(1907) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 20] : iconographie médicale et artistique
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(1907) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 20] : iconographie médicale et artistique

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

T.OM'E X;X

Avec de nombreuses figures intercalées dans le texte et 89 planches hors texte

1907

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÈTRIÈRE

J. M. CHARCOT

Gilles DE la TOURETTE, PAUL RICIIER, ALBERT LONDE

Fondateurs

ICONOGRAPHIE MÉDICALE

ET

ARTISTIQUE

Patronage scientifique :

J. BABINSKI. G. BALLET. E. BRISSAUD

DEJERINE. E. DUPRÉ. A. FOURNIER. - GRASSET

JOFFROY. PIERRE MARIE. PITRES. RAYMOND

RÉGIS. SÉGLAS

ET

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE

DE paris

Direction : .- Rédaction : .-

PAUL RICHER HENRY MEIGE

TOME VINGTIÈME

Avec de nombreuses figures intercalées dans le texte et 89 planches hors texte

PARIS

MASSON ET ce, 1 ÉDITEURS

LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE

1 : ;10, Boulevard Saint-Germain (fis)

. 1907

NOUVELLE

1 c(J : r ? o G R A PHI E

DE LA SALPÊTRIÈRE

L'INFANTILISME VRAI

PAH

E. BRISSAUD,

Professeur à la Faculté de Médecine de Paris.

Le sujet de l'infantilisme qui, depuis peu d'années, a fait son appari-

tion dans le domaine de la clinique et de la pathologie, engage dans une

large mesure ma responsabilité. Mais avant tout, je tiens à dire que la res-

ponsabilité du mot ne m'appartient pas. Il y a une quarantaine d'années,

Lorain avait suggéré à un de ses élèves, Faneau de Latour, une thèse sur

l'infantilisme et le féminisme des tuberculeux et des cardiaques. Les prin-

cipaux traits qui, selon Lorain, caractérisaient l'infantilisme étaient la

débilité, la gracilité, la petitesse du corps. Il spécifiait : « C'est une sorte

d'arrêt de développement qui porte plutôt sur la masse de l'individu que

sur un organe spécial ». En vérité, si l'on s'en tenait à cette définition, le

mot s'accorderait bien mal avec la chose. En effet, s'il convient à la raison

d'admettre qu'un sujet infantile doive être petit par définition (c'est-à-dire

que la petitesse soit une condition nécessaire de l'infantilisme),il ne vien-

dra à l'idée de personne que l'infantile doive être également, ipso

facto, grêle et débile.

L'infantilisme envisagé par Lorain n'est en somme rien autre chose

qu'un état dystrophique général produit et entretenu pendant la période

de croissance par une maladie chronique congénitale ou accidentelle.

L'évolution s'accomplit difficilement, lentement, avec des ressources in-

suffisantes, et la maturité est un l'ait accompli avant que les organes aient

atteint leurs dimensions habituelles. Le fruit est mûr, mais c'est un petit

xx 1

2 BRISSAUD

fruit. Il n'a pas le volume correspondant au type moyen de son espèce,

mais il est bien conformé et bien proportionné ; si bien que, à part la

maigreur et la faiblesse qui sont l'effet de la maladie, l'infantile de ce

genre n'a rien d'un enfant. C'est un petit homme, mais c'est un homme.

Tout de suite, une question se pose : si cet hommc n'a rien d'un enfant,

sauf la petite taille, pourquoi le qualifier d'infantile ? Il y a là sans doute

quelque chose d'illogique et même de contradictoire qu'on doit regretter.

Cependant, nous avons cru qu'il était juste de consacrer à ce genre assez

particulier de dystrophie le nom qui lui avait été attribué tout d'abord ;

et comme, après tout, les mots valent moins par leur provenance étymo-

logique que par la signification qu'on leur donne, nous avons nous-même

respecté l'usage, .

...l'usaige

« qui dans les formes du langaige

règne en arbitre souverain ».

Bien plus, et loin de biffer de la nomenclature médicale un néologisme

dont le sens ne demandait qu'à être précisé, j'ai proposé de réserver un

chapitre spécial sous le titre ^infantilisme du type Lorain à tous les cas

de misère physiologique de l'mlnlescence qui se traduisent, jusque dans

la période adulte, par « la débilité, la gracilité, la petitesse ».

.' Ce point de départ ayant été unanimement consenti, je réserverai les

quelques problèmes que soulève encore la question de l'infantilisme du

type Lorain, et je m'occuperai immédiatement d'un autre infantilisme,

tout différent du premier, et celui-là authentique, digne du nom qu'il

porte, car il est compatible avec la parfaite santé et peut s'observer chez

des individus, même avancés en âge, qui ne sont ni grêles ni débiles.

Personne ne conteste plus l'authenticité de cet infantilisme. Les spéci-

mens en sont nombreux et frappants. En elfet, à qui n'est-il pas arrivé

d'éprouver une véritable surprise en apprenant qu'un enfant qui ne pa-

raissait avoir guère plus de dix à douze ans, en a réellement quatorze ou

quinze ? La surprise s'explique par le fait que chaque âge se devine ou se

suppose à de certaines apparences, à un certain air qui ne trompe guère,

et cela surtout dans les premières années où les changements s'accom- z

plissent d'autant plus vite et plus régulièrement que le sujet est plus jeune.

Croire qu'un enfant qui a quatorze ans n'en a que douze est une erreur :

c'est une erreur de deux années. Exagérons cette erreur encore d'une

année dans les deux sens, soit une année de plus en réalité, et une année

de moins pour l'apparence ; et ainsi supposons qu'un enfant de quinze

ans semble n'avoir que onze ans : c'est une erreur de quatre ans. Déjà nous

avons affaire à un cas assez exceptionnel. Exagérons l'erreur encore :

voi là un enfant de seize ans qui paraît n'avoir que dix ans. Cette fois il n'y

l'infantilisme vrai 3

plus de doute, nous sommes en présence d'un cas d'infantilisme, car à

seize ans l'enfance devrait avoir fait place à l'adolescence; une transfor-

mation profonde et générale qui devait s'accomplir n'est pas commencée.

Le diagnostic est à la portée de tous, et il n'est pas besoin d'être médecin

pour affirmer que c'est là de l'infantilisme au premier chef. Ainsi,

jusque-là, ce sont les apparences, rien que les apparences, qui entraînent

la conviction.

Un simple fait va me permettre de préciser : L'an dernier une dame

de Paris me présente ses deux filles : l'une a seize ans, elle est grande et

bien développée, mais elle subit une atteinte de chlorose (c'est pour elle

que la mère vient me consulter) ; l'autre est une fillette de bonne mine,

à la physionomie réjouie et malicieuse. C'est encore une enfant. A-t-elle

dix ans ou onze ans ? .. on peut hésiter entre ces deux chiffres. Et cependant

celle-là est l'aînée; elle a dix-sept ans. La mère le dit presque en rougis-

sant, et la grande soeur en parait contristée. La petite au contraire est en-

chantée et comme toute fière de l'effet qu'elle produit ; inutile d'ajouter

que sa santé est irréprochable et qu'il n'est pas encore question de chlo-

rose pour elle. °

Ce fait est rigoureusement conforme à la définition de l'infantilisme

que nous avons, avec M. Henry Meige, proposée, et qui est la suivante :

« L'infantilisme est une anomalie du développement caractérisée par la

persistance, chez un sujet ayant atteint ou dépassé t'age de la puberté,

des caractères morphologiques appartenant à l'enfance. Ce retard du dé-

veloppement physique a, en général, pour corollaire un retard du déve-

loppement psychique. » -

Détaillons le signalement de l'infantile.

Le sujet infantile, eût-il dix-huit ans, vingt ans, même davantage, sa

face est arrondie, plutôt joufflue (comme chez la plupart des enfants bien

portants), il a le nez peu développé et sans caractère, la peau fine et

claire, les cheveux fins, les sourcils et les cils encore assez peu fournis.

Les formes extérieures ne sont même pas celles d'un adolescent. La tête

est forte pour la taille. La poitrine, les membres sont gras et potelés, le

ventre est gros et légèrement proéminent. Enfin, les organes sexuels bien

conformés n'ont encore subi aucune évolution et il n'existe aucun indice

de puberté, même lointaine. Cette brève description n'est pas un schéma.

C'est le portrait, rapidement esquissé, mais très sincère et très exact, de la

petite personne qui se réjouissait tant de notre surprise. Qui donc, non mé-

decin ou médecin, prétendrait que le mot d'infantilisme ne convient pas

à un pareil état ? C'est un fait, auquel on donne la consécration d'un nom ;

Mais, si au lieu de s'en tenir au mot, on envisage la chose en soi, le

problème étiologique surgit avec toutes ses difficultés.

4 BRISSAUD

Un cas isolé n'est jamais explicable, car toute explication repose sur des

relativités, c'est-à-dire sur des rapports d'analogies et de dissemblances.

Or l'infantilisme se révèle sous des aspects très différents qui, d'une part,

sont autant de termes de comparaison, et qui,d'autre part,par gradation in-

sensible, se confondent avec cet état morbide parfai temèn t défini qu i est le

myxoedème. La disproportion de l'âge apparent et de l'âge réel devient

littéralement monstrueuse chez les idiots myxoedémateux qui conservent

'jusqu'à un âge assez avancé tous les attributs de la première enfance. Mais

parmi ceux-là -comme chez tous les vrais infantiles -- il en est dont la

santé n'a jamais subi aucune atteinte. Ils n'ont rien de ce qui fait une ca-

chexie progressive, au vrai sens de ce mot. Il nous a donc paru rationnel

d'assimiler les infantiles à des myxoedémateux chez lesquels les manifes-

' tations graves de la cachexie strumiprive feraient défaut.

L'assimilation passerait pour injustifiable aux yeux de ceux qui,avantles

beaux travaux de Bourneville, voyaient dans l'idiotie myxoedémateuse une

maladie cérébrale compliquée de troubles trophiques,-disons : demyxoedè-

me à divers degrés.Ceux-)à mettaient en première ligne et en première date

l'abolition ou l'insuffisance des fonctions intellectuelles. C'est l'inverse qui

est la vérité. D'abord, il n'y a jamais abolition des facultés intellectuelles,

pas plus dans le myxoedème que dans l'infantilisme. L'embryon lui-même

a sa psychologie propre, à moins qu'il ne soit anencépale ; et comme le

myxoedème ne supprime pas les connexions embryonnaires des neurones,

il laisse en l'état les aptitudes psychiques du nouveau-né. Il en est exacte-

ment de même chez les infantiles : leur intelligence, du fait de l'arrêt de

développement des éléments de l'écorce, reste approximativement équiva-

lente à celle de tel ou tel sujet dont l'âge réel correspond à tel ou tel âge

apparent. b 1

Il était indispensable d'établir ce rapport, d'une manière très générale,

puisque, dans l'idiotie myxoedémateuse, l'idiotie loin d'être primitive est

étroitement subordonnée au degré du myxoedème. Dans l'infantilisme

également, les deux éléments du syndrome forment un tout, mais leur

importance respective varie selon les individus. C'est un point auquel je

m'arrêterai bientôt.

Au préalable, revenons sur l'état psychique de la jeune fille que je

signalais comme le prototype du genre.

Au point de vue intellectuel,elle était encore une enfant malgré ses dix-

sept ans. Elle jouait à la poupée. Sans doute elle savait très bien lire,écrire,

compter et mettre l'orthographe comme une enfant de dix à onze ans,

moyennement instruite ; mais ses lectures favorites étaient les contes de

fée ; elle apprenait assez facilement, mais seulement de mémoire, et le

raisonnement ne progressait pas. Elle préférait à la société des jeunes

l'infantilisme vrai S

filles de son âge réel celle des petites filles de son âge apparent. Elle n'a-

vait même pas encore le désir de grandir, de devenir une demoiselle et de

porter des robes longues comme sa soeur plus jeune qu'elle. Son caractère

était heureux, doux et enjoué, mais elle restait désobéissante ; et en rai-

son de son âge réel, ses parents croyaient devoir fermer les yeux.

Dans d'autres cas moins caractéristiques ou moins francs,l'infantilisme

se rapproche davantage du myxoedème ; et les analogies de l'un et de l'autre

augmentent en raison directe de l'intervalle qui sépare l'àge réel de l'âge

apparent. Qu'on en juge par l'exemple suivant : En 1894, nous avons

observé et suivi avec beaucoup d'intérêt un garçon de 19 ans qui nous

fut amené par sa mère à l'hôpital St-Antoine, nanti d'un état civil qui

nous stupéfia. Nous ne pouvions pas croire qu'il eût plus de 10 ou Il ans.

L'administration avait fait des difficultés pour le recevoir dans un hôpital

d'adultes. Lui-même n'y voulait pas rester. La surveillante de la salle

dut l'amadouer par des caresses et des bonbons. Alors il la prit en affec-

tion, il l'embrassait, il l'appelait « maman »,et quantelle était obligée de

le négliger pour s'occuper d'autres malades,il fondait en larmes. Tous ces

enfantillages paraissaient même disproportionnés avec son âge apparent.

Mais, comme ce garçon de dix-neuf ans n'avait jamais quitté sa mère,nous

ne nous étonnions pas qu'il se comportât, dans tous ses actes, à la fois

comme un infantile et comme un enfant gâté.

La certitude - établie par des documents authentiques qu'il touchait

presque à l'âge où l'on devient soldat, nous fit admettre immédiatement

que le retard de son développement dépendait d'un état morbide voisin

du myxoedème. Le jeune Philippe avait le facies « lunaire », les yeux un .

peu bouffis, les lèvres épaisses, les joues grosses et rondes. Sa conforma-

tion générale n'était même pas celle d'un adolescent. Il avait les mem-

bres gras et potelés. Ses organes génitaux étaient rudimentaires, quoique

bien conformés.

Evidemment, il s'agissait d'un myxoedème fruste ou,pour mieux dire, at-

ténué ; nous pensions pouvoir affirmer d'avance que le corps thyroïde était

atrophié. Le fait est qu'il était à peine perceptible.A la vérité, nous igno-

rions à cette époque qui remonte à plus de dix ans - la grande

difficulté qu'on éprouve non seulement à déterminer les limites et le vo-

lume du corps thyroïde, mais encore à en constater,réellement et sans idée

préconçue, l'existence. Rien n'est plus difficile que d'apprécier les di-

mensions de cette glande ; et encore, s'il est possible d'y réussir,le rensei-

gnement obtenu par le palper n'a pas une signification de grande valeur.

Tout dépend de la fonction. Par contre, une indication précisé, spon-

tanément venue des parents du malade, intrigués par l'enquête elles

manoeuvres auxquelles nous nous livrions, nous éclaira tout à coup sur

6 BRISSAUD

l'origine de cette dystrophie et nous en révéla la nature : Vers l'âge de dix

ans une grave maladie avait mis en danger la vie de l'enfant; le cou avait

été le siège d'une inflammation avec gonflement de toutes les glandes.

. Thyroïdite aiguë ? .. Adénopathie ? .. Toujours est-il que c'est à dater de

cette affection restée indéterminée que, la croissance et toutes les autres

fonctions de développement s'arrêtèrent. Et le temps s'écoula depuis lors

sans apporter aucun changement à un état physique et intellectuel qui

semblait s'être fixé, immuable et définitif, comme si un obstacle avait tout

à coup interrompu l'évolution et réduit à néant la vitesse acquise. Que le

corps thyroïde ait subi à cette époque une profonde atteinte, cela n'était

plus douteux. Et ainsi la nature myxoedémateuse de l'infantilisme s'af-

firmti d'elle-même.

Chose curieuse, et même en apparence paradoxale, ce myxoedème n'était

pas morbide. Nous voulons dire par là que, malgré son origine patholo-

que, il ne contrariait en rien l'accomplissement normal des fonctions.

Resté enfant,c'était un enfant bien portant,et rien ne faisait prévoir que sa

santé fut menacée. Il était satisfait de son sort, les années s'écoulaient et

ne comptaient pas pour lui. Il faisait mentir le proverbe éternel et uni-

versel : « Tout n'a qu'un temps », car il restait figé comme dans le moule

de l'enfance.

Voilà donc deux exemples d'infantilisme qui démontrent que l'état

dystrophique caractérisé par l'immobilisation des phénomènes évolutifs est

compatible avec une parfaite santé. L'assimilation de l'infantilisme avec

le myxoedème est-elle donc justifiée ? Ou bien le myxoedème ne serait-

il pas un véritable état morbide ? ?

Non, le myxoedème infantile, à l'inverse du myxoedème'de l'adulte,

n'est pas, dans l'immense majorité des cas, un état morbide. C'est une

manière d'être, une anomalie morphologique et fonctionnelle, qui ne com-

promet pas l'existence, qui même - nous aurons bientôt à le dire -

fournit de tristes exemples de longévité.

En quoi donc consiste et à quoi se résume la dystrophie myxoedéma-'

teuse ? Elle consiste dans le ralentissement ou l'arrêt de tous les actes on-

togéniques, sans exception. A quoi se résume-t-elle ? A l'insuffi-

sance, voire même l'annihilation, de la fonction thyroïdienne. Supposons

le suprême degré de ce trouble fonctionnel : l'enfant vient au monde, et la;

glande thyroïde ou n'existe pas ou ne sécrète pas. Voilà un être condamné;

à l'état de nouveau-né à perpétuité. Il conserve son aspect foetal.

Ce qui produit chez l'adulte la dystrophie pachydermique, c'est une

lésion de la totalité de la glande thyroïde, et il y a tout lieu de croire que

cette lésion totale frappe à peu près à un égal degré tous les éléments

sécréteurs delà glande. En cela le myxaedème de l'adulte se rapproche de;

l'infantilisme VRAI 7

la cachexie strumiprive opératoire ou de la forme expérimentale de cette

cachexie à tel point qu'il n'y a plus entre celle-ci et celle-là de diffé-

ronces cliniques appréciables. La gravité de la maladie est telle que la mort

en est la conséquence à peu près fatale. Au contraire, chez le nouveau-

né, la suppression de la sécrétion interne indispensable au développement

n'est jamais absolue. En effet, de deux choses l'une : ou bien la lésion thy-

roïdienne n'est jamais que partielle ; ou bien, supposer qu'elle soit totale,

il y a assez d'autres glandes de fonctions analogues pour suppléer à l'ab-

sence du corps thyroïde. D'ailleurs un faitprouve, d'une façon certaine,

que les phénomènes de croissance et de développement organique ne sont

pas exclusivement soumis à la sécrétion thyroïdienne.

Bien avant que la glande thyroïde ne se soit différenciée, l'embryon a

déjà su se constituer tout seul, sans provocation du système nerveux, sans

subordination au système nerveux ; et les feuillets blastodermiques ont

effectué leurs bourgeonnements systématiques en dehors de toute ingé-

rence d'un organe directeur préexistant.

Ce n'est pas à une époque déterminée,ce n'est pas à un jour précis de la

croissance que le squelette, les tissus et les viscères vont réclamer les bons

offices du corps thyroïde. L'impulsion date de la conjonction fécondante

de la cellule mâle et de la cellule femelle. L'évolution s'accomplit dans

le squelette, dans les tissus, dans les viscères séparément pour le compte

et au compte de chacune des parties du tout. S'il en était autrement,

l'enfant qui viendrait au monde, dépourvu de corps thyroïde, conserve-

rait indéfiniment les dimensions, les proportions, la conformation qu'il

avait à la fin de la vie intra-utérine. Ce serait un foetus respirant, mais

un foetus à tout jamais.

Or les faits les plus caractérisés et les plus complets de myxoedème con-

génital démontrent que l'évolution ne s'en tient jamais là. Entre tous ces

faits, celui du légendaire Pacha de Bicêtre,réalise le spécimen du genre, le

plus beau scientifiquement, le plus hideux morphologiquement. Il conserva

des formes foetales, mais il grandit, il fit ses dents, il put être sevré, il

apprit à marcher. On peut même dire que c'est à sa croissance et à ses

progrès qu'il dut sa repoussante laideur. S'il était resté tel qu'au premier

jour, il n'aurait été ni plus ni moins affreux que tous les enfants à leur

naissance. Un nouveau né estpresque toujours un très vilain petit mons-

tre, et pour lui trouver quelque charme esthétique, il faut en être, ou

s'en croire, - le père.

Par bonheur le myxoedème est rarement congénital. Si les causes qui le

produisent surviennent plus tard, par exemple à huit ou dix ans comme

chez les deux sujets dont nous venons de parler, les transformations évolu-

tives s'arrêtent ou se ralentissent,et toutes celles qui se sont accomplies res-

8 BRISSAUD

*

tent acquises. Aussi voit-on des infantiles de tous les degrés ; et chaque

degré d'infantilisme est déterminé par l'âge auquel l'insuffisance ou l'ar-

rêt de la fonction thyroïdienne a interrompu les phénomènes normaux du

développement. Il y a là comme une sorte de loi de progression dont

l'exactitude nous apparaît de jour en jour plus évidente, au sur et à mesure

que nous enregistrons de nouveaux faits.

Un employé d'administration publique que nous avons l'occasion de

voir souvent est un petit homme à la physionomie enfantine, aux traits ar-

rondis, absolument glabre, et qui passerait facilement pour un adolescent

de-quatorze à seize ans si la peau n'avait été déjà flétrie par un nombre

d'années double de celui qu'il parait avoir. En effet, il a trente-deux ans;

il mesure 1 m. 42 de taille, c'est-à-dire qu'il n'a presque plus grandi

depuis sa première puberté ; et quoiqu'il n'ait jamais eu la seconde, celle

de la virilité confirmée, celle du visage, il a épousé une femme sensible-

ment plus grande que lui, use de toutes la prérogatives du mariage, est

le père, au moins légitime, de deux enfants. Une absence presque complète

de corps thyroïde ne l'empêche pas de se porter à merveille,etil pourrait

remplir son emploi de fonctionnaire avec beaucoup de régularité ; mais

il ne manque pas une occasion ou un prétexte pour s'absenter de son

bureau, pour faire] l'école buissonnière comme un véritable gamin, et il

faut toute la bienveillance de ses chefs, stimulée par de puissantes protec-

tions, pour qu'on ne l'ait pas encore cent fois congédié. Ainsi, voilà un

homme déjà mûr depuis longtemps, chez lequel l'infantilisme ne peut

être mis en doute ; seulement son infantilisme date de la fin de la seconde

enfance.

Si nous voulions multiplier les exemples,nous n'aurions que l'embarras

du choix ; et nous devrions nous borner à signaler de simples diffé-

rences de degré suivant les cas, c'est-à-dire suivant la période de début de

l'insuffisance thyroïdienne. Mais il est un point sur lequel je tiens à

être très catégorique. Les différences de degré n'impliquent pas la simi-

litude rigoureuse des variétés de l'infantilisme chez tous les sujets dont

l'arrêt de développement s'est produit au même o2ge. Il faut résister à cette

tendance en vertu de laquelle la pathologie s'encombre de formules abso-

lues. L'infantilisme n'exclut pas la possibilité d'acquérir la taille normale

ou moyenne, d'abord parce qu'il y a des adolescents de 13 ou 14 ans qui

peuvent ne cesser de grandir qu'après avoir atteint 1 m. 70 ou 1 m. 75,

ce qui est loin d'être rare; puis, parce que l'infantile, pas plus que le

myxoedémateux congénital, n'est fatalement condamné à conserver ses

proportions natives. Nous observons journellement un autre individu

infantile, également fonctionnaire, qui se rapproche du précédent parcette

vague ressemblance qu'ont entre eux tous les enfants : il a 1 m.72 de taille.

l'infantilisme vrai 9

Nous en avons vu qui sont encore plus grands ; bien plus, l'association de

l'infantilisme avec le gigantisme n'est pas exceptionnelle. Du moins,

et c'est là un fait, sur lequel M. Henry Meige a appelé l'attention, si l'in-

fantilisme peut exister seul, on l'observe avec une remarquable fréquence

chez les géants.

Dans une récente et volumineuse monographie, Sante de Sanctis pro-

testa contre l'opinion en vertu de laquelle un géant peut être infantile.Il

ne peut y avoir là qu'un malentendu, car il n'y a pas à s'élever contre un

fait dont l'évidence est éclatante. Nous savons qu'un myxoedémateux de

naissance grandit en conservant les apparences et les rapports de confor-

mation du foetus à terme. Or, si après deux ou trois ans de croissance, sa tête

reste grosse relativement au reste du corps, si ses membres inférieurs ne

deviennent pas plus longs que les membres supérieurs, s'il ne fait pas ses

dents, s'il a le ventre toujours gros et proéminent, s'il a la face ronde, les

joues encore gonflées par une « boule de Bichat » volumineuse,s'il a les yeux

bouffis comme au jour de sa naissance, incontestablement ce myxoedéma-

teux est plutôt un foetus gigantesque qu'un enfant attardé. Aussi ne com-

prenons-nous pas en quoi l'association des deux mots infantilisme et

gigantisme peut choquer M. Santé de Sanctis. Nous avons vu en Espagne

figurer dans les processions religieuses de certaines grandes fêtes, des géants

représentés par d'immenses mannequins affublés de vêtements d'enfants.

Cette pieuse mascarade reproduit une des fantaisies les plus lamentables de

la nature. Assurément il s'en faut de beaucoup que, chez les géants infan-

tiles, la conformation de l'enfant reste indéfiniment associée à une stature

exorbitante ; mais il n'y a pas incompatibilité entre l'une et l'autre, il y

a de petits hommes et de grands enfants ; et ce n'est pas à partir de telle

ou telle division de la toise qu'on est un homme. De même ce n'est pas

au-dessous de telle ou telle division qu'on reste enfant : jeune géant ou

vieux nain, on est homme ou enfant, selon certains caractères morpho-

logiques et certaines aptitudes fonctionnelles, auprès desquels la taille n'a

qu'une importance absolument secondaire.

Cela dit, non seulement je reconnais que la petitesse est habituelle

dans l'infantilisme en général, mais j'accorderai même qu'elle est une

des conditions nécessaires de l'infantilisme complet ; sans elle il n'y

a pas d'infantilisme idéal ! Et j'irai même encore plus loin, en disant qu'elle

peut être à elle seule un signe certain d'infantilisme lorsqu'elle constitue

un cas isolé dans une famille de taille, soit moyenne, soit à plus forte rai-

son supérieure à la moyenne. Quand bien même tous les autres caractères

de l'infantilisme feraient défaut, elle se présente alors comme une anoma-

lie trop extraordinaire pour n'être pas attribuée à la seule cause patholo-

gique qui,en dehors des cachexies incriminées par Lorain,produit les arrêts

10 BRISSAUD

de croissance. Cette cause étant l'insuffisance thyroïdienne, on pourra,

dans les conditions spéciales que je viens de dire, rattacher le prétendu

nanisme essentiel et fortuit au myxoedème, et l'appeler ad libitum myxoe-

dème fruste ou infantilisme monosymptomatique. J'espère que cette con-

cession supprimera tous les désaccords.

La conception de l'infantilisme mono-symptomatique me fait louchera il

un des points les plus controversés de notre sujet. C'est M. Hertoghe

(d'Anvers) qui a découvert les rapports de l'insuffisance thyroïdienne avec

le retard de la soudure des épiphyses. Cetle notion est définitivement éta-

blië. D'ailleurs ce ne sont pas seulement les os longs qui restent en souf-

france, puisque les diamètres du crâne gardent les proportions qu'ils

avaient à la naissance et que la seconde dentition n'a pas lieu si l'infanti-

lisme est antérieur à la chute des dents de lait. Marfan et Guinon ont,

comme Hertoghe,constaté les mêmes faits.Si l'infantilisme se borne à cette

anomalie, il faut que l'insuffisance tyroïdienne, pour avoir un effet si

restreint, ne porte préjudice qu'à une propriété elle-même très spécialisée

de la sécrétion tyroïdienne totale. Les variétés de l'infantilisme ne sont donc

pas exclusivement subordonnées à l'âge de l'hypothyroïdie, ni même au

degré de l'hypothyroïdie; elle sont chacune tributaires d'une qualité spé-

ciale d'hypothyroïdie. Il y a donc autant de variétés d'infantilisme qu'il y

a, si l'on peut parler ainsi, d'hypothyroïdies partielles (1).

(1) Dans une récente communication (1) intitulée : Myxoedème acquis de l'adulte

avec régression sexuelle à l'état prépubère, infantilisme rêversif de l'adulte, dysth-

roïdie et dysorchidie, M. Gandy a relaté les observations fort intéressantes de deux

malades atteints d'une forme d'infantilisme spéciale à l'adulte. Ces deux malades,

l'un de 46 ans, l'autre de 33 ans, ont présenté jadis tous les caractères de l'état

adulte ; les traits étaient virils, la moustache développée, les fonctions sexuelles

normales, etc. Actuellement, ils sont, au point de vue sexuel, de véritables infantiles :

leurs organes génitaux sont atrophiés et ont perdu leurs fonctions ; leurs poils sont

tombés. Cet état .s'est constitué chez le premier malade, vers l'âge de 36 ans, après

une période de fruste myxoedème ; chez le second, vers l'âge de 29 ans après une pé-

riode de myxoedème franc. D'après l'étude de ses malades et l'examen de quelqus rares

observations analogues, M. Gandy suppose que la cause de cet état réside dans un

trouble thyroïdien, peut-être compliqué par la dysorchidie et lui donne, en raison de

ses caractères particuliers le nom d'infantilisme réversi/.

L'intéressante communication de M. Gandy sur l'infantilisme réversif nous a en-

gagé à rapporter l'histoire d'une malade que nous avons eu l'occasion d'observer,

M. Bauer et moi, à l'Ilôtel-Dieu, il y a deux ans (2).

Comme les malades de M. Gandy, la jeune femme dont il s'agit est parvenue nor-

malement à l'état adulte ; puis quelque temps après une grossesse, les premiers signes

d'un état d'infantilisme apparurent et s'accusèrent peu à peu. A l'autopsie de cette

malade morte de péritonite tuberculeuse nous avons pu constater le petit volume du

(1) Bulletin do la Société médicale des hôpitaux de Paris, 13 décembre 1906.

(2) Un cas d'infantilisme « réeersif » avec autopsie, par MM. BRISSAUD et BAUER, Soc. mëd. des hopi-

taux, Il janvier 1807.

L'INFANTILISME VRAI H t

De cela il ne faudrait pas chercher la preuve ailleurs que dans les mille

exemples que nous avons chaque jour sous les yeux. Dès l'instant que l'in-

fantilisme total est, comme le myxoedème, toujours de cause thyroïdienne

et rien que thyroïdienne, de quel droit viendrait-on attribuer l'infanti-

corps thyroïde et des organes génitaux. Son observation vient donc à l'appui de l'in-

terprétation de M. Gandy. La voici :

P..., 29 ans, domestique, entre le 20 octobre 1904, salle Ste-Madeleine, à l'Hôtel-

Dieu. Elle a été prise la veille d'un ictus apoplectique suivi d'hémiplégie droite avec

aphasie.

Une maladie mitrale dûment caractérisée nous fait porter le diagnostic d'hémiplé-

gie par embolie d'origine cardiaque. Après quinze jours de repos à l'hôpital, l'hémi-

plégie et l'aphasie s'atténuent et peu à peu la guérison de ces accidents s'effectue

complète. Mais la malade sujette à des accès fébriles passagers, présente bientôt les

premiers symptômes d'une péritonite tubercuieuse à évolution subaiguë, dont elle

meurt en avril 1905.

Voici, de l'observation de cette malade, ce qui nous intéresse actuellement : dès

notre premier examen, l'aspect infantile du visage et du corps de cette jeune femme

nous frappe ; son visage pâle, légèrement bouffi, est celui d'une toute jeune fille ; ses

seins sont peu développés, son corps presque dépourvu de poils (sourcils, très rares,

absence complète de poils sous les aisselles et sur le pubis ; les cheveux d'un blond

vénitien, sont secs et peu abondants).

Lorsque la malade, guérie de son aphasie, peut nous raconter son histoire, elle nous

apprend que durant sa jeunesse elle a toujours été bien portante ; son développement

s'est accompli de façon normale ; elle a été réglée vers l'âge de quinze ans.

A vingt ans, elle a une grossesse et elle accouche, au huitième mois, d'un enfant

qui meurt quelques jours après sa naissance. A partir de cette époque ses règles ces-

sent de paraître ; ses seins se modifient, diminuent de volume ; ses poils tombent et

ses cheveux aussi, mais plus lentement. Peu à peu elle devient très pâle ; les traits

de son visage s'épaississent ; sa voix change de timbre, devient grêle et monotone ;

son tempérament est apathique. Elle est sujette à de fréquents maux de tête, à une

sensation de lassitude continue.

Pendant son séjour dans notre service, plusieurs examens de sang sont pratiqués et

nous prouvent que la pâleur ne peut être attribuée à une diminution sensible du

nombre des globules rouges : en décembre 1904, nous comptons 4,357,000 globules

rouges et 9,300 globules blancs ; en 1905, 3,926,400 globules et 17,360 globules blancs.

La bouffissure du visage, les maux de tète fréquents, l'apathie générale ne sont pas

en rapport avec des troubles importants de l'élimination urinaire. Longtemps les

urines ne contiennent aucune trace d'albumine, et sur le tard seulement, en février

1905, elles présentent un léger voile. Elles sont abondantes, 2 lit. 1/2 à 3 lit. 1/2 par

jour, mais par ailleurs sont normales, sauf une petite diminution de l'élimination

chlorurée, en rapport sans doute avec l'alimentation de la malade (régime lacté pres-

que exclusif).

L'histoire clinique de cette malade est donc des plus caractéristiques : développement

normal jusqu'à vingt ans ; grossesse à partir de cette époque, disparition progressive

des caractères physiques de l'état adulte, apparition d'un état d'infantilisme tardif

avec tendance au myxoedème.

Les résultats de l'autopsie nous donnent enfin des renseignements intéressants.

Nous n'insisterons pas sur les lésions graves qui causèrent la mort de la malade :

endocardite et symphyse péricardique probablement tuberculeuses, péritonite tuber-

culeuse généralisée et salpingo-ovarite gauche. Les faits sur lesquels nous attirerons

l'attention sont les suivants : le corps thyroïde ne pesait que 15 grammes, mais il était

12 BRISSAUD

lisme partiel à une cause autre que l'insuffisance partielle de la fonction

thyroïdienne ? Le langage courant,sans se préoccuper de pathogénie,à con-

sacré la réalité du fait. A qui n'est-il pas arrivé de faire une remarque

comme celle-ci : « C'est curieux comme un tel, malgré son âge, sa sagesse

et sa raison, est enfant par certains côtés. » Il l'est en effet, et seulement

par certains côtés, car il n'a jamais cessé et il ne cessera jamais de l'être.

Tel autre sera resté enfant par la seule conformation des traits, par l'as-

pect général du visage et par la physionomie. Tel autre le sera à la fois par

les mêmes caractères et par d'autres encore : il y a des gens,par exemple,qui

conservent leurs premières dents jusqu'à un âge avancé ; certains hommes

de robuste constitution n'ont jamais eu de barbe... Enfin si on passe en

revue un il un tous les attributs morphologiques ou fonctionnnels de

l'infantilisme, n'en est pas un seul dont l'absence ne puisse être attribuée

à une hypothyroïdie partielle.

La multiplicité des fonctions de la glande thyroïde explique non seule-

ment la multiplicité des formes de l'infantilisme, mais encore (avec leurs

spécialisations), la simplicité ou la complexité de leurs combinaisons.

Depuis longtemps l'étude des formes frustes de la maladie de Basedow

nous a rendu familières des constatations analogues. Ici encore, il s'agit

d'un trouble de la fonction thyroïdienne. Pierre-Marie a démontré que

certains sujets atteints pendant de longues années de goitre simple pou-

vaient, à un moment donné, verser dans la cachexie exophtalmique.

La maladie de Basedow se manifeste donc, au moins pour ceux-là,comme

une conséquence directe d'une altération primitive de la glande thyroïde.

Cependant combien de variantes n'observe-t-on pas parmi tous les cas que

nous fournissent journellement les hasards de la clinique ? Chez tel malade

c'est à peine si la thyroïde est hypertrophiée ; chez tel autre le symptôme

dominant est l'exophtalmie; chez un autre encore l'exophtalmie fera défaut,

mais la tachycardie, le tremblement, la diarrhée, la boulimie paroxystique

seront suffisamment caractéristiques pour que le diagnostic n'hésite pas un

seul moment. Graves et Basedow avaient déjà mentionné le goitre exophtal-

d'apparence normale. L'ovaire gauche était très malade (salpingo-ovarite gauche),

l'ovaire droit était petit (volume d'une amande sèche), et dur, d'apparence scléreuse.

L'utérus avait les dimensions de celui d'unejeune fille.

En résumé, l'histoire de cette malade peut être en tous points superposée aux ob-

servations présentées par M. Gandy.

Mais nous ferons remarquer que l'infantilisme de notre malade, pas plus que celui

des malades de M. Gandy, ne mérite, à vrai dire, le qualificatif de réversif.

D'une part, l'infantilisme n'est pas réversif ; d'autre part, s'il est vrai que dans ces

observations il y a une apparence de retour vers l'état infantile, il ne s'agit pas ce-

pendant d'une régression. Peut-être serait-il juste de classer ces faits sous le nom

d' infantilisme tardif ou, si l'on veut, de « réversion infantile ». Nous n'insisterons

pas sur cette petite querelle de mots.

l'infantilisme VRAI 13

mique sans goitre. Il est vrai que, même si le goitre fait défaut, l'examen

histologique prouve qu'il existe toujours une lésion. Mais que conclure de

tout cela sinon que les différences d'intensité, et, qui plus est, de nature

des symptômes relèvent de différences anatomiques impossibles à recon-

naître sur le vivant ? Dès lors n'est-on pas invinciblement porté à croire que

la glande n'est pas toujours troublée de la même façon dans sa fonction

complexe, et que, suivant les variétés de troubles, régies elles-mêmes par

les variétés d'altérations épithéliales,la maladie se manifeste par autant de

variétés cliniques ?

Cette question de l'infantilisme partiel nous fait entrevoir sous un nou-

vel aspect certaines manifestations ou certains signes de dégénérescence

dont la pathogénie était restée obscure. Nous avons fait allusion à l'infan-

tilisme purement psychique. Sante de Sanctis y insiste. Il attire l'attention

sur une catégorie d'enfants « retardataires, d'humeur égale, de maintien

correct, affecteux le plus souvent, au moins dans la forme, mais sujets à

des impulsions et sans ordre dans leur conduite. Extrêmement vaniteux,

jaloux, crédules, même collectionnistes, imitateurs, joueurs, ils ont une

imagination très pauvre et des raisonnements à courte portée ; incapables

d'idées générales, réfractaires aux idées d'espace et de temps, ces « psycho-

infantiles » ne sont pourtant pas des imbéciles ; ils s'en distinguent sur-

tout par le caractèreje maintien et la logique spéciale des enfants, qui est

une logique brutale et impeccable». Sante de Sanctis incline à croire que

l'infantilisme psychique est un syndrome de haute valeur et que sa pa-

thogénie est analogue à celle des autres infantilismes partiels. Il invoque à

l'appui de cette opinion le fait d'une jeune fille sujette à des augmenta-

tions et des diminutions évidentes du volume du corps thyroïde et chez

laquelle ces variations d'état de la glande correspondaient à « des change-

ments alternants et inverses de l'état psychique ». Lorsque le corps thy-

roïde diminuait de volume elle n'était plus capable de lire, de réfléchir

un peu longtemps. Elle riait, elle pleurait avec la plus grande facilité,

elle ne pensait qu'à jouer, elle devenait vaniteuse et extrêmement timide.

A cet égard, nous étions depuis bien longtemps d'accord avec M. Santé

de Sanctis. Si les infantilismes partiels, y compris l'infantilisme psy-

chique, résultent d'une insuffisance thyroïdienne partielle, ou, pour mieux

dire spéciale, il n ? y a plus lieu de tant s'étonner de certains phénomènes

où apparaît confusément l'action d'un trouble en 'sens inverse, de la

même fonction glandulaire. Comme l'a très bien dit Ausset, chaque âge

a son infantilisme. J'ajouterai : chaque âge peut avoir son infantilisme

partiel. Le spécimen le plus prodigieux que l'histoire en ait enregistré

est celui du fameux Heinecken. Cet enfant né à Lübeck en 1721 ne

vécut que cinq ans, et jusqu'à sa mort ne se nourrit que du lait de sa

14 BRISSAUD

nourrice. Mais dès sa naissance son intelligence se révéla stupéfiante.

Au bout de peu de jours il comprenait tout ce qu'il entendait dire. Il sut

parler presque immédiatement; à un an il connaissait tous les faits signa-

lés dans le Pentateuque ; à deux ans il avait appris et retenu la plupart

des événements de l'histoire ancienne et moderne. Il savait merveilleu-

sement la géographie, Sa langue maternelle était l'allemand, mais il

s'exprimait couramment en français et en latin. A quatre ans on le pré-

senta au roi du Danemarck : entre deux tétées il lui adressa un compli-

ment.

Parmi les enfants prodiges, Heinecken détient encore le record. Mais

après tout, pourquoi ce record ne serait-il pas battu ? Une puériculture

ingénieuse peut seconder les caprices de la nature. Il n'y a pas de limite

à la prématuration...

Mais ce qui fait l'intérêt du cas d'Heinecken c'est que ce malheureux être,

dont l'intelligence fut d'une précocité inouïe, était en même temps qu'un

prématuré, un infantile; car il succomba presque aussitôt après son tardif

sevrage. On aurait beau prétendre en dépit des documents les plus dignes

de foi, que la courte vie d'Heinecken a été embellie par la légende. Ce-

pendant il n'y a, dans ce fait de prématuration psychique, rien de plus

surprenant que dans les faits de prématuration génésique. Ceux-là sont in-

nombrables et authentiques. La puberté peut être congénitale,et la mens-

truation a été constatée périodique et régulière chez des petites filles à par-

tir de la naissance. Or si l'on considère que la thyroïdectomie suffit pour

supprimer la menstruation et la puberté, il est bien évident qu'une surac-

tivité partielle de la fonction thyroïdienne peut, seule, produire ces pré-

maturations également partielle ; et cela est fort heureux pour les mères.

Au rebours de l'hypothyroïdie partielle qui fait des infantilismes partiels,

l'hyperthyroïdie partielle peut donc donner lieu à des anomalies déconcer-

tantes au premier abord. A l'étude de l'infantilisme on a récemment joint

celle du puérilisme, du féminisme, du masculinisme. En particulier le

masculinisme a fait l'objet d'un travail fort curieux de Mérillon sur la

seconde puberté. Les femmes n'ont pas de seconde puberté, telle est la

règle. Molière fait dire à Arnolphe : « Du côté de la barbe est la toute-

puissance ». Mais, chose curieuse, les femmes à barbe ne revendiquent pas

cette toute-puissance. Si elles tiennent à leur barbe, autant que leur barbe

tient à elles, il faut que leur destinée s'accomplisse : elles veulent rester

les très humbles servantes de l'homme ; et les hommes leur trouvent en-

core assez de charmes pour les rechercher. Presque toutes se marient, en

justes noces, et restent pour la plupart épouses irréprochables. Une fois

mères, martiales et tendres, elles cumulent toutes les vertus de la nour-

rice et du sapeur.

l'infantilisme vrai ' 15

Et que dire du féminisme ? Sa parenté avec l'infantilisme n'a pas seu-

lement frappé les médecins. J'ai relevé dans les Lundis de Sainte-Beuve

le passage suivant de Lamennais emprunté à l'écrit intitulé : Affaires de

Borne ; voici comment Lamennais parle du cardinal de Rohan :

« Extrêmement frêle de complexion et d'une délicatesse féminine,

jamais il n'atteignit l'age viril : la nature l'avait destiné vieillir dans

une longue enfance ; il en avait la faiblesse, les goûts, les petites vanités,

l'innocence : aussi les Romains l'avaient-ils surnommé il Bambiazo. Un

homme tel que celui-là est toujours conduit par d'autres qui ne le valent

pas.. » Sainte-Beuve ajoute : « Cette coquetterie féminine de toilette que

j'ai relevée dans l'abbé de Choisy,le cardinal de Rohan l'avait au plus haut

degré, et une riche dentelle qu'il revêtait avec grâce était pour lui un sujet

de satisfaction et de triomphe. Il l'essayait longtemps devant son miroir,

et il avait la faiblesse de s'en souvenir jusqu'en montant les degrés de

l'autel. »

Dans tous ces faits concordants, à quel titre et par quel processus la

sécrétion thyroïdienne agit-elle sur les phénomènes trophiques, soit pour

les accélérer soit pour les ralentir ? A cet égard je ne suis pas mieux ren-

seigné que Lamennais ou Sainte-Beuve. Mais l'action hypocrinique ou

métacrinique est indéniable et il semble même que, peu après la naissance,

cette sécrétion soit seule à exercer une pareille influence.

Sante de Santis émet une opinion différente : l'infantilisme n'aurait

pas une pathogénie univoque. En d'autres termes, il y aurait à incri-

miner des lésions glandulaires multiples.

Achaff, Babinski, Cardile et Fiorentini, Ponfick ont attiré l'attention

sur les lésions de l'hypophyse dans le myxoedème. Babinski a publié un

cas d'infantilisme génital avec tumeur épithéliale de l'hypophyse. Nuzzari

a autopsié un cas où il a trouvé la persistance du thymus, l'atrophie de la

tyroïde, des altérations graves de l'hypophyse... Les citations pourraient

êlre multipliées ; mais j'avoue que, jusqu'à plus ample informé, elles

ne me semblent pas constituer des arguments de sérieuse valeur. D'abord

deux objections fondamentales peuvent leur être opposées.

La première est que le trouble thyroïdien, appelé hypothyroïdie par

Hertoghe, est suffisant pour créer soit le myxoedème, soit l'infantilisme,

et que les types les plus complets de l'un et de l'autre appartiennent aux

cas d'ordre chirurgical ou opératoire ; donc, nul doute que la lésion de la

glande thyroïde et rien que de cette glande suffise. La seconde objection

repose sur ce fait que la multiplicité des lésions des glandes à sécrétion

interne ne saurait jamais prouver, en soi, l'importance ni même la réa-

lité du rôle pathogénique de ces glandes. En particulier, lorsqu'il s'agit de

myxoedème congénital (comme dans toutes les observations évoquées par

16 . BRISSAUD

Santé de Sanctis), la simultanéité de plusieurs lésions distinctes est con-

forme à cette loi formulée par Geoffroy St-Hilaire, en vertu de laquelle il

n'y a pas d'anomalies isolées. Une anomalieen appelle forcément une autre ;

et dans cet ordre d'idées nous nous rallions absolument à la thèse récem-

ment soutenue par notre collègue Magalhaes Lemos (de Porto),qui voit dans

tous les cas d'infantilisme général ou partiel des syndromes de dé-

générescence.

Pour en finir avec l'infantilisme vrai ou infantilisme thyroïdien, est-il

nécessaire d'ajouter encore que son autonomie n'est en rien compromise

par les imperfections qui en altèrent la pureté. Les descriptions théoriques

sont toujours des schémas. Les caractères morphologiques de l'enfant, pas

plus que ceux de l'homme fait, ne sont immuables. L'Antinous du Vatican

exprime la parfaite harmonie des formes juvéniles ; mais cette expression

comporte une concession préalable au génie du statuaire qui s'est plu à

condenser en une seule figure tous les éléments de la beauté. C'est une

synthèse dont la nature n'est pas coutumière. Pas davantage la clinique

n'est coutumière des synthèses ou des schémas pathologiques. D'ailleurs,

la nature et la clinique (c'est tout un) sont versatiles et quelquefois mo-

difient leur oeuvre, avec le concours du temps, leur grand collaborateur.

L'infantilisme peut n'être que passager. Un collégien de 17 ans, resté

enfant à tel point qu'il était la risée de ses camarades, se met tout à coup

à brûler les étapes et devient en quelques mois un homme robuste et

de haute stature. Une femme de 27 ans, déjà mère de deux enfants, gran-

dit de plusieurs centimètres au cours d'une troisième grossesse. Enfin le

traitement thyroïdien, exclusivement thyroïdien, sans adjonction d'autres

extraits glandulaires, exerce une action miraculeuse sur toutes les formes

du véritable infantilisme. En résumé, nous voyons l'infantilisme sous tous

ses aspects et même à l'état rudimentaire se manifester comme un symp-

tôme ou un syndrome d'hypothyroïdie.

Et maintenant, pour conclure, que trouvons-nous de commun entre

l'infantilisme vrai et cette athrepsie spéciale de la seconde enfance et de

l'adolescence à laquelle Lorain avait donné un nom si étrangement choisi ?

Tandis que les véritables infantiles peuvent être des grands enfants, ceux-

là ne sont jamais que des petits vieux. La cause du retard du développe-

ment ne laisse pas persister les attributs de l'enfance. Elle frappe tous

les organes, tous les tissus, et n'épargne pas les cartilages de croissance

qui, lents à proliférer, s'ossifient à, leur heure. Toutes les intoxications

et toutes les toxi-infections qui mènent l'organisme à la longue, et en

quelque sorte goutte à goutte, aboutissent au même résultat. A ce titre

l'insuffisance vasculaire est à la fois un effet etune cause ; et l'infantilisme

que nous avions qualifié d'a)Mu ? opMMe est toujours invariablement le

l'infantilisme vrai 17

même, qu'il provienne indirectement de la pellagre (Agostini), ou delà

syphilis (Fournier),ou de l'alcoolisme (Lombroso), ou du paludisme (Lan-

cereaux).

Mais il va de soi que l'état de malaise des organes est assez général pour

que les phénomènes de croissance n'évoluent pas avec la régularité qu'exige

le développement complet à l'âge voulu. C'est le ralentissement circula-

toire provoqué et entretenu par une compression méthodique qui pro-

duit artificiellement l'atrophie du pied de la Chinoise. C'est le bistournage

qui réduit à néant les organes témoins. C'est la lésion des centres vaso-

moteurs spinaux qui détermine l'arrêt de développement en masse d'un

membre frappé de paralysie infantile au cours de la première ou de la se-

conde enfance. Dans tous ces cas l'intervention du corps tyroïde est nulle.

Mais si, du fait de l'athrepsie,ou d'une malformation cardiaque,ou d'une

aplasie artérielle, et, à plus forte raison, de toutes ces causes réunies, tout

l'organisme est en souffrance, alors la sécrétion thyroïdienne se tarit ;

car toutes les glandes subissent le même dommage, et le syndrome du

myxoedème s'ajoute à la dystrophie préexistante. La complexité du tableau

clinique ne permet plus de reconnaître la part de responsabilité de la lé-

sion thyroïdienne secondaire, mais il ne s'ensuit pas que l'autonomie de

l'infantilisme vrai, primitif, dysthyroïdien, soit en rien compromise.

xx 2

HOSPICE DE B1CÉTRE

DES SYMPTOMES CATATONIQUES

AU COURS DE LA.

PARALYSIE GÉNÉRALE

PAR

J. SÉGLAS,

Médecin de l'hospice de Bicêtre.

Il y a une vingtaine d'années, Knecht (ALIy. Z. f. Psych., 1886), dans

un intéressant travail, signalait l'existence des symptômes catatoniques

dans la paralysie générale. Bien que confirmé depuis par d'autres obser-

vateurs, ce fait semble n'avoir pas retenu spécialement l'attention. Il

n'est pas rare cependant de noter par intervalles, dans le tableau clinique

si varié de la paralysie générale, quelques symptômes dont la réunion re-

produit un état catatonique suffisamment caractérisé pour que, dans cer-

taines circonstances, au début de la maladie, en l'absence de signes phy-

siques, le diagnostic de l'affection fondamentale ne soit pas sans offrir

quelque difficulté.

Nous rappellerons brièvement que l'état catatonique peut se présenter

sous deux aspects, l'excitation ou la stupeur catatoniques. La symptoma-

tologie des états de stupeur catatonique est assez complexe. Outre le fond

de stupeur d'intensité variable, allant de la simple confusion à la stupeur

complète, elle comporte un certain nombre de symptômes plus spéciaux,

au premier rang desquels se placent les manifestations de négativisme

(contradiction et opposition, raideurs musculaires,.....), de suggestibilité

(états calaleptiformes, écholalie, échomimie ..), les stéréotypies (gestes,

attitudes, paroles...).

C'est généralement sous cette forme que se manifestent à l'observateur

les états catatoniques au début ou dans le cours de la paralysie générale.

En voici deux exemples :

Observation 1

B..., 38 ans. Syphilis; tabes antérieur, puis paralysie générale dont les

premiers symptômes remontent à 4 ans à peu près,avec troubles du caractère,

excitabilité, besoin d'activité sans motif ; plus tard symptômes caractérisés

SÉGLAS. DES SYMPTÔMES CATATONIQUES 19

d'excitation avec délire mégalomaniaque. Courte rémission et retour de l'exci-

tation avec délire des grandeurs, qui brusquement fait place à une phase de

stupeur avec raideurs musculaires, constriction des mâchoires, refus d'aliments,

mutisme. Ces symptômes ne durèrent qu'une quinzaine de jours, après les-

quels l'agitation reparut, mais plus modérée, sans délire mégalomaniaque bien

caractérisé, avec seulement de la satisfaction simple. Puis ces symptômes eux-

mêmes entrèrent en rémission, et la maladie ne se présentait plus que sous un

aspect banal de démence simple de plus en plus accentuée, lorsqu'au cours

de 1905 le malade, jusque-là docile, commença sans aucun motif à se montrer

désagréable, entêté, colère, grincheux, manifestant un esprit de contradiction

continuel, refusant de faire tout ce qu'on lui demandait, de se vêtir, de faire

sa toilette, de manger à l'heure des repas, d'uriner, d'aller à la garde-robe, si

bien qu'on dut recourir à des lavements et sondages journaliers. Puis il finit

par tomber dans un état de stupeur complète, passant ses journées immobile

au lit ou dans un fauteuil, sans prononcer une parole, les membres raides, les

yeux fermés ; les mâchoires serrées rendant l'introduction des aliments très

difficile. Ces symptômes persistèrent presque deux mois. Puis le malade

sortit de sa stupeur et revint à son état antérieur de dément simple, aussi

docile qu'auparavant. Quelques mois plus tard, à la suite d'une série d'ictus,

est survenue une phase d'excitation avec idées de satisfaction et de richesses.

Voilà donc une. observation de paralysie générale au cours de laquelle

on voit à deux reprises se manifester un état catatonique, bien caractérisé.

Le diagnostic ne présentait ici aucune difficulté, puisqu'il s'agissait d'une

paralysie générale avérée, reconnue déjà comme telle depuis longtemps.

Il n'en est pas de même dans le cas suivant, en raison de l'existence, au

début de l'observation, de l'état catatonique et de l'impossibilité qui en

résultait de pratiquer un examen physique complet. Bien que l'on fût en

garde contre l'existence possible d'une paralysie générale, le diagnostic

définitif dut rester un certain temps en suspens.

Observation II

M.. Georges, 35 ans, tapissier, entre à l'hospice le 8 mai 1899, venant de

l'asile Ste-Anne, avec le certificat d'admission suivant : « Dégénérescence

mentale avec hallucinations, troubles de la sensibilité générale, préoccupations

hypochondriaques, idées mélancoliques, mystiques et de persécution n (fi juin).

A son entr6e, le malade se présente dans un état de mutisme presque com-

plet. Il est absolument inerte ; on ne peut fixer un instant son attention, ni

pratiquer même un examen physique. Il est placé en observation.

Les jours suivants, l'inertie reste la même ; mais il prononce quelques

paroles suffisantes pour dénoter une confusion extrême des idées, une déso-

rientation complète. Il reste en général immobile, debout à la même place qu'il

ne quitterait pas, si on ne venait l'en tirer. De temps à autre, il sort de cette

20 . SÉGLAS

immobilité pour s'agenouiller, la tête entre ses mains et il reste alors un temps

indéfini dans cette position.A d'autres moments, reste étendu à terre les bras en

croix. On est obligé de le faire manger. Examen physique toujours impossible.

Le 15 juin, le malade est dans un état de stupeur complète : mutisme,

mêmes attitudes stéréotypées, raideurs musculaires. - Il passe la plus grande

partie de ses journées dans la cour, à la même place, debout au pied d'un ar-

bre, immobile, la tête fléchie, les bras pendant le long du corps ; lorsqu'on l'ap-

proche, il semble se contracter sur lui-même ; on ne peut arriver à lui relever

la tête, il ouvrir la bouche, à détacher les bras du corps, à vaincre son immo-

bilité ; en le tirant par son vêtement, on l'entraîne tout d'une pièce comme une

statue de bois et il ne fait un mouvement des jambes que pour retrouver instinc-

tivement son équilibre. Il ne sortde'cet état qu'une fois installé tant bien que

mal au réfectoire, en face de ses aliments qu'on est obligé de lui faire prendre,

mais qu'il ne refuse pas.

Cette phase persiste un peu plus d'un mois jusqu'au 25 juillet et fait place

à une excitation modérée avec optimisme, bavardage incohérent ; affaiblisse-

ment intellectuel considérable, embarras de la parole, inégalité pupillaire,

signe d'Argyll, trémulation de^la langue, des lèvres, des mains; réflexes rotu-

liens abolis, signe de Homberg ; paralysie générale manifeste ; syphilis à

20 ans. Jusqu'à sa mort (13 mars 1901), M.. n'a présenté aucun autre épisode

rappelant celui de l'entrée.

Des observations de ce genre, on peut tout naturellement rapprocher

celles dans lesquelles on observe seulement au cours de la paralysie géné-

rale, à l'état isolé, quelques-uns des éléments du syndrome catatonique

(manifestations de négativisme, de suggestibilité, stéréotypies...). Il ne faut t

pas oublier, en effet, que, s'ils font partie intégrante de la démence dite

catatonique où le syndrome atteint son maximum de développement, ils

peuvent cependant se rencontrer dans d'autres formes morbides.

Nous nous occuperons d'abord du négativisme.

Sans nous attarder à discuter l'extension plus ou moins grande attribuée

par différents auteurs à la signification de ce terme, nous nous bornerons

à rappeler que le négativisme, dans ses manifestations les plus nelles, se

traduit surtout par la contradiction dans les discours, l'opposition dans

les actes, et les résistances ou raideurs musculaires. Ces trois aspects ob-

jectifs du négativisme sont souvent associés et se contrôlent ainsi au besoin

l'un par l'autre dans le cas où le diagnostic séméiologique pourrait

autoriser quelqu'hésitation.

Dans un travail sur la catatonie, publié en collaboration avec notre

collègue et ami le D" Chaslin (arcs. de Neur., 1888) nous avons signalé

deux cas de raideurs musculaires catatoniques chez des paralytiques gé-

nérales. Chez l'une d'elles surtout, qui avait l'habitude de tenir ses mem-

Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XX. PI. I

A

B

SYMPTOMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GENERALE

DES SYMPTÔMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 21

bres en flexion forcée, on s'était vu obligé d'appliquer des appareils ap-

propriés aux bras et aux mains afin d'éviter les ulcérations qu'auraient

pu produire les ongles. Il n'y avait d'ailleurs ni contractures, ni rétrac-

tions.

Nous avons vu tout à l'heure chez nos deux premiers malades des symp-

tômes nombreux de négativisme au cours des états catatoniques qu'ils ont

présentés.

En voici encore deux autres exemples :

' Observation III

M... Julien, employé, 41 ans à l'entrée, le 31 janvier 1903. Paralysie géné-

rale dont le début apparent remonte au mois de décembre 1894, s'étant carac-

térisé par des symptômes d'affaiblissement intellectuel, des idées ambitieuses

incohérentes, achats inconsidérés, excitation par intervalles ; signes pupillaires,

embarras de la parole... Au bout d'un an, la malade présenta une très longue

période de rémission qui dura à peu près jusque au commencement de décem-

bre 1902. A cette époque il fut repris d'une phase d'excitation très violente,

avec délire très actif où s'entremêlent les idées les plus diverses de grandeur,

de persécution, d'empoisonnement, etc.... ; propos incohérents, actes désordon-

nés, agitation violente ; le malade déchire ses vêtements, même le maillot, et

reste la plupart du temps nu dans une cellule capitonnée. Tremblement de la

langue, accrocs de la parole; inégalité pupillaire ; Argyll ; réflexes tendineux

légèrement exagérés. Cet état persiste sans modification sensible pendant près

de deux ans et demi. Ce n'est seulement qu'au mois d'août 1905 que l'excita-

tion tombe et fait place à un affaiblissement progressif et notable des forces

physiques.

En janvier 1906 le malade est très affaissé, plongé dans un état d'inertie

dont il ne sort que pour faire opposition et résistance à tout ce qu'on veut lui

faire faire ; il crie, se débat lorsqu'on veut le lever, l'habiller, le faire uriner,

l'alimenter. Le mot « non » qu'il répète à ces moments constitue à peu près

tout son vocabulaire. Il finit par rester au lit, pelotonné sur lui-même, recro-

quevillé en chien de fusil. On a beauconp de peine à modifier cette attitude

dans laquelle il s'immobilise au lieu de crier et de se débattre comme dans la

phase précédente. Néanmoins on peut y arriver par différentes manoeuvres des-

tinées surtout à tromper la vigilance du malade et' qui permettent de s'assurer

qu'il n'y a pas de contracture réelle et que la raideur musculaire n'est qu'une

réaction de défense, d'opposition négativiste. Alimentation difficile, mais ne

nécessitant pas la sonde. Cet état dure un peu plus d'un mois; puis disparaît et

le malade, s'affaiblissant de plus en plus, succombe dans le marasme paralyti-

que le 21 juillet 1906.

Observation IV

B..., 40 ans, présentait depuis quelques mois des signes manifestes de paraly-

sie générale à forme démente simple, lorsqu'est survenue une courte phase

22 SÉGLAS

d'agitation anxieuse avec quelques idées hypochondriaques de négation, puis

une confusion des idées extrême et une sorte de délire onirique dans lequel

le malade se croit transporté dans un monde nouveau et étrange. Au bout de

trois semaines il se calme, ne manifeste plus d'idées délirantes et semble

reprendre possession de lui-même. Mais une dizaine de jours après il tombe

graduellement dans un état de demi-stupeur, ne répondant guère aux ques-

tions que par quelques grognements ou le mot « non » ; puis il refuse de

se lever. Il reste dans son lit, couché sur le côté gauche, pelotonné sur lui-

même, les jambes repliées en demi-flexion, les bras également demi-uéchis et

appuyés sur la poitrine, les yeux fermés. Si on le découvre pour l'examiner,

on le voit immédiatement se raidir et au moindre attouchement il se contracte

sur lui-même en exagérant son attitude de flexion. Les mâchoires sont serrées.

l'introduction des aliments impossible et il est nécessaire pour soutenir le

malade de recourir à la sonde oesophagienne qu'il finit, au bout de quelques

séances, par accepter passivement.

Cette crise d'opposition négativiste ne dura à ce degré qu'une quinzaine de

jours ; elle céda en s'atténuant progressivement ; la stupeur persista plus Ion-

temps, puis disparut également, pour faire place à une phase de rémission de

plusieurs mois. Le malade fut pris ensuite d'une courte période d'excitation

pendant quelques jours, au bout desquels il fut emporté dans une série d'ictus

épileptiformes.

En regard du négativisme se placent les phénomènes dits de suggestibi-

lité : conservation cataleptoïdes des attitudes provoquées, écholatie, écho-

praxie, les symptômes sont beaucoup plus rares que les précédents dans

la paralysie générale ; aussi l'observation suivante n'en est-elle que plus

curieuse à cet égard :

Observation V (PI. If)

G... Cyprien, 28 ans, ébarbeur, entre le 17 mars 1905. Père « braque »,

grand buveur ; 4 frères ou soeurs ont eu des convulsions de l'enfance.

Caractère plutôt sombre ;' intelligence moyenne : apprenait convenable-

ment en classe : bon ouvrier; pas de maladies antérieures.

A la suite de chagrins de famille, occasionnés par le départ de sa femme et

son divorce, en juin 1904, il a commencé à présenter des troubles nerveux ;

agitation, insomnie ; fugues ; idées de grandeur et de richesses.

Au bout de 2 mois il a pu reprendre son travail ; mais il était devenu plus

sombre, ne causait pas, ne voulait pas sortir seul, manifestant à tout propos

des idées de persécution. (A l'atelier, ses camarades lui en voulaient, lui fai-

saient faire des bêtises ; dans la rue, on s'occupait de lui ; les voisins bavar-

daient sur son compte, disaient qu'il avait des poux...)

Pas d'habitudes alcooliques.

C'est dans cet état qu'il est entré dans le service. La recherche des signes

physiques est négative, la malade est calme ; plutôt légèrement déprimé ; ses

Nouvelle ICOaOGhAPHIE DE la Salpêtriére. T. XX. PI. II

G

D

SYMPTOMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GENERAL !

DES SYMPTÔMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 23

idées de persécution ne sont que des interprétations délirantes sans aucune

systématisation.

Au commencement de mai, elles deviennent plus actives, se mélangent à

des idées d'auto-accusation. « On lui reproche d'avoir volé du linge, etc., il a

commis des crimes qu'il ne peut préciser. » Confusion notable des idées. Pas

d'embarras de la parole, pas de signes pupillaires, pas de troubles des réflexes.

Attitudes cataleptiformes. Les membres conservent les attitudes fatigantes

qu'on leur imprime pendant un temps assez long, une dizaine de minutes,

sans oscillations, sans symptômes d'effort (PI. II).

30 mai. - Mêmes idées de persécution, mais le malade est de plus en plus

confus et incohérent.

Il conserve encore ses attitudes cataleptiformes provoquées. De plus, il suffit

d'exécuter des mouvements donnés devant lui pour qu'il les répète immédiate-

ment (échopraxie). De même il a une tendance à répéter les derniers mots ou

les dernières syllabes des mots qu'il entend prononcer (écholalie).

18 juin. Excitation ; grande confusion des idées : hallucinations ; cris,

chants, ses camarades l'accusent d'avoir mis le feu, de brûler le linge ; on a

tué ses parents, on veut le tuer parce qu'il a brûlé la France.

Cette période dure une huitaine de jours et se termine par des exercices de

gymnastique, boxe, chausson, courses autour du préau, le pantalon dans les

souliers, « pour s'entraîner ».

Pas de signes physiques constatables, grosse lymphocytose.

26 juin.- L'agitation a cessé ; le malade est calme, ne manifeste plus d'idées

délirantes aussi actives. Il ne lui reste plus, dit-il, qu'un certain « cafard »

qui a élu domicile à la racine du nez et qui le tourmente de temps en temps.,

Cependant il revient à plusieurs reprises sur ses' anciennes idées de persécu-

tion.

Pas de troubles nets de la parole ; pas de signes pupillaires, pas de tremble-

ment des mains ; tremblement de la langue très manifeste. Reflexes tendineux

légèrement exagérés pas de Ramberg. Persistance des attitudes cataleptifor-

mes provoquées (PI. II). Pas de vertiges, ni de titubation ; marche facile,

ferme et assurée ; pas d'incoordination ni d'asynergie motrices ; force muscu-

laires conservée.

7 novembre. - Satisfaction puérile, pas de délire.

Parole suspecte, traînante. Légère inégalité pupillaire D > G ; réflexe lu-

mineux conservé à gauche ; plus lent et moins net à droite.

Grosse lymphocytose zu examen).

28 novembre. - Idées de grandeur absurdes : il va acheter un fusil, et ira

en Afrique à la chasse aux tigres ; il en tuera des masses et nous enverra les s

peaux. Il va partir la semaine prochaine et gagnera des millions en veudaut du

café.

Nombreux accrocs de la parole.

Même état des pupilles.

29 novembre, - Même idées ; mais excitation, violences.

24 SÉGLAS

2 février 990ô. - Rémission des troubles délirants ; affaiblissement sim-

ple des facultés, satisfaction puérile.

Inégalité pupillaire : la pupille gauche réagit bien à la lumière ; la droite est

très paresseuse.

Bredouillement ; accrocs énormes de la parole : impossibilité de prononcer

aucun mot d'épreuve, tremblement de la langue.

Voici maintenant, pour terminer, quelques observations de paralytiques

généraux chez lesquels on rencontre des stéréotypies variées sous les for-

mes habituelles, stéréotypies de mouvement, d'attitude ; stéréotypies

verbales.

J'ai publié jadis un cas de stéréotypie (ticaérophagique) au début d'une

paralysie générale (Sem. méd ? 1899, n° 2). Mon interne, M. Cahen, en a

rapporté un autre recueilli sur un paralytique général du service, dans

son mémoire sur les stérétoypies (Arch. Neur., 1901, n°72). ,

Les observations suivantes en sont de nouveaux exemples :

Observation VI

V... Paul, employé de commerce, 34 ans, entré le 3 décembre 1906.

Paralysie générale avancée ; signes physiques, affaiblissement intellectuel ;

idées hypochondriaques de négation ; négativisme, refus d'aliments,- d'uriner,

d'aller à la garde-robe, de se vêtir ; reste nu dans son lit et constamment dé-

couvert. Passe tout son temps à se frotter le ventre avec les deux mains, en

regardant son ombilic et n'interrompt ce geste que pour se malaxer le cou avec

la main droite.

Observation VII

D... Ferdinand, 53 ans, maître de lavoir, entré le 17 novembre 1903.

Changement de caractère, irritabilité, tremblementdes mains depuis deux ans

environ ; au début étourdissements fréquents; une fois léger état vertigineux,

sans perte de connaissance complète ; empâtement de la parole depuis deux

mois ; délire depuis un mois, idées de grandeur, de richesses, achats inconsi-

dérés ; actes de violence, fugues ? syphilis antérieure.

A l'entrée, état d'excitation avec délire mégalomaniaque incohérent ; affai-

blissement déjà notable des facultés ; aucune conscience de son état ; embarras

de la parole ; inégalité pupillaire, signe d'Argyll ; tremblement de la langue.

des mains, de l'écriture ; réflexes tendineux normaux.

La démence s'accentue rapidement : l'excitation tombe ainsi que le délire.

En avril 1904, le malade est calme ; il ne délire plus ; et se borne toutes les

2 ou 3 minutes, c'est-à-dire presque continuellement, à crier d'une voix forte

4 Vlan ! Vlan » ; il accompagne ces paroles d'un geste stéréotypé, fendant

l'air devant lui alternativement du bras droit et du bras gauche. Il ne peut

expliquer le pourquoi de ce geste.

DES SYMPTÔMES CATATONIQUES AU QOURS DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 25

Ce geste et ces interjections stéréotypées ont persisté jusqu'en novembre

1905, époque à laquelle le malade s'est alité.

Au lit, il a modifié ses stéréotypies. Il jetait les bras dans le vide, de chaque

côté de son lit, en disant en même temps « Brr ! ... Brr ! »

Les stéréotypies ont persisté jusqu'à la mort survenue dans un ictus le

16 avril 1906.

Observation VIII

L... Louis, voyageur de commerce, 40 ans, entré le 14 février 1900.

Paralysie générale confirmée ; signes physiques, affaiblissement des facul-

tés ; idées absurdes de grandeur. z

En même temps que le malade émet ses propos incohérents, il fait des gestes

stéréotypés, qui consistent à lancer la main en avant et à la fermer violemment

en tournant le poignet, comme s'il voulait attraper une mouche. En même

temps se produit un claquement sonore. Tantôt le geste est fait de la main

gauche dans un plan horizontal ; tantôt il est exécuté des deux mains les bras

élevés en l'air. Parfois le mouvement de la main est exécuté seul, le bras et

l'avant-bras restant presqu'immobiles : la main est alors ouverte et fermée

brusquement pendant que se produit le mouvement de rotation du poignet en

dehors. Le claquement sonore qui accompagne d'ordinaire les gestes est quel-

quefois remplacé par l'onomatopée « pan ! pan ! » On ne saisit aucun lien pré-

cis entre ces gestes et le discours. '

Vers la fin de sa vie, en 1903, le malade alité avait remplacé ses stéréoty-

pies par la suivante : 8 mille, 80 mille, 800 mille, 8 millions, 8 cent mille

millions de milliards ; ce dernier chiffre répété indéfiniment en se frappant vio-

lemment la poitrine avec le poing droit.

Observation IX

R... Joseph, 31 ans, entré le 24 mars 1905. Depuis quatre mois environ, sa

femme a remarqué chez lui des troubles du caractère, irritabilité, mobilité

d'humeur, accès de gaieté et de colère ; puis des divagations, des maladresses,

du tremblement des mains, de la difficulté à parler.

A l'entrée on constate un affaiblissement notable des facultés ; loquacité

incohérente sans expression d'idées délirantes bien caractérisées ; satisfaction

simple. Tremblement des mains, de la langue ; secousses de la face ; nombreux

accrocs* de la parole ; signe d'Argyll ; réflexes tendineux plutôt exagérés ;

troubles de l'écriture.

Dès les jours suivants, en observant de plus près le malade, on s'aperçoit que

son discours incohérent, qu'il poursuit sans cesse sous forme de monologue,

ne fait que reproduire une série d'idées très limitées et toujours les mêmes.

On y retrouve aussi des expressions qui se répètent très fréquemment comme

de véritables stéréotypies verbales. De plus, le discours est ponctué de temps

en temps par des gestes qui se reproduisent d'une manière identique, stéréo-

typée.

26 SÉGLAS

Ces particularités ont persisté sous la même forme jusqu'à ce jour. En voici

un exemple (novembre 1906).

Monologue : « Ah ! dans les travaux forcés ! NoN. C'était des anarchistes

chez Charles... Thibierge ? il était général. Il voyage dans le Santos. Il est

mort ? Allons donc ? Non t'as-vu ? ... J'étais honnête, j'ai trouvé 50 francs.

T'as-vu ? Non.. J'ai travaillé chez Thibierge, moi j'ai vu l'Orient, le Pérou,

moi ! ... j'habite Paris... Non.. chez nous, c'est pas ça, c'est beau.. J'étais pas

feignant, j'ai travaillé, j'étais honnête.. Non. Raoul et Crici. - On y a fait de

la peine, on m'a fait du mal. Le vin, C'est moi qui payais... NoN.. Berthe elle

a voulu m'empoisonner. C'est moi qui payais tout. J'ai fait mon service mili-

taire. Thibierge m'a donné 10 francs ; j'ai trouvé 50 francs.. Tu te rappelles

la bicyclette. C'est moi qui l'a payée. Moi, j'ai voyagé, j'étais honnête.. NoN.

La voiture était caoutchoutée. C'est moi qui tenais la peinture. llaoul et Crici ?

t'as-vu, non... C'est moi qui payais tout.

Les phrases soulignées reviennent à chaque instant dans les divagations du

malade ; ponctuées à de courts intervalles par le mot « non ». Ce mot est

d'ordinaire accompagné d'un geste stéréotypé qui se traduit sous deux formes

différentes. La première est un geste des deux bras rappelant celui du faucheur ;

avec un léger mouvement de rotation de la tête à gauche. La seconde est un

mouvement du bras gauche, comme si le malade jetait violemment un objet à

terre à peu de distance devant lui. -

Observation X

M... Edouard, négociant en vins, 45 ans, entré le 2 mai 1906.

Paralysie générale avancée ; signes physiques ; affaiblissement notable des

facultés ; exéitation avec idées absurdes de richesses et de puissance génitale.

Ces symptômes ont persisté depuis l'entrée ; mais avec les progrès de la

démence, le malade ne manifeste plus ses idées de grandeur que sous la forme

de la stéréotypie verbale suivante, qu'il répète a satiété toute la journée :

« 999 milliards, 999 millions pour M. 500 ion., 500 c., 500 q. pour M... »

Observation XI (PI. I)

S... Georges, 44 ans, chapelier, entré le 16 mai 1904.

Changement de caractère depuis deux ans environ : il se plaignait de douleurs

dans les jambes, de sentir ses idées disparaître ; il disait à son entourage

« qu'il se sentait devenir fou ». Esprit de contradiction à tout propos. Il était

incapable de prendre la moindre décision, « comme un enfant ». Idées de dé-

penses, d'achats ; rires ou pleurs sans motif. Il restait parfois des journées

entières occupé à répéter le même geste, sans signification aucune.

A l'entrée, affaiblissement intellectuel notable, surtout de la mémoire ; très

désorienté. Idées de satisfaction simple alternant avec des idées hypochondria-

ques ; mobilité d'humeur. Inconscience complète de sa situation. Inégalité

pupillaire, signe d'Argyll ; réflexes tendineux normaux ; tremblement de la

langue et des mains ; accrocs de la parole.

DES SYMPTÔMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 27

t

Par la suite, la démenée s'accentue progressivement. Actuellement, le ma-

lade est dans un état de démence absolue. Il ne présente de particulier que des

attitudes stéréotypées qu'il conserve presque depuis son entrée dans le service.

Il reste immobile à la même place, dans la même position, pendant des jour-

nées entières ; debout, les bras légèrement écartés du corps, les mains pen-

dantes et devenues oedématiées par suite de cette position, la tête fléchie, les

yeux fixés sur l'une ou l'autre de ses mains, qu'il remue légèrement à la façon

d'un objet qu'on voudrait faire miroiter (PI. I).

Il conserve obstinément cette attitude; si on le dérange, il la reprend; si on

le change de sa place, il y retourne. Il ne se dérange même pas pour uriner

et laisse échapper ses urines dans cette position.

Lorsqu'on tente de modifier son attitude, il se raidit, crie qu'on l'abîme ; si

on le change de place, il se raidit encore, proteste c il n'aime pas qu'on le

dérange » ; et sitôt libre retourne au plus vite reprendre son poste et son atti-

tude immuable.

Si l'on s'arrête devant lui en élevant les bras en l'air, il se recule comme

effrayé, exagérant son attitude en serrant les bras contre son corps et criant

« non, non, faut pas les lever ».

HOSPICE DE LA SALPÈTRIÈRE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE

- VERTÉBRAL

PAR

M. F. RAYMOND, et M. L. BABONNEIX,

Professeur à la Faculté de médecine. Chef de clinique de la Faculté.

L'histoire des affections vertébrales ne comprenait jadis que deux cha-

pitres : la tuberculose et le cancer. Les classiques décrivaient minutieuse-

ment les caractères anatomiques et cliniques du mal de Pott ; ils mon-

traient en détail comment le cancer, en détruisant le tissu osseux, com-

prime les racines au niveau du trou de conjugaison et détermine ainsi une

paraplégie douloureuse. Quant aux ostéo-arthrites chroniques simples de

la colonne vertébrale, elles étaient considérées comme si exceptionnelles

qu'il suffisait, pour elles, d'une simple mention.

Les recherches récentes des nombreux auteurs qui, à la suite de Séna-

tor, ont fouillé ce coin encore peu connu de la pathologie, sont venues,

sur bien des points, modifier l'opinion classique. Elles ont établi que les

spondylites chroniques sont beaucoup plus fréquentes qu'on ne le croyait

autrefois. Elles ont mis en lumière leurs rapports avec les infections :

blennorragie, syphilis, rhumatisme articulaire aigu ; avec les auto-intoxi-

cations, telles que le diabète ; avec certaines conditions extérieures telles

que le froid humide. Elles ont enfin permis de distinguer, parmi elles,

deux principaux types auxquels on a justement attaché le nom de ceux

qui les ont isolés : la cyphose hérédo-traumatique de Bechterew, et la

spondylose rhizomélique de MM. Marie et Léri.

L'étude des ostéo-arthrites chroniques simples de la colonne vertébrale

est donc toute d'actualité. Mais il s'en faut que soient résolues toutes les

questions qu'elle soulève. Doit-on les considérer comme une entité mor-

bide spéciale, ou comme une simple variété de rhumatisme chronique ? -

Les principales formes qu'elles affectent peuvent-elles être rapprochées

les unes des autres, ou représentent-elles, au contraire, autant de types ir-

réductibles ! Enfin, quelle est leur pathogénie, autrement dit, par quel

mécanisme les agents étiologiques les plus divers peuvent-ils aboutir à la

RAYMOND ET BABONNEIX. SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE 29

production d'une ankylose vertébrale ? Autant de problèmes dont la solu-

tion ne pourra être donnée que le jour où nous disposerons de matériaux

suffisamment nombreux. Et c'est dans le but d'apporter notre contribu-

tion à cette étude difficile que nous publions aujourd'hui l'observation

d'une malade que nous avons pu suivre pendant plusieurs années, et dont

l'histoire nous a paru présenter plusieurs particularités intéressantes.

»

Observation (1). ,

Bad... (Reine), âgée de 28 ans, mécanicienne, n'a plus ni père ni mère !

le père est mort de pneumonie à 62 ans, la mère d'une affection cardiaque à

52 ans ; elle reste seule de 4 enfants, l'un mort-né avant terme, les deux au-

tres morts l'un à 2 ans, l'autre à 8 mois.

Elle-même est née à terme et affirme avoir marché à 9 mois, mais elle a été

nouée et n'a marché définitivement seule qu'à 2 ans.

Elle était complètement rétablie quand elle a subi successivement trois mala-

dies infectieuses : la rougeole vers 3 ans, la scarlatine à 7 ans, la variole à

11 ans.

Les règles se sont montrées à 18 ans et ont toujours été normales depuis,

excepté pendant trois mois lors de la période la plus accentuée de la première

atteinte de l'affection qui nous occupe ; elle n'a jamais eu de pertes blanches,

pas de grossesse.

C'est au moment de l'apparition des premières règles, à l'âge de 18 ans,

que débute l'affection. Très lentement, très insidieusement, s'installe une cer-

taine gêne dans les membres inférieurs, la marche est pénible, et, peu à peu,

la jeune fille remarque qu'elle ne se tient pas droite. Il y a bien eu, dès le dé-

but, une certaine pesanteur dans la région lombaire, mais jamais de douleurs

vives, rien au niveau du coccyx.

Ces troubles s'aggravent lentement mais d'une façon continue, si bien que

la marche devient tout à fait impossible et que la malade, âgée de 21 ans 1/2,

entre pour la première fois à la Salpêtrière en 1892. Elle se rappelle fort bien

qu'on a nommé sa maladie « paraplégie », qu'elle ne pouvait ni marcher ni se

tenir debout, mais que son pied était resté parfaitement mobile ainsi que ses

genoux, qu'on a constaté une déviation, une « faible courbure » (a-t-elle en-

tendu dire) du rachis, qu'il n'y avait aucune anesthésie, aucun trouble des

. sphincters et que les réflexes étaient conservés. Pour elle, il n'y avait aucune

différence entre son état et l'état présent ; il s'agit, à 'n'en pas douter, de la

même maladie, seulement le dos était moins courbé, bien que les jambes fus-

sent plus prises et, particularité importante, les épaules comme les hanches

étaient immobilisées, puisqu'elle ne pouvait lever les bras pour se peigner,

bien que ses mains eussent conservé toute la liberté de leurs mouvements.

Elle est restée ainsi cinq mois dans le service de Charcot, complètement

(1) Cette malade avait été présentée, le 3 mars 1899, à la Société médicale des hôpi-

taux, par M. Gasne, dont nous reproduisons ici l'observation.

30 RAYMOND ET BABONNEIX

alitée pendant deux mois, reprenant peu à peu l'usage de ses membres supé-

rieurs d'abord, puis de ses membres inférieurs, recouvrant enfin la souplesse

de sa colonne vertébrale.

Elle sort de l'hospice marchant tout il fait bien, reprend sa vie ordinaire,

qui consistait alors à faire le ménage, la cuisine, etc. ; l'année suivante, elle

va au bal, danse comme ses camarades et sa taille est absolument droite.

Trois ans pleins (de septembre 1892 au commencement de 1896) elle est

tout à fait bien portante; mais la même série de symptômes se reproduit;

elle sent peu à peu ses jambes plus faibles ; un an et demi ou deux ans après,

son dos, moins souple, se courbe malgré elle, et, depuis 18 mois déjà, elle

marche avec la plus grande difficulté, se traînant à l'aide d'une chaise jusqu'à

sa machine, qu'elle peut encore actionner malgré son infirmité ; mais la sta-

tion assise devient difficile, les pieds ne peuvent plus s'appliquer à la pédale

et elle entre à Beaujon en janvier 1898 d'où elle nous est envoyée le 8 août

de la même année.

Les photographies ci-jointes (PI. III) donnent une idée de l'aspect que pré-

sente cette singulière paraplégique.

Elle ne marche pour ainsi dire pas et on la porte plutôt qu'on ne la

soutient ; debout, elle peut se soutenir sur deux chaises, reposant sur la pointe

des pieds, les genoux mi-fléchis, très écartés l'un de l'autre, le tronc projeté

én avant par suite de son obliquité sur l'axe des cuisses et de la flexion de la

colonne vertébrale, la tête en extension forcée pour rétablir la direction hori-

zontale du regard, elle réalise avec quelques modifications le zigzag du schème

classique de la spondylose rhizomélique ; couchée, le bassin et la région lom-

baire reposant sur le plan du lit, les genoux s'écartent de celui-ci de 15 cen-

timètres et les épaules de 25 centimètres.

En effet, la colonne vertébrale d'une part, les hanches d'autre part, sont

fixées en une attitude vicieuse absolument irréductible.

La colonne présente une courbure à convexité postérieure très accentuée,

dont le sommet correspond à peu près de la septième à la dixième vertèbre

dorsale ; il semble qu'à ce niveau, il y ait une inclinaison brusque de la tige

vertébrale ; il en résulte que le tronc est doublement porté en avant, puisque

déjà l'ankylose en demi-flexion des hanches lui imprime une direction anor-

male ; il en résulte aussi que le thorax, en avant, vient, pour ainsi dire, se

mettre en contact avec le rebord osseux du bassin, et que le ventre forme un

bourrelet qui retombe au-dessus de l'arcade pubienne ; il semble qu'il y ait en

outre une légère torsion de la colonne, qui donne au thorax une certaine obli-

quité que montre l'inclinaison en bas et à droite du sternum. Cette portion du

rachis est absolument immobile ; il est impossible de la redresser, impossible

de la fléchir davantage ; par contre la région cervicale est absolument libre; la

tête se tourne, se fléchit, s'étend sans aucune difficulté et la malade la rejette

le plus souvent en arrière, pour rétablir la direction normale de la face.

Signalons en passant que les côtes fonctionnent normalement, et que la

respiration affecte le type costal supérieur.

Les articulations coxo-fémorales sont immobilisées en flexion, abduction et

NOUVELLE Iconographie DE la SALPLTItII.RE. T. XX. Pl. 111

UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL

(F. Raymond et Babonneix.)

Masson et de. Editeurs

Phototypie Derlhaud

SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 31

rotation externe ; de la demi-flexion dépendent l'obliquité du tronc pour

ainsi dire projeté en avant, le soulèvement des genoux qui ne peuvent reposer

sur le même plan que les fesses lorsque la malade est couchée, leur flexion

dans la station debout, indispensable pour ramener en arrière la base de sus-

tentation ; la rotation externe entraîne le repos du pied sur son bord latéral

externe, et le contact des deux pieds malgré l'écart considérable, 20 centimè-

tres, qui existe entre les deux genoux, écart qui résulte de la fixation en ab-

duction des deux hanches. C'est le mouvement de rotation qui est le plus

limité ; il y a comme une ébauche de mouvement d'adduction dans la cuisse

gauche, mais si on cherche à le provoquer, on est presque immédiatement

arrêté par une résistance invincible et douloureuse; au contraire, on peut

imprimer quelque léger degré de flexion et d'extension, surtout aujourd'hui ;

ces mouvements expliquent que la malade puisse s'asseoir, et permettent de

comprendre qu'elle ait pu si longtemps faire manoeuvrer la pédale de sa machi-

ne à coudre ; enfin, si l'on parvient à faire faire quelques pas à la malade, on

remarque qu'elle marche comme les personnes normales,en mobilisant la cuisse

sur le bassin, et non comme les malades de M. Pierre Marie, dont les mouve-

ments semblent se faire autour d'un axe unique transversal, passant à la fois

par les deux genoux ; mais ce sont là des acquisitions toutes récentes.

Il en est de même des mouvements des genoux ; ces articulations, presque

entièrement immobiles à l'entrée de la malade à la Salpêtrière, ne laissaient

qu'une amplitude très faible de quelques degrés aux mouvements de la jambe,

qui étaient fort douloureux. Aujourd'hui,1la malade les fléchit et les étend faci-

lement ; mais il résulte de la rotation externe de la cuisse que ces mouvements

portent le pied d'un côté sur le genou opposé.

Tous les mouvements du cou-de-pied et ceux des orteils ont toujours été

parfaitement libres.

Les membres supérieurs ne sont pas tout à fait normaux, bien' que la malade

n'éprouvant plus aucune gêne dans les mouvements habituels, les prétende

cette fois absolument indemnes ; il est néanmoins facile de s'assurer que, si

les mains, les poignets, les coudes fonctionnent bien, les épaules, en particulier

pour les mouvements d'abduction, sont loin de présenter l'amplitude et l'éner-

gie des mouvements d'une articulation saine.

Il y a donc une véritable régression des symptômes depuis l'entrée de la

malade à la Salpêtrière ; l'immobilité de la colonne vertébrale n'est pas si ab-

solue et on peut déjà reconnaître une certaine flexibilité qui n'existait pas ; les

articulations des genoux semblent s'être complètement dégagées et permettent

l'appréciation des réllexes rotuliens ; les hanches elles-mêmes sont plus mo-

biles et la malade peut s'asseoir et se relever dans son lit ; elle peut même

faire l'esquisse de quelques pas lorsqu'elle est soutenue.

Il n'y a aucun trouble des sphincters, aucun trouble de la sensibilité ob-

jective cutanée et profonde ; les réflexes rotuliens, appréciables aujourd'hui,

sont normaux'; les masses musculaires sont flasques et paraissent amoindries ;

les jambes, en particulier, sont plutôt cylindriques que fusiformes ; cepen-

dant, il n'y a ni dans les muscles des gouttières vertébrales, ni dans les fes-

32 RAYMOND ET BABONNEIX

siers, ni dans les muscles de la cuisse et de la jambe aucun trouble des réac-

tions électriques. La peau est sèche, un peu rugueuse, mais sans lésion

trophique vraie. Les articulations ne présentent aucun craquement, la pal-

pation n'a fait reconnaître aucune hyperostose en aucun point des régions

malades.

La malade d'ailleurs ne présente aucun autre trouble fonctionnel ou or-

ganique ; c'est une femme de petite taille, très brune, à tête volumineuse, à

dents saines, qui ne présente aucun stigmate hystérique, sensitif, sensoriel ou

moteur. On ne trouve à signaler chez elle qu'une émotivité extrême qui se

traduit par le tremblement des mains, de la langue, des lèvres, par l'instabilité

des globes oculaires ; mais tous ces phénomènes, très marqués lors du premier

examen, ne se sont pas montrés lors des examens ultérieurs. '

La malade revient en décembre 1905 à la Salpêtrière ; elle souffre alors de

phénomènes d'asystolie, avec oedème des extrémités, cyanose, tachycardie. La

poitrine est pleine de râles ronflants et sibilants ; il existe, de plus, de la

Congestion des bases, caractérisée par des foyers de submatité, avec râles sous-

crépitants et bronchophonie. Malgré la difficulté que l'on éprouve à faire un

examen complet, il semble que les lésions articulaires soient les mêmes qu'en

1897. Le 20 décembre, malgré tous les soins, la malade succombe.

. Autopsie.

Elle a été pratiquée le 21 décembre 1905, 24 heures après la mort.

L'examen du cadavre, dont la décomposition n'est pas très avancée, montre

l'absence de toute lésion cutanée : eschares, ecchymoses, etc., etc. Le tissu cel-

lulaire sous-cutané forme partout une couche épaisse de plusieurs centimètres.

La plupart des viscères paraissent engainés, comme la colonne vertébrale

elle-même, par du tissu fibreux présentant une disposition lamellaire.

La plèvre et le péricarde, au niveau de la base du coeur, sont unis par un

tissu scléreux très résistant. Les cavités du coeur sont toutes très dilatées ;

leurs parois flasques, étalées, ont une consistance de chiffon mouillé. Elles ont

cependant gardé leur épaisseur normale. Peut-être même, l'épaisseur de la

paroi du ventricule gauche est-elle un peu plus considérable qu'elle ne l'est

d'habitude. Les orifices auriculo-ventriculaires sont simplement dilatés ; les

valvules qui les limitent ne présentent, pour toute lésion, qu'un peu d'épaissis-

sement. Leur anneau d'insertion contient une grande quantité de tissu dur,

d'aspect fibreux.

Les vaisseaux qui partent de la base du coeur sont en état d'aplasie ma-

nifeste : C aorte, en particulier, n'admet qu'à peine le petit doigt. Ses parois

ne semblent pas épaissies, mais elles sont entourées d'un tissu fibreux disposé

de la façon suivante : immédiatement autour de l'aorte, une gaine lamelleuse,

dont la face interne adhère intimement au vaisseau, tandis que sa face externe

, répond à une couche de tissu cellulo-graisseux, épaisse de quelques millimè-

tres, partout continue, et anormalement dense ; cette couche est elle-même

limitée, en dehors, par une nouvelle membrane lamelleuse, également continue,

SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 33

et qui, avec la précédente, constitue une sorte de sac où se trouve logé le

tissu cellulo-graisseux.

Les poumons ne présentent que des lésions congestives généralisées. Il n'y

a trace ni de broncho-pneumonie, ni de tuberculose. '

L'examen du foie ne décèle aucune particularité notable. Sa capsule n'est

pas épaissie. Son parenchyme n'est pas congestionné ; il n'a pas subi de dégé-

nérescence graisseuse.

Les reins sont petits, rouges, congestionnés. Leur capsule est normale.'1 .,

La rate est petite, dure, presque noire. Elle pèse 70 grammes. Sa capsule

n'est pas épaissie. La péri-viscérite que nous avons signalée plus haut ne s'é-

tend donc pas à l'abdomen : elle reste purement thoracique.

La glande thyroïde pèse 30 grammes.

Le corps pituitaire pèse 48 centigrammes.

L'examen de la colonne vertébrale, pratiqué au niveau de la cyphose, mon-

tre en cet endroit l'existence de dispositions anatomiques analogues à celles

que nous avons décrites autour de l'aorte. Les muscles des gouttières verté-

brales sont absolument sains. Mais, autour de la colonne vertébrale, et immé-

diatement en rapport avec elle, il existe une lame membraneuse, doublée à sa

face externe par une couche cellulo-graisseuse dense, que limite une nouvelle

lame membraneuse. Ces formations pathologiques contribuent assurément à

immobiliser la colonne vertébrale dans la position de cyphose. Mais elles n'in-

terviennent pas seules. En effet, lorsqu'on les a incisées, la colonne ne reprend

pas toute sa mobilité. Et il est aisé de se rendre compte que, si les ligaments

jaunes et si le ligament vertébral commun antérieur sont sains, il n'en est pas

de même des disques intervertébraux qui paraissent partiellement ossifiés

surtout dans leur partie antérieure. En aucun point, il n'y a d'exostoses, de

jetées osseuses réunissant les corps vertébraux; les articulations costo-verté-

brales paraissent normales.

Les lésions des articulations coxo-fémorales sont un peu différentes. Lors-

qu'on a sectionné les muscles périarticulaires, les mouvements articulaires

sont impossibles. C'est que, au-dessous d'eux, entre eux et la capsule, existe

une formation spéciale, constituée par deux lames membraneuses enserrant

du tissu cellulo-graisseux anormalement dense. Vient-on à les couper, on cons-

tate, au sur et à mesure de la section, que l'articulation reprend sa mobilité

habituelle. Au-dessous d'elles, la capsule apparaît, nullement épaissie ni ossi-

fiée. Les surfaces articulaires son t normales. L'ankylose tient donc ici non à

des lésions de synostose, mais à l'existence du tissu spécial que nous venons de

décrire.

Notons enfin l'intégrité des masses musculaires et des diverses articulations

autres que celles de la colonne vertébrale et que les articulations coxo-fémo-

rales.

Examen histologique. -Des morceaux des principaux viscères ont été pré-

levés à l'autopsie, fixés, inclus et colorés par les méthodes habituelles.

Le poumon présente un épaississement marqué des cloisons alvéolaires. Les

alvéoles contiennent des produits de desquamation épithéliale, des leucocytes

xx 3

34 RAYMOND ET BABONNEIX

mono et polynucléaires, et, par places, de très nombreuses hématies. La paroi

des principaux vaisseaux est épaissie, surtout dans ses couches externes ; les

capillaires sont fortement dilatés ; il existe même, par places, dans l'épaisseur

des parois alvéolaires, des foyers d'apoplexie caractérisés par la présence, en

un même endroit, d'amas pigmentaires et d'hématies peu distinctes.

Sur certaines coupes, on peut observer des formations arrondies ou ovalai-

res, siégeant dans le voisinage des gros vaisseaux et entourées d'une capsule

rudimentaire, qui, elle-même, a subi, par places, l'infiltration embryonnaire.

Ces formations, dont l'intérieur contient quelques rares éléments lymphoïdes

et conjonctifs polymorphes, représentent évidemment des ganglions lymphati-

ques, comme le montrent leur situation, leur forme et leur apparence géné-

rale. Si leur réticulum n'est plus visible, ils présentent très nettement, en

effet, une capsule conjonctive dont la face interne, régulièrement bosselée, a

servi jadis à limiter de nombreux follicules.

Sur aucune de nos coupes, il n'existe la moindre formation tuberculeuse.

L'anthracose pulmonaire ne diffère pas de celle que présentent des sujets

normaux du même âge.

La plèvre est irrégulièrement épaissie et, sur certains points, les couches qui i

constituent son feuillet viscéral ont subi la transformation scléreuse.

Au niveau du pancréas, on peut observer que certains lobes se colorent t

mal ; les limites des cellules n'apparaissent plus nettement ; l'intérieur des

cellules elles-mêmes n'offre plus qu'une apparence indistincte, où il est im-

possible de retrouver le noyau et les granulations protoplasmiques. La loca-

lisation de ces zones mortifiées à la partie supérieure de la glande indique que

nous avons affaire à des lésions artificielles dues à l'imprégnation biliaire pro-

duite post-mortem.

Le reste du pancréas n'offre aucune altération appréciable : les îlots de

Langerhans présentent des limites peu nettes ; leurs dimensions sont un peu

.supérieures à la normale ; ils contiennent peut-être un peu plus de cellules

granuleuses que d'habitude.

Du côté de ['oreillette, il existe un épaississement diffus de l'endocarde. Le

myocarde paraît normal ; cependant, au niveau des zones sous-endocardique

et sous-péricardique, il est légèrement sclérosé. Sur des coupes de l'aorte, on

constate que ni l'endartère, ni les fibres élastiques de la mésartère ne sont

lésées; la périartère présente, sur un point limité, un petit foyer hémorra-

gique, au pourtour duquel les vasa-vasorum apparaissent anormalement dilatés.

L'aorte est contenue dans une gangue cellulaire dont les travées, extrême-

ment fibreuses et épaisses, contiennent des vestiges de tissu graisseux.

Les ovaires contiennent peu d'ovules bien développés (1). La plupart sont

mal formés, méconnaissables. Dans l'épaisseur de la substance corticale sclé-

rosée, existent quelques corps jaunes. Les vaisseaux de la partie centrale sont

abondants, gorgés de sang. Leur paroi est notablement épaissie. Sur certaines

coupes, on peut, de plus, observer quelques formations kystiques.

(1) La malade n'avait que 35 ans.

SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 35

En somme, aplasie ovulaire des plus marquées.

Le capsule de la rate possède une épaisseur normale ; au-dessous de la

capsule, existe une zone fortement pigmentée, assez épaisse, faisant régulière

ment le tour de l'organe : cette zone, examinée à un grossissement suf-

fisant, paraît formée par des amas pigmentaires d'origine hématique et par

de nombreux globules rouges, plus ou moins déformés et indistincts.

Sur certaines coupes, la capsule s'enfonce dans la profondeur pour former

une sorte d'ampoule peu volumineuse, que des bandes conjonctives divisent

en deux ou trois logettes remplies d'hématies déformées : cette disposition

est vraisemblablement d'origine congénitale.

Ce qui frappe le plus, sur toutes les coupes de rate que nous avons exami-

nées, c'est l'aplasie complète des follicules de Malpighi. C'est à peine si, par

places, on peut en retrouver quelques vestiges, caractérisés par l'agglomération,

en un point, de lymphocytes et de grands mononucléaires.

Les surrénales n'offrent aucune trace d'épaississement capsulaire : seul, le

tissu périvasculaire est épaissi, sans que les vaisseaux eux-mêmes paraissent

lésés. La glande ne présente pas d'altération notable : la plupart des tubes sont

parfaitement développés, mais ne contiennent qu'un très petit nombre de

cellules granuleuses et sont tapissés, presque exclusivement, par de grandes

cellules claires. Les cellules granuleuses représentent des éléments jeunes ;

on voit que le fonctionnement de la surrénale est peut-être un peu inférieur à

ce qu'il doit être chez un sujet normal.

La pituitaire, dans sa partie nerveuse, paraît absolument saine. Dans sa

partie glandulaire, les travées sont remplies de toutes petites cellules d'aspect

lymphoïde, auxquelles se mélangent un certain nombre de cellules chromo-

philes volumineuses. L'atrophie glandulaire, ici, semble donc n'être pas dé-

finitive.

La capsule n'est pas épaissie ; il n'existe pas de sclérose interstitielle ; les

vaisseaux sanguins sont moins nombreux et moins volumineux que normale-

ment.

Le corps thyroïde présente des lésions multiples. Tout d'abord, les alvéoles

sont moins développés qu'à l'état normal, malgré l'augmentation de volume

de la glande. Les cellules épithéliales sont très petites, aplaties, tassées contre

la paroi alvéolaire. La substance colloïde, plus abondante que d'habitude, se

colore faiblement, mais régulièrement. Il est difficile de la retrouver dans la

plupart des vaisseaux lymphatiques.

Les vaisseaux du corps thyroïde sont gorgés de sang. Par places, on ob-

serve des foyers hémorragiques déjà anciens, comme le montre l'infiltration,

dans les tissus voisins, de pigments et d'hématies.

Il existe en plus un certain degré de sclérose interstitielle, sans que la cap-

seule paraisse notablement épaissie.

L'examen histologique des centres nerveux ne donne que des résultats né-

gatifs. L'écorce, examinée au Nissl, au Marchi, et au Weigert, paraît absolu-

ment saine ; les grandes cellules pyramidales ont un nombre suffisant d'éléments

chromatophiles ; leurs prolongements sont normaux ; les fibres tangentielles et

36 RAYMOND ET BABONNEIX

radiées présentent leur aspect habituel, la méthode de Marchi ne décèle aucune

dégénération des fibres centro-ôvalaires. Les coupes du cervelet ne montrent

pas la moindre lésion. Au niveau de la protubérance et du bulbe, intégrité des

fibres à myéline, des vaisseaux et de la névroglie, contrastant avec une légère

chromatolyse de certaines cellules. Les noyaux bulbaires présentent en effet

quelques cellules dont les éléments chromatophiles sont moins nombreux et

moins abondants que d'habitude, et où il existe un certain état flou du proto-

plasma, avec pigmentation légère. Enfin, la moelle, étudiée aux différents

niveaux (renflements cervical et lombaire, moelle dorsale) paraît tout à fait

saine : les grandes cellules radiculaires, entourées de nombreux prolongements,

contiennent des blocs chromatophiles bien limités et bien colorés ; il n'y a pas

trace de chromatolyse. Rien à signaler du côté de la substance blanche. Les

vaisseaux sont normaux. Enfin, pas plus au niveau de l'encéphale que de la

moelle, il n'existe la moindre lésion méningée.

Reste, à examiner les os. Nous avons étudié deux fragments de la colonne

vertébrale, pris au niveau de la cyphose, et disposés de façon à présenter,

sur une même coupe, le disque intervertébral et les parties voisines des deux

vertèbres adjacentes (PI. IV).

Sur le plus petit de ces deux fragments, existent des signes incontestables

d'envahissement du fibro-cartilage par l'os voisin : il ne s'agit pas là d'une

calcification du fibro-cartilage, ni d'une ossification de ce disque aux dépens

des éléments fibreux qu'il contient : non, il s'agit d'une sorte de substitution

de l'os vertébral au tissu normal du fibro-cartilage. Sur toutes les coupes, on

peut voir en effet des jetées osseuses envahir irrégulièrement le ménisque : ces

jetées, surtout abondantes au niveau de sa partie antérieure, rendent peu nette,

à cet endroit, la limite qui sépare l'os du fibro-cartilage, tandis que, plus loin,

cette limite redevient aussi distincte qu'à l'état normal. Les aréoles contenues

dans ces jetées osseuses sont presque vides d'éléments cellulaires, des héma-

ties, des myélocytes ordinaires, avec un noyau arrondi, gonflé, et de dom-

breuses gouttelettes de graisse plus ou moins dissoutes par les réactifs ; mais,

même en ces points, il n'existe pas de polynucléaires ; de plus, les vaisseaux

sont normaux : leurs parois ne présentent aucune altération : il n'y a pas de

sclérose périvasculaire.

Sur le second morceau, les lésions paraissent plus avancées. Le fibro-carti-

lage du ménisque est dissocié dans tous les sens par des jetées osseuses irré-

gulières. Ici encore, la moelle osseuse ne contient plus d'éléments en activité.

En résumé, il s'agit ici d'une jeune femme chez laquelle est apparu, à

la puberté, un processus ankylosant de localisation et d'évolution particu-

lières. Ce processus s'est en effet cantonné à la partie dorso-lombaire de la

colonne vertébrale, et aux articulations de la racine des membres. Il a dé-

buté insidieusement, sans douleurs d'aucune sorte, ne s'est jamais compli-

NOUVELLE ICO\OGRAPFIIE DC LA SALPLnotuE.

T. XX. Pl. IV

Ccupe du rachis photographiée. (Infioit).

Radiographie du rachis. (Infroit).

UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL

(F. Raymond et Babonneix.)

T... ? MaaSOrL.et('eP.direnr.

SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 37

qacé d'exostoses, et, surtout, il a disparu complètement à deux reprises, de

telle sorte que, pendant une période assez longue, la malade a pu se croire

complètement guérie. Mais les accidents morbides n'ont pas tardé à se

reproduire, et, finalement, une attaque d'asystolie aiguë a déterminé la

mort. A l'autopsie, trois ordres de lésions principales : 1° altérations di-

verses, très manifestes des glandes à sécrétion interne : aplasie ovulaire,

aplasie complète des follicules de Malpighi, lésions multiples et intenses

du corps thyroïde, lésions légères du pancréas, des glandes surrénales,

de la pituitaire ; 2° lésions thoraciques consistant, d'une part, en périvis-

cérite fibreuse, d'autre part, en aplasie aortique ; 3° ankylose purement

fibreuse des articulations de la racine des membres, ankylose mixte de la

colonne vertébrale : fibrose périphérique, ossification partielle des disques

intervertébraux.

A quelle affection avons-nous affaire ici ? '

Il est une maladie dans laquelle on peut voir le corps entier, pour

ainsi dire, transformé en un véritable bloc osseux par suite de la transfor-

mation successive, en tissu osseux, des divers muscles de la vie de rela-

tion ; l'ossification débute par les muscles de la nuque, du dos, de la ra-

cine des membres pour envahir l'un après l'autre tous les muscles, sauf

ceux de la face et les sphincters. C'est la myosite ossifiante progressive,

décrite, en 1869, par Munchmayer, étudiée depuis par MM. Weil et Nis-

sim (1), Daval (2), et dont MM. Kruschke (3),'Ferraton (4), Sielviatti (5),

et Nové-Josserand et IIorand (6), ont récemment publié quelques cas.

Entre la myosite ossifiante progressive et l'affection présentée par notre

malade, il y a bien quelques analogies : raideur de la colonne vertébrale,

raideur des épaules et des hanches, évolution par poussées successives.

Mais il y a surtout des différences. La myosite progressive apparaît dans

les premières années de la vie : elle débute par les muscles de la nuque,

enfin et surtout, les lésions qui la caractérisent sont primitivement mus-

culaires, et si, aux périodes avancées de la maladie, le squelette participe

au processus morbide, ce n'est jamais que d'une façon accessoire et con-

tingente. Chez notre malade, au contraire, les premiers phénomènes mor-

bides n'ont apparu qu'à la puberté, les lésions sont fibreuses et osseuses,

(1) WEIL et Ntssrsr, Nouv. Iconog. de la Salpêtrière, 1898.

(2) DAVAL, Traité des maladies de l'enfance, t. IV, p. 655.

(3) Kruschke, Jahrb. f. Kinderheilk., 1" juin 1904.

(4) FERRATON, Revue d'orthopédie, 1er juillet 1903.

. (5) Sielviatti, Archiv. f. Kinderheilk., 1904.

(6) Nové-Josserand et HORAND, Revue d'orthop., 1" mai 1905.

38 RAYMOND ET BABONNEIX

mais, en tout cas, elles respectent absolument le tissu musculaire, et, même

au niveau de la colonne vertébrale, où elles sont les plus accentuées, il

est aisé de se rendre compte que les muscles des gouttières vertébrales

sont parfaitement sains. Il est donc évident qu'il ne s'agit pas, dans notre

cas, de maladie de Müncbmeyer. ,

Bechterew (4) décrit, il y a quelques années, un type spécial d'anky-

lose vertébrale, caractérisé par les signes suivants : 1) immobilité totale ou

partielle de la colonne vertébrale ; 2) cyphose dorsale à grand rayon, dans

le territoire de laquelle se montre une gibbosité nette, à saillie plus ou

moins proéminente, au niveau de laquelle les vertèbres sont douloureuses

à la percussion ; 3) atrophie des muscles des ceintures scapulaire et pel-

vienne, et plus rarement, atrophie des muscles des extrémités ; 4) inten-

sité des troubles sensitifs : anesthésies, hyperesthésies, paresthésies dans

le territoire des nerfs du dos et du cou, sciatique. L'ankylose suit une

marche progressivement descendante ; elle respecte habituellement les

articulations de la racine, mais atteint parfois celles de l'extrémité des

membres. La maladie se développe sous l'influence de deux causes : l'une,

prédisposante, c'est l'hérédité névropathique ; l'autre, occasionnelle, c'est

le traumatisme : aussi l'appelle-t-on communément cyphose hérédo-trau-

matique. Elle subit une amélioration considérable lorsque l'on soumet

les patients au repos horizontal, et lorsqu'on leur applique un corset

approprié.

Trois hypothèses, discutées par MM. Marie et Astié (2), se sont succes-

sivement proposé d'expliquer les caractères de la cyphose hérédo-trauma-

tique : l'une, avec Kummel, fait jouer un rôle à l'ostéite raréfiante que

détermine le traumatisme au niveau des vertèbres : l'autre, avec Ileule,

invoque l'existence d'un hématome intra ou extra-dural ; d'autres auteurs,

enfin, ne sont pas loin de faire jouer un rôle à )'hystérie'dans la pathogé-

nie des accidents. Toujours est-il qu'à l'autopsie de ces malades, on

trouve (P. Marie et Dobrovitch) (3), une soudure presque totale de la

colonne dorsale, avec ossification des disques intervertébraux et du liga-

(1) BEGHTEREW, Neue Beobachtungen und patlaologische anatomische Untersuclaun-

gen ueber Steifiigkeit der WÍ1'belsaule, Deutsch Zeitschrift sur Nervenheilkunde, VX,

ibid ; Steifiigkeit der Wirbelsaule uud irhe Verkummung als besonde>·e Erkran-

kungsforme, Neurol. Centralblatt, 1893, n 13.

(2) Marie et Astié, Cyphose héi,édo-t ? ,aîimatique. Presse Médic, octobre 1897.

(3) P. Marie et DODROVITCII, Cyphose leérédo traumatique. Société médicale des hôpi-

taux, 21 mai 1903. - V. aussi LÉni, Autopsie d'un cas de cyphose hérédo-traumatique.

Bull. Soc. Méd. des Hôp., 28 juillet 1904.

SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 39

ment vertébral commun antérieur, avec ossification partielle des ligaments

jaunes, soudure des apophyses épineuses et ankylose des articulations

costo-vertébrales.

Revenons maintenant à notre malade. Elle n'a jamais subi le moindre

traumatisme. L'ankylose ne s'est accompagnée, chez elle, ni de douleur,

ni d'anesthésie ; elle a atteint les articulations de la racine des membres.

Autant d'éléments qui différencient notre cas de ceux sur lesquels Bech-

terew a édifié sa description, et qui nous permettent d'éliminer à coup

sûr le diagnostic de cyphose hérédo-traumatique.

Dans un intéressant travail, récemment publié dans la Nouvelle Icono-

raphie de la Salpêtrière (1), M. Forestier a tenté d'isoler un nouveau

type clinique qui, par quelques points, pourrait être rapproché de notre

cas. C'est la spondylose rhumatismale ankylosante. Il s'agit de malades

rhumatisants, et dans les antécédents desquels en dehors du rhumatisme,

on ne trouve aucune autre affection capable d'expliquer le développement

de l'ostéo-arthrite vertébrale. Cliniquement, ce qui permettrait presque

de faire le diagnostic à première vue, c'est l'habitus très particulier des

malades, par suite de l'aplatissement du dos et de l'atrophie des fesses, de

l'effacement de la courbure lombaire et de la rectitude de l'épine dorsale

soudée. Leur profit est tout à l'ait caractéristique : il est constitué par

quatre segments, les deux premiers : tête, cou et tronc, forment un angle

ouvert en avant, les deux derniers : cuisse et jambe, forment un angle

ouvert en arrière. Les lésions anatomiques de la spondylose rhumatismale

ankylosante ne sont pas encore connues : tout au plus, peut-on supposer,

avec M. Forestier, qu'elles consistent en arthrite vertébrale, avec périos-

tite externe du voisinage des disques intervertébraux, et propagation plus

ou moins accentuée vers la dure-mère. '

Entre ce type clinique, dont l'existence d'ailleurs a été contestée (Ver-

hoogen) (3), et le cas de notre malade, il n'y a guère qu'un symptôme

commun : l'ankylose vertébrale. Notre malade n'est pas une rhumati-

sante ; elle ne présente aucun des signes cliniques décrits par M. Fores-

tier ; elle accuse par contre, des symptômes que l'on n'observe pas dans

l'affection décrite par cet auteur. Nous conclurons donc qu'il ne saurait

s'agir, dans notre cas, de spondylose rhumatismale ankylosante.

(1) Forestier, Déformations rachidiennes.. Trois cas de spondylose rhumatismale

ankylosante. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, t. XVII, n° 2, p. 8S, 100, mars-

avril 1904. '

(2) VfipfI00aEN, Les formes cliniques du rhumatisme chronique, Congrès de Liège,

1905, p. 44.

40 RAYMOND ET BABONNEIX

Il existe une singulière affection, caractérisée par l'ankylose symétri-

que et progressive de la plupart des articulations, débutant par les extré-

mités des membres pour atteindre en dernier lieu la colonne vertébrale.

Cette affection, dont l'un de nous a présenté deux cas dans ses Leçons du

vendredi (1), et dont M. le professeur Berger (2) a publié récemment un

autre cas, a été désignée soit sous les noms d'ankylose symétrique et pro-

gressive (Raymond, Berger), soit sous celui de synartrophyse (Kritchewski-

Gochbaum), débute par des douleurs localisées à telle ou telle jointure,

puis peu à peu, les mouvements de cette jointure se limitent et l'ankylose

s'établit. La radiographie montre que l'immobilisation n'est due ni à des

productions plastiques péri-articulaires, ni à des rétractions tendineuses,

mais qu'elle est en rapport avec la fusion des extrémités osseuses.

Cliniquement, il existe des analogies incontestables entre la synarthro-

physe et l'affection qu'a présentée notre malade. Mais, dans celle-ci,

l'ankylose s'est localisée aux articulations de la racine des membres et à

la colonne vertébrale et a presque complètement respecté les autres arti-

culations. Anatomiquement les deux cas diffèrent essentiellement. Dans

notre cas, lésions mixtes d'ankylose, à la fois fibreuses et osseuses. Dans

la synarlhrophyse, au contraire, lésions purement osseuses ; les choses se

passent de cette façon que les deux os contigus, suite de leur fusion,

n'en constituent plus qu'un seul (Peter Janssen) (3).

Sous le nom de spondylose rhizomélique, M. Pierre Marie (4) a décrit t

une affection qui se caractérise essentiellement par « la coïncidence d'une

« soudure complète du rachis avec une ankylose plus ou moins pronon-

« cée des articulations de la racine des membres, les petites articulations

« des extrémités demeurant intactes ». -

La soudure de la colonne vertébrale est telle qu'on la briserait plutôt

. que de lui imprimer le moindre mouvement. Elle immobilise le rachis en

une cyphose spéciale qui est due surtout à une forte et assez brusque

inclinaison de la colonne cervico-dorsale, la colonne lombaire restant

(1) L'un de ces cas a été publié dans la thèse de Mme KRITCHEwSKI-GOCHBAUAf, Sur un

cas d'ankylose articulaire progressive et généralisée. Thèse. Paris, 1900.

(2) P. Berger, Sur une forme encore peu connue d'affection ankylosante. Bull, méd.,

5 avril 1905.

(3) PETER JANSSEN, XIII» vol. des Mittheilungers ans den Grenzgebieteis der Medizin

und der chirurgie, 1903.

(4) Pierre Marie, Les spondyloses rhizoméliques. Rev. de Méd., 1898, p. 285.

SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 41

presque droite. Les vertèbres se recouvrent souvent d'hyperostoses,

que l'on rencontre surtout au niveau de l'articulation sacro-iliaque et de

la face antérieure des vertèbres cervicales. Les premières immobilisent

les articulations atteintes ; les secondes, que l'on peut d'ailleurs percevoir

par le toucher buccal, peuvent déterminer des troubles de la déglutition.

Quant aux articulations de la racine des membres, elles présentent des

lésions analogues, surtout marquées au niveau des hanches. Les hanches

sont immobilisées en flexion et en adduction, et il est impossible de

leur imprimer le moindre mouvement. Les mouvements des épaules

sont simplement limités, et il n'est pas rare, lorsqu'ils s'exécutent, de

percevoir quelques craquements. Dans les formes pures, les autres arti-

culations des membres sont intactes.

Ces ankyloses osseuses déterminent un ensemble [de troubles fonction-

nels très particuliers. Le thorax, aplati dans le sens anléro-postérieur,

reste constamment immobile, de telle sorte que la respiration est unique-

ment abdominale. Pour garder la station verticale, les malades sont obligés

de fléchir leurs genoux ; dans le lit, ils ne peuvent se coucher comme ils

veulent ; leur dit-on de marcher, les articulations coxo-fémorales ne

fonctionnant pas, la progression ne peut se faire que grâce aux mouve-

ments des genoux et des articulations tibio-tarsiennes, et « il semble qu'en

réalité, les malades soient des mannequins en bois dont les mouvements

des jambes s'effectueraient autour d'un axe transversal passant à la fois

par les deux genoux ». La marche est donc toujours difficile et pénible.

La maladie frappe surtout des adultes du sexe masculin ; elle débute

par des douleurs, qui persistent pendant toute la durée de l'affection ;

mais ces douleurs constituent le seul phénomène inflammatoire, et, au

niveau des articulations atteintes, on ne constate jamais de rougeur, ni de

chaleur, ni de tuméfaction. La spondylose évolue de bas en haut ; elle

peut rétrocéder, mais elle ne guérit jamais.

A l'autopsie d'un de leurs malades, MM. Pierre Marie et Léri (1) ont pu

constater que l'ankylose vertébrale dépend essentiellement de l'ossification

de certains ligaments ; ligaments jaunes, ligaments costo-transversaires,

etc., etc. Ces disques intervertébraux, de même que le ligament vertébral

commun antérieur, sont intacts. Les vertèbres sont d'ailleurs loin de pré-

senter leur aspect normal ; leur surface se recouvre parfois d'exostoses,

les apophyses articulaires se soudent sur toute la hauteur de la colonne

vertébrale, les apophyses épineuses s'unissent partiellement. Quant à

l'ankylose des articulations coxo-fémorales et scapulo-humérales, elle

(1) Pierre Marie et Léri, Autopsie d'un ras de spondylose rhizomélique. Soc. Méd.

des Hôp., 24 février 1899.

42 RAYMOND ET BABONNEIX

tiendrait, d'après MM. Mayet et Jouve (1), à des productions osseuses de

néoformation, d'après M. Curcio (2), à l'ossification de la capsule et des

ligaments articulaires.

Entre les symptômes de la spondylose rhizomélique, tels que les ont

décrits MM. Pierre Marie et Léri, et ceux qu'a présentés notre malade il

y a assurément quelques différences. Elles avaient déjà été signalées par

M. Gasne. La spondylose rhizomélique serait presque particulière à

l'homme : or notre malade appartient au sexe féminin. La spondylose

rhyzomélique débute par des douleurs vives ; elle immobilise les articu-

lations coxo-fémorales en flexion, adduction et rotation interne ; elle atteint

la région cervicale, s'accompagne de craquements, se complique fréquem-

ment d'exostoses ; elle peut rétrocéder, comme M. P. Marie l'a noté dans

plusieurs de ses cas, et comme l'un de nous a pu en observer un fait,

mais elle ne guérit jamais complètement. Au contraire, chez notre ma-

lade, début insidieux, sans douleurs ; ankylose des hanches en flexion,

abduction et rotation externe ; aucun craquement, aucune exostose ; in-

tégrité complète de la région cervicale ; régression spontanée des acci-

dents, aboutissant à une guérison qui s'est maintenue plusieurs années.

Mais ce sont là des nuances. Et si l'on remarque que notre malade a pré-

senté les deux symptômes que M. P. Marie considère comme fondamen-

taux : l'ankylose vertébrale et l'ankylose des articulations de la racine des

membres, on comprendra que, cliniquement, M. Gasne ait pu intituler

sa communication à la Société médicale des Hôpitaux : Sur un cas de

spondylose rhizomélique.

Anatomiquement, nous pouvons, de même, relever quelques différences

entre les lésions que nous avons observées, et celles qu'ont décrites MM. P.

Marie et Léri. Sans doute, n'avons-nous retrouvé, ni les exostoses verté-

brales, ni l'ossification des ligaments jaunes ; par contre, dans notre cas, il 1

existe une ossification partielle des disques intervertébraux que ne signa-

lent pas MM. P. Marie et Léri. Mais il importe de remarquer que ce n'est

pas sur un seul cas que l'on peut fonder une description définitive, et,d'ail-

leurs, ne peut-on supposer que les lésions de la spondylose rhizomélique

varient selon les cas ! Nous admettrons donc que,de par l'anatomie comme-

de par la clinique, notre observation mérite d'être considérée comme un

cas un peu atypique de la maladie isolée par MM. Pierre Marie et Léri.

(1) MAYET et JOUVE, Le rhumatisme vertébral chronique et la spondylose rhizon2éli-

que. Gaz. des Hôpit., no 69, 1902.

(2) CuRcio, Encore sur la spondylose rhizomélique. Gazz. degli Osped., 30 octobre

1904, p. 1381.

SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTEBRAL 43

Si l'on accepte ce diagnostic, une première réflexion s'impose..C'est que

les différents types d'ostéo-arthrite vertébrale n'ont peut-être pas toute la

fixité qu'on leur avait attribuée au début, et qu'il existe entre eux de nom-

breuses formes de transition. Notre cas ne répond pas absolument à la

description de M. P. Marie, mais cet auteur admet lui-même que le ta-

bleau de la spondylose rhizomélique peut présenter quelques variantes.

Parfois, les malades présentent les nodosités phalango-phalanginiennes

que M. Bouchard rattache à la dilatation de l'estomac. D'autres fois

(Kôhler,Beer, Strümpell),l'articulation de l'épaule est toutà fait indemne,

Dans certains cas, enfin, comme le font remarquer MM. Mayet et Jouve,

les petites articulations des mains et des pieds ne sont pas épargnées par

le processus morbide. Fiorentini écrit même : « Si on veut considérer la

spondylose rhizomélique comme une affection définie, on ne peut en

établir les limites avec précision, à cause des variations, petites ou gran-

des qu'elle peut présenter » (1).

Aussi nombre d'auteurs, se fondant, d'une part, sur la variabilité symp-

tomatique de la spondylose rhizomélique, et, d'autre part, sur les affinités

qu'elle présente avec les autres spondylites chroniques, se refusent-ils à

la considérer comme une entité morbide distincte. MM. Ascoli, Boudet,

Frënkel, Gebs, Kollaritz (2), Lépine, Mayet et Jouve (3), Montet (4),

Pagliano (5), Rendu, Sachs, l'identifient au rhumatisme chronique ver-

tébral (6). M. Labeyrie, auteur d'un excellent travail sur les ostéo-arthri-

tes vertébrales (7), admet de même que l'on doit confondre la cyphose

hérédo-traumatique de Bechterew et la spondylose rhizomélique de

M. P. Marie, celle-là correspondant peut-être à des lésions moins avan-

cées que celle-ci. Et MM. Teissier et Roques, dans leur article du Traité

Brouardel-Gilbert (fascicule VIII), écrivent cette phrase, qui nous paraît

mettre tout à fait les choses au point : « Sans rien enlever à la haute

valeur de l'oeuvre de M. P. Marie, il ne nous semble pas que ces arthrites

(1) FIORB11TINI, Sur les ankyloses de la colonne vertébrale. Riv. critic. de clin. medic.,

2 et 9 juillet 1904, p. 429 et 445.

(2) Kollaritz, cité par HUCHARD, La spondylose rhiiomélique, Journ. des praticiens,

22 octobre 1904, p. 6J7.

(3) Loc. cit. '.

(4) MoNTET, Rhumatisme tuberculeux ankylosant, Thèse Lyon, 1903.

(5) PAGLIANO, Deux cas de spondylose rhizomélique, 111orseille média, le, avril 1906.

(6) Pour M. P. Marie, au contraire, le rhumatisme chronique se distingue essentiel-

lement de la spondylose rhizomélique par la participation des petites jointures des

extrémités, qui sont frappées les premières, et plus fortement.

(7) LABSYRIE, Ostéites non tuberculeuses de la colonne vertébrale chez l'adulle, Gaz.

des Hôp., no, 96 et 99, 1905.

44 RAYMOND ET BABONNEIX -

vertébrales et coxo-fémorales à ankylose intense puissent être absolument

séparées des autres arthrites chroniques relevant du syndrome rhumatis-

mal. »

Admettons donc qu'il s'agit d'une spondylose rhizomélique à type un

peu anormal, ou de rhumatisme vertébral chronique. Reste encore à ex-

pliquer la nature des accidents observés. Sont-ils d'origine infectieuse,

toxique ou diathésique ?

Notre malade a contracté la rougeole à 3 ans, la scarlatine à 7, et la

variole à 4 1. Peut-être ces affections ont-elles été la cause originelle de

la maladie. En tout cas, fait négatif dont nous ne saurions trop souligner

l'importance, la patiente n'a jamais eu de rhumatisme articulaire aigu,

jamais elle ne semble avoir contracté de blennorrhagie, elle n'était pas tuber-

culeuse. On sait que c'est à ces trois infections que l'on rattache habituel-

lement la spondylose rhizomélique et cette théorie ne saurait être invo-

quée ici (1).

L'hypothèse d'une intoxication d'origine externe ne mérite pas d'être

discutée longuement. Mais ne s'agirait-il pas, dans notre cas, d'une auto-

intoxication, d'un trouble de la nutrition plus ou moins bien défini (2),

et que l'on pourrait, avec quelques réserves, placer à l'origine de tous ces

troubles !

En faveur de cette hypothèse, nous pouvons faire valoir deux ordres

d'arguments. Cliniquement, nous relevons chez notre malade des antécé-

dents de rachitisme, maladie totius substal1tioe, comme on sait, et qui

exerce sur les organismes en voie de développement une influence par-

fois définitive ; de plus, dès 1898. M. Gasne remarquait certaines ano-

malies physiques : petite taille, volume exagéré de la tête, et certaines

tares d'ordre névropathique ; anatomiquement, nous trouvons des lésions

de deux sortes l : 4° périviscérites fibreuses, arthrites à type mixte,

fibreux et osseux ; et 2° altérations marquées des glandes vasculaires san-

. guines.

Ces périviscérites fibreuses, si marquées au niveau des organes thora-

ciques, n'ont pas été fréquemment signalées dans le rhumatisme chronique

vertébral ; de même, on n'a pas souvent relevé, dans les autopsies,

l'existence de lésions vasculaires analogues à celles que nous avons obser-

vées : nous voulons parler de l'aplasie aortique. Enfin, jamais, à notre

connaissance, on n'a publié de cas de spondylite chronique à l'examen

(1) Il n'existe d'ailleurs du côté des articulations atteintes, aucune lésion inflamma-

toire.

(2) Hypothèse déjà émise par M. Pierre Marie.

SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 45

anatomique duquel on ait constaté des lésions considérables des glandes

à sécrétion interne.

Ce sont là, nous semble-t-il, les deux véritables caractéristiques de

notre cas : productions fibreuses engainant les viscères thoraciques, la

colonne vertébrale et les articulations des hanches ; lésions des glandes

vasculaires sanguines. Si nous rapprochons ces deux ordres de lésions de

la notion étiologique que nous rappellions tout à l'heure, nous pourrons,

peut-être, émettre l'hypothèse suivante : les infections que notre malade

a subies au cours de ses premières années ont déterminé des lésions pro-

fondes des glandes vasculaires sanguines. Ces lésions ont, à leur tour,

provoqué des troubles de la nutrition générale : aplasie vasculaire, néo-

formations fibreuses périviscérales et périarticulaires, ankyloses osseuses.

Il est certain que cette hypothèse n'explique pas tout, et qu'en parti-

culier, elle ne rend pas compte de l'évolution si particulière des acci-

dents : mais elle nous paraît conforme aux idées qui ont actuellement

cours sur le rôle capital qu'exercent, dans l'économie, les glandes à

sécrétion interne. Au reste, peu importent les hypothèses. Ce qui compte,

ce sont les faits. Et nous croyons être les premiers à publier une obser-

vation de rhumatisme vertébral chronique à l'autopsie duquel on ait

relevé, en plus des ankyloses osseuses, en plus des productions fibreuses

périviscérales et périarticulaires, l'existence de lésions considérables,

multiples et indiscutables des glandes vasculaires sanguines.

HOPITAL CANTONAL DE GENÈVE

LABORATOIRE DE M. LE PROFESSEUR BARD.

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE

DES MEMRRES SUPÉRIEURS TYPE ARAN-DUCHENNE

PAR NÉVRITE INTERSTITIELLE HYPERTROPHIQUE

(CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DES maladies d'évolution) (1)

PAR

E. LONG

(de Genève).

Le classement des atrophies musculaires progressives semble pouvoir

être tenté bientôt avec moins d'incertitude que par le passé, Bien que les

cas où l'examen histologique été pratiqué soient en nombre encore relati-

vement restreint, en les mettant en comparaison avec les autres formes

cliniques des maladies dites familiales ou d'évolution, on voit qu'un tra-

vail de révision portant sur l'ensemble de ces faits s'impose de plus en

plus. Il n'est plus possible de chercher à créer dans ce chapitre de la neu-

rologie des types distincts ayant une symptomatologie et une anatomie

pathologique spéciales,; on trouverait entre eux trop de formes inter-

médiaires. On devra dans l'avenir rechercher surtout la nature et la loca-

lisation des lésions et s'attacher à en étudier la physiologie pathologique.

Considérée de cette façon, l'observation suivante peut avoir, croyons-

nous, quelque intérêt documentaire :

Observation clinique.

D... Pernette, née en 1836.

Antécédents héréditaires. Père mort d'accident vers l'âge de 55 ans ; mère

morte à l'âge de 73 ans, un frère et deux soeurs bien portants, un frère mort

d'une maladie aiguë. Il n'y a pas eu dans la famille de cas d'atrophie muscu-

laire.

Antécédents personnels. Bonne santé habituelle,pas de maladies infectieu-

ses. De son mariage elle a eu six enfants : trois filles bien portantes dont deux

sont mariées et ont des enfants sains ; trois fils dont l'aîné s'est suicidé par

(1) Communication faite à la Société de Neurologie de Paris, séance du 6 décem-

bre 1906.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE la Salpêtrière.

T.XX. PI. V

A. Photographie de la malade en 1892. (Depuis lors, l'atrophie musculaire

n'a pas fait de progrès notables).

B. Nerf médian. Coupe transversale. (Pal et Carmin).

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPERIEURS

TYPE ARAN-DUCHENNE, PAR NEVRITE INTERSTITIELLE HYPERTROPHIQUE.

LONG. ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS si

pendaison, le second est mort en bas-âge, le troisième est mort à 18 ans de

tuberculose pulmonaire.

Début et évolution de la maladie. - A l'âge de 44 ans environ, affaiblis-

sement lent et progressif de la main gauche, qui en même temps s'amaigrit peu

à peu. Extension lente de l'atrophie à l'avant-bras, puis au bras et à l'épaule.

La malade fut soignée quelque temps à cette époque à l'hôpital cantonal de

Genève où on l'électrisa mais sans résultat appréciable. Pas d'observation prise

à ce moment. Depuis lors la malade a abandonné tout traitement. Sept ou

huit ans après le début dej'atrophie de la main gauche, les mêmes symptômes

se manifestent à droite : début par les muscles de la main, progression lente

vers l'avant-bras.

En 1892 et 1893 (à l'âge de 56 ans) Mme D... fait quatre séjours de courte du-

rée dans le service de M. le professeur Revilliod. Les notes prises à cette épo-

que par les Drs Jaccard, Maillart, Proniers, assistants du service, donnent les

renseignements suivants :

Membre supérieur gauche. - Les muscles de la main sont comme fondus ;

atrophie complète des muscles des éminences thénar et hypothénar et des in-

terosseux. Atrophie des muscles fléchisseurs et extenseurs de l'avant-bras,

des muscles du bras, du deltoïde, du grand pectoral. Le trapèze, les muscles

sus et sous-épineux ne paraissent pas atteints. L'impotence fonctionnelle de

ce membre supérieur gauche est complète, il pend inerte le long du corps

(Pl. ? A).

Membre supérieur droit. De ce côté l'atrophie est arrivée à un stade

moins avancé. Les muscles de la main sont notablement atrophiés mais leurs

mouvements, quoique faibles et peu étendus, sont encore possibles. Les mus-

cles de l'avant-bras donnent encore des mouvements limités de flexion et d'ex-

tension du poignet et des doigts, mais la malade se fatigue vite lorsqu'elle les

fait agir. Les muscles du bras et de l'épaule paraissent intacts. ,

On note quelques secousses fibrillaires dans les muscles atrophiés (ce symp-

tôme n'a pas été retrouvé depuis cette époque). Refroidissement des mains et

état lisse de la peau qui est très mince.

La face, le tronc et les membres inférieurs sont indemnes de tout trouble

paralytique ou atrophique.

Réflexes patellaires normaux. Pas de troubles sphinctériens.

Sensibilité. Aucune altération de la sensibilité cutanée. La malade se

plaint d'avoir quelquefois des fourmillements et des crampes, tantôt dans le

membre supérieur droit, tantôt dans le gauche, au niveau du bras ou de la a

main.

Etat mental. - A cette époque la malade présente des troubles psychiques

sans grande gravité, exagération d'un état mental habituel : loquacité, instabi-

lité d'humeur. Aussi ses séjours à l'hôpital sont-ils courts, elle s'échappe

même une fois en faisant un trou dans la haie.

Elle rentre à l'hôpital en 1894 dans le service des chroniques et y reste

jusqu'en 1899. L'atrophie et l'impotence des membres supérieurs persistent

48 . LONG

mais ne paraissent pas progresser. La malade s'est plainte au début de dou-

leurs intermittentes dans les membres atrophiés, partant parfois du rachis ou

de la racine du membre et pareilles à des douleurs lancinantes ou fulgurantes

légères.

Dans le cours de ces divers séjours à l'hôpital il n'a pas été fait d'examen

électrique des muscles.

En 1899 la malade est transférée à l'asile des vieillards et c'est là que je

suis allé la voir en 1901 avec mon ami le Dr Wiki qui m'avait signalé ce cas

intéressant. Nous constatons que les membres supérieurs seuls sont atteints

par l'atrophie musculaire ; le tronc et les membres inférieurs sont indemnes

et la malade peut faire à pied de longues promenades. L'atrophie des membres

supérieurs n'est pas symétrique, elle est beaucoup plus accusée à gauche. La

répartition et l'intensité de l'atrophie musculaire concordent bien avec la des-

cription faite en 1893. Il n'y a pas de secousses fibrillaires dans les muscles

atrophiés. Pas de troubles objectifs de la sensibilité. La malade dit ne pas sen-

tir de douleurs dans les membres paralysés (ce n'est que rétrospectivement

que nous avons retrouvé la mention faite par nos prédécesseurs de ces phéno-

mènes douloureux). En somme, le diagnostic le plus probable est donc : atro-

phie musculaire progressive de nature myélopathique à distribution asymé-

trique limitée aux membres supérieurs et arrêtée depuis longtemps dans son

évolution.

En 1903 la malade est atteinte de troubles digestifs graves avec ictère chro-

nique. Elle est transportée à l'hôpital cantonal dans le service de M. le pro-

fesseur Bard. L'état des muscles est le même que précédemment. Mort le 16

septembre 1903.

A l'autopsie,faite par 1\1. le professeur ZaUn,on constate la présence d'un néo-

plasme des voies biliaires. Pour vérifier le diagnostic d'atrophie musculaire de

nature myélopathique on enlève la moelle et vu la rareté du cas on prélève en

même temps, pour en faire des coupes de démonstration, des fragments des

nerfs du plexus brachial gauche et des fragments des muscles deltoïde et

biceps du même côté. C'est grâce à cette heureuse circonstance que nous avons

pu faire un examen intéressant du système nerveux périphérique.

Examen histologique.

Durcissement des pièces par le formol et le liquide de Müller ; coloration des

coupes par le Weigert-Pal, le carmin ammoniacal, la cochenille, l'hématoxyline-

éosine, la safranine, l'encre d'anthracène, le procédé de Van Gieson.

1. Moelle épinière. L'examen des segments médullaires correspondant

aux racines du plexus brachial, du 4e segment cervical au leur segment dorsal

inclusivement, et de quelques segments de la moelle dorso-lombaire donne

un résultat négatif.

Dès le premier coup d'oeil en effet, il est évident que rien dans ce cas ne rap-

Nouvelle Icovogkapiiie- UF la SALYt'THIËHF. T. XX. PI. YI

C. \mf brachial cutané interne.

(l'al et Carmin).

D. Nerf radial, coupe longitudinale. (Pal).

F. Fragments de la 7* racine cervicale gauche. Eu haut,

lilet de la racine antérieure ; diminution des libres

nerveuses. En bas, filet de la racine postérieure, aspect

normal. (Pal et Carmin).

G. Filet antérieur de la 7e racine cervicale droite.

Diminution des fibres nerveuses, pelotons de

libres de régénération. (Pal et Carmin).

E. Neif médian, coupe longitudinale.

([>,11 et Carmin).

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPERIEURS

TYPE ARAN-DUCHENNE, PAR NEVRITE INTERSTITIELLE HYPERTROPHIQUE.

(Long, de Genève.)

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 49

pelle les lésions bien connues de l'axe gris de la moelle dans la poliomyélite

antérieure chronique. Les cornes antérieures de la substance grise ont leur

forme et leurs dimensions habituelles avec un réseau de fibrilles bien myélini-

sées et des cellules radiculaires de nombre et d'aspect normaux (La comparai-

son a été faite avec des coupes d'une moelle normale). Il n'y a donc pas ici de

raréfaction des éléments cellulaires. Il en est de même pour le reste de la subs

tance grise. Les fibres de la substance blanche, la pie-mère, le tissu conjonc-

tif et les vaisseaux intra ou extra-médullaires ne présentent pas non plus d'al-

térations appréciables.

Le résultat négatif de cet examen de la moelle épinière fait contraste avec

les lésions considérables trouvées dans les troncs nerveux périphériques.

II. Nerfs périphériques. - Examen des nerfs du plexus brachial gauche

(nerfs cubital, médian, radial, circonflexe, musculo-cutané et brachial cutané

interne) sur des fragments pris au niveau du creux axillaire ; coupes transver-

sales et coupes longitudinales.

A. Coupes transversales. - Sur les coupes traitées par la méthode de

Weigert-Pal on voit déjà a l'oeil nu ou avec un faible grossissement (Pl. V, B

et PI. VI, C) que le nombre des fibres que contiennent ces troncs nerveux est

très inférieur à la normale. Celles qui sont encore visibles ne sont pas égale-

ment réparties ; certains fascicules en effet sont assez bien fournis tandis que

d'autres ont perdu une grande partie de leurs fibres à myéline, celles qui res-

tent forment le plus souvent des îlots périphériques. On remarque aussi que

le nerf brachial cutané interne, nerf exclusivement sensitif, est proportion-

nellement moins lésé que les nerfs mixtes ; il paraît presque normal sous un

faible grossissement.

En étudiant sous un plus fort grossissement ces coupes transversales on

trouve des lésions complexes (1) :

a) Dans le nerf brachial cutané interne, on voit (fig. 1) : 1- des libres ner-

(t) Les dessins de ce travail sont dus à l'obligeance des Dra Roehrich et A. Cramer

que je tiens à remercier.

xx 4

FIG, 1. - Fascicule du nerf brachial cutané

interne. Pal et carmin. Oc. I, obj. 3.

FIG. 2. - Nerf brachial cutané interne.

Hématoxyline-éosine. Oc. IlI, obj. 8.

la, 0 LONG

veuses en assez grand nombre dont le cylindre-axe est bien visible et la gaine

de myéline d'apparence normale ; 2° des cylindre-axes de petit calibre, entou-

rés d'une gaine de myéline de dimensions également restreintes ; 3° des vacuo-

les claires, anhystes, plus larges que des gaines de myéline et qui montrent

parfois en un point de leur périphérie un cylindre-axe filiforme; 4° des cylin-

dre-axes déformés, sans gaine de myéline et en rapport direct avec le tissu

conjonctif intrafasciculaire. Ce dernier, plus abondant qu'à l'état normal, forme

une gangue interstitielle, régulièrement répartie (fig. 2), constituée par des

éléments fibreux dont les noyaux sont ronds, ovalaires ou fusiformes et sou-

vent parallèles à la direction des fibres nerveuses, si bien que sur ces coupes

transversales, ils sont parfois difficiles à différencier d'avec des cylindre-axes

dépourvus de gaine de myéline. Les gaines lamelleuses et le tissu conjonctif

périfasciculaire ne semblent pas par contre avoir subi une augmentation de

volume notable (PI. VI, C).

b) Dans les nerfs mixtes les faisceaux qui vus à un faible grossissement

(PI. V, B) paraissent, comme le nerf brachial cutané interne, peu altérés mon-

trent avec des grossissements plus forts (fig. 3) les mêmes variantes de lésions,

mais ici déjà les fibres nerveuses composées d'uu cylindre-axe et d'une gaine

de myéline sont au total plus rares et les vacuoles claires sont en plus grand

nombre.

c) Dans tout le reste de la coupe transversale des nerfs mixtes on trouve

des lésions beaucoup plus avancées (V. PI. V, B et fig. 3). Les fibres nerveu-

ses y sont rares. Le tissu conjonctîf intrafasciculaire ne forme plus dans ces

régions une gangue interstitielle continue et dense ; il est au contraire représenté

sur une notable partie du champ du microscope par un réseau de fibres min-

ces, laissant entre elles des espaces clairs, comme dans le tissu conjonctif lâche.

Autour des éléments nerveux ce tissu conjonctif se condense soit pour former

FiG. 3. - Nerf médian. Pal et carmin. Oc. 1, obj. 3.

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 51

un feutrage plus ou moins épais englobant parfois plusieurs fibres nerveuses soit

(et c'est le cas le plus fréquent) pour constituer autour de la fibre nerveuse un

manchon cylindrique. Cette dernière disposition, si caractéristique et qui rap-

pelle aussitôt les faits semblables décrits par Gombault et Mallet, Dejerine et

Sottas, est encore plus nette sous un fort grossissement et avec des coupes

colorées par l'hématoxyline-éosine (fig. 4). On voit alors que ce manchon

fibreux qui prend l'aspect d'une volumineuse gaine de Schwann est formé de

couches concentriques ; les cellules conjonctives qui le composent montrent

des noyaux en assez grand nombre et à la périphérie du manchon elles se con-

tinuent avec les fibres plus espacées du tissu réticulé avoisinant.

Les fibres nerveuses contenues dans ces gaines volumineuses sont parfois

assez bien conservées ; on distingue facilement-leur cylindre-axe entouré d'une

gaine de myéline de dimensions variables ; mais le plus souvent le cylindre-

axe est ténu et la gaine de myéline incolorable ; souvent aussi on ne trouve

an centre du manchon fibreux qu'un espace central plus clair qui représente

la place de la fibre nerveuse absente.

Toutes ces variantes se retrouvent dans les coupes transversales de tous les

nerfs mixtes du plexus brachial, mais elles sont irrégulièrement réparties et

souvent, en déplaçant de quelques millimètres la préparation on passe d'une

zone peu altérée à une autre dont les lésions sont beaucoup plus considérables

(fig. 3 et 4).

En résumé ces coupes transversales des nerfs mixtes montrent une raréfac-

tion des fibres nerveuses ; celles qui restent sont les unes normales, les autres

atrophiées et beaucoup d'entre elles sont entourées d'un tissu conjonctif dense,

tandis qu'ailleurs le tissu conjonctif intra-fasciculaire présente la disposition

du tissu conjonctif réticulé.

Ici encore, le tissu conjonctif périfasciculaire et la gaine lamelleuse ne sont

pas hypertrophiés. Les vaisseaux, vasa nervorum, ne sont pas modifiés dans

leur structure.

B. Coupes longitudinales. - On retrouve la même répartition irrégu-

lière des libres nerveuses, tautôt rassemblées en fascicules presque aussi

Fia. 4. - Nerf musculo-cutané. llématoxyline-éosine. Oc. III, obj. 8.

52 LONG

compacts que sur des nerfs normaux, tantôt raréfiées et assez espacées pour

qu'on puisse les étudier séparément comme à l'état de dissociation (Pl. VI,

D, E). Elles se présentent sous des aspects multiples, bien visibles avec des

coupes colorées au Weigert-Pal et au carmin, ou à la safranine ou encore à

l'encre d'anthracène (fig. 5, 6, 7) :

a) Les unes ont conservé leur forme normale, la gaine de Schwann n'est

pas hypertrophiée, les segments interannulaires de la gaine de myéline sont'

disposés régulièrement. Mais c'est là l'exception.

b) D'autres fibres dont la gaine de Schwann est épaissie en manchon plus

ou moins volumineux ont cependant encore une gaine de myéline assez bien

fournie quoique de forme irrégulière et crénelée. Cette variante aussi est peu

fréquente.

c) La plupart des fibres ont une gaine périphérique très dense et épaisse et

sont elles-mêmes arrivées à un stade d'atrophie avancé : la gaine de myéline

est filiforme ou moniliforme, le cylindre-axe est grêle. On voit parfois dans un

même manchon fibreux deux ou trois fibres nerveuses à des degrés divers d'al-

tération, soit juxtaposées, soit entrelacées. Nous avons même trouvé une dis-

position assez curieuse ; une fibre nerveuse qui dans sa gaine fibreuse épaissie

se recourbe et revient sur elle-même (fig. 6),

Fm. 5. - Fibres du radial. Pal et carmin.

Oc. III, obj. 6.

FIl" 6. - Une fibre du nerf

médian. Pal et carmin. Oc.

III, obj. 6.

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 53

Nombre de gaines fibreuses ne contiennent plus qu'un cylindre-axe grêle,

dépourvu de myéline et difficilement colorable, même par la fuchsine-acide ou

la safranine. Il est enfin des gaines qui ne constituent plus qu'un cordon fibreux

dans lequel on ne trouve aucun vestige de la fibre nerveuse.

Sur ces coupes longitudinales la structure du tissu conjonctif intrafasciculaire

est mieux démontrable que sur les coupes transversales (fig. 7). Les cellules

fibreuses qui le constituent sont allongées dans le sens des fibres nerveuses,

leurs noyaux, ovalaires ou fusiformes, sont de dimensions variables. Ces

gaines fibreuses se résolvent à la périphérie en fibrilles qui dans les espaces

clairs forment un tissu réticulé à mailles très lâches.

III. Racines rachidiennes. - Un premier examen sommaire des racines

antérieures du plexus brachial avait été pratiqué aussitôt après l'autopsie (fixa-

tion par l'acide osmique et dissociation) ; il avait montré des fibres nerveuses

en grand nombre dont la gaine de myéline, imprégnée par l'acide osmique était

normale et formée de segments annulaires régulièrement rectangulaires. Le

résultat de cet examen était négatif en apparence et concordait avec l'intégrité

de la moelle épinière constatée ultérieurement. Mais les lésions de névrite

interstitielle trouvées sur les coupes des nerfs périphériques nous ont engagé à

revoir les racines rachidiennes avec un procédé plus précis que celui de l'acide

osmique, dans lequel les éléments interstitiels, non imprégnés, sont générale-

ment laissés de côté au cours de la dissociation. Des (ilets des racines rachi-

diennes antérieures et postérieures du plexus brachial ont été inclus à la cel-

loïdine et débités en coupes transversales. On peut ainsi constater des faits

intéressants.

A un faible grossissement déjà (PI. VI, F) on voit qu'il y a moins de fibres

à myéline dans les racines antérieures que dans les racines postérieures

et le tissu conjonctif intrafasciculaire y est plus abondant. Quand on examine

FiG. 7. - Fibres du nerf radial. Anthracène et hématoxyline. Oc. III, obj. 8.

54 LONG

ces coupes avec un plus fort grossissement (fig. 8), les fibres nerveuses des

racines antérieures se présentent pour la plupart avec un cylindre-axe et une

gaine de myéline de dimensions normales ; mais elles sont plus distantes les

unes des autres que dans les racines postérieures. Les espaces qu'elles lais-

sent entre elles sont occupés par du tissu conjonctif assez serré, dans lequel

on retrouve des fibres atrophiées représentées par un cylindre-axe mal coloré

et une gaine de myéline petite et peu transparente, à peine distincte de ce tissu

conjonctif interstitiel. En outre, on voit qu'autour des fibres nerveuses même

bien conservées le tissu conjonctif forme une gaine annulaire, comme dans les

nerfs périphériques mais avec un moindre volume. Il est à noter que tout

comme dans dans les nerfs périphériques le tissu conjonctif périfasciculaire

n'est pas modifié.

Nous retrouvons donc ici sous une forme atténuée le double processus :

atrophique pour les libres nerveuses, hyperplasique pour les éléments inter-

titiels intrafasciculaires.

Ces lésions n'existent que dans les racines antérieures; les racines posté-

rieures sont manifestement normales, et ceci vérifie les dissemblances trouvées

à la périphérie entre le nerf brachial cutané interne, exclusivement sensitif, et

les nerfs mixtes dans lesquels ce sont, selon toute vraisemblance, les fibres

motrices qui ont été le plus atteintes.

Ces lésions sont plus marquées dans les racines antérieures gauches que

dans les racines droites. Un petit point spécial qui mérite d'être noté, c'est la

présence au milieu des fibres un peu raréfiées de la racine antérieure C 7 de

pelotons compacts de fibres nerveuses enroulées (PI. VI, G). Cette disposition

doit être interprétée comme un processus de régénération ; nous ne l'avons

pas retrouvée sur les coupes des autres racines.

IV. Muscles (Fragments du biceps brachial et du deltoïde gauches, coupes

longitudinales et transversales, coloration par l'hématoxyline-éosine et le pro-

cédé de van Gieson). - Comme [dans les troncs nerveux, les lésions sont iné-

gales et inégalement réparties. De deux fragments du (deltoïde, prélevés l'un

à la partie antérieure, l'autre à la partie postérieure de ce muscle, le second

Fio. 8. Racine antérieure C VIII. Hématoxyline-éosine. Oc. III, obj. 6.

atrophie musculaire PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 55

est notablement plus atrophié que le premier et dans le fragment pris sur le

muscle biceps toutes les fibres musculaires ont disparu.

Les fibres musculaires que l'on voit sur les coupes du deltoïde sont de

volume variable (fig. 9) ; il en est qui sont hypertrophiées, d'autres sont en

état d'atrophie plus ou moins avancé; les fibres en état d'atrophie complète ne

sont plus représentées que par des boyaux de tissu conjonctif contenant des

noyaux arrondis ou allongés.

Le tissu conjonctif interstitiel a son aspect habituel ; il n'y a pas ici de sclé-

rose interstitielle hyperplasique. Les vaisseaux ne sont pas altérés dans leur

structure.

Les petits filets nerveux intra-musculaires que l'on voit sur les coupes du

deltoïde contiennent encore des fibres nerveuses mais en nombre bien infé-

rieur à la normale; celles qui restent sont de volume variable et presque

toutes munies d'une gaine de myéline. Le tissu conjonctif intra-fasciculaire

remplit les vides, mais il ne forme pas de gaines fibreuses distinctes autour

des éléments nerveux comme dans les gros troncs nerveux ou les racines

rachidiennes antérieures. Par contre, le hasard a fait qu'on ait enlevé avec le

fragment du muscle biceps un nerf d'assez gros calibre, probablement une

branche de division du musculo-cutané ; et ici on retrouve la même particula-

rité que dans les gros nerfs du creux axillaire, c'est-à-dire des zones où les

fibres nerveuses raréfiées sont entourées d'une gaine fibreuse en manchon,

tandis que le tissu conjonctif intra-fasciculaire est en partie transformé en tissu

réticulé.

Résumé de L'OBSERVATION clinique. - Pas d'antécédents héréditaires.

Déséquilibre mental habituel. A l'âge de 44 ans, début d'une atrophie

musculaire progressive au niveau de la main gauche, type Aran-Du-

chenne ; extension lente aux muscles de l'avant-bras, du bras et de

l'épaule gauches. 7. à 8 ans après le début de la maladie , atrophie pro-

gressive des muscles de la main droite, atrophie consécutive incomplète

des muscles de l' avant-bras .Rares secousses fibrillaires dans les muscles

atrophiés. Intégrité des muscles du bras et de l'épaule droits. Arrêt de

FiG. 9. - Muscle deltoïde, coupe transversale. Hématoxyline-éosine.

Oc. III, obj. 6.

56 LONG

la marche de la maladie après une douzaine d'années d'évolution.

Intégrité de la face, du tronc et des membres inférieurs. Pas de trou-

bles de la sensibilité cutanée. Douleurs intermittentes pendant quel-

ques années dans les membres supérieurs. Mort à 67 ans par néo-

plasme des voies biliaires.

Résumé de l'examen histologique. Intégrité de la moelle épinière.

Dans les troncs nerveux périphériques diminution du nombre des

fihres à myéline. Tissu conjonctif intra-fasciculaire tantÓt raréfié et

transformé en tissu réticulé, tantôt' épaissi et condensé dans les inter-

valles des fibres nerveuses. Présence de gaines conjonctives annulaires

et volumineuses autour d'un grand nombre de fibres des nerfs mixtes.

Ces diverses lésions sont plus marquées dans les nerfs mixtes que

dans les filets sensitifs. Elles diminuent à la périphérie, dans les nerfs

m ? Mxe«/<2'e, et au niveau des racines rachidiennes dont les

antérieures seules sont lésées et à un moindre degré que les troncs

nerveux du plexus brachial. Pas d'augmentation du tissu conjonctif

péri-fasciculaire ni des gaines lamelleuses des nerfs. Pas d'altérations

de structure des vasa-nervorum.

Remarques.

Du vivant de la malade ce cas a été considéré à tort comme un exemple

d'atrophie musculaire progressive de nature myélopathique (poliomyélite

antérieure chronique). Le début pa les extrémités des membres supé-

, rieurs, l'extension lente et progressive, la présence de secousses fibrillaires,

l'intégrité de la sensibilité cutanée, l'état normal des réflexes rotuliens

semblaient légitimer ce diagnostic. L'intégrité des muscles du tronc et des

membres inférieurs s'expliquait par l'arrêt de l'évolution de la maladie.

L'erreur de diagnostic vient du fait qu'on a négligé un symptôme im-

portant : la malade a souffert pendant plusieurs années de douleurs dans

les membres supérieurs, douleurs intermittentes, variables de siège et

d'intensité, décrites tantôt comme des crampes localisées, tantôt comme

des douleurs lancinantes à long trajet partant de la racine des membres ou

même du rachis. Ces douleurs que l'on prit pour un phénomène acces-

soire, rhumatismal, se manifestèrent encore alors que l'atrophie muscu-

laire avait cessé de progresser d'une manière apparente, puis elles dispa-

rurent à leur tour.

Le résultat inattendu de l'examen histologique montre une fois de plus

l'importance de ces symptômes douloureux en physiologie pathologique.

En fait, on peut considérera présent comme établi que les atrophies pro-

gressives myopathiques sont en elles-mêmes indolores et que les lésions

de l'axe gris de la moelle le sont également (poliomyélite antérieure chro-

atrophie musculaire PROGRESSIVE DES membres SUPÉRIEURS 57

nique, syringomyélie, sclérose latérale amyotrophique). Seules les formes

où les nerfs périphériques ou les racines rachidiennes sont pris peuvent

logiquement donner des phénomènes douloureux qui seront plus ou

moins intenses suivant la quantité des lésions causales, mais qui pourront

se reconnaître par leur persistance et leur localisation aux régions attein-

tes par l'atrophie musculaire. Il y a là un fait important qui doit permettre

de faire le diagnostic de lésions périphériques dans certaines formes cli-

niques d'atrophies qui comme l'amyotrophie Charcot-Marie.pour ne citer

qu'un exemple bien typique, ont une anatomie pathologique variable sui-

vant les cas. On pourra ainsi lorsque des lésions périphériques seront

supposées en faire un examen histologique aussi complet que possible.

Il eût été intéressant par exemple dans l'observation qui fait l'objet de .,

ce travail de rechercher l'état des ganglions spinaux et des filets sensitifs'.

cutanés et de faire la comparaison des lésions à différentes hauteurs sur-

les nerfs sensitifs et sur les nerfs moteurs. Nous devons, faute de mieux, ?

constater l'intégrité des racines postérieures et attribuer les phénomènesit

douloureux qui se sont manifestés à des altérations des nerfs périphériques\*

sans savoir à partir de quelle région el les se sont établies ni où elles avaient \

leur maximum.

Quant à l'atrophie musculaire il est bien évident que dans ce cas elle

est due à la dégénérescene des fibres motrices, accompagnée ou aggravée

peut-être par les lésions hyperplasiques du tissu conjonctif intrafascicu-

laire ; il est bien évident aussi que ces deux catégories de lésions sont

plus intenses au niveau des troncs nerveux du creux axillaire et de leurs

branches de division et qu'elles sont moins marquées, d'une part à la

périphérie dans les filets intra-musculaires, d'autre part au niveau des

racines antérieures de la moelle. Ces lésions périphériques systématisées

des fibres motrices n'ont pas eu un retentissement appréciable sur les

cellules des cornes antérieures de la moelle.

En passant à l'examen détaillé des lésions des nerfs mixtes on voit

qu'elles se présentent sous une forme typique : diminution du nombre

des fibres à myéline, augmentation du tissu conjonctif interstitiel et

présence, autour de la plupart des fibres nerveuses, d'une gaine conjonc-

tive annulaire et épaisse. Cet aspect si caractéristique (fig. 3 et 4) est

bien semblable à celui qui a été décrit par Dejerine et Sottas dans la névrite

interstitielle hypertrophique, affection familiale dont M. Dejerine a repris

récemment l'étude à l'occasion de l'autopsie du second de ses malades (1).

(1) Dejerine etSOTTAS, Sur la névrite interstitielle, hypertrophique et progressive

de l'enfance. Mémoires de la Société de Biologie, 18 mars 1893 ; DEJERINE et ANDRÉ-

Thomas, Société de Neurologie, 6 juin 1901 ; Dejerixe et ANDRÉ Thomas, Nouv. Icono-

graphie de la Salpêtrière, 1906, n° 6.

58 LONG

La comparaison que nous avons pu faire avec des coupes que notre maître

M. Dejerine a eu l'amabilité de nous remettre est des plus démonstrative.

La même analogie est évidente avec les lésions décrites par Gombault et

Mallet dans leur observation intitulée : « Un cas de tabes ayant débuté dans

l'enfance» (1). Ces auteurs décrivent dans le texte des fibres de moyen

calibre entourées de lames striées s'emboîtant les unes dans les autres et

de grosses fibres entourées d'une lame épaisse (V. la fig. 3 de la planche

qui accompagne leur mémoire).

Ces lésions semblent avoir existé aussi dans les cas déjà souvent cités

de Virchow, Friedreich, Dubreuilh, malheureusement publiés sans des-

sins explicatifs.

Virchow (2) dont l'attention s'est portée davantage sur les lésions mus-

culaires fait une brève description des nerfs. Ils semblent, dit-il, conte-

nir moins de fibres que normalement, car sur des coupes transversales et

longitudinales il reste des espaces vides très larges occupés par un tissu

riche en noyaux. Les nerfs contiennent encore des fibres qui ont une

grande largeur; après traitement par l'acide acétique, la potasse ou

la soude elles paraissent plus lisses et homogènes, moins foncées et elles

présentent par places de gros amas de myéline. A l'oeil nu les nerfs ne

sont pas atrophiés ; quelques-uns, comme le tibial antérieur, sont même

épaissis, bleuâtres, mais on y trouve difficilement des fibres.

Friedreich danssonouvragesur «L'atrophie musculaire progressive »(3)

donne deux observations anatomo-cliniques importantes pour le sujet

qui nous occupe. L'observation I (atrophie musculaire progressive de la

main droite et des membres inférieurs, intégrité de la main gauche) montre

à l'examen histologique une intégrité certaine de la moelle épinière et des

nerfs sympathiques. Les filets nerveux des muscles de la main droite

sont entourés d'un tissu conjonctif épais qui s'infiltre aussi entre les

fibres ; ce névrilème hyperplasique contient beaucoup de noyaux ainsi

que la gaine de Schwann. Ces lésions se retrouvent dans les troncs ner-

veux et vont aux racines antérieures et aussi, mais à un moindre degré, aux

racines postérieures. Friedreich fait également un examen détaillé des mus-

cles et conclut à l'existence d'une myosite chronique interstitielle et d'une

névrite chronique interstitielle. Dans l'observation II (atrophie musculaire

progressive des membres supérieurs et inférieurs) il trouve des lésions

des cordons postérieurs,des racines rachidiennes antérieures et postérieu-

(1) GOHBAULT et MALLET, Archives de médec. expériment. et d'anat. path., 1889, p. 385.

(2) Vmcnow, Ein Fall von progressive)- Muskelatrophie, Archiv. fiir path. Anatomie

und Physiologie, vol. VIII, 1855, p. 537.

(3) Friedreich, [Te6e»' progressive Muskelairophie und ùber wahl'e und faslehe Mus-

kelhypcrtrophie, 1813.

atrophie musculaire PROGRESSIVE DES membres SUPÉRIEURS 59

res et des nerfs périphériques, et dans les muscles des lésions fibreuses

aux membres supérieurs, lipomateuses aux membres inférieurs. Les mo-

difications des nerfs périphériques consistent en une névrite interstitielle

très marquée avec augmentation du névrilème et du tissu interfasciculaire

des troncs nerveux et des filets musculaires. Les filets sensitifs de la peau

sont' intacts.

' Friedreich, on le voit, expliquait ces atrophies progressives par des

lésions multiples et variables et n'hésitait pas à admettre des dégénéres-

cences primitives, soit des muscles et des nerfs soit des nerfs seuls. Il

admettait entre autres l'existence d'une névrite interstitielle chronique. On

sait que ces observations anatomo-cliniques de Virchow et Friedreich ont

servi dès 1889 à Hoffmann (1) à soutenir l'existence d'une forme dite

neurotique ou neurale de l'atrophie musculaire progressive dans laquelle

il faisait rentrer en particulier l'amyotrophie type Charcot-Marie dont

l'anatomie pathologique était encore inconnue.

On a aussi annexé ultérieurement à l'atrophie neurotique les observa-

tions de Dubreuilh publiées en 1890 (2) et dont deux comprennent un

examen histologique. L'observation I de ce travail est une atrophie qui

atteignit d'abord les membres inférieurs et fut attribuée à des névrites

suite de gelure et de blessures par éclat d'obus ; les membres supérieurs

se prirent plus tard alors que le malade était peintre en bâtiments, d'où

l'hypothèse de saturnisme ; il y eut pendant longtemps des secousses fibril-

laires visibles et des douleurs dans les membres atrophiés. L'examen his-

tologique montre une diminution considérable du nombre des fibres dans

les troncs nerveux, et autour des fibres nerveuses,une enveloppe conjonc-

tive fibreuse en anneau, contenant parfois plusieurs fibres à la fois et

parfois aussi ne contenant pas de fibre nerveuse mais un point rose qui

est soit un noyau, soit un cylindre-axe. Les lésions des nerfs vont en s'ac-

centuant vers la périphérie où le nombre des gaines vides est considérable.

La moelle est normale. Dans l'observation II de Dubreuilh où l'atrophie'

musculaire progressive est nettement familiale, la diminution du nombre

des fibres nerveuses dans les nerfs périphériques est évidente, mais

variable d'un nerf à l'autre. Il y a de la névrite interstitielle, mais l'au-

teur ne dit pas que le tissu conjonctif intrafasciculaire ait formé des man-

chons fibreux autour des libres nerveuses ; on ne pourrait donc parler ici

de névrite hypertrophique. Les muscles présentent des lésions souvent

juxtaposées d'hypertrophie et d'atrophie des fibres musculaires. La moelle

(1) HOFFMANN, Uber neurotische progressive Muskelatrophie. Archiv sur Psychiatrie,

1889, p. 661.

(2) DUBREMLH, Etude sur quelques cas d'atrophie musculaire, etc. Revue de méde-

cine, 1890, p. 441. 1

60 LONG

est intacte, du moins les fibres nerveuses y sont en nombre normal, mais

il y a une légère augmentation de la névroglie qui en certaines régions

envahit la totalité des cordons postérieurs. , '

Dans la suite, et surtout après la publication du mémoire de Dejerine

et Sottas,on s'est occupé des rapports possibles de la névrite interstitielle

hypertrophique avec les diverses formes cataloguées en Allemagne atro-

phie musculaire progressive neurotique et en France amyotrophie type

Charcot-Marie.

Marinesco (1) en 1894 publie le premier examen histologique d'un des

cas qui avaient servi à la description clinique de Charcot et Marie. Les

lésions sont complexes : dans la moelle diminution numérique des cel-

lules radiculaires des cornes antérieures et sclérose des cordons postérieurs

avec tourbillons névrogliques ; dans les troncs nerveux, dégénérescence

des fibres à myéline, augmentation du tissu conjonctif surtout au niveau

de la gaine lamelleuse qui est hypertrophiée, tandis que le tissu conjonc-

tif intrafasciculaire est notablement moins altéré, les vaisseaux des nerfs

sont normaux. Marinesco tente comme Hoffmann une oeuvre de synthèse

et fait rentrer dans l'amyotrophie Charcot-Marie non seulement les obser-

vations invoquées par son prédécesseur, mais encore celle de Gombault

et Mallet et de Dejerine et Sotlas et il cherche à expliquer les différences

assez considérables qui existent entre ces cas et le sien par une évolution

plus ou moins longue permettant aux lésions conjonctives hypertrophiques

de s'étendre et de s'accentuer avec l'âge. M. Dejerine a montré le peu de

fondement de cette hypothèse : l'hypertrophie des nerfs quand elle existe

est constatable même chez des sujets jeunes, ainsi qu'il le prouvait dans

une nouvelle observation clinique (2).

Des lésions des nerfs périphériques (hyperplasie de la gaine lamelleuse

et du tissu conjonctif interfasciculaire) ont été trouvées plus tard par

Sainton (3) à l'autopsie d'un autre des sujets de Charcot et Marie ; mais

les lésions médullaires concomitantes (sclérose des cordons postérieurs,

atrophie partielle des cornes antérieures) semblent à cet auteur devoir

être mises au premier rang et démontrer l'origine spinale de celle forme

clinique.

Inversement, des observations comparables à celles de Marinesco et de

Sainton sont interprétées, surtout en Allemagne comme des preuves de la

nature périphérique des lésions causales de l'atrophie musculaire (atrophie

(1) Marinesco, Contribution à l'étude de l'amyotrophie Charcot-Marie, Arch. de

méd. exp. et d'anat. pathol., 1894, p. 923.

(2) Dejerine, Contribution à l'élude de la névrite interstitielle hypertrophique et

progressive de l'enfance. Revue de Médecine, 1896, p. 881.

(3) Sainton, L'amyotrophie type Cliarcot-Marie, Thèse de Paris, 1889, p.86.

ATROPHIE MUSCULA111E PROGRESSIVE DES'MEMBRES SUPÉRIEURS 61

neurotique de Hoffmann). Siemerling (1), dans un cas où l'atrophie avait

débuté entre 5 et 7 ans par les muscles des cuisses et des mains et avait

été accompagnée de douleurs, trouve à l'examen histologique.une sclérose

des cordons latéraux et postérieurs, une atrophie des cornes antérieures.

des racines postérieures intactes et des nerfs périphériques dégénérés. Il

considère la lésion des nerfs comme primitive.

Nous n'avons cité ces divers travaux que pour les lésions histologiques

qu'ils décrivent et qui peuvent être mises en comparaison ou en opposition

avec celles que nous avons trouvées à notre tour. Nous avons rappelé

aussi les déductions qu'on en a tirées pour montrer combien l'observa-

tion que nous rapportons aurait paru difficile à classer il y a quelques

années encore. Actuellement la question des atrophies musculaires pro-

gressives a évolué vers une conception générale plus satisfaisante et cette

observation ne vient après beaucoup d'autres que montrer une nouvelle

forme de passage à côté des types cliniques que l'on croyait autrefois

nettement distincts les uns des autres.

Il est inutile de refaire ici l'historique de la doctrine des maladies d'é-

volution.Bien qu'elle n'ait pas encore dans les traités classiques la place

qui lui est due, elle est connue de presque lotis. Elle n'est même pas ré-

cente puisqu'en 1901 nous avons trouvé facilement les matériaux né-

cessaires pour faire sur ce sujet une revue générale (2). Depuis lors elle

s'est encore amplifiée ; un de ses principaux défenseurs, Jendrassik (3), lui

a consacré de nouvelles recherches démonstratives et dernièrement notre

collègue et ami Apert (4)' a publié un ouvrage dans lequel dès le premier

paragraphe de l'introduction il pose nettement la question sur son véritable

terrain ; la maladie du germe lui-même, la tare latente qui se manifestera

plus tard avec l'évolution ultérieure du sujet. Il suffira donc de résumer

les données decette doctrine et de les appliquer au cas particulier.

Les maladies d'évolution, quand elles atteignent plusieurs sujets d'une

même génération ou de plusieurs générations dans la même famille,

prennent de ce fait même une allure caractéristique qui les fait recon-

naître aisément ; selon la formule de Londe, de Pauly et Bonne la mala-

die : 1° atteint sans changer de forme plusieurs enfants d'une même gé-

nération ; 2° débute à peu près au même âge chez tous les enfants de cette

génération ; 3° est cliniquement indépendante de toute influence exté-

(1) Siemerling, Reilrag zur neuritisclien ],'oi-en der progressiven D9ukelalropltie.

Neurol. Centralblatt, 1891, p. 569, et Archiv. sur Psychiatrie, vol. XXIX, p. 996.

(2) Long, Les maladies nerveuses familiales [maladies d'évolution). Revue méd. de

la Suisse romande, avril-mai 1901.

(3) JENDRASSIK, lieitrdge zur Kenntniss der laereditaren laraziklteilen. Deut. Zeitschrifft

sur Nervenheilkunde, vol. XXII, 1902. ·

(4) APERT, Maladies familiales et maladies congénitales, 1907.

62 LONG

rieure, d'une affection acquise ou d'un accident de la vie intra-utérine.

Mais les cas isolés existent aussi, ils ne sont même pas rares, la remar-

que en a été faite depuis longtemps pour la paraplégie spasmodique pro-

gressive, pour les atrophies myopathiques, etc. Ces cas isolés sont cepen-

dant reconnaissables cliniquement. Ils apparaissent, comme l'a fait remar-

quer Jendrassik, de préférence soit dans la période de formation, soit dans

la période de régression de l'organisme ; leurs symptômes ont un début

insidieux, une marche régulière, lente et progressive, ils ne subissent

jamais d'amélioration,mais si les malades ne succombent pas à une maladie

intercurrente, ils peuvent s'arrêter après une marche extensive plus ou

moins longue, car il est à remarquer que la plupart de ces formes cli-

ques n'entraînent pas la mort par elles-mêmes (En fait,il n'y a guère que

les formes à localisations bulbaires qui puissent créer un danger immé-

diat). La variabilité symptomatologique des maladies d'évolution est bien

connue; d'une famille à l'autre, d'un cas isolé il l'autre on trouve des

analogies, on ne trouve pour ainsi dire jamais de ressemblance absolue,

tandis que les dissemblances entre divers cas, d'une même famille sont

l'exception.

Bien que l'anatomie pathologique de ce groupe de maladies ne possède

encore qu'un nombre restreint de faits, les documents recueillis jusqu'à

présent permettent par leur rapprochement une étude d'ensemble. Les

lésions essentielles se présentent sous la forme de dégénérescences le plus

souvent systématisées et caractérisées par une diminution de nombre ou

de volume des éléments histologiques (cellules ou fibres conductrices des

centres nerveux, fibres périphériques motrices,sensitives ou sympathiques,

fibres musculaires). On ne peut les interpréter que comme des phénomè-

nes d'atrophie régressive simple ; on ne les trouve pas en effet associées à

des lésions inflammatoires locales ou à des lésions vasculaires capables

d'agir par ischémie.

Si ces lésions atrophiques étaient seules en cause, leur pathogénie pa-

raîtrait assez- facile à expliquer : usure sans remplacement ; et on pour-

rait admettre le terme de brachybiotie proposé par quelques auteurs

anglais ou celui d'Aufbranchkrantdteiien (maladies d'usure) que donne

Edinger. Mais, fait important, on voit s'y ajouter parfois des lésions

hypertrophiques. Ces dernières, dans les faits connus jusqu'à présent

portent sur les éléments interstitiels ; elles donnent la lipomatose de la

myopathie, pseudo-hypertrophique, la névrite interstitielle avec ou sans

hypertrophie ; dans les centres nerveux la sclérose névroglique en tourbil-

lons doit être du même ordre. Ces lésions dites hypertrophiques ne

peuvent être un simple processus de remplacement, elles dépassent le

plus souvent en importance les lésions atrophiques des éléments nerveux

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 63

ou musculaires. A proprement parler ce n'est pas une hypertrophie ou

hyperplasie, il y a hypergenèse, c'est-à-dire augmentation numérique des

éléments histologiques. Et c'est là ce qui fait des maladies d'évolution

un problème des plus intéressants. Ainsi que Strümpell le disait déjà en

1893, elles doivent être dues à un état anormal d'organisation de certains

systèmes histologiques, elles existent en germe dès la période de forma-

tion embryonnaire et leurs effets visibles ne se manifesteront qu'à une

période plus oumoins avancée de la vie. Si on leur applique la dénomina-

tion de maladies héréditaires, il faut prendre ce mot dans un sens actif

(vererbteKrankheiten) ; elles sont données par les parents qui peuvent

eux-mêmes n'en être pas atteints, de même que tous les enfants n'en sont

pas nécessairement porteurs ; le fait est banal en tératologie.

Ces lésions d'atrophie régressive des éléments nerveux ou musculaires

avec ou sans hypergenèse des éléments interstitiels ont des localisations

et une extension des plus variables qui expliquent la multiplicité des

formes cliniques. Pour ne citer que les cas résumés plus haut et où on a

trouvé une névrite interstitielle, nous trouvons des variantes nombreuses.

Dans le cas de Virchow où l'atrophie musculaire avait atteint les mem-

bres inférieurs puis les membres supérieurs il y avait des lésions des cor-

dons postérieurs de la moelle ; dans les nerfs périphériques la raréfaction

des fibres nerveuses était accompagnée d'une sclérose conjonctive avec

épaississement de ces troncs nerveux. L'observation I de Friedreich (atro-

phie d'un membre supérieur et des deux membres inférieurs) indique une

intégrité évidente de la moelle épinière ; dans les nerfs périphériques, en

même temps que la diminution des fibres nerveuses il y avait un épaissis-

sement du névrilème, du tissu intra et extrafasciculaire et des gaînes de

Schwann. Les racines rachidiennes étaient altérées, les antérieures plus

que les postérieures. Dans l'observation II (atrophie des membres supé-

rieurs et inférieurs) les lésions portent à la fois sur les cordons posté-

rieurs de la moelle, sur les racines rachidiennes antérieures et postérieures

et sur les nerfs périphériques (augmentation du névrilème et du tissu inter-

fasciculaire) ; les filets sensitifs étaient intacts, les lésions des fibres mus-

culaires s'accompagnaient de lipomatose aux membres inférieurs, de sclé-

rose interstitielle simple aux membres supérieurs.

Les deux cas publiés par Dubreuilh présentent de notables différences :

dans le premier la moelle est intacte, la névrite interstitielle périphé-

rique forme autour des fibres nerveuses raréfiées des enveloppes en

anneaux ; dans le second la moelle est également intacte, les nerfs pé-

riphériques sont altérés dans des proportions très variables, mais il n'y

a pas de manchons fihreux autour des fibres nerveuses. L'observation de

Marinesco qui se rapporte à un cas authentique d'amyotrophie type

64 LONG

Charcot-Marie montre des lésions multiples : disparition partielle des cel-

lules des cornes antérieures, dégénérescence des cordons postérieurs avec

sclérose névroglique en tourbillons, comme dans le cas de maladie de

Friedreich décrit parDejerine etLetulle et comme dans diverses observa-

tions où cette lésion est décrite comme un phénomène accessoire ; dans

les nerfs périphériques, à côté des lésions atrophiques des fibres nerveuses

il y a une hyperplasie conjonctive, mais elle porte surtout sur la gaine

lamelleuse et le tissu interfasciculaire, le tissu intrafasciculaire ne pré-

sente pas la même augmentation. -

On voit combien il serait difficile de créer une forme anatomo-clinique

précise d'après ces documents. D'un cas à l'autre il y a trop de dissem-

blances globales ou régionales. Si on considère ensuite l'observation de

Gombault et Mallet et les deux observations étudiées dans la même famille

par Dejerine avec Sottas et avec André-Thomas on trouve ici des lésions à

la fois très étendues et très intenses qui leur donnent une physionomie

particulière; à elle seule l'hypertrophie considérable des nerfs est une

caractéristique et peut permettre d'en faire le diagnostic sur le vivant. La

symptomatologie de cette forme répond à l'étendue des lésions ; en même

temps que l'atrophie musculaire prédominant aux extrémités il y a des

troubles de la sensibilité et des douleurs du type fulgurant, de l'incoordi-

nation motrice avec signe de Romberg, des symptômes pupillaires, etc.

Mais, ici encore, on trouve des variations régionales : dans le cas de Gom-

bault et Mallet les racines rachidiennes antérieures ne sont pas hypertro-

phiées dans la région cervicale; les racines postérieures le sont du haut t

en bas de la moelle; dans le cas de Dejerine et Sottas les racines rachi-

diennes antérieures et postérieures sont hypertrophiées également, mais

notablement plus dans les régions inférieures que dans la partie supé-

rieure de la moelle. Gombault et Mallet citent les différences qu'ils ont

trouvées en comparant le nerf médian au sciatique ; dans le premier, la

gaine lamelleuse et le tissu intrafasciculaire ne sont pas hypertrophiés et

le volume du nerf est normal ; dans le sciatique, le tissu conjonctif a subi

une hypertrophie généralisée portant aussi bien sur les gaines lamelleuses

que sur le tissu inter et intrafasciculaire. Ils décrivent également une

augmentation de volume de la paroi des vasa nervorum avec rétrécisse-

ment du calibre interne, anomalie de structure qui n'a rien de surpre-

nant, car il est bien évident qu'on devra étendre dans l'avenir le champ

des investigations histologiques et ne pas les limiter à l'examen des appa-

reils nerveux et musculaires.

Quant à l'observation que nous publions ici, elle peut, la chose est cer-

taine, être regardée comme une forme très atténuée de la névrite inters-

titielle hypertrophique. On y trouve en effet sur les coupes transversales et

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 65

longitudinales des nerfs cette organisation si caractéristique des tissus qui

rappelle aussitôt les descriptions et les dessins de Gombault et Malle[, de

Dejerine, Sottas et Thomas ; raréfaction des fibres nerveuses, augmenta-

tion du tissu conjonctif intrafasciculaire et gaines de Schwann hypertro-

phiques. Mais là s'arrête l'analogie; il n'y a pas d'hypertrophie de la

gaine lamelleuse et du tissu conjonctif intrafasciculaire, si bien qu'en

somme les troncs nerveux ne sont pas augmentés dans leur diamètre. Le

tissu conjonctif intrafasciculaire n'est d'ailleurs pas partout altéré au

même degré et on ne saurait supposer ici que les fibres nerveuses man-

quantes ont été détruites par compression ; en bien des points leur atro-

phie n'est pas proportionnelle à l'hyperplasie des tissus interstitiels. Les

racines rachidiennes ne présentent que des modifications peu importantes,

les racines postérieures sont normales ; dans les racines antérieures une

partie des fibres nerveuses se sont atrophiées, ce qui d'une part vérifie

l'inégalité déjà constatée à la périphérie entre les conducteurs de la moti-

lité et ceux de la sensibilité et, d'autre part, rappelle des faits analogues

constatés par les auteurs que nous avons cités.

En résumé, en. adaptant à cette observation ce que l'on sait aujourd'hui

de l'anatomie pathologique générale des maladies d'évolution, on peut

l'interpréter de la façon suivante : Atrophie régressive d'un grand nom-

bre de fibres nerveuses, hyperplasie du tissu conjonctif intrafasciculaire

et formation de gaines fibreuses épaisses autour des éléments nerveux.

Ces lésions sont au maximum dans les troncs nerveux ; elles sont notable-

ment moins marquées au niveau des racines rachidiennes et à la périphé-

rie dans les filets nerveux intra-musculaires.Dans leur ensemble les fibres

motrices ont été atteintes plus que les fibres sensitives. Cliniquement, ces

lésions se sont traduites par une atrophie musculaire progressive, limitée

aux membres supérieurs avec prédominance du côté gauche et par de

rares secousses fibrillaires ; les lésions des filets sensitifs ont donné nais-

sance à des phénomènes douloureux, intermittents et d'intensité moyenne

mais sans troubles objectifs de la sensibilité cutanée. Telle est la formule

anatomo-clinique de ce cas de maladie d'évolution dont la période d'acti-

vité a été d'une douzaine d'années environ.

xx 5

HOSPICE DE BICÊTRE

LABORATOIRE DE M. PIERRE MARIE

ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET

A LOCALISATION CORTICALE,

PAR R

ITALO ROSSI.

Dans la thèse de M. Crouzon sur « Les scléroses combinées de la

moelle » (1 ), un chapitre très intéressant est consacré à l'étude des scléroses

combinées chez les vieillards, étude que l'auteur a pu faire à Bicêtre dans

le service de notre maître M. Pierre Marie.

L'auteur constata chez plusieurs vieillards la présence d'un aspect cli-

nique particulier qui ne paraissait répondre à aucun des types morbi-

des connus. Il s'agissait de la présence chez ces malades d'une paraplégie

spasmodique associée chez quelques-uns d'entre eux à une démarche céré-

belleuse et incoordonnée. Ayant observé que bien qu'il existât chez

ces malades un certain nombre de caractères communs tels que debut à

un âge avancé, 50 à 70 ans, évolution lenle et progressive, absence de

syphilis dans les antécédents l'aspect clinique n'était cependant pas

le même chez chacun d'eux, M. Crouzon fut amené à en dégager plusieurs

types cliniques.

C'est ainsi qu'il décrit un type parélo-spasmodique caractérisé par une

paraplégie très légère à évolution lente el progressive, avec exagération

des réflexes rotuliens et signe de Babinski; un type ataxo-spasmodique

caractérisé par l'adjonction de quelques signes de labes aux signes de la

parésie spasmodique, et, enfin, un type ataxo-cérébello-spasmodique dans

lequel l'aspect clinique particulier présenté par deux malades était donné

par l'association de phénomènes spasmodiques dans les membres infé-

rieurs avec des phénomènes ataxiques et cérébelleux.

C'est à l'extrême obligeance de notre maître que nous devons d'avoir

pu faire dans son service l'étude anatomo-palliologique d'un des deux cas

de ce dernier type. Bien que cette étude n'ai pas montré la présence d'une

sclérose combinée de la moelle, mais celle d'une atrophie très particulière

(1) 0. Crouzon, Des scléroses combinées de la moelle, Paris, 1904.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PI. VII

l4f.t... (Obs. 11).

ATROPHIE PRIMITIVE PAREI\Clln ! ATEUSE DU CERVELET

(J. Rossi.)

ITALO ROSSI. ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 67

du cervelet, la forme clinique qui nous occupe ne laisse pas de subsister

avec tout son intérêt et sa particularité.

M. Pierre Marie en effet, dans la séance de la Société de Neurologie de

décembre 1906 où nous avons communiqué le résumé de notre étude

anatomique, a présenté deux malades dont l'affection montre les plus

grandes analogies avec celle du cas qui fait l'objet de notre étude histolo-

gique. Notre maître a à la même occasion relevé les points principaux de

ce syndrome particulier qui est encore à l'étude dans son service et qui

semble avoir son substratum anatomique principal dans les lésions céré-

belleuses par nous observées. Sans vouloir donc entrer dans l'étude clini-

que de l'affection en question, nous croyons qu'il est d'un certain intérêt

de donner ici, en même temps que l'observation clinique de notre cas, le

résumé de celles des deux autres malades présentés par M. Pierre Marie.

De la comparaison de ces trois observations on verra que si quelques

diversités existent entre elles, celles-ci concernent des détails cliniques

d'ordre secondaire. Les symptômes principaux, ceux qui se trouvent au

premier plan de la symptomatologie présentée par les malades et qui

caractérisent pour ainsi dire l'aspect clinique sont les mêmes chez les

trois malades, ainsi que l'époque de début et l'évolution de l'affection.

1

Observation I. - Il s'agit dans ce premier cas d'un nommé Ch ? buandier,

âgé de 72 ans, dans les antécédents morbides duquel est à noter seulement une

jaunisse à 20 ans et l'absence de syphilis.

La maladie actuelle aurait débuté vers l'âge de 60 ans, au dire du malade,

par de la faiblesse dans les membres inférieurs. Cette faiblesse des jambes

cependant ne l'empêcha pas de vaquera ses occupations jusqu'à son admission,

en 1896, à l'hospice de Bicêtre où il entra au bout de 3 ou 4 ans, sa faiblesse

étant allé en augmentant. Le malade n'a jamais eu de douleurs dans les mem-

bres inférieurs ni de troubles sphinctériens.

Des examens du malade qui ont été faits à plusieurs reprises, et encore der-

nièrement avant sa présentation à la Société de Neurologie, il ressort que les

symptômes présentés par le malade ont consisté et consistent presque exclusi-

vement en des troubles de la démarche, troubles qui ont montré une progres-

sion lente dans les années qui suivirent l'entrée du malade à Bicêtre.

Le malade peut marcher sans canne, mais s'en sert le plus habituellement.

Sa démarche est lente, il marche avec les jambes un peu écartées, il titube et

se balance à chaque pas comme un cérébelleux ; il lance chaque pied et talonne

légèrement. Par moment un à-coup se produit, il semble qu'il n'ait plus son

équilibre ; pour le reprendre il frappe du pied. Quand il fait demi-tour, il

le fait lentement avec quelque peine et cherche à se cramponner. Pas de

Romberg. La démarche n'est pas influencée par l'occlusion des yeux (PI. VII).

La force musculaire est conservée d'une façon à peu près égale dans ,tous

les segments des membres inférieurs et supérieurs. Le malade ne fait pas très

68 \ ITALO IIOSSI

bien l'épreuve de la diadococinésie avec la main droite ; les mouvements sont

surtout lents. Il la fait beaucoup moins bien avec la gauche ; les mouvements

sont un peu asyner ? iques. Il porte bien l'index gauche sur le nez ; quand il

fait le même mouvement avec l'index droit, il y a toujours quelques oscilla-

tions.

Dans l'épreuve de l'agenouillement de Babinski, tendance à lever un peu

trop le genou. Pour atteindre un objet avec le pied, il dirige moins bien la

jambe droite que la gauche ; au moment d'atteindre le but il y a quelques

petites oscillations, analogues à celles qui existent dans le membre supérieur

droit et qui tiennent plutôt du tremblement intentionnel que de l'ataxie.

Réflexes rotuliens très forts. Pas de clonus du pied net. Réflexes cutanés

plantaires en flexion. Les pupilles réagissent bien à la lumière et à l'accommo-

dation. Pas de nystagmus.

Aucun trouble des sensibilités superficielles ; sens des attitudes parfaitement

conservé.

La parole est nettement troublée : elle est légèrement traînante et un peu

monotone ; lettres et syllabes sont souvent mal prononcées et par moment les

syllabes se précipitent les unes sur les autres. Intelligence intacte.

Observation II (novembre 1906). -mal ? fondeur en étain, âgéde 74 ans.

A toujours eu une bonne santé, jamais d'accidents de plomb. Pas de syphilis.

L'affection actuelle débuta vers 1902, à l'âge de 70 ans, par des troubles

de la démarche qui progressèrent dans les années suivantes et qui constituent

la partie la plus saillante de la symptomatologie que le malade présente aujour-

d'hui. Le malade n'a jamais eu de douleurs ni de troubles sphinctériens.

11 ne peut marcher sans un double soutien. Sa démarche est lente, titubante,

le corps est agité d'oscillations antéro-latérales, les jambes sont légèrement

écartées. Le malade hésite beaucoup à porter la jambe qui fait le pas et il la

porte très rapidement en avant, en frappant ensuite légèrement le sol avec toute

la plante du pied. Les jambes sont tenues étendues dans la démarche et les

pieds, surtout le droit, frottent légèrement le sol avant' de le quitter : c'est une

démarche qui se rapproche à la fois de la démarche titubante, de la démarche

spasmodique et un peu aussi de l'ataxique. Pas de Romberg (PI. VII).

La force musculaire est très bien conservée dans tous les segments des

membres inférieurs et supérieurs. L'épreuve de la diadococinésie montre

que les mouvements sont normaux à gauche, lents et maladroits à droite.

Quand on lui fait porter l'index sur le nez on note que la direction du mouve-

ment est juste, mais que le mouvement est un peu saccadé, des deux côtés. La

recherche du signe de l'agenouillement de Babinski permet de constater que

ce mouvement se fait asynergiquement des deux côtés. Le malade étant dans

le décubitus dorsal, si on lui fait porter le talon d'un côté sur le genou de

l'autre; on note, avant d'atteindre le but, une série de mouvements peu amples

qui tiennent du tremblement et de l'ataxie, peut-être plus encore du tremble-

ment. Les mêmes oscillations peu marquées existent quand ou lui fait toucher

du pied un objet placé au-dessus du plan du lit.

ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 69

Réflexes rotuliens exagérés, avec réflexe contralatéral très marqué des

deux côtés ; pas de clonus du pied. Réflexe cutané plantaire en extension des

deux côtés. Réflexes tendineux des membres supérieurs pas exagérés. Réflexe

pupillaire à la lumière et à l'accommodation conservé. Pas de nystagmus.

Motilité des yeux normale. '

Pas de troubles de la sensibilité (superficielle et profonde : le sens des atti-

tudes et des mouvements passifs est parfaitement conservé).

La parole accroche un peu. Intelligence intacte.

Observation III (décembre 1903). Mans..., cordonnier, âgé de 66 ans.

Rien à noter dans les antécédents morbides du malade qu'une blennorragie.

Pas de syphilis.

En 1896 perd sa femme, en ressent beaucoup de chagrin. Peu de temps

après contracte une diarrhée avec épreintes, abondante, le dérangeant 10 fois

par jour, sans fièvre. Il se guérit de cette diarrhée au bout de 6 semaines.

Quinze jours après la guérison, il ressent des douleurs dans les jambes et

éprouve de la peine à marcher. Il n'avançait qu'avec une canne ou une

béquille, il « marchait comme un homme ivre ». Ses mains étaient faibles, il

ne pouvait plus s'en servir pour travailler ; il était maladroit. Pendant

15 jours il a été presque totalement incapable de parler, il bafouillait et bé-

gayait. Il reste chez lui dans cet état pendant 3 mois ; les douleurs survenaient

pendant une demi-journée tous les 3, 4 ou 5 jours, les troubles de la démarche

allaient en augmentant de même que les troubles dans les membres supé-

rieurs ; quant à la parole elle allait en s'améliorant.

Dans l'année suivante même progression dans les troubles, mais depuis 1899

son état n'a pas beaucoup changé. Les douleurs ont bien diminué depuis 1899,

mais elles existent encore actuellement (décembre 1903) de temps en temps,

semblables à des secousses électriques. Il a des envies impérieuses d'uriner et

de temps en temps de l'incontinence d'urine nocturne. N'a jamais eu d'ictus,

de crises laryngées gastriques ou rectales.

La marche du malade est difficile et tout à fait particulière, ne rentrant

dans aucun des types nettement établis ; il s'avance à petit pas mais avec len-

teur, chaque pied se détache lentement du sol et est projeté en avant avec

assez de vivacité, mais à peu de distance. A chaque pas le pied repose à terre

avec violence. Il y a une raideur manifeste dans les mouvements. La démarche

est en même temps titubante, de façon qu'il semble qu'il y a là une démarche

titubante et ataxo-spasmodique. La. marche est possible sans le secours d'une

canne ; toutefois il se sert habituellement d'une béquille et d'une canne pour

marcher. Quand il tourne sans canne il faut le soutenir. Quand il est debout

il oscille quelquefois sur ses jambés, surtout au début des mouvements.

Pas de latéropnlsion. Signe de Romberg.

La force musculaire est bien conservée dans tous les segments des membres

supérieurs et inférieurs ; elle est cependant plus forte dans le membre inférieur

droit que dans le gauche.

Il n'y a pas d'incoordination proprement dite des membres supérieurs. Quand

70 ITALO ROSSI

le malade saisit un objet, il le fait avec précision ; si on lui dit de porter un

verre à sa bouche, il le fait bien, mais quand il arrive près des lèvres il y a

un tremblement un peu analogue à celui de la sclérose en plaques.

Il existe des troubles de la diadococinésie dans le membre supérieur gauche

et non dans le membre supérieur droit. On note aussi dans les mouvements

de flexion et d'extension des membres inférieurs à droite et à gauche, un

certain degré d'asynergie : les mouvements sont décomposés.

L'équilibre statique dans le décubitus est bon, presque meilleur qu'à l'état

normal.

Il n'y a pas d'hypotonie.

Pupilles égales. Réflexe lumineux conservé des deux côtés.

Réflexes rotuliens forts. Pas d'épilepsie spinale. Réflexe cutané plantaire en

flexion à droite, en extension à gauche. Pas de réflexes crémastériens. Réflexe

abdominal conservé des deux côtés.

Pas de troubles de la sensibilité marqués : il existe seulement une légère

diminution de la sensibilité à la piqûre aux deux jambes.

La parole est légèrement spasmodique et zézayante.

Les notes ultérieures jointes à l'observation montrent que l'affection avait

progressé. Le malade en effet qui était atteint de cirrhose hépatique et nécessi-

tait une paracentèse, entre le 17 novembre 1905 à l'infirmerie. Le démarche

présentait les mêmes caractères que ci-dessus, mais était devenue beaucoup

plus difficile : le malade ne pouvait se tenir seul debout, il tombait fortement

en arrière. Eu le soutenant et en l'aidant il pouvait faire quelques pas.

Les réflexes rotuliens étaient toujours forts des deux côtés ; le réflexe cutané

plantaire était en extension aussi à droite. Le tremblement particulier dans

les membres supérieurs était devenu plus accusé.

' Mort le 4 décembre 1905.

Il s'agit, comme on voit, d'une affection débutant à un âge très avan-

cé, à 70, à 60 et 59 ans. Son évolution est lentement progressive. Ce qui

caractérise surtout cette affection ce sont les troubles particuliers de la

démarche. Si en effet le fait le plus saillant de cette démarche est d'être

lente, titubante, nettement cérébelleuse, on peut cependant y découvrir

quelques caractères ataxiques et spasmodiques qui, bien que peu accusés,

suffisent pour donner à cette démarche cérébelleuse une note un peu

spéciale. C'est ainsi que les trois malades lancent un peu les jambes

et talonnent légèrement et que chez deux malades en outre on observe une

certain raideur dans la démarche : les jambes sont tenues étendues et les

pieds frottent légèrement le sol avant de le quitter (Obs. 11-111)-

Dans un seul cas existe le signe de Romberg (Obs. 111).

Il y a encore chez les trois malades quelques troubles de la synergie

musculaire, dont la valeur diagnostique dans les affections cérébelleuses

a été mise en relief par Babinski. Ces troubles se manifestent chez nos

ATROPHIE PRIMITIVE PARENCRT1111TEUSE DU CERVELET 71

malades pour les extrémités inférieures dans l'épreuve de l'agenouille-

ment, et pour les supérieures dans celle de la diadococinésie.

Les mouvements intentionnels s'exécutent assez bien ; cependant on

note vers la fin du mouvement, près du but à atteindre quelques oscilla-

tions peu amples, à caractère mal défini, qui semblent toutefois relever

plutôt du tremblement intentionnel que de l'ataxie vraie.

La force musculaire est à peu près également conservée dans tous les

segments des membres inférieurs et supérieurs ; la motilité des yeux

est normale, il n'y a pas de nystagmus.

La parole est au contraire affectée avec des degrés divers suivant les

malades : il s'agit de traînement et de bredouillement.

Les réflexes rotuliens sont très forts ; chez deux malades en outre

(Obs. II-III) le réflexe cutané plantaire est en extension des deux côtés.

Le réflexe pupillaire à la lumière et à l'accommodation est conservé.

Dans un seul cas (Obs. III) existent des troubles de la sensibilité sub-

jective et objective sous la forme de douleurs dans les membres infé-

rieurs et de légère hypalgésie aux jambes ; à noter la parfaite intégrité de

la sensibilité profonde même chez ce malade.

Ce malade, âgé de 60 ans, est aussi le seul qui ait présenté quelques

troubles sphinctériens d'ailleurs très légers, se manifestant avec des

envies impérieuses d'uriner et de temps en temps avec de l'incontinence

d'urine nocturne.

L'intelligence est chez tous intacte.

L'étiologie de cette affection est obscure. La syphilis n'existe dans

aucun des trois cas. Dans un seul cas (Obs. III) l'anamnèse nous fournit

quelques renseignements ; dans ce cas l'affection aurait débuté à la suite

d'une affection intestinale ayant duré 6 semaines. Nous reviendrons plus

loin sur la valeur que pourrait avoir cette donnée anamnésique,car il s'agit

ici du cas de l'observation III qui est l'objet de l'étude anatomique que,

nous allons exposer. Au point de vue anatomique ce cas est également

intéressant, parce que il nous a offert l'occasion d'apporter une contribu-

tion à l'étude d'une forme rare des atrophies cérébelleuses.

Examen anatomique.

Rien à noter à l'oeil nu dans les hémisphères cérébraux dont les méninges

ne sont pas épaissies.

Le cervelet, au contraire, frappe par sa réduction de volume : bien que le

cervelet soit sujet à des variations individuelles assez fortes, il semble vraiment

qu'on soit en présence d'un cervelet petit. Le cervelet en effet, durci dans le

Millier et comprenant la protubérance peu au-dessus d'une ligne transversale

passant par le point de sortie de la 58 paire et le bulbe coupé au niveau des

72 ITALO ROSSI

extrémités inférieures des olives, pèse 120 grammes. Plusieurs cervelets nor-

maux dans les mêmes conditions nous ont donné des poids variant entre 150 et

160 grammes. La réduction de volume du cervelet s'est exercée in tolo. Les

proportions entre les diverses parties qui le constituent sont conservées ; le

cervelet ne présente pas de déformations, il a la configuration extérieure d'un

cervelet normal. Cependant il est à noter que dans les deux tiers antérieurs de la

face supérieure du cervelet les sillons superficiels sont plus profonds, plus

larges qu'à l'état normal et que les circonvolutions à ce niveau paraissent amin-

cies, réduites d'épaisseur.

Cet amincissement des lamelles intéressant le vermis supérieur et le lobe

quadrilatère antérieur et postérieur des deux côtés, contraste avec l'état des

lamelles du lobe semi-lunaire, et en général du reste de la face supérieure et

de la face inférieure du cervelet, où le fait n'est pas si évident.

Les méninges du cervelet ne sont nullement épaissies ni adhérentes.

La protubérance, le bulbe, la moelle épinière ne sont pas réduites de vo-

lume : leur conformation extérieure paraît normale.

Le cervelet, a été, par une coupe sagittale passant un pen en dehors du

sillon longitudinal supérieur gauche, divisé en deux parties. L'une, comprenant

la plus grande'partie de l'hémisphère cérébelleux gauche a été coupée sagit-

talement : l'autre, comprenant le vermis, la protubérance, le bulbe et l'hé-

misphère cérébelleux droit a été coupée en coupes horizontales.

Les deux parties ont été débitées en coupes sériées, colorées ensuite par les

méthodes suivantes : Pal, cochenille, Weigert, carmin, hématéine-éosine, hé-

matéine-Gieson, Gieson.

Nous avons étudié la moelle à différentes hauteurs ; les coupes ont été colo-

rées avec les méthodes : Pal, Pal-cochenille, Weigert, Gieson.

Bien qu'il nous ait été impossible de faire du Nissl, la pièce étant déjà dur-

cie dans le liquide de Müller, il nous a été possible d'obtenir des coupes minces,

qui, colorées au carmin et à l'hématéine-éosine, nous ont permis, d'une

façon satisfaisante, l'étude des éléments cellulaires de la corticalité, des

noyaux gris centraux, ainsi que des masses grises de la probubérance et du

bulbe.

Pour une étude comparative nous avons coupé en séries horizontales un cer-

velet normal, comprenant le bulbe et la protubérance : les coupes ont été colo-

rées avec les mêmes méthodes employées pour le cervelet qui est l'objet de

notre étude.

Cervelet. - Pour éviter des redites inutiles nous résumerons dans un même

chapitre l'étude comparative des coupes sagittates et horizontales.

A l'oeil nu on peut déjà observer que l'écorce du lobe quadrilatère antérieur

et postérieur, du lobe grêle, du vermis supérieur (culmen et déclive) du floc-

culus, du lobe digastrique et du lobe central du vermis est nettement atro-

phiée, tandis que cette atrophie ne parait pas exister dans les autres parties

des hémisphères et du vermis. Les sillons interlamaires et interlamellaires des

lobes précités sont plus larges que normalement. L'écorce atrophiée se dis-

tingue de celle des lamelles des parties apparemment saines du-cervelet par la

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. VIII

ATROPHIE PRIMITIVE 1'AItFNC111'ytATPn51-. f)l1 rr;1 : 1).1'.J,

ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 73

coloration plus pâle qu'elle prend avec l'hématéine-éosine, le carmin. Ce-

pendant, même à l'oeil nu, la distinction entre les trois couches (moléculaire, des

grains et médullaire) est conservée.

L'étude histologique confirme la présence d'une altération atrophique de

l'écorce cérébelleuse qui porte surtout sur la couche moléculaire, sur la couche

des grains et sur celle des cellules de Purkinje.

Cette atrophie est à peu près symétrique dans les deux moitiés du cer-

velet et atteint son plus fort degré dans les lobes quadrilatères antérieurs et

postérieurs, dans le flocculus, et dans le vermis supérieur (culmen et déclive),

auxquels succèdent en ordre d'intensité le lobe grêle, le lobe central du cer-

velet, la lingula, le lobe digastrique et la pyramide. Si dans les lobes les plus

fortement pris il existe un parallélisme entre le degré de lésion des trois couches

citées de la corticalité et si dans les mêmes lobes l'atrophie intéresse presque

avec la même intensité les lamelles correspondantes, dans les lobes moins

atteints le degré d'altération est souvent variable dans les diverses lames, et

pour les mêmes lames, dans les diverses lamelles qui leur appartiennent.

Dans ce dernier ordre de lobe il n'est pas rare de constater en plus que la

lésion épargne l'une ou l'autre des 3 couches citées, ou qu'elle se cantonne

dans la seule couche de Purkinje dans des lamelles présentant alors une écorce

d'épaisseur normale et n'ayant pas l'aspect de lamelles atrophiées. Ici et là on

note encore des ! amelles à structure histologique normale.

Comme type de la description histologique nous prendrons les lamelles

appartenant au lobe quadrilatère antérieur et postérieur, au vermis supé-

rieur, au flocculus, où les lésions atrophiques sont plus fortes et atteignent

dans leurs trois couches, avec une intensité à peu près égale, toutes les lamelles

qui leur correspondent.

Couche moléculaire. - Elle est manifestement atrophiée. Dans les lamelles

où l'atrophie de cette couche atteintson maximum, elle est réduite d'un tiers et

même quelquefois de la moitié de son épaisseur (PI. VIII, D ; PI. IX, F).

L'atrophie est en général plus forte au niveau de la crête des lamelles qu'au

niveau du fond des sillons interlamellaires.

Dans les coupes colorées au carmin, au Gieson. à l'éosine on remarque que

les prolongements protoplasmiques des cellules de Purkinje qui sont assez nets

dans la couche moléculaire des lamelles non atrophiées de la même coupe, ici

manquent complètement, ou sont extrêmement rares et peu nets.

Il n'existe aucune trace de sclérose dans cette couche ; il n'y a pas de mul-

tiplication nucléaire. Les vaisseaux ne sont pas proliférés, ils ne présentent

pas d'infiltration embryonnaire de leurs parois : ils ne sont que légèrement épais-

sis. Les plus gros d'entre eux contiennent des globules sanguins. Nulle part

il n'existe d'infiltration en foyer, d'hémorragie. Sur toutes les coupes nous

avons pu observer dans cette couche un grand nombre de corps amyloides.

Cellules de Purkinje. Dans la plupart des lamelles du lobe quadrilatère,

du culmen et du déclive, du flocculus les cellules de Purkinje ont complè-

tement disparu et n'ont laissé aucune trace (PI. VIII, D; PI. IX, F). Dans

d'autres lamelles on trouve de temps autre des petites masses rondes ou

74 ITALO ROSSI

irrégulières se colorant faiblement et d'une façon homogène au carmin et qui

sont vraisemblablement les restes de cellules de Purkinje atrophiées. Dans

d'autres lamelles encore on retrouve quelques rares cellules : mais celles-ci

sont très petites, manifestement atrophiées, avec une forme globuleuse dans

la plupart. Le noyau n'est pas visible, elles manquent de prolongements den-

dritiques ou ceux-ci sont peu nets et ne se laissent suivre que très peu dans

la couche moléculaire. On ne trouve que rarement des lamelles avec une ou

deux cellules de Purkinje non atrophiées.

Couche des grains. Elle présente des altérations nettes, consistant en

une réduction de largeur et en de la raréfaction (PI. VIII, D ; Pl. IX, F-J). Les

grains sont bien moins tassés que normalement, ils se colorent plutôt mal avec

l'hématéine et le carmin ; dans certains points de la couche la raréfaction des

grains est si forte qu'il en résulte un aspect presque aréolaire de la même. Il

n'existe pas de prolifération de tissu interstitiel nulle part.

Ici, comme dans la couche moléculaire les vaisseaux ne présentent pas de

lésions appréciables ; il n'y a pas d'infiltration embryonnaire, d'hémorragies.

La raréfaction des grains et la réduction de cette couche sont plus accusées à

la crête des lamelles qu'au fond des sillons interlamellaires.

Couche médullaire. L'état de cette couche contraste avec les altérations

des autres couches de l'écorce. En effet, la substance blanche qui se trouve à

l'intérieur des lames et des lamelles se colore très bien au Pal, au Weigert,

ne présente pas trace de sclérose, de Ramollissement ou d'hémorragie; ses

vaisseaux ne présentent non plus rien à noter de particulier. Si on la compare

avec celles des lamelles et de lames du lobe semi-lunaire non atrophié, il

ne semble pas non plus qu'elle soit réduite de volume ni en largeur ni en

longueur. C'est tout au plus si il existe, au niveau des lamelles dont l'écorce

est fortement atrophiée, une très légère raréfaction des fibres placées au milieu

de ces lamelles. De même le réseau des fibres myéliniques qui se trouve dans

la couche des grains paraît être dans les mêmes points un peu raréfié. Il est à

noter cependant que sur les coupes transversales la couche des fibres transver-

sales sous-purkiniennes est partout bien conservée, même dans les lamelles les

plus atteintes.

Dans les autres lobes (grêle, digastrique, lobe central du vermis, pyra-

mide, lingula) on retrouve, comme nous avons dit, les mêmes lésions atrophi-

naires ci-dessus décrites, mais avec une intensité variable de lamelle en la-

melle. En effet, côté de nombreuses lamelles avec forte réduction de la couche

moléculaire, avec raréfaction et réduction d'épaisseur marquée de la couche des

grains et une perte complète ou presque des cellules de Purkinje, d'autres

lamelles aussi nombreuses présentent les mêmes lésions, mais avec une moins

forte intensité. Dans ces lamelles on trouve encore quelques rares cellules de

Purkinje, pour la plupart cependant en état manifeste d'atrophie. Dans quelques-

unes mêmes de ces lamelles l'atrophie se limite presque aux cellules de Pur-

kinje ; la couche des grains présente une raréfaction, mais pas une diminu-

tion d'épaisseur, la couche moléculaire ne paraît pas atrophiée. Enfin on

trouve distribuées parmi ces lamelles avec un degré plus ou moins fort d'atro-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. IX

ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 75

phie, d'autres où la lésion se limite exclusivement aux cellules de Purkinje ;

dans ces lamelles en effet, les grains sont aussi bien colorés et tassés que ceux

d'un cervelet normal, la couche moléculaire ne paraît présenter, pas plus que

celle des grains, une réduction d'épaisseur. Il existe au contraire dans ces la-

melles une diminution de nombre des cellules de Pukinje ; celles qui persis-

tent sont irrégulièrement espacées ; quelques-unes d'entre elles ayant un aspect

normal, d'autres au contraire présentant un degré plus ou moins fort d'atro-

phie (PI. VIII, C, B). Nous avons même, surtout sur les coupes sagittales,

observé quelques lamelles où presque toutes les cellules de Purkinje étaient

disparues, et où la couche des grains et la couche moléculaire avaient un aspect

normal.

Dans les lobes semi-lunaires, supérieur et inférieur,dans les amygdales, dans

la luette et le nodule, la plus grande partie des lamelles ne présentent rien à

noter de pathologique, mais assez fréquemment on retrouve des lamelles où

les cellules de Purkinje sont diminuées de nombre, petites, et distribuées

d'une façon irrégulière. Cette diminution de nombre des cellules de Purkinje,

bien que manifeste, n'atteint pas le degré du reste de l'écorce ; en outre, elle

ne s'accompagne pas ni d'altérations de la couche des grains ni de la molécu-

laire. C'est tout au plus si dans quelques lamelles la couche de grains présente

une légère raréfaction et décoloration. La couche médullaire est intacte.

Comme dans les lobes les plus atrophiés, il n'existe, dans le reste de la

corticalité cérébelleuse aucun point de sclérose ou d'infiltration embryonnaire

ou de multiplication des noyaux.

Les vaisseaux ne paraissent pas malades.

Noyaux centraux. - Le noyau dentelé ne paraît pas avoir subi une atrophie :

il est bien développé des deux côtés, ses plis sont nombreux, profonds, pas

rétrécis, et contiennent des cellules en aussi grand nombre que celles du cer-

velet normal qui nous sert de témoin. Ces cellules, sur des coupes minces

colorées au carmin, ne présentent pas de lésions d'atrophie. Le feutrage in-

traciliaire est très bien coloré, abondant, sans dégénération ou sclérose. Au

contraire la toison ne se distingue pas, par sa coloration plus foncée, de la

substance blanche centrale du cervelet, comme dans les coupes 'du cervelet

normal, mais microscopiquement elle ne présente ni dégénération ni sclérose ;

on ne peut même pas dire qu'il existe à ce niveau une raréfaction des fibres.

Les noyaux accessoires de l'olive,le bouchon et le noyau sphérique ont pu être

étudiés sur les coupes sériées. Autant que l'épaisseur de la coupe permet d'en

juger on peut dire qu'ils paraissent être bien développés et contenir de nom-

breuses cellules. Les noyaux du toit sont bien visibles et paraissent aussi

être bien développés el contenir des cellules aussi nombreuses que dans les

noyaux du toit des coupes normales témoins. Dans l'intérieur de ces noyaux

il existe un réseau myélinique dense, et on peut bien voir aussi les nombreu-

ses fibres qui vont constituer, en arrière de ces noyaux, l'entrecroisement

des noyaux du toit.

Substance blanche centrale des hémisphères ; elle n'est pas décolorée, ne

présente ni multiplication de noyaux, ni prolifération du tissu interstitiel, ni

76 ITALO ROSSI

foyer hémorragique ou de ramollissement. Les fibres semi-circulaires exter-

nes sont abondantes, se détachent bien sur le fond de la substance blanche

centrale et on peut très bien les suivre sur les coupes transversales dans l'en-

trecroisement commissural du vermis.

Les pédoncules cérébelleux supérieurs dans toutes les coupes où ils émer-

gent du cervelet sont bien coloriés et volumineux ; il en est de même pour le

pédoncule cérébelleux moyen.

Les méninges du cervelet ne sont pas épaissies ; ne présentent d'infiltration

embryonnaire en aucun point. Leurs vaisseaux, à part un léger épaississement

des parois en quelques-uns d'eux ne montrent aucune particularité.

Protubérance ET bulbe. - L'étude des coupes sériées ne nous a pas permis

de constater aucune modification ou altération. Notre attention a été particu-

lièrement attirée sur les formations grises et sur les voies en connexion avec

le cervelet. C'est ainsi que nous pouvons nous borner à dire que les noyaux

de Deiters nous ont paru bien riches en cellules et que le segment interne du

corps restiforme est compact et bien coloré sur toute la hauteur de la protu-

bérance et du bulbe. La substance réticulée de la calotte, la substance grise

de la protubérance nous ont paru aussi contenir des cellules aussi nombreuses

que sur des coupes normales. Les fibres transversales antérieures, moyennes

et postérieures du pont sont très abondantes.

L'olive bulbaire est bien développée, ses lames ne sont pas amincies ; le hile

est bien coloré, contient de très nombreusesfibres ; le stratum zonale est épais.

Des préparations au carmin montrent que les olives contiennent de très nom-

breuses cellules, bien conservées.

Les noyaux juxta-olivaires, interne et externe, sont aussi normaux.

Lcs fibres cérébello-olivaires, rétro, pré, et intertrigéminales, et les fibres

arciformes superficielles antérieures sont aussi abondantes qu'à l'état normal.

Les noyaux arqués sont très gros, et riches en cellules ; le noyau latéral du

bulbe est nettement apparent.

Rien à noter non plus dans les noyaux des cordons postérieurs.

Le corps restiforme, de volume normal, est très bien coloré sur toute la

hauteur du bulbe.

Nous n'avons pas observé trace de multiplication nucléaire ni de sclérose,

tant dans la substance grise que dans la blanche du bulbe et de la protubérance.

Moelle.' Dans la moelle épinière étudiée sur un grand nombre de segments

les altérations constatées sont les suivantes. Dans les cordons postérieurs, sur

toute leur hauteur, il existe une très légère raréfaction diffuse, qui cependant

est plus accusée dans les parties centrales de ces cordons. A un fort grossisse-

ment on voit que cette raréfaction est due à la plus grande richesse de fibres

fines, avec, ici et là la perte de quelques fibres. Cette raréfaction bien que

diffuse est toutefois plus marquée autour des vaisseaux qui sont un peu

épaissis, mais pas infiltrés. Au niveau d'elle il y a une légère prolifération

du tissu interstitiel. Dans aucun segment la légère raréfaction des fibres des

cordons postérieurs ne présente trace de systématisation.

Les racines postérieures adjacentes à la périphérie de la moelle et coupées

ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 77

transversalement, celles surtout de la moelle lombo-sacrée et dorsale inférieure

contiennent un grand nombre de fibres fines, beaucoup plus abondantes qu'à

l'état normal et montrent la disparition, ici et là, de quelques fibres, de telle

sorte que sur la coupe au Weigert on a l'impression d'une légère raréfaction

diffuse, et sur les coupes au Gieson d'une légère sclérose. Les vaisseaux des

racines sont légèrement épaissis ; les veines sont plutôt congestionnées.

Les zones d'entrée des racines sont partout bien colorées, d'aspect normal,

ainsi que la zone de Lissauer et les fibres collatérales, très abondantes.

Dans les cordons latéraux, surtout vers la périphérie de la moelle, il existe

la même raréfaction des fibres que dans les cordons postérieurs, mais elle est

ici encore plus légère, à peine perceptible et se limite à la moelle lombo-sacrée ;

dans la moelle dorsale et cervicale les cordons latéraux ont un aspect tout à

fait normal.

Au niveau de Ll et des coupes de la région dorsale les cellules de la colonne

de Clarke sont abondantes, pas atrophiées ; le réseau myélinique de cette co-

lonne est aussi bien développé qu'à l'état normal.

Dans les cordons postérieurs et dans les latéraux il existe une grande abon-

dance de corps amyloïdes.

Les méninges de la moelle sont normales.

En résumé, l'examen histologique du cervelet, du bulbe et de la

protubérance surcoupes sériées, et de la moelle épinière, nous donne les

résultats suivants :

Dans la moelle des lésions presque insignifiantes ; celles-ci consistent

en une très légère raréfaction des cordons postérieurs, diffuse, nullement

systématisée, un peu plus accusée autour des vaisseaux légèrement épais-

sis ; dans la même raréfaction, encore plus légère, à peine perceptible,

des fibres des cordons latéraux et enfin, dans une abondance anormale

des fibres fines, dans les racines postérieures, avec la perte, ici et là de

quelques rares fibres.

Nous croyons pouvoir interpréter ces lésions comme des lésions banales,

analogues à celles qu'on rencontre assez souvent dans la moelle des vieil-

lards et qui sont vraisembablement liées à des processus de sclérose vas-

culaire.

Dans le bulbe et dans la protubérance nous n'avons noté aucune altéra-

tion.

Dans le cervelet au contraire, nous avons rencontré, dans la plus grande

partie de l'écorce cérébelleuse des lésions d'atrophie intéressantes non

seulement au point de vue des rapports qui les lient à la symptomatologie

présentée par notre malade, mais aussi au point de vue anatomique pur.

Ces lésions atrophiques parfois d'intensité variable selon les diverses

lamelles, intéressent généralement aussi bien la couche moléculaire que

78 ITALO ROSSI

la couche des cellules de Purkinje et celle des grains : elles consistent

en une réduction de largeur de la couche moléculaire et de la couche des

grains, en une raréfaction de cette dernière, en une perte complète ou par-

tielle, avec des lésions atrophiques, des cellules de Purkinje. Dans d'autres

lamelles les lésions sont cantonnées à la couche des grains et aux cellules

de Purkinje. Ailleurs enfin, l'altération consiste seulement dans l'atrophie

et la disparition de plus ou moins nombreuses cellules de Purkinje. On

peut encore ajouter que la substance grise seule présente des lésions d'a-

trophie ; c'est tout au plus si dans les lamelles plus fortement atrophiées

il existe une raréfaction tout fait légère du réseau myéliniquede la cou-

che des grains et de la substance blanche placée au milieu des lamelles.

La substance blanche centrale du cervelet, les noyaux gris centraux ne

montrent aucun fait de dégénération ou d'atrophie.

Quelle est la pathogénie de cette atrophie ? Nous ne pouvons certaine-

ment pas la considérer comme une atrophie secondaire d'origine péri-

phérique, due à la lésion des noyaux d'origine des voies afférentes au

cervelet, ainsi que Thomas (1 ) l'a admis pour un de ses cas. Dans ce cas,

l'atrophie peu prononcée de l'écorce cérébelleuse était liée à une dégéné-

rescence très forte du pédoncule cérébelleux moyen, du corps restiforme,

à l'atrophie très prononcée de la substance grise du pont, de l'olive bul-

baire et à une atrophie nette des faisceaux cérébelleux directs, des colon-

nes de Clarke, des faisceaux de Gowers.

A part déjà que dans notre cas la substance centrale du cervelet et les

fibres arciformes externes présentaient un aspect normal nous avons, sur

les coupes sériées de la protubérance et du bulbe, et sur celles faites aux

diverses hauteurs de la moelle, pu nous assurer de la parfaite intégrité

de ces formations grises et de ces voies.

L'àge très avancé auquel débuta l'affection, dont la plus grande partie

relève du syndrome cérébelleux, et les caractères mêmes des lésions

anatomiques rendent très peu probable l'origine congénitale de celles-ci.

Dans notre cas il ne s'agit pas non plus d'une atrophie scléreuse,

comme c'est le cas plus fréquent dans les atrophies bilatérales du cervelet.

Dans aucun point, en effet, nous n'avons constaté une multiplication des

noyaux ni prolifération de tissu interstitiel, ni formation de tissu fibreux.

Les vaisseaux ne sont que légèrement épaissis.

Ces faits, et l'absence de toute lésion inflammatoire des méninges ou

de l'écorce cérébelleuse, d'épaississement méningé, de foyers hémorra-

giques ou de ramollissement, nous permet de dire, croyons-nousqu'il s'agit

dans notre cas d'une atrophie primitive, parenchymateuse de l'écorce.

(1) A. Thomas, Le cervelet. Th. Doctorat, 1897 (Obs. V, p. 215).

ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 79

C'est à Dejerine et Thomas (1) que nous devons d'avoir isolé des atro-

phies du cervelet cette catégorie d'atrophies dans lesquelles « les cel-

lules de Purkinje et des différentes couches de l'écorce s'atrophient et

disparaissent, par suite les fibres médullaires dégénèrent, l'organe est

réduit dans tous ses diamètres ; le tissu névroglique est étranger la pro-

duction de cette atrophie, ou bien la prolifération névroglique et les al-

térations vasculaires inflammatoires sont trop peu intenses pour rendre

compte des lésions dégénératives ». Ces atrophies seraient à distinguer

des atrophies simples et congénitales où le cervelet est plus petit qu'un

cervelet normal, mais toutes les parties qui le composent sont norma-

les et proportionnellement développées, et des atrophies scléreuses, d'o-

rigine vasculaire, inflammatoire.

Ces cas d'atrophie cérébelleuse primitive dégénérative sont fort rares

dans la littérature. De ce nombre sont les deux cas qui ont servi à Deje-

rine et Thomas pour constituer leur type d'atrophie olivo-ponto-cérébel-

leuse, cas qui montrent comme le même processus morbide peut envahir

en même temps la substance grise de l'écorce, du pont et des olives infé-

rieures, de façon à constituer une atrophie primitive systématisée inté-

ressant les voies afférentes cérébelleuses, leurs noyaux et l'écorce.

Notre cas, tout en entrant dans les cas d'atrophie primitive parenchyma-

teuse, diffère évidemment des denx cas précités, par le fait que l'atrophie

se limite presque exclusivement à la substance grise de l'écorce, le noyau

du pont, les olives bulbaires et leurs voies afférentes étant absolument

intactes.

Dans notre cas nous avons observé en outre que si dans les lamelles de

quelques lobes (quadrilatère, flocculus, vermis supérieur) l'atrophie frappe

avec une intensité égale les couches moléculaires, des grains et les cellules

de Purkinje, dans les autres lobes on rencontre à côté des lamelles présen-

tant le même ordre de lésions, d'autres lamelles où l'atrophie se limite à

la couche des grains et aux cellules de Purkinje. On en observe d'autres

enfin où la diminution de nombre et l'atrophie des cellules de Purkinje

constituent les seules altérations observées.

De ces faits nous avons reçu l'impression que le fait primaire est l'atro-

phie et la disparition des cellules de Purkinje, auxquelles succèdent la

raréfaction et l'atrophie de la couche des grains, et, en dernier lieu,

l'atrophie de la couche moléculaire.

Pourrait-on conclure que parmi les éléments cellulaires de l'écorce

cérébelleuse les cellules de Purkinje se présentent les plus vulnérables

aux diverses influences pathogéniques qui peuvent l'altérer ? et que

(1) DEJEUINE et Thomas, L'atrophie olivo-ponto-cérébelleuse. Nouvelle Iconographie

de la Salpêtrière, 1900, p. 330.

80 ITALO ROSSI

l'atrophie des autres couches (moléculaire et des grains) dépend en

grande partie de l'état de la couche des cellules de Purkinje ? Si quelques

observations dans la littérature des atrophies du cervelet, même des cas

d'atrophie scléreuse, semblent plaider en faveur de cette hypothèse,

d'autres cas ne permettent pas de tirer des conclusions décisives à ce sujet.

Le fait que dans notre cas nous avons pu constater dans beaucoup de

lamelles non atrophiées dans le vrai sens du mot, des lésions dégénéra-

tives parenchymateuses consistant dans la simple atrophie ou disparition

des cellules de Purkinje n'est pas sans intérêt. Il montre en effet que si

l'atrophie du cervelet peut être dû à des faits dégénératifs primitifs des

éléments nerveux constituant l'écorce cérébelleuse, ces mêmes faits dégé-

nératifs, indépendants de lésions vasculaires ou méningées, peuvent sub-

sister sans qu'il existe une atrophie du cervelet. Cela tient vraisembla-

blement à la localisation, a l'intensité, à l'ancienneté du processus mor-

bide. Mais, ce qu'il est intéressant de constater, c'est que même avec ces

lésions dégénératives, pour ainsi dire microscopiques, on peut avoir un

syndrome cérébelleux des plus nets. Les cas de ce genre sont fort rares,

mais ceux qui ont été publiées ont une valeur absolument démonstrative ;

nous voulons parler du cas d' « Atrophie lamellaire des cellules de Pur-

kinje » publié en 1905 par André Thomas (t) et du cas de « Degeneratione

cerebellare da intossicazione enterogena » de Murri (2), publié en 1900.

Dans son observation Thomas a pu constater dans beaucoup de lamel-

les l'atrophie et la disparition d'une certain nombre de cellules de Pur-

kinje, et des altérations de la couche des grains consistant dans leur

diminution de nombre, dans l'irrégularité de leur forme et dans leur

inégale coloration ; et cela indépendamment de toutes lésions méningées

ou vasculaires. Le malade avait présenté pendant la vie le syndrome

cérébelleux ayant débuté à l'âge de 40 ans.

Chez la malade de Murri, qui souffrait depuis six mois d'entérite chro-

nique se développa, précédé par des accès de vertige, un ensemble net

de symptômes cérébelleux, que l'autopsie permit de rattacher à une forte

diminution de nombre des cellules de Purkinje, à des altérations de la

substance chromatique et des noyaux des cellules de Purkinje restantes et

des cellules des noyaux centraux du cervelet. Contrairement au cas de

Thomas, il n'y avait aucune altération dans la couche moléculaire ou des

grains ; ici non plus, il n'existait d'altérations vasculaires ni de processus

inflammatoires.

(1) A. Thomas, Atrophie lamellaire des cellules de Purkinje. Revue Neurologique,

n° 18, 1905. ,

(2) MURAI, Degeneratione cerebellare de inlossicaione enterogena. Rivista critica

de clinica medica, n" 34-35, 1900.

ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 81

Ce sont bien là deux cas de syndromes cérébelleux dépendant de

lésions primitives parenchymateuses de la substance grise de l'écorce

cérébelleuse de même ordre que celles par nous constatées dans notre cas,

mais cette fois sans atrophie proprement dite du cervelet. Dans ces cas

il n'existait pas de dégénération de la substance blanche malgré les lésions

prononcées des cellules de Purkinje. Même contraste particulier se retrouve

dans notre cas : la substance blanche à l'intérieur des lamelles et des lames

présente un aspect normal, c'est tout au plus si au niveau des lamelles

les plus atrophiées on note une raréfaction tout à fait légère des fibres

nerveuses. Ce fait est difficile à expliquer, nous nous bornerons à le si-

gnaler, tout en rappelant que dans quelques cas d'atrophie scléreuse du

cervelet on a signalé aussi cette intégrité relative de la substance blan-

che contrastant avec les lésions fortes de la substance grise de l'écorce.

On peut toujours objecter que dans ces cas d'atrophie scléreuse datant

pour la plupart de l'enfance ou de la jeunesse, l'intégrité de la subs-

tance blanche n'est qu'apparente. Par la disparition des fibres dégénérées

et le tassement de celles qui persistent on aurait pu avoir un aspect nor-

mal, sans dégénération ni sclérose de la substance même, bien que

celle-ci soit atrophiée, réduite en largeur et en longueur. Cette réduction

ne nous a pas paru exister dans notre cas, tout au moins elle n'était pas

nettement évidente.

Si nous cherchons maintenant à rapprocher des symptômes présentés

par le malade les résultats de l'étude anatomique nous nous trouvons en

présence de quelques difficultés. L'ataxie cérébelleuse est facilement expli-

quée par les lésions du cervelet. De même les troubles de la synergie

musculaire, le tremblement particulier dans les extrémités supérieures et

les troubles de la parole, faits assez fréquemment consignés dans les obser-

tions d'atrophies cérébelleuses.

Dans l'observatibn clinique il est dit que le malade présentait une

démarche cérébelleuse et ataxo-spasmodique. Sans vouloir ici entrer dans

l'exposé des théories qui cherchent à expliquer la présence de phéno-

mènes d'ataxie tabétique dans les affections cérébelleuses nous nous bor-

nerons à constater que le mélange d'ataxie cérébelleuses et d'ataxie à carac-

tère spinal dans la démarche est consigné plus ou moins ouvertement

dans des observations d'atrophie du cervelet sans qu'il y ait l'existence de

lésions médullaires capables de l'expliquer. Il nous suffira de rappeler

le cas II de Duguet cité par Mingazzini (1), et le cas IV de la thèse de Tho-

mas où on lit « le malade marche en titubant et en lançant les jambes, et

(1) Mingazzini, Beilrag zum studium der Kleinhirnalrophien des Menschen. 1\10<

natsschr. f. Psychiatrie u. Neurologie, Bd. XVII, H. 1. S. 76, 1905.

xx 6

82 ITALO ROSSI

surtout la droite; il marche suivant une ligne brisée (démarche ébrieuse) ;

sa démarche tient à la fois de celle de l'ataxique et de celle du cérébel-

leux ».

On peut cependant se demander si les très légères lésions des racines

postérieures et des cordons postérieurs de la moelle ne pourraient pas

expliquer cet élément ataxique de la démarche de notre malade. Elles

pourraient expliquer en même temps certains autres symptômes présentés

par le malade, tels que le phénomène de Romberg, les légers troubles

urinaires, les douleurs et la légère hypalgésie aux jambes. On pourrait

également se demander si la raréfaction à peine perceptible des cordons

latéraux suffit à expliquer la légère spasmodicité dans les membres infé-

rieurs et le réflexe cutané plantaire en extension.

Les auteurs qui se sont occupés, de la moelle sénile ont en effet pu met-

tre sur le compte de lésions médullaires du même ordre que les nôtres,

quelques troubles de la motilité, de la réflectivité et de la sensibilité

présentés par des vieillards. Mais dans ces cas les lésions atteignaient un

degré d'intensité bien supérieur à celles par nous rencontrées. Ce fait

ainsi que celui que des lésions médullaires et radiculaires séniles d'inten-

sité analogue à celles de notre cas s'observent souvent sans se manifester

en clinique par aucun symptôme, ne sont pas sans nous laisser très per-

plexe sur les rapports qui peuvent exister entre ces lésions et les signes

cliniques d'ordre secondaire qu'on retrouve dans le tableau clinique de

notre cas en dehors de ceux appartenant au syndrome cérébelleux.

Nous nous heurtons à des difficultés aussi dans la recherche de la cause

étiologique de l'affection cérébelleuse, cause d'ailleurs qui dans beaucoup

de cas d'atrophie du cervelet n'a pas pu être établie ou même présumée.

L'âge avancé auquel l'affection a débuté dans notre cas rend déjà peu

probable l'hypothèse d'une influence héréditaire. Notre malade n'a pas

eu la syphilis; il nous manque donc même cette donnée anamnésique

qui existait dans l'observation déjà citée d'atrophie lamellaire des cellules

de Purkinje de Thomas. Un fait particulier de l'observation de notre

malade mérite cependant d'être signalé ; le début de la maladie, 15 jours

après une diarrhée avec épreintes, abondante, qui dura 6 semaines. Dans

le cas de Murri déjà cité, le syndrome cérébelleux s'était développé chez

une malade qui souffrait depuis 6 mois d'entérite chronique (avec diar-

rhée opiniâtre, indicanurie très intense). Ce fait a incité Murri à inter-

préter les lésions dégénératives du cervelet par lui observées comme étant

dues aux produits toxiques de l'affection intestinale. Peut-être pourrait-

on invoquer aussi pour notre cas cette étiologie ; ce qui plaiderait encore

en faveur de cette hypothèse, c'est que le malade était atteint de cirrhose

atrophique et partant, dans les conditions les plus favorables aux proces-

ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 83

sus d'intoxication de l'organisme. La petitesse du cervelet en aurait été,

peut-être, la cause prédisposante.

Quelle que soit la valeur de ces hypothèses, que nous ne faisons du

reste ici que proposer sous toutes réserves, nous croyons que les cas

comme le nôtre et ceux des auteurs précités, de lésions parenchymateuses

primitives du cervelet susceptibles de donner lieu à un syndrome cérébel- i

leux ont un certain intérêt clinique et anatomique pour la pathologie

nerveuse en général et celle du cervelet en particulier.

LÉGENDES DE LA PLANCHE VIII

A (object. 4). - Lamelle non atrophiée, contenant encore de nombreuses cellules de

Purkinje (2), qui cependant manquent presque complètement à droite, où la couche

moléculaire (1) est légèrement réduite en largeur. - Couche des grains d'aspect

normal (3).

B (id.) - Lamelle montrant la disparition de cellules de Purkinje; espacement irré-

gulier des restantes.

C (id.). - Lamelle non atrophiée contenant deux seules cellules de Purkinje d'aspect

normal (1) ; beaucoup de cellules ont disparu, les restantes sont pour la plupart

atrophiées (2).

D (id.). - Type de lamelles atrophiées : atrophie de la couche moléculaire (1), dispa-

rition presque complète des cellules de Purkinje, atrophie et raréfaction de la couche

des grains (2).

LÉGENDES DE LA PLANCHE IX

F (object. e). - A côté de deux lamelles non atrophiées, contenant de nombreuses

cellules de Purkinje (2), deux lamelles fortement atrophiées, avec disparition pres-

que complète des cellules de Purkinje. Atrophie de la couche moléculaire (1), raré-

faction et atrophie de la couche des grains (3).

G (object. 2). - Groupe de lamelles montrant un certain degré d'atrophie de la couche

moléculaire (1) et de la raréfaction de la couche des grains (2).

H (object. 6). 2. Couche des grains d'une lamelle non atrophiée (l'éclaircissement

qu'on observe à droite est dû à un défaut de photographie).

1. - Couche moléculaire.

3. - Une cellule de Purkinje.

/ (id.). - Couche des grains raréfiée d'une lamelle atrophiée.

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS

(SÉANCE DU 6 DÉCEMBRE 1906)

[Travail de la Clinique des maladies nerveuses, à la Salpêtrière )

OSTÉITE SYPHILITIQUE DÉFORMANTE, TYPE PAGET,

CHEZ UNE TABÉTIQUE

PAR

M. CHARTIER et PAUL DESCOMPS

Internes des hôpitaux.

Depuis plusieurs années et en particulier depuis les communications

faites en 1903 par M. le professeur Fournier et M. le professeur Lanne-

longue à l'Académie de médecine, la question de l'origine syphilitique de

la maladie de Paget est à l'ordre du jour. Des travaux récents ont à la fois

confirmé et élargi cette pathogénie, et à côté de l'influence indiscutable

de l'hérédo-syphilis est née la notion du rôle de la syphilis acquise, dans

la production de l'ostéite déformante.

Le cas que nous rapportons contribue à mettre en évidence les rapports

qui unissent le processus déformant de la maladie de Paget à la sy-

philis acquise.

Observation (PI. X).

Mme Vve V...., âgée de 55 ans, brodeuse, entre à la Salpêtrière, salle

Charcot (service de M. le professeur Raymond) pour des [phénomènes ostéo-

articulaires multiples ayant débuté il y a 4 mois par le tibia droit. Disons de

suite qu'elle présente des symptômes avérés de tabes.

Antécédents héréditaires. Mère morte à 35 ans d'une phtisie aiguë. Père

mort à 34 ans, à la suite d'une carie des os de la tête. Nous notons tout spé-

cialement ce point. Elle a eu deux soeurs mortes étant jeunes d'affections

banales. '

Antécédents personnels. - Née à terme. Réglée à 11 ans. Ménopause

à 50 ans. On a peu de renseignements sur son enfance et l'on sait seulement

qu'elle eut une scarlatine à l'âge de 8 ans ; la rougeole à 23 ans.

A 16 ans elle se marie. Elle n'eut ni enfants ni fausses couches.

Son mari eut trois ictus apoplectiques en l'espace de quelques années.

Le premier ictus fut suivi d'une hémiplégie gauche. Il mourut à 44 ans, peu

de jours après son troisième ictus.

Histoire de la maladie. - Il y a 16 ans, à la suite de revers de fortune les

Nouvelle Iconographie de la SALPÉrRIÈnE.

T. XX. Pl. X

OSTÉITE SYPHILITIQUE DEFORMANTE, TYPE PAGET, CHEZ UNE TABÉTIQUE

(Charlier et Dcscoms.) -

Masson et Ce, Editeurs

'}\ ? ¡ 'Q ? f. ? IIIiI

Pliotolypie Berthaud

CHARTIER ET DESCOMPS. - OSTÉITE syphilitique déformante type PAGET 85

premiers symptômes de sa maladie sont apparus. Ce furent d'abord des étour-

dissements avec vertiges survenant plusieurs fois par jour n'entraînant ni

chute, ni perte de connaissance. En outre survinrent quelques céphalées fron-

tales et des douleurs lombaires. Elle fut soignée par l'hydrothérapie et par l'ap-

plication de pointes de feu sur la région vertébrale. Au bout d'un mois les

phénomènes céphaliques disparurent. Un an plus tard, soit il y a 15 ans, un

matin au réveil elle constate l'impossibilité de relever la paupière gauche et

de plus l'amaurose complète de l'oeil droit et un affaiblissement considérable

de l'acuité visuelle de l'oeil gauche. Elle consulte Panas et Galezowski qui

diagnostiquent en outre une paralysie du moteur oculaire externe droitet con-

cluent au tabes.

Elle ne subit pas le traitement mercuriel. Un mois plus tard la vision réap-

paraît progressivement dans les deux yeux; dès lors la malade voit double.

Dans la suite la vision redevint normale à gauche, mais l'oeil droit après cette

amélioration transitoire devient aveugle au bout de 7 ans. -

Deux mois après le début des troubles oculaires, elle éprouva dans tous les

membres des douleurs nettement fulgurantes, tout à fait caractéristiques. Elles

furent à leur maximum pendant quatre mois, mais persistèrent moins violentes

et plus espacées pendant cinq ans.

Depuis dix ans aucun autre phénomène n'est apparu.

Mais au début de l'année 1906, la malade éprouve de nouveau des douleurs

fulgurantes, non plus profondes mais superficielles, dans le membre inférieur

droit et la cuisse gauche.

L'attention de la malade étant attirée dès lors de ce côté, elle remarque que

la jambe droite commence à se déformer.

Au mois de mai 1906 la douleur se localise plus spécialement au niveau du

genou droit : violente, comparable à la constriction dans un étau ; réveillée

par la palpation. Bientôt le genou augmente de volume, la marche devient de

plus en plus difficile, presque impossible surtout du fait des douleurs, qui sont

à leur maximum lorsqu'elle pose le pied sur le sol ou qu'elle fléchit les articu-

lations, en particulier en montant les escaliers.

Au mois de juillet les articulations des poignets sont à leur tour doulou-

reuses et tuméfiées ; les mouvements de l'épaule, à droite principalement,

deviennent difficiles et la malade vient consulter à la Salpêtrière dans le

service du professeur Raymond, le 21 juillet 1906.

Etat actuel. C'est une femme chétive et maigre ; cependant son état

général est bon et l'examen de ses divers appareils n'offre rien de spécial à

signaler. Elle est intelligente et raconte bien les diverses phases de sa maladie.

La marche est difficile et hésitante, en raison des douleurs. Mais la démar-

che ne paraît pas ataxique. Elle se conduit bien dans l'obscurité ; elle descend

les escaliers mieux qu'elle ne les monte.

Dans la station debout les yeux fermés, le signe de Romberg est ébauché.

La force musculaire est difficile à apprécier, car tous les membres sont dou-

loureux à des degrés divers ; d'une façon générale elle ne paraît pas sensible

86 CHARTIER ET DESCOMPS

ment diminuée ; si l'on tient compte en outre de l'amaigrissement général très

accusé.

Il n'existe pas d'atrophie musculaire localisée et l'examen électrique ne mon-

tre aucune modification des réactions normales.

Dans les divers mouvements commandés des membres supérieurs et infé-

rieurs, il existe des phénomènes marqués d'incoordination.

Les réflexes tendineux rotuliens, achilléens, radiaux, sont abolis des deux

côtés ; les réflexes olécraniens persistent.

Les réflexes abdominaux sont conservés à droite et affaiblis à gauche.

La sensibilité superficielle est normale à tous les modes. Le sens articulaire,

le sens des attitudes, le sens stéréognostique ne sont pas modifiés ; mais il

existe des troubles notables de la sensibilité osseuse, le temps de perception

des vibrations du diapason est égal an tiers du temps normal.

De tous les organes des sens l'oeil seul est touché. Cet examen a été prati-

qué par M. Dupuy-Dutemps qui a constaté : ptosis léger de la paupière gau-

che ; paralysie des deux droits- externes et des deux droits supérieurs ! signe

d'Argyll-Robertson bilatéral, et enfin une atrophie papillaire double très

accusée à droite.

De tous ces faits nous croyons pouvoir conclure à l'existence certaine

d'un tabes.

Examinons maintenant les phénomènes ostéo--arliculaires que présente

la malade.

Ce qui frappe an premier abord, c'est une déformation très accentuée de la

jambe droite.

Côté droit. - 1° Le tibia présente le maximum de déformations. C'est en

premier lieu une double courbure, l'une fortement convexe en avant, l'autre

concave en dedans L'os est dur, et la main qui le palpe perçoit de petites nodo-

sités rugueuses. Notons tout spécialement, un peu en dedans du bord anté-

rieur, à 2 centimètres au-dessous du tubercule antérieur, une petite hyperos-

tose, de la grosseur d'un pois,, à base élargie. Le bord antérieur de l'os a com-

plètement disparu ; il est remplacé par une surface mousse qui se prolonge

sur la face externe de l'os,si bien que celle-ci en avant des muscles de la région

antéro-externe de la jambe est anormalement accessible sur une étendue de 2 à

3 centimètres environ.

La région de l'épiphyse tibiale inférieure ne participe pas à cette déformation.

Ajoutons que l'os n'est pas sensible à la palpation ; la percussion seule pro-

voque quelques douleurs vers l'extrémité supérieure.

2° Le'genou droit est un'peu en valgus et cela par suite de l'hypertrophie

du plateau interne du tibia et du condyle interne du fémur.

L'articulation est gonflée, globuleuse, les méplats sont effacés.

Les tissus péri-articulaires sont épaissis, la palpation est douloureuse mais

ne révèle pas d'hydarthrose.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. XI

Radiographies Infroit.

OSTÉITE SYPHILITIQUE DEFORMANTE, TYPE PAGET, CHEZ UNE TABETIQUE

(Cbarlier et Descomps.) 1

OSTÉITE SYPHILITIQUE DÉFORMANTE, TYPE PAGET, CHEZ UNE TABÉTIQUE 87

Les mouvements de flexion sont presque impossibles ; ils déterminent des

craquements, des douleurs.

3° Le fémur droit présente une exagération anormale de sa courbure à con-

cavité postéro-interne. Il est douloureux à la pression sur toute sa longueur.

4° L'articulation tibio-tarsienne droite était il y a deux mois gonflée et dou-

loureuse. Actuellement son aspect est normal ; elle est parfaitement, mobile et

on n'y ressent pas de craquements.

5° Depuis quelques mois les deux premiers orteils sont immobiles et présen-

tent une déformation permanente qui a pour conséquence de les écarter l'un

de l'autre.

Côté gauche. - 1° Le tibia depuis deux mois tend à se déformer de la même

façon et nous avons pu constater l'évolution progressive d'une courbure anor-

male encore peu accentuée.

2° Le genou présente, comme à droite, une hypertrophie du plateau tibial

interne et du condyle fémoral interne. Il est en outre douloureux et augmenté

de volume. Les mouvements de flexion très limités s'accompagnent de craque-

ments.

3° Le fémur semble normal.

"4° L'articulation tibio-tarsienne est augmentée de volume, mobile encore,

mais sensible à la pression.

Les membres supérieurs ne présentent aucune déformation appréciable. Les

os sont parfaitement normaux, mais nous devons signaler des manifestations

articulaires les unes passagères, les autres permanentes. En effet, il y a trois

mois les deux articulations radio-carpienues étaient augmentées de volume,

douloureuses à la pression et dans des mouvements provoqués ; aujourd'hui

tout gonflement a disparu, notons seulement la saillie exagérée de l'extrémité

inférieure du cubitus. Les articulations des doigts sont sujettes à des raideurs

passagères et variables.

Au coude, des deux côtés, l'extension est un peu limitée.

Les articulations des épaules présentent encore les mêmes douleurs et les

mêmes craquements.

Il nous faut signaler ici un symptôme particulier bien évident, consistant en

une élévation de température locale occupant les membres supérieurs et inlé-

rieurs du côté droit, et qui nous semble l'indice d'un travail inflammatoire.

Le thorax est le siège de la déformation dite en carène, qui semble d'ailleurs

devoir être imputée à un certain degré de rachitisme infantile, s'exagérant en

apparence du fait de l'amaigrissement.

Les clavicules, le bassin, les os du crâne et de la face ont un aspect normal.

La colonne vertébrale ne présente qu'un peu de raideur dans sa portion cer-

vicale, imputable à un léger degré d'arthrite.

Les radiographies faites par M. Infroit confirment surtout au niveau du tibia

droit les constatations de l'examen clinique (Pl. XI). )1

On voit en effet très nettement la double courbure que nous avons signa-

lée, l'épaississement dans le sens transversal et dans le sens antéro-postérieur

88 CHARTIER ET DESCOMPS

que traduit l'opacité générale de l'os avec çà et là des points plus opaques

répondant aux nodosités perçues à la palpation.

Pour résumer cette observation, nous nous trouvons en présence d'une

malade offrant à considérer des manifestations de deux ordres.

Les unes semblent relever nettement du tabès, ce sont : les signes d'in-

coordination, l'abolition des réflexes, les troubles de la sensibilité osseuse,

les phénomènes oculaires : signe d'Argyll, paralysies diverses de la mus-

culature externe, atrophie optique.

Les autres consistent en un processus ostéo-articulaire complexe se

traduisant :

1° par des déformations osseuses prédominant au niveau du tibia droit

et caractérisées par une courbure des os longs ; ,

2° Par un processus d'hypertrophie en masse des os avec nodosités

que confirment d'ailleurs les épreuvres radiographiques (V. les planches) ;

3° Par des modifications articulaires, qui tiennent d'une part à l'aug-

mentation de volume des épiphyses, et d'autre part à l'épaississement des

tissus mous articulaires et périarticulaires, et qui présentent les caractères

cliniques de tuméfaction globuleuse et d'ankylose. Comme le montrent

les photographies, ces modifications frappent surtout les deux articula-

tions du genou ;

4° Par de la douleur et par une élévation de la température locale.

Dans quel cadre clinique devons-nous ranger ces déformations squelet-

tiques ? ' ?

S'agit-il, en premier lieu, d'ostéo-arthropathies tabétiques ? Nous ne le

pensons pas.

Les os des tabétiques en effet ne présentent jamais d'augmentation de

volume de la diaphyse ; on n'y constate jamais de courbures accusées ; le

processus est avant tout raréfiant, et n'offre jamais les caractères d'hyper-

trophie en masse et nodulaire que nous observons chez cette malade.

\ Les arthropathies ont des signes bien connus : début rapide, indolence,

gonflement considérable, sans caractères inflammatoires, déplacements ar-

(fl ticulaires et mobilité anormale. Il est vrai qu'on voit quelquefois se

produire des lésions d'arthropathie hypertrophique ; mais ces modifications

sont différentes de ce que nous observons : elles relèvent bien plus de

l'épaississement des tissus articulaires et péri-articulairesque de l'hyper-

trophie vraie des extrémités. ?

Si le tableau clinique des malformations squelettiques de cette malade

ne relève pas de son tabes, l'hypothèse qui se présente alors à notre esprit

est la syphilis. Le tabes à lui seul nous permettrait d'envisager comme

infinimentprobable, la présence de cette infection.

OSTÉITE SYPHILITIQUE DÉFORMANTE, TYPE PAGET. CHEZ UNE TABÉTIQUE 89

De plus, si nous ne trouvons pas dans les antécédents les manifesta-

tions avérées de la syphilis, les ictus multiples et la mort subite et préma-

turée du mari viennent en fortifier la probabilité.

Nous sommes donc amenés maintenant à rechercher par l'examen cli-

nique de cette malade les caractères de la syphilis osseuse.

Il est certain que nous nous trouvons ici en présence d'un processus

nettement inflammatoire. La preuve en est dans l'augmentation de volume

des os du tibia droit surtout, dans la condensation osseuse que traduit

l'opacité radiographique, dans l'hyperostose récemment survenue sur le

bord antérieur de cet os, dans les douleurs aiguës et profondes qu'elle a

présentées, enfin dans l'altération très accusée de la température locale au

niveau du tibia déformé.

Toutefois, nous ne pouvons rattacher le processus inflammatoire à

l'existence d'une ostéomyélite gommeuse, ou d'un syphilome diffus. Il ne

s'agit point en effet d'un os doublé ou triplé de volume, présentant sur son

bord antérieur, saillant de ce fait en avant,des productions périostiques dis-

posées en couches successives, os parsemé d'orifices ou de points ramollis.

Ici, au contraire, l'os, bien qu'hypertrophié dans sa totalité a conservé une

surface lisse ; et ce qui frappe surtout, c'est la double courbure qu'il pré-

sente, convexe en avant et en dehors.

Cette déformation doit-elle rentrer dans le cadre de la syphilis osseuse ?

Au point de vue clinique, ces déformations ostéo-articulaires, font

penser au premier abord (il suffit d'examiner les photographies ci-jointes)

à ce que l'on est convenu d'appeler la maladie de Paget, et plus spéciale-

ment à cette forme décrite par Paget et les auteurs anglais,et sur laquelle

M. Lannelongue a tout spécialement attiré l'attention, forme limitée à un

très petit nombre d'os et même à un seul.

Mais au point de vue pathogénique,qu'est-ce que cette maladie de Paget ?

Bien des hypothèses ont été émises, et aucune ne parait unanimement

acceptée. Toutefois dans ces dernières années bien des auteurs, à la suite

de Lannelongue et de Fournier, se sont rattachés à l'origine syphilitique

de cette affection.

Il faut dire que c'est surtout l'hérédo-syphilis qu'ils ont incriminée !

Les cas de déformations type Paget, considérées comme manifestations

d'une syphilis acquise, sont beaucoup plus rares. La littérature nous,en

fournit cependant 4 observations.

La première est citée dans le mémoire même de Paget, où des ulcéra-

tions tertiaires des jambes coïncidaient avec les déformations osseuses.

En 1903, Ménétrier et Gauckler ont publié deux nouveaux cas dans

lesquels « l'existence contemporaine même des manifestations cutanées ou

« viscérales manifestement syphilitiques, servaient à justifier l'hypothèse

90 - CHARTIER ET DESC0111t'S

« de l'influence syphilitique dans le développement de l'affection osseuse ».

Le dernier cas nous est fourni par Ménétrier et Rubens Duval en 1905 ;

tout particulièrement intéressant, puisque pour la première fois, le trai-

tement mercuriel a donné des résultats positifs.

Nous pensons que le cas de notre malade peut venir s'ajouter à ces

4 observations : il s'agit donc chez elle d'un processus ostéo- articulaire

syphilitique, se rattachant par son aspect clinique au syndrome défor-

mant que l'on désigne sous-le nom de maladie de Paget. -

- Mais il faut remarquer en outre que le syndrome déformant coexiste

avec un tabes indéniable,et nous devons nous demander si les lésions mé-

dullaires habituelles du tabes n'ont pas contribué pour cette certaine part

à la genèse de ces malformations osseuses ?

Mentionnons à ce sujet que Gilles de la Tourette et Magdelaine, Gilles

de la Tourette et Marinesco étaient allés plus loin, et avaient émis l'hypo-

thèse que l'ostéite déformante de Paget n'était autre qu'un trouble trophi-

que placé sous la dépendance de lésions médullaires des cordons posté-

rieurs.

Les conclusions précédentes nous ont amenés à instituer le traitement

mixte, mercuriel et ioduré (Iodure à l'intérieur, piqûres de biiodure,

application d'onguent napolitain sur la face antérieure de la jambe).

Il en esl résulté une disparition rapide et manifeste des douleurs spon-

tanées. Quant aux malformations osseuses, nous ne pouvons pas encore

affirmer qu'elles soient arrêtées dans leur évolution ; mais il est certain

que l'intensité du processus d'ostéite inflammatoire est sensiblement atté-

nuée.

BIBLIOGRAPHIE

LANNELONGUE.- Bulletin médical, 23 février 1903, p. 167. Académie de médecine, 3 mars

1903.

Fournier. Bulletin médicaL,1903,n 26, p. 301; Académie de médecine, 31 mars 1903.

GILLES DE la TOURETTE et MAGDELAIl'OE'. - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière,

1894, no 1.

GILLES de la TOURETTE et liIARINESCO. - Société médicale, 1894, p. 425 ; Nouvelle Ico-

nographie, juillet 1895.

FEÉCHOU. - Thèse Paris, 1903.

VINCENT. Thèse Paris, 190-i.

Gaucher et RosTAINE, Société de Dermatologie, avril 1904.

DUCASTEL et SS1111'Eli. Ibidem.

Ménétrier et GAUCKLER. - Société médicale, 29 mai 1903.

Ménétrier et RuBENS DuvaL. - Société'médicale, 26 mai 1905.

OETTINGER et Agasse-Lafont. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1905, p. 292.

FouQUET. - Thèse Paris, 1905.

SABRAZËS. - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1905.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. Tu1. PI. XII

UN CAS DE GIGANTISME PRECOCE

avcc

POLYSARCIE EXCESSIVE.

(farhon et Znlplacta.)

Masson et Cive Editeurs

SUR UN CAS DE GIGANTISME PRÉCOCE AVEC

POLYSARCIE EXCESSIVE

PAR

C. PARHON et J. ZALPLACTA

(de Bucarest)

Nous relaterons dans ce travail l'histoire d'un malade qui nous a semblé

digne de la plus grande attention, non seulement par la rareté des troubles

qu'il présente, mais aussi et surtout par l'importance des.problèmes de phy-

siologie et de pathologie que ces troubles soulèvent.

Nous avons trouvé ce malade exposé dans une foire, aussi son observa-

tion sera forcément incomplète. Pourtant nous avons pu recueillir quelques

données assez importantes.

Il s'agit d'un jeune homme de 15 ans dans les antécédents duquel nous

trouvons l'obésité de la mère. Mais cette obésité ne dépasse pas les limites

de celle qu'on observe assez couramment. Son père ne présente rien

d'important. Mais l'oncle maternel du malade présentait un type accompli

d'acromégalo-gigantisme. Nous avons vu, il y a quelques années, ce ma-

lade exposé dans la même foire que son neveu. Sa taille était à peu près

de deux mètres (nous ne possédons pas le chiffre exact). Il présentait la

figure glabre, un prognathisme manifeste du maxillaire inférieur. Les

mains en battoir.

Notre malade actuel possède encore deux frères qui ont respectivement

7 et 10 ans et ne présentent rien d'anormal.

La mère nous dit que la maladie a débuté vers la quatrième année, mais

notre malade n'a commencé à marcher qu'à cette même année. Aussi faut-

il penser qu'il n'était pas normal probablement dès sa naissance.

Le malade, âgé de 15 ans, présente une taille de 1 m. 725 tandis qu'un

enfant normal du même âge a seulement une taille de 1 m. 513. Notre

malade dépasse donc la hauteur des enfants de son âge de 212 millimètres.

Ce qui nous semble un chiffre assez important. Il dépasse même à peu

près de 4 centimètres la taille moyenne d'un adulte normal, taille qui

d'après Quetelet est de 1 m. 686. Nous pouvons dire par conséquent que ce

malade est un géant pour son âge. Il se nomme d'ailleurs lui-même « le

géant de la nation roumaine » (Pl. XII). ;

92 PARHON ET ZALPLACTA

Son facies ne présente rien d'anormal. Sa lèvre supérieure commence

à se couvrir de poils, ce qui est le meilleur signe d'une puberté qui com-

mence. Le teint du visage est rose et frais. Les différentes régions de la

face sont proportionnées. On n'observe pas de prognathisme ni aucune

déformation rappelant l'acromégalie. A cause de son adipose excessive on

observe un double menton. Le tronc est très riche en tissu adipeux et

dans la région mammaire les téguments font un pli extrêmement marqué.

Les mamelons sont enfoncés et par la palpation dela région mammaire on

ne parvient pas à découvrir des nodules glandulaires. L'abdomen, rond

et saillant à cause de l'obésité, présente dans la région de la ligne blanche

un développement modéré « du système pileux ».

Le malade ne nous a pas permis d'examiner ses organes génitaux. Il est

très pudique et rougit quand on lui fait cette demande. Mais d'après

le développement de son système pileux on peut affirmer qu'ils fonction-

nent assez bien, au moins en ce qui concerne leur sécrétion interne.

Les membres sont arrondis et très gros. Par contre, on n'observe ni une

hypertrophie des extrémités ni un allongement excessif des membres infé-

rieurs par rapport au tronc comme chez la plupart des géants.

Voici maintenant, quelques mesures de la circonférence des membres

comparées à celles prises chez un adulte normal :

Circonférence du bras droit : 50 centimètres. Chez un adulte normal :

30 centimètres. Donc une différence de -1- 20 centimètres.

Circonférence de l'avant-bras : 38 cent. 5. Chez l'adulte normal :

27 centimètres. Différence : -f- 11 cent. 5.

Circonférence de la cuisse droite : 75 cent. 5. Chez l'adulte normal :

48 centimètres. Différence : + 27 cent. 5.

Circonférence de la jambe droite : 58 cent. 5. Chez l'adulte normal :

36 centimètres. Différence : + 22 cent. 5.

D'après les renseignements que nous avons pris il pèse 246 kilos,

tandis qu'un adulte de taille moyenne pèse seulement 65 kilos et un enfant

de 15 ans 41 kil. 2. Son poids serait donc supérieur par rapport à celui de

l'adulte normal de 181 kilos et à celui de l'enfant de 15 ans, de 204 kil. 8.

Il faut faire pourtant certaines réserves sur l'exactitude de cette donnée

n'ayant pas eu la possibilité de peser nous-même le malade. Quoi qu'il en

soit, il suffit de regarder la photographie pour se convaincre que ce malade

doit dépasser de beaucoup par son poids celle de l'adulte normal et d'au-

tant plus celle d'un enfant de son âge.

Le malade ne nous a pas semblé présenter des troubles psychiques. Il

comprend facilement ce qu'on lui dit et répond d'une façon correcte aux

questions qu'on lui pose. Mais il ne nous a pas été possible de faire un

examen psychique plus approfondi.

SUR UN CAS DE GIGANTISME PRÉCOCE AVEC POLYSARCIE EXCESSIVE 93

C'est à ces données que se borne notre observation. Nous retiendrons

les points suivants :

1° La mère du malade est obèse, mais non d'une façon excessive ;

2° Le père de cette dernière présentait un type accompli d'acromégalo-

gigantisme ;

3° Notre malade est assurément un géant pour son dge.

4° Il présente en même temps une adiposité excessive.

Tels sont les points importants qui se dégagent de cette observation.

Discutons maintenant un peu la pathogénie des troubles présentés par ce

malade. Il est d'abord un géant précoce. Mais quelle est la pathogénie du

gigantisme ? Brissaud et Meige admettent, et il en est ainsi assurément

du moins pour la majorité des cas, que le gigantisme et l'acromégalie

ne sont que l'expression d'un seul et même trouble qui commence dans le

premier cas avant la cessation de la croissance en longueur, dans le second

après la cessation de cette dernière. Cette opinion est partagée également

par Launois et Roy.

Nous connaissons aujourd'hui les relations pathogénétiques qui unissent

l'acromégalie et les altérations de l'hypophyse, bien qu'on puisse encore

discuter sur leur mécanisme intime. Or, nous croyons qu'on peut dire

que le gigantisme est un syndrome pituitaire. A sa production peuvent

s'ajouter dans certains cas une hyperfonction au moins partielle de la

glande thyroïde, la conservation prolongée de la fonction du thymus et

l'insuffisance fonctionnelle des glandes génitales. Nous avons en vue ici

leur sécrétion interne.

Chez notre malade, la sécrétion interne des testicules, au moins à cer-

tains points de vue, se fait normalement. Il ne présente pas de signes

d'hyperthyroïdisme, bien qu'on ne puisse pas exclure une intervention de

cette glande dans la croissance exagérée de ce jeune homme.

Il n'est pas probable que son thymus soit intact, car c'est surtout chez

les géants et acromégales infantiles, autrement dit chez lesquels la puberté

n'apparaît point, que le thymus conserve son activité d'une façon prolon-

gée ; et on peut penser avec Andershon, Noël Paton que l'entrée en fonc-

tion des glandes génitales amène l'involution de cet organe qui appartient

à l'enfance.

Mais que faut-il penser dans notre cas de l'état de la glande pituitaire ?

Une expérience récente que l'un de nous a faite avec Golstein, tend à

montrer que les injections de suc testiculaire à des animaux jeunes déter-

minent également l'involution précoce du thymus. Nous sommes disposés

à admettre que c'est surtout du côté de cette dernière qu'il faut chercher

94 PARIlON ET ZALPLACTA

la raison principale du gigantisme précoce de notre malade. D'abord

malgré la rareté des cas de gigantisme précoce il semble ressortir que l'hy-

pophyse est altérée dans ces cas.Ce fait semble ressortir de l'examen radio-

graphique du crâne que Hudovernig a pratiqué dans son intéressant cas de

gigantisme précoce, publié dans la Nouvelle Iconographie de la Salpê-

trière (1903 et 1906). Dans le même sens plaident les cas de puberté,

précoce coexistant avec des troubles cérébraux et survenus précisément à

la suite d'une affection ayant intéressé le contenu de la cavité crânienne.

Ces cas s'accompagnent d'habitude d'une croissance exagérée. Or, dans

l'état actuel de nos connaissances, nous devons admettre que la croissance

comme la puberté sont surtout l'oeuvre des sécrétions internes.

Dans les cas où une affection aiguë intéresse le contenu du crâne, déter-

minant à la suite une croissance exagérée et la puberté précoce (il en

était ainsi dans le cas de Hudovernig), nous croyons qu'on est en droit de

penser que la pituitaire a été, elle aussi, intéressée. On sait d'ailleurs

quelles relations étroites unissent cette glande avec les organes génitaux.

Mais, ce qui dans notre cas nous a fait surtout penser à un trouble de

la fonction hypophysaire, c'est surtout l'acromégalo-gigantisme observé

chez l'oncle de ce géant.

Ce fait nous porte à penser qu'il y a dans la famille de ce malade une

véritable tare hypophysaire.

Cela n'a rien d'invraisemblable. Les tares glandulaires sont assez fré-

quentes, et, pour ne parler que de la glande pituitaire, nous rappellerons

que Bonardi, Schwoner, Frankel, Schaffer ont publié des cas d'acromé-

galie héréditaire.

Mais comment expliquer dans notre cas cette adipose extraordinaire ?

Nous estimons qu'il faut en chercher la raison toujours dans un trouble

des sécrétions internes.

Au point de vue de ce dernier symptôme, notre malade présente une

ressemblance frappante avec le cas publié récemment par Magalhaes Le-

mos, cas qu'il qualifie d'infantilisme myxoedémateux, bien qu'on ne doive

admettre, sans de sérieuses réserves selon nous, un pareil diagnostic

dans un cas où la croissance s'est effectuée normalement ou même un peu

au-dessus de la normale.

Nous n'ignorons pas certainement que l'infantilisme n'est pas incompa-

tible avec une croissance normale, voire même gigantesque ; mais ce n'est

pas dans l'infantilisme myxoedémateux qu'on observe ces faits, mais bien

dans l'infantilisme testiculaire et surtout hypophysaire.

D'ailleurs cet auteur a observé lui-même que si dans son cas le traite-

ment thyroïdien a été suivi d'une diminution très accentuée du poids

SUR UN CAS DE- GIGANTISME PRÉCOCE AVEC POLYSARCIE EXCESSIVE 95

(32 kil. 250 en deux mois) il a été impuissant à combattre précisément

certains symptômes qu'il mettait sur le compte du myxoedème.

A dire vrai, la démyxoedématisation proprement dite est en définitive très

faible, presque nulle. Et il en conclut que « ce bienfait partiel et léger

paraît indiquer que le corps thyroïde n'est pas seul responsable de cet en-

semble morbide; c'est-à-dire que quelques phénomènes. présentés par le

malade ont peut-être leur cause ailleurs. Il serait étrange que ce soit

précisément les phénomènes myxoedémateux.

Dans ce cas l'hérédité du malade était très chargée et en outre la mère

a eu une forte émotion pendant la grossesse (Elle faillit se noyer dans

un naufrage). Basé sur ces faits, l'auteur pense que c'est surtout l'hérédité

qu'il faut incriminer dans la production de l'état somatique et psychique

de son malade (au point de vue psychique, il était un infantile dégénéré).

L'hérédité pourrait produire l'infantilisme de deux façons :

10 Directement, en troublant, par elle-même et sans intermédiaire, l'é-

volution ontogénique. et en déterminant par ce fait, des retards ou des

arrêts de développement de l'ensemble de l'individu tout entier ou d'un

appareil spécial ;

2° Indirectement, par l'intermédiaire du corps thyroïde et peut-être des

autres glandes à sécrétion interne.

Nous ne savons pas ce qu'il faut penser au juste de cette action directe

de l'hérédité, mais nous remarquerons que l'obésité considérable du ma-

lade étudié par Magalhaes Lemos n'a débuté que vers l'époque de la pu-

berté, qui d'ailleurs ne s'accomplit pas chez lui.

Ce malade pesait 35 kilogrammes à 13 ans (le chiffre moyen à cet âge

est de 33 kil. 100), donc il avait à cet âge un poids sensiblement normal.

Puis, progressivement, l'obésité s'établit de sorte qu'il pesait 82 kilogram-

mes à 18 ans (au lieu de 53 kil. 900, chiffre moyen à l'état normal) et

160 kilogrammes à 37 ans (au lieu de 64 kil. 650).

Ce début de l'obésité vers l'époque de la puberté plaide, pour nous,

mieux en faveur d'un trouble dans les glandes à sécrétion interne, et nous

avons vu les raisons pour lesquelles nous estimons que le point de départ

dans ce cas n'est pas la glande thyroïde. Il faut penser dans ce cas comme

dans le nôtre à une autre glande.

. Nous avons en vue la pituitaire. Dans notre cas nous avons vu la crois-

sance exagérée plaider dans ce sens.

Mais une lésion de l'hypophyse est-elle capable de produire l'obésité ?

On peut aujourd'hui, sans hésiter, répondre par l'affirmative, et c'est

avec raison que Paul Carnot, dans son excellent travail sur « Les diffé-

rents types pathogéniques de l'obésité », a consacré un paragraphe à l'obé-

sité hypophysaire.

96 PARHON ET ZALPLACTA

Les cas de Froelich, Mohr, Classer, Wandsworth, Boyce et Beadies,

Stewarts, Berger, Fuchs, Zak, Stalper, Pechkranz, Bew, Dercum, dans

lesquels des lésions de l'hypophyse, surtout des tumeurs, coexistaient

avec un degré plus ou moins marqué d'obésité prouvent d'une façon suf-

fisante la réalité d'une obésité hypophysaire.

Il est vrai que dans notre cas, comme dans celui de Magalhaes Lemos,

il ne s'agit pas d'une obésité banale, mais d'une polysarcie excessive.

Une pareille polysarcie peut-elle reconnaître pour cause un trouble

hypophysaire ? -

Nous sommes disposé l'admettre. Car il nous semble peu probable que

dans notre cas le trouble général du développement reconnaisse deux

causes différentes.

Or la tare hypophysaire dont nous avons parlé (et de laquelle dépen-

dait peut-être aussi l'obésité de la mère) et le fait de la croissance gigan-

tesque de notre malade sont des indices chez lui d'une lésion de la glande

pituitaire. Il paraît rationnel d'admettre dès lors que la polysarcie soit

sous la dépendance de cette même lésion.

D'autre part, Cyon a publié l'observation d'un enfant de 12 ans, atteint

d'un développement considérable du squelette qu'il diagnostique acro-

mégalie (bien qu'ici encore il faille faire de sérieuses réserves), et qui

pesait 54 kilogrammes (au lieu de 29). Dans ce cas l'opothérapie pituitaire

a amené, outre la disparition ou la diminution des autres troubles tels

que l'arythmie cardiaque, les maux de tête, l'apathie intellectuelle, une

diminution marquée du poids qui atteint le chiffre de 45 kilogrammes en

six semaines.

Dans ce cas le diagnostic de trouble pituitaire est donc corroboré aussi

par l'opothérapie.

Dans notre cas et dans celui de Magalhaes Lemos l'obésité est plus

marquée, mais les malades sont, eux aussi, plus âgés, et on peut supposer

que dans le cas de Cyon elle aurait pu progresser si on n'était pas inter-

venu.

Il est probable qu'il s'agit des variations en rapport avec l'ancienneté

de la lésion, sa nature, etc.

Quoi qu'il en soit, l'hypothèse que dans les cas pareils aux nôtres et à

celui de Lemos il s'agit de troubles hypophysaires nous semble digne

d'être prise en considération.

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE

PAR

HENRY MEIGE

1

L'ANATOMIE DU CADAVRE ET L'ANATOMIE DU VIVANT

Une révolution révolution pacifique, mais révolution tout de même

- est en train de s'opérer dans les études anatomiques. La tyrannie du

cadavre est fortement ébranlée. L'anatomie du vivant défend ses droits

légitimes. Elle vient de remporter des victoires, dont la Science, l'Art,

l'Humanité tout entière, ne peuvent que bénéficier. 1

Or, toute révolution a des germes latents, qui finissent par éclore tôt

ou tard ; un jour vient où ils acquièrent un tel épanouissement qu'on se

demande 'avec surprise comment ils ont pu rester si longtemps dissimulés.

Les germes de la révolution anatomique ont commencé à poindre,il y a

une vingtaine d'années environ. Dans la Nouvelle Iconographie de la Sal-

pêtrière on peut en retrouver les jeunes floraisons. Aujourd'hui, ces

germes ont fructifié. C'est pour nous un devoir et un plaisir que d'en faire

connaître les premiers fruits, déjà bons à cueillir.

Il n'y a pas bien longtemps encore, l'enseignement anatomique avai t

pour base unique la dissection. Le cadavre en faisait tous les frais.

L'aspect extérieur du sujet ? A quoi bon ? Tout pour l'organe : os,

muscle, nerf, articulation.

La peau, le pannicule graisseux ? - Déchets superflus.

C'était le triomphe de l'anatomie du cadavre, mieux encore, de l'anato

mie du contenu du cadavre.

On étudiait l'os en soi, le muscle en soi. Malheur à qui ne savait réci-

ter par coeur car comment les retenir autrement ? - les faces et les

bords d'une tubérosité définie géométriquement. Et quelle géométrie !

« Le grand trochanter présente à considérer deux faces et quatre bords

La face interne se confond dans la plus grande partie avec la base du

col..... Le bord antérieur, très épais, offre la figure d'un petit rectan-

xx 7

98 HENRY MEIGE

gle..... etc. etc. » - ou ceci encore : « Dans les os larges, on considère

deux faces et une circonférence ; celle-ci est elle-même subdivisée en bords

et en angles. »

Pour beaucoup ce langage est encore classique.

Sappey, le consciencieux Sappey, dont on ne peut s'empêcher d'admi-

rer en tant d'occasions le talent descriptif, n'avait pas osé se débarrasser

de ces formules traditionnelles. « Les termes de comparaison, écrivait-il,

ont été empruntés à la géométrie. Les os se prêtent assez mal et ce langage

sévère. » - Alors, pourquoi l'employer ? Parce que, répond Sappey,

« l'anatomie est aussi une science de précision, et comme, d'une autre

part, il y a en réalité un grand avantage à n'employer que des termes bien

définis et connus de tous, cet usage a fini par prévaloir ».

Mais qui reconnaîtra une face, si elle n'existe pas, puisqu'elle se confond

avec le reste de l'os ? Qu'est-ce qu'un bord, ayant la « surface » d'un rec-

tangle ? Et qu'est-ce qu'un solide qui n'a que deux faces et quatre bords ? ..

Qu'est-ce enfin qu'une circonférence, sudiviséeen bords et angles ? ...

Singulière précision, en vérité, que celle qui consiste à appliquer des

« termes bien définis et connus de tous » à des objets auxquels ces termes

sont inapplicables.

Pourtant, c'est en adultérant de la sorte la langue géométrique qu'on

enseignait l'ostéologie. Je ne fais que signaler en passant l'inconvénient

d'une coutume, qui ne pouvait donner que l'illusion de l'exactitude scien-

tifique, et dont, à vrai dire, les modernes anatomistes tentent de se détacher.

J'arrive à un errement bien plus grave.

Nous avons tous appris le squelette à l'aide d'os soigneusement rugi-

nés, desséchés, passés au talc. Cette étude préliminaire est nécessaire,

inévitable ; à une condition cependant : c'est qu'elle ne soit que le pré-

lude d'une ostéologie moins macabre, l'ostéologie du vivant.

Or, après avoir donné connaissance de l'os en soi, de l'os mort, ensei-

gnait-on l'os en place, l'os vivant ? Apprenait-on à retrouver telle ou telle

apophyse, telle ou telle gouttière sous la peau d'un sujet en vie ? Non,

jamais. L'enseignement de l'ostéologie semblait fait pour des anthropolo-

gistes ; et il s'adresse à de futurs médecins.... Combien, parmi ceux-ci,

une fois devenus praticiens, seront appelés à manier un os tout sec Par

contre, chacun ne devrait-il pas être en mesure d'examiner l'ossature de

tout malade venu pour le consulter ? La plupart s'abstiennenl, et pour

cause : on ne leur a jamais fait reconnaître un os in situ. Ils ont pu demeu-

rer des virtuoses du squelette, aptes à réciter encore leur galimatias géomé-

trico-ostéologique. La bonne aubaine pour le patient, si son docteur n'est

pas capable, à moins de le disséquer, de retrouver sur son corps

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 99

une éminence osseuse ou une crête d'insertion, s'il confond, cela

arrive, - une saillie normale avec une exostose surajoutée

- Et les muscles ? '

A la table de dissection, la meilleure note était pour la préparation où

bouchons et ficelles artistement répartis donnaient l'impression du plus

habile jeu de patience. Surtout, qu'on n'y vit pas un atome de graisse !

Heureux ceux que le sort gratifiait d'un maigre « macchabée » ! ...

A l'examen. la forte cote à qui connaissait ses insertions aussi imper-

turbablement que jadis il fallait savoir le Jardin des racines grecques.

Le seul muscle étudié, exigé, c'était le muscle du mort, et du mort

écorché, cette chose inerte, flasque, qui prend la forme que l'on veut, qui

se place où cela est commode, dont on avait pris soin de limiter les atta-

ches aux points précis qu'indiquaient les traités, le scalpel dût-il pour

cela contrarier quelque peu la nature.

Les rapporls, les fonctions musculaires, on en parlait assurément en

quelques mots ; mais la forme vivante, mais les modifications de cette

forme entrevue sous la peau, suivant les sujets, suivant les attitudes....

Néant. Et c'est avec cette seule anatomie cadavérique qu'on a fabriqué

des générations de médecins, destinés, dans leur pratique, à n'avoir à se

prononcer que sur l'anatomie des vivants.

Entendons-nous bien. Les exercices de dissection sont, non seulement

nécessaires, mais indispensables. Seuls, ils peuvent donner à l'étudiant

cette éducation manuelle toute spéciale sans laquelle il n'est pas de bon

praticien. Mieux qu'aucune leçon, ils fixent dans l'esprit le souvenir des

multiples éléments dont est constitué le corps humain. Enfin, certainement,

il faut enseigner les insertions musculaires, exiger qu'elles soient bien sues.

C'est l'A. B. C du métier. Mais il ne suffit pas de posséder son alphabet

pour savoir lire. Et, reconnaissons-le, l'enseignement de l'anatomie, juste-

ment sévère sur les rudiments et les exercices préparatoires, s'est montré

peu soucieux dés applications à la pratique future.

Objectera-t-on que l'étudiant, pendant les années qui suivent les tra-

vaux de dissection, est en mesure de compléter cet enseignement ?

Où ? Comment ? i'

Par les épreuves de médecine opératoire ? ` ? - Ici, il apprend bien à trou-

ver quelques repères classiques, mais toujours sur le cadavre, et il se pré-

occupe surtout d'obéir aux règles préétablies pour le tracé d'une incision

ou la désarticulation d'un os.

A l'Hôpital ? Au lit du malade, là, sans doute, le futur docteur pour-

rait mettre à profit ses notions anatomiques et essayer de les appliquer à

la connaissance d'un corps vivant. Mais combien, des mieux intentionnés,

100 HENRY ME1GE

manquent de l'initiative ou de la liberté nécessaires, faute d'être conseillés

et encouragés dans, cette étude ? Pour les autres, ils n'y songent guère :

« On ne demande pas ça à l'examen.... »

Dans la salle d'autopsie, c'est encore le cadavre que retrouve l'étudiant.

Et ce qui l'intéresse alors, c'est toujours, uniquement, le contenu du ca-

davre, les viscères, les lésions de ces viscères surtout.

Ceci est encore la vérité d'aujourd'hui : jamais on n'a montré à un

futur docteur en médecine un homme nu, normal, et de bonne santé.

Et l'on voudrait que ce docteur fût en état de diagnostiquer les défec-

tuosités de l'être humain prises sur le vif.... Mais ne lui manque-t-il pas,

pour faire une observation rigoureuse, de savoir discerner l'exception de

la règle, de pouvoir comparer un malade avec un homme bien portant ? ` ?

Celui-ci, il ne l'a jamais vu. Il ne connaît que des cadavres ! 1

Ainsi, le cadavre, toujours le cadavre ! Le dogme du cadavre a pesé

lourdement sur tout l'enseignement médical, comme si ce dernier avait eu

pour objet principal de fabriquer des médecins pour les morts 1

Et telle est la toute-puissance routinière de la tradition que le culte

de ce paradoxe a pu se perpétuer pendant de longues années.

Cependant, les plus illustres protagonistes de l'anatomie descriptive,

avaient laissé entrevoir qu'un complément pratique était indispensable aux

études de dissection. «On peut, ditCruveilhier, dans la préface de son

Traité d'Anatomie, en 1849, rattacher à l'anatomie descriptive l'anatomie

des peintres et des sculpteurs, qu'on peut définir la connaissance de

la surface extérieure du corps, soit dans les diverses attitudes du repos, soit

dans les divers mouvements. Je remarquerai à ce sujet que la détermination

précise des saillies et des creux extérieurs peut fournir des indices extrême-

ment précieux sur la situation et l'état des parties profondément cachées et

qu'à ce titre elle ne doit pas être négligée par le médecin. » .

Remarque judicieuse, qui, malheureusement, demeura longtemps lettre

morte. Cruveilhier, d'ailleurs, ne faisait que rappeler une idée développée

par Gerdy, vingt ans plus tôt.

Ce dernier avait conçu le plan d'un ouvrage d'anatomie des formes ex-

térieures du corps humain appliquée à la peinture, à la sculpture et à la

chirurgie. Son oeuvre inachevée demeura peu connue et incomprise. Les

artistes, faute de connaissances anatomiques suffisantes, ne purent en tirer

partie, et les chirurgiens la dédaignèrent.

Depuis lors les ouvrages d'anatomie descriptive se sont enrichis des acqui-

sitions, assurément fort utiles, de l'histologie, de l'embryologie et de l'ana-

tomie comparée.Mais la description du corps humain à l'état vivant, l'exa-

men morphologique d'un modèle nu,sain,bien proportionné,ne semblèrent

pas dignes de l'enseignement médical.

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 101

L'idée que ces compléments ne seraient pas sans profit apparaît bien un

peu dans les traités classiques d'aujourd'hui. « Le cadavre, toujours plus

ou moins déformé, n'est qu'un moyen, une nécessité, pour s'élever à la

compréhension de l'être vivant ; il faut donc, en écrivant l'anatomie, res-

tituer la forme, animer le cadavre (1). » Et de fait, on entrevoit çà et là

quelques tendances vers une anatomie plus vivante. Mais ce n'est encore

qu'un bien faible souffle de vie. L'étude de l'homme sent toujours le ca-

davre.

Aussi bien, ce n'est pas dans les oeuvres des anatomistes de profession

qu'il faut chercher les premiers germes de l'anatomie appliquée à l'homme

en vie. Sa nécessité est apparue à ceux qui, journellement, sont appelés

à interpréter la forme humaine, et parmi eux, en première ligne, les cli-

niciens, on peut même dire tous les praticiens.

Qu'il s'agisse de chirurgie ou de médecine, tout observateur conscien-

cieux avouera qu'à ses débuts, en présence de telle ou telle anomalie cor-

porelle, il s'est trouvé dans l'embarras, faute de connaître l'homme vivani.

Oui, sans doute, l'anatomie descriptive est « le fondement de la méde-

cine ». Sans elle, pas de chirurgie, pas de diagnostic possible : sans elle,

un médecin n'est qu'un Sganarelle.Mais l'anatomie du cadavre suffit-elle ?

Non. Le clinicien a besoin de savoir autre chose, le praticien réclame

un complément nécessaire. Il leur faut une anatomie du vivant.

Or, à la Salpêtrière, il y a vingt ans à peine, une grande voix s'est

élevée pour raviver l'idée émise par Gerdy, puis par Cruveilhier.

Charcot, qui créait alors la clinique nerveuse, se trouvait chaque jour

aux prises avec les difficultés de la morphologie humaine. On connaît sa

méthode d'enseignement dont les fruits ont permis d'apprécier la valeur.

Nous l'avons exposée autrefois ici-même : .

« Un grand nombre de malades étaient examinés dans le plus simple

appareil. Le regard pénétrant de Charcot s'arrêtait sur les moindres ano--

malies corporelles ; il en prenait note, réfléchissait, faisait venir un autre

sujet, le comparait au précédent, en appelait un troisième, recommençait

le lendemain, au besoin les jours suivants, et, de cette observation minu-

tieuse, visuelle surtout, - résultait souvent une découverte pré-

cieuse, parfois même la révélation 'd'une maladie inconnue jusqu'ici.

L'artiste, qui, chez Charcot, allait de pair avec le médecin, n'était pas

étranger à ces trouvailles heureuses » (2).

(1) POIR1EII, Traité d'anatomie humaine, t. I, « Préface », p. vi.

(2) Charcot artiste, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, décembre 189S.

102 HENRY MEIGE

Et il ne se passait pas de jour que Charcot ne proclamât la nécessité

pour le médecin d'étudier le nu vivant, aussi bien le nu normal que le

nu pathologique.

« En réalité, disait-il, nous autres médecins, nous devrions connaître le

nu, aussi bien et même mieux que les peintres ne le connaissent. Un

défaut de dessin chez le peintre et le sculpteur, c'est grave, sans doute,

au point de vue de l'art, mais en somme cela n'a pas, au point de vue

pratique, des conséquences majeures. Mais que diriez-vous d'un médecin

ou d'un chirurgien qui prendrait, ainsi que cela arrive trop souvent, une

saillie, un relief normal pour une déformation ou inversement ? ? Cette

digression suffira peut-être pour faire ressortir une fois de plus la néces-

sité pour le médecin comme pour le chirurgien d'attacher une grande

importance à l'étude médico-chirurgicale du au. »

« Bientôt, je l'espère, ajoutait Charcot, nous serons en possession d'un

grand ouvrage orné de planches admirables, faites d'après nature, où

vous trouverez cette partie de notre science traitée avec tous les détails

qu'elle comporte... monument où l'on verra pour le plus grand profit de

tous, l'art et la science marcher de concert et se donnant ia main » (1).

En ce temps là, en effet, dans un modeste laboratoire de la Salpêtrière,

un travailleur silencieux, lui aussi médecin doublé d'un artiste, avait en-

trepris, tâche considérable, de créer cette anatomie du vivant, dont tous

les vrais cliniciens, Charcot le premier, reconnaissaient la nécessité. Il faut

avoir eu la bonne fortune d'assister chaque jour au labeur incessant

qu'exigea cette étude entièrement nouvelle pour apprécier la somme

d'efforts, de recherches, d'observations et d'expériences qui y fut dé-

pensée. Bien des confrères sans doute n'entrevoyaient même pas alors

que cette tâche puisse être vraiment utile au progrès de la médecine ; il

leur semblait que les artistes seuls fussent appelés à en bénéficier.

Mais, sous le regard encourageant de Charcot, le novateur poursuivait

méthodiquement son oeuvre.

En 1890, Paul Richer publia sa Description des formes extérieures du

corps humain au repos et dans les principaux mouvements . Il lui donna le

nom d'Anatomie artistique. En réalité, il venait de créer l'Anatomie du

vivant.

Cet ouvrage monumental, illustré de plus de 300 figures, et d'une

centaine de planches dessinées par l'auteur lui-même, ne fut guère connu

au début que d'une élite de médecins et d'artistes. Aussi les précieuses

notions qu'il contient mirent-elles plusieurs années à se diffuser. Au-

jourd'hui, heureusement, elles sont devenues classiques.

(1) CHARCOT, Leçons du mardi, 2° série, 30 octobre 1888, p. 21.

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 103

Pour répondre aux besoins de l'artiste, comme à ceux du médecin,

l'anatomie de Paul Richer établissait des relations « entre les portions

profondes et la forme extérieure, entre les notions anatomiques et le nu ».

Après avoir étudié en détail l'anatomie descriptive, l'auteur inaugurait

la description des formes extérieures du corps humain. Il enseignait le

nu vivant.

Les innovations furent nombreuses. Les os, d'abord étudiés isolément,

étaient considérés ensuite dans leurs rapports réciproques, et enfin, on

apprenait à connaitre l'ossature de l'être vivant, en passant en revue la

morphologie squelettique de chaque grande région.

Dans la myologie, chaque muscle se trouvait décrit avec ses insertions

précises, sa forme, son volume, mais aussitôt après venait l'étude du mus-

cle vivant sous la peau vivante.

Enfin, les planches consacrées à la représentation du nu montraient,

ou bien le corps tout entier, sous ses diverses faces, ou bien les grands

segments du corps dans leurs moindres détails morphologiques, et cela,

tantôt dans l'attitude conventionnelle de l'homme au repos, tantôt dans

l'exécution des principaux mouvements. Assurément, il n'avait pas été

possible de figurer ni de décrire l'infinie variété des attitudes et des gestes

que peut réaliser le corps humain ; mais la connaissance d'une série de

positions et de mouvements élémentaires suffisait amplement pour en-

seigner les variations physiologiques du nu.

Bref, l'oeuvre de Paul Richer mettait désormais le médecin en mesure

d'appliquer au vivant les connaissances qu'il avait puisées dans le cada-

vre. Le souhait oublié de Cruveilhier. le voeu formel de Charcot se trou-

vaient réalisés.

L'idée,à cette époque, pouvait sembler quelque peu audacieuse. Et l'on

comprend que son promoteur ait éprouvé le besoin de l'expliquer, sinon

de la défendre, en des termes dont la vérilé apparaît à tous indéniable au-

jourd'hui.

« Il existe, parmi nous, écrivait-il alors, il faut bien le dire, une sorte

de préjugé qui nous fait considérer l'anatomie des formes comme une

science élémentaire qu'on abandonne volontiers aux artistes et que le

médecin connaît toujours assez. 1

« L'anatomiste, en effet, qui a longtemps fréquenté les amphithéâtres,

dont le scalpel a fouillé le cadavre dans tous les sens, au dehors comme au

dedans, sans négliger le plus mince organe, la plus petite fibre, peut se

figurer, avec une apparence de raison, qu'une telle somme de connaissan-

ces anatomiques renferme implicitement celle des formes extérieures, et

qu'il doit connaître la morphologie humaine sans l'avoir spécialement

apprise, comme par surcroît.

104 HENRY MEIGE

« C'est là cependant une illusion. Nous avons vu des anatomistes très

distingués se trouver très embarrassés en présence du nu vivant et cher-

cher inutilement dans leurs souvenirs la raison anatomique de certaines

formes imprévues, bien que parfaitement normales.

« La chose est en somme facile à comprendre : l'étude du cadavre ne peut

donner ce qu'elle n'a pas. La dissection, qui nous montre tous les ressorts

cachés de la machine humaine, ne le fait qu'à la condition d'en détruire

les formes extérieures. La mort elle-même, dès les premières heures, inau-

gure la dissolution finale, et, par les modifications intimes qui se produi-

sent alors dans tous les tissus, en altère profondément les apparences

extérieures. Enfin, ce n'est pas sur le cadavre inerte qu'on peut saisir les

changements incessants que la vie, dans l'infinie variété des mouvements,

imprime à toutes les parties du corps humain. Il serait donc à souhaiter

que dans nos amphithéâtres d'anatomie l'élude du modèle vivant ait sa

place, à côté de l'étude du cadavre qu'elle compléterait très heureusement.

En effet, l'anatomie des formes ne peut être étudiée que sur le vivant.

Elle a pour fondements, il est vrai, les notions que fournit le cadavre,

mais elle anime, elle vivifie ces premières connaissances à l'aide desquel-

les elle reconstitue l'homme plein de vie. Son procédé est la synthèse ;

son moyen est l'observation du nu ; son but est de découvrir les causes

multiples de la forme vivante et de la fixer dans une description ; elle

demande donc à être étudiée en elle-même et pour elle-même, et elle

fournit des connaissances que l'anatomie pure et simple ne peut don-

ner » (1).

Plus éloquente encore que ce juste plaidoyer, l'oeuvre même de Paul

Richer devait assurer le triomphe de l'anatomie vivante.

A chaque instant d'ailleurs, dans l'enseignement de la Salpêtrière on

recueillait les fruits de cette science du nu. Il serait facile, avons-nous

dit, d'en faire dans ce recueil une moisson instructive.

Le premier fascicule de la première année de la Nouvelle Iconographie

de la Salpêtrière, en janvier 1888, contient déjà une note de Paul Richer

sur L'anatomie morphologique de la région lombaire. Je me souviens

encore de l'épisode qui la suggéra. Il est éminement démonstratif :

Un homme était venu à la Salpêtrière, souffrant depuis longtemps de

douleurs dans la région lombaire. L'examen fit rapidement reconnaitre

qu'il s'agissait tout simplement d'une de ces rachialgies fréquentes chez

les hystériques et les neurasthéniques. Cas banal. Mais voici qu'en

faisant deshabiller le malade on aperçut au bas de son dos les traces

(1) PAUL RiCHER, Anatomie artistique. Description des formes extérieures du corps

humain au repos et dans les principaux mouvements, Paris. Plon-Nourrit, 1890. z

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 105.

de; quatre vigoureux cautères disposés de part et d'autre de la colonne

lombaire. Pourquoi, cette révulsion brutale ? Parce ce qu'un médecin

avait conclu une tumeur de la région : il avait pris les saillies normales

des apophyses épineuses pour des productions pathologiques et n'avait

pas, hésité à prescrire un remède féroce pour un mal... qui n'existait

pas.

Quelques notions morphologiques eussent évité cette bévue.

L'année suivante, parut encore dans cette revue un article de Paul

Bicher sur la Morphologie du cou, à propos du prétendu gonflement de

cette région dans la crise d'hystérie. Puis, une Note sur le pli fessier, rec-

tifiant une erreur classique : le pli fessier n'est pas, comme on l'enseigne

couramment, formé par le bord inférieur du muscle grand fessier ; c'est

un pli permanent maintenu par des adhérences profondes de la peau au

squelette, comme le pli de l'aisselle ; la saillie qui le surmonte est due à

la graisse accumulée dans cette région, et non pas à une masse musculai-

re (1). Ici encore, nous voyons la méthode : d'examen du nu redresser un

el : rement propagé par l'anatomie du cadavre qui, faisant si trop volontiers

de la graisse et de la peau, ne saurait donner une idée exacte de la forme

vivante.

Paul Richer a d'ailleurs heureusement comblé cette lacune en étu-

disant le Rôle de la graisse dans la conformation extérieure du corps

humain. « Pour vêtir un écorché, il ne suffirait pas de le recouvrir du

tégument dont le rôle ne consisterait alors qu'à atténuer les formes trop

heurtées, sans y rien changer d'essentiel. Entre la peau et les muscles in-

tervient le pannicule adipeux, dont la présence, suivant les légions,

modifie'complètement les formes de l'écorché " ('2). Etcela, non seulement

chez les obèses, mais chez tous les sujets bien portants. Eu outre, ce pan-

nicule est d'épaisseur fort inégale suivant les régions. Dans certaines par-

ties du corps il s'accumule sous forme de bourrelets qui métamorphosent

les contours osseux ou musculaires sous-jacents. Témoin la région du

flanc avec les fossettes lombaires qui en dépendent. L'examen du nu per-

met seul d'apprécier ces particularités morphologiques. ' ' .

Plus tard, poursuivant l'étude de l'être humain vivant, Paul Richer

.entreprit de dresser le Canon des proportions dit corps humain. (3). Un

livre et une statue furent les fruits de ses observations et de ses recherches.

L'un et l'autre s'adressent à la fois aux artistes et,aux médecins. Car s'il

importe que les premiers, tout en s'abandonnant librement à l'inspira-

tion de leur art, conservent cependant le respect des lois'dëla nature, il

(1) Nouv. Iconographie de la"Salpêtrière, 1889, no. 1 et 5. y"

(2) Ibid., n 1, 1890.

(3) Paul Riciieh, Canon des proportions du corps humain, Paris, Delagrelve,s1893.

106 HENRY MEIGE

est encore plus nécessaire aux seconds de connaître les rapports normaux

des différentes parties de la figure humaine vivante. Quotidiennement',

le chirurgien ou le médecin est appelé à se prononcer sur les proportions

relatives de deux membres ou de deux segments d'un même membre, ou

de telle ou telle partie du corps par rapport à celui-ci tout entier. Le Ca-

. non de Paul Richer facilite singulièrement cette tâche. Dans l'étude des

dystrophies corporelles qui a pris un si grand développement depuis quel-

ques années, il a été un guide précieux, un repère solide et commode.

Il permet de combler une autre lacune de l'enseignement anatomique des

médecins. ·

Enfin, nouvelle et importante addition à la connaissance de la forme

humaine vivante, la Physiologie de l'homme en mouvement (1) est venue'

compléter l'oeuvre anatomique de Paul Richer.

S'adressant encore aux artistes et aux médecins, il a entrepris de dé-

crire et de figurer les modifications morphologiques qui résultent des

différents états musculaires : contraction, relâchement, distension, au

cours des principaux actes de la vie de relation, la station, la marche, la

course, et les mouvements simples des membres.

A ce propos, Paul Richer a de nouveau insisté, avec plus d'autorité

que précédemment, sur la signification et le but de ses études morpholo-

giques.

« Entre l'anatomie et le nu, dit-il, il y a toute la distance du cadavre

au vivant. Le médecin, l'anatomiste lui-même le plus exercé, a de singu-

lières surprises, si, sans autre préparation que ses connaissances puisées

sur le mort, il est mis en présence de la nature qui vit.

« C'est que l'anatomie, ainsi que son nom même l'indique,n'arrive à ses

fins qu'à la condition de couper, de séparer les organes, d'en détruire les

rapports ; et ce cadavre qui est sa matière, sur lequel elle concentre ses

efforts - avant de devenir ce quelque chose qui n'a plus de nom dans

aucune langue commence; dès les premiers moments, à perdre l'accent

individuel de la forme que seules peuvent donner la souplesse et la fer-

meté des tissus où circule la vie.

« En un mot, l'étude de la forme est la synthèse vivante de l'anatomie

du mort. Elle dépend bien plus de la physiologie que de l'anatomie. Elle

repose, cela va sans dire, sur la science anatomique préalablement puisée

dans l'étude du cadavre, mais elle en est jusqu'à un certain point indé-

pendante. Une simple remarque fera comprendre la distinction que j'es-

saye d'établir ici.

« Nous sommes tous composés des mêmes parties. Nous avons les mêmes

. (1) PAUL RICIIER, Physiologie artistique de l'homme en mouvement, Paris, Doin, 1895,

' UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 107.

organes, les mêmes tissus, les mêmes os, les mêmes muscles, et l'anato-,

mie est la même pour nous tous. Combien, au contraire,, la forme diffère

avec chacun de' nous ! Et je ne parle pas seulement du visage, mais du

corps tout entier. Le corps, lui aussi, a sa forme et son expression ca-,

ractéristiques. Nous reconnaissons facilement une personne vue de dos,,

quels que soient ses vêtements, et je pourrais dire malgré ses vêtements..

L'anatomie est donc une généralisation, elle s'adresse à l'espèce ; la forme

est particulière, elle s'adresse à l'individu. »

Et s'il est évident que le médecin doit connaître à fond l'anatomie de

l'espèce homme, il importe tout autant qu'il soit renseigné sur les varia-

tions individuelles ; car, après tout, il ne donne pas ses soins à l'espèce

humaine tout entière, mais bien à des individus isolés, dont chacun porte

en soi des caractères qui lui sont propres. Sans prétendre qu'il doive con-

naître toutes les variantes possibles, du moins doit-il être en mesure de

les apprécier. - 1

Ainsi, après l'Anatomie des formes, s'impose la Physiologie des formes.

Dans l'un comme dans l'autre de ces ouvrages, les notions anatomiques et

physiologiques sont uniquement destinées à préparer l'étude étendue et

aussi complète que possible de la morphologie humaine sous ses aspects

les plus divers.

Cette recherche de la forme extérieure dans le mouvement, générale-

ment négligée par les physiologistes, n'a pas trouvé seulement une appli-

cation aux Beaux-Arts, elle a conduit à des résultats scientifiques inat-

tendus.

Il suffira de rappeler l'étude Des différents modes de station chez

l'homme sain, celle des Variétés de la marche et de la course (marches sur

plan horizontal, en poussant, en tirant, en portant un fardeau, marches sur

plan ascendant ou descendant, sur escalier,etc.), qui ont paru ici même (1),

comprenant non seulement l'exposé du mécanisme physiologique de,la

station, et de la marche, mais décrivant, représentant par la plume et

la photographie, les changements apportés aux formes extérieures suivant

les attitudes et suivant les sujets.

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a publié également un article

de Paul Richer : La forme du corps en mouvement (2), où l'on voit, étu-

diées sur les chromo-photographies du vivant, les modifications apportées

aux formes extérieures par les différents modes de contractions des mus-

cles actifs et de leurs antagonistes. 1

"Rappelons aussi deux notes 5m ? * une déviation de la colonne vertébrale,

chez les sujets sains en rapports avec la station hanchée, qui doit être

. (1) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, nu 2, 1894, et n" 2, 1898.

(2) Ibid., n 2, 1895..... ..

108- ' 'HENRY MEIGE - '

bien connue des médecins afin de n'être pas confondue avec- une scoliose

pathologique (1). ·

Ces études de physiologie morphologique normale ont trouvé immé-

diatement leur application en clinique : elles ont servi à élucider les

causes des anomalies de la forme, de la station ou de la marche dans

certaines affections, comme les myopathies, la paralysie agitante (2),

Cet aperçu général de l'oeuvre accomplie par Paul Richer suffit à

montrer que les lacunes que nous signalions dans l'enseignement de l'ana-

tomie se trouvent désormais comblées.

En attendant ce qui fatalement doit arriver que ces notions es-

sentielles de morphologie humaine fassent partie intégrante du programme

des études médicales, l'étudiant ou le praticien peuvent au moins, s'ils en

ont le désir, puiser à des sources sûres les renseignements qu'ils eussent

cherchés en vain, il n'y a pas seulement vingt années. Déjà même, dans

les ouvrages classiques, on fait une place chaque jour grandissante aux

acquisitions de l'anatomie et de la physiologie du vivant.

Parmi les médecins, la plupart de ceux qui ont suivi l'enseignement

de Charcot se sont efforcés d'appliquer sa méthode d'investigation cli-

nique ; ils avaient compris l'importance de l'examen du nu dans leur

pratique journalière ; ils en ontapprécié les services, et, prêchant d'exem-

ple, ils les ont fait apprécier autour d'eux. Pour mieux comprendre les

anomalies corporelles, ils n'ont pas hésité à compléter leur instruction

anatomique par l'apprentissage de l'Anatomie des formes de l'homme

normal vivant. Et il n'est pas téméraire de prétendre que ces notions ont

joué un rôle important dans la découverte d'un certain nombre d'affections

dystrophiantes où les anomalies corporelles ont été le point de départ

d'études nosographiques toutes nouvelles. Qui sait si le simple fait d'attirer

l'attention sur la forme humaine n'a pas suffi pour faire découvrir plus

vite des types cliniques aujourd'hui partout reconnus, comme l'acromé-

galie, comme l'infantilisme, et tant d'autres ? ...

De leur côté, les Chirurgiens n'ont pas tardé à s'apercevoir des grands

profits qu'ils pourraient tirer d'une meilleure connaissance de l'être

humain vivant. Ne sont-ils pas au premier chef appelés à compter avec la

forme extérieure lorsqu'il s'agit de décider d'une intervention ? Sans

doute quelques-uns d'entre eux attachent peu d'importance à ces rensei-

- r . ... -

(1) Ibid., n° 3, 1895, ne 1, 1891.

(2) PAUL Richer et Henry Meige, Etude-morphologique sur la maladie de Parkinson.

Nouv. Iconographie de la Salpêlrière, n° 6, 1895.. ,1

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 109

gnements préliminaires. Il est si simple d'inciser la peau pour aller voir

« ce qu'il y a dessous », aujourd'hui surtout où l'asepsie sévèrement prati-

quée permet d'éviter presque,à coup sûr toute complication sérieuse ! ...,

On peut se demander cependant si un examen plus minutieux abou-

tissant à une sage abstention ne vaut pas mieux qu'une opération inu-

tile. Mais le chirurgien, tout spécialement, est imprégné d'anatomie

cadavérique. Virtuose du scalpel, il est sûr de son bistouri. Rien ne lui

est étranger des mystères de l'aponévrose ; il sait tous les secrets des liga-

ments. Il ouvre vite et referme proprement. A quoi bon perdre son temps

devant une faible peau qui nous cache peut-être quelque chose ? .. z

Là encore, il faut bien le dire, on retrouve l'empreinte d'un enseigne-

ment un peu dédaigneux de ses applications au vivant. Et peut-être ver-

rait-on diminuer le nombre des interventions trop hâtives si les opéra-

teurs, tout en possédant à fond leur anatomie descriptive, avaient une meil-

leure connaissance de la morphologie humaine. Les malades ne s'en

plaindraient pas, et les chirurgiens y gagneraient d'échapper à des criti-

ques, souvent exagérées sans doute, parfois aussi quelque peu méritées.

Heureusement, ici encore, la révolution anatomique commence à

triompher.

Elle avait été préconisée autrefois par Gerdy : « Les formes extérieu-

res, disait-il, par leurs relations avec les formes intérieures, montrent,

à l'intelligence du chirurgien, ce qui est caché dans la profondeur du

corps par ce qui est visible à la surface. »

De nos jours, un chirurgien éminent n'a pas hésité à faire, devant une

haute assemblée scientifique, l'aveu de la pauvreté de nos connaissances

en morphologie.

« L'anatomie de l'homme vivant, c'est-à-dire de ses divers organes en

fonction, comprend tout un ordre de considérations dont je n'ai, pour

mon propre compte, qu'une très pauvre idée, et il y a là en même temps

qu'un ensemble de connaissances à acquérir, une éducation médicale à

faire. On est élevé et dressé à fond dans la religion du cadavre envisagé

sous tous ses aspects, et on ne se préoccupe pas de ce qui mériterait d'être

appelé l'anatomie biologique, qui est la seule qu'on ne devrait pas igno-

rer, l'étude du cadavre ne devant servir qu'à la préparer et à la faire

mieux concevoir » (1).

On ne saurait plus excellemment proclamer l'insuffisance du cadavre,

avec l'avènement nécessaire de l'anatomie du vivant. Et c'est Lannelon-

gue, averti par une expérience datant de longues années, qui s'exprime

(1) LANNELONGUE, Note sur la méthode dermographique appliquée à la pathologie e

humaine, Bulletin médical, no 31, 1904. 1

110 'HENRY MEIGE

ainsi devant l'Académie des Sciences, en mars 1904. Sa voix ne pouvait

manquer d'être entendue et obéie.

D'ailleurs, Lannelongue a payé d'exemple en préconisant un procédé

d'investigation clinique dont il a pu enregistrer les bienfaits et qui est

capable de perfectionner nos connaissances en morphologie humaine.

Il s'est fait le défenseur d'un mode de repérage cutané permettant

d'apprécier avec exactitude les modifications de forme et les change--

ments de rapport survenus dans les parties du corps humain : on dessine

sur le malade vivant, à l'aide d'un crayon dermographique, les déforma-

tions, les déplacements, les augmentations de volume, les différences de

niveau, et l'on dépiste ainsi les altérations aussi bien superficielles et

visibles que profondes et invisibles, en comparant la région normale

et la région déformée.

« La méthode dermographique, dit Lannelongue, peut être appliquée

avec frui t dans une foule de circonstances différentes où la photographie et

la radiographie ne sauraient la remplacer.

« A elle seule, elle peut, dans bien des cas, donner immédiatement la

clef d'un diagnostic, le rend plus facile et plus précis. Elle appelle l'at-

tention sur des altérations qu'on n'aurait pas découvertes sans son aide et

elle fournit par voie de conséquence des indications utiles à la thérapeu-

tique. Enfin, la méthode est la portée de tout le monde, et j'ai connu des

parents qui s'en sont emparés pour apprécier et suivre les modifications

opérées dans l'état de leurs enfants par la thérapeutique employée. »

Plus récemment, l'année dernière, a paru un livre du Dr Bruandet,

professeur suppléant à l'Ecole de médecine de Reims, inspiré par la même

pensée de mettre à la portée de tous les praticiens les notions indispen-

sables de morphologie vivante que l'étude du cadavre ne saurait leur

inculquer. Ce Guide pratique des repères anatomiques, où se trouve appli-

quée avec beaucoup de profit la méthode dermographique prônée par Lan-

nelongue, complétera heureusement certaines lacunes des précis de méde-

cine opératoire. Il sera donc surtout utile aux chirurgiens ; les méde-

cins le consulteront également avec fruit. A ce propos l'auteur ajustement

signalé la portée pratique des travaux anglais sur l' « anatomie des sur-

aces », qui n'est, en somme, sous un vocable différent, qu'une étude de

morphologie humaine. Le manuel du Dr Bruandet porte en effet pour

titre : L'Anatomie sur le vivant, et l'on retrouve dans sa préface la plupart

des idées émises par Paul Richer.

« On arrive à posséder cette anatomie par les sens bien plus que par la

mémoire. Elle doit être pratiquée par l'étudiant à l'hôpital chez les sujets

qui se confient à ses soins. Il doit répéter très souvent dans les régions

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 111

saines la recherche des saillies osseuses, des bords musculaires, des ten-

dons, des artères. Connaissant ces éléments sains, il les reconnaîtra mo-

difiés par la maladie et sera expert à appliquer ce grand principe clini-

que : « comparer le côté sain et le côté malade ».

'« L'orientation dans toutes les parties du corps doit devenir précise et

rapide, chez tous les sujets jeunes ou vieux, obèses ou maigres. Pour les

débuts, le sujet de choix sera un adulte, musclé, mais un peu maigre.

« Il ne faut pas se confiner à l'anatomie du cadavre, puisque celle-ci

n'a d'intérêt pour le praticien que clans son application aux patients » (1).

Ainsi, - n'avions-nous pas raison de le dire au début de cet article ?

- les germes de la révolution anatomique éclos à la Salpêtrière, dans le

laboratoire de Paul Richer, ont aujourd'hui donné des fruits dont profite

déjà la nouvelle génération médicale.

Le dernier de ces fruits, celui qui sera le plus universellement apprécié,

et qui rendra aux artistes et aux médecins les services les plus immédia-

tement pratiques, vient de paraître sous forme d'un manuel conçu et

réalisé encore par Paul Richer. Cette fois c'est bien l'Anatomie du vivant

mise à la portée de tous, étudiants en médecine, élèves à l'Ecole des

Beaux-Arts, chirurgiens, médecins et artistes (2).

« Je voudrais,dit l'auteur, que, lorsque vous vous trouvez en face de la

nature vivante, vous n'ayez pas devant vous une énigme plus ou moins

obscure, mais comme un livre ouvert, écrit en style clair, avec de beaux

caractères bien lisibles et que vous puissiez aisément déchiffrer.

« J'ai cherché à simplifier l'analyse anatomique et je me suis laissé

surtout guider, dans l'étude des muscles, par leur action sur la forme

extérieure. C'est ainsi que certains muscles, que j'appelle les « muscles

de la forme », sont décrits avec détail, qu'ils soient superficiels ou pro-

fonds, car l'on sait que les muscles profonds jouent parfois un rôle

important dans la conformation du nu, pendant que d'autres au con-

traire, quoique distincts anatomiquement, sont confondus dans une même

description, parce qu'ils n'intéressent pas isolément la forme.

« Ce nouveau manuel est justement fait pour faciliter cette tâche. Aussi

est-il accompagné de nombreuses figures dans lesquelles domine la préoc-

cupation constante d'établir le rapprochement entre les parties profondes

et le nu, aussi bien pour le squelette que pour les muscles reproduits plus

particulièrement dans la forme même qu'ils ont sur le vivant. »

(1) BRUANDET, L'anatomie sur le vivant. Guide pratique des repères anatomiques.

Paris, 1906.

(2) PAUL Richer, Nouvelle anatomie artistique. Paris, Plon, t906.

112 HENRY ME1GE

L'ouvrage en question porte le titre de Nouvelle anatomie artistique. Et,

de fait, Paul Richer, a voulu faire un « cours pratique et élémentaire »

d'anatomie que peintres et sculpteurs puissent utiliser pour leurs pro-

ductions.

Il importe également de signaler ce livre à l'attention des médecins.

Les notions élémentaires d'anatomie descriptive qui s'y trouvent ne pré-

tendent pas rivaliser avec le luxe de renseignements fournis par les traités

classiques ; mais nulle part ne sont mieux exposés ni mieux figurés tous

les-détails de la morphologie humaine. Outre quelques réductions de sa

grande Anatomie artistique, Paul Richer a publié des planches nouvelles

dans lesquelles à chaque dessin du squelette ou des muscles correspond

un dessin de la forme extérieure qui lui est superposable. Un simple

coup d'oeil permet de se repérer. La transition se fait sans effort du cada-

vre au vivant, de l'anatomie à la clinique (PI. XIII à XVIII).

Que semblable transition soit inaugurée dans l'enseignement pratique

de l'Ecole, qu'à la fin des travaux de dissection,les « macchabées » soient

remplacés par des « modèles », et la révolution anatomique sera parache-

vée, à l'avantage des médecins, pour le plus grand profit des malades. ' @

Si la nécessité de l'étude et même d'un enseignement de la morpholo-

gie humaine aux étudiants est aujourd'hui proclamée par un grand nom-

bre de voix autorisées dans le corps médical, et si l'on peut prévoir que

cette réforme sera bientôt accomplie, on n'en est cependant encore qu'à la

période des voeux platoniques et des timides projets. La consécration

officielle se montre, comme à l'ordinaire, temporisatrice.

Les artistes ont été plus favorisés. Pour eux, aujourd'hui, la révolu-

tion anatomique est un fait accompli. Elle était vraiment urgente.

Sans remonter plus avant que le siècle dernier on peut se rendre

compte des pauvres moyens dont' on disposait pour apprendre la struc-

ture humaine; il suffit d'ouvrir l'un quelconque des ouvrages spéciale-

ment composés pour les peintres et les sculpteurs. .

J'ai sous les yeux un Atlas intitulé : Abrégé d'anatomie accommodé aux

arts de peinture et de sculpture, composé par François Tortebat, en 1668,

et réédité par de Piles vers la fin du xviiie siècle. Cet atlas, « très utile et

très nécessaire à tous ceux qui font profession du dessin », a la louable

prétention de donner une connaissance exacte des os et des muscles de

l'homme et « d'en faire la comparaison avec les plus belles statues anti-

ques et avec la nature même ».

Un simple coup d'oeil sur les quatre planches que nous en extrayons

(PI. XX à XXIII.) fera comprendre ce que l'on entendaitalors par l'« exac-

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE. T. XX, PL. XIII.

SQUELETTE DU MEMBRE SUPÉRIEUR (SUITE) Pal. 7.

m : "111 n ? C'I' e.t

1

, PLANCHE EXTRAITE DE LA

NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE .

de Paul Richer (Pion, édit.).

iI.is.S0N et Cio, Éditeurs.

Fin. i. - PLAN LATÉRAL externe.

N : OUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL, XIV.

MUSCLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR (ÉCORCHÉ, SUITE) t'v Il

01 Pad PsAn tel

PLANCHE EXTRAITE DE LA

NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE

de Paul Richer (Plon, édit.).

M vssox ET Clr, Éditeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE.

T. XX. PL, XV.

SQUELETTE DU TRONC

PL n.rrémsvn.

n r.m men dit.

planche extraite de la NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE de Paul Richer (Plon, édit.).

Masson et Ci'. Éditeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE. T. XX, PL. XVI.

MUSCLES DU TRONC ET DU COU (ÉCORCIIt, SUITE)

I;r Paul Ri,II drl Pian rosrEmeun

E'faLt/ ! ffAn-dff dry

planche extraite de la NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE de Paul Richer (Plon, édit.

COUVI ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XX, PL. XVI 1.

SQUELETTE DU MEMBRE INFÉRIEUR (SUITE) ru l*).

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Do P4MI RICcr dit a

PLANCHE EXTRAITE DE LA

NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE

de Paul Richer (Plon, édit.).

Masson i 1 Cte, Editeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XX. PL. XVIII.

MUSCLES DU MEMBRE INFÉRIEUR (ÉCORCIIÉ, SUITE) PL.26.

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PLANCHE EXTRAITE DE LA

NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE

de Paul Richer (Plon, édit.).

Masson et C">, Éditeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA. SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL. XX.

Figure extraite DE L' " Abrégé d Anatomie

ACCOMMODÉ AUX ARTS. DE PEINTURE ET DE SCULPTURE'

par François Tort ébat (1668).

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL. XXI.

Figure extraite DE L' "Abrégé d' Anatomie

ACCOMMODÉ AUX ARTS DE PEINTURE ET DE SCULPTURE '

par François Tortchat (1668).

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL. XXII.

Figure extraite DE L' "AIIHÍ.GÉ d'Anatomie

ACCOMMODÉ AUX ARTS DE PEINTURE ET DE SCULPTURE

par François Tortelal (t66S).

i ? i ? h ? ESMWïtNit&S ! t ? 3tM',i ! 'BBH'H ? mm.... j ? ... ? ,

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T XX, PL. XXIII

Figure extraite de L' "Abrégé d'Anatomie

.ACCOMMODÉ AUX ARTS DE PEINTURE ET DE SCULPTURE

par Fraiioi, Tort, ! bat (¡668\.

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 113

titude » en ostéologie et en myologie. Ces vénérables figures ont été, pa-

raît-il, exécutées d'après celles que le Titien avait dessinées pour les OEu-

vres de Vésale. « Vous les trouverez assurément fort justes, dit l'auteur

de l'atlas, et je m'en suis servi, parce que j'ai cru qu'il était impossible

de mieux faire sur le sujet ».... Soyons indulgent pour François Tortebat

et son admirateur de Piles, en faveur de leurs bonnes intentions. Mais n'a-

vions-nous pas raison de parler de révolution dans l'enseignement de l'a-

natomie aux artistes en voyant aujourd'hui le « Cours pratique et élé-

mentaire » que Paul Richer met entre leurs mains et en comparant les

planches de Tortebat avec celle de la Nouvelle anatomie artistique ?

Sans doute, des progrès s'étaient accomplis depuis le temps où les

squelettes, dans des poses alanguies, exhibaient leurs os hypothétiques et

leurs muscles en pendeloques. Pour ne citer que le principal effort, vers

le milieu du siècle dernier, un médecin, Fau, publia un ouvrage d'ana-

tomie artistique, accompagnée de belles planches gravées par Leveillé,

qui devint le manuel classique des élèves de l'Ecole des Beaux-Arts. Le

texte pompeux et suranné manque de la sobriété et de la précision néces-

saires aux descriptions scientifiques. Mais les dessins réalisent un vérita-

ble progrès et l'on y voit d'intéressants rapprochements entre l'anatomie

descriptive et l'anatomie des formes. La figuration des muscles est cepen-

dant encore bien imprégnée de l'observation du cadavre.

En réalité, l'application rationnelle des notions anatomiques à la com-

préhension de la forme humaine date seulement d'hier.

Car, il n'y a pas encore bien longtemps, l'enseignement anatomique of-

ficiel des artistes se bornait à quelques notions d'ostéologie et de myologie

empruntées aux traités d'anatomie descriptive, dont il était assez malaisé de

saisir les rapports avec la plastique. On exhibait aux jeunes gens un sque-

lette tant bien que mal ajusté, ainsi qu'un légendaire cadavre dont les

muscles desséchés revêtaient les formes les plus fantaisistes. L'élève de-

vait s'efforcer de reproduire ce spectacle macabre. Etude vraiment peu

l'ai te pour faciliter la compréhension et la figuration de la forme humaine

vivante.

L'avènement de la science morphologique a changé tout cela. « Le mac-

chabée » existe bien encore, mais il reste au second plan. Le modèle a re-

pris tous ses droits, la nature vivante a détrôné la rature morte.

Actuellement, l'enseignement de l'anatomie à l'Ecole des Beaux-Arts,

tel que l'a institué et fait apprécier Paul Richer, comporte deux sortes de

cours : des cours oraux et des cours pratiques, qui se poursuivent de

façon parallèle et se complètent mutuellement.

Les cours pratiques ont comme moyen d'instruction le dessin et comme

114 HENRY MEIGE

but la recherche du détail anatomique sur le modèle vivant. Ici, le scalpel

de l'étudiant en médecine est remplacé par le crayon.

Les élèves commencent par dessiner les os isolés sous leurs divers as-

pects. Puis, lorsqu'ils ont ainsi figuré tous les os d'une partie du corps,

d'un membre par exemple, on leur présente un modèle nu sur lequel on

leur apprend à reconnaître comment ces os se révèlent à l'extérieur dans

leur forme et dans leur situation exacte. En réalité, c'est par l'étude du

modèle vivant, qu'ils acquièrent la connaissance du squelette. Et cette

leçon de choses répond bien à son but qui est la connaissance du sque-

lette en vie.

De même pour les muscles ; ils sont aussi dessinés d'après le modèle.

On ne demande pas à l'élève de représenter un muscle plus ou moins

schématique, mais bien les muscles mêmes du sujet qui pose devant eux,

dans leur forme réelle et vivante, avec leur accent individuel, et suivant t

telle ou telle attitude.

Enfin, l'étude du squelette et des muscles ne saurait suffire aux artistes.

Ils ont à reproduire la forme extérieure du corps humain : il faut leur en-

seigner le rôle plastique du tissu graisseux sous-cutané, des vaisseaux et

de la peau elle-même avec ses dépendances. De là une étude très détail-

lée de la forme extérieure dont les moindres particularités sont, non seu-

lement mises en évidence, mais anatomiquement expliquées.

Ainsi l'artiste apprend à reconnaître les conditions essentielles d'une

bonne conformation, ce qu'Ingres appelait justement la « santé de la

forme » .

Dans le cours oral, préparé et facilité par ce cours pratique, le profes-

seur peut aborder des considérations générales, présenter des vues d'en-

semble nécessaires à la compréhension du détail. C'est là que se trouvent t

traitées les questions de forme extérieure avec toute l'ampleur désirable :

variations suivant les individus, l'âge, la race, le sexe. Là aussi sont abor-

dés dans tous leurs détails les problèmes de la mécanique humaine : atti-

tudes et mouvements. Lorsqu'il s'agit d'établir des comparaisons entre

les innombrables modalités de la plastique humaine [on fait appel aux

projections photographiques des différents types humains, dans leurs diffé-

rentes attitudes, ou d'après les meilleures oeuvres d'art.

Mais, toujours, le futur artiste a sous les yeux l'image réelle de la vie

qu'il est appelé à reproduire.

Ne devrait-il pas en être de même pour le futur médecin ?

Pourquoi ne met-on jamais sous ses yeux l'image de la vie qu'il est des-

tiné à conserver ? Et n'y a-t-il pas lieu d'être surpris qu'on lui enseigne

toutes les imperfections de la machine humaine sans jamais lui avoir

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 115

montréunhomme bien portant ? Etudier les altérations des formes sans con-

naître la « santé de la forme », c'est un véritable paradoxe pédagogique.

L'exemple donné par M. Paul Richer à l'Ecole des Beaux-Arts pourrait

être suivi avec profit par l'Ecole de médecine. Ici, bien entendu, les études

d'anatomie descriptive et les exercices de dissection doivent continuer à

occuper la place capitale. Mais chaque regard donné au cadavre devrait

être suivi d'un coup d'oeil jeté sur le vivant.

Au lieu de n'apprécier les gras et les maigres que par la plus ou moins

grande difficulté qu'on éprouve à les disséquer, il ne serait pas superflu

d'en détailler les caractères morphologiques sur des sujets vivants,ou tout

au moins sur des images photographiques. Et de même pour toutes les

variations du type humain, suivant l'âge, suivant la taille, suivant le

sexe, suivant la race.

C'est affaire à l'anthropologie,dira-t-on ? - Qu'importe si cette anthro-

pologie nous fait mieux connaître nos semblables,partant si elle nous per-

met de mieux examiner un malade et de le mieux soigner ? Aussi bien ne

s'agit-il pas de l'anthropologie tout entière; mais seulement de l'étude

des formes extérieures, et c'est là le propre de la morphologie.

« Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, gras ou maigres, a dit Paul

Richer, nous sommes tous composés des mêmes éléments anatomiques ;

nous avons tous les mêmes muscles avec les mêmes insertions, les mêmes

os avec les mêmes articulations, la même graisse, les mêmes vaisseaux,

etc... Ce qui diffère, c'est la figuration de ces éléments anatomiques, leurs

rapports, leur mode de répartition, etc... d'où résulte la forme indivi-

duelle, et c'est ce qui constitue la morphologie ou mieux la science du a2c.. o .

Cette science fournit les moyens de « bien comprendre, de bien connaître

et par suite de mieux reproduire ou interpréter la nature. »

Aux artistes elle est indispensable. A l'enseigner aux médecins, on ne

voit que des avantages. L'anatomie y perdrait de son aridité, sans cesser

d'être « le fondement de la médecine». L'étudiant y gagnerait de connaître

des notions immédiatement applicables dans sa pratique future.

(A suivre.)

Le gérant : P. Bouchez.

ERRATUM

Dans le ne 6 de l'année 1906 :

Page sou. ligne 7, au lieu de face interne, lire face externe.

Page 520, ligne 13, au lieu de fig. 1, lire fig. 2.

Page 524, ligne H, au lieu de fi,g. 3, lire fig. 4.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).

20e Année N° 2 Mars- Avril

1 1 E NEUROLOGIE DE PARIS

ANCE DU 7 MARS 1907)

POLTENCÉPHALITE CHRONIQUE :

OPHTALMOPLÉGIE ET PARALYSIE BILATERALE

DE LA BRANCHE MOTRICE DU TRIJUMEAU.

TARES PROBABLE

PAR

HENRI LAMY

Il s'agit d'une femme âgée de 49 ans, qui présente une ophtalmoplégie

bilatérale avec facies d'Hutchinson typique. Les renseignements qu'elle

donne sur ses antécédents et le début de sa maladie sont sujets à caution ;

car elle est d'une intelligence très inférieure à la normale, à moins que

ses facultés ne soient amoindries.

Sans maladie antérieure notable, elle dit s'être réveillée il y a 1 an 1/2

«paralysée d'une moitié de la figure». Depuis cette époque, elle voit

double et sa paupière supérieure est tombante à droite. Jamais, dit-elle,

elle n'a éprouvé d'autre trouble quelconque de la santé ; en particulier

jamais de douleurs dans la tête ni dans les membres. Elle a continué à

faire des ménages dans cet état, et n'a cessé de travailler que faute d'ou-

vrage. L'état général est resté bon ; mais depuis quelque temps la malade

éprouve une grande faiblesse des mâchoires et une réelle difficulté à man-

ger. Il y a plusieurs mois, elle dit avoir perdu sa salive involontairement.

Elle bavait continuellement. Ce symptôme a disparu aujourd'hui.

Etat actuel [Février 1907).- Paralysie complète de la 3e paire à droite

(ptosis, strabisme externe) ; mais pas de mydriase, la musculature interne

de l'oeil n'est pas touchée par la paralysie. A gauche : ptosis incomplet,

globe oculaire non dévié, mais presque immobile dans l'orbite ; seul le

mouvement du globe en dehors est conservé. Front plissé des deux côtés ;

sourcils relevés. Les pupilles sont petites, réagissent néanmoins à la

lumière, mais nullement à l'accommodation : signe d'Argyll Robertson bi-

latéral.

xi 8

118 s LAMY

Dans la moitié inférieure de la face, voici ce qu'on note : la bouche reste

la plupart du temps entr'ouverte, et le menton abaissé. Il n'y a cependant

pas d'écoulement salivaire par les commissures. De plus, celles-ci ne sont

pas abaissées comme dans la paralysie glosso-labiée, bien que la malade

ait un peu l'aspect pleurard qui caractérise la physionomie dans cette der-

nière affection (PI. XXIV, fig. 1). Il est manifeste que cet aspect et le

défaut d'occlusion buccale sont dus à la paralysie du maxillaire inférieur

qui est tombant.

D'ailleurs la malade est parfaitement capable de fermer la bouche ; mais

dans cet acte, seules les lèvres se rapprochent, tandis que les maxillaires

restent écartés. L'occlusion se fait par l'orbiculaire des lèvres ; et pour

l'obtenir, la malade est obligée de « faire la petite bouche », c'est-à-dire

de rétrécir la fente buccale. Ceci est facile à comprendre ; car il est im-

possible d'obtenir l'occlusion des lèvres les mâchoires étant écartées, sans

contracter l'orbiculaire circulairement. En outre, on note que dans ce mou-

vement le menton se plisse et se fronce, comme si les muscles du menton

s'efforçaient de concourir à l'action de l'orbiculaire (PI. XXIV, fig. 2).

Ainsi, en dépit des apparences, il n'y a point de paralysie dans le do-

maine du facial. Si l'on vient à rapprocher les mâchoires à l'aide du doigt

placé sous le menton, on constate que la malade peut faire la moue, peut

écarter les lèvres pour montrer les dents. A vrai dire, elle ne peut siffler,

et elle souffle mal une bougie ; on peut dire qu'il y a seulement une cer-

taine faiblesse de l'orbiculaire des lèvres.

En outre, le peaucier du cou se contracte normalement à droite, mais

pas du tout à gauche.

Quant à la mâchoire inférieure, elle est à peu près inerte ; les mouve-

ments d'élévation et de diduction sont nuls. On peut introduire un doigt

entre les dents de la malade, qui sont bien conservées, et lui commander

de mordre, sans éprouver autre chose qu'une légère pression : ceci à

droite comme à gauche. Toutefois le maxillaire n'est pas ballant; lorsqu'on

veut le soulever, on éprouve une certaine résistance, qui est certainement

le fait de la tonicité ou même d'un certain degré de contraction des mus-

cles sus-et sous-hyoïdiens (abaissement de la mâchoire). Cette résistance

diminue beaucoup en effet quand on fait la même recherche, la malade

ayant le cou fléchi en avant. Les muscles en question non seulement abais-

sent le maxillaire, mais l'attirent un peu en arrière, comme on peut s'en

rendre compte en regardant la malade de profil (PI. XXIV, fig. 3 et 4).

La façon dont la malade parvient à mastiquer est très particulière et

mérite d'être signalée. D'abord elle mange lentement et avec peine; mais

elle ne présente pas de trouble de déglutition. Elle est incapable, cela va'

de soi, de broyer des aliments durs ; mais elle mâche parfaitement une

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. XXIV

A

B

C

D

POLIENCEPHAL1TE CHRONIQUE..

OPIITALMOPLÉGIE ET PARALYSIE DES MUSCLES MASTICATEURS.

(H. Laniy).

A. Attitude naturelle au repos ; la bouche reste entr'ouverte par suite de la paralysie

des massieters.

B. Occlusion volontaire de la bouche par contraction de l'orbiculaire des lèvres, les

mâchoires restant écartées.

C. Profil de la malade, la bouche entr'ouverte : le maxillaire inférieur est abaissé et un

peu attiré en arrière.

D. Profil avec la bouche fermée, dans l'attitude B.

POLIENCÉPIIALITE CHRONIQUE t 19

bouchée de pain en y mettant le temps. Or, il est manifeste-qu'à cet acte

ni les masséters, ni les ptérygoïdiens ne prennent part; mais le maxillaire

inférieur exécute des mouvements peu étendus d'avant en arrière, qui pa-

raissent dus aux muscles sus-et sous-hyoïdiens. Ces muscles abaissent la

mâchoire et l'attirent un peu en arrière, avons nous dit. Or c'est ce der-

nier mouvement qui est utilisé, semble-t-il, pour la mastication : il per-

met une sorte de brassage des aliments non liquides, qui supplée, d'une

façon bien imparfaite sans doute,au rapprochement des arcades dentaires.

On se rend bien compte de ces particularités surtout en regardant de pro-

fil la malade pendant qu'elle mange.

Pas de paralysie objectivement appréciable du voile du palais ; mais il

est certainement insuffisant, car la malade nasonne très nettement en

parlant.

Voix sourde, faible, monotone. L'articulation des mots est assez dis-

tincte cependant, et n'est troublée que dans la mesure où l'abaissement

permanent du maxillaire inférieur l'entrave. La langue n'est pas atrophiée

et présente une mobilité normale en tous sens.

Pas de troubles cardio-respiratoÏ1'es, jamais de vomissements.

Sensibilité normale à tous points de vue : ni sur la face, ni sur les

membres, nous n'avons relevé d'anesthésie sous quelque mode que ce fût.

Les sensibilités olfactives et gustatives sont intactes. L'acuité visuelle paraît

conservée ; pas de dyschromatopsie ni de modification du champ visuel.

Audition assez bonne : la montre est perçue des deux côtés (30 cent. à

gauche, 10 à droite).

La malade ne souffre pas ; elle n'a jamais éprouvé de douleurs lanci-

nantes, ni de maux de tête.

La marche est normale ; aucun trouble de coordination des membres,

pas de paralysie.

Réflexes tendineux. Le réflexe du genou est aboli tout à fait à gauche;

il est très faible à droite et ne peut être obtenu que par la manoeuvre de

Jendrassik. Réflexe achilléen conservé des deux côtés, mais lent à se

produire : le « temps perdu » parait augmenté. Réflexe olécranien normal.

Réflexe massétérin nul des deux côtés.

Pas de troubles des réservoirs ; ni sucre, ni albumine dans les urines.

Réactions électriques. - Les muscles dépendant du facial se contractent

normalement par les courants faradiques. Les réactions des masséters et

des temporaux sont au contraire à peine appréciables ; elles ne paraissent

pas nulles toutefois, car on obtient un certain degré de rapprochement des

mâchoires avec des excitations énergiques.

Depuis une douzaine de jours, la malade est. soumise au traitement mer-

curiel (frictions). Il semble qu'il y ait un très léger changement en mieux,

120 LAMY

au point de vue de la paralysie de la mâchoire inférieure. La bouche n'est

plus perpétuellement ouverte, comme lors de son entrée à l'hôpital.

Dans les antécédents, rien qui permette d'affirmer la syphilis. Ni érup-

tions, ni fausses couches (pas de grossesse). Cependant la malade dit avoir

perdu ses cheveux d'une façon rapide il y a deux ans.

En résumé il s'agit d'une poliencéphalite à la fois supérieure et tinté-

rieure, puisqu'il y a ophtalmoplégie (sans participation de la musculature

interne de l'oeil), et paralysie de la branche motrice de la 5e paire : on

pourrait même dire que la poliencéphalite est totale, car il y a quelques

troubles dans le domaine du faciai inférieur. Ce fait mérite déjà d'être

noté, car dans la poliencéphalite chronique de l'adulte, il est rare que la

colonne grise du mésencéphale soit envahie sur toute son étendue (1). Ainsi '

dans la poliencéphalite supérieure, qui est souvent une localisation du Ta-

bes, le domaine du facial et du trijumeau moteur sont le plus ordinaire-

ment épargnés; et inversement dans la poliencéphalite inférieure,qui n'est

en général qu'une localisation de la sclérose latérale amyotrophique, les

noyaux oculo-moteurs ne sont pas intéressés. On a surtout signalé la

poliencéphalite totale dans les formes familiales et infantiles.

Un deuxième point mérite de fixer l'attention, c'est l'existence de cette

poliencéphalite comme unique manifestation nerveuse chez notre malade.

Comme étiologie de l'ophtalmoplégie totale, on ne rencontre guère

que le tabes, la syphilis, le diabète. Ce dernier n'est pas en cause. Quant

à la syphilis, elle est possible; mais nous ne trouvons comme indication

à cet égard qu'une alopécie rapide survenue il y a 2 ans. En ce qui con-

cerne le tabes, c'est l'hypothèse à laquelle je me rallierais le plus volon-

tiers ; car la malade présente le signe d'Argyll Robertson,et une abolition

du réflexe rotulien gauche,avec affaiblissement du côté droit. Mais j'avoue

que je ne présente cette hypothèse qu'avec réserves. Il n'y a en effet aucun

trouble de sensibilité, pas de douleurs fulgurantes, ni de troubles sphinc-

tériens. On ne note ni douleurs, ni anesthésie dans le domaine du triju-

meau. Enfin la paralysie et l'atrophie des masticateurs est un phénomène

tout à fait rare dans le tabes céphalique (2).

(1) GUINON et PARMBNTIER, De l'ophtalmoplégie externe combinée à la paralysie

glosso-labio-laryngée et à l'atrophie musculaire progressive (Nouv. Iconographie de la

Salpêtrière, 1890, p. 185).

y2) Pierre Marie et A. Léri ont présenté à la Société de Neurologie (2 février 1905)

un sujet tabétique, qui offrait, comme notre malade, une ophtalmoplégie totale et une

paralysie atrophique des muscles innervés par la branche motrice du trijumeau. Ces

auteurs disent n'avoir trouvé dans la littérature que deux exemples de cette dernière

localisation du Tabes (Schulze, Chvostek).

POLIENCÉPHALITE CHRONIQUE 121

Au point de vue symptomatique, j'insisterai sur les particularités sui-

vantes : la malade présente le faciès d' Hutchinson typique ; en outre la

moitié inférieure de la face offre l'aspect « pleurard » de la paralysie glosso-

labio-laryngée à première vue, surtout lorsque la bouche reste entr'ouverte.

Mais à l'examen, on voit qu'il n'y a ni paralysie ni atrophie prononcées dans

le domaine du facial. Cette apparence est uniquement due à la chute pa-

lytique de la mâchoire inférieure. La malade arrive en effet à fermer

la bouche en contractant l'orbiculaire des lèvres à la façon d'un sphincter.

Sous les lèvres fermées, il est facile de s'assurer que les mâchoires res-

tent écartées. Ceci donne une expression particulière à la partie inférieure

du visage : la malade fait « la petite bouche ». C'est d'ailleurs la seule

façon possible de fermer la bouche sans rapprocher les arcades dentaires

(Pl. XXIV, fig. 2).

En général, on n'observe l'atrophie des masticateurs, dans les paraly-

sies glosso-labiées, que lorsque les muscles péribuccaux sont atrophiés.

Aussi les malades ont-ils la bouche perpétuellement ouverte, et perdent-ils

leur salive par les commissures. La paralysie de la branche motrice du

trijumeau est un symptôme que les auteurs classiques déclarent ne se pro-

duire que très tardivement dans les paralysies bulbaires chroniques. Ici,

l'atrophie et la paralysie des masséters l'emportent sur les troubles dans

le domaine du facial. S'il s'agit, dans le cas présent, d'une affection pro-

gressive, comme je le crois, ce fait n'a rien de surprenant,car l'ophtalmo-

plégie paraît avoir débuté : l'envahissement du noyau masticateur avant-

celui du facial se conçoit facilement, puisque ce noyau est plus voisin de

ceux de la 3e paire que le noyau de la 7e.

HOSPICE DE BLC1 : TRG

LABORATOIRE DE 111. LE D' PIERRE MARIE

coïncidence CHEZ UN même malade

DE LA

[PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE

ET DE LA PARALYSIE SPINALE INFANTILE

AUTOPSIE.

PAR

ITALO ROSSI

La doctrine de l'analogie entre la paralysie spinale infantile et l'hémi-

plégie cérébrale infantile,- soutenue d'abord par Vizioli, Strümpell et

Pierre Marie, combattue ensuite par quelques auteurs, paraît avoir aujour-

d'hui rallié beaucoup de suffrages.

On ne peut cependant nier, nous le verrons, que si au point de vue

étiologique et clinique de nombreux faits ont été apportés à l'appui de cette

doctrine, au point de vue anatomique la démonstration directe de cette ana-

logie n'a pas encore été donnée. C'est en effet plutôt d'après des considéra-

tions théoriques tirées de la pathologie générale et d'après des analogies

cliniques et surtout étiologiques que cette analogie anatomique des deux

affections, envisagée au point de vue de leur lésion primitive, a été, et est

aujourd'hui encore soutenue. Cela tient très vraisemblablement à ce qu'il

est extrêmement difficile de saisir, dans l'étude des lésions définitives,

telles que nous les relevons dans les autopsies les plus habituelles de

paralysie cérébrale infantile, les lésions de début. Or, seules ces lésions

initiales pourraient démontrer d'une façon péremptoire l'identité anato-

mique de l'hémiplégie cérébrale infantile et de la paralysie spinale infan-

tile, dont le processus initial nous est aujourd'hui bien connu, grâce à

la faculté qu'ont certains auteurs de faire l'étude anatomique de cas

récents.

Quoi qu'il en soit, bien que le côté anatomique de cette question n'ait

pas encore été élucidé et malgré les objections qui lui ont été faites, la doc-

trine de l'analogie entre le» deux affections en question s'appuie sur tant

d'arguments et de faits qu'on ne peut pas en nier la valeur.

ITALO ROSSI. - PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE ET PARALYSTE SPINALE 123

Une de ces objections, faite par Freud (1), était celle-ci : si cette ana-

logie existe vraiment, on devrait rencontrer avec une fréquence relative

des cas où se combineraient chez le même individu les deux localisations

du même processus morbide et les symptômes des deux affections.

Or cette coïncidence avait été prévue par Pierre Marie lorsqu'il écrivait,

en 1892, dans ses Leçons sur les maladies de la moelle : « J'ai la convic-

tion que grâce à un hasard favorable on verra quelque jour l'hémiplégie

cérébrale infantile et la paralysie spinale infantile coïncider chez le même

sujet, et j'attends avec confiance la publication de cette observation typi-

que qui démontrera d'une façon irréfutable l'identité des deux affec-

tions. »

Les faits ont donné raison à Pierre Marie. On peut déjà remarquer, et

nous les citerons, qu'il existe des observations prouvant, que ces deux types

cliniques peuvent se retrouver chez diverses personnes d'une même famille

ou du même lieu lorsque la poliomyélite prend un caractère épidémique.

Plus démonstratifs encore sont les cas publiés dans la littérature, présen-

tant la coïncidence des deux affections, survenues en même temps chez le

même individu. Ces cas sont cependant rares, un seul d'entre eux a été

suivi d'aulopsie.

Nous croyons donc intéressant de rapporter ici l'étude anatomique, que

nous avons faite dans le service de notre maître Pierre Marie, à Bicêtre,

d'un cas de coexistence de paraplégie cérébrale infantile et de paralysie

spinale infantile.

Ce cas qui a été, de la part de notre maître, l'objet d'une présentation à

la Société médicale des hôpitaux (990`· séance du 7 mars) n'est pas seu-

lement intéressant par son extrême rareté. Il nous montre aussi que l'ana-

logie de la paralysie spinale infantile et de l'hémiplégie cérébrale infan-

tile peut bien s'étendre à la diplégie cérébrale. Celle-ci, en effet, comme

l'hémiplégie cérébrale infantile, n'est qu'une variété de la paralysie céré-

brale infantile ; leur étiologie est à peu près la même et elles relèvent

des mêmes processus anatomiques.

Observation clinique. Bois..., âgé de 30 ans, entré à l'hospice de Bicêtre,

service de M.Pierre Marie le 17 août 1897.

Dans les antécédents héréditaires du malade il est à noter que le grand-père

et le père auraient été atteints de paralysie dans les dernières années de leur

vie ; mère vivante, bien portante ; une soeur bien portante, mariée ; elle a 2 en-

fants en bonne santé.

Histoire de la maladie actuelle. Selon les renseignements fournis par la

mère, la maladie actuelle, la paraplégie, serait survenue à l'âge de 6 mois. Il a

été impossible d'ohtenir sur le début de l'affection des renseignements détail-

(1) FREUD, Die infantile ce¡'eb¡'alliihmung, Wien, 1897.

124 1TAL0 ROSS1

lés ; on sait seulement que la paraplégie survint à la suite de convulsions qui

ne se sont jamais répétées ultérieurement. Le malade, même dans sa première

enfance, n'a jamais souffert d'aucune autre affection. Dès sa plus tendre jeunesse

il dut recourir a des béquilles pour marcher. Il n'a jamais présenté aucun trou-

ble dans les extrémités supérieures; il a appris à écrire de bonne heure.

Etal actuel (19 août 1897). - Le malade est de taille plutôt petite et d'as-

pect fort peu vigoureux. Le crâne est un peu petit et présente une déformation

évidente ; tandis qu'il est aplati des deux côtés, le milieu semble élevé et former

une saillie entre les deux méplats latéraux^ Les dents sont d'aspect normal.

Les organes génitaux sont normalement développés, ainsi que le système

pileux du pubis.

Le malade ne peut se tenir debout sans béquilles, mais avec celles-ci il

marche encore assez bien, en usant du membre inférieur droit seulement, car

le gauche pend presque inerte et ne touche pas le sol. Dans la marche, seule la

partie antérieure du pied droit, fortement équin, porte sur le sol.

Rien à noter du côté des nerfs crâniens.

Le malade peut très bien se servir de ses extrémités supérieures ; les mou-

vements se font bien, la force est normale dans tous les segments. Il n'y a pas

de rigidité dans les mouvements passifs ; pas d'atrophie musculaire.

Le membre inférieur droit présente d'une façon typique l'aspect qu'on voit

dans la paraplégie spastique infantile. Il est légèrement fléchi dans la' hanche

et dans le genou et en forte adduction. Le pied et en position équine et en

adduction légère, avec légère flexion dorsale permanente des premières pha-

langes des orteils (PI. XXV).

Il existe en outre une légère atrophie diffuse généralisée à tous les muscles

de la jambe et surtout accusée dans ceux de la région antérn-externe ; le biceps

sural est le moins atteint. Les reliefs musculaires des deux tiers supérieurs de

la cuisse sont très marqués ; au contraire au tiers inférieur il existe au-dessus

du genou une atrophie circulaire en jarretière, frappant également le triceps

fémoral et les muscles postérieurs.

Les mouvements passifs sont plus ou moins limités dans les diverses ar-

ticulations du membre, du fait de la contracture. Celle-ci est surtout marquée

dans les adducteurs de la cuisse et dans les muscles du mollet. Il est en effet

absolument impossible de lutter contre l'état d'adduction permanente de la

cuisse ; le tendon d'Achille d'autre part forme au niveau du talon une corde

absolument inextensible qui fixe le pied en équin, s'oppose à la flexion dorsale

et permet seulement des légers mouvements d'abduction et d'adduction. Les

petites articulations des orteils sont relativement libres.

Les mouvements passifs d'extension de la cuisse et de la jambe ont subi, eux

aussi, une certaine limitation. La cuisse ne peut être complètement étendue

passivement et le mouvement d'extension de la jambe est aussi arrêté avant

d'atteindre l'amplitude normale. Dans la flexion de la jambe au contraire, on

ne rencontre pas de résistance appréciable. Il existe une légère diminution

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière T. XX. PI. XXV

PARALYSIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 125

de la force musculaire dans les divers segments du membre ; le pied est celui

dont la motilité est le plus compromise.

Le réflexe rotulien est vif, exagéré et s'accompagne d'une très légère con-

traction des adducteurs à gauche. Le réflexe cutané plantaire est nettement en

extension avec éventail des orteils.

Le membre inférieur gauche présente un aspect tout à fait différent. Le

membre tout entier montre des muscles considérablement atrophiés et dans

un état de flaccidité complète, contrairement à ce qui se passe dans les mus-

cles du membre inférieur droit; c'est ainsi que le membre présente d'une fa-

çon très nette l'aspect connu sous le nom de jambe de polichinelle. Les muscles

fessiers gauches présentent également un état d'atrophie et de flaccidité mani-

feste, mais l'atrophie est surtout évidente à la jambe où elle atteint tous les

muscles dans toute leur étendue ; les muscles antéro-externes sont toutefois

beaucoup plus atrophiés que ceux du mollet. L'atrophie de la jambe gauche

est de beaucoup plus marquée que celle déjà décrite dans la jambe droite.

Le membre inférieur gauche est de 6 centimètres plus court que le droit.Le

pied est équin,avec flexion exagérée des orteils,dans toutes les phalanges ; il est

en outre légèrement dévié en dehors à partir de l'articulation médio-tarsienne.

Le gros orteil est franchement dévié en dehors, tandis que le petit orteil se

porte en dedans et sous les autres orteils.

La corde formée au-dessus du talon par le tendon d'Achille est beaucoup

moins nette que du côté opposé ; malgré cette rétraction tendineuse, le pied

offre l'aspect du pied ballant et ses mouvements passifs ont une amplitude

beaucoup plus marquée que du côté opposé surtout dans l'adduction et dans

l'abduction.

Aucune raideur dans les mouvements passifs au niveau de l'articulation de

la hanche et du genou.

Pour ce qui est de la force musculaire, on peut dire qu'il existe dans tous

les segments du membre une paralysie presque absolue. .

Il existe des troubles vaso-moteurs très manifestes, accusés surtout au ni-

veau de la jambe et du pied ; la peau est très froide et violacée. Tandis que

la jambe droite est abondamment pourvue de poils, la jambe gauche est ab-

solument glabre. L'excitabilité électrique des muscles est,suivant les points, ou

très diminuée ou abolie.

Le réflexe rotulien est aboli à gauche, mais la percussion du tendon rotulien

gauche donne naissance à droite à un réflexe controlatéral des adducteurs très

énergique.

Le réflexe cutané plantaire, bien que plus faible qu'à droite, est aussi en

extension nette.

Les réflexes abdominaux et crémastériens existent des deux côtés : le ré-

flexe abdominal droit est un peu plus faible que le gauche.

Les réflexes pupillaires sont conservés.

Il n'existe, nulle part, de troubles de la sensibilité subjective ou objective

(tant superficielle que profonde).

126 ITALO ROSSI

Pas de troubles sphinctériens.

Le malade ne présente pas de troubles de la parole. Quoique étant « minus

liabens » il lit et écrit assez bien.

L'état du malade ne s'est pas modifié dans les années suivantes ; un dernier

examen fait peu de temps avant sa mort a confirmé la présence des troubles

moteurs, trophiques et de la réflectivité ci-dessus décrits.

Mort le 4 août 1906, à la suite d'appendicite.

AUTOPSIE. - Il existe dans l'hémisphère cérébral gauche un foyer de ramol-

lissement ayant complètement détruit (PI. XXV-XXVI) : 1° la première cir-

convolution frontale dans sa partie interne et supérieure et dans la moitié

antérieure de sa partie orbitaire ; la première circonvolution frontale est rem-

placée par une coque excessivement mince qui semble formée presque exclusi-

vement par la méninge ; 2° la face interne du lobule paracentral ; 3° la première

circonvolution limbique et le corps calleux dans leurs 3/4 antérieurs, jusqu'au

niveau à peu près de la partie ascendante de la scissure calloso-marginale. En

avant de celle-ci il n'existe plus aucune trace de la première circonvolution

limbique ; il existe au contraire encore quelques restes du tronc du corps cal-

leux sous la forme d'une mince lamelle ; la moitié antérieure du tronc et le

genou ont complètement disparu.

La moitié antérieure du ventricule latéral est considérablement dilatée.

Des coupes macroscopiques ont montré que le ramollissement de la face interne

du lobule paracentral ne pénètre que peu dans la profondeur, et que le ramol-

lissementde la premièrecirconvolution frontale aboutit en avant etau-dessous de

la tête du noyau caudé sans toucher en rien celle-ci, et que le noyau ventricu-

laire,le thalamus,ainsi qne la capsule interne ne présentent pas de lésions ma-

croscopiques.

L'hémisphère cérébral droit présente une lésion qui est exactement la même

qu'à gauche, avec cette seule différence que la première circonvolution frontale

est un peu moins atteinte par le ramollissement qu'à gauche tant dans la partie

orbitaire qu'au niveau de la convexité ; le peu de cette circonvolution qui

persiste apparaît ratatiné, extrêmement atrophié.

Dans le reste des hémisphères cérébraux, tant à la base qu'à la convexité,

il n'y a rien à noter d'anormal ou de particulier. Les méninges molles sont,

comme la dure-mère,d'aspect normal, peu épaissies ; la pie-mère se détache fa-

cilement des circonvolutions sous-jacentes, sans entraîner de perte de subs-

tance. -

Les circonvolutions restantes ont un aspect macroscopique normal ; en au-

cun point elles ne semblent être sclérosées ou présenter un aspect microgy-

rique. Leur disposition paraît normale.

Le cerveau dans son ensemble parait un peu diminué de volume, l'hémi-

sphère gauche plus que le droit; mais cette différence, peu considérable, n'est

que de 25 grammes. Le cervelet est de volume normal, la protubérance est plutôt

petite.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊJR1ÈRE. T. XX, PI. XXVI

PARALYSIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE

(1. Rossi) .

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 127

Sur des coupes macroscopiques pratiquées à plusieurs niveaux, le pédoncule,

la protubérance et le bulbe ne présentent pas de lésions appréciables à l'oeil nu.

Moelle la dure-mère est d'aspect normal, sans adhérences pathologiques ;

les méninges molles ne semblent pas épaissies.

L'examen macroscopique de la moelle permet de noter très aisément que les

racines antérieures gauches, partir du premier segment lombaire au troisième

segment sacré inclusivement, sont beaucoup plus grêles que les racines correspon-

dantes du côté droit.Après un soigneux repérage des racines, nous avons isolé in-

dividuellement les segments lombaires et sacrés avec leurs racines correspon-

dantes.A ces divers étages de la moelle on peut, même à l'oeil nu, sur les mor-

ceaux encore dans le liquide de iNüller, noter la forte atrophie de la corne

antérieure gauche et du cordon antéro-latéral gauche.Cette atrophie estsurtout

accusée au niveau de S 2, S 1, L 5, L 4, L 3.

Etude HISTOLOGIQUE. Elle a porté sur les 5 segments sacrés et sur les

5 segments lombaires, sur plusieurs autres fragments prélevés à différentes

hauteurs des régions dorsale et cervicale,sur le bulbe et la protubérance à di-

verses hauteurs.

Les pièces ayant été durcies dans le liquide de Müller, nous avons employé

les méthodes de coloration suivantes : Gieson, hématoxyline-éosine, Pal, Pal-

cochenille, Weigert.

Moelle.- A l'oeil nu on voit déjà qu'il existe, dans la région sacro-lombaire

sur les coupes de S 1,S et des 4 derniers segments lombaires une forte asy-

métrie de la moelle : la moitié gauche est beaucoup moins développée que la

moitié droite. Cette asymétrie, même à l'oeil nu, paraît être due à une atrophie

plus ou moins forte suivant les divers segments, de la corne antérieure gau-

che, du cordon antéro-latéral du même côté, et, en petite partie aussi, à une

légère diminution de volume du cordon postérieur et de la base de la corne

postérieure gauche.

Sur des préparations au Weigert et au Pal la corne antérieure gauche paraît

en totalité plus faiblement colorée que la droite ; mais la décoloration frappe

surtout la tête de la corne, qui sur des coupes au Gieson et à l'éosine tranche

avec le reste de la corne par la coloration plus foncée qu'elle prend.

Microscopiquement,on constate que dans les segments précités il existe, dans

la moitié externe de la tête de la corne antérieure gauche, un gros foyer ty-

pique de poliomyélite ancienne. Ce foyer atteint son maximum d'intensité et

d'extension au niveau de S ,S 4,L 5, L 4, L 3 et s'accompagne d'uue forte

atrophie massive de la corne antérieure, réduite à la moitié de son volume (PI.

XXVII). Au niveau du foyer proprement dit les fibres nerveuses constituant

le réseau myélinique de la corne sont extrêmement raréfiées ; celles qui persis-

tent sont pour la plus grande part très amincies et placées dans un tissu de sclé-

rose dense où on note, à l'hématoxyline-éosine, une légère multiplication des

noyaux névrogliques. Au milieu de ce tissu on aperçoit, sur quelques coupes

des divers segments en question, un gros vaisseau, fortement dilaté, avec des

parois très épaissies et une forte dilatation de l'espace périvasculaire. En gé-

128 ITALO ROSSI

néral, tous les autres petits vaisseaux situés tant au sein du foyer que dans le

reste de la corne antérieure ont des parois épaissies et sont très apparents.

Les grosses cellules ganglionnaires de la corne antérieure ont presque com-

plètement disparu ; on y trouve seulement quelques très rares cellules, pres-

que toutes fortement atrophiées, rondes, sans prolongements ni noyaux ; ici et

là on rencontre quelques vestiges des cellules disparues sous forme de petits

blocs protoplasmiques homogènes, de forme irrégulière, prenant fortement les

colorants. Il est à noter cependant qu'au niveau du tiers moyen de S 2 et sur-

tout dans son tiers inférieur, bien qu'il existe ici encore une très forte atro-

phie de la corne antérieure et du cordon antéro-latéral gauches, le foyer po-

liomyélitique proprement dit tend à se limiter ; en outre, on observe au sein

même du foyer et à la périphérie, surtout à l'angle antéro-internede la corne,

quelques cellules encore assez bien conservées.

Dans les segments dont il est question (S 2, S 1 ; L 5, L 4, L 3) la base de

la corne antérieure, où il n'existe pas de foyer poliomyélitique proprement dit

est moins large que la correspondante droite, son réseau myélinique est légè-

rement raréfié, les collatérales réflexes qui la traversent sont moins nom-

breuses. La base de la corne postérieure gauche présente une légère diminution

de largeur, mais pas de raréfaction de ses fibres ni de sclérose.

Le cordon antéro-latéral gauche est, comme nous l'avons dit, fortement

atrophié; le cordon latéral présente eu outre une légère décoloration, une

raréfaction des fibres avec légère hyperplasie névroglique. Les sillons du

cordon antéro-latéral par lesquels passent, en riches faisceaux, les fibres radi-

culaires antérieures, sont presque complètement dépourvus de fibres et occu-

pés presque exclusivement par du tissu interstitiel.

Le cordon postérieur gauche est un peu moins volumineux que le droit,

mais il est bien coloré, ne présente aucune trace de dégénérescence.

Les racines antérieures correspondantes aux divers segments et qui,coupées

transversalement, sont immédiatement adjacentes à la périphérie de la moelle.

sont beaucoup moins volumineuses à gauche qu'à droite ; elles ne contiennent

presque pas de fibres et sont presque uniquement constituées par du tissu in-

terstitiel fortement sclérosé. Les quelques fibres encore restantes sont pour la

plupart fines et ont une gaine myélinique très mince, mais bien colorée.

Au niveau de S 3 (PI.XXVII) il y a encore une légère asymétrie de la moelle

par l'atrophie de la corne et du cordon antéro-latéral gauche.Bien qu'il n'existe

pas dans la corne antérieure de foyer proprement dit,on y retrouve une légère

raréfaction du réseau myélinique avec sclérose légère, une diminution du

nombre des cellules et des lésions atrophiques dans quelques-unes des cellules

restantes. Il existe en outre, dans les racines antérieures gauches de ce seg-

ment une atrophie et une perte de fibres qui bien que beaucoup moins accu-

sée que dans les segments sus-jacents n'en est pas moins nette.

Au niveau deS4 l'aspect de la moelle redevientà peu près normal (LXXVII).

Au niveau de L 2, L i, le foyer est moins volumineux que dans L 3, la ra-

réfaction des fibres et la sclérose y est moins accusée. Au sein du foyer on

retrouve quelques rares cellules très atrophiées, mais à la périphérie et sur-

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. XX. PI. XXVII

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Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière T. XX. Pli. XXVIII

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PARALYSIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE

(I. Rossi).

- -.

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 129

tout à la partie médiale de la corne on observe quelques cellules d'aspect nor-

mal. L'asymétrie de la moelle est moins accusée que dans les segments sous-

jacents, et l'atrophie des racines antérieures gauches moins forte ; ces der-

nières contiennent de nombreuses fibres saines.

A noter dans la corne droite, au niveau de L 4, deux petits foyers occupant

respectivement les angles antéro et postéro-externes de la corne,avec raréfaction

forte du réseau myélinique, hyperplasie du tissu névroglique et diminution de

nombre des cellules. Ces foyers, bien que moins intenses que le foyer de gau-

che, font qu'à ce niveau la différence de volume entre les deux cornes n'est pas

aussi frappante qu'elle l'est dans L 5 et L 3 où la corne droite est indemme d'al-

térations. La racine antérieure droite de L 4 présente des lésions atrophiques

analogues, mais beaucoup moins accusées, à celles décrites dans la racine

gauche.

Dans la région dorso-cervicale de la moelle il n'existe ni dans la corne gau-

che, ni dans la droite, de foyers de poliomyélite (PI. XXVIII). La corne gauche

cependant semble, dans la région dorsale, un peu plus petite que la droite,

mais cette différence est presque insignifiante. De même il semble qu'à ce ni-

veau les cellules de la corne gauche soient un peu moins nombreuses que dans

la corne droite. Le réseau myélinique de la corne gauche n'est cependant pas

raréfié, n'existe pas non plus d'hyperplasie ou de sclérose du tissu interstitiel.

Dans les segments dorsaux et cervicaux les cordons antéro-latéraux sont

bien colorés, ne présentent ni dégénération ni sclérose. L'atrophie du cordon

latéral gauche, nette dans la moelle sacro-lombaire, est ici beaucoup moins

appréciable. L'atrophie du cordon antérieur gauche persiste au contraire très

nette dans toute la hauteur de la moelle cervico-dorsale, même au niveau de

C 1 ; il s'agit ici aussi d'atrophie simple, sans dégénération des fibres nerveu-

ses.

Les colonnes de Clarke dans toute la hauteur de la moelle lombo-dorsale

sont de volume et d'aspect normal, d'un côté comme de l'autre.

Rien à noter dans les racines postérieures, ni dans les cordons postérieurs

à part la légère atrophie, sans dégénérescence, ni sclérose, décrite dans la

moelle lombo-sacrée gauche.

Méninges normales, sauf un léger épaississement de la pie-mère à la région

sacro-lombaire de la moelle.

Bulbe. - Protubérance. - Les coupes intéressant le bulbe et la protubé-

rance à différentes hauteurs offrent un aspect normal. Dans toute la protu-

bérance la voie pédonculaire semble être aussi bien développée qu'à l'état nor-

mal, et aussi bien à gauche qu'à droite. Dans aucun de ses faisceaux il n'existe

de dégénérescence ni de sclérose. De même pour les pyramides bulbaires qui

sont très bien colorées et ne paraissent pas atrophiées (PI. XXVIII). Ces pyra-

mides bulbaires sur des coupes symétriques semblent présenter un volume

égal : peut-être cependant la pyramide droite est-elle un peu moins volu-

mineuse que la gauche, mais cette différence de volume, si tant est qu'elle

existe, est très légère et digne de toutes réserves.

130 ITALO ROSSI

En résumé, il s'agit dans notre cas d'un individu de 30 ans chez lequel,

à l'âge de 6 mois, se développa à la suite de convulsions, une paraplégie

que l'examen actuel montre se présenter dans chacun des deux membres

avec des caractères tout à fait dissemblables. Le membre inférieur droit

présente en effet l'aspect typique qu'on voit dans la paraplégie spastique

infantile. Le membre inférieur gauche, au contraire, offre d'une façon

très nette l'aspect connu sous le nom de jambe de polichinelle, et le ta-

bleau typique de la paralysie-spinale infantile. Notons cependant que,

même de ce côté, le phénomène de Babinski se fait en extension.

L'autopsie et l'examen histologique montrent :

Dans lecerveau, un foyer de ramollissement bilatéral et symétrique ayant

complètement détruit : la première circonvolution frontale dans sa par-

tie interne et supérieure et dans la moitié antérieure de sa partie or-

bitaire, la face interne du lobule paracentral, la première circonvolution

limbique ainsi que les corps calleux dans leurs trois quarts antérieurs,

jusqu'au niveau de la partie ascendante dela scissure cal loso-marginale.

C'est à ce foyer que doit être rapporté la paralysie cérébrale infantile de

notre malade.

Dans la moelle, l'existence d'un foyer typique de poliomyélite ancienne

occupant la moitié externe de la tète de la corne antérieure gauche et s'é-

tendant du 2e segment sacré au 1er segment lombaire inclusivement, avec

forte atrophie des racines lombo-sacrées correspondantes et forte atrophie

de la moitié gauche de la moelle. C'est à ce foyer que nous devons rap-

porter la paralysie spinale infantile du membre inférieur gauche.

Nous nous réservons de développer dans un travail ultérieur, l'intérêt

anatomique que présente notre cas, lorsque seront terminées les coupes

sériées du cerveau auxquelles nous nous appliquons maintenant. En effet,

les autopsies de paraplégie cérébrale infantile, du moins des cas stricte-

ment limités aux membres inférieurs sont fort rares. Il semble que notre

observation en soit cependant un exemple. Autant que nous pouvons ajou-

ter foi aux renseignements fournis par la mère, il paraît bien qu'il ne s'a-

git pas ici d'une paraplégie cérébrale infantile, résidu d'une diplégie, mais

plutôt d'une paraplégie cérébrale pure, et s'étant présentée comme telle

d'emblée. Le malade, depuis sa première enfance, a bien pu se servir de

ses extrémités supérieures, il a apprit à écrire de bonne heure, et le pre-

mier examen du malade fait à t'age de 20 ans,lors de son entrée à Bicêtre,

a montré l'intégrité absolument parfaite des membres supérieurs. Or le

résultat de l'autopsie montrant une lésion bilatérale et symétrique, dé-

truisant une partie du territoire de l'artère cérébrale antérieure, notam-

ment la face interne des deux lobules paracentraux, mérite, môme en

tant que simple constatation macroscopique, d'être relevé dans notre cas

particulier. e

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE hT PARALYSIE SPINALE INFANTILE 131

Il faut aussi noter la présence du signe de Babinski des deux côtés, même

dans le membre gauche atteint de paralysie infantile, presque complète-

ment^ paralysé, en état de flaccidité complète et présentant une atrophie

musculaire totale très accusée.

La présence du signe de Babinski a été, bien que rarement, signalée

dans la paralysie spinale infantile et diversement interprétée. Pour les uns

il serait dû à l'invasion du cordon latéral par le processus poliomyéliti-

que,pour d'autres (Oppenheim) à l'intégrité du seul muscle long extenseur

du gros orteil.

Dans notre cas nous ne croyons pas qu'il faut rechercher la cause de ce

phénomène dans l'intégrité isolée de ce muscle, car, non seulement cette

intégrité isolée n'existait pas, mais les fléchisseurs étaient moins paraly-

sés que les extenseurs. Il est plus difficile de rejeter l'hypothèse que

le phénomène de Babinski puisse relèver de la très légère raréfaction

du cordon latéral observée au niveau du foyer poliomyélitique. Mais de-

vant la bilatéralité et la symétrie des lésions cérébrales, n'est-il pas plus

logique de rattacher ce phénomène à la même cause qui le détermine à

droite, dans le membre qui présente d'une façon typique l'ensemble des

phénomènes spastiques de la paralysie cérébrale infantile ? S'il en était t

réellement ainsi, le signe de Babinski à gauche serait, à cause de la lésion

poliomyélitique,la seule expression de la spasmodicité d'origine cérébrale,

si manifeste dans le membre inférieur droit (1).

Dans notre cas il semble donc exister une concordance parfaite entre

le tableau clinique particulier, donné par l'association aussi nette que

possible des symptômes de la paraplégie cérébrale infantile et de la para-

lysie spinale infantile, et les altérations relevées à l'examen anatomique.

Il vient, avons-nous dit, apporter un très puissant appui à la doctrine

de l'analogie entre ces deux affections.Cette analogie avait été déjà entrevue

par Vizioli (2) en 1880 qui avait dès cette époque relevé les similitudes

de début et d'évolution de la paralysie spinale infantile et de l'hémiplégie

cérébrale infantile. Mais c'est à Strümpell et à Pierre Marie, que nous de-

vons d'avoir éclairé plus vivement les analogies de divers ordres existant

(1) 11 n'est pas sans intérêt de rappeler à ce propos que Schùller a présenté en 1903

tt la Société de Neurologie et Psychiatrie de Vienne, 3 cas de paralysie spinale infan-

tile d'un seul membre inférieur avec réflexe cutané plantaire en extension, dans un

cas du même côté de la paralysie, dans les deux autres cas du côté opposé. Redlich,

à la même séance, faisait remarquer que la présence du signe de Babinski du côté op-

posé à la paralysie pouvait relever de deux causes : soit d'une atteinte passagère et

fruste au début de l'affection du côté en apparence sain, avec participation légère

du faisceau pyramidal croisé, soit d'une lésion cérébrale concomitante, comme on peut

en voir dans la paralysie spinale infantile.

(2) VzIOLI, Emiplegia cérébrale, Il Morgagni, 1880, p. 568.

132 ITALO ROSSI

entre ces deux affections, et d'avoir attiré d'une façon particulière l'atten-

tion sur ce problème intéressant.

L'étude historique de cette question n'est pas dépourvue d'intérêt, car

elle nous montre comment, peu à peu, des considérations théoriques ti-

rées de la pathologie générale, appuyées sur l'observation clinique et

l'étude anatomique,ont amené des tentatives d'une conception nouvelle de

la paralysie spinale infantile.

Selon cette conception le cadre nosologique où l'on enferme cette affec-

tion est trop étroit ; il faut l'élargir et ne considérer la poliomyélite que

comme la localisation spinale d'une affection générale toxi-infectieuse

capable de frapper aussi d'autres parties du système nerveux. Ces diverses

localisations du même processus aigu, inflammatoire, d'origine vasculaire,

entraînent des tableaux morbides naturellement différents mais qui ont

entre eux de grandes analogies, des identités même pourrait-on dire,

étiologiques, cliniques et anatomiques.

Strümpell (1), en 1884, frappé par les caractères cliniques de certaine

forme de l'hémiplégie cérébrale infantile, fut amené à penser qu'à ces

particularités cliniques devait correspondre aussi un processus anatomi-

que particulier. La nature de ce processus ne lui fut pas suggérée par

des constatations anatomiques. Il se basa plutôt pour l'établir, sur les

analogies de début et d'évolution que la forme par lui détachée du groupe

cliniquement bien délimité de l'hémiplégie cérébrale infantile, présen-

tait avec une affection spinale à processus anatomique bien défini, la

paralysie spinale infantile.

Les deux affections,en effet, frappent de préférence des enfants,dans les

premières années de leur vie, au milieu d'une bonne santé. Le début est

presque toujours brusque, avec des symptômes généraux graves, tels que

fièvre plus ou moins élevée, somnolence, vomissements, convulsions, trou-

bles gastro-intestinaux, etc. Les troubles de motilité qui font suite à ces

prodromes sont d'abord plus marqués et plus généralisés qu'ils ne le sont

ultérieurement.

De ces analogies cliniques Strümpell fut amené à considérer sa variété

d'hémiplégie cérébrale infantile,comme le résultat de la localisation céré-

brale du même processus qui dans la moelle engendrait la paralysie spi-

nale infantile. Et comme il était convaincu que dans cette dernière il

s'agissait d'une inflammation primitive des cellules motrices des cornes

antérieures, - d'un processus inflammatoire aigu, systématisé et localisé

dans la substance grise antérieure de la moelle,-il concluai t que dans l'hé-

miplégie cérébrale infantile, le siège de l'affection devait se trouver dans

(1) STRllMPELL, Tageblait der Magdeburg. 5 (. deutschen Natw'f. Versammlung, 1884.

Deutsche medic. Voch., 1884, p. 114. n° 44.

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 133

la substance grise des circonvolutions motrices. D'où le nom de poliencé-

phalite, opposé à celui de poliomyélite , qu'il proposa pour indiquer

encore mieux les analogies liant entre elles l'hémiplégie cérébrale infan-

tile et la paralysie spinale infantile. Pour Sii-ümpel en effet, les deux affec- -

tions sont'de nature très analogue, dans ce sens que dans l'une el l'autre le

même agent (peut-être infectieux), se localise -tantôt dans la substance

grise de la corticalité motrice, tantôt dans la substance grise antérieure

de la moelle.

La preuve que la substance grise de la zone motrice de l'encéphale est

le siège de l'affection dans la forme clinique d'hémiplégie cérébrale infan-

tile dont il est question, résiderait pour cet auteur non seulement dans les

phénomènes cliniques (distribution de la paralysie, crises épileptiformes,

athétose), mais aussi dans les autopsies d'hémiplégie cérébrale infantile

jusqu'alors publiées. Ces autopsies montreraient en effet des lésions poren-

céphaliques dans la région motrice de la corticalité qui, selon Strümpell,

conserveraient encore les traces d'un processus inflammatoire initial.

Pierre Marie (1) presque en même temps (1885) soutenait aussi de son

côté l'analogie des deux affections ; pour Pierre Marie l'analogie n'est pas

seulement clinique (pour le mode de début et l'évolution), et anatomique,

mais encore étiologique. Il est en effet plus affirmatif que Strümpell sur la

nature infectieuse de la paralysie spinale infantile et de beaucoup des cas

d'hémiplégie cérébrale infantile. Il pense, lui aussi, que dans la plupart

des cas les processus sont très analogues dans les deux affections et que la

seule différence consiste probablement en ceci que tantôt c'est la moelle,

tantôt le cerveau qui est le siège de la lésion. Mais il n'est pas d'accord

avec Strümpell sur la nature du processus anatomique commun aux deux

affections. Pour Pierre Marie, il ne s'agit ni dans l'une ni dans l'autre

de ces deux affections d'une lésion pure et primitive de la substance grise

de la corticalité motrice ou des cornes antérieures de la moelle, comme

le croyait Strümpell, mais de lésions en foyer, d'origine vasculaire, nul-

lement systématisées, pouvant intéresser aussi la substance blanche.

Contre la conception de Strümpell de la poliencéphalite, en tant que

processus anatomique systématisé à la substance grise, engendrant l'hé-

miplégie cérébrale infantile, - conception uniquement basée sur des vues

théoriques, - s'élevèrent bientôt de sérieuses objections (l3ehrnahrdt (` ? );

Wallenberg (3), Hoven (4) et autres auteurs).

(1) P. Marie, Hémiplégie cérébrale infantile et maladies infectieuses. Progrès

médical, S septembre 1885.

(2) BFIIRNAIIRDT, Virchow'sArchiv, Cil, p. 26, 1885.

(3) WALL$NBBRG, Jahr. f. l{inderh., XXIV, p. 384, 1886.

(4) Ilovsn, Arch. f. Psyeh. und Neur.,Bd. XIX, p. 563, 1888.

xx 9

134 . ITALO ROSSI

On objecta en effet à Strümpell, de ne pas avoir prouvé anatomique-

ment cette poliencéphalite avec des pièces recueillies sur des individus

morts à une époque très voisine du début de la maladie.

Les altérations anciennes, définitives, y compris la porencéphalie ac-

quise, se prêtaient mal à l'étude de la lésion initiale, car il était déjà

démontré qu'un état terminal pouvait relever de lésions initiales va-

riées. Dans la plus grande partie des cas d'hémiplégie cérébrale infan-,

tile suivie d'autopsie, les lésions rencontrées, même les porencéphalies,

acquises, démontraient que presque toujours ces lésions n'étaient pas sys-

tématisées à la substance grise, mais qu'elles intéressaient aussi plus ou

moins la substance blanche. Même, l'hémiplégie cérébrale infantile pouvait

être due à un foyer situé dans la substance blanche sous-corticale et même

plus bas, au niveau des ganglions centraux, voir même dans le pédoncule.

On objecta encore que la porencéphalie acquise, expression terminale et

caractéristique de la poliencéphalite, selon Strümpell, s'observait fréquem-

ment dans d'autres régions de la corticalité, en dehors de la zone motrice.

Si on ajoute qu'à ce moment, des observateurs démontraient que la

poliomyélite n'était pas une affection systématisée et localisée à la subs-

tance grise motrice, mais que les cornes postérieures, la colonne de Clarhe,

la substance grise autour du canal central, la substance blanche des cor-

dons antéro-latéraux pouvaient être aussi atteintes par le processus polio-

myélitique, on voit que la conception anatomique de Strümpell, concep-

tion tirée de l'analogie avec la poliomyélite, n'avait plus raison de subsister.

En effet,Strümpell (1), en 1891 dans un deuxième travail, rejette l'idée

d'une atteinte exclusive de la substance grise de la corticalité motrice et

admet que le foyer inflammatoire peut aussi se localiser dans la substance

blanche et dans d'autres régions du cerveau. Il maintient cependant l'en-

céphalite comme lésion initiale possible de l'hémiplégie cérébrale infantile

et précisément de la forme ayant les particularités cliniques déjà men-

tionnées, et il propose le nom d'encéphalite aiguë des enfants au lieu de

celui de poliencéphalite.

Il ne donne cependant pas la démonstration anatomique de cette

encéphalite des enfants susceptibles d'engendrer l'hémiplégie cérébrale

infantile; mais il en admet la possibilité en se basant sur deux observa-

tions personnelles d'encéphalite de l'adulte, qu'il considéra comme anato-

miquement identique à la poliencéphalite hémorragique supérieure de

Wernicke, etqu'il appela encéphalite aiguë primitive hémorragique. Dans

cette encéphalite il s'agit d'un vrai processus inflammatoire aigu, dont le

point de départ doit être recherché dans les vaisseaux.

(1) S'ff1U111'ELL, Deutsches Archiv fiir klin. bled., 1891, Bd. XLVII, p. 52.

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 135

En rejetant ainsi le caractère primitivement parenchymateux et systé-

matisé de l'encéphalite par lui supposée en 1884, Strümpéll rendait

encore soutenable, même sur le terrain anatomique, l'analogie entre la

paralysie spinale infantile et. une certaine variété au moins de l'hémiplégie

cérébrale infantile.

En effet, les travaux anatomiques parus depuis lors sur la poliomyélite

aiguë de l'enfance s'accordent à démontrer la fausseté de l'hypothèse,

admise par Charcot, d'une atrophie cellulaire primitive. Auparavant déjà,

Roger et Damaschino (1), Roth (2), Eisenlohr (3) avaient émis l'opinion

qu'il s'agissait d'un processus de nature franchement inflammatoire, d'une

vraie myélite intéressant à la fois les cellules nerveuses, les tubes nerveux

et les vaisseaux. Mais c'est l'étude de cas de paralysie spinale infantile

suivis d'autopsie peu de jours après le début de l'affection qui devaient

nous éclairer sur la pathogénie de ses lésions anatomiques. Les travaux

d'Archambault-Damaschino (4), Drummond (5), Pierre Marie (6), Golds-

cheider (7), Dauber (8), Redlich (9),Siemerling (10), Schultze (11), Tre-

velyan (12), Matthes (13), Bülov-1-laiisen-Harbitz (14), Ilagenbach-Bur-

kardL(l5),PlaCzek(l6),Zappert(l7),Taylor(18),Praetorius(l9),Ballen(20)

concordent pour démontrer que la paralysie spinale infantile est due à un

processus d'inflammation franche d'origine vasculaire, à une véritable myé-

lite aiguë, interstitielle, survenant par foyers. Si cette myélite atteint

de préférence la substance grise des cornes antérieures, elle peut aussi

porter sur les cornes postérieures, sur la substance blanche de la moelle.

(1) RoGER et Damaschino, Gaz. méd, de Paris, f87f, p. 457.

(2) ROTS, Wirchow's, Archiv, 1873, Bd. 58, p : 263.

(3) EISE : 'iLOHII, Deutsche Arch. f. klin. Med., 1880, Bd. 26, p. 557.

(4) AMHAMBAULT-DAHAScniso, Revue mens. des mal. de l'enfance, 1885.

(5) DRUMMOND, Brain, 1885, VIII, p. 14.

(6) Pierre Marie, Leçons sur les mal. de la moelle, Paris, 1892.

(7) GOLDSCHEIDER, Zeitschrift f. klin. Med., Bd. XXIII, 1893, p. 495.

(8) Dauber, Deutsche Zeits. f. Nervenheilk., 1893, Bd. 4, p. 200.

(9) Redlich, Wiener klin. Wochenschr., 19 avril 1894, n° 16.

(10) Siemerling, Archiv. f.Psych., Bd. XXVI, 1894, p. 267.

(11) SCIiULTZE, Neurolog. Centr., 1894, p. 503.

(12) TREVELYAN, Brain, Summer-Autumn, 1895.

(13) MATTHES, Deutsche Zeitschr. f. Nervenheilk., Bd. XIII, 1898, p. 331.

(14) BULOW 11,1\SnN-IIAItüIT2, Norsk. Mag. f. lâgewidenskaben, n° \1, 1898.

(15) IIAGEN13,CH-BURCICIIARDT, Jahr. f. Kinderh., Bd. 49.1899.

(16) PLACZEK, Berlin, klin. Woch., 1901, no 44, p. 1114.

(17) ZAPPERT, Jahrb. f. Kinderh., 1901, p. 125.

(18) T.IYLOIi, The journ. of Nerv.and ment. Dis. August., 1902.

(19) Paaerontos, Zur Path. Anat. de Poliom. Ant. Ac. Inaugural. Dissert. Munchen,

Juli, 1903.

(20) BATTEZ, Brain, 1904, p. 376.

136 1TAL0 ROSSl

Les lésions cellulaires ne sont pas primitives, mais secondaires aux alté-

rations vasculaires et interstitielles. On a aussi presque universellement

accepté l'hypothèse émise par Pierre Marie (1) en 1892 que le mode de

distribution des foyers inflammatoires est en rapport étroit avec celui

de distribution des artères centrales ou des artères radiculaires antérieures

à l'intérieur de la moelle.

Si nous demandons maintenant si les observations et les études ulté-

rieures sont venues confirmer l'identité soutenue par Vizioli, Pierre

Marie et Strümpell entre l'hémiplégie cérébrale infantile et la paralysie

spinale infantile, on peut répondre affirmativement. Ainsi que nous l'a-

vons dit plus haut, c'est surtout au point de vue étiologique que la doc-

trine de ces auteurs a reçu de solides confirmations. En effet, la nature

infectieuse de la paralysie spinale infantile, soutenue d'abord par Seelig-

müller (2), Strümpell (3) et Pierre Marie (loc. cit.), est aujourd'hui pres-

que universellement admise. Elle cadre d'ailleurs très bien avec la con-

ception pathogénique de la poliomyélite aiguë de l'enfance telle qu'on

l'admet actuellement. Bien qu'on n'ait pas encore donné la démonstration

évidente de cette nature infectieuse par la constatation des microbes dans

le tissu médullaire même, bien qu'on puisse discuter encore si il est per-

mis d'appliquer à la pathologie humaine les résultats des tentatives de

poliomyélite expérimentale, on ne peut pas nier la valeur des arguments

et des faits sur lesquels s'appuie la doctrine de la nature infectieuse de

l'affection en cause.

Assez souvent en effet la poliomyélite antérieure aiguë éclate au cours

ou à la suite d'une maladie générale infectieuse telles que la rougeole,

scarlatine, variole, oreillons, etc. Très souvent encore, lorsqu'elle paraît

être indépendante d'une maladie infectieuse quelconque déterminée, elle

débute d'une façon brusque, avec fièvre plus ou moins forte et des phéno-

mènes généraux analogues à ceux qu'on rencontre au début d'une maladie

infectieuse aiguë et qui semblent parler en faveur d'une infection par un

virus organisé (Strümpell).

Un argument plus probant encore réside dans l'allure épidémique

qu'elle revêt parfois. Les observations d'épidémie de poliomyélite, rela-

tivement rares à l'époque où fut émise cette doctrine, se sont depuis mul-

tipliées ; nos recherches bibliographiques nous permettent de citer les au-

teurs suivants :

(1) Pierre Marie, Leçons, 1892.

(2) SBELIGMULLER, Haudbuch der Kinderheilk., 1880, Bd. V.

(3) STRGMPELT" Deutsches Arch. f. klin. Med., 1884, Bd. XXXV, p. 1.

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 137

Colme'r (1), Ilammond (2), Bergehollz (3), Cordier (4), Medin (S),

Leegard (6), Machphail (7), Caverly (8), Pieraccini (9), Dana (10), Cer-

vesato (H), Buccelli (12), Taylor (13), Buzzard (14), Packard (15),

Auerbach (16), Simonini (17), Newmark (18), Zappert (19), André (20),

Mackensie (21), Painter (22), Wade (23), Roset (24), Peschik (25),

Nannestad (26).

En ce qui concerne la nature infectieuse de l'hémiplégie cérébrale infan-

tile, on peut aussi dire que presque tous les auteurs reconnaissent aujour-

d'hui les rapports étiologiques qui existent entre un bon nombre de cas

d'hémiplégie cérébrale infantile et les maladies infectieuses aiguës, rap-

ports sur lesquels Pierre Marie dès 1885 a insisté (27). En effet, comme le

faisait remarquer cet auteur, l'hémiplégie cérébrale infantile s'observe

assez souvent, dans le cours ou dans la convalescence de maladies infec-

tieuses aiguës (rougeole, scarlatine, coqueluche, typhoïde, angine, diph-

térie, etc.) ; il est probable que souvent aussi les imposants symptômes

cérébraux masquent les autres signes d'une maladie infectieuse.

Donc l'infection en général, sans qu'on puisse parler d'agent spécifique,

(1) COLLER, Americ. Journ. of Med. Scien., 1843.

(2) HAMMOND, Dis. of the Neur. Syst., 1876, p. 451.

(3) Bergeholtz, cité par Medin.

(4) Cordier, Lyon médical, janvier 1888.

(5) MEDIN, Hygiea, septembre 1890, XLII, p. 657 (Anal. Centralbl. f. Nervenh.,

1891, p. 114).

(6) LEEGAIW, Norsk. Mag. for haegevidenskahen, 1890 (Anal. Neur. Centralblatt,

1890, p. 760).

(7) Machphail, Brit. Med. Journ., 1894, 1" décembre.

(8) CAVERLY, New York. Med. Record, 1894, p. 672 ; Journ. of the Amer. med.

Assoc., 1896, XXVI, n° 1.

(9) Pieraccini, Lo sperimentale, n° 27, 1895.

(10) DANA, Médical Record, 1895.

(11) CBRVESnTO, Sopra una épidemia di paralisi spinale infantile, Padova, 1896.

(12) BUCCELLI, Il Policlinico, 1S97, n° 12.

(13) TAYLOR, Phyladelphia Med. Journ., 1898, p. 208.

(14) Buzzard, The Lancet, 26/3, 1898, p. 847.

(15) Packard, Journ. of nerv. and ment. dis., 1899, n° 4, p. 210.

(16) AuERBACH, Jahrb. f. Kinderh., 1899, Bd. 50, p. 41.

(17) Simonini, Gazz, degli Osped. e clin., 1899, n° 43. ,

(18) Newmark, The medic. News., 28/1, 1S99.

(19) ZAPPERT, Jahrb. f. Kinderh., 1901, Il. 3.

(20) ANDRÉ, Semaine médic., 1902, n° 40.

(21) MACBENSIS, Med. Record, 4 octobre 1902.

(22) Painter, Bost. Med. Journ., décembre 1903.

(23) WADE, Australian med. Gazette, Juli, 1904.

(24) ROSET, La medic. de los ninos, 1905 (Rev. Neur., 1906).

(25 Peschik, Zur Hetiol. der Pol. inf. Inaug. Dissert., Berlin, 1905.

(26) NANNESTAD, Norsk. Mag. for hocgevidensk., avril 1906.

(27) Pierre Marie, hémiplégie cérébrale infantile et maladies infectieuses. Le Progrès

médical, n° 36, 1885. E. Jendrassik et P. Marie, Archiv. de Physiol., janvier 1885.

138 ITALO ROSSI

ni dans la paralysie infantile, ni dans l'hémiplégie cérébrale infantile,

constitue un caractère commun à ces deux affections. Elle établit ainsi

entre elles une analogie étiologique qui, avec les ressemblances cliniques

de début et d'évolution relevées par Vizioli, Strümpell, Marie, plaide

fortement en faveur de la doctrine de ces auteurs.

Les liens étiologiques et cliniques de ces deux affections trouvent leur

meilleure confirmation et dans les observations qui prouvent que ces deux

types cliniques peuvent se retrouver chez diverses personnes de la même

famille, ou du même lieu, lorsque la poliomyélite prend un caractère épidé-

mique, et plus encore, dans les cas qui, comme le nôtre, présentent la

coïncidence des deux affections chez le même individu.

A la première catégorie de faits appartiennent les observations de Mô-

bius,Medin, Pasteur, Buccelli, Hoffmann. A la deuxième, les cas de Beyer,

Parkes Weber, Williams, Neurath, Calabrese, Negro.

L'observation de Môbitis (1) (1884) a été déjà signalée en 1885 par

Pierre Marie dans son mémoire. Il s'agit d'un frère et d'une soeur, âgés

respectivement de 3 ans et de 1 ans 1/2, qui après avoir présenté tous

deux des symptômes généraux (fièvre, agitation, convulsions, somnolence,

état gastrique, etc.) pendant quelques jours, furent presque simultané-

ment atteints, la soeur de paralysie atrophique spinale, le frère d'hémiplé-

gie spasmodique infantile droite.

Medin (2) dans les deux épidémies observées par lui à Stockholm en 1888

et 1895 a rencontré en même temps des cas de poliomyélite et des cas

d'encéphalite laissant pour reliquat de l'hémiplégie spastique.

Pasteur (3) observa sept enfants d'une même famille tombés malades

brusquement dans l'intervalle de 10 jours. Les deux premiers enfants pré-

sentèrent des phénomènes généraux avec fièvre, sans symptômes d'une ma-

ladie infectieuse définie ; deux autres présentèrent des phénomènes

méningés, les trois autres des symptômes paralytiques qui chez deux d'en-

tre eux affectèrent le tableau clinique de la paralysie spinale infantile,

chez le troisième celui de l'hémiplégie cérébrale infantile.

Buccelli (4) (1897) rapporte une épidémie de 18 cas de paralysie infan-

tile, à forme tantôt spinale, tantôt cérébrale, survenue dans un quar-

tier de Gènes, dans une courte période de temps. Dans quelques fa-

milles où plusieurs membres furent frappés, les uns étaient atteints de

paralysie spinale infantile, d'autres de paralysie cérébrale infantile (hé-

miplégie ou diplégie spastique).Pour affirmer davantage les liens étiologi-

(1) P. J. Mobius, Schmidt's Jahrb., 1884, CC. IV, 135.

(2) MEDIN, loc. cil.

(3) Pasteur, Clinical transactions, vol. 13.

(4) BUCCELL, Il Policlinico, 1897, n- 12.

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 139

ques existant entre ces deux affections, Buccelli publie une intéressante

statistique basée sur une grande quantité d'observations, établissant la fré-

quence relative de ces affections durant les divers mois de l'année. Il

résulterait de ces statistiques que la courbe de fréquence de la paralysie

spinale infantile et de la paralysie cérébrale infantile est parallèle et qu'elle

atteint son maximum en été et précisément au mois d'août.

Dans l'observation de Hoffmann (1) (1898) il s'agit de deux frères qui

tombèrent malades le même jour avec de graves phénomènes fébriles et de

la somnolence alternant avec des convulsions. Peu de jours après cet état,

se développa chez l'un une paralysie spinale, chez l'autre une hémiplégie

cérébrale typique, avec athétose, clonus du pied et phénomène de Ba-

binski.

Les cas de la deuxième catégorie sont aussi démonstratifs. Quelques-

uns pourtant ne présentent pas d'une manière aussi frappante la juxta-

position des tableaux cliniques, avec leurs caractères distinctifs si tran-

chés comme dans notre observations.

Le cas de Beyer (2) est le seul de cette catégorie suivi d'autopsie.

Il s'agit d'une jeune fille de 22 ans atteinte d'hémiplégie spastique gau-

che datant de l'âge de 5 ans. Depuis lors, diminution de l'intelligence

et depuis l'âge de 12 ans, attaques d'épilepsie. Réflexe du triceps gauche

exagéré, réflexe rotulien du même côté, très faible.

A l'autopsie, porencéphalie (acquise) dans l'hémisphère cérébral droit,

intéressant la première circonvolution temporale, le gyrus marginalis, le

tiers inférieur des circonvolutions rolandiques, une partie des 2e et 3e

circonvolutions frontales et l'insula. Foyer ancien de poliomyélite dans

la corne antérieure gauche du 3e segment lombaire.

On voit que dans ce cas l'extrême faiblesse du réflexe rotulien gauche

était la seule manifestation clinique de la poliomyélite. '

Dans le cas de Williams (3) (1899), il s'agit ? d'une fillette de 11 ans

qui à l'âge de 6 ans fut atteinte soudainement de céphalée, convulsions,

suivies d'une hémiplégie droite avec aphasie. Il exisleactuellement (1899)

dans le membre supérieur droit de la parésie spasmodique avec mouve-

ments choréiformes et réactions électriques normales. Le membre infé-

rieur du même côté est plus court que le gauche et présente la réaction

de dégénérescence dans les muscles péroniers.

Parkes Weber (4) (1899) observe la coexistence d'une monoplégie facio-

(1) HOFFMANN, Munch. medic. Wochenschr., 1898.

(2) BZYER, Neurol. Centralbl., 1895, p. 620.

(3) Williams, The Lancet, Juli 1, p. 23, 1899.

(4) PARKES WEBEN, The Lancet, 1899. March. 4, p. 591.

140 : *ITALO ROSSI

brachiale droite, caractère cérébral, et d'une paralysie spinale infantile du

membre inférieur droit, survenues à l'âge de 2 ans.

Le cas.de Neurath (1) (1900) concerne une fillette , de 5 ans qui au

cours d'une maladie fébrile aiguë, diagnostiquée méningite et ayant duré

2 semaines, fut atteinte d'hémiparésie droite (avec légère rigidité muscu-

laire, exagération des réflexes tendineux), el d'une paralysie flasque loca-

lisée aux muscles de la jambe gauche, Ceux-ci sont atrophiés, le pied gau-

che est équin, mais sans limitation de sa motilité passive, tandis que le

pied droit est fixé en talus valgûs. La peau du membre inférieur gauche

est cyanotiqueet froide. Le réflexe achilléen fort à droite, est aboli à gau-

che.

Calabrese (2) rapporte un cas nettement démonstratif. Un enfant de

6 mois, S ou 6 jours après le début de troubles gastro-intestinaux graves,

avec fièvre élevée, présente des convulsions à type jaksonicn dans le côté

gauche et, tout de suite après une hémiplégie gauche. Au bout de quel-

ques jours survient une ophtalmoplégie droite et une paralysie du mem-

bre inférieur, droit qui très rapidement s'accompagne d'atrophie. Un exa-

men fait plus tard montra en plus de l'ophtalmoplégie : à gauche une

hémiplégie spastique frappant surtout le membre supérieur (avec des

mouvements choréo-athétosiques, exagération des réflexes tendineux, peu

ou pas d'atrophie musculaire),; à droite, une paralysie flaccide du membre

inférieur (avec atrophie musculaire, abolition des réflexes tendineux et

de la R. D. dans les muscles de la jambe).

Une observation particulièrement intéressante est celle publiée en 1905

par Negro (3). Il s'agit d'un enfant qui fut atteint à l'âge de 13 mois de

de fièvre intense, pendant 2 jours, avec des convulsions généralisées

suivies pendant quelques heures de coma. Au réveil du malade la mère

constata l'existence d'une paraplégie motricepresque complète dans les deux

extrémités- inférieures. Dans les deux semaines suivantes, atténuation

de la paralysie qui se limita à certains groupes musculaires. L'examen

fait par Negro 5 mois plus tard révèle dans le membre inférieur droit les

signes résiduels d'une poliomyélite antérieure aiguë (atrophie muscu-

laire, paralysie flaccide, abolition des réflexes rotulien, achilléen et

cutané plantaire, abolition de l'excitabilité galvanique et faradique. des

nerfs sciatique, poplité externe et interne et des muscles tenseur du

fascia lita et jumeaux, réaction de dégénérescence dans le muscle jambier

antérieur, sensibilité intacte). Au membre inférieur gauche l'aspect est

(1) NEUDATH, Wiener med. Presse, 1900, n° 46, p. 2116.

(2) CALA131tr.SE, Riforma medica, anno XIX, nos 2, 3, 4. z

(3) Nuc;tio, Archivio di Psichiatria, neuropatologia, etc. 1905, vol. XXVI, fac, 1,'2,

p. 128.

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 141

différent, et parle en faveur d'une lésion du neurone moteur central. Lés

troubles de la motilité se limitent ici aux muscles péroniers et l'exten-

seur propre du gros orteil, ces muscles sont dans un état de contracture

légère et entraînent la position du pied en valgus avec flexion dorsale du

gros orteil ; exagération légère du réflexe rotulien et de l'achilléen, dimi-

nution légère du réflexe cutané plantaire ; pas d'atrophie musculaire, exci-

tabilité électrique partout intacte. .

Toutes ces observations laissent présumer que l'analogie de la paralysie

infantile et d'une certaine variété au moins de paralysie cérébrale infantile,

n'est pas seulement étiologique et clinique, mais aussi anatomique; la

lésion primitive étant la même pour toutes les deux.

La démonstration directe de cette analogie anatomique serait donnée

par l'autopsie d'un cas d'hémiplégie cérébrale infantile où on constaterait

comme processus initial, l'encéphalite primaire aiguë hémorragique qui,

pour Strümpell et d'autres auteurs, serait l'équivalent cérébral du proces-

sus anatomique de la paralysie spinale infantile. Or cette démonstration

n'a pas encore été fournie. Cela tient peut-être, comme nous l'avons déjà

dit, au fait que, dans la plus grande partie des cas d'hémiplégie cérébrale

infantile, la mort ne survient que longtemps après le début de l'affection,

et que dans ces conditions il est très difficile dans les lésions terminales

anciennes, de découvrir avec certitude les traces du processus initial..

Cependant si cette démonstration directe fait défaut on ne manque pas

d'arguments et de faits tendant à faire admettre que dans un certain

nombre de cas l'hémiplégie cérébrale infantile puisse être due à une en-

céphalite aiguë hémorragique, analogue à celle de l'adulte, dont l'étiolo-

gie, la clinique et l'anatomie pathologique nous est aujourd'hui connue

par les travaux de Strümpell, Leichtenstern, Oppenheim, Friedmann, etc.

Il existe avant tout des observations anatomo-cliniques prouvant la posai-

bilité d'une encéphalite aiguë hémorragique des enfants [Ganghofer,

Sachs, Fischl, Raymond (1), Batten (2)], (3).

En présence de ces faits il paraît d'autant plus logique de penser,

comme Oppenheim (4) l'écrivait dès 1897, « qu'il n'y a rien d'arbitraire à

admettre qu'il existe dans l'enfance une forme d'encéphalite avec locali-

sation prépondérante dans la région motrice du cerveau, qui ordinaire-

ment ne menace pas la vie, mais aussi ne guérit pas complètement et qui

laisse comme résidus une cicatrice ou une sclérose, et, comme symptômes

de cette affection en foyer, une hémiplégie. »

En faveur, de cette hypothèse parlent aussi les relations existant entre

(1) Cités par Oppenheim (IOC. cit.). '

(2) BATTEN, The Lancet, 1902, Déc. 20, p. 16-il.

(3) BATTEN, Review of Neurology and Psychiatry, February, 1906, p. 140.

(4) Oppenheim, Die Encephalitis, 1897, p. 61.

142 1TAL0 ItOSSI 1

l'encéphalite de Strümpell-Reichtestern, la poliencéphalite de Wernicke

et la poliomyélite. Ces relations ont été démontrées clinicluement et anato-

miquement. Nous les résumerons brièvement.

On sait que dans quelques cas de paralysie spinale infantile, la paralysie

des différents nerfs crâniens a pu être observée. Ce sont des cas, àvrai dire,

assez rares, mais démontrant quand même la possibilité de l'extension du

processus anatomique de la paralysie spinale infantile vers le bulbe, la

protubérance, et même vers le.pédoncule. Leur rareté pourrait bien s'ex-

pliqùer d'ailleurs, ainsi que Pierre Marie le fait observer, par ce fait

« qu'en général lorsque les foyers siègent dans le domaine des noyaux

du bulbe, les troubles de la circulation et de la respiration sont tellement

graves que la malade meurt dans la période aiguë et que l'on ne peut,par

conséquent observer l'évolution ultérieure des paralysies de ce genre ! »

Les nerfs le plus fréquemment pris sont la VII°, la XIIe et la VIe paires,

mais parfois on a aussi observé la paralysie de la XIe paire (Medin), de la

X" [Medin, Huet (1)], de la Ille paire [Medin, Calabrese (2)].

Parfois les conséquences de l'atteinte de la moelle disparaissent presque

complètement et il ne reste que la paralysie d'un ou de plusieurs nerfs

crâniens [Auerbach (3), Medin]. D'autre fois encore on observe une locali-

sation exclusivement bulbaire de la pol iomyéli le,Hoppe-Seyler( 4) considère

au moins comme tel son cas d'affection bulbaire intéressant les VU", XII8 et

XI" paires,qui ne s'est d'ailleurs pas terminé par la mort. Medin dans les

deux épidémies observées par lui de poliomyélite constata de nombreux

exemples de paralysies des nerfs crâniens. Elles s'associaient parfois à des

phénomènes polynévritiques dans les membres inférieurs, parfois à de la

paralysie spinale infantile. D'autres fois encore elles restaient isolées, ex-

pression de la seule atteinte du bulbe ou de la protubérance.

Quelques auteurs ont aussi porté la preuve anatomique de cette diffu-

sion vers le haut du processus poliomyélitique. Rissler (5) en effet, dans

deux cas appartenant à l'épidémie de Medin et morts à la période aiguë,

observe des lésions inflammatoires et dégénératives des noyaux des VII",

,VI",XlIe paires dans un cas, de la Xe paire dans l'autre. Dauber (Ibe. cit.)

observa dans le cas qui lui servit pour appuyer l'origine inflammatoire

vasculaire de la poliomyélite, de l'hyperémie dans la moelle allongée, de

l'infiltration péri-vasculaire avec atrophie des noyaux des Ve, Xe, XIe

(1) Huent, Revue neurologique, 1900, p. 389.

(2) Calabrese, loc. cit. '

(3) AUERBACII, Jahrb. f. Kinderh., 1899, Bd. 50, p. 41.

(4) HOPPE-SEYLEII. Deutsche Zeits. f. Nervenh., 1892, p. 188.

(5) RISSLEII, Nord. med, Ark. Bd. XX (rapporté par Auerbach, loc. cit.)..

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 143

paires. Bûlowllansen-Harbitz constatent aussi l'extension du processus po-

liomyélitique dans le bulbe.

On a démontré aussi anatomiquement la participation du cerveau à ce

processus. Ce cas très intéressant pour notre thèse a été publié en 1894

par Redlich (1). Il s'agissait d'un enfant de 5 mois, atteint brusquement

de fièvre et d'agitation, chez lequel au 4.e jour de la maladie survint une

paralysie des extrémités inférieures, flaccide, avec perte des réflexes ro-

tuliens. La voix était éteinte, la respiration difficile, il existait aussi de

la dysphagie. L'autopsie montra, outre les lésions de la paralysie spinale

infantile dans la moelle, des petits foyers inflammatoires dans le bulbe au-

tour des vaisseaux, un gros foyer de ramollissement inflammatoire dans le

pédoncule, des petits foyers dans les ganglions centraux, dans la capsule

interne et dans le centre ovale.

C'est ici qu'il convient de citer le cas de Lamy (2) publié en 1894. Un

homme de 43 ans, minus habens, présente une paralysie spinale infantile

de la jambe droite, avec raccourcissement, forte atrophie musculaire,

abolition des réflexes tendineux, pied équin ; cette paralysie date de Cage

de 5 ans, époque à laquelle le malade a souffert de convulsions répétées,

qui ne se reproduisirent pas plus tard. A l'autopsie, on trouve des plaques

de méningo-encéphalite au niveau du lobe pariétal supérieur et du lobe

frontal de l'hémisphère gauche, et un foyer de paralysie infantile dans

la moelle lombaire, à droite, avec atrophie des racines antérieures.

Lamy émet justement l'hypothèse que les foyers de méningo-encépha-

lite, localisés dans la zone motrice, auraient pu donner lieu au tableau

clinique de la paralysie cérébrale infantile.

Il est inutile, croyons-nous, d'insister sur l'importance de ces deux

cas qui nous donnent la démonstration anatomique de l'association de

foyers d'encéphalite avec des foyers poliomyélitiques.

On a démontré aussi que la poliencéphalite supérieure de Wernicke

n'est pas une affection exclusivement limitée à la substance grise, que bien

souvent la substance blanche participe au processus, parfois même d'une

façon considérable ; que cette poliencéphalite peut avoir la même étiologie

(l'infection) que l'encéphalite de Strümpell-Leichlenstern, et qu'enfin il

n'y a pas entre ces deux formes de l'encéphalite aiguë hémorragique des-

limites nettes, mais qu'il s'agit seulement de localisations différentes du

même processus. On a observé en effet des cas où les symptômes des deux

formes et leurs localisations se combinaient et des cas intermédiaires

(Eisenlhor, Goldscheider, Freyan) (3).

(1) Redlich, Wiener klin. Loch.,1894, n° 16.

(2) LAMY, Revue Neurologique, 1884, n" 11.

(3) Voir Oppenheim, Die Encephalitis, Wien, 1891 ; Lehrbuch der Nervenkrankheit;,

Bd. Il, 1905.

144 ITALO ROSSI

On a montré encore que la poliencéphalite supérieure de Wernicke

peut s'étendre vers le bulbe et la moelle, s'accompagner des symptômes

de la paralysie bulbaire aiguë et de la paralysie spinale (Kaiser) (1),

de façon à donner la poliencéphalomyélite.

On a prouvé enfin que le processus aigu inflammatoire peut s'étendre

tout le long de l'axe cérébro-spinal, d'où l'encéphalomyélite.

- Tout ces faits prouvent que si l'encéphalite, la poliencéphalite (supé-

rieure et inférieure) et la poliomyélite constituent des affections bien

caractérisées, à symptomatologie bien définie, en rapport avec le siège de

la lésion, elles ne sont pas strictement indépendantes l'une de l'autre; on

rencontre en effet des cas où les symptômes de toutes ces formes sont

réunies sur le même individu ; et des cas d'épidémie, comme celle décrite

par Medin, où elles se retrouvent à côté l'une de l'antre. -

Il n'est donc pas surprenant de voir des auteurs comme Medin, Schult-

ze (2), Auerbach (loc. cit.), Concetti (3), Taylor (4), Batten (loc. cit.),

considérer ces affections comme identiques,ayant la même origine toxi-in-

fectieuse, dues au même processus inflammatoire aigu, d'origine vascu-

)aire ; la seule différence résiderait dans la diverse localisation de ce pro-

cessus.

Les conclusions qu'on peut tirer des considérations et des faits jusqu'ici

rapportés sont les suivantes :

Il existe une encéphalite aiguë hémorragique, non suppurée, de l'en-

fance, analogue à celle de l'adulte.

Il existe des rapports étiologiques, cliniques et anatomiques entre les

diverses formes d'encéphalite aiguë hémorragique et la poliomyélite

aiguë.

Il existe d'autre part, entre la paralysie spinale infantile et une cer-

taine variété de la paralysie cérébrale infantile, des analogies étiologiques

(infection) et cliniques (pour le début et révolution), qui trouvent leur

meilleure confirmation dans les cas' cités de coïncidence des deux affections

sur le même individu, dont le nôtre est un exemple très démonstratif.

Si nous rapprochons maintenant entre eux tous ces faits, l'hypothèse

que l'encéphalite aiguë envisagée comme processus analogue à celui de

la poliomyélite puisse être une des causes de la paralysie cérébrale infan-

tile est rendue très vraisemblable.

- Peut-être est-il possible aussi que l'agent toxi-infectieux commun agisse

dans la pathogénie de la paralysie cérébrale inlantile non pas toujours

(1) Kaiser, Deutsche Zeits. f. Nervenh., Bd. VU, 1895, p. 359.

(2) Schultze, Munchn. med. Woch., 1898, p. 9197.

(3) Conceth, Wien. Med. Zeitung., 1900, n" 25, 26, 21. ,

(4) TAYLOR, Bost.'med. a. surg. Journ., 1903, p. 634, .

PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE US

ou exclusivement en localisant ses effets sur les capillaire du parenchyme

cérébral (encéphalite aiguë hémorragique), mais aussi en se localisant

exclusivement ou simultanément sur les vaisseaux de plus gros calibre (1).

Ce serait alors à des artérites ou à des phlébites infectieuses, analogues à

celles qu'on observe au niveau de la moelle dans la poliomyélite aiguë et

déterminant dans le cerveau des foyers ischémiques ou hémorragiques, que

pourrait être due dans certains cas la paralysie cérébrale infantile. Même

dans ces cas l'analogie anatomique entre la paralysie spinale infantile et

la variété de paralysie cérébrale infantile d'origine infectieuse ne serait

pas ébranlée.

Les pièces anatomiques que nous venons d'étudier ont été mises libéra-

lement à notre disposition par notre maître Pierre Marie. Nous sommes

heureux de lui témoigner ici notre vive gratitude pour l'extrême bien-

veillance dont il n'a cessé de faire preuve à notre égard et pour les pré-

cieux conseils qu'il nous a toujours prodigués.

(1) Il va sans dire que les cas de paralysie cérébrale infantile observée au cours de

maladies infectieuses, à la suite d'embolies d'origine cardiaque, ne doivent pas être

pris ici en considération.

FACULTE DE MÉDECINE DE NANCY

DES TROPHOEDEMES CHRONIQUES

D'ORIGINE TRAUMATIQUE

(PATIIOGÉNIE DES OEDÈMES TRAUMATIQUES D'ORIGINE NERVEUSE)

G. ETIENNE

Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Nancy,

chargé de la Clinique des maladies des vieillards.

OBSERVATION 1 (1) (PI. XXIX).

M. J. C... est un vieillard de 70 ans,admirablement conservé, d'aspecl très

robuste, au teint coloré, aux yeux vifs, paraissant dans un état de santé géné-

rale parfait. Il ne signale dans ses antécédents pathologiques que la variole à l'âge

de 20 ans ; et à partir de 40 ans un « gonflement de foie » passager, ayant ré-

cidivé trois années consécutives. Il aurait présenté à plusieurs reprises des

douleurs rhumatismales dans les jambes. Ni trace ni souvenir d'accidents spé-

cifiques.

Son père, rhumatisant et goutteux, a succombé à 64 ans à une maladie ai-

guë de l'appareil respiratoire, une « congestion pulmonaire » ; sa mère serait

morte aussi d'une affection aiguë. En tout cas, il n'a jamais entendu dire

qu'aucun membre de la famille ait été atteint d'un gonflement quelconque des

membres. '

Ce vieillard vient nous consulter au sujet de la difformité de son membre su-

périeur gauche, et nous raconte, ainsi avec une grande précision les circons-

tances qui l'out amené à l'état actuel. Un jour de 1902 (qu'il nous a fixé), il

passa toute la matinée à couper le sommet et les noeuds de plusieures perches

à l'aide d'une mauvaise serpette, tranchant fort mal ; il déterminait à chaque

coup de serpe violemment donné avec la main droite, un fort contre-coup au

niveau de la paume de la main gauche qui maintenait solidement la perche;

l'un de ces contre-chocs fut notamment très violent et douloureux. Après plu-

sieurs heures de ce travail, il éprouva dans la région palmaire de la main gauche

une douleur vive qui ne le quitta plus, malgré tous les traitements qu'il tenta.

A partir de ce moment,cette douleur persista, permanente, avec crises d'exa-

cerbation, tantôt lancinante, tantôt grnvati\'e.Puis environ un an après le trau-

matisme initial, un léger gonflement apparut sans aucune nouvelle cause appa-

(1) Je remercie M. le Dr Hausmann, de Couzances-aux-Forges, des renseignements

complémentaires qu'il a bien voulu me communiquer sur son très intéressant malade,

et des clichés qu'il m'a remis.

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. XX. P1. XXIX

TROPHOEDÈME CHRONIQUE D ORIGINE TRAUMATIQUE.

(G. Etienne).

Masson & Cie, Éd;teurs

ÉTIENNE. - DES TROPHOEDÈMES CHRONIQUES D'ORIGINE TRAUMATIQUE 147

rente, occupant la main, les doigts, s'accentuant très lentement, envahissant

progressivement,en deux ans,de proche en proche, le poignet,la partie inférieure

de l'avant-bras, la région du coude, partie inférieure du bras, puis se perdant

progressivement vers le milieu du bras. Le gonflement est resté stationnaire

depuis la fin de 1905.

Actuellement l'aspect du membre supérieur gauche est monstrueux, d'aspect

éléphantiasique, dans toutes ses parties, sauf la région supérieure du bras. La

couleur est blanchâtre, sauf sur la région dorsale de l'avant-bras qui est rou-'

geâtre, recouverte d'une forte desquamation de lamelles épidermiques dessé-

chées,due à l'application récente d'une série de treize vésicatoires. En plus, des

placards hyperchromiques ou achromiques de vitiligo congénital, qui affectent

d'ailleurs tout le corps, contribuent encore à lui donner un aspect plus extra-

ordinaire.A la vue,l'impression produite est celle d'un énorme boursouflement

par empâtement effaçant tous les reliefs du membre ; à la région dorsale de la

main, l'oedème donne l'aspect à pleine peau, mais sans le luisant de la main

succulente syringomyélique par exemple (PI. XXIX). '

Au palper, l'oedème est dur, se laissant très difficilement déprimer par le

doigt,sauf à une pression franchement énergique,ne laissant pas de godet per-

sistant. '

Voici les circonférences comparées des deux membres supérieurs soigneuse

ment repérées :

148 ' fi;fimrrc '

,,Il n'existe aucune cause locale pouvant, déterminer une gêne circulatoire

au niveau de membre supérieur gauche Le coeur est en état très suffisant,'

paraissant à peine touché par la cardio-sclérose ; la pointe est à sa place nor-

male ; le pouls est régulier, égal, légèrement dur.

Fonction rénale satisfaisante ; nucléo-albumine dans les urines,en petitequan-

tité ; trace à peine appréciable d'albumine.

L'examen minutieux des autres organes n'a permis de révéler aucun trouble

fonctionnel.

.- Le diagnostic de trophoedème est seul admissible, comme il va être dé-

montré, bien que ce cas se distingue par un certain nombre de points de

ceux qui ont été publiés jusqu'à présent.

Le trophoedème tel qu'il fut décrit par Henry Meige se caractérise par

un « oedème chronique, blanc, dur, indolore», occupant un ou plusieurs

segments de l'un ou des deux membres inférieurs et persistant la vie en-

tière sans préjudice notable pour la santé ; souvent héréditaire et familial,

peut-être parfois congénital.

Dans notre cas, le gonflement est bien d'une façon générale, un oedème

blanc ; mais à condition de ne pas se laisser impressionner par la teinte

rouge de la partie inférieure de la face postérieure de l'avant-bras,existant

au moment de notre examen, et vraisemblablement due à l'irritation lo-

cale causée par toute la série de vésicatoires que l'on venait de poser,et qui

avait laissé comme autre trace une abondante desquamation. A noter

encore quelques taches hyperchromiques et achromiques (le malade est at-

teint de vitiligo) qui ne contribuent pas peu à donner à son membre son

aspect extraordinaire. -

L'oedème est bien indolore, malgré les douleurs très pénibles dont se

plaint le malade ; si on analyse soigneusement cette douleur, on se rend

compte en effet qu'elle est peut-être plus profonde que le tissu oedématié,

et qu'en tout cas elle n'est pas exacerbée par la pression : l'oedème est in-

dolore au contact et à la pression ; c'est ainsi par exemple, que devant

nous, la malade frictionne énergiquement son. avant- bras pour le décaper

de la desquamation qui le recouvre. ,

Le trophoedème occupe, dans notre observation, tout le membre supé-

rieur gauche, atteint d'une façon nettement segmentaire. Cette localisa-

tion est très exceptionnelle, puisque tous les cas antérieurement publiés

concernent des membres inférieurs, sauf les deux cas de Rapin don t

l'un impose une réserve, le cas de Testi, et l'observation IV de Vallobra

concernant une jeune femme non hystérique chez qui un trophoedème

chronique, persistant, de la main droite succéda à des poussées répétées

d'oedème aigu de Quincke, consécutifs à une intoxication intestinale. Mal-

gré la rareté de cette localisation, rien ne s'oppose théoriquement à ce

que les membres supérieurs puissent, eux aussi, être lésés.

bES TROPHOEDÈMES CHRONIQUES D'ORIGINE TRAUMATIQUE 149

Dans la plupart des observations connues, le trophoedème se montre

Vers l'âge de la puberté; il apparaît, d'après M. Meige, comme une

maladie du développement. Ce semble exact dans beaucoup d'observations,

dans les cas héréditaires et familiaux notamment. Et l'apparition excep-

tionnelle à 66 ans chez notre vieillard peut être attribuée au caractère

acquis de sa maladie.

Le trophoedème constitue-t-il une entité bien distincte ? la réponse

positive ne nous paraît pas douteuse, et cette affirmation est basée sur

l'impression clinique que nous ont laissée toute une série de faits voisins

personnellement observés. D'abord, on en a rapproché l'éphanliasis

nostras. Dans deux cas que nous avons eu l'occasion de suivre, l'as-

pect clinique ressemblait vraiment beaucoup aux cas de trophoedème

des membres inférieurs iconographiquement publiés; mais ils recon-

naissaient une cause étiologique toute différente : le premier (1) concer-

nait une jeune fille atteinte d'une fracture compliquée et infectée du tiers

inférieur de la jambe gauche, ayant longtemps suppuré,et devenue le point

de départ de poussées de lymphite et de péri-lymphite qui se reprodui-

saient encore douze ans plus tard en s'accompagnant d'élévation de tempé-

rature, et dans lesquelles nous avons isolé le streptocoque en cultures

pures. Le second cas se rapportait à une jeune fille de 25 ans atteinte à

12 ans à la partie inférieure de la jambe gauche d'une piqûre de mouche

charbonneuse, point de départ incontestable des poussées de lymphite qui

aboutissent à l'éléphantiasis occupant toute la jambe gauche jusqu'au ni-

veau du genou, pour de là diminuer progressivement. Dans l'éléphantiasis

nostras, il existe donc une cause étiologique précise constituée par une

lésion traumatique ouverte et infectée.

Dans certains cas, dans la 4° observation de Valobra, par exemple, le

trophoedème chronique parait succéder à des poussées récidivantes d'oe-

dème aigu de Quincke. Mais cet oedème aigu,angio-neurotique, la maladie

de Quincke, se distingue absolument du trophoedèmes et par sa fuga-

cité et par son aspect clinique, au moins dans un cas très remarquable, à

localisations multiples, à fréquentes récidives et à énorme développement

que nous suivons actuellement ; dans ce cas localisé au prépuce antérieu-

rement étudié (2),et dans deux cas (3) observés à une main chez des jeunes

filles pendant la période mentruelle, l'un d'eux lui-même périodique.

(t) HAUSHALTEH, ETIENNE, L. SDLLMANN et Tmnx. Cliniques iconographiques, 1900,

obs. 124, PI. 31, fig. 1.

(2) G. Etienne, OEdèmes aigus essentiels localisés, sans phénomènes généraux. Ga-

zette hebdomadaire. 1894.

(3) G. RETIENNE, Deux cas d'mdèuaes fugaces de la main chez des jeunes filles mens-

lruées. Soc. neurol., 6 juin, 1901.

xx 10

150 ÉTIENNE " · ,

On a rapproché également le trophoedème des hémi-oedèmes post-hémi-

plégiques.Nous avons observé un cardiaque chez lequel l'oedème localisé au

côtéhémiplégiéétait un oedème mou, incontestablement d'origine cardiaque,

cliniquement distinct complètement du Irophoedème; il en est certainement

de même dans les trois cas de MM.Loeper et Crouzon (1), dans celui d'Rat

not, dans celui de Hare, dans celui d'Allen, dans celui de P. Marie, dans

ceux d'Oppenheim. Mais il s'agit bien d'hémi-oedèmes vaso-trophiques

purs,durs,sans godets, se rapprochant plus du trophoedème, chez les hé-

miplégiques de Gombaut, de Raymond et Courtellemont, de Gilbert et

Garnier.

Quant à l'oedème trophique de la syringomyélie, la main succulente, son

type « à pleine peau », luisant, ne rappelle pas l'aspect pâteux du tro-

phoedème.

De l'oedème hystérique il ne peut être question chez notre vieillard, pas

plus que chez la plupart des cas signalés, et si l'hystérie peut simuler

bien des aspects, au moins doit-elle être décelable.

Enfin nous avons étudié ailleurs la place occupée par ces trophoedèmes

acquis dans la classe très hétéroclite des oedèmes dits traumatiques.

Quelle est la nature du trophoedème ? ,

Dans un certain nombre de cas il s'agirait d'une véritable dystrophie

oedémateuse héréditaire ou familiale, dans ceux notamment de M. Meige

(8 cas en quatre générations dans une même famille), de Milroy (22 cas

sur 6 générations), Lannois (4 cas sur 3 générations), apparaissant vers;

l'âge de puberté, de même que d'autres dystrophies héréditaires en réa"

lité d'origine congénitale mais ne se développant qu'ultérieurement, les

exostoses ostéogéniques par exemple.Parfois,il existerait dès la naissance :

ce serait l'ancien éléphantiasis congénital (7 individus sur 3 généra-

tions dans la famille étudiée par Nonne; 4 sur 3 générations, Tobiesen).'

Mais chez d'autres malades, le trophoedème est resté isolé, bien qu'à

début juvénile. Dans d'autres cas enfin, il est incontestablement acquis :

dans celui de Sicard et Laignel-Lavastine (obs. III), où il se développe.

au membre inférieur à la suite d'une entorse tibio-tarsienne ; dans le nôtre,'

où il apparaît à la main d'abord puis à l'avant-bras et au bras, à la suite

incontestablement du traumatisme déterminé par les contrecoups reçus

dans la paume de la main gauche tenant à pleine main,pendant toute une.

matinée, une perche dont il coupait les noeuds avec une mauvaise serpette.

Si j'insiste sur cette cause traumatique,à première vue de médiocre intensi-

té,c'est que je la retrouve à très peu de chose près dans une autre obser-,

(1) LOEPBR et CRouzON, Contribution à l'étude des hémicedèmes chez les hémiplégie-

ques. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1904, p. 181. \

DES TROPIlOEDÈMES CHRONIQUES D'oHIGINE TIUUMATIQUE 151

vation, recueillie en 1891, alors que j'étais chargé de la consultation ex-

terne de la clinique du professeur Heydenreich. ,

Observation II

Elle concernait une jeune fille âgée de 24 ans environ, qui présentait un

oedème énorme, cylindrique, blanc, dur, totalement indolore, de toute la

jambe gauche, s'arrêtant net au-dessus du genou. Cette malade me raconta

que ce gonflement avait débuté quelques jours après un dimanche dont elle

avait passé toute la matinée à briser sur le genou des brandies sèches de bois,

travail qui lui avait laissé une vive douleur pendant les jours suivants. Ce cas

resta alors pour moi une énigme, d'autant plus qu'observant à ce moment l'élé-

phantiasis nostras signalé plus haut, je m'évertuai en vain chercher les

traces d'une plaie ayant pu être la porte d'entrée d'une lymphangite ; et en ayant

conservé encore actuellement l'aspect devant les yeux, je n'ai aucune hésitation

à l'attribuer un trophoedème type.

Dans ces deux cas, aussitôt après le traumatisme prolongé, apparut une

douleur très nette, débutant au niveau traumatisé, s'étendant vers la ra-

cine du membre, augmentant d'intensité, et très persistante. Et au bout

de quelque temps l'oedème apparaissait, débutant, comme la douleur, dans

la zone primitivement lésée et devenant plus ou moins rapidement enva-

hissante. i .

Ces faits me paraissent permettre la compréhension du mécanisme éta-

blissement du trophoedème chronique acquis d'origine traumatique. Mes

deux malades, en effet, on fait incontestablement une névrite sensitive,

ascendante, donc une lésion de la branche périphérique du protoneu-

rone centripète, et tout ce que l'on sait de la pathologie générale neurolo-

gique nous permet de croire à un retentissement de celte lésion sur la

cellule centrale du protoneurone, siégeant dans le ganglion de la racine

postérieure.

Une fois admise la possibilité d'une lésion ou d'une modification de la

cellule centrale intra-ganglionnaire du protoneurone centripète, sous l'in-

fluence de la lésion de son prolongement périphérique constituant la

névrite sensitive, le retentissement sur l'appareil lympathique se comprend

facilement.

On se rappelle en effet que lors de la formation embryologique des gan-

glions cérébro-rachidiens, ganglions des racines postérieures de la moelle

et des nerfs sensoriels, se formant aux dépens de la crête de Sagemehl

ou cordon ganglionnaire de Ilis, quelques ganglioblastes s'éloignent de

ces ganglions et vont constituer de chaque côté de la colonne ver-

tébralela chaîne ganglionnaire sympath ique, moni 1 i forme,dontles segments

correspondent aux différents métamères. Chaque gonglioblaste sympathie

l32 ÉTIENNE

que donne naissance à un prolongement cylindraxile, qui constituera

soit un rameau communiquant se dirigeant vers la moelle, soit un ra-

meau périphérique, soit un rameau intermédiaire allant vers le ganglion

sympathique voisin.

Quelques cellules du système sympathique ont donc une origine com-

mune avec les corps cellulaires des protoneurones centripètes, et la dé-

monstrationseraitplus facile encoresiM. Barbiéri (1) établit que les gan-

glions nerveux des racines postérieures appartiennent au système du grand

sympathique. Et en pathologie nerveuse, ces accointances entre l'appareil

sympathique ou le protoneurone centripète nous expliquent les troubles

sécrétoires, les troubles vaso-moteurs, certains troubles oculo-pupillaires

observés parfois dans le tabes dorsal, dégénérescence du protoneurone cen-

tripète ; et la systématisation de certains cas de neuro-fibromatose généra-

lisée à tous les nerfs périphériques, aux ganglions rachidiens et à tout

le système sympathique, à l'exclusion totale du cerveau, de la moelle et

des racines postérieures des nerfs (Simon et Hoche) (2). 4

Le fonctionnement défectueux de la cellule du protoneurone centripète

peut donc par action d'un influx nerveux vicié, agir irrégulièrement sur

toute une série d'éléments sympathiques du même métamère d'abord, et

ensuite des métamères voisins par le prolongement cylindraxile signalé plus

haut réunissant certaines cellules d'un ganglion sympathique à celles des

ganglions voisins. Et ceci nous explique pourquoi la réaction vicieuse du

sympathique ainsi impressionné, se produira sur le membre lésé sous forme

d'une manifestation du type segmentaire et non du type radiculaire, mal-

gré la lésion névritique initiale. '

C'est sous l'influence de cette réaction du sympathique que s'établit dans

la zone lésée une transsudation exagérée de la lymphe dans les mailles du

tissu conjonctif, soit qu'il s'agisse d'une simple excitation de la pression

sanguine intra-vasculaire locale d'après la théorie de Ludwig; soit qu'il

s'agisse d'une véritable hypersécrétion de la lymphe par les cellules endo-

théliales des capillaires, si on accepte la théorie de Heidenhain et d'Ham-

burger, avec Valobra qui, a bien étudié la pathogénie des oedèmes ner-

veux (3) ; soit qu'il s'agisse d'une hyperactivité propre dans la modifica-

tion des tissus,si on suit l'hypothèse de Cohnhein ou d'Asher et Barbera ;

(1) Barbiéri, Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 9 avril 1900 et 2 mars

1903.

(2) Simon et Hoche, Les ganglions nerveux des racines postérieures appartiennent-

ils au système du grand sympathique ? Autopsie d'un casde nezzro-Z6romatose.

Société de Biologie, 1905, t. II, p. 487.

(3) VALOBRA, Les oedèmes circonscrits aigus et chroniques sous la dépendance du sys-

tème nerveux. Rôle de la sécrétion lymphatique sur leur pathogénie. Nouvelle Icono-

graphie, 1905.

DES TROPHOEDÈMES CHRONIQUES D'ORIGINE TRAUMATIQUE '153

'soit qu'il s'agisse enfin d'une action vaso-dilatatrice, suivant Siavtzillo ou

Tchirvinsky.

Mais quoiqu'on tende maintenant à admettre pour la formation de la

lymphe une théorie éclectique plus complexe, l'attribuant et à une action

.de pression du liquide sur la paroi des vaisseaux, et à un degré de per-

méabilité de cette paroi même, et enfin au travail des tissus, les expérien-

ces de Siavtzillo semblent bien établir que dans les oedèmes d'origine ner-

veuse, le plus grand rôle est joué par une excitation des vaso-dilatateurs,

car elles démontrent que l'hyperhémie provoquée par l'excitation de ces

derniers nerfs amène une formation lymphatique plus abondante que ne

le fait l'hyperhémie par paralysie des vaso-constricteurs.

Quoi qu'il en soit, et en tout cas, c'est une réaction défectueuse du

sympathique aux excitations du protoneurone centripète lésé-qui aboutit

à la formation exagérée de la lymphe sur les oedèmes d'origine nerveuse.

Et nous en trouvons une preuve manifeste sur les oedèmes trophoneuro-

' tiques aigus de Quincke dans les territoires occupés par les douleurs lan-

cinantes du tabes, au moment où existent ces douleurs, faits signalés par

Cassirier, et dont j'observe actuellement un exemple. Déjà Ranvier, puis

Jankowski avaient constaté qu'en cas d'oblitération veineuse, ou en cas

d'inflammation, la section du sympathique ou la section du tronc ner-

veux d'où partent les vasomoteurs de la région enflammée, font rapi-

dement apparaître- l'oedème ou l'exagèrent considérablement.

Lorsque l'oedème lymphatique existe dans les lacunes du tissu depuis

quelque temps, le lymphe s'y charge des matériaux cataboliques provenant

des échanges des tissus, et suivant les recherches de Ahser' et de Barbara

elle devient très toxique; et dans les oedèmes prolongés ou à répétition

fréquente elle peut réagir sur le tissu conjonctif dans les mailles duquel

elle séjourne ; des lésions secondaires des lymphatiques s'établissent,

avec stase et formation de grands espaces dépourvus de parois propres,

avec des réseaux formant un vrai tissu caverneux (Teichmann et Yung),

et après l'oedème lymphatique conservant l'empreinte des doigts, s'établit

l'hypertrophie du tisu conjonctif (Kapoji).

Transportons dans l'oedème d'origine nerveuse ces données établies par

les oedèmes chroniques de natures diverses, et nous aboutissons à l'oedème

dur, résistant, du trophoedème chronique, en même temps que nous com-

prenons ses ressemblances cliniques avec l'aspect des autres oedèmes

chroniques, de l'éphantiasis par exemple, si voisins comme aspect, mais si

différents comme étiologie et comme pathogénie.

Les deux observations rapportées ci-dessus se rapportent incontesta-

blement aux « oedèmes chroniques, blancs, durs, indolores, occupant

un ou plusieurs segments de l'un ou de plusieurs membres et persis-

154 ' ÉTIENNE

tant la vie entière sans préjudice notable pour là santé «/décrits par

H. Meige. Mais, ainsi que l'ont déjà fait remarquer MM. Sicard et Laignel-

Lavastine, ils rentreraient dans un deuxième groupe de trophoedème,

acquis, d'origine traumatique, se plaçant à côté du premier groupe de

trophoedèmes héréditaires ou familiaux surtout étudiés par H. Meige,

reconnaissant tous deux pour origine une réaction vicieuse du sympathi-

que sur la formation de la lymphe des tissus, mais réaction vicieuse due

à-une malformation congénitale ou héréditaire du système sympathique

dans les cas héréditaires ou familiaux, et une réaction vicieuse à un

influx nerveux lui-même vicié par lésion du protoneurome centripète

dans nos cas de trophoedème acquis, traumatiques.

L'observation de MM. Sicard et Laignel-Lavastine se rapproche beaucoup

des nôtres : .

Observation III (1).

Une jeune institutrice de 28 ans, sans antécédents héréditaires ou familiaux

notables, tombe sur la cuisse gauche et « tourne le pied » en patinant, en

l'hiver 1900. L'ecchymose disparut très rapidement, et la blessée put recom-

mencer à patiner trois jours après le traumatisme. '

Mais huit jours plus tard, elle s'aperçut d'un gonflement au niveau de la

malléole interne gauche, sans modification décoloration de la peau, gonflement

blanc, lisse, qui s'étendit peu à peu au cou-de-pied, puis à la jambe jusqu'au

genou, puis en 1902 envahit la cuisse et la grande lèvre. Douleurs à la pres-

sion au niveau du sciatique poplité interne, et douleurs spontanées dans la

position debout. L'examen radiographique montre l'intégrité absolue des sur-

faces osseuses.

Nous retrouvons dans tous ces cas de trophoedème acquis un même

mode de début : un traumatisme initial conservant l'intégrité absolue des

téguments, sans aucune infection locale; des phénomènes douloureux ;

puis l'apparition de l'oedème, précoce, après quelques jours, comme dans 's

notre deuxième observation et dans celle de MM. Sicard et Laignel-Lavas-

tine ; ou très tardivement, un an après le traumatisme initial dans notre

première observation. Puis l'oedème devient envahissant, progressivement,

lentement; et il reste définitivement établi. La cause, le mécanisme, la

symptomatologie sont donc constants ; mais si l'étiologie s'écarte de celle

des trophoedèmes familiaux de Meige, le mécanisme d'établissement et

l'aspect clinique sont assez semblables pour exiger que ces deux groupes

restent réunis dans le même cadre nosologique du trophoedème.

(1) SICARD et LAIG1OEL-LAVASTlNE, Trophteclème chronique, acquis el progressif.

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1903, p. 40.

HOPITAL CANTONAL DE GENÈVE

LABORATOIRE DE M. LE PROFESSEUR BARD

EXAMEN HISTOLOGIQUE DES TÉGUMENTS ET DES TRONCS NERVEUX

DANS UN CAS DE

, TROPHOEDÈME CONGÉNITAL (1)

PAR

E. LONG

' (de Genève). ' 1

L'observation clinique du cas sur lequel nous avons pu faire cet examen

histologique partiel est déjà connue. Elle a été communiquée en 1901 à la

Société neurologique de Paris par notre honorable confrère, le Dur Rapin (2),

de Genève, dans un travail intitulé : « Sur une forme d'hypertrophie des

membres, dystrophie conjonctive myélopathique. » Elle été publiée par

lui la même année dans l'Iconographie de la Salpêtrière avec une planche

reproduisant la photographie du sujet (3). Il suffit donc d'en donner un bref

résumé : Femme âgée de 30 ans, malformation congénitale consistant en

une hypertrophie des deux membres supérieurs due à la présence d'un

oedème dur, non dépressible, très marqué depuis les extrémités des doigts

jusqu'au milieu du bras. Pas de troubles de la motilité, ni de la sensibi-

lité cutanée, La joue et l'oreille droites sont aussi augmentées de volume

et présentent un oedème semblable.

Le Dr Rapin dit dans l'observation que cette femme l'avait consulté

pour une ulcération du dos de la main droite qui fut reconnue de nature

cancéreuse et opérée par le professeur A. Reverdin. A cette occasion une

radiographie préalable avait montré l'intégrité du squelette. Ce néo-

plasme ayant récidivé dans la suite, la malade s'adressa à notre confrère

le Dr Kummer, qui fit en 1903 l'amputation de l'avant-bras (Depuis lors,

aucune récidive à distance ne s'est produite). Avant de porter cette pièce

(1) Communication faite à la Société de Neurologie de Paris, séance du 6 décembre

1906.

(2) Rapin, Société de Neurologie de Paris, novembre 1901. V. Revue neurologique,

1901, p. 1084, obs. III.

(3) Rapin, Iconographie de la Salpêtrière, 1905, n° 6.- V. planche LxllI et obs. III,

p. 493.

156 LONG

intéressante à l'Institut pathologique de Genève dans'le musée duquel

elle est conservée, M. Kummer a eu l'aimable attention de nous proposer

d'en faire une étude histologique partielle. Dans ce but on a prélevé dans

la ligne d'amputation, c'est-à-dire dans la région du coude des fragments

des nerfs médian et cubital et une tranche comprenant la peau, le tissu

sous-cutané et les muscles sous-jacents.

Examen histologique (PI. XXX, A, B, C, D, E, F, G. H).

Durcissement par le formol et le liquide de Millier, inclusion dans la celloï.

dine, coloration par le Weigert-Pal, le carmin, 1'liématoxyliiie-éosiiie, la mé-

thode de Van Gieson.

I. Téguments. On trouve successivement sur la coupe (Planche XXX,

fig. A) :

1° L'épiderme qui n'est ni épaissi ni modifié dans sa structure (il est recro-

quevillé par suite du durcissement dans le formol) ;

2° Une couche de tissu conjonctif fibreux dense, d'une épaisseur de 3 milli-

mètres environ ; elle représente le derme (fig. B); les annexes de l'épiderme,

glandes sébacées, poils et follicules pileux, glandes sudoripares y sont comme

incluses mais ne participent pas à l'hypertrophie, les vaisseaux s'y montrent

peu développés et leurs parois ne renferment aucune trace d'inflammation an-

cienne ou récente. Le tissu conjonctif est constitué par des fibres allongées

parallèlement à la surface de la peau ; on y trouve des noyaux en assez grand

nombre ;

3° Une couche de tissu adipeux qui est l'élément essentiel de cet oedème dur ;

son épaisseur est d'un centimètre environ (9 mm. -3 en moyenne). Les cellu-

les adipeuses sont contenues dans un réseau conjonctif et réparlies en loges

de plus ou moins grande étendue, séparées par d'étroites fentes où le tissu

conjonctif est réticulé ;

4° Une couche de 3 millimètres environ constituée par du tissu conjonctif

tantôt dense et tantôt réticulé ;

5° L'aponévrose qui par sa face profonde envoie une travée séparant deux

loges musculaires. Cette aponévrose est épaissie et la travée intermusculaire

encore plus (elle paraît sur la coupe comme formée par des piliers de tissu

fibreux dense) ; ...

. 6° Les muscles sont normaux pour ce qui concerne la structure intimé de

leurs fibres qui sont vues ici en coupe transversale, mais entre les fibres il y

a des traînées de tissu adipeux. On voit sur la photographie (fig. A) que l'une

des loges en contient davantage, d'où son aspect plus clair. Pour mieux étudier

cette disposition un petit fragment de cette région a été débité en coupes pa-

rallèles à la direction des fibres musculaires et on voit ces dernières l'état

de dissociation au milieu du tissu adipeux (fig. C). '

11. Ner/'médinu. - Ce nerf est notablement hypertrophié (fig. D), mais les

faisceaux nerveux ne participent pas à cette augmentation de volume; ils sont

normaux ainsi que leur tissu conjonctif intra-fasciculaire. Ce sont les gai-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. XXX

A -- --

B

. c

D ? DU ?

- E ? ?

r ? Go .. - v ?

H ? II

EXAMEN HISTOLOGIQUE DES TEGUMENTS ET DES TRONCS NERVEUX

' DANS UN CAS DE TROPHOEDEME CONGENITAL.

· (E. Long). '

A. Téguments (gr. 2 1/2 d.) B. Epiderme et derme (gr. 14 d.) C. Muscle.

D. Nerf médian (gr. 7 d.) - E. Nerf cubital (gr. 7 d.) - F. Nerf médian, fragment (gr. 3o d.).

- G. N. médian (coupe longit.) (gr, 7 d.) H. Nerf cubital (coupe longit.) (gr. 7 d.).

TROPIIQûDÈME CONGÉNITAL 157

nes lamelleuses et le tissu conjonctif interfasciculaire qui ont subi un dévelop-

pement excessif. Chaque faisceau possède une gaine lamelleuse qui lui est

propre (fig. F) et qui est formée comme dans la règle de lamelles concentriques

emboîtées les unes dans les autres ; puis, au delà de cette première gaine

lamelleuse commence une zone de tissu conjonctif fibreux moins dense dont

les éléments sont dirigés dans tous les sens et qui constitue une gaine volumi-

neuse assez régulièrement cylindrique contenant un ou plusieurs faisceaux ner-

veux.Une autre lame de tissu conjonctif plus dense limite la périphérie de cette

gaine lamelleuse hypertrophique.Un tissu conjonctif interfasciculaire abondant,

composé en grande partie de cellules adipeuses vient encore s'interposer en-

tre les divers groupes de faisceaux nerveux et augmenter ainsi le volume

total du nerf. z

La gaine externe ou périnèvre n'est pas spécialement épaissie. Les vasa

nervorum ne sont pas modifiés ; leur calibre est normal.

III. Nerf cubital. - Bien différent du nerf médian, ce nerf n'est pas hyper-

trophié (fig. E). L'hyperplasie du tissu conjonctif qui l'entoure s'arrête à la

gaine externe et à l'intérieur de celle-ci on voit des faisceaux nerveux rap-

prochés les uns des autres ; chacun d'eux est entouré d'une gaine lamelleuse

dont les couches sont concentriques et de dimensions normales.

La différence de structure de ces deux nerfs se voit encore mieux sur des

coupes longitudinales. Les faisceaux du nerf médian sont plus espacés que ceux

du nerf cubital (fig. G. H).

On peut résumer cet examen histologique en concluant à une simple

augmentation numérique (hypergenèse) des divers éléments des tissus

conjonctifs depuis le derme jusqu'aux régions profondes. Mais il est né-

cessaire de faire remarquer que cette anomalie de structure n'est pas égale

partout ; le nerf médian est plus remanié que le nerf cubital ; les coupes

des muscles ne montrent pas une infiltration uniforme par le tissu adi-

peux. Un examen plus détaillé eût sans doute révélé de nombreuses varia-

tions quantitatives.

L'oedème dur, non dépressible s'explique par la présence, dans le tissu

cellulaire sous-cutané,d'une épaisse couche adipeuse sanglée par un derme

fibreux dense. Les vaisseaux, sans lésions appréciables pouvaient, on le

conçoit, assurer la nutrition de ces tissus. On comprend aussi le fonction-

nement normal des nerfs dont les éléments conducteurs sont bien conser-

vés, l'hyperplasie du tissu conjonctif ne pouvant, de par sa disposition,

les comprimer ni les irriter. De même pour les muscles dont les fibres

sont parfois dissociées par du tissu adipeux intercalé mais n'ont pas subi

de modifications intrinsèques ; et nous rappelons que le Dr Rapin dit

dans son observation clinique que la malade, lingère de profession, ma-

niait habilement l'aiguille avec ses grosses mains et ses gros doigts.

Quant à l'explication que l'on peut donner de ces faits, nous pensons

.158 LONG

qu'il n'est nul besoin d'invoquer un trouble trophique d'origine myélo-

pathique. Une malformation de ce genre, que l'on aurait étiquetée na-

guère éléphantiasis congénital doit être mise aujourd'hui avec les cas

que Meige a rassemblés sous le nom de trophoedèmes chroniques. Sou-

vent familiaux, tantôt constitués pendant la vie foetale et tantôt apparais-

sant à une époque plus ou moins tardive de la vie, ils sont dus selon tou-

tes les apparences à des anomalies de développement des tissus du feuillet

moyen. Des examens histologiques plus complets montreront dans l'avé-

nir quels sont les rapports exacts du trophoedétne avec le'groupe de plus

en plus important des maladies d'évolution dont nous avons parlé dans

un article précédent (1). ?

(1) E. Long, Atrophie musculaire progressive des membres supérieurs type Aran-

Duchenne, par névrite interstitielle hypertrophique (Contribution à l'étude des mata-

dies d'évolution). Iconographie de la Salpêtrière, 1907, n- 1. " '

SUR UN CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE

PAR .

C. PARHON et S. FLORIAN

(de Bucarest) .

L'étude des troubles trophiques relevant d'une altération du système

nerveux constitue un des chapitres les plus intéressants de la pathologie

de ce système.

Mais ce chapitre est loin d'être clos. Bien des questions sont jusqu'à pré-

sent à peine effleurées. Nous ignorons bien souvent le lien qui rattache le

trouble trophique à la lésion, le plus souvent centrale, du système ner-

veux. D'autres fois, ce lien bien que fort probable ne peut être que soup-

çonné.

Il en est ainsi pour la maladie ou plutôt pour le syndrome bien étudié

surtout depuis les travaux de Henry Meige (1) et de Debove et auquel le

premier a donné le nom de trophoedème chronique sous lequel on le dé-

.signe couramment aujourd'hui, tandis que le second l'a désigné sous celui

d'oedème segmentaire.

Le nombre de cas appartenant à ce trouble trophique, publiés jusqu'à

présent est encore assez réduit. Il ne semble pas d'ailleurs trop fréquent.

En Roumanie, M. le professeur Marinesco en a observé un cas et nous ve-

nons d'en étudier récemment un deuxième.

La rareté relative de ces cas et surtout le vif intérêt que des pareils cas

suscitent au point de vue pathogénétique nous ont déterminé de rapporter

celui que nous avons eu l'occasion d'observer. 1

Nous n'avons pas certainement, la prétention de résoudre cet important

problème, mais peut-être en discutant certaines questions c'est approcher

de leur solution. En tout cas, notre travail apportera une contribution

casuistique à l'étude du trophoedème.

Nous commencerons par l'observation du cas, que nous ferons suivre

par les considérations qu'il nous a sugérées.

Il s'agit d'une jeune fille de 19 ans, dont les parents vivent sans pré-

senter de manifestations pathologiques appréciables, Ni eux ni personne

de leurs parents n'ont souffert d'un trouble semblable à celui dont est

affectée cette malade.

160 PARUON ET r· LOIiIAN

Elle a eu 9 frères ou soeurs dont il n'en reste plus que 6. Les Vois au-

tres ont succombé en bas âge à la suite de maladies infectieuses. Ceux qui

restent ne présentent aucun trouble de la santé et surtout rien rappelant le e

trouble trophique dont est atteinte leur soeur.

La malade a eu dans son enfance la coqueluche, la variole et la rou-

geole. Menstruée à 14 ans 1/2. Les deux premières années les époques

cataméniales ont continué régulièrement chaque mois. Leur durée était de

3 jours et étaient accompagnées de douleurs intenses. Puis pendant cinq

mois les règles ont disparu ; mais elles sont redevenues après ce laps de

temps et se sont continuées régulièrement.

A l'âge de 13 ans la malade ressentit des douleurs dans la hanche et la

cuisse gauches, en même temps qu'elle présentait un état fébrile. Les dou-

' leurs ont duré deux ans ; dans la dernière année elles ont envahi aussi la

jambe. - 1

Concomitant avec ces douleurs la cuisse du côté gauche augmenta de vo-

lume et cette augmentation, limitée comme les douleurs à ce segment pen-

dant la première année, envahit aussi la jambe pendant la deuxième. s

En même temps que les douleurs et la tuméfaction, le membre malade

était le siège d'une éruption disséminée de vésicules blanchâtres ayant les

dimensions d'un grain de millet à celui d'un petit pois dont s'écoulait un

liquide laiteux et parfois sanguinolent (zona ? ). Ces vésicules disparurent

avec les douleurs, mais la tuméfaction du membre n'en persista pas moins.

Pendant les deux ans qui suivirent, la malade n'eut plus aucune douleur.

Elle n'était gênée que par son membre inférieur gauche qui augmentait

toujours. Les articulations de ce membre permettaient d'ailleurs tous les

-mouvements.

- Dans les deux dernières années les douleurs revinrent trois fois, mais

elles n'étaient pas intenses et leur durée a été courte.Ces douleurs étaient

spontanées et la pression du membre n'était pas douloureuse. Elle souffrit

encore, depuis le début de sa maladie, plusieurs fois de fièvres palustres.

Le volume du membre continua encore à augmenter au point de limiter

la liberté des mouvements de ses différents segments.

Voici ce qu'on trouve maintenant (septembre 1905) : constitution gé-

nérale assez bonne. Rien du côté du coeur, des reins et des poumons. Le

foie et la rate un peu volumineux. Pas de troubles de la sensibilité ou

des réflexes. Etat intellectuel normal. Aucun stigmate d'hystérie. Le trou-

ble pour lequel le malade vient consulter est l'oedème de son membre in-

térieur gauche (PI. XXXI). C'est un oedème dur, élastique, la pression digi-

,tale ne laisse pas de godet. La coloration du membre est normale. La pression

n'est pasi douloureuse. La malade ne se plaint plus d'ailleurs de douleurs

spontanées. Les follicules pileux de la partie antérieure et supérieure dé la

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. PI. XXXI

UN CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE.

(C. Parbon et St. Florian).

Masson & Cie, Editeurs

Phot01YI11C Bcrlhauù. Paris

SUR UN CAS DE 'Cli0PI10EDG11E CHRONIQUE 161

cuisse sont très développés. La limite supérieure de l'oedème est le pli

inguinal en avant, le pli fessier en arrière. On n'observe pas de vais-

seaux dilatés, de varices veineuses ou lymphatiques. Il n'existe aucune

cause de compression dans le bassin. Une légère écorchure accidentelle

des téguments donne issue à un liquide séreux.

Les orteils ne participent pas à l'augmentation du membre qui n'inté-

resse donc que le pied, la jambe et la cuisse.

- Ainsi que nous l'avons déjà dit, l'augmentation du volume de ces diffé-

rents segments entrave dans une certaine mesure la liberté des mouve-

vements qui se passent dans leurs articulations.

Voici d'ailleurs les circonférences comparatives des deux membres à

plusieurs niveaux :

' Cuisse droite au niveau du pli Cuisse gauche au même niveau :

inguinal : 0 m. 45. 0 m. 575.

A son milieu 0 m. 41. Cuisse gauche au même niveau :

0 m. 585.

Genou droit : 0 m. 31. Genou gauche : 0 m. 46.

Milieu delajambedroite : 0 m. 30. Milieudelajambegauche : 0 m. 46.

Articulation tibio tarsiennedroite : Articulation tibio-tarsienne gau-

Om. 195. che : 0 m. 245.

Ainsi qu'il résulte de ces mensurations les différences sont très grandes.

Les deux photographies ci-jointes donnent d'ailleurs de ces différences,

une idée meilleure que ne pourrait le faire aucune description.

Ainsi qu'il résulte de cette observation, il s'agit d'une jeune fille qui

vers l'âge de la puberté commença à souffrir de douleurs localisées dans

la hanche et la cuisse gauche, puis aussi dans la jambe de ce même côté,

Une tuméfaction accompagnée d'une éruption vésiculeuse apparut en même

temps à la cuisse, puis plus tard à la jambe et au pied. Les orteils furent

respectés. Le début a été fébrile. Douleurs et éruption vésiculeuse dis-

paraissent. La tuméfaction n'en persista pas moins. Elle ne fit plutôt

qu'augmenter,donnant la disproportion marquée qui existe entre le mem-

bre inférieur gauche et celui du côté opposé. C'est une espèce d'oedème

dur, élastique dans lequel la pression digitale ne laisse pas de godet. La

coloration des téguments est normale. On ne trouve ni cyanose ni circu-

lation complémentaires, ni varices veineuses ou lymphatiques. Quel est

donc le diagnostic qui convient dans ce cas ! 1

L'absence de toute lésion cardiaque ou rénale, les caractères mêmes de

l'oedème, sa dureté, son élasticité, la couleur normale des téguments per-

mettent d'exclure une lésion du coeur ou du rein. Le manque de toute

162 PARUON ET FLORIAN

cause de compression dans le bassin, ainsi que de la circulation complé-

mentaire, des varices veineuses ou lymphatiques permettent d'exclure un

oedème de cause mécanique, dont celui du cas que nous venons de rappor-

ter n'a d'ailleurs aucun caractère. Il ne peut pas être question de

l'oedème augio-neurotique aigu de Quincque vu la chronicité et la durée

déjà longue du trouble chez cette malade. L'éléphantiasis peut être for-

mellement exclu, car la malade est une paysanne roumaine. Or la filariose

ne se trouve pas, heureusement, parmi les maladies assez nombreuses de

notre pays. Ajoutons d'ailleurs que l'examen du sang est resté à ce point

de vue complètement négatif. Il ne reste plus debout que le diagnostic

de trophoedème chronique ainsi que l'a si bien conçu Henry Meige.

Dans ce trouble trophique, comme dans notre cas, il s'agit d'un oedème

dur, élastique, localisé d'habitude à un ou plus rarement aux deux mem-

bres inférieurs. La couleur des téguments reste normale. L'oedème appa-

raît ordinairement vers la puberté. Il en a été de même dans notre cas.

Pourtant des exceptions ne manquent pas à cette règle et le cas de Ra-

pin (2), ceux deMilroy (3), de Nonne (4), d'Hertoghe (5), de Mabille 6),

de Lortat-Jacob (7) montrent que l'oedème trophique peut faire partie de

la pathologie infantile et être même congénital.

Le trophoedème est souvent familial. C'était le cas pour les premières

observations de Henry Meige (8 cas échelonnés dans quatre générations). Il

en était de même pour les cas de Milroy (22 cas sur 27 membres de la fa-

mille en 6 générations, ainsi que pour ceux de Nonne (8 cas dans 3 gé-

nérations), de Tobiesen (8) (4 cas dans 3 générations), de Lannois (4 cas

dans 3 générations) et pour ceux de Lortat-Jacob (6 cas dans 3 générations).

, On trouvera dans la thèse d'Ouvry (9) les tableaux généalogiques de

ces différents cas.

Mais dans d'autres cas, publiés par Vigouroux (10), Duckworth, Debove,

Rapin, Hertoghe, Lannois (11) et ses élèves Lançon et Roué on ne trouve

aucun fait semblable dans la famille des malades.

L'absence de ce caractère dans notre cas ne s'oppose nullement au diag-

nostic de trophoedème que nous avons adopté.

Henry Meige distingue, d'ailleurs, lui-même un trophoedème familial

et un trophoedème non familial.

Comme dans la majorité des cas,dans celui que nous rapportons l'oedème

est localisé à l'extrémité inférieure. Comme d'habitude la région fessière

ne participe pas à l'oedème. Il n'intéresse que la cuisse, jambe elle pied,

respectant les orteils. On peut donc parfaitement parler dans notre cas

d'un oedème segmentaire. Ce caractère segmentaire se retrouve d'ailleurs

dans la manière dont l'oedème s'est installé. `.

Pendant les deux premières années l'aecième n'a intéressé'que la cuisse*

SUR UN CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE 163

Seulement plus tard la jambe et le pied furent envahis à leur tour. Cette

progression dans la répartition de l'oedème se retrouve encore dans d'au-

tres observations. Mais d'habitude c'est de bas en haut que se fait l'enva-

hissement. On comprend facilement que cette différence n'a aucune im-

portance au point de vue du diagnostic et qu'elle ne nous fera nulle-

ment hésiter dans le diagnostic de trophoedème chronique que nous avons

établi dans ce cas. D'ailleurs,si la localisation aux membres inférieurs est

la plus fréquente dans ce syndrome il ne semble pas qu'on puisse affirmer

que c'est la seule possible. Ainsi Hertoghe a rapporté un cas de tl'ophoedème

chronique de la face et Rapin un autre où l'oedème intéresse les deux inem-

bres supérieurs. Dans ce dernier cas il s'agissait d'une femme âgée de

29 ans. L'oedème était congénital comme dans les cas de Milroy, de Nonne

et Tobiesen. Depuis peu une tumeur maligne est apparue sur une main,

fait qui impose une réserve dans l'interprétation du cas, ainsi que Henry

Meige le remarque avec raison.. z

Pourtant il ne faut nullement conclure que même dans ce cas il ne

s'agit pas de trophoedème et on doit se demander si l'état de la trophicité

de ces membres n'a été simplement un simple facteur favorisant la loca-

lisation et l'éclosion de la tumeur. Celle-ci n'est pas d'ailleurs bilatérale.

A ce propos il nous semble intéressant de rappeler que Rapin dans

l'un de ses cas concernant une enfant a remarqué qu'une éruption de

varicelle avait présenté cette particularité intéressante d'avoir débuté par

un rasch scarlatiniforme, d'un beau rose framboise, de coloration partout

égale, qui n'a occupé exactement que le membre abdominal hypertrophié,

s'arrêtant au pli de l'aîne et au pli fessier sans se montrer nulle part ail-

leurs. Il fut suivi d'une fine desquamation.

La pustulation fut très discrète et,faità noter, il ne se développa aucun

bouton sur le membre hypertrophié qui avait été envahi par le rasch.

Nous avons vu que l'apparition de l'oedème dans notre cas a été précé-

dée par des douleurs assez intenses dans le membre du côté malade ainsi

que par une éruption vésiculeuse (zona ? ).

La présence de douleurs n'est pas un phénomène fréquent dans le tro-

phoedème. Il se retrouve pourtant dans certains cas. C'est ainsi que dans

le deuxième cas de Henry Meige on a observé cinq fois des poussées aiguës

et douloureuses accompagnées d'une augmentation de l'oedème ainsi que

d'une coloration rouge des téguments. '

De même dans une observation de Follet, les troubles ont débuté par

des douleurs vives dans la cuisse et les lombes ainsi que par l'oedème.Mais

ce dernier ne devient persistant qu'à la troisième poussée. ' , j

Des troubles, en moins, de la sensibilité ont été également observés

dans quelques cas. C'est ainsi que la malade qui fait le sujet de la deuxiè-

164 PARDON ET FLORIAN -

me observation'de Henry Meige aurait pu être facilement reconnue atteinte

d'un oedème hystérique à cause de l'hémianesthésie qu'elle présentait, si

la présence du même trouble trophique chez d'autres membres de sa fa-

mille et dans plusieurs générations n'avait relevé la nature essentielle-

ment différente du mal.

. La malade de Mabille présentait t'anesthésie du membre oedématié,

sauf pour les agents thermiques.

Notons en passant que cette malade présentait des troubles mentaux et

que les cas de Dide (12) et celui de Dupré (13) concernent également des

aliénés.

Voyons maintenant avec quelles affections le trophoedème pourrait être

confondu. '

C'est d'abord avec l'oedème par compression. Mais dans ce dernier cas

il s'agit d'un oedème mou, où la pression du doigt détermine un godet

et la présence des varices de la circulation complémentaire nous mon-

trent facilement l'origine du mal.

L'éléphantiasis causé par les Pilaires se reconnaît par la présence du

parasite dans le sang. L'origine exotique du malade peut, dans le cas

échéant, faire supposer la nature du mal.

L'éléphantiasis nostras présente, à ce qu'il semble, des affinités assez

étroites avec le trophoedème et peut-être ne faut-il voir dans l'un et l'au-

tre qu'un seul et même trouble morbide.

L'adipose sous-cutanée qui existe dans certains cas de trophoedème, chez

la petite malade de Rapin par exemple, semble avoir également des con-

nexions avec le trophoedème. ,

L'hémi-hypertrophie intéresse tous les tissus en comprenant les os.

Disons maintenant quelques mots sur l'étiologie et sur la pathogénie

du trophoedème.

En ce qui concerne l'étiologie, l'hérédité joue certainement dans certains

cas un rôle incontestable. Cela ne nous avance d'ailleurs pas beaucoup

dans la connaissance de causes de ce syndrome.

Dans d'autres cas la puberté a favorisé l'apparition du trophoedème,

mais dans ces cas encore la vraie cause nous échappe. Nous pouvons pour-

tant penser à un trouble évolutif en rapport peut-être avec des fonctions

vicieuses des glandes à sécrétion interne. Dans le cas de Sicard et Lai-

gnel-Lavastine (14) c'est le traumatisme qui a servi de point de départ.

SUR UN CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE 165

Notons que dans ce cas l'oedème était mou, rouge, chaud et douloureux

quand la malade était debout.

Par contre il était dur, lardacé, blanc et froid quand la malade était

dans le décubitus dorsal. Chez la petite malade de Rapin le début a été

fébrile semblable à celui de la paralysie infantile. Dans un descasdeHer-

toge le trophoedème a suivi de près une rougeole.

En ce qui concerne la pathogénie,t'opinion la plus problablenous sem-

ble celle d'une altération des centres spinaux probablement vaso-moteurs

qui tiennent sous leur dépendance la nutrition du tissu conjonclif. C'est l'o-

pinion exprimée par Henry Meige ainsi que par Rapin. A la suite de

phénomènes fébriles à allure infectieuse se développa chez l'enfant obser-

vée par cet auteur une adipose sous-cutanée du membre supérieur ainsi

que l'oedème trophique du membre inférieur du côté opposé. ,

Le début brusque, fébrile de l'affection, l'alternance des troubles trophi-

ques font supposer à l'auteur cité qu'il s'agit dans son cas d'une espèce

de poliomyélite ayant atteint les centres qui tiennentsous leur dépendance

le tissu conjonctif.

Meige admet également comme probable le siège médullaire de la lé-

sion qui produit le syndrome auquel il a attaché son nom.

Il s'exprime ainsi qu'il suit sur l'origine du trophoedème : « On peut la

chercher dans une altération des centres trophiques du tissu conjonctif

sous-cutané.

. Mais où siègent ces centres ? Vraisemblablement dans la moelle, dans

la substance grise, au voisinage des centres trophiques des muscles.

Bien que les constatations histologiques n'aient pas permis d'isoler les

uns des autres les centres de ces différents systèmes, la coexistence des trou-

bles trophiques osseux, musculaires et conjonctifs à la suite de lésions des

cornes antérieures ou de leur voisinage immédiat,plaide en faveur de cette

localisation.

D'autre part, le fait que l'on peut observer isolément des troubles tro-

phiques du système osseux, musculaire et conjonctif autorise à admettre

l'existence de centres autonomes pour chacun de ces systèmes. » 1

Les recherches d'anatomie microscopique de la moelle que l'un de nous

a faites avec Mme Parhon (15) ainsi que celles plus récentes de Bruce ont

montré que les colonnes cellulaires en rapport avec le sympathique sont

constituées par des groupes superposés.

Il ne semble pas illogique de chercher dans la segmentation de ces co-

lonnes la raison de la topographie également segmentaire du trophoedème.

Ce caractère parle donc aussi pour l'origine centrale de ce trouble trophi-

que, bien qu'il ne faut pas exclure d'une façon absolue et ca priori la pos-

sibilité d'un trophoedème d'origine périphérique.

xx Il

166 PARUON ET FLORIAN

Mais de quelle façon le système nerveux intervient-il pour produire le

trophoedème ?

Les nerfs trophiques n'ayant été jamais démontrés on doit forcément

penser aux vaso-moteurs. Pourtant le caractère variable des troubles va-

so-moteurs quand ils existent dans une phase quelconque de l'évolution du

trophoedème et surtout la ressemblance frappante qui existe entre le tro-

phoedème, et l'éléphantiasis où le système lymphatique est le plus atteint,

autorise à penser avec Valobra (16), qu'il pourrait bien s'agir dans le

syndrome qui nous occupe d'un trouble dans l'innervation des vaisseaux

lymphatiques.

Hertoghe cherche à établir une relation entre le trophoedème et l'appau-

vrissement thyroïdien. Ses raisons sont les suivantes : son malade déjà cité

chez lequel le trophoedème suit la rougeole a une soeur de 7 ans fortpetite

pour son âge, à système dentaire défectueux et incomplet. Une soeur du

même malade présente en fait d'hypothyroïdie une blépharite intense. Le

père de ces enfants présente un certain degré d'exophtalmie, de pouls à

100, des angoisses nocturnes, des accès d'asthme, des palpitations.

Dans l'autre cas de Hertoghe,où le trophoedème localisé dans la région

faciale est congénital, il a été noté également qu'une soeur de la malade

est atteinte d'infantilisme myxoedomateux.

Il est vrai que l'auteur a traité sans succès ses deux cas de trophoedème'

par l'opothérapie thyroïdienne, mais cet insuccès ne prouve pas pour lui

que l'apauvrissement thyroïdien ne soit responsable dans ces cas,car ainsi

qu'il le remarque,on ne saurait assimiler complètement l'action de la thy-

roïdine séparé de l'organisme, provenant d'une autre espèce, séché même

à celle qu'exerce le corps thyroïde de l'individu lui-même qui le porte.

Mais on doit se demander en tout cas de quelle façon l'hypothyroïdie

pouvait réaliser cette localisation segmentaire 1

Il semble bien qu'il faut admettre un autre facteur qui, dans l'hypo-

thèse d'ailleurs admissible d'un terrain d'hypothyroïdie, détermine la lo-

calisation du trouble. Nous voulons dire que l'hypothyroïdie à elle

seule ne nous semble pas pouvoir expliquer l'apparition du trophoe-

dème.

D'ailleurs Henry Meige observant chez les malades atteints de trophoe-

dème la présence des malformations dentaires, des troubles trophiques

des cheveux, des noevi, des verrues, a émis l'hypothèse de l'existence

d'une imperfection congénitale des centres qui président au développe-

ment et à la nutrition du tissu cellulo-cutané.

Notons encore le rapprochement fait par cet auteur entre le trophoedè-

me familial et les dystrophies également familiales du tissu musculaire.

De nouvelles recherches sont assurément nécessaires avant de fixer dé-

SUR UN CAS DE TROl'HOED ! \;ME CHRONIQUE 167

finitivement la place de ce syndrome, car il s'agit bien probablement

d'un syndrome, dans la nosologie.

En attendant,il nous a semblé utile de rapporter le cas que nous avons

eu l'occasion d'étudier et les considérations qui précèdent.

BIBLIOGRAPHIE

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la Salpêtrière, p. 453, 1899, et Sur le trophoedème, Nouvelle Iconographie de la

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16. VALOBHA. - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1905.

il. Voir aussi Feindel. Le trophoedème chronique d'après HENRY l\IEIGE, Gazette heb-

domadaire.

ADIPOSE DOULOUREUSE CHEZ UNE IMBÉCILE

, ÉPILEPTIQUE ET AVEUGLE

PAR R

A. PRUNIER

Interne à l'asile d'Evreux.

L'adipose douloureuse est une affection relativement rare, cependant

un certain nombre d'observations publiées depuis les premières descrip-

tions qui en furent données en 1888 parDercum au Congrès des Neurolo-

gistes américains, ont permis d'en dégager les caractères essentiels et sur-

tout un syndrome où les deux faits prédominants : l'adipose et la douleur,

la différencient du myxoedème et de la simple obésité.

La malade que nous avons examinée présente assez nettement les symp-

tômes cardinaux de l'affection que nous avons en vue, pour justifier la

publication de son étude; et d'autre part, le terrain particulier épilepti-

que sur lequel a évolué la maladie, des lésions oculaires, des troubles

vaso-moteurs et trophiques nous semblent donner quelque intérêt à son

observation.

Observation (Service de M. le docteur Bessière) (PI. XXXII), - H.P. est

âgée de 54 ans, elle a été transférée en 1870 de la Salpêtrière à l'asile d'Evreux

où elle fut admise pour épilepsie et imbécillité. Elle est de plus aveugle.

Les antécédents héréditaires nous sont inconnus ; sa cécité daterait de la pre-

mière enfance ; aujourd'hui ses globes oculaires ne sont plus que des moignons

durs et fibreux qui roulent sous les doigts lorsqu'on appuie sur les paupières.

La malade atteinte de débilité mentale, et internée dès l'âge de 10 ans, com-

prend cependant la plupart des questions et y répond comme le lui permet son

développement intellectuel et sa cécité : « qu'est-ce qu'un chien ? j> -c'est ce qui

fait peur »;« une voiture » ? -« c'est ce qui emmène.» Elle articule bien,chante

assez juste et en mesure ; elle est d'humeur joviale, facile, satisfaite, est sou-

vent gâteuse.

Les attaques épileptiques convulsives avec mouvements toniques et cloniques,

peu fréquentes jusqu'ici, deviennent depuis un an plus nombreuses : elle en eut

18 en 1905 et 40 en 1906. Elle a parfois desimpies vertiges précédés et suivis

d'une période d'excitation pendant laquelle elle tourne sur elle-même, déchire

ses vêtements el se mord les poignets.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XX. Pl. S1TII

PRUNIER. ADIPOSE DOULOUREUSE CUEZ UNE IMBÉCILE 169

C'est en 1900 que l'adipose devient intense ; elle est envahie de graisse;

elle avait alors 49 ans. Cette infiltration augmente petit à petit et depuis 1904

s'est complètement généralisée. L'état mental de la malade ne permet point

de connaître les signes subjectifs qui ont pu précéder ou accompagner l'appari-

tion et le développement de cette adipose. En tous cas, elle n'a jamais été obli-

gée de garder le lit par le fait d'une affection intercurrente, d'asthénie ou de

douleurs aiguës.

Aujourd'hui elle présente une infiltration graisseuse sous-cutanée diffuse et

fort douloureuse à une pression même faible.

La face contrairement aux casses plus nombreux n'est point respectée par

l'adipose ; de chaque côté les joues forment deux saillies molles, flasques, dé-

terminant par leur bouffissure deux plis profonds naso-géniens entre lesquels

le nez est enfoui. Sous le menton pend uue bande de graisse qui s'est accumu-

lée là comme un liquide dans un point déclive. Au front et aux tempes le tissu

cellulaire n'est point infiltré.

Au cou et sur les épaules l'adipose, manifeste, ne se montre point comme

souvent, en bourrelets formant collier, mais constitue une épaisse pèlerine qui

presque sans pli passe de la région cervicale à la région dorsale. L'infiltration

par son abondance ne permet ni la palpation du thyroïde qu'on a plusieurs

fois trouvé atrophié, ni celle des masses musculaires profondes.

Le dos, la poitrine et l'abdomen présentent une même lipomatose diffuse sans

qu'en aucun point on y puisse déceler la présence de masses nodulaires circons-

crites. Le dépôt adipeux, régulier, symétrique très abondant a la partie infé-

rieure de l'abdomen et de la poitrine est moins épais dans les régions supé-

rieures du thorax et dans la zone sous-claviculaire.

Les seins très développés, adipeux et pendants sont d'une mobilisation dou-

loureuse. La circonférence de la taille est de 1 m. 05.

C'est aux membres que nous rencontrons l'infiltration la plus serrée et cette

densité de l'adipose augmente au sur et à mesure que l'on s'éloigne davantage de

la racine du bras ou de la cuisse pour gagner les extrémités. Mais au poignet ou

à la cheville, l'adipose cesse brusquement par un bourrelet circulaire au-de-

sus duquel se creuse un sillon profond. Les pieds et les mains de notre ma-

lade remarquablement indemnes ne sont point ceux d'une obèse.

Le bras et l'avant-bras sont surtout infiltrés au niveau de leur face posté-

rieure ; le bras mesure à sa partie moyenne 37 centimètres de circonférence ;

l'avant-bras au-dessous du coude, 31 centimètres ; le poignet au niveau du

bourrelet mentionné 21 centimètres alors qu'immédiatement au-dessous de

ce bourrelet il n'a plus une circonférence que de 15 centimètres.

Les mains contrastent par leur petitesse avec l'aspect massif des deux

segments supérieurs ; la peau comme trop grande pour les plans qu'elle

recouvre est ridée et l'on peut se demander si l'épiderme n'a pas été distendu

à un moment donné par une infiltration de graisse et n'est point devenu trop

lâche par disparition de celle-ci ? ?

Aux membres inférieurs, les jambes semblables à des poteaux présentent à la

hauteur des malléoles un gros bourrelet circulaire analogue à celui du poignet

170 PRUNIER

il limite en bas l'adipose ; les pieds sont peu près normaux. Ils présentent

cependant un léger oedème dur et sans godet. empâtement qui est peut-être

le stade de début de l'adipose.

Dans la région poplitée un sillon transversal profond, allant d'un condyle à

l'autre bride et sépare l'adipose diffuse de la cuisse de celle de la jambe ; ici,

comme au membre supérieur, l'adipose est plus abondante en arrière qu'en

avant. Notons aussi une accumulation maxima au niveau de la face supéro-

externe de la cuisse, région qui est normalement chez la femme le siège de

dépôts adipeux. '

La mensuration donne les mêmes chiffres à droite et à gauche.

ADIPOSE DOULOUREUSE CUEZ UNE IMBÉCILE ÉPILEPTIQUE ET AVEUGLE 171

breuses squames. Dans les régions à adipose dense elle est lisse, adhérente

sans souplesse, difficile à pincer et présente aux jambes surtout un léger degré

de sclérème. Les orifices pi lo-sébacés dépourvus de poils et distendus donnent

aux téguments, aux endroits où l'adipose est prononcée, l'aspect d'une peau

d'orjnge. On ne voit point de poils sous les aisselles et presque point aux régions

génitales.

- Les troubles vaso-moteurs et trophiques sont importants ; les orteils ont

une teinte asphyxique et sont froids, les membres sont le siège de marbrures

irrégulières. La face toujours très congestionnée est rouge, les épistaxis sont

fréquentes, la peau du visage est parcourue par de multiples et fines vari-

cosités.

Au tiers inférieur de la face postérieure de la jambe gauche a existé il y a

un an un ulcère des dimensions d'une pièce de 5 francs. Cet ulcère ouvert

pendant plusieurs mois est actuellement cicatrice ; on trouve à sa place une zone

cyanosée arrondie de 7 il 8 centimètres de diamètre, d'un violet foncé à son

centre, moins asphyxique à la périphérie. Cette région est froide, indurée,

des tractus fibreux plissent la peau complètement adhérente aux tissus sous-

jacents, des papules d'un rouge vineux du volume d'une lentille et des taches

ecchymotiques se rencontrent tout autour de cette région,

Point de dermographisme.

Les différents appareils ne présentent rien de particulier à noter, les urines

ne renferment point d'éléments pathologiques.

Le traitement thyroïdien n'a pas donné de résultats, le poids est resté le

même, la sensibilité des masses adipeuses n'a point diminué, et la malade ne

s'est pas montrée moins asthénique.

De par son âge et son sexe notre malade répond bien à la très grande

majorité des cas observés ; ce sont en effet presque toujours des femmes

adultes ou déjà vieilles qui sont atteintes et c'est le plus souvent à l'âge de

la ménopause que débute l'affection ; la pathogénie ovarienne a de plus

pour elle quelques cas où le syndrome de Dercum apparut à la suite d'ova-

riotomie.

Notre malade est en outre épileptique ; la coïncidence de cette affection

avec l'adipose douloureuse a été plusieurs fois signalée, mais vu surtout

l'ignorance ou nous sommes encore de la pathogénie de l'épilepsie nous ne

saurions préciser le rôle de cette névrose et nous ne pouvons dire si le

syndrome de Dercum apparaît chez une comitiale parce que son mal a

préparé le terrain, ou si ce sont là deux manifestations différentes d'une

même perturbation initiale.

L'intoxication alcoolique, un traumatisme violent que quelques obser-

vations signalent comme étiologie possible ne peuvent être incriminés

dans le cas qui nous occupe.

Dans la maladie de Dercum l'adipose est le plus souvent partielle et

172 PRUNIER

nodulaire, mais il n'en est pas toujours ainsi et à côté de cette forme la plus

communément observée on en décrit une autre mixte où l'adipose,diffuse au

tronc, se présente aux membres en néoplasies nettement circonscrites. Un

dernier type d'infiltration plus rare est diffus et généralisé comme celui

de notre malade ; cependant quelle que soit cette généralisation les extré-

mités sont toujours remarquablement respectées.

Celte, indépendance physiologique des extrémités n'est d'ailleurs pas un

fait appartenant à la seule adipose douloureuse, ne voyons-nous pas en

effet dans l'acromégalie, dans les diverses formes de l'ostéo-arthropathie

hypertrophiante, dans la maladie de Raynaud les extrémités évoluer d'une

façon pathologique pour leur propre compte. Dans l'affection qui nous

occupe elles demeurent au contraire normales et sont indemnes d'une dys-

trophie très généralisée. Elles se comportent dans tous ces cas très diffé-

rents comme jouissant de centres trophiques et régulateurs de nutrition

leur appartenant en propre.

Quant à la douleur de cette adipose elle n'est point toujours, comme chez

notre malade, constante à la pression ; elle peut survenir par crises, appa-

raître spontanément dans les masses adipeuses en voie de développement

avec des périodes de paroxysmes et d'accalmie se succédant à intervalles

variables. Dercum a décrit l'atrophie des fibres des nerfs périphériques,

mais ce sont là des constatations trop inconstantes pour que l'on puisse voir

dans cette affection une névrite périphérique, le tableau et l'évolution cli-

nique sont d'ailleurs tout autres.

Le myxoedème ne semble point sans parenté avec la maladie dont Der-

cum l'a différencié ; celui-ci d'ailleurs leur reconnaît un certain nombre

de traits communs. Nous avons vu chez notre malade la peau sèche, les

poils très rares (notons cependant que la chevelure est abondante), l'as-

thénie, l'extrême apathie, troubles qui font tous partie du tableau symp-

tomatique du myxoedème ; mais dans ce dernier l'infiltration se localise

avec prédilectiou à la face dorsale des' pieds et des mains. On a de plus

décrit dans l'adipose douloureuse comme dans le myxoedème des lésions

du thyroïde et certains ont vu la pathogénie du syndrome de Dercum dans

un trouble de la sécrétion interne de cette glande. Ces lésions sont incons-

tantes et cette pathogénie ne paraît pas s'appliquer à tous les cas.

Quant à l'efficacité du traitement thyroïdien elle a été rarement cons-

tatée. La plupart des malades n'ont, comme la nôtre, point retiré d'amé-

lioration notable de cette médication.

Il est difficile de voir pour l'instant autre chose qu'une coïncidence dans

les cas où ont été observées des lésions oculaires. Dans un cas cependant

ces lésions s'accompagnaient d'une tumeur susceptible d'intéresser le corps

pituitaire; elles prêtaient par là appui à ceux qui, considérant ce corps

ADIPOSE DOULOUREUSE CHEZ UNE IMBÉCILE ÉPILEPTIQUE ET AVEUGLE 173

comme une glande à sécrétion interne, voient dans ses lésions une patho-

génie possible de l'adipose douloureuse.

On ne peut guère admettre qu'il s'agisse dans cette maladie d'un syn-

drome « accidentel » de simples algies survenant chez une obèse. Les

troubles accessoires trophiques, vaso-moteurs, sécrétoires, si souvent

observés sont bien plutôt de nature à faire considérer cette adipose comme

un trouble dystrophique du tissu cellulaire sous-cutané à ranger dans le

vaste groupe des trophonévroses.'

Toutes ces dystrophies cellulo-conjonctives, oedèmes aigus circonscrits,

trophoedémes, lipomatose symétrique douloureuse, pseudo-oedème catato-

nique, myxoedème, maladie de Dercum semblent avoir une pathogénie

analogue : un trouble de l'innervation sympathique sous la dépendance

d'altérations diverses des nombreuses glandes à sécrétion interne.

' Sans vouloir prendre parti pour l'une ou l'autre de ces théories patho-

géniques nous avons simplement tenu à relater un fait de plus.

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE

PAR

HENRY MEIGE

.. (Suite et fin)

- - ii

l'écorché mort ET l'écorché vivant

Parmi les procédés pédagogiques destinés à faire connaître l'anatomie,

il en est un qui jadis fut en honneur, aussi bien dans l'enseignement mé-

dical que dans les écoles artistiques. Nous voulons parler des Écorchés.

Au temps où les cadavres se faisaient rares dans les pavillons de dis-

section, on était obligé d'y suppléer par des démonstrations sur des

statues reproduisant tant bien que mal la musculature humaine. Les écor-

chés eurent donc leur temps de succès. Ils tombèrent bientôt en décadence,

et l'on ne saurait les regretter : les meilleurs ne pouvaient donner que des

idées assez vagues, sinon erronées, de la forme et des rapports muscu-

laires. Eussent-ils été irréprochables, ils n'auraient jamais été suffisants :

leur étude, même approfondie, ne permet pas d'acquérir cette habileté

manuelle, si nécessaire au médecin, que peut seul donner le maniement

prolongé du scalpel.

Pour les artistes, le culte de l'écorché s'est prolongé plus longtemps. Et,

de fait, ce moyen pédagogique est appelé à leur rendre de réels services.

Encore faut-il que ces statues correspondent à leur but, qui est de faciliter

l'analyse scientifique des formes corporelles, mais à une condition, bien

entendu, c'est de rester fidèles à la vérité naturelle. Or, il s'en faut, et de

beaucoup souvent, que les écorchés, même les plus réputés, soient confor-

mes à la réalité morphologique.

Que dire de ceux qui ne sont pas signés d'un nom illustre, et qui ce-

pendant servirent à l'éducation anatomique de tant de générations d'ar-

tistes !

Un exemple à leur propos :

Il y a quelques années, à la vitrine d'un brocanteur, j'aperçus une sta-

tue d'écorché. Elle provenait de la vente d'un atelier. L'attitude préten-

tieuse du sujet, appuyé sur une sorte de colonne, sa musculature assez

floue, indiquaient une oeuvre déjà ancienne où le souci de l'effet artistique

l'emportait sur celui de l'exactitude anatomique. Mais c'était bien un écor-

HENRY MEIGE. UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 175

ché, un écorché tout blanc, qui semblait de plâtre comme tant de ses con-

génères. A peu de frais, j'en fis l'acquisition.

En l'examinant de plus près, je m'aperçus que la peinture blanche en

s'effritant laissait à découvert des parties rosées. Un lavage lit apparaître

un autre écorché colorié, un vrai, avec des muscles rouges, des os

jaunes et des ligaments blancs, d'une exactitude d'ailleurs contestable,

mais qui certainement avait eu la prétention de servir l'enseignement

anatomique.

Or, le lavage aidant, voici que çà et là certains reliefs se brisèrent, tan-

dis qu'en d'autres places se creusaient des gouttières d'abord insoupçon-

nées. Un grand bain, et tout à coup sous celle carapace de plâtre apparut...

un écorché de bois, d'un fin travail, mais d'une piètre valeur anatomique.

Et voici l'explication du mystère : cet écorché de bois avait été en son

temps une statue sainte : Saint Barthélemy lui-même, le patron des Ecor-

chés, son couteau à la main, avec sa peau tout entière déposée comme un

pardessus sur le tronc d'arbre où il appuie négligemment son coude...

Je sais bien que l'anatomiste espagnol, Valverde, qui vivait au xvie siè-

cle, a figuré dans sa myologie un écorché muni des attributs traditionnels

de saint Barthélemy. Mais je n'ai pas oublié non plus la statue de saint

Barthélemy de Marco Agrate, dans la cathédrale de Milan, et je crois volon-

tiers qu'une ancienne sculpture destinée à la dévotion a pu se métamor-

phoser en un écorché d'atelier, sur laquelle peintres et sculpteurs ont sans

doute essayé d'étudier l'anatomie des formes. Et quelle anatomie ! ...

L'aventure assurément est exceptionnelle. Il n'en faudrait pas con-

clure que toutes les statues d'écorchés mises à la disposition des artistes

ont des origines aussi peu scientifiques. Cependant il est sage de conser-

ver quelque réserve au sujet de l'exactitude anatomique de ces oeuvres d'art

ou enseignement.

Dès sa première leçon d'ouverture, à l'Ecole des Beaux-Arts, M. Paul

Richer avait pris soin de mettre ses élèves en garde contre les statues d'é-

corchés.

D'abord, il leur reprochait leur insuffisance : elles ne tiennent pas

compte des aponévroses superficielles, ni de la graisse, qui, en certaines

régions, joue un si grand rôle dans la forme extérieure. Il s'élevait surtout

contre leurs inexactitudes, tant au point de vue anatomique qu'au point

de vue physiologique ; la plupart de ces écorchés. malgré leurs poses mou-

vementées, ce sont que des « manières de cadavres galvanisés «.Quelques-

uns, au point de vue artistique, sont sans doute des oeuvres intéressantes

et non sans valeur ; mais leur rôle pédagogique est très discutable, lors-

qu'il n'est pas dangereux.

176 HENRY MEIGE

A ce propos, le professeur rappelait le geste d'Ingres brisant une

statue d'écorché que quelques-uns de ses élèves avaient introduite dans son

atelier.

Dans son premier cours de l'année 1906-1907, M. Paul Richer a tenu

à justifier ces préventions par des preuves précises, tirées de l'examen

méthodique des écorchés les plus célèbres. Nous avons eu la bonne fortune

d'avoir à notre disposition les notes de ce cours, et la permission d'y faire

de larges emprunts. Rien ne saurait mieux mettre en évidence l'utilité de

la science du nu. Si cette leçon s'adressait surtout à des artistes, les mé-

decins aussi peuvent en faire leur profit.

Une des plus anciennes figurations (l'écorché est une statuette bien

connue attribuée à Michel Ange (pli. XXXIII, A). Ses qualités artistiques

justifient pleinenement la vogue dont elle jouit ; mais au point de vue

anatomique elle mérite plus d'une critique :

« Par exemple, des deux muscles pectoraux, l'un, le gauche, est aplati ;

l'autre, le droit, est gonflé, volumineux. Or, ce dernier s'attache à un bras

fortement relevé ; même contracté, le pectoral dans ces conditions ne peut t

prendre l'aspect globuleux, à cause de l'état de distension dans lequel le

met l'éloignement de ses points d'attache, tandis que celui du côté opposé,

par suile du rapprochement de ces mêmes insertions qui occasionne l'a-

baissement du bras, devrait être au contraire gonflé et volumineux. Il y

a là, en somme, entre la forme donnée aux deux : muscles pectoraux une

curieuse opposition, de sens absolument contraire à celle qu'exigeraient

les lois physiologiques.

« Le vaste externe est divisé dans le sens de sa longueur par un sillon

profond qui fait deux muscles là où il devrait n'y en avoir qu'un.

« Autre remarque : les plis de l'abdomen ne correspondent pas aux divi-

sions des muscles grands droits ; ils reproduisent plutôt l'apparence des

plis cutanés. Ce qui ne saurait exister sur un écorché.

« On peut aussi signaler la trop grande symétrie de position des deux

omoplates et l'inexactitude des muscles qui s'y insèrent, aussi bien que

la fantaisie des saillies qui meublent la région sous-scapulaire. Enfin,

dans la région du flanc, les replis que l'on voit seraient peut-être exacts

chez un sujet revêtu de peau et de graisse, mais ne correspondent nulle-

ment à des reliefs musculaires.

En résumé, « c'est là une oeuvre d'art pleine de mouvement, fort inté-

ressante et fort curieuse, géniale, si l'on veut, mais ce ne sera jamais un

document d'étude. A ce point de vue elle serait pernicieuse, et elle est à

négliger ».

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XX. Pl. XXXIII

A

B

B'

B"

c

C'

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE.

(Henry Meige).

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XX. PI. XXXIV

D

D'

F . ?

- ,r, .

F

F'

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE.

(Henry Meige).

Statues d'écorchés.

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 177

On attribue à Bandinelli une autre statue d'écorché connue sous le nom

d'Ecorché danseur, oeuvre mouvementée, mais dont l'analyse scientifique

révèle encore de graves inexactitudes. La plupart des muscles sont figurés

incorrectement et bon nombre d'entre eux sont difficiles à identifier ; par

exemple, ceux de la face externe de la jambe, ceux de l'avant-bras, ceux

des parties latérales du torse, etc... Les muscles du dos donnent cette ap-

parence de « sac de noix » justement critiquée par Léonard de Vinci.

L'écorché de Bouchardon, d'une pose moins compliquée, présente plus

d'exactitude anatomique (PI. XXXIII, C, C', C"). Il est cependant enta-

ché de bien des erreurs parmi lesquelles il suffit de signaler la forme

du grand pectoral droit, le modelé du genou, du côté de la jambe portante,

le peu de précision des muscles de la face externe de la jambe gauche qui

rappelle l'écorché de Bandinelli ; et, en arrière, le modelé défectueux du

deltoïde, des muscles de l'omoplate et des muscles fessiers.

Il existe au musée de l'Ecole des Beaux-Arts une statue d'écorché dont

on ignore l'origine, mais qui semble bien provenir d'un moulage d'après

nature (Pl. XXXIII, D, D'). On peut donc s'attendre trouver sur elle des

indications plus précises.Mais, ici encore, il importe de se mener, car les

moulages d'ensemble sont extrêmement difficiles à réaliser : la plupart du

temps l'opération se fait séparément pour les différentes parties du corps

qui sont juxtaposées après coup. '

Sur une vue postérieure de cette statue, l'exactitude de la muscula-

ture du dos est incontestable. Mais dans la région fessière où le moulage

est très difficile à faire, ce qu'on appelle magotage, en terme de métier,

crève les yeux : les raccords n'ont rien d'anatomique. Enfin, il n'est pas

malaisé de voir que les muscles figurés sont des muscles morts. C'est en

somme « une statue de cadavre dressée dans une attitude de vie et qui ne

peut pas renseigner davantage que le cadavre lui-même ».

« Mais voici, dit M. Paul Richer, la statue d'écorché la plus fameuse et

la plus répandue dans les centres d'enseignement. C'est l'Ecorché de Hou-

don, qui marque évidemment sur tous les précédents un grand progrès,

et se présente avec des allures d'exactitude qui en imposent et doivent

nous rendre plus circonspects (PI. XXXIV, D, D').

« On y retrouve cependant un certain nombre des erreurs de l'écorché

de Bouchardon, notamment au sujet du grand pectoral. Par contre, les

bras et les jambes sont plus corrects. Mais sur une vue postérieure le tra-

pèze apparaît trop mince, privé de son aponévrose ; on ne distingue guère

le rhomboïde ; les apophyses épineuses de la colonne vertébrale sont ab-

178 UENRY MEIGE

sentes. Les muscles fessiers ont même forme à droite et à gauche, alors

que le sujet ne porte que sur une seule jambe ; et l'on sait combien la sta-

tion hanchée modifie la morphologie de cette région.

« Les plus grosses fautes apparaissent dans la région du genou. En ar-

rière, la partie inférieure du demi-membraneux n'existe pas ; en avant,

l'interligne articulaire est située beaucoup trop haut, et les pelotons adi-

peux sous-rotuliens ainsi que les bourrelets sus-rotuliens font complète-

tement défaut. Il est impossible, à l'aide de ce genou d'écorché de se rendre

compte des formes extérieures du genou d'un modèle vivant placé dans la

même attitude.

« Un sculpteur du commencement du siècle dernier eut l'idée,bonne en

soi,de faire un écorché sur lequel il représentait d'un côté les muscles su-

perficiels et de l'autre les muscles profonds. C'était vouloir parer à l'une

des insuffisances de l'écorché superficiel. Malheureusement, il donna à sa

statue une attitude tourmentée,qui,en détruisant la symétrie entre lesdeux

moitiés de la figure, rendit sa tentative infructueuse. En effet, en rendant

impossible la comparaison entre deux mêmes régions de chaque côté du

corps, ruina du coup la démonstration qui pouvait être faite du rôle très

important de certains muscles profonds dans la forme extérieure.

« On peut lui reprocher aussi quelques erreurs, de peu d'importance il

est vrai,mais surtout une certaine redondance des muscles qui leur enlève

leur accent de vérité. A preuve le muscle grand fessier, volumineux et

lout rond,qui ne donne guère l'idée de ce qu'est véritablement ce muscle

très important.

« Un médecin militaire, chirurgien aux armées de la première Républi-

que, puis professeur au Val-de-Grâce, Salvage, entreprit, vers 1796, de

faire l'écorché de la célèbre statue antique, le Gladiateur combattant. Il

consacra à ce travail beaucoup de temps et beaucoup de peine, et son oeu-

vre qu'il mena à bien, malgré les difficultés sans nombre d'une semblable

entreprise,est aujourd'hui dans notre amphithéâtre d'anatomie. Il publia

en même temps un grand ouvrage dont il dessina lui-même toutes les plan-

ches, sur L'anatomie du Gladiateur combattant (Pl. XXXIV, E, E').

« Vous connaissez tous cettestatue.A part quelques erreurs d'interpréta-

tion, elle donne bien l'explication anatomique de la statue d'Agasias.

« Elle eut un très grand et très légitime succès ; et pendant longtemps

elle fut comme le pivot de l'enseignement de l'anatomie artistique.

« On peut cependant à ce point de vue lui adresser deux reproches :

« 1° Son attitude même,, qui rend difficile et même impossible la dé-

monstration de certaines régions. , 1

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 179

« 2° La façon dont elle a été exécutée, et ce point demande explication.

Salvage a écorché la statue du Gladiateur combattant tout en essayant de

conserver l'aspect général des formes et du modelé ; et, pour cela, il n'a

pas tenu compte de l'épaisseur de la peau, et surtout du pannicule adipeux

qqi la double. Il en résulte que ce sont les muscles eux-mêmes qui occu-

pent toute la place prise sur le vivant par la graisse. ! 1 n'est tenu également

aucun' compte des aponévroses pour la production de certaines formes.

« Sur une vue prise de profil, vous pouvez constater une des principales

erreurs : elle consiste dans le dessin de la crête iliaque, trop surbaissée et

dans le mode d'attache défectueuse des fibres charnues du grand oblique.

« A la partie postérieure du flanc, on peut noter aussi l'absence du bour-

relet graisseux.

« Ces erreurs n'existent pas sur les moulages sur nature que fit exécuter

Salvage. Ces moulages que nous possédons aussi à l'amphithéâtre d'ana-

tomie sont extrêmement curieux et intéressants à étudier. Ils ont été faits

d'après des sujets d'une belle musculature et placés dans l'attitude même

du Gladiateur, ce qui n'était pas fait pour faciliter la besogne.

« La dernière en date des statues d'écorché est celle que fit exécuter le

docteur Fau, vers 1845, par un artiste de valeur, Jacques-Eugène Cau-

dron. L'écorché de Caudron a encore un très légitime succès.

« C'est au point de vue artistique une oeuvre de valeur,pleine d'harmo-

nie et de mouvement ; et, au point de vue de l'exactitude anatomique, il

n'y a guère à lui reprocher qu'une exagération de la structure fasciculaire

des muscles également répandue partout. Sur le vivant, -et cette statue

a évidemment la prétention de représenter un homme en action, les

muscles n'apparaissent pas ainsi subdivisés régulièrement en un aussi

grand nombre de faisceaux.

« Sous ces réserves, cette statue est fort intéressante à consulter, mais à

cause de son attitude violente, elle ne se prête pas à la démonstration

méthodique et régulière. »

Enfin, pour terminer, M. Paul Richer signale une esquisse tout à fait

remarquable d'écorché exécutée par Dalou (PI. XXXIV, F, F').

« C'est une étude inachevée mais d'un haut intérêt, car elle indique

avec sûreté quelques-unes des conditions que doit remplir la statue d'écor-

ché pour être vraiment utile.

« D'abord le sujet est placé dans l'attitude droite, pure et simple, indis-

pensable à la démonstration. Puis, on se rend compte que l'artiste s'est

efforcé de rendre la forme vivante, comme en témoigne le modelé très

exact du grand pectoral, l'indication du bourrelet sus-rotulien qui, pour

la première fois est visible sur un écorché. »

180 HENRY MEIGE

Mais il faut dire que, pour cette esquisse, Dalou s'était inspiré des étu-

des et des dessins déjà publiés par Paul ! -licher, dont il partageait entiè-

rement les idées sur l'anatomie des formes.Malheureusement cette ébauche

est incomplète.

Cette rapide revue des statues d'écorché suffit à montrer combien celles-

ci demeurent insuffisantes pour l'enseignement de la morphologie hu-

maine. -

r « Sur le plus grand nombre, il existe des erreurs anatomiques et surtout

de grosses fautes de physiologie.

« Sur aucune il n'est tenu compte du tissu adipeux sous-cutané qui tient

une si grande place dans la morphologie, pas plus que des aponévroses

superficielles dont l'importance dans certaines régions n'est pas moindre.

« Sur aucune, la comparaison entre l'écorché superficiel et les formes

extérieures, autrement dit la relation entre le nu et les parties profondes,

ne peut être facilement établie.

« Enfin, toutes ont des poses plus ou moins mouvementées qui, au point

de vue de l'enseignement limite considérablement leur utilité. »

Quelles sont donc les( conditions que devrait remplir un écorché pour

prêter un concours vraiment utile à l'enseignement ? ' ?

1° Il devrait, ditM. Paul Richer, avoir l'attitude de convention choisie

par les anatomistes dans leurs descriptions : station droite, les bras tom-

bant le long du corps, la paume des mains tournée en avant, c'est-à-dire

l'avant-bras en supination.Cette pose très simple est la seule qui convienne

aux démonstrations élémentaires, claires et méthodiques. C'est par elle

qu'il faut commencer, Ce n'est qu'ensuite que les attitudes plus complexes

et les mouvements peuvent être étudiés avec fruit. Comment se fait-il

qu'aucun des écorchés n'ait cette attitude ? Probablement parce que

c'était trop simple, mais aussi peul-être parce qu'on a pensé qu'il fallait

parer la science pour la faire accepter des artistes : une belle attitude, un

mouvement intéressant faisant passer ce que peut avoir de désagréable la

vue des muscles mis à nu.

« Mais est-il bien nécessaire de traiter ainsi les artistes comme de

grands enfants qui ont besoin - passez-moi l'expression qu'on leur

dore la pilule ? Je ne le pense pas. La science toute nue est faite aussi

pour eux, mais à la condition qu'elle ne s'entoure pas de voiles obscurs,

qu'elle parle un langage clair et qu'elle leur donne par ses applications

directes l'aide qu'ils sont en droit d'en attendre.

« 2° L'écorché devrait être vraiment l'explication du nu, c'est-à-dire

porter sur lui-même, pour ainsi dire, le rapport entre les parties profon-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. PI. XXXV

l'écorché vivant DE PAUL RICIIER.

Masson & Cie, Éditeurs

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NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SAUÊTRIÈM.

T. XX. PI. XXXVI

L'ÉCORCHÉ VIVANT DE PAUL RICIIER.

Masson & Cie, Editeurs

Plinlnly·le It·Ulinml, Pm

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 181

des et les formes superficielles. Il suffirait pour cela que le sujet étant

figuré dans une attitude absolument symétrique, un seul côté fût « ana-

tomisé », l'autre côté montrant les formes du nu. La comparaison serait

ainsi facilement établie entre deux régions analogues dont l'une,disséquée,

donnerait l'explication de l'autre, recouverte de peau.

« 3° Le nu ne trouvant pas toute son explication dans l'ostéologie et la

musculature, puisqu'il est des régions où la graisse et les aponévroses

. jouent un rôle important, l'écorché devrait nécessairement tenir compte de

ces deux éléments.

« 4° Enfin, comme ce qui nous intéresse surtout c'est la forme vivante,

les muscles à découvert sur notre écorché devraient avoir la forme qu'ils

ont sur le vivant, c'est-à-dire correspondante à l'état physiologique du

muscle en rapport avec l'attitude donnée. Car cette attitude la station

droite quelque simple qu'elle soit, n'est point celle d'un cadavre. Elle

n'existe que conformément aux lois de la vie. Certains muscles sont con-

tractés, d'autres relâchés, d'autres simplement distendus. Et nous savons

que pour un même muscle, une forme spéciale correspond à chacun de

ces divers états.

« Ceux d'entre vous qui ont déjà suivi le cours pratique se souviennent

certainement du soin que j'ai mis à leur faire distinguer sous la peau du

modèle ces divers états musculaires qui sont la manifestation de la vie, et

aussi de l'insistance que j'ai mise à leur demander d'en tenir compte dans

le dessin qu'ils faisaient des muscles.

« C'est là, en effet, le seul moyen de vivifier l'anatomie du mort en lui

demandant d'éclairer l'anatomie du vivant. Mais ce nest pas là une tâche

facile et rien ne serait mieux fait pour en aplanir les difficultés que cette

statue d'écorché dont je parle, qui servirait pour ainsi dire de transition

entre le modèle vivant et le cadavre disséqué aux muscles flasques et sans

formes. »

Eh bien ! cette statue de l'Ecorché vivant, M. Paul Richer l'a réalisée.

Maniant l'ébauchoir après le crayon, il a exécuté lui-même en ronde bosse

cette sculpture d'enseignement qui matérialise en relief les formes exté-

rieures de l'homme en vie. Evitant à dessein les attitudes compliquées qui

déroutent le néophyte, il s'est efforcé de rendre cette image,avant tout,claire

et facilement compréhensible.

L'écorché de Paul Richer se tient debout, en station droite et symétri-

que, sur les deux pieds, dans l'attitude conventionnellement adoptée par

les anatomistes, qui répond le mieux aux besoins de la démonstration.

C'est un homme sain, de taille moyenne, mesurant sept têtes et demie,

à l'ossature solide, aux muscles bien développés (Pl. XXXV et XXXVI).

182 HENRY MEIGE - 1

Il apparaît mi-écorché et mi-nu ; c'est-à-dire que, sur une moitié du

corps, à gauche, la peau et le pannicule adipeux ayant été enlevés, les

muscles sont visibles, avec leurs aponévroses, ainsi que les principaux

paquets graisseux de remplissage, qu'on peut à volonté enlever ou remet-

tre pour les besoins de la démonstration. Du côté droit, le sujet est enve-

loppé de sa peau et de la graisse sous-jacente ayant l'épaisseur que l'on

rencontre chez les sujets vigoureux en pleine santé..

Les muscles écorchés se distinguent les uns des autres par leurs reliefs

et des sillons de séparation suffisamment marqués. Innovation importante,

ils sont représentés avec la forme réelle qui correspond à la pose du sujet.

Sur la tête, sont seuls indiqués les muscles qui jouent un rôle dans

la forme extérieure de cette région, le masséter et le temporal. Les pau-

ciers de la face, traduisant surtout leur existence par des modifications de

la peau à laquelle ils adhèrent, sont moins importants à connaître pour

les artistes. Ceux-ci en effet reproduisent les différentes expressions de la

physionomie d'après les modifications du masque cutané.

La morphologie du corps et des membres est d'une grande exactitude.

On remarque en particulier dans la région thoracique, la forme du

grand pectoral au repos, à la fois distendu dans sa moitié supérieure

et relâché dans sa moitié inférieure, et, par comparaison avec le côté op-

posé, le modelé de la région mammaire où la graisse joue un rote qui n'est

pas à négliger.

Plus bas, on voit les digitations du grand dentelé et du grand oblique,

soulevées par les côtes ; et en avant les muscles grands droits de l'abdo-

men légèrement distendus.

Par contre, dans la région scapulaire, les muscles apparaissent contrac-

tés à cause de la rotation de l'humérus, les mains étant en pronation.

Plus bas, les spinaux sont relâchés de même que les fessiers, confor-

mément à ce qu'on observe encore dans la situation droite bien équilibrée.

Enfin, la comparaison de l'écorché à gauche et du nu à droite permet

d'apprécier pour une même région l'importance du rôle morphologique

de la graisse, en particulier dans la région du flanc et de la fesse. Inutile

' d'ajouter que le modelé du genou est conforme à la description très exacte

qu'en a donnée depuis longtemps M. Paul Richer.

Cette statue réalise donc un incontestable progrès sur les anciennes

statues d'écorchés. Elle matérialise en somme les plus récentes acquisitions

de la morphologie humaine sous une forme toute nouvelle, exactement

adaptée à son but pédagogique.

Si les artistes sont les premiers à en bénéficier, les médecins n'en doi-

vent point faire fi. A défaut de modèles dont l'exhibition en permanence

UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 183

dans un pavillon de dissection n'irait pas sans quelques difficultés, une

statue de ce genre représentant le muscle en place et envie, et, à côté,

la forme extérieure qui le révèle, pourrait être consultée avec fruit par

les étudiants en médecine. Ils seraient ainsi en mesure de comparer le

cadavre au vivant. Leur oeil s'habituerait à la configuration de l'homme

normal ; ils deviendraient plus aptes à découvrir sur le malade les défor-

mations et les anomalies qui mettent sur la voie du diagnostic et du trai-

tement. t.

Ce serait tout au moins un acheminement vers l'enseignement de cette

anatomie vivante, qui s'impose comme un complément indispensable de

l'anatomie descriptive, pour ceux qui, destinés à soigner les hommes,

doivent acquérir une connaissance aussi parfaite qne possible de l'être

humain.

Concluons : il est temps que les médecins, tout en demeurant juste-

ment respectueux du cadavre, se décident à accorder plus d'attention aux

enseignements du vivant.

La voie est désormais tracée. Elle est attrayante ; c'est la voie du pro-

grès de l'Art et de la Science ; elle conduit à des buts utiles au bien

de l'humanité.

Il faut la suivre.

Le gérant : P. Bouchez.

lmp. J. Thevenot ? baint-Dtzter (Haute-Marne).

20° Année N° 3 Mai-Juin

HOSPICE DE BICsTRG

TRAVAIL DU LABORATOIRE DU D' PIERRE MARIE

SYNDROME DE WEBER AVEC IIÉMIANOPSIE

DATANT DE 28 ANS

ÉTUDE ANATOMIQUE ; FOYER DE RAMOLLISSEMENT DANS LE PÉ

CULE, LE CORPS GENOUILLÉ EXTERNE ET LA BANDELETTE

QUE... 9.

PAR n i

ITALO ROSSI ET GUSTAVE ROUSSY (

. (de Milan) Ancien Interne Lauréat des IlÕ]

de Paris.

Le cas, dont nous rapportons dans ce travail l'étude anatomique faite

sur coupes microscopiques sériées, présente un intérêt à la fois clinique

et anatomique.

L'intérêt clinique de ce cas, dû à l'association très rare d'une paralysie

alterne supérieure et d'une hémianopsie homonyme datant de plus de

27 ans, avait motivé, de la part de MM. Pierre Marie et Léri, la présenta-

tion du malade à la Société de Neurologie en mars 1905.

L'étude anatomique que notre maître M. Pierre Marie a bien voulu nous

confier, nous a permis de relever un certain nombre de faits intéressants,

soit en rapport avec la symptomatologie présentée par le malade, soit au

point de vue de la pathologie du pédoncule en général, soit enfin au point

de vue anatomique pur.Nous chercherons à les faire ressortir à la suite de

l'histoire clinique et de l'étude anatomique que nous allons exposer.

Observation CLINIQUE.

Moi...mécanicien, âgé de 57 ans,entre à l'hospice de Bicêtre, salle Bichat, le

5 mai 1903.

Antécédents héréditaires. Rien à noter de particulier.

Le père s'est noyé accidentellement ; la mère est morte à 60 ans d'une affec-

(41 Communication (avec présentation de coupes), faite à la Société de Neurologie,

séance du 2 mai 1907.

xx 12

186 ROSSI ET ROUSSY

tion que le malade ne peut préciser. De quatre frères, trois sont vivants et bien

portants ; le quatrième est mort accidentellement.

Antécédents personnels. - Fièvre typhoïde et variole en 1807, à l'âge de

21 ans.

A 27 ans, chancre unique, induré, pas de traitement spécifique. Le malade

dit avoir eu quelque temps après une plaque rouge sur le thorax ; pas de ro-

séole ni de céphalée.

Les troubles paralytiques ont débuté à l'âge de 32 ans, précédés par de vio-

lentes douleurs à la nuque. Le malade en remarqua les premiers symptômes

une nuit en voulant se lever , il se sentit alors très faible, eut de la difficulté

à se servir de sa main droite et traîna pour la première fois la jambe droite.

En même temps il constata une chute légère de sa paupière gauche. Il n'eut

pas d'ictus proprement dit.

Le lendemain et les jours suivants, l'hémiplégie progressa lentement ainsi

que le ptosis, si bien que le malade fut obligé de s'aliter dix jours après le

début de l'affection. Pendant ce temps la paupière gauche s'était complète-

ment fermée et dans tout le côté droit, y compris la face, la paralysie était

devenue complète. Le malade aurait eu en outrera ce moment un peu de difli-

culté à parler, mais il est difficile de savoir s'il s'agissait ou non d'aphasie

vraie ; il avait du mal à prononcer les mots, il ne pouvait lire (peut-être à

cause de son obnubilation intellectuelle), mais comprenait très bien ce qu'on

lui disait.

Il resta complètement alité pendant deux mois,puis commença à se lever et à

faire quelques pas, fortement soutenu par son frère. L'impotence fonctionnelle

du côté droit s'améliora ainsi légèrement pendant quelques mois encore, bien

que les membres du côté droit se fussent contractures. Il vint à Paris consul-

ter Charcot fit un séjour à la Salpêtrière, puis entra à Bicêtre où il resta de

1880 ;i 1895 ; il en sortit alors jusqu'en 1903, époque à laquelle il y rentra dé-

finitivement.

Depuis 1880 l'état de ses membres du côté droit n'a pas sensiblement varié.

L'oeil gauche resta fermé pendant 5 mois après le début de l'affection, puis le

malade put le rouvrir petit à petit mais toujours incomplètement, comme on

le constate encore aujourd'hui.

C'est au moment où le malade put recommencer à marcher, qu'il s'aperçut

qu'il ne voyait pas les objets situés à sa droite ; il était ainsi obligé de tourner

la tête pour voir une voiture qu'il entendait passer à sa droite et faillit même

de ce fait avoir divers accidents.

Le malade aurait eu aussi de nombreux accès de rire et de pleurer spas-

modiques : « Il riait et ne pouvait s'en empêcher quoiqu'il n'eut aucune envie

de rire. »

Il n'a jamais eu de douleurs dans les membres paralysés ni d'anesthésie,

mais il nous dit que quand on lui appliquait un objet froid sur la jambe droite,

il éprouvait une sensation de violente brûlure. Il n'a jamais eu de troubles

sphinctériens.

Etat actuel (mai 1903). '

SYNDROME DE WEBER AVEC 11É1111101'JII : DATANT DE 28 ANS 187

Motilité : le malade présente une hémiplégie droite typique, avec par-

ticipation du facial et de l'hypoglosse.

Le membre supérieur droit est contracture en flexion : flexion à angle légè-

rement aigu de l'avant-bras, flexion légère du poignet, flexion des doigts dans

la paume de la main au niveau de la première et de la seconde phalange. Tout

mouvement du membre supérieur est impossible sauf un léger degré d'ab-

duction du bras.

Le membre inférieur droit est paralysé et en extension ; il existe de la rai-

deur dans ce membre, mais pas de contracture véritable ; le malade peut le

fléchir quand il s'asseoit.

La face est incomplètement paralysée. Le facial supérieur est pris en partie

aussi ; le malade résiste très peu à la traction en haut de la paupière droite

préalablement fermée ; la fermeture de la paupière gauche est au contraire

plus énergique.

La langue est déviée nettement vers la droite. Pas d'asymétrie ni de para-

lysie appréciable du voile du palais.

Dans la marche la jambe droite étendue reste toujours en arrière de la gau-

clie ; le malade ne fauche pas, mais marche d'une façon très spéciale, « obli-

quement » pour ainsi dire.

Il existe une paralysie presque complète de l'oculo-moteur commun gauche.

La paupière supérieure gauche est tombante, à demi-fermée et le malade est

incapable de la relever complètement, mais il peut cependant découvrir assez

facilement sa pupille. Celle-ci est dilatée et absolument immobile à la lumière

et l'accommodation alors que la pupille droite réagit parfaitement. Lorsqu'on

ouvre et qu'on ferme alternativement la paupière gauche, la pupille droite se

dilate et se contracte (réflexe consensuel) ; lorsqu'au contraire on ferme et on

ouvre la paupière droite, la pupille gauche reste immobile. Les muscles droits

supérieur et inférieur ne semblent pas agir ; le droit interne au contraire se

contracte modérément. Le mouvement de l'oeil en dehors est normal. Le ma-

lade est dans l'impossibilité d'accommoder.

188 ROSSI ET ROUSSY

Sensibilité générale : parfaitement conservée partout, pour tous les modes ;

pas d'anesthésie cornéenne.

Sensibilité spéciale : le goût et l'odorat sont normaux.

La recherche du champ visuel au campimètre montre une hémianopsie ho-

monyme latérale droite des plus nettes, avec sa forme habituelle et la légère

encoche centrale de 10° environ correspondant à la macula.Bien que le malade,

qui ne peut pas accommoder, ait l'impression que sa vue de l'oeil gauche est

très mauvaise, la recherche de l'acuité visuelle donne la valeur 2/3, à gauche

comme à droite. A l'ophtalmoscope, on ne constate aucune lésion du fond de

l'oeil.

Réflexes : le réflexe rotulien est très exagéré à droite, le contra-latéral

fort des deux côtés, ainsi que les réflexes du poignet et du coude.

Le réflexe crémastérien présent à droite, manque à gauche, mais il existe

là une grosse hernie inguinale ; le réflexe abdominal est présent et normal des

deux côtés ; le réflexe cutané plantaire se fait en extension à droite, en flexion

à gauche.

Troubles trophiques : Il existe une atrophie très marquée des membres

du côté droit. La jambe gauche mesure, au milieu du mollet, 34 centimè-

tres, la droite 27 centimètres ; à 5 centimètres au-dessus de la rotule, on a 39

centimètres à gauche et 35 centimètres adroite. Le membre supérieur gau-

che, aussi bien à 10 'centimètres au-dessus de l'apophyse styloïde du radius

qu'au milieu du bras, mesure 3 centimètres de plus que le droit.

Pas de troubles sphinctériens.

Le malade ne présente aucun signe d'aphasie, il lit et écrit très bien de la

main gauche. Pas de dysarthrie.

L'intelligence est bien conservée; la voix est légèrement enrouée.

Aucun trouble viscéral, à part la hernie inguinale.

A la ponction lombaire faite le 7 mai 1903, on retire environ 6 centimètres

cubes de liquide très clair; pas de lymphocytose.

Aucune modification à noter dans l'état du malade de 1903 à 1906.

Mort le 10 avril 1906, à la suite d'une intervention pour hernie étranglée, soit

28 ans après le début de l'affection.

AUTOPSIE. - A l'examen macroscopique du cerveau, on ne constate aucune

lésion au niveau de la surface des deux hémisphères ; les méninges ne sont

pas épaissies et ne sont pas adhérentes à la substance cérébrale. Au niveau de

la base du cerveau, on remarque que le nerf moteur oculaire commun gauche

est un peu plus petit que le droit et que le pédoncule gauche est nettement

atrophié et aplati. Pas de méningite basilaire.

Le cervelet est normal.

On pratique une coupe transversale au niveau de la partie moyenne de la

protubérance, de façon à laisser sa moitié supérieure attenante à la partie su-

périeure du tronc encéphalique qui sera ainsi incluse en bloc. Sur cette coupe

macroscopique on voit que l'étage antérieur de la protubérance est nettement

diminué de volume du côté droit. Sur une coupe passant par la partie moyenne

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PL XXXVII

z - Fù/. 1.

fief. 2.

- Fiff. 3. ? - A»(/. 4.

SYNDROME DE WEBER AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 189

du bulbe, on note une atrophie très marquée de la pyramide bulbaire gauche.

Sur les coupes des différents segments de la moelle enfin, on constate une

atrophie de tout le cordon antéro-latéral du côté droit.

ETUDE microscopique SUR coupes sériées.

Nous avons étudié sur coupes sériées horizontales, la partie supérieure du

tronc encéphalique (capsule interne, région sous-optique et pédoncule cérébral) ;

de même la protubérance et le bulbe. Les lobes lemporo-occipitaux ont été dé-

bités séparément en coupes frontales. L'étude de la moelle a porté sur de nom-

breux fragments prélevés à différentes hauteurs.

Nos coupes ont été traitées, soit par la méthode de Weigert, soit par celle

de Weigert-Pal-coehenille. Pour la moelle (renflements cervical et lombaire),

nous avons fait quelques colorations à t'hématoxytine'éosine et au van Gieson.

L'étude de la série des coupes de ce cas va nous permettre de faire la loca-

lisation exacte du foyer primitif, d'examiner avec soin les différents organes

qu'il a détruits et les dégénérations secondaires qu'il a provoquées. Pour ce faire

nous procéderons de la façon suivante : nous décrirons tout d'abord analyti-

quement, un certain nombre de coupes, dont nous donnons dans les planches

ci-jointes, les reproductions photographiques; nous chercherons ensuite en

nous résumant, à établir d'une façon synthétique la topographie de notre

lésion.

Avant de commencer notre description, nous voulons attirer l'attention sur

le fait que les coupes du tronc encéphalique ne sont pas rigoureusement hori-

zontales ; elles sont en effet légèrement obliques d'arrière en avant et de haut

en bas ; elles sont également très légèrement obliques de droite à gauche et

de haut eu bas ce qui fait qu'elles n'intéressent pas symétriquement les deux

moitiés du tronc encéphalique. Le lecteur aura donc à tenir compte de cette

asymétrie sur les figures ci-jointes. Nous avons nous-mêmes, pour établir la

topographie du foyer, comparé entr'elles les moitiés gauches des coupes de la

série avec celles du côté droit passant exactement au même niveau.

Description des figures. - Sur la coupe représentée (fig. 1) passant par la

partie supérieure de la région sous-optique, et intéressant les tubercules qua-

drijumeaux antérieurs, la partie postérieure du pulvinar, les corps genouillés

externes et internes et la partie supérieure du noyau rouge, on voit un foyer

de ramollissement qui occupe la moitié postérieure du segment postérieur de

la capsule interne. En arrière, ce foyer pousse une pointe vers le pulvinar,

délruit le corps genouillé externe en s'arrêtant à la couche grillagée et au

champ de Wernicke dont il sectionne quelques fibres ; en dehors il s'arrête

au confin du globus pallidus. Il existe en outre un petit foyer isolé du précé-

dent, qui occupe la partie antéro-interne du corps genouillé interne. A noter

enfin, une réduction en largeur de la partie de la capsule interne respectée par

la lésion et une atrophie nette du champ de Wernicke.

Les figures suivantes (fig. 2 et 3) montrent que la lésion occupe la même

situation que sur la coupe précédente mais qu'elle a augmenté d'étendue. Le

petit foyer du corps genouillé interne, qui sur la coupe de la figure 2 est encore

100 R0SS1 ET ROUSSY

nettement indépendant du foyer principal, capsulaire, vient sur la coupe sui-

vante (fig. 3), se réunir à celui-ci en avant, alors qu'en arrière il s'étend jus-

qu'au sillon qui sépare le pulvinar du tubercule quadrijumeau antérieur, en

détruisant ainsi le corps genouillé interne presque en totalité. En dedans ce

foyer s'étend dans la substance réticulée de la calotte dans il détruit une grande

partie.

La lésion détruit en outre ici, en plus de la capsule interne, le corps ge-

nouillé externe (moins une petite partie postérieure) et sectionne complètement

la bandelette optique à sa pénétration dans le corps genouillé externe ainsi

- que dans sa portion circumpédonculaire la plus externe. En avant et en dedans,

elle s'avance vers le pied du pédoncule dont elle lèse la partie avoisinante à

l'extrémité externe du corps de Luys

Le reste du pied du pédoncule, ainsi que le corps de Luys sont nettement

diminués de volume ; le champ de Wernicke est fortement atrophié. A noter

enfin, la dégénérescence presque complète de la bandelette optique gauche (dans

toute sa portion circumpédonculaire non intéressée par le foyer) dans

laquelle ne persistent plus que quelques rares fibres saines, et une diminution

de largeur évidente de la couche des fibres représentant les radiations optiques.

Il n'existe pas dans cette couche de fibres, de dégénération proprement dite,

bien qu'il y ait une légère raréfaction des fibres avec très légère sclérose.

Sur la coupe suivante (fig. 4) passant par les tubercules quadrijumeaux

antérieurs, les corps genouillés externe et interne et la. partie toute posté-

rieur du pulvinar, le foyer détruit la moitié externe du pied du pédoncule, le

corps genouillé interne complètement, le corps genouillé externe presque entiè-

rement, en respectant comme sur les coupes précédentes une petite partie pos-

térieure. En arrière il vient encore léser la partie tout il fait postéro-inférieure

du pulvinar. Comme sur les coupes des figures 2 et 3, la bandelette optique est

complètement détruite à sa pénétration dans le corps genouillé externe en

dedans. Enfin le foyer primitif pénètre dans la partie externe de la calotte, et

sectionne le bras du tubercule quadrijumeau postérieur en totalité ; le ruban

de Reil médian dont il respecte peut-être les fihres les plus internes adja-

centes à la capsule du noyau rouge et le bras du tubercule quadrijumeau

antérieur en grande partie. La lésion détruit encore une grande partie de la

substance réticulée de la calotte et pénètre en dedans entre le noyau rouge

et le corps de Luys pour s'arrêter à la limite interne de celui-ci. On voit

enfin sur cette coupe que la dégénération de la bandelette optique est aussi

nette que sur les coupes précédentes ! et que la couche de fibres représentant

les radiations optiques est moins large du côté gauche qu'à droite et présente

une légère raréfaction de fibres avec sclérose très légère.

La coupe représentée figure 5, nous montre que le foyer détruit les mêmes

formations que sur les coupes précédentes, mais qu'en plus le prolongement

qui pénètre entre le noyau rouge et le corps de Luys tend à augmenter d'éten-

due et vient sectionner les fibres de la partie antérieure de la capsule du noyau

rouge et effleurer à ce niveau la partie tout inférieure du corps de Luys.

La figure suivante (fig. 6 représente une coupe du pédoncule cérébral in-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. PL XXX\'III

Fig. 5.

1 ? 6.

1 ri 7.

19.

Jazz.

ïï(h (<b

SYNDROME DE WEBER AVEC IIÉIIlAN0h31L DATANT DE 28 ANS 191

téressant la partie moyenne des tubercules mammillaires, les fibres radiculai- >-

res les plus antérieures de. la IIIe paire gauche et la partie postéro-inférieure du

corps genouillé interne. La lésion détruit ici, dans la calotte : le bras du tuber-

cule quadrijumeau postérieur, le ruban de Reil médian (exception faite de

sa portion la plus interne) et la région avoisinante de la substance réticulée.

Elle s'avance en avant et en dedans pour détruire les 3/4 externes du pied du

pédoncule et le locus niger en totalité et sectionner, comme sur la coupe de

la figure précédente, les fibres de la portion antérieure de la capsule du noyau

rouge. Elle effleure même à ce niveau la partie adjacente de ce noyau.

A partir de la coupe représentée figure 6, sur toute la série des coupes du

pédoncule et jusqu'à celle représentée figure 8, le foyer primitif qui intéresse le

ruban de Reil médian, le locus niger et la partie antérieure de la capsule du

noyau rouge vient sectionner en outre le groupe externe des fibres de la Tille

paire, lesquelles traversent, comme on le sait, ces différents organes pour se

rendre à leur point de convergence à la face interne du pédoncule.

Sur les trois figures suivantes (fig. 7, 8 et 9), on voit que le foyer primitif se

poursuit aussi bien dans le pied du pédoncule que dans la calotte. Dans le pied

du pédoncule, il détruit presque complètement toutes les fibres qui le compo-

sent, et ne respecte que quelques faisceaux isolés de sa portion interne. Dans

la calotte, il tend à diminuer d'étendue et détruit à ce niveau le ruban de Reil

latéral, le ruban de Reil médian (moins sa portion la plus interna) et la partie

avoisinante de la substance réticulée de la calotte Sur la coupe représentée

figures 8 et 9, les fibres les plus externes du pédoncule cérébelleux supérieur

sont intéressées par la lésion. Sur ces mêmes coupes (fig. 8 et 9) on voit que

les faisceaux extra-pédonculaires de la Ill- paire gauche sont en grande partie

dégénérés. '

Le foyer primitif enfin se termine dans la région inférieure du pédoncule,

au niveau de l'apparition des fibres transversales du pont. A ce niveau (fig. 10)

la lésion de la calotte ne consiste plus que dans un prolongement effilé placé

à sa partie antéro-externe, prolongement qui ne détruit plus que la moitié

externe du ruban de Reil médian et vient en arrière s'arrêter à la partie

antérieure du ruban de Reil latéral dont quelques fibres sont encore sec-

tionnées. Le foyer détruit encore ici le bord interne du pied du pédoncule

dont tout le reste est représenté par du tissu de sclérose au sein duquel per- ,

sistent quelques faisceaux de la voie pyramidale et quelques fibres transversales

du pont. -

Topographie du foyer primitif . - Nous pouvons maintenant, à l'appui de

la description des différentes coupes que nous venons de faire, établir d'une

façon très précise la topographie de notre foyer ; nous verrons ensuite quelles

sont les dégénérations qu'il a provoquées.

L'étude de la série des coupes montre qu'il s'agit d'un vaste foyer de

ramollissement ancien. Ce foyer, de forme irrégulière, beaucoup plus étendu

en hauteur qu'en largeur, occupe la partie externe du tronc encéphalique

gauche, s'étend, de la région sous-thalamique supérieure la région pédon-

culaire inférieure et s'arrête là, au niveau de l'apparition des fibres trans-

192 nossr ET ROUSSY

versales du pont. 1° dans la région sous-optique, le foyer détruit la moitié

postérieure du segment postérieur de la capsule interne en poussant une

pointe en arrière qui va sectionner quelques fibres de la zone réticulée et

détruire la partie tout il fait postéro-inférieure du pulvinar.

2° Au niveau de la région pédonculaire supérieure, il détruit la plus grande

partie des corps genouillés interne et externe ; la bandelette optique entière-

ment, à sa pénétration dans le corps genouillé externe, ainsi que dans sa por-

tion circumpédonculaire la plus externe. En dedans, il envahit la calotte

pédonculaire, en détruisant là une partie du bras du tubercule quadrijumeau

antérieur, le bras du tubercule quadrijumeau postérieur en totalité, le ruban

de Reil médian (moins sa portion tout interne) et une grande partie de la

substance grise réticulée déjà calotte. En plus il pousse une pointe qui pénètre

entre le noyau rouge et le corps de Luys et qui s'arrête à la partie interne de

celui-ci.

En avant enfin, il détruit la moitié externe du pied du pédoncule et coupe

complètement à ce niveau les fibres du faisceau de Turck.

3° Dans tout le reste du pédoncule, jusqu'à son extrémité inférieure, la

lésion se continue aussi bien dans la calotte que dans le pied du pédoncule.

Dans la calotte, au niveau du noyau rouge, elle occupe toujours avec prédilec-

tion la région externe de celle-ci et détruit le ruban de Reil latéral en partie,

le ruban de Reil médian (moins sa portion la plus interne), et la substance

réticulée 'avoisinante de la calotte ; puis s'avançant en dedans, elle pousse

une pointe qui pénètre dans le locus niger, entre le noyau rouge et le pied du

pédoncule, sectionnant à ce niveau les fibres de la capsule du noyau rouge et

même sur une petite hauteur, la partie adjacente de ce noyau lui-même. A ce

niveau le foyer vient enfin sectionner le groupe externe des fibres de la

IIIe paire qui sont prises soit à leur passage à travers la partie interne du ru-

ban de Reil médian, soit dans la partie antéro-externe de la capsule du noyau

rouge, soit enfin dans le locus niger où elles sont coupées par le prolonge-

ment interne du foyer ci-dessus décrit.

Plus bas au niveau de l'entrecroisement des pédoncules cérébelleux supé-

rieurs, le foyer de la calotte, se rétrécit de plus en plus et ne sectionne plus

que la partie antérieure du Reil latéral, la partie externe du Reil médian et

effleure les fibres les plus externes du pédoncule cérébelleux supérieur.

Dans le pied du pédoncule,la lésion au contraire augmente d'étendue de haut t

en bas et détruit même, à un moment donné, presque toutes les fibres qui le

composent,en ne respectant que quelques faisceaux isolés de sa portion interne.

Le foyer se termine enfin, dans le pédoncule au niveau de l'apparition des

fibres transversales du pont.

\ remarquer ici, pour les vaisseaux, que les artères an voisinage et au sein

du foyer, présentent des altérations très nettes d'endoartérite oblitérante ; leurs

parois sont fortement épaissies, surtout au niveau de la tunique interne, dont la

prolifération est parfois très considérable. La lumière des vaisseaux esten géné-

ral fortement rétrécie ; dans quelques-uns, même de gros calibre, elle est com-

plètement oblitérée. Il existe en outre une forte infiltration périvasculaire.

SYNDROME DE WEBER AVEC IILMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 193

Les méninges molles de la base ne sont pas épaissies d'une façon évidente,

mais présentent une infiltration embryonnaire diffuse et discrète.

Dégénérations secondaires. - La lésion 'primitive, que nous venons de dé-

crire a déterminé un certain nombre de lésions dégénératives et atrophiques

dire6tes ou indirectes que nous allons maintenant étudier. Nous commence-

rons par celles que l'on voit sur les coupes du tronc encéphalique intéressant

le foyer primitif, nous verrons ensuite les dégénérations ascendantes sur les

coupes de la région capsulaire moyenne et supérieure et enfin les dégénérations

descendantes dans la protubérance, le bulbe et la moelle.

1° Au niveau du foyer. - Les fihres de la IIIe paire gauche sont en partie

dégénérées ainsi qu'on peut le voir sur les coupes qui les intéressent à leur

sortie de la face interne du pédoncule. La bandelette optique en avant du

point où elle est détruite par lésion présente une dégénération rétrograde

très marquée dans toute sa partie circumpédonculaire; en effet, elle n'est plus

formée que par du tissu de sclérose dense avec légère prolifération nucléaire

au sein duquel ne persistent que quelques rares fibres saines. A la partie an-

térieure de la portion circumpédonculaire de cette bandelette dégénérée, on

voit en plein tissu de sclérose (fig. 3 et 4) une cavité allongée formée par

une perte complète de substance et que l'étude histologique nous permet de

considérer comme étant, non pas le résultat d'une lésion primitive, mais bien

comme l'effet d'un processus de raréfection secondaire au sein de ce tissu de

sclérose très ancien.

Au sur et à mesure qu'on s'approche du chiasma, les fibres redeviennent

plus nombreuses dans la bandelette, et au niveau du chiasma lui-même, on ne

note plus, du côté gauche (fig. 7 et 8), qu'une diminution de volume avec ra-

réfaction légère des fibres accusée surtout à la partie la plus externe.

Il existe enfin, sur toutes les coupes de la série, une atrophie nette du

champ de Wernicke et du corps de Luys du côté gauche. La couche des

fibres représentant les radiations optiques est nettement diminuée de largeur,

atrophiée ; bien qu'il n'existe pas de dégénérescence nette à proprement parler,

on voit que les fibres y sont moins denses et moins serrées que du côté oppo-

sé et qu'il existe une légère prolifération interstitielle. La couche sagittale ex-

terne (faisceau longitudinal inférieur) de ce côté présente le même ordre de

lésions, mais beaucoup moins accusées.

2° Au-dessus du foyer. Sur le petit nombre des coupes sériées, comprises

entre la limite supérieure du foyer et le thalamus et intéressant la région sous-

optique, on voit en dehors du centre médian de Luys, dans la région du ru-

ban de Reil médian, qu'il n'y a pas de dégénération à proprement parler. Dans

cette région cependant, il semble exister une certaine raréfaction des fibres qui

paraissent plus espacées et moins nombreuses qu'à l'état normal. Les noyaux

médian et externe du thalamus ne semblent pas atrophiées, ni présenter d'alté-

rations appréciables, pour autant que les méthodes décoloration employée per-

mettant d'en juger.

Les coupes de la partie supérieure du tronc encéphalique montrent en

outre qu'il existe dans la capsule interne une dégénération rétrograde occupant

194 ROSSI ET ROUSSY

surtout la moitié antérieure du segment postérieur de cette capsule. En effet

si la moitié postérieure du segment postérieur de la capsule interne est moins

développée en largeur qu'à l'état normal, les fibres y sont assez denses et assez

bien colorées alors que dans la moitié antérieure elles sont plus rares et

nettement décolorées.

La série des coupes de la capsule interne montre que cette dégénération

rétrograde diminue progressivement à mesure qu'on étudie des coupes plus

élevées et que dans la portion supérieure de la capsule interne, à partir de la

disparition du 26 segment du noyau lenticulaire, elle n'est plus appréciable.

3° Au-dessous da foyer, on note :

Protubérance. - La moitié gauche de la protubérance (l'étage antérieur

surtout) est nettement moins développée que la droite. Dans l'étage postérieur

on note : une atrophie très marquée du ruban de Reil médian dont la couche

des fibres est réduite au moins des deux tiers par rapport à celle du côté

droit une atrophie moins intense mais évidente cependant du ruban de Reil

latéral et une dégénération nette des fibres de la portion externe de la subs-

tance réticulée. Celle-ci se poursuit, tout en diminuant, jusqu'à la partie

inférieure de la protubérance. Dans l'étage antérieur, on voit une dégénération

presque complète de la voie pyramidale dont seulement quelques petits fais-

ceaux sont conservés à sa partie tout à fait interne.

Bulbe. - On note ici la dégénération complète de la pyramide bulbaire et

l'atrophie très nette de la portion interolivaire de la formation réticulée blanche à

gauche. Ici en effet, ainsi que le montre la figure 11, on voit que les fibres trans-

versales de la région sont bien colorées et nombreuses mais que les fibres cou-

pées perpendiculairement sont fortement diminuées de nombre. Or ce sont

là justement les fibres du ruban de Reil médian dont on poursuit toujours la

forte dégénération rétrograde. La partie antérieure de la formation blanche

interréticulée à gauche est également un peu diminuée de volume et un peu

moins riche en fibres que la partie correspondante du côté droit.

Sur les coupes sériées de la partie inférieure du bulbe, passant par les

noyaux des cordons postérieurs et intéressant l'entrecroisement sensitif,on voit

que le noyau de Goll, et surtout ceux de Burdach et de Monakow du côté

droit sont le siège de lésions atrophiques très nettes. En effet, ces noyaux sont,

sur toute la série des coupes du bulbe, moins développés que ceux du côté

gauche. On y voit en outre une raréfaction très marquée de leur réseau myé-

linique, une forte réduction de nombre et une atrophie de leurs cellules. En

relation avec les lésions de ces noyaux, en relation aussi avec la dégénération

rétrograde très accusée du ruban de Reil médian mentionnée dans la'région

bulbaire supérieure, il existe des lésions atrophiques très manifestes (V. fig. 12),

des fibres arciformes interréticulées du. côté droit, et cela sur toute la série des

coupes intéressant l'entrecroisement piniforme. Le groupe de ces fibres qui est

très apparent du côté gauche, est à droite fortement réduit, les fibres y sont

rares, celles qui persistent sont cependant bien colorées.

Moelle. - Sur les coupes de la moelle, et jusque sur celles du 3e segment

sacré inclusivement, on observe : une atrophie en masse de tout le cordon antéro-

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. XXIX

l¡, Il.

r7,'y ta.

7. /. ? .

Fig. li.

SYNDROME DE WEUEH AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 195

latéral droit, prédominant au niveau du cordon latéral (fig. 13, 14, 15, 16);

une dégénération presque complète du faisceau pyramidal croisé droit et enfin

un éclaircissement avec très légère raréfaction des fibres dans le pyramidal

croisé du côté gauche. A remarquer en outre, ainsi que le montre les figures,

que le faisceau pyramidal direct gauche n'est pas dégénéré mais qu'il existe

simplement une diminution de volume du cordon antérieur gauche par rapport

à celui du côté opposé, bien que la dégénération de la voie pyramidale au

niveau du bulbe, soit complète. Ce fait qui pourrait de prime abord paraître

anormal, n'a rien cependant qui doive nous surprendre. L'ancienneté de l'affec-

tion (28 ans) nous permet d'admettre qu'il a du se passer là un processus sem-

blable à celui qu'on observe communément dans les cas d'hémiplégie cérébrale

infantile très ancienne, c'est-à-dire une résorption progressive des fibres dégé-

nérées du pyramidal direct et un tassement des fibres saines persistantes du

reste du cordon antérieur aboutissant en fin de compte à une atrophie en masse

de ce cordon antérieur.

Les coupes de la moelle colorées au van Gieson, montrent qu'il existe des

lésions de sclérose très accusées dans toute l'aire du pyramidal croisé droit,

et aussi mais très légères dans le gauche. Aucune lésion interstitielle dans le

pyramidal direct gauche.

Les cornes antérieures de la rnoelle ne présentent pas de différence de vol il-

me appréciable d'un côté à l'autre, leur réseau myélinique est également riche

en fibres.

Les cellules enfin des cornes antérieures, sur des coupes colorées au van

Gieson et à 1'liématoxyline-éosine, sont égales en nombre et en volume des

deux côtés.

Les racines antérieures sont normales, ainsi que les vaisseaux et les mé-

ninges de la moelle.

4° Lobe occipital. - Les coupes frontales du lobe occipital gauche mon-

trent qu'il existe une diminution de largeur très notable des couches sagittales

de ce lobe, surtout accusée pour la couche sagittale interne (radiations optiques),

mais évidente aussi pour la couche sagittale externe (faisceau longitudinal infé-

rieur). Ici, comme nous l'avons vu sur les coupes horizontales ci-dessus décrites,

il s'agit d'atrophie plutôt que de dégénération proprement dite. A noter cepen-

dant que, surtout dans la couche sagittale interne, il existe une certaine raré-

faction des fibres de cette couche, ce qui lui donne un aspect plus pâle que celle

du lobe occipital droit.

Les circonvolutions du lobe occipital gauche sont, d'une façon générale, un

peu moins développées que celles du même lobe de l'hémisphère opposé, mais

c'est surtout au niveau des lèvres de la scissure calcarine que cette différence

de volume est très nette. A ce niveau il existe une raréfaction évidente des

fibres radiaires, du ruban de Vicq d'Azir et même des fibres tangentielles pro-

prement dites.Sur des coupes plus fines faites au niveau des deux circonvolutions

péricalcarines et traitées par 1'liémitéiiie-éosine, on voit qu'il existe, comparati-

vement au côté sain, une diminution de largeur évidente des différentes couches

cellulaires, surtout accusée pour les couches profondes (3°, 4e, 5e couches).

196 ROSSI ET ROUSSY

Résumé.

1° Clinique. - Chez un homme, syphilitique, âgé de 32 ans, est ap-

paru, 5 ans après le chancre, dans l'espace de 10 jours, piogressivement

et sans ictus véritable, une hémiplégie droite accompagnée de paralysie

presque complète de la 111° paire gauche et d'hémianopsie homonyme

latérale droite. Dans les mois suivants amélioration légère de l'hémi-

plégie ainsi que de la paralysie de la IIIe paire.

L'examen fait dans le'service 27 ans après le début de l'affection, en

1903, a permis de constater : 1° une hémiplégie spastique droite typi-

que, avec participation du facial et de l'hypoglosse ; 2° une paralysie

presque complète de l'oculo-moteur gauche (paupière gauche à demi-

fermée, paralysie des droits supérieur et inférieur, intégrité partielle

du'droit interne, pupille gauche dilatée et immobile à la lumière et à

l'accommodation ; perte à gauche du réflexe consensuel qui est conservé à

droite) ; 3° une hémianopsie homonyme latérale droite, avec légère en-

coche centrale de 10 degrés environ correspondant à la macula.

Pas de troubles objectifs ou subjectifs de la sensibilité générale. Fond

de l'oeil normal. Goût et odorat normaux. Forte diminution de volume

dans les membres paralysés. Pas de troubles sphinctériens. Pas de dysar-

thrie ni d'aphasie. Intelligence conservée.

Le malade qui a survécu 28 ans après le début de l'affection, est mort

d'un étranglement herniaire en 1906.

2° Anatomique. - Il s'agit d'un foyer de ramollissement ancien, occu-

pant avec prédilection , la région externe du tronc encéphalique gauche

et s'étendant de la région sous-optique à la partie inférieure du pé-

doncule. En haut, ce foyer détruit la moitié postérieure du segment

postérieur de la capsule inlerne et effleure l'extrémité postéro-interne

du pulvinar ; plus bas, les corps genouillés externe et interne dans

leur plus grande partie et la bandelette optique, soit à sa pénétra-

Lion-dans le corps genouillé externe, soit dans sa portion circumpé-

donculaire la plus externe. Dans le pédoncule, la lésion s'étend à la fois

dans la calotte et dans l'étage antérieur de celui-ci ; dans la calotte, il dé-

truit : les bras des tubercules quadrijumeaux antérieur et postérieur, le

ruban de Reil latéral en partie, le ruban de Reil médian en presque

totalité et la partie adjacente de la substance réticulée de la calotte. En

dedans, il pousse une pointe qui s'insinue entre le noyau rouge et le

pied du pédoncule, en plein locus niger et vient sectionner le groupe

externe des fibres de la Ille paire.

Dans le pied du pédoncule, le foyer qui a sectionnné la partie

externe du locus niger, détruit en haut la moitié externe de ce pied et

SYNDROME DE WEBER AVEC UÉMIANOPS1E DATANT DE 28 ANS 197

plus bas tout le pied du pédoncule, exception faite pour quelques petits

faisceaux les plus internes.

Le lobe occipital est indemne de tout foyer primitif.

Comme dégénérations secondaires, directes ou indirectes, nous avons

vu que le foyer avait déterminé : une dégénération rétrograde très mar-

quée de la bandelette optique gauche; une atrophie du champ de Wernicke

et des couches sagittales interne et externe du lobe temporo-occipital ;

une dégénération rétrograde du segment postérieur de la capsule interne ;

une dégénération très marquée de la voie pyramidale, qui se p ''

jusqu'au 3e segment sacré; et une dégénération rétrograde des pi

nifestes, du ruban de Reil médian, que l'on suit dans la protubéi

dans le bulbe jusqu'au niveau des noyaux des cordons postérieurs.

* .

..

Le cas que nous venons d'étudier est avant tout intéressant pai

reté. Si en effet les observations cliniques ou anatomo-cliniques ue syn-

drome de Weber sont loin d'être fréquentes dans la littérature, les cas

de paralysie alterne supérieure associés à l'hémianopsie sont extrêmement

rares. Nous n'avons pu en retrouver que 6 cas publiés jusqu'ici (Leyden,

Martius, Wernicke, Blessigs, Rudnieur, Joffroy), et parmi ceux-ci un

seul (Blessys) a été suivi d'autopsie et n'a fait l'objet que d'une simple

description anatomique macroscopique. Le cas que nous rapportons

aujourd'hui, étudié sur coupes sériées, vient donc apporter une con-

tribution non dépourvue d'intérêt à l'anatomie pathologique de l'associa-

tion morbide en question.

Si'on envisage la question au point de vue théorique, et si on se de-

mande quelles sont les conditions anatomiques et pathologiques de l'as-

sociation de la paralysie alterne supérieure et de l'hémianopsie homonyme,

on voit que le mécanisme de production de cette association morbide n'est

pas unique, mais qu'il peut être dû à des causes variées. Et ceci esl dicté

soit par les rapports de contiguïté que contracte le pédoncule cérébral

avec des organes dont la destruction est susceptible de provoquer l'hémia-

nopsie (bandelette optique, corps genouillé externe), soit pas la commu-

nauté d'irrigation artérielle qui existe entre le pédoncule cérébral et les

voies optiques centrales.

Il est facile de comprendre qu'une tumeur, siégeant dans une moitié du

pédoncule cérébral puisse, par extension en dehors, intéresser soit la

bandelette optique en un point quelconque de son tiajet circumpédon-

culaire, soit le corps genouillé externe soit les deux organes concomi-

tamment, et ajouter ainsi au syndrome caractéristique du pédoncule céré-

bral, la paralysie alterne supérieure, celui de la bandelette optique

ou du corps genouillé externe, - l'hémianopsie homonyme.

198 ROSSI ET ROUSSY

De même, si on prend ici en considération les cas de syndrome de

Weber par lésions d'origine non pas intra, mais bien extra-pédonculaire,

il est aisé de concevoir qu'un processus morbide basal puisse produire,

par compression ou invasion du pied du pédoncule et de la bandelette

optique, l'association morbide en question.

Rudnieur (1) admet pour son cas clinique l'un ou l'autre de ces*méca-

nismes pathogéniques. Il s'agit d'un homme de 30 ans, chez lequel s'est

développé un complexus symptomatique représenté par une hémiparésie

droite, une paralysie totale de la III' paire gauche, et une hémianopsie

homonyme droite avec réaction hémiopique de l'oeil droit. L'auteur émet

l'hypothèse de l'existence, soit d'une tumeur syphilitique intra-pédon-

culaire intéressant en même temps la bandelette optique, soit d'une

pachyméningite syphilitique.

Pour ce qui est de la syphilis cérébrale en particulier, où l'on voit si

souvent coïncider des lésions méningitiques basales avec des lésions arté-

rielles surtout du même côté, il est également possible de concevoir - bien

que la démonstration anatomique n'ait pas été faite jusqu'ici - que l'as-

sociation de la paralysie alterne supérieure et de l'hémianopsie puisse

être produite par la coexistence d'une lésion de la bandelette, d'origine

basale et d'un foyer de ramollissement pédonculaire, d'origine artérielle.

Ce serait là, pour ainsi dire, l'homologue de ce que Oppenheim a pu ob-

server dans un cas de syndrome de Weber au cours d'une syphilis céré-

brale. Dans cette observation en effet, la paralysie alterne supérieure

n'était pas due, comme c'est le cas plus habituel au cours de la syphilis

cérébrale, à une gomme ou à un foyer de ramollissement du pédoncule

cérébral, mais elle relevait de la coexistence d'une méningite basale

gommeuse intéressant la III° paire et d'un foyer de ramollissement placé

dans la capsule interne du même côté.

La lésion intéressant en même temps le pédoncule cérébral et la ban-

delette optique peut être aussi d'origine traumatique. Le cas de Wer-

nicke (2) publié en z quoiqu'isolé et non suivi d'autopsie - semble

en effet le prouver. A la suite d'une blessure faite avec un couteau dans la

région temporale gauche, le malade de Wernicke avait présenté une mo-

noplégie facio-brachiale droite', associée à un léger ptosis gauche et à une

hémianopsie homonyme droite avec réaction hémiopique. L'auteur s'appuie

sur la présence du ptosis et sur celle de la réaction hémiopique (qu'il

juge pathognomonique des lésions de la bandelette) pour admettre que dans

(i) Rudnieur, Journ. d. Nerven u. psychiatr. medicin (russe), 1897, Bd, II ; analysé

in : Neurologisches Centralblatt, 1890, p. 817.

(2) WERNiCKE, Allg. Wien. Med. Zeitung, 1893, n" 48-49.

SYNDROME DE WEBER AVEC HéMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 199

son cas, il doit s'agir d'une lésion du pédoncule gauche faite par l'instru-

ment tranchant à l'endroit où le pédoncule est entouré par la bandelette

optique.

La lésion capable de provoquer l'association morbide dont il est ques-

tion, peut être enfin d'origine vasculaire. Cette modalité est particulière-

ment intéressante parce qu'ici la symptomatologie peut être produite

d'emblée et non pas d'une façon progressive, par l'adjonction successive

des divers symptômes, comme on l'observerait dans les cas de tumeur.

Dans l'ordre des lésions d'origine vasculaire il faut cependant faire une

distinction entre les hémorragies et les ramollissements.

Une hémorragie du pédoncule peut à priori, par diffusion à la bande-

lette optique adjacente et au corps genouillé externe, produire - en plus

de la paralysie alterne supérieure une hémanopsie homonyme qui sera

temporaire ou définitive selon que ces deux organes auront été seulement

comprimés ou au contraire détruits par l'irruption sanguine. Nous n'a-

vons pas trouvé dans la littérature des cas anatomo-cliniques confirmant

cette éventualité. Cela tient très vraisemblablement à ce que, dans de tels

cas, l'hémorragie du pédoncule doit être si considérable que la mort sur-

vient très rapidement, dans le coma même, et qu'il est impossible ainsi de

faire une étude précise des symptômes présentés par le malade et en par-

ticulier de l'hémianopsie. ^

Le fait contraire, à savoir une hémorragie de la bandelette optique ou du

corps genouillé externe produisant une compression du pédoncule ou fai-

sant irruption dans celui-ci est également concevable. Mais ces hémorra-

gies, on le sait, sont extrêmement rares ; on comprend en outre difficile-

ment qu'une hémorragie due à la rupture d'artères de petit calibre, comme

celle de la bandelette optique, puisse retentir sur le pédoncule de façon

à déterminer le syndrome de Weber. Cette éventualité a été cependant

admise par Martius (1) à propos d'un cas qu'il eut l'occasion d'obser-

ver. Il s'agissait d'un individu âgé de 24 ans, non syphilitique, qui à la

suite d'un ictus avec de graves phénomènes généraux, présenta les

symptômes suivants : hémiplégie sensitivo-motrice gauche, parésie par-

tielle de l'oculo-moteur commun droit, hémianopsie gauche homonyme

avec réaction pupillaire hémiopique. En peu de temps les deux premiers

* symptômes disparurent complètement et l'hémianopsie seule persista.

Le .début apoplectiforme à la suite d'un effort musculaire, le manque

de toute autre cause étiologique (surtout de la syphilis) et l'évolution de

la maladie, firent admettre à Martius l'hypothèse que dans ce cas il

devait s'agir d'une hémorragie circonscrite, détruisant complètement la

(1) lIIARTIUS, Charité Annalen. 13 Jahrgang, 1S88, p. 261.

200 ROSSI ET ROUSSY

bandelette optique droite et produisant, par compression de la voie

pyramidale dans le pédoncule et de quelques fibres radiculaires de la

Ille paire du même côté, l'hémiplégie gauche et la parésie de la IIIe paire

droite.

L'association de la paralysie alterne supérieure et de l'hémianopsie

peut être enfin la conséquence d'oblitération vasculaire ; des faits ana-

tomo-cliniques sont là pour le prouver. Les conditions de la circulation

du pédoncule cérébral, des voies et des centres optiques peuvent nous

expliquer la possibilité de cette association morbide et nous montrer

comment elle peut être due à l'oblitération d'un tronc vasculaire unique :

l'artère cérébrale postérieure.

On sait en effet que cette artère dans sa première portion directe ou

ascendante- comprise entre le tronc basilaire et le point où elle reçoit la

communicante postérieure - donne de nombreuses collatérales se rendant

au pédoncule cérébral, et surtout à la partie antérieure et interne de

celui-ci (artère de l'oculo-moteur commun, artères pédonculaires inter-

nes). Au delà du point d'anastomose avec la communicante postérieure,

l'artère cérébrale postérieure donne des artères collatérales et terminales

qui se rendent entr'autres aux corps genouillés externe et interne, à une

grande partie du lobe temporal et au lobe occipital. On comprend aisé-

ment que l'oblitération isolée de la première portion de la cérébrale pos-

térieure, tenant sous sa dépendance par ses collatérales et à elle seule

presque complètement, la circulation de la partie antéro-interne du pé-

doncule, puisse être la cause d'une paralysie alterne supérieure. En effet,

dans le foyer de ramollissement qu'elle provoque se trouvent comprises,

et la voie pyramidale et les fibres de la IIIe paire à leur point de conver-

gence à la partie interne du pédoncule. D'Astros (1) a recueilli des faits

anatomiques de cet ordre et a bien montré que la paralysie alterne supé-

rieure est « fonction de l'oblitération de la portion directe de la cérébrale

postérieure ou de ses branches ». Mais si la thrombose ne se limite pas à la

première portion de la cérébrale postérieure et qu'elle s'étend encore jus-

qu'au delà du point d'embouchure de la communicante postérieure, les

branches terminales de la cérébrale postérieure ne trouveront plus

comme dans les conditions précédentes, une suppléance d'irrigation au

moyen de la communicante postérieure. La circulation sera donc aussi

interrompue dans les branches terminales de l'artère cérébrale postérieure

et on aura dans ces conditions un double foyer, l'un pédonculaire, déter-

minant la paralysie alterne supérieure, l'autre temporo-occipital provo-

quant l'hémianopsie.

(1) D'AsTnos, Pathologie du pédoncule cérébral, Revue de médecine, t. XIV, janvier

et février 1894.

SYNDROME DE WEBER AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 20l

Cette éventualité n'est pas une simple hypothèse. Luton (1) déjà, dans

un cas de syndrome de Weber,avait observé à l'autopsie la coexistence d'un

foyer de ramollissement pédonculaire droit et de deux autres foyers dans

l'hémisphère du même côté siégeant dans le domaine des branches termi-

nales de l'artère cérébrale postérieure (un foyer à l'extrémité de la corne

sphénoïdale,un deuxième au sommet du lobe occipital). Dans l'observation

de Blessigs (2) il existait aussi un foyer pédonculaire et un foyer occipital,

mais ce dernier avait en plus déterminé de l'hémianopsie qui était ainsi

associée à la paralysie alterne supérieure produite par le foyer pédoncu-

laire. Il s'agissait ici d'un vieillard de 68 ans chez lequel s'était déve-

loppé, peu à peu, dans l'espace de quelques jours, un complexussympto-

matique représenté par une hémiplégie gauche, une paralysie presque

complète de la troisième paire droite et une hémianopsie homonyme gau-

che. Dans les mois suivants, amélioration progressive de l'ophtalmoplégie

qui disparaît complètement, tandis que l'hémiplégie et l'hémianopsie per-

sistent jusqu'à la mort survenue un an et demi après le début de l'affec-

tion. A l'autopsie, purement macroscopique, on constate : artère cérébrale

postérieure oblitérée, pédoncule petit, aplati, avec une cicatrice dans le

locus niger. L'auteur ne donne pas de renseignement sur l'état du lobe oc-

cipital, mais dit que l'hémianopsie doit être considérée comme d'origine

corticale et due elle aussi, comme la paralysie alterne supérieure, à l'oblité-

ration de l'artère cérébrale postérieure. Pour lui, le complexus sympto-

matique paralysie alterne supérieure plus hémianopsie - est caracté-

ristique de l'oblitération de l'artère cérébrale postérieure.

Une observation clinique analogue a été rapportée par Joffroy (3) ; chez

une femme de 58 ans, gauchère, à la suite d'une attaque d'apoplexie avec

perte de connaissance prolongée et complète, on observe une hémiplégie

gauche très accusée, une paralysie de la III0 paire droite, une hémianopsie

gauche homonyme et de la paraphasie. L'auteur soumet son cas à une

analyse très minutieuse pour chercher à localiser le point précis où doit

s'être produit la thrombose de l'artère cérébrale postérieure droite. A

cause de l'amélioration de la paralysie de la IIIe paire et de l'hémiplé-

gie, dans les trois semaines qui suivent l'ictus, l'auteur rejette l'hy-

pothèse d'une thrombose de l'artère cérébrale postérieure sur la plus

grande partie de son tronc, depuis son origine jusqu'au delà du point où

elle reçoit la communicante postérieure. Il admet au contraire l'hypo-

thèse d'une thrombose de la cérébrale postérieure au niveau de l'anasto-

(1) LUT011, cité par d'AsTnos, loc. cit.

(2) Blessigs, St-Petersburger med. V'oc'henschritt, 1897, n. 15, p. 731.

(3) JOFIIROY, Syndrome temporaire de Weber avec hémiopie permanente. Nouvelle

Iconographie de la Salpêtrière, 1898 p. I, 1,

xx 13

202 ROSSI ET ROUSSY

mose avec la communicante postérieure ; celte localisation de l'obli-

tération expliquerait et la symptomatologie présentée par le malade et

l'évolution des symptômes. La thrombose ainsi localisée aurait en effet

produit : une suspension complète de la circulation dans les branches

terminales de la céréblale postérieure, d'où l'hémiopie et les symptômes

temporaires d'aphasie sensorielle ; un ralentissement considérable de la

circulation dans la partie de la cérébrale postérieure s'étendant de son

origine jusqu'au voisinage de la communicante postérieure, ainsi que

dans les collatérales qui en partent, d'où le syndrome de Weber tem-

poraire. Ici, en effet, la circulation ralentie aurait permis une nutrition

suffisante du pédoncule « pour éviter la mort des tissus et attendre le

rétablissement d'une circulation plus active, soit par la disparition du

trombus, soit par l'élargissement des vaisseaux non oblitérés ».

D'Astros, au travail duquel l'observation de Blessigs est postérieure,

admet aussi la possibilité de l'association morbide en question par lésion

de la cérébrale postérieure : « la coïncidence, dit-il, de lésions oblité-

rantes dans la cérébrale postérieure à son origine (ramollissement pé-

donculaire) et dans ses branches terminales (ramollissement occipital)

pourrait se traduire par cette association de symptômes : paralysie

alterne supérieure avec hémianopsie ». Pour l'auteur ce n'est que par

l'intermédiaire du ramollissement occipital que la lésion de la cérébrale

postérieure pourrait donner lieu à l'hémianopsie. La tendance qu'aurait

Leyden (1) à attribuer l'hémianopsie à la lésion de la bandelette optique

dans le fait clinique qu'il rapporte et dans lequel l'association morbide

qu'il observa était très vraisemblablement sous la dépendance d'une

affection de l'artère cérébrale postérieure, n'est pas soutenable, selon

d'Astros. En effet, pour cet auteur, la plupart des artères de la bande-

lette optique proviennent non pas de la cérébrale postérieure, mais de

la communicante postérieure.

Voyons maintenant ce qui s'est passé dans notre cas particulier. Ici, le

foyer pédonculaire ne correspond pas au district d'irrigation de toutes les

artères collatérales de la cérébrale postérieure se rendant au pédoncule.

Nous avons vu, que le foyer siégeait de préférence dans la partie antéro-

externe du pédoncule et que la partie interne de celui-ci était épargnée.

Or la conservation de la partie interne du pédoncule est incompatible

avec l'oblitération complète de la première portion de la cérébrale posté-

rieure, car dans ce cas,c'est justement cette partie interne qui est avant tout

intéressée. Et encore d'Astros, qui a soumis cette question à une étude

approfondie, dit que dans ces cas le ramollissement occupe seulement les

(1) Leyden, Zeitschrift für klin. Medic, 1882.

SYNDROME DE WEBER AVEC HEMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 203

régions internes et antérieures du pédoncule, tandis que les parties ex-

ternes et surtout postérieures restent relativement indemnes. Ce fait relève

des conditions de la circulation pédonculaire. Les études de Duret(l),

Heubner (2), Alezais et d'Astros (3), Shimamura (4) sur la circulation du

pédoncule, nous ont montré que parmi les artères collatérales issues de

la première portion de la cérébrale postérieure, celles qui se rendent aux

parties antéro-internes de celui-ci(artère de l'oculo-moteur commun, ar-

tères pédonculaires internes) sont des artères terminales, tenant sous leur-

dépendance presque exclusive la circulation de cette région ; au contraire,

les collatérales de la même portion de la cérébrale postérieure se rendant

à la partie externe du pédoncule ne sont pas terminales, mais s'anastomo-

sent richement, surtout dans les parties latérales de la calotte, avec des

collatérales issues soit de la portion réfléchie de la cérébrale postérieure,

soit de la communicante postérieure et de la cérébelleuse supérieure.

Dans notre cas, par conséquent, la situation particulière du foyer pédon-

culaire qui, tout en détruisant presque complètement la partie antérieure

de celui-ci (étage inférieur), respecte complètement les parties internes du

pédoncule et intéresse au contraire la partie externe de la calotte, prouve

que la portion directe de la cérébrale postérieure n'a pas été oblitérée

complètement et que l'interruption de la circulation sanguine s'est fait t

sentir seulement clans quelques-unes de ses collatérales ; cette situation

du foyer montre en outre que d'autres collatérales issues soit de la portion

réfléchie de la cérébrale postérieure, soit delà communicante postérieure,

soit de la cérébelleuse supérieure doivent avoir été le siège d'une oblité-

ration. On est porté à cette déduction non seulementpar la topographie

du foyer pédonculaire, mais aussi par l'extension de ce' foyer en dehors

du pédoncule proprement dit. Nous voyons en effet que la lésion intéresse

aussi les corps geuouillés externe et interne, la bandelette optique à son

entrée dans le corps genouillé externe et dans une portion de son trajet

circumpédonculaire ainsi que la moitié postérieure du segment sous-len-

ticulaire de la capsule interne. Or si les lésions de corps genouillés externe

et interne relèvent elles aussi, de l'interruption de la circulation dans une

collatérale issue de la cérébrale postérieure (artère des corps genouillés

qui vient de la partie réfléchie de la cérébrale postérieure), la lésion de

la bandelette optique et de la moitié postérieure du segment sous-lenti-

culaire de la capsule interne ne peut pas être autrement expliquée qu'en

admettant une oblitération des collatérales issues de la communicante

postérieure et de la choroïdienne antérieure.

(1) Duket, Archives de Physiologie, 1814.

(2) HEUBNER, Die luetische Erkrankùung der Hirnarterien, 1874.

(3) ALBZAIS et d'ASTROS, Journal de l'anat. et de la physiologie, 1892, no 5, p. 519,

(4) Shimamura, Neurologisches Centralblatt, 1894, p. 685 et 769.

204 BOSS) ET ROUSSY

C'est ainsi que le foyer de ramollissement, qui dans notre cas avait donné

lieu à l'association morbide de la paralysie alterne supérieure et de l'hé-

mianopsie, n'est pas un foyer unique, relevant d'une lésion artérielle

unique, mais doit être envisagé comme la conglomération de foyers mul-

tiples, relevant de l'oblitération d'origine spécifique de certaines collatéra-

les de différentes artères (cérébralepostérieure, communicante postérieure,

cérébelleuse supérieure, choroïdienne antérieure). Nous avons pu cons-

tater en effet, autour et au sein du foyer,des altérations très accusées d'en-

dartérite oblitérante dans de nombreux vaisseaux, de calibre divers ;

dans plusieurs d'entre eux l'oblitération était complète.

Ce fait, petits foyers multiples de ramollissement susceptibles de se

réunir en un seul, n'estpas étranger aux caractères de l'artérite cérébrale

syphilitique ; il peut encore expliquer l'évolution de l'affection présentée

par notre malade, chez lequel les symptômes atteignirent leur maximum

d'intensité en [une dizaine de jours, progressivement, sans ictus pro-

prement dit.

Si nous cherchons maintenant à rapprocher la symptomatologie pré-

sentée par le malade et les lésions que l'étude anatomique a permis de

constater, nous voyons que certains points méritent d'être pris en consi-

dération.

Un premier digne d'être relevé dans notre observation est l'absence de

troubles de la sensibilité générale, bien que, nous l'avons vu, il existât sur

toute la hauteur de la calotte pédonculaire, une destruction presque com-

plète du ruban de Reil médian (dont seules les fibres les plus internes,

adjacentes au noyau rouge étaient conservées) et une destruction d'une

grande partie delà substance réticulée. On sait en effet, que dans les cas

de lésions pédonculaires, lorsque la région de la calotte participe à la

lésion, on peut observer des troubles de la sensibilité générale du côté

de l'hémiplégie ; leur présence, leur intensité et leur durée sont sous la

dépendance du siège et de l'étendue de la lésion de la calotte. Les auteurs

admettent, avec von Monakow et Nothnagel, que pour qu'il y ait des trou-

bles accusés et durables de la sensibilité, dans les cas de foyer pédoncu-

laire, il faut qu'une grande partie de la calotte (surtout sa partie externe)

soit intéressée et qu'ainsi la région occupée par les fibres du ruban de

Reil médian et les parties latérales de la formation réticulée grise soient

complètement détruites. Les troubles sensitifs par contre peuvent manquer,

ou ne persister que peu de temps, d'après von Monakow, lorsque la lésion

du ruban de Reil médian n'est que partielle ou qu'elle se fait lentement,

comme dans les cas de tumeur.

L'absence de troubles sensitifs dans notre cas, où il existe les conditions

ci-dessus décrites pour la production des troubles sensitifs, est donc loin

SYNDROME DE WEBER AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 205

d'être facile à expliquer. Peut-être est-elle due au fait que quelques rares

fibres de la portion la plus interne du ruban deReil médian ontété conser-

vées ? Pent-être aussi - ce qui est beaucoup plus vraisemblable - les

troubles sensitifs ont-ils existé à un moment donné chez notre malade.Nous

avons vu il est vrai, qu'il n'avait jamais eu de troubles sensitifs subjectifs, de

douleurs d'origine centrale du côté hémiplégie, et que dans l'histoire de sa

maladie on ne retrouvait signalés, comme troubles objectifs de la sensibi-

lité, que quelques phénomènes dysesthésiques ; mais l'observation clini-

que que nous rapportons n'a été recueillie qu'en 1903, soit 25 ans après

le début de l'affection et c'est à ce moment qu'on note l'absence des trou-

bles de la sensibilité ; avant cette date tous les renseignements que nous

trouvons colligés dans l'observation, ne reposent que sur le dire du malade

lui-même. Il est donc logique d'admettre, que si certaines modalités de la

sensibilité, comme celle du tact, de la douleur et de la température n'ont

pas dû être altérées profondément - car le malade s'en serait aperçu -

elles peuvent avoir été touchées légèrement et qu'en même temps, peuvent

avoir été atteintes d'au très modalités de la sensibi lité, comme les sensibilités

profondes, le sens musculaire, le sens stéréognostic. Et cela d'autant

plus, qu'on sait (Monakow) que dans les cas d'hémianesthésie d'origine

mésocéphalique, (par lésion du ruban de Reil médian) ce sont surtout

les troubles de sensibilité profonde qui prédominent. Il est d'ailleurs facile

de comprendre que de tels troubles puissent parfaitement exister à l'insu

d'un malade qui, comme le nôtre, est frappé d'une hémiplégie avec con-

tracture. Quoi qu'il en soit, l'absence certaine de troubles sensitifs cons-

tatée 23 ans après le début de l'affection nous montre que si ceux-ci ont

existé, ils n'ont pas persisté jusqu'à une période aussi éloignée du début

de l'affection.

Nous ne retrouvons pas dans notre observation de renseignements re-

latifs à la réaction hémiopique de Wernicke ; nous savons seulement que

l'oeil droit réagissait bien à la lumière et à l'accommodation. Mais nous ne

savons pas si, pour l'oeil droit, le réflexe pupillaire à la lumière pouvait

être obtenu par l'excitation lumineuse des deux moitiés de la rétine in-

différemment ou seulement de la moitié ayant conservé sa fonction nor-

male. Le manque de renseignements précis à ce sujet dans l'observation

clinique est regrettable, car nous trouvons remplies dans notre cas les

meilleures conditions pour la production de la réaction hémiopique qui,

selon Wernicke et d'autres auteurs, serait constante dans les lésions com-

plètes de la bandelette optique.

De. même, il n'existe pas dans l'histoire clinique de notre malade de

renseignements sur l'état de la fonction auditive ; ce fait enlève toute va-

leur anatomo-clinique à la lésion constatée du ruban de Reil latéral et du

corps genouillé interne, formations qui sont, paraît-il, en rapport intime

206 ROSSI ET ROUSSY

avec la fonction auditive. Leur destruction, en effet, amènerait des trou-

bles auditifs dans l'oreille opposée à la lésion, selon Weinland ; bilaté-

raux, selon Siebemann.

Un autre point digne, d'être relevé dans notre observation, concerne la

paralysie de la IIIe paire. Nous avons vu d'une part qu'il existait une

paralysie de la IIIe paire intéressant presque complètement la musculature

externe de l'oeil innervé par ce nerf et complètement la musculature

interne; la pupille gauche était immobile, non seulement à la lumière

mais aussi à l'accommodation, et existait en outre une paralysie de l'ac-

commodation. Nous avons vu d'autre part, que le foyer de ramollisse-

ment intéressait le groupe des fibres externes du moteur oculaire commun,

et respectait les fibres internes, et cela sur toute la hauteur du pédoncule.

Or ce fait, c'est-à-dire la conservation des fibres radiculaires médianes,

rapproché de la paralysie complète de la musculature interne de l'oeil

semble être en contradiction avec l'opinion soutenue par Bernheimer et

d'autres, selon laquelle les fibres radiculaires médianes les plus proxima-

les de la IIIe paire appartiendraient à la musculature interne. - Mais,

comme il s'agit dans notre cas d'un syphilitique, etqu'on pourrait à toute

rigueur objecter que l'abolition des réflexes pupillaires et la paralysie de

l'accommodation soient sous la dépendance directe de la syphillis, nous

nous bornons ici à relever le fait, sansvouioirprétendreprendreparti dans

la question encore loin d'être résolue aujourd'hui de la topographie dans

le pédoncule, des fibres radiculaires de la IIP paire, correspondant au di-

vers muscles de l'oeil. - Quoi qu'il en.soit, il est indéniable que nous som-

mes en présence dans notre cas, d'un syndrome de Weber par ramollisse-

ment pédonculaire ; le fait que le ptosis gauche est survenu en même

temps que l'hémiplégie droite et que le foyer pédonculaire inléresse le

pied du pédoncule et un grand nombre de libres de la IIIe paire, sont là

pour le prouver. '

Enfin notre cas présente, au point de vue anatomo-clinique, un certain

intérêt relatif à l'hémianopsie. En premier lieu , relevons qu'il s'agit

comme nous l'avons vu, d'une hémianopsie par ramollissement de la ban-

delette et du corps genouillé externe ; les cas semblables sont rares dans

la littérature et la nôtre en est un exemple des plus nets. Une deuxième

considération d'un certain intérêt ressort du rapprochement des caractères

de l'hémianopsie et de la localisation de la lésion qui l'a provoquée. On

admet généralement, en effet, que dans les cas de lésion totale de la ban-

delette optique, l'hémianopsie est totale, c'est-à-dire que la ligne de sépa-

ration passe perpendiculairement par le point de fixation, et cela contrai-

rement aux hémianopsies d'origine corticale, où il existe dans la moitié

du champ visuel aveugle, une encoche centrale plus ou moins étendue,

SYNDROME DE WEBER AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 207

correspondant à la vision centrale ou maculaire qui échappe à la perte hé-

mianopsique de la vision.

Notre cas montre que cette distinction ne constitue pas une loi absolue.

En effet, il existait chez notre malade, une hémianopsie homonyme latérale

droite des plus nette, avec les caractères des hémianopsies corticales (c'est-

à-dire avec une encoche centrale de 10° environ correspondant à la vision

centrale conservée, bien que les coupes microscopiques sériées aient mon-

tré l'existence non seulement d'une lésion presque complète du corps

genouillé externe, mais encore celle d'une lésion complète de la bandelette

optique. La conservation de la vision maculaire, dans notre cas semble

plaider en faveur de l'hypothèse soulenue par Wilbrand, IIenschen ,

Bernheimer, etc.. qui, pour expliquer cette conservation dans les cas

d'hémianopsie d'origine corticale, admettent que chaque point de la macula

aurait une représentation corticale bilatérale et que les fibres maculaires

pour chacun de ces points se rendraient dans les deux bandelelles.

Telles sont les différentes considérations que nous avions à faire à pro-

pos du cas de « syndrome de Weber avec hémianopsie » dont nous rap-

portons dans ce travail l'étude anatomo-clinique.

LÉGENDE DES FIGURES DES PLANCHES XXXVII A XXXIX

BrQa. Bras du tubercule quadrijumeau antérieur.

BrQp. - postérieur.

Cge. Corps genouillé externe.

Cgi. - - - interne.

Cip. - Segment postérieur de la capsule interne.

CL. Corps de Luys.

CNR. Capsule du noyau rouge.

F. Foyer primitif.

Fli. - Faisceau longitudinal inférieur.

fir. Fibres arciformes interréticulées.

Ln. - Locus niger.

NB. - Noyau de Burdach.

NG. - Noyau de Goll. 1.

NL. Noyau lenticulaire.

NR. Noyau rouge.

P. - Pied du pédoncule.

Pcs. - Pédoncule cérébelleux supérieur. v

Pul. - Pulvinar.

Py. - Pyramide.

Qa. Tubercu'e quarijumeau antérieur.

Qp. postérieur.

Rm. Ruban de Reil médian.

ni. - - latéral.

RTh. Radiations optiques.

SgR. Substance gélatineuse de Rolando.

SRa (Rm). Formation réticulée blanche (Reil médian).

W. Champ de Wernicke.

xpin. Entrecroisement piniforme.

II. Nerf optique.

* III. Nerf moteur oculaire commun.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

(LABORATOIRE DE 111. LE PROFESSEUR RAYMOND)

LES LÉSIONS ANATOMO-PATHOLOGIQUES DE LA

MOELLE ÉPINIÈRE

DANS LA MALADIE PAR DÉCOMPRESSION CHEZ LES

- PLONGEURS A SCAPHANDRE,

PAR

S. ZOGRAFIDI

Médecin de la Marine R. Hellénique.

Dans un article antérieur publié dans la Revue de Médecine, j'ai

exposé très sommairement les faits cliniques que j'ai constatés chez 260

scaphandriers malades, que j'ai étudiés pendant mes deux voyages en

Afrique (1), aussi bien que les faits concernant l'ensemble des lésions

de la moelle, ayant examiné cinq moelles épinières dans le laboratoire

de M. le professeur C. Savas, de l'Université d'Athènes. Grâce à l'obli-

geante courtoisie de M. le professeur F. Raymond, j'ai pu examiner dans

le laboratoire de la Salpêtrière une sixième moelle d'un jeune plongeur

mort après 3G jours de maladie. Dans cet article nous insisterons en détail

seulement sur les lésions anatomo-patboiogiques et sur l'examen de ce cas,

dont voici l'histoire.

Observation.

Il s'agit d'un plongeur de 23 ans ; c'était la première année qu'il faisait des

immersions avec le scaphandre. Après une remontée rapide d'une profon-

deur de 70 mètres à laquelle il était resté pendant 25 minutes, il fut pris de

douleurs générales, de fourmillement, puis de paralysie et d'anesthésie com-

plètes des membres inférieurs et supérieurs Le lendemain il me fut apporté

dans notre hôpital provisoire des plongeurs à Tripoli d'Afrique, avec les phé-

monènes suivants : Fièvre 38° 2. Le corps, sauf la tête et le cou, était atteint

d'une paralysie flasque et d'une anesthésie complète. Pas de réflexes anx

membres supérieurs et inférieurs. Le tronc était légèrement cedématié. Réten-

tion des sphincters.Douleurs aux parties supérieures du tronc et au cou (io cer-

(1) A bord du Transport R. Crête que le gouvernement hellénique envoie chaque

année aux côtes méditerranéennes d'Afrique, pour l'assistance des pêcheurs d'éponge

et surtout des plongeurs.

LÉSIONS AN.1TOAL0-PATnOLOGIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 209

vic.). Vomissements sans nausées préalables. Ventre en bateau. Pupilles nor-

males, céphalée.

Traitement. - Purgation et antisepsie intestinale, application de glace sur

la colonne vertébrale, ergotine, quinine, quinquina, kola, oxygène en inhala-

tions, etc.

Cet état continua pendant 5 jours ; la sensibilité revint] faiblement à la

partie supérieure du tronc (4° cervicale),plus faible à la surface des membres

supérieurs innervée par la 76 et 8e cervicale. La superficie interne de ces

membres (innervée par la 1'" dorsale) restait insensible. Mais le retour de la

sensibilité s'est accompagné de douleurs continues aux endroits où elle est re-

parue. A la limite entre l'anesthésie et la sensibilité normale existait une cein-

ture d'hyperesthésie douloureuse. La paralysie des membres supérieurs (aussi

bien que des inférieurs) persiste. Nous verrons dans l'examen de la moelle

la raison de ce phénomène. Aux autres symptômes se sont ajoutées des érec-

tions continues sans pertes séminales. Le 8" jour, tache sombre de décubi-

tus à la région sacrée. Fièvre 38° 8. Les phénomènes continuèrent en s'ag-

gravant jusqu'au lue jour ; à cette date la rétention fut remplacée par de l'in-

continence ; les érections cessèrent. La fièvre continua jusqu'à la fin. Les

urines devinrent troubles et contenaient du pus. A toutes les parties soumises

à des pressions on voyait des taches ou des bandes sombres et bleu-noires

(coudes, omoplates, côtes, région sacrée, épine iliaque, jambes, talons). Pen-

dant 13 jours l'état s'aggrava. Le 29° jour de la maladie, coma, fièvre 39° 2

le matin,et 39° 5 à minuit avec de l'excitation et délire ; l'excitation consistait

en mouvements continuels à droite et à gauche de la tête la seule partie

restée mobile, avec des cris de douleurs, etc. Le 30° jour, toujours de la fiè-

vre ; intelligence troublée, dysarthrie, cris de douleurs. Pendant deux jours,

même état. Le 33" jour, surviennent des vomissements bilieux ; le 3le jour,

même état corporel et mental,et vers lesoir,strabisme droit et coma. Le 35°jour,

les mêmes phénomènes. Le 36° jour agonie et mort.

AUTOPSIE. - J'ai constaté les faits suivants .

La moelle épinière presque entièrement ramollie. Dans les méninges, vais-

seaux congestionnés ; bulles d'air surtout dans les veines.

Le cerveau.- Les vaisseaux cérébraux étaient pleins de petites bulles d'air,

comme de petites perles ; avec le doigt on pouvait les pousser le long du vais-

seau. La surface cérébrale aussi bien que tout l'organe, en congestion. Dans

les ventricules pas de bulles d'air; les toiles choroïdes contenaient de petites

bulles d'air brillantes comme de petits diamants.

Poumons ? Leurs surfaces antérieures étaient comme badigeonnées par

de l'écume à cause des bulles d'air abondantes qu'on constatait dans les vais-

seaux ; congestion des bases. '

Coeur. Pas de bulles d'air dans le sang ni dans les vaisseaux.

Mésentère. Les grands vaisseaux étaient pleins de grosses bulbes d'air.

Les petits vaisseaux en contenaient aussi des plus fines.

Estomac et intestins. Pas de bulles d'air.

Vessie. - Parois très épaissies ; la vessie contenait du pus.

210 ZOGRAFIDI

Les autres organes (foie, rate, reins) ne présentaient, en apparence du

moins, rien d'anormal.

Examen histologique de la moelle.

Dans une publication antérieure (1), j'ai expliqué les phénomènes ana-

tomocliniques en disant que les foyers ischémiques (à cause des embolies

gazeuses) ou hémorragiques (quand la décompression était extrêmement

brusque) deviennent des foyers myélitiques. Les foyers ischémiques et

hémorragiques déterminent des aires nécrotiques ; mais en même temps,

d'après l'opinion que j'exprimais, ils affaiblissent la résistance de la

moelle contre les agents pathogènes absorbés par le canal intestinal at-

teint de rétention, ou contre les toxines du surmenage des plongeurs,

ou même ils exercent une attraction chimiotaxique positive sur les leu-

cocytes et déterminent le processus myélitique. L'examen de cinq moelles

et l'étude des faits cliniques se trouvent en harmonie avec cette inter-

prétation. L'examen de cette sixième moelle vient de confirmer cette ma-

nière de voir.

Quant aux lésions de la moelle chez les plongeurs, je dois rappeler sur-

tout les travaux deLeyd2n et Schrotter. M. le professeur E. Leyden examina

une moelle et trouva des lésions caractérisant la myélite parenchymateuse,

des foyers nécrotiques et des dégénérescences, mais pas de ruptures des

vaisseaux et des hémorragies, pas de lésions dans la substance grise et

les racines, pas d'altérations dans les renflements cervical et lombaire.

Dans mes cinq cas, j'ai trouvé ces lésions. M. H. -V. Schrotter, de Vienne,

examina 3 moelles de plongeurs morts longtemps après l'attaque, et

trouva des foyers nécrotiques multiples, des espaces vides disséminés

dans la substance grise et blanche, dus à la résorption des éléments al-

térés, de la réaction inflammatoire autour des foyers, des dégénérescences

ascendantes et descendantes, des ramollissements, mais pas d'hémorra-

gies, pas de lésions myélitiques. Dans mes cas on peut voir ces lésions.

Les grosses lésions delà moelle rappellent la topographie vasculaire

de la moelle épinière. Ce sont des nécroses plus ou moins nettement cir-

conscrites, dans les domaines des artères embolisées. Le siège de prédi-

lection des nécroses est, en première ligne, les cordons postérieurs et

puis les cordons latéraux. Il paraît que les artères nourricières (Van Ge-

huchten) des cordons postérotatéraux que Colmheim nomme artères termi-

nales (parce qu'elles ne s'anastomosent pas), s'embolisent plus facilement

ou du moins plus souvent que les branches de l'artère spinale an-

térieure, que Kadji nomme artères centrales et Adamkiewicz artères du

(1) Revue de Médecine, 1907. - Au Congrès panhellénique d'Athènes, 1906, j'ai

fait une communication très sommaire à ce sujet.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. XL

MYÉLITE DES PLONGEURS

(Zogrn fid i) .

LÉSIONS ANATOIrO-PATffoLOGIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 211

sillon. On sait bien que les artères des cordons postéro-tatéraux qui nais-

sent du réseau périphérique pénètrent dans la substance blanche, y aban-

donnent des branches collatérales et vont se terminer dans les zones péri-

phériques de la substance grise (1). Eh bien ! certains foyers nécrotiques

présentent dans mes coupes une disposition cunéiforme, à base méningée

répondant exactement à la topographie des artères.

Voici les résultats de l'examen histologique : (Pl. XL.)

Région cervicale. Dans la partie supérieure juxlabulbaire on voit

une bandelette de nécrose située entre les cordons de Goll et de Burdach

à la place du faisceau en virgule de Schultze. Dans les cordons postérieurs

une raréfaction légère des fibres nerveuses.

Dans des segments plus inférieurs de la région cervicale on voit des

nécroses dans le domaine des artères postérolalérales. Le champ ventral

(zone cornicommissurale de P. Marie) et les parties des cordons posté-

rieurs adjacentes aux cornes postérieures sont respectés. Les cordons pos-

térieurs ne sont qu'incomplètement atteints jusqu'à la 7e racine, c'est ce

qui explique pourquoi la sensibilité persiste - affaiblie, il est vrai -

dans la partie supérieure du tronc innervé par la 4e cervicale, et les sur-

faces des membres supérieurs innervés par la 6e et la 7e.

Dans les cordons latéraux la nécrose est nettement circonscrite ; elle

atteint les faisceaux cérébelleux, les pyramidaux croisés et de Gowers, et

laisse plus ou moins intacts les cordons fondamentaux postérolatéraux.

Dans les cordons postérieurs les parties qui sont plus ou moins respectées

sont celles qui correspondent aux centres ovales de Flechsig et un peu

aux champs ventraux. Dans ces foyers si étendus de nécrose, on voit le tissu

nerveux altéré, en îlots irréguliers séparés par des espaces vides larges,

ou par d'étroites déchirures attribuables à la résorption des éléments

nécrosés. Les cylindraxes sont gonflés, quelquefois demi-résorbés, ou en-

tourés de myéline incomplètement colorée, ou irrégulièrement gonflée.

On voit une grande quantité de cellules éparses, ovalaires plutôt que

rondes, avec un noyau rond, quelquefois en forme de croissant, souvent

unique. Il y a quelquefois deux noyaux. Le protoplasma de ces cellules

se colore assez bien à l'hématéine-éosine. On voit ces cellules en abon-

dance plus grande dans les foyers de nécrose où la destruction des élé-

ments nerveux est plus profonde. Apparemment ce sont des leucocytes

venus pour résorber les éléments nécrosés. On constate aussi une grande

prolifération des cellules névrogliques ayant pour but de réparer peut-

être la lésion.

On constate aussi de rares foyers d'hémorragie peu abondante. '

(1) VAN GEFIUCHIEN, Anatomie du système nerveux de l'homme.

212 ZOGRAPIDI

Dans la substance grise on constate de petits foyers hémorragiques

dans la substance même. Les cellules des cornes antérieures présentent les

altérations suivantes : elles tendent à devenir globuleuses; leurs noyaux

sont pâles et quelquefois invisibles, souvent refoulés à la périphérie;

leur nucléole est plus net ; on voit les granulations. Le protoplasma des

cellules est trouble et présente un degré avancé de chromatolyse. Les cy-

lindraxessontplus ou moins gonflés. Autour des cellules nerveuseson cons-

tate des cellules névrogliques et de rares leucocytes. Dans toute la subs-

tance grise on constate en abondance des noyaux névrogliques, des leuco-

cytes, et ça et là des petits foyers hémorragiques. Ces faits expliquent la

paralysie des membres supérieurs et l'absence des réflexes tendineux.

Les vaisseaux de la substance grise et blanche sont dilatés, congestion-

nés,'thromboses, infiltrés de leucocytes. Autour d'eux, dans les gaines

lymphatiques et dans la substance voisine, on voit des leucocytes et des

éléments arrondis ou fusiformes. Les vaisseaux rompus des foyers hé-

niorragiques ne présentent rien de particulier. Ajoutons aussi que dans

""les parties nécrosées de la substance blanche on voitça et là de petits amas

de globules du sang (c'est-à-dire des petits foyers hémorragiques dont le

vaisseau ne se trouvait pas dans la coupe examinée).

Dans toute la coupe on voit en général des cellules névrogliques libres

en abondance et des lymphocytes.

En descendant à la région cervicale les altérations deviennent plus in-

tenses et plus étendues. Dans une coupe à sa partie inférieure on voit

une destruction presque complète des cordons et des cornes postérieures,

des faisceaux cérébelleux et pyramidaux croisés, de la partie postérieure

du faisceau de Gowers, elde la plus grande partie des cordons fondamen-

taux latéraux. Dans la partie antérieure des cordons fondamentaux antéro-

latéraux,'on voit d'un côté une nécrose cunéiforme à base dirigée vers la pé-

riphérie et del'auti-c côté une nécrose semblable plus près du sillon. Il saute

aux yeux qu'une embolie gazeuse des branches nourricières de l'artère spi-

nale antérieure nourrissait les territoires nécrosés, causa ces nécroses

cunéiformes. Dans les cornes postérieures on voit une déformation due au

ramollissement du tissu nécrotique. Le septum médian, au lieu d'être

droit, à cause des pressions et de la résorption de la substance altérée, a

une forme serpentine ; la partie postérieure de la moelle semble être

aplatie et comprimée. Dans chaque cordon postérieur on constate aussi un

espace vide, plus ou moins cunéiforme, rappelant le trajet des branches

postérieures. Les méninges molles présentent de la congestion et de la

diapédèse. .

Région dorsale. -A la région supérieure on trouve les mêmes lésions,

mais plus intenses et plus étendues. En descendant, on trouve dans tout

LÉSIONS ANATOfo-YATllOLOGIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 213 3

la coupe des altérations profondes, des cornes antérieures à l'excepton des

commissures et d'une petite bandelette des cordons fondamentaux antéro-

latéraux qui sont respectés. Vers la périphérie des cordons postérieurs

atteints on voit de larges espaces vides, aussi bien que des déchirures

séparant les îlots du tissu altéré. Les lésions diffèrent de coupe en coupe

d'intensité et d'étendue, mais leur nature est toujours la même.

Dans la substance grise on constate une prolifération des éléments né-

vrogliques, des leucocytes, des petits foyers d'hémorragie. Les cellules

nerveuses des cornes antérieures sont troubles, leurs noyaux sont pâles ou

invisibles ou rejetés vers la périphérie ; leur protoplasma présente de la

chromatolyse et des amas de pigment ; le plus souvent on constate un

lésion plus profonde des cellules nerveuses, quelquefois leur disparitio

complète. Autour de ces cellules on voit des éléments névrogliques e

plus grande abondance qu'à l'état normal, des leucocytes, et çà et 1

quelques figures de « neuronophagie » ; les cylindraxes sont gonflés ; lE

cellules de la colonne de Clarke ont presque disparu. D'ailleurs la deslrui

tion et la grande nécrose qui a atteint les cordons et les cornes posteriez

res aussi bien que les cordons latéraux (cérébelleux, pyramidaux, un pe

les fondamentaux, de Gowers) les a aussi touchées. Les fibres nerveuses

sont gonflées. Le canal épendymaire est obiitéré, souvent disparu, et autour

de lui l'amas des éléments névrogliques demeure normal. Les branches ar-

térielles centrales ou du sillon aussi bien que leurs ramifications fines sont

dilatées, pleines de sang, thrombosées ; leurs parois sont infiltrées de leu-

cocytes ; dans leurs gaines périvasculaires.llymp6atiques el dans le tissu

voisin on voit des éléments névrogliques et des leucocytes en abondance.

Dans la substance blanche on constate une destruction générale du tissu.

Une bandelette de substance blanche des cordons fondamentaux antéro-

latéraux autour des cornes antérieures est seulement respectée. Les lésions

présentent les caractères des dégénérescences et des nécroses aiguës et

irréparables. Le tissu nécrosé est disposé en îlots, en séquestres irrégu-

liers séparés par des espaces vides larges, ou par de simples déchirures,

dus à la résorption des éléments nerveux altérés. Dans ces étendues nécro-

tiques on voit une grande prolifération des éléments névrogliques, des

corps granuleux et une grande abondance de leucocytes mononucléaires ;

leur protoplasma présente des granulations très pâles et leurs noyaux

se colorent (1)(,matéine-éositie) très nettement. Les fibres nerveuses sont

gonflées ou brisées ou à demi résorbées. Les cylindraxes sont gonflés, quel-

quefois atrophiés, irréguliers, entourés de myéline ramassée en boules ou

en blocs irréguliers ; elle se colore mal par l'hématoxyline et incomplè-

tement vers la périphérie. Les fibres nerveuses sont parfois résorbées et

214 ZOGRAFIDI

ont laissé à leur place de petits espaces vides, des réseaux névrogliques

vides.

Dans les fragments plus ou moins massifs de ce tissu nécrosé on voit

des petits foyers d'hémorragie. Les vaisseaux gorgés de sang présentent

de la diapédèse leucocytaire.

Dans les espaces vides et les déchirures entre les îlots du tissu altéré, on

constate différents débris fins névrogliques, nerveux, des libres des

septa, quelquefois des corps granuleux libres restés là, après la résorp-

tion. ·

Les méninges molles sont attachées à la moelle; infiltrées de leuco-

cytes, elles présentent des vaisseaux très congestionnés avec diapédèse.

Les méninges prennent part au processus.

Ces lésions existent à tous les niveaux de la moelle dorsale ; elles dimi-

nuent d'intensité vers la région lombaire.

Région lombaire. Les lésions sont moins intenses. Les cellules ner-

veuses sont troubles, les fibres nerveuses gonflées, les vaisseaux conges-

tionnés ; infiltration et diapédèse leucocytaires moins intenses. Dégéné-

rescence descendante secondaire des faisceaux pyramidaux croisés. Les

lésions dans la région sacrée vont en s'atténuant jusqu'au filum terminal.

Il s'agit donc dans ce cas là - comme dans les cinq autres - de

lésions myélitiques. Dans deux de ces 6 cas les lésions myélitiques étaient

extrêmement intenses. J'ai trouvé toujours des foyers nécrotiques circons-

crits ou diffus rappelant la topographie vasculaire, des espaces vides à

cause de la résorption de la substance altérée. Dans 4 cas sur 6 cas j'ai

constaté les foyers d'hémorragie. Dans un de ces cas, - représentant le

premier stade de la maladie, car le malade mourut' le cinquième jour, -

j'ai constaté, en dehors des premières lésions de la myélite (congestion,

diapédèse leucocytaire, gonflement des fibres nerveuses, prolifération des

éléments névrogliques), en dehors des foyers d'hémorragie, j'ai constaté,

dis-je, un fait très intéressant : des dilatations énormes, de vrais ané-

vrysmes des vaisseaux dans la substance même.

Les lésions anatomiques et les symptômes cliniques nous prouvent

qu'il s'agit de myélite chez les plongeurs. J'ai constaté de petits foyers

hémorragiques dans les 2/3 des cas. Quand le malade guérit, les lésions

médullaires passent à la sclérose, et les symptômes cliniques de la myé-

lite aux symptômes de la paraplégie spasmodique chronique (exaltation

énorme des réflexes, signe de Babinski, marche spasmodique et quel-

quefois impossible, du moins sans appui, troubles trophiques diffus des

muscles contractés et de la peau, quelquefois légère incontinence vési-

cale). J'ai trouvé ces plaques scléreuses dans les cordons latéraux (surtout

LÉSIONS ANA'l'OMO-PATliOLOGIQUES DE LA MOELLE ÉP1N1ÈRE 215

aux cordons pyramidaux croisés) et aux cordons postérieurs. Elles rappel-

lent un peu la topographie vasculaire.

Ces lésions scléreuses présentaient les caractères suivants : on ne voyait

des fibres nerveuses que dans la périphérie de la sclérose, et là même

elles étaient altérées et très rares. Tout le reste consistait en tissu névro-

glique avec ça et là des cylindraxes nus et atrophiques. Les parois des

vaisseaux étaient épaissies. J'ai trouvé ces lésions chez des malades guéris

de leur première attaque (ayant eu lieu plusieurs années auparavant),

et morts d'une nouvelle attaque. La sclérose alors représente la guérison,

la cicatrice médullaire ; le fait rappelle l'opinion de Erb, Charcot, Leyden,

Goldscheider, sur l'origine inflammatoire de la sclérose. Et comme la

sclérose et la paraplégie spasmodique sont des suites de la myélite, nous

insistons sur la concordance de nos faits démontrant qu'il s'agit de la

myélite chez les plongeurs.

Conclusions. - Nous pouvons donc conclure que chez les plongeurs à

scaphandre, à la suite de la décompression atmosphérique brusque, il se

produit dans la moelle des embolies gazeuses, par conséquent des foyers

ischémiques, et, si l'attaque est forte, des foyers hémorragiques ; ces

lésions ont pour conséquence la myélite. Cette myélite se termine par la

mort ou passe à l'état spasmodique chronique. Dans le premier cas on

trouve des altérations aiguës de la myélite (avec des foyers nécrotiques

et hémorragiques, des cavités, etc.) ; dans le second les lésions se transfor-

ment en scléroses, c'est-à-dire en cicatrices médullaires.

POLYNÉVRITE AIGUË INFANTILE :

PSEUDO-PARALYSIE SPINALE INFANTILE

PAR

Jacinto de LÉON

' (de Montévidéo).

La polynévrite aiguë généralisée consécutive à une infection ou à des

infections indéterminées, peut-être à l'influenza, s'observe rarement chez

les adultes ; elle s'observe plus rarement encore dans l'enfance. D'ordi-

naire, à cet âge, on la diagnostique comme paralysie spinale infantile ;

cela constitue une erreur déplorable qui discrédite le médecin et cause une

affliction profonde et non motivée des parents du petit patient qui le con-

sidèrent condamné à une paralysie incurable. Ce qui est encore plus

fâcheux, c'est que, en ne soignant pas le petit malade d'une manière con-

venable, on peut retarder sa guérison et, dans les cas graves, rendre vrai

le faux pronostic; dans de telles conditions la maladie peut même aboutir

à la mort.

J'ai observé l'année dernière cinq cas : deux que je considère comme

évidents, le ter et 2e, terminés par une guérison complète; un, net et

grave, le 5e ; et deux douteux, le 3e et spécialement le 4e, que je classe

comme neuronite ; je n'ai pu les suivre dans tout leur développement, ni

en faire une étude analomo-palhologique, comme il aurait fallu pour

formuler leur diagnostic avec certitude.

Ce nombre de cas en une seule année a frappé mon attention, parce que

je ne me rappelle pas en avoir observé aucun auparavant et d'autant plus

qu'ils se sont déclarés en des régions très éloignées les unes des autres.

Il me semble'aussi que celte année il y a eu diminution de cas de para-

lysie spinale infantile.

Je crois que, pour en faciliter le diagnostic, il convient de grouper les

cas en trois formes : la forme légère ou motrice systématisée, avec des al-

térations douteuses ou anciennes de la sensibilité objective, sans réaction de

dégénération et d'un cours rapide ; la forme douloureuse ou sensitive ; et

la forme grave, ou mixte, avec des altérations profondes de la sensibilité

objective, avec réaction de dégénérescence et évolution lente.

Pour plus de clarté, j'exposerai d'abord l'histoire des cas sur lesquels

je base cette communication. -

POLYNEVRITE AIGUË INFANTILE 217

1er Cas. - Polynévrite aiguë généralisée, forme légère ou motrice.

J. B..., âgé de trois ans, domicilié dans la capitale, robuste, fils de pa-

rents sains, eut vers la fin de novembre 1905 une légère indisposition, avec un

peu de fièvre et des troubles gastriques ; au bout de trois jours, il fut considéré

comme guéri, mais, à son lever on observa qu'il avait beaucoup de faiblesse dans

les jambes, pouvant à peine marcher avec soutien, raison pour laquelle on le

remit au lit. Le lendemain, il avait de la difficulté à mouvoir le bras droit, spé

cialement pour porter les aliments à la bouche, et deux jours plus tard, on

observa quelque chose de semblable dans le bras gauche. Alors, on consulta un

médecin qui fit lever le petit malade en l'aidant, et même le fit marcher, ce

qu'il obtint quoique avec de grandes difficultés. Le malade empirait chaque

jour, dit la mère, jusqu'à ce que, au bout d'une semaine plus ou moins, il

resta presque complètement paralysé des quatre extrémités et du tronc,

pouvant se tenir debout ni lever les bras, ni même s'asseoir. On consulta alo

séparément et en consultations, plusieurs médecins, qui formulèrent de co

mun accord le diagnostic de paralysie spinale infantile, ce qui comportait

pronostic d'incurabilité par rapport à la paralysie.

Le 14 décembre de la même année, c'est-à-dire au 20" jour de sa malad

je vis l'enfant pour la première fois, et je notai les symptômes suivants : pa

lysie flaccide totale et incomplète des quatre extrémités et des muscles dors

lombaires, abolissement des réflexes tendineux, douleurs à la pression des

troncs nerveux et des masses musculaires, hypoesthésie tactile et douloureuse,

douteuse dans les segments périphériques des extrémités, légère diminution

des réactions électriques, galvaniques et faradiques, directes et indirectes, sans

aucun signe de réaction de dégénérescence. '.

Le petit malade fut soumis au traitement suivant : bains chauds à 38°,

massage et gymnastique passive avec modération, et galvanisation au courant

constant ; après que l'amélioration se fut déclarée, quinze ou vingt jours plus

tard, des exercices plus répétés, et plusieurs interruptions à la fin des applica-

tions galvaniques.

L'amélioration se produisit avec assez d'uniformité et de symétrie, d'abord

dans les muscles du tronc, puis aux extrémités supérieures, et enfin dans les

inférieures, quoique l'extrémité inférieure droite fût la dernière à fonctionner

normalement ; on n'observa rien de semblable, cette localisation de la paralysie

et de l'atrophie, si caractéristique de la paralysie spinale infantile. Le petit

malade fut tout à fait guéri en trois mois, et aujourd'hui il court comme tous

les enfants de son âge.

2* Cas. - Polynévrite aiguë généralisée, forme légère ou motrice.

M. I..., âgé de 4 ans, de Santa Ana, près de Rivera, qui a sa mère et quatre

petits frères sains, et son père avec une polynévrite brachiale, probablement

consécutive à une variole confluente ; il n'a eu aucune maladie digne d'être men-

tionnée jusqu'aux premiers jours de juin 1906, où il fut atteint d'un malaise

14

218 JACINTO DE LÉON

général, fièvre légère, coryza, toux, troubles gastriques, influenza peut-être ;

il garda le lit pendant cinq jours. En se levant on observa qu'il ne pouvait se

tenir debout, parce que les jambes lui faisaient défaut, et qu'il lui en coûtait

de mouvoir les bras, ce qui fut imputé à une simple débilité de convalescence ;

mais, malgré l'alimentation et la bonne aération, cet état d'impuissance motrice

augmenta lentement pendant trois jours jusqu'à arriver à l'impossibilité de

se tenir assis et de mouvoir les divers segments des quatre extrémités : on

diagnostiqua la paralysie infantile et l'on émit le pronostic en conséquence, en

prescrivant des bains chauds et massage avec gymnastique passive.

La semaine suivante, c'est-à-dire la quatrième de la maladie, on observait

déjà une grande amélioration ; l'enfant pouvait lever les bras presque jusqu'à

l'horizontale et les mouvoir dans leurs divers segments, il pouvait aussi rester

assis le dos appuyé sur un dossier.

Ce fut alors que je le vis pour la première fois et, en l'examinant, je vérifiai

les symptômes suivants : paraplégie crurale flaccide, totale et complète, parésie

des extrémités supérieures, parésie des muscles fléchisseurs et extenseurs du

tronc, suppression des réflexes tendineux, aucun trouble de la sensibilité, légère

diminution des réactions électriques aux extrémités inférieures, réactions pres-

que normales dans les supérieures.

On continua avec les bains chauds et le massage, la gymnastique passive, en

y ajoutant la galvanisation des muscles paralysés, d'abord constante et ensuite

avec des interruptions.

La paralysie s'améliora lentement et progressivement, avec assez d'nnifor-

mité, d'abord dans les extrémités supérieures et puis dans les inférieures.

Après un mois, l'enfant put déjà se tenir debout et faire quelques pas avec dif-

ficulté, et, à la fin du second mois, il fut congédié complètement guéri.

3e Cas. Polynévrite aiguë douloureuse ; cas douteux, neuronite.

M. Sou..., âgée de quatre ans, du Durazno, eut, dans les derniers jours de

juillet 1906, une maladie fébrile de quelques jours ; quand la fièvre disparut, les

parents observèrent qu'il était impossible à l'enfant de se lever, parce que les

extrémités inférieures cédaient au poids du corps ; l'enfant ne pouvait pas

non plus mouvoir les jambes.

Les parents ne peuvent pas assurer si, au début, il exista quelque difficulté

dans les mouvements des bras et si elle pouvait rester assise ; d'après eux, elle

fut toujours couchée. Ils racontent que lorsqu'on la soulevait, elle se plaignait

de fortes douleurs.

Le 12 août, c'est-à-dire après trois semaines de maladie, je l'examinai et j'ob-

servai les symptômes suivants : paraplégie crurale flaccide, totale et complète,

douloureuse quand on imprime des mouvements aux segments supérieurs des

extrémités abdominales ; douleur à la pression des troncs nerveux et des masses

musculaires, pression très pénible à la partie antérieure et moyennede la cuisse

gauche ; suppression des réflexes tendineux ; sensibilité objective normale en

POLYNÉVRITE AIGUË INFANTILE 219

apparence ; diminution des réactions électriques, faradiques et galvaniques,

directes et indirectes, spécialement'au muscle droit antérieur du quadriceps

fémoral gauche, où l'on remarquait une inversion polaire, et au nerf sciatique

poplité externe du même côté ; sensibilité électrique en apparence augmentée

lorsqu'on fait l'étude des réactions.

Elle fut soumise au même traitement que les cas antérieurs et elle s'améliora

lentement et progressivementjusqu'au 20 octobre, date à laquelle elle pouvait

mouvoir la jambe droite en tous sens et la soulever assez haut, et faire la plupart

des mouvements avec l'extrémité gauche ; mais elle ne pouvait en exécuter l'é-

lévation étant couchée sur le dos ; en marchant, elle boitait un peu et tour-

nait le pied gauche en dehors ; les réactions électriques du muscle droit anté-

rieur et du nerf sciatique poplité externe continuaient à être diminuées, mais

on n'observait plus eu ce dernier l'inversion polaire.

Deux mois et demi plus tard, je l'examinai de nouveau et j'observai une

grande amélioration dans la marche parce qu'elle ne déviait pas le pied, et que

le pas était presque normal si elle l'exécutait avec lenteur : il y avait, cepen-

dant, des signes d'atrophie dans toute l'extrémité, 3 centimètres de différence

dans le périmètre du milieu de la cuisse, et un et demi au tiers supérieur de la z

jambe.

Je conseillai de continuer le traitement, mais je n'ai pas revu la petite ma-

lade.

4e Cas. - Polynévrite aiguë douloureuse, avec localisation grave

dans le nerf médian droit.

C. Perd..., âgée de 4 ans, du département de la Florida, fille de parents

sains et avec deux petits frères en bon état de santé ; n'a eu aucune maladie

digne de mention jusqu'au mois d'avril de l'an dernier, où elle tomba malade

de nausées, vomissements et fièvre de moyenne intensité, état qui dura plu-

sieurs jours, à ce que déclarent les parents. Dès le début, elle était très abat-

tue et elle se plaignait de douleurs spontanées, et de douleurs intenses lors^

qu'on la changeait de position, ou simplement qu'on lui mouvait les extrémités.

Après vingt-cinq jours, je l'examinai pour la première fois, et je pus véri-

fier que l'enfant se plaignait et pleurait quand la changeait de position, quand

on soulevait les extrémités ou que l'on comprimait les troncs nerveux et les

masses musculaires ; cela me démontra clairement l'existence d'intenses dou-

leurs provoquées ; il existait, en outre, une paralysie incomplète, flaccide, des

quatre extrémités, et des muscles extenseurs du tronc, avec inclinaison en

avant, et suppression des réflexes tendineux. Trouvant que la recherche de la

sensibilité objective était très difficile en ce cas, je me bornai à celle de la

douloureuse, qui me parut diminuée dans la main droite. Les réactions élec-

triques, faradiques et galvaniques révélèrent de la diminution aux quatre ex-

trémités, et la réaction de dégénérescence aux muscles innervés par le nerf

médian droit. '

220 JACINTO DE LÉON

La petite malade ayant été soumise au traitement par les bains chauds et la

galvanisation, il fallut suspendre la dernière après douze jours, parce qu'il y

eut réapparition d'une légère fièvre, environ 38°, et quelques troubles gastri-

ques qui se prolongèrent plusieurs jours ; l'enfant fut transportée à la campa-

gne, et ce nouvel état fébrile disparut en dix jours.

Au bout d'un mois et demi, je la vis pour la seconde fois. L'examen donna

un résultat semblable au premier; on observait seulement plus d'inclinaison

du tronc en avant et une atrophie sensible des muscles de l'éminence thénar

droite avec la déformation caractéristique de la main simienne; l'hypoesthésie

correspondait à la topographie périphérique.

On recommença le traitement qui fut continué pendant quarante jours : les

douleurs diparurent au premier mois ; les mouvements actifs réapparurent

lentement, spécialement aux racines des membres ; elle pouvait mouvoir, bien

qu'avec difficulté et beaucoup de réserve, les extrémités et leurs divers seg-

ments en toute direction, excepté le pouce ; la flexion de la main droite était

impossible à cause de la paralysie du médian ; elle restait assise, bien qu'incli-

née en avant; elle gardait la position debout en se s'appuyant aux objets, ou

murs voisins; les réactions électriques paraissaient être normales; l'atrophie

de l'éminence thénar s'améliorait et les réactions de l'opposant, du fléchisseur

et du court abducteur indiquaient une amélioration ; ils se contractaient faible-

ment à l'excitation faradique.

En cet état, au mois d'août, elle fut attaquée d'une double pneumonie et

mourut, avec des symptômes d'asphyxie le quatrième jour. ,

5° Cas. - Polynévrite aiguë généralisée, forme grave.

J. Gar..., âgé de 5 ans, du département de Minas ; parents et petits frères

sains, tomba malade tout à coup en juin 1906, fièvre élevée, nausées, vomis-

sements, grand abattement et somnolence, état grave qui dura quatre ou cinq

jours, d'après ce que disent ses parents ; la fièvre tombée, on s'aperçut que

l'enfant ne pouvait se mouvoir spontanément, et que, lorsqu'on le changeait

de position il se plaignait amèrement, comme si le mouvement passif provo-

quait en lui des douleurs intenses.

Le seizème jour de la maladie, je l'examinai et observai les symptômes

suivants : paralysie généralisée flaccide, totale et complète, au cou, au tronc et

aux extrémités ; double paralysie faciale incomplète ; ophtalmoplégie externe

totale et complète à l'oeil gauche, et incomplète au droit ; réaction pupillaire

à la lumière très sensible, et impossibilité d'observer celle de l'accommoda-

tion ; tachycardie, 123 battements, sans fièvre ; douleurs intenses à la pres-

sion musculaire, quand en le meut ou qu'on change sa position, ce que

demande souvent le petit patient; douleurs spontanées; anesthésie tactile,

douloureuse et thermique, qui diminue progressivement de la périphérie à la

racine des membres ; suppression des contractions faradiques ; suppression des

gavaniques avec 15 m A, dans tous les nerfs et muscles périphériques, excepté

aux muscles extenseurs des doigts de l'extrémité supérieure droite, où elles

POLYNÉVRITE .\IGUE INFANTILE 221 1

existent avec inversion polaire, c'est-à-dire réaction complète de dégéné-

rescence ; enfin anesthésie électrique à l'étude des réactions.

J'ordonnai le même traitement que dans les cas précédents, ce que ses

parents acceptèrent à la condition de le faire par des personnes de leur

famille, en leur domicile et la campagne. Après six mois, je sus que le petit

malade avait eu un peu d'amélioration ; la tachycardie avait cessé, il pouvait

mouvoir les yeux, les lèvres et la tête, quand il restait assis sur un siège à dos-

sier ; il peut remuer un peu les extrémités.

Dans un travail antérieur sur la polynévrite aiguë généralisée (1),

j'ai appelé l'attention sur les caractères différentiels entre la polynévrite

et la polyomyélite aiguë des adultes ; ces mêmes caractères, appliqués à

l'enfant, peuvent servir pour le diagnostic de la polynévrite aiguë infan-

tile, en tenant compte de certaines différences que nous apprend l'obser-

vation, certaines dépendant seulement de la difficulté d'examen dans le

premier âge.

Le début de la maladie par une légère fièvre et le lent développement

delà paralysie, qui se fait comme par poussées successives (cas 1 et 2), et

non brusquement, comme dans la paralysie spinale infantile sont une don-

née d'une importance positive ; mais ce renseignement ne s'obtient pas

toujours (cas 3, 4 et 5), soitpaf insuffisance d'observation, soit parce que

réellement le début, quelquefois, parait identique à celui de la paraly-

sie spinale.

Les douleurs spontanées, ou provoquées par les changements déposition,

par la pression des masses musculaires et des troncs nerveux, sont un in-

dice d'une grande importance diagnostique ; mais elles ne sont pas éviden-

tes dans les formes légères ou motrices systématiques ; d'autre part elles

s'observent, bien que rarement, dans la paralysie spinale infantile,

probablement quand il s'agit de formes associées, de neuronite. Dans les

formes douloureuses ou sensitives, et dans les formes graves ou mixtes,

elles acquièrent une grande intensité.

La douleur intense provoquée par l'excitation faradique des troncs ner-

veux, spécialement du cubital, que j'ai observée dans quelques cas de

polynévrite aiguë chez les adultes, n'a pas la même signification chez les

enfants, parce qu'ils se plaignent toujours et se révoltent contre cemoyen

d'investigation. Dans le cas 5, il y avait, au contraire, anesthésie éclecti-

que ; cela pour moi, a la même signification diagnostique, mais un pro-

nostic différent, parce qu'il révèle un plus profond degré d'altération du

nerf : la guérison tarde beaucoup plus à se produire.

(1) Communication à la Société de Médecine de Montevideo, Revista medica de

Uruguay, 1903.

222 JACINTO DE LÉON

La plus grande durée de la période fébrile et ses rechutes (cas o), déjà

notées par Oppenheim doivent être tenues en compte.

Les nerfs crâniens, ainsi que l'ont observé plusieurs auteurs, participent,

quelquefois de la paralysie de la polynévrite (cas 5), et l'on doit remarquer

dans leur histoire l'ophtalmoplégie externe avec conservation du mouve-

ment pupillaire. La tendance à plus d'intensité de la paralysie dans la

périphérie que dans les racines des membres, symptôme distinctif sur le-

quel Babinski appelle l'attention et qui s'observe ordinairement chez les

adultes, est un signé qui a sa valeur, quand les enfants se prêtent à cette

investigation.

La période de régression si caractéristique de la paralysie spinale infan-

tile, quand elle est généralisée et qu'elle évolue rapidement pour se

localiser dans les muscles, dans le membre ou membres qui doivent res-

ter atrophiés d'une manière permanente, ne s'observe pas dans la poly-

névrite aiguë infantile ; il existe dans cette maladie-ci, comme de raison,

une période de rétablissement, le retour il l'état normal, mais c'est une

régression lente et assez uniforme, d'abord aux extrémités supérieures et

puis aux inférieures, sans que cela signifie qu'il y ait une complète uni-

formité d'évolution aux extrémités homologues, ni que les supérieures

soient toujours complètement guéries, avant les inférieures.

Cette régression de la polynévrite aiguë, dans les cas graves, peut se

faire attendre plusieurs mois, spécialement quand elle n'est pas traitée

convenablement et avec persévérance.

Lorsqu'on peut déterminer la topographie de la paralysie ou des troubles

objectifs de la sensibilité, comme dans le cas 5, topographie périphérique

parlésion du nerf médian, on a une donnée de grande valeur ; la connais-

sance en esl due à Dejerine qui, d'autre part, a été le premier à démon-

trer que, dans la paralysie spinale infantile, la topographie est radiculaire.

Dans la polynévrite, le liquide céphalo-rachidien est normal (1).

Les altérations objectives de la sensibilité, diminuant lentement de

la périphérie vers la racine des membres, constituent un symptôme qui,

non seulement exclut la paralysie spinale infantile, mais encore caraeté-

rise lespolynévrites; seulement ceci ne s'observe nettement chez les enfants

que dans les cas graves. Dans les formes légères, dans celles qu'on appelle

motrices systématiques des adultes, avec un examen attentif et au début

de l'évolution morbide, on peut observer quelques légères altérations ob-

jectives de la sensibilité, de l'hypoesthésie et même de l'anesthésie, mais,

chez les enfants, le résultat est toujours douteux.

(t) Communication déjà citée.

POLYNÉVRITE AIGUË INFANTILE 223

L'amyotrophie de la polynévrite, qui, selon Dejerine, paraît être plus

précoce, est susceptible de s'améliorer (cas 5), tandis que, dans la para-

lysie infantile, elle est très rebelle : les fibres atrophiées, comme l'ont

démontré Duchenne et Charcot, le sont définitivement.

L'étude des réactions électriques est, sans doute, le moyen de la plus

grande valeur diagnostique ; dans les formes légères, les contractions fara-

diques sont normales ou à peine diminuées (cas 1 et 2) ; dans les formes

douloureuses (cas 3 et 4), les muscles paralysés se contractent aussi par

l'action des excitations faradiques, excepté quand il existe une localisa-

tion de névrite grave, comme dans les muscles innervés par le médian droit

du live cas, et les réactions galvaniques bien qu'inverties dans les pre-

miers examens (cas 5), acquérant ensuite la prédominance des contractions

de la fermeture du pôle négatif - sont diminuées seulement; enfin,dans les

formes graves, il existe une complète réaction de dégénérescence ou une

abolition de réaction, bien plus étendue que dans la paralysie spinale in-

fantile, ce qui éclaire déjà le diagnostic ; cette modification est toujours

accompagnée, ce qui est décisif, d'altérations intenses de la sensibilité

objective.

En somme, dans la polynévrite aiguë infantile généralisée, ou il n'y

a pas de réaction de dégénération, et alors nous pouvons éliminer la

paralysie spinale infantile, ou bien elle existe, comme dans cette mala-

die, mais alors elle est plus étendue et accompagnée de troubles profonds

de la sensibilité objective.

HOSPICE DE LA Salpêtrière

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

MYOPATHIE PSEUDO-HYPERTROPHIQUE DES MOLLETS ET

DES CEINTURES SCAPULAIRES ; ATROPHIE DU GRAND-

PECTORAL 1

PAR

F. RAYMOND ET Félix ROSE.

Si nous étions encore au temps où se succédèrent les descriptions des

formes diverses des myopathies, que l'on distinguait soigneusement les

unes des autres, nous pourrions dire que l'observation que nous rappor-

tons ici est un exemple d'une forme particulière, non encore décrite de

la paralysie pseudo-hypertrophique de Duchenne. Mais ces temps ne sont

plus et nous ne voulons que mettre sous les yeux du lecteur un document

iconographique, qui vient, une fois déplus, à l'appui de la théorie actuel-

lement admise : à savoir, que toutes les anciennes formes de la myopathie

peuvent se combiner et se confondre chez un même malade (PI. XLI).

Observation.

Le jeune H... Roger, âgé de 10 ans, vint nous consulter à la Salpêtrière, le

15 avril 1907, amené du département de l'Yonne par son père qui nous donna

les quelques renseignements suivants :

Le père lui-même, ainsi que la mère sont bien portants. Le malade est leur

enfant unique venu à terme, après un accouchement normal ; il a parlé il un

an, mais n'a commencé à marcher qu'à l'âge de 19 mois. Il a toujours mal

marché, tombait sans cesse ; le caractère de la démarche est toujours resté le

même et le père trouve que, d'une façon générale, la maladie n'a pas fait de

grands progrès.

L'enfant n'a jamais eu de convulsions, ni de maladie' infectieuse grave.

Etat actuel (27 avril 1907). L'enfant a un air hébété à qui correspond

d'ailleurs une arriération intellectuelle réelle. Il compte à peine, sait à peine

lire (il est vrai que ses parents l'ont retiré de l'école dès le 2e jour, parce

qu'il avait été bousculé). Quoiqu'il assiste souvent aux travaux de son père

qui s'occupe d'automobiles, il est incapable d'en nommer certaines parties es-

sentielles et apparentes, telles que le volant, etc. II u'a pas l'air de bien com-

prendre les questions. Il est indolent, ne sait pas s'habiller seul, etc.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PL XLI ï

MYOPATHIE PSEUDO HYPERTROPHIQUE

des mollets et des ceintures scapulaires, avec atrophie du grand pectoral.

(Raymond et F. Rose).

MYOPATHIE l'S : UDO-il YI'I,HTBOP1JIQUE DES MOLLETS 225

Au point de vue somatique, ce qui frappe tout d'abord c'est l'aspect athléti-

que des muscles des ceintures scapulaires et des mollets.

Ceinture scapulaire el membres supérieurs.- Les muscles qui montrent le

degré d'hypertrophie apparente le plus accusé sont le sus- et le sous-épineux et

le grand dentelé qui forment sur la face postérieure et en dedans de l'omoplate

de fortes saillies boudinées, en dehors de toute contraction.Le deltoïde est éga-

lement très hypertrophié et il est limité du côté des bras par une dépression

profonde. Les trapèzes sont dans leur partie supérieure peut-être un peu plus

développés que chez un enfant du même âge normal. Par contre le grand pec-

toral est totalement atrophié dans toute sa partie sterno-costale, la portion

claviculaire étant un peu mieux conservée et la disparition du muscle déter-

mine l'existence de chaque côté du sternum d'une dépression longitudinale

et laisse voir la grille costale.

Le reste de la musculature du hras est à peu près normal de volume et d'as-

pect, sauf le long supinateur gauche qui est peut-être un peu volumineux.

La force musculaire est fortement diminuée et cette diminution ne se superpose

pas exactement aux atrophies et pseudo-hypertrophies. Des deux côtés la main

serre sans grande vigueur, le malade résiste mal à la flexion, l'extension, la

supination, et la pronation passives de la main et aussi à l'extension passive

de l'avant-bras. Mais il na s'agit là que d'une diminution légère de la force

musculaire. Au contraire, l'extension de l'avant-bras, l'adduction, l'abduction

et l'extension du bras se font sans aucune force ; les rotations externe et in-

terne du bras, le haussement des épaules se font bien. Nulle part n'existe du

tremblement ubrillaire ; les réflexes tendineux et périostés du poignet sont nuls,

le réflexe olécrânien est très affaibli, et on ne peut provoquer le réflexe de

Bechterew.

Ceinture pelvienne et membres inférieurs. - Les mollets présentent l'as-

pect pseudo-athlétique de la paralysie pseudo-hypertrophique de Duchenne ;

ils sont globuleux, assez durs au palper. Il existe, du côté droit, une légère

hypertrophie du vaste externe de la cuisse. Les fesses sont de volume inégal,

la droite étant plus petite que la gauche ; quoiqu'il soit difficile de se pronon

cer, nous pensons que c'est la première qui est atrophiée, mais nous ferons

observer que la fesse gauche est arrondie et saillante comme on le voit rare-

ment chez les garçons. '

La force musculaire est diminuée dans la flexion dorsale du pied, conservée

dans la flexion plantaire, un peu faible dans la flexion et l'extension de la'

jambe. A la cuisse la flexion et l'adduction sont très affaiblies, l'extension et

l'abduction normales. Les réflexes rotuliens sont abolis ; les achilléens n'ont

pu être recherchés l'enfant ne voulant pas relâcher son pied ; les réflexes

cutanés plantaire et crémastérien sont normaux.

Tronc : le grand oblique de l'abdomen est renflé sur les côtés et déborde

le bassin. Il n'y a pas d'atrophie apparente des muscles de la masse sacro-

lombaire et long dorsal ; mais elle n'en est pas moins probable, car leur force

est diminuée et il existe nne lordose dorso-lombaire très accentuée, combinée à

un léger degré de scoliose.

226 RAYMOND ET ROSE

Face et cou : tous les muscles sont normaux.

Démarche : L'enfant marche les jambes écartées en se dandinant, et en

faisant osciller le bassin en un continuel mouvement de bascule : démarche de

canard typique.

Pour se relever de la position couchée le malade est obligé de passer par

les diverses phases successives classiques de la description de Duchenne.

L'examen électrique, obligeamment pratiqué par le Dr Dignat a montré que

les contractilités faradique et galvanique sont conservées partout, mais dimi-

nuées dans les portions moyenne et postérieure du deltoïde gauche et dans

le sous-épineux du môme côté avec, aux deux variétés du courant, une con-

traction manifestement lente. Pas d'inversion de la formule polaire.

Il n'existe aucun trouble sensitivo-sensoriel ou des sphincters. Les viscères

sont normaux, à part une dilatation marquée de l'estomac, suite de la glou-

tonnerie du malade.

Le corps thyroïde n'est point perceptible à la palpation.

Pour nous résumer nous trouvons chez cet enfant, à côté de l'aspect

classique desmollels de la paralysie pseudo-liypertrophique, une hyper-

trophie exceptionnelle des muscles deltoïde, sous-épineux et grand den-

telé, combinée à une atrophie très marquée du grand pectoral. Il existe

en outre de l'hypertrophie des grands obliques de l'abdomen, du vaste

externe de la cuisse droite et peut-être de la fesse gauche. On n'observe

ni contractions fibrillaires, ni DR caractérisée. L'aspect du malade, sa

démarche, l'absence de contractions fibrillaires, de DR, de troubles sphinc-

tériens nous dispensent de discuter le diagnostic de myopathie qui est

évident.

L'intérêt du cas réside dans la combinaison qu'il offre de plusieurs des

anciens types de myopathie : c'est-à-dire du type pseudo-hypertrophique

de Duchenne (mollets), du type Zimmerlin (atrophie du grand pectoral) et

du type juvénile d'Erb. En effet, cet auteur a signalé dans la description

première de son type la possibilité d'une pseudo-hypertrophie de certains

muscles de la ceinture scapulaire et en particulier du deltoïde, du sous-

épineux et du grand dentelé. Mais nous ne croyons pas, sans vouloir

.1'affirmer, qu'on ait déjà décrit un cas de myopathie présentant une

pseudo-hypertrophie aussi étendue.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALI'trRILRE.

T. XX. Pl. XLII

DYSOSTOSE CLE1DO-CRANIENKE

(Roger Voisin, Macé de Lépinay et Introït) .

SERVICE DU DOCTEUR JULES VOISIN A LA SALPÈTRIÈRE

ETUDE CLINIQUE ET RADIOGRAPHIQUE D'UN CAS

DE DYSOSTOSE CLÉIDO-CRANIENNE

PAR

MM. ROGER VOISIN, MACÉ DE LÉPINAY et INFROIT.

Les cas de dysostose cléido-crcznienne, l'affection décrite pour la pre-

mière fois par MM. Pierre Marie et Paul Sainton (1), sont encore

relativement peu fréquents. Nous avons eu l'occasion d'observer dans

le service du Dr Jules Voisin l'hospice de la Salpêtrière une jeune

fille de 16 ans, qui est un bel exemple de cette affection (PI. XLII). Elle

fit l'objet d'une présentation à la Société Médicale des hôpitaux de Pa-

ris (2). Mais il nous a paru intéressant de revenir sur quelques points

de son histoire clinique, en particulier d'insister sur les données que nous

a fournies la radiographie.

Voici d'abord l'observation de cette enfant :

OBSERVATION. - lVlél... (Antoinette), née le 5 janvier 1891, âgée actuelle-

ment de seize ans, est entrée à la Salpêtrière en 1903. Nous n'avons que peu de

renseignements sur son enfance : le père aurait été éthylique ; ses parents sont

morts de tuberculose alors qu'elle était encore toute petite, et elle a été recueil-

lie par une voisine. Elle aurait en une méningite ( ? ) à quatre ans.

Actuellement c'est une enfant de petite taille ; elle ne mesure que 1 ni. 18,

elle est maigre, chétive.

Cette petitesse de taille tient à une déformation thoracique très marquée.

La colonne vertébrale présente une très forte cyphose à convexité droite et

postérieure avec scoliose à concavité gauche. En avant le thorax présente une

déformation compensatrice. Le sternum est reporté du côté droit, projeté en

avant. Les côtes forment une légère saillie à la partie droite, un peu en dehors

du sternum ; la tête est enfouie dans les épaules, et repose presque sur le

thorax.

L'aspect de la tète est étrange, caractéristique de l'affection. Le front bombé,

olympien,les bosses frontales exagérées avec sillon médian, la petitesse du mas-

(1) P. Marie et P. SAINTON, Soc. Méd. des hôp., mai 1891, mai 1898.

(2) JULES Voisin, Rogner Voisin, Macé de Lépinay, Soc. Méd. des hôp., 8 février 1901,

p. 130.

228 VOISIN, MACÉ DE LI : I'1NA1 ET lNFlio1'l'

sif facial, les yeux à fleur de tête, le nez allongé, la bouche large donnent à

l'ensemble de la physionomie l'aspect de tête d'oiseau.

Le crâne a une forme spéciale : court dans le sens antéro-postérieur, large

au contraire dans le sens transversal ; il y a ce qu'on appelle de la brachycé-

phalie. On s'aperçoit, en le palpant, que les divers os n'en sont pas soudés,

que toutes les fontanelles persistent et que la suture sagittale n'est point fer-

mée. L'os frontal n'est même pas unifié, et les deux os frontaux embryolo-

giques persistent : entre les deux bosses frontales saillantes se creuse une

gouttière^d'autant plus marquée qu'elle se rapproche de la fontanelle anté-

rieure. La fontanelle antérieure a 10 cent. 5, la postérieure 9 centimètres.

La fontanelle temporale est encore perceptible. La soudure n'existe pas entre

les pariétaux et l'occipital. La suture sagittale, dans son point le plus rétréci,

mesure 38 millimètres. On n'observe aucun souffle à l'auscultation du crâne.

La voûte palatine est très ogivale, très haute, elle n'est pas soudée complè-

tement et, sur la ligne médiane, le doigt sent un sillon net. Mais si les os ne

sont pas soudés, il n'en pas de même des parties muqueuse et musculeuse.

Le voile du palais et la muqueuse sont normaux.

La dentition est très particulière. L'enfant ne présente qu'un nombre de

dents infime. '

A la mâchoire supérieure il n'y a que neuf dents : trois incisives, deux

canines, deux petites molaires et deux grosses molaires de la première den-

tition.

A la mâchoire inférieure il existe deux grosses dents molaires de la pre-

mière dentition et deux incisives médianes de la deuxième dentition en voie de

développement. Dans le courant de l'année dernière, la malade a perdu ses

incisives inférieures.

Par conséquent, la dentition est très imparfaite, les dents de lait subsistent ;

seules à la mâchoire inférieure percent des incisives, début de la deuxième

dentition. '

De plus, toutes les dents de l'enfant sont cariées.

La mensuration du crâne et de la face nous donne :

Nouvelle Iconographie de la .Salpêtrière.

T. XX. PI. XLIII

DYSOSTOSE CLEÏDO-CRANIENNE

(Roger Voisin, Macé de Upillay et Infroit).

UN CAS DE DYSOSTOSE CLEIDO-CHANIENNE 229 9

sont tellement molles que la clavicule se déforme facilement à la pression. Il

ne paraît pas qu'il y ait articulation de la clavicule avec le sternum ni avec

l'acromion. '

Du côté gauche, la portion osseuse est plus considérable, elle est à peu près

de 2 cent. 5, elle est située à l'union du tiers moyeu et du tiers interne. La

clavicule, aussi flexible que du côté opposé, s'articule avec le sternum par un

tissu fibreux très lâche. Elle ne paraît pas s'attacher à l'acromion, mais s'ar-

rêtera ce niveau ;i la 1 ro côte.

Les omoplates ne sont pas détachées du thorax et nous ne trouvons pas

chez notre malade cet aspect de scapulae atatae noté par MM. Villaret et

Francoz (1) dans leurs observations. Les épaules ne sont pas tombantes ; le fait

tient peut-être à la gibbosité du sujet. Enfin, nous n'avons pu constater le

tubercule du trapèze, que MM. Villaret et Francoz avaient signalé.

Du fait de cette anomalie des clavicules, les mouvements volontaires du bras

ne sont pas modifiés, il n'existe pas de mouvements anormaux ; mais l'on

peut rapprocher fortement les deux bras l'un de l'autre, les mettre presque

en contact et reproduire ainsi cette position particulière caractéristique qui a

été photographiée par divers auteurs.

La malade présente d'autres modifications que cette anomalie de l'ossifica-

tion du crâne et de la clavicule et la gibbosité constatée.

Du côté des membres supérieurs, on remarque une malformation spéciale du

coude. Jl fait saillie en arrière et en dehors du plan du bras, et l'on s'aperçoit

à la palpation que cet aspect est dû à une luxation congénitale du radius en

arrière sans luxation du cubitus.

Le poignet est plus gros que chez l'enfant normal. Les apophyses styloides

du radius et du cubitus plus volumineuses fout saillie sous la peau.

La main enfin a un aspect particulier ; elle est rejetée en dehors. Cepen-

dant les doigts ne sont pas longs, effilés, comme on les trouve habituel-

lement dans cette affection. Le rapport des doigts entre eux est normal, mais

leurs extrémités sont un peu grosses, légèrement hippocratiques, et cette

déformation nous paraît relever des troubles de l'hématose dus à la déforma-

tion thoracique.

Les rapports des segments du membre sont normaux.

Longueur de l'avant-bras de ia saillie radiale à l'apopliyse styloïde du radius :

18,5 à 19 centimètres.

Longueur du bras, de l'épicondyle à la coracoïde : ? 5 à 25 centimètres.

Mais cependant il y a micromélie, car chez trois enfants du même âge nous

trouvons :

Longueur du bras : 26, 5 ; 26, 5 ; 25.

Longueur de l'avant-bras : 21 ; 22, 5 ; 23.

Du côté des membres inférieurs, on constate que les fémurs ont une cour-

bure à convexité antérieure exagérée ; de plus, le fémur gauche forme une

courbure à convexité externe au niveau de l'union du col et du corps.

(1) M. VILLAHST et Francoz, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, mai-juin 1905.

230 VOISIN, MACÉ DE LÉPINAY ET INFROIT

Les tibias présentent une légère concavité antérieure ; il existe un léger

degré de genu valgum. Les apophyses styloïdes des tibias sont plus saillantes

que normalement. Enfin le pied est un peu plat.

Les dimensions du membre inférieur sont les suivantes :

De l'extrémité inférieure du grand trochan-

ter à la tubérosité externe du condyle

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊrRIÈRF ? ? -1 - TTX1 PI. XI-IV2

DYSOSTOSE CLEÏDO-CRANIENNE

(Roger Voisin, Macê de Lépinay et Infroit) .

UN CAS DE DYSOSTOSE CLGIDO-CRANIEN1E 231

Au niveau de l'humérus, on remarque que cet os est très notablement

élargi à sa partie supérieure. Le canal médullaire semble plus large que

normalement, et il y a raréfaction osseuse.

La radiographie du coude est fort intéressante. L'une des épreuves a

été effectuée de face, l'avant-bras étendu et en supination ; l'antre, de

profil, l'avant-bras à demi fléchi sur le bras. Sur la première radiographie

on remarque que le cubitus garde ses rapports normaux avec l'extrémité

inférieure de l'humérus. L'os lui-même est normal. Le radius au con-

traire n'affecte aucun rapport avec la petite cavité sigmoïde du cubitus, et

les deux os sont écartés l'un de l'autre d'environ 1 centimètre.

L'extrémité supérieure du radius ne présente ni tête, ni col ; elle con-

tinue, sans modification de forme, la diaphyse.La tubérositébicipitale est

à peine indiquée. L'extrémité supérieure de l'os remonte sur le bord pos-

térieur et externe du condyle, et atteint environ le tiers de la hauleur de

l'olécrâne. Le point céphalique du radius est soudé, mais toute la partie

supérieure de l'os présente de la raréfaction osseuse.

La seconde radiographie nous donne les mêmes renseignements ; elle

indique nettement que l'extrémité inférieure du radius est reportée en ar-

rière du condyle humerai. L'extrémité du radius atteint l'union du tiers

supérieur et du tiers moyen de l'olécrâne : il semble donc que, dans la

flexion, il y ait ascension plus marquée de l'os. La radiographie montre

également une courbure à convexité antérieure de tout le corps du radius,

nettement accusée.

A la partie inférieure de l'avant-bras on remarque un retard très net

d'ossification portant sur les deux os de l'avant-bras. Le cubitus présente

une incurvation assez marquée à l'union de son tiers supérieur et de son

tiers moyen.

A la main, même retard d'ossification, portant sur les métacarpiens et

les phalanges. On remarque encore, en comparant avec la radiographie

d'une main d'enfant du même âge, qu'il existe un raccourcissement très

notable des phalangines et des phalangettes, avec élargissement de ces

mêmes os, ce qui leur donne un aspect trapu. Il y a très nettement raré-

faction osseuse, ainsi que le montre la transparence de l'image ; et élar-

gissement du canal médullaire.

3° La radiographie du crâne permet d'apercevoir nettement le cerveau;

ce fait n'a jamais été signalé.

Sur l'épreuve on ne voit que très imparfaitement l'image du frontal;

l'image de l'occipital est encore plus pâle. Au niveau du rocher et de la

mastoïde il y a une ombre nette ; mais partout ailleurs on a une transpa-

rence presque complète ; c'est-à-dire qu'au point de vue radiographique,

seuls le frontal, la base du temporal, et un peu l'occipital sont opaques,

2 : {2 VOISIN, MACÉ DE LÉPINAY ET INFROIT

donc seuls bien ossifiés; partout ailleurs, radiographiquement, il n'y a

pas d'os, puisqu'il y a transparence. Le sinus frontal est normal ; mais,

comme on l'a signalé dans un certain nombre d'observations de dysostose,

il y a retrait du massif facial.

A travers l'ombre légère du frontal et de l'occipital, on voit fort bien

les hémisphères cérébraux. L'ampoule a été placée de telle façon que les

deux hémisphères ne se superposent pas sur l'image. L'hémisphère le plus

foncé est celui qui repose sur la plaque. L'autre hémisphère se traduit

par une image plus claire, et en même temps plus grande, en raison de

son rapprochement de la source lumineuse. Les hémisphères sont un peu

crénelés sur leurs bords ; ils présentent même quelques points inégale-

ment teintés ; et il semble bien qu'on puisse apercevoir quelques scissures

et sillons séparant les circonvolutions, sans toutefois qu'on puisse affirmer

qu'il s'agit en tel ou tel point d'un sillon ou d'une circonvolution déter-

minés.

Même sur les radiographies de crânes de très jeunes enfants, on ne peut

obtenir l'image du cerveau. Ce cas serait donc unique jusqu'à ce jour.

Notre sujet présente bien les principaux caractères assignés par Marie

et Sainton à la dysostose ctéido-cranienne : 1° le développement exagéré du

diamètre transversal du crâne (15 cent. alors que la normale est 9 ? J3 ;

indice céphalique de 87.6, nettement brachycéphale).

2° Le retard dans l'ossification des fontanelles. Ce retard est très carac-

téristique dans cette observation. Notre sujet, âgée de 16 ans, ne présente

pas trace de début de soudure des divers os du crâne ; le frontal est encore

séparé en ses deux os embryologiques et l'écaille du temporal n'est pas

soudée au rocher.La suture sagittale présente près de 4 centimètres d'écar-

tement dans son point le plus rétréci. Enfin, ainsi que nous le montre la

radiographie, il y a même retard dans l'ossification des os du crâne, puis-

que nous avons pu obtenir au travers des pariétaux et de l'occipital l'image

radiographique du cerveau.

3° L'aplasie des clavicules. Plus marqué à droite qu'il gauche, le

défaut d'ossification des clavicules est facile à reconnaître. Il permet le

rapprochement anormal des moignons de l'épaule, décrit dans les obser-

vations antérieures.

4° Quant au caractère héréditaire de ces troubles, nous n'avons pu le

retrouver chez notre malade. Ses parents sont en effet morts alors qu'elle

était toute petite. C'est une voisine qui s'est occupée d'elle et qui n'a

pu donner aucun renseignement utile.

Si cette enfant présente ces caractères communs à tous les cas de dysos-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. XLV

DYSOSTOSE CLE1D0-CRNIE\rE

(R. Voisin, Macé de Lepiiiay et Infroit).

UN CAS DE DYSOSTOSE CLÉIDO-CRANIENNE 233

tose cléido-crânienne, elle s'en distingue par contre par l'existence d'un

certain nombre de symptômes sur lesquels il nous reste à insister.

1° Mél... Antoinette présente une déformation thoracique des plus

accusées : cyphose et scoliose, projection du sternum en avant, etc.

Quelques observations ont signalé la concomitance possible des défor-

mations thoraciques avec la dysostose cléido-crânienne, mais il ne semble

pas que dans aucun des cas rapportés, la déformation ait été aussi consi-

dérable. Il a été signalé des dépressions ou des pliures du sternum (Ge-

genbaur, Dowse, Rappeler, Pierre Marie et Sainton,Carpenter, Shorstein,

Pinard et Varnier), de l'aplatissement du thorax (Schentlauer), la défor-

mation dite « thorax de poulet » (IIirtz et Louste,Gross),plus rarement des

modifications de la colonne vertébrale : de la cyphose (Guzzoni), de la

lordose (Hirtz et Loüste),et quatre fois seulement de la scoliose (P. Marie

el Sainton, Niemeyer, Hamilton, ViIlIretetFrancoz).

2° Notre malade présente en second lieu des troubles importants de la

dentition.

Quoique âgée de 16 ans elle n'a que 13 dents : 9 de première dentition

à la mâchoire supérieure, 4 à la mâchoire inférieure, dont 2 seulement

de seconde dentition, des incisives médianes qui commencent seulement

à pointer, et encore depuis seulement quelques mois. Toutes ces dents

enfin sont cariées.

Il y a donc à la fois retard de la dentition, qui correspond à celle d'un

enfant de 7 ans, absence de certaines dents (une seule incisive à la mâ-

choire supérieure, mais G dents à la mâchoire inférieure) ; et carie den-

taire.

Il est à remarquer que chez les malades atteints de cette affection les

troubles de la dentition sont assez fréquents.

En nous bornant à l'étude des cas publiés en France, nous voyons que

dès leurs premières communications Marie et Sainton avaient observé des

troubles de la dentition.

Obs. de A.. 39 ans (S. M. hôp., 1897, p. 708) : « Les dents sont très

mauvaises ; elles semblent avoir été implantées très irrégulièrement, il

en manque beaucoup actuellement et il est impossible de juger de leur

quantité. »

.4 ? 12 ans : « La dentition est très irrégulière, les dents supérieures

sont très petites, les incisives ont la dimension de petites canines ; les

canines sont cupuliformes. Toutes ces dents sont déjà usées. Les dents

inférieures sont un peu moins petites, les canines également cupulifor-

mes. Une ou deux dents sont déjà cariées ».

Ils retrouvèrent également des troubles de la dentition sur les deux

malades qu'ils observèrent en 1898 : chez la mère, 49 ans, les dents étaient

xx -11 15

2a4 VOISIN, MACÉ DE LÉPINAY ET INFROIT

déjà tombées, tandis que la fille, 10 ans, avait un retard de la dentition.

La malade de Pinard et Varnier (1), présentait également une dentition.

irrégulière et mauvaise.

Dans l'observation de l'homme de 49 ans, étudiée par Hirtz et Louste (2)

il est dit : « La mâchoire est presque complètement dépourvue de dents.

Celles-ci sont apparues fort tard, de nombre restreint dans les deux den-

titions. Elles ont été très irrégulièrement implantées et se sont cariées de

bonne heure. » -

Enfin tous les membres de la famille observée par Villaret et Francoz

avaient des altérations dentaires : dents irrégulières, petites, cupuliformes,

mal implantées ; incisives médianes en retrait sur leur bord interne,

canine supplémentaire chez la mère, 36 ans retard dans l'évolution des

dents, qui sont petites, irrégulières, crénelées chez la fille, 9 ans - ; dents

supérieures mal implantées, petites, crénelées, cupuliformes, tandis que

les dents inférieures sont à peu près normales chez le garçon de 6 ans ;

dentition retardée chez le bébé de 21 mois- et la malade observée par

Couvelaire, dont l'observation est rapportée dans le même mémoire, âgée

de 3 ans, avait une dentition si mauvaise que la malade portait un dou-

ble râtelier.

Mêmes constatations ont été faites par les auteurs étrangers, nous ne

signalerons que le cas d'Hamilton (3) concernant une femme de 38 ans,

dont les premières dents apparues à 2 ans ne tombèrent qu'à 15 ans, et

dont la dentition était très peu developpée.

De ce court aperçu il paraît bien que les troubles de la dentition sont

un symptôme presque constant de la dysostose cléido-crânienne.

Les anomalies dentaires, que nous avons observées chez notre malade,

sont d'ailleurs rares, surtout poussées à un si haut degré. Elles ont été

surtout étudiées comme étant un des plus importants stigmates de l'hérédo-

syphilis. Pour Edmond Fournier (4), l'absence de certaines dents se

limite presque toujours à un petit nombre, et affecte le plus souvent le

groupe des incisives, et surtout des incisives supérieures. Chez notre ma-

lade il y a bien à la mâchoire supérieure absence d'une incisive latérale,

mais à la mâchoire inférieure il y a 6 dents qui manquent.

Il en est de même de la persistance des dents de lait : on observe

ordinairement la persistance d'une, de"deux, de quatre dents au plus ; il

est rare de n'observer qu'à 16 ans la chute de deux incisives. Notre obser-

(1) Pinard et VARNiER, C. R. Société obstétrique, gyn. et péd., juin 1899.

(2) Hirtz el Louste, S. méd. des hôpitaux, 1903, p. 270.

(3) HAMILTON, Philadelphia med. journ., 14 octobre 1899.

(4) E. Fournier, Stigmates dystrophiques de l'itérédo-syphilis. Thèse Paris, 1895,

p. 85.

UN CAS DE DYSOSTOSE CLÉIDO-CHANIENNE 235

vation serait comparable au cas observé par Ferras où il y avait persistance

de toutes les dents de lait chez un enfant de 10 ans. Il s'agissait d'un

hérédo-syphiti tique.

3° Les radiographies ont montré qu'il y avait non seulement retard

dans l'ossification des os longs, mais raréfaction du tissu osseux de ces os.

Cette raréfaction se retrouve au niveau des os du crâne et permet la ra-

diographie du cerveau.

4° Enfin notre enfant présente une luxation congénitale double du radius

eu arrière. Cette affection est excessivement rare, puisque Kirmisson en

1898 dans son traité des maladies chir2 ? gicales congénitales (1) ne signale

d'après une statistique de Bonnenberg que 12 cas de luxation congénitale

bilatérale du radius, dont 8 en arrière.

Depuis ce travail nous n'avons trouvé signalé en France que le cas de

Galliard et Lévy (2). Il s'agissait d'une femme de 28 ans, de petite taille

(1 m. 43), aux membres courts dont le mouvement de supination des deux

avant-bras était très limité du fait, constaté par la radiographie, de l'as-

cension de la tête du radius jusqu'à mi-hauteur de l'olécrâne.

Nous avons également trouvé signalés en Amérique deux cas qui,d'après

leur titre paraissent également concerner des luxations du radius congé-

nitales : ceux de la Ferlé (3), et de Van Hook (4), mais les journaux amé-

ricains où ces cas sont relatés, ne sont pas à la Bibliothèque de la Faculté.

Par contre, en 1904, Meijers (5) en Hollande a présenté deux malades,

le père (41 ans) et la fille (10 ans) atteints de cette malformation. Cette

malformation était héréditaire dans la famille.

Il y avait en plus des anomalies particulières du carpe.

Cet auteur apporte les observations d'Abbot qui a pu dans 4 générations

d'une même famille décrire 7 cas de luxation de la tête du radius.

Comme dans le cas de Meijers, dans celui de Kirmisson, nous remar-

quons chez notre enfant une courbure anormale du radius (6).

Les particularités que nous avons relevées dans cette observation de

(1) Kirmisson, Traité des maladies chirurgicales congénitales, p. 481.

(2) GALLIARD et Lévy, Micromélie avec malformation symétrique des radius. Soc.

méd. des hôp., 18 novembre 1904, p. 1103.

(3) La Ferté, Congénital dislocation of the head of the radius. Harper hospital Bul-

letin Detroit, 1905-1906, XVI, 1-S.

(4) VAN Hook, Double congénital dislocation of the heads of the t'adtt. Illinois med.

journ., Springield, 1903-1904, n. s. v. 958,

(5) MSIJERS, Nederlandsch Tijdschrift voor Geneeskunde,1904, 1, p. 946-950.

(6) Roger Voisin et Macé DE Lépinay, Luxation [double congénitale du radius en

arrière. 13u11. de la Société anatomiqne, avril 1907.

236 VOISIN, macé DE LÉPINAY ET INFROIT

dysostose cléido-crânienne, principalement la gibbosité très marquée de la

malade, les troubles de la dentition, le retard de l'ossification et la raré-

faction osseuse nous montrent que, ainsi que l'ont déjà fait remarquer

Couvelaire (1), M. Villaretet Francoz, le groupe osseux, crâne el clavicule,

n'est pas toujours le seul intéressé ; elles soulèvent de plus le problème

des rapports existant entre la dysostose cléido-crânienne et le rachitisme.

La gibbosité que présente Miel ? a tous les caractères en effet de la gib-

bosité rachitique : scoliose et cyphose arrondie ; de plus, est signalé que

dans le rachitisme il peut y avoir retard de l'ossification, et retard de la

dentition ; or, notre enfant présente ces deux symptômes. Mais cependant

il nous faut remarquer qu'il est exceptionnel, qu'il n'a même pas été si-

gnalé, un tel trouble de la dentilion dans le rachitisme, et que la malade

n'en présente pas certains stigmates presque constants : il n'y a pas de cha-

pelet coslal, pas de tibia en lame de sabre, etc.

Quoi qu'il en soit,ces constatations doivent faire discuter les trois hypo-

thèses suivantes : ou les anomalies que présente la malade sont toutes de

nature rachitique, ou bien elles relèvent toutes de la dysostose cléido-crâ-

nienne ; ou enfin il y a coexistence de rachitisme et de dysostose cléido-

crânienne.

Le mécanisme de ces deux affections est en effet bien différent, ainsi

que l'ont montré Porak et Durante (2) : dans la dysostose, que l'on peut

avec ces auteurs considérer comme une forme particulière de leur dyspla-

sie périostale, il s'agit d'une dystrophie dans l'ossification des os à ébau-

che fibreuse, dans la formation de l'os par le périoste : il y aurait hyper-

activité des ostéoclastes; dans le rachitisme il y a dystrophie, par défaut

d'ossification des travées osseuses qui demeurent cartilagineuses ; il y au-

rait hypoactivité des ostéoblastes.

Quoique ces mécanismes diffèrent, on comprend que dans certains cas,

localisés à certains os, ils puissent occasionner des déformations compara-

bles. Seul un examen histologique permettrait d'en résoudre l'origine.

Aussi nous paraît-il difficile d'admettre avec Apert (3), que la dysostose

cléido-crânienne doive être considérée comme une mutation, aboutissant

d'une variation progressive par prédominance de plus en plus marquée

de l'ossification enchondrale sur l'ossification périostale, de nature abso-

lument opposée à l'achondroplasie, où, l'ossification périostale étant con-

servée, c'est l'ossification enchondrale qui est modifiée.

(1) Couvelaire, Journ. de Phys. et path. générales, juillet 1899.

(2) pOaAA et DURANT ? Les micromélies congénitales. Nouv. Icon. de la Salpêtrière,

1905.

(3) APERT, Maladies familiales, Baillière, 1907. - Voir aussi Quelques remarques sur

l'achondroplasie. Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1903.

UN CAS DE DYSOSTOSE CLIDO-CRANIENNE 237

Nous sommes plutôt disposés, avec Porak et Durante, à considérer la

dysplasie périostale et la dysostose cléido-crânienne comme résultant d'un

trouble glandulaire ou trophique, à la suite d'une lésion soit de la mère

(hérédo-intoxication), soit du foetus (auto-intoxication).

Les troubles de la dentition que nous avons observés seraient une

preuve en faveur de cette hypothèse ; ils sont en effet tout à fait compa-

rables à ceux que l'on constate chez les myxoedémateux dont on connaît

bien l'origine thyroïdienne.

Ainsi se trouveraient rapprochés cette affection et le rachitisme (Po-

rak et Durante) qui parait également,d'après les travaux actuels, répondre

au fonctionnement imparfait d'un organe à sécrétion interne. Ainsi pour-

rait s'expliquer la coexistence de ces deux affections chez le même malade.

En tout cas, à la base de ces troubles dystrophiques, et quelle qu'en

soit la nature, il est possible qu'il y ait eu une intoxication ou une infec-

tion. Parmi elles, la syphilis doit être soupçonnée comme étant une des

causes les plus fréquentes des dystrophies de l'enfance. Chez notre sujet

on relève deux des symptômes de la triade d'Ilutchinson, la surdité, les

troubles de la dentition. Mais le Dr Gellé qui a examiné Mél... au point

de vue auriste, nous a déclaré que rien dans son examen ne lui permet-

tait d'affirmer l'origine spécifique de la surdité; et, d'autre part, si les

troubles dentaires doivent faire penser à l'hérédo-syphilis, ils ne sont

cependant pas pathognomoniques de cette infection. Chompret, dans la

thèse de E. Fournier admet lui-même que la persistance des dents de lait

est un fait intéressant au point de vue de l'hérédité syphilitique, mais il

ajoute : « en ce qu'elle témoigne qu'une influence dystrophique des plus

sérieuses s'est exercée dans le jeune âge sur le système dentaire, et à ce

titre elle met en cause, ipso facto, l'hérédité syphilitique en tant qu'origine

la plus usuelle de cet ordre de dystrophie » ; il ne dit pas « origine cons-

tante », et nous avons déjà signalé qu'un trouble de sécrétion glandulaire

suffit à les déterminer (corps thyroïde dans le myxoedème).

ASILE DE VAUCLUSE

INFANTILISME ET INSUFFISANCE DIASTEMATIQUE

PAR -

A,'VIGOUROUX ET A. DELMAS.

Médecin de l'Asile de Vaucluse. Interne des Asiles de la Seine

L'observation que nous apportons ici concerne un malade de 44 ans

présentant le syndrome clinique d'infantilisme vrai, d'infantilisme thyroï-

dien tel que l'ont établi les travaux de Brissaud et H. Meige (PI. XLVI).

Ce malade, malgré son âge avancé, avait conservé les formes extérieures

de l'enfance et donnait l'apparence d'un enfant « vieillot de 12 à 14 ans ;

chez lui, n'était apparu aucun des caractères sexuels secondaires.

L'examen clinique du malade ne permettant pas de déceler, par la palpa-

tion, le corps thyroïde, il était naturel de rapporter l'arrêt de développe-

ment physique et psychique à un trouble de la fonction thyroïde, à l'hy-

pothyroïdie qui aurait déterminé secondairement l'arrêt d'évolution de

de l'appareil génital.

Or, l'autopsie a montré l'existence de la glande thyroïde, atrophiée,

il est vrai, mais normale de forme et d'apparence, l'existence de deux

testicules, dont l'un était dans l'anneau, également petits mais d'appa-

rence normale, et enfin la présence d'une petite tumeur de la tige de la

glande pituitaire.

D'autre part, l'examen microscopique montre que la glande thyroïde est

histologiquement normale, que la tumeur fibreuse de la tige de la glande

pituitaire n'a pas altéré le parenchyme glandulaire, alors que les lésions

du testicule sont très profondes et très étendues ; non seulement les

canalicules séminipares ne sont pas développés, les cellules de la lignée

séminale ne sont pas différenciées, mais dans le tissu conjonctif on ne trouve

aucune cellule interstitielle.

Ce cas est donc difficile à interpréter de par la complexité même des

lésions, puisque les trois glandes à sécrétion interne considérées comme

susceptibles de régler la nutrition sont touchées à des degrés divers :

glande thyroïde, pituitaire, interstitielle.

Au point de vue histologique c'est la' glande diastématique qui est de

beaucoup la,plus altérée et il est donc possible d'incriminer en première

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. XLVI

INFANTILISME ET INSUFFISANCE DlASTÜ¡ATIQUE

INFANTILISME ET INSUFFISANCE DIASTÉMATIQUE 239

ligne l'insuffisance interstitielle, l'adiastématie précoce, telle que l'ont

décrite Ancel et Boin (Presse médicale, 3 janvier 1906). ,

Observation.

B... Charles-Ernest, âgé de 44 ans, est entré à l'asile de Vaucluse le

lee août 1906 avec le diagnostic porté par M. le Dr Dupré :

Débilité mentale avec arrêt général du développement de l'organisme par

insuffisance thynoidienne. Syndrome myxoedémateux incomplet. Le corps

thyroïde semble absent. Depuis quelques jours, idées de persécution, hallu-

cinations visuelles et auditives. Habitudes alcooliques anciennes.

Comme le montre la photographie ci-jointe, B... donne l'impression d'un

enfant vieillot, présentant le syndrome d'infantilisme myxoedémateux.

Il mesurait 1 m. 27 de taille,pesait 32 kilos ; les différentes parties du corps

étaient bien proportionnées et à un examen superficiel il paraissait être un gar-

çon de 12 à 14 ans, il avait conservé les formes extérieures de l'enfance et

aucun des caractères sexuels secondaires n'était apparu chez lui.

La face est entièrement glabre, la peau est sèche et légèrement jaunâtre,

ridée aux tempes, légèrement bouffie sous les yeux.

Les cheveux, plantés bas sur le front, sont clairsemés, mais sont fins

sourcils existent.

Les joues sont arrondies et fermes, leur forme donne à la face l'aspe(

naire.

La lèvre inférieure est un peu grosse, légèrement tombante, mais la

che reste bien fermée ; la langue est de volume normal.

Le crâne est bien conformé, les sutures en sont légèrement saillante

circonférence horizontale est de 0.515, le diamètre antéro-postérieur maxi-

mum 171, le diamètre 'transversal maximum 144, ce qui donne un indice

céphalique de 84 et range le malade dans les brachycéphales.

La tête est légèrement enfoncée dans les épaules; le cou est très court et la

palpation ne permet pas d'y sentir le corps thyroïde.

Le tronc est d'apparence normale, le bassin est légèrement élargi. La peau

est entièrement glabre au niveau des aisselles et du pubis ; il y a une hyper-

trophie graisseuse notable au niveau des seins, mais on ne trouve pas de

mamelon ni d'auréole.

Les organes génitaux sont tout à fait rudimentaires. La verge, y compris le

prépuce qui est très saillant, a 15 millimètres de longueur, est de la gros-

seur d'un crayon ; à peine peut-on sentir sous les doigts rouler le corps caver-

neux qui tend à disparaître sous la peau du pubis. C'est la verge d'un enfant

de quelques mois. Elle est incapable d'érection.

Le scrotum est très rudimentaire et contient un seul testicule mou et gros

comme une petite fève qui tend à remonter dans l'anneau.

Les organes génitaux situés au centre d'un triangle curviligne saillant ont

un aspect spécial rappelant les organes féminins.

Les membres, sauf une cuisse déformée par deux fractures anciennes, sont

240 VIGOUROUX ET DELMAS

de proportions normales ; les bras sont gras et potelés, les mains sont grosses

et les doigts boudinés.

La température rectale est de 37°5.

Les appareils de la digestion, de la respiration et de la circulation sont nor-

maux.

La sensibilité est normale ; la force musculaire est peu développée ; les

réflexes patellaires sont forts. La voix est aiguè et en fausset.

Au point de vue mental, B... est également un enfant aux notions très

bornées, au caractère très instable,passant rapidement du rire aux larmes, in-

capable d'attention,inapte à une occupation suivie, taquin, irritable, se mettant

facilement dans des colères de courte durée.

Ce n'était pas cependant un idiot ni même un imbécile, il avait de la mémoire

et toute sa vie il avait vécu avec sa mère, l'aidant dans son travail et même

faisant des courses dans Paris ; il avait habité avec sa mère l'Amérique et bien

que revenu en France depuis plus de dix ans, il parlait un peu l'anglais et sur-

tout chantait quelques chansons à boire américaines.

D'après les renseignements fournis par lui et confirmés par sa mère, son

père serait mort de tuberculose pulmonaire alors qu'il avait 7 ans ; il n'avait

ni frère ni soeur.

Sa mère paraît bizarre et peut être soupçonnée d'éthylisme. Lui-même a

toujours bu rhum et absinthe depuis son enfance et il est probable que c'est

étant ivre qu'il s'est cassé à deux reprises la cuisse gauche.

C'est également un accès subaigu d'alcoolisme chronique qui l'a fait arrêter

et interner.

Dans les premiers jours de son entrée, il est confus, halluciné et presque

anxieux. Il s'entend appeler, se lève de son lit pour obéir à cet appel, demande

à sortir, n'a aucune conscience de sa situation.

La nuit il ne dort pas, se croit appelé par des malades ses voisins et leur

demande ce qu'ils lui veulent. Grâce à une abstinence prolongée et au régime

lacté cet état de confusion hallucinatoire disparait assez rapidement et trois

semaines après son entrée il se montre calme, assez raisonnable, mais d'un

caractère très enfantin, taquin et boudeur, jouant comme un tout jeune enfant.

Six semaines après son entrée, le 16 septembre, le malade s'affaiblit sans rai-

son appréciable. Il tombe rapidement dans un état voisin de la stupeur : im-

mobile, il ne répond plus aux questions, il s'alimente très peu. Le 19 septembre

cet état s'accentue sans que l'examen viscéral ne révèle rien autre que de

la congestion pulmonaire. Il a de l'hypothermie : 35°4 le soir,36°9 le matin sui-

vant et malgré une injection de sérum et l'application de boules d'eau chaude, il

succomba. -

Autopsie. - A l'ouverture du thorax on ne trouve pas de liquide pleural,

les poumons ne présentent pas de lésions appréciables ; pas de tuberculose des

sommets ; quelques adhérences pleurales surtout de la plèvre diaphragmatique

droite.

La base pulmonaire droite présente de la congestion.

Le poumon droit pèse 310 grammes ; le poumon gauche pèse 170 grammes.

INFANTILISME ET INSUFFISANCE DIASTÉMATIQUE 241

Le coeur est contracté ; le ventricule gauche est dur ; le droit est vide de cail-

lot. A l'ouverture on trouve des valvules aortiques un peu dures surtout à la

base ; plaques athéromateuses, 2 ou 3 la base de l'aorte, à l'épreuve de l'eau

les valvules sigmoïdes laissent écouler lentement toute la colonne d'eau, léger

degré d'insuffisance. La valvule mitrale est un peu indurée, laisse passer un

doigt très facilement, mais non deux. Poids : 190 grammes.

Le foie pèse 950 grammes, il est assez volumineux proportionnellement;

périhépatite avec adhérences assez serrées avec diaphragme ; un peu graisseux,

mais surtout très congestionné.

Les reins pèsent 130 grammes, sont plutôt pâles, substances médullaire et

corticale peu différenciées ; se décortiquent assez bien.

La rate pèse 40 grammes, putréfiée ; rien d'anormal.

Les capsules surrénales saines macroscopiquement, pèsent 4 gr. 29 cen-

tigrammes (après 2 jours de formol).

Testicules : les deux testicules existent. l'un d'eux dans l'anneau, rien

d'anormal microscopiquement, sauf leur petit volume. Les deux avec épidi-

dyme et pédicule, le droit pèse 2 gr. 57, le gauche pèse 2 gr. 6 centigrammes.

La glande thyroïde : elle paraît peu atrophiée relativement, les deux lobes

pèsent 6 gr. 12 centigrammes, le droit pèse 3 gr. 54 'centigrammes, le gauche

pèse ') gr. 58 centigrammes.

A l'ouverture de l'abdomen : pannicule graisseux très abondant et épais.

Epaisseur au niveau de l'ombilic : 3 centimètres. Graisse jaune, ferme.

Crâne peu épais, quelques orifices dans les deux pariétaux près de la suture

médiane gros comme une tête d'épingle. Un ou deux trajets obliques.

Dure-mère : rien d'anormal, épaisseur relativement normale. Liquide cépha-

lo-rachidien pas très abondant.

Hémisphères non décortiqués, paraissent extérieurement normaux. Sur la

face inférieure du cerveau la glande pituitaire apparaît enchâtonnée dans une

tumeur développée dans son pédicule du volume d'une petite noix muriforme,

blanchâtre, de consistance crétacée. Elle ne paraît pas augmentée de volume.

L'ensemble est conservé tel que dans le formol et pèse 1.210 grammes.

Examen histologique : Cerveau. La pie-mère est légèrement épaissie,

infiltrée de noyaux cellulaires, contenant des vaisseaux très congestionnés,

mais dont les parois ne sont pas altérées.

La face externe (arachnoïdale) est tapissée de 2 ou 3 assises de cellules cu-

biques qui, dans certains points, forment de petits nodules ou des excroissan-

ces ; la face interne est par endroit adhérente au cortex.

La couche moléculaire du cerveau est scléreuse : les cellules de névroglie

y sont multipliées.

Les capillaires du cortex sont aussi congestionnés, dans leur espace périvas-

culaire on trouve du pigment ocre (hémoglobine).

Les cellules nerveuses sont altérées, mais principalement les cellules pyra-

midales de Betz qui sont déformées, globuleuses, à protoplasma se colorant

en masse, à noyau excentrique.

242 VIGOUROUX ET DELMAS

Au Weigert ; les fibres nerveuses sont grêles, mais ne présentent pas d'al-

tération.

Le bulbe et la moelle ne présentent pas d'altération.

La glande pituitaire normale. Les cordons de cellules épithéliales polyé-

driques du lobe antérieur sont normalement constitués. Les cellules ont leur

protoplasma bien différencié et leurs noyaux granuleux bien colorés.

Corps thyroïde. - Les vésicules sont tapissées de cellules épithéliales

normales et pleines de substance colloïde, parfois il y a prolifération de cellules

épithéliales et de cellule. Le tissu conjonctif paraît peu augmenter.

Le testicule : est le siège d'une atrophie scléreuse. De l'albuginée partent

de larges tractus fibreux formés par des fibres très fines et flexueuses qui

enserrent des canalicules atrophiés ou non développés.

Sur la paroi propre du canalicule sont situées des cellules épithéliales cubi-

ques à gros noyaux rangés sur une ou deux couches. Ces cellules épithélia-

les ne sont pas différenciées et on ne peut distinguer ni cellules de Sertoli ni

aucune cellule de la lignée séminale : spermatogonie, spermatocyte, etc., les

noyaux sont sphériques,mais pas en voie de segmentation.

Dans les travées fibreuses on ne trouve aucune CELLULE interstitielle.

Capsules surrénales saines, normales. Peut-être cellules chromaffisses moins

nombreuses.

Reins congestionnés, quelques glomérules fibreux.

Foie congestionné, normal.

NOTA. - Ces préparations ont été montrées à la Société anatomique dans

sa séance du 23 novembre 1906. L'absence des cellules interstitielles dans les

testicules a été spécialement vérifiée par M. Lecène dont la compétence est toute

particulière. Il bien voulu se charger de faire de nouvelles coupes et de

nouvelles colorations afin de pouvoir affirmer qu'elles n'existaient pas.

CLINIQUE OPHTALMOLOGIQUE DE LA FACULTÉ DE BORDEAUX

MYDRIASE HYSTÉRIQUE

PAR

Ch. LAFON ET M. TEULIÈRES

Chef de clinique, Interne des hôpitaux.

Nous avons eu la bonne fortune d'observer, dans le service de notre

maître, le professeur Badal, un cas fort curieux de mydriase paralytique .

maximale, dont la nature hystérique ne nous paraît pas douteuse.

La rareté des faits analogues et surtout les discussions auxquelles a

donné lieu l'existence de la mydriase hystérique, nous ont engagé à pu-

blier cette observation.

Observation

Albert R..., âgé de 34 ans, horloger, vient a la clinique le 19 mars 1907

pour une mydriase droite.

Il n'a pas d'antécédents héréditaires 1 mentionner. Il a joui d'une bonne

santé jusqu'en 4905 ; il a fait son service militaire, s'est marié, et a eu deux

enfants bien portants ; sa femme u'a pas fait de fausse couche. Il n'a eu d'autre

affection oculaire qu'un orgelet, l'an dernier, et on ne lui a jamais instillé d'a-

tropine. Il y a deux ans, le malade fut atteint de néphrite épitliéliale doulou-

reuse, avec du sable dans l'urine ; le professeur Pousson, soupçonnant un

calcul, pratiqua une néphrotomie à gauche ; on ne trouva pas de calcul, mais

l'intervention amena la guérison. Depuis lors, le malade a eu, à deux reprises,

delà rétention d'urine, qui a cédé, chaque fois, à un seul cathétérisme ; le

professeur Pousson n'a pu découvrir la cause de cette rétention et c'est pour

savoir s'il n'existait pas une relation avec la mydriase qu'il nous a adressé le

malade.

Albert R... ignore quand a débuté sa mydriase ; il prétend avoir toujours eu

sa pupille droite dilatée, mais il ne s'en préoccupa pas, car il n'en a jamais été

gêné ; le médecin qui l'examina au conseil de révision constata son existence

et, depuis lors, plusieurs autres médecins l'ont remarquée.

A droite, il existe une mydriase complète, maximale; la dilatation est aussi

prononcée que celle que l'on obtient par l'atropine et l'iris est réduit à un

mince liseré. La réaction à une lumière, même intense, est absolument nulle,

ainsi qu'on peut s'en rendre compte par l'observation à la loupe oculaire. Les

réflexes à la convergence et à la douleur, ainsi que le réflexe consensuel;

244 LAFON ET teulières

n'existent pas ; en somme, l'iris est absolument immobile. La cornée et la con-

jonctive ont gardé leur sensibilité et le réflexe cornéen est très vif. Le tonus

oculaire est normal.

A gauche, la pupille est moyennement dilatée ; elle est régulière et légère-

ment décentrée en haut et en dedans, ce qui peut être considéré comme nor-

mal. Elle paraît ne pas réagir à la lumière du jour ; avec un éclairage électrique

intense, on constate, à la loupe oculaire, une légère contraction d'assez courte

durée. Le réflexe à l'accommodation existe, mais très faible ; pas de réflexe à

la douleur. Sensibilité cornéenne, conjonctivale et réflexe cornéen normaux.

, L'examen de la réfraction à l'image droite et à la.skiascopie donne les résul-

tats suivants :

0. D. myopie de 6 dioptries.

0. G. myopie de 8 dioptries.

, A l'ophtalmomètre, on ne trouve pas d'astigmatisme cornéen.

Examen ophtalmoscopique : des deux côtés, staphylome myopique en crois-

sant ; à gauche, la lésion est plus étendue.

Acuité visuelle :

MYDI\1ASE HYSTÉRIQUE 245 1")

marquée. Les réflexes cutanés et tendineux sont normaux ; pas de troubles

appréciables des sensibilités viscérales, tendineuses et osseuses profondes. ,

Le malade n'a jamais eu de « crises nerveuses » ; les personnes de son

entourage nous ont assuré qu'il avait un caractère gai, très calme, peu impres-

sionnable et nullement coléreux.

Elude de la mydriases En voulant étudier l'action de l'ésérine sur cette

mydriase, nous avons été conduits à faire une série d'expériences que nous

allons rapporter maintenant.

1° Instillation d'une goutte d'eau froide dans l'oeil droit ; le contact de cette

goutte provuque une contraction énergique de l'iris ; le diamètre pupillaire se

réduit à 2 millimètres. Cette contraction est de courte durée et l'iris reprend

progressivement sa position première , la mydriase est redevenue maximale

au bout d'une minute environ.

po En instillant toutes les minutes une goutte d'eau froide, on provoque

chaque fois la contraction de l'iris ; mais cette contraction devient de moins

en moins énergique et son amplitude va en diminuant.

3° Nous obtenons les mêmes résultats avec de l'eau à 37°.

tir Instillation d'une goutte d'ésérine à 0,5 0/0. Nous observons d'abord les

mêmes phénomènes qu'avec l'eau pure et l'iris ne tarde pas à reprendre sa

position première. Au bout de 6 minutes la pupille commence à se rétrécir et

il ne tarde pas à se produire un myosis intense; le malade accuse une sensa-

tion de tension dans son oeil et il prétend voir plus mal qu'auparavant ; il a a

maintenant une myopie de 12 dioptries, ce qui indique une contracture du

muscle ciliaire ; il est du reste facile de mettre en évidence cette contracture

de l'accommodation. En outre, le malade prétend voir tous les objets avec uue

teinte verte (chloropsie). La contracture de l'iris et du muscle ciliaire a eu sa

durée normale et a disparu progressivement.

5° Instillation d'une goutte de cocaïne à 4 0/0. Mêmes phénomènes immé-

diats que pour l'eau pure ; l'iris ne tarde pas à reprendre sa position première

et la mydriase n'est pas inllueucée. Anesthésie normale de la cornée et de la

conjonctive ; légère parésie de l'accommodation.

6o Instillation d'une goutte d'atropine à 0,5 0/0. Mêmes phénomènes que

pour l'eau pure ; quand l'iris a repris sa position première la mydriase n'est

pas plus prononcée ; paralysie totale de l'accommodation qui dure une huitaine

de jours ; le malade n'en éprouve aucune gène à cause de sa myopie.

7° Pendant que l'oeil est sous l'action de l'atropine, l'instillation d'une goutte

d'eau n'a plus aucun effet; il en est de même de l'électricité dont nous allons

parler maintenant.

8° Nous nous sommes servis des courants alternatifs ; l'électrode positive

est placée dans le dos et l'électrode négative sur l'oeil, la paupière étant fermée.

Les courants faibles n'ont eu aucune action ; avec des courants d'intensité

moyenne, nous avons obtenu une contraction progressive assez lente : au bout

d'une minute environ, la pupille droite avait les mêmes dimensions que la gau-

che ; cette contraction n'a pas duré et l'iris a repris peu à peu sa position pre-

mière. 1

246 LAFON ET TEUL1ÈRES

9° A gauche, l'iris et l'accommodation réagissent normalement à l'action des

collyres ; mais l'instillation d'eau pure ne provoque aucune réaction ; il en est

de même de l'électricité.

Dans l'étude qui va suivre, nous ne nous arrêterons pas à la paresse du

réflexe photo-moteur gauche ; cette paresse n'a pas grande signification.

Nous ne nous occuperons que de la mydriase droite.

Avant de rechercher la cause de cette mydriase, il convient, croyons-

nous, de discuter une importante question : cette mydriase est-elle para-

lytique ou spasmodique ?

Voyons d'abord les caractères différentiels que la plupart des auteurs

assignent à ces deux formes.

a) Mydriase paralytique (paralysie de la 1111, paire). La pupille pré-

sente une dilatation peu considérable, moyenne ; son diamètre est égal

à celui de la pupille saine dans l'obscurité complète. Les réflexes à la

lumière et à l'accommodation ont disparu, tandis que le réflexe cutané serait

conservé ( ? ). En outre, souvent le muscle ciliaire est intéressé ; et il existe

des faits irréfutables, où une lésion circonscrite n'a provoqué qu'une para-

lysie de l'iris. Dans son étude sur « l'exploration de la pupille », Cop-

pez (1) a indiqué les particularités suivantes : l'atropine et la cocaïne

augmentent la dilatation ; l'ésérine conserve toute son action et produit

un myosis intense. En somme la mydriase que nous avons observée ne

répond pas du tout à ces symptômes classiques et ne serait donc pas para-

lytique.

b) Mydriase spasmodique (excitation du grand sympathique cervical). La

dilatation peut être fort variable ; tantôt elle est intense, maximale ; tan-

tôt, au contraire, elle est moyenne. Les réflexes à la lumière, à la con-

vergence et à la douleur sont conservés, quelque légers qu'ils soient. Le

muscle ciliaire n'est jamais atteint, mais l'irritation du grand sympathique

entraîne très fréquemment des troubles vaso-moteurs de la face. L'épreuve

des collyres donne les résultats suivants : l'atropine produit une dilata-

tion maximale, si celle-ci n'existait pas déjà ; la cocaïne au contraire est

sans action ; l'ésérine enfin rétrécit la pupille, mais moins que dans les

cas de mydriase paralytique. Ici encore, ce tableau clinique ne répond pas

à celui que nous avons observé.

Ainsi donc, en nous en tenant à la symptomatologie classique, il nous

est impossible de faire entrer notre cas dans une de ces deux formes de

mydriase. Dans une circonstance analogue, Aurand et Frenkel (2) ont été

obligés d'accepter l'existence simultanée « d'une paralysie des filets mo-

(1) CoppEz, Arch. d'Opht., 1903.

(2) AURAND et FRENKEL, Revue de Méd., 1896.

MYDRIASE HYSTÉRIQUE 247 7

teurs et d'une excitation des filets sympathiques de l'iris » pour expliquer

les symptômes qu'avait présentés leur malade.

On nous permettra de faire une remarque importante à ce sujet. Les

signes que tous les auteurs attribuent à la mydriase paralytique sont ceux

que produit une lésion organique siégeant soit sur le noyau irido-cons-

tricteur du moteur oculaire commun, soit sur les filets iriens de ce nerf

jusqu'à leur entrée dans le ganglion ciliaire. De même les signes de la

mydriase spasmodique sont ceux que provoque l'excitation du centre

irido-dilatateur de la moelle cervicale ou des filets sympathiques jusqu'à

leur entrée dans le ganglion ciliaire. Nous connaissons bien ces deux for-

mes, que l'on observe souvent en clinique, et qu'il est facile d'étudier

par l'expérimentation. Mais la plupart des auteurs, qui discutent la pa-

thogénie des troubles pupillaires, ne tiennent compte que de ces deux

types et raisonnent comme si l'iris était directement innervé par le moteur

oculaire commun et par le grand sympathique. Or cette conception

n'est pas juste, car les muscles iriens sont en réalité sous la dépen-

dance du ganglion ciliaire. Les expériences faites sur les mammifères

supérieurs ont montré que le moteur oculaire commun n'agit sur les

muscles de l'iris que grâce au ganglion ciliaire, qui reçoit l'excitation de

ce nerf et la transmet, au moyen d'une articulation neuronique de na-

ture sympathique, à la musculature lisse de l'iris. Comme le fait remar-

quer Coppez (1) avec beaucoup de justesse, « ici comme ailleurs, les

muscles lisses sont innervés par un ganglion sympathique sous la dépen-

dance d'un nerf moteur ».

Donc, au lieu de rapporter tous les troubles moteurs de l'iris à des

lésions siégeant en amont du ganglion ciliaire, il est logique d'admettre

l'existence de troubles fonctionnels ou organiques ayant leur origine soit t

dans les cellules motrices du ganglion ciliaire, soit dans les filets moteurs

des nerfs qui en émanent. Malheureusement nous ignorons à peu près to-

talement les symptômes des troubles morbides, qui peuvent se produire

dans ce ganglion ou dans ses nerfs centrifuges. Ce que nous en savons

nous a été appris par la physiologie.

On sait que la nicotine est un poison spécifique des cellules sym-

pathiques ; injectée dans l'orbite du singe, son action élective se manifeste

par la destruction des cellules sympathiques du ganglion ciliaire ; cette

lésion a pour conséquence la production d'une mydriase maximale, avec

perte des réflexes.

Avant les travaux de Schultze (2), on était obligé, pour expliquer l'ac-

tion de l'atropine, d'invoquer une paralysie de la III° paire et une excita-

(1) COPPEZ, loc. cit.

(2) Schultze, Arch. für Anat. und. Physiol., 1898.

248 LAFON ET TEULIÈRES

tion simultanée du grand sympathique. Cet auteur a démontré que ce-

poison agissait simplement en paralysant les terminaisons nerveuses du

sphincter de l'iris.

La cocaïne, au contraire, présente deux actions successives : tout d'a-

bord, elle excite les terminaisons nerveuses du dilatateur de l'iris, d'où

légère mydriase avec conservation des réflexes ; cette dilatation est iden-

dique à celle que provoque l'excitation du sympathique. Plusieurs heures

plus lard,' la cocaïne paralyse les terminaisons nerveuses du sphincter et

agit alors comme l'atropine ; mais cela ne se produit guère qu'avec des

solutions fortes.

Ainsi donc, l'expérimentation nous démontre que la paralysie des cel-

lules sympathiques du ganglion ciliaire ou celle des terminaisons nerveu-

ses du sphincter de l'iris produisent une mydriase maximale avec perte

des réflexes.

L'existence de cette dilatation paralytique totale n'est pas en contradic-

tion avec la mydriase moyenne, que produit la paralysie du moteur ocu-

laire commun, et ces deux types peuvent parfaitement s'expliquer. Les

filets irido-moteurs contenus dans la IIIe paire ont pour rôle unique de

provoquer la contraction du diaphragme irien sous l'influence des impres-

sions rétiniennes, de la convergence, de la douleur, etc... La paralysie

de ces filets ne fait qu'interrompre l'arc réflexe, mais le sphincter lui-

même n'est pas atteint. L'iris, n'étant plus soumis aux excitations exté-

rieures, se place dans sa position d'équilibre, c'est-à-dire que son diamètre

est égal à celui de l'iris normal dans l'obscurité et le repos absolus; le

tonus du sphincter est équilibré par le tonus du dilatateur. Si le sphincter

lui-même vient à être paralysé, c'est ce que produit l'atropine, l'é-

quilibre est rompu ; le dilatateur conserve seul son action, ce qui produit

une mydriase maximale. Réciproquement, l'ésérine rompt aussi l'équilibre,

en excitant le sphincter, d'où myosis intense.

Nous admettrons donc que nous avons observé chez notre malade un cas

de mydriase due à un trouble paralytique siégeant soit dans le ganglion

ciliaire, soit dans les nerfs qui en émanent.

La cause de cette mydriase mérite de nous arrêter quelques instants.

Son unilatéralité nous permet d'éliminer a priori tous les facteurs étiolo-

giques généraux. D'autre part, la facilité, avec laquelle nous avons pu

provoquer la contraction de la pupille, suffit à démontrer qu'il ne s'agit

pas d'une lésion anatomique de l'iris lui-même ; enfin rien dans l'état de

l'oeil ne peut l'expliquer. Il nous faut donc rattacher cette mydriase à un

trouble de l'innervation locale.

9 Causes organiques. - Nous croyons avoir démontré que cette my-

driase était due à une paralysie du sphincter. Or, si cette paralysie était

MYDRIASE HYSTÉRIQUE 249

organique, il nous eût été impossible de provoquer la contraction de la

pupille, surtout par des moyens aussi simples que l'électricité ou que

l'instillation d'unegoutte d'eau. En outre une paralysie organique durant

depuis aussi longtemps aurait entraîné des lésions atrophiques de l'iris.

2° Causes fonctionnelles. a) Peut-on incriminer le vice de réfraction

du malade° On sait que les myopes ont souvent la pupille plus large que

les emmétropes et les hypermétropes ; mais cette dilatation est légère et

les réflexes sont conservés. D'autre part le malade a une myopie de 6 diop-

tries à droite et il travaille sans verre correcteur : il ne se sert donc pas

de son accommodation. En outre, n'ayant pas la vision binoculaire, il ne

met pas en jeu sa convergence. Ces particularités ont peut-être été des

causes adjuvantes, mais nous les croyons incapables d'avoir provoqué à

elles seules une paralysie du sphincter.

b) La possibilité d'une crampe professionnelle est encore une hypo-

thèse que l'on peut envisager. Un examen rapide nous permet cependant

de l'éliminer ; la crampe, en effet, est la contracture d'un muscle en tra-

vail ; notre malade, qui est horloger, travaille sur des objets très éclairés

et la loupe concentre sur sa rétine les rayons lumineux ; aussi pendant

son travail sa pupille devrait être contractée et logiquement la crampe de

l'iris devrait se traduire par du myosis. On pourra nous objecter que

la contraction longtemps prolongée du sphincter a provoqué simplement sa

fatigue, d'où affaiblissement de son tonus et prépondérance du dilatateur.

Nous répondrons à cela que la mydriase existait avant que le malade se

servît de la loupe ; de plus nous ne pouvons admettre qu'un muscle,

fatigué au point de ne plus réagir du tout à ses excitants naturels (lumière,

convergence, douleur, etc.), puisse se contracter d'une façon aussi in-

tense sous l'influence d'excitations, qui sont normalement sans action sur

lui.

c) Il nous faut donc envisager la possibilité d'une paralysie hystérique

du sphincter de l'iris. Cette hypothèse seule nous permet d'expliquer

certains faits, que nous avons signalés dans l'observation : la facilité avec

laquelle nous avons provoqué la contraction du sphincter par des moyens

qui n'ont normalement aucune action sur la pupille (instillation d'une

goutte d'eau,courants alternatifs); la conservation de la puissancemyotique

de l'ésérine; l'intégrité du 'parenchyme de l'iris, qui n'a pas été altéré

par la longue durée de la mydriase. Ces divers caractères impliquent l'ab-

sence de toute lésion organique des nerfs irido-moteurs.

Notre malade a présenté, en outre, divers symptômes, qui viennent

corroborer l'hypothèse d'hystérie. Nous savons que chez les sujets sains

la mydriase maximale provoque une photophobie intense ; or notre malade,

nous l'avons dit, travaille à une lumière vive sans la moindre fatigue et

xx vs

250 LAFON ET TEULIÈRES

seul le grand soleil lui donne un léger éblouissement ; il existe donc

une diminution de la sensibilité rétinienne pour la lumière ; comme l'a

montré Parinaud, cette anésthésie pour la lumière est compatible avec

une sensibilité normale pour les couleurs et avec une acuité visuelle nor-

male. Il existe en outre un rétrécissement concentrique du champ

visuel pour le blanc, avec conservation du champ des couleurs. La vision

verte qui s'est manifestée après l'instillation d'ésérine nous paraît être un

phénomène de même nature ; on ne sait que fort peu de choses sur la

chloropsie et les auteurs la considèrent comme la première phase de

l'érythropsie ; mais le malade n'a pas eu de vision rouge. Il faut encore

signaler l'hémi-hypoesthésie gauche, c'est-à-dire du côté où fut pratiquée

la néphrotomie, et les crises de rétention passagère d'urine, sans cause

organique, et cédant à un simple cathétérisme.

L'existence de la mydriase hystérique est une question des plus contro-

versées et beaucoup d'auteurs ne l'admettent pas. Dans son important

article sur « les troubles oculaires dans l'hystérie », Parinaud (1) ne pro-

nonce pas son nom, même pour l'éliminer ; Brinswanger (2) pense que

« tous les cas de mydriase hystérique peuvent s'expliquer soit par une

lésion organique, soit par l'usage de l'atropine par les malades à l'insu de

l'observateur. » Il faut avouer en effet que beaucoup de mydriases hysté-

riques sont suspectes et il faut toujours soupçonner l'emploi clandestin de

l'atropine; on ne peut envisager la possibilité de cette supercherie chez

notre malade, car l'accommodation avait conservé toute son amplitude. De

même dans quelques rares cas de mydriase considérée comme hystérique,

l'autopsie a démontré la présence de lésions organiques ; mais ces faits ne

suffisent pas à légitimer le rejet de la mydriase hystérique. Les auteurs

qui n'admettent pas son existence s'appuient sur ce que les centres pupil-

laires ne sont pas soumis à la volonté; dès lors.il leur semble que ces

centres doivent échapper aux manifestations de la névrose. Cette objection

toute théorique a beaucoup perdu de sa valeur et la publication de faits

précis montre que l'on ne doit pas être si absolu ; il faut accepter la my-

driase hystérique.

La discussion s'étend aussi à la nature de cette mydriase : pour

Schwartz (3), il n'existerait pas de mydriase paralytique ; c'est aussi l'opi-

nion de Dejerine (4), parce que l'ésérine était sans action sur les dilata- «

tions dont ils ont eu connaissance. Sans nier la mydriase spasmodique,

(1) PARINAUD, Annales d'ocul., CXXIV, 1900.

(2) BR1NSWANf3ER, Die Hystérie, Handbuch von Notlznagel, Vienne, 1904.

(3) ScHWARTz, Die Bedeulung des Augenstorungen für die Diagnose der Krankeithei-

ten, 1898.

(4) DEJERINE, Traité de Path. générale de Bouchard, 1900.

MY0RIASE HYSTÉRIQUE 251 t

nous croyons que le type paralytique existe et qu'il est même plus fré-

quent que d'aucuns le supposent. Ce qui a égaré beaucoup d'auteurs, c'est

qu'ils ont voulu expliquer la mydriase maximale par les seuls troubles du

moteur oculaire commun ou du grand sympathique cervical, sans tenir

compte du ganglion ciliaire ; la paralysie de la IIIe paire ne pouvant pro-

duire seule cette dilatation maximale, ils ont dû invoquer l'excitation du

sympathique.

Beaucoup d'observations de mydriase hystérique sont trop incomplètes

ou trop peu explicites pour servir utilement à l'étude de cette affection ;

on peut néanmoins établir que la forme paralytique peut seprésenter sous

deux types :

1 Paralysie du moteur oculaire commun : les signes sont identiques à

ceux des paralysies organiques ; il y a fréquemment des paralysies conco-

mitantes du muscle ciliaire ou de certains muscles extrinsèques.

2° Paralysie du sphincter : la mydriase est maximale et toutes les réac-

tions de la pupille sont abolies, comme dans la dilatation atropinique ;

mais le muscle ciliaire n'est pas intéressé et l'ésérine a conservé toute sa

puissance. C'est là le type que nous avons observé ; nous rapprocherons

de ce fait les cas de Borel (1) et de Max Weil (2).

En résumé nous ne croyons pas qu'on puisse mettre en doute l'exis-

tence de la mydriase paralytique hystérique ; mais on ne saurait être trop

circonspect avant d'en affirmer le diagnostic. Dans son étude de la séméio-

logie pupillaire, Morax (3) dit : « On ne devra admettre'hystérie qu'après

avoir écarté toutes les autres interprétations ». Nous trouvons ce principe

trop large et nous croyons que le diagnostic de la mydriase'hyslérique

doit être soumis à la règle suivante : on ne devra penser à la possibilité de

l'hystérie qu'après avoir écarté toutes les autres interprétations ; mais on

ne sera autorisé à l'admettre, que s'il existe d'autres symptômes positifs

de la névrose.

(1) BouaL, Annales d'ocul., CXXIII, 1900.

(2) Mm Weil, Neurolog. Centralblatt, 1899.

(3) Moraux, Encyclopédie franc. d'Opht , IV, 1905.

NOTE SUR LA FOLIE HASCHICHIQUE

(A PROPOS DE QUELQUES ARABES ALIÉNÉS PAR LE HASCHICH)

Auguste MARIE

(de Villpjtiif).

Dans tous les climats et pour toules les races humaines il existe des

substances, empruntées au règne végétal le plus souvent, à l'aide des-

quelles l'homme s'intoxique, c'est-à-dire modifie volontairement son équi-

libre nerveux pour se donner une excitation ou une anesthésie variables

selon les doses employées.

Tantôt c'est par les voies digestives, tantôt par les voies respiratoires

que le plus souvent l'absorption se fait. L'emploi de substances chimiques

et des voies hypodermiques est tout moderne et encore relativement peu

étendu.

Parmi les toxiques relativement anciens et que l'Orient pratique avec

une vogue qui n'a d'égale que celle des alcools en Occident et ailleurs, il

faut citer le haschich et l'opium.

L'opium se réfère plutôt à l'Extrême-Orient.

Le haschich est plus caractéristique de l'Europe sud-orientale, de l'Asie

occidentale et de l'Afrique musulmane. Il est vrai que la pénétration en

Occident semble imminente, pour l'opium comme pour le haschich.

Aux confins des deux zones, opium et haschich se combinent d'ailleurs,

comme les statistiques des Asiles des Indes (1) le montrent, de même qu'en

Turquie et Afrique nord, alcool et haschich commencent à se combiner

dans les moeurs indigènes modernes des centres européanisés.

(1) Tableau des folies haschichiques et opiomaniaques placées en 1905 à l'asile du

Pendjab :

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. PL XLVII

ARABES ALIENES. FOLIE HrISCHICHIQUE

(Auguste Marie de Villejuif) .

Masson et Ci-, Éditeurs

rhototy[no Bertrand, Pans.

. NOTE SUR LA FOLIE HASCRIICHIQUE 253

Quoi qu'il en soit, le haschich est encore plus spécialement le toxique

usité au pays turc, c'est à ce titre que l'Egypte musulmane encore sous

l'influence des moeurs turques offre à considérer de fréqnents exemples de

maladies par hascbichisme. Les psychoses et névroses sont ici comme pour

les autres toxiques les affections les plus fréquentes et les plus sérieuses.

Ayant eu l'occasion d'observer la folie haschichique au Caire, je donne

ici quelques photographies recueillies grâce à l'obligeance de notre collègue

M. le Dr Warnock, médecin-directeur de l'asile d'Abbassieh (PI. XLVII).

Le haschich usité en Orient vient de Grèce, où le chanvre indien cultivé

est préparé en drogues diverses pour l'usage de la pipe ou bien pour l'in-

gestion par la bouche.

Ces préparations portent des noms divers selon les pays et selon les

espèces de chanvre, la qualité de l'extrait, son mode de préparation et d'ex-

traction.

Le Dawamesk ou extrait gras est sucré et aromatisé de canelle, pistache,

poivre et muscade, additionné de musc, cantharide et noix vomique, il se

mange chiqué sous forme de bol ou mêlé à des gelées de fruits.

Le haschich (gozah) se fume aussi dans une pipe spéciale d'environ

50 à 60 centimètres de long il fourneau perpendiculaire où la pastille

brûle avec ou sans feuilles aromatiques. Des locaux spéciaux ou masche-

chels, sorte de cafés arabes, sont généralement les lieux de fumeries collec-

tives.

Aux Indes anglaises, le haschich à fumer porte le nom deganja et chara

selon qu'il est ou non combiné au tabac et à l'opium, tandis que ce

dernier se présente sous deux variétés appelées madruk et chandu, éga-

lement employées à la pipe ; l'opium à manger forme une troisième variété

également à part. Ces expressions de Dawamesk, Gozah ou Ganja, Chara,

Bhang, Madruk et Chandu émaillent fréquemment les rapports médico-

administratifs des asiles d'aliénés hindous, et il n'est pas toujours facile de

débrouiller nettement les étiologies toxiques de ces divers ordres pour faire

la part exacte des genèses exotoxiques de l'aliénation mentale de ces po-

pulations.

En Egypte, la culture et l'importation du haschich furent interdits en

1868, mais en 1874 il fut permis d'en importer après payement d'un droit.

En novembre 1877 un ordre arriva de Constantinople que tout le has-

chich importé en Egypte, soit saisi et détruit ; finalement en mars 1879

l'importation et la culture du haschich fut interdite par édit du Khédive.

En mars 1884 il fut prouvé que le haschich prohibé était vendu par les

douanes au lieu d'être détruit comme auparavant et les produits étaient

partagés par les agents et les officiers qui avaient fait la saisie. Cette me-

sure était rendue nécessaire, dit M. Caillard, le Directeur général des

254 MARIE

douanes, par l'absence de l'argent qui pouvait leur être distribué, pendant

que d'autre part les profits de la contrebande étant très grands, de grosses

sommes étaient versées par les contrebandiers pour s'assurer du silence

ou de la complicité des officiers de la douane, gardes-côtes et autres.

Un grand nombre de gens s'occupaient de ce commerce de contrebande

dont beaucoup n'avaient que ce moyen d'existence. Une grande ingénio-

sité était déployée par les contrebandiers dans ce commerce illicite, et

pas plutôt une ruse était-elle éventée qu'une autre naissait. Le grand

obstacle était que la répression complète de la contrebande était refusée

par quelques Etats européens qui ne reconnaissaient pas au gouverne-

ment égyptien le droit de recherche dans les magasins suspectés et de

punir les délinquants par la confiscation. Vue l'impossibilité de suppri-

mer la contrebande du haschich ; on tend à abolir la prohibition du poi-

son et à le frapper d'une taxe (9 s 3 d par Ib), en outre d'une taxe de

licence de vente. Il se consomme annuellement en Egypte 140.000 livres

malgré la défense. Ce haschich est manufacturé principalement en Grèce.

En Egypte, dit M. le Dr Warnock, ces statistiques sont rigoureuses de-

puis 1895.

Pendant les six années 1896-1901, parmi les 2S64 cas d'aliénés du

sexe masculin admis à l'hospice des aliénés égyptiens du Caire,689 furent

attribués à l'abus du haschich, soit environ 27 0/0. Très peu d'internés du

sexe féminin avaient fait usage du haschich,et il est notoire que la folie est

trois fois plus commune chez les hommes qui font usage du haschich

que chez les femmes qui emploient relativement rarement cette drogue.

Cette différence dans la moyenne des aliénations entre les sexes est

significative, et tend à démontrer grandement l'importance du haschich

comme cause de la folie chez les Egyptiens hommes. En Europe, l'aliéna-

tion est plus fréquente parmi les femmes que parmi les hommes (35 à 3 ! ,

en Grande-Bretagne par exemple).

La proportion des malades par le haschich sur le nombre total des

hommes malades admis en '190G à Abbassieh était de 15 0/0 : en 1905

de 14 1/2 0/0. En 1903, le pourcentage était de 18 0/0, en 1902 de

22 1/3 0/0. Il est très possible que cette grande diminution dans les

admissions des cas de haschich soit due au traitement hors l'asile, des

cas de délire transitoire, comme suite aux instructions données aux mé-

decins locaux de n'envoyer à l'asile que les cas les plus graves. C'est ainsi

que sur 208 cas de folie de toutes sortes admis à l'hôpital d'Alexandrie

pendant 1904, 37 cas seulement furent envoyés à l'hôpital d'Abbassich.

L'ivresse du haschich est euphorigène comme la plupart des ébriants

à faible dose. A un degré plus avant l'état subjectif de rêve devient un

NOTE SUR L\ FOLIE HASCllICHIQUE 235 5

véritable délire onirique persistant et inhibant le courant centripète des

excitations réelles.

Les synesthésies les plus complexes s'éveillent alors avec les associations

intenses et l'évocation d'impression antérieures. L'illusion de puissance

intellectuelle et de compréhension nouvelle donne à certains l'illusion de

possessions par des puissances surnaturelles, et l'exaltation prophétique.

La physionomie de certains de ces délirants au début est caractéristique

du visionnaire à délire onirique euphorique et exalté (Fig. I et II).

A un degré plus avant, l'excitation se manifeste par de l'excitation in-

cohérente avec insomnie et verbigération sans suite, puis vient la fatigue

et l'épuisement avec dépression et orientation fâcheuse du courant des

sensations (Fig. III et IV), illusions et hallucinations des divers sens. Les

idées de persécution se développent alors et quelques idées hyponchon-

driaques ou mélancoliques, mais rarement surviennent les réactions sui-

cides.

En revanche, les réactions médico-légales fâcheuses autres ne sont pas

rares.

Le caractère érotique de l'excitation spinale dû au haschich se mani-

feste dans l'ivresse comme dans le délire ultérieur ; à l'excitation sexuelle

se lient les attentats divers aux moeurs et à la pudeur, exhibitionnismes,

viols, etc. Cependant les manifestations délirantes objectives sont moins

marquées quelquefois que dans l'alcoolisme en raison de l'apathie motrice

due au toxique. La démarche chancelante et les tremblements ataxiques

peuvent s'observer au début dans l'ébriété comme au déclin des accès dé-

lirants transitoires, bien que plus rares que dans le delirium trevaens.

Si le malade n'est pas isolé et sevré à temps, peut apparaître l'accès de

manie haschichique. Les réactions actives s'accumulent alors avec une ra-

pidité d'impulsion marquée que les tremblements ne gênent pas, en rai-

son de la rapidité même. 1

Le délire aigu mortel avec épuisement rapide et forme galopante sub-

fébrile peut s'observer, mais aussi la confusion mentale onirique peut

passer l'état chronique ; une systématisation secondaire peut s'établir

ou se retrouvent les caractères précités du délire transitoire (persécutions

et possessions, mégalomanies prophétiques) ; c'est le cas, semble-t-il, des

sujets à dégénérescence héréditaire préalable ; d'autre part, la dèmence

précoce peut s'établir plus ou moins vite (Fig. V).

Les cas d'haschichisme à rechute ne sont pas moins fréquents que dans

l'alcoolisme chronique. Dans les intervalles des accès d'haschichisme, ces

malades restent alors les. déclassés moralement dégradés et inaptes à la

lutte normale pour l'existence, vagabonds, mendiants, malfaiteurs, réci-

divistes du vol, du mensonge et des outrages à la pudeur, ils sont le fléau

256 MARIE E E

des milieux sociaux et familiaux auxquels ils appartenaient, et sur les-

quels ils ne sont plus capables de subsister qu'en parasites usant de ruse

ou de violence pour satisfaire quand même leur passion.

Ce sont des dégénérés acquis passant de la prison à l'asile et inverse-

ment. Parmi eux, certains seraient, des haschichomanes intermittents à

part, comme les dipsomanes distincts des alcooliques (Fig. VI).

Le haschich agit sur la genèse de la criminalité et de la folie non moins

que l'alcool chez nous; si le suicide en résulte plus rarement, cela peut

provenir de ce que la religion mahométane y pousse moins et que dans

les autres formes de folie il est également rare chez l'Arabe.

Au demeurant le haschich ne fait pas de dégâts plus considérables que

l'alcool, peut-être même moins, et les administrateurs anglais et égyp-

tiens se demandent si la croisade anti-haschichique ne tournerait pas au

profit de l'alcool plus nuisible encore.

L'alcool est, dans d'autres pays, une cause si fertile de crimes et de

folie que sa substitution au haschich en Egypte empirerait probablement

l'état des choses. L'alcool paraît aussi avoir une action plus délétère, spé-

cialement dans les climats chauds et sur les races orientales.

La politique la plus sage en Egypte serait probablement de conserver

l'usage du haschich dans certaines limites sans le défendre entièrement

(Warnock).

L'usage du haschich, contrairement à celui de l'alcool ne semble pas

s'accompagner de lésions anatomiques caractéristiques, et il n'en résulte

généralement pas de désordres physiques notables.

AAbassieh, le diagnostic de l'aliénation par le haschich dépend de

l'historique du cas et des déclarations du malade. Le dossier de police

donne souvent des renseignements sur l'existence de l'habitude, mais à

moins qu'il ne soit confirmé autrement, ce témoignage n'est pas pris en

considération pour établir le diagnostic de l'aliénation par le haschich.

« Occasionnellement, la présence du haschich dans les vêtements du

malade ou caché dans ses oreilles ou sa bouche trahit la nature du cas. A

l'admission tout malade de sexe masculin est interrogé au sujet du has-

chich, et un rapport est dressé sur la quantité qu'il en prend et sa tolé-

rance de la dose absorbée.

« A mesure que l'état mental du malade s'améliore, il est interrogé à

nouveau au sujet du haschich et, avant sa sortie, il est invité à donner

tous les détails sur son habitude. En comparant les différents détails sur

la manière de fumer le haschich, tels que le prix de la Gozah, les diffé-

rentes qualités de la drogue, etc. ; il n'est pas difficile, dans bien des cas,

de se former une opinion pour savoir s'il s'agit d'un cas de haschich ».

L'usage excessif des drogues dérivées du chanvre est-il plus commun

NOTE SUR LA FOLIE 11ASC ! IlCIIJQUE 257

en Egypte qu'aux Indes ? Le Dr Warnock ne peut se prononcer sur ce

point, mais comme des milliers de personnes en font un usage journalier,

celles-là seules qui en font abus ou les individus particulièrement sus-

ceptibles à son action toxique, deviennent aliénés à tel point que leur état

nécessite l'internement. C'est donc plutôt un réactif révélateur des tares

latentes.

Qu'il me soit permis de rapporter en terminant les conclusions du

rapport de la commission d'enquête indienne sur l'usage des poisons

du chanvre (vol. I, 264). « L'usage modéré des drogues ne produit pas

d'effets nuisibles à l'esprit, mais l'usage excessif indique et accroît l'ins-

tabilité mentale; il tend à affaiblir l'esprit; il peut même conduire à la

folie. Il a été démontré que l'action des drogues dérivées du chanvre a été

souvent très exagérée, mais il est hors de doute qu'elles produisent quel-

quefois l'aliénation » (15 0/0 en Egypte).

Le gérant : P. Bouchez.

Imp, j, Thevenot, : 5uull-Uizier (Haute-Marne,

20° Année N° 4 JutLLEr-AoUT

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE P1RI,S ? "

(SÉANCE DU 4 JUILLET 1907) ,e 0',

(SÉANCE DU 4 JUILLET 1907) / 1

SÉANCE DU l JU1LLET 'IOÎ yR i..1 t : . ï = ? >

lQlVOIYÉLIIi; AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES

K - ET

TROUBLES TROPHIQUES INTENSES,

par

F. RAYMOND et P. LEJONNE

Professeur de Clinique Chef de clinique

des Maladies du Système Nerveux à la Salpêtrière.

Les phénomènes'bulbaires, les troubles trophiques sont des manifesta-

tions bien connues de la syringomyélie, mais il est rare de voir les uns

et les autres se rencontrer chez le même malade d'une manière aussi

accentuée; celle association fait le principal intérêt de l'étude clinique

que nous entreprenons ici. ? Observation.

' Le malade F..., âge de 18 ans, exerçait la profession de mécanicien. Il n'y

a rien à noter dans ses antécédents de famille, si ce n'est la santé remarqua-

ble et la longévité de ses ascendants ; il a encore trois grands parents vivants,

âgés de 70, 72 et 82 ans ; seul son grand-père paternel est mort, à 76 ans. Il

a cinq frères et soeurs tous en bonne santé; un seul est mort de convulsions,

à l'âge de 4 ans.

Lui-même est né à terme, dans de bonnes conditions, il n'a présenté aucune

maladie d'enfance sauf une scarlatine à 4 ans : en particulier il n'a jamais

souffert de rachitisme ; toutefois il n'a marché qu'à 18 mois.

Depuis son enfance il a présenté des végétations adénoïdes; il dormait la

bouche ouverte et ronflait ; ces végétations ont été enlevées une première

fois, il y a trois ans, à l'hôpital Boucicaut ; elles ont réapparu il y quelques

mois et ont amené à leur suite une surdité progressive. ! La maladie .actuelle paraît avoir débuté d'une manière insidieuse vers l'âge

de 10 à 11 ans ; à cette époque la mère remarqua que la main droite de son

fils était plus grosse que la gauche ; 1... avait très facilement des engelures

aux pieds et surtout à la main droite ; peu de temps après il se plaignit de

xx 17

2C2 RAYMOND ET LEJONNE

crampes dans le bras droit ; mais les accidents n'ont réellement frappé le ma-

lade et son entourage qu'en 1903. A cette époque, F..., âgé de 14 ans, quitta

/ l'école'' pour entrer en apprentissage; il commença alors à se courber peu à

/ peu vers la gauche : cette scoliose s'établit progressivement, sans douleurs ;

peu à près il eut une certaine difficulté à avaler ; cette difficulté persiste encore

actuellement, mais jamais le malade n'a avalé de travers. Vers la même épo-

que son bras droit commença à devenir plus faible. Il y a peu près un an

que F... traîne la jambe droite ; deux mois après, la jambe gauche est devenue

raide à son tour et depuis six mois la marche est très difficile.

Il y a un peu plus de deux ans le malade a consulté pour sa scoliose le pro-

fesseur Kirmisson qui lui a fait porter un corset orthopédique. Il a revu de-

puis une dizaine de fois M. Kirmisson qui finalement l'envoya la Salpêtrière en

juin 1907.

Etat actuel, 28 juin 1907. - Le malade se plaint avant tout d'éprouver

une très grande difficulté pour marcher : en effet la démarche est spasmodi-

que, les jambes sont raides et le malade les traîne difficilement sur le sol, il

use le côté externe de ses souliers.

Au contraire lorsque le malade est couché les divers mouvements se font

d'une façon spasmodique mais avec assez de force; pourtant la jambe droite

est évidemment plus faible et on s'en aperçoit surtout dans les mouvements

d'abduction et d'adduction du pied.

Les réflexes rotuliens et achilléens sont très vils ; il existe une trépidation

spinale bilatérable ainsi que la danse de la rotule.

Le signe de Babinski et celui d'Oppenheim sont positifs, tant à droite qu'à

gauche.

Il n'y a pas d'atrophie musculaire appréciable. L'examen électrique prati-

qué par M. le Dr Huet n'a montré qu'un peu de diminution simple sur les

muscles des jambes paraissant plus accentuée sur les muscles antérieurs et

externes, des deux côtés.

En examinant les membres supérieurs, on est frappé immédiatement par la

différence de coloration et de volume qui existe entre les deux mains.

L'avant-bras et la main du côté droit sont souvent parsemés de marbrures

rougeâtres ; le malade ressent à ce niveau une impression de froid, au moindre

abaissement de la température; objectivement la main est certainement plus

\' froide au toucher que celle du côté opposé. Ces troubles vasomoteurs s'exagè-

\. 'rent lorsque la température est froide, pendant l'hiver ; on peut obtenir le

\ -même résultat en faisant tremper au malade ses mains dans l'eau très froide :

% la main et l'avant-bras droits prennent alors une teinte violacée uniforme et le

|malade se plaint de fourmillements et d'engourdissement de tout le membre

i ^supérieur.

Il existe nettement une augmentation de volume de la main et du poignet

droits. L'avant-bras ne participe pas au processus d'hypertrophie ; selon les

régions il présente du côté droit un demi-centimètre à 1 cent. 1/2 de plus que

(du côté gauche ce qui est sensiblement normal.

A la main l'hypertrophie existe uniquement en largeur et la longueur des

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

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SYRINGOEIYELIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES ET TROUBLES

TROPHIQUES INTENSES.

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Masson et CI-, Editeurs

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

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SS'RI\TGn\IS') : : LIP AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES ET TROUBLES

TROPHIQUES INTENSES.

NÕUVEIIE fcOHOGRAPHIE DF IA Salpêtrierf

T. XX. Pi. LI

ï1 Rl\C;OVII'ELIF AVEC PIIEOME1OES BULBAIRES ET TROUBLES

TROPHIQUES INTENSES.

(Raymond et LfjO/lIIl).

SYRINGOMYELIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES ti(>3 3

deux mains est à peu de chose près la même. Le poignet a 1 cent. 1/2 de plus

de tour, à droite qu'à gauche; la différence en faveur du côté droit atteint

jusqu'à 3 centimètres au niveau du carpe. Les doigts sont boudinés, élargis

sur toute leur longueur, beaucoup plus gros que ceux du côté opposé; les on-

gles sont striés, cassants ; il n'y a aucune cicatrice de panaris, ni d'ulcérations

des doigts (Pl. L et LI).

La motilité des membres supérieurs n'est pas indemne; si tous les mouve-

ments spontanés sont possibles, le malade se plaint que son côté droit soit

devenu beaueoup plus faible; et de fait tandis que les mouvements du côté

gaucho s'accomplissent avec une vigueur satisfaisante, à droite les mouvements

de la racine du membre sont seuls normaux, la pronation et la supination, la

flexion et l'extension du poignet, les divers mouvements des doigts étant dimi-

nués de force d'une façon globale, sans qu'il soit possible d'établir lit une sys-

tématisation.

Les réflexes tendineux et particulièrement le réflexe olécrânien sont plutôt

un peu forts du côté gauche, tandis qu'à droite ils sont nettement affaiblis,

non seulement par comparaison avec le côté opposé, mais d'une manière abso-

lue. Il ne paraît guère, toutefois, exister d'atrophie musculaire et l'examen

électrique ne montre aucune modification.

Si l'on examine le thorax et l'abdomen de F..., on est avant tout frappé de

l'énorme scoliose qu'il présente et de la déformation thoracique qui en est la

conséquence (PI. XLIX)..

(Jette scoliose à convexité droite très prononcée se manifeste dès la première

vertèbre dorsale, elle devient intense dès la 5e ou 6e vertèbre et occupe toute

la colonne dorsale.

Par compensation, la hanche gauche est très relevée par rapport à la han-

che opposée ; au contraire l'épaule droite est plus haute que la gauche, il existe

de plus au niveau de l'articulation scapulo-humérale droite une arthropathie

avec déformation légère, mobilité anormale et surtout gros craquements à la

palpation et dans les mouvements : ces craquements avaient depuis plusieurs

mois attiré l'attention du malade qui ne s'en préoccupait pas à cause de l'ab-

sence de douleur.

Par suite de la déformation vertébrale, le thorax se trouve avoir subi un

mouvement de torsion vers la droite, la moitié gauche est comme projetée en

avant et en dedans, la moitié droite en dehors et en arrière.

L'omoplate droit est rejeté en arrière, le gauche par contre entraîné en

avant.

Les mouvements de la ceinture scapulaire s'accomplissent assez mal tant à

droite qu'à gauche ; le malade s'asseoit très péniblement sur son lit, les divers

mouvements du thorax sont diminués. Par contre, les muscles de la paroi ab-

dominale antérieure paraissent bien se contracter ainsi que le diaphragme et

les muscles respiratoires.

Ces troubles ont une origiue complexe : avant tout il faut mettre en cause

l'énorme déformation vertébrale et thoracique ; mais il existe un certain degré

de parésie spasmodique, la spasmodicité étant surtout marquée au niveau de

5264 BAYMOND ET LEJONNE

la masse sacrolombaire qui est contracturée particulièrement M gauche, et une

atrophie musculaire diffuse, prédominant sur les muscles de l'omoplate qui

ont un peu l'aspect * ailé ».

L'examen électrique montre un peu de dimiuution de l'excitabilité faradique

et galvanique sur les muscles les plus atteints.

Du côté du cou, il n'existe aucun trouble de la motilité ; la face est de même

absolument normale ; le malade siffle, ferme les yeux, d'une manière correcte.

Lorsqu'il tire la langue, on remarque un tremblement fibrillaire très net,

beaucoup plus marqué à droite, et une atrophie de toute la moitié droite de la

langue; le côté gauche n'est d'ailleurs pas absolument indemne, tant au point

de vue de l'atrophie que du tremblement fibrillaire (Pl. XLIII).

Le malade se plaint d'une certaine difficulté pour avaler ; il est parfois

obligé de prendre certaines attitudes, de tourner la tête de côté, par exemple,

pour faciliter la déglutition ; parfois, il existe un peu de reflux des liquides.

L'examen de la gorge montre que la moitié droite du voile du palais se con-

tracte beaucoup moins bien que la gauche et présente une parésie évidente.

Le malade n'a jamais eu aucun trouble de la parole et sa voix ne s'est pas

modifiée"; cependant l'examen du larynx pratiqué par M. le Dr Gellé montre

que lors de la phonation la corde vocale droite se porte sans vigueur vers la

ligne médiane ; c'est la corde gauche qui achève l'occlusion glottique nécessaire

à l'émission vocale ; il y a donc une paralysie de la corde vocale droite.

Du côté des yeux, s'il n'existe aucune lésion du fond de l'oeil et si les pu-

pilles réagissent bien à la lumière et à l'accommodation, on observe un nystag-

mus rotatoire continuel qui s'exagère lorsque le malade regarde en bas et en

dehors vers la droite, c'est-à-dire fait agir le muscle grand oblique de l'oeil

droit.

La sensibilité est extrêmement touchée, au point de vue subjectif; à part

quelques fourmillements dans le bras droit, il n'existe aucun phénomène dou-

loureux. Objectivement, on constate de très gros troubles des sensibilités sv-

pe1'/icielles, ainsi qu'en rend compte le schéma ci-joint. On peut dire d'une

manière générale que les troubles occupent toute la moitié droite du corps, la

moitié gauche étant presque indemne. En effet, à gauche il n'existe qu'une

bande radiculaire, occupant le territoire de CI, surtout dans sa partie posté-

rieure, au niveau de laquelle la sensibilité à la température est complètement

abolie, les autres sensibilités superficielles étant normales.

, A droite, dans un premier territoire, comprenant la face, et en arrière la

zone de distribution de CI et de C2, les troubles sensitifs, très légers, consis-

tent simplement en quelques erreurs dans la reconnaissance du chaud et du

froid.

Une seconde zone, où les troubles sont plus marqués, comprend en avant

le territoire de C2 et un peu de C3, en arrière ca tout entier, c'est-à-dire la

région du cou et de la nuque ; la sensibilité à la piqûre y est tout à fait nor-

male, le tact étant émoussé et l'anesthésie à la température presque absolue.

Au-dessous, c'est-à-dire dans toute la moitié droite du tronc et des membres,

~'les trois modes de la sensibilité superficielle sont atteints, surtout la tempéra-

SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES 265

ture, le tact un peu moins, la sensibilité à la piqûre étant mieux conservée.

C'est dans le territoire de C4 que )'anesthésie aux trois modes est le plus mar-

quée ; elle diminue très légèrement à mesure que l'on descend, et en particu-

lier au niveau de la jambe droite la sensibilité aux trois modes est évidemment

il

FIG. 1.

Hachures horizontales = troubles de la sensibilité thermique.

Hachures verticales = troubles de la sensibilité tactile.

Hachures obliques .= troubles de la sensibilité aux trois modes.

) 2GG RAYMOND ET LJONNE

}' moins touchée qu'à la partie supérieure du thorax, mais il est impossible do

t préciser davantage.

Les sensibilités profondes sont très atteintes, surtout à droite. La sensibilité

osseuse pour les vibrations du diapason est presque abolie, au niveau des

FIG. 2, 2.

'1\ Hachures horizontales = troubles de la sensibilité thermique.

Hachures verticales = troubles de la sensibilité tactile.

Hachures obliques = troubles de la sensibilité aux trois modes

Sln1\GO\(1'GLIG AVEC PHÉNOMÈNES BUL1U1HES 267

membres supérieur et inférieur droits; elle est très diminuée sur toute la

hauteur de la colonne vertébrale ; il gauche on n'observe qu'une légère hypoes-

thésie et surtout du raccourcissement de la durée de la perception, particu-

lièrement aux extrémités. A droite, comme à gauche, la sensibilité osseuse est

normale à partir des épaules jusqu'au sommet de la tète.

La sensibilité articulaire et la notion de position sont des plus troublées' !

à droite, non seulement au niveau des orteils et des doigts, mais même des 1

grosses articulations, cou-de-pied et genou, poignet et coude. 1

La perception stéréognostique est presque abolie et le malade ne se rend t

nullement compte des objets qu'on lui met dans la main droite ; il sent à peine I

qu'il a quelque chose dans la main, et seulement si l'objet est très gros. A

gauche il existe simplement de légers troubles du sens des attitudes aux doigts 1

et aux orteils. '

Dans les mouvements, on constate un certain degré d'ataxie au membre 1

supérieur droit; rien de pareil il gauche. Pas d'ataxie statique. La diadococi- t

nésie est normale. !

Les réllexes abdominaux sont absents et le réflexe crémastérien affaibli des j

deux côtés.

Il n'y a aucun trouble de la sensibilité au niveau de la cavité buccale et du

pharynx ; les réflexes du voile du palais et du pharynx sont normaux. ,

Rien de pathologique à signaler du côté du goût; ni de l'ouïe, à part l'otite,

chronique dont nous avons parlé.

Nous avons déjà signalé les troubles trophiques accentués que présente F... :

(scoliose, arthropathie de l'épaule et chiromégalie du côté droit, atrophie J

musculaire diffuse), et les troubles vasomoteurs (rougeur et refroidissement

du membre supérieur droit). 1

Il n'y a aucun trouble sphinctérien. 1

L'état psychique est satisfaisant. 41

Au point de vue viscéral il existe des lésions pulmonaires d'emphysème et t

de bronchite chronique qu'expliquent les déformations considérables du tho- 3

rax ; il semble y avoir plus et les somrhets sont suspects au point de vue de J(

la tuberculose. Toutefois le malade n'a jamais eu d'hémoptysie et la recherche ^

des bacilles a été négative. ,1

Le pouls, régulier, bat à 80 ; il n'y a aucune lésion cardiaque. On ne trouve

aucun élément anormal, sucre, albumine, dans les urines. ^MTT

Chez ce malade, il s'est donc développé depuis quatre ans une affection

complexe constituée surtout par des symptômes moteurs, sensitifs, tt'oplii-I

ques, et par des troubles bulbaires. \

4° Les symptômes moteurs consistent surtout en une paraplégie spasmo-

dique avec trépidation spinale et signe de Babinski et une parésie du

membre supérieur droit, -accompagnée d'affaiblissement des réflexes.

2° Les troubles sensilifs, en une hémi-hypoestbésie aux trois modes

occupant le côté droit du corps, et remontant jusqu'à la base du cou ; du

2G8 RAYMOND ET LEJONNE

côté droit du con la température est peine reconnue, le tact était un peu

diminué; du côté droit de la tête seule la sensibilité thermique est troublée;

à gauche, au niveau de l'épaule seulement, on observe une anesthésie

totale à la température. Les sensibilités profondes sont très troublées sur-

tout à droite.

3° Les troubles trophiques en une scoliose à convexité droite, une ar-

thropathie de l'épaule droite et une hypertrophie du poignet et de la main

du même côté, accompagnée de troubles vaso-moteurs.

4° Enfin les troubles bulbaires sont surtout constitués par une hémiatro-

phie linguale droite et une parésie du voile du palais et de la corde vocale

du même côté.

En face d'un pareil tableau clinique, qui a évolué peu à peu, sournoi-

sement, et a mis plusieurs années à se constituer, peu d'hypothèses sont

possibles et le diagnostic de syringomyélie est évident.

Si l'on ne tenait compte que de certains symptômes, la déformation

'\ vertébrale et les troubles de sensibilité pourraient à la rigueur en impo-

ser pour une contracture hystérique des muscles du dos. Certaines mé-

ningites chroniques du mal de Pott s'accompagnent de paraplégie spasmo-

' clique, de scoliose, de troubles de la sensibilité, même avec dissociation

dite syringomyélique (1) et on a parfois pris pour une syringomyélie un

"mal de Pott (2). -

' - La maladie de Morvan et surtout la ]épie sont parfois d'un diagnostic

plus délicat ; mais, chez ce jeune homme, tout symptôme pouvant faire

penser à la lèpre fait défaut (pas de séjour dans un pays où règne la lèpre;

pas de névrome), et l'on ne voit guère une lèpre évoluant avec un cortège

de signes aussi complet, sans s'accompagner de symptômee cutanés carac-

téristiques.

Il nous paraît donc inutile de prolonger le diagnostic différentiel : la

syringomyélie s'impose. '

Mais il ne nous suffit pas d'avoir catégorisé l'affection dont souffre ce

malade, il faut préciser le siège des lésions syringomyéliques. Une pre-

mière constatation s'impose, c'est la tendance à l'unilatéralité des phéno-

mènes, à part la paraplégie bilatérale, presque tous les troubles siègent à

droite (hémi-anesthésie , troubles trophiques et bulbaires, parésie du

bras) ; c'est d'ailleurs un fait fréquemment signalé dans la syringomyélie.

Pour localiser avec une certaine précision les lésions cavitaires, deux

ordres de symptômes nous seront particulièrement utiles, les troubles de

sensibilité et les phénomènes bulbaires.

Nous ne reprendrons pas l'étude détaillée des troubles de la sensibilité,

(1) At.Jmcrs et LnawuTre, Rev. Neurol., 190fi, p. 1141.

(2) SIIILLER, Medic. Bull., 1905-1906, p. 147.

SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES 269

le schéma ci-joint permet de s'en rendre compte aisément. Quoiqu'ils

affectent à première vue le type d'une hémianesthésie droite, on voit

qu'ils sont en réalité à disposition radiculaire et qu'on peut au point de

vue de l'intensité de ces troubles diviser la moitié droite du corps en

trois zones bien distinctes. A gauche il n'existe qu'une bande radiculaire

dans le territoire de C'.

On remarquera que la dissociation syringomyélique n'existe que dans

les zones très limitées (moitié de la tête à droite, territoire de C' à gau-

che) ; partout ailleurs, contrairement à la règle, la sensibilité tactile est,;

plus émoussée que la sensibilité douloureuse /<$

Les troubles des sensibilités profondes sont plus considérables que cx"

qu'on signale d'habitude : il existe à droite de très gros troubles (le

sensibilités superficielles, tandis qu'à gauche on observe de légers troubles

du sens des attitudes aux doigts et aux orteils, et la sensibilité osseuse,

tant au point de vue de l'intensité que de la durée de perception des

vibrations du diapason est certainement diminuée aux extrémités, c'est-à-

dire en des points où la sensibilité superficielle est normale à tous les

modes. `

Les troubles bulbaires consistent en premier lieu en une hémiatrophie

linguale droite accompagnée de contractions fibrillaires des plus nettes ;

il ne semble pas que le côté gauche soit tout à fait indemne, il y a quel-

ques contractions fibrillaires et peut-êlre aussi un peu d'atrophie ; la mo-

lilité de la langue ne semble guère troublée ; puis en une parésie du

pharynx et surtout de la moitié droite du voile du palais, obligeant le

malade à des mouvements forcés du cou lors de la déglutition et ame-

nant de temps en temps le reflux des liquides; enfin en une parésie de

la corde vocale droite tout à fait indéniable au laryngoscope, bien que

ne s'accompagnant d'aucune modification de la voix.

La réunion de ces trois symptômes, hémiatrophie linguale avec para-

lysie du pharynx et de la corde vocale du même côté constitue ce qu'on a

appelé un syndrome de Jackson.

Rappelons que les lésions unilatérales du bulbe peuvent réaliser trois

syndromes assez voisins : le syndrome d'Avellis, caractérisé par une

paralysie unilatérale et homologue du voile du palais et du larynx, le

syndrome de Schmidt ou de plus le trapèze et le siernomastoïdien sont

paralysés et enfin le syndrome de Jackson (1).

La constatation'd'un de ces syndromes n'est pas très rare au cours de

la syringomyélie; il faut d'ailleurs ajouter qu'ils ne se traduisent pas

toujours par des symptômes, très objectifs et qu'on peut les laisser échap-

(t) V. à ce sujet F. Raymond et G. GUILLAIN, Syringobulbie. Syndrome d'Avellis,

Rev. Neurolog., 1906, p. 41.

270 0 RAYMOND ET LEJONNE

per si l'on n'examine pas de partis pris le pharynx et surtout le larynx de

tous les syringomyéliques; c'est ce qui explique que ces phénomènes

bulbaires soient observés beaucoup plus fréquemment depuis quelques

années, l'attention ayant été attirée sur eux récemment (1).

La présence d'une pareil syndrome indique évidemment l'existence

d'une lésion bulbaire droite qui atteint le noyau de la branche interne du

spinal et le noyau de l'hypoglosse. Il n'existe aucun trouble dans la sphère

du pneumogastrique, la respiration, le pouls sont réguliers. De même ni

le glossopharyngien, ni le facial ne sont touchés. Quant à l'auditif, les

troubles de l'ouïe présentés par le malade sont dus à des lésions d'otite

catarrhale chronique et la huitième paire paraît bien indemne.

Il existe encore chez ce malade deux symptômes qui peuvent indiquer

une localisation bulboprotubérantielle et dont il faut discuter la significa-

tion ; c'est le nystagmus el l'hypoesthésie de la face.

Le nystagmus rotatoire constaté au niveau de l'oeil droit du malade

quand il regarde en bas et en dehors semble bien le signe d'une parésie

du muscle grand oblique droit, c'est-à-dire d'une lésion du pathétique

gauche, bien plus que d'une atteinte du pédoncule cérébelleux inférieur ;

il est difficile d'affirmer avec précision il quelle lésion il correspond : il est

possible qu'il existe un prolongement du tissu gliomaleux remontant assez

haut pour atteindre les fibres émanées du noyau du pathétique gauche.

Quant à l'aiiestitésie limitée et la moitié droite de la face, bien que peu

prononcée, elle a très nettement le caractère d'une anesthésie dite syrin-

gomyélique (hypoesthésie, et erreurs à la chaleur et au froid, conserva-

tion parfaite de toutes les autres sensibilités). Elle siège à droite, c'est-à-

dire du côté de la lésion bulbaire. Etant donné les caractères de cette

anesthésie, il ne peut s'agir d'une atteinte du noyau ou des racines du

trijumeau droit, mais d'une lésion des libres non entrecroisées de la voie

sensitive centrale, c'est-à-dire des fibres qui émanées.du noyau du triju-

meau traversent la ligne médiane pour gagner le faisceau sensitif (2). Il

existe donc, à droile, un prolongement de la lésion bulbaire qui compri-

me ces fibres.

A côté de ces lésions de srriaob2clbie indéniable, il y a lieu de se de-

mander s'il y a des lésions dans la moelle proprement dite et en particu-

lier si l'hémianesthésie droite présentée par le malade ne serait pas en

rapport avec le processus gliomateux bulbaire qui comprimerait du côté

gauche le ruban de Reil. ,

(1) Nous n'insistons pas davantage sur la question des syndromes d'Avellis et de

Jackson dans la syringomélie et nous renvoyons à un article de MM. F. Rose et

Lemaithe (Annales des maladies du larynx et de l'oreille, novembre 1907) où elle sera

traitée à l'ond.- Voir aussi SCIILLSINOCtt, la Syringomyélie, 2" édition, p. 171-175.

(2) V. Bnntvsr, Lésion bulbaire unilatérale. Rev. Neurolog., décembre 1906, p. 1179.

SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBA11;LS 271 1

Il y a une objection de première valeur à faire cette hypothèse ; dans

le cas qui nous occupe, les troubles de sensibilité ont une disposition ra-

diculaire, variable avec les régions : dans une zone comprenant les 2° et

3e racines cervicales, la température est très atteinte, le tact peu touché,

la sensibilité à la douleur et la sensihilité osseuse sont normales ; tandis

que brusquement à partir de C'' les troubles de sensibilité deviennent in-

tenses et atteignent à la fois la sensibilité superficielle sous tous ses modes

et la sensibilité profonde.

Il y a donc, certainement, du côté droit de la moelle cervicale, une lé-

sion syringomyélique de la zone sensitive qui, peu intense en Ci, l'est

davantage en C et C3 pour atteindre en CI son maximum.

L'existence, à gauche, d'une anesthésie limitée à la température au ni-

veau de C' indique qu'au point correspondant de la moelle la lésion se

propagea gauche où elle atteint la zone sensitive. Voici donc bien établie

l'existence de lésions syringomyéliques dans la région cervicale.

Mais la constatation de symptômes sensitifs et moteurs s'étendant jus-

qu'aux extrémités inférieures n'implique pas par cela même une lésion

qui se propagerait sur toute l'étendue de la moelle.

Une lésion de la région cervicale parait suffire à expliquer l'hémianes-

thésie droite qui diminue légèrement à mesure que l'on considère une

région plus inférieure.

La paraplégie spasmodique bilatérale indique une irritation pyrami-

dale qui peut fort bien siéger à la région cervicale dorsale. La parésie du

bras droit avec diminution des réflexes tendineux est une confirmation de

l'atteinte importante de la moelle au niveau de la région cervicale droite

et il faut donner la même signification aux troubles trophiques et vaso-

moteurs qu'on remarque au niveau du membre supérieur droit.

Ainsi donc l'existence d'une syringomyélie bulbo-cervicale suffit à ex-

pliquer tous les symptômes que l'on observe chez F...; le maximum des

lésions médullaires paraît siéger en C., elles se prolongent probablement

dans toute la hauteur de la moelle cervicale et peut-être à la partie supé-

rieure de la moelle dorsale ; aucun phénomène n'indique qu'elles descen-

dent plus bas.

Le foyer syringomyélique occupe surtout le côté droit, aussi bien dans

le bulbe que dans la moelle cervicale. Il semble que le processus soit

avant tout intra-médullaire, la pachyméningite cervicale ne paraît jouer

aucun rôle (absence de douleurs, de raideur de la nuque, etc.).

Dans la moelle, la lésion paraît atteindre avant tout la corne postérieure

(troubles des sensibilités superficielles, troubles trophiques), mais le

cordon postérieur ne paraît pas indemne (sensibilités profondes presqu'a-

272 RAYMOND ET LEJONNE

bolies à droite). On sait d'ailleurs à quel point nous connaissons mal les

voies conductrices des diverses sensibilités dans la moelle.

Les deux faisceaux pyramidaux sont comprimés et irrités (paraplégie

spasmodique avec signe de Babinski), enfin, la corne antérieure à la ré-

gion cervicale paraît légèrement atteinte (parésie flasque du bras), mais

peu profondément puisqu'il n'y a guère d'atrophie musculaire ni de trou-

bles des réactions électriques..

Voilà les seules localisations du'processus que nous puissions affirmer ;

chercher plus de précision serait s'exposer à tomber dans des erreurs.

Un point particulièrement intéressant dans le tableau clinique présenté

par F..., c'est l'intensité des troubles trophiques puisque l'on observe à la

fois chez lui une scoliose considérable, une arthropathie et une chiromé-

galie.

La scoliose est un phénomène banal dans la syringomyélie, mais il n'est

pas habituel de lui voir atteindre un degré aussi accentué que chez notre

malade.

Rappelons que chez F... il existe une énorme scoliose dorsale à

convexité droite ; nous ne reviendrons pas sur les déformations thoraçi-

ques qui l'accompagnent ni sur l'attitude hanchée du corps qui en est la

conséquence : tous ces détails sont bien visibles sur les photographies

ci-jointes (Pl. XLIX).

Le siège dorsal de la scoliose à convexité regardant le côté le plus ma-

lade est la règle dans la syringomyélie (1).

Pour ce qui est de sa fréquence, on l'observe selon les auteurs dans

50 à 73 p. 100 des cas. Pour Nalbandoff, qui a consacré à la syringomyélie

de nombreuses publications, les 2/3 des cas de scoliose syringomyélique

seraient dues au rachitisme (2). Rien chez notre malade ne justifie une

pareille opinion, on ne trouve pas le rachitisme dans ses antécédents et il

n'en présente actuellement aucun stigmate ; sa scoliose est bien syringo-

myélique d'origine.

Mais, d'après les auteurs, elle peut reconnaître une origine soit mus-

culaire, soit ostéo-articulaire. ChezF..., il y a bien à la fois de la con-

tracture etde l'atrophie d'un certain nombre de muscles de l'omoplate et

du dos ; mais ces troubles musculaires sont en général bilatéraux, ils ne

sont pas très intenses, les réactions électriques sont peu troublées au ni-

veau des muscles malades, ils paraissent surtout des troubles secondaires,

incapables d'avoir produit une pareille scoliose ; malgré toutefois un cer-

tain degré de contracture de la masse sacrolombaire gauche qui peut con-

tribuer à exagérer la courbure vertébrale, nous ne croyons pas qu'on

(1) HALT.10N, Th. de Paris, 1892.

(2) NALBANDOFF, Soc. de Neurol. et de Psych. de Moscou, 1900.

SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES 273

puisse invoquer chez ce malade la théorie musculaire (théorie de Roth)

pour expliquer la production de la scoliose. ,

C'est aux altérations osseuses et articulaires qu'il faut faire jouer le prin-

cipal rôle. L'examen clinique, confirmé par la radiographie, montre qu'il 1

n'y a pas chez ce malade d'artropathies vertébrales et que selon l'opinion

de Nalbandofl" (4) il s'agit avant tout d'un trouble trophique des os eux-

mêmes. Nous n'avons malheureusement pas obtenu de radiographies très

satisfaisantes, le malade ne pouvant garder l'immobilité à cause de la

difficulté qu'il éprouve à respirer; néanmoins on constate que la colonne

dorsale, surtout au niveau des parties les plus saillantes, est notablement

plus opaque que les colonnes cervicales et lombaires ; les vertèbres pa-

raissent avoir une certaine tendance à se souder, les disques interverté-

braux sont très peu distincts surtout entre la 5e et la 8e dorsale ; il n'y a

pas d'hypertrophie vertébrale, pas de production osseuse anormale ; il pa-

raît donc exister avant tout un processus d'ostéite condensante, c'est-à-

dire un trouble trophique véritablement primitif de la colonne dorsale.

L'arthropathie que présente F..., au niveau de l'articulation scapulo-

humérale droite, est assez peu considérable ; elle a bien eu le début insi-

dieux, indolore, habituel aux arthropathies syringomyéliques et qui les

rapproche des arthropathies tabétiques par exemple; le siège au niveau

de l'épaule est également le plus fréquemment observé dans la syringo-

myélie (2).

Elle ne se manifeste que par une très légère déformation de l'épaule,

un peu de mobilité anormale et surtout de gros craquements lorsqu'on

fait mouvoir le bras droit.

La radiographie montre peu de déformation; on constate surtout un

certain degré d'élargissement de la tête humérale.

En revanche l'image radiographique est plus claire que celle de la

tète humérale opposée. Nos constatations, contraires à celles de Iludover-,

nig (3), se rapprocheraient donc plutôt de celles de Nalbandolf, sans que

toutefois nous voulions affirmer comme cet auteur que l'arthropathie

reconnaît pour cause surtout un processus de décalcification.

La chiromégalie est un trouble trophique beaucoup plus rare ; c'est un

cas particulier des hypertrophies partielles que l'on peut observer dans la

syringomyélie.

Ces hypertrophies atteignent parfois tout un membre ; c'est presque

toujours alors le membre supérieur qui est touché [Lunz (4), Chauffard

(1) N,1,BANDOrF, Deutsch. Zeitschrift f. Nervenheilk, 1901.

(2) SCIILESINGEH, loc. Cil., p. 95-.

(3) L. Hudovernig, Neurolog. Centralbl., 1901, p. 1137.

(4) LuNz, Deutsch. med. Wochenschr., 1898.

274 RAYMOND El' LEJO'4N[e.

et Griffon (1), Heldenbergh (2), Raymond et Guillaiu (3)], tantôt tout le

membre, tantôt seulement l'avant-bras et le bras, toujours c'est la main

dont l'hypertrophie est le plus manifeste, il n'y a qu'une exception, le cas

de Heldenbergh où c'était l'avant-bras.

Le plus souvent le processus d'hypertrophie est localisé aux extrémités.

Parfois la main et le pied sont pris en même temps, tantôt les quatre

extrémités, tantôt les extrémités d'un même côté, tantôt celles de côté

opposé ; il n'y a aucune règle fixe [P. Marie (4), Straeten (5), etc.].

Il est exceptionnel que le pied soit seul atteint d'hypertrophie, il n'est

pas rare au contraire de voir les mains présenter la « chiromégalie ».

Cette chiromégalie est alors tantôt bilatérale IIoIscIevnilcolF (6), Pe-

terson (7), Graziani (8), Schlittenhelm (9)], mais presque toujours dans

ce cas une main est plus atteinte que l'autre, tantôt unilatérale.

Chez notre malade la chiromégalie est unilatérale et prend uniquement

la main droite, elle n'est pas limitée à la main d'une manière absolue et

le poignet est augmenté de volume par rapport à celui du côté opposé

(pli. L et LI).

Nous n'avons pas à discuter ici (10) la nature essentiellement syringo-

myélique de cette chiromégalie ; M. Pierre Marie (il) a bien montré qu'il

ne s'agit aucunement^d'un processus d'acromégalie surajoutée. Dans le

cas de F... il n'existe aucun des signes classiques de l'acromégalie et ce

diagnostic n'est pas à prendre en considération.

Cette chiromégalie peut être d'origine osseuse ou bien due à l'hyper-

trophie des parties molles ou encore reconnaître pour origine un processus

atteignant tous les tissus de la main.

On conçoit que l'examen histologique seul soit vraiment en mesure de

nous renseigner d'une façon absolument rigoureuse à ce sujet (12), toutefois

l'examen clinique combiné avec la radiographie nous donne des résultats

intéressants. '

La chiromégalie chez F...., on s'en rendra bien compte sur la photo-

graphie comparative des deux mains (I'1. L), porte sur la largeur de la

main; le poignet, le carpe, tous les doigts sont augmentés de volume,

(1) Chauffard et Griffon, ltev. neurolog., 1899.

(2) Heldenbergh, Journal de Neurologie, 1901.

(3) RAYMOND et Ctuillain, Soc. de Neurologie, juillet 1904.

(4) P. Marie, Soc. méd. des Hôpit., 1894.

(5) STRAETEN, Inaug. dissert. Kiel, 1903.

(6) HOLSCIIVNIKOFF, Virchow arch., t. C : CIx.

(7) PFTEnsoN, Medic. Record., 1893.

(8) GRACIANT, Gaz. degl. osped. e dell. clin., 1899.

(9) SCIILITTRi111ELM, Neurolog. Centralbl., 1903.

(10) V. l'article de Liiehuitte et ARTOM, Iconog. de la Salpêtr., 1907, n°5.

(11) P. l\lA 1\ OE, loc. cit.; voir aussi SCUL1 ! SINOEI\, loc. cit., p. 137-138.

(12) Lhermitte et ART011, loc. cil.

SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES 215

peul-être le pouce et l'index sont-ils relativement plus gros que les trois

derniers doigts.

La radiographie montre nettement (Pl. LI) une grosse hypertrophie en

largeur de tout le premier métacarpien, le second et le troisième semblent

un peu augmentés de volume. L'extrémité inférieure du radius droit

est plus volumineuse que celle du côté gauche. Il ne paraît pas y avoir de

lésions articulaires. Les os offrent la même transparence que ceux de

la main opposée.

On peut donc conclure qu'il s'agit d'un cas d'origine mixte dans lequel

les lésions d'ostéite hypertrophiante jouent un certain rôle, mais la chiro-

mégalie est néanmoins surtout due à l'augmentation de volume des parties

molles, sans que la peau paraisse prendre une très grande part au pro-

cessus.

Chercher à localiser en un point du système nerveux une lésion qui

expliquerait cette chiromégalie serait émettre une hypothèse, que ne

permettent pas encore les recherches anatomiques entreprises jusqu'ici.

CLINIQUE PSYOUATHIQUE DE GENÈVE

DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL

DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS,

PAR R

R. WEBER, Prof.

L'évacuation d'une quantité plus ou moins grande du liquide intraven-

triculaire peut constituer un moyen de défense contre l'augmentation de

pression causée par la croissance d'une tumeur intracrânienne. Telle était

l'une des conclusions d'une précédente notice sur ce même sujet (1) ;

aujourd'hui il m'est possible d'en donner une preuve.

Ons. VIII.

A. Manuel, ler séjour : 30 septembre 1903 au 3' octobre 1903.

2" séjour : 30 décembre 1903 au 4 avril 1904.

Le 30 septembre'1903 au soir, le marchand de légumes A..., âgé de 36 ans,

tomba dans la rue d'un accès épileptiforme ; conduit à la Policlinique il se mit

à tout démolir et fut transféré d'urgence en psychiatrie à Bel-Air. Il y arriva

désorienté, délirant, fut pris de vomissements répétés ; il se plaignait de douleurs

à la nuque. Après une nuit tranquille, il se réveilla lucide, mais continua à

ressentir des douleurs atroces à la nuque. Toute pression sur la tête, le mouve-

ment de S'asseoir dans son lit lui étaient extrêmement douloureux. On nota

que la pupille droite était un peu plus large que la gauche, que la réaction des

deux à la lumière était peu ample et paresseuse.

Les antécédents de A... ne présentent rien de spécial jusqu'à l'époque de son

service militaire. Appelé à changer de garnison après 33 mois, A... en fut

vivement affecté ; il eut des crises épileptiformes et fut licencié après un trai-

tement (bromure ? ) qui eut d'excellents résultats. Depuis lors plus d'attaques.

Marié depuis 7 ans ; pas d'enfants. Infection syphilitique niée. Sa femme le

dit obstiné, très excitable.

La semaine qui précéda l'accident du 30 septembre, A... fut irritable outre

mesure, se fit des soucis au sujet de son commerce qui cependant n'allait pas

mal du tout. Il ne boit pas beaucoup, mais ne supporte pas le peu d'alcool

qu'il consomme. C'est ainsi que le 30 septembre il avait pris 1 lit. 1/2 de vin

blanc avec deux amis. Il se souvint encore d'être tombé de son char à la Cor-

raterie.

(1) Voir Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, no 3, 9908.

DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 277

Tranquille et orienté, mais se plaignant toujours de vives douleurs à la nu-

que, il est repris par sa femme le 3 octobre 1903. Cependant il ne put pas se

remettre au travail. Il accusait des céphalées violentes, paroxystiques. En no-

vembre 1903 apparut une tumeur dans la région pariétale droite; A... fut tré-

pané et l'examen histologique démontra qu'il s'agissait d'une gomme. Les maux

de tête diminuèrent, mais ce fut le seul résultat obtenu par l'intervention chi-

rurgicale. -

A la suite de crises épileptiformes et de délires avec violences, le malade

nous fut ramené le 30 décembre 1903. De nouveau les pupilles sont inégales

(D > G) et ne réagissent pas à la lumière. A... nous a reconnus; il dit avoir

toujours peur; il ne peut pas se tenir debout, vacille, mais veut descendre en

ville, vendre son cheval, etc. Il tient la tête raide et dit qu'elle lui fait mal.

Cicatrice semi-circulaire récente dans la région pariétale droite. Fond de l'oeil

gauche apparemment normal ; à droite, dilatation des veines, interruptions de

continuité des vaisseaux,bords de la papille indistincts (Stauungspapille). Trem-

blement fibrillaire de la langue. Dynamomètre : main gauche 10 ; droite, 36.

Réflexes patettaires faibles. A... ne peut marcher que si on le soutient. A droite

l'ouïe ne parut jamais altérée, elle sembla parfois diminuée à gauche. Cepen-

dant les résultats de cet examen sont peu sûrs, carA... tomba en février 1904

dans un état de somnolence ; il s'endormait par exemple en mangeant. Grin-

cements des dents. Vomissements. Signe de Kernig. Titube comme un homme

ivre. Sensation de froid. Désorienté et euphorique.

Fin février il est beaucoup plus éveillé, se lève et se promène au préau. Il

parle vivement et à haute voix. Il veut n'avoir plus de maux de tête, se sent

capable de marcher dts heures entières, de soulever tous les meubles, 100 ki-

los, etc.

Déjà 3 jours plus tard il est de nouveau angoissé, persuadé qu'il va mourir.

Devient gâteux.

Mi-mars, accès fréquents de faiblesses, pertes de connaissance sans convul-

sions. Léger strabisme divergent de l'oeil droit. Les moitiés droites des rétines

paraissent insensibles. Le strabisme s'accentue, disparaît, revient ; quelquefois

il s'accompagne de ptosis de la paupière droite.

Une fois aussi la somnolence profonde fut interrompue par une courte rémis-

sion où A... connut les médecins, les appela par leur nom, etc. Un jour le bras

droit sembla parésié ; quand on l'y piquait il se servait du gauche pour se

défendre.

Le 2 avril c'est le facial droit qui est parésié et les pupilles ne sont plus

rondes; elles ont pis informe iudiquée lig. 1. Dèjil le lcnùemaiu la pupille

droite n'a plus qu'une légère pointe à droite.

xx 18

Fig. 1. - Pupilles le 2 avril 1904.

278 WEBER

A... ne réussit plus à sortir la langue ; il salue encore de la tête et nous suit

des yeux. Rxitus le 4 avril 1904.

DATES. - 30 septembre 1903 : premiers symptômes de maladie, sous forme

d'attaque convulsive, précédée d'une semaine d'irritabilité, de dépression.

Novembre 1903. Apparition d'une tumeur sous le cuir chevelu, trépana-

tion.

4 avril 1904. Exitus.

Il en résulte, que nécessairement ce néoplasme cérébral eut une longue

période latente. Je chercherai à l'expliquer par l'étude de l'encéphale.

Autopsie de la tête, seule autorisée.

Sur le côté droit du crâne, à deux doigts au-dessus de l'insertion de l'o-

reille, solution de continuité de l'os, d'un diamètre de 2 centimètres. Cette ou-

verture est couverte de tissu cicatriciel mou. Dure-mère très tendue ; face in-

terne lisse, sèche. Circonvolutions aplaties, sillons fermés. Pie-mère épaissie,

stase veineuse. Poids du cerveau avec leptominiuge : 1.650 grammes.

Ceci sont les signes habituels de la compression cérébrale par augmen-

tation de volume de l'encéphale.

Dans la région de la F. S. à droite, la dure-mère est adhérente au cerveau

sur une longueur de 3-6 centimètres et une hauteur de 1 centimètre environ.

Dessous on rencontre du tissu néoplasique, empiétant surtout sur T. 1 et T. 2.

mais touchant également le pied de Fa. et Pa. G. s. m. et T. 3 paraissent li-

bres.

Résultats macroscopiques. - Le cerveau fut durci en entier pour éviter

toute altération de l'état des ventricules, puis débité en coupes sériées. L'hé-

misphère droit paraissait plus volumineux que le gauche. Cela fut confirmé

par la mensuration au planimètre de 93 coupes vertico transversales : le rap-

port entre les moitiés gauche et droite du cerveau est 48 0/0 G., S2 0/0 D. ;

les coupes étant équidistantes, j'ai pu ne tenir compte que des surfaces. Or, la

moitié de cette augmentation de volume de l'hémisphère droit porte sur les

segments frontal et occipital ; une moitié seulement sur les grandes coupes du

segment moyen, soit calleux.

Il en résulte que, la tumeur obstruant une partie de la F. S. a poussé

en avant et en arrière le tissu cérébral. Les scissures nombreuses, fron-

tales et occipitales, se sont fermées, la substance blanche s'est tassée en

augmentant la surface des coupes, tandis que l'écorce eut évidemment à

couvrir une étendue plus vaste. Cela se traduit par une différence du pour-

cent de l'écorce par rapport à la surface totale, différence en moins allant

jusqu'à 10 0/0, au lobe occipital droit avec ses scissures profondes.

Il est intéressant de constater à la surface des circonvolutions les impres-

sions profondes qu'y font les vaisseaux. D'abord c'est une sorte d'U, recouvert

DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 279

de pie-mère, dans lequel sont abritées artère et veine; à un stade plus avancé

le vaisseau est complètement rentré dans l'écorce (fig. 2). '

Le tissu cérébral cède donc déjà à une pression moindre que celle du

sang. Cette destruction locale est une sauvegarde, car elle garantit la nu-

trition de l'organe.

Ventricules. La corne occipitale droite après avoir formé un petit diver-

ticule est soudée, puis se rouvre, mais tout le ventricule latéral est de beau-

coup en dessous de la contenance normale (fig. 3 et 3 bis).

Le ventricule latéral gauche est tout à fait analogue dans la région occipitale ;

un peu dilaté dans la partie frontale, il est normal au carrefour.

Fig. 2. Vaisseaux faisant empreinte dans la substance cérébrale.

Fig. 3. - Coupe du ventricule droit.

Fig. 3 bis. Coupe du ventricule droit.

280 WEBER

Le 3e ventricule est surtout altéré dans sa forme ; l'aqueduc de S. est ou-

vert.

.t,' \

Il semble naturel d'en conclure que la tumeur a agi de la façon sui-

vante : elle a fermé les scissures et le sillon inter hémisphérique, aplati

les circonvolutions contre le crâne ; mais elle a également vidé les ven-

tricules pour gagner de la place. Elle est restée latente aussi longtemps

que ces moyens ne furent pas épuisés. Ensuite les symptômes de com-

pression générale se déclarèrent d'autant plus nets et plus rapides. Il y

eut alors obstruction du courant ventriculaire ; c'est sans doute de cette

époque que date la faible dilatation ventriculaire du côté opposé au néo-

plasme (Icotogr., n° 2, 1905).

Vaisseaux. Il y en a qui paraissent intacts. D'autres ont une intima for-

tement épaissie par endroits. Une 3° catégorie a les parois disséquées, parfois

très minces. Ils sont fréquemment entourés de masses amorphes, [de pigment

ou d'épanchements sanguins récents où les hématies sont encore bien dessi-

nées. Il n'y a nulle part d'infiltration péri-vasculaire telle qu'on l'observe dans

la paralysie générale.

On dit en pareil cas « que les parois vasculaires se sont laissé dilacé-

rer par la pression du sang ». Cette hypothèse me paraît difficilement ad-

missible, la présence du néoplasme ayant augmenté aussi la pression' am-

biante.

Il semble plus simple de dire que les vaisseaux sont usures, mortifiés,

par l'effet simultané des pressions intérieure et extérieure. Leurs parois

doivent être dans de mauvaises conditions de nutrition. On comprend

alors également que la fréquence de ces hémorragies augmente avec la

pression, ce qui est bien le cas ici. L'hémisphère droit où siège la tumeur

est piqueté d'une multitude de petites hémorragies. Ce n'est là évidem-

ment qu'un des modes de production de ces épanchements sanguins.

Examen des coupes sériées. Dès la pointe du lobe occipital il y a une diflé-

rence entre les deux hémisphères. Le droit se colore plus en rouge au carmin

que le gauche, d'abord dans sa moitié inférieure seulement, puis sur toute la

surface, lorsqu'on se rapproche de l'extrémité du corps calleux. En beaucoup

d'endroits apparaissent de fines vacuoles et de petites hémorragies dans la

substance blanche semée « d'araignées gonflées ». La répartition des cellules

nerveuses dans l'écorce est « brouillée » depuis la calcarine par le pourtour

inférieur jusqu'au tiers de la face externe (fig. 4).

Rappelons qu'il s'agit d'un néoplasme fixé à la dure-mère et même au

crâne. Il est possible que cela ait soumis la moitié inférieure du lobe oc-

cipital à une pression particulièrement intense et qu'ainsi s'explique

cette localisation des lésions anatomiques les plus marquées.

DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 281

C'est un peu en arrière du corps calleux que la tumeur apparaît ; elle n'est

pas délimitée par une membrane (fig. 5). M. le professeur Askanazy en con-

firme la nature syphilitique et attribue la même origine aux altérations vas-

culaires.

Les figures 4, 5, 6, 7 et 8 en in diquent la localisation, mais elles sont sur-

tout instructives parce qu'elles en démontrent les effets à distance. Le voisi-

nage du néoplasme se compose de tissu en voie de mortification ; on n'y voit

que des restes de structure, des masses amorphes comme coagulées (analogues

à celles qui entourent les vaisseaux) et des vacuoles. Puis vient une large

zone d'araignées gonflées, semées très régulièrement dans la substance blanche.

l'ig. 4. - Coupe 315.

Fig. 5. Coupe 694.

282 WEBER

Cela me fait supposer qu'il s'agit plutôt de gonflement de cellules exis-

tantes que de formations récentes (Iconogr., n° 3,1906).

Les faisceaux sagittaux du lobe occipital droit sont particulièrement al-

térés, ce qui explique l'hémianopsie, car c. g. e. et le tractus paraissent in-

tacts ou peu touchés. L'hémianopsie fut donc en effet à distance.

Ces lésions diffuses de la substance blanche méritent d'autant plus d'être

relevées, que l'écorce, les masses grises basales. l'avant-mnr sont beaucoup

moins altérés (fig. 7).

Fig. 6. - Coupe 1055.

Fig. 7. - Coupe 1495.

DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 283

L'hémisphère gauche est fortement hyperémié ; les hémorragies y sont nom-

breuses mais petites ; il y en a entr'autres toute une série de fraîches dans la

partie médiane de Th. opt.

Les fibres nerveuses de l'écorce sont généralement bien conservées à droite et

à gauche. Celles de la substance blanche sont gonflées et souvent variqueuses.

La coloration Weigert-Pal réussit mal et la coupe est criblée de « soleils » plus

grands que les normaux, tandis que l'enveloppe de myéline est amincie. Tout

cela est plus prononcé à droite qu'à gauche.

On retrouve les mêmes hémorragies et fibres variqueuses au cervelet et

dans l'oblongala. La région de la protubérance est déformée par pression

agissant de droite en haut vers la gauche et en bas. Il est possible que le fais-

ceau pyramidal gauche, aiusi appliqué sur l'os sous-jacent ait été mis hors

d'état de fonctionner, ce qui expliquerait l'hémiplégie doite dont il a été fait

mention.

Résumé. - En ne tenant compte que d'altérations grossières, excluant

pour ainsi dire toute possibilité d'erreur, je constate ce qui suit.

Une tumeur spécifique, de dimensions relativement petites, mais péné-

trant dans la substance blanche a produit des lésions dans tout l'encé-

phale. Encore est-il certain que je suis loin de les avoir toutes vues et

décrites. Ces lésions prédominent évidemment du côté du néoplasme;

elles concernent avant tout la substance blanche, beaucoup moins l'écorce

et les masses grises. Elles se sont produites en majeure partie après que

tous les moyens de créer de la place, soit fermeture des sillons et des es-

paces pie-mériens, évacuation des ventricules eurent été épuisés. On ne

saurait en effet admettre que de telles altérations eussent pu rester sans

retentissement sur les fonctions psychiques. Depuis leur début, la tumeur

jusqu'alors latente devint manifeste et cela de façon très violente. La nu-

trition du cerveau, la possibilité d'évacuer les produits usagés se trouvè-

rent du coup gravement dérangés par l'interruption du courant intraven-

triculaire.

J'hésite cependant à assimiler toutes ces lésions à de simples effets de

compression ; il faut ne pas oublier que les vaisseaux étaient également

touchés par l'infection syphilitique et que l'artère de la F. S. était englobée

dans le néoplasme.

Le manque d'infiltration périvasculaire dans ce cas, pourtant spécifi-

que, ne me semble pas tout à fait sans importance au point de vue de la

paralysie générale. Du reste, j'ai fait des constatations analogues dans une

observation d'oedème cérébral aigu chez un syphilitique (Dr Paohantoni,

Revue méd. de la Suisse no 9, 1906).

CONCLUSIONS.- i" Avant de vouloir attribuer à l'interruption de tel ou

tel faisceau les phénomènes psychiques accompagnant l'évolution d'une

284 WEBER

tumeur cérébrale, il est urgent d'en étudier encore beaucoup mieux les

effets généraux sur le tissu nerveux central.

2° Il faut surtout se souvenir que tout néoplasme pénétrant dans la

substance blanche produit des dérangements graves dans la circulation

lymphatique ; qu'il en résulte des altérations histologiques locales d'a-

bord, mais ne tardant pas à se généraliser. Théoriquement ceci me sema

blerait surtout applicable aux tumeurs du corps calleux.

3° Les chances de réussite d'une intervention chirurgicale diminuent

sansaucun doute avec l'intensité de ces altérations du tissu cérébral, car

elles sont en bonne partie irréparables.

4° Toute explication me manque pour le phénomène excessivement

curieux de la déformation pupillaire conjugée.

Observation XI (PI. LU et LUI).

De M. le D1' Weber, médecin à Colombier (Neuchàtel).

M. G.... instituteur, est décédé en janvier 190.*j, de 50 ans. Dans son en-

fance il a eu un accident de voiture et a été atteint d'une forte contusion à la

tête. Dès lors son caractère aurait toujours été moins gai que celui de ses

frères, dont la sauté est parfaite. M. G... était cependant bien doué intellectuel-

lement et devint un excellent instituteur. Il a exercé cette profession avec

distinction pendant 30 ans.

Marié de bonne heure, il laisse une assez' uombreuse famille. La santé des

enfants est parfaite. Plusieurs d'eutre eux présentent la particularité d'avoir

conservé des résidus de la membrane pupillaire, résidus qui ne gênent cepen-

dant qu'assez peu leur acuité visuelle. M. G... lui-même a été porteur de cette

même anomalie.

Après avoir joui pendant fort longtemps d'une excellente santé M. G... souf-

frit, il y environ 10 ans, d'un iritis, dont la nature resta indéterminée. Cette

même affection récidiva il y 3 ans. En mars 1901, eczéma humide du pavillon

des deux oreilles.

En juillet 1902, la vue baisse, V = 2/3 à gauche et à droite M. le professeur

Dufour,à Lausanne, écrit « que cette vision 2/3 est d'autant plus étonnante que

M. G... porte une forte stase papillaire anx deux nerfs optiques, avec papilles

extrêmement gonflées et proéminentes, bref les symptômes d'une pression iutra-

crânienne augmentée, bien qu'il n'ait pas de céphalalgie. Il faut donc admettre

un foyer d'apoplexie et cela le plus volontiers près du 'cervelet, vu le manque

de coordination ».

L'urine ne contenait ni albumine ni sucre. Le traitement consista en ven-

touses et iodure. Le résultat fut nul.

Dès lors le malade marcha en chancelant, toujours d'une façon plus accen-

tuée et sur la rue il ressemblait vraiment à un homme ivre. Bientôt il dut

interrompre ses occupations à cause de sa vue qui continuait de baisser rapi-

dement. L'incertitude dans la démarche s'accentua aussi. A ces symtômes

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

.T. XX. Pl. LII

ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS.

(Weber).

Observation IX

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. LUI

ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS.

(Weber).

DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 285

vinrent s'ajouter des crises d'angoisse. Un peu plus tard ces crises prirent un

caractère épileptiforme très marqué. Pendant la dernière année le malade fut

pris de crises épileptiques extrêmement intenses, avec nausées et quelquefois

vomissements, et cyanose. Les crises ne survenaient que lorsque le malade

était debout ou assis dans son lit, jamais lorsqu'il restait couché et immobile.

C'est pour ce motif que le malade resta alité pendant deux années entières.

En dehors des crises l'appétit resta bon et M. G... devint obèse. En 1902,

alors que le diagnostic était encore douteux, G... fut, après consultation, consi-

déré comme atteint de sclérose en plaques.

Depuis fin 1902 amaurose totale.

Tous les traitements institués, y compris Hg. et KJ. à hautes doses ne per-

mirent pas d'enrayer les progrès de la maladie.

Depuis 1903, maux de tête presque continuels, avec siège surtout au vertex.

En novembre je pratique une ponction lombaire. Elle donne issue à du

liquide cérébrospinal limpide. La nuit suivante le mal de tête s'est beaucoup

aggravé, au point que le malade pousse des cris. Ensuite le calme revient,

suivi de stupeur et de lucidité imparfaite. Ce n'est qu'après plusieurs jours

que son état s'améliora de nouveau.

En janvier 1904 le malade est souvent taciturne, quelquefois il est désorienté.

Toutefois ces troubles ne durent jamais plus de 2 à 4 jours. Depuis plusieurs

mois les membres et surtout le bras et la jambe droits présentent un tremble-

ment qui s'accentue toujours davantage. Lorsque le malade veut serrer la main

de quelqu'un il se produit un mouvement de trémolo très frappant. Par contre

il n'existe nulle part la moindre paralysie. Crises épileptiques fréquentes. Cécité

toujours complète.

Le 8 janvier 1905 au matin, forte crise épileptiforme. Le malade est livide-

Fig, 8.-Coupe 1815.

286 WEBER

C'est en allant à la selle sur une chaise percée que la crise s'est produite. La

respiration est en arrêt complet, sauf une rare inspiration bruyante par ci par

là. Remis immédiatement dans son lit, le coeur cesse de battre après peu de

minutes.

Le malade a donc présenté de bonne heure et à un haut degré l'ataxie céré-

belleuse.

Depuis, une fille de M. G... a accouché d'un enfant anencéphale avec gliomes

dans les poumons (ce cas sera publié par M. le prafesseur Askanazy). Cette

répétition d'anomalies corporelles à travers trois générations est remarquable.

Dates. Début en juillet z902 par un affaiblissement de la vue et des symp-

tômes cérébelleux. Fin 1902, amanrose totale, maux tête, nausées. Janvier 1904,

troubles psychiques nets, tremblement accentué du bras et de la jambe droite.

Exitus en janvier 1905 au cours d'une crise épileptiforme .

L'autopsie, faite dans des conditions peu favorables, resta incomplète. Le

cerveau, semblable à une balle à parois épaisses me fut envoyé après durcis-

sement dans le liquide de Mutter il prit une consistance analogue au caout-

chouc et fut fort difficile à couper, Les clichés ont été pris sur la pièce entière,

dans le microtome de Gudden (PI. LU et LUI).

L'hémisphère gauche du cervelet est bombé ; le droit au contraire est aplati.

Ceci s'explique par la présence, dans le sillon bulbo-cérébelleux droit, d'une

tumeur à surface noueuse, de forme cylindrique il peu près. Diamètre : 2 cen-

timètres, longueur : 3 cent. 1/2. Elle était presque séparée de l'encéphale lors-

que la préparation me parvint et il ne me fut plus possible d'en établir exac-

tement les relations éventuelles avec les nerfs de cette région, entr'autres le

VIII. Le bord médian du néoplasme contient des fibres nerveuses encore colo-

rahles. Il s'agit d'un sarcome à cellules fusiformes (prof. Askanazy).

Examen des coupes sériées. Oblongata et cervelet (fig. 9 et 10).

A plus d'une reprise déjà j'ai montré que dans certaines conditions, le ven-

tricule latéral, opposé à la tumeur, est dilaté. Il est intéressant de noter

que le même fait se reproduit dans IVe ventricule. Le liquide céphalo-rachi-

dien, ne pouvant s'écouler assez vite, s'est fait place du côté gauche (V. IV,

fig. 9 et 10). Cependant à droite aussi il y a eu rétention, sous forme d'une

sorte de kyste (C.fig. 9 et 10) que l'on peut suivre jusque sur le bord antérieur

et médian de l'hémisphère droit du cevelet. Ce kyste ne paraît pas communi-

quer avec le IVe ventricule et s'être développé aux dépens de la substance

cérébelleuse ; en effet les bords en sont absolument sclérosés. On a l'impres-

sion que du liquide céphalo-rachidien, ne trouvant plus son écoulement natu-

rel vers la périphérie du cervelet, s'est ainsi fait place. Il en est résulté, avec

l'aide de la compression directe par la tumeur, une destruction fort nette de

l'hémisphère droit du cervelet. On y retrouve les vacuoles, les grosses cel-

lules araignées, les hémorragies et les fibres variqueuses décrites ailleurs. Le

noyau denté droit est très fortement atrophié, le corps restiforme droit de

même. Le péd. céréb. supérieur droit est bien mieux conservé. L'hémis-

phère gauche cependant n'est pas intact non' plus ; les altérations anato-

miques y sont seulement partout moins prononcées. Le pourtour de l'aqueduc

DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL z81

de S. et du IV° ventricule est semé de vacuoles et les fibres nerveuses y sont

variqueuses, en voie de destruction. Le nodule du cervelet est transformé en

tissu sclérosé.

C'est au maximum d'extension de la tumeur (fig. 9) que correspond natu-

rellement la déformation la plus avancée.

Cerveau. -- La dilatation générale des ventricules est frappante ; en raison

des résultats de la mensuration au planimètre, je crois qu'elle s'est faite surtout

aux dépens des sillons, des espaces sous-arachnoïdiens et de la fente interhé-

misphérique. Comme je l'ai toujours constaté en pareil cas, ce sont les cornes

occipitales et frontales qui sont le plus dilatées, soit parce qu'en ces régions le

nombre et la profondeur des sillons sont relativement grands, soit parce que

la résistance de la masse blanche à surmonter y est moindre.

Cette dilatation ventriculaire très notable (5-7 : 1) doit être attribuée à

l'obstruction du courant intraventriculaire par la tumeur.

Preuve en' est l'épaississement épendymaire généralisé ; tout le pourtour

des ventricules se compose d'une masse de tissu névroglique, d'un feutrage de

grosses cellules araignées-. En dehors vient une zone contenant des vacuoles

et des placards amorphes, en voie de destruction. A mesure que l'on se rap-

proche de;l'écorce, les tissus prennent un aspect normal.

Fig. 9. D. Diverticule; Tm. tumeur.

Fig. 10.

288 WEBER

Il est regrettable que le durcissement de ce cerveau ait quelque peu laissé

à désirer et que par conséquent certaines altérations histologiques puissent

être simplement des effets de macération. Pour ce motif il n'a été tenu compte

que de ce qui semblait ne pas pouvoir donner lieu à erreur.

Il est certain que les espaces périvasculaires sont partout dilatés, souvent

même ceux des capillaires ; on y voit des éléments cellulaires du sang et du

pigment. Le plexus choroïde est riche en tissu conjonctif et contient une

quantité incroyable de corps amylacés.

Mode d'action de la tumeur. - C'est donc par obstruction du courant

intraventriculaire céphalo-rachidien que ce néoplasme a agi. Mais il faut

croire que cette obstruction ne fut pas complète et cela seul explique la

longue durée de la maladie. Dans les symptômes observés par M. le

Dr Weber, il est quelques détails qui appuient cette manière de voir. Dès

que M. G.... se mettait debout ou s'asseyait dans son lit, il s'en suivait une

crise épileptiforme. Ne doit-on pas admettre que, dans cette position, la

tumeur, faisant en quelque sorte bouchon dans la région du foramen occi-

pital et augmentant ainsi,la gêne circulatoire, fut la cause de ces accès ?

Le malade connaissait si bien son état qu'il resta couché durant années.

C'est encore par le même mécanisme que s'expliquent les effets funestes de

la ponction lombaire. Il faut croire que, le courant céphalo-rachidien étant

gêné, la poussée d'en haut n'agissant plus, il se produit également une cer-

taine stase dans le canal vertébral. La ponction lombaire fut faite alors que

M. G.... était couché. Malgré cela, l'évacuation subite d'une certaine quan-

tité de liquide détruisit l'équilibre de pression dans les cavités crânienne

et rachidienne. Il en résulta une poussée sanguine au cerveau, accompa-

gnée de maux de tête des plus violents, de troubles de la conscience, etc.

Il semble que des observations du genre de celle-ci doivent être utili-

sées aussi pour éclairer la question de l'auto-intoxication, si à la mode

aujourd'hui. Est-il logique d'affirmer que ce petit néoplasme ait sécrété

des produits toxiques, du reste absolument hypothétiques ? Ou bien est-on

plus près de la vérité en supposant qu'il ait agi mécaniquement, par obs-

truction d'un courant bien connu (voir p. ex. Noibnagel) du liquide cé-

phalo-rachidien ? Certes il a pu y avoir intoxication aussi, mais simple-

ment du fait que les produits des échanges nutritifs n'étaient plus éliminés,

précisément à cause de cette obstruction.

Ceci conduit à toucher à la question de la Stauungspapille. Est-ce dans

le cas particulier la suite d'une inflammation ou est-ce un « effet mécani-

que ? » Veut-on admettre que les nids de cellules araignées qui se ren-

contrent jusqu'à l'extrémité frontale du ventricule latéral sont la consé-

quence d'une inflammation ?

Pour nous, la compression, par stase du liquide céphalo-rachidien est

DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 289

la cause première de toutes ces altérations pathologiques. Il peut en ré-

sulter une sorte d'inflammation sous l'influence de produits chimiques,

résidus de la nutrition, produits qui normalement sont évacués par les

courants intraventriculaire et veineux.

Il n'est peut-être pas sans intérêt clinique de rappeler que le bras et la

jambe droite du malade furent affectés d'un mouvement de trémolo très

frappant. Ce tremblement accompagnait les mouvements intentionnels ; il

n'était pas associé à une diminution de la force. Ces symptômes furent sans

doute la conséquence des destructions étendues dans l'hémisphère droit t

du cervelet.

A en juger d'après les pièces anatomiques, M. G.... aurait été opérable ;

sans doute les difficultés d'accès eussent été grandes. Aurait-on pu les

surmonter ? Les lésions secondaires aurait-elles encore été capables de

restitution à l'époque où le diagnostic de tumeur s'imposa ?

Urne semble qu'en pareil cas uné opération exploratrice, faite avec

toutes les précautions en vue d'éviter un changement trop brusque de la

pression, aurait pu, ou bien déceler la situation exacte de la tumeur, ou

bien soulager beaucoup le malade par la création d'une sorte de fonta-

nelle.

J'aurai l'occasion de démontrer, en m'appuyant sur des pièces anato-

miques que, une fois le danger de mort évité par l'établissement d'une

soupape, si je puis dire ainsi, le crâne, même de l'adulte, altère sa forme

pour faire de la place. Il ne faut pour cela que du temps.

HÉMIMÉLIE

AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS

ÉTUDE ANATOMIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE L'HÉMIMÉLIE,

PAR

M. KLIPPEL, et PAUL BOUCHET,

Médecin de l'hôpital Tenon. Ancien prosecteur provisoire

à la Faculté.

CHAPITRE PREMIER

L'histoire clinique du sujet hémimèle dont nous publions ici la dissec-

tion, a fait l'objet d'un travail de l'un de nous en collaboration avec le

Dr Rabaud (1).

Nous rappellerons tout d'abord, et très brièvement, l'histoire de ce ma-

lade en renvoyant nos lecteurs au mémoire indiqué pour les détails qui

peuvent compléter notre étude anatomique.

L'individu est un garçon de 17 ans, de petite taille, ayant un aspect

infantile assez caractérisé. Il présente une lésion mitrale congénitale, un

palais ogival et une disposition vicieuse des deux incisives latérales supé-

rieures qui sont sensiblement en arrière de la ligne normale d'implanta-

tion. (Pl. LIV).

Son membre thoracique droit est représenté par son segment huméra

normal et par un segment antibrachial très court, terminé par une sorte

de palette de dimensions très réduites tenant lieu de main. L'avant-bras

mesure 7 centimètres en longueur ; sa petite base, inférieure, porte une

sorte de bourgeon charnu de 1 centimètre de long sur 2 de large, muni

de cinq tubercules. L'un d'eux sensiblement plus volumineux que les

voisins correspond incontestablement au pouce. (l'l. LV).

Le segment antibrachial est mobile sur le segment brachial ; l'individu

l'utilisait avec adresse pour saisir divers objets, les maintenir et les ser-

rer avec force. Mais les saillies digitales ne sont susceptibles d'aucun

mouvement.

Il) MM. KLIPPEL et Er. RABAUD, llémil1lélie thoracique droite. Revue de l'Ecole d'an*

thropologie de Paris, 1906, V, mai, p. 141-152.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL. LIV.

11EMIMELIE

AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS

(Klippel et Paul Bouchel).

Masson 1 : 1' Cie, Editeurs.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE. T. XX, PL. LV.

IIÉMIMELIE

AVEC ATROPHIE NUMERIQUE DES TISSUS

- (Kllppel et Paul Bouchel).

1\IA8150 : \ 1.'1 CI'. Editeurs.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE. T. XX, PL. LVI,

HÉMIMÉLIE

AVEC ATROPHIE NUMERIQUE DES TISSUS

{Klippel et Paul BOl/chet),

Radiographie du coude.

Ia55oa I : T ( ? I ? IWura.

HEMIMÉL1E AVEC ATROP111E NUMÉRIQUE DES TISSUS 291

La radiographie (PI. LVI) montre une extrémité inférieure d'.humérus

entièrement normale, un cubitus très reconnaissable, une extrémité

supérieure du radius légèrement réduite. Les deux os de l'avant-bras sont

réellement complets,mais brusquement réduits et très réduits quant à leur

diaphyse et leur épiphyse inférieure. Il n'existe ni carpe, ni métacarpe, ni

phalanges.

Pour marquer de suite l'intérêt que comporte une telle observation,

nous dirons que dans ce cas il y avait non seulement arrêt de croissance,

mais aussi anomalies multiples, portant en particulier sur le système

musculaire.

Après avoir décrit notre dissection en tous ses détails, nous revien-

drons sur l'enseignement pathologique et pathogénique que peut com-

porter notre cas.

L'autopsie a montré une lésion initiale qui a fait l'objet d'une thèse (1).

L'examen macroscopique de l'encéphale a démontré que le cerveau, à

l'oeil nu ne présentait pas de modification importante.

Le poids de l'hémisphère gauche était de 570 grammes.

Celui de l'hémisphère droit était de 563 grammes.

Le cervelet ne présentait qu'une altération, mais très importante, l'ab-

sence du corps dentelé du côté droit.

L'examen plus complet de l'encéphale sera fait et publié ultérieurement.

Dissection.

Nous avons pratiqué une amputation du bras droit, au tiers supérieur,

afin de pouvoir en pratiquer la dissection. Injection de solution de formol du

commerce (40 0/0) étendue d'un tiers d'eau, dans le tissu cellulaire superficiel

et profond, pour conserver la pièce dans un bon état.

Découverte, à la face interne du bras, au niveau de la section osseuse, du

nerf médian et d'une artère, petite, accolée à lui ; injection faite avec lenteur

d'une masse de suif coloré en rouge, par cette artère ; l'avant-bras et le bour-

geon représentant la main étaient plongés dans l'eau chaude pour cette injec-

tion du système artériel.

L'attitude de l'avant-bras et de l'ensemble du bourgeon représentant la main

est, au moment de la dissection, en supination, face palmaire et pouce en de-

hors, et en flexion légère sur le segment antibrachial.

L'extension complète ne peut être obtenue qu'avec effort ; elle est très diffi-

cile à maintenir; cependant elle n'est pas impossible, et, comme il n'y a pas

d'obstacle osseux s'opposant aux mouvements passifs de flexion et d'extension

à tous degrés, il est vraisemblable que cette attitude de flexion est due à la

rétraction des biceps et brachial antérieur, beaucoup plus développés dans le

cas présent, que la masse des extenseurs représentée par le triceps. L'injection

(1) Jesson, Nanisme el infantilisme cardiaques. Paris, 1905.

292 KLIPPEL ET BOUCHET

de formol au tiers a saisi en quelque sorte les tissus dans leur situation au

moment de la mort, et les a conservés dans cette attitude qui a apporté une pe-

tite difficulté dans la dissection et l'étude anatomique de cette hémimélie.

Au niveau du segment brachial, on trouve sous la peau dont l'aspect et

l'épaisseur sont normaux, une couche de graisse très abondante, du côté de

la flexion, à peu près nulle au niveau de la face postérieure; au niveau de ce

qu'on peut appeler les bords interne et externe du bras, la graisse sous-cutanée

n'a pas moins d'un centimètre* et quart d'épaisseur. La veine basilique est

grosse, située normalement, mais il n'existe pas de veine céphalique; la basi-

lique est la seule veine superficielle du segment brachial ; elle est environ d'un

tiers plus gros que la normale ; elle reçoit au niveau de la partie moyenne du

bras, perpendiculairement à son trajet, trois veinules petites, sans intérêt. Le

nerf brachial cutané interne est normal, mais l'accessoire du brachial cutané

interne est ahsent (Fig. 1).

Le muscle biceps brachial est volumineux et normal ; son expansion aponé-

vrotique est épaisse. Sur le bord interne de ce muscle cheminent le nerf mé-

dian, l'artère humérale et les veines satellites. L'artère et les veines passent,

au niveau de la partie moyenne du bras, à la face profonde d'un faisceau apo-

névrotique et un peu charnu, parti du bord interne du brachial antérienr et

allant se perdre sur la face antérieure de la cloison intermusculaire interne. Le

nerf médian passe sur la face antérieure de ce faisceau ; dans toute l'étendue

du bras, le nerf est franchement en dedans des vaisseaux. A la partie infé-

rieure du bras, au voisinage de l'expansion aponévrotique du biceps, les vais-

seaux numéraux perforent d'arrière en avant le faisceau musculo-aponévro-

tique du brachial antérieur sous lequel ils s'étaient engagés, puis cheminent

normalement au-dessous de l'expansion bicipitale.

Le muscle brachial antérieur est plus gros que sur un sujet normal ; c'est

le muscle le plus volumineux du membre tout entier, tant en largeur qu'en

épaisseur. Sur son bord externe, on trouve isolées sur une grande longueur,

les deux languettes nées des branches du V deltoïdien ; elles se fusionnent en-

suite, mais ne s'unissent au reste du muscle, qu'à la partie toute inférieure du

bras, alors que le tendon est déjà constitué ; un faisceau, dont nous avons parlé

plus haut, s'insère sur la face antérieure de la cloison intermusculaire interne;

largement étalé, il vient se fusionner, en bas, avec le tendon terminal.

Le coraco-brachial est absent.

Le nerf musculo- cutané innerve les biceps et brachial antérieur, comme

normalement. Le nerf radial chemine entre le brachial antérieur et le long su -

pinateur. Ce dernier muscle est également très développé; son insertion supé-

rieure remonte très haut, jusqu'au tiers supérieur de l'humérus. Il y a deux

chefs superposés dans le sens vertical, au niveau de cette insertion.

La cloison intermusculaire interne est large et forte; elle est formée et ren-

forcée par une insertion interne du brachial antérieur qui lui fournit les fibres

longitudinales, normalement fournies par le coraco-huméral absent ici,

La cloison intermusculaire externe est plus large et plus forte que l'interne,

ce qui est l'inverse de l'état habituel.

HÊMÏMÉUE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 293

Le triceps brachial est normal, plutôt peu développé, par rapport à la masse

des fléchisseurs. Le nerf cubital est à sa place.

Au niveau de la région du pli du coude, on constate que le réseau veineux

superficiel est composé essentiellement par une veine médiane venue de l'avant-

bras, recevant de la profondenr une veine communicante, et de la superficie

une veine radiale peu développée, et une veine cubitale superficielle plus mar-

quée ; de ce réseau émerge seulement la veine basilique du bras. L'artère fin-

mérale ne passe pas à la face profonde de l'expansion aponévrotique du biceps

dans toute son étendue ; elle la perfore bientôt d'arrière en avant et devient

superficielle dès la partie toute supérieure de la face antérieure de l'avant-bras.

Le tendon du biceps est énorme. Celui du brachial antérieur est encore plus

considérable; très largement étalé, et fort épais à la coupe, il a causé le déve.

xx 19

rig. 1.

a, Biceps brachial ; b, Brachial antérieur ; c, Long supinateur ; d, Nerf musculo-

cutané ; e, Nerf médian ; f, Doigts ; g, Humérus.

294 KLIPPEL ET BOUCHET

loppement prépondérant de l'apophyse coronoïde du cubitus. Nous insistons

tout particulièrement sur ce développement parallèle du tendon et de l'insertion

osseuse. \

L'épitrochlée est très saillante en dedans. Pas d'apophyse sus-épilrochléenne.

Les muscles de la face antérieure de l'avant-bras sont, les uns, externes, à

peu près verticaux, les autres internes, fortement obliques en bas et en dehors,

en raison de la forte saillie de l'épitrochlée ; enfin le court supinateur, très dé-

veloppé ici, normalement inséré, occupe la région profonde et externe.

L'avant-bras, dans l'ensemble, est extrêmement court ; d'ailleurs au sur et à

mesure qu'on va vers les doigts ou leurs rudiments, on assiste à un raccour-

cissement de plus en plus considérable, en raison inverse des puissances cubi-

ques, peut-ou dire approximativement. L'extrémité supérieure des os de

l'avant-bras est très développée, à peu près normale presque, comme dimen-

sions, ce qui est dû à ce fait que les muscles qui s'y insèrent : brachial anté-

rieur, biceps, court supinateur, triceps brachial, anconé, surtout, sont eux-

même développés et contrastent singulièrement avec le plus grand nombre

des muscles antibrachiaux absents, anormaux, ou complètement bouleversés

comme disposition et insertions, sans qu'on puisse les rattacher au premier

abord à des muscles normaux. Aussi le corps et surtout les extrémités inférieu-

res des os de l'avant-bras sont brusquement réduits et très fortement réduits.

La diminution de volume des os et des autres tissus de l'avant-bras est immé-

diate et non progressive de haut en bas sur cet avant-bras; elle commence

presque subitement au-dessous d'un plan passant par la tubérosité bicipitale

du radius.

La graisse sous-cutanée est excessivement abondante et épaisse, jusqu'à

deux travers de doigt, au tiers supérieur de la face antérieure ; elle est abon-

dante, quoique moins épaisse, sur tout le reste de l'avant-bras.

Du côte interne de la face antérieure, partant de la région épitrochléenue,

on voit deux muscles superficiels : l'un représente exactement le rond prona-

teur, l'aytre est une formation spéciale, ainsi que nous verrons.

Le rond pronateur est double dans toute son étendue, et présente un chef

superficiel et un chef profond. Le chef superficiel présente des insertions sup-

plémentaires sur la cloison intermusculaire interne, et sur l'expansion aponé-

vrotique du biceps ; le chef profond, sur le tendon du brachial antérieur, et

sur l'angle interne du cubitus. L'artère radiale qui est d'abord très superfi-

cielle, au pli du coude, s'engage bientôt entre les extrémités externes des ten-

dons radiaux des deux chefs du rond pronateur, puis perfore d'arrière en avant

le tendon radial du chef superficiel, pour redevenir superficielle.

Plus en dedans, il y a un gros muscle (/, lig. 2) s'insérant l'épitrochlée, à

la face antérieure de l'extrémité supérieure du cubitus, à la face profonde de

l'aponévrose antibrachiale, à une cloison qui le sépare du rond pronateur, et

au quart supérieur de la crête postérieure du cubitus, par un tendon aponévro-

tique. Ce muscle est oblique en bas et en dehors, vers le bord interne de ce

qui représente la main ; à sa partie inférieure, il se termine par un tendon

(le, fig. 3) très largement étalé sur la face antérieure de la main, formation

UÉMIMÉL1B AVEC A'l'IiOI'111G NUMÉlllQUE DES TISSUS 295

tendineuse qui se perd, sans limites précises, d'une part à la face profonde de

la peau, d'autre part au tissu fibreux dense situé aux lieu et place des os du

carpe et du métacarpe absents ; en outre cette formation se continue du côté

radial avec une autre formation tendineuse venue d'un muscle externe, qui

semble être le long supinateur, ces deux formations constituant ainsi par leur

réunion une sorte d'aponévrose. Ce muscle est innervé par un rameau du mé-

dian.

Cette formation musculaire (k) représente la partie superficielle du pronato-

flexor mass dont parle Humpliry, et qui, après la cinquième semaine de la vie

embryonnaire, forme, non encore dilrérenciés, les fléchisseur commun super-

ficiel des doigts, grand palmaire, petit palmaire, cubital antérieur. C'est la por-

lion la plus interne de cette masse, qui est la plus avancée en développement

et différenciation (futur cubital antérieur).

Ces muscles une fois sectionnés, c'est-à-dire la couche superficielle élimi-

née, on constate que la couche musculaire profonde est très réduite et très inti-

,

Fig. 2. - Avant-bras (plan superficiel).

a, Long supinateur ; b, Court supinateur ; c, Deuxième radial externe ; d, Faisceau

profond du rond pronateur ; e, Artère radiale ; ? Tendon du long supinateur ;

g, Tendon du brachial antérieur ; h, Nerf médian ; i, Artère radiale ; j, Artère

cubitale ; k, Rond pronateur ; l, Formation musculaire anormale; m, Portion ten-

dineuse du rond pronateur perforée par l'artère radiale ; n, Expansion tendineuse

de l, s'unissant au tendon f du long supinateur, et à o, l'aponévrose palmaire ;

o, Aponévrose palmaire.

296 KLIPPEL ET BOUCHET

mement accolée au périoste. Elle est représentée par deux faisceaux muscu-

laires dont la disposition est la suivante : l'un d'eux (b , fig. 3), plus

externe, va de la face inférieure de l'apophyse coronoïde du cubitus et de la

partie de la face antérieure du corps du cubitus immédiatement sous-jacente

au tubercule coronoïdien, et, peu épais, mais assez large, va s'attacher par

des insertions purement charnues sur le tiers moyen de la face antérieure,

assez étroite, du corps du radius ; l'autre faisceau musculaire (c), fort mince,

mais étalé, part de la partie moyenne de la face interne du corps du cubitus,

et oblique en bas et en dehors, et se perd sur la partie inférieure de la face

antérieure du cubitus, près de l'épiphyse inférieure. Ces deux faisceaux

représentent une partie de la couche profonde du pronato-flexormass.

Il n'existe pas de carré pronateur; à ses lieu et place, il y a un trousseau

fibreux très épais qui va obliquement de la face antérieure de l'extrémité infé-

rieure du radius en dehors, vers la région correspondante du cubitus en de-

dans et en bas ; mais ce trousseau fibreux ne descend pas très bas. Derrière

lui, passe une branche artérielle qui semble être l'interosseuse antérieure.

Fig. 3.

a, Biceps brachial ; b, Artère radiale sectionnée ; c, Rond pronateur ; d, Tendon du

long supinateur ; e, Doigts ; f, Nerf médian et ses divisions ; g, Tendon du bra-

chial antérieur ; h, Artère cubitale ; i, Court supinateur ; j, Muscle anormal ;

k, Son tendon inférieur ; l, m, Faisceaux musculaires anormaux représentant la

couche profonde.

HÉMIMÉL1E AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 297

A la région profonde et externe, on trouve le court supinateur extrêmement

développé, avec insertions normales. '

Le nerf médian innerve le rond pronateur et les deux muscles épitrochléens

superficiels dont nous avons parlé ; le nerf cubital innerve les deux faisceaux

musculaires internes profonds ; dès la partie moyenne de la face antérieure de

l'avant-bras, ces nerfs envoient des filets à la peau et s'éparpillent en faisceaux

ténus ; leurs troncs cessent d'exister.

L'artère humérale,au pli du coude, donne en dehors une branche volumineuse

qui passe à la face profonde du tendon du biceps, chemine au-dessus des inser-

tions supérieures du court supinateur et se perd dans l'anconé près de son

insertion épicondylienne ; cette artère a un trajet descendant dans son ensem-

ble. Peu après; l'humérale donne une artère radiale qui est très superficielle

d'emblée jusqu'aux tendons du rond pronateur entre lesquels elle passe, pour

perforer bientôt d'arrière en avant le faisceau tendineux superficiel du rond

pronateur ; la radiale redevenue superficielle, va ensuite contourner le bord

externe du radius, et passe entre deux faisceaux tendineux appartenant au long

Fig. 4.

a, Nerf radial ; b, Tendon du biceps ; c, Court supinateur ; d, Cloisons intermus-

culaires ; e, Tendon du brachial antérieur ; f, Face antérieure du cubitus.

298 KLIPPEL ET BOUCUET

supinateur pour arriver à la face dorsale de la région représentant le carpe,

où elle devient extrêmement grêle, filiforme, et où elle se perd. L'humérale

donne ensuite au même point la cubitale, qui va passer à la face profonde du

rond pronateur et se perd en vascularisant par quelques branches les muscles

superficiels et profonds de la région interne, puis les deux artères interosseuses,

toutes deux grêles ; l'interosseuse postérieure toutefois est assez grosse pen-

dant 2 centimètres, puis elle devient filiforme au moment où elle a gagné la

Fig. 5. Vue latérale externe,

a, Nerf radial ; b, Humérus ; c, Biceps ; d, Branchial antérieur ; e, Court supinateur.

Fig. 6.

a, Radius ; b, Apophyse styloïde ; c, Long supinateur ; d, Aponévrose palmaire ;

e, Doigts.

HÉMTMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 299

face postérieure de l'avant-bras après avoir émis une branche récurrente ra-

diale postérieure, extrêmement grêle, qui va se perdre dans l'anconé et face

postérieure de l'articulation du coude, huméro-radiale.

A la face postérieure et externe de l'avant-bras on voit d'abord l'anconé,

volumineux et normal ; on constate que son innervation et sa vascularisation

Fig. 7.

Fi ! ? . S.

300 KL1PPEL ET BOUCHET

sont normales. Puis, plus en dehors, se distinguent trois muscles, dirigés lon-

gitudalement suivant l'axe de l'avant-bras et parallèles entre eux. Le plus

externe (h, fig. 9) est visiblement un chef du long supinateur dédoublé ;

à sa partie inférieure ce muscle large conserve son dédoublement au niveau

de sa partie tendineuse (fig. 6) : un faisceau solide, en forme de gros cordon,

s'attache à la partie inférieure de la face externe du corps du radius, à un

travers de doigt de l'apophyse styloïde, ce qui est appréciable si on se reporte

aux dimensions des os dans le cas présent ; un autre faisceau, étalé, continue

son trajet vertical et aborde le bord externe et la face postérieure de la région

correspondante au carpe et au métacarpe, où il s'étale sans limites précises

sur le tissu fibreux dense de la région ; entre ces deux tendons passe l'artère

radiale. Sur la face postérieure de l'avant-bras, on voit ensuite un muscle

(i, fig. 9) qui a des insertions supérieures analogues à celles qui sont normale-

ment celles du muscle deuxième radial externe : même insertion épicondylienne,

même attache sur le bord convexe d'une arcade fibro-tendineuse épicondylo-

radiale ; mais à sa partie inférieure, ce muscle s'attache très fortement par un

tendon cordiforme au bord postérieur du radius demeuré saillant à sa partie

inférieure contrairement à la normale ; cette insertion se fait à un centimètre

au-dessus de l'extrémité inférieure de l'os.

Fig. 9. - Face postéro-externe.

a, Longue portion du triceps ; h, Vaste externe ; c, Tendon du triceps ; d, Olécrane ;

e, Anconé ; f, Humérus ; g, Épicondyle ; h, i,j, Trois muscles anormaux; Is, Radius.

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 301

Enfin le troisième muscle longitudinal (j, fig. 9), situé entre le précédent

et le muscle anconé, s'insère sur la face postérieure de l'épicondyte, près de

son bord externe, et sur l'arcade fibreuse épicondylo-radiale, ainsi que sur

un petit faisceau tendineux qui le sépare du muscle longitndinal voisin ; ce

muscle ne tarde pas à longer dans presque toute son étendue la gouttière qui

sépare le radius du cubitus, en arrière ; à la partie inférieure, devenu tendi-

neux, il passe dans le fond de cet interstice, puis s'éparpille aussitôt à la face

dorsale de ce qui représente le poignet et la main, s'attachant sur le tissu

fibreux dense qui constitue leur squelette.

La masse représentée en h, est constituée par le long supinateur et les deux

radiaux externes contigus, non différenciés ou à peine, comme ils le sont dans

le deuxième groupe des extenseurs, après la 5° semaine de la vie intra-uté-

rine, 1 ? et te partie. En j, sont représentés les extenseurs communs, cubital

postérieur, extenseur propre du petit doigt, non différenciés. Peut-être le

muscle figuré en i représente-t-il l'ensemble des muscles du pouce, arrêtés

dans leur développement, 3e groupe des extenseurs, non différenciés (après la

5e semaine intra-utérine).

Profondément par rapport à la partie supérieure de ces muscles, on trouve

la face postérieure dn court supinateur, normal.

Telle est toute la musculature de la face postérieure de l'avant-bras ; tous

ces muscles sont innervés par le radial.

Au niveau du poignet, de la main et des rudiments de doigts, il n'est

possible de rien disséquer : depuis l'extrémité inférieure des os de l'avant-bras

jusqu'à l'origine des doigts, il n'y a guère que l'étendue de deux centimètres

et demi ; là, il n'y a que de la peau très épaissie, un peu de graisse, et sur-

tout un épais tissu fibreux dense, criant sous le bistouri, sans noyaux dis-

tincts ; sur la face antérieure et sur la face postérieure de ce tissu fibreux,

se perdent les trousseaux aponévrotiques résultant de l'épanouissement de

tendons que nous avons décrits.

Fig. 10.

a. Radius; b, Cubitus ; ç, Olécrane ; d, Espace interosseux.

302 KLIPPEL ET BOUCHET

L'articulation du coude est normalement constituée. La cavité olécrânienne

est extrêmement large et profonde. La cupule du radius a un biseau bien dé-

veloppé ; mais le fond de la cupule est dépourvu de cartilage et présente un

aspect poreux ; un repli falciforme, en forme de bourrelet fibreux épais fait

saillie dans l'interligne huméro-radial à sa face postérieure; anormalement

développé, il est en grande partie interposé entre le radius et l'humérus qui,

même à angle droit, sont relativement éloignés l'un de l'autre. -

L'extrémité inférieure des os de l'avant-bras est aussi petite que leur extré-

mité supérieure est grosse, et elle se termine en petites spatules avec un véri-

table bord distal dirigé d'avant en arrière.

CHAPITRE II

A.- Nous donnons ici la relation des observations d'hémimélie que nous

avons pu recueillir dans la littérature. Pour bien faire mettre en relief

les différences qui séparent l'hémimélie vraie de l'amputation congénitale,

nous faisons précéder la série des observations d'hémimélie, d'un cas

type d'amputation congénitale appartenant à Mouchotte, et de quelques

considérations tirées de deux thèses récentes sur cette difformité. On ne

doit plus dire en effet : hémimélie par amputation congénitale; ce sont

deux lésions totalement différentes; la seconde indique elle-même sa

cause, quelquefois même sa cause anatomique déterminante, la première

indique un arrêt de développement dont il sera désormais parfois possible

de fixer la date originelle, sinon toujours la cause première.

L'argument de Mathias-Duval, à savoir que « l'hémimélie ne correspond

à aucune phase embryologique, à aucun stade du développement » porte

absolument il faux, comme l'ont montré Klippel et Rabaud. « Sans doute,

Fig. 11.

Moelle cervicale (à la 8e paire cervicale)

Nombre de cellules : côté sain 33 ; côté atrophié 18.

11GDIIMLLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 303

écrivent-ils, si l'on considère l'individu dans son ensemble, il n'est aucun

moment de l'évolution embryonnaire qui correspond à la morphologie de

l'hérnimèle. Si même on restreint la comparaison au membre supérieur

seul, on ne trouve pas un stade où le segment humerai étant développé,

les segments antibrachial et carpo-métacarpien soient à ce point dispro-

portionnés. C'est l'inverse que l'on pourrait à la rigueur observer, c'est-à-

dire une phase correspondant grossièrement à la phocomélie. Mais, en se

plaçant au point de vue comparatif, ce qu'il importe d'opposer, ce sont

strictement les parties atteintes aux parties de même nom normalement

formées. Or il est incontestable que la main de l'hémimèle rappelle d'une

façon suffisamment exacte une phase connue du développement de cette

région du corps ; que, de même, la majeure partie de l'avant-bras se rap-

porte à une phase du développement morphologique. »

C'est précisément ce que nous montrerons. ,

B. - Quelques documents relatifs à l'amputation congénitale.

1. - OSMONT, Contribution à l'étude des amputations congénitales.

Thèse Paris, 1892.

Le sillon est le premier degré de la lésion ; il peut exister seul et ne pas

continuer son évolution. Il peut, en s'accentuant, amener l'amputation. Dans

ce cas, la présence de brides amniotiques n'est plus nécessaire pour produire

cette amputation, le tissu cicatriciel qui forme le fond du sillon agissant à la

façon d'un lien élastique.

Il Llroniuc, Recherches sur les amputations congénitales,

Thèse Paris, 1893.

Les amputations congénitales, que l'on connaît bien seulement depuis le

mémoire de Montgomerry, sont des mutilations et non des malformations.

On explique les amputations congénitales par deux sortes de causes :

4° Une cause externe, agissant par compression sur les parties foetales,

brides amniotiques ou cordon (Montgomerry, Schoeffer, Zagowski, A. Moreau,

Martin d'Iéna) ;

2° Une cause interne, d'ordre histologique, amenant par rétraction des

tissus l'amputation du membre (Kristeller, Menzel, Longuet). '

Il existe enfin une théorie éclectiqne qui veut que les causes précédentes se

réunissent dans certains cas pour produire l'amputation (Horteloup, Fournier,

Reclus).

III. - J. Mouchotte, Observation d'amputation congénitale de l'avant~bras

gauche. Soc. anat., Paris, 1903, p. 750.

Enfant Dav..., 6 ans. Né plus gros et plus fort que ses autres frère et soeur.

304 KLIPPEL ET BOUCHET

Présentait à la naissance un moignon brachial gauche, sans aucune malforma-

tion concomitante. Pas de maladie jusqu'à 4 ans 1/2.

A 4 ans 1/2, rougeole compliquée d'ophtalmie purulente. Depuis, l'enfant

tousse toujours un peu ; il est pâle, délicat. Actuellement il a de l'impétigo.

Le moignon brachial gauche est conique. Il est constitué par l'humérus

correspondant dont la longueur est la même que celle de l'humérus droit, et

par une très courte partie anti-brachiale. La circonférence prise au milieu du

bras du membre amputé est de 15 centimètres ; celle du membre droit sain,

de 17 centimètres 1/2. L'extrémité du moignon peut être légèrement fléchie

et la palpation y révèle une dureté osseuse. La radiographie montre, à ce ni-

veau, au-dessous de l'humérus, deux petits fragments appartenant aux os am-

putés.

Un peu en retrait sur l'extrémité du moignon, on constate une cicatrice

déprimée.

C. Observations d'hémimélie.

I. ALBRECHT, De infante trunco sine artubus, dans les Act. natur. cur.,

t. V, obs. XXII, 1740.

L'auteur a figuré et décrit avec soin un enfant mâle de 15 mois, dont les

quatre membres étaient affectés d'hémimélie. Les testicules n'étaient point

descendus dan s le scrotum. La mère attribuait la singulière conformation de

son enfant, à des statues mutilées, dont la vue l'avait frappée pendant la gros-

sesse.

II et III. - ISIDORE GEOFFPOY Saint-Hilaire, Histoire générale

et particulière des anomalies de l'organisation, 1836, t. II, p. 214.

(Genre II, Hémimèles, de ;zi, demi, et pD.o" membre).

L'auteur rapporte deux cas :

I. - Une jeune fille, privée presque complètement des membres inférieurs,

avait le membre supérieur droit bien conformé, et le gauche affecté d'hémimé-

lie ; le bras de ce côté existait seul ; son volume était normal, et on sentait

distinctement sous la peau un humérus terminé par deux condyles très bien

formés, quoique n'étant articulés avec aucune autre partie osseuse. Le membre

se terminait en un moignon hémisphérique, portant à sa partie inférieure un

très petit lobule, de forme arrondie, qui paraissait être un doigt rudimentaire.

IL Enfant de deux ans, dont le bras droit était représenté par un moi-

gnon comparable à celui qui résulterait de l'amputation du bras au-dessous du

coude. Le bras gauche et l'un des membres inférieurs étaient aussi affectés

d'hémimélie, mais avec des conditions un peu diverses.

IV. - LE CADRE, Monstruosité par défaut ou privation des extrémités

abdominales et de l'avant-bras gauche. Soc. Biologie, 1852.

Femme de 30 ans. Le bras droit est normal, mais le bras gauche n'a que

l'humérus et ressemble à un moignon d'amputé. On n'y voit aucun rudiment

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 305

d'avant-bras ni de main, seulement une empreinte circulaire dans un point et

vis-à-vis un corps mou pédiculé immobile, long tout au plus de 3 centimètres;

à travers les téguments, on sent les deux tubérosités de l'humérus, mais rap-

prochées l'une de l'autre, de sorte que l'os, au lieu d'être aplati d'avant en ar-

rière, est presque arrondi.

A la place des extrémités inférieures existent deux moignons longs tout au

plus de 18 centimètres, de la grosseur d'une cuisse ordinaire, et en rapport

avec l'obésité du sujet, permettant par leur mobilité au sujet de s'asseoir sur

un tabouret. Le moignon gauche offre à sa base un gros orteil muni de son on-

gle ; ce gros orteil présente deux phalanges qui se meuvent librement, et une

articulation de la première phalange avec un segment du fémur : on sent cette

articulation à travers les chairs, mais cette exploration est douloureuse. Mais

c'est le moignon gauche qui offre à l'observation les particularités les plus in-

téressantes : au lieu d'un orteil, on y voit une espèce de mamelon mou, sans

os à l'intérieur, resserré à sa base par une sorte de sphincter, et immobile.

V. - BLACHEZ, Hémimélie bithoracique.

Soc. anat., Paris, 1856, p. 281-284.

Dissection. - Sujet mâle mort à 2 mois.

Les deux membres supérieurs sont réduits de chaque côté à un fragment

d'humérus qui comprend tout le tiers supérieur, c'est-à-dire la portion deltoï-

dienne. A droite, l'os est un peu plus long qu'à gauche ; il se termine par une

extrémité très légèrement taillée en biseau, absolument comme s'il y avait eu

fracture en cet endroit. On ne trouve aucune trace, aucun rudiment d'avant-

bras, ou de main. Les muscles grand pectoral, petit pectoral, deltoïde, sont

très bien développés. Les parties sont exactement dans l'état de développement

où elles seraient, si une section transversale avait été portée sur l'humérus au

niveau de la jonction de son tiers supérieur. La portion supérieure du triceps

est assez développée, et les faisceaux musculaires, très courts, s'insèrent sur

le fragment osseux dans toute leur étendue ; ils vont en s'amincissant et en

s'effilant à leur partie inférieure. L'extrémité inférieure de l'os fait saillie sous

la peau.

La cuisse gauche n'a que 4 centimètres ; les muscles ont leur insertion nor-

male. La cuisse du côté droit n'est représentée que par un rudiment ostéo-

fibreux, un peu renflé au niveau des tubérosités du tibia avec lequel il s'arti-

cule incomplètement, et qui ne se continue pas jusqu'au bassin. Les muscles

coxo-fémoraux s'insèrent sur le tibia à la partie supérieure. Le grand fessier

est bien développé à la partie externe au-dessous de la tubérosité articulaire ;

les adducteurs au même niveau, mais à la partie interne. Ces muscles circons-

crivent une espèce de pyramide à parois musculaires, dans l'intérieur de la-

quelle on ne sent qu'un rudiment ostéo-fibreux, qui n'offre aux muscles aucune

insertion.

306 KLll'l'EL ET BOUCLIET

VI. GOURIET (de Niort), Exemple curieux d'anomalies multiples.

Gaz. des hôpitaux, 1857, p. 15.

Hémimélie thoracique gauche ; la main et l'avant-bras étaient absents ; il

existe seulement un faible rudiment du radius et du cubitus.

VU. - TAssiN, Hémimélie thoracique droite.

Bull. Soc. méd. de l'Yonne, 1870, p. 10.

Enfant de 5 mois. Il y a au coude un rudiment composé de la naissance des

os radius et cubitus avec quelques os du carpe, le tout formant un moignon

arrondi, à l'extrémité duquel se trouve un doigt (l'index), parfaitement con-

formé.

La mère, étant enceinte de six semaines, a éprouvé une grande impression

à la vue d'un mendiant qui lui exhiba un moignon de bras ayant l'aspect de

celui de son enfant.

VIII. Troisier, Hémimélie thoracique droite. Examen de la moelle

épinière. Société anatomique, juillet 1871, p. 140-142.

Marie C..., morte à l'âge de 6 mois, dans le service de M. mollard, à l'hô-

pital de la Pitié, présentait, depuis sa naissance, la monstruosité suivante :

l'avant-bras est remplacé par un moignon de 4 centimètres de longueur, ce moi-

gnon se termine par une surface arrondie sur laquelle on remarque un petit

tubercule cutané et deux plis de la peau, dont l'un adhère aux parties profon-

des. Le mamelon offre lui-même latéralement une petite saillie hémisphérique

d'une consistance assez ferme. En aucun point on ne trouve de cicatrice.

Le coude est bien conformé et jouit de tous les mouvements propres à cette

articulation.

Le bras est long de 7 a 8 centimètres, et il ne paraît pas y a avoir de diffé-

rence de longueur ni de volume avec le gauche.

L'épaule gauche est aussi bien développée que la droite. Cette enfant ne

présentait point d'autre difformité.

Sa mère est atteinte d'un rhumatisme articulaire chronique du cou-de-pied

et du poignet du côté gauche, qui débuta trois semaines environ avant son

accouchement. Elle est accouchée précédemment de 3 enfants nés vivants et

bien conformés.

Dissection du membre. - Le cuhitus a 3 centimètres et demi, le radius n'en

a que deux. Le radius est situé en avant du cubitus et offre une courbure dont

la concavité regarde en dedans et en arrière, de sorte que son extrémité infé-

rieure est relevée vers le cubitus qui se trouve situé un peu plus haut et sur

un plan postérieur. Ces os présentent en raccourci la forme de leurs congénè-

res : leurs extrémités supérieures ont une conformation normale et s'articulent

avec l'humérus. Le corps du cubitus présente trois faces ; sur le corps du ra-

dius on remarque deux tubérosités, l'une qui est située immédiatement au-des-

sous de la tête (tubérosité bicipitale), l'autre à la partie moyenne de l'os, et

qui représente les rugosités qui se voient à l'état normal sur la face externe.

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 307

Enfin, les extrémités inférieures de ces os sont épaisses et rappellent la con-

formation des extrémités des os normaux. Elles sont rattachées l'une à l'autre

par un fort ligament qui représente le ligament triangulaire. Deux autres liga-

ments partent des deux apophyses styloïdes et s'insèrent à la face profonde de

la peau, au niveau des plis que nous avons signalés sur le moignon. Il existe

une articulation radio-cubitale inférieure.

Les muscles de la région antérieure de l'avant-bras peuvent être divisés en z

2 groupes, dont les insertions supérieures sont normales, et dont les inférieu-

res se font, pour le groupe superficiel, à la tubérosité de la face externe du

radius, et pour le profond à l'extrémité inférieure du radius et à la peau.

(légion externe. - Les insertions du court supinateur sont normales, les in-

sertions inférieures du long supinateur et des radiaux se font à la peau de l'ex-

trémité du moignon. Les muscles de la région postérieure confondent en partie

leurs insertions inférieures avec celles des muscles de la région externe.

L'artère humérale se divise, au niveau du pli du coude, en 5 ou 6 petits ra-

meaux qui se distribuent aux muscles et au tissu cellulaire sous-cutané.

Les principaux nerfs de l'avant-bras sont représentés par des cordons ner-

veux bien développés et se terminent par des filets excessivement déliés qui

se perdent dans la peau du moignon. Le tubercule cutané ne reçoit ni fibres

musculaires ni filet nerveux apparent.

Moelle épinière. Après durcissement dans une solution faible d'acide cbro-

mique, on remarque, sur des coupes faites transversalement au niveau du ren-

dement cervical, une diminution de volume portant sur le côté droit. La diffé-

rence entre les deux moitiés de la surface de section est appréciable à l'oeil nu,

mais beaucoup plus visible il un faible grossissement ; elle est très prononcée

dans le quart, inférieur du renflouement, où elle est de près de 1 millimètre

dans le sens transversal. Elle est moindre dans les parties supérieures et

n'existe plus dans la région sous-bulbaire ; elle s'atténue également de haut en

bas, et les deux moitiés sont parfaitement égales dans toute la hauteur de la ré-

gion dorsale. Mais, au niveau du renflement dorso-lombaire, on retrouve une

asymétrie, cette fois en sens inserse; elle est fort peu marquée, et cette par-

ticularité tout à fait inattendue ne peut être expliquée par une différence entre

les deux membres inférieurs.

L'amoindrissement porte sur les deux substances de la moelle, mais surtout

sur la substance grise.

A un fort grossissement, on ne remarque aucune modification histologique

des éléments nerveux, tubes et cellules ; leurs dimensions sont les mêmes des

deux côtés, mais ils sont bien moins nombreux à droite qu'à gauche ; on a pu

faire le dénombrement des cellules des cornes antérieures et, sur toutes les pré-

parations, il y a une diminution notable du nombre de ces éléments de la

corne du côté droit : ainsi, dès le quart inférieur du renflement cervical, on

en compte 42 à droite et 125 à gauche ; vers la partie moyenne, 97 à droite

et 140 à gauche.

Les vaisseaux et la névroglie ne présentent aucune altération de structure.

Le canal central de la moelle offre des dimensions normales.

308 KLIPPEL ET BOUCHET

IX. - M. BLAIN, Hémimélie thoracique droite ; conformation normale du

bras, avant-bras rudimentaire . Soc. anat. Paris, juillet 1873 (p. 599-600).

Femme morte phtisique à la Maternité, trois semaines après être accouchée

de deux jumeaux bien conformés.

Le bras se terminait au-dessous du coude, par une sorte de moignon coni-

que, terminé par 2 petits tubercules. L'articulation du coude existait évidem-

ment, car ce petit moignon était susceptible de mouvements rudimentaires.

La peau, à l'extrémité du tronçon autibrachial était épaisse et rugueuse; elle

ne présentait pas la moindre trace de cicatrice, mais on voyait 2 petits tuber-

cules cornés, paraissant adhérer aux parties profondes, et qui semblaient le

rudiment des doigts.

Dissection. L'humérus était aussi long que le gauche, mais plus grêle. Les

deux os qui constituaient le squelette rudimentaire de l'avant-bras n'avaient pas

plus de 7 à 8 centimètres de longueur. L'articulation huméro-cubitale était à

peu de chose près normale, sauf que les os de l'avant-bras étaient bien plus

petits que de coutume et qu'ils étaient dirigés de façon à converger immédia-

tement l'un vers l'autre.. Le système musculaire du bras était complet ; mais

les muscles, notamment le biceps, étaient peu développés et atrophiés. Le

tendon du biceps venait s'insérer à une rugosité de l'un des petits os, qui re-

présentait le radius. On y voyait aussi une rugosité pour l'insertion de ce

qui devait être le rond pronateur. Enfin le brachial antérieur s'insérait à la

coronoïde cubitale. Mais au-dessous, les os allaient s'effilant brusquement et

se terminant en pointe, et les insertions tendineuses devenaient confuses. Les

deux tubercules de la peau correspondaient aux extrémités des os, mais ne

leur adhéraient pas, contrairement à ce que l'on aurait cru d'aburd. Il n'exis-

tait ni rudiments de phalanges, ni tendons y aboutissant. Plexus brachial et

ses branches terminales grêles. L'artère au contraire avait le même volume

des deux côtés ; elle se bifurquait au niveau du coude, en deux branches tout

à fait rudimentaires.

X. - CHANCEREL, Hémimélie congénitale. Circonstances occasionnelles.

Année médicale de Caen, 1876, p. 6.

L'auteur relate un cas d'hémimélie abdominale ; il a fait l'amputation pour

faire appliquer une jambe artificielle à pied articulé. La mère avait vu, durant

la gestation, un mendiant dont le corps, outre la tête, était réduit au tronc et à

'un seul bras, dont il se servait pour progresser, même assez vite, en les proje-

tant en avant, d'un mouvement alternatif, comme les branches d'un compas.

XI. A.' JEAN, Cas d'hémimélie (avant-bras gauche).

Société anatomique de Paris, mars 1877, p. 144-146.

Il s'agit d'un malade de 53 ans, du service de M. Dieulafoy. Bras gauche

moins volumineux que le droit, à muscles moins forts ; 3 centimètres de lon-

gueur en moins. Avant-bras représenté seulement par un moignon de 10 cen-

timètres de long. Au sommet du cône, on constate une petite dépression sur

montée d'une légère saillie. A 3 centimètres en dedans, sur le bord interne,

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPUIE NUMÉRIQOE DES TISSUS 309

deux petits tubercules réunis pas plus gros qu'une noisette, ne paraissent

constitués que par des parties molles ; cependant on sent profondément une sorte

de corde fibreuse qui les rénnit au cubitus. En arrière du sommet du cône et à

1 cent. 1/2 au-dessous, il y avait un autre tubercule un peu plus volumineux,

dans l'épaisseur duquel était un os très mobile inséré sur le radius.

Dissection du moignon. - Les muscles de la région externe de l'avant-bras

existent, mais avec des dimensions très petites. Le premier muscle, le plus su-

perficiel, représente le long supinateur et s'insère inférieurement à la partie

inférieure de l'os externe qui remplace le radius. Le court supinateur est nor-

mal, les deux radiaux externes s'insèrent au sommet du cône à la face profonde

de la peau. Parmi les muscles de la région antérieure on ne distingue que le

cubital antérieur et le fléchisseur des doigts, insérés tous deux à la face pro-

fonde de la peau. A la région postérieure, on trouve l'extenseur des doigts in-

séré à la peau, et le cubital postérieur inséré sur le petit os mobile à l'extrémité

inférieure du cubitus, et représentant probablement le 58 métatarsien. Le bi-

ceps s'insère sur un tubercule situé à la place ordinaire de la tubérosité bici-

pitale, de telle sorte que pendant la vie, les mouvements de supination étaient

conservés.

Le cerveau a été examiné avec soin ; on n'y a constaté aucune lésion corti-

cale ou centrale. La moelle ne présentait aucune altération à l'oeil nu, mais elle

n'a pas été examinée au microscope. '

XII. En. MARTIEN et MAURICE LETPLLE. Contribution à la tératologie.

Monstre unitaire. Iémimélie, Journal d'anatomie et de physiologie. Paris,

1877 (p. 371-390).

Sujet masculin de 5 mois. Les 4 membres sont le siège d'un vice de confor-

mation.

Dissection. - Membre supérieur droit. La malformation ne remonte pas

plus haut que le poignet.

En palpant profondément, on discerne aisément le le, métacarpien et les

deux phalanges du pouce ; puis, sur le bord externe, le 2e métacarpien; enfin,

au bord cubital, on a la sensation d'un dernier métacarpien. Dans l'espace in-

tercepté entre ces deux derniers os, on cesse de sentir d'autres os, et on est

certain que les métacarpiens de l'annulaire et du médius font défaut.

On sent la mobilité d'une première phalange sur la tête métacarpienne ; de

même au bord cubital. Ces deux premières phalanges se terminent par des

portions osseuses libres, articulées, qui sont bien des phalangines et des pha-

languettes : la phalangette de l'index se déjette en dedans et vient se fondre avec

la partie osseuse voisine.

Membre supérieur gauche : ici non plus, il n'y a que la main qui soit atteinte

par la malformation. Cette main comprend une région carpienne et deux appen-

dices qui rappellent assez bien une pince d'écrevisse. Son volume est moindre

que celui de la main droite.

Membre supérieur droit : les muscles du bras ne présentent rien à signaler.

A l'avant-bras, tous les muscles épitrochléens, sauf le petit palmaire, existent,

xx 20

310 KLIPPEL ET BOUCHET

avec un aspect normal supérieurement; maisinférieurement.le grand palmaire

va à l'extrémité supérieure de l'os que nous avons considéré comme le zu mé-

tacarpien ; le cubital s'insère sur un os pisiforme.

A la région profonde de l'avant-bras, le fléchisseur commun superficiel est

représenté par deux faisceaux charnus qui seraient destinés à l'index et à l'au-

riculaire ; le fléchisseur commun profond, également divisé en deux masses

volumineuses, écartées.

Il n'y a pas de lombricaux, mais il y a deux interosseux palmaires et un

dorsal.

Membre supérieur gauche : Les muscles du bras sont normaux. L'avant-bras

est normal dans son plan antérieur et superficiel, à part l'absence du petit pal-

maire qui, du reste, n'est pas constant à l'état normal. L'anomalie commence

à la région profonde et antérieure de l'avant-bras qui offre cinq masses distinc-

tes, mais dont les éléments, au point de vue des insertions et des rapports,

sont considérablement altérés. C'est ainsi qu'au lieu de trouver les insertions

supérieures limitées des fléchisseurs, nous voyons, de dehors en dedans :

1° Un muscle anormal, qui nous représente le fléchisseur commun superficiel,

lequel, au lieu d'être épitrochléen, s'insère aux 3/4 supérieurs de la face anté-

rieure du radius et au bord externe de cet os. Au niveau du poignet, il donne

naissance à un large tendon aplati qui, traversant la gouttière carpienne dans

une gaine propre, se perd un peu plus bas dans le ligament annulaire et dans

l'aponévrose palmaire qu'il contribue à constituer ;

2° Plus en dedans et sur le même plan, il y a une autre masse musculaire

qui représenterait pour nous le faisceau coronoïdien du fléchisseur. Cette

masse musculaire, plus grêle, se fixe à la partie inférieure de l'apophyse coro-

noïde. A peine né, ce faisceau se bifurque et donne deux chefs descendant pa-

rallèlement au grand palmaire, vers la partie inférieure de l'avant-bras : l'ex-

terne se jette sur le tendon du muscle précédent ; l'interne donne bientôt nais-

sance à un tendon très effilé qui se perd dans le ligament annulaire du carpe,

ou plutôt sur les tractus fibreux qui comblent l'espace des deux doigts de la

pince.

3° Le 3" faisceau est constitué par la masse la plus interne. Il s'attache, en

haut, aux 3/4 des faces antérieure et interne du cubitus, plus en bas et en

dedans, à l'aponévrose anti-brachiale. Nous pouvons donc le considérer comme

un fléchisseur profond. Il se termine inférieurement par uu fort tendon qui

naît à 1 centimètre environ au-dessus du poignet, et passe dans la gouttière du

carpe, où il disparaît. Il contracte alors une adhérence intime avec le ligament

annulaire; cependant on le suit encore jusqu'à l'articulation carpo-métacar-

pienne de la branche interne de la pince. A ce niveau, tout distinct qu'il soit

encore, il adhère par sa face postérieure à la gaîne qui lui est destinée. Il se

termine bientôt par un épanouissement assez large de fibres tendineuses qui se

fixent à la face profonde de la peau recouvrant l'espace iuterdigital. Mais les

fibres internes de ce tendon se continuent plus bas, dessinant un tendon

mince qui s'attache à la 1. ro phalange du petit doigt. Encore plus bas, partent

de petites lamelles aponévrotiques formant un tendon distinct, arrondi, sans

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 311

continuité directe avec le précédent. Ce petit tendon phalangien va de la

1 ? phalange à la partie supérieure de la dernière. De cette disposition résulte

donc une sorte de corde raide qui immobilise le doigt dans une attitude vi-

cieuse.

4 La 4°. masse est formée par un muscle bien conformé qui est le long

fléchisseur propre du pouce, qui n'offre de spécial qu'un faisceau de renforce-

ment qui lui vient du muscle fléchisseur commun profond.

5° La dernière masse est le carré pronateur.

En somme les insertions inférieures des fléchisseurs ne pouvant se faire sur

des doigts absents se font sur des couches aponévrotiques intermédiaires aux

deux branches de la pince.

Région externe. - Rien d'anormal si ce n'est la gracilité de la masse mus-

culaire du long supinateur.

Les deux radiaux externes ont leurs insertions supérieures normales; mais, à

l'extrémité inférieure du radius, le 1"' radial glisse sous le second et se termine

sur une large lame aponévrotique qui recouvre le poignet en arrière. Par cette

lame, ce radial s'attache au 2er et au dernier métacarpiens. Le 2° radial se bifur-

que manifestement par 2 expansions allant s'attacher chacune à son métacar-

pien ; elles interceptent entre elles un angle droit.

Région postérieure. Extenseur commun des doigts. - Il est normal en haut ;

puis il se sépare bientôt et donne naissance à deux tendons, lesquels se divisent

eux-mêmes au tiers inférieur de l'avant-bras. Le tendon le plus externe fournit

deux faisceaux, dont l'un va à la face dorsale du pouce jusqu'à la 1re phalange,

ce qui est normal, tandis que l'autre va se perdre dans la couche profonde de la

peau interdigitale. Comme le tendon interne n'est pas destiné à un auricu-

laire, il se termine en une large lame aponévrotique triangulaire qui n'a pour

effet que de renfoncer l'espace iutermétacarpien. De plus, cette lame contracte

des adhérences avec la peau.

L'extenseur propre du 5e, normal en haut, mais très grêle, finit en bas par

un tendon aplati, qui se perd dans les couches fibreuses recouvrant le 5e méta-

carpien.

A nconé, cubital postérieur normaux.

Muscles longs du pouce normaux.

Mais l'extenseur propre index manque.

Main. - Les muscles de l'éminence thénar sont peu développés ; il n'y a

pas d'adducteur du pouce; à l'éminence hypothénar, il y a une petite masse

musculaire peu développée où on croit constater l'adducteur et le court flé-

chisseur du 5°. Le palmaire cutané existe.

Membre inférieur droit. - Tous les muscles de la cuisse existent avec leurs

insertions supérieures régulières. En bas, les insertions inférieures sont peu

différentes. Le biceps n'offre que sa longue portion ; son tendon effilé ne tarde

pas à se jeter sur uue aponévrose épaisse représentant l'aponévrose jambière et

va ainsi se fixer au niveau de la partie moyenne de la face externe du long

cartilage qui représente le tibia (seul os do la jambe ici).

Jambe. Pas de muscles à la région antérieure. En arrière, le triceps

312 KLIPPEL ET UOUCHET

sural est incomplet ou du moins mal formé : le jumeau externe s'insère au

condyle externe et vient à quelques millimètres au-dessous du plateau du

tibia, se réunir au jumeau interne, qui, 5 à 6 fois plus développé, présente

les insertions supérieures normales et se termine bientôt en un tendon aplati ;

le soléaire est atrophié ; il s'attache à la partie supérieure et externe de la

face postérieure du tibia, et se jette bientôt dans le jumeau interne, à la face

antérieure duquel il s'accole. -

Le tendon terminal commun à ces trois muscles passe en arrière de l'extré-

mité inférieure du tibia cartilagineux, et vient s'attacher à la partie la plus

élevée d'un petit cartilage mobile sur l'extrémité inférieure du tibia et qui

représente à lui seul, le squelette du pied. Il n'y a pas trace de muscles, au-

dessous de ce cartilage.

Peut-être cependant y a-t-il un pédieux représenté par quelques faisceaux

musculaires qui partent des couches aponévrotiques recouvrant l'extrémité

inférieure du tibia, et se portent obliquement sous la peau, de la partie ex-

terne du tibia jusqu'à l'extrémité antérieure et interne du bourgeon cutané et

se perd à la face profonde de la peau de cette région.

Membre inférieur gauche. Cuisse. Tout est normal ; mais il n'y a pas

de courte portion du biceps ; la longue portion se perd par son tendon sur le

fascia lata très apparent, et se fixe avec ce fascia à la partie externe de l'extré-

mité supérieure du tibia.

Jambe. Il n'y a pas de muscles à la région antérieure. En arrière, les deux

jumeaux existent, comme à droite, mais l'interne est ici le moins développé

et il reçoit du demi-membraneux un faisceau musculaire effilé qui part de la

partie moyenne de la cuisse; le jumeau externe, 3 fois plus développé que

l'interne, se termine sur le tendon d'Achille. Plus profondément, on voit par-

tir des fibres musculaires qui représentent le soléaire et le poplité réunis.

Elles se fixent, en effet, à la partie postérieure du condyle et au tibia et se

perdent à la face profonde des jumeaux. Le tendon d'Achille qui fait suite à

ces muscles, s'attache en bas, comme à droite, sur le petit cartilage calcaire.

Il n'y a pas de pédieux. '

Vaisseaux. rM. em&rMeWeurdro. - La radiale, très ténue,

contourne le long supinateur au tiers inférieur de l'avant-bras et se perd dans

la peau du poignet après un court trajet.

La cubitale à partir de ce point, constitue l'artère unique ; elle se bifurque

au poignet et donne deux branches : l'une, interne, sous-aponévrotique, qui

passe sous le ligament annulaire carpien, glisse au-devant des muscles de l'é-

minence hypothénar, et forme les deux collatérales de la branche interne de la

pince et le rameau externe de la branche externe.

Membre supérieur droit.- Les artères de l'avant-bras arrivent jusqu'au poi-

gnet, avec les tendons et nerfs satellites ordinaires.

Les veines répondent au trajet des artères.

Membres inférieurs. - Arrivée au creux poplité, la fémorale, des deux

côtés, passe entre les jumeaux, longe la face postérieure du tibia et se bifurque

au niveaudu tiers inférieur de cet os en deux branches : l'une externe, grêle, se

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 313

perd dans les téguments des moignons pédieux ; l'autre, interne, croise le tendon

d'Achille et vient s'épuiser dans la région interne et inférieure de ces moignons.

Les veines fémorales répondent aux artères ; il n'y a pas de veine saphène

et, d'une façon générale, les veines superficielles sont presque imperceptiles.

Système nerveux. - Du côté de l'encéphale, il n'y a rien à noter ; la sérosité

sous-arachnoïdienne est très abondante. Du côté de la moelle, il n'y a rien au

point de vue macroscopique. M. Balzer, au microscope, n'y a trouvé absolu-

rien d'anormal non plus.

Nerfs. - Membre supérieur droit. - Le médian, au pli du coude, passe entre

les deux fléchisseurs communs ; il descend sur la face antérieure de l'avant-

bras sans fournir au fléchisseur profond, ce qui est une anomalie ; dans son

trajet, il innerve le fléchisseur superficiel, le fléchisseur propre du pouce, le

rond pronateur, le grand palmaire, le carré pronateur. Au poignet, il donne

un rameau palmaire cutané ; à la main, il donne un rameau musculaire à l'é-

minence thénar et quatre autres pour les téguments.

Le cubital fournit seul au fléchisseur profond. Au tiers inférieur, il donne

-une branche antérieure, satellite de la cubitale, qui arrive à l'éminence thénar,

à laquelle il donne des rameaux musculaires, et se termine en deux rameaux

pour la main. La branche postérieure du cubital, arrivée au dos du poignet, se

divise en deux rameaux ténus.

Radial. Tous les muscles qui sont sous la dépendance normale de ce

nerf reçoivent ses branches.

Membre supérieur gauche. - Le médian est très ténu ; il innerve ses

muscles normaux, et aussi les deux faisceaux anormaux décrits sous les noms

de fléchisseur superficiel et fléchisseur coronoïdien.

Le cubital fournit au fléchisseur profond et se termine en deux rameaux,

antérieur et postérieur.

Membres inférieurs. Le sciatique poplité externe contourne la face ex-

terne du tibia, devient aussitôt sous-cutané et s'épuise dans la peau, mais après

s'être d'abord anastomosé avec le saphène externe, branche du poplité interne.

On ne peut le suivre au delà du cartilage tarsien. Il est a supposer que ces

rameaux anastomotiques se rendaient au petit pédieux du membre droit.

Le sciatique poplité interne va aux jumeaux et au soléaire. Il longe la face

postérieure du cartilage représentant le tibia, suit le tendon d'Achille et vient

se perdre dans la peau du moignon terminal du membre. Les nerfs se com-

portent symétriquement à droite et à gauche ; il n'y a à signaler que l'absence

du saphène externe au membre gauche.

Os. - Membre supérieur droit. - Carpe. Ire rangée. Le scaphoïdc n'a pas

de facette correspondant au grand os, lequel est confondu avec plusieurs des

os contigus.

Le semi-lunaire, plat à sa face inférieure, présente une facette destinée,

par anomalie, au scaphoïde, et une autre facette large répondant à l'os anor-

mal que nous verrons tout à l'heure.

Le pyramidal se perd dans ce grand os anormal répondant à la 2" rangée.

Le pisiforme est régulier. '.

314 KLIPPEL ET BOUCIIET

2e rangée. Le trapèze est normal.

Le trapézoïde ne s'articule en bas, par anomalie, qu'avec la partie externe

du 2" métacarpien. ' .

Le grand os anormal paraît résulter de la fusion du pyramidal, du grand os

et de l'os crochu.

Métacarpe. - Il y a seulement trois métacarpiens ; le premier est normal ;

le 2° répond par son extrémité supérieure au trapèze, au trapézoïde et au grand

os anormal ; il s'articule quelque peu avec le 5e métacarpien. Le 5a métacar-

pien, plus petit et plus large, répond au grand os. L'extrémité inférieure du

2e métacarpien s'unit il la 'Ira phalange, tandis que celle du 5e offre deux facettes

articulaires continues regardant l'une en dehors avec laquelle s'articule la 1

Ir° phalange du doigt intermédiaire que nous avons appelé le médius, et l'autre

en dedans, pour la phalange de l'auriculaire.

Pour les deux doigts extrêmes, la 1'° phalange paraît à peu près normale, tan-

dis que les deux dernières convergent vers l'axe de la main ; elles sont petiteset

atrophiées et la phalangette de l'index est soudée à celle du doigt qui serait le

médius.

Membre supérieur gauche. Le carpe se réduit il 3 os : le scaphoïde ré-

pond en haut au radius ; en bas, il joue le rôle du trapèze, car il s'articule

avec le premier os de la pince ; il offre une face interne verticale, convexe,

qui répond au semi-lunaire. Le semi-lunaire s'unit, en haut au radius, en has,

par une petite facette, au 1er os : de la branche externe de la pince, en dedans au

3e os anormal. Sa face antérieure est divisée en deux parties égales par un sillon

qui ne comprend que les 2/3 de l'épaisseur de l'os. C'est donc là un arrêt de

division de l'os et c'est la seule trace de la composition qu'affecte normale-

ment le carpe. Le 3e os est le plus'gros des trois ; prismatique et triangulaire,

il répond, en haut, au ligament triangulaire, en bas, au premier os de la bran-

che interne.

La face dorsale de ce carpe est recouverte par des tractus fibreux résistants

qui maintiennent les trois os entre eux.

Métacarpe. - Deux os seulement. : leur et 5e métacarpiens. Le leur s'unit aux

deux premiers os du carpe ; le 5° s'unit seulement au grand os anormal.

Membres inférieurs. Les condyles externes fémoraux, de chaque côté,

sont moins volumineux que les internes, ce qui est corrélatif de l'absence des

péronés. Tibias petits, atrophiés, cartilagineux.

Les ménisques externes manquent ; les ménisques internes sont à peu près

formés.

Pas de surface articulaire à la partie inférieure des tibias. Rotules cartilagi-

neuses.

Les ligaments latéraux externes des genoux se fixent à la partie postérieure

des plateaux des tibias.

Au-dessous de l'extrémité inférieure des tibias, on trouve nn cartilage gros

comme un pois qui est le seul représentant du squelette des pieds. Ce carti-

lage est comme perdu dans la masse des moignons pédieux.

Etat d'ossification du squelette. - Os du carpe : Tous cartilagineux.

' HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 315

Métacarpiens : Ont tous un point d'ossification qui occupe presque toute leur

étendue.

1"e phalange. Ibid.

2° phalange. - Elles n'existent qu'à la main droite, et offrent un état car-

tilagineux pour l'index et l'auriculaire, tandis que le médius anormal offre un

point d'ossification central.

3e phalange. Sont toutes ossifiées, et les phalangettes soudées de l'index

et du médius constituent une lamelle osseuse plate, bifide supérieurement et

ne formant qu'un os unique.

XIII. DRON, Sur un cas d'hémimélie bi-thoracique.

Lyon médical, 1883, p. 460.

L'arrêt de développement porte principalement sur les avant-bras. L'extré-

mité des membres avortés se termine par un appendice digital unique. On a

appliqué des membres supérieurs artificiels.

XIV. - J. GRYNFELDT, Anatomie d'un monstre ectromélien (phocomélie

pelvienne double, hémimélie thoracique gauche), d'après un manuscrit du

professeur J. Fages. Gaz. hebdomadaire des sciences médicales de Montpel-

lier, 31 octobre 1885. '

Il s'agissait d'un sujet de 32 ans, mort de fluxion de poitrine bilieuse. La

clavicule et l'omoplate du côté gauche sont beaucoup plus petites que du côté

droit. Le bras ne présente qu'un tronçon d'humérus, de 6 pouces environ de

longueur. Son extrémité supérieure, un peu plus grêle que dans l'état naturel,

offre la tête, le col, la grosse et la petite tubérosités, quoique moins saillantes,

ainsi que la gouttière bicipitale; qui a moins de profondeur. Le reste de cet

humérus, un peu cylindrique vers le haut, s'aplatit postérieurement à mesure

qu'il devient inférieur. Bien plus grêle que celui du côté droit, il ne présente

qu'un pouce et demi de circonférence, et se termine par une petite éminence

convexe ressemblant à la petite tête du cubitus, ayant à sa partie antérieure

un bord tranchant et recourbé vers le haut, surmontée dans son centre et un

peu en arrière par une petite apophyse styloïde. Les parties cartilagineuses et

ligamenteuses de l'articulation n'offraient rien de particulier.

Le nombre, la position et les attaches des muscles qui entourent cette arti-

culation de l'humérus avec l'omoplate ne présentent d'autre différence dans ce

tronçon de bras que leur petitesse. Ceux de la partie interne et antérieure, et

externe et postérieure du bras ne paraissent qu'ébauchés. Le biceps qui était

le seul à la région interne, était très mince. Les deux tendons supérieurs, très

grêles, ne variaient pas dans leurs attaches, tandis que la partie inférieure qui

était très peu charnue, formait un épanouissement tendineux très mince qui

s'attachait au bord tranchant et recourbé de l'extrémité inférieure de l'humé-

rus. A la partie externe et postérieure, je n'ai trouvé que la partie moyenne

du triceps brachial qui était très mince et terminée inférieurement par un pe-

tit plan aponévrotique qui s'attachait à l'espèce d'apophyse styloïde dont j'ai

parlé et qui se joignait avec le plan tendineux de la partie inférieure du

biceps.

316 KLIPPEL ET BOUCUET

L'artère sous-clavière était plus petite que dans l'état ordinaire, vu la gros-

seur de la sous-clavière droite. Les six branches que donne cette artère avant

son passage par l'écartement des scalènes n'ont rien présenté de remarquable.

Le tronc de la sous-clavière après avoir donné ces six branches, est considéra-

blement diminué de volume, et immédiatement après son passage à travers les

sealènes, elle se divise en cinq petites branches : les deux premières vont se

perdre sur les parties molles qui tapissent la partie antérieure et latérale de la

poitrine, les deux suivantes se portent vers la fosse sous-scapulaire de l'omo-

plate, en parcourant à peu près le même trajet des artères sous-scapulaires, et

la cinquième enfin, qui paraît être la continuation du tronc, descend tout le

long de la partie postérieure de l'union du grand pectoral avec le deltoïde et se

distribue dans les parties molles qui environnent le tronçon d'humérus.

Après sa sortie de la poitrine, la veine axillaire donnait quelques rameaux

qui accompagnaient les distributions de l'artère.

Le plexus brachial, quoique plus petit que celui du côté opposé, avait pour

origine le même nombre de cordons nerveux, mais il ne partait de ce plexus

que trois cordons nerveux assez distincts. Le ter se portait vers la partie anté-

rieure du creux de l'aisselle pour se perdre dans les parties molles qui avoisi-

nent cette région. Le second descendait obliquement en dehors en passant

derrière la partie supérieure du faisceau coracoïdien du biceps, pour s'engager

entre la face postérieure du deltoïde et l'humérus, et, après avoir donné quel-

ques filets nerveux à ce muscle, il le perçait vers la partie moyenne et ex-

terne, pour se perdre ensuite sur la région externe du tronçon. Le 3e cordon,

peu après sa séparation se portait vers la partie interne de l'articulation, où

il donnait quelques filets, après quoi il descendait le long de la partie interne,

caché par le tendon du grand pectoral, et se perdait dans les parties molles

de la région interne et antérieure de cette ébauche de bras.

XV. G. Hervé, Bull. Soc. anthropol. Paris, 1886, p. 752.

L'auteur présente un enfant ayant une hémimélie thoracique gauche, dont

le moulage fait par Chudzinski a été déposé dans les vitrines du musée. Le

terme d'hémimélie est ici une dénomination très impropre, puisqu'elle semble

indiquer que toute la moitié d'un membre fait défaut, alors que, presque tou-

jours, l'atrophie, beaucoup plus limitée, ne porte que sur l'extrémité termi-

nale du membre.

Ici, l'avant-bras, raccourci et présentant à sa surface antérieure une inflexion

concave qui se marque sur les téguments par un sillon transversal permanent,

est terminé par un moignon où l'on retrouve une apparence de main. Quel-

ques ossicules peuvent être sentis dans ce moignon, au-dessous des apophyses

styloïdes. Le moignon est surmonté de cinq petites saillies verruqueuses et

molles, qui figurent les doigts. Le reste du corps est bien conformé.

XVI. Puech (Paul), Absence de la main gauche par arrêt de

développement. Montpellier médical, 1886, p. 501.

Le membre supérieur gauche se termine par une extrémité arrondie rappe-

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 317

lant assez l'aspect d'un moignou d'amputé. Pas de carpe, pas de métacarpe, ni

de phalanges. Sur l'extrémité du moignon existent cependant cinq petits

appendices, en forme de bourgeons, représentant cinq doigts. Le pouce est le

plus long et le plus volumineux

La mère, au se mois, vit s'approcher un « manchot », dont la vue la trou-

bla tellement qu'elle perdit connaissance sur-le-champ... z

XVII. - MABARET du BASTY, Un cas de tératologie.

Progrès médical, Paris, 1888, p. 236.

Enfant mâle, à terme, mort à 1 jour, ayant un céphalématome frontal gau-

che, un bec-de-lièvre unilatéral complet, et une hémimélie thoracique droite.

Hérédité.

L'épaule et l'humérus sont bien conformés ; on reconnaît, à travers la peau,

la trochlée, l'épitrochlée, l'épicondyle, la cavité olécrânienue qui est vide. Fai-

sant suite à l'humérus, mais ne s'articulant pas avec lui, on trouve une masse

osseuse, longue de 2 centimètres, terminée par une main peu développée,

constituée par 4 métacarpiens et 4 doigts. Le 4°r métacarpien et le pouce man-

quent.

XVIII. - Chaput, Soc. anat., Paris, juin 1889, p. 53-r54.

Il s'agit d'une pièce trouvée à l'Ecole Pratique. Le sujet, âgée de 55 ans,

avait un moignon droit conique, sans adhérence de la peau à l'os. Pas de tra-

ces de cicatrice, mais au sommet du cône, la peau était un peu modifiée dans

sa couleur et son aspect.

A 5 centimètres de l'extrémité du moignon, couchée sur la partie externe, se

trouvait une petite saillie aplatie, large environ de 1 centimètre et demi, épaisse

de 3 à 4 centimètres, haute d'un demi-centimètre, terminée par 4 à 5 mame-

lons très petits (1 ou 2 millimètres), et garnis d'ongles rudimentaires à leur

sommet. Cette petite saillie, quoique molle de consistance, avait les caractères

d'une main rudimentaire ; à la palpation on la sentait reliée aux parties pro-

fondes par un pédicule de consistance fibreuse.

La dissection a montré un biceps atrophié, dont le tendon aplati et aminci

se confondait avec une calotte fibreuse, recouvrant l'extrémité inférieure de

l'humérus. Le brachial antérieur et le triceps plus atrophiés encore sont en-

tièrement fibreux dans l'étendue de 3 travers de doigt. Peu d'anomalies vas-

culo-nerveuses. Ces muscles se terminent comme le biceps. Le nerf musculo-

cutané ne perfore pas le caraco-brachial; il est peu diminué de volume. Mais

le médian, le radial, le cubital sont beaucoup plus atrophiés ; en bas, ils sont

tellement grêles qu'on a grand'peine à les suivre. L'humérus est étalé à son

extrémité inférieure qui représente un prisme triangulaire à sommet supérieur.

La base du prisme regarde en avant par suite de l'incurvation en avant de l'ex-

trémité numérale ; sur la base du prisme qui termine en bas l'humérus, on

distingue une base interne et un sommet externe. Il existe des mamelons irré-

guliers qui échappent à toute description. L'extrémité de l'humérus est coiffée

par une coque fibreuse où s'insèrent tous les muscles. Cette coque est séparée

de la peau par une très grande bourse séreuse large environ de 2 centimètres.

318 KLIPPEL ET BOUCHET

L'humérus est un peu atrophié ; il mesure environ 22 centimètres de longueur.

XIX. VARIOT (G.), Présentation d'un cas d'hémimélie. Bulletin Soc. an-

thropol. Paris, 1890, 4e s., I, 2° fascicule, p. 280-28S ; 489-492.

Le sujet est un enfant mâle, de 3 ans.

La monstruosité porte tout entière sur l'avant-bras, qui paraît amputé à

l'union du tiers supérieur avec les deux tiers inférieurs. La comparaison avec

un membre amputé est d'autant plus exacte qu'on remarque un pli déprimé de

la peau à l'extrémité du moignon, comme si deux lambeaux s'étaient accolés

par un travail de réparation cicatricielle.

A l'extrémité de ce moignon, en dehors du pli demi-circulaire que nous ve-

nons de signaler, on remarque deux petits tubercules cutanés arrondis, pédi-

cules, de la grosseur d'une lentille ; si l'on écarte ces deux tubercules qui se

.touchent, on aperçoit entre eux deux autres petites saillies très petites de la

grosseur de petits plombs de chasse. La peau est saine et de coloration nor-

male. On sent très bien, au palper, deux extrémités osseuses correspondant au

radius et au cubitus brusquement sectionnés.

Au cerveau, rien de particulier ; les circonvolutions rolandiques étaient

symétriques dans les deux hémisphères.

Dissection. L'enlèvement de la peau met à nu une couche de tissu cellulo-

adipeux un peu plus épaisse dans la portion arrondie de l'avant-bras sectionné.

Le tissu cellulaire qui est en contact avec l'extrémité des tronçons du radius

et du cubitus s'est condensé et a pris une apparence fibreuse.

Les tubercules cutanés et la peau adjacente, sur une coupe au rasoir, ne

montrent aucun nodule cartilagineux ou osseux pouvant être regardé comme

un rudiment de squelette.

L'examen microscopique de ces mêmes parties permet de constater que ces

bourgeons sont formés uniquement de tissu fibreux, avec des prolongements

papillaires d'une dimension qui dépasse même la grandeur des papilles de la

pulpe des doigts. Le revêtement épidermique à la surface de ces prolongements

papillaires est normal. Entre les faisceaux fibreux dermiques, dans les deux

tubercules les plus développés, on voit de grosses glandes sudoripares. Le

réseau élastique est bien apparent. Les grandes papilles recouvrant les bour-

geons sont richement vascularisées, mais on n'y distingue pas de corpuscules

de Meissner, mais la pièce n'a pas été bien fixée.

Tous les muscles de l'épaule et du bras ont leur configuration et leurs inser-

tions ordinaires. Le biceps est pourvu de son aponévrose antibrachiale et va

s'attacher il la tubérosité bicipitale du radius. Le brachial antérieur vient à

l'apophyse coronoïde et le triceps à l'olécrâne. Rien de changé dans les dispo-

sitions normales jusqu'au pli du coude.

L'artère humérale, un peu grêle, se bifurque et donne deux petits rameaux

très fins correspondant aux artères radiale et cubitale et allant se perdre dans

les petites masses musculaires épitrochléenne et épicondylienne.

Le nerf médian, le cubital et le radial, à part leur réduction de volume, ont

tous leurs rapports normaux jusqu'au pli du coude.

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 319

Le médian se prolonge au-delà du pli du coude en un petit rameau fin qui

semble se perdre sur le périoste du radius.

Le cubital,- après avoir côtoyé le bord interne de l'olécrâne, plonge dans la

masse musculaire de la région interne du moignon et disparaît au contactd'un

petit tronçon de muscle qui doit être regardé comme le cubital antérieur.

On trouve également les deux branches de bifurcation du radial, et notam-

ment la branche postérieure qui contourne radius, pour se perdre dans le

court espace interosseux.

Les masses musculaires épitrochléennes et épicondyliennes sont respective-

ment représentées.

Le muscle rond pronateur est assez bien développé ; le grand palmaire et le

petit palmaire sont bien apparents. Le cubital antérieur l'est moins. Ces mus-

cles n'ont pas de tendon inférieur distinct; ils viennent s'insérer, en se con-

fondant sur le tissu fibreux périostique qui recouvre l'extrémité du radius, for-

tement renflée.

Le long supinateur et les ébauches de muscles radiaux s'attachent, par une

petite aponévrose nacrée, sur le côté externe de l'extrémité du tronçon radial.

Le court supinateur existe.

Il est fort remarquable que le tronçon du radius est dans la pronation forcée

et permanente. L'extrémité du radius chevauche sur le cubitus qui est placé

sur un plan postérieur. Ce chevauchement en pronation permanente du radius

sur le cubitus trouve son explication dans le développement relatif du muscle

rond pronateur et dans la présence du biceps. -

Les tronçons du radius et du cubitus détachés des surfaces articulaires du

coude n'ont que 4 centimètres de longueur.

L'articulation du coude est absolument complète et normale.

Les surfaces diarthrodiales du radius et du cubitus sont régulièrement con-

formées.

L'extrémité inférieure du radius est un peu renflée et aplatie ; celle du cubi-

tus est plutôt arrondie. Ces deux tronçons osseux, sectionnés suivant leur

longueur, laissent voir les épiphyses du côté de l'articulation du. coude. Mais

à leur extrémité inférieure, le radius et le cubitus sont absolument ossifiés. Il

n'y a ni cartilage d'encroûtement ni cartilage épiphysaire. Cette absence d'épi-

physe inférieure est bien une preuve que l'amputation congénitale a porté sur

la diaphyse, et qu'il n'y a pas eu simple arrêt de développement du squelette et

du reste du membre.

Les coupes de la moelle, faites par M. Bourdon montrent une atrophie por-

tant à peu près uniquement sur la corne antérieure et la corne postérieure du

côté de l'hémimélie. Les cordons blancs sont symétriques des deux côtés de la

moelle. Au contraire, l'asymétrie est frappante, surtout quand on considère à un

faible grossissement les deux cornes antérieures. La corne antérieure du côté

amputé est d'un quart plus petite que la corne du côté sain. Peut-être les cellules

sont-elles un peu moins nombreuses du côté de l'hémimélie. Mais, en somme,

il nous paraît qu'il s'agit surtout d'une atrophie en masse de la substance grise,

sans pouvoir affirmer qu'il n'y ait pas d'autre altération qui nous échappe.

320 0 KLIPPEL ET BOUCHET

XX. TOURNIER, Deux cas d'amputation congénitale

de l'avant-bras. Revue d'orthopédie, 1891.

I. A gauche : 13 ans ; les deux os de l'avant-bras existent, mais se termi-

nent brusquement après une longueur de 4 centimètres. Les parties molles

qui les recouvrent forment un moignon conique parfait. A l'extrémité de ce-

lui-ci, la peau forme un ou deux replis, sortes de cicatrices, et il existe une

petite éminence charnue de 2 millimètres de haut sur 12 millimètres de dia.

mètre, recouverte par de la peau normale.

II. A droite : 55 ans ; il existe seulement une courte portion d'avant-bras.

A l'extrémité du' moignon, on remarque l'aspect cicatriciel de la peau ; la cica-

trice qui occupe exaotement le bout du cône, est constituée par une peau un

peu adhérente, d'aspect presque normale, mais creusée de sillons.

XXI. BOUIINEVILLE, Un cas d'hémimélie bi-abdominale. Progrès médical,

28 octobre 1893, t. XVIII, 2' série, no 43.

Sujet mâle, 39 ans.

Le fémur se termine par une masse arrondie, qui paraît mamelonnée. La

surface articulaire est située sur le côté externe du fémur, et correspond au

collet du pilon. La jambe, après s'être articulée là, remonte obliquement en

haut, en avant et en dedans, de sorte que l'extrémité inférieure de la cuisse

est pour ainsi dire couchée sur la moitié de la jambe qui correspond au fé-

mur ; l'autre moitié de la jambe vient se placer dans l'angle formé par les

cuisses, écartées, en dedans d'elles, à 4 ou 5 centimètres au-dessous du scro-

tum et les deux pieds adossés l'un à l'autre se trouvent tout près de l'extré-

mité de la verge pendante. Dans la jambe nous n'avons pu sentir qu'un os, et

cet os, légèrement incurvé, à convexité externe, se termine par une apophyse

pyramidale triangulaire, qui rappelle la malléole externe. D'après la situation

de l'os on pourrait être amené à croire qu'il s'agit du péroné, et, ce qui sem-

blerait manquer, c'est la moitié interne de la jambe. Nous n'avons pas décou-

vert de rotule. Le pied est implanté sur la face interne (antérieure), de ce qui re-

présente la jambe, deux centimètres au-dessous de la face interne de la malléole.

Il est recourbé sur lui-même, de telle façon que la face antérieure c'est-à-dire

la face supérieure, décrit une convexité qui regarde en dedans et en bas. Les

orteils viennent aboutir juste au niveau du pli de jonction de la jambe avec la

cuisse ou jarret. Le talon forme un moignon qui vient se reposer sur la partie

moyenne du bord interne de la cuisse. Le talon regarde en haut et en avant;

le calcanéum paraît très irrégulier. On ne peut distinguer les os du tarse qui

semblent soudés à l'os unique de la jambe. Le métatarse existe au complet.

On distingue très nettement les métatarsiens à leur insertion aux orteils. Leur

autre extrémité, au contraire, n'est pas distincte et paraît se souder à une masse

osseuse irrégulière, formant une sorte de saillie convexe. Il n'y a aucun mou-

vement dans cette articulation du pied. L'articulation des métatarsiens et des

orteils est normale. Les orteils sont réguliers. L'attitude des membres est

symétrique. Les deux pieds se touchent par ce qui correspond à l'extrémité su-

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 321

périeure des métatarsiens. La malléolle droite appuie sur la malléole gauche.

Au point de vue intellectuel, le sujet est un arrièré.

Ici, l'hémimélie est réduite à sa plus simple expression, car l'un des os de la

jambe, quoique normalement constitué, existe très nettement, et les deux

pieds sont probablement au complet.

XXII. - G. Cousin, Un cas de tératologie ; foetus anencéphale ; bec-de-lièvre

unilatéral ; hémimélie ; anomalie de l'oesophage. Nouveau Montpellier médi-

cal, 1894.

C'était un mort-né présentant des malformations résultant de plusieurs

arrêts de développement. Du côté du membre supérieur droit, le bras est nor-

mal ; l'artère numérale, après avoir fourni l'humérale profonde, diminue de

calibre ; arrivée au coude, elle ne se bifurque pas, mais suivant le bord externe

du cubitus, elle se termine un peu au-dessus du moignon en plusieurs arté-

rioles.

Les nerfs du plexus brachial se terminent en bas par de petits renflements

arrondis.

Le squelette est représenté par le tiers supérieur du cubitus avec son olé-

cràne qui n'a pas de petite cavité sigmoïde. Le radius fait défaut. Les bour-

geons du moignon, qui sont les rudiments des doigts, sont constitués par de

petits lobules graisseux recouverts des téguments naturels.

XXIII. F. Brun et M. Chaillous, Un cas d'hémimélie, Presse médicale,

1896, p. 413; Société anatomique, 24 avril 1896 (MM. Paul Desfosses et

Maurice Chaillous); Revue mensuelle de l'Ecole d'anthropologie de Paris,

1897, VII, 60-62 (analyse de Collineau).

Il s'agit d'une hémimélie abdominale droite chez une petite fille de 3 ans.

La cuisse est à peu près aussi longue et aussi volumineuse que la gauche ; il

n'y a pas trace de jambe ; près de l'extrémité libre du membre incomplet, à la

partie postérieure, se détache perpendiculairement à l'axe de ce membre, une

ébauche de pied. Il n'existe de tare d'aucune sorte.

L'ébauche de pied a 4 centimètres de long, et se termine par deux orteils, dont

l'un, volumineux, interne, muni d'un ongle, long de 2 centimètres, représente

probablement le gros orteil. On fait une amputation du pied pour mettre un

appareil prothétique. Ce pied n'est rattaché à la cuisse que par du tissu fibro-

élastique.

Dissection, - Squelette : du côté interne correspondant au gros orteil, une

phalangette osseuse, longue de 6 millimètres, fait suite à une phalange de même

volume, légèrement renflée à ses deux extrémités, longue de 15 millimètres,

et il un métatarsien de 15 millimètres. Ces différentes pièces sont unies entre

elles par des capsules articulaires épaissies sur les parties latérales ; elles se

terminent d'ailleurs par des surfaces articulaires munies de cartilage. A l'ex-

trémité postérieure du métatarsien se placent trois petits os rudimentaires,

unis par des capsules aux-précédents ; le plus antérieur, cuboïde ( ? ) est long

de 3 millimètres ; le postérieur, effilé par son extrémité antérieure, est long Z)

322 KLIPPEL ET BOUCIIET

de 5 millimètres ; l'intermédiaire, aplati, mince, cartilagineux, est concave en

arrière. Enfin, dans la région du talon, sur le prolongement du squelette du

gros orteil, existe un petit os pisiforme, isolé des précédents. Ces différents os

paraissent être l'ébauche du premier cunéiforme, du scaphoïde, de l'astragale,

du calcanéum. Du côté externe, correspondant au petit orteil, se trouve une

phalange longue de 7 millimètres, une phalangine de 10 millimètres et une

phalangette de 6 millimètres. Le métatarsien n'existe pas.

Muscle. Large de 5 millimètres, long de 15, il s'insère en avant à l'ex-

trémité postérieure de la phalange du petit orteil. Il se dirige obliquement en

arrière vers les os du tarse et se perd dans le tissu cellulaire sous-cutané de

la région du talon, présentant la situation, la direction et une des insertions de

l'abducteur du petit orteil.

Nerf. - Emergeant sous les os du tarse, il se divise bientôt en trois bran-

ches, qui se dirigent vers les orteils et se perdent dans le tissu cellulaire où

rampent quelques branches vasculaires.

En somme, absence, comme squelette, de cuboïde, des 2° et 3° cunéiformes,

des 2e, 3e, 4° métatarsiens, des phalanges des 2e, 3e, 4° orteils. '

XXIV. - G. Commandeur (de Lyon). Hémimélie unilatérale du membre su-

périeur. - Note sur l'anatomie des moignons d'arrêt de développement

des membres. Archives provinciales de chirurgie, 1896 (p. 550-557).

Hémimélie thoracique gauche, chez une femme de 28 ans.

L'avant-bras se termine eu une sorte de cône arrondi à son sommet et aplati

d'avant en arrière, et au sommet duquel on voit, rangés suivant une ligne

transversale, quatre petits tubercules arrondis et à peine saillants, au niveau

desquels l'épiderme est notablement plus épais.

Ces tubercules ressemblent assez à des durillons. Outre la diminution de lon-

gueur de l'avant-bras, la largeur, la partie terminale,est notablement diminuée..

Dissection. A l'extrémité du moignon, on trouve : 1° la peau adhérente;

2° un plan fibreux aponévrotique sur lequel vient s'insérer une partie des

fibres tendineuses des muscles de l'avant-bras, surtout des extenseurs ; 3° une

couche celluleuse ; 4° le massif osseux représentant le groupe des os du carpe,

du métacarpe et des os non développés, le tout recouvert par une couche pé-

riostique, sur laquelle viennent prendre attache des fibres tendineuses surtout

des fléchisseurs.

Histologiquement, les durillons cutanés que l'on trouve à l'extrémité du

moignon semblent bien être des rudiments de doigts; car on constate à la coupe

que la couche cornée de l'épiderme s'invagine à ce niveau, constituant comme

un embryon de matrice unguéale.

Squelette. Les deux humérus sont absolument de même longueur. Les

différences portent seulement sur radius et cubitus. La proportion entre les

deux cubitus est sensiblement la même qu'entre les deux radius (a peine un

centième de différence), de sorte que l'arrêt d'accroissement semble avoir porte

également sur les deux os.

hémimélie avec atrophie numérique DES TISSUS 323

Cubitus et radius gauche présentent dans leur partie supérieure et leur dia-

physe leurs détails anatomiques normaux, mais ressemblent à des os d'enfant.

Seule leur extrémité inférieure a subi des moditications. Sur le cubitus, au

lieu de deux surfaces articulaires, l'une pour le carpe, l'autre pour le radius,

on voit une seule facette elliptique et oblique s'articulant avec le radius seule-

ment ; apophyse styloïde bien marquée.

Sur le radius, on voit partir de son extrémité inférieure une masse apophy-

sairequi se dirige en bas et en dedans et qui constitue le squelette du moignon.

Cette masse a une forme quadrilatère; son bord supérieur est soudé au radius ;

ses bords externe et interne sont rugueux et servaient à des insertions mus-

culaires ; son bord inférieur lisse et arrondi, faisait saillie sous la peau, et est

mamelonné; on trouve un tubercule saillant à sa jonction avec le bord externe;

la face postérieure est convexe, un peu rugueuse ; la face antérieure présente

une fossette qui servait à l'insertion des fléchisseurs. Sur les deux faces, une

crête peu marquée indique le point de soudure de l'os du moignon au radius.

Sur le bord externe se voit un tubercule représentant la styloïde radiale.

Les tubercules du bord inférieur sont recouverts d'une couche de cartilage

d'apparence hyaline et formant un revêtement de plus en plus épais à mesure

qu'on s'approche du bord inférieur.

Muscles. - Tous' les muscles de la région offrent un caractère commun ,

ils sont diminués de longueur et de volume et apparaissent comme des muscles

d'un enfant de douze ans ; cependant les muscles actifs de la pronation et de la

supination (du moins ceux qui persistent), offrent proportionnellement un vo-

lume plus considérable que les autres muscles longs de l'avant-bras : rond

pronateur, court supinateur, anconé. Toutes les insertions supérieures, c'est-

à-dire celles qui se font au voisinage de l'articulation du coude, sont normales

comme siège et comme volume; seules les insertions inférieures, sont

modifiées.

Enfin trois muscles, dont l'insertion supérieure se fait dans la moitié infé-

rieure de l'avant-bras n'existent pas : carré pronateur, long abducteur du pouce,

court extenseur du pouce.

A. - Région antérieure. Rond pronateur, bien développé ; son insertion in-

férieure descend jusqu'au-dessous de la partie moyenne de l'avant-bras (le

rapport du bras de levier est donc modifié).

Grand palmaire. Son tendon grêle semble s'insérer à la partie externe du

massif osseux du moignon ; mais on peut le suivre plus loin et on voit que son

tendon vient se perdre en s'évasant en éventail sur l'aponévrose qui recouvre

le moignon, de sorte que ses fibres semblent en continuité avec celles des

radiaux.

Petit palmaire. Tendon très grêle allant se perdre sur l'aponévrose- de la

partie antérieure de l'avant-bras.

Cubital antérieur. Son tendon s'épanouit rapidement pour aller se perdre

dans l'aponévrose de la partie interne et inférieure de l'avant-bras ; il ne prend

donc pas inférieurement d'insertion osseuse.

Fléchisseur superficiel.Tous les tendons constituent un seul ruban cannelé ;

324 klippel et BOUCHET

ce ruban va se souder au fléchisseur profond à un centimètre de son insertion

osseuse supérieure.

Fléchisseur profond. Même disposition du tendon en ruban cannelé. Le

faisceau d'insertion épitrochléenne est très marqué. Recouvert par le fléchis-

seur superficiel, il va, après sa soudure avec celui-ci, s'insérer sur le moignon

par trois ordres de fibres tendineuses : 1° les supérieures s'insèrent à la partie

moyenne de la face antérieure du massif osseux ; 2° les moyennes s'insèrent

entre l'insertion supérieure et l'extrémité du massif osseux ; 3° les inférieures

vont se perdre sur l'aponévrose du moignon. Le fléchisseur profond envoie

un faisceau tendineux qui se perd sur le fléchisseur superficiel.

Fléchisseur propre du pouce : manque ou plutôt est fusionné avec les autres

fléchisseurs.

B. Région externe. Long supinateur. Est assez bien développé, quoique

moins volumineux que normalement. Son tendon va s'insérer à l'extrémité in-

férieure et externe du radius au voisinage de l'apophyse styloide.

Premier et deuxième radial externe. Leur tendon contourne le radius et

passe à la partie postérieure dans la double gouttière ostéo-fibreuse, qui pré-

sente sa disposition normale. De là les tendons gagnent l'extrémité du moignon,

prennent vers son bord inférieur une légère adhérence osseuse et se terminent

en s'évasant dans l'aponévrose d'enveloppe du moignon. Ils semblent former

avec le grand palmaire une sangle qui coiffe le sommet du moignon.

Court supinateur très bien développé ; insertions normales.

C. - Région postérieure. Cubital postérieur. Son insertion se fait sur le bord

interne du massif osseux du moignon.

Extenseur propre du petit doigt. S'insère par un tendon grêle à la partie la

plus interne de la face postérieure de l'os du moignon. Quelques fibres vont se

perdre sur le tendon de l'extenseur commun.

Extenseur commun. Un seul tendon large et rubané qui passe dans une

gouttière postérieure et se termine par trois ordres d'insertions : 1° fibres pro-

fondes, s'insérant à la partie supérieure de la face postérieure du massif

osseux ; 2° fibres externes qui vont se perdre sur la gouttière des radiaux ;

3° fibres superficielles qui vont s'insérer sur l'aponévrose du moignon.

Extenseur propre de l'index. Très grêle ; s'insère en entier sur la gouttière

des radiaux.

Long extenseur du pouce. Tendon grêle qui croise obliquement la face pos-

térieure des tendons des deux radiaux pour venir s'insérer à la partie [la [plus

externe de la face antérieure de l'os du moignon.

Anconé. Bien formé ; insertions normales.

Aponévrose du moignon. C'est une lame fibreuse, prolongement de l'aponé-

vrose antibrachiale, qui coiffe le moignon comme d'une calotte. Elle est for-

mée de fibres propres et surtout de fibres d'emprunt de l'épanouissement t

des tendons de l'avant-bras, surtout le fléchisseur et l'extenseur commun des

doigts, les deux radiaux et le grand palmaire. Sa face superficielle adhère à la

peau. Sa face profonde est séparée de l'os par une couche celluleuse, qui est

tellement lâche qu'elle affecte, tout-à-fait à l'extrémité du moignon, une dispo-

HÉMIMÉLIE avec atrophie numérique DES TISSUS 325

sition qui rappelle les bourses séreuses de glissement. Cette disposition est

surtout marquée au niveau des tendons des radiaux et du grand palmaire.

Vaisseaux et nerfs. Ces organes présentent déjà, au niveau du bras et à sa

racine un aspect grêle manifeste, et ce caractère s'accentue à mesure que l'on

s'approche de l'extrémité du membre. Nous n'avons pas remarqué d'anomalie.

Il n'y en a ordinairement pas.

Artères. L'humérale, à sa bifurcation, est petite et présente à peine le

volume d'une radiale de femme. Sa distribution représente le type classique,

cependant sa bifurcation se fait exactement au niveau de l'interligne du coude

et se trouve donc plus haut que normalement L'interosseuse que fournit la

cubitale, est plus développée que la cubitale elle-même dans son trajet infé-

rieur et on la suit facilement jusqu'au bas de l'espace interrosseux qu'on la

voit perforer. La radiale, un peu plus petite que cette interosseuse, se perd

en suivant le tendon du long supinateur dans la peau de la partie antérieure

du moignon. Il nous a été impossible (n'ayant pu faire d'injection), de suivre

la cubitale jusqu'au moignon.

Veines. - Les superficielles se réduisent à quelques ramuscules sans im-

portance qui ne rappellent nullement, par leur disposition, l'M classique du

pli du coude.

Nerfs. Ils présentent dans la moitié supérieure leur distribution nor-

male, quoique notablement diminués de volume. Mais le brachial cutané in-

terne et le musculo-cutané épuisent leurs rameaux dans le tiers supérieur. Le

cubital, lorsqu'il a fourni ses branches musculaires s'épuise au voisinage du

tiers inférieur ; le médian se réduit au-dessous du tiers inférieur à un grêle

filet interosseux. On peut suivre le nerf radial jusqu'au niveau du moignon,

où il ne représente plus qu'un mince fil.

XXV. LEFOUR. Un cas d'hémimélie, Journal de

médecine de Bordeaux, 1896, p. 73.

Nouveau-né, mort à 8 jours ; avant-bras normal, terminé par cinq bourgeons

digitaux qui tiennent lieu de la main absente. Chez la mère, ni syphilis, ni

bydramnios. Père absolument sain.

XXVI. - G. GASNE, Un cas d'hémimélie chez un fils de syphilitique.

Nouv. Iconog. de la Salpètr., 1897, p. 31.

XXXVII. - CRÉIIANGE, Contribution à l'étude de l'hémimélie,

in thèse Paris, 1878.

Observation PERSONNELLE

Hémimélie thoracique gauche. Sujet de 4 ans 1/2, La radiographie montre

que le cubitus- descend plus bas que le radius. La main est un moignon in-

forme présentant, à sa partie inférieure, un petit appendice digitiforme aminci

à sa base, renflé à sa partie terminale et pourvu d'uu ongle; il semble corres-

pondre au pouce ; il n'y a pas trace de tissu osseux dans ce moignon.

xx 21

326 klippel ET BOUCHET

XXXIII. - ALBERT MOUCHET et CH. Vaillant, Un cas d'hémimélie

avec radiographie. Soc. anat. Paris, novembre 1899, p. 937-942.

Hémimélie thoracique gauche ; garçon 15 ans.

Le bras a une conformation absolument normale.

La radiographie montre que le radius, fortement incurvé en dehors, a son

extrémité supérieure déformée et luxée en dehors de l'humérus ; le cubitus

n'apparaît distinct qu'à son extrémité supérieure, longue de 3 centimètres,

large de 1, qui est luxée elle aussi, en dedans cette fois, de l'humérus ; dans

le reste de son trajet, le cubitus n'apparaît qu'en trois zones représentées par

trois surfaces arrondies, de la dimension d'un petit pois ; ces trois zones osseuses

siègent, l'une au milieu de l'os, les deux autres assez rapprochées, à l'extrémité

carpienne ; la plus inférieure s'articule manifestement avec le carpe. Ainsi,

dans la plus grande partie de son trajet, le cubitus est resté fibreux ou cartila-

gineux, perméable aux rayons X.

L'extrémité inférieure de l'humérus est conformée d'une façon très bizarre ;

à peine plus large que la diaphyse, usée même en dehors au contact de la tête

radiale, elle s'effile entre le radius et le cubitus en un bec cylindrique, de

3 centimètres de longueur environ, contigu au cubitus sur son bord interne.

Le carpe n'est représenté que par trois os qui paraissent être le trapèze, le grand

os, le pyramidal, le trapèze articulé avec l'extrémité inférieure du radius, dans

les deux tiers externes de cette extrémité et le pyramidal articulé en haut avec

le tiers interne. Le trapèze s'articule en bas avec le premier métacarpien, le

pyramidal avec l'autre métacarpien. Quant au troisième os du carpe, interposé

entre les deux autres et un peu antérieur à eux, il s'articule en dedans avec

le côté externe de l'extrémité supérieure du 2e métacarpien. Mais la signification

attribuée à ces os du carpe est hypothétique, et ne présente point de certitude

absolue. Du côté des deux doigts existant, rien de particulier, sauf le volume

extrême de l'unique sésamoïde (interne) du pouce ; métacarpien et phalanges

sont bien conformés.

XXIX. - Michel, Un cas d'lémimélie; présentation de radiographies .

Soc. méd. Nancy, Compte rendu, 1899-1900, p. GUI (juillet 1900).

Le sujet, jeune homme de 18 ans, avait le bras gauche normalement cons-

titué, un peu moins volumineux que celui du côté opposé. L'avant-bras était

atrophié, le membre se terminait par un moignon au bout duquel on aperce-

vait à la partie inférieure un rudiment de main constitué par cinq tubercules

au niveau desquels on remarquait des ongles. Au palper, dans ces tubercules,

il n'y avait pas de parties osseuses. Le moignon d'avant-bras était très conique ;

il allait en s'effilant ; à la palpation de sa partie terminale on percevoit très

nettement les extrémités du cubitus et du radius. Ces deux os étaient très

incurvés.

Radiographies : le radius, à part son incurvation, semble avoir une forme

normale et paraît complet ; le cubitus, au contraire, n'est pas normal ; l'extré-

mité inférieure, l'apophyse styloïde manque. En avant des deux os, séparées

d'eux par deux sortes d'interlignes, on trouve d'une part, du côté du cubitus,

hémimélie avec atrophie numérique DES TISSUS 327 "1

une masse plus volumineuse,rappelant la forme d'un sabot de cheval. On pcut

supposer, d'après ces radiographies, que l'arrêt de développement a porté sur

le carpe et sur l'extrémité inférieure du cubitus.

XXX, - HuET et Infroit, Description d'un ectromélien hémimèle avec quel-

ques considérations sur l'hémimélie. Nouv. Iconog. Salpêtr., Paris, 1901,

p. 128-148.

Sujet masculin, 24 ans. Les avant-bras et les mains ont subi un arrêt de

développement et présentent des malformations qui donnent aux membres su-

périeurs une ressemblance grossière avec les ailes de certains oiseaux, d'où le

nom de ptéromélie que l'on pourrait appliquer à ce cas d'hémimélie.

Les avant-bras paraissent d'autant plus courts qu'ils restent fléchis à angle

assez aigu sur le bras et qu'au pli du coude les parties molles du bras se réflé-

chissent sur l'avant-bras, en le recouvrant dans plus de la moitié de son étendue.

A gauche, la main n'est représentée que par un seul doigt, le pouce, et par

le métacarpien correspondant. Les phalanges semblent normales. ,

A droite, la main se dévie et s'incline d'abord sur le côté interne, puis au

niveau des doigts en sens opposé sur le côté externe, de sorte que l'avant-bras,

la main et les doigts forment comme un Z allongé ; deux doigts paraissent en

partie fusionnés."

Les radiographies montrent un seul os à l'avant-bras ; il ressemble plutôt

au radius qu'au cubitus, bien qu'il ait subi quelques modifications ; ainsi il est

à peu près aussi épais, sinon plus épais à sa partie supérieure qu'à l'inférieure ;

mais dans sa partie supérieure il présente une tubérosité qui correspond à la

bicipitale. Pas de traces de cubitus, comme dans le cas de Mouchet et Vaillant.

Cependant, par son extrémité supérieure, cet os unique de l'avant-bras pré-

sente quelques caractères qui le rapprochent du cubitus ; il est plus gros à ce

niveau, qu'un radius normal ; il ne se termine pas en cupule comme un ra-

dius, mais présente une forme qui lui donne une ressemblance éloignée avec

l'olécrilne; d'ailleurs il s'articule avec l'humérus en se juxtaposant au bord

interne de l'extrémité numérale. L'article du coude est donc profondément mo-

difié ; il ne se fait ni par un condyle, ni par une trochlée, mais par une sorte

de juxtaposition latérale des deux os. L'extrémité inférieure de i'humérus a

l'aspect d'un pilon ; rien n'y rappelle l'épicondyle, le condyle, la trochlée, l'é-

pitrochlée. L'extrémité supérieure de l'os de l'avant-bras est d'un volume plus

petit, s'articule avec la partie interne de l'extrémité humérale, en se mettant

eu contact avec elle par sa partie externe.

Le carpe est réduit à un seul os qui ne ressemble à aucun des os normaux

du carpe ; il s'articule en haut avec l'extrémité inférieure du radius et en bas

avec l'os du métacarpe ; il paraît correspondre à la fois au scaphoïde et au tra-

pèze.

Le métacarpien semble correspondre au premier, bien qu'il soit un peu plus

long ; un seul sésamoïde.- L'extrémité supérieure de-ce métacarpien est un peu

modifiée et, en examinant attentivement les radiographies, on peut se deman-

der si elle n'est pas formée par la soudure du leur métacarpien avec le trapèze

328 KLIPPEL ET BOUCHET

modifié. Dans ce cas l'os du carpe correspondrait seulement au scaphoïde. Les

doigts sont au nombre de deux, mais ils sont en partie soudés. L'os qui s'ar-

ticule avec la tête du métacarpien paraît formé par la fusion de la 1 ? phalange

du pouce avec la première phalange de l'autre doigt. En dehors il se continue

avec la lire phalange ou phalange unguéale du pouce, qui est assez bien formée,

mais qui lui est soudée. En dedans s'en détache à angle droit une apophyse

qui représenterait une partie de la lro phalange de l'autre doigt, notablement

atrophiée. La 2e phalange de ce doigt est notablement atrophiée aussi. Elle

s'articule à angle droit sur le côté externe de la partie libre de la ira phalange,

de sorte que son axe longitudinal est parallèle à l'axe de la 2° phalange du

pouce. La 30 phalange est mieux conservée, s'articule avec la 2e, en suivant

une direction obliquement dirigée en bas et en dedans par rapport à l'axe de

cette 2e phalange.

* Le membre supérieur gauche présente de grandes analogies, dans son en-

semble, avec le squelette du membre droit.

Muscles et nerfs. - A droite ; mouvements de l'avant-bras sur le bras :

la flexion est le mouvement le mieux conservé et le plus étendu. L'extension

active ou passive est notablement plus faible que la flexion. Les mouvements

de rotation de l'avant-bras en dehors et en dedans sont possibles, mais limités,

la pronation étant plus étendue que la supination. Actifs, ces mouvements

sont beaucoup plus restreints que les passifs. Les mouvements de la main sur

l'avant-bras sont très limités, plus dans le sens latéral que dans le sens de la

flexion et de l'extension.

XXXI. - SOUBEYRAN (de Montpellier), Hémimélie avec avant-bras partiel

et vestiges de la main. Soc. anat. de Paris, février 1902, p. 153-154.

Le sujet dont nous présentons la radiographie à la Société, est porteur d'une

difformité congénitale du membre supérieur droit. A l'inspection, le bras pa-

raît normal, l'avant-bras est atrophié, sa longueur est de 10 centimètres, sa

base est large et son extrémité libre arrondie ; sur cette extrémité on remarque

un rudiment de main représentée par les vestiges des doigts. Les deux pre-

miers doigts font une saillie assez nette, les trois derniers sont à peine visibles.

Les mouvements de l'épaule et du coude sont normaux ; le rudiment de

main jouit d'une mobilité indépendante.

La radiographie du membre montre que les deux os de l'avant-bras existent

avec leurs saillies et leurs cavités, mais ils sont déformés et minuscules ; de

plus, ils sont incurvés sur eux-mêmes, comme si une pression les avait arrê-

tés dans leur développement.

Le cubitus décrit une courbe prononcée à concavité dirigée en dedans, son

corps très volumineux pour sa longueur présente à sa partie moyenne une

grosse tubérosité saillante sur sa face externe. Son extrémité supérieure est

très volumineuse et égale environ à la moitié de sa longueur totale ; l'olécrâne

est plus large que haute ; l'apophyse coronoïde est déjetée en dehors. La cavité

sigmoïde, fort grande, embrasse la trochlée. La tête du cubitus est petite, ne

possède pas d'apophyse styloïde, et repose sur le radius.

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 329

Le radius décrit également une forte courbe à concavité interne ; il s'épaissit

peu de haut en bas, et présente une tubérosité à sa partie moyenne. Son ex-

trémité supérieure est remontée en avant du condyle huméral et s'articule

avec la face antérieure de ce dernier-; la tubérosité bicipitale fait une forte

saillie. L'extrémité inférieure est très déformée ; elle est allongée transversale-

ment, aplatie de haut en bas, pyramidale à base externe, et à sommet débor-

dant en dedans la tête cubitale ; cette dernière en effet repose sur la face su-

périeure de l'épiphyse radiale; enfin on ne trouve pas trace de l'apophyse

slyloïde de cet os. Les os du poignet et de la main font défaut ; notons seule-

ment sur l'épreuve une petite ombre, à leur niveau, représentant un point

osseux isolé.

L'interrogatoire révèle un frère et une grand'mère ayant un pied-bot.

XXXII. Saint-Martin, Note sur un cas de monstre autosite ectromélien

hémimèle. Bulletin de la Société médicale de Pau, 14 février 1902, n° 5,

p. 90-93.

Enfant de 3 à 4 ans, ayant la tête et le tronc bien conformés ; il s'est noyé.

Membre supérieur droit. Normal, sauf la main qui est privée du médius,

ainsi que du métacarpien correspondant ; l'annulaire est fléchi et ankylosé à

l'articulation phalango-phalangienne.

Membre supérieur gauche. Le bras est normal, mais il y a ankylose du

coude ; les mouvements de flexion de l'avant-bras sur le bras sont impossibles

tandis que les mouvements de pronation et de supination existent. Le cubitus

et le radius séparés la partie supérieure de l'avant-bras se fusionnent en bas

pour former un semblant d'articulation radio-carpienne, sur laquelle vient' se

greffer un rudiment de main gauche réduite au 5' métacarpien et au lor mé-

tacarpien surmonté de la lr0 phalange de l'index sans ongle, supportant elle-

même un moignon de pouce avec ongle, mais sans squelette.

Membre inférieur. De chaque côté, il est incomplet et grêle, d'une seule

pièce, le pied mis à part, sans articulation du genou. Est-ce une cuisse, est-ce

une jambe ? Toujours est-il que ce segment de membre s'articule mollement à

un bassin qui parait normal. On est embarrassé pour déterminer quel est l'os

qui supporte ce membre abdominal, fémur ou tibia ? On ne sent pas de tubé-

rosité trochantérienne, pas de trace de courbures fémorales, pas de condy-

les ; l'os, au lieu d'être cylindrique comme un fémur est plutôt prismatique

triangulaire comme un tibia, avec arête tranchante antérieure; absence de

péroné, et cependant, en bas, on trouve de chaque côté deux malléoles avec

une articulation tibio-tarsienne fonctionnant très bien. Les pieds sont presque

normaux, à part les détails suivants : le gauche n'a pas de 9° orteil; de plus,

le 3e et le 4°, un peu atrophiés, semblent greffés sur un même métatarsien.

Le pied droit est absolument normal, sauf qu'il est un peu dévié en valgus.

XXXIII. - AzouLAS·, Hémimélie bi-tlaoracique. Bull. Soc. anthropol.

Paris, 1902, p. 51. .

L'auteur présente la photographie d'une femme atteinte d'hémimélie des

330 KLIPPEL ET BOUCIIET

deux membres supérieurs. Le bras droit ne présente plus qu'un doigt, muni

d'ongle. Ce doigt semble être l'index ou le médius. L'avant-bras extrêmement

grêle paraît ne pas présenter de carpe. Le bras gauche possède 3 doigts :

pouce, index et médius, tous munis d'ongle. L'extrémité inférieure du cubitus

semble s'être développée. C'était une espagnole qui montrait son infirmité pour

quelques sous .

XXXIV. - HEITZ (J.) et Infroit (C.), Un cas d'hémimélie du membre abdo-

minal droit, étudié par, la radiographie. Nouv. Iconog. de la Salpêtre,

p. 265-271. -

Le sujet est une femme de 58 ans, malade du service du Professeur Deje-

rine. La cuisse est légèrement raccourcie, le genou est ankylosé en flexion, la

rotule fusionnée au condyle interne, la jambe très atrophiée, la plante du pied

regardant en haut, accolée à la face interne de la cuisse ; il n'existe que deux

orteils, avec leurs métatarsiens et leurs phalanges ; c'est une hémimélie par

absence du péroné.

XXXV et XXXVI. - J. Mouchotte. - Obs. I. Hémimélie thoracique

gauche, Soc. anat. Paris, 1.902. p.741.

T. J..., 33 ans, piqueuse à la machine. Le père, gendarme, et la mère, cou-

turière, sont morts tous deux à un âge déjà avancé. Ils étaient bien conformés,

très sobres. Tels sont les seuls renseignements se rapportant aux antécédents

héréditaires de T. J..., que nous avons pu recueillir.

T. J... avait un frère qui mourut tuberculeux à 29 ans ; elle a une soeur ac-

tuellement âgée de 30 ans et bien portante ; le frère et cette soeur naquirent

parfaitement conformés.

T. J... marché très jeune et toujours bien. A part une fièvre typhoïde

contractée à l'âge de 12 ans, elle n'a jamais été malade. Pas de nervosisme. La

taille est moyenne. Le squelette, le membre malformé excepté, ne présente

aucune difformité. En dehors de l'hémimélie on ne constate aucune autre

malformation congénitale. La dentition est régulière. La langue est légèrement

raghadée. L'appareil de la reproduction a normalement fonctionné.

T. J... a été réglée s 15 ans. Elle a mené deux grossesses à terme. Les ac-

couchements ont été simples. Chaque fois la présentation était celle du sommet.

Les suites de couches ont été physiologiques.

La 2" grossesse cependant fut un peu pénible ; 15 jours avant l'accouche-

ment, les urines auraient renfermé une légère quantité d'albumine. Le liquide

amniotique, lors de ces deux accouchements, aurait été relativement abondant.

Quant aux deux enfants, un garçon et une fille, ils sont nés vivants, sans

malformation. Ils ont été élevés au sein maternel et sont actuellement tous

deux bien portants. Il est regrettable qu'on ne puisse être fixé sur leur poids à

la naissance, ainsi que sur le poids et l'état des arrière-faix.

T. J... présente une hémimélie thoracique gauche. L'humérus gauche a la

même longueur que l'humérus droit. Le membre supérieur gauche se termine,

un peu au-dessous de l'articulation du coude, par un moignon arrondi qui me-

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 331

sure immédiatement au-dessous de cette articulation une circonférence de

10 centimètres.

Le coude de ce membre malformé reposant sur un plan résistant, le moignon

légèrement fléchi, on constate sur la face interne du moignon, un peu en re-

trait sur l'extrémité arrondie, un petit appendice représentant une main avortée.

Ce petit appendice, disposé dans le plan vertical dans la situation où nous

examinons le membre, est constitué par cinq tubercules cutanés, arrondis, su-

perposés : un supérieur, du volume d'un pois séparé par un profond sillon

des quatre autres qui, eux, ne sont isolés que par des sillons'beaucoup moins

accentués. Ces appendices s'insèrent sur un large pédicule dont ils sont sépa-

rés par un pli.

Au point où ce pédicule élargi se fixe sur le moignon on observe deux plis

cutanés de flexion, l'un un peu postérieur au premier. C'est au niveau de ces

plis et particulièrement au niveau de l'antérieur que s'exécutent les mouve-

ments volontaires de flexion de l'appendice sur le moignon. Les mouvements

s'accompagnent de très petits craquements.

Dans le pli antérieur, des objets ténus sont solidement fixés. La femme y

place son aiguille qu'elle enfile de la main droite.

Quant aux bourgeons digitaux, ils n'ont pas de mouvements partiels et ne

se déplacent qu'en totalité avec tout l'appendice.

Avec son moignon la femme fixe son ouvrage sur la machine à coudre,

pousse la toile et exerce convenablement son métier de piqueuse.

La sensibilité du moignon, de l'appendice, des bourgeons digitaux est très

développée et à tous les modes.

L'humérus gauche a ses muscles légèrement atrophiés ; le bras en son mi-

lieu n'a que 18 centimètres de circonférence. Le bras droit à la même hauteur

mesure 22 cent. 1/2.

Lorsqu'on ne regarde plus le moignon par sa face interne, mais directement

de bout, on constate qu'il présente à sa partie inférieure une petite fossette,

centre de convergence de huit plis cutanés disposés radiairement. Cette petite

fossette n'a ni l'apparence ni le caractère d'une cicatrice.

Cas. IL - Hémimélie thoracique droite.

L. L..., âgée de 4 ans, a marché à 14 mois et toujours bien. Elle eut la rou-

geole à 2 ans. Cette affection exceptée, la santé fut parfaite. Bon état général.

Pas de rachitisme. Bonne dentition. Pas de stigmates de dégénérescence. En de-

hors de l'hémimélie thoracique droite, L. L... est parfaitement bien conformée.

Le membre supérieur droit n'est représenté que par le bras dont l'os forme

à son extrémité inférieure, comme une sorte de crochet incurvé en avant.

L'articulation du coude n'existe pas. Un très court, moignon cutané recouvre

le crochet humera ! , formant un rudiment d'avant-bras.

A la partie supéro-interne de ce moignon et à son extrémité, se trouve un

petit appendice cutané dû volume de deux pois, légèrement pédiculé, présen-

tant sur son bord libre cinq petits tubercules séparés par des sillons et disposés

exactement comme les cinq doigts d'une main.

332 KL1PPEL ET BOUCHET

Cette main avortée se replie sur le moignon, l'insertion du pédicule servant

de charnière, de pli de flexion. Dans ce pli, des épingles peuvent être main-

tenues solidement ; le petit moignon, animé dans sa totalité de mouvements

volontaires, possède une sensibilité très développée, à tous les modes.

Des mouvements délicats sont exécutés par ce membre frappé d'arrêt de

développement. En outre, la petite L. L... a suppléé à l'insuffisance fonction-

nelle déterminée par cette hémimélie, par une éducation de son autre main et

de ses pieds, particulièrement du pied correspondant au côté de l'hémimélie;

entre le pouce et l'index de sou pied droit, elle comprime avec force, saisit

des objets, les ramasse terre, défait la chaussette de la jambe gauche, etc.

L'extrémité du moignon est lisse, sans dépression, sans plis cutanés, sans

cicatrice.

Cette petite hémimèle est née de parents bien constitués, sobres, sains.

Aucun signe ne permet de dépister la syphilis chez les ascendants directs.

Mais signes nets d'endométrite maternelle, antérieure à la conception et au

développement de la petite L. L....

XXXVII. HALBRON, Un cas de phocomêlie et hémimélie.

Nouv. Iconog. Salpêtr., 1903, p. 122.

Sujet masculin, âgé de 16 ans, malade de l'hospice d'Ivry. Il s'agit d'une

hémimélie abdominale droite, et de ohocomélie avec hémimélie par absence du

péroné à gauche. Pas de syphilis dans les antécédents.

XXXVIII. - KLIPPEL et RABAUD (Et.), Sur une forme rare d'hémimélie

radiale intercalaire. Nouv. Iconog. Salpètr. Paris, 1903, p. 238.

Il s'agit d'un cas d'hémimélie radiale très atténuée du membre gauche, por-

tant principalement sur la pue phalange du pouce, et en correspondance avec

une atrophie assez intense des muscles de l'éminence thénar de la main droite.

L'hémimélie n'est pas d'ordinaire strictement limitée au tissu osseux. Bien

au contraire, elle porte sur l'ensemble du tissu conjonctif embryonnaire du

membre, sans égard pour les différenciations ultérieures qu'aurait acquises le

tissu conjonctif. '

XXXIX, - E. f3EIlTIN et M. Oui, Monstre ectromélien hémimèle.

Echo médical du Nord, 1903, p. 378.

Il s'agit d'une fillette de 7 mois, ayant une hémimélie abdominale bilatérale,

une hémimélie thoracique droite, une ectrodactylie et syndactylie gauches.

XL. Fischer (IL), Fait von Hémimélie. N. Yorker med.

Monatschrift, 1904, XVI, 526.

Malade : 62 ans. Pas de difformités congénitales dans sa famille. Au bras

droit, ankylose de l'articulation du coude. Le radius est plus court et plus pe-

sant que normalement; le cubitus n'est formé qu'aux 2/3. Des os du carpe

3 seulement sont développés : scaphoïde, semi-lunaire et trapézoïde ; des doigts,

seuls le pouce et l'index existent.

Au bras gauche, il y a également ankylose de l'articulation du coude ; le ra-,

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 333

dius est plus court que normalement; le tiers supérieur du cubitus est formé ;

au carpe, il y a un seul os ; au métacarpe, un seul doigt est entier ;' le pouce

n'a que la première phalange, et l'index, la phalangette. Ce qu'il y a d'inté

ressant dans ce cas, c'est l'atrophie du cubitus, bien moins souvent atteint

dans ces cas d'hémimélie que le radius.

Pli. - Faix, Musculature du membre malformé chez un hémimèle.

Bull. Soc. obstét. Paris, 1906, IX, p. 88-93.

Un nouveau-né porteur d'une hémimélie thoracique droite, ayant en outre,

à gauche une main bifide avec syndactylie des deux premiers doigts et des

trois derniers, et un bec-de-lièvre simple, unilatéral gauche, mourut 30 minu-

tes après sa naissance.

Radiographies. - L'humérus est sensiblement atrophié à partir du V del-

toïdien, se terminant à 5 millimètres environ du revêtement cutané du moi-

gnon brachial par une surface mousse. A la main, les cinq métacarpiens sont

divisés en deux groupes : l'externe comprenant le 1 cr métacarpien, le 28 et le 30,

celui-ci légèrement incurvé en dehors, tendant à rejoindre l'extrémité supé-

rieure du 2e ; dans le groupe interne, se trouvent les 3e et 40 métacarpiens.

La division de la main en deux portions va donc jusqu'au milieu des métacar-

piens.

Dans le groupe externe, on note la présence de deux phalanges pour le

pouce, auquel est accolé non pas l'index, mais bien un second pouce d'aspect

extérieur exactement semblable et ne comportant lui aussi qu'une phalange et

un phalangette. Ce second pouce décrit dans son ensemble une courbe il conca-

vité externe, et ce fait nous est expliqué quand nous nous apercevons que sa

phalange est intimement soudée avec celle du 3° doigt, qui lui, comporte une

ossature normale.

Dans le groupe interne, le 4° doigt est normal, et seul le 58 manque de pha-

lancina, n'ayant comme un pouce, que phalange et phalangette.

Dissection. Le deltoïde est normal. Le grand pectoral est très anormal ;

on doit ici le considérer comme un muscle de renforcement qu'on pourrait

appeler obturateur de l'aisselle; les autres muscles de l'épaule sont normaux.

Au bras, il n'y a pas de longue portion du biceps ; la courte portion est à

peine indiquée ; le corps musculaire n'existe pas différencié. Le vaste externe

est nettement représenté ; le vaste interne consiste en un amas fibro-muscu-

laire sur lequel se jette le tendon commun au coraco-brachialet aux fibres su-

périeures du grand pectoral surmonté en dehors d'un corps charnu mal diffé-

rencié, longé à sa partie externe par le médian et l'artère humérale que bordent

en dehors les faisceaux terminaux du deltoïde. De là part un tendon assez fort

qui se perd insensiblement sur la coque fibreuse qui entoure le moignon ter-

minal. A la partie postérieure du bras, il est impossible de différencier un

faisceau musculaire; à la partie inférieure seulement un tendon assez net vient

se jeter sur la coque fibreuse terminale.

En avant et en dehors existent aussi trois tendons différenciés qui semblent

répondre plus à des muscles de l'avant-bras qu'à des muscles du bras.

334 li KLIPPEL ET BOUCHET .1

Les nerfs ont été examinés par M. Durante. Le cubital est plus grêle, du

côté malade. Les tubes nerveux sont normaux ; l'atrophie est seulement quan-

titative ; dans l'ensemble, l'épaisseur est moindre d'un quart. Cette diminution

est encore plus notable si on considère individuellement les faisceaux, car l'a-

trophie totale est en partie masquée par une hyperplasie du tissu interstitiel.

Le brachial antérieur n'est pas différencié, ni le long supinateur non plus.

Le triceps est fortement atrophié ; le petit palmaire est absent ; le grand pal-

maire et le cubital antérieur sont normaux.

L'artère du nerf médian a un volume considérable.

De l'étude anatomique de la face palmaire, il semble que la division s'est

faite au niveau même des territoires nerveux du médian et du cubital, celui-ci

formant un collatéral de plus, quoiqu'on trouve trace du filet du médian cons-

tituant normalement le collatéral externe du Se. La distribution artérielle et

musculaire a suivi la même division, les tendons des doigts syndactylisés

ayant tendance à contracter des connexions de suppléance.

A la face dorsale, les muscles long supinateur, radiaux, long abducteur du

pouce, long extenseur du pouce sont normaux; les muscles court extenseur du

pouce et extenseur propre de l'index manquent. L'extenseur commun donne

deux faisceaux : l'externe se divise tardivement en deux larges tendons pour le

2° et le 3e, et envoie une expansion longue au faisceau interne ; l'interne donne

deux tendons pour le lie et le 58 ; ce dernier est double sur une partie de son

trajet.

Le sujet est mort de perforation interventriculaire. L'anomalie du grand

pectoral n'est signalée nulle part, non plus que par Ledouble.

. (A suivre.)

LE RADIO-DIAGNOSTIC

DANS UN CAS DE DILATATION PARALYTIQUE

DE L'OESOPHAGE,

TYPE SACCIFORME DE LEICHTEMTERN,

, PAR

M. BERTOLOTTI, et G. BOIDI-TROTTI,

Directeur de l'Institut de Radiologie médicale Assistant.

à l'hôpital St-Jean de Turin.

Nous avons eu l'occasion dans ces derniers temps de pratiquer le radio-

diagnostic dans un cas très intéressant. ,

On pourra constater par ce qui va suivre toute la valeur de l'examen

radioscopique et l'utilité de la méthode d'exploration radioscopique de

l'oesophage que l'un de nous a proposé dans une note communiquée à

l'Académie de médecine de Turin en 1905 (1).

Voici l'histoire clinique de ce cas que nous devons à l'extrême obli-

geance du professeur Battistini dans le service duquel a séjourné la

malade.

C. B..., 36 ans, femme mariée. Rien à noter dans les antécédents héré-

ditaires. Scarlatine à l'âge de 6 ans ; à 8 ans, sans cause appréciable,

elle est frappée d'une lésion inflammatoire dans la malléole externe droite,

il s'esl agi probablement ici d'une ostéite tuberculeuse qui a duré

cinq mois.

A 16 ans, tuméfaction douloureuse de la région sous-maxillaire droite

avec fièvre et rougeur de la peau. Bientôt il se fait un abcès qui fut

incisé quinze jours après.

La maladie actuelle a commencé à 17 ans : à cet âge la malade commença

à ressentir une sensation de lourdeur à la région inférieure du sternum

et notamment à l'épigastre. Cette sensation de poids se manifestait spécia-

lement après les. repas. Notre malade ne tarda pas à noter que les liquides

passaient facilement, tandis que les aliments solides étaient déglutis pé-

niblement.

(1) M. l3aaroLOrTi. Un 1 ! 1l0VO metodo di radioscopia esofagea. Séance du 24 novem

re 1905.

336 BERTOLOTTI ET BOIDI-TROTTI

Les phénomènes en question n'ont pas changé jusqu'à t'age de 23 ans.

A cette époque la malade se marie et a 6 accouchements successifs ; or

pendant qu'elle était enceinte les phénomènes morbides empiraient, la

difficulté dans la déglutition augmentait et apparaissaient des vomissements

très fréquents.

Depuis quelques années, la malade s'est aperçue que dans le écubit1ts

latéral gauche elle a spontanément et sans efforts une régurgitation du contenu

gastrique.

Il y a trois ans, la malade eut une hématémcse très abondante sans cause

appréciable.

Dans ces derniers temps les troubles gastriques sont allés en augmen-

tant d'une façon lente et régulière, tellement que la malade est réduite à

présent à une alimentation exclusivement liquide.

Etat présent. - Malade très amaigrie, pâle, cachectique. Elle entre à

l'hôpital le 22 juin et après un séjour de 5 jours seulement retourne dans

son pays.

Si l'on suit la malade pendant qu'elle avale son bol de lait, on peut as-

sister à des mouvements bien étranges : en effet, B... pour faire passer

ses aliments, qu'elle sent arrêtés au niveau de la portion inférieure du

sternum, se tapote assez violemment la poitrine avec le poing fermé.

Pendant cette déglutition laborieuse, on peut assister à toute une série

de symptômes alarmants : la malade devient cyanotique, les réseaux vei-

neux du cou se gonflent énormément, les muscles slerno-mastoïdiens font

saillie des deux côtés; il y a dyspnée, stertor trachéal et râle bronchial

qu'on peut entendre à distance.

Pendant les efforts de vomissement qui suivent une déglutition difficile,

on peut voir le côté droit de la région cervicale antérieure se gonfler con-

sidérablement, notamment dans la fossette supra-claviculaire.

A la percussion du thorax faite postérieurement du côté droit, on note

une zone de matité qui s'étend de l'épine de-1'omoplate et descend en bas

à côté de la colonne vertébrale.

Sur cette zone on n'entend ni le frémissement vocal, ni le murmure

respiratoire,en dehors de cette zone d'obscuritéle son est nettement tym-

panique, tandis que la respiration est normale.

Les sommets sont normaux.

Rien de particulier dans le côté gauche du thorax, coeur dans les limi-

tes normales, rien à la charge des gros vaisseaux. Pouls lent et régulier;

les deux pouls radiaux à droite et à gauche parfaitement synchrones. Phé-

nomène d'Olivier-Cardarelli absent.

Rien à l'auscultation trachéale. Les pupilles sont égales et réagissent

bien à la lumière et à l'accommodation.

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RADIODIAGNOSTIC DANS UN CAS DE DILATATION PARALYTIQUE DE L'OESOPHAGE .

(Bertolotti et Boidi-Trolti) .

LE RADIO-DIAGNOSTIC 337

L'examen de l'abdomen décèle une ptose gastrique discrète, l'estomac

est un peu plus en bas et en position oblique à gauche.

En présence de ces symptômes, on pose le diagnostic clinique de sténose

du cardia, probablement de nature spasmodique, avec présence d'un di-

verticule de la première portion de l'oesophage au niveau de la région sous-

claviculaire droite.

Voici, à présent, les données qu'on a pu établir au moyen du radio-

diagnostic :

A l'examen radioscopique antérieur (PI. LVII, A) on aperçoit dans le

côté droit du thorax une ombre allongée dans le diamètre longitudinal et

qui se prolonge du rebord inférieur de la première côte jusqu'au sinus

costo-diaphragmatique du même côté.

Dans le diamètre transversal cette zone, qui a un profil bien net, occupe

toute la largeur de la base du sommet droit et s'étend en bas obliquement

en dehors jusqu'à l'insertion costale du diaphragme.

A gauche cette ombre se confond avec celle du coeur et des gros vais-

seaux. On ne peut saisir aucune pulsation dans les limites de celte zone ;

à gauche on peut voir les contractions du ventricule gauche du coeur,

mais l'on ne peut bien fixer la position de la pointe.

Après cet examen radioscopique on n'a pu formuler aucun diagnostic,

on rejette seulement par exclusion le diagnostic de dilatation aortique

posé par d'autres médecins radiographes, mais l'on reste très incertain

et très étonné en présence d'un profil radioscopique tellement anormal.

Dans un deuxième examen radioscopique dans la position oblique an- ¡

térieure droite, on fait déglutir à la malade une capsule de gélatine rem-

plie de bismuth clans le but d'explorer le trajet de l'oesophage et de voir

s'il existe la sténose qu'on a diagnostiquée cliniquement.

La capsule est déglutie et vient s'arrêter au niveau de la crosse amorti-

que ; arrivée à cet endroit la capsule se dépose dans le sens transversal et

après quelques secondes elle suit un trajet parfaitement horizontal et vient

se montrer dans le thorax droit au niveau du deuxième espace inter-

costal.

A ce moment, suivant la méthode d'exploration de l'oesophage que l'un

de nous a décrite (1), on fait avaler à la malade quelques gorgées d'une so-

lution concentrée de bicarbonate de soude et après, un demi-verre d'une

solution d'acide citrique : on voit tout de suite alors s'éclairer le sommet

droit et les espaces intercostaux devenir visibles, si bien que en regardant

de près on voit que la capsule de bismuth repose dans le cul-de-sac d'une

dilatation de l'oesophage (PL LVII, B).

(1) BERTOLOTTI, IOC. Ctt.

338 R 13ER'foLO'f'fl ET BOIDI-TROTTI

Dans une troisième reprise de l'examen radioscopique, on fait déglutir

encore une autre dose du mélange effervescent et l'on peut voir avec sur-

prise que toute cette ombre foncée du médiastin s'éclaircit peu à peu, de

façon qu'il est possible de constater la position de la pointe du coeur qui

bat dans le cinquième espace intercostal.

La PI. LVIII, C est très démonstrative : on voit le premier diverticule

supérieur très arrondi et rempli par les gaz, on voit aussi très bien la di-

latation sacciforme inférieure qui est devenue très claire après l'introduc-

tion du mélange effervescent et l'on peut suivre tout le contour de cette

dilatation qui se porte à gauche au-dessous de la pointe du coelll' dans le

sixième espace intercostal.

Il fallait encore démontrer qu'il ne s'agissait pas d'une hernie diaphrag-

matique de l'estomac, comme on en a relaté quelques cas (1), et cette

démonstration nous l'avons eue facilement, puisqu'on a pu voir à la radios-

copie l'estomac se dilater lentement au-dessous du diaphragme par les

gaz qui venaient de l'oesophage.

Il s'agissait enfin de se faire une idée sur les voies de communication

existant entre les deux gonflements de l'oesophage et nous avons eu bien

de la peine à introduire une sonde gastrique, qui, après s'être arrêtée

dans le premier gonflement, est remontée de droile à gauche tout le long

du cul-de-sac du premier diverticule et après est descendue dans la dila-

tation sacciforme inférieure, de façon que nous avons pu radiographier

cette sonde qui traversait tout le thorax droit de dedans en dehors et allait t

s'arrêter dans le sinus costo-diaphragmatique droit (Pi. LVIII, D).

Nous nous trouvons en présence d'un cas exceptionnel qui n'a, par

son côté radio-diagnostique, aucun exemple analogue dans la littérature;

en effet la plupart des cas de dilatation considérable de l'oesophage ont été

étudiés à l'autopsie. Schwôrer (2) dans un cas semblable avait eu recours

à l'examen radioscopique, mais avec peu de résultat. En réalité il convient

de mettre en relief l'utilité de la méthode basée sur l'introduction des

poudres réophores dans l'oesophage, puisque, comme on le voit par les ra-

diographies très démonstratives à cet égard, sans cet artifice l'interpréta-

tion de l'image radioscopique, notamment pour ce qui a trait il l'ombre

médiastinale, était bien autrement difficile.

Quelle a pu être, dans notre cas, la cause de cette double dilatation

énorme de l'oesophage ? Il s'agit probablement ici d'une dilatation paraly-

(1) D' Guido IIOL%KNECIIT, Die r6nlgenologische Diagnoshk der Erhrankungen der

Brusteingeweide . Fortschritte Rbntgenstrablen, 1901, p. 202-203.

(2) SCIIWOIIEII, Iiinch. med. Woch" 1899, n° 2 : j,

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PI. LVIII

c

D

) : 1DIODI4GIOST1C DANS UN CAS DE DILATATION PARALYTIQUE DE L'OESOPHAGE.

(Bertolotti et Boidi- Trotti).

LE RADIO-DIAGNOSTIC 339

tique de l'oesophage, sans cause anatomique, par sténose spasmodique du

cardia, selon le type sacciforme décrit par Leichtemtern (1). Pour l'expli-

cation du premier gonflement nous sommes encore plus embarrassés;

peut-être, selon les hypothèses émises par quelques auteurs dans des cas

de ce genre, le diverticule supérieur serait-il congénital.

Il faut signaler que dans notre cas, par analogie avec ceux observés par

Hblder et par Rosenheim, on constata une zone de matité tout le long de

la colonne vertébrale à droite. Chez la malade que nous avons observée,

aussi bien que dans les deux cas de Hôlder et de Rosenheim, cette zone

de matité allait en augmentant de haut en bas.

Il est vraiment regrettable que dans ces deux cas l'examen radiosco-

pique n'ait pas été fait. '

Une telle entité morbide est très obscure cliniquement ; toutefois, on ne

peut dire qu'elle soit exceptionnelle, puisqu'on en a déjà compté plus de

70 cas dans la littérature.

Il faut ajouter pourtant que jusqu'à présent cette maladie n'a eu qu'un

intérêt anatomo-pathotogique, puisqu'elle échappe très facilement au

diagnostic clinique.

Seulement dans trois cas : cas de Haybaum, de Rumpell etdeSchwôrer,

le diagnostic fut fait pendant la vie du malade sans l'appui de l'examen

radiologique.

Nous retrouvons dans l'histoire clinique de ces trois cas les mêmes

symptômes qu'on a constatés chez notre malade : c'est-à-dire la longue

durée de l'affection, les signes simulant une simple sténose du cardia,

rage de développement de la maladie entre 20 et 40 ans et les sensations

subjectives caractéristiques.

On doit considérer l'hématémèse survenue il y a'trois ans comme due à

des varices oesophagiennes qui sont fréquentes dans ces formes. Il est re-

grettable que la malade n'ait pas voulu rester plus longtemps à l'hôpital,

on aurait pu de cette façon compléter mieux son histoire clinique et tenter

l'endoscopie de l'oesophage.

De toutes façons, tel qu'il est, le cas est particulièrement intéressant

par deux côtés :

1° Par le volume exceptionnel de cette dilatation sacciforme.

2° Par la valeur de l'examen rontgénologique fait avec l'introduction

d'un élément gazeux dans l'aesopllage.

1) Voir à ce propos la monographie de Kiuus dans ['Encyclopédie de Nothnagel.

TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE

DE PORT-ARTHUR

PAR

S. WLADYCZKO,

Ancien Médecin de l'asile d'aliénés de Port-Arthur, actuellement Médecin de la

clinique des maladies du système nerveux à ICie(f.

A partir du 27 janvier 1904 (début de la guerre russo-japonaise)

jusqu'au 9 mai 1905, jour où les aliénés quittèrent Port-Arthur, nous

eûmes à constater parmi les officiers et soldats de la garnison (environ

52.000 hommes, y compris les marins) 42 cas d'aliénation mentale pou-

vant se répartir de la manière suivante : 5 cas jusqu'à l'ouverture des

hostilités, mais ces malades n'entrèrent à l'hôpital que^dans les premiers

mois du siège; 3 pendant la première période, 26 pendant la seconde et

8 après la capitulation.

La première période donne seulement 3 cas d'aliénation, car à ce mo-

ment du siège, la vie à Port-Arthur suivait son cours ordinaire. L'ennemi

était encore à une assez grande distance de la forteresse et le secours

attendu d'un jour à l'autre. Il y avait des vivres en quantité suffisante.

Comme les régiments placés aux avant-postes pouvaient être relevés, les

soldats ne ressentaient pas la fatigue et se trouvaient dans une excellente

disposition d'esprit ; ils considéraient d'ailleurs la situation présente

comme temporaire, sûrs de rester enfin victorieux. Les défenseurs de la

place n'étaient donc ni affamés, ni surmenés. Les communications avec

la mère-patrie n'étant pas interrompues, ils avaient en outre la possibilité

de recevoir des nouvelles de leur pays et de leur famille. Toutes ces cir-

constances favorables réunies ne pouvaient manquer d'avoir une bonne

influence sur l'état psychique des troupes. Voilà pourquoi je pense que

le laps de temps compris entre le 27 janvier et le 13 mai n'a donné que

3 cas d'aliénation mentale.

Mais quand l'ennemi cerna la forteresse de toutes parts, livra ces vio-

lents assauts, bombarda la ville sans relâche des semaines entières; le

nombre des morts et des blessés augmenta de jour en jour; les vivres

s'épuisèrent avec rapidité, l'ennemi devint plus acharné et le scorbut ré-

gna en maître. C'est alors que la situation des assiégés devint intolérable ;

à mesure que leurs forces diminuaient leur labeur devenait plus pénible et

l'épuisement du système nerveux atteignit son apogée.

TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 341

Nos soldats travaillaient malgré tout. Dans la boue, exposés au froid,

couverts de vermine, affamés, grelottants, ils repoussaient de jour les as-

sauts des assiégeants, de nuit restauraient les tranchées, les blindages, et,

ce qu'ils avaient obtenu au prix de tant d'efforts était de nouveau détruit

dans le courant de la journée. Les Japonais cencentrant le feu de leur

artillerie sur un certain pomt des fortifications y faisaient pleuvoir une

grêle de mitraille. Il semblait que tout dût périr dans cette atmosphère

asphyxiante de projectiles en explosion. Effectivement tout était anéanti :

les blindages, les retranchements, les canons.

Malgré cela, la vaillance du soldat russe ne sedémentitpas un instant ;

s'il fut terrassé dans la suite, c'est non seulement sous t'influence de l'ar-

tillerie japonaise, mais aussi de ses deux alliés, l'épuisement et le scorbut.

Pendant les deux ou trois derniers mois du siège, les régiments des

forts rappelaient des martyrs. Ce n'étaient plus des hommes, mais des om-

bres : des squelettes vivants.

Ajoutez à la souffrance physique, la dépression morale causée par l'iso-

lement complet où ils se trouvaient du reste du monde, ne recevant au-

cune nouvelle de leurs familles, de leurs amis, de leur patrie, et les rares

informations pénétrant de temps à autre annonçaient toutes nos défaites

successives ; la retraite de l'armée vers le nord.

Une autre circonstance agit aussi défavorablement sur la sphère psy-

chique des défenseurs. Ce fut la situation où ils se trouvaient pendant

plusieurs mois, s'attendant de minute en minute à être mutilés, estropiés

et se trouvent parfois dans l'impossibilité absolue de tirer vengeance

d'un ennemi qui était le plus souvent invisible, inabordable et cependant

les battait sans merci, les écrasait sous le feu de son artillerie.

Dans le but de mieux faire comprendre l'état psychique de nos soldats,

nous décrirons brièvement l'aspect de la Colline de 203 mètres trois ou

quatre jours avant l'occupation japonaise. « Tous les retranchements, tous

les blindages sont détruits, les soldats n'ont rien pour s'abriter. Ceux qui

occupent les hauteurs de la montagne ont constamment la carabine à la

main, toujours prêts à repousser les attaques des assiégeants. Mais l'en-

nemi n'apparaît pas, et, à sa place, une pluie d'obus, souvent de gros

calibre, transforment des bataillons entiers en monceaux de chair san-

glante. De nouveaux bataillons arrivent pour remplacer les morts et les

blessés, mais ils partagent bientôt le sort de leurs devanciers. Le sol est

imprégné de sang et couvert de membres humains. Il est impossible de

passer sans fouler aux pieds ces débris informes gisant en abondance et

disséminés sur toute l'étendue de la colline... C'est toute une épopée atten-

dant son Homère. Cent mille pouds de métal furent dirigés sur ce seul

point et le métal fut plus puissant que l'homme. »

22

342 WLADYCZKO

Toutes ces circonstances, surpassant les forces physiques et morales, ne

pouvaient manquer de fournir un terrain favorable aux troubles men-

taux. Dans 26 cas, la maladie se développa rapidement, c'est-à-dire dans

l'espace d'un jour ou deux. La dernière cause était : soit un assaut acharné

ayant duré plusieurs jours, soit la mort d'un ami, combattant à ses côtés,

déchiré, broyé par un boulet ennemi, soit une retraite précipitée devant

l'assiégeant, ou bien encore une forme aiguë de scorbut.

L'ictus émotionnel jouait sans contredit un rôle dans certains cas. Par

exemple, le 31 mars 1904, quand le Petropavlosk fut englouti en moins

de deux minutes et laissa seulement quelques épaves auxquelles se cram-

ponnaient un petit nombre de survivants, un officier d'artillerie obser-

vant l'escadre d'un fort du littoral, étendit soudain les bras comme pour

empêcher le navire de sombrer et s'élança précipitamment au pied de la

colline. Pendant deux semaines il souffrit d'une confusion mentale aiguë.

Certains aliénés ont pu nous fournir des détails sur le commencement

de leur maladie mais, bien entendu, autant que le leur permettaient la

mémoire et une juste appréciation des faits.

B... s'explique ainsi : « Accablé de fatigue, j'étais extrêmement triste

car j'avais vu des blessés et je les plaignais. Il ne doit pas en être ainsi,

me disais-je, pourquoi tuer inutilement. Cette idée m'obséda, je fus pris

de vertige. Envoyé en sentinelle, je me couchai en revenant et réfléchis-

sais toujours; puis je me relevai et fis du bruit. On m'envoya à l'hôpital.» JI

T.. : « Pendant un assaut, je fus très effrayé, après cela je crus me

trouver en voyage, me dirigeant vers le nord afin de revenir dans mon

pays. »

B... : «Etant un jour aux positions avancées, j'eus le vertige et me mis

à divaguer. »

M... « Au début de ma maladie je voyais de tous côtés des mines japo-

naises, placées là pour ma perte. » ' «

En ce qui concerne les formes d'aliénation, elles peuvent se répartir de

la manière suivante :

TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 343

344 WLADYCZKO

Dans 3 cas, 'l'aliénation était précédée d'un complet épuisement de

l'organisme causé par une forme aiguë de scorbut ; dans un cas la maladie

apparut immédiatement à la suite d'une crise de pneumonia crouposa,

dans l'autre pendant un assaut. -

Aucun mieux ne se fit remarquer dans l'état de ces malades tant que

dura le siège ; mais après la reddition de la place, recevant une meilleure

nourriture, des soins plus assidus et le retour de la belle saison aidant,

3 d'entre eux, précisément ceux dont la confusion mentale (Amentia Mey-

nerti) avait pour base le scorbut, donnèrent une brusque et rapide amé-

lioration. Dans les deux derniers cas, il n'y en eut aucune jusqu'au mo-

ment du départ.

La psychose périodique sous forme de mélancolie périodique se place

en second lieu. Tous les sujets qui en étaient atteints entrèrent à l'hôpital

avant la capitulation.

La première partie du siège donne 1 malade, la seconde 5. Dans deux

de ces cas nous remarquâmes 3 accès de mélancolie durant chacun de

2 mois 1/2 à 3 mois, dans les autres deux accès de 2 mois 1/2.

Ordinairement tous ces accès se ressemblaient. Le plus souvent nous

observions : un état dépressif très fortement marqué avec des idées déli-

rantes d'auto-accusation, un ralentissement des processus psychiques et

des hallucinations désagréables, parfois terrifiantes. D'autres avaient pour

affection l'angoisse et le désespoir. Le malade P... voyait des Japonais

essayant de l'égorger, ou bien les têtes de ses compagnons défunts.

Dans quatre patients nous avons remarqué des manifestations sembla-

bles à celles dont parle Ozeretskovsky (1) : psychose neurasthénique,

observée à l'hôpital militaire de Moscou, section des officiers. Nos quatre

cas concernent des soldats ; ici nous avons constaté un état d'apathie et

une grande dépression ;en même temps une émotivité exagérée, l'impres-

sionnabilité et des hallucinations conscientes ayant pour objetdes tableaux

de siège ou de vie paisible dans leur pays au milieu d'un cercle de pa-

rents et d'amis. Les patients reconnaissaient eux-mêmes ces hallucinations

et ne croyaient pas à la réalité de leur existence. Tous les quatre se plai-

gnaient de maux de tête, d'ennui, pleuraient parfois et ressentaient une

incapacité absolue au travail. Dans deux cas, nous observâmes une con-

fusion mentale de courte durée. Un examen découvrit dans tous les quatre

un haussement des réflexes rotuliens, dans deux cas le trouble de la sen-

sibilité, sous forme d'hyperalgésie sans classement régulier. Jusqu'à la

capitulation, aucune amélioration visible ne se fit remarquer dans l'état

de ces malades, mais, quand l'atmosphère cessa d'être ébranlée par le

(1) A. Ozeretskowsky, Troubles mentaux causés par la guerre russo-japonaise, pen-

dant la première année, Journal de médecine militaire (Russe), 1905, livre X.

TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 345

bruit du canon, cette terreur inconsciente disparut. Pouvant être alors

mieux nourris et mieux soignés, ils se rétablirent promptement. Malgré

cela, l'idée de leur prochaine traversée, l'incertitude de leur séjour ulté-

rieur à Port-Arthur, leur isolement prolongé du reste du monde ; toutes

ces causes réunies agirent défavorablement sur les malades atteints de

psychose neurasthénique. Voilà pourquoi il n'y eut aucune guérison

complète jusqu'au moment du départ.

Sur quatre aliénés souffrant de psychose alcoolique, l'un entra à l'hô-

pital le dernier mois du siège et trois dans le courant de la semaine qui

suivit la capitulation. Les formes de cette affection cérébrale étaient les

suivantes. Dans trois cas, l'alcoolisme cérébral chronique, dans un, dégé-

nération psychique alcoolique. Jusqu'au départ de Port-Arthur nous

observâmes dans leur état une amélioration graduelle, tant dans la sphère

psychique que dans la sphère somatique.

Dans trois cas de vésanie mélancolique (vesania melancholica S. S. Kor-

sakovi) deux se déclarent dans la première moitié du siège, le troisième

après la capitulation. Là, nous voyons une combinaison des particularités

caractéristiques à la mélancolie et au délire de persécution (paranoia) ;

outre cela, dans deux, des manifestations de confusion mentale (dysnoia

Korsakowi-amentia Meynerti). Le début et le développement de la mala-

die étaient brusques. Les troubles cérébraux se firent remarquer à la suite

d'un long assaut, ayant exigé une grande dépense de forces et une ex-

trême tension d'esprit. Outre ces apparitions de grande dépression psy-

chique on remarquait encore de temps à autre la tristesse avec des idées

délirantes d'auto-accusation et en même temps des idées de persécution.

Dans deux cas il y avait aussi un défaut dans l'association des idées et

l'impossibilité de les coordonner. Tous les trois ont l'air hébété, stupide,

le regard éteint ; ils sont silencieux et recherchent la solitude. Dans le

premier cas nous constatons une abondance d'illusions, d'hallucinations

terrifiantes ; dans un cas à un moindre degré, dans l'autre elles n'existaient

pas. Leurs hallucinations avaient pour objet des scènes de la ville assiégée.

Les malades entendaient les pas des Japonais chargés de les fusiller ou de

les hacher à coups de sabre ; l'un d'eux prenait souvent la porte pour

un ennemi, s'élançait de son côté et la frappait à coups redoublés. Un

second, dont nous avons parlé plus haut, voyait partout des mines. «Les

Japonais les placent autour de nous, disait-il, il suffit de les effleurer

pour être déchiré et périr. » Un troisième était persuadé que les allants et

venants étaient des ennemis désirant le conduire à une mort certaine..

Outre les manifestations énumérées, nous observions souvent : une

profonde tristesse, un complet désespoir et un ralentissement de l'activité

intellectuelle. Le mal faisant de rapides progrès avait au bout de quatre

semaines atteint son complet développement.

346 WLADYCZKO

Dans les deux cas déclarés pendant la première période du siège, la

maladie se maintint in statu quo jusqu'à la reddition delà place. Mais

quand la vie eut repris son cours ordinaire, une amélioration progressive

se fit remarquer ; les affections de tristesse et d'angoisse devinrent plus

rares, l'appétit et le sommeil furent meilleurs à mesure que le scorbut

diminuait. Malgré cela aucun des aliénés ne donna un mieux notable

jusqu'au moment du départ.

Dans les trois cas désignés sous la rubrique de « psychose traumati-

que » la maladie se déclara dans le premier cas immédiatement à la suite

d'une blessure dans les deux autres après des contusions à la tête.

Tous ces trois cas conformément à leur caractère se rapportent : deux

cas la neuro-psychose traumatique avec des apparitions mélancoliques

et un à la mélancolie de forme légère, ce que Korsakoff nomme dysthymia

melancholica : trouble du sentiment, état émotionnel pénible. 1

L'humeur dépressive que nous avons remarquée n'était accompagnée ni

de délire, ni de confusion mentale.

Chez l'un de ces malades nous observâmes des idées hypochondriaques

jointes à une douleur à l'orifice produit par l'entrée et la sortie de la balle.

Dans un cas le mal se développa tout de suite après une blessure et dans

deux, trois ou quatre semaines après des contusions. Chez ces trois patients

la maladie suivit son cours et en arrivant à Odessa ils purent être renvoyés

dans leur village.

Les deux cas de manie déclarés l'un en novembre 1904, l'autre qua-

tre mois après la capitulation, se rapportent à la manie typique (mania

typica seu mania simplex) accompagnée parfois d'accès prolongés de folie

furieuse. Un de ces aliénés se rétablit au bout de sept mois l'autre, que

nous avons pu observer pendant quatre mois, ne donna qu'au bout du

quatrième mois une légère amélioration et en arrivant à Odessal fut di-

rigé sur Vinitza où il entra à l'asile d'aliénés de cet arrondissement. Etait-

ce deux cas de manie, un accès de psychose périodique, il est impossible

de le définir, car nos observations ont été de courte durée et nous avons

perdu de vue ces malades.

Deux sujets souffrant de démence secondaire et deux de démence pré-

coce, l'un avec imbécillité, ne doivent pas être mis au nombre des mala-

des atteints d'aliénation pendant le siège, tous deux réservistes devaient

avoir depuis longtemps des troubles cérébraux.

Jusqu'au départ de Port-Arthur, toute la catégorie qui vient d'être

énumérée demeurera in statu quo.

Les autres formes de psychose étant uniques, n'exigent pas de descrip-

tion spéciale.

De sorte qu'un résumé sommaire nous donne dans 22 cas sur 38 un

TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 347

brusque changement de la sensibilité morale, sous forme de chagrin mo-

ral, tristesse, crainte, angoisse et désespoir. Dans 14 cas sur 22, un dé-

rangement de la sensibilité morale, avec une nuance dépressive, était dès

le début primaire dans les uns, secondaire dans les 8 autres cas.

Toutes les formes d'aliénation développées pendant le siège sont em-

preintes du même cachet : dépression extrême, stupeur de la sphère psy-

chique. Dans 22 cas sur 37, les malades ressentaient presque constam-

ment : la souffrance, le chagrin, la tristesse, l'angoisse, la crainte et le

désespoir. En résumant les 15 derniers cas nous voyons dans 8 un déran-

gement primaire et indépendant de l'intelligence, sans troubles particu-

liers dans la sensibilité morale. Dans 4, une surexcitation de toutes les par-

ties de l'activité intellectuelle et morale. Pendant la période du siège

nous observâmes 3 cas semblables, le quatrième se déclara après la capi-

tulation.

Il faut ajouter à ce qui vient d'être dit plus haut, que sur 37 soldats

atteints de troubles cérébraux pendant le siège, il y avait 17 réservistes,

ce qui fait 45,97 0/0. Pour le démontrer nous donnons ci-dessous un ta-

bleau comparatif du nombre des soldats de la réserve et de l'armée active

souffrant de l'une ou de l'autre forme d'aliénation.

TABLEAU II.

348 WLADYCZKO

étaient malades avant la guerre. A ces cas il convient d'en ajouter 3 de

psychose périodique, 1 de psychose alcoolique, 2 de démence précoce et

1 d'imbécillité.

Parmi les réservistes : 3 cas de psychose périodique, 3 de psychose , 1

alcoolique, 2 de démence secondaire, 1 de folie raisonnante et i de psy-

chose épileptique. Donc dans 17 cas le mal existait certainement avant la

guerre, c'est le 49, 97 0/0. Ainsi les cas d'aliénation développés pendant

le siège de la forteresse sont au nombre de 20 sur 52.000 hommes de la

garnison ou 0,39 sur 1.000.

Il est indispensable de parler encore de 2 malades ne faisant pas partie

du nombre de ceux qui étaient atteints de troubles psychiques pendant

le siège, mais ayant malgré cela passé 4 ou 5 jours à l'hôpital.

Dans un cas nous remarquâmes la confusion mentale, dans l'autre un

état dépressif fortement accusé, accompagné d'idées d'auto-accusation. A

leur entrée, tous deux avaient une température normale. Sauf les mani-

festations pathologiques que nous avons citées, nous ne vîmes aucun chan-

gement dans la sphère psychique. Le quatrième ou le cinquième jour la

température s'éleva tout à coup jusqu'à 39°-40°. Comme ces deux sujets

appartenaient à une compagnie où il y avait eu des cas de typhus récur-

rent, le sang fut examiné et nous y trouvâmes spirill2cna febris recurrentis

Obermeyeri. Tous deux eurent à l'hôpital 3 accès de cette maladie à la

suite desquels les manifestations psychiques s'affaiblirent et disparurent

peu à peu après le dernier accès. Ces deux cas méritent d'attirer l'atten-

tion, car les manifestations pathologiques du côté de la sphère psychique

provoquées certainement par le typhus récurrent se faisaient remarquer

sans élévation de température avant le premier accès, puis pendant des

intervalles entre les accès partiels de cette maladie.

Outre les 37 cas d'aliénation mentale cités précédemment rencontrés

parmi les soldats et 2 parmi les officiers, il y en eut certainement encore

de psychose aiguë qui ne furent pas soignés à l'hôpital.

D'après des témoins oculaires, à l'un des forts de l'aile droite, un ti-

railleur dans l'état duquel rien d'anormal ne s'était manifesté jusque-là,

fut tout à coup surexcité, il s'élança seul vers les ennemis, sans carabine

et sans casquette. Un Japonais l'ayant visé le tua raide.

On voyait aussi des cas de psychose aiguë, développés pendant des as-

sauts et qui ne furent pas non plus soignés à l'hôpital. En voici des

exemples :

Un soldat, de même que celui dont nous avons parlé, et qui, d'après le

récit de ses compagnons, n'avait rien d'anormal dans la sphère psychique,

se mit tout à coup à tirer sur ses camarades et à les percer de sa baïon-

nette, car il les prenait pour des Japonais, déguisés. A peine l'eut-on dé-

sarmé qu'il fut tué par un éclat d'obus.

TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 349

20 cas. Pendant la retraite des « Montagnes vertes un officier ayant

ordonné à sa compagnie de faire balte, dit adieu à ses soldats les larmes

aux yeux et commanda ensuite au sergent-major de continuer sa route.

Resté seul, il se plaça sur une pierre et se mit à sangloter. Ceux qui pas-

sèrent un moment après le trouvèrent déjà mort, un revolver gisant auprès

de lui. Il s'était probablement suicidé.

Nous vîmes aussi des cas de bravoure pathologique : des hommes à l'air

effrayé et considérés comme poltrons devenaient braves tout d'un coup,

mais leur bravoure était parfois dépourvue de sens logique, car ils s'élan-

çaient presque isolément dans les endroits les plus dangereux et péris-

saient inutilement. Il arrivait aussi d'entendre parler de manifestations

contraires. Un homme qui s'était fait remarquer par sa vaillance dans les

combats, se trouvant toujours au premier rang, devenait soudain lâche.

Ce siège prolongé imposa dans les derniers mois un cachet spécial à

tous les défenseurs de la forteresse. On remarquait tout d'abord un grand

abattement moral, une irritabilité maladive. Tous avaient le caractère aigri

et acariâtre. Le plus grand nombre étaient neurasthéniques. Nous-même

avons remarqué plusieurs cas d'hystérie parmi les officiers. La plupart

ressentaient de l'apathie au travail et pendant le dernier mois une indiffé-

rence complète à tout ce qui se passait autour d'eux. Même l'issue du

siège leur était indifférente. « Le dénouement nous importe peu, di-

saient-ils, pourvu que cela finisse ; car nous n'y tenons plus. »

Ainsi parlaient beaucoup de ceux auxquels était cher l'honneur de la

Russie, mais qui ne pouvaient plus supporter la situation présente. Une

tension nerveuse si longtemps prolongée provoquait un extrême épuise-

ment du système nerveux n'arrivant pas jusqu'à la psychose, mais causantau

plus grand nombre une neurasthénie aiguë. A la fin du siège, les hommes

les plus doux étaient devenus insupportables, le bien et le mal étaient,

pour ainsi dire, émoussés. La plupart des assiégés étaient épuisés tant

physiquement que moralement.

L'asile des aliénés fut exposé plusieurs fois au feu des Japonais, mais

aucun projectile n'atteignit le bâtiment. Les boulets tombaient tout autour

sans arriver jusqu'à l'édifice. Des éclats d'obus brisèrent les fenêtres et

démolirent l'angle d'un mur bordant [la cour où les malades se prome-

naient ordinairement. Cet asile offrait un tableau assez original pendant

le bombardement. Quelques-uns ne réagissaient pas au sifflement et à

l'explosion' des obus ; -d'autres, par exemple ceux qui souffraient de psy-

chose neurasthénique, étaient terrifiés, épouvantés el tâchaient de se

mettre à l'abri. Un artilleur malade s'écriait : « Je vis depuis 800 siècles

et n'ai jamais entendu pareille turpitude » puis il commandait : « Pre-

mière, feu ! deuxième, feu ! » En ce moment, des injures cyniques se

350 WLADYCZKO

faisaient entendre. C'était un aliéné, atteint de démence secondaire, qui

devenait furieux pendant le bombardement, mais restait tout à fait calme

si le bruit du canon cessait de retentir.

Parmi les sujets atteints de confusion mentale (Amentia Meynerti-

Dysnoia Korsakowi) les uns ne réagissaient pas du tout, les autres avaient

un air très étonné. L'un d'eux (souffrant d'amentia deliriosa) commençait

à pleurer et s'écriait : « En quoi ai-je offensé le Seigneur ? »

C'est sèulement pendant la première période du siège que de sembla-

bles tableaux se présentèrent à nos regards, plus tard, tous les aliénés

eurent le scorbut, les uns étaient si grièvement malades qu'ils ne pou-

vaient marcher. Lorsque tous souffrirent d'une anémie aiguë et que le

bombardement devint chose normale, ils furent indifférents aux événe-

ments du dehors.

Ainsi, le jour où les aliénés quittèrent Port-Arthur, 9 mai 1905, nous

en trouvons 39 (officiers et soldats) atteints de troubles cérébraux pendant

le siège, dont 2 moururent et le troisième se suicida ; il en resta 36, plus

7 cas d'aliénation déclarés jusqu'au 27 janvier 1904 ou pendant les pre-

miers mois de la guerre. Le nombre total des aliénés passibles d'être éva-

cuésen Russie fut de 43. C'étaient les derniers Russes quittant la forteresse.

De prime abord, il ne semble ni juste, ni logique de voir ces malades

évacués en dernier lieu, mais une semblable manière d'agir avait sa rai-

son d'être. Bien que les Japonais nous aient rendu pénible notre séjour

involontaire à Port-Arthur, ils nous laissèrent partir seulement après

avoir été informés par l'intermédiaire du consulat français, que dans la

rade de Chefoo se trouvait un navire à l'ancre, portant pavillon anglais

et spécialement aménagé au transport des aliénés.

Donc, le matin du 9 mai 1905, ces malades accompagnés de 126 infir-

miers, 2 médecins, 4 soeurs de charité, 1 pharmacien et d'un employé

militaire furent, dans des vagons fermés, conduits à Dalny, puis emba-

qués sur le Djingo-maron, bateau hôpital, tout à fait impropre non

seulement au transport d'aliénés mais aussi de malades quels qu'ils

soient. Dans la rade de Chefoo un canot à vapeur nous transborda sur le

Whampoa.

Ce bâtiment, jaugeant 1.109 tonnes, filant 9 noeuds à l'heure, -était

un navire faisant le commerce depuis vingt ans sur la côte orientale de

l'Asie, de temps à autre dans les ports d'Australie et n'avait jamais na-

vigué en plein océan. Afin de le rendre convenable au transport d'aliénés,

des grillages avaient été placés parallèlement au bord, et en travers du

navire. Ces grillages formaient trois plates-formes et donnaient aux ma-

lades la possibilité de séjourner sur le pont, sans risque de tomber à la

mer ou de s'y jeter volontairement. Comme ils étaient toujours en vue,

TnoUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DU PORT-ARTHUR 351

un petit nombre de gardiens suffisaient il leursurveillance. On avait aussi

installé des bains, des douches d'eau salée et d'eau douce. Les cabines,

placées dans la cale, grâce à une cloison transversale aux deux bord, pos-

sédaient, presque toutes, un hublot. Ces cabines avaient une sortie au

centre de la cale où les serviteurs étaient logés. Les lits de camp, en bois,

fixés au plancher, se trouvaient placés soit parallèlement, soit transver-

salement au navire. Il y avait deux malades par cabine. Pendant la tra-

versée, ces derniers recevaient une nourriture plus abondante, le genre

et la qualité des mets avaient été examinés à Shangaï, par une commis-

sion spéciale, composée de médecins russes, de l'armée de terre et de

mer.

Les malades passaient une grande partie de la journée sur le pont, où

les convalescents jouaient à différents jeux, écoutaient le graphophone ;

ceux qui ne pouvaient marcher y étaient transportés. '

Sur mer, le scorbut disparut promptement, et principalement chez les

malades ayant un état expansif, nous remarquâmes dans ces derniers une

amélioration de la sphère psychique, tandis que le contraire se fit obser-

ver chez les malades avec un état dépressif.

L'influence (1) de la pleine mer sur ces sujets était différente, cela dé-

pendait des formes d'aliénation. Tout d'abord le mal de mer fit trois fois

plus de victimes parmi les aliénés que parmi le personnel de service. Sur

126 infirmiers, 22 souffrirent de ce mal, ce qui fait 17,45 0/0. Sur

A6 malades (nous en primes 3 en route), 24 en furent atteints, cela nous

donne 53,33 0/0. Les aliénés souffrant de mélancolie furent plus expo-

sés au mal de mer que les aliénés atteints de manie, de confusion men-

tale (dysnoia Korsakowi amentia Meynerti) ou de l'une ou l'autre forme

de psychose alcoolique. La disposition ! au mal de mer et son intensité

dépendaient de la sorte de dérangement de la sensibilité : l'étal expansif

semblait en préserver, l'état dépressif y contribuer.

Chez les malades souffrant du mal de mer, on remarquait pendant le

ballottement une aggravation dans toutes les sphères de l'activité psy-

chique, principalement dans le sens du ralentissement du processus psy-

chique, parfois, presque jusqu'à l'arrêt de l'activité mentale. Plus le mal

de mer était violent, plus l'aggravation se faisait observer dans la sphère

psychique. Pendant la traversée, si le ballottementnese faisait pas sentir,

ou pendant notre séjour dans les ports, il y eut dans l'état de ces malades

aggravation dans toutes les sphères de l'activité morale, en un mot, exa-

cerbation de toutes les manifestations pathologiques pendant le roulis ou

le langage et rémission en leur absence.

(1) S. WLADYZCKO, Influence de la pleine mer et du roulis sur certaines formes de

maladies mentales. Kiff, 1906, p. 144.

352 WLADYCZKO

Chez les sujets non exposés au mal de mer en plein océan, on remar-

quait l'affaiblissement des manifestations pathologiques dans la sphère

psychique jusqu'à leur complète disparition.

Il faut ajouter à tout cela que le roulis provoquait un plus violent mal

de mer que le tangage.

La traversée du Whampoa dura 70 jours, après avoir fait, 21 ou 23

jours, escale dans différents ports. En nous rendant à Odessa, nous ne

suivîmes pas la route ordinaire, de Singapour à Colombo ; nous mîmes le

cap droit au sud dans la direction de Java, et de là nous nous dirigeâmes

vers les iles Seychelles, afin d'entrer dans la zone du calme ; mais nous

ne trouvâmes pas la bonace attendue, et à sa place un violent roulis qui

dura tout le temps de notre passage.

Voulant non seulement placer les aliénés dans des conditions favorables

en évitant le ballottement du navire, nous voulions aussi nous soustraire

au danger auquel nous exposerait la houle pendant la traversée de Singa-

pour à Colombo et de Colombo à Aden à cause des petites dimensions de

notre bâtiment.

A Shangaï nous prîmes encore deux malades, l'un avait une hémiplé-

gie, résultat d'une blessure d'arme à feu dans le crâne, l'autre amentia

Meynerti. A Singapour nous en reçûmes un, atteint de folie raisonnante.

Le lendemain de notre débarquement à Odessa (20 juillet 1905), sur

46 aliénés il s'en trouva 16 seulement, exigeant d'être internés dans des

asiles spéciaux. Les autres, suffisamment rétablis, purent, tout de suite,

être renvoyés dans leur village.

Conclusions :

1° Le nombre de militaires atteints de troubles cérébraux pendant la

période du siège (officiers et soldats) est de 39 sur 5 ? 000 hommes for-

mant la garnison de la forteresse, ce qui fait 0,75 sur 1000.

2° Les cas d'aliénation développés spécialement pendant le siège sont

de 20, donc 0,38 sur 1.000.

3° Dans tous ces malades, nous remarquâmes des manifestations de

dégénération physique et psychique, et découvrîmes chez eux, soit alcoo-

lisme, soit lues,ou bien encore une mauvaise hérédité nervo-psychique,

parfois la combinaison de ces deux faits.

4° Les psychoses prédominantes furent : amentia Meynerti 7 cas, la psy-

chose périodique sous forme de mélancolie périodique 6 cas, la psychose

neurasthénique et la psychose alcoolique donnèrent chacune 4 cas.

5° Le siège imprima un cachet spécial à toutes les formes de psychose.

C'est une dépression fortement accusée.

FOLIES PELLAGREUSES DES ARABES,

PAR

Auguste MARIE

Médecin de Villejuif.

La folie pellagreuse devenue presque inconnue en France, s'y mani-

feste cependant encore sous forme d'hérédopellagre, ainsi que le récent

travail de Régis le démontre. Les asiles de Pau et de Montpellier sont

presque les seuls où subsiste cette affection dans les statistiques ; c'est

que le maïdisme n'est possible que là ou se consomme du maïs ; pour

s'empoisonner avec les ferments de mauvais maïs, il faut faire entrer

cette céréale dans l'alimentation humaine courante, ce qui ne se fait plus

chez nous que très exceptionnellement et dans des régions arriérées, mi-

sérables et déshéritées. '

Il n'en est pas de même en Espagne ou le maïdisme persiste en cer-

taines régions et atteint 20 0/0 de la population.

En Italie, malgré la lutte vaillante menée par Lombroso durant toute

sa vie, les régions de Bergame, Brescia, Venise, Padoue, comptent encore

de 30 à 50 pellagreux par 1.000 habitants.

Trévise, Vicence, Crémone, Pise de 10,à 20 p. 1000 . A Milan j'ai pu

examiner il y a quelques mois plusieurs malades aliénés de ce genre ; on

évalue à 72.000 le nombre total pour l'Italie.

En Orient, le maïdisme sévit aussi en Roumanie, Serbie, Bosnie, Ma-

cédoine, Albanie et pays turcs ainsi qu'en Grèce.

Les beaux travaux de Babès et Marinesco en Roumanie sur l'anatomie

pathologique nerveuse de cette intoxication sont venus compléter ceux de

l'Ecole italienne à qui l'on doit les mesures de prophylaxie sociales (loi

du 21 juillet 1902) sorties des Congrès antipellagreux de Bologne, Padoue

et Milan.

En Egypte, la pellagre règne comme en d'autres pays turcs où le maïs

est largement consommé.

Là, on peut dire que presque tous les fellahs sont à quelque degré

touchés par l'empoisonnement pellagreux.

A l'hôpital de Kars el Nil, au Caire, en 10 ans, plus de mille pella-

greux on[ été traités. z

Chaque année, sur ce nombre une quarantaine de cas compliqués d'a-

liénation mentale sont ensuite évacués sur l'asile d'Abbassieh où j'ai pu

les étudier.

Hors des hôpitaux, l'étude de la pellagre dans la population des cam-

pagnes a été entreprise par M. le D' Sandwith (Congrès Egyptien, p. 485).

354 MARIE

Il estime que en moyenne générale, plus de 3G 0/0 des paysans égyptiens

sont atteints. Dans les districts les moins misérables la proportion peut

tomber à 15 0/0, mais s'élève à plus de 62 0/0 ailleurs.

En Basse-Egypte, la moyenne serait la plus forte,même chez les jeunes

femmes. Lamortinatalité considérable ne serait pas sans rapport avec ce

fléau. En Haute-Egypte la sécheresse plus grande et l'alimentation par le

mil diminuent le danger, et probablement aussi les pays moins proches

des côtes consomment moins de maïs importé qui est le plus dangereux

à cause des moisissures de cale et des défectuosités de transport.

A l'asile que nous avons visité, le relevé des entrées par pellagre de

1896 à 1906 fut le suivant : -.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DF LA SALFËrxIÈRE. -I . 1. PI. IIÂ

FOI IE PELL\GIOEUE CHEZ LES ARABES.

(,l«jnste Mario).

FOLIES PELLAGREUSES DES ARABES 355

comme parcheminé , desséché et écailleux ; des cicatrices fréquentes

d'ulcérations anciennes viennent encore altérer l'aspect du tégument au

point le plus exposé.

La période ulcéreuse est parfois précédée d'une phase de desquamation

par lambeaux de l'épiderme pigmenté qui éclate et se fissure. Nous don-

nons plusieurs photographies à ces diverses phases ; chez le nègre l'érup-

tion, surtout à la face peut affecter l'aspect de grains de mil pigmentés

et durs sur le front, le cou, les joues, et le pourtour des lèvres (Pl. LIX).

Nous n'insisterons pas autrement sur les stigmates physiques tégumen-

taires bien connus avec leurs rythmes saisonniers ni sur les troubles vis-

céraux dominants qui les accompagnent (troubles gastro-intestinaux

divers, gastrorrhées et diarrhées, etc.).

Nous nous restreindrons aux particularités mentales et nerveuses, dont

les manifestations sont généralement consécutives aux signes précédents

bien qu'elles puissent cependant les précéder ou se substituer à eux par

une sorte de suppléance en certains cas.

L'état mental de ces malades se caractérise généralement après une

phase initiale de faiblesse irritable, par une apathie avec dépression phy-

sique et morale et phobies diverses. La sitophobie est fréquente et coïn-

cide avec les troubles gastro-intestinaux, gastralgie, crampes, nausées, état

saburral, constipations et diarrhées alternantes.

Le mutisme s'ajoute à la sitophobie, les malades deviennent sauvages et

craintifs, s'isolant et recherchant les coins sombres (photophobie et hyper-

thermo-esthésie cutanée douloureuse).

La torpeur mentale s'accompagne d'amnésie et de spasmes allant jus-

qu'aux vertiges et convulsions épileptiformes ou leurs équivalents psychi-

ques. Au premier rang de ces derniers il faut citer les automatismes am-

bulatoires, cause fréquente de suicides inconscients par précipitation ou

submersion dans les canaux du Nil.

Les auto-accusations ou les préoccupations hyponchondriaques noso-

phobiques ne sont pas rares associées aux idées vagues de persécution.

La stupeur est coupée de raptus automatiques et de fugues diverses,

avec ou sans délire onirique confus.

La sitophobie peut être dysphagique et anorexique et l'apathie peut

confiner la catatonie; elle fait place parfois à de la sitiomanie à une

phase ultérieure, car la folie pellagreuse affecte fréquemment la forme

chronique avec ou sans rémissions intercalaires. Cela se comprend, car

les malades améliorés retombent aux mêmes conditions de milieu primi-

tif nocif, par l'alimentation au maïs avarié.

Dès lors les mêmes causes reproduisent leurs mêmes effets.

Les rechutes sont donc fréquentes, et les états chroniques aussi ; les

356 MARIE. - FOLIES PELLAGREUSES DES ARABES

complications d'ailleurs par d'autres facteurs étiologiques de psychoses ne

sont pas rares.

Citons pour l'Egypte, l'association de l'intoxication pellagreuse avec

celle du haschich. Citons enfin les combinaisons possibles d'infections di-

verses en particulier du paludisme et de la syphilis, et le parasitisme en-

démique en Egypte de l'ankylostomasie que nous avons trouvée très ré-

pandue parmi les aliénés ègyptiens comme dans la population indigène en

général. '

Pour l'infection spécifique précitée, j'ai déjà ici même signalé la para-

lysie générale fréquente des arabes égyptiens ; la pseudo-paralysie géné-

rale pellagreuse existe-t-elle cbez eux ou est-ce une simple combinaison

de paralysie générale spécifique avec un terrain préparé par l'intoxica-

tion pellagreuse.

La question n'est pas neuve, et c'est l'Ecole française qui l'a soulevée

lors des débats académiques retentissants soulevés par Baillarger en

1847 (1).

L'examen des arabes aliénés pellagreux de l'asile Abbassieh montre

que, si la pellagre vraie est presque constante parmi eux comme parmi

les populations dont ils tirent origine, il y a côté des pellagreux devenus

aliénés, des aliénations consécutives à la pellagre et en rapport étroit de

causalité avec elle. Elles tirent de leur origine pellagreuse des caractères

typiques joints aux stigmates physiques.

Un certain nombre de folies paralytiques coïncident avec la pellagre et

confirment l'opinion de Baillarger que la phase paralytique ultime de la

pellagre peut réaliser un état identique cliniquement et pathologiquement

à la paralysie générale des aliénés.

Ces cas n'infirment en rien les paralysies générales autres dont ils sont

distincts et que j'ai signalés comme en rapport avec la syphilis.

Les deux formes peuvent cependant se combiner, c'est-à-dire qu'on peut

observer des arabes paralytiques généraux qui sont à la fois syphilitiques

et pellagreux.

(1) Il s'agissait de dresser un programme d'enquête proposée par Roussel au minis-

tère du commerce, enquête à faire en Espagne sur les causes et manifestations de la

pellagre qui existait alors fréquente dans le sud-ouest de la France.

M. Gibert, membre de l'Académie émit, une opinion contraire à l'origine maïdique

en s'appuyant sur des cas observés par lui à Paris à l'hôpital St-Louis.

Il s'agissait probablement d'hérédo-pellagre analogue au cas relaté par Regis chez

une malade n'ayant jamais consommé de mais avarié ou autre, mais fille et petite

fille de pellagreux avérés et aliénés.

Le gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).

20e Année N° 5 Septembre-Octobre

SUR LE CERVELET SÉNILE

PAR

ANGLADE et CALMETTES

de Bordeaux.

Le problème de la déchéance sénile du système nerveux est, assuré-

ment, trop bien posé pour qu'il soit nécessaire d'insister beaucoup sur ce

que nous entendons par cervelet sénile ; nous n'en sommes plus à faire la

distinction entre la vieillesse et la sénilité; nous savons parfaitement

qu'on peut cire sénile avant d'être vieux. On le trouvera d'ailleurs, fort

bien dit, dans le très remarquable rapport de Léri (1). Ce rapport qui

contient en outre de si riches documents anatomo-cliniques sur le « grand

cerveau » est à peu près muet sur'la sénilité dans le « petit cerveau ».

Le rapporteur avait pour s'en excuser deux bonnes raisons : d'abord,

le cervelet n'est pas, incontestablement du moins, une partie du cerveau ;

ensuite, nous ne savons pas grand'chose de précis sur le « petit cerveau »

sénile. Cette seconde raison est assurément la meilleure.

Le cervelet s'est jusqu'à présent effacé derrière le cerveau et nos con-

naissances sur ses lésions sont demeurées insuffisantes faute surtout d'in-

vestigations attentives. On peut dire, sans risquer d'être injuste vis-à-vis

de personne, que le cervelet sénile n'a pas à proprement parler d'histoire

clinique, que son anatomie pathologique est à faire.

Sans doute divers auteurs ont noté, chez des vieillards, de l'atrophie

cérébelleuse : Thomas (2) dans sa thèse inaugurale sur le cervelet,

Léri (3) dans son rapport sur le cerveau sénile ; mais, nous le verrons,

l'atrophie du cervelet n'est pas une manifestation habituelle de la sénilité

et nous sommes sur ce point entièrement d'accord avec Obersleiner (4)

lorsqu'il dit : « Ordinairement l'atrophie sénile est peu nette dans le cer-

(1) Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue

française. Seizième session : Lille, 1 août 1906.

(2) Thomas, thèse de Paris, 1897 : Le cervelet, élude anatomique, clinique et ylzysiolo-

gique, Ch. vi, p. 159, Observations cliniques, atrophie, sclérose.

(3) LÉRI, loc. cit., p. 41.

(4) Oursasrsmee, Anleitung bellll Sludium des Baues der nervüsen Centralorgane,

p. 547.

xx 23

358 ANGLADE ET CALMETTES

velet : senile Atrophie macht sich vonst am Kleinhirn relativ wenig

bemertbar ».

Ce qui prouve bien que les lésions du cervelet sénile sont restées jus-

qu'à présent méconnues, c'est que dans le mémoire de Catola (1) sur les

« Lacunes de désintégration cérébrale », mémoire très documenté sur les

états lacunaires en général, les lacunes cérébelleuses ne sont pas men-

tionnées; le cervelet est même rangé parmi les organes qui en sont dé-

pourvus, or nous démontrerons, qu'elles y sont la règle. L'un de nous (2)

l'a d'ailleurs constaté au cours de la discussion sur le cerveau sénile;

Il disait en effet : « Il n'a rien été dit du cervelet chez les lacunaires et

pourtant il est intéressé à un degré qui pour être microscopique n'en est

pas moins très accusé; on ne peut interpréter correctement ces troubles

de la marche des séniles où les désordres de l'équilibration semblent bien

cliniquement jouer un rôle tant qu'on méconnaîtra les lésions cérébel-

leuses dont je signale l'extrême fréquence » ; il suffit de se reporter aux

Bulletins de la Société d'anatomie et de physiologie de Bordeaux (3), pour

y rencontrer la même opinion plusieuis fois exprimée avec des preuves

à l'appui.

Et il n'y a pas lieu de s'étonner que les petites lacunes dans le cervelet

aient échappé aux observateurs si on remarque que les grands ramollis-

sements cérébelleux, qui ne sont autre chose que de grandes lacunes, pas-

sent encore, évidemment à tort, pour des raretés.En effet,dans le Traité de

médecine de Bouchard et Brissaud, Tollemer (i), après avoir parlé de la

rareté de l'hémorragie cérébelleuse, dit : « Le ramollissement cérébelleux

est plus rare encore que l'hémorragie; en effet les thromboses oblité-

rantes sont peu fréquentes dans le cervelet et l'angle que les vaisseaux

forment avec l'artère basilaire rend difficile leur embolie.» Cependant

Andral (5), dans sa Clinique médicale, développe treize observations de

(1) CATOLA, Etude clinique et anatomo-pathologique sur les lacunes de désintégra-

lion cérébrale. Revue de médecine, n° 10, octobre 1904.

(2) ANGLADE. Discussion du rapport sur le cerveau sénile. Congrès de Lille, 1906,

Revue de neurologie, p. 763.

(3) ANGLADE, Quelques considérations à propos de l'autopsie d'une démente pseudo-

bulbaire ; observation communiquée à la Société d'anatomie et de physiologie de Bor-

deaux dans la séance du 25 février 1907 : n Le cervelet présente des lacunes visibles

à l'oeil nu, lacunes nombreuses et quelques-unes capables de loger un pois ; je l'ai

dit maintes fois, ces lésions cérebelleuses lacunaires pour avoir été méconnues n'en

sont pas moins la règle dans le cerveau sénile. » Journal de médecine de Bordeaux,

numéro du 7 avril 1907. - ANGLAI>E et FOUI12ÇIAL, Noyau de sclérose cérébrale chez une

persécutée sénile, Société d'anatomie et de physiologie de Bordeaux, séance du 7 jan-

vier 1907. Rapporté dans le Journal de médecine de Bordeaux, 24 février 1907.

(4) Traité de médecine de Bouchard et Brissaud, 2' édition, t. IX, p. 399.

(5) ANDRAL, Clinique^ médicale, t. V, Maladies de l'encéphale.

SUR LE CERVELET SÉNILE 339

ramollissement cérébelleux et Colmeil (1), dans son Traité des maladies in-

flammatoires du cerveau, en étudie de nombreux cas : l'un de nous dans

l'espace de quelques mois en a observé et fait publier deux cas (2).

Une étude attentive du cervelet d'un certain nombre de séniles nous a

conduits à formuler deux conclusions d'inégale valeur mais toutes les deux

importantes :

9° Le cervelet sénile se caractérise anatomiquement par des lésions

typiques.

2° La fréquence et l'étendue de ces lésions cérébelleuses dans le cas de

syndrome clinique sénile, permettent de mieux comprendre sinon d'ex-

pliquer entièrement, quelques-uns des symptômes observés.

On le voit, cette dernière conclusion est la moins précise. Les raisons

qui nous invitent à la formuler seront développées dans la thèse inaugu-

rale de l'un de nous (3). C'est de la conclusion anatomique qu'il s'agira

exclusivement ici. Cependant pour bien marquer d'ores et déjà l'intérêt

des constatations histologiques relativesau cervelet sénile, nous rappelle-

rons que les troubles de l'équilibration ne sont pas négligeables dans les

symptômes cliniques de la sénilité cérébrale ; que les vertiges en font

partie, que la marche à « petits pas », caractéristique a-t-on dit des étals

lacunaires, est considérée par Grasset (li) comme un trouble d'équilibre

susceptible de s'observer chez des cérébelleux avérés.

Il n'est pas douteux que dans la symptomatologie si complexe de la séni-

lité nerveuse quelque chose relève du cervelet sénile. Si pourtant la lecture

des observations les mieux recueillies n'a pas été plus fructueuse, c'est que

le rôle physiologique du cervelet est bien incertain. C'est une raison de plus

pour recourir à la méthode anatomo-clinique qui peut éclairer la physio-

logie cérébelleuse, comme elle éclaire chaque jour la physiologie céré-

brale.

Avant tout il convient d'être fixé sur l'anatomie du cervelet. Or il y a,

entre les anatomistes, malgré les apparences d'un accord parfait, des diver-

(1) COLMEIL, Maladies inflammatoires du cerveau, t. IL

(2) Ducos, Société d'anatomie et de physiologie de Bordeaux, séance du il décem-

bre 1905. Ramollissement du cervelet et cérébro- sclérose lacunaire diffuse, rapporté

par le Journal de médecine de Bordeaux, numéro du 28 janvier 1906. ROIIEIIT et

Fournial, Société d'anat. et physiol. de Bordeaux, 25 juin 1906 : Sur un nouveau

cas de ramollissement du cervelet. Journal de médecine de Bordeaux, numéro du

4 novembre 1906.

(3) CALMETTES, Thèse de Bordeaux (en préparation, novembre 1907) : Le cervelet sé-

nile.

(4) Grasset, Semaine médicale, octobre 1904 : La cérébro-sclérose lacunaire progres-

sive d'origine artérielle.

360 ANGLADE ET CALMETTES

gences profondes sur la structure de l'écorce cérébelleuse. Pour ne parler

que de la dlarpente névrogl ique de la couche moléculaire, Cajal, Oberstei-

ner, Van Gehuchten (1) et la plupart des auteurs qui l'ont étudiée par la

méthode de Golgi, la considèrent comme robuste, constituée même par

des éléments spéciaux (cellules épithéliales moussues).

Au contraire, par les méthodes de Weigert et d'Anglade rigoureuse-

ment électives pour la névroglie, le réseau de soutien dans la couche

moléculaire aussi bien d'ailleurs qu'autour des cellules de Purkinje et

dans la couche des grains est excessivement discret. Par ces deux mé-

thodes de coloration et non plus d'imprégnation dont les résultats concor-

dent, on ne met pas en évidence les cellules épithéliales de Cajal bien

que les cellules épendymaires se colorent parfaitement. Ce n'est pas ici

le lieu d'expliquer cette divergence de résultais. Il suffit, pour que nous

fassions oeuvre utile, de comparer un nombre suffisant de pièces étudiées

par les mêmes moyens. Au surplus les dessins qui complètent ce tra-

vail prouveront bien que nous ne sommes pas le jouet d'illusions. Leur

interprétation est vraiment trop facile pour qu'elle risque de tomber

dans l'erreur.

La première planche met en opposition deux états d'un même cerve-

let sénile ; nous verrons que tout n'est pas sénile dans un processus

frappé de sénilité. La figure 1 représente une circonvolution respectée et

relativement normale ; nous disons relativement normale parce que le

cervelet des sujets qui ne sont que vieillis est un peu plus riche en névro-

glie que celui des sujets jeunes et normaux ; elle est encore bien pauvre,

dira-t-on : sans doute, mais il faut savoir que, normalement, la couche

moléculaire ne possède que quelques fibres radiées ou horizontales, que

la membrane basale, quand elle existe, est représentée par une fibre ram-

pante et quelques rares noyaux ; autour des cellules de Purkinje, les

corbeilles fibrillaires sont fort discrètes et, dans la couche des grains, il

faut parcourir plusieurs champs de préparation pour découvrir un astro-

cyte ; etc'est sans doute celte rareté qui a fait nier par Weigert leur pré-

sence dans cette zone. Dans la substance blanche il y a de gros aslrocytes,

tout le monde est d'accord sur ce point.

Au-dessous de cette figure (Pl. LX, fig. 1)nous avons placé un fragment

de foliole dont les diverses parties sont le siège d'une sclérose atrophique

(1) CAJAL, lIitolo91f"t del sislema nervioso de los vertebrados, p. 370 : a Nos recher-

ches nous ont montré que les fibres citées plus haut se trouvent hérissées d'une inimité

d'appendices granuleux abondamment ramifiés, dont les rameaux constituent une

espèce d'éponge dans les trous de laquelle se logent les éléments de la couche plexi-

forme ». - 08r.RSTEIiri, loc. cit., p. 533. - VAl'< GEIIUCII'l'EN, La structure des centres

nerveux. La Cellule, t. 7, 1891.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PI. I.X

FIG. 1

Fin. 2

SUR LE CERVELET SÉNILE

(Anglade et Calnictle.)

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière

T. XX Pl. LXI

FIG. 1

Ftc. 2

SUR LE CERVELET SÉNILE

(Anglade et Camelle.)

SUR LE CERVELET SÉNILE 361

très accentuée (PI.LX, fig.2); nous aurions pu toutefois figurer une atrophie

plus complète d'une circonvolution très ratatinée, mais sur celte prépara-

tion on voit mieux l'évolution atrophique. Les libres névrogliques sont

déjà très denses ; on distingue pourtant celles qui appartiennent Il couche

moléculaire ; on reconnaît des îlots de grains emprisonnés dans-les mailles

du réseau ; on assiste presque à l'effondrement de cette plaque scléreuse

et on voit, à l'extrême droite, une activité astrocytaire très grande comme

il est de règle autour des lacunes en formation : cette organisation des

foyers de sclérose en plaques avec tendance lacunaire est le fait de la sé-

nilité. Dans cette même figure on passe, sans transition ou à peu près, du

tissu très altéré au tissu sain ; nous reviendrons sur l'importance de ces

caractères.

Cette opposition faite entre l'état normal et une lésion avancée, exa-

minons avec pour guide la planche LXI les étapes du processus dont nous

préciserons après les caractères distinctifs.

Le travail de sclérose peut s'opérer dans la substance blanche, dans la

couche des grains, dans la couche moléculaire. C'est dans celle-ci que l'ont

surprise les figures 1 et 2 de la planche LXI.

Dans la figure 1 toute la couche moléculaire, y compris la zone des cel-

lules de Purkinje, est le siège d'une exagération de la névroglie. dont les

fibres sont plus grosses, dont le réseau est beaucoup plus dense. On peut

voir qu'à ce degré de sclérose ne correspond pas une atrophie de la cou-

che moléculaire. La circonvolution n'est pas épaissie, on la dirait plutôt

mamelonnée. Le fait est retenir. Dans cette figure 1 la couche moléculaire

est uniformément scléreuse et il serait bien difficile de dire en quel point

le processus a commencé. Ce qui est certain, c'est que dans la préparation

il se détache nettement des parties voisines à peu près intactes ; on re-

marquera le changement brusque et profond survenu dans la couche molé-

culaire. La membrane basale, si on peut appeler ainsi les quelques rares

fibres névrogliques qui rampent normalement à la surface des circonvolu-

tions cérébelleuses, est considérablement épaissie. Et les fibres radiées,

qui dans les parties saines se rencontrent de loin en loin,sont ici très rap-

prochées, de plus gros calibre, mieux colorées. Elles forment un réseau

vraiment bien curieux de fibres à peu près toutes parallèles, réalisant un

contraste avec le réseau de la couche des cellules de Purkinje disposé en

nids, en pelotons d'où cependant un grand nombre de fibres s'écartent pour 1-

prendre une direction horizontale. Ces plaques s'organisent souvent, et

c'est le cas ici, autour des vaisseaux.

Dans la Usure 2 au contraire la couche moléculaire étant aussi très scié-

362 ANGLADE ET CALMETTES

reuse, on voit distinctement prédominer le processus au niveau de la cou-

che des celllules de Purkinje. Rien n'est plus net que cette traînée de

névroglie très dense et très colorée, à la fois fibrillaire et nucléaire, qui

épouse parfaitement tous les contours delà ligne des cellules de Purkinje ;

celle prédominance scléreuse sous cet aspect, nous ne l'avons pas rencon-

trée ailleurs que dans le cerveau sénile.

Dans la couche des grains, on voit aussi s'organiser ,habiluellement au-

tour d'un vaisseau, des plaques de sclérose; celle qui est dessinée dans

la figure 1 de la planche LXII se substitue la couche des grains dans toute

son épaisseur et s'étend de la zone des cellules de Purkinje à la substance

blanche. Il est particulièrement intéressant de saisir ce processus, incon-

testablement néoformatif, dans une région normalement si pauvre en né-

vroglie que Weigert l'en a considérée comme dépourvue.

La substance blanche présente à considérer des lésions banales de sclé-

rose secondaire et des plaques identiques à celles qui s'observent dans les

autres couches. Des îlots de sclérose peuvent s'observer partout ; on les

trouve ordinairement au niveau des carrefours et, très souvent, auteur du

noyau dentelé. Ce n'est cependant en aucun de ces points que la figure 2

de la planche LXII a été prise. Bien mieux, elle provient d'un noyau de

sclérose qui n'est pas caractéristique d'une lésion sénile quoiqu'il appar-

tienne au cervelet d'une vieille femme. Si néanmoins ce dessin occupe

la place qui reviendrait logiquement à un îlot de sclérose sénile dans la

substance blanche, c'est qu'il nous a paru doublement instructif. En effet

la sclérose de la substance blanche qui s'y observe est parfaitement

comparable à celle qui résulte de la sénilité, c'est la même densité des

fibres avec quelques gros astrocytes. Mais tout le reste du processus sclé-

reux a un aspect qui doit le faire distinguer de la plaque véritablement

sénile : la névroglie de la couche moléculaire est trop tourmentée ; le

réseau fibrillaire n'est pas assez dense au niveau de la couche des cellules

de Purkinje. Celle vieille femme n'est pas une cérébelleuse sénile ; elle

est porteur d'une plaque très ancienne de sclérose tubéreuse dans la-

quelle l'aspect de la substance blanche sclérosée est seul à ressembler à

ce qui est le propre de la sénilité. Cette figure 2 de la planche LXII doit

donc mettre en garde contre la tendance à interpréter comme séniles des

lésions qui ne le sont pas incontestablement.

La planche LXII nous fait assister au processus de formation lacunaire

par nécrose des plaques scléreuses. La figure 1 reproduit une des nom-

breuses formations lacunaires qui se réalisent dans la couche moléculaire

au fond des sillons ; et la figure 2 fait bien voir une formation identi-

que située plus profondément. La lacune qui se forme au niveau de

la couche des grains et de la substance blanche n'est que le résultat de

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière £ T. XX. PI. LXII

FIG. 1

Fcc. 2

SUR LE CERVELET SÉNILE

(Allglade et Calmetle.)

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XX. PL LXIII

FIG. 1

FIG. 2

SUR LE CERVELET SENILE

(Anglade el Cnlmctte.)

SUR LE CERVELET SÉNILE 363

l'effritement et de la fonte d'une plaque comme celle que représente la

figure 1 de la planche LXII : nous n'insisterons pas sur ce processus que

l'un de nous (1) a décrit longuement dans le cerveau. Les choses ne se

passent pas autrement dans le cervelet. Elles y sont seulement plus

faciles à interpréter.

Nous venons de rapporter des faits, et ce mémoire ne vise qu'à rester

une légende descriptive de dessins fidèlement cueillis sur des préparations.

Nous devons cependant indiquer ce qu'il y a à retenir dans ces faits

comme caractéristique du cervelet sénile.

La sénilité cérébelleuse ne se manifeste pas par une atrophie en masse.

Elle se caractérise au contraire par des atrophies très limitées qui sont des

plaques de sclérose ordinairement périvasculaire. Ces plaques tendent à

se nécroser pour former des lacunes. Ces formations scléreuseset lacunai-

res sont susceptibles de se réaliser dans toutes les parties du cervelet.

Cependant elles ont une tendance très marquée à prédominer dans les

zones lesplus internes des circonvolutions semi-lunaires à hauteur de leur

bord postérieur; et, ce niveau, c'est profondément qu'elles sont situées, fré-

quemment au fond des sillons, souvent dans la substance blanche autour

du noyau dentelé. Ce sont les zones de prédilection, mais les plaques et

les lacunes peuvent s'installer en tout point. Leurs caractères distinctifs

sont : la localisation du processus qui ne diffuse pas insensiblement autour

de lui, la prédominance fréquente de ce processus autour des cellules de

Purkinje, l'absence de méningite concomitante et de cellules en bâtonnet.

Ces caractères s'opposent ci ce que le cervelet sénile soit confondu avec

tout autre. En effet il n'y a pour lui ressembler que le cervelet alrophique

congénitalement ou non et le cervelet dés paralytiques généraux. L'atro-

phie en masse n'est pas le fait de la sénilité cérébelleuse ; nous ne l'avons

pas rencontrée une fois dans les nombreux examens que nous avons

pratiqués. Ce qui s'observe, c'est l'atrophie limitée il une ou plusieurs

folioles cérébelleuses ; l'aspect n'y est aucunement celui de l'atrophie gé-

néralisée. Ici la sclérose est régulière avec de faibles prédominances régio-

nales ; les cellules de Purkinje sont absentes, on voit beaucoup de noyaux

et peu de fibrilles (voir pl. LXII, fig. 2) ; la couche des grains et la subs-

tance blanche sonl indivises et méconnaissables, à leur place on voit un

réseau névroglique uniforme, la tendance à la formation lacunaire est

nulle. Là tout au contraire la zone de sclérose atrophique est toujours

très limitée; autour des cellules de Purkinje le réseau névroglique est

particulièrement dense ; la zone des grains et la substance blanche se recon-

' (1) W c.noE, Société de Biologie, La réaction névroglique dans l'encéphalo-malacie,

18 février 1905 (p. 319 et 320).

364 ANGLAM ET CALMETTES

naissent toujours, même dans les cas où les plaques intéressent toute une

foliole ; la formation lacunaire est la règle.

Les différences sont donc parfaitement tranchées et il sera toujours

aisé de dire si un cervelet est atrophié ou sénile. Bien mieux une plaque

scléreuse atrophique ou hypertrophique ancienne pourra être reconnue

au milieu d'autres lésions, elles, séniles (Pl. LXII, fig. 2).

On distinguera avec la même assurance un cervelet sénile du cervelet

d'un paralytique. Si on veut bien se reporter il un travail qui paraît en

même temps que celui-ci dans l'Encéphale (1 ) et à la thèse en préparation

de Latreille (2), on y trouvera le moyen de faire à coup sûr un diagnos-

tic différentiel. Le cervelet du paralytique est plus atrophié, plus ferme,

et cela parce que le processus y est plus diffus.

Cette diffusion est réalisée par la méningite cérébelleuse d'oii résul-

tent des symphyses inflammatoires méningo-corticaies. C'est dire que la

sclérose cérébelleuse est à prédominance doublement superficielle en tant

qu'elle frappe surtout la surface libre des circonvolutions et qu'elle va en

diminuant de la périphérie vers le centre de la couche moléculaire.

Cette méningo-corticalite suffirait à elle seule pour certifier qu'il ne

s'agit pas du cervelet sénile. Mais il y a d'autres différences. Dans le

cervelet paralytique on observe des prédominances scléreuses qui peuvent

aller jusqu'à la plaque, mais n'aboutiront jamais à la lacune. Les cellules

en bâtonnet (Staibctenzellen de Nissl) y abondent tandis qu'elles sont, non

pas absentes, mais très rares dans le cervelet sénile.

Ainsi le cervelet sénile se distingue parfaitement du cervelet atrophi-

que et du cervelet paralytique, les seuls d'ailleurs qui puissent en quel-

que manière lui être comparés : nous ne dirons pas autre chose de ces

lésions. Ailleurs l'un de nous les comparera à celles du cerveau sénile.

Et de cette comparaison résultera la conclusion qu'il s'agit de processus

analogues à peine modifiés dans leur aspect par la différence de structure

anatomique. Il en résultera aussi cette conviction que si les symptômes

cérébelleux ont grand besoin d'être précisés, ses lésions très nettes facili-

tent singulièrement la lecture de celles du cerveau sénile. Elles fournis-

sent la preuve que la sénilité du système nerveux est le résultat,non d'une

nécrobiose pure et simple, mais d'une inflammation scléreuse (3).

(1) ANGLADE et Latreille, Les lésions du cervelet dans la paralysie générale. L'En-

cephale, numéro d'octobre 1907.

(2) Latreille, Le cervelet du paralytique général. Thèse de Bordeaux, novembre 1907

(en préparation). ,

(3) ANGLAOE, loc. eu. '

TUMEUR CÉRÉBRALE DE LA RÉGION DES CIRCONVOLU-

TIONS PARIÉTALES SUPÉRIEURES. HÉMIPLÉGIE

SPASMODIQUE BILATÉRALE PAR COMPRESSION DES

FAISCEAUX PYRAMIDAUX,

PAR

A. SOUQUES.

L'observation suivante est particulièrement intéressante par le contraste

qu'elle offre entre l'absence prolongée de signes localisateurs et l'extrême

volume de la tumeur. Il fut impossible de formuler un diagnostic topogra-

phique jusqu'à l'apparition d'unesaillie extra-cranienne, d'une «bosse »

révélatrice. La région frontale pouvait être soupçonnée aussi bien que la

zone des circonvolutions pariétales. Or, l'autopsie montra l'existence

d'une tumeur de volume inusité, comprimant et refoulant d'une façon

extraordinaire les deux hémisphères cérébraux sur une étendue très con-

sidérable.

En dehors de ce contraste, qui n'est pas exceptionnel dans les tumeurs

de l'encéphale, le cas se distingue par quelques particularités cliniques

qui seront soulignées, chemin faisant.

Bér..., 23 ans, mécanicien, ne présente aucun antécédent héréditaire di-

gne d'être noté. Son père est mort à 28 ans d'un ulcère gastrique ; sa mère,

bien portante du reste, est atteinte d'un glaucome double ; sa soeur est en

bonne santé. Du côté des grands-parents il n'y a rien à signaler.

Antécédents personnels. - A sa naissance la tête aurait été déformée ( ? ) par

un accouchement difficile. A quatre ans, abcès du cuir chevelu, au niveau du

vertex. Cet abcès a suppuré pendant huit mois et a nécessité, à diverses repri-

ses, l'exploration avec une sonde cannelée. Il en est resté une cicatrice de 2 à

3 centimètres de longueur.

Pas d'autre maladie dans l'enfance. Pas de syphilis, pas de tuberculose, pas

d'alcoolisme.

Le début de la maladie actuelle a commencé, en octobre 1903 (peu de temps

avant son départ pour le service militaire), par des maux de tête. En octobre

il eut deux crises de céphalée, ayant duré douze à vingt-quatre heures, sans

vomissements. -

Il part au régiment en novembre. Là, les maux de tête reviennent plus fré-

quents et plus persistants, diffus avec prédominance au niveau de la nuque et

du front, déterminés par les mouvements, se présentant sous la forme d'élan-

366 souques

cements ou de serrements. Les crises revenaient chaque jour et quelquefois

plusieurs fois par jour, mais étaient de courte durée. Parfois cependant elles

duraient une journée. Il n'y eut jamais de vomissements.

Peu à peu sa vue s'affaiblit. Il s'aperçoit un jour, par hasard, en fermant l'oeil

gauche, qu'il ne voyait plus de l'oeil droit.

En juillet 1904, il rentre à l'hôpital militaire où on lui fit des piqûres

d'atropine.

Un mois plus tard, il revient dans sa famille et est admis à l'Hôtel-Dieu

dans le service de M. de Lapersonne. Il distinguait encore les couleurs et voyait

très bien, dit-il, les objets situés dans le centre du champ visuel. On lui fit

une ponction lombaire qui, d'après les renseignements fournis par l'interne,

ne révéla rien d'anormal. Il resta six mois il l'Hôtel-Dieu, reçut une trentaine

de piqûres de mercure. C'est pendant ce temps que la vision disparut complè-

tement. C'est aussi à cette époque qu'il éprouva les maux de tête les plus vio-

lents. La céphalée était très pénible, durait un jour ou deux, puis s'atténuait

et devenait supportable jusqu'à l'apparition d'une nouvelle crise qui survenait

au bout de quelques jours d'accalmie. Une seule fois le paroxysme s'accompa-

gna de vomissements. Le malade est incapable de dire si la douleur commen-

çait par la région frontale, occipitale, etc., du côté droit ou du côté gauche du

crâne.

Il n'y eut jamais de vertiges, ni de convulsions, ni de troubles moteurs du côté

de la face ou des membres.

Il y a deux mois, le malade ressent pour la première fois des fourmillements

qui commencent par le pied droit, remontent jusqu'à l'aine et durent deux à

trois minutes. Ces troubles d'épilepsie partielle sensitive ne s'accompagnert

pas de secousses convulsives, mais pendant quelques minutes le membre infé-

rieur reste faillie et ne peut supporter le poids du corps. Une crise analogue

a reparu, ces jours derniers.

Etal actuel (28 avril 1905). La cécité est absolue. Les pupilles sont lar-

ges, immobiles à la lumière, et réagissent à l'accommodation. Secousses nys-

tagmiformes dans les mouvements provoqués du regard. L'ophtalmoscope mon-

tre une stase papillaire avec engorgement veineux et névrite optique double.

II n'y a pas de troubles auriculaires appréciables ni de troubles gustatifs (il

sent le salé et le sucré). Il semble qu'il y ait une diminution de l'odorat, cons-

talée par le malade lui-même, et qui paraît nette et bilatérale.

La motilité est normale, la marche régulière, la force musculaire très grande.

Ainsi au dynamomètre on obtient 46 à gauche, 51 à droite. Il n'y a aucun

signe de parésie droite ou gauche, aucune parésie des nerfs moteurs crâniens.

Pas d'ataxie dans les mouvements, pas de raideur de la nuque, pas de dévia-

tion du rachis.

La sensibilité subjective ou objective ne présente aucun trouble appréciable.

La percussion du crâne ne révèle aucune zone douloureuse.

Les réflexes rotuliens sont très vifs des deux côtés. A droite, parfois, le re-

dressement de la pointe du pied amène deux ou trois secousses successives.

Le réflexe cutané plantaire se fait en flexion de chaque côté. Les réflexes cré-

TUMEUR CÉRÉBRALE DE LA RÉGION DES CIRCONVOLUTIONS PARIÉTALES 367

mastériens et abdominaux sont normaux. 11 en est de même des réflexes ten-

dineux et osseux des membres supérieurs.

Pas de troubles vaso-moteurs ni trophiques. L'état général est excellent : il

s'agit d'un homme de taille élevée, très solide, très vigoureux, dont le système

pileux et les organes génitaux sont normaux.

Son état intellectuel est intact. Il n'y a aucun trouble de la parole, aucune

lenteur ni dans la compréhension ni dans l'expression des idées. Il est gai mais

sans excès, sans jovialité. Aucune modification du caractère, aucune torpeur

ou paresse physique.

La respiration est normale, le coeur régulier, le pouls égal à 84.

16 octobre 1905. - Depuis le mois d'avril le malade a eu deux ou trois

crises très douloureuses de céphalée par mois, avec une fois des vomissements

bilieux. Il se plaint d'une faiblesse de la jambe droite, qui remonterait à qua-

tre mois. En outre, il raconte que depuis la même époque il éprouve tous les

huit ou quinze jours quelques secousses dans le membre inférieur droit. Ces

secousses sont quotidiennes depuis quelques jours. A la suite de ces crises

jacksonniennes il y a paralysie post-épileptoïde même du membre supérieur

droit. La paralysie dure dix à quinze minutes. Il existe aujourd'hui une hémi-

parésie droite avec un peu d'hémiasynergie.

9 novembre 1905. Le malade se plaint de ne pouvoir se tenir sur ses

jambes d'une façon solide, et qu'il est un peu faible du côté droit (même au

membre supérieur). Au dynamomètre on a cependant 60 à droite pour 48 à

gauche. Il est incapable de se tenir debout, et, si on le lâche, en imminence de

tomber en arrière. La force ne paraît pas plus diminuée dans une jambe que

dans l'antre.

Les réllexes rotuliens sont forts des deux côtés, exagérés même. Clonus du

pied à droite, avec signe de Babinski des deux côtés. Pas de troubles de la

sensibilité.

Ces phénomènes sont survenus depuis quelques jours à la suite d'une lon-

gue crise de céphalée et de vomissements qui n'a cessé que ce matin.

Depuis quelque temps il sent des bourdonnements et des bruits de cloche

dans les oreilles, mais sans diminution évidente de l'acuité auditive. Jamais

avant sa maladie il n'aurait éprouvé de sensations subjectives du côté des

oreilles.

29 janvier 1906. - Le malade dit que son côté droit est plus faible que le

gauche, et qu'il est engourdi et maladroit. Il semble, en effet, qu'il y ait une

hémi-hypoesthésie droite très légère : il sent moins bien le sol de ce côté ; il

laisse parfois tomber les objets qu'il tient de la main droite et prend l'habitude

de se servir de la gauche.

Les réflexes rotuliens sont exagérés des deux côtés, mais plus à droite. Si-

gne de Babinski unilatéral (côté droit).

A droite le sens musculaire est diminué ainsi que le sens stéréognostique.

Quelques troubles vaso-moteurs de ce côté.

, 25, juin 1906. - Depuis la dernière sortie de l'infirmerie, l'impotence a

368 souques

fait de grands progrès des deux côtés du corps, surtout du côté droit où l'hé-

miplégie s'est nettement établie. Depuis le mois de février, ce malade est in-

capable de marcher seul et actuellement il ne peut plus se lever du lit. Au

dynamomètre on a 17 à droite et 23 à gauche.

L'hémiplégie droite est très accusée, quoique incomplète. La face elle-même

est prise et la langue déviée du côté droit. Le malade ne peut se tenir debout

sans être soutenu ; si on le lâche, il tombe à droite ; si on essaie de le faire

marcher en le tenant, ses jambes se dérobent sous lui, surtout la droite. Il y

a, en réalité, une double hémiplégie.

Il y a une légère hémihypoesthésiedu côté droit, sans troubles subjectifs de

la sensibilité.

Les réflexes rotuliens sont exagérés. Signe de Babinski à droite. A gauche

ce signe est inconstant.

Pas de troubles des nerfs crâniens. Pas de troubles vaso-moteurs. Le pouls

est régulier et hat à 68 ; la respiration normale (16 par minute). Pas de trou-

bles psychiques : cependant l'intelligence est un peu engourdie.

Le goût est normal, l'odorat affaibli mais non aboli, l'acuité auditive dimi-

nuée avec bourdonnements d'oreille à peu près constants.

Pour la première fois on constate une tuméfaction sur la ligne médiane de

la tête, commençant un peu eu arrière du plan vertico-transversal biauricn-

laire et s'étendant à dix centimètres en arrière. Cette tuméfaction est régulière,

arrondie, avec tendance à pointer. La percussion, douloureuse sur tout le som-

met de la tète, est plus douloureuse en cette région.

9 octobre 1906. - La tuméfaction, due à un soulèvement osseux, a aug-

menté de volume sans changer de forme.

L'impotence motrice a fait de nouveaux progrès. Au dynamomètre la main

droite amène 4 et la gauche 13. Le malade est condamné au lit et gâte 'quel-

quefois. La torpeur cérébrale est assez accusée, sans aucun trouble de la rai-

son. Le malade n'est ni gai ni triste ; il est plus silencieux qu'autrefois.

Réflexes rotuliens exagérés, plus à droite. Esquisse de clonus avec signe de

Babinski de ce côté.

Il n'y a ni albumine ni sucre dans les urines. Deux petites eschares existent

au niveau de la fesse et de la cheville droites.

20 octobre 1906. - Aggravation rapide. Somnolence. Une ponction lom-

baire amène un liquide clair, sans hypertension, sans lymphocytose.

22. - Coma presque complet. La respiration est inégale, irrégulière, sans

être fréquente. Le pouls égal, régulier, faible, bat à 90. Le malade sent la

forte piqûre. Signe de Babinski bilatéral. La température monte, le soir à 38°8.

23. - La température atteint 40° le soir, le pouls restant réguliers et de

fréquence à peu près normale. Coma complet.

24. - Le pouls est à 136, la respiration it 36, la température, 49°4. Le

malade meurt à 11 h. 50 du soir avec une température de 42°4. Après la mort

le thermomètre monte encore et à minuit et demi marque 42°5, Elle descend

ensuite lentement et ne revient à. 37° dus 6 heures du matin.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. LXIV

TUMEUR CEREBRALE

(,.A. Souques.)

Masson &. Cie, Editeurs

Phototyplc 13orthitud, Pans

NOUVELLE ICOXOGRAPHÏE DE LA SALPÈ-rRiÈnE.

T. XX. Pl. LXV

'1U.\OEUR CÉRÉBRALE

(A. Souques.)

Masson et Cl=, Éditeurs

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TUMEUR CÉRÉBRALE DE LA REGION DES CIRCONVOLUTIONS PARIÉTALES 369

.4 l'autopsie, on ne constate rien d'anormal dans les viscères thoraciques

et abdominaux, à l'exception d'une congestion passive des organes et d'un foyer

hépatisé de la base droite.

L'examen du crâne et du cerveau montre des détails intéressants. Au niveau

de la bosse crânienne du vertex, le cuir chevelu est épaissi, oedématié, et

adhérent l'os qui fait saillie. Celui-ci, de son côté, adhère à la tumeur, si

bien qu'en enlevant la calotte crânienne, un lambeau de la tumeur reste fixé

à la face interne de cette calotte. La voûte crânienne apparaît très friable et

très amincie dans sa totalité, sauf au niveau de la partie médiane de la région

frontale. Au niveau de la tumeur elle est, au contraire, très épaissie, fongueuse,

complètement envahie.

Le cerveau proprement dit est déformé, aplati, augmenté de volume et de

poids. Il pèse 1.830 grammes, la tumeur y comprise (PI. LXIV).

Il existe, en effet, une tumeur infra-crânienne, très volumineuse, qui occupe

la région des lobules pariétaux supérieurs et la partie adjacente de la faux

du cerveau. Cette tumeur a perforé la dure-mère sur un petit]espace de la-

ligne médiane et envahila voûte crânienne. Elle est située, sur la ligne médiane

et à droite et à gauche de la ligne médiane, au-dessous de la dure-mère à la

quelle elle adhère et dont on parvient aisément à la détacher. Elle repose sur les

lobules pariétaux supérieurs qu'elle écarte et refoule fortement en lias et en de-

hors et dont elle reste indépendante, énucléable en quelque sorte. Elle s'étend

en avant jusqu'aux zones rolaiidiqlies.

La faux du cerveau très épaissie, détruite sur son trajet interpariélal, est

probablement le point de départ de la tumeur. Celle-ci, grisâtre à la surface,

rouge et sanglante sur des coupes, est arrondie, et mesure environ 10 à 11 cen-

timètres de diamètre en tous sens. Les deux photographies (PI. LXIV et LXV)

me dispenseront d'une description macroscopique plus détaillée.

Un examen histologique, fait après dissociation extemporanée, montre [qu'il

s'agit d'un sarcome pur fuso-cellulairé. L'examen d'un fragment de l'écorce

cérébrale, pris loin de la tumeur dans le lobe orbitaire, pratiqué par mon

interne M. Aynaud, ne révèle par la méthode de Nissl aucune altération des

cellules nerveuses. La moelle, examinée au Marchi, fait voir quelques rares

granulations noires disséminées dans toute la coupe, plus nombreuses cepen-

dant dans le territoire des faisceaux pyramidaux.

En résumé, il s'agit d'un sarcome très volumineux, né de la faux du

cerveau dans son trajet interpariétal. La tumeur, d'abord médiane, s'est

peu à peu étalée de chaque côté, au-dessus des circonvolutions pariétales

supérieures, au-dessous de la dure-mère; celle-ci a été détruite en un

point, la voûte crânienne infiltrée et repoussée en dehors sous la forme de

tumeur osseuse, visible au niveau du vertex pendant la vie.

.Les photographies montrent nettement la perforation de la dure-mère,

l'écartement elle refoulement des hémisphères cérébraux qui [sont forte-

ment comprimés et extraordinairement déformés.

370 SOUQUES

Le siège de cette tumeur dans une zone silencieuse explique la longue

absence de tout symptôme localisateur. Son étendue jusqu'au voisinage

des zones rolandiques rend compte de l'hémiplégie bilatérale, survenue

tardivement, ainsi que des accès d'épilepsiejacksonnienne II est probable

que l'intermittence du signe de Babinski est en rapport avec les crises de

céphalée et les poussées congestives.

Dans les paralysiespar compression du faisceau pyramidal, il peut donc

y avoir quelques signes de dégénération secondaire, permanents ou transi-

toires. II y avait en effet, chez ce malade, exagération des réflexes rotuliens

et clonus du pied. Ces signes peuvent, du reste, faire défaut, comme dans

l'observation publiée récemment par M. Babinski (1).

La compression extraordinaire des hémisphères contraste avec l'absence

de troubles intellectuels, et montre bien l'extrême tolérance du cerveau.

Quant au développement du sarcome, on peut se demander s'il n'est

pas en rapport avec le traumatisme crânien de l'enfance. yeut, il quatre

ans, un abcès dans la région du vertex, qui dura longtemps et nécessita

l'emploi fréquent de la sonde cannelée. C'est une hypothèse que permet

de soulever le siège de cet abcès, qui occupait précisément la région enva-

hie plus tard par la tumeur. Mais le laps de temps écoulé est trop grand

pour qu'on puisse affirmer une relation de causalité entre le traumatisme

ancien et le sarcome actuel.

(1) BABIft561, De la paralysie par compression du faisceau pyramidal sans dégenê-

ration secondaire. Société de Neurologie, juillet 1906.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. PL LXVI

A

B

PARALYSIE PSEUDO- BULBAIRE

(Raymond et Alquier.)

Coupes horizontales de l'hémisphère droit présentant plusieurs petites lacunes de désintégration,

avec démyélinisation légère, diffuse. Intégrité du faisceau pyramidal.

Masson & Cie, éditeurs

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. LXVII

L

D

PARALYSIE PSEUDO-BULBAIRE

, ('Raymond el .tllquicr.)

C. La calotte i la protubérance est occupée par quatre grandes lacunes ; d'autres plus

petites sont disséminées notamment entre les deux faisceaux pyramidaux.

D. Lacunes plus petites, dont plusieurs, centrées par un vaisseau sanguin.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. LXVIII

PARALYSIE PSEUDO-BULBAIRE

('7&tyfHOf;c ? M;'t'rJ

E et 1=. Au niveau du bulbe, les lacunes deviennent de plus en plus petites, et n'intéres-

sent aucun des noyaux d'origine des nerfs bulbaires. (Ces deux coupes sont retournées

par rapportais suivante.)

(1. 1)ans la moelle cervicale on ne trouve d'autre lésion qu'une légère pâleur diffuse sur-

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS

(SEANCE du 2 mai 1907).

SUR UN CAS DE PARALYSIE PSEUDO-BULBAIRE,

PAR R

F. RAYMOND et L. ALQUIER.

(PL. LXVI, LXVII, LXVIII)

Le fait que nous rapportons peul se résumer en quelques mots, mais

n'en présente pas moins un certain intérêt au point de vue du diagnostic

et de la signification nosologique des paralysies pseudo-bulbaires.

La malade, âgée de 77 ans,était entrée à la Salpêtrière, salle Cruveilhier,avec

les signes classiques d'une paralysie pseudo-bulbaire dont il nous a été impos-

ble de reconstituer entièrement l'évolution clinique,en raison de l'affaiblissement

intellectuel de la malade, et de l'absence totale de renseignements précis sur

son compte.

Son aspect était caractéristique.Elle restait immobile, ou presque, présentait

une confusion mentale à peu près complète, reconnaissant à peine le lieu où elle

se trouvait et les personnes qui l'entouraient, incapable de comprendre les

questions qu'on lui posait, et d'y répondre. De temps à autre, accès de rire, et

surtout de pleurs spasmodiques. Avec cela, aucune idée délirante ; il s'agit d'un

simple déficit intellectuel global et très accusé.

L'examen somatique révélait l'existence d'une parésie spasmodique des qua-

tre membres, qui étaient un peu raides, et dont les mouvements segmentaires,

quoique gênés et maladroits, se faisaient cependant avec une force suffisante.

Pas d'atrophie musculaire. Il ne semble pas y avoir des troubles grossiers de

la sensibilité, autant du moins que l'état intellectuel de la malade permet de s'en

rendre compte. Tous les réflxes tendineux sont, aux quatre membres, notable-

ment exagérés ; le clonus du pied, le signe de Babinski sont très nets des deux

côtés : l'incontinence des sphincters est complète.

Il n'y a aucun trouble bulbaire, en particulier, du côté du pouls ni de la res-

piration ; pas de paralysie des muscles innervés par le bulbe, dont les mouve-

ments sont, comme ceux des membres, difficiles et maladroits. Le réflexe mas-

sétérin est exagéré. Il n'y a pas de paralysie des muscles de l'oeil.

Le diagnostic porté était celui de paralysie pseudo-bulbaire. Pourtant, aux

symptômes classiques que nous venons d'énumérer s'en ajoutaient d'autres qui

eussent pu rendre le diagnostic assez difficile, si la malade avait été moins âgée

et si les troubles mentaux et sphintériens ayaient été moins accentués. La pa-

role était lente et scandée : on constatait du nystagmus dans les mouvements

extrêmes, en dehors, des deux globes oculaires ; les membres supérieurs pré-

372 RAYMOND ET ALQUIER

sentaient un tremblement intentionnel de tous points analogue il celui de la sclé-

rose en plaques.

Peu après son admission dans le service, la malade est morte de broncho-

pneumonie.

L'autopsie nous a révélé l'existence des lésions suivantes :

1° Dans le cerveau : Plusieurs lacunes de désintégration, grosses au plus

comme un petit pois, sont irrégulièrement disséminées dans la substance blan-

che des deux hémisphères et dans les noyaux gris centraux. Plus nombreuses

et plus volumineuses à droite, ces lacunes occupent presque exclusivement

leur moitié postérieure et provoquent une démyélinisation diffuse, assez mar-

quée, des principaux faisceaux d'association, notamment du faisceau longitu-

dinal supérieur et de l'occipito-frontal. Dans les noyaux gris centraux, elles siè-

gent dans la substance grise du noyau lenticulaire et du thalamus, respectant

complètement la capsule interne.

Rien de semblable dans les pédoncules cérébraux.

2" Dans la protubérance annulaire et la partie toute supérieure du bulbe,

la calotte présente des lacunes de désintégration nombreuses et minimes sauf à

la partie moyenne de la protubérance où la calotte est presque entièrement oc-

cupée par quatre lacunes de volume supérieur à celles du cerveau. La plus

grande, située à gauche, effleure les fibres les plus postérieures de la voie py-

ramidale. Dans la partie moyenne et inférieure du bulbe, on ne trouve plus

aucune lacune, les pyramides ne sont pas nettement dégénérées, et présentent

simplement une légère pâleur diffuse et variant d'un niveau à l'autre.

3° Enfin, la moelle présente des lésions légères, diffuses, pâleur de la myé-

line, surtout dans les faisceaux pyramidaux croisés, mais aussi de la partie cen-

trale des cordons postérieurs.

Ces lésions concordent bien avec les symptômes observés dans le cerveau,dé-

myélinisation diffuse et étendue des faisceaux d'association, expliquant bien le

gros déficit intellectuel ; les volumineuses lacunes de la calotte protubérantielle

semblent bien correspondre aux symptômes particuliers : nystagmus, parole

scandée, tremblement intentionnel, que présentait notre malade ; les qua-

tre membres étaient atteints de parésie spasmodique, mais non paralysés, sans

atrophie, avec conservation suffisante de la force musculaire : la voie motrice

est, dans la moelle, à peine touchée ; on trouve des lésions de la substance blan-

che, légères, diffuses, analogues à celles que Lhermitte a fréquemment rencon-

trées dans les paraplégies des vieillards.

Ce fait présente, avons-nous dit, un double intérêt.

Nous avons souligné l'existence de tremblement intentionnel, de nystag-

mus, de parole scandée. Ces symptômes sont rarement observés dans la

paralysie pseudo-bulbaire et auraient pu, 'avons-nous dit, faire hésiter le

diagnostic si l'àge avait été moins avancé, et surtout, si l'ensemble sympto-

matique, malgré ces particularités, avait été moins net.

- Mais nous voulons surtout faire ressortir l'intérêt que présente, au point

- SUR UN CAS DE PARALYSIE PSEUDO-BULB.11RE 373

de vue nosologique, la topographie des lésions. Nous ne trouvons d'autres

causes au syndrome clinique observé, que des lacunes de désintégration

multiples, et peu volumineuses dans le cerveau, plus nombreuses et plus vo-

lumineuses dans la calotte protubérantielle.

D'habitude, les lésions causales du syndrome pseudo-bulbaire sont céré-

brales, et M. Raymond a, dans ses Cliniques (tome V, p. 332), publié une

autopsie où les lacunes de désintégration étaient uniquement cérébrales,

interrompant, des deux côtés, la voie motrice dans la capsule interne et

déterminant des lésions dégénératives accentuées dans les pyramides

bulbaires.

En 1886, Oppenheim et Simmerling avaient observé 5 faits ressemblant

au nôtre par la présence, indépendamment des lésions cérébrales localisées,

de foyers bulbo-protubérantiels. Ces auteurs avaient même cru pouvoir

alors mettre en doute l'existence nosologique des paralysies pseudo-bul-

baires. Aujourd'hui, la question ne se pose même plus, et Oppenheim lui-

même est revenu, en 1896 (Neurologisches Centralblatt), sur l'opinion

qu'il avait émise neuf ans plus tôt.

En 1900, Comte (Th. Doct. Paris) publie plusieurs cas de paralysie

pseudo-bulbaire avec lésions du pédoncule cérébral et de la protubérance

et conclut que les lésions peuvent siéger soit au niveau de l'écorce même,

soit à un point quelconque du trajet des fibres qui, de l'opercule, se

rendent aux noyaux bulbo-protubérantiels. Dans le bulbe, au contraire,

il n'a trouvé que deux petits foyers microscopiques occupant la cavité

d'une des olives : les gros foyers bulbaires donnent naissance, non à la

paralysie pseudo-bulbaire, mais à la paralysie bulbaire apoplectiforme : il

existe, d'ailleurs, entre les deux types cliniques, de nombreuses formes

intermédiaires.

Du fait que nous avons observé semblent se dégager nettement les deux

conclusions suivantes :

1° Le syndrome pseudo-bulbaire indique simplement l'existence de lé-

sions situées au-dessus des noyaux bulbaires. Ces lésions, habituellement

cérébrales, peuvent également occuper la protubérance.

2° En pareil cas, on peut voir apparaître, à côté des troubles intellec-

tuels qui indiquent l'existence des lésions cérébrales, d'autres symptômes

tels que le nystagmus, la parole scandée, le tremblement intentionnel,

susceptibles de faire soupçonner la participation de la protubérance au

processus morbide.

xx 2t

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS

(SÉANCE DU 4 JUILLET 1907).

UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CIIEIROMÉGALIE

SUIVI D'AUTOPSIE

PAR

J. LHERMITTE et ARTOM (de Turin).

Les troubles trophiques comptent certainement parmi les symptômes

les plus fréquemment observés au cours de la syringomyélie : que ceux-

ci portent sur les os, les muscles, le revêtement cutané, ils consistent, en

règle générale, dans la destruction plus ou moins rapide et complète,

accompagnée ou non d'inflammation, des éléments anatomiques. Les atro-

phies musculaires en constituent un des exemples les plus nets et les

mieux étudiés.

Ces atrophies peuvent porter aussi sur les différentes pièces du sque-

lette et déterminer les déformations classiques des articulations et de la

colonne vertébrale. Beaucoup plus rarement, le revêtement cutané est le

siège d'une atrophie manifeste [Schlesinger (1)] et l'épaississement de la

peau et du tissu cellulaire sous-cutané est beaucoup plus souvent relevé.

Cette hypertrophie de la peau peut être déterminée par un processus in-

flammatoire ou bien se développer pour son propre .compte : c'est ainsi

qu'on rencontre des callosités à la base des doigts chez des sujets qui ne

travaillent pas manuellement ; parfois les parties latérales des doigts sont

atteintes et, engainé par cette enveloppe rigide, le doigt perd la souplesse

de ses mouvements [Pal (2), Roth (3)]. L'hypertrophie cutanée peut être,

dans certains cas, tellement accentuée qu'elle empêche de constater l'atro-

phie musculaire ainsi que l'a observé Macfarlane (4).

Dans ces différents cas, on ne relève aucun phénomène particulier qui

puisse expliquer le développement de ces symptômes.

En dehors de ces troubles trophiques, il en est d'autres, moins fréquem-

ment observés, qui atteignent un segment de membre ou même unmem-

(1) Schlesinger, Die Syringomyélie, 1902.

(2) PAL, Jahrb, der Wiener Krankenaustalten, B. III.

(3) Roru, Archiv. d. Neurologie, 1887-1889. 1

(t) IIIACFARLANE, Albany medical Journal, 1897.

UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CUEIROMÉGALIE 375

bre tout entier en déterminant une hypertrophie plus ou moins considé-

rable (1). ,

Ces macrosomies partielles peuvent donner à la main un volume énorme,

ressemblant de loin à celui de la main acromégalique, et justifiant le

terme de cheiromégalie employé par Charcot et Brissaud (2), Hoffmann(3),

ou bien déterminer une hypertrophie considérable du pied : podo-mé-

galie de Schlesinger (4).

Si le développement de ces hypertrophies,ou mieux de ces macrosomies

partielles, n'est pas une rareté au cours de la syringomyélie, leur cause et

leur nature sont encore à l'heure actuelle mal connues.

Nous ne connaissons pas, en dehors de l'observation déjà ancienne

d'HolschevJnihoff (5), d'étude anatomique de la cheiro ou de la podoméga-

lie et c'est la raison qui nous a déterminés à publier les résultats que

nous a fournis l'examen anatomique d'un cas des plus typiques de cheiro-

mégalie, bien que nous ne soyons pas en mesure, de par ces résultats,

d'interpréter la genèse de ce phénomène pathologique.

OBSERVATION CLINIQUE.

Dans les antécédents du malade, maçon de son état, on ne trouve rien de

bien particulier. Il fit une rougeole dans l'enfance et une grippe dans l'âge

mûr.

La première manifestation de la maladie semble avoir été un panaris qui

évolua sur l'index droit en 1894. Peu après le malade fit une chute de la hau-

teur de deux mètres et cette chute semble avoir précipité l'évolution de la ma-

ladie. En 1900, le malade entre à la Salpêtrière et le diagnostic porté dès cette

époque fut celui de syringomyélie. En 1904, lorsque le malade fut présenté

à la Société de Neurologie par MM. Raymond et G, Guillain (6), le tableau

clinique était le suivant.

Au bras droit il existait une impotence fonctionnelle des muscles de la main

avec amyotrophie, une parésie des extenseurs de la main et de l'avant-bras,

le deltoïde était un peu amaigri. A gauche on retrouvait les mêmes caractères

sur les muscles de l'éminence thénar et sur les muscles interosseux et ex-

tenseurs de la main.

Les réflexes tendineux étaient abolis aux membres supérieurs. Aux mem-

bres inférieurs, il existait une légère parésie avec exagération des réflexes

tendineux.

(1) Chauffais et Griffon, Revue neurologique, 15 mai 1889 ; IIeli)enbe[igh, Annales

de la Société belge de neurologie, 5° année, 1899.

(2) Ciiahcot et Brissaud, Progrès médical, 1891.

(3) HOFFMANN, Syringomyélie. Volkman's Vortrage, Folge, 1891.

(4) Schlesiageh, Die Syringomyélie, p. 134.

(5) 13o.scHSwNW orr·, Virchow's Archiv, Bd. 119.

6) RAYMOND et G(IILLAIN, Soc. de Neurologie, 1904.

376 LHERMITTE ET ARTOM

On notait une cyphose de la colonne vertébrale dans la région dorsale.

Au point de vue de la sensibilité, sur le membre supérieur droit la thermo-

anesthésie était très prononcée, sur le bras gauche les erreurs d'interprétation

des sensations thermiques étaient fréquentes. Sur le thorax, existait une dis-

sociation syringomyélique,.qui se prolongeait sur l'abdomen et le membre in-

férieur droit à l'exception des racines sacrées.

Aucun phénomène bulbo-ponto-pédonculaire.

Le phénomène qui chez ce malade était le plus frappant consistait en une

hypertrophie manifeste de la main, du poignet, de l'extrémité inférieure de

l'avant-bras du côté droit.

Cette hypertrophie spécialement évidente à la main droite portait sur l'é-

paisseur et non sur la longueur des doigts, elle aurait commencé, d'après le

récit du malade, un an avant cet examen, en 1903.

Le pied ne présentait pas cette hypertrophie.

L'examen radiographique de la main atteinte par le processus hypertro-

phiant montrait que le squelette osseux ne présentait pas d'altération. Leur for-

me aussi bien que leur structure étaient normales. Les articulations des os du

carpe entre eux et avec les métacarpiens et les os de l'avant-bras ne présen-

taient aucune lésion.

La cheiromégalie parait donc seulement due à l'augmentation de volume des

parties molles, sans aucune participation du squelette.

Le malade succomba en 1906 à l'àge de 61 ans, consécutivement à une bron-

cho-pneumonie aiguë.

L'autopsie pratiquée 30 heures après la mort nous a fourni les résultats sui-

vants :

Autopsie

Broncho-pneumonie étendue aux deux poumons, adhérences pleurales à

gauche. Le coeur est sain, le foie est gras, la rate volumineuse. Les reins

sont congestionnés.

Système nerveux. Il existe sur la convexité des hémisphères une légère

lepto-méningite chronique. Le cerveau, le cervelet, le bulbe ne présentent pas

d'altérations. Au niveau des méninges spinales, on constate de nombreuses

adhérences entre l'arachnoïde, la pie-mère et la dure-mère sur la face posté-

rieure de la moelle ; dans les régions cervicale et dorsale, les méninges parais-

sent épaissies.

La section de la moelle fait constater l'existence d'une cavité qui commence

à la hauteur de C. IV et se termine vers D. IX. Au-dessous de la cavité, la

moelle a gardé son aspect normal.

ETUDE histologique.

Le cerveau, le bulbe, la protubérance, les pédoncules, le cervelet, exami-

nés suivant les méthodes de Pal, de Nissl, de Van-Gieson, ne montrent aucune

modification. ·

Moelle épinière. Description de la cavité. La cavité commence à la hau-

UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CHEIROMÉGALIE 377

teur de la IVe tranche cervicale sous la forme d'une fente mince, plus large

en avant qu'en arrière, et contenue dans la corne postérieure droite. Sa paroi

paraît être constituée par une bande de tissu névroglique peu épais ; les fibres

nerveuses sont bien conservées en avant et dans le voisinage immédiat de la

cavité ; dans l'intérieur de cette cavité, on remarque des vaisseaux dont la

paroi épaisse est en dégénérescence hyaline, et de fins rubans conjonctifs

dont, par endroits, les fibres s'écartent pour envelopper un amas de globules

rouges.

On saisit ainsi l'origine vasculaire du tissu conjonctif si abondant parfois dans

les cavités syringomyéliques ainsi que l'a montré Hauser.

A la hauteur de C. VII, la cavité notablement plus développée prend la forme

d'un croissant qui suit l'axe des cornes postérieures en passant derrière l'épen-

dyme ; elle occupe toute la corne postérieure gauche et la corne postérieure

droite jusqu'à l'union du tiers postérieur avec les deux tiers antérieurs. A

côté de cette grande cavité, il en existe une plus petite, à droite. La moelle est

dans son ensemble aplatie dans le sens antéro-postérieur, les cornes antérieu-

res sont étalées.

Plus bas, la cavité tout en conservant la même forme et les mêmes rap-

ports occupe toute la longueur des cornes postérieures qu'en s'élargissant,

elle envahit peu à peu complètement jusqu'à s'ouvrir directement à la périphé-

rie du côté droit. A la région dorsale, la cavité s'agrandit encore, et la moelle

est réduite à un mince ruban, la cavité est irrégulière et notablement plus

large à droite qu'à gauche.

Au niveau de la IVe tranche dorsale, la cavité s'atténue rapidement et se

termine par une prolifération névrogtique dans la région juxta-épendymaire.

Canal épendymaire. - Au-dessus de la 1V° cervicale, le canal épendymaire

est dilaté, entouré d'une prolifération discrète des éléments névrogliques. Au

niveau de C. VII, alors que la cavité est complètement développée, le canal est

aplati,presque virtuel grâce à la compression exercée par la cavité et à la pro-

lifération épithéliale. Dans la région dorsale supérieure, le canal s'ouvre dans

la cavité dont la paroi est tapissée par endroits par l'épithélium épendymaire ;

il réapparaît normal à la partie inférieure de la moelle dorsale.

La paroi de la cavité syringomyélique est tapissée presque partout par un

revêtement conjonctif formant une membrane plissée (membrane papillaire des

auteurs) sur laquelle semblent s'attacher en grand nombre les fibres névrogli-

ques du voisinage : par endroits, la paroi est constituée seulement par un feu-

trage névroglique plus ou moins épais.

Rappelons que par place, la cavité est limitée par l'épithélium épendymaire

recouvrant la zone névroglique.

Dans tous les segments dans lesquels existe la cavité, la prolifération névro-

glique est active, près de la cavité et aussi autour des vaisseaux, les fibrilles

deviennent indistinctes et peu nombreuses. Il semble que les deux processus

d'homogénéisation et de raréfaction soient en jeu pour produire les différents

aspects rencontrés.

Dans l'intérieur de la cavité, on trouve de nombreuses cloisons qui donnent

378 - LHERMITTE ET ARTOM

naissance à des diverticules d'aspect et de formes variés ; en outre on remar-

que des colonnes constituées par un tissu névroglique, des vaisseaux et entou-

rées par une membrane conjonctive plissée.

Au niveau de la partie postérieure de la cavité, et dans son intérieur, nous

avons constaté plusieurs formations décrites par les classiques sous le terme de

névromes de régénération.

Lésions vasculaires. - Nous avons pu rencontrer les diverses lésions dé-

crites par Philippe et Obertl)ür et Thomas et Hauser dans le processus syrin-

gomyélique. Les vaisseaux sont tortueux, dilatés, extrêmement nombreux

(probablement multipliés) ; leurs parois sont très épaisses, en dégénérescence

fibro-hyaline. Sur la bordure de la cavité les parois vasculaires s'épaississent à

un point tel que la cavité s'efface ; le vaisseau ainsi transformé en un ruban

fibreux devient l'origine de la membrane papillaire que nous avons signalée.

Les lésions vasculaires n'existent pas seulement au voisinage et dans l'in-

térieur de la paroi de la cavité, elles sont manifestes à distance; elles existent

nettement d'ailleurs au niveau de C. Il c'est-à-dire, bien au-dessus de la partie

supérieure delà cavité.'Nous n'avons pas constaté de processus de thrombose

ni d'hémorragie.

Substance grise. - Elle est parfaitement normale à la moelle cervicale jus-

qu'au niveau du IVe segment. Là, la corne postérieure droite a en partie disparu;

plus bas, les deux cornes sont atteintes par le processus cavitaire; à ce niveau

la méthode de Nissl permet de constater quelques altérations minimes des cel-

lules des cornes antérieures et la méthode de Weigert fait voir que les fibres

nerveuses sont irrégulières et moniliformes. Le groupe cellulaire postéro-in-

terne est particulièrement pauvre en cellules.

Dans les segments cervicaux inférieurs (VI,VII et VIII), la corne antérieure

droite a presque complètement disparu, plus bas les deux cornes sont indis-

tinctes, envahies qu'elles sont par la cavité ou par la gliose juxta-cavitaire.

Dans la moelle dorsale inférieure, les cornes postérieures réapparaissent

normales ; à ce niveau, les cornes antérieures sont reconstituées, mais elles res-

tent profondément lésées et leurs éléments constituants présentent encore un

processus net de désintégration : les cellules sont arrondies, pigmentées, sans

chromatophiles, quelques-unes sans noyau.

A la moelle lombaire, la substance grise est normale.

' Les cellules nerveuses des segments médullaires où n'existe aucun proces-

sus syringomyélique ne sont pas normales, les noyaux sont petits, le pigment

est abondant, les prolongements grêles. Ces altérations nous paraissent devoir

être mises moins sur le compte de la gliose spinale que sur le compte de l'âge

assez avancé du malade (61 ans).

Substance blanche. - D'une manière générale, on peut dire qu'il n'est pas

un faisceau qui n'ait été touché plus ou moins par le processus gliomateux.

Au niveau deC. IV les faisceaux postérieurs sont dégénérés, aussi bien Goll 1

que Burdach, seule est respectée la partie la plus externe de ce dernier cordon.

Au niveau de C. VII, le faisceau de Gowers, le faisceau cérébelleux direct, le

UN CA.S DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CIIEIROMÉGALIE 379

faisceau fondamental latéral sont intéressés, les lésions des cordons postérieurs

affectent la même topographie que dans les régions sus-jacentes.

La dégénération des faisceaux antérieurs et latéraux augmente de haut en

bas, et à la région dorsale, il ne persiste au niveau des cordons latéraux que

quelques fibres périphériques colorées suivant la méthode de Weigert.

La méthode de Marchi nous a montré exclusivement au niveau de la VIe cer-,

vicale l'existence de corps granuleux dans tous les faisceaux spinaux.

Racines rachidiennes. - Les racines antérieures et postérieures sont sai-

nes jusqu'à C. VII ; à partir de ce niveau elles sont plus ou moins sclérosées

suivant les niveaux considérés.

Méninges. Il existe sur toute l'étendue de la moelle occupée par la cavité

un épaississement des méninges surtout de la dure-mère et de l'arachnoïde.

Nerfs périphériques. Nous avons examiné le tibial antérieur, le médian,

le cubital, le musculo-cutané du côté droit. Tandis que les coupes des nerfs

du membre inférieur ne nous ont montré que de légères lésions de sclérose

sans dégénérescence, les nerfs du membre supérieur droit présentaient des

lésions marquées : c'est ainsi que le cubital, le musculo-cutané étaient extrê-

mement riches en fibres,grêles aux dépens des fibres moyennes et grosses net-

tement diminuées de nombre. Il n'existait pas de processus récent de dégéné-

ration.

Les nerfs de la main ont été examinés isolément (cubital, médian, collaté-

raux des doigts). Dans tous ces troncs nerveux la méthode de Marchi nous a

permis de constater l'existence de fibres en dégénérescence, de corps granu-

leux en abondance. Les vaisseaux étaient normaux, non épaissis, sans aucune

infiltration.

Muscles. Les muscles des membres inférieurs ne présentaient aucune

atrophie. Le jumeau interne, le biceps droits sont absolument sains dans le

jambier antérieur, on constate une prolifération des noyaux du sarcolemme

associée à l'atrophie de quelques fibres, mais ce processus d'atrophie simple est

discret et limité.

Les petits muscles de la main droite (éminence thénar, éminence hypothé-

nar) sont extrêmement atrophiés. Au microscope, les fibres apparaissent di-

minuées de nombre et de volume, les noyaux du sarcolemme ont activement

proliféré, ainsi que le tissu interstitiel. Dans certains muscles existe une

infiltration adipeuse marquée.

Peau. La peau de la paume de la main droite et de la face dorsale est

épaissie d'une manière régulière, sans callosités, sans raghades ni ulcérations.

Au point de vue histologique,on constate que la couche cornée est très épaissie

et a au moins quadruplé d'épaisseur. L'hypertrophie porte surtout sur le stra-

tum lucidum, et la couche de Malpighi est intacte. Le derme est augmenté

d'épaisseur, les trousseaux fibreux sont abondants et forts, le tissu adipeux est

épais ; les glandes sébacées et sudoripares sont normales, les vaisseaux ne sont

pas altérés. -

Glandes vasculaires sanguines. - Les capsules surrénales, le corps thyroïde

sont normaux. 1

380 ' LHERMITTE ET ARTOM

L'hypophyse n'est nullement augmentée de volume ; les coupes montrent

que les éléments glandulaires sont ordonnés suivant l'orientation normale. Il

n'existe aucune trace de sclérose. Il est à noter que les cellules ehromophobes

sont très rares et qu'au contraire les éléments chromophiles sont nombreux et

serrés ; les cellules éosinophiles sont plus nombreuses que les cyanophiles. En

définitive l'hypophyse possède tous les caractères d'une glande en activité se-

crétoire normale et nullement désordonnée.

Ainsi que le montrait déjà l'examen clinique, il s'agit ici d'un cas de

syringomyélie classique; la cavité est assez développée puisqu'elle s'étend d

depuis le IVe segment cervical jusqu'au IXe segment dorsal. Les troubles

moteurs aussi bien que les troubles de la sensibilité permettaient déjà de

localiser avec assez de précision l'étendue en hauteur du processus cavi-

taire et il serait facile, après l'étude à laquelle nous nous sommes livrés,

de superposer assez exactement les symptômes aux lésions et d'expliquer

ceux-là par celles-ci. En particulier on pourrait faire remarquer que

l'exagération des réflexes tendineux des membres inférieurs cadre bien

avec la dégénération pyramidale bilatérale, que leur abolition aux membres

supérieurs dérive des lésions nerveuses périphériques et de la destruction

des cellules des cornes antérieures ; il serait facile également de superpo-

ser les désordres sensitifs et particulièrement la thermo-anesthésie du

membre supérieur à la destruction des cornes postérieures par la gliose ;

mais nous ne voulons pas insister sur ces faits pour nous limiler à l'étude

de la cheiromégalie.

L'hypertrophie de la main qu'il est possible de rencontrer au cours de

la syringomyélie est spéciale à tous égards et ne peut être confondue avec

aucune autre affection. Les premiers auteurs qui eurent l'occasion d'ob-

server la cheiromégalie ou la podomégalie pensèrent à une combinaison

de l'acromégalie et de la syringomyélie (4). L'acromégalie se manifesterait

par le développement des macrosomies partielles et la syringomyélie par

les troubles sensitifs qui sont toujours superposés à la cheiromégalie.

Peterson, Holschewnikoff, Recklinghausen admirent ainsi la combinaison

de ces deux affections pour expliquer les cas qu'ils eurent l'occasion d'ob-

server. M. P. Marie (2) au sujet d'un cas rapporté par lui insiste avec

force sur les éléments différentiels qui permettent de séparer d'une ma-

nière absolue les macrosomies partielles de la syringomyélie des hyper-

trophies de l'acromégalie. Schlesinger déclare partager entièrement les

(11 Hocscucwruhote, Recklinghausen, Ueber Acrnmegalie. Virchow's Archiv, 1890 ;

- Pr.Tr.RS0N, New-York medical Record, 1893; - i'iscuen, Inaug. Dissert, zu Kie ,

1891.

(2) Marie, Soc. méd. des hôpitaux, 1894.

UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CIIEIROMÉGALIE 381

idées de M. Pierre Marie et avoue que jamais il n'a éprouvé la moindre

difficulté de reconnaître à première vue la cheiromégalie de l'hypertrophie

acromégalique de la main. Dans notre cas le diagnostic était extrêmement

facile et la confusion avec l'acromégalie impossible. '

Il peut n'en être pas toujours ainsi et parfois la cheiromégalie se rap-

proche de plus près de l'acromégalie, cependant les éléments de diagnos-

tic ne manquent pas.

Dans la syringomyélie, la main et les doigts sont déformés, contractu-

rés, bizarrement tordus; souvent l'hypertrophie porte surtout sur certains

doigts ou même sur certaines phalanges. L'augmentation de volume porte

beaucoup plus sur la largeur que sur la longueur. Dans l'acromégalie, les

mains sont trapues, en battoir, les doigts sont uniformément hypertro-

phiés, non contractures ; il exisle, suivant l'expression de P. Marie, une

proportion dans cette disproportion, l'augmentation de volume porte aussi

bien sur la longueur que sur la largeur ; l'atrophie musculaire est généra-

lement prononcée dans la syringomyélie tandis qu'elle manque dans

l'acromégalie. Toutefois il faut ajouter que ce dernier symptôme peut-être

d'une constatation difficile et que souvent l'hypertrophie de la peau mas-

que complètement l'amyotrophie, (Macfarlane, notre cas).

Les altérations de la peau facilement visibles sont un signe différentiel

moins trompeur. Il est rare que la peau ne soit pas le siège de quelque

fissure, callosité, raghade, ou d'une ancienne cicatrice de panaris ou de

phlegmon dans la syringomyélie, tandis qu'elle reste intacte ou à peu près

dans l'acromégalie.

Du côté du squelette, la radioscopie fait voir d'un côté que l'augmen-

tation des os est régulière et s'étend à tout le squelette de la main tandis

que dans la cheiromégalie l'augmentation des os est irrégulière ou bien

fait complètement défaut ; les altérations articulaires manquent dans

l'acromégalie et au contraire sont fréquentes dans la syringomyélie. Enfin,

dans l'acromégalie, les hypertrophies des membres évoluent parallèle-

ment et dans le même temps tandis que la plus grande irrégularité est de

règle dans la syringomyélie ; si l'on ajoute que dans l'acromégalie les

troubles moteurs et sensitifs font défaut tandis que les derniers au moins

sont toujours présents chez le syringomyélique atteint de cheiromégalie,

on peut voir que l'erreur entre la gliose médullaire et la maladie de

P. Marie peut être, dans tous les cas, facilement évitée.

Cette hypertrophie des extrémités doit donc trouver sa cause dans le

développement de la gliose médullaire syringomyélique et en faveur de

cette hypothèse deux faits peuvent plaider : c'est, d'une part, la juxtapo-

sition sur le même membre des troubles trophiques divers, de la macro-

382 LHERMITTE ET ARTOM

somie, des perversions de la sensibilité [De Cambiaire(l) ], d'autre part

l'absence de phénomènes inflammatoires au moins dans les cas purs de

cheiromégalie.

Avant de rechercher la cause qui préside au développement de ces

hypertrophies, nous devons préciser les lésions anatomiques qui sont à

la base de la cheiromégalie. Celles-ci sont encore assez mal connues, puis-

que, ainsi que nous le disions plus haut, à part le cas d'Iiolschewnil,off,

il n'en existe pas dans lesquels l'étude anatomique a pu être poursuivie.

Dans l'observation d'Ilolschevnikoff, il s'agissait d'un malade âgé de'

36 ans qui succomba au tétanos.

Les mains étaient volumineuses, grosses et trapues, à gauche le pouce

étant renversé en dehors ; à la base de la première phalange du pouce et

du 3e métacarpien existaient des exostoses, les articulations étaient nor-

males. La peau présentait des rides, des fentes, des épaississements irré-

guliers. Les ongles, très incurvés dans le sens transversal, étaient forte-

ment striés longitudinalement. Les pieds étaient gros, trapus, à leur

niveau la peau était normale.

Dans la moelle épinière, existait une cavité syringomyélique qui com-

mençait sous forme d'une fente au niveau de la III" cervicale, occupant

la corne postérieure gauche. Dans les régions sous-jacentes la cavité dé-

truit les cornes postérieures et en partie les cornes antérieures. La cavité

disparaît au niveau de la VIe dorsale, pour réapparaître au-dessous et se

terminer définitivement à la IX" dorsale. Les racines postérieures con-

tiennent un certain nombre de fibres dégénérées isolées. Dans les cinquiè-

me et sixième racines gauches on remarque un mode spécial de dégéné-

rescence des fibres nerveuses. Celles-ci apparaissent inégalement renflées

et presque dépourvues de gaine myélinique. De telles altérations étaient

encore visibles dans tous les nerfs du plexus brachial et dans leurs bran-

ches. En outre dans le nerf médian on remarquait des corps arrondis ou

ovales que, par leurs réactions, .11olseliewnilçoff' déclare être des corps

hyalins.

La peau de la main, notablement épaissie, présentait dans le derme des

fibres conjonctives très épaisses et des faisceaux ressemblant à ceux du tissu

tendineux, le tissu cellulaire était pauvre en graisse. Il n'existait pas trace

de lésions inflammatoires de la peau et les vaisseaux étaient de tous points

normaux.

L'hypophyse avait ses dimensions normales et ne semblait pas lésée.

Holschewnikoff n'hésite pas à mettre sur le compte de l'acromégalie les

déformations et l'hypertrophie des extrémités distales des membres et à

(1) De CAbll3lAlRuThèse de Paris, 1899 : Hypertrophie pseudo-acromégalique au cours

de la syringomyélie.

UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CIJEIROMÉGALIE 383

rattacher leur développement aux altérations des nerfs périphériques.

Notre cas est assez comparable à celui d'Hotsct)ewnikoff, car si nous

n'avons pas constaté de lésions osseuses, du moins nous avons relevé des

altérations considérables de la peau, des muscles, des nerfs périphéri-

ques. 1

Le revêtement cutané était modifié aussi bien à la face dorsale qu'à la

face palmaire et l'étude histologique nous fait voir que l'hypertrophie

de la peau était due à l'augmentation de la couche épidermique ainsi que

du derme, sans que les glandes sébacées et sudoripares, les vaisseaux ou

soient lésés en rien.

Les muscles présentaient des lésions d'atrophie simple avec infiltra-

tion adipeuse légère, lésions qui sont banales dans la syringomyélie, mais

intéressantes à relever ici, en raison et du volume énorme de la main et

de la difficulté qu'il peut y avoir à faire la constatation de l'amyotrophie.

L'observation de Curschmann (1), peut être rapprochée de notre cas il

est noté que les petits muscles de la main sont atrophiés tandis que la

peau et le tissu cellulaire sous-cutané sont en voie d'hypertrophie mani-

feste. Enfin, dans notre cas, les lésions des nerfs périphériques étaient

intenses et généralisées à tous les rameaux nerveux de la main. Dans les

nerfs du bras (médian, cubital), l'examen histologique montrait seule-

ment une abondance de fibres grêles et une diminution de nombre des

grosses et moyennes fibres, tandis que dans la main les nerfs présentaient

les phénomènes de névrite active avec corps granuleux.

En définitive les modifications des tissus de la main dans la cheiromé-

galie sont bien différentes de celles qui conditionnent l'énorme hypertro-

phie de l'acromégalie, il est inutile d'y revenir.

Bien qu'il puisse exister certains points de rapprochement entre les

deux affections ainsi que le fait remarquer Rectdinghausen : lésions

osseuses hypertrophiantes de la cheiromégalie (2), altérations spinales et

même névritiques dans la maladie de Pierre Marie, il n'est pas besoin de

recourir à l'examen de la moelle ou de l'hypophyse pour faire le départ

de ce qui revient à la syringomyélie et de ce qui est sous la dépendance de

l'acromégalie.

Rappelons que l'examen histologique des glandes vasculaires sanguines

nous a fait voir leur parfaite intégrité ; pour ce qui a trait à l'hypophyse,

son volume était sensiblement normal et au microscope, nous avons cons-

taté l'aspect d'une glande en activité modérée : les cellules chromophiles

étaient abondantes, régulièrement ordonnées, par endroits les cellules

(1) CunscnMANN.'Deutsche Zeitsch. f. Nervenhkeilunde, 1905. Voir aussi l'observation

citée plus haut de Macfarlane.

(2) Voir RAYMOND et LEJONNE (article précédent).

384 LHERMITTE ET ARTOM

éosinophiles étaient plus abondantes que les cellules basophiles ; dans

d'autres régions la proportion de ces éléments était inversée; quelques

vésicules dans la région hilaire contenaient de la substance colloïde.

Le cas rapporté par Cesaris Demel nous semble devoir être mentionné

ici, car il montre que, même 'avec une hypertrophie considérable de l'hypo-

physe et une syringomyélie, il peut ne se produire aucun phénomène

rappelant la cheiromégalie. Malgré l'existence d'un adénome hypophysaire

qui atteignait le volume d'une noix, et le développement d'une cavité

syringomyélique dans la moelle cervico-dorsale, la malade ne présentait

aucune hypertrophie des mains ni des pieds, mais seulement une raré-

faction du squelette des membres.

La question qui nous reste à résoudre est particulièrement délicate et

il ne nous paraît pas qu'on puisse lui donner, actuellement, une solution ;

elle a trait la pathogénie de la cheiromégalie. Si, à l'exemple de Pierre

Marie, Schlesinger, Fischer, etc., nous croyons que la cheiromégalie

constitue un symptôme de la syringomyélie et est tout à fait indépendante

d'une affection surajoutée, comment expliquer la genèse de ce trouble

trophique ?

Ainsi que [le remarque Schlesinger, nous ne pouvons faire que des

hypothèses et il nous est aussi difficile d'expliquer le développement de

la cheiromégalie que l'apparition des arthropathies par exemple. Ce qui

nous paraît à retenir, c'est l'importance prise dans notre cas, par les né-

vrites périphériques, étendues comme nous l'avons dit à tous les nerfs de

la main et aussi ce fait que la cavité syringomyélique était notablement

plus développée du côté droit, siège de la cheiromégalie, que du côté

gauche.

Quant à la raison intime qui fait que devant une lésion donnée du sys-

tème nerveux, les I issus constitutifs d'un segment de membre (os, muscles,

tissu conjonctif, peau) réagissent différemment, elle reste cachée et nous

paraît à chercher moins dans la localisation elle-même de la lésion ner-

veuse que dans l'aptitude réactionnelle inhérente à chaque tissu en par-

ticulier pour un agent morbide défini.

Après la présentation de ce travail, est paru un important mémoire de

M. Karl. Petreu ; nous ne pouvons ici discuter ses conclusions, sur lesquelles

uous reviendrons dans un prochain travail (Petreu : Ube1' daes gleilchein

zeitige vorkommen von airomigalie und syringomyélie. Yirchow's Archiv,

1er oct. 1907).

(1) Cesaris Demel, Sap io due casi di siringomielia. Archivio perla scienze médicale,

1900.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. LXIX

ECCHYMOSES ZONIFORMES SPONTANEES

(Etienne.)

Masson & C ? 1 dltcur.,

Photutypie Reithaud, Taris

? tC7'A- DE MÉDECINE DE NANCY

DES ECCHYMOSES ZONIFORMES SPONTANEES

PAR

G. ÉTIENNE

Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Nancy.

L'observation suivante d'ecchymoses zoniformes spontanées me paraît.

constituer un type morbite dont je n'ai pas encore rencontré la descrip-

tion dans la littérature médicale.

Mme Bul..., vieille femme de 80 ans, hospitalisée à St-Julien, encore vail-

lante, bien conservée pour son âge, n'ayant jamais fait d'autre maladie

qu'une fièvre typhoïde à l'âge de 30 ans, un peu nerveuse, a son attention

attirée le 18 mars 1907 par une zone douloureuse siégeant au-dessus de

l'oei) droit. Cette douleur augmente rapidement, sans qu'il existe aucune mo-

dification appréciable des téguments.

Le 21 mars, la malade se présente à la consultation à cause de ses douleurs

intenses et des taches dont elle vient de remarquer la présence. 1

On constate alors l'existence de taches bleuâtres, légèrement ecchymotiques,

siégeant vers le rebord orbitaire supérieur et inférieur, très douloureuses à la

pression (Pl. LXIX).

Le 23 mars, les taches ont considérablement augmenté d'étendue, et leur

disposition, rappelant étrangement celle du zona ophtalmique, ne permet

pas d'échapper à l'idée d'un rapprochement de nature entre les deux manifesta-

tions. Sur un fond jaunâtre, s'étalent une série de larges placards violets, con-

tusiformes, groupés sur le côté droit du front, jusque vers la région malaire

en dehors ; en dedans débordant légèrement en deçà de la ligne médiane et

euvahissant l'angle droit de l'oeil ; en haut, allant se perdre par nuances

dégradées dans le cuir chevelu ; en bas, occupant par une vaste ecchymose

noire toute la paupière supérieure, avec un petit prolongement noir aussi

foncé à l'angle de la paupière inférieure, dont la totalité est oedématiée et

jarinâtre.

L'infiltration oedémateuse et ecchymotique des deux paupières prend abso-

lument la forme d'un chémosis.

Pas de lésion, d'altération de la cornée ni de l'iris.

Les douleurs spontanées, au niveau des régions occupées par les ecchymoses,

sont extrêmement vives, à devenir enragée »,dit la malade. Le contact du doigt

explorant très doucemeut la région est intolérable ; et la malade recule et se

dérobe dès qu'elle voit approcher le doigt.

Les jours suivants, progressivement, la coloration des ecchymoses s'atténue,

386 ETIENNE

passant par dégradation au bleu, au vert, au jaune ; le clémosis diminue. Il

n'y a plus trace d'ecchymose le avril, mais la région reste sensible à une

pression légère.

Le 6 mai, au retour d'une permission passée hors de l'hôpital, la région est

complètement normale.

Le premier point à relever dans cette observation, c'est la disposition

topographique remarquablement zoniforme des ecchymoses, se superpo-

sant de façon très frappante à celle du zona ophtalmique.

- Chez notre malade en effet, de même que l'éruption dans cet autre type

clinique, la teinte ecchymotique générale et surtout les placards violacés,

et aussi la zone douloureuse, occupent très nettement le territoire du nerf

frontal, deuxième division, moyenne, de la branche ophtalmique de

Willis, elle-même branche supérieure du trijumeau.

Rappelons que le nerf frontal donne l'innervation sensitive par le nerf

frontal externe à la muqueuse et à la peau de la paupière supérieure

(filets palpébraux) et à la peau du front et du cuir chevelu (filets ascen-

dants frontaux) ; et par le nerf frontal interne à la peau de la partie in-

terne de la paupière supérieure (filets descendants), à la peau de la partie

médiane du front (filets ascendants), à la peau de la racine du nez (filets

internes) et à l'espace intersourcilier (fibres sus-trochléaires),

Mais dans notre lésion ecchymotique, de même encore que dans les

zonas, la lésion déborde légèrement la région du nerf lésé, par retentisse-

ment vers les anastomoses : d'où l'extension limitée vers la région gauche

symétrique; etd'autre part le placard noir vers l'angle interne de la pau-

DES ECCHYMOSES ZONIFORMES SPONTANÉES 387

pière inférieure, territoire des anastomoses des filets descendants du fron-

tal interne avec les terminaisons du nasal externe, l'une des divisions de

la 3e branche (nerf nasal) de l'ophtalmique de Willis.

Outre ce rapprochement topographique entre notre ecchymose zoniforme

ophtalmique et le zona ophtalmique, un autre point de contact est fourni

par les douleurs spontanées extrêmement vives, intolérables, qui ont précé-

dé et accompagné la manifestation hémorragique. Enfin, autre coïncidenc e

d'importance peut-être secondaire, mais cependant à noter : notre cas a

été observé en mars, et quelques jours plus lard, nous trouvions dans le

service une autre vieille femme atteinte d'un zona ophtalmique; or on sait

que la fréquence des zonas a été signalée en mars et avril, et qu'ils se pré-

sentent souvent en état de pseudo-épidémicité.

Il s'agit donc ici -bien manifestement d'une ecchymose zoniforme ophtal-

mique développée sur le territoire du nerf frontal.

Je n'ai pas trouvé dans la littérature l'indication de cet aspect zoniforme

d'ecchymoses spontanées ; les cas en seraient donc très rares ; ou peut-

être n'ont-ils pas été diagnostiqués, la disposition zostérienne n'ayant pas

frappé l'attention, ou l'élément douloureux faisant défaut comme il arrive

souvent également pour le zona.

Elle paraît cependant fort probable dans la deuxième observation de la

thèse de Faisans (1) : série de trois ecchymoses, l'une très vaste couvrant

toute la partie antéro-interne de la jambe avec maximum au niveau du

creux poplité ; une 2e au côté externe de la partie moyenne de la cuisse ;

la 3e sur la fesse droite ; ces trois ecchymoses, paraissant bien repérer

le territoire du sciatique, coïncidaient chez un homme de 48 ans avec

une crise douloureuse de névrite sciatique. Chez un autre malade

(1re observation), une ecchymose analogue s'étendait à toute la région

externe de la jambe, surtout foncée dans le creux poplité, chez un

homme également atteint de névrite sciatique.

Peut-être en serait-il encore de même ( ? ) dans le cas signalé par le

professeur Bouchard (2), d'après Brown-Séquard, « d'ecchymoses sponta-

nées survenant à la face dans le cours d'une névralgie faciale ».

Quelle peut en être la cause ? Eliminons d'abord, il est à peine besoin

de le dire, tout traumatisme local : la malade, ses voisins, son entourage,

affirment qu'à aucun moment elle ne s'est heurtée nulle part.

Il est hors de doute que la douleur locale a été le premier phénomène,

que c'est elle qui a attiré l'attention de la malade; et ce n'est qu'au

(1) Faisans, Des hémorragies cutanées liées à des affections du système nerveux

el en particulier du purpura myélopathique, Thèse Paris, 1881-82.

(2) BOUCHAI1.0, De la pathogénie des hémorrhagies, Thèse d'agrégation, Paris, 1869,

p. 83.

388 ETIENNE

cours du 3° jour qu'on a constaté l'apparition des ecchymoses. L'accident

initial a donc été un phénomène sensitif traduisant une altération nerveuse,

névralgie ou névrite, de la branche ophtalmique du trijumeau droit.

Il en est de même dans les deux cas de névrite sciatique de M. Faisans,

dans le cas hypothétique de névralgie faciale du professeur Bouchard. Et

pour saisir l'ensemble de la question, nous rapprocherons de notre cas

l'observation de purpura avec infinité de petites taches sur les deux jam-

bes et les deux cuisses, rapportée par Faisans, chez un vieillard de 67 ans

(obs. 3), atteint d'une poussée de névrite des deux sciatiques avec atro-

phie musculaire très marquée ; et les cas de purpura accompagnant chez

certains tabétiques les crises de douleurs fulgurantes (1), bien que nous

laissions complètement de côté ici la question de la disposition des érup-

tions purpuriques ordinaires.

Les ecchymoses peuvent donc manifester l'existence d'une lésion du

nerf périphérique ; mais elles n'accompagnent qu'une lésion du nerf sen-

sitif, la branche de Willis du trijumeau, ou des filets sensitifs et trophi-

ques du sciatique, dans les névrites banales, ou dans la lésion tabétique

des protoneurones centripètes. Et en ceci encore, les quelques cas connus

d'ecchymoses spontanées zoniformes se rapprochent du zona.

Nous croyons, en effet, que ces cas rentrent bien dans la catégorie des

phénomènes zoniformes du type névritique, dont l'existence est aussi in-

contestable (Chantelux, Pitres et Vaillard) que celle des cas d'origine

médullaire métamérienne, de MM. Brissaud, Achard et Head, ou d'origine

ganglionnaire.

Et on arrive ainsi à cette conception des ecchymoses zoniformes, mani-

festation vasodilatatrice d'une névrite qui, chez d'autres malades, se tra-

duit par le trouble trophique de l'éruption zostérienne. Et entre ces deux

résultats d'une même lésion, nous trouvons comme forme de passage le

zona hémorragique, constitué par la bande de vésicules d'herpès zoster

remplies de sang.

Mais un phénomène de vasodilatation peut-il arriver jusqu'à produire

l'extravasation sanguine, l'ecchymose ? Brown-Séquard, par une lésion

de la moelle allongée chez le cobaye telle que la section d'un corps resti-

forme, a obtenu des hémorragies sous-cutanées dans l'oreille du côté lésé.

Le professeur Bouchard (2), après avoir arraché le ganglion cervical supé-

rieur gauche à un jeune lapin, a vu aussitôt se produire une augmentation

de la vascularisation de l'oreille du côté opéré; puis des ecchymoses,

après ligature de l'aorte au-dessous des rénales. Et dans d'autres cas, la

(1) SrRnoss, Des ecchymoses tabétiques à la suite de crises de douleurs fulgurantes.

Archives de Neurologie, 1880-1881, p. 555.

(2) BOUCBARD, loc. cit., p. 80.

DES ECCHYMOSES ZONIFORMES SPONTANÉES 389

section unilatérale du grand sympathique au cou fait rougir l'oreille, et

à la longue détermine l'apparition d'éruptions, mais sans hémorragie.

MM. Mathieu et Gley (Soc. anatom. de 1887), passant une mèche imbi-

bée de NaCI dans le sciatique d'un chien,ont trouvé, dans des coupes mi-

croscopiques de la peau des doigts, des trainées anastomosées de globules

rouges répondant à des capillaires dilatés ou à de petits foyers hémorra-

giques, véritables ébauches de lésions purpuriques.

Reste à examiner comment la névrite, et plus exactement la névrite

sensitive ou mixte, peut déterminer le phénomène sympathique de la

vasodilatation. L'hypothèse la plus simple, c'est que la névrite du nerf

sensitif intéresse également les filets sympathiques qui l'accompagnent ;

or on sait que notamment la branche ophtalmique de Willis reçoit des

filets sympathiques du plexus caverneux soit par des fibres anastomoti-

ques directes, soit par la racine grise du ganglion ophtalmique. L'inflam-

mation de ces filets sympathiques pourrait déterminer soit la vasodilata-

tion extrême avec ecchymose, soit les troubles trophiques zostériens.

Un autre mécanisme pourrait être le retentissement direct des cellules

ganglionnaires, lésées par la névrite sensitive, sur l'appareil sympathique

connexe, en raison des accointances anatomiques et embryologiques entre

les corps cellulaires des ganglions sensitifs craniens ou rachidiens issus

de la crête de Sagemehl et les cellules des ganglions sympathiques du

même système métamérien ou des voisins. Le fonctionnement défectueux

de la cellule du protoneurone centripète peut donc, par action d'un influx

nerveux vicié, agir irrégulièrement sur une série d'éléments sympathiques

du même métamère ou des métamères voisins,et déterminer ainsi des acci-

dents d'ordre sympathique, tels que de la vasodilatation exagérée, des

troubles trophiques ou des oedèmes (1).

(1) G. ETIENNE, Des trophoedèmes chroniques d'origine traumatique ; pathogéiie des

oedèmes traumaliques d'origine nerveuse, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière

1907, n° 2.

xx lit

UN CAS D'ACHONDROPLASIE

PAR

CHARON, DEGOUY et TISSOT,

d'Amiens.

L'achondroplasie est une affection aujourd'hui bien connue tant dans

son aspect clinique que dans ses caractères anatomiques, grâce aux nom-

breux travaux que son étude a suscités dans ces dernières années. Parmi les

plus récents nous citerons seulement l'excellente revue générale de Porak et

Durante sur les Micromélies congénitales parue ici même en 1905 : on y

trouvera l'historique complet, la description détaillée, la bibliographie

déjà riche de l'achondroplasie. Malheureusement sur la pathogénie de

cette maladie il règne une obscurité qui est commune à bien d'autres,

mais qui semble plus profonde-encore quand il s'agit des affections congé-

nitales. Le cas qui fait l'objet de cette nouvelle observation ne sort pas du

mystère où se cachent ses semblables, cependant il nous a paru intéres-

sant à relater à cause de la multiplicité et de l'intensité des lésions cons-

tatées, en raison aussi de l'association des anomalies physiques à une

constitution psychique dégénérative (imbécillité), en sorte qu'il y a peut-

être lieu de rattacher ce double mouvement de dégénérescence au même

processus foetal, encore que ce processus reste introuvable.

Observation.

C... J.-B., 1 ans, emprisonné pour meurtre, entre à l'asile de Dury le

12 octobre 1899 à la suite d'une ordonnance de non-lieu basée sur son état

mental. Il est le huitième de douze enfants dont un seul, avec lui, a présenté

une difformité physique (pied-bot congénital); quatre sont morts en bas-âge

d'affections banales, un autre n'a vécu que deux jours, un dernier est mort-

né ; les cinq autres n'offrent'aucune particularité biologique. Les parents sont

l'un et l'autre des septuagénaires bien conservés, touchés seulement par quel-

ques infirmités de la vieillesse, auxquelles il faut ajouter, pour la mère, les

fatigues de ses douze grossesses ; néanmoins seule de celles-ci le gestation du

micromèle fut pénible, accompagnée de malaises inconnus pour les autres.

Le grand-père maternel s'adonnait à la boisson, la grand'mère du même côté a

versé dans l'aliénation mentale.

L'instruction et l'éducation de C... sont nulles : il fut bien à l'école mais

UN CAS D'ACQONDROI'LASIE 391

n'eut aucune disposition à l'étude ; il sait juste signer son nom. Le caractère,

assez enjoué d'abord, devint par la suite très inégal, très sensible aux condi-

tions météorologiques, il s'aigrit dès que l'aîge permit à l'enfant de constater

sa difformité et son infériorité vis-à-vis de ses camarades. Son entourage

d'ailleurs en avait fait un jouet, il s'amusait de ses réactions d'imbécile, et

c'est ainsi provoqué qu'un jour il porta en plein coeur un coup de couteau à

une jeune domestique, pour un motif futile.

A côté de cette anomalie psychique grave on trouve chez notre sujet des

malformations physiques diverses dont la plus importante est une micrornélie

abdominale double et asymétrique, du fait de laquelle la taille totale atteint

seulement 1 m. 34. Cette exiguïté des membres inférieurs est ici l'unique

cause du nanisme, car la hauteur du tronc, mesurée de la fourchette sternale

au pubis, est de 50 centimètres, ce qui correspondrait chez un adulte bien

constitué à une taille de 1 m.56. Voici à cet égard quelques mensurations pri-

ses concurremment sur C... et sur un sujet du même âge présentant la même

hauteur de tronc :

392 CHARON, DEGOUY ET TISSOT

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. LXX

ACIIONDROPLASIE

(Charron, Degouy et Tissât.)

Masson & Cie, Editeurs

PhototYPie Berthaud, Pans.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. LXXI

ACHONDROPLASIE

(Charron, Degouy et Tissai.)

UN CAS d'achondroplasie 393

très postérieur au tibia et un peu en dehors de lui. Le tibia est plat et mince dans

le sens antéro-postérieur, élargi dans le sens transversal, il a l'aspect d'une

double spatule (PI. LXXII) ; la malléole interne manque. Il paraît unique-

ment constitué par du tissu spongieux, si l'on s'en rapporte à la différence

d'opacité entre le tibia et le péroné dans l'épreuve radiographique auté-

ro-postérieure); il est de plus très court (15 cent.). La même épreuve mon-

tre le développement énorme du péroné par rapport au tibia et sa cour-

bure exagérée à concavité antérieure; la projection du péroné dans le sens

antéro-postérieur donne la dimension ordinaire en largeur, mais l'épreuve

interne-externe donne une projection beaucoup plus grande. Cet os est

donc aplati lui aussi, mais suivant un plan perpendiculaire à l'aplatisse-

ment du tibia. Son extrémité inférieure a une configuration normale et s'ar-

ticule comme il convient ; sou extrémité supérieure ne paraît pas défectueuse

au point de vue anatomique, mais au lieu de s'articuler avec l'épiphyse supé-

rieure du tibia, cet os, trop long pour un tibia trop court, va s'articuler sur

la face postéro-externe et sus-condylienne du fémur ; de ce fait cette extrémité

n'est pas accessible à la main, elle se perd dans le creux poplité. Le péroné

présente une texture ordinaire : épiphyses spongieuses, diaphyse compacte.

Le fonctionnement de la jambe est très restreint, compris dans un angle d'en-

viron 30 degrés; la flexion semble arrêtée par le buttage de la tête péronière

contre le fému

Pied. - Le pied est large, court, mais de constitution normale ; les cinq

orteils, distincts les uns des autres, sont élargis en battant de cloche, le

premier en retrait sur les autres, le cinquième presque aussi gros et sur le

même plan transversal que le premier. La mobilité du pied est minime.

Membre inférieur gauche. Le membre abdominal gauche, plus long

que le droit, présente aussI1des)non13lies importantes : la cuisse est raccour-

cie (33 cent.), le col du fémur fait un angle droit avec le corps (Pl. LXXIII) ;

le cotyle manque. Le jcol, sans tête articulaire, apparaît taillé en bec

de flûte sur sa face supérieure; de plus le col regarde plus directement

d'avant en arrière qu'à l'état normal, et cette orientation spéciale produit

l'aplatissement du bassin par la projection du pubis au-devant du promon-

toire sous l'effort de la contre-pression fémorale. L'extrémité inférieure du

fémur est élargie transversalement. L'abduction de la cuisse est impossible,

ce qu'explique suffisamment la configuration de la hanche.

La jambe est à peu près normale sauf la longueur (34 cent.) ; la tête péro-

nièrè est rudimentaire, ce qui donne un aplatissement de la partie supéro-

externe de la jambe. Le genou ne possède pas de rotule. '

Le pied présente les mêmes particularités qu'à droite : diminution en lon-

gueur, élargissement du tarso-métatarse, orteils en battants.

Bassin. Le bassin est aplati, asymétrique et en antéversion (PI. LXXIII) ;

la moitié droite est en arrêt de développement, en retrait et abaissée par

rapport à la gauche ; a gauche la ligne innominée est redressée,' l'acétavulum

est un peu refoulé en dedans.

394 . CHARON, DEGOUY ET TISSOT

Chez ce sujet, c'est la hanche gauche qui porte tout le poids du corps ; la

contre-pression fémorale devait donc s'exercer uniquement de ce côté, d'où

redressement de la ligne innominée et asymétrie du bassin. Ce fait explique-

rait également le changement d'orientation du col avec le corps du fémur,

l'angle obtus disparaissant peu à peu, dans un os mou, sous l'effet du poids

du corps, pour arriver graduellement à l'angle droit; la face supérieure du col

paraît d'ailleurs comme usée par les frottements et les pressions. Le grand

trochanter, du fait de la fermeture de l'angle d'inclinaison et aussi de l'usure

du bord supérieur du-col, se trouve plus haut situé que normalement quant

au bassin. Du côté droit le corps du fémur et le col se sont coudés jusqu'à

l'angle très aigu, aussi la cuisse très raccourcie et remontée le long de l'os

coxal est-elle en adduction exagérée. Des deux côtés l'articulation de la hanche

n'existe pour ainsi dire pas ; de même qu'il n'y a pas de têtes fémorales, de

même il n'y a pas de cavités cotyloïdes bien différenciées; les cols semblent

maintenus au-devant des rudiments de cavités cotyloïdes par une gangue de

tissu osseux néoformé et peu dense aux rayons X, principalement à droite.

Les trous obturateurs sont un peu plus larges que normalement.

Tronc : - Le tronc est bien conformé, ne présentant aucune anomalie pri-

mitive ; il existe une scoliose dorso-lombaire à concavité gauche (Pl. LXXI),

compensatrice de l'abaissement unilatéral du bassin, une lordose lombaire très

marquée avec saillie en arrière du sacrum. Le pli fessier droit est plus bas

que le gauche, la saillie des fessiers est plus accusée à gauche.

' Membres supérieurs. - Les membres supérieurs out un développement

en harmonie avec le tronc, les diverses mensurations qu'on y peut faire sont

presque identiques à celles prises sur le sujet témoin offrant la même hauteur

de tronc (voir plus haut). Les doigts sont, comme les orteils, épais, élargis en

spatule à leur extrémité. La main n'a pas l'aspect en trident- ni en éventail,

cependant les doigts sont presque d'égale longueur.

Tête. - De volume normal d'après les dimensions déjà données ; c'est une

tête brachycéphale.

Oreilles. Les oreilles présentent des malformations intéressantes : la

gauche est la mieux conformée des deux (PI. LXXI), elle a ses parties constituti-

ves, mais le lobule n'existe pour ainsi dire pas, le bord libre du pavillon se sou-

dant en bas sans former de renflement lobulaire ; la racine de l'hélix est sou-

dée à la conque, les crurafurcata ne sont pas dessinées. Le conduit auditif est

imperforé; sous l'opercule cutané qui le ferme on sent un orifice atrésié.

L'oreille droite est embryonnaire, réduite à un bourrelet longitudinal renflé

à son extrémité supérieure en un rudiment de pavillon replié et soudé en

avant, logeant une fossette unique. Elle est aussi imperforée et l'on ne

perçoit aucun orifice auditif. Malgré cette imperforation des oreilles, l'audition

n'est pas considérablement diminuée.

OEil. Le malade prétend ne pas voir très clair ; les papilles sont un peu

congestionnées, les vaisseaux en sont dilatés surtout à droite ; les pupilles

sont dilatées et inégales, la droite étant plus grande que la gauche ; les ré-

flexes lumineux et accommodateur existent.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. LXXII

. ACHONDROPLASIE

(Charron, Degouy et Tissot.)

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. ' T. XX. PI. LXXIII

.1CI10\ DROI'LASIE

- - fr : lJin.-nm T{rcrOIlI' ri 7ï.îço ? ?

UN cas d'achondroplasie 395

Parole. - Aucune malformation de la bouche ; cependant la parole est dé-

fectueuse, mal articulée ; la voix est gutturale, élevée, eunuchoïde.

Organes génitaux. - Pénis normal. Monorchidie : le testicule gauche

existe seul, il est d'ailleurs petit et mou; l'autre n'est même pas perçu dans

le canal inguinal.

Les poils sont assez abondants au pubis, rares sous les bras ; la barbe et la

moustache sont moyennement fournies.

Sensibilité générale normale.

Les réflexes du coude et du poignet existent, ceux du genou font défaut.

En résumé, on trouve chez ce sujet un état de dégénérescence totale,

atteignant les sphères psychique et physique, se révélant par l'imbécillité

et par des malformations diverses prédominant dans la moitié droite du

corps. Ce fémur à incurvation brusque, ce tibia spongieux et court, ce

péroné remontant trop haut, voilà bien, semble-t-il, des caractères nets

d'achondroplasie ; les mains ne forment pas le trident, il est vrai, mais

les doigts sont presque d'égale longueur. On ne trouve d'ailleurs aucun

stigmate de rachitisme, ni trace de fracture pouvant faire penser à la

dysphasie périostale.

HÉMIMÉLIE

AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS

ÉTUDE ANATOMIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE L'HÉMIMÉLIE ;

PAR

M. KLIPPEL, et PAUL BOUCHET,

Médecin de l'hôpital Tenon. Ancien prosecteur provisoire

. à la Faculté.

(Suite et fin).

D. L'hémimélie relève d'un arrêt de développement.

En effet, pour les raisons que Klippel et Rabaud ont développées,

l'hypothèse d'une amputation congénitale n'est pas soutenable.

Blain estima que son observation plaide en faveur de l'hypothèse d'une

amputation intra-utérine, en raison de l'inégalité de la jointure, de l'arrêt

des deux os del'avant-bras au même niveau, et surtout de ce fait que les

tubercules digitaux ne sont qu'au nombre de deux, tandis que dans l'hé-

mimélie, par suite d'arrêt de développement, on en trouve quatre d'habi-

tude ; l'auteur estima que son observation s'écarte de la généralité des

faits d'hémimélie en ce que l'articulation est presque normale, et les épi-

physes du radius et du cubitus conformées régulièrement.

M. Troisier répliqua qu'il s'agissait dans ce cas, à son avis, « plutôt

d'un arrêt de développement que d'une amputation intra-utérine, car la

forme des os de l'avant-bras rappelle celle des os normaux, atrophiés

dans leur totalité ; le radius offre vers sa partie moyenne une crête qui

représente les rugosités où s'insère le rond pronateur sur un os normal ;

il est évident que ces rugosités n'existeraient pas sur un os qui.aurait été

sectionné vers son extrémité supérieure ; en outre, il n'y a pas decicatrice

sur le moignon. » ,

Variot « doutait qu'il s'agît dans son cas, d'une amputation congénitale,

à cause de la présence de bourgeons cutanés qui s'étaient développés à

l'extrémité du moignon. Mathias Duval ajustement fait observer que cette

repullulation des extrémités, à la suite d'une perte de substance, était 1

conforme aux lois ordinaires de la nutrition de l'embryon des mammi-

fères, qui se comportait à la manière des animaux à sang froid. L'opinion

de ce maître concluant à l'amputation congénitale pour expliquer l'hémi-

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 397

mélie, a été pleinement confirmée par la dissection. L'absence d'épiphyse

inférieure est bien une preuve que l'amputation congénitale a porté sur la

diaphyse et qu'il n'y a pas eu simple arrêt de développement du squelette

et du reste du membre. »

Mathias Duval, à l'occasion du cas de Variot, disait : « Il existe plu-

sieurs formes d'amputations congénitales ; les unes ont pour causes les

ligatures faites par le cordon ombilical, les autres sont dues à des brides

amniotiques qui peuvent arrivera fendre la bouche jusqu'aux oreilles.

Dans tous ces cas d'amputation précoce ayant une origine purement méca-

nique, les bourgeons peuvent se produire. Mais lorsque l'amputation re-

connaît pour cause l'ainhum congénital sur lequel M. Proust a appelé

l'attention, aïnhum qui est une maladie et non un accident, il n'est pas

étonnant qu'il s'ensuive un arrêt de développement et que la production

de bourgeons n'ait pas lieu ».

Chaput pense pour son observation à « un étranglement du membre

par une bride amniotique ou par le cordon ombilical. L'amputation n'a

pas été tout à fait consommée puisqu'il existe un rudiment du membre

constitué par la main et le cordon fibreux qui en part. Il est probable que

ces vestiges ont été, du fait de l'agent constricteur, déviés en dehors;

plus tard, le bras augmentant de longueur, ils ne se sont plus trouvés

correspondre à l'extrémité terminale du bras. Il remarque une preuve en

faveur de la suractivité du cartilage épiphysaire restant : en effet l'humé-

rus ne présente qu'une faible diminution de longueur. » '

Hervé soutient « que l'hémimélie est le résultat d'une amputation

congénitale et non pas une malformation par arrêt de développement

comme l'ectromélie et la phocomélie. Ce n'est pas une malformation ayant

maintenu le membre à l'un des stades de son évolution embryonnaire.

Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler comment se fait le dévelop-

pement des membres, à savoir, de leur extrémité à leur attache, les

segments suivant, dans leur apparition successive, l'ordre décroissant de

leur distance au tronc. Il en résulte que, s'il va arrêt de développement,

ce qui manquera, ce sera la racine du membre, dont la partie terminale e

se retrouvera, au contraire, plus ou moins complète. On aura alors l'ec-

tromélie, la phocomélie, monstruosités qui ont été rangées à tort à côté

de l'hémimélie.

« Celle-ci résulte de conditions précisément inverses.Un membre hémi-

mèle possède ses segments radicaux, qui y sont bien développés ; ce sont

les segments terminaux qui manquent ou sont imparfaits. L'atrophie,

suivant qu'elle est poussée plus ou moins loin, donne lieu, d'ailleurs, à

des variétés nombreuses. On pourrait penser à des constrictions soit par

des brides amniotiques, soit par le cordon, d'où un obstacle à la circula-

398 KLIPPEL ET BOUCHET

lion sanguine dans une partie du membre. C'est par ce mécanisme que se

produisent les amputations congénitales. Le sillon signalé à la surface de

l'avant-bras, dans mon cas, porterait à admettre ici l'action d'une telle

cause. »

Pour Hervé, l'hémimélie est le résultat d'une amputation congénitale

et non pas une malformation par arrêt de développement comme l'ectro-

mélie et la phocomélie. Il ne faut pas dire que c'est une monstruosité.

Voici donc quelques observateurs qui, après Simpson, font de l'hémi-

mélie la conséquence d'une amputation congénitale, estimant que les

rudiments digitaux sont le résultat d'un bourgeonnement secondaire du

membre amputé.

Mais, comme dit Mouchotte, d'une part les os de l'avant-bras, dans les

cas d'hémimélie thoracique, par exemple, sont, ainsi que le prouvent soit

la dissection, soit la radiographie, soit le palper, des os complets et non

sectionnés en un point de leur trajet ; ces os sont courts, raréfiés, incurvés

parfois, atrophiés toujours, et l'atrophie va en s'accentuant de l'épiphyse

supérieure à l'épiphyse inférieure ; on comprend qu'au niveau du carpe

et de la main ce processus d'atrophie puisse être tel que les parties sque-

lettiques soient absentes et les doigts représentés par de simples bour-

geons cutanés ; d'autre part, il n'y a point de cicatrice, et la sensibilité

est très développée.

Troisier fait rentrer son cas dans le groupe des monstruosités par arrêt

de développement. « On sait que ces monstruosités présentent parfois une

grande analogie avec les malformations des membres résultant d'une am-

putation intra-utérine. Mais l'absence de cicatrice à l'extrémité du moi-

gnon, et l'existence d'un ou plusieurs appendices, ou simplement d'un

tubercule cutané, sont généralement regardés comme des signes certains

d'un arrêt de développement.

« Il est vrai que Simpson, attribuant à l'embryon, dans les premiers

temps de son développement, la puissance de régénération que possèdent

les animaux des espèces inférieures, ne voit dans ces excroissances que la

reproduction rudimentaire des parties mutilées.

« Les résultais fournis par la dissection vont à rencontre de cette théo-

rie ; en effet, le radius et le cubitus sont renflés à leurs extrémités infé-

rieures et ils représentent dans leur configuration l'aspect des os nor-

maux, à part les dimensions et quelques détails de forme ; on y remarque

entre autres particularités importantes, la présence des apophyses sty-

loïdes et l'existence d'une articulation radio-cubitale inférieure.

« Pour admettre une amputation intra-utérine, il faudrait supposer que

l'avant-bras a subi un arrêt de développement consécutif à la section du

membre, faite immédiatement au-dessus des os du carpe.

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 399

« La théorie de l'arrêt de développement donne lieu, elle aussi, à quel-

ques difficultés d'interprétation, puisqu'il est admis que les parties péri-

phériques des membres sont celles qui se forment les premières. »

Pour Brun et Chaillous, « en général, les excroissances sont constituées

par des tubercules cutanés très courts, sans squelette, sans éléments ana-

tomiques distincts ; quelquefois les rudiments de doigts peuvent être mo-

biles, contenir des muscles et même des phalanges, mais ce sont des

observations bien rares. Pour ces auteurs, la présence d'éléments anato-

miques, absolument différenciés et bien développés dans le rudiment de

pied de l'hémimélie qu'ils relatent, donne un intérêt particulier à l'ob-

servation, car elle est de nature à faire rejeter l'hypothèse de Mathias

Duval, pour qui l'hémimélie ne correspond à aucune phase embryolo-'

gique, à aucun stade de développement; ce serait une amputation congé-

nitale et il faut pour expliquer que le moignon représentant la base du

membre puisse porter des extrémités digitales rudimentaires, invoquer

une propriété particulière des organes embryonnaires, la régénération. »

Pour Brun et Chaillous, « que l'on admette l'hypothèse d'une amputa-

tion congénitale avec bourgeonnement consécutif à la cicatrisation dans

les cas où l'appendice terminal n'est représenté que par des bourgeons

informes et purement cutanés, rien de plus naturel. Mais peut-on soutenir

la même opinion en présence d'organes aussi nettement différenciés que

ceux décrits dans notre cas ? La question nous paraît tout au moins dou-

teuse et mérite d'être posée. »

Puech fait de son cas un arrêt de développement, car, dit-il, si c'était

une véritable amputation intra-utérine portant sur l'articulation radio-

carpienne, la section faisant disparaître tout ce qui se trouve au-dessous

d'elle, on n'aurait pas trouvé à l'extrémité du moignon ces bourgeons di-

gitiformes, indices manifestes d'une évolution avortée.

Commandeur dit de même : « Mon observation est un arrêt de dévelop-

pement du membre et non une amputation congénitale, car : 1 il existe

des tubercules cutanés représentant des rudiments de doigts ; à leur ni-

veau l'épiderme s'invagine en formant une ébauche de matrice unguéale ;

2° il existe une masse osseuse commune, représentant le carpe, et termi-

née par des tubercules, en partie cartilagineux, qui paraissent des rudi-

ments du squelette métacarpo-phalangien ; 3° les muscles qui s'insèrent

sur le tiers inférieur de l'avant bras ont disparu. Ce fait est surtout im-

portant pour le carré pronateur, car, en supposant qu'il s'agisse d'une

amputation congénitale passant au niveau du carpe, ce muscle ne devait

pas disparaître en totalité, d'autant plus que les mouvements de pronation

persistent dans toute leur étendue. On ne peut donc pas dire : suppression

de la fonction. Il est plus simple d'admettre qu'il y a arrêt de développe-

400 KLIPPEL ET BOUCHET

ment de la portion terminale du membre, qui est la cause de l'absence de

ce muscle. »

Michel, Jean, Cousin pensent également que dans leurs observations,

il s'agit non d'amputations spontanées intra-utérines, mais d'arrêts de dé-

veloppement.

Soubeyran : « On peut attribuer cette anomalie à une compression

foetale. Si la compression a lieu au début de l'apparition des bourgeons

des membres, ils avortent et on a un ectromélien ; lorsque le bourgeon est

déjà segmenté, on a un hémimélien. L'incurvation des os de notre sujet

et leurs déformations semblent bien prouver qu'il y a eu un obstacle s'op-

posant à leur développement. >7

Infroit et Heitz pensent aussi : « que leur hémimélie avec absence du

péroné est due vraisemblablement à la pression purement accidentelle du

capuchon amniotique trop étroit, sur la face externe du segment distal du

membre, pendant les premiers mois de la grossesse ».

Huet et Infroit font de leur cas une malformation symétrique dont

la caractéristique principale est l'absence du cubitus. Dans les difformités

congénitales des membres supérieurs, l'absence du cubitus est beaucoup

plus rare que l'absence du radius. Kümmel n'en a pu réunir que 13 de la

première, contre 67 de la seconde ; on peut y ajouter le cas de Moucheté !

Vaillant, et le cas de Pagenstecher.

On peut distinguer parmi les hémimélies, trois groupes :

a) Hémiméles proprement dits, où l'avant-bras manque en totalité ou

en partie, la main peut manquer également ou bien n'être représentée que

par une partie des doigts ou par des vestiges plus ou moins rudimentaires

de ceux-ci ;

) Hémiméles par absence de la tige ou rayon cubital. Dans la variété-

type, la partie radiale de la main, 1er métacarpien et pouce existent, mais

les quatre autres doigts ou plusieurs d'entre eux manquent en même temps

que le cubitus et une grande partie du carpe et du métacarpe.

7) Hémimèles par absence de la tige ou rayon radial ; l'avant-bras et la

main paraissent mieux représentés dans leur ensemble ; généralement,

cependant, les derniers doigts seuls existent, le pouce et son métacarpien

font le plus souvent défaut ou ne sont qu'imparfaitement développés ; le

carpe aussi est habituellement incomplet ; de plus, ces malformations en-

traînent l'existence de certaines variétés de main-bote congénitale.

Nous ne pouvons que conjecturer les conditions pathogéniques qui ont

pu provoquer les difformités présentes en nous basant sur les connaissan-

ces actuellement acquises en tératogénie.

Un certain nombre d'anomalies et de malformations congénitales parais-

sent tirer leur origine de conditions antérieures à la fécondation ; en fa-

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMERIQUE DES TISSUS 401

veur de cette opinion on peut faire valoir les cas où ces anomalies et mal-

formations ont été transmises par hérédité; on en a cité des exemples pour

quelques cas d'ectromélie et d'ectrodactylie. Pour quelques autres anoma-

lies des membres on a pu invoquer aussi une régression atavique. Au pre-

mier abord, l'aspect des membres supérieurs de notre sujet rappelle celui

des membres antérieurs de certains oiseaux ; mais cette ressemblance n'est

que très grossière, puisque le squelette de l'avant-bras ne se compose que

d'un seul os; il ne peut pas être plus question de régression atavique dans

ce cas d'absence du cubitus que dans des cas d'absence du radius où l'as-

pect est complètement différent.

Nous ne nous arrêterons pas aux anomalies de développement qui ont

eu leur origine dans la fécondation même ou dans la segmentation de l'o-

vule. Les difformités comme celles que nous avons en vue, c'est-à-dire les

diverses variétés de l'ectromélie et plus spécialement celles de l'hémimé-

lie ne paraissent pas devoir reconnaître une pareille origine; elles sem-

blent plutôt devoir prendre naissance pendant la période embryonnaire,

à une époque assez avancée de celle-ci correspondant à la formation et au

premier développement des membres. Le mécanisme de leur production

n'est sans doute pas univoque. Il est vraisemblable que quelques-unes

sont dues à des causes agissant directement sur l'embryon lui-même,

elles seraient d'origine endogène ; d'autres reconnaîtraient des causes

siégeant en dehors du corps de l'embryon soit dans les annexes (amnios,

allantoïde, cordon ombilical), soit plus extérieurement encore (organes

maternels), elles seraient d'origine exogène. Dans quelques cas d'ectro-

dactylie, d'hémimélie et même d'ectromélie proprement dite, cette origine

exogène semble bien démontrée ; elle peut être attribuée par exemple à

des compressions ou à des adhérences amniotiques produisant de vérita-

bles amputations congénitales. La présence de doigts rudimentaires,

comme il en existe souvent en pareil cas, peut s'expliquer par un nou-

veau bourgeonnement et une régénération incomplète de ces organes (Ma-

thias Duval). Cette régénération qui ne se produirait chez les vertébrés

supérieurs que dans la période de l'état embryonnaire est observée bien

plus complète chez certaines espèces de vertébrés à sang froid, soit seule-

ment pendant les premières périodes de l'existence, soit même encore

pour quelques espèces, après complet développement.

On a toutefois (Brun et Chaillous) opposé à cette opinion des cas où les

parties existantes étaient assez complètement formées pour rendre peu

admissible ou douteuse )'hypothèse d'une régénération. Mais nous ne

croyons pas que cette objection permette de repousser dans ces cas

l'action d'une compression ou d'une constrictiou intra-utérine. Celles-ci,

sans être suffisantes pour produire l'amputation congénitale, ont pu être

402 KLIPPEL ET BOUCHET

capables d'entraîner la mort ou d'entraver le développement des bour-

geons embryonnaires qui devaient produire les parties avortées, tandis

que des parties voisines, échappant à l'action de la compression, ont con-

tinué leur développement plus ou moins complet. Roux et Chabry, en

détruisant expérimentalement par des traumatismes des parties de l'ovule

au moment de sa segmentation, ont produit des arrêts de développement

et des monstruosités dont le mécanisme paraît être de même nature que

celui que nous invoquons. Ces compressions peuvent d'ailleurs avoir. une

autre origine que les annexes de l'embryon ; elles peuvent être produites

notamment par des parties de l'embryon serrées les unes contre les autres ;

dans ces conditions on a pu faire jouer un rôle à des contractions vives ou

prolongées de l'utérus, à des constrictions extérieures, à des traumatismes

subis par la mère pendant cette période embryonnaire.

Une objection que l'on peut faire encore contre l'origine exogène de

ces difformités congénitales serait la mtiltiplicité-et la symétrie observées

assez souvent dans ces cas de malformation. On peut facilement concevoir

cependant que les causes de compression portent leur action à la fois sur

plusieurs points de l'embryon, d'où la multiplicité des malformations.

Quant à leur symétrie, elle se conçoit également si l'action de la compres-

sion se fait sentir sur des régions similaires de l'embryon. La multiplicité

des lésions et une symétrie assez grande ont d'ailleurs été signalées dans

des cas bien établis d'amputation congénitale.

Quelquefois on a voulu voir une influence du système nerveux central.

Mais, comme on l'a fait remarquer, ces malformations doivent être anté-

rieures à la vie foetale et remonter pour la plupart à la. période embryon-

naire, à une époque où le système nerveux central est en pleine période

de développement, où ses fonctions paraissent nulles encore et où il ne

se trouve pas en connexion avec les parties périphériques.

. Dans notre cas, il existerait, à côté de malformations par défaut, des

malformations analogues à celles dites par excès. Une même cause a dû

produire non seulement l'arrêt de développement du cubitus et des parties

correspondantes de la main, mais encore une déviation dans le dévelop-

pement donnant naissance à ces deux doigts en partie syndactyles et fu-

sionnés. Quelle est la nature de celte cause ? Nous ne nous croyons pas

autorisés à répondre d'une façon précise. Pour les malformations congé-

nitales du sujet, une origine endogène est possible, mais une origine

exogène nous paraît plus probable ».

L'origine du processus est, ainsi qu'on le voit, fort obscure. Sans doute

nous ne sommes plus au temps où, ainsi que le raconte Ernest Martin,

ancien médecin de la légation de France à Pékin, in Histoire des monts-

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 403

truosités, Ambroise Paré expliquait ces difformités par le « défaut de se-

mence virile ». Mais le problème est encore loin d'être résolu.

Dareste admet une compression amniotique. Mouchotte pense que

peut-être pourrait-on penser pour sa '28 observation d'hémimélie à un

arrêt de formation de l'amnios admis comme manifestation d'une maladie

de l'amnios, d'ordre local, en rapport avec l'endométrite maternelle

observée, et l'hydramnios de l'oeuf correspondant au porteur de l'hémi-

mélie. Mais M. Et. Rabaud a montré que l'action mécanique, sous une

forme quelconque, n'est pas capable de modifier la croissance d'un organe ; -,

la prolifération cellulaire s'effectue normalement dans une enceinte trop

étroite, mais l'organe comprimé s'accommode comme il peut, partant il se

déforme d'une façon incohérente, affectant des contours extrêmement

irréguliers. Ce n'est point le cas de l'hémimélie vraie où l'harmonie des

formes persiste et où, à voir les choses superficiellement, le volume seul

entre en ligne de compte.

D'autres auteurs ont cru trouver la cause de l'hémimélie dans une lé-

sion du système nerveux, parfois dans la syphilis des centres.

C'est ainsi que Cousin attribue à la tare nerveuse du père (alcoolique

et mental ensuite), et aux vives émotions consécutives de la mère, une

influence marquée sur les arrêts de développement qu'il relate.

G. Gasne va plus loin : « Le père était, au moment de la conception, en

pleine évolution de syphilis secondaire et de syphilis grave touchant avec

une insistance remarquable le système nerveux. L'avortement des membres

est subordonné, suivant la remarque de Lancereaux, à l'agénésie ou à une

modification des cellules de la moelle, pendant la durée de la vie foetale.

La moelle, chez le foetus, est loin d'être à l'abri des processus morbides

qui l'altèrent et le modifient. Il résulte de recherches personnelles que,

chez les foetus, et en particulier chez les foetus issus de parents syphiliti-

ques, les lésions de la moelle ne sont pas rares, la syphilis héréditaire

agit, avant la naissance, comme fait la syphilis acquise chez les adultes.

Nous appellerons l'attention sur ce fait que la syphilis est coutumière de

ces malformations congénitales ; les exemples en abondent : spina bifida,

division de la voûte palatine, pieds-bots, luxations congénitales de la

hanche, etc. Nous admettons ici l'hypothèse d'une lésion médullaire, due

à la syphilis héréditaire, et ayant évolué pendant la vie foetale.

Larcher ne pense pas que la « coïncidence signalée dès longtemps par

Serres, Tiedmann, Guret, Troisier, Ldinger, entre certains cas d'ectromé-

lie, une altération des filets nerveux et une atrophie des renflements de la

moelle épinière, doive être considérée comme purement fortuite » ; il

penche plutôt pour l'opinion de Lancereaux. »

Mais Troisier fait observer qu'il n'a trouvé aucune lésion organique de

404 . KLIPPEL ET BOUCHET

la moelle ; l'atrophie consistait en une diminution du nombre des cellules

nerveuses : « Un seul mécanisme peut en rendre compte, c'est l'agénésie

des éléments nerveux, liée intimement, et probablement consécutive à

l'arrêt de développement du membre, à moins qu'elle ne soit sous la dé-

pendance même de la cause de la monstruosité.

Dareste est dans le vrai quand il dit : « Ces atrophies de la moelle et

du cerveau sont la conséquence et non la cause de la monstruosité. La

formation du système nerveux, comme celle du système vasculaire, est

sous la dépendance des organes auxquels ils apportent l'innervation et le

sang. Si les organes se forment d'une manière incomplète, s'ils sont plus

ou moins arrêtés dans leur développement, ces modifications de l'évolu-

tion retentissent, si on peut parler ainsi, dans le système nerveux lui

même. C'est en rapport avec ce qui se passe dans les centres nerveux,

consécutivement aux sections des nerfs, comme l'a démontré expérimenta-

lement Vulpian, et aux amputations. »

L'hypothèse d'une amputation congénitale n'est pas soutenable aussi

bien dans le cas qui nous occupe que dans les cas semblables. Mais si l'on

tend communément à rattacher la nature du processus à un arrêt de déve-

loppement, les observations relatées n'ont point éclairci l'origine de ce

processus, et nous devons éliminer comme cause prochaine l'amnios et le

système nerveux.

CHAPITRE III

CONCLUSIONS

A. - Après avoir décrit les altérations que'nous avons rencontrées chez

notre malade et après avoir donné un résumé des cas publiés par d'autres

auteurs, nous devons maintenant nous efforcer de tirer les conclusions

qui se dégagent de notre observation.

Nous le ferons d'abord en ce qui concerne les troubles que la dissection

nous a fait reconnaître. Ensuite nous signalerons ce que l'examen micro-

scopique des différents tissus nous a montré et ce que ces constatations

offrent de particulier au point de vue pathogénique.

Nous avons dit que l'examen de l'encéphale n'avait point montré d'alté-

rations évidentes à la simple vue. Il y aura lieu de faire un examen très

détaillé du cerveau et du cervelet, en prenant les mesures aussi exactes

que possible des circonvolutions motrices de chaque côté ; il y aura lieu

aussi de faire un examen microscopique de l'écorce cérébrale. Une telle

étude sera publiée ultérieurement.

Mais dès à présent l'absence de toute modification objective importante

doit être soulignée. Le poids des deux hémisphères cérébraux ne présen-

IIEMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES' TISSUS 405

tait pas de différences notables et n'était point différent, pour l'un par

rapport à l'autre, de l'écart que l'on constate souvent chez les sujets nor-

malement développés. Les circonvolutions motrices, et en particulier

celles qui commandent les mouvements du membre supérieur, n'apparais-

sent point à ce premier examen comme offrant des différences bien appré-

ciables.

A ce double point de vue notre cas est assez remarquable. Ne devait-on

point s'attendre à rencontrer ici une différence caractérisée de poids et

une différence non moins notable dans le développement cortical ?

Comment un tel fait peut-il s'expliquer ? Tout d'abord nous ferons re-

marquer que plus on se rapproche de la périphérie et plus les lésions sont

intenses et marquées.

Ainsi les troubles sont relativement plus marqués dans le membre que

dans la moelle, plus marqués dans celle-ci où on note à la vue une dimi-

nution de volume de la substance grise de la portion cervicale, que dans

le cerveau.

Ensuite, il est très possible qu'une petite portion de l'écorce préside

aux mouvements de la main qui, en réalité, était le seul segment du mem-

bre qui fût presque complètement absent et dont la fonction fut tout à

fait réduite. Ainsi même dans l'avant-bras il y avait des muscles relative-

ment développés et très actifs.

Enfin, il est possible que le microscope démontre une diminution du

nombre des cellules motrices dans la portion de l'écorce correspondant

aux mouvements de la main.

Quoi qu'il en soit; l'atrophie du membre n'est pas projetée sur le cer-

veau au degré que l'on eut pu attendre.

C'est qu'il existe pour la périphérie et pour les centres nerveux une

indépendance dans le développement ontogénique, qui doit sans doute

être invoquée ici. Et il faudrait surtout compter avec un arrêt de déve-

loppement secondaire à l'absence de fonction d'une portion de l'écorce.

Schaper, Wintrebert ont d'ailleurs mis en pleine lumière par leurs expé-

riences sur des batraciens, l'indépendance complète de l'organisme em-

bryonnaire et foetal vis-à-vis du système nerveux qui n'a d'autre valeur

dans l'organisme que celle d'une ébauche quelconque. Rabaud a corroboré

ces recherches expérimentales par des observations précises qu'il a faites

chez des foetus humains.

Nous avons reconnu dans le cervelet une anomalie très curieuse, con-

sistant en l'absence de corps dentelé dans l'hémisphère droit. Quelle est

la valeur que peut avoir une telle constatation par rapport à l'hémimélie ?

S'agit-il de simple coïncidence ? Cela serait d'autant plus remarquable

que c'est justement du côté droit que se trouve cette anomalie. S'agit-il

xx 26

406 ' KLIPPEL ET BOUCIIET

d'un fait de corrélation ? C'est possible, mais dans l'état actuel de nos

connaissances, il est difficile d'en trouver l'explication.

Les anomalies constatées par la dissection dans le membre supérieur

sont nombreuses et diverses, marquant à la fois un arrêt de dévelop-

pement et une perturbation générale des dispositions anatomiques nor-

males.

Ces anomalies sont encore d'autant plus marquées qu'on se rapproche

davantage de l'extrémité distale. Nous avons tenté d'en établir une classi-

fication.

B. Au niveau du bras où il y a relativement peu de troubles, les

anomalies sont de celles qui sont reconnues et décrites avec une certaine

fréquence. Ce qui est ici remarquable et ce sur quoi nous insistons, c'est

sur leur accumulation, accumulation d'anomalies quelque peu banales,

semblant indiquer que celles-ci sont l'ébauche des troubles que nous ob-

servons chez notre sujet et qu'elles répondent peut-être à une cause pa-

thogène analogue. Il est en effet remarquable que ces anomalies légères,

assez fréquentes pour- être considérées dans les classiques comme des

variétés de l'état normal, sont ici présentes dans les points où le trouble

pathologique est à son minime degré. '

Au bras, en effet, on constate le volume considérable du brachial an-

térieur qui va avec l'énorme apophyse coronoïde. Le faisceau qui va à la

cloison inter-musculaire interne et sous lequel passent les vaisseaux hu-

méraux est l'exagération de l'arcade aponévrotique signalée par Gruber

in Bulletin de l'Académie de ! Sciences de St-Pétersbourg, t. XII, p. `59,

dans son étude sur les anomalies du brachial antérieur ; toutefois il s'agit,

dans notre cas, d'un faisceau surnuméraire proprement dit qui rejoint

en bas le tendon terminal ; les languettes qui se détachent des branches

du V deltoïdien constituent un brachial antérieur accessoire, comme on

en rencontre souvent, depuis que Wood, Gruber, Hildebrandt, Müller,

Henle ont attiré l'attention sur ces faisceaux.

L'absence du coraco-brachial a été signalée par Barkow.

Cependant l'artère humérale n'est pas signalée par les auteurs comme

perforant quelquefois d'arrière en avant l'expansion aponévrotique du

biceps pour se diviser en branches superficielles ; le cas étudié et repré-

senté par Bourgery et Jacob (Anat. descript., 1835, t. IV, Taf. 38, fig. 5)

est celui d'une anomalie de l'humérale qui perfore l'aponévrose du bras

au-dessus du niveau du pli du coude ; ce n'est donc pas un fait compa-

rable au nôtre.

L'absence du nerf accessoire du brachial cutané interne n'a guère

d'importance ; elle est vraisemblement liée à l'existence d'un nerf inter-

costo-huméral volumineux.

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 407

Par contre l'absence totale de la veine céphalique du bras est reconnue

des auteurs classiques,

Au niveau de l'avant-bras, où les troubles sont beaucoup plus marqués,

nous pouvons répartir les anomalies musculaires en trois groupes :

9 Muscles reconnaissables, mais anormaux.

a) Par dédoublement, rond pronateur, qui est double dans toute son

étendue.

b) Par insertions et connexions irrégulières : long supinateur ; celui-ci

a des origines numérales qui remontent haut, comme l'a parfois observé

Gruber, puis Chudzinsky ; l'insertion inférieure complexe que nous lui

trouvons ici, d'une part sur la partie inférieure de la diaphyse radiale, et

d'autre part sur le tissu fibreux carpien et métacarpien externe n'est guère

assimilable au cas de Dursy où il s'agissait d'un chef d'insertion qui s'é-

tendait de la styloïde radiale vers le trapèze et le3e métacarpien ; dans un

autre fait, la branche antérieure cutanée du nerf radial passait entre deux

languettes du tendon styloïdien ; ici, rien de semblable ; d'ailleurs, la

branche nerveuse en question reste très superficielle et se perd à la hau-

teur de la styloïde ; mais l'artère radiale passe entre les deux insertions

différentes, el toutes deux anormales du long supinateur.

c) Par excès de volume : radiaux externes fusionnés.

2° Muscles méconnaissables, sans analogies, très difficiles à identifier.

Perturbation totale. Mais, en étudiant l'innervation, les connexions orga-

niques, nous avons pu identifier ces muscles : c'est ainsi que les muscles

figurés en i (fig. 9) représentent les muscles longs du pouce, mais leur

insertion s'est faite plus haut, sur le radius ; que les muscles figurés en j,

sont 'constitués par la masse non différenciée des extenseur commun des

doigts, extenseur propre du petit doigt, cubital postérieur ; que les mus-

cles b et c (fig. 2), représentent les fléchisseurs profonds (commun des

doigts, et long du pouce).

3° Muscles absents. - En apparence, un grand nombre de muscles

manquent; en réalité seuls sont réellement absents, les muscles de la

main, c'est-à-dire les muscles des éminences thénar et hypothénar, les

muscles lombricaux et interosseux, le carré pronateur, le petit palmaire.

Les autres muscles existent, mais ils sont soit très considérablement

réduits de volume, soit plus souvent encore, fusionnés avec d'autres, en

des masses d'où ils ne sont pas encore différenciés en muscles auto-

nomes.

Les muscles grand palmaire, fléchisseur commun superficiel des doigts,

cubital antérieur sont en effet en une seule masse ; de même les fléchis-

seurs commun profond des doigts et long fléchisseur du pouce. Les ex-

tenseurs commun des doigts, extenseur propre du petit doigt, cubital

408 KLIPPEL ET BOUCHET

postérieur sont aussi fusionnés, de même que les 1er et 2e radial externe,

et que les muscles longs du pouce.

Si l'on étudie le développement embryologique du membre supérieur,

et en particulier les différentes époques d'apparition, de perfectionne-

ment, d'isolement de chacun des muscles de ce membre, on voit aisément,

d'après le tableau ci-joint, construit d'après les indications de Warren

Harmon Lewis, combien il paraît logique de penser qu'il s'agit, dans

notre cas du moins, d'un arrêt de développement s'étant produit aux

environs de la 5e semaine de la vie intra-utérine, en tous cas certainement

avant la fin de la sixième semaine. Les muscles qui font défaut, et ceux

qui semblent ne point exister et sont en réalité seulement confondus et

compris dans de plus complexes masses musculaires, apparaissent à la fin

de la sixième semaine, ou se différencient les uns des autres à cette date.

Il suffit de se reporter au tableau ci-joint pour s'en rendre compte.

Développement du membre supérieur

(d'après Warren Harmon LEwis).

Après la troisième semaine : Formation de cellules musculaires sur la

partie centrale du myotome.

Après la quatrième semaine : Les os de l'avant-bras sont courts et épais.

Le cubitus est le plus grand.

Après la cinquième semaine : embryon de H millimètres. Le membre

supérieur est légèrement plus avancé en développement que le membre

inférieur.

Os : L'humérus est en continuité avec l'omoplate qui est entourée d'un

tissu qui fera les muscles péri-scapulaires (il n'y a ni coracoïde, ni acro-

mion, ni clavicule) ; est aussi en continuité avec les cubitus et radius, qui

eux-mêmes sont en continuité avec une palette représentant la future

main, elle-même constituée de tissu moins différencié.

Main : on peut cependant y remarquer quelques centres de condensa-

tion qui représenteront tous les os du carpe, sauf le pisiforme.

Le scaphoïde est en ligne avec le radius, le semi-lunaire avec le cubi-

tus ; le pyramidal est du côté cubital du carpe.

Le 5e métacarpien est dans son prolongement plus que dans celui de

l'os crochu.

Toute la main a une légère courbure, surtout du côté cubital.

Du carpe partent 5 masses de tissu spécialement condensé, dans les-

quelles on ne peut distinguer aucune indication de segmentation entre les

métacarpiens et les phalanges.

Trapèze et 1er métacarpien ne sont pas encore séparés l'un de l'autre.

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 409

Muscles : a) Pectoraux (grand et petit), forment une masse qui com-

mence à se différencier du tissu voisin.

b) Grand dorsal et grand rond, forme une masse analogue.

a et b sont différenciés l'un de l'autre par la présence du plexus bra-

chial qui s'insinue ente ces deux masses.

c) Une troisième division parallèle à la portion ventrale du myotome

cervical représente :

Masse : angulaire de l'omoplate, grand dentelé.

d) Masse : Rhomboïdes, ils ne sont qu'à l'état de très vague différencia-

tion, et n'ont pas d'attaches scapulaires.

e) Masse : Deltoïde, sus-épineux, sous-épineux, petit rond.

f) Sous-scapulaire.

g) Triceps brachial : on voit ses trois chefs.

h) Biceps et coraco-brachial.

i) Brachial antérieur.

j) Pronato-flexor mass de l'avant-bras : partie supérieure, plus petite,

compacte à l'extrémité proximale de l'avant-bras, se continue à sa partie

distale, avec le tissu condensé des doigts. donnera plus tard :

Masse : rond pronateur, grand palmaire cubital antérieur, petit pal-

maire fléchisseur commun superficiel des doigts.

Partie profonde : Masse, fléchisseur commun profond des doigts, long

fléchisseur du pouce, carré pronateur.

Le médian passe entre ces deux couches.

le) Extenseurs.

1er groupe, superficiel, s'étend du condyle humérale à l'extrémité pro-

ximale des doigts où elle se confond avec du mésenchyme condensé ; com-

prend, encore non différenciés ;

Masse : extenseur commun des doigts, extensenseur propre du petit

doigt, cubital postérieur.

2° groupe, occupe l'extrémité proximale du côté radial de l'avant-bras.

Longe le radius et se divise en deux parties [entre lesquelles passe le ra-

dial ;

a) 1r° partie, radiale, se continue avec du tissu condensé de l'extrémité

distale du radius : long supinateur.

(3) 2° partie, passe près du 3" groupe et se fusionne aiec le tissu con-

densé des extrémités proximales des 2e et 3e doigts ;

Masse : le, radial externe, 2 radial externe.

3° groupe, naît du cubitus et du radius, et se termine dans le tissu con-

densé des 1 er et 2e doigts; la portion destinée au 2e doigt est fusionnée

intimement avec la portion du irez groupe qui se dirige vers ce doigt.

410 . KLIPPEL ET BOUCHET

Masse : long abducteur du pouce, court extenseur du pouce, long ex-

tenseur du pouce, extenseur propre de l'index.

/) Court supinateur se voit, très profondément ; il est en connexion avec

le 38 groupe, et contraste par sa position et la direction de ses fibres.

Les fibres musculaires du groupe des extenseurs ne s'étendent pas aussi

loin que celles de la masse des fléchisseurs.

Les 1°r et 3e groupes se continuent plus ou moins avec le mésenchyme

qui formera les doigts, où toute distinction entre ce qui sera muscle et ce

qui sera cartilage, est impossible.

Après la sixième semaine.

Os : L'omoplate est cartilagineuse. La clavicule est formée de tissu

condensé, l'olécrâne très développé, est cartilagineux, la coronoïde est

plutôt en tissu condensé, la tubérosité bicipitale, de même, ce qui sera

la coracoïde et l'acromion, est très visible.

Extrémités distales des os de l'avant-bras sont élargies et séparées par

du tissu condensé continu avec le périchondre de chacun d'eux.

Humérus, radius et cubitus ont à leurs extrémités une couche de car-

tilage hyalin.

Carpe : Tissu condensé d'origine, ou en trouve différents cartilages ; la

rangée distale est complète ; dans la Il' rangée, la scaphoïde et le pyra-

midal sont cartilagineux, le semi-lunaire et le pisiforme sont en tissu

condensé.

Métacarpiens : sont différenciés et surmontés de minces cartilages.

Les quatre derniers doigts sont représentés par une masse cartilagi-

neuse incrustée profondément dans du tissu condensé, tandis que pour le

ter doigt, le tissu condensé prend la place du cartilage.

A l'extrémité de chaque doigt est une masse de tissu condensé.

Les cavités comprises entre les cartilages de la main ne communiquent

pas entre elles et sont séparées par une aréole de tissu condensé.

Muscles : On peut distinguer l'un de l'autre : grand pectoral, petit pec-

toral ; angulaire de l'omoplate, grand dentelé, deltoïde, sus-épineux, sous-

épineux et petit rond encore fusionnés, comme ils le sont souvent encore

chez l'adulte.

Trapèze apparaît, mais n'a pas encore d'attaches scapulaires. Grand

palmaire se perd dans le tissu condensé de la main, puis se fusionne avec

le tissu de l'extrémité proximale du 2° métacarpien ; son tendon va pas-

ser profondément.

Rond pronateur croise la face antérieure de la diaphyse du radius.

Les tendons fléchisseurs superficiels n'arrivent qu'à mi-hauteur du carpe

et ne montrent pas l'englobement des tendons du fléchisseur profond.

Cubital antérieur est tout à fait distinct.

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 411

5 tendons du fléchisseur commun profond et du long fléchisseur du pouce,

unis entre eux, ces tendons, en bas, sont bien formés ; ils passent à proxi-

mité des tendons du fléchisseur superficiel, et continuent jusqu'à l'extré-

mité des doigts.

Carré pronateur.

Lombricaux commencent à se former.

Interosseux peu différenciés.

Après la septième semaine, embryon de 20 millimètres.

Os : Os du carpe, cartilagineux, dans leur position définitive. Com-

mencement d'indication des ligaments du poignet.

Les cinq métacarpiens sont présents ; le 1 er est le plus court.

Les deux premières rangées de phalanges sont présentes.

Muscles : Sous-clavier. Fléchisseur commun profond est séparé du

long fléchisseur du pouce.

L'extenseur commun des doigts s'allonge. Le "tendon du cubital posté-

rieur se forme.

Les deux radiaux ne sont pas encore séparés l'un de l'autre.

Long abducteur et court extenseur du pouce ne sont séparés qu'au ni-

veau de leurs tendons qui se fusionnent avec le périchondre du premier

doigt. -

Tous les muscles de l'adulte sont présents et à peu près dans la posi-

tion qu'ils doivent conserver.

C'est à la fin de la 6e semaine qu'existent le carré pronateur, les mus-

cles de la main ; c'est il ce moment seulement que se distinguent nette-

ment les différents muscles qui composent les deux couches du pronato

flexor mass d'Uumphry ; qu'apparaissent les tendons isolés des fléchisseurs

superficiel et profond, en même temps que les phalanges d'insertion ;

que se séparent les long supinateur et radiaux, les différents extenseurs

dont les tendons inférieurs se scindent en autant de faisceaux que de

doigts ; que se différencient chacun des muscles longs du pouce.

Avant la fin de la cinquième semaine, au contraire, les formations mus-

culaires ont la situation, la forme et les connexions que nous avons trou-

vées ; au niveau du poignet et de la main, elles se perdent ou se terminent

dans un tissu fibreux condensé qui représente à la fois leurs tendons infé-

rieurs, distaux, et la masse centrale de la main. Les muscles du pouce

sont les moins développés ; dans notre cas ils sont représentés par un

seul muscle qui s'insère en bas sur la partie inférieure du radius ; le

pouce n'est en effet représenté que par une formation ayant l'aspect et la

consistance d'un petit tubercule cutanéo-fibreux, surtout cutané et légère-

ment graisseux. '

Les tendons des autres muscles des doigts et de la main s'étalent en un

412 KLIPPEL ET BOUCHET

tissu fibreux commun ; mais le pouce est une formation à part, comme

chacun sait ; les tendons inférieurs de ses muscles sont, comme leurs

corps charnus, l'objet d'un développement à part; ils ne sont que fusion-

nés entre eux, non clivés, dès le début de leur apparition, mais sont, tant

à leur partie musculaire qu'à leur partie distale, fibreuse, séparés des

muscles des autres doigts ; ceux-ci ont une partie fibro-tendineuse com-

mune ; les muscles longs postérieurs du pouce se terminent en bas par

une seule masse fibreuse qui s'arrête sur le radius, le pouce manquant en

tant que formations osseuses nettes ; d'ailleurs on peut, par une dissection

très délicate, suivre quelques travées fibreuses qui partent de ce tendon

vers la masse du pouce, face postérieure.

On voit donc de par les faits précédents que les arrêts de développe-

ment et les anomalies que nous a montrés la dissection de notre sujet,sont

en rapport d'intensité pour les muscles et pour les os, avec la chronologie

qui, à l'état normal, préside au développemeut de ces parties respectives.

C. - Examen likistalogique.

L'examen histologique des centres nerveux, des nerfs et des muscles a

montré, de son côté, des particularités intéressantes et qui permettent de

conclure que tous les éléments histologiques de ces tissus étaient de struc-

ture normale, mais diminués quant au nombre. En d'autres termes, l'exa-

men a montré qu'il s'agissait, en ce cas, de l'atrophie numérique telle

qu'elle fut décrite par l'un de nous.

' MOELLE.

- et) Examen de la moelle. Toutes les modifications portent sur la

'substance grise. Déjà à l'oeil nu on constatait dans la région cervicale in-

férieure une diminution de volume d'environ un tiers, de la substance

grise par rapport au côté sain.

Sur les coupes histologiques, ces modifications apparaissent. déjà dans

la région cervicale moyenne, et se poursuivent jusque dans la région dor-

sale.

Les cellules de la corne du côté de l'hémimélie sont de dimensions et

de structure absolument normales, mais leur nombre est notablement di-

minué par rapport au côté sain. Toute la lésion est là.

Voici la résultat ries numérations v

HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 413

Ainsi dans le point où la lésion est au maximum les éléments histolo-

giques sont au nombre de 18 contre 33 du côté sain. i

NERFS. MUSCLES.

p) Examen histologique des nerfs et des muscles. Ici, comme pour la

moelle, on trouve du côté malade une diminution du nombre des fibres

qui composent un nerf (médian, musculo-cutané, radial) et des fibres qui

composentun muscle (presque tous ont été examinés), tandis que nulle

part il n'y a la moindre altération de volume ou de structure de ces élé-

ments.

Ainsi, dans les muscles les plus petits, les fibres musculaires ont le

même volume que celle du muscle correspondant d'un sujet sain.

7) Conclusions tirées de l'examen microscopique. Il résulte de ces

faits que dans la moelle, dans les nerfs, dans les muscles, les éléments

histologiques qui composent ces divers organes sont partout de structure

normale et de volume normal, mais que leur nombre est seul diminué.

Ce défaut de nombre est, répétons-le, toute la lésion. i

La lésion est quantitative, non qualitative. Ce cas est donc encore un

exemple de cette atrophie numérique marqué par un arrêt de développe-

ment consécutif à de multiples lésions survenant avant le développement

complet de l'individu, que ces lésions se produisent pendant la vie intra-

utérine ou dans l'enfance (brûleurs, arthrites chroniques, tumeurs blan-

ches, caries, traumatismes, etc., au niveau des membres, du tronc, de la

face.

En renvoyant le lecteur pour les détails de ces lésions aux travaux de

l'un de nous (1), nous concluons en définitive que la lésion histologique

pour le cas qui nous occupe présente les caractères de l'atrophie numé-

rique.

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UN CAS D'HYPERTROPHIE MAMMAIRE

ILLUSTRÉ PAR HORACE VERNET,

PAR

LUCIEN HAHN et ERNEST WICKERSHEIMER.

Souvent on s'est étonné de la prodigieuse fécondité d'Horace Vernet, de

la diversité des genres qui tentèrent son pinceau. C'est sur cette diver-

sité qu'insiste M. Armant Dayotdans la conclusion de son étude sur les

Vernet (1).

« L'oeuvre d'Horace est immense... De la plus vaste à la plus modeste

dimension il a traité tous les sujets, tantôt avec le fin pinceau de l'aqua-

relliste, lorsqu'il peignait ses délicates et précieuses figures de Merveil-

leuses et d'Incroyables, tantôt avec d'énormes brosses, lorsqu'il recouvrait

les centaines de mètres carrés où sont racontés les moindres détails de la

Bataille de 'YVola, de l'Assaut de Constantine, de la Prise de la Smalah, de

la Bataille d'Isly, du Siège d'Anvers, de la Prise de Rome... tantôt avec

la plume ou le crayon, lorsqu'il jetait sur la pierre ou sur le papier, avec

une si spirituelle prodigalité, tant de croquis légers et vivants : scènes

militaires, épisodes de courses et de chasses, désopilantes caricatures de

personnalités contemporaines... Il toucha à tous les genres... »

Ce qu'ignorent généralement les critiques d'art et ce que savent bien

peu de médecins, c'est qu'Horace Vernet dans un de ses tableaux a fixé le

souvenir d'une opération chirurgicale (PI. LXXIV).

Au n° 12 de la rue de Seine est l'hôtel de la Société de Chirurgie de

Paris. C'est là que se trouve le tableau qui nous occupe. Il appartient à la

Société de chirurgie depuis un quart de siècle, comme cet extrait du pro-

cès-verbai de la séance du 4 avril 4883 en fait foi : « M. Desprès offre à

(1) ARMAND DAYOT, Les Vernet. Joseph-Ca·te-Horace, Paris, 1898, in-4-.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. LXXIV

UN CAS D HYPERTROPHIE MAMMAIRE

Illustré par Horace Vernet

(L. Hahn et E. Ihiclcrsbcinrcr.)

Masson & Cie, Éditeurs

Pliotolypic BCI thaud, Pans.

UN CAS D'HYPERTROPHIE MAMMAIRE 419

la Société de chirurgie au nom de M. leDr Mance [sic], ancien chirurgien

de l'hôpital de la Charité, trois photographies et un tableau peint par

Horace Vernet, représentant une malade atteinte d'hypertrophie des deux

mamelles et opérée avec succès. C'est le seul exemple aussi complet et

aussi important, connu jusqu'ici... » (Bulletins et mémoires de la Société

de chirurgie, t. IX, p. 263 ; Paris, 1883, in-8°).

C'est en vain qu'on chercherait sur les listes des chirurgiens de la Cha-

rité le nom du Dr Mance. Rectifions tout de suite cette coquille : le nom

véritable du donateur est Manec.

Pierre-Joseph Manec était bien oublié, lorsque, en 1884, il mourut âgé

de quatre-vingt-cinq ans, dans un petit village de la Guyenne son pays

natal, où, célibataire, il s'était retiré, ayant, par son bistouri, acquis une ,

grosse fortune. C'est à peine si quelques journaux médicaux de 1884, la

France médicale et la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, lui

consacrèrent une brève notice nécrologique. Pourtant quelque cinquante

ans auparavant, son livre sur la ligature des artères avait joui d'un grand

renom, en France aussi bien qu'en Angleterre où une traduction l'avait

fait connaître.

Un an avant de prendre sa retraite, dans les derniers mois de l'année

1858, Manec avait reçu dans son service de la Charité une jeune fille dont

les seins présentaient une hypertrophie extraordinaire. En voici l'obser-

vation telle qu'elle fut publiée dans le numéro du 29 janvier 1859 de

la Gazette des hôpitaux :

«... Cette jeune fille, âgée aujourd'hui de dix-sept ans, d'une '.aille un

peu au-dessous de la moyenne, d'une constitution délicate et d'une phy-

sionomie agréable, paraît avoir joui d'une bonne santé jusqu'à l'âge de

quinze ans, époque où elle s'est aperçue pour la première fois que ses

seins prenaient un développement considérable. Elle n'était pas encore

réglée à cette époque. Ce n'est qu'un peu plus tard, à seize ans, qu'a eu

lieu la première éruption menstruelle. Depuis ce moment ses seins n'ont

cessé de s'accroître, au point d'avoir acquis en deux ans les proportions

énormes qu'ils présentent aujourd'hui.

« Les mamelles de cette jeune fille représentaient deux énormes ap-

pendices pédiculés tombant sur la poitrine et le ventre, qu'ils recouvrent

presque en totalité jusqu'au pubis. Mesurées dans la partie qui présente

le plus grand développement, elles avaient une circonférence de 75 centi-

mètres à gauche et de 72 centimètres à droite. La circonférence de leur pé-

dicule était de 50 centimètres environ ; leur poids, autant qu'il a été

possible de l'apprécier, de 6 kilogrammes 1/2 pour la droite, et de 7 pour

la gauche, qui paraissait un peu plus développée. La peau, qui recouvre

ces immenses glandes mammaires (car, comme on le verra tout à l'heure,

420 HAHN ET WICKERSHEIMER

il ne s'agit là ni de cancers, ni de tumeurs adénoïdes, ni de lipomes, mais

bien d'une simple hypertrophie du tissu glandulaire, ainsi que de tous

les éléments anatomiques, tissu cellulo-graisseux, peau, etc., qui entrent

dans la constitution normale du sein), la peau, disons-nous, ne paraissait

en aucun point avoir subi aucune altération, aucune modification dans

sa texture ; elle était blanche, douce au toucher, souple, mobile sur les

parties sous-jacentes ; elle offrait, en un mot, tous les caractères du té-

gument normal du sein ; elle avait acquis un développement graduel et

proportionnel à celui de la glande et des autres parties du sein ; aussi

n'est-elle ni épaissie et hypertrophiée comme dans l'éléphantiasis par

exemple, ni éraillée, et amincie comme le sont habituellement les tégu-

ments qui ont subi une distension considérable et rapide. Elle n'était

tiraillée seulement qu'à la naissance des seins, aux pédicules, là où elle

supportait tout le poids du sein dans la station. Le mamelon n'existait pas

ou du moins il était aplati, presque entièrement effacé, mais sa place était

parfaitement indiquée par l'aréole, d'une teinte légèrement brunâtre et

extrêmement large.

« On remarquait vers la racine des deux seins et sur le petit espace de

la paroi thoracique qui les sépare, un développement exagéré du système

veineux sous-cutané.

« Enfin, en explorant avec soin les divers points de ces deux mamel-

les, on sentait partout à travers la peau la consistance et la sensation que

donne au doigt le tissu lobulé de la glande mammaire.

« Ajoutons que ces seins n'ont jamais été le siège d'aucune douleur,

ni même d'aucune sensibilité anormale, et que la pression et la palpation

n'y étaient nullement pénibles. Mais ils étaient, on le comprendra aisé-

ment, pour cette jeune fille, plus qu'une infirmité pénible, c'était pour

elle une cause de gêne extrême et continue, qui l'a engagée à venir de-

mander un remède aux chirurgiens de la capitale. On comprend d'ailleurs

aussi qu'un semblable travail de nutrition anormale n'a pu s'opérer depuis

deux ans sans préjudicier d'une manière sensible à la santé générale,

et sans menacer surtout l'avenir. Aussi cette jeune fille avait-elle sensi-

blement maigri. Mais la fonction qui avait le plus notablement souffert

de cet état, c'était la fonction menstruelle ; la malade a à peine vu ses

règles cinq ou six fois et d'une manière très irrégulière depuis deux ans.

On a soumis cette malade dans son pays à plusieurs médications, mais

sans aucun effet. Entre autres moyens, elle a été mise à l'usage de l'io-

durede potassium. Mais le seul résultat de celle médication a été de pro-

duire un amaigrissement général ; tandis que les mamelles, loin de

s'atrophier, ne faisaient que se développer de plus belle... »

Manec, après avoir pris l'avis de Velpeau, son collègue de la Charité,

UN CAS D'HYPERTROPHIE MAMMAIRE 421 t

décida d'amputer successivement les deux seins de la malade, et la pre-

mière opération eut lieu sur le sein gauche, le 14 novembre 1858, en

présence de Larrey, de Depaul, de Duchenne (de Boulogne) et de quelques

autres praticiens, comme nous l'apprend le Dr A. Linas dans la Gazette

hebdomadaire de médecine et de chirurgie du 19 novembre 1858 (1) :

«... La malade ayant été chloroformisée, le chirurgien a pratiqué d'a-

bord, sur la face supérieure de la mamelle, et à une certaine distance

de sa racine, une incision curviligne, à convexité inférieure, et s'étendant

d'un bord à l'autre du pédicule. Après avoir coupé la peau amincie et le

tissu cellulaire sous-cutané, l'instrument tranchant a divisé un assez grand

nombre de vaisseaux anormalement dilatés, réunis en faisceau et formant

comme un riche plexus destiné à la nutrition de la glande hypertrophiée.

Deux ou trois artères qui donnaient une grande abondance de sang ont été

liées sur le champ. Le premier lambeau ayant été soigneusement disséqué,

la partie centrale du pédicule a pu se séparer aisément de la paroi thora-

cique ; il a suffi de diviser avec le doigt le tissu cellulaire lâche qui unit

la mamelle au grand pectoral : cependant cette couche celluleuse était

traversée, de distance en distance, par des espèces de cloisons fibreuses qui

nécessitaient l'emploi du bistouri Puis un second lambeau, beaucoup plus

petit que le premier, a été taillé aux dépens de la face inférieure du pé-

dicule. Après la ligature des artères divisées, les lambeaux ont été rappro-

chés et réunis par des sutures entortillées et des bandelettes de diachylon

placées dans l'intervalle des épingles. Enfin la plaie a été pansée avec des

plumasseaux de charpie imbibés d'eau froide.

» La peau de la face supérieure du pédicule avait été tellement tiraillée

par le poids énorme de la mamelle que le premier lambeau, malgré ses

dimensions apparentes, était devenu presque insuffisant, après l'ablation

de la tumeur, par suite du retrait considérable de la peau. Aussi, nous

a-t-il semblé que M. Manec regrettait de ne pas avoir donné plus d'étendue

à ce lambeau.

» La mamelle, étalée sur une table, offrait un diamètre de 1 m. 15 cen-

timètres. Son poids exact était de 7 kilogrammes et demi. Les corps durs,

semés profondément dans cette masse, étaient, comme nous l'avions prévu,

les lobules hypertrophiés.

» Leur consistance est plus grande que celle du tissu glandulaire nor-

mal ; ils crient sous le bistouri qui les divise, et leur surface de section

offre cette teinte blanchâtre et nacrée, cet aspect homogène et uni, qui ap-

(1) C'est par erreur que la Gazelle des hôpitaux assigne la date du 24 novembre à

cette opération que la Gazette hebdomadaire décrit déjà dans son numéro du 19 no-

vembre.

422 HASN ET WICKERSHEIMER

partiennent aux tissus fibreux. Ces lobules sont séparés les uns des autres

par un tissu cellulaire qui diffère de l'état normal par sa grande conden-

sation et par le peu de graisse qui l'infiltre.

» Examen microscopique du sein. M. Verneuil, auquel M. Manec a

envoyé un fragment de la tumeur, a constaté .les particularités suivantes.

Le tissu est d'un blanc rosé, assez mou et cependant doué d'une grande

cohésion. La coupe est lisse, luisante, homogène ; elle rappelle tout à fait,

sauf la coloration, l'aspect de la mamelle saine, hors l'état de lactation.

On voit cependant, çà et là, quelques pertuis assez volumineux d'où s'é-

coule par la pression une très petite quantité d'un liquide visqueux, trans-

lucide, analogue à de la synovie. Ces pertuis ne sont autres que des con-

duits galactophores coupés en travers. Au microscope, la structure est tout

à fait celle de la glande mammaire chez une fille qui n'a jamais été mère.

La presque totalité de la masse est formée par du tissu fibreux assez lâche,

qui, par l'acide acétique, montre une assez grande quantité de noyaux.

Ce tissu est traversé par des conduits excréteurs assez volumineux, à pa-

rois épaisses. Çà et là on retrouve des groupes de grains glanduleux petits,

et composés de cinq à six culs-de-sac allongés, d'un petit volume. Les

éléments glandulaires ne constituent pas la trentième partie de la tumeur,

au moins dans les fragments qui m'ont été remis. Les vaisseaux capillai-

res sont assez nombreux ; je n'ai pas rencontré de nerfs dans les prépara-

tions que j'ai faites. »

La Gazette des hôpitaux nous renseigne en quelques mots sur les suites

de l'opération, et sur la seconde opération qui eut lieu le 26 décembre

1858(1) :

a Les suites ont été des plus heureuses sauf toutefois un léger accident

survenu dans la nuit du 3e au 4e jour de l'opération, une légère hémorra-

gie qui a fait craindre un instant une congestion pulmonaire, ce qui n'a

heureusement pas eu lieu. La plaie, réunie par un grand nombre de

points de suture et recouverte pour tout pansement de gâteaux de charpie

mouillée, a marché rapidement vers la cicatrisation, qui était complète

vers le 10 décembre....

» (La deuxième opération) fut faite le 26 décembre. Elle n'a présenté

rien de particulier à signaler en ce moment. Il importe de noter ici

que dans le court intervalle d'un mois écoulé entre ces deux opérations,

la mamelle restante (la droite) avait subi un surcroît d'accroissement

tel, qu'elle avait dépassé le poids et le volume du sein gauche. Du poids

(1) Dans l'intervalle des deux opérations, Manec observa que la sensibilité tactile de

la mamelle était très obtuse. Les tentatives de pincement et de piqûre se transmet-

aient avec une lenteur excessive et d'autant plus grande qu'on s'éloignait davantage

du pédicule (Gaz. hebd., 4 février 1859).

UN CAS D'HYPERTROPHIE MAMMAIRE 423

de 6 kilogrammes et demi qu'elle avait lors du premier examen, au mois

d'octobre, elle en était venue à peser 8 kilogrammes lors de la deuxième

opération, c'est-à-dire une livre de plus que la mamelle gauche. Elle

avait ainsi gagné en moins de deux mois, et surtout pendant le dernier

mois, un kilogramme et demi (trois livres).

» Les suites de cette seconde opération ontété encore plus simples que

celles de la première. Du troisième au quatrième jour, elle a eu seule-

ment un peu de mal de tête, mais sans toux, ni oppression, ni hémoptysie.

» Le quatorzième jour, il est survenu de nouveau de la céphalalgie, cette

fois avec un peu d'oppression, de mal de coeur, et quelques épistaxis.

M. Manec se disposait à appliquer quelques sangsues aux cuisses pour

provoquer les règles, lorsqu'elles sont venues spontanément. Dès ce mo-

ment tout s'est calmé. La plaie était complètement cicatrisée du 15 au

20 janvier. Cette jeune fille, dont l'état est très satisfaisant maintenant,

et qui n'est seulement qu'un peu anémiée, a dû quitter l'hôpital hier,

heureuse d'être débarrassée de ses deux monstrueuses mamelles. »

C'est dans la thèse de doctorat de Labarraque (Paris, 1875) qu'il faut

chercher l'épilogue de l'observation :

« M. Manec a bien voulu nous apprendre que la malade s'était mariée

depuis, et qu'elle avait eu quatre ou cinq enfants. A l'époque où, physio-

logiquement, les seins se développent par la lactation, des douleurs se

sont manifestées dans les cicatrices, et les glandes de l'aisselle se sont en-

gorgées. Puis au bout de peu de temps, tout est rentré dans l'ordre. »

Nous aurions aimé à savoir comment Horace Vernet fut amené à pein-

dre le portrait de l'opérée de celui qu'il appelle son ami. Manec fut-il

aussi son chirurgien dans la cruelle maladie qui, après de longues souf-

frances, l'emporta au début de l'année 1863 ? M. Horace Delaroche-Ver-

net, arrière-petit-fils d'Horace Vernet, à qui nous avons demandé des

renseignements à cet égard, nous a répondu que ses papiers de famille ne

fournissent aucune indication au sujet des relations de son aïeul avec le

docteur Manec.

Le tableau de la Société de chirurgie est à l'huile ; il mesure 53 cen-

timètres de hauteur sur 45 centimètres de largeur. L'opérée est représen-

tée en buste, de trois quarts à droite, velue d'une chemise, entr'ouverte au

niveau delà région mammaire. L'artiste a tracé le visage avec une impré-

cision voulue ; il est donc difficile de s'assurer si la jeune fille était vraiment

« de physionomie agréable » comme l'affirme la Gazette des hôpitaux. La

plaie opératoire du sein gauche est fermée, et la cicatrice est à peine visi-

ble dans ses deux tiers internes. L'amputation du sein droit étant plus ré-

cente, la cicatrisation est moins avancée de ce côté. Les fils ont été retirés.

Le tableau n'est pas signé, mais le cadre porte à sa partie supérieure un

424 4 IIAXN ET WICKERSHEIMER

cartouche où sont inscrits ces mots : Horace Vernet à son ami Manec. Une

carte fixée dans un angle rappelle l'observation publiée par la Gazette des

hôpitaux.

Des trois photographies que le docteur Manec donna à la Société de

chirurgie en même temps que le tableau, une seule représente la malade

après l'opération ; elle paraît, à peu de jours près, contemporaine de la

peinture d'Horace Vernet.

Le gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizicr (Haute-Marne).

20e Année ? 6 Nove

HOSPICE DE BICÊ1'RE

UN CAS DE POUI;N(,1JPHALII : CHEZ UN HYDROCÉPHALE

ÉPILEPTIQUE,

PAR

J. SÉGLAS K. ANDRÉ BARBÉ

Médecin de l'Hospice de Bicêtre. Interne des Hôpitaux.

Les cas de porencéphalie publiés jusqu'ici sont relativement peu nom-

breux ; leur étude histologique et leur pathogénie ont donné naissance à

des recherches dont les résultais sont peu comparables et ne concordent

que rarement. Parmi les études parues dans ces dernières années, il con-

vient de citer le travail de Iticlilei- (1) qui fait jouer à l'arrêt de dévelop-

pement du corps calleux un rôle étiologique dans un certain nombre de

cas de porencéphalie ; l'hydropisie ventriculaire serait également à consi-

dérer dans le mode de formation des cavités, et serait peut-être attri-

buable à des troubles circulatoires (compression de la veine de Galien).

Deganello (2), étudiant un cas de porencéphalie chez un chien, trouvait

une cavité développée aux dépens de la presque totalité de l'hémisphère

cérébral gauche, une absence à peu près complète du faisceau pyramidal

dans le pédoncule cérébral, dans le pont et dans le bulbe du côté gauche,

une forte aplasie du faisceau sensitif (ruban de Reil) dans le pédoncule

cérébral, le pont et le bulbe du côté gauche, une aplasie des noyaux bul-

baires de Goll et de Burdach à droite, une atrophie du tubercule quaclri-

jumeau antérieur gauche, et du nerf optique droit. Dans toute la hauteur

de la moelle, il n'y avait aucun indice de dégénéralion ; le cervelet, la

moelle épinière et les ganglions vertébraux étaient absolument normaux.

Cette intégrité de la moelle dans la porencéphalie avait déjà été signalée

par Kahlden, Kundrat, Kirchoff, Sperling.

La même année, Ravaut (3) rapportait un cas de porencéphalie acquise

chez un homme qui, à la suite d'une chute, eut des crises d'épilepsie et

(1) RccnTaa, Soc. de psych. de Berlin, janv. 1S98, Archiv. f. Psychiatrie, t. XXXII,

f. 1, 1899 (20 p., 27 fig.).

(2) DEGANELLO, Un caso di porencefalia. Rivista di patologia nervosa et mentale,

vol. V, rase. 5, p. 193, mai 1900 lExam. Iiistol., 1 fig.).

(3) RAVAUT, Un cas de porencéphalie acquise. Bulletins de la Sociéié anatomique de

Paris, 1900, p. 83.

xx 7

426 J. SÉGLAS ET ANDRÉ BARBÉ

succomba pendant une attaque épileptiforme. A l'autopsie, on trouva un

foyer de ramollissement très étendu, avec perte de substance sur le lobe

temporo-occipital, formant une cavité allongée, communiquant sur toute

sa longueur avec le ventricule latéral, se prolongeant jusqu'à l'extrémité

postérieure du lobe : Ce cas de porencéphalie acquise est à rapprocher de

celui publié par Touche (1) qui observa une perte de substance du lobe

pariélo-occiplial droit, due à l'oblitération de deux artères, et de celui de

Marcel Labhé (2) qui trouva une cavité en entonnoir communiquant avec

le ventricule latéral chez une jeune fille qui avait fait dans son enfance

une chute sur la tête et qui conservait une dépression crânienne à la

partie inférieure du pariétal.

En 1901. Jumpolski (3) a porté le diagnostic possible de porencéphalie

de l'hémisphère droit dans la région motrice chez un enfant épileptique,

d'intelligence nulle, qui avait de l'exagération des réflexes, et les deux

membres inférieurs en état de paraplégie spasmodique.

Zingerlé (4) publie une étude anatomique dans laquelle on trouve un

aspect porencéphalique de l'hémisphère gauche; le déficit porte sur les

trois cinquièmes moyens de la frontale ascendante, les deux cinquièmes

de la pariétale ascendante, la plus grande partie du lobule du pli courbe,

le pied des circonvolutions frontales moyennes et inférieures, et une par-

tie du pied de la 1re frontale. L'hémisphère droit contient un kyste dans

la couronne rayonnante du lobe pariétal. Zingerlé considère son cas

comme une porencéphalie vraie due à une lésion d'origine vraisemblable-

ment vasculaire, dans le domaine des 2" et 3e branches de la cérébrale

moyenne, quoiqu'on ne retrouve pas de reliquat manifeste d'une lésion

des vaisseaux ; le trouble circulatoire aura été transitoire, et il a dû se

produire au plus tôt dans les derniers mois de la vie intra-utérine.

Messing (5) a publié trois cas de porencéphalie ; il conclut que cette

affection est la conséquence de processus pathologiques variés. Congéni-

tale ou acquise,elle peut être en définitive rattachée aux mêmes causes, à

des troubles circulatoires el à des processus encéphalitiques ou encéphalo-

malaciques. herrannini (6) réunit la porencéphalie à tout un groupe d'af-

(1) Touche, Porencéphalie acquise. Bulletins de la Société anatomique de Paris,

1900, p. 228.

(2) Maucel Laubé, Porencéphalie acquise traumatique. Bulletins de la Société ana-

tomique de Paris. 1899, p. 607.

(3) JUMPOLSKI, Déformation congénitale des deux pieds et d'une main. Ozasopismo

lekarskie, nua 8, 1901 (polonais).

(4) Zingerlé. Un cas de lésion de développement circonscrite du cerveau. Contribu-

tion à l'élude de la porencéphalie. Archiv sur Psychiatrie, 1902, t. 36, f. 1. (16 p. 6 fig.).

(5) Messing, DI ei Fille von Porencéphalie, 21 dessins, 2 pl. hors texte, bibliogra-

phie. Aibeit. aus d. nenrol. Institute. an der Wiener Universittzt, XI nand, 1904.

(6) rLaaww, Sur la pathogénie des scléroses 1ww'o-centl'ales juvéniles. Giornale

internationale delle science mediche, tapies, An XXVII, 1905.

Nouvelle ICONOGRAPHIE DE LA SALPTRIRE

T. XX. PI. LXXV

l'ORF\C : 1`I'11,1LIT : ET IIYDROCÉPIIAUR CHEZ UN 1PILP : PTIQU1 :

(Scglas et Barbé)

Masson et Cire, ] : ,Ittctllq

PhOI01YP ! 11 BrrLhauJ, Paru

UN CAS DE P011ENCÉI'.IL[L ? CHEZ UN HYDROCÉPHALE ÉPILEPTIQUE 427 7

fections telles que la sclérose lombaire infantile, la maladie de Lillle, la

maladie de Friedreich, la sclérose latérale amyotrophique familiale, l'a-

thétose et la chorée familiales, etc. On aurait ainsi un groupe d'affections

à début insidieux dans le jeune âge, à évolution lente et progressive, à

caractère familial, et ayant pour base anatomique une sclérose dégénéra-

tive frappant surtout, mais non exclusivement, le système nerveux central

dans sa partie motrice. C'est encore à une lésion pyramidale que Ha us-

halter et Collin (1) rattachent le point de départ de la porencéphalie.

Nous avons eu l'occasion d'examiner à l'hospice de Bicètre un malade

atteint de porencéphalie vraie et la rareté des observations publiées jus-

qu'à maintenant nous a engagé à publier ce cas.

Observation.

G... Alexandre entre le 9 août 1880,n l'âge de 25 ans, à l'hospice de Bicêtre

pour épilepsie et débilité mentale ; les attaques convulsives, graves et. fréquen-

tes, s'accompagnent de céphalée et par instants de véritable état de mal ; le

niveau intellectuel est très faible, le caractère irascible, et le malade ne peut

se livrer à aucun travail suivi.

L'examen physique du sujet révèle un certain nomhre de particularités : la

taille est de 1 m. 55, l'envergure des bras de 1 mètre 615 mill. (PI. LXXV).

Tête : Les dimensions de la tête sont les suivantes : le diamètre antéro-pos-

térieur du crâne est de 22 cent. 5; le diamètre transversal est de 18 cent. 6,

la circonférence horizontale maxima de 67 centimètres. L'indice céphalique

est de 82. 7. Le front est droit, les bosses frontales saillantes, le nez ré-

gulier et non déprimé à la racine. Les narines et les yeux sont très écartés (la

distance entre les deux angles internes des yeux est de 4 cent. 3). La voûte

palatine est profonde ; les dents de sagesse existent, mais il manque en bas une

incisive dont on ne retrouve pas la trace ; les dents sont d'ailleurs très serrées

les unes contre les autres.

Tronc : saillie du sternum à la partie supérieure; dépression thoracique en

entonnoir avec un chapelet costal ; les courbures claviculaires sont exagérées,

le thorax est déprimé au niveau de la région mammaire. La circonférence de la

poitrine au niveau des mamelons est de 85 centimètres. La hauteur du tronc

est de 52 centimètres (le sujet étant assis et le point de repère supérieur étant

l'acromion). Le rachis présente une cyphose dorsale et une lordose lombaire.

Membres supérieurs :

Longueur des bras : 26 centimètres (de l'acromion à l'épicondyle).

Longueur des avant-bras : rr centimètres (de l'épicondyle à l'apophyse sty-

loïde du radius).

Longueur des mains : 18 centimètres (de l'apophyse styloïde du radius il

l'extrémité du médius).

(1) IIAusHALTEB et COLLIN, Les affections spasmodiques de l'enfance ; classification et

pathogénie (rapport),1V° Congrès international de médecine, section de Pédiatrie.

Lisbonne, 1906.

428 J. SÉCLAS ET A\LItÉ BARRE

Au niveau des mains, l'auriculaire de la main gauche surtout rappelle un

peu la disposition en trident ; l'annulaire de la même main est en retrait.

Membres inférieurs :

De l'épine iliaque antéro-supérieur au sol :

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALtETTHEXE.

T. XX. Pl. LXXV

rORE)\CIPII¡\I.IE CHEZ UN HYDROCÉPHALE ]';PIt.rPTIdUr

(Séglas el Barbé)

Aspect du cerveau vu par sa convexité.

Masson & Cie, Éditeurs

PhototYIIIl ! n.111\IAII.J, PJ.II Pu

NOUVILLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRI$RC

T. XX. Pl. LXXVII

A

n

PORENCÉPHALIE CHEZ UN HYDROCÉPHALE épileptique

(Séglas et Barbé)

A Coupe verticale nntéro-poitéiieure de 1 hémisphère droit, à 5 centimètres en dehors de la icî'S'ïui'C

interhémisphérique. Les deux fragments de la coupe ont été renversés.

li Coupe verticale antéro-postérieure de l'hémisphère gauche, i ; 3 centimètres en dehors de la scissure

r7n V;r^Jjli|h]Ai><i^i;miM,J(J]j Jj'JCTJIlll^jMfc^.™^' ! ^. et, montrent le foyer hemorl hagiq ue.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. Pl. LX.TVIII

PORENCÙPIIALIE CHEZ UN HYDROCÉPHALE ]\PILEPTIQUE

(Séglas et Barbé)

Coupe verticale oblique en arrière et en dehors de l'hémisphère gauche, montrant retendue'

de la cavité ventriculaire.

Masson & Cie, FJ¡teurs

NII7101)'IIO Il'1111'111111, J'J l'j

UN CAS DE paBENCÉPIlALlE CHEZ UN HYDROCÉPHALE ÉPILEPTIQUE 429

et régulière quant à ses parois. Elle s'étend la partie supérieure de l'hémi-

sphère droit, commençant à l'union du tiers antérieur et du tiers moyeu de la

scissure interbémisphénque ; au niveau de cette scissure, la substance céré-

brale est complètement absente dans les deux tiers postérieurs, et remplacée

par un bord mousse, le bord interne de la cavité, siégeant à 2 centimètres

environ au-dessous de la ligne par où passerait lebord supérieur de cet hémi-

sphère droit. Quant au bord externe.de la cavité, il part du bord interne, s'éten-

dant d'abord en demi-cercle jusqu'à environ 8 centimètres de la scissure in-

terhémisphérique, puis, se recourbant, il forme une crête mousse qui va se

perdre en arrière au niveau de la partie postéro-supérieure du vermis supérieur

du cervelet. La pie-mère, très épaissie, forme comme un rideau étendu au-des-

sus de cette cavité; les vaisseaux qui sillonnent les circonvolutions se conti-

nuent directement au niveau de cette membrane pie-mérienne, au lieu de s'en-

foncer,dans la cavité. Quant à la dure-mère, très épaissie, elle ne présente,

aucune adhérence ni altération macroscopique notable (PI. LXXVI).

Si l'on examine maintenant la paroi de la cavité, on voit que cette cavité,

de forme assez irrégulière, mais dont l'axe. est cependant dirigé en bas et en

dedans vers le ventricule, présente deux aspects différents suivant les points

où on la considère. Dans la moitié supérieure de la cavité, on observe une

membrane lisse, unie, blanc-jaunâtre, épaisse, et sillonnée par de petits vais-

seaux. Cette moitié supérieure est limitée et séparée de la moitié inférieure par

un rebord épais et mousse, qui surplombe le fond de la cavité en formant un

épaississement d'environ 4 à 5 millimètres. Quant à la partie inférieure de la

cavité, elle est tapissée par une membrane mince, tendue, transparente, per-

forée dans toute son étendue par de nombreux trous qui permettent une facile

communication entre la cavité porencéphalique et la cavité ventriculaire.

Pour étudier cette cavité,on pratique une coupe verticale antéro-postérieure

de l'hémisphère droit, parallèle à la scissure inter-hémisphérique et distante

de celle-ci de 3 centimètres environ. Cette coupe montre que l'on est en pré-

sence d'une absence presque complète-du lobe pariétal droit. Le lobe frontal

est assez régulièrement développé. Quant au lobe sphénoïdal, extrêmement

aminci, il est réduit une simple lame de substance cérébrale épaisse de

2 centimètres environ et limitant la paroi inférieure de la cavité, la séparant

ainsi du cervelet (PI. LXXVII et LXXVIII).

Si maintenant, on pratique sur l'hémisphère gauche une coupe parallèle il

la première, on constate que cet hémisphère est creusé en son intérieur par

une cavité ventriculaire relativement considérable. Au niveau du lobe frontal,

cette cavité est assez développée, puis en allant d'avant en arrière, elle s'a-

mincit et prend un développement considérable dans le lobe occipital qui n'est

plus réduit qu'à une simple lame de tissu, le centre étant creusé par une

énorme excavation. Les parois de cette excavation sont normales et peu vas-

culaires, ainsi du reste que les parois de la cavité dans sa partie antérieure.

. A l'union du tiers antérieur et du tiers moyen de cette cavité, on observe une

petite masse d'un brun rougeâtre, couleur lie de vin, siégeant dans la cavité

épendymaire entre le lobe frontal et le lobe pariétal. Cette niasse, d'un aspect

430 0 J. SI¡GLAS ET ANDRÉ BARBÉ

spongieux, est circonscrite au niveau de la substance cérébrale à laquelle elle

adhère par une petite zone de un millimètre d'épaisseur présentant un fin pi-

queté hémorragique. Plus en arrière de cette masse se trouve une autre pe-

tite tumeur pédiculée, blanchâtre et à parois lisses, ne paraissant avoir aucun

rapport avec la masse spongieuse avoisinante et ci-dessus décrite.

La protubérance annulaire, le bulbe et la moelle étaient normaux. Sur le

cerveau, on préleva pour l'examen histologique, des fragments différents du

cerveau et c'est ainsi que nous avons étudié le point de réflexion de la séreuse

au niveau du rebord de la cavité porencéphalique, l'état des circonvolutions en

avant de cette cavité, lé foyer hémorragique ci-dessus décrit dans l'hémi-

sphère gauche, et les granulations épendymaires qui tapissent la cavité ventri-

culaire de ce même hémisphère.

Ces, fragments ont été mis dans le liquide de Muller pendant quatre mois,

puis déshydratés, inclus à la celloïdine ; les coupes ont été traitées par les

méthodes de Van Gieson et de Weigert-Pal pour la myéline.

Le point de réflexion de la séreuse montre que celle-ci est très épaissie, que

les vaisseaux sont gorgés de sang, et que la paroi de la cavité est formée par

un feutrage névroglique épais, régulier ; ce feutrage névroglique est séparé des

circonvolutions par une épaisse cloison de gaines myéliniques dont les fibres

sont parallèles à la paroi névroglique, En avant de la cavité, les circonvolu-

tions sont, mais en ce point seulement, le siège d'une sclérose très accusée, avec

raréfaction de la myéline.

Le foyer hémorragique situé dans l'hémisphère gauche est volumineux ;

autour de lui, la myéline est raréfiée ; le foyer lui-même est constitué par un

caillot dont la paroi épaisse, organisée, montre l'ancienneté de formation de

cette hémorragie. Enfin, la paroi épendymaire de l'hémisphère gauche est

épaisse ; recouverte de granulations jaunâtres ; ces granulations sont plus accen-

tuées en certains points, et forment ainsi comme de véritables petits îlots.

Nous sommes donc ainsi en'présence d'un cas de porencéphalie vraie,

suivant la description qui en a été donnée par \111. Bourneville et Sol-

lier, pour la distinguer de la porencéphalie vraie. Ce cas nous a paru in-

téressant à rapporter tant à cause des particularités qu'il présente que par

la rareté des faits de ce genre.

LE TOPOGRAPHE CÉRÉBRAL

APPAREIL DE PROJECTION DES PARTIES DU CERVEAU

SUR LA SURFACE DU CRANE

PAR .

G. ROSSOLIMO

Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Moscou.

Malgré les progrès de la technique chirurgicale, qui permet quelque-

fois, en pénétrant dans le cerveau pour atteindre un foyer d'étendue peu

considérable, d'ouvrir presque la moitié du crâne, il est impossible de ne

pas désirer, dans les trépanations, d'éviter les lésions traumatiques inu-

tiles et de ne pas rendre justice à tous les moyens qui permettent de pré-

ciser la localisation du procès sur ou sous la surface du cerveau. Le pro-

fesseur Ze l' 11 off (1) ,allant à la rencontre de ce problème, a proposé son

encéphalomètre et a élaboré ;t l'aide de celui-ci, en collaboration avec le

Dr Altoukhoff (2), une série de cartes topographiques des grands hémi-

sphères ; guidé par celles-ci il est possible, pendant les recherches encé-

phalométriques, de noter sur la surface du crâne, la partie sous-jacente

du cerveau. Le professeur Zernoff a pris pour hase de son invention la

forme plus ou moins sphérique du crâne et du cerveau et a trouvé possible

de tracer le dessin de la surface cérébrale sur les endroits correspon-

dants d'une demi-mappemonde ; il obtint ainsi une vraie carte géogra-

phique du cerveau d'hommes de tout âge, des deux sexes et de tout

index crânien, avec la caractéristique de chaque partie du cerveau en

degrés de longitude et de latitude.

De cette manière l'encéphaloniètre de Zernoff permet d'établir des rap-

ports entre différents points donnés sur la surface du crâne et du cerveau ;

cette méthode donne pourtant lieu à des erreurs, provenant de l'hypo-

thèse de la forme de sphère géométrique de la tète. Comme ni le crâne, ni

(1) D. X. Zernoff. L'encéphalométre,appareil pour déterminer la situation des parties

du cerveau chez un homme vivant. Moscou. Séance de la Société physico-médicaie

du 22 mars 1891.

(2) D. N. ALTOUK11OFr. Recherches encéphalomêtriques suivant le sexe, l'âge el l'in-

dex crânien. Moscou, 1891. Thèse.

432 ROSSOLli)10

l'encéphale ne présentent la -forme précise d'une sphère géométrique,

l'erreur sera d'autant plus grande que la forme du crâne observé s'éloignera

plus de la forme sphél'oïdale.C'est pourquoi l'exactitude de l'appareil et de

la méthode qu'il représente est plus ou moins approximative, -approxi-

mation, du' reste,négligeable à moins d'évaluation mathématiquement pré-

cise, parce que les caries de la surface cérébrale d'individus de différents

index crâniens, c'est-à-dire celles des encéphales,plus ou moins proches

d'une sphère géométrique, diffèrent si peu l'une de l'autre, surtout par

rapport aux circonvolutions centrales et temporales, que pour un physio-

logiste et pour un clinicien contemporain il s'agit d'une erreur négli-

geable. 1

C'est pourquoi nous croyons pouvoir compter l'encéphalomètredu pro-

LE TOPOGRAPHE CÉHÉBRAL 433

fesseur Zernoff comme l'appareil le plus convenable et le plus pratique en

'ce qui concerne la solution des deux problèmes suivants :

1) Pour déterminer à la surface du crâne des points correspondant il

des endroits donnés de la surface ou de l'intérieur de l'encéphale.

zu) Pour indiquer à la surface de l'encéphale une circonvolution ou une

de ses parties, correspondant à une partie quelconque. Et il ne s'est

fait aucune trépanation dans notre clinique, sans que nous utilisions,

et avec les meilleurs résultats, le procédé encéphalométrique du profes-

seur Zernoff.

Cependant il nous a été donné de rencontrer les défauts de cet appa-

reil, particulièrement sensibles dans la clinique et qui rendent les recher-

ches longues et minutieuses, quelquefois dans les moments même où

l'état du malade réclame la moins grande perte de temps.

Ces défauts sont les suivants : .

10 En se servant de l'encéphalomètre il est indispensable de se servir

d'une carte, c'est-à-dire que pour déterminer à la surface du crâne l'en-

droit correspondant au centre du cerveau intéressé, il faut préalablement

rechercher ce dernier sur la carte et transposer sur le crâne tous ces points,

déterminés par degrés de longitude et de latitude. '

Pour celle transposition il faut exécuter toute une série de changements

de place de l'arc mobile et du rayon mobile de l'encéphalomètre, chose

nécessaire pour le tracé de chaque point de l'encéphale sur la surface

du crâne. Ce double procédé est compliqué et exige beaucoup de temps,

c'est pourquoi il représente le défaut capital de la méthode.

2° Le second inconvénient provient de ce que l'appareil étant insépa-

rable de la carte, au cas où l'on n'aurait pas sous la main celle-ci ou une

table explicative, l'emploi de l'encéphalomètre est absolument impossible.

A la clinique ce défaut a une grande importance.

Ces deux inconvénients de l'encéphalomètre de Zernoff nous ont obligé

à résoudre le problème de l'encéphalomètre dans un sens un peu diffé-

rent, et nous ont amené à la construction d'un appareil que nous pro-

posons d'appeler « le topographe cérébral ». Le principe de notre appa-

reil consiste en ce que, pour la commodité du 'tracé sur le crâne des

, parlies du cerveau données par les caries de Zernoff et Altoukhoff, et afin

d'écarter la nécessité de recourir à des labiés auxiliaires, nous avons joint

il l'appareil une carte des hémisphères cérébraux, utilisant en cela l'idée

de la mappemonde géographique.

Dans ce but, au cercle horizontal et basal (a) de l'encéphalomètre de

Zernoff, ayant 26 centimètres de diamètre intérieur et muni pour la pause

sur la tôle en haut, d'une vis avec coussinet (h), en avant, - d'une gou-

pille (b) avec plaques il deux pattes qu'on introduit sous le bord supérieur

431 hossolimo

des deux orbites (c), en arrière, - d'une goupille se terminant au moyen

d'une charnière sphérique par un rond métallique muni d'un tampon de

caoutchouc pour l'occiput (d, e) (1), de chaque côté, - dedeux goupilles

mobiles sur des plans horizontaux et verticaux ayant à leur extrémité

des olives en bois d'ébène pour les orifices extérieurs des oreilles (/, g),

à cet anneau horizontal, disons-nous, est soudé un casque hémisphérique

d'aluminium renversé, de 26 centimètres de diamètre, ayant comme pôles

le front et l'occiput, un équateur frontal, des méridiens et des parallèles

gravés à 10" d'intervalle comme sur le globe terrestre.

Sur ces méridiens et parallèles est gravée, suivant les données de Zer-

noff et Altoukholf, la carte des sillons et circonvolutions des grands

hémisphères du cerveau ainsi que la position des ganglions basais et des

sutures crâniennes (2).

Un hémisphère de ce genre représentera la projection des parties du

crâne et du cerveau ci-dessus mentionnées sur la surface de la sphère ;

l'ayant ainsi construit il restait encore à trouver le moyen de transporter

une partie quelconque de cette carte sur la .surface du crâne. Dans ce but

il a fallu rechercher le moyen de tracer des rayons passant par un point

(1) Ces deux goupilles sont munies de divisions pour permettre de fixer chaque fois

l'anneau à égale distance du front et de l'occiput.

(2) Pour les travaux de clinique nous croyons qu'il est suffisant de se servir de la

carte simplifiée de la surface des hémisphères présentant la position moyenne des cir-

convolutions chez l'homme (Altoukhoff, carte I).

LE TOPOGRAPHE CÉRÉBRAL 435

quelconque de la surface du globe posé sur la tête, jusqu'à leur contact

avec le point, correspondant de la surface du crâne. Nous y sommes arrivés

par le moyen suivant :

1° Nous avons perforé le casque d'aluminium d'un grand nombre d'ou-

vertures rondes d'un millimètre et demi de diamètre, au nombre de 6 à 9

dans chaque carré de 10° de la mappemonde, et ceci suivant la largeur de

l'intervalle entre les méridiens. Un grand nombre de ces ouvertures tom-

bèrent ainsi sur les sillons gravés ; néanmoins cela n'a changé en rien l'in-

tégrité de la carte ; et le réseau géographique est resté intact.

2° Nous avons préparé une goupille ronde en aluminium d'un demi-

millimètre (i) de diamètre, terminée d'un côté par une

tête plate el de l'autre par un crayon à encre devant pas-

ser par une ouverture quelconque en qualité de rayon,

jusqu'à contact avec la surface de la tête. Cette goupille

à laquelle nous avons attribué un rôle important dans

notre topographe cérébral, n'aurait pas dans cet état en-

tièrement atteint ce but par suite de l'épaisseur infime

de la paroi du casque, qui ne peut pas donner à la gou-

pille, placée dans les ouvertures, la direction mathéma-

tique vers le centre du casque. C'est pourquoi nous

avons dû inventer un'appareil métallique ayant la forme

d'une tonnelle (j) à base annulaire de caoutchouc dur,

avec un toit métallique compact, du centre duquel des-

cend un tube d'un demi-millimètre de diamètre suivant

la direction exacte et verticale de l'axe et se terminant

presque à l'extrémité de la tonnelle. Lorsque cette der-

nière est posée sur la surface de notre globe, l'anneau

reposant sur celui-ci, on peut faire passer par son tube

central la goupille servant de rayon et, suivant la place

qu'occupe la tonnelle, pénétrer à travers, l'ouverture

correspondante du globe jusqu'à contact avec la surface

de la tête, dans l'exacte direction mathématique du

rayon.

Construit comme nous venons de le décrire, le « topographe cérébral »

permet de résoudre facilement et rapidement les deux problèmes de tout

encé-ol)alomètre :

A) Poser sur la surface de la tête une carte cérébrale ou un de ses points

quelconque : pour cela, en mettant l'appareil sur la tête, il faut mar-

quer sur la peau de la tête rasée, à l'aide du crayon de la goupille, un

seul point ou une série de points dans la direction des sillons intéressés,

et ensuite, enlevant l'appareil, achever d'après ces points le dessin de la

carte demandée.

436 ROSSOLIMO . -

, B) Déterminer la partie de la surface de l'encéphale qui correspond à

.une partie donnée du crâne : en mettant l'appareil sur la tête, on amène

la goupille indicatrice jusqu'à la partie intéressée de la surface de la tète

(exostose, perforation, etc.), en regardant à travers les trous, du casque

ou en tâtant de la main gauche passée sous celui-ci et l'on indique par

quels endroits de la surface du globe cérébral a passé la goupille,

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière

T. XX. Pi. LXXIX

DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE

(Halipré et Hébert)

Radiographie des membres supérieurs.

(Obs. I)

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. LXXX

DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE

(Halipré el Hébert)

Radiographie des genoux.

(Obs. I)

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. LXXXI 1

DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE

(Halipré et Hébert)

Radiographie du membre supérieur. ? ,. (Oh ? n

EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES

DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE

(TROIS GÉNÉRATIONS)

PAR

A. HALIPRÉ et A. HÉBERT,

Médecins des Hôpitaux de Rouen.

Les exostoses de croissance, ou exostoses ostéogéniques.se montrent en'

général à l'extrémité des os longs et de préférence sur celle des extrémi-

tés dont le cartilage d'accroissement est le plus actif. Suivant la loi posée

par 01 lier, elles occupent les extrémités voisines du genou et les extrémi-

tés éloignées du coude. Les exostoses sont souvent symétriques ; on les a

quelquefois observées dans plusieurs générations successives. Leur carac-

tère héréditaire, en même temps que leur développement en des points

symétriques permettent de les regarder comme dépendant d'un trouble

fonctionnel des centres trophiques, le trouble fonctionnel étant peut être

lui-même imputable à quelque modification d'un appareil glandulaire à

sécrétion interne. Cette dernière hypothèse soulevée par Pierre Marie' (1)

à propos de la pathogénie de l'achondroplasie pourrait selon toute vrai-

semblance s'appliquer aux exostoses de croissance.

Les observations que nous avons recueillies dans lesquelles des ma) for-

mations se sont reproduites dans trois générations successives nous parais-

sent favorables à cette interprétation.'

Observation 1

(PI. LXXIX, LXXX, LXXXI)

Le F..., 43 ans, forgeron, est de petite taille (1 m. 53), mais bien musclé

comme l'exige sa profession. Intelligent il répond avec précision aux questions.

Ce qui frappe à première vue en dehors de la petite taille du sujet, c'est le vo-

lume de la tête, qui est en quelque sorte globuleuse, et les petites dimensions

des bras, surtout du bras gauche. A ce sujet il dit qu'il a toujours eu le bras

gauche plus petit et que cela ne l'a jamais entravé dans son travail, pas plus

d'ailleurs que les « nombreuses bosses » que présentent les os des membres.

(I) Piiiimii Uwum, Presse médicale, n 56, 14 juillet 1900.

438 JIALIPRÉ ET UÉBERT

Son père était atteint de la même affection. Sur 9 enfants dont 4 sont vivants

(un (ils et trois filles), le fils est atteint des mêmes déformations osseuses.

A l'examen on constate da nombreuses saillies osseuses adhérant au sque-

lette, siégeant le plus souvent au voisinage du cartilage diartbrodial. Ces ostéo-

mes sont nombreux au niveau de l'épaule et du poignet et au voisinage du

genou. Celte topographie, signalée par Ollier, répond aux points où le carti-

lage d'accroissement est le plus actif et où la soudure de la diapliyse et de l'épi-

physe est plus tardive. Les radiographies montrent nettement ces malforma-

tions, elles mettent aussi en évidence l'arrêt de développement du cubitus à

gauche et à droite, arrêt de développement qui explique en partie tout au moius

les petites dimensions de l'avant-bras. A gauche, le radius est incurvé en de-

dans de telle façon que son extrémité inférieure passe sous l'extrémité infé-

rieure du cubitus. Les rapports de la tête du radius avec le carpe s'en trou-

vent sensiblement modifiés comme le montre la radiographie.

Main gauche. -- La main gauche est un peu moins développée que la main

droite. Les doigts dans les mouvements d'extension ne peuvent se juxtaposer

dans toute leur longueur. Ils affectent la disposition en trident signalée par

Pierre Marie chez les achondroplasiques. L'annulaire et l'auriculaire s'écar-

tent de l'axe de la main ; le médius s'écarte en sens contraire au niveau des

deux dernières phalanges, refoulant en dehors l'index. Les trois doigts, annulai-

res médius et index, sont sensiblement de même longueur. L'auriculaire est très

court et dépasse à peine l'articulation de la 1°° avec la 2e phalange de l'annu-

laire.

Main droite. - La main droite présente un très léger écartement de l'auri-

culaire, les trois autres doigts restant l'un contre l'autre.

Si l'on en excepte le radius gauche, les os longs des membres ne présentent

pas de courbure. L'axe général des membres n'est pas modifié. Il n'y a rien

qui rappelle le squelette des rachitiques.

Le tronc n'offre aucune anomalie appréciable. Le développement est nor-

mal ; il n'y a aucune courbure anormale de la colonne vertébrale. Aucune trace

de rachitisme du côté des côtes ou cartilages costaux.

Le crâne est développé et globuleux.

Mensurations : Taille 1 m. 53. Poids 56 kilos.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. LXXXII

DYSTROPHIE OSSEUSE HEREDITAIRE

(Halipré et Hébert)

Radiographie des membres supérieurs.

(Obs. III)

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. ? CX. Pl. LX1XIII

DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE

(Halipré et Hébert)

Radiographie des membres inférieurs.

(Obs. III)

EXOSTOSES OSTÉOGEN1QUES. - D1'STYOPlllI. OSSEUSE lIÉInDITAlItI 439

440 - HALIPRÉ ET HÉBERT

Dès la naissance, la mère aurait constaté que l'enfant avait « un os qui

faisait une petite bosse » à l'avant-bras gauche ainsi qu'au niveau des jambes.

Il n'a jamais été malade. Bien musclé, d'aspect vigoureux, intelligent. La

croissance s'est faite régulièrement.

Taille, 1 m. 36. ,

Avant-bras gauche. Ainsi que chez le père, il y a arrêt de dévelop-

pement de l'avant-bras gauche. L'extrémité inférieure du cubitus est à deux

travers de doigt au-dessus du carpe. Le radius s'est incurvé en dedans, dis-

position identique à celle constatée chez le père (voir PI. LXXXII). Il existe

en outre une luxation en dehors et en arrière de la tête du radius, luxation

sur l'origine de laquelle ou ne fournit aucune indication et qui est probable-

ment contemporaine du développement.

D9an gauche courte, plus petite que la main droite. Les doigts peuvent se

juxtaposer normalement.

Main droite : disposition des doigts en trident : l'index, le médius et l'an-

nulaire se touchent ; l'auriculaire s'écarte au niveau des deux dernières pha-

langes.

Membres inférieurs présentent, principalement au voisinage de l'articulation

des genoux des tumeurs osseuses.

Aucune malformation n'est appréciable sur la colonne vertébrale ou les os

du bassin.

Crâne un peu fort, sans saillies anormales. Dents bien implantées.

Ogive palatine normale.

Organes des sens indemnes.

Développement normal des organes génitaux et du système pileux.

Mensurations :

EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES. - DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE 441

puisque la mère signale chez son fils l'existence, dans les premiers jours

qui suivirent la naissance, de saillies sur l'avant-bras gauche. C'est à ce

,niveau que les lésions du squelette sont le plus marquées. Pour le père et

le fils elles sont absolument superposables comme le montrent les radio-

graphies. Le fait est d'autant plus intéressant qu'à ce niveau existent tout

à la fois une exubérance du processus ostéogénique et un arrêt de dévelop-

pement. Les productions osseuses anormales sont représentéss ici par une

sorte dédouble bourgeon osseux probablement de nature spongieuse.

L'un des bourgeons est implanté sur le radius et l'autre sur le cubitus.

Ils semblent marcher à la rencontre l'un de l'autre pour combler l'es-

pace séparant les deux os et souder l'un à l'autre le radius et le cubitus.

A côté de cette hyperplasie osseuse, la radiographie montre un arrêt de

développement du cubitus, dû sans doute à la soudure précoce de l'épi-

physe inférieure à la diaphyse. Les autres déformations du squelette sont

très comparables dans les deux observations. Elles répondent, au point de

vue topographique, au type classique, car elles prédominent pour le mem-

bre supérieur aux points éloignés du coude et pour le membre inférieur

au voisinage du genou. Si dans les cas de ce genre certaines exostoses sont

situées à distance du cartilage diarthrodial, on l'explique en faisant re-

marquer que ces exostoses, développées de bonne heure dans la zone d'ac-

croissement tenant à la diaphyse, ont été refoulées loin de la tête de l'os

par les couches osseuses de formation plus récente. D'autres exostoses for-

ment autour de l'os un véritable manchon à point de départ périoste.

Quel que soit le siège ou l'aspect de ces malformations, elles dépendent

d'une même cause générale. Il s'agit très vraisemblablement d'un trouble

fonctionnel de l'appareil régulateur qui préside à la croissance normale

du squelette. A propos de la pathogénie de l'achondroplasie, Pierre Marie

émet, nous l'avons rappelé en commençant, l'hypothèse « d'un trouble de

la fonction ou du développement de quelque organe glandulaire ». Peut-

être en est-il de même pour la dystrophie osseuse qui nous occupe. D'ail-

leurs si nous faisons allusion à l'achondroplasie, c'est que le souvenir

de cette affection nous est revenu en mémoire en apercevant le premier

de nos malades. Frappé par sa petite taille, sa grosse tête et l'exiguïté de

ses bras, le rapprochement s'imposait à première vue.

Bien que très dissemblables, les deux affections ne défient pas toute

comparaison. Il semble que l'une offre en excès ce qui manque à l'autre.

L'achondroplasie, considérée comme une dystrophie du cartilage pri-

mordial (Parrot), aboutit à une insuffisance de développement du squelette

des membres. La micromélie est rendue plus frappante par le développe-

ment normal du tronc. « ... Bien singulière apparition, dit Pierre Marie,

que celle d'un torse d'adultesur lequel viennent s'insérer quatre membres

xx 28

4M 2 HALIPRÉ ET RIÉBEIIT

ayant tout au plus la longueur de ceux d'un enfant de sept ans 1). Sont res-

- pectés, ajoute Pierre Marie, les os qui se développent sans passer par une

phase cartilagineuse (clavicule, côtes, pariétaux, frontal].

Mais tout n'est pas expliqué dans l'histoire de l'achondroplasie et le

développement exagéré de la tête figurant comme élément presque essen-

tiel du tableau clinique ne peut s'expliquer par une dystrophie du carti-

lage primordial puisque l'ossification du crâne n'est pas précédée d'une

phase cartilagineuse. -

La dystrophie osseuse héréditaire qui nous occupe aujourd'hui a pour

siège d'élection les os longs des membres. Là encore c'est au voisinage du

cartilage d'accroissement que se localise la lésion principale Mais con-

trairement à ce qui paraît exister chez l'achondroplasique, les os du tronc,

omoplate, bassin (bassin épineux), colonne vertébrale, ainsi que les os

du crâne sont intéressés. Il est vrai qu'ils sont beaucoup moins touchés

que les os des membres.

Ainsi achondroplasie et dystrophie osseuse relèvent d'une viciation du

processus normal d'ossification.

Dans l'achondroplasie il y a surtout arrêt de l'ossification dépendant du

cartilage primordial.

Dans la dystrophie osseuse il y a surtout exagération de l'ossification,

cette surproduction se faisant aux dépens des multiples éléments qui assu-

rent la formation de l'os, cartilage et périoste pour les membres,tissu em-

bryonnaire primitif pour le thorax, le crâne et la face.

Les dystrophies osseuses localisées, comme le Leontiasis ossea de Vir-

chow seraient justiciables du même mécanisme.

Ajoutons que l'arrêt de développement du cubitus dans les deux obser-

vations montre la coexistence possible de deux processus opposés chez un

même sujet. Ne voyons-nous pas d'ailleurs dans les arthropalhies ner-

veuses (tabes, syringomyélie) des hyperostoses exubérantes coexistant

avec la raréfaction du tissu osseux voisin.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPRTRIL`RE. T. XX. Pl. LXXXIV

ACROMÉGALIE AVEC OSTTOAR1'I1ROPATI11ES

(l3crlarschi)

) ? -... ? T'- ? 'C ? r ? Lie Il 1111L1cIe tiW 15 51 jeunesse et actuellemcnt.

INSTITUT DES RACHTTIQUES DE MILAN. PROF. GALEAZZI, Directeur

SUR UN CAS D'ACROMÉGALIE

AVEC OSTO-ARTHROPATHIES ET PARAPLÉGIE.

PAR

V. BEDUSCHI

On a beaucoup écrit sur l'acromégalie, et nous possédons tellement de

cas cliniques que la description d'un nouveau cas serait superflue si ce-

lui-ci ne présentait des caractères qui le différencient par des symptômes

particuliers du cadre commun de la maladie de Pierre Marie.

lsabella Fabiano, née à Trani,est âgée de 30 ans : son père et sa mère sont

envore vivants et sains ; elle a trois frères et une soeur qui jouissent tous d'une

bonne santé. La malade a été saine jusqu'à l'âge de 15 ans ; à cette époque

elle a souffert de douleurs gastro-intestinales qui épuisèrent ses forces ; elle se

maria à 22 ans, et trois mois après son mariage, elle eut un avortement qui

fut suivi, pendant uue année, de fortes douleurs lombaires ; ensuite elle fut de

nouveau enceinte et six mois après elle commença à remarquer une saillie de

l'oeil droit et un accroissement notable du genou droit accompagné de douleurs

très vives. Elle accoucha à terme ; l'enfant mourut à l'âge de dix mois. Après

l'accouchement les douleurs augmentèrent, et à la suite de pointes de feu elles

diminuèrent. Ses menstrues, suspendues pendant onze mois, réapparurent,

et, alors, la malade s'améliora. Jusqu'à 27 ans sa santé demeura dans un état

stationnaire ; à ce moment ses menstrues furent de nouveau suspendues, et

des symptômes de plus en plus graves apparurent qui conduisirent la malade

à l'état actuel.

Des tuméfactions molles se formèrent peu à peu aux membres inférieurs au

niveau du tibia; d'abord ces tuméfactions produisirent des douleurs intenses,

puis graduellement elles devinrent dures comme l'os lui-même et indolores à

la pression ; actuellement elles sont dans cet état.

Les articulations des genoux grossirent, devinrent plus douloureuses,et de-

meurèrent déformées, comme elles le sont aujourd'hui.

Pendant ce temps la face se déformait aussi en raison du progrès de l'exoph-

talmie, de- l'augmentation du volume des os et de l'avancement de la mandi-

bule (PI. LXXXIV).

Le volume des mains s'accrut au point qu'il devint impossible à la malade

de passer son alliance au doigt.

41l ' DEDUSCUL 1

La colonne vertébrale se courbant, la stature diminua.

Le volume des pieds aussi augmenta, sans toutefois les déformer d'une façon

remarquable.

On lit suivre plusieurs fois la cure antibiotique, mais les symptômes ne se

modifièrent pas.

Depuis quelques mois on remarque un affaiblissement lent et progressif des

membres inférieurs, de sorte que la patiente ne peut marcher qu'avec des bé-

quilles ; elle n'a pas de douleurs aux membres, mais une céphalée, localisée

particulièrement à la région pariétale droite et ayant un caractère pulsatil, la

tourmente ; elle se plaint de faiblesse générale, de vertiges, accompagnés de

paresthésies aux membres inférieurs.

Etai actuel. - I. F. est de taille moyenne, sa nutrition est passable. Elle

ne présente pas d'hypertrophies glandulaires. Sa peau est brune, avec des ta-

ches de pigmentation jaunâtres au visage. L'examen des viscères ne présente

rien de notable. L'examen des urines est négatif.

, La malade a le front bas et les sinus frontaux plutôt saillants ; l'exophtal-

mie est prononcée à droite ; moindre, mais toutefois visible, à gauche; les zy-

gomas très saillants ; le nez gros, charnu; les lèvres épaisses, et la lèvre in-

férieure tombante : la mandibule est très volumineuse ; le menton est large.

La cavité buccale est très ample, la langue épaisse, avec des sillons profonds

et les papilles très prononcées. Les dents sont longues, la plupart gâtées, et

très éloignées les unes des autres. Les mains sont charnues, les doigts gros et

courts et les articulations noueuses. La colonne vertébrale présente une grande

courbure cyphotique dans la région cervicale et dorsale.

Le genou droit est très gros, le gauche l'est moins, tous les deux sont en

valgus, mais particulièrement le droit. A l'union du tiers moyen et du tiers

inférieur du tibia gauche, on remarque deux saillies de la grosseur d'une noix.

Les pieds sont volumineux et les orteils sont accrus en largeur et en épaisseur.

A la palpation on ne perçoit rien dans le squelette aux membres supérieurs,

à la colonne vertébrale, aux côtes, au sternum, au bassin ; au contraire, au

fémur droit, à la partie moyenne, on palpe une saillie bosselée, très dure, mais

qu'on ne peut pas déplacer ; l'os dans sa partie inférieure est très gros et irré-

gulier. Le tibia droit aussi est gros et irrégulier dans sa partie supérieure. On

obtient le même résultat si l'on palpe le squelette au membre inférieur gauche,

mais les difformités y sont moins développées. On remarque que la saillie sus-

dite du tibia est due à une exostose. Du reste l'examen des épreuves radiogra-

phiques ci-jointes, obtenue par le Docteur Stampa, nous renseigne mieux

qu'une description détaillée (PI. LXXXV, LXXXVI. LXXXVII). ,

L'articulation de la hanche droite est libre; la flexion du genou est limitée;, ¡,

à gauche l'articulation de la hanche est libre, elle est au contraire limitée en

correspondance du genou.

Examen du système nerveux. - Il n'y a pas d'altération des mouvements

dans les muscles du visage- Le mouvement des globes oculaires est normal ;

toutefois le globe de l'oeil droit est en strabisme externe ; ce strabisme existait

avant le développement de cette infirmité, on peut le voir sur une ancienne

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PI. LXXXV : 1CR0\Il : GAI.IE AVEC OSTIù0ART11RO1'AT111)rS

(Bedllschi)

Radiographie des genoux.

MflC;C'Ql1 rt ri,. 7 ' ? . , ? .... .7 ? ... ?

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PL LXXXVI

ACROMËGAL1E AVEC OST.0 : 1R'I'I1R01'A'I'lIlES

(Bediisciii L ,

sur UN cas d'acromégalie 443

photographie de la malade. La langue est deviée; à droite ; elle est mobile en

tous les sens, elle n'offre rien de remarquable, excepté son volume exagéré.

Les mouvements des membres supérieurs sont normaux et la force y est assez

bien conservée.

Aux membres inférieurs, au contraire, la flexion de la cuisse sur le bassin

est très faible ainsi que l'extension ; la flexion et l'extension des jambes out

presque disparu ; la mobilité du pied est normale. La sensibilité est conservée

entière sur tout le corps et dans toutes ses formes.

L'examen des réactions pupillaires, du champ visuel et du fond de l'oeil est

complètement négatif. Outre le sens de la vue, tous les sens ont conservé leur

intégrité. ,

Les réflexes profonds sont faibles aux membres supérieurs; aux membres

inférieurs on remarque l'absence du réflexe au-dessous et au-dessus de la ro-

tule et du réflexe achilléen ; on constate, au contraire, la présence des réflexes

superficiels. ,

L'examen électro-faradique a démontré l'hypoexcitabilité des muscles de la

jambe, particulièrement remarquable à la région postérieure ; aux cuisses, au

quadriceps ; seul le vaste interne est légèrement excitable ; les autres parties

sont hypoexcitables. L'hypo-excitabilité des autres muscles est évidente.

L'examen psychique ne présente rien de remarquable.

Il n'y a pas de doute que nous ayons affaire à un cas d'acromégalie

avec des manifestations insolites de dystrophie ostéo-articuiaire et

nerveuse.

La malade présente le facies typique ayant tous les caractères physio-

nomiques qui servent à déterminer l'individualité nosologique de l'acro-

mégalie.

L'exophtalmie, le nez déformé et charnu, les zygomas saillants, les

lèvres enflées, le prognathisme, le menton exagéré, la langue épaisse, la

diastase dentaire : voilà les caractères de la physionomie acromégalique.

L'accroissement des mains et des pieds est considérable. L'examen radio-

graphique nous montre d'autres faits sur l'existence desquels Béclère a

insisté.Dans ce cas nous avons un épaississement exagéré des os du crâne,

et une distribution irrégulière de cet épaississement, lequel est tellement

marqué qu'il empêche de se rendre compte s'il y a augmentation des

diamètres de la selle turcique ; de même nous avons un développement

exagéré des sinus frontaux dans le sens de la hauteur et de la profondeur..

On voit aussi chez cette malade la cyphose et la difformité du thorax,

ainsi que deux autres symptômes essentiels de l'acromégalie : l'aménor-

rhée et la céphalalgie, laquelle est continue et ne lui laisse pas de repos.

Mais ce qui, surtout, rend intéressant le cas que présente ce sont

' deux ordres de faits : la paralysie flasque et les graves dystrophies ostéo-

446 BEDUSCIII

articulaires qui n'ont pas été décrites dans les cas connus d'acromégalie,

si toutefois mes recherches bibliographiques ont été suffisantes.

Ces lésions médullaires dans l'acromégalie furent décrites par Marie et

Marinesco, par Bonardi, par Sainton et State, par Klebs, par Linsmayer,

par Arnold, par Duchesneau et par Cagnetto, lesquels remarquèrent les

lésions des cordons postérieurs ou antéro-latéraux, celle des racines pos-

térieures ; ou bien l'énorme accroissement de la moelle in-toto.

On remarque souvent dans l'acromégalie l'absence du réflexe rotulien ;

et cela peut défendre de la compression supportée par les racines nerveuses

correspondant aux trous de conjugaison déformés par le processus mor-

bide des os. Mais dans le cas actuel, outre l'abolition des réflexes rotulien

et achilléen, nous avons une paralysie avec amyotrophie, et l'inexcitabilité

faradique dans certains groupes iiiuscul aires, l'hypoexci tabi 11 té de certains

autres ; en somme, l'altération à de différents degrés dans tous ces mus-

cles. La lésion anatomique qui peut expliquer ces faits est-elle dans la

moelle ou bien dans les racines, ou dans l'une et les autres ensemble ?

Pour le moment, puisque l'examen anatomo-pathotogique manque, il

est prudent de ne pas formuler d'hypothèses ; il suffit de faire remarquer

ce fait clinique insolite, lequel pourrait nous conduire à admettre à côté

des attributs de l'acromégalie amyotrophique (Duchesneau), douloureuse

(Sainton et State), une forme paralytique.

Pour ce qui se rapporte à l'énorme accroissement des os des membres

inférieurs, à l'exostose et aux ostéopli3 tes, aux difformités articulaires que

la radiographie met en évidence, nous nous demandons quelle est la pa-

thogénésie que nous devons admettre.

On doit exclure que la syphilis ait donné lieu à un tel processus, parce

que la malade n'a pas été contagionnée, parce que des manifestations

semblables n'apparaissent pas dans l'anamnèse ; et parce que la cure anti-

luétique, entreprise aux premiers symptômes du mal, n'en a pas empêché

l'évolution.

On pourrait croire que les lésions des os soient produites par des alté-

rations médullaires, comme il arrive dans le cas de tabes ou de syringo-

myélie. Mais dans ce cas nous ne pouvons pas admettre que ces lésions

sont celles du tabes ou de la syringomyélie ; les ostéo-arthropathies tabé-

liques et syringomyéliques n'ont pas la physionomie du cas actuel. Du

reste, l'histoire de la malade nous apprend que les lésions ostéo-articulai-

res ont précédé la manifestation des symptômes des maladies de la moelle

épinière : avec la déformation du visage parurent d'abord l'aménorrhée et

les altérations des os, ensuite les phénomènes paralytiques et amyolro-

phiques.

Il est donc logique de supposer que nous sommes en présence d'une

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. LXXXVII

ACROMÉGALIE AVEC OS1'1 : OARTIIROPATIIII : S

. (Bediiçcl)i)

. - R'ldirlrrt-'1nhip-A"r""1 1'1 ? r ? - ? T . -- - ' ' -* -

SUR UN CAS d'acromégalie 447

manifestation assez rare du processus acromégalique, manifestation qui est

liée aux autres symptômes comme une conséquence de la cause pathogé-

nique de laquelle ils dépendent tous. Rechercher quelle est cette cause

équivaut à exposer les théories scientifiques de la pathogénie de l'acromé-

galle : ce qui serait superflu. Mais il faut remarquer que, dans ce cas,

étant donné l'examen négatif du fond oculaire, du champ visuel, de la

radiographie, on n'a pas de symptômes qui annoncent l'accroissement de

l'hypophyse.

Si on voulait essayer d'interpréter ces faits, il faudrait peut-être avoir

recours aux connaissances que l'on a sur les rapports qui existent entre

l'acromégalie et le gigantisme, rapports qui ont été établis par les faits

cliniques et par les résultats de l'observation de l'anatomie pathologique,

et qui démontrent que, aussi bien l'un que l'autre, les deux processus

morbides sont le résultat d'une cause unique. Ce facteur encore indéfini,

qui détermine chez l'individu jeune le gigantisme en exagérant l'activité

des cartilages de l'épiphyse et du périoste, chez l'adulte détermine les dif-

formités de l'acromégalie (Brissaud et Henry Meige).

Chez cette malade le processus de l'acromégalie commença à 23 ans,

c'est-à-dire longtemps après que l'épiphyse a été soudée à la diaphyse, et

lorsque l'activité des cartilages de l'épiphyse ont perdu toute leur activité.

Il doit y avoir eu dans ce cas une excitation anormale à l'ostéogénèse,

au détriment du périoste et des cartilages articulaires. Si l'on observe les

radiographies on voit que l'activité du périoste a été énorme partout, exa-

gérée irrégulièrement en certains points ; et, de la sorte, elle a donné lieu

à différentes formes d'exostose.

Cette condition morbide, exceptionnelle, dans les formes typiques

d'acromégalie, mérite d'être signalée ; elle contribue à compléter l'histoire

clinique de la maladie de Pierre Marie.

.SUR UN NOUVEAU CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE.

CONSIDÉRATIONS SUR L'ÉTIOLOGIE ET LA PATIIOGÉNIE

DU TROPHOEDÈME

PAR

C. PARHON ET P. CAZACOU

(de Bucarest).

L'étude des troubles trophiques constitue certainement une des plus in-

téressantes que nous offre la pathologie, car non seulement elle nous mon-

tre des modalités pathologiques assez variables et curieuses, mais elle tend

à éclairer les phénomènes normaux de la nutrition. Et la nutrition c'est

la vie ! 1

On comprend dès lors combien est grand l'intérêt qui s'attache à tous

les problèmes concernant les troubles trophiques.

Parmi ces derniers le trophoedème chronique, syndrome bien connu

surtout depuis les travaux de Henry MLICU (1), est sans conteste un des

plus dignes d'attention.

Les cas publiés jusqu'à présent ne sont pas trop nombreux, et cela jus-

tifie déjà jusqu'à un certain point la publication de ceux qu'on a l'occasion

d'observer de temps en temps. Mais celui que nous rapportons dans ce

travail va nous permettre quelques considérations sur la pathogénie du

trophoedème, considérations qui, sans avoir la prétention de résoudre cette

question si intéressante, pourront peut-être indiquer des voies nouvelles

dans lesquelles ceux qui s'occupent du problème s'engageront peut-être

pour chercher sa solution.

Nous commençons par donner l'observation de la malade pour exposer

ensuite les considérations qu'elle nous suggère.

Il s'agit d'une jeune femme âgée de 35 ans. Son père est mort à l'âge de

62 ans avec un oedème mou généralisé (lésion rénale ? ).Sa mère, âgée de 67 ans,

jouit d'une santé assez bonne pour son âge.

Plusieurs des frères ou soeurs de notre malade sont morts en bas-âge à la

SUR UN NOUVEAU CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE 449.

suite de maladies infectieuses. De ceux qui en restent encore deux ne présen-

tent rien d'anormal. Le troisième est au contraire très nerveux.

La malade elle-même a eu des maladies infectieuses multiples. C'est ainsi

qu'elle a souffert de paludisme à 6 ans, de fièvre typhoïde à 10 ans, de rou-

geole à 12 ans et de varicelle à 14 ans. De plus elle a eu plusieurs fois des

phlegmons amygdaliens. Menstruée à 16 ans. Les menstrues étaient doulou-

reuses et duraient 3 jours. Mais depuis l'âge de 18 ans les douleurs ont dis-

paru et la fonction menstruelle se répète régulièrement tous les 26 jours.

A l'âge de 23 ans elle a eu une éruption intéressant la face, le tronc et les

membres, constituée par des éléments proéminents (papules) et très prurigi-

neux. Cette éruption duraun mois et s'est répétée pendant chaque hiver, avec

une intensité décroissante les quatre années suivantes.

Elle présente d'ailleurs maintenant encore parfois, surtout quand elle se

fâche, des éruptions peu marquées, mais très prurigineuses sur le front, le

tronc et les membres.

Depuis l'apparition de ces troubles la malade a exclu la viande de son ré-

gime.

Deux ans plus tard,c'est-à-dire à l'age de ô ans, les jambes et les cuisses ont

commencé à se tuméfier d'une façon symétrique.

Cette tuméfaction était dure, régulière,sans modifications dans la coloration

des téguments. La marche était un peu gênée par cette tuméfaction.

En même temps la malade commença à présenter un état de faiblesse géné-

rale, des céphalalgies, de l'apathie, de la peur d'espaces, ainsi que de légères

contractions musculaires involontaires (tremblement fasciculaire) et la sensa-

tion qu'elle va tomber en arrière.

Il y a deux ans elle consulta un professeur d'Odessa qui diagnostiqua la

neurasthénie et lui prescrit de l'eau minérale de Contrexéville, du bromure

de lithium et plus tard de la valériane et enfin du fer et des bains froids.

Il y a un an le professeur SCECOr.ErF d'Odessa lui prescrit du fer et de l'ar-

senic. Elle subit 13 injections de cacodylate de soude, mais son état ne fit que

s'empirer.

Etat actuel. - La malade, de taille moyenne,présente le système osseux et

-musculaire bien développé. Visage un peu pâle. Maxillaire inférieur un

peu proéminent. Sur la muqueuse de la lèvre inférieure, tache noire datant

de 3 ans et ayant les dimensions d'une pièce de 90 centimes.

Rien au coeur et aux poumons. Les fonctions gastro-intestinales ne présen-

tent pas d'altérations appréciables. La rate est un peu augmentée.

Ni sucre ni albumine dans l'urine.

La malade présente des céphalalgies ainsi qu'une hyperesthésie du cuir

chevelu. Elle accuse encore des douleurs lombaires,un manque d'énergie, de

I apathie, des fourmillements, des spasmes musculaires, un affaiblissement de

l'attention, la sensation d'être en imminence de tomber en arrière.

L'intelligence ne présente pas d'écarts marqués du type normal. On doit

pourtant signaler une religiosité exagérée, avec pratique ponctuelle de toutes

les prescriptions du rite orthodoxe. Elle va très souvent à l'église où elle reste

450 PARUON 'ET CAZACOU

des heures entières debout,ce qui aurait peut-être favorisé dans une certaine

mesure au moins l'apparition du trophoedème de ses membres inférieurs.

Ces derniers sont en effet le siège d'un oedème ou mieux peut-être d'un

pseudo-oedème dur, élastique. La pression, même énergique, n'est pas dou-

loureuse, et le doigt ne laisse qu'une faible impression. La coloration des

téguments est normale. On ne remarque pas de dilatations vasculaires. Cette

tuméfaction commence au niveau des plis inguinaux et s'arrête à celui des mal-

léoles. -

Nous regrettons beaucoup de ne pouvoir donner une photographie de la

malade, mais elle a refusé catégoriquement.

Les circonférences des jambes et des cuisses donneront une idée de l'agran-

dissement considérable de volume qu'elles présentent.

Il nous a semblé bon de mettre en parallèle ces dimensions avec celles des

- membres d'une autre malade (âgée de 19 ans) atteinte du même trouble mais

d'un seul côté et dont l'un de nous a publié l'observation avec FLORIAN (2).

On pourra de cette façon établir une comparaison avec les dimensions d'un

autre membre atteint de trophoedème et surtout avec ceux d'un membre nor-

mal d'une malade à développement moyen.

SUR UN NOUVEAU CAS DE Tliol'ilD1.61E CHRONIQUE 451

l'organisme interviennent. Cela nous expliquerait l'apparition fréquente

du trophoedème à l'époque de la puberté.

Dans d'autres cas,comme dans celui de Rapin (3l,le trophoebème semble

reconnaître pour cause une infection à début brusque et fébrile, avec les

allures de celui de la paralysie infantile et on doit se demander avec l'au-

teur suisse si dans son cas, comme dans les autres d'ailleurs il ne s'agit

pas des formes spéciales de poliomyélite aiguë ou chronique, formes dont

la symptomatologie si bizarre a son explication'simplement dans le siège

de la lésion dans les régions médullaires en rapport avec le grand sympa-

thique ?

Il faut enfin admettre à la suite des faits observés par SICARD et LAIGNEL-

Lavastine (4), par Etienne (5) un trophoedème d'origine traumatique et

dont le mécanisme semble être d'ordre réflexe conformément à l'opinion

de ce dernier auteur.

Dans notre cas il ne s'agit pas d'un cas héréditaire et familial. La ma-

lade a été affectée par des infections multiples et on peut supposer que

l'une ou l'autre de ces infections a été le point de départ d'une altération

des centres nerveux ou d'une modification de l'état général de la malade

ou de l'une ou de l'autre en même temps, etc.

En tout cas c'est là une simple hypothèse dont la démonstration et la

justesse ne ressortent pas d'une façon claire de notre observation.

En tout cas les poussées d'urticaire qu'elle a présentées assez souvent

indiquent un état constitutionnel congénital ou acquis, mais dont l'exis-

tence ne semble pas douteuse.

Nous devons nous demander si la station debout longtemps et souvent

prolongée, pendant les pratiques religieuses du rite orthodoxe, ne doit pas

être incriminée dans une certaine mesure.

Mais c'est surtout la question pathogénétique qui nous semble offrir le

plus vif intérêt.

Un premier point, celui de la topographie segmentaire du trophoedème,

plaide hautement en faveur d'un trouble nerveux, d'origine médullaire.

Certaines dispositions anatomiques sur lesquelles l'un de nous avec

Florian ont attiré l'attention dans leur travail déjà cité semblent de nature

à donner une explication suffisante de la topographie segmentaire de ce

trouble trophique. Nous ne reviendrons pas sur ce point, renvoyant le

lecteur au susdit travail. Mais nous voudrions ici insister plus longtemps

sur un autre point touchant de près le mécanisme du trophoedème.

Récemment Valobra (6) dans une communication à la Société de Neu-.

rologie de Paris et dans un travail paru dans la Nouvelle Iconographie de

la Salpêtrière envisage l'eedème nerveux circonscrit de l'urticaire, de la

forme de Quinckh et du trophoedème chronique, comme la conséquence

452 PAHUON ET CAZACOU

d'une altération de la sécrétion,lymphatique, qui peut frapper une région

plus ou moins étendue, plus ou moins profonde du derme ou bien de

l'hypoderme.

La forme de QUINCKE, serait le représentant type de ces oedèmes et par

un examen attentif, on peul en démontrer la présence dans toutes les

observations de ce genre. Dans l'urticaire, l'oedème lymphatique avec sa

marche aiguë s'accompagne de phénomènes vaso-moteurs; dans le tro-

phoedème chronique il produit par sa présence prolongée l'hypertrophie

secondaire du tissu conjonctif sous-cutané.

Toutes ces formes représentent des types cliniques séparés, quoique

liés par des cas de passage. Mais elles reconnaissent une pathogénie

unique : au moins elles dépendent toutes de l'altération du système lym-

pho-sécréteur.

L'auteur italien considère ces trois formes d'oedème nerveux « comme

la conséquence d'une excilo-sécrélion localisée de la lymphe. Celle sécré-

tion se ferait par l'action de fibres sécrétrices qui sont douées, comme les

vaso-motrices, de voies et de centres spéciaux, ces centres pouvant pré-

senter chez certains sujets une excitabilité spéciale. Cette excitabilité

morbide peut être acquise, mais plus facilement elle est congénitale et

familiale ».

* Celte hypothèse d'un trouble dans la circulation lymphatique sous la

dépendance du système nerveux semble très admissible, ainsi que l'un de

nous l'a déjà dit dans son travail antérieur fait en collaboration avec FLO-

Rien. On doit encore se demander si, dans certains cas, des obstacles à la

circulation mécanique de la lymphe ne peuvent pas réaliser un tableau

plus ou moins semblable, voire même identique à celui du trophoedème

chronique sans l'intervention du système nerveux.

Hertoghe (7) dont les travaux sur l'hypothyro'idisme sont si connus a

fait intervenir la tare llypotlyroïclienne dans la pathogénie du trophæ-

dème.

Celle hypothèse ne nous explique pas la topographie segmentaire de ce

trouble trophique. Mais elle ne doit pas être non plus rejetée sans droit

de recours.

On peut facilement concevoir une tare hypothyroïdienne et en même

temps une excitabilité anormale ou un manque d'action inliibilrice sur

la sécrétion lymphatique de certains centres nerveux, surtout médullaires,

et ces deux facteurs se prêteraient un mutuel secours pour déterminer

. l'apparition du trophoedème.

Noire cas apporte en tout cas un sérieux appui il la conception de la pa-

renté étroite qui unit le trophoedème, l'oedème aigu de Quincque et l'urti-

caire, car nous avons vu que cette malade présentait assez fréquemment

SUR UN NOUVEAU CAS DE TROPIIOÈDÈME CHRONIQUE 453

des éruptions d'urticaire, éruptions très prurigineuses et intéressant non

seulement les membres inférieurs, mais aussi les supérieurs, le tronc el

, la face. 1

Elle présente donc une disposition particulière à ces stases ou transsu-

dations lymphatiques efon peut penser que son trophaedème est dû à une

transsudation analogue dans le tissu cellulaire sous-cutané de ses membres

inférieurs, favorisée probablement par la station debout longtemps pro-

longée ainsi que par une lésion, infériorité fonctionnelle ou hyperexcita-

bihté, hypothétiques d'ailleurs de certains centres en rapport avec l'in-

nervation des lymphatiques.

Mais cette disposition particulière à des stases ou à des transsudations

lymphatiques qui n'est pas limitée aux membres inférieurs soulève le

problème d'un certain état constitutionnel qui peut bien ne pas résider

dans le système nerveux, même si l'on veut admettre l'intervention néces-

saire de ce dernier dans tous les oedèmes dénommés d'une façon un peu

précoce peut-être - nerveux.

Ceci nous amène à parler et à faire intervenir dans la pathogénie de l'oe-

dème aigu et du trophoedème l'existence d'un mécanisme sur la possibilité et

sur l'importance duquel l'attention a été attirée récemment à propos de

l'étude de l'urticaire.

, VRcr a émis l'opinion que l'urticaire est la conséquence directe de la

. diminution de la coagulabilité du sang. « Il considère du reste les urti-

caires et les oedèmes aigus comme des hémorragies séreuses ne différant

des hémorragies vraies que par l'absence d'issue de globules rouges et re-

levant de la diminution de coagulabilité. »

« Il fait remarquer en 1894 que les conditions étiologiques de l'urticaire

justifient cette pratique. Comme les épistaxis, l'urticaire frappe souvent les

sujets jeunes dont les os en voie d'ossification font appel aux sels de chaux,

diminuant de ce fait la teneur du sang. Les fruits non murs, acides, les

lavements de savon, la rhubarbe, riches en oxalates, oléates ou stéarates,

causes fréquentes d'urticaire, précipitent la chaux. Les urticaires consécu-

tives aux injections de sérum peuvent être assimilées à celles qui appa-

raissent chez les chiens à la suite d'injections intraveineuses de peptones,

qui diminuent la coagul abil i té. La même explication conviendrai aux urti-

caires consécutives à l'ingestion d'écrevisses, de moules, de fraises, aux

affections de foie, etc... »

N : TT1m (8), auquel nous empruntons cette exposition des idées de WRci',

rappelle aussi que IIEmENUam avant Wrigt avait montré dans son mé-

moire sur les lymphagogues, les relations del'urticaire avec les oedèmes qui

succèdent à l'ingestion de muscles d'écrevisses, de moules, phénomènes

considérés par le physiologiste allemand comme en rapport avec une ex-

sudation plus considérable de lymphe.

454 PARHON ET CAZACOU

NETTER ne croit pas que l'urticaire soit due simplement à la diminution

de la coagulabilité du sang, car. dit-il, si dans les observations de Roos et

dans une observation de PARAIlIOIOE, l'urticaire coïncidait avec une diminu-

tion de la coagulabilité du sang, n'y eut rien de pareil dans l'observation

personnelle de PARAMORE où l'ingestion d'acide oxalique ne modifia nulle-

ment le temps de coagulation. L'observation personnelle dont il s'agit se

réfère au fait que PARAMORE ingérant pendant une semaine de l'acide oxali-

que (0, 65 cent. par jour) ressentit des démangeaisons extrêmement péni-

bles, surtout la nuit, et vit apparaître une papule et quelques pétéchies.

L'auteur français observe qu'on admet aujourd'hui que les oedèmes sont

sous la dépendance d'une augmentation de la pression osmotique, elle-

même en rapport avec la répartition des électrolytes, et à ce propos il se

demande si l'apport de calcium ne pourrait agir en soustrayant l'eau

extravasée dans les plaques d'urticaire ?

La conclusion qui semble découler des faits ci-dessus cités semble être

celle de l'existence d'un rapport assez étroit entre l'apparition de l'urti-

caire comme de l'oedème aigu et certains troubles du métabolisme calcique.

Or ainsi que le remarque V ALOBRA et que notre cas vient le confirmer,

il semble bien qu'il faut admettre que le trophoedème chronique n'est

que l'aboutissant d'un processus identique par sa nature à celui de

l'oedème aigu.

Cela nous amène à émettre l'hypothèse d'une relation entre certains

troubles du métabolisme calcique et le trophoedème chronique.

L'influence du système nerveux pourrait n'être que celle de déterminer

la prépondérance du processus sur une région déterminée ou peut-être

aussi,au moins dans certains cas,de le créer de toutes pièces mais seulement

dans la région atteinte par l'oedème. Mais en tout cas rien ne prouve que

dans certains cas, comme dans le nôtre par exemple, la prédisposition aux

transsudations ne reconnaisse une cause plus généraleet pouvant être indé-

pendante du système nerveux, par exemple un trouble du métabolisme

calcique général d'origine glandulaire.

Il serait intéressant de connaître l'état de la coagulabilité du sang dans

le trophoedème. Nous n'avons pas pu malheureusement pratiquer cet

examen dans notre cas.Nous rappellerons ici à ce propos que LANNois (9) et

son élève Roué (10) ont pu observer le trophaedéme dans l'épilepsie-ou

d'après Besta (11) la coagulabilité du sang est diminuée.

(L'un de nous observe en ce moment une épileptique avec de véritables

hémorragies menstruelles qui sont certainement en rapport avec la di-

minution de la coagulabilité du sang.)

Il semble donc qu'on peut supposer que le trophoedème est, au moins

SUR UN NOUVEAU CAS DE TROPHOEDRAME CHRONIQUE 455 5

dans certains cas,en rapport avec un trouble du métabolisme calcique, ce

qui favoriserait une transsudation de la lymphe dans les tissus.

Si nous nous rapportons aux connaissances d'ailleurs assez peu nom-

breuses, que nous possédons sur les facteurs qui règlent le métabolisme

calcique nous devons forcément penser à l'insuffisance thyroïdienne.

L'un de nous a soutenu en 1904 avec PAPINIAN (12) que la glande thy-

roïde a un rôle très important dans l'assimilation du calcium, et de fait

on trouve dans l'insuffisance thyroïdienne l'arrêt de la croissance, la carie

dentaire, la diminution de la coiglilabilité du sang, tant de faits qui sont

certainement en rapport avec une assimilation ou une utilisation défec-

tueuse du calcium et nous pouvons rappeler que Léopold Lévi et ROT-

SCIIILD (13) ont eu l'ingénieuse idée d'attribuer la constipation des hypo-

thyroïdiens à un trouble du même genre. M. NETTER pense également que

la glande thyroïde a un rôle important dans le métabolisme du calcium.

On conçoit que dans ces conditions on peut s'attendre à l'apparition des

troubles tels que ceux de l'urticaire, de l'oedème aigu ou du trophoedème

sur un terrain d'hypothyroïdie.

Et de fait t HEIBERG (14) a publié l'observation d'une femme myxoedéma-

teuse qui présentait une éruption pemphygoïde. Cette éruption avait été

précédée par l'apparition de papules semblables à celles de l'urticaire. La

malade fut soumise à la thyroïdine et les bulles disparurent avec l'amélio-

ration de l'état général pour être remplacées par des papules urticariennes

qui disparurent enfin à leur tour.

L'opothérapie thyroïdienne en rétablissant l'équilibre calcique a fait

cesser, précisément par ce fait selon nous, les troubles ci-dessus mention-

nés. La conception ci-dessus décrite est susceptible de nous donner la clef

de certains phénomènes, tels que l'apparition fréquente du trophoedème à

l'époque de la puberté et sa fréquence plus grande dans le sexe féminin.

En effet la puberté signifie l'entrée en fonction des glandes génitales,

des ovaires pour la femme.

Or ces glandes antagonistes de la thyroïde, à plusieurs points de vue,

favorisent la décalcification de l'organisme et donc les conséquences de

celle-ci comme les éruptions urticariennes et le troplloedéme.

On conçoit facilement maintenant pourquoi la fréquence du trophoedème

est également plus grande chez la femme que chez l'homme.

Long (15) a eu récemment l'occasion d'étudier, au point de vue anatomo-

pathologique, les téguments et le tissu cellulaire sous-cutané d'une malade

atteinte de trophoedème (un des cas de RAPIN) et dont un des membres

456 PARUON ET CAZACOU

affectés par ce trouble a été amputé pour une tumeur. Il trouva du tissu

adipeux engaîné dans du tissu conjonctif fibreux.

La transsudation lymphatique conduit à la longue la formation du tissu

adipeux, fait qui est à rapprocher de la présence de lipomes autour des

ganglions tuberculeux, de l'adénolipomatose, etc.

Ces différents faits semblent de nature à éclairer jusqu'à un certain

point certains troubles trophiques et certains faits physiologiques d'un

- ordre très général. -

On comprend maintenant la raison de l'adiposité dans l'hypothyroï-

disme comme une conséquence du même trouble du métabolisme calcique

en vertu duquel la transsudation de la lymphe est facilitée, transsudation

qui à la longue amène la formation du tissu adipeux comme dans le

trophoedème, dans les adénolipomes, etc. Seulement la transsudation et la

formation de la graisse sont généralisées.

L'infiltration myxoedémateuse elle-même semble susceptible d'une

explication analogue. Il s'agit de la même transsudation de lymphe à la

suite du trouble dans le métabolisme calcique. Mais ici il semble que, par

suite de l'absence plus complète de certaines substances, l'élaboration de

cette lymphe est plus défectueuse.

Donc non seulement les troubles de la croissance, de la dentition, de la

coagulation du sang et en partie du système pileux, la constipation dans

l'insuffisance thyroïdienne peuvent être considérés comme la conséquence

du défaut de la fonction calcifiante de la glande en question, mais l'adi-

posité et même l'infiltration myxoedémateuse semblent susceptibles de

reconnaître la même cause. On comprend quelle importance considérable

prendra cette fonction si ces vues sont confirmées.

Cette fonction calcifiante nous donnera la clef de l'action multiple de la

glande thyroïde et son absence ou ses troubles nous expliqueront le tableau

clinique complet ou à peu près de l'insuffisance thyroïdienne. Le rôle du

calcium comme activant de certains ferments nous fera peut-être cor-

prendre par l'absence de cette même fonction l'abaissement des oxydations

dans le myxoedème.

La fonction décalcifiante des ovaires nous explique par le même mécanis-

me la raison du développement plus abondant du tissu adipeux chez

la femme.

Le calcium nous apparaît donc comme un très important facteur régu-

lateur dans le mécanisme trophique des tissus.

Récemment Prunier (16) a soutenu que l'oedème aigu, le trophoe-

dème, le pseûdo oedème catatonique, l'adipose douloureuse, le myxoedème

sont des troubles qui ont beaucoup de connexion entre eux au point de

vue pathogénétique.

SUR UN NOUVEAU CAS DE TRO'PHOEDÈME CHRONIQUE ' · 47

C'est le trouble du métabolisme calcique et la transsudation lymphatique

consécutive qui nous semblent constituer leur lien principal.

Nous ajouterons pour terminer que nous avons soumis notre malade au

traitement thyroïdien ; mais le temps est encore trop court pour pouvoir

nous prononcer sur les résultats. Nous n'ignorons pas certainement les ré-

sultats négatifs obtenus à ce point de vue par Hertoghe lui-même.

Mais, comme le dit cet auteur, ces résultats ne suffisent pas à exclure

l'intervention d'une certaine insuffisance thyroïdienne et cela d'autant

plus, selon nous, qu'il y a lieu de tenir compte de l'influence probable

d'une lésion ou d'une perturbation fonctionnelle de certains centres

nerveux.

Les cas de trophoedème avec goitre, comme celui de LAIGNEL-L : 1VAST11E

et T11AOiN (12), donnent un certain appui à l'opinion de Hertoghe (1).

bibliographie

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1904. -

13. LÉOPOLD Lévi et II. ROTSCIIILD. - C. R. de la Soc. de Biologie, ne 13, 1907.

(1) Depuis que nous avons écrit ce travail, il y a à peu près deux mois, nous n'a-

vons pas revu la malade qui est partie pour la Russie. Mais d'après les informations

qu'elle nous a envoyé on peut constater à la suite du traitement thyroïdien une di-

minution de la circonférence de ses membres inférieurs.

xx 29

l

458 » PARHON ET CAZACOU

14. HBIBER. - Un cas de myxoedème compliqué d'éruptions vésiculaires. Revue Neu-

rologique, no 4, 1906.

15. LONG. - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n° 2, 1907.

16. Prunier. Adipose douloureuse chez une imbécile. Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière, no 2, 1907.

17. LAtGNEL-LAVASTtNE et TB.10N. Syndrome de Basedow chez une goitreuse avec

trophoedème. Revue Neurologique, 1905, p. 1106.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XX. PI. LXXXVIII

A

B

C

D

E

TORTICOLIS MENTAL DE BRISSAUD

(Sicard et Descomps)

A. B. Attitudes du malade dans la première période de l'observation.

C. Appareil plâtré. D. E. Attitudes du malade après l'opération.

SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS

- (SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1907.)

TORTICOLIS MENTAL DE BRISSAUD.

INSUCCÈS DU TRAITEMENT CHIRURGICAL

(PL. LXXXIX)

PAR

SICARD de DESCOMPS

Médecin des hôpitaux Interne des hôpitaux

Voici un nouveau cas de ce syndrome singulier que M. Brissaud a dé-

crit sous le nom de « torticolis mental ?

Le malade, M. B..., âgé de 44 ans, a vu son affection débuter au mois

de septembre 1905. D'un naturel violent, coléreux, le malade avait eu à

cette époque des chagrins, des ennuis graves ; la mort de sa femme, sur-

venue quelque temps avant, ne fit qu'augmenter sa tristesse.

A ce moment son torticolis était peu accusé et la déviation de sa tête à

gauche était légère, quoique déjà permanente. Mais bientôt, progressive-

ment, la déviation s'exagère et atteint au bout de 2 mois environ son

maximum. Mais dès ce moment cette violente action musculaire est corri-

gée par une réaction légère : l'apposition de deux doigts de la main gauche

derrière la tête, dans la région occipitale, suffit à faire disparaître le

spasme, qui réapparaît dès que le malade fait cesser l'action de sa main

gauche. C'est là, ainsi que l'a montré M. Brissaud, un fait capital, qui

permet d'affirmer le diagnostic de torticolis mental et qui le différencie

des autres tics rotatoires. « C'est tout simplement, dit M. Brissaud, un

acte de foi de foi qui sauve - puisque, la volonté ne peut jamais s'abs-

tenir assez pour laisser à des muscles antagonistes la liberté de se vaincre

réciproquement. »

B... entre dans le service du professeur Brissaud à l'Hôtel-Dieu, fin

1906. Dès ce moment ce torticolis apparaît indépendant de toute pertur-

bation pyramidale, du moins cliniquement. Les réflexes tendineux sont

faibles tant aux membres supérieurs qu'aux membres inférieurs, et cela

d'une façon symétrique. Il n'existe pas de signe de Babinski, ni de flexion

unilatérale de la cuisse et du bassin. Les pupilles réagissent bien et le

liquide céphalo-rachidien est normal.

Mais à ce moment une modification survient et au torticolis permanent

viennent s'ajouter par instant des secousses spasmodiques qui p ?

violemment la tête en arrière, en extension forcée.

460 SICARD ET DESCOMPS

Sur l'insistance du malade, on applique une minerve plâtrée. L'appa-

reil est gardé 3 semaines. Lorsqu'on l'enlève, la position vicieuse primi-

tive réapparaît aussitôt.

On tente alors,après mise à nu de la branche externe du spinal, l'injec-

tion d'alcool à 90° dans le tronc de ce nerf. Après cette intervention une

amélioration réelle paraît se dessiner. Elle persiste pendant environ 3 se-

maines. Mais au bout de ce temps les phénomènes spasmodiques se révè-

lent plus intenses que par le passé et au torticolis primitif fait place un

a rétrocolis » permanent avec contractions paroxystiques très rapprochées

des muscles de la nuque, projetant violemment la tête en arrière. Nous

refusons de donner notre consentement à une nouvelle intervention chi-

rurgicale, que sollicite le malade. B... quitte alors l'Hôtel-Dieu et entre

à l'hôpital Boucicaut, où sur les instances du malade et pour essayer de

remédier à cette lamentable situation le chirurgien propose la section des

muscles de la nuque. La nouvelle opération est pratiquée et l'on sectionne

la portion occipitale du trapèze, les splénius, les grands complexus, les

petits complexus, les obliques inférieurs.

Deux mois après, soit en septembre 1907, B... rentre de nouveau à

l'Hôtel-Dieu dans le service de M. Brissaud. Il vient nous faire part de

ses mécomptes opératoires. Le malheureux, balafré et couturé, n'a retiré

aucun bénéfice de la dernière intervention sanglante. L'épaule droite

surélevée, il présente toujours le même rétrocolis avec une légère dévia-

tion de la le le à gauche. Mais en outre la tôle privée de l'aide puissante

des muscles de la nuque tend continuellement à tomber en arrière et les

efforts incessants que fait le malade pour la retenir lui causent un sup-

plice épouvantable et continuel.

L'état des réflexes tendineux est resté le même ; en effet, les réflexes

brachiaux, rotuliens sont très faibles, les achilléens à peu près nuls. Un

examen soigneux et méthodique ne décèle aucune perturbation du faisceau

pyramidal.

Depuis le retour du malade à l'Hôtel-Dieu nous essayons la psychothé-

rapie et les exercices de gymnastique comprenant tous les mouvements de

l'extrémité céphalique selon la méthode de notre maître Brissaud. Les

résultats, sans être bien remarquables sont déjà appréciables et le mieux

est manifeste. Arriverons-nous à guérir complètement le malade ? Nous

n'osons l'espérer, surtout après les brèches irréparables des chirurgiens !

Nous ne désespérons pourtant pas, c car, comme le dit M. Brissaud, ici

patience et longueur de temps font plus que force interventions ni que

rage opératoire ».

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL

(HISTOIRE clinique ET thérapeutique).

PAR

HENRY MEIGE.

Voici bientôt quinze ans que M. Brissaud prononça pour la première

fois le nom de torticolis mental. On a critiqué cette dénomination, discuté

sur les causes et la nature de cette maladie. Ce qui est certain, c'est qu'à

dater de cette époque l'attention s'est fixée sur les affections consulsives

de la têle et du cou, assez peu étudiées jusqu'alors. Les exemples pu-

bliés auparavant, épars dans la littérature médicale sous des noms dis-

parates, ont été groupés et rapprochés de faits nouvellement observés.

Cette année même, M. Cruchet a montré, par un scrupuleux travail

d'exégèse, que l'étude des torticolis spasmodiques pouvait donner ma-

tière à un volumineux Traité.

Malgré cette riche documentation, la question des torticolis convulsifs

reste encore entourée de difficultés. De nouveaux faits cliniques aideront

peut-être à les résoudre, et, dans le nombre, ceux surtout dont l'observa-

tion sera poursuivie pendant une longue durée.

Car il s'agit d'affections tenaces, changeantes, capricieuses, dont la

marche oscillante demande à être surveillée au jour le jour, et fort long-

temps. On a d'excellentes descriptions d'ensemble de cette maladie, mais

on a moins bien repéré ses manifestations convulsives suivant leur siège

et suivant leurs formes. Enfin, on connaît moins bien' encore son évo-

lution.

Voilà pourquoi j'ai cru devoir relater l'observation suivante. Mais je

dois d'abord m'excuser : '

Les histoires courtes sont, dit-on, les meilleures ; et c'est vrai, même

pour les histoires cliniques. Or, celle qui suit est longue, très longue

Dans sa longueur même réside, je crois, son intérêt. C'est un torticolis

mental observé pendant six années, très amélioré d'abord, puis récidi-

vant, amélioré de nouveau, reparaissant encore, mais enfin guéri.

De plus, celle observation est doublée d'une auto-observation : le pa-

462 HENRY MEIGE

tient, intelligent et instruit, a fait lui-même une analyse très exacte de

son mal. Et si, en général, il est prudent de n'accepter qu'avec réserve les

renseignements de ce genre, on reconnaîtra sans doute que, dans le cas

particulier, le malade a été un bon collaborateur clinique.

Il a été enfin un collaborateur thérapeutique avisé, d'une conscience

digne d'éloges, et d'une persévérance inlassable. Il en a été récompensé

de la meilleure manière ; car, je ne dis pas : il a guéri ; mais il s'est guéri.

PREMIÈRE PARTIE. OBSERVATION

1S décembre 1902. Taurone à 39 ans. 11 est de petite taille, mais

vigoureux, d'une excellente santé.

Il est intelligent, observateur, réfléchi ; sa parole est simple, claire,

précise. Il a de la fermeté, beaucoup de méthode et de persévérance.

C'est un homme de devoir, consciencieux. Il est sensible, impression-

nable, mais il ne le laisse point paraître.

Fils de cultivateurs robustes, d'une famille où il ne connaît que des

gens bien portants, élevé dans un milieu modeste et laborieux, Taurone

a acquis une instruction solide; il exerce avec succès une profession li-

bérale. Il est marié, il a des enfants qu'il aime tendrement et qu'il éduque

avec soin.

Il avait, à la vérité, cédé à l'habitude de l'apéritif, sans d'ailleurs que

celle-ci devint irrésistible ; il a pu s'en corriger facilement. Il est encore

grand fumeur.

Il mène, en province, une vie paisible, exempte de chagrins et de

préoccupations. Cependant, paraît-il, dans son intérieur, il ne trouve pas

toujours un calme absolu : certaines discordances, pour des vétilles, se ré-

pétant fréquemment, lui ont causé plus d'un ennui. Il en est péniblement

affecté, mais il les supporte avec indulgence, car il est patient, pondéré,

et il a de l'optimisme.

Tel est Taurone, sans hérédité ni passé pathologiques.

Le seul épisode méritant d'être signalé est une sorte de « crampe des

écrivains » survenue il y une dizaine d'années, ayant peu duré, mais réci-

divé, sans jamais d'ailleurs persister longtemps ni l'incommoder beaucoup ,'

Or, il y a six mois environ, en juin 1902, Taurone ressentit un malaise

singulier, qui bientôt s'aggrava. C'était le début d'un torticolis mental.

Le premier symptôme qui l'ait frappé fut le suivant : il lui semblait

que sa tête avait tendance à tomber sur l'épaule gauche II éprouvait

comme une sensation de pesanteur à gauche. Ce qui est certain, c'est que,

de temps à autre, la tête se rapprochait de l'épaule gauche, involontaire-

LES PERIPETIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 463'

ment. Pour y remédier, Taurone relevait la tête en tournant le visage à

gauche. Cela, pense-t-il, devint chez lui une habitude.

Tout de suite, il faut signaler un détail qui peut avoir eu son impor-

tance dans la genèse de ce mouvement involontaire : les deux yeux ne

voient pas également bien ; le gauche est un peu myope et astigmate.

Aussi, de longue date, Taurone a-t-il pris l'habitude d'utiliser surtout

son oeil droit, et, pour cela, il tourne la tête à gauche. C'est pour écrire

que cette attitude lui est notamment familière il fixe son papier avec le

seul oeil droit. se rappelle d'ailleurs que plusieurs personnes ont remar-

qué que,dans la conversation, il avait coutume de tourner la tête à gauche,

et il pense que c'est pour regarder l'interlocuteur de son meilleur oeil.

D'autre part, Taurone entendait moins bien de l'oreille gauche, à l'épo-

que où son torticolis a débuté : autre raison pour lui de tourner la

tête à gauche, afin de prêter attention surtout avec l'oreille droite.

Mais cette diminution de l'acuité auditive à gauche tenait uniquement à

la présence d'un bouchon de cérumen ; celui-ci ayant été retiré, l'ouïe

est devenue aussi bonne des deux côtés. Cependant le mouvement de ro-

tation de la tête vers la gauche a persisté.

Ces troubles visuels et auditifs ont-ils vraiment provoqué une habitude

de rotation de la tête à gauche ? Ou bien, avant que le torticolis fut fran-

chement constitué, existait-il déjà une action prédominante des rotateurs

de la tête à gauche, à laquelle Taurone ne prêtait pas attention ? Ce pro-

blème pathogénique se pose fréquemment quand on recherche les prodro-

mes d'un torticolis mental. Il est certain qu'au commencement la rotation

de la tête passe souvent inaperçue des malades ; elle est constatée par leur

entourage avant qu'eux-mêmes l'aient remarquée.

Mais un jour vient où cette rotation s'exagère, les contractions deviennent t

plus fréquentes et plus violentes. Le malade en est incommodé, gêné,

agacé, irrité ; bientôt il s'en préoccupe, s'en inquiète ; il ne cesse d'y

penser, s'observe, s'analyse. A ce mal irritant s'ajoute l'obsession de ce

mal.

Tel fut le cas pour Taurone. Sa tête tourna davantage à gauche,le visage

dirigé un peu vers le haut : rotation assez lente, suivie d'un retour et d'un

temps de repos. D'abord, il ramena facilement sa tête vers la droite et put

la maintenir dans cette position sans grande peine. Mais peu à peu la

rectification devint plus difficile ; le maintien de la tête dans la position

droite ne put se faire qu'au prix d'un réel effort.

Le torticolis convulsif était constitué. Il se produisait sans cause spé-

ciale, n'était pas plus fréquent pendant la lecture ni pendant les repas.

Il cessait souvent au cours d'une conversation, surtout'si celle-ci était

intéressante. S'exagérant parfois pendant l'écriture, il' disparaissait sou-

464 llENRY MEIGE

vent,pendant la parole, notamment au cours d'un discours animé d'une

certaine durée. Mais il augmentait surtout dans la solitude, et plus en-

core avec les préoccupations et les soucis.

Pendant la nuit, le mouvement de rotation ne se produisait pas au

début; n'a commencé à se manifester au lit qu'au bout de deux ou

trois mois. Dès lors, les nuits sont devenues mauvaises, le sommeil a dis-

paru presque complètement : impossible de trouver une position de repos.

Les soporifiques et les calmants, valériane, sulfonal, même à fortes doses,

sont restés sans effet. Mais, pendant le sommeil, aucun mouvement.

Chose curieuse, et déjà observée chez.plusieurs malades atteints de ce

torticolis, lorsque les nuits sont plus mauvaises, les journées qui les sui-

vent sont meilleures, et inversement.

Plus tard, les repas sont devenus pour Taurone un supplice : chaque

fois qu'il portait son verre, sa fourchette ou sa cuillère à la bouche, la

tête tournait brusquement vers la gauche, comme pour fuir le liquide ou

l'aliment. 1.

Au début, la correction de ce geste involontaire fut possible : il suffisait

de le vouloir, la tête revenait vers la droite ; mais, avec le temps, elle se

maintint de moins en moins longtemps dans cette position.

A partir de cette époque, Taurone commença à se préoccuper de son

torticolis. Pour y remédier, il eut recours, comme ses congénères, aux ges-

tcs antrronistes : il appliquait un doigt sur son menton ; mais il s'en est

spontanément corrigé, ayant connu par la lecture d'un article médical les

inconvénients de ce procédé.

Il a usé d'un stratagème orthopédique. II s'était fabriqué une sorte de

calotte, munie d'une allèle qui partait de l'oreille gauche et venait se fixer

par une épingle sur l'épaule droite. Mais il a renoncé bien vite à cet ap-

pareil, aucune altèle ne pouvant résister aux contractions des muscles de

son cou, exaspérés par celte résistance.

Depuis l'apparition de son torticolis Taurone a pris de nombreux avis

médicaux ; il a suivi plusieurs traitements qui sont restés inefficaces, en-

tre autres une cure thermale et un traitement électrique qui fut désas-

treux. Il est vrai qu'on avait fait usage de courants tellement forts qu'aux

points d'application des électrodes, sur l'épaule et sur le cou du côté

gauche, des eschares se produisirent qui persistaient encore 3 semaines

après la cessation de ce traitement.

16 décembre 1902. - Examen clinique.

Au premier coup d'oeil le sterno-masloïdien droit apparaît notable-

ment plus développé que le gauche ; et cetle hypertrophie est surtout

manifeste pendant la rotation de la tête à gauche, c'est-à-dire pendant la

contraction du muscle ; celui-ci acquiert alors une dureté extrême et pré-

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 465

sente un renflement fusiforme dans son tiers supérieur ; ce n'est là d'ail-

leurs que l'exagération d'une disposition anatomique fréquente chez les

sujets fortement musclés ; le sterno-mastoïdien gauche, lorsqu'il se con-

tracte, offre le même renflement, moins saillant, il est vrai, et moins dur.

Lorsque la tête se maintient directement en face, et que les sterno-

mastoïdiens sont complètement décontractés, on ne constate aucune diffé-

rence appréciable dans leur volume ; mais souvent dans cette position

on voit les deux stemo-mastoïdiens se contracter, faisant saillie sous la

peau ; la tête alors ne tourne pas. Le malade explique à ce propos que,

dès le début de sa maladie, il s'est efforcé de contrebalancer l'action pré-

pondérante du sterno-mastoïdien droit en contractant le gauche, si bien

qu'il est arrivé à développer presque parallèlement ces deux muscles, et

à obtenir une position d'immobilisation forcée dans le regard en face.

L'hypertrophie apparente du sterno-mastoïdien droit était d'ailleurs

plus accentuée, paraît-il, il y a quelque temps et elle a tendance à dé-

croître.

C'est qu'en effet, au début, la rotation de la tête se faisait seulement de

droite à gauche/sans que le menton fut levé ; plus tard, la rotation s'est

accompagnée d'un mouvement de renversement de la tête en arrière, le

menton se portant vers le haut. Au début donc, le sterno-mastoïdien droit

était seul touché ; plus tard, le trapèze droit fut atteint à son tour, et son

action eut pour effet d'ajouter à la rotation de la tête à gauche son ren-

versement en arrière.

La participation du trapèze droit est rendue évidentepar l'élévation de

l'épaule droite,visible surtout pendant la marche. Cependant le malade est

toujours capable d'abaisser cette épaule à volonté, dès qu'il s'en aperçoit

ou qu'on le lui demande.

Lorsque le mouvement de rotation de la tête à gauche est très violent

on voit parfois quelques mouvements convulsifs des muscles de la face :

la commissure labiale gauche est tirée en arrière ; les muscles frontaux

et le sourcilier du côté droit se contractent. De là une grimace exprimant

une gêne douloureuse, sans que cependant aucune sensation de dou-

leur soit éprouvée, et qui paraît dépendre de l'effort que fait le ma-

lade pour regarder en face. Ces contractions faciales cessent d'ail-

leurs instantanément dès qu'il y porte attention.

Dans les crises un peu violentes,. on observe aussi, mais non toujours.

outre .l'élévation de l'épaule droite, quelques mouvements rapides et

successifs de flexion et d'extension des doigts de la main droite.

La rotation de la tête se produit surtout à l'occasion de gestes usuels,

comme de boutonner les vêlements, prendre un objet sur une table, dé-

placer une chaise, etc. ,

466 HENRY MEIGE ' -

Pendant la marche, la rotation de la tête à gauche s'accentue davanta-

ge. Taurone peut cependant avec un léger effort marcher en tenant la

tête tournée à droite ; il lui est plus difficile de marcher la tête regardant

en face, et plus difficile encore de la tenir légèrement tournée à gauche ;

cette dernière position semble solliciter un mouvement de rotation irré-

sistible.

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 467

Dans la rue, les mouvements s'exagèrent encore, et pour deux raisons.

D'abord, Taurone craint de se heurter contre les personnes ou les objets,

parce qu'il voit mal ceux qui sont à sa droite. Mais aussi, il l'avoue,

la peur du ridicule le préoccupe sans cesse : il croit que son attitude et

ses contorsions sont remarquées par tous les passants et que ceux-ci le

tournent en dérision ; il en est péniblement humilié.

Les mouvements sont aussi exagérés lorsque le malade passe dans un

couloir étroit.

La lecture est presque impossible. Dès qu'il prend un livre, la tête est

entraînée à gauche; il ne peut lire que de l'oeil droit, et encore est -il

obligé de déporter constamment son livre vers la gauche.

L'écriture est aussi pénible. Taurone a essayé lui-même de corriger

son attitude vicieuse de la façon suivante : il se tient très droit, et s'efforce

de tourner la tête à droite, c'est-à-dire en sens inverse de son torticolis ;

dans cette position il arrive parfois à écrire pendant une heure sans trop

de gêne; mais d'autres fois la tête est entraînée irrésistiblement à gauche ;

en général cependant, un léger effort suffit pour la ramener dans la bonne

position.

L'écriture a été plus mauvaise autrefois : elle était très irrégulière, les

lignes chevauchaient les unes sur les autres. Actuellement l'écriture est

petite, peu lisible, les caractères sont incomplets, souvent remplacés par

de brusques accents ; il y a de fréquentes échappées de plume.

Taurone n'a pas éprouvé jusqu'à ce jour de douleurs véritables dans le

cou, dans la tête, ni dans les épaules, mais seulement une sensation de

fatigue, de courbature, dans le cou,et une tension exagérée dans le muscle

sterno-mastoïdien droit, lorsque ce muscle est fortement contracté ; ces

sensations disparaissent complètement lorsque la tête reste pendant un

instant dans la position droite. ,

La sensibilité cutanée est normale des deux côtés.

Les réflexes patellaires sont égaux et normaux ; le réflexe cubital du

côté droit est un peu plus vif que celui du côté gauche.

Le malade est capable d'exécuter tous les mouvements qu'on lui com-

mande avec correction, mais il ne peut obtenir qu'avec peine le relâche-

ment musculaire complet. Le phénomène de la chute des bras se constate

facilement : si l'on soutient l'un des bras avec la main et qu'on demande

de le laisser retomber inerte le long du corps, la détente musculaire im-

médiate et absolue ne peut pas être obtenue. Le bras reste étendu trop

longtemps, ou sa chute n'est pas suivie des oscillations normales. Quand

on recherche les réflexes-patellaires on sent une résistance de la jambe

à la flexion ou à l'extension, qui s'oppose à la production du réflexe.

Le tonus musculaire est donc anormal, et cette anomalie se traduit

468 HENRY MEIGE

par un excès d'intensité et de durée de la contraction, analogue à ce que

l'on observe dans le catatonisme. Les muscles semblent être en perpé-

tuelle imminence de contracture. On constate aussi une sorte d'hésita-

tion, de vigilance inopportune dans les actes musculaires, chaque mus-

cle ébauchant une contraction qui avorte et qui est suivie d'une courte

période de relâchement, bientôt remplacée à son tour par une nouvelle

contraction. De là une .apparence d'état vibratoire, variable d'ailleurs

- suivant les moments, mais qui paraît bien'témoigner d'un certain trouble

du contrôle des actes musculaires volontaires.

Un examen électrique a été pratiqué le 22 décembre 1902, par le

Dr Allard.

Le sterno-mastoïdien gauche est notablement plus excitable que le

droit, aussi bien pour le courant galvanique que pour le courant faradi-

que. Les autres muscles de la région (trapèzes, deltoïdes, pectoraux), ne

présentent pas d'anomalie des réactions électriques.

Ces modifications observées dans la contractilité du sterno-mastoïdien

droit peuvent d'ailleurs s'expliquer par l'état de contraction violente et

presque permanente du muscle : un courant électrique notablement plus

fort est nécessaire pour déterminer sa contraction.

Au point de vue mental, Taurone ne présente aucune anomalie, pas

même de bizarreries ni de caprices : volonté ferme et soutenue, intelli-

gence claire, excellente mémoire, affectivité pondérée ; mais il est cer-

tainement émotif.

La préoccupation que lui cause sa maladie est parfaitement justifiée ;

d'abord, il en est grandement incommodé dans la plupart des actes de

la vie ; ensuite, il redoute qu'elle porte préjudice à sa situation so-

ciale. Peut-on trouver excessif qu'il ait cherché à s'éclairer sur la na-

ture et la gravité de son mal, soit en consultant plusieurs médecins, soit

en faisant de nombreuses lectures médicales ? Rien de plus légitime que

cette curiosité intéressée ; rien deplus néfaste, il est vrai, pour un grand

nombre de malades. Tel n'est cependant pas le cas de Taurone. Avec

beaucoup de bon sens, il a su tirer parti de ses lectures pour analyser sa

propre maladie, sans en tirer des conclusions trop pessimistes. Il connaît

presque tout ce qu'on a publié sur le torticolis mental. Il a reconnu dans'

les descriptions les'signes physiques de son mal, mais déclare sincè-

rement ne pas retrouver chez lui les particularités psychiques signalées

chez un grand nombre de sujets. Il demeure convaincu que ses accidents

convulsifs dépendent d'une irritation nerveuse qu'il localise, non pas à

la périphérie, mais dans les centres cérébraux. Il ne croit pas à une lésion

grave, irrémédiable, mais à un état irritatif particulier de la substance

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 469

nerveuse cérébrale. Et il faut bien convenir que cette palhogénie adop-

tée, sinon inventée, par Taurone, est assez défendable.

En somme, un examen prolongé n'a pas permis de constater la moindre

défectuosité mentale, hormis une disposition peut être exagérée à l'in-

trospection, et, par suite, une tendance à l'obsession.

Taurone a commencé son traitement le 20 décembre 1902. - Dès le

début, il a été averti que la durée de ce traitement ne pouvait être fixée à

l'avance et que les progrès dépendaient de sa bonne volonté,de sa régulari-

té et de sa persévérance ; que la maladie suivait, ce qu'il avait lui-même

constaté-, une évolution capricieuse,traversait des périodes d'accalmie el

d'aggravation, sans qu'on puisse souvent en préciser les causes, mais les

fatigues, les émotions étant toujours défavorables; qu'il ne fallait pas espé-

rer obtenir une amélioration régulière, la courbe des progrès présentant

toujours des oscillations, ascensions, plateaux ou descentes, mais qu'en

définitive les efforts de correction étaient toujours récompensés. Ces ex-

plications préliminaires sonten effet indispensables au début de tout trai-

tement de ce genre. La persévérance dans les efforts, une exacte connais-

sance de la marche de la maladie et une juste compréhension du traitement,

sont des conditions essentielles de succès.

Le malade doit mener une vie réglée, méthodique, se coucher tôt, se le-

ver lard, rester environ douze heures au lit, éviter les boissons alcooli-

ques ou excitantes.

Chaque jour, trois fois par jour, aux heures prescrites, répéter régu-

lièrement les exercices qui seront indiqués, sans chercher à en augmenter

la durée ni le nombre ; se rappeler qu'une certaine fatigue,et parfois une

légère recrudescence des phénomènes convulsifs,se produisent parfois dans

les premiers jours, surtout lorsque l'on dépasse la mesure.

Tous les exercices doivent être répétés devant un miroir, le malade étant

assis, le dos non appuyé, les mains posées sur une table.

Sur le miroir est tracée une ligne verticale qui doit couper en deux

parties égales l'image de la face, et une ligne horizontale passant par les

angles des deux yeux ; au-dessous de cette ligne, une seconde ligne hori-

zontale passe par la base du cou, au-dessus des épaules. Les yeux doivent

rester fixés sur le point d'intersection des deux premières lignes. Grâce a

ce dispositif, le moindre déplacement de la tête ou des épaules est facile

à constater.

Deux sortes ^'exercices :

1° Immobilisations . Conserver l'immobilité absolue pendant 5 se-

condes ; recommencer 9 U fois de suite à chaque séance ; se reposer 15 se-

470 HENRY MEIGE

condes entre chaque immobilisation. Augmenter chaque jour de 5 secon-

des la durée de chaque immobilisation.

2° Mouvements. - Mouvements lents, réguliers, sans saccades.

Mouvements élémentaires de la tête : Rotation. Inclinaison à droite et

à gauche. Flexion et extension.

Mouvements élémentaires des épaules, du torse, des bras.

Exercices combinés des différents segments du corps.

Exercices de relâchement musculaire.

3° Exercices de lecture, d'écriture surveillées. Exercices respiratoires.

Récitations et narrations orales.

4° Applications pratiques des exercices aux actes usuels.

22 décembre 1902. - Taurone suit son traitement avec une docilité et

une attention parfaites ; il y apporte beaucoup de bonne volonté et de

sagacité. Dans ses exercices, il est surveillé par une de ses parentes, qui

le seconde avec fermeté et intelligence.

Tous les exercices prescrits se font correctement. Taurone fait lui-même

celte remarque : « Dès que je concentre mon attention sur un exercice

quelconque, je me tiens le plus correctement du monde ; même dans les

moments où ma tête a le plus de tendance à tourner à gauche, où je me

sens le plus raidi, je suis toujours capable d'exécuter correctement un

mouvement commandé de rotation ou de flexion de la tête. »

Les immobilisations sont parfaites et atteignent bientôt 30 secondes.

25 décembre 1902. Taurone va notablement mieux aujourd'hui. Il

a pu rester pendant une heure en ma présence sans que sa tête tournât

une seule fois vers la gauche ; tous les mouvements étaient aisés. A peine

remarquait-on une légère raideur. Pendant la marche la tête se tient com-

plètement droite.

Aux exercices d'immobilisation et aux mouvements méthodiques sont

ajoutés des exercices respiratoires. Le malade rappelle à ce propos qu'il

avait imaginé autrefois, pour atténuer ses contractions, de faire de légers

bâillements ; il en éprouvait un soulagement instantané. La détente mus-

culaire succède en effet presque toujours au bâillement.

Taurone doit faire aussi des exercices de relâchement musculaire. Ceux-

ci semblent lui avoir rendu un grand service.

Autrefois, en effet, lorsque sa tête tournait vers la gauche, il essayait

de contrebalancer l'action intempestive du sterno-mastoïdien droit en

contractant fortement son antagoniste, le sterno-mastoïdien gauche ; les

deux muscles luttaient ainsi l'un contre l'autre jusqu'à ce que le droit

cessât de se contracter. Aujourd'hui, Taurone opère tout autrement : au

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 471.

lieu de contracter volontairement le sterno-mastoïdien gauche il s'efforce

de décontracter volontairement le sterno-mastoïdien droit ; il a appris à

provoquer la détente de ce muscle au commandement et il l'obtient géné-

ralement sans être obligé de se livrer comme avant à des contorsions exa-

gérées.

Enfin, il lui est enjoint de faire tous les jours des exercices d'écriture,

en traçant les lettres très lentement; celles-ci .doivent être grosses et ron -

des. Et pendant cet exercice, il doit s'efforcer de tenir la tête bien en face

et non tournée vers la droite, comme il faisait précédemment.

Taurone a constaté que les exercices de la tête et du cou faits avec

douceur, méthodiquement, favorisent la détente. Lorsqu'il fléchit la tète

en avant, il éprouve à l'ordinaire une raideur dans la nuque qui s'op-

pose à la liberté de ce mouvement. Mais s'il maintient pendant quel-

ques instants sa tête fléchie, il sent peu à peu les muscles de la nuque se

relâcher les uns après les autres. Il en éprouve un soulagement manifeste

et c'est surtout de cet assouplissement qu'il se déclare satisfait.

D'une façon générale, Taurone constate déjà une amélioration sensi-

ble ; les exercices lui procurent un soulagement appréciable au moment

même où il les fait, et ce soulagement persiste pendant un certain temps,

plus ou moins long suivant les jours.

2 janvier 1903. Pendant deux ou trois jours le cou a été plus raide,

la tête avait plus de tendance à tourner vers la gauche; néanmoins tous

les exercices ont été faits correctement.

L'immobilité absolue est maintenue pendant une minute un quart, dans

n'importe quelle position, de face, ou de profil à droite, et sans aucun

effort. L'attitude du corps est correcte, symétrique ; l'épaule droite ne se

soulève plus. 110,

Enfin, Taurone peut faire actuellement 100 pas en tenant sa tête com-

plètement droite, et cela sans effort.

Les repas sont toujours assez pénibles ; cependant, il arrive à porter

régulièrement son verre à sa bouche en maintenant sa tête droite. Pres-

que toujours à la suite du repas, il éprouve un peu de fatigue, mais de

courte durée.

Pour une foule de gestes usuels, comme de rouler une cigarette,

prendre son mouchoir ou son portefeuille dans sa poche, etc., Taurone

éprouvait une grande gêne, et chaque fois sa tête tournait vers la gauche.

Il s'est entraîné à corriger ces gestes devant le miroir et il est arrivé à les

exécuter correctement.

De même, pour la lecture, il est parvenu, grâce au contrôle du miroir,

à rectifier sa mauvaise position d'autrefois.

472 HENRY MEIGE

Son entourage constate des progrès croissants; deux de ses amis, qui

ne l'avait pas vu depuis deux mois, ont été surpris de l'amélioration.

Au point de vue physique, cette amélioration se traduit par une véri-

table fonte du sterno-mastoïdien droit. Actuellement, ce muscle ne fait

plus l'énorme saillie constatée les premiers jours et 1(t peau qui le recou-

vre, autrefois distendue, rouge et épaisse, est devenue souple et blanche,

elle est même un peu ridée.

` L'état mental est excellent. Le malade poursuit son traitement avec

bonne humeur, assiduité et intelligence.

Cependant, il continue à mal dormir. Couché à 10 heures du soir, il

ne s'assoupit que vers minuit, se réveille à 3 heures et ne se rendort

guère. Une fois couché, il parvient il maintenir sa tête et à s'endormir en

position correcte ; mais, lorsqu'il se réveille, les mouvements de rotation

de la tête ne tardent pas à reparaître ; alors il se lève, fait quelques

exercices qui le reposent, se recouche et reste calme.

S janvier 1903. - Depuis 3 jours, les mouvements de rotation de la

tête à gauche sont devenus plus forts et plus fréquents ; le malade n'ar-

rive que difficilement à maintenir sa tête en face, surtout au repas et

dans la rue. Il fait cependant avec correction tous ses exercices devant

miroir, y compris la marche. Il a atteint 100 secondes d'immobilité ab-

solue.

Les mouvements respiratoires ne lui apportent plus le même soulage-

ment que les premiers jours.

Mais les nuits ont été meilleures : il a dormi plus calme et plus long-

temps.

9 janvier 1903. - Les contractions sont encore plus fortes, Taurone

fait des efforts violents pour réagir contre ces contractions, mais né par-

vient pas toujours à ramener sa tête à droite. La marche dans la rue est

très difficile, le malade ne pouvant voir où il pose le pied.'

Il faut dire qu'il est grippé ; peut-être cette infection passagère déter-

mine-t-elle la recrudescence actuelle.

Il devra garder le lit pendant 2 ou 3 jours ; il est d'ailleurs très calme

lorsqu'il est étendu et peut rester ainsi plusieurs heures, la tête très

droite, avant de s'endormir, sans aucune raideur ni contraction.

12 janvier 1903. - Le repos au lit n'a pas apporté de changement ap-

préciable. Il est vrai que Taurone n'a pu rester une journée entière dans

son lit; les contractions ont reparu dans la position couchée et l'ont obligé

à se lever ; il répétait alors ses exercices devant le miroir ; cela lui procu-

raitenviron deux heures de calme,puis la rotation de la tête recommençait. t.

Aujourd'hui, il se sent mieux ; il a pu faire quelques pas dans la rue

la tête droite; néanmoins, devant moi, il ne conserve que difficilement

LES PÉIiIPI : '1'IGS D'UN TORTICOLIS MENTAL 473

la position correcte dans l'immobilité; mais il répète très bien tous ses

exercices, y compris la marche, qui se fait sans*aucune faute, même en

l'absence de miroir. Chez lui, pour arriver à marcher correctement, il

faut qu'il commence par se surveiller dans le miroir, sinon la tête tourne

toujours à gauche; quand il a répété plusieurs fois cette marche devant

le miroir, il peut marcher un certain temps la tête droite sans se regar-

der.

Fait nouveau : depuis 4 jours, il se plaint d'une douleur dans l'épaule

gauche, dans la région du trapèze, surtout lorsqu'il fait des mouvements

de bras.

L'état mental de Taurone s'est aussi modifiée ; il est de moins bonne

humeur, il a moins d'entrain ; il. est hanté par l'idée que sa maladie est

sous la dépendance d'une altération ou tout au moins d'une irritation des

nerfs ou des centres nerveux. Il s'en inquiète; mais il garde confiance

dans les effets du traitement qu'il exécute toujours avec ponctualité.

1 13 janvier 1903. - A l'aggravation de ces derniers jours succède une

amélioration très sensible, Taurone a retrouvé la souplesse de ses mou-

vements ; il peut ramener sa tête à droite chaque fois qu'il le désire, et

il reste parfois longtemps sans effort dans cette position. Les exercices se

font correctement ; la marche est beaucoup plus aisée. 1

17 janvier 1903. L'amélioration continue. Le malade rencontré

dans la rue, marchait la tête complètement droite, et sans effort.

Un nouvel examen électrique a été pratiqué. On constate un change-

ment notable de la contractilité électrique ; la différence qui existait

entre les deux sterno-mastoïdiens lors du premier examen a disparu.

' 23 janvier 1903. -- Les progrès n'ont cessé de. s'affirmer depuis six

jours. Taurone éprouve une telle amélioration qu'il ne doute pas de sa

guérison prochaine et complète. il est obligé de quitter Paris ; mais il se

sent en mesure de poursuivre chez lui d'une façon régulière et prolongée

ses exercices. Et il promet formellement de ne rien négliger. Un pro-

gramme détaillé, un emploi du temps méthodique lui ont été indiqués ;

il s'engage à s'y conformer ponctuellement. Des instructions ont été aussi

données à son entourage pour assurer la bonne exécution du traitement.

Dans le milieu familial, ce traitement exige une méthode et une ré-

gularité absolue, une persévérance patiente,qui ne peuvent être réalisées

que si toutes les personnes de l'entourage s'engagent à en faciliter l'exé-

cution. Sous aucun prétexte, le malade ne doit être dérangé pendant ses

exercices et ceux-ci doivent être répétés chaque jour aux mêmes heures.

L'entourage peut aussi venir en aide au patient en signalant les in-

corrections de ses mouvements ou de ses attitudes, grâce à des rappels

discrets, qui ne doivent être ni trop fréquents ni jamais irritants. ,

xx 30

474 HENRY MEIGE

Il importe de ne pas s'apitoyer avec excès sur le malade, et de lui

parler le moins possible de son mal. Le distraire sans jamais le fatiguer.

Assurer autour de lui le calme et la tranquillité, sans qu'il souffre du

désoeuvrement et de l'ennui.

Au cas où ces conditions ne pourraient être réalisées dans la vie de

famille, ne pas hésiter à recourir à l'éloignement. à l'isolement.

Enfin, il est de nécessité absolue que le malade continue à tenir le

médecin au courant de son état, en lui envoyant un bulletin de santé

toutes les quinzaines, bulletin auquel il est répondu régulièrement par

les conseils et les prescriptions nécessaires.

DEUXIÈME PARTIE. - AUTO-OBSERVATION

Se conformant à ce qui lui avait été prescrit, Taurone a envoyé régu-

lièrement de ses nouvelles. Voici les principaux extraits de cetle auto-ob-

servation. Certains détails pourront paraître oiseux. En les supprimant,

j'ai craint d'établir prématurément une distinction entre des faits re-

gardés comme essentiels et d'autres considérés, peut-être à tort, comme se-

condaires. Une observation clinique ne doit pas se limiter à la recher-

che et à l'indication des signes énumérés dans des observations anté-

rieures.

Enfin, puisqu'il s'agit de torticolis mental, n'est-ce pas un récit fait par

le patient lui-même qui permettra d'apprécier le mieux sa mentalité ?

Dans cette seconde partie, je ferai suivre chaque bulletin du malade de

remarques destinées à mettre en évidence les faits qui m'ont paru se re-

produire dans la plupart des cas de torticolis convulsif qu'il m'a été donné

d'observer personnellement (une cinquantaine environ).

27 janvier 1903. - 10 Mon voyage a été un peu fatigant; je ne pouvais

pas arriver à trouver une position favorable au repos ; il me tardait d'arriver

et l'attente exaspère généralement notre affection ; je me suis trouvé mieux à

domicile. Ma famille a été heureusement impressionnée par la constatation des

progrès que j'avais faits.

Je suis néanmoins moins maître de mes mouvements que dans les premiers

jours de la semaine dernière. Mais je sais qu'il faut laisser passer patiemment

les retours offensifs et ne les considérer que comme une excitation à la lutte

contre l'hôte désagréable que nous devons déloger.

2° Dès hier, j'ai exécuté mon programme journalier et j'ai pris toutes les dis-

positions nécessaires pour qu'il fût respecté par tout le monde. Ma porte est

rigoureusement consignée. Ma femme y veille attentivement. Il lui sera plus

difficile de ne pas s'apitoyer quelquefois sur mon sort et de dissimuler tout le

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 475

chagrin qu'elle en éprouve. Les victoires qu'elle remportera à cet égard seront

certainement passagères, malgré toute sa bonne volonté. Mais je compte sur les

progrès pour dissiper les nuages...

3° Je me rends de plus en plus compte combien les longues conversations

que j'ai eues avec vous ont exercé une heureuse influence dont les effets seront

durables. Le malade atteint de torticolis mental a besoin d'être éclairé sur son

affection, et non seulement sur le traitement à exécuter, mais encore et sur-

tout sur son mode d'action. Pour obtenir ce résultat le médecin est obligé de

ne pas ménager son temps et son rôle est souvent ingrat. »

Remarques. 1° Les sujets atteints de torticolis mental ont ceci de

commun avec les tiqueurs qu'ils ne savent pas attendre; l'attente exas-

père leurs mouvements convulsifs.

2° Il est rare de rencontrer dans l'entourage immédiat des malades des

personnes capables de maîtriser suffisamment leurs manifestations émo-

tives, et celles-ci ont toujours un effet déplorable sur le patient.

3° Le rôle apaisant des explications et des exhortations données par le

médecin est incontestable. Le bon effet de ces interventions psychiques est

en faveur de l'existence d'un facteur mental dans l'affection.

3 février 1903. 1° « Je traverse en ce moment une crise aussi pénible,

peut être plus même, que celle que j'ai eue à Paris. Je me trouvais assez bien

à mon arrivée ici, mais bientôt, j'ai eu une recrudescence marquée; une nuit a

été fort mauvaise ; il ne m'a pas été possible de conserver un seul moment au lit

la position correcte, et depuis lors je suis en complète. rechute.

J'ai été et je suis encore fortement enrhumé, et la douleur de l'épaule gau-

che a reparu. Aujourd'hui seulement je suis arrivé à écrire, mais devant le

miroir, en prenant des immobilisations toutes les fois que ma tête tourne.

La marche est devenue, même devant miroir, complètement incorrecte : à

peine quelques pas sans rotation de la tête.

Au lit, plus une minute de bonne position. Je passe mon temps, sauf de

courts moments de sommeil ou plutôt d'assoupissement, à me tordre le cou,

poussant jusqu'à la douleur les contractions, qui ne sont séparées que par

quelques secondes de demi-rémission ; je fais ainsi, - du moins je le crains,

de la contre-éducation bien involontaire.

Les repas, qui étaient devenus presque complètement bons, sont à nouveau

très mauvais.

En dehors des exercices, le torticolis est presque continuel ; je ne ramène la

tête que par un grand mouvement de rotation de gauche à droite, je ne peux

l'arrêter qu'un instant dans la position en face, avec de nombreuses oscilla-

tions, et encore pas toujours.

Le torticolis est d'autant plus pénible que l'espèce d'accommodation défec-

tueuse des divers muscles des épaules ou du tronc a (ce dont je suis d'ailleurs

476 HENRY MEIGE

satisfait comme d'un progrès définitif) complètement disparu. L'épaule droite

n'accompagne plus le mouvement, la contraction du trapèze droit, sauf dans

quelques rares mouvements, ayant cessé. 1

La tête a, pour ainsi dire, perdu une de ses racines et s'en va seule gauche

et en arrière, aussi loin que possible. 1

Le lecture à haute voix n'est possible que pendant quelques courts' ins-

tants, et seulement aux moments de moindre excitation. La lecture ordinaire

est plus facile, mais nécessite de fréquentes reprises d'immobilisation ; de

même pour l'écriture (toujours devant miroir).

Enfin, l'immobilisation au début des exercices est souvent aisée, mais d'au-

tres fois très longue à obtenir et exigeant toute une série de luttes et de ma-

noeuvres. Au cours des exercices, des défaillances se produisent et certains

mouvements restent inexécutables correctement, notamment l'immobilité de

la tête en rotation à droite et la flexion complète.

A tout cela s'ajoute un état de nervosisme considérable; les tentatives de

correction sont quelquefois accompagnées de secousses de tout le corps, com-

parables à des commotions électriques. et il suffit pour me faire sursauter,

lorsque je suis attentif à ma table, que quelqu'un touche brusquement la poi-

gnée de la porte de l'appartement.

'Tel est le tableau certainement noir, mais réel, de mon état actuel. J'ajoute

tout de suite que je ne me décourage pas.

2° Dès que je me suis aperçu que cette crise survenait, j'ai compris que vous

aviez complètement raison en me conseillant de différer pour quelque temps

encore la reprise de mes occupations ; j'ai pris une mesure radicale en infor-'

mant que jusqu'à nouvelle décision je m'éloignerais des affaires ; ma porte à

été rigoureusement consignée, et je me suis consacré exclusivement à mon

traitement. J'ai ajouté une séance complète d'exercices l'après-midi à 5 heures,

à celles que je faisais le matin au lever et le soir avant le coucher. Je me suis

fail installer une petite table devant l'armoire à glace d'une chambre voisine

de ma salle à manger et j'y prends seul mes repas pendant que ma famille les

prend à côté ; je peux ainsi profiter de tous les moments favorables pendant

le repas pour me ressaisir et rester au moins quelques instants en position

correcte. Pendant les repos, je fais un peu de lecture devant miroir, un peu

d'écriture, lorsque cela est possible. Je me distrais un peu en causant avec

ma famille ou en me promenant dans la maison ; mais dès que le torticolis

devient trop pénible je vais essayer quelque immobilisation, passant ainsi

devant la glace la majeure partie de ma journée.

3° Je me demande si je n'abuse pas un peu de ces séances devant le miroir

(en dehors de mes temps d'exercices) et si je n'ai pas à craindre que les dé-

faillances qui s'y produisent pendant cette période de crise lui fassent perdre

une partie de son efficacité, enfin si le miroir, dans une certaine mesure, ne

jouerait pas quelque peu le rôle de subterfuge antagoniste pour l'obtention de

l'immobilisation.

4° D'autre part, j'ai fait une remarque que je crois devoir signaler. Dans le

mouvement de torticolis, ma tête ne s'incline plus à droite comme au début ; en

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL l ! ·11

même temps qu'elle tourne à gauche elle se renverse en arrière. Ce renver-

s3ment en arrière étant peut-être plus marqué encore que la rotation à gauche.

Peut-être le splenius gauche, mais sûrement le trapèze gauche, que je sens

nettement se contracter au niveau de l'omoplate et près du cou, me semblent

jouer un rôle sérieux dans ce mouvement anormal ; le trapèze gauche agit en

même temps que le sterno-mastoïdien droit, et cela me semble nécessiter un

nouveau mode de résistance (ou de décontraction) avec lequel je suis encore mal

familiarisé et que j'ai à apprendre. Je multiplie à ce point de vue dans mes

exercices les flexions de la tête en avant devenues assez difficiles à exécuter l'

correctement.

5° Les contractions du trapèze gauche exercent une influence marquée sur

la douleur que j'éprouve à l'épaule gauche, douleur qui, comme à Paris, n'est

survenue que deux ou trois jours après le début de la crise. N'y aurait-il pas

entre la contraction et la douleur des relations dont je saisis malle carac-

tère ?

N'y aurait-il pas lieu de recourir à un traitement quelconque pour l'état de

nervosisme général ? Et pour la nuit ?

Veuillez bien m'excuser de ma trop longue lettre, j'ai dû employer plusieurs

séances pour l'écrire et je crains de vous fatiguer de raisonnements peut-être

sans portée; mais il m'est difficile de discerner ceux qui en ont, et je voudrais

ne rien omettre.

Je serai heureux de recevoir votre réponse. J'espère qu'elle m'arrivera au

moment où ma crise commencera à passer, et par les conseils qu'elle m'appor-

tera en hâtera la terminaison. »

Remarques. 1° Description très exacte d'une forte rechute où toutes

les manifestations convulsives sont aggravées. Un état d'instabilité, une

surexcitation générale apparaissent souvent en même temps.

2° Au cours de ces rechutes l'exécution des exercices devient très

difficile. Les malades s'efforcent à tort de les réussir; ils n'arrivent qu'à

se fatiguer et à s'exaspérer. On doit, pendant ces mauvaises périodes,

réduire le nombre et la durée des séances, en n'exigeant que des mou-

vements faciles, de courtes immobilisations, et surtout des exercices de

relâchement musculaire.

3° L'effet correcteur et reposant du miroir peut s'atténuer passagère-

ment, s'il y a abus de ce moyen de contrôle. Il ne faut l'employer qu'au

moment des exercices, ou pour se familiariser avec certains gestes usuels

(repas, écriture, etc.). 1

4° Au cours d'un torticolis mental suivi pendant plusieurs mois, il est

fréquent d'observer des transformations dans les mouvements ou les atti-

tudes forcées. Non seulement plusieurs muscles du même côte peuvent

être atteints ou cesser de l'être l'un après l'autre ; mais du côté opposé

d'autres muscles entrent aussi enjeu. Le cas présent est significatif. Le

478 HENRY MEIGE -

sterno-mastoïdien droit seul a débuté, après lui, le trapèze droit; ce der-

nier a cessé d'agir ; mais ensuite les contractions ont apparu dans le tra-

pèze gauche. Ainsi, un rétrocolis succède souvent à un torticolis.

Celte variabilité et cette migration des phénomènes convulsifs est con-

traire à l'hypothèse d'une lésion périphérique unilatérale (du spinal par

exemple).

5° Les douleurs signalées par certains malades semblent bien être la

conséquence de leurs contractions musculaires exagérées. Elles ne précè-

dent pas les phénomènes convulsifs; elles leur succèdent généralement.

Ce sont des accidents de compression.

20 février 1903. - Huit.jours se sont passés, sans amélioration. Le ma-

lade éprouvant une grande difficulté pour écrire, dicte la lettre suivante :

4a Je commence à être inquiet, car un rhume qu'on aurait pu considérer

comme coupable de ma rechute, a déjà bien diminué d'intensité; d'ailleurs,

j'ai conservé dès le début un appétit régulier, et, n'était l'exacerbation du

torticolis, je ne me serais pas inquiété de cette indisposition qui n'avait d'autre

conséquence apparente que de me-faire tousser.

Désireux cependant de ne pas l'aggraver, je suis resté sans sortir jusqu'à

avant-hier ; ce jour-là, le temps était si beau que j'âi été faire une petite pro-

menade après déjeuner; je suis rentré très fatigué, car sa tête étant rigoureu-

sement fixée en rotation à gauche et en haut, la marche était difficile et hési-

tante. Je me suis couché en arrivant, comme je le fais tous les jours à la

même heure, jusqu'à 4 heures, pour faire à 4 h. 1/2 une série d'exercices.

Hier, j'ai recommencé. Je fais en effet 3 séances par jour, une le matin à

8 heures, l'autre l'après-midi à 4 h. 1/2, la troisième le soir à 9 heures (une

heure environ) ; c'est tout ce que je puis faire et encore il m'arrive quelque-

fois de ne pas réussir les mouvements, même étant assis ; debout, depuis plu-

sieurs jours, je ne puis les faire malgré tous mes efforts ; pour ceux que j'exé-

cute, je tiens pour ainsi dire la tête en équilibre devant la glace, équilibre que

je perds aussi facilement qu'il m'est souvent difficile de le prendre au début.

J'espère toujours arriver à recouvrer plus d'aisance dans les exercices devant

la glace ; c'est la condition indispensable pour revenir aux applications des

exercices aux actes de la vie courante, ces applications étant la répétition hors

miroir de mouvements ou séries de mouvements, qui, très difficiles à obtenir

maintenant devant miroir, deviennent impossibles en l'absence de cet auxi-

liaire. Tout ce que je puis faire c'est de m'exercer le plus souvent possible il

remettre la tête à droite en décontractant mes muscles ; il m'arrive d'éprouver

alors des oscillations de bas en haut, et toujours à peine la tête est-elle portée à

droite, qu'elle repart brusquement vers la gauche d'un seul coup, sans pou-

voir être arrêtée au milieu.

Ai-je perdu la faculté de savoir décontracter le sterno-mastoïdien droit ? Ou

bien la tendance à la contraction est-elle trop violente pour que je puisse la

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 47')

réfréner ? Ou bien suis-je victime de l'entrée en jeu d'autres muscles ? Je ne

sais pas à quoi attribuer cet état.

2° Cependant je n'éprouve plus de douleurs dans l'épaule gauche ; je ressens

seulement dans les exercices de renversement de la tête en arrière ou d'incli-

naison à gauche une sensation de compression, une légère douleur en arrière

de l'épaule, près du cou, et parfois un fourmillement consécutif dans la main

gauche.

3° En outre je suis toujours dans l'état que je vous ai précédemment signalé ;

mon nervosisme est très grand, je ne puis rester un instant sans remuer quel-

que chose; il me faut porter la main sur un objet, sur mes vêtements, au

visage, en somme m'agiter d'une façon quelconrlue. Lorsque la tête est com-

plètement et violemment tournée à gauche, j'ai des contractions un peu dou-

loureuses de la face avec clignement des yeux.

4° Je passe ma journée à tiquer constamment et dans un désoeuvrement que

l'impossibilité de lire et d'écrire rend encore plus désagréable.

5° Ne jugeriez-vous pas à propos d'essayer un peu d'hydrothérapie froide

pour calmer si possible, la surexcitation générale ? Je recours encore à vous

puisque vous voulez bien me le permettre et j'en ai bien besoin.

Remarques. - 1° Les infections passagères, les rhumes, exercent tou-

jours une action défavorable sur le torticolis ; l'exacerbation qui en ré-

sulte se prolonge souvent pendant longtemps. ,

2° Le fourmillement des doigts, accompagné ou non d'agitation des

doigts s'observe parfois dans les cas où les contractions musculaires sont

très violentes. ,

3° Il n'est pas rare d'observer des contractions faciales dans les crises

violentes. Celles-ci peuvent être la conséquence d'une extension irritative

dans le domaine du nerf facial. D'autres fois, ce ne sont que des grima-

ces, une mimique exprimant le malaise ou l'effort.

, 4° Le désoeut'I'emellt est aussi pernicieux aux malades qu'une existence

trop agitée

zu L'hydrothérapie froide est absolument contre-indiquée. Les douches

tièdes à très faible pression,générales ou locales (sur les muscles contrac-

tés), ou les tubs tièdes ont un effet sédatif.

L'alitement réussit mieux.

7 mars 1903. - 1° Comme me le conseillait votre dernière lettre j'ai passé

8 jours au lit. Au point de vue intellectuel, le repos a été absolu ; au point

de vue physique, il n'a été que relatif, car il m'arrivait bien souvent d'être

obligé de me tourner et de me retourner comme Saint Laurent sur son gril, sans

pouvoir trouver une position favorable, et les contractions musculaires persis-

480 . HENRY MEIGE

taient; enfin le sommeil n'est pas venu. J'ai cependant éprouvé un résultat

bienfaisant, car ma surexcitation nerveuse, encore assez vive, a cependant

diminué d'intensité, et le trapèze gauche qui a, pendant toute la période que

je viens de traverser, joué certainement un rôle fâcheux en s'associant à

l'action du sterno-mastoïdien droit s'est à peu près décontracté ; je sens nette -

ment encore lorsque je ramène la tête de gauche à droite comme la détente de

large bande de caoutchouc en arrière de l'épaule et du côté gauche du cou ;

aussitôt après cette détente, le mouvement de rotation devient plus facile ;

bref, je n'éprouve plus en général à ce point de vue la résistance invincible

que j'éprouvais avant ma période de lit. Une autre conséquence a été la sup-

pression des oscillations de bas en liaut et une plus grande facilité dans l'immo-

bilisation devant la glace ; je ne ressens presque plus cette pression un peu

douloureuse que j'éprouvais à gauche du cou dans le mouvement d'inclinaison

de ce côté.

2° Au cours de mon séjour au lit, j'ai éprouvé quelques bienfaits des mon-

vements d'inspiration et d'expiration ; à la fin de ces derniers (expiration)

j'éprouvais même une certaine décontraction qui me permettait souvent de

rester sans fatigue. Même levé, j'utilise depuis lors cet effet bienfaisant, et

j'arrive presque toujours à vaincre la fixité du torticolis, à pouvoir porter la

tête lentement jusqu'à droite et à l'y maintenir même quelquefois un instant ;

puis elle repart, lentement à cause de ma résistancejusqu'à la ligne médiane,

ou rapidement quand ma résistance est vaincue.

Quant aux exercices, j'accomplis deux séances, une le matin à 9 heures,

l'autre le soir à 4 heures ; je réussis en majeure partie le matin surtout les

mouvements assis ; mais je n'ai pas encore pu aller au delà.

3° Tel est mon état actuel ; je sens que je suis sorti d'une crise violente mais

je piétine sur place sans pouvoir avancer.

Je me demande si je ne devrais pas, armé du cahier de notes que j'ai jour-

nellement dressé à Paris, reprendre toute la série d'exercices comme si je

commençais mon traitement, sauf à augmenter de dix secondes au lieu de cinq

par jour la durée des immobilisations pour aller un peu plus vite ; en outre,,

je ferais, dès qu'il serait possible, quelques applications pratiques de ces exer-

cices (boire en position correcte, etc.) et quelques marches devant la glace et

en dehors. En ce moment, je vais dans mes exercices jusqu'à l'extrême limite

des possibilités, faisant tantôt plus, tantôt moins, et m'arrêtant aux défaillances

après une série d'efforts infructueux. Il me semble que je ne suis plus ainsi

dans la méthode régulièremeut progressive d'entraînement qui doit caractériser'

le traitement.

4° Dois-je d'autre part, persévérer dans les efforts très fréquents que je fais

pour porter la tête à droite, alors que je ne réussis pas à l'y maintenir, ou

bien ne faudrait il pas qu'en dehors d'une nécessité je conserve ma position

défectueuse dans l'intervalle des exercices jusqu'au moment où j'aurais pou-

voir de la corriger comme je voudrais. En d'autres termes, ces efforts fréquents

suivis de défaillances ne sont-ils pas un mal ?

L'ennui me porte quelquefois à lire un peu (le journal, par exemple) en po-

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 481

sition complètement incorrecte. Faut-il que j'y renonce et que je ne me per-

mette la lecture que lorsque je pourrai la faire en bonne position ? chose im-

possible en ce moment.

50 Enfin, au lit, le soir principalement, 1/2 ou 1 heure après le coucher, j'ai

des « inquiétudes » très désagréables dans les jambes, dans l'articulation du

genou, jusqu'aux pieds.

Remarques. 1° L'alitement, lorsqu'il est toléré, calme la surexcita-

tion générale et les accidents douloureux.

2o Les exercices respiratoires ont parfois un effet sédatif, en favorisant

les détentes musculaires, surtout à la fin de l'expiration. ,

3° Il est mauvais de pousser les exercices jusqu'à la fatigue. Après

plusieurs efforts demeurés infructueux pour exécuter un mouvement

correct, se reposer, et ne recommencer qu'à la séance suivante. Ne jamais

se décourager d'un insuccès. Tel mouvement impossible aujourd'hui de-

viendra possible demain. ' .

4° Eviter les occupations prolongées qui ne sont possibles qu'avec une

position défectueuse de la tête.

5° Les fourmillements, les « inquiétudes » dans les jambes, sont sou-

vent le fait d'une fatigue nerveuse. ,

, 4 avril 1903. - 1° Un peu calmé par le séjour au lit, j'ai essayé de re-

prendre les exercices en suivant la progression que vous m'aviez donnée ; j'ai

assez bien commencé ; mais dès le 3e ou le 4" jour je ne réussissais plus, même

à prendre l'immobilisation du début ; cependant mon état général s'améliorait.

Je ne pouvais expliquer cette anomalie que par le fait que les défaillances ex-

trêmement nombreuses qui s'étaient produites devant le miroir avaient fait

perdre à celui-ci son efficacité ; en effet, lorsque mes yeux se trouvaient en

face du croisement des lignes tracées sur la glace, la tête était prise d'une sorte

de tremblement qui se terminait par la déroute, et que je considérais comme

provoqué par les efforts faits pour maintenir la position joints à l'appréhension

de ne pas pouvoir y réussir. J'ai pensé qu'il fallait essayé de rendre au miroir

sa vertu primitive en rompant l'association fâcheuse qui s'était créée dans mon

esprit entre sa vue et la fuite de la tète et en m'efforçant d'obtenir l'association

inverse. Pour cela je suis resté 3 jours sans faire aucun exercice devant mi-

roir et en me contentant de pratiquer en dehors des efforts de détente et de

rotation. Je me suis remis ensuite aux mouvements indiqués devant la glace ;

mais en suivant une progression très lente, et comme durée d'immobilisation

et comme nombre de mouvements. Cela m'a réussi.

2° Il y a quelques jours j'étais arrivé à réussir même les exercices debout

et j'allais commencer la marche; mais, depuis le début de la semaine, une

certaine exacerbation s'étant produite, ces derniers devenaient trop difficiles :

J'ai quelque peu persisté, craignant le retour des défaillances avec leurs con-

482 HENRY MEIGE

séquences. Je m'en tiens, depuis deux jours, aux exercices assis avec diminu-

tion de la durée des immobilisations à droite; je ne commets presque pas

de fautes, mais je suis un peu en équilibre instable, et je marque le pas atten-

dant le moment favorable pour reprendre la marche en avant.

3° L'exacerbation que 'je viens de vous signaler me paraît due à une recru-

descence des contractions des muscles de la nuque, le trapèze gauche notam-

ment, et aussi probablement un des muscles voisins du sterno-mastoïdien droit,

car je sens dans la gouttière qui est à côté de l'attache de ce dernier sur l'apo-

physe mastoïde des tiraillements douloureux qui ont ramené les contractions

de la face que je vous avais précédemment signalées. De même ont reparu les

oscillations de la tête de bas en haut. Le mouvement que je réussis le moins

bien est la flexion en avant.

J'ajoute que les bienfaits de la reprise des exercices, quoique bien moins

sensibles et plus lents que pendant mon séjour à Paris, ont commencé se

faire sentir ; j'arrive à lire un peu et quelquefois à écrire quelques lignes en

position correcte ; je tiens ma tête bien mieux lorsque je suis absolument tran-

quille, mais les contractions reparaissent au moindre mouvement, même lorsque

je veux parler ; les nuits sont meilleures, j'ai encore des insomnies, mais je

suis plus tranquille et me lève le matin reposé. Tel est mon état actuel ; je

continuerai la lutte avec l'espoir que les progrès assez stationnaires en ce mo-

ment reprendront sous peu.

Remarques. 1° Lorsqu'il a été abusé du contrôle du miroir, il suffit

d'en supprimer l'usage pendant quelques jours. On retrouve ensuite son

efficacité correctrice.

2° Quand l'affection se prolonge, il est bon de recommencer les pre-

mières gammes d'exercices, à petites doses.

3° De nombreux malades se plaignent d'une sensation de tiraillement

douloureux en arrière de l'attache supérieure du sterno-mastoïdien.

18 mai 1903. Depuis 12 jours je suis au lit pour attendre et tâcher de

favoriser une détente qui ne vient pas. J'avais eu une certaine amélioration :

aux repas, la tète était très facilement mobile dans toutes les directions, et

j'arrivais même à la maintenir pendant un temps souvent assez long au milieu

ou à droite ; la lecture silencieuse m'était possible en position directe ; j'écri-

vais quelques minutes tous les jours. Devant miroir les exercices assis, les

bras reposant sur la table, étaient relativement faciles, Enfin, je reposais lors-

que j'étais couché ; je ne dormais certainement pas toute la nuit ; mais, même

éveillé, je demeurais en bonne position, la tête directe ou légèrement inclinée

dans la position opposée au torticolis ; c'était le progrès le plus manifeste et

dont j'étais le plus heureux; il paraissait même durable, car il persistait dans

les journées un peu plus mauvaises.

J'allais à mes affaires de temps en temps, pour me distraire un peu ; je m'é-

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 483

tais même risqué à prendre la parole et je me tenais assez bien. J'éprouvais

donc un mieux, relatif, mais incontestable. Cependant, je n'étais pas très satis-

fait de mon état : la marche et les repas demeuraient toujours pénibles, et ce

qui m'inquiétat surtout, c'est que je ne pouvais pas progresser dans mes exer-

cices : je tenais assez bien l'immobilité daus les diverses positions de la tête ;

mais, au moindre mouvement, à la moindre vibration, je n'en étais plus maî-

tre. J'avais obtenu (je m'exprime ainsi parce que cela me paraît bien rendre ma

pensée) « l'équilibre dans la décontraction » ; mais je ne l'avais pas dans la con-

traction, et tous mes efforts pour arriver à ce dernier résultat demeuraient

vains ; aussi je comprenais que je n'étais pas prêt à résister à une aggravation

tant soit peu sérieuse; je redoutais cette dernière, car depuis quelques temps,

lorsque j'étais en mouvement ou que je parlais, la tête se portait plus en

arrière, les mouvements de flexion et d'extension ne se faisaient pas dans un

plan vertical, ceux de flexion étaient souvent même impossibles, le menton se

portait invinciblement à gauche.

Dans les premiers jours du mois, ces symptômes se sont aggravés, les mou-

vements intempestifs ont pris une amplitude plus grande, surtout le renverse-

ment de la tête en arrière. La douleur de l'épaule gauche, qui partait de la

région postérieure de l'omoplate, semblait avoir passé sous cette dernière, sé-

vissait surtout dans l'articulation de l'humérus, s'irradiait dans le bras, et

venait unir en fourmillements à l'extrémité des doigts ; elle s'accentuait au

moment des contractions et ne disparaissait que lorsque celles-ci avaient cessé

depuis un certain temps. Le déplacement du cou vers la droite s'accentuait.

J'ai voulu essayer de vaincre ces déplacements par des efforts assez violents

devant le miroir, mais sans succès.

En présence de cet état, j'ai pensé qu'il fallait profiter de ce que les contrac-

tions ne m'avaient pas encore gagné quand j'étais couché pour me mettre au

lit pendant un certain temps, et c'est ainsi que je suis resté couché depuis le

5 courant. Mais je n'ai pas gagné du terrain : les contractions sont extrême-

ment violentes et franchement douloureuses, surtout dans la région de l'épaule

gauche ; la douleur prend même dans cette dernière région une acuité des plus

pénibles ; tout exercice devant miroir est devenu impossible ; les repas sont un

véritable supplice et les oscillations se produisant de bas en haut au moment

où je veux incliner la tète en avant me rendent même à certains moments très

difficile l'introduction des aliments dans la bouche. Enfin, ce qui me contra-

rie le plus, c'est que, depuis 3 jours, les contractions se produisent au lit, et

ce n'est qu'après de longues périodes d'agitation que j'arrive quelquefois à obte-

nir l'immobilité, je la conserve pendant quelque temps, mais à la condition de

ne pas bouger et de ne pas parler. Le sommeil a disparu.

C'est certainement le trapèze gauche qui prend la glus grande part dans cette

aggravation ; je sens, lorsque j'applique ma main sur ce muscle, au moment

où les contractions se produisent, des sortes de pulsations analogues à celles

que je vois devant le miroir agiter le sterno-mastoïdien droit. Quand je suis

debout la tête se renverse violemment en arrière et des oscillations se produi-

sent de bas en haut lorsque j'essaye de la fléchir. Couché sur le dos, les

484 HENRY MEIGE

épaules et le- haut du buste se soulèvent au moment des contractions, le point

d'appui se prenant sur la partie postérieure de la nuque. Assurément, le sterno-

mastoïdien droit joue toujours son rôle malfaisant; mais je suis convaincu

que, à l'heure actuelle, c'est dans le trapèze gauche que prédominent les .con-

tractions.

Celles-ci se sont accentuées dans la face et j'ai des clignements des paupières

qui vont quelquefois jusqu'à l'occlusion complète pendant quelques instants.

Tel est mon déplorable état actuel ; certainement je ne me décourage pas,

j'en ai vu d'autres et je serai, j'espère, aussi tenace que ma désagréable affec-

tion ; mais la lutte est bien pénible, surtout lorsque je me vois impuissant à

obtenir des progrès.

23 mai 1903. - Je reste au lit aussi longtemps que je le puis et voici com-

ment mon état m'oblige à procéder :

Si, lorsque je me couche, je me trouve en un moment de décontraction

relative, j'arrive à m'immobiliser en bonne position, et à rester ainsi pendant

une heure, quelquefois deux, rarement plus, soit endormi, soit éveillé; puis

les contractions reparaissent ; elles débutent par quelques légères secousses

d'avant en arrière ; puis la tête est violemment déviée à gauche et en arrière ;

je la ramène, elle y revient. La douleur de l'épaule s'exacerbe ; au bout d'un

moment la situation devient intolérable, et je suis obligé de me lever. Je cir-

cule un moment dans la maison, je tâche de me distraire, puis je me recouche.

Si je réussis à m'immobiliser, je reste au lit, sinon je me relève de nouveau,

attendant une tentative qui réussira. C'est ainsi que je passe et les journées et

les nuits.

Levé, les contractions ne cessent pas et la douleur non plus ; la tête est

toujours portée à gauche et très en arrière. Au prix quelquefois d'un assez

grand effort, je la ramène à droite pour avoir un répit dans la douleur ; mais

elle repart aussitôt violemment et d'un seul coup vers sa position défectueuse.

Si j'essaie de décontracter le trapèze gauche en abaissant la tête, celle-ci est

prise d'oscillations de bas en haut atteignant une grande amplitude et secouant

tout le corps jusqu'à ce que je laisse reprendre la position défectueuse et dou-

loureuse.

Quant aux exercices, je ne puis les faire. Si je me mets devant la glace,

quelque temps après m'être levé, je n'arrive même pas à obtenir un instant

d'immobilisation : si je m'y mets après être resté en bonne position au lit

pendant une heure ou deux, j'arrive quelquefois à m'immobiliser un moment

la tête en face, ou complètement à droite; mais de cette dernière position je

ne puis pas revenir lentement en face : la tête repart brusquement et violem-

ment à gauche et en arrière. Après quelques mouvements, les contractions

deviennent plus violentes et je suis réduit à l'impuissance.

J'ai essayé, sans résultat appréciable de prendre des pilules calmantes con-

tenant extrait thébaïque, jusquiame et valériane.

Ainsi, la crise dure encore, et ne me paraît pas près de finir; c'est la plus

douloureuse que j'ai traversée.

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 485

. REMARQUES, - Voici un exemple d'une crise très violente, comme il

s'en produit parfois au cours de l'affection. La situation des malades der

vient intolérable. Ils ne savent qu'imaginer pour se procurer un soulage-

ment.

Les contractions deviennent douloureuses par leur fréquence et leur

intensité même. Plus de sommeil, plus de repos. Le nervosisme aug-

mente ,et avec lui le découragement.

C'est alors qu'une mesure radicale s'impose : l'isolement absolu.

Il importe de noter ici les contractions limitées à de petits faisceaux

musculaires que le malade qualifie de «pulsations». Cette comparaison

est très exacte. Ce phénomène offre des ressemblances avec les contrac-

tions parcellaires du spasme facial ; on doit se demander, quand il existe,

si l'on n'a pas affaire à un spasme du cou (torticolis-spasme) ; la quasi-

impossibilité de réfréner les mouvements convulsifs, dans ces périodes

aiguës, permet aussi de considérer ceux-ci comme des accidents spasmo-

cliques. r

L'isolement avait été conseillé à Taurone, à son départ de Paris, pen-

dant un mois environ. Il avait cru pouvoir le réaliser dans son milieu or-

dinaire. Erreur. Les demi-mesures de cette espèce donnent rarement de

bons résultats. Taurone ne pouvait pas trouver dans son entourage les

auxiliaires qu'il lui eût fallu. Loin de là, au lieu de réconforts, d'en-

couragements et d'appuis, il ne rencontra que des lamentations, des do-

léances, et maintes causes d'irritation.

En présence de l'aggravation de son mal, l'isolement rigoureux lui fut

conseillé : : éloignement du milieu familial,, suppression de toute espèce

de travail, absence complète de préoccupations, existence toute végétative,

séjour au lit prolongé, quelques distractions non fatigantes.

Avec la même fermeté et la même méthode dont il avait déjà fait preu-

ve, dès le début de son traitement, Taurone a pris la résolution nécessaire

qui lui était indiquée. Et avec la même confiance, la même persévérance,

il s'est attaché à demeurer fidèle aux nouvelles prescriptions.

Les lettres suivantes en sont le témoignage. Elles font aussi connaître

les singulières oscillations de la maladie, alors même que sous l'influence

d'une discipline méthodiquement poursuivie, elle évolue progressivement t

vers la guérison. Elles sont enfin un reflet très clair de l'état mental dé

Taurone.

21 juin 1903. -'Vous m'avez demandé lors de mes premières visites de :

486 HENRY MEIGE

consentir un pacte m'engageant à suivre vos instructions ; je l'ai fait et je ne

manquerai pas à mes engagements. Je suis aujourd'hui dans un village de

montagne à 800 mètres d'altitude ; demain je vais m'installer à 2 kilomètres

de là dans une maison de campagne. Un hôtelier assurera ma subsistance et

la tenue en état de mon appartement.

Je passerai couché tout le temps que l'absence des contractions violentes me

permettra de conserver cette position, la nuit dans mon lit, le jour, lorsque

la température le permettra, dans un hamac. Absolument aucune occupation ;

tous les deux ou trois jours seulement un bulletin de santé envoyé à ma famille

qui, à ma demande expresse, bornera sa correspondance à en faire autant; je

n'aurai d'autre conversation que celle, forcément très courte, avec la personne

qui me portera mes repas. La campagne dans laquelle je serai installé est

entourée de bois et au bord d'une rivière. Je me suis procuré un outillage de

pêche à la ligne; ce sera ma distraction. Etant placé sur la rive droite de la

rivière, la nécessité de suivre la ligne dérivant au courant de l'eau me fera un

exercice de rééducation.

Vous m'avez demandé un isolement rigoureux ; vous voyez, d'après mon pro-

gramme, que je me conforme rigoureusement à vos instructions.

C'est un bien grand sacrifice pour ma famille qui s'est avec beaucoup de

peine décidée à le faire ; c'en est un considérable pour moi aussi ; mais je me

dois à moi-même et je dois à mes enfants et à tous les miens de ne rien né-

gliger pour recouvrer une santé dont nous avons tous bien besoin. Au surplus,

je dois dire que la pensée que je travaille à ma guérison adoucit toutes mes

peines et que l'espoir que je pourrai y arriver me fait entreprendre, je puis

presque dire avec satisfaction, cette nouvelle phase du traitement.

Après quelques jours de repos absolu, j'essayerai de reprendre les exercices

qui me sont devenus impossibles, et, dès que je le pourrai, je m'efforcerai de

suivre la progression que vous m'avez donnée.

Je serai très heureux si j'arrive à ce résultat, car ce qui me chagrine le plus

dans la période que je traverse, c'est l'impossibilité de faire les exercices sans

lesquels il n'y a pas de progrès réalisables. Je prolongerai mon isolement,si le

résultat m'en paraît bienfaisant,aussi longtemps que vous lejugerez nécessaire ;

je vous tiendrai d'ailleurs au courant. Dans un mois ma famille viendra me

rejoindre à la campagne, aussitôt que cela sera permis ; mais je suis certain

d'être affranchi par la force des choses et par ma propre volonté de toute occu-

pation professionnelle jusqu'à la fin d'octobre.

Voici quels furent les premiers résultats de l'alitement combiné aux

exercices méthodiques de discispline psycho-motrice dans un isolement ri-

goureux.

11 juillet 1903. Je me décide à vous donner de mes nouvelles en écri-

vant la tête de travers, car il serait probablement trop long d'attendre que je

puisse le faire en bonne position, n'arrivant même à tracer ainsi que quelques

lettres dans l'intervalle des séries de mouvements pendant les exercices.

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 487

Comme vous le savez, je suis depuis le 22 juin seul dans une campagne;

tout au plus si l'on ne me fait pas passer ma nourriture par un tour; à part

cela, mon isolement est bien complet.

Je bois du lait quand j'ai soif, et souvent un verre d'eau en guise d'apéritif.

De plus, à dater de demain ou après-demain j'aurai un étui fume-cigare pour

aspirer le camphre ; je réduirai ainsi encore ma ration de tabac. J'ai pensé au

camphre à cause de sa réputation calmante. -

Voici,mon programme d'existence :

Lever à 6 heures, petit déjeuner (lait) et promenade, ou plutôt série de sta-

tions au grand air jusqu'à 8 heures.

De 8 à 9 heures, repos au lit pour me préparer aux exercices.

De 9 à 10, exercices avec, dans l'intervalle des séries de mouvements, essais

de lecture ou tracés de quelques lettres.

De 10 à 11, au lit pour me délasser et conserver mieux l'effet des mouve-

ments de rééducation.

A 11 heures,déjeuner ; puis 1/4 d'heure de repos sur le lit pour me détendre

un peu ; après quoi, une cigarette au grand air.

De midi 1/2 à 3 heures, sur le lit.

De 3 à 4, exercices comme le matin.

De 4 heures à 4 1/2, sur le lit.

De 4 1/2 à 5, petite promenade.

De 5 à 6, sur le lit ou le hamac.

A 6 heures, dîner. '

Après dîner comme après le déjeuner.

A 8 heures, au lit.

Résultats : Encore nuls comme tenue et correction. Mais j'ai plus de faci-

lité pour le repos couché. Je reste presque tout le temps en bonne position,

les contractions sont rares et peu violentes.

Une parole ou un mouvement suffisent pour me faire perdre l'équilibre,

mais je le retrouve vite et aisément. Je ne me lève plus la nuit; je ne dors

certainement pas tout le temps : ce serait difficilet étant donnée l'absence de

fatigue corporelle et le long temps que je passe couché ; lorsque je ne dors

pas, je repose tout de même ; ainsi je reste couché à peu près tout le temps

(16 heures sur 24), en bonne position, m'efforçant même d'être un peu en po-

sition opposée aux mouvements de torticolis, afin d'habituer au relâchement

les muscles qui d'ordinaire entrent en contracture.

Le 29 juin, j'ai commencé les exercices ; ils se sont exécutés assez facile-

ment pour les mouvements de rotation et pour l'immobilisation tête à droite,

demi à droite et au centre, péniblement et pas toujours avec une correction

absolue pour la flexion (le menton se dévie à gauche) ; mais j'ai été arrêté dès

que j'ai'voulu passer aux mouvements des épaules (élévation et abaissement,

propulsion et extension), la tête était toujours et invinciblement entraînée à

gauche ; je ne pouvais pas arriver à dissocier les contractions. Suivant vos

instructions, je me suis arrêté, et depuis je marque le pas, m'en tenant aux

mouvements de rotation, extension, flexion et inclinaison de la tète (ces der-

488 HENRY MEIGE

niers, comme la flexion; s'exécutent difficilement). Ce sont les trapèzes, et

surtout le trapèze gauche, qui, ennemis plus récents, sont aussi les plus durs

à décontracter. Au moment des immobilisations, il se produit des secousses

convulsives de tout le haut du corps qui sont comme des défenses aux con-

tractions de torti et rélro-colis ; je m'efforce de les remplacer par un affaisse-

ment général, je n'y réussis pas toujours.

J'attends ainsi un moment favorable pour reprendre la marche en avant

dans la progression des exercices. S'il survient, je crois que je suis en excel-

lente position pour en profiter, a cause du repos considérable dont je jouis,

car je suis persuadé que l'échec de mon traitement à Paris qui s'annonçait si

bien a été dû à un état de nervosisme aigu, conséquence d'un peu de surme-

nage, d'efforts peut-être, mais surtout de l'absence presque complète de repos

et de sommeil, absence à laquelle il n'a pas été possible de remédier, les con-

tractions étant alors très violentes dans la position couchée, tandis qu'aujour-

d'hui elles sont à peu près nulles.

Je n'ose pas faire les quelques exercices possibles dans cette position, car

j'ai un peu peur de réveiller le chat qui dort.

J'ai cependant l'intention de faire deux fois par jour au lit des mouvements

respiratoires et de passer ensuite à quelques exercices oratoires. J'ai la pensée

que, si je me consolidais un peu plus dans la position couchée, cela pourrait

faciliter mes mouvements dans d'autres positions.

Remarques. - L'alitement dans l'isolement a donc produit déjà un

certain apaisement : le sommeil est meilleur, la station couchée peut être

prolongée, la tête restant presque toujours en position correcte. Certains

exercices redeviennent possibles.

Patiemment, sans se décourager, Taurone continue avec méthode le

traitement prescrit. Les exercices d'écriture surveillée devant miroir lui

ayant été conseillés, il les met en pratique pour écrire son bulletin de

santé.

3 août 1903. - 1° J'y mettrai le temps, car je suis encore obligé de me

surveiller beaucoup : pendant que je crois avoir conservé une bonne position,

, LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 489

je m'aperçois souvent en me regardant dans la glace devant laquelle j'écris,

que mon corps s'est légèrement incliné et dévié à droite ; la tète, déplacée

latéralement du même côté, et, trompant ainsi mon attention, a tourné un peu

à gauche. Je compte cependant arriver à la fin en deux séances, trois au plus,

de trois quarts d'heure environ chacune.

J'ai donc obtenu quelques progrès. Convaincu que les trapèzes, et surtout

le gauche, me gênaient beaucoup dans ma lutte contre mon vieil ennemi, le

sterno droit, j'ai dirigé plus spécialement mes efforts de ce côté ; j'ai multiplié

pendant et en dehors des exercices les mouvements de flexion, je me suis

livré dans le but poursuivi à toutes les manoeuvres que je pouvais imaginer.

Enfin, j'ai constaté un peu de détente : la flexion est devenue plus facile et

plus ample, la nuque plongeant en avant avec sensation de relâchement dans

le dos ; la rotation à droite a été (¡Jus étendue et la roideur du côté gauche de

la nuque qui enrayait ce mouvement a faibli ; la douleur de l'épaule a sensi-

blement diminué, ce qui m'a fait grand plaisir, car elle est très pénible. Les

exercices sont devenus plus faciles eu plutôt moins difficiles. J'ai pu aborder,

quoique avec quelques incorrections, les mouvements des épaules et des

bras. '

2° Je suis loin encore de l'aisance et de la belle assurance que j'ai toujours

eue à Paris pendant les séances, même dans les périodes de crises.

3° Les secousses convulsives de tout le haut du corps que vous signalait ma

dernière lettre ont à peu près disparu ; il reste seulement des soubresauts

dans la région du larynx et des arrêts des mouvements respiratoires ; mais il

existe encore de la roideur, des imperfections ; notamment dans l'immobilisa-

tion au centre, la tête s'arrête invariablement en légère déviation à gauche,

déviation un peu plus accentuée dans la flexion, et tous mes efforts pour lui

donner un pointd'immobilisation plus correct demeurent inutiles. Enfin.j'écris,

quoique avec de sérieuses difficultés, en bonne position ; pour cela d'ailleurs

comme pour les exercices, il y a de très grandes différences en bien ou en mal

d'une séance à l'autre. Les repas sont un peu moins mauvais, et surtout moins

fatigants.

Tel est le bilan de mes améliorations ; il est encore mince, mais je l'apprécie

cependant et j'en suis satisfait, pensant que les premiers pas doivent être les

plus difficiles. Mais i ! y a une ombre au tableau.

Au moment où je comptais commencer bientôt les exercices que vous me

conseilliez pendant mes repos de la journée sur le lit,j'ai très rapidement perdu

la faculté que j'avais de rester couché en bonne position ; la tête est repartie

avec, à la fin du mouvement de rotation à gauche, des oscillations de bas en

haut ; je n'arrive que rarement à m'arrêter, et pas pour longtemps, la tête di-

recte. L'état de contracture des divers muscles qui entrent en jeu dans mon

torticolis avait-il créé une espèce d'équilibre de hasard et de mauvais aloi que

la détente partielle du trapèze gauche a détruit ? Je suis porté à le croire, car

il y a eu coïncidence entre les indices de cette détente et la perte de la bonne

position au lit ; s'il en est ainsi, il faut espérer qu'un nouvel équilibre s'éta-

blira dans mon nouvel état. Je le souhaite bien, car je ne puis plus, à l'heure

xx 31

490 11EKRY MEIGE '

qu'il est, jouir du repos considérable que j'avais, le séjour au lit entraînant le

plus souvent une fatigue par les mouvements et, les résistances qui s'y produi-

sent. Je redouterais, si cette situation persistait, l'énervement considérable qui

en avait été la conséquence à Paris.

4° Mais je ne m'effraie pas encore ; je me suis en effet rendu compte que

dans cette affection il ne faut s'étonner, s'alarmer ni trop se réjouir de rien.

En même temps qu'une bonne chose en arrive une mauvaise ; plus mal la

veille on est mieux le lendemain ou inversement ; et les symptômes d'amélio-

ration disparaissent quelquefois comme avaient disparu des symptômes d'ag-

gravation. L'important est de voir si la marche générale est bonne ou mau-

vaise, et pour l'instant je crois la mienne plutôt bonne, malgré la perte du

repos au lit. Les nuits sont d'ailleurs encore moins mauvaises qu'elles n'étaient

autrefois ; j'ai quelques heures de sommeil.

J'ai essayé, comme je l'avais fait à diverses reprises, l'emploi de pilules cal-

mantes pour les moments de surexcitation (extrait thébaïque, 0 gr. 03 ; jus-

quiame,0 gr. 10; valériane, 0 gr. 10, pour une pilule, à prendre à midi et

6 heures du soir). Pour la première fois un affaissement marqué s'est produit

les deux premiers jours, deux heures environ après l'absorption de ces pilules,

surtout de celle du soir ; j'en augurais que ma résistance aux antispasmodi-

ques et aux soporifiques avait diminué (ce que je voyais avec plaisir), mais

l'accoutumance s'est vite faite,et je ne constate plus d'effet bien certain ; aussi

'je vais réduire à une pilule par jour, le soir, puis supprimer ces pilules, sauf

à les reprendre si je remarquais qu'une plus grande surexcitation suit cette

suppression, et sauf aussi votre avis.

Pour être plus sûr de suivre avec sévérité le régime d'isolement que vous

m'avez prescrit, j'ai envoyé ma famille aux bains de mer au lieu de l'installer

à proximité de moi.

En résumé, je marche très lentement, mais j'ai un peu avancé. Il faut espé-

rer que l'adage « che va piano.... » sera vrai pour moi. Réellement, je le mé-

riterais bien un peu.

Remarques. - 1° Parmi les exercices correcteurs, l'écriture surveillée,

exécutée devant miroir rend souvent service.

Ecrire gros, rond, lentement.

2° Il est constant que les exercices faits sous la surveillance médicale

sont beaucoup mieux exécutés que lorsque le malade est seul. Outre qu'en

présence de leurs éducateurs les patients apportent plus d'attention à la

correction des mouvements commandés, ils n'ont pas toujours une notion

très exacte de leurs incorrections; certains, de bonne foi, s'imaginent très

bien faire et ne sont pas en mesure de reconnaître tout seuls les fautes de

direction ou de vitesse qu'ils commettent. Pour la même raison, ils arri-

vent à ne plus s'apercevoir des fâcheuses attitudes compensatrices qu'ils

prennent.

3° Les troubles respiratoires sont fréquemment associés au torticolis ; les

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 491

uns résultent de compressions laryngées, par les contractions des muscles

hyoïdiens ; d'autres fois le diaphragme entre manifestement en jeu.

4 Le malade décrit avec beaucoup de justesse les variations de l'affec-

tion dont il est atteint.

5° Les médicaments antispasmodiques sont sans effet sur les torticolis

convulsifs, ou du moins leur action n'est qu'éphémère.

31 août 1903. Vos encouragements sont précieux pour moi. Je comprends

bien qu'en principe ils font partie du traitement, et en effet, dans mon affec-

tion, on a souvent besoin d'être réconforté. Je sais que vous ne me faites rien

espérer qui ne soit au moins réalisable et je me sens assez de force et de persé-

vérance pour seconder vos efforts. J'ai attendu quelque temps pour vous

écrire de nouveau dans le désir de ne pas abuser, et aussi dans l'espoir de

pouvoir vous signaler des progrès plus sensibles, mais je suis un peu encore

comme soeur Anne... Je n'ai pas à vous annoncer grand changement dans mon

état.

J'ai avancé un peu seulement dans les exercices ; il est vrai que ce sont ces

progrès auxquels je tiens le plus, pensant que, s'ils persistent, ils finiront par

entraîner les autres. Après avoir recommencé plusieurs fois la progression,

parce que je n'avais pas la correction nécessaire, je suis aujourd'hui à cent

secondes d'immobilisation parfaite dans la position directe avec seulement une

légère tendance à la dérivation vers la gauche dans le demi à droite et quel-

ques secousses dans la position extrême droite. J'ai eu à lutter pendant long-

temps contre la défectuosité du point d'arrêt de la tête au centre, l'axe du cou

étant invariablement déplacé un peu à droite et la tête en légère rotation à

gauche ; je chassais le cou de ce côté et prenais la position bien directe, mais

je ne la conservais pas et ce mouvement de va-et-vient faisait obstacle à une

bonne immobilisation, en même temps que l'attitude incorrecte laissait pour

ainsi dire la tète au cran de départ et en rendait le maintien plus difficile au

moindre mouvement. J'ai l'impression que c'est cette attitude défectueuse pro-

voquée par le désir d'avancer l'oeil droit, bien meilleur chez moi que l'oeil gau-

che, qui a dû (prise inconsciemment depuis peut-être de longues années), être

la cause occasionnelle de mon torticolis. J'ai enfin triomphé, sauf à me sur-

veiller toujours, et c'est depuis que l'immobilisation au centre est réellement t

bonne. Les rotations sont en majeure partie satisfaisantes ; à signaler seule-

ment que les muscles intéressés,et notamment le sterno droit et le trapèze gau-

cre,ntrent en contracture quelquefois assez violente dès l'arrivée à proximité

de l'extrême gauche, et que le retour de droite au centre se fait,durant certains

exercices, avec une rapidité que je ne puis maîtriser.

Les inclinaisons sont convenables, la flexion aussi. Les mouvements des

épaules, des bras (surtout dans l'élévation verticale) et ceux du torse sont,

en général, accompagnés d'une certaine roideur de la tête et de quelques

secousses l'entraînant quelquefois à gauche.J'ai commencé les marches ; mais,

492 HENRY MEIGE

sauf dans les très bons exercices, elles s'accompagnent encore de secousses

avec dérivation à gauche. J'ai fait quelques tentatives de combinaison des mou-

vements de la tète avec ceux des bras, des épaules et du buste, mais j'attends

pour les entreprendre complètement d'être un peu plus sûr de moi.

En somme, je ne suis pas mécontent de la marche de mes exercices, je vais

très lentement, mais j'avance toujours un peu, et, s'il ne survient pas un de

ces mouvements de recul, comme j'en ai eu malheureusement déjà plusieurs,

je compte arriver bientôt à accomplir toute la série correctemeut. Je termine

chaque séance par quelques mouvements respiratoires et une courte déclama-

tion,ayant depuis longtemps remarqué la participation des muscles respirateurs

aux contractions.

En dehors des exercices, pas de progrès encore; j'essaie bien quelques

applications dans les mouvements usuels, mais je ne réussis guère ; l'attitude

générale est ausi vicieuse ; le repas, comme lors de mon précédent bulletin,est

toujours plus mauvais à la fin qu'au commencement ; la marche est devenue

encore plus pénible, le renversement de la tête en arrière s'étant accentué

encore davantage ; je n'ai pas retrouvé au lit la bonne position ; il y a seule-

ment un léger changement d'orientation, la rotation à gauche est un peu moins

poussée à l'extrême pendant que les contractions renversant la tête en arrière

sont plus violentes et toniques comme dans la marche.

Voilà, aussi fidèlement rapporté que possible, mon état actuel ;je doisajouter

pour être complet, que mon état général d'hyperexcitabilité musculaire est le

même ; je m'en rends compte au soubresaut de tout le corps que j'éprouve

lorsque un contact inattendu vient à en atteindre une partie quelconque.

Le séjour dans la montagne où je me trouve devient peu pratique, les brouil-

lards et le mauvais temps arrivent; les jours se raccourcissent et il sera diffi-

cile de me faire porter le repas du soir ; je songe à mettre fin à mon isolement,

qui aura bientôt duré deux mois et demi, et à aller continuer le même pro-

gramme que j'ai adopté ici au village où ma famille passe les vacances. Mon

intention d'ailleurs bien arrêtée est d'y rester jusqu'au jour où ma guérison

sera considérée comme complète, ou bien j'aurai perdu tout espoir de l'obtenir,

- ce qui n'arrivera pas vite, et j'espère même jamais, car j'ai toujours, mal-

gré tous les retards que je subis, complète confiance et dans votre pronostic et

dans le mode de traitement. Ce n'est qu'une fois celui-ci terminé, ou tout au

moins passé à la période de consolidation,que je rentrerai chez moi ; j'éviterai

ainsi toute tentation de me livrer à des occupations quelconques et conser-

verai un repos absolu.

Remarque. - Etat presque stationnaire pendant un mois ; cependant

Taurone conserve confiance et note avec justesse quelques progrès, pré-

ludes d'une amélioration croissante.

1er octobre 1903. - 1° Je suis venu retrouver ma famille sous un climat

plus doux et continuer mon traitement. Voilà exactement un mois que je vous

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 493

ai envoyé mon précédent bulletin ; je suis bien heureux de pouvoir vous si-

gnaler de nouveaux et notables progrès tout au moins pour les exercices. Les

obstacles à leur bonne exécution ont disparu peu à peu et j'accomplis aujour-

d'hui la série complète avec la même aisance que j'avais à Paris. Sur les trois

séances journalières, je supprime même le miroir pour une séance et la per-

sonne qui me surveille n'a cependant que très peu de fautes à relever.

Je suis à quatre minutes d'immobilisation correctement prise et conservée ;

je pourrais sans difficulté aller bien plus loin et rester, tout au moins au centre,

aussi longtemps qu'avant d'être atteint de torticolis, mais je sais que vous ne

jugez pas opportun de dépasser cinq minutes et je m'en tiendrai là lorsque j'y

serai arrivé.

Pendant la marche et pour obtenir plus d'assouplissement, j'exécute tous

les mouvements de la tête, des bras, des épaules et du buste ; c'est mon pro-

grès le plus récent. Les exercices de lecture silencieuse ou à haute voix sont

aisés même en marchant.

2* L'écriture n'est pas souvent troublée par les contractions, mais depuis

une dizaine de jours, je suis très gêné par une recrudescence d'un trouble

moteur de date déjà ancienne (12 ans environ) que je vous ai fait connaître au

cours de nos conversations, sans vous le décrire, en lui donnant le nom de

« crampe des écrivains », qui m'avait été indiqué. J'ai des doutes sur l'exacti-

tude de cette désignation. Une crampe, au moins dans l'acception vulgaire,

implique une contracture assez violente des muscles qui en sont atteints ; or ce .

n'est pas ce que je ressens ; c'est au contraire une sorte d'engourdissement du

bras, et surtout de la main, avec tremblement à peine perceptible de celle-ci.

Suivant l'expression commune, « la main me meurt », et il est très difficile,

quelquefois impossible, de lui faire exécuter les mouvements légers et délicats

de l'écriture, tandis qu'elle conserve l'intégrité de sa fonction pour des mouve-

ments plus amples et plus violents. Hier j'ai éprouvé ce trouble, mais un ins-

tant seulement, en me rasant. Depuis sa première apparition, j'en étais atteint

à intervalles éloignés, peut-être une dizaine de fois par an autant que je puis

préciser, et il était de très courte durée; une cigarette, un peu de distraction

et il disparaissait; après quelquefois un ou deux essais infructueux je pouvais

me remettre à écrire ; jamais il n'avait eu la persistance et la tenacité qu'il

affecte cette fois. Je lui attribuais pour cause une douleur assez légère, d'ori-

gine probablement arthritique,que j'ai depuis fort longtemps dans l'articulation

scapulo-humérale droite avec irradiation plus faible autour de l'humérus. De

fait, depuis que les sensations très douloureuses qui, dans l'épaule gauche, ac-

compagnaient les contractions violentes, ont, sauf à de rares moments, cessé,

la douleur, qui semblait avoir changé de côté, a reparu à droite ; et, quelque

temps après, est survenu de nouveau dans les conditions de persistance que

je vous indique, le trouble ancien. Est-ce une simple coïncidence ? Je serai

heureux d'avoir votre opinion sur la nature de ce trouble fonctionnel et de

savoir si je dois m'en préoccuper ou attendre simplement qu'il disparaisse.

3° En dehors des exercices, je n'ai pas encore des résultats sérieux ; j'ai ce-

pendant commencé les applications que j'avais entreprises plusieurs fois infruc-

494 HENRY MEIGE

tueusement parce qu'il était certainement trop tôt ; j'espère réussir mieux

maintenant. J'ai commencé par les repas qui suivent immédiatement, le matin,

une des séances de mouvements, et, le soir, un exercice de lecture. C'est à

dessein que je ne laisse pas d'intervalle, afin de ne pas arriver à table trop

décousu, car il me serait alors difficile, sinon impossible, de me ressaisir. A

la condition de ne pas parler, et de ne pas être distrait, je reste en bonne po-

sition pendant le premier plat; j'ai maintenant entrepris le second, je me

maintiens souvent jusqu'à la fin de celui-là, mais moins bien et avec plus de

difficulté; lorsque la tête finit par m'échapper, les contractions deviennent

extrêmement violentes ; le rétrocolis est encore plus accentué que la déviation

à gauche ; j'ai beaucoup de peine, et encore après de nombreuses secousses,

à reprendre une position moins défectueuse que je suis d'ailleurs impuissant

à conserver. Même situation toutes les fois que je ne suis plus maître de mes

mouvements, ce qui m'arrive assez rapidement après chaque exercice pour ne

cesser qu'au début de l'exercice suivant. Mon attitude est alors si vicieuse que

les personnes qui me voient, sans être au courant, ont certainement l'impres-

sion que je vais plus mal. Je suis au contraire persuadé que je me trouve en

bonne voie, et que, si je ne bronche pas de nouveau, j'arriverai bientôt à des

résultats très appréciables dans l'accomplissement des actes ordinaires de la

vie; et j'espère ne pas broncher, car, depuis quelque temps, j'ai une régularité

à peu près complète dans l'exécution des exercices, quelles que soient les va-

riations qui se produisent dans l'intervalle de ceux-ci. Dans deux ou trois jours

je ferai les mouvements avec un poids d'un kilogramme à chaque main, puis de

deux kilogrammes,comme je devais le faire au moment de mon départ de Paris.

Les contractions sont violentes dès que je me couche, mais elles diminuent

peu à peu à mesure que vient le sommeil ; je m'endors le soir, une heure en-

viron après m'être couché et repose la majeure partie de la nuit; les contrac-

tions reparaissent aussitôt que je suis éveillé.

4° Je ne veux pas terminer cette lettre sans vous poser une question qui

me préoccupe depuis quelques jours. Je puis maintenant, au cours des séances

d'exercices, être distrait, parler, sans nuire à la régularité des immobilisations

et des mouvements ; cela paraîtrait devoir favoriser la création de l'automa-

tisme dans la suppression de l'automatisme des contractions incorrectes, ce

qui est bien le but poursuivi ; mais, d'autre part, n'est-ce pas nuire à l'inten-

sité des effets de la rééducation ? Dans l'idée que je me fais de mon mal, c'est

l'organisme, qui met en communication avec le siège de la volonté les extré-

mités des cordons nerveux, dirige ou établit dans ceux-ci le courant d'énergie

destiné à produire les contractions musculaires ou le supprime, qui est altéré

ou faussé. La rééducation serait basée sur le principe que la fonction fait l'or-

gane. S'il en était ainsi, la fonction ne serait-elle pas plus active, et par suite

plus efficace pour le rétablissement de l'organe,si celui-ci était maintenu en ac-

tion par un effort attentif sous la dépendance constante de la volonté, que si

on le laissait pour ainsi dire obéir à J'influence de l'impulsion une fois donnée

ou seulement de temps en temps répétée ? ...

D'autre part encore, lorsque le torticolis est définitivement constitué, il pa-

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 495

raît s'être créé un système psycho-moteur ( ? ) anormal, substitué au système

psycho-moteur normal, de telle sorte, qu'avant d'avoir obtenu quelques bien-

faits de la rééducation, ou lorsqu'on échappe aux effets de celle-ci encore in-

complète, si on pense exécuter un mouvement dans la région atteinte ou à

l'immobiliser, il est rare que ne se produisent pas les mouvements ou l'attitude

défectueuse du torticolis ; si, au contraire, on est distrait ou occupé d'autre

chose, souvent le torticolis n'apparaît pas ; il semble que l'automatisme ancien,

le bon, a repris momentanément son pouvoir. Dès lors ne vaut-il pas mieux

pour obtenir de la rééducation les meilleurs effets, penser à bien faire pendant

les exercices, et bien faire, que.... bien faire sans y penser ?

Vous me pardonnerez de vous communiquer des impressions qui ne corres-

pondent peut-être à rien de réel, et en des termes certainement bien impro-

pres, dépourvu que je suis de toute connaissance médicale.

Remarques. - Io Phase d'amélioration très sensible pendant un mois

environ.

2* Des accidents très analogues à la crampe des écrivains s'observent

assez souvent au cours des torticolis convulsifs. Le plus souvent ce trouble

moteur précède le torticolis ; parfois ce dernier ne se produit au début

qu'à l'occasion de l'écriture.

Dans le cas présent, il y a lieu de noter :

a) Que le phénomène signalé par le malade s'est manifesté longtemps

(12 ans) avant son torticolis.

b) Qu'il s'accompagne d'une sensation d'engourdissement du bras et

de la main du côté droit (côté du sterno-mastoïdien contracté) et d'un lé-

ger tremblement, ainsi que d'une sensation douloureuse dans l'épaule et

le bras droit.

c) Qu'il ne se produit pas seulement à l'occasion de l'écriture, mais

d'autres actes menus et délicats (se raser), tandis qu'il n'a pas lieu pour

les gestes plus amples.

d) Que la distraction le faisait cesser rapidement.

3° Il est de règle que les progrès réalisés les premiers se manifestent

par une meilleure exécution des mouvements rééducateurs.

4° Le malade apprécie assez bien le but et les moyens de la discipline

psycho-motrice. Voici ce qu'il veut dire :

Nous avons à considérer, non pas une imperfection organique, mais une

imperfection fonctionnelle. Un trouble fonctionnel s'est produit, sans que pour

cela l'organe ait été modifié profondément. Le but thérapeutique est de réta-

blir la correction de la fonction, grâce aux interventions correctrices de la

volonté. Il s'agit de déraciner une habitude fonctionnelle anormale et de la

remplacer par une habitude fonctionnelle normale. Or, c'est par la répétition

que se crée l'habitude, que s'est créée la mauvaise, que reparaîtra la bonne.

Si, au cours des exercices on arrive à pouvoir exécuter correctement tous les

496 HENRY MEIGE

actes moteurs, tout en étant distrait, c'est qu'en effet on a reconquis une bonne

habitude fonctionnelle pour les exercices en question. La même pratique doit

être appliquée à la correction des habitudes motrices défectueuses dans les dif-

férents actes de la vie et à leur remplacement par des habitudes motrices cor-

rectes. Et ce travail se trouve facilité par les bonnes habitudes acquises dans

les exercices méthodiques.

Pour arriver à ce résultat, il est très juste de dire que le vrai moyen est de

penser à bien faire, plutôt que de bien faire sans y penser.

Il importe au début de simplifier au maximum tous les actes de façon à pou-

voir facilement concentrer l'attention sur des mouvements simples. Nos gestes

usuels sont si complexes que leur surveillance est malaisée si l'on ne prend

soin de les décomposer, de les débarrasser de tout ce qui est superflu, et sur-

tout de les exécuter avec la plus extrême lenteur, de façon que la surveillance

ait le temps de porter successivement sur chacun des actes moteurs qui les

composent.

Si on fait attentivement ce travail de dissociation des mouvements com-

plexes en mouvements élémentaires, on arrive vite à exécuter chaque mou-

vement élémentaire avec correction, puis deux mouvements élémentaires

successifs ou simultanés, puis trois, et ainsi de suite, enfin le mouvement com-

plexe usuel lui-même, qui n'est que la succession ou la réunion des précédents.

Mais il faut que l'étude de la succession précède celle de la superposition des

mouvements.

novembre 1903. 1° Monredoutable ennemi ne désarme pas encore. Peu

de jours après mon bulletin du mois dernier, j'ai entrepris les exercices de

marche à l'intérieur, je suis assez rapidement arrivé à faire tous les matins

une petite promenade dont j'augmentais progressivement la durée; je conser-

vais une position correcte, ou, tout au moins, j'évitais de me laisser aller à la

position incorrecte, la condition de fixer la tête de temps en temps en bas et

à droite, en me livrant à quelques coups de pointe de canne sur les objets que

je voyais à terre dans cette direction (escrime nouveau genre) ou de regarder

aussi de temps en temps à droite et de maintenir quelques instants la tête en

rotation de côté pour revenir ensuite à la position directe. Je cherchais par

ces moyens à éviter la dérivation à gauche et en haut, qui,sans ces manoeuvres,

se produisait, lente et insensible d'abord, puis aboutissait aux contractions

ordinaires du torticolis. Une semaine après le début de ces exercices, j'ai

ajouté une petite promenade, mais bien plus courte, le soir.

2° Mon programme était alors le suivant :

A 6 heures 1/2, lever, toilette et petit déjeuner.

A 7 heures, premier exercice devant miroir pour me fixer un peu (réduit

aux immobilisations et mouvements simples, 40 minutes environ).

De 8 h. 1/4 progressivement jusqu'à 9 heures, marche à l'extérieur.

De 9 heures à 10 h. 1/2, lecture et écriture.

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 497

De 10 h. 1/2 ou 10 h. 45 à midi, 26 exercice, complet celui-là, devant miroir

ou sous la surveillance d'une personne de la famille.

Midi à 1 heure, repas.

De 1 h. 1/2 à 3, repos au lit.

De 3 h. 1/2 à 5, troisième séance d'exercices devant miroir. '

De 5 à 5 1/4, puis 5 1/2, promenade à l'extérieur.

De 5 h. 1/2 à 7, lecture et écriture.

De 7 à 8, repas.

A 9 heures environ, coucher.

Ma journée était ainsi presque intégralement prise par les exercices (les

repas eux-mêmes en constituant un, et des plus difficiles) et je réduisais au

minimum les intervalles pendant lesquels le tic se produisait.

3° Comme vous le signalait ma dernière lettre, les contractions, en dehors

des moments où je les réfrénais par les exercices, étaient très violentes ; elles

me produisaient l'effet d'être commandées par un ressort agissant d'autant

plus énergiquement que sa tension a été plus augmentée. Depuis une quinzaine

de jours cette violence des contractions, une fois que je suis démonté, s'est

encore accrue en s'accompagnant dans toute la face d'une véritable débauche

de contractions accessoires ; le cuir chevelu, le front, les yeux, les joues, le

nez, la bouche, le peaucier du cou, tout est en mouvement, et pour savoir ce

qui bouge, j'ai plus tôt fait de chercher ce qui ne bouge pas ; contractions

d'attention, d'anxiété, d'effort, de souffrance, de rien du tout peut-être, comme

celles du cuir chevelu et du peaucier du cou, c'est toute la gamme jouée en

même temps. Je me réfugie devant le miroir, et, si je ne suis pas resté trop

longtemps dans ce désordre, j'arrive assez vite à me ressaisir ; dans le cas

contraire, je mets plus longtemps, mais j'y arrive tout de même ; après quel-

ques immobilisations, d'abord irrégulières, puis plus régulières, un peu d'écri-

ture et de lecture, je finis par retrouver le calme, d'autant plus complètement

que je prolonge plus longtemps ces exercices. C'est surtout vers la fin et après

les repas que ces désordres s'accentuent. J'essaye bien d'enrayer l'envahisse-

ment des contractions de la face, mais je ne puis les surveiller toutes à la fois,

et ce n'est qu'en m'en prenant à celles du cou, dont elles sont pour ainsi dire

l'accompagnement, et en arrêtant celles-ci que toutes disparaissent.

4° C'est toujours, depuis un certain temps, le trapèze gauche qui est le plus

grand coupable; je le sens commençant ses contractions, d'abord faibles, puis

de plus en plus fortes ; je lutte dès le début, et autant que je le puis, en por-

tant la tête en rotation à droite et en flexion vers le bas, mais la défaite finit t

par arriver et avec elle le cortège des convulsions de la face. Mes progrès se

trouvent ainsi depuis une quinzaine de jours entravés; je n'ai pas eu dans

cette période de nouvelles améliorations dans la marche, les repas, plutôt au

contraire un peu de fléchissement, même dans les exercices devant miroir;

les quelques rares difficultés que j'avais encore dans les mouvements simples

ont persisté (contractions assez fortes dans la rotation complète à gauche, ten-

sion avec sensation de roideur et de courbature dans la rotation complète à

droite, difficulté dans l'inclinaison de la tête à droite tandis que l'inclinaison.

498 HENRY MEIGE

de la tête à gauche est très aisée) ; les mouvements de rotation à droite com-

binés notamment avec la marche et les mouvements respiratoires sont très

difficiles à obtenir, tandis que je les réussissais avant cette période.

Je traverse très probablement une crise qui serait d'une violence très grande,

si elle n'était pas atténuée dans ses effets par la possibilité de retrouver le

calme devant miroir, et surtout là dans les exercices de lecture et d'écri-

ture. -

J'espère néanmoins que, pendant cette courbe des progrès un peu en des-

sous de la ligne d'ascension, les séances d'exercices que, sauf les quelques dif-

ficultés que je signale, j'accomplis en somme régulièrement, continueront

d'une façon latente leurs effets ; que le progrès se réalisera en dedans en

attendant qu'il se manifeste de nouveau au dehors ; mais c'est réellement bien

dommage que j'aie ce temps d'arrêt : je marchais si bien. Vous m'avez d'ail-

leurs toujours prévenu de l'allure oscillante de la maladie et je la connais par

une expérience déjà longue, hélas ! J'attends donc, avec confiance le relève-

ment de la courbe ; la patience et la persévérance ne me font pas défaut ; j'es-

père toujours arriver bientôt à la victoire complète. J'ai cependant de temps

en temps à l'esprit la phrase de M. Feindel dans l'article d'un journal médical

que j'ai lu : « si la maladie reçoit le traitement approprié, l'état est toujours

amélioré, et on peut parfois arriver à la guérison «. J'ai l'amélioration et je

serai sans doute de la catégorie de ceux qui arrivent à la guérison : puisqu'il

y en a, je puis être du nombre et confirmer votre pronostic auquel je me rap-

porte toujours avec bonheur.

5° Par une coïncidence bizarre (mais, que de choses bizarres dans cette mala-

die) ? pendant cette période de fléchissement (que je pourrais appeler nouvelle

crise du trapèze gauche), la position dans la station couchée s'est plutôt amé-

liorée. J'ai quelques difficultés à prendre les attitudes correctes, mais j'y arrive

assez rapidement, et, sans avoir un sommeil interrompu, je passe en somme

de bonnes nuits.

6° Je bavarde bien longuement, mais je suis si heureux de vous écrire. Il

n'y a qu'à vous que je puis parler de tous ces menus détails. Je le fais en une

écriture que j'adopte depuis quelques jours dans ma correspondance seulement,

m'efforçant de transformer pour mes besoins ultérieurs en écriture courante

celle des exercices. Vous vous rendrez compte que je suis loin de bien réussir

encore. J'écrivais si mal qu'il n'est pas commode de tracer bien couramment

un nouveau genre de caractères ; mais, sauf pendant les moments où, arrivé

démonté devant le miroir, je me sers de l'écriture pour me fixer, je ne suis

plus gêné par les contractions dans cet exercice.

Spécimen d'écriture. 2 novembre 1903.

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 499

7° Il en est de même pour la lecture, et j'utilise cette faculté dans mes pro-'

menades. Lorsque la lutte devient trop difficile, je prends un livre ou un jour-

nal dont j'ai eu soin de me munir; je le tiens un peu à droite pour entraîner

la tête de ce côté, et, l'oeil fixé sur les caractères, et la pensée autant que pos-

sible sur ce qu'ils expriment, j'arrive à marcher dans de bonues conditions. A'

l'heure qu'il est, si je partais de la maison immédiatement après une séance

d'exercices devant miroir et un livre à la main, je pourrais marcher une heure

et plus sans être désemparé. '

8° Je dis que je porte un peu à droite le livre pendant la lecture; je mets

même quelquefois des lorgnons de rééducation qui m'avaient été conseillés au

début; le verre de droite est dépoli, de sorte que je suis obligé de regarder de

l'oeil gauche et de prendre ainsi une position inverse de celle qui probablement

a été la cause occasionnelle de mon état. Je favorise de même en lisant ou en

écrivant devant miroir cette position qui m'éloigne de celle favorable anx con-

tractions. Fais-je,bien ou vaut-il mieux que je me tienne le plus possible dans

l'attitude complètement directe ?

Remarques. - 4° Les exercices d'écriture ou de dessin sur le sol, avec

une canne, la tête étant maintenue en position correcte, peuvent être uti-

lisés avec fruit.

2° Bon exemple de l'emploi du temps dans le traitement du torticolis

mental.

3° Dans les crises violentes, les muscles de la face se contractent par-

fois. Il s'agit le plus souvent de grimaces surajoutées au torticolis, expres-

sions mimiques de l'effort ou de la souffrance.

4° Les phénomènes convulsifs, dont le muscle sterno-mastoidien droit

était seul atteint au début, ont presque entièrement disparu (comme le

prouve la facilité avec laquelle la tête peut être inclinée à gauche). Par

contre, les contractions qui ont apparu peu à peu dans le trapèze gauche

vont en s'exagérant.

5° Il est fréquent d'observer au cours d'un torticolis mental, que les

meilleures journées succèdent à de moins bonnes nuits, et inversement.

6° Confirmation des effets sédatifs de l'écriture surveillée.

7° Les exercices de lecture sont aussi profitables. Et, d'une façon géné-

rale, toutes les occupations obligeant 'le malade à tourner la tête du côté

opposé à la rotation de son torticolis, à la condition toutefois de ne pas

exagérer les efforts correcteurs.

8 Les lorgnons de rééducation peuvent être utilisés à la rigueur ; mais

il est préférable de se passer de toute espèce d'accessoires.

*

..

19 novembre 1903. i° La crise que je vous signalais a eu des consé-

quences bien plus funestes que je ne pensais,. Le fléchissement que j'avais

500 HENRY MEIGE .

constaté dans les exercices s'était considérablement aggravé. J'avais beau me

cramponner aussi énergiqnement que possible, chaque jour disparaissait quel-

qu'uu des progrès réalisés ; je refaisais en arrière progressivement, mais avec

une navrante rapidité, le chemin que j'avais mis si longtemps à parcourir en

avant. En huit jours toutes mes acquisitions ont été perdues ; il ne m'en est

resté que la faculté d'écrire, et encore avec une assurance et une correction

d'attitude bien moins grandes. J'étais désolé ; j'ai fait des réflexions amères.

Je m'étais cru désormais inexpugnable dans les exercices, au moins quant à

l'ensemble, et une courte période m'enlevait la possibilité d'en exécuter aucun

correctement. Après avoir réappris à faire fonctionner normalement quelques

branches de mon système nerveux insubordonné, d'autres mettraient en dé-

faut mon éducation incomplète, et, pendant que je ferais des efforts pour les

ressaisir, les premières m'échapperaient peut-être. N'étais-je pas voué à un

perpétuel recommencement et à ne voir la guérison que dans un mirage ? Les

efforts que je faisais pour discipliner mes mouvements aux ordres de la volonté

ne devaient pas aller sans fatigue et usure pour elle. Aurais-je la force d'arriver

jusqu'au bout, alors que je n'avais à ma disposition qu'une faculté déjà en-

dommagée, mon affection me rangeant dans la catégorie des abouliques ?

Cependant je tiens bon encore. J'ai décidé de rester couché pendant trois

jours. C'était une espèce de retraite que je m'imposais pour essayer de m'en-

dormir sur le peu qui restait de mes acquisitions, de voir un peu clair dans

mon nouvel état et me préparer à recommencer la lutte.

2° Il m'a paru que les crises que j'ai traversées jusqu'à présent sont de deux

sortes : les unes seraient dues à une aggravation de l'excitabilité nerveuse :

les contractions s'exacerbent alors, les mouvements anormaux augmentent

de violence ou d'amplitude, et en général des deux à la fois, mais la direction

est la même. Les autres proviendraient d'une variation dans les muscles ou

portions de muscles entrant en contracture ; les contractions ne sont pas plus

violentes. le sens de l'attitude vicieuse est seulement modifié ; la tête ne se

fixe pas au même point ou y arrive en parcourant un tracé qui n'est pas exac-

tement le même qu'auparavant. La difficulté pour vaincre les désordres mo-

teurs n'en est pas moins grande que dans le premier cas. On s'était exercé à

décontracter certains faisceaux musculaires, d'autres sont arrivés à la res-

cousse ; on tâtonne, on est surpris par des mouvements ou des attitudes nou-

velles, désorienté, comme si, sur une espèce de clavier central, on avait ap-

pris à manoeuvrer quelques touches rebelles et que d'autres se refusent à

fonctionner normalement, sans qu'on sache encore les atteindre ou les toucher

au bon endroit. Il me semble que c'est principalement à cette deuxième caté-

gorie qu'appartient la crise que je traverse.

3° Je vous avais signalé la recrudescenee des contractions du trapèze gau-

che, et, au moment où j'ai constaté les premiers fléchissements dans les exer-

cices, je remarquais le matin, au début de la première séance journalière, que

le cou était déplacé vers la droite, la tête restant à gauche de la ligne médiane

du corps ; le cou portait la tête comme celle-ci porte un chapeau sur l'oreille ;

mais il me suffisait d'une rotation un peu prolongée à droite, pour, de retour

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 501

au centre, trouver l'attitude correcte, et c'était à peu près acquis pour tous

les exercices de la journée. Lorsque le détraquement s'est aggravé, cette posi-

tion vicieuse est devenue de plus en plus difficile à vaincre, les efforts entraî-

naient des oscillations, des secousses, qui se reproduisaient de temps en temps

pendant l'immobilisation. Aujourd'hui, il m'est à peu près constamment im-

possible de conduire la tête au centre sans constater la position incorrecte que

je vous signale, et, lorsque je me trouve en état complet de contracture, le côté

gauche de la nuque presse violemment sur la partie voisine du trapèze et toute

la région de ce côté est tendue et souvent douloureuse.

4° Evidemment le sterno droit ne demeure pas inactif ; il est tendu, mais

pas autant qu'il l'a été d'autres fois. C'est à gauche que sont surtout les con-

tractions ; les points de traction paraissent être : le côté latéro-postérieur du

cou sous l'apophyse mastoïde, un point de l'épine dorsale à la base de l'attache

du cou, et la partie interne de l'omoplate. Il y a dans tout cela quelques modi-

fications à l'état antérieur.

Enfin, j'ai remarqué aussi que le mouvement de rotation à droite qui était

limité dans son étendue par une tension considérable des muscles de la nuque,

s'exécute maintenant d'une façon complète ; quelque faisceau musculaire a

cédé pendant que d'autres sont entrés en contracture ou que leur état de con-

tracture a augmenté. Toutes ces constatations, jointes au fait que mon exci-

tabilité générale ne s'est pas sensiblement aggravée, me font penser que je

suis bien dans le genre de crise que j'indique. Il n'y a peut-être pas lieu d'en

être moins contrarié, car, pour en sortir, il faudra sans doute de nouveau la

rééducation du nouvel organe avec la lenteur qu'elle comporte.

Le 17, ma retraite terminée, je me suis remis résolument à la tâche ; mais

je ne fais pas encore grand'chose de bon. La prise de position au centre est

longue, difficile, et rarement bien réussie, les immobilisations défectueuses, le

mouvement demi à droite impossible à conserver, le retour de droite au centre

s'exécute avec une brusquerie qui me semble augmenter tous les jours comme

si le sterno droit, profitant du renfort qu'il a reçu d'autre part, augmentait

de violence ; l'extension et la flexion ne suivent pas le plan vertical ; j'exécute

des mouvements de rotation à droite et demi à droite la tête fléchie; la posi-

tion ainsi prise demi à droite me paraît très favorable à la découtraction et j'y

réussis quelques bounes immobilisations sur lesquelles j'insiste comme durée.

Voilà où j'en suis ; j'espère que j'arriverai à reprendre les exercices dans de

bonnes conditions et que ce ne sera que du temps perdu pour la marche en

avant, mais il me tarde bien d'en être certain.

5» Je me demande vainement quelle peut être, la cause, au moins occasion-

nelle, de cette crise ; je n'ai eu aucune secousse, ni physique ni morale ; il y a

longtemps que je n'avais pas été aussi heureux que depuis que mes progrès

s'affirmaient et c'est à ce moment que j'ai été atteint. Je ne puis incriminer que

l'état pathologique auquel est due mon affection.

Remarques. 1° Voici un nouvel exemple de rechute.

L'analyse qu'en l'ait le malade est très exacte et conforme aux observa-

tions faites dans d'autres cas.

502 HENRY MEIGE

II existe bien en effet deux variantes de ces rechutes : les unes tien-

nent à une variation de l'intensité des phénomènes convulsifs, les autres

sont dues à des variations de localisation.

3° On doit distinguer dans les déviations du torticolis celles de la tête

et celle du cou.

a) La position du cou peut rester normale, son axe n'étant pas dé-

placé ; la tête seule est inclinée ou tournée à droite ou à gauche.

b) Ou bien, l'axe du cou est lui-même déplacé à droite ou à gauche. Ces

deux sortes de déviations peuvent coexister.

4° Les phénomènes douloureux, toujours secondaires aux phénomènes

convulsifs, varient avec ces derniers d'intensité ou de siège.

5° 11 est souvent impossible de trouver une cause, physique ou mentale,

aux rechutes.

Après tant de tribulations, voici enfin que commence pour Taurone

une ère d'amélioration progressivement croissante.

28 février 1904. Je puis enfin vous annoncer un état réellement satis-

faisant, pourvu qu'il soit durable.

Vous savez quelle était ma situation en novembre : perte à peu près com-

plète de tous les progrès réalisés, contractions très violentes, impossibilité

d'exécuter les exercices. J'en suis même arrivé à ne pouvoir de nouveau ni

lire ni écrire.

Malgré quelques jours de repos absolu au lit, les tentatives pour reprendre

les mouvements de rééducation restaient vaines; le phénomène mental qui

avait fait du miroir un auxiliaire précieux agissait en sens inverse; le croise-

ment des lignes au lieu d'exercer une sorte d'attraction, produisait un effet ré-

pulsif et la tête se portait violemment à gauche, dès que je jetais les yeux sur

la ligne verticale ; j'ai essayé de faire disparaître cette influence fâcheuse en

m'abstenant pendant huit jours de paraître devant le miroir ; pas de change-

ment. Une seule bonne chose me restait : c'était l'amélioration relative obtenue

dans la position couchée ; les contractions vers la gauche s'y produisaient peu ;

celles en arrière diminuaient de fréquence et d'intensité et cessaient même

complètement, quelquefois pendant un temps assez long. Ne voyant rien au-

tre d'utile à faire, je prolongeai la durée de la station couchée : nuits de onze

à douze heures, et souvent plus, sieste de deux heures après déjeuner, nou-

veau repos avant le repas du soir. Je me trouvais de mieux en mieux au lit;

j'en arrivais même à pouvoir faire quelques changements de position sans pro-

voquer de contractions.

' Peu à peu l'amélioration gagnait la station debout ou assise en suivant abso-

lument la même marche ; les contractions ne se produisaient plus, en général,

que vers l'arrière, avec très légère déviation à gauche, puis diminuaient

d'intensité. -

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 503

Vers le commencement de janvier, je pouvais rester assez longtemps, cau-

ser même, la tête directe, mais le cou raidi, la nuque tirée vers l'épine dorsale,

la base du cou chassée en avant comprimant quelque peu l'oesophage. Insensi-

blement cette raideur diminuait, la marche devenait possible, puis de plus en

plus facile, la lecture et l'écriture très aisées, enfin de même les repas. Il y

a 15 jouis je reprenais la bicyclette et m'en tirais fort bien ; enfin, actuelle-

ment je puis me livrer sans difficulté à toutes sortes d'occupations, me pro-

mener, passer sans aucune fatigue une bonne partie de la journée à surveiller

les travaux de la campagne, ce qui me donne une distraction à la fois agréable

et utile. Il me reste seulement un peu de raideur du cou et les mouvements

de la tête vers la droite sont très limités. Si ces deux dernières gênes dispa-

raissaient, ce serait une guérison complète , sauf récidive.

Ce qui m'a le plus surpris dans cette marche lente, mais continue, vers le

progrès, c'est que la correction de l'automatisme précédait la correction des

mouvements consciemment voulus; au moment par exemple où la tête restait

ordinairement droite et se fléchissait au besoin pour les actes que j'accomplis-

sais, si j'essayais quelques flexions consciemment voulues et dirigées, si je

tentais un exercice devant ou hors miroir, il se produisait des secousses ou

des contractions nettes qui empêchaient l'exécution des mouvements comman-

dés ou les rendaient irréguliers ; les mouvements s'exécutaient d'autant plus

facilement qu'ils étaient, pour ainsi dire, moins intensivement' voulus. Il y a

une dizaine de jours seulement que, ce phénomène s'atténuant peu à peu, j'ai

pu reprendre les exercices proprement dits, interrompus depuis trois mois, en

n'y insistant cas trop. J'exécute en ce moment toute la série des mouvements

simples, sauf la rotation à droite, qui est ou impossible ou limitée dans son

étendue; je fais trois courtes séances par jour.

Je suis bien heureux, comme tout le monde autour de moi, de l'état dans le-

quel je me trouve, et dussé-je rester toujours ainsi, j'en prendrais facilement

mon parti, car je ne suis que peu incommodé ; mais je ne suis pas tranquille,

tant que je ne vois pas complètement affirmer la coordination entre la volonté

consciente et tous les mouvements.

J'ai fait faire des frictions à l'huile d'olive chaude sur les muscles du cou.Je

continue, pensant que cette sorte de massage ne peut qu'aider à la disparition

de la courbature des muscles.

Remarques. - Excellente phase d'amélioration pendant près de quatre

mois, dont la régularité progressive est d'un bon pronostic.

A noter une nouvelle période dans laquelle lerétrocolis tendait à rem-

placer le torticolis (modification plusieurs fois constatée).

Il est intéressant de constater que les actes automatiques ont été les

premiers à s'exécuter correctement ; les mouvements volontaires attenti-

vement surveillés ne se sont perfectionnés qu'un peu plus tard. ,

*

22 niai 1904. - Je n'ai rien de bien saillant à vous signaler depuis ma der-

504 .HENRY MEIGE

nière lettre ; je puis dire que j'en suis heureux d'abord, parce que la persistance

pendant plus de quatre mois, sans une seule dépression, de l'élaf très satisfai-

sant dans lequel je me tr)ttve, est de nature à me faire espérer qu'il ne s'agit

pas d'une simple rémisskn temporaire ; ensuite, parce que parvenu, après la

si longue et si pénible pé iode que vous connaissez, à une quasi guérison,

j'éprouve un tel bien-être, que ce que je souhaite surtout.c'est de ne pas reve-

nir en arrière.

Je ne me laisse pas aller cependant à une quiétude qui pourrait être dange-

reuse, je n'ai abandonné ni les exercices de rééducation ni la pensée rééduca-

trice. Je crois que le meilleur moyen pour ne pas reculer, c'est de m'efforcer

d'avancer, et je ne suis pas tranquille tant que les vestiges de ma maladie me

démontrent que l'état pathologique dont elle était la manifestation n'a pas com-

plètement disparu. Conformément à vos conseils, j'ai modéré la durée des exer-

cices : une demi-heure au lever, autant avant de me coucher. Dans la journée,

je m'observe souvent ; je m'efforce de faire quelques mouvements avec une

régularité méthodique; je décontracte les muscles que je surprends en état de

contracture.

Je fais, tous les matins, deux heures environ, et tous les soirs, une heure

de promenade.

Je suis, depuis une vingtaine de jours, rentré chez moi, et, je compte pro-

gressivement, comme pour les autres exercices, reprendre mes occupations

professionnelles. 1

Pour tout le monde je suis guéri et, de fait, je n'ai plus à, proprement

parler de torticolis. Comme vous le disait ma dernière lettre, et même avec

une atténuation sensible depuis, il me reste seulement de la roideur, de la

gêne dans la dernière moitié de tous les mouvements de rotation de la tête,

le début de ces mouvements étant normal. La rotation complète à droite n'est

pas toujours possible, surtout pendant la marche. La roideur des muscles du

cou augmente lorsque je porte les mains à la tête pour me moucher, me grat-

ter, me laver.. ; j'éprouve même parfois un peu de tremblement de la tête, de

petites contractions frustes, limitées, n'entraînant jamais de torticolis. Je n'ai

pas encore mon ancienne sûreté de main ; lorsrlue je m'observe dans l'immo-

bilité je remarque que je n'ai pas toujours l'équilibre parfait de contractions

qui doit la réaliser ; ainsi dans la position debout devant miroir je puis obser-

ver un très léger flottement du corps. Les mouvements, au lieu d'avoir une

régularité absolue de marche, s'accompagnent souvent de faibles accélérations

succédant à un temps d'arrêt à peine perceptible.

En somme, tout cela est bien peu de chose; je vous l'indique pour vous

faire connaître complètement mon état actuel et ne m'en préoccupe que comme

indices que la cause de mon mal n'a pas entièrement disparu. Tant qu'il en

sera ainsi, je ferai tout ce que vous me conseillerez pour arriver, si possible, à

une guérison complète. '

Je pense depuis quelque temps à me procurer un « Exerciser » et à faire

suivre les exercices que vous m'avez prescrits d'une courte séance de mouve-

ments avec cet accessoire ; je me demande si la résistance ou la traction tou-

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS 111ETAL 505

jours souples des cordons en caoutchouc n'aurait pas une influence favorable

sur la régularité et la souplesse de mes mouvements. Puis ce serait toujours

l'exécution de mouvements commandés, lents, réguliers, conformes aux prin-

cipes de la rééducation, variant et intéressant les séances.

Remarques. - Trois nouveaux mois d'amélioration régulière portant'

sur tous les actes moteurs, automatiques ou surveillés.

Cette sorte de tremblement de la tête que signale le malade et qu'il dé-

crit très exactement : « petites contractions frustes, limitées, n'entraînant

jamais de torticolis », s'observe au déclin du torticolis mental.

24 octobre 1904. - 1° La quasi-guérison que je vous annonçais s'est affirmée

sans aucune période de dépression ; les dermers vestiges de mon mal n'ont pas

encore complètement disparu, mais ils s'atténuent peu à peu ; la raideur dans

les mouvements de la tête diminue ; de même les légères secousses, les espèces

de crépitations et de bruissement qui les accompagnent, les difficultés dans

quelques-uns des mouvements d'élévation des bras,de leur circonvolution autour

de la tête et de rotation de celle-ci.. etc. Le peu de gêne qui subsiste s'en va

très lentement, mais s'en va tout de même. Il n'y a pas de différence sensible

eutre mon état d'aujourd'hui et celui d'il y a 8 jours, mais je puis constater

par exemple qu'il m'est plus facile aujourd'hui qu'il y a un ou deux mois de

faire avec la main droite la toilette de l'oreille gauche, de tourner la tête com-

plètement à droite en marchant etc... De telle sorte que, si la marche actuelle

continue, on peul prévoir que, dans six mois ou un an, il pourrait ne rester

plus rien, tout au moins des manifestations extérieures des vices de mon or-

ganisation. J'ai d'ailleurs les apparences d'une guérison complète. Avant les

vacances, j'avais repris peu à peu mes occupations professionnelles sans en

éprouver aucune fatigue, faisant à tout le monde un peu l'effet d'un revenant,

car on m'avait bien cru définitivement infirme et disparu. Pendant les vacances

j'ai supporté bravement quelques fatigues physiques (bains de mer, surveil-

lance des travaux de campagne) et je me remets en ce moment sans aucune

fatigue aux affaires.

J'ai réduit le nombre et la durée des séances d'exercices, mais je ne les ai

abandonnés que pendant deux périodes de vingt jours environ chacune. En ce

moment, je me borne à un quart d'heure ou vingt minutes en me levant et

avant de me coucher. Le reste du temps je m'observe de mon mieux.

2° Je surprends assez souvent quelques muscles en état de contraction légère,

non voulue, tantôt la joue gauche, tantôt la partie dorsale des trapèzes, tantôt

les mollets, tantôt la langue venant s'appliquer au palais ; je remets le tout

dans l'ordre et m'efforce d'avoir toujours une position et des mouvements cor-

rects.

3° Voilà dans quel état je suis bien heureux de me trouver ; ma bonne vo-

lonté aurait été certainement insuffisante pour arriver à ce résultat. Autour de

moi tout le monde était découragé ; je me rendais compte que les docteurs avec

506 HENRY MEIGE

lesquels j'étais amené à causer n'avaient aucun espoir de guérison ; l'un deux

même m'avait fait l'impression de manquer totalement de confiance ; j'ai su

depuis qu'il avait dit à ma femme : « Votre mari veut aller à Paris ; laissez-le

se contenter, mais je ne puis pas vous laisser d'illusion ; il est définitivement

infirme ». Que de chagrin ces paroles inconsidérées ont donné à tous les miens

à la pensée desquels elles étaient toujours présentes !

Remarques. - 1° Les derniers vestiges du torticolis convulsif sont une

sensation de raideur dans certains mouvements de la tête et du cou, rai-

deur qui peut persister longtemps, mais ne constitue qu'une gêne insi-

gnifiante. Avec cette raideur persistent souvent les craquements ou bruis-

sements articulaires que l'on observe pendant toute la durée de l'affection

ces bruits ne s'accompagnent d'ailleurs pas de douleurs.

2TYès intéressante la constatation faite par le malade de la persistance

de contractions involontaires, non seulement dans les muscles de la nu-

que et du cou, mais dans les muscles de la face, de la langue, et jusque

dans ceux des jambes.

30 Il ne faut jamais prédire l'avenir d'un sujet atteint de torticolis

mental. Si l'on ne peut lui promettre formellement la guérison, on a le

droit et le devoir de lui faire envisager une amélioration dont le degré dé-

pend de la persévérance des efforts correcteurs.

Enfin, quatorze mois plus tard, voici le dernier bulletin de Taurone :

7 janvier 1906. - Nous nous trouvons à l'époque des souhaits et vous

occupez, le vous assure, une large place dans ceux que je fais.

Car, je vais aussi bien que possible. Il ne reste plus de trace apparente de

mon 1,)i licolis.

Sauf un peu de raideur dans les muscles postérieurs du cou, entrainant

quelquefois de légères secousses dans les mouvements de rotation, j'exécute

sans aucune difficulté tous les mouvements simples ; quelques mouvements

combinés de la tête et du bras droit surtout, comme le port et les frictions de

la main droite sur le côté gauche de la tête et la rotation simultanée de celle-ci

à droite, sont encore moins aisés ; mais tout cela disparaît peu à peu.

Je ne fais plus d'exercices proprement dits ; je surveille seulement l'exé-

cution des mouvements les moins aisés, et, de temps en temps, pendant des

périodes de dix ou quinze jours je me livre malin et soir à une courte séance

d' « exerciser ».

J'ai changé de résidence. La ville où j'habitais n'offrait pas des facilités

suffisantes pour l'instruction de mes deux garçons ; j'allais être obligé de me

séparer d'eux et je le regrettais d'autant plus que l'aîné me paraît avoir

besoin d'une surveillance assidue. Extrêmement vif d'intelligence et de tempé-

rament, il me semble présenter quelques-unes des défectuosités qui caractéri-

sent le tiqueur ; il est désordonné, émotif, souvent plus enfant que ne le com-

LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 507

porterait son âge, manquant surtout d'attention, prompt à prendre de mauvai-

ses habitudes motrices et les perdant difficilement. Il a un caractère complète-

ment différent de celui que, de l'avis de tous, j'avais à son âge, en sorte que

mon torticolis aurait été la première manifestation au moins sensible de l'état

mental que cette affection comporte, et cet état aurait été cependant en germe

chez moi puisque.je l'ai transmis à mon enfant. Mystère de l'hérédité !

Je suis donc en éveil, et voudrais bien que l'accident qui m'est arrivé ait

au moins l'avantage de me permettre d'en éviter d'analogues à mon garçon ;

je désire le conserver à côté de moi pour, à mesure qu'il pourra le comprendre,

lui persuader qu'il a à se surveiller, à mettre le plus d'ordre possible et dans

les actes de sa vie et dans ses mouvements, à s'efforcer d'être attentif en toutes

choses

Ainsi, plus d'un an s'est écoulé sans retour des accidents convulsifs.

Taurone est désormais guéri de son torticolis.

Son état mental est excellent. Il est, à juste titre, satisfait du présent,

et confiant dans l'avenir.

La légère raideur de la tête et du cou qu'il éprouvait encore l'année

dernière s'est atténuée progressivement. A peine persiste-t-il une petite

gène pour certains mouvements combinés de la tête et du bras droit, qui

d'ailleurs s'atténue peu à peu.

Le traitement est fini ; mais Taurone continue par habitude à exercer

de temps à autre la surveillance motrice dont il a pu apprécier les bons

effets.

Et ce n'est pas seulement pour lui-même qu'il met en pratique les

conseils qui lui ont été donnés, il en envisage aussi l'application à ses en-

fants. Précaution judicieuse, encore que les exemples de torticolis mental

héréditaire soient tout à fait exceptionnels.

Mais, appliquée dès le jeune âge, la discipline pyscho-motrice préven-

tive permet d'enrayer en temps utile une foule d'habitudes fâcheuses,

qui, plus tard, deviendraient incorrigibles.

Au commencement de l'année 1908, Taurone continue à se bien porter.

SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL

PAR

POLIMANTI.

,

Charles Bell (1) observa qu'en serrant les paupières, après la fermeture

complète, la paupière supérieure s'abaisse légèrement, le bulbe oculaire

tourne en haut vers l'intérieur, et ensuite de l'intérieur vers l'extérieur,

enfin simultanément la paupière inférieure se rapproche du nez. Il ob-

serva très bien ce phénomène à l'aide de deux points noirs de repère

qu'il mit sur chaque paupière : les points noirs de la paupière supérieure

s'abaissaient verticalement, tandis que les points de la paupière inférieure

se déplaçaient horizontalement. La description très nette que donna

Ch. Bell lit donnera ce phénomène le nom de phénomène de Charles Bell.

Ch. Bell avait observé les mêmes faits sur un chien auquel il avait

coupé le nerf élévateur des paupières, et qui présentait le même phéno-

mène aussitôt que ce nerf était stimulé. Il l'observa aussi chez une jeune

fille dépourvue de paupières.

Le phénomène devrait donc être attribué à l'action simultanée du mus-

cle levator palpebrae superioris d'un côté et du muscle rectus superior et

obliquus inferior de l'autre, innervés par le nerf oeuloiiiolorius.

Pour étudier ce phénomène on prie le sujet de serrer les paupières,

comme pour dormir ; et en posant les doigts sur les paupières supérieures

on peut constater le mouvement caractéristique des bulbes oculaires que

nous avons décrit précédemment. L'observation est encore plus facile si l'on

empêche mécaniquement la fermeture des paupières en les maintenant ou

à l'aide d'un écarteur.

Chez la plupart des sujets le bulbe oculaire dévie vers l'extérieur

quand il est dirigé en haut; il y a cependant des exceptions. Von Graefe(2)

a pu observer quelquefois le phénomène inverse, c'est-à-dire les yeux

déviés vers le bas; je n'ai pas réussi à observer cette inversion, même

dans un grand nombre de cas.

Le phénomène de Ch. Bell peut être modifié volontairement par l'ac-

tion des muscles oculaires ; il suffit de prier le sujet de regarder un objet

quelconque en même temps qu'il ferme les paupières. Les globes ne se

SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL 509

tournent plus en haut ; ils convergent plus ou moins selon la distance de

l'objet fixé.

Ch. Bell a conclu que les mouvements qu'il adécrits remplissaient trois

buts très importants :

1° Le nettoyage de la surface antérieure de la cornée pour assurer la

vision nette et claire (les paupières ne se ferment pas hermétiquement, et

par les petites ouvertures des corps étrangers pourraient entrer et rester

sur la cornée) ;

2° Il facilite la sortie des larmes des points lacrymaux (l'oeil reste pressé).

Le mouvement des paupières inférieures vers le nez (elles se meuvent

comme une navette, dit Ch. Bell) pourrait porter vers les points lacry-

maux les corps étrangers qui peuvent se trouver dans l'oeil ;

3° L'oeil est protégé d s actions extérieures (le phénomène se produit

aussi chez les poissons qui sont dépourvus de paupières dans le but, aussi,

de nettoyer la cornée des corps étrangers).

Celle déviation des yeux vers le haut est un mouvement combiné d'un

très grand intérêt, car la paupière en se fermant, par la contraction du

muscle orbiculaire, devient plus épaisse ; conséquemment on a un moyen

de défense plus parfait ; en outre, le bulbe oculaire se tournant vers le

haut, la cornée, le cristallin et l'iris, qui sont de la plus grande impor-

tance pour la vision, peuvent être aussi mieux protégés. Ce mouvement de

protection est utile non seulement contre les corps étrangers, mais aussi

contre la trop vive lumière. Dans ce cas, la paupière était plus épaisse,

à cause de la contraction de l'orbiculaire, l'oeil reçoit une moindre quan-

tité de rayons, et simultanément la cornée, le cristallin et la pupille sont

tournées vers le haut dans un but de protection.

A. von Graefe (3) a pu observer chez une femme, qui ne remuait les

bulbes oculaires dans aucune direction, que la déviation des yeux vers le

haut était un phénomène actif. En effet, dès que le sujet baissait la pau-

pière inférieure ou clignait, les bulbes se tournaient promptement vers le

haut. Ce mouvement dépendait de la paupière inférieure, car dès que

celle-ci était éloignée et la paupière supérieure baissée, on ne voyait plus

se produire le phénomène ; cependant on pouvait l'obtenir dès que la

paupière inférieure était mise au contact de l'oeil.

On peut observer le phénomène de Ch. Bell, non seulement chaque fois z

que la pression de l'oeil est complète, mais aussi comme j'ai pu l'observer

en confirmant les résultats d'autres observateurs, en examinant l'oeil des

sujets qui sont sur le point de s'endormir ; car dans cet état les yeux.sont

tournés en haut, vers l'extérieur, au-dessous de la paupière supérieure

presque relâchée, comme si le sujet craignait d'éprouver des sensations

lumineuses.

510 POLIMANTI

Dans le sommeil profond les bulbes oculaires ne restent pas toujours en

cette position, mais ils font souvent des mouvements lents ou rapides dans

toutes les directions, qui peuvent être attribués à des rêves. J'ai pu ob-

server, sur des individus qui avaient l'habitude de dormir avec les pau-

pières mi-closes, que les yeux se meuvent, ou, généralement, qu'ils sont

tournés en haut vers l'extérieur.

Ce phénomène peut se constater dans les cas où un individu n'est plus

soumis à l'action de ses propres centres nerveux et où la fixation des yeux

ne dépend plus de sa volonté. Dans ces cas, en effet, la fente palpébrale

est plus ou moins fermée, la paupière supérieure est légèrement baissée et

les bulbes sont tournés vers l'extérieur. Chacun a observé, à ce propos, la

position caractéristique des yeux d'un individu soumis à la narcose géné-

rale chloroformique ou d'autre substance anesthésique. '

L'art de la peinture nous a laissé des exemples illustres et excellents de

ce phénomène ; ce qui démontre bien la finesse d'observation des anciens

maîtres du pinceau.

Il suffit de voir le Saint.Jl1'ome du Domenicllino pour se donner une

idée de la position des yeux dans l'extase et dans l'évanouissement.

Guido Reni fut incomparable pour représenter la position des yeux dans

l'agonie,comme on peut le voir dans ses figures d'Ecce Homo (PI.LXXXIX).

Non moins caractéristique est la position des yeux du Saint Sébastien du

même Guido Reni (il semble qu'il soit entre l'extase et l'agonie) et du

Saint Sébastien du Sodoma.

Pareillement, dans l' « Enfant démoniaque » de la Transfiguration de

Raphaël on a un exemple très net du phénomène, dont nous nous occupons,

dans un cas d'accès hystérique.

Ch. Bell avait vu que le phénomène se rencontre manifestement dans

les cas de paralysie complète du nerf facial, ou seulement de sa branche

supérieure. De plus, il insista beaucoup sur ce fait que la déviation des

yeux ne faisait pas partie intégrante de la maladie, mais qu'elle était une

position naturelle quand on tient les paupières serrées.

En effet, en invitant un sujet atteint de paralysie faciale à fermer les

paupières, du côté de cette paralysie, au travers des paupières demi-fer-

mées, on voit manifestement le phénomène de l'oeil. Ce phénomène est

bien plus manifeste en cas de lagophtalmos consécutif à la paralysie faciale,

et si l'on invite le sujet à fermer avec force les paupières. Si l'on fait fer-

mer au sujet les paupières du côté sain, comme s'il devait s'endormir,

l'ceil se tourne un peu vers le haut, à l'extérieur et, quelquefois, à l'inté-

rieur ; tandis que, si l'on fait fermer arec force les paupières, l'oeil du

sujet se meut à l'inslant dans la direction connue, en même temps que la

fente palpébrale du côté paralysés'ouvre bien plus que normalement. Chez

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. LXXXIX

LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL

(Polimanli)

Trois Ecce Homo de Guido Rem

(G.ilerie Corsini, Rome).

Masson & Oe, Éditeurs

SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL 511

bien des individus, spécialement avec paralysie complète du facial, la

cornée disparaît si complètement sous la paupière que l'oeil ressemble à

celui des anciennes statues dans lesquelles on ne voit jamais modelées ni

la cornée ni la pupille. A peine les yeux sont-ils sous les paupières supé-

rieures, qu'on peut noter une divergence de la ligne visuelle. En effet, si

un individu endormi tente de soulever les paupières il voit réellement

double. -

Ce phénomène donc, reconnu par Ch. Bell comme absolument physiolo-

gique et qui se manifeste plus spécialement dans les cas de paralysie du

facial (puisque l'on voit alors le bulbe oculaire à cause de la fermeture

incomplète de la fente palpébrale) fut plus tard considéré comme patholo-

gique, si bien, que certains observateurs l'on décrit comme un symptôme

pathognomonique d'une forme spéciale de la paralysie faciale.

Cette erreur, cependant,doit être absolument rejetée,et nous devons re-

tenir que le phénomène de Ch. Bell est uniquement d'ordre physiologique, il

s'observe chez la plupart des sujets.

Il reste seulement un doute sur la manière dont se produit ce phéno-

mène, c'est-à-dire quel rapport existe entre le mouvement de fermeture

des paupières et le mouvement de dévialion en haut du bulbe oculaire.

Pour l'explication de ce phénomène on a recours à des faits d'ordre

physiologique, anatomique et clinique.

MM. Bordier et Frenkel 14.j disent que dans une légère paralysie péri-

phérique du facial avec bon pronostic, ce phénomène fait toujours défaut,

tandis qu'il existe toujours dans une paralysie avec réaction dégénérative.

En examinant le mouvement des muscles du visage, le déplacement de

l'oeil vers le haut, en serrant les paupières, devient toujours plus faible,

et cela, selon ces auteurs, doit être retenu comme un signe d'améliora-

tion de la paralysie.

M. Bernhardt (5) en confirmant ce qui avait été déjà soutenu par

Ch. Bell, va coutre l'assertion de ces auteurs, en soutenant précisément

que le phénomène de Charles Bell n'esl pas une chose nouvelle, comme

ils le croyaient, mais il dit que ce phénomène se voit plus manifestement

dans le côté où siège la paralysie du facial (c'est-à-dire du côté où est im-

possible la fermeture complète des paupières). Naturellement il est confus

dans les paralysies faciales centrales, puisque dans ces cas les branches

orbiculo-fronlales sont presque tout à fait prises ; au contraire, il est ma-

nifeste dans les cas de paralysies périphériques du facial, que celles-ci

soient graves ou légères.

Selon M. Bernhardt, il a une signification diagnostique, dans le cas

où la gravité d'une paralysie périphérique du facial ne peut être déter-

minée autrement, et simultanément il a aussi une signification pronostique,

SI 2 POLIMANTI

car avec l'amélioration ou la guérison de la paralysie faciale,le phénomène

de Bell devient toujours plus faible ou disparait tout à fait. Cependant le

fait n'est pas certain selon moi et des recherches nouvelles à ce sujet sont

nécessaires.

En résumé, M. Bernhardt fut peut-être le premier qui entra dans la

question de la production de ce phénomène : il dit, en effet,que chez cer-

tains individus la même impulsion volontaire commande la fermeture de

l'oeil (par la voie du facial) et qu'elle transmet en même temps des im-

pulsions volitives à un on à plusieurs muscles du bulbe oculaire oblique

inférieur (quelquefois peut-être, le droit supérieur). Ce même auteur

soutient aussi que ce mécanisme est très utile, parce que, par la contrac-

tion de l'orbiculaire. la paupière supérieure s'épaissit et le bulbe tournant

vers le haut, la cornée, le cristallin et l'iris sont protégés (unique défense

qui soit possible dans les paralysies du facial). Cet auteur, enfin, consi-

dère comme inexplicable la manière dont se produit ce phénomène,

M. Kôsler (6) admet qu'il est seulement d'ordre physiologique (il étu-

dia 60 hémiplégiques chez lesquels étaient paralysés les deux tiers infé-

rieurs du facial) et il en conclut que dans les paralysies faciales péri-

phériques, qu'elles existent dès la naissance, ou qu'elles soient d'origine

rhumatismale ou auriculaire on peut voir aisément les deux mouvements

oculaires (déviation vers le haut et l'intérieur et de là vers l'extérieur).

M. Campos (7) soutient aussi que le phénomène est purement physio-

logique, ce qui avait été déjà soutenu longtemps avant par M. Michel (8).

M. Mendel (9) chercha à expliquer anatomiquement ces faits en sup-

primant à des jeunes cobayes et à des lapins les paupières d'un seul côté.

Cinq ou six mois après l'ablation le noyau du facial était intact, tandis

que le noyau de l'oculomoteur du même côté et plus spécialement de la

partie inférieure était atrophié de telle façon que le nombre des cellules

était réduit à 1/8, 1/9. Cet auteur conclut de ces chiffres que le facial su-

périeur tire son origine des parties inférieures du noyau de l'oculo-mo-

teur du même côté et qu'il va dans le faisceau longitudinal au genou du

facial pour s'unir là au nerf principal.

M. Kôlliker (10) enfin, à l'aide de ses recherches, établit que le fais-

ceau longitudinal n'envoie pas de fibre au facial ; par conséquent l'hy-

pothèse de Mendel resterait sans fondement; bien plus, MM. Schwabe,

Bach et Marinesco,en se servant de la méthode de Nissl,ne purent confir-

mer ce que celui là avait affirmé.

M. Schwabe (11) aussi, qui expérimenta sur les lapins, ne put voir l'o-

rigine du facial (branche oculaire) au noyau de l'oculomoteur.

M Bach (12) trouva intact le noyau de l'oculomoteur chez les lapins et

chez les chats, soit en coupant le facial, soit aussi en enlevant les pau-

pières.

SUR LE PHÉNOMÈNE DE CUARLES BELL 513

M. Marinesco (13) coupa chez des chiens les branches nerveuses qui

vont au muscle frontal, à l'orbiculaire des paupières et au muscle fron-

tal ; il laissa vivre 15-20 jours les animaux et il trouva ensuite absolu-

'ment intact le noyau de l'oculomoteur..

Aussi bien les recherches de M. van Gehuchten (14} sur les lapins, de

MM. Parhon et de Papinian (15) chez une femme (cas de tumeur cancé7

reuse), de 141.Iotelewski (16) sur les chais et lescliiens,ite concordent pas

avec l'affirmation de Mendel. Selon 141141. Marinesco, vau Gehuchten et

Kotelewski, dans le noyau endopontique de la Vlle paire on peut distin-

guer quatre colonnes cellulaires, dont la postérieure représente le noyau

d'origine du facial dit supérieur. MM. Parhon et Papinian de leur côté

ont conclu que, dans le groupe dorsal des cellules du noyau de la sep-

tième paire, on doit rechercher selon toute probabilité, le rapport avec le

facial supérieur. La preuve inverse de l'opinion soutenue parMendel au-

rait été obtenue par M. Obersleiner (17) qui, par l'extirpation de l'oculo-

moleur commun aurait vu la dégénération de la plupart du noyau de la

troisième paire, pendant que l'extrémité postérieure de ce noyau restait

intacte. Aussi bien M. Spilsha (18) trouva que le groupe cellulaire décrit

par Mendel est celui qui reste indemne quand l'on détruit le tronc du

troisième nerf cérébral.

On a rapporté aussi des cas cliniques pour confirmer ce qui avait été vu

par Mendel. De la même manière M. Taylor (19) observa une faiblesse

de l'orbiculaire dans un cas, après une paralysie de 1'0culoll1oteur. On

peut en dire autant des cas de M. Fragstein et de M. Kempner(20). Dans

cedernier cas il s'agissait d'une paralysie nucléaire de tous les muscles

oculaires unie à une paralysie des muscles innervés par le facial supérieur

droit. t.

M. Negro (21) admet une véritable union entre le facial et l'oculomo-

leur, de telle façon qu'une stimulation volontaire peut passer de l'un à

l'autre et inversement. On pourrait obtenir la fermeture de 1 orbiculaire

dans certains cas de paralysie complète de l'oblique inférieur.

Dans le cas d'une interruption du conducteur nerveux pour l'élévateur

des paupières on aurait dû avoir une contraction de l'orbiculaire, quand,

avec une paralysie de l'élévateur on cherchait à faire fermer les paupières.

En parcourant la littérature des cas de paralysie faciale on voit que les

auteurs ne parlent pas de la partie dorsale du noyau de la IIIe paire.

Dans le cas publié par M. Pardo (22) de paralysie périphérique du fa-

cial qui existait depuis 26 années, on aurait constaté bilatéralement la par-

faite intégrité de l'entière colonne du noyau principal de la IV paire jus-

qu'à l'extrémité dystale du noyau de la IIIe, soit du groupe cellulaire, soit

de la couronne de libres.que dorsalemeiil Ilmite- le noyau.; les altérations

514 ik POLIMANTI

cellulaires concernant le noyau homolatéral de la VIIe et une petite par-

tie du noyau du côté opposé.

M. Michel (23), qui eut trois cas semblables, neput confirmer l'asser-

tion de Negro. Il rattache ce phénomène aux rapports d'association cen-

trale que peuvent avoir les deux nerfs (facial et oculomoteur) dans le cer-

veau.

MM. Siemerling et Baedeker (24) ont localisé le centre de la IVe paire

dans le noyau conlenu dans le sein du faisceau longitudinal postérieur,

considérant, cependant, la partie plus proximale de ce noyau comme étant

en rapport étroit avec l'oculomoteur, toujours comme centre de l'élévation

des paupières supérieures. Aussi bien Siemerling a essayé de concilier

cetle affirmation avec celle de Mendel, en admettant que dans la partie

dystale du noyau de la IIIe paire, située dans le sinus du faisceau longi-

tudinal postérieur, le noyau du facial supérieur et celui de l'élévateur de

la paupière puissent y être représentés simultanément. Beaucoup d'observa-

teurs ont apporté des arguments en faveur de cette idée en démontrant la

solidarité existant dans des conditions pathologiques entre l'élévateur de

la paupière supérieure et les muscles innervés par le facial supérieur,

spécialement rorbiculaire de la paupière (Remack, Hunghlings, Jackson,

Lonrle, Brissaud et Marie, Vineles, etc...).

M. Panegrossi (25) croit que dans le noyau de la IV° paire (toute la

chaîne cellulaire comprise dans le sein du faisceau longitudinal postérieur)

l'origine de ce nerf est contenue en direction dystale et au voisinage de celle

de l'élévateur de la paupière supérieure (IIIe paire). Cependant l'hypothèse

de placer aussi dans ce noyau le centre du facial supérieur ne semble pas

soutenable à cet observateur ; il fait observer que de tous les arguments

exposés en faveur de cette idée, aucun ne peut être considéré comme pro-

bant.

Les défenseurs les plus obstinés de l'hypothèse de Mendel ou de Men-

del-Siemerling (26) ne s'appuient que sur des épreuves indirectes. L'ex-

périence de Mendel n'est pas soustraite à cette critique ; mais cette expé-

rience se rapporte au lapin et non pas à l'homme (on ne peut pas appliquer

d'un animal à l'autre les conclusions des résultats obtenus seulement chez

l'un d'eux). L'observation rapportée par M. Giannelli (27) réalise chez

l'homme l'expérience de Mendel. Bien que dans le travail de Mendel il

soit dit que l'altération se rapporte à la portion postérieure, dystale du

noyau de la III. paire, et non pas si elle se trouve ou non dans le sein du

faisceau longitudinal postérieur, cependant l'indication donnée par Men-

del que bien d'autres muscles (il énumère le lerator palpebrae superioris)

peuvent dépendre de la même partie de la chaîne cellulaire, précise suf-

fisamment le point en question, de même que M. Siemerling localisa le

SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL 515

centre de l'élévateur de la paupière. M. Giannelli, dans l'observation

d'une femme, examinant les organes nerveux appartenant au muscle fron-

tal, au muscle orbiculaire des paupières et au muscle élévateur du sourcil

du côté droit, constata des deux côtés l'état normal des noyaux des XH",

VIIe et V Ipaires, y compris le noyau accessoire de Pacetti et la formation

cellulaire diffuse de Bôttiger. Au contraire, il existait une atrophie bien

marquée du noyau placé dans une excavation dorsale du faisceau longitu-

dinal postérieur, au niveau de la région pédonculaire dans le côté droit, et

on trouva très atrophiées les libres qui en émanaient et qui semblaient se

jeter dans le faisceau longitudinal.

Ce noyau qui pour Kôlliker est le noyau d'origine de la IV° paire, est

considéré par d'autres auteurs comme appartenant à la IIIe et qui fournit

spécialement l'élévateur de la paupière supérieure. La constatation de

Giannelli va donc confirmer les idées deMendel pourqui ce noyau préside

simultanément au fonctionnement de l'élévateur de la paupière et du fa-

cial supérieur. Le fait que le genou de la VIF paire à la protubérance

avait diminué de volume va corroborer l'idée du même auteur, qui croit

que les fibres qui partent du noyau dont nous avons parlé descendent dans

le faisceau longitudinal et se jettent dans le genou du facial.

Dans ces derniers temps M. Nagel (28) a soutenu que le phénomène de

Charles Bell pouvait être attribué à un réflexe causé par la stimulation

mécanique produite sur la cornée par la pression de la paupière supé-

rieure qui s'abaisse. Cependant, il n'exclut pas que le phénomène de Bell

soit seulement le produit d'un réflexe, mais il peut dépendre aussi d'une

innervation simultanée de l'orbiculaire et de l'élévateur de la paupière ;

cependant abondant davantage dans le sens de v. Michel que dans celui

de Negro et de Mendel, M. Nagel a aussi observé qu'en fermant lentement

les paupières le phénomène ne se produit pas, tandis qu'il est manifeste

quand l'on ferme les paupières avec force (j'ai pu constater cela en fixant

une flamme, en fermant les yeux et en les ouvrant de nouveau : l'image

négative'de la flamme coïncidait ou non avec la source lumineuse selon

que les paupières avaient été baissées avec une plus ou moins grande

force, selon donc qu'était intervenue une plus ou moins forte action mé-

canique du tarse). Ce même auteur observa qu'on obtenait plus facile-

ment le phénomène chez des personnes qui n'étaient pas au courant sur

sa production ; j'ai pu confirmer cela dans mes nombreuses observations

à ce propos. M. Nagel observe en outre que le phénomène était plus in-

tense quand l'oeil était comprimé par un bandage occlusif; on pouvait

le noter, puisque, à peine le bandage enlevé il était douloureux de fixer

un objet, car précisément pendant la' période d'occlusion, l'oeil était resté

dans la position de Ch. Bell.

516 Û POLIMANTI

Cette douleur, cependant pourrait dépendre, selon moi, bien plus de

la lassitude des muscles oculaires qui participent à la production du phé-

nomène, que de la sensation douloureuse que pourrait donner la cornée

comprimée contre le paroi supérieure de la cavité oculaire. En fermant

un oeil par un bandage occlusif trop pressant, Nagel nota qu'en fixant un

objet avec l'oeil libre, la tète de l'observateur se courbait inconsciem-

ment jusqu'à ce que )'oei) libre se trouvai dans la même position que i'cei)

fermé, qui était dans la position de Bell, et dans les jours suivants l'oeil

fermé présentait une douleur caractéristique comme si la cornée eût été

lésée en quelque point (mais cela peut dépendre de la compression exces-

sive exercée par le bandage sur les bulbes oculaires ; en effet, en nous

levant du lit le matin nous n'éprouvons pas cette douleur caractéristique

qu'on devrait avoir si elle dépendait réellement de celle position des yeux).

Selon Nagel, à peine eût-on cocaïnlsé la cornée de l'oeil occlus, l'observa-

teur put regarder avec l'oeil qui était resté libre en ligne directe sans

éprouver aucune douleur. D'après cet auteur, une observation, faite sur

un cas de paralysie double du facial déciderait la question, c'est-à-dire si

le phénomène de Ch. Bell doit être attribué à un réflexe ou s'il dérive des

centres nerveux supérieurs.

J'ai voulu reprendre la question controversée pour m'efforcer de la ré-

soudre et savoir si le phénomène doit être attribué à l'une ou à l'autre

cause. Dans ce but, j'ai eu recours à la cocaïnisation (1 0/0) des deux

cornées chez des individus différents de sexe et d'âge, mais qui n'étaient pas

du tout au courant de la production de ce phénomène. Au moment ou

l'anesthésie de la cornée était complète j'invitais les sujets à fermer les

yeux et à l'aide de deux doigts posés sur les paupières, je pouvais cons-

tater toujours constamment la déviation caractéristique des bulbes oculaires

vers le haut, puis à l'intérieur, et enfin vers l'exlérieur.

Je voulus voir aussi si dans la littérature se trouvaient rapportés des cas

de paralysie double du facial dans lesquels on eùt fait des observations sur

la position de ce phénomène. M. Panegrossi (29), qui a recueilli un grand

nombre de ces cas, s'exprime ainsi à propos de l'observation I où il avait

fait cette recherche : « ordinando all'irr fer°vto di rliiudere gli ocehi sivedono

le palpebre abbassani alquanto ei bulbi 1'uola¡'e in alto e verso destra. »

Sur ma demande,mon collègue M. Wildbrand (30) à propos du cas qu'il

a rapporté page 42, vol. 1 de sa « Neurologie des Auges » et qui présen-

tait une paralysie double du facial, il me répondit que « zeigte in gans

besonders deulficher lVeise das Bell'sche P/¡dno1llen ». '

Un exemple très net du phénomène de Ch. Bell a été rapporté par

M. Cassirer (31) dans un cas de paralysie double du facial chez une

femme. '

SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL Si 7

De tout rela l'on doit conclure que dans les paralysies doubles .la racial

on obtient le phénomène de Charles Bell et en mettant ce fait en rapport

avec les résultats obtenus après la cocaïnisalion des deux yeux on est porté

à conclure que le phénomène de Charles Bell n'est pas d'origine réflexe

(col'1léale), mais qu'on doit l'attribuer à des- faits d'ordre central, soit dans

le sens de Mendel, soit dans celui de v. Michel. Qu'il ne doive pas être

attribué à un réflexe, nous sommes conduit à le soutenir, en outre de ce

que nous avons déjà dit à ce sujet, pour ce fait que beaucoup d'animaux

qui, dépourvus de paupières (poissons) le présentent manifestement,

comme nous l'avons décrit ci-dessus. En culte, on peut noter manifeste-

ment ce phénomène dans le sommeil très profond ou dans le sommeil

causé par les narcotiques (dans ce cas au moment où l'individu revient à

lui, et par conséquent où reparaît le réflexe coméal, les yeux reprennent

tout de suile leur position normale) ; aussi bien on peut l'observer dans le

coma, dans l'agonie, tant chez l'homme que chez les animaux, tous états

qui sont caractérisés par l'insensibilité de la cornée. Dans ces étais nous

pouvons le considérer comme un vrai et propre mouvement inconscient

pour la défense des facultés visuelles.

Il existe, enfin, certainement, un rapport consensuel déterminé entre

l'innervation du muscle orbiculaire et celle des élévateurs du bulbe ocu-

laire, spécialement des deux muscles obliques inférieurs.

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BOUCHET et KLIPPEL. Hémimélie avec atro-

phie numérique des tissus, 290, 396.

BRISSAUD. L'infantilisme vrai, 1.

CALMETTES et ANGLADE. Sur le cervelet

sénile, 357.

CARAcou et Parhon. Sur un nouveau cas

de trophoedème chronique. Considéra-

tions sur l'euologie et la pathogénie du

trophcedeme, 448.

CunnoN, DEGOUY et TISSOT. Un cas d'achon-

droplasle (4 pl.), 390.

CHARTIER et P. Descomps. Ostéite syphili-

tique, type Paget, chez une tabélique

(2 pl.). 84.

DEGOUY, CHARON et TISSOT. Un cas d'achun-

dioplasle, 390.

DBLMAS et A. Vigouroux. Infantilisme et

insuffisance diastematique, 238.

Descomps et SICARD. Torticolis mental de

Brissaud. Insuccès du traitement chi-

rurg cal, 459.

DESCOMPS et M. CHARTIER. Ostéite syphili-

tique, type l'aget, chez une tabétique, 84.

ETIENNE. Des trophoedèmes chroniques

d'origine traumatique (1 pl.), 146.

BT1EI1NE. Des ecchymoses zoniformes spon-

tanées (1 pl., 1 dessin), 385.

FLORIAN et PARHON. Sur un cas de trophoe-

dème chronique, 159.

HAHN (LucIEN) et Wickersheimer. Un cas

d hypertrophie mammaire illustré pur

Horace Vernet (1 pl.), 418.

Halipré et HE8ERT.Exostoses ostéogéniques.

Dystrophie osseuse héréditaire (5p1.),437.

INFROIT, VOISIN et Macé de Lépinay. Élude

clinique et radiographique d'un cas de

dnostose cleïdo-crânienne, 227.

Klippel et P. BoucuET. Hémimélie avec

atrophie numérique des tissus (S pl.,

il ng,) 290, 396.

Lafon et M. Teulières. La mydiiase hys-

térique, 243

LAMY, Poli encéphalite chronique ; ophtal-

moplégie et paralysie bilatérale de la

branche motrice du trijumeau ; tabès

probable (1 pl.). 117.

LEJONNE et RAYMOND. Syringomyélie avec

phénomènes bulbaires et troubles tro-

phiques intenses, 261.

Léon (JACINTO DE). Polynévrite aiguë infan-

tile ; pseudo-paralysie spinale infantile,

216.

LHERMITTE et Artom. Un cas de syringo-

myelie avec cheiromégalie suivi d'au-

topsie, 374.

Long. Examen histologique des téguments

et des troncs nerveux dans un cas de

trophoedème congénital (t pt.), 155.

Long. Atrophie musculaire progressive des

membres supérieurs, type Aran-Duchen-

ne, par névrite interstitielle hypertro-

phique (contribution a l'etude des mala-

dies d'évolution) (9 dessins, 2 pl.), 46.

Macé DE LEPINAY, VOISIN et Infroit. Etude

clmique et radiographique d'un cas de

dysostose cléido-crânienne, 227.

Marie (Auguste). Note sur la folie haschi-

chique (1 pl.), 252.

Marie (Auguste). Folies pellagreuses des

Arabes, 353.

Meige (Henry). Les péripéties d'un tortico-

lis mental, 461.

Muge (HENRY). Une révolution anatomique

520 TABLE DES AUTEURS

I. L'anatomie du cadavre et l'anatomie

du vivant 110 pl.), 97.

Meige (Henry). Une révolution anatomique

(suite ei fin). 11. L'e,,oche 11101 t et l'e-

corché vivant (4 pi.), 174.

PAAHON et CAHdCOU Sur un nouveau cas

de Irophoedème chronique. Considéra-

tions sur l'etiologie et la palhogenie du

trnphoedème, 448.

Parhon et Florian. Sur un cas de truphoe-

dème chronique il pl ? 159.

PARHON et ZALPL4CTA. Sur nn cas de gigan-

tisme précoce avec polysarcie excessive

(in ! .),91.

POLIMANTI Sur le phénomène de Charles

[tell il pl.) 508.

Prunier. Adipose douloureuse chez une

epileptique imbécile et aveugle (1 tl.),

168.

Raymond et ALQUIER. Sur un cas de para-

Ivsie nseudo-bultuitre (3 pl.). 3-il.

Raymond t L. RAüOYNEIC. Sur un ra de

rhumatisme chronique vertébral (2 pl.),

28

Raymond et Lejonne. Syringomyélie avec

phénomènes bulbunes et troubles tro-

phiqups (4 pl.. -' fig.) 261.

Raymond et F, Rose. Myopathie nspudo-

hypertrophique des mollets et des cein-

turrs ^capillaires : atrophie du grand

ppdoral (1 [il ), 224.

Rose et F. RAYMOND. Myopathie pseudo-

hypertl'Ophiqup des mollets et des rein-

tures scapulaires : etrophie du giand

pectoral, 224.

Rossi.Atrol hie primitive parenchymateuse

du cei veletà localisation corticale (3 pl.),

66.

Rossi. Coïncidence chez un ? me mlllade

de paraplégie cérébrale infantile et de

paralysie spinale infantile. Autopsie

'4 ni.), 12-2.

Rossi et Roussy. S\ndrome de Weber avec

hémianopsie dahint de 28 ans (a pi ),185.

Rossolimo. Le topngrnphr cerehral, 431.

Roussy et Rossi. Syndrome de Weber avec

hémianopsie datant de 28 ans, 185.

Séglas. Des symptômes cala Ionique, au

runrs de la pAralY'le général-- (2 01.),18,

SÉOLAS Pl Barré. Un cas de porencéphalie

riiez un hydrocéphale épileptique(4 pl.),

423.

SICARD et Descomps. Torticolis mental de

Brissaud. Insuccès du traitement chirur-

gical (1 pi.), 459.

Souques. Tumeur cérébrale de la région

des clcnuvolutious pariétales supérieu-

res(2pLj,3R5.

Teulières et l h. LAFON. La mydriase bys-

leryue. 243.

Tissot. DEI,OUY et Charron. Un cas d'a-

rhondroplnwe, 3"U.

Vigouroux et Delmas. Infanlilisme et insuf

si ? nuP di,st 111"III"e (1 pl.), 238.

Voisin, Macé de 1 EPIN \ et Infroit. Etude

clinique et radiogiaptiique il un cas de

dysostose cleid ? nimenne (4 [il.), 227.

Weber. De quelques altérations du tissu

cel ebl al dues à la présence de tumeur

(11 fi¡¡..2 2 pl pi ), 275.

Wickersheimer et LuciEN Hahn. Un cas

d y·petruphie mammaire illustré par

Horace Vemrt, 41R.

Wladyczko. Troubles mentaux pendant le

sieye d ' Port-Arlhur, 340.

ZALPLACTA et PARHON Sur un cas de gigantis-

me précoce ne'1 polysarcie excessive, 91.

ZOGRAFIDI Les lésion» afialomo-patliologi-

ques de la moelle dans la maladie par

décompression chez les scaphandriers

(1 pi.), 208.

TABLE DES MATIÈRES

Acroméonlie avec o ? éoarthl'Opathi., et pa-

rapléqie (4 pL), p.r BEDUSCIII, 443.

Adipose douloureuse chez une é/JÏle,'tique

imbecile et aveugle (i pi.), par Prunier,

168.

Anatomique [Révolution). 1- L'anatomie

du cadavre et l'anatomie du vivant

(10 pl.).- 2° L'écorché mort et l'écorché

en vie, par Henry MEIGE, 97, 174.

Atrophie musculaire progressive des mem-

bres supérieurs, type Aran- Dut henné,

par névrite iarerslirielle hypei trophique

(contribution à l'étude de\ maladies d é-

valution) (9 dessins, 2 pi.), par E. Long,

46.

Catit toniques (symptômes) au CO'II'S de la

paralysie qértérale (2 pl ), par SÉGLAS, 18.

Cervelet [atrophie parcnchymateuse à to-

calisation corticale) (3 pi. par 1. Rossi,

66. .

Cervelet sénile (4 pl.), par ANGLADE et Cal-

mettes, 357.

Dysostose cléido-crânienne (Etwle clinique

el nariographrque) (4 pl.), par' Voisin,

Macé DE LErtaex et INFROIT), 227.

Exosloses 0'léoqeniques Dys rophie os-

seuse héréditaire (5 pi ), par Halipré et

Hébert, 437.

Folie /i6['.t ? te/M<y ! <e, par Auguste Marie, 252.

Gigantisme précoce avec polysarcie excès-

sive (1 pi ), par Parhon Il Ziplacta, 91 .

Hémimélie avec atrophie numérique des

tissus (3 pl., 11 fig.), par HLIPPBL OtP.BOU-

CHR,T, 290, 396.

Infantilisme Il'\ vrai, par BRISSAUD, 1.

Infantilisme et in '" {fi anre din·tPrnalique

(1 pl.), par VIGOUROUX et DELMAS. 238.

Mammaire (ltrtpertrolrteiv), illustrée par

Horace VPrnet (1 pl.), par L. HAHN et

WICIOERSHEBIER), 418.

Mentaux (troubles) pendant le siège de

('or-l-Artltrrr, par WLADIr.710, 340.

Mydriase hystérique, par C. LAFON et M.

Teulières, 243.

Myopathie pseudo hyper trophique des

mollets et des ceinture, srapulatres,atra-

ptrie du grand pectoral (1 pi.), par RAY-

atorrn et Rose, 224.

OEsophnge (,'ndindiaqnostic dans un cas

de dilatation paralytique) (2 pl.), par

BERrfILOTT1 et BOIDI TROTTI, 834.

Oslétm syphilitique (2 pl.), par Quartier

et DESCOMPES, 84.

Paralysie ¡ ? udo bulbaire (3 pl.), par RAY-

TfOP7D et ALQUIER, 371.

Paraplégie terebiale infantile coïncidant

avec une para 41ste spinale infantile. Au-

tops,e (4 jil.) par Italo ROSSI, 122.

Pellnyreuses {folies chez les Arabes) (1 pl.),

par Auguste Marie, 353.

Phénomène de ( : harles Bell (sur le)

(1 pl.). par Polimanti 508.

poben 'éphaltle; ophtalmoplégie et para-

lysie bilatérale de la branche molrice

du trijumeau; tubes probable (i pt.),

par H. Lamy, 117.

Polynévrite aiguë infantile ; psendo-pnra-

lysies ¡>inale infantile, par J de Léon,216.

Porencéphalie chez un hydrocéphale épi-

leptique ( pl.), par Séglas et Barbé, 425.

Rhumal sme vertrbrrrl n'It1'07tiqild (2 pl.),

par Raymond et BABONIOEIX. 28.

Scaphandriers (lésians ue la moelle dans

la /lia rtrlre pur décompression) (1 pL).

par ZOGRAFIDI, 208.

Syringomyélie avec cheiromégalie suivie

d'attlopsze, par LHERMITTE et ARTOM, 314.

Syringomyélie avec phénomènes bulbaires

et troubles trophiques intenses (4 pl.,

2 fig.), par Raymond et Lejonne, ? 6l.

Topographe cet-ebial (3 6g.), parRosso-

LINIO, 431.

TOI.a. ol" mental (les péripéties d'un).

Histuire clinique et thérapeutique (3 fig.),

par HENHY Meige, 461.

Torticolis mental de B, issaetd, Irzsrtccès du

traitement chirurgical (t pl.), par SICARD

et DESCOMPS, 459.

Ttnp"oedeme chronique : un nouveau cas

avec considérations sur l'eliologie el la

pathoq""i du tl-ophoedème, par Parhon

et Caracou, 448

Tl"opltoedème$c ? oniq""s d'oriaine 1 ?

mulique (1 pl.), , [)..r Etienne,

Trophoe,feme chronique (un cas

par Parhon et Florian, 159.

522 TABLE DES MATIÈRES

Trophoedème congénital (Examen histolo-

gique des téguments et des troncs ner-

veux) (1 pi.), par E. Long, 155.

Tumeur cérébrale de la region des circon-

volutions pariétales supérieures (2 pi.),

par Souques, 365. '

Tumeurs cérébrales[de quelques altérations

dues à leur présence) (H fig., 2 pl.),par

R. WE3ER, 275.

Weber (Syndrome de) avec hémianopsie

datant de 28 ans (3 pi.), par ITALO Rossl

et G. Roussy, 185.

Zoniformes (ecchymoses spontanées) (1 pl.),

par ETIENNE, 385.

TABLE DES PLANCHES

Achondroplasie (CfiARRON,DEGOUY et TISSOT,

LXX à LXXIII.

Acromegalie a'ec ostéoarthropathies (BE-

Dusciii), LXXXIV a LXXXVII.

Adipose douloureuse chez une imbécile

épileptique et aveugle (Prunier), XXXII.

Anatomie du cadavre et anatomie du vi-

vant 1 HENRY MEIGE), XIII à XXIII.

Atrophie mus ulaire progressive des mem-

bres supérieurs par nevnte interstitielle

hypertrophique (E. Long), V, VI.

Atrophie primitive parenchymateuse du

cervelet (ITALO ROSSI), VII, VIII, IX.

Catatonie au cours de la paralysie géné-

rale (J. SEGLAS), 1, l1.

Cervelet sénile (ANGLADE et CALMETTES), LX

a LX111.

Dysostose cléido-crânienne (ROGER Voisin,

Macé de LEPINAY et INFROIT), XLII à XLV.

Ecchymoses zoniformes spontanées (ETIEV-

,NE), LXIX.

Ecorché mort et écorché vivant (Henry

NEIGE), XXXIII a XXXVI.

Exostoses osteogéniques héréditaires (Ha

LIPHÉ et Hébert), LXXIX à LXXXIII.

Folie haaehichique chez les Arabes (Au-

GUSTE MAR,E), XLVII,

Folles pellagreuses des Arabes (Auguste

Marie), LIX.

Gigantisme précoce avec polysarcie exces-

sive (PARHON et ZALPLACTA), XII.

Hémimélie avec atrophie numérique des

tissus (ILIPPEL et P. Bouchet), LIV, LV,

LVI.

Hypertrophie mammaire illustrée par

Horace Vernet (L. HAHN et E. WICIOERS-

REIMER), LXXIV.

Infantilisme et insuffisance diastématique

(VIGOUROUX et DELMAS), XLVI.

Moelle (lésion de la) par décompression

chez les scaphandriers (ZOGRAFIDI), XL.

Myopathie pseudo - hypertrophique des

mollets et des ceintures scapulaires ;

atrophie du grand pectoral (RAYMOND et

Rose), XLI.

Ostéite syphilitique déformante type Paget

chez une syphilitique (CHARTIER et P.

DEscoNips), X, XI.

Paraplégie cérébrale infantile et paralysie

spinale infantile (1 Rossi), XXV a XXVIII.

Paralysie pseudo-bulbaire (Raymond et AL-

QUlER), LXVI à LXVIII.

Phénomène de Charles Bell (Polimanti),

LXXXIX.

Poliencéphalite chronique. Ophtalmoplé-

gie et paralysie des muscles mastica-

teurs (H. LAMY), XXIV.

Porencéphalie chez un hydrocéphale épi-

leptique (Séglas et Barbé), LXXV à

LXXVIII.

Radiodiagnostic dans un cas de dilatation

paralytique de l'oesnphage (BERTOLOTTI et

Boidi-Trotti), LVII, LVIII.

Rhumatisme veriebral chronique (RAY-

MOND et Beaon,talx), III, IV.

Syndrome de Weber avec hémianopsie

(Rossi et Roussy), XXXVII a XXXIX.

Syringomyélie avec phénomènes bulbaires

et troubles trophiques intenses (RAY-

MOND et Lejonne), XLVIII à LI.

Torticolis mental de Brissaud (Sicard et

Descomps), LXXXVIII.

Trophoedème congénital (Examen histolo-

gique) (E. Long), XXX.

Trophaedéme chronique (PARHON et FLORIAN),

XXXI.

Trophoedème chronique d'origine trauma-

tique (ETIENNE), XXIX.

Tumeur cérebrale (Souques), LXIV, LXV.

Tumeurs cérébrales (R WEBER), LU, LUI.

Le gérant : P. Bouchez.

Imp, J. THEVENOT, Saint-Dizier (Hte-Marne)