des écrivains doit avoir une écriture

ronde. Ses lettres seront arrondies, sans angles, sans pointes aiguës, et

autant que possible sans « pleins » ni « déliés ». Cette écriture aura en

effet le gros avantage « de réduire le nombre et le siège des mouvements

qui par leur exagération ou leur adultération contribuent à développer

la crampe des écrivains ».

d) L'écriture devra être grosse. Comme le dit Zabludowski, plus les

mouvements graphiques auront une grande amplitude, moins les mus-

cles se fatigueront, se contractant avec moins de fréquence et de brus-

querie. De plus, dit Meige, pour tracer des caractères d'une certaine

dimension (au moins un demi-centimètre de hauteur pour les voyelles),

il faut le concours d'un plus grand nombre de muscles que pour tracer

des caractères très menus.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 311

e) Enfin l'écriture sera droite. Elle exige en effet « que la main s'in-

cline en dedans, tandis que dans l'écriture penchée, au contraire, la

main se dévie en dehors ; la première position est infiniment moins fati-

gante que la seconde ».

Ainsi, dit Meige, chacun des termes de la formule : peu. lent, rond,

gros, droit, correspond à une indication thérapeutique basée sur une

remarque physiologique.

Ces exercices, seront faits chaque jour avec régularité, avec patience,

avec méthode; peu à peu les lettres pourront être tracées plus vite, plus

petites, et en plus grand nombre (fig. 13).

Meige a soigné un certain nombre de malades atteints de crampe des

écrivains en réunissant les deux procédés d'écriture en miroir et d'écri-

ture grosse, ronde droite. Il a obtenu par cette méthode d'excellents

résultats. L'observation suivante qu'il a bien voulu nous communiquer,

en est un exemple probant :

Fio. 13. - Ecriture ronde, grosse, droite. t

312 MACÉ DE LÉPINAY

Observation XXV (Meige).

M. H..., clerc de notaire, est âgé de 22 ans. Il travaille depuis son jeune

âge dans nne étude de notaire, où l'on a toujours eu à se louer de son zèle,

de sa régularité, et notamment de son écriture, nette, claire, propre. Il écrit,

en moyenne, une dizaine de pages par jour.

Vers le mois d'avril 1905, il s'aperçut qu'après avoir écrit plusieurs pa-

ges, il éprouvait dans la main droite une sorte de gêne, de raideur, qui ren-

daient l'écriture plus difficile ; mais au début il n'y porta guère attention.

Peu à peu, cette gêne, cette maladresse, allèrent en augmentant, et bien-

tôt elles se manifestèrent, non seulement après quelques pages, mais après

quelques lignes. Dans ces derniers temps même, la gêne apparaissait aussitôt

que M. H. prenait la plume. Il définit ce qu'il éprouve alors de la façon sui-

vante : c'est une sensation à la fois de faiblesse et de raideur dans les doigts,

une extrême difficulté à les faire obéir : si, malgré cette gêne, il se met à

écrire, les caractères qu'il trace sont irréguliers, incertains ; des lettres ne

sont pas achevées ; d'autres sont compliquées de paraphes inutiles, et, fina-

lement, il est obligé de poser sa plume, car il n'arrive plus à tracer un seul

caractère correctement ?

En dehors de l'écriture, il n'éprouve aucune gêne dans les mouvements de

la main, quels que soient les actes qu'il exécute.

Ce trouble de l'écriture, survenu progressivement, n'a guère inquiété le

malade au début ; mais il a entendu parler de la crampe des écrivains qu'on

lui a représentée comme une affection incurable. Or, tout son avenir est

orienté vers le notariat; il doit entrer prochainement dans une étude de

notaire. Il entrevoit tout cet avenir compromis, brisé même, et il en est pro-

fondément affecté. Chaque fois qu'il tente d'écrire, la préoccupation de ne

pas pouvoir écrire se présente à son esprit, avec une acuité toujours crois-

sante. Plus cette obsession s'accroît, plus la difficulté d'écrire augmente.

La préoccupation nosophobique atteint, dans le cas présent, une intensité

extrême, et l'on peut affirmer que la phobie de « mal écrire », avec toutes

les conséquences fâcheuses qu'elle peut entraîner pour le patient, joue un

rôle de tout premier ordre dans son trouble graphique.

D'ailleurs, on a affaire à un sujet franchement nosophobique. Par exem-

ple, l'an dernier, à propos d'une uréthrite banale, il a traversé une période

obsédante tout à fait typique, se préoccupant de façon exagérée des consé-

quences de cette affection anodine, suivant avec une crainte scrupuleuse,

excessive, tous les traitements qui lui ont été prescrits, et ayant même, par

l'excès de ces soins, fait durer outre mesure son écoulement uréthral. Cepen-

dant, tout est rentré dans l'ordre. Actuellement la préoccupation nosophobi-

que a dévié de l'uréthrite vers la crampe des écrivains.

Ainsi qu'on l'observe fréquemment chez les obsédés, M. H... est a l'affût

des cas qui se rapprochent du sien : il en découvre même là où le mal

n'existe pas. Par exemple, il raconte que son frère est atteint, lui aussi,

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 313

d'une crampe des écrivains, bien que ce dernier écrive de la façon la plus

correcte.

L'examen objectif ne montre aucune espèce de trouble de la motilité, ni de

la sensibilité, ni de la réflectivité. Le malade n'éprouve pas de douleur dans

le membre supérieur droit ; il accuse seulement quelques sensations pares-

thésiques dans l'avant-bras et dans la main, notamment dans le pouce et

l'index ; mais jamais de douleurs vives ni sourdes ; il parle seulement de

« gêne », de « raideur » et de « faiblesse » dans les doigts.

Détail à noter : ce jeune homme présente un certain degré de nystagmus

dans la fixation du regard en face ; nystagmus purement fonctionnel qui

ne saurait, en aucune façon, être interprété comme l'indice d'une localisa-

tion centrale : c'est seulement une difficulté à tenir le regard fixé sur un

point.

Traitement. - S'abstenir complètement d'écrire pendant un mois en de-

hors des exercices prescrits.

Au bout de 8 jours de repos complet, commencer à écrire sur un cahier

d'écolier suivant la formule; peu, lent, rond, gros, droit.

Au début, 3 lignes d'écriture par jour suivant cette formule ; augmenter

ensuite d'une ligne par jour.

Au bout d'un mois, s'exercer à écrire des deux mains, simultanément, la

main gauche écrivant en miroir.

Le malade s'est astreint à suivre ce traitement de façon régulière pendant

trois mois, et bientôt son écriture est devenue de plus en plus correcte.

Vers la fin du mois d'août 1905, il écrivait près de 300 lignes par jour très

correctement, éprouvant quelquefois encore une sensation de raideur dans

les doigts et le bras, mais très passagère.

Il arrive à écrire environ 60 lignes à l'heure.

Au commencement de septembre 1905, le malade est entré à Paris dans

une étude^de notaire. Il fut extrêmement ému de ce changement de vie, et

bien qu'il ait reconquis la faculté d'écrire correctement à la condition de

se surveiller et de ne point abuser de la vitesse, il a toujours la crainte de ne

pouvoir terminer les tâches dont il est chargé. Cette préoccupation l'affecte

vivement, il redoute que l'on se plaigne de son écriture; il n'ose pas deman-

der des délais suffisants pour les copies qu'il a à faire, par crainte d'être

mal noté par son nouveau patron. Aussi son écriture s'en ressent-elle et perd

de sa régularité. Cependant, il reste fidèle au nouveau type graphique qu'il

a adopté ; il écrit droit, plus gros, plus rond ; mais il écrit encore trop vite,

et surtout il ne peut se débarrasser de la phobie de « ne pas écrire assez

vite ».

Des spécimens de son écriture, avant d'être malade, .pendant la

crampe, et. après traitement, montrent bien les heureux résultats de la

thérapeutique de Meige (fig. 14).

En réalité les méthodes de Kouindjy, Zabludowski, Thomas, Meige,

ne diffèrent les unes des autres que par des points de technique, mais

314 MACÉ DE LlPINA1

le but qu'elles se proposent est toujours le même : réapprendre au ma-

lade, comme le dit Constensoux, par une série d'exercices courts et

espacés, à diriger correctement sa main et à redevenir maître de la

souplesse de ses mouvements dans l'écriture.

" Mais - et ceci s'applique non plus à la seule crampe des écrivains,

mais en général à toutes les névroses coordinatrices d'occupation la

rééducation motrice serait tout à fait insuffisante si elle se bornait à la

seule kinésithérapie ; elle doit, si elle veut réussir, s'appuyer pour une

aussi grande part, sur la psychothérapie.

« La psychothérapie, dit Brissaud, n'est autre chose qu'un ensemble

de moyens destinés à montrer au patient par où pèche sa volonté, et à

exercer ce qui lui en reste dans un sens favorable. La méthode n'a rien

J, Fw. 14. - Ecriture de avant sa maladie, pendant sa crampe des écrivains,

» et après le Irailement.

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 315

de mystérieux ; elle n'exige aucune compétence spéciale, en dehors de

la fermeté douce et encourageante qui est la première vertu d'un

éducateur.

« Le médecin, en effet, doit se faire éducateur, sans rien emprunter

aux pratiques plus ou moins occultes de la suggestion hypnotique. De

cela surtout il faut qu'il se défende, car le malade doit être immédiate-

ment prévenu que sa collaboration est indispensable : c'est sa propre

volonté qui agira, et non l'influence personnelle de l'éducateur. Celle-ci

s'exercera seulement en soutenant les efforts du patient, en lui faisant

mesurer le terrain gagné petit à petit, en le contraignant à la soumission

souscrite d'avance. »

La psychothérapie, entre les mains de Janet, de Dubois (de Berne),

de Grasset, a fait ses preuves, et a conquis bien vite le premier rang

dans le traitement de certaines affections nerveuses. Les moyens sont

infiniment variés, vis-à-vis de malades différents, et aussi pour le même

malade ; ils varient aussi suivant les médecins, « chacun ne pouvant

utiliser, dit Meige; que les qualités dont il est naturellement doué.

Tel obtient par une persuasion douce, ce que tel autre acquiert par une

fermeté rigoureuse. A certains patients conviennent la sévérité, les

réprimandes ; aux autres les discours indulgents ou les caresses de

l'amour-propre. Avec les uns comme avec les autres, il faut' savoir

utiliser à tour de rôle et à propos ces différentes sortes d'incitations

mentales ».

La rééducation motrice, pour avoir des résultats complets, devra donc

unir la psychothérapie à la kinésithérapie,l'une venant en aide à l'aulre,

et réciproquement. Cette méthode de traitement, fondée sur ces deux

thérapeutiques, a été appelée par Brissaud et Meige la discipline psycho-

motrice.

« Elle tend à supprimer les actes automatiques intempestifs et à les

remplacer par des actes corrects, utiles, voulus et réfléchis. Pour parve-

nir à ce résultat, il ne suffit pas d'employer des exercices gymnastiques

passivement exécutés par le malade. Il faut en outre exiger de celui-ci

sa participation active dans l'exécution des actes commandés : l'écorce

cérébrale du sujet doit intervenir à tout instant. La discipline psycho-

motrice est donc à la fois une éducation de l'esprit et du mouvement,

de l'idée et de l'acte. Elle tend à supprimer les habitudes nuisibles et

à instaurer des habitudes utiles; elle vise à la suppression de l'automa-

tisme lorsqu'il est préjudiciable, et à son remplacement par'des actes

normaux, volontaires et réfléchis. Elle est basée, comme toutes les

éducations, sur la répétition des mêmes actes moteurs. Mais elle exige

aussi la répétition des efforts volontaires du sujet en vue d'exécuter

316 MACÉ DE LÉPINAY

l'acte prescrit. Lorsque le médecin peut obtenir du malade sa part de

collaboration active, on peut toujours espérer les meilleurs résultats

de ce mode de traitement (Brissaud et Meige).

Le médecin devra donc, à des exercices musculaires méthodiques,

comme ceux que nous avons précédemment indiqués, joindre des expli-

cations appropriées, indiquant au malade quelles sont ses fautes motrices,

pourquoi elles existent, et comment il peut parvenir à les éviter. Il faut

à la fois faire agir, et faire vouloir agir ; dire au malade pourquoi et

comment il doit agir.

Mais, dit Feindel, une règle primordiale s'impose à tous ceux qui

veulent appliquer avec fruit ce procédé thérapeutique : ils doivent con-

sidérer les malades, non point comme des patients chargés d'exécuter

des ordres, mais comme des collaborateurs avec lesquels ils travaillent

de concert à l'oeuvre de guérison. Le malade lui-même doit être pénétré

de cette idée que, pour bénéficier du traitement, sa coopération est in-

dispensable. On peut compter sur son aide : n'est-il pas le principal

intéressé ? Qu'il n'attende pas du médecin plus que ce dernier ne peut

lui donner, et que le médecin ait aussi la franchise de lui dire que, s'il

peut beaucoup avec lui, il ne peut rien sans lui.

Est-ce à dire que la discipline psycho-motrice réussira seule là où

tous les autres moyens thérapeutiques ont déjà échoué ? Assurément non ;

la discipline psycho-motrice peut ne pas amener la guérison, et ce pour

plusieurs raisons : soit parce que la névrose est déjà ancienne, et s'est

ancrée dans l'esprit du sujet ; soit parce que le malade, névropathe avé-

ré, ne peut fixer suffisamment longtemps son esprit sur cette thérapeu-

tique nouvelle qui lui demande un effort personnel, patient et prolongé ;

soit enfin parce que le médecin, peu entraîné à son rôle d'éducateur,

ne sait pas prendre sur l'esprit du patient l'influence persuasive,qui est

dans ce cas si nécessaire. Il faut en outre se méfier de ces fausses guéri-

sons, se maintenant tant que le médecin garde son contrôle effectif, mais

disparaissant bien vite à la première occasion : surmenage, émotion ; et

faisant tomber le malade dans de navrantes rechutes ou récidives, plus

pénibles encore que la première atteinte ; aussi le médecin fera-t-il bien

de suivre pendant longtemps son malade, à intervalles réguliers.

, De ce long chapitre nous croyons cependant pouvoir conclure que,

devant une crampe professionnelle, quelle qu'elle soit, pourvu qu'elle

reste encore près de ses débuts, le médecin est loin d'être désarmé, et

qu'avec la collaboration active de son malade il peut entreprendre avec

bon espoir une thérapeutique, qui sera longue sans doute, et demandera

patience et ténacité, mais qui dans bien des cas amènera une guérison

durable. Le traitement semble pouvoir se résumer en ces cinq proposi-

tions : 1

ÉTUDE SUR CRAMPES PROFESSIONNELLES 317

Io Repos momentané, très utile mais non indispensable ;

2° Traitement local approprié s'il y a lieu ; l'électricité trouvera, là

surtout, des indications importantes.

3° Hydrothérapie générale et locale; ou mieux, s'il est possible,

cure hydrominérale,

4° Massage.

5° Rééducation motrice, réunissant les bienfaits de la kinésithérapie

à ceux de la psychothérapie : c'est-à-dire discipline psyclao-motrice.

CONCLUSIONS

I. Les crampes professionnelles sont des affections, caractérisées

soit par des convulsions toniques et cloniques, soit par des tremble-

ments, soit par des troubles parétiques, qui se manifestent seulement

à l'occasion d'un acte fonctionnel ou professionnel coutumier, et se

localisent dans quelques-uns des muscles habitués à exécuter synergi-

quement cet acte habituel.

IL Le mot de crampes par lequel on désigne ces affections est en

réalité inexact. Les expressions similaires de spasmes fonctionnels,

ataxie professionnelle, impotences fonctionnelles, sont également

critiquables. Mieux vaudrait adopter soit le terme de dyskinésies pro-

fessionnelles (Jaccoud), soit mieux encore l'expression : névroses coor-

dinatrices d'occupation, proposée par Benedickt, et adoptée par les

auteurs allemands.

Il faut toutefois avoir soin de ne point décrire sous ce nom, comme

le font certains écrivains, les névralgies et les paralysies d'occupation,

affections provoquées par l'exercice d'une profession, mais se manifes-

tant, une fois établies, en dehors même de cette profession, et pour tous

les actes de la vie courante. Au contraire, les dyskinésies profession-

nelles ne se produisent, et ne se manifestent ensuite qu'à l'occasion

des exercices professionnels.

III. - Pour que ces accidents, à caractère électif, se produisent, il

faut deux conditions : 1° une prédisposition congénitale du sujet ;

2° La répétition fréquente d'un même acte fonctionnel.

Ces deux conditions sont nécessaires, mais aucune d'elles, isolément,

n'est suffisante.

318 IIAC DE LKPINAY

IV. Au point de vue pathogénique, deux théories opposées sont

en présence pour expliquer ces troubles :

Les uns, avec Poore, admettent une origine périphérique ;

Les autres, avec Duchenne, invoquent une origine centrale.

A notre avis, les deux théories peuvent être vraies, suivant les cas ;

mais, quelle que soit l'origine des accidents, il faut pour que ceux-ci

prennent leur caractère électif si particulier, une participation constante

du facteur mental.

Il existe en effet un certain nombre d'observations probantes dans les-

quelles existait une lésion anatomique bien définie au niveau du mem-

bre atteint : artérite, myosite, synovite, névrite. Mais ces processus ana-

tomiques sont insuffisants à expliquer la spécialisation des troubles ; ils

ne peuvent être qu'une épine irritative qui provoque et fixe la névrose.

Dans la plupart des cas, on nepeut déceler, au niveau du membre at-

teint, aucune lésion locale. Il se peut qu'elle existe, sans doute, mais

nos moyens d'investigation ne nous permettent pas de la reconnaître. Il

faut donc admettre alors une origine centrale. En employant ce mot,

nous ne pouvons préjuger, actuellement, de la nature de cette origine.

Il s'agit peut-être d'un simple trouble psychique, sans lésions anatomi-

que définie ; il serait assez logique d'admettre une altération dynamique

passagère des cellules nerveuses préposées à la coordination des mouve-

ments professionnels : ces cellules, particulièrement fragiles chez un pré-

disposé, excitées ou épuisées par le surmenage professionnel, réagiraient

par un spasme, un tremblement, ou une paralysie, dans le territoire

musculaire correspondant. Peut-être le cervelet, qui semble préposé à

la coordination des mouvements, serait-il le siège de ces troubles phy-

siologiques ? Nos connaissances actuelles ne nous permettent encore que

des hypothèses à ce sujet.

Dans tous les cas, intervient le psychisme particulier du malade, qui

coordonne les troubles, les augmente et les entretient.

V. Les tics et le bégaiement ont avec les dyskinésies profession-

nelles un certain nombre de points communs : ils évoluent sur le même

terrain névropathique. Mais ils se différencient les uns des autres par

des caractères importants et ne doivent pas être identifiés.

VI. La crampe des écrivains est la plus fréquente et la plus

connue des névroses d'occupation. On peut en décrire trois variétés :

La forme spasmodique ;

ÉTUDE SUR LES CRAMPES PROFESSIONNELLES 319 H

La forme paralytique ;

La forme trémulente.

Ces trois variétés peuvent d'ailleurs alterner ou s'entremêler chez

le même sujet.

Parmi les autres crampes professionnelles, celles que l'on observe le

plus souvent sont : la crampe des télégraphistes, la crampe des pia-

nistes, la crampe de la coulure, la crampe des ouvriers employant la

pédale. La crampe des automobilistes paraît être la dernière venue.

Mais en réalité toute profession qui exige un surmenage musculaire

local et demande une contention exagérée de l'esprit peut avoir sa

crampe particulière.

V11. - Le pronostic de toute dyskinésie professionnelle doit être

réservé. Il se basera : 1° Sur la cause qui a donné naissance à l'a(i'ec-

tion ; ,

2° Sur la concomitance ou la succession de plusieurs névroses ;

3° Sur l'état mental du sujet ;

4° Sur Y ancienneté de la maladie.

Une crampe, sans lésion organique définie, prise à ses débuts, chez

un sujet n'ayant point d'autre névrose, et confiant en son médecin,

peut guérir. Mais il faudra toujours redouter les fausses guérisons-

cessant dès que le malade n'est plus soumis à l'influence médicale

et les récidives.

VIII. Le diagnostic d'une névrose coordinatrice d'occupation est

en général facile. Il importera, avant tout, de rechercher si le trouble

fonctionnel est exclusivement' limité à l'acte professionnel, ou fonc-

tionnel coutumier. On pourra ainsi éliminer les névralgies et paralysies

d'occupation, de même que toutes les affections organiques, qui se tra-

duiraient d'ailleurs par les troubles somatiques correspondants.

Le diagnostic se poursuivra par l'examen attentif du membre atteint :

on recherchera avec soin toute trace de lésion anatomique locale qui

exigerait aussitôt une thérapeutique appropriée.

Mais le diagnostic ne sera complet que si l'on fait attentivement l'exa-

men psychologique du malade. Celle étude aura un double but ^re-

connaître le terrain toujours spécial avec ses lacunes et ses bizarreries

mentales sur lequel évoluent ces névroses, et gagner peu à peu la con-

fiance du malade, condition essentielle pour obtenir un heureux résultat

thérapeutique.

320 MACÉ DE LÉPINAY

IX. LE traitement prophylactique consistera à interdire aux su-

jets, prédisposés par une hérédité ou un passé névropathique, l'exercice

de professions qui exigent un surmenage musculaire et mental. Il con-

viendra d'éviter avec soin toute intoxication endogène ou exogène qui

pourrait provoquer et entretenir ces névroses.

X. Le traitement interne, médicamenteux, ne sera indiqué qu'aux

cas exceptionnels où une maladie générale semblerait être à l'origine de

la dyskinésie fonctionnelle.

XI. Le traitement physique ou externe comprendra :

1° Le repos professionnel momentané ; ce repos est fort utile, mais

ni suffisant seul, ni absolument indispensable;

2° Des soins locaux répondant à telle ou telle indication spéciale ;

3° Des applications locales ou générales d'électricité ;

4° Des séances de nzassage;

5° Une cure d'hydrothérapie générale et locale. Plus active encore,

donc préférable, serait une cure hydrominérale qui, aux bienfaits si-

multanés du repos, du grand air et de la distraction, joindrait l'action

énergique et spéciale de ses sources.

XII. - Le traitement psychique, complément nécessaire du traite-

ment physique, comportera la rééducation motrice lente, patiente, mé-

thodique et progressive, des muscles affectés par la crampe profession-

nelle. Cette rééducation, pour être parfaite, devra joindre aux bienfaits

de la kinésithérapie, l'action efficace de la psychothérapie : l'union de

ces deux procédés est la discipline psycho-motrice de Brissaud et Meige.

Se joignant aux efforts du traitement physique, la discipline phycho-

motrice amènera, dans un grand nombre de cas, la guérison complète et

durable des différentes névroses coordinatrices d'occupation.

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NOUVELLLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XXXVII

LES AVEUGLES DANS L ART

Appius Claudius censeur du Sénat romain par, C. MACCARI

(Palais du Sénat, Rome).

(Portigliotti) .

Masson & Cie, Editeurs.

LES AVEUGLES DANS L'ART,

APPIUSCLAUDIUSDE C. MACCARl

(ROME, Palais DU Sénat)

PAR

G. PORTIGLIOTTI

Voici le détail d'une fresque magnifique, qui trouve bien sa place dans

l'Iconographie artistique de la cécité.

Cette fresque se trouve dans le palais du Sénat italien ; et elle a été

composée, en 1889, par un des meilleurs artistes de l'époque, Cesare Mac-

cari (Pl. XXXVII).

On se rappelle l'épisode historique, auquel se rattache cette fresque-là.

Appius Claudius, sénateur romain, très vieux et aveugle, ne voulait

pas que la république acceptât les conditions de paix, dont Cinea, ambas-

sadeur du roi Pyrrhus, était alors porteur. Ces conditions étaient - selon

Appius Claudius très dangereuses pour la république. Et le vieux

censeur, qui depuis de longs mois ne pouvait pas quitter le lit, se fit con-

duire, par des amis et des familiers au Sénat.

Dans le fresque de C. Maccari, il va donc soutenu sous les bras

gagner la salle où une foule de sénateurs sont déjà assemblés.

Son pas est lourd et incertain. Ses mains, pâles et osseuses, tâtent l'air,

pour mieux se diriger dans l'ombre perpétuelle qui règne autour de lui.

Les paupières sont closes. Il manque donc ici l'aspect dramatique si

suggestif des yeux des aveugles que l'on observe dans d'autres oeuvres

artistiques et surtout dans l'aveugle de Gaudenzio Ferrari qui a été repro-

duit ici par nous-même (1).

Mais, à part ce défaut, l'aveugle de Cesare Maccari est très vrai et très

vivant.

(1) Numéro novembre-décembre 1906.

, Le gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne)

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS

(SÉANCE DU 17 JUILLET 1909)

TROIS CAS DE TUMEURS CÉRÉBRALES,

PAK

E. BOINET,

Professeur de clinique médicale, Agrégé des Facultés,

Médecin des hôpitaux de Marseille.

Les deux premiers cas de tumeurs cérébrales sont secondaires, l'un

à un cancer de l'estomac compliqué de pleurésie cancéreuse à prédomi-

nance fibreuse, avec épanchement hémorragique, l'autre à un épithé-

lioma primitif du rein et à une tumeur pulsatile cancéreuse du sternum

et des côtes simulant un anévrysme extra-thoracique de l'aorte.

L'apparition de ces deux noyaux cancéreux métastatiques dans le

cerveau a été tardive. Ce cancer secondaire siégeait, dans le premier cas,

au niveau de la partie moyenne de la frontale ascendante gauche et

occupait, dans le second, la partie postérieure et externe du lobe occipital

droit.

La troisième observation est un exemple de volumineux gliome pri-

mitif comprimant les deux pédoncules cérébraux et les bandelettes

optiques, développé au niveau du chiasma et envahissant les ventricules

latéraux qui sont comblés par de gros noyaux néoplasiques. Les parois

inférieures, latérales et supérieures de ces cavités ventriculaires sont

infiltrées de tissu gliomateux étalé en nappe. L'étendue elle volume de ce

gliome expliquent la complexité des symptômes observés pendant la vie.

Observation I. Epilepsie jacksonnienne, à type brachial, due à un can-

cer secondaire siégeant sur la frontale ascendante gauche adhérent à la

dure mère et à la face interne des os du crâne ; compression du tronc du

grand sympathique droit avec myosis et hyperémie de la moitié de la

face par un cancer de la plèvre. Syndrome addisonnien consécutif à

une infiltration néoplasique de la capsule surrénale droite. - Induration

cancéreuse du pylore primitive.

Audric Charles, âgé de 52 ans, entre le 22 août 1902, dans notre service

de clinique médicale de l'H6lel-Uieu pour un cancer pleuro-pulmonaire avec

épanchement hémorragique dans la plèvre gauche dont le début parait re-

wu 23

334 BOINET

monter à six mois. La toux, la dyspnée, l'amaigrissement, la cachexie sont

marqués, la matité est absolue, l'abolition des vibrations thoraciques est

complète du côté gauche ; l'égophonie et la pectoriloquie aphone sont perçues

à la base. Le 27 août, on retire de la plèvre gauche 250 grammes d'un li-

quide rouge vif, d'aspect hémorragique, contenant peu de caillots et parais-

sant pauvre en fibrine. Le côté gauche du thorax est affaissé, aplati, rétracté

en masse. Les ganglions de la région sus et sous-claviculaire gauche sont

volumineux, durs, indolents et roulent sous le doigt.

Bientôt apparaissent des signes de propagation cancéreuse et de localisation

néoplasique secondaire au niveau des centres corticaux moteurs des circon-

volutions cérébrales gauches. ,

Eilepsie jzclaonzienne. Le 12 octobre, pendant la visite du matin,

le malade est pris, sous nos yeux, sans perte de connaissance, d'une crise

d'épilepsie jacksonnienne exclusivement limitée au membre supérieur droit,

qui est le siège de convulsions cloniques, de faible amplitude. Ces mouve-

ments convulsifs sont assez espacés et laissent, dans l'intervalle des crises, le

membre contracture; pendant l'accès, qui dure quelques minutes, le malade

s'efforce de maintenir avec sa main gauche son membre convulsé. Après

la crise, persiste, pendant vingt minutes environ, un état parétique très accusé

du membre supérieur droit. La sensibilité reste normale. Interrogé attentive-

ment, le malade se rappelle que, depuis un an, il a eu, à quatre reprises, des

crises analogues.

Le 16 novembre, survient une nouvelle attaque d'épilepsie jacksonnieune

absolument calquée sur la précédente.

Le 4 décembre, une nouvelle crise d'épilepsie jacksonnienne se produit ;

la parésie devient persistante et s'accompagne d'amyotrophie généralisée à

tous les muscles du membre supérieur droit. Le 14 et le 28 janvier, on ob-

serve de nouvelles crises épileptiformes toujours strictement localisées au

membre supérieur droit. '

Myosis et troubles casomoteurs de la face par compression du sympathi-

que gauche. - Il existe une inégalité pupillaire très accentuée ; la pupille

droite est normale, la pupille gauche est en myosis et, fait intéressant indi-

quant la compression du grand sympathique gauche par le cancer de la plè-

vre et les adénopathies néoplasiques du médiastin postérieur, la pommette

et l'oreille correspondantes sont le siège d'une rougeur vive tranchant sur la

pâleur générale de la face.

Syndrome surrénal. - En septembre, on est frappé par l'état de torpeur,

d'abattement et d'asthénie du malade dont les téguments prennent une colo

ration bronzée plus accusée au niveau des parties découvertes et en parti-

culier de la face, des parties antéro-latérales du cou, de la face postérieure des

avant-bras et des mains et sur les divers points où une révulsion cutanée

avait été pratiquée dans un but thérapeutique. Cette mélanodermie s'accen-

tue chaque jour et s'accompagne de la présence sur la face interne des joues

de placards pigmentaires brunâtres. Des taches analogues existent sur le

TROIS CAS DE TUMEURS CÉRÉBRALES 335

gland. Ces signes sont évidemment l'indice d'une atteinte cancéreuse des

capsules surrénales (1) trouvée, du reste, à l'autopsie.

Le 5 janvier, la cachexie fait de rapides progrès. On remarque, à la région

antérieure du thorax, la présence de plusieurs nodosités cancéreuses faisant

saillie sous la peau ; les unes adhèrent au sternum et aux côtes ; les autres

siègent dans l'épaisseur dn muscle grand pectoral. Les ganglions lymphati-

ques des régions sous-claviculaire et axillaire gauches sont durs et augmen-

tés de volume. Le cancer plenro-pulmonaire détermine une sensation très

pénible de constriction et de resserrement thoraciques, une grande gêne res-

piratoire et l'expectoration caractéristique de crachats sanguinolents com-

parables à de ! a gelée de groseille.

La dyspnée s'accroît progressivement, le malade se cachectise de jour en

jour et succombe le 8 février 1903, avec des phénomènes d'asphyxie et de

collapsus cardiaque.

Autopsie. Des noyaux cancéreux infiltrent, à gauche, le tissu cellulaire

sous-cutané, le grand pectoral, le petit pectoral, les .deuxième et troisième

côtes, la partie antérieure et interne du troisième espace intercostal, les gan-

glions sous-claviculaires et axillaires. Dans le petit pectoral, l'infiltration néo-

plasique a le volume d'une petite pomme. Le centre de ces noyaux cancéreux

est jaunâtre, un peu ramolli ; il est entouré d'une coque blanche, plus dure

de tissu néoplasique. La plèvre gauche épaissie, indurée, parsemée de noyaux

cancéreux faisant saillie à sa surface, contient un litre de liquide brunâtre

chocolat. La plèvre diaphragmatique a une épaisseur considérable due à une

infiltration cancéreuse énorme. La plèvre pariétale transformée en un feuil-

let épais, dur, compact de tissu fibro-cancéreux, adhère fortement à la paroi

thoracique qui est rétractée, affaissée et dont les espaces intercostaux sont

réduits par suite de l'imbrication des côtes. Ce cancer pleural se présente

donc sous la forme d'une véritable coque fibrocancéreuse, avec des nodules

sessiles, légèrement bosselés ; elle est dure, épaisse, résistante ; ses parois

rigides, béantes, sans tendance à l'accolement, sont formées aux dépens de la

plèvre pariétale, diaphragmatique,médiastine et pulmonaire.

Le poumon gauche a le volume du poing, il est refoulé en haut et en ar-

rière ; il présente l'aspect d'une masse molle, noirâtre, élastique, vide d'air,

sans nodules cancéreux, malgré l'épaisseur de l'infiltration néoplasique dans

la plèvre viscérale correspondante.

Le poumon droit est parsemé sur toute sa hauteur de noyaux cancéreux

gros comme des petits grains de raisin. Son sommet est occupé par une masse

fibro-crétacée de la grosseur d'une mandarine, reliquat d'une tuberculose

ancienne cicatrisée (2).

(1) BOINET, De l'addisonnisme (Archives générales de médecine, Paris, 1904) ; La

mort dans la maladie bronzée d'Addison (Archives générales de médecine, 1903).

Du tremblement provoqué ou exagéré par l'opoihérapie surrénale dans la maladie

d'Addison (Archives générales de médecine, 1903, p. 982 et Congrès international de la

tuberculose. Washington, 21 septembre 12 octobre 1908. Société de Neurologie, juil-

let 1909.

(2) BOINET, Cancer et tuberculose, Bulletins de l'Académie de médecine, Paris,

15 octobre 1907, p. 228.

336 BOTNET

Le grand sympathique gauche est englobé dans une gangue cancéreuse

développée aux dépens du poumon, de la plèvre, des ganglions lymphatiques

et adhérente à la colonne vertébrale. Cette compression explique lu myosis

et l'hyperémie unilatérale gauches observés pendant la vie.

Le coeU1' est normal. Le pylore est le siège d'une induration peu volumi-

neuse, sans ulcération de la muqueuse. Le foie présente à sa surface et dans

- sa profondeur des nodules cancéreux gros comme des grains de raisin. Les

noyaux cancéreux sont très apparents sur la' portion péritonéale du dia-

phragme. Le pancréas et la rate sont sains, les reins sont congestionnés.

La capsule surrénale droite est volumineuse, indurée, infiltrée de noyaux

cancéreux. Il existe, à gauche, deux capsules surrénales supplémentaires

dont la présence ou l'hypertrophie tient peut-être à une suppléance fonction-

nelle vicariaute. Ce cancer de la capsule surrénale droite est secondaire et il

ne s'agit pas ici d'hypernéphrome malin de cancer réno-surrénal à cellules

claires. Le cancer surrénal, constaté dans ce cas, est très rarement observé.

Centres nerveux. - On trouve sur la dure-mère un noyau cancéreux,

ayant le diamètre d'une pièce de cinquante centimes, accolé à la branche

postérieure de l'artère méningée moyenne, correspondant à une empreinte

de même dimension, à une érosion creusée sur la table interne des os du

crâne. Il siège au niveau de la partie moyenne des circonvolutions rolandi-

ques gauches, de la frontale ascendante et atteint le pied de la deuxième fron-

tale. La plus grande partie de la tumeur est en avant de la scissure de Ro-

lando. Ce noyau cancéreux correspond donc au centre cortical du membre

supérieur et sa localisation explique l'épilepsie jacksonnienne à type brachial

droit. On n'observe aucune autre lésion- des centres nerveux.

Examen microscopique. Ce noyau métaslatique cérébral est nettement

constitué par un épithélioma cylindrique du type gastro-intestinal ; il est

formé par des cellules d'épithélium cylindrique réparties sur une seule ran-

gée, égales, régulières, proliférant en surface et non en profondeur et conte-

nant, pour la plupart, un seul noyau bien coloré.

Les cellules cancéreuses sont soutenues par un axe conjonctivo-vasculaire

constitué par des fibrilles conjonctives et des vaisseaux capillaires à paroi

mince, gorgés de sang. On trouve, en grand nombre, des cellules conjoncti-

ves jeunes, paraissant réunies par leurs prolongements et groupées d'une

façon prédominante au voisinage des vaisseaux.

Le tissu nerveux, comprimé par la tumeur, est très altéré ; il se colore ma

par les réactifs ; on distingue seulement une masse granuleuse présentant

quelques noyaux en partie détruits.

Dans la zone d'extension du néoplasme, les vaisseaux sont distendus par

les globules sanguins ; en certains points, le sang fait même irruption hors

des vaisseaux, et l'on observe une véritable hémorragie microscopique.

2° Dans la capsule surrénale cancéreuse, les lésions de sclérose ancienne

prédominent. Le tissu conjonctif forme des alvéoles dans lesquelles sont

groupées des cellules du type épithélioïde, Il existe des amas altérés, difn-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XXII. l'1. XXXIX

TUMEUR CÉRÉBRALE

Obs. Il

TROIS CAS DE TUMEU11S CÉRÉBRALES 337

ciles à colorer, constitués par une masse granuleuse contenant quelques

noyaux morcelés et comme nécrosés. 1

On ne retrouve pas dans les fragments examinés de portions ayant la

structure normale de la glande surrénale (1).

3° La coupe d'un nodule cancéreux situé au voisinage de la capsule de

Glisson montre qu'il s'agit d'une néoplasie épithéliale. Les cellules qui cons-

tituent la tumeur, sont groupées sans ordre dans les intervalles d'un tissu

conjonctif lâche, peu abondant et parsemé des cellules jeunes. Les éléments

cancéreux sont polyédriques et irréguliers ; leur volume est variable ; quel-

ques cellules contiennent deux, trois et même quatre noyaux. Sur certains

points, on voit des cellules cylindriques, groupées sur une seule rangée, se

continuant sans ligne de démarcation avec les portions voisines, formant

un épithélioma nettement différencié, du type cylindrique gastro-intestinal.

4° A l'examen de la plèvre cancéreuse, on trouve dans un stroma fibreux

très abondant, dense, présentant peu d'éléments cellulaires, des amas de

cellules épithélioïdes, cubiques, cylindro-cubiques ou en raquette, à proto-

plasma granuleux, contenant en général un seul noyau qui ne montre

qu'exceptionnellement des figures de division. Ces cellules sont réunies

dans des espaces arrondis qui les limitent de toutes parts et qui présentent

les caractères des capillaires sanguins et lymphatiques. Parfois, les cellules

cancéreuses font irruption en dehors des vaisseaux capillaires et se propagent

dans les interstices du tissu conjonctif pleural, comme si le vaisseau capillaire

était le point de départ de la prolifération néoplasique. A côté de ces vais-

seaux envahis par le cancer, on observe de nombreux capillaires paraissant

de formation récente et distendus par des globules sanguins. Cette particula-

rité explique assez bien la nature hémorragique de l'épanchement pleural,

d'origine cancéreuse. A côté du développement des bourgeons cancéreux

existent des altérations d'ordre irritatif et inflammatoire qui occupent dans

ce cas une place prépondérante (2).

En résumé, cet épithélioma cylindrique lobulé et tubulé du cerveau, à

cellules claires, appartient au type gastro-intestinal et, en présence des lé-

sions scléreuses prédominantes de la capsule surrénale, il paraît secondaire

au néoplasme de l'estomac, malgré le faible volume du cancer gastrique pri-

mitif.

Observation II. - Tumeur cancéreuse, du volume d'une noix, située dans

la partie postérieure el externe du lobule occipital droit et consécutif à

un épithélioma primitif à cellules claires du rein droit juxla-sur1'l}¡wl,

Cancér pulsalile secondaire du sternum et des côtes simulant un anévrisme

de la crosse de l'aorte et de l'aorte thoracique descendante (PI. XXXIX).

Muratore, italien, âgé de 53 ans, entre, dans notre service de clinique mé-

(1) V. Ménétrier, Le cancer. Epithéliomes des glandes surrénales,in Traité de mé-

decine de Brouardel et Gilbert, fasc., XIII, 1909, p. 334.

(2) BOINET ET OLMEB, Pleurésie cancéreuse à prédominance fibreuse, Revue de mé-

decine. Paris, 1903. p. 717-728 et 867-8'77. '

338 BOINLT

dicale de l'Hôtel-Dieu le 17 mars 1907 pour une tumeur pulsatile du sternum

et des côtes simulant un anévrisme extra-thoracique de l'aorte. Les détails

de l'observation sont relatés dans une récente communication que nous avons

faite à l'Académie de médecine (1). Le 22 janvier 1908, le malade est atteint

brusquement, sans prodromes, d'un ictns apoplectiforme qui est attribué à,

une embolie dans l'artère sylvienne gauche que l'on rapporte à un caillot dé-

taché du sac anévrysmal.

La température s'élève et, le lendemain, elle est de 38°3. Cette faible hy-

perthermie élimine le diagnostic d'hémorragie cérébrale.

Le 24 janvier 1908, le malade présente tous les signes et symptômes ca

ractéristiques de l'aphasie que l'on explique par l'hypothèse d'une embolie

cérébrale, d'origine anévrysmatique. Ce diagnostic paraissait être corroboré

parla coexistence d'une hémiplégie droite assez complète. L'état général s'ag-

grave, sans élévation de température.

Le 25 janvier, l'aphasie, qui avait momentanément diminué la veille, de-

vient complète. La paralysie de la moitié droite de la face du type facial infé-

rieur s'accentue encore et s'accompagne d'une série rythmique et ininter-

rompue de mouvements d'élévation, de diduction et de mâchonnement du

maxillaire inférieur persistant même pendant le sommeil.

Il existe une déviation conjuguée de la tête et des yeux, à gauche. On

constate du nystagmus transversal intermittent. Les pupilles sont moyenne-

ment dilatées des deux côtés et assez paresseuses à l'excitation lumineuse.

Les membres supérieur et inférieur du côté gauche sont animés d'une

série de mouvements involontaires, petits, menus, rapides, rythmiques, inin-

terrompus et de tremblements. La main gauche présente une accentuation

plus marquée de ces mouvements inconscients.

La paralysie qui existait, la veille, du côté droit, a diminué au niveau du

membre supérieur, mais a persisté complètement dans le membre inférieur

droit.

Les membres supérieur et inférieur du côté gauche présentent toujours

une série de petits mouvements involontaires semblables à ceux que l'on

observe dans les cas d'épilepsie jacksonnienne par excitation corticale.

La transpiration est abondante sur toute la surface du corps. Le pouls est

à 128. Toutes les quatre à cinq minutes, ces petites crises d'épilepsie jack-

sonnienne limitées au côté gauche, se renouvellent et ne durent qu'une mi-

nute environ.

La sensibilité sous ses divers modes ne parait pas modifiée. Le malade ne

peut parvenir à ouvrir la bouche et à tirer la langue par suite de la persis-

tance des mouvements continus de mastication, de diduction et de mâchon-

nement. Puis, surviennent par moments des contractions musculaires ininter-

rompues, du côté gauche, alternant avec des crises d'épilepsie jacksonnienne,

La déviation de la commissure labiale gauche s'accentue. Le nystagmus

(1) E. Boinet, Cancer pulsalile du sternum el des côtes simulant l'aueurrlsme de

l'aorte (Bulletins de l'Académie de médecine. Séance du 30 mars 1909, p. 411 il 421).

TROIS CAS DE TUMEURS CÉRÉBRALES 339

est intermittent. Malgré la difficulté des recherches due à la gravité de l'état

général, le malade accuse de l'hémianopsie.

L'obtusion cérébrale augmente, les battements du coeur sont mous et pré-

cipités et on constate tous les signes d'une broncho-pnenmonie très grave

entraînant rapidement la mort du malade qui succombe dans un état subco-

mateux entrecoupé de crises d'épilepsie jacksonnienne.

Autopsie. Tumeur cérébrale. Une tumeur cancéreuse secondaire,

mesurant 4 centimètres de hauteur, 3 d'épaisseur, 2 cent. 1/2 de largeur,

de forme ovoïde, à plus grosse extrémité inférieure, se trouve à la partie

postérieure et externe du prolongement occipital du ventricule latéral de

l'hémisphère cérébral droit. La base de cette tumeur repose sur le plancher

du prolongement occipital du ventricule sans l'ulcérer ; sa moitié externe

érode profondément les première, deuxième, troisième circonvolutions occi-

pitales ; le sommet de la tumeur entame, dans presque toute son épaisseur,

la circonvolution du pli courbe qui est réduite à une lamelle très mince et

creuse la partie postérieure de la circonvolution pariétale supérieure, au-

dessus de la scissure perpendiculaire externe.

Les .circonvolutions précédentes dans la profondeur desquelles la partie

externe et supérieure de la tumeur est logée, sont ramollies, grisâtres,

effritées, par places, sur une hauteur et sur une largeur de 4 à 5 centimètres.

Au niveau de la base de la tumeur, les circonvolutions occipitales externes

ont une épaisseur d'un centimètre et demi au maximum et vers la partie

moyenne du néoplasme, il n'existe que quelques millimètres de substance

nerveuse corticale effritée représentant les débris ramollis de la première

et de la deuxième circonvolution occipitale. Sur un point, la tumeur affleure

presque la surface de l'hémisphère ; la circonvolution du pli courbe est réduite

par places à un millimètre d'épaisseur. ,

La paroi supérieure du prolongement occipital du ventricule latéral, le

forceps major dans sa portion correspondant à la tumeur, la partie profonde

de la première et de la deuxième circonvolution occipitale sont fortement

érodés et détruits partiellement par le noyau cancéreux. La couche optique

est saine. En dedans, la tumeur est séparée de la surface de la face interne

du lobe occipital par une épaisseur de tissu nerveux d'un centimètre ; elle

est ainsi en rapport avec le cunéus, la scissure perpendiculaire interne et

la partie postérieure du lobule quadrilatère ; elle affleure la portion posté-

rieure du corps calleux.

La tumeur cérébrale est entourée d'une enveloppe fibreuse, épaisse, solide,

résistante qui l'isole complètement ; de la partie interne de cette coque fibreuse

partent des tractus scléreux qui s'enfoncent dans la profondeur de ce noyau

cancéreux. Les contours de cette tumeur sont donc assez nets et réguliers ;

sa coloration est bigarrée. Sa surface a une teinte brun noirâtre, d'aspect hé-

matique, correspondant aux petits foyers hémorragiques et aux portions té-

langiectasiques ; sa partie centrale est grisâtre et ce tissu néoplasique apparaît,

sur certains points, à la surface.

L'examen histologique montre un épithélioma de la variété télangiecta-

\

3 si . BOINET

sique, d'aspect hémorragique, à cellules claires, semblable au cancer primitif

du rein qui en a été le point de départ.

La tumeur cérébrale est constituée par un épithélioma entouré d'une cap-

sule richement vascularisée, constituée par un tissu fibro-scléreux assez dense

avec infiltration périphérique de cellules embryonnaires.

Les cellules néoplasiques se présentent sous la forme de franges très ser-

rées les unes contre les autres, supportées par de petits axes de tissu con-

jonctif où l'on peut voir des vaisseaux assez abondants, sans parois propres.

Beaucoup d'entre elles ont perdu leurs caractères de cellules claires et ont

l'apparence de cellules sarcomateuses, d'apparence classique, à noyau bien

coloré et protoplasma prenant franchement l'éosine; mais il s'agit toujours

d'uu épithélioma à cellules claires.

Le tissu nerveux environnant présente une prolifération névrotique très

intense et on ne voit que très peu de fibres nerveuses sur ce point.

Epithélioma primitif du rein. Il appartient au type tubuleux cylindri-

que à cellules claires. C'est un épithélioma a tendances télangiectasiques, avec

stroma jeune peu abondant et des vaisseaux bien formés notablement dilatés.

Cet épithélioma présente comme caractère particulier d'être excessivement

hémorragique. Cette disposition est extrêmement marquée dans les tumeurs

cancéreuses, pulsaliles secondaires du sternum et des côtes où l'on trouve

comme dans la tumeur cérébrale des vaisseaux très dilatés, d'abondantes hé-

morragies et le type épithélioma à cellules claires disposées en tubes creux.

Observation III. Syndrome de Weber, ophtalmoplégies multiples,

pseudo-parolysie labio-glosso-laryngée dans un cas de gliome de la ré-

gion oplo-striée comprimant le chiasma, les bandelettes optiques, le pé-

doncule cérébral gauche et le tiers supérieur et latéral gauche de la pro-

tubérance, le pédoncule cérébral droit dans ses trois quarts supérieurs,

les nerfs pathétiques, moteurs oculaires commun et externe, surplombant

le corps piluitaire resté intact, envahissant les deux ventricules latéraux

et leurs parois, la substance cérébrale de l'hémisphère surtout dans la

région de l'insula gauche (PI. XXXVIII).

Cette observation est intéressante par la complexité symptomatique tenant

au volume et au siège du gliome, par sa longue durée, par l'absence de causes

appréciables, infectieuses ou autres, par la marche progressive et fatale de

l'affection.

Mme Miclielon, veuve Aubert, domestique, née à Bousquet, âgée de

34 ans, entre le 17 janvier 1905, dans notre service de clinique médicale de

l'Hôtel-Dieu pour une hémiplégie droite avec paralysies oculaires, faciale et

troubles marqués de la parole et de la déglutition.

Antécédents personnels. Dans son enfance, elle a été atteinte de croup,

de scarlatine avec néphrite consécutive probable. Les règles, qui ont apparu

a 17 ans, ont toujours été très douloureuses et très irrégulières. Mariée a

18 ans, elle n'a pas d'enfants, mais elle avorte une fois à l'hôpital de la

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XXXVIII

TUMEUR CÉRÉBRALE

Obs. III

(E. Boinet).

TROIS CAS DE TUMEURS CÉRÉBRALES 341 1

Conception d'un enfant de six mois mort et non macéré. Elle nie énergique-

ment la syphilis et, de fait, on n'en trouve aucun signe, malgré les douleurs

de tête violentes qu'elle a ressenties surtout pendant la nuit et qui coexistaient

avec des douleurs dans les articulations des membres.

Son mari est mort tuberculeux, non syphilitique, après huit ans de mala-

die. 11 n'existe pas de syphilis héréditaire.

Antécédents héréditaires. Son père et sa mère sont vivants, en bonne

santé ; son père a 60 ans et se plaint de douleurs rhumatismales ; son frère

est en excellent état, sa soeur est morte d'une affection qu'elle ne peut pré-

ciser.

Histoire de la maladie. Elle raconte qu'elle est malade depuis 15 ans ;

en 1896, elle a été atteinte d'une paralysie de la jambe droite qui est surve-

nue progressivement ; au début, elle traînait un peu cette jambe, puis la pa-

ralysie a progressé lentement, pendant dix ans.

En 1900, elle a été prise brusquement d'un ictus apoplectiforme suivi

d'une paralysie delà face et du bras du côté droit, d'aphasie, d'impossibilité

de parler. La langue était paralysée, elle ne pouvait la tirer au dehors; il

existait une anarthrie marquée et, depuis cette époque, la malade a perdu

l'usage de la parole.

En 1903, un lipome assez volumineux et douloureux s'est développé au ni-

veau de la région latérale gauche du thorax, et partir de cette époque la

malade a pris un embonpoint considérable.

Evolution clinique. A son entrée, à l'Hôtel-Dieu, en janvier 1905, on

constate une paralysie du type facial inférieur, d'origine cérébrale, avec hé-

miplégie droite et paralysie des nerfs moteurs oculaires commun et externe,

en un mot le type clinique de Weber (hémiplégie alterne supérieure ou pé-

donculo- protl1 béran tielle).

Les muscle* masticateurs sont atteints d'une paralysie incomplète, la mas-

tication est difficile ; les aliments s'accumulent entre les arcades dentaires et

la face interne des joues ; ils doivent être ramenés sur la langue par les

doigts que la malade introduit dans la bouche, puis, poussés vers le pharynx,

afin d'amorcer la déglutition qui reste difficile et laborieuse. La malade s'é-

trangle facilement ; la gêne de la déglutition est très marquée ; les liquides

refluent fréquemment dans les fosses nasales et s'écoulent alors par le ne z.

La langue ne peut être projetée hors de la bouche ; pour la sortir, la malade

est obligée de la prendre entre ses doigts et de l'attirer à l'extérieur. Sa

surface présente des plis longitudinaux; elle est atrophiée et plus molle

qu'à l'état normal.

Le voile du palais n'est pas complètement inerte, sa moitié gauche est

parésiée; il se relève, en partie, quand le son a est prononcé.

Les troubles de la parole sont intéressants. La malade n'a plus pu parler

depuis son ictus; elle peut néanmoins prononcer les mots ne nécessitant

qu'une faible participation des lèvres et de la langue ; elle cherche néan-

moins les quelques syllabes qu'elle émet lentement, difficultueusement et en

petit nombre.

342 BOINET

En somme, elle présente d'une façon générale l'ensemble symptomatique

d'une sorte de pseudo-paralysie labio-glosso-laryngée.

Du côté des membres, on constate une hémiplégie droite complète s'ac-

compagnant d'un certain degré de contracture. Le pied droit est en équinisme

marqué et ne peut être ramené à la rectitude.

Le réflexe rotulien est aboli à droite, fortement diminué à gauche.

Il existe quelquefois à gauche une esquisse du signe de Babinski qui manque

à droite. On ne note ni trépidation épileptoïde, ni danse de la rotule.

Les troubles de la sensibilité consistent en une hypoesthésie marquée sur

tout le tégument, plus accentuée à la face antéro-externe des deux jambes.

Il n'existe pas de zone d'anesthésie complète. Le retard de la perception est

considérable.

Depuis un an, le lipome sous-cutané développé au-dessous du sein gauche,

a grossi ; il a le volume du poing et il est devenu douloureux ; il existe des

douleurs névralgiques intercostales dans toute la région sous-jacente.

L'état général et local reste stationnaire jusqu'au 6 septembre 1907, époque

a laquelle surviennent brusquement les troubles suivants :

La dyspnée est intense, accompagnée de polypnée et de sensation de suffo-

cation ; la respiration rappelle par instants le type de Cheyne-Stokes.

La tachycardie est prononcée; on compte 108 pulsations à la minute, sans

élévation de température.

Les vomissements aqueux ou verdâtres, assez copieux, paraissant d'ori-

gine nerveuse, se répètent à plusieurs reprises, sans cause appréciable. La

diarrhée est intense. Le facies de la malade est assez mauvais ; la face est

pâle, les pommettes rouges, la respiration haletante. La céphalée est intense,

tenace, continue, paroxystique. ,

Des troubles vaso-moteurs assez prononcés se manifestent du côté du mem-

bre supérieur droit. La main est froide, elle a une teinte violacée ; il existe

une coloration bleutée au niveau des ongles. Les pieds sont froids et ont une

couleur violette, cyanotique.

Le 20 septembre, une amélioration notable se produit, la tachycardie a

cessé.

La malade présente en outre un nystagmus latéral incessant, des mouve-

ments brusques et étendus, rythmiques et continus de nutation et d'oscilla-

tions latérales de la tête ; enfin, le membre supérieur gauche est animé de

petits mouvements rythmiques concomitants.

En janvier 1908, la paralysie faciale droite s'est encore accentuée; aucun

mouvement des muscles de la moitié droite de la face n'est possible, les

muscles du côté gauche de la face se contractent volontairement ; ils élèvent et

écartent facilement la commissure labiale gauche. La malade ne peut siffler.

Les muscles faciaux paralysés ne sont pas atrophiés. Il reste une paralysie

complète des muscles droits inférieurs et de la parésie des muscles droits

supérieurs des deux yeux.

La langue, légèrement atrophiée,, est pour ainsi dire collée sur le plancher

buccal et ne peut être sortie volontairement de la bouche ; elle ne se durcit pas

' TROIS CAS DE TUMEURS CÉRÉBRALES 343

sous l'influence d'une contraction ; elle reste flasque et immobile. Aucune

parole ne peut être prononcée, l'anarthrié est complète ; quelques sons sont

émis, la malade ne dit que eu, eu, mais comprend très bien toute la con-

versation.

La déglutition est très difficile ; la malade ne boit que lentement, péni-

blement, par petites gorgées, avec les plus grandes précautions pour éviter

que le liquide ne pénètre dans le larynx et ne produise ainsi des accès vio-

lents et prolongés de toux convulsive. Elle est obligée de retirer avec le doigt

la nourriture accumulée entre la face interne des joues et les gencives et de

pousser ensuite le bol alimentaire sur la face postérieure de la langue jusqu'à

l'orifice pharyngien. On observe, en outre, des troubles vaso-moteurs avec

rougeur prononcée surtout du côté gauche de la face.

Le 4 juin 1908, la paralysie faciale droite a augmenté, la moitié droite de

la face a moins de rides ; la commissure labiale est attirée à gauche et relevée

de ce côté ; le sillon naso-génien est très marqué à gauche, presque effacé à

droite.

Troubles oculaires. La paupière supérieure droite est paralysée ; elle

tombe et ne peut être relevée volontairement ; l'occlusion de cet oeil n'est

pas possible, l'oeil droit est dévié en haut et en dedans ; il est atteint de stra-

bisme convergent très prononcé; les mouvements de latéralité sont conser-

vés, les mouvements d'élévation et d'abaissement du globe oculaire sont très

diminués.

L'oeil gauche présente du strabisme externe divergent, une déviation en

bas, en dehors, à gauche, ainsi qu'une paralysie des muscles droits supérieur,

inférieur, interne, avec ptosis par paralysie de la paupière supérieure et dila-

tation de la pupille, en un mot, une paralysie par compression du nerf moteur

oculaire commun. Le début de cette paralysie ne s'est pas accompagné d'ictus.

En somme, la malade ne peut ouvrir son oeil gauche, ni fermer complètement

son oeil droit.

La cornée gauche est le siège d'une série de poussées de kératite aiguë

suivie de l'apparition dans la moitié supérieure d'une taie blanche, opaque,

en forme de lunule, augmentant encore la gêne de la vision.

La diplopie, en rapport avec les paralysies oculaires précédentes, est très

marquée. L'acuité visuelle est très diminuée. La vision des objets éloignés

est plus défectueuse à gauche qu'à droite; celle des objets rapprochés est

considérablement diminuée des deux côtés. Il existe de l'hémiopie. Plus

tard, apparaît un nystagmus horizontal très marqué des deux globes ocu-

laires, plus prononcé à gauche et s'accompagnant de mouvements latéraux et

de nutation de la tête avec mouvements rythmés du membre supérieur

gauche.

Troubles moteurs et sensitifs. - Les mouvements d'abaissement du

maxillaire inférieur sont gênés et difficiles, les mouvements de diduction

sont abolis.

Les mouvements de la langue sont impossibles, les mouvements de pro-

pulsion sont ébauchés. La langue présente des petits mouvements fibril-

laires ; elle est légèrement atrophiée.

344 BOINRT

La parole est gênée, presque impossible, tellement la dysarthrie est con-

sidérable. ,

Le voile du palais n'est pas paralysé, les mouvements de déglutition sont

difficiles et parfois les liquides refluent parle nez.

La moitié gauche de la face est le siège de douleurs vives, continues ainsi

que d'une hypoestbésie assez marquée. -

L'hémiplégie droite est complète. Le membre supérieur droit est contrac-

ture, la main est en griffe, les réflexes sont exagérés. Il existe, en outre,

une légère atrophie musculaire.

Le membre inférieur est plus tlasque, le quadriceps est atrophié d'une

façon considérable ; le réllexe rotulien est légèrement exagéré. On constate

un équinisme très marqué par rétraction du tendon d'Achille ; le redresse-

ment du pied droit est impossible. '

Tous les muscles paraissent atrophiés. Le signe de Babinski n'existe pas.

La trépidation épileptoïde spinale est très nette. On note de l'hypoesthésie

sur tout le côté droit.

A gauche, la motilité et la sensibilité sont presque normales du côté des

membres, mais sur le tronc on observe de l'hypoesthésie.

Des accès de suffocation éclatent de temps en temps ; la dyspnée d'effort

est constante. La malade éprouve par moments des mouvements convulsifs

très douloureux, gênant considérablement la respiration, du côté du dia-

phragme.

Les membres supérieur et inférieur gauches sont, parfois, agités de quel-

ques mouvements convulsifs.

La constipation est très rebelle, la dysurie légère.

Le 7 octobre 1908, l'avant-bras gauche, qui n'était pas paralysé, présente

des petits mouvements convulsifs se renouvelant par séries de quatre ou

cinq, en moyenne, sans tremblement proprement dit, se propageant au

bras et il l'épaule gauches et coexistant avec un mouvement brusque,rythmi-

que, connexe de mouvement latéral de la tête à gauche. Ces mouvements du

membre supérieur gauche et de la tête se reproduisent parallèlement, symé-

triquement,spasmodiquement cinq fois par minute ; ces phénomènes moteurs

n'existent pas dans le membre inférieur correspondant.

Les pupilles sont dilatées, l'oeil gauche est dévié en dehors et n'aperçoit

pas le doigt placé en avant. La malade accuse une vision obtuse et ne perçoit

que la moitié verticale des objets; il lui arrive souvent de ne pas compter

exactement le nombre des doigts de la main qu'on lui présente; elle en voit

presque toujours un en plus.

L'hémiplégie du côté droit est complète avec contracture douloureuse du

membre supérieur. L'abolition des deux réflexes rotuliens est absolue ; la

trépidation épileptoïde n'existe plus. Le pied droit est complètement flasque,

en varus équin. Quand la malade veut se redresser, en se servant des mem-

bres du côté gauche non paralysé, le membre supérieur droit présente, à l'oc-

casion et pendant la durée de cet effort, une série de petits mouvements spas-

modiques passagers.

Tli0lS CAS DE TUMEURS CÊRÉBUALES 345

La respiration est brève, superficielle, assez rapide. Par intervalles sur-

viennent de forts accès de dyspnée, pendant lesquels on compte 60 inspirations

la minute et qui s'accompagnent d'une tachycardie très prononcée. La gêne

respiratoire s'accentue alors progressivement et les inspirations deviennent

de plus eu plus difficiles, suivantun type inverse de celui de Cheyne-Stokes.

L'examen des poumons ne dénote aucune lésion et confirme l'origine ner-

veuse de ces troubles dyspnéiques.

Les bruits du coeur sont sourds, profonds, réguliers, sans souffle.

Le 1er décembre 1908, la malade tombe progressivement dans le coma ;

la température s'abaisse et se maintient ruz ; la paralysie des membres est

flasque, complète, les mouvements convulsifs ont cessé, l'abattement et la

somnolence sont considérables ; trois à quatre crises de dyspnée avec tachy-

cardie paroxystique se renouvellent chaque jour. Il existe une incontinence

presque complète des urines et des matières fécales.

Le strabisme divergent de l'oeil gauche a augmenté ; la taie consécutive à

un ulcère de la cornée de l'oeil droit, s'est accrue. La peau de la jambe

droite est le siège d'une manifestation icthyosique, Il n'existe pas d'autres

troubles trophiques.

Les mouvements convulsifs du membre supérieur et ceux de latéralité de

la tête et du cou ont disparu. La déglutition est devenue impossible; la ma-

lade rejette tout ce qu'on veut lui faire ingérer. L'état général s'aggrave et la

mort arrive en plein coma, le 5 décembre 1908.

Autopsie. - Les poumons sont congestionnés surtout à leur base.

Le coeur est recouvert d'une épaisse couche de graisse; le myocarde n'est

pas hypertrophié; les valvules sont normales.

Le foie est un peu globuleux à sa partie supérieure, sans cirrhose, ni

gommes ; sa coloration est jaune rosé ; les veines sus-hépatiques sont con-

gestionnées ; il existe une légère dégénérescence graisseuse.

La rate est hypertrophiée, faiblement sclérosée ; son enveloppe est épaissie,

fibreuse, très adhérente au diaphragme.

Les reins ont une surface un peu irrégulière, bosselée ; leur coloration

est légèrement jaunâtre ; ils sont atteints d'une faible dégénérescence grais-

seuse. ·

Centres nerveux. - L'encéphale est très congestionné ; les veines sont

turgides, très dilatées ; il n'existe pas de méningite; il s'écoule une grande

quantité de liquide céphalo-rachidien clair et limpide. On ne trouve aucune

lésion des os ou des méninges, aucune gomme, aucun foyer d'hémorragie

ni de ramollissement dans les centres nerveux.

La dissection des globes oculaires, des vaisseaux, des nerfs et des muscles

donne les résultats suivants :

A droite, la cornée présente à la partie supérieure, vers l'angle supéro-

interne, une taie blanche épaisse et étendue, se rattachant à une origine

trophonévrotique d'une part et de l'autre à l'action des germes infectieux sur

une cornée insuffisamment protégée par suite de la paralysie de la paupière

supérieure. L'oeil droit est porté en haut et en dedans ; l'a ? il gauche est

346 BOINET

dirigé en bas et un peu à gauche et en dehors. Sur le cadavre, on note un

strabisme externe de l'oeil gauche et un strabisme interne plus prononcé de

l'oeil droit.

Description du gliome cérébral. - A l'examen de l'encéphale par sa face

inférieure, on voit au niveau du chiasma et des bandelettes optiques une vo-

lumineuse tumeur cérébrale, de nature,gliomateuse, développée dans la ré-

gion opto-striée, proéminant dans les ventricules latéraux et à la base du

cerveau, surplombant le corps pituitaire resté indemne. Sa partie antéro-

inférieure se trouve immédiatement au-dessus du bord supérieur de la pro-

tubérance, recouvrant et comprimant le pédoncule cérébral gauche sur toute

son étendue et le pédoncule cérébral droit dans ses trois quarts supérieurs.

Cette compression des deux pédoncules cérébraux explique la plupart des

symptômes observés pendant la vie ; cette tumeur se prolonge davantage en

bas et à gauche par une expansion grosse comme une noisette, séparée de la

tumeur principale par un sillon occupé par l'artère communicante posté-

rieure gauche. Ce prolongement latéral gauche fait une saillie de deux centi-

mètres et demi, il a une largeur de 2 centimètres ; il est en rapport avec la

face latérale gauche de la protubérance et son extrémité inférieure comprime

l'émergence du tronc du nerf trijumeau gauche, tandis que sa face ex-

terne refoule à gauche et en dehors la bandelette optique correspondante.

La portion inférieure de cette tumeur a dans son ensemble une forme

semi-circulaire, englobant les pédoncules cérébraux et surplombant le bord

supérieur de la protubérance en avant et au-dessus de laquelle elle fait une

saillie d'un centimètre et demi, plus prononcée encore au niveau du pro-

longement latéral gauche.

La partie inférieure de cette tumeur (son prolongement latéral gauche

compris) mesure 10 centimètres dans son diamètre transversal et 3 centi-

mètres dans son diamètre antéro-postérieur. Le bord inférieur de la tumeur

est bordé par la bandelette optique droite, par le chiasma au niveau duquel

les deux nerfs optiques font saillie en avant, par la bandelette optique et le

corps genouillé du côté gauche. Puis, cette tumeur se prolonge directement en

haut, atteignant les noyaux gros centraux et surtout les couches optiques,

se propageant à la partie inférieure latérale et supérieure des deux vantri-

cules latéraux et comprimant la partie correspondante du corps calleux.

Cette infiltration néoplasique intra-ventriculaire mesure 8 centimètres de

largeur sur 4 de hauteur; elle a envahi la surface épendymaire, elle est plus

considérable à gauche. Le ventricule latéral gauche est comblé par de volumi-

neux noyaux néoplasiques en choux-fleurs dont l'un a le volume d'une noix,

l'autre celui d'une grosse noisette. Leur surface est libre dans le ventricule

dont les parois présentent à gauche un envahissement néoplasique sous-

épendymaire mesurant un centimètre d'épaisseur environ. Les plexus cho-

roïdes coiffent la partie supérieure de ces noyaux néoplasiques intra-ventri-

culaires. A droite, l'expansion intra-ventriculaire de la tumeur est moins

considérable ; elle a le volume d'une grosse noix ; elle est également recou-

- TROIS CAS DE TUMEURS CÉRÉBIIALES 347

verte par le plexus choroïde. Les parois correspondantes du ventricule laté-

ral droit sont infiltrées sur une épaisseur d'un centimètre environ.

A droite, la tumeur laisse à découvert six millimètres de la partie inférieure

du pédoncule cérébral droit sur lequel on voit passer l'artère cérébrale pos-

térieure.

Cette tumeur située à la base du cerveau, envahissant les corps opto-striés,

se prolongeant dans les ventricules latéraux et leurs parois comprime donc :

les deux pédoncules cérébraux, la face latérale gauche de la protubérance

jusqu'au niveau de l'émergence du trijumeau gauche, les bandelettes op-

tiques, le chiasma, les nerfs optiques, les nerfs pathétiques surtout à gauche,

les moteurs oculaires communs, l'espace interpédonculaire,le tuber cinereum,

la tige pituitaire, les tubercules mamillaires.

Le corps pituitaire est intact et bien isolé ; il n'a pas pris part il la for-

mation de cette tumeur gliomateuse. Du reste, l'examen histologique montre

l'absence d'envahissement néoplasique, une hypertrophie considérable

surtout de sa portion glandulaire, une vascularisation très marquée de cette

glande, sans hémorragie interstitielle. C'est peut-être à cette hypertrophie

de la partie glandulaire du corps pituitaire que se rattache, en partie, l'adi-

posité considérable que présentait cette malade. Cette surcharge graisseuse

a été observée chez le chien hypophysectomisé (Livon).

Si on examine la partie postérieure du cerveau séparé par une coupe

verticale pariétale passant en avant de la tumeur qui est coiffée des bande-

lettes optiques et du chiasma, on voit l'envahissement néoplasique des

noyaux gris centraux, surtout des couches optiques, les masses néoplasiques

intra-ventriculaires, l'infiltration des parois ventriculaires jusqu'à la face

profonde des circonvolutions corticales de l'insula du côté gauche. Le néo-

plasme atteint également la partie supérieure et latérale du prolongement

frontal des ventricules latéraux surtout à gauche, sur une étendue de

7 centimètres dans le sens transversal et sur une épaisseur de 2 cent. 4/2.

A droite, les dimensions de l'infiltration néoplasique de la paroi ventriculaire

ont 2 centimètres d'épaisseur sur 4 de longueur.

Examen histologique. Pratiqué par le Dr Rouslacroix, chef du labora-

toire des cliniques, cet examen nous montre les détails suivants :

10 Portion sous-pédonculaire gauche de la tumeur. La tumeur est

constituée par un feutrage très serré de fibrilles névrogliques, entrecroisées

en tous sens, avec une quantité restreinte de noyaux cellulaires colorables.

Cependant, la proportion des fibrilles et des cellules n'est pas égale dans

toutes les parties delà coupe; on observe, en un point central, une prédo-

minance de cellules arrondies ou ovalaires, d'apparence sarcomateuse, tassées

autour de capillaires sanguins. '

Les vaisseaux sont nombreux, de petit volume, avec une paroi propre bien

constituée.

A la périphérie de la tumeur existe une sorte de capsule enveloppante de

nature fibro-conjonc;tive, assez épaisse.

348 BOINET ? Portion de la tumeur faisant saillie dans ventricule latéral gauche.

La prolifération névroglique est diffuse, les cellules sont plus nombreuses

que dans la partie snus-pédonculaire de la tumeur; cependant, le réseau

fibrillaire reste prédominant. Les cellules sont pour la plupart ovalaires,

quelques-unes sont d'apparence épitllélioïde.

Les vaisseaux sanguins sont nombreux et séparés de la masse névroglique

par un petit espace conjonctivo-lymphatique. Il existe quelques cellules ner-

veuses, atrophiées, en chromatolyse, sans prolongements colorables.

3° Portion sous-choroïdienne droite de la tumeur. - Cette coupe est in-

téressante en ce qu'elle montre le caractère essentiellement destructif de la

tumeur gliomateuse au point de vue des éléments nobles du système nerveux.

On observe de nombreuses cellules nerveuses toutes très altérées et présen-

tant les lésions suivantes : formation autour de la cellule d'un espace

clair donnant une apparence capsulée ; 2° disparition totale des prolonge-

ments protoplasmiques et cylindraxiles ; 3° tuméfaction du noyau qui de-

vient très excentrique et fait parfois saillie en dehors de la cellule ; 4" chro-

matolyse.

Il existe très peu de fibres nerveuses reconnaissables.

En résumé, cette observation peut être rapprochée d'un cas de glio-sar-

come de la région opto-striée développé chez une jeune tille de 19 ans, non

syphilitique, publié par Lecoute (1), et déterminant le syndrome de Mil-

lard-Gubler caractérisé par une paralysie du moteur oculaire externe de l'oeil

gauche, de la paralysie faciale totale gauche, de l'hémiplégie droite complète,

flasque, de la parésie du côté gauche. A l'autopsie, on trouva une tumeur

médiane, du volume d'un abricot sous-jacente au corps calleux, composé de

deux zones, comprimant la protubérance en bas, se soudant à la couche op-

tique et se continuant avec la substance cérébrale de l'hémisphère comme

dans notre cas.

(1) Leconte, Bulletin de la Société anatomique, Paris, 1908, p. 54

UNIVERSITÉ DE BRUXELLES

TRAVAIL DU SERVICE DU D' R, VERHOOGEN

LA POLYNEVRITE GRAVIDIQUE

a Il

le D' A. P. DUSTIN

L'étude précise des polynévrites en général et plus particulièrement des

polynévrites puerpérales ou gravidiques est de date relativement récente.

Les traités classiques ne consacrent que de courts chapitres à celle dernière

alfection, dont l'étiologie, l'évolution, l'anatomie pathologique, offrent

encore bien des points obscurs malgré le nombre déjà imposant de neuro-

logistes qui se sont attachés à celte question. Nous citerons Eu 1 E, NB U it (;e

I-IUI1L.R, .I01'FHOI', IR1U9, KARST, LEROY D'ETIOLLES, Lunz, Madkr, PALOWSM,

IIIsINAK, REYNOLDS, SAENGIOE, SCIJANZ, SINIiLRH et plus particulièrement t

HÔSSLIN (1), Puyo (2, DUF OUR et COT'PENOI' (3), etc.

Les névrites puerpérales peuvent être généralisées et frapper alors les

troncs nerveux des quatre membres, et les nerfs crâniens, y compris ceux

de la 2e paire. Plus fréquemment l'affection se localise aux membres supé-

rieurs ou inférieurs avec une prédilection marquée pour les nerfs médian et

cubital, ou encore sur certains nerfs crâniens, telle pneumogastrique dans

le cas de DurOUR et Coitisnot.

Dans beaucoup de cas le rôle de l'agent infectieux et sa voie de péné-

tration sont de toute évidence. Il en est ainsi pour les polynévrites se

manifestant au cours de la fièvre puerpérale.

Cependant, au cours même de la grossesse, des troubles névritiques

peuvent se déclarer, troubles qui ont été rattachés par SAENGER à une auto-

intoxication. La fréquence des vomissements incoercibles au cours de gros-

sesses dont l'évolution s'accompagne de manifestations polynévritiques a

été signalée par DESNOS, .IOFFROI et Pinard dès 1888, et plus récemment

par tous les auteurs qui se sont occupés de la question. Cette constatation

plaide en faveur des idées de SAENGER et de tous ceux qui rattachent les

vomissements incoercibles et les polynévritiques à une cause unique :

t'auto-intoxication, 1'liépito-toxéniie.

(1) Arch. für Ped., Bd. 40.

(2) Puyo, Des néviites gravidiques. Thèse de Paris, 1905.

(3) DUFOUR et COTTENOT, ltev. Neurol.. 30 mars 1909.

.xxii 24

350 DUS l'IN

Le rôle de l'infection n'est toutefois pas discutable en mamtes circons-

tances et les observations de HUBER, de BOSSLIN attribuant l'apparition des

polynévrites gravidiques ou puerpérales à une infection utérine, due à la

rétention placentaire, à la macération du foetus ou à toute autre cause, ces

observations, dis-je, reposent sur des bases objectives certaines. ,

Par quel mécanisme se localise l'infection et quelles sont les lésions

anatomo-pathologiques qu'elle produit au niveau des nerfs ? Ces deux

questions sont encore loin d'être résolues. C'est qu'en effet, l'évolution

môme des polynévrites, et surtout de la polynévrite puerpérale rend l'é-

tude anatomique fort malaisée et souvent infructueuse. Tantôt les lésions

nerveuses se produisent au cours d'une infection grave qui emporte la

malade en quelques jours, déterminant dans tous les organes des désordres

importants. Dans ce cas on constate au niveau des nerfs et des centres

nerveux de grosses lésions auxquelles i I est di fcici le de rattacher avec précision

les symptômes névritiques. D'autres fois, et ce sont les cas les plus habi-

tuels, l'infection rétrocède, les troubles névritiques s'amendent puis dis-

paraissent.

Dans ces conditions, il devient impossible de déterminer, par exemple,

la localisation primitive de l'agent infectieux soit au niveau des nerfs,

soit au niveau des cellules médullaires, si l'on considère cet aspect du

problème des névrites dites périphériques.

Aussi croyons-nous, qu'il ne sera pas inutile de relater le cas suivant,

observédansleserviceduDrR, Verhoogen, cas qui put être suivi longtemps,

qui fut l'objet d'un examen anatomique complet et qui pourra, en consé-

quence, constituer une contribution, bien que modeste, à l'étude des poly-

névrites gravidiques et puerpérales.

Observation.

Marie Ey...., ménagère, 30 ans. Pas d'antécédents héréditaire. A un enfant

de 1 an, né à terme ; bien portant.

En septembre 1908, cette malade est entrée à la Maternité, au 6° mois de sa

grossesse ; elle présentait à ce moment des vomissements incoercibles. Bientôt

ceux-ci s'atténuèrent ; le 12 septembre était expulsé un foetus en état de macé-

ration. '

Depuis son séjour à la Maternité, Marie Ey.... aurait présenté constamment

un-délire tranquille sans fièvre élevée (36°5-37°5). Dès ce moment la malade

accuse de vives douleurs dans la jambe gaucho qui aurait été fortement con-

tracturée.

Les selles et les mictions étaient involontaires. La malade, dans un état

d'obnubilation profond, se souillait complètement. Le pouls restait à plus de

cent pulsations à la minute, était très dépressive,souvent à peine perceptible,

La respiration restait à plus de 30 à la minute.

LA POLYNÉVRITE GRAVIDIQUE 351

Ce fut dans cet état que Marie Ey... fut amenée, le 17 septembre,à à l'hôpital

Saint-Pierre.

18 septembre. La malade est dans un état de prostration profonde. Elle

paraît indifférente à tout ce qui l'entoure et ne peut donner aucun renseigne-

ment.

Le pouls est à 27 pulsations au 1/4 de minute ; il est très dépressible.

Le rythme du coeur est embryocardique.

Le ventre est douloureux à la palpation, non ballonné. Le bord inférieur du

foie, ni la rate ne sont palpables.

Incontinence fécale et urinaire complète.

La musculature des membres inférieurs est considérablement atrophiée. La

malade est étendue sur le dos, les cuisses en légère flexion d'abduction sur

le bassin, les jambes en légère flexion sur les cuisses, les pieds en supination

reposent sur leur bord externe. La peau des membres inférieurs est d'une

pâleur cireuse.

La pression de la région iliaque gauche et des masses musculaires des deux

membres inférieurs provoque de vives douleurs. Les réflexes tendineux rotu-

liens et achilléens, et les réflexes cutanés plantaires sont abolis. 1

Pas d'oedème. Aucune trace d'escarre des membres inférieurs qui sont frap-

pés d'impotence absolue. ,

Rien de particulier dans le domaine des nerfs craniens et du plexus cervical.

Présence d'albumine et de pus dans l'urine retirée par la sonde. Temp. :

37° s., 37° m.

Sous l'influence du traitement injections de sérum ; piqûres de digitaline-

le coeur se relève pendant les jours suivants ; les douleurs diminuent légère-

ment dans les jambes ; l'incontinence urinaire et fécale persiste.

En présence de ces différents symptômes, le diagnostic de polynévrite fut

porté par le Dr Verhoogen.

Le 28 septembre, on put noter pour la première fois quelques légers mou-

vements de flexion et d'extension dans les orteils. La malade devait encore tou-

jours être sondée.

Le 7 octobre se déclare un début d'escarrification à la région sacrée ; et

une escarre étendue profonde, non douloureuse, à odeur fétide, se produit à

la région malléolaire externe droite, mettant d'emblée à nu les tendons des

péroniers.

Pendant tout un mois l'état de la malade reste stationnaire ; les mouvements

étendus des jambes restant impossible, les troubles vésicaux persistant. Aucune

nouvelle escarre ne se déclare.

Le 29 octobre, le pouls redevient filant, la température atteint 39°. Les

jours suivants la température diminue légèrement pour atteindre 39°2 le 5 no-

vembre. A ce moment la malade délire, en proie à des hallucinations, e pouls

devient de plus en plus misérable,la respiration s'embarrasse et le 7 novembre

la malade succombe aux progrès de la myocardite.

En résumé. - Une malade de 30 ans est prise au cours d'une grossesse,

de vomissements incoercibles, se terminant par l'expulsion d'un foetus de

352 DUST1N

6 mois en état de macération. En même temps se manifestent les signes d'une

intoxication grave, myocardite, albuminurie accompagnée de paralysie des

membres inférieurs, d'atrophie musculaire rapide, de douleurs intenses à ce

niveau, et d'incontinence urinaire et fécale. Au bout d'un mois se produit une

escarre au membre inférieur droit ; au bout de deux mois la malade meurt,

sans que l'atrophie musculaire n'ait rétrocédé ni que la motricité ne se soit

complètement rétablie. .

Quel diagnostic pouvait-on conclure de cet ensemble symptomatique ?

L'hésitation n'était guère possible qu'entre trois affections : la myélite, la

poliomyélite ou la polynévrite.

La myélite, qu'elle soit centrale ou transversale, peut être spasmodique ou

flasque.

Dans le premier cas, la présence des contractures, de l'exagération des ré-

flexes, du clonus du pied, différencie nettement la myélite aiguë du cas que

nous étudions.

Le diagnostic différentiel de la polynévrite avec la myélite aiguë accompa-

gnée de paraplégie flasque est d'autant plus difficile que cette dernière affection

peut également être accompagnée d'amyotrophie.

Comme signes distinctifs on signale, le plus habituellement, la présence

d'une anesthésie totale ou d'un syndrome de Brown-Sequard dans la myélite,

tandis que la polynévrite est accompagnée de vives douleurs à la pression des

troncs nerveux et des masses musculaires.

Dans la paraplégie myélopathique,les troubles sphinctériens sont plus aigus

que dans la polynévrite, sauf toutefois,si celle-ci est accompagnée de cérébropa-

thie psychique toxémique (Babinski).

Enfin dans la myélite les escarres sont plus fréquentes, plus profondes et plus

étendues qu'au cours des affections polynèvritiques.

Or, dans notre cas, les troubles sphinctériens furent dès le début fort sé-

rieux et persistèrent longtemps.

Nous avons de plus vu qu'une vaste escarre se produisit au pied droit.

Seule, la persistance de la sensibilité sous toutes ses formes aux membres infé-

rieurs et l'existence de vives douleurs permettraient de faire le diagnostic

de polynévrite. .

Enfin l'affection de notre malade pouvait se distinguer de la poliomyélite

antérieure aiguë par l'absence de réparation rapide de certains muscles, la

présence des troubles sphinctériens, de l'obnubilation cérébrale, l'existence de

vives douleurs, tous symptômes qui obligeaient à écarter l'hypothèse de lé-

sions localisées aux cellules motrices des cornes antérieures.

L'autopsie, et surtout l'examen microscopique du système nerveux, vinrent

pleinement confirmer le diagnostic de polynévrite.

Ce sont les résultats de ces recherches anatomiques que uous allons à présent

exposer. -

t1. - Examen macroscopique :

Myocarde : Feuille morte. Mou et friable. 1

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XL

(A. Dustin).

I. Différents stades de la dégénérescence vacuolaire des cellules motrices des cornes

antérieures de la moelle lombo-sacrée. p : pigment. Colorât. : méth, de Cajal : fixat.

alcool-ammoniacal. Gross. 600 d.

II. - Nerf sciatique à la région crurale : ? c. jeunes cylindraxes ; g. s. anciennes gaines

de Schwann ; c. s. cellules de Schwann ; /, leucocytes

1. - Fixation par la méthode de Cajal (alcool-ammoniaque) (x8oo). Cette préparation

montre les jeunes cylindraxes en voie de croissance le long de l'ancien nerf dégénéré.

2. Fixation liqu. de Bouin Colorât : hémateine eosine (X500). Cette préparation

montre les anciennes gaines de Schwann flétries, vacuolcuses ; les cellules de Schwann très

nombreuses forment les bandes cellulaires de l3tingncr; quelques nodules inflammatoires.(/).

;. Fixation comme en i(xiooo). Formations spirales de l'extrémité libre de certains

cyl1l1Jraxc> en voie d'accroissement.

LA POLYNEVRITE GRAVIDIQUE

LA POLYNÉVRITE GRAVIDIQUE 3 : 53 3

Poumons : Congestion aux bases. Lésions discrètes d'emphysème.

Raie : Très volumineuse. Pulpe très rouge, molle, très abondante.

Reins : Lésion de néphrite aiguë.

Utérus : A repris son volume normal.

Foie : De stase.

Système nerveux central :

Les centres nerveux ne présentaient aucune lésion macroscopique.

Les ganglions rachidiens et les racines antérieures et postérieures étaient

d'apparence normale.

Nerfs périphériques :

Les nerfs des membres supérieurs ne présentaient aucune modification ma-

croscopique.

Aux membres inférieurs les nerfs crural et sciatique ainsi que leurs bran-

ches paraissaient légèrement diminués de volume.

Ces nerfs ne présentaient pas l'éclat blanc nacré des nerfs sains ; leurconsis-

tance était augmentée, ainsi que leur résistance sous le scalpel.

. Système musculaire. - D'une manière générale toute la musculature était

fortement atrophiée, ce qui s'explique aisément par l'état de cachexie de la

malade.

Toutefois aux membres inférieurs l'atrophie musculaire était pour ainsi

dire totale. A l'examen nécropsique les muscles gastrocnémiens, par exemple,

réduits à fort peu de chose, étaient flasques, etd'un gris jaunâtre.

B.-Examen microscopique.- Nos recherches microscopiques ont porté sur

la moelle cervicale, la moelle dorsale et la moelle lombaire ; sur ces ganglions

rachidiens et les racines antérieures et postérieures de ces différentes régions ;

sur les nerfs crural et sciatique et leurs branches : enfin sur les muscles des

membres inférieurs (Pl. L). '

La moelle et les ganglions rachidiens furent fixés soit par l'alcool-formol pour

être colorés par la méthode de Nissl, soit par la méthode de Cajal avec fixation

préalable par l'alcool ammoniacal (1).

Les troncs nerveux furent fixés par le mélange de Bouin, le liquide de Flem-

ming ou l'alcool ammoniacal par le procédé de Cajal.

Enfin des fragments des muscles jambiers antérieurs et jumeaux furent fixés

par le liquide de Bouin et par la méthode de Cajal.

1° Moelle épinière. - A aucun niveau nous n'avons trouvé dans la moelle

de foyer de myélite ou de lésion de poliomyélite aiguë. Les vaisseaux intramé-

dullaire étaient normaux ; les gaines périvasculaires n'étaient pas infiltrées de

leucocytes. Les segments cervicaux, dorsaux et les premiers segments lombaires

paraissaient absolument normaux, exception faite de quelques cellules présen-

tant un léger degré de cbromolyse, comme cela s'observe couramment au

cours des maladies toxiques ou infectieuses.

(1) Voir pour la technique : Cajal, Travaux du laboratoire, t. V, p. 4, 4907 ; Dostis,

L'influence de l'âge et de l'activité fonctionnelle dans le neurone. Ann. Soc. se. médic.

et naturelles, Bruxelles, 1906.

354 DUSTIN

Mais, à partir du 3e segment lombaire, au niveau des colonnes cellulaires

présidant à l'innervation des membres inférieurs, nous rencontrâmes des lésions

tout à fait caractéristiques de chromolyse intense et de vacuolisation dans un

grand nombre de cellules radiculaires.

Ici nous n'avons plus affaire à une chromolyse discrète, comme celle que

nous avons signalée au niveau des segments cervical et dorsal, mais il la chro-

molyse typique, intense, telle qu'on l'observe après la section ou mieux l'ar-

racbement d'un nerf périphérique ; le protoplasme très turgescent est complè-

tement ou presque complètement dépourvu de blocs basophiles, ou s'il en reste,

la substance basophile présente un aspect pulvérulent; le noyau de ces cellu-

les est toujours excentrique, également très turgescent.

Seules les grandes cellules radiculaires subissent la chromolyse, les petites

cellules funiculaires de la région médullaire présidant à l'innervation des

membres inférieurs restent intactes, conservent des blocs de Nissl bien dis-

tincts.

Toutes les cellules motrices ne paraissent toutefois pas être également at-

teintes par le processus chromolytique qui se manifeste avec son maximum

d'intensité au niveau des cellules formant les colonnes centrales et postério-

latérales des cornes antérieures.

Nous verrons plus loin la signification que l'on peut rattacher à cette dispo-

sition topographique des lésions.

Retenons dès à présent qu'à aucun étage de la moelle nous n'avons rencon-

tré de lésions inflammatoires de myélite, de.polyomyélite aiguë, ni de phé-

nomènes de neuronophagie venant témoigner de la destruction définitive de

certains éléments nerveux.

A côté des lésions chromolytiques, et souvent coexistant avec celles-ci,

nous avons pu constater dans les cellules motrices des segments lombo-sacrés

des modifications morphologiques profondes, dont les principaux stades sont

représentés dans la fig. I (PI. XL).

On voit apparaître une ou deux petites vacuoles au sein de cellules généra-

lement en chromalyse et assez fortement chargées de granulations pigmenlaires.

Le contenu de ces vacuoles ne se colore ni par l'hématoxyline, ni par les cou-

leurs d'aniline acides ou basiques, ni par le procédé de Cajal. Tantôt ces va-

cuoles restent petites et peu nombreuses (fig. I, 3). Tantôt elles s'accroissent

considérablement pour confluer en une énorme vacuole unique (fig. I, 2), tan-

tôt enfin les vacuoles deviennent extrêmement nombreuses, dissocient la cel-

lule en tous sens et lui donnent un aspect alvéolaire ou même spumeux (fig I,

1,4, 5). Lorsque les vacuoles sont peu développées et peu nombreuses, la struc-

ture fine du neurone parait peu altérée; on retrouve les fibrilles, quoique

pâles et légèrement grenues comme c'est généralement le cas dans les élé-

ments en chromalyse; les prolongements sont bien conservés et de structure

fibrillaire bien nette ; lorsque l'état spumeux atteint un haut degré, la cellule

paraît être frappée à mort (fig. I, il) ; dans ce cas la structure fibrillaire dis.

paraît complètement ; et les prolongements cellulaires se fragmentent et

s'atrophient.

LA POLYNÉVRITE GRAVIDIQUE 355

De même que les cellules en chromolyse simple, les cellules en état de va-

cuolisation ne se trouvent pas uniformément réparties dans les différents

groupes cellulaires des cornes antérieures. La plupart des cellules des colonnes

centrales et postéro-latérales sont frappées de vacuolisation. Au niveau de la

colonne antéro-latérale, quelques neurones présentent ces mêmes modifications

a un moins haut degré.

Quelle est la signification de cet état spumeux de certains neurones ? N'avons-

nous pas sous les yeux le résultat d'un artifice de préparation d'une faute de

technique ou simplement d'une altération cadavérique ? L'autopsie pratiquée

rapidement après la mort, la présence de cellules vacuolisées dans la moelle

lombo-sacrée et rien qu'à ce niveau, l'existence de ces cpllules dans certains

noyaux des cornes antérieures, à côté de cellules tout à fait indemnes per-

mettent d'écarter ces différentes hypothèses.

Ce mode d'altération des cellules nerveuses ne constitue pas une rareté

anatomo-pathologique. L'intérêt du cas présent s'attache plus à l'intensité et

au mode de répartition du phénomène, qu'au phénomène en lui-même. Pour

notre part nous avons observé maintes fois la vacuolisation de certaines

cellules nerveuses ; encore tout récemment nous l'avons constatée dans des

cellules de ganglions rachidiens humains au cours de la rage (1) ; nous l'avons

retrouvée dans les cellules des cornes antérieures de la moelle épinière du

chien au voisinage d'une ancienne section transversale (2) ; elle s'observe

souvent aussi dans le gros cylindraxe en dégénérescence d'nu nerf périphé-

rique séparé de son centre trophique ; HAUSIIALTER et Colin (3) l'ont signalée

et dessinée dans les cellules cérébrales d'un hémisphère microgyrique.

SOLOVTZOFF (4) avait jadis fait la même constatation. Bref, il s'agit là d'un

phénomène de dégénérescence que des causes diverses peuvent provoquer et

qui parait fréquemment être dû à des lésions des prolongements de la cellule,

surtout lorsque à ces lésions s'ajoutent une cause d'intoxication.

2° Ganglions rachidiens. Les ganglions rachidiens ne présentent que

fort peu de lésions. Nons avons noté un certain nombre de cellules en chro-

molyse au niveau des ganglions rachidiens lombo-sacrés. Toutefois les gan-

glions cervico-dorsaux en renferment également quoique en moindre quantité.

Ces lésions ne peuvent pas être considérées comme spécifiques de l'affection

polynévritique, mais se rapportent vraisemblablement aux lésions banales

résultant de toute affection grave.

Les cellules capsulaires entourant les cellules ganglionnaires ne sont guère

augmentées en nombre. Nous n'avons nulle part observé de cellules ganglion-

naires pénétrées ou pourvues de prolongements néoformés, ni de cellules

anormalement pigmentées.

(t) Cas non encore publié.

(2) En collaboration avec NI. PIIILIPIISON, Section transversale de la moelle datant de

trois ans.

(3) HAUSlIALTER et Colin, Nouv. Iconogr. Salpêtr., 1908.

(4) SOLOYT70rF, Nouv Iconogr. Salpêtr,, 1898.

4,\ ?

- .356. DUSTIN ? ? ',«.

"" En résumé les ganglions rachidiens tant lombo-sacrés que cervico-dorsaux

ne présentent que des lésions fort discrètes.

3° Racines antérieures et postérieures. - A première vue les racines

paraissent complètement normales. A un examen plus minutieux nous avons

pu déceler dans les racines antérieures quelques fibres en voie d'atrophie et

dans les racines postérieures quelques très rares fibres fines terminées en

massue, comme celles qui ont été signalées par MARINESCO et NAGEOTTE dans

les racines postérieures de tabétiques, par MARINEsco et MERLE dans les foyers

de ramollissement cérébral, et par bien d'autres encore dans des circonstances

fort diverses.

4° Nerfs périphériques. Par suite du diagnostic de polynévrite qui avait

été porté, l'intérêt se concentrait tout particulièrement sur les nerfs des mem-

bres inférieurs.

Nous prendrons comme type de description les lésions du nerf sciatique

au niveau de la partie moyenne de la cuisse.

La figure II montre au lecteur l'aspect de ce nerf coloré par différentes

méthodes.

Examinées après fixation par le liquide de Bouin et coloration par l'héma-

téine-éosine. les coupes de nerf sciatique se distinguent immédiatement de

coupes provenant d'un nerf normal.

Le premier fait qui saute aux yeux, c'est l'absence presque totale de tubes à

myéline, réguliers, cylindriques juxtaposés en faisceaux les uns contre les

autres. Le nerf rappelle l'aspect d'une bande de tissu conjonctif. Toutefois un

examen plus attentif montre l'existence de sortes de rubans irrégutiers, gra-

nuleux, souvent parsemés de vacuoles : Ce sont d'anciennes gaînes de Schwann

(g. s., fig. II, 2) flétries, en tous points analogues à celles qui s'observent

.dans le bout périphérique des nerfs sectionnés.

Un second point qui retiendra notre attention est la disposition des noyaux :

tout d'abord ces noyaux sont en nombre beaucoup plus grand que dans un

tronc nerveux normal ; d'autre part on peut à première vue distinguer deux

espèces de noyaux : les uns sont petits, arrondis, assez fortement colorés, et

groupés en petits amas irréguliers ; les autres sont allongés, fusiformes et dis-

posés en longues traînées linéaires orientées suivant le grand axe du nerf.

Les premiers sont des leucocytes (l, fig. II, 2) : leur présence, en quantité

modérée témoigne encore des phénomènes inflammatoires intenses dont le nerf

a a été le siège au début de l'affection.

Les seconds sont les noyaux provenant des anciennes gaînes de Schwann

(c. s.). On sait que lorsqu'un nerf vient à être sectionné, le bout périphérique

dégénère ; au cours de cette dégénérescence on voit les cellules de Schwann

présenter de nombreuses mitoses et s'orienter en longues traînées que suivront

les jeunes cylindraxes issues du bout central du nerf.Ces cellules, bien étudiées

par Büngner, jouent, comme le démontrent toutes les recherches actuelles,un

rôle important dans l'orientation des jeunes cylindraxes. C'est grâce à elles

que les prolongements en voie de croissance sont dirigés avec précision et

atteignent facilement leurs appareils terminaux.

LA POLYNÉVRITE GRAVIDIQUE ?

' Or l'image que nous avons sous les yeux dans notre cas de polynévrite rap-

pelle, à s'y méprendre, l'aspect des bandes cellulaires de Büngner du bout

périphérique d'un nerf en régénérescence. Nous verrons bientôt jusqu'où peut

être poussée l'analogie.'

En effet, lorsque nous étudions des fragments de ce même nerf sciatique par

la méthode de Cajal, les phénomènes de régénérescence deviennent évidents.

La fig. I donnera au lecteur une idée de l'aspect des préparations traitées

par cette méthode.

L'argent réduit met en évidence deux espèces de cylindraxes : les premiers

sont des cylindraxes normaux, assez épais,entourésde leur gaine de myéline :

ils appartiennent à des fibres qui n'ont pas été détruites par le processus poly-

névritique. Les seconds présentent tous les caractères des cylindraxes jeunes,

des cylindraxes en voie d'accroissement : grande finesse, affinité très vive

pour l'argent colloïdal, épaississement fusiforme assez abondant et enfin et

surtout - terminaison en bouchon. Ces jeunes cylindraxes s'insinuent, soit

entre les anciennes gaines de Schwann flétries, soit à l'intérieur même de cer-

taines de ces gaines (g. s., fig. I, 1).

Certains tronçons de nerf sciatique, spécialement ceux pris un peu plus bas

que ceux que nous venons d'étudier, montrent avec la plus grande netteté des

phénomènes spéciaux à la régénérescence des nerfs, phénomènes bien étudiés

par Cajal (2), Marinesco (3) et Perroncito (4).

Très souvent, lorsqu'une fibre en voie de croissance se trouve arrêtée soit

par un obstacle infranchissable, soit simplement faute d'être attirée et dirigée

par des éléments chimiotaxiques, cette fibre se replie sur elle-même et finit par

former des appareils spiralés très compliqués appelés par Cajal « appareils de

Perro'ncito ».

La figure I, 3, montre quelques-unes de ces fibres paraissant désorientées

et formant des sortes de glomérules tortueux.

En résumé l'examen du sciatique de notre malade nous permet d'affirmer que

nous nous trouvons en présence d'un nerf en pleine activité régénératrice. Cette

activité est-elle toutefois identique à celle que l'on observe après simple section

d'un nerf ? Nous pouvons répondre affirmativement pour ce qui concerne le

mécanisme même de la régénération. Toute régénération de nerf périphérique,

s'accompagne de phénomènes particuliers au niveau du bout central et du bout

périphérique, le premier donnant naissance à de jeunes cylindraxes, le

second formant par prolifération des noyaux des gaînes de Schwann, les bandes

cellulaires de Bungner destinées à attirer et à orienter vers leurs terminaisons

normales les cylindraxes en voie de croissance.

Nous venons de voir que l'étude histologique du nerf sciatique de notre

malade, nous a permis de démontrer l'existence des deux phénomènes essen-

(1) Voir les travaux de Cajal et de Marinesco. Voir aussi un exposé succinct de la

question dans notre étude sur la section ancienne de la moelle (Philippson et Dustin).

(2) Cajal, Trav. du laborat., 1905 1907.

(3) Marinesco, C. R. Soc. biolog., XI, 1906.

(4) Perroncito, Bol. Soc. med. chirurg., Pavia, 1905-1906.

358 s DUSTIN

tiels : croissance et régénération des cylindraxes aux dépens du bout central ;

formation des bandes cellulaires aux dépens du segment périphérique.

Le premier processus est toutefois loin de présenter l'intensité qui le carac-

térise chez l'animal sain normal ou après section simple chez l'homme : dans

noire cas la croissance des cylindraxes du bout central vers le bout périphé-

rique est manifeste, mais elle semble lente et indécise. Nous avons vu, d'autre

part, que- le segment périphérique présente encore de ci de là quelques nodules

de cellules inflammatoires. Ces deux faits, dus, le premier, à l'état de

misère physiologique profonde de notre malade, le second aux phénomènes

inflammatoires dont les nerfs avaient été le siège, suffisent à expliquer la

lenteur souvent très considérable, avec laquelle s'opère la réparation fonction-

nelle après les lésions de polynévrite toxique ou infectieuse : les nouveaux

cylindraxes ne croissant que fort lentement, cheminent avec peine le long

d'éléments chimiotaxiques eux-mêmes lrès altérés par le processus morbide.

5° Muscles des membres inférieurs. L'examen microscopique nous a

montré une dégénérescence profonde de ces muscles, dégénérescence surtout

accentuée au niveau des muscles de la jambe. Nous signalerons comme lésions

caractéristiques : l'infiltration graisseuse intense, l'effacement presque total de

la striation transversale accompagné fréquemment d'effacement de la striation

longitudinale. Multiplication considérable des noyaux musculaires et des

noyaux interstitiels.

Enfin ces muscles traités par la méthode de Cajal nous ont montré la dégé-

nérescence des plaques terminales au niveau desquelles pouvaient s'observer

souvent des fragments sphériques ou irréguliers de matière argentophile,

provenant de l'atrophie et de la dégénérescence de l'ancienne arhorisation

terminale. '

Les lésions musculaires sont identiques à celles que l'on observe chez

l'animal après section d'un nerf moteur : atrophie musculaire, effacement des

striations transversale puis longitudinale, multiplication des noyaux, proliféra-

tion du tissu conjonctif, toutes lésions qui sont secondaires et étroitement

dépendantes de la lésion primitive des plaques terminales encore récemment

étudiée par TELLO (1) avec beaucoup de précision.

Dans notre cas l'intensité de ces lésions se trouve encore renforcée par

l'intoxication profonde qui a enlevé la malade.

Résumé. L'examen anatomique dont nous venons d'esquisser rapidement

les traits essentiels, confirme péremptoirement le diagnostic de polynévrite.

La survie de la malade nous a fait constater non pas l'état aigu de l'affection,

mais une des phases de la guérison. A un point de vue purement anatomique,

nous pouvons dire que la maladie a réalisé une véritable section transversale

des troncs nerveux innervant les membres inférieurs. Cette section trans-

versale fut accompagnée des réactions habituelles en pareil cas, dégénérescence

des segments nerveux périphériques et des muscles innervés par eux et

chromolyse intense des cellules d'origine des cylindraxes lésés et suivie d'un

(1) TELLO. Trav. du Laborat. de Madrid, 1907.

LA POLYNÉVRITE gravidique 359

début de régénération. Nos préparations nous ont montré que la croissance

du bout central des nerfs n'avait pas encore atteint les terminaisons muscu-

laires, lorsque la malade succomba aux progrès de la myocardite.

Nous terminerons cette note par quelques considérations générales sur

les polynévrites.

Au point de vue de l'étiologie, nous retiendrons l'existence de vomisse-

ments incoercibles, ayant précédé l'apparition des troubles polynévriti-

ques et s'étant terminés par l'expulsion d'un foetus macéré.

La mort du foetus n'a-t-elle été que la résultante des phénomènes toxé-

miques ayant produit les vomissements incoercibles et secondairement les

lésions nerveuses périphériques ? Ou bien au contraire la macération du

foetus a-t-elle été la cause primordiale de l'intoxication, et partant, l'agent

responsable de la polynévrite.

Il sérail intéressant de trancher la question et de délimiter ainsi la part

qui revient aux phénomènes toxiques et aux phénomènes infectieux dans

l'apparition des troubles du système nerveux.

Dans notre cas, les deux ordres de faits ontprobablement existé et ont

surajouté leurs effets. Il paraît d'ailleurs certain que les théories de

Saenger et de HUilER et HÜSSLIN renferment chacune une part de vérité et

ne sont pas inconciliables. Nous avons malheureusement trop peu de ren-

seignements sur l'état de notre malade avant son entrée à la Maternité, et

nos connaissances sont d'ailleurs encore trop restreintes en ce qui concerne

la pathogénie des vomissements incoercibles, pour émettre une opinion

catégorique, scientifiquement établie.

La smplomatplogie de notre cas a présenté quelques détails intéres-

sants : nous rappellerons la distribution paraplégique des lésions, l'im-

portance des troubles recto-vésicaux, l'apparition d'escarres.

Ces symptômes peu communs au cours des polynévrites gravidiques ou

puerpérales, donnent au cas actuel une allure atypique.

Le cas que nous venons d'étudier n'est pas dépourvu d'intérêt au point

de vue anatomo-pathologique.

Tout d'abord nous pouvons confirmer les recherches récentes de

Canal. (1) et de MARINESCO (2), sur la régénération des nerfs.

Chez l'homme, à la suite de poussées morbides ayant amené la dégéné-

rescence des segments périphériques de certains nerfs, comme chez l'ani-

mal après section expérimentale d'un nerf, la régénération part du bout

(1) CAJ.%L, ibid.

(2) A'IAAI\RSCO, ibid.

360 DUSTIN

central ; les cylindraxes néoformés à ce niveau pénètrent dans le segment

périphérique et le parcourent lentement jusqu'aux ramifications termi-

nales. Le segment périphérique ne joue qu'un rôle conducteur, un rôle

« odogénétique », pourrait-on dire, en ce sens qu'il prépare la route que

devront suivre les jeunes cylindraxes. L'étude de notre polynévrite ne

nous a montré aucun phénomène pouvant plaider en faveur d'une répara-

tion autogène des segments nerveux dégénérés.

A quelle variété anatomique de névrite rallacherons-nous les lésions

que nous avons observées et décrites dans les pages qui précèdent ?

On divise depuis fort longtemps les névrites en deux grandes classes,

et cette division est encore actuellement adoptée dans tous les traités

classiques. Elle est basée sur la distinction anatomique des libres nerveu-

ses et du tissu conjonctif qui les entoure et les sépare les unes des autres,

Si c'est ce dernier tissu qui est particulièrement atteint, nous nous trou-

verons en présence soit d'une névrite intertitielle, si c'est le tissu

conjonctif interfasciculaire qui est atteint, soit d'une périnévrite, si le

processus morbide se localise plus particulièrement aux gaines d'enve-

loppe du nerf. Dans ces deux variétés, les lésions que l'on observe sont

celles de l'inflammation banale : congestion, exsudation, diapédèse.

Lorsque l'élément noble est frappé, la névrite prend le nom de névrite

parenchymateuse : dans ce cas, par le fait même de la structure des fibres

à myéline, on peut distinguer deux degrés : ou bien la cellule à myéline

est seule frappée, le cylindraxe persistant anatomiquementet fonctionnel-

lement; ou bien au contraire, la fibre nerveuse dans son ensemble est

frappée, et dégénère ; dans ce cas, la fragmentation et la dégénérescence

des gaines de myéline est accompagnée de l'atrophie des cylindraxes cen-

traux.

La névrite parenchymateuse limitée aux cellules à myéline paraît être

assez rare : elle se manifeste tout particulièrement au cours d'intoxications

chroniques, telles que celle produite par le plomb par exemple : les lé-

sions ne sont pas continues, mais atteignent quelques segments myélini-

ques en en respectant d'autres. Cette forme de névrite a été étudiée et

décrite par GOÜBAULT (1) sous le nom de névrite segmentaire périaxile el

a fait plus récemment l'objet de nouvelles recherches de la part de

Stransky (2).

En ce qui concerne les polynévrites les lésions les plus différentes ont

été signalées : tantôt les lésions inflammatoires, interstitielles se présen-

tent avec une grande intensité, tantôt au contraire les réactions du tissu

conjonctif péri-nerveuses sont à peu près nulles, les lésions atteignant les

(1) GOIdBAULT, Arch. neurolog., 1880-1881. '

(2) STRANSKY, Journ. f. Psych., I.

LA POLYNÉVRITE GRAVIDIQUE 361

fibres nerveux de façon tout à fait élective. Dans ce dernier cas, tous les

. degrés peuvent s'observer : depuis les lésions légères disséminées, rappe-

lant la névrite périaxile segmentaire, jusqu'à l'atrophie presque totale du

nerf.

Cette variété extrême des lésions, tant au point de vue de l'intensité que

de la localisation nous obligea nous demander si, d'une part, la distinction

classique en névrites interstitielles et névrites parenchymateuses répond

vraiment à une réalité anatomique, et si, d'autre part, la névrite paren-

chymateuse n'exigerait pas une étude nouvelle entreprise avec le secours

des méthodes histologiques les plus récentes.

Jusqu'à présent la plupart des anatomo-pathologistes qui ont étudié

les névrites se sont servi des mêmes procédés techniques : 1° une colora-

tion banale, telle que i'hématéine-éosine destinée à montrer les réactions

inflammatoires, la disposition générale du tissu conjonctif des noyaux, etc. ;

2° une coloration à l'acide osmique par la méthode de Mardi par

exemple - destinée à mettre en lumière les altérations de la myéline ; : 3° une coloration par le carmin à laquelle on demandail de colorer les

cylindraxes.

Les procédés de coloration par l'hématoxyline ou l'acide osmique sont

de toute première importance, ils ont conservé leur valeur et sont abso-

lument indispensables à l'étude anatomo-pathologique des nerfs. Pour ce

qui concerne les cylindraxes, la coloration de ces éléments est devenue

facile depuis la découverte des méthodes de Carat, et de BIELSGIIOWSKY.

Ces procédés ont permis d'étudier minutieusement non seulement les tra-

jets, mais aussi la réaction, la croissance, la dégénérescence des axones les

plus fins.

C'est à la lumière qui se dégage des faits mis en évidence tout récem-

ment par ces méthodes, que nous voudrions examiner la question de la

division des névrites.

Certes la division en névrites parenchymateuses et névrites intersti-

tielles reste entièrement fondée si l'on n'envisage que la localisation de

grosses lésions prédominantes, soit ou niveau des filets nerveux, soit au

niveau du tissu conjonctif.

Si l'on tient toutefois compte de la susceptibilité extraordinaire des cy-

lindraxes aux agents d'irritation, il faut, croyons-nous, admettre que toutes

les névrites sont accompagnées de lésions ou de réactions de l'élément

noble. Quelques exemples empruntés à diverses recherches expérimen-

tales feront mieux saisir notre pensée.

CAJAL (1 ) a montré que si au lieu de sectionner un nerf on le comprime

(1) Cajal, trac. du lab, 1907.

362 DUSTIN

légèrement, et pendant un temps fort court, on peut observer après un

temps suffisant des réactions très nettes des cylindraxes ; ceux-ci se divi-

sent, donnent naissance à des collatérales néoformées, terminées en massue,

ou encore se fissurent longitudinalement en un certain nombre de neuro-

fibrilles très argentophiles.

Dans le même ordre d'idée, Marinesco (9) a montré que des excitants

mécaniques, même légers, portés au niveau des ganglions sympathiques

par exemple, donnent lieu à des phénomènes réactionnels essentiellement

caractérisés par la néoformation de prolongements nerveux atypiques.

Aussi croyons-nous qu'en cas de périném ite ou de névrite intertitielle

lorsque les troncs nerveux sont environnés de tissu inflammatoire qui les

comprime, les cylindraxes réagissent comme en cas de compression mécani-

que. Peut-être même le mode de réaction règle-t-il une partie de la symp-

tomatologie et de l'évolution clinique de l'affection.

Malheureusement, à notre connaissance, il n'existe pas encore dans la

littérature de cas de névrite interstitielle étudiée par la méthode de l'ar-

gent réduit.

Nous pourrions faire valoir les mêmes considérations en ce qui concerne

le type de névrite parenchymateuse périaxilesegmentaire décrit par Gom-

BAULT. Dans ce type les cellules à myéline dégénèrent déplace en place,

tandis que les cylindraxes persistent, comme depuis les travaux de Ba-

binski (2) qu'ils persistent au sein des îlots scléreux dans la sclérose en

plaques.

Tout porte à croire que les cylindraxes ne restent pas indifférents à, la

dégénérescence des cellules à myéline, leurs véritables cellules satellites.

Les réactions très curieuses observées dans les centres nerveux au voi-

sinage de tumeurs (BIELSCIIOWSKV) (3) ou d'anciens foyers hémorragi-

ques (Marinesco (1) et Merle) (4), montrent l'intérêt qui s'attache à l'étude

des variations cylindraxiles provoquées par les agents irritants les plus

divers.

Dans quelle catégorie de névrite devons-nous ranger les lésions que

nous avons observées et décrites dans le cas actuel ? La survie assez lon-

gue de la malade rend la réponse difficile.

La constatation de l'atrophie d'un grand nombre decylindraxes, atrophie

à laquelle a fait suite un début de régénération, démontre indiscutable-

ment l'existence d'une lésion de l'élément noble, par conséquent d'une

névrite parenchymateuse.

(1) Maiunesco. Voir La cellules nerveuse, 2 vol.

(2) BiescEowshr, Journ. f. Psycholog., t. VII, 1906. ·

(3) MAHINESCO, ftev. neurolog., 1908.

(4) MBIILB, Rev neurolog., 1909.

la polynévrite gravidique 363

D'autre part nous avons constaté l'existence dans les troncs nerveux de

petites colonies de cellules migratrices, qui, persistant après deux mois,

démontrent, à notre sens, l'existence antérieure de lésions inflammatoires

fort intenses. .

Tout-en faisant les réserves prudentes que comportent les conclusions

d'un cas dont nous n'avons eu sous les yeux qu'un des épisodes, nous

croyons pouvoir affirmer que les lésions interstitielles se manifestèrent

les premières, provoquant des phénomènes d'irritation caractérisés par

les atroces douleurs du début et la contracture initiale de la jambe gau-

che. Aux lésions interstitielles succédaient bientôt les lésions parenchy-

mateuses amenant une véritable section transversale des fibres motrices

et respectant les fibres sensitives, plus résistantes ; les filets moteurs des

nerfs, frappés à mort, donnent lieu à l'atrophie musculaire ; les filets

sensitifs restant au stade d'irritation initiale, justifient la conservation

des, différents modes de sensibilité et l'apparition de douleurs intenses.

Les lésions observées dans notre cas ressortissant à la fois aux lésions

de névrite interstitielle et de névrite parenchymateuse ; elles se distin-

guent des lésions de névrite massive par la conservation des filets sen-

sitifs.

Sommes-nous en droit de nous croire en présence d'une véritable

névrite périphérique, et non d'un retentissement à distance de lésions

centrales, de lésions médullaires ? C'est là une des questions qui ont le

plus passionné les neurologistes, et sur laquelle on est encore loin d'être

d'accord. Le problème a été fort minutieusement étudié par Babinski (1)

qui a exprimé comme suit son opinion : -.

« Ce terme névrite périphérique ne doit pas impliquer l'idée que les

lésions des nerfs sont primitives, qu'elles sont l'origine de tous les trou-

bles symptomatiques qu'on observe et que le système nerveux central ne

présente aucune modification. Il signifie simplement que les altérations

anatomiques du système nerveux perceptibles par nos moyens d'investi-

gation sont exclusivement localisées dans les nerfs ou y sont bien plus

accusées que dans le système nerveux central. Il y a tout lieu d'admettre,

et ce n'est d'ailleurs pas là une simple hypothèse, que bien des agents

qui déterminent des névrites, provoquent à la fois une perturbation du

système nerveux central et du système nerveux périphérique, que parfois

même ils exercent en même temps, d'une façon directe, leur action

pathogène sur d'autres systèmes anatomiques, que les troubles fonction-

nels qu'ils occasionnent sont causés non seulement par des lésions histo-

logiquement perceptibles, mais aussi par des modifications de nature

.

(1) Babinski, Les névrites, in Traité de médecine CUARCOT, Bouchard, Brissaud.

364 DUSTIN

dynamique, et qu'en définitive les lésions des nerfs ne peuvent être

considérées comme constituant tout le substratum anatomique de l'affec-

tion en question ; elles en représentent seulement les altérations les

plus apparentes. » .

Nous voyons que, d'après cet auteur, l'action trophique du centre

cellulaire médullaire joue un rôle essentiel dans l'apparition des trou-

Ides névritiques qui ne sont souvent que la réaction visible des troubles

dynamiques de ces centres trophiques.

Ce mécanisme s'observe certainement dans bon nombre d'altérations

des nerfs périphériques. Nous plaçant à un point de vue théorique, nous

pensons qu'il faut l'invoquer pour expliquer la genèse des névrites dans

laquelle les troubles des cylindraxes sont primitifs, tandis que les lésions

des cellules à myélines et du tissu conjonctif ne sont que les conséquences

inéluctables de la destruction de l'élément noble.

Par contre, il devient beaucoup plus difficile d'expliquer par cette

théorie des formes de névrites telles que la névrite segmentaire juvénile.

L'affection frappe ici les cellules satellites du neurone, tandis que les

cylindraxes persistent intacts ou ne se modifient que secondairement.

Les recherches récentes ont démontré les relations étroites qui lient

l'activité du neurone à l'activité de ses cellules satellites ; pour ne citer

que deux exemples de ce fait, nous rappellerons la prolifération des cel-

lules de Schwann lorsque le cylindraxe qu'elles entourent est séparé de

sa cellule et dégénère, et la multiplication des cellules capsulaires des

ganglions rachidiens se faisant parallèlement à l'atrophie des cellules

ganglionnaires (rage, sénilité, délire hallucinatoire suraigu) (1). L'acti-

vité du neurone et de ses prolongements tient incontestablement sous sa

dépendance l'activité des cellules satellites. Celles-ci, il leur tour, lors-

que pour une raison quelconque, elles ont pu se multiplier, exercent sur

le protoplasme nerveux une action excitante et cliimiotaxique provo-

quant l'apparition de prolongements néoformés et l'orientation de ces

prolongements.

Ces faits, d'acquisition récente, pourraient, la rigueur, expliquer une

lésion secondaire des cellules de Schwann succédant à un trouble dyna-

mique léger du neurone. La disposition segmentaire des lésions oblige,

nous semble-t-il, à admettre dans ce cas une lésion primitive juvénile,

indépendante de toute altération des cylindraxes.

L'application de ces vues théoriques au cas particulier qui fait l'objet

de cette note, ne laisse pas d'être délicate.

Nous avons, en effet, trouvé des lésions importantes au niveau des

troncs nerveux, et des altérations fort sérieuses des centres médullaires.

(t) DUSTIN, Journal médical. Bruxelles, n° 4, 1901.

LA POLYNÉVRITE GRAVIDIQUE 365

Quelle corrélation importe-t-il d'établir entre ces deux ordres défaits ?

La lésion médullaire est-elle primitive ? Est-ce au contraire l'altération

des troncs nerveux qui retentit secondairement sur les neurones radicu-

laires ? L'examen raisonné des faits nous oblige à nous rallier à cette

seconde hypothèse. Nous nous appuierons pour cela sur les constatations

suivantes :

1° Existence au niveau des nerfs périphériques de nodules inflamma-

toires ;

2° Intégrité des racines antérieures ;

3° Lésions médullaires localisées uniquement aux cellules radiculaires

d'origine des nerfs malades, sans lésions de myélite et sans lésion des

petites cellules funiculaires.

Reprenons ces trois points en détail.

L'existence dans le tronc du sciatique de noyaux d'inflammation ne

peut être rattachée à un trouble dynamique des neurones. Nous savons en

effet que les seules cellules influencées par ces modifications centrales

sont les cellules satellites des neurones ; cellules capsulaires des gan-

glions rachidiens et cellules à myéline échelonnées le long des cylin-

draxes. Ces troubles dynamiques d'ailleurs hypothétiques-devraient

produire des réactions analogues à celles qui s'observent après section

d'un nerf. Or jamais dans ce cas, si l'opération a été faite aseptiquement,

on n'observe d'infiltration leucocytaire, qui démontre dans le cas présent

l'action directe, élective, d'un agent toxi-infectieux sur les nerfs.

De môme l'hypothèse d'un trouble dynamique expliquerait fort mal la

localisation des lésions aux troncs nerveux, tandis que les racines anté-

rieures échappent à la dégénérescence. Enfin il est difficile de s'imaginer

une cellule nerveuse frappée au point de voir son cylindraxe dégénérer

en grande partie, et se mettre immédiatement après à régénérer un nou-

vel axone.

Nous avons vu qu'au niveau de la moelle lombo-sacrée n'existait

aucune lésion inflammatoire, aucune lésion vasculaire dénotant l'exis-

tence d'une myélite en voie d'évolution. L'intégrité médullaire contras-

tait étrangement avec les lésions des nerfs périphériques.

Mais, nous objectera-t-on, les phénomènes de chromolyse etde vacuoli-

sation des cellules radiculaires dénotent une lésion profonde de la moelle,

lésion à laquelle sont dues les altérations névritiques ?

Nous croyons qu'il n'en est pas ainsi. A notre sens, les phénomènes

de chromolyse sont identiques à ceux qui se produisent dans toute cel-

lule dont le cylindraxe a été lésé. L'intensité de la chomolyse dépend

uniquement de l'intensité de l'agent vulnérant ayant agi au niveau des

nerfs.

xxn 25

366 DUSTIN

Quant aux phénomènes de vacuolisation, ils ne sont vraisemblablement

dus qu'à l'épuisement total de certaines cellules qui, déjà frappées par la

toxi-infection dont souffre tout l'organisme, ne peuvent plus faire face

aux lésions de leurs cylindraxes, ni aux dépenses que nécessite leur régé-

nération.

Deux points restent à expliquer. Pourquoi les fibres sensitives des nerfs

mixtes échappent-elles à la destruction, au cours des névrites ? ' !

Pourquoi l'agent pathogène se localise-t-il sur tel ou tel tronc nerveux ?

La première question n'a pas encore reçu de réponse satisfaisante. Nous

devons nous contenter de la constatation banale de la résistance plus

grande des fibres sensitives, sans que nous puissions discerner les causes

premières de cet état de choses.

Quant à la localisation des lésions, nous ne savons si nous pouvons ap-

pliquer ici les intéressantes doctrines d'I;mrrcEn sur l'épuisement comme

fadeur de localisation (1). Nous manquons pour cela de données exactes

sur l'état et les occupations de la malade avant son entrée à la Maternité

et à l'hôpital Saint-Pierre.

Nous devons avouer notre ignorance dans la délimination des facteurs

de localisation. Dans le cas actuel, la localisation sur les nerfs du plexus

lombo-sacré est peut-être due au voisinage d'un utérus gravide, source de

produits toxiques. Il ne serait pas invraisemblable que des facteurs méca-

niques, tels que la compression, n'eussent favorisé encore la localisa-

tion des lésions.

Ou plus simplement encore, ne doit-on pas admettre une prédilection

marquée de l'agent morbide pour telle ou telle région du système nerveux,

de même que nous voyons les lésions rabiques atteindre profondément les

ganglions rachidiens, les ganglions du pneumogastrique ou les cellules

de la corne d'Ammon ?

En résumé, nous croyons avoir montré que la polynévrite gravidique

dans les cas analogues au nôtre, est caractérisée par des lésions intenses,

probablement primitives, au niveau des nerfs, lésions qui respectent en

grande partie les fibres sensitives tandis qu'elles sectionnent véritablement

les fibres motrices. A ces lésions succèdent la chromolyse el la vacuolisa-

tion des cellules d'origine des axones lésés. Les cellules funiculaires, 'les

racines antérieures, les racines postérieures et les ganglions rachidiens ne

sont guère altérés.

La guérison de cette affection se fait par un mécanisme analogue à la

réparation des atrophies musculaires après section d'un nerf moteur : de

(1) Edingeii, Der Anteil der Funktion un der Enstehung von Nervenkrankheilen, -

Wiesbaden (Verl. von Bergmann), 1908.

LA POLYNÉVRITE GRAVIDIQUE 367

nouveaux cylindraxes naissent du tronçon central du nerf lésé, parcourent

toute la cicatrice laissée par la dégénérescence du bout périphérique et

viennent à nouveau prendre contact avec les plaques musculaires.

Ce court travail ne constitue, nous le répétons, qu'une modeste con-

tribution à l'étude très vaste des névrites. Nous serions heureux s'il pou-

vait jeter quelque lumière sur la pathogénie des névrites gravidiques ou

simplement préciser quelque--uns des problèmes qui restent à élucider

dans ce domaine.

En terminant, qu'il nous soit permis de remercier M. le 1)r R. Verhoo-

gen pour l'obligeance avec laquelle il a mis à notre disposition, et ses

conseils, et tous les documents nécessaires' à cette étude.

SUR LA GENÈSE DES LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

DANS UN CAS DE SYPHILIS DU NÉVRAXE A MARCHE RAPIDE

PAR

L. ALQUIER.

Par quel mécanisme la substance nerveuse est-elle altérée dans la syphi-

lis ? Hormis les cas où la néoplasie syphilitique, gomme ou infiltrât diffus,

est, par sa masse, suffisante pour exercer une action mécanique sur le

tissu nerveux ou ses vaisseaux, et ceux où l'épaississement des méninges

est assez marqué pour pouvoir agir de même, hormis ces cas, le problème

apparaît, d'ordinaire, fort embarrassant. La plupart des auteurs met en

cause les troubles circulatoires, invoquant, soit la diminution du calibre

des artères ou des veines, par infiltration ou. épaississement de leurs pa-

rois, surtout en cas d'endovascularite oblitérante, soitdes embolies ou des

thromboses, celles-ci atteignant les petits vaisseaux dans la forme vaso-pa-

ralytique de Gilbert et Lion. Mais, combien souvent ces diverses lésions

apparaissent, au microscope, disproportionnées d'avec celles du tissu ner-

veux et insuffisantes pour les expliquer entièrement ! D'autre part, la des-

truction du tissu nerveux est loin de se faire toujours dans le voisinage

immédiat des lésions inflammatoires, dont la présence ne paraît même pas

nécessaire pour leur production, certains auteurs admettant que la syphi-

lis peut atteindre d'emblée le tissu nerveux, et produire des lésions paren-

chymateuses primitives.

En pratique, on se trouve, le plus souvent, en présence d'altérations

complexes, la syphilis ayant évolué par poussées successives, et ses lésions

se compliquent de dégénérations, de cicatrices, d'infections secondaires.

Dans le fait que nous allons relater, le malade a été emporté par une

syphilis nerveuse à marche rapide, la moelle présente les lésions d'une

myélite syphilitique aiguë, sous une forme qui montre bien les difficultés

de l'interprétation, et permet de discuter la valeur des différentes hypo-

thèses formulées pour expliquer la destruction des éléments nerveux dans

la syphilis médullaire.

Histoire clinique (résumée). Homme, 44 ans. Syphilis il y a dix ans,

ALQUIER. LA GENÈSE DES LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPIN1LRE 369

soignée méthodiquement pendant les six premiers mois, depuis, seulement

par intermittences- Au chancre, ont succédé la roséole, des plaques mu-

queuses de la bouche, enfin la chute des cheveux.

Un mois avant son entrée à l'hôpital, le malade fut pris, dans les mem-

bres inférieurs et dans le tronc, de fourmillements et de douleurs pas très

vives, à caractère fulgurant, ne durant qu'un instant, et parcourant les

membres, de haut en bas, sans localisation précise, et le tronc en ceinture.

Peu à peu, la marche devenait difficile, les mictions pénibles, nécessitant

des efforts.

Lors de l'admission à l'hôpital St-Louis, la paraplégie était devenue com-

plète,spasmodique, avec contracture en extension des membres inférieurs,

qui ne pouvaient être que très difficilement fléchis par le médecin,les mou-

vements actifs étant à peu près abolis. Réflexes patellaires exagérés,clonus

très facile à provoquer, la sensibilité cutanée est très diminuée dans toute

l'étendue des membres inférieurs et à la partie inférieure du tronc, et re-

devient normale au-dessus : la miction est très difficile, le malade est

obligé depousser longtemps pour uriner. Aucun trouble morbide aux

membres supérieurs et à la tête, le signe d'Argyll n'est pas évident. Rien

aux viscères, pas d'autre trouble mental qu'un sentiment de contente-

ment de soi-même très développé.

Au 8e jour de l'hospitalisation, apparaissent des escarres très étendues,

au sacrum et au talon gauche, la paralysie devient flasque, l'incontinence

succède à la rétention. Le 10e jour, on trouve un certain degré de conges-

tion pulmonaire qui augmente rapidement; le 14e, le malade succombe

après une agonie calme.

Autopsie. Elle put être pratiquée quelques heures après lamort. Les

principaux viscères paraissent absolument sains, à part une congestion

récente du sommet droit et de la base gauche, et quelques adhérences

pleurales, disséminées. Pas de lésion macroscopique de l'encéphale, ni en

surface, ni sur les sections. Les artères et les méninges sont saines d'as-

pect, on ne trouve rien d'autre que quelques petits kystes séreux sur la

toile choroïdienne des ventricules.

Etude de la moelle épinière. Les méninges sont légèrement épaissies

sur toute la hauteur, avec, dans la région dorso-lombaire, quelques adhé-

rences interméningées. Les vaisseaux pie-mériens sont, en majeure par-

tie, indemnes, quelques-uns, surtout en arrière, présentent un léger infil-

trat lymphocylique, dans la région dorsale moyenne, l'un des feuillets de

la cloison médiane antérieure apparait looalement épaissi el sclérosé autour

de l'une des branches de la spinale antérieure. Nous n'avons trouvé dans

les méninges aucun vaisseau nettement oblitéré ou sténose.

La moelle présente, depuis la région cervicale inférieure jusqu'à la ré-

370 ALQUIER

gion sacrée, de nombreux foyers de myélomalacie. Comme on peut le voir

sur les photographies ci-jointes (PI. XLI et XLII, 1 si 16), ils occupent,

sur toute la hauteur que nous venons d'indiquer, les cordons postérieurs

qui sont atteints dans toute leur largeur, à l'exception d'une mince

bande de tissu sain, qui, partout, longe les cornes et racines posté-

rieures. D'avant en arrière, la lésion s'étend de la méninge à la com-

missure, respectants, par places seulement, une mince bande, dont la

forme et les dimensions varient d'un niveau à l'autre, de tissu sain,

contre la commissure, ou, au contraire, tout en arrière, contre la pie-

mère. Dans la région lombaire et sacrée supérieure, la partie centrale

de chaque cordon est seule prise, les parties périphériques étant respec-

tées, ainsi qu'une bande irrégulière, située de chaque côté du septum mé-

dian postérieur. La moitié postérieure des cordons latéraux montre des

lésions analogues, qui, bien qu'occupant la région du pyramidal croisé,

sont faciles à distinguer, même sur les coupes colorées an Weigert-Pal,

de la dégénération de ce faisceau ; un coup d'oeil jeté sur nos photogra-

phies montre que la forme et l'étendue de la région démyélinisée, d'une

irrégularité qui défie toute description, varient d'une coupe à l'autre, ses

bords sont sinueux, mal limités, enfin, çà et là, on trouve, en pleine lé-

sion, des parties saines, là où plus haut la démyélinisation semblait com-

plète. L'étude des gaines et, surtout des cylindraxes, sur les coupes colo-

rées à l'hématéine-éosine, plaide dans le même sens. Au contraire, le

Marchi n'est ici d'aucune utilité, en raison de la multiplicité des lésions,

etde leur diffusion. A divers niveaux de la région dorsale, le cordon anté-

rieur présente, de chaque côté du sillon médian antérieur, des lésions de

même ordre, encore plus irrégulières, et qui, elles, ne sauraient prêter à

confusion. Il s'agit bien là de foyers multiples de myélomalacie.

Dans tous ces foyers, on trouve les lésions habituelles d'une myéloma-

lacie récente, datant au plus de quelques semaines. Les tissus paraissent

nécrosés,le plus grand nombre des fibres nerveuses présentent l'aspect de

« l'oedème» ; la gaîne myélinique, énorme, irrégulièrement distendue,

contient un cylindraxe irrégulièrement tuméfié, variqueux, avec des points

mieux conservés. La névroglie a un aspect granuleux, méconnaissable ; par

places, elle est complètement désagrégée, et les fihres ne sont plus recon-

naissables. Outre les foyers volumineux que montre le Weigert-Pal,

on en découvre de beaucoup plus petits, limités à quelques fibres nerveu-

ses, formant un groupe irrégulier' de fibres « oedémateuses » au milieu

d'autres, à peu près intactes. La substance grise est également atteinte,

le canal épendymaireest partout oblitéré, les cellules nerveuses sont mé-

connaissables, et ne reprennent leurs caractères que dans la région cervi-

cale moyenne, et au-dessous des premiers segments lombaires. Ajoutons

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XLI

SYPHILIS DU NEVRAXE A MARCHE RAPIDE

(L. Alquier).

Masson & Cie, Editeurs.

L GENÈSE DES LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 371

enfin que, dans plusieurs racines antérieures et postérieures de divers

segments, existaient des points très limités de démyélinisation analogues

à ceux de la moelle. En dehors de ces lésions, fort peu importantes, les

.racines apparaissaient absolument saines.

Nous avons dit que les foyers myélomalaciques remontaient jusqu'à la

région cervicale inférieure, et descendaient jusqu'à la région sacrée ; au-

dessus et au-dessous de ces limites, la moelle reprenaitson aspect normal.

En particulier, la moelle sacrée est absolument indemne, en dehors d'une

légère démyélinisation marginale localisée, et d'un peu de pâleur diffuse

des cordons postérieurs dans sa partie tout inférieure.

Cette brève description suffit pour montrer que nous sommes en pré-

sence d'une myélomalacie récente à foyers multiples, les lésions dégéné-

ratives n'ayant encore eu le temps que de s'ébaucher, si bien que la lésion

initiale se représente à nos yeux à peu près pure. Voyons maintenant

comment peuvent s'expliquer les foyers multiples que nous a révélés le

microscope.

Les vaisseaux des méninges ne sont pas oblitérés, avons-nous dit; d'ail-

leurs, la multiplicité et les variations de forme et d'étendue des foyers

montrent bien que leur cause doit être cherchée à l'intérieur de la moelle.

Certains présentent bien, déprime abord, l'aspect en coin à base périphé-

rique des lésions vasculaires, mais, ce n'est là qu'une apparence, et un

peu d'attention fait vite éviter l'erreur.

Dans le septum médian postérieur, de nombreuses coupes montrent

(fig. 18), autour de l'artère, un manchon lymphocytique discontinu, de

2-3 éléments d'épaisseur. Cette lésion, importante au point de vue du

diagnostic de syphilis, qu'elle suffirait à légitimer, ne semble pas apporter

d'obstacle au cours du sang, qui remplit le vaisseau, dont le calibre n'est

nullement diminué.

L'état des petits vaisseaux est plus intéressant, et doit nous arrêter da-

vantage. Dans presque tous les foyers, on trouve aisément des capillaires

dont l'endothélium, tuméfié, réduit notablement le calibre : certains parais

sent môme oblitérés, et le très léger infiltrai qu'on rencontre autour de

certains d'entre eux peut acquérir, à ce point de vue, une importance

beaucoup plus considérable que lorsqu'il s'agit de vaisseaux plus volumi-

neux. Mais, bien que nous n'ayions pas vu la série complète des coupes,

ce qui nous impose forcément certaines réserves, il nous semble que ces

altérations vasculaires ne sont pas en nombre suffisant pour expliquer

l'étendue de la nécrose, dont la forme irrégulière en carte de géographie

372 ALQUIER. LA GENÈSE DES LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

ne cadre guère avec l'idée d'une origine vasculaire. Dans les foyers né-

crotiques, et surtout, semble-t-il, à l'union des parties saines et des par-

ties plus atteintes, existent de nombreux capillaire (V. fig. 17), en partie

au moins néoformés, en raison de leur nombre, très dilatées, et dont un

certain nombre sont rompus, donnant lieu à de petites hémorragies mi-

nimes. S'agit-il là de la forme vaso-paralytique dont nous parlions en

, commençant ? Notre avis est qu'il ne faut voir là que ce qu'on observe dans

toutes les nécroses récentes, qu'il s'agisse du tissu nerveux ou d'un organe,

tel que le poumon frappé d'apoplexie, par exemple. Nous avons toujours

rencontré cet état des capillaires dans tous les foyers de nécrose aiguë ou

t subaiguë du tissu nerveux qu'il nous a été donné d'examiner histologique-

ment. Le fait est signalé à proposducas de méningo-encéphalite subaiguë

chez un tuberculeux que nous avons étudié avec Baudouin (Arch. de

méd. expérim.etd'anat. path., n° 1, 1907 : la lésion est figurée dans la

planche qui accompagne ce travail, fig. 4). Rappelons que, dans ce cas

comme ici, le même problème se posait : l'oblitération des vaisseaux san-

guins était infiniment plus considérable et cependant, la forme irrégu-

lière, le mode de répartition des lésions nécrotiques, plus intenses au

voisinage de la méningite suppurée qui existait dans ce cas, tout semblait

indiquer que l'altération profonde du tissu nerveux relevait à la fois du

trouble circulatoire, et de l'action des toxines.

C'est à une conclusion analogue que nous sommes amenés à propos

du fait qui nous occupe actuellement. Certes le trouble circulatoire existe,

mais il ne paraît pas suffisant pour expliquer à lui seul les lésions du

tissu nerveux, une part semble bien revenir à l'action des toxines de la

syphilis. Souhaitons que, le jour où les toxines de la syphilis seront iso-

lées, l'expérimentation puisse nous apporter la solution définitive du pro-

blème, et faire pour cette maladie ce qu'elle n'a pu encore réaliser pour la

tuberculose, où, malgré elle, la genèse des lésions du névraxe est à l'heure

actuelle toujours indécise.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PI. XLII

SYPHILIS DU NÉVRAXE A MARCHE RAPIDE

(L. Alqitiei).

CLINIQUE MÉDICALE DE L'UNIVERSITÉ D'UPSALA (SUÈDE)

Service de J11, le professeur K. Petren.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË

PAR R

K. PETRÉN,

Professeur.

et

L. EHRENBERG,

Interne à la clinique.

Introduction.

par K. PETREN

Au cours de ces dernières années, diverses épidémies, quelquefois très

étendues, de poliomyélite aiguë ont éclaté dans des pays différents (en

Suède, en 1905, plus de z1.000 cas ; autant de cas en Norvège en 1905 et

1906; aux Pays-Bas en 1906 et à New-York en 1907, de 1.200 à

1.500 cas) (1). L'élude de ces épidémies a beaucoup augmenté nos con-

naissances sur cette maladie. Parmi les travaux que ces épidémies ont

suscités, nous cilerons en premier lieu les deux travaux de notre compa-

triote Wickman (l'un se rapportant à l'anatomie pathologique, l'autre à

l'élude clinique de la maladie). Ces travaux et un travail antérieur d'un

autre Suédois, Medin, qui se rapporte à deux petites épidémies suédoises

plus anciennes (1887 et 1895) ont apporté d'importantes contributions à

nos connaissances sur cette maladie.

Quel est le résultat principal de l'étude de cette maladie pendant les

dernières années, tel que nous le présentent ces travaux et un grand nom-

bre d'autres parus dans divers pays ? C'est ce que nous essayerons d'abord

d'indiquer en quelques mots.

D'après l'opinion le plus souvent admise, l'opinion classique pour

ainsi dire, la poliomyélite aiguë serait une maladie systématique de la

moelle, détruisant une partie bien délimitée de la corne antérieure (ou

des deux cornes), qu'on trouve remplacée par un tissu cicatriciel. D'ac-

cord avec ce caractère de la lésion anatomique d'être bien limitée,

mais complète, l'atrophie musculaire et la paralysie sont complètes pour

les muscles qui sont atteints, il n'existe aucun symptôme autre.

Cette conception a pour base en premier lieu l'étude des cas chroniques

de la maladie (ils mériteraient, d'ailleurs, d'èlre considérés, non pas

(1) D'après une communication de Zappert, on aurait observé une épidémie à Vienne

dans l'été de 1908, mais des renseignements précis sur cette épidémie ne sont pas en-

core publiés, autant que nous sachions.

374 PETREN ET EHRENBERG

comme des cas de la maladie, mais plutôt comme les reliquats

d'une poliomyélite ancienne persistant après elle). Cependant, plus on

étudiait de cas de la période aiguë, plus l'attention était attirée sur ce

fait qu'au commencement de la maladie les lésions anatomiques du sys-

tème nerveux ont une distribution diffuse et une extension très grande.

Cette conclusion est appuyée, d'un côté par l'observation clinique qui

nous apprend que l'extension des troubles de la motilité est beaucoup plus

diffuse immédiatement après le début de la maladie qu'à l'état chroni-

que, d'un autre côté par les recherches anatomiques faites sur les sujets

morts peu après le début de la maladie. Dans ces derniers cas, en effet, il

semble qu'on trouve en général les cornes antérieures plus ou moins

atteintes sur une très grande hauteur de la moelle ou dans toute la moelle

(Dejerine et lluet, Dauber, Redlich, Neurath, Harbitz etScheel, Wickman,

Forsner et Sjôvall, Barnes et mille, Perkins et Dudgeon, Buzzard,

Scbullze (92), Cadwalader, Acuna). De plus, on a trouvé dans ces cas que

les lésions anatomiques sont étendues aussi aux autres parties de la

moelle, par exemple aux colonnes de Clarke, aux faisceaux latéraux et

aux méninges. On sait aussi que la maladie est susceptible de s'étendre

quelquefois au bulbe et aux parties adjacentes du cerveau. Il y a déjà

longtemps que Pierre Marie (61) et Slrumpell (99) ont exprimé celle idée

que la poliencéphalile peut être une autre localisation de la même maladie.

Mais c'est le grand mérite .de Medin d'avoir publié un certain nombre

d'observations qui prouvent que la poliomyélite légitime et certaine peut

quelquefois atteindre aussi les noyaux des nerfs crâniens. Medin établit

une distinction entre quelques formes de la maladie, d'après l'extension

et la localisation des lésions anatomiques et Wickman a encore ajouté un

certain nombre de formes nouvelles. Nous y reviendrons.

Si nous essayons d'exprimer en peu de mots comment la conception

de la maladie s'est modifiée, nous dirons que l'on a vu s'effacer peu à

peu tous les traits que l'on considérait comme caractéristiques d'une ma-

ladie systématique et qu'au contraire on reconnu que les lésions anato-

miques avaient une distribution très diffuse et une extension qui, du

moins dans un grand nombre de cas, allait fort loin. Il faut reconnaître

que nos idées sur cette maladie avaient déjà commencé à se modifier en

ce sens à la suite de plusieurs travaux notablement antérieurs aux épi-

démies des dernières années.

Toutefois, il reste encore, dans nos connaissances sur la poliomyélite

aiguë, beaucoup de détails qui demanderaient des observations nouvelles

et une étude approfondie. Nous croyons aussi qu'il y a plusieurs points

importants où la discussion sur la conception générale de la maladie n'est

point du tout close.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYELITE AIGUË 375

Nous avons eu l'occasion d'observer dans notre clinique 15 cas de polio-

myélite aiguë, tous (sauf une seule exception), pendant le cours de

17 mois (septembre 1907-janvier 1909). Au point de vue épidémiologique

il faut encore ajouter à ces cas le frère d'un malade (obs. XIX) qui est

mort chez lui le troisième jour de la maladie, et de plus un cas (très

léger, seulement une parésie d'une jambe, qui a disparu en peu de

temps) dans l'automne de 1903, qui a été observé par mon collègue, le

Docent Bergmark, Comme ces 17 cas proviennent tous du département

(laen) d'Upsala, qui n'a pas plus de 125.000 habitants environ, il semble

qu'on doive accepter l'idée d'une petite épidémie. Ajoutons que, pendant

la grande épidémie suédoise (1905), on ne signale qu'un seul cas du

département d'Upsala (Wickman). Pendant les années antérieures à

1907, nous n'avons pas eu non plus à la clinique de cas de cette maladie

dans la phase aiguë. Des 17 cas, cinq se rapportent la ville d'Upsala

(25,000 habitants environ) et deux aux environs immédiats de la ville.

Toutefois ces cas de la ville même n'ont pas apparu en même temps ; il

y en a eu,par exemple, deux en septembre 1907 et deux, en janvier 1909.

En tout cas, nous ne croyons pas que ces cas de poliomyélite nous per-

mettent de formuler des conclusions sur l'épidémiologie de la maladie et

par conséquent nous ne nous en occuperons plus. Seulement, nous vou-

lons attirer l'attention sur ce fait que, par deux foisel chaque fois, dans

deux cas, nous avons observé que la poliomyélite est apparue parmi

les enfants de la môme famille. Dans une famille les deux cas sont appa-

rus le môme jour et, dans l'autre, à 6 jours d'intervalle. Evidemment ces

observations, comme un certain nombre d'autres du même genre déjà faites

et signalées par d'autres, sont une raison, sinon décisive, du moins d'une

certaine valeur, pour penser que la maladie est contagieuse. Étudiant

l'épidémiologie de la maladie, llolt et Bartlett ont récemment rassemblé

40 cas, publiés par des auteurs antérieurs, où plus d'un cas a éclaté dans

la môme famille ; 8 fois, on avait vu les enfants, deux (ou plusieurs) tomber

malades le môme jour, comme nous-même l'avons observé une fois.

La plupart de nos cas ont été observés au début réel de la maladie,

c'est-à-dire 9 cas pendant la première semaine (dont 3 dans les trois pre-

miers jours) et 4 cas pendant la seconde semaine. En conséquence, il nous

a été donné de pouvoir étudier dans des conditions favorables les premières

phases de la maladie. De plus, pendant les étés de 190-1903, j'ai vu en

consultation 14 cas de la maladie se rapportant à des parties du pays fort

distantes, c'est-à-dire aux provinces du midi de la Suède (Scanie et Smaa-

land). Plusieurs de ces cas (7) viennent du foyer principal de l'épidémie

de 1905, c'est-à-dire du département (laen) de Kronoberg, où, d'après

Wickman, il y a eu 263 cas certains de la maladie en 1905 (sur une po-

376 PETREN ET E11RENBERG '

pulation de 150.000 habitants). Tous ces cas ont été observés à une phase

très postérieure de l'évolution de la maladie, c'est-à-dire 4 cas dans les

quatre premiers mois après le commencement de la maladie et 5 autres

cas dans la première année ; les autres encore plus tard. Cependant, pour

beaucoup de ces cas, j'ai pu obtenir des renseignements assez nets sur

les premiers symptômes qu'ils puissent eux aussi nous être utiles dans

l'étude des symptômes initiaux de la maladie.

Parmi les sujets que nous avons observés à la clinique, trois sont morts à

la phase aiguë de la maladie, tous les trois le surlendemain de l'entrée à la

clinique. Un quatrième sujet a heureusement traversé la première phase de

la maladie, mais est mort, au bout de cinq mois, d'une pneumonie lobaire.

Nous nous sommes occupés de l'examen anatomique de ces cas, mais nous

n'en parlerons que dans un autre travail.

La question dont nous voulons en premier lieu nous occuper, c'est de l'étude

des symptômes au début de la maladie et surtout de l'étude de la méningite

aiguë dont on peut noter les signes dans la période d'invasion. En

même temps nous donnerons le résultat des recherches que nous avons

faites sur la poliomyélite aiguë au moyen de la ponction lombaire. Dans

quelques cas nous avons fait la numération du nombre absolu des éléments

cellulaires dans le liquide céphalo-rachidien, recherches qui, autant que

nous le puissions savoir, n'ont pas été faites pour cette maladie jusqu'ici ;

à ce propos nous discuterons la relation entre la poliomyélite et la

méningite cérébro-spinale épidémique et la question du diagnostic dif-

férentiel entre ces deux maladies. '

Puis j'étudierai (P.), dans un autre chapitrera paralysie des muscles du

tronc, surtout des muscles abdominaux, en traitant de cette paralysie,

d'abord pendant les premiers temps (les premiers mois) de la maladie,

ensuite dans les cas où elle persiste. Je veux aussi attirer l'attention sur

les troubles respiratoires qui peuvent se manifester au début de la mala-

die et j'essaierai d'apporter une contribution aux connaissances des trou-

bles respiratoires qui sont la conséquence d'une affection de la moelle et

du bulbe.

En outre, mes observations m'ont donné des raisons de me préoccuper

du pronostic dela maladie,surtout de la question de savoir après quel temps

on peut encore attendre une restauration complète ou presque complète de

la motilité, car, sur ce point, je suis arrivé à une opinion plus favorable

que celle qui est en général admise. De môme, je parlerai d'une méthode

de traitement par des exercices méthodiques, méthode que j'ai employée

pendant la convalescence.

Enfin, dans le dernier chapitre du travail, je discuterai quelques ques-

tions générales concernant la poliomyélite aiguë, à savoir : Quelles for-

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 377

mes différentes delà maladie doit-on admettre ? Faut-il admettre comme

une forme spéciale de la maladie la poliomyélite de l'adulte Faut-il ad-

mettre l'identité des cas sporadiques ou du moins.apparemment sporadi-

ques et des cas épidémiques ? En quel sens faut-il admettre une forme ou

des formes encéphaliques de la maladie ? J'examinerai, en outre, la ques-

tion, si souvent discutée, du diagnostic différentiel entre la poliomyélite et

la polynévrite. En dernier lieu, j'essaierai, de formuler en quelques'mots

nos connaissancessurcertainesquestions concernant la poliomyélite aiguë.

DES SYMPTÔMES DU DÉBUT DE LA POLIOMYÉLITE AIGUË, PARTICULIÈREMENT

DES SYMPTÔMES DE MÉNINGITE AIGUË ET DU DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL ENTRE

LA POLIOMYÉLITE ET LA MÉNINGITE CÉRÉBRO-SPINALE ÉPIDÉMIQUE,

par PETRÈN et EHRENBERG.

On a observé, il y a déjà plusieurs années, qu'il existe des épidémies de

poliomyélite aiguë, où des symptômes qui semblent se rapporter à une

méningite aiguë se sont présentés dans beaucoup de cas au début de la

maladie. Dans l'Amérique du Nord, deux petites épidémies de ce genre

ont été étudiées (Caverly et Macphail, en 1894, et Mackenzie, en 1902).

Pour la première, les auteurs ont conclu qu'il s'agissait dans tous les cas

d'une poliomyélite aiguë, mais ils hésitent, quant au diagnostic différen-

tiel, avec une méningite céi-ébiosoinale,épidémique; dans la seconde épi-

démie, Mackenzie admet que quelques cas sont dus à la poliomyélite

aiguë, mais quelques autres à la méningite cérébro-spinale.

Cependant, également pour des cas sporadiques, on a fait depuis long-

temps déjà des observations indiquant qu'il a existé une méningite aiguë

à la phase initiale de la maladie. C'est surtout dans les travaux français

qu'on trouve des exemples de cette nature ; mais les premiers auteurs

n'ont pas toujours donné une explication correcte de ces cas. En 1887,

Laurent parle dans sa thèse des douleurs qu'on observe souvent au début

de la poliomyélite aiguë et qui sont diversement localisées, mais qui pour-

tant se trouvent souvent le long du dos. Il cite plusieurs cas de cette na-

ture empruntés à des travaux antérieurs ; pour ces cas nous nous borne-

rons à renvoyer à cette thèse. Cependant Laurent ne pense pas que ces

douleurs le long du dos soient dues à une méningite. Plusieurs années

après, Duquennoy, dans sa thèse de 1898, a traité la même question : il

indique en outre que des douleurs intenses apparaissent dans le dos et

dans la nuque où les muscles sont dans un état de contracture, et qu'il

peut arriver que les malades tiennent le dos fléchi en arrière. Néanmoins

Duquennoy ne pense pas qu'il se soit agi, dans ces cas-là, d'une mé-

ningite ; au contraire, il propose d'employer le signe de Kernig pour le

diagnostic différentiel entre la méningite et la poliomyélite. Toutefois, il

378 PETREN HT EHRENBERG,

est bien évident qu'il ne l'a pas lui-même essayé (car il aurait certaine-

ment trouvé que ce signe existait réellement, étant donnés les symptômes

qu'il décrit).

Cependant le rapport qu'ont ces symptômes du début de la poliomyélite

aiguë avec une méningite spinale constituant une complication de la po-

liomyélite, esl très justement reconnu et signalé par Pierre Marie. En

1905, il insiste sur ce fait, que « les douleurs vives, rachidiennes, irra-

diant autour du tronc ou le long des membres, continues avec exacerba-

tions, doivenl être regardées comme appartenant le plus souvent à la

méningite cérébro-spinale avec laquelle la paralysie infantile a été fré-

quemment confondue ».

Mais, déjà en 1892, cet auteur s'exprimait de la manière suivante :

« J'ai la conviction qu'un certain nombre de décès infantiles considérés

comme dus à la méningite ne sont autre chose que des cas de paralysie

infantile méconnus et dont les lésions ont amené trop rapidement la mort

pour que le tableau clinique de cette affection ait pu se développer. » Ces

citations nous montrent que Pierre-Marie a nettement compris le rapport

entre la poliomyélite et la méningite, et c'est là, selon nous, un nouvel

exemple de son intuition remarquable des problèmes cliniques.

Nous trouvons encore des observations chez quelques autres auteurs qui

nous montrent des symptômes d'une méningite spinale aiguë au début de

la poliomyélite (Tiedemann, Rendu, Raymond et Sicard). Cependant ces

cas ont été, quelquefois du moins, regardés comme étant d'une nature ex-

traordinaire, et constituant une exception au type normal de la poliomyé-

lite aiguë (Gowers) (1 ). '

Dans les grandes épidémies de poliomyélite aiguë de ces dernières an-

nées, les symptômes d'une méningite spinale aiguë au début de la

maladie se sont présentés dans un grand nombre de cas. Déjà dans les pe-

tites épidémies scandinaves un peu plus anciennes, on trouve des obser-

vations publiées par Medin (de Suède),par exemple son observation 19, et

par Leegaard (51) (de Norvège), où la description nous porte à conclure

qu'il a existé une méningite, malgré que ces auteurs n'aient pas tiré cette

conclusion. Quant à la grande épidémie suédoise (1905), Wickman a très

nettement insisté sur l'importance des symptômes de la méningite dans

le tableau clinique de la période d'invasion ; de même, un autre Suédois,

Lundgren, qui a fait ses observations au foyer principal de l'épidémie

(département (laen) de Kronoberg). Wickman formule ainsi sa conclusion,

(1) D'un autre côté, il est intéressant de voir dans un rapport d'un médecin de cam-

pagne norvégien, A. Chr. Bull, de l'année 1868,qui n'a pas été imprimé en son temps,

mais qui est publié maintenant par Leegaard, comment cet observateur a décrit une

petite épidémie de poliomyélite aiguë très nette, mais sous le nom de méningite spi-

nale aigué.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 379

que les symptômes de la méningite « ausserordentlich haeufig auftretende

Erscheinungen im Beginne der Poliomyelilis acuta sind ». Pour la grande

épidémie norvégienne, Geirsvold et Leegaard rapportent qu'ils ont vu des

cas avec symptômes méningitiques; c'est aussi le cas de Looft pour une

épidémie antérieure en Norvège. Dans l'épidémie des Pays-Bas, les symp-

tômes de méningite ont été un phénomène très fréquent (Scheltema, van

der Bergh) et Boonacker hésite aussi sur le diagnostic différentiel entre la

poliomyélite et la méningite cérébro-spinale épidémique. De même, pour

la dernière grande épidémie de New-York, on nous indique qu'il y a eu

un assez grand nombre de cas avec symptômes de méningite (Berg, Clowe,

Collins, Lovett, Starr, Spiller et Lafetra).

Ces citations sont de nature à confirmer cette conclusion, que des symp-

tômes semblant dus à une méningite spinale sont un phénomène très fré-

quent au début de la poliomyélite aiguë. En raison de ce fait, il est bien

naturel que les symptômes méningitiques au cours de la poliomyélite aient

souvent causé des difficultés pour le diagnostic différentiel' avec une mé-

ningite cérébro-spinale épidémique. Pour étudier l'état des méninges,

nous avons pratiqué dans un certain nombre de cas la ponction lombaire.

Quand on s'occupe des travaux faits sur la ponction lombaire et des

recherches sur le liquide céphalo-rachidien, on est bien surpris de trouver

une certaine différence entre les méthodes d'examen qui sont employées

par les auteurs des différents pays. Quincke, le créateur de la ponction

lombaire, insiste beaucoup sur la nécessité de mesurer exactement la

pression sous laquelle le liquide se trouve. Il nous paraît que c'est en

Allemagne une méthode généralement employée. En France, au con-

traire, autant que nous pouvons en juger, il nous semble qu'on n'a pas,

en général, pris soin de faire des recherches de cette nature. Nous

croyons, quant à nous, que celle recherche constitue un moyen assez im-

portant déjuger de l'état des méninges et, en conséquence, nous l'avons

toujours pratiquée. On a indiqué des méthodes différentes pour mesurer

la pression ; nous avons employé la méthode toute simple et bien connue

de Quincke, de faire monter le liquide dans un mince tube de verre et

de mesurer la hauteur que le liquide atteint. Puis on fait s'écouler le

liquide en penchant le tube de verre jusqu'à ce qu'on arrive à la pression

qu'on se propose d'atteindre.

Contre cette méthode on peut faire' l'objection bien connue qu'on ne

mesure la pression qu'après qu'une certaine quantité du liquide est déjà

sortie des méninges ; évidemment cela doit faire qu'on trouve en général

une pression qui est trop basse. Souvent on a employé des appareils

comprenant un manomètre à mercure pour éviter cette causé d'erreur.

Au point de vue théorique l'objection faite à la méthode de Quincke est

380 PETREN ET EHRENBERG

certainement légitime, mais au point de vue pratique nous ne croyons

pas qu'elle ait une grande valeur. D'un autre côté, la méthode de Quincke

a un grand avantage pour les malades, auxquels on fait la ponction, car

on a l'assurance certaine que la pression du liquide céphalo-rachidien

ne s'ahaissera pas au-dessous de la pression désirée, ce qui est impor-

tant surtout si l'on emploie -la ponction lombaire comme un moyen

thérapeutique et si l'on veut faire écouler autant de liquide qu'on peut

l'oser et de même quelquefois réitérer la ponction.

Si l'on a trop négligé en France cette recherche sur la pression

du liquide, il faut reconnaître, par contre, que ce sont les auteurs

français comme Widal, Sicard et autres qui ont fait faire les plus grands

progrès au cytodiagnostic du liquide céphalo-rachidien. Nous leur devons

les méthodes qui permettent d'étudier lès formes différentes des élé-

ments cellulaires dans le liquide céphalo-rachidien et ces méthodes ont

été définitivement établies il y a quelques années déjà. Au contraire,

quand on a voulu en venir à déterminer le nombre des éléments cellu-

laires, les difficultés techniques ont été très grandes. En général, on s'est

contenté d'une évaluation approximative des éléments cellulaires,obtenue

par la numération faite dans le champ du microscope après avoir centri-

fugé le liquide. Nissl qui s'est beaucoup occupé de cette question n'a pas

tenlé, lui non plus, d'obtenir le nombre absolu des éléments cellulaires.

Le premier essai en ce sens a été fait par Laignel-Lavastine qui s'est

basé sur la numération faite après concentration du liquide par une

centrifugation dont on pouvait calculer le degré ; celte méthode est

recommandée aussi par Jones. Toutefois, les difficultés d'obtenir des

résultats certains avec cette méthode sont probablement assez grandes.

En décembre 1907,Nageotte et Lévy-Valensi ont publié dans les Comptes-

rendus de la Société de biologie une méthode nouvelle pour arriver à

obtenir le nombre absolu des éléments cellulaires dans le liquide céphalo-

rachidien, méthode si simple qu'on s'étonne beaucoup qu'elle n'ait pas

été trouvée auparavant (seul Laruelle, d'après Nageotte et Lévy-Valensi,

l'avait essayée l'année précédente) (1).

La méthode de Naeotte consiste simplement à faire la numération di-

recte sans aucune concentration du liquide, mais après avoir « légèrement

teinté le liquide à l'aide d'un agitateur mouillé trempé dans une solution

filtrée de bleu polychrome ou de cristal violet». Nageotte et Lévy-Valensi

(1) Ce travail était achevé quand nous avons appris par le traité de Nonne sur la

syphilis du système nerveux que des auteurs autrichiens, Fucus et Rosenthal, ont

employé à peu près la môme méthode que Nageotte pour arriver il déterminer le

nombre absolu des éléments cellulaires dans le liquide céphalo-rachidien ; leurs

recherches ont éte publiées en 1904, n'est-tt-dire trois ans avant la publication de Na-

geotte et Lévy-Valensi.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË < 3 381 ;

v z

ont fait la numération dans une cellule construite spécialement à cet effet : p.

Comme nous avions depuis longtemps senti le besoin d'une méthode com- "

mode pour calculer le nombre absolu des éléments cellulaires du liquide

céphalo-rachidien, nous avons aussitôt commencé d'employer la méthode

de Naeotte. Seulement nous avons fait la numération dans la cellule de

Thoma-Zeiss, ordinairement employée pour la numération des globules

blancs du sang. Nous avons calculé que cette cellule mesure 5 millimètres

cubes.

Au début nous avons fait plusieurs fois la numération pour le même

liquide afin de contrôler l'exactitude de la méthode et nous avons trouvé

que les variations des valeurs obtenues étaient faibles, quand le nom-

bre des éléments cellulaires était petit, mais que les variations de-

viennent importantes, quand il s'agit d'un grand nombre de cellules

(100 ou plus par millimètre cube). Voici, par exemple, les résultats de

plusieurs numérations d'un même liquide : 9 ,47, 0, 4.4 et 40 par 3 mii-

limètres cubes. Avec un nombre plus grand de cellules, les erreurs peu-

vent être beaucoup plus grandes. Il est vrai que ces erreurs sont relative-

ment beaucoup plus grandes par exemple que les erreurs dans nos

méthodes denumération des globules du sang, mais toutefois, les erreurs

dans la numération du liquide céphalo-rachidien n'ont que peu d'impor-

tance. A première vue cela semble paradoxal, mais l'explication en est

fournie par ce fait que les variations relatives du nombre des éléments

cellulaires dans le liquide céphalo-rachidien sont très grandes parce que

le nombre normal absolu des éléments cellulaires est très petit et que, par

conséquent, l'augmentation pathologique de ce nombre se produira presque

toujours dans des proportions très élevées. En effet, la question n'est pas'

en général de sàvoir s'il y a 2 ou 3 éléments cellulaires par millimètre

cube (ce qui, d'après Nageotte et Lévy-Valensi, est le nombre le plus

élevé qu'on trouve dans l'état normal des méninges), mais de savoir s'il

y en a à 3 ou s'il y en a un plus grand nombre.

Nous avons employé cette méthode aussi dans un certain nombre de cas

de maladies du système nerveux autres que des cas de poliomyélite aiguë,

par exemple dans des cas de tumeur de l'encéphale, de syphilis, de ménin-

gite séreuse ou tuberculeuse ou encore d'autres maladies. La numération

dans les cas où, dans l'état actuel de la science, le diagnostic ne nous fait

pas présumer une augmentation des éléments cellulaires, constitue évidem-

ment un moyen de contrôler la méthode. Nous groupons ci-dessous dans

un tableau ces recherches pour les cas de poliomyélite aiguë et pour les

autres cas, et nous croyons que la comparaison entre ces chiffres confirme

suffisamment notre conclusion, que les erreurs probablement inhérentes à

cette méthode ne diminuent pas sa valeur pratique.

xxii 26

382 PETHEN ET EHRENBERG

Nous avons retracé l'histoire des malades aussi brièvement que possi-

ble. En général, nous avons surtout insisté sur les renseignements que

nous ont fournis les malades et leurs parents, ou sur les observations que

nous avons faites nous-mêmes sur les premiers symptômes généraux de

la maladie, surtout les symptômes qui pouvaient se rapporter à une mé-

ningite, sur la marche de la maladie au début et, en outre, sur la première

apparition des paralysies au début de la maladie. Quant aux symptômes

que présente la maladie déjà développée, c'est-à-dire les troubles moteurs,

nous ne les avons pas décrits complètement; bien au contraire, nous

avons laissé de côté toutes nos observations détaillées sur l'extension de

la parésie des muscles et des mouvements spéciaux, parce que cela a été

étudié, déjà depuis longtemps, si souvent et si soigneusement qu'un grand

nombre d'observations nouvelles, même décrites avec beaucoup de dé-

tails, n'auraient pas un intérêt spécial. En conséquence, nous nous som-

mes bornés à des indications, aussi courtes que possible sur la paralysie

pour donner une idée générale de son extension. Cette restriction ne con-

cerne que la paralysie des muscles des membres ; quant aux troubles des

muscles du tronc et aux troubles respiratoires, ils n'ont pas été étudiés

jusqu'à présent dans un très grand nombre de cas et nous avons, comme

nous l'avons dit déjà, l'intention de nous en occuper.

Le développement de l'atrophie musculaire et l'état des réflexes tendi-

neux sont traités aussi brièvement que la paralysie des muscles des mem-

bres, et pour les mêmes raisons.

Nous donnons d'abord la plus grande partie des cas que nous avons

observés. Seuls, les cas où la mort s'est produite dans la phase aiguë et

qui à beaucoup d'égards forment un groupe spécial, et aussi un cas avec

une forme unique de paralysie persistante des muscles abdominaux, seront

rapportés dans des chapitres ultérieurs.

Les observations sont réparties en groupes, d'après l'extension de la

paralysie aux membres (un, deux ou plusieurs) au début de la maladie ;

il nous a semblé que c'est ainsi que nous pouvons le plus facilement nous

faire une idée sur l'intensité de l'affection de la moelle. Comme on l'a

déjà dit, les cas qui n'ont pas été traités à la clinique ont été observés par

moi seul (P.)

I. Observations ou les troubles moieurs N'ONT jamais atteint

PLUS D'UN MEMBRE.

a) Observations avec symptômes de méningite.

Observation I. D.E..., garçon, âgé de 4 ans, de Oesterby, entre à la cli-

nique le 2 mars 1907.

La maladie a commencé à la fin de novembre 1906 par de la fièvre, vomis-

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYELITE AIGUË 383

sements, obstruction', mal de tête et aussi troubles de la conscience ; il avait

quelque difficulté à uriner, mais le cathéter n'a jamais été employé. Ces

symptômes ont persisté une semaine. Pendant ce temps le malade avait toute

la colonne vertébrale rigide et immobile et il y avait un opisthotonos prononcé.

Au cours de cette semaine s'est produite une parésie du membre inférieur

gauche, mais les parents ne savent pas quel jour ce symptôme s'est montré.

Etat le 2 mars 1907. - Le malade a une parésie partielle du membre

inférieur gauche, combinée d'atrophie musculaire. Par ailleurs aucun signe

de maladie.

Nous l'avons traité deux mois à la clinique et la parésie ne s'est améliorée

qu'assez faiblement.

Observation II. L. F..., garçon, âgé de 18 ans, de Alunda, entre à la

clinique le 9 novembre 1907.

Après avoir été abattu et indolent pendant deux ou trois jours, le patient est

tombé malade le 2 novembre avec mal de tête et douleurs dans la région lom-

baire,et dans les membres inférieurs. Il dit qu'il avait eu aussi des douleurs

en remuant la tête. Le 3 novembre au soir, une température de 40° était

constatée. Peudant ce jour et le suivant il y avait un certain trouble de la

conscience, mais la température était seulement de 37,15.

Le 6 novembre a été observée une parésie du membre inférieur gauche et

aussi une difficulté à se tenir assis dans le lit ; néanmoins il resta assis sur

une chaise quelque temps les 7 et 8 novembre et il pouvait marcher un peu

avec quelque difficulté.

Etat le 9 novembre. - Les douleurs dans le dos persistent encore. Quand

on essaye de fléchir la tête en avant, il éprouve des douleurs dans la nuque ;

les mouvements latéraux et la rotation du cou s'effectuent librement. Il y a

une parésie partielle du membre inférieur gauche. Le membre inférieur droit

et les membres supérieurs ont une motilité normale. Le malade peut marcher

un peu.

Les douleurs dans le dos et la raideur de la nuque ont disparu pendant le

cours de la première semaine passée à la clinique.

Au commencement de janvier 1908, l'incompétence musculaire du membre

inférieur a augmenté pendant quelque temps, mais depuis que le malade, qui

avait été auparavant debout, est resté quelques semaines au lit, la force mus-

culaire est revenue dans des proportions considérables, mais la parésie n'a pas

disparu.

Observation III. J. J..., fille, 9 ans et demi, du département (laen) de

Kronoberg. ' '

Elle est tombée malade le 9 mai 1905 avec mal de tête et une forte fièvre.

Elle a eu un vomissement et du délire.Ces symptômes ont persisté deux jours ;

quand ils ont disparu, on a observé que l'enfant tenait tout le dos raide et

avait l'opisthotonos de la nuque ; il y avait en outre une paralysie complète du

membre inférieur droit. t,

384 PETREN ET E11RENBERG

Quand je vois la malade le 20 juin 1905, il y a une parésie très étendue et

combinée d'atrophie du membre inférieur droit. Pas d'autres symptômes.

Observation IV. G. L..., fille, 2 ans, de Oestra Noebbeloef.

La maladie a commencé en août 1907 avec de la fièvre; puis est venue une

raideur prononcée de la nuque, et de plus toute la colonne vertébrale est

devenue immobile et fixe. La raideur de la nuque a persisté une semaine.

Pendant ce temps (les parents ne peuvent pas donner de renseignements quant

au moment précis) une parésie du membre inférieur gauche est apparue. Depuis,

la parésie a diminué peu à peu.

Le 2 juin 1908, je vois la malade. L'examen est assez difficile parce qu'elle

essaie de s'y soustraire. En tout cas, elle peut faire tous les mouvements

avec le membre inférieur gauche, et s'il y a une parésie pour quelques mouve-

ments, elle ne peut être que peu considérable. Elle peut marcher, mais boite

un peu à droite. Il n'y a pas d'atrophie musculaire nette.

. Il) Observations sans symptômes de méningite.

Observation V. E. A. E..., fille, âgée de 7 ans et demi, de Bondkyrko-

foersamling, entre à la clinique le 24 mars 1908.

Cette fille est tombée malade soudainement le 10 mars avec mal de tète et

des frissons. Elle est restée au lit 4 jours ; quand elle a quitté le lit, les parents

ont observé qu'elle traînait la jambe droite.

Le 26 mars une ponction lombaire était faite; la pression trouvée était

340 millimètres. Nous avions recueilli 10 centimètres cubes et la pression

était tombée à 260, quand des vomissements nous ont obligé de suspendre

l'opération. Le liquide était clair et la numération des cellules nous a donné

2 lymphocytes par millimètre cube.

Etal le 28 mars. Pas de raideur de la nuque, pas de douleurs quand on

presse sur la colonne vertébrale. L'incompétence musculaire est limitée

surtout à la flexion dorsale du pied droit et des orteils du même pied ; mais

pour les autres mouvements de ce membre il p a aussi une certaine diminu-

tion de la force musculaire. Les muscles abdominaux sont normaux.

La malade a été traitée à la clinique jusqu'au 12 juillet et la parésie s'est

beaucoup améliorée, mais n'a pas disparu.

Observation VI. - G. K..., fille, àgée de 2 ans et demi, de Tuna, entre à la

clinique le 22 août 1908.

Le 13 août cette fille s'est trouvée abattue et avait des vomissements. La

température D'était plus que 37° 5. Le jour suivant l'enfant était faible, mais

pouvait encore marcher. Le 15 août elle ne pouvait plus marcher sans qu'on

l'aidât.

Etat le 'il août. Il n'y a pas d'autres symptômes qu'une faiblesse dans

le membre inférieur gauche, nui est spécialement accusée à la flexion dor-

sale du pied. Dans les autres membres la motilité est normale. Pas de paré-

sie du tronc; elle peut être assise sans difficulté. Elle peut maintenant faire

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 385 l

quelques pas sans appui. Le réflexe patellaire et le réflexe du tendon d'Achille

sont affaiblis à gauche.

L'amélioration faisait des progrès rapides, et quand la fille quitte la clinique,

le 26 septembre, elle marchait bien et il n'y avait plus de parésie bien nette

du pied gauche. Les réflexes tendineux des membres inférieurs sont égaux des

deux côtés.

Observation VIL S. 0..., fille, 4 ans, du département de Kronoberg.

En avril 1905, l'enfant s'est plaint de mal de tète pendant deux jours, mais

elle est restée debout. Immédiatement après les parents ont découvert qu'il y

avait une faiblesse du membre inférieur gauche.

Le 19 juillet de la même année, j'ai vu la fille et j'ai constaté une parésie

combinée d'atrophie du membre inférieur gauche qui s'étend à un assez grand

nombre de mouvements du membre.

Observation VIII. E. N..., fille, 18 ans, du département de Kronoberg.

Le 24 juillet 1905, la fille a eu mal à la tète et est restée au lit un jour.Depuis

elle s'est sentie bien et a resté debout pendant trois jours ; mais alors le mal de

tête et des douleurs dans tout le corps ont recommencé. Ces symptômes avaient

persisté trois jours,quand s'est déclarée une parésie du genou droit et de la han-

che droite. Il n'y avait jamais de raideur de la nuque. La malade n'est pas tout

à fait sûre qu'il n'y ait pas eu aussi une faiblesse des autres membres ; mais, en

tout cas, quand elle s'est levée au bout de deux semaines, il n'y avait qu'une

parésie du membre inférieur droit.

Le 5 juin 1906, j'ai vu la fille et j'ai trouvé une parésie de quelques mouve-

ments du membre inférieur droit, particulièrement une paralysie de ta flexion

dorsale du pied. Cependant elle pouvait marcher assez bien, sans qu'on l'y

aidât. t.

Pendant l'été de 1907, j'ai revu la malade ; les symptômes s'étaient amé-

liorés, mais ils persistent encore. Elle marche assez bien, même pendant

10 kilomètres, si on l'en croit.

La malade dit qu'il est apparu en même temps plusieurs cas de la même

maladie dans la région où elle demeure et aussi que quelques personnes en

sont mortes.

Observation IX. A. P..., fille, 2 ans et demi, de Oestra Noebbeloef.

Elle a eu de la fièvre le 20 août 1907. Le lendemain elle ne pouvait s'ap-

puyer sur la jambe droite. Il n'y a jamais eu de raideur de la nuque.

Le 2 juin 1908, je constate qu'elle peut faire tous les mouvements avec le

membre inférieur droit et peut marcher, mais qu'elle boite un peu. Il y a une

parésie légère pour quelques mouvements du membre inférieur droit, sur-

tout de l'articulation coxo-fémorale. Les muscles de la région fessière se mon-

trent un peu réduits. Le réflexe patellaire existe, seulement il est un peu affai-

hli à droite.

3M PETREN ET EIIREN13ERG

II. Observations ou LES TROUBLES MOTEURS (au MOINS au DÉBUT DE la IAL : 1-

DIE) ONT atteint DEUX membres (dans TOUS LES cas, LES membres inférieurs),

a) Observations avec symptômes de méningite.

Observation X. - A. V. A..., fille, âgée de 7 ans, de Jaerlaasa, entre à la

clinique le 19 mars 1908. -

J La maladie a commencé le 12 mars par un mal de tête et des frissons. De-

) puis ce jour là elle est restée au lit. La parésie des membres inférieurs a

apparu le 15 mars, et pendant le même jour chaque mouvement de ces mem-

bres a complètement disparu. Depuis le 17 mars les parents n'ont pu asseoir

la fille dans le lit, parce que tout essai de le faire a provoqué des douleurs très

vives.

Etat le 19 mars. - Il y a une raideur marquée de la nuque. La pression

sur la colonne vertébrale ne cause pas de douleurs. Le signe de Kernig est

présent.

I On trouve une parésie des membres inférieurs, qui cependant n'est plus

complète ; elle est plus développée dans la région des hanches et des cuisses.

\ Les muscles abdominaux sont flasques et évidemment parétiques. Aussi la

malade ne peut-elle se tenir assise dans le lit.

La ponction lombaire montre une pression de 280 millimètres ; nous avons

prélevé 12 centimètres cubes d'un liquide clair et la pression tombe à 220 mil-

limètres. Le liquide contient 48 lymphocytes par millimètre cube, et pas d'au-

tres éléments.

Le 23. mars, nouvelle ponction lombaire. La pression, de 230 millimètres

s'abaissa à HO millimètres ; nous avons trouvé 8 lymphocytes par millimètre

cube.

Le 1er avril une ponction lombaire a donné une pression de 240 millimètres.

Nous avons pris 10 centimètres cubes. Le liquide contient 2 à 3 lymphocytes

par millimètre cube.

Le 8 avril les muscles abdominaux sont encore assez parétiques, mais le

5 mai, nous constatons une amélioration marquée et la malade peut s'aider un

peu elle-même, quand on la fait asseoir ; maintenant on peut aussi sentir que

les muscles abdominaux se contractent.

En août elle peut marcher assez bien sur un plancher. La parésie des mem-

bres inférieurs est restreinte à quelques groupes de muscles seulement. Elle

ne peut s'asseoir dans le lit sans s'aider des bras ; il faut remarquer que les

fléchisseurs des cuisses sur le bassin sont aussi parétiques.

Le 19 mars 1909, nous revoyons la malade. Elle peut maintenant bien

marcher sans qu'on observe aucun trouble. L'examen détaillé de la motilité des

membres inférieurs nous révèle qu'il y a une certaine diminution de force pour

quelques mouvements seulement. Cette diminution de force n'est d'ailleurs

pour aucun mouvement considérable. La masse des muscles n'est pas sensible-

ment réduite.

Quand nous essayons de faire s'asseoir la malade couchée, elle peut le faire

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XLIII

POLIOMYÉLITE AIGUË

(K. Petren et L. Ehrenberg).

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË S7

sans s'aider des bras, pourvu seulement qu'on la soutienne très légèrement. A

en juger par cette observation, on pourrait facilement conclure que la motilité

des muscles abdominaux doit être presque normale, mais un examen plus dé-

taillé nous révèle un certain nombre de symptômes concernant les muscles

abdominaux. Si l'on examine par palpation les muscles abdominaux quand

l'enfant couchée essaye de s'asseoir, on constate que les parties supérieures du

grand droit au-dessus de l'ombilic se contractent d'une manière normale. Quant

à la partie du muscle au-dessous de l'ombilic, on la trouve bien développée à

gauche ; à droite on peut également sentir des faisceaux musculaires contractés,

mais la masse du muscle en cet endroit est beaucoup moindre à droite qu'à

gauche et il nous semble que c'est à droite plutôt la partie médiane du muscle

qui est conservée.

Déjà quand l'enfant est couchée sur le dos, au repos, on remarque que le

bord inférieur du thorax est plus proéminent à droite qu'à gauche. Cette asy-

métrie s'augmente quand elle essaye de s'asseoir ou, soutenue aux aisselles, de

hausser ses genoux (voy. PI. XLIII),et si l'on examine la paroi abdominale par

la palpation pendant ce temps, on constate que le grand oblique ne se contracte

que très peu à droite ; à gauche la contraction de ce muscle est plus prononcée,

mais beaucoup plus faible que dans les conditions normales. Dans la partie

inférieure de la paroi abdominale également, on remarque une asymétrie

quand les muscles abdominaux sont contractés ; car pendant ce temps se mon-

tre à droite une proéminence assez bien délimitée comprenant l'espace situé

entre le bord externe du grand droit et le bord antérieur de l'os iliaque et

ayant presqne l'aspect d'une hernie. Ces parties de la paroi abdominale (qui

correspondent aux petits obliques) sont assez flasques quand elle essaie de

faire la contraction des muscles abdominaux ; ce manque de contraction des

petits obliques est plus prononcé à droite qu'à gauche.

Nous avons pratiqué l'examen électrique avec le courant induit. Au grand

oblique gauche nous obtenons des contractions assez vives, mais à droite nous

avons seulement de petites traces de contractions. Aux parties inférieures des

grands droits nous voyons des contractions à peu près normales à gauche,

mais à droite seulement des contractions presque insensibles. Dans la région

des petits obliques située au-dessus du ligament de Pourpart, nous n'obte-

nons que de faibles contractions. Dans les régions latérales du tronc entre

la crête iliaque et le bord du thorax, nous voyons des contractions très vives

(ici on voit également de vives contractions de la musculature sous l'influence

de la volonté) ; à en juger d'après la direction dans laquelle la peau s'y meut.

on serait tenté de conclure qu'il s'agit d'une contraction du transverse de

l'abdomen, mais nous ne croyons pas qu'on puisse éliminer avec certitude une

contraction de la partie correspondante du grand oblique (et également du

petit oblique).

L'enfant peut sans aucune difficulté se pencher en avant et se relever, par

exemple pour ramasser quelque chose sur le plancher. Pas de réflexes abdo-

minaux.

388 PETREN ET EHRENBERG

Observation XI. - J. L..., étudiant en médecine, âgé de 20 ans, de Upsala,

entre à la clinique le 22 janvier 1909.

Le patient a été indisposé le 18 janvier. Le jour suivant il avait de petits

frissons et a ressenti de la douleur dans le côté droit de l'abdomen. Le 20jan-

vier, une céphalalgie intense et des frissons plus prononcés ont commencé. La

nuit suivante il avait des douleurs lombaires. Le 21 janvier il avait des sensa-

tions intenses de malaise, mais pas de douleurs nettes. Pendant la nuit sui-

vante les douleurs lombaires ont encore apparu. Dans la dernière partie de cette

nuit il s'est levé et on a observé que le membre inférieur s'est fléchi.

Le 22 janvier, au matin, il ne pouvait plus s'appuyer sur ses jambes et leur

incompétence musculaire a augmenté dans le cours de la journée.

Etat le 22 janvier au soir. 11 y a une raideur prononcée de la nuque.

Le signe de Lasègue-Kernig est bien développé, car les membres inférieurs ne

peuvent être levés que jusqu'à un angle de 30° environ, quand les genoux sont

étendus. Il y a des douleurs, d'ailleurs assez médiocres, si l'on exerce une

pression sur la colonne.

Il y a une parésie considérable des membres inférieurs, qui est manifeste

pour tous les muscles, mais qui est moins développée pour les extrémités des

membres. On ne peut sentir aucune contraction des muscles abdominaux, quand

il lève la tête. En conséquence il ne peut s'asseoir ni rester assis. Les réflexes

abdominaux ont disparu. Quand on le lui demande, il peut faire des inspira-

tions costales assez grandes, mais la force de sa toux est nettement affaiblie. Il

y a parésie de la vessie et le malade est cathétérisé régulièrement.

Une ponction lombaire est faite le 23 janvier. La pression était de 90 milli-

mètres ; nous avons trouvé 170 cellules par millimètre cube, dont 42 0/0 étaient

des leucocytes, les autres des lymphocytes.

Le 23 janvier au matin, la température est de 39°8. Ensuite la température a

baissé progressivement pendant trois jours et a été normale le 26 janvier et tous

les jours suivants. D'ailleurs son état ne s'est amélioré que très lentement.

Le 27 janvier, une nouvelle ponction lombaire a été faite. La pression était

de 120 millimètres. La numération nous donne 22 à 25 cellules par millimètre

cube, et il n'y a maintenant que deux leucocytes par millimètre cube, le reste

étant des lymphocytes.

Le 29, le malade commence à uriner spontanément.

Etat le 10 février. La raideur de la nuque, qui n'a diminué que très

lentement, est maintenant disparue, car on peut fléchir la tête en avant dans

des proportions normales, mais en tout cas le dernier stade de ce mouvement

cause un peu de douleur. Il semble marquer toujours de la douleur si l'on

presse sur la partie inférieure de la colonne vertébrale. On ne peut soulever- le

malade pour l'asseoir, parce que de vives douleurs s'éveillent quand on a sou-

levé le tronc à un angle de 30°.

La parésie des membres inférieurs est presque la même que dans l'état du

22 janvier, ou tout au moins il n'y a pas de différence bien nette. Il est toujours

impossible d'observer aucune contraction des muscles abdominaux Les réflexes

abdominaux n'existent pas. Les mouvements respiratoires semblent maintenant

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 389

être normaux. Le symptôme de Keruig-Lasègue est manifeste pour les deux

membres inférieurs.

Etat le 6 mai. La raideur du dos a maintenant disparu ; au moins on

peut soulever le tronc dans le lit à un angle de 90°, et de même on ne trouve

plus le signe de Lasègue. Depuis un mois nous avons fait asseoir le malade

dans un fauteuil, d'abord seulement quelques moments, mais maintenant il

peut rester une heure. Nous constatons alors qu'il peut se tenir assis sans

s'aider des bras si le tronc a une position verticale ou plutôt si la verticale du

centre de gravité tombe entre les points d'appui du tronc. Mais si l'on fait

pencher le tronc en arrière, même très peu, il tombe comme une masse ;

toutefois, pendant les semaines où il a été assis, il lui est devenu possible de

faire des mouvements peu à peu un peu plus grands sans tomber. Par consé-

quent, il y a maintenant un petit rayon dans lequel il peut mouvoir librement

le tronc sans s'aider des bras, mais cette région est encore très restreinte.

Comme on le voit, ces observations prouvent qu'il ne peut exister qu'une

force très petite des muscles abdominaux. Quand j'ai voulu faire un examen

correspondant pour les muscles du dos, les extenseurs du tronc, nous avons

rencontré un phénomène en effet très curieux : assis dans le fauteuil il ne

peut se fléchir qu'assez peu en avant, parce que des douleurs du dos l'en

empêchent. Il est bien naturel que nous ayons d'abord expliqué ce fait comme

la conséquence d'un reste encore persistant de la raideur du dos. Mais un

jour nous avons découvert qu'il peut se fléchir en avant beaucoup plus, quand

il s'appuie sur ses bras. En conséquence, il faut conclure que les douleurs du

dos sont causées par son essai d'employer les muscles parétiques du dos.

Le malade peut maintenant tousser assez bien. Il fait d'abord une inspira-

tion abdominale profonde, c'est-à-dire que tout l'abdomen se distend considé-

rablement; puis, quand il tousse, l'abdomen diminue si rapidement et d'une

façon si distincte qu'on ne peut l'expliquer qu'en supposant que les muscles

abdominaux se sont contractés, quoique on ne puisse pas le sentir avec certi-

tude en touchant la paroi abdominale. La force des mouvements des pieds est

maintenant assez améliorée, mais la parésie des mouvements des genoux et des

cuisses sur le bassin est encore très considérable.

A l'examen électrique des muscles abdominaux nous avons obtenu avec le

courant induit aux parties supérieures des grands droits et aux grands obliques

de petites traces de contraction qui cependant nous semblent certaines. Aux

autres parties des muscles abdominaux nous n'avons vu aucune contraction.

Observation XII. F. J..., fils d'un paysan, 18 ans, du département de

.Taenkceping.

En août 1905, il est tombé malade avec mal de tête, spécialement dans la

nuque. Il y avait aussi une raideur de la nuque et le malade tenait la tête

fléchie en arrière. De plus, il avait des douleurs lombaires. Ces symptômes ont

persisté à peu près une semaine ; puis sont venues des douleurs des cuisses et

c'est seulement alors que ie malade s'est alité. Au dire du malade les membres

inférieurs étaient alors raides et les mouvements qu'il faisait lui causaient des

douleurs ; ces symptômes ont duré presque une semaine. Pendant ce temps

390 PETREN ET EHRENBERG

une paralysie de tout le membre inférieur droit s'est déclarée ; de plus, il y

avait une parésie du membre inférieur gauche, qui a cependant disparu au

bout de 'deux semaines. La motilité du membre inférieur droit s'est améliorée

peu à peu.

Quand j'examine le malade, le 22 juin 1907, je ne peux trouver aucun autre

symptôme que celui-ci : la cuisse droite est moins large que la gauche. Il n'y

a aucun autre symptôme sûr. Il ne boite pas à droite et je ne peux constater

aucune diminution de force pour les mouvements du membre inférieur

droit.

Observation XIII. - 1. M..., restauratrice, 36 ans, du département de Kro-

noberg.

Il y a maintenant trois ans qu'elle est tombée malade avec de la fièvre, mal

de tête (surtout douleurs dans la nuque) et des vomissements ; elle tenait la

tête fléchie en arrière. Il y avait encore des douleurs dans tout le corps. Les

symptômes ont apparu soudainement ; les symptômes généraux, comme la

fièvre, etc., n'ont duré qu'un jour.mais au cours du même jour une parésie est

apparue ; car lorsqu'elle a essayé de se mettre debout; elle est tombée et n'a

pu marcher. Cependant, le lendemain, elle a pu se tenir debout. Le surlende-

main il y avait une paralysie complète des membres inférieurs et du tronc ou

tout au moins de la partie inférieure du tronc ; car lorsqu'on a essayé de la

mettre sur son séant dans son lit, elle est tombée comme une masse en arrière

sans pouvoir opposer la moindre résistance. Pas de symptômes en ce qui con-

cerne les membres supérieurs. Pas de paralysie de la vessie. Pendant ce temps

là des douleurs sont venues dans les membres inférieurs et dans le tronc, et

ont duré deux ou trois mois. Depuis, lors l'état de la malade a toujours conti-

nué de s'améliorer.

Quand j'examine la malade le 10 juin 1908, je trouve qu'il n'y a que très

peu à noter quant aux fonctions des muscles des membres inférieurs. Cepen-

dant, elle opère l'extension du genou droit, la flexion de la cuisse droite sur le

bassin et la flexion dorsale du pied gauche avec moins de force que de l'autre

côté ; pourtant, la force de ces mouvements est loin d'être très petite, elle est

seulement un peu affaiblie. En conséquence, elle marche aussi assez bien. Le

réflexe patellaire a disparu à droite, mais il est normal à gauche. Les réflexes

du tendon d'Achille sont normaux des deux côtés.

Couchée, elle ne peut s'asseoir sans y être beaucoup aidée ; mais si, étant

assise, elle veut se coucher, elle peut d'abord opposer une certaine résistance

et, en conséquence, exécuter le mouvement lentement, pourtant, quand elle a

presque atteint la position horizontale, elle lombe lourdement sans être capa-

ble de faire une résistance appréciable. Toutefois, assise, elle peut faire des

flexions latérales du tronc, mais si l'on oppose de la résistance quand, étant

assise, elle s'est fléchie en avant et essaye de se relever, on peut constater

une parésie assez considérable des muscles dorsaux, extenseurs du tronc. En

palpant les muscles abdominaux, quand elle essaye de les contracter, on cons-

tate qu'ils se contractent mal, mais toutefois on peut sentir une certaine con-

traction des deux grands droits. '

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 391 1

La malade est traitée pendant quelques semaines par des exercices métho-

diques des mouvements du tronc (comme de la faire lentement s'asseoir, quand

elle est couchée en l'aidant autant qu'il est nécessaire, et de la faire se recou-

cher lentement et lui faire faire aussi les exercices correspondants des muscles

du dos). Nous constatons une amélioration prononcée et le 1er juillet elle peut

s'asseoir, presque sans s'aider des bras.

b) Observations sans symptômes de méningite.

Observation XIV. L. E..., fille, âgée de 5 ans, d'Upsala, entre à la clinique

le 5 février 1908.

Après avoir été dérangée pendant deux ou trois jours, elle s'est alitée le

25 décembre. Le jour suivant le médecin a constaté une parésie des membres

inférieurs. Il ne semble pas qu'elle ait eu ni mal de tète, ni raideur de la

nuque ni douleurs prononcées, mais les indications des parents sont contradic-

toires.

Etat le février. - Il y a maintenant une paralysie presque complète du

membre inférieur droit et une parésie du gauche. Dailleurs pas de symptômes,

pas de raideur de la nuque, ni de douleur si l'on presse sur la colonne verté-

brale.

Observation XV. A. J..., fille, 8 ans, du département de Kronoberg.

La maladie a commencé en avril 1905 par un mal de tête et de la fièvre. De-

puis (les parents ne savent pas depuis combien de temps) une parésie des

membres inférieurs s'est déclarée, mais a disparu à gauche au bout de peu de

temps.

Quand j'ai vu la malade le 21 juillet de la même année, il y avait parésie et

atrophie très étendues dans le membre inférieur droit. J'ai revu la malade le

1°r,juin 1906 et trouvé la parésie assez améliorée, mais non disparue.

II1.- Observations ou LES troubles moteurs (du moins au début de la maladie)

ONT atteint trois membres ou les quatre membres.

a) Observations avec des symptômes de méningite.

OBSERVATION XVI. - H. L..., garçon, figé de 16 ans, d'Upsala, entre la

clinique le 22 septembre 1907.

Le 11 septembre il avait mal à la tête et fut obligé de quitter l'école. Le

lendemain il pouvait encore rester debout chez lui, mais il avait une céphalal-

gie intense et peut-être quelques petits frissons. Dans la nuit du 12 au 13 sep-

tembre, la céphalalgie avait encore augmenté ; il avait des vomissements et il

a remarqué pendant la même nuit que ses jambes étaient faibles, quand il a

essayé de quitter le lit. La nuit suivante, une paralysie complète des deux mem-

bres inférieurs s'est déclarée ; il y avait aussi alors une certaine raideur de la

nuque. Pendant les journées du 14 et du 15 septembre, la parésie s'est étendue

aussi aux membres supérieurs, spécialement au droit, et il ne pouvait ni

s'asseoir ni rester assis sans être aidé. Pendant les jours suivants le malade a

392 PETRÉN ET EHRENBERG

quelquefois observé qu'il avait une certaine difficulté à respirer et ne pouvait

faire des mouvements respiratoires aussi profonds qu'auparavant, mais il n'a

jamais eu une dyspnée nette ! Pas de troubles dans la motilité de la vessie ou

du rectum. ' .

Elat le 22 septembre. - Pour les membres inférieurs, le malade ne fait que

quelques mouvements minimes des pieds et des orteils. Il y a une parésie du

tronc. Le malade a perdu quelques-uns des mouvements de l'épaule droite;

avec le bras gauche il peut faire tous les mouvements, mais la force en est

diminuée.

Le malade a quitté la clinique déjà au bout de deux semaines. Quant à son

état postérieur, je sais seulement par des parents du malade que la motilité a

toujours (février 1909) été en s'améliorant.

Observation XVII. - G. V. S..., garçon, âgé de 4 ans, d'Ultuna, entre à la

clinique le 12 novembre 1907.

' Le 9 novembre il a été malade et s'est plaint d'un mal de tête. Le lendemain

il est resté au lit, et le 11 novembre, le père du malade tenant son fils sur ses

genoux a observé qu'il avait la tête fléchie en arrière et qu'il évitait de la flé-

chir en avant. Le même jour la parésie des membres inférieurs et de la vessie

a commencé.

Etal le 12 novembre. - Il y a une paralysie presque complète du membre

inférieur droit et une parésie du gauche. Pour les membres supérieurs, il n'y

avait qu'une incompétence légère du bras droit, qui a disparu en peu de temps.

Les réflexes abdominaux persistent, mais il y a une parésie des muscles abdo-

minaux, puisque le malade ne peut se tenir assis.

Il y a une raideur prononcée de la nuque et aussi opisthotonos. Le malade

éprouve de la douleur quand on presse n'importe quel point de la colonne ver-

tébrale. Le malade a mal de tête.

Ces derniers symptômes ont subsisté pendant une semaine. Cependant la

raideur de la nuque persiste encore à un certain degré le 4 décembre.

La paralysie de la vessie avait disparu au bout de deux jours.

Le 15 décembre, la motilité du membre inférieur gauche est normale. Pen-

dant le mois de février 1908, le malade a commencé de marcher s'il est soutenu

aux aisselles. Quand il sort de la clinique, le 6 mars, il y a encore une parésie

considérable dans le membre inférieur droit, combinée d'atrophie.

Observation XVIII. L. K..., fille, âgée de 2 ans et demi, de Tuna (jumelle

de la fille de l'observation VI), entre à la clinique le 22 août 1908.

Le 7 août elle était indisposée et avait des vomissements ; le jour suivant il

y a de la fièvre et le soir on observe une parésie du membre inférieur droit. Le

9 août apparaît aussi une parésie du membre inférieur gauche et du bras droit.

Elat le 22 août. La malade a tout le dos raide. Il y aune paralysie des

deux membres inférieurs et une parésie de la main droite. Elle ne peut se

tenir assise dans le lit.

Le 3 septembre,une ponction lombaire est faite. La pression était 100 milli-

mètres ; le liquide était mêlé de sang, et à cause de cela une numération des

éléments cellulaires n'a pas été faite.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 393

La motilité de la malade ne s'est améliorée que très lentement,et maintenant

(en février 1909) la parésie du bras droit et du tronc ont disparu, mais la mo-

tilité des membres inférieurs n'est que très peu développée.

Observation XIX. E. A. J..., fille, âgée de 16 ans, de Staby, entre à la

clinique le 24 août 1908.

Un frère de la jeune fille est tombé malade le 20 août avec des symptômes

semblables et est mort le 23 août.

La maladie de la fille a aussi commencé le même jour (le 20) avec mal de

tête, frissons et douleurs le long du dos, depuis la nuque jusque vers la région

sacrée. Le 22 août une parésie du membre inférieur gauche s'est montrée le

matin et, le soir, une parésie du bras droit ; le même jour ont apparu des

difficultés à uriner. Le jour suivant la parésie s'est étendue au membre infé-

rieur droit ; le même jour un médecin a trouvé une raideur légère de la nuque,

quelque difficulté à respirer et le pouls d'une fréquence de 120.

Etat Ze24 août. Il' y a une raideur de la nuque, qui n'est pas intense.

Dans la région cervicale de la colonne vertébrale il a des douleurs pour toute

pression que l'on exerce, mais ce n'est pas le cas pour les autres parties de la

colonne vertébrale. Les ganglions sous-occipitaux sont uu peu gonflés et

douloureux à la pression.

Les membres inférieurs sont complètement paralysés. Il y a aussi parésie

de la vessie et du rectum. Les muscles abdominaux sont tout à fait flasques ;

on ne peut sentir aucune contraction, quand la malade essaie de lever la tête

et les épaules. Les réflexes abdominaux ont disparu. Il y a une parésie des

deux bras très prononcée. La respiration est très difficile ; la fréquence 28.

Pas de symptômes bulbaires (il y a toutefois dyspnée). Le pronostic de la

maladie semble être très incertain.

Le 25 août une ponction lombaire était faite ; nous avons trouvé une pression

de 200 millimètres, qui s'est abaissée à 100. Le liquide était clair et la numé-

ration a donné 120 lymphocytes par millimètre cube.

Le 26 août la respiration est devenue encore plus difficile et nous avons

redouté une issue défavorable. Cependant, le lendemain, la- respiration était

plus facile et la raideur de la nuque avait disparu. Le 28 août, la malade

qui avait été jusque-là cathétérisée, commence à uriner spontanément.

Le 3 septembre, nous avons fait une nouvelle ponction lombaire, qui a donné

une pression de 120 millimètres, un liquide clair et 16 lymphocytes par

millimètre cube.

La convalescence a été très lente. Le 3 janvier 1909, il n'y avait que des

mouvements minimes dans les membres inférieurs. On ne peut encore sentir

aucune contraction des muscles abdominaux, quand on fait essayer à la ma-

lade de relever la tête. Elle ne peut point du tout rester assise. La parésie des

membres supérieurs est encore très prononcée, surtout pour les mouvements

des épaules.

Le 18 janvier la malade est brusquement atteinte d'une pneumonie lobaire

394 PETREL ET EHRENBERG

double. Pendant cette maladie il apparaît très nettement que la force des

mouvements respiratoires est encore beaucoup affaiblie ; aussi lui est-il presque

impossible de tousser.

En effet, il semble que la respiration ait empiré pendant la pneumonie, parce

que la maladie emploie surtout les muscles du cou auxiliaires de la respiration ;

en tout cas, ce fait n'est pas apparu auparavant de façon aussi nette. Malgré

une fièvre médiocre (entre 38° et 39°2), elle meurt au bout de 4 jours.

Observation XX. J. L..., élève officier, 19 ans, de Vexia.

La maladie a commencé le 4 février 1905, dans une école militaire ; d'abord

sont venues des douleurs dans la nuque, la fièvre s'est déclarée un peu plus

tard et il est resté au lit une semaine. Pendant ce temps la parésie de l'épaule

droite est apparue d'abord, mais sans douleurs. Quelques jours après il a res-

senti des douleurs dans les jambes et a observé aussi une faiblesse des jambes.

Les douleurs ont persisté trois semaines, mais la faiblesse a disparu en peu de

temps.

Etal le 4juin 1905. - Il y a une parésie combinée d'atrophie d'un certain

nombre des muscles de l'épaule droite et du bras droit au-dessus du coude.

Pas de troubles des membres inférieurs.

Le 20 février 1907, je vois encore le malade. La parésie de l'épaule droite

et du bras droit a disparu en grande partie, car maintenant on ne peut cons-

tater qu'une parésie pour la rotation du bras en dehors et une certaine réduc-

tion du petit rond et du sous-épineux.

En avril 1909 je revois le malade, mais sans pouvoir l'examiner; il décla-

re que l'épaule n'a pas encore une force normale.

Observation XXI. - A, J..., ouvrier, âgé de 21 ans, du département de

Kronoberg.

Pendant l'automne de 1905, il est tombé malade avec une forte fièvre, des

douleurs dans la nuque et le long du dos, mais n'a pas eu, dit-il, de raideur

de la nuque. La paralysie est venue au bout de quatre jours et a atteint les

membres inférieurs, le tronc et le bras gauche.

Pendant les deux semaines suivantes il a eu des douleurs intenses dans les

membres inférieurs et un peu de douleurs lombaires. Depuis l'amélioration a

commencé et a toujours continué.

Le 30 juin 1908, je vois le malade et je constate qu'il y a une parésie très

répandue dans les deux membres inférieurs et une parésie du bras gauche,

surtout de l'épaule. Les muscles du tronc sont normaux,du moins à peu près.

a) Observations sans symptômes de méningite.

Observation XXII. M. M..., âgée de 2 ans 4 mois, fille de Gladsax.

Quand l'enfant avait 7 mois, elle est tombée malade avec une fièvre qui a

persisté un jour et demi. Immédiatement après cette fièvre les parents ont ob-

servé une paralysie des membres inférieurs et supérieurs qui n'a pas disparu

depuis. 1

Etal le 23 juin 1905. - Il y a une parésie des membres supérieurs et

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 895

inférieurs plus prononcée pour ces derniers. La malade ne peut se tenir sur

ses jambes, si on ne l'y aide pas. Il y a une lordose de la partie inférieure de

la colonne vertébrale et il faut évidemment conclure à une parésie de la mus-

culature du tronc. ,

Dans la région où cette malade demeure, il y a eu presque en même temps

cinq autres cas analogues. Cependant la fille a quatre frères et soeurs plus âgés

qui n'ont pas été atteints.

OBSERVATION XXIII. S. P..., paysan, 36 ans, de Werum.

En octobre 1905,la maladie a commencé par un mal de tête très violent, qui

a continué les cinq jours suivants, pendant lesquels le malade a été alternative-

ment sur pied et au lit, Ensuite il a éprouvé une difficulté à mouvoir le mem-

bre supérieur droit. Le lendemain, une paralysie réelle-de ce membre et un

commencement de parésie du membre inférieur droit se sont déclarés ; les

douleurs dans la tête se sont aggravées, particulièrement dans la nuque. Le

malade dit qu'il a eu quelques secousses des membres pendant ces jours-là. Le

jour suivant une parésie des deux membres gauches a également commencé.

Depuis, l'incompétence musculaire a continué à augmenter pendant quelques

jours, presque pendant une semaine, d'après le malade. Il y avait alors une

paralysie de la vessie et il a été cathétérisé une semaine. Le malade croit qu'il

n'y a pas eu de parésie du tronc plus prononcée. Des douleurs dans les mem-

bres inférieurs ont apparu quelques jours après le commencement de la paré-

sie. Le malade est resté au lit jusqu'à Noël. Son état s'est amélioré peu il peu.

Le 2 juillet 1906,je trouve une parésie des deux membres inférieurs qui est

plus prononcée à droite. Il y a aussi une parésie des deux membres supérieurs

qui est plus étendue à droite.Les muscles paralysés montrent une atrophie très

prononcée. En regardant de plus près l'extension de la paralysie, on constate

que ces symptômes ne vont pas en augmentant régulièrement vers les extré-

mités des membres. C'est ainsi qu'il existe une paralysie complète de l'épaule

droite, pendant que les mouvements de l'avant-bras droit sont en partie con-

servés. La force de la musculature du tronc est normale.

Le 6 juin 1907, je revois le malade. L'amélioration de la parésie a fait des

progrès très remarquables ; les mouvements du membre inférieur gauche sont

presque normaux, mais pour le reste la parésie a en général la même extension,

malgré qu'elle ait diminué.

Observation XXIV. O.J..., polisseur de verre, 26 ans, du Massachusetts

(Etats-Unis).

La maladie a commencé ily a trois ans et demi. En premier lieu il y a eu des

douleurs dans l'abdomen à droite, près de l'ombilic. Il n'y avait pas alors

d'obstruction. Le malade est resté debout encore deux ou trois jours ; puis des

douleurs lombaires sont apparues et il a été obligée de rester au lit. Alors des

douleurs sont venues « dans tout le corps ». Cet état a persisté trois jours ;

le troisième jour la paralysie est venue et en même temps les douleurs se sont

apaisées. La paralysie a été complète dans les deux membres inférieurs, sauf

qu'il pouvait remuer un peu les orteils d'un pied ; il y avait encore une para-

396 PETRÙN ET EHRENBERG

lysie du tronc et une parésie très prononcée des membres supérieurs.Les mou-

vements du cou ont également été affaiblis. Autant qu'on en peut juger d'après

les indications du malade, il n'y a pas eu de symptômes bulbaires. Cet état a

persisté 3 à 4 mois et pendant tout ce temps il n'a jamais été tout à fait exempt

de douleurs. Depuis l'amélioration a commencé et a toujours continué à faire

des progrès mais très lentement.

Le 4 juin 1908, j'examine le malade et je trouve une paralysie complète de

quelques-uns des mouvements des membres inférieurs ; cette paralysie n'est

pas symétrique et elle n'augmente pas régulièrement en allant des racines vers

les extrémités des membres : par exemple, les mouvements des cuisses sur le

bassin sont plus affaiblis que ceux des genoux. La force des muscles de l'ab-

domen est normale, les réflexes abdominaux persistent et ne sont pas affaiblis.

Il a une paralysie de presque tous les mouvements des deux épaules avec

une atrophie très prononcée des muscles. On constate aussi une parésie du

biceps brachial des deux côtés. Le volume des autres muscles des bras est

normal.

Le cas suivant a été observé pendant un temps assez long à la clinique

médicale de l'Université de Lund. Des renseignements sur l'état du ma-

lade pendant ce temps nous ont été communiqués par M. le docteur Haff-

ner, interne à la clinique, et nous lui en exprimons nos meilleurs remer-

ciements.

Observation XXV. - E. P..., étudiant en médecine, âgé de 21 ans, de

Lund.

En mai et en juin 1907, le patient, qui faisait alors son service militaire

comme médecin, a été en contact avec un soldat malade qu'on supposait atteint

d'une poliomyélite aiguë. Toutefois, E. P... a été par la suite tout à fait sain.

Le 12 octobre 1907, la maladie a commencé par des frissons et mal de tête,

surtout dans la nuque; il s'est senti abattu, mais est resté debout. Le lende-

main il s'est senti plus malade et s'est mis au lit; il avait encore mal à la tête

et aussi de la fièvre. Un médecin a cru qu'il avait une grippe. Le 1 octobre

se sont déclarées une faiblesse des membres inférieurs et une paralysie de la

vessie, qui a fait qu'on a été obligé de le cathéténser. Le lendemain la paralysie

des membres inférieurs est complète. La céphalalgie a disparu, mais il avait

des douleurs dans le dos, surtout entre les épaules, et aussi dans les membres

inférieurs. Ensuite, l'état du malade a persisté presque identique pendant une

semaine ; seuls les troubles moteurs de la vessie ont disparu au cours de cette

semaine. La fièvre a continué cette même semaine, avec un maximum de

39°.

Le 23 octobre l'état du malade a empiré; une faiblesse des membres supé-

rieurs a apparu et aussi une certaine difficulté à respirer. Le malade lui-même

dit maintenant qu'il ne pouvait alors faire des inspirations profondes. Cette

difficulté de respirer n'a duré que quelques jours. Le malade lui-même a ob-

servé qu'il y avait alors une parésie du tronc qui n'a pas disparu aussi vite.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYELITE AIGUË 397

La fièvre a continué pendant six semaines à partir du commencement de la

maladie. Il a eu des douleurs très intenses de l'épaule gauche qui ont duré

deux mois ; dans les autres parties du corps les douleurs n'ont pas été fortes

et elles ont disparu beaucoup plus tôt.

Le malade est traité à la clinique médicale de Lund du 7 janvier 1908

jusqu'au 1er juillet. Au début, en janvier, on constate l'état suivant :

la paralysie des membres inférieurs est encore complète et combinée avec une

atrophie marquée. Le malade ne peut s'asseoir dans le lit sans qu'on l'y aide,

et, s'il est assis, la partie supérieure du tronc tombe en avant et il ne peut la

relever. Il semble aussi y avoir une atrophie de la masse commune des muscles

du dos. Il y a une parésie des deux épaules, mais les mouvements des doigts

sont normaux. Pas de réflexes tendineux des bras.

Pendant les mois suivants la motilité des membres inférieurs commence

à revenir. La parésie de la musculature du dos continue d'être très pro-

noncée.

En. mai il commence à pouvoir se tenir sur ses pieds et à faire quelques pas,

si. on le soutient ; mais il ne peut encore tenir le dos droit, et la partie supé-

rieure tombe en avant, s'il n'est pas soutenu.

Le 2 juillet 1908, je vois le malade et constate qu'il peut faire tous les

mouvements des membres inférieurs, sauf l'extension des genoux, mais la

force de la plupart de ces mouvements est très faible. En général, les mou-

vements des pieds sont mieux conservés. La motilité du membre supérieur

droit est normale, mais il y a encore une parésie de l'épaule gauche et, du

même côté, une atrophie du deltoïde et du trapèze. Il y a une parésie consi-

dérable des muscles abdominaux et on constate encore presque la môme

impossibilité pour le malade à tenir le tronc droit sans que la partie supérieure

tombe en avant. Il peut marcher un peu avec beaucoup de difficulté, mais il

ne peut encore le faire tout à fait sans aide.

En examinant les histoires de ces malades, un fait nous frappe en pre-

mier lieu, sur lequel je veux insister : c'est la régularité arec laquelle les

symptômes généraux se présentent au début de la maladie avant l'appari-

tion de la paralysie. Il .n'y a qu'un seul cas (XIV) sans indication nette

de symptômes généraux quelconques, et, dans ce cas, les renseignements

donnés par les parents étaient évidemment contradictoires.

Les symptômes généraux de la phase initiale ont été les symplômes

bien connus.et partout décrits : sensation générale de malaise et d'abatte-

ment, fièvre, mal de tôle (le phénomène le plus constant), vomissements

(indiqués 7 fois) et aussi troubles de la conscience (indiqués 4 fois), etc.

On sait cependant qu'on a signalé des cas où ces symptômes n'auraient

pas existé (Pierre Marie et d'autres). Néanmoins, la présence à peu près

constante de ces symptômes généraux au début de la maladie est si nette

qu'ils ont une importance considérable pour le diagnostic différentiel ;

c'est-à-dire que, si nous nous trouvons en présence de cas où le diagnos-

xxii 27

398 PETREN ET EHRENBERG

tic est douteux, l'existence de quelques-uns de ces symptômes généraux

est une raison de se prononcer pour une poliomyélite aiguë, mais leur

absence est une présomption contre cette maladie.

Dans ces derniers temps, nous avons observé un cas où cette loi pour

le diagnostic différentiel nous a rendu de très grands services et, quoique

le diagnostic soit restéjusclu'à, un certain point indécis, l'observation con-

tinue de la malade a confirmé en tout cas notre conclusion du premier

moment qu'il ne pouvait s'agir d'une poliomyélite aiguë. Voici la des-

cription du cas.

Observation XXVI. I. G..., ouvrière à une fabrique de chaussures, âgée

de 22 ans, entrée à la clinique le 9 novembre 1908.

La patiente a été auparavant tout à fait saine, sauf pendant une période en

1905 où il y a eu des symptômes pouvant se rapporter à une chlorose. Elle

raconte que le 2 novembre de cette année elle ne s'est pas sentie bien, mais il

n'y avait pas de symptômes nets et elle a continué son travail à la fabrique. Le

6 novembre elle est restée dehors à peu près une heure pour entendre chanter

des étudiants et elle a pris froid. Le lendemain matin elle a soudainement res-

senti un vive douleur « au milieu de la poitrine » mais sans difficulté de res-

pirer ; en même temps elle a eu une sensation de chaleur dans les membres

inférieurs, et elle s'est alitée. Vers midi une parésie a commencé dans le

membre gauche et, un peu plus tard à droite également. Dis cette même après-

midi, la paralysie du membre inférieur gauche est devenue complète et il n'y

avait que des 'mouvements extrêmement réduits dans le membre inférieur

droit. La sensation de chaleur avait alors disparu. Le même soir la malade a

constaté une parésie du tronc, car elle ne pouvait plus s'asseoir sans y être

aidée.

La nuit elle a bien dormi. Le 8 novembre au matin elle avait une paralysie

complète des membres inférieurs. De plus elle,a senti une faiblesse du bras

droit. Elle a été transportée à la clinique le lendemain. Pendant les deux jours

qu'elle a passés chez elle, elle n'avait ni mal de tète, ni sympaômes de lièvre,ni

douleurs dans le dos ni ailleurs, ni raideur de la nuque.

Etat le 9 novembre. La température est normale. Il n'existe aucun

signe d'irritation, aucune douleur, aucun symptôme, qu'on puisse rapporter à

une méningite. Quand on exerce une pression sur la colonne vertébrale, elle

ne sent pas de douleurs.

Il y a une paralysie complète des deux membres inférieurs qui sont absolu-

ment flasques ; les réflexes rotulieus ont disparu. Il y a aux membres inférieurs

une analgésie et une thermoauesthésie complètes qui s'étendent sans interrup-

tion jusqu'au niveau des seins. La sensibilité tactile et le sens musculaire

sont tout à fait normaux ; la sensibilité tactile est éprouvée en touchant très

légèrement la peau avec du cotou aussi fin que possible (d'après la mélhode

de Head) ; le sens musculaire est examiné en étudiant le pouvoir qu'a la

malade de percevoir la direction des mouvements les plus petits possibles

des articulations différentes. Cette méthode est très sensible et révèle des

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 399

troubles très petits du seus musculaire. Elle est couramment employée à notre

clinique depuis plusieurs années).

La malade ne peut faire aucune contraction des muscles abdominaux. Pas de

réflexes abdominaux. Il y a une paralysie complète de la vessie et la malade est

cathétérisée.

Il y a une parésie marquée du membre supérieur droit pour tous les mou-

vements qu'elle peut toutefois effectuer avec leur extension normale. Une paré-

sie se trouve aussi dans le membre supérieur gauche, mais la force musculaire

est ici moins diminuée qu'à droite. Les réflexes des tendons et du périoste des

membres supérieurs sont très accusés. Aux membres supérieurs la sensibilité

est absolument normale.

La limitation de l'analgésie et de la thermoanesthésie au thorax n'est pas

nette, car il y a, à la hauteur des seins, une zone d'une hauteur de quelques

centimètres où elle peut sentir des piqûres faites avec la pointe d'une épingle,

mais ces sensations sont moins distinctes que plus haut sur le thorax. De même,

aux- zones d'innervation des segments sacrés, nous constatons tout à fait les

mêmes troubles de la sensibilité qu'aux membres inférieurs, et en conséquence

la sensibilité tactile est normale.

Le 10 novembre, une ponction lombaire est pratiquée. La pression étai

de 100 millimètres ; nous n'avons pris que 3 à 4 centimètres cubes d'un liquide

clair, et la pression s'est abaissée à 60 millimètres. Par suite d'une erreur,

l'examen cytologique n'a pas été fait.

Pendant les deux jours suivants, nous constatons une augmentation de la

parésie du bras gauche. Jamais de symptômes pour ce qui est des nerfs crâ-

niens. L'ophtalmoscopie est normale. L'examen répété de la sensibilité des

bras ne nous fait constater aucun trouble. Il est évident que, quand elle es-

saie de faire des inspirations costales le plus profondes possible, ces inspira-

tions sont moins grandes que dans les conditions normales.

Le 13 novembre, nous trouvons pour la première fois une amélioration des

troubles moteurs du bras gauche. Cela continue les jours suivants et depuis

elle est notable aussi pour le bras droit.

Le 16 novembre, commence une fièvre pas très forte, due évidemment à

une infection urinaire. Vers le même temps des secousses involontaires appa-

raissent dans les jambes.

Le 19 novembre, nous constatons pour la première fois des réflexes rotu-

liens, qui sont cependant très faibles. En même temps nous trouvons le signe

de Babinski, présent des deux côtés, mais irrégulier à gauche. A l'examen

électrique nous ne trouvons qu'une certaine diminution de l'excitabilité par

le courant galvanique, mais pas de réaction de dégénérescence.

Vers la fin du mois de novembre, les réflexes rotulieus deviennent plus vifs.

Le 30 novembre, nous observons que la sensibilité tactile est un peu diminuée

au pied droit et à la face externe de' la jambe droite. En même temps la per-

ception des mouvements minime des orteils se trouve uu peu incertaine à

gauche.

Le 5 décembre au soir, la malade a une attaque de crampe tonique des bras,

avec diffilcuté de parler, mais non de respirer, et sans troubles de la conscience.

400 PETREN ET EHRENBERG

L'examen de la sensibilité fait aussitôt après l'attaque n'indique aucune al-

tération des symptômes que nous avons constatés auparavant. -

Le 11 décembre, l'examen de la malade nous révèle que la sensibilité tactile

a disparu presque complètement aux membres inférieurs et au tronc, avec

la même extension qu'ont l'analgésie et la thermoanesthésie, Presque en même

temps on constate que la limite de l'analgésie et de la thermoanesthésie s'est

avancée vers le haut jusqu'au second espace intercostal. Un examen répété

ne nous a jamais révélé aucun trouble de la sensibilité des bras, ni à leur

face interne ni ailleurs. La motilité des bras s'est peu à peu améliorée et est

maintenant à peu près normale. Il y a aussi maintenant des troubles très

marqués du sens musculaire dans les membres inférieurs.

Pendant les jours suivants il y a une certaine variation de l'anesthésie tac-

tile ; surtout au tronc la malade perçoit souvent des contacts un peu forts,

mais jamais de contacts légers (comme ceux faits avec du coton). Aux

jambes également elle sent quelquefois des contacts assez forts.

Au commencement de janvier l'examen électrique nous fait constater que

la réaction de dégénérescence aux membres inférieurs manque toujours. Vers

la fin de janvier un clonisme du pied gauche est apparu..

Pendant le mois de février, lessymptômesspastiquesdes membres inférieurs

vont s'augmentant de plus en plus ; aujourd'hui (2 mars), nous avons l'état

caractéristique de la paraplégie spastique où il suffit de frôler avec le drap ou

de saisir légèrement la jambe avec la main pour provoquer de fortes contrac-

tions de la musculature et il arrive souvent aussi que les membres qu'il lui

est absolument impossible de mouvoir par la voulonlé se fléchissent avec de

grands mouvements. Cette excitabilité pour des contacts même très légers, se

manifestant par une rigidité passagère des muscles, uous la constatons aussi

très nettement pour les muscles abdominaux ; c'est aiusi qu'on peut, en tou-

chant la paroi abdominale, faire se contracter très fortement toute la muscu-

lature abdominale. La respiration est du pur type abdominal. En conséquence,

si l'on provoque, en irritant avec la main la paroi abdominale, un état de con-

tracture des muscles abdominaux, la distension rythmique de l'abdomen par

la contraction du diaphragme, qui caractérise la pure respiration abdominale,

va être troublée. Cependant, cet état de contracture des muscles abdominaux

n'a qu'une durée très courte et par conséquent aussi ce trouble de la respira-

tion qu'il occasionne ne persiste pas assez longtemps pour provoquer une dysp-

née ou une cyanose marquée.

Le diagnostic de ce cas présente assurément des difficultés très grandes.

Si, en premier lieu, nous regardons seulement l'étal de la malade pendant

les premiers temps passés à la clinique, la marche des troubles moteurs

correspond parfaitement à une poliomyélite aiguë : une paralysie des deux

membres inférieurs, qui se développe asymétriquement, mais, en très peu

de temps, presque aussitôt, une paralysie du tronc et dans les deux jours

suivants une parésie des bras également et, au moins pour les membres

inférieurs, paralysie d'un pur type flasque sans réflexes tendineux. Contre

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 401

ce diagnostic parle naturellement l'anesthésie caractéristique : de l'anal-

gésie et de la thermoanesthésie jusqu'au plan mamellàire sans troubles de

la sensibilité tactile. Les cas de poliomyélite aiguë où l'on a observé des

troubles de la sensibilité sont extrêmement rares. Medin a remarqué une

fois aux membres inférieurs une diminution de la sensibilité tactile et

Wickman a noté une fois aux membres inférieurs une hypoalgésie et une

thermohypoesthésie. Mais un cas de poliomyélite aiguë avec analgésie et

thermoanesthésie si complètes, sans aucun trouble de la sensibilité tactile

et d'une distribution si typique n'a jamais été observé, autant que nous le

sachions. Toutefois, l'absence complète des symptômes généraux avant

l'apparition de la paralysie a été pour nous une autre raison très forte

contre le diagnostic d'une poliomyélite aiguë.

A ce moment-là, nous avons fait le diagnostic d'une hématomyélie, s'é-

tendant sans interruption dans toute la moelle, depuis la région sacrée

jusqu'aux segments supérieurs de la moelle dorsale, et qui aurait atteint

les cornes postérieures et les cornes antérieures dans toute cette étendue.

La parésie des membres supérieurs, nous l'avons expliquée en supposant

que l'hémorragie avait atteint aussi les cornes antérieures du renflement

cervical, mais sans y causer de destruction profonde. Il faut reconnaître

qu'on aurait dû trouver en même temps des symptômes dus à une lésion

des cornes postérieures du renflement cervical, mais un examen répété

ne nous a jamais révélé aucun trouble net de la sensibilité des bras.

Le manque de tout symptôme d'irritation, de toute douleur, de fièvre

au début de la maladie correspond bien au type ordinaire de l'hémato-

myélie spontanée telle qu'elle est décrite par exemple par Jean Lépine. Il

est vrai qu'on ne peut dans ce cas découvrir aucune cause à l'hématomyé-

lie, mais dans la statistique de Lépine nous trouvons, sur 45 cas d'héma-

tomyélie spontanée, 16 indiqués comme étant sans cause connue.

Cependant, l'état de la malade a subi à la clinique des changements

très remarquables. La paralysie flasque des membres inférieurs a passé

peu à peu à une paraplégie toujours complète, mais d'un pur type spas-

modique avec exagération des réflexes, clonisme du pied, signe de Ba-

binski et apparition de fortes contractions sous l'influence d'irritations

extérieures. Dans l'état acluel de la paralysie, il n'y a aucune difficulté à

conclure que nous avons affaire à une lésion complète des faisceaux pyra-

midaux dans la partie supérieure de la moelle dorsale. Presque en même

temps que le passage de la paraplégie à un type spasmodique nous avons

constaté une altération du type de l'anesthésie : au lieu de l'analgésie et

de la thermoanesthésie pure est apparue une anesthésie de toute la sensi-

bilité cutanée et du sens musculaire.

Pour conclure sur la localisation de la lésion qui a causé ce change-

ment des troubles de la sensibilité, nous nous reporterons à un travail que

402 PETRÉN ET EHRENBERG

j'ai publié (P. 78), il y a 7 ans, sur les voies de la sensibilité cutanée dans

la moelle. J'avais groupé aussi complètement que possible tous les cas pu-

bliés de maladies de la moelle étudiés par l'observation clinique et anato-

mique où il me paraissait probable, étant donné la nature de la maladie,

qu'on pouvait tirer des conclusions sur les voies de la sensibilité dans la

moelle. Ce sont surtout les cas de coups de couteau dans la moelle qui

m'ont rendu de très grands services, parce qu'ils constituent des observa-

tions ayant presque la même valeur que des expérimenta lions. Ce travail

m'a conduit à une conception des voies de la sensibilité qui est acceptée

depuis par un grand nombre d'auteurs, surtout par des physiologistes, à

ce qu'il semble, mais qui n'est peut-être pas très connue en France.

Ma conclusion a été que la sensibilité à la douleur et les sensibilités

thermiques passent ensemble, d'abord par les cornes postérieures, puis

s'entrecroisent sur la ligne médiane, passent dans les cordons latéraux et

montent dans la région des faisceaux de Gowers. Pour ces sensibilités,

cette opinion est sans doute admise généralement ; mais, pour la sensibi-

lité tactile, les opinions des auteurs sont encore très divergentes. Sur ce

point, mon analyse m'a amené à cette conclusion qu'il existe dans la

moelle deux voies pour la sensibilité tactile : l'une est celle qui passe,

avec les voies des sensibilités douloureuses et thermiques, par le cordon

latéral croisé, et l'autre est celle du cordon postérieur, j'entends le faisceau

long, non croisé, de ce cordon. C'est là que passe aussi le sens muscu-

laire, comme on l'admet en général. ,

Ce résultat de mon analyse sur les voies de la sensibilité dans la moelle

nous conduit à une conséquence nécessaire, c'est que la sensibilité tactile

ne peut être troublée sans que le sens musculaire et les sensibilités à la

douleur et à la température ne le soient en même temps. C'est-à-dire que

la sensibilité tactile peut être conservée alors que les autres sensibilités

superficielles (mais pas le sens musculaire) sont seules atteintes, parce

que la sensibilité tactile possède encore une voie par le cordon postérieur.

Par conséquent, si le sens musculaire seul est affecté, et si la sensibilité

tactile subsiste intacte, c'est que la voie commune à toutes les sensibilités

cutanées reste encore.

Depuis la date où j'ai publié ce travail, les observations faites dans di-

vers travaux n'ont nullement parlé contre cette conception sur les voies

de la sensibilité dans la moelle, mais l'ont au contraire appuyée.

Nous allons maintenant employer cette conception sur les voies de la

sensibilité pour le diagnostic de ce cas. Il n'y avait d'abord que de l'anal-

gésie et de la thermoanesthésie, mais sans troubles de la sensibilité tactile

ou du sens musculaire ; mais, par la suite, les troubles du sens musculaire

et de la sensibilité tactile ont apparu en même temps. D'après mon opi-

nion sur les voies de la sensibilité, il faut conclure que le changement du

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 403

type de l'anesthésie qui s'est produit à la clinique (c'est-à-dire l'appari-

tion des troubles nouveaux : du sens musculaire et de la sensibilité tactile)

est dû à une lésion qui a atteint les cordons postérieurs à la partie supé-

rieure de la moelle dorsale. Cette conclusion est évidemment indépendante

du résultat auquel on arrive quant à la localisation de la lésion qui a

causé l'analgésie et la thermoanesthésie.

S'il s'est agi d'abord d'une hématomyélie, il faut expliquer les troubles

du sens musculaire etde la sensibilité tactile, qui sont survenus plus tard

dans le développement de la maladie, par une myélite secondaire qui est

venue compliquer l'hématomyplie à son extrémité supérieure et qui a atteint

les cordons postérieurs. En conséquence, le passage de la paraplégie du

type flasque au type spasmodique pourrai t être expliqué par une extension

de cette myélite secondaire aux faisceaux pyramidaux également. C'est là

une des deux possibilités auxquelles nous avons pensé pour expliquer

cette curieuse histoire clinique.

L'autre possibilité serait qu'il s'est agi dès le début d'une myélomalacie

ou de quelque autre lésion diffuse (de nature syphilitique ou autre) dans

les segments supérieurs de la moelle dorsale. Si nous acceptons ce dia-

gnostic, il faut expliquer les troubles initiaux de la sensibilité, c'est-à-

dire l'analgésie et la thermoanesthésie, par une lésion des cordons laté-

raux des deux côtés. La sensibilité tactile est alors restée normale, ce qui

s'explique par le fait que les cordons postérieurs où nous avons, d'après

l'opinion précitée, l'une des deux voies de cette sensibilité, étaient alors

intacts.

En acceptant l'idée d'une myélomalacie primaire, il reste à traiter de

la cause de la paraplégie et du changement de son type. On admet géné-

ralement avec Bastian qu'une lésion transversale complète de la moelle

ne cause pas ordinairement une paraplégie spasmodique, mais une para-

plégie flasque. Dans le cas qui nous occupe, le fait que la sensibilité

tactile et le sens musculaire étaient au début tout à fait normaux nous

indique avec certitude qu'il n'y avait nullement de lésion transversale

complète, mais au contraire que les cordons postérieurs étaient intacts.

Plus tard, la lésion transversale s'est étendue aussi aux cordons posté-

rieurs, comme nous l'a montré l'apparition des troubles du sens muscu-

laire et de la sensibilité tactile, mais alors la paraplégie devenait spasmo-

dique.

C'est dire qu'il y avait d'abord une lésion incomplète, mais une para-

plégie tout à fait flasque, et plus tard il y avait au contraire une lésion

beaucoup plus complète, mais une paraplégie d'un pur type spasmodique.

Il ne nous semble pas que cela soit bien en accord avec ce que nous savons

par ailleurs. Cependant il a été établi, surtout par Dejerine, qu'une

paraplégie causée par une myélomalacie à début tout à fait brusque est

404 PETREN ET EIIRENBERG

quelquefois flasque d'abord pour devenir plus tard spasmodique. Mais cet

auteur remarque qu'en môme temps les troubles de la sensibilité vont

en diminuant; par conséquent, toute la série des symptômes, telle que la

décrit Dejerine, s'explique en supposant que la lésion transversale a

d'abord été (du moins au point de vue fonctionnel) complète ou à peu près

complète et qu'elle devient ensuite moins complète. Mais il nous semble

incertain qu'on puisse accepter l'idée d'une lésion transversale par une

myélomalacie comme la seule cause de tous les symptômes qui se produi-

sent en ce cas, où la lésion transversale serait devenue plus complète en

même temps que la paraplégie de flasque devenait spasmodique. Du

moins, nous ne connaissons pas d'observations analogues faites antérieu-

rement qui aient été confirmées par l'examen anatomique.

Si l'on veut expliquer tous les symptômes par une myélomalacie limi-

tée aux segments supérieurs de la moelle dorsale, on ne peut en outre

s'empêcher d'être frappé de ce que les troubles de la sensibilité aient

montré au début une dissociation syringomyélique si nette et une ex-

tension tout à fait symétrique. Pour expliquer ce fait (en acceptant ma

conclusion (P.) indiquée ci-dessus sur les voies de la sensibilité de la

moelle), il faudrait admettre une lésion symétrique des cordons latéraux,

en même temps que les cordons postérieurs resteraient intacts. Cela cons-

tituerait, en effet, une extension symétrique tout à fait inattendue d'une

myélomalacie. Cependant on a observé auparavant des cas de paraplégie

présentant une certaine systématisation des troubles de la sensibilité,

par exemple, une dissociation syringomyélique (qu'on a appelée double

syndrome de Brown-Séquard), mais néanmoins une extension aussi sy-

métrique de ces troubles reste un fait très remarquable.

Pour résumer le problème diagnostique de ce cas, il faut admettre une

myélomalacie ou myélite à la partie supérieure de la moelle dorsale, mais

nous ne pouvons dire avec certitude si cette myélite est secondaire et con-

sécutive d'une hématomyélie très étendue ou s'il y a une myélomalacie

primaire qui serait par conséquent la cause de tous les symptômes. Mais

le diagnostic d'une myélomalacie nous semble moins improbable que le

diagnostic d'une hématomyélie primaire, plus tard compliquée d'une

myélite secondaire.

En tout cas nous pouvons sans hésitation écarter le diagnostic d'une

poliomyélite aiguë (comme nous l'avons fait d'ailleurs dès l'abord), parce

qu'il n'y a pas d'exemples qu'une poliomyélite aiguë se soit compliquée

d'une paraplégie spasmodique. Nous ajouterons seulement que la malade

a été traitée avec des frictions mercurielles et des doses assez élevées d'io-

dure de potassium pendant des mois, mais que la paraplégie est toujours

absolument complète (à la fin de mai).

Revenons maintenant à la poliomyélite aiguë.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 405

Nous avons prêté attention au temps qui s'écoule entre la première ap-

parition des symptômes de l'infection générale et le début de la parésie.

Nous avons trouvé que sur 22 cas (y compris aussi des cas se rapportant

aux chapitres suivants) pour' lesquels nous avons reçu des informations

nettes sur ce point, il y a 3 cas où la parésie a commencé dès le premier

jour de la maladie, 8 cas où elle s'est déclarée au cours du second jour,

4 cas au cours du troisième, 4 cas au cours du quatrième, et 2 cas au

cours du cinquième; dans un seul cas, elle est apparue plus tard. Il faut

remarquer que nous avons admis comme étant le début de la maladie, les

premiers symptômes indiqués par le malade (ou par ses parents), même

quand ils ont été assez vagues. Peut-être pourrait-on, pour quelques-uns

de ces cas, être fondé à conclure que le temps écoulé entre le début de la

maladie et la parésie a été d'un ou dé deux jours plus court, mais pour

la plupart des cas la date initiale n'est pas douteuse.

L'histoire de nos malades nous fournit de nombreux exemples des symp-

tômes méningitiques qu'on voit au début delà poliomyélite aiguë. Ces

symptômes n'ont rien de spécial : mal de tête, surtout dans la nuque (qui

est probablement, étant donné cette localisation, causé quelquefois par la

méningite), raideur de la nuque, douleurs si l'on essaye de fléchir la tête

en avant ou aussi douleurs pour tous les mouvements de la tête, souvent

aussi opisthotonos très prononcé de la nuque, douleurs le long du dos,

quelquefois raideur de tout le dos et douleurs si l'on exerce une pression

sur les vertèbres. Le signe de Kernig n'a pas été souvent remarqué dans

les observations, pourtant nous l'avons constaté souvent, mais sans le no-

ter spécialement quand les autres symptômes de méningite étaient tout à

fait évidents.

Ce sont, comme on le voit, les symptômes très nets d'nne méningite

aiguë spinale. Nous n'avons pas vu de cas avec symptômes indiquant net-

tement la localisation cérébrale de la méningite, sauf les troubles passa-

gers de la conscience qui, dans quelques cas (I, II, III), pourraient y faire

conclure ; car la raideur de la nuque peut être aussi bien due à la locali-

sation spinale de la méningite. Des vomissements sont indiqués dans

quelques cas (I, III, VI, XIII, XVI, XVIII), mais il s'agit seulement d'un

vomissement chez chaque malade ; sur 6 cas, 4 étaient des enfants, et c'est

un fait bien connu que souvent, au début d'une maladie, ils réagissent

contre l'infection générale par des vomissements. Pour les autres signes

incontestables d'une localisation cérébrale de la méningite (par exemple

symptômes pupillaires ou troubles des mouvements des yeux ou convul-

sions), nous ne les avons jamais observés. Pourtant nous ne voulons pas

contester qu'on puisse avoir quelquefois observé des cas de cette nature ;

tout en cas, ils sont certainement très rares. Celte conclusion est également

406 PETRÉN ET EHRENBERG

confirmée par une statistique faite à propos de la grande épidémie de New-

York par Collins et Romeiser.

Par conséquent, nous insisterons sur ce fait, que la localisation spinale

exclusive ou prédominante des symptômes méningitiques est une chose assez

caractéristique pour les cas avec symptômes de méningite qu'on voit si sou-

vent au début de la poliomyélite aiguë.

Cette conclusion est en parfait accord avec les résultats de l'examen

anatomique des cas de poliomyélite, car on a constaté qu'il y a souvent

une infiltration cellulaire des méninges spinales, mais que celle infiltra-

tion, si elle existe également dans les méninges cérébrales, y est beaucoup

moins prononcée (Bickel. Wickman, Forssner et Sjoevall, Harbitz et

Sclieel) ; toutefois les derniers auteurs n'insistent pas aussi nettement

sur cette différence.

En général, les symptômes méningitiques disparaissent bientôt, en

quelques jours ; en effet, ce n'est qu'assez rarement qu'ils persistent plus

d'une semaine. Dans quelques cas pourtant, ils restent beaucoup plus

longtemps : pour deux cas (XI, XVII) nous avons vu les symptômes mé-

ningitiques (la raideur de la nuque) persister jusqu'à 3 ou 4 semaines. Les

douleurs semblent un peu plus souvent persister longtemps ; nous avons

indiqué que dans deux cas aussi des douleurs assez intenses ont persisté

pendant très longtemps (deux ou trois mois ; obs. XXIV et XXV).

Quand les douleurs persistent, on peut les voir se localiser, non seule-

ment dans le dos, mais dans une partie périphérique quelconque du corps,

et il peut être difficile de décider si ces douleurs sont dues à une ménin-

gite tendant à devenir chronique ou à une névrite périphérique. En gé-

néral, on a admis, sans se préoccuper beaucoup de cette question, que

des douleurs de cette nature se rapportent toujours à une névrite. Nous

croyons, d'accord avec Wickman, que ces douleurs peuvent parfaitement

être causées par l'inflammation des méninges qui a peut-être atteint les

racines postérieures et qui y persiste.

Notre observation XI nous fournit un exemple des difficultés qu'il y a

de faire le diagnostic différentiel entre une méningite qui a quelque ten-

dance à devenir chronique et une névrite périphérique. Chez ce malade

les symptômes de méningite spinale ont été très prononcés et ils ont

persisté longtemps ; par exemple, la raideur de la nuque n'a pas com-

plètement disparu au bout de trois semaines. Des douleurs dans les mem-

bres inférieurs (où réside la parésie) ont persisté plus longtemps encore

et aujourd'hui (deux mois après le début de la maladie), il y a encore

quelques mouvements des jambes qui provoquent des douleurs. Si la rai-

deur de la nuque a disparu, il n'en est pas encore de même pour la rai-

deur des autres parties de la colonne vertébrale ; car, lorsqu'on veut

faire asseoir le malade dans le lit, on constate qu'il n'est pas possible, à

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 407

cause des douleurs qu'il éprouve, d'amener le tronc jusqu'à la position

verticale. Ce symptôme indiquant une raideur du dos a été (jusqu'à ce

moment) constant pendant toute la maladie, mais il a été beaucoup plus

prononcé au début et a peu à peu diminué (grâce aux exercices méthodi-

ques de faire relever le tronc de plus en plus par un simple appareil

mécanique). Ces douleurs, provoquées par la flexion des cuisses sur le

bassin, sont probablement, selon nous, un indice que la méningite n'a

pas encore disparu. En effet, cette impossibilité (en raison des douleurs

provoquées) de faire faire la flexion normale des cuisses sur le bassin

(quand les genoux sont extendus), n'est pas autre chose que le signe de

Kernig.

Celte impossibilité d'amener le tronc à former avec les membres infé-

rieurs (genoux extendus) un angle de 90° se montre naturellement au

même degré si l'on essaye de relever jusqu'à la position verticale les mem-

bres inférieurs (avec les genoux extendus) du malade couché. Celle réduc-

tion de la motilité passive est, dans les cas de sciatique, appelée en géné-

ral signe de Lasègue. En réalité, l'un de nous (P.) (81) a récemment

Review of neurology and 1)sychiait-y) insisté sur ce fait que ces deux si-

gnes, le signe de Kernig et le signe de Lasègue, sont identiques, quoi-

qu'ils aient été distingués par les auteurs, qui les ont nommés de noms

différents dans les deux maladies où ils ont été étudiés, la sciatique et la

méningite. Il faut encore observer que Kernig, dans une étude récente et

approfondie sur le signe qui porte son nom, recommande de faire l'exa-

men de ce signe exactement de la même façon qu'on le fait en général,

dans la sciatique, pour le signe de Lasègue.

Pour le cas qui nous occupe, il y a correspondance entre les douleurs

persistantes des membres inférieurs et l'existence constante du signe de

Lasègue-Kernig (nom sous lequel j'ai proposé (P.) de désigner ce trouble).

Certainement tous ces symptômes pourraient être expliqués par une

névrite, mais tout aussi bien par nne méningite. En outre, il faut remar-

quer que l'examen anatomique fait souvent constater, dans la poliomyé-

lite aiguë, une inflammation des méninges, mais qu'en examinant les

nerfs périphériques chez des sujets morts dans la phase aiguë de la mala-

die, on n'a pas trouvé de névrite (Wickman, IIarbitz et Scheel, Forssner

et Sjüvall) (1). Par conséquent, il semble être plus légitime d'admettre

une méningite et peut-être aussi une inflammation des racines postérieures

comme cause de ces douleurs périphériques ; en effet, quelques auteurs

out trouvé l'infiltration cellulaire des méninges atteignant également les

racines, quoique son développement y soit beaucoup plns faible (Wick-

man, IIarbitz et Scheel).

(1) Dans le cas que Forssner et Sjovall ont publié, j'ai examiné (P.), à la demande

des auteurs, les coupes des nerls périphériques, et je suis tout il fait d'accord avec eux

qu'il n'y a pas de raisons de conclure à une inflammation des nerfs.

J408 PETRIN ET EHRENBERG

Dans notre cas XI, la persistance de la raideur de la nuque pendant

quelques semaines nous fait reconnaître avec certitude que la méningite

y était plus persistante qu'elle ne l'est ordinairement et la persistance

encore plus longue de la raideur des autres parties de la colonne verté-

brale nous permet de-conclure avec vraisemblance qu'une méningite un

peu chronique en était la cause. De même, la diminution progressive de

la raideur du dos et des douleurs des membres inférieurs s'est effectuée

en même temps de telle façon qu'il serait tout naturel de conclure que la

cause de ces symptômes était la même.

De toute façon il n'y a rien qui parle contre cette idée qu'il s'agit, dans

notre cas avec douleurs persistantes, d'une méningite localisée qui tend à

devenir chronique, ayant peut-être atteint également quelques racines

postérieures.

Chez les sujets observés nous avons recherché si la présence des symp-

tômes méningitiques peut être mise en rapport avec quelques autres ca-

ractères de la maladie, par exemple, avec l'extension de la lésion anato-

mique de la moelle. L'étude de nos observations nous apprend que sur

les dix cas où la parésie n'a jamais atteint plus d'un membre, des symp-

tômes méningitiques se sont présentés dans 5 ; sur les 7 cag avec parésie

des deux jambes, ces symptômes étaient présents dans 4, et sur les 12 cas

où il y avait des troubles de la motilité dans les trois membres ou dans

tous les quatre, 6 ont montré des symptômes méningitiques.

. Cependant, il faut remarquer que je n'ai vu (P.) les cas non obser-

vés à la clinique qu'assez longtemps après le début de la maladie. En

conséquence, pour les symptômes méningitiques, nous devons dans ces cas

recourir aux seules informations données par les malades eux-mêmes (ou

leurs parents). Nous pouvons alors être presque sûrs que, parmi ces cas,

il y en a quelques-uns qui ont en réalité présenté des symptômes ménin-

gitiques que nous n'avons pu connaître. Cette conclusion est en accord

avec le fait que nous avons trouvé pour les cas observés à la clinique à la

phase aiguë des cas avec symptômes méningitiques, dans une proportion

plus élevée 160 0/0) que pour les autres cas (42 0/0) qui n'ont été obser-

vés que plus tard au cours de la maladie. De toute façon, nous ne pouvons

établir une relation sûre entre l'extension de la lésion de la moelle et la fré-

quence avec laquelle les symptômes méningitiques se sont présentés.

Dans quelques épidémies de poliomyélite aiguë, on a vu des cas où il y

a des symptômes méningitiques, mais où une paralysie ne se déclare ja-

mais. Wickman et Leegaard ont observé un certain nombre de cas de ce

genre. Nous n'en avons pas vu avec certitude (toutefois, cf. ci-dessous, où

nous nous occupons de la méningite séreuse). S'il se pl ésente beaucoup de

ces cas dans une épidémie, il est bien évidentque le diagnostic différentiel

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 409

entre la poliomyélite et la méningite cérébro-spinale épidémique peut

faire quelques difficultés. En effet,on trouve aussi,comme nous l'avons déjà

remarqué, que les auteurs sont quelquefois demeurés dans l'indécision

pour faire le diagnostic entre ces deux maladies épidémiques (Caverly,

Macphail, Mackenzie, Boonacker). z

Pour ce diagnostic différentiel, l'examen cytologique du liquide cé-

phalo-rachidien est important. Plusieurs auteurs ont déjà observé qu'on

trouve la plupart du lemps dans la poliomyélite aiguë une lymphocytose.

Comme le processus morbide de la poliomyélite consiste en une inflam-

mation très aiguë du système nerveux, il faut admettre à priori que le

résultat obtenu par l'examen cytologique du liquide céphalo-rachidien

pourrait dépendre du temps qui s'est écoulé entre le début de la maladie

et la ponction lombaire; c'est-à-dire, on pourrait avoir un résultatdilfé-

rent, si la ponction était faite pendant la phase aiguë ou pendant la con-

valescence. Pour donner une idée des résultats obtenus par les auteurs

antérieurs dans l'examen cytologique pour la poliomyélite aiguë, nous

avons réuni ces résultats dans le tableau suivant.

410 O PETREN ET EHRENBERG

'. ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 411

semaine que dans deux cas (Brissaud et Londe, Guinon et Rist). Il n'y a

que deux cas un peu plus récents où l'examen cytologique a été négatif

(Guinon et ltist, la ponction faite dans un cas le 7° jour, dans l'autre

le 14°). Dans tous les autres cas à l'examen fait pendant les trois pre-

miers mois de la maladie, on a trouvé une augmentation du nombre des

cellules. En général, il s'est agi exclusivement de lymphocytes, mais dans

deux cas on a lrouvé des leucocytes en proportion considérable (Tiede-

mann250/0et Raymond et Sicard 80 0/0) ; quand on a fait l'examen

dans des cas ou il s'était déjà écoulé plus d'une demi-année depuis la

poliomyélite, le résultat a été, comme on pouvait l'attendre, une cytologie

normale.

La méthode que nous avons employée pour la ponction lombaire,

nous l'avons déjà décrite. Le résultat de nos recherches sur la poliomyélite

par la ponction lombaire est résumé et groupé dans le tableau ci-dessous.

412 PETREN ET EHHENBERG

ETUVE : ; CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 413

414 IP PETREN L'i' LIFILIE.Nl3EI(-.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 41 H

cales semble nécessaire ; néanmoins ce malade avait été traité déjà avan-

la ponction par des frictions mercurielles. Enfin nous voulons remarquer

qu'il y a quatre cas où nous avons fait le diagnostic d'une méningite

séreuse : nous y reviendrons bientôt.

Dans l'ensemble, le résultat de nos recherches nous semble parler en

faveur de la méthode de Nageotte pour compter les éléments cellulaires

du liquide céphalo-rachidien.

Revenons maintenant à la poliomyélite aiguë. Quoique nos recherches

ne portent pas sur un grand nombre de cas, elles donnent néanmoins une

idée plus'précise qu'on ne l'avait jusqu'ici sur le degré d'augmentation des

cellules. Aux deux cas, antérieurement publiés comme ayant été exami-

nés par la ponction lombaire pendant la première semaine, nous pouvons

en ajouter trois autres (avec numération des cellules).De ces trois cas,deux

nous donnent la démonstration (il en fut de même du cas de Brissaud et

Londe) qu'il peut exister dès les premiers jours de la maladie une lym-

phocytose nette sans aucun leucocyte. D'un autre côté, l'observation XI

ajoute un nouvel exemple aux deux cas publiés par Tiedemann et par

Raymond et Sicard, qu'on peut quelquefois- trouver aussi des leucocytes

dans le liquide céphalo-rachidien. Notre observation est remarquable en

outre par le manque d'augmentation de la pression constatée dans tous les

autres cas que nous avons examinés à la phase aiguë, et par la persistance

des symptômes méningitiques. En conséquence, il est bien évident que

l'affection des méninges en ce cas constitue à plusieurs égards une ex-

ception à ce qu'on voit ordinairement dans la poliomyélite aiguë.

Si nous laissons les exceptions de côté, nous trouvons que la règle,

c'est qu'on a une augmentation de la pression du liquide céphalo-rachidien

et une lymphocytose pure.

Si nous regardons les résultats obtenus dans les cas où nous avons fait t

plus d'un examen cytologique quantitatif, nous constatons que le nombre

des lymphocytes diminue progressivement ; d'ailleurs, à une seule ex-

ception près, nous avons trouvé la même diminution du nombre des

lymphocytes dans les cas de méningite séreuse examinés par la même

méthode.

Si nous considérons les résultats obtenus à l'examen par la ponction

lombaire dans les cas qui n'ont pas présenté de symptômes méningitiques,

il faut sans doute avouer que notre expérience est beaucoup trop limitée

pour permettre d'arriver à des conclusions sûres ; en tout cas nous avons

constaté (2 fois) qu'on peut avoir une augmentation de la pression sans

qu'il existe de symptômes méningitiques. Nous n'avons pas trouvé de

lymphocytose quand il n'y avait pas de symptômes méningitiques, mais

comme nous n'avons fait cet examen que dans un cas de ce genre, nous

416 PETRÉN ET EHRENBERG

sommes obligés de laisser sans solution la question de savoir s'il existe

des cas avec lymphocytose, mais sans autres symptômes cliniques d'une

méningite.

Si nous comparons les résultats des recherches laites sur le liquide

céphalo-rachidien par la ponction lombaire avec l'examen anatomique de

l'état des méninges dans les cas qui ont succombé pendant la phase aiguë

de la maladie, nous trouvons, entre les observations anatomiques et cli-

niques, l'accord qu'on pouvait attendre. Car, en examinant l'état des mé-

ninges et les cellules qu'on y a trouvées, on a constaté en général qu'il y

a souvent une infiltration cellulaire, mais presque exclusivement de lym-

pi)ocytes(Schu)tze (92), Wickman, Marbitz et Scheel et Cadwalader).

Ce n'est que tout à fait exceptionnellement qu'on a trouvé dans les

méninges quelques leucocytes à côté d'un grand nombre de lymphocytes

(Wickman, lIarbitz et Scheel). Comme on le voit, il y a concordance

parfaite entre le résultat de l'examen anatomique et les recherches

cytologiques faites après ponction lombaire.

Quant à la question du diagnostic différentiel entre la poliomyélite ai-

guë et la méningite cérébro-spinale épidémique, nous l'examinerons en

quelques mots. Cette question a été étudiée avec beaucoup de détails par

Wickman, qui arrive à la conclusion qu'on peut nettement faire la diffé-

rence entre ces deux maladies. Leegaard, en étudiant la grande épidémie

norvégienne au point de vue clinique etépidémiologique, en est venu à la

même conclusion. D'un autre côté, quelques-uns des auteurs ayant étudié

les épidémies norvégiennes, traitent la question du diagnostic différentiel

entre les deux maladies comme une question encore indécise (Harbitz et

Scheel).

Pour ce diagnostic différentiel, nous croyons que les résultats de l'exa-

men cytologique du liquide céphalo-rachidien, obtenus par nous aussi

bien que par des auteurs antérieurs, sont d'une très grande importance.

Car, si nous laissons les exceptions de côté,- nous avons constaté qu'on

trouve en général dans la poliomyélite, pendant les deux premières

semaines de la maladie, une lymphocytose pure et pas de leucocytes dans

le liquide céphalo-rachidien. Ce fait constitue une différence très nette

entre la poliomyélite et la méningite cérébro-spinale épidémique ; car, si

l'on peut trouver dans la dernière maladie (ce qui est bien connu) une

lymphocytose pendant la convalescence, il y a toujours au début de cette

maladie une leucocytose. Celle différence entre la poliomyélite et la mé-

ningite cérébro-spinale épidémique peut certainement avoir une très grande

importance pour le diagnostic entre les deux maladies.

Pour notre part, nous jugeons la question du diagnostic différentiel en-

tre la poliomyélite et la méningite cérébro-spinale épidémique assez sim-

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYELITE AIGUË 417 l

- ple, et nous ne croyons pas que ce diagnostic puisse causer de difficultés,

si nous nous trouvons en présence d'une manifestation épidémique de

l'une des maladies. Car, si nous n'avons pas affaire à des cas isolés, mais

à plusieurs cas réunis, les différences entre les deux maladies apparaî-

tront avec évidence : dans la poliomyélite aiguë, il y a très souvent des

symptômes méningitiques, mais, comme nous l'avons montré, avec lo-

calisation en général nettement spinale ; dans la méningite cérébro-spinale

épidémique, il y a des signes évidents d'une localisation de la méningite

et aux méninges cérébrales et aux méninges spinales ; dans une épidémie

de poliomyélite aiguë, il y a, dans la plupart des 'cas, des paralysies du

type ordinaire, même s'il faut concéder que ces paralysies ne se dévelop-

pent pas nécessairement dans tous les cas ; pour la méningite cérébro-

spinale épidémique, il ne se présente jamais de paralysies de ce type,

mais il n'est pas rare, comme on sait, que se produisent des troubles per-

sistants qui sont la conséquence de l'affection des nerfs crâniens ou de

leurs noyaux, ,

Par conséquent, quand une de ces maladies se déclare dans un certain

nombre de cas ou dans une véritable épidémie, le diagnostic différentiel

ne doit pas être difficile; mais, si nous nous trouvons devant des cas spo-

radiques, le diagnostic différentiel peut certainement être très difficile,

surtout si nous nous rappelons que la poliomyélite aiguë peut se mani-

fester seulement par des symptômes méningitiques sans qu'il se produise

de parésie. Dans lous les cas où il a des difficultés pour ce diagnostic

différentiel, nous croyons, d'après notre expérience et celle des autres au-

teurs cités ci-dessus, qu'on trouve dans l'examen cytologique par la ponc-

tion lombaire un moyen très précieux de faire le diagnostic.

Si le diagnostic différentiel entre la poliomyélite et la méningite céré-

bro-spinale épidémique ne fait pas trop de difficultés, il en est tout autre-

ment pour le diagnostic entre la poliomyélite et la méningite séreuse. En

effet, les symptômes trouvés pour la poliomyélite par les recherches à la

ponction lombaire sont identiques aux symptômes de la méningite sé-

reuse ; car, dans les deux maladies, nous avons pour le liquide céphalo-

rachidien l'augmentation de la pression et une lymphocytose pure. Quand

il y a les paralysies caractéristiques de la poliomyélite, le diagnostic

différentiel ne peut causer aucune difficulté. Mais, comme nous l'avons

déjà remarqué, on a constaté, en étudiant les dernières épidémies, qu'il y

il un certain nombre de cas où ne se présentent jamais que les symptômes

généraux et les symptômes méningitiques (Wickman, Leegaard et d'au-

tres). Pour ces cas, quand les résultats des recherches par ponction

lombaire sont identiques aux résultats obtenus pour des méningites sé-

reuses, il est hien évident que les difficultés du diagnostic différentiel

418 PETRÉN ET EHRENBERG

doivent devenir très grandes. En effet, pour ces cas, on a fondé, le dia-

gostic de la poliomyélite sur la nature épidémique des cas observés; en

d'autres termes, c'est le fait que ces cas avec symptômes méningitiques,

mais sans paralysie, sont apparus au milieu d'une épidémie de poliomyé-

lite qui a permis de diagnostiquer la poliomyélite (selon nous, avec raison).

Mais quand nous venons aux cas sporadiques, nous avons perdu ce

point d'appui pour le diagnostic, et il est bien naturel qu'il soit difficile

dans ces cas. Dans le tableau ci-dessus contenant nos recherches cytolo-

giques sur le liquide céphalo-rachidien dans des maladies différentes, il y

a quatre cas désignés comme méningite séreuse. En effet, comme nous

avons eu, dans le département d'Upsala, sinon une épidémie, du moins

un nombre extraordinaire de poliomyélites, on peut se demander si ces

cas de méningite séreuse ne seraient pas des cas de poliomyélite abortive.

L'un de ces cas a été compliqué d'une épilepsie jacksonnienne et peut-

être également d'hystérie, et nous pouvons le laisser de côté. Quant aux

trois autres cas, voici les dates les plus importantes.

Observation XXVII. -K.M. J..., garçon, âgé de ans, de Gryta, entre à la

clinique le 16 janvier 1908.

Il y a deux semaines, le garçon est tombé malade avec frissons, mal de

tête, vomissements et fièvre. Il est resté couché trois jours. Puis il s'est levé,

mais il ne se portait pas tout à fait bien. Le 8 janvier il est tombé malade

presque de la même façon ; puis il est resté au lit avec mal de tète et une ob-

struction considérable.

Etal le 17 janvier. - La conscience n'est pas troublée, il a mal à la tête

et a une raideur de la nuque très prononcée avec un certain degré d'opistotho-

nos. Il ressent des douleurs si l'on exerce une pression sur la colonne vertébrale

cervicale. Il y a une certaine raideur de tout le dos et l'enfant se trouve tou-

jours dans le décubitus latéral.

Le signe de Kernig-Lasègue est présent (la flexion n'est possible qu'à un an-

gle de 40). A la clinique, jamais de fièvre.

Le 19 janvier, les pupilles ne montrent aucune réaction pour la lumière (ce

qu'elles ont fait les jours précédents) ; le signe de Babinski est présent des

deux côtés (ce qui n'était pas le cas auparavant).

Quant aux résultats des ponctions lombaires, cf. le tableau.

Le 23 janvier, la raideur du dos s'est améliorée et l'enfant se trouve mainte-

nant quelquefois dans le décubitus dorsal.

Le 27 janvier, la raideur de la nuque a beaucoup diminué. L'état général du

malade est maintenant bon. La numération des globules blancs du sang donne

un nombre de 10,600 par millimètre cube.

Le 29 janvier, le signe de Kernig-Lasègue est encore présent, mais mainte-

nant les membres inférieurs peuvent être levés à un angle de 60°. L'enfant

n'aime toujours pas d'être assis'dans le lit.

Le 31 janvier, tous les symptômes de raideur du dos ou de la nuque ont

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 41 U

disparu, et le 4 février il quitte la clinique sans qu'on ne puisse trouver aucun

symptôme.

Obseuvation XXVIII. - E. V..., âgée de 3 ans, de Rasbokil, entre à la cli-

nique le 3 octobre 1908.

En février, l'enfant avait une coqueluche grave qui a duré jusqu'à juin. Puis

elle s'est portée assez bien sans être complètement rétablie. Il y a trois à quatre

semaines, elle a commencé d'être abattue ; en même temps sont venus le mal

de tête et des vomissements qui sont revenus plusieurs fois,aussi la nuit. Elle

a passé les trois dernières semaines au lit.

Le 28 septembre les parents ont observé à droite une parésie du 6° nerf

crânien, mais jamais de raideur de la nuque. Pendant les derniers temps, une

apathie générale s'est développée.

Etat le 3 octobre. La conscience est conservée, mais l'enfant semble

être apathique. Pas de raideur de la nuque, mais il semble qu'une pression

exercée sur la colonne vertébrale cervicale cause un peu de douleur.

Pas de fièvre. Pour les nerfs crâniens, il n'y a aucun autre symptôme que

la parésie du 6° nerf à droite. L'enfant ne marche pas bien, sans montrer

toutefois aucun trouble caractéristique de la marche. Les réflexes tendineux

et plantaires sont normaux.

Le 3 octobre,on constate un oedème de la papille optique des deux côtés. La

ponction lombaire est faite le 7 octobre (cf le tableau).

Plus tard les symptômes disparaissent, aussi l'oedème des papilles, l'état gé-

néral de l'enfant s'améliore considérablement et l'enfant semble être guérie,

qnand elle est atteinte d'une diphtérie et est transportée à l'hôpital pour les

maladies infectieuses le 18 novembre.

Observation XXIX. 0. A..., fille, âgée de 13 ans, entre à la clinique le

12 avril 1909.

L'enfant s'était plaint quelques jours d'un peu de douleurs dans l'abdomen

puis le 8 avril ses plaintes sont devenues plus fortes. Le lendemain elle avait

une céphalalgie intense et son état a été assez mauvais ; quelquefois elle s'est

plaint de fortes douleurs dans l'abdomen. L'appétit a été très mauvais et elle

a eu des vomissements. Les deux derniers jours la conscience a été troublée

et elle a eu quelquefois des vraies attaques de douleurs.

Etat le 12 avril. - La malade a une apathie assez prononcée, mais la

conscience n'est pas tout à fait troublée. Il y a quelquefois des cris hydrocé-

phaliques assez marqués. Il y a une raideur de la nuque très prononcée. Le si-

gne de Kernig-Lasègue est présent des deux côtés. Il y a signe de Babinski il

droite, mais pas à gauche.

Les pupilles montrent une réaction normale pour la lumière. Il y a un cer-

tain degré de parésie faciale à gauche. D'ailleurs aucun symptôme du sys-

tème nerveux, sauf un certain degré d'hyperesthésie générale.

Quant aux trois ponctions lombaires que nous avons pratiqué, cf.le tableau.

Quand trois ou quatre jours se sont écoulés sans que l'état se soit modifié, la

convalescence commence et elle a fait par la suite des progrès lents, mais en

général sans interruption.

420 PETRÉN ET EHRENBERG

Le 15 avril il est constaté que l'hyperesthésie s'est restreinte à la colonne

vertébrale.

Le 17 avril l'apathie et les cris hydrocéphaliques ont disparu, et il n'y a

maintenant aucun symptôme net d'une localisation cérébrale de la ménin-

gite. La raideur de la nuque est nette mais diminuée. Le signe de Kernig-La-

sègue est encore bien marqué.

Le 27-avril, la malade se trouve (comme auparavant) toujours dans le dé-

cubitus latéral et ne veut pas se mettre dans la décubitus dorsal. Toutefois, si on

la fait venir dans le décubitus dorsal,on constate un opistothonos, pas considé-

rable, mais net, et, par conséquent, l'enfant ne s'appuie que sur les épaules et

le bassin. Aujourd'hui on ne trouve aucune raideur de la nuque si l'on en

fait l'examen dans le décubitus latéral ; mais, au contraire, si l'on essaie de

fléchir la tête en avant dans le décubitus dorsal, une certaine raideur de la

nuque apparaît. Cette différence dépend évidemment de ce fait que la flexion en

arrière de la colonne vertébrale est diminuée dans le décubitus dorsal au plus

haut degré possible et, par suite, un mouvement d'une partie de la colonne

vertébrale dans la même direction (c'est-à-dire une flexion en avant) n'est

plus possible ou du moins ne se fait qu'avec difficulté.Dans le décubitus latéral,

au contraire, les autres parties de la colonne vertébrale peuvent se fléchir

librement en arrière, et, en conséquence, rien n'empêche la flexion de la tête

en avant. Toutefois, cette observation prouve que la raideur de la colonne

vertébrale se rapporte surtout (ou exclusivement) aux parties de la colonne

vertébrale situées au-dessous des vertèbres cervicales.

Le signe de Lasègue-Kernig est très marqué ; en effet, son intensité a aug-

menté et maintenant les membres inférieurs avec les genoux extendus ne peu-

vent être élevés dans le décubitus dorsal qu'à un angle de 15 degrés.

Le 7 mai, les symptômes de la raideur du dos sont pour la plus grande par-

tie disparus. La malade peut se mettre dans le décubitus dorsal sans se

plaindre. Toutefois elle ne peut s'asseoir dans le lit et si l'on essaye de la

mettre sur son séant, elle fait de la résistance et se plaint de douleurs du dos

quand on vient près de la position verticale. Le signe de Lasègue-Kernig est

beaucoup diminué, mais encore présent. La parésie du facial est disparue.

L'état général est très bon.

Le 22 mai, les symptômes de raideur du dos sont encore plus diminués. Elle

peut s'asseoir dans le lit sans difficulté spéciale, mais assise elle ne peut en-

core se pencher en avant de façon normale.

Quant au diagnostic de ces cas, une méningite séreuse ne nous semble

pas douteuse pour les cas XXVII et XXIX. L'histoiredu cas XXVIII nous

a paru parler, lors de l'entrée à la clinique, aussi hien pour une tumeur

du cerveau ou du cervelet que pour une méningite séreuse, mais, comme

tous les symptômes ont disparu en quelques semaines, ce diagnostic sem-

ble difficile ci accepter. Par conséquent, une méningite séreuse nous sem-

ble le diagnostic le plus probable ; toutefois, il faut se rappeler qu'on a

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 421 1

observé chez des enfants des cas avec le tableau clinique d'une tumeur

cérébrale causée par une affection tuberculeuse où les symptômes de la ma-

ladie se sont améliorés plus ou moins ou même ont disparu pour un

temps assez long (Oppenheim et d'autres).

Si l'on fait la comparaison des histoires de ces cas de méningite séreuse

avec celles des cas de poliomyélite, abstraction faite de la paralysie elle-

même, il nous semble qu'il existe des différences assez remarquables. Car,

l'évolution des symptômes dans les cas de méningite séreuse a été plus

lente et surtout la durée des symptômes méningitiques a été beaucoup

plus longue que dans les cas ordinaires de poliomyélite etles symptômes

méningitiques se sont rapportés non seulement aux méninges spinales mais

en même temps, de façon très distincte, aussi aux méninges cérébrales

(casXXVIl : les pupilles sans réaction pour la lumière ; cas XXVIII

oedème des papilles ; cas XXIX : pendant quelques jours troubles de la

conscience et cris hydrocéphaliques). En résumé, ces cas ne se présentent

pas dans la même façon qu'une maladie d'un certain type (ce que font en

général les cas de poliomyélite) et, en conséquence, il nous semble im-

probable qu'il s'agisse de cas de poliomyélite.

Le diagnostic différentiel entre les cas de poliomyélite avec méningite,

mais sans paralysie, et les méningites séreuses restera certainement tou-

jours difficile; mais il est probable qu'on pourra tirer parti pour ce dia-

gnostic du fait sur lequel nous avons attiré l'attention dans ce travail,

c'est-à-dire que les symptômes méningitiques de la poliomyélite se pré-

sentent en général avec un type spinal, tandis que ce n'est probablement L

pas le cas ponr des méningites séreuses ordinaires.

Si nous étudions ce que disent les auteurs des symptômes méningiti-

ques dans la poliomyélite aiguë, il est bien remarquable que ces symp-

tômes sont décrits beaucoup plus fréquemment dans les dernières grandes

épidémies de cette maladie qu'ils ne l'ont été antérieurement. Certaine-

ment il y a deux manières possibles d'expliquer cette différence : l'une,

c'est qu'on n'a pas auparavant été assez attentif à l'existence des symptômes

méningitiques dans la poliomyélite aiguë et qu'en observant des cas spo-

radiques on n'a pas reconnu tous les cas de poliomyélite aiguë avec symp-

t6mes méningitiques ; l'autre, c'est que les symptômes méningitiques ont

une fréquence différente dans les différentes épidémies et, par conséquent,

aussi pour les cas sporadiques. Ce serait, en effet, en parfait accord avec

notre expérience ordinaire des maladies épidémiques.

? 2 PETRÉN ET EHRENBERG

SUR LA PARALYSIE DES MUSCLES DU TRONC.

par Petren

Sur la paralysie des muscles abdominaux.

Il y a quelques années, la paralysie des muscles du tronc dans la

poliomyélite aiguë n'était pas souvent observée et les auteurs l'ont indi-

quée comme très rare (Gowers, Dejerine et Thomas). En premier lieu,

parmi les conséquences de la paralysie des muscles du tronc, on a sur-

tout fixé l'attention sur la scoliose qui peut s'en suivre, et qui est causée

par une insuffisance des muscles du dos (Gowers, Dejerine et Thomas,

Sachs). Quant à la paralysie des muscles abdominaux, ce n'est que dans

ces dernières années qu'on s'en est occupé davantage, mais l'on trouve

aujourd'hui un assez grand nombre d'auteurs qui ont traité cette ques-

tion.

On a publié tout dernièrement quelques statistiques sur la fréquence

des paralysies des muscles abdominaux : les voici. Collins et Romeisel' (22)

ont observé une paralysie des muscles abdominaux dans cas sur 176,

et Bramwell dans 4 cas sur 76. Baumann rapporte que, sur 85 cas, il en

a observé deux avec paralysie des muscles abdominaux et deux avec pa-

ralysie de tous les muscles du dos (mais il ne dit pas s'il s'agit des mêmes

cas). Johannessen a vu 5 cas avec parésie du tronc sur 23, et sur 198 cas,

Lovett en a observé 40 avec paralysie du dos et 19 avec paralysie des

muscles abdominaux. En outre, Collins et Romeiser (23) ont trouvé une

paralysie des muscles abdominaux dans 29 cas et des muscles du dos

dans 20 cas sur 500.

Si je me reporte à nos observations, je trouve, sur nos 29 cas, la avec

troubles moteurs des muscles abdominaux (II, X, XI, XIII, XVI, XVII,

XVIII, XIX, XXI, XXII, XXIV, XXV, XXX, XXXII, XXXIII). Dans les

cas qui n'ont été observés que longtemps après le début de la maladie,

nous avons demandé aux malades (ou à leurs parents) s'il avait existé

des symptômes pouvant être regardés comme la preuve d'une parésie

des muscles du tronc. Mais évidemment on doit s'attendre à ce que les pa-

rents n'aient pas toujours observé suffisamment ces symptômes. C'est pour-

quoi la parésie des muscles abdominaux a été notée dans une proportion

beaucoup plus élevée parmi les cas observés il la clinique et à la phase

aiguë que parmi les autres -cas : soit 10 cas sur les 15 de clinique et

5 cas sur les 14 autres.

Wickman me semble avoir approfondi la question de la paralysie des

muscles abdominaux, car il fait une distinction nette entre la paralysie

apparaissant pendant la phase aiguë et la paralysie persistante. D'après

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 423

son opinion, on aurait à la phase aiguë une paralysie des muscles abdo-

minaux dans tous les cas où il y a en même temps des troubles moteurs

pour les membres inférieurs et pour un bras au moins.

Examinons nos observations pour voir si elles sont ou non en accord

avec cette idée de Wickman. Le résultat, c'est que sur 12 cas (XVI-XXV,

XXXII, XXXIII) où il a existé des troubles moteurs pour trois ou quatre

membres, nous avons trouvé dans 10 des symptômes d'une parésie des

muscles abdominaux. Ce résultat ne semble pas parler très nettement en

faveur de l'idée de Wickman. Cependant il faut remarquer que les deux

cas où je n'ai pas trouvé de raisons de conclure à une parésie des mus-

cles abdominaux n'ont été observés qu'assez longtemps après la phase

aiguë. 'En conséquence, il est très possible qu'il ait existé dans ces cas

des troubles moteurs des muscles abdominaux, mais que, par exemple,

ces troubles aient déjà disparu quand on a fait lever le malade et soient

ainsi passés inaperçus. Dans nos six cas observés à la clinique et pendant

la phase aiguë, où il y avait parésie de plus de deux membres, nous

avons toujours constaté des troubles moteurs des muscles abdominaux.

En conséquence, nos observations parlent en faveur de l'opinion émise

par Wickman. Il faut ici remarquer que dans les cas où Bramwell

avait trouvé une paralysie des muscles abdominaux, il y avait également

des troubles moteurs pour les quatre membres. Sur les 5 cas de paralysie

du tronc, que Johannessen a publiés, il y avait dans 4 une parésie de plus

de deux membres. Ces faits constituent évidemment de nouvelles raisons

en faveur de cette opinion.

Selon nous, nos connaissances sur l'anatomie pathologique de la ma-

ladie sont aussi un fait très favorable à cette thèse ; car, dans les cas où

l'examen anatomique a été pratiqué sur des individus morts pendant la

phase aiguë de la maladie et où l'examen a été poussé assez loin pour les

segments différents de la moelle, on a constaté, comme nous l'avons déjà

fait remarquer, que les lésions anatomiques s'étendent sans interruption .

par toute la moelle. Naturellement on ne peut conclure qu'il y ait une

extension semblable de la lésion dans tous les cas de la maladie ; au con-

traire, on peut considérer comme certain que la lésion est beaucoup moins

répandue quand il n'y a, par exemple, parésie que d'un seul membre ;

mais alors les malades n'en meurent pas. Mais, pour tous les cas où nous -

avons une parésie des membres inférieurs et de l'un ou des deux membres

supérieurs, il y a de très bonnes raisons de croire que toute la moelle dor-

sale, située entre les deux renflements atteints par la maladie, a également

été atteinte.

Si cette conception est exacte, il est bien sûr que les troubles moteurs

des muscles abdominaux vont disparaître dans le plus grand nombre des

424 PETREN ET EHRENBERG

cas. En coséquennce, c'est une question d'une grande importance prati-

que de savoir combien de temps on peut encore espérer une régression

de ces paralysies. Certes, il est difficile d'indiquer comme réponse un

moment fixe qui serait valable pour tous les cas. Pourtant, nous considé-

rons comme presque certain qu'il faut attendre quelques mois, et peut-

être même davantage, avant de pouvoir être sûr que la paralysie des

muscles abdominaux persistera (quant aux parésies de ces muscles, nous

y revenons plus loin).

Nous relèverons ici les cas indiqués par des auteurs antérieurs où l'on

a décrit des troubles moteurs provenant d'une paralysie des muscles ab-

dominaux, pour donner une idée des formes différentes sous lesquelles

ces troubles se présentent. Mais, comme ces paralysies peuvent s'amé-

liorer, ou disparaître même après avoir persisté assez longtemps, nous ne

pouvons être sûrs que tous les cas cités ci-dessous soient des exemples de

paralysies persistantes. Cependant nous noterons, dans les différents cas,

l'âge de la paralysie, quand l'observation en a été faite.

Une paralysie de tous les muscles abdominaux a été observée par Wickman

(un mois après le début de la maladie) et par Fowler (huit mois ; il y avait

une scoliose).

Une paralysie unilatérale, mais complète, des muscles abdominaux a été

décrite par Neurath (70) (un cas ancien) et par Medin (n" XXIX de ses

observations), deux mois après le début de la maladie et (obs. XLVII) au bout

de deux semaines ; mais il semble que, dans ce dernier cas, la paralysie ait

disparu au cours de l'observation postérieure du malade ; Bernheim rapporte

un cas où la parésie était plus développée d'un côté. Il semble aussi que Sachs

ait observé un cas de ce genre.

Wickman rapporte un cas, observé trois semaines après le début de la ma-

ladie, où il y avait une paralysie unilatérale de la moitié inférieure des mus-

cles abdominaux; le grand droit du côté atteint était conservé, mais affaibli.

Une paralysie unilatérale de la moitié supérieure des muscles abdominaux

a été décrite par Starcke (huit mois après le début; il y avait une scoliose).

Ibrahim et Hermann ont publié 4 cas du même type ; il y avait une faiblesse

des muscles abdominaux, surtout dans la partie située entre le bord du thorax

et la crête iliaque, si bien qu'il est apparu une hernie à cet endroit quand les

malades ont toussé ou fait contracter d'une autre façon leurs muscles abdo-

minaux. La seule différence entre ces cas, c'est que; dans [un seul, le grand

droit était légèrement atteint par la parésie. Un autre cas du même type que

les observations de Ibrahim et Hermann a été publié par V. Baracz.

Un type tout à fait différent de paralysie des muscles abdominaux a été

décrit par Strassburger ; il y avait une paralysie des deux grands droits, mais

les deux transverses de l'abdomen étaient conservés, ainsi que le pouvoir de

contracter la cavité abdominale (l'état des muscles obliques n'est pas clair

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 425

d'après la description donnée par l'auteur ; il y avait une lordose). Le cas a

été observé un an et demi après le début de la maladie.

C'est encore un autre type qui a été décrit par Loewegren ; il y avait une

paralysie des muscles abdominaux (aussi des grandes droits) aux parties

inférieures et médiane de la paroi abdominale, mais les muscles étaient con-

servés dans les parties supérieures. Dennett rapporte un cas où il a observé,

7 mois après le début, une paralysie des muscles abdominaux au-dessus de

l'ombilic.

Lafetra indique très brièvement qu'il a vu deux cas d'une paralysie unila-

térale des muscles obliques, mais sans donner aucune description des troubles

de la motilité qu'il a observés.

Leischner a vu un cas avec une paralysie unilatérale des muscles abdo-

minaux transverses (mais il ne dit rien de clair sur l'état des muscles obli-

ques : Die linken quel'en Bauchmuskeln <7e/a/<m/).

Enfin Ruzicka a vu un cas où il conclut à une parésie unilatérale (d'ailleurs

assez légère) du diaphragme.

Comme on le voit, nous avons un certain nombre de formes différentes

de paralysie des muscles abdominaux. Cependant il me semble qu'on n'a

pas toujours prêté assez d'attention aux détails de ces paralysies, surtout

à l'état du grand oblique.

Les symptômes de paralysie des muscles abdominaux que nous avons

observés pendant la phase aiguë de la maladie, c'est l'impossibilité qu'ont

les enfants à s'asseoir dans le lit ou à se tenir assis (impossibilité qui

naturellement dépend, en outre de l'état des muscles du dos) ou l'impos-

sibilité de faire une contraction quelconque des muscles abdominaux,

par exemple, en toussant, etc., et, en conséquence, une diminution de la

force expiraloire. En considérant ces symptômes comme des signes d'une

paralysie des muscles abdominaux, il ne faut pas oublier le rôle que

jouent, dans le passage à la position assise, les fléchisseurs des cuisses

sur le bassin. Comme on le voit, ce sont là les symptômes bien connus

comme étant la conséquence d'une paralysie de tous les muscles abdomi-

naux. Il est aussi de règle que tous ces muscles soient atteints quand il

s'agit d'une paralysie dans la phase aiguë de la maladie, et Wickman a

spécialement insisté sur celle règle.

Nous avons vu les troubles moteurs des muscles abdominaux persister

dans 7 cas pendant tout le temps que nous avons poursuivi l'observation

des malades : Dans l'un de ces cas (XI), le temps écoulé depuis le début

de la maladie n'est aujourd'hui que de mois. En faisant la palpation de

la paroi abdominale, on ne peut constater aucune contraction tout à fait

sûre des muscles abdominaux ; néanmoins je conclus (et les raisons en

sont données dans l'état du 6 mai) qu'il y a maintenant quelque trace

de force dans les muscles abdominaux, comme également dans les muscles

426 PETRÉN ET EHRENBERG

du dos. Quant au pronostic du cas, je crois qu'il faut encore espérer une

restauration (complète ? ) de la fonction des muscles abdominaux.

A ce propos je veux attirer l'attention sur la méthode pour examiner

l'état de la fonction des muscles abdominaux comme également des mus-

cles du dos, que j'ai employée pour ce cas (décrite dans l'état du 6 mai).

Cette méthode consiste en ceci : mettre le malade dans un fauteuil, donner

au tronc une position verticale telle que la verticale du centre de gravité

tombe entre les points d'appui du tronc. Dans cette position il ne faut

qu'une trace infime de force des muscles du tronc pour mouvoir le tronc ;

d'un aulre côté, l'extension où le malade peut faire des mouvemepts avec

le tronc (sans s'aider des bras'» dans les directions différentes sans tomber

nous permet de conclure sur la force conservée dans les muscles du tronc.

Par conséquent, je crois que l'examen par cette méthode constitue proba-

blement un moyen précieux pour étudier le degré de la paralysie des

muscles abdominaux, surtout des grands droits et des muscles du dos et

surtout s'il s'agit de parésies encore très développées.

Dans le cas XIX, notre observation porte sur cinq mois à peu près de-

puis le début de la maladie et la paralysie de tous les muscles abdominaux

était cette fois encore complète (la malade est alors morte d'une pneumo-

nie lobaire).

Dans tous les autres cas la durée de l'observation s'étend à plus d'une

demi-année. Dans le cas XXII, il y avait, 19 mois après le début de la

maladie, une lordose, mais l'examen de l'état des muscles abdominaux

était difficile à cause de l'âge de la malade (2 ans et quelques mois) et

nous n'avons pas pour ce cas de renseignements détaillés sur ce point.

Dans le cas XXV, nous avons vu une parésie des muscles abdominaux,

mais pas une paralysie complète; la maladie durait alors depuis 9 mois.

D'après notre avis, le pronostic d'une restauration complète des fonctions

des muscles abdominaux est assez probable pour ce cas.

L'observation XIII nous donne une bonne raison de nous prononcer en

ce sens ; car, dans ce cas, observé par nous trois ans après l'attaque de po-

liomyélite, nous avons constaté une parésie des muscles abdominaux, as-

sez incomplète. Nous avons pratiqué un traitement par des exercices mé-

thodiques des muscles du tronc et nous avons vu s'en suivre presque

à notre surprise une amélioration assez considérable de la paralysie.

En conséquence, cette observation nous montre que la restauration des

fonctions motrices troublées des muscles abdominaux peut se produire

très longtemps après le début de la maladie du moins quand elle a

commencé déjà auparavant.

Dans tous nos cas cités jusqu'ici, il s'est agi d'une paralysie de tous les

muscles abdominaux ou d'une parésie se rapportant, autant que nous

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 417

l'ayons constaté, à tous les muscles abdominaux au même degré. Cepen-

dant, nous avons observé dans deux cas des paralysies partielles des mus-

cles abdominaux. L'un de ces cas n'ayant pas été décrit plus haut, nous

donnons ci-dessous l'histoire du malade.

Observation XXX. F. B.. , fils d'un paysan, 20 ans, de Tolfta, entré à

la clinique le 11 juin 1908.

Après avoir eu mal à la tète et s'être senti indisposé pendant deux ou trois

jours, il est rapidement tombé malade le 8 juin avec des douleurs intenses

dans les deux jambes ; aussi en même temps la céphalalgie devenait très

grave, et dans le front et dans la nuque. Le 10 juin au matin s'est produite

la parésie du membre inférieur droit et, le soir, la parésie du gauche ; le même

jour il y a eu un vomissement.

Etat le 11 juin. - Pas de raideur de la nuque, pas de douleurs quand on

exerce une pression sur la colonne vertébrale. Paralysie presque complète du

membre inférieur droit, parésie du gauche. La motilité des bras est normale.

Il y a une incompétence musculaire du tronc : il ne peut s'asseoir dans le lit

ni se tenir assis, si on l'a aidé à prendre cette position. Les réflexes abdominaux

inférieurs ont disparu, mais les supérieurs persistent. Pas de troubles de la

motilité de la vessie ou du rectum.

Le 13 juin, on remarque que la parésie du membre inférieur gauche a aug-

menté, et le 18 juin la paralysie du membre inférieur droit est complète et

celle du gauche presque complète. Alors on constate que le symptôme de

Lasègue existe des deux côtés ; il y a aussi douleurs, si l'on presse la région

fessière.

Etat le 17 août. La paralysie des membres inférieurs est tout à fait la

même que le t8 juin. Le malade peut s'asseoir dans le lit en s'aidant des

bras, mais ne peut s'y tenir assis sans cela, toutefois dans l'eau, cela est

possible. Les réflexes abdominaux sont les mêmes que le 11 juin. Avec le

courant d'induction il y a réaction des muscles abdominaux au-dessus, mais

pas au-dessous de l'ombilic.

Le symptôme de Lasègue existe encore des deux côtés et le sujet éprouve

des douleurs quand on presse sur les deux nerfs sciatiques.

Le 19 octobre on remarque une asymétrie de l'abdomen, quand les muscles

abdominaux se contractent (par exemple, dans le cas où le malade étant

couché essaye de s'asseoir) ; car le hord inférieur du thorax est plus proémi-

nentà gauche qu'à droite (voy. Pl. XLIII). En examinant le malade plus

attentivement on trouve que la cause en est une parésie du grand oblique

gauche. Cette parésie se constate aussi par la palpation, quand le malade

essaie de contracter les muscles abdominaux.

Etat le 21 janvier 1909. Dans les membres inférieurs, la motilité n'est

revenue qu'à un degré presque infime. Couché, il ne peut fléchir la cuisse sur

le bassin.

Le malade peut maintenant se tenir assis sans aucun appui et sans s'aider

des bras, mais couché, il ne peut se mettre sur son séant sans s'aider des

428 petren ET EHRENBERG

bras. Quand il l'essaie, on voit l'ombilic se déplacer vers le thorax de façon

très prononcée ; en mesurant ce déplacement, nous avons trouvé qu'il était

d'environ 3 centimètres. En examinant l'abdomen pendant la contraction de

ses muscles, on trouve que la cause de ce déplacement est celle-ci, que, seuls,

les parties du grand droit de l'abdomen au-dessus de l'ombilic se contractent

(et fortement) ; quant aux parties de ce muscle au-dessous de l'ombilic, on n'y

peut sentir la moindre contraction. En effet, toute la partie de l'abdomen si-

tuée au-dessous du plan de l'ombilic reste tout à fait flasque sans contraction

perceptible. L'asymétrie de la partie inférieure du thorax pendant la contrac-

tion des muscles de l'abdomen est la même que le 19 octobre.

A l'examen électrique, avec le courant galvanique et avec le courant in-

duit, on obtient des contractions normales du grand oblique droit et des par-

ties des grands droits de l'abdomen situées au-dessus de l'ombilic. Au-des-

sous de l'ombilic, on ne voit aucune contraction et, pour le grand oblique

gauche, on ne peut obtenir que des contractions rudimentaires. Il n'y a aucune

autre altération de la réaction électrique que cette altération quantitative.

On peut obtenir des réflexes abdominaux par irritation d'une partie quel-

conque de l'abdomen, mais le réflexe est toujours absolument le même et d'un

aspect tout à fait particulier : car l'ombilic ne se déplace jamais du côté de

l'irritation, mais le mouvement de réflexe consiste toujours en une contrac-

tion très nette des parties supérieures des grands droits de l'abdomen. On n'a

pas un déplacement dans la direction du thorax aussi manifeste que celui que

j'ai décrit auparavant, quand les muscles intacts de l'abdomen sont contractés

par la volonté ; mais, en regardant le réflexe abdominal, on a plutôt l'impres-

sion que la partie de l'abdomen située au-dessus de l'ombilic s'est retirée vers

la colonne vertébrale.

Quand le malade, dans la position assise, s'est penché en avant et veut se

redresser, il n'a qu'une force très médiocre (comme on peut s'en rendre com-

pte en essayant d'empêcher le mouvement). Par conséquent, on peut faire le

diagnostic d'une parésie des muscles du dos, qui sont les extenseurs du tronc.

La forme de paralysie des muscles abdominaux que l'on observe dans

ce cas n'a pas été décrite jusqu'ici. Quant à l'extension de la paralysie,

le cas correspond dans l'ensemble au cas de Loewegren, cité ci-dessus ; dans

tous les deux, seules, les parties supérieures des muscles abdominaux ont

été conservées et toutes les parties inférieures de ces muscles ont été pa-

ralysées. Dans notre cas, il est remarquable que la contraction des parties

conservées des grands droits ait été aussi forte et, autant que nous pou-

vons en juger, normale, tandis que nous ne pouvions constater aucune

contraction des parties inférieures de ces muscles.

Dans ce cas il est intéressant devoir comment, par suite de cette para-

lysie partielle des grands droits, l'ombilic se déplace vers le thorax, quand

le malade fait contracter ses muscles abdominaux (dans la mesure où ils

sont conservés). Duchenne a observé que l'ombilic se déplace si l'on fait

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 429

contracter par le courant électrique seulement des parties des grands

droits (ce qui serait possible chez des individus maigres); il se déplace

vers le haut pour la contraction des parties supérieures de ces muscles et

vers le bas pour la contraction des parties inférieures.

Comme on le voit, cette observation du maître dans le domaine des

fonctions des muscles est en complet accord avec l'observation que nous a

permis de faire la destruction seulement partielle de ces muscles. Dans

notre cas, le déplacement de l'ombilic était très considérable (environ

3 centimètres), fait qui s'explique, selon moi, par le manque complet de

tonus des parties inférieures paralysées des grands droits. Nous ne con-

naissons pas d'autres observations pouvant nous renseigner sur l'effet

qu'exerce une contraction partielle des grands droits sur un déplacement

de l'ombilic. Une autre observation qui se rapporte à ce cas, c'est que le

réflexe abdominal se fait toujours identiquement par le môme mouvement,

c'est-à-dire par une contraction des parties conservées des grands droits et

jamais on ne voit, comme dans les conditions normales, de mouvement

latéral de l'ombilic (néanmoins le grand oblique droit était conservé).

A un autre point de vue encore, cette observation est, autant que je

peux en juger, unique : c'est en ce qui concerne la paralysie unilatérale

du grand oblique. Lafetra rapporte qu'il a vu des paralysies unilatérales

des muscles obliques, mais il ne donne aucun renseignement sur les symp-

tômes constatés. La conséquence la plus remarquable de cette paralysie,

c'est la déformation du thorax qui se manifeste quand le malade fait se

contracter ses muscles abdominaux ; alors, la partie du bord du thorax

qui est, dans les conditions normales, recouverte et fixée par ces muscles

et qui acquiert une résistance considérable par la contraction de ces mus-

cles puissants, manque ici de cet appui et devient proéminente sous la

pression des autres muscles qui s'insèrent sur le thorax et qui sont con-

servés dans ce cas, du moins en général. Une telle déformation du thorax

résultant d'une paralysie de l'un des deux grands obliques n'a pas été dé-

crite auparavant, autant que je sache.

L'autre cas où nous avons observé une parésie partielle des muscles

abdominaux, c'est l'observation X. Dans ce cas, nous avons eu l'occasion

d'examiner la malade, qui avait depuis longtemps déjà quitté la clinique,

12 mois après le début de la maladie. Les grands droits sont assez bien

conservés ; toutefois, la partie inférieure de ces muscles est réduite à

droite. Nous avons trouvé une paralysie de l'un des deux grands obliques

(droit) et nous avons constaté, comme conséquence de cette paralysie, la

même asymétrie du thorax qui se manifeste par une proéminence du bord

du thorax quand la malade fait contracter ses muscles abdominaux; mais

nous avons en outre observé que cette proéminence asymétrique existe

=1 29

430 PETREN ET EHRENBERG

déjà, mais moins développée, quand la malade est couchée sur le dos au

repos. Quand la malade fait contracter ses muscles abdominaux, on ob-

serve en outre une proéminence de la paroi abdominale entre le bord ex-

térieur du grand droit et l'épine iliaque antéro-supérieure, proéminence

qui est plus prononcée à droite et qui a ici presque la forme d'une hernie.

Cette conséquence des paralysies partielles des muscles abdominaux a été

déjà plusieurs fois observée (Medin, Ibrahim et Hermann).

Sur la paralysie des muscles du dos.

Quant à la paralysie des muscles du dos, il est difficile de constater son

existence pendant la phase aiguë, quand il ya une paralysie des muscles

abdominaux et que,par conséquent, les malades ne peuvent ni s'asseoir ni se

tenir assis. Néanmoins, si l'on songe que les lésions de la poliomyélite pen-

dant cette phase tendent fortement à prendre une grande extension dans

la moelle, il est très probable qu'on a toujours, quand il y a au début de

la maladie une paralysie des muscles abdominaux, en même temps une

paralysie des muscles du dos. D'ailleurs, on n'avait jusqu'ici prêté attention

la paralysie des muscles du dos que presque uniquement dans les cas où elle

avait causé une déformation de la colonne vertébrale.

Parmi les cas cités ci-dessus, où nous avons vu des troubles moteurs des

muscles abdominaux persistant pendant toute la durée de noire observa-

tion, il n'y en a qu'un où nous ayons constaté une motilité normale des

muscles du dos : des l'observation X, où la malade pouvait se pencher en

avant pour ramasser un objet sur le plancher et se relever sans la moin-

dre difficulté et d'une façon normale. Quant au cas XXII, nous n'avons

aucune note sur l'état des muscles du dos.

Dans le cas XIX, où la malade est morte d'une pneumonie lohaire, nous

n'avons jamais eu l'occasion' d'examiner le fonctionnement des muscles

du dos, car la malade a eu tout le temps une paralysie complète des mus-

cles abdominaux et est toujours restée couchée.

Pour le cas XI, où il n'y a encore qu'un commencement de motilité des

muscles abdominaux, il nous semble également qu'il existe une parésie

intense des extenseurs du dos; cependant il est difficile d'en faire un

examen net par la méthode correspondant à celle avec laquelle nous

avons examiné l'état des muscles abdominaux, parce que dans la position

assise, la flexion en avant de la colonne vertébrale lui cause encore de

fortes douleurs, et surtout l'essai d'employer la force des muscles du dos,

qui sont les extenseurs du tronc.

Dans les cas XIII et XX, nous avons constaté la faiblesse des muscles

du dos en faisant se pencher en avant les malades assis et en étudiant

quelle résistance ils peuvent vaincre en se relevant.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 431

Dans le cas XXV, la paralysie des muscles du dos se montre par l'im-

possibilité qu'a le malade assis (de très haute taille, probablement environ

1 m. 90, mais mince) de tenir le tronc debout sans s'aider des bras, sans

que la partie supérieure du tronc tombe en avant. C'est le seul de nos cas

où l'on pourrait dire que la parésie des muscles du dos est plus dévelop-

pée que celle des muscles abdominaux. '

Nous n'avons jamais observé de déformation nette de la colonne verté-

brale. Il faut probablement assez longtemps pour qu'elle se manifeste. Le

seul cas où il semble qu'il y ait lieu de craindre le développement d'une

déformation, c'est le cas V.

En résumé, nos expériences sont en faveur de cette conclusion, que les

troubles moteurs des muscles du dos sont assez fréquents. Certainement,

nos expériences sont beaucoup trop restreintes pour permettre des conclu-

sions fermes ; en tout cas, il est évident qu'on n'a jusqu'ici presque jamais

prêté suffisamment attention à l'état des muscles du dos avant le moment

où l'on s'est trouvé en présence d'une déformation de la colonne verte-

brale.

(A suivre)

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS

(séance DU 13 MAI 1909).

UN CAS DE MYASTHÉNIE GRAVE D'ERB-GOLDFLAM

AVEC AUTOPSIE

PA li

LAIGNEL-LAVASTINE et L. BOUDON.

La rareté des observations anatomo-cliniques complètes de myasthénie

grave d'Erb-Goldtlam, la variété des altérations histologiques qu'on y a

signalées et l'obscurité de la pathogénie de ce syndrome nous engagent à

présenter à la Société de Neurologie le cas suivant, que nous avons eu

l'occasion d'étudier dans le service de notre maître, M. le professeur Gil-

bert Ballet et dans lequel les lésions musculaires nous paraissent parti-

culièrement remarquables.

Observation.

Ueb... Marie, 17 ans, sans profession, entre à l'Hôtel-Dieu le 21 mai 1908,

dans le service de notre maître, M. le professeur Gilbert Ballet.

Il n'y a rien à noter de particulier dans ses antécédents héréditaires : sou

père et sa mère sont vivants et bien portants ; elle a plusieurs frères et soeurs

en bonne santé.

L'enfance de la malade n'a rien offert d'anormal ; elle n'a jamais eu de con-

vulsions ; la seule maladie dont elle ait été atteinte est la rougeole. Elle fut

réglée à 16 ans, mais d'une façon très irrégulière ; au bout de quelques mois

en effet ses règles cessèrent et cette période d'aménorrhée persista pendant six

mois. Puis les règles reparurent et la malade a été réglée assez régulièrement

depuis trois mois.

Elle a fait ses études sans peine, mais sa famille nous dit que depuis t'age

de 12 ans la malade se plaignait de maux de tête qui ont persisté jusqu'à l'épo-

que actuelle.

Le début de la maladie actuelle remonte à deux ans. A cette époque (mai

1906), la malade présenta du ptosis de la paupière droite et du strabisme dé-

terminant de la diplopie. Ces accidents persistèrent pendant trois semaines,

puis, spontanément, disparurent complètement. Depuis lors le ptosis s'est re-

produit deux ou trois fois, apparaissant brusquement, sans cause appréciable

et disparaissant de même.

UN CAS DE MYASTHÉNIE GRAVE D'ERB-GOLDFLAM 433

Quelques mois après le début de ces accidents, en septembre 1906, apparurent

des troubles du côté des membres inférieurs ; à l'occasion d'efforts, lorsqu'elle

voulait marcher rapidement ou courir,la malade sentait ses genoux fléchir et se

laissait tomber, s'effondrant en quelque sorte sur elle-même. Elle pouvait se

relever facilement et toute seule sans avoir recours à l'aide d'une personne.

Ces troubles du côté des membres inférieurs apparaissaient par périodes sous

forme de crises et la mère de la malade a observé que pendant ces crises la par-

tie antérieure du cou de sa fille devenait plus volumineuse. En dehors de ces

périodes de crises où survenaient les accidents que nous venons de décrire, la

malade paraissait à son entourage à peu près normale et elle pouvait vaquer

comme auparavant aux soins du ménage. Le médecin qui la soignait à cette

époque, croyant d'abord se trouver en présence d'accidents purement névropa-

thiques, lui donna de la valériane et du bromure, sans succès d'ailleurs. Il

essaya ensuite de l'extrait d'ovaire et d'hypophyse et cette nouvelle médication

fut suivie pendant un certain temps d'une amélioration réelle.

Puis, une aggravation se produisit : dans ces derniers temps, les accidents du

côté des membres inférieurs devinrent plus fréquents ; ils étaient devenus

également plus intenses et la malade éprouvait plus de difficulté à se relever

après ses chutes. En même temps apparurent des accidents du côté des mem-

bres supérieurs.

Enfin, tout récemment, la malade commença à être atteinte de crises d'étonf-

fement avec cyanose du visage et la gravité de ces accidents détermina ses pa-

rents à la conduire à l'hôpital.

Etat de la malade le 2 : 1. mai 1908. - Pacte, Le masque facial, immobile,

a perdu toute expression ; le front est lisse, sans rides. La malade ouvre faci-

lement les yeux, mais elle éprouve une difficulté considérable à faire exécu-

ter le moindre mouvement aux muscles du visage et ne peut froncer le front.

Yeux. - Les yeux sont légèrement saillants ; il n'existe pas de ptosis ; par

moments on constate du strabisme interne de l'oeil gauche par paralysie du

droit externe gauche qui amène de la diplopie.

Le champ visuel est normal ; il n'y a pas de dyschromatopsie.

Les réflexes pupillaires à la lumière et à la distance sont normaux.

Cou. On constate nettement à la partie intérieure du cou la saillie du

corps thyroïde mobile avec les mouvements d'élévation de la trachée.

Les muscles du cou se sont nettement parésiés.La malade couchée, immobile,

laisse sa tête reposer sur l'oreiller sans mouvements ; quand on l'assied sur

son lit, la tête est ballante et retombe en arrière. Cependant si on ordonne à

la malade d'exécuter les mouvements de flexion et d'extension de la tête, elle

peut esquisser ces mouvements, mais bientôt la tête retombe lourdement en

arrière.

Langue, voile du palais, larynx. La langue n'est pas paralysée et la

malade lui fait exécuter des mouvements sans difficulté. Mais la déglutition est

difficile ; quand nous faisons boire la malade, elle hésite à introduire le liquide

dans sa bouche, puis l'avale difficilement en rejetant la tête en arrière. Elle

ne le rend pas par le nez. Cependant l'infirmière chargée des soins de la ma-

434 LAIGNEL-LAVAS 1 1NE ET BOUDON

lade nous affirme qu'elle l'a vue à plusieurs reprises rejeter les liquides par le

nez. La voix est nasonnée. La malade éprouve une grande difficulté à souffler,

et même à une distance assez rapprochée, il lui est impossible d'éteindre une

bougie.

Membres supérieurs. La force y est très diminuée,et on s'en rend compte

facilement au dynamomètre qui ne marque pas plus de 10. Si on ordonne à la

malade de serrer la main qu'on lui tend, elle la serre légèrement, mais très vite

tout effort lui devient impossible. Les muscles fléchisseurs et extenseurs de

l'avant-bras sur le bras offrent, quand on ordonne à la malade de s'opposer à

un mouvement, une certaine résistance, qui rapidement est épuisée. Il en est

de même des muscles de l'épaule. La préhension des objets volumineux est

possible, mais celle des petits objets offre de grandes difficultés.

Les réflexes tendineux sont faibles.

Membres inférieurs. La malade étant au lit, elle peut sans trop de diffi-

cultés étendre et fléchir ses jambes ; mais la résistance musculaire aux mouve-

ments passifs est considérablement diminuée des deux côtés et surtout à la

racine des membres.

Nous essayons de faire lever la malade et de la faire marcher, mais brus-

quement elle s'affaisse sur elle-même. Elle ne perd pas connaissance, mais

transportée immédiatement sur son lit, elle se débat quelques instants, forte-

ment cyanosée ; elle se plaint d'étouffer et demande qu'on la couche sur le côté,

mouvement qu'elle ne peut exécuter elle-même. Au bout de quelques mi-

nutes tout rentre dans l'ordre. La crise à laquelle nous avons assisté reproduit,

au dire de la mère, les crises que la malade présente depuis le début des acci-

dents. Survenant au moindre effort aujourd'hui, ces crises n'apparaissaient

autrefois qu'après une certaine fatigue.

Les réflexes rotuliens sont faibles ; les réflexes cutanés sont normaux :

l'excitation de la plante du pied détermine la flexion du gros orteil.

Sensibilité. Anesthésie de la cornée et du pharynx ; sur le reste du

corps il n'existe aucun trouble de la sensibilité au tact et à la douleur et de la

sensibilité thermique. 1

Organes des sens. L'ouïe est normale. Du côté de l'odorat il existe nette-

ment de l'hyperosmie douloureuse ; le malade ne peut supporter les odeurs

trop fortes, celles de l'éther ou de l'ammoniaque par exemple.

Appareil circulatoire. Le pouls bat à 92 ; la pression artérielle de la

radiale prise au sphygmomanomètre de Potain est de 12. La malade se plaint t

de palpitations et de sensation d'oppression à l'occasion du moindre effort.

Appareils digestif, urinaire, respiratoire. Normaux.

25 mai 1908. Malgré le repos au lit, crise d'étouffement,

26. La malade ne se plaint d'aucun trouble respiratoire ; cependant la

respiration est irrégulière, entrecoupée de phases d'apnée se prolongeant assez

longtemps. Le pouls est régulier à 65.

De 4 heures à 7 heures de l'après-midi la malade a éprouvé une grande dif-

ficulté à respirer ; puis brusquement vers 7 heures et demie, elle a cessé de res-

pirer, s'est cyanosée. L'interne de garde appelé a pratiqué la respiration artif¡.

UN CAS DE MYASTHÉNIE GRAVE D·Elt13-COLUFLA\L 135

cielle. Peu à peu, les mouvements respiratoires ont réapparu, et la malade qui

avait perdu connaissance est revenue à elle ; au cours de cette crise la malade

ne s'est pas débattue, mais elle a eu une miction involontaire.

27. - On constate nettement aujourd'hui des signes d'ophtalmoplégie ex-

terne. Il n'existe pas de ptosis, mais les mouvements d'abaissement et d'éléva.

tion des globes oculaires sont à peu près nuls. Les mouvements dans le sens

transversal sont très limités. Cette ophtalmoplégie varie nettement d'intensité

d'un moment à l'autre et au cours de notre examen nous la voyons disparaître

puis reparaître. '

Les réactions pupillaires sont toujours normales.

Les troubles moteurs sont toujours aussi marqués du côté des membres ; ils

présentent la même variabilité que l'ophtalmoplégie : c'est ainsi que la malade

qui ne pouvait élever les bras au début de notre examen les élève facilement

au bout de quelques minutes.

Le pouls est régulier à 82.

Il ne persiste rien des troubles respiratoires constatés la veille.

L'état mental de la malade mérite d'attirer notre attention. Elle a un aspect

apathique, indifférent, résigné. Elle n'a fait aucune objection pour quitter sa

famille qui demeure en province, et rester loin des siens à l'hôpital. Dans le

service, elle ne parle pas spontanément, s'adressant seulement aux infirmières

pour leur demander ce qui lui est indispensable. Quand nous l'examinons, elle

paraît demeurer indifférente à ce qui se passe autour d'elle ; elle ne fait aucun

effort et se contente de répondre laconiquement aux questions qu'on lui pose.

Elle est très bien orientée dans l'espace et dans le temps.

Vers 9 heures du soir, la malade est prise brusquement d'une crise d'oppres- '

sion. L'un de nous, appelé auprès d'elle, la trouve cyanosée, le regard éteint,

la langue sortant hors de la bouche. Nous avons constaté à ce moment que le

coeur battait régulièrement et qu'il n'existait pas de tachycardie. Nous avons

praliqué immédiatement la respiration artificielle ; mais malgré nos efforts,

le pouls cessait peu à peu de battre et la malade succombait.

Autopsie. - L'autopsie a été pratiquée 36 heures après la mort.

A l'ouverture de la cavité thoracique, nous constatons, au devant de l'aorte

et de l'artère pulmonaire, la présence d'uue tumeur. Eu bas, cette tumeur

part de la partie moyenne de l'aorte ascendante ; elle est formée à ce niveau

d'une seule masse qui très rapidement se divise en deux parties aplaties,

remontant entre gros les vaisseaux.

On enlève facilement la tumeur qui est unie aux organes voisins par du

tissu cellulaire lâche et ne paraît exercer aucune compression. Son poids est de

36 grammes. Son aspect apparaît alors plus nettement : elle a-la forme d'un fer

à cheval, constituée par deux parties verticales, hautes respectivement de

9 cent. 5 et de 7 cent. 5, larges chacune de 4 centimètres à leur partie infé-

rieure et à leur partie moyenne, s'effilant à leur partie supérieure. L'épais-

seur maxima de chacune de ces portions verticales ne dépasse pas 1 cent. 5.

436 LAIGNEL-LAVASTINE ET BOUDON

A leur partie inférieure, ces deux parties verticales sont unies par une partie

transversale large de 3 centimètres,épaisse de quelques millimètres seulement.

A la coupe, cette tumeur apparaît entourée d'une couche de tissu conjonctif

épaissi. Sa couleur est uniformément rosée ; elle ne présente de kyste en aucun

point.

Le coeur est petit, contracté en systole ; les cavités droites paraissent un

peu dilatées ; elles ne contiennent que du sang noir sans caillots. Il n'existe

aucune lésion valvulaire.

Les poumons sont congestionnés. Au sommet du poumon gauche il existe

un petit tubercule sous-pleural de la grosseur d'une tête d'épingle.

, Le foie, le pancréas, les reins sont normaux.

La rate est volumineuse : son poids est de 230 grammes.

Le corps thyroïde est très volumineux ; il pèse 50 grammes. De la partie

gauche de l'isthme se détache la pyramide de Lalouette augmentée de volume

comme chacun des lobes. Cette hypertrophie porte sur l'ensemble de la glande

dans laquelle n'existe aucun kyste. '

Les surrénales ont leur aspect et leur poids normaux.

L'hypophyse pèse 0 gr. 50.

Examen histologique. Le foie, la rate, les reins sont normaux.

Le pancréas était trop altéré par les modifications cadavériques pour pou-

voir être étudié.

Les ovaires sont le siège d'une sclérose intense : on ne peut trouver sur

chaque coupe intéressant tout l'organe que deux ou trois follicules de Graaf.

Dans l'un des ovaires existent deux petits kystes remplis de substance colloïde.

Système nerveux central. Nous avons employé les méthodes suivantes :

hématoxyline-éosine, hématoxyline-van Gieson, méthode de Nissl.

Nos examens vont porté sur les circonvolutions rolandiques,sur les pédoncu-

les cérébraux au niveau du noyau de la lue paire, sur des coupes de la protu-

bérance intéressant les noyaux du facial et du moteur oculaire externe et sur

des coupes du bulbe pour l'étude des noyaux des quatre dernières paires de

nerfs crâniens.

Les cellules de tous ces noyaux nous ont paru absolument normales, tant

en ce qui concerne leur nombre que leur morphologie. Certaines d'entre elles

présentaient cependant une pigmentation un peu plus marquée que normale-

ment.

L'étude de la moelle a été faite sur des fragments de régions cervicale, dorsale

et lombaire par les mêmes méthodes que celles employées pour le cerveau et

la protubérance, et par la méthode de Weigert-Pal.

Les cellules des cornes antérieures étaient normales sur toutes les coupes

examinées, et la moelle ne présentait pas d'autres modifications qu'une aug-

mentation de nombre des cellules épendymaires. La prolifération de celles-ci

obstruait à certains niveaux la lumière de l'épendyme et on voyait ces cellules

pénétrer dans l'épaisseur de la substance blanche assez loin de la cavité cen-

trale oblitérée.

UN CAS DE MYASTHÉNIE GRAVE D'ERB-GOLDFLAM 437

Nous avons traité par la méthode de Cajal des fragments du bulbe et de la

moelle, et des ganglions rachidiens, mais, sans doute en raison des altérations

cadavériques, nous n'avons pas pu obtenir de résultats satisfaisants.

Les ganglions spinaux étaient normaux.

Nous avons étudié le nerf facial, moteur oculaire commun, moteur oculaire

externe, trijumeau, les racines du glosso-pharyngien, du pneumo-gastrique,

du spinal.

L'examen de ces nerfs après coloration à 1'liéinatoxyli ne -éosine, à l'héma-

toxyline-van Gieson, au Marchi, au picro-carmin ne nous a révélé aucune

lésion.

Muscles. L'examen a porté sur les muscles sterno-cléido-mastoïdien et

thyro-hyoïdien et sur les muscles du pharynx.

Sterno-cléido-mastoïdien et lhyro-hyoïdien. Légère sclérose inter-fasci-

culaire. La graisse interstitielle ne paraît pas augmentée.

Sur les coupes colorées à l'hématoxyline-éosine, on constate une augmen-

tation des noyaux interstitiels. De plus, sur quelques préparations il existe

des amas cellulaires développés en général autour des vaisseaux à un fort gros-

sissement, on constate que ces amas cellulaires sont formés pour leur plus

grande partie de cellules rondes dont le noyau fortement coloré occupe presque

tout le corps, entouré seulement d'une mince couche de protoplasma : ces cel-

lules sont donc des lymphocytes. En outre, quelques cellules ont tous les carac-

tères des cellules conjonctives et un petit nombre, plus claires, sont analogues

aux cellules du sarcolemme. Sur des coupes colorées par la thionine phéniquée,

on constate enfin la présence, mais en petit nombre, de mastzellen.

On rencontre des amas de cellules analogues sur quelques coupes au milieu

des fibres musculaires.

Les fibres elles-mêmes ont presque toutes leur striation normale conservée.

Certaines ne présentent aucune modification ni du myoplasme, ni du sarco-

plasme.

Un nombre relativement considérable de fibres présentent une augmentation

des noyaux du sarcolemme qui dans certains cas sont allongés les uns à la suite

des autres sans interruption, au nombre de huit à dix et même davantage.

Certaines fibres, peu nombreuses, sur une longueur égale à deux ou trois

fois leur diamètre, offrent une prolifération de leurs noyaux qui forment à l'in-

térieur de la fibre un véritable amas ; en ces points la striation transversale

est disparue, la striation longitudinale demeure seule visible : cette régression

plasrnodiale de la fibre n'occupe qu'une partie très limitée de celle-ci qui re

trouve en dehors du point lésé sa striation normale.

Nous avons vu quelques fibres, présentant toujours une prolifération de

leurs noyaux, donner naissance à trois ou quatre fibres plus petites dont les

noyaux étaient également prolifères. Cette division se faisait non par exfolia-,

tion, mais par division longitudinale. La striation transversale était conservée

aussi bien dans la fibre qui se divisait que dans celles qui naissaient de sa divi-

sion. Ces lésions se retrouvent dans les myopathies.

438 LAIGNEL-LAVASTINE ET BOUDON

Enfin, sur des coupes colorées à l'hématoxyline-van Gieson, nous avons

constaté les lésions suivantes :

Sur des coupes intéressant les fibres dans le sens de leur longueur, on voit

des groupes de deux ou trois libres perdre toute striation. En ces points qui

n'intéressent les fibres que sur une longueur très limitée, ne dépassant pas

deux ou trois fois leur diamètre, les noyaux du sarcolemme sont proliférés et

occupent l'épaisseur de la fibre tout entière. Tout-autour des fibres existe une

légère infiltration de cellules conjonctives et de lymphocytes et quelques fibres

conjonctives. A l'intérieur même des fibres, on peut constater la présence de

fibrilles conjonctives colorées en rouge, qui commencent à être visibles quand

la striation transversale cesse et qui n'existent plus au point où la striation

reparaît.Ces lésions sont identiques celles que Durante a décrites sous le nom

de métamorphose fibreuse de la fibre musculaire.

Nous n'avons pas pu trouver, sur des coupes traitées par l'acide osmique ou

le Soudan III, de dégénérescence graisseuse des fibres.

Muscles du pharynx. - Sur les coupes colorées à l'hématoxyline-éosine on

retrouve dans le tissu conjonctif et particulièrement au voisinage des vaisseaux

des amas cellulaires analogues à ceux que nous avons signalés dans les mus-

cles précédents (PI. XLIV).

Au milieu des libres musculaires (fig. 1), ces cellules- apparaissent moins

sous forme d'amas que sous forme d'une infiltration diffuse d'éléments cellu-

laires disposés irrégulièrement autour des fibres. Sur les points où les fibres

sont coupées perpendiculairement à leur direction, on les voit en certains

points entourées complètement par l'infiltration cellulaire.

Ces lésions ne s'observent qu'en certains points. En d'autres en effet l'aspect

général du muscle est absolument normal.

Nous avons cherché à préciser quelle était la nature des éléments cellulai-

res infiltrés dans le tissu conjonctif et entre les fibres.

Sur des coupes colorées à la thionine phéniquée et au bleu de Unna, on

constate que les unes sont des lymphocytes, d'autres des cellules conjonctives ;

certaines enfin, très volumineuses, présentent tous les caractères des mastzellen

d'Ehrlich (fig. 2). On voit ces dernières particulièrement nombreuses au voisi-

nage des vaisseaux où elles sont étalées. Le corps de la cellule est rempli de

granulations métachromatiques violettes, volumineuses, en général serrées les

unes contre les autres, souvent aussi plus clairsemées et même répandues à

une certaine distance du corps cellulaire. Le noyau de ces cellules est arrondi,

coloré en bleu de façon un peu plus intense que normalement. Il est rejeté à

la périphérie de la cellule et présente plusieurs nucléoles.

On retrouve les mêmes cellules au milieu même des fibres musculaires où

elles sont, en raison du peu d'espace qui existe entre les fibres, allongées en

grain de blé, avec leur noyau situé à une de leurs extrémités.

Sur les coupes intéressant le pharynx transversalement, et où il était possi-

ble d'étudier les lésions depuis la muqueuse jusqu'aux fibres musculaires les

plus profondes, nous avons pu constater, que le tissu lymphoïde du pharynx

NOUVELLE Iconographie de la SALPÊTRIÈRE T. XXII. PI. XLIV

MYASTHENIE GRAVE D'ERB-GOLDFLAM

(Laignel-Lavastine et L. BOlldoll),

Masson & CIC, Editeurs.

Phototypie 13erthaud

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière T. XXII. PI. XLV

MYASTHENIE GRAVE D'ERI3-GOLDPLAM

(Laigl1el-Lavaslille el L. Boudon).

Masson & CIO, Editeurs.

UN CAS DE MYASTÉNIE GRAVE D'ERB-GOLDFLAM 439

était normal. La présence des mastzellen n'était pas plus fréquente dans les

régions voisines de la muqueuse que dans les parties plus profondes.

Les libres musculaires sont normales en dehors des points où existe l'infiltra-

tion cellulaire. Leur striation est bien visible ; le nombre des noyaux n'est pas

augmenté.

En revanclie, aux points où existent les lésions que nous venons de décrire,

certaines présentent une accentuation très nette de leur striation longitudinale

avec disparition de la striation transversale ; leurs noyaux sont prolifères :

cela est très visible sur les coupes transversales où l'on voit la surface de sec-

tion de certaines fibres occupée uniquement par des noyaux, et sur des coupes

longitudinales où l'on constate, mais en des points toujours très limités pour

une même fibre, une prolifération des noyaux du sarcolemme avec disparition

de toute striation.

Sur des coupes faites par congélation et colorées au Soudan III, on voit net-

tement à un fort grossissement, à l'intérieur même des fibres musculaires, aux

points où la striation a disparu, de fines gouttelettes de graisse disposées en

petit-nombre, les unes à la suite des autres dans la direction de la fibre.

Les nerfs intéressés par les coupes étaient normaux.

Le mode de fixation employé ne nous a pas permis d'étudier les plaques

motrices.

Certaines glandes à sécrétion interne présentent des altérations intéressantes.

Les capsules surrénales sont normales et ne sont le siège d'aucune alté-

ration.

La tumeur trouvée au devant de l'aorte était constituée par le thymus. Ce-

lui ci, en dehors d'une grosse vascularisation et d'une sclérose légère, offre

tous les caractères du thymus normal. La substance corticale et la médullaire

ne présentent aucune modification. Cependant les corpuscules de IIassal assez

nombreux dans la substance médullaire de certains lobules font dans d'autres

complètement défaut. Les vaisseaux n'offrent pas d'altérations.

Hypophyses Des capillaires très nombreux et gorgés de sang forment

des travées radiées qui s'arrêtent à une faible distance de la périphérie.

La capsule est épaissie et le tissu conjonctif interacineux forme en certains

points des bandes qui accompagnent les capillaires dilatés.

La disposition acineuse est conservée presque partout sauf en quelques en-

droits où elle est disparue par suite de la prolifération cellulaire.

Les cellules chromophiles sont beaucoup plus nombreuses que les cellules

chromophobes et certains acini centraux en particulier sont uniquement cons-

titués par de grosses cellules éosinophiles. Le colloïde est peu abondant.

Glande thyroïde (PI. XLV). A un faible grossissement, on voit de larges

bandes de sclérose, colorées en rouge au van Gieson, qui forment à l'inté-

rieur de la glande des travées épaisses partant des vaisseaux. Elles isolent

des îlots de vésicules thyroïdiennes. Celles-ci apparaissent beaucoup plus

nombreuses et plus petites que dans un corps thyroïde normal (fig. 3).

A un grossissement moyen, on constate les modifications suivantes : Tous

440 LAIGNEG-LAVASTINE ET BOUDON

es vaisseaux, même les capillaires, sont gorgés de sang. En ce qui concerne

l'élément glandulaire, il existe tous les intermédiaires entre des vésicules

extrêmement petites et de grosses vésicules qui demeurent à la vérité plus

petites que celles d'une glande thyroïde normale.

Les vésicules les plus petites et celles d'un volume moyen apparaissent

presque toutes remplies de cellules à travers lesquelles il est possible de

constater l'existence de substance colloïde.

La paroi des vésicules les plus volumineuses est recouverte d'une ou plus

souvent de plusieurs rangées de cellules cubiques, à noyau bien coloré. Les

gouttes sarcodiques ne diffèrent pas de celles d'une thyroïde normale. Sur la

paroi du plus grand nombre de ces vésicules, on constate une prolifération

de l'épithélium sous forme de bourgeons cellulaires ramifiés qui pénètrent

plus ou moins loin à l'intérieur des vésicules.

L'examen des coupes colorées à l'hématoxyline-van Gieson permet de suivre

l'évolution des vésicules. On voit en effet les détails suivants (fig. 4) : certaines

vésicules volumineuses, entourées d'une mince couche de tissu conjonctif,

présentent sur un point de leur paroi une prolifération de leurs cellules. Il se

forme ainsi une sorte d'éepron qui pénètre dans la cavité de la vésicule, et

on peut voir de fines fibrilles conjonctives qui se détachent du tissu conjonctif

environnant pour pénétrer à la base de cet éperon cellulaire et en former en

quelque sorte le squelette.

Il n'est pas rare de voir, sur un point de la vésicule situé en face de celui

d'où s'est détaché le bourgeon cellulaire précédent, une formation analogue

se constituer.

On trouve tous les intermédiaires entre les vésicules qui commencent à se

diviser et celles dont la division est terminée.

Les vésicules nées des premières se divisent à leur tour, et il existe en

certains points des amas de petites vésicules, réunies par une coque conjonc-

tive commune. Leur forme montre clairement qu'elles résultent de divisions

successives d'une vésicule thyroïdienne primitive.

Nous n'insisterons pas sur le côté clinique de cette observation : on y

retrouve en effet tant dans l'histoire de la malade, que dans l'examen que

nous avons pu en faire, tous les caractères de la myasthénie. Comme cela

est presque la règle, c'est à des troubles respiratoires que notre malade a

succombé. L'examen électrique n'a pas été pratiqué en raison du peu de

temps pendant lequel nous avons suivi la malade : nous ne pensons pas que

cela puisse infirmer le diagnostic porté : il est établi en effet d'une part

que la réaction d'épuisement n'est pas constant dans la myasthénie et

d'autre part qu'on peut l'observer dans un grand nombre d'affections.

En ce qui concerne le résultat de l'autopsie, la persistance du thymus

est devenue un fait banal. Les lésions des muscles présentent un plus

UN CAS DE MYASTHÉNIE GRAVE d'eRB-GOLDFLAM 441

grand intérêt. Les altérations de la fibre musculaire avaient déjà été décrites

dans la myasthénie, sauf, cependant, les lésions de métamorphose fibreuse

que nous avons observées. Mais il nous semble que le fait intéressant est

d'avoir pu préciser la nature des éléments cellulaires infiltrés au milieu

des fibres : la banalité même de ces cellules, le peu d'intensité de la réac-

tion interstitielle nous indiquent que toute idée d'une inflammation du

muscle doit être éliminée.

Enfin un fait des plus importants est fourni par l'examen du corps

pituitaire et de la thyroïdè.Les lésions trouvées dans ces glandes indiquent

qu'elles étaient chez notre malade en hyperfonclionnement : nous n'insis-

terons pas sur ce fait qui est l'objet d'un travail de l'un de nous.

(1) Travail du service et du laboratoire du professeur Gilbert-Ballet, à l'Hôtel-Dieu.

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS

(SÉANCE DU 3 FÉVRIER 1909)

UN CAS DE GIGANTISME INFANTILIQUE

PAR

le Dr Georges THIBIERGE,

Médecin de l'Hôpital St-Louis.

et

Pierre GASTINEL,

Interne des Hôpitaux.

Otto von F..., âgé de 52 ans, serrurier, entre à l'hôpital St-Louis, pour

un ulcère variqueux de la jambe gauche. ,

L'attention est appelée immédiatement par sa grande taille et surtout par son

aspect infantile, d' « adolescent vieillot », au visage imberbe, à la voix de cas-

trat, aux allures féminines.

Antécédents héréditaires. -Le père d'Otto, qui exerçait la profession de

tonnelier, était grand et fort ; il mesurait environ 1 m. 70, et est mort à

l'âge de 57 ans.

Sa mère était de taille moyenne ; elle est morte à 55 ans.

Ils habitaient la Suisse, aux environs de Soleure ; c'est là que leurs enfants

sont nés.

Otto est le dernier de leurs quatre enfants.

L'aîné, qui est mort vers l'âge de 56 ans, nous n'avons pu avoir aucun

renseignement sur les causes de sa mort était, dit notre sujet, aussi grand

et aussi fort que lui-même.

Le second enfant est une fille, de taille moyenne, qui est du côté de la mère

et de laquelle Otto n'a depuis longtemps aucune nouvelle.

L'autre fille est, parait-il, grande et bien portante.

Antécédents personnels. Otto est né à terme. Son enfance a été maladive ;

il en a été de même de son adolescence. Néanmoins il n'a pas fait de maladies

sérieuses dignes d'être notées.

De très bonne heure, il se faisait remarquer par sa grande taille, qui con-

trastait avec sa grande maigreur. A l'époque de sa première communion, à

l'âge de 12 ans, il dépassait au moins de la tête le plus grand de ses cama-

rades.

Lorsqu'il est passé au conseil de révision, il mesurait 1 m. 87 et était de

beaucoup l'homme le plus grand de son régiment.

Pendant son service militaire, il ne fut jamais malade. Il assure que, depuis

cette époque, il n'a plus grandi.

Il semble bien, quoique les renseignements qu'il fournit ne soient pas d'une

précision absolue, que sa croissance s'est faite régulièrement et saus le moiti-

dre à-coup.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XLVI

GIGANTISME INFANTILIQUE

(Thibierge et Gast1llil),

Masson & Cie, Editeurs.

Phototypie Berthaud

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE ! . zip. XXII. PI. XLVII

GIGANTISME INPANTILIQUE

(Thibierge el Gastinil).

Masson & CIO, Editeurs.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T, XXII. PL. XL VIII

GIGANTISME INFANTILIQUE

(Thibierge el Gastmil),

UN CAS DE GIGANTISME INFANTILIQUE 44)

Mais il n'en est pas de même de son accroissement en largeur : c'est seule-

ment vers l'âge de 30 ans qu'il a commencé à enforcir, à épaissir et a cessé

d'être l' « asperge » qu'il était jusque-là ; son torse s'est développé depuis

cette époque ; mais surtout ses mains sont devenues plus volumineuses, larges

et assez puissantes, ce qu'il explique par l'exercice de sa profession de forgeron

serrurier.

Etat actuel. Lorsqu'on examine Otto, deux faits attirent, ainsi que nous

l'avons dit, l'attention : ce sont sa taille élevée d'une part, son aspect infantile

d'autre part (PI. XLVI, XLVII).

Il dépasse de beaucoup la taille moyenne, quoiqu'il présente un degré assez

accusé de cyphose.

Lorsqu'on le fait appuyer contre un mur et qu'on l'engage à se tenir aussi droit

que possible, on lui trouve une hauteur verticale de 1 m. 88. Il semble qu'une

grande partie de cette haute taille soit due à-l'allongement des membres infé-

rieurs, qui mesurent, du grand trochanter à la plante du pied, 1 m. 04; en

effet, on admet que la longueur des membres inférieurs représente les 10/19

de la hauteur totale, ces membres ne devraient mesurer que 0 m. 99. Il y a

lieu cependant de noter que la cyphose n'est pas exactement corrigée, ce qui

diminue la valeur réelle du segment sus-trochantérien.

La distance sterno-pubienne est de 53 centimètres ; celle du pubis au sol

est de 1 m. 025.

L'allongement des membres supérieurs est également très uet : en position

horizontale, ils mesurent jusqu'à l'extrémité du médius 0 m. 845.

Lorsque les bras sont pendants le long du corps, l'extrémité du médius est

à environ 11 centimètres de l'interligne de l'articulation du genou.

La grande envergure atteint 1 m . 95.

Les différents segments du corps sont bien conformés.

Le tour de taille sous-mamelonnaire mesure 0 m. 93.

La circonférence des membres paraît partout normale.

Les mains sont volumineuses, par comparaison surtout avec les autres seg-

ments des membres supérieurs : elles sont allongées dans le sens vertical ;

elles sont loin d'avoir l'aspect « en battoirs », les doigts sont élargis en forme

de boudins ; seuls les médius sont épais et carrés à leur extrémité ; les autres

doigts présentent une convexité prononcée de leur extrémité (PI.XLVIII).

Le pouce mesure 7 centimètres de long et 8 centimètres de circonférence

à sa base. ,

Adroite, le médius dépasse d'environ 1 centimètre l'index et l'annulaire ;

celui-ci dépasse de 3 cent. 5 l'auriculaire.

A gauche, l'index est un peu plus long que l'annulaire, lequel a 1 centimètre

de moins que le médius et 3 cent. 25 de plus que l'annulaire.

Les ongles des deux médius sont convexes dans le sens vertical comme dans

le sens transversal, surtout à droite. Les autres ongles sont convexes unique-

ment dans le sens transversal, et en forme de Lente.

Les pieds sont à l'avenant des mains : épais, larges) ils ont 0 m. 295 de Ion-

444 THIBIERGE ET GASTINEL

gueur et mesurent 0 m. 11 de large au niveau du pli de flexion des orteils. La

voûte plantaire est affaissée et le pied complètement plat.

Les gros orteils sont très volumineux et mesurent 7 cent. 5 de long ; l'extré-

mité libre, de forme carrée à gauche, est arrondie à droite, où la 2* phalange

rappelle la forme d'un bulbe d'oignon ; le 2c orteil droit présente une coufigura-

tion analogue.

L'extrémité des orteils forme dans son ensemble une ligne fortement oblique

en arrière et en dehors : celle du 5e orteil correspond à droite au niveau de la

partie moyenne de la 4Te phalange du gros orteil, à gauche à l'union du tiers

antérieur et du tiers moyen de cette même ire phalange.

Les muscles des membres sont peu développés ; même aux membres supé-

rieurs, qui sont cependant en jeu dans l'exercice de la profession de serrurier,

ils ne font pas les reliefs habituels : en particulier les deltoïdes sont aplatis,les

biceps brachiaux ne font pas saillie et les grands pectoraux sont remplacés par

une dépression accusée. La force dynamométrique est assez faible.

Le poids du corps est en rapport avec le faible développement du système

musculaire : il est seulement de 86 kilogr.

L'aspect général du sujet vu de face est des plus remarquables.

Les régions mammaires sont saillantes ; Otto a de véritables seins qui repré-

sentent environ le volume d'une mandarine. Le pli sous-mammaire mesure 11

centimètres de long à droite et 10 à gauche ; dans le sens vertical, la saillie

mammaire est de 8 centimètres à droite et de 6 à gauche.

La paroi abdominale est également d'aspect féminin : elle est épaisse, grais-

seuse et flasque, tombe en un véritable tablier au-devant du pubis.

Les hanches sont élargies.

Les membres supérieurs sont un peu tombants en avant, ce qui est en rap-

port avec la déformation du rachis.

En effet, lorsqu'on examine Otto de dos ou de côté, on constate une voussure

vertébrale, véritable gibbosité,siégeant au niveau des premières vertèbres dor-

sales et s'accompagnant d'une légère incurvation latérale. ,

La gibbosité donne au sujet vu de profil un aspect de polichinelle assez pro-

noncé.

L'extrémité céphalique, dont nous avons réservé la description, présente

des caractères remarquables d'infantilisme.

Le visage, dont les traits sont fins, distingués, rappelle cerlains marbres

antiques. Les poils, à l'exception des sourcils, font complètement défaut; les

téguments sont pâles, légèrement ridés. L'aspect général est celui d'un ado-

lescent, mais en même temps la peau est celle d'une vieille femme. Ce mé-

lange mérite en un mot la qualification d' « adolescent vieillot ».

Ajoutons que les proportions des diverses parties du visage sont remarqua-

blement conservées ; il n'y a ni asymétrie faciale, ni épatement du nez, ni

proéminence des arcades sourcilières ou des apophyses malaires, en somme

aucun trait ni de myxoedème ni d'acromégalie de toute la partie supérieure

du visage.

On pourrait signaler un très léger prognathisme du maxillaire inférieur ;

UN CAS DE GIGANTISME 1NFANTILIQUE 44b

mais on ne saurait voir là qu'une conformation particulière : les lèvres fines

dessiuent une bouche normale et la langue n'offre aucune augmentation de vo-

lume, rien qui rappelle l'acromégalie.

Avec l'absence de barbe concorde le développement extrêmement réduit du

système pileux du pubis et des aisselles.

L'appareil génital est, de même, très réduit, absolument infantile : la verge

a des dimensions à peu près normales (6 cent. de long et 10 cent. de cir-

conférence au niveau de la couronne du gland) ; mais les testicules sont ru-

dimentaires, constituent de véritables « haricocèles » et jamais ils n'ont été

plus volumineux. D'ailleurs, de l'aveu même de notre sujet, les désirs sexuels

ont toujours été, chez lui, très restreints. 11 raconte toute la difficulté de ses

pénibles érections, suivies de bien douteuses éjaculations.

La voix d'Otto est celle des eunuques dans son type le plus parfait.

L'état général est satisfaisant. '

L'appétit est normal, n'a rien d'exagéré ; il n'y a pas non plus de poly-

dypsie. -

L'examen du foie et de la rate ne révèle rien d'anormal.

Il n'y a aucun trouble respiratoire, aucun signe anormal à l'auscultation du

poumon. -

Au coeur, il existe quelques irrégularités, sans bruits anormaux. La tension

artérielle, mesurée avec l'appareil de Potain, est de 17 à 18. Rappelons la

présence de varices, qui sont la cause de l'ulcère de jambe pour lequel le sujet

est entré à l'hôpital.

Otto éprouve rarement des douleurs de tête.

La sensibilité est intacte dans tous ses modes. Les divers réflexes sont

normaux. '

Il n'y a d'autre trouble sensoriel qu'une légère dureté d'oreille.

On ne constate aucun trouble de la vision, ni amblyopie, ni rétrécissement

du champ visuel. L'examen des yeux, pratiqué par M. le Dr Chaillous, n'a

permis de noter qu'une légère hypermétropie.

L'état intellectuel d'Otto est en rapport avec son infantilisme. Il sait lire et

écrire et un peu compter en allemand ; quoiqu'il vive en pays français depuis

t'age de 21 ans, il ne sait ni écrire ni compter en français. Il a appris l'histoire

et la géographie et a assez de mémoire.

Il peut cependant exercer sa profession de serrurier, dit y être assez habile

et ne paraît pas faire seulement l'ajustage des pièces.

Il est de caractère doux, sociable, s'entend bien avec ses camarades et sou

patron. Il est plutôt gai.

Le corps thyroïde semble assez notablement atrophié à la palpation.

L'analyse des urines, pratiquée à deux reprises à trois jours d'intervalle

par M. Laudat, interne en, pharmacie du service, n'a montré ni albuminurie,

ni glycosurie. '

446 THIBIERGE ET GASTINEL

UN CAS DU GIGANTISME INFANTILIQUE 447

448 THIBIERGE ET GASTINEL

série des publications de Brissaud, de Meige, si remarquablement confir-

mées et développées par Launois et Roy, pour montrer que les géants pou-

vaient n'être pas aCl'omégales, ou tout au moins pouvaient ne présenter

que des attributs incomplets et accessoires de l'acromégalie.

Le cas d'Otto vient à l'appui des idées de Brissaud. Notre homme a bien

quelque chose de l'acromégale : il a de la cyphose, il a aux mains et aux

pieds une ébauche de ce que sont les doigts des acromégales, on voit sur

la radiographie de ses mains que les métacarpiens et les phalanges sont

élargis comme dans la maladie de P.- Marie. Mais, à celé de ces simples

ébauches, de ces diminutifs de l'acromégalie, il n'a ni le prognathisme de

la mâchoire inférieure, ni la pachydermie des lèvres et du visage, ni

l'augmentation des diamètres crâniens, en particulier du diamètre bi-

malaire, ni l'augmentation de volume de la langue, ni la voix de polichi-

nelle. Pour un acromégale, il est bien incomplet.

Au lieu d'attribuer à l'acromégalie le gigantisme de cet homme grand,

n'est-il pas plus vraisemblable d'attribuer à sa taille, à la poussée de crois-

sance qu'il a faite excessive de bonne heure et qu'il a peut-être prolongée

au delà des limites normales, l'augmentation de volume de ses os ou

plutôt de quelques-uns de ses os - dont l'accroissement s'est d'ailleurs

fait en largeur à un bien moindre degré qu'il ne se faisait en longueur ?

Ces considérations ont été développées par les auteurs que nous venons

de citer. Nous croyons inutile de les reprendre à nouveau. Il nous suffira

d'avoir apporté à l'appui de leur thèse un nouveau document, un fait

qui la corrobore de façon remarquable et presque schématique.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. XLIX

GIGANTISME

(E. Lévi et G. Franchini),

Masson & Cie, Editeurs.

Phototypie Btrthaud

INSTITUT D'ÉTUDES SUPÉRIEURES DE FLORENCE

CLINIQUE MÉDICALE GÉNÉRALE

(Directeur : Prof. Sénateur PIETRO Grocco).

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU

GIGANTISME '

AVEC UNE ÉTUDE COMPLÈTE DE L'ÉCHANGE MATÉRIEL

DANS CETTE MALADIE (1),

PAR R

ETTORE LEVI et GIUSEPPE FRANCHINI

Les observations complètes de gigantisme sont encore relativement rares

dans la littérature médicale et un grand nombre de celles qui sont con-

nues aujourd'hui grâce à l'excellente monographie de MM. Launois et Roy

ont été publiées à une époque à laquelle les méthodes de recherche

clinique étaient beaucoup moins avancées qu'elles ne sont aujourd'hui,

de telle façon que leur utilisation critique ne peut être complètement

satisfaisante. ' ' '

D'ailleurs les problèmes fondamentaux sur l'étiologie et la pathogénie

du gigantisme, sur l'analogie de cette dystrophie avec l'acromégalie sont

encore loin d'être résolus, et nous croyons en conséquence que le lecteur

ne trouvera pas superflue l'analyse très complète que nous portons ici

d'un cas de gigantisme, à plusieurs aspects très intéressant, qui a été

étudié par les méthodes de recherche les plus modernes et chez lequel nous

avons fait aussi une étude complète de l'échange matériel, comblant ainsi

une lacune absolue de la pathologie de cette affection.

Résumé clinique (PI. XLIX et L).

Gigantisme acromégaliqne chez un homme de 66 ans ; haut de 199 cen-

timètres, probablement hérédo-sttplilitiqzce ; réaction de Wassermann po-

sitive, signe d'A 7-gyll- Robertson, abolition des réflexes tendineux patellaires

et ach'dléens, papille petite, légèrement atrophique. Signes d'arrêt de déve-

(1) La partie clinique, radiographique et critique de ce travail revient surtout à

M. E. Levi; la partie relative à l'étude chimique de l'échange matériel et du sang

revient surtout à M. G. Franchini.

450 ETTORE LEVI ET G1USEPPE FRANCHINI

loppement : persistance de la membrane pupillaire de Wagendorff et eCl¡'o'-

pium uv ? Asthénie musculaire ; psychisme infantile ; impuissance sexuelle.

Obésité de haut degré ; atrophies et hypertrophies osseuses du squelette.

Altérations de l'échange matériel et de la composition chimique et histo-

logique du sang analogues à celles qu'on trouve dans l'acromégalie.

Mario Palazzi, âgé de 66 ans, de Florence, sans profession.

Antécédents héréditaires. Le père mourut à 52 ans à la suite d'une cys-

tite ; depuis 20 ans il souffrait d'une maladie du système nerveux dont le fils

ne sait nous dire autre chose qu'elle lui donnait des douleurs aiguës aux jam-

bes qui étaient faibles, incertaines dans leurs mouvements, de telle façon que

la démarche était difficile et ébrieuse. Il n'était pas alcoolique et son fils ne

sait pas nous dire s'il avait été syphilitique. Il appartenait à la bourgeoisie,

était un homme intelligent et artiste d'une certaine renommée.

La mère mourut à 70 ans d'une cardiopathie.

Notre géant a été le seul fruit de cette union et la mère n'eutjamais de fausse

couche.

Les aïeuls paternels et maternels moururent à un âge très avancé de mala-

dies non précisées.

Ni les aïeuls, ni les parents, ni aucun autre membre de la famille ne se dis-

tinguèrent jamais par une taille supérieure à la moyenne.

Antécédents personnels. Né à terme d'un accouchement physiologique,

notre patient fut allaité au sein maternel et se développa normalement pendant

les premières années de son enfance. Il parait qu'au premier âge sa taille

n'était pas supérieure à la moyenne.

Ce fut seulement vers l'âge de 8 à 10 ans qu'il commença à se développer

rès rapidement, et cela continua pendant l'adolescence de telle façon que notre

patient devint bientôt un sujet d'admiration et de surprise pour tous les ci-

toyens de Florence. ,

Le patient ne sait pas nous dire à quel âge prit terme cet anormal accroisse-

ment de sa taille ni quelle fut la hauteur maxima qu'il toucha pendant la viri-

lité ; il affirme cependant être à présent bien- moins grand qu'au temps de sa

jeunesse,car dans les dernières années son dos s'est beaucoup voûté. A 15 ans

il eut une pneumonie ; à 25 ans la variole.

Pendant la période de son anormale et rapide accroissement il n'eut aucune

souffrance; à l'époque de la puberté les caractères sexuels secondaires se ma-

nifestèrent, paraît-il ( ? ), normalement, mais notre patient n'avait, à ce qu'il dit,

que de très rares érections, et n'était aucunement porté à la femme ; il s'adon-

nait seulement de temps en temps à la masturbation. -

Pendant la virilité il aurait eu, à ce qu'il dit, quelques rarissimes contacts

féminins, mais il n'affirme pas d'avoir jamais pu accomplir l'acte sexuel : le

désir n'existait presque pas, l'érection était partielle, la libido nulle. Il affirme

n'avoir contracté aucune maladie vénérienne.

Bientôt il abandonna tout essai de ce genre et depuis plus de 35 ans il n'a

plus d'érections.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. XXII. PI. L

GIGANTISME

(E. Lévi et G. Frallciil11),

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 4;j I

Ses organes sexuels étaient normalement conformés.

Dès son enfance il se montra peu intelligent et très peu porté à l'étude ; il

fréquenta les écoles sans suite, apprit seulement à lire et à écrire et ne put

apprendre aucune notion d'arithmétique ; il laissa bientôt les études régulières

et s'employa comme copiste. Il ne persista pas longtemps dans cette occupa-

tion, toute activité suivie lui étant impossible, passa d'une place à l'autre et

s'abandonna enfin à une vie de vagabondage absolu.

Depuis 25 ans il gagne à peu près sa vie en vendant dans les rues les pro-

grammes des théâtres et en profitant de la charité publique ; il est très popu-

laire et très aimé à Florence où les riches ne lui refusent jamais leur aide.

Déjà pendant son adolescence il manifesta une certaine facilité à la compo-

sition poétique et depuis il s'est livré aux Muses sans restriction, composant

une quantité énorme de sonnets, de poèmes et de drames en partie volés, çà

et là, en partie de son essort et par conséquent ayant un contenu très futile,

mais qu'il vendait avec un certain profit.

Il fut toujours honnête et son maintien fut toujours correct ; il ne se

laissa jamais exhiber en public et ne profita que très discrètement de la curio-

sité que sa taille exceptionnelle éveillait autour de lui.

Ayant hérité de son père une fortune assez rondelette, il la dépensa en quelques

ans,achetant mille petites bêtises et régalant ses amis en se régalant soi-même

surtout de pâtisseries. Il ne s'adonna jamais à la boisson ; il ne fut pas grand

fumeur.

Il fut toujours très religieux et superstitieux ; il eut une grande passion pour

le théâtre, mais son admiration allait surtout aux soldats du grand duc de

Toscane dont les uniformes le charmaient en le tentant.

Il fut toujours assez fier de sa taille qui le faisait remarquer par les person-

nalités les plus connues de la ville, mais cette particularité ne lui donna jamais

aucune joie, car, de caractère triste et toujours déprimé, il se considéra tou-

jours comme un malheureux.

Il n'eut même jamais la prérogative d'une grande force musculaire, car

au contraire il se seutit toujours faible et physiquement déprimé ; étant en

même temps très doux et peureux, il fut souvent victime des gamins de la

ville qui le poursuivaient de leurs moqueries ; malgré cela il ne se livra

jamais contre eux à aucune violence.

Dans les toutes dernières années ses habitudes de vagabondage devinrent

toujours plus accentuées ce pendant que ses ressources budgétaires se faisaient

toujours moindres : il s'abandonna'alors à la saleté la plus repoussante et son

corps était toujours couvert d'habitants incommodes.

Dans les dernières années il a énormément engraissé, tout en ne souffrant

d'aucune maladie, il est devenu encore plus faible, sa démarche est traînante,

sa respiration est souvent dyspnéique.

En de telles conditions il entre le 18 décembre 1908, sur notre demande, à la

clinique médicale de Florence, pour être objet d'une observation systématique.

Il tenait tellement à ses habitudes de vagabondage que, tout en étant dans la

2 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI .

misère la plus absolue, il n'accepte d'entrer à la clinique qu'après une très

longue hésitation quoique nous lui offrions pour cela une assez large somme

d'argent. , ' ,

Examen objectif. - Elat général. Mario Palazzi est de taille de beaucoup

supérieure à la moyenne : actuellement 199 centimètres. Les proportions de

son corps seraient assez harmoniques s'il n'y avait pas une disproportion très

évidente entre la longueur exagérée de ses jambes et le développement du

tronc. On est de même tout de suite frappé par la petitesse de son crâne en

comparaison au développement prononcé de la portion inférieure du visage.

Les mains et les pieds sont très grands, mais leurs dimensions sont à peu près

proportionnelles à celles de la taille.

La peau est de couleur brunâtre, très foncée partout ; au scrotum, l'abdomen

et aux aréoles mammaires cette coloration anormale est très prononcée, presque

noirâtre.

Sur toute la surface cutanée, traces très évidentes de pédiculose.

Il n'y a aucune part d'oedème ni de bouffissure, mais les téguments sont à

la face et aux extrémités inférieures très épais,denses,et ont un peu l'apparence

du vieux cuir.

Le tissu adipeux est très développé aux joues, au cou, et surtout aux ma-

melles et au ventre qui en est déformé.

Rien d'anormal du côté des muqueuses dont la coloration est partout rose.

L'épaississement des téguments et des tissus cellulo-adipeux sous-cutanés est

surtout évident au nez, au menton, aux lèvres, et surtout au niveau des jam-

bes dans la région malléolaire où l'épaisseur des parties molles est énorme.

Les masses musculaires sont apparemment bien développées, mais sont au

contraire partout flasques et hypotoniques.

Rien d'anormal du côté du système glandulaire.

Le développement pileux est normal sur toute la surface du corps.

Les ongles des pieds présentent quelques signes dystrophiques.

Les organes génitaux sont énormes, colorés presque en noir. Les seins sont t

très développés, avec des pointes tout à fait féminines.

Le pouls est rythmique, régulier, très ample un peu tendu. 68 pulsations ;'1

la minute pression v.<sale : HO mm de Hg au Riva-Racci.

La respiration est fréquente, un peu superficielle, à type costo-abdominal :

28 à la minute.

Le décubitus est indifférent. Intelligence très imparfaite. Tendance à la

somnolence. Mobilité normale.

Mensurations somatiques.

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 453

'4 It. ETTORE LEVI ET GIUSEPPE TR1\CH1N1

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 455 5

Il a toujours été et est actuellement triste et déprimé ; il se juge un mal-

heureux à qui la vie n'a laissé aucun bonheur.

Il n'a jamais eu aucune tendance aux plaisirs vénériens et n'ayant aucun

appétit sexuel,ses renonciations ne lui ont pas beaucoup coûté. De même il n'a

jamais été porté à la boisson.

Etant jeune il a au contraire dépensé des sommes en pâtisseries.

De tendances extrêmement pieuses il ne renonce pour rien à la messe et don-

nerait tout ce qu'il a pour qu'on ne le sépare pas une seuleminutedeson chapelet.

Il croit que tout le bien qui lui advient dans sa vie misérable est l'oeuvre

de la divine providence et il affirme avoir des communications directes avec

l'au-delà : il raconte avoir parlé une fois avec l'esprit d'un ami mort, et à

ce sujet il reconnaît que personne ne peut le croire, mais il en parle très sé-

rieusement comme d'une chose dont il est absolument convaincu.

En parlant de son passé et des choses qui l'ont passionné,il ne s'enthousiasme

que sur deux ou trois sujets : les soldats du grand duc de Toscane,ses cannes,

la poésie et le théâtre.

Depuis son enfance il a eu une passion anormale pour tout ce qui était mili-

taire et surtout pour les uniformes des gardes nobles du grand duc ; il en parle

avec emphase en décrivant chaque détail de leurs habits.

Son enthousiasme n'est pas moindre quand on l'interroge au sujet de ses

cannes dont il a toute une collection, très petites les unes, massives et gigan-

tesques les autres ; il raconte avec force détails les origines et l'histoire de

chacune d'elles. Il a dédié une poésie à une petite canne qu'il a eue à 14 ans.

Actuellement il en a une énorme, lourde et noueuse qu'il chérit cumme un

enfant et dont il ne se séparerait pour rien au monde.

Etant jeune il était passionné pour le théâtre ; il sait par coeur une infinité

de tirades d'anciens mélodrames ; à présent il ne s'y intéresse que par le fait

qu'il gagne sa vie en vendant les programmes des théâtres.

Ses tendances poétiques se déterminèrent très tôt et persistent actuellement ;

il écrit continuellement des poésies dans le seul but de gagner. Un volume de

ses compositions a été imprimé dans le temps et est très connu à Florence.

Il affirme que tout ce qu'il a écrit vient de lui ; cela n'est certainement pas

vrai en général, car quand il compose ex tempore les résultats sont très in-

férieurs.

Il n'y a pas de doute qu'il a une certaine facilité à rimer, quoique souvent

il n'y a presque pas de contenu dans des compositions où le rythme est correct.

Il a composé aussi des drames qui ont été joués dans des théâtres populaires

à la plus grande joie des Florentins.

Il ne se vante cependant pas de tout cela, et il reconnaît spontanément être

tout à fait ignorant. '

Ses connaissances scolaires sont en effet le plus curieux mélange imaginable :

il ne sait pas faire une addition de deux chiffres très courts, il ignore les cho-

ses les plus élémentaires d'histoire et de géographie, et au contraire il connaît

assez les poètes et les auteurs dramatiques pour les juger avec une certaine

justesse et écrire très correctement.

450 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHIN1

. Il ne sait pas lire l'heure à une montre, il ne sait pas tenir ses affaires et

les chiffres supérieurs à quelques francs lui font peur; il a une profonde

défiance pour le papier-monnaie qu'il ne reconnaît pas.

Il a connu dans le temps et il connaît actuellement tous les personnages no-

tables de Florence : il parle de cela avec plaisir mais sans vantardise comme

un enfant, et il ne croit pas pour cela être un personnage extraordinaire.

Ses enthousiasmes et au contraire sa tendance à l'auto-dépréciation dépen-

dent d'un profond défaut d'esprit critique ; si on appelle son attention sur la

portée de ces affirmations il en reconnaît facilement le côté faible et il n'insiste

pas. Il est très susceptible à la persuasion.

Très scrupuleux et honnête, il s'est assujetti par exemple aux prescriptions

très exactes que nous lui avons données au sujet de sa nourriture et de ses

fonctions viscérales pour nos recherches sur l'échange matériel, avec un soin

et une attention absolument remarquables.

Dans ses tendances et ses passions comme dans sa crédulité religieuse,

comme aussi dans son état de dépression morale, on ne lit pas la constance

d'une idée fixe délirante; il n'a pas la rigidité du maintien, ni l'attachement

à ses idées anormales qui sont propres de la paranoia ; il n'a pas non plus

l'apathie du lipémaniaque.

Il ne prend aucun soin de sa personne, ses habits et son corps sont déplora-

blement sales, mais il apprécie, étant à l'hôpital, les avantages d'un bon bain

et les plaisirs d'un lit propre.

Ses habits, ses chapeaux, ses cannes lui donnent un caractère très person-

nel ; il ne laisse jamais la bourse qu'il porte au cou ni un petit portefeuille

qui lui est précieux.Tout cela le rend une personnalité très -connue à Florence.

Mais rien,même dans sa façon de s'habiller, qui est cependant caractéristique,

ne montre une tendance hyperbolique et vraiment maniaque.

Il a un tas de petites manies, mais il n'en est pas complètement l'esclave.

A l'hôpital il a, non sans sacrifice, renoncé à toutes ces habitudes les plus

chères et il s'est bien vite affectionné à cet entourage que lui était insupporta-

ble les premiers jours.

Sa crédulité est assez grande mais il n'est pas anormalement suggestionnable ;

il est superstitieux comme un enfant, mais il reconnaît volontiers que ses su-

perstitions sont absurdes.

Il sait être; à Florence une personnalité très connue, mais il ne montre

d'ailleurs aucun délire de grandeur; il dit n'avoir jamais rencontré un

homme aussi grand que lui, mais il ne se refuse pas à croire qu'un tel homme

existe.

En résumé Mario Palazzi ne présente aucun délire systématisé, ni aucun

symptôme d'une forme quelconque d'aliénation mentale.

Il est en somme intellectuellement un infantile. cette puérilité qui est très

accentuée par certains côtés ne l'est que très peu par certains autres.

Il faut tenir compte de l'éducation incomplète qu'il a reçue et de l'entourage

misérable dans lequel il a passé toute sa vie ; il faut noter que ses sentiments

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 457

sont assez élevés, que sa conception de la morale et des devoirs est correcte et

normale. A côté de tout cela il y a évidence absolue d'une manifeste puéri-

lité des goûts, des habitudes, des conceptions. '

Examen somatique. -- Crâne, - Le crâne est allongé dans le sens antéro-

postérieur (mésocéphale), mais dans son ensemble très petit en comparaison

du squelette facial.

Le cuir chevelu a une mobilité normale ; les cheveux blancs sont assez

abondants et présentent un trophisme normal. La percussion du crâne ne

provoque aucune douleur, mais donne une sonorité différente dans les diffé-

rentes parties à cause de l'épaisseur différente des parois osseuses. Le ressaut

post-lambdoïdien est très accentué.

Face. Le front est assez haut ; les bosses frontales sont assez proémi-

nentes. Les arcades orbitaires ne sont pas très accentuées ; les sourcils et les

cils sont bien fournis. La peau du visage est épaisse et brunâtre ; aucune

trace de bouffissure (PI. L).

La graisse abondante aux joues et au cou lui donne l'aspect dit : pro-

consulaire. '

La physionomie est triste, apathique,solennelle, la mimique est très pauvre.

Ce qui est caractéristique dans son visage ce sont les grandes proportions du

nez, de la bouche et du menton en comparaison aux dimensions réduites de la

tête.

Les yeux sont petits, enfossés.

Examen des yeux. L'oeil gauche est amaurotique par le fait d'un glau-

come adhérent presque total de la cornée avec ectasie de la sclère dans la

région ciliaire, partie interne. OEil gauche : Visus : 0.

L'oeil droit est apparemment normal.

Le visus : 0,5. Emmétropie.

Le champ visuel à droite est légèrement uniformément réduit. Il n'y a pas

d'hémianopsie bitemporale. ,

La pupille réagit normalement à l'accommodation ; elle ne réagit pas du tout t

à la lumière. '

Dans la partie supérieure droite du foramen pupillaire droit,on voit une fira-

' Grid qui est le reste de la membrane pupillaire de Wagendorff qui disparait

complètement chez les normaux dans le 7e mois de vie intra-utérine. '

A la périphérie de la pupille on remarque en outre des petits flocons noirs

d'ectropiuin ztvx qui ont la même signification d'un anormal arrêt de déve-

loppement. ,

La papille est très pauvre de vaisseaux et apparaît blanche et un peu petite ;

son contour. est régulier. 11 y a une excavation physiologique très marqué.

Le cristallin montre une légère opacité centrale. `

. La mobilité oculaire est normale dans tous les sens. '

Il n'y a pas de parésies ni de nystagmus.

Oreilles. L'ouie est légèrement diminuée bilatéralement, à cause d'une

légère sclérose du tympan.

11J8 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI

Les oreilles sont plutôt petites relativement au corps : elles sont bien con-

formées et adhérentes.

Le nez est très grand par rapport à la tête ; il ne l'est pas par rapport au corps.

Il est large, gros, épais ; la peau a l'aspect spongieux ; les narines sont très

amples, le septum est un peu dévié à gauche.

L'odorat est très peu développé ; la distinction d'odeurs même très pronon-

cées et entre elles très différentes est presque toujours erronée.

Bouche. Les lèvres sont grosses, épaisses, légèrement bleuâtres. Les mu-

queuses labiales et buccales ne présentent pas de pigmentation anormale.

Les dents manquent en partie ; celles qui restent sont grandes, bien con-

formées, et ne présentent aucun signe dystrophique. Au maxillaire inférieur

elles sont entre elles un peu éloignées, mais ce symptôme n'est pas très évident.

La mâchoire inférieure est très développée : la marge des dents inférieures

rejoint et dépasse légèrement celle des dents supérieures.

En- regardant le patient de profil on voit très nettement le développement

exagéré de la mâchoire inférieure et du nez en comparaison avec la moitié supé-

rieure du crâne.

La langue est longue, très épaisse, pas trop large.

La mobilité des lèvres, de la langue et du voile palatin est normale.

Le palais est normalement conformé.

Rien au pharynx; réflexe pharyngien- normal.

Déglutition et mastication normales.

Rien du côté des VU* et Ve nerfs. '

La parole est correcte ; le timbre de la voix est très bas et un peu rauque

mais sans rien de bien caractérisé.

Le goût est très peu développé.

Le réflexe massétérin est très faible.

Le cou est court, gros ; son profil est altéré par les masses graisseuses ; cou

proconsulaire. -

Rien du côté des vaisseaux et des glandes lymphatiques.

Mobilité normale. Thyroïde non facilement palpable.

Thorax. - Le thorax est ample relativement à celui d'un homme normal,

mais il est au contraire petit si on le compare aux dimensions du corps en

général et de l'abdomen en particulier. Il est plutôt étroit aux épaules et au

tiers supérieur, évasé à la base. Les épaules sont tombantes.

Les masses musculaires qui le couvrent sont peu développées et atoniques ;

le tissu adipeux est très abondant. Les mamelles surtout en sont si riches

que dans la position debout elles apparaissent tombantes comme celles d'une

femme : les aréoles sont bien délimitées et de couleur brun foncé ; elles sont

fournies de pointes bien conformées, longues de presque 1 centimètre.Le ster-

num est épais, large et court. Les espaces intercostaux ne sont pas très larges.

La respiration est superficielle,costo-abdominale,plus fréquente qu'à l'état nor-

mal : 26 à la minute.

CoeU1', - L'ictus de la pointe n'est ni visible ni palpable. On le lixe par

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 459

la percussion au 5e espace sur la ligne hémiclavéaire, Le diamètre oblique du

coeur mesure 13 centimètres 1/4. Le diamètre transversal mesure 12 centi-

mètres ; le trait horizontal sur le troisième cartilage gauche 2 cent. 1/2.

La région précordiale apparaît normale à la palpation ; on ne sent aucun

frémissement.

A l'auscultation les bruits sont plutôt faiblesr mais normaux sur tous les

foyers d'auscultation. Le rythme cardiaque n'est pas : parfaitement régulier ; il

y a une. très. légère arythmie qui s'accentue après l'effort. Celui-ci cause aussi

un léger élargissement du diamètre transversal du coeur (1 cent.).

Poumons. - Subjectivement, légère dyspnée. A un examen systématique

on n'observe qu'un très léger degré d'emphysème pulmonaire.

Abdomen. - L'abdomen est très ample, d'aspect batracien. 11 n'y a pas

d'hernie ombilicale. La cavité péritonéale ne contient aucuu épanchement.

L'estomac arrive en bas sur la ligne parasternale gauche à moitié de la ligne

xipho-ombilicale. La limite supérieure arrive à la 6° côte sur la parasternale. A

droite la limite de l'estomac dépasse un peu la ligne moyenne du sternum ; à

gauche l'estomac arrive à l'axillaire antérieure.

Le foie ne dépasse pas l'arc costal ; sa limite supérieure est normale.

La rate est dans les limites normales.

Le rein droit est mobile et facilement palpable.

Les fonctions digestives sont normales ; les intestins sont bien réglés.

Les sphincters sont normalement inhibés.

Les réflexes cutanés abdomiuaux et crémastériens sont normaux.

Colonne vertébrale. L'examen du rachis montre une cyphose cervico-

dorsale très accentuée avec nette scoliose dorsale droite. Dans le segment lom-

baire on observe une courbe de compensation. Il n'y a pas de lordose accen-

tuée. A cause de la cypho-scoliose cervico-dorsale la moitié droite du thorax

postérieur apparaît plus développée et plus convexe que la moitié gauche.

Les masses musculaires du tronc sont légèrement hypotoniques. Tous les

mouvements sont possibles mais sont exécutés avec peu d'énergie.

Organes sexuels. La verge et le scrotum ont une coloration brune noi-

râtre. Le pénis est très long et épais, bien conformé mais flasque : tombant et

hypotonique. Les bourses sont énormes, pendantes et relâchées. Les testicu-

les sont gros comme deux grosses noix et bien conformés.

Tout pouvoir sexuel est absent; pas d'érection, pas de désirs. Miction

normale.

Réflexes crémastériens faibles ; scrotal aboli.

Extrémités supérieures. Les extrémités supérieures sont bien propor-

tionnées dans leurs parties ; les mains très grandes en comparaison d'une main

normale,ne le sont pas, comparées aux autres parties du corps de notre patient.

Elles ont le type long plutôt que le type large. Le pouls est la région la plus

épaisse. Les doigts sont gros, allongés, arrondis et grossis à leur extrémité en

baguette de tambour. Les ongles sont rayées longitudinalement ; elles ne

présentent aucun signe dystrophique.

460 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI

, Il n'y a pas de tremblement statique ni dynamique; pas d'ataxie, pas

d'asynergie. '

Tous les mouvements sont possibles. Les muscles sont flasques et hypotoni-

ques, peu développés, très fournis de graisse.

La force musculaire est minime ; le dynamomètre donne 45 à droite, 40 à

gauche.

La. réaction myasténique exécutée avec la méthode de Flora donne un résul-

tat complètement négatif.

Il y a de l'hypotonie articulaire aux coudes et aux articulations métacarpo-

phalangiennes ; les doigts peuvent être portés en extension très forcée sur le

dos de la paume.

Les réflexes cubitaux et périosteux radiaux sont extrêmement faibles.

Extrémités inférieures. Comme on voit par les mensurations les extré-

mités inférieures sont très allongées en comparaison avec le tronc ; il n'y a

pas disproportion entre la cuisse et la jambe qui sont toutes les deux très lon-

gues. La région malléolaire est extrêmement épaissie quoique il n'y ait pas

d'oedème, ,

Le pied est, très grand et surtout lourd et épais ; il est plus en disproportion

en comparaison à la jambe de ce qu'est la main comparée au bras.

Le talon antérieur du pied est très épais et prononcé ; la concavité plantaire

normale. 1

Les orteils sont très grands et courts. Les ongles très longs, épais et noirâ-

tres, montrent une hypertrophie évidente et traces de dystrophie.

Hypotonie musculaire très accentuée. L'énergie musculaire est très réduite.

La mobilité est normale.

Les réflexes patellaires et achilléens sont abolis.

Les réflexes cutanés plantaires le sont de même.

Station debout.- Le patient ne présente aucune oscillation du tronc même

les yeux fermés : Romberg négatif.

Debout il se lient. penché en avant, les bras pendants, le ventre et les ma-

melles flasques et pendants.

Démarche. La démarche ne présente rien d'anormal.

Il n'y a aucune trace d'ataxie ni d'asynergie.

En marchant il traîne les pieds comme si tout mouvement lui coûtait une

grande fatigue : le type de la démarche est simplement traînant.

Sensibilité. L'examen de toutes les formes de sensibilité superficielle et

profonde ne démontre aucun trouble déterminé. Toutes les formes de sensibilité

apparaissent légèrement émoussées sur toute la surface du corps, mais cela dé-

pend très probablement d'un défaut d'attention. ; .

Examens spéciaux.

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 461

462 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI

Le tracé graphique du pouls ne mit en relief aucun caractère particulier si

l'on excepte l'amplitude non commune.

Réaction myasthénique (méthode de Flora) : négative.

Examen électrique : résultat normal. '

Séro-réaction de Wassermann (déviation du complément) pour la syphilis :

résultat nettement positif.

La description détaillée que nous avons donnée de notre cas nous per-

mettra d'être brefs dans la justification de notre diagnostic.

Mario Palazzi représente en effet un cas classique de gigantisme non

seulement par le fait de sa très haute taille, mais aussi par le caractère in-

fantile de sa mentalité, par l'état général de faiblesse musculaire, et par

sa débilité génitale qui est arrivée peut-être jusqu'à l'impuissance absolue.

L'observation de ce nouveau géant est aussi une nouvelle preuve des

liens indéniables qui unissent le gigantisme à l'acromégalie.

A l'époque où MM. Brissaud et Meige ont les premiers énoncé l'heu-

reuse formule : « le gigantisme est l'acromégalie de l'adolescence », Ils

étaient loin de prévoir que la preuve de la vérité de leur hypothèse aurait

été fournie du vivant même de leurs malades.

C'est à MM. Launois et Roy que revient le mérite d'avoir modifié d'une

façon très heureuse la formule initiale de MM. Brissaud etMeige en disant

avec plus de précision anatomique : « Le gigantisme est l'acromégalie des

sujets aux cartilages épiphysaires non ossifiés, quel que soit leur âge. »

M. Pierre Marie avait eu l'intuition delà vérité quand il a di que :

« plus on observe de géants, plus on rencontre de géants acromégaliques »,

et MM. Launois et Roy ont montré par leurs belles études que : « si tous

les géants ne sont pas des acromégaliques, tous ceux du moins qui ne le

sont pas déjà, sont aptes à le devenir ». L'étude que MM. Launois et Roy

ont faite du grand Charles et du géant Constantin est, à cet

égard, particulièrement démonstrative.

Notre géant est une preuve manifeste de la vérité de ces faitsdontnous

devons la connaissance à MM. Brissaud et Meige, et Launois et Roy ; les

conclusions de ces auteurs sont à présent acceptées presque universelle-

ment. Notre géant a été probablement dans son jeune âge un géant infan-

tile, mais n'ayant pas de photographies de cette époque de sa vie, nous ne

pouvons en fournir la preuve absolue.

Il nous est cependant permis de supposer qu'à une période précoce de

son développement, Mario. Palazzi ait présenté les caractéristiques qui,

selon Papillault sont propres au géant infantile ; en effet, notre géant

nous montre encore actuellement les faits suivants qui répondent pleine-

ment aux conclusions de Papillault :

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PI. LI

GIGANTISME

(E. Lévi et G. Franchini) .

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 463

a) Le tronc est proportionnellement à peu près normal et l'allongement

anormal porte surtout sur les membres.. ;

b) Les membres inférieurs sont proportionnellement plus accrus que les

membres supérieurs. ,

c) Les segments proximaux des membres (fémur, humérus) sont moins

accrus proportionnellement que les segments distaux..

d) La main et le pied sont un peu moins accrus que le segment distal

correspondant.

Chez les géants infantiles cependant les organes génitaux sont souvent

atrophiques ; ce caractère n'existe pas chez notre malade qui présente au

contraire des organes génitaux de proportions remarquables, tels qu'on les

trouve souvent chez les acromégaliques.

Les géants ont en général une vie relativement brève; Mario Palazzi,

qui est actuellement âgé de 66 ans, est, parce que la littérature médicale

nous apprend, le plus vieux géant connu. Si son psychisme présente, sans

le moindre doute, des stigmates d'in fan Li 1 isiiie, soma liqtiement au contraire,

il n'a plus rien d'infantile ; en vieillissant, il s'est lentement acromégali'sé

et quoique il ne soit certainement pas un géant acromégalique typique, il

est tout de même entaché d'acromégalie.

Ses pieds et ses mains ne sont pas énormes, relativement à sa grande

taille, mais ses pieds surtout ont des caractères d'épaisseur et de lourdeur

dont l'interprétation n'est pas douteuse.

Les radiographies de la jambe et du pied nous montrent aussi une très

nette disproportion entre le squelette et les parties molles prépondérantes :

il y a, c'est-à-dire, acromégalie des parties molles (l'I. LI, LII).

Le même fait est évident à la face : la calotte crânienne très petite con-

traste avec les dimensions de la face qui est caractérisée par l'aspect volu-

mineux du nez, des lèvres et du menton. Ici aussi l'examen radiographique

montre que le caractère acromégalique est donné plutôt par le développer

ment exagéré des parties molles vis-à-vis du squelette.

L'examen radiographique nous a montré que l'ossification des cartilages

épiphysaires est complète partout, ce qui ne peut nous surprendre vu le

grand âge de notre patient.

La soudure normale des os longs, le développement normal des poils et

les proportions de ses organes génitaux nous font mettre de côté actuelle-

ment le diagnostic de gigantisme infantile.

Nous avons dit que Palazzi présente de l'acromégalie des parties molles

et nous dirons en plus que cela n'est pas seulement vrai à cause des pro-

portions de celles-ci, mais aussi à cause de leur aspect extérieur ; nous

avons vu en effet que la peau est au visage et aux extrémités (inférieures

surtout) et aux organes génitaux d'une coloration brunâtre foncée, et que

464 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI .

l'épaisseur totale des téguments est augmentée surtout au visage et aux

extrémités inférieures.

Les doigts des mains sont conformés « en baguette de tambour » et cet

aspect dépend complètement du développement des parties molles, car la

radiographie nous apprend que le profil osseux des dernières phalanges

n'est pas altéré en ce sens. -

.Notre géant est devenu dans ces dernières années un obèse ; les joues,

le cou, les parois du thorax et de l'abdomen sont largement fournis de

graisse. Le ventre est énorme, batracien, tombant; les mamelons sont lar-

gement revêtus de tissu adipeux et ont un aspect féminin non seulement

par leur proportion, mais aussi par le fait que les aréoles sont très bien

marquées, brunâtres et fournies de pointes aussi développées que chez

une femme allaitante.

Geoffroy Saint-Hilaire écrivait que les géants sont souvent sans acti-

vité, sans énergie, lents dans leurs mouvements, fuyant le travail, fatigués

presque aussitôt qu'occupés, en un mot, faibles de corps aussi bien que

d'esprit.

Cette description s'applique parfaitement à notre géant qui a été tou-

jours incapable de s'adonner à tout genre de travail et qui, faible d'esprit

et de corps, a toujours été un être inutile aux autres et à soi-même.

Nous reparlerons plus tard des résultats de l'examen psychique qui a

été chez notre géant particulièrement intéressant; quant au côté somati-

que, nous dirons que M. Palazzi a toujours eu conscience de la faiblesse

de ses membres, apparemment bien développés, et qu'il s'est toujours

plaint d'un état douloureux, d'asthénie générale.

Les masses musculaires, très volumineuses, sont flasques et hypoto-

niques ; l'examen électrique n'a mis en relief aucun fait pathologique et la

réaction myasthénique (méthode de Flora) a donné un résultat négatif.-

Malgré cela, la force musculaire développée par le patient dans tout mou-

vement actif est minime et de beaucoup inférieure à celle d'un homme

normal du même âge.

A celte imposante hyposthénieet hypotonie musculaire se joint un cer-

tain degré d'hypotonie articulaire surtout marqué aux extrémités supé-

rieures ; les mouvements passifs peuvent se faire dans une étendue très

supérieure à la normale.

Les organes sexuels de notre géant sont énormes et apparemment bien

conformés, mais sa frigidité a toujours été très grande et il avoue n'avoir

eu dans sa toute première jeunesse que de très rares contacts sexuels :

sur ce point, ses réponses sont fuyantes et timides et très probablement

l'impuissance absolue qu'il avoue depuis une trentaine d'années a toujours

existé.

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. XXII. Pl. LII

GIGANTISME

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 465

L'examen systématique des organes viscéraux ne nous a pas permis de

mettre en relief aucun fait de gigantisme viscéral ; le foie, le coeur, la rate,

l'estomac sont grands, mais proportionnés au reste du corps.

Notre géant ne présente non plus aucune affection bien déterminée des

organes de la vie végétative ; nous n'avons pu relever que les' symptômes

d'une légère dégénération adipeuse du myocarde avec quelques faits de

myocardite et un degré modique d'emphysème pulmonaire. Ces artères pé-

riphériques sont légèrement athéromateuses : la pression vasale est assez

élevée, 140-145 mm. de Hg.

Les urines très légèrement albumineuses nous apprennent que l'appa-

rat vasculaire rénal est aussi légèrement touché par t'athérome. Toutes

ces lésions sont légères et relatives à l'âge avancé de notre malade,

Celui-ci est légèrement dyspnéique, sa respiration se fait très fréquente

avec l'effort et tout exercice prolongé lui est pénible; il se traîne péni-

blement en marchant, et monter un escalier est pour lui un travail assez

grave. Malgré cela, il est habituellement toujours dans la rue et on le voit

se traîner sans cesse dans les rues de Florence.

Du côté du système nerveux, M. Palazzi présente plusieurs symptômes

très intéressants.

Nous avons vu que le type de sa mentalité est nettement enfantin et

que son intelligence est très au-dessous de la moyenne : vis-à-vis de cela

il nous présente des facultés spéciales assez développées et surtout des

tendances poétiques qui ont été très nettes depuis son enfance. Le recueil

de ses poésies et de ses drames est vraiment intéressant, car il nous révèle

tout ce qui dans la vie a passionné sa nature somnolente.

De bon caractère et de moralité excellente, il est bon et affectueux,

reconnaissant à ceux qui lui font du bien ; très religieux et superstitieux,

il est conscient de son ignorance et de sa faiblesse morale et physique.

II n'est ni vantard, ni menteur; au contraire, toujours déprimé et triste

avec tendance à l'hypochondrie.

L'examen objecti du système nerveux nous montre une série de symp-

tômes très intéressants et qui ne sont pas d'interprétation très facile.

Notre géant ne présente rien d'anormal du côté de la sensibilité qui est

en général un peu obtuse ; mais ce fait est probablement à mettre en rela-

tion seulement avec un défaut d'attention. La fonction des sphincters

est aussi normale.

La mobilité des muscles oculaires, faciaux, de la tète, du crâne et des

membres est normale ; la station debout et la démarche aussi bien avec les

yeux ouverts qu'avec les yeux fermés est complètement normale.

L'état des réflexes est au contraire altéré : le réflexe pupillaire à la lu-

mière est aboli à droite ce pendantque le réflexe l'accommodation est nor-

466 ETTURE LEVI ET GIUSEPPE FRANCIllNI

mal, symptôme d'Argyll-Robertson L'oeil gauche est amaurotique par le

fait' d'un glaucome. Les réflexes tendineux très faibles aux extrémités su-

périeures, sont complètement abolis aux extrémités inférieures : aussi bien

le réflexe achilléen que le patellaire font défaut des deux côtés. Les réflexes

cutanés abdominaux et crémastériens sont faibles, les réflexes scrotaux et

plantaires font défaut. Il n'y a pas de Babinski. Le réflexe plantaire nor-

mal fait aussi défaut.

A côté de cela nous devons mettre en relief ce que nous a appris l'exa-

men du fond de l'oeil fait par le spécialiste, professeur Casagli.

Laissant de côté l'oeil gauche dont le glaucome total empêche tout exa-

men, nous voyons qu'à l'oeil droit il existe des symptômes très rares et

très intéressants d'arrêt de développement.

Nous avons la persistance d'une partie de la membrane pupillaire de

Wagendorff et ectropi2ctt uvse.

Or, nous savons que la membrane pupillaire qui représente le segment

antérieur de la tunique vasculaire du cristallin, disparaît chez le foetus

humain au plus tard à la lin du 8e mois de la vie intra-utérine. L'ectro-

pium iivw congenitum dépend d'une anormale prolifération de la pars 1'eti-

nica iridis en correspondance du bord pupillaire.

Ces deux anomalies de développement coexistent assez souvent chez un

seul individu, les causes qui déterminent de telles anomalies nous sont

inconnues; cependant le plus grand nombre d'auteurs et entre autres

Lepage, Taylor, Galezowski, Bertozzi pensent qu'elles soient strictement

liées à la syphilis héréditaire.

Le spécialiste a noté en outre que la papille de notre malade est très

petite, fournie de vaisseaux plutôt minces, et légèrement atrophique.

Nous savons d'ailleurs que chez notre patient la déviation du compté-

ment pour la syphilis (selon Wassermann) a été nettement positive.

Cet ensemble de faits cliniques peut être interprété de façon très dif-

férente selon que nous admettons ou non la possibilité chez notre malade

d'une infection syphilitique acquise. A ce propos nous devons rappe-

ler au lecteur que M. Palazzi nie avoir contracté toute maladie véné-

rienne et qu'il n'en porte en effet actuellement aucun symptôme somati-

que ; en outre nous avons bien déraisons pour croire qu'il n'a jamais eu

de contacts sexuels et même s'il en a eu, comme il le dit, ils ont été, de

son aveu, extrêmement rares.

Une infection syphilitique de la jeunesse est donc très improbable : en

l'admettant on pourrait expliquer par elle la séro-réaction de Wasser-

mann positive, le signe d'Argyll-Robertson, la légère atrophie pupillaire,

et l'abolition des réflexes tendineux aux extrémités inférieures.

Nous nous trouverions donc en face d'un tabes très fruste, car notre

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 467

malade ne présente pas de douleurs fulgurantes, ni d'ataxie, ni de trou-

bles sphinctériens, ni la moindre lésion de la sensibilité tant superficielle

que profonde, tant subjectivement qu'objectivement.

La persistance de la membrane pupillaire de Wagendorff etl'ectropÍll1n

llræ ne sauraient au contraire être interprétés autrement que comme des

arrêts de développement, des malformations qui n'ont jamais été décrites

dans le gigantisme, quoique dans cette forme on ait trouvé assez souvent

des tares congénitales (Launois et Roy). L'abolition des réflexes tendineux

aux extrémités inférieures ne doit pas d'ailleurs nous surprendre, car nous

savons que plusieurs auteurs (Marie, Péchadre, Flemming, Hagelstam,

lIansemann, Lloyd, Messedaglia, etc.) ont noté dans leurs cas l'affaiblisse-

ment ou l'abolition totale des réflexes tendineux aux extrémités inférieures

quoique leurs malades ne présentassent aucun autre symptôme de tabes

soit fruste, soit confirmé.

. Quelquefois l'abolition des réflexes tendineux peut être liée au diabète

coexistant, mais celte interprétation ne peut être invoquée chez notre

géant qui n'est pas diabétique.

Nous savons qu'on a souvent trouvé dans la moelle des acromégaliques

la dégénération des cordons postérieurs, dégénération que Strumpell a

comparée à celle qu'on observe dans certains cas de tumeurs cérébrales ;

State a parlé aussi de lésions tabétiformes de la moelle chez les acromé-

galiques et Sternber admet l'existence d'un pseudo-tabes acromégalique.

Cagnetto, qui croit à l'origine endogénique de l'acromégalie, pense quecçs

dégénérations médullaires soient la conséquence de l'auto-intoxication

fondamentale.

Tout en ne pouvant pas éliminer d'une façon absolue l'hypothèse d'un

tabes fruste dû à une infection syphilitique contractée- dans la jeunesse,

nous ne croyons pas cette hypothèse probable.

Nous croyons au contraire que tout le syndrome nerveux que nous ve-

nons de décrire (symptôme d'Argyll-Robertson ; abolition des réflexes

patellaires et achilléens ; petitesse et atrophie légère de la papille ; per-

sistance de la membrane pupillaire de Wagendorff et ectropizza uvæ)

pourrait beaucoup mieux s'expliquer en admettant chez notre malade l'in-

fluence héréditaire de la syphilis paternelle.

Les arrêts de développement tels que la persistance de la membrane

pupillaire de Wagendorff et l'ectropium itvx 1,'sont très souvent, comme

nous l'avons déjà dit, d'origine hérédo-syphilitique ; à la même cause

nous pouvons attribuer les lésions papillaires, le symptôme d'Argyll-

Robertson et l'abolition des réflexes tendineux. Le résultat très nettement

positif de la séro-réaction de Wassermann nous permet d'affirmer l'exis-

tence chez M. Palazzi du virus syphilitique et le raisonnement clinique

468 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI

nous porte à croire comme beaucoup plus probable la syphilis héréditaire

que la syphilis acquise, car tout le syndrome s'explique beaucoup mieux

avec la première hypothèse.

Celle-ci est rendue beaucoup plus probable par le fait que le père de

Palazzi a été, à ce qu'il nous dit, très probablement un tabétique.

Dans notre cas nous ne pouvons affirmer une lésion hypophysaire, car

l'énorme épaisseur des parois crâniennes et l'instabilité du malade toujours

dyspnéique nous ont rendu impossible d'obtenir un bon cliché radiogra-

phique du crâne; malgré plusieurs épreuves, nous ne pouvons affirmer

avec toute sûreté que chez lui la selle turcique soit élargie; nos clichés,

très flous, nous porteraient à la considérer comme presque normale, mais

nous répétons que nous ne pouvons rien affirmer sur ce point.

Le patientn'a jamais eu d'ailleurs aucun symptôme d'hémianopsie bi-

temporale et l'aspect de la papille parle plutôt pour un défaut de déve-

loppement que pour atrophie secondaire.

La littérature médicale nous donne quelques rares exemples de gigan-

tisme lié à la syphilis héréditaire ou acquise (cas deNobl, Fuelis e[Sit'elia,

cités par Launois et Roy) ; on a parlé de gigantisme hérédo-syphilitique.

Dans notre cas cette hypothèse est très probable; en discutant de la

pathogénie du gigantisme nous verrons plus tard que, selon la très grande

majorité des auteurs, cette affection doit être mise en corrélation avec

la lésion d'une ou de plusieurs glandes à sécrétion interne. Quel que

soit l'organe glandulaire primitivement lésé, certainement rien ne nous

empêche de supposer que cette lésion uni ou pluri-glandulaire soit dans

notre cas d'origine hérédo-syphifitique.

Examen radiographique du squelette. L'examen radiographique du

squelette de notre géant nous a montré quelques faits intéressants et pro-

bants dans le sens de l'unicité de l'acromégalie et du gigantisme. La ra-

diographie du crâne plusieurs fois répétée ne nous a jamais donné des

résultats très satisfaisants, car le patient étant dyspnéique, nous n'avons

jamais pu obtenir une immobilité absolue de la tête : l'énorme épaisseur

des parois crâniennes a contribué aussi à rendre notre tâche difficile.

Pour ces raisons nous ne pouvons pas affirmer que dans notre cas la

selle turcique soit augmentée de volume.

La radiographie nous a permis cependant de relever l'épaisseur très

grande mais variable des parois crâniennes, le développement exagéré d6s

sinus frontaux et le dessin très marqué du ressaut post-fambdoïdien. La

radiographie de la main est intéressante; elle nous montre que l'accrois-

sement exagéré du squelette s'est fait plutôt en long qu'en large.

Les métacarpiens et les phalanges surtout sont très allongées.

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 469

Les dernières phalanges montrent des faits d'atrophie et d'hypertrophie

associés.

En général le tissu spongieux est prévalent et le tissu compact propor-

tionnellement diminué.

Les dernières phalanges des deux mains montrent des diaphyses très

allongées et minces, et qui sont tout à fait atrophiques en correspondance

des petits doigts. Au doigt moyen de la main gauche on voit, du côté ex-

terne de la dernière phalange, une épine osseuse bien dessinée ; le profil

de la dernière phalange du gros doigt est de son côté scabré et épineux.

Les apophyses styloïdes du cubitus et du radius sont de proportions beau-

coup plus notables (surtout en longueur) que chez l'homme normal.

Les mêmes faits sont visibles aux pieds, qui présentent aussi le type

en long. Le premier métatarsien présente à son épiphyse supérieure du

côté externe une exostose très nette. La première phalange du gros orteil 1

est bien conformée ; les phalanges correspondantes des autres orteils ont

des diaphyses tout fait atrophiques en bâtonnet avec des épiphyses rela-

tivement énormes. Les mêmes faits encore plus évidents sont visibles aux

phalangettes. La radiographie du pied en profil nous montre les propor-

tions absolument énormes du calcanéum dont le développement est exa-

géré en rapport à celui des autres os du torse et de la jambe.

A cet égard, nous ferons même observer que les os de la jambe sont au

niveau du cou-de-pied très minces en rapport au, développement énorme

des parties molles; il y a manifeste acromégalie des parties molles.

Le profil du calcanéum est anguleux, pointu ; à son bord postérieur et

inférieur, on voit des petits processus épineux; surtout évidente est à la

surface inférieure une épine osseuse qui correspond à l'insertion de l'apo-

névrose plantaire. On voit aussi de légères traces d'ossification du tendon

d'Achille.

Les cartilages épiphysaires de tous les os longs des membres sont par-

faitement ossifiés.

Si nous confrontons ces lésions osseuses à celles que l'on trouve en gé-

néral dans l'acromégalie, nous verrons qu'il ne s'agit pas d'une simple res-

semblance, mais au contraire d'une identité absolue : s'il y a une différence

ce n'est qu'une question de degré.

Dans l'acromégalie comme dans le gigantisme, le fait dominant est repré-

senté par l'association de phénomènes d'atrophie osseuse liés à des faits

d'hypertrophie. Nous voyons par exemple aussi bien dans l'acromégalie

que dans le gigantisme, des faits très évidents d'atrophie des dernières pha-

langes des doigts et des mains et en même temps nous voyons la présence

d'ostéophytes, d'exostoses à forme d'éperon, d'épines osseuses anormales.

Ces exostoses existaient dans notre cas au métacarpe aussi.

470 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI

w Aussi bien dans l'acromégalie (voir les travaux récents de Franchini)

que dans notre cas de gigantisme, nous avons remarqué que le calcaneum

a des proportions énormes, qu'il présente dans le bord postérieur des tra-

ces plus ou moins évidentes d'ossification du tendon d'Achille et à sa sur-

face inférieure l'ossification de l'aponévrose plantaire.

La déformation du crâne, dans sa partie faciale, surtout, est identique

dans les deux maladies.

- Les radiographies nous ont montré en outre que le caractère acromé-

galique de notre géant dépend aussi en grande partie du développement

exagéré des parties molles et cela aussi bien en correspondance de la face

que des extrémités : ce caractère aussi est commun aux deux formes.

Tous les caractères que nous avons relevé chez notre patient par l'exa-

men radiographique nous permettent donc de confirmer la loi établie par

Launois et Roy sur l'identité de l'acromégalie et du gigantisme, ou pour

mieux dire nous avons donné un nouvel exemple d'un géant qui s'est acro-

mégalisé avec l'âge.

Nous pouvons apporter quelques autres faits en faveur de la théorie uni-

ciste de l'acromégalie et du gigantisme. L'un de nous (E.Levi) a étudié ré-

cemment trois squelettes de géants existants dans le Musée anthropologique

de Florence; l'élude complète de ces squelettes fera l'objet d'un autre

travail,mais nous pouvons dire dès à présent que E. Levi a trouvé la persis-

tance de tous les cartilages épiphysaires des os longs dans le squelette d'un

géant de 21 ans ne présentant aucun symptôme d'acromégalie et montrant

au contraire le type classique du géant infantile, cependant que l'ossifica-

tion des cartilages épiphysaires était complété dans les deux autres sque-

lettes de géants (dont on ignore l'âge), mais certainement beaucoup plus

adultes du premier et qui présentaient tous les deux des stigmates indis-

cutables d'acromégalie.

Chez ces trois géanls la selle turcique était énormément agrandie.

La littérature médicale récente nous offre en outre deux observations

très intéressantes qui se complètent l'une l'autre et qui ensemble dépo-

sent contre les conclusions des dualistes.

M. Claude a publié en 1897 l'observation d'une jeune fille de 19 ans

présentant des symptômes d'acromégalie sans gigantisme, chez cette jeune

fille la maladie a débuté vers l'âge de tu ans, mais malgré cela elle n'a pas

eu de tendance à grandir d'une façon excessive à aucun moment. Or, les

radiographies des membres de cette jeune fille montrent qu'à 19 ans les

cartilages épiphysaires étaient complètement soudés.

L'auteur suppose justement que dès le début de la maladie hypophy-

saire les cartilages étaient probablement soudés et qu'en conséquence de

ce fait la jeune'-fille avait évolué vers l'acromégalie et non -vers le gigan-

tisme.

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 471

De même Francliini et Giglioli ont récemment publié dans )'/r;o; ! o ? a-

phie de la Salpêtrière l'observation d'un cas très intéressant d'acromé-

galie chez une jeune fille de t4 ans ; chez cette fillette les mains

présentaient les déformations typiques de l'acromégalie et les cartilages

» épiphysaires étaient complètement soudés.

Le second cas, encore plus que celui de Claude, nous prouve la vérité

de la théorie de Launois et Roy pour lesquels l'acromégalie est le gigan-

tisme des individus à cartilages épiphysaires soudés.

Le cas de Franchini et Giglioli est en outre une nouvelle preuve de

l'existence du caractère héréditaire possible de l'acromégalie; le père de

cette jeune fille est un acromégalique des plus classiques ; d'ailleurs, les

observations de ce genre ne sont plus rares et nous en connaissons d'au-

tres exemples qui ont été publiés par Schwoner, Froenk-el, Bonardi,

Schaeffer, Cyon,Warda, etc.

, (A suivre.)

Le gérant : P. l3oucngz.

Imp. J. Thevenot, Saint-Uizier (Haute-Marne)

DE LA DISPOSITION RADICULAIRE DES NIEVI

par MM.

MAURICE KLIPPEL

Médecin de l'hôpital Tenon.

MATH. PIERRE-WEIL

Interne des hôpitaux.

Dans la vaste classe des n2evi se trouvent réunis « toutes les difformités

cutanées circonscrites » (Brocq).

La plupart des altérations chroniques et localisées de la peau apparues

au cours du développement ontologique se trouvent englobées dans leur

vaste étude. On y place côte à côte certains angiomes, certaines éruptions

papillomaleuses, ou autres, voire même ces taches rouge vif, poncti-

formes, qui apparaissent tardivement chez les sujets scléreux.

Certaines de ces malfornrations sont isolées, éparses ; d'autres sont

disposées en bandes serrées, recouvrant ainsi des surfaces parfois assez

étendues des téguments. Cette topographie polymorphe tient à ce que les

naevi constituent en réalité toute une dermato-pathologie, et qu'ils relè-

vent suivant les cas de causes anatomiques extrêmement diverses. Dans

cette grande classe, des divisions multiples s'imposent au nom de la patho-

génie : c'est cette étude que nous voudrions esquisser aujourd'hui.

Le mvus est la manifestation, au niveau des téguments, d'une altéra-

tion des systèmes vasculaire ou nerveux. Selon que la lésion siège ici ou

là, et selon que dans tel appareil elle est localisée en un point ou en un

autre, se trouvera constituée une variété de naevus différent des autres,

non seulement par son anatomie pathologique, mais encore par sa distri-

bution et par sa symptomatologie.

C'est sur la localisation du processus morbide, qui révèle sa pathogénie,

que doit s'étayer la classification des nxvi, et non pas sur leur étiologie

même, puisque, dans l'immense majorité des cas, peut-être même dans

tous les cas, le noevus est dû à une toxi-infection.

Cette notion de la toxi-infection, aujourd'hui universellement admise,

n'a pourtant pas toujours régné sans conteste. Si de tout temps les méde-

cins, voulant remonter à l'essence même des processus anormaux, ont

essayé de s'élever au-dessus de la sévérité et de l'aridité des faits isolés

afin de pouvoir les embrasser dans une vue d'ensemble, de tout temps ils

nI ! 11 32

474 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

ont emporté avec eux, du milieu où ils vivaient, les théories et les idées :

chemin faisant, ils n'arrivaient il s'en défaire que plus ou moins mal,

Pour les premiers observateurs, les taches na'viques étaient d'une

essence divine ou diabolique. Le boeuf Apis des anciens Egyptiens devait

être marqué, par les dieux, de signes particuliers sur sa robe.

Plus tard se fit jour la théorie émotionnelle du naevus que nous

retrouvons encore aujourd'hui dans les classes populaires. Le naevus

serait dû à une impression vive ressentie par la mère, durant sa gros-

sesse, et transmise au foetus.

C'est la théorie d'Hippocrate, d'Ambroise Paré, de Saint-Augustin (1),

qu'acceptèrent Descartes et Malebranche ; il y a vingt ans, Féré (2) essayait

encore de l'étayer sur des bases scientifiques. Ce n'est -que vers la fin du

premier Empire que cette interprétation provoqua les critiques de quel-

ques adversaires, timides il est vrai ; Jacquin (3) voit dans le naevus le

« mélange du sang menstruel avec la liqueur prolifique », et Alibert (4)

le résultat d'écarts fortuits de la puissance de nutrition.

Dès 1815 pourtant, Murât (5) pouvait écrire que le naevus est une

maladie : on sait quels progrès étaient réservés à cette idée.

Le naevus est en réalité une maladie congénitale.

Tel naîtra porteur du naevus, comme tel autre porteur de pustules vario-

)iques ; il n'y a entre ces deux processus que la différence qui sépare une

affection aiguë d'une affection chronique.

A la lueur de cette notion infectieuse, on essaya d'interpréter les faits.

La première théorie scientifique fut la théorie vasculaire que défendirent

Trélat et Monod (6), puis naquit la théorie nerveuse. Roger en 1835,

Arndt en 1839, n'avaient fait que signaler la disposition linéaire des naevi ;

ils n'en avaient tiré aucune conclusion. C'est Baerensprung (7) qui, le

premier, édifia la conception nouvelle en se basant sur l'unilatéralité

des troubles cutanés et sur leur localisation au niveau de l'épanouissement t

périphérique de un ou plusieurs nerfs spinaux.

Il admettait une lésion du ganglion spinal, théorie à laquelle se ralliè-

rent Gerbardt, Simon, Hutchinson, Charcot, Cotard, Sattler, Chandelux,

(1) Cités par KLIPPEL et TnENAUNAY, Du nævus variqueux ostéo-hyperlrophique. Archi-

ves générales de Médecine, 1900, i, p. 641.

(2) Féré, Sensations el mouvements, Paris, 1887.

(3\ JACQUI'I, Mémoires. Observations sur les marques ou taches de naissance. Journal

de médecine, de chirurgie et de pharmacie, mai 1812.

(4) ALIBERT, Nosographie naturelle, t. I, 1817.

(5) Murât, Dictionnaire des sciences médicales, article « Envie », 1815.

(6) TIIÉLAT et Monos, De l'hypertrophie unilatérale partielle ou totale du corps. Arch.

gén. de méd., mai 1869.

(7) 13AERI ! NSPIIUNG, 7Va : t)tMM ? : )M laleris, Charité Annalen, 1863, XI, p. 91.

DE LA DISPOSITION RADICULAIRE DES NÆVI 475

Pitres et Vaillard. Mais Philippson, Pelersen, Galewski, constataient que

le naevus pouvait être limité parles lignes frontières de Voigt et fondaient t

la théorie dont nous reparlerons plus loin.

Entre temps était née et avait vécu la théorie lymphatique de Bull

(1886) et Polosson (1884) (1), que Redaud en 1890 défendait dans les

Archives Générales de Médecine, mais qui dut être abandonnée faute de

preuves nécropsiques.

Pourtant, à la lueur de toutes ces notions pathogéniques, certains types

cliniques restaient encore inexpliqués, tels ces noevi en bandes qui croi-

sent plus ou moins obliquement plusieurs territoires nerveux. Morrow

pouvait écrire (1898), « la théorie nerveuse est battue en brèche par ce fait t

que, peut-être dans la majorité des cas, l'éruption ne correspond au trajet t

d'aucun nerf connu (2) ». Lewin, d'autre part, de l'analyse de cent cas,

établissait que dans quarante cas seulement, la configuration était en rap-

port avec le nerf. C'est alors que M. Brissaud (3) fil connaître les recher-

ches sur la métamérie spinale de Ross, Thorburn, Head, et qu'il émit

la théorie métamérique du zona dont M. Achard (4) se fit aussitôt le

défenseur et que Dongradi (5) développa dans sa thèse. On savait, d'autre

part, depuis longtemps déjà, que certaines analogies cliniques réunissent

le zona et le noevus (6). Aussi est-ce par analogie que fut créée la théorie

métamérique du nævus défendue par Selhorst, par Leblanc, par

Lelong. C'est la théorie de la myélite intra-utérine.

Blascllko et Jadassohn admettent toutes ces théories; ils reconnaissent,

en outre, un rapport entre le naevus et la ligne d'implantation des poils.

Que devons-nous penser de ces différentes conceptions ?

Il existe selon nous deux grandes variétés pathogéniques de naevi : le

naevus lié à une altération vasculaire et le nævus lié à une affection du

système nerveux. Celle dernière variété se rencontre assez souvent chez

des enfants arriérés, faibles d'esprit, nerveux : elle peut coïncider avec

(1) POLOS SON, Anomalies de développement des tumeurs. Lyon médical, 1884.

(2) A. Morrow, Deux cas de nævi linéaires. The New-York medical journal, 1" jan-

vier 1898.

(3) BRISSAUD, Le zona du tronc et sa topograhie. Bulletin Méd., 8 janvier 1896, p. 21.

- La métamérie spinale et la distribution périphérique du zona. Bulletin Méd., 28 jan-

vier 1896, p. 81.

(4) Achard, Sur la topographie du zona. Bull. et mém. de la Soc. méd. des hôp. de

Paris, 2S janvier 1896, p. 240 ; Gaz. hebtlom., 5 mars 1896, p. 217. Srirtgomyélie

avec amyotrophies du type Aran-Duclienne et anesthésie dissociée en bande zostéroide sur

le tronc. Remarque sur l'origine spinale du zona. Bull. et mém. de la Soc. méd. des

hÔp., 10 avril 1896, p. 349; Gaz. hebdom., 10 avril 1896, p. 361.

(5) 1)0-.\GlA DI, Considérations sur la topographie du zona. Thèse de Paris, 1896.

(G) Pitres et Vaillard, Contribution si l'étude des névrites périphériques non tratttttati-

ques. Arch. de Neurologie, 1883.

476 KLIPPEL ET PILRIIE-AVEIL

des affections du système nerveux périphérique ou central, faits sur les-

quels Morrow (1) a bien insisté, ou avec certains troubles trophiques, tel

ce syndrome que K)ippet et Trénaunay (2) ont les premiers mis en lumière

et qui est caractérisé par la coexistence, sur un même membre, d'un

naevus, de varices précoces et d'ostéohypertrophie.

Nous opposerons le naevus d'origine nerveuse et le naevus d'origine

vasculaire sous les dénominations de nævus-vascularile et de næl'us-né-

vrite, Ils se distinguent l'un de l'autre par leur origine, par leur pathogé-

nie, par leur date d'apparition, par certaines analogies avec d'autres

états morbides. Celle classification essentiellement palhogénique n'est pas

absolument superposable à la classification clinique admise par tous les

ailleurs récents, et basée sur l'aspect descriptif de la lésion cutanée :

noevus-vascularile ne signifie pas naevus vasculaire, naevus-névrite n'est

pas synonyme de naevus pigmentaire, ni de naevus tubéreux non vascu-

laire. Il esl, en effet, des naevi vasculaires qui, par leur topographie, ap-

partiennent incontestablement il la classe des najvi-névrites, de même

que certains naevi pigmenta ires appartiennent peut-être à la classe des

na;vi-vascularites ; dans les nmvi-névi,iles, on peut ranger des lésions

vasculaires qui sont dues à des troubles trophiques d'origine nerveuse ; le

fait est important à souligner.

Le naevus-vascularite est dû à une lésion des parois vasculaires : c'est

une vascularile; le naevus-névrite, au contraire, est dû il une lésion du

système nerveux : c'est dans le plus grand nombre des cas une radiculile.

Dans le naevus vascularite il s'agit d'un angiome ; dans le naevus-névrite

d'un trouble trophique, qui peut déterminer l'apparition d'un naevus vari-

queux ou pigmentaire, - Tandis que le nævus-vascularite est analogue

an purpura trlangiectasique, le naevus-névrite se rapproche au contraire

du zona.

La date d'apparition, chez l'embryon, de ces deux classes de nævi, est

différente également : le nfcvus-vascu ! arite peut naître de bonne heure

au cours de la vie-intra-utérine, puisque c'est de bonne heure que se dé-

veloppent les premiers bourgeons vasculaires, et qu'il peut reconnaître

un agent pathogène périphérique.

Le nævus-névri te au contraire ne pourra apparaître qu'aune époque

relativement tardive de l'évolution foetale, car il faudra pour qu'il puisse se

constituer que le système nerveux soit en connexion trophique avec les

téguments externes, et il semble bien que l'on ne doive admettre l'exis-

tence de cette connexion qu'a une époque relativement tardive de la vie

(1)' Jlomow, loc. cil.

z) Ki.tppEL et TI1l11AU1l,\Y, Du nsevus variqueux osléo-hyperlrophique. Arch. gén. de

méd ? 1900, 3, p. 641.

DE LA DISPOSITION RADICULAIRE DES N7 ? 1 4j 7

intra-utérine. Notre interprétation nerveuse de certaines formes de naevi

nous permet donc de préciser la date vraisemblable de l'apparition de ces

malformations cutanées, notion intéressante puisqu'à l'heure actuelle il

n'existe, à notre connaissance du moins, aucun fait pathologique ni expé-

rimental ayant pu nous fixer sur l'époque de la vie intra-utérine à la-

quelle peuvent se développer les naevi. La naevus-vascularite peut dans

certains cas apparaître tardivement; mais le naevus-névrite ne pourra

jamais se constituer d'une façon précoce.

Enfin au point de vue de leur topographie, ces naevi diffèrent totalement.

Le naevus-névrite a une topographie nerveuse que nous préciserons plus

loin ; le nffivus-vascularite une distribution très différente. Dans certains

cas il est vrai sa localisation est conditionnée par des facteurs de peu d'in-

térêt : il pourrait être dû en effet à des compressions pendant la vie

intra-utérine contre le bassin maternel (Unna) (1). Mais dans certains

cas il faut faire intervenir un fadeur de localisation tout autre, facteur

lié au développement même de la peau. On sait que la surface cutanée

se forme par la coalescence d'îlots nés chacun séparément : or ce peut

être sur un de ces îlots tégumentaires que le naevus se trouve étroitement

localisé. Il présente alors une véritable métamérie, une topographie spé-

ciale qui mérite un nom spécial : tO]Jog1'fl]Jh ie del'1nalo-11létamérique, dirons-

nous.

Dans certains cas le naevus occupe non pas toute la surface d'un dermato-

métamère, mais seulement la ligne d'union de deux del'1118to-Illétalllé-

res (2) voisins. C'est celle localisation qui a été désignée jusqu'ici sous la

rubrique « localisation selon les lignes frontières de Voigt » : les lignes

de Voigt étant, on le sait, les lignes qui séparent l'un de l'autre les

territoires cutanés des nerfs périphériques.

Celle expression, au point de vue descriptif, n'est pas erronée puisque

les lignes de Voici et le pourtour des dermato-métamères se juxtaposent

étroitement. Cependant nous semble que l'expression « pél'idermalo-mé-

taméril¡ue» doit remplacer le terme « de naevus à distribution selon les

lignes de Voigt » : la première de ces expressions signifie nettement en effet

que le naevus en question est de la variété wvus-vascularite ; le mot de

« ligne de Voici ), renferme au contraire implicitement une idée de dis-

tribution nerveuse, la ligne de Voigl étant en somme la ligne d'union de

deux 1/érro-mélamères cutanés.

La cause de cetle localisation si élective do cerlains naevi le long des

lignes périderma lo-méla mérifll1es peut être interprétée grâce aux recller-

(1) Uw.v, cité par litsr : La pratique de BROC r.T Jacquet.

Article Na;vi, t. III, p. 559.

(2) Observations de Jadassoiix, Puit.tppsoN, Psrensov, llrit.Lr : n, Galeuski, etc.

478 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

ches embryologiques de Blaschko. D'après cet auteur, « aux points où chez

l'embryon s'accolent deux territoires cutanés en voie de formation il se fait

au niveau du point correspondant à la surface épidermique une prolifé-

ration plus active déterminant le bourgeonnement des crêtes épithéliales,

et ces modifications de la surface limitante du chorion et de t'épiderme

s'étendent à toutes les couches sus-jacentes. Si pour une cause ou une

autre il existe un trouble dans le développement normal de ces forma-

tions, trouble aboutissant à l'hyperfonclionnement, ces régions intermé-

diaires qui sont déjà le point de départ de la différenciation seraient tout

naturellement de préférence le siège électif de ces manifestations anor-

males (1). »

Ainsi donc, dans la classe des naevi-vascutariies existent, d'une part des

naevi sans grand intérêt pathogénique, dus à un traumatisme embryon-

naire, el de l'autre une variété extrêmement intéressante, les naevi à

topographie derrnato-métamérique. Dans la classe des naevi-névrites des

divisions s'imposent également du fait de leur pathogénie et de leur loca-

liation.

Certains d'entre eux siègent sur des troncs nerveux superficiels ou pro-

fonds ; il est logique d'admettre dans ces cas une corrélation étroite entre

le trajet de ces troncs nerveux et la topographie des troubles cutanés. Des

observations de cette variété de naevi ont été publiées par Barthélemy (2),

Spietschka (3), Etienne (4). La plus récente en date est celle de

MM. Achard et Ramond (5) où le naevus occupe le trajet de la branche

ophtalmique de Willis. Ces naevi, dirons-nous, ont une topographie

nt ! v 1'0, mé tamérique.

D'autres naevi, en bandes,descendent obliquement sur les faces latérales

du thorax, localisés à un seul côté, croisant chemin faisant la direction

de plusieurs nerfs intercostaux ; au niveau des membres, ils occupent un

segment cutané, nettement compris entre deux plans perpendiculaires à

l'axe de ce membre. Ces naevi sont liés sans doute à une lésion spinale ;

ils ont une topographie spino-métamérique.

Mais il est une troisième variété de topographie métamérique que les

auteurs n'ont pas décrite et qui est pourtant la plus fréquente, selnble-t-il.

(1) Blascuko, cité par Etienne, Des Rxvi dans leur rapport auec les territoires ner-

veux. Essai de patho,génie et d'étiologie. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière,

1897, p. 263.

(2) li.lnT(lÉLt3ltY, Deux observations de nxvus zoni/orme lisse. Annales de dermato-

logie et de syphiligraphie, 1877, p. 281.

(3) Spietschka, Ueber sogenannle nel'l'ml-noeui, Arch. f. Dermat., 1894, XXVII, p. 27.

(4) Etienne, Nævus pigmenlaire développé sur le territoire des branches

du plexus cervical superficiel. Arch. de dermat. et de syphiligr., 10 mai 1894.

(5) Achard et HAMOND, Noevus congénital à topographie zoniforme. Soc. de neu-

rol., séance du 1er avril 1909. In Revue neurologique, 1909, n° 8, p. 4S9.

DE LA DISPOSITION RADICULAIRE DES N2 £ Vl A79

Difficile à individualiser au niveau du tronc, où son territoire se confond

avec celui des spino-métamères, elle est aisée à reconnaître au niveau

des membres. C'est la topographie radiculo-mtitamérique,

Depuis trop longtemps déjà la métamérie spinale et la métamérie ra-

diculaire ont été confondues ; il faut les distinguer nettement l'une de l'au-

tre. Au niveau du tronc l'erreur est facile certes, puisque les territoires

spino-métamériques et radiculo-métamériques ont les mêmes limites ;

mais il n'en est pas de même au niveau des membres où la topogra-

phie spinale et la topographie radiculaire sont très différentes l'une de

l'autre. La première en effet est en « tranche » ; la seconde en « bande »

(Brissaud) ; les limites des métaméries spinales sont perpendiculaires à

l'axe du membre : celles des territoires radiculaires lui sont parallèles.

Si nous voulions reprendre les observations des naevi publiées comme

« naevi à distribution spino-métamérique », nous montrerions facilement

que la majorité d'entre elles ont trait tout au contraire à des naevi à topo-

graphie radiculo-métamerique. Même les observations de naevi apparem-

ment distribués suivant les trajets nerveux mériteraient d'être étudiées

dans un travail critique; si certaines d'entre elles semblent à l'abri de

toute objection, d'autres au contraire ne nous ont nullement satisfaits, soit

que l'éruption ne soit pas localisée exactement sur le trajet du nerf en

question, soit que l'on doive admettre une altération de nerfs trop nom-

breux, et très irrégulièrement frappés, le fait s'expliquant mieux et plus

simplement en admettant une lésion radiculaire. Nombre d'observations

cataloguées comme observations de naevi distribués selon les trajets ner-

veux sont moins des cas de naevi à topographie névro-métamérique que

des na;vi topographie radiculo-métamérique. Cette topographie radiculo-

métamérique est des plus nette chez un certain nombre de malades que

nous avons eu l'occasion d'examiner. Nous ne rapporterons ici que quel-

ques-unes de nos observations.

OBSEIIVATION 1.

Ch. Emile,âgé de 45 ans, exerçant la profession de cocher, entre à l'hô-

pital Tenon, pour des accidents de paludisme. Son foie est gros et doulou-

l'eux, sa rate hypertrophiée; il présente au niveau de la 1 Il, et (le la '12° ver-

tèbres dorsales un naevus pigmenté à droite de la ligne médiane; il en

porte un autre sur la face antérieure de l'abdomen du côté droit, à peu

près à égale distance dupubis et du bord inférieur de la région mammaire.

Le naevus antérieur est situé sur un plan inférieur au naevus postérieur.

Tous deux répondent aux 9e et 10e racines dorsales ainsi qu'on s'en rend

nettement compte en rapprochant les figures 1 et 2 des schémas de dis-

tribution radiculaire donnés par Rocher (tig. 3 et 4). C'est l'obliquité des

'*OU KLIPPEL ET PIERRE-AVRIL

Fic.. 1

F)o.2 2

Fig. 3

Fig. 4

Schémas de Kocher

DE LA DISPOSITION RADICULAIRE DES X.1 ! Vt 481 1

I'G.5 5

r ? 6

Ho 7

Fin. 8

482 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

racines qui commande ce fait que les deux naevi ne se trouvent pas sur

le même plan horizontal (fig. 1, 2, 3, 4).

OBSERVATION 2.

Mart..., âgée de 45 ans, passementière, entre l'hôpital Tenon pour des

accidents rhumatismaux compliquésd'endocardite.)Clle a une ascendance tu-

berculeuse. Aucun membre de sa famille n'a de naevus connu d'elle. Notre

malade présente sur la face antéro-externe de l'avant-bras et du pouce un

vaste naevus qui remonte à sept travers de doigt au dessus de l'extrémité

inférieure du radius, débordant sur la face postérieure du membre.

C'est un naevus vasculaire avec léger relief, couleur rouge lie de vin,

sans verrucosités ; il augmente d'intensité par la compression du bras. La

topographie correspond exactement à l'avant-bras et à la main au terri-

toire de la 7e racine cervicale ; de plus, l'avant-bras, elle déborde sur le

territoire de la 6° racine cervicale (fig. 5, 6, 7, 8).

Observation 3.

Alb..., âgée de 16 ans, cartonnière, entre l'hôpital Tenon, salle âlagen-

die le 29 mai 1909 pour des troubles fonctionnels et généraux relevant

d'une tuberculose pulmonaire au début. Elle présente deux naevi. Le pre-

mier est une petite tache brunâtre, de la grosseur d'une pièce de deux

francs, de forme oblongue, qui siège à deux travers de doigt au-dessus de

l'épine iliaque antérieure et supérieure gauche ; la seconde est une petite

tache brunâtre à contours irréguliers, analogue de volume et de forme

à la première; elle siège à cinq travers de doigt au-dessus de l'épine iliaque

postérieure et supérieure gauche, au niveau du relief gauche des muscles

Fig. 9

Fig. 10

DE LA DISPOSITION RADICULAIRE DES NIEVI 483

de la masse sacro-lombaire.Les naevi sont situés sur le territoire de la 10e

racine dorsale : c'est à l'obliquité de cette racine qu'est dû ce fait que le

naevus postérieur siège sur un plan plus élevé que l'antérieur (G. 9,

10, 11,12).

Ben..., âgé de 47 ans.entre a l'hôpital Tenon parce qu'il se plaint de fai-

blesse et d'amaigrissement. C'est un tuberculeux qui présente un sommet

pulmonaire induré et l'autre ramolli. Il porte des naevi sur la région ab-

dominale. Le premier, de forme quadrilatère, siège sur la face antérieure

de l'abdomen, au niveau et au-dessous de l'ombilic qu'il déborde légère-

ment en haut ; il s'arrête sur ligne médiane. L'autre, oblique en bas et

en avant, commence à 5 travers de doigt environ de l'extrémité inférieure

delà colonne dorsale et se dirige vers le précédent. Si on rapproche les

figures (fig. 13 et 14) des schémas de Head ou de Kocher (fig. 15 et 16),

on constate nettement que les deux naevi intéressent le territoire de la

10e et de la Ha racines dorsales, empiétant légèrement en avant, un peu

plus longuement en arrière sur le territoire de, la 9e racine dorsale.

Observation 5.

Loig..., âgée de 40ans, professeur de piano, entre dans noire service à

l'hôpital Tenon pour des accidents relevant d'une cirrhose alcoolique

à type hypertrophique. Elle présente dans la région du flanc gauche

un naevus pigmentaire congénital ; sur un fond légèrement teinté en

brun sont disséminées des taches roussâtres, qui varient entre la gros-

FlG. Il

Fig. 12

Observation 4.

48 1 KLIPPEL ET P1ERRK-AVEIL

FIG, 13

1'1(\, 13

Pic. 14

FIG, 1 G

DE LA DISPOSITION R VJIC ULAIRE DES N.EVI 400

Fiv. 17.

FIG, 18,

l' Ili. 1J.

I"IG. 20.

486 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

seur d'une tête d'épingle et celle d'un gros pois; la plupart de ces

taches sont claires, d'autres moins nombreuses sont brun foncé, quelques-

unes sont noires. Les limites du naevus sont licitement marquées : il

atteint en avant la ligne blanche abdominale et en arrière la colonne

vertébrale; il est limité en haut et en bas par deux lignes parallèles

et légèrement obliques ; la supérieure répond à un plan passant très

légèrement au-dessus de l'ombilic, et l'inférieure à un plan situé envi-

ron à un demi-centimètre au-dessus du grand trochanter; en avant, ces

deux lignes changent de direction, la supérieure s'abaissant, l'inférieure

remontant pour se rencontrer selon une incidence aiguë au niveau de

l'extrémité antérieure de la plaque nwvique

Si on compare cette distribution aux schémas représentant la topographie

des mélamères radiculaires, on constate avec netteté que le naevus occupe

tant en avant qu'en arrière le territoire des 10e, Ile, 12e racines dorsales

gauches (fig. 17,18,19,20).

OBSERVATION 6.

Il s'agit d'un malade d'une vingtaine d'années, entré à Tenon dans le

service dur Launoispour tuberculose pulmonaire. C'est grâce à ses soins

que fut dessinée la planche LUI que nous publions aujourd'hui : aussi

sommes-nous empressés à reconnaître la part qui lui revient dans ce

travail.

Ce malade présente au niveau de la région pectorale et du membre su-

périeur gauche un vaste naevus : il occupe la région mammaire, confinant

en dedans à la ligne médiane, atteignant en bas le pli mammaire inférieur

et remontant en haut jusqu'à 12 centimètres environ du mamelon. Sur la

face antérieure du bras, il suit en bande le bord interne du membre,

atteint l'avant-bras dont il longe le bord interne, il vient mourir au ni-

veau de la paume de la main entre son axe médian et l'éminence thénar.

Au niveau du dos, il occupe les fosses sus et sous-épineuses décrivant

une courbe en fer à cheval, à concavité tournée en dehors ; la branche

supérieure de ce fer à cheval croise la face postérieure du bras au niveau

de la région deltoïdienne, descend le long de son bord externe, vient vers

la partie inférieure du bras apparaître sur sa face antérieure, abandon-

nant pendant quelques centimètres la face postérieure du membre qu'il

rejoint bientôt au niveau de l'avant-bras ; il croise ensuite de dehors en

dedans la face postérieure de l'avant-bras au niveau de son extrémité su-

périeure pour suivre, dans ses deux tiers inférieurs, le hord interne de

l'avant-bras ; il se termine sur le dos de la main dont il occupe la moitié

interne, nettement limité en dehors par l'axe longitudinal du médius.

Ce trajet évidemment est complexe; cetle observation est, pour la thèse

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. LIII

NAEVUS A DISPOSITION RADICULAIRE

(Obs. 6. - Malade du service du Dr Launois).

(Klippel et Pierre- Weil)

Masson & C ? Editeurs

Phmnvmm Ftnrlhand

DE LA DISPOSITION RADICULAIRE DES NÆVI

487

que nous essayons de défendre, moins probante que les précédentes; il est

en effet difficile d'expliquer pourquoi le naevus à la face postérieure de

l'avant-bras croise plusieurs territoires radiculaires et on pourrait se de-

mander si sa topographie n'est pas non radiculo-mélamérique mais bien

névro-métamérique : le naevus semble en effet suivre à l'avant-bras, le

trajet des branches antérieures et postérieures du nerf cubital.

Mais alors comment expliquer sa localisation au niveau de la poitrine,

tant en avant qu'en arrière, aux territoires des te, 3e, 4p racines dorsales ? ` ?

Le mouvement de torsion que présente le naevus au niveau du bras ne

peut-il s'expliquer par la torsion embryonnaire de l'humérus ? Nous pen-

sons qu'on peut imputer, pour expliquer la topographie assez spéciale

de ce naevus, une lésion congénitale des 5e, 6e, 7" racines cervicales

auxquelles le naevus correspond dans son trajet au niveau du membre su-

périeur, et des lie, 2', 3e et 1.11 racines dorsales auxquelles le naevus cor-

respond au' niveau du membre supérieur, de la paroi antérieure et de la

paroi postérieure de la poitrine.

Nous avons donc été amenés à distinguer, avons-nous dit, dans le grand

chapitre de dermatologie congénitale que constitue la classe des naevi , deux

grandes variétés pathologiques : le naevus-vascularite et le noevus-névrite.

FIG. 21.

488 KLIPPEL ET PIERRE-WEIL

Le naevus-vascularite a souvent une distribution dermato-métamérique

Quant aux naevi, ils sont très fréquemment, dans le plus grand nombre

de cas nous a-t-il semblé, disposés selon une topographie radiculo-mé-

tamérique. Ces naevi à topographie radiculo-métamérique sont plus fré-

quents, croyons-nous, que les naevi à topographie spino-métamérique,

qui, au niveau du tronc, sont très difficiles à diagnostiquer des naevi à

topographie i-idiculo-iii6tiiiiéi@iq[ie, mais qui au niveau des membres se

caractérisent par leur topographie en bandes nettement limitées par des

lignes perpendiculaires à l'axe du membre.

Quant aux naevi liés à une altération congénitale du ganglion spinal,ou

plutôt des cellules ganglionnaires des racines postérieures de la moelle,

ils doivent être distingués nettement de la variété radiculo-mélamérique :

nous savons, en effet, qu'un certain nombre de racines postérieures ne

traversent pas le ganglion spinal, mais cheminent simplement accolées à

son niveau, et que, d'autre part, certaines fibres radiculaires pénètrent

dans le ganglion, mais ne s'y arrêtent pas, leur centre trophique étant

situé à la périphérie, ou dans l'axe cérébro-spinal. Il est intéressant de

noter que non seulement le nmvus-névrite rappelle par ses analogies cli-

niques une autre affection à point de départ nerveux et à manifestations

cutanées, le zona, mais qu'ici et là nous reconnaissons des variétés patho-

géniques en tous points comparables : zona et naevus-névrite d'origine

radiculaire à topographie radiculo-métamérique; zona et nævus-névrite

d'origine nerveuse, à topographie névro-métamérique ; zona et naevus-

névrite d'origine ganglionnaire ou médullaire enfin. Zona et naevus-

névrite relèvent de causes variables selon les cas et peuvent relever

l'un et l'autre des mêmes causes.

De même, il est intéressant de remarquer que notre classification des

naevi en na;vus-vascularite et en naevus-névrite rappelle la dissociation

que, à la suite des recherches de Lahmann (1), M. Chauffard (2) a été

obligé de faire dans le groupe jusqu'alors univoque d'une autre derma-

tose, la maladie de Recklinghausen.

Nous savons, en effet actuellement, qu'il existe une HCMro-f)bromatose

pigmentaire et une derao-fibromalose pigmentaire, le point de départ de

la fibromatose cutanée généralisée (Gaucher) étant ici l'appareil légumen-

taire et là le système nerveux.

Nous voudrions pouvoir, à l'appui de la théorie radiculo-métaméri-

(1) Lahmann, Die multiplex Fibrome in ihre Bezielmng der Ve ! <;'o-/)6yon ! eH. Virchow's

Arch., 1885, Bd. CI, p. 762 ; et 1892, t. CV.

(2) Chauffard, Dermo-fibromalose pigmentaire ou neuro-fibromalose généralisée ; mort

par adénomes des capsules surrénales. Bull. et Mém. de la Soc. méd. des hôp. de

Paris, 20 novembre 1896 ; Bulletin Médical, 1896, no 93, p. 1119.

DE LA DISPOSITION RADICULAIRE DES NtEVI 489

que du naevus, dont nous avons essayé cliniquement de démontrer le bien

fondé, rapporter quelques protocoles concluants d'autopsie.

Malheureusement, le fait idéal nous manque, mais cela en somme ne

doit pas surprendre si on pense que le naevus, affection congénitale, tra-

duit, dans sa forme radiculo-métamérique, un processus toxi-infectieux

qui a lésé les racines postérieures à une époque de la vie où les restaura-

tions atteignent une intensité très grande.

Toutefois, à l'autopsie d'un de ces malades dont nous avons rapporté

précédemment l'observation clinique (obs. 6, malade du Dr Launois),

nous avons constaté dans la moelle une lésion dont l'importance ne sau-

rait passer inaperçue.

A l'autopsie, l'examen complet du système nerveux n'a montré qu'une

seule lésion, qui occupe une étendue de 3 centimètres environ sur la

moelle, au niveau de la région cervicale inférieure et dorsale supérieure ;

elle est marquée en ces points par une coloration noirâtre, assez analogue

d'aspect au locus niger et située au centre même de la moelle, au niveau

et autour du canal épendymaire, formant une sorte de manchon à contours

vagues d'une épaisseur de 1 à 2 millimètres. Sur une coupe transversale

de la moelle, cette lésion est évidente à l'oeil nu sous forme de tache cen-

xxii 33

Fig. 22.

490

KLIPPEL ET P1RRE-1VEIL

traie noire et ronde ; au-dessus et au-dessous on ne retrouve plus rien de

semblable sur toute la hauteur de la moelle. Sur la coupe histologique,

la coloration est moins foncée, plutôt grise que noire, et visible au maxi-

mum sur les coupes non colorées et à l'oeil nu.

Au microscope, on ne voit pas de granulations pigmentaires bien nettes,

on ne peut admettre que des grains pulvérulents ; les réactions histo-clii-

miques ayant pour but de déceler le fer ou d'autres substances ne nous ont

rien appris, ce qui peut tenir à la trop petite quantité de pigments.

Le canal de l'épendyme lui-même n'est pas dilaté et ne présente rien

d'anormal.

L'examen histologique des nerfs périphériques, des racines spinales,

des méninges, des cellules de la substance grise, n'a pas permis de déceler

la moindre lésion.

En cherchant évaluer l'importance que peut avoir l'altération pig-

mentaire en question, nous trouvons :

Fiv. 23.

FIG, 21.

DE LA DISPOSITION RADICULAIRE DES NÆVI 491

1° Qu'elle est la preuve d'un processus pathologique très ancien, da-

tant vraisemblablement de la vie intra-utérine;

2° Que par sa situation, à la partie inférieure de la région cervicale et à

la partie supérieure de la région dorsale, elle est en quelque rapport avec

la topographie du naevus. Par là, son importance ne saurait échapper.

L'intégrité des racines ou des cellules de la moelle au jour de l'autopsie,

vingt ans après l'évolution delà maladie, ne prouve pas que ces racines ou

ces cellules n'aient pas été lésées sous une forme ou sous une autre à un

moment donné. Il y a des restaurations, même des régénérations qui peu-

vent expliquer cette intégrité, surtout si l'on songe que la maladie a évo-

lué à une époque de la vie où les formations plastiques sont d'une inten-

sité toute particulière.

Il est donc très important de constater une lésion, ou un reliquat de

lésion, siégeant précisément au point de la moelle qui est voisin des

régions de l'innervation du membre supérieur et du thorax, alors qu'au-

cune altération n'est visible en aucun autre point de l'axe cérébro-spinal.

Cette lésion est le reste d'un processus morbide qui à un moment donné

a pu être étendu à des régions voisines, placées au même niveau : centres

gris et racines postérieures.

En somme nous voyons qu'il y a là un argument très favorable, fût-il

incomplet, à l'idée d'une altération nerveuse en rapport avec le naevus à

topographie radiculaire.

En résumé nous croyons avoir montré que sous le nom de naevus on

étudie certaines localisations cutanées d'un processus toxi-infectieux

dont la cause peut être une vascularite, ou une névrite..

Nous avons proposé d'opposer ces deux variétés sous les dénomina-

tions de nsevus-vascularite et de neevus-névrite.

Elles diffèrent en effet par leur pathogénie,leur anatomie pathologique,

leur date d'apparition, leur distribution, leurs analogies ; nous les rappe-

lons par le tableau suivant :

492 KLIPPEL ET PIERÜE-WE1L

FACULTÉ DE MÉDECINE D'ODESSA (RUSSIE).

ANKYLOSE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES COTES.

ÉTUDE ANATOMO-CLIN1QUE,

PAR

W. J. ROUDNEW,

Priv,ct-docent de la Faculté de Médecine d'Odessa.

L'ankylose de la colonne vertébrale était déjà connue de nos anciens.

Ainsi, Wenzel a décrit un cas d'ankylose vertébrale en 1827. L'ankylose

des vertèbres peut se compliquer d'ankylose coxo-fémorale ; une observa-

tion de ce genre a été publiée en 1876 par Hilton Fagge.

Plus récemment on a bien étudié aussi bien au point de vue cliniquequ'au

point de vue anatomo-pathologique, deux types de lésions de la colonne

vertébrale caractérisées par la spondylose avec déviation en avant - type

de Bechterew et spondylose rhizomélique de Marie - et accompagnées

d'ankylose coxo-fémorale.

Becllterew considère la maladie qu'il a décrite comme tout à fait spé-

ciale. Elle est caractérisée par une immobilité partielle ou totale de la

colonne vertébrale avec courbure postérieure, surtout de la portion

supérieure de la région dorsale. Les muscles du cou et du corps sont atro-

phiés ; la sensibilité est émoussée au niveau de la division des nerfs de la

région dorsale et de ceux de la région inférieure du cou ; on constate de

la paresttésie et le malade accuse des douleurs dans le dos, au cou et au

niveau de la colonne verlébrale. La maladie s'étend de haut en bas, len-

tement, pendant des années. On cite parmi les causes de cette affection,

le traumatisme, l'hérédité, une prédisposition de famille, la syphilis.

Après la publication des cas de Bechterew, paraissent les observations

de Strümpell et de Marie, dans lesquelles on note, à côté des lésions de la

colonne vertébrale, des lésions articulaires. A ce propos, Bechterew a

fait remarquer que l'ossification des grandes articulations, la propagation

du processus morbide de bas en haut, l'absence de phénomènes radicu-

laires, ainsi que quelques autres symptômes, séparent la maladie décrite

par lui de la spondylose rhizomélique. II rappelle aussi que le type

494 ' ROUDNEW

Strumpett-Marie était connu depuis longtemps des chirurgiens sous diffé-

rentes dénominations.

Depuis, quelques auteurs se sont rangés à la manière de voir de Bech-

terew, d'autres ont pensé qu'il s'agit de deux variétés du même processus

pathologique.

La bibliographie de la question qui nous intéresse est déjà réunie dans

.plusieurs travaux antérieurs (Bechlerew a compté 35 cas de son type).

Nous indiquerons ici seulement quelques travaux.

Marie et Astier (1897) n'ont pas trouvé d'atrophie musculaire ni de

modifications de la sensibilité chez un malade qui a présenté de la spon-

dylose. Ils considèrent la maladie de Bechterew comme une cyphose

hérédo-traumatique. Bechterew répond à cette manière de voir que dans

certains cas, il n'a trouvé ni traumatisme, ni causes héréditaires.

Schaikeviteh pense que le cas décrit par lui appartient au type inter-

médiaire entre ces deux variétés.

Schlesinger, tout en admettant deux maladies au point de vue clinique,

croit que le type anatomo-pathologique est le même dans les deux cas.

S. Popoff rapporte à la même maladie toutes les variétés de déviation et

d'ankylose de la colonne vertébrale. Osipoff et toute l'école de Bechterew

distinguent deux formes de la maladie et soulignent l'origine nerveuse de

la première.

A nôtre-avis, cette question ne sera complètement résolue que par les

études anatomo-pathologiques des cas se rapportant aux deux types de la

maladie et lorsqu'on aura découvert des formes intermédiaires, car, en

réalité, le tableau clinique et les lésions anatomiques trouvées, parlent

plutôt' en faveur des deux maladies différentes.

Actuellement, il existe dans la littérature médicale 6 études anatomo-

pathologiques ; quatre se rapportent à la maladie de Bechterew, deux

autres à la spondylose rhizomélique. Ces dernières sont dues, l'une à

Marie, l'autre à Marie et Léri.

Dans ce travail, nous apportons le 7° cas d'ankylose de la colonne ver-

tébrale avec la description des lésions anatomo-palhologiques.

Observation (PI. L1V).

Il s'agit d'un malade que nous avons présenté de son vivant à la Société

médicale d'Odessa ;,un an plus tard, il est mort à l'hospice des aliénés.

A son examen nous avons trouvé qu'il se tenait courbé ; les muscles du cou

ainsi que ceux de l'omoplate paraissaient atrophiés ; il n'en était pas de même

pour le muscle trapèze, de tonicité normale. Les mouvements actifs sont pos-

sibles partout, à l'exception de la colonne vertébrale. Le mouvement de la tête

en bas est limité : le menton s'arrête à trois travers de doigt de la poitrine. Le

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. LIV

ANKYLOSE DE LA COLONNE VERTEBRALE

(Roudnezu; .

Masson & Ce, Editeurs.

Phototypie Berthaud

ANKYLOSE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES CÔTES 495

mouvement de la tête de côté ou bien en arrière est limité de moitié. Le ma-

lade ne peut pas lever les bras jusqu'à la verticale ; il lève les jambes au lit ;

la sensibilité est conservée dans la région fémorale droite. Lorsque le corps

est baissé en avant, la colonne vertébrale reste immobile, ne se courbe pas.

La force physique est affaiblie. Les réflexes des muqueuses conjonctivale, na-

sale et laryngienne sont bien nets; les réflexes cutanés sont exagérés. Le ré-

flexe plantaire provoque des mouvements répétés du pied ; ce phénomène est

plus marqué du côté gauche.

Les réflexes abdominaux sont nets. Le réflexe crémastérien est aboli, car le

muscle crémastérien est déjà atrophié, les testicules sont refoulés en haut et

le scrotum est ratatiné. Chaque attouchement du corps provoque non seule-

ment les mouvements des extrémités, mais aussi ceux des muscles respiratoi-

res (soupirs). Lorsqu'on touche le ventre ou bien lorsqu'on passe les doigts

sur la peau, on provoque un rire que le malade ne peut pas contenir. Les ré-

flexes vasculaires sont très marqués : la dermographie rouge ou blanche appa-

raît suivant que l'excitation de la peau est forte ou faible. Tous les réflexes

distendus, aussi bien aux bras qu'aux jambes, sont exagérés, surtout du côté

gauche. Léger clonus plantaire.

Du côté gauche, on observe des mouvements qui rappellent les mouvements

cloniques de la rotule ; lorsqu'on la repousse eu bas, on provoque non pas le ré-

flexe ordinaire, mais un mouvement lent de la rotule, en haut et en bas et se

répétant de temps en temps. Le réflexe scapulaire est aussi exagéré et se

transmet du côté opposé. Un léger tapotement sur le périoste de la portion in-

férieure de la colonne vertébrale provoque la contraction des muscles redres-

seurs ; le même tapotement pratiqué en haut fait courber le corps en avant.

On se rend bien compte de la marche des réflexes. Pas de réflexe maxillaire.

La sensibilité mécanique des muscles du corps et des extrémités est exagérée.

Sensibilité : sensations subjectives de douleur dans la partie supérieure

de la colonne vertébrale, irradiations de ces douleurs vers les épaules et la tête.

Sensibilité objective : légère exagération de toutes sortes de sensibilité dans la

partie supérieure du corps, aux bras et au cou. Sensibilité musculaire sans

modifications. Sens musculaire normal. Pupille gauche deux fois plus large que

celle du côté droit; absence de réaction la lumière pour les deux pupilles.

Mimique paresseuse. Le pouls est à 108 ; la respiration est abdominale, la cage

thoracique y participe peu ; le diaphragme est abaissé. Faiblesse des muscles

du cou; tremblement de la langue. On observe aussi quelques signes de

la paralysie progressive : faiblesse de la mémoire, troubles de la parole,

imbécillité.

Il n'y avait pas de bossus dans la famille du malade. Son grand-père est

mort à l'tige de 110 ans ; sa grand'mère à 98 ans ; le père et la mère à 60 ans.

Notre sujet était bien portant dans son enfance. Il a contracté dans sa jeu-

nesse la syphilis pour laquelle il a été soigné à l'hôpilal par l'iodure de potas-

sium et des injections de mercure.

Les parents considèrent que la maladie actuelle a été causée par le séjour

496 ROUDNEW

prolongé dans un logement constitué par un sous-sol humide et surtout

par le refroidissement pris il y a dix ans lorsqu'il est tombé dans une glacière

dont il ne fut retiré qu'au bout de 20 minutes par quelqu'un qui avait en-

tendu ses cris. Lorsqu'il est tombé dans la glace, il a ressenti un fort refroi-

dissement du corps, de la poitrine, des épaules et de la colonne vertébrale. Il

a été serré de tous côtés par la glace. Il a été porté chez lui et mis au lit. Le

lendemain il ne pouvait se lever ; il éprouvait des douleurs partout où il avait

été en contact avec la glace.

Le médecin appelé a fait poser 15 ventouses, ce qui a soulagé le malade pour

trois jours ; mais après ce court délai, il a de nouveau ressenti des douleurs et

ne pouvait plus se courber. Quinze jours plus tard, il a été admis à l'hôpital où

on lui a fait prendre de l'iodure de potassium et des bains salés.

Sorti de l'hôpital, il y revenait tous les quinze jours, pendant trois ans, pour

se faire mettre des pointes de feu à la colonne vertébrale. Chaque fois que le

traitement avait amené une amélioration dans son état, il l'interrompait

pour 2 ou 3 mois.

' Quatre ans après l'accident, il a ressenti des douleurs dans la colonne ver-

tébrale, aux épaules. Pendant quelques années, il a souffert de rhumatisme.

Il y a quatre ans, les articulations du genou, du cou-de-pied ainsi que celles

des mains étaient tuméfiées. Pendant deux mois, il fut incapable de fléchir ses

doigts à cause de douleurs articulaires ; ses doigts étaient écartés. Il lui était

difficile de plier ou d'étendre les genoux et les pieds ; il avait en même temps

des douleurs dans les articulations coxo-fémorales. Ce rhumatisme a cédé aux

bains (bains salés et bains de boue),au massage, au salicylate de soude ainsi qu'à

l'iodure de potassium. Cependant il continuait à éprouver de temps eu temps

des douleurs dans les articulations de la main et à l'omoplate gauche.

Déjà depuis six ans son corps était courbé. Au commencement, avait remar-

qué qu'il ne pouvait plus se redresser, porter sa tète en arrière. Auparavant, il

avait été tout à fait droit. En même temps qu'une gêne dans les mouvements

de la colonne vertébrale, parurent des douleurs dans cette région.

L'année dernière, des troubles psychiques l'ont amené à l'asile des aliénés

où ses douleurs ont complètement disparu au bout de quatre mois de traitement.

Son traitement fut : des badigeonnages, répétés tous les trois jours, de la colonne

vertébrale à la teinture d'iode, l'administration à l'intérieur d'iodure de sodium,

des bains chauds ainsi que des exercices des muscles du cou.

Ainsi, notre malade présente une spondylose ou une mobilité très affaiblie

de la colonne vertébrale sans lésions des grandes articulations, c'est-à-dire une

spondylose du type Bechterew compliquée de phénomènes de la paralysie pro-

gressive.

Quant à l'origine de la maladie, nous croyons qu'il faut surtout incriminer

le refroidissement et le rhumatisme, peut-être la syphilis y a été aussi pour

quelque chose. Notre cas ne peut pas être rattaché au type de cyphose hérédo.

truumalique de Marie et Astier, car nous ne trouvons parmi ses causes pro-

bables ni une hérédité ni un traumatisme.

ANKYLOSE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES CÔTES 497

Les réflexes exagérés, les douleurs accusées par le malade à son entrée à

l'hôpital parlent en faveur de l'origine nerveuse de son affection.

Si nous admettions chez notre malade une inflammation des méninges surve-

nue à la suite d'un refroidissement de la colonne vertébrale causé par sa chute

dans la glacière, nous pourrions attribuer les symptômes qu'il a présentés (l'im-

mobilité de la colonne vertébrale sans lésions des grandes articulations) aux

lésions locales mais non pas aux troubles de nutrition générale.

Cette manière de voir a été exprimée par nous lors de 'la présentation de

notre malade à la Société médicale d'Odessa. Le professeur Lewascheff a fait

observer la situation basse du diaphragme et l'absence de respiration costale.

Notre malade est mort un an après de pneumonie catarrhale.

Les constatations faites à l'autopsie pratiquée (28 octobre 1907) par le pro-

secteur adjoint Sinew ont été les suivantes : corps de constitution moyenne,

amaigri. Cyphose marquée de la colonne vertébrale. Assez grande quantité de

liquide clair sous la dure-mère de la moelle épinière. Pie-mère pâle ; substance

grise d'un gris-rose tranchant sur la substance blanche. Crâne : 181/2 X

14 1/2 cent. ; os du crâne sclérosés : poids de la calotte : 440 grammes.

La dure-mère présente sur toute l'étendue de sa surface interne à l'excep-

tion des fosses cérébelleuses un nombre considérable de petites taches hémorra-

giques. Dans l'intervalle de ces taches, elle est d'une teinte orange. On trouve

beaucoup de liquide hémorragique sous la dure-mère. Le cerveau est dense ; il

pèse 1.210 grammes. La pie-mère est très congestionnée, oedématiée, d'une

légère teinte orange. Les circonvolutions sont visiblement atrophiées ; les

sillons sont élargis. La substance grise est d'un gris rose, amincie ; l'incision

des vaisseaux sanguins de la substance blanche fait tomber de grosses gouttes

de sang. Les vaisseaux sont sclérosés.

Le diaphragme est à droite à la 4· côte, à gauche au uiveau de la 5·. Les

tissus mous qui recouvrent l'articulation sterno-claviculaire gauche sont

épaissis, d'un gris rose.

Les poumons ne sont pas adhérents. Le lobe inférieur gauche ainsi que tout

le lobe supérieur, à l'exception de son sommet, sont couverts de fausses mem-

branes fibrino-purulentes. L'incision du lobe supérieur montre une hépatisa-

tion typique. La pression fait sortir un liquide spumeux. La surface de section

du lobe inférieur est d'un gris-rouge, ardoisée, légèrement granuleuse au tou-

cher (pneumonie catarrhale). Les lobes supérieur, moyen et la partie antérieure

du lobe inférieur sont perméables à l'air, les deux tiers postérieurs du lobe in-

férieur présentent de l'oedème et des ilôts de pneumonie catarrhale.

Les valvules sigmoïdes de l'aorte sont adhérentes les unes aux autres.

L'aorte est rétréci et ne laisse passer que le petit doigt immédiatement au-des-

sous de l'origine de la sous-clavière. Le rétrécissement est de 1 cm. 1/2 ; à ce

niveau, l'aorte présente de grands placards fibreux. L'épaisseur de la paroi

du ventricule gauche est de 1 cm. 1/2; le muscle est d'un rouge brun.

Diagnostic : Récente pachyméningite hémorragique interne. Atrophie et

498

ROUDNEW

sclérose du cerveau. Pneumonie fibriizettse catarrhale. Sténose aortique. Hy-

pertrophie du cour. Cyphose.

Nous devons l'étude microscopique de notre cas à l'amabilité de M. Tisen-

hausen, chef de laboratoire de l'Institut d'anatomie pathologique. Voici les ré-

sultats de ses recherches. -

La pie-mère du cerveau est hypérémiée, trouble, un peu épaissie. Les veines

méningées sont doublées de larges bandes blanches. On trouve une grande

quantité de liquide clair sous la dure-mère. La pie-mère est adhérente aux

lobes frontaux du cerveau. Les circonvolutions sont atrophiées, les sillons sont

élargis et plus profonds que normalement. La substance grise de l'écorce céré-

brale est manifestement atrophiée. Tous ces phénomènes sont surtout marqués

au niveau des lobes frontaux. Les vaisseaux du cerveau sont légèrement sclé-

rosés. La dure-mère de la moelle épinière est épaissie. Cet épaississement est

surtout marqué dans la portion supérieure de la région cervicale où la dure-

mère atteint 3 millimètres d'épaisseur sur la pièce fixée.

La pie-mère est opaque, légèrement épaissie, surtout dans les zones supé-

rieures de la moelle épinière. L'examen microscopique montre un épaississe-

ment de la pie-mère et son infiltration diffuse par des cellules rondes. Ses

vaisseaux sont dilatés, remplis de sang ; leur paroi est épaissie, infiltrée par

des cellules rondes. Les vaisseaux du cerveau sont aussi hyperémiés; leur

paroi est aussi épaissie et infiltrée. Les espaces péri-vasculaires sont un peu

élargis. Les parois de quelques vaisseaux du cerveau et des méninges présentent

dans leur épaisseur une petite quantité de pigment brun ferrugineux. Ce pig-

ment est tantôt intracellulaire, tantôt forme de petits amas libres. La plupart

des cellules nerveuses de l'écorce cérébrale montrent des différents signes de

dégénérescence et d'atrophie (tigrolyse, atrophie pigmentaire, kariolyse et dé-

sagrégation complète des cellules).

Les espaces péri-cellulaires sont élargis. Le nombre de noyaux qu'on y trouve

d'habitude est augmenté. La substance grise contient un grand nombre de

cellules en araignée et un nombre plus grand que normalement de noyaux

névrogliques. L'examen microscopique montre que la dure-mère épaissie

est formée par du tissu fibreux pauvre en noyaux et très riche en fibres

élastiques. Elle renferme très peu de vaisseaux. Quelques-uns de ces der-

niers sont doublés d'un manchon d'infiltration inflammatoire. On constate à

la surface interne de la dure-mère une série de petits vaisseaux calcifiés, vides

de sang. Sur une coupe transversale, ils se présentent sous forme de

corps composés montrant une membrane liyaline bien nette. Ces vaisseaux

calcifiés siègent surtout dans les parties postéro-latérales de la dure-mère (5 à

10 par coupe).

La pie-mère présenle une infiltration inflammatoire diffuse. Les vaisseaux

sont hyperémiés et présentent une paroi un peu épaissie et infiltrée. On trouve

de l'endartérite dans les grandes artères, en particulier dans l'artère spinale

antérieure. Dans la zone supérieure, la pie-mère montre un épaississement

ANKYLOSE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES CÔTES 499

fibreux. On trouve une pigmentation très marquée des cellules de la moelle

épinière et une atrophie des cellules nerveuses ganglionnaires. La plupart

présentent des signes de dégénérescence (tigrolyse, pyknose, dégénérescence

hyaline ou vacuolaire). Les espaces péri-cellulaires sont élargis. La substance

blanche ne présente pas de lésions systématisées. On perçoit sur des prépara-

tions colorées par la méthode de Busch quelques éléments dégénérés, dissé-

minés dans toute la substance blanche, mais surtout au niveau des faisceaux

pyramidaux latéraux (un peu plus à gauche). Les racines ne renferment pas de

lésions récentes. On constate sur des coupes colorées par la méthode de Wei-

gert une certaine raréfaction de fibres à myéline des faisceaux latéraux pyra-

midaux et dans la région ventrale des faisceaux postérieurs, ainsi qu'une di-

minution notable de fibres à myéline des racines, remplacées par du tissu

interstitiel de nouvelle formation.

L'atrophie des racines postérieures est plus marquée que celle des racines

antérieures. On constate une atrophie particulièrement intense au niveau de

la région dorsale. Quelques racines postérieures de la région dorsale supérieure

ne renferment plus du tout de fibres à myéline. Ailleurs, cette atrophie est de

beaucoup moins marquée. On ne la trouve pas du tout dans la région cervicale

supérieure.

A l'examen microscopique du ganglion de la région lombaire, il a été trouvé

beaucoup de cellules nerveuses touchées par différents processus de dégénéres-

cence (tigrolyse, karyolise, dégénérescence vacuolaire, atrophie pigmentaire).

Les espaces péri-cellulaires sont très souvent nettement élargis. Les vaisseaux

sont atteints d'endartérite oblitérante; leur lumière est parfois complètement

oblitérée. Ce ganglion montre, dans un endroit, un morceau de tissu osseux,

avec des cellules osseuses très nettes, situé entre les fibres et les cellules gan-

glionnaires. Ce foyer osseux est entouré par une mince couche de tissu con-

jonctif fibreux.

Il résulte de cette étude histologique le diagnostic suivant : mé71>7go-céplta-

lile et méningo-myélite chronique diffuse interstitielle ; atrophie des racines

de la moelle épinière, surtout des racines postérieures ; pachyméllingite cer-

vicale chronique hypertrophique,

Les lésions trouvées dans le cerveau concordent tout à fait avec celles qu'on

trouve habituellement dans la paralysie générale progressive. Certaines modili-

cations de la moelle épinière, à savoir les signes d'une méningo-myélite à évo-

lution lente, sont probablement liées aussi à la paralysie générale. Quant à la

dégénérescence des racines et à la pachyméningite, elles ne concordent pas

avec d'autres lésions ni par le moment de leur apparition, ni par leur intensité

et leur étendue.

Les lésions de la dure-mère et des racines de la moelle épinière montrent

un processus ancien dont l'évolution est complètement terminée. On ne trouve

pas de signes de dégénérescence récente ni au niveau de la dure-mère, ni dans

les racines. La pie-mère montre, au contraire, à côté d'une prolifération peu

marquée du tissu conjonctif, surtout une infiltratiou cellulaire ; de plus, on

500 ROUDNEW

constate dans le cerveau des cellules et des fibres nerveuses en voie de dégé-

nérescence.

L'examen macroscopique de la colonne vertébrale montre les lésions sui-

vantes.

Les ligaments costo-vertébraux sont absents ; la portion inférieure du liga-

ment long antérieur est complètement atrophiée; le ligament long postérieur

est aussi atrophié. Le ligament intercostal ne 'présente pas de modifications.

Nous n'avons pu, malheureusement, étudier le ligament jaune et interépineux.

La colonne vertébrale préparée par l'ébullition montre une cyphose très mar-

quée de la région dorsale formant presque une courbe régulière d'un cercle.

En l'examinant par sa partie antérieure on voit qu'elle forme uue légère sco-

liose à gauche dans la région dorsale. Notre pièce a conservé les vertèbres lom-

baires, toutes les vertèbres dorsales, trois vertèbres et demie de la région sacrée

et trois vertèbres cervicales.

Nous allons décrire à part les lésions trouvées dans chaque région.

Région cervicale. Les vertèbres se sont fusionnées les unes avec les autres

et aussi avec la première vertèbre dorsale ; elles forment en avant une surface

lisse.

On trouve en arrière, entre les cinquième et sixième vertèbres, du tissu os-

seux qui oblitère l'orifice ; il existe un espace libre entre la sixième et la sep-

tième vertèbres qui correspond à la place du cartilage intervertébral ; le même

espace libre se retrouve entre la septième vertèbre cervicale et la première

dorsale.

Les vertèbres cervicales sont atrophiées, diminuées de volume, et aplaties

d'avant en arrière. Elles ont complètement perdu leur forme demi-circulaire,

sont plates et, confondues toutes ensemble, paraissent constituer un seul os.

Région dorsale. La première vertèbre dorsale fait corps avec la dernière

vertèbre cervicale. Il existe entre cette vertèbre et la suivante une mince fente

correspondant au disque intervertébral ; il en est de même pour l'espace sépa-

rant la deuxième de la troisième vertèbre; mais cette fente est oblitérée dans

sa région médiane par une tubérosité osseuse entre la troisième et la quatrième

vertèbre. La fente des quatrième et cinquième vertèbres est fermée adroite par

de l'os ; il persiste un petit orilice du côté gauche. Il en est de même pour la

fente entre la cinquième et la sixième vertèbre. Du tissu osseux de nouvelle

formation oblitère également l'espace du disque qui devrait se trouver entre la

sixième et la septième vertèbre. La fente existe entre la septième et la huitième

vertèbre. Toutes les fentes intervertébrales situées plus bas sont libres devant,

mais sont oblitérées latéralement par des épaississements osseux. Les vertè-

bres dorsales supérieures sont atrophiées, diminuées de volume, aplaties laté-

ralement ; elles paraissent triangulaires et forment une scoliose.

Quant à la région dorsale, les fentes intervertébrales n'existent plus ici ; les

vertèbres paraissent devant plus ou moins polies et forment latéralement du

côté des disques intervertébraux des excroissances en forme de chapelet. Cha-

que grain de ce chapelet correspond à une excavation'de la vertèbre sous-

ANKYLOSE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES CÔTES 501

jacente. On perçoit surtout d'une façon très nette ces excroissances lorsqu'on

examine la colonne vertébrale de côté ; on constate la présence des mêmes

excroissances sur les quatre dernières vertèbres dorsales.

Les vertèbres sacrées dont nous ne possédons que trois et demie avec trois

orifices sacrés présentent les modifications suivantes : la première vertèbre

sacrée est fusionnée avec la dernière lombaire. Il existe entre cette vertèbre et

la suivante une fente marquée correspondant au disque intervertébral. Cette

fente est fermée latéralement et à gauche par une bande de tissu osseux qui

se présente sous forme d'un ligament, d'aspect plus blanc que le reste du tissu

osseux.

Les deuxième, troisième et quatrième vertèbres sacrées sont fusionnées.

Le promontoire est projeté en avant à cause de la déviation notable de la der-

nière vertèbre lombaire et de la première vertèbre sacrée.

Les côtes sont réunies à la colonne vertébrale par du tissu osseux (synos-

tose) ; il en résulte une ankylose complète de toutes les côtes avec la colonne

vertébrale. Tantôt les côtes se confondent à tel point avec les vertèbres qu'il

est impossible de reconnaître la tête de la côte ; parfois une partie de la tète

est encore reconnaissable. Dans un cas (4' côte), on aperçoit une fente dans

la partie supérieure de l'espace correspondant à l'articulation costo-vertébrale

efdontune partie seulement est oblitérée par la fusion de la tête costale avec la

vertèbre (comme montrent les photographies 3, 4, 5, 6, 7, les côtes sont cassées

à droite aux points où avait passé le costotome ; mais on s'y rend bien compte

de la fusion des têtes costales avec les vertèbres). La direction des côtes est

irrégulière ; elles paraissent incurvées et comme tordues autour de leur axe.

La deuxième côte est abaissée. Les épines transversales des sept vertèbres

dorsales supérieures ne sont pas fusionnées, bien qu'elles se touchent pres-

que ; tandis que les épines transversales de toutes les autres vertèbres ne

paraissent former qu'un seul os.

Il faut donc se demander, étant donné les résultats des études macro et

microscopiques de notre cas, à quelle maladie nous avons affaire. Au

point de vue clinique, ce cas présente des symptômes qu'on trouve dans

la maladie de Bechterew. Le malade présente, en effet, une immobilité

de la colonne vertébrale, une cyphose, une légère atrophie des muscles,

un affaiblissement de' la respiration, une diminution : de la sensibilité, des

douleurs dans les jambes, sans lésions des grandes articulations. On note

dans l'anamnèse la syphilis, le rhumatisme et le refroidissement, mais pas

de traumatisme ni d'hérédité. On pourrait admettre l'inflammation des

méninges de la moelle épinière (ce qui a été confirmé à l'autopsie) comme

cause première qui a entraîné ensuite des modifications dans la configura-

tion de la colonne vertébrale. L'examen anatomo-pathologique a montré

502 ROUDNEW

cependant quelques particularités qui n'avaient pas été notées à l'au-

topsie des sujets morts de la maladie de Bechterew.

Nous ne nous attendions pas du tout à trouver l'ankylose costo-verté-

brale avec la disparition des articulations coslo-vertébrales. Toute la

colonne vertébrale présentait un processus d'ossification diffuse, si carac-

téristique pour la spondylose de SirCiiiipell-ilai-ie. Cependant elle se dis-

tingue de ce dernier type par l'absence de lésions des grandes articula-

tions. Il n'y avait pas non plus d'exostoses. Les ligaments n'étaient pas

envahis par du tissu osseux, mais étaient pour la plupart atrophiés ou

complètement absents. Il y avait de l'ostéo-sclérose au lieu de l'ostéo-

porose.

Ainsi, aux points de vue clinique et allatomo-pathologique, notre cas

présente quelques caractères communs aux deux types de spondylose et

d'immobilité de la colonne vertébrale : type Bechlerew et type Marie. Il pré-

sente aussi quelques caractères particuliers.

N'avons-nous pas affaire à un cas de rhumatisme vertébral ankylosant ?

Teissier lui attribue les signes cliniques suivants : la colonne vertébrale

devient toute droite, sa courbure normale disparaît ; les vertèbres se fu-

sionnent en une seule masse ; la surface des vertèbres est couverte d'énor-

mes ostéophytes ; les fentes intervertébrales sont rétrécies, ce qui amène

une compression des racines. Raymond et Babonneix ont observé, dans un

cas de rhumatisme des vertèbres et des articulations, que « les articulations

coslo-vertébrales paraissent normales ». Ces auteurs n'ont pas trouvé

d'exostoses, mais ils ont constaté une ankylose fibreuse de la colonne ver-

tébrale et une ossification partielle; ils n'ont pas trouvé de lésions des

centres nerveux ni de modifications au niveau des méninges. Le tableau

anatomo-pathologique de notre cas ne concorde pas avec relui de Teissier,

ni avec celui de Raymond et Babonneix; il en est de même pour les

lésions histologiques,

Peut-on penser dans notre cas à une autre forme de polyarthrite, à

l'arthrite déformante ? Nous ne le croyons pas. La caractéristique de l'ar-

thrite déformante est, en effet, que dans ce processus pathologique prédo-

minent des phénomènes d'hyperplasie qui n'excluent pas d'ailleurs des

phénomènes d'atrophie. Notre colonne vertébrale ne présente pas de dé-

formation ni du côté des articulations ni du côté des os. A la place des

articulations cosio-verlébrales nous trouvons une fusion complète de deux

os : on voit même parfois l'os de la côte se continuer directement avec

du tissu vertébral ; il s'agit donc d'une fusion avec disparition du carti-

lage et de l'articulation. De plus, toutes les autres articulations sont res-

tées sans modification.

Ainsi, notre observation est celle d'un cas d'un type non encore décrit

ANKYLOSE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES CÔTES 503

d'ankylose de la colonne vertébrale et de toutes les côtes, sans lésions des

grandes articulations .

Comme il n'existe que sept études anatomo-pathologiques de la colonne

vertébrale immobilisée, il serait intéressant de mettre en évidence des cons-

tatations qui ont pu donner quelques indications sur l'origine de la mala-

die et sur les conditions qui amènent l'immobilité de la colonne vertébrale.

Bechterew a indiqué le premier une fusion inégale de quelques vertèbres

surtout dans leurs parties antérieures, avec disparition des disques inter-

vertébraux. Il a constaté également un épaississement de la dure -mère au

niveau de la région cervicale de la moelle épinière ainsi que son adhérence

avec les ganglions intervertébraux. Les racines dorsales supérieures sont

grisâtres ; au microscope, on voyait une dégénérescence des racines posté-

rieures, des cellules des ganglions intervertébraux et des faisceaux de

Collet deBurdach. Les fibres musculaires présentaient une dégénéres-

cence atrophique. On peut admettre une inflammation chronique de la

pie-mère au niveau de la région dorsale de la moelle épinière.

D'après Bechterew, les lésions commencent non pas par la colonne ver-

tébrale, mais par les méninges et surtout par la pie-mère dont les altéra-

tions provoquent une dégénérescence des racines postérieures et en partie

des racines antérieures, d'où résulte une parésie des muscles pectoraux

et spinaux dont le rôle consiste à soutenir et à redresser la colonne verté-

brale. La fusion des vertèbres vient après, à la suite de l'atrophie des

disques intervertébraux.

Ainsi, pour Bechterew, l'immobilité de la colonne vertébrale et la spon-

dylose sont des phénomènes secondaires consécutifs aux changements des

conditions mécaniques amenés par la parésie] et l'atrophie des muscles

de la colonne vertébrale. La fusion des vertèbres est due, comme nous ve-

nons de le dire, à l'atrophie des cartilages intervertébraux ainsi qu'à la

mise en contact des surfaces osseuses des vertèbres voisines. Ce n'est

donc pas un processus inflammatoire ou atrophique qui attaque d'abord

l'os, mais bien un trouble mécanique.

On a objecté à cette manière de voir le fait que la spondylose ne se

développe pas toujours à la suite de l'atrophie des muscles de la colonne

vertébrale. De plus, Schaikevitch et Troschine ont observé des cas de ma-

ladie de Bechterew dans lesquels manque l'atrophie des muscles dorsaux.

N'ayant pas trouvé d'atrophie musculaire chez son malade, Troschine

pense que la cause principale de l'incurvation de la colonne vertébrale

développée sur un terrain neuropathique est une altération trophique

du tissu osseux. C'est pourquoi, dit-il, la cause réside dans les os eux-

mêmes qui sont trop mous, se laissent couper au couteau, montrent de

fines lamelles et se décalcifient facilement. Troschine considère la maladie

5U4 KOUDNEW

de Bechterew et la spondylose rhizomélique de Marie comme des formes

« neuropathiques », c'est-à-dire dépendant de causes nerveuses.

Pourquoi considérer ces maladies comme des formes neuropathiques ? ' ?

Est-ce que la mollesse des os indique nécessairement des causes neuro-

pathiques ?

Bechterew également observé dans son cas la mollesse des os; il ne

considère cependant pas cette dernière comme le résultat d'une tropho-

neurose, malgré l'existence d'une maladie nerveuse (inflammation des

méninges). On a également constaté de l'ostéoporosedans les cas de Pous-

sen et Troschine ainsi que dans celui de Joukovsky qui a également été

examiné par Zoubow. Mais Hilton Fagge a aussi noté de l'ostéoporose de

la colonne vertébrale ; son cas n'est cependant pas considéré comme un

cas de maladie de Bechterew.

Enfin, Marie, Marie et Léri, sont d'avis que les altérations osseuses sont

la cause de la spondylose rhizomélique. Ils croient que ces lésions os-

seuses sont le résultat d'un trouble survenu dans les échanges de matières

minérales.

On constate dans la spondylose rhizomélique une ossification diffuse

qui frappe les articulations de la colonne vertébrale, les articulations costo-

fémorales, les cartilages intra-articulaires, les disques intervertébraux, les

surfaces articulaires ainsi que les ligaments vertébraux et ceux du bassin.

Le processus d'ossification est précédé par l'ostéoporose. La raréfaction

du tissu osseux était observée au fond de la cavité cotyloïde, à la tête

du fémur qui se présentait comme une masse spongieuse ; les excroissances

transversales des vertèbres lombaires étaient molles, comme une éponge ;

on constatait aussi un amincissement du tissu compact du tibia et du pé-

roné. L'ostéoporose constatée dans certaines parties est comme com-

pensée par l'infiltration osseuse des ligaments; la spondylose rhizoméli-

que se rapporte donc aux maladies des échanges minéraux.

L'interprétation de Marie et Léri a été accueillie avec une certaine mé-

fiance, car certaines maladies, comme par exemple l'ostéomalacie et le ra-

chitisme qui ont été considérés jusqu'à présent comme relevant des

troubles des échanges minéraux, n'amènent pas une ossification de la

colonne vertébrale et des articulations. De plus, on reproche à Marie et

Léri de ne pas avoir examiné le système nerveux central dans leurs cas de

spondylose. Si on devait admettre ici d'après Strumpell un processus in-

flammatoire, on devrait considérer comme lésion secondaire l'ossification

des ligaments ainsi que celle d'autres organes.

Quelle est la cause de l'ankylose de la colonne vertébrale dans notre

cas ?

ANKYLOSE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES CÔTES 505

Chez notre malade, l'atrophie musculaire n'était pas suffisamment pro-

noncée pour qu'on pût lui attribuer l'immobilité de la colonne vertébrale.

De plus, ces os n'étaient pas mous; par contre, les os du crâne ainsi que

ceux des vertèbres étaient sclérosés. Quant au processus d'ossificalion, nous

l'avons observé dans noire cas. Toutes les articulations costo-vertébrales

élaient ossifiées. Les vertèbres cervicales, lombaires et sacrées présentaient

une fusion complète; cette fusion n'était que partielle pour les vertèbres

dorsales. Il est donc difficile d'admettre qu'une ossification aussi étendue

était un phénomène secondaire de l'atrophie musculaire ; il faut plutôt

considérer l'ossification comme phénomène primitif.

Faut-il considérer cette lésion comme le résultat d'un processus local

limité à la colonne vertébrale ou bien comme une des suites d'un trouble

général ? Comme le malade avait contracté la syphilis et que, d'autre part,

il a présenté des symptômes de la paralysie générale progressive, on peut

se demander, naturellement, si les lésions en question ne sont pas dues à

l'infection spécifique de l'organisme. Il faut avoir ici en vue des lésions

syphilitiques des os ou bien des lésions parasyphilitiques survenues au

cours de la paralysie générale progressive. Dans le premier cas, il s'agirait

d'une affection locale en rapport avec les lésions gommeuses des os ; dans

le second, de troubles trophiques du système osseux. Les lésions syphili-

tiques des os sonl caractérisées par la périostite, par l'ostéite et par des

altérations spécifiques des articulations. Il ne peut pas être question, dans

notre cas, d'une ostéite syphilitique amenant une destruction de l'os ; il

n'existe pas non plus de périostite des vertèbres ; les lésions articulaires,

comme t'hydarthrose aiguë ou chronique ou l'arthrite gommeuse,manquent

également. Etant donné la paralysie générale du malade, on peut supposer

un trouble général des échanges nutritifs'; ses os étaient altérés : les os

du crâne ainsi que les vertèbres sont sclérosés, les côtes sont fragiles.

Plusieurs côtes se sont cassées au moment où on les incisait avec le costo-

tome ; d'autres, lorsque, la colonne vertébrale ayant été séparée du cadavre,

celui-ci fut posé sur le dos. La colonne vertébrale elle-même est sclérosée,

d'un poids léger, « en papier mâché » (d'après l'expression de l'anatomo-

pathologiste). Les corps des vertèbres sont atrophiés et leur forme est

modifiée : les vertèbres dorsales dessinent un triangle au lieu d'un demi-

cercle.

L'étude de notre cas permet peut-être d'appuyer l'hypothèse de Schai-

kevitch, émise à propos d'une ancienne syphilitique et rhumatisante

atteinte d'une affection mentale. Schaikevilch a supposé une sclérose

diffuse de la colonne vertébrale, ce que nous avons également observé

chez notre malade. La sclérose osseuse était de la même origine que la

sclérose vasculaire. Cependant, comme la paralysie générale, tout en pro-

xxti 34

506 ROUDNEW

voquant des lésions trophiques des os, n'entraîne pas d'ordinaire la

spondylose, nous ne pouvons pas expliquer tous les symptômes observés

chez noire malade par l'existence de celte affection. Il faut donc chercher

d'autres causes déterminantes. Nous trouvons dans les antécédents de ce

sujet un refroidissement de la colonne vertébrale. Peut-on expliquer par

lui seul tous les phénomènes notés par nous ?

Si nous admettions que le froid appliqué sur la colonne vertébrale,

les méninges de la moelle épinière et les racines sensitives, a provoqué

leur inflammation qui a amené une immobilité de la colonne vertébrale,

ce symptôme aurait dû disparaître peu de temps après, comme cela arrive

dans le rhumatisme aigu. Au lieu de cela, celle immobilité a fait dos pro-

grès et elle s'est compliquée d'une ankylose, ce qui n'aurait pas dû avoir

lieu si ces lésions étaient d'origine rhumatismale.

Ainsi, ni la paralysie générale, à elle seule, ni le refroidissement, ne

peuvent avoir donné lieu à tous les symptômes observés par nous. Il faut

donc admettre l'association de ces deux causes : syphilis (paralysie géné-

rale) et refroidissement.

Nous imaginons l'évolution du processus pathologique de notre cas de

la façon suivante. Le malade atteint de syphilis prend un fort refroidisse-

ment localisé la colonne vertébrale, a la suite de quoi il ne peut plus

pendant quelque temps se bien courber.

Ce refroidissement local amène une inflammation des méninges et des

racines et peut-être un état rhumatisant des muscles dorsaux. En tout cas,

l'affection a eu au début une évolution aiguë : le malade pris par les dou-

leurs et les élancements ne pouvait pas fléchir sa colonne vertébrale; il

a présenté d'emblée une immobilité passagère de la colonne vertébrale,

comme cela est d'habitude chez les ihumalisanls. Mais tandis que chez

ces derniers ce symptôme disparaît avec le rhumatisme, chez notre malade,

au contraire, le refroidissement a donné un coup de fouet à une maladie

qui a trouvé des conditions convenables à son développement : syphilis et

paralysie générale. Il en est résulté des altérations graves du système

osseux.

Si cependant la sclérose, comme résultat des troubles trophiques, peut

expliquer l'évolution des lésions osseuses, nous nous demandons d'où

vient l'ankylose des vertèbres ainsi que l'ankylose costo-vertébrale. L'an-

kylose des vertèbres peut être d'origine inflammatoire, lorsque le disque

intervertébral a subi une ossification. Elle peut survenir aussi lorsque

des conditions d'ordre mécanique amènent d'abord une atrophie des car-

tilages, puis leur disparition complète.

C'est ainsi que Bechlerew explique l'origine de l'ankylose dans un de ses

cas. Cependant, Troschine a trouvé une transformation ostéoïde du carti-

lage intervertébral , dans la partie située immédiatement sous -l'os.

ANKYLOSE DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES CÔTES 507

Une ankylose des vertèbres peut ne pas se compliquer d'ankylose coslo-

vertébrale. Cela est prouvé par des cas de rhumatisme chronique verté-

bral (Teissier, Raymond et Babonneix), ainsi que le montre une pièce du

musée de l'Académie de Saint-Pétersbourg, où une ankylose de toute la

colonne vertébrale exisle sans une ankylose costale.

Ces cas montrent que l'ankylose seule, même étendue à toute la colonne

vertébrale, ne suffit pas pour amener une ankylose costale. Il faut pour

cela d'autres conditions. Ces conditions existent par exemple dans la ma-

ladie de Marie, dans la spondylose rhizomélique, où toutes les vertèbres

ainsi que toutes les côtes sont ankylosées. Pour qu'une ankylose des

côtes avec les vertèbres ait lieu, il n'est point nécessaire que toutes les

vertèbres soient ankylosées. On peut observer une ankylose de quelques

côtes avec une ankylose des vertèbres correspondantes.

Le musée anatomique de la Faculté d'Odessa possède des pièces qui

montrent une ankylose partielle des côtes avec les vertèbres et une anky-

lose des vertèbres entre elles. Nous avons pu les examiner grâce à l'obli-

geance de M. le professeur Batoueff.

Sans discuter sur les causes de la synostose physiologique qu'on trouve

aussi bien chez les enfants que chez les vieillards, chez qui les cartilages

subissent la transformation osseuse, nous sommes bien obligé d'admettre

que la synostose rencontrée dans des conditions pathologiques, ne peut

avoir pour cause qu'un processus pathologique, c'est-à-dire une inflam-

mation qui amène une fusion des os.

Quelle est, en effet, la cause de l'ankylose dans notre cas ?

L'ankylose des vertèbres cervicales est le résultat de leur fusion surve-

nue à la suite de la disparition des cartilages intervertébraux. Ces derniers

se sont complètement atrophiés; s'il n'en était pas ainsi et s'ils avaient

subi une ossification pour former une seule masse compacte avec les ver-

tèbres, ils feraient certainement saillie à la surface de la masse ankylosée.

Il n'en est pas de même pour les vertèbres dorsales dont la fusion est

due réellement à l'ossification des portions latérales des disques interver-

tébraux : quant aux vertèbres lombaires, elles sont réunies en avant par

de petits ponts osseux formés aux dépens du cartilage intervertébral et

latéralement par des excroissances de leur propre tissu.

Ainsi, on ne peut pas mettre en doute, dans notre cas, l'existence d'une

ossification de cartilages qui a eu lieu surtout dans les articulations costo-

vertébrales. C'est celle ossification qui amena l'ankylose. En général, les

côtes et les vertèbres présentent des conditions beaucoup plus favorables

pour la formation d'une ankylose que toute autre partie du système osseux.

Ces articulations sont moins mobiles que nos autres articulations; c'est

pourquoi elles réagissent plus fortement à certaines causes qui ne laissent

pas de traces ailleurs.

508 H ROIIIDNE4w

L'inflammationde la colonne vertébrale évolue autrement que celle des

articulations.

Prenons, par exemple, une inflammation aussi typique que l'arthrite

déformante. L'anatomie pathologique de la spondylite déformante a été

étudiée, en 1875, déjà par Braun. Les altérations articulaires dans l'ar-

thrite déformante sont caractérisées par des processus atrophique et hy-

pertrophique auxquels prennent pari les tissus de voisinage, tandis que

dans la spondylite déformante on ne trouve qu'un processus hyperplaslique

qui peutse présenter sous deux formes (Braun).Dans la première, les corps

des vertèbres restent intacts, la périostite atteint les masses latérales des

vertèbres, les apophyses transverses, puis les ligaments. Dans la deuxième,

on voit apparaître sur les corps des vertèbres des exostoses qui finissent

par réunir entre elles les vertèbres voisines ; l'appareil ligamentaire

subit aussi une transformation osseuse. Le disque intervertébral est en

général atrophié.

En se basant sur la description du processus inflammatoire des arti-

culations de la colonne vertébrale, on peut supposer que, dans notre cas,

l'inflammation de la colonne vertébrale a amené l'atrophie des disques in-

tervertébraux dans ses régions supérieures et inférieures ; les cartilages

intervertébraux sont au contraire conservés au niveau des vertèbres dor-

sales qui ont été trouvées partiellement fusionnées.

Comme nous l'avons dit plus haut, notre cas se rapproche par son

tableau clinique et par l'étiologie de la forme deBechterew. Quelques

auteurs ont exprimé l'idée qu'il faut attribuer cette maladie à l'action

combinée de causes morbides. Ils ont indiqué les associations suivantes :

refroidissement et traumatisme ; syphilis et traumatisme; hérédité et

syphilis ; rhumatisme etsyphilis.

Nous considérerons notre cas comme appartenant il une forme intermé-

diaire à celle de Bechterew et à celle de Marie et nous croyons que ces

dernières représentent les points extrêmes d'une même affection. Il est

indiscutable que des études anatomo-pathotogiques ultérieures confirme-

ront cette manière de voir. Quelques auteurs ont déjà exprimé l'idée que

ces deux formes ne sont que des variétés d'une même affection, mais

Bechterew et Marie insistent sur l'individualité des maladies décrites par

eux. Ils auront toujours eu le grand mérite d'avoir mis en relief les types

extrêmes d'une même maladie.

Notons en terminant que dans les cas de Bechterew et de Poussen,

comme dans le nôtre, la pneumonie catarrhale est la cause de la mort. Il

est évident que les maladies de la colonne vertébrale présentent des condi-

tions favorables pour l'évolution de la pneumonie catarrhale fatale pour

les malades.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. PL LV

OSTÉOARTHROPATHIE TABETIQUE DE LA COLONNE VERTÉBRALE.

(Roasendn).

Masson & CIC. Éditeurs.

Pholotyplc BN thAlitl

POLICLINIQUE GÉNÉRALE DE TURIN

Section des maladies nerveuses du Professeur D NEGRO

SUR UN CAS D'OSTÉO-ARTHROPATHIE TABÉTIQUE DE LA

COLONNE VERTÉBRALE

(avec examen radiographique),

PAR

Joseph ROASENDA.

J'ai eu l'occasion de suivre, dans la section des maladies nerveuses de

la Policlinique générale de Turin, un cas de tabes dorsal où l'on notait

deux faits assez rares dans cette maladie mais que l'on peut, selon toute

probabilité, lui rattacher.

Le malade présentait une ostéo-arthropathie remarquable de la colonne

verlébrale et une atrophie marquée du membre inférieur gauche.

Les osteo-arthropathies tabétiques delà colonne vertébrale sont relati-

vementrares; deplus dans la littérature médicale sont consignés très peu

de cas dans lesquels, à la description clinique, s'ajoute une radiographie

nettement démonstrative.

Observation (pal. LV, LVI).

Le malade est un certain C. Sebastiane de Turin, âgé de 44 ans, méca-

nicien.

Il contracta la sypliilis à l'âge de 22 ans, en Afrique, à la suite de rapports

avec une négresse. On lui fit, comme traitement, une quinzaine d'injection

hypodermique d'une préparation mercurielle soluble, pas autre chose. Il eut

des accidents secondaires : entr'autres de fréquentes angines, chute des che-

veux, etc.

Il se maria à 26 ans. Sa femme eut deux avortements, puis un garçon bien

portant qui vit encore; puis uu second garçon qui mourut à 23 mois, de

convulsions, et un dernier, il y a quelques mois, qui est apparemment sain et

vigoureux.

Il n'est pas alcoolique. N'a jamais eu de maladies importantes. Il ne présente

pas d'antécédents héréditaires intéressants.

Il y jazz à 6 ans, il commença à ressentir des douleurs erratiques qui parcou-

raient surtout les membres inférieurs et qui devinrent, dans la suite, très vives,

fulgurantes.

En mars 1905 il s'aperçut un matin qu'il ne pouvait plus se servir de sa

main droite : il n'avait pas trop bu la veille et n'avait pas dormi sur le bras du

510 ROASENDA

côté correspondant. Il accusait de la paresthésie diffuse dans tout le membre

et spécialement dans le territoire du nerf médian.

A l'examen objectif on nota alors : de la parésie dans le territoire du nerf

médian du côté droit. Le cubital et le radial étaient fonctionnellement intacts.

Dans la zone innervée par le médian, il y avait des troubles de sensibilité

sous forme d'hypoesthésie au contact, à la douleur, aux vibrations du diapa-

son, au chaud, au froid. *

- Les pupilles, de diamètre normal, ne réagissaient pas à la lumière mais réagis-

saient au contraire et bien à l'accommodation. Les réflexes rotuliens et achil-

léens avaient disparu. Il n'y avait, ni sur le tronc, ni sur les membres infé-

rieurs, aucun trouble objectif des diverses formes de la sensibilité.

La parésie du nerf médian s'améliora rapidement avec quelques séances

d'application de courants faradiques : si bien qu'après 15 jours environ, le

malade était en état de reprendre son travail.

Le 13 juin de la même année, il est revenu consulter, se plaignant de dou-

leurs très violentes aux membres inférieurs, notamment au voisinage du genou

droit. Les autres conditions subjectives et objectives n'avaient pas changé. On

lui prescrivit des doses plutôt élevées d'acide santonique,dont le malade tira un

très grand profit qui persista pendant longtemps. Actuellement encore, au

moment des recrudescences douloureuses, il en ingère quelques cachets qui

continuent à avoir contre les douleurs les meilleurs résultats.

En mars 1906,il commença à sentir un affaiblissement particulier et marqué

de la musculature des membres inférieurs ; cela la suite d'un effort qu'il fit en

portant un fardeau, et pendant lequel il avait perçu un craquement dans l'épine

dorsale, au niveau de la région lombaire. La sensation que le malade éprouva en

ce moment, fut telle que s'il y avait eu dislocation des vertèbres entre elles,

dans cette région. Ni en ce moment ni dans la suite, il n'éprouva dans cette

région aucune douleur, ni localisée, ni diffuse, ni spontanée, ni provoquée

par la pression.

Depuis ce fait, il se fatiguait beaucoup plus facilement qu'avant ; de plus

pendant la marche, il était obligé de prendre une attitude particulière de flexion

du tronc sur le bassin. Et, comme sa femme avait remarqué une déformation

de la colonne vertébrale, il revint, quelque temps après, à la Policlinique, où

l'examen mit facilement en évidence les symptômes d'une ostéo-arthropathie

vertébrale de la colonne lombaire.

En même temps s'étaient manifestés quelques troubles importants : d'abord

une incontinence d'urine accompagnée de ténesme ; presque à la même date il

avait ressenti des troubles de la sensibilité sous forme de cuisson sur la face

interne de la cuisse et une accentuation de la faiblesse motrice dans les mem-

bres inférieurs, notamment dans le membre inférieur gauche.

En même temps,dans ce même membre inférieur gauche, se rendait évidente

une atrophie musculaire massive. En plus la fonction sexuelle s'était déjà com-

plètement éteinte à cette époque-là.

La vue, depuis bien longtemps déjà, avait baissé d'une façon assez notable.

L'examen objectif, fait environ deux mois après le craquement noté par le

malade dans la colonne vertébrale, avait mis en évidence les faits suivants.-

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. LVI

OSTEOARTHROPATHIE TABETIQUE

DE LA COLONNE VERTÉBRALE

(Roaseiida).

Masson & Cie, Éditeurs.

Phototypie 8erthaud.

SUR UN CAS D'OSTeO-ARTIIPOPATIIIE TABÉTIQUE 511 I

Pupilles d'égal diamètre; ne réagissant pas à la lumière mais réagissant

au contraire il l'accommodation.

Les réflexes rotulien et achilléen étaient absents.

Les réflexes cutanés, les réflexes abdominaux étaient exagérés des deux

côtés, le réflexe crémastérien était supprimé. Le réflexe plantaire en flexion.

Etaient présents les signes de Sarbo et de Biernacki.Les testicules fortement

comprimés entre les mains restaient indolores.

Il existait une hypotonie très accentuée de la musculature des membres in-

férieurs. Pas d'ataxie. Pas de signe de Romberg.

L'examen de la sensibilité objective avait donné les résultats suivants :

1° Sur la face et la tête, normale ;

2° Sur le tronc : petites zones d'hypoesthésie au contact et à la douleur aux

environs de la région mamillaire;

3° Hypoesthésie aux diverses formes (Contact, douleur, chaud et froid, vi-

brations du diapason) sur la face dorsale aussi bien que sur la face palmaire

des deux mains. Cette diminution de la sensibilité avait, pour limite supérieure,

une ligne passant à peu près au niveau de l'articulation radiocarpienne et était

un peu plus accentuée du côté cubital de la main, où, à droite, elle montait un

peu au-dessus de la ligne de démarcation indiquée ;

4° Aux membres inférieurs à droite, anesthésie tactile et à la douleur

sur la face antérieure et interne de la cuisse, hypoesthésie tactile et à la douleur

sur sa face postéro-externo. Diminution de la sensibilité tactile et à la douleur

sur le gros orteil, sur la face interne de la jambe et sur une bonne partie de la

face plantaire du pied (surtout sur le côté interne).

Anesthésie au chaud et au froid sur les faces antérieure, externe et interne

de la cuisse, avec, en arrière, une hypoesthésie très marquée.

Cette anesthésie ou hypoesthésie au chaud et au froid avaient, pour limite

supérieure la racine du membre, et pour limite inférieure une ligne circulaire

passant à la hauteur de l'articulation du genou.

Anesthésie aux vibrations du diapason sur la cuisse droite ; à partir du ge-

nou la perception des vibrations commençait à réapparaître vers le bas et, de-

puis le tiers moyen de la jambe jusqu'au pied tout entier, cette sensibilité était

bien conservée.

A gauche : diminution de la sensibilité tactile et la douleur sur le gros or-

teil et sur la partie avoisinante de la plante du pied. Anesthésie aux vibrations

du diapason, sur tout le membre, sauf sur la face plantaire du pied.

L'examen objectif permettait, en outre, de relever une différence notable

dans la masse musculaire des deux membres (au niveau du tiers moyen de la

cuisse six centimètres de circonférence en moins, du côté gauche, au niveau

du tiers moyen do la jambe quatre centimètres en moins, au détriment du

même côté).

Une scoliose lombaire très marquée, avec convexité gaucho et, au-dessus,

une courbure de compensation du côté oppposé.

Au niveau des quatre premières vertèbres lombaires, en particulier, la pal-

pation des apophyses épineuses et de la colonne vertébrale ne donne pas de

512 ROASENDA

résultats précis; les apophyses épineuses sont cependant augmentées de volume

et accessibles à la palpation.

On note une tumeur osseuse sur le côté gauche de la colonne vertébrale, im-

possible à délimiter d'une façon précise, mais qui paraît certainement être deux

fois plus grosse que le poing et qu'on ne peut palper même par la voie ab-

dominale.

Le rebord costal est abaissé des deux côtés : à droite on réussit avec peine

à faire passer le bout des doigts entre ce rebord et la crête iliaque, il est éga-

lement dévié en dedans relativement à la ligne médiane.

A gauche, il s'est déplacé du côté externe et est situé en dehors relative-

ment à la côte iliaque.

L'atrophie du membre inférieur gauche porte sur tous les muscles en géné-

ral ; les muscles présentent une diminution de l'excitabilité électrique aussi

bien faradique que galvanique; il n'y a cependant pas inversion delà formule

normale de contraction pour le courant galvanique.

A l'examen ophtalmoscopique le blanchissement de la papille est évident.

L'examen clinique, fait au mois de janvier 1909, a permis de relever quel-

ques modifications et d'autres particularités morbides inhérentes à la lésion

spinale dont notre malade est atteint et que je crois utile de rapporter succinc-

tement.

Subjectivement, il ressent de temps en temps des crises de douleurs localisées

spécialement au membre inférieur droit et qu'il calme avec de petites doses

d'acide santonique.

Les troubles de la miction persistent : il ne perçoit pas l'émission de l'urine à

travers le canal uréthral ; il est même obligé de faire un effort considérable

pour amener le jet qui ne s'amorce que si le malade est dans la position accrou-

pie : d'autre part, il n'éprouve jamais le besoin spontané d'uriner même quand

il y a dans la vessie une quantité d'urine suffisante.

Quant à son état général il n'a pas empiré; au contraire, par une adaptation

progressive, la stabilité et la motilité sont actuellement mieux réglées qu'à

l'époque du précédent examen.

Les pupilles sont maintenant inégales ; la gauche a un diamètre supérieur à

celui de la droite.

La déviation de la colonne vertébrale et le volume de la tuméfaction osseuse

n'ont pas subi de modifications.

Il présente le signe d'Abadie.

Le long de la face inféro-interne de la cuisse droite, on note une cicatrice

étendue due à une brûlure profonde, que le patient à cause de l'anesthésie

thermique qu'il présentait, n'a pas ressentie quand elle se produisait (avec un

morceau de fer rouge jailli de l'enclume).

Sur la plante du pied il existe des deux côtés, un mal perforant, indolent,

avec des bords cutanés taillés à pic.

L'examen des diverses formes de la sensibilité a donné à cette époque les

résultats suivants :

4° Sur la tête et la face, normale.

SUR UN cas D'OSTÉO-ARTHROPATHIE TABETIQUE 513

2° Sur le tronc : zone d'hypoesthésie tactile et à la douleur au voisinage de

l'aréole du mamelon.

Près de ce point, plus bas, sur la face antérieure du thorax et de l'abdomen,

on trouve une hyperesthésie très vive au contact et à la douleur, tandis qu'il

existe une hypoesthésie thermique avec tendance à tout percevoir comme

chaud : sensibilité aux vibrations du diapason, conservée sur les côtes et sur

toute la cage thoracique.

En arrière : sensibilité tactile et à la douleur normale : tendance à percevoir

chaud même ce qui est froid. Au diapason : sensibilité bien conservée tout le

long de l'épine dorsale jusqu'aux vertèbres lombaires à partir desquelles, vers

le bas, elle n'est plus perçue du tout.

Au bassin, elle est légèrement conservée seulement au niveau de l'épine

iliaque antéro-snpérieure droite.

3° Aux membres supérieurs les troubles sont bilatéraux et analogues des

deux côtés.

Rien d'anormal aux bras. Depuis le pli du coude jusqu'au poignet, anesthé-

sie tactile et à la douleur moins intense et moins complète le long de la face

externe de l'avant-bras. Mêmes troubles pour le chaud et le froid ainsi que

pour les vibrations du diapason.

A la main, partout hypoesthésie aux diverses formes très accentuées ; zones

d'anesthésie sur le côté cubital des deux mains. Sur la face antérieure de la

main droite, les sensations thermiques ne sont presque plus perçues : la cha-

leur ne commence à être sentie que quand elle a déjà produit une brûlure.

4° Aux membres inférieurs :

Hypoesthésie tactile et à la douleur sur les deux membres avec anesthésie

sur la face antérieure et interne de la cuisse droite, anesthésie également sur

la plante des pieds des deux côtés.

La sensibilité est abolie sur la cuisse droite et sur la face plantaire des pieds.

Aux vibrations du diapason : hypoesthésie sur la jambe droite et, d'une

façon moins évidente sur la plante des pieds : anesthésie sur les autres par-

ties des membres inférieurs.

Sensibilité articulaire : troubles peu évidents dans les quatre membres.

De l'examen radiographique je parlerai ultérieurement, quand je rappellerai

les cas analogues dont j'ai pu trouver des indications bibliographiques.

Sans chercher à rappeler et à résumer tous les cas d'ostéo-arthropa-

thie de la colonne vertébrale, rapportés dans la littérature médicale, je me

bornerai à rappeler que, jusqu'à la publication du Professeur C. Baduel (1)

en 1905, on en connaissait vingt-cinq cas à peu près, y compris ceux qui

sont rapportés dans les monographies d'Abadie (2), de Pansini (3), de

(1) C. Baduel, Le osteo-arthropathie verlebrali nella labe. Conlributo di due casi. Rivista

critica di clinica Medica, Firenze, 1905, anno VI.

(2) J. Aunms, Les ostéo-al'lhl'opathies vertébrales dans le tabès. Nouv. Iconographie de

la Salpêtrière, 1900, vol. XIII, p. 116, 260, 425, 502.

(3) S. PANS11, Sull'ai-iropatia labelica. Napoli. Tip. F. San Giovanni, 1891.

514 ROASRNDA

Frank (1). Depuis cette époque, on en publia peut être sept ou huit cas.

Dans la grande majorité de ces cas, on retrace simplement l'histoire clini-

que, les données anatomo-pathologiques sont assez rares,et rare également

est l'examen radiographique; ce dernier, quoiqu'il ne puisse nous appor-

ter des données aussi précises que celles que l'examen anatomo-patholo-

gique est en état de nous fournir, a sur celui-ci l'avantage énorme de

pouvoir être obtenu avec une assez grande facilité pendant la vie du ma-

lade et peut ainsi aidera faire un diagnostic précis dans les cas, qui ne

sont pas très rares, où l'interprétation du complexus clinique présente

des difficultés plus ou moins grandes.

Il n'est pas inutile que j'indique brièvement des cas cliniques dont on

a pu avoir l'autopsie, puisque les altérations anatomo-pathologiques peu-

vent, à certains points de vue, être comparées avec les données radiogra-

phiques.

Abadie, dans le travail cité ci-dessus, rapporte deux examens nécrosco-

piques de malades dont on possède l'histoire clinique.

Un lui publié pour la première fois par G. Petit [dans les Bulletins de

la Société anatomique de Bordeaux (1885), et plus tard, par Pitres et Vail-

lard dans la Revue de Médecine (1886) ; le second cas est également décrit t

par ces derniers auteurs et publié dans le travail d'Abadie ; il avait été

antérieurement l'objet d'un travail de B. Auché (Bulletins de la Société

anatomique de Bordeaux, 188G) ; Abadie ajoute une observation person-

nelle. Nous ne tiendrons pas compte d'une quatrième observation, rap-

portée cependant par Abadie, car elle manque de données cliniques. Dans

le cas de Petit, on trouvailles altérations anatomo-patbo)ogiques suivantes

de la colonne vertébrale :

« Sur la face postérieure du sacrum, deux ostéophytes comblant ses

gouttières sacrées. Apophyse épineuse de la première pièce sacrée sail-

lante et volumineuse ; les autres sont absentes. Promontoire saillant.

« Inclinaison très marquée de la colonne vertébrale sur le bassin. Angle

saillant en arrière et à gauche : la colonne dorsale est inclinée de 45 degrés

sur l'horizontale passant par la première vertèbre lombaire. Augmentation

des diamètres des corps vertébraux. Bosselures et rugosités des vertèbres

dorsales et des trois dernières lombaires. Ecrasement de la deuxième lom-

baire. Destruction partielle de la première lombaire qui affecte la forme

d'un coin. Apophyses épineuses, transverses, articulaires, épaissies et

rugueuses.

« Canal vertébral, trous de conjugaison perméables, un peu rétrécis au

niveau de la première et de la deuxième lombaires. Os déchiquetés, légers

et poreux » (d'après Abadie).

(1) FRANK, lVirGelerkrankun7en lei tabès dorsales. Wien. klin. Wochensch., 1904, n" 34.

sur un cas D'OST1 : 0-AB'l'IIROI'1'rEITF TABKTIQUE 51o 5

Le cas de B. Auché, rapporté aussi dans la publication de Pitres et

Vaillard et dans celle d'Ahadie, présentait pourcequi est des phénomènes

pathologiques de la colonne vertébrale, des faits non moins intéressants :

« Face articulaire vertébrale du sacrum, rugueuse et inégale, limitée

à droite par une exostose triangulaire.

« Déviations multiples de la colonne vertébrale. Exagération des cour-

bures normales. Première courbure latérale à concavité droite au niveau u

de l'angle sacro-vertébral. Deuxième courbure à convexité droite compre-

nant les trois premières lombaires et les six dernières dorsales. Troisième

courbure à convexité tournée à gauche, formée par les premières dorsales

et les dernières cervicales. Déviation angulaire et saillante correspondant

aux premières lombaires.

« Corps vertébraux, augmentés de volume, à gouttières excavées, à bords

dentelés et saillants, garnies de dépressions et de cannelures. Exostoses

nombreuses surtout sur les dernières dorsales et la première lombaire.

Faces articulaires dépolies, obliques et inégales. Disparition de la face

articulaire supérieure de la troisième lombaire : à la place, cavité rugueuse

garnie de pus à l'étal frais. Disparition de la face correspondante inférieure

de la deuxième lombaire : destruction des deux tiers latéraux gauches de

celte deuxième lombaire.

« Apophyses articulaires, transverses, lombaires, rugueuses et dépolies.

Au même niveau, apophyses épineuses fortes et volumineuses.

Canal vertébral, trous de conjugaison normaux. Perméabilité moindre

à gauche de la première et de la deuxième lombaire. Os légers, porosité

. extrême du tissu spongieux. »

Et en dernier lieu, les données suivantes ont trait à l'observation per-

sonnelle d'Abadie :

« Sacrum très friable, trous sacrés agrandis.

« Déviation très apparente delà colonne lombaire. Vertèbres lombaires

très altérées. Diminution du volume du corps de la vertèbre, surtout dimi-

nution de la hauteur. Gouttière horizontale excavée dans toute son éten-

due, comblée par endroits de cannelures ou d'arborisations osseuses. Faces

irrégulières, plus ou moins dépolies et dépourvues de surface cartilagi-

neuse. Apophyses épineuses volumineuses. Apophyses transverses presque

absentes. Apophyses articulaires supérieures, développées au détriment

des inférieures. Le maximum des altérations siège au niveau de la qua-

trième et de la troisième lombaire, en partie détruites, affectant la forme

de coins dont les bords tranchants se regardent. Production d'ostéophytes

plus ou moins volumineuses, assurant la stabilité des portions vertébrales

restantes.

« Vertèbres dorsales et cervicales peu altérées dans leurs formes. Ce-

516 ROASENDA

pendant soudure presque complète de la septième et de la huitième dor-

sales. Trous rachidiens, canal vertébral, trous de conjugaison partout

perméables.

« Os légers, poreux. »

Le tableau anatomo-pathologique de l'arthropathie tabétique et des

altérations osseuses qui l'accompagnent, a déjà, par lui-même, d'une façon

générale, un ensemble assez caractéristique.

En plus, l'ostéo-arthropathie, ou même les ostéo-arthéopathies de la

colonne vertébrale, car la lésion n'est jamais limitée, du moins dans les

cas connus, à une seule articulation, présentent un ensemble anatomo-

pathologique qui les distingue facilement des autres lésions ou néoforma-

tions de la colonne vertébrale elle-même.

Pansini a décrit minutieusement les lésions tabétiques des articulations

et des os voisins ; ces lésions, on peut les résumer assez brièvement de la

façon suivante :

Les os avoisinant l'articulation malade subissent des altérations très

graves. Ils sont exlraordinairement légers, poreux, en partie rongés, en

partie résorbés. Il existe quelque part une néoproduction d'ostéophyteset

une ostéite sclérosante ; mais le processus atrophique est ce qui frappe le

plus et la note anatomique prédominante est celle d'une ostéite raréfiante.

A côté du processus atrophique, on rencontre toujours quelques points

variables en degré et en étendue où l'on note l'existence d'une ostéite

proliférante. Cette forme est plus évidente au voisinage des articulations.

L'altération du cartilage de revêtement se manifeste par la perte de sa .

transparence, de son poli, de son aspect nacré ; ensuite par des ulcérations

et des néoformations. Quelquefois, il peut être totalement résorbé et rem-

placé par de la substance osseuse spongieuse.

La capsule articulaire peut s'épaissir et présenter une production de

chondrophytes et d'ostéophytes ; elle peut se déchirer, s'ulcérer et même

se détruire complètement.

La synoviale subit le plus souvent des altérations dues à l'épanchement

articulaire. On trouve aussi des productions fongueuses, des franges syno-

viales, avec formation de corps articulaires cartilagineux et osseux.

Les ligaments s'allongent, se relâchent; ils peuvent même augmenter de

volume, s'indurer et acquérir des adhérences plus ou moins considérables

avec les parties voisines; ils peuvent, d'autre part, s'ulcérer et se résorber.

Les particularités que présentent les ostéoanhl'opatl11es de la colonne

vertébrale, outre celles qui sont communes aux ostéo-arthropathies tabéti-

ques en général, ont été mises en évidence, avec beaucoup de précision,

par Abadie, par l'étude et la comparaison des cas que nous avons cités

plus haut.

SUR UN cas D'OSTGO-ARTHROPATHIE tabétique 517 7

Les altérations augmentent progressivement depuis la colonne cervicale

jusqu'à la colonne lombaire : dans cette dernière région, elles atteignent

dans tous les cas décrits, leur maximum d'intensité. Des vertèbres lom-

baires, les unes s'altèrent profondément dans leur structure et leur forme :

des portions entières de vertèbres disparaissent ; sur d'autres se déposent

des productions osseuses de nouvelle formation, irrégulières et de dimen-

sions variables.

Le processus atrophique se localise sur une ou deux vertèbres : le corps

s'écrase d'abord sur une de ses parties latérales et la vertèbre affecte la

forme d'un cône : les faces supérieure et inférieure sont irrégulières,

rugueuses, poreuses. L'apophyse épineuse est toujours volumineuse.

Le processus hypertrophique consiste en néoproductions osseuses et

se manifeste spécialement sur les vertèbres voisines de celles où s'est loca-

lisé surtout le processus atrophique. La face supérieure de la vertèbre,

située immédiatement au-dessous de celle où le processus atrophique

domine, est élargie en surface. Cet élargissement esl essentiellement dû à

des masses ostéophytiques volumineuses, de nouvelle formation, qui,

s'unissant à des masses ostéophytiques analogues de la vertèbre sus-

jacente plus atrophiée, forment comme des ponts osseux entre les vertè-

bres qui participent en plus grande partie au processus morbide, ponts

osseux qui permettent une stabilité suffisante de la colonne vertébrale.

Les autres vertèbres qui sont au voisinage de la plus malade, présentent

également des phénomènes d'ostéoporose et d'ostéophytose moins accen-

tués, mais néanmoins toujours assez évidents.

Les données que nous venons d'exposer, ajoutées à celles plus générales

que nous avons extraites du travail de Pansini, sont suffisantes pour nous

donner une idée assez précise de la façon dont peut se présenter une

colonne vertébrale, où, consécutivement à un tabes dorsal, se seraient

déclarées des ostéoarthropathies capables de donner lieu à des manifesta-

tions cliniques.

Voyons maintenant, non moins brièvement, ce qu'on peut relever avec

un examen radioscopique, ou mieux par l'interprétation d'une radiogra-

phie, dans les cas où l'on peut admettre que les signes cliniques d'une

ostéo-arthropathie vertébrale sont consécutifs à un tabes dorsal.

Je n'ai pu trouver que peu de chose, à ce sujet, dans la littérature médi-

cale : je me bornerai à rappeler ce que j'ai pu recueillir, certain qu'on

pourra difficilement avoir un cas plus démonstratif que celui dont je me

suis occupé dans ce travail et auquel je puis ajouter les radiographies qui

s'y rapportent.

(i) HOFDANBR, Wiener klin., 1902.

518 ROASENDA

1° Cas de Hofbaner (1) [cité par Baduel : à l'examen radioscopique, la dévia-

tion de la colonne vertébrale était évidente et de plus on pouvait constater des

phénomène de résorption au niveau de la 3e et de la 4e lombaire.

2° Cas de Frank (I. c.) dans lequel, spécialement au niveau de la 36 et de

la 4° lombaire, ou notait d'une façon très claire, des processus de résorption

et de néoformation osseuse.

3° et 4° Cas de Baduel (I. c.). Dans tous les deux, l'ombre radiographique de

la partie de la colonne, où siège la déviation (portion lombaire), est très mince

et dans les corps vertébraux existent des zonesclaires, indice d'une raréfaction

du tissu osseux, qui est plus marquée en certains points ; les surfaces articu-

laires sont amincies et irrégulières, sur leur contour et sur le corps vertébral

existent des excroissances d'un tissu qui ne se laisse traverser que partielle-

ment par les rayons (ostéophytes) et qui en certains points forment presque

des ponts osseux entre une vertèbre et l'autre. Chez un des malades de Baduel

on pouvait noter que la 2e lombaire était sensiblement réduite de volume.

5° Cas de Cornell (A case o/ labetic vertébral osteoarllhropalhy, tvith ra-

diographs ; John Hopkins, Hosp. Bull. n° 139, 1902) : je n'ai pu me procu-

rer ni le travail original ni un résumé.

6°Cas de Graetret (TaGisclae osleoarlhropalhie der Wirbelsaùte. Deutsche

med. Wochensch., UO 32, p. 992, 1903) : observation d'uuearthropathie de

la colonne vertébrale, avec radiographie : les 3e et 4° lombaires étaient écrasées

et en partie luxées,les corps vertébraux étaient plus transparents que normale-

ment (ostéoporose).

7° Le cas étudié par moi, dont j'apporte ici l'histoire clinique, la photogra-

phie et la radiographie est certainement, comme je disais précédemment, un

des plus clairs et des plus démonstratifs, au point de vue de l'examen radio-

graphique, que la littérature médicale possède jusqu'ici.

La présente radiographie est en effet, d'une part, un exemple évident de

la façon particulière suivant laquelle se présentent avec une telle méthode d'ob-

servation et d'étude, les ostéo-arthropathies tabétiques en général et celle de la

colonne vertébrale en particulier ; d'autre part, elle nous permet de recueillir

chez notre malade une quantité de données anatomo-pathologiques, qu'avec

les autres moyens habituels d'investigation, tels que l'inspection, la palpation

etc. il serait impossible d'obtenir. Ainsi le diagnostic reste comme je l'ai déjà

indiqué, chose assez facile : de telle façon qu'une minutieuse discussion au

sujet du diagnostic différentiel serait complètement inutile.

Il est inutile d'insister sur une description excessivement longue de l'exa-

men radiographique ; il suffirait, dans une certaine mesure, de publier sim-

plement l'épreuve radiographique elle-même pour mettre en évidence toutes

les particularités.

Je me contenterai d'indiquer que la déviation de la colonne vertébrale est

très évidente et l'angle d'inclinaison qu'elle fait sur la verticale est très notable.

Le sacrum présente des zones de transparence anormale ; de même la 5e ver-

tèbre lombaire. Les troubles trophiques sont tout à fait évidents sur les autres

vertèbres lombaires, spécialement sur la 2e ,la 3° et la 4° lombaires. A ce niveau,

SUR UN cas D'OSTÉO-ARTHROPATH1E tabétique 519

on ne trouve plus rien qui caractérise une colonne vertébrale; on voits'accentuer

des zones plus obscures dans le sens vertical qui correspondent aux apophyses

épineuses et quelque ombre latérale à droite qui correspondrait aux apophyses

transverses : ces dernières sont cependant irrégulières et quant à leur base

d'implantation et quant à leur étendue. Pour le reste, la colonne lombaire est

représentée sur la radiographie par une masse osseuse amorphe, irrégulièrement t

cylindrique, avec des zones de raréfaction et des zones de néoproduction osseuse.

Notre radiographie confirme pleinement tout ce que dit Abadie, dans

son travail, au sujet de l'analomiepathologique des ostéo-arthropathies de

la colonne vertébrale. Elle confirme également le mécanisme, grâce au-

quel, les effets ne sont pas si graves comme la lésion primitive aurait

pu en produire. Selon toute probabilité, la 3e lombaire, vertèbre sur

laquelle la raréfaction osseuse avait atteint son maximum d'intensité,

quand elle ne fut plus en état de supporter le poids sus-jacent céda, de

façon qu'elle aurait acquis, anatomo-palllologiquement, la forme de coin

dont parle Abadie, dans le travail que nous avons cité à maintes reprises.

Mais en concomitance avec la raréfaction osseuse, comme s'il se préparait

un travail pour obvier aux inconvénients qui auraient pu nuire à la stabi-

lité de la colonne vertébrale, de nombreux dépôts ostéophytiques avaient

végété tout autour des vertèbres voisines, spécialement sur les deux

vertèbres sus-jacellie et sous-jacente à la vertèbre plus altérée. Ces néo-

formations, produites dans tous les sens, avaient à peu près la forme

d'un manchon entourant la vertèbre la plus lésée, avec des parois laté-

rales plus solides du côté qui devait dans la suite supporter l'effort le

plus considérable. Aussi quand la stabilité et la force de la 3e lom-

baire vint à manquer et qu'elle s'écrasa sous l'influence d'une cause

si légère qu'elle ne se serait normalement fait sentir en aucune façon,

les effets pour le malade ne furent pas aussi désastreux qu'on aurait pu

le supposer. Les nouvelles masses ostéophytiques s'étayèrent, se rejoigni-

rent entre elles permettant une stabilité relative de la colonne vertébrale

et une résistance plus que suffisante, de telle façon que ce symptôme de

tabes dont notre malade souffre, présente en réalité pour lui moins d'in-

convénients que beaucoup d'autres symptômes tabétiques dont il souffre

également et qui néanmoins, il un examen ordinaire, ne paraîtraient pas

avoir eux-mêmes une très grande importance, étant donnée l'ordinaire

gravité que peut revêtir ce processus morbide.

Il convient ici de noùs arrêter un instant sur un fait, que je crois en

rapport direct avec les déformations osseuses dues à l'os lé-oa rili ropa (li ie :

sur l'atrophie remarquable qui s'est manifestée sur le membre inférieur

gauche. .

Ce qui prouve que la cause de cette atrophie est bien celle que je pré-

? 1 : . ? \\ ......

520 ROASENDA

sume, c'est le fait qu'elle a apparu à la suite de cette cause ; à cause de

cette concomitance, je crois pouvoir exclure, dans notre cas, un pro-

cessus névrilique semblable à ceux que nous avons l'habitude de rencon-

trer, avec une fréquence pas très grande, mais pas très rare non plus,

chez les tabétiques, névrites bien étudiées notamment par Pitres et Vail-

lard (Des névrites périphériques chez les tabétiques, Bévue de Médecine,

1886) ; et cela quoique, dans le cours de sa maladie, on ait rencontré

chez notre malade des phénomènes de névrite sur les membres supérieurs

ceux-là ayant probablement celle origine. -

Je ne crois pas, non plus, devoir discuter l'association éventuelle d'une

atrophie musculaire progressive avec le tabes, dont furent publiés plu-

sieurs exemples, parce que l'atrophie que présentait notre malade n'a

aucun caractère qui puisse établir, en aucune façon, une lointaine ressem-

blance avec celles dites progressives.

Il me semble donc certain que, dans le cas de notre malade l'atrophie du

membre inférieur gauche est due à l'ostéo-arthropalhie, Il reste maintenant

à discuter de quelle façon la lésion osseuse a pu engendrer celte atrophie.

Les éventualités à examiner sont au nombre de deux; ou bien l'atrophie

est d'origine médullaire, ou bien elle est due il la compression des troncs

nerveux en quelque point de leur trajet-

Nous trouvant en présence, non pas de l'évolution du processus morbi-

de, mais des résultats définitifs de ce processus, la discussion devient beau-

coup plus difficile, parce que dans la période actuelle il nous manque

plusieurs des symptômes qui auraient pu nous éclairer avec certitude sur

la pathogénie des phénomènes atrophiques. Actuellement il n'exisle ni con-

tractions fibrillaires qui indiquent une lésion médullaire, ni névralgies ra-

diculaires qui indiquent une altération névritique. D'ailleurs, même plus

tôt, les douleurs n'auraient pas constitué un guide sûr et précis, à cause

de l'existence simultanée des douleurs fulgurantes dues au tabes et dont

le patient souffre périodiquement. D'autre part l'état particulier des ré-

flexes tendineux ne nous aurait rien donné comme renseignement, parce

que, dans le cas présent, il faut mettre les modifications de ces réflexes

sur le compte du tabes lui-même et par suite elle ne peuvent pas être prises

en considération comme une donnée utile au diagnostic différentiel que

nous discutons.

L'examen électrique ne peut rien nous dire non plus. La diminution

qualitative et quantitative de l'excitabilité faradique et galvanique, sans

inversion de la formule pour cette dernière,nouspermetseu)ementdecon-

clure que, selon toute probabilité, cette diminution elle-même est en rap-

port avec la diminution de la masse musculaire.

L'hypothèse d'une atrophie d'origine médullaire pourrait trouver un

SUR UN CAS DOSTEO-TnfrmTDPATHIE TABETIQUE 5 1

appui dans le fait suivant : à savoir le degré variable d'intensité et la

façon particulière suivant laquelle les troubles de la sensibilité sont dis-

tribués au niveau des deux membres inférieurs.

Nous avons en effet, constaté que la sensibilité objective, dans ses di-

verses formes, est, en général, beaucoup plus troublée sur le membre in-

férieur droit qui ne présente pas d'atrophie notable, que dans le gauche

où l'on voit l'atrophie musculaire dont nous avons parlé. On aurait en

bloc un syndrome comparable à celui de Brown-Séquard par liémilésions

médullaires.

On ne peut a priori exclure cette hypothèse et affirmer qu'elle ne ré-

pond pas à la réalité. Il pourrait s'agir dans un cas pareil de resserrement

du canal vertébral, dû au dépôt à l'intérieur de ce canal de néoproduction

ostéophytique. Qu'il existe une compression médullaire, cause d'un tel

syndrome, au niveau du point où la vertèbre a cédé à cause de la pré-

dominance de la raréfaction osseuse, on ne peut le penser, quand on

se rappelle que les fibres nerveuses responsables de l'atrophie ont leur

cellule d'origine beaucoup plus haut.-

L'ostéophytose responsable du rapetissement du canal vertébral, devrait

donc se trouver en un point plus élevé que celui auquel correspond le

maximum de gravité de la lésion ostéo-articulaire. Ce serait, d'ailleurs,

un cas exceptionnel qu'un rétrécissement de la lumière du canal vertébral

d'une telle origine ; ou du moins, cela ne s'est pas vu dans les examens

anatomo-pathologiques que je connais.

Et alors même que nous serions en présence d'un cas exceptionnel,

c'est-à-dire alors même que chez notre malade nous aurions affaire à une

compression médullaire due à des néoformations ostéophytiques particu-

lières, il serait d'autre part logique d'admettre que cette compression de-

vait s'exercer sur toute l'épaisseur de la moelle et non seulement sur une

moitié et d'une façon qui est relativement assez précise.

Ce qui revient à dire qu'il n'y a pas moyen d'interpréter de telle façon

un syndrome séquardien.

D'autre part, comme pour les réflexes, nous ne pouvons pas attribuer une

grande valeur à l'état particulier de la sensibilité, précisément parce que

notre malade est un tabétique et qu'il présente de plus des troubles étendus

de la sensibilité, même dans d'autres parties du corps.

Pour toutes ces raisons, il parait plus probable que l'atrophie muscu-

laire du membre inférieur est due plutôt à un tiraillement ou à une

compression des racines, en somme à une lésion des fibres nerveuses pro-

duite elle-même par la déformation de la colonne vertébrale.

Avant de livrer ce travail à la publicité, j'ai eu occasion de revoir

C. Sebastiano. Son état'générai de santé est satisfaisant, il se sent relati-

nn 35

323 R0ASENDA

vement fort et peut encore vaquer à ses travaux assez pénibles de mécani-

cien, quoiqu'il présente en ce moment d'autres altérations à ajouter à celles

que nous venons de décrire.

Le genou droit est déformé par une ostéo-arthropathie considérable

avec hydarthrose facile à constater nettement.

Le pied droit présente une déformation très remarquable au niveau des

métatarsiens. Le pied, plat sur sa face inférieure, présente sur la face

dorsale des points de néoformation osseuse qui semblent s'être fondus en

une masse unique, occupant dans le sens transversal toute la face dorsale

du pied, dans le sens antéro-postérieur, l'espace compris entre la base

d'implantation des doigts jusqu'à 2 centimètres environ en avant de

l'articulation tibio-tarsienne. Cette néoformation osseuse paraît, dans son

ensemble, être grosse comme la moitié du poing et présenter la forme

d'une calotte sphérique avec un diamètre un peu plus grand dans le sens

antéro-postérieur.

Les troubles de la sensibilité ne sont pas différents de ceux qui ont été

constatés antérieurement et déjà minutieusement décrits.

Des deux maux perforants qui existaient à l'époque du précédent exa-

men, celui de gauche s'est cicatrisé ; celui de droite persiste avec la même

forme et la même profondeur.

A mon avis, ces faits, joints aux précédents, confirment mon opinion

sur l'origine non médullaire de l'atrophie du membre inférieur gauche.

En effet, il serait juste d'admettre que, si une lésion médullaire était

cause de celle atrophie, les centres trophiques les plus atteints auraient

dû favoriser l'apparition des ostéo-arthropathies sur le côté où siège l'atro-

phie elle-même, de préférence au côté opposé; pour la même raison,

l'ulcus perforons aurait dû rencontrer plus de difficultés à se cicatriser à

gauche qu'à droite, contrairement à ce qui a eu lieu en réalité.

A part cela, il est à remarquer combien chez notre malade, même sans

compter l'atrophie du membre inférieur gauche, due, d'après ma modeste

façon de voir, à des lésions traumatiques secondaires, la quantité des phé-

nomènes trophiques est importante. Et c'est là un fait, qu'avec d'autres

faits similaires je me propose d'étudier dans la suite, car il me semble

pouvoir entrevoir dès à présent comment un groupement particulier de

formes analogues, qui pourraient constituer une variété d'affections tabé-

tiques, est chose possible à cause des nombreuses affinités que ces formes

présentent entre elles.

Je crois utile de rappeler en dernier lieu ce fait : à savoir que nonobs-

tant les troubles très graves de la sensibilité siégeant dans l'un des mem-

bres inférieurs et ceux considérables siégeant dans l'autre, notre malade

ne présentait pas le signe de Romberg et n'est pas ataxique.

SUR UN cas d'ostéo-arthropathie tabétique 523

Je note à ce sujet, sans vouloir en tirer aucune conclusion particulière

ni absolue, que la face plantaire des pieds est, des deux côtés, sensible

aux vibrations du diapason.

Je rappelle à ce propos, quelques idées de M. Egger (1) qu'il a expri-

mées dans une publication qu'il a faite l'année dernière.

Egger dit : en marchant et en courant nous faisons vibrer le squelette

des jambes.

Ces vibrations agiraient comme un excitant d'ordre réflexe; elles servi-

raient à charger d'énergie les cellules motrices de la moelle et du cervelet

et aussi elles augmenteraient et conserveraient le tonus musculaire. De

cette façon on expliquerait encore pourquoi nous nous fatiguons plus

dans la station debout fixe que pendant la marche ; dans la station debout

l'énergie motrice se consomme sans se renouveler, tandis que, dans la

marche, grâce aux vibrations incessantes, les cellules se rechargent et ! e

tonus se maintient. Egger cite d'autres exemples et expériences physio-

logiques à l'appui de sa façon de voir.

Sa conception est certainement géniale et avec elle s'accorderait très

bien le fait observé chez notre malade : il savoir l'absence d'ataxie malgré

toute la série des autres symptômes très importants de tabes qu'il pré-

sen ta i t.

't) M. EGGER, La sensibilité osseuse (ltev. Neurol., 1908, n° 8, 30 avril, page 345).

CLINIQUE MÉDICALE DE L'UNIVERSITÉ DE PISE

dirigée par M. le prof. G. B, QUEIROLO

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE

par FERRUCCIO RAVENNA.

L'étiologie de l'ostéite déformante reste encore plongée dans l'obscu-

rité ; des théories diverses sont en présence, de sorte que chaque nouvelle

observation mérite d'être publiée et étudiée comparativement avec lesfaits

déjà connus.

Le cas que je vais rapporter ici me semble mériter quelque considéra-

tion ; il représente, si je ne m'abuse, la cinquième observation de ce genre

faite en Italie depuis 1877 (1) ; d'autre part, il m'a été possible d'élimi-

ner, en me fondant sur la réaction de Wassermann, l'existence d'une

infection syphilitique antérieure; enfin plusieurs particularités, sans

altérer le cadre général de la maladie, rapprochent plus ou moins le cas

d'autres formes dystrophiques osseuses. Je passe de suite à l'exposé de

l'histoire clinique.

Observation (PI. LVII, LVIII)

Lippi Carlo, âgé de 58 ans, charpentier, marié dePisa. Il entre à la clinique

le 27 janvier 1909.

Son père mourut à l'âge de 73 ans d'une maladie de coeur ; la mère mourut

après une opération subie pour l'extirpation d'un kyste de l'ovaire ; un frère

mourut à 14 mois de la rougeole ; une soeur utérine mourut à 45 ans de cancer

ovarieu, semble-t-il.

Le malade n'a eu dans son enfance d'autre maladie que la rougeole ; il n'eut

pas de retard dans la marche; il peut toujours marcher et courir normalement.

A 23 ans, étant allé travailler en Sardaigne il fut atteint par les fièvres in-

termittentes et, dans une période de 8 mois, présenta quatre ou cinq accès,

qui cédèrent à la quinine. A 25 ans, il épousa une femme saine ; il en eut

cinq enfants : deux morts, en bas âge, de catarrhe gastro-intestinal, semble-t-

il, trois sont vivants et bien portants.

Un fils est marié et a, lui aussi, des enfants sains.

Sa femme est morte il y a 18 mois, à l'âge de 51 ans, à la suite d'une maladie

gastrique grave.

(1) J. PAOI1, Med. chirur. trans,, LX, 1877, p. 37.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XXIL.PI. LVll

OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

(F. Ravenna).

Masson & Ci«\ Éditeurs

Photatypne Herthaud

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 525

Lui-môme a été un gros mangeur et un fort fumeur mais un modeste buveur.

Il nie avoir jamais contracté la syphilis ou des maladies vénériennes.

Il y a environ 15 ans, un jour, en mettant ses chaussures, il ressentit un

fort craquement dans l'articulation du genou droit ; il ne put continuera mar-

cher seul et on dut l'accompagner à sa maison, où il garda le lit deux jours.

Après avoir fait du massage local, il put reprendre son travail, d'autant plus

facilement qu'il ne souffrait pas. Les mêmes faits se repétèrent plusieurs fois à

de grands intervalles ; dans le même temps le malade affirme avoir remarqué

une incurvation progressive antéro-interne du tibia droit et une limitation dans

les mouvements de flexion du genou. Des phénomènes tout à fait semblables

se produisirent dans le coude droit et ils furent suivis d'une ankylose en flexion.

Il n'a pas noté l'accroissement de la tête ; il ne ressentit jamais de céphalées,

ni de douleurs de la colonne vertébrale ou en ceinture. Mais il survint un

affaiblissement progressif spécialement des membres inférieurs avec atrophie

musculaire et depuis lors le malade boita de plus en plus à cause du raccour-

cissement de son membre inférieur droit.

Il y a sept ans, un jour, qu'il posait un plancher, il glissa et tomba ; peu

après,vers le tiers inférieur de la jambe se forma une plaie qui suppura et dure

encore.

Depuis deux mois environ l'appétit est sensiblement diminué ; la digestion

des mets solides est devenue difficile ; il a des régurgitations qui lui font

rendre des aliments introduits 24 heures auparavant et des éructations acides.

Il tolère, au contraire, les aliments liquides. Il semble qu'il n'a jamais eu de

vomissements couleur marc de café, ni de graves douleurs à l'épigastre ou

irradiées.

L'affaiblissement général et l'amaigrissement sont devenus rapidement

alarmants.

Pour ces faits il entre dans la clinique le 27 janvier 1909.

Examen objectif. Homme d'une constitution squelettique irrégulière

par difformités osseuses et articulaires des membres, spécialement delà partie

droite du corps. La peau et les muqueuses visibles sont pâles ; la graisse sous-

cutanée est assez réduite, les masses musculaires médiocres et flasques. La

stature est de 1 m. 50. On palpe quelques ganglions lymphatiques légèrement

augmentés de volume au cou, sous la mandibule, aux aisselles et aux aines.

Température 36°4. Pulsations 75. Respiration 20 à la minute.

Le crâne se montre très développé spécialement dans sa moitié supérieure

et quelque peu asymétrique. Sur le frontal gauche ou note une dépression

peu profonde qui s'étend de la ligne médiane presque 3 centimètres latérale-

ment et en haut sur 8 centimètres. A cause de cela la bosse frontale et tout le

frontal droit paraissent beaucoup plus saillants. Les tissus voisins ne sont pas

adhérents.

L'écaillé de l'occipital est pleine de bosses,spécialement le long de la portion

gauche de la suture lambdoïde. Les lignes osseuses d'insertion des muscles sur

l'apophyse mastoïde sont aussi très saillantes.

526 RAVENNA

La circonférence horizontale mesure 60 cent. 5.

La courbe bi-auriculaire, 33 centimètres.

La courbe fronto-occipitale, 37 centimètres.

Le diamètre antéro-postérieur maximum, 21 cent. 5.

Le diamètre transversal maximum, 16 centimètres.

L'index céphalique est 74.44.

Dans le squelette de la face il n'y a à noter qu'une certaine proéminence du

zygoma sans accroissement apparent de l'os ; cet aspect doit être attribué à la

disparition de la graisse du fait du profond état d'amaigrissement où est tombé

le malade. Les mandibules sont normales tant pour la forme que pour les di-

mensions. Les dents, en partie cariées, sont disposées régulièrement.

Membres supérieurs, Les courbures de la clavicule sont très prononcées,

la surface en est régulière ; l'épaisseur dans la partie médiane est presque de

3 centimètres.

L'omoplate se présente épaissi sur ses bords ; l'épaisseur de l'épine apparaît

notablement augmentée, de sorte qu'elle atteint il droite, où cette augmenta-

tion est le plus prononcée, 3 centimètres.

A droite, on note que l'avant-bras ne peut être complètement étendu sur le

bras : pendant que la flexion se peut faire entièrement, le mouvement d'ex-

tension reste limité à un angle à peu près de 120°. Les mouvements de pro-

nation et de supination sont exécutés parfaitement, ainsi que ceux de la main.

L'humérus droit est épaissi et il présente une courbure de concavité interne

spécialement dans la moitié inférieure de sa diaphyse ; l'épiphyse distale est

grandie énormément et d'une manière uniforme, de même que l'olécrâne qui

ne peut plus pénétrer dans la cavité olécranienne de l'humérus ; c'est ce qui

limite le mouvement d'extension de l'avant-bras ; il n'existe pas de rétractions

musculaires ni d'altérations capsulaires, ni aucun signe d'inflammation de l'ar.

ticulation du coude. Celle-ci à droite mesure 27 centimètres, à gauche 22 cen-

timètres de circonférence.

Le membre supérieur gauche, sauf un léger accroissement de volume de la

diaphyse humérale, ne présente pas d'altérations dignes d'être notées.

Les masses musculaires des deux membres supérieurs sont atrophiées.

Cependant le patient peut déployer quelque force et le dynamomètre marque

à droite 15 centigrammes, à gauche 20.

Le thorax est cylindrique avec un remarquable développement du diamètre

antéro-postérieur. L'angle de Lonis est très prononcé. Au niveau de l'apo-

physe xyphoïde il y a une profonde dépression de l'os. L'angle épigastrique est

très aigu. Les cartilages costaux sont gros et saillants. On ne constate aucun

accroissement pathologique à la palpation des articulations chondro-costales.

La colonne vertébrale n'est pas déviée ; elle est mobile dans toutes ses ar-

ticulations, on ne note pas de douleurs spontanées ni provoquées.

Sur l'abdomen n'existent pas de plis cutanés transverses. Le thorax semble

rentré dans le ventre : la distance entre la dixième côte et la crête iliaque me-

sure 5 centimètres. Postérieurement l'espace qui sépare la 128 côte et la crête

iliaque a presque disparu ; celle-ci apparaît modérément grossie et d'une ma-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. Xxii. Pl. LVIII

Radiographie du genou. Radiographie du coude.

OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

(F. Raveiiiia).

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 527

nière uniforme Son épaisseur est de 2 à centimètres en moyenne, la créte mé-

diane et les latérales du sacrum sont aussi très marquées. Le coccyx lui-

même est épaissi in toto.

Membres inférieurs. On ne relève aucune altération morphologique ou

fonctionnelle appréciable pour ce qui concerne les articulations coxo-fémo-

rales ; elles sont facilement accessibles en raison de l'atrophie musculaire. Le

fémur gauche présente la diaphyse recourbée et la courbure est à concavité

interne ; l'épiphyse inférieure est modérément épaissie, mais nou déformée ;

l'épiphyse supérieure du tibia a des dimensions volumineuses ; la crête de cet

os est tellement développée qu'elle ne constitue plus un bord mais une vraie

face. Outre cela, dans le tiers supérieur du côté interne on distingue plusieurs

exostoses de la grosseur d'une noisette.

Rien d'important au malléole et au pied. Tous les mouvements sont possi-

bles ; cependant au genou on perçoit souvent des craquements. La muscula-

ture est hypotrophique, flasque. A droite également le membre inférieur, vi-

siblement plus court que le gauche, est en rotation externe bien marquée.

Le fémur est nettement courbé avec concavité interne, son Îrpiphyse infé-

rieure est considérablement épaissie, moins cependant que l'épiphyse supérieure

du tibia, dont la crête a disparu, remplacée par une surface sensiblement lisse,

tournée en avant et en dedans et dont l'os est épaissi en masse et recourbé

à la manière d'un fourreau de sabre : L'articulation du genou se présente énor-

mément épaissie ; les mouvements donnent lieu à des craquements et sont en

partie limités, plus dans le sens de la flexion que dans celui de l'extension.

La rotule est mobile. Au tiers médian et inférieur de la jambe, la peau pré-

sente sur une certaine étendue une ulcération irrégulièremeut arrondie, à bords

livides peu relevés et s'abaissant graduellement vers le fond. Elle sécrète un

peu d'exsudation purulente. Examen microscopique négatif pour le bacille de

Koch et pour le tréponème de Schaudin-IIolfmanu. *

Tout à l'entour on n'observe pas de veines ectasiques. Le pied, de forme et

dimensions normales, est tenu rapproché du talon de l'autre membre inférieur.

La force est relativement conservée : avec la jambe droite il soulève 14 ki-

logrammes, avec la gauche 20 kilogrammes. Le malade ne peut marcher seul

qu'avec peine et en boitant, évidemment à cause du raccourcissement du mem-

bre inférieur droit.

Les mesures pratiquées sur les membres inférieurs donnent :

528 RAVENNA

Pas d'altération aux ongles des doigts ni des orteils.

Pour ce qui concerne le reste de l'examen objectif, on constate une légère

insuffisance de l'orbiculaire des lèvres à droite ; quelques contractions fibril-

laires de la langue qui est tirée droite et dont la surface est un peu sale.

Les veines du cou sont à peine visibles,les fosses susclaviculaires sont assez

accentuées. ,

Du côté de l'appareil respiratoire on ne note aucune modification dans la

transmission du frémissement vocal ; en arrière le son est plein à la percus-

sion avec légère hypophonèse dans la fosse sus : claviculaire, cette région appa-

raît en effet plus pleine que la région homologue du côté droit et on doit se

souvenir que le dynamomètre marque des chiffres plus forts à gauche qu'à

droite. Les bords inférieurs des poumons sont peu mobiles. Le murmure res-

piratoire est quelque peu affaibli. Râles huileux petits et moyens au niveau

du poumon gaucho,

Appareil circulatoire. Le choc de la pointe n'est pas visible ; il se loca-

lise bien à la palpation dans le décubitus latéral gauche, dans le Ve espace

intercostal sur la ligne hémiclaviculaire ; il existe aussi une légère pulsation

épigastrique.

Les limites de la matité absolue et relative du coeur sont normales. Les tons

cardiaques à la pointe se perçoivent plutôt sourds ; ils sont plus distincts à la

base de l'apophyse ensiforme. Le premier bruit est ici légèrement impur, suivi

d'un souffle au timbre doux au foyer aortique, où le second ton est accentué

Ce souffle est à peine sensible sur les carotides.

Au cou particulièrement du côté droit, on entend un bruit veineux continu,

pas âpre. Pulsations 75 à la minute. Pouls d'ondulation moyenne régulier,

rythmique. Radiales rigides apparemment pas calcifiées. Aux autres artères

périphériques palpables, on perçoit aussi une paroi épaissie, scléreuse. La

pression sanguine (Riva-Rocci) : 140 millimètres.

Appareil digestif- Dents cariées, langue engluée, haleine fétide. Aucun

trouble de la déglutition. Peu d'appétit ; le malade ne tolère que des aliments

liquides ou des biscottes trempés qui sont digérés avec un remarquable retard.

Il a du pyrosis, des régurgitations, quelquefois de vomissements. Les fonc-

tions intestinales sont régulières. Le malade n'accuse pas de douleurs spon-

tanées. Abdomen enfoncé, assez compressible, indolent dans toutes ses régions.

On ne provoque pas de bruits de remuement ou de gargouillement. La limite

inférieure de l'estomac est abaissée et arrive à la ligne transversale.

L'examen du contenu gastrique extrait une heure après le repas épreuve

d'Ewold a donné : environ 150 centimètres cubes d'un liquide louche conte-

nant en suspension des nombreuses particules de pain.

L'acidité totale en centimètres cubes de solution N de Na 011 = 20. Acide

chlorhydrique libre absent. Acide lactique présent. Au microscope on ne voit

que des granulations d'amidon de blé et de gros bacilles.

Le foie et la rate sont dans les limites normales.

Examen du sang. Hémoglobine (Fleischl) 30 ; globules rouges 2.320.000;

globules blancs, 3.600. Rapport 1 : 644. Valeur globulaire : 0,64.

SUR UN CAS D'OSTÉITE DEFORMANTE 529

Formule leucocytaire :

530 RAVENNA

et condensé, L'olecrâne est fortement épaissi. Rien de notable au radius et à

l'extrémité distale du cubitus.

Aux membres inférieurs les fémurs apparaissent tous deux recourbés ; leur

surface est rugueuse et irrégulière. Le droit montre sa substance compacte

d'une plus grande épaisseur et son canal médullaire plus large; l'épiphyse dis-

tale est très agrandie et épaissie à droite. Les deux tibias sont recourbés en

fourreau de sabre ou en serpe, la courbure est beaucoup plus prononcée à

droite, côté où l'épiphyse proximale (plateau) est aussi plus grosse ; au-dessus

d'elle, on constate l'existence de quelques petites exostoses.

Les péronés sont droits et ne semblent pas lésés dans leur structure.

Rien de notable aux os ni dans les articulations des mains et des pieds.

La réaction de Wassermann pour la syphilis, pratiquée avec l'extrait alcoo-

lique du coeur de cobaye a donné un résultat négatif.

Pendant le temps qu'il resta dans la cl.nique, Lippi a été soumis à un trai-

tement ioduré, sans résultat appréciable.

Le malade se nourrissait presque exclusivement de mets liquides ; il pouvait

ainsi éviter les vomissements, mais le dégoût, le pyrosis, etc. persistaient.

L'affaiblissement général augmentait progressivement, mais il n'y eut ja-

mais de fièvre.

Le malade ne voulant pas mourir dans la clinique nous quitta aux premiers

jours de mars.

Voulant résumer ici ce qu'il y a de plus important dans l'histoire cli-

nique de Lippi, je rappellerai la mort de sa mère et de sa soeur par néo-

plasme ovarique et le cancer gastrique probable de sa femme.

La maladie osseuse dont Lippi est affecté date de 15 ans; elle com-

mença par des craquements non accompagnés de douleurs à l'articulation

du genou, suivis d'une courbure progressive du tibia droit et des autres

os, et d'un affaiblissement général.

Bien que le malade affirme ne jamais s'être aperçu que son crâne était

augmenté de volume, il faut cependant reconnaître que les mesures

indiquent des dimensions exagérées et qu'il est développé spécialement

suivant le diamètre antéro-postérieur et dans sa moitié postérieure; il

est asymétrique et présente les reliefs osseux normaux très prononcés.

Donc dolichocéphalie (Index céphalique = 74, 44) et plagiocéphalie.

On ne relève aucune déformation du squelette de la face. Par contre, pour

ce qui concerne les têtes articulaires spécialement de l'humérus, du cubi-

tus, du fémur et du tibia, elles sont énormément augmentées de volume

et cela se remarque bien dans les articulations du coude droit et des deux

genoux.De même les diaphyses des os ci-dessus sont épaissies et incurvées.

Presque tous les os du tronc, y compris les côtes, paraissent augmentés

de volume à la palpation ; les mains et les pieds sont respectés. Il y a

hypotrophie sans réaction dégénérative et avec une conservation médiocre

de la force musculaire.

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 531

La démarche est rendue difficile par les déformations du squelette. Du

reste l'aspect général du malade, renseigne mieux qu'une description.

Sur les photographies ci-jointes (Pl. LVII) on distingue la grosse tête avec

le front fuyant, le thorax long qui tend à rentrer dans le bassin, les mem-

bres supérieurs qui, vu l'abaissement de la slature, paraissent d'une

longueur disproportionnée, la courbure en parenthèse des membres infé-

rieurs ; celle-ci est telle que, les talons étant réunis il reste, entre les deux

genoux, un espace de 18 centimètres. Enfin sur la face antérieure et un

tiers inférieur du tibia droit, il existe une vaste ulcération torpide, non

douloureuse, à faible sécrétion, datant de 7 ans, sur la nature de laquelle

nous aurons occasion de revenir.

Rien pour le système nerveux. L'examen des autres appareils, permet

de relever l'existence d'un emphysème pulmonaire à la production duquel

a contribué la déformation thoracique, conséquence du trophisme osseux

altéré.

Pour ce qui concerne le système cardio-vasculaire on doit admettre des

faits de sclérose aortique, alors que l'absence du HCI libre et la présence

de l'acide lactique dans le suc gastrique, réunis à l'état de profonde oli-

gohémie avec les phénomènes de sténose pylorique qui remontent presque

à quatre mois, font admettre l'existence d'un cancer gastrique.

La radioscopie et la radiographie confirment ce qu'on a relevé par l'exa-

men clinique : de plus on constate une condensation de la substance

compacte de la diaphyse, de la substance spongieuse de l'épiphyse frap-

pées par le processus morbide et l'élargissement du canal médullaire.

Bien que ce cas ne se présente pas comme des plus typiques, il n'est

pas difficile de défendre le diagnostic d'ostéite déformante.

L'âge auquel surviennent les premières manifestations est classique-

ment vers 40 ans ; ici c'est précisément à 43 ans que le patient accusa

les premiers bruits de craquement à l'articulation du genou droit. Le dé-

but et l'évolution se sont faits suivant un type qu'on peut qualifier d'ar-

ticulaire, el la chose n'est pas fréquente ; le plus souvent, la courbure d'un

tibia et l'accroissement du crâne semblent aller de conserve.

Chez Lippi, qui ne s'en aperçut pas, advient certainement un processus

d'hyperlrophie de la calotts crânienne ; peu après les manifestations ar-

ticulaires il commença à remarquer la courbure caractéristique du tibia

droit.

Il existe un autre cas récemment décrit parMeier comme maladie de

Paget ; le début se fit par l'hypertrophie de la malléole externe et des

os du pied ; dans le cas de Pescarolo etBortolotti les lésions furent notées

aux os dans les phalanges des mains et des pieds.

532 RAVENNA

Dans mon cas le symptôme douleur manquait complètement ; on sait

que dans plusieurs traités il est donné comme constant; en réalité il

l'est si peu, que Jonckerai distingue une forme d'ostéite non douloureuse

et une forme douloureuse.

Si la longue durée de l'affection (15 années) avec un bien-être général

relatif, la conservation suffisante des forces et de l'aptitude au travail con-

cordent avec ce qui a été écrit par la majorité des auteurs sur la maladie

de Pagel, la distribution des déformations osseuses a dans ce cas quelque

chose de spécial. En effet tant au tibia (droit surtout) qu'à l'humérus et

au cubitus droit, on note la courbure typique et l'accroissement de la

diaphyse ; mais ce qui frappe le plus c'est l'énorme hypertrophie des

condyles fémoraux et des plateaux des tibias ainsi que celle de l'olécrâne

et de l'épiphyse distale de l'humérus à droite, de sorte que les mouve-

ments des articulations sont considérablement limitées.

Alors que le squelette du visage ainsi que celui des mains et des

pieds est respecté, on peut dire que tous les autres os du tronc sont

épaissis.

Ceci est très important pour établir le diagnostic d'ostéite 'déformante

et devra nous faire admettre celui-ci quoique dans le tableau général pré-

senté par le malade manquent l'inclination caractéristique de la tête en

avant, la cyphose dorsale et le pli transversal de l'abdomen qui ont porté

des auteurs à assimiler ces malades à des singes anthropomorphes.

D'autre part, je crois qu'il me sera facile d'éliminer les autres dis-

trophies osseuses qui pourraient encombrer le'champ diagnostique.

Contre l'ostéomalacie on peut rappeler sa rareté chez l'homme (il

s'agirait ici d'une forme d'ostémalacie sénile), le manque absolu de dou-

leurs, le début par les membres la très longue évolution sans que le ma-

lade ait été contraint à l'immobilité, l'absence de flexibilité et de fracture

dans les os frappés, l'augmentation de volume des épiphyses.

Pour exclure le rachitisme il suffit du critérium de l'âge : nous savons

sûrement que les déformations osseuses ont débuté chez Lippi à 43 ans ;

or les formes de rachitisme tardif jusqu'à présent connues (Miesovicz :

Ueber sprUe Rachitis, Wien. klin. Woch., 1908, p. 989) ont eu leur

début toutes avant 20 ans, cela sans tenir compte du type des lésions

osseuses, qui dans les deux maladies sont bien différentes. *

Dans l'acromégalie ce sont surtout les parties molles et les os du visage,

des mains et des pieds, qui sont symétriquement augmentées de volume.

Dans l'ostéo-artropalhie 7111ewllique de Marie, l'hypertrophie des derniè-

res phalanges (doigts en baguettes de tambour) et les ongles en verre de

montre, sont caractéristiques et il n'y a pas de lésion du crâne.

La léontiasis ossea de yirchow frappe spécialement la branche mon-

tante du maxillaire supérieur.

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 533

L'elephantiasis des membres se développe aux dépens des parties

molles.

L'hyperostose diffuse fait aussi l'épaississement du crâne mais par rétré-

cissement des trous et des fentes de la base, elle donne l'exophtalmie et

la paralysie des nerfs crâniens ; chez Lippi, ces symptômes manquaient

totalement ;

Dans l'arthrite déformante il manque les courbures caractéristiques des

os ; de même dans la spondylose rhizomélique.

Enfin, bien que sur le tibia gauche il existât quelque hyperostose, ce

n'est pas le cas de penser à l'hyperostose diffuse qui commence dans les

premières années de la vie, donne presque toujours des lésions symétri-

ques, respectant le crâne et le visage.

Dans la maladie de Kahler on a des fractures spontanées, de l'albumo-

surie, une évolution plus rapide.

Pour ce qui concerne la syphilis osseuse je me réserve d'en parler plus

tard. '

Récemment Mocquot et Moutier (Nouvelle Iconographie de la Salpë-

ttrière, 1905, p. 61) ont décrit chez les vieillards de Bicêtredes déforma-

lions séniles du squelette consistant dans l'écartement des genoux, dans

l'augmentation du diamètre antéro-postérieur du thorax avec cyphose,

disparition de l'espace iléo-costal, plis transversaux de la peau au-dessus

et au niveau de l'ombilic. C'est là un ensemble qui rappelle de près l'as-

pect de la maladie de Paget, mais qui ne peut servir à notre cas, parce

que les déformations commencent après 60 ans, et épargnent toujours les

membres supérieurs et le crâne.

Je crois avoir suffisamment discuté le diagnostic différentiel de mon

cas; il ne vaut pas la peine d'insister sur d'autres formes osseuses qui

tiennent une place intermédiaire entre les types décrits et qui ne peuvent

être assez individualisées parce qu'on n'en connaît que quelques exemples.

Le rappel des cas d'ostéite déformante publiés jusqu'à présent me sem-

ble inutile, d'autant que récemment divers auteurs se sont étendus sur

l'historique de la question. Par contre je dois faire remarquer l'extrême

rareté de l'ostéite déformante en Italie.

Sur une centaine de cas observés jusqu'ici seulement quatre appartien-

nent à l'Italie : un de Castronuovo (Gazzetta Osp. e Clin., 1898) ; le deu-

xième de Rusconi et Scoufietti (Morgagni, 1901), avec les résultats de

l'examen anatomo-pathologique publiés par Meden et Da Fano (Morgagni,

1906) ; un cas inédit de Bozzolo (cité par Ferri dans le Traité des

maladies nerveuses de Clillord Albntt, p. 308) et enfin le cas le plus récent

S 34 RAVENNA

de Pescarolo et Bartololli (Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1909,

p. 252).

Le dernier est le mien ; comme je l'ai dit, il s'éloigne de la forme

typique par son début, par des craquements articulaires, par l'énorme

volume des épiphyses attaquées, par le processus, par le peu de déforma-

tion de la colonne vertébrale. D'ailleurs, en dehors des lésions fondamen-

tales, on peut dire que chaque cas présente des particularités propres

qui ['éloignent du lype de la maladie décrite d'abord par le grand chi-

rurgien anglais, -pour le rapprocher plus ou moins d'autres formes de

dystrophie osseuse.

C'est ainsi que Gilles de la Tourette et Magdeleine(Noacuelle Iconogra-

phie de la Salpêtrière, 1.894 : , p. 1) ont décrit un épaississement des os de la

base du crâne et du visage ; les mêmes ailleurs, Meunier (Nouzellelcono-

graphie de la Salpêtrière, 1894, p. 16) et Béclère (pull. Soc. Méd. hop.

Paris) ont vu l'hypertrophie du métacarpe, pendant que Klippel et Weil

(Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1909, p. 1) et Pescarolo et Bar-

tololti (déjà cités) ont trouvé lésés les os des articulations des phalanges

avec formation dans le premier cas de nodosités d'Heberden.

Il y a enfin des cas (Hudelo et Heitz, Nouvelle Iconographie de la Sal-

pêtrière, 1901 ; Sternberg, Verh. d. deut. path. Gesell., 1907, p. 137)

clans lesquels la mollesse des os, la déformation du bassin, les fractures,

les traces de cals osseux et le jeune âge du malade (30 ans dans le cas

de Sternberg) constituent d'impressionnantes analogies avec l'ostéoma-

lacie.

Mais en outre qu'il est le cinquième cas italien, mon cas est intéressant

pour deux particularités : l'une qui tend à le faire rentrer dans le type

classique décrit par Paget, l'autre qui, à mon avis, tendrait à donner rai-

son aux plus récentes vues sur l'étiologie de l'ostéite déformante. Pour la

première je veux faire allusion au cancer gastrique dont est affecté Lippi.

Sir James Paget, frappé du fait d'avoir trouvé sur six autopsies cinq

néoplasies malignes, pensa à une relation entre ces deux affections ; mais

une telle coïncidence étant devenue beaucoup plus rare dans la suite, la

théorie qui voyait en elle un signe de la tendance de tout l'organisme aux

néoformations perdit pied.

Dans mon cas, la mère, une soeur et peut-être la femme du malade sont

mortes de tumeurs malignes de l'ovaire et de l'estomac.

Si ces faits de diathèse néoplasique peuvent constituer une contri-

bution à la question de la transmission héréditaire des tumeurs malignes,

nous devons d'autre part considérer que dans l'ostéite déformante les exos-

toses n'ont pas la signification des tumeurs; elles ne sont qu'un aspect

SUR UN CAS D'OSTÉITE DEFORMANTE 535

irrégulier de l'hypertrophie qui tend en général à exagérer les formes nor-

males, et qui, avec un processus d'ostéite raréfiante donne la caractéris-

tique histo-pathologique de la maladie de Pagel.

Quant aux observations de Paget et de Packard (ans. Joui, of the med.

Scien., 1901, p. ruz2), on peut encore répondre que l'ostéite déformante

et les tumeurs malignes débutant l'une et les autres après 40 ans, il n'est

pas du tout étrange que parfois elles coexistent.

Un autre fait, qui m'a rallié un instante l'étiologie syphilitique de l'os-

téite, c'est l'ulcération de la jambe ; sa longue durée, sa grande surface,

sa situation pouvaient la faire prendre pour une manifestation syphilitique

tertiaire, d'autant plus que l'absence de veines variqueuses faisait exclure

l'ulcus cruris. Mais à un examen plus attentif sa localisation au tiers in-

férieur de la jambe, alors que les ulcérations syphilitiques se trouvent

généralement au tiers supérieur, sa figure irrégulièrement circulaire et

non pas réniforme, les bords calleux et dégradés, la petite quantité de la

sécrétion,la couleur brune de la peau sur une large étendue autour de l'ul-

cération, l'absence de tréponèmes sur la matière prélevée et examinée,

l'inefficacité de la cure iodurée, l'absence de toute sensation douloureuse,

l'absence de pléiade ganglionnaire, le silence de l'anamnèse quanta la

syphilis, me firent rejeter la nature syphilitique de l'ulcération.

N'ayant pas vu de tubercules dans le fond de l'ulcère, l'absence de

bacilles de Koch dans la sécrétion parlait contre une forme tubercu-

leuse, tandis que la durée prolongée de l'affection et le fait que le malade

avait constaté des améliorations, par périodes, permettaient d'exclure

une forme néoplasique.

De sorte que. malgré l'absence de veines variqueuses, il convient d'ad-

mettre que sous l'influence de l'épaississement du tibia qui avait tendu

et aminci la peau, un trauma occasionnel (rappelé même par le malade

dans l'anamnèse) a produit l'ulcération; le peu de tendance à la cicatri-

sation est expliqué par les mauvaises conditions de nutrition de la peau,

par l'âge, et par la nature peu soigneuse de Lippi.

Je m'arrêterai peu sur les images radiographiques de la jambe et du bras

droit parce que des résultats vraiment importants en ce genre de recher-

ches n'ont été obtenus que par l'étude des os dépouillés des parties mol-

les. Les premiers, Lévi et Londe (1) ont conclu de l'examen radiographi-

que d'un cas de M. Paget pour l'association d'un processus d'ostéite con-

densante à un processus d'ostéite raréfiante. On peut dire que tous ceux qui

étudièrent dans la suite cette maladie, ont eu recours, pour l'étude appro-

fondie des lésions osseuses, aux rayons X. Très récemment Legros et Lévi

(1) Nouvelle. Iconog. de la Salp., 1891, p. 196.

536 RAVENNA

(Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1909, p. 24) ont démontré dans les

radiographies d'os en proie à l'ostéite déformante un aspect caractéristique

d'ouate donnépar une série de taches claires et obscures et une grande abon-

dance de travées très minces, finement réticulées, anastomosées entre elles,

quelquefois avec l'aspect de tourbillon ; ce tableau contraste absolument

avec celui que fournitun tibia frappé de syphilis héréditaire tardive. Dans

la figure obtenue par moi cette finesse de détail manque et je ne veux m'ar-

rêter que sur l'augmentation d'épaisseur de l'os, sur l'irrégularité de sa

surface et sur l'ample calibre du canal médullaire. Du reste dans mon

cas,la radiographie a contrôlé et confirmé les constatations faites à l'examen

clinique ; je ne voudrais pas demander l'interprétation des radiographies,

ce que peut seulement donner l'étude histologique.

Malheureusement celle-ci me fait complètement défaut, de sorte que je

me bornerai à rappeler ce que tous les auteurs s'accordent désormais à rete-

nir, à savoir que la caractéristique de la maladie de Paget est un processus

d'ostéoporose aboutissant à la raréfaction, associé à des faits d'ostéite con-

densante. Cette dernière ne représenterait qu'une réaction de l'organisme

qui tend à la consolidation des os raréfiés, et qui se manifeste d'une ma-

nière tellement surabondanle qu'elle donne lieu, en définitive,à de mons-

trueux épaississements d'os ou de portions d'os.

Je passe sur l'hypotrophie musculaire par inactivité et sur les examens

du sang et des urines ; ils n'ont pas donné de résultats'très intéressants.

Je m'arrêterai davantage sur une recherche qui, dans ce cas, avait une

importance considérable.

Je veux parler de la réaction de Wassermann pour la syphilis. Dès qu'elle

fut introduite dans la clinique on a eu la confirmation biochimique du

lien palhogénique, déjà affirmé sur la base de considérations cliniques, qui

relie la syphilis et les maladies parasyphilitiques. Or, comme l'on

sait, une des théories étiologiques de l'ostéite déformante qui ont eu le

plus de succès est celle qui en fait remonter le primwn movens à une hérédo-

syphilis (Lannelongue) (1), ou à une syphilis acquise (Ménétrier) (2). D'au-

tre part, selon Fournier (3), cette théorie aurait reçu un très solide appui

si l'on avait trouvé une maladie de Paget chez un individu ayant en

même temps des manifestations d'hérédo-syphilis indubitables.

Malgré que, dans mon cas, l'anamnèse fût muette, soit pour ce qui

concerne la syphilis héréditaire, soit pour la syphilis constitutionnelle, la

réaction de Wassermann a une telle importance, qu'un résultat posi-

tif aurait pu fournir la preuve vainement cherchée jusqu'à aujourd'hui

(1) Ac. de médecine, 3. III. 1903.

(2) Soc. méd. des Hôpitaux, séance 29.5.1903.

(3) Ac. de médecine, séance 31.3.1903.

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 537

bien qu'exécutée avec toutes les précautions dont doit être entourée une

telle expérience, que l'épreuve eut, chez Lippi, un résultai négatif. Même

réaction négative dans un très récent cas de Meier (Geselsch. d. Charité

.4erzte in Berlin, Sitz IL II, 1909 ). Faut-il en se fondant sur ces

résultats négatifs, entièrement exclure la syphilis de l'étiologie de la

maladie de Paget ? Il est certain que nous ne pourrons pas accepter l'é-

tiologie syphilitique avec l'exclusivisme requis par Lannelongue, Méné-

trier, Négellen (1).

Cependant même la preuve demandée par Fournier, comme l'ont fort

justement fait observer Klippel et Weil, dirait que la maladie de Paget

peut se développer chez un syphilitique et rien autre chose.

Ensuite, en dehors des ressemblances morphologiques du tibia Lanne-

longue avec le tibia Paget, avons-nous entre les deux formes morbides

une telle ressemblance de caractères, pour permettre de les identifier

avec certitude ?

Des cinq caractères communs à la maladie de Paget et à celle de Parrot

énumérés par Etienne (2), la prédilection pour certains os, spécialement le

tibia, n'a pas grande valeur; ce serait comme vouloir prétendre par exem-

ple,que tous les procès sur l'aortite relèvent d'un agent commun ; la diffu-

sion à un grand nombre d'os est beaucoup plus marquée dans la maladie de

Paget que dans la syphilis,tandis que le stade douloureux fait souvent dé-

faut dans la première. Restent les hyperostoses parfois énormes qui exagè-

rent la forme et les déformations, qui accentuent les courbures normales

de l'os ; mais ce ne sont là que des résultats du processus anatomo-patho-

logique de l'ostéite raréfiante et condensante à la fois ; cela ne nous peut

rien dire sur l'étiologie de l'affection. D'après Lévi et Legros le résultat

radiographique serait assez différent dans les deux formes morbides. Il en

est de même, selon les données de Robin (3), delà composition chimique

des os.

Faute d'un cas avéré de maladie de Paget chez un hérédo-syphilitique,

la question a été un peu déplacée par Ménétrier, Chartier et Descomps (4)

qui firent rentrer dans l'étiologie la syphilis constitutionelle, confirmée

dans leurs cas.

Je suis bien loin de vouloir nier que la syphilis dans ces cas comme dans

bien d'autres ait pu jouer un rôle important dans la production du mal,

mais je pense que les cas observés sont en trop pelit nombre pour per-

mettre d'arriver à des conclusions catégoriques.Etant donné encore que le

(1) Thèse de Paris, 1903.

(2) Ann. de Dermatologie et Syphiligraphie, 1904, p. 990.

(3) Ac. de médecine, séance 3.111.1903.

(4) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1907, p. 84.

xxii 36

538 RAVENNA

traitement antisyphilitique a été presque toujours inefficace (sauf dans

un seul cas de Jacquet - Revue Neurol., 1906, p. 1130, - avec cure

antisyphilitique suivie de guérison), une étude systématiqne, à l'aide de

la réaction de Wassermann pourrait seule nous donner de très utiles ren-

seignements à ce propos. Or, dans les deux seuls cas où elle a été appliquée,

elle a donné un résultat négatif.

Il y a t-il quelque autre théorie s'adaptant à un plus grand nombre de

cas ? -

Pour la transmission héréditaire parfois similaire ou tout au moins en

faveur d'une forme familiale d'ostéite déformante, parlent les observa-

tions de Pick, Chauffart, Berger (l),Lunn, Richard, Robinson, Walter,

Oettinger et Agasse-Lafont.

En interrogeant avec soin Lippi, j'appris que son père avait une tète

assez grosse ; dans les dernières années de sa vie (il est mort à l'âge de

soixante dix ans) il avançait avec une marche qui rappelait celle du fils.

Mais cesparticularités ne me furent pas confirmées parles autres per-

sonnes de la famille, de sorte que je ne me crus pas autorisé d'en tenir

compte dans l'anamnèse.

L'altération de quelque glandule vasculo-sanguine, réalisant un proces-

sus comparable à celui que beaucoup admettent pour l'acromégalie, a bien

peu des partisans.

Les lésions trouvées du côté de la moelleépinièrepar Gilles de la Tourette

et Marinesco (2), correspondant avec les symptômes spinaux relevés par

Pick chez un de ses malades, et que G. et M. tendaient à mettre en rapport

de cause à effet avec les lésions osseuses, ont été confirmées par les cons-

tatations de L.Lévi (3), P. Marie,Hudelo et Heitz et par Medea et Da Fano,

mais elles ont été interprétées à juste titre comme des faits de sclérose mé-

dullaire pseudo-systématique d'origine vascullaire prédominant sur les

faisceaux de Goll et Burdach et semblables en tout aux lésions de la moelle

épinière sénile.

Du reste, la distribution des lésions osseuses, malgré que parfois elles

prévalent d'un côté et que, dans le cas de Klippel et Weil elles fussent

limitées à droite, est tellement irrégulière qu'elle nous éloigne de l'idée

d'une influence nerveuse centrale; d'autre part les lésions trouvées sur

les nerfs périphériques par Hudelo et Heitz furent jugées secondaires aux

altérations vasculaires.

Mais il existe un facteur commun à un très grand nombre des cas de

la maladie de Paget et qui est invoqué par plusieurs auteurs sous diffé-

(1) Ac. de médecine, 3. III. 1903.

(2) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1895, p. 205.

(3) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1897, p. 115.

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE 539

rents points de vue. C'est l'artério-sclérose. Déjà Lunn avait remarqué

la fréquence de la goutte dans les antécédents de ses sujets, Lancereaux (4)

en France, suivi par Richard (2) invoquait l'herpétisme comme l'uni-

que agent capable de donner lteu aux déformations observées. Sur les

radiographies de Béclère (Bull, Soc. méd. h6p. Paris, 19. VI. 1901) les

artères calcifiées, les lésions cardio-vasculaires sont à compter parmi les

plus fidèles compagnes de la maladie de Paget et dans mon cas aussi

je dus admettre des faits d'artérite. D'autre part, c'est par le moyen de

l'artério-sclérose que peuvent agir l'intoxication acide invoquée par OhJttin-

ger et Agasse-Lafont (3) et la syphilis. Ce n'est pas tout ; jusqu'à un

certain point elle peut nous donner encore la raison d'être des cas où fut

noté le facteur héréditaire ou familial.

Mais il existe une énorme : quantité d'artério-scléreux et le nombre de

cas d'ostéite déformante est très restreint. On peut répondre à cette objec-

tion que toutes les manifestations de la sclérose artérielle ne s'observent pas

avec une égale fréquence ; est-ce qu'il y a un rapport entre les cas d'hé-

morragie cérébrale et ceux d'angine de poitrine vraie ?

D'autre part pour ce qui concerne les très rares observations d'ostéite

déformante au-dessous de 20 ans, il est permis de se demander s'il ne s'est

pas agi de rachitisme tardif.

Enfin je noterai encore la plus grande fréquence de la maladie en An-

gleterre où les formes goutteuses sont certainement plus abondantes qu'en

Allemagne et en Italie ; par contre, on ne sait pas si la syphilis a, chez

les Anglais, plus de diffusion que chez nous ; et cela aussi peut servir comme

argument en faveur de ma thèse. ·

En tout cas, s'il résulte de l'élude générale des cas publiés que les

lésions artérielles sont presque constantes, il ne faut pas oublier que les

malades atteints d'ostéite déformante sont ordinairement d'un certain âge

et c'est pourquoi les lésions osseuses et vasculaires pourraient coexister,

comme on a vu coexister les altérations de la moelle épinière.

C'est pour cela que je crois qu'en l'état actuel des choses, un jugement

absolu sur l'étiologie de la maladie osseuse de Paget est prématuré.

Considérant les nombreuses variétés observées, il n'est pas hasardé de

penser à la possibilité de causes diverses ; l'étude complète et systéma-

tique d'observations ultérieures pourra seule solutionner le problème.

(1) Traité de l'herpétisme, 1883.

(2) Thèse de Paris, 1887.

(3) Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1905.

ASILE D'ALIÉNÉS D'ÉVREUX

Service de M. le Dr BESS 1ÈRE

ULCÉRATIONS TROPHIQUES

CHEZ UN DÉMENT PRÉCOCE CATATONIQUE,

PAR

H. NOUET et L. TREPSAT.

La démence précoce est une des affections mentales où les troubles

physiques sont les plus accusés, aussi leur étude a-t-elle retenu depuis

quelques années l'attention de nombreux cliniciens.

Parmi ces symptômes physiques, les troubles trophiques se rencontrent

avec une assez grande fréquence chez les catatoniques. Décrits tout d'abord

par Kraepelin, ils ont été étudiés en France par M. Dide (1).

Les accidents cutanés succèdent en général au pseudo-oedème et consis-

tent d'abord en vésicules pemphigoïdes qui se transforment dans la suite

en ulcérations. Ces dernières sont en général de forme arrondie, à bords

réguliers, taillés assez exactement à pic ; le fond de l'ulcération présente

un aspect rouge vif. Ces plaies laissent écouler un liquide séro-sanguino-

lent.

On ne peut confondre ces ulcérations avec des plaies variqueuses. Leur

siège, leur multiplicité sur le même membre, leur peu d'étendue la non-

existence de varices chez le sujet, leur coloration, permettent d'éviter

l'erreur de diagnostic.

Il ne s'agit pas certainement de gelures, puisque l'on retrouve aussi

bien ces ulcérations en plein été au moment où la température est élevée.

L'étiologie de ces accidents reste encore obscure. L'absence de symp-

tômes médullaires et de signes du côté du système nerveux périphérique

rend leur interprétation difficile.

Ce qui est certain c'est qu'il exisle une étroite relation entre leur ap-

parition et les états de stupeur. Sont-ils déterminés par l'immobilité, la

station debout prolongée, des troubles vaso-moteurs ? Nous ne savons

rien de précis à ce sujet. Le gâtisme et les mauvaises conditions hygiéni-

(1) M. Dide, nermalo-psychies. Société médicale et scientifique de l'Ouest, juillet

1904.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. LIX

ULCÉRATIONS TROPHIQUES CHEZ UN DÉMENT CATATONIQUE

(H. Nonel et Trepsat).

Masson & Ce, Éditeurs.

Phototypie Berthaud

ULCÉRATIONS TROPHIQUES 541

ques fréquents chez les catatoniques ont peut-être un rôle dans l'étiologie

de ces accidents.

Dans l'observation suivante, les troubles trophiques sont multiples et

d'une étendue considérable. D'autre part, l'histoire de notre malade ne

nous paraît pas dénuée d'intérêt au point de vue clinique.

Observation (PI. LIX).

Br..., âgé de 27 ans à son entrée à l'asile d'Evreux, en 1901.

Antécédents héréditaires. Le père du malade est encore vivant. Cet

homme semble présenter un certain degré de déséquilibre mental. Il eut durant

son existence plusieurs affections graves : des fièvres paludéennes contractées

en Espagne et en Egypte, une maladie intestinale au Tonkin, une sciatique

dans le même pays et en outre un accès de fièvre paludéenne en Guyane. Cet

individu présente un polype des fosses nasales, qui se retrouve chez plusieurs

de ses ascendants, dont la plupart sont décédés entre 70 et 85 ans.

La mère de B... est actuellement décédée, des suites d'uneaffection mal

déterminée du foie.

Réglée à 12 ans, elle avait présenté a ce moment une éruption de pemphi-

gus. Elle eut trois enfants, dont l'aîné est ingénieur, le second est notre ma-

lade, le troisième est mort au bout de six semaines. Il était « mal conformé au

point de vue respiratoire ».

Nous ne relevons aucun élément névropathique important dans les antécé-

dents de B..., tant du côté paternel que maternel.

Antécédents personnels. Br... est né à terme et fut nourri au sein par sa

mère. Comme maladie grave,nous relevons chez lui, la coqueluche à 2 ans 1/2

et des épistaxis qui accompagnèrent cette première affection. Br... fréquente

l'école, s'y montre, un élève moyen et acquiert'facilement une instruction

primaire.

A 13 ans il est placé dans une école des Arts et Métiers où il se développe

énormément au point de vue physique. Mais il présente à cette époque une

bronchite assez grave et des épistaxis.

C'est à 18 ans que ses parents remarquent chez B... des troubles de la lllé-

moire. Il retenait difficilement ce qu'il avait lu plusieurs fois.

Cette difficulté se manifestait particulièrement pour l'histoire et la géogra-

phie. En science et en mathématiques il était d'une force moyenne et effectuai-

facilement ses épreuves. A ce moment on remarque en] outre une négligence

complète de la tenue. B... était toujours débraillé, n'avait aucun soin de ses

vêtements. Il manifestait aussi une diminution notable des sentiments affectifs

à 1 égard de ses parents avec lesquels il correspondait de moins en moins. On

observe en outre chez lui des troubles accusés du caractère que son père nous

décrit ainsi : « Il avait une résistance à des prières orales, à des ordres dont

nés de faire telle ou telle chose z

542 NOUËT ET TREPSAT

En 1895, à 21 ans, ayant échoué à l'Ecole centrale il doit partir pour le ré-

giment et effectue 3 années de service militaire dans un régiment d'artillerie

où il obtient le grade de sous-officier.

Au régiment, les troubles de la tenue et du caractère s'accentuent de plus en

plus. Le malade ne manifestait plus à l'égard de sa famille aucun sentiment

affectif, et ne rendait que très rarement visite à ses parents qui habitaient ce-

pendant à proximité. Il fait à ce moment plusieurs chutes, au manège, sans

gravité d'ailleurs.

Un jour il écrit à son père qu'il se sentait malade, et qu'il n'avait plus aucune

mémoire. Uue semaine plus tard, il se présente à la visite du médecin-major,

et se trouve dans l'impossibilité d'articuler une seule parole. Pendant 72 heures

il reste dans cet état caractérisé par du mutisme avec indifférence absolue. Son

père et son frère viennent le voir, il ne les reconnaît pas : « Il ne pouvait par-

ler et avait les yeux d'une fixité étrange. Il était inseusible à tous les pince-

ments qu'on lui faisait sur la cuisse ».

Br... est soigné pendant 6 semaines à l'hôpital militaire de V... et obtient un

congé de convalescence qu'il passe chez lui. Un médecin consulté, à ce moment,

constate entre autres symptômes des troubles de la sensibilité, de la dyschro-

matopsie, une diminution de l'acuité auditive d'un côté ( ? ).

Au bout de quatre mois, un peu amélioré, il retourne au régiment. Il était

alors surexcité, manifestant dans ses actes, ses gestes, une agitation désordon-

née.

Ayant touché le montant d'une succession il en dépense rapidement la plus

grande partie en abus alcooliques et fait à ce moment des excès vénériens.

Sorti du régiment il est employé dans une compagnie industrielle ; le père de

B... remarque chez son fils de nombreuses « absences » durant la conversation.

B... se plaignait d'ailleurs de la difficulté qu'il éprouvait à Paris pour éviter

les fiacres dans la rue, pour retrouver le chemin de son logis. Toujours très

indifférent pour sa famille il ne la fréquentait presque plus. Les lettres qu'il

lui adressait étaient rédigées en quelques mots comme celle-ci : « Viens, je suis

malade ».

Il est placé en 1899 dans une maison de santé, à Paris, où il est maintenu

pendant 4 mois et sort amélioré. Rentré dans sa famille il y demeure deux mois,

complètement inactif et manifestant à tout propos une irascibilité et un entête-

ment opiniâtres, II suffisait de lui donner un ordre ou un simple conseil pour

le voir immédiatement agir d'une façon opposée.

De retour à Paris, il néglige totalement de donner son adresse à ses parents :

une blennorrhagie qu'il contracte, lui fit perdre sa place, et peu après il éprouve

de grosses pertes d'argent dans des spéculations malheureuses. Il revient à la

campagne où on le trouve hébété, déprimé et confus, complètement incapable

d'initiative. 11 entre dans : une usine, mais au bout de 15 jours, il oublie à

quelle heure il doit s'y rendre le matin. Le soir, alors que les autres ouvriers

quittent le travail, il reste à l'usine, ne comprenant pas que la journée est

finie. Peu à peu il se néglige de plus en plus, et ne rend plus aucun service.

On le congédie.

ULCÉRATIONS TROPHIQUES 543

Revenu de nouveau chez son père, il passe ses journées à errer dans le jar-

din se dissimulant derrière les massifs. Le matin il fallait le lever, l'habiller,

faire sa toilette, le forcer à descendre pour se mettre à table. B... ne pronon-

çait plus une seule parole, ne répondait rien aux questions, vivait étranger à

tout ce qui l'entourait, passait son temps à fureter dans tous les coins. Au mo-

ment où il s'y attendait le moins, son père le voyait tout à coup se dresser de-

vant lui, puis il s'éclipsait de même, sans prononcer un mot, sans exécuter un

geste.

Il refusait obstinément de recevoir la visite d'amis qui s'intéressaient à lui

et disparaissait à leur vue dans les coins les plus reculés de la propriété.

Quelques jours avant son entrée à l'asile, il reçoit une convocation pour ac-

complir une période militaire. Il part, dans l'état décrit ci-dessus, complètement

hébété, égaré. Dès son arrivée à V... on le place à l'hôpital, d'où il est aussitôt

renvoyé sous escorte à ses parents. Ceux-ci le font interner le 28 octobre 1901.

A son entrée, B... est déprimé. Il ne prononce pas une parole, ne répond

pas aux questions, se montre indifférent à tout ce qui l'entoure.

5 novembre 1901. B... est toujours trèsdéprimé.

C'est à peine si l'on parvient à lui faire prononcer quelques paroles. Il ne

s'intéresse à rien, passe son temps à circuler dans la chambre d'une façon

automatique et ne parle jamais à ses voisins.

Décembre 1901. - B .. traverse une phase d'excitation.

Il se promène en gesticulant et ne répond aux questions que par des propos

incohérents.

Pendant l'année 1902, il se montre très agité, violent, impulsif, jusqu'au

mois de juillet.

A cette date il retombe dans un état stuporeux, reste inactif, indifférent à

tout et passe ses journées assis sur un banc, toujours à la même place.

En 1903 il reste dans cet état de stupeur catatonique, mais de temps en

temps il présente des accès subits d'agitation violente accompagnée de mouve-

ments impulsifs dangereux. D'ordinaire il se montre tout à fait apathique,

indifférent, ne s'intéresse à rien, ne répond jamais aux questions qu'on lui

adresse, ne manifeste aucun désir.

Durant les années suivantes l'état de B... ne se modifie pas d'une façon sen-

sible. Il a des alternatives d'excitation et de stupeur, mais il;n'a'pas d'inter-

valles de lucidité. Quand il est agité, il déchire ses vêtements, [circule de lous

les côtés, prononce entre les dents des paroles incompréhensibles.

Interrogé, il répète le dernier mot de la question posée (écholalie).

B... est gâteux nuit et jour ; sa tenue est débraillée, il souille ses habits avec

de la boue, des matières fécales ;

On remarque chez lui de multiples attitudes et mouvements stéréotypés.

C'est ainsi que pendant des heures entières, il exécute des sauts tantôt sur un

pied tantôt sur l'autre. Le malade est fréquemment violent pour son entourage.

En 1908 B... se montre de plus en plus agité et violent. A différentes reprises

il casse des carreaux ; un jour il s'enroule un cordon autour de la verge et

tente de la sectionner.

514 NOUËT ET TREPSAT

Dans l'intervalle des accès d'agitation catatonique, B... se montre apathique,

indifférent, confus, incapable de répondre aux questions posées.

Les propos qu'il prononce sont inintelligibles.

B... présente des altitudes catatoniques et cataleptoïdes. Il garde les bras, les

jambes dans les positions les plus incommodes pendant longtemps.

Il est suggestible, exécute au commandement tous les actes qui lui sont or-

donnés.

Comme/symptômes physiques on note chez lui du dermographisme,du pseudu-

oedème et des troubles trophiques. Les troubles trophiques sont assez accusés

chez B... pour mériter une description un peu détaillée.

Au moment où le malade a été photographié (octobre 1908), ils occupaient

le membre inférieur droit au niveau du genou, de la face antéro-externe de la

jambe et du deuxième orteil.

Ces troubles trophiques ont débuté au mois de septembre, par une vésicule

pemphigoïde, remplie de sérosité à laquelle a succédé une ulcération.

Au niveau du genou droit, ainsi que le montre la photographie, l'ulcération

revêt une forme à peu près circulaire. Son diamètre est de 2 cm. 1/2. Les

bords en sont réguliers et taillés à pic ; les tissus ont un aspect rouge vif.

L'ulcération du deuxième orteil est moins volumineuse ; elle mesure à peine

un centimètre de longueur. Sa largeur est un peu moindre.

La région antéro-externe de la jambe droite est le siège des troubles les plus

accusés. Il existe trois ulcérations dont deux petites, de dimension à peu près

égales à la plaie du genou, la troisième enfin beaucoup plus considérable, de

forme irrégulière, mesurant 10 centimètres de long sur 6 centimètres de large.

Les bords de l'ulcération sont réguliers et taillés assez exactement à pic. Les

tissus qui en occupent le fond sont d'un aspect rouge vif et présentent de

nombreux bourgeons charnus. La plaie laisse s'écouler un liquide séro-san-

guinolent.

Quelques troubles trophiques beaucoup moins accusés se rencontrent au

membre inférieur gauche.

Ils ne sont pas visibles sur ces photographies.

Ces ulcérations restent stationnaires pendant plusieurs semaines. Elles sont

soignées par l'alitement et des pansements humides au bichlorure de mercure.

En février 1909,elles sont totalement cicatrisées et il ne persiste que des ci-

catrices d'une coloration rouge foncée et de dimensions réduites.

Etal actuel (septembre 1909).

Elat physique. B... est un individu bien constitué, robuste ; sa taille est

d'environ 1 m. 80.

On ne constate chez lui aucun stigmate physique de dégénérescence, au-

cune lésion organique de l'un des différents appareils. L'auscultation de ses

poumons ne décèle aucun symptôme de tuberculose. Le coeur est normal ; le

pouls régulier bat à 75 pulsations à la minute, les urines ne contiennent ni

sucre ni albumine.

ULCÉRATIONS TKOPHIQUES 545

Les deux pupilles sont égales, elles réagissent à la lumière. Les réflexes

rotuliens sont exagérés ; le réflexe cutané plantaire est en flexion. le cré-

mastérien aboli. La sensibilité sur toute la surface du corps est obtuse, et le

dermographisme qui se produit immédiatement, est très accusé. Il n'existe pas

de tremblement sensible au niveau des mains, mais la langue est animée d'un

tremblement fibrillaire très prononcé.

On ne constate pas eu ce moment de troubles trophiques, mais les cicatri-

ces des plaies antérieures sont encore apparentes. L'ulcération de la face anté-

rieure de la jambe droite a déterminé une cicatrice nacrée de 3 centimètres

de long sur 1 cent. 1/2 de large, la peau est mince; tout autour les tissus

ont une coloration brun foncé.

On constate une cicatrice de dimension beaucoup moindre au niveau du cin-

quième métatarsien et plusieurs autres au niveau des fesses.Leur diamètre est

d'un centimètre, la peau à ce niveau est nacrée, brillante, amincie. Elles sont

disposées d'une façon symétrique.

Notons en dernier lieu que B... n'est pas atteint de varices des membres

inférieurs.

Etat mental. - B... présente uu affaiblissement intellectuel considérable.

Il est calme en ce moment, mais parfois, il est sujet à des accès d'agitation

violente accompagnés d'actes impulsifs.

B... exécute au commandement tous les mouvements qu'on lui ordonne

d'accomplir. Il fait le salut militaire, il tend les mains avec une raideur carac-

téristique. Quand on lui présente un objet il est incapable d'en donner le uom,

mais si on lui met entre les mains une boîte d'allumettes il sait parfaitement

l'ouvrir et faire brûler l'une d'elles. Son attention est très défectueuse, il ne

porte aucun intérêt aux questions qu'on lui pose, ou bien il y répond par des

propos incohérents.

Lui demande-t-onson âge, il articule un grognement ; de même si on le prie

de dire son nom, il nous répond qu'il est ici depuis 203 ans. Ses propos cons-

tituent une verbigération dénuée de sens.B... est extrêmement suggestible

et présente des attitudes cataleptoïdes très accusées. Il conserve le bras ou la

j ambe en l'air pendant des heures entières. Le gâtisme est continuel, de jour

et de nuit. B... se barbouille fréquemment le visage avec ses excréments. Il

est tout à fait indifférent et on ne constate plus chez lui aucune trace de sen-

timents affectifs. Il n'est pas négativiste.

B... ne paraît avoir ni idées délirantes ni troubles sensoriels.

CLINIQUE MÉDICALE DE L'UNIVERSITÉ D'UPSALA (SUÈDE)

Service de D. le professeur K. PETRÉN,

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË

PAR

K. PETRÉN,

Professeur.

et

L. EHRENBERG,

Interne nia clinique.

(Suite)

Sur les troubles de la respiration.

Je remarquerai, d'abord, que déjà la paralysie des muscles abdominaux

cause, si elle est complète, des troubles de la respiration, car elle occa-

sionne une diminution de la force expiratoire. Dans la respiration calme,

ordinaire, ces troubles n'apparaissent pas ; mais, si l'on demande aux

malades de respirer plus fortement, les troubles deviennent manifestes.

Des actes respiratoires comme la toux sont toujours plus difficiles que

dans les conditions normales et n'ont qu'une force très diminuée. Dans

notre cas XIX avec paralysie complète des muscles abdominaux, nous

n'avions pas vu pendant longtemps de difficultés spéciales à respirer,

mais quand la malade fut atteinte d'une pneumonie, nous eûmes l'occa-

sion d'observer combien la respiration était devenue difficile et insuffisante

à un point et d'une façon qu'on ne pouvait attribuer la pneumonie-

seule. Toutefois, quand la paralysie n'atteint pas les muscles de la respi-

ration autres que les muscles abdominaux et quand n'apparaissent pas de

complications spéciales, il n'y a pas de grands troubles de la respiration

et l'importance pratique de ces troubles n'est pas considérable. Cela a été

déjà nettement démontré par Duchenne.

Nous avons donné ci-dessus des raisons qui appuient l'idée émise par

Wickman, qu'on aura probablement ^toujours une paralysie des muscles

abdominaux quand il va paralysie et des membres inférieurs et de l'un

au moins des membres supérieurs. Cette règle s'explique par la tendance

prononcée de la lésion anatomique dans la poliomyélite aiguë à se conti-

nuer sans interrupiion le long d'une grande partie de la moelle.

Mais, si cette règle se vérifie pour les muscles abdominaux, on aura

les mêmes raisons de conclure que le cas serait le même pour les autres

muscles innervés par les nerfs thoraciques, c'est-à-dire surtout les mus-

cles intercostaux. La conséquence, c'est qu'on aurait, dans tous les cas

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 547 7

présentant l'extension indiquée ci-dessus de la paralysie des membres,

des troubles de la respiration thoracique, c'est-à-dire ou faiblesse ou

paralysie (exception faite, bien entendu, pour les parties supérieures du

thorax où les mouvements d'inspiration peuvent être dus à l'action des

inspirateurs auxiliaires du cou).

Est-ce que l'expérience confirme cette idée ? Si je considère nos cas

observés à la phase aiguë, les seuls qui aient une valeur réelle pour

juger de cette question, il y en a deux (XVII, XVIII) où il y a eu parésie

ou paralysie des deux membres inférieurs et de l'un ou des deux mem-

bres supérieurs et où nous n'avons pas observé de troubles respiratoires.

Il est vrai que, dans le cas XVII, il n'y avait qu'une parésie légère de

l'un des membres supérieurs, qui a d'ailleurs disparu en peu de temps .

Dans le cas XVIII, il s'agit d'une enfant âgée de deux ans et demi et

l'étude de ces problèmes est assez difficile sur un sujet lie cet âge.

Dans les cas XI, XVI et XXV, il a été constaté que les malades avaient

pendant la phase aiguë une certaine difficulté à respirer, qui ne s'est

pourtant manifestée que par l'impossibilité de faire des inspirations aussi

profondes que dans les circonstances normales. En outre, il faut remar-

quer que ces troubles peu graves de la respiration ont disparu en peu de

temps. Dans le cas XIX, nous avons constaté une respiration très fré-

quente et très difficile, mais nous n'avons pas observé qu'il ait existé

aucune forme typique de troubles respiratoires.

En résumé, nos observations rapportées ici ne semblent pas parler

contre l'idée qu'il y aura toujours des troubles de la respiration thora-

cique quand la paralysie a atteint à la fois les membres inférieurs et les

membres supérieurs ; mais, évidemment, notre expérience est beaucoup

trop limitée pour permettre une réponse à cette question, que nous som-

mes ainsi obligés de laisser pendante.

Les cas de poliomyélite aiguë où la mort survient pendant la phase

aiguë nous donnent en général les meilleures occasions d'étudier les

troubles de la respiration. Je donne ici l'hisloire de trois cas de ce genre,

que j'ai observés. -

OBSERVATION XXXI. E. J..., garçon âgé de 15 ans, de Froetuna, entre

à la clinique le 8 novembre 1907, mort le 9 novembre.

Le 3 novembre, le garçon s'est senti abattu ; il s'est plaint de douleurs dans

toute la tête, entre les épaules et dans tout le dos.

Le novembre, il a encore travaillé, mais il avait des douleurs dans le dos

et mal à la tête. On a observé qu'il avait ce jour-là une certaine raideur de la

nuque et la tête fléchie en arrière. Il avait aussi des frissons et quelques pe-

tits vomissements.

Le 5 novembre il est resté au lit. Pendant la nuit du 5 au 6 novembre, est

548 PETREN ET LHRENBERG

apparue, après quelques petites secousses, une parésie du membre supérieur

droit. Puis sont venus des frissons, alternant avec de la transpiration. Les

douleurs dans la tête et dans le dos ont persisté.

Elat le 8 novembre. Le matin, un vomissement ; constipation depuis le

4 novembre. Dans l'anse sigmoïde on trouve à la palpation de grandes scyba-

les. Il y a 0,02 0/0 d'albumine dans l'urine.

La tête ne peut point du tout être fléchie en avant ; on peut l'incliner de côté

ou lui faire des rotations, mais ces mouvements sont restreints et causent une

douleur considérable. Le malade manifeste de la douleur quand on exerce une

pression sur les premières vertèbres dorsales, mais non sur les vertèbres cer-

vicales. Quand il tousse ou se mouche, il ressent des douleurs dans le cou.

Il y a une parésie prononcée du membre supérieur droit. Il n'y a aucune

respiration abdominale, mais la respiration est d'un pur type costal, sa fré-

quence est 30. Il y a une cyanose légère de la face et le pouls est faible et ir-

régulier, 70. Les pupilles sont assez grandes, la réaction pour la lumière se

maintient. Les mouvements de bulbes sont libres, le malade est apathique,

mais il n'y a pas de gros troubles de la couscience.

Le 9 novembre. Aux lèvres, cyanose plus prononcée ; nystagmus, conscience

altérée. A 1 heure de l'après-midi la ponction lombaire était faite. Nous avons

trouvé une pression de 170 millimètres et avons pris 10 centimètres cubes d'une

liqueur qui est un peu louche. La pression tombe à 150 millimètres. Pendant la

ponction, le malade n'a montré aucune réaction.

Des laxatifs (huile de ricin) et des lavements d'eau et d'huile ont été sans

effet ; ensuite de grandes scybales ont été tirées avec les mains du rectum.

Vers le soir la cyanose a encore augmenté, la respiration est devenue plus

difficile et pendant la dernière heure le pouls est devenu fin comme uu fil

extrêmement faible, avec une fréquence de 120. Il est mort à 8,30 du suir. A

la clinique il n'y avait jamais de fièvre.

Observation XXXII,. - A. W..., caissier, âgé de 36 ans, d'Upsala, entre

à la clinique le 30 septembre 1907, mort le 1er octobre.

Le malade avait contracté la syphilis, il y a un an. Depuis ce temps il avait

été régulièrement traité au mercure par un médecin. D'ailleurs, rien de re-

marquable dans l'histoire antérieure du malade.

Le 23 septembre environ le malade s'est senti un peu abattu et il avait de

légers frissons. Le 26 septembre, une céphalalgie intense a commencé et il

s'est senti plus malade, mais il pouvait encore accomplir son travail. Le jour

suivant encore de la céphalalgie, des frissons et le soir une forte fièvre ; alors

il était anxieux et par suite d'une sensation vague et désagréable au milieu du

dos il ne pouvait rester calme.

Vers midi, le 28 septembre, il a observé que le membre inférieur droit était

faible ; le soir, il pouvait encore avec de l'aide faire quelques pas, mais les

deux membres inférieurs étaient affaiblis. Pendant la nuit du 29 au 30 sep-

tembre, est aussi apparue une parésie du bras droit.

Etat le 30 septembre. Il ne reste que quelques mouvements extrême-

érodes CLINIQUES SUR LA POLIOMYELITE AIGUË 549

ment faibles dans les membres inférieurs. La motilité du bras droit est très

restreinte. Il y a paralysie du tronc, paralysie aussi de la vessie et le malade

a été cathétérisé.

La respiration est très difficile et on ne voit aucun mouvement du thorax ;

il est évident, que la respiration se fait seulement par le diaphragme, mais à

en juger d'après les mouvements de l'abdomen pendant la respiration, il semble

([use les mouvements du diaphragme soient assez faibles. La respiration est t

fréquente. Le pouls était d'abord un peu faible, mais, après des injections de

camphre, il s'est amélioré. La température était, le soir, de 38°I.

Le malade maintenant ne se plaint plus de mal de tête ni de douleurs dans

le dos. La sensibilité cutanée est normale. Pas de troubles de la conscience.

Pas de signes que l'on puisse attribuer à une syphilis manifeste.

Le 1 ? octobre. la dysphagie est apparue. Le malade a aussi une difficulté

prononcée à parler, qui est due à la respiration insuffisante. Il meurt à 3 heures

de l'après-midi, évidemment par suffocation à cause de mouvements respira-

toires insuffisants et avec la conscience tout à fait claire jusqu'au dernier

moment. La température était, le matin, de 38°6.

Observation XXXIII. S. P..., âgé de 20 ans, étudiant à l'Université

d'Upsala, entré à la clinique le 29 janvier, mort le 30 janvier.

(L'état du malade pendant le temps où nous l'avons observé nous a rendu

difficile d'obtenir des informations sur l'anamnèse). Le 27 janvier le patient

s'est senti indisposé et fiévreux avec des transpirations, mais il est resté de-

bout. Le lendemain il s'est mis au lit. Pendant ce jour il a senti une faiblesse

des membres supérieurs, mais aussi des symptômes qui indiquent une parésie

du tronc ; car il s'est senti le tronc en quelque sorte brisé et il ne pouvait

marcher qu'avec beaucoup de difficulté. Vers le soir ce symptôme semble avoir

beaucoup augmenté, car il ne pouvait plus alors s'asseoir dans le lit. Il est venu

un « mal de gorge » pendant le même jour, et il semble que le malade lui-

même ait présumé une angine, mais probablement c'est la parésie de la déglu-

tition qui commençait, car les difficultés de la déglutition ont rapidement

augmenté pendant le cours du jour.

Pendant.la nuit suivante, vers deux heures du matin, il a senti que la diffi-

culté de respirer commençait. Cette difficulté a aussi augmenté très rapide-

ment. Vers 9 heures du matin il a été transporté à l'hôpital et, à cause de la

difficulté de la déglutition,on l'a mis d'abord à la clinique chirurgicale ; là on

a trouvé une cyanose très considérable et un pouls arythmique. On le croit

mourant, mais, après avoir employé des stimulants (camphre et digalène), on

voit le pouls s'améliorer et aussi l'état général du malade. Le malade a été en-

suite transporté à la clinique interne.

Flat le ^janvier vers 11 heures du malin. La conscience du malade

n'est point du tout altérée, mais il a une très grande difficulté à parler. Le

trait qui domine le tableau clinique, c'est la difficulté énorme à respirer. En

l'examinant de plus près, on découvre qu'il n'y a pas la moindre trace d'une

respiration abdominale- Les mouvements du thorax sont aussi très restreints,

550 PETREN ET EHRENBERG

toutes les côtes inférieures restent tout à fait en repos et en effet il semble que

ce soient seulement les muscles auxiliaires de la respiration dans le cou qui se

contractent. Ainsi la respiration est très insuffisante,le malade a une sensation

de dyspnée et ouvre largement la bouche à chaque inspiration.il y a une cyanose

nette de la face. Le pouls est maintenant régulier, d'une amplitude et d'une

tension à peu près normales.

La déglutition est absolument impossible ; des essais répétés nous appren-

nent qu'aucune goutte d'eau ne peut passer la gorge. Toutefois, la langue n'est

pas paralysée, mais dévie à gauche quand il la tire. Il y a uue parésie pronon-

cée du nerf facial inférieur droit.

Il y a une parésie presque complète de tout le membre supérieur droit et une

parésie très développée du gauche. On ne peut constater aucune contraction

des muscles abdominaux. Pas de réflexes abdominaux. La motilité des mem-

bres inférieurs est mieux conservée ; cependant, la jambe gauche est plus

faible que l'autre. Le réflexe patellaire est très affaibli il gauche, à droite il

est conservé et à peu près normal. Le symptôme de Kernig est très peu déve-

loppé ; car on peut relever la jambe, avec le genou étendu, de façon à former

un angle de 80 degrés.

Il n'y a pas de raideur de la nuque bien marquée. Le malade n'éprouve pas

de douleurs quand on presse sur la colonne vertébrale. Il peut tourner la tête

de côté, mais ne peut la lever, évidemment à cause d'une parésie musculaire;

car on peut lui faire faire ce mouvement.

L'insuffisance de la respiration semble augmenter et en même temps la cya-

nose. N'ayant point du tout la conscience troublée, le malade a la sensation

très nette qu'il va mourir d'une suffocation causée par la paralysie des mou-

vements respiratoires et il déclare lui-même qu'il mourra « dans 5 minutes ».

Dans cette situation tragique et extrêmement pénible, nous avons décidé après

quelques hésitations de pratiquer la respiration artificielle. C'était entre

11 heures et midi. Depuis ce moment la respiration artificielle a été continuée

sans interruption jusqu'à la mort, pendant 27 heures. D'abord, l'état du ma-

lade s'est amélioré, la cyanose a diminué et l'anxiété semble disparaître ; le

pouls continue d'être assez bon. Cependant l'état du malade reste par ailleurs

tout à fait le même : il ne peut faire de mouvements respiratoires, si l'on in-

terrompt la respiration artificielle ; la paralysie de la déglutition continue à être

Complète.

Pendant le cours du jour on remarque qu'il y a une paralysie de la vessie

(cependant il a pu uriner lui-même le 29 janvier au matin avant de venir à

l'hôpital) et il est cathétérisé quelquefois.Pendant le jour il se plaint beaucoup

de la soif ; nous essayons de lui mettre dans la bouche de petits tampons de

coton imbibés d'eau. De plus nous faisons dans l'après-midi une injection

sous-cutanée avec une solution de glycose.

Pendant la nuit le malade ne pouvait naturellement pas dormir et il est de-

venu de plus en plus fatigué. Le 30 janvier au matin nous avons introduit une

sonde dans l'estomac sans difficultés spéciales et lui avons donné du lait, etc.

Pendant le cours de ce jour la conscience se trouble progressivement et le

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 551

pouls devient plus mauvais. Puis il meurt, d'une paralysie du coeur, semble-

t-il, entre 2 et 3 3 heures de l'après-midi.

Les histoires de ces trois cas nous donnent des exemples de types diffé-

rents des paralysies respiratoires. Dans le cas XXXI, nous avons le pur

type d'une paralysie du diaphragme, tandis que la respiration thoracique

est conservée. Il est intéressant de remarquer que la paralysie n'avait

atteint, dans ce cas, que l'un des membres supérieurs et pas les membres

inférieurs; en conséquence, le fait que la respiration thoracique était

conservée n'est point du tout en opposition avec notre idée sur le caractère

delà lésion anatomique dans la poliomyélite et sur sa tendance à se répan-

dre sans interruption le long de la moelle. Tous les symptômes sont expli-

qués par une lésion ne s'étendant pas au-dessous de la moelle cervicale.

Une paralysie du diaphragme dans la poliomyélite semble être rare.

Wickman en publie deux cas (dans tous deux, la paralysie avait com-

mencé par les membres inférieurs), mais il ne semble pas connaître de

cas publiés par d'autres auteurs. Cependant Gowers remarque que « the

diaphragna is occasionally paralysed ».

Récemment j'ai eu l'occasion d'observer pendant longtemps un cas avec

paralysie absolument complète de la respiration thoracique. Il s'agissait

d'une compression de la moelle dans la région du renflement cervical avec

paralysie et anesthésie complètes au-dessous de la lésion. La compression

a été causée par une maladie de la colonne vertébrale, que je considérais

comme une spondylite tuberculeuse, mais que l'examen anatomique a

révélé être un sarcome à cellules géantes. Exception faite pour les inspi-

rateurs auxiliaires du cou, ce malade a respiré seulement par le diaphragme

et la plus grande partie du thorax est restée immobile. En réalité, il y avait

pourtant des mouvements des espaces intercostaux à chaque inspiration :

car on voyait un tirage de ces espaces, ils montraient une dépression con-

sidérable. C'est là naturellement la conséquence d'une aspiration que rien

ne peut contrebalancer à cause du manque absolu des tonus des muscles

intercostaux paralysés. Le tirage intercostal apparaît le plus pour les es-

paces intercostaux supérieurs, sur le côté antérieur du thorax.

Ce malade est resté à peu près deux années dans cet état. Il a eu plu-

sieurs fois, surtout pendant les derniers temps, des accès de bronchite

très graves et, pendant ces périodes, son état était vraiment épouvantable,

la toux et le pouvoir d'expectoration étant presque disparus. Cela dépen-

dait évidemment, en outre, de la paralysie absolue des muscles abdomi-

naux que présentait également le malade. Il a semblé à plusieurs repri-

ses, pendant ces accès de bronchite, être près de suffoquer. Wickman

conclut que la paralysie des muscles intercostaux serait mieux supportée

que la paralysie du diaphragme. Cette observation que nous avons faite

552 PETRÉN ET EHRENBERG

n'appuie pas cette conclusion, au moins pas dans les cas où la paralysie

atteint en même temps les muscles intercostaux et les muscles abdominaux.

En traitant des troubles respiratoires causés par des paralysies spinales,

je veux aussi attirer l'attention sur une observation que nous avons faite

dans le cas XXVI publié ci-dessus. Comme il s'agit d'une paralysie com-

plète due à une lésion spinale des segments thoraciques les plus supé-

rieurs, il y avait une respiration purement abdominale par les mouve-

ments du diaphragme. Depuis que la paraplégie est passée à un type

spasmodique, des contractions fortes et involontaires des muscles paraly-

sés, et aussi des muscles abdominaux, peuvent être provoquées très faci-

lement par des irritations de la paroi abdominale, même par des contacts

assez légers. Il est bien évident que, pendant tout le temps où les mus-

cles abdominaux sont en contracture, cesse l'inspiration par l'action du

diaphragme, inspiration qui se fait par l'extension de l'abdomen. Cepen-

dant, l'état de contraction des muscles abdominaux a une durée si courte

que les troubles respiratoires qui en résultent ne semblent pas avoir une

importance réelle ; en tout cas, c'est une forme de troubles respiratoires

qui garde un intérêt théorique et qui n'a pas été décrite auparavant, au-

tant que je sache.

La possibilité de tousser est, chez celle malade, également très diminuée.

Toutefois, quand elle essaie de tousser, les muscles abdominaux passent

à l'état de contraction ; mais il est très difficile de décider si ces contrac-

tions sont volontaires ou si c'est la tentative faite par la malade pour tous-

ser qui a provoqué ces contractions, de la même façon que des irritations

extérieures quelconques causent des contractions involontaires des mus-

cles atteints par la paralysie spasmodique. Nous croyons que cette dernière

supposition correspond à la réalité ; néanmoins, on ne peut nier que ces

contractions, même si elles sont involontaires, puissent jusqu'à un certain

point faciliter la toux et l'expectoration.

Chez nos deuxautres sujets atteints de poliomyélite qui sont morts pen-

dant la phase aiguë (XXXII, XXXIII), il s'est agi d'une paralysie complète

de la respiration, exception faite pour les inspirateurs auxiliaires du cou.

Dans le cas XXXII, il y avait d'abord une paralysie de la respiration thora-

cique et plus tard (c'est-à-dire le même jour et le lendemain) la parésie

du diaphragme s'est développée sous nos yeux. Par suite, le malade est

mort par une suffocation et n'a point eu la conscience troublée jusqu'au

dernier moment. Comme la paralysie avait commencé par les membres

inférieurs et qu'il est survenu plus tard une paralysie de l'un des membres

supérieurs également, ce cas nous fournit un exemple du vrai type d'une

paralysie ascendante.

Dans le cas XXXIII, j'ai observé également une paralysie, tant de la

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 553

respiration abdominale que de la respiration thoracique, mais les troubles

respiratoires étaient déjà au terme de leur développement quand j'ai vu

pour la première fois le malade, et, par conséquent, je ne sais pas si la

paralysie]de la respiration a commencé par le diaphragme ou par les mus-

cles intercostaux. D'après les informations données par le malade, on ne

peut décider si les premiers signes de la paralysie sont apparus au tronc

ou aux membres supérieurs. Toutefois comme les membres inférieurs ne

sont pas restés libres et comme le bulbe a été également atteint, ce cas

nous est un exemple d'une paralysie se répandant et dans la direction

ascendante et dans la direction descendante. Wickman remarque que la

paralysie, chez les malades qui meurent de la maladie, peut être soit ascen-

dante, soit descendante. Cependant, il ne donne pas d'exemple d'un cas de

cette espèce avec paralysie descendante.

Dans le cas XXXIII, j'ai vu ce qui est tout à fait en accord avec no-

tre observation XXXII que le malade était tout près de mourir d'une

pure suffocation sans aucun trouble de la conscience. Mais l'étal s'est

modifié quand nous avons commencé à pratiquer la respiration artificielle,

qui a été continuée pendant 27 heures. Mes observations dans ces deux

cas me font considérer comme probable que, pour une mort par suffoca-

tion résullant d'une paralysie aiguë et presque complète de la respiration

due à une affection spinale (pas bulbaire), le fait que la conscience n'est

point du tout troublée jusqu'au dernier moment peut être caractéristique.

Puisque j'ai écrit ces lignes, je trouve que Leegaard, qui a rapporté 84 cas

mortels pendant la grande épidémie norvégienne, remarque que chez la

plupart la mort est survenue sans qu'aucuns troubles de la conscience

soient apparus. Dans des cas semblables, si l'on prolonge la vie par la

respiration artificielle, il est facile de comprendre que les conditions sur

ce point peuvent changer.

Dans les deux derniers cas (XXXII, XXXIII), il a existé en outre des

symptômes bulbaires. Dans le cas XXXII, il y avait une dysphagie et

dans le cas XXXIII j'ai observé une paralysie complète de la déglutition,

une déviation de la langue et une parésie faciale unilatérale. Le fait que

les nerfs crâniens moteurs et surtout les nerfs situés au-dessous du sixième

peuvent être atteints par la poliomyélite est, depuis le travail de Medin,

si connu que je ne m'en occuperai plus.

Quoiqu'il y eût des parésies bulbaires dans ces deux derniers cas de

poliomyélite, je ne crois pas, néanmoins, que les paralysies de la respi-

ration qui ont été observées puissent être mises en rapport avec une lésion

du bulbe. D'abord, il faut remarquer qu'il n'a pas existé de paralysie des

fibres motrices du pneumogastrique, caria voix était normale autant qu'on

a pu en juger, et dans la mesure où la respiration insuffisante rendaitpos-

XXII 37

5a4 PETRÉN ET EHRENBERG

sible aux malades de dire quelques mots. En outre, il est bien reconnu

par les physiologistes que le centre bulbaire de la respiralion est un centre

de coordination. Mais, dans ces cas, les muscles de l'inspiration qui étaient

conservés, c'est-à-dire les inspirateurs auxiliaires du cou, travaillaient

avec un rythme régulier et une intensité augmentée. En conséquence, on

peut conclure que le centre bulbaire pour la coordination de la respiration

n'est pas atteint.

Wickman a remarqué combien il est difficile de faire une distinction

entre les troubles de la respiration dus à une lésion du noyau du dia-

phragme et des muscles intercostaux et ceux qui sont dus à la lésion du

noyau du pneumogastrique (il est probablement plus exact de parler du

centre bulbaire de la respiration que du noyau du pneumogastrique). Il

rapporte des observations où des troubles respiratoires ont apparu sous

forme d'attaques qu'il regarde comme un symptôme bulbaire, avec raison,

je crois.

En général, les auteurs n'ont peut-être pas assez fait la distinction entre

les symptômes dus à des paralysies spinales des muscles de la respiration

et ceux qui sont dus directement à une lésion bulbaire. Je suis persuadé

qu'il est souvent très difficile de faire cette distinction. Peut-être n'a-t-on

pas assez étudié les différents types possibles de troubles bulbaires de la

respiration. Par exemple, l'influence des fibres centripètes du pneumo-

gastrique sur la respiration, son rythme, etc., est beaucoup étudiée par

les physiologistes, mais on n'a pas encore nettement constaté, dans des cas

de maladies bulbaires, s'il peut exister des symptômes se rapportant à un

trouble de cette fonction du pneumogastrique.

En traitant cette question, je veux attirer l'attention sur une forme

tout à fait spéciale de trouble respiratoire qu'on peut voir dans des cas

de tumeur du cerveau (ou d'autres maladies ayant un effet correspondant

sur le cerveau) et qui est évidemment la conséquence d'un trouble d'une

fonction bulbaire. Il y a déjà quelques années que j'ai observé des cas de

cette nature où le trouble respiratoire s'est montré par un arrêt soudain

de la respiration amenant la mort, malgré que l'action du coeur continue,

d'abord d'une façon normale. J'ai déjà insisté sur ce fait dans un travail

paru en suédois (80).

1° La première fois que je l'ai rencontré, c'était dans un cas de gliome du

cervelet chez un enfant observé d'abord à la clinique médicale chez qui plus

tard mon collègue, le professeur Lennauder, a pratiqué la première partie de

l'opération. Dans ce cas, la respiration s'est arrêtée pendant la nuit qui suivit

l'opération. On a pratiqué la respiration artificielle pendant quelques heures et

le coeur a continué de fonctionner tout ce temps-là. Puis la mort est venue. A

la clinique j'ai abservé presque la même chose dans quelques autres cas que je

veux brièvement citer ici.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 555

2° Chez une femme âgée de 21 ans, observée à la clinique, chez qui le dia-

gnostic était encore indécis et les signes d'une maladie organique du cerveau

non évidents, un arrêt de la respiration est survenu presque soudainement ;

auparavant la malade avait seulement pendant quelques heures montré une

espèce de torpeur cérébrale et uriné dans le lit. Quand la respiration s'ar-

rêta, la cyanose s'établit, mais le pouls était à peu près normal. La respi-

ration artificielle a été pratiquée pendant deux heures, mais, comme l'action

du coeur commençait à devenir irrégulière et que le coeur avait des contractions

sans que le pouls fût appréciable, on a interrompu la respiration artificielle

et, au bout de dix minutes, il n'y avait plus aucun signe de fonctionnement du

coeur..L'autopsie a révélé une hydrocéphalie paraissant causée par un rétrécis-

sement de l'aqueduc de Sylvius. Malheureusement, on n'a pas noté s'il y avait

un aplatissement du cervelet.

3° Chez une femme âgée de 30 ans, observée à la clinique, et pour laquelle j'ai

fait le diagnostic de tumeur du cerveau, à gauche, probablement du lobe

temporal, mais chez laquelle les symptômes ne semblaient pas encore être

graves, un arrêt de la respiration s'est produit tout à fait à l'improviste, une

cyanose est apparue et la respiration artificielle a été commencée. Dans ce cas,

le fonctionnement du coeur a continué d'être assez bon, mais au bout de six

heures et demie le coeur a cessé presque subitement de fonctionner. L'examen

anatomique macroscopique ne nous a pas révélé de tumeur, mais seulement

une hypertrophie de la moitié gauche du cerveau qui semble être le plus déve-

loppée pour le lobe temporal ; en outre il y avait un aplatissement marqué de

la moitié correspondante du cervelet. Le cas est cité ci-dessus dans le tableau

résumant nos recherches sur le liquide céphalo-rachidiell (1).

4° Dans un cas (avec gros tubercule dans uue moitié du cervelet et abcès

tuberculeux dans l'autre et avec hydrocépalie), cité ci-dessus dans le même e

tableau, la respiration a cessé soudainement quelques heures après la ponction

lombaire (Je ne crois pas que la ponction ait exercé d'influeuce spéciale sur

cette issue de la maladie, parce que tout le cervelet avait été détruit par les

processus morbides et l'état de l'enfant avait été depuis quelque temps déses-

péré). Dans ce cas, le coeur a continué de fonctionner de façon normale et la

respiratiom artificielle a été continuée pendant 15 heures. La mort est alors

venue par cessation du fonctionnement du coeur.

5° J'ai fait une autre observation qui nous semble ne pas masquer d'intérêt

pour cette question. C'est encore un cas de tumeur du cervelet observé d'abord

à la clinique médicale,et dans lequel plus tard mon collègue, M. le Prof.l)ahlgren

fit l'incision d'un grand kyste avec un résultat heureux pour plusieurs mois.

Cependant l'enfant est morte plus tard d'une tumeur solide du cervelet, comme

l'autopsie l'a montré. Dans ce cas, la fréquence de la respiration était tombée

jusqu'à 7 par minute le matin même de l'opération (c'est-à-dire avant le début

de la narcose) ; l'opération entière avec l'incision du kyste a été faite en une

(1) Le cas va être publié avec détail après examen histologique par mon élève,

M. le Dr C. Bergmark

556

PETREN ET EHRENBERG

séance. Il me semble à peu près sûr que cette malade était alors très près de

mourir par un arrêt de la respiration.

Ces observations, quoique peu nombreuses, démontrent toutefois qu'il

peut se déclarer un arrêt plus .ou moins soudain de la respiration dans les

cas de tumeur du cerveau et surtout du cervelet ou des autres maladies

qui peuvent amener une compression de la substance du cerveau. Selon

moi, nous ne pouvons rapporter un tel arrêt de la respiration qu'à une

paralysie du centre respiratoire du bulbe. Ce qui est surtout caractéris-

tique pour ces cas, c'est que l'action du coeur continue d'une façon nor-

male. Cette dissociation remarquable entre la fonction du centre respira-

toire du bulbe et la fonction du coeur, j'ai pu très distinctement la mettre

en lumière en prolongeant la vie dans les 4 premiers cas (1-4) par la res-

piration artificielle pendant quelques heures (jusqu'à 15).

Il est vrai qu'on peut dire que cette dissociation entre la respiration et

la fonction du coeur est bien en accord avec les résultats des travaux des

physiologistes qui prouvent que le coeur peut continuer à travailler long-

temps d'une façon normale, même si on l'a isolé de toute influence du

système nerveux. Cette considération est évidemment juste ; néanmoins

une semblable dissociation entre les deux fonctions vitales se prolongeant

pendant plusieurs heures n'a été jusqu'ici que très rarement constatée.

Comme je l'ai déjà dit, il faut rapporter l'arrêt de la respiration dans

ces cas à une paralysie du centre respiratoire dans le bulbe. Dans les cas

observés par moi et cités ci-dessus, il n'est pas difficile de trouver la cause

de cette paralysie : dans trois cas, il y avait une tumeur du cervelet, dans

un cas une hypertrophie unilatérale du cerveau qui avait entraîné un

aplatissement de la moitié correspondante du cervelet. Par conséquent la

naissance d'une compression du bulbe qui peut être la cause d'une para-

lysie de son centre respiratoire est facile à comprendre. C'est seulement

dans le dernier cas qu'il n'y a pas de notes sur un semblable aplatissement

du cervelet, mais la nature de la maladie du cerveau (hydrocéphalie) nous

explique sans difficulté la naissance d'une compression du bulbe.

Nous avons fait connaître une forme de troubles respiratoires se rappor-

tant au centre de la respiration dans le bulbe, troubles qui consistent en

un arrêt complet de la respiration entraînant la mort, soit immédiate-

ment, soit au bout de quelques heures, si l'on pratique la respiration ar-

tificielle. Sans doute, il y a encore d'autres formes de troubles respiratoires

qui sont dues à un trouble de fonctions du buble (par exemple, la respi-

ration du type de Cheyne-Stokes). Mais la question de savoir s'il existe

des formes de paralysie de la respiralion se rapportant à une affection du

bulbe autre que la forme décrite ci-dessus, et qui consiste en une para-

lysie définitive entraînant la mort, reste, selon moi, encore ouverte.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 557

Sur les troubles des sphincters.

Avant de finir ce chapitre, je veux ajouter quelques mots sur la question

de l'état des sphincters. Les auteurs de traités de la neurologie ont en gé-

néral indiqué que les sphincters ne sont que rarement atteints dans la

poliomyélite aiguë (Pierre Marie, Gowers, Sachs, Oppenheim), ou qu'ils

ne le sont jamais. Medin a rapporte deux cas avec paralysie de la vessie,

qui disparu en peu de temps, et Wickman raconte qu'une rétention

d'urine a 'apparu dans l'épidémie suédoise en 1905, in nicht wenigen

Fizllea, où la cathétéribation est devenue nécessaire pour plusieurs

(« mehrere ») jours.

Mon expérience m'a fait observer moi-même une rétention d'urine

dans 5 cas et, pour deux autres cas, j'ai appris que ce symptôme avait

existé auparavant. Dans les 6 cas (c'est-à-dire dans tous les cas, à l'excep-

tion du cas XVII) il est nettement indiqué que l'on a été obligé de cathé-

tériser les malades. Les troubles moteurs de la vessie n'ont pas été aussi

passagers qu'on semble le croire en général (dans les cas XI et XXIII la

cathétérisation a été continuée pendant une semaine ; dans le cas XXV, un

peu moins longtemps ; dans le cas XIX,4 jours).Dans les autres cas (XXXII,

XXXIII), il s'agit de malades morts le second jour après l'entrée à la cli-

nique ; par conséquent, ces cas ne peuvent fournir aucun renseignement

sur la question de la durée de ces troubles.

Il me semble remarquable d'avoir constaté si souvent des troubles mo-

teurs de la vessie puisque les 7 cas qui ont montré ce symptôme consti-

tuent 24 0/0 de mes observations ; mais, si nous ne regardons que les

cas observés à la clinique et pendant la phase aiguë de la maladie, ce

symptôme a été trouvé dans 5 cas sur 15, c'est-à-dire dans une propor-

tion de 33 0/0. Il est bien évident que cette fréquence de la paralysie de

la vessie que j'ai observée ne correspond pas à l'opinion généralement

acceptée. S'il faut sans doute admettre que la fréquence des troubles mo-

teurs de la vessie peut être différente dans les différentes épidémies,

néanmoins, mes observations nous apprennent qu'il n'est pas exact de

considérer les troubles moteurs de la vessie comme un moyen précieux

pour le diagnostic différentiel entre la myélite ordinaire et diffuse et la

poliomyélite.

La grande fréquence de ce symptôme viscéral constitue, à mes yeux, une

nouvelle preuve de la grande tendance qu'a la lésion anatomique de la

poliomyélite à se répandre pendant la phase aiguë d'une façon diffuse et

avec une grande extension dans la moelle.

558 . PETREN et EHRENBERG,

SUR LE pronostic ET le traitement de la poliomyélite aiguë.

Au début, je n'avais pas l'intention de me prononcer sur le pronostic

de la maladie qu'on pouvait croire assez étudié. Mais en regardant les

résultats observés chez mes malades, j'ai trouvé des raisons de traiter briè-

vement aussi cette question.

Au point de vue du pronostic, il y a deux problèmes à considérer : l'un,

quels sont les risques pour une issue fatale, l'autre, si l'on peut attendre

une restauration complète (et quand on la peut encore attendre) ? Quant à

la première question, on a jusqu'ici considéré en général la mort par la

poliomyélite aiguë comme quelque chose de très rare (Oppenheim, Sachs) ;

mais d'autres auteurs semblent admettre une fréquence un peu plus grande

de cette issue de la maladie (Gowers, Pierre Marie). Cependant, c'est sur-

tout Wickman qui a insisté sur la très grande fréquence des cas de mort

par la poliomyélite et pendant la phase aiguë de la maladie. D'après lui,

il y a eu 159 cas avec issue fatale dans l'épidémie suédoise de 1905. Cela

donne une mortalité de ! 2, 2 0/0, si l'on considère tous les cas de polio-

myélite qui sont venus à la connaissance de Wickman, mais de 16, 7 0 0

si l'on ne regarde que les cas où une paralysie s'est déclarée. Mais si l'on

prend seulement les cas concernant des individus âgés de 12 à 32 ans en

laissant de côté tous les enfants plus jeunes, on arrive, d'après la statis-

tique de cet auteur, jusqu'à une mortalité de 27, 6 0/0. Leegaard, qui a

traité de la grande épidémie norvégienne, indique 84 cas où la maladie a

amené la mort, ce qui donne une mortalité de 8, 8 0/0 ; mais si l'on éli-

mine les cas abortifs, la mortalité devient 14, 6 0/0.

Le fait que le pronostic dans cette maladie est plus mauvais pour les

individus plus âgés est considéré par Wickman comme tout à fait inconnu

avant lui. Cependant Dejerine et Thomas semblent avoir prêté une cer-

taine attention à ce fait, car ils indiquent la paralysie infantile comme

« rarement mortelle » ; mais ils disent que, pour la poliomyélite aiguë

chez l'adulte, « le pronostic doit donc être réservé » (en pensant au

danger d'une issue fatale).

Dans mes observations il faut exclure, pour juger de la mortalité, tous

les cas non observés à la clinique ; car dans ces cas, il s'agissait d'indivi-

dus vus en consultation quelques mois au moins après le début de la

maladie, et, par conséquent, il n'y a pas de cas mortels parmi ceux-là :

Sur les 15 cas observés à la clinique, il y a 3 morts, c'est-à-dire 20 0/0 ;

cependant il faut remarquer qu'un frère de la malade de l'observation

XIX est mort chez lui à la même époque d'une poliomyélite aiguë. Il me

semble plus exact de ne pas exclure ce cas, ce qui donnerait alors une mor-

talité de 25 0/0 (En outre, il est incertain s'il faut ou non exclure le cas

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYELITE AIGUË z)

XIX, où la malade est morte au bout de 5 mois d'une pneumonie lobaire,

car il est bien évident que la poliomyélite a eu beaucoup d'influence sur

le pronostic de la pneumonie).

Les malades observés par moi qui sont morts pendant la phase aiguë

étaient âgés de 15, 20 et 36 ans. Sur les 15 cas observés à la clinique, 8

ont plus de ')4 ans ; en conséquence, pour ces cas la mortalité est de

37, 5 0/0. Comme on le voit, nous n'avons pas eu d'enfants morts de la

poliomyélite aiguë et, par conséquent celle petite statistique'aussi bien

que l'expérience de Wickman citée ci-dessus, parle en faveur de celle

conclusion, que le danger de mort est plus grand quand la maladie ne

vient qu'après l'enfance.

Sans doute, il faut avouer que la mortalité peut être différente dans des

épidémies différentes et on ne peut nier que la mortalité ait peut-être été

plus grande dans la récente épidémie suédoise qu'elle ne l'est ordinaire-

ment.

Reste la question de savoir quel est le pronostic pour une restauration

de la motilité après une poliomyélite aiguë. En général, les auteurs consi-

dèrent comme une règle presque sans exception qu'il restera toujours une

paralysie (Gowers, Oppenheim). Sur ce point aussi Pierre Marie s'est

exprimé déjà en 1892 avec plus de circonspection : « Parfois, au bout de

plusieurs mois, certains auteurs disent même de plusieurs années, des

améliorations pourraient survenir. » ,

Grâce à l'expérience des dernières épidémies, notre idée sur le pronostic

de la poliomyélite s'est beaucoup modifiée ; car nous savons maintenant,

surtout par le travail de Wickman (comme aussi parle travail postérieur

de Leegard) qu'il peut se présenter pendant des épidémies un grand

nombre de cas avec symptômes méningitiques et autres symptômes carac-

térisant la phase initiale de la poliomyélite aiguë, mais jamais avec para-

lysie, et où néanmoins, en raison de l'existence d'une épidémie, nous

pouvons conclure qu'il doit s'agir de poliomyélite. En outre, il est connu

que les troubles moteurs de la poliomyélite aiguë peuvent quelquefois

disparaître en très peu de temps, par exemple en quelques jours ou en

un temps un peu plus long, Je ne m'en occuperai pas puisque mes

observations n'apportent aucune contribution à l'étude de ces questions.

Mais d'autre part mes observations m'ont donné raison d'examiner la

question de savoir si nous pouvons encore espérer une bonne issue, quand

des troubles moteurs ont existé déjà pendant des mois. On répond en

général par la négative (observez toutefois la ci talion de Pierre Marie faite

ci-dessus). Wickman n'a apporté aucune contribution à la solution de cette

question, car il n'a pas fait ses observations dans une clinique et n'a pu

suivre le développement postérieur des cas qu'il a étudiés.

560 PETREN ET EHRRNBERG

Parmi mes cas, il y en a un certain nombre où l'amélioration a été,

soit très considérable, soit plus ou moins complète. Quand je parle

d'une « amélioration considérable », je ne pense pas au fait observé dans

la plupart des cas de poliomyélite qu'au début la paralysie est plus

diffuse et que plus tard elle se limite à un nombre plus restreint de mus-

cles, mais je parle ici d' « une amélioration très considérable » pour les

cas où la paralysie ou parésie des muscles les plus atteints montrent un

tel degré de restauration que ces muscles retrouvent de nouveau une force

assez grande, sans être toutefois normale. Comme cas de cette espèce, je

compte trois cas où l'observation de la maladie s'étend (dans le cas II) à

3 mois après le début (dans le cas V) à 4 mois et (dans le cas VIII) à

deux ans. Dans ces cas, l'amélioration a continué pendant toute la durée

de l'observation.

Sauf ces cas, y en a quatre autres où la restauration a été complète

ou au moins assez complète pour qu'il n'y ait plus de symptômes bien

nets et certains. En outre, j'ai observé encore deux cas où il persiste

des troubles moteurs des muscles abdominaux, mais où la restauration

des mucles des membres semble être complète. Voici ces cas :

Observation VI, enfant âgée de deux ans, d'abord parésie d'un mem-

bre inférieur ; après un mois et demi, plus de parésie bien nette.

Observation IV, enfant âgée d'un an, d'abord parésie d'un membre

inférieur ; après dix mois, à peu près guérie.

Observation X, enfant âgée de 7 ans, d'abord paralysie complète des

deux membres inférieurs ; après 12 mois, les troubles moteurs des mem-

bres ont presque disparu, mais il reste encore une paralysie partielle

des muscles abdominaux.

Observation XII, garçon âgé de 16 ans, d'abord paralysie complète

d'un membre inférieur, parésie de l'autre; après deux ans, pas de symp-

tômes nets.

Observation XX, jeune homme âgé de 19 ans, d'abord parésie d'un

bras et (pendant un temps assez court, parésie moins développée des

deux membres inférieurs) ; après deux ans, il n'y a plus que de petites

traces de troubles moteurs de l'épaule.

- Observation XIII, femme âgée de 33 ans, d'abord paralysie complète

des deux membres inférieurs et du tronc; après trois ans. il n'y avait

dans les membres inférieurs qu'une diminution très modérée de la force

de quelques mouvements. Dans les muscles abdominaux et les muscles

du dos, parésie qui semble également disparaître.

Dans tous ces cas, j'ai observé moi-même où les malades m'ont indi-

qué que l'amélioration a continué pendant tout le temps qui a suivi les

premières phases de la maladie. Par conséquent ces observations nous

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 561

démontrent que la restauration des troubles moteurs peut se continuer encore

pendant plusieurs années . Si nous suivons la marche de la convalescence

aussi dans les autres cas où la restauration n'a pas atteint le même degré,

nous pouvons conclure que l'amélioration, après une poliomyélite, conti-

nue souvent ou peut-être même, en règle générale, pendant un temps

très long, c'est-à-dire pendant des années au moins si le traitement de la

maladie a été continué avec persévérance.

Ces observations parlent en outre en faveur de celte conclusion, qu'on

peut espérer une restauration complète, non seulement pendant les pre-

mières semaines après le début de la maladie, mais quelquefois encore

quand les troubles moteurs ont persisté plusieurs mois ou même quelques

années. Il va de soi qu'on 'peut espérer une guérison véritable, surlout

quand les troubles moteurs initiaux n'ont pas été trop intenses et n'ont

pas eu une extension trop grande. Néanmoins, mes observations prouvent

qu'on peut arriver à une guérison absolue ou à peu près telle, même s'il

a existé une paralysie complète de tout un membre inférieur et une

parésie de l'autre (obs. XII). (Ici je pourrais citer aussi le cas XIII,

où il y avait une paralysie complète des deux membres inférieurs, quoi-

que la restauration de la motilité des membres ne soit pas encore complète ;

car, d'après mon opinion, on a, dans ce cas, de bonnes raisons encore

pour espérer une restauration complète. De même, le cas X doit être rap-

porté ici, parce qu'il y a eu paralysie complète des deux membres infé-

rieurs et que la motilité des membres est depuis devenue presque nor-

male.)

Mes observations me semblent parler en faveur de la conclusion, qu'il

faut attendre assez longtemps, c'est-ct-dire quelques années , avant de se pro-

noncer définitivement et qu'on peut espérer dans quelques cas, même après

une ou deux années, nne guérison complète ou tout au moins une guérison

qui est complète au point de vue pratique. Autant que j'en puis juger, les

auteurs n'ont pas eu en général, une opinion aussi favorable sur le

pronostic de la maladie. La grande importance de l'examen électrique

pour faire le pronostic est admise par tous les auteurs, et je n'ai rien à y

ajouter.

Quant au traitement de lamaladie, je n'en dirai que quelques mots.

Pendant la phase aiguë, j'ai toujours fait traiter les malades par l'appli-

cation de sacs de glace le long du rachis. Mes raisons d'instituer ce traite-

ment ont été la grande fréquence des symptômes méningitiques (à l'ob-

servation clinique) et d'une infiltration cellulaire des méninges (à l'examen

anatomique) qu'on a constatée pour la poliomyélite aiguë. Nos recherches

démontrent que la pression du liquide céphalo-rachidien est souvent aug-

mentée ; par conséquent, nous pouvons conclure que la ponction lombaire

562 PETREN ET EHRENBERG ' .

est une méthode de traitement qui doit être essayée dans cette maladie.

D'accord avec l'opinion souvent soutenue pendant ces dernières années,

je crois qu'on doit réitérer la ponction lombaire si l'on a trouvé une pres-

sion augmentée. J'ai déjà insisté dans un chapitre antérieur sur la grande

importance qu'il y a de ne faire la ponction lombaire dans un but théra-

peutique qu'en mesurant la pression pendant tout le temps que le liquide

s'écoule. Il est bien évident qu'il est encore plus important de prendre

cette précaution quand on réitère la ponction. En général, j'ai en outre

employé un traitement avec du collargol, soit dans une solution pour la-

vements, soit sous la forme de l'onguent de Credé, mais je n'ose pas

me prononcer avec certitude sur la valeur de cette méthode de traitement.

En outre on a essayé des préparations de salicylate, etc.

Les méthodes pour traiter les malades pendant les phases chroniques,

traitements électriques, bain, massage, etc., sont si généralement admises

que je n'en parlerai pas. Mais il y a une méthode sur laquelle je veux spé-

cialement insister, c'est le traitement par exercices méthodiques. L'im-

portance de cette méthode ne semble pas être assez reconnue, bien que

quelques auteurs, comme Oppenheim et surtout Gowers, aient insisté sur

sa valeur. Il y a 5 ans quej'ai étudié, dans un travail en suédois (79), le

traitement des différentes maladies organiques du système nerveux (sauf

le tabes) par des exercices méthodiques. Je vais publier ce travail dans

une revue française (Archives de Neurologie) et je me permets d'y'ren-

voyer pour la description des détails de la méthode que j'ai employée.

En traitant des cas de poliomyélite, j'ai suivi la méthode qui y est dé-

crite pour la névrite périphérique pendant la convalescence. Ici, 'je ne

ferai qu'indiquer brièvement le principe de cette méthode : c'est de faire

exécuter systématiquement au malade les mêmes mouvements plusieurs

fois en opposant au mouvement le degré de résistance que le malade peut

encore vaincre.

Mais si le malade ne peut lui-même exécuter le mouvement, il faut que

le médecin, en aidant lemalade à le faire, procède très lentement et qu'il

exige du malade de s'efforcer le plus possible en employant toute la force

d'innervation qui : peut être conservée. Par ce moyen on arrive à ce que le

malade puisse exercer son innervation et ses muscles, même si leur force

ne leur permet pas d'accomplir par eux-mêmes les mouvements (parce que

le poids des membres oppose une trop grande résistance).

Le dernier principe pour le traitement des parésies considérables dues

à une affection du neurone pél iphérique a été, autant que je le puis sa-

voir, signalé par moi en premier lieu. Ces exercices doivent être poursui-

vis pour les différents mouvements qui montrent une force diminuée. Je

regarde comme très important d'examiner soigneusement force de tous

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE A1GUE 563

les mouvements des membres atteints et de pratiquer l'exercice partout où

l'on peut constater un degré quelconque de parésie. Je suis d'avis que le

traitement par cette méthode, si on le continue assez longtemps, peut

rendre de très grands services dans la convalescence qui suit la polio-

myélite.

Il y a encore une autre méthode par laquelle on peut arriver à faire

faire un exercice aux muscles qui ont une certaine force, mais qui n'en

ont pas assez pour exécuter les mouvements quand le poids du membre

(ou du tronc) forme un obstacle. Cette méthode consiste à faire pratiquer

aux malades les mouvements dans des bains d'eau. Quand on observe

attentivement des cas de poliomyélite pendant la convalescence, on trouve

en effet très souvent qu'il y a quelques mouvements que les malades peu-

vent exécuter dans les bains, mais qu'ils ne peuvent faire dans le lit.

Goldscheider a proposé d'utiliser ce fait pour le traitement et de faire

faire aux malades ces mouvements dans des bains. D'après mon opinion,

il est très bon de prescrire aux malades d'exécuter continuellement pen-

dant leur bain tous ces mouvements qu'ils ne peuvent faire que dans le

bain. C'est une prescription quej'ai toujours donnée à ces malades. Cepen-

dant, il me semble difficile d'arriver, par cette voie, à un exercice métho-

dique des mouvements parétiques, ce qu'on atteint plus sûrement par la

méthode indiquée ci-dessus.

Quelques considérations générales SUR la poliomyélite aiguë.

Dans les traités de neurologie, on indique presque toujours comme ma-

ladies différentes la paralysie spinale infantile et la poliomyélite (ou pa-

ralysie spinale) aiguë de l'adulte, même dans les cas où les auteurs, comme

Pierre Marie (62) (1892), insistent sur l'identité réelle des deux maladies.

Toutefois Gowers fait exception en traitant des « deux maladies » sous la

même rubrique. De même, les auteurs insistent sur la grande rareté de

cette maladie à l'âge adulte (Oppenheim, Dejerine et Thomas). L'expé-

rience des dernières épidémies rend nécessaire une modification fonda-

mentale de l'opinion antérieure sur ce point.

Wickman rapporte que sur 868 cas réunis par lui, il y en a 199 âgés

de plus de 14 ans. Je groupe ci-dessous mes observations d'après l'âge

où la maladie a commencé :

564 PETREN ET EHRENBERG

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 565

les cas sporadiques et les cas épidémiques s'expliquent tout simplement

par le fait que les cas sporadiques de poliomyélite aiguë sont facilement

méconnus s'ils sont d'un type différent du type ordinaire. A propos de

cette question, je me permets de citer encore une fois le passage suivant

de Pierre Marie (1892). « J'ai la conviction qu'un certain nombre de

décès infantiles considérés comme dus à la méningite ne sont autre chose

que des cas de paralysie infantile méconnus et dont les lésions ont amené

trop rapidement la mort pour que le tableau clinique de cette affection

ait pu se développer ». Pour ma part, je ne doute point que, si l'on prête

dans l'avenir assez d'attention aux aspects différents de la poliomyélite

aiguë et surtout aux symptômes du début, l'on ne retrouve dans les

cas sporadiques tous les types de la maladie qu'on a signalés dans les

épidémies.

Il reste à traiter la question principale de ce chapitre : quelles sont les

formes différentes de poliomyélite aiguë dont il faut admettre l'existence ?

C'est surtout Medin qui a décrit un certain nombre de formes différentes

de la paralysie infantile qui se rapporteraient à des localisations différen-

tes dans le système nerveux, savoir, sauf la poliomyélite ordinaire spinale,

une forme qu'il désigne comme polynévrite aiguë, une autre comme

ataxie aiguë, une comme poliomyélite aiguë bulbaire et enfin la poliencé-

pbalite aiguë.

(A suivre.)

INSTITUT D'ÉTUDES SUPÉRIEURES DE FLORENCE

. CLINIQUE MÉDICALE GÉNÉRALE

(Directeur : Prof. Sénateur PIETIIO GROCCO).

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU

GIGANTISME

AVEC UNE ÉTUDE COMPLÈTE DE L'ÉCHANGE MATÉRIEL

DANS CETTE MALADIE,

PAR

ETTORE LEVI et GIUSEPPE FRANCHINI

(Suite et et fin).

Études sur l'échange matériel.

Nous savons par la littérature que de nombreuses recherches ont été

faites par différents auteurs (Strumpell, Gauthier, Arnold, Vassale,

Franchini, Messedaglia, etc.), sur l'échange matériel dans l'acromégalie.

Ces recherches ont porté sur la constatation d'altérations notables (quoi-

que inconstantes) des échanges nutritifs chez ces malades et si elles n'ont

pas apporté aucune preuve décisive en faveur de la théorie endogénir¡ue

(Strumpell) de l'acromégalie, elles ont tout de même donné des résultats

encourageants à de nouvelles études et dignes en somme de grande

considération.

Ces recherches, déjà assez nombreuses pour ce qui regarde l'acromégalie,

font totalement défaut pour le gigantisme; le chapitre des altérations de

l'échange matériel dans le gigantisme est encore à faire, et c'est pour cela

que nous avons donné toute notre attention à l'étude de cette partie toute

nouvelle du problème.

Nous savons parfaitement que notre étude ne sera que la première

pierre d'un édifice futur, et que nos résultats ne pourront trancher aucun

des problèmes essentiels sur la pathogénie du gigantisme ; mais si dans

l'avenir les recherches des auteurs qui nous suivront sur la même voie,

confirment nos données, nous aurons au moins démontré que dans le

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 567

gigantisme comme dans l'acromégalie les échanges matériels sont toujours

altérés.

Si les recherches futures donnent en outre des résultats comparables

à ceux que nous allons résumer, nous serons alors en possession d'un

nouvel argument contre la théorie dualiste de l'acromégalie et du gigan-

tisme, car nos recherches personnelles nous ont montré que les altérations

de l'échange matériel dans notre cas de gigantisme sont en grande partie

analogues à celles que la majorité des auteurs ont constatées dans l'acro-

rnégalie.

Le peu qui a été fait jusqu'ici sur l'échange matériel des géants se

trouve résumé dans l'excellente monographie de MM. Launois et Roy :

nous verrons qu'il ne s'agit que de quelques examens urinaires d'ailleurs

incomplets. Ainsi, chez le géant Charles décrit par ces auteurs, la quan-

tité d'urine en 24 heures atteint 2.500 centimètres cubes, la densité

1.020, les chlorures 23 gr. 5, l'urée 36 grammes et les phosphates

4 gr. 31. Ils en viennent donc à la conclusion que l'urine est anormale

quant à la quantité et à l'élimination exagérée de chlorures, de phospha-

tes et d'urée. Chez le géant Simon Botis décrit par Buday et Jancso,

l'urine, d'abord normale, augmenta ensuite et contint du sucre. Dans

l'examen des urines du'géant acromégalique décrit par Achard et Laper,

on a trouvé 386 grammes de sucre en 24 heures, et des traces d'indican ;

ni albumine, ni urobiline. Mis à la diète de viande et au lait, le sujet

ne présenta plus dans son urine qu'une quantité insignifiante de sucre

(4 gr. en 24 heures). Dans un second examen des urines fait au retour

du malade dans la clinique, sur une quantité de 1.500 centimètres

cubes en 24 heures, la proportion de sucre fut de 21 grammes, celle de

l'urée et des chlorures fut normale ; 4 gr. 75 de chlorures et 17 gr. 21

d'urée par litre. Le point cryoscopique fut : 1° 32 ; albumine absente ;

traces d'indican.

Avant de commencer nos recherches, nous avons tenu notre patient

quelques jours aune diète très régulière lui faisant suivre dans notre

service un système de vie liés hygiénique ; après cette période nécessaire

de préparation, nous commençâmes l'étude systématique de l'échange

matériel pendant une période de cinq jours ; on administra au malade

ses aliments préférés, tous les jours en quantités égales. La qualité de la

nourriture était'identique parce qu'on avait eu soin de choisir en même

temps les provisions pour les cinq jours et de les conserver dans une

glacière. Les liquides étaient stérilisés. Le dosage des aliments du pre-

mier jour fut maintenu pendant les quatre suivants. On détermina les

proportions d'azote, de graisses, d'anidride phosphorique et d'oxyde de

calcium. Les urines étaient recueillies toutes les 24 heures et les matières

1

568 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI j

Tableau

Mario Palazzi, de Florence, 66 ans.

70 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI

fécales étaient séchées par périodes. Pour ces dernières on procéda au

même dosage que pour les aliments (Voir les tableaux spéciaux).

Dans les urines, outre la quantité, la densité et la réaction, on déter-

mina l'N total, l'N uréique par la méthode de Schôndorff, l'N non

précipitable avec le mélange chlorliydi-o-pliosplio-volplit-atiiiqiie ; par

différence entre l'N non précipitable et FN uréique, on trouva les amido-

acides ; par différence entre l'N total et l'N non on établit

la quantité de l'N précipitable, toujours au moyen du même mélange.

On dosa en outre l'H2 SO' total, 1111 ! Sol combiné et le soufre total ;

par différence entre l'Il-2 SO' total et l'Il' SOI combiné on obtint la

valeur de 1't-l" SO' préformé, et par différence entre le soufre total et

l'II2 SOI total le soufre neutre; nous dosâmes aussi les phosphates totaux

alcalins et terreux et le CaO. Nous avons étudié avec un soin spécial

les divers indices de putréfaction intestinale comme l'indican, le phé-

nol et le scatol et la scission des graisses en déterminant la proportion

des acides gras, des graisses neutres, de la colestérine et des savons

parce que justement dans l'acromégalie l'un de nous (Franchini) avait

trouvé des altérations évidentes de ces diverses substances.

En résumant les résultats obtenus, on trouve que (voir le tableau n° 1)

la quantité de l'urine dans les 24 heures fut normale, variant entre 1.600

et 1.200 centimètres cubes, toujours acide et d'un poids spécifique assez

élevé. Elle contenait des traces indosahles d'albumine, mais jamais de

sucre, même après l'essai de la glycosurie alimentaire en administrant à

jeun une solution de 150 grammes de glucose. Dans le sédiment, rien

de remarquable. La proportion d'N uréique sur le total, normale le

premier jour, diminua beaucoup les jours suivants, descendant à 42, 3

le quatrième jour.

L'N non précipitable descendit d'un chiffre normal de 91, 9 le premier

jour à un chiffre beaucoup moins élevé (minimum 68, 8 le second jour).

La proportion des amidons acides, bien qu'oscillante, fut très élevée le 2e,

le 3° et le fil, jour, atteignant ce dernier jour 34, 5 0/0. La quantité d'a-

zote précipitable fut aussi supérieure à la normale.

Quant aux différents groupes sulfuriques éliminés par les urines, il

faut remarquer que le soufre total se maintint toujours à un chiffre très

élevé, que le rapport entre le soufre neutre et le soufre total d'une part

et entre le soufre neutre elle soufre acide d'autre pari, ce dernier surtout,

atteignirent le premier jour 39 0/0 et le deuxième jour 37 0/0. L'acide

sulfurique combiné (éthers sulfuriques) surpassa du double le chiffre

normal et presque tous les jours on observa une réaction très forte de

l'indican du phénol et du scatol. Les phosphates totaux ne dépassèrent

pas le chiffre normal, sauf Ire troisième jour où ils atteignirent trois

grammes ; mais presque tous les jours, il y eut inversion de la formule,

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 571 I

le chiffre des terreux dépassant celui des alcalins (parfois plus du double).

L'élimination de la chaux, très forte les deux premiers jours, alla ensuite

en diminuant jusqu'à la normale.

Tableau n° II.

Tableau de l'azote el des différents groupes azotés.

572 ETTORE LEVI ET GH1SEPPE FRANCHINI

Tableau no IV.

Absorption.

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 573

cette dernière évidemment dans la seconde et surtout dans la troisième

période.

Le bilan total a donné une rétention de 10 grammes d'azote, un déficit

de 1 gr. 36 de P' 0' (V. le tableau n° IV) et une rétention de 0 gr. 14

de Ca 0.

Si maintenant nous essayons d'expliquer les résultats obtenus, nous

verrons que :

Pour les groupes azotés, la diminution de l'urée avec augmentation

relative des amido-acides, très frappante certains jours, prouve sans au-

cun doute une altération du parenchyme hépatique puisqu'on admet au-

jourd'hui que le lieu de production de l'urée est principalement le foie,

comme le démontre en effet sa diminution dans les maladies de cet organe

(cirrhose atrophique, atrophie jaune aiguë, empoisonnement par le phos-

phore, etc.).

Il en est de même de l'augmentation des amido-acides. L'augmentation

de l'azote précipitable doit être attribué aux quantités élevées de NHI, de

corps puriniques, de la créatinine, des diamines, etc.. Nous savons que la

production'd'une partie de ces substances est en rapport étroit avec les

fonctions hépatiques et leur augmentation pourrait être attribuée aux

causes exposées plus haut.

Vous n'attribuons aucune signification spéciale à l'inversion de la for-

mule des phosphates, étant donné la grande variété de maladies chez

lesquelles elle se produit ; une augmentation des phosphates terreux

pourrait résulter, plutôt que des substances introduites dans l'organisme,

d'une altération du système osseux qui est très riche en phosphates ter-

reux.

Il faut attacher, à notre avis, une importance spéciale aux variations

des soufres urinaires. Selon Salkowski, Réale et d'autres auteurs, l'inten-

sité des processus oxydalifs de l'organisme est déterminée en grande par-

tie par le rapport entre le soufre neutre et le soufre acide (H2 SOI total) :

les oxydations organiques sont d'autant plus intenses que la quantité de

soufre neutre en présence de l'acide est moins élevée et vice-versa.

Dans notre cas, le fait d'avoir trouvé ce rapport élevé indique une

diminution des processus oxydatifs dans l'organisme.

Que dire de la proportion des éthers sulfuriques ? Leur forte augmenta-

tion, comme dans notre cas, indique une augmentation dans l'intensité

des processus delà putréfaction intestinale ; ce fait est confirmé par l'exa-

men des différents produits de la putréfaction intestinale : scatol, phénol

et (en partie) indican. Ces substances donnèrent toujours des réactions

si manifestes, telles qu'on en voit rarement les pareilles, même dans les

maladies de l'appareil digestif, par exemple dans les catarrhes intestinaux

574 ETTORE LE'1 ET GIUSEPPE FRANCH1NI

accompagnés généralement de constipation. Il faut noter que les fondions

intestinales furent toujours très régulières et parfaites chez notre sujet

pendant la période d'étude de l'échange matériel. Il n'y a donc aucun

doute que le phénol, le scatol et très probablement aussi l'indican déri-

vent de la putréfaction dans l'intestin des substances albuminoïdes sous

l'action de bactéries protéolitiques spéciales.

Il est plus difficile d'expliquer la grande variabilité dans l'élimination

de la chaux ; ce fait est peut-être en rapport avec la cause et la forme même

de la maladie. Il est certain qu'après des pertes assez fortes dans l'orga-

nisme, comme il s'en est produit les premiers jours chez notre sujet, il y

a eu les jours suivants une tendance à la réparation, comme le prouve la

quantité de chaux normale de l'urine et la bonne absorption de la chaux

par l'intestin. L'un de nous (Franchini) a d'ailleurs constaté plus d'une fois

les mêmes faits dans une maladie qui a de nombreux traits communs avec

celle qui nous occupe et se greffe souvent sur elle : nous voulons parler

de l'acromégalie. Il ne faut pas voir dans notre cas le résultat d'une

introduction abondante, puisque le chiffre de 2 gr. 15 par jour n'est pas

excessif. Nous préférons supposer qu'à des périodes d'accumulation de

cette substance dans l'organisme succèdent des périodes de forte élimina-

tion (comme le ferait supposer l'échange en question et comme il arrive

peut-être par exemple dans la maladie de Basedow), par suite de l'état de

santé des malades qui s'améliore ou empire. Le fait mérite d'être étudié

et des recherches nouvelles faites pendant les diverses périodes de la

maladie pourront l'éclaircir.

Pour les graisses, nous le répétons, l'ahsorption ne montre rien de re-

marquable, mais leur décomposition présente des altérations. En effet, là

où les acides gras et les savons devraient atteindre, dans des conditions

physiologiques, le chiffre de 80 0/0 environ des graisses totales, nous trou-

vons ici, dans la première période, l, 5 0/0 et le reste est fourni par les

graisses neutres et la colestérine ; dans la seconde période, 54,9 0/0 et

dans la troisième, 74, 4 0/0. Les graisses neutres vont d'un minimum

de 14,3 à un maximum de 30, 3 0/0 et la colestérine de 11, 3 à 35, 7 0/0.

Quelle signification devons-nous attribuer à ces faits ? Nous nous borne-

rons à transcrire ce que Millier a établi pour l'absorption et la scission

des matières grasses dans l'intestin, c'est-à-dire : « Exclusion de la bile,

mauvaise absorption des graisses et bonne scission ; exclusion du suc pan-

créatique, absorption] assez bonne et mauvaise scission ; exclusion des

deux sucs, mauvaise absorption et mauvaise scission. »

Bien qu'on ne puisse pas donner à ce schéma une valeur absolue, il y

a lieu d'en tenir sérieusement compte, et nous serions enclins à admettre

qu'il y a, dans le cas qui nous occupe, des altérations pancréatiques d'au-

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME ¡)7J

tant plus que chez les géanls, on a souvent trouvé à l'autopsie des altéra-

tions du pancréas ; chez ces malades, on a aussi fréquemment observé, de

leur vivant, du diabète. On a beaucoup discuté sur l'origine de cette der-

nière affection, mais on ne peut nier que souvent son origine est liée à

l'altération de cet organe.

. Nous sommes d'autant plus portés à admettre cette hypothèse que, fai-

sant un parallèle entre le gigantisme et l'acromégalie, nous avons pu véri-

fier son exactitude dans les nombreux échanges organiques auxquels on a

procédé dans cette dernière maladie : des autopsies nombreuses ont aussi

montré dans l'acromégalie des altérations du pancréas.

Passons maintenant à l'examen du sang :

576 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI -

précédent l'un de nous (Franchini) a déjà eu l'occasion de montrer qu'il

n'est pas exact de parler d'alcalinité à propos du sang, qui d'après la théorie

des ions doit être considéré comme un liquide à réaction neutre. Il est

préférable donc de parler de la propriété du sang de s'approprier à un

degré plus ou moins élevé les acides de l'organisme.

L'examen chimique du sang nous a donc donné les résultats suivants :

Tableau n° V.

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 577

santé. Les deux dernières suppositions peuvent être mises de côté en

harmonie avec ce que nous avons déjà dit ; il nous reste à discuter la pre-

mière. Les faits très évidents d'atrophie du squelette que nous avons mis

en évidence par l'examen radiographique,nous autorisent en quelque sorte

à supposer dans notre cas l'existence d'un processus de déminéralisation.

Nous savons que le gigantisme et l'acromégalie sont deux affections dont

la pathogénie est probablement liée à la fonctionnalité de la glande hypo-

physaire, et nous devons en conséquence nous demander si cette glande

ne pourrait avoir quelque influence sur l'échange de la chaux. Or sur ce

sujet nous sommes déjà documentés, car l'un de nous (Franchini) et deux

auteurs anglais W. Blair Bell et Hick ont démontré tout récemment ce

que par l'un de nous (Franchini) avait déjà été supposé et c'est-à-dire qu'il

existe un lien entre l'action de l'extrait de pituitaire et le métabolisme

de la chaux et ils ont démontré par leurs expériences que sous l'influence

de l'extrait de pituitaire il y avait une augmentation de la chaux dans le

sang. Les auteurs en déduisent que la glande pituitaire a en conditions

physiologiques, une fonction spéciale qui consiste à limiter la déposition

de la chaux; c'est-à-dire qu'elle provoque sa rétention ; ayant fait en outre

d'autres expériences avec d'autres glandes à sécrétion interne et surtout

avec la thyroïde,ils sont venus à la conclusion que ces organes maintien-

nent le bilan dans le métabolisme de la chaux les uns par une action

anabolique les autres par une action cathabolique.

Ces faits si importants en général le sont bien plus en rapport à notre

cas, car dans les affections qui nous intéressent, on a remarqué non seule-

ment des altérations des tissus mous, mais des os aussi, et dans des cas dans

lesquels il y avait une lésion indiscutable de l'hypophyse on a trouvé

augmentation de la chaux dans le sang; nous sommes en conséquence

autorisés à admettre dans notre cas aussi une même origine du phénomène

en question ; cela confirmerait aussi ce que l'un de nous (Franchini) avait

déjà supposé, c'est-à-dire que dans l'acromégalie non seulement l'hypo-

physe, mais aussi d'autres glandes à sécrétion interne et surtout la thy-

roïde, aient une grande importance pathogénique.

Le contenu du sang en gras est supérieur à la normale, de telle façon

qu'on peut parler dans notre cas d'un léger degré de lipémie ; ce fait n'é-

tant pas lié à la présence de sucré dans les urines, on ne peut pas parler

de lipémie diabétique.

On a souvent remarqué dans le gigantisme la tendance à l'adiposité et

nous avons démontré que ce fait était très évident aussi dans notre cas;

ce n'est donc pas surprenant que dans le sang aussi bien que dans les

autres organes les gras se trouvent en proportions supérieures à la nor-

male. La signification intime de ce fait nous échappe encore, et par con-

578 ETTORE LEVI ET GlUSEPPE FRANCHINI

séquent toute supposition serait aujourd'hui hasardée; nous devons ce-

pendant faire remarquer qu'une autre dystrophie générale, l'adipositas

universalis, est souvent liée une altération de l'hypophyse et que plu-

sieurs auteurs dans les derniers temps ont attribué à l'hypophyse un rôle

dans l'échange des gras.

Voyons maintenant quels rapports existent entre l'échange matériel

dans le gigantisme et celui de l'acromégalie. Cette comparaison est, ainsi

qu'on le verra, très digne d'intérêt parce qu'elle nous donnera des éléments

tout à fait nouveaux en appui à la théorie acceptée par la majorité des

auteurs qui attribue à la glande hypophysaire un rôle déterminant aussi

bien dans l'acromégalie que dans le gigantisme.

Une telle comparaison n'avait jamais été faite, car toute étude systéma-

tique sur l'échange matériel dans le gigantisme fait défaut et notre cas

est le seul qui peut combler cetle lacune.

Nous savons que les études faites sur l'échange matériel dans l'acromé-

galie par les différents auteurs ne sont pas du tout en accord entre eux ;

les uns ont trouvé qu'il y a rétention de certaines substances cependant que

les autres en ont constaté une perte ; l'un de nous (Franchini) a déjà exposé

autrefois dans ce même journal la raison de ce fait; et ses nouvelles re-

cherches radiographiques sur l'acromégalie en seront une nouvelle preuve,

car il lui a été possible de constater dans certains cas des faits très mani-

festes d'atrophie osseuse liés à des faits non moins évidents d'hypertro-

phie ; dans quelques cas les faits d'atrophie dominaient le cadre aussi bien

si la maladie était à une période précoce qu'à une période avancée de son

développement et sans qu'il y eût cette cachexie acromégalique qu'on

devrait admettre selon Tamburini dans les stades terminales de la maladie.

L'un de nous (Franchini) qui a eu la chance d'étudier des nombreux cas

d'acromégalie à des périodes variables du développement de la maladie et

toujours avec une étude complète de l'échange matériel, put arriver à la

conclusion que certaines altérations sont dans l'acromégalie absolument

constantes, d'autres seulement fréquentes, d'autres enfin variables d'un

malade à l'autre. .

L'étude de l'échange matériel de l'acromégalie nous permet par con-

séquent de considérer quelques données comme sûrement acquises tout

en ne leur donnant pas une valeur constante el absolue. Dans les tableaux

qui suivent nous allons donc mettre en comparaison les altérations plus

fréquentes dans l'acromégalie et dans le gigantisme pour démontrer la

correspondance qu'il y a en ligne générale entre les résultais de nos études

dans ces deux maladies ; nous devons faire remarquer cependant que nos

conclusions se basent sur l'étude de plusieurs cas d'acromégalie et au

contraire d'un seul cas de gigantisme dans lequel d'ailleurs nous avons

conduit nos recherches de la façon la plus complète possible.

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 579

Acromégalie.

En général bonne absorption de

l'azote et des gras par l'appareil digè-

rent ; forte rétention de ces deux subs-

tances.

Dans la moitié des cas étudiés on eut

des altérations dans les différents grou-

pes azotés avec insuffisance de l'urée

et augmentation de NH3 et des amido-

acides.

Scission altérée des gras avec forte

augmentation des gras neutres et de

a colestérine et forte élimination des

acides gras et des savons.

Forte élimination du phosphore sur-

tout dans les périodes d'aggravation de

la maladie et inversion de la formule

des phosphates dans quelques cas.

Aucuue altération dans le rapport

entre le soufre neutre et le soufre acide

et par conséquent pas d'altération des

processus ossidatifs.

Dans un tiers des cas forte augmen-

tation des éthers sulfuriques, et pres-

que dans tous les cas augmentation

notable de l'indican, du scatol et du

phénol (l'indican peut arriver à des

quantités très élevées).

La rétention de la chaux est plus

réquente que sa perte, mais les varia-

tions d'un jour à l'autre sont remar-

quables.

Rétention du magnésium constante

dans tous les cas.

Gigantisme.

Mêmes résultats.

Mêmes altérations et augmentation

de l'azote précipitable.

Diminution moins accentuée des sa-

vons et augmentation moins évidente

des gras neutres ; notable insuffisance

des acides gras et augmentation consi-

dérable de la cbolestérine.

Elimination presque normale du

phosphore et augmentation des phos-

phates terreux.

Augmentation du soufre neutre res-

pectivement au soufre acide.

Augmentation des éthers sulfuri-

ques et réaction très évidente du scatol,

du phénol et surtout de l'indican qui

peut arriver à des chiffres très élevés.

Légère rétention de la chaux.

L'étude de cette substance n'a pas

été faite dans le gigantisme.

Examen chromocitométrique du sang.

Rien de spécial aussi bien dans l'acromégalie que dans le gigantisme.

Examen histologique du sang.

Acromégalie. Gigantisme.

Augmentation fréquente des mono- Pas d'augmentation des mononu-

nucléaires respectivement aux polynu- cléaires ; éosinophilie et basophile,

cléaires ; dans un tiers des cas, consi-

dérable éosinophilie.

580 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI

Examen chimique du sang.

Augmentation de l'alcalescence du

sang.

Le résidu sec et l'eau sont en quan-

tité normale.

Augmentation des cendres.

Diminution de l'azote.

Abondance des phosphates.

Chlorures normaux.

Lipémie souvent d'un degré assez

élevé jusqu'à 10 pour 1.000.

Forte augmentation de la chaux et du

magnésium.

Idem.

Idem.

Augmentation des cendres.

Idem.

Phosphates en petite quantité.

Chlorures normaux.

Légère lipémie.

Augmentation de la chaux.

Si nous jetons à présent un coup d'oeil d'ensemble sur ce tableau com-

paratif, nous voyons tout de suite que l'échange matériel dans l'acroméga-

lie et dans le gigantisme présente beaucoup d'analogies ; en outre l'examen

histologique et chimique du sang nous donne dans ces deux maladies pres-

que les mêmes altérations.

Ces ressemblances et ces identités rapprochées à tout ce que l'examen

clinique nous a appris sur l'unicité possible des deux affections constituent

un ensemble de preuves tout à fait nouvelles dont l'importance n'est pas

certainement petite et qui, comme nous le verrons, pèse d'un lourd poids

en faveur de la théorie uniciste.

Avant de passer aux conclusions de nos recherches, nous croyons utile de

nous arrêter un instant à considérer la valeur qu'on peut donner dans le

gigantisme aux faits d'insuffisance hépatique. Messedaglia, dans son récent

mémoire sur l'acromégalie, attire l'attention sur ce fait, s'appuyant sur les

résultats de nombreux examens dans plusieurs sujets chez lesquels il a pu

mettre en évidence la levolusurie et la glycosurie alimentaire, une urobili-

nurie évidente et des chiffres très élevés en rapport à l'ammoniaque et à

l'indican. Messedaglia pense aussi que le diabète qui se manifeste assez

souvent dans l'acromégalie soit d'origine hépatique et admet que les lé-

sions du foie soient primitives et que cet organe, qui participerait selon

lui toujours à la splanchnomégalie générale, soit par son hypermégalie

prédisposé à des altérations fonctionnelles.

On peut objecter à cet auteur que le foie n'est pas toujours hyperméga-

lique dans l'acromégalie, quoique ce fait soit évident dans la majorité des

cas ; nous devons relever aussi que aussi bien dans l'acromégalie que dans

notre cas de gigantisme on a presque toujours des faits évidents de putré-

factions intestinales anormales avec formation consécutive de produits as-

sez toxiques : or, il nous semble plus logique d'admettre que les altérations

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISQUE 581

fonctionnelles du foie soient secondaires à ces anormales putréfactions

intestinales de même qu'on l'admet aujourd'hui pour de nombreuses

maladies hépatiques (foie dispeptique) et dans des cas de diabète.

Nous n'hésitons pas à admettre que dans notre cas de gigantisme le foie

soit altéré (quoique la glycosiure alimentaire fasse totalement défaut) et

cela en conséquence du relief que nous avons fait des considérables alté-

rations dans les divers groupes azotés avec forte diminution de l'urée et

augmentation des amido-acides.

Quant aux anormales putréfactions intestinales, nous ne voulons pas ré-

péter ici ce que Franchini a déjà discuté dans ses précédents mémoires ;

nous nous bornerons seulement à mettre en relief que ce fait est trop fré-

quent pour lui donner seulement la valeur d'un fait accidentel. Il ne faut

pas oublier que de nombreux auteurs et entre autres Franchini pensent que

la lésion hypophysaire puisse être secondaire à une intoxication endogène ;

les faits suscités pourraient peut-être en être une preuve. Nous parlons

de cela avec la plus grande réserve, car les observations de ce genre sont

encore très rares ; il nous semble cependant que ce fait mérite d'être étu-

dié ultérieurement.

- Conclusions.

Quelles sont les conclusions que nous pouvons [tirer de l'élude systé-

matique de ce cas si intéressant de gigantisme ?

Avant tout, il nous semble légitime de supposer que dans notre cas

l'influence pathogénique de la syphilis héréditaire ne puisse être mise en

doute ; nous ne voulons pas par cela affirmer que le gigantisme doive être

considéré comme nécessairement lié à la syphilis, mais il nous semble

juste de supposer que dans notre cas au moins la syphilis paternelle ait eu

une influence sur le développement anormal de l'enfant en altérant la

fonction de ces glandes à sécrétion interne qui président et règlent les

processus de croissance (1).

(1) Nous ferons remarquera ce propos que l'un de nous (E. Levi) a dernièrement

fait rechercher par la méthode de Wassermann dans plusieurs cas d'infantilisme du

type Lorain, l'influence de la syphilis héréditaire. Levi a eu en effet des résultats net-

tement positifs de la réaction de Wassermann chez les deux soeurs Servi dont les ob-

servations ont été publiées par lui sur ce même journal en 1908, et chez lesquelles il

s'était simplement borné à supposer l'influence de la syphilis héréditaire.

Levi a eu cette année les mêmes résultats positifs de la réaction de Wassermann

dans deux autres cas d'infantilisme (dont la publication va suivre bientôt) et chez

lesquels l'histoire clinique était négative pour la syphilis héréditaire ; l'un de ces deux

cas était lié à une grave cardiopathie probablement congénitale, l'autre à une mala-

die de Banti qui provoqua la mort du sujet. Les déterminations par la méthod3 de

Wassermann dans ces cas de Levi ont été faites par M. Pisani.

582 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI

Le diagnostic rétrospectif de l'infeclion syphilitique par la méthode de

Wassermann, dont nous nous sommes servi les premiers dans celte affec-

tion, permettra dorénavant de rechercher dans chaque cas de gigantisme

l'existence éventuelle de cet élément étiologique essentiel ; une telle affir-

mation devra nécessairement être toujours limitée par l'exclusion d'une

syphilis acquise, exclusion qui ne sera pas toujours facile comme dans

notre cas.

Dans notre cas, l'hypothèse de la syphilis héréditaire est confirmée par

l'existence de deux symptômes très rares d'arrêt de développement, c'est-

à-dire, la persistance de la membrane pupillaire de Wagendorff et l' ectro-

pium zcux : deux faits qui sont liés par la majorité des auteurs à la syphilis

héréditaire.

On avait déjà assez souvent observé dans le gigantisme des symptômes

d'arrêt de développement, mais ceux que nous venons de décrire dans

notre cas n'avaient jamais été remarqués jusqu'ici et présentent, il nous

semble, un intérêt tout particulier, car leur détermination remonte à la

période de la vie intra-utérine. ,

Ce fait nous semble particulièrement intéressant si nous le mettons en

rapport avec un autre fait que l'un de nous (Ettore Levi) a dernièrement

démontré ; c'est-à-dire la possible persistance chez les acromégaliques de ce

canal cranio-pharyngien qui s'oblitère chez l'homme normal entre ledeuxiè-

me et le troisième mois de vie intra-utérine.Ce même fait que E.Levi a dé-

montré dans les crânes de deux acromégaliques existait certainement aussi

chez le géant Magrath décrit par Cunningham (V. Launois et Roy).

La persistance du canal crânio-pharyngien chez les acromégaliques et

les géants est l'indice d'un arrêt de développement, d'une malformation

de l'appareil hypophysaire qui remonte aux premières périodes de la vie

intra-utérine.

Nous n'avons naturellement aucun argument pour affirmer in vitccsi ce

fait existe chez notre géant, et nous pouvons seulement supposer son exis-

tence possible par le fait que chez lui nous avons démontré d'autres symp-

tômes d'arrêt de développement remontant à la période de la vie intra-

utérine : seulement une revision systématique de tous les squelettes

d'acromégaliques et de géants existant dans les collections (révision que

E. Lévi vient d'invoquer), pourra nous dire si la persistance du canal

crânio-pharyngien est un fait fréquent dans ces deux affections.

Si les résultats de cette révision portent à la confirmation de l'hypo-

thèse de E. Levi, nous serons en possession d'un argument de très grande

valeur en faveur de l'origine congénitale de l'acromégalie et du gigantisme

non seulement, mais aussi en faveur de la pathogénie hypophysaire de

ces deux affections.

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 583

La pathogénie de ces deux affections a élé largement discutée dans de

nombreux mémoires récents, et nous ne croyons pas devoir exposer ici à

nouveau des faits connus de tout le monde; la question est encore sus

judice et aucun des faits portés soitpar leshypopituitaristes, soit enfin par

les hyperpituitaristes, soit enfin par ceux qui soutiennent la théorie de l'en-

dogenèse n'ont une valeur assez décisive pour trancher définitivement la

difficile question à laquelle nous ne prétendons avoir porté que quel-

ques éléments nouveaux de discussion.

Nous serions incomplets si nous ne disions pas qu'en faveur de la théo-

rie hypophysaire parlent aussi les cas déjà assez nombreux de cette affec-

tion où l'hypophysectomie (opérations récentes de Von Eiselsberg,

IIocheneb, Stumme, Exner, etc.) aurait porté à une régression des

symptômes acromégaliques ; la période d'observation des malades qui ont

subi cette grave opération est aujourd'hui encore beaucoup trop courte

pour nous permettre toute conclusion soit dans un sens, soit dans l'autre.

Il est certain cependant que ces interventions ont la valeur d'une expé-

rience sur l'homme et que leurs résultats définitifs pourront avoir une

importance décisive dans la solution du problème qui nous intéresse.

En attendant la solution de ces différentes questions qui sont encore

snb judice, toute affirmation absolue serait imprudente.

La théorie hypophysaire de l'acromégalie et du gigantisme soutenue

parles liypopituitiristes (Pierre Marie) et par les hyperpi tui taristes (Massa-

longo, Tamburini) a été surtout combattue par le fait qu'on a observé

(Pétren, Gagnetto, Messedaglia, etc.) des cas d'acromégalie sans lésion

hypophysaire et vice versa des cas de lésion hypophysaire sans symptômes

acromégaliques (sur cet argument nous renvoyons le lecteur aux travaux

de Cagnetto).

Les observations de ce genre sont déjà nombreuses, et quelques-unes

d'entre elles ont une valeur indiscutable; cela surtout pour l'acroméga-

lie, car dans le gigantisme la lésion hypophysaire sérail, se)on5]M. Launois

et Roy, constante. A ce propos nous dirons que l'un de nous (E. Levi)

va publier prochainement la description de trois nouveaux squelettes de

géants existant dans le Musée anthropologique de Florence, chez lesquels,

sans exception, la selle turcique est énormément agrandie ; ce qui est un

indice sûr de lésion hypophysaire.

Les faits contradictoires que nous avons relatés plus haut nous obligent

cependant à beaucoup de réserve, et jusqu'à une nouvelle preuve absolue

en sa faveur, la théorie hypophysaire de l'acromégalie et du gigantisme

ne peut encore être soutenue d'une façon absolue.

Nous savons que Gauthier, Strumpell, Arnold, Vassale, etc., soutien-

nent que la lésion hypophysaire est secondaire à une altération primitive

584 ETTORE LEVI ET GIUSEPPE FRANCHINI

de l'échange matériel ; les travaux que l'un de nous (Franchini) a déjà

publiés sur l'échange matériel des acromégaliques parlent aussi dans ce

sens.

Mais les altérations de l'échange organique que les différents auteurs

ont observées chez les acromégaliques ne sont pas constantes et ont été

même en quelques cas contradictoires; Messedaglia, qui cependant est

contraire à la théorie hypophysaire, reconnaît à ce sujet que l'étude des

échanges matériaux dans l'acromégalie ne montre aucune altération spé-

cifique et ne donne en conséquence aucune preuve absolue de la vérité de

la théorie de l'endogènese.

L'un de nous (Franchini) qui a déjà étudié l'échange matériel chez

sept acromégaliques à différentes périodes de la maladie chez et un même

individu à des stades plus ou moins éloignés de son évolution, est arrivé

au contraire à des conclusions plus satisfaisantes ayant eu des résultats

d'une constance remarquable.

Malgré cela les études sur l'échange matériel [des acromégaliques, tout

en étant dignes du plus haut intérêt, n'ont pas fourni jusqu'ici des résul-

tats assez clairs pour nous donner d'une façon absolue la clef du problème

et ne peuvent surtout nous expliquer d'une façon satisfaisante la fréquence

si remarquable des lésions hypophysaires.

Tout ce que nous venons de dire montre que l'étiologie et la pathogé-

nie du gigantisme et de l'acromégalie sont encore obscures et que, si les

faits nouveaux que nous venons de mentionner pourront peut-être porter

bientôt quelque clarté sur ces problèmes, aujourd'hui encore une affirma-

tion définitive soit en faveur de la théorie hypophysaire, soit en faveur de

la théorie endogénique, serait au moins prématurée.

Dans la discussion de tous les faits que nous avons exposés jusqu'ici,

nous avons toujours parlé indifféremment d'acromégalie et de gigantisme,

car nous sommes convaincus de l'identité d'origine de ces deux affections ;

la théorie uniciste soutenue par MM. Brissaud et Meige et MM. Launois et

Roy nous semble aujourd'hui solidement démontrée, et notre cas en four-

nit une nouvelle preuve éclatante.

Chez notre patient, en effet, l'étude clinique, les recherches radiographi-

ques, celles sur l'échange matériel, les examens chimiques et histologi-

ques du sang, tout en somme nous montre un tableau tout à fait analogue

à celui qui ressort des études sur l'acromégalie.

Nous avons les premiers, fait dans notre cas de gigantisme une étude

complète de l'échange matériel et les résultats que nous avons obtenus

sont absolument superposables à ceux qu'on a obtenus par l'étude de

l'échange matériel dans l'acromégalie. Ce fait nouveau que nous portons

CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DU GIGANTISME 585

en faveur de la théorie uniciste de l'acromégalie et du gigantisme ne nous

semble pas sans importance et nous invoquons que de nouvelles recherches

soient faites en ce sens, car si la théorie de l'endogénèse devait triompher

un jour, il serait intéressant de savoir que dans le gigantisme aussi bien

que dans l'acromégalie les mêmes altérations des échanges organiques peu-

vent influencer le développement de ces deux affections.

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La bibliographie est limitée aux mémoires parus après la publication

de la monographie de MM. Launois et Roy.

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LES TATOUÉS. LEUR PSYCHOLOGIE,

PAR A

le Dr Maurice BOIGEY,

Médecin-major.

Le tatouage mérite d'être étudié à un autre'point de vue que celui d'une

curiosité superficielle. Cette pratique a existé de tout temps, mais, tandis

qu'elle avait peut-être sa raison d'être quand elle représentait dans les

tribus primitives une sorte de vêlement répondant au génie de l'individu,

sa signification est devenue toute différente dans une société comme la

nôtre où chacun adopte un vêtement extérieur variable suivant les alter-

nances des saisons, la différence des occupations ou le caprice. Dans notre

civilisation, un tatouage reflète presque toujours une disposition d'esprit

ou une tendance particulières ; il dénote dans tous les cas un état mental

spécial.

S'il est vrai que certains sujets c'est la minorité s'adonnent au

tatouage par curiosité ou par désoeuvrement, les autres se font tatouer

pour exprimer les idées dominantes, souvent les idées fixes qui les hantent.

Les adeptes du tatouage se recrutent presque tous dans le milieu spécial

des prisons et des pénitenciers. J'ai également connu des hommes et des

femmes du meilleur monde qui étaient tatoués. Mais je crois à leur petit

nombre. Mes observations ont porté sur des sujets détenus dans les ate-

liers de travaux publics et sur des hommes envoyés dans les compagnies

de discipline. Sur 100 détenus, 90 en moyenne sont tatoués. Beaucoup

le sont avec art. Il existe des tatouages monochromes et polychromes. J'ai

vu des guirlandes de roses d'un dessin remarquable ; les feuilles, les pé-

tales et les tiges avaient un coloris exact et délicat. En général, les

tatoueurs s'associent ; les uns les dessinateurs composent le dessin

et en arrêtent les contours ; les autres les tatoueurs véritables pro-

cèdent à l'opération proprement dite du tatouage avec une solution colorée,

le plus souvent avec de l'encre de Chine, qu'ils portent sous l'épidémie

à l'aide d'aiguilles. Les accidents septiques dus au tatouage sont rares,

bien qu'aucune précaution ne soit prise par les tatoueurs pour les éviter.

Mais ce sont là choses connues sur lesquelles je ne reviendrai pas ici (1).

(1) Voir : Article Tatouage dans le Dict. de Dechambre (Lacassagne, 1881); Les ta-

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. LX

LES TATOUÉS : LEUR PSYCHOLOGIE

(M. Boigey).

Masson & Cie, Éditeurs.

Phototype Bcrlliaiiil.

LES TATOUÉS LEUR PSYCHOLOGIE 589

L'idée que je me propose aujourd'hui de développer, c'est que nombre

de tatouages reflètent exactement l'état psychique des tatoués. Ces dessins

représentent des hiéroglyphes qui, déchiffrés, permettent de déterminer

les phases principales ou les incidents dominants d'une vie. C'est ainsi

que les sujets porteurs d'une inscription subversive ou d'un tatouage sur

la face ont toujours traversé à un moment donné une crise mentale aiguë

pendant le cours de laquelle ils ont tenu à se singulariser, à se différencier

en quelque sorte du reste des hommes d'une manière permanente et

visible.

Les observations suivantes confirmen t pleinement cette manière devoir.

(V. Planches LX, LXI, LXIL)

Observation I. (Tatouage n° 1.)

S..., 28 ans. Condamné trois fois pour vol avant vingt et un ans. Incorporé

dans un bataillon d'Afrique en 1904, il y mène une existence indisciplinée. Au

cours d'une.discussion avec un adjudant, il soufflette ce dernier. A la suite de

cet incident, il est condamné à cinq ans de travaux publics. Son père est mort

alors qu'il avait six ans ; sa mère est morte à Hanoï où, après le décès de son

mari, elle avait accompagné une troupe d'artistes de café-concert. Elle avait

laissé son tils aux soins d'une cousine qui, d'après S..., ne s'occupait de lui que

pour le « cylindrer » (battre). Apprenti maçon de 12 à 16 ans, il suit assidue-

ment les réunions de la Bourse du travail où il est connu sous le sobriquet du

« petit acteur ». A 17 ans, il cesse de travailler régulièrement et fréquente une

bande de souteneurs. Trois ans plus tard, à la suite d'une agression nocturne

suivie de vol, il est emprisonné. Au sortir de la prison, il commet deux

autres vols, et, peu après, est envoyé aux bataillons d'Afrique.

Les tatouages qu'il porte sont nombreux. Le premier en date est le portrait

du Président Carnot surmonté d'une étoile. La figurine occupe le milieu de la

poitrine et l'étoile la racine du cou. Ce détenu avait, dans sa jeunesse, travaillé

avec d'autres ouvriers dans une maison où il avait eu l'occasion de voir de

près l'ex-président qui lui avait même adressé familièrement la parole. Ce sou-

venir s'imprima profondément dans l'esprit du jeune homme, puisque, plu-

sieurs années plus tard, il devait le rappeler par un tatouage. Une inscription

tatouée pendant son emprisonnement entoure le cou à sa base : « La mort ou

la vengeance, Parallèlement la clavicule gauche, une chaîne a été tatouée

vers la même époque. On peut affirmer que tout sujet porteur d'un dessin re-

présentant une chaîne a été emprisonné. Si le tatouage représente une chaîne

brisée, c'est que le sujet en question a bénéficié d'une grâce ou d'une remise do

peine. Un poignard transperce le sein gauche; la lame s'arrête au mamelon.

Ce tatouage se rapporte à une altercation que S... eut vers l'âge de 19 ans avec

touages chez les disciplinaires, in Vulgarisation scientifique (Boigey, 15 juin 1907) ;

Mentalité et tatouages chez les disciplinaires, in Caducée (Boigey, 2 février 1507),

590 BOIGEY

un souteneur, altercation qui dégénéra on rixe au cours de laquelle S... blessa

son adversaire d'un coup de couteau dans la région du coeur. Faisant pendant

au poignard, on voit une main qui tient un bouquet de fleurs dans la moitié

droite de la région thoracique. Ce dessin symbolise un hommage que S ? fit à

la femme enjeu du duel. Le portrait de celte femme voisine d'ailleurs avec le

manche du poignard. Elle est décolletée, ses seins sont nus, une fleur est pi-

quée dans ses cheveux et sa main tient un éventail.

Sur la région deltoïdienne, des fleurs sont parsemées et au milieu d'elles

brillent deux étoiles symboliques, une sur chaque bras. Il s'agit de « l'étoile

du bonheur » et de « l'étoile du malheur». Une inscription, absente ici, accom-

pagne généralement les étoiles et leur donne leur signification. Dans beaucoup

de cas, elles représentent aussi un signe de reconnaissance entre associés d'une

même bande. Comme autre signe de reconnaissance, les points au nombre de

trois ou de cinq tatoués dans le premier espace interdigital, sont fréquemment

observés.

Une lanterne de bicyclette éclaire le mamelon droit et un oeil ouvert voisine

avec le mamelon gauche. Une autre inscription barre la poitrine : « Loin des

yeux, près du coeUl', » D'après S..., elle se rapporterait à sa mère qui vécut de

longues années loin de lui. Elle atteste de la part de S... une affection filiale

qu'un éloignement de plusieurs années n'a pas atténuée.

Au-dessous de la figure du Président Carnot, sur la ligne médiane, on voit

un masque tragique, et, de chaque côté, deux silhouettes d'artistes de café-con-

cert. La carrière d'artiste lyrique hantait ce détenu. Sous le masque tragique

s'incurve une flèche que le dessin représente comme pénétrant dans la paroi

abdominale et en ressortant. Des deux blessures tombent des gouttes de sang kid

de chaque côté de l'ombilic, et l'ensemble du dessin est surmonté d'une ins-

cription : « Souvenir d'Afrique. »

Sur le bras droit, une figure grotesque et deux lutteurs, l'un cravatant l'au-

tre.S...,dont la constitution musculaire était très robuste, s'exhiba à un moment

donné dans les fêtes foraines sous le nom de Lelio l'Italien et prit part à quelques

bittes. Au-dessous des lutteurs, le portrait du général Brugère que S..., m'a-t-il

dit, « rencontrait souvent aux courses » et de qui « la tête lui plaisait ». Au-des-

sus du général Brugère,des fleurs et des dessins fantaisistes. Sur le bras gauche,

au-dessous de l'étoile signalée plus haut, une tête de femme, et, en dehors

d'elle, la figure d'un clown - toujours l'idée de s'exhiber en public. Encore

une tête de femme sur l'avant-bras et une inscription : « Vaincu, mais non

dompté. » Cette inscription rapprochée de celle qui se trouve à la base du cou

démontre que le régime pénitentiaire, loin d'améliorer cet homme, n'en fit

qu'un révolté. La flèche incurvée sur l'abdomen indique les parties génitales.

Ces dernières portent une simple inscription tatoué sur le dos de la verge :

« Aime-moi. »

S.... était un impulsif non dépourvu de sensibilité. Il le montra à plusieurs

reprises. Il connaissait des monologues et sa grande joie était de les débiter à

ses codétenus. Il ne dédaignait pas Corneille et déclamait volontiers les impré-

cations de Camille ou le rôle de Don Diègue qu'il avait appris presque entiè-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XXII. Pl. LXI

LES TATOUÉS : LEUR PSYCHOLOGIE

(M. Boigey).

Masson & Cie, Éditeurs.

Phototypie Dorthaud

LES TATOUÉS LEUR PSYCHOLOGIE 591

rement. Mauvais travailleur, toutes les punitions qu'il encourait étaient impu-

tables à la paresse ou à l'inexécution des tâches qui lui étaient imposées.

Observation II. (Tatouage n° 2.)

L.... Aucun renseignement sur ses antécédents héréditaires. Ivrogne incor-

rigible que son ivrognerie a conduit aux pires excès. A défaut d'autres témoins,

la lecture de ses tatouages aurait pu attester ses habitudes d'intempérance. Il

porte en effet sur chaque bras une figure d'ivrogne dont le nez est pigmenté

d'une manière caractéristique. D'autres tatouages sans signification apparente

se trouvent sur ses avant-bras. Les mors d'une tenaille sont tatoués sous le

mamelon gauche. Ce symbole exprime dans l'esprit de L... l'idée des souf-

frances qu'il endure à l'atelier de travaux publics.

Observation III. - (Tatouage n° 3.)

D..., ferblantier à. Paris avant son incorporation. Les tatouages qu'il porte

sont exclusivement placés sur le dos. Au milieu de fleurs répandues à profu-

sion, l'artiste a ménagé six espaces vides dans lesquels ont été tatouées six

figurines. Sur la région scapulaire, on voit, d'un côté, une femme dont la tête

et les épaules sont encadrées d'un serpent, et de l'autre un homme et une

femme qui s'embrassent sur les lèvres. Au-desscus des figures précédentes se

trouvent une autre tête de femme en cheveux ayant une fleur au corsage et,

en face d'elle, une jeune fille portant le costume marin et coiffée d'un béret

d'où s'échappe une opulente chevelure. Plus bas encore, un tatouage inachevé,

dont le contour a seul été tracé, représente deux femmes qui s'embrassent sur

les lèvres ; en face, une femme coiffée d'une toque. La signification de cette

série de tatouages est fort intéressante. Je me perdais en conjectures à ce su-

jet, lorsqu'un jour, on m'amena D... qui se plaignait de vives douleurs dans

la région anale. L'examen me révéla les signes indiscutables d'actes pédérasti-

ques récents. D... était un pédéraste passif et, pour « donner des idées » à ses

« clients », il avait jugé utile d'orner son dos de têtes de femmes. Il avait

même eu la délicate attention de représenter à côté du baiser normal le baiser

lesbien.

Un tatouage situé sur le dos et représentant une ou plusieurs têtes de fem-

mes est l'indice presque certain de la pédérastie passive. Les têtes de femmes

varient. Il en est de fort belles. Celle qui nous est offerte par l'observation IV

est de tous points remarquable.

, Observation IV. (Tatouage n° 4.)

F... Pupille de l'assistance publique, il a déjà encouru six condamnations

dont trois pour vol, deux pour cambriolage et une la dernière en date

pour voies de fait sur un supérieur. La poitrine ne porte aucun tatouage, mais

le dos est parsemé de chrysanthèmes au milieu desquels apparaît une figure de

femme de grandeur naturelle, elle-même couronnée de fleurs. La* chevelure,

comme toujours, est d'une rare opulence. Il s'agit encore d'un pédéraste passif.

592 BOIGEY

Observation V. (Tatouage n° 5.)

E... Ce garçon est bachelier; il se prépare, dit-il, à la licence ès lettres et se

destine à l'enseignement. Sa conduite est irréprochable. Très travailleur, ha-

bituellement de caractère plutôt paisible, il est sujet à de véritables accès de

fureur qui lui font commettre les fautes les plus graves. Il porte sur le dos

une tête de femme. Le visage est tourné légèrement à droite; des fleurs sont

piquées dans la chevelure. Ici encore, le tatouage est absolument unique; on

ne trouve aucun autre dessin sur le reste du corps. La signification de ce ta-

touage solitaire est trop importante pour qu'un autre se surajoute à lui : il

ne pourrait qu'eu diminuer la signification et l'importance. Les camarades

d'E... l'appellent « La Baronne » et il n'y a aucun doute possible sur ses ha-

bitudes spéciales.

Observation VI. -(Tatouage n° 6.)

D... est un ancien soldat de l'armée coloniale. Il porte sur le dos un tatouage

représentant une tête de femme déguisée en matelot. Autour de la figurine

s'ébattent des amours ailés dont l'un soutient une goélette à pavillon tricolore.

L'un des amours ailés a des attributs sexuels qui ne laissent aucun doute sur

son sexe. « L'amour qui vole en emportant le bateau, c'est moi, me dit D...

Je vole vers mon amie qui est de l'autre côté et qui, elle aussi, vole vers moi. »

Sur l'une des épaules, un lion joue avec une souris. D... veut bien m'expli-

quer qu'il s'agit là de l'image de sa vie. « Je suis la souris, dit-il, le lion,

c'est le capitaine. » Sur l'autre épaule, on voit un pot dans lequel est enfoncé

un chat duquel n'apparaît que la tête. D... m'apprend que c'est là un autre

symbole de sa vie. « Le chat qu'on a mis daus l'eau, c'est moi, dit-il ; le pot

d'eau, c'est l'atelier de travaux publics. »

Observation VII. (Tatouage n° 7.)

Le tatouage n° 7 est porté par le nommé S..., détenu à l'atelier de travaux pu-

blics. Il a été fait par l'artiste tatoueur qui a dessiné le n° 4. Les deux têtes

de femme sont presque identiques. Elles ne diffèrent que par quelques variantes

portant sur les détails. Ici, nous lisons une inscription : « Souvenir d'un ami. »

Elle indique que le porteur de ce tatouage avait un ami qui fut vraisemblable-

ment l'artiste tatoueur lui-même. Ce dernier mit tous ses soins à représenter sur

les épaules de S... la tête de femme qu'il affectionnait particulièrement et qui

devait en certaines circonstances lui donner l'illusion d'une étreinte féminine.

Cette tête de femme est accompagnée de deux accessoires du plus haut intérêt.

Sur l'une des épaules se trouve tatouée une rose entr'ouverte dont les pétales

contournés simulent assez bien les organes génitaux externes de la femme et

sur l'autre épaule, on voit une fleur indéterminée dont l'entrelacement rappelle

grossièrement une verge et deux testicules.

Observation VIII. (Tatouage n° 8.)

D... veut bien m'expliquer que le tatouage qu'il porte a été spécialement

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XXII. PI. LXII

LES TATOUÉS : LEUR PSYCHOLOGIE

(M. Boigey),

Masson & CIC, Éditeurs.

Pliotatypit Berthaud

LES TATOUÉS LEUR PSYCHOLOGIE 593

tracé pour les amis délicats qui affectionnent surtout les femmes du monde et

les élégantes. Pas de nudité, pas de décolletage, mais des fanfreluches, des

rubans. Les amis deD... sont des raffinés. Ils font leurs délices de deux

silhouettes féminines coiffées, chapeautées et cravatées avec soin. On ne trouve

aucun autre tatouage sur le corps.

Observation IX. -(Tatouage. n° 9.)

S... porte sur le dos une tête de femme coiffée d'un vaste chapeau très em-

panaché ; lui aussi doit être recherché par les âmes délicates. -Mais elle

associe cette figure à deux autres moins tentantes qui sont deux silhouettes

masculines ; l'une représente un disciplinaire et l'autre un « poteau » (ami).

Enfin, l'inscription suivante couronue l'ensemble : « Souvenir d'Afrique. Bis-

kra.n

Observation X. - (Tatouage n° ! 0.)

T... porte un certain nombre de figurines sur le dos, tandis que le reste de

son corps est indemne. On voit quatre têtes de femmes qui voisinent avec le

portrait du roi d'Italie. T... se dit en effet sujet italien et prétend qu'on l'a

incorporé à tort, car son père était de nationalité italienne. Informations prises,

l'incorporation de T... avait été parfaitement légitime. Une abeille est tatouée

à la naissance du cou, et, sur la région scapulaire, se trouve représenté un

bateau à deux mats dont la coque épouse la forme de quelque oiseau fabuleux.

Ses voiles sont gonflées parle vent. C'est le symbole d'un retour prochain vers

la France. Un mousquetaire occupe également la région scapulaire. Dans le

cas présent, il s'agit d'un pédéraste passif.

Observation XI. - (Tatouage n° fi.)

V... professe publiquement des idées anarchistes. Il porte sur la partie

médiane du dos une tête de femme, sur les régions scapulaires un clown et

un prêtre protant binocle. Au-dessus de la tête de femme est tatoué un nid

dans les fleurs. V... présente quelques autres tatouages sur le bras gauche,

sans signification. C'est un pédéraste tantôt actif et tantôt passif, redouté de

ses camarades par sa brutalité, sa méchanceté et sa traîtrise.

OBSERVATION.XII. - (Tatouage n° 12.)

J..., pupille de l'assistance publique. Cet homme, complètement illettré, a été

interné dans une maison de correction à l'âge de 15 ans pour avoir essayé de

violer une fillette de dix ans. Rebelle à toute espèce d'enseignement, J... ne

recherche que les satisfactions sexuelles sous quelque forme qu'elles se présen-

tent. Voué en quelque sorte à l'homosexualité du fait de sa séquestration, il ne

manifeste aucune honte de ce vice. Deux mois après son arrivée à l'atelier de

travaux publics, il s'était fait tatouer dans le dos une tête de mauresque d'un

dessin assez remarquable et trois autres figurines : celle d'un ami et celles de

deux amies.

594 B01GEY

Observation XIII. (Tatouage n° 13.)

D... Cet homme est détenu à l'atelier de travaux publics pour refus d'obéis-

sance, coups et blessures en service commandé- Il n'avait pas de casier judi-

ciaire au moment de l'incorporation. Il porte une tête de femme de grandeur

naturelle sur le dos. Elle émerge de deux branches de rosier garnies de roses.

D... ne présente pas d'autre tatouage. J'ai, à diverses reprises, constaté sur lui

des signes indubitables de pédérastie passive.

Dans toutes ces observations, un fait est; digne de remarque, c'est que

la plupart des détenus qui se livrent aux pratiques pédérastiques actives ne

sauraient être considérés comme des homosexuels véritables. En effet ils

recherchent toujours dans leurs accouplements l'illusion d'une étreinte

féminine que leur donnent certains tatouages caractéristiques. Ce n'est

pas là le fait de l'homosexuel dégénéré qui aime l'homme pour l'homme

parce qu'il est dégoûté de la femme et parce que les tendances normales

de son sens génésique sont complètement déviées. L'homosexualité active,

dans les ateliers de travaux publicsetdans les compagnies de discipline, n'est

qu'occasionnelle. La plupart de ceux qui s'y adonnent sont, au contraire,

ardemment épris de la femme et cessent de se livrer à ces pratiques hon-

teuses quand ils reviennent à la vie civile. Leurs habitudes trouvent, je

ne dis pas leur excuse, mais leur explication dans le mode de vie anormal

qui leur est disciplinairement imposé. Ils sont tous dans la force de

l'âge et au moment de leur vie où l'activité génitale s'exerce le plus

énergiquement. Leur médiocre résistance morale, l'abstinence forcée,

la cohabitation dans ce triste milieu où toutes les passions sont promptes

à s'enflammer et l'influence aphrodisiaque d'un climat énervant les mè-

nent à la pédérastie. Les uns les plus vigoureux ou les plus entrepre-

nants - sont les hommes ; les autres que leur petite taille, leur figure

imberbe ou un peu efféminée désignent pour d'autres fonctions, sont

l'objet des sollicitations les plus pressantes auxquelles ils ne résistent pas

longtemps et deviennent les femmes - les djèges - mot dérivé de l'arabe

djadjad qui signifie poule.

Le Dr Granjux a signalé l'espèce de fatalité qui détermine les rapports

homosexuels dans les agglomérations d'hommes prison niers.

Dans la masse des détenus se trouvent, il est vrai, quelques homo-

sexuels véritables, mais ils représentent une infime minorité et se

vouent presque toujours à la passivité. Beaucoup d'entre eux ont contracté

leur vice sexuel, très jeunes, dans les maisons de correction où ils étaient t

enfermés avant l'époque de l'incorporation. Ils ne font que persévérer

LES TATOUÉS LEUR PSYCHOLOGIE 595

dans leurs détestables et parfois lucratives habitudes. J... (observa-»

tion XII) nous en fournit un remarquable exemple.

Les tatouages suivants n'ont pas la même signification que les précé-

dents. Ils n'indiquent plus l'homosexualité, mais l'esprit d'entreprise et

la hardiesse. Pour ceux qui en sont porteurs, rien ne compte que l'action,

et par action, j'entends l'attaque à main armée, le cambriolage, le vol,

les attentats contre les personnes. Ceux-ci comptent réellement dans les

rangs de l'armée du crime, tandis que les sujets précédents ne s'y en-

rôleront peut-être jamais après leur libération ou après l'achèvement de

leur peine.

Observation XIV. (Tatouages nos 14 et 15.)

S..., sujet corse âgé de 24 ans, est pourvu du certificat d'études et a exercé

entre douze et dix-sept ans la profession d'ouvrier agricole. De dix-sept ans

jusqu'à son incorporation, il a vécu à Marseille, ne travaillant qu'irrégulière-

ment et fréquentant assiduement les bars et les tripots du vieux port où il était

connu sous le nom du « Tigre ». Pendant cette période, S... a été arrêté à

trois reprises pour meurtre, mais chaque fois il a dû être relâché, faute de

preuves. Son casier judiciaire est donc vierge avant l'incorporation. Brutal,

sournois et abusant de sa force avec ceux qui sont plus faibles que lui, il a

déjà reçu plusieurs corrections méritées de quelques-uns de ses camarades

particulièrement vigoureux qui ne supportent qu'avec peine son voisinage.

Il n'a jamais été malade, sauf pendant son enfance. Il eut entre 8 et 10 ans

une maladie éruptive dont il ne connaît pas le diagnostic. Il passe pour prati-

quer indistinctement l'homosexualité active et passive.

Les tatouages qu'il porte sont répartis sur tout le corps.

a) Sur le dos, on trouve, au niveau de la région scapulaire gauche, un

matelot, quelques fleurs et une figure d'Espagnole. Sur la ligne médiane une

femme nue dont le sexe est voilé fait un pied de nez à sa voisine l'Espagnole. Il

s'agit de deux rivales qui se disputèrent les faveurs de S... Sur la région sca-

pulaire droite, un mousquetaire. J'ai trouvé un grand nombre de mousque-

taires parmi les hommes tatoués à Toulon. Ce tatouage doit être un signe de

reconnaissance pour les affiliés d'une association secrète. Sur la région thora-

cique gauche, on voit uue femme décolletée ayant une attitude nonchalante,

coiffée d'un chapeau et dotée d'une opulente chevelure. Cette figurine a la

signification des images analogues tatouées sur le dos des homosexuels passifs.

En face d'elle, le portrait du bandit corse Bellacoscia, assis, tenant un fusil

qui repose sur ses cuisses. S... professe une grande admiration pour cette

personnalité du maquis. A côté de Bellacoscia, un trophée de drapeaux repose

sur des canons et diverses armes. Un poignard dont on ne voit que le manche

est enfoncé jusqu'à la garde dans la poitrine, au niveau de la 80 côte. La pointe

du poignard est visible à la face antérieure du corps sous le mamelon gauche

(tatouage 14 bis). Ce dernier tatouage se rapporte sans doute à l'un des atten-

596 . - B01GEY - .

tats pour lesquels S... fut arrêté, puis relaxé. Au-dessous de Bellacoscia et de

la tête de femme, on voit un tigre prêt à bondir ; ce tigre est la représentation

symbolique de S... Sous le tigre, une large banderole entoure le corps au

niveau de la ceinture et nous y lisons l'inscription suivante : « La raison du

plus fort est toujours la meilleure. » Enfin, sur la région fessière gauche,

une tête de femme ayant la même signification que celle que j'ai signalée sur

la région thoracique gauche. -

. b) Sur la partie antérieure du tronc, on voit une guirlande de fleurs orner

les deux régions claviculaires. Sur la région sternale, un aigle aux ailes dé-

ployées porte un écusson dans lequel se trouve inscrite la lettre N. Le dessin

est encadré de deux branches de laurier. Au-dessus de l'ensemble, on lit

l'inscription suivante : Vive l'Aigle ! Ce tatouage est fréquent chez les Corses

restés fidèles à l'idée napoléonienne. Sur le pectoral droit, un matelot ; sur

le pectoral gauche, une tête de femme. Au creux épigastrique un lion supporte

un panier duquel s'échappent des fleurs. Le lion est fréquemment tatoué par

les détenus qui font un long séjour en Afrique. De chaque côté de l'ombilic,

et surplombant le pubis, s'étale une inscription lubrique : liobinet d'amour.

Enfin, dans chaque région inguinale, on note une tête de femme.

c) Les deux bras sont très abondamment tatoués. Le bras droit est constellé

d'étoiles et de fleurs. L'avant-bras supporte des fleurs et une ligurine dont le

front est orné de deux cornes. « Un pauvre cocu de mes amis, » m'explique

S.... Sur la région deltoidienne gauche, on voit un trèfle, signe de reconnais-

sance pour les affiliés d'une bande. La face antérieure du bras, constellée d'é-

toiles, porte la figure d'un sergent de ville surmontant l'inscription : « Mort

aux flics. » La face postérieure est ornée d'un porc campé sur ses pattes de der-

rière et vêtu d'une robe. Sur l'avant-bras gauche, un gentleman en chapeau

haut de forme ; « c'est le portrait du commissaire de police de Toulon », me

dit S... Sur la face postérieure de l'avant-bras, on lit les deux inscriptions sui-

vantes : « Pas de pet » (danger) et « La mort ou la vengeance ».

L'ensemble de ces tatouages nous donne des renseignements précieux sur la

mentalité de S... Il s'agit d'un homme essentiellement dangereux et vindicatif,

dépouvu de scrupules et de sens moral. 11 représente à mes yeux le type du

criminel dont toute la vie se passera en une longue suite d'attentats. L'examen

mental ne décèle aucune lacune évidente ni dans la faculté de mémoire, ni

dans celle de volonté. Il n'en est pas de même en ce qui concerne le jugement

qui est presque totalement aboli.

Observation XV. (Tatouage n° 16.)

B... Cet homme a été condamné pour vagabondage spécial et incorporé dans

un bataillon d'Afrique. Envoyé à l'atelier de travaux publics à la suite de voies

de fait sur un supérieur, il est classé parmi les fortes têtes, mais ne passe pas

pour un irréductible. Il porte sur chacune des régions pectorales deux silhouet-

tes féminines qui rappellent à B... des liaisons anciennes. Sur le bras gauche,

une femme, un poignard, un coeur transpercé sur lequel est dessiné un M, et

LES TATOUÉS, LEUR PSYCHOLOGIE 597

une étoile autour de laquelle on lit l'inscription suivante : Mort à l'infidèle.

Sur l'autre bras, une étoile avec l'inscription : Victime du militarisme et une

femme coiffée à la mode arlésienne. Deux hirondelles volent vers les femmes

tatouées sur la poitrine.

Observation XVI. (Tatouage no 17.)

D..., ancien élève de l'Ecole des Beaux-Arts pour la peinture. Il porte sur

l'abdomen un tatouage assez curieux qui est la reproduction d'un des tableaux

militaires de Détaille. Au-dessus de cette reproduction, une femme est à demi-

couchée sur un canapé ; elle tient sur ses genoux un petit chat noir. Ce motif

est entouré d'une guirlande de fleurs. Deux oiseaux volent sur chaque épaule.

Le bras et l'avant-bras supportent un palmier qui surplombe une maison

arabe. Cet homme s'était adonné au tatouage et il en fit de remarquables. Il

affectionnait particulièrement les sujets militaires. D... aflichait à tout propos

des idées militaristes et il était piquant de l'entendre moraliser ceux de ses ca-

marades qui affichaient au contraire des opinions opposées.

Observation XVII. - (Tatouage n° 18.)

P...,ivrogne invétéré. Il porte sur l'avant-bras gauche une grappe de raisin

qui est l'objet d'un tatouage fréquent chez les ivrognes. A la racine du cou, on

lit l'inscription suivante : Martyr de l'armée. Déporté à Biribi 1904-1907 .

Sur le bras gauche, un poignard, un souteneur et plusieurs figurines de fem-

mes. Du côté droit, on voit le portrait de P... en tenue civile, entre une bran-

che de chêne et de laurier avec la date 1904-1907. Sur l'épaule, le même P...

en tenue de disciplinaire, et enfin, une autre silhouette de disciplinaire sur

l'avant-bras. Une figure de femme mal ébauchée occupe le centre de la région

abdominale.

Observation XVIII. (Tatouage n° 19.)

C..., fils d'un confiseur parisien. Il a toujours été un objet de préoccupation

pour ses parents qui lui ont fait contracter un engagement volontaire à 18 ans.

A Toulon, il s'est rapidement lié avec les mauvais sujets de son régiment et on

retrouve sur lui le mousquetaire toulonnais que j'ai déjà signalé plus haut. Sur

la région épigastrique, on voit deux mains unies dont l'une porto un bracelet.

Une femme déguisée en marin fait pendant au mousquetaire ; sur le bras, une

tête de femme commune et sans art. Une guirlande de fleurs remarquablement

tatouée barre la poitrine au niveau des régions sous-claviculaires.

Observations XIX et XX. (Tatouages n° 20 et 21.)

J... et C..., venus d'un régiment d'artillerie à la suite d'une désertion. Ils

ont déserté ensemble pour rejoindre en Belgique deux chanteuses de café-con-

cert. Ces hommes~appartiennent 1 d'excellentes familles. Ils n'ont pu résister

au désir de se faire tatouer le portrait de leurs amies sur la région abdominale.

598 BOIGEY

Outre cette figurine, J... porte à l'avant-bras droit le croissant de la lune sur

lequel se tient debout une femme nue, et à l'avant-bras gauche un écusson

entouré de lauriers sur lequel on lit : 32° Artillerie, Classe 1804. Sur la

poitrine de C... une autre figurine indistincte se devine à côté du tatouage

principal.

Observation XXI. (Tatouage ne 22.)

C..., pupille de l'Assistance publique. Cet homme a passé son certificat d'étu-

des et a été classé le premier des enfants de tout un canton. N'ayant aucune

ressource, et obligé de travailler pour vivre, il s'est engagé comme ouvrier

agricole en Seine-et-Marne et mena la vie des champs de 12 à 17 ans. A ce

moment, attiré par d'alléchantes promesses, il suit une sorte de racoleur d'ou-

vriers agricoles qui le conduit aux Indes où il est employé dans l'intérieur à

défricher des terrains vierges pour le compte d'une compagnie anglaise. Rapi-

dement lassé du travail exténuant qui lui était imposé, il demande à regagner

la France, mais l'entrepreneur s'y oppose et il doit continuer pendant plus

d'une année à défricher la forêt. Il finit cependant par s'enfuir, blotti dans une

caisse sur le dos d'un éléphant. Il reste quelque temps à Calcutta où on l'em-

ploie à des travaux de jardinage, et finit par regagner la France. Il arrive à

Marseille où il cherche vainement du travail. Il ne réussit qu'à faire la connais-

sance de mauvais sujets qui l'exploitent et le volent. lise bat avec eux et reçoit

uu coup de revolver dans la poitrine, au niveau de la région claviculaire. Hos-

pitalisé à Marseille, il guérit et revient à Paris où il est arrêté comme vaga-

bond. Inculpé de meurtre, il est encore arrêté, puis relaxé, les preuves de sa

culpabilité faisant défaut. Un peu plus tard, il est emprisonné pour une série

de vols et pour rébellion envers les agents. Incorporé aux bataillons d'Afrique,

il s'enivre fréquemment et, à la suite de plusieurs scènes de violence, il est

condamné par le conseil de guerre à cinq ans de travaux publics. Les tatoua-

ges que C... présente sont caractéristiques : une chaîne qui barre la poitrine au

niveau de la région claviculaire et qui est l'indice d'un emprisonnement anté-

rieur ; un revolver dont l'extrémité du canon voisine avec la cicatrice très vi-

sible de la blessure qu'il a reçue à Marseille ; l'éléphant sur lequel il put s'en-

fuir du chantier agricole où il était retenu malgré lui ; un gendarme et un ser-

gent de ville, gens avec lesquels, à Paris, il eut maille à partir; sur le bras

gauche, une bayadère en costume de parade qu'il connut à Calcutta. Cette figu-

rine est surmontée d'un nom : « Marinivah ». Sur le bras droit, une femme

presque nue et brandissant un éventail chevauche un porc. Deux femmes oc-

cupent la région pectorale ; l'une d'elles porte la coiffure nationale russe. C...

m'apprend qu'il s'agit des portraits de deux amies. Sur la région deltoïdienne

droite, on devine l'étoile déjà signalée à plusieurs reprises et qui a la valeur

d'un signe de reconnaissance pour les affiliés d'une bande. Sur la région del-

toïdienne gauche, un oiseau tient dans son bec une lettre cachetée. Au-dessous

de l'ombilic, on lit : Robinet d'amour. Au même niveau que l'ombilic a été

tatoué un oeil ouvert. Sur l'avant-bras gauche, on lit l'inscription : « Mort aux

LES TATOUÉS, LEUR PSYCHOLOGIE 599

exploiteurs ». Sur l'avant-bras gauche, deux initiales : G. C. les initiales du

détenu sont tatouées au milieu d'un bouquet de fleurs.

Observation XXII. (Tatouages nos 23 et 24.)

Ces deux tatouages appartiennent au même sujet, détenu à l'atelier de tra-

vaux publics, originaire d'un régiment d'artillerie métropolitaine et connu

parmi ses camarades sous le sobriquet du « tigre ». Cet homme né à Paris,

est poète à ses heures, ce qui ne l'empêche pas d'avoir des habitudes aussi peu

poétiques que possible. C'est ainsi qu'il aime la vue du sang et que l'égorge-

ment d'un mouton l'emplit de joie. Dans les chantiers éloignés où les animaux

de boucherie sont abattus près du camp, il s'approche de l'animal au moment

où on le saigne, recueille le sang dans ses mains réunies, le boit chaud et s'en

barbouille la face et les bras. Il porte l'étoile sur l'épaule droite, une tête de

femme et un tigre sur le bras et l'avant-bras du même côté et trois petites étoi-

les sur la face dorsale du poignet, signe de reconnaissance pour les affiliés d'une

bande. Sur le membre supérieur gauche sont tatoués un ivrogne et deux fem-

mes. On lit enfin une inscription sur la poitrine : « Vaincre ou mourir. » Le

« Tigre » a des habitudes pédérastiques, mais il n'est pas passif. Voici un

échantillon de ses oeuvres poétiques. Ce sont des vers adressés à celui de ses

co-détenus qu'il affectionne particulièrement.

Il est minuit; viens près de moi, ô ma maîtresse.

Il est minuit ; j'ai soif... La lune nous caresse,

Et je bois un filet de lune. Il est minuit :

J'ai bien faim, et ta bouche a l'air d'être un bon fruit.

J'y vais prendre un baiser. Il fait nuit dans mon âme ;

Mais j'ai pour l'éclairer deux grands yeux noirs de femme.

Eclairez-moi toujours, ô lumière des yeux 1

Je suis pauvre et ses mains semblent des camaïeux :

Je vais prendre ses mains. Elle dort... Le temps coule,

Et mon coeur éperdu dont le battement roule

Est l'horloge divine où je compte le temps.

Nous sommes en hiver : je crois que le printemps

Ce soir est revenu. J'ai faim de chair de femme,

Et j'ai soif de ton sang... et mon désir se pâme.

Il est minuit : je suis aux bras de ma maîtresse ;

Je savoure sa chair et je bois sa caresse.

Voici une autre poésie du même auteur :

Oublions le Passé qui toujours m'épouvante,

Car mon Passé morose est tissé de malheur.

Sans nous lasser, buvons à la coupe enivrante,

Buvons, moi pour calmer la soif qui me tourmente,

Et toi, pour oublier, en buvant, ta douleur.

Et lorsque l'aube bleue, à l'horizon de cuivre

600 BOIGEY

Aura lancé ses traits d'argent, nous reviendrons.

Aimons jusqu'à cette heure afin de mieux poursuivre

La route sans soleil dont la mort nous délivre,

Et d'attendre en paix l'heure où nous nous éteindrons.

Ce soir, tes yeux sont grands ; ton âme psalmodie

En un rythme troublant quelque chant inconnu.

Ce soir ton âme est belle, et la mienne mendie

La volupté qui monte autour de ton corps nu.

Observation XXIII. - (Tatouage n° 25.)

J..., typographe détenu à l'atelier de travaux publics. C'est encore un poète,

mais il n'a pas les habitudes sanguinaires du détenu précédent. Il a été con-

damné pour vol à trois reprises différentes. L'argent volé devait servir à

entretenir une maîtresse exigeante. Dans un accès de colère, il s'était pris de

querelle avec un sergent et l'avait frappé brutalement. Cet homme, dont

l'hérédité était très chargée (père alcoolique, mère nerveuse) avait présenté à

plusieurs reprises un écoulement purulent de l'oreille droite.

J.,est particulièrement apte à subir les mauvaises influences,mais ces influen-

ces ne sauraient complètement annuler son libre arbitre. Il doit être déclaré

responsable de ses actes avec cette circonstance atténuante qu'il est d'un carac-

tère faible et indécis, très faible à entraîner au mal comme au bien.

Il porte sur la région épigastrique le portrait de sa maîtresse. Des branches

de rosiers garnies de fleurs parsèment sa poitrine. Sur les bras sont tatouées

d'autres figurines de femmes. Sur le bras droit, on voit un bateau dont n'ap-

parait que l'arrière. Sur l'abdomen, deux gentlemen. Ses poésies ne sont pas

érotiques comme celles qui précèdent. Elles sont inspirées par des sentiments

tout différents. En voici deux spécimens :

Encore seul, toujours seul... Je m'en vais à pas lents

Par un chemin désert, sans amour, sans faiblesse,

Et mon pied s'ensanglante au chemin qui le blesse

Et s'éloignent toujours les horizons troublants.

L'avenir m'épouvante et je liais le passé ;

Dans le seul désespoir mon âme se recueille,

Et comme elle entrevoit l'au-delà qui l'accueille,

Mon âme veut souffrir sans dire : « C'est assez t »

Cette heure est-elle proche ? ... Ait ! si c'était demain

Que la mort bienveillante ait choisi pour me teudre

Fiancée aux yeux noirs sa caressante main !

Plus longtemps que demain, me faudra-t-il attendre ?

Voici la dernière strophe d'une longue poésie intitulée « La Lutte o.

Robuste combattant, l'heure de la bataille

A sonné. Viens ! Allons, laisse-là tes amours ;

LES TATOUÉS, LEUR PSYCHOLOGIE 601

Il te faut chaque jour sans que ton coeur défaille,

Sans repos, sans pardon, sans que ton bras tressaille

On faiblisse, lutter contre un vol de vautours,

Qui guettent les vaincus pour en faire ripaille.

(Tatouages n', 26 et 27.)

Je ne possède aucun renseignement sur les sujets porteurs des tatouages

26 et 27. Nous sommes vraisemblablement en présence d'un pédéraste (sujet

tatoué sur les cuisses) et d'un corse. Ce dernier porte en effet le tatouage du

bandit Bellacoscia que portait déjà le sujet qui fait l'objet de l'observation XIV.

Je clorai ici la série de mes observations appuyées sur des photogra-

phies. La pratique du tatouage, si commune chez les prisonniers, existe

aussi chez les gens du monde, et même chez les femmes. J'ai eu l'occasion de

soigner parmi les hiverneurs de Biskra plusieurs dames de la colonie

étrangère et je n'ai pas été peu surpris de trouver sur elles des tatouages

dont quelques-uns étaient d'une rare obscénité. L'une m'expliqua que ces

dessins étaient indispensables au bonheur de son mari un fétichiste

sans doute - ; une autre, qu'elle trouvait dans ces tatouages la source

des « sentiments «^inédits et « non encore éprouvés». Le nombre des

femmes tatouées augmenterait, paraît-il, rapidement dans cette société

spéciale. Que quelques désoeuvrées à qui leur situation de fortune pri-

vilégiée permet d'épuiser rapidement la gamme des sensations se

créent de toutes pièces la mentalité infirme des primitifs et reviennent aux

âges révolus, je n'y vois, pour ma part, aucun inconvénient, à condition,

toutefois, que leurs habitudes ne passent pas à l'état de modes que les

gens simples seront obligés d'adopter. Mais je me refuserai toujours à

considérer les tatouages comme des moyens détournés d'éprouver des

« sentiments » inédits et de plaire à des personnes normalement cérébra-

lisées. Seuls, peuvent s'adonner à ces habitudes d'un autre âge et's'y com-

plaire les esprits débiles. Leur débilité peut être l'effet d'une hérédité

chargée ou résulter de la déviation des fonctions normales par suite d'un

genre de vie mal ordonné.

Quoi qu'il en soit, il est hors de doute que la pratique du tatouage doive

tomber en désuétude dans la société contemporaine et ne se maintenir qu'à

l'état de survivance, comme signe de caste et de corporation, comme

passeport auprès d'amis et d'associés ou comme attestation symbolique de

quelque voeu de colère, d'amour ou de vengeance. On parle, depuis des

années, de la suppression des prisons et des bagnes, prématuréeà mon hum-

ble avis, car l'âge d'or n'est pas encore venu. Cette suppression entraîne-

602 BOIGEY

rait certainement la disparition du tatouage. Ce ne serait pas une grande

perte car il n'a plus depuis longtemps son caractère de grand art honoré

de tous ; il n'est devenu qu'une pratique de mystère et de méprisable vanité

dont l'oeuvre est tenue cachée lâchement sous des habits (1).

(1) Cette étnde est extraite d'un livre en préparation sur les Ateliers de travaux publics.

Le gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

(hospice DE la S,\LPÊl BIL.IOE)

Travail du laboratoire de M. le professeur Raymond.

ATROPHIE OLlVO-RUBRO-CLRI;JBELLL,.USE

ESSAI DE CLASSIFICATION' DES ATROPHIES DU CERVELET.

PAR

P. LEJONNE et J. LHERMITTE

Si nos connaissances sur l'anatomie du cervelet et de ses voies efférentes

et afférentes ont fait durant ces dernières années d'indiscutables progrès,

il s'en faut que nous soyons complètement fixés sur l'origine et le trajet

des fibres cérébelleuses ainsi que sur les relations des différentes forma-

tions grises du petit cerveau et de l'axe cérébro-spinal.

Aussi l'étude des affections systématisées du cervelet est-elle du plus

haut intérêt pour l'anatomiste, le physiologiste et le médecin. C'est à

l'examen méthodique des dégénéralions systématiques de l'appareil céré-

belleux que nous devons les notions les plus précises sur les relations des

pédoncules du cervelet avec l'axe cérébro-spinal d'une part et les noyaux

cérébelleux d'autre part. -

De ces affections qui aboutissent à la dégénération d'un ou de plusieurs

systèmes, l'atrophie oliro-ponlo-cérébelleuse décrite par MM. Dejerine et

Thomas est l'exemple le plus saisissant. Elle est la démonstration de l'ori-

gine dans les noyaux du pont des pédoncules cérébelleux moyens et dans

les olives bulbaires du plus grand nombre des fibres cérébello-olivaires.

Le cas que nous rapportons est analogue aux observations de ces auteurs

en ce sens qu'il s'agit également de dégénérations systématiques ; il s'en

distingue néanmoins très nettement par la topographie différente des

territoires dégénérés : contrastant avec l'intégrité des pédoncules cérébel-

leux supérieurs et de ses noyaux d'origine, les corps dentelés, qu'on

observe dans les cas de MM. Dejerine et Thomas, nous constatons une

dégénération totale de ces pédoncules et des corps dentelés, tandis que les

noyaux du pont et les pédoncules cérébelleux moyens sont entièrement

respectés. Comme dans l'atrophie otivo-ponto-cérébetteuse, les olives

bulbaires, les fibres cérébello-olivaires et le cortex cérébelleux sont dégé-

nérés.

Il en ressort d'une part que les pédoncules cérébelleux supérieurs tirent

xxii 40

606 LEJONNE El' LHERWTTE

bien leur origine exclusive des noyaux dentelés, ceux-ci étant aussi com-

plètement dégénérés que ces pédoncules, alors que les noyaux rouges sont t

intacts, et d'autre part que la majorité des fibres cérébello-olivaires vient

de l'olive bulbaire pour monter vers le cervelet.

La systématisation de l'atrophie que nous allons décrire nous a semblé

suffisamment précise pour lui mériter le nom d'atrophie olivo-rzsbro-céré-

belleuse. Il nous a paru intéressant de montrer quelle place elle doit occu-

per parmi les maladies du cervelet ; nous avons été ainsi conduits à pro-

poser une classification de ces affections.

`OBSERVATION (PI. LXIII à LXVIfI).

Il s'agit d'une femme âgée de 63 ans, hospitalisée depuis plusieurs années

à la Salpêtrière dans les divisions du P' Raymond pour un syndrome de Weber.

Nous n'avons pas observé nous-même la malade ; nous savons seulement,

par une fiche qui nous a été remise dans le service, que chez cette malade il

existait une hémiplégie droite avec contracture, l'avant-bras étant fléchi sur le

bras, la main sur le poignet et les deux derniers doigts dans la paume de la

main. A droite tous les réflexes étaient exagérés et le signe de BabinSKi positif,

il n'y avait pas de clonus. On constatait en même temps une paralysie du droit

interne de l'oeil gauche. La sensibilité au tact et à la douleur semblait émoussée

au niveau des cuisses et des jambes, mais l'émotivité et le défaut d'attention de

la malade empêchaient tout examen sérieux. Les sensibilités profondes parais-

saient indemnes Le diagnostic de syndrome de Wéber était évident ; on s'était

demandé si cette malade n'était pas atteinte de sclérose en plaques.

La malade mourut en septembre 1907.

Examen anatomique. (PI. LXIII). L'autopsie a été pratiquée 28 heures

après la mort; le cadavre, formolé, était en bon état de conservation.

Macroscopiquement, ce qui frappe avant tout dans l'examen du système ner-

veux, c'est la petitesse extrême du cervelet. Si l'on place l'encéphale sur sa

convexité, la face inférieure en haut, on voit que les lobes occipitaux dépassent

largement les lobes du cervelet; le cervelet est atrophié également dans toutes

ses parties, et la méninge en parait plissée, ridée, sans épaississement notable.

Le cerveau est petit, comme chez les vieillards, sans altérations macroscopiques

appréciables, et les méninges cérébrales paraissent saines. Les vaisseaux de la

base de l'encéphale, un peu flexueux, ne présentent pas d'athérome.

Il existe en outre une atrophie prononcée du pédoncule cérébral gauche, qui

à sa sortie de la protubérance apparaît déprimé. Le nerf moteur oculaire com-

mun du même côté est extrêmement grêle, d'aspect grisâtre et contraste avec

la 111' paire du côté opposé, d'apparence normale.

A la coupe, on trouve un vieux foyer jaune ocreux au niveau de la moitié

gauche de la protubérance. Les nerfs optiques et le chiasma paraissent intacts

macroscopiquement.

Les hémisphères cérébraux sont normaux. Les viscères ne présentent rien

de particulier, sauf uu peu de cirrhose hépatique.

()l.l'E1.1.1 : ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

T, XXII. Pl. LXIII

Fig. 2

Fig. 1

ATROPHIE OLI'O-RUBltO-C1;RBEL1.EUSE

(Le jointe et Lhermitte)

Masson et Cie, Editeurs

NOUVELLE ICONOGRAl'HIh DE LA SALPl : 1RIL ! {E

T, XXII. Pl. LXIV

Fig. 1

Fig. 2

Fier 3

ATROPHIE OLI'O-RUI3110-CAILBFLI,F-USF

(Lei(iiiie el Lher mille)

ATROPHIE OLIVO-RU13RO-CRLeBEI,LEUSE 607

Examen microscopique du système nerveux. (PI. LXIV à LXVI).

Cortex du cervelet. - Sur des coupes colorées à l'hématoxyline-éosine ou à

1'liéniiLo ? yliiie-Vaii Gieson, on voit que les cellules de Purkinje ont presque

disparu dans toutes les lamelles ; on en rencontre encore quelques-unes, mais

fort disséminées et très malades ; celles qui persistent sont petites ; certaines ont

perdu leurs prolongements, certaines leur noyau ; d'autres ont un noyau et un

protoplasma prenant malles colorants. Les grains chromatiques ont disparu ;

on n'observe pas de pigmentation. En beaucoup d'endroits, entre la couche des

grains et la couche moléculaire, il existe un espace clair répondant aux cellules

de Purkinje disparues.

La couche moléculaire présente une atrophie prononcée ; elle est constituée

par des fibres névrogliques qui rayonnent de la couche des grains vers la surface

des circonvolutions ; ces fibres (libres de Bergman) sont très augmentées à la

fois de nombre et de volume. Les vaisseaux sont normaux et les fibres ne sont

pas plus nombreuses qu'ailleurs autour des vaisseaux.

La couche des grains est également atrophiée ; on observe une diminution

considérable du nombre des grains et la couche elle-même est transformée en

un tissu réticulé formé de fibrilles névrogliques avec des noyaux épars ; ces

fibrilles parfaitement distinctes, s'enchevêtrant en tous sens, forment un rélicu-

lum très dense ; elles se continuent avec le feutrage de la couche moléculaire

d'une part et d'autre part avec le feutrage de la substance blanche de la moelle.

Les noyaux sont d'habitude situés aux points d'intersection des fibrilles.

Les grains sont très rares, un peu plus nombreux à la limite externe de la

couche. Ceux qui persistent sont irréguliers, se colorent mal ou même sont à

peine teintés par les matières colorantes.

Par les colorations au Weigert ou au Pal, on se rend bien compte que dans

la couche moléculaire profonde il n'y a plus trace de ces fibres à myéliue

qui se terminent en corbeille autour des cellules de Purkinje. Dans la couche

des grains, les fibres sont rares, irrégulières, variqueuses.

Au lllarcUi, il n'y a pas de corps granuleux; simplement quelques boules

graisseuses (vésicules adipeuses) dans les méninges.

La substance blanche des lamelles est très réduite de volume ; par la méthode

de Pal, on voit que les fibres myéliniques qui la constituent sont évidemment

plus grêles et en beaucoup moins grand nombre que normalement.

Par la coloration à l'hématoxiline-Van Gieson, on met en lumière une sclé-

rose névroglique accentuée, notablement plus marquée autour des vaisseaux

où l'on voit des fibrilles en grand nombre s'entrecroisant, en suivant en général

la direction du vaisseau et formant un feutrage assez dense.

Noyaux centraux. Les noyaux du toit à l'oeil nu ne paraissent pas sen-

siblement atrophiés ; ils sont égaux et symétriques.

Microscopiquement, les cellules sont évidemment moins nombreuses, bien

que sur une coupe horizontale passant par la partie moyenne on puisse en

compter 40 à 45 environ ; mais surtout elles sont assez profondément modifiées,

de taille inégale, très pigmentées, arrondies, sans prolongements, avec un noyau

difficilement décelable.

608 LEJONNE ET LHERMITTE

Les fibres blanches ne paraissent pas très altérées ; il semble que par

endroits il y ait une légère démyélinisation, mais la plupart sont épaisses,

régulières, bien colorées.

Il existe une prolifération névroglique assez intense, particulièrement abon-

dante en noyaux.

Noyaux dentelés accessoires. Les deux bouchons paraissent avoir leurs

dimensions normales; les cellules ne sont pas très malades; les fibres myéli-

niques sout bien conservées, mieux que dans les noyaux du toit ; il y a peu de

réaction névroglique. -

Globules. - Ils paraissent également normaux tant au point de vue des

cellules que des fibres myéliniques.

Les noyaux dentelés à l'oeil nu sont extrêmement petits, la lame plissée a

perdu ses ondulations, l'olive semble comme étirée et amincie. Les deux lames

interne et externe se touchent par suite de la disparition du tissu intermédiaire.

Au Pal, la place de l'olive est occupée par une tache blanche. Il y a diminution

d'épaisseur de la lamelle.

Les cellules sont petites, pigmentées, presque sans prolongements, mais il

en subsiste un assez grand nombre ; c'est surtout de l'atrophie simple qu'on

observe.

Les fibres qui traversent l'olive sont très raréfiées; la partie ventrale de

l'olive est complètement démyélinisée, on y trouve seulement quelques fibres,

rares, tortueuses. Dans les autres parties, les fibres sont très diminuées de

nombre, variqueuses.

Substance blanche centrale des hémisphères. Dans la moitié supérieure

par les méthodes de Weigert et de Pal,les fibres sont bien colorées ; on retrouve

la lésion générale, c'est-à-dire l'atrophie en masse de la substance blanche,

mais les fibres examinées au microscope sont bien conservées, régulières, à

dimensions normales ; il y a simplement disparition d'un certain nombre de

fibres.

Au niveau de la partie externe du pédoncule cérébelleux moyen gauche, on

constate sur des coupes horizontales un foyer qui par la méthode de Weigert-

Pal a l'apparence d'une tache claire de trois millimètres sur deux. Ce foyer

descend dans la substance blanche du lobe gauche et se trouve situé au-dessus

du flocculus et en dedans du lobe semi-lunaire.

En haut il côtoie le pédoncule cérébelleux moyen et passe au-dessous de

l'insertion du trijumeau. On ne le retrouve pas dans les coupes supérieures.

A son niveau, on constate que les fibres sont très diminuées de nombre;

celles qui restent sont tortueuses, variqueuses, formant des tronçons sur coupe

horizontale.

Par la méthode de Van Gieson, on se rend bien compte de la raréfaction du

tissu ; celui-ci est formé par des fibrilles uévrogliques qui s'entrecroisent en

tous sens, avec quelques noyaux. Sur les confins du foyer, la névroglie a pro-

liféré avec une très grande exubérance, formant un feutrage excessivement

dense de fibrilles névrogliques avec de nombreux noyaux, colorés en rose vif

Nouvelle Iconographie DE la SALPÊ : TRIt`·.R1 :

T. XXII. P. LXV

ATROPHIE OL1VO-RUBRO-CÉRÉBELLEUSE

(Lejoinie el LberlIIi/tl')

ATROPHIE OLEUSE 609

par le Van Gieson. Au niveau du foyer les vaisseaux ne paraissent pas

malades.

Les fibres du noyau dentelé semblent à l'aeil nu avoir complètement disparu

au niveau de la partie médiane de ce noyau. Celles qui persistent, sur coupe

horizontale, sont réduites à des tronçons très courts présentant des renflements

très volumineux. Les fibres de la toison sont assez clairsemées, sans que la

démyélinisation atteigne à beaucoup près l'intensité qu'elle prend dans la partie

interne.

A la région dorsale du noyau dentelé droit, il existe un petit foyer de démyé-

linisation gros comme une lentille au niveau duquel disparaissent presque

toutes les fibres nerveuses.

Un autre foyer de démyélinisation existe à la partie supéro-externe du

pédoncule cérébelleux moyen du côté gauche, Ce foyer s'enfonce dans la masse

blanche centrale du cervelet où il s'atténue et disparaît ; ses dimensions n'excè-

dent pas trois millimètres sur coupe transversale au niveau de la partie moyen-

ne du pédoncule, où il est le plus marqué ; il se traduit par une décoloration

visible, au Pal et au Weigert; à son niveau les fibres à myéline conservées

sont irrégulières, tortueuses et variqueuses.

Pédoncules cérébelleux supérieurs. D'une manière générale, aussi bien

à droite qu'à gauche, les pédoncules cérébelleux supérieurs présentent une

atrophie considérable.

1° Segment intm-cérébelleux. - Dans la moitié inférieure du noyau dentelé,

les fibres intra-ciliaires sont, nous l'avons dit, extrêmement rares. Dans la

partie moyenne, elles sont clairsemées; on peut cependant en suivre quelques-

unes formant un faisceau grêle à la face interne du noyau dentelé. Ce faisceau

est en dehors des fibres venues des noyaux de Deiters et de Bechterew et

allant au vermis, fibres qui, elles, sont épaisses et bien conservées.

Sur les coupes intéressant la partie supérieure du noyau dentelé, les pédon-

cules cérébelleux supérieurs présentent également des fibres très clairsemées.

2° Segment juxta-velltl'icutaire. - La partie ventriculaire est considérable-

ment amincie, réduite à un millimètre d'épaisseur et le ventricule est exces-

sivement dilaté ; les pédoncules cérébelleux supérieurs sont réduits à quelques

faisceaux de fibres bien colorées, mais peu nombreuses ; beaucoup de ces fibres

paraissent normales, plusieurs sont qioiiilifortiies ; dans les coupes les plus

élevées on trouve de plus un grand nombre de fibres en tronçons.

Contrastant avec la diminution énorme du volume du pédoncule cérébelleux

supérieur, les fibres semi-circulaires externes sont au contraire très bien

conservées.

3° Segment in trutpgmentaire. Les pédoncules cérébelleux supérieurs,

toujours très réduits, paraissent cependant posséder plus de libres que dans les

deux premiers segments. Les fibres sont régulières et ne présentent pas les

lésions observées aux régions inférieures.

Les bras de la commissure de Wernekink sont grêles; de plus un foyer

de ramollissement ancien vient couper une partie minime du bras gauche de

ô10 LEJONNE ET LHERMITTE

cette commissure et une partie encore plus restreinte des fibres postérieures du

côté opposé.

Plus haut, après l'entrecroisement, les pédoncules cérébelleux supérieurs

(noyaux blancs de Stilling) sont encore très réduits, mais ici inégalement, plus

à gauche, ce qui est en rapport avec une destruction plus notable des fibres

commissurables par le foyer ancien.

Les noyaux rouges ont des dimensions normales ; les fibres nerveuses qui

les traversent sont évidemment très diminuées de nombre. Elles ne présen-

tent pas d'autres altérations. Les cellules ne sont pas très nombreuses ; certai-

nes d'entre elles sont un peu atrophiées et entourées de noyaux névrogliques

abondantes ; d'ailleurs la névroglie paraît légèrement proliférée.

On n'observe toujours pas de lésions vasculaires. La capsule du noyau rouge

paraît à peu près normale du côté droit ; du côté gauche, la partie externe de

la capsule est moins dense, moins riche en fibres.

Pédoncules cérébelleux inférieurs. Olive . - Sur les coupes colorées

par la méthode de Pal, l'olive, à l'oeil nu, apparaît hypertrophiée des deux

côtés, mais ses limites présentent un certain flou ; on ne distingue plus le hile

qui est presque absolument décoloré comme l'olive elle-même.

Sur certaines coupes, particulièrement dans la région supérieure, l'olive ap-

paraît comme une masse arrondie, décolorée, dans laquelle on ne distingue

plus les circonvolutions.

Au microscope, dans les régions les moins altérées, à la partie moyenne

surtout, la lame grise est hypertrophiée, on ne constate plus dans son intérieur

aucune fibre à myéline; quelques rares fibres transversales la traversent dans

la région postérieure. Le hile est entièrement démyélinisé; la capsule de l'olive

est remarquablement pauvre en fibres, le feutrage extraciliaire est tout à fait

raréfié.

Dans la région inférieure on observe les mêmes lésions ; restent seulement

quelques très rares fibres myéliniques.

Dans la partie supérieure de l'olive, les altérations sont tout à fait analogues,

elles sont plus accentuées du côté gauche ; à droite on distingue encore un peu

la forme des circonvolutions olivaires, le feutrage extraciliaire est moins rare-

fié ; dans le hile il existe encore quelques fibres qui sortent en faisceaux.

Au point de vue histologique on constate la disparition de l'immense majo-

rité des cellules ; on en constate encore quelques-unes, mais très malades,

ratatinées, globuleuses, sans prolongements, le noyau et le nucléole sont

cependant conservés. .

Le tissu de l'olive est constitué par un feutrage névroglique abondant; sur

une coupe horizontale ces fibres apparaissent parallèles et s'insinuent perpen-

diculairement aux surfaces externe et interne de l'olive.

Dans l'intérieur des circonvolutions olivaires et dans le hile, les fibres névro-

gliques s'unissent en faisceaux qui sortent du bile. On y rencontre là de

nombreuses cellules.

Les fibrilles névrogliques sont, au niveau du hile, beaucoup moins serrées ;

);0"\ hLi Iconographie de la Salpi' trière T. XXII. Pl. I.XVI

ATROPHIE OL1V0-KU13R0-C.RÉBEL1.EUSE

(Lcim11lc et Lhcrinitlc)

Masson et Cm, Editeurs

ATROPHIE OLIVO-RUBRO-CÉRÉBELLEUSI 611

elles forment un réseau dans lequel on rencontre de nombreux noyaux et des

cellules araignées.

Les parolives internes et externes présentent les mêmes altérations que les

olives.

Le noyau m'ci/m'me est bien conservé du côté droit et donne naissance à

des fihres arciformes antéro-externes que l'on suit parfaitement jusqu'au corps

restiforme et à des fibres postérieures qui suivent la ligne médiane pour se

recourber et aboutir au corps restiforme.

A gauche le noyau arciforme est plus réduit; malgré cela on peut suivre un

faisceau de fibres arciformes antéro-externes jusqu'au niveau du corps resti-

forme ; il est un peu plus faible que du côté droit; de même on suit un faisceau

postérieur assez bien développé.

Fibres cérébello-olivaires. - Région inférieure. Ces fibres sont en

général diminuées, mais néanmoins on en observe un certain nombre bien

conservées.

Les fibres prétrigéminalesont presque complètement disparu,les fibres inter-

trigéminales sont excessivement réduites ; les fibres rétrotrigéminales consti-

tuent le groupe le mieux respecté, quoiqu'un grand nombre semble bien avoir

disparu.

A la région moyenne, il n'y a plus de fibres transversales passant à travers

l'olive, les seules libres qui restent sont celles qui passent en arrière, elles sont

très diminuées de nombre, surtout du côté droit; on peut les suivre jusqu'au

corps restiforme.

A la région supérieure, on trouve la même raréfaction, peut-être un peu

plus prononcée, sans différence appréciable entre les deux côtés.

Pédoncules cérébelleux inférieurs proprement dits. - Le corps restiforme

est évidemment atrophié, et sur des coupes transversales il apparatt réduit de

moitié, tant à droite qu'à gauche. Les fibres qui le composent, colorées par la

méthode de Pal, semblent normales ; on ne voit pas de sclérose bien manifeste.

Sur les coupes supérieures le corps restiforme se montre toujours aussi atro-

phié, mais les libres qui le composent sont sensiblement normales.

Arrivés au cervelet, les pédoncules cérébelleux inférieurs se confondent avec

les pédoncules cérébelleux moyens. On constate une atrophie généralisée, mais

pas de champ de dégénération spéciale dans le territoire que leur assigne l'ana-

tomie normale.

La partie interne du pédoncule cérébelleux inférieur (corps juxta-restiforme)

paraît intacte; les fibres semi-circulaires internes sont bien conservées. Natu-

rellement, les grandes cellules formant les noyaux de Deiters et de Bechterew

ne présentent aucune altération appréciable.

Le noyau latéral du bulbe, le faisceau latéral du bulbe sont normaux.

Pédoncules cérébelleux moyens. Les pédoncules cérébelleux moyens sont

très légèrement diminués de volume, mais remarquablement bien conservés.

Les fibres qui les composent sont normalement développées et se colorent au

Pal d'une manière satisfaisante. Les noyaux d'origine de ces pédoncules, aussi

bien pré que rétropyramidaux sont composés de cellules normales d'aspect et

612 LEJONNE ET LHERMITTE

de nombre. On suit les fibres de ces pédoncules jusque dans le cervelet où elles

se confondent avec celles des pédoncules inférieurs.

Radiations de la calotte. Elles paraissent tout à fait normales ; il n'y a

aucune différence entre les deux côtés, pas de lésion des fibres.

Disons une fois pour toutes que les méninges sont absolument normales au

niveau du cervelet. Il n'y a pas trace de processus inflammatoire, ni de sclé-

rose méningée.

Au Marclii, on n'observe pas de corps granuleux, simplement quelques boules

graisseuses. Quant aux vaisseaux des méninges, les veines sont béantes, avec

dans leur lumière d'assez nombreux leucocytes ; les artères,surtout celles d'un

certain calibre,ont leur paroi un peu épaissie,comme on les trouve d'ordinaire

chez les vieillards.

Les vaisseaux du cervelet tant au niveau des couches superficielles que des

couches profondes, ne présentent aucune altération vraiment importante ; tou-

tefois dans l'intérieur du cervelet les gros vaisseaux ont quelquefois une paroi

un peu épaissie. Jamais en tous cas le tissu environnant ne paraît réagir.

Syndrome de Weber. Foyer d'origine. Nous avons vu que macros-

copiquement le pédoncule cérébral gauche est atrophié ainsi que la III' paire

du même côté.

Au microscope la lésion apparaît dans la partie toute supérieure de la pro-

tubérance annulaire, sur une coupe transversale, sous forme d'un foyer trian-

gulaire à base inférieure de 6 millimètres de hauteur sur 4 millimètres de

base.

Ce foyer, sur des coupes sériées, conserve des dimensions analogues dans le

tiers inférieur du pédoncule.

Au niveau du tiers moyen il diminue brusquement, pour être réduit au ni-

veau de la traversée pédonculaire des fibres de la me paire à la dimension d'un

ovoïde de 3 millimètres sur 1 millimètre.

Dans la protubérance ce foyer détruit complètement la voie pyramidale et

atteint environ le quart interne du ruban de Reil médian ; il se prolonge en

arrière jusqu'au faisceau longitudinal postérieur qu'il coupe.

A sa partie moyenne le foyer détruit la voie pyramidale, la moitié interne du

ruban de Reil médian, quelques fibres du pédoncule cérébelleux supérieur

gauche qui déçussent à ce niveau et le faisceau longitudinal postérieur.

A sa partie supérieure le foyer sectionne la majorité des fibres du moteur

oculaire commun et une très faible partie du ruban de Reil.

Au niveau de ce foyer tous les éléments nerveux ont disparu ; on constate

seulement un tissu largement aréolaire, cloisonné par des fibres névrogli-

ques.

Dégénérations ascendantes. Les fibres pyramidales au niveau du pied du

pédoncule gauche, au-dessus de la lésion, se colorent beaucoup moins bien

qu'à droite et semblent atrophiées.

Le ruban de Reil médian est atteint au niveau de son quart interne ; dans les

régions supérieures on constate l'atrophie de la partie tout à fait interne de ce

ruban :

Nouvelle Iconographie DE la SALI'1 : 1RI1 : RE

'I'. XXII. Pi. 1.\'ll

ATROPHIE OLI\'O-RU13R0-CÉREI3ELLEUS1 :

(Lejonne et Hermille)

ATROPHIE OLtVO-RUI3R0-CERL.BELLEIJSE 613

La couche optique est semblable des deux côtés et ne parait pas présenter

d'atrophie.

Le faisceau longitudinal postérieur est complètement dégénéré du côté gauche,

on n'y constate plus aucune fibre à myéline.

Le faisceau central de la calotte est nettement réduit de volume, du côté

gauche ; on y retrouve néanmoins un certain nombre de fibres à myéline nor-

males.

Dégénérations descendantes. Au-dessous de la lésion toutes les fibres

pyramidales ont disparu. On poursuit la dégénération dans la protubérance

les pyramides bulbaires. Au-dessous de la décussation on ne note aucune dé-

génération dans le cordon antérieur gauche,c'est-à-dire dans le champ attribué

par les classiques au faisceau pyramidal direct ; en revanche le faisceau pyra-

midal croisé, du côté droit, présente une dégénération des plus nettes, affectant

à la région cervicale la forme d'une virgule renversée, étendue transversalement,

dont la tête affleure la substance gélatineuse de Bolando, la queue s'arrêtant à

quelque distance de la périphérie de la moelle. A la région dorsale la zone de

dégénération est triangulaire à sommet externe ; au niveau des régions dorsale

inférieure, lombaire, et sacrée, elle occupe la zone que l'on assigne classique-

ment au faisceau pyramidal croisé.

L'examen anatomique nous a donc montré l'existence de lésions com-

plexes de l'appareil cérébelleux ; nous avons proposé le nom d'atrophie

o/i).'o-rM6;'o-ccreMM. ! e pour désigner ce type anatomique.

Ses éléments constituants sont les suivants :

1° Sclérose et démyélinisation totale des olives bulbaires sur toute leur

bailleur ; disparition d'un grand nombre défères cél'ébello-olirail'es et l'éduc-

tion parallèle du corps restiforme, sans altération des nerfs ou des noyaux

bulbaires.

2o Atrophie globale du cervelet, caractérisée histolo;iquement par la

disparition de toutes les cellules de Purkinje, d'un grand nombre des

cellules de la couche des grains remplacée par un feutrage névroglique as-

sez dense par endroits. Au point de vue topographique, cette atrophie est

généralisée et frappe avec une égale intensité les lobes latéraux et le lobe

médian, le flocculus, l'amygdale, etc. Il existe également une atrophie pro-

noncée de la substance blanche centrale avec raréfaction des fibres myé-

liniques.

3° Atrophie des noyaux dentelés et disparition presque complète des pé-

doatcttles cérébelleux supérieurs jusqu'aux noyaux rouges, dont les lésions

sont à peine appréciables.

Conservation des autres noyaux centraux du cervelet, noyaux du toit,

èmboles et globules;

614 si LEJONNE ET LHKRMITTE

Il n'existe en aucun point de foyer inflammatoire ou nécrobiotique, ni

de lésions méningées ou vasculaires, en dehors d'un épaississement modéré

des parois des vaisseaux.

Quant au syndrome de Weber présenté par cette malade il reconnais-

sait pour cause un petit foyer situé dans le pédoncule cérébral gauche,

avec à son niveau destruction complète des fibres du faisceau pyrami-

dal et section presque complète des fibres de la IIIe paire gauche,

il s'accompagnait d'une dégénération rétrograde légère du faisceau pyra-

midal, d'une dégénération ascendante du quart interne du ruban de Reil

médian, enfin et surtout d'une dégénération descendante du faisceau py-

ramidal, occupant dans la moelle le territoire du faisceau pyramidal croisé,

respectant au contraire le territoire du faisceau pyramidal direct.

Ce foyer avait en outre sectionné les fibres du faisceau longiludinalpos-

térieur gauche et une partie des fibres du faisceau central de la calotte.

En face de ces lésions complexes, une première question se pose, celle

des rapports qui pourraient exister entre le foyer pédonculaire et l'atro-

phie olivo-rubro-cérébelleuse.

D'après ce que nous enseigne l'anatomie de l'encéphale, une lésion

limitée du pédoncule ne peut en aucune manière conditionner une atro-

phie aussi étendue de l'appareil cérébelleux. Ce foyer d'ailleurs n'attei-

gnait qu'une très minime partie des fibres entrecroisées du pédoncule

cérébelleux supérieur (commissure de Wernekink). Ce que nous som-

mes en droit d'attribuer au foyer pédonculaire, c'est simplement la dégé-

nérescence de la voie motrice, du nerf moteur oculaire commun et des

faisceaux d'association : faisceau central de la calotte et faisceau longitu-

dinal postérieur.

Il n'y a donc aucune relation directe entre la lésion du pédoncule

cérébral gauche et l'atrophie olivo-rubro-cérébelleuse.

On pourrait se demander si les deux lésions ne sont pas de même

origine et de même nature. Nous avons suffisamment insisté dans notre

description anatomique sur le fait qu'il n'y avait au niveau du cervelet et

des voies cérébelleuses aucune lésion en foyer, ni aucune lésion vascu-

laire notable. Il s'agit donc bien de deux lésions absolument indépen-

dantes l'une de l'autre.

Nous ne croyons pas devoir insister ici sur les lésions anatomiques

auxquelles se rattache le syndrome de Weber ; faisons simplement remar-

quer l'absence de dégénération du cordon antérieur cle la moelle à ses

1 a il * Hd ! n

NOUVELI.E ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊ1Rli : RE

'I'. XXII. PI. LXVIi[

ATROPHIE OLIVO-RUBRO-CÉRÉBELLEUSE

(Le jointe et Lberlll itte)

Masson et Cie, Editeurs

PhOlotYlue Uellhaud, Paris

ATROPHIE OLIVO-RUBRO-CKRÉBELLEUSE 615

différents niveaux ; vraisemblablement la décussation du faisceau pyra-

midal devait être totale dans le cas qui nous occupe.

L'atrophie olivo-rubro-cérébelleuse au contraire nous paraît mériter

une étude plus approfondie. Nous avons montré dans un travail récent (1)

en quoi elle différait au point de vue anatomique des différentes atrophies

du système cérébelleux décrites jusqu'ici, atrophie olivo-ponto-cérébel-

leuse de Dejerine et Thomas, atrophie lamellaire de Thomas, atrophie

parenchymateuse des lamelles du cervelet de Murri et I. Rossi, atrophie

olivo-cérébelleuse de G. IIolmes, etc. Il nous faut maintenant assigner

une place à cette atrophie olivo-rubro-cérébelleuse dans le groupe des

maladies du cervelet ; pour cela nous allons rapidement passer en revue

les classifications proposées jusqu'ici pour les atrophies du cervelet.

Parmi les affections du cervelet, tumeurs, kystes, abcès ou inflamma-

tions diffuses, hémorragies et ramollissements qui sont des raretés, les

atrophies cérébelleuses constituent certainement la classe la plus intéres-

sante.

Les auteurs qui se sont occupés de ces atrophies du cervelet ont essayé

d'établir des classifications en se basant uniquement sur l'anatomie

pathologique ; nous sommes encore tout à fait ignorants de la nature et

de l'origine de l'immense majorité de ces atrophies; leurs symptômes

sont également beaucoup trop confus à l'heure actuelle pour permettre

une division : beaucoup sont des trouvailles d'autopsie. C'était le cas de

notre atrophie olivo-rubro-cérébelleuse. Nous nous gardons bien de con-

clure que celle-ci ne s'était traduite pendant la vie par aucun symptôme :

rappelons qu'on avait pensé chez notre malade à l'existence d'une sclérose

en plaques; l'insuffisance de l'observation clinique nous oblige il rester

dans le doute ; nous avons cependant tendance à supposer qu'un certain

nombre des scléroses combinées des vieillards décrites par Crouzon (2)

répondent anatomiquement à des atrophies cérébelleuses, ainsi que M. I.

Rossi l'a récemment montré (3) pour la forme ataxo-cérébello-spasmodi-

que.

D'après MM. Dejerine et Thomas (4), on peut diviser les atrophies céré-

belleuses en :

/'

(1) Atrophie olivo et rtebro-cérébelleuse, par P. Lejonne et J. Lhermitte, Soc. de

neurologie, 7 janvier 1909.

(2) CnouzoN, Des scléroses combinées de la moelle, thèse de Paris, 1904.

(3) ITAI.0 Rossi, Atrophie primitive pm enchymateuse du cervelet à localisation cor-

ticale, Soc. de Neurol., 6 décembre 1906 et Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière,

1907, p. 66. .

(4) Dejerine et Thomas, L'atrophie olivo ponto-cél'ébelleuse, Nouvelle Iconographie

de la Salpêtrière, 19UO, p. 350.

616 LEJONNE ET LHERMITTE

I. - Atrophies partielles ou asymétriques consécutives à des lésions

limitées (hémorragies ou ramollissements) et parfois congénitales.

IL Atrophies générales et symétriques.

a) Atrophies scléreuses, d'origine vasculaire ou inflammatoire.

b) Atrophies simples, congénitales.

III. Atrophies dégéhératives et parenchymateuses dont l'atrophie

olivo-ponlo-cérébelleuse est le type le plus achevé.

Si nous nous posons la question de savoir dans quel groupe de cette

classification peut rentrer l'atrophie olivo-rubro-cérébelleuse que nous

venons de décrire, nous constatons qn'on pourrait à la rigueur la rap-

procher des atrophies dégénéralives et parenchymateuses, mais pourtant

qu'elle en diffère par l'existence d'une sclérose manifeste dans les régions

dégénérées.

Plus récemment M. G. Holmes a proposé une nouvelle classification des

affections du cervelet (1).

Il en distingue six classes : trois n'ont pas trait aux atrophies cérébel-

leuses ; ce sont : les lésions cérébelleuses aiguës, la dégénération des fais-

ceaux cérébelleux spinaux et la petitesse congénitale du système nerveux

central associé à des symptômes cérébelleux.

Dans les trois autres,au contraire, M. Holmes fait rentrer toutes les atro-

phies cérébelleuses :

I. Dégénération parenchymateuse primitive du cervelet.

IL Atrophie 0 livo-pon to-cél'ébellr : 1tse,

III. - Atrophie cérébelleuse progressive due à des lésions irrilalives

ou vasculaires.

Notre observation nepeut rentrer dans aucune de ces trois classes; nous

avons montré en quoi elle différait de l'atrophie olivo-ponto-céi-ébelleuse;

on ne peut non plus la considérer comme une dégénération parenchyma-

teuse absolument pure; encore bien moins comme une atrophie cérébel-

leuse progressive d'origine interstitielle ou vasculaire.

Ces deux classifications ne nous paraissent point suffisamment compré-

hensives ; de plus elles nous semblent critiquables par certains points.

Ainsi M. Holmes sépare les atrophies parenchymateuses primitives du

cervelet de l'atrophie olivo-ponto-céréhelleuse, ces deux types de lésions

constituant deux catégories distinctes ; MM. Dejerine et Thomas, au con-

traire, insistent sur ce fait que l'atrophie olivo-ponto-cérébelleuse est une

dégénération primitive systématique du cervelet ; rien ne justifie donc la

distinction de M. Ilolmes; il ne resterait donc plus, au fond, que deux

(1) CORDON HOLMES, A forme o/ familiale dégénération of the cerebellum. Brain,

1907, p. 466.

ATROPHIE OLIVO-RUBRO-CI : RBELLUSE 617

classes d'atrophies cérébelleuses, les dégénérescences parenchymateuses

primitives et les atrophies progressives d'origine interstitielle ou vascu-

laire ; c'est là une classification un peu trop sommaire.

La classification de MM. Dejerine et Thomas ne nous paraît pas- tenir

un compte suffisant de la genèse des atrophies cérébelleuses et de l'époque

de leur développement ; de plus les atrophies secondaires aux affections du

cerveau ou de la moelle ne trouvent pas place dans cette classification.

En nous fondant sur l'époque du développement de l'atrophie, sur la

topographie des lésions, leur systématisation, leur origine, nous sommes

conduits à diviser de la manière suivante les atrophies du cervelet :

Une première division s'impose, basée sur l'origine de l'atrophie ; sou-

vent, en effet, certaines atrophies succèdent à des lésions de l'encéphale :

hémiatrophies croisées (Thomas et Cornélius), ou à des lésions de la

moelle (maladie de Friedreich, tabes) ; d'autres au contraire se dévelop-

pent et évoluent en dehors de toute modi(ication de l'axe cérébro-spinal

ou du moins ces modifications, elles existent, sont secondaires à la lésion

du cervelet (dégénérations secondaires), ou tout à fait indépendantes,

sans aucun rapport de causalité.

Les atrophies secondaires ne nous retiendront pas : la lésion qui les

conditionne est en géneral grossière, évidente ; ces atrophies sont d'ail-

leurs assez rares et en tous cas bien moins intéressantes que les atrophies

du second groupe, les atrophies primitives. Par ce terme, nous enten-

dons toute atrophie du cervelet développée indépendamment de toute

autre lésion du système nerveux.

Les atrophies primitives du cervelet doivent être divisées en premier

lieu suivant l'époque de leur apparition, les unes en effet sont congéni-

tales, les autres acquises.

Les atrophies congénitales sont fréquentes ; elle peuvent être partielles

et asymétriques, simple malformation traduisant une déviation du déve-

loppement du système nerveux, comme dans la démence précoce (Klippel

et Lhermilte), ou au contraire totales et symétriques. Celles-ci consistent

en une agénésie plus ou moins marquée des cellules et des fibres cérébel-

leuses, comme dans les cas de Nonne et de Miura ou encore en une dimi-

nution numérique des cellules de l'écorce cérébelleuse, comme l'ont mon-

tré Klippel et Lhermitte dans certains cas de démence précoce, Claude

et Rose dans une psychose toxi-infectieuse d'origine tuberculeuse.

Les atrophies acquises, c'est-à-dire évoluant à un moment de la vie où

le cervelet a parachevé son développement, sont beaucoup plus variées et

plus complexes au point de vue des modifications histologiques qui les

traduisent anatomiquement.

Au point de vue macroscopique déjà, on peut établir une classification,

618 11 LEJONNE ET LHERMITTE

suivant que l'atrophie porte sur une partie ou au contraire atteint la tota-

lité du cervelet. Les atrophies du premier groupe, atrophies partielles et

asymétriques, peuvent être de nature diverse et porter soit uniquement

sur les éléments nerveux, soit, ce qui est plus fréquent, à la fois sur les

éléments nerveux et les éléments névrogliques vasculaires et méningés.

Les atrophies partielles exclusivement parenchymateuses se reconnais-

sent en ce qu'elles frappent d'une façon disséminée, par places, les cel-

lules de Purkinje ou les éléments de la couche des grains, sans qu'on

puisse reconnaître une systématisation de ces lésions.

C'est dans cette catégorie que rentrent l'atrophie lamellaire de Tho-

mas, les atrophies parenchymateuses pures publiées par Murri,Italo Rossi.

Quant aux atrophies à la fois parenchymateuses interstitielles et vas-

culaires, elles sont des plus communes et peuvent se rencontrer dans des

états pathologiques très différents.

Nous citerons comme exemples les atrophies liées à des foyers inflam-

matoires, nécrobiotiques, celles qui accompagnent les méningites, les

atrophies séniles avec lacunes de désintégration cérébelleuse (Anglade et

Calmettes).

La dernière classe des atrophies- acquises est constituée par les atro-

1)hies symétriques, par le fait de leur symétrie, elles sont systématisées,

ainsi que le montre d'ailleurs l'étude histologique.

On peut les diviser suivant les systèmes anatomiques lésés : un certain

nombre de ces atrophies ont été décrites par divers auteurs ; il est pro-

bable que la liste n'en estpas encore close.

On y peut ranger l'atrophie olivo-ponto-cérébelleuse de Dejerine et

Thomas, l'atrophie cérébelleuse de G. Holmes. C'est dans ce groupe que

l'atrophie olivo-rubro-cérébelleuse trouve sa place naturelle.

On pourrait, il est vrai, parmi les atrophies systématisées, distinguer

celles qui s'accompagnent de sclérose névroglique et celles qui, se li-

mitant exclusivement aux éléments nobles, sont purement parenchyma-

teuses, telle l'atrophie olivo-ponto-céréhelleuse. Cependant la présence

ou l'absence de prolifération névroglique ne nous semble pas constituer

un caractère assez particulier pour baser sur lui une classification anato-

mique.

Le tableau suivant résume la classification des atrophies du cervelet,

telle que nous la comprenons :

atrophie OLIVO-RUBIIO-C'Rf,,13ELLFUSF 619

Atrophies secondaires :

IIémiall'ophie cérébelleuse.

Atrophie de la maladie de Friedreich, du tabes, etc.

Atrophies primitives :

I. Congénitales. a) Symétriques ou totales.

Cas de Nonne, Miura.

Démence précoce

b) Asymétriques ou partielles.

II. Acquises. - a) Asymétriques.

1° Parenchymateuses pures.

Cas de Murri, I. Rossi.

Atrophie lamellaire de Thomas.

t" Avec lésions interstitielles et vasculaires.

Cervelet sénile (Anglade et Calmeltes).

Foyers inflammatoires et nécrobiotiques avec sclérose secondaire.

(Paralysie générale).

Cas de H. Bond, etc.

b) Symétriques.

Atrophie olivo-ponto-cérébelleuse.

Atrophie olivo-cérébelleuse.

Atrophie olivo-rubro-cérébelleuse.

UN CAS DE GLIOME BULBO-PROTUBÉRANTIEL,

PAR

fi. P. DUST1N et - VAN LINT

(de Bruxelles).

Les néoplasmes de nature névroglique sont loin d'être rares, surtout

chez les enfants. Le cas actuel que nous avons eu l'occasion de suivre pas

à pas, depuis les premiers troubles.jusqu'à la cachexie terminale, ne laisse

pas d'être intéressant, tant au point de vue de la localisation et du déve-

loppement considérable de la tumeur, qu'au point de vue de la symptoma-

tologie spéciale des néoplasmes bulbo-protubérantiels, symptomatologie,

souvent très différente de celle qui signale habituellement il l'attention du

clinicien l'existence de tumeurs encéphaliques.

Observation.

I. - EVOLUTION clinique DE l'affection.

Examen fait au début de l'année 1907. Albert D..., actuellement âgé de

cinq ans.

Hérédité. - Père 24 ans, bien portant.

Mère, 25 ans. N'a jamais été malade avant la naissance de l'enfant. Depuis a

fait une pleurésie.

Grands-parents paternels : vivants, bien portants.

Grand'mère maternelle : morte d'affection inconnue.

Grand-père maternel : bien portant.

Antécédents. - L'accouchement fut extrêmement laborieux.

L'enfant serait né cyanose.

L'enfant fut nourri artificiellement. Il ne présente aucun antécédent morbide,

ne fit aucune chute grave, ne subit aucun traumatisme.

Affection actuelle. - Les parents ne peuvent préciser très exactement l'ori-

gine et le début de l'affection. D'après le père, l'enfant, très gros, aux jambes

cerclées, n'aurait jamais pu marcher de façon parfaite.

Toutefois, il y a deux ans, l'attention des parents fut attirée plus particuliè-

rement par des déviations oculaires, consistant surtout à ce moment, en stra-

bisme interne de l'oeil gauche.

Vers la fin de l'année 1906, la marche déjà difficile, par suit" des déforma-

UN CAS DE GLIOME BULBO-PRbTUBÉRANT1EL 621

lions rachitiques des membres inférieurs, devint plus pénible encore par suite

de la raideur de la jambe droite : l'enfant traînait le pied droit.

Depuis lors, jusqu'au moment de l'examen actuel, les troubles de la marche

se sont accentués ; l'équilibre est devenu très instable ; l'enfant tombe fort

souvent. Il ne se plaint d'aucune douleur.

Enfin, dans ces derniers trois mois, des troubles se sont manifestés au niveau

du membre supérieur droit ; l'enfant s'est mis à fléchir l'avant-bras sur le bras

et à porter la main en avant, sur le ventre. Le petit malade ne cherche jamais

à se servir du membre malade. Lorsqu'on lui commande certains mouvements,

il les exécute de façon très maladroite et au prix des plus grands efforts.

Les facultés intellectuelles ne sont guère atteintes : les parents estiment

que leur enfant les comprend facilement et exécute exactement ce qu'on lui

demande.

Le caractère est toutefois assez difficile : le malade est insoumis, coléreux

pleurant et riant à propos des choses les plus futiles. Attention très fugace.

Le sommeil est régulier; souvent, le malade pousse des cris au milieu de la

nuit, sans qu'il se réveille, ni qu'il en ait conscience.

L'appareil digestif est normal, il n'y a pas de troubles de la miction ni de la

défécation.

En résumé, ce premier examen sommaire nous fit constater chez un enfant t

de cinq ans des troubles localisés à l'oeil gauche et aux membres droits.

Un second examen plus détaillé, pratiqué quelques mois plus tard, nous per-

mit de constater l'existence de symptômes nouveaux dénotant les progrès rapi-

des de l'affection. .

Au repos la fente oculaire gauche est un peu plus large que la droite. Pas

de véritable lagophtalmos. Pas de tremblement des paupières closes. Exophtal-

mie légère du côté gauche.

Pupilles égales très dilatées. L'accommodation à la distance et à la lumière

existe, mais très faiblement.

Strabisme convergent beaucoup plus marqué du côté gauche. Le droit

externe gauche ne peut ramener le globe oculaire vers l'extérieur. A droite le

mouvement n'est que faiblement possible. Les autres mouvements des globes

oculaires sont conservés; il n'y a pas de nystagmus.

Le sillon nasogénien gauche est affaissé ainsi que la commissure labiale

gauche. Cet affaissement s'accentue lorsque l'enfant rit ou montre les dents.

La langue est légèrement déviée vers la droite. ,

A l'état de repos la tête est légèrement inclinée vers la droite et en légère

rotation vers la gauche.

Le membre supérieur droit est en contracture comme lors du premier exa-

men ; il en est de même du membre inférieur droit. Dans la station debout,

l'enfant se porte surtout sur la jambe gauche. La main droite est froide et

cyanosée.

Le voile du palais est normal.

La motilité réflexe se trouve actuellement exagérée aux quatre membres ;

les réflexes tendineux, faciles à provoquer, sont très brusques.

XXII 41

622 DUSTIN ET VAN LINT

Léger Babinski à droite.

Pas de scoliose.

L'examen ophtalmoscopique ne révéla aucune lésion du fond de l'eeil. Pen-

dant toute la durée de l'affection on ne put jamais observer de papille de stase.

Au moment de ce second examen les facultés intellectuelles de l'enfant parais-

saient normales.

Le petit malade ne présentait jamais de vomissement et ne se plaignait guère

de céphalalgie.

L'acuité auditive était normale des deux côtés.

Les troubles relevés chez ce malade consistaient essentiellement eu lésions

de certains nerfs- crâniens (VI, VII, XII), lésions plus accentuées à gauche et

accompagnées d'hémiplégie spastique droite. Cet ensemble symptomatique im-

posait le diagnostic de lésion bulbaire ou bulbo-protubérantielle gauche.

La nature de la lésion restait toutefois obscure : les principaux signes de

tumeur cérébrale (papilles de stase, vomissements, céphalée) faisaient défaut.

Aucun antécédent héréditaire ne permettait de supposer l'existence de lésions

tuberculeuses ou syphilitiques.

L'absence de dégénérescence musculaire intense rendait improbable le dia-

gnostic de polioencéphalite que n'eût d'ailleurs pas justifié l'existence de l'hémi-

plégie spastique.

Une ponction lombaire pratiquée ultérieurement ne démontra l'existence

d'aucun élément cellulaire anormal.

Peu après le malade fut transféré dans une clinique particulière où il fut

encore examiné par le Dr Mayer.

Bientôt les muscles du voile du palais et du larynx furent atteint. L'enfant

devait être nourri à la cuiller ; les aliments repassaient fréquemment par

le nez.

La respiration devint plus fréquente et souvent irrégulière sans jamais pré-

senter de phénomène de Cheyne-Stokes.

Enfin, au mois d'août 1908, le malade succomba au progrès des lésions bni-

baires, sans avoir présenté d'affection intercurrente.

La durée totale de l'affection peut être approximativement évaluée il trois

ans et demi.

Nous fûmes autorisé, par la famille, il prélever l'encéphale d'Albert D...

Nous allons exposer à présent les constatations anatomo-patliologiques que

nous pûmes faire, pour terminer par uu résumé rapide du cas et quelques

considérations générales sur les tumeurs gliomateuses du bulbe et de la pro-

tubérance.

Examen ANA'r0,110·I'ATlloLOGIQLE.

A. - Examen macroscopique. Le bulbe et la protubérance examinés par

leur face ventrale paraissaient considérablement augmentés de volume, au point

d'atteindre les dimensions d'une orange. Les formes extérieures de ces organes

étaient conservées dans leurs grandes lignes. La fissure médiane antérieure, le

sillon bulbo-protubérantiel étaient nettement indiqués. Le bulbe et la protubé-

UN CAS DE GLIOME BULBO-PROTUBÉRANTIEL

623

rance n'étaient pas, à l'examen extérieur, refoulés par une tumeur, mais plutôt

gonflés suivant tous leurs diamètres par le développement interstitiel d'un

néoplasme. La tuméfaction paraissait beaucoup plus intense dans la moitié

bulbo-protubérantielle gauche ; il en résultait une forte déviation avec incur-

vation vers la droite, delà fissure médiane antérieure. Les hémisphères céré-

belleux étaient refoulés latéralement et vers le haut. Dans son ensemble, la

tumeur s'étendait de la moelle cervicale exclusivement au sillon pédotictilo-

protubérantiel.

A la partie inférieure du bulbe, immédiatement au-dessus de l'entrecroise-

ment des pyramides, devant la pyramide gauche, se trouvait une petite tu-

meur, du volume d'une noisette, reliée par un pédicule rétréci à la substance

nerveuse du bulbe. Ce n'est qu'à ce niveau que le processus néoplasique avait

réalisé une tumeur nettement circonscrite ; partout ailleurs, les éléments néo-

formés infiltraient le tissu nerveux, comme nous le verrons bientôt. Nous au-

rons à revenir sur la part qu'il faut attribuer dans la symptomatologie de

notre cas, à l'existence de ce petit nodule comprimant la pyramide gauche

avant sa décussation.

Nous pratiquâmes alors des coupes transversales intéressant le cervelet et

la tumeur dans son ensemble. Ces coupes permettent de se rendre compte du

développement extraordinaire de la tumeur. Le cervelet se trouve complète-

ment refoulé vers le haut ; les pédoncules cérébelleux moyens sont distendus ;

le quatrième veutricule se trouve à peu près complètement effacé.

La figure 1 donnera au lecteur une idée de l'aspect et du volume de la tumeur.

Fig. 1.

624 DUST1N ET VAN L1NT

Cette figure reproduit deux photographies représentant en grandeur réelle

(après fixation et inclusion dans celloïdine) d'une part, une coupe passant à la

partie inférieure de la protubérance d'un adulte (1), et d'autre part une coupe

intéressant à peu près la même région chez notre petit malade.

Nous attirerons dès maintenant l'attention sur l'existence d'une cavité occu-

pant le lobe gauche de la tumeur, et sur l'existence au sein de celle-ci de vais-

seaux très considérables.

La figure 2 reproduit schématiquement une coupe transversale passant par

les diamètres maxima de la tumeur.

Ces diamètres atteignent les chiffres de 83 mm. et de 54 mm.

La figure montre l'effacement du 4e ventricule et la déviation du raphé.

Après fixation par le formol, la tumeur offrait exactement l'aspect, la couleur,

la consistance du tissu nerveux normal. Nulle part, on ue pouvait trouver de

délimitation entre la tumeur et le tissu nerveux. Les deux tissus étaient visi-

blement mêlés de façon intime. Le néoplasme, que son aspect macroscopique

seul permettait d'identifier à un gliome, paraissait gonfler le bulbe et la protu-

bérance sans parvenir à en franchir les limites, si ce n'est au niveau de la

pyramide gauche où s'était constituée la petite tumeur pédiculée que nous

avons signalée plus haut.

Dans la partie supérieure de la tumeur, sous le plancher du 4° ventricule,

(1) Pièces provenant d'un cas de foyers de ramollissements multiples des pédon-

cules, du pont et du bulbe.

Fio. 2. - Gliome bulbo-protubérantiel.

UN CAS DE GLIOME BULBO-PROTUBÉRANTIEL 625

du côté gauche, se trouvait une cavité anfractueuse, irrégulière, du volume

d'une cerise, et remplie d'un liquide jaunâtre, légèrement visqueux.

Djà les caractères macroscopiques de la néoplasie permettaient, comme

nous venons de le dire, de poser le diagnostic de gliome. C'est ce que vint

confirmer l'examen microscopique.

B. Examen microscopique. - Les coupes transversales du bulbe et de la

protubérance furent colorées au Weigert-Pal. Des fragments de la tumeur

diffuse et de la tumeur pédiculée sur la pyramide gauche furent colorés à

1'liématoxyline-éosine.

Nous ne pûmes, comme nous l'aurions voulu, colorer des fragments de tu-

meur par la méthode de Cajal, pour étudier les réactions cylindraxiles : la

longue conservation de la pièce dans le formol ne permettait plus une impré-

gnation fructueuse par l'argent réduit.

Les coupes nous montrèrent l'existence d'un gliome typique.

La figure 3. empruntée à une coupe de la petite tumeur pédiculée montre

les détails histologiques du tissu néoplasique.

Les noyaux névrogliques ne sont pas extrêmement nombreux ; ils sont fort

irréguliers comme forme, comme taille, comme disposition : tantôt arrondis,

tantôt ovalaires, tantôt fusiformes, ils sont ici isolés, là groupés en petits amas

de trois ou quatre.

Les fibrilles névrogliques sont extrêmement abondantes et constituent la

grande masse de la tumeur.

Fir,. 3. Gliome du bulbe.

626 DUSTIN ET VAN LINT

La vascularisation du tissu gliomateux est extrêmement riche (Voir pho-

tog. 1) et présente quelques détails intéressants.

C'est ainsi que les capillaires offrent deux dispositions différentes (fig. 3).

Tantôt les capillaires se composent d'une simple paroi endothéliale immédia-

tement entourée par les cellules névrogliques (fit, 3, c).

Tantôt les capillaires, au lieu de cheminer isolément, se groupent en cordons

comprenant de cinq à dix vaisseaux et plus, s'enroulant les uns autour des

autres et engaînés dans une coque commune de tissu conjonctif (fig. 3, cI),

Les capillaires entrant dans la constitution de ces cordons vasculaires sont

le siège de différents phénomènes anormaux. L'endothélinm semble proliférer

très fictivement, amenant le cloisonnement, puis bientôt l'obstruction des

lumières vasculaires.

De plus les cellules endotliéliales souvent très tuméfiées sont le siège d'une

pigmentation très intense (fig. 3, p).

Le trouble vasculaire est-il l'origine de la néoplasie, on n'en est-il qu'une

des manifestations ? C'est ce que ce seul cas ne saurait élucider. Des recherches

spécialesorientées dans cette voie neseraient peut-être pas dépourvues d'intérêt.

Les coupes transversales de toute la tumeur, colorées au Weigert-Pal (flg. 1)

montrent la dissociation de tous les éléments bulbaires et protuberantiels par les

cellules du néoplasme qui dissèquent, peut-on dire, fibre à fibre, les voies ner-

veuses.

De place en place, les cellules névrogliques abandonnent cette disposition dif-

fuse pour se grouper en nodules plus denses : la photographie n° 1 en montre

plusieurs immédiatement en arrière des voies pyramidales.

Sous le quatrième ventricule, la saillie, effaçant cette cavité, est constituée

uniquement aussi de tissu gliomateux.

Les fibres nerveuses traversant les masses de tissu névrogliques, sont en

général grêles, tortueuses, souvent moniliformes. On a l'impression- et l'évo-

lution clinique est là pour l'affirmer,- que les cylindraxes parviennent à vivre

longtemps au milieu du néoplasme qui ne les étouffe que fort lentement.

Il nous reste à rapprocher ces constatations nécropsiques des différentes

étapes de l'évolution clinique de ce cas.

Il paraît certain que le début du processus gliomateux se fit au voisi-

nage du noyau de la VIe paire gauche. De là le gliome progresse d'une part

vers le quatrième ventricule, d'autre part vers la protubérance et vers la

partie inférieure du I)ull)é.Assez rapidement'se constituent le petit nodule

prépyramidal, dont le dévelopement amena la compression delà voie

pyramidale gauche et les signes d'hémiplégie spastique droite. L'infil-

tration diffuse des voies pyramidales est peu accentuée et existe d'ailleurs

aussi bien à droite qu'à gauche. Aussi la prédominance des phénomènes

UN CAS DE GLIOME BULBO-PROTURÉRANTIEL 627

spastiques à droite, doit-elle, selon nous, être attribuée à l'existence de

la tumeur pédiculée située à l'entrée du canal rachidien.

L'infiltration gliomateuse, quoique prédominante à gauche, a en quel-

que sorte disséqué la protubérance et le bulbe provoquant d'abord des

troubles légers des VIe, VIle et XII" paires, puis atteignant la XIe paire et

bientôt amenant la paralysie de tous les noyaux bulbaires et la mort.

L'évolution clinique pouvait-elle mettre sur la voie du diagnostic exact

de gliome ponto-bulbaire ?

Toute tumeur encéphalique comporte, au point de vue du diagnostic,

la constatation des signes généraux de néoplasme intra-cranien (céphalée,

vomissements, papille de stase, hypertension du liquide céphalo-rachi-

dien), et la constatation des signes de localisation.

Quel été le volume atteint par la tumeur, les signes généraux,

et notamment un des plus précieux, la stase papillaire, manquèrent tou-

jours.

Ce fait a été signalé plusieurs fois au cours de l'évolution des tumeurs

bulbaires et particulièrement desgliomes. Notre cas démontre une fois de

plus l'absence de ces signes généraux.

Le diagnostic de localisation bulbo-protubérantielle put par contre être

fait facilement.

L'âge de l'enfant, la lente évolution de la maladie, l'absence de tares

syphilitiques ou tuberculeuses permettaient de poser avec beaucoup de

probabilité le diagnostic de gliome.

Nous avons vu le volume considérable que peuvent atteindre ces tu-

meurs et la tolérance extraordinairementprolongée d'un centre aussi sen-

sible et aussi important que le bulbe rachidien.

DEUX CAS D'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE

GÉNÉRALISÉE,

PAR

MARINESCO et M. GOLDSTEIN.

(de Bucarest)

Nous avons eu l'occasion d'observer deux cas d'hydrocéphalie chez des

individus jeunes chez lesquels l'hydrocéphalie, sans se ressembler par la

pathogénie et son évolution, présentait pourtant un trait commun, celui

d'être accompagnée de troubles dystrophiques. Dans les deux cas, ces der-

niers intéressaient spécialement le tissu graisseux et les organes génitaux.

Ces malades nous ont paru intéressants précisément à cause de ces dystro-

phies,et nous commencerons tout d'abord par rapporter ces deux observa-

tions pour terminer ensuite avec quelques réflexions sur le mécanisme de

la production des troubles dystrophiques.

Observation I.

I. E. M. entré dans le service des malades nerveux de l'hôpital Pantélimon,

le 30 août 1905, à l'âge de 15 ans. A cette date on note :

Antécédents. Son père est un ancien alcoolique, il avoue l'habitude de

boire 2 à 3 litres de vin par jour, en plus de quelques verres d'eau-de-vie. Il

est en bonne santé, de stature moyenne, et présente un fort embonpoint. Sa

mère est saine, petite et maigre. Ils ont eu 7 enfants, dont 2 filles et 5 gar-

çons ; tous les frères du malade se portent bien, sauf un, qui a aussi une

grosse tête.

Le malade a souffert depuis sa première enfance d'incontinence nocturne

d'urine.

A 7 ans il eut la rougeole. Il a terminé l'école primaire en apprenant assez

facilement. Il courait et jouait sans présenter rien d'anormal. Il était gaucher,

mais il écrivait avec la main droite.

La maladie actuelle date du mois de juin 1903. A cette époque, en pleine

santé, étant en route, il est pris d'un mal de tête atroce, de vertiges et

de nausées. Ces troubles ont été tellement intenses qu'il est tombé et n'a pas

pu continuer son chemin. Il est ramassé par des passants qui l'ont conduit en

le soutenant ut avec pas mal de difficultés, chez lui. Après quelques jours il

se sent mieux, mais il est resté avec une faiblesse dans les membres inférieurs.

Il ne pouvait parcourir que de petites distances à pied, autrement il se fati-

DEUX CAS 1)'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 6\ : I

guait et tombait. L'incontinence d'urine qui jusqu'alors n'était que nocturne

survient également pendant la journée.

Etal présent. Le malade, assez bien constitué, est petit pour son âge, et le

tissu adipeux trop développé. Sa tête est volumineuse, ayant une circonférence

de 58 cenlimètres. Le nez, la bouche et les oreilles sont bien proportionnés. Rien

d'anormal daus l'attitude des membres supérieurs et inférieurs; il peut exécuter

tous les mouvements, mais il fléchit et n'étend qu'avec une certaine difficulté

les avant-bras et les jambes. En effet, on constate dans les fléchisseurs et dans

les extenseurs des avant-bras et des jambes, pendant les mouvements passifs,

un léger dégré de contracture.

La force musculaire est assez bien conservée dans tous les segments des mem-

bres supérieurs. Aux membres inférieurs la force des fléchisseurs de la cuisse

et de la jambe est presque nulle, tandis que celle des extenseurs est assez bien

conservée. La force dynamométrique est de 30 à droite et de 40 à gauche.

Les réflexes tendineux des muscles triceps et des supinateurs sont exagé-

rés. Les réflexes patellaires sont exagérés des deux côtés, mais plus fortement

il droite. Quelquefois il se produit du clonus de la rotule. Le signe de Ba-

binski se produit des deux côtés, il est plus manifeste au pied droit. Les ré-

flexes crémastériens et abdominaux peuvent être obtenus.

La sensibilité générale et spéciale est conservée, sauf la vision qui est

nulle à gauche et très réduite à droite. L'examen ophtalmologique, pratiqué

par M. le professeur Manolesco, donne : les pupilles sont insensibles à la lu -

mière et à l'accommodation. Adroite une atrophieiucomplète du nerf optique et

à gauche l'atrophie du même nerf est complète. Les artérioles sont très petites.

L'état intellectuel laisse à désirer. Il ne sait plus combien il a de frères, il

donne des réponses erronées. Il peut faire des calculs très simples, il ne fait pas

attention et ne comprend pas très bien ce qu'on lui dit.

La démarche du malade est spasmodique. Il touche le sol de toute la plante

du pied gauche, et seulement avec le tiers antérieur de la plante du pied droit.

Il traîne cette jambe en marchant, il présente pendant la marche aussi bien

que pendant la station verticale de la titubation ébrieuse; le tronc reste en

arrière tandis que les membres inférieurs sont portés en avant. On constate

encore des troubles de diadococinésie des deux côtés, plus accentués à droite.

Il ne peut pas rester debout, il commence à osciller et finit par tomber en arrière

et à droite. En écartant les 'arabes, pour élargir la base de sustentation,il peut

se maintenir debout quelque temps; mais il a du vertige et il a la sensation

que tout tourne autour de lui.

Quand il passe du décubitus dorsal dans la position assise, il présente très

manifestement le signe de Kernig.

Du côté des yeux on observe une difficulté dans le mouvement latéral interne

de l'oeil gauche, ce mouvement se fait avec lenteur et incomplètement.

Le mouvement latéral externe des yeux se fait également avec une certaine

difficulté. Quand il regarde en haut, il présente en outre des mouvements nys-

tagmiformes verticaux. -

Le malade souffre d'incontinence d'urine diurne et nocturne. Il présente une

630 MARINESCO ET GOLDSTEIN

hyperplasie des organes génitaux ; à droite de la cryptorchidie et le testicule

gauche est très réduit de volume. Il n'a pas de poils sons les aisselles ni au

pubis, il n'a pas non plus trace de moustache ou de barbe.

3 septembre 1905. -On lui pratique une ponction lombaire et on lui retire

30 centimètres cubes de liquide céplialo-rachidien clair et qui s'écoule avec une

forte pression. Le lendemain le malade a des maux de tète très violents et des

vomissements. Après 48 heures, ces troubles disparaissent, le malade se sent

mieux qu'avant la ponction, son intelligence est plus ouverte et lui- même est

plus éveillé. Ses voisins de lit, eux aussi, ont remarqué qu'il est plus lucide en

conversant avec lui. Sa démarche est un peu plus sûre, mais il titube tou-

jours. L'acuité visuelle ne s'est pas modifiée.

13. Le soir le malade est pris par une faiblesse considérable, il ne peut

pas marcher ni se tenir debout.

14. Le malade a, depuis qu'on lui a pratiqué la ponction lombaire (3 sep-

tembre), de l'incontinence d'urine et des matières fécales. A droite il se produit

le clonus du pied. La force dynamométrique est de 20 à droite et de 30 à gau-

che. Quand il reste debout plus longtemps, les genoux fléchissent peu à peu

sous lui.

15. On lui pratique une nouvelle ponction lombaire, et, en lui retire 12

centimètres cubes de liquide qui s'écoule cette fois par gouttes.

17. - On pratique une nouvelle ponction en lui retirant seulement 4 centi-

mètres cubes de liquide qui coule en gouttes rares.

19. Le malade ne peut plus rester assis dans son lit, même en s'appuyant

sur ses mains.

25. - L'intelligence du malade est meilleure, il se maintient mieux dans

la position verticale.

26. La marche est moins sûre, il doit être soutenu, autrement il tombe en

arrière à chaque pas.

28 octobre. Le malade perd la connaissance pendant deux minutes, et

présente une contracture tonique généralisée avec une congestion de la face.

D'après le dire des infirmières, il souffre tous les 2 ou 3 jours de semblables

attaques depuis longtemps.

25 novembre. Le malade ne peut plus marcher ni se tenir debout depuis

quelques semaines. Incontinence d'urine et des matières.

ter mars 1906. Le malade continue à dépérir. La force dynamométrique

est de 10 à droite et de 5 à gauche, le signe de Babinski se produit nettement

à droite, à gauche le réflexe plantaire ne se produit pas.

14 octobre. Rien d'important à noter jusqu'à cette date, lorsque le malade

est pris soudainement pendant le déjeuner de vertige et tombe sur le dos, il

suffoque, se cyanose et perd la conscience. Un tremblement suivi par des con-

tractions fréquentes se produit du côté des membres inférieurs. On le fait res-

pirer artificiellement, car à un moment donné la cyanose devient très intense

et la respiration s'arrête. Le malade revient peu à peu, la respiration se rétablit

et ta cyanose disparaît. Il persiste une flaccidité très prononcée de tous les

membres, Une heure plus tard, la flaccidité est remplacée par la contracture.

DEUX CAS D'HYDROC ? I'HALI8 AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 611 1

La température qui avait monté au commencement de l'accès se maintient pen-

dant 20 heures entre 39 et 40 degrés. Le signe de Babinski est manifeste des

deux côtés, les réflexes rotuliens sont exagérés.

16 octobre, - Le malade est dans le même état qu'avant l'ictus apoplectiforme

du 14 octobre. Le signe de Babinski ne se produit plus qu'au pied gauche.

Novembre 1907. Le malade s'est émacié peu à peu, le tissu adipeux très

abondant à son entrée à l'hôpital, s'est réduit de beaucoup. Examiné de nouveau,

on note à cette date :

Etat général. Le malade, de constitution moyenne, a le système osseux

normal, le tissu graisseux est presque disparu, la musculature est également

très réduite. Il reste toujours en décubitus dorsal, les membres inférieurs en

flexion. On constate une atrophie générale, plus prononcée aux jambes où les

mollets sont presque complètement disparus. On ne peut pas complètement

défléchir les jambes, la rétraction des muscles fléchisseurs s'y opposant.

Aux membres supérieurs, l'atrophie est plus intense à la main, dont les émi-

nences thénar et hypothénar sont très réduites de volume. Les muscles des

bras et des avant-bras sont égalemenl le siège d'une atrophie manifeste. L'ex-

tension de l'avant-bras se fait incomplètement.

Voici un tableau comparatif des différentes dimensions de tous les segments

des membres, les premières mensurations sont faites à l'entrée du malade dans

le service de la clinique (août 1905), à l'ye de 15 ans, les secondes en novem-

bre 1907, à 17 ans

632 MARINESCO ET GOLDSTEIN

tion considérable du volume des membres, ceux-ci ne se sont pas accrus en

longueur pendant deux années.

Les mouvements actifs dans les articulations des coudes, de l'épaule et du

poignet sont presque normaux. Ceux des articulations des doigts sont lents et

limités, surtout dans leur extension, de sorte que cette dernière est incomplète.

Aux membres inférieurs il exécute avec difficulté la flexion de la jambe, son

extension est incomplète. Dans l'articulation tibio-tarsienne le malade n'exécute

aucun mouvement, il prétend ne pas pouvoir le faire.

Mouvements passifs. On constate une difficulté, une résistance à leur exé-

cution dans les membres inférieurs. Cette résistance est surtout manifeste dans

l'articulation de la cheville. Aux membres supérieurs, on sent une certaine ré-

sistance dans l'extension de l'avant-bras. Dans les autres articulations on ne

constate rien d'anormal.

Résistance musculaire.-Aux membres inférieurs la force des muscles exten-

seurs est assez bien conservée, tandis que celle des fléchisseurs est très réduite,

presque égale à zéro. Aux membres supérieurs la résistance des mus-

cles extenseurs du bras est insignifiante ; aux autres segments on constate une

diminution générale de la force de toute la musculature ; cette diminution est

pourtant plus accusée dans les muscles extenseurs que dans les fléchisseurs.

La force dynamométrique est à droite 5, à gauche 7.

Les 1'éflexses achilléens rotuliens, et tricipitaux sont brusques et exagérés.

Pas de clonus du pied. Le signe de Babinski se produit des [deux côtés. Les

réflexes abdominaux sont normaux.

La sensibilité générale et spéciale sont normales, excepté la vision. Les pu-

pilles sont égales et dilatées, elles ne réactionnent pas à la lumière ni à l'accom-

modation. La vue est nulle à l'oeil gauche et très réduite à l'oeil droit. Nystag-

mus horizontal qui devient vertical quand le malade regarde en haut. Le nys-

tagmus n'existe pas toujours etil est peu accusé. Les mouvements des globes

oculaires s'exécutent assez bien, mais avec une certaine lenteur.

La marche. Le malade ne peut marcher que soutenu, et alors il tient les

jambes fléchies aux genoux et les pieds écarlés. Le pied droit tourne en dedans

pendant qu'il marche, de sorte que le malade s'appuie sur le bord externe du

pied. La marche est très irrégulière et spasmodique. Le tronc ne fait pas les

mouvements synergiques nécessaires, il reste en arrière. Il présente de la titu-

bation. '

L'asynergie cérébelleuse ne peut pas être constatée parce que le malade ne

peut pas ou ne veut pas se soulever seul du décubitus dorsal. Il a des troubles

de diadococinésie aux membres supérieurs, plus prononcés à droite.

La mémoire est faible et le raisonnement est très réduit. Le caractère du

malade a beaucoup changé : il est devenu indolent, eutêté, il répond et exécute

ce qu'on lui demande de mauvais gré. '

Les organes génitaux sont arrêtés dans leur développement, le pénis est très

petit, le testicule droit manque (cryptorchidie) et le gauche est réduit de volume.

Les aisselles et la face sont dépourvues de poils, mais il en a au pubis.

Incontinence d'urine et des matières.

DEUX CAS D·HYDROCÉPHaLIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 633

20 février 1908. Le malade garde l'attitude suivante : décubitus dorsal, les

membres inférieurs en flexion et croisés. Les membres supérieurs sont égale-

ment en flexion et appliqués au thorax. On ne parvient pas à étendre les mem-

bres même en employant la force. Il présente un nystagmus latéral et irrégulier.

le malade ne parle plus et ne mange plus depuis deux jours, il refuse toute

alimentation.

Il a des plaies nombreuses dues au décubitus. Ces plaies ont commencé par

une tache rouge, puis il s'est formé un phlyctène plein de liquide purulent. Ces

phlyctènes en éclatant donnent naisance à ces plaies.

Depuis le 9 février il a de la température. A cette date il a 40°7, puis la fiè-

vre oscille, tombant le matin et montant le soir, entre 37° 6 et 39° 9. Les deux

derniers jours la température s'est maintenue à 39° 8 et il meurt avec 39° 9 le

matin du 21 février 1908.

A l'autopsie nous avons trouvé une hydrocéphalie considérable. La distension

du cerveau est tellement grande que la substance cérébrale pénètre dans tous

les orifices des os. Après que le liquide des ventricules s'écoule, la masse céré-

brale s'affaisse, comme un sac qu'on vient de vider. Les méninges ne sont pas

épaisses. La substance cérébrale sur une section transversale parait très réduite

de volume, surtout au niveau des prolongements antérieurs des ventricules.

L'épaisseur de l'écorce ventriculaire à la partie antérieure du globe frontal ne

mesure que 8 mm. 1/2.

A la surface supérieure du cervelet on constate une tumeur kystique, de

forme triangulaire, avec la base vers le corps calleux et la pointe correspon-

dant au milieu du vermis supérieur. Ce kyste a des parois d'une certaine épais-

seur et est plein d'un liquide trouble, contenant de nombreux globules de sang.

Le diamètre antéro-postérieur du kyste est de 4 centimètres, le diamètre trans-

versal de 6 centimètres.

Les os du crâne sont amincis. La selle turcique est très profonde ; l'hypo-

physe a été notablement comprimée, elle est aplatie et pèse 34 centigrammes.

Les poumons sont tuberculeux et présentent de nombreuses cavernes, dont

la plus grande mesure 42 millimètres de diamètre.

A l'examen microscopique du cerveau et de différents organes nous avons

trouvé :

Dans le cerveau, comme dans presque tous les cas d'hydrocéphalie, et mal-

gré l'énorme compression, les cellules pyramidales géantes sont assez bien con-

servées. Leur volume est peut-être un peu réduit, mais leur substance chroma-

tophile est intacte, elle semble même présenter une densité plus grande que

d'habitude. Les autres cellules pyramidales, grandes, moyennes et petites sont

également assez bien conservées, de même que les 5e et 6e couches qui ont un

aspect normal.

L'hypophyse présente des modifications qui retiennent toute l'attention. Les

cellules qui constituent les nids sous-capsulaires sont amassées les unes sur les

autres. Leur corps, plus ou moins riche en chromatine, a un karyoplasme

quelquefois pâle, d'autres fois légèrement coloré. Les granulations de basi-chro-

matine sont quelquefois très denses. Par ci par là on voit des cellules à deux

634 . MARINESCO ET GOLDSTEIN

noyaux. L'aspect du protoplasme des cellules acidophiles, sur les sections co-

lorées avec la thionine et le mélange de Pappenheim, varie du rouge-brun jus-

qu'au rouge-carmin. Seulement dans de rares cellules ou distinguo des granu-

lations. A la périphérie les cellules sont tellement nombreuses que la superpo-

sition des noyaux ne permet plus de voir leur protoplasma. Les cellules ont

des dimensions variables, quelquefois elles ont un volume considérable, et dans

ce dernier cas on peut voir des granulations.

Certains acini ne contiennent qu'un petit nombre de cellules, mais celles-

ci sont généralement volumineuses. Les cellules semblent granuleuses. Celles

qui appartiennent à la classe des cellules grandes sont relativement rares, mais

non exceptionnelles. Leur noyau est tantôt central, tantôt périphérique. Cer-

tains acini sont constitués par des cellules entourées par une couche très

mince de protoplasme coloré en rouge. Quand le protoplasme est plus abondant

on observe qu'il est acidophile.

Nous avons donc trouvé que dans ce cas l'hypophyse est constituée essentiel-

lement par des cellules acidophiles présentant toutes les phases de révolution :

depuis le stade embryonnaire jusqu'à la phase de grandes cellules éosinophiles

granuleuses.il n'existe pas, pour ainsi dire, des ceiiuieschromophobes.Le tissu

interstitiel qui sépare les acini glandulaires n'est pas hypertrophié. Les vais-

seaux sont, par ci par là, dilatés et pleins de sang.

Les follicules situés à la périphérie de la glande sont aplatis par la com-

pression.Leurs limites ne'sont pas aussi précises qu'à l'état normal. Autour de

ces régions comprimées on voit les vaisseaux très dilatés. Dans la portion dite

nerveuse, on observe même une infiltration des parois des vaisseaux dilatés.

Les testicules présentent également des altérations. Celui qui se trouve dans

les bourses est moins altéré. Il est pourtant diminué de volume et ne présente

aucune trace de spermatozoïdes. Les tubes séminaux sont assez bien dévelop-

I"IG. 1. Coupe de la portion glandulaire de l'hypophyse montrant des grandes

cellules éosinophiles granuleuses et des vaisseaux dilatés. On ne voit plus la dis-

position en acines.

DEUX CAS D'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 635

pés, la couche des cellules épithéliales qui les tapisse est régulière. On voit

également des spermatocytes à grand noyau, quelquefois en forme de peloton,

et situés entre les espaces laissés par les cellules sertoliennes. Mais on ne voit

pas de figures de kariokynèse plus avancées, ni des spermatides et moins en-

core de spermatozoïdes. Le tissu conjonctif interstitiel est abondant, avec beau-

coup de cellules conjonctives, mais avec de très rares cellules interstitielles

typiques.

Dans le testicule ectopié les lésions sont plus intenses. Les tubes séminaux

sont éloignés les uns des autres par l'hyperplasie du tissu conjonctif; leur ca-

libre est beaucoup plus petit que dans l'autre testicule. Les cellules épithéliales

qui tapissent ces tubes sont rangées irrégulièrement et remplissent quelquefois

toute la lumière du tube. Daus ces tubes, on ne voit que deux espèces de cellu-

les : des cellules rondes avec un grand noyau, contenant un nucléole, et des

cellules sertoliennes, incomplètement développées. Les cellules rondes sont

très pauvres en chromatine, de sorte qu'elles ont un aspect clair et on n'y .voit

nulle trace de karyokinôse. Les cellules de Sertoli sont également claires et se

terminent en s'effilant, sans présenter la Iobulation caractéristique aux testi-

cules en activité sécrétoire. Le tissu conjonctif interstitiel est très abondant et

présente une grande quantité de cellules pleines de granulations, de graisse et

de formations -cristalloïdes sous forme d'aiguilles ou de plaques rhombiques.Ces

masses de granulations et dé cristaux sont souvent tellement abondantes qu'elles

occupent tout le protoplasma, masquant tout à fait la structure de la cellule, de

sorte qu'on n'aperçoit plus aucune trace de noyau ou de nucléole.

Le corps thyroïde montre également quelques particularités. Les lobules out

un aspect très variable, dépendant de la constitution folliculaire de la glande.

1<'10, 2. - Coupe de testicule ectopié montrant l'hypertrophie et la sclérose du tissu

interstitiel. Les cellules épithéliales des tubes séminaux sont rangées irrégulièrement

et remplissent quelquefois tout le lumen du tube.

636 MARINESCO ET GOLDSTEIN

On voit que quelques lobules sont constitués par des follicules dilatés, vides ou

remplis d'une substance exsudative incolore, albumineuse ; des autres, au con-

traire, contiennent du colloïde, qui se présente sous la forme d'un bloc réfrin-

gent ou de plusieurs boules non fusionnées ; il existe en outre des follicules de

forme irrégulière et pleins de cellules épithéliales. L'épithélium des follicules

remplis par l'exsudat est plus ou moins aplati.

La plupart des cellules, sur les préparations colorées au Sclarlach, contien-

nent des granulations jaunes. Ces granulations sont plus abondantes dans la

région qui regarde vers la cavité folliculaire.

En somme on peut dire que le corps thyroïde, puisqu'il existe un grand

nombre de petits follicules et sans cavité, comme on en rencontre chez des

enfants, n'offrent pas de grandes altérations. Il paraît plutôt présenter un arrêt

de développement.

Les capsules surrénales présentent une substance trabéculaire, presque libre

de lipochrome, où on ne voit ce dernier que sous la forme de rangées dissé-

minées, qui se rencontrent quelquefois également dans la substance médul-

laire l'infiltration de la couche glomérulaire est évidemment plus prononcée

que celle de la substance trabéculaire. On y rencontre même des masses cris-

tallines qui apparaissent, surtout dans les endroits où abonde également le

lipochrome. L'infiltration de la substance glomérulaire n'est pas uniforme; à

côté des régions presque intactes, on en trouve d'autres complètement infil-

trées. Il faut encore noter une dilatation considérable de petits vaisseaux de la

substance corticale et médullaire.

Dans le foie on n'observe que par ci par là, une infiltration modérée de la

graisse de certains groupes cellulaires.

Ce qui nous semble être également important, c'est que la majorité des mus-

cles présente une infiltration graisseuse, consistant en dépôts de granulations

fines, soit au niveau des disques épais, soit une infiltration diffuse de la subs-

Fin. 3. - Coupe du corps thyroïde montrant un grand nombre de petits follicule

dont quelques-uns sans cavité. '

DEUX CAS D'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 637

tance contractile, soit, enfin, une véritable transformation de la fibre muscu-

laire, dont la striation ne se voit plus. Dans certains muscles l'infiltration est

plus intense que dans les autres. Mais daus tous ceux que nous avons exami-

nés on trouve des fibres très fortement infiltrées et colorées en jaune-orange

dans les préparations colorées au Scharlach. A côté de ces fibres ainsi infiltrées

on en voit d'autres qui ne le sont que très peu ou pas du tout. Il arrive même

que la même fibre présente aiternctivement des fragments infiltrés de graisse

et des portions normales. Cette infiltration de graisse indique assurément un

trouble plus ou moins profond dans la nutrition des muscles. Elle ne semble

pas être la conséquence de la cachexie, car nous ne l'avons pas rencontrée chez

d'autres cachectiques ; elle dépendait plutôt d'un trouble plus ou moins spécial

dans la nutrition des muscles, '

Observation IL

A. D..., âgée de 16 ans, entre dans le service de la clinique des maladies

du système nerveux en 1903. A son entrée on note :

Antécédents. On ne peut rien apprendre sur ses antécédents héréditaires

ou personnels à cause de l'état mental de la malade, on doit donc seulement

se contenter de l'examen somatique.

Elat somatique. - La tête est grande, son front n'est pas haut et l'on ne

sent pas les fontanelles. Les oreilles ne présentent rien d'anormal, les papilles

sont égales, il n'y a ni strabisme ni nystagmus. Le visage est symétrique, il

n'y a pas de déformation du côté du nez ou du voile palatin. Les dents sont

implantées assez régulièrement, leur bord libre est un peu irrégulier. La

mensuration du crâne donne.

638 MARINESCO ET GOLDSTEIN

Le bras, à 37 centimètres : D. 28 centimètres ; G. 28 centimètres.

Les membres inférieurs sont d'habitude en flexion, c'est-à-dire la cuisse

fléchie sur l'abdomen, et la jambe sur la cuisse. Mais cette attitude n'est pas

fixe, la malade pouvant les étendre. Tous les segments des membres inférieurs

sont considérablement augmentés de volume à cause de l'abondance du tissu

graisseux, mais ce sont surtout les cuisses qui sont énormes. La longueur des

membres inférieurs, mesurée de l'épine iliaque, antéro-supérieure, est de 72

centimètres. La circonférence de leurs différents segments est la suivante :

La jambe, à 12 centimètres de la malléole externe : D. 24 centimètres ;

G. 23 centimètres.

La jambe, à 20 centimètres de la malléole externe : D. 29 centimètres ;

G. 28 centimètres.

La cuisse, à 22 centimètres de l'épine iliaque : D. 55 centimètres ; G. 55

centimètres.

La cuisse, à 30 centimètres de l'épine iliaque : D. 47 centimètres ; C. 47

centimètres.

Motilité. Les différents mouvements de la tête, du visage et du globe

oculaire s'exécutent normalement. La malade peut se soulever dans la position

assise et même debout. La mobilité des membres supérieurs est tout à fait nor-

male. La malade ne se sert pas bien des membres inférieurs, malgré que

les mouvements de flexion et d'extension soient conservés. Elle ne peut rester

debout ni marcher sans être soutenue. Debout elle conserve l'attitude fléchie

des membres inférieurs. Soutenue,elle marche avec les genoux en flexion, les

pieds écartés, en s'appuyant sur leur bord interne.

La force dynamométrique ne peut pas être prise à cause de l'état mental de

la malade.

Fic, 4.

DEUX CAS D'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 639

Les mouvements passifs s'exécutent avec facilité même aux membres infé-

rieurs, on ne rencontre aucune résistance dans les différentes articulations.

La résistance musculaire semble être assez bien conservée.

Réflexes. Les pupilles réagissent assez bien, les réflexes rotuliens sont

exagérés des deux côtés. Clonus très manifeste des pieds. Les réflexes cutanés

ne se produisent pas.

La sensibilité générale semble conservée. La malade réagit promptement

à la piqûre et à la chaleur. '

La sensibilité spéciale est très difficilement examinée à cause de l'état men-

tal de la malade. La vue paraît être normale, de même que l'ouïe, la malade

répétant tout ce que l'on prononce auprès d'elle. Quant au goût et à l'odorat, il

est impossible de les apprécier.

La malade pèse 52 kil. 800.

L'urine ne contient ni du sucre, ni de l'albumine. Gâtisme. L'intelligence

de la malade est très réduite. Elle parle sans difficulté, et ne présente pas des

défectuosités dans la prononciation des mots. ,

3 mai 1905. On examine de nouveau la malade qui est actuellement âgée

de 18 ans, et on constate : les cheveux sont rares et peu développés, les poils

du pubis très rares et courts ; sous l'aisselle les poils sont également peu déve-

loppés. Les organes génitaux externes sont normaux. Elle est menstruée tous

les 3 ou 4 mois. '

Depuis 5 mois, la malade a commencé à maigrir, les muscles se sont atro-

phiés, les mamelles qui étaient énormes sont devenues flasques et atrophiées.

La malade continue à s'émacier, et vers la fin de septembre 1905, elle com-

mence à refuser la nourriture et elle succombe dans cet état.

A l'autopsie, on trouve une hydrocéphalie très prononcée sans aucun néo-

plasme. L'hypophyse, petite, a l'apparence normale ; son examen microscopique

n'a pas pu être pratiqué parce qu'elle fut égarée à l'autopsie. Les poumons

présentent des foyers multiples de tuberculose. Le corps thyroïde est petit,

l'isthme manque presque complètement, et il ne pèse que 11 grammes.

Les capsules surrénales sont petites, minces, claires, leur substance médul-

laire, très peu développée, se distingue à peine. Les ovaires sont oblongs, lis-

ses, égaux de volume, et pèsent chacun 2 grammes.

Examiné au microscope, on ne voit dans l'ovaire que très peu de follicules

en voie de développement, et parmi ceux-ci aucun n'est arrivé à la maturation.

La majorité des follicules est en voie d'involution. L'ovule est dégénéré, le

noyau est quelquefois en karyolyse, d'autres fois, il est pâle ou plein de

vacuoles.

Par endroits l'ovule est remplacé par une infiltration de cellules ayant l'as-

pect de nodules. Les traces d'involution des follicules arrivées à la maturation

sont très rares. Le tissu conjonctif interstitiel est très abondant,'ce qui fait que

l'ovaire prend l'aspect d'un organe sclérosé. On ne voit pas de traces de corps

jaunes, ce qui correspond avec l'absence de la menstruation pendant les der-

niers temps.

Le corps thyroïde présente des lésions ? incontestables et qui sont de deux

640 MARINESCO ET GOLDSTEIN

espèces : d'une part il s'agit d'une dégénérescence colloïdale de la plupart des

follicules. Le premier processus est caractérisé par la présence de zones fibreu-

ses, d'où partent des tractus également fibreux, se dirigeant en sens divers.

Les follicules situés à la périphérie de ces zones, sont petits, irréguliers, et

contiennent des cellules aplaties, ramassées les unes au-dessus des autres et

obstruant complètement la lumière de ces follicules. Dans la zone envahie par

cette dégénérescence fibreuse, on ne voit pas de follicules glandulaires.

Quant aux autres follicules situés au dehors de la zone fibreuse, ils sont quel-

quefois dilatés outre mesure, l'épithélium glandulaire est représenté par une

ou deux rangées de cellules aplaties. Ils sont séparés les uns des autres par

des septums conjonctifs minces. Dans la substance colloïdale qui remplit ces

follicules, on voit par ci par là beaucoup de cellules dégénérées, vacuolaires. Il

nous semble hors de doute que cette double dégénérescence, parenchymateuse

et interstitielle, du corps thyroïde a dû avoir une influence sur le métabolisme

des différents tissus et organes.

Dans le système nerveux nous avons trouvé les lésions habituelles de l'hy-

drocéphalie. Une dilatation considérable des ventricules avec amincissement

de l'écorce cérébrale. Nous n'avons constaté ni inflammation des plexus

choroïdes, ni l'existence d'une tumeur. Au microscope on voit que les cellu-

les pyramidales géantes persistent dans la frontale ascendante et dans le

lobule paracentral, pourtant leur volume est moindre, leurs éléments chroma-

tophiles sont moins volumineux et plus rares que d'habitude. Mais il n'existe

aucune espèce de chromatolyse, et ces modifications doivent être plutôt consi-

dérées comme un phénomène d'arrêt du développement.

D'ailleurs il n'existe pas de dégénérescence du faisceau pyramidal.

Dans les cas d'hydrocéphalie accompagnés de troubles dystrophiques

on doit se demander de quelle cause relèvent ces derniers ? Dans les cas

où existent des modifications importantes dans le fonctionnement du

système nerveux, les dystrophies pourraient être une conséquence des al-

térations nerveuses. En effet, de tels troubles peuvent se produire, mais

chez nos malades, ayant en vue que la dystrophie s'est réalisée d'après

un certain type qui ne se rencontre pas dans l'hydrocéphalie habituelle,

il faut chercher une autre cause. La riche littérature actuelle sur les trou-

bles métaboliques consécutifs aux diminutions, exagérations ou perver-

sions des sécrétions internes nous a fait penser à la possibilité d'une

pathogénie glandulaire. En effet, dans nos deux cas beaucoup de glandes

endocrines présentaient des altérations.

Avant de préciser à laquelle de ces glandes sont dus les différents trou-

bles, que nous venons de décrire, nous rappellerons quelques cas de dys-

trophies semblables à nos observations, et nous résumerons en quelques

lignes les connaissances plus précises sur le rôle de ces glandes.

DEUX CAS D'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 641

En dehors des symptômes cérébelleux et à ceux dus à la compression,

les faits qui nous frappent tout d'abord en examinant notre premier cas

sont : l'arrêt du développement des organes génitaux, le type infantile fé-

minin, et le développement exagéré du tissu adipeux. Des cas semblables

ont déjà été publiés, et maintenant tous les auteurs sont d'accord pour

attribuer ces troubles aux altérations des glandes à sécrétion inlerne. Mais

il n'en est plus de même s'il s'agit de préciser quelle est la glande qui les

produit. En effet, certaines dystrophies se rencontrent, presque sous la

même forme, à la suite des altérations de glandes différentes. C'est ainsi

que l'adiposité générale a été observée après les lésions de l'hypophyse,

du testicule et du corps thyroïde. L'infantilisme, à la suite des altérations

du corps thyroïde et de l'insuffisance testiculaire.

La question devient encore plus difficile à résoudre lorsqu'on tient

compte du fait que dans la plupart des cas les altérations d'une glande en-

docrine entraîne les modifications des autres glandes, de sorte qu'on ne

peut plus préciser la part qui revient à l'une ou l'autre dans la produc-

tion d'une dystrophie.

Le développement exagéré du tissu graisseux à la suite des altérations de

l'hypophyse est aujourd'hui un fait bien connu qui aide même à préciser

le siège d'une tumeur cérébrale. Ainsi Pechkranz (1) a publié le cas d'un

jeune homme, âgé de 19 ans, et qui présentait une hypoplasie des organes

génitaux du type infantile féminin, ainsi qu'une adipose abondante ; à

l'autopsie il a trouvé une tumeur de l'hypophyse.

Von Eiselsberg et von Frankl-Hochwart (2) ont publié le cas d'un jeune

homme âgé de 20 ans, atteint d'une tumeur de l'hypophyse depuis 8 ans.

Maigre jusqu'à cette époque, il commence à engraisser en même temps que

sa maladie fait des progrès. L'affection (maux de tôle, diminution de la vue,

etc.) et l'embonpoint ont augmenté de plus en plus, de sorte qu'à présent

le malade représente le type infantile féminin, se traduisant par l'absence

de poils, l'obésité et des organes génitaux très peu développés. Ce malade

a été vu par Froehlich à l'âge de 12 et de 14 ans, et fut présenté à la So-

ciété de neurologie de Vienne le 12 octobre 1901. Cet auteur a formulé

à cette occasion son avis que, faute de symptômes d'acromégalie, le dévelop-

pemont du tissu graisseux indique une altération de l'hypophyse. Depuis

lors les observations de Berger, Goetel-Erdheim, Zack, A. Fuchs, Made-

lung, Jolasse-Francke, Bartels, Schuster, Uhtoff, etc., vinrent confirmer

ce fait.

(t) Pechkranz, Zur Casuistik der Ilypopliysis Tusnoren. Neurologisches Centralblatt,

1899, p. 203.

(2) A. von Eiselsberg et L. VON FnA\sE-IiocnwART, Ueber operative Behandlung der

.lumorender Hypopitysisgegend. Neurologisches Centralblatt, 1907, n° 21.

642 - MARINESCO ET GOLDSTEIN

Le cas de Madelung peut être considéré comme une véritable expérience

démontrant l'influence de l'hypophyse sur le développement du tissu adi-

peux. En effet, cet auteur a eu l'occasion d'observer une fillette de 9 ans

qui avait reçu, quelques années auparavant, une balle dans la tète. Il s'est

produit une amaurose unilatérale, une hémiparésie et une adipose géné-

ralisée monstrueuse et qui augmentait toujours. La balle a pénétré par

l'angle externe de l'oeil droit en blessant là région de l'hypophyse ou la

glande même. -

A la discussion qui a suivi cette communication Stolper rappelle qu'il a

vu un cas de lésion delà glande pituitaire à la suite d'une chute grave

sur l'arrière-partie du crâne. Dans ce cas il s'est produit également une

adipose généralisée. A l'autopsie il a trouvé une hypertrophie de l'hy-

pophyse qui avait un volume trois fois plus grand que normalement. Mal-

gré que la glande présentât au microscope une structure normale,elle avait

donné une métastase dans le lobe occipital.

Benda exprime à cette occasion l'opinion de l'adipose généralisée,

de même que l'acromégalie indiquerait plutôt un fonctionnement exagéré

de l'hypophyse et un simple trouble sécrétoire.

On peut rapprocher près de ce cas l'observation de Babinski (2) com-

muniquée à la Société de Neurologie de Paris dans la séance du 7 juin

1900. Il s'agit d'une jeune fille de 17 ans, de taille moyenne, présentant

un développement marqué du tissu adipeux, un aspect infantile des or-

ganes génitaux avec pnbis complètement glabre. A l'autopsie il a trouvé

une tumeur (épithélium primitif) de l'hypophyse.

L'un de nous a publié, en collaboration avec Parhon (3), le cas d'une

jeune fille âgée de 19 ans qui ressemblait jusqu'à un certain point à

la malade de Bahinski, Elle avait le tissu graisseux abondant, ne fut ja-

mais menstruée et avait également une grande tendance au sommeil. A

l'autopsie nous avons trouvé une tumeur kystique occupant la place de

l'hypophyse et développée aux dépens de cette dernière, ainsi que l'exa-

men microscopique nous l'a montré.

Ces cas cliniques, assez démonstratifs, viennent d'être confirmés par le

résultat opératoire obtenu récemment par les chirurgiens viennois dans

des cas analogues. Von Eiselsberg (4) a exposé tout récemment à la

(1) 111ADFLU ? li,4'erletzun7ezz de)' Hypophysis, XXXIII'' Congrès de La : Société allemande

de chirurgie de Berlin, 6-9 avril 1904, Neurologisches Centraiblatt, n° 9, 1904.

(2) BabiksivI, Tumeur du corps pituitaire sans acromégalie et avec arrêt de développe-

des organes génitaux. Revue Neurologique, 1900, p. 531.

(3) C. PARHON et M. (;09.DSTEI ? Un cas de tumeur de l'hypophyse sans acromégalie,

Troubles mentaux el sommeil pathologique. Journal de neurologie 1908.

(4) VoN Eiselsberg, Deux cas nouveaux de tumeur de l'hypophllse opérés. Société

de médecine de Vienne, in Munchener Med. Wochenschr., n" 10 de 1909, p, 540.

DEUX CAS D'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 64 J

Société des médecins de Vienne les résultats de 5 cas opérés, pour des tu-

meurs de l'hypophyse dont 4 ont guéri et un est mort. Un de ces cas se

rapporte justement à une malade ressemblant à l'un des nôtres. Il s'agit

d'une jeune fille de 17 ans, obèse, habitus infantile, hémianopsie.*A l'o-

pération on trouve un kyste de la glande pituitaire qui contenait un li-

quide brun.

Deux mois après l'opération elle n'a plus de maux de tète, la vue s'est t

améliorée et elle est menstruée pour la première fois.

Ayant en vue l'influence indubitable de la glande pituitaire sur le

développement du tissu graisseux, Parhon et Zalplachta (·1), dans un

intéressant travail sur un cas de gigantisme précoce avec polysarcie

excessive, se croient autorisés de parler d'une obésité hypophysaire et,

prenant en considération l'hérédité de leur cas, ces auteurs émettent

même l'hypothèse d'une tare hypophysaire.

Mais presque dans tous les cas de tumeur de l'hypophyse publiés on a

encore noté un arrêt du développement des organes génitaux, lesquels,

ainsi qu'on le sait, ont une influence certaine sur le développement défi-

nitif de l'organisme. Dans ces conditions il était naturel de se demander

s'il ne serait pas possible que l'adipose et l'infantilisme observés chez

ces malades, ne fussent pas la conséquence de la lésion hypophysaire,

la dyslrophie ne dépendant pas de l'insuffisance des glandes génitales.

Il nous semble que notre cas peut précisément apporter quelque lu-

mière sur ce point.

L'insuffisance testiculaire a comme résultat un arrêt de développement

(lies caractères sexuels secondaires donnant lieu un syndrome infantilo-

féminin. Bouin et Ancel (2), à la suite de leurs recherches, rapportent

ces phénomènes à l'absence de la glande interstitielle du testicule. Vigou-

roux et Delmas ont trouvé à l'autopsie d'un cas d'infantilisme vrai, type

thyroïdien, le corps thyroïde diminué de volume mais normal comme

apparence et structure. Les testicules étaient petits, l'un situé dans

l'anneau..La tige de l'hypophyse présentait une petite tumeur, mais le

parenchyme glandulaire n'était pas altéré. Au microscope les testicules

seuls présentaient des altérations marquées, les canalicules séminaux peu

développés, et dans le tissu conjonctif on n'a trouvé aucune cellule inters-

titielle. Pour cette raison les auteurs se rallient à l'opinion de Bouin et

Ancel, et admettent aussi qu'en première ligne il faut incriminer l'insuf-

fisance interstitielle dans la production de la dystrophie. Mais si l'insuf-

, (1) C. Pahhon et P. ZALPLACHTA, Sur un cas de gigantisme précoce avec polysarcie

excessive, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n° 1, 1907.

(2) P. Bouin et P. ANCEL, L'infantilisme de la glande interstitielle du testicule.

Académie des Sciences, 1" février 1904, Revue Neurologique, 1901, p. 551.

644 MARINESCO ET GOLDSTEIN

fisance testiculaire produit un aspect infanlilo-féminin, celui-ci est dû

surtout à l'absence de la barbe et des moustaches, sans qu'on observe ce-

pendant un arrêt dans le développement du corps, au contraire la castra-

tion des jeunes individus a comme conséquence un retard dans l'ossifica-

tion des épyphyses osseuses et une croissance exagérée des os en longueur.

Donc, si dans notre premier cas l'aspect infantile et le développement

excessif du tissu adipeux étaient dus seulement à une insuffisance testi-

culaire, il aurait dû produire aussi une exagération de la croissance ; or,

au contraire, le malade était très petit pour son âge. Plus encore, comme

il ressort des mensurations faites après un intervalle de deux ans, il ne

s'est produit chez lui aucun accroissement des membres, par conséquent

ce n'est pas le testicule qui a joué le premier rôle dans la production de

la dystrophie. Il paraît plus probable que le trouble produit dans la

structure et dans le fonctionnement de l'hypophyse par sa compression soit

la première cause de l'hyperplasie du tissu adipeux et de l'arrêt du

développement des organes génitaux. En effet, il nous semble hors de

doute que l'hypophyse influence le développement des organes génitaux,

et c'est un fait bien connu que dans l'acromégalie l'un des premiers symp-

tômes c'est la diminution des fonctions génitales. Mais, même dans les

lésions de l'hypophyse qui n'ont pas produit l'acrégomalie, on constate

un arrêt du développement des glandes génitales. Les observations qui

démontrent ce fait deviennent plus nombreuses et plus probantes. C'est

ainsi que nous pouvons mentionner le cas de Babinski que nous venons

de citer, et à l'autopsie duquel malade les organes génitaux, utérus et

ovaires, étaient ceux d'une enfant de 8 à 10 ans.

Nazari (1) a observé un jeune homme de 20 ans qui avait les organes

sexuels très réduits de volume. L'autopsie mit en évidence un kyste de

l'hypophyse. Les testicules présentaient une structure embryonnaire

quoiqu'ils ne fussent pas ectopiques.

Dans la discussion qui a suivi la communication faite par Jolasse (),

sur un cas de tumeur de l'hypophyse, Franke et Saenger reconnaissent t

avoir été surpris par l'aspect féminin qu'avait pris le malade après une

année de maladie.

A cette occasion Nonne rappelle le cas d'un homme de 46 ans, d'aspect

bien viril et qui s'est féminisé sous ses yeux à la suite d'une tumeur de la

glande pituitaire. Sa peau devient muco-adipeuse, les mamelles molles,

(1) ALESSI Nazari, Conlribulo allô studio analomo-patolo,gico délie cisli dell'.

ipofisi cérébrale e dell' infantilisme. Il Policlinico, vol. XIII, 1906.

(2) JODLASSE, Tumor der Hyphophyses cerebri. Biologische Abtellung des aerzllichen

Vereins Hantboui-g, 9 avril 1907, in Munchen. med. Wochenchr., n 27, 1907, p.1346.

DEUX CAS D'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 645

les testicules diminuent sensiblement de volume, et les poils du pubis et

des aisselles se raréfient.

Parmi les trois cas de tumeur de l'hypophyse publiés par Yntaka-

Kon (1), il y avait un infantile de 37 ans, avec hypoplasie.

Dans le cas que l'un de nous a publié avec Parhon, nous avons égale-

ment noté l'absence delà menstruation , ainsi qu'un arrêt du dévelop-

pement des ovaires.

De nos deux malades, comme nous venons de le dire, le premier était

cryptorchide avec des altérations très marquées des testicules, et chez la

seconde, nous avons trouvé des ovaires qui, en outre des lésions microsco-

piques, ne pesaient que deux grammes chacun, tandis que le poids normal

d'un ovaire est, d'après Sappey, de six à huit grammes.

De tels cas ont eu pour conséquence d'attirer l'attention deFroehlich et

von Frankl-Hochwart (2) sur le fait que l'hypogénitalisme serait un

symptôme hypophysaire important. Ce dernier auteur rappelle à cette

occasion un cas antérieur de von Eiselsberg et l'observation de la jeune

- fille qui a fait le sujet d'une communication et qui aétémenstruéepourla

première fois 65 jours après l'opération de la tumeur pituitaire.

Von Frankl-Hochwart soutient qu'en opposition avec l'influence de

l'hypophyse, dans les cas de tumeurs de l'épiphyse, il se produit une

exagération dans le développement des organes sexuels et du système

pileux. Il communique un cas, suivi d'autopsie, où pour la première fois

il a porté, intra vitam, le diagnostic exact de destruction de l'épiphyse en

se basant sur la précocité sexuelle.

Mais ce ne sont pas seulement les lésions directes de l'hypophyse qui

peuvent déterminer des troubles du côté de l'appareil genital, mais aussi

les tumeurs qui compriment ou troublent indirectement la fonction de

cette glande. Telles sont par exemple les tumeurs voisines de l'hypophyse

ou celles qui produisent une hydrocéphalie intense du troisième ventri-

cule en comprimant par conséquent la glande. Des tumeurs de la base du

cerveau et même celles du cervelet peuvent également influencer le fonc-

tionnement de l'hypophyse.

C'est ainsi 'lu'Axenfeld (3) a communiqué au Congrès de Baden-Baden

(23 24 mai 1903) quatre cas d'atrophie du nerf optique consécutives

aux tumeurs de la base et dans lesquelles il a trouvé des troubles de la

menstruation. L'une de ces malades ne fut jamais menstruée et avait un

(1) YATAKA-KoN, £ 1ypophysdnst1/den, Zieglers Beitraege, vol. 44, n° 2, 1908.

(2) Société des médecins de Vienne, in Memchener med. Wochenschrift, ne 10,

1909, p. 540.

(3) Axexfkld, Selinervenatrophie und menstruationssloerungen bei basalen Hirntu-

moren. Neurologisches Centralblatt, 1903, p. 608.

646 MARINESCO ET GOLDSTEIN

utérus infantile. L'auteur admet que ces troubles doivent être expliqués

par l'influence de l'hypophyse.

E. Muetier a publié, dans un travail sur l'influence des tumeurs céré-

brales sur la menstruation, ai observations dont certaines ressemblent

jusqu'à un certain point aux nôtres. Ainsi, dans sa deuxième observation,

il s'agit d'une jeune fille de 16 ans avec le diagnostic : hydrocéphalie

grave secondaire à une tumeur de la fosse crânienne postérieure. Dans ce

cas l'auteur a constaté, hors les symptômes habituels (maux de tête, vo-

missements, amaurose, etc.), l'arrêt depuis 15 mois de la menstruation

qui avait commencé à 13 ans : des convulsions généralisées avec perte de

la conscience; augmentation du poids du corps. L'examen somatique

mentionne : stature petite, tissu adipeux abondant, utérus très petit.

L'auteur conclut que les tumeurs de l'hypophyse, ainsi que celles des

régions basales voisines qui sont accompagnées d'une hydrocéphalie pro-

noncée avec perte de la vue, influencent la menstruation. Il incline à

mettre sur le compte de la compression de l'hypophyse les troubles géni-

taux, cardans deux cas de tumeurs cérébrales, chez lesquels la glande pi-

tuitaire n'était pas intéressée et où il n'existait pas d'hydrocéphalie,

il n'a pas observé de troubles de la menstruation ni de troubles dystro-

phiques.

Fichera (2) démontre expérimentalement qu'il existe une relation entre

la glande pituitaire et les glandes génitales. Chez les animaux châtrés

l'hypophyse est plus grande, et au microscope on voit un développement

plus grand des vaisseaux sanguins et une multiplication des cellules éosi-

nophiles. Quelques injections de suc orchitique faites à un animal châtré

font que l'hypophyse reprend son aspect normal. Du fait qu'on trouve

une hypertrophie de la glande pituitaire dans l'acromégalie et dans le gi-

gantisme, et que dans ces dystrophies, ainsi que dans la castration il se

produit un excès de développement du tissu osseux, l'auteur tire la con-

clusion que dans la castration la cause du développement exagéré des os

est également l'hyperfonctionnementh5-popllysaire.

Les constatations anatomiques de Fichera sur l'hypertrophie de la glande

pituitaire à la suite de la castration viennent d'être confirmées jusqu'à un

certain point par quelques auteurs. L'un de nous, dans des recherches

faites en collaboration avec Parhon sur les sécrétions internes (3), est

arrivé à la suite de 17 expériences, à la conclusion que dans l'hypophyse

(1) nuano MUSLLER, Ueber die Reeinflussung der Menstruation durch cérébrale Her-

derhrankungen. Neurologisches Centralblatt, n 17,1905.

(2) Fichera, Sur l'layperlrophie de la glande pituitaire consécutive à la castration.

Archives italiennes de biologie, vol. 63 n° 3, 1905.

(3) Parhon et GOLDSTEIN, Les sécretions internes, Paris, 1909, p. 699.

DEUX CAS D'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 647

des animaux mâles châtrés on trouve le plus souvent une prédominance

des cellules éosinophiles qui peut même être très marquée. Cependant

cette prédominance est loin d'être constante, et dans certains cas nous

avons trouvé les cellules chromophobes formant la majorité. Cette éven-,

tualité peut être assez prononcée surtout chez les jeunes animaux. ,

Yntaka Kon (1) a trouvé les hypophyses plus grandes et plus lourdes

que normalement dans 8 cas de castration chez les femmes.

Il faut encore tenir compte du fait que l'altération d'une glande à sécré-

tion interne produit des modifications de la part de presque toutes les

autres glandes endocrines. En effet, comme nous venons de le voir dans

notre cas, toutes les glandes étaient plus ou moins altérées.

Il faut surtout prêter attention à l'état du corps thyroïde, car ayant en

vue le rôle important qu'il joue dans le métabolisme de presque tous les

tissus, il faut chercher la part qui lui revient dans les manifestations dys-

trophiques.

Il serait trop long et déplacé d'en discuter ici les fonctions diverses,

nous nous contenterons simplement de mentionner que son intervention,

dans la production de certains troubles dystrophiques, est très probable.

De Sanctis (2) arrive à la conclusion que l'infantilisme myxoedéma-

teux est dû essentiellement, mais non exclusivement, au corps thyroïde,

et que l'infantilisme en général dépendrait des altérations de plusieurs

glandes à sécrétion interne.

On a également attribué un rôle aux capsules surrénales dans la pro-

duction de l'obésité. Un auteur anglais, Guthrie (3), dans une étude sur

différentes formes de développement précoce, met l'obésité et l'hypertro-

phie musculaire en rapport avec les tumeurs de la substance corticale

des capsules surrénales.

Un autre facteur qui plaide en faveur d'une action exercée par l'hypo-

physe sur le développement du tissu adipeux est l'hyperplasie de ce der-

nier dans l'acromégalie.

En effet, Marie et Marinesco (4), dès le commencement de leurs études

sur cette maladie, ont attiré l'attention sur le développement exagéré de la

graisse dans les organes atteints par le processus acromégalique. Ce fait

est surtout évident dans la forme massive de Marie.

Au point de vue de l'influence de l'hypophyse sur le développement du

tissu graisseux, la présence, dans un de nos cas, d'une riche infiltration

(1) YNTAIC.1 110N, 10C. cil.

(2) SANTH DE Sanctis, Gli infantilismi, Roma, 1905.

(3) Léonard G. GUTIIRIE,British med. journal, 21 septembre 1907.

(4) Marie et Marinesco, Sur Tanatomie pathologique de l'acromégalie. Bull. et mém.

de la Soc. des hôp. de Paris, 1891.

648 MARINESCO ET GOLDSTEIN

graisseuse des muscles est très importante. Comme nous venons de le voir,

on a fréquemment observé que les tumeurs n'intéressaient pas directement

la glande dans les cas de modifications dystrophiques à la suite des trou-

bles hypophysaires, mais que des néoplasmes du cervelet ou de la base

qui compriment l'hypophyse, soit directement, soit par l'intermédiaire

de l'hydropisie du troisième ventricule, peuvent produire ces dystrophies.

Nos deux cas appartiennent à ce dernier groupe. Il nous semble qu'on

peuten déduire que la compression de la tige de l'hypophyse, produitdes

troubles dans le fonctionnement de cette dernière et qu'il en résulte des

modifications importantes dans le métabolisme des tissus, et en première

ligne dans celui des autres glandes endocrines.

Il est donc incontestable qu'une partie des modifications dystrophiques

ne sont plus dues directement à l'allération de l'hypophyse, mais aux

troubles secondaires des autres glandes à sécrétion interne.

' Nous conclurons de nos deux cas, ainsi que des faits que nous venons

d'exposer, que certaines altérations de l'hypophyse produisent une accu-

mulation généralisée du tissu adipeux et un arrêt du développement des

organes génitaux. A l'insuffisance de ces derniers est dû l'aspect féminin

que prennent les garçons. Les faits accumulés jusqu'à présent nous sem-

blent insuffisants, pour décider d'une manière précise si ces troubles sont

dus à une exagération ou à une diminution de la sécrétion hypophysaire.

Marburg (1), en publiant le cas d'une fillette de 9 ans, qui souffrait

d'une tumeur cérébelleuse et qui présentait en outre une adipose géné-

ralisée, émet à cette occasion une hypothèse nouvelle, à savoir que l'adi-

pose qu'on observe dans certains cas de tumeurs cérébrales, ne dépen-

drait pas delà localisation de ceux-ci, mais de leur espèce. Il existerait

une espèce bien définie des tumeurs, d'origine embryonnaire, ectodermi-

ques, qui produiraient l'adipose généralisée par une sécrétion spéciale.

L'auteur soutient cette hypothèse en se basant sur l'opinion d'Askanazy

que certains tératomes embryonnaires sécréteraient des substances chimi-

ques qui influencent l'organisme maternel. Il explique le siège fréquent

de ces tumeurs dans le voisinage de l'hypophyse par le fait qu'ils sont de

nature ectodermique et que les tumeurs ectodermiques ont, d'après Bos-

troen, deux sièges de prédilection : l'angle formé par la protubérance, le

bulbe et le cervelet et l'espace entre le lobe olfactif et sus-maxillaire.

Avant de terminer, nous désirons encore attirer l'attention sur deux

points : 10 sur l'effet produit par les ponctions lombaires répétées que

(1) 0. Marburg, Zur li,age der Aposilas universalis bel tt' ? : <Mmot'6M. Wiener med.

Wochenschrift, n^ 52, 1902.

DEUX CAS D'HYDROCÉPHALIE AVEC ADIPOSE GÉNÉRALISÉE 649

nous avons pratiquées dans le premier cas, et 20 sur le résultat d'un

traitement thyroïdien auquel nous l'avons soumis pendant un certain

temps.

Comme on l'a vu dans l'observation détaillée du premier cas, nous lui

avons fait toute une série de ponctions lombaires, qui ont donné quelque-

fois des résultats assez satisfaisants, de sorte que, après la ponction du

3 septembre 1905, quand nous lui avons extrait 30 grammes de liquide

céphalo-rachidien, nous avons pu noter une amélioration manifeste de son

état intellectuel et de la marche. Nous avons également observé une amé-

lioration légère après la ponction du 15 septembre, mais les autres ponc-

tions n'ont pas eu de bons résultats. Ces améliorations n'étant que passa-

gères, nous sommes d'avis qu'il faut les éviter, d'autant plus que certains

auteurs ont eu des résultats contraires, même fatals, après les ponctions

faites dans des cas de tumeurs cérébrales.

En effet Lapersonne et; Cerise ont communiqué un cas suivi de mort

après 60 heures à la suite d'une ponction lombaire dans un cas de tumeur

de lobe frontal. Oppenheim a également vu survenir la mort plus promp-

tement encore après des ponctions lombaires pratiquées dans de tels cas.

L'un de nous (M. Marinesco) a vu, dans un cas de tumeur cérébrale, sur-

venir la mort 30 heures après une ponction lombaire.

Dans notre premier cas nous avons essayé un traitement thyroïdien,

attendu qu'on-a publié des, cas où une pareille médication a eu comme e

résultat la descente des testicules dans les cas de chryptochidie et la dispa-

rition des troubles produits par l'insuffisance thyroïdienne et testiculaire.

On cite surtout la communication d'Apert (1), qui a obtenu avec l'opothé-

rapie thyroïdienne la descente des testicules et l'apparition de la puberté

dans deux cas d'infantilisme avec cryptorchidie chez des garçons de 15

et 28 ans ; Parhon et Mihailesco (2) ont également publié un cas d'infan-

tilisme, dysthyroïdien et dysorchitique, chez lequel le traitement thyroï-

dien fut suivi de la descente du testicule.

Chez notre malade l'administration du corps thyroïde n'a eu aucun

effet sur les organes génitaux ; elle n'a eu d'autre résultat que la diminu-

tion du volume des membres par la réduction du tissu graisseux. Cet in-

succès avec l'opothérapie thyroïdienne plaiderait également en faveur de

notre manière de voir, c'est-à-dire que dans ce cas la glande,qui a joué

le principal rôle dans la production des troubles dystrophiques, c'était

l'hypophyse.

(1) Areax, Infantilisme dysthyro'idien, chryptorchidie. Société de pédiatrie, séance

du 16 avril 1901, Revue neurologique, 1901, n" 18, p. 901.

(2) PARHON et If71AILESCO, Sur un cas d'infantilisme dysthyroidien et dysorchitique.

Journal de neurologie, 1908.

1 ÉCOLE DE NEUROPtITILOLOG1E IlE L'UNIVERSITÉ ROYALE DE ROME

(Dir.Prof.G.MiNaAzzmi). 1

LES ATROPHIES MUSCULAIRES TARDIVES

CONSÉCUTIVES A LA PARALYSIE SPINALE INFANTILE

PAR *

le D' Paul ALESSANDRINI, assistant.

Dans l'intention de contribuer à la solution du problème de la patho-

génie des atrophies musculaires tardives, je rapporte l'histoire d'un cas

clinique qui, pour certaines particularités, mérite une mention spéciale.

Observation (PI. LXIX). ,

S. P..., âgé de 22 ans, marié avec enfants, sculpteur. Son père a bonne santé,

mais grand buveur de vin. Sa mère, morte à 48 ans, peut-être d'une mé-

ningite cérébro-spinale, n'avait jamais eu de troubles nerveux avant sa mort.

Elle a eu deux enfants, dont un est mort eu bas âge et notre sujet. Sa grand'

mère maternelle présenta une difformité aux pieds consistant en un pied-bot

avec rétraction dorsale des doigts ; cette maladie n'avait pas, il semble, de ca-

'ractère progressif et ne l'empêcha jamais de marcher.

. Le malade est né à terme ; étant enfant, à une époque qu'il ne sait pas bien

préciser, il eut une affeclion aiguë, qui lui laissa une difficulté de mouvoir les

pieds et une difformité de ceux-ci qui ne s'est pas modifiée, selon lui, jusqu'à

- présent. Cette difformité ne l'empêcha pas de marcher et ne lui occasionna au-

cun trouble dans la marche. Ses pieds étaient restés quelque peu déviés avec

les doigts en griffe. La difformité était bilatérale, la paralysie était à peu près

la même des deux côtés et localisée uniquement aux pieds.

Il nie avoir eu syphilis ou maladies vénériennes, il n'a jamais bu de vin, il

ne fume point : il a cependant fort abusé du café. Il y a deux ans environ, no-

tre patient fut atteint d'une affection broncho-pulmouaire,dont le diagnostic fut

broncho-pneumonie apicale droite tuberculeuse et qui dura un mois environ.

Après un traitement hygiénique sa santé s'améliora ; mais encore maintenant

il a souvent des attaques de toux et assez souvent des élévations fébriles.

Jusqu'à 18 ans (il y a 4 ans) la difformité de ses pieds resta sans modifica-

tion ; alors seulement il commença à s'apercevoir qu'il ne pouvait pas courir

comme ses autres camarades à cause d'un obstacle qu'il rencontrait dans l'ar-

ticulation des genoux.Plus tard il s'aperçut d'une sensation de rigidité en mar-

chant ; celle-ci, toutefois, plus que par le patient fut notée par ses camarades,

NOUVELLE IcONOCKAPmE DE LA SALPÈ1RILRE

T.XXtI.Pt.LXIX

ATROPHIES MUSCULAIRES TARTIVES

CONSÉCUTIVES A LA PARALYSIE INFANTILE

4 (isilessandrini)

Masson et Cie. Editeurs

LES ATROPHIES MUSCULAIRES TARDIVES 651

qui lui disaient qu'il marchait comme une recrue. L'année suivante, le patient

nota une sensation de faiblesse dans tout le membre inférieur droit, surtout en

montant l'escalier et en se relevant de terre ; ce trouble a toujours augmenté

depuis et s'est étendu aussi au membre gauche. Ensuite il lui est arrivé souvent

de tomber terre en marchant, surtout s'il heurtait son pied contre un cail-

lou ; il est donc maintenant obligé de marcher lentement et en longeant les

murs, car dans ce cas il lui est plus aisé de se relever lorsqu'il tombe. Il est

de même obligé de monter les escaliers en s'appuyant à la rampe et en se sou-

levant plus avec ses bras qu'avec ses jambes. Ces troubles diminuent dans

les journées froides. Il n'a jamais souffert de douleurs ou paresthésies ni de

troubles des réservoirs. Il se plaint d'hyperidrose aux pieds.

Il y a deux mois environ il a ressenti, en se levant, des douleurs aux genoux

et au poignet droit, qui disparaissaient après quelques minutes; ces faits se sont

produits quatre ou cinq fois pendant un mois, à chaque changement atmosphé-

rique.

Examen de novembre 1907. Tous les mouvements des globes oculaires

sont possibles. Des secousses nystagmiformes horizontales se produisent dans

les mouvements extrêmes surtout latéraux. En fermant les yeux il a de légers

tremblements des paupières. Il n'y a aucun trouble du mouvement dans les

muscles du territoire du nerf facial. La position de la langue in situ est

normale ; elle est bien allongée : le malade peut en exécuter tous les mouve-

ments. Les muscles du voile du palais ne présentent rien d'anormal. La dégluti-

tion et la mastication sont normales. Pas de dysarthrie. Les mouvements du

tronc sont normaux.

Membres supérieurs. Les masses musculaires des membres'supérieurs ne

sont pas très développées, sont un peu flasques. Le trophisme de la peau est

normal. La résistance aux mouvements passifs est légèrement diminuée. Tous

les mouvements actifs depuis les plus simples jusqu'aux plus délicats, sont pos-

sibles dans toute leur étendue. La force musculaire est faible (Dynamomètre

D : 22 à G : 27).

Membres inférieurs. - Pas d'attitudes vicieuses des cuisses et des jambes.

Dans les pieds on voit que la concavité de la voûte plantaire est augmentée et

la tête des phalanges à la région plantaire est revêtue par un abondant tissu

adipeux qui en remplit les interstices et forme comme une espèce de coussinet

allongé qui est bien mis en évidence par la position d'extension forcée des pre-

mières phalanges. La 2" phalange du gros doigt du pied comme aussi la 2° et

la 38 des autres quatre doigts sont fléchies de manière que l'attitude du pied

est en griffe. Le pied droit a une tendance à se disposer en équin avec léger

varus. Au pied gauche il y a encore une légère rotation à l'extérieur. Tous les

muscles des articulations inférieures sont flasques et atrophiés, surtout à droite ;

cela résulte des mesures suivantes :

Circonférence cuisse (15 cm. au-dessus du bord supérieur de la rotule). D t

32 centimètres. G : 33.

Circonférence jambe (15 cm. au-dessous du bord supérieur de la rotule). D :

23.5 cm. G : 24.

652 ALESSANDRINI

La peau ne présente rien d'anormal ; au niveau des pieds, elle est

froide. II n'y a pas de tremblements ou mouvements fibrillaires. La résistance

aux mouvements passifs est très diminuée surtout au genou ; la rotule présente

une motilité excessive, de manière qu'elle peut ètre artificiellement subluxée.

Les mouvements actifs de la cuisse sur le bassin sont tous possibles et com-

plets ; cependant dans les essais desoulèvement des membres inférieurs, le patient

ne peut pas tenir la jambe sur la même ligne que la cuisse, mais forme avec

celle-ci un angle et se plie d'autant plus que la cuisse est plus soulevée.

Le patient ne peut pas étendre complètement la jambe sur la cuisse, mais il

peut la fléchir entièrement. Lorsqu'on fait contracter avec force les masses des

extenseurs du genou, sur chaque cuisse se forment deux ou trois saillies dures

au-dessous du plan musculaire. Dans le pied gauche sont possibles l'abduction

et l'adduction, dans le droit l'abduction est très faible. Les mouvements des

doigts sont possibles et complets, l'extension est incomplète. La force muscu-

laire dans la cuisse est modérée; dans la jambe elle est presque nulle pour le

mouvement d'extension et médiocre pour celui de flexion.La force d'extension

du pieds est presque nulle ; celle de flexion est modique; la force pour les

mouvements latéraux est très petite, excepté pour l'abduction du droit. De tout

cela on déduit que les muscles dont l'action manque presque coin plètement

sont : le quadriceps extensor, le tibialis anticus, les péronilis de droit et les

gastro-cnemii.

Dans la marche le patient steppe d'une manière évidente; il oscille et tend à

tomber si on l'arrète ou si on le fait retourner brusquement.Dans la position de

Romberg il présente aussi de légères oscillations. Pas de troubles des sphincters.

Réflexes : les rotuliens sont absents ; le réflexe du tendon d'Achille est absent

à droite, il s'obtient à peine à gauche. Les réflexes tendineux supérieurs sont

faibles ; le radial de droite n'existe pas. Sont présents les abdominaux et les

crémastériens. Les pupilles sont de grandeur moyenne, à contour régulier,

égales, réagissant régulièrement à la lumière et à l'accommodation.

La compression des nerfs périphériques, des apophyses épineuses, n'éveille

aucune douleur. Il n'y a rien du côté de la sensibilité objective des membres

supérieurs, du dos,de la poitrine et de l'abdomen. Rien du côté delà sensibilité

tactile dans les membres inférieurs. Il existe une hyperesthésie à la douleur

qui commence au-dessus du genou et va toujours en augmentant vers le bas.

Il y a une légère hyperesthésie du pied pour la chaleur et le froid. Pas de

trouble de la sensibilité musculaire, du sens de vibration et stéréognostique.

Vision : 0. D. 1/1. G. 1/2. C. V. et fundus oculi rien d'anormal.

Ouïe, sens olfactif, et goût : intègres.

Examen de l'excitabilité électrique. On trouve une diminution de l'excita-

bilité galvanique et Lradique des muscles des membres inférieurs sans inver-

sion de la formule. Je ne puis pas rapporter les données précises, car le patient

sortit à l'improviste de l'hôpital et on n'avait fait qu'un examen électrique

sommaire.

Pas de troubles physiques.

Poumons. Sommet droit, un travers de doigt au-dessous du gauche. Excur-

LES ATROPHIES MUSCULAIRES TARDIVES 653

sions pulmonaires normales aux bases, un peu diminuées au sommet droit.

Dans la région du sommet droit, l'inspiration est un peu soufflante, l'expi-

ration très soufflante et prolongée : pas de râles.

Les autres organes sont normaux. Dans les urines, ni sucre ni albumine.

Conditions générales : faibles.

Etat en fui let 1909. - Malgré le traitement électrique prolongé, le massage

et un large usage de nervins et de reconstituants, la santé du patient non seule-

ment ne s'est pas améliorée, mais le sens de faiblesse dans la marche a toujours

augmenté et il s'est aperçu aussi de quelques paresthésies le long des membres

inférieurs. Le patient a noté aussi quelques secousses fibrillaires surtout dans

les masses du quadriceps extensor cruris. Maintenant, il accuse aussi une

faiblesse appréciable dans le membre supérieur droit.

L'examen ne montre rien par rapport à l'attitude et à la motilité des muscles

innervés par le facial supérieur et inférieur, ni en ce qui regarde les mouve-

ments du cou et du membre supérieur gauche, si ce n'est une légère dimi-

nution de résistance aux mouvements passifs.

Dans le membre supérieur droit on n'observe aucune attitude vicieuse, ni

tremblement ou mouvement fibrillaire (au moment de l'examen). Tous les mou-

vements actifs sont possibles, seulement l'opposition du pouce au petit doigt est

très difficile et incomplète. La force musculaire est très réduite. Les masses

musculaires beaucoup plus flasques qu'à gauche et remarquablement atrophiées.

A l'examen dynamométrique on trouve : D : 15 ; G : 20.

La mensuration donne :

Bras : a) 2 centimètres au-dessous de l'artic. acromio-claviculaire, circonfé-

rence : D : 21 centimètres ; G : 23 centimètres.

b) 12 centimètres au-dessous du sommet de l'olécranien ; circonférence :

D : 20 centimètres 5 ; G : 22 centimètres.

A mains étendues, le membre supérieur droit se fatigue plus facilement.

Membres inférieurs. - On y remarque le pied en griffe déjà décrit. Il est

en outre en position de varus bilatéral associé à un léger équin. Il n'y a pas de

tremblements ou mouvements fibrillaires (au moment de l'examen). II y a une

notable atrophie dans les masses musculaires du mollet et de la cuisse, qui sont

d'une consistance tellement flasque, que l'on peut apprécier un commencement

« de genu recurvatum t.

La mensuration donne :

Pour la cuisse, 15 centimètres au-dessus du bord supérieur de la rotule :

D : 29 centimètres ; G : 31 centimètres de circonférence.

Pour la jambe, 15 centimètres au-dessous du bord inférieur de la rotule :

D : 22 centimètres ; G : 23 centimètres de circonférence.

Le patient ne peut opposer qu'une faible résistance aux mouvements passifs.

Il peut accomplir, mais non dans toute leur étendue, les mouvements actifs de

la cuisse dans les deux membres inférieurs. Il réussit avec peine à étendre un

peu et à fléchir quelque peu la jambe. Il ne peut pas mouvoir les pieds (excepté

une faible extension dorsale). Il ne peut pas mouvoir les orteils.

La force musculaire que le patient peut développer dans les mouvements

possibles (des cuisses et des jambes), est très faible.

MU 43

654 ALESSANDRINl

Dans la marche le patient manifeste un évident steppage ; il oscille et tend

à tomber lorsqu'on l'arrête ou on le fait retourner brusquement autour de son

axe. Il présente en outre le signe de Romberg.

Rien par rapport aux réservoirs.

Réflexes rotuliens et du tendon d'Achille absents des deux côtés.

Pas de signe de B ibinski. A droite le crémastérien se manifeste à peine, les

abdominaux manquent des deux côtés. Des réflexes des membres supérieurs sont

évidents,seulemeut le bicipital qui est plus faible à droite et le réflexe du médium

est égal des deux côtés. La réaction à la lumière et à l'accommodation des pu-

pilles est normale.

Il u'y a rien de remarquable par rapport à la sensibilité subjective et objec-

tive. Tous les sens spécifiques sont normaux.

L'examen électro-faradique et galvanique a donné les résultats suivants.

Excitabilité faradique.

(Appareil de Uubois-Raymond).

LES ATROPHIES MUSCULAIRES TARDIVES 655

les autres muscles, dans lesquels le processus atrophique a commencé depuis

peu, il y a seulement une diminution de l'excitabilité électrique.

En résumé : un patient fut atteint dans son enfance par une polyémyé-

lite antérieure aiguë lombaire,qui produisit des deuxcôtés une paralysie de

quelques muscles antérieurs des jambes et du pied et par conséquent un

pied en griffe qui toutefois lui permit de marcher. Jusqu'à l'âge de 18 ans,

il se porta toujours bien sans aucun trouble appréciable dans la marche ;

à partir de ce moment il commença à se produire une atrophie associée à

parésie des muscles des jambes et des cuisses surtout à droite ; ce trouble

s'accrut jusqu'à présent, et maintenant le patient peut difficilement se

tenir debout sans l'aide d'un appui.

Parallèlement aux troubles moteurs s'est développée une atrophie des

muscles des mains, qui est maintenant assez notable.

A l'examen fait en novembre 1907, on a remarqué une paraplégie flas-

que, atrophique avec pied en griffe ; les symptômes morbides sont plus

accentués à droite et dans la partie distale plus que dans la proximale.

Il y a une diminution de l'excitabilité électrique galvano-faradique dans

tous les muscles des membres inférieurs dans lesquels on remarquait

aussi des secousses fibrillaires. Les réflexes rotuliens et achilléens de

droite étaient disparus, on notait une légère hyperesthésie à la chaleur et

à la douleur dans la partie distale.

Après environ un an et demi, c'est-à-dire quatre ans après le début,

les troubles des membres inférieurs se sont notablement accrus et les

réflexes cutanés et pro/onds sont complètement disparus. En outre une

appréciable atrophie de la main droite vient de commencer avec une légère

diminution de l'excitabilité électrique.

Nous sommes donc en présence d'une atrophie musculaire spinale du

type Aran Duchenne. En effet, en faveur d'elle sont les caractères suivants :

le commencement de l'atrophie musculaire aux extrémités des membres

inférieurs; le caractère flasque et progressif du côté proximal ou distal

de la paralysie, sans notable R. D. ; l'abolition des réflexes profonds,

l'absence d'importants troubles sensitifs, la marche plutôt lente, les secous-

ses fibrillaires.

Dans notre cas il ne peut pas s'agir d'une poliomyélite chronique,

soit en considérant la marche, soit parce que paralysie et atrophie muscu-

laire ont progressé parallèlement, et la paralysie n'a pas précédé l'atro-

phie.

Contre la sclérose latérale am y o trophique parlent l'abolition des réflexes

profonds supérieurs et inférieurs, la marche de la maladie, et l'intégrité

des nerfs moteurs bulbaires.

Il ne peut pas s'agir non plus d'une myopathie prothopathique par la

656 ALESSANDRlIVI

marche de la maladie, qui a progressé de l'extrémité distale des membres

au proximal, par la présence de la R. D. partielle, parle manque de lipo-

matose et d'hypertrophie vraie ou fausse, et par la parfaite intégrité des

muscles faciaux,

Contre la dystrophie musculaire du type Wei-diiing-Hoffmann parlent

le jeune âge, l'extension de l'atrophie de la portion distale des membres

et la lenteur de l'évolution.

On ne peut admettre aucune forme d'atrophie névritique (alcool, plomb)

vu l'absence de troubles sensitifs, l'évolution et la manière de se

comporter de l'excitabilité électrique. On peut exclure aussi une atrophie

musculaire progressive du type Charcot-Marie par l'absence de troubles

sensitifs, parce que la marche est relativement plus rapide et enfin parce

que dans celte forme-ci le procès morbide se limite ordinairement aux

membres inférieurs.

Contre la névrite interstitielle hypertrophique est l'absence de troubles

pupillaires, du nystagmus,de l'ataxie,de la cyphoscoliose et de l'hypertro-

phie des nerfs. On peut exclure aussi la maladie de Friedreich par l'ab-

sence de l'ataxie et des troubles des mouvements oculaires, comme aussi

parce que dans cette maladie manquent les atrophies musculaires.

Contre la sclérose en plaques est surtout l'évolution et la notable atrophie

musculaire, l'absence de quelques-uns des symptômes les plus caractéris-

tiques de cette maladie (nystagmus, parole lente, allure chancelante). En-

fin il est aisé d'exclure une syringomyélie en considérant l'absence de

notables troubles sensitifs, la marche relativement rapide et la grande

extension des symptômes moteurs.

Donc tant les arguments directs que les indirects nous obligent à

conclure que chez notre malade déjà alteint de paralysie spinale infantile

dépendant d'une poliomyélite antérieure aiguë (lombaire) s'est produite

après environ seize ans une atrophie musculaire progressive du type spinal.

Or une demande se présente spontanément : existe t-il un lien entre cette

nouvelle maladie et l'affection dont le patient a souffert dans son enfance ?

Cet argument a été l'objet d'intéressants travaux surtout de l'école

française. C'est en 4t375 que l'on a observé pour la première fois la réap-

parition tardive de troubles atropbiques et paralytiques chez des individus

atteints de paralysie spinale infantile : ce fut Raymond qui éveilla l'atten-

tion des membres de la Société de biologie sur un cas étudié par lui. On eut

ensuite les cas de Carrieu, Hayem, Quinquaud, Coudoin, Seeligmüller,

Oulmont, Neumann, Sauze, Landouzy et Dejerine,Ballet et Dutil. Il existe

encore quelques autres cas plus récents, qui i n'ajoutent rien d'in téressa nt aux

faits déjà établis par les susdits auteurs : ce sont ceux de Brissaud, Ber-

nheim,Grandon, Sterne,Langer Rossi, Crouzon. La synthèse de ces études

LES ATROPHIES MUSCULAIRES TARDIVES

657

est la suivante; il semble que l'hérédité nerveuse ait une part non in-

différente sur le développement des atrophies tardives, consécutives à

la paralysie infantile. On a attribué une grande importance, comme cause

déterminante, aux maladies infectieuses, surtout à l'influenza (Ballet et

Dutil) et à la tuberculose (Quinquaud). Ces atrophies sontplus fréquentes

chez l'homme que chez la femme, et cela est dû à la circonstance que

celui-là est exposé pl us facilement aux causes occasionnelles,comme le trau-

matisme, la fatigue et le froid.

L'intervalle qui sépare la maladie primitive de l'atrophie secondaire

est très varié, ordinairement de 10 à 20 ans ; dans notre cas il a été en-

viron d'une quinzaine d'années, car le patient ne se souvenait pas exacte-

ment l'époque précise de l'attaque de poliomyélite. On a cependant

décrit des atrophies musculaires qui ont suivi la paralysie infantile à une

distance de 40 ans (Garbset) et plus (55 ans, Landouzy et Dejerine).

Le processus commence par un affaiblissement musculaire, qui est suivi

par une atrophie musculaire ; celle-ci prend une marche progressive et,

petit à petit, atteint un grand nombre de muscles, de manière à paraître

comme une atrophie musculaire généralisée, ordinairement du type

Aran Duchenne. Dans notre cas l'atrophie successive des différents grou-

pes musculaires s'est développée de cette façon.

Un fait intéressant, mis en évidence par Raymond,est que le processus

atrophique commence dans les membres qui étaient restés paralysés au

moment de l'invasion de la paralysie infantile et qui en avaient été

délivrés au moment de la régression des symptômes. Chez notre patient

il ne fut pas facile de vérifier ce fait car ni lui, ni sa parenté ne se rap-

pelaient les particularités de la marche de la maladie ; toutefois il est

certain que les muscles atteints en premier lieu furent ceux qui étaient

voisins des paralysés (les muscles des jambes).

L'atrophie musculaire peut encore atteindre ou la partie symétrique

ou la partie immédiatement supérieure ou inférieure, mais elle peut aussi

se développer en un point très éloigné. Les muscles plus paralysés sont

en général ceux qui dépendent le plus de la volonté ; c'est pourquoi le

diaphragme, letrapéze, les scalènes, les intercostaux ne sont pas atteints.

La marche de la maladie dans notre cas a été chronique,progressive,comme

dans l'atrophie du type Aran Duchenne. Il y a encore des cas à marche

rapide récidivante comme ceux décrits par Landouzy et Dejerine, par

Rossi et par Crouzon ; dans ces cas-ci on peut avoir une guérison com-

plète avec restitutio adinlegrum, ils sont interprétés par les auteurs fran-

çais comme des poussées congestives. Dans le cas de Crouzon on eut neuf

attaques en 18 ans. Le Professeur Mingazzini aussi m'a raconté un cas

semblable qui s'est présenté à lui dans sa clientèle privée. Il s'agissait

658 ALESSANDRINI

d'un jeune homme, juge de tribunal, qui, à l'âge de deux ans, fut atteint

d'une paralysie spinale infantile, qui lui laissa une parésie d'un pied avec

tendance au varus équin. A l'âge de 35 ans il se produisit une parésie

avec atrophie dans la jambe homonyme, associée à des atrophies du del-

toïde. Ces symptômes, en peu de mois, disparurent complètement par

un traitement opportun (applications galvaniques).

On sait que quelques auteurs considèrent la poliomyélite chronique

comme une entité morbide différente de l'atrophie musculaire à type

Aran Duchenne (Oppenheim, Strumpell, etc.) ; d'autres, au contraire,

voudraient identifier les deux formes (Bernhardt, Kohler, Dejerine, etc.).

Certes, l'on ne peut nier qu'il y a des formes de passage comme par

exemple le cas décrit par Langer. En tout cas la parenté entre les formes

de poliomyélite et l'atrophie musculaire spinale est démontrée par les

atrophies consécutives aux paralysies spinales infantiles. En effet, dans

notre cas et dans les cas analogues, nous avons une atrophie musculaire du

type Aran Duchenne qui représente presque l'issue d'une poliomyélite.

En outre on a observé des atrophies tardives du type spinal aussi en

des individus frappés par une paralysie cérébrale infantile comme dans

le cas décrit par Bisping ; cela ne surprend guère si on se rappelle les

étroits rapports pathogéniques entre les deux formes de paralysie infan-

tile (Vizioli, Strümpell, etc.). ,

Dans les atrophies que nous venons de décrire, on voulut d'abord voir

une simple coïncidence, avec la poliomyélite antérieure qui avait précédé ;

mais les observations ultérieures montrèrent qu'entre les deux maladies

il y a un rapport causal. Quelques-uns croient à ce propos que le foyer

de cicatrice médullaire consécutif à la poliomyélite agit comme une épine

irritatrice en produisant un locus minoris resistentiæ (Ballet etDutil).

On pourrait admettre cela si t'amyotrophie se limitait aux muscles envi-

ronnants ceux atteints en premier lieu, et n'avait pas une marche progres-

sive. Toutefois, comme il arrive le plus souvent que les choses vont de

cette dernière manière, quelques auteurs ont soutenu qu'il existe un

virus resté latent après la poliomyélite, qui détermine le processus atro-

phique. Mais cela aussi ne peut pas être admis, car plusieurs dizaines

d'années peuvent s'écouler entre les deux atteintes.

Il ne reste donc qu'à penser à une vulnérabilité spéciale de la moelle

épinière qui facilite les localisations morbides. En effet, quelques auteurs,

tout en admettant que la poliomyélite antérieure aiguë représente un

processus infectieux, ne nientpas une certaine susceptibilité du système

nerveux central et qui est plus marquée en certains individus. Or, il peut

se faire que le processus de poliomyélite initial contribue à l'atrophie tar-

dive, en diminuant encore davantage la résistance, à un virus donné, des

LES ATROPHIES MUSCULAIRES TARDIVES 659

cellules nerveuses situées près du foyer initial, en constituant ainsi le

point de départ pour une diffusion ultérieure. Une autre confirmation de

cette hypothèse est le fait mis en relief par M. Rémond de Metz, c'est-à-

dire que le procès commence dans les groupes musculaires au centre

desquels le procès de poliomyélite s'était déjà fait sentir. A cette vulné-

rabilité spéciale, non seulement de la moelle, mais de tout l'axe cérébro-

spinal, comme fait supposer le cas de Bisping, doit probablement contri-

buer à l'hérédité pathologique ; ce fait déjà mis en relief par la clinique,

vient à consolider les idées de Strumpell sur l'entité des amyotrophies

spinales, c'est-à-dire que celles-ci doivent être attribuées à une faiblesse

congénitale du système nerveux ; cette faiblesse fait que des causes mini-

mes peuvent déterminer le processus morbide. Précisément dans notre cas,

à un état de faiblesse déterminé probablement par les excès d'alcool du

père s'est uni un processus infectieux chronique tuberculeux, dont les

substances toxiques doivent avoir sans doute contribué non seulement au

commencement de l'atrophie musculaire, mais à son développement rela-

tivement rapide et à sa diffusion.

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CLINIQUE MÉDICALE DE L'UNIVERSITÉ D'UPSALA (SUÈDE)

Servit de ! If, le professeur K. Petren.

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË

PAR

K. PETRÉN,

Professeur.

et

L. EHRENBEFG,

Interne à la clinique.

(fin)

Sur la relation entre la poliomyélite et la poliencéphalite.

Strumpell (99) a émis le premier (en 1885) (exception faite toutefois

pour Vizioli) l'opinion que ces deux maladies seraient en réalité une seule

et même maladie, seulement avec une localisation différente et cette opi-

nion a été défendue un peu plus tard par Pierre Marie (61) également,

Strumpell ne mentionne pas d'autre raison en faveur de cette idée que le

fait qu'elles se déclarent toutes les deux brusquement chez de jeunes en-

fants et que les symptômes au début des deux maladies sont analogues.

Dans ce travail, nous avons insisté sur le fait qu'en général les symptô--

mes méningitiques de la poliomyélite aiguë se rapportent seulement aux

méninges spinales et que des symptômes nets d'une méningite cérébrale

manquent"te"plus souvent. Pour notre part, nous n'avons observé de trou-

bles de la conscience que trois fois et jamais de convulsions. D'un autre côté,

il est bien connu que les symptômes au début de la poliencéphalite con-

sistent en grande partie en symptômes de méningite cérébrale aiguë avec

troubles marqués de la conscience, convulsions, etc., presque toujours

présents. Par conséquent, cette différence entre les symptômes initiaux

des deux maladies est une raison assez forte contre l'idée qu'il s'agirait de

maladies d'une nature identique.

Dans un autre travail paru quelques années plus tard (1891), Strüm-

pell mentionne comme analogie entre les deux maladies « qu'elles n'écla-

tent - sauf de rares exceptions que dans l'enfance ». Comme nous

l'avons déjà dit, l'expérience des dernières années a apporté des raisons

définitives de croire qu'il y a un grand nombre de cas de poliomyélite

aiguë nettement caractérisée à tous les points de vue qui n'apparaissent

qu'après l'enfance. D'autre part, l'expérience postérieure ne nous a pas

662 PETREN ET EHRENBERG

fait connaître chez l'adulte d'analogies nettes avec l'hémiplégie cérébrale

infantile à début brusque sous l'aspect d'une infection générale ; cela cons-

titue donc encore une différence entre la poliencéphalite et la poliomyélite

aiguë, c'est-à-dire une nouvelle raison contre l'analogie des deux maladies.

Puis, c'est surtout mon compatriote, Medin, qui a attiré l'attention sur

l'idée qu'il a soutenue de l'identité de la poliomyélite et de la poliencé-

phalite. Il donne comme raison le fait qu'il a observé pendant les deux

épidémies de Stockholm étudiées par lui (1887 et 1895), en tout quatre cas

qu'il regarde comme des cas de poliencéphalite. Je suis tout à fait d'accord

avec Medin que les histoires de ces malades sont bien caractéristiques pour

une poliencéphalite aiguë, mais d'un autre côlé, ces cas n'ont montré

aucun signe d'une poliomyélite.

En effet, le fait qu'on voit au moment où il y a une épidémie de po-

liomyélite (en ayant l'occasion d'observer dans une grande ville, soit

aux cliniques, soit aux consultations publiques des hôpitaux, un très grand

nombre d'enfants malades) une année un cas de poliencéphalite et l'autre

année trois cas de cette maladie qu'on ne peut en général regarder comme

très rare, ce fait ne peut donner, d'après mon opinion, aucune raison de

croire à l'analogie ou même à l'identité des deux maladies.

Il me semble évident qu'il faudrait voir une coïncidence de la polio-

myélite et la poliencéphalite ou chez des individus différents de la même

famille ou chez le même malade pour considérer les observations comme

des raisons de conclure à une analogie des deux affections. A cet égard,

il est très remarquable que Wickman n'ait vu, pendant ses études sur la

grande épidémie suédoise de poliomyélite, aucun cas où se soit déclarée

une hémiplégie spastique. En rassemblant tous les cas de la grande épi-

démie norvégienne, Leegaard n'a trouvé que deux cas, indiqués comme

poliencéphalite, mais l'auteur les regarde comme tout à fait douteux. De

même, les rapports sur les autres grandes épidémies des derniers temps

ne nous indiquent pas que des cas de poliencéphalite aient apparu en

nombre notable parmi les cas de poliomyélite typique. A ce propos,

j'ajouterai que je ne regarde pas les symptômes bulbaires (qui sontrecon-

nus par tous les auteurs comme étant dus souvent à une poliomyélile)

comme des signes d'une poliencéphalite (ce qui, je crois, correspond bien

au sens en général donné au mot poliencéphalite),

Néanmoins, Wickman semble défendre l'opinion que la poliencépha-

lite peut être une maladie analogue à la poliomyélite. Comme raison en

faveur de cette opinion, il invoque la présence dans la poliomyélite aiguë

de lésions cérébrales constatées par l'examen anatomique. Mais si nous

laissons de côté les altérations du tronc cérébral et ne regardons que les

lésions des hémisphères trouvées dans la poliomyélite aiguë et, d'autre

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYELITE AIGUË 663

part, celles qu'on constate en examinant des cas d'hémiplégie cérébrale

infantile, qu'est-ce que la comparaison nous démontre ?

Il est bien connu qu'on trouve, dans les cas de la dernière espèce, des

lésions anatomiques très différentes dans les différents cas, ramollisse-

ments, porencéphalie, scléroses ou méningites diffuses. Mais il y a un ca-

ractère qui semble commun à la plupart des cas ou à tous les cas, c'est

que ces lésions cérébrales s'étendent à tout un hémisphère et qu'elles

sont si grosses que cet hémisphère est en même temps devenu plus petit

que l'autre.

Par contre, quelles sont les lésions anatomiques des hémisphères que

l'on trouve dans la poliomyélite aiguë ? Je rappellerai brièvement les

faits. Wickman a trouvé deux fois des lésions anatomiques des circonvo-

lutions cérébrales consistant en quelques petits foyers d'infiltration cellu-

laire, surtout autour des vaisseaux ; les altérations n'étaient visibles

qu'au microscope. Cadwalader a, dans un cas, constaté aux circonvolu-

tions cérébrales seulement une petite infiltration cellulaire de la pie-mère.

Dans un cas, Redlich a trouvé une dilatation de quelques vaisseaux

des circonvolutions cérébrales, mais seulement une infiltration cellulaire

légère de leur paroi et pas d'infiltrations cellulaires entre les vaisseaux.

Les recherches les plus complètes et les plus nombreuses sur l'état du

cerveau dans la poliomyélite aiguë ont été publiées par Harbitz et Scheel,

qui ont étudié l'épidémie norvégienne. Ces auteurs ont constaté la pré-

sence dans les circonvolutions d'un certain nombre d'infiltrations cellu-

laires périvasculaires, mais qui ne sont ni grandes ni nombreuses (nicht

besonders gross und zahlreicla). Des infiltrations cellulaires entre les vais-

seaux sont rares. Ces auteurs remarquent qu'il n'y a pas une destruction

nette (keine besondene Destruction) de la substance du cerveau. En outre,

ils décrivent deux cas de poliencéphalite apparus pendant l'épidémie

de poliomyélite où il n'a pas été constaté de poliomyélite par l'examen

anatomique; toutefois les auteurs ont admis une poliomyélite dans l'un

des cas parce qu'il y avait au 28 segment cervical quelques vaisseaux

dilatés et quelques petites infiltrations cellulaires, mais sans altération

des cellules ganglionnaires. Cependant, pour ma part, je ne peux admettre

que cela soit une preuve suffisante de la présence d'une poliomyélite.

La comparaison entre les résultats obtenus à l'examen des circonvolu-

tions cérébrales dans les cas ordinaires de poliomyélite et dans les cas

d'hémiplégie cérébrale infantile nous montre combien la différence est

énorme.

Peut-être objectera-t-on qu'on ne doit pas comparer directement les

lésions inflammatoires tout à fait aiguës trouvées chez des individus morts

pendant la phase initiale de la poliomyélite et les lésions constatées dans

664 PETRÉN ET EHRENBERG

des cas anciens d'hémiplégie infantile spastique qui sont le résultat des

processus morbides, disparus depuis longtemps. A ce propos il importe

d'observer qu'Harbitz et Scheel, en examinant des cas où plusieurs mois

s'étaient déjà écoulés depuis la poliomyélite, n'y ont trouvé aucune alté-

ration des circonvolutions cérébrales, mais des altérations du bulbe, ce

qui démontre que le cerveau a été atteint par le processus morbide. De

ces observations nous pouvons conclure que les lésions légères des cir-

convolutions cérébrales trouvées plusieurs fois dans des cas de poliomyélite

aiguë où la maladie a entraîné la mort pendant la phase initiale auraient

bientôt et complètement disparu si les malades avaient vécu plus

longtemps.

Ces citations et considérations nous amènent à ce résultat que les alté-

rations histologiques légères trouvées dans la poliomyélite ne constituent

nullement une raison en faveur de l'analogie entre la poliomyélite et la

poliencéphalite ordinaire infantile, mais au contraire, quelles parlent en

faveur de la conclusion qu'il faut faire une distinction nette entre les deux

maladies . .

Il y a encore une raison qu'on a citée en faveur de l'analogie des deux

affections ; c'est le fait qu'on a quelquefois observé que les deux maladies

se rencontrent ou chez le même malade ou en même temps chez des indi-

vidus différents de la même famille. Pourtant toutes les observations qu'on

a citées à ce propos ne me semblent pas également probantes.

Par exemple, le cas de Williams où il y avait une hémiplégie spastique,

mais où il est noté que la circonférence de la jambe paralysée était de deux

centimètres et demi plus petite que de l'autre côté et qu'il y avait une

réaction de dégénérescence aux muscles péroniers, mais que le réflexe

patellaire était conservé.

De même, le cas de Lamy où l'auteur, en examinant un ancien cas

typique de poliomyélite, a trouvé en outre quelques petits foyers anciens

de méningo-encéphalite qui n'avaient pas manifesté de symptômes-clini-

ques (pas d'examen histologique).

En outre, Schmiergeld a observé une fois dans un cas de poliomyélite

une aphasie disparue en deux semaines ; en tout cas, cette observation ne

peut démontrer qu'une lésion cérébrale tout à fait légère.

Rossi a cité un cas de Weber ; mais dans ce cas de poliomyélite Weber

dit seulement qu'il était « possible » qu'il eût existé une paralysie

due à une affection cérébrale (qui avait d'ailleurs disparu). Cependant,

la description de l'observation est si incomplète, qu'il est tout à fait im-

possible d'arriver à une conclusion sur sa nature.

Mais, même si nous laissons de côté ces cas douteux, il en reste quelques

autres qui sont en effet remarquables. Je ne veux que brièvement rappeler

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYELITE AIGUË 668

ceux que j'emprunte aux auteurs originaux : Môbius (le cas est connu

surtout pour être cité par Pierre Marie ; deux enfants malades en même

temps, l'un d'une poliomyélite, l'autre d'une poliencéphalite) ; Pasteur

(75) (7 enfants malades en même temps, deux d'une poliomyélite, un

autre d'une poliencéphalite, les autres sans paralysie) ; Pierre Marie et

Rossi (chez le même malade, poliomyélite qui avait causé la paralysie de

l'un des membres inférieurs et poliencéphalite qui avait causé la paralysie

de l'autre; examen anatomique) ; Neurath (71) (chez le même malade,

hémiplégie spastique et, d'après l'auteur, également parésie de l'autre

membre inférieur par suite d'une poliomyélite ; cette dernière jambe était

atrophique el flasque, toutefois le réflexe patellaire était conservé et l'exa-

men électrique n'a pas été fait) ; Hoffmann (deux enfants malades le même

jour, l'un d'une poliomyélite, l'autre d'une poliencéphalite).

Il y a d'autres cas semblables de Calabrese et Négro, mais je ne les

connais que par Rossi.

Ces observations sont trop fréquentes pour qu'on puisse considérer la

rencontre des deux maladies chez les mêmes individus ou dans les mêmes

familles comme purement fortuite. Mais il n'est pas pour cela nécessaire

de conclure que les deux maladies sont analogues ou identiques ; car, si

l'on suppose qu'il s'agit de deux maladies bien différentes, se rapportant

à des formes différentes d'infection, on pourrait expliquer les cas de ren-

contre des deux maladies comme la conséquence d'une localisation extra-

ordinaire de l'infection, ou de la poliomyélite aux hémisphères cérébraux,

ou de la poliencéphalite à la moelle épinière. Car lorsqu'on voit par exem-

ple une grande épidémie comme l'épidémie suédoise s'étendre à peu près

à mille cas sans qu'on ait constaté un seul cas d'hémiplégie spastique, on

est bien obligé de conclure que la localisation de cette infection à la moelle

épinière (et au bulbe) est un caractère très distinctif et normal de la ma-

ladie.

Sur d'autres points de pathologie générale, nous avons également de

nombreux exemples qu'une infection peut avoir quelquefois une autre

localisation que la localisation typique, sans qu'on ait pour cela voulu en

tirer une conclusion analogue à celle qu'on a tirée sur la relation entre la

poliomyélite et la poliencéphalite. Par exemple, le pneumocoque peut

quelquefois causer une méningite qui ressemble beaucoup à celle qui est

causée par le méningocoque de Weichselbaum, et néanmoins, nous re-

gardons la pneumonie et la méningite cérébro-spinale épidémique comme

des maladies différentes. Il est évident que cette comparaison comme

toutes les autres du même genre est boiteuse ; et pourtant une méningite

causée par le pneumocoque semble être beaucoup plus fréquente que le

cas de coïncidence de la poliomyélite et de la poliencéphalite,

666 PETRIN ET EHRENBERG

Sur la relation entre la poliomyélite et la polynévrite.

La question de la relation entre la poliomyélite et la polynévrite a été

beaucoup discutée et plusieurs auteurs regardent comme impossible de

faire une distinction vraie entre les deux maladies (Raymond). Comme je

l'ai déjà dit, Medin considère la polynévrite comme une des formes de

la paralysie infantile. J'indiquerai d'abord les raisons données parles

auteurs en faveur de cette opinion.

Medin s'appuie sur le fait qu'il a souvent observé dans ses cas de polio-

myélite des douleurs et même une hyperesthésie, mais il n'a pas pensé

alors à la méningite si fréquente dans la poliomyélite, et aujourd'hui il

faut admettre que les symptômes indiqués par Medin comme étant des

signes d'une polynévrite peuvent tout aussi bien se rapporter à la mé-

ningite.

Raymond a basé le diagnostic différentiel (auquel il attribue'une valeur

pratique, sinon théorique) sur le pronostic et l'évolution de la maladie :

dans les cas en voie de guérison, il s'agirait de la polynévrite, dans les

cas où une paralysie persiste, il s'agirait d'une poliomyélite. Wickman a

insisté selon moi, avec beaucoup de raison sur l'impossibilité d'ac-

cepter cette façon d'envisager la question ; car il y a pendant les épidé-

mies un certain nombre de cas où la poliomyélite ne peut être douteuse,

mais où la paralysie disparaît en peu de temps; et de même, il est très

fréquent, d'après mon opinion, c'esl même la règle-que la paralysie soit

plus étendue au début de la poliomyélite que plus tard, ce qui prouve que

la paralysie causée par le processus morbide de la poliomyélite peut bien

disparaître. Ces considérations me semblent tout à fait probantes.

Les résultats des recherches anatomiques sur la poliomyélite ne parlent

pas en faveur de l'idée que, dans les épidémies, quelques cas se rapporte-

raient à des polynévrites. Car, comme je l'ai déjà remarqué, en examinant

les nerfs périphériques, on n'a pas trouvé de névrite (Wickman, Forssner

et Sjovall, IIarbitz et Scheel). D'un autre côté, les auteurs ont quelque-

fois constaté que l'inflammation des méninges s'est étendue également

aux racines (Wickman, Harbitz et Sclieel). Il est bien clair que ce dernier

fait nous donne une explication suffisante des douleurs de la poliomyélite,

même si elles sont quelquefois plus persistantes.

Le phénomème de Lasègue a été regardé comme un signe presque sûr

qu'il s'agit d'une affection des nerfs périphériques, mais cette conception

ne peut plus être admise depuis que j'ai démontré que le signe de Lasègue

est identique au signe de Kernig qui est, comme on sait, à peu près

constant dans la méningite.

Toutefois, môme si l'issue de la maladie ou les symptômes indiqués ci-

ÉTUDES CLINIQUES SUR H POLIOMYÉLITE AIGUË 667

dessus ne peuvent servir pour faire le diagnostic entre la poliomyélite et

la polynévrite, les caractères de la dernière maladie sont, d'après mon

opinion, bien différents il plusieurs égards de ceux de la poliomyélite.

Comme exemple, je citerai brièvement les histoires de trois cas de polyné-

vrite qui ont été traités ces derniers temps à la clinique.

Observation XXXIV. - B. M..., étudiant, d'Upsala, âgé de 24 ans, entre

à la clinique le 11 octobre 1908.

Avant cette maladie, il n'a pas eu de maladie particulière. Pendant son

service militaire, il a pris part (du 28 septembre au 3 octobre) aux manoeu-

vres et a couché dans des granges.

Une nuit il a fait très froid et il en a beaucoup souffert.

Le 7 octobre il a éprouvé une sensation d'engourdissement aux extrémités

des doigts. Le 8 octobre, une faiblesse des membres inférieurs et supérieurs

avec dysesthésies analogues à celles des doigts a commencé aux pieds. Puis,

la faiblesse a augmenté. Pas de douleurs. Pas de symptômes généraux (seule-

ment un peu de céphalalgie le matin du 8 octobre). Pas de fièvre, sauf le soir

du 8 octobre, 37°9.

Etat le Il octobre. - Un peu de sensation d'engourdissement aux doigts.

Une parésie très considérable de tous les muscles des membres qui est déve-

loppée à peu près au même degré pour tous les muscles des membres inférieurs,

mais qui augmente aux membres supérieurs des racines vers les extrémités.

La parésie est flasque, pas de réflexes teudiueux. Il y a une certaine ataxie du

bras gauche. La sensibilité est normale, sauf des troubles très légers de la

sensibilité tactile aux pieds et aux doigts. Il peut être assis sans s'aider des

bras, mais il y a une faiblesse des muscles abdominaux ; toutefois les réflexes

abdominaux sont vifs.

Pendant les jours suivants, l'incompétence musculaire a augmenté, mais

sans entraîner de paralysie complète, sinon de la flexion dorsale des pieds.

Le signe de Lasègue existe des deux côtés (dans le décubitus dorsal les

membres inférieurs étendus ne peuvent être élevés qu'à un angle de 30°).

A l'examen électrique répété plusieurs fois, on trouve pour plusieurs

muscles une diminution de l'excitabilité, mais jamais de réaction nette de

dégénérescence.

Au bout de quelques semaines, la restauration a commencé et s'est développée

régulièrement. Le 2 février ou coutate qu'il peut s'asseoir sans qu'on l'y aide

et qu'il peut se mettre sur les pieds. Pendant la convalescence on observe

qu'il retrouve très régulièrement en premier lieu la force dans les muscles

des racines des membres et que par conséquent la parésie la plus développée

persiste dans les muscles des extrémités des membres.

A la lin de mars, quand il quitte la clinique, il peut marcher assez bien,

monter des escaliers, etc., mais les muscles les plus périphériques, surtout

les muscles iuterosseux des mains et les muscles de la flexion dorsale des

pieds sont encore très faibles. e

668 PETREN ET EHRENBERG

Observation XXXV. G. S ? cocher, âgé de 61 ans, de Skutskaer, entre

à la clinique le 11 février 1909.

Auparavant il a eu en général une bonne santé. Son mélier l'a souvent

exposé aux intempéries. Il n'est pas buveur.

Il y a 2 à 3 semaines, il est tombé d'une hauteur de 2. mètres à 2 m. 1/2

d'un grenier à foin sur le carreau et le côté gauche a porté. Les douleurs dans

la hanche et l'épaule gauches qui en ont été la conséquence ont disparu en

deux jours. Quelques jours plus tard une faiblesse des membres inférieurs a

commencé et en même temps une certaine sensation de raideur des articulations

des membres inférieurs. Il a continué son travail encore deux jours, puis il a été

obligé de cesser. Il est resté debout encore un jour, mais et-t tombé ce jour-là

plusieurs fois. Puis, il est resté au lit chez lui une semaine environ.

Etat le il. février. Pas de douleurs. Pas de dysesthésies. Pas de raideur

de la nuque et pas d'autres symptômes généraux.

Il y a une parésie des membres inférieurs et supérieurs. Il peut faire tous

les mouvements des membres supérieurs, mais la force en est diminuée. La

diminution de la force va en s'augmentant vers la périphérie, est très considé-

rable pour les mouvements des doigts, mais n'est qu'assez médiocre pour les

mouvements des épaules.

Aux membres inférieurs on a également une diminution très considérable

de la force pour les mouvements des pieds et des orteils ; pour les mouvements

des genoux la diminution de la force est beaucoup moins grande et pour les

mouvements des cuisses sur le bassin il n'y a pas de dininution nette. Les

réflexes patellaires sont conservés, les réflexes du tendon d'Achille ont disparu.

Les réflexes tendineux aux bras sont affaiblis. Les muscles abdommaux se

contractent assez bien.

L'examen électrique ne m'a révélé aucun autre symptôme qu'une certaine

diminution de l'excitabilité, mais pas de réaction de dégénérescence.

La sensibilité tactile est un peu diminuée aux orteilsetaux parties périphéri-

ques des doigts : pas d'autres troubles de la sensibilité tactile. Le sens à la dou-

leur est normal ; quant aux sens de température il ne peut, ni aux mains, ni

aux pieds, faire la distinction entre des tubes d'eau à 6 et à 30° mais il la

fait partout ailleurs. Le sens musculaire est normal.

Pendant les deux premières semaines passées à la clinique, la faiblesse aug-

mente encore un peu et les réflexes patellaires sont encore plus affaiblis. Après

une période de quelques semaines où les symptômes ont été constants, la res-

tauration de la parésie a commencé et a fait depuis des progrès lents, mais ré-

guliers.

Etat à la fin d'avril. Les mouvements des pieds sont possibles dans l'ex-

tension normale et ils montrent maintenant une certaine force. Pour les mou-

vements des cuisses sur le bassin et des genoux, il n'y a qu'une parésie tout à

fait légère. A droite, réflexe patellaire normal, affaibli à gauche. Le réflexe du

tendon d'Achille est normal des deux côtés.

L'abduction des doigts est possible, mais la force de ce mouvement est très

petite. Le malade peut exécuter l'opposition du (lt.Iuce, mais pas tout à fait dans

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 669

son extension normale, Il y a une réduction de la masse des muscles du thénar

et de l'hypothénar qui sont également un peu flasques. II peut fléchir les arti-

culations métacarpo-phulangiennes avec les articulations interphalangiennes

étendues, ce qui prouve que les muscles interosseux ont conservé au moins

en partie leurs fonctions. Les autres mouvements des doigts et les mouvements

des poignets sont possibles, mais montrent une parésie considérable. La force

de la flexion des coudes est diminuée, mais leur extension est à peu près nor-

male. Les mouvements des épaules sont normaux.

La marche est légèrement parétique. Les muscles du tronc sont normaux.

Les réflexes abdominaux conservés.

Observation XXXVI. -J. A. L..., ouvrier, de Villberga, âgé de 19 ans,

entre à la clinique le 10 décembre 1908.

Rien d'intéressant dans son histoire précédente. A la fin d'août 1908, il a

plusieurs fois fait son travail sous de fortes pluies, a été tout mouillé puis a

souffert du froid pendant plusieurs heures. Au commencement de septembre,

il a senti des dysesthésies aux jambes et aux pieds, des sensations de fourmil-

lement et de picotement, mais pas de douleurs. En même temps a commencé

une faiblesse des membres inférieurs, mais au début les symptômes de la fai-

blesse n'ont été que très légers ; il a senti qu'il ne pouvait pas bien courir, ni

marcher aussi vite qu'auparavant et qu'il avait des difficultés à aller à bicy-

clette. Peu à peu les symptômes ont augmenté (en réalité il semble que cette

aggravation ne se soit développée que très lentement). Les trois dernières semai-

nes il a été obligé de rester au lit. Pendant le même temps il a éprouvé des

sensations de fourmillement aux mains et une faiblesse des mains. La paralysie

a continué à augmenter pendant le temps qu'il est resté au lit. Il n'a jamais

existé de symptômes généraux indiquant une infection générale.

Etat le 11-15 décembre. Pas de douleurs. Les dysesthésies, indiquées ci-

dessus, persistent; on constate le signe de Lasègue-Kernig des deux côtés. Pas

de symptômes pour les nerfs crâniens.

Il y a presque une paralysie complète pour les mouvements des pieds et des

orteils ; car ici il n'y a de possible que des mouvements minimes. De même,

on constate une parésie considérable pour les mouvements des genoux et des

cuisses sur le bassin.

Il y a une parésie très marquée pour les mouvements des doigts et des mains.

Pour les mouvements des épaules la force est diminuée, mais beaucoup mieux

conservée. La paralysie est partout flasque.

Le malade peut s'asseoir de lui-même sans s'aider des bras. Pas de troubles

de la vessie.

Les réflexes patellaires et abdominaux sont conservés, mais les réflexes du

tendon dAchille et les réflexes plantaires ont disparu.

La sensibilité tactile est un peu diminuée aux pieds, partout ailleurs elle est

normale. La sensibilité à la douleur et la sensibilité thermique sont partout

normales. Le sens musculaire est diminué pour les orteils ; car le malade ne

peut indiquer la direction des mouvements minimes faits avec les orteils. Aux

doigts, aucuns troubles correspondants.

xxn 44

670 PETREN ET EHRENBERG

L'examen électrique nous fait constater une diminution de l'excitabilité très

marquée pour les muscles des jambes, mais nettement développée aussi pour

les autres parties des membres. Il n'y a aucune réaction de dégénérescence.

L'état du malade s'est aggravé pendant les premiers temps passés à la clini-

que. Le 28 décembre, nous avons constaté une paralysie complète pour les

mouvements des pieds et des orteils. Les réflexes patellaires ont disparu. Il

peut encore s'asseoir sans s'aider des bras.

Le 11 janvier, on trouve une diminution légère du sens musculaire aux

doigts (examen par la même méthode que ci-dessus). Maintenant le malade ne

peut plus s'asseoir sans s'aider des bras. La paralysie des parties périphériques

des membres supérieurs a augmenté. Les troubles du sens musculaire aux

orteils et de la sensibilité tactile aux pieds se sont aggravés.

Le 4 février, un nouveau examen électrique est fait. Le résultat est le

même, c'est-à-dire que l'excitabilité, surtout pour le courant induit, est très

diminuée, surtout pour les muscles des jambes. Aux muscles interosseux des

mains on ne peut obtenir aucune contraction.

Etat le 27 avril. L'état du malade, s'est pendant les deux derniers mois,

amélioré un peu, mais seulement très peu et très lentement.

Il y a encore une parésie complète des orteils et des pieds. Dans le décubi-

tus latéral, il peut faire l'extension et la flexion des genoux ; mais dans le dé-

cubitus dorsal si l'on fait fléchir un peu les genonx et si l'on tient avec la main

la cuisse fixe, il ne peut soulever le pied ; c'est-à-dire que sa force pour faire

l'extension du genou ne peut vaincre le poids de la jambe. Tous les mouve-

ments des cuisses sur le bassin (extension, flexion, abduction, et adduction)

sont possibles et ont conservé une certaine force, mais montrent toutefois une

parésie marquée.

Les mains ont l'aspect caractéristique de la griffe, c'est-à-dire que toutes les

articulations interphalangiennes sont décides à un angle de 90°, mais que les

articulations métacarpo-phalangiennes sont étendues. Il ne peut faire aucun

mouvement d'opposition avec le pouce, ni d'abduction des autres doigts. Il ne

peut faire l'extension des poignets, même si l'on a donné aux bras une position

telle qu'il n'est pas besoin de supporter le poids de la main. Il n'y a qu'un mou-

vement possible des mains et des doigts, c'est un certain degré de flexion. Les

mouvements des coudes sont possibles dans une extension normale, mais ils

sont très faibles. Tous les mouvements des articulations scapulo-humérales

sont possibles et ont conservé une force pas trop réduite.

Il ne peut s'asseoir sans qu'on l'aide et, en effet, en l'aidant il faut em-

ployer assez de force. Quand il va reprendre le décubitus dorsal, il peut au

début faire le mouvement lentement ; puis la force des muscles abdominaux

n'est plus suffisante et il tombe lourdement en arrière. Il peut se tenir assis

sans difficulté et peut faire avec le tronc des mouvements assez grands dans le

directions différentes sans s'appuyer sur les bras. Toutefois, il ne peut se flé-

chir beaucoup en avant, parce que cela lui cause des douleurs dans le dos. Par

conséquent, il est difficile d'examiner la force des muscles du dos. Si on l'es-

saie en le faisant, quand il est assis, se jeter en arrière et en opposant de la

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 671 t

résistance, il semble qu'il ait une force assez considérable daus ces muscles.

Le malade peut contracter ses muscles abdominaux, ce qu'on peut constater

quand il tousse ou essaye de s'asseoir.

Pas de réflexes patellaires ou plantaires, pas de réflexes du tendon d'Achille,

mais les réflexes abdominaux sont conservés.

La sensibilité tactile est normale partout, à l'exception des pieds et de la

peau sur les deuxièmes et troisièmes phalanges des doigts où il y a une dimi-

nution très légère. La sensibilité à la douleur est partout normale.

Le 7 mai il est constaté que le malade peut maintenant faire des mouve-

ments très minimes avec les pieds.

Le diagnostic de la polynévrite dans ces trois cas semble être si claire

qu'il n'est pas nécessaire d'en parler spécialement. Si l'on regarde les

histoires de ces malades, on a seulement à remarquer que le développe-

ment de la maladie dans le cas XXXVI a été très lent et surtout que l'ag-

gravation des symptômes a continué pendant plusieurs mois; cela est

rare dans la polynévrite ; toutefois, la restauration a maintenant com-

mencé un peu. Quant à l'étiologie, on peut admettre pour les cas XXXIV

et XXXVI un refroidissement. Pour le cas XXXV on pourrait se

demander si le traumatisme aurait joué un rôle, mais je n'ose exprimer

aucune opinion sur ce point.

Les histoires des trois cas de polynévrite cités ici, comparés avec nos

connaissances actuelles sur la poliomyélite telles que j'ai essayé de les

indiquer dans ce travail, me semblent bien être de nature à mettre en

lumière le diagnostic différentiel entre les deux maladies. Je vais indiquer

ici les différences essentielles qui, d'après mon opinion, caractérisent les

deux maladies.

Si nous regardons le début des maladies, la poliomyélite est caracté-

risée à la fois par des symptômes généraux indiquant une infection géné-

rale aiguë et souvent aussi par les symptômes d'une méningite, surtout

avec localisation spinale, comme je l'ai montré. On ne voit en général

rien de tout cela dans la polynévrite. Les premiers symptômes d'une

polynévrite sont, d'après mon expérience, très souvent des dysesthésies

des membres, surtout de leurs parties les plus périphériques, les orteils

et les bouts des doigts, par exemple des sensations d'engourdissement,

de fourmillement ou de picotement ou la sensation que les téguments y

sont recouverts d'un corps étranger. Je considère ces symptômes comme

des signes de la polynévrite, non constants, mais du moins d'une telle

si équence qu'ils sont d'une haute valeur pour le diagnostic.

De même, si nous passons à l'extension et à la répartition de la paraly-

sie, nous rencontrons des différences très nettes et évidentes entre les

deux maladies. A certains égards il y a analogie ; par exemple dans les

672 ' PETRIN ET EHRENBERG

deux maladies ce sont en général les membres inférieurs auxquels s'atta-

que de préférence la paralysie. Mais, si dans la poliomyélite la paralysie

s'étend ailleurs qu'aux membres inférieurs, elle atteint toujours les mus-

cles du tronc ; car comme Wickman et nous-mêmes l'avons rendu très

probable, il y a toujours une parésie des muscles du tronc, quand il y a

des troubles moteurs à la fois des membres supérieurs et inférieurs. Sur

ce point, nous trouvons des règles absolument autres pour l'extension de

la paralysie dans la polynévrite ; car ici la paralysie se propage très sou-

vent des membres inférieurs aux membres supérieurs en laissant intacts

les muscles du tronc. C'est ce que nous avons observé dans nos trois cas

de polynévrite, surtout dans le cas XXXVI où le contraste était très

remarquable entre la paralysie très accusée pour tous les membres et la

motilité normale des muscles du tronc, au moment où le malade est entré

à la clinique.

En outre, la répartition de la paralysie entre les muscles du même

membre montre souvent des différences notables dans les deux maladies.

On peut le constater même aux membres inférieurs ; cardans la poliomyé-

lite la paralysie peut se localiser tout à fait irrégulièrement, par exemple,

être le plus développée dans les muscles de la hanche et de la cuisse. Au

contraire, dans la polynévrite, la paralysie est très régulièrement la plus

marquée pour les muscles les plus périphériques des membres dans les

cas où tous les muscles des membres ne sont pas complètement paralysés.

Cette loi de l'augmentation de la paralysie en allant vers les extrémités

des membres a été très nettement confirmée dans les trois cas de polynévrite

publiés ici. S'il y a une phase de paralysie complète de tous les muscles

du membre, on peut néanmoins s'attendre à trouver la loi confirmée pen-

dant la phase de la restauration des fonctions motrices.

Pour les membres supérieurs, cette diflérence entre la polynévrite et la

poliomyélite se montre plus distinctement encore ; car, dans cette dernière

maladie la paralysie est le plus souvent localisée surtout dans les muscles

des épaules, comme on l'a déjà remarqué (Baumann et d'autres).

J'ai montré dans ce travail que des troubles moteurs de la vessie peu-

vent être observés très souvent dans la poliomyélite. En général, on ad-

met que ces symptômes ne sont pas dus à la polynévrite. Pour ma part,

je crois bien qu'une polynévrite très grave peut aussi causer quelquefois

ces symptômes ; mais, autant que notre expérience nous permet de con-

clure, les troubles de la vessie seraient beaucoup plus rares dans la poly-

névrite que dans la poliomyélite.

Venons enfin à la sensibilité. Tout le monde est d'accord pour recon-

naître qu'on ne trouve de troubles de la sensibilité que très rarement dans

la poliomyélite. Dans la polynévrite il peut également n'y avoir aucune

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 673

anesthésie, et je crois en effet que c'est le cas assez souvent. D'autre part,

la présence de troubles de la sensibilité, surtout aux extrémités des mem-

bres, forme, comme on l'admet généralement, une raison forte pour le

diagnostic d'une polynévrite (c'est-à-dire quand s'agit de faire le dia-

gnostic entre une poliomyélite et une polynévrite).

Si l'on se rend compte de ces différences entre les deux maladies, je ne

crois pas que le diagnostic fasse souvent de difficultés réelles. Comme

exemple, je me permets d'attirer l'attention sur quelques observations pu-

bliées par Brissaud, où le diagnostic différentiel entre la poliomyélite et

la polynévrite a été discuté (Brissaud et Londe, 1901 ; Brissaud et Bauer,

1904 ; Brissaud et Gy, 1908). Pour ma part, il me semble clair que les cas

publiés par Brissaud et Londe doivent êlre regardés comme des poliomyé-

lites ; car il y avait des symptômes méningitiques avec une lymphocytose

du liquide céphalo-rachidien et la paralysie ne s'étendant qu'à un membre.

Au contraire, dans le cas publié par Brissaud et Bauer, il n'y avait.pas

de symptômes méningitiques, pas de début brusque de la maladie, mais

une paralysie des quatre membres qui a disparu en premier lieu dans les

membres supérieurs ; par conséquent, tout me semble parler en faveur

d'une polynévrite. Il en est de même pour le cas publié par Brissaud et Gy :

développement des symptômes pendant deux semaines, au début, douleurs

dans les doigts, paralysie symétrique des quatre membres et des nerfs crâ-

niens, jamais de réaction de dégénérescence à l'examen électrique, res-

tauration considérable, qui est nettement développée au bout de deux mois

pour tous les muscles paralysés. Tout cela me semble clairement indiquer

qu'il s'agit d'une polynévrite.

Au point de vue théorique, quelques auteurs ont regardé comme diffi-

cile de faire la distinction entre la poliomyélite et la polynévrite, en insis-

tant sur cette idée que les deux maladies seraient dues à une infection

localisée dans le même neurone, mais dans des parties différentes du

neurone [Strumpell (98) (1), RaymondJ. Pour ma part, je ne peux voir

aucune difficulté à faire la distinction au point de vue théorique. La

poliomyélite consiste en une inflammation aiguë de la moelle, surtout des

cornes antérieures, due à une maladie infectieuse d'une nature spécifique,

inflammation qui a pour conséquence une destruction des cellules gan-

glionnaires plus ou moins étendue, en général complète et toujours per-

sistante dans une partie des cornes antérieures. La polynévrite, au con-

traire, est une maladie avec répartition symétrique et typique des

symptômes, maladie qu'il faut pour cela attribuer, comme Gowers l'a

exprimé très nettement, à un agent toxique dont l'action s'exerce par le

(1) D'ailleurs Striiinpell (101) a plus tard émis une autre opinion sur cette question,

qui correspond plus Il la mienne.

674 PETREN ET EHRENBERG

sang, maladie où l'on peut expliquer la répartition typique des symptômes

en supposant que les fibres nerveuses les plus longues seraient les moins

résistantes contre les agents qui provoquent la maladie. Si cette conception

des deux maladies est exacte (et je ne vois pas de raison d'en douter), la

différence entre elles est, selon moi, aussi distincte qu'elle peut l'être quand

il s'agit de deux maladies se rapportant aux parties du corps qui sont

dans une certaine relation au point de vue anatomique ou fonctionnel.

Medin a décrit une forme de la paralysie infantile qu'il nomme ataxie

aiguë. Car il a observé dans 5 cas des troubles de la marche qu'il veut

expliquer comme une ataxie. Toutefois il faut remarquer que deux de ces

cas (16, 26) semblent plutôt être des cas de poliencéphalite, Dans tous

les cas il s'agissait d'enfants âgés de moins de 3 ans, et il est bien certain,

comme d'ailleurs Medin lui-même le remarque, qu'il est très difficile de

juger de la présence d'une ataxie chez des enfants de cet âge, surtout s'il

y a en même temps une parésie des membres inférieurs. Medin explique

ces observations avec ataxie comme des cas de polynévrite, mais je ne puis

trouver qu'il ait donné des raisons probantes en faveur de celle opinion.

Dans quelques cas de poliomyélite, Wickman a également observé une

ataxie, une fois une ataxie de la marche d'un type cérébelleux et deux

fois une ataxie des membres supérieurs. Il ne s'agissait pas d'enfants mais,

dans tous les cas, d'une paralysie qui atteignait aussi les nerfs crâniens.

Par conséquent la conclusion de Wickman me semble tout à fait proba-

ble, que l'ataxie peut s'expliquer par une extension extraordinaire de la

lésion dans le bulbe (ou peut-être aussi dans la moelle ? ). En tout ers,

comme les observations probantes d'une ataxie dans la poliomyélite ne

sont jusqu'ici que tout à fait exceptionnelles, je ne trouve pas qu'il y ait

des raisons suffisantes pour désigner ces cas comme constituant une forme

spéciale, la forme ataxique.

A la suite des considérations exposées dans ce travail, j'essaierai de for-

muler en quelques mots nos connaissances sur quelques problèmes con-

cernant la poliomyélite aiguë.

Pour la question de savoir quelles formes différentes de la maladie il

faut admettre, j'ai donné des raisons qui me semblent prouver qu'il n'est

pas nettement indiqué qu'il faille reconnaître ni la poliencéphalite, ni la

polynévrite, ni l'alaxie aiguë comme des formes de la poliomyélite.

Si nous regardons les résultats des recherches anatomiques faites sur

les individus morts pendant la phase aiguë, il y a deux caractères du

processus morbide qui sont surtout remarquables.

L'un c'est la répartition très étendue des lésions anatomiques le long

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYELITE AIGUË 675

de toute la moelle sans aucune interruption, et souvent aussi dans le

bulbe, il faut en outre ajouter que les altérations anatomiques ont une

tendance constante à aller en diminuant au sur et à mesure qu'on remonte,

c'est-à-dire en allant du tronc du cerveau vers les circonvolutions, où l'on

peut encore trouver de petites traces d'inflammation.

L'autre caractère remarquable du processus morbide, c'est que les cornes

antérieures (et, dans le bulbe, au moins la substance grise) sont constam-

ment le siège préféré de l'inflammation, même quand on peut constater

un certain degré de cette altération également dans d'aulres parties de la

moelle et aussi dans les méninges.

Si nous nous rendons compte de ces résultats si réguliers et typiques

des recherches anatomiques sur la poliomyélite, nous n'aurons pas de

raisons suffisantes d'admettre des formes différentes de la maladie. Natu-

rellement, nous pouvons faire la distinction entre les cas d'après l'exten-

sion de la paralysie. Mais il ne me semble pas qu'on soit fondé à indiquer

comme des formes différentes les cas où la paralysie a atteint par exem-

ple 2 ou 4 membres. Il serait plus naturel de désigner comme une forme

spéciale les cas où les noyaux du bulbe ou de la protubérance sont atteints.

Si cette distinction ne me semble pas s'imposer strictement au point de

vue théorique, elle parait, au point de vue pratique, être parfaitement

appropriée, en raison du pronostic très différent et beaucoup plus grave

de ces cas.

Peut-être serait-on tenté, en outre, de faire la distinction entre les cas

avec symptômes méningitiques et les cas sans symptômes, mais, tout bien

considéré, je ne vois pas de raisons suffisantes d'en faire des formes spé-

ciales de la maladie.

Wickman a décrit comme formes spéciales les cas où la paralysie a un

type ascendant ou un type descendant. Cela ne me semble pas très fondé,

parce que la paralysie est ascendante presque dans la plupart des cas où

la paralysie atteint des parties du corps autres que les membres inférieurs.

Il serait plus vrai de parler des cas avec paralysie d'un type descendant

comme d'une forme spéciale, parce que les cas de cette espèce sont pro-

bablement assez rares ; mais il est bien évident que cet écart du type

ordinaire est d'une nature plus occasionnelle, et il ne me semble pas cons-

tituer une différence importante.

En résumé, la répartition de l'inflammation aiguë qui constitue la lé-

sion anatomique de la poliomyélite aiguë est très typique dans tous les

cas, mais l'extension de l'inflammation est très différente dans les diffé-

rents cas, autant que nous pouvons en juger d'après les symptômes des

cas non mortels, bien que, chez les malades morts pendant la phase aiguë,

on ait en général trouvé l'inflammation répandue sur toute la longueur

676 PETREN ET EHIIENBERG

de la moelle. Les seuls cas de la maladie qu'il me semble légitime de sépa-

rer des autres, ce sont les cas où la maladie a atteint les noyaux du bulbe

ou de la protubérance. '

Tous les auteurs sont d'accord sur ce point que la poliomyélite aiguë

est une maladie infectieuse. En général, on a accepté l'idée que l'infection

viendrait à la moelle par la voie artérielle (Pierre-Marie et d'autres). De-

puis qu'on a fait connaître la très grande extension de l'inflammation pen-

dant la phase aiguë de la maladie, il va de soi qu'on est venu à une autre

conception sur la voie de pénétration de la maladie : savoir que l'infection

se répartirait dans le système nerveux par les voies lymphatiques, c'est-à-

dire les méninges. C'est surtout Harbitz et Scheel qui ont insisté sur cetle

idée. Pour ma part, il me semble bien évident, qu'une répartition de

l'inflammation dans toute la moelle par exemple depuis les segments in-

férieurs de la région sacrée jusqu'aux noyaux du bulbe sans aucune inter-

ruption, ne peut être expliquée par une infection par les artères, mais que

tout parle en faveur d'une voie lymphatique. La question de savoir com-

ment l'infection vient d'abord au système nerveux est un tout autre pro-

blème et je ne m'en occuperai pas.

Comme je l'ai déjà dit, tous sont d'accord qu'il s'agit d'une maladie

infectieuse, mais je voudrais encore ajouter qu'il faut conclure que la

poliomyélite aiguë est une maladie infectieuse d'une nature spécifique.Je

tire celle conclusion de ce qu'ont de si caractéristique, la forme du début

de la maladie et la forme de la répartition des lésions anatomiques et enfin

de ce que les symptômes de la phase de la paralysie sont en réalité tou-

jours du même type.

La concordance sur tous ces points capitaux des cas différents de la

maladie constitue, à mon avis, une preuve suffisante qu'il s'agit, dans

tous les cas, de la même forme d'infection, c'est-à-dire d'une maladie*

infectieuse spécifique.

Une autre raison pour conclure à une infection spécifique comme cause

de la poliomyélite aiguë, et sur laquelle je veux attirer l'attention, ce sont

les résultats à peu près constants donnés par l'examen cytologique du li-

quide céphalo-rachidien dans la poliomyélite aiguë (à savoir qu'il s'agit

exclusivement d'une lymphocytose) ; car notre expérience d'autres mala-

dies nous a fait conclure que les formules cytologiques du sang et des

autres liquides du corps constituent des caractères typiques et en général

constants pour les différentes maladies infectieuses.

On sait que divers auteurs ont trouvé,pour la poliomyélite aiguë des

micro-organismes différents dans le liquide céphalo-rachidien (Schulze,

des méningocoques et dans uu autre cas des diplocoques ; Ellermann, des

rhizopodes ; Geirsvold, des diplocoques; Pasteur, roulerton et Maccormac,

ÉTUDES CLINIQUES SUR LA POLIOMYÉLITE AIGUË 677

des diplocoques ; Forssner elSjoevall, de même qtiewiclmin, des staphy-

locoques, résultat que les auteurs regardent comme sans intérêt pour la

question de l'étiologie de la maladie; Looft et Dethloff, des coques très

ressemblantes aux méningocoques ; Ilarbitz et Scheel, des diplocoques;

Barnes et IVIiller, des stapllylocoques ; Batten, des staphylocoques et encore

d'autres formes de microorganismes).

Les considérations ci-dessus font que je suis convaincu que tous les cas

typiques de poliomyélite aiguë sont dus au même microorganisme : par

conséquent, puisqu'on n'a pas trouvé d'une manière constante le même

microorganisme dans tous les cas examinés, on ne peut pas d'après mon

opinion, accepter encore ces résultais comme la réponse définitive à la

question de l'étiologie de la poliomyélite aiguë.

En terminant cette étude, je reçois le travail de Leegaard, qui traite

de la grande épidémie norvégienne et où cet auteur aussi insiste sur le

caractère de la poliomyélite aiguë d'être nettement une maladie infec-

tieuse spécifique.

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MICROMÉLIE CONGÉNITALE

LIMITÉE AUX DEUX HUMÉRUS

PAR

hihl. DANLOS, APERT et FLANDIN.

Dans leur mémoire si consciencieux, si travaillé et si intéressant sur les

1VIICROAfÉf.IES congénitales, paru il y a quelques années dans ceRecueil (1),

MM. Porak et G. Durante ont eu surtout en vue les micromélies généra-

lisées à tous les os des membres et nous ont appris à en distinguer deux

sortes, relevant de deux processus très différents, l'achondroplasie et la

dysplasie périostale. Toutefois (p. 32), ils consacrent quelques lignes aux

formes partielles et citent l'observation de M. F. Regnault, publiée sous le

nom d'achondroplasie partielle, relative à un squelette du Musée de Toulon

dont les deux humérus présentaient un raccourcissement considérable.

L'observation que nous rapportons aujourd'hui a trait à un sujet tout à

fait semblable, atteint de brièveté congénitale des deux humérus.

Observation (Pl. LXX, LXXI).

Il s'agit d'un homme de 18 ans, Charles E..., bouclier de profession, qui

s'est présenté à la consultation de Saint-Louis le 19 juillet dernier pour un

zona à distribution métamérique occupant une large bande de la moitié gau-

che du thorax, au niveau des régions scapulaire et mammaire, et ne présentant

du reste rien de particulier. Cequi attire l'attention est une brièveté considérable

des bras, tandis que les avant-bras et les membres inférieurs ont leurs dimen-

sions normales. Le bras est habituellement beaucoup plus long que l'avant-

bras. D'après Broca et Topinard l'indice brachial (rapport du radius à l'humérus

X 100) est de 74 chez l'homme blanc, 79 chez le nègre, 80 chez le gorille, 85

chez l'orang, 90 chez le chimpanzé. Chez notre homme les proportions sont ren-

versées ; les avant-bras sont notablement plus courts que les bras. Sur la ra-

diographie, les humérus mesurent (2) d'interligne à interligne 199 millimètres

(1) PORAK et G. Durante, Les micromélies congénitales, achondroplasie vraie et

dysplasie périoslale, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1905, ne 5.

(2) Nous regrettons de n'avoir pu prendre de mensurations directes sur le vivant,

notre homme ayant brusquement quille le service peu après son entrée ; nous avions

heureusement eu le temps de le photographier et de le radiographier.

NOUVHH.E ICONOGRAPIHE : )F LA SALPËTRILRE

'I'. Pl. 1.1%'X

\flCltO\fl ? LIH CONGENITALE LIMITÉE AUX DEUX HUMÉRUS

(lOrrtln<, Apert et Flalldill)

Masson et Ci@. Editeurs

PhllWlyple Hf"lthulltI, Par

NOUVELLE 1c0 : <OGRAPHOE DE LA SALPETRttRC

- F. XXII. PL. LXXI

MICROMÉLIE CONGÉNITALE LIMITÉE AUX DEUX HUMERUS

(Diiiihi, Aberl et Flltl/dill) I

MICROMÉLIE CONGÉNITALE 683

à droite et 196 à gauche, au lieu de 320 millimètres, dimensions moyennes

de l'humérus d'adulte. C'est donc de près de moitié que les humérus sont rac-

courcis. Dans tout le reste de son organisation, le sujet paraît absolument nor-

mal ; la tête, le cou, le tronc, les membres inférieurs, ainsi que les avant-bras

et les mains sont de dimensions et de conformation tout à fait régulières. Le

sujet est très fortement développé pour son âge ; il est bien musclé, spécia-

lement au niveau des bras, dont les muscles se sont hypertrophiés, par né-

cessité d'être plus épais étant moins longs.

On note à la partie droite du cou sur le maxillaire et à la partie supérieure

du bras gauche des cicatrices profondes et irrégulières. Le malade raconte que

dans son enfance il a été opéré au cou et au bras d'abcès froids, ainsi que d'un

abcès à l'anus. Ou pourrait croire que le raccourcissement de l'humérus droit

est dû à une lésion osseuse juxla-épiphysaire dont ces cicatrices seraient la

séquelle. Toutefois le bras gauche, qui est conformé de même, est absolument

indemne de cicatrices.En outre,le sujet raconte que ses parents ont remarqué le

raccourcissement de ses bras dès sa naissance, bien avant les abcès du bras ;

ils l'ont remarqué d'autant plus qu'un frère aîné a la même conformation ; une

soeur est en revanche normalement conformée, ainsi que le père et la mère. Il

semble donc bien s'agir d'une malformation congénitale, et, qui plus est, fami-

liale. '

Les radiographies (PI. LXXII) montrent des humérus d'apparence épaisse et

trapue, surtout à leur partie supérieure. Les dimensions transversales sont

les suivantes (1) : -

684 DANLOS, APERT ET FLANDIN

Magaihaës (1)] ; mais il s'agit de raccourcissement unilatéral de cet os,

et on peut le plus souvent invoquer comme origine un traumatisme, luxa-

tion de l'épaule, ou arrachement épiphysaire, survenu dans le premier

âge. Encore ce raccourcissement est très rare relativement à la fréquence

de tels traumalismes. Magalhaës insite sur ce point.

Le raccourcissement bilatéral, et vraisemblablement congénital des

humérus, est encore plus rare, nous n'avons pu en réunir que deux faits :

A. AnDRAL, Bulletins de la Société Anatomique, 1836, p. 297.

& Vice de conformation des membres supérieurs. M. Andral présente à la

Société les membres supérieurs d'une jeune fille de 21 ans. Sur ces pièces on

remarque une diminution assez marquée dans la longueur des deux humérus.

Celui du côté droit offre la moitié de la longueur ordinaire, celui du côté gau-

che a un tiers en moins ; les avant-bras sont plus longs que [dans l'état ordi.

naire ; l'humérus le plus court est aussi le plus gros et sa conformation n'est t

pas régulière; sa tête n'est pas sphérique et la grosse tubérosité est un peu

plus élevée qu'à l'état normal. »

Les pièces présentées par Andral ont été conservées, du moins le

squelette,au Musée Dupuytren où elles figurent sous les nos 7 (ancien cata-

logue), et 688 (nouveau catalogue). Nous avons mesuré la longueur des

différents os et obtenu les résultats suivants :

MICROMÉLIE CONGÉNITALE 685

vertèbres et du sternum qui prêtent, à notre avis, à des considérations

intéressantes.

Voici la description de MM. Regnau)t (1) :

« Outre un sternum incomplètement ossifié, ce squelette a deux humérus

courts, épais, non incurvés, ressemblant absolument aux humérus d'achon-

droplases. Les saillies sont exagérées, le V deltoïdien et la saillie épitro-

chléenne très marquées. Au contraire les radius et cubitus sont normaux,minces

et longs. L'humérus droit mesure 20 centimètres contre 44 centimètres pour

l'avaut-bras, le gauche 18 centimètres contre 44 centimètres également pour

l'avant-bras (lig,2), Les os des membres inférieurs sont normaux... bassin nor-

mal, tête normale, colonne vertébrale sans déviation. Notons pour cette der-

nière l'allongement excessif des apophyses épineuses de certaines vertèbres.

Ainsi la 7° vertèbre cervicale et la ire dorsale ont des apophyses épineuses d'une

longueur de 3 centimètres alors que celle de la 2' dorsale n'a que 1 centimètre.

La 10e dorsale offre une apophyse épineuse d'une longueur de 2 centimètres,

alors que les 9- et 1 le n'ont que 1 centimètre ; la 2° lombaire, a 2 cent. 5 de

(t) Raawucr, Société Anatomique, 1897, p. 740 et 1901, p. 181.

xxii . 4

Fig. 1

Fic. 2

686 DANLOS, APERT ET FLANDIN .

longueur alors que les autres n'ont que 1 cent. 5. Les omoplates ont un bord

interne ou spinal concave. Les deux omoplates sont très larges par "rapport à

leur longueur. Omoplate droite : 148 millimètres de longueur et 7 millimètres

de largeur, indice 50. Omoplate gauche : 138 millimètres et 70 millimètres,

indice 50.7.

Le sternum est incomplètement ossifié (fig. 3). Le manubrium s'est peu

développé. Il a la forme d'un coin dont la base serait dirigée vers la partie in-

terne et supérieure du thorax. A sa partie supérieure il présente une échan-

crure très accentuée. Il n'est articulé qu'avec les clavicules. La première paire

de côtes s'articule avec deux plaques osseuses distinctes reliées l'une à l'autre

par du cartilage. La plaque qui s'articule avec la première côte droite est

beaucoup plus volumineuse que celle qui s'articule avec la première côte gau-

che. Au niveau de la seconde paire de côtes on note à droite le manque de car-

tilage costal : l'extrémité de la côte soudée avec le point d'ossification droit de

sa sternèbre s'avance presque jusqu'à la ligue médiosternale. Quant à la se-

conde côte gauche, elle s'articule par un très étroit cartilage avec une plaque

osseuse qui semble provenir de l'ossification isolée du point gauche de la ster-

nèbre qui normalement aurait dû se développer à ce niveau. Les autres ster-

nèbres se sont soudées ensemble pour former une plaque unique médiane,

présentant des prolongements irréguliers sur lesquels viennent s'adapter les

cartilages costaux. Le prolongement envoyé par cette plaque sternale à la

3e côte droite est dévié en avant. L'appendice xyphoïde est percé d'nn trou. A

noter encore entre les cartilages de la 30 et de la 6° côtes gauches la présence

d'une plaque osseuse isulée.

Le point particulièrement intéressant dans ce dernier cas est la coexis-

tence avec l'atrophie des humérus, de l'atrophie de diverses portions de

plusieurs systèmes vertébraux qui sont justement ceux qui appartiennent

Fig. 3

MICROMÉLIE CONGÉNITALE 687

à des métamères brachiaux. Cette coïncidence sera remarquée particulière-

ment si l'on songe que, phylogéniquement, le squelette des membres est

une portion du système vertébral ; il répond à l'appendice ventrolatéral au

même titre que l'apophyse épineuse répond à l'appendice médiodorsal,

et la slernèbre à l'appendice médioventral. Chez le sujet que nous avons

en vue l'atrophie est au maximum au niveau du 2e métamère dorsal ; elle

porte, oulre l'appendice ventrolatéral, à la fois sur l'appendice médio-

dorsal (puisque l'apophyse épineuse mesure seulement 1 centimètre au lieu

de 3), sur l'arc hémal (puisque le cartilage costal manque à droite et

est très réduit à gauche), et sur l'appendice médioventral (puisque les

sternèbres sont incomplètement développées) ; les métamères voisins par-

ticipent à l'atrophie surtout par leurs sternèbres. Plus bas au niveau

des dernières vertèbres dorsales et des vertèbres lombaires, il y a encore

des traces du développement insuffisant des appendices de certains méta-

mères (apophyses épineuses).

En ce qui regarde l'omoplate (os qui appartient à plusieurs métamères

dont les digitations du sous-scapulaire et leurs crêtes séparatives marquent

les limites) l'atrophie porte sur les métamères moyens comme le montre la

concavité du bord interne coïncidant avec la diminution de la longueur

de l'os.

En somme l'atrophie des humérus coexiste chez ce sujet avec une atro-

phie des portions appendiculaires du squelette de plusieurs systèmes ver-

tébraux, avec maximum sur le deuxième métamère dorsal. Cette coexis.

tence était digne d'être remarquée.

Faut-il, avec Félix Regnault, donner à la malformation qui nous occupe

le nom d'achondroplasie partielle (1) ? Pour que cetle dénomination fût

justifiée, il faudrait qu'il fût prouvé que le processus qui a aboutit dans

ces cas à la brièveté des humérus est le même que dans l'achondroplasie,

c'est-à-dire caractérisé histologiquement par l'absence de rivulation et

,par la présence de la bande (ibroïde spéciale, à la limite du cartilage

quiescent. Or rien ne prouve qu'il en soit ainsi. A la vérité, les os, dans

les trois cas dont nous disposons, se rapprochent des humérus achondro-

(1) Sous le nom d'achondroplasie partielle, forme atypique, M. Dufour (Iconogra-

phie de la Salpêtrière, 1906, p. 133) a publié l'observation et la photographie d'une

jeune fille qui se rattache à l'achondroplasie par les signes suivants : facies, taille,

ensellure lombaire, musculature très développée, brièveté des membres, arrêt de déve-

loppement très marqué du quatrième métacarpien, élévation anormale de la tête du

péroné, hauteur du tronc. Elle n'en diffère que par ses membres supérieurs trop

longs quoique courts et l'absence de main en trident. Contrairement aux cas qu i

nous occupent, le cas de M. Dufour rentre bien, à notre avis, dans l'achondroplasie.

Il est exceptionnel que toutes les particularités morphologiques de cette maladie soient

réunies au complet chez un même sujet.

688 DANLOS, APERT ET FLANDIN

plasiques par la brièveté du corps de l'os, par la largeur des épiphyses,

par la saillie exagérée des empreintes d'insertion musculaire. Mais ces

caractères sont le résultat même de la brièveté des os ; les muscles devien-

nent plus volumineux, parce qu'ils ont besoin de l'être pour mouvoir des

bras de levier plus petits, et les saillies d'insertion sont proportionnelles

au volume de l'os. Mais si au lieu de s'en tenir aux caractères généraux

on examine en détail la conformation de ces humérus, on voit qu'ils se

rapprochent beaucoup plus de la forme normale que les humérus achon-

droplasiques ; ils sont moins trapus, les saillies sont moins anguleuses;

ce sont des nuances, mais qui frappent quand on compare les deux ordres

de faits. Pourquoi les humérus sont-ils aussi courts chez ces sujets, nous

n'en savons rien, et la constatation, dans un cas, d'autres atrophies os-

seuses dans les métamères correspondants n'éclaire pas la cause de toutes

ces atrophies, mais nous pensons qu'il s'agit d'autre chose que d'achondro-

plasie partielle, et qu'il convient, pour désigner ces faits, d'employer le

terme de micromélie partielle qui ne préjuge aucunement de la cause

ni de la nature du processus (1).

(1) Dans une note tout^récemment parue (Bulletins de la Société anatomique, juil-

let 1909, p. 433). M. Regnault, revenant sur ses précédentes publications, a renoncé

au terme d'achondroplasie partielle, et a proposé celui de micromélie segmentaire sy-

métrique qui mérite d'être adopté.

OU'.ELLE ICONOGRAI'Hlb DE LA SALPLI'RtLRE

T, XXII. PI. LXXII

UN CAS D'EC'l-RONIP.1,IE

(Markeloff)

Masson et O, Editeurs

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

DE L'UNIVERSITÉ D'ODESSA (Prof. N. POPOFF).

UN CAS D'1 : CTNO,V11 : LI1J

PA a

G. MARKELOFF

Observation (Pl. LXX11, LXXIJI)

Th. W..., âgée de 50 ans, célibataire, se présente à la clinique des maladies

nerveuses se plaignant de maux de tête, de vertige, de tremblement des mains et

de faiblesse générale (10 octobre 1908). Les parents de la malade étaient de taille

assez élevée, jouissaient d'une santé florissante et moururent à un âge très

avancé. On ne peut découvrir dans les antécédents héréditaires d'affections

mentales, ni nerveuses. Th. W... fut dans son enfance vigoureuse et toujours

bien portante. Elle eut ses premières règles t'âge de 14 ans ; la ménopause

survint vers l'âge de 45 ans ; jamais de grossesse. Aucun signe de syphilis ni

dans le passé, ni au moment de l'exploration. Dans la première année de sa

vie la malade contracta la variole, et c'est à cette époque que ses parents

s'aperçurent d'une déformation des os des extrémités supérieures. Dans la suite

Th. MI... jouit constamment d'une santé parfaite, douée d'une force musculaire

assez considérable ; elle exerça depuis l'âge de 25 ans, et cela pendant dix ans,

la profession de blanchisseuse, après quoi elle se plaça comme cuisinière.

La taille de la malade est de 1 m. 71 ; elle est d'une constitution assez solide,

et possède un système musculaire suffisamment développé. Le crâne appartient

au type brachyeépbaiique. Son diamètre antéro-postéricur mesure 18 centi-

mètres, le diamètre transversal : 15 cent. 5. L'indice céphalique est égal à

86,11.

La circonférence du crâne mesure 55 centimètres.

Les téguments sont pâles et ne présentent pas d'altérations visibles. La men-

suration du volume des masses musculaires à des niveaux symétriques donne

les résultats suivants :

Gq0 MARKELOFF

OUVEf.1.)- ICON06RAl'IIOE ni. LA SALI'H'RILKL

T. XXII. PI. I.XXIII

UN CAS D'ECTROMÉLIE

(Marhehff)

Masson et Cie, Edrteurs

UN cas d'ectromélie 691

extrémités n'est le siège d'aucune anomalie. L'humérus gauche est de 1 cent.5 5

plus court que le droit Son épiphyse distale est quelque peu épaissie, légère-

meut courbée en avant, même bosselée sur le membre droit.

Les deux avant-bras, surtout le gauche, sont le siège d'altérations encore

plus notables. L'os cubital est long de 18 centimètres ; son bout épiphysaire,

faisant partie de l'articulation du coude, se montre fort hypertrophié,sa surface

articulaire bien plus étendue que normalement, ce qui produit un obstacle

considérable aux mouvements d'extension du coude. L'épiphyse distale de l'os

cubital proémine beaucoup plus en avant que le radius, se présente de même

un peu épaissie, sans avoir gardé sa configuration ordinaire. La diaphyse de

l'os cubital a conservé son épaisseur habituelle sans courbure bien appréciable ;

ce qui saute aux yeux, c'est l'accroissement démesuré des saillies osseuses

destinées aux insertions musculaires. Le radius est beaucoup plus court que nor-

malement et assez notablement courbé dans son tiers moyen. Son épiphyse

proximale ne fait point partie de l'articulation du coude,ne l'atteignant guère

que de 1 centimètre, et veuant s'appuyer contre l'épiphyse hypertrophiée de

l'os cubital (fig. 3).

L'épiphyse distale est hypertrophiée, sa surface articulaire est inégale. Les

tubérosités osseuses servant aux insertions des muscles sont excessivement

hyperplasiées, saillantes. Quant à l'avant-bras droit, sa longueur correspond aux

dimensions générales du squelette et ne présente sous ce rapport aucune dé-

viation de la norme. La longueur des deux os est à peu près la même et tous

les deux prennent part à la formation de l'articulation du coude. Leurs épiphyses

sont épaissies. Les deux os sont courbés en arc parallèlement l'un à l'autre.

Les tubérosités osseuses servant aux insertions musculaires également ici sont

le siège d'un épaississement très prononcé.

Des altérations notables se manifestent aussi dans deux os du carpe des deux

mains. Ces deux os se montrent bien plus courts que les autres et en même

temps un peu plus gros que les os du carpe voisins. La longueur du 4e et du

5e os du carpe de la main droite mesure 3 et 3 cm. 5, tandis que celle des os

correspondants de l'autre main est de 5 cm. 5 et de 6 centimètres. La longueur

du 2e et du 3e os du carpe de la main gauche est de 3 cm. 5 et 4 centimètres,

tandis que sur la main droite elle est égale pour les mêmes osselets à 6 et

6 cm. 5 . Le raccourcissement se rapporte principalement aux diaphyses. Les

épiphyses sont épaissies, les surfaces articulaires surpassent notablement

leurs dimensions habituelles.

L'exploration du squelette osseux des extrémités inférieures montre le pé-

roné gauche remontant un peu plus haut que de coutume, atteignant presque

la surface articulaire du tibia. Quant aux pieds, il gauche les petits os tarsiens

se présentent assez régulièrement diminués de volume relativement aux os du

pied droit, ce qui produit l'effet d'un certain arrêt de développement. Les épi-

physes et les surfaces articulaires ne laissent apercevoir aucune altération

Le crâne, la colonne vertébrale, la cage thoracique et le bassin n'accusent

rien d'anormal.

692 MARKELOFF

Ainsi nous nous trouvons en présence d'un cas de raccourcissement des ex-

trémités supérieures, d'une micromélie, pas tout fait symétrique, mais assez

bien prononcée et accompagnée d'hypertrophie des épiphyses osseuses. Le rac-

courcissement porte un caractère mixte, présentant simultanément le type

mésomélique et le type acromélique, tandis que les os de la cage thoracique et

du bassin restent complètement indemnes.

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE

PAR

le D L. LEFÈVRE (de Bruxelles).

Si elle n'a pas encore pénétré jusque dans les masses populaires, où

d'ailleurs on ne pourrait que l'admettre sans la comprendre, la théorie de

l'évolution organique, c'est-à-dire de la transforma lion progressive des

espèces animales et végétales, a conquis cependant l'universalité du

monde savant. Déjà, dans certains musées d'histoire naturelle, on peut

voir, à côté de squelettes pieusement conservés et restaurés, des tableaux

indiquant la généalogie des animaux préhistoriques auxquels ils appar-

tenaient. L'accord n'est plus aussi unanime, je pense, lorsqu'il s'agit de

faire rentrer l'homme dans la loi commune. On rencontre encore, sur-

tout parmi les personnes qui ne se sont pas adonnées à l'étude des scien-

ces naturelles ou chez celles qui n'ont jamais voulu réfléchir à ces trou-

blantes questions d'origine, des défenseurs de parti-pris des vieilles

idées dont les peuples ont subi le joug jusqu'au moment où la science

est parvenue à résoudre le problème. Je n'ai pas l'intention de m'attarder

à modifier leurs convictions. Pour tenir vis-à-vis de l'homme des raison-

nements exceptionnels, elles ne basent pas leur argumentation sur des

considérations scientifiques, mais invoquent l'autorité de doctrines des-

potiques auxquelles elles se soumettent aveuglément. Les causes qui ont t

successivement éclairci leurs rangs suffiront à amener des défections nou-

vel les. La poussée de la science est irrésistible et tous les dogmes doivent

périr ou finir par s'y adapter.

Je désire seulement m'adresser aux personnes qui en sont venues à pen-

ser que l'homme à dû subir le sort commun et faire ressortir la violente

antinomie qui existe entre cette croyance au développement humain d'après

les lois naturelles et la conception de la nature humaine qui a précédé l'ap-

parition de cette donnée scientifique. Il y a incompatibilité absolue entre

la théorie de l'évolution biologique acceptée sans réserve et les interpré-

tations idéalistes, spiritualistes de la nature humaine qui imprègnent en-

core l'enseignement et les lois et pénètrent toute la civilisation. Des con-

ceptions si contradictoires ne pourraient jamais logiquement coexister dans

694 LEFÈVRE

un même cerveau. Malheureusement, on rencontre encore fréquemment

alliées ces tendances discordantes. En acceptant complètement la théorie

de l'évolution, de nombreux savants n'ont modifié leurs convictions que

sur un seul point précis, celui de l'origine de l'espèce humaine. En lais-

sant subsister dans leur esprit et dans leurs écrits toutes les désuètes in-

terprétations de la nature de l'homme qui ne portaient pas directement

sur la question d'origine, ils se sont comportés comme s'ils n'apercevaient

pas la portée philosophique et sociologique immense des données scienti-

fiques nouvelles. Les connaissances anciennes et récentes voisinent dans

leur cerveau sans se heurter et se faire tort. Aucun lien logique ou phy-

sioloique,aucune fibre nerveuse ne les unit et elles vivent dans le même

voisinage sans se rapprocher. Les réflexes physiologiques qui en partent

semblent se développer sur des plans parallèles. Et je trouve encore ici

l'occasion de faire ressortir l'exactitude d'une théorie qui m'est chère, à

savoir que les manifestations humaines sont avant tout de nature réflexe

et qu'en conséquence la réflexion est elle-même un réflexe. L'homme

ne réfléchit qu'aux réflexions déjà faites et connues et n'aperçoit pas

habituellement les réflexions nouvelles, même lorsqu'il en possède déjà

dans son cerveau les éléments isolés. S'il en était autrement, les connais-

sances se multiplieraient avec une extraordinaire rapidité et le progrès

se développerait merveilleusement.puisque toutes les pensées neuves sont

le résultat d'une association d'idées préexistantes.

Il est donc certain que l'on doit rencontrer dans les cerveaux des

croyances qui se contredisent logiquement et qui coexistent parce qu'on

ne pense pas à les associer, à les comparer. Inversement, des associations

heureuses de connaissances préexistantes, mais auxquelles on ne songe

pas toujours, seraient de nature à amener des découvertes nouvelles. Ces

manières d'êlre sont en parfaite concordance avec mes théories mécanis-

tes du processus mental. L'accord ou l'opposition entre les faits ne peu-

vent pas jaillir dans la pensée, sans qu'il s'établisse entre eux des liaisons

physiologiques. Le cerveau n'assimile qu'une sorte de décalque des phéno-

mènes extérieurs, et lorsque les rapports entre diverses connaissances en-

core extérieures n'ont pas été découverts, celles-ci s'impriment isolément,

elles quelles, dans la matière nerveuse qui, jusque-là,les avaient ignorées.

Leur association finale dans certains cerveaux et la découverte des consé-

quences qui en découlent, sont l'oeuvre d'un concours de circonstances

heureuses dont nous ne connaissons pas bien le processus intime, mais

dans lequel on peut affirmer que l'organe est tout avec les forces qui le

commandent et l'individu rien. Celui-ci n'est pas responsable des ré-

flexions qui lui viennent et, quand elles produisent de bons effets, il ne

peut être considéré que comme l'heureux détenteur d'un excellent ins-

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 695

trument. Ceux-là qui ont produit des idées originales savent bien qu'elles

ne leur sont venues que par fragmeuts et que, de prime abord, ils n'ont

pu les envisager dans toute leur ampleur eten apercevoir toutes les consé-

quences. C'est le motif pour lequel on ne construit jamais d'emblée des

appareils perfectionnés.

Si le développement humain s'est produit d'après les lois naturelles,

si l'homme a été façonné par la nature et n'est pas sorti de la main des

dieux, on est invinciblement amené à penser qu'on doit le considérer

comme une simple production naturelle et que,pour le comprendre, faut

tenir vis-à-vis de lui les raisonnements que l'on applique aux plantes et

aux animaux les plus infimes. Il devient dès lors immédiatement évident

qu'on ne saurait lui attribuer une spontanéité qui serait indépendante de

tout élément matériel. Si l'on croit lui découvrir une activité agissant

d'elle-même, celle-ci ne peut être qu'une apparence trompeuse, puisque

les plantes ne la possèdent pas et que la science actuelle la refuse aux

protistes et aux animaux inférieurs. En relevant d'éléments matériels, la

spontanéité ne dépend plus de l'homme, mais d'un de ses organes et des

forces intérieures ou extérieures qui animent celui-ci. S'il faut considérer

les hommes comme des productions naturelles, il ne peut plus être ques-

tion de volonté libre de toute attache. Tout en ayant la faculté de pouvoir

ce qu'ils veulent sauf empêchement matériel, il leur est impossible de vou-

loir ce qu'ils veulent. Leur volonté est elle-même déterminée et, dès lors,

le terme responsabilité n'a plus aucun sens et perd tout caractère scienti-

fique. L'âme, l'intelligence dans leur acception philosophique actuelle,

ainsi que d'autres inventions psychologiques;deviennent inconcevables et

ne sont plus que des monuments archéologiques des erreurs du passé.

En acceptant intégralement l'évolution biologique avec ses conséquen-

ces, on est irrésistiblement amené, par la puissance de la logique, à faire

table rase de tout ce qui a été dit, défendu et prétendument démontré au

sujet de la nature de l'espèce humaine, puisqu'il n'y a rien dans la pensée

ancienne qui soit adapté aux connaissances actuelles. Il faut édifier sur

les données scientifiques de nouvelles conceptions et, écartant toute pos-

sibilité de spontanéité, considérer exclusivemont l'action de l'hérédité

modifiée par le milieu. Pour avoir une conception scientifique de l'espèce

humaine, il faut raisonner sur l'homme comme s'il n'était pas un être

pensant, car la pensée n'est qu'un phénomène surajouté, un notable per-

fectionnement. Elle n'est que la perception d'un travail intérieur et ce-

lui-ci étant déterminé, la pensée qui n'est que la conscience de ses résul-

tats, l'est également. Il n'y pas de conscience, mais seulement des faits

conscients. Il faut se représenter l'homme comme inerte, passif dans le

696 LEFÈVRE

cours de son développement intellectuel aussi bien que physique (1),

comme subissant le joug de circonstances qui lui imposent la nature de

ses idées comme elles le font maigrir ou mourir. Il faut voir par la pensée

les équivalents mécaniques des connaissances, vibrations de l'éther et vi-

brations nerveuses s'imprimer dans le cerveau qui les pense ensuite,

conditionner la mentalité et les actes qui lui font suite. De même que la

texture des fleurs varie avec les milieux, de même les idées de l'homme

doivent se modifier comme les circonstances qui président à son dévelop-

pement intellectuel.

On s'imagine sans peine les transformations que doit amener dans la

législation, dans l'enseignement, dans la philosophie, dans la sociologie

et la morale, dans la civilisation, la conception scientifique de la nature

humaine. L'homme n'est pas ce que nos pères avaient rêvé et toutes les

institutions fondées sur leurs croyances deviennent caduques. Une bonne

partie de l'économie sociale est à reconstituer, si on veut l'établir sur des

principes scientifiques dont les deux plus importants sont peut-être la loi

de Darwin et la conception de l'homme comme simple production natu-

relle. En les médilant, bien des personnes avec lesquelles j'ai tant de

pensées communes n'essayeront plus de faire prévaloir dans l'humanité

les sentiments d'altruisme qui, nulle part,ne sont inscrits dans la nature et

s'apercevront que ce principe qu'elles ont en partage avec les religions

vulgaires, prenait ses racines dans leur coeur et non pas dans leur raison.

Les hommes sages et prévoyants comprennent qu'il n'y a rien à gagner à

aller à l'encontre des lois naturelles qui n'ont fait sortir l'espèce humaine

de l'animalité qu'en éliminant sans pitié les moins bien adaptés. Sans que

je puisse m'étendre sur ce sujet qui sort un peu du cadre que je me suis

tracé, j'ajouterai encore que l'amour du prochain n'est qu'une duperie,

à moins qu'on ne l'entende dans le sens élevé que la raison commande et

je pense que, pour être aimé, il faut être méritant, c'est-à-dire posséder

un certain degré de perfectionnement physique, intellectuel et moral.

De l'homme le mieux doué à l'organisation animale la plus rudimen-

taire, en passant notamment par les différents échelons de l'intellectualité

humaine, la série est continue. Pour faire comprendre ce passage de for-

mes simples à d'autres plus compliquées, on peut montrer que les facul-

tés humaines se retrouvent déjà en germe chez les animaux inférieurs,

parler par exemple de l'âme des protistes et montrer la volonté, la mé-

moire, la raison à l'état d'ébauche chez les êtres cellulaires. Cette mé-

(1) Tous nos travaux antérieurs aboulissent à la même conclusion. Voir notamment :

D' L. LKFÉVIlB, Les phénomènes de suggestion et d'auto-suggestion, 1 vol., Lamertin,

Bruxelles ; Les échelons de l'Intellectualité, 1 broch, Severeyus, imprimeur,f3roxelles;

Le mode de transmission des idées. 1 broch., Weissenbruch, imprimeur, Bruxelles.

INSTINCT, HABI'IUDE, AUTOMATISME ET REFLEXE

697

thodesuiviepar Ilaechel,dont je suis du reste un grand admirateurs pour

résultat d'humaniser les animaux en ramenant leurs propriétés aux fa-

cultés humaines. Mais elle a l'inconvénient immense de partir du connu

et du compréhensible, le pouvoir cellulaire qui, on le sait maintenant,

est en rapport avec la composition de la matière et est tout en affinité,

action et réaction, pour aboutir à l'inconnu et à l'incompréhensible, les

facultés humaines entendues psychologiquement. C'est toujours une er-

reur d'abandonner le terrain solide de la biologie et de la physiologie pour

faire prévaloir la psychologie dont les savants positifs n'ont pas à se

préoccuper, puisqu'elle ne représente que la phase métaphysique de la

connaissance de l'esprit, ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le montrer (1).

La psychologie n'est qu'une science fondée sur des mots et qui sera rem-

placée un jour par la physiologie de l'esprit.

Aussi, pour faire ressortir les transitions qui comblent la distance sépa-

rant les multiples échelons du perfectionnement des êtres et les unifient,

j'estime qu'il est bien préférable d'animaliser les hommes et de faire voir

que leurs facultés ne sont que des propriétés animales, mais plus compli-

quées et perfectionnées. Ne parlons donc plus de l'àme, de la raison, de la

volonté, puisque ce ne sont là que des expressions psychologiques sans

fondement positif ou, parlons-en le moins possible et en les détournant

de leur signification actuellepour ne pas créer une terminologie nouvelle,

pour représenter des conceptions nouvelles. Pour unifier les différents

états de l'animalité, rejetons toute psychologie pour rester sur le terrain

positif de la biologie et de la physiologie ; laissons de côté toutes ces ex-

pressions psychologiques qui ne représentent pas des choses et qui jamais s

n'auraient été créées, si des penseurs nés avant la science n'avaient cru

apercevoir des différences de nature dans la série des êtres. Au lieu de

montrer que l'homme est déjà dans l'animal, proclamons que tout est

animal en ramenant les facultés humaines aux propriétés physico-chimi-

ques de la matière. Nous ne pouvons pas, sans relever de ses cendres la

conception dualiste de l'univers, employer des expressions différentes

pour caractériser le développement mental des animaux et des hommes, et

comme les termes biologiques et physiologiques appliqués à nos frères

inférieurs sont les seuls qui soient compréhensibles, à cause de leur

signification strictement positive, nous devons en généraliser l'emploi

sans y mêler des termes métaphysiques qui ne correspondent à aucun

état déterminé de la matière.

Il n'y a dans la nature que force et matière indissolublement unies.

Chaque atome de matière emporte avec lui la quantité de forces qui lui

(1) D' L. Larwna, Essai sur la physiologie de l'esprit. Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière, n° 2, année 1909.

698 LEFÈVRE

est propre. Il est impossible de rompre la liaison de la force et de la ma-

tière, parce qu'elles ne constituent qu' une seule et même chose. Est-il

possible par exemple de concevoir l'oxygène sans propriété ? La matière

est agissante ; elle se suffit à elle-même et la nature entière n'est que le

résultat du conflit de forces différentes réagissant perpétuellement les

unes sur les autres. Mais la compréhension du matérialisme nécessite la

connaissance des sciences naturelles sur lesquelles il est basé et un pou-

voir de généralisation delà signification de menus faits scientifiques dé-

pourvus d'intérêt, si on ne sait en étendre rationnellement la portée. Les

intelligences minuscules n'y atteindront jamais.

Il est juste d'ajouter cependant que l'on a prétendu, avec beaucoup de

raison du reste, qu'il n'y avait que des forces,puisque nous ne connaissons

la matière que par le pouvoir énergétique qui en émane et impressionne nos

sens. Nous ne percevons pas le monde extérieur en lui-même, mais seu-

lement dans ses excitations lumineuses, thermiques, chimiques, électri-

ques ou mécaniques qui en constituent les équivalents physico-chimiques

et qui, seules, sont capables d'agir sur la matière vivante. Nous ne pou-

vons jamais voir ni toucher une pomme en elle-même par exemple, mais

seulement percevoir les excitations lumineuses, mécaniques ou thermi-

qnes qui s'en dégagent, circulent le long des nerfs sensitifs jusqu'au cer-

veau où elles se transforment en équivalents organiques de l'objet dont

elles émanent. Entre le cerveau percevant et pensant isolé dans la boîte

crânienne d'une part et le monde extérieur d'autre part, il n'y a d'autre

liaison que les énergies de la matière circulant à travers l'éther et le long

des nerfs. On voit donc que la différence entre le matérialisme et l'éner-

gétisme réside plus dans les mots que dans les choses, et qu'il suffit de se

comprendre dans les deux camps pour s'entendre et se confondre.

L'étude de l'instinct, de l'habitude, de l'automatisme et du réflexe

présente un intérêt tout particulier pour le philosophe, le médecin et

pour tous ceux que captive le fonctionnement de la machine humaine.

C'est un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre et donné lieu à des ex-

plications psychologiques qui n'offrent guère qu'un intérêt rétrospectif.

Pour quelques personnes plus métaphysiciennes que positives, ces phé-

nomènes se trouvent en quelque sorte sur la limite commune du mécanis-

me et de l'intelligence et elles ne voient pas très bien, au premier abord,

auquel de ces deux principes d'action il faut rapporter, en tout ou en

partie l'activité vitale instinctive et habituelle. Les actes qui procèdent

de l'un ou de l'autre de ces quatre éléments sont-ils tout entiers sous la

dépendance d'un mécanisme, ou bien l'appétition, le désir ne sont-ils

pas à l'origine de leurs manifestations ; ou bien les uns ressortent-ils au

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 6H9

mécanisme, les autres à l'intelligence : ou bien encore ne sont-ils pas de

l'intelligence devenue mécanisme ? Telles sont les questions que l'on a

pu se poser dans ces deux derniers siècles jusqu'ici tout farcis de spiritua-

lisme où généralement sans réflexion bien précise, quelques personnes

s'imaginent encore que les phénomènes de la pensée et de l'activité hu-

maine constituent des faits particuliers qui ne relèvent pas de la science

positive et qu'une « intelligence » peut produire quelque chose spirituel-'

lement, c'est-à-dire sans moyen. Ce simple énoncé résonne déja singuliè-

rement à une oreille scientifique.

Soit que l'on considère la vie intelligente ou végétative, soit qu'il

s'agisse de mouvements conscients ou inconscients, soit que l'on étudie les

actes volontaires ou irréfléchis, soit que l'on examine le fonctionnement

des idées ou celui des organes, il me paraît ressortir de cette étude que

tout se fait par voie mécanique. Pour traduire ce mécanisme vaguement

pressenti dans l'élaboration de certains actes, la langue a adopté les

termes instinct, habitude, automatisme et réflexe qui ont entre eux des

rapports étroits. Bien qu'ils possèdent chacun leur signification propre,

on a une tendance à les employer indifféremment, quand il s'agit d'é-

noncer quelque chose qui se fait « spontanément », sans le concours de

la volonté. Quand on considère leur valeur respective,on remarque cepen-

dant que le réflexe exprime un moyen ; l'automatisme, une manière d'être

et l'instinct, une force. L'habitude est un « instinct» acquis après la nais-

sance et qui n'a pas suffisamment pénétré dans l'organisation pour se trans-

mettre par hérédité. Ce sont là les points que je vais essayer de mettre en

évidence dans cette étude, et j'espère apporter un peu de lumière dans ce

sujet encore si obscur en descendant jusque dans les profondeurs de l'or-

ganisation humaine.

Je définis le mot instinct : une expression psychologique qui synthétise

l'activité automatique et réflexe d'un être dans l'accomplissement de ses

fins naturelles.

I

La matière vivante, homme, animal ou plante, est formée par des com-

binaisons chimiques qui se rencontrent également dans la nature inani-

mée et aussi, dans une proportion beaucoup plus importante, par des

groupements atomiques spécifiques pour la matière organique.

Du chef des éléments inorganiques qui entrent dans sa composition,

l'être vivant doit se comporter comme un corps chimique. Il est le siège

de combinaisons qui s'opèrent à son insu, qui lui sont imposées par la

nature des substances dont il est formé et qu'il n'a ni désirées ni deman-

dées, qu'il ne connaît même pas et qu'il subit. Ces réactions succèdent

700 LEFÈVRE

les unes aux autres en vertu de l'affinité des corps en présence. Elles ne

pourraient pas, dans les conditions données, être différentes de ce qu'elles

sont, et il n'est pas au pouvoir de personne d'en modifier la nature. Leur

production est aussi fatale que la formation du sulfate de zinc en présence

de l'acide sulfurique et du zinc. Donc, en vertu de sa composition en élé-

ments inorganiques, l'être vivant, grâce aux réactions chimiques dont il

est le siège, travaille à son insu à l'accomplissement des fins qui lui sont

imposées par la nature et nous voyons déjà poindre l'instinct.

Mais la plus grande partie des substances qui entrent dans la composi-

tion de tout représentant du règne animal sonl réunies en groupements

atomiques caractéristiques de la vie. Aux réactions déjà mentionnées des

corps chimiques inanimés viennent s'ajouter celles qui sont le produit

d'une activité vitale. La matière acquiert ainsi, spécialement lorsqu'elle

se groupe et se différencie dans la formation d'organes, de nouvelles pro-

priétés intrinsèques qui n'auraient pu être autres dans les conditions don-

nées et sur lesquelles la volonté n'a aucune prise. On n'a pas désiré ces

réactions chimiques de la matière vivante ; on ne les connaît pas et, bon

gré mal gré, il faut en subir les effets. Donc,du chef de la matière vivante

qui le compose, des organes dont il est le support sans en être le moteur,

l'individu se trouve dans l'obligation d'accomplir toutes les grandes fonc-

tions qui lui sont imposées par la nature de leurs propriétés. Et voici

l'instinct. Nous sommes bien forcés de manger, puisque nos tissus sont

avides d'aliments et qu'ils les attirent pour ainsi dire en vertu de leur

constitution. De même la présence de reins nous oblige à uriner et les

organes sexuels nous font désirer l'oeuvre de la chair. On ne connaîtrait

pas l'homme si on ne parlait de cette importante fonction. Il s'agit du

reste d'un acte naturel qui n'emprunte sa laideur qu'à un vice de notre

éducation, à un mensonge d'une civilisation frelatée.

Dans la manifestation de cet ensemble d'activités vitales caractérisées

par tant de besoins spéciaux, le système nerveux intervient uniquement

comme moteur. Il ne détermine pas la fonction des organes, mais les met

simplement en marche. La cellule nerveuse est adaptée à la fonction

qu'elle commande. La pensée n'intervient absolument pas ou n'intervient

que postérieurement et accessoirement dans l'accomplissement des actes

qui constituent un acheminement vers les lins naturelles. Et la preuve

nous la trouvons dans ce fait que nous assistons à ces manifestations vita-

les aussi bien chez les êtres inférieurs qui ne possèdent qu'un rudiment

de système nerveux,que chez ceux dont l'organisation plus élevée pourrait

laisser supposer une intervention plus ou moins importante de l'élément

« idée » dans l'accomplissement des actes instructifs.

Le cerveau n'est, primitivement, chez l'homme, l'être le plus perfec-

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET REFLEXE 701

tionné du règne animal. qu'une sorte de registre sur lequel vont s'inscrire,

grâce aux sensations dont ils sont l'origine, tous les actes instinctifs au sur

et à mesure de leur manifestation. Ne percions pas de vue que l'homme

n'est qu'une production naturelle et qu'il faut le considérer comme une

plante qui se développe dans un milieu dont elle subit l'action. Non seu-

lement ce ne sont pas les idées qui provoquent les premiers actes qui re-

lèvent de l'instinct, mais ce sont ceux-ci qui, par la sensation que leur

réalisation fait naître, deviennent la source des premières idées. En d'au-

tres termes, c'est parce que les premiers actes instinctifs ont fait impres-

sion sur les organes des sens que l'homme en a pris connaissance. La pre-

mière idée qu'il en a eue est postérieure et non antérieure à leurs mani-

festations. On ne peut, du reste, pas raisonnablement penser qu'il puisse

en être autrement, car il faudrait supposer chez le nouveau-né des con-

naissances étendues qui lui permettent de conduire et de régler son mé-

canisme et dont, manifestement, il ne fait pas preuve. Heureusement, la

machine humaine ne demande pas absolument à être connue. Placée dans

sa condition dévie, elle fonctionne toute seule.

D'après ce qui précède, l'instinct prendrait sa source dans le chimisme

du corps humain qui comprend les réactions des éléments inanimés que

leur peu d'importance permet de négliger et celles de la matière vivante

dont l'homme est constitué. Mais celle-ci est composée d'éléments si nom-

breux, si variés, si complexes qu'on ne peut guère en étudier les réactions

et se faire ainsi une bonne idée du chimisme humain qu'en analysant

isolément une unité de vie, une cellule et en reportant ensuite, par la

pensée, sur l'organisme entier les résultats de cette investigation biolo-

gique.

La cellule est l'organisation vitale élémentaire et l'homme n'est qu'un

entassement de vies cellulaires. Elle est formée pour une part capitale

par de l'albumine vivante qui doit être considérée comme le véritable

substratum de la vie et qui diffère de l'albumine morte en ce que sa

molécule possède une constitution jtrès labile, tandis que les atomes de

l'autre se trouvent dans un état d'équilibre stable. La matière vivante

estdonc perpétuellement en mouvement par suite de la décomposition

et de la recomposition continuelles de sa molécule, et c'est dans cette

agitation incessante que consiste le processus de la vie. Ces transposi-

tions d'atomes dans la cellule sont déterminées par des excitations chimi-

ques, mécaniques, thermiques, lumineuses ou électriques, donc par le

monde extérieur qui les émet, tandis que l'énergie lui est apportée par

les aliments et l'oxygène, la lumière, la chaleur. Les substances ainsi

introduites par l'assimilation sont employées à la construction des compo-

xxn 46

702 LEFÈVRE

ses extraordinairement complexes de l'albumine vivante et, de la sorte,

de l'énergie chimique passe dans la cellule où elle s'accumule sous forme

d'énergie potentielle. La molécule vivante étant une combinaison chimi-

que possède, de ce chef,un certain potentiel énergétique. La séparation de

ses atomes s'accompagne d'une consommation d'énergie, tandis que leur

recombinaison, en satisfaisant leur affinité, laisse de l'énergie disponi-

ble. Or, toute décomposition est suivie d'une recomposition immédiate

et, en règle générale, la quantité d'énergie consommée dans le premier

acte est toujours plus faible que celle qui est rendue disponible par le

second, de telle façon que le résultat final de l'opération est la production

d'une nouvelle quantité d'énergie chimique aux dépens des aliments assi-

milés. En résumé, les excitations extérieures en agissant sur la cellule,

déterminent au sein de celle-ci des réactions chimiques qui ont pour

effer de libérer, de rendre actuelles les forces chimiques qui y préexis-

taient sous une forme potentielle. Cette énergie chimique ainsi mise en

liberté peut elle-même se transformer en énergie mécanique, thermique,

lumineuse ou électrique, sans que l'on connaisse bien les voies suivies

dans ces changements. Tel est le résumé succinct des enseignements de

la biologie.

De même que le chlorure de sodium, le sulfate de zinc ou l'acide chlor-

hydrique ont des propriétés spéciales, de même la matière vivante possède

des pouvoirs qui lui sont personnels. Elle a des affinités spéciales à

chacune de ses combinaisons et ses réactions se distinguent des réactions

inorganiques comme celles-ci se différencient entre elles. Les cellules

vivantes ne sont pas toutes de même espèce ; nous avons notamment les

cellules nerveuses, musculaires, glandulaires différentes d'aspect et de

fonction et, bien que la formule de la matière vivante ne nous soit pas

encore exactement connue, nous pouvons affirmer qu'elle n'est pas une

et que les différentes organisations élémentaires jouissent de composi-

tions qui varient dans les limites vitales, puisque leurs effets ne sont pas

les mêmes. Leurs réactions varient naturellement comme la nature de

leur combinaison; elles ont chacune leurs propriétés, leurs pouvoirs,

leur fonction et les divers phénomènes vitaux sont l'expression de leur

modalité de vie.

Constituées en vertu des lois de l'hérédité avectacompositionmotécutaire

propre à chacune d'elles, les cellules développent leurs réactions spéciales

chaque fois qu'elles subissent l'action de leurs excitants et les forces mises

en liberté conditionnent chacune suivant sa nature, des phénomènes vitaux

spéciaux. L'instinct, dans son acception biologique, est précisément cette

force dégagée au sein de la cellule au moment où celle-ci subit certaines

excitations. Elle porte le nom d'instinctive, parce qu'elle dérive d'une

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 703

composition cellulaire héritée et héréditaire. L'instinct est l'expression de

certaines activités cellulaires et le produit d'affinités chimiques. La mani-

festation de la vie dans la première cellule lui a donné naissance. Il a été

l'expression de ses propriétés comme l'oxydation pour l'oxygène.

Grâce à sa structure physico-chimique, la cellule est adaptée à l'assimi-

lation des aliments, c'est-à-dire de substances douées d'un pouvoirénergé-

tique considérable; à la désassimilation des déchets, c'est-à-dire de combi-

naisons organiques qui ne possèdent presque plus d'énergie intramolécu-

laire. Elle est encore apte à se diviser, à se multiplier par conséquent,

lorsqu'elle a atteint un certain développement. Les lois mécaniques qui

régissent ses manifestations vitales ont donc pour résultat et non pas pour

but de la maintenir en vie et d'en perpétuer l'espèce. Les choses se pas-

sent comme si la cellule avait l'instinct de sa conservation et de sa repro-

duction. L'instinct est l'expression d'une propriété cellulaire et, pour bien

en comprendre la nature, il faut enlever ce qu'il y a de psychologique

dans sa signification. La conservation de l'individu et de l'espèce sont des

propriétés qui appartiennent à toutes les matières vivantes quelle qu'en

soit la formule.Ce ne sont pas les seules et, généralement, on leur décou-

vre encore des pouvoirs spéciaux qui varient avec la nature de leur struc-

ture physico-chimique. Ainsi, il se rencontre des cellules qui transfor-

ment le sucre en alcool ; d'autres qui changent l'alcool éthylique en acide

acétique ou dédoublent le tannin en acide gallique et en glucose ; d'autres

élaborent des sécrétions comme le suc gastrique et la bile ; d'autres se

gonflent et se raccourcissent, lorsqu'on les excite (cellule musculaire), etc.

Comme ces propriétés sont l'expression de l'activité cellulaire, laquelle

est en rapport avec la composition moléculaire, on peut dire que les dif-

férentes fonctions dont il vient d'être question sont des instincts, puis-

qu'elles sont héritées, héréditaires et communes à tous les individus

d'une même espèce. Ceci nous donne déjà une idée de la difficulté que

nous éprouverons à donner un sens biologique précis et caractéristique

au mot instinct. En effet, nous observons dans les cellules du corps

humain de véritables instincts, des propriétés qui concourent à le mainte-

nir en vie et qu'on ne retrouve pas dans l'individu complet. Ce n'est pas

l'homme, mais l'estomac seul qui a l'instinct de la sécrétion du suc

gastrique.

En se multipliant par division les cellules forment nécessairement des

tissus, c'est-à-dire des agglomérations d'éléments de même espèce dont

chacun possède l'instinct de la conservalipn de l'espèce et de l'individu,

mais dont l'action spécifique est renforcée par la coopération d'un plus

grand nombre d'individus à un travail commun. La bile, le suc gastrique

sont maintenant fabriqués sur une grande échelle et la quantité infinitési-

704 LEFÈVRE

maie élaborée par chaque cellule multipliée par le nombre de celles-ci

devient facilement appréciable à nos sens. Les fibres musculaires qui,

individuellement, ne peuvent fournir qu'une somme de travail impercep-

tible, soulèvent de lourds fardeaux en s'unissant dans une action commune.

A une phase d'évolution plus avancée, on rencontre des organes, c'est-

à-dire des groupements de tissus différents. Ils sont constitués par un

tissu principal mêlé à d'autres tissus qui représentent pour lui des moyens

de soutien, de protection, d'activité et de subsistance. Des lois mécaniques

analogues à celles qui empêchent la cellule de dépasser un certain degré

de développement sans se diviser et qui déjà sont connues, forcent certai-

nement les cellules tissulaires à se différencier, lorsque les descendants

de la cellule primitive commencent à former une masse trop considérable.

En effet.dit Verworm(l),les éléments extérieurs ne se trouvent pas vis-à-

vis des excitations externes, dans la même situation que ceux qui occu-

pent l'intérieur du tissu et ces conditions différentes doivent faire appa-

raître avec le temps des différences morphologiques et physiologiques

dans leur constitution respective. Ainsi au sur et à mesure que la seg-

mentation continue et que s'accroît la masse vivante, les cellules se diffé-

rencient, se spécialisent et le travail se centralise.

Le développement d'un organe est à son tour en corrélation avec celui

d'autres organes. Ceux-ci ne se trouvent plus dans les conditions vitales

de la simple cellule dont toutes les parties baignent dans le milieu et ce

changement dans les relations entraîne mécaniquement à sa suite des

modifications corrélatives dont nous ne connaissons pas toujours le pro-

cessus intime. La structure humaine a pris l'aspect que nous lui connais-

sons sous l'action de forces analogues à celles qui ont imposé à une région

géographique donnée la configuration qui la caractérise.

Une réunion d'organes constitue un être. Celui-ci représente donc un

point dans l'espace occupé par des cellules de composition et de fonction

différentes et réunies en tissu, puis en organe. Les excitations extérieu-

res chimiques, thermiques, lumineuses, mécaniques ou électriques agis-

sant sur la cellule, mettent en liberté des énergies chimiques, thermiques,

lumineuses, mécaniques ou électriques en quantité d'autant plus forte et

en qualité d'autant plus variée que le substratum organique excité est de

composition plus complexe. Ces énergies potentielles changées en actuel-

les sous l'action des excitants extérieurs, deviennent à leur tour, des excita-

tions intérieures capables d'agir, chacune suivant sa nature, sur des

cellules, des tissus, des organes voisins ou éloignés.

La manifestation des propriétés de chaque cellule d'organes a pour

résultat et non pour but de le maintenir en vie et de le développer. Les

(1) MAX VEIIWORN, Physiologie générale, traduite par Ilédon.

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 705

organes sont donc doués de l'instinct de la conservation de l'individu et

de l'espèce, comme le groupement des tissus en organe a eu pour résultat

de rendre la vie compatible avec de grandes masses de tissu. La vie de

l'homme n'est que l'expression des vies partielles dont il est le siège et

son activité complète n'est que la somme de ses activités cellulaires. Un

être complexe est un assemblage d'êtres plus petits. Pour les tissus et les

organes, les organes et les individus sont des êtres complets.

L'existence de l'homme n'eût pas été possible, si les lois naturelles ne

réalisaient pas de semblables conditions par des moyens comparables à

ceux qu'elles emploient pour faire couler les fleuves vers la mer. Ajou-

tons incidemment que les agglomérations d'individus forment des socié-

tés dont les éléments doivent réagir entre eux comme les cellules entre

elles et les organes entre eux. Pour celui qui prend les choses de très

haut, ce n'est pas l'homme qui est l'individu complet, mais la société

dont les éléments réagissent entre eux d'une façon plus ou moins com-

parable à ceux d'une colonie de corail rouge ou de siphonophores. Fai-

sons encore remarquer que si le genre de vie instinctif est imposé par la

nature des organes, des organes d'une autre nature commandent un autre

genre de vie. Le mode de construction des castors, des fourmis, des abeil-

les conditionne leur instinct et celui-ci leurs actes. La nature disposant

de toutes les forces pouvait varier ses adaptations à l'infini.

L'homme n'est pas un but, mais un résultat qui possède comme chacune

de ses pa, ties, isolée ou groupée, l'instinct de la conservation et de la

reproduction. C'est par le jeu des forces développées en lui par les excita-

tions extérieures et intérieures et qui actionnent et règlent tous les or-

ganes du mouvement que l'être complet poursuit sa proie, la tue, la

mange ou la met en réserve, qu'il se sauve devant un ennemi plus fort,

qu'il tremble pendant les orages, recherche la femelle, etc. Qui donc ne

s'aperçoit que nos tendances, nos désirs, nos pensées sont modifiés par le

degré de réplétion testiculaire ou de congestion ovarique ? 0 libre arbitre !

Quand donc pourra-t-on ne pas te prendre en défaut ? C'est l'erreur ca-

pitale des philosophies d'imprégner toutes leurs explications d'Intelligence,

de Volonté et de Conscience, lorsque tout prouve que les êtres accomplis-

sent leurs fins nalurelles,malgré leur inintelligence absolue ou relative.Je

voudrais bien que l'on me dise comment il serait possible que l'on règle et

conduise une machine, la machine humaine dont on ne connaît que peu

ou pas les rouages.

'l'el que nous le connaissons, l'homme n'est pas nécessairement parfait

et d'autres organes peuvent venir le compléter, le perfectionner et en faire

un surhomme, notamment par l'adjonction d'une nouvelle quantité de

substance nerveuse. Quand on voit les colosses de l'époque secondaire,

706 LEFÈVRE

l'iguanodon et le mosasaure avec leur corps énorme et leur cavité crâ-

nienne rudimentaire ; quand on compare les volumes des crânes humains

les plus anciens à celui que l'on observe couramment, on ne saurait dou-

ter que les forces évolutionnaires ne tendent à rendre les animaux et les

hommes déplus en plus intelligents en accroissant lentement le volume

de leur cerveau.

Ainsi que le prouve l'existence de manifestations instinctives chez les

êtres dépourvus de pensée comme ces monstres préhistoriques qui ne pos-

sédaient qu'un rudiment de cerveau et ces animaux inférieurs qui n'en ont

pas, l'intelligence et la conscience sont des phénomènes surajoutés à l'ins-

tinct et dont celui-ci est complètement indépendant, parce qu'il prend sa

source dans la vie d'une matière qui n'est pas du tissu nerveux. L'homme

pourrait être dépourvu de facultés intellectuelles sans que ces groupe-

ments cellulaires perdent de leurs propriétés spécifiques.

Le plus infime des représentants du règne animal jusqu'à l'homme

inclusivement nous apparaît comme doué d'instinct. Il est bien vrai que

les organes dont l'activité le révèle sont d'autant plus compliqués que

l'on s'élève davantage dans l'échelle des êtres ; il est bien exact encore

que l'agent qui fait agir ceux-ci n'est pas également perfectionné chez les

animaux supérieurs et inférieurs et que le mécanisme réflexe des pre-

miers peut être remplacé chez quelques autres par un moyen mécani-

que beaucoup plus simple (chimiotaxie, barotaxie, etc.), mais chez tous,

sans exception, l'activité instinctive est sous la dépendance exclusive des

forces inhérentes à la matière vivante. Tel est le représentant le plus

infime du règne animal ; tels sont probablement les animaux supérieurs ;

tel est, en tous cas, l'enfant qui vient de naître ; tel serait toujours l'hom-

me si, par le fait de son développement intellectuel il n'acquérait des

idées qui peuvent, jusqu'à un certain point et au prix de souffrances plus

ou moins vives, le pousser, exceptionnellement, à agir contrairement à

ses impulsions naturelles. Tel serait toujours l'homme, si le cerveau en

se développant dans le cours des années, ne prenait connaissance des

instincts et parfois n'était éduqué, dressé à cacher certain d'entre eux

comme étant affecté de laideur au moins conventionnelle, circonstances

qui viennent compliquer, embrouiller les faits, mais ne les changent pas.

Sans prendre une tournure biologique et en restant simplement logi-

que, le raisonnement aboutit à la conclusion déjà énoncée au sujet de la

nature de l'instinct. Pour bien en comprendre la nature, il faut le consi-

dérer comme une expression destinée à traduire en langage ordinaire

quelque chose qui existait déjà avant sa création et qui, sans cela, n'au-

rait pas eu de raison d'être. Un procédé commode pour saisir toute l'élen-

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 707

due de signification du mot instinct est de se reporter par la pensée à un

moment où il n'existait pas encore, de reprendre les choses au point où

les a trouvées le premier observateur, d'examiner ce qu'il a vu ou pu

voir et qu'il se trouvait dans l'impossibilité d'exprimer par aucun autre

mot existant.

Le premier sujet d'observation sur lequel se soit porté son esprit en

éveil a été assurément lui-même. En s'apercevant que sa poitrine se dila-

tait régulièrement pourrevenir ensuite à sa position première, que le côté

gauche du thorax était le siège des battements réguliers ; en voyant son

ampoule rectale se vider, sa vessie fonctionner; en sentant naître en lui

des désirs charnels ; en s'abandonnant à un penchant irrésistible qui le

poussait à manger et à boire, cet observateur sagace s'est étonné de voir

en lui tantde choses que sa volonté ne dirigeait pas, qui se faisaient en

quelque sorte à son insu, puisqu'il lui avait fallu tant d'années pour les

remarquer, qu'il n'avaient pas désirées, dont il se serait bien passé, dont

il ne comprenait d'ailleurs pas toujoms l'utilité et que jamais, de lui-

même, il n'aurait songea exécuter.

Puis son regard investigateur s'étant porté sur les personnes de son en-

tourage, il aperçut encore une fois des mouvements respiratoires et car-

diaques ; il vit fonctionner des vessies, des intestins, survenir un sommeil

réparateur ; il soupçonna les désirs de lachairqui embrasaienttoutce monde

et son étonnement s'accrut. Puis, l'esprit décidément inquiet, il essaya de

se renseigner et de savoir si les mêmes phénomènes avaient déjà existé

chez ses pères et les pères de ceux-ci, aussi loin qu'il put remonter. Ses

investigations s'étendirent aux peuples voisins et éloignés et à leurs an-

cêtres aussi loin qu'il en connaissait et, de cette façon, il acquit la certitude

que certaines fonctions, que certains actes, que certains besoins se repro-

duisaient avec une étonnante régularité chez tous les individus, quels

que soient le lieu et le temps où on les considère.

En voyant ces opérations se répéter toujours les mêmes, sans le con-

cours de la raison et de la volonté, sans aucune prévision du but pour-

suivi, puisque avant lui elles n'avaient jamais été analysées ; en les voyant t

réapparaître identiques à tous les âges et dans tous les pays, il tira celle

conclusion que ces actes étaient inhérents à l'espèce et que, par consé-

quent, ils se reproduiraient encore, puisqu'ils s'étaient déjà manifestés.

Comme il avait observé d'autre part qu'il existait toule une autre ca-

tégorie d'actes qui ne jouissaient pas de ce caractère d'universalité, il ap-

pela les premiers instinctifs pour les distinguer des seconds. Le terme

«instinct» est donc le produit d'une opération de synthèse, puisqu'il

réunit toutes les manifestations naturelles communes à tous les êtres d'une

même espèce.

708 LEFÈVRE

Notre observateur ne s'arrêta pas en si bon chemin. Après avoir décou-

vert l'instinct, il le subdivisa. Il entreprit l'étude de chaque acte instinctif

en particulier et ne tarda pas à s'apercevoir que les uns avaient pour effet

de conserver la vie à l'individu, les autres de perpétuer l'espèce. D'où il

conclut qu'il existe deux instincts inhérents à l'espèce humaine et aux ani-

maux, au moins d'après ce que l'on pouvait juger avec les connaissances de

son époque.

Puis, ayant encore jeté un regard d'ensemble sur le genre humain, il

vit très clairement qu'il n'existait plus d'autres actes possédant l'ensemble

des caractères attribués à ceux qu'il avait lui-même qualifiés d'instinctifs.

Et nous qui voulons reprendre la question à son origine, nous devons

nous engager sur la voie tracée par cet observateur sagace et écarter de

notre définition tout ce qu'on appelle l'instinct et n'est pas l'instinct,

mais qui cependant,par suite d'une équivoque de langage ou d'une exten-

sion de signification, est considéré comme ressortissant à l'activité instinc-

tive, bien que ne possédant d'autres caractères communs que l'apparente

spontanéité. L'instinct de la musique, l'instinct de la dissimulation, du

vice, l'instinct de la coquetterie, etc., ne visent pas l'accomplissement de

fins naturelles, puisqu'ils ne constituent nullement une nécessité vitale,

et, par conséquent, ne se retrouvent pas les mêmes ou ne se retrouvent

pas au même degré chez tous les individus.

De ce que certaines fonctions et, par conséquent, certains actes se re-

produisent toujours identiques à eux-mêmes chez tous les hommes de tous

les temps et de tous les pays, on peut en déduire qu'il doit exister une

relation, un rapport nécessaire entre cette aclivité universellement la

même et le corps, la matière de l'individu qui les voit se manifester en

lui, à son insu et jusqu'à un certain point malgré lui ; il faut qu'elle ait

un substratum organique qui, lui aussi, dans le cours des siècles, n'a

cessé de présenter les mêmes propriétés. Tout effet est lié à une cause ;

l'activité humaine ne procède pas d'elle-même et prend sa source dans la

vitalité de la matière. Nous sommes en présence de deux éléments qui ont

entre eux des rapports étroits et l'existence et l'invariabilité de l'un per-

mettent de conclure à l'existence et à l'invariabilité de l'autre.

Comme il n'est pas possible que l'instinct prenne originellement sa

source dans les idées, puisque les nouveau-nés en sont dépourvus ;

comme le raisonnement indique qu'on ne peut pas la placer dans la par-

tie du cerveau qui en est le siège, car certains animaux sont pourvus d'ins-

tinct sans posséder de cerveau, il faut bien qu'elle se trouve dans l'orga-

nisme lui-même, puisqu'il est absolument nécessaire qu'elle en ait une.

L'instinct est donc certainement lié à l'activité cellulaire.il est l'expression

des propriétés biologiques du substratum organique qui le commande.

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 709

Mais, comme il se décompose lui-même en opérations distinctes (manger,

boire, etc.) qui concourent toutes au même résultat, on peut en déduire

que chacune d'elles est le produit du fonctionnement d'un organe spécial.

Donc l'instinct se trouve en définitive sous la dépendance de certains

organes ; il n'est que l'expression résumée de cetle activité en tant qu'elle

s'accomplit en vue des fins naturelles. L'activité instinctive est'une

fonction générale qui renferme en elle les sept autres : les fonctions diges-

tive, respiratoire, circulatoire, sécrétrice, reproductrice et même sensitive

et locomotrice en tant que ces dernières sont utilisées dans la lutte pour

l'existence.

Il résulte de tout ceci que la conservation et la transmission de la vie

étant sous la dépendance d'organes spéciaux : coeur, poumons, testicules,

etc., qui n'ont rien de commun avec l'idéation, les mouvements instinc-

tifs de l'homme peuvent être comparés à ceux des plantes qui vivent et se

reproduisent au moyen d'organes qui, bien que différents, possèdent ce-

pendant une activité spécifique intrinsèque capable de fournir le même

résultat par d'autres moyens. Donc, originellement, l'homme boit, mange,

recherche la femme de la même façon que la planle absorbe de l'eau ou

se tourne vers la lumière, sans le savoir et sans prévision du but qu'il

poursuit. La différence entre les deux réside dans ce fait qu'une partie

du cerveau de l'homme s'est développée sous l'action des forces naturelles

la fonction faisant l'organe comme organe enregistreur des sensa-

tions, comme siège des idées; qu'elle constitue une sorte de registre sur

lequel viennent s'inscrire toutes les sensations, seule source des idées,

L'équilibre organique déterminé par l'inanition par exemple existe, alors

même qu'on n'en aurait pas conscience. Le sentiment de la faim est la

perception de cet état. Les animaux dépourvus de conscience et les nou-

veau-nés qui n'en ont pas encore ont faim sans le savoir. Par consé-

quent, à la différence de la plante et seulement lorsque cette partie du

cerveau est suffisamment organisée, l'homme sait qu'il a posé un acte ins-

tinctif, parce que ses sens le renseignent sur ce qu'il a fait, qu'ils le

renseignent en outre sur ce que les autres font et qu'ainsi il perçoit des

sensations dont le terme idée est un équivalent psychologique. Sous le

rapport des mouvements instinctifs, la différence essentielle entre

l'homme et la plante, c'est que le premier possède des yeux, des oreil-

les, etc., qui lui permettent de voir, d'entendre, de sentir, etc., ce qui

émane de la matière vivante qui le compose, tandis que la seconde privée

de ces organes des sens se trouve dans l'impossibilité de se rendre compte

de ce qui se passe' en elle et en dehors d'elle. L'individu n'est conscient

de ce qu'il fait que parce qu'il a des sensations et la preuve, nous la trou-

vons dans ce fait qu'il se comporte absolument comme une plante chaque

710 LEFÈVRE

fois qu'il est privé de ses moyens, soit parce qu'ils ont été détruits par

une lésion organique (paralysie générale), soit parce qu'ils ne sont pas

encore formés ou sont insuffisamment développés (idiots, nouveau-nés),

Loin de diriger l'instinct, il n'assiste qu'à ses manifestations. Il y a bien

des affirmations invraisemblables qui sont devenues vraies. Avant d'abor-

der l'étude de la science, il faut se dépouiller de ses préjugés. Les concep-

tions qui imprègnent notre substance cérébrale et qui y ont été enchâs-

sées par l'éducation ne constituent pas toujours une représentation exacte

de ce qui existe dans la nature. Si elles sont vraies pour nous, parce qu'el-

les font partie de notre être, elles peuvent ne pas être vraies dans la na-

ture. Raisonnablement, nous ne pouvons jamais les défendre parce que

nous y croyons les plantes croiraient de même à ce qu'on aurait dépo-

sé dans leur cerveau, si elles en avaient un mais parce que nous les

avons contrôlées par les seuls moyens dons nous disposons, les procédés

scientifiques.

II

Mais il n'y a pas que l'instinct qui prenne sa source dans les proprié-

tés cellulaires, et dépassant un instant les limites de cette élude des pro-

cessus automatiques,on peut affirmer que toutes les manifestations humai-

nes dérivent du chimisme des cellules. En effet, c'est un fait qui ne sera

contesté par aucun esprit positif, qu'une activité vitale quelconque, mou-

vement, sensation ou pensée relève d'un substratum et, par conséquent,

d'une cellule, puisque celle-ci représente l'unité de vie dans toute orga-

nisation plus complexe. D'où il résulte que pour admettre des actes ins-

tinctifs, on ne peut se baser sur un mode de production qui leur serait

spécial, mais sur des caractères délimités par une définition convention-

nelle qui tranche dans les phénomènes naturels pour les distinguer. Sont

donc qualifiées instinctives l'ensemble des manifestations vitales commu-

nes, dans l'espace et dans le temps, à tous les individus d'une même

espèce et possédant la fixité relative de celle-ci. Or, les seules propriétés

cellulaires qui jouissent de ce caractère d'universalité sont celles qui ont

pour effet de maintenir l'individu en vie et d'en perpétuer l'espèce.

Quand on envisage ainsi la question à un point de vue extrêmement

général, en passant sur les détails d'exécution pour ne voir que le résul-

tat final, on pourrait être amené à conclure précipitamment que les acti-

vités cellulaires qui font déclencher les manifestations instinctives sont

absolument les mêmes chez tous les êtres, puisque tous vivent et se

reproduisent. Mais quand on descend jusqu'aux détails, des différences

nombreuses dans le mode de vie et de reproduction chez les animaux

sautent immédiatement aux yeux. Dans l'accomplissement de ses fins natu-

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLHXE 711 1

relies, la fourmi ne se comporte pas comme un castor, ni celui-ci comme

un homme. Le résultat final est le même ; ilsont vécu et se sont repro-

duits, mais le moyens employés sont différents. Ce fait d'observation

nous autorise à conclure légitimement que la formule de la matière vi-

vante qui commande l'instinct n'est pas la même chez tous les êtres, puis-

que tous ne posent pas les mêmes actes dans l'accomplissement de leurs

fins naturelles. Des manifestations différentes doivent nécessairement

relever de compositions cellulaires différentes. Des cellules identiques

devraient réagir de la même façon vis-à-vis des mêmes excitants et condi-

tionner des phénomènes vitaux identiques. Donc si l'instinct, comme

tous les phénomènes vitaux, a sa source dans les propriétés cellulaires,

il n'est pas toujours l'expression d'une activité identique. La formule

chimique de l'instinct n'est pas une, mais elle varie comme ses manifes-

tations elles-mêmes. Il est évident que l'animal chez lequel l'odeur ou la

vue (excitation mécanique ou lumineuse) d'une souris excitent des mou-

vements, possède en quelque endroit de son corps une ou plusieurs cel-

lules d'une composition chimique adéquate et qui n'existent pas chez

celui qui reste indifférent en présence d'une semblable excitation. L'ani-

mal ne réagit à la vue du gibier, à l'odeur de la charogne ou aux cris de

sa proie que parce que sa structure cellulaire est chimiquement adaptée à

subir l'action de ces excitants physiques et à dégager sous leur influence

des énergies qui y répondent en provoquant des mouvements spéciaux.

Jusque maintenant, je ne suis pas parvenu à établir sur une base vrai-

ment scientifique la distinction des actes instinctifs, puisque je n'ai réussi

à les différencier des autres ni dans leur mode de production qui découle

du pouvoir énergétique de la composition cellulaire ni dans la formule

de la matière vivante qui leur sert de substratum et qui varie dans les dif-

férentes espèces pour les mêmes manifestations instinctives. C'est seule-

ment en envisageant le résultat final de tant d'opérations différentes que

l'on parvient à les séparer des autres phénomènes vitaux. La distinction

est de pure forme. Cependant l'instinct présente un caractère absolument

spécial et dont l'énoncé montrera mieux que tout ce qui précède et ce qui

suit combien la conception en est conventionnelle et arbitraire. L'instinct

est réfractaire à l'action du milieu, c'est-à-dire que quelles que soient les

conditions de lieu et de temps, l'aptitude à vivre et à se reproduire sub-

siste chez tous les êtres. Cet énoncé, malgré son apparente logique, cache

une grosse hérésie scientifique, car la matière vivante, pas plus que ma-

tière inorganique, ne saurait se soustraire à l'influence modificatrice du

milieu. C'est le résultat qui ne change pas, mais les moyens employés pour

l'atteindre sans cesse se modifient et se transforment. Les animaux en

s'adaptant à des milieux nouveaux acquièrent des dispositions instinctives

712 LEFÈVRE

nouvelles ; les espèces anciennes évoluent vers des formes nouvelles dont

la subsistance et la reproduction peuvent être assurés par d'autres moyens.

On voit donc clairement que l'instinct n'est qu'une abstraction et qu'il

n'existe pas effectivement, matériellement. On ne rencontre dans la nature

que de la matière vivante en des états divers, et elle est tellement sensible

à l'aclion du milieu, que celui-ci, par les excitations qu'i émet, modifie son

genre de vie en transformant les caractères physico-chimiques des cellules

dont elle est formée. Le résultat final n'a pas varié ; l'instinct de la con-

versation et de la reproduction ont survécu à tous les changements, parce

que la matière meurt par inanition ou par stérilité, lorsque les excitations

du milieu dépassent les limites vitales, et alors on n'en parle pas. Survi-

vent seuls les changements compatibles avec la vie, c'est-à-dire ceux qui

laissent subsister le prétendu instinct de la conservation et de la repro-

duction. Ces pouvoirs sont des propriétés de la matière vivante qui n'aurait

jamais pu exister sans les posséder. Ils sont à la cellule ce que l'hydratation

est à l'eau. Peuvent seules être douées de vie les combinaisons chimiques

qui jouissent de propriétés conservatrices et reproductrices. Peut seule

hydrater la molécule formée d'un atome d'oxygène et de deux d'hydrogène.

Celte question de l'instinct est bien plus compliquée qu'elle ne le pa-

raît à première vue. Il est hérité et héréditaire. Mais, précisément, tous

les phénomènes vitaux hérités et'héréditaires ne peuvent pas être considé-

rés,au moins en restant dans les'limites de la définition,comme étant de na-

ture instinctive, parce qu'ils ne sont pas communs à tous les individus de

l'espèce et qu'ils ne concourent pas à la réalisation des fins naturelles. Ils

se traduisent par des dispositions spéciales, des aptitudes particulières à

certaines races, à certaines familles ou à quelques individus d'une même

famille. Les qualités « morales» des caractères peuvent se transmettre

par hérédité, puisqu'elles dérivent de la constitution chimique de la ma-

tière. N'est pas bon ou méchant qui veut. Il y a également, dans certains

cas, quelque chose d'inné dans le sentiment artistique, dans l'art de chif-

fonner un ruban ou de disposer des fleurs. On n'est pas musicien sans

une oreille anatomiquement et physiologiquement musicale. Si l'usage

peut en perfectionner les rouages, il n'en est pas moins certain que l'hé-

rédité est capable de transmettre d'emblée une excellente organisation qui

prédisposera à faire de la musique, puisqu'elle fournit des dispositions

musicales. La coquetterie, le vice peut-être dans quelques circonstances

et, en tous cas, certain vice, la dipsomanie peuvent être héréditaires.

Toutes ces manifestations avec bien d'autres se rapprochent de l'instinct

par leur origine (conslitution physico-chimique de la matière) ; par leur

cause (influence des excitations du milieu sur la matière vivante plas-

tique et adaptation consécutive de celle-ci) ; par leur manière d'être (au-

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 713

tomatique parce qu'elle est commandée par les énergies de la matière) ;

par leur caractère d'innéité et de transmission héréditaire, mais elles en

diffèrent par leur extension moins grande et par leur résultat qui n'est

pas strictement adapté à la conservation de l'individu et de l'espèce, à ce

que j'ai appelé les fins naturelles.

Mais ici encore il faut faire des réserves, et nous avons une fois de plus

l'occasion de constater combien il faut trancher dans les phénomènes natu-

rels pour les séparer. En effet, on pourrait soutenir avec beaucoup de

raison que les fins naturelles de l'homme sont celles qui lui sont imposées

parla nature de la constitution léguée par ses ancêtres. Or, pour l'homme

qui possède un cerveau musical, méchant ou artistique, il est tout aussi

naturel de s'occuper de musique et d'art et de commettre des mé-

chancetés que de se reproduire et de manger. Ces différentes fins lui sont

imposées et, je pense, également imposées.

L'habitude se distingue des manifestations vitales dont il vient d'être

question en ce qu'elle est acquise après la naissance et en ce qu'elle ne

pénètre pas suffisamment dans l'organisation pour devenir héréditaire.

Peut-être aussi les descendants ne se retrouvent-ils plus dans les condi-

tions qui ont provoqué chez l'ancêtre l'apparition de certaines habitudes.

Ils ne se trouvent plus soumis exactement aux mêmes excitations et, dans

cette occurrence, il n'y a rien d'étonnant à ce que les organisations d'ha-

bitude se transforment, puisque même les organisations d'instinct se mo-

difient dans les mêmes circonstances. Pour persister, il ne suffit pas que les

constitutions cellulaires soient héritées, il faut encore que les milieux agis-

sent dans le même sens que l'hérédité et ne viennent pas en modifier les

tendances. Les qualités et les ^défauts hérités doivent finir par se perdre,

lorsque les influences de milieu ne contribuent pas à les maintenir, et

par se perdre rapidement, toutes choses égales, lorsqu'elles agissent en

sens contraire des inclinations innées.La matière humaine est pétrie et fa-

çonnée par les énergies ambiantes auxquelles ne résistent même pas le

granit et l'acier. Modifiée dans sa structure physico-chimique par l'exci-

tation, elle ne se retrouve plus après en avoir subi l'action dans le même

état qu'auparavant et acquiert ainsi des propriétés nouvelles en rapport

avec la nature de l'excitant, puisque sa composition chimique a été modi-

fiée. Les phénomènes d'habitude sont donc enchevêtrés avec ceux de l'ap-

titude et de l'instinct, comme l'est déjà l'instinct chez l'individu complet

avec certains instincts cellulaires : même cause; même origine ; même

mode de production ; même manière d'être ; avec une légère extension

de signification même résultat; généralisation variable seulement et im :

portance inégale quant à la vie,On ne peut les séparer que par abstraction.

L'instinct n'est qu'une habitude conservée. Il résulte de tout ce qui

714 LEFÈVRE

précède que l'invention psychologique de l'instinct à son point de départ

dans une fausse conception de la nature humaine. L'emploi de ce mot

embrouille bien plus qu'il n'éclaircit les données scientifiques actuelles.

III

J'ai expliqué comment l'instinct synthétise l'activité d'un être dans

l'accomplissement de ses fins naturelles. Il me reste encore à dire que

son fonctionnement repose sur un mécanisme réflexe et qu'il possède,

par conséquent, une allure automatique,

La matière, les organes qui président à la fonction instinctive ne trou-

vent pas en eux-mêmes le principe de leur activité. Ils ont besoin pour

entrer en scène d'une excitation spéciale que le système nerveux est

adapté à leur fournir. L'énergie mise en liberté au sein de la cellule

excitée n'agit pas nécessairement sur place et peut avoir des répercussions

lointaines grâce aux fibres nerveuses qui la canalisent et qui représen-

tent pour elle ce que le fil conducteur est à l'électricité. Les organes

sont mus, sous les réserves qui seront exposées dans quelques instants,

par un mécanisme réflexe, c'est-à-dire que chacune de leurs cellules est

reliée au système nerveux central par deux fibres au moins dont l'une,

centripète, conduit la sensibilité et l'autre, centrifuge, transmet l'influx

nerveux moteur. L'excitation initiale partie d'un point quelconque sera

transmise par un nerf centripète, puis renvoyée à un organe moteur sous

forme de réponse motrice. Dans l'action réflexe, la sensibilité se transfor-

me mécaniquement en mouvement, en sensation nouvelle ou en acte

d'inhibition, en vertu des adaptations spéciales des cellules nerveuses.

Lorsqu'un aliment tombe dans l'estomac, la muqueuse est impressionnée

d'une façon adéquate et cette sensation est conduite par une cellule ner-

veuse avec ses prolongements ou nerfs jusqu'à la moelle où elle est réflé-

chie directement sur une autre cellule nerveuse qui réagira en excitant,

par l'intermédiaire de ses prolongements (nerfs), les glandes de l'estomac,

lesquelles vont se mettre à élaborer les sucs digestifs. Bref, par une

suite de communications, la sensation initiale agit sur une cellule sensi-

tive qui réagit à son tour sur une cellule sécrétrice "adaptée à la mise en

activité des glandes digestives. C'est de la mécanique vivante dans la-

quelle l'action des nerfs est, jusqu'à un certain point, comparable à celle

des courroies de transmission.

Les phénomènes réflexes constituent donc des actes de physiologie nor-

male ou pathologique, en vertu desquels le courant nerveux passe de cer-

taines cellules sur d'autres, se réfléchit, sans le concours delà volonté, de

certaines cellules sur d'autres pour se transformer et s'étendre.

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 715

On connaît l'expérience de lagrenouille décapitée etses réactions réflexes

quand on place une goutte d'acide sur sa peau ; avec sa patte du même

côté et même avec l'autre, elle frotte et cherche à se débarrasser de la

substance irritante. C'est la sensation elle-même qui a mis les pattes en

mouvement grâce à l'existence de rouages intérieurs. L'énergie libérée

par le contact de l'acide s'est transformée en mouvement. Tel est l'acte

réflexe. On frappe sur une louche de piano et, sous forme de réponse, un

son se fait entendre. Grâce à un ajustement intérieur, une pression s'est

changée en son. Telle est une comparaison plus ou moins parfaite avec

l'action réflexe. En expérimentant sur l'homme, on a obtenu des résultats

analogues à ceux qui étaient fournis par la grenouille. ;< Le bras droit du

supplicié se trouvant étendu obliquement sur le côté du tronc, la main à

25 centimètres en dehors de la hanche, je grattai la peau de la poitrine

avec un scalpel, au niveau de l'auréole du mamelon, sur une étendue de

10 à 11 centimètres, sans intéresser les muscles sous-jacents. Nous vîmes

aussitôt le grand pectoral, le biceps, puis le brachial antérieur et les

muscles couvrant l'épitrochlée se contracter successivement et rapidement.

Le résultat final fut un mouvement de rapprochement de tout le bras vers le

tronc avec rotation du bras en dedans et demi-flexion de l'avant-bras sur

le bras, véritable mouvement de défense qui projette la main du côté de

la poitrine jusqu'au creux de l'estomac (1). »

Le fait que beaucoup d'actes instinctifs appartiennent sans conteste à

la vie végétative (digestion, circulation) dont on ne songe à expliquer les

manifestations que par les propriétés de la matière ; le fait que ceux qui

ressortissent ultérieurement au domaine de la conscience et paraissent

volontaires, se rencontrent déjà en partie à la période d'inconscience qui

suit immédiatement la naissance (succion, miction, défécation) prouverait,

si cette démonstration était encore nécessaire, que toute l'activité instinc-

tive est d'origine biologique et réflexe et que l'on peut écarter de sa mise

en oeuvre tout élément d'ordre mental, toute intervention d'une spontanéité

intelligente primitive quelconque. Il s'opère chez, l'homme, par le seul

fait du fonctionnement de la matière vivante, un travail analogue à celui

qui se produit dans le règne végétal ; les organes sont différents, mais le

résultat est le même.

Les divers groupements cellulaires entrent donc certainement en fonc-

tion, sous la réserve qui sera .énoncée tantôt, sous l'influence du système

nerveux, mais quel est le moteur de celui-ci ? Où trouve-t-il le principe

de son activité ? La réponse est facile, puisqu'il s'agit de phénomènes ré-

flexes qui fonctionnent grâce à l'existence d'un arc diastaltique, lequel se

(1) Ch, Robin, Journal de physiologie, Paris, 1869.

716 LEFEVRE

décompose en deux parties dont l'une est motrice et l'autre sensitive, la

première n'ayant d'autre effet que de donner des réponses adéquates aux

excitations de la seconde. Ayant placé la source de l'activité des organes

dans la partie motrice qui peut être aussi vaso-motrice ou sécrétrice, etc.

pour résoudre la question, pour trouver, en définitive, le moteur du sys-

tème nerveux, il suffit de chercher la cause qui met en oeuvre la partie

sensitive de l'arc réflexe qui constitue elle-même le principe de l'activité

de l'autre.

Cette cause réside évidemment dans les sensations qui naissent du mou-

vement vital et dans les excitations du milieu mécaniques, lumineuses, etc.

Ce sont les énergies extérieures et celles qui s'élaborent à l'intérieur du

corps sous l'influence de celles-ci qui constituent le primum movens du

système nerveux. La matière étant suffisamment différenciée et groupée

en organes distincts, donner la vie à l'être formé par cet assemblage de

cellules et de groupements cellulaires consisterait donc, si l'on veut bien

tolérer quelques instants cette hypothèse si peu scientifique, produire la

première excitation qui va automatiquement animer le premier réflexe et

par suite un premier organe dont le fonctionnement sera la source de nou-

velles excitations qui donnent naissance à de nouveaux réflexes, à de nou-

veaux fonctionnements, à de nouvelles excitations et ainsi de suite jusqu'à

ce que toutes les parties du corps aient été animées et participent à la vie

générale du nouvel être.

Comme ceux de l'instinct, les phénomènes d'habitude sont réalisés par

voie réflexe. Comme eux, ils se produisent sans que l'homme les commande

et même sans qu'il y pense. Ce sont de simples réactions en présence d'ex-

citations physiques ou chimiques, des manifestations dont l'homme est le

support sans en être l'auteur.

Enfin, l'instinct et 'habi tude ressortissent t'activité automatique c'est-

à-dire purement mécanique, machinale. Les phénomènes réflexes sont cons-

cients ou inconscients suivant qu'ils appartiennent ou non à la vie végéta-

tive, mais, dans un cas comme dans l'autre, ils sont toujours automatiques.

Il n'y aurait pas lieu d'insister davantage sur ce point s'il n'était néces-

saire de faire des distinctions entre les actes automatiques et d'éviter ainsi

une confusion qui pourrait nuire à l'intelligence de l'ensemble. En effet,

tous les actes réflexes sont automatiques, mais tous les actes automatiques

ne se réalisent pas toujours grâce à un mécanisme réflexe. C'est là un

moyen d'action déjà fort perfectionné que l'on ne peut rencontrer que

dans les organisations complexes munies de muscles et de nerfs. L'auto-

matisme relève de différents moyens que l'on peut observer même chez

l'homme concurremment avec le mécanisme réflexe.

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 717

Chez les animaux inférieurs, la réalisation des mouvements instinctifs

et habituels est très simple. Ils peuvent être attirés ou repoussés par cer-

tains excitants chimiques agissant d'un seul côté (chimiotaxie positive ou

négative). Une action inégale de la pression en deux points du corps peut

aussi déterminer chez eux des phénomènes analogues à la chimiotaxie

et qu'on désigne sous le nom de barotaxie. L'excitation lumineuse

produit également des effets de direction de mouvements très prononcés

tout à fait analogues aux précédents et qui portent le nom de phototaxie.

De même encore les excitations unilatérales thermiques et électriques

(thermotaxie et galvanotaxie) ont pour résultat de rapprocher ou d'éloi-

gner de la source excitante des organisations animales et végétales très-

simples, comme si elles étaient électrisées positivement ou négativement

par rapport à l'excitation.

Il était intéressant de rappeler ces actions vitales si curieuses qui se

comportent comme des phénomènes physiques et chimiques, parce qu'on

ne les rencontre pas seulement au bas de l'échelle animale, mais aussi

chez l'homme et les animaux supérieurs dont les leucocytes par exemple

subissent de la même façon l'influence des agents précités. Même chez les

êtres doués d'une organisation complexe, on observe encore un autre mé-

canisme de production des manifestations instinctives. Dans ces dernières

années, on a découvert des agents chimiques auxquels on a donné le nom

générique d'hormones. Sécrétés dans un tissu, ils sont transportés par le

sang dans un autre organe dont ils excitent les fonctions, coordonnant

ainsi l'activité d'organes éloignés les uns des autres. De cette façon, un

résultat analogue à celui fourni par le réflexe a été obtenu, mais par un

autre moyen. Ainsi, par exemple, le corps de l'embryon fabrique une

substance hormonique qui, par l'intermédiaire du placenta, se répand

dans le sang maternel et arrive aux mamelles dont elle provoque l'hyper-

trophie. La sécrétion pancréatique ne serait pas provoquée par action ré-

flexe, mais par une hormone du nom de sécrétine et qui, sécrétée par les

cellules épithéliales du duodénum sous l'influence de l'acide chlorhydri-

que, passerait directement dans le sang, sans apparaître dans la lumière

du tube digestif. Après cette découverte dont l'authenticité n'est plus con-

testée, paraît-il, il faut reconnaître que l'importance du réflexe a été ma-

nifestement exagérée. La chose parait d'autant plus vraisemblable que les

substances chimiques contenues dans le sang doivent jouir logiquement de

la propriété d'exciter les cellules et que l'action directe de l'acide carbo-

nique sur le centre respiratoire semble être admise. En tout cas, qu'il pro-

cède d'un mécanisme réflexe, hormonique ou simplement physico-chimi-

que, tout phénomène instinctif ou habituel est pour nous automatique,

parce qu'il ne consiste jamais qu'en une action suivie de la réaction qui

lui est personnelle.

XXII il

m

718 LEFÈVRE

IV

Les phénomènes d'habitude et d'aptitude se distinguent par un ensemble

de caractères dont quelques-uns n'existent encore qu'à l'état de possibilité

et qui n'atteignent leur complet développement que dans les manifesta-

tions instinctives.

L'instinct est héréditaire, c'est-à-dire qu'il est acquis à l'espèce et se

transmet aux descendants par la voie du sang, puisqu'il n'a d'autre effet

que de traduire l'activité de certains organes auxquels personne ne con-

teste ce caractère de transmissibilité. Les fonctions circulatoire, digestive,

sexuelle, etc. ont toujours pour substratum des organes identiques qui

existent virtuellement dans l'ovule fécondé et dont l'activité s'est toujours

traduite de la même façon, entraînant l'individu à poser les mêmes actes

que ses ancêtres.

La fonction instinctive est innée, elle existe au moment de la naissance,

puisqu'elle est en corrélation avec des organes qui sont héréditaires et,

par conséquent, elle ne s'apprend ni ne s'oublie. En effet, les hommes

reproduisent l'instinct de leurs ancêtres, sans que l'éducation ou la faculté

d'imitation aient à intervenir en quoi que ce soit.

La fonction instinctive étant sous la dépendance d'organes qui entrent

en action sans aucune participation d'un élément d'ordre mental s'élabore

sans aucune prévision des fins, c'est-il-dire que, originellement, on boit,

on mange à peu près comme l'abeille construit sa ruche, sans savoir

pourquoi. Si, en naissant, il avait fallu pour vivre savoir que l'alimenta-

tion a pour effet de restauier les forces de l'organisme qui s'épuise, je

crois que ce n'est pas trop s'avancer que de dire qu'aucun de nous n'eût

survécu.

Inutile de rappeler ici que le fonctionnement instinctif est involontaire

précisément parce qu'il est automatique.

Les besoins, les désirs, en un mot toutes les manifestations instinctives

ne peuvent être combattues par la raison, car elles sont le produit

de l'activité d'organes qui fonctionnent automatiquement. Les per-

sonnes qui ne savent pas se résoudre à considérer l'homme tel qu'il est et

tendent à lui accorder une supériorité infiniment plus grande que celle

qu'il possède, une immatérialité qui n'existe que dans leur imagination,

se désolent en vain de le voir asservi aux grandes fonctions naturelles.

Elles ne modifieront pas ce qui existe en fermant les yeux pour ne rien

voir. On ne change rien aux lois naturelles en les niant. Il n'est même pas

possible de supprimer l'appétition sexuelle, et si l'on a le pouvoir de ne

pas réaliser l'acte, ce n'est pas sans provoquer des révoltes nocturnes de

la nature qui obtient ainsi une satisfaction qu'il serait malaisé de lui re-

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 719'

fuser. L'appétition instinctive ne pouvant être combattue par la raison est

donc raisonnable.

L'instinct, même chez l'homme, dans le jeune âge au moins, est irréflé-

chi, puisqu'il est sous la dépendance d'organes doués d'une activité auto-

matique et dont le fonctionnement déclanche sous la pression d'excitations

déterminées. Si on substitue, par exemple, un biberon rempli d'eau à une

bouteille de lait, l'enfant, toutes choses égales, continuera néanmoins ses

mouvements de succion, bien que le liquide ainsi absorbé n'ait d'autre

effet que de lui surcharger l'estomac. C'est l'instinct qui est responsable

d'une foule de violations, bien plus souvent irréfléchies que réfléchies, de

la morale et des lois.

Quand ils ressortissent à la vie consciente qui n'existe pas chez le nou-

veau-né, les phénomènes réflexes peuvent donner lieu à des idées cons-

cientes. Dans le cas contraire, l'idée reste virtuelle c'est-à-dire que les

choses se passent comme s'il y avait eu intervention d'un élément d'ordre

mental. Dans les deux cas, le mouvement physico-chimique de la matière

correspondant à la réalisation de l'acte réflexe existe, mais dans le premier

le résultat de cette opération est connu, tandis qu'il reste ignoré dans le

second. La conscience est un phénomène surajouté à l'automatisme dont

elle prend connaissance sans le modifier. La main pare un coup avant

qu'on ait eu le temps de réfléchir; ce sont les vibrations lumineuses éma-

nant du '( coup » qui actionnent l'acte de défense. C'est un mouvement

réflexe simplement qui s'est déjà manifesté avant qu'on ait eu le temps de

penser à le faire. L'enfant saisit le sein de sa nourrice automatiquement,

mais les choses se passent comme s'il avait l'idée de le prendre. Le contact

du doigt, de la tétine et du mamelon provoque les mouvements de succion.

La sensibilité se transforme directement en mouvement en se réfléchissant

sur une cellule nerveuse, sans atteindre la phase de l'idéation. Si, à l'âge

de deux jours, les organes génitaux avaient acquis le développement qu'ils

possèdent à vingt ans, toutes les autres conditions restant les mêmes, il y

aurait dans l'espèce humaine des rapports sexuels purement instinctifs et

ils continueraient à se produire de cette façon si, entre temps, le cerveau

n'avait eu l'occasion de se meubler d'acquisitions spéciales qui permettent

de connaître l'acte et ses effets avant de l'avoir accompli. En pleine vie

génitale, malgré la raison naissante, la part de l'automatisme reste pré-

pondérante dans l'accouplement. Ce n'est pas, du reste, dans ce do-

maine que l'homme se flatte de faire preuve de raison et de réflexion.

Les actes instinctifs sont, originellement, inconscients, c'est-à-dire que

les grandes fonctions s'accomplissent non seulement comme tantôt sans

que l'individu sache pourquoi, mais encore à son insu. Ceci reste vrai

pour ceux qui appartiennent pendant toute l'existence au domaine de la

720 LEFÈVRE

vie végétative, telle la digestion, mais il en existe d'autres qui, primitive-

ment inconscients, font ultérieurement partie de ceux dont la connais-

sance n'échappe pas à l'esprit. Chez le nouveau-né, ils sont tous incons-

cients ; chez l'adulte, quelques-uns ressortissent au domaine delà cons-

cience. La raison de cette différence réside dans ce fait que le cerveau,

organe delà conscience, n'est pas entièrement développé au moment delà

naissance. La manière d'être de l'enfant montre, à toute évidence, qu'il

ne possède aucune connaissance, qu'il est totalement privé de raison, de

réflexion et l'anatomie confirme ce fait d'observation. Il est inutile de

s'appesantir sur ce point. Anatomiquement, physiologiquement, le cerveau

du nouveau-né est embryonnaire. Ce n'est qu'au bout d'un mois que la

substance du lobe occipital commence à blanchir et, vers le cinquième

mois seulement, les régions antérieures commencent a se développer ; la

différenciation complète n'est achevée que vers le neuvième mois.

La différence essentielle entre l'homme et les animaux consistant en un

développement beaucoup plus considérable du cerveau, organe de la pen-

sée, il résulte de ce qui précède que cette partie noble de l'axe cérébro-

spinal n'existant pas ou,du moins,ne fonctionnant pas chez le nouveau-né,

celui-ci ne possède aucun caractère saisissant qui permette de le classer

au-dessus du règne animal. Entre lui et les animaux, il n'y a plus qu'une

différence analogue à celle qui sépare le veau du poulain. Il n'en sera pas

moins gentil pour cela. N'ayant pas encore acquis la supériorité de

l'homme, il n'est pas absolument rationnel de lui en conférer le titre dès

sa naissance. On appelle têtards les jeunes grenouilles. C'est toujours la

voix de la raison qu'il faut écouter. Scruter la nature avec son coeur, c'est

risquer beaucoup de la voir telle qu'on la désire. Dans ces conditions, il

vaut mieux laisser ce soin à d'autres et attendre que la raison ait acquis

un développement suffisant pour dominer les sentiments. Les plus belles

victoires sont celles que l'homme remporte sur lui-même. C'est en en rem-

portant beaucoup de pareilles que l'on se place non seulement au-dessus

de l'animal, mais au-dessus de l'homme. Celui qui n'en a pas encore rem-

porté et ne comprend pas est bien plus près du règne animal qu'il ne se

l'imagine, l'inconscient qui se leurre de grossières apparences.

Je disais donc que non seulement l'enfant ne peut avoir l'idée cons-

ciente d'aller à selle, de manger, puisque les centres d'enregistrement et

d'idéation ne sont pas encore formés, mais encore, pour les mêmes motifs,

qu'il accomplit ses fonctions naturelles, non seulement sans savoir pour-

quoi, mais même sans le savoir. Lorsque l'intestin commence à être dis-

tendu par les matières fécales, il se vide automatiquement. Ce sont de

même des sensations viscérales ou cutanées qui déterminent les contrac-

tions de la vessie, les mouvements de succion et de préhension. Et tou-

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 721

tes ces fonctions s'accomplissent, l'enfant vit sans avoir conscience même

de son existence, puisqu'il ne possède ni organe d'enregistrement ni

centre de perception. Pas d'organe, pas de fonction.

Petit à petit, les nerfs moteurs et sensitifs nécessaires aux fonctions de

relation se développent conformément aux lois inéluctables de la nature ;

le cerveau s'organise et le passage des matières fécales, des urines à

travers les conduits qui leur sont destinés, la préhension des aliments

provoquent des sensations qui sont reçues, enregistrées et perçues. A ce

moment, le nouveau-né est conscient du moment où il mange, où il urine,

mais non seulement ne sait pas pourquoi, mais encore il ignore que

ces actes doivent se reproduire dans la suite. Ce sont là des choses qu'il

n'apprendra que beaucoup plus tard, lentement, progressivement, dans la

mesure des acquisitions que le cerveau enregistre et perçoit, dans la me-

sure des sensations qu'il reçoit successivement par l'intermédiaire des or-

ganes des sens, qu'elles proviennent de l'intérieur du corps ou qu'elles lui

soient envoyées du monde extérieur.

Quand l'enfant devenu homme a acquis un développement intellectuel

complet, peut vouloir avec sa conscience et sa raison ce que lui com-

mandait déjà son instinct. Il peut mettre au service de celui-ci toute

l'adresse, toute l'habilité, tout le raffinement, toute la mauvaise foi, toute

la scélératesse, toute la cruauté, toute l'inconscience que lui suggère son

esprit inventif ou fruste. Il peut aussi essayer, dans la mesure du possible,

d'aller à l'encontre de ses appétits sexuels, mais il n'en reste pas moins

vrai que son fonctionnement instinctif a précédé et précédé de longtemps

le développement de ses connaissances instinctives. Quelle formidable

méconnaissance des faits les plus simples et les plus évidents il a fallu,

pour supposer au fond de l'homme parfois peu intelligent une intelligence

capable de régler sa machine humaine ! Mais c'est le propre des philoso-

phies pures de se payer de mots.

V

Malgré les inconnues qui restent à dégager, tout s'explique d'une ma-

nière satisfaisante pour l'esprit par les seules forces de la matière vivante

lentement élaborée ; rien ne s'explique scientifiquement sans elles et tou-

tes les conceptions spiritualistes sont entachées de faiblesse, puisqu'elles

ne reposent sur « rien », sur rien de scientifique. Il n'y a plus qu'en phi-

losophie que l'on fasse encore reposer quelque chose sur « rien », en

créant des édifices de mots avec lesquels les savants jonglent savamment.

Ce n'est jamais en appliquant une semblable méthode que l'on inventera

une machine à vapeur ou que l'on fondera une science sérieuse. Il n'y a

722 LEFÈVRE

que des écoles philosophiques pour oser concevoir quelque chose, 1 esprit

qui n'est pas le néant, malgré cela n'est cl rien », rien de défini, de posi-

tif et cependant est quelque chose et quelque chose de puissant. Concep-

tions d'un autre âge, enveloppées de brouillard et qui n'étaient de mise

qu'avant l'apparition de la science qu'elles devaient fatalement précéder

dans l'ordre logique de progression des connaissances humaines.

Etant donné le corps tel qu'il est constitué matériellement, il est armé

pour vivre et se reproduire ; il se suffit à lui-même aussi bien dans le

règne animal que dans le règne végétal 'et l'élément « idée » qui s'ajoute

au moins chez l'homme après la naissance et qui lui-même dérive d'un

substratum matériel, n'est nullement nécessaire à l'exécution des mouve-

ments.

Reste une grave inconnue à dégager, celle de la vie. Comment se forme

la matière organisée ? Certes, on s'explique l'atrophie et la disparition

d'organes devenus inutiles par la suppression des excitations mécaniques,

chimiques, etc., qui entretenaient la vie c'est-à-dire le mouvement intra-

moléculaire de la cellule où se réfugie la vie élémentaire car, pas plus

que le reste, la vie ne procède d'elle-même et n'existe sans cause. Assu-

rément, on peut concevoir la possibilité de l'élaboration lente de la

matière, lorsqu'elle est soumise à des conditions opposées à celles qui

déterminent son atrophie, mais comment comprendre l'apparition de la

vie dans une matière autrefois inanimée, surtout maintenant que la théo-

rie de la génération spontanée a perdu tout crédit, au moins dans les

conditions où l'on a procédé à des expériences.

La matière inorganique n'est pas aussi inerte qu'on pourrait le penser

et elle fait preuve dans certains cas d'une véritable vitalité qui se mani-

feste par le déplacement et le travail « intelligent » des molécules. Sans

parler du mouvement brownien, on peut citer, entre autres faits, l'ac-

croissement de volume des cristaux et le cas du fil métallique qui, étiré

de façon à dépasser sa limite de traction, consolide sa structure au niveau

des étranglements que l'on produit successivement et se comporte comme

s'il cicatrisait ses plaies. La science moderne jette d'ailleurs des ponts de

plus en plus nombreux entre les règnes organique et inorganique que l'on

croyait autrefois séparés par un abîme infranchissable. On peut donc

croire que la matière animée a pris naissance au sein de la matière inani-

mée sous l'influence de conditions physiques qui ne sont plus actuelle-

ment réalisées ou que nous ne sommes pas encore parvenus à réaliser ou

qui sont encore réalisées sans que nous puissions en apercevoir les effets,

parce qu'ils s'étendent sur un nombre trop considérable d'années.

Etant le résultat d'une organisation particulière de la matière inorgani-

que, la vie s'est d'abord ébauchée dans des organismes extrêmement simples

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 723

(monères), amas globuleux composé d'un mucus animé et presque com-

plètement amorphe. Successivement, au cours de millions d'années, la

différenciation des conditions extérieures de la vie a provoqué une série de

différenciations de la substance vivante primitive,-pourarriver à produire,

à travers une longue suite de transitions insensibles, les structures les

plus perfectionnées. Telle est l'opinion que la science a fondée sur l'obser-

vation, l'expérimentation et le raisonnement et qui, appuyée sur cette

triple base scientifique, est de nature à satisfaire tous les esprits positifs.

La science n'a pas tout découvert encore, mais il ne faut pas oublier qu'elle

vient à peine de se dégager de toute influence spiritualiste et qu'elle nous

a déjà révélé tant de choses.

Du reste, elle a poussé plusavant l'analyse du problème. Nous ne savons

pas comprendre la nature, parce que nous avons tous l'esprit plus ou moins

faussé par les conceptions erronées léguées par nos ancêtres et qui impré-

gnaient la science primitive. Nous voulons voir dans la matière vivante de

la matière inanimée à laquelle on a ajouté quelque chose pour la rendre

vivante, un principe vital par exemple, une force vitale, ancienne con-

ception qu'on ne peut plus défendre aujourd'hui sans faire preuve d'une

monstrueuse ignorance des choses que l'on prétend connaître. On se figure

qu'il faut une main toute puissante pour animer cette matière inanimée.

La vérité semble être, comme toujours, plus naturelle et plus simple.

Ainsi que j'ai eu déjà l'occasion de l'exposer au cours de cette étude, la

matière vivanle n'est que de la matière inanimée en combinaison telle que

sa molécule se décompose et se recompose, grandit et décroît sans cesse.

Celle-ci est perpétuellement en état d'équilibre instable et la vie est cette

activité qui ne trouve de repos que dans la mort au moment où la matière

vivante se fixe en une formule nouvelle et perd son caractère de labilité.

On peut déduire des considérations précédentes que, lorsque le hasard

des circonstances a réuni en un même point,dans des conditions favorables,

en quantité et en qualités voulues, les corps chimiques inorganiques qui

entrent dans la composition de la matière vivante, ceux-ci se combinent et

les composés nouveaux développent immédiatement leurs propriétés spé-

ciales.Leur instabilité,leur changement perpétuel decomposition intramo-

léculaire dans les limites vitales leur donnent le mouvement, la vie, en

font de la matière vivante primitive sur laquelle les siècles n'ont plus qu'à

exercer leur action de perfectionnement. Il s'est donc vraisemblablement

formé dans la nature des corps doués de vie comme il y en a eu d'autres

dotés d'un pouvoir éclairant ou détonnant. Si ce n'est que l'on a pris l'ha-

bitude de penser autrement, n'est pas plus difficile de vivre que d'éclairer

ou d'exploser. Autres combinaisons, autres propriétés.

Chaque formule chimique a ses propriétés spéciales qui entrent en jeu

724 LEFÈVKE

dés qu'elle est constituée et la vie n'est qu'une combinaison chimique, une

fonction chimique dont on retrouve, du reste, certains caractères dans les

corps inanimés. Le professeur Benedikt (1) ne nous montre-t-il pas dans

les cristaux en voie d'accroissement la formation de cellules, l'organisation

d'un noyau, son expulsion, le développement d'une nouvelle cellule autour

de celui-ci,tous phénomènes vitaux. Ne nous fait-il pas voir des sels inorga-

niques prenant dans les colloïdes une ressemblance extraordinaire avec les

protozoaires les plus élevés. Voilà donc que l'on ne sait plus où commence

la vie et où elle finit, alors que, depuis longtemps déjà, on ne trouve plus

de démarcation entre les végétaux et les animaux. La vie n'est qu'une ma-

nifestation de l'énergie universelle. On en fera peut-être un jour la syn-

thèse dans les laboratoires.

Ne sont-ce pas là des considérations intéressantes pour le médecin qui

aspire à devenir le mécanicien de la machine humaine. Les croyances de

nos pères étaient bien simples, mais elles devaient être telles en présence

de leur ignorance des faits scientifiques. A intelligence donnée et à con-

naissances données, croyances données. Celles-ci sont la résultante mathé-

matique de leurs antécédents.

La matière existe donc avec ses propriétés, ses instincts. Si l'on ampu-

tait l'homme de tout le substratum de l'intelligence, de la volonté, du

jugement, de la conscience, termes psychologiques dont la signification

positive reste à préciser, les manifestations instinctives continueraient à

s'exécuter exactement de la même façon après comme avant cette opération

idéale. Si les membres détachés ne frétillent pas instinctivement comme

les deux tronçons d'un ver de terre, c'est que, par suite de la complexité

plus grande de l'organisation, les vies cellulaires sont entre elles dans une

relation étroite de dépendance et d'interdépendance. Cette subordination

n'est pas telle cependant que la mort des unes entraîne immédiatement

celle des autres et, pour déterminer la date de la mort chez l'homme, on a

dû adopter un moment conventionnel, celui de la cessation d'un phéno-

mène important, la respiration. Mais toutes les cellules 'composantes

n'ont pas pour cela cessé de vivre et, après des heures et des jours, on

peutencore déterminer des réactions vitales, dans lesmuscles notamment.

Il est donc pertinent que les forces de la matière organisée se suffisent

à elles-mêmes, même chez l'homme, dans l'accomplissement des fins natu-

relles de l'être résultant d'une vaste agglomération de cellules vivantes. Les

unités de vie comme les composés de vie sont, par leur seule organisation

physico-chimique, en état de pourvoir à leur subsistance et à leur repro-

(1) BENBDIKT, Le biomécanisme el le néovitalisme.

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET REFLEXE 725

duction. C'est là une proposition à laquelle les spiritualistes les plus

déterminés vont se voir obligés de souscrire.

D'après eux, il existe chez l'homme une force, un principe immatériel,

quelque chose enfin qui préside au développement des pensées et des mou-

vements ; il existe un esprit qui est caché dans l'être apparent et le fait

mouvoir, qui lui est particulier et ne se rencontre ni chez les animaux

ni surtout dans le règne végétal. Nous voyons cependant les plantes se

tourner vers la lumière, bien qu'elles n'aient pas d'intelligence, cicatriser

leurs plaies, absorber de l'eau, se reproduire, vivre enfin, bien qu'elles

ne possèdent pas d'esprit. Nous voyons encore des animaux employer des

moyens ingénieux pour capturer leur proie, vivre en société, se constituer

en famille et ainsi de suite avec de nombreuses variantes du haut en bas.

de l'échelle. Toutes ces planles, tous ces êtres accomplissent leurs fins

naturelles, en vertu des seules forces de la matière organisée, puisqu'ils.

n'ont pas d'esprit.

L'homme est supérieur aux animaux, c'est entendu. Il parle, il pos-

sède deux pieds, deux mains, il en diffère assurément par beaucoup de

caractères, mais, au point de vue physique, les ressemblances sont bien

plus nombreuses 'que les différences. Il suffit d'avoir quelques notions

d'anatomie, d'histologie, de physiologie comparées, de biologie pour s'en

convaincre. Les quelques dissemblances structurales n'ont d'ailleurs pas

d'importance. Il y a un abîme entre le lion et la baleine et ce sont cepen-

dant deux animaux et même deux mammifères. Pour connaître l'anatomie

microscopique de l'axe cérébro-spinal dans l'espèce humaine et la phy-

siologie nerveuse, on opère sur des animaux, des embryons de vache,

des souris, des pigeons, des poulets, etc., et l'on conclut de ceux-ci à

l'homme, toutes choses égales. La matière et même les organes étant sen-

siblement les mêmes chez les animaux supérieurs et chez l'homme, qui

oserait prétendre qu'ils perdent quelques-unes de leurs propriétés vitales

en passant chez le second ? Qui oserait soutenir que l'homme supérieur à

l'animal par l'intelligence lui est cependant inférieur par la matière et

que la nature a été incapable de réaliser chez lui ce qu'elle a fait partout

ailleurs ? Qui pourrait dire qne le limon dont il est pétri est de qualité

secondaire ?

Je crois donc que je suis autorisé à conclure que si l'homme utilise sor

esprit dans l'accomplissement de ses fins naturelles, il doit cependant lu

être facultatif de ne pas se servir de ce principe immatériel pour atteindre

un résultat auquel peuvent, incontestablement, prétendre les seules for-

ces de la matière vivante. Malheureusement, parvenue à un haut der

d'évidence, la vérité irrite bien plus qu'elle ne convainc.

726 LEFÈVRE

VI

Je n'ai envisagé ici que le fonctionnement humain dans l'accomplisse-

ment de ses fins naturelles. Affirmons en passant, sans nous y arrêter beau-

coup dans cette étude de l'instinct, que les facultés intellectuelles tournées

vers les autres buts de l'activité humaine dépendent d'un fonctionnement

analogue.Elles ont pour substra tum, fait démontré par de nombreux argu-

ments, par l'expérimentation accidentelle même, de la matière cérébrale

en partie héritée, en partie organisée après la naissance, mais adaptée à

des résultats qualifiés artificiels pour les distinguer conventionnellement

des précédents ; elles relèvent des mêmes causes et subissent les mêmes lois.

Ce fonctionnement réflexe automatique un peu amendé par la raison chez

quelques individualités est évident, mais cetle évidence est moins appa-

rente. Il faut la chercher plus haut et plus loin. Pour la saisir l'esprit hu-

main doit s'élever beaucoup et, par la pensée, condenser sous son regard

de fortes portions d'humanité pour en apercevoir les mouvements d'en-

semble et découvrir les ondes qui se communiquent des unes aux autres.

Pour cela, il faut les considérer de haut, en ballon.

Il n'y a pas dans la nature de phénomènes spirituels et d'autres maté-

riels. Personne ne peut soutenir cette thèse scientifiquement c'est-à-dire

en se basant sur des données positives. Le monde entier est régi par des

forces naturelles et ses multiples mécanismes resteraient au repos, si des

causes naturelles ne leur donnaient pas l'impulsion. Des fonctionnements

médullaires réflexes comme des fonctionnements intellectuels réflexes sont t

les seuls possibles, puisqu'il faut toujours qu'il y aitdes excitations d'une

part et des réactions d'autre part et la raison, quand elle existe, n'est qu'un

réflexe discipliné, un courant nerveux éduqué qui prend naissance en

passant à travers un cerveau riche d'expériences, de connaissances et de

leçons matérialisées dans les cellules. Si tout s'arrêtait dans la nature, la

pensée de l'homme se tairait également, parce qu'elle ne recevrait plus

d'excitations, comme les glandes salivaires cesseraient de sécréter, si on

les isolait dans le corps. La nature de cette pensée est donc en rapport

avec la nature de l'excitant et la nature de la réaction correspond à la na-

ture de la pensée et, par conséquent, à celle de l'excitant. Action pure-

ment physique, puisque les vibrations de l'élher lumineuses et autres cons-

tituent des équivalents mécaniques des choses pensées ; réaction enchaînée

au moyen de nerfs agissant sur les vaisseaux, les muscles, les glandes dont

ils modifient l'équilibre ; réflexe. Et, si dans cet enchaînement, il y a un

stade inutile qui manque, du reste, souvent, c'est celui de la pensée con-

sciente. La sensibilité se transforme mécaniquement en mouvement. Si

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 727

cette opération s'accompagne de pensée, tant mieux,c'est un perfectionne-

ment, mais la pensée est le plus souvent concomitante ou postérieure à

l'acte réflexe. Être ennuyé par des choses ennuyeuses, attristé par des

choses tristes, mis en gaieté par des choses risibles, marcher quand il le

faut, travailler à cause d'un motif, subir les courants d'opinions, penser

à la pluie quand il pleut, tel est l'homme, tels sont les hommes. A telles

impressions extérieures, tel état de conscience intérieure, c'est-à-dire tel

équilibre cellulaire et à tel état de conscience, telle expression de physio-

nomie ; réciproquement, l'expression de physionomie engendre l'état de

conscience qui lui correspond. Action, réaction enchaînée, réflexe. Tout

l'organisme, intellectuel et physique, vibre à l'unisson des conditions exté-

rieures et intérieures. J'y vois des mécanismes, mais pas de spontanéité

intelligente. Comment voudrait-on, étant donnée la structure humaine,

que les choses se passent autrement ? Il y a impossibilité matérielle, phy-

sique. Le feu doit brûler l'homme et les vibrations de l'éther, équivalents

mécaniques des choses, doivent le modifier, chacune suivant sa nature,

puisqu'elles excitent ses cellules et changent leur équilibre physico-chimi-

que. L'homme n'est qu'un atome secoué par les forces cosmiques, le bilbo-

quet de la matière. Il ne jouit que d'une seule liberté, celle d'obéir aux :

forces naturelles. Il y a bien des apparences contraires, mais elles sont su-

perficielles. Il faut savoir regarder par dessus. Qu'ils étudient la science,

élèvent leur esprit et donnent de l'envergure à leur pensée ou, au moins,

qu'ils réfléchissent ceux-là qui se croient libres. Tout phénomène scienti-

fique est déterminé. Pour que la science ahorde l'étude des manifestations

naturelles et puisse les expliquer, il faut absolument qu'elles se reprodui-

sent dans les mêmes circonstances. Etudier l'homme scientifiquement,

c'est donc a priori chercher à en découvrir le déterminisme.

Conclusion. Les personnes, même les plus intelligentes, lorsqu'elles

sont aveuglées par la foi ou la passion, doivent faire un violent retour sur

elles-mêmes, non seulement pour se reconnaître vaincues.mais même pour

discuter la valeur des arguments que l'on oppose à leurs théories. Je pense

que la froide raison, la raison pure ne peut avoir de prise sur elles que

si elles reconquièrent momentanément un peu de liberté d'esprit; que si,

se plaçant en face d'elles-mêmes, elles réussissent à se demander très sin-

cèrement : Si, cependant, fout ce que je crois n'était qu'erreur, illusion ou

suggestion ; n'est-ce pas l'éducation seule qui a implanté dans mon cer-

veau les opinions que je défends ; ne les avais-je pas déjà à un âge où je

ne pouvais pas encore raisonner ; quels sont donc les arguments d'ordre

scientifique sur lesquels je pourrais les appuyer ? L'homme qui sait ainsi

opérer un retour sur lui-même peut déjà se dire sans plus qu'il n'est pas

le premier venu.

728 LEFÈVRE

On ne saurait assez conseiller à l'homme de sortir de temps en temps

du cercle étroit de ses préoccupations habituelles pour aborder l'étude des

grands problèmes delà nature. La matière ne supporte pas le repos prolon-

gé. Elle s'atrophie dès qu'elle n'est plus soumise à l'action de ses excitants

habituels qui y entretiennent la vie. Pour fonctionner et se développer,

le cerveau a besoin des excitations purement physiques du travail intel-

lectuel, comme les muscles doivent être soumis au travail manuel pour

conserver et augmenter leur puissance. Partout, c'est de la matière

vivante soumise aux mêmes nécessités, aux mêmes lois. Or, à chaque

accroissement de la masse cérébrale correspondent un développement de

l'intelligence et un élargissement des connaissances.

Par le travail qu'elle nécessite, l'étude de la nature est le meilleur

moyen qui existe de perfectionner les facultés intellectuelles. De plus, par

l'accumulation de connaissances positives dont elle orne le cerveau, elle

augmente la portée du jugement, car il est impossible de juger beaucoup

et de haut, si l'on connait peu. Le travail intellectuel par la double ac-

tion qu'il exerce sur « l'esprit » l'élargit singulièrement. L'effort quelque

fois pénible au début,mais bientôt intéressant auquel il a été soumis,le rend

plus vigoureux et l'élève. La pensée, de remorquée qu'elle était d'abord,

passe à l'avant-garde et aperçoit à son tour des horizons nouveaux. Non

seulement l'intelligence découvre enfin la spécialité qu'elle avait choisie

et qu'elle pensait d'abord dans sa simplicité avoir comprise, mais elle

pressent la vérité dans des domaines qu'elle a à peine abordés et en re-

montrerait aux spécialistes étonnés et d'ailleurs incrédules, tout en restant

elle-même susceptible d'erreur. Plus éloignée des hommes, elle est moins

sujette à subir leur influence et la répercussion de leurs passions; elle

les voit plus petits etles juge de plus haut.Planant au-dessus de la masse

des faits imprimés dans le cerveau, elle sait d'un rapide coup d'ceil en

embrasser un grand nombre. Devinant le mécanisme des états de cons-

cience, elle dénude l'âme humaine et découvre la pensée à travers les

opacités du crâne et les mensonges de la civilisation. Peut-être pour deve-

nir grands tacticiens, grands ingénieurs, grands avocats, etc., est-il utile,

si pas indispensable, d'abandonner à un certain moment l'étude de ces

spécialités pour se consacrer à l'étude des sciences naturelles et sociales.

Sans cela, on risque fort de n'être qu'un petit savantenorgueilli par la dé-

couverte de quelques infimes détails qu'un autre ramasse pour en faire

jaillir des vues générales qui étaient visibles et qu'on ne savait pas voir.

Sans cela, on ne sera jamais qu'un vulgaire participant à la comédie

humaine, tantôt acteur, tantôt spectateur, mais toujours inconscient. Pour

être un vrai savant, il ne suffit pas de posséder à fond quelque spécialité,

il faut encore avoir des connaissances étendues, générales dans tous les

INSTINCT, HABITUDE, AUTOMATISME ET RÉFLEXE 729

domaines de la science. Ce n'est qu'en glanant dans tous les champs de

la pensée que l'esprit peut apercevoir de vastes horizons et découvrir

entre les fails des rapports nouveaux. L'intelligence fortifiée par un travail

incessant et enrichie d'une foule de connaissances éparpillées dans toutes

les directions de l'activité humaine peut promener un regard d'aigle à

travers l'ignorance et les passions de la terre et les supérieurement. l.

Comme on ne peut penser qu'aux choses que l'on connaît et jamais à

celles qu'on ignore, pour avoir beaucoup de pensées, il faut posséder de

nombreuses connaissances. Ceux qui n'ont pas beaucoup de moyens ne

doivent passe décourager, c'est en travaillant intellectuellement, c'est en

assouplissant la matière nerveuse qu'ils se développeront, comme c'est

en forgeant qu'on devient forgeron. La sagesse viendra par surcroit, mais

une sagesse humaine c'est-à-dire toute relative. Il est la fois essentiel et

consolant d'être fort dans la ie. Et si, dans ce désir incessant de perfec-

tionnement, dans cette recherche constante du Meilleur, du plus Beau,

du plus Grand, les croyances de la jeunesse, enserrées de toute part sous

un formidable faisceau d'arguments qui les ruinent, mal à l'aise d'abord,

finissent par fléchir sous le poids de la vérité nouvelle, que la crise se

produise, douloureuse. Elle sera salutaire et l'homme en sortira grandi,

ennobli, seulement homme. A se perfectionner ainsi, l'homme y ga-

gnera à tout le moins, une sérénité d'âme qui le laissera indifférent à la

sottise et à la méchanceté des hommes. En pensant à de plus grandes

choses, on oublie les petites. D'où résulte une grande tranquillité d'esprit

devant les événements de la vie et devant la mort, tous phénomènes na-

turels dont aucun n'étonne ni ne surprend.

Le Professeur E. BRISSAUD

Au moment où va paraître le dernier fascicule de la Nouvelle

Iconographie de la Salpêtrière pour l'année 1909, peu de

jours après l'anniversaire de la mort du regretté Professeur

Joffroy, un nouveau deuil vient attrister le monde médical.

Le Professeur BRISSAUD est mort le 19 décembre 1909.

L'émotion causée par cette disparition soudaine paralyse

encore ceux qui auraient le plus à coeur d'évoquer aujourd'hui

une figure dont il semble qu'aucun trait ne soit digne d'être

commémoré : l'envergure de cet esprit curieux de toutes les

connaissances humaines, la puissante diversité de son savoir,

la constante originalité de ses travaux, et, par-dessus tout, sa

rare personnalité morale, toute de probité, de loyauté, de

modestie, prodigue d'élans généreux et de délicates indulgen-

ces. Mais une telle figure ne saurait être dépeinte aussi sommai-

rement.

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière apportera sous

peu l'hommage qu'elle doit à celui qui l'avai honoré de sou

bienveillant patronage scientifique.

En attendant, elle tient à ne pas différer davantage l'expres-

sion de ses douloureux regrets devant une perte aussi imprévue

que cruelle.

7- ià - ? à ......... i.Ï ? - - -1 .

'v; 1 7-1 z 11 1 l, 1 -M... z Y', c ? ? &&, " r`di o ? t-

NOUV. iconographie; DE la salpêtrière

T. XXI, PL. LXXIV

PROFESSEUR E. BRISSAUD

MASSON ET C^, Éditeurs.

TABLE DES MATIÈRES

Achondroplasie chez l'adulte (6 pl.), par

LE\ ? 1J3,

- (Document f71ddico-a,listi(lue sur l'-) (1

pl.), par Levi, 221.

Adipose généralisée (Deux cas d'hydrocépha-

lie avec -), par Maiunesco et Goldstein,

628.

Ankylose de la colonne vertébrale et des

côtes (1 Pl.), par ROUDNBW, 493.

Appius Claudius (Aveugles dans l'art ; -

de C. Maccari) (1 pl.), par POIITIGLIOTTI,

329.

Atrophie olivo-rubro-cérebelletise. Classifica-

tion des atrophies du cervelet (5 pl.), par

Lejonne et LIIEII)IITTE, 605.

Atrophies musculaires tardives consécutives à

la paralysie infantile (1 pl. ), par ALESS.4\-

diiim, 650.

Automatisme, habitude et instinct, par LE-

FÈYIIE, 693.

Aveugles dans l'Art : Appius Claudtus de C.

Maccari (1 pl.), par hOnTIGLIOT11, 329.

Bulbaires (Poliomyélite antérieure chrotzi-

que. Atteinte des noyaux - el médullaires

de la Xle paire avec intégrité des autres

nerfs crâniens) (1 pl.), par Bertolotti, 41.

liulbo-protubératuiel (On cas de gliome ),

par DUSTJN et Van LJXT, 620.

Cervelet [Atrophie olivo-rubro cérebelleuse.

Classification des atrophies du -) (5 pl.),

par Lejonne et Lm : nmT1E, 603.

Goeltl' (Myopathie généralisée avec pseudo-

hypertrophIe et atrophie ; hypertrophie du

- observée à dix années d'intervalle)

2 pl.), par Vires et Anglada, 240.

Crampes professionnelles (spasmes fonction-

nels ; névroses coordinatrlces d'occupation),

par Macé DE Lépinay, 65, 189, 289.

Démence précoce catatonique, ulcérations

trophiques (t pl.), par NOUET et TIIEPS.11.,

5tu.

Dupuytren 'Maladie de -) (t pl.), par ROUD-

kew, 267. '

Dystropltiantes [Elude radiographiqub com-

parattve de quelques affections - des os)

(4 1'1.), par LEGROS et Léri, 24. ,

Echanges matériels dans le gigantisme

(2 Pl.), par Lcw et Franchini, 449, 566.

Ectromélie (Un cas d') (2 pi.), par M.\I1-

KELOFF, 689.

Erb-Goldflam (Myasthénie grave d'-),

(2 pl.), par Laignel-Lavastine et BOUDOW,

432.

Esprit (Physiologie de l'-), par Lefèvre,

153.

Fous dans l'art (2 pi.), par Meige, 97.

Fracture spontanée de la rotule chez une

tabetigue (1 Pl.), par Gauthier, 21.

Gigantisme (Elude des échanges matériels)

(2 pl.), par et Franchini, 449, 566.

infantitique (2 pl.), par Thibierge et

Gastinel, 412.

Gliome bulbo-protubérantiel, par Dustin et

Van LI-,T, 620,

Goitre et scoliose de l'adolescence (2 pl.), par

Parhon et Jiano, 32.

Gravidique [La polynévrite -) (1 pl.), par

DUS'rIN, 349.

Habitude, automatisme et réflexes, par Le z

fèvre, 693.

Hémiplégiques (Rire et pleurer spasmodiques

chez des du côte droit) (1 pl.), par

Vires et ANGLADA, 119.

llémispasme facial (Spasme de la parole

articulée avec - et spasme bilatérat des

muscles du cou et de la ceinture scapulaire)

(1 pl.), par Rimbaud et ANGLADA, 127.

Hydrocéphalie avec adipose généralisée, par

Marinesco et GOLDSTEIN, 628.

Hystérique (Intervention chirurgicale dans

un cas de psychalgie brachiale ; préten-

due côte cervicale), par STCHERDAK, 283.

Instinct, habitude, automatisme et réflexes,

par Lefèvre, 693.

Micromélie congénitale limitée aux deux

humérus (2 pl.), par D.\1\Los, ApEuT et

PL1NDIN, 682.

Moelle (Lésions dans une syphilis du nc·'-

vraxe a marche rapide) (2 pl.), par AL-

QUIER, 368.

Myasthénie grave avec autopsie (2 pl.), par

·L.11GNLL-LA ? 1STI\E et BoUDON, 432.

Myopathie généralisée avec pseudolypertro-

phie et atrophie ; hypertrophie du coeur

observée à dix années d'intervalle (2 pl.),

par Vires et Anglada, 240,

732

TABLE DES MATIÈRES

Myopathies (Altérations osseuses au cours des

- ) (3 pl.), par Meule et RAULOT-L.1POINTE,

229.

Nsevi, disposition radiculaire (1 pi.,24 fig.),

par 1LIPPEL et Pierre- Weil, 473.

Nerfs crâniens (Poliomyélite antérieure

chronique. Atteinte des noyaux bulbaires

ci médullaires de la XI' paire avec rnté-

grité des autres -) (1 Pl.), par BEAT-

LoTTI, 41.

Névraxe (Action du radium sur les tissus

du -) (1 pl.), par ALQUIER et Faure Beau-

lieu, 109.

Névroses coordinatriees d'occupation (Elude

sur les crampes professionnelles, spasmes

fonctionnels; -], par Macé DE LÉPINIY,

65, 189, 289.

Olivo-rttbro-cérébelleuse (Atrophie). Classifi-

cation des atrophies du cervelet (5 pl.),

par Lejonne et Lm : RMIT1E, 605.

Ophtalmoplégie totale bilatérale dans un cas

de syndrome pédonculaire (1 pl.), par

Zosin. 114.

Os (Etude radiographique comparative de

quelques affections dystrophianles des ),

(4 pi.), par Legros et Léri, 24.

Osseuses (Altérations - au cours des myo-

pathies) (3 pl.), par Merle et Raulot-La-

pointe, 229.

Ostéite déformante (Un cas d ? La pathogé-

nie de la maladie osseuse de Paget)

(4 pi.), par KLIPPEL et yVEIL, 1.

- de Pagel (4 pl.), par Pascarolo et

BEPTCLOTTI, 273.

- (2 Pl.), par RwE : wA, 524.

Ostéo-arthropatlzte tabétique de la colonne

vertébrale (2 pl.), par ROASENDA, 509.

Ovariototnisée (Trophoedème acquis chez une

femme -, goitreuse et aliénée) (1 pl.), par

RAMADIER et Marchand, 215.

Pagel (Un cas d'ostéite déformante. La pa-

thoqénie de la maladie osseuse de -)

(4 pL). par 11LIPPEL et Reil, 1.

- (Ostéite déformante de - ) (4 pl.),

par PESCAnOLO et BERTOLOTTI, 253.

(Osléite déformante de -) (2 pl,),par

Ravenna, 524.

Paralysie infantile, par Petren et EIIIIEN-

DERG, 372, 546, 661.

atrophies musculaires tardives (1 pl.),

par Alessandrini, 650.

Parole articulée (Spasmes de la - avec hc-

mispasme facial et spasme bilatéral des

muscles du cou et de la ceinture scapu-

laire) 1 pl.), par Rimbaud et ANGL.\DA,121,

Pédonculaire (Syndrome) (Un cas avec hémi-

plégie gauche et ophtalmoplégie bilatérale

(1 pi.), par Zoom, 114.

Physiologie de l'esprit, par Lefèvre, 153.

Pleurer (Rire et spasmodiques chez des

hémiplégiques du côté droit) (1 pl.), par

Vires et ANGLAUA, 119.

Poliomyélite aigué (Eludes cliniques sur la

- ), par Petren et EnnEXBERG, 372, 546,

661.

antérieure chronique. Atteinte des

noyaux bulbaires el médullaires de la

Xle paire avec intégrité des autres nerfs

crâniens (1 pl.), par Bertolotti, 41.

Polynévrite gravidique (1 pl ), par DUSTIN,

349.

Pseudo-hypertrophie (Myopathie généralisée

avec - et atrophie ; hypertrophie du coeur

observée il dix années d'intervalle) (2 pl.),

par Vires et ANGL ID,\, 240.

Psychalgie (Intervention chirurgicale dans

- un cas de - brachiale hystérique ; pre-

tendue côte cervicale), par Stcherbak, 283.

Radiculaire (Disposition - des nævi) (1 pl.,

2 ! fig,), par Klippel et PmIlIlE-WEIL,413,

Radiographique (Etude comparative de

quelques affections dystrophiantes des os)

(4 pl ), par Legros et Léri, 24.

nadwm (Action du - sur les tissus du né-

vraxe) (1 pi.), par Alquier et Faure Beau-

lieu, 109.

Réflexes, automatisme, instinct el habitude,

par Lefèvre, 693.

Rire et pleurer spasmodiques chez des hé-

miplégiques du côte droit (1 pl.). par

Vires et ANGLADA, 119.

Scoliose (Goitre et - de l'adolescence)

(2 pl.), par Parhon et JI110, 32.

Spasme de la parole articulée avec hémi-

spasme facial et - bilatéral des muscles

au cou el de la ceinture scapulaire (1 pl.),

par Rimbaud et ANGLADA, 121.

Spasmes fonctionnels (Elude sur les crampes

professionnelles, ; névroses coordina-

trices d'occupation), par Macé de Lépinay,

65, 189, 289.

Syphilis du névraxe à marche rapide, le-

sions de la moelle (2 pl.), par Alquier,

368.

Tabès, ostéo-arthropattie de la colonne

vertébrale (2 pl,.). par Roasenda, 509.

Tabélique (Fracture spontanée de la rotule

chez une -) (1 pl.), par G IUTIlIr-,11, 27,

Tatoués, leur psychologie (3 pl ), par Boigey,

589. '

Tropha : dème acquis chez une femme ovario-

tomisée, goitreuse et aliénée (1 pl.),

par RAMADIJ : ;11 et Marchand, 275.

Tumeurs cérébrales, 3 cas (2 pl.). par

Boinet, 333.

Ulcérations trophiques chez un dément pré-

coce (1 pl.). par Nouet et Trepsat, 540.

Vertébrale (Ankylose de la colonne - et des

Côtes) (1 pl. par Rounnt : w, 493.

- (Ostéo-artliropathie tabétigue de la co-

lonne -) (2 pl.), par ROASENDA, 509.

TABLE DES AUTEURS

ALESS\¡';DR1XI, Les atrophies musculaires

tardives consécutives à la paralysie spi-

nale infantile (1 pi.), 650.

ALQuiER. Sur la genèse des lésions de la

moelle épinière dans un cas de syphilis

du névraxe à marche rapide (2 pl.), 368.

- et F,vunç-I3r.wur.rcu. Action du radium

sur les tissus du névraxe (1 pl.), 109.

Anguda et Rimbaud. Spasme de la parole

articulée avec héiirispasme facial et

spasme bilatéral des muscles du cou et

de la ceinture scapulaire (1 pl.), 1z7,

et Vires. Trois observations de rire et

de pleurer spasmodiques chez des hémi-

plégiques du côté droit pl.), 119.

Alyopathic généralisée avec pseudo-

hypertruphie et atrophie. Hypertrophie

du coeur observée à dix ans d'intervalle

(2 pl.), 240.

Apert, 0 \NLOS pt Flandin. Micromélie con-

génitale limitee aux deux humérus

(2 pl.), 682.

BERTOLOTTI. Poliomyélite antérieure chro-

nique de la moelle cervicale. Atteinte

bilatérale et symétrique des noyaux

bulbaires et médullaires de la XIe paire

avec intégrité absolue des autres nerfs

crâniens (1 pi.), 41.

et Pascarolo. Sur un cas d'ostéite dé-

formante de Paget (4 pl.). 253.

BOIGEY. Les tatoués ; leur psvchologie

(3 pl.), 5SS. . a

BOINER. Trois cas de tumeurs cérébrales

(2 pl.), 333.

BOUDON et L-lrG ? EL-LAV.1STI\E. Un cas de

myasthénie grave d'Erb-Goldllam avec

autopsie (2 pi.), 432.

DANLOs, Arenr et Flandin. Micromélie con-

génitale limitée aux deux humérus

(2 pl.), 682.

Dustin. La polynévrite gravidique (1 pl.),

349.

et Lino. Un cas de gliome bul-

bo-protubérantiel, 620.

Ehrenberg et Petren. Etudes cliniques sur

la poliomyélite aiguë (1 pl.), 373, 546,

661.

F AUIIE-BEAULlEU et ALQUIER. Action du ra-

dium sur les tissus du névraxe (1 pi.),

109.

fL IND1N, DAI/LOS et APERT. Micromélie con-

génitale limitée aux deux humérus

(2 pl.), 682.

Fnwcnrm et Levi. Contribution à la con-

naissance du gigantisme avec une étude

complète de l'échange matérieldans celte

maladie (4 pl ), 449, 566.

Gastinel et Thidierge. Un cas de gigantisme

infautili nie (3 pl.), 412.

Gauthier. Fracture spontanée de la rotule

chez un tabetique (1 pl.), 27.

GOLDSTEIN et Marinesco. Deux cas d'hydro-

ceplialie avec adipose généralisée. 628.

Jiano el Parhon. Goitre et scoliose de l'a-

dotescenre. Contribution à la pathogénie

de cette scoliose (2 pl.), 32.

Klippel et Pierre- Weil. \ propos d'un cas

d'ostéite déformante. La pathogénie de

la maladie osseuse de l'aget (4 pl ? 1.

De la disposition radiculaire des noevi

(1 pl., 24 si ? ) ? 73.

LAIG ? EL-LAVASTI , et BOUDON. Un cas de

myasthénie grave d'Erb-Goldflam avec

autopsie (2.pi.), 432.

Lefèvre. Essai sur la physiologie de l'es-

pri', 153.

Instinct, habitude, automatisme et ré-

flexes, 693.

Legros et Léri. Etude radiographique de

quelques affections dystrophiantes des

os (maladie de Paget, syphilis osseuse,

osteomalacie, rachitisme) (4 pl.), 24.

LÉJO¡ ? B et Lhermitte. Atrophie olivo-ru-

bro-cérsbetieuse. Essai de classification

des atrophies du cervelet (5 pl.), 605.

Léri et Legros. Etude radiographique com-

parative de quelques affections dystro-

phiantes des os (maladie de Paget, sy-

philis osseuse, ostéomalacie, rachitisme)

(4 pl.), 24.

LEVI (Ettore). Sur un nouveau cas d'achon-

droplasie chez l'adulte (6 pl.), 133.

Un document médico-artistique sur

l'achondroplasie (1 pl.), 227.

et Franchini. Contribution à la connais-

sance du gigantisme, avec une étude

xxii 48

73 i TABLE DES AUTEURS

complète de l'échange matériel dans

cette maladie (4 pl.), 449, 566.

Lhermitte et Lejonne. Atrophie olivo-ponto-

cérebelleuse. Essai de classification des

atrophies du cervelet (5 pl.), 605.

Lint (Van) et DUSTIN. Un cas de gliome

bulbo-protubéiantiel, 620.

Macé DE Lépinay. Elude sur les crampes

professionnelles. Spasmes fonctionnels.

Névroses coordinatrices d'occupation,

65, 189, 289.

11 mvesco et Goldstein. Deux cas d'hydro-

céphalie avec adipose genéralisée, 628.

111OEKELorF, Un cas d ectromélie(2 pl.), 689.

Meige (Henry). Les fous dans l'art (2 pl.),

97.

MRBLE (Pierre) et Rujlot-Lapointe. Les

altérations osseuses au cours de la myo-

pathie (3 pl ), 229.

Xouet et TREPsAT. Ulcérations trophiques

chez un dément précoce catatonique

(i pl.), 540,

Parhon et Jnxo Goitre et scoliose de

l'adolescence. Contribution il la pa-

thogénie de celte scoliose (2 pl ), 32.

Pascarolo et BERT01.OTTI, Sur un cas

d'ostéite déformante de Paget (4 pL),

253.

Petren et 1",IIRE-IBEIIC. Etudes cliniques sur

la poliomyélite aiguë (1 pl.), 373, 546,

661.

Pierre-Weil et Klippel. A propos d'un

cas d'ostéite déformante. La patho-

génie de la maladie osseuse de Paget

(i pL), 1.

- De la disposition radiculaire des nxvi

(1 pl.),4 13.

POI1TIGLIOTT1. Les aveugles dans l'art :

Appius Claudius de C. Maccari (1 pl.),

329,

RAULOT-LAPOI : VTE et Merle (Pierre). Les

altérations osseuses au cours de ' la

myopathie (3 pl.), 229. "

Ruiadier et Marchand. Variété de tro-

phoedème acquis chez une femme ova-

i iotomisée goitreuse et aliénée(l pl.),275.

Ravennv. Sur un cas d'ostéite déformante

(2 pl.), 524.

Rimbaud et ANGLADA. Spasme de la

parole articulée avec hémispasme fa-

cial et spasme bilatéral des muscles

du cou et de la ceinture scapulaire

(1 pl.), 927.

Roasenda. Sur un cas d'osléo-arthropathie

tabétique de la colonne vertébrale (2 pi.),

509.

Roudnew. Maladie de Dupuytren (1 pl.),

267.

Ankylose de la colonne vertébrale et

des côtes (t pl.), 493.

Stcherbak. Intervention chirurgicale dans

un cas de psychalgie brachiale hystéri-

que, prétendue côte cervicale, 283.

Thibierge et Gastinel. Un cas de gigantisme

infantitique (3 pl.), 442.

Trepsat el Nouet. Ulcérations trophiques

chez un dement précoce catatonique

tl pl.), 540.

Vires et A\GL.1D1. Trois observations de

rire et de pleurer spasmodiques chez

des hémiplégiques du côlé droit (1 pl.).

119.

Myopathie généralisée avec pseudo-

hypertrophie et atrophie. Hypertrophie

du coeur observée à dix ans d'inter-

valle (2 pl.), 240.

Zosin. Conl, 1 1) ! 11 IOn 1 l'étude du syndrome

peoonculaire. Un cas avec hemiplégie

gauche et ophtalmoplégie totale bilaté-

rale (1 pi.), 114.

TABLE DES PLANCHES

Achondroplasie (Ettore Levi), XIX à XXIV.

Ankylose de la colonne vertébrale (RoL'D-

NEW),L1V.

Atrophie olivo-rubro-cérébelleuse (LEJONnE

et Lhermitte), LXIII à LXVIII.

Alrophies musculaires tardives consécuti-

ves à la paralysie infantile (ALESSANDniNi),

LXIX.

Aveugles dans l'art. Appius Claudius

au Sénat romain par C. 111accari (Pon-

T1GLIOTT1), XXXVII.

Dupuytren (Maladie de ) (ItouDNE\v),XXXV.

Dystrophiantes (Affections des os)

(A. Léri et G. L>GROS), V à VI II.

Eclrumélle (MARIOELOFF). LXXII et LXXIII.

Folie (Stullilia). La fuiie ou l'âme damnée

(Meige), XIII et XIV.

Fracture spontanée de la rotule chez un

tabétique (Paul GAUTHIER), IX.

Gigantisme (Lévi et Franchini), XLIX à

1.

Gigantisme infantilique (Thibierge et Gas-

TI1EL), XLVI à XLVIII.

Goitre et scoliose de l'adolescence (1' \11110"

et Jrno), X et XI.

Micromélie congénitale limilée aux deux

humérus (Danlos, APERT et TLANDIN), LXX

et LXXI.

Myasthénie grave d'Erb-Goldllam (Laignel-

LAvAsTiNE etBouooN), XLIV et XLV.

Myopathie primitive (Vires et ANGL.D.1),

XXIX et XXX.

Noevus il disposition radiculaire (Klippel et

I'Iennr ? \\'r.rl.), LII1.

Nain achondroplasique (Etlore LEVI), XXV.

Osseuses (Altérations - dans la myopa-

thie) (Pierre Merle et R IUr.OT-LAPOI\TE),

XXVI à XXVIII.

Ostéoarthropathie tabétique de la colonne

vertébrale [Roasenda), LV et LVI.

Paget (Maladie osseuse de -) (Pascarolo

et Bertolotti), XXXI a XXXIV.

- (Ostéite déformante de -) (hLtnreL

et Pierre-Weil), I à IV.

(Ostéotite déformante de ) (RA-

\'E : \NA), LVII et LVIII.

Pédonculaire (Syndrome -. Hémiplégie

gauche et ophtalmoplégie totale bilaté-

rale (Zosin), XVI.

Poliomyélite aiguë (Petren et Ehrenberg),

XLII1.

Poliomyélite antérieure chronique cervi-

cale (BERTOLOTTII, XII.

Polynévrite gravidique (A. Dustin), XL.

Radium (Action du sur les tissus du

névraxe (AL[1UIN.li et fAl;nE-BEAIiLt6U),XV.

Rire et pleurer spasmodiques chez des hé-

miplégiques du côté droit (Vires et An-

CLADA), XVII.

Spasme de la parole articulée. Hémispasme

facial et spasme bilatéral des muscles du

cou et de la ceinture scapulaire (Rimbaud

et ANGLADA), XVIII.

Syphilis du névraxe à marche rapide

ALQUlER), XLI et XLII.

Tatoués : leur psychologie (Boigey), LX à

LXII.

Trophoedème acquis chez une aliénée goî-

treuse et ovariotomisée (RAMADIEN et

DIAnC11.1ND), XXXV1.

Tumeurs cérébrales (E. BOJ : OET). XXXVIII

et XXXIX.

Ulcérations trophiques chez un dément

catatonique (Nouet et Trepsat), LIX.

Le gérant : P. BOUClIEZ,

lmp. J. Tiievenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).