NOUVELLE
ICONOGRAPHIE
DE LA
SALPÊTRIÈRE
T.OM'E X;X
Avec de nombreuses figures intercalées dans le texte et 89 planches hors texte
1907
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA
SALPÈTRIÈRE
J. M. CHARCOT
Gilles DE la TOURETTE, PAUL RICIIER, ALBERT LONDE
Fondateurs
ICONOGRAPHIE MÉDICALE
ET
ARTISTIQUE
Patronage scientifique :
J. BABINSKI. G. BALLET. E. BRISSAUD
DEJERINE. E. DUPRÉ. A. FOURNIER. - GRASSET
JOFFROY. PIERRE MARIE. PITRES. RAYMOND
RÉGIS. SÉGLAS
ET
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE
DE paris
Direction : .- Rédaction : .-
PAUL RICHER HENRY MEIGE
TOME VINGTIÈME
Avec de nombreuses figures intercalées dans le texte et 89 planches hors texte
PARIS
MASSON ET ce, 1 ÉDITEURS
LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
1 : ;10, Boulevard Saint-Germain (fis)
. 1907
NOUVELLE
1 c(J : r ? o G R A PHI E
DE LA SALPÊTRIÈRE
L'INFANTILISME VRAI
PAH
E. BRISSAUD,
Professeur à la Faculté de Médecine de Paris.
Le sujet de l'infantilisme qui, depuis peu d'années, a fait son appari-
tion dans le domaine de la clinique et de la pathologie, engage dans une
large mesure ma responsabilité. Mais avant tout, je tiens à dire que la res-
ponsabilité du mot ne m'appartient pas. Il y a une quarantaine d'années,
Lorain avait suggéré à un de ses élèves, Faneau de Latour, une thèse sur
l'infantilisme et le féminisme des tuberculeux et des cardiaques. Les prin-
cipaux traits qui, selon Lorain, caractérisaient l'infantilisme étaient la
débilité, la gracilité, la petitesse du corps. Il spécifiait : « C'est une sorte
d'arrêt de développement qui porte plutôt sur la masse de l'individu que
sur un organe spécial ». En vérité, si l'on s'en tenait à cette définition, le
mot s'accorderait bien mal avec la chose. En effet, s'il convient à la raison
d'admettre qu'un sujet infantile doive être petit par définition (c'est-à-dire
que la petitesse soit une condition nécessaire de l'infantilisme),il ne vien-
dra à l'idée de personne que l'infantile doive être également, ipso
facto, grêle et débile.
L'infantilisme envisagé par Lorain n'est en somme rien autre chose
qu'un état dystrophique général produit et entretenu pendant la période
de croissance par une maladie chronique congénitale ou accidentelle.
L'évolution s'accomplit difficilement, lentement, avec des ressources in-
suffisantes, et la maturité est un l'ait accompli avant que les organes aient
atteint leurs dimensions habituelles. Le fruit est mûr, mais c'est un petit
xx 1
2 BRISSAUD
fruit. Il n'a pas le volume correspondant au type moyen de son espèce,
mais il est bien conformé et bien proportionné ; si bien que, à part la
maigreur et la faiblesse qui sont l'effet de la maladie, l'infantile de ce
genre n'a rien d'un enfant. C'est un petit homme, mais c'est un homme.
Tout de suite, une question se pose : si cet hommc n'a rien d'un enfant,
sauf la petite taille, pourquoi le qualifier d'infantile ? Il y a là sans doute
quelque chose d'illogique et même de contradictoire qu'on doit regretter.
Cependant, nous avons cru qu'il était juste de consacrer à ce genre assez
particulier de dystrophie le nom qui lui avait été attribué tout d'abord ;
et comme, après tout, les mots valent moins par leur provenance étymo-
logique que par la signification qu'on leur donne, nous avons nous-même
respecté l'usage, .
...l'usaige
« qui dans les formes du langaige
règne en arbitre souverain ».
Bien plus, et loin de biffer de la nomenclature médicale un néologisme
dont le sens ne demandait qu'à être précisé, j'ai proposé de réserver un
chapitre spécial sous le titre ^infantilisme du type Lorain à tous les cas
de misère physiologique de l'mlnlescence qui se traduisent, jusque dans
la période adulte, par « la débilité, la gracilité, la petitesse ».
.' Ce point de départ ayant été unanimement consenti, je réserverai les
quelques problèmes que soulève encore la question de l'infantilisme du
type Lorain, et je m'occuperai immédiatement d'un autre infantilisme,
tout différent du premier, et celui-là authentique, digne du nom qu'il
porte, car il est compatible avec la parfaite santé et peut s'observer chez
des individus, même avancés en âge, qui ne sont ni grêles ni débiles.
Personne ne conteste plus l'authenticité de cet infantilisme. Les spéci-
mens en sont nombreux et frappants. En elfet, à qui n'est-il pas arrivé
d'éprouver une véritable surprise en apprenant qu'un enfant qui ne pa-
raissait avoir guère plus de dix à douze ans, en a réellement quatorze ou
quinze ? La surprise s'explique par le fait que chaque âge se devine ou se
suppose à de certaines apparences, à un certain air qui ne trompe guère,
et cela surtout dans les premières années où les changements s'accom- z
plissent d'autant plus vite et plus régulièrement que le sujet est plus jeune.
Croire qu'un enfant qui a quatorze ans n'en a que douze est une erreur :
c'est une erreur de deux années. Exagérons cette erreur encore d'une
année dans les deux sens, soit une année de plus en réalité, et une année
de moins pour l'apparence ; et ainsi supposons qu'un enfant de quinze
ans semble n'avoir que onze ans : c'est une erreur de quatre ans. Déjà nous
avons affaire à un cas assez exceptionnel. Exagérons l'erreur encore :
voi là un enfant de seize ans qui paraît n'avoir que dix ans. Cette fois il n'y
l'infantilisme vrai 3
plus de doute, nous sommes en présence d'un cas d'infantilisme, car à
seize ans l'enfance devrait avoir fait place à l'adolescence; une transfor-
mation profonde et générale qui devait s'accomplir n'est pas commencée.
Le diagnostic est à la portée de tous, et il n'est pas besoin d'être médecin
pour affirmer que c'est là de l'infantilisme au premier chef. Ainsi,
jusque-là, ce sont les apparences, rien que les apparences, qui entraînent
la conviction.
Un simple fait va me permettre de préciser : L'an dernier une dame
de Paris me présente ses deux filles : l'une a seize ans, elle est grande et
bien développée, mais elle subit une atteinte de chlorose (c'est pour elle
que la mère vient me consulter) ; l'autre est une fillette de bonne mine,
à la physionomie réjouie et malicieuse. C'est encore une enfant. A-t-elle
dix ans ou onze ans ? .. on peut hésiter entre ces deux chiffres. Et cependant
celle-là est l'aînée; elle a dix-sept ans. La mère le dit presque en rougis-
sant, et la grande soeur en parait contristée. La petite au contraire est en-
chantée et comme toute fière de l'effet qu'elle produit ; inutile d'ajouter
que sa santé est irréprochable et qu'il n'est pas encore question de chlo-
rose pour elle. °
Ce fait est rigoureusement conforme à la définition de l'infantilisme
que nous avons, avec M. Henry Meige, proposée, et qui est la suivante :
« L'infantilisme est une anomalie du développement caractérisée par la
persistance, chez un sujet ayant atteint ou dépassé t'age de la puberté,
des caractères morphologiques appartenant à l'enfance. Ce retard du dé-
veloppement physique a, en général, pour corollaire un retard du déve-
loppement psychique. » -
Détaillons le signalement de l'infantile.
Le sujet infantile, eût-il dix-huit ans, vingt ans, même davantage, sa
face est arrondie, plutôt joufflue (comme chez la plupart des enfants bien
portants), il a le nez peu développé et sans caractère, la peau fine et
claire, les cheveux fins, les sourcils et les cils encore assez peu fournis.
Les formes extérieures ne sont même pas celles d'un adolescent. La tête
est forte pour la taille. La poitrine, les membres sont gras et potelés, le
ventre est gros et légèrement proéminent. Enfin, les organes sexuels bien
conformés n'ont encore subi aucune évolution et il n'existe aucun indice
de puberté, même lointaine. Cette brève description n'est pas un schéma.
C'est le portrait, rapidement esquissé, mais très sincère et très exact, de la
petite personne qui se réjouissait tant de notre surprise. Qui donc, non mé-
decin ou médecin, prétendrait que le mot d'infantilisme ne convient pas
à un pareil état ? C'est un fait, auquel on donne la consécration d'un nom ;
Mais, si au lieu de s'en tenir au mot, on envisage la chose en soi, le
problème étiologique surgit avec toutes ses difficultés.
4 BRISSAUD
Un cas isolé n'est jamais explicable, car toute explication repose sur des
relativités, c'est-à-dire sur des rapports d'analogies et de dissemblances.
Or l'infantilisme se révèle sous des aspects très différents qui, d'une part,
sont autant de termes de comparaison, et qui,d'autre part,par gradation in-
sensible, se confondent avec cet état morbide parfai temèn t défini qu i est le
myxoedème. La disproportion de l'âge apparent et de l'âge réel devient
littéralement monstrueuse chez les idiots myxoedémateux qui conservent
'jusqu'à un âge assez avancé tous les attributs de la première enfance. Mais
parmi ceux-là -comme chez tous les vrais infantiles -- il en est dont la
santé n'a jamais subi aucune atteinte. Ils n'ont rien de ce qui fait une ca-
chexie progressive, au vrai sens de ce mot. Il nous a donc paru rationnel
d'assimiler les infantiles à des myxoedémateux chez lesquels les manifes-
' tations graves de la cachexie strumiprive feraient défaut.
L'assimilation passerait pour injustifiable aux yeux de ceux qui,avantles
beaux travaux de Bourneville, voyaient dans l'idiotie myxoedémateuse une
maladie cérébrale compliquée de troubles trophiques,-disons : demyxoedè-
me à divers degrés.Ceux-)à mettaient en première ligne et en première date
l'abolition ou l'insuffisance des fonctions intellectuelles. C'est l'inverse qui
est la vérité. D'abord, il n'y a jamais abolition des facultés intellectuelles,
pas plus dans le myxoedème que dans l'infantilisme. L'embryon lui-même
a sa psychologie propre, à moins qu'il ne soit anencépale ; et comme le
myxoedème ne supprime pas les connexions embryonnaires des neurones,
il laisse en l'état les aptitudes psychiques du nouveau-né. Il en est exacte-
ment de même chez les infantiles : leur intelligence, du fait de l'arrêt de
développement des éléments de l'écorce, reste approximativement équiva-
lente à celle de tel ou tel sujet dont l'âge réel correspond à tel ou tel âge
apparent. b 1
Il était indispensable d'établir ce rapport, d'une manière très générale,
puisque, dans l'idiotie myxoedémateuse, l'idiotie loin d'être primitive est
étroitement subordonnée au degré du myxoedème. Dans l'infantilisme
également, les deux éléments du syndrome forment un tout, mais leur
importance respective varie selon les individus. C'est un point auquel je
m'arrêterai bientôt.
Au préalable, revenons sur l'état psychique de la jeune fille que je
signalais comme le prototype du genre.
Au point de vue intellectuel,elle était encore une enfant malgré ses dix-
sept ans. Elle jouait à la poupée. Sans doute elle savait très bien lire,écrire,
compter et mettre l'orthographe comme une enfant de dix à onze ans,
moyennement instruite ; mais ses lectures favorites étaient les contes de
fée ; elle apprenait assez facilement, mais seulement de mémoire, et le
raisonnement ne progressait pas. Elle préférait à la société des jeunes
l'infantilisme vrai S
filles de son âge réel celle des petites filles de son âge apparent. Elle n'a-
vait même pas encore le désir de grandir, de devenir une demoiselle et de
porter des robes longues comme sa soeur plus jeune qu'elle. Son caractère
était heureux, doux et enjoué, mais elle restait désobéissante ; et en rai-
son de son âge réel, ses parents croyaient devoir fermer les yeux.
Dans d'autres cas moins caractéristiques ou moins francs,l'infantilisme
se rapproche davantage du myxoedème ; et les analogies de l'un et de l'autre
augmentent en raison directe de l'intervalle qui sépare l'àge réel de l'âge
apparent. Qu'on en juge par l'exemple suivant : En 1894, nous avons
observé et suivi avec beaucoup d'intérêt un garçon de 19 ans qui nous
fut amené par sa mère à l'hôpital St-Antoine, nanti d'un état civil qui
nous stupéfia. Nous ne pouvions pas croire qu'il eût plus de 10 ou Il ans.
L'administration avait fait des difficultés pour le recevoir dans un hôpital
d'adultes. Lui-même n'y voulait pas rester. La surveillante de la salle
dut l'amadouer par des caresses et des bonbons. Alors il la prit en affec-
tion, il l'embrassait, il l'appelait « maman »,et quantelle était obligée de
le négliger pour s'occuper d'autres malades,il fondait en larmes. Tous ces
enfantillages paraissaient même disproportionnés avec son âge apparent.
Mais, comme ce garçon de dix-neuf ans n'avait jamais quitté sa mère,nous
ne nous étonnions pas qu'il se comportât, dans tous ses actes, à la fois
comme un infantile et comme un enfant gâté.
La certitude - établie par des documents authentiques qu'il touchait
presque à l'âge où l'on devient soldat, nous fit admettre immédiatement
que le retard de son développement dépendait d'un état morbide voisin
du myxoedème. Le jeune Philippe avait le facies « lunaire », les yeux un .
peu bouffis, les lèvres épaisses, les joues grosses et rondes. Sa conforma-
tion générale n'était même pas celle d'un adolescent. Il avait les mem-
bres gras et potelés. Ses organes génitaux étaient rudimentaires, quoique
bien conformés.
Evidemment, il s'agissait d'un myxoedème fruste ou,pour mieux dire, at-
ténué ; nous pensions pouvoir affirmer d'avance que le corps thyroïde était
atrophié. Le fait est qu'il était à peine perceptible.A la vérité, nous igno-
rions à cette époque qui remonte à plus de dix ans - la grande
difficulté qu'on éprouve non seulement à déterminer les limites et le vo-
lume du corps thyroïde, mais encore à en constater,réellement et sans idée
préconçue, l'existence. Rien n'est plus difficile que d'apprécier les di-
mensions de cette glande ; et encore, s'il est possible d'y réussir,le rensei-
gnement obtenu par le palper n'a pas une signification de grande valeur.
Tout dépend de la fonction. Par contre, une indication précisé, spon-
tanément venue des parents du malade, intrigués par l'enquête elles
manoeuvres auxquelles nous nous livrions, nous éclaira tout à coup sur
6 BRISSAUD
l'origine de cette dystrophie et nous en révéla la nature : Vers l'âge de dix
ans une grave maladie avait mis en danger la vie de l'enfant; le cou avait
été le siège d'une inflammation avec gonflement de toutes les glandes.
. Thyroïdite aiguë ? .. Adénopathie ? .. Toujours est-il que c'est à dater de
cette affection restée indéterminée que, la croissance et toutes les autres
fonctions de développement s'arrêtèrent. Et le temps s'écoula depuis lors
sans apporter aucun changement à un état physique et intellectuel qui
semblait s'être fixé, immuable et définitif, comme si un obstacle avait tout
à coup interrompu l'évolution et réduit à néant la vitesse acquise. Que le
corps thyroïde ait subi à cette époque une profonde atteinte, cela n'était
plus douteux. Et ainsi la nature myxoedémateuse de l'infantilisme s'af-
firmti d'elle-même.
Chose curieuse, et même en apparence paradoxale, ce myxoedème n'était
pas morbide. Nous voulons dire par là que, malgré son origine patholo-
que, il ne contrariait en rien l'accomplissement normal des fonctions.
Resté enfant,c'était un enfant bien portant,et rien ne faisait prévoir que sa
santé fut menacée. Il était satisfait de son sort, les années s'écoulaient et
ne comptaient pas pour lui. Il faisait mentir le proverbe éternel et uni-
versel : « Tout n'a qu'un temps », car il restait figé comme dans le moule
de l'enfance.
Voilà donc deux exemples d'infantilisme qui démontrent que l'état
dystrophique caractérisé par l'immobilisation des phénomènes évolutifs est
compatible avec une parfaite santé. L'assimilation de l'infantilisme avec
le myxoedème est-elle donc justifiée ? Ou bien le myxoedème ne serait-
il pas un véritable état morbide ? ?
Non, le myxoedème infantile, à l'inverse du myxoedème'de l'adulte,
n'est pas, dans l'immense majorité des cas, un état morbide. C'est une
manière d'être, une anomalie morphologique et fonctionnelle, qui ne com-
promet pas l'existence, qui même - nous aurons bientôt à le dire -
fournit de tristes exemples de longévité.
En quoi donc consiste et à quoi se résume la dystrophie myxoedéma-'
teuse ? Elle consiste dans le ralentissement ou l'arrêt de tous les actes on-
togéniques, sans exception. A quoi se résume-t-elle ? A l'insuffi-
sance, voire même l'annihilation, de la fonction thyroïdienne. Supposons
le suprême degré de ce trouble fonctionnel : l'enfant vient au monde, et la;
glande thyroïde ou n'existe pas ou ne sécrète pas. Voilà un être condamné;
à l'état de nouveau-né à perpétuité. Il conserve son aspect foetal.
Ce qui produit chez l'adulte la dystrophie pachydermique, c'est une
lésion de la totalité de la glande thyroïde, et il y a tout lieu de croire que
cette lésion totale frappe à peu près à un égal degré tous les éléments
sécréteurs delà glande. En cela le myxaedème de l'adulte se rapproche de;
l'infantilisme VRAI 7
la cachexie strumiprive opératoire ou de la forme expérimentale de cette
cachexie à tel point qu'il n'y a plus entre celle-ci et celle-là de diffé-
ronces cliniques appréciables. La gravité de la maladie est telle que la mort
en est la conséquence à peu près fatale. Au contraire, chez le nouveau-
né, la suppression de la sécrétion interne indispensable au développement
n'est jamais absolue. En effet, de deux choses l'une : ou bien la lésion thy-
roïdienne n'est jamais que partielle ; ou bien, supposer qu'elle soit totale,
il y a assez d'autres glandes de fonctions analogues pour suppléer à l'ab-
sence du corps thyroïde. D'ailleurs un faitprouve, d'une façon certaine,
que les phénomènes de croissance et de développement organique ne sont
pas exclusivement soumis à la sécrétion thyroïdienne.
Bien avant que la glande thyroïde ne se soit différenciée, l'embryon a
déjà su se constituer tout seul, sans provocation du système nerveux, sans
subordination au système nerveux ; et les feuillets blastodermiques ont
effectué leurs bourgeonnements systématiques en dehors de toute ingé-
rence d'un organe directeur préexistant.
Ce n'est pas à une époque déterminée,ce n'est pas à un jour précis de la
croissance que le squelette, les tissus et les viscères vont réclamer les bons
offices du corps thyroïde. L'impulsion date de la conjonction fécondante
de la cellule mâle et de la cellule femelle. L'évolution s'accomplit dans
le squelette, dans les tissus, dans les viscères séparément pour le compte
et au compte de chacune des parties du tout. S'il en était autrement,
l'enfant qui viendrait au monde, dépourvu de corps thyroïde, conserve-
rait indéfiniment les dimensions, les proportions, la conformation qu'il
avait à la fin de la vie intra-utérine. Ce serait un foetus respirant, mais
un foetus à tout jamais.
Or les faits les plus caractérisés et les plus complets de myxoedème con-
génital démontrent que l'évolution ne s'en tient jamais là. Entre tous ces
faits, celui du légendaire Pacha de Bicêtre,réalise le spécimen du genre, le
plus beau scientifiquement, le plus hideux morphologiquement. Il conserva
des formes foetales, mais il grandit, il fit ses dents, il put être sevré, il
apprit à marcher. On peut même dire que c'est à sa croissance et à ses
progrès qu'il dut sa repoussante laideur. S'il était resté tel qu'au premier
jour, il n'aurait été ni plus ni moins affreux que tous les enfants à leur
naissance. Un nouveau né estpresque toujours un très vilain petit mons-
tre, et pour lui trouver quelque charme esthétique, il faut en être, ou
s'en croire, - le père.
Par bonheur le myxoedème est rarement congénital. Si les causes qui le
produisent surviennent plus tard, par exemple à huit ou dix ans comme
chez les deux sujets dont nous venons de parler, les transformations évolu-
tives s'arrêtent ou se ralentissent,et toutes celles qui se sont accomplies res-
8 BRISSAUD
*
tent acquises. Aussi voit-on des infantiles de tous les degrés ; et chaque
degré d'infantilisme est déterminé par l'âge auquel l'insuffisance ou l'ar-
rêt de la fonction thyroïdienne a interrompu les phénomènes normaux du
développement. Il y a là comme une sorte de loi de progression dont
l'exactitude nous apparaît de jour en jour plus évidente, au sur et à mesure
que nous enregistrons de nouveaux faits.
Un employé d'administration publique que nous avons l'occasion de
voir souvent est un petit homme à la physionomie enfantine, aux traits ar-
rondis, absolument glabre, et qui passerait facilement pour un adolescent
de-quatorze à seize ans si la peau n'avait été déjà flétrie par un nombre
d'années double de celui qu'il parait avoir. En effet, il a trente-deux ans;
il mesure 1 m. 42 de taille, c'est-à-dire qu'il n'a presque plus grandi
depuis sa première puberté ; et quoiqu'il n'ait jamais eu la seconde, celle
de la virilité confirmée, celle du visage, il a épousé une femme sensible-
ment plus grande que lui, use de toutes la prérogatives du mariage, est
le père, au moins légitime, de deux enfants. Une absence presque complète
de corps thyroïde ne l'empêche pas de se porter à merveille,etil pourrait
remplir son emploi de fonctionnaire avec beaucoup de régularité ; mais
il ne manque pas une occasion ou un prétexte pour s'absenter de son
bureau, pour faire] l'école buissonnière comme un véritable gamin, et il
faut toute la bienveillance de ses chefs, stimulée par de puissantes protec-
tions, pour qu'on ne l'ait pas encore cent fois congédié. Ainsi, voilà un
homme déjà mûr depuis longtemps, chez lequel l'infantilisme ne peut
être mis en doute ; seulement son infantilisme date de la fin de la seconde
enfance.
Si nous voulions multiplier les exemples,nous n'aurions que l'embarras
du choix ; et nous devrions nous borner à signaler de simples diffé-
rences de degré suivant les cas, c'est-à-dire suivant la période de début de
l'insuffisance thyroïdienne. Mais il est un point sur lequel je tiens à
être très catégorique. Les différences de degré n'impliquent pas la simi-
litude rigoureuse des variétés de l'infantilisme chez tous les sujets dont
l'arrêt de développement s'est produit au même o2ge. Il faut résister à cette
tendance en vertu de laquelle la pathologie s'encombre de formules abso-
lues. L'infantilisme n'exclut pas la possibilité d'acquérir la taille normale
ou moyenne, d'abord parce qu'il y a des adolescents de 13 ou 14 ans qui
peuvent ne cesser de grandir qu'après avoir atteint 1 m. 70 ou 1 m. 75,
ce qui est loin d'être rare; puis, parce que l'infantile, pas plus que le
myxoedémateux congénital, n'est fatalement condamné à conserver ses
proportions natives. Nous observons journellement un autre individu
infantile, également fonctionnaire, qui se rapproche du précédent parcette
vague ressemblance qu'ont entre eux tous les enfants : il a 1 m.72 de taille.
l'infantilisme vrai 9
Nous en avons vu qui sont encore plus grands ; bien plus, l'association de
l'infantilisme avec le gigantisme n'est pas exceptionnelle. Du moins,
et c'est là un fait, sur lequel M. Henry Meige a appelé l'attention, si l'in-
fantilisme peut exister seul, on l'observe avec une remarquable fréquence
chez les géants.
Dans une récente et volumineuse monographie, Sante de Sanctis pro-
testa contre l'opinion en vertu de laquelle un géant peut être infantile.Il
ne peut y avoir là qu'un malentendu, car il n'y a pas à s'élever contre un
fait dont l'évidence est éclatante. Nous savons qu'un myxoedémateux de
naissance grandit en conservant les apparences et les rapports de confor-
mation du foetus à terme. Or, si après deux ou trois ans de croissance, sa tête
reste grosse relativement au reste du corps, si ses membres inférieurs ne
deviennent pas plus longs que les membres supérieurs, s'il ne fait pas ses
dents, s'il a le ventre toujours gros et proéminent, s'il a la face ronde, les
joues encore gonflées par une « boule de Bichat » volumineuse,s'il a les yeux
bouffis comme au jour de sa naissance, incontestablement ce myxoedéma-
teux est plutôt un foetus gigantesque qu'un enfant attardé. Aussi ne com-
prenons-nous pas en quoi l'association des deux mots infantilisme et
gigantisme peut choquer M. Santé de Sanctis. Nous avons vu en Espagne
figurer dans les processions religieuses de certaines grandes fêtes, des géants
représentés par d'immenses mannequins affublés de vêtements d'enfants.
Cette pieuse mascarade reproduit une des fantaisies les plus lamentables de
la nature. Assurément il s'en faut de beaucoup que, chez les géants infan-
tiles, la conformation de l'enfant reste indéfiniment associée à une stature
exorbitante ; mais il n'y a pas incompatibilité entre l'une et l'autre, il y
a de petits hommes et de grands enfants ; et ce n'est pas à partir de telle
ou telle division de la toise qu'on est un homme. De même ce n'est pas
au-dessous de telle ou telle division qu'on reste enfant : jeune géant ou
vieux nain, on est homme ou enfant, selon certains caractères morpho-
logiques et certaines aptitudes fonctionnelles, auprès desquels la taille n'a
qu'une importance absolument secondaire.
Cela dit, non seulement je reconnais que la petitesse est habituelle
dans l'infantilisme en général, mais j'accorderai même qu'elle est une
des conditions nécessaires de l'infantilisme complet ; sans elle il n'y
a pas d'infantilisme idéal ! Et j'irai même encore plus loin, en disant qu'elle
peut être à elle seule un signe certain d'infantilisme lorsqu'elle constitue
un cas isolé dans une famille de taille, soit moyenne, soit à plus forte rai-
son supérieure à la moyenne. Quand bien même tous les autres caractères
de l'infantilisme feraient défaut, elle se présente alors comme une anoma-
lie trop extraordinaire pour n'être pas attribuée à la seule cause patholo-
gique qui,en dehors des cachexies incriminées par Lorain,produit les arrêts
10 BRISSAUD
de croissance. Cette cause étant l'insuffisance thyroïdienne, on pourra,
dans les conditions spéciales que je viens de dire, rattacher le prétendu
nanisme essentiel et fortuit au myxoedème, et l'appeler ad libitum myxoe-
dème fruste ou infantilisme monosymptomatique. J'espère que cette con-
cession supprimera tous les désaccords.
La conception de l'infantilisme mono-symptomatique me fait louchera il
un des points les plus controversés de notre sujet. C'est M. Hertoghe
(d'Anvers) qui a découvert les rapports de l'insuffisance thyroïdienne avec
le retard de la soudure des épiphyses. Cetle notion est définitivement éta-
blië. D'ailleurs ce ne sont pas seulement les os longs qui restent en souf-
france, puisque les diamètres du crâne gardent les proportions qu'ils
avaient à la naissance et que la seconde dentition n'a pas lieu si l'infanti-
lisme est antérieur à la chute des dents de lait. Marfan et Guinon ont,
comme Hertoghe,constaté les mêmes faits.Si l'infantilisme se borne à cette
anomalie, il faut que l'insuffisance tyroïdienne, pour avoir un effet si
restreint, ne porte préjudice qu'à une propriété elle-même très spécialisée
de la sécrétion tyroïdienne totale. Les variétés de l'infantilisme ne sont donc
pas exclusivement subordonnées à l'âge de l'hypothyroïdie, ni même au
degré de l'hypothyroïdie; elle sont chacune tributaires d'une qualité spé-
ciale d'hypothyroïdie. Il y a donc autant de variétés d'infantilisme qu'il y
a, si l'on peut parler ainsi, d'hypothyroïdies partielles (1).
(1) Dans une récente communication (1) intitulée : Myxoedème acquis de l'adulte
avec régression sexuelle à l'état prépubère, infantilisme rêversif de l'adulte, dysth-
roïdie et dysorchidie, M. Gandy a relaté les observations fort intéressantes de deux
malades atteints d'une forme d'infantilisme spéciale à l'adulte. Ces deux malades,
l'un de 46 ans, l'autre de 33 ans, ont présenté jadis tous les caractères de l'état
adulte ; les traits étaient virils, la moustache développée, les fonctions sexuelles
normales, etc. Actuellement, ils sont, au point de vue sexuel, de véritables infantiles :
leurs organes génitaux sont atrophiés et ont perdu leurs fonctions ; leurs poils sont
tombés. Cet état .s'est constitué chez le premier malade, vers l'âge de 36 ans, après
une période de fruste myxoedème ; chez le second, vers l'âge de 29 ans après une pé-
riode de myxoedème franc. D'après l'étude de ses malades et l'examen de quelqus rares
observations analogues, M. Gandy suppose que la cause de cet état réside dans un
trouble thyroïdien, peut-être compliqué par la dysorchidie et lui donne, en raison de
ses caractères particuliers le nom d'infantilisme réversi/.
L'intéressante communication de M. Gandy sur l'infantilisme réversif nous a en-
gagé à rapporter l'histoire d'une malade que nous avons eu l'occasion d'observer,
M. Bauer et moi, à l'Ilôtel-Dieu, il y a deux ans (2).
Comme les malades de M. Gandy, la jeune femme dont il s'agit est parvenue nor-
malement à l'état adulte ; puis quelque temps après une grossesse, les premiers signes
d'un état d'infantilisme apparurent et s'accusèrent peu à peu. A l'autopsie de cette
malade morte de péritonite tuberculeuse nous avons pu constater le petit volume du
(1) Bulletin do la Société médicale des hôpitaux de Paris, 13 décembre 1906.
(2) Un cas d'infantilisme « réeersif » avec autopsie, par MM. BRISSAUD et BAUER, Soc. mëd. des hopi-
taux, Il janvier 1807.
L'INFANTILISME VRAI H t
De cela il ne faudrait pas chercher la preuve ailleurs que dans les mille
exemples que nous avons chaque jour sous les yeux. Dès l'instant que l'in-
fantilisme total est, comme le myxoedème, toujours de cause thyroïdienne
et rien que thyroïdienne, de quel droit viendrait-on attribuer l'infanti-
corps thyroïde et des organes génitaux. Son observation vient donc à l'appui de l'in-
terprétation de M. Gandy. La voici :
P..., 29 ans, domestique, entre le 20 octobre 1904, salle Ste-Madeleine, à l'Hôtel-
Dieu. Elle a été prise la veille d'un ictus apoplectique suivi d'hémiplégie droite avec
aphasie.
Une maladie mitrale dûment caractérisée nous fait porter le diagnostic d'hémiplé-
gie par embolie d'origine cardiaque. Après quinze jours de repos à l'hôpital, l'hémi-
plégie et l'aphasie s'atténuent et peu à peu la guérison de ces accidents s'effectue
complète. Mais la malade sujette à des accès fébriles passagers, présente bientôt les
premiers symptômes d'une péritonite tubercuieuse à évolution subaiguë, dont elle
meurt en avril 1905.
Voici, de l'observation de cette malade, ce qui nous intéresse actuellement : dès
notre premier examen, l'aspect infantile du visage et du corps de cette jeune femme
nous frappe ; son visage pâle, légèrement bouffi, est celui d'une toute jeune fille ; ses
seins sont peu développés, son corps presque dépourvu de poils (sourcils, très rares,
absence complète de poils sous les aisselles et sur le pubis ; les cheveux d'un blond
vénitien, sont secs et peu abondants).
Lorsque la malade, guérie de son aphasie, peut nous raconter son histoire, elle nous
apprend que durant sa jeunesse elle a toujours été bien portante ; son développement
s'est accompli de façon normale ; elle a été réglée vers l'âge de quinze ans.
A vingt ans, elle a une grossesse et elle accouche, au huitième mois, d'un enfant
qui meurt quelques jours après sa naissance. A partir de cette époque ses règles ces-
sent de paraître ; ses seins se modifient, diminuent de volume ; ses poils tombent et
ses cheveux aussi, mais plus lentement. Peu à peu elle devient très pâle ; les traits
de son visage s'épaississent ; sa voix change de timbre, devient grêle et monotone ;
son tempérament est apathique. Elle est sujette à de fréquents maux de tête, à une
sensation de lassitude continue.
Pendant son séjour dans notre service, plusieurs examens de sang sont pratiqués et
nous prouvent que la pâleur ne peut être attribuée à une diminution sensible du
nombre des globules rouges : en décembre 1904, nous comptons 4,357,000 globules
rouges et 9,300 globules blancs ; en 1905, 3,926,400 globules et 17,360 globules blancs.
La bouffissure du visage, les maux de tète fréquents, l'apathie générale ne sont pas
en rapport avec des troubles importants de l'élimination urinaire. Longtemps les
urines ne contiennent aucune trace d'albumine, et sur le tard seulement, en février
1905, elles présentent un léger voile. Elles sont abondantes, 2 lit. 1/2 à 3 lit. 1/2 par
jour, mais par ailleurs sont normales, sauf une petite diminution de l'élimination
chlorurée, en rapport sans doute avec l'alimentation de la malade (régime lacté pres-
que exclusif).
L'histoire clinique de cette malade est donc des plus caractéristiques : développement
normal jusqu'à vingt ans ; grossesse à partir de cette époque, disparition progressive
des caractères physiques de l'état adulte, apparition d'un état d'infantilisme tardif
avec tendance au myxoedème.
Les résultats de l'autopsie nous donnent enfin des renseignements intéressants.
Nous n'insisterons pas sur les lésions graves qui causèrent la mort de la malade :
endocardite et symphyse péricardique probablement tuberculeuses, péritonite tuber-
culeuse généralisée et salpingo-ovarite gauche. Les faits sur lesquels nous attirerons
l'attention sont les suivants : le corps thyroïde ne pesait que 15 grammes, mais il était
12 BRISSAUD
lisme partiel à une cause autre que l'insuffisance partielle de la fonction
thyroïdienne ? Le langage courant,sans se préoccuper de pathogénie,à con-
sacré la réalité du fait. A qui n'est-il pas arrivé de faire une remarque
comme celle-ci : « C'est curieux comme un tel, malgré son âge, sa sagesse
et sa raison, est enfant par certains côtés. » Il l'est en effet, et seulement
par certains côtés, car il n'a jamais cessé et il ne cessera jamais de l'être.
Tel autre sera resté enfant par la seule conformation des traits, par l'as-
pect général du visage et par la physionomie. Tel autre le sera à la fois par
les mêmes caractères et par d'autres encore : il y a des gens,par exemple,qui
conservent leurs premières dents jusqu'à un âge avancé ; certains hommes
de robuste constitution n'ont jamais eu de barbe... Enfin si on passe en
revue un il un tous les attributs morphologiques ou fonctionnnels de
l'infantilisme, n'en est pas un seul dont l'absence ne puisse être attribuée
à une hypothyroïdie partielle.
La multiplicité des fonctions de la glande thyroïde explique non seule-
ment la multiplicité des formes de l'infantilisme, mais encore (avec leurs
spécialisations), la simplicité ou la complexité de leurs combinaisons.
Depuis longtemps l'étude des formes frustes de la maladie de Basedow
nous a rendu familières des constatations analogues. Ici encore, il s'agit
d'un trouble de la fonction thyroïdienne. Pierre-Marie a démontré que
certains sujets atteints pendant de longues années de goitre simple pou-
vaient, à un moment donné, verser dans la cachexie exophtalmique.
La maladie de Basedow se manifeste donc, au moins pour ceux-là,comme
une conséquence directe d'une altération primitive de la glande thyroïde.
Cependant combien de variantes n'observe-t-on pas parmi tous les cas que
nous fournissent journellement les hasards de la clinique ? Chez tel malade
c'est à peine si la thyroïde est hypertrophiée ; chez tel autre le symptôme
dominant est l'exophtalmie; chez un autre encore l'exophtalmie fera défaut,
mais la tachycardie, le tremblement, la diarrhée, la boulimie paroxystique
seront suffisamment caractéristiques pour que le diagnostic n'hésite pas un
seul moment. Graves et Basedow avaient déjà mentionné le goitre exophtal-
d'apparence normale. L'ovaire gauche était très malade (salpingo-ovarite gauche),
l'ovaire droit était petit (volume d'une amande sèche), et dur, d'apparence scléreuse.
L'utérus avait les dimensions de celui d'unejeune fille.
En résumé, l'histoire de cette malade peut être en tous points superposée aux ob-
servations présentées par M. Gandy.
Mais nous ferons remarquer que l'infantilisme de notre malade, pas plus que celui
des malades de M. Gandy, ne mérite, à vrai dire, le qualificatif de réversif.
D'une part, l'infantilisme n'est pas réversif ; d'autre part, s'il est vrai que dans ces
observations il y a une apparence de retour vers l'état infantile, il ne s'agit pas ce-
pendant d'une régression. Peut-être serait-il juste de classer ces faits sous le nom
d' infantilisme tardif ou, si l'on veut, de « réversion infantile ». Nous n'insisterons
pas sur cette petite querelle de mots.
l'infantilisme VRAI 13
mique sans goitre. Il est vrai que, même si le goitre fait défaut, l'examen
histologique prouve qu'il existe toujours une lésion. Mais que conclure de
tout cela sinon que les différences d'intensité, et, qui plus est, de nature
des symptômes relèvent de différences anatomiques impossibles à recon-
naître sur le vivant ? Dès lors n'est-on pas invinciblement porté à croire que
la glande n'est pas toujours troublée de la même façon dans sa fonction
complexe, et que, suivant les variétés de troubles, régies elles-mêmes par
les variétés d'altérations épithéliales,la maladie se manifeste par autant de
variétés cliniques ?
Cette question de l'infantilisme partiel nous fait entrevoir sous un nou-
vel aspect certaines manifestations ou certains signes de dégénérescence
dont la pathogénie était restée obscure. Nous avons fait allusion à l'infan-
tilisme purement psychique. Sante de Sanctis y insiste. Il attire l'attention
sur une catégorie d'enfants « retardataires, d'humeur égale, de maintien
correct, affecteux le plus souvent, au moins dans la forme, mais sujets à
des impulsions et sans ordre dans leur conduite. Extrêmement vaniteux,
jaloux, crédules, même collectionnistes, imitateurs, joueurs, ils ont une
imagination très pauvre et des raisonnements à courte portée ; incapables
d'idées générales, réfractaires aux idées d'espace et de temps, ces « psycho-
infantiles » ne sont pourtant pas des imbéciles ; ils s'en distinguent sur-
tout par le caractèreje maintien et la logique spéciale des enfants, qui est
une logique brutale et impeccable». Sante de Sanctis incline à croire que
l'infantilisme psychique est un syndrome de haute valeur et que sa pa-
thogénie est analogue à celle des autres infantilismes partiels. Il invoque à
l'appui de cette opinion le fait d'une jeune fille sujette à des augmenta-
tions et des diminutions évidentes du volume du corps thyroïde et chez
laquelle ces variations d'état de la glande correspondaient à « des change-
ments alternants et inverses de l'état psychique ». Lorsque le corps thy-
roïde diminuait de volume elle n'était plus capable de lire, de réfléchir
un peu longtemps. Elle riait, elle pleurait avec la plus grande facilité,
elle ne pensait qu'à jouer, elle devenait vaniteuse et extrêmement timide.
A cet égard, nous étions depuis bien longtemps d'accord avec M. Santé
de Sanctis. Si les infantilismes partiels, y compris l'infantilisme psy-
chique, résultent d'une insuffisance thyroïdienne partielle, ou, pour mieux
dire spéciale, il n ? y a plus lieu de tant s'étonner de certains phénomènes
où apparaît confusément l'action d'un trouble en 'sens inverse, de la
même fonction glandulaire. Comme l'a très bien dit Ausset, chaque âge
a son infantilisme. J'ajouterai : chaque âge peut avoir son infantilisme
partiel. Le spécimen le plus prodigieux que l'histoire en ait enregistré
est celui du fameux Heinecken. Cet enfant né à Lübeck en 1721 ne
vécut que cinq ans, et jusqu'à sa mort ne se nourrit que du lait de sa
14 BRISSAUD
nourrice. Mais dès sa naissance son intelligence se révéla stupéfiante.
Au bout de peu de jours il comprenait tout ce qu'il entendait dire. Il sut
parler presque immédiatement; à un an il connaissait tous les faits signa-
lés dans le Pentateuque ; à deux ans il avait appris et retenu la plupart
des événements de l'histoire ancienne et moderne. Il savait merveilleu-
sement la géographie, Sa langue maternelle était l'allemand, mais il
s'exprimait couramment en français et en latin. A quatre ans on le pré-
senta au roi du Danemarck : entre deux tétées il lui adressa un compli-
ment.
Parmi les enfants prodiges, Heinecken détient encore le record. Mais
après tout, pourquoi ce record ne serait-il pas battu ? Une puériculture
ingénieuse peut seconder les caprices de la nature. Il n'y a pas de limite
à la prématuration...
Mais ce qui fait l'intérêt du cas d'Heinecken c'est que ce malheureux être,
dont l'intelligence fut d'une précocité inouïe, était en même temps qu'un
prématuré, un infantile; car il succomba presque aussitôt après son tardif
sevrage. On aurait beau prétendre en dépit des documents les plus dignes
de foi, que la courte vie d'Heinecken a été embellie par la légende. Ce-
pendant il n'y a, dans ce fait de prématuration psychique, rien de plus
surprenant que dans les faits de prématuration génésique. Ceux-là sont in-
nombrables et authentiques. La puberté peut être congénitale,et la mens-
truation a été constatée périodique et régulière chez des petites filles à par-
tir de la naissance. Or si l'on considère que la thyroïdectomie suffit pour
supprimer la menstruation et la puberté, il est bien évident qu'une surac-
tivité partielle de la fonction thyroïdienne peut, seule, produire ces pré-
maturations également partielle ; et cela est fort heureux pour les mères.
Au rebours de l'hypothyroïdie partielle qui fait des infantilismes partiels,
l'hyperthyroïdie partielle peut donc donner lieu à des anomalies déconcer-
tantes au premier abord. A l'étude de l'infantilisme on a récemment joint
celle du puérilisme, du féminisme, du masculinisme. En particulier le
masculinisme a fait l'objet d'un travail fort curieux de Mérillon sur la
seconde puberté. Les femmes n'ont pas de seconde puberté, telle est la
règle. Molière fait dire à Arnolphe : « Du côté de la barbe est la toute-
puissance ». Mais, chose curieuse, les femmes à barbe ne revendiquent pas
cette toute-puissance. Si elles tiennent à leur barbe, autant que leur barbe
tient à elles, il faut que leur destinée s'accomplisse : elles veulent rester
les très humbles servantes de l'homme ; et les hommes leur trouvent en-
core assez de charmes pour les rechercher. Presque toutes se marient, en
justes noces, et restent pour la plupart épouses irréprochables. Une fois
mères, martiales et tendres, elles cumulent toutes les vertus de la nour-
rice et du sapeur.
l'infantilisme vrai ' 15
Et que dire du féminisme ? Sa parenté avec l'infantilisme n'a pas seu-
lement frappé les médecins. J'ai relevé dans les Lundis de Sainte-Beuve
le passage suivant de Lamennais emprunté à l'écrit intitulé : Affaires de
Borne ; voici comment Lamennais parle du cardinal de Rohan :
« Extrêmement frêle de complexion et d'une délicatesse féminine,
jamais il n'atteignit l'age viril : la nature l'avait destiné vieillir dans
une longue enfance ; il en avait la faiblesse, les goûts, les petites vanités,
l'innocence : aussi les Romains l'avaient-ils surnommé il Bambiazo. Un
homme tel que celui-là est toujours conduit par d'autres qui ne le valent
pas.. » Sainte-Beuve ajoute : « Cette coquetterie féminine de toilette que
j'ai relevée dans l'abbé de Choisy,le cardinal de Rohan l'avait au plus haut
degré, et une riche dentelle qu'il revêtait avec grâce était pour lui un sujet
de satisfaction et de triomphe. Il l'essayait longtemps devant son miroir,
et il avait la faiblesse de s'en souvenir jusqu'en montant les degrés de
l'autel. »
Dans tous ces faits concordants, à quel titre et par quel processus la
sécrétion thyroïdienne agit-elle sur les phénomènes trophiques, soit pour
les accélérer soit pour les ralentir ? A cet égard je ne suis pas mieux ren-
seigné que Lamennais ou Sainte-Beuve. Mais l'action hypocrinique ou
métacrinique est indéniable et il semble même que, peu après la naissance,
cette sécrétion soit seule à exercer une pareille influence.
Sante de Santis émet une opinion différente : l'infantilisme n'aurait
pas une pathogénie univoque. En d'autres termes, il y aurait à incri-
miner des lésions glandulaires multiples.
Achaff, Babinski, Cardile et Fiorentini, Ponfick ont attiré l'attention
sur les lésions de l'hypophyse dans le myxoedème. Babinski a publié un
cas d'infantilisme génital avec tumeur épithéliale de l'hypophyse. Nuzzari
a autopsié un cas où il a trouvé la persistance du thymus, l'atrophie de la
tyroïde, des altérations graves de l'hypophyse... Les citations pourraient
êlre multipliées ; mais j'avoue que, jusqu'à plus ample informé, elles
ne me semblent pas constituer des arguments de sérieuse valeur. D'abord
deux objections fondamentales peuvent leur être opposées.
La première est que le trouble thyroïdien, appelé hypothyroïdie par
Hertoghe, est suffisant pour créer soit le myxoedème, soit l'infantilisme,
et que les types les plus complets de l'un et de l'autre appartiennent aux
cas d'ordre chirurgical ou opératoire ; donc, nul doute que la lésion de la
glande thyroïde et rien que de cette glande suffise. La seconde objection
repose sur ce fait que la multiplicité des lésions des glandes à sécrétion
interne ne saurait jamais prouver, en soi, l'importance ni même la réa-
lité du rôle pathogénique de ces glandes. En particulier, lorsqu'il s'agit de
myxoedème congénital (comme dans toutes les observations évoquées par
16 . BRISSAUD
Santé de Sanctis), la simultanéité de plusieurs lésions distinctes est con-
forme à cette loi formulée par Geoffroy St-Hilaire, en vertu de laquelle il
n'y a pas d'anomalies isolées. Une anomalieen appelle forcément une autre ;
et dans cet ordre d'idées nous nous rallions absolument à la thèse récem-
ment soutenue par notre collègue Magalhaes Lemos (de Porto),qui voit dans
tous les cas d'infantilisme général ou partiel des syndromes de dé-
générescence.
Pour en finir avec l'infantilisme vrai ou infantilisme thyroïdien, est-il
nécessaire d'ajouter encore que son autonomie n'est en rien compromise
par les imperfections qui en altèrent la pureté. Les descriptions théoriques
sont toujours des schémas. Les caractères morphologiques de l'enfant, pas
plus que ceux de l'homme fait, ne sont immuables. L'Antinous du Vatican
exprime la parfaite harmonie des formes juvéniles ; mais cette expression
comporte une concession préalable au génie du statuaire qui s'est plu à
condenser en une seule figure tous les éléments de la beauté. C'est une
synthèse dont la nature n'est pas coutumière. Pas davantage la clinique
n'est coutumière des synthèses ou des schémas pathologiques. D'ailleurs,
la nature et la clinique (c'est tout un) sont versatiles et quelquefois mo-
difient leur oeuvre, avec le concours du temps, leur grand collaborateur.
L'infantilisme peut n'être que passager. Un collégien de 17 ans, resté
enfant à tel point qu'il était la risée de ses camarades, se met tout à coup
à brûler les étapes et devient en quelques mois un homme robuste et
de haute stature. Une femme de 27 ans, déjà mère de deux enfants, gran-
dit de plusieurs centimètres au cours d'une troisième grossesse. Enfin le
traitement thyroïdien, exclusivement thyroïdien, sans adjonction d'autres
extraits glandulaires, exerce une action miraculeuse sur toutes les formes
du véritable infantilisme. En résumé, nous voyons l'infantilisme sous tous
ses aspects et même à l'état rudimentaire se manifester comme un symp-
tôme ou un syndrome d'hypothyroïdie.
Et maintenant, pour conclure, que trouvons-nous de commun entre
l'infantilisme vrai et cette athrepsie spéciale de la seconde enfance et de
l'adolescence à laquelle Lorain avait donné un nom si étrangement choisi ?
Tandis que les véritables infantiles peuvent être des grands enfants, ceux-
là ne sont jamais que des petits vieux. La cause du retard du développe-
ment ne laisse pas persister les attributs de l'enfance. Elle frappe tous
les organes, tous les tissus, et n'épargne pas les cartilages de croissance
qui, lents à proliférer, s'ossifient à, leur heure. Toutes les intoxications
et toutes les toxi-infections qui mènent l'organisme à la longue, et en
quelque sorte goutte à goutte, aboutissent au même résultat. A ce titre
l'insuffisance vasculaire est à la fois un effet etune cause ; et l'infantilisme
que nous avions qualifié d'a)Mu ? opMMe est toujours invariablement le
l'infantilisme vrai 17
même, qu'il provienne indirectement de la pellagre (Agostini), ou delà
syphilis (Fournier),ou de l'alcoolisme (Lombroso), ou du paludisme (Lan-
cereaux).
Mais il va de soi que l'état de malaise des organes est assez général pour
que les phénomènes de croissance n'évoluent pas avec la régularité qu'exige
le développement complet à l'âge voulu. C'est le ralentissement circula-
toire provoqué et entretenu par une compression méthodique qui pro-
duit artificiellement l'atrophie du pied de la Chinoise. C'est le bistournage
qui réduit à néant les organes témoins. C'est la lésion des centres vaso-
moteurs spinaux qui détermine l'arrêt de développement en masse d'un
membre frappé de paralysie infantile au cours de la première ou de la se-
conde enfance. Dans tous ces cas l'intervention du corps tyroïde est nulle.
Mais si, du fait de l'athrepsie,ou d'une malformation cardiaque,ou d'une
aplasie artérielle, et, à plus forte raison, de toutes ces causes réunies, tout
l'organisme est en souffrance, alors la sécrétion thyroïdienne se tarit ;
car toutes les glandes subissent le même dommage, et le syndrome du
myxoedème s'ajoute à la dystrophie préexistante. La complexité du tableau
clinique ne permet plus de reconnaître la part de responsabilité de la lé-
sion thyroïdienne secondaire, mais il ne s'ensuit pas que l'autonomie de
l'infantilisme vrai, primitif, dysthyroïdien, soit en rien compromise.
xx 2
HOSPICE DE B1CÉTRE
DES SYMPTOMES CATATONIQUES
AU COURS DE LA.
PARALYSIE GÉNÉRALE
PAR
J. SÉGLAS,
Médecin de l'hospice de Bicêtre.
Il y a une vingtaine d'années, Knecht (ALIy. Z. f. Psych., 1886), dans
un intéressant travail, signalait l'existence des symptômes catatoniques
dans la paralysie générale. Bien que confirmé depuis par d'autres obser-
vateurs, ce fait semble n'avoir pas retenu spécialement l'attention. Il
n'est pas rare cependant de noter par intervalles, dans le tableau clinique
si varié de la paralysie générale, quelques symptômes dont la réunion re-
produit un état catatonique suffisamment caractérisé pour que, dans cer-
taines circonstances, au début de la maladie, en l'absence de signes phy-
siques, le diagnostic de l'affection fondamentale ne soit pas sans offrir
quelque difficulté.
Nous rappellerons brièvement que l'état catatonique peut se présenter
sous deux aspects, l'excitation ou la stupeur catatoniques. La symptoma-
tologie des états de stupeur catatonique est assez complexe. Outre le fond
de stupeur d'intensité variable, allant de la simple confusion à la stupeur
complète, elle comporte un certain nombre de symptômes plus spéciaux,
au premier rang desquels se placent les manifestations de négativisme
(contradiction et opposition, raideurs musculaires,.....), de suggestibilité
(états calaleptiformes, écholalie, échomimie ..), les stéréotypies (gestes,
attitudes, paroles...).
C'est généralement sous cette forme que se manifestent à l'observateur
les états catatoniques au début ou dans le cours de la paralysie générale.
En voici deux exemples :
Observation 1
B..., 38 ans. Syphilis; tabes antérieur, puis paralysie générale dont les
premiers symptômes remontent à 4 ans à peu près,avec troubles du caractère,
excitabilité, besoin d'activité sans motif ; plus tard symptômes caractérisés
SÉGLAS. DES SYMPTÔMES CATATONIQUES 19
d'excitation avec délire mégalomaniaque. Courte rémission et retour de l'exci-
tation avec délire des grandeurs, qui brusquement fait place à une phase de
stupeur avec raideurs musculaires, constriction des mâchoires, refus d'aliments,
mutisme. Ces symptômes ne durèrent qu'une quinzaine de jours, après les-
quels l'agitation reparut, mais plus modérée, sans délire mégalomaniaque bien
caractérisé, avec seulement de la satisfaction simple. Puis ces symptômes eux-
mêmes entrèrent en rémission, et la maladie ne se présentait plus que sous un
aspect banal de démence simple de plus en plus accentuée, lorsqu'au cours
de 1905 le malade, jusque-là docile, commença sans aucun motif à se montrer
désagréable, entêté, colère, grincheux, manifestant un esprit de contradiction
continuel, refusant de faire tout ce qu'on lui demandait, de se vêtir, de faire
sa toilette, de manger à l'heure des repas, d'uriner, d'aller à la garde-robe, si
bien qu'on dut recourir à des lavements et sondages journaliers. Puis il finit
par tomber dans un état de stupeur complète, passant ses journées immobile
au lit ou dans un fauteuil, sans prononcer une parole, les membres raides, les
yeux fermés ; les mâchoires serrées rendant l'introduction des aliments très
difficile. Ces symptômes persistèrent presque deux mois. Puis le malade
sortit de sa stupeur et revint à son état antérieur de dément simple, aussi
docile qu'auparavant. Quelques mois plus tard, à la suite d'une série d'ictus,
est survenue une phase d'excitation avec idées de satisfaction et de richesses.
Voilà donc une. observation de paralysie générale au cours de laquelle
on voit à deux reprises se manifester un état catatonique, bien caractérisé.
Le diagnostic ne présentait ici aucune difficulté, puisqu'il s'agissait d'une
paralysie générale avérée, reconnue déjà comme telle depuis longtemps.
Il n'en est pas de même dans le cas suivant, en raison de l'existence, au
début de l'observation, de l'état catatonique et de l'impossibilité qui en
résultait de pratiquer un examen physique complet. Bien que l'on fût en
garde contre l'existence possible d'une paralysie générale, le diagnostic
définitif dut rester un certain temps en suspens.
Observation II
M.. Georges, 35 ans, tapissier, entre à l'hospice le 8 mai 1899, venant de
l'asile Ste-Anne, avec le certificat d'admission suivant : « Dégénérescence
mentale avec hallucinations, troubles de la sensibilité générale, préoccupations
hypochondriaques, idées mélancoliques, mystiques et de persécution n (fi juin).
A son entr6e, le malade se présente dans un état de mutisme presque com-
plet. Il est absolument inerte ; on ne peut fixer un instant son attention, ni
pratiquer même un examen physique. Il est placé en observation.
Les jours suivants, l'inertie reste la même ; mais il prononce quelques
paroles suffisantes pour dénoter une confusion extrême des idées, une déso-
rientation complète. Il reste en général immobile, debout à la même place qu'il
ne quitterait pas, si on ne venait l'en tirer. De temps à autre, il sort de cette
20 . SÉGLAS
immobilité pour s'agenouiller, la tête entre ses mains et il reste alors un temps
indéfini dans cette position.A d'autres moments, reste étendu à terre les bras en
croix. On est obligé de le faire manger. Examen physique toujours impossible.
Le 15 juin, le malade est dans un état de stupeur complète : mutisme,
mêmes attitudes stéréotypées, raideurs musculaires. - Il passe la plus grande
partie de ses journées dans la cour, à la même place, debout au pied d'un ar-
bre, immobile, la tête fléchie, les bras pendant le long du corps ; lorsqu'on l'ap-
proche, il semble se contracter sur lui-même ; on ne peut arriver à lui relever
la tête, il ouvrir la bouche, à détacher les bras du corps, à vaincre son immo-
bilité ; en le tirant par son vêtement, on l'entraîne tout d'une pièce comme une
statue de bois et il ne fait un mouvement des jambes que pour retrouver instinc-
tivement son équilibre. Il ne sortde'cet état qu'une fois installé tant bien que
mal au réfectoire, en face de ses aliments qu'on est obligé de lui faire prendre,
mais qu'il ne refuse pas.
Cette phase persiste un peu plus d'un mois jusqu'au 25 juillet et fait place
à une excitation modérée avec optimisme, bavardage incohérent ; affaiblisse-
ment intellectuel considérable, embarras de la parole, inégalité pupillaire,
signe d'Argyll, trémulation de^la langue, des lèvres, des mains; réflexes rotu-
liens abolis, signe de Homberg ; paralysie générale manifeste ; syphilis à
20 ans. Jusqu'à sa mort (13 mars 1901), M.. n'a présenté aucun autre épisode
rappelant celui de l'entrée.
Des observations de ce genre, on peut tout naturellement rapprocher
celles dans lesquelles on observe seulement au cours de la paralysie géné-
rale, à l'état isolé, quelques-uns des éléments du syndrome catatonique
(manifestations de négativisme, de suggestibilité, stéréotypies...). Il ne faut t
pas oublier, en effet, que, s'ils font partie intégrante de la démence dite
catatonique où le syndrome atteint son maximum de développement, ils
peuvent cependant se rencontrer dans d'autres formes morbides.
Nous nous occuperons d'abord du négativisme.
Sans nous attarder à discuter l'extension plus ou moins grande attribuée
par différents auteurs à la signification de ce terme, nous nous bornerons
à rappeler que le négativisme, dans ses manifestations les plus nelles, se
traduit surtout par la contradiction dans les discours, l'opposition dans
les actes, et les résistances ou raideurs musculaires. Ces trois aspects ob-
jectifs du négativisme sont souvent associés et se contrôlent ainsi au besoin
l'un par l'autre dans le cas où le diagnostic séméiologique pourrait
autoriser quelqu'hésitation.
Dans un travail sur la catatonie, publié en collaboration avec notre
collègue et ami le D" Chaslin (arcs. de Neur., 1888) nous avons signalé
deux cas de raideurs musculaires catatoniques chez des paralytiques gé-
nérales. Chez l'une d'elles surtout, qui avait l'habitude de tenir ses mem-
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XX. PI. I
A
B
SYMPTOMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GENERALE
DES SYMPTÔMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 21
bres en flexion forcée, on s'était vu obligé d'appliquer des appareils ap-
propriés aux bras et aux mains afin d'éviter les ulcérations qu'auraient
pu produire les ongles. Il n'y avait d'ailleurs ni contractures, ni rétrac-
tions.
Nous avons vu tout à l'heure chez nos deux premiers malades des symp-
tômes nombreux de négativisme au cours des états catatoniques qu'ils ont
présentés.
En voici encore deux autres exemples :
' Observation III
M... Julien, employé, 41 ans à l'entrée, le 31 janvier 1903. Paralysie géné-
rale dont le début apparent remonte au mois de décembre 1894, s'étant carac-
térisé par des symptômes d'affaiblissement intellectuel, des idées ambitieuses
incohérentes, achats inconsidérés, excitation par intervalles ; signes pupillaires,
embarras de la parole... Au bout d'un an, la malade présenta une très longue
période de rémission qui dura à peu près jusque au commencement de décem-
bre 1902. A cette époque il fut repris d'une phase d'excitation très violente,
avec délire très actif où s'entremêlent les idées les plus diverses de grandeur,
de persécution, d'empoisonnement, etc.... ; propos incohérents, actes désordon-
nés, agitation violente ; le malade déchire ses vêtements, même le maillot, et
reste la plupart du temps nu dans une cellule capitonnée. Tremblement de la
langue, accrocs de la parole; inégalité pupillaire ; Argyll ; réflexes tendineux
légèrement exagérés. Cet état persiste sans modification sensible pendant près
de deux ans et demi. Ce n'est seulement qu'au mois d'août 1905 que l'excita-
tion tombe et fait place à un affaiblissement progressif et notable des forces
physiques.
En janvier 1906 le malade est très affaissé, plongé dans un état d'inertie
dont il ne sort que pour faire opposition et résistance à tout ce qu'on veut lui
faire faire ; il crie, se débat lorsqu'on veut le lever, l'habiller, le faire uriner,
l'alimenter. Le mot « non » qu'il répète à ces moments constitue à peu près
tout son vocabulaire. Il finit par rester au lit, pelotonné sur lui-même, recro-
quevillé en chien de fusil. On a beauconp de peine à modifier cette attitude
dans laquelle il s'immobilise au lieu de crier et de se débattre comme dans la
phase précédente. Néanmoins on peut y arriver par différentes manoeuvres des-
tinées surtout à tromper la vigilance du malade et' qui permettent de s'assurer
qu'il n'y a pas de contracture réelle et que la raideur musculaire n'est qu'une
réaction de défense, d'opposition négativiste. Alimentation difficile, mais ne
nécessitant pas la sonde. Cet état dure un peu plus d'un mois; puis disparaît et
le malade, s'affaiblissant de plus en plus, succombe dans le marasme paralyti-
que le 21 juillet 1906.
Observation IV
B..., 40 ans, présentait depuis quelques mois des signes manifestes de paraly-
sie générale à forme démente simple, lorsqu'est survenue une courte phase
22 SÉGLAS
d'agitation anxieuse avec quelques idées hypochondriaques de négation, puis
une confusion des idées extrême et une sorte de délire onirique dans lequel
le malade se croit transporté dans un monde nouveau et étrange. Au bout de
trois semaines il se calme, ne manifeste plus d'idées délirantes et semble
reprendre possession de lui-même. Mais une dizaine de jours après il tombe
graduellement dans un état de demi-stupeur, ne répondant guère aux ques-
tions que par quelques grognements ou le mot « non » ; puis il refuse de
se lever. Il reste dans son lit, couché sur le côté gauche, pelotonné sur lui-
même, les jambes repliées en demi-flexion, les bras également demi-uéchis et
appuyés sur la poitrine, les yeux fermés. Si on le découvre pour l'examiner,
on le voit immédiatement se raidir et au moindre attouchement il se contracte
sur lui-même en exagérant son attitude de flexion. Les mâchoires sont serrées.
l'introduction des aliments impossible et il est nécessaire pour soutenir le
malade de recourir à la sonde oesophagienne qu'il finit, au bout de quelques
séances, par accepter passivement.
Cette crise d'opposition négativiste ne dura à ce degré qu'une quinzaine de
jours ; elle céda en s'atténuant progressivement ; la stupeur persista plus Ion-
temps, puis disparut également, pour faire place à une phase de rémission de
plusieurs mois. Le malade fut pris ensuite d'une courte période d'excitation
pendant quelques jours, au bout desquels il fut emporté dans une série d'ictus
épileptiformes.
En regard du négativisme se placent les phénomènes dits de suggestibi-
lité : conservation cataleptoïdes des attitudes provoquées, écholatie, écho-
praxie, les symptômes sont beaucoup plus rares que les précédents dans
la paralysie générale ; aussi l'observation suivante n'en est-elle que plus
curieuse à cet égard :
Observation V (PI. If)
G... Cyprien, 28 ans, ébarbeur, entre le 17 mars 1905. Père « braque »,
grand buveur ; 4 frères ou soeurs ont eu des convulsions de l'enfance.
Caractère plutôt sombre ;' intelligence moyenne : apprenait convenable-
ment en classe : bon ouvrier; pas de maladies antérieures.
A la suite de chagrins de famille, occasionnés par le départ de sa femme et
son divorce, en juin 1904, il a commencé à présenter des troubles nerveux ;
agitation, insomnie ; fugues ; idées de grandeur et de richesses.
Au bout de 2 mois il a pu reprendre son travail ; mais il était devenu plus
sombre, ne causait pas, ne voulait pas sortir seul, manifestant à tout propos
des idées de persécution. (A l'atelier, ses camarades lui en voulaient, lui fai-
saient faire des bêtises ; dans la rue, on s'occupait de lui ; les voisins bavar-
daient sur son compte, disaient qu'il avait des poux...)
Pas d'habitudes alcooliques.
C'est dans cet état qu'il est entré dans le service. La recherche des signes
physiques est négative, la malade est calme ; plutôt légèrement déprimé ; ses
Nouvelle ICOaOGhAPHIE DE la Salpêtriére. T. XX. PI. II
G
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SYMPTOMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GENERAL !
DES SYMPTÔMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 23
idées de persécution ne sont que des interprétations délirantes sans aucune
systématisation.
Au commencement de mai, elles deviennent plus actives, se mélangent à
des idées d'auto-accusation. « On lui reproche d'avoir volé du linge, etc., il a
commis des crimes qu'il ne peut préciser. » Confusion notable des idées. Pas
d'embarras de la parole, pas de signes pupillaires, pas de troubles des réflexes.
Attitudes cataleptiformes. Les membres conservent les attitudes fatigantes
qu'on leur imprime pendant un temps assez long, une dizaine de minutes,
sans oscillations, sans symptômes d'effort (PI. II).
30 mai. - Mêmes idées de persécution, mais le malade est de plus en plus
confus et incohérent.
Il conserve encore ses attitudes cataleptiformes provoquées. De plus, il suffit
d'exécuter des mouvements donnés devant lui pour qu'il les répète immédiate-
ment (échopraxie). De même il a une tendance à répéter les derniers mots ou
les dernières syllabes des mots qu'il entend prononcer (écholalie).
18 juin. Excitation ; grande confusion des idées : hallucinations ; cris,
chants, ses camarades l'accusent d'avoir mis le feu, de brûler le linge ; on a
tué ses parents, on veut le tuer parce qu'il a brûlé la France.
Cette période dure une huitaine de jours et se termine par des exercices de
gymnastique, boxe, chausson, courses autour du préau, le pantalon dans les
souliers, « pour s'entraîner ».
Pas de signes physiques constatables, grosse lymphocytose.
26 juin.- L'agitation a cessé ; le malade est calme, ne manifeste plus d'idées
délirantes aussi actives. Il ne lui reste plus, dit-il, qu'un certain « cafard »
qui a élu domicile à la racine du nez et qui le tourmente de temps en temps.,
Cependant il revient à plusieurs reprises sur ses' anciennes idées de persécu-
tion.
Pas de troubles nets de la parole ; pas de signes pupillaires, pas de tremble-
ment des mains ; tremblement de la langue très manifeste. Reflexes tendineux
légèrement exagérés pas de Ramberg. Persistance des attitudes cataleptifor-
mes provoquées (PI. II). Pas de vertiges, ni de titubation ; marche facile,
ferme et assurée ; pas d'incoordination ni d'asynergie motrices ; force muscu-
laires conservée.
7 novembre. - Satisfaction puérile, pas de délire.
Parole suspecte, traînante. Légère inégalité pupillaire D > G ; réflexe lu-
mineux conservé à gauche ; plus lent et moins net à droite.
Grosse lymphocytose zu examen).
28 novembre. - Idées de grandeur absurdes : il va acheter un fusil, et ira
en Afrique à la chasse aux tigres ; il en tuera des masses et nous enverra les s
peaux. Il va partir la semaine prochaine et gagnera des millions en veudaut du
café.
Nombreux accrocs de la parole.
Même état des pupilles.
29 novembre, - Même idées ; mais excitation, violences.
24 SÉGLAS
2 février 990ô. - Rémission des troubles délirants ; affaiblissement sim-
ple des facultés, satisfaction puérile.
Inégalité pupillaire : la pupille gauche réagit bien à la lumière ; la droite est
très paresseuse.
Bredouillement ; accrocs énormes de la parole : impossibilité de prononcer
aucun mot d'épreuve, tremblement de la langue.
Voici maintenant, pour terminer, quelques observations de paralytiques
généraux chez lesquels on rencontre des stéréotypies variées sous les for-
mes habituelles, stéréotypies de mouvement, d'attitude ; stéréotypies
verbales.
J'ai publié jadis un cas de stéréotypie (ticaérophagique) au début d'une
paralysie générale (Sem. méd ? 1899, n° 2). Mon interne, M. Cahen, en a
rapporté un autre recueilli sur un paralytique général du service, dans
son mémoire sur les stérétoypies (Arch. Neur., 1901, n°72). ,
Les observations suivantes en sont de nouveaux exemples :
Observation VI
V... Paul, employé de commerce, 34 ans, entré le 3 décembre 1906.
Paralysie générale avancée ; signes physiques, affaiblissement intellectuel ;
idées hypochondriaques de négation ; négativisme, refus d'aliments,- d'uriner,
d'aller à la garde-robe, de se vêtir ; reste nu dans son lit et constamment dé-
couvert. Passe tout son temps à se frotter le ventre avec les deux mains, en
regardant son ombilic et n'interrompt ce geste que pour se malaxer le cou avec
la main droite.
Observation VII
D... Ferdinand, 53 ans, maître de lavoir, entré le 17 novembre 1903.
Changement de caractère, irritabilité, tremblementdes mains depuis deux ans
environ ; au début étourdissements fréquents; une fois léger état vertigineux,
sans perte de connaissance complète ; empâtement de la parole depuis deux
mois ; délire depuis un mois, idées de grandeur, de richesses, achats inconsi-
dérés ; actes de violence, fugues ? syphilis antérieure.
A l'entrée, état d'excitation avec délire mégalomaniaque incohérent ; affai-
blissement déjà notable des facultés ; aucune conscience de son état ; embarras
de la parole ; inégalité pupillaire, signe d'Argyll ; tremblement de la langue.
des mains, de l'écriture ; réflexes tendineux normaux.
La démence s'accentue rapidement : l'excitation tombe ainsi que le délire.
En avril 1904, le malade est calme ; il ne délire plus ; et se borne toutes les
2 ou 3 minutes, c'est-à-dire presque continuellement, à crier d'une voix forte
4 Vlan ! Vlan » ; il accompagne ces paroles d'un geste stéréotypé, fendant
l'air devant lui alternativement du bras droit et du bras gauche. Il ne peut
expliquer le pourquoi de ce geste.
DES SYMPTÔMES CATATONIQUES AU QOURS DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 25
Ce geste et ces interjections stéréotypées ont persisté jusqu'en novembre
1905, époque à laquelle le malade s'est alité.
Au lit, il a modifié ses stéréotypies. Il jetait les bras dans le vide, de chaque
côté de son lit, en disant en même temps « Brr ! ... Brr ! »
Les stéréotypies ont persisté jusqu'à la mort survenue dans un ictus le
16 avril 1906.
Observation VIII
L... Louis, voyageur de commerce, 40 ans, entré le 14 février 1900.
Paralysie générale confirmée ; signes physiques, affaiblissement des facul-
tés ; idées absurdes de grandeur. z
En même temps que le malade émet ses propos incohérents, il fait des gestes
stéréotypés, qui consistent à lancer la main en avant et à la fermer violemment
en tournant le poignet, comme s'il voulait attraper une mouche. En même
temps se produit un claquement sonore. Tantôt le geste est fait de la main
gauche dans un plan horizontal ; tantôt il est exécuté des deux mains les bras
élevés en l'air. Parfois le mouvement de la main est exécuté seul, le bras et
l'avant-bras restant presqu'immobiles : la main est alors ouverte et fermée
brusquement pendant que se produit le mouvement de rotation du poignet en
dehors. Le claquement sonore qui accompagne d'ordinaire les gestes est quel-
quefois remplacé par l'onomatopée « pan ! pan ! » On ne saisit aucun lien pré-
cis entre ces gestes et le discours. '
Vers la fin de sa vie, en 1903, le malade alité avait remplacé ses stéréoty-
pies par la suivante : 8 mille, 80 mille, 800 mille, 8 millions, 8 cent mille
millions de milliards ; ce dernier chiffre répété indéfiniment en se frappant vio-
lemment la poitrine avec le poing droit.
Observation IX
R... Joseph, 31 ans, entré le 24 mars 1905. Depuis quatre mois environ, sa
femme a remarqué chez lui des troubles du caractère, irritabilité, mobilité
d'humeur, accès de gaieté et de colère ; puis des divagations, des maladresses,
du tremblement des mains, de la difficulté à parler.
A l'entrée on constate un affaiblissement notable des facultés ; loquacité
incohérente sans expression d'idées délirantes bien caractérisées ; satisfaction
simple. Tremblement des mains, de la langue ; secousses de la face ; nombreux
accrocs* de la parole ; signe d'Argyll ; réflexes tendineux plutôt exagérés ;
troubles de l'écriture.
Dès les jours suivants, en observant de plus près le malade, on s'aperçoit que
son discours incohérent, qu'il poursuit sans cesse sous forme de monologue,
ne fait que reproduire une série d'idées très limitées et toujours les mêmes.
On y retrouve aussi des expressions qui se répètent très fréquemment comme
de véritables stéréotypies verbales. De plus, le discours est ponctué de temps
en temps par des gestes qui se reproduisent d'une manière identique, stéréo-
typée.
26 SÉGLAS
Ces particularités ont persisté sous la même forme jusqu'à ce jour. En voici
un exemple (novembre 1906).
Monologue : « Ah ! dans les travaux forcés ! NoN. C'était des anarchistes
chez Charles... Thibierge ? il était général. Il voyage dans le Santos. Il est
mort ? Allons donc ? Non t'as-vu ? ... J'étais honnête, j'ai trouvé 50 francs.
T'as-vu ? Non.. J'ai travaillé chez Thibierge, moi j'ai vu l'Orient, le Pérou,
moi ! ... j'habite Paris... Non.. chez nous, c'est pas ça, c'est beau.. J'étais pas
feignant, j'ai travaillé, j'étais honnête.. Non. Raoul et Crici. - On y a fait de
la peine, on m'a fait du mal. Le vin, C'est moi qui payais... NoN.. Berthe elle
a voulu m'empoisonner. C'est moi qui payais tout. J'ai fait mon service mili-
taire. Thibierge m'a donné 10 francs ; j'ai trouvé 50 francs.. Tu te rappelles
la bicyclette. C'est moi qui l'a payée. Moi, j'ai voyagé, j'étais honnête.. NoN.
La voiture était caoutchoutée. C'est moi qui tenais la peinture. llaoul et Crici ?
t'as-vu, non... C'est moi qui payais tout.
Les phrases soulignées reviennent à chaque instant dans les divagations du
malade ; ponctuées à de courts intervalles par le mot « non ». Ce mot est
d'ordinaire accompagné d'un geste stéréotypé qui se traduit sous deux formes
différentes. La première est un geste des deux bras rappelant celui du faucheur ;
avec un léger mouvement de rotation de la tête à gauche. La seconde est un
mouvement du bras gauche, comme si le malade jetait violemment un objet à
terre à peu de distance devant lui. -
Observation X
M... Edouard, négociant en vins, 45 ans, entré le 2 mai 1906.
Paralysie générale avancée ; signes physiques ; affaiblissement notable des
facultés ; exéitation avec idées absurdes de richesses et de puissance génitale.
Ces symptômes ont persisté depuis l'entrée ; mais avec les progrès de la
démence, le malade ne manifeste plus ses idées de grandeur que sous la forme
de la stéréotypie verbale suivante, qu'il répète a satiété toute la journée :
« 999 milliards, 999 millions pour M. 500 ion., 500 c., 500 q. pour M... »
Observation XI (PI. I)
S... Georges, 44 ans, chapelier, entré le 16 mai 1904.
Changement de caractère depuis deux ans environ : il se plaignait de douleurs
dans les jambes, de sentir ses idées disparaître ; il disait à son entourage
« qu'il se sentait devenir fou ». Esprit de contradiction à tout propos. Il était
incapable de prendre la moindre décision, « comme un enfant ». Idées de dé-
penses, d'achats ; rires ou pleurs sans motif. Il restait parfois des journées
entières occupé à répéter le même geste, sans signification aucune.
A l'entrée, affaiblissement intellectuel notable, surtout de la mémoire ; très
désorienté. Idées de satisfaction simple alternant avec des idées hypochondria-
ques ; mobilité d'humeur. Inconscience complète de sa situation. Inégalité
pupillaire, signe d'Argyll ; réflexes tendineux normaux ; tremblement de la
langue et des mains ; accrocs de la parole.
DES SYMPTÔMES CATATONIQUES AU COURS DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 27
t
Par la suite, la démenée s'accentue progressivement. Actuellement, le ma-
lade est dans un état de démence absolue. Il ne présente de particulier que des
attitudes stéréotypées qu'il conserve presque depuis son entrée dans le service.
Il reste immobile à la même place, dans la même position, pendant des jour-
nées entières ; debout, les bras légèrement écartés du corps, les mains pen-
dantes et devenues oedématiées par suite de cette position, la tête fléchie, les
yeux fixés sur l'une ou l'autre de ses mains, qu'il remue légèrement à la façon
d'un objet qu'on voudrait faire miroiter (PI. I).
Il conserve obstinément cette attitude; si on le dérange, il la reprend; si on
le change de sa place, il y retourne. Il ne se dérange même pas pour uriner
et laisse échapper ses urines dans cette position.
Lorsqu'on tente de modifier son attitude, il se raidit, crie qu'on l'abîme ; si
on le change de place, il se raidit encore, proteste c il n'aime pas qu'on le
dérange » ; et sitôt libre retourne au plus vite reprendre son poste et son atti-
tude immuable.
Si l'on s'arrête devant lui en élevant les bras en l'air, il se recule comme
effrayé, exagérant son attitude en serrant les bras contre son corps et criant
« non, non, faut pas les lever ».
HOSPICE DE LA SALPÈTRIÈRE
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE
- VERTÉBRAL
PAR
M. F. RAYMOND, et M. L. BABONNEIX,
Professeur à la Faculté de médecine. Chef de clinique de la Faculté.
L'histoire des affections vertébrales ne comprenait jadis que deux cha-
pitres : la tuberculose et le cancer. Les classiques décrivaient minutieuse-
ment les caractères anatomiques et cliniques du mal de Pott ; ils mon-
traient en détail comment le cancer, en détruisant le tissu osseux, com-
prime les racines au niveau du trou de conjugaison et détermine ainsi une
paraplégie douloureuse. Quant aux ostéo-arthrites chroniques simples de
la colonne vertébrale, elles étaient considérées comme si exceptionnelles
qu'il suffisait, pour elles, d'une simple mention.
Les recherches récentes des nombreux auteurs qui, à la suite de Séna-
tor, ont fouillé ce coin encore peu connu de la pathologie, sont venues,
sur bien des points, modifier l'opinion classique. Elles ont établi que les
spondylites chroniques sont beaucoup plus fréquentes qu'on ne le croyait
autrefois. Elles ont mis en lumière leurs rapports avec les infections :
blennorragie, syphilis, rhumatisme articulaire aigu ; avec les auto-intoxi-
cations, telles que le diabète ; avec certaines conditions extérieures telles
que le froid humide. Elles ont enfin permis de distinguer, parmi elles,
deux principaux types auxquels on a justement attaché le nom de ceux
qui les ont isolés : la cyphose hérédo-traumatique de Bechterew, et la
spondylose rhizomélique de MM. Marie et Léri.
L'étude des ostéo-arthrites chroniques simples de la colonne vertébrale
est donc toute d'actualité. Mais il s'en faut que soient résolues toutes les
questions qu'elle soulève. Doit-on les considérer comme une entité mor-
bide spéciale, ou comme une simple variété de rhumatisme chronique ? -
Les principales formes qu'elles affectent peuvent-elles être rapprochées
les unes des autres, ou représentent-elles, au contraire, autant de types ir-
réductibles ! Enfin, quelle est leur pathogénie, autrement dit, par quel
mécanisme les agents étiologiques les plus divers peuvent-ils aboutir à la
RAYMOND ET BABONNEIX. SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE 29
production d'une ankylose vertébrale ? Autant de problèmes dont la solu-
tion ne pourra être donnée que le jour où nous disposerons de matériaux
suffisamment nombreux. Et c'est dans le but d'apporter notre contribu-
tion à cette étude difficile que nous publions aujourd'hui l'observation
d'une malade que nous avons pu suivre pendant plusieurs années, et dont
l'histoire nous a paru présenter plusieurs particularités intéressantes.
»
Observation (1). ,
Bad... (Reine), âgée de 28 ans, mécanicienne, n'a plus ni père ni mère !
le père est mort de pneumonie à 62 ans, la mère d'une affection cardiaque à
52 ans ; elle reste seule de 4 enfants, l'un mort-né avant terme, les deux au-
tres morts l'un à 2 ans, l'autre à 8 mois.
Elle-même est née à terme et affirme avoir marché à 9 mois, mais elle a été
nouée et n'a marché définitivement seule qu'à 2 ans.
Elle était complètement rétablie quand elle a subi successivement trois mala-
dies infectieuses : la rougeole vers 3 ans, la scarlatine à 7 ans, la variole à
11 ans.
Les règles se sont montrées à 18 ans et ont toujours été normales depuis,
excepté pendant trois mois lors de la période la plus accentuée de la première
atteinte de l'affection qui nous occupe ; elle n'a jamais eu de pertes blanches,
pas de grossesse.
C'est au moment de l'apparition des premières règles, à l'âge de 18 ans,
que débute l'affection. Très lentement, très insidieusement, s'installe une cer-
taine gêne dans les membres inférieurs, la marche est pénible, et, peu à peu,
la jeune fille remarque qu'elle ne se tient pas droite. Il y a bien eu, dès le dé-
but, une certaine pesanteur dans la région lombaire, mais jamais de douleurs
vives, rien au niveau du coccyx.
Ces troubles s'aggravent lentement mais d'une façon continue, si bien que
la marche devient tout à fait impossible et que la malade, âgée de 21 ans 1/2,
entre pour la première fois à la Salpêtrière en 1892. Elle se rappelle fort bien
qu'on a nommé sa maladie « paraplégie », qu'elle ne pouvait ni marcher ni se
tenir debout, mais que son pied était resté parfaitement mobile ainsi que ses
genoux, qu'on a constaté une déviation, une « faible courbure » (a-t-elle en-
tendu dire) du rachis, qu'il n'y avait aucune anesthésie, aucun trouble des
. sphincters et que les réflexes étaient conservés. Pour elle, il n'y avait aucune
différence entre son état et l'état présent ; il s'agit, à 'n'en pas douter, de la
même maladie, seulement le dos était moins courbé, bien que les jambes fus-
sent plus prises et, particularité importante, les épaules comme les hanches
étaient immobilisées, puisqu'elle ne pouvait lever les bras pour se peigner,
bien que ses mains eussent conservé toute la liberté de leurs mouvements.
Elle est restée ainsi cinq mois dans le service de Charcot, complètement
(1) Cette malade avait été présentée, le 3 mars 1899, à la Société médicale des hôpi-
taux, par M. Gasne, dont nous reproduisons ici l'observation.
30 RAYMOND ET BABONNEIX
alitée pendant deux mois, reprenant peu à peu l'usage de ses membres supé-
rieurs d'abord, puis de ses membres inférieurs, recouvrant enfin la souplesse
de sa colonne vertébrale.
Elle sort de l'hospice marchant tout il fait bien, reprend sa vie ordinaire,
qui consistait alors à faire le ménage, la cuisine, etc. ; l'année suivante, elle
va au bal, danse comme ses camarades et sa taille est absolument droite.
Trois ans pleins (de septembre 1892 au commencement de 1896) elle est
tout à fait bien portante; mais la même série de symptômes se reproduit;
elle sent peu à peu ses jambes plus faibles ; un an et demi ou deux ans après,
son dos, moins souple, se courbe malgré elle, et, depuis 18 mois déjà, elle
marche avec la plus grande difficulté, se traînant à l'aide d'une chaise jusqu'à
sa machine, qu'elle peut encore actionner malgré son infirmité ; mais la sta-
tion assise devient difficile, les pieds ne peuvent plus s'appliquer à la pédale
et elle entre à Beaujon en janvier 1898 d'où elle nous est envoyée le 8 août
de la même année.
Les photographies ci-jointes (PI. III) donnent une idée de l'aspect que pré-
sente cette singulière paraplégique.
Elle ne marche pour ainsi dire pas et on la porte plutôt qu'on ne la
soutient ; debout, elle peut se soutenir sur deux chaises, reposant sur la pointe
des pieds, les genoux mi-fléchis, très écartés l'un de l'autre, le tronc projeté
én avant par suite de son obliquité sur l'axe des cuisses et de la flexion de la
colonne vertébrale, la tête en extension forcée pour rétablir la direction hori-
zontale du regard, elle réalise avec quelques modifications le zigzag du schème
classique de la spondylose rhizomélique ; couchée, le bassin et la région lom-
baire reposant sur le plan du lit, les genoux s'écartent de celui-ci de 15 cen-
timètres et les épaules de 25 centimètres.
En effet, la colonne vertébrale d'une part, les hanches d'autre part, sont
fixées en une attitude vicieuse absolument irréductible.
La colonne présente une courbure à convexité postérieure très accentuée,
dont le sommet correspond à peu près de la septième à la dixième vertèbre
dorsale ; il semble qu'à ce niveau, il y ait une inclinaison brusque de la tige
vertébrale ; il en résulte que le tronc est doublement porté en avant, puisque
déjà l'ankylose en demi-flexion des hanches lui imprime une direction anor-
male ; il en résulte aussi que le thorax, en avant, vient, pour ainsi dire, se
mettre en contact avec le rebord osseux du bassin, et que le ventre forme un
bourrelet qui retombe au-dessus de l'arcade pubienne ; il semble qu'il y ait en
outre une légère torsion de la colonne, qui donne au thorax une certaine obli-
quité que montre l'inclinaison en bas et à droite du sternum. Cette portion du
rachis est absolument immobile ; il est impossible de la redresser, impossible
de la fléchir davantage ; par contre la région cervicale est absolument libre; la
tête se tourne, se fléchit, s'étend sans aucune difficulté et la malade la rejette
le plus souvent en arrière, pour rétablir la direction normale de la face.
Signalons en passant que les côtes fonctionnent normalement, et que la
respiration affecte le type costal supérieur.
Les articulations coxo-fémorales sont immobilisées en flexion, abduction et
NOUVELLE Iconographie DE la SALPLTItII.RE. T. XX. Pl. 111
UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL
(F. Raymond et Babonneix.)
Masson et de. Editeurs
Phototypie Derlhaud
SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 31
rotation externe ; de la demi-flexion dépendent l'obliquité du tronc pour
ainsi dire projeté en avant, le soulèvement des genoux qui ne peuvent reposer
sur le même plan que les fesses lorsque la malade est couchée, leur flexion
dans la station debout, indispensable pour ramener en arrière la base de sus-
tentation ; la rotation externe entraîne le repos du pied sur son bord latéral
externe, et le contact des deux pieds malgré l'écart considérable, 20 centimè-
tres, qui existe entre les deux genoux, écart qui résulte de la fixation en ab-
duction des deux hanches. C'est le mouvement de rotation qui est le plus
limité ; il y a comme une ébauche de mouvement d'adduction dans la cuisse
gauche, mais si on cherche à le provoquer, on est presque immédiatement
arrêté par une résistance invincible et douloureuse; au contraire, on peut
imprimer quelque léger degré de flexion et d'extension, surtout aujourd'hui ;
ces mouvements expliquent que la malade puisse s'asseoir, et permettent de
comprendre qu'elle ait pu si longtemps faire manoeuvrer la pédale de sa machi-
ne à coudre ; enfin, si l'on parvient à faire faire quelques pas à la malade, on
remarque qu'elle marche comme les personnes normales,en mobilisant la cuisse
sur le bassin, et non comme les malades de M. Pierre Marie, dont les mouve-
ments semblent se faire autour d'un axe unique transversal, passant à la fois
par les deux genoux ; mais ce sont là des acquisitions toutes récentes.
Il en est de même des mouvements des genoux ; ces articulations, presque
entièrement immobiles à l'entrée de la malade à la Salpêtrière, ne laissaient
qu'une amplitude très faible de quelques degrés aux mouvements de la jambe,
qui étaient fort douloureux. Aujourd'hui,1la malade les fléchit et les étend faci-
lement ; mais il résulte de la rotation externe de la cuisse que ces mouvements
portent le pied d'un côté sur le genou opposé.
Tous les mouvements du cou-de-pied et ceux des orteils ont toujours été
parfaitement libres.
Les membres supérieurs ne sont pas tout à fait normaux, bien' que la malade
n'éprouvant plus aucune gêne dans les mouvements habituels, les prétende
cette fois absolument indemnes ; il est néanmoins facile de s'assurer que, si
les mains, les poignets, les coudes fonctionnent bien, les épaules, en particulier
pour les mouvements d'abduction, sont loin de présenter l'amplitude et l'éner-
gie des mouvements d'une articulation saine.
Il y a donc une véritable régression des symptômes depuis l'entrée de la
malade à la Salpêtrière ; l'immobilité de la colonne vertébrale n'est pas si ab-
solue et on peut déjà reconnaître une certaine flexibilité qui n'existait pas ; les
articulations des genoux semblent s'être complètement dégagées et permettent
l'appréciation des réllexes rotuliens ; les hanches elles-mêmes sont plus mo-
biles et la malade peut s'asseoir et se relever dans son lit ; elle peut même
faire l'esquisse de quelques pas lorsqu'elle est soutenue.
Il n'y a aucun trouble des sphincters, aucun trouble de la sensibilité ob-
jective cutanée et profonde ; les réflexes rotuliens, appréciables aujourd'hui,
sont normaux'; les masses musculaires sont flasques et paraissent amoindries ;
les jambes, en particulier, sont plutôt cylindriques que fusiformes ; cepen-
dant, il n'y a ni dans les muscles des gouttières vertébrales, ni dans les fes-
32 RAYMOND ET BABONNEIX
siers, ni dans les muscles de la cuisse et de la jambe aucun trouble des réac-
tions électriques. La peau est sèche, un peu rugueuse, mais sans lésion
trophique vraie. Les articulations ne présentent aucun craquement, la pal-
pation n'a fait reconnaître aucune hyperostose en aucun point des régions
malades.
La malade d'ailleurs ne présente aucun autre trouble fonctionnel ou or-
ganique ; c'est une femme de petite taille, très brune, à tête volumineuse, à
dents saines, qui ne présente aucun stigmate hystérique, sensitif, sensoriel ou
moteur. On ne trouve à signaler chez elle qu'une émotivité extrême qui se
traduit par le tremblement des mains, de la langue, des lèvres, par l'instabilité
des globes oculaires ; mais tous ces phénomènes, très marqués lors du premier
examen, ne se sont pas montrés lors des examens ultérieurs. '
La malade revient en décembre 1905 à la Salpêtrière ; elle souffre alors de
phénomènes d'asystolie, avec oedème des extrémités, cyanose, tachycardie. La
poitrine est pleine de râles ronflants et sibilants ; il existe, de plus, de la
Congestion des bases, caractérisée par des foyers de submatité, avec râles sous-
crépitants et bronchophonie. Malgré la difficulté que l'on éprouve à faire un
examen complet, il semble que les lésions articulaires soient les mêmes qu'en
1897. Le 20 décembre, malgré tous les soins, la malade succombe.
. Autopsie.
Elle a été pratiquée le 21 décembre 1905, 24 heures après la mort.
L'examen du cadavre, dont la décomposition n'est pas très avancée, montre
l'absence de toute lésion cutanée : eschares, ecchymoses, etc., etc. Le tissu cel-
lulaire sous-cutané forme partout une couche épaisse de plusieurs centimètres.
La plupart des viscères paraissent engainés, comme la colonne vertébrale
elle-même, par du tissu fibreux présentant une disposition lamellaire.
La plèvre et le péricarde, au niveau de la base du coeur, sont unis par un
tissu scléreux très résistant. Les cavités du coeur sont toutes très dilatées ;
leurs parois flasques, étalées, ont une consistance de chiffon mouillé. Elles ont
cependant gardé leur épaisseur normale. Peut-être même, l'épaisseur de la
paroi du ventricule gauche est-elle un peu plus considérable qu'elle ne l'est
d'habitude. Les orifices auriculo-ventriculaires sont simplement dilatés ; les
valvules qui les limitent ne présentent, pour toute lésion, qu'un peu d'épaissis-
sement. Leur anneau d'insertion contient une grande quantité de tissu dur,
d'aspect fibreux.
Les vaisseaux qui partent de la base du coeur sont en état d'aplasie ma-
nifeste : C aorte, en particulier, n'admet qu'à peine le petit doigt. Ses parois
ne semblent pas épaissies, mais elles sont entourées d'un tissu fibreux disposé
de la façon suivante : immédiatement autour de l'aorte, une gaine lamelleuse,
dont la face interne adhère intimement au vaisseau, tandis que sa face externe
, répond à une couche de tissu cellulo-graisseux, épaisse de quelques millimè-
tres, partout continue, et anormalement dense ; cette couche est elle-même
limitée, en dehors, par une nouvelle membrane lamelleuse, également continue,
SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 33
et qui, avec la précédente, constitue une sorte de sac où se trouve logé le
tissu cellulo-graisseux.
Les poumons ne présentent que des lésions congestives généralisées. Il n'y
a trace ni de broncho-pneumonie, ni de tuberculose. '
L'examen du foie ne décèle aucune particularité notable. Sa capsule n'est
pas épaissie. Son parenchyme n'est pas congestionné ; il n'a pas subi de dégé-
nérescence graisseuse.
Les reins sont petits, rouges, congestionnés. Leur capsule est normale.'1 .,
La rate est petite, dure, presque noire. Elle pèse 70 grammes. Sa capsule
n'est pas épaissie. La péri-viscérite que nous avons signalée plus haut ne s'é-
tend donc pas à l'abdomen : elle reste purement thoracique.
La glande thyroïde pèse 30 grammes.
Le corps pituitaire pèse 48 centigrammes.
L'examen de la colonne vertébrale, pratiqué au niveau de la cyphose, mon-
tre en cet endroit l'existence de dispositions anatomiques analogues à celles
que nous avons décrites autour de l'aorte. Les muscles des gouttières verté-
brales sont absolument sains. Mais, autour de la colonne vertébrale, et immé-
diatement en rapport avec elle, il existe une lame membraneuse, doublée à sa
face externe par une couche cellulo-graisseuse dense, que limite une nouvelle
lame membraneuse. Ces formations pathologiques contribuent assurément à
immobiliser la colonne vertébrale dans la position de cyphose. Mais elles n'in-
terviennent pas seules. En effet, lorsqu'on les a incisées, la colonne ne reprend
pas toute sa mobilité. Et il est aisé de se rendre compte que, si les ligaments
jaunes et si le ligament vertébral commun antérieur sont sains, il n'en est pas
de même des disques intervertébraux qui paraissent partiellement ossifiés
surtout dans leur partie antérieure. En aucun point, il n'y a d'exostoses, de
jetées osseuses réunissant les corps vertébraux; les articulations costo-verté-
brales paraissent normales.
Les lésions des articulations coxo-fémorales sont un peu différentes. Lors-
qu'on a sectionné les muscles périarticulaires, les mouvements articulaires
sont impossibles. C'est que, au-dessous d'eux, entre eux et la capsule, existe
une formation spéciale, constituée par deux lames membraneuses enserrant
du tissu cellulo-graisseux anormalement dense. Vient-on à les couper, on cons-
tate, au sur et à mesure de la section, que l'articulation reprend sa mobilité
habituelle. Au-dessous d'elles, la capsule apparaît, nullement épaissie ni ossi-
fiée. Les surfaces articulaires son t normales. L'ankylose tient donc ici non à
des lésions de synostose, mais à l'existence du tissu spécial que nous venons de
décrire.
Notons enfin l'intégrité des masses musculaires et des diverses articulations
autres que celles de la colonne vertébrale et que les articulations coxo-fémo-
rales.
Examen histologique. -Des morceaux des principaux viscères ont été pré-
levés à l'autopsie, fixés, inclus et colorés par les méthodes habituelles.
Le poumon présente un épaississement marqué des cloisons alvéolaires. Les
alvéoles contiennent des produits de desquamation épithéliale, des leucocytes
xx 3
34 RAYMOND ET BABONNEIX
mono et polynucléaires, et, par places, de très nombreuses hématies. La paroi
des principaux vaisseaux est épaissie, surtout dans ses couches externes ; les
capillaires sont fortement dilatés ; il existe même, par places, dans l'épaisseur
des parois alvéolaires, des foyers d'apoplexie caractérisés par la présence, en
un même endroit, d'amas pigmentaires et d'hématies peu distinctes.
Sur certaines coupes, on peut observer des formations arrondies ou ovalai-
res, siégeant dans le voisinage des gros vaisseaux et entourées d'une capsule
rudimentaire, qui, elle-même, a subi, par places, l'infiltration embryonnaire.
Ces formations, dont l'intérieur contient quelques rares éléments lymphoïdes
et conjonctifs polymorphes, représentent évidemment des ganglions lymphati-
ques, comme le montrent leur situation, leur forme et leur apparence géné-
rale. Si leur réticulum n'est plus visible, ils présentent très nettement, en
effet, une capsule conjonctive dont la face interne, régulièrement bosselée, a
servi jadis à limiter de nombreux follicules.
Sur aucune de nos coupes, il n'existe la moindre formation tuberculeuse.
L'anthracose pulmonaire ne diffère pas de celle que présentent des sujets
normaux du même âge.
La plèvre est irrégulièrement épaissie et, sur certains points, les couches qui i
constituent son feuillet viscéral ont subi la transformation scléreuse.
Au niveau du pancréas, on peut observer que certains lobes se colorent t
mal ; les limites des cellules n'apparaissent plus nettement ; l'intérieur des
cellules elles-mêmes n'offre plus qu'une apparence indistincte, où il est im-
possible de retrouver le noyau et les granulations protoplasmiques. La loca-
lisation de ces zones mortifiées à la partie supérieure de la glande indique que
nous avons affaire à des lésions artificielles dues à l'imprégnation biliaire pro-
duite post-mortem.
Le reste du pancréas n'offre aucune altération appréciable : les îlots de
Langerhans présentent des limites peu nettes ; leurs dimensions sont un peu
.supérieures à la normale ; ils contiennent peut-être un peu plus de cellules
granuleuses que d'habitude.
Du côté de ['oreillette, il existe un épaississement diffus de l'endocarde. Le
myocarde paraît normal ; cependant, au niveau des zones sous-endocardique
et sous-péricardique, il est légèrement sclérosé. Sur des coupes de l'aorte, on
constate que ni l'endartère, ni les fibres élastiques de la mésartère ne sont
lésées; la périartère présente, sur un point limité, un petit foyer hémorra-
gique, au pourtour duquel les vasa-vasorum apparaissent anormalement dilatés.
L'aorte est contenue dans une gangue cellulaire dont les travées, extrême-
ment fibreuses et épaisses, contiennent des vestiges de tissu graisseux.
Les ovaires contiennent peu d'ovules bien développés (1). La plupart sont
mal formés, méconnaissables. Dans l'épaisseur de la substance corticale sclé-
rosée, existent quelques corps jaunes. Les vaisseaux de la partie centrale sont
abondants, gorgés de sang. Leur paroi est notablement épaissie. Sur certaines
coupes, on peut, de plus, observer quelques formations kystiques.
(1) La malade n'avait que 35 ans.
SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 35
En somme, aplasie ovulaire des plus marquées.
Le capsule de la rate possède une épaisseur normale ; au-dessous de la
capsule, existe une zone fortement pigmentée, assez épaisse, faisant régulière
ment le tour de l'organe : cette zone, examinée à un grossissement suf-
fisant, paraît formée par des amas pigmentaires d'origine hématique et par
de nombreux globules rouges, plus ou moins déformés et indistincts.
Sur certaines coupes, la capsule s'enfonce dans la profondeur pour former
une sorte d'ampoule peu volumineuse, que des bandes conjonctives divisent
en deux ou trois logettes remplies d'hématies déformées : cette disposition
est vraisemblablement d'origine congénitale.
Ce qui frappe le plus, sur toutes les coupes de rate que nous avons exami-
nées, c'est l'aplasie complète des follicules de Malpighi. C'est à peine si, par
places, on peut en retrouver quelques vestiges, caractérisés par l'agglomération,
en un point, de lymphocytes et de grands mononucléaires.
Les surrénales n'offrent aucune trace d'épaississement capsulaire : seul, le
tissu périvasculaire est épaissi, sans que les vaisseaux eux-mêmes paraissent
lésés. La glande ne présente pas d'altération notable : la plupart des tubes sont
parfaitement développés, mais ne contiennent qu'un très petit nombre de
cellules granuleuses et sont tapissés, presque exclusivement, par de grandes
cellules claires. Les cellules granuleuses représentent des éléments jeunes ;
on voit que le fonctionnement de la surrénale est peut-être un peu inférieur à
ce qu'il doit être chez un sujet normal.
La pituitaire, dans sa partie nerveuse, paraît absolument saine. Dans sa
partie glandulaire, les travées sont remplies de toutes petites cellules d'aspect
lymphoïde, auxquelles se mélangent un certain nombre de cellules chromo-
philes volumineuses. L'atrophie glandulaire, ici, semble donc n'être pas dé-
finitive.
La capsule n'est pas épaissie ; il n'existe pas de sclérose interstitielle ; les
vaisseaux sanguins sont moins nombreux et moins volumineux que normale-
ment.
Le corps thyroïde présente des lésions multiples. Tout d'abord, les alvéoles
sont moins développés qu'à l'état normal, malgré l'augmentation de volume
de la glande. Les cellules épithéliales sont très petites, aplaties, tassées contre
la paroi alvéolaire. La substance colloïde, plus abondante que d'habitude, se
colore faiblement, mais régulièrement. Il est difficile de la retrouver dans la
plupart des vaisseaux lymphatiques.
Les vaisseaux du corps thyroïde sont gorgés de sang. Par places, on ob-
serve des foyers hémorragiques déjà anciens, comme le montre l'infiltration,
dans les tissus voisins, de pigments et d'hématies.
Il existe en plus un certain degré de sclérose interstitielle, sans que la cap-
seule paraisse notablement épaissie.
L'examen histologique des centres nerveux ne donne que des résultats né-
gatifs. L'écorce, examinée au Nissl, au Marchi, et au Weigert, paraît absolu-
ment saine ; les grandes cellules pyramidales ont un nombre suffisant d'éléments
chromatophiles ; leurs prolongements sont normaux ; les fibres tangentielles et
36 RAYMOND ET BABONNEIX
radiées présentent leur aspect habituel, la méthode de Marchi ne décèle aucune
dégénération des fibres centro-ôvalaires. Les coupes du cervelet ne montrent
pas la moindre lésion. Au niveau de la protubérance et du bulbe, intégrité des
fibres à myéline, des vaisseaux et de la névroglie, contrastant avec une légère
chromatolyse de certaines cellules. Les noyaux bulbaires présentent en effet
quelques cellules dont les éléments chromatophiles sont moins nombreux et
moins abondants que d'habitude, et où il existe un certain état flou du proto-
plasma, avec pigmentation légère. Enfin, la moelle, étudiée aux différents
niveaux (renflements cervical et lombaire, moelle dorsale) paraît tout à fait
saine : les grandes cellules radiculaires, entourées de nombreux prolongements,
contiennent des blocs chromatophiles bien limités et bien colorés ; il n'y a pas
trace de chromatolyse. Rien à signaler du côté de la substance blanche. Les
vaisseaux sont normaux. Enfin, pas plus au niveau de l'encéphale que de la
moelle, il n'existe la moindre lésion méningée.
Reste, à examiner les os. Nous avons étudié deux fragments de la colonne
vertébrale, pris au niveau de la cyphose, et disposés de façon à présenter,
sur une même coupe, le disque intervertébral et les parties voisines des deux
vertèbres adjacentes (PI. IV).
Sur le plus petit de ces deux fragments, existent des signes incontestables
d'envahissement du fibro-cartilage par l'os voisin : il ne s'agit pas là d'une
calcification du fibro-cartilage, ni d'une ossification de ce disque aux dépens
des éléments fibreux qu'il contient : non, il s'agit d'une sorte de substitution
de l'os vertébral au tissu normal du fibro-cartilage. Sur toutes les coupes, on
peut voir en effet des jetées osseuses envahir irrégulièrement le ménisque : ces
jetées, surtout abondantes au niveau de sa partie antérieure, rendent peu nette,
à cet endroit, la limite qui sépare l'os du fibro-cartilage, tandis que, plus loin,
cette limite redevient aussi distincte qu'à l'état normal. Les aréoles contenues
dans ces jetées osseuses sont presque vides d'éléments cellulaires, des héma-
ties, des myélocytes ordinaires, avec un noyau arrondi, gonflé, et de dom-
breuses gouttelettes de graisse plus ou moins dissoutes par les réactifs ; mais,
même en ces points, il n'existe pas de polynucléaires ; de plus, les vaisseaux
sont normaux : leurs parois ne présentent aucune altération : il n'y a pas de
sclérose périvasculaire.
Sur le second morceau, les lésions paraissent plus avancées. Le fibro-carti-
lage du ménisque est dissocié dans tous les sens par des jetées osseuses irré-
gulières. Ici encore, la moelle osseuse ne contient plus d'éléments en activité.
En résumé, il s'agit ici d'une jeune femme chez laquelle est apparu, à
la puberté, un processus ankylosant de localisation et d'évolution particu-
lières. Ce processus s'est en effet cantonné à la partie dorso-lombaire de la
colonne vertébrale, et aux articulations de la racine des membres. Il a dé-
buté insidieusement, sans douleurs d'aucune sorte, ne s'est jamais compli-
NOUVELLE ICO\OGRAPFIIE DC LA SALPLnotuE.
T. XX. Pl. IV
Ccupe du rachis photographiée. (Infioit).
Radiographie du rachis. (Infroit).
UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL
(F. Raymond et Babonneix.)
T... ? MaaSOrL.et('eP.direnr.
SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 37
qacé d'exostoses, et, surtout, il a disparu complètement à deux reprises, de
telle sorte que, pendant une période assez longue, la malade a pu se croire
complètement guérie. Mais les accidents morbides n'ont pas tardé à se
reproduire, et, finalement, une attaque d'asystolie aiguë a déterminé la
mort. A l'autopsie, trois ordres de lésions principales : 1° altérations di-
verses, très manifestes des glandes à sécrétion interne : aplasie ovulaire,
aplasie complète des follicules de Malpighi, lésions multiples et intenses
du corps thyroïde, lésions légères du pancréas, des glandes surrénales,
de la pituitaire ; 2° lésions thoraciques consistant, d'une part, en périvis-
cérite fibreuse, d'autre part, en aplasie aortique ; 3° ankylose purement
fibreuse des articulations de la racine des membres, ankylose mixte de la
colonne vertébrale : fibrose périphérique, ossification partielle des disques
intervertébraux.
A quelle affection avons-nous affaire ici ? '
Il est une maladie dans laquelle on peut voir le corps entier, pour
ainsi dire, transformé en un véritable bloc osseux par suite de la transfor-
mation successive, en tissu osseux, des divers muscles de la vie de rela-
tion ; l'ossification débute par les muscles de la nuque, du dos, de la ra-
cine des membres pour envahir l'un après l'autre tous les muscles, sauf
ceux de la face et les sphincters. C'est la myosite ossifiante progressive,
décrite, en 1869, par Munchmayer, étudiée depuis par MM. Weil et Nis-
sim (1), Daval (2), et dont MM. Kruschke (3),'Ferraton (4), Sielviatti (5),
et Nové-Josserand et IIorand (6), ont récemment publié quelques cas.
Entre la myosite ossifiante progressive et l'affection présentée par notre
malade, il y a bien quelques analogies : raideur de la colonne vertébrale,
raideur des épaules et des hanches, évolution par poussées successives.
Mais il y a surtout des différences. La myosite progressive apparaît dans
les premières années de la vie : elle débute par les muscles de la nuque,
enfin et surtout, les lésions qui la caractérisent sont primitivement mus-
culaires, et si, aux périodes avancées de la maladie, le squelette participe
au processus morbide, ce n'est jamais que d'une façon accessoire et con-
tingente. Chez notre malade, au contraire, les premiers phénomènes mor-
bides n'ont apparu qu'à la puberté, les lésions sont fibreuses et osseuses,
(1) WEIL et Ntssrsr, Nouv. Iconog. de la Salpêtrière, 1898.
(2) DAVAL, Traité des maladies de l'enfance, t. IV, p. 655.
(3) Kruschke, Jahrb. f. Kinderheilk., 1" juin 1904.
(4) FERRATON, Revue d'orthopédie, 1er juillet 1903.
. (5) Sielviatti, Archiv. f. Kinderheilk., 1904.
(6) Nové-Josserand et HORAND, Revue d'orthop., 1" mai 1905.
38 RAYMOND ET BABONNEIX
mais, en tout cas, elles respectent absolument le tissu musculaire, et, même
au niveau de la colonne vertébrale, où elles sont les plus accentuées, il
est aisé de se rendre compte que les muscles des gouttières vertébrales
sont parfaitement sains. Il est donc évident qu'il ne s'agit pas, dans notre
cas, de maladie de Müncbmeyer. ,
Bechterew (4) décrit, il y a quelques années, un type spécial d'anky-
lose vertébrale, caractérisé par les signes suivants : 1) immobilité totale ou
partielle de la colonne vertébrale ; 2) cyphose dorsale à grand rayon, dans
le territoire de laquelle se montre une gibbosité nette, à saillie plus ou
moins proéminente, au niveau de laquelle les vertèbres sont douloureuses
à la percussion ; 3) atrophie des muscles des ceintures scapulaire et pel-
vienne, et plus rarement, atrophie des muscles des extrémités ; 4) inten-
sité des troubles sensitifs : anesthésies, hyperesthésies, paresthésies dans
le territoire des nerfs du dos et du cou, sciatique. L'ankylose suit une
marche progressivement descendante ; elle respecte habituellement les
articulations de la racine, mais atteint parfois celles de l'extrémité des
membres. La maladie se développe sous l'influence de deux causes : l'une,
prédisposante, c'est l'hérédité névropathique ; l'autre, occasionnelle, c'est
le traumatisme : aussi l'appelle-t-on communément cyphose hérédo-trau-
matique. Elle subit une amélioration considérable lorsque l'on soumet
les patients au repos horizontal, et lorsqu'on leur applique un corset
approprié.
Trois hypothèses, discutées par MM. Marie et Astié (2), se sont succes-
sivement proposé d'expliquer les caractères de la cyphose hérédo-trauma-
tique : l'une, avec Kummel, fait jouer un rôle à l'ostéite raréfiante que
détermine le traumatisme au niveau des vertèbres : l'autre, avec Ileule,
invoque l'existence d'un hématome intra ou extra-dural ; d'autres auteurs,
enfin, ne sont pas loin de faire jouer un rôle à )'hystérie'dans la pathogé-
nie des accidents. Toujours est-il qu'à l'autopsie de ces malades, on
trouve (P. Marie et Dobrovitch) (3), une soudure presque totale de la
colonne dorsale, avec ossification des disques intervertébraux et du liga-
(1) BEGHTEREW, Neue Beobachtungen und patlaologische anatomische Untersuclaun-
gen ueber Steifiigkeit der WÍ1'belsaule, Deutsch Zeitschrift sur Nervenheilkunde, VX,
ibid ; Steifiigkeit der Wirbelsaule uud irhe Verkummung als besonde>·e Erkran-
kungsforme, Neurol. Centralblatt, 1893, n 13.
(2) Marie et Astié, Cyphose héi,édo-t ? ,aîimatique. Presse Médic, octobre 1897.
(3) P. Marie et DODROVITCII, Cyphose leérédo traumatique. Société médicale des hôpi-
taux, 21 mai 1903. - V. aussi LÉni, Autopsie d'un cas de cyphose hérédo-traumatique.
Bull. Soc. Méd. des Hôp., 28 juillet 1904.
SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 39
ment vertébral commun antérieur, avec ossification partielle des ligaments
jaunes, soudure des apophyses épineuses et ankylose des articulations
costo-vertébrales.
Revenons maintenant à notre malade. Elle n'a jamais subi le moindre
traumatisme. L'ankylose ne s'est accompagnée, chez elle, ni de douleur,
ni d'anesthésie ; elle a atteint les articulations de la racine des membres.
Autant d'éléments qui différencient notre cas de ceux sur lesquels Bech-
terew a édifié sa description, et qui nous permettent d'éliminer à coup
sûr le diagnostic de cyphose hérédo-traumatique.
Dans un intéressant travail, récemment publié dans la Nouvelle Icono-
raphie de la Salpêtrière (1), M. Forestier a tenté d'isoler un nouveau
type clinique qui, par quelques points, pourrait être rapproché de notre
cas. C'est la spondylose rhumatismale ankylosante. Il s'agit de malades
rhumatisants, et dans les antécédents desquels en dehors du rhumatisme,
on ne trouve aucune autre affection capable d'expliquer le développement
de l'ostéo-arthrite vertébrale. Cliniquement, ce qui permettrait presque
de faire le diagnostic à première vue, c'est l'habitus très particulier des
malades, par suite de l'aplatissement du dos et de l'atrophie des fesses, de
l'effacement de la courbure lombaire et de la rectitude de l'épine dorsale
soudée. Leur profit est tout à l'ait caractéristique : il est constitué par
quatre segments, les deux premiers : tête, cou et tronc, forment un angle
ouvert en avant, les deux derniers : cuisse et jambe, forment un angle
ouvert en arrière. Les lésions anatomiques de la spondylose rhumatismale
ankylosante ne sont pas encore connues : tout au plus, peut-on supposer,
avec M. Forestier, qu'elles consistent en arthrite vertébrale, avec périos-
tite externe du voisinage des disques intervertébraux, et propagation plus
ou moins accentuée vers la dure-mère. '
Entre ce type clinique, dont l'existence d'ailleurs a été contestée (Ver-
hoogen) (3), et le cas de notre malade, il n'y a guère qu'un symptôme
commun : l'ankylose vertébrale. Notre malade n'est pas une rhumati-
sante ; elle ne présente aucun des signes cliniques décrits par M. Fores-
tier ; elle accuse par contre, des symptômes que l'on n'observe pas dans
l'affection décrite par cet auteur. Nous conclurons donc qu'il ne saurait
s'agir, dans notre cas, de spondylose rhumatismale ankylosante.
(1) Forestier, Déformations rachidiennes.. Trois cas de spondylose rhumatismale
ankylosante. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, t. XVII, n° 2, p. 8S, 100, mars-
avril 1904. '
(2) VfipfI00aEN, Les formes cliniques du rhumatisme chronique, Congrès de Liège,
1905, p. 44.
40 RAYMOND ET BABONNEIX
Il existe une singulière affection, caractérisée par l'ankylose symétri-
que et progressive de la plupart des articulations, débutant par les extré-
mités des membres pour atteindre en dernier lieu la colonne vertébrale.
Cette affection, dont l'un de nous a présenté deux cas dans ses Leçons du
vendredi (1), et dont M. le professeur Berger (2) a publié récemment un
autre cas, a été désignée soit sous les noms d'ankylose symétrique et pro-
gressive (Raymond, Berger), soit sous celui de synartrophyse (Kritchewski-
Gochbaum), débute par des douleurs localisées à telle ou telle jointure,
puis peu à peu, les mouvements de cette jointure se limitent et l'ankylose
s'établit. La radiographie montre que l'immobilisation n'est due ni à des
productions plastiques péri-articulaires, ni à des rétractions tendineuses,
mais qu'elle est en rapport avec la fusion des extrémités osseuses.
Cliniquement, il existe des analogies incontestables entre la synarthro-
physe et l'affection qu'a présentée notre malade. Mais, dans celle-ci,
l'ankylose s'est localisée aux articulations de la racine des membres et à
la colonne vertébrale et a presque complètement respecté les autres arti-
culations. Anatomiquement les deux cas diffèrent essentiellement. Dans
notre cas, lésions mixtes d'ankylose, à la fois fibreuses et osseuses. Dans
la synarlhrophyse, au contraire, lésions purement osseuses ; les choses se
passent de cette façon que les deux os contigus, suite de leur fusion,
n'en constituent plus qu'un seul (Peter Janssen) (3).
Sous le nom de spondylose rhizomélique, M. Pierre Marie (4) a décrit t
une affection qui se caractérise essentiellement par « la coïncidence d'une
« soudure complète du rachis avec une ankylose plus ou moins pronon-
« cée des articulations de la racine des membres, les petites articulations
« des extrémités demeurant intactes ». -
La soudure de la colonne vertébrale est telle qu'on la briserait plutôt
. que de lui imprimer le moindre mouvement. Elle immobilise le rachis en
une cyphose spéciale qui est due surtout à une forte et assez brusque
inclinaison de la colonne cervico-dorsale, la colonne lombaire restant
(1) L'un de ces cas a été publié dans la thèse de Mme KRITCHEwSKI-GOCHBAUAf, Sur un
cas d'ankylose articulaire progressive et généralisée. Thèse. Paris, 1900.
(2) P. Berger, Sur une forme encore peu connue d'affection ankylosante. Bull, méd.,
5 avril 1905.
(3) PETER JANSSEN, XIII» vol. des Mittheilungers ans den Grenzgebieteis der Medizin
und der chirurgie, 1903.
(4) Pierre Marie, Les spondyloses rhizoméliques. Rev. de Méd., 1898, p. 285.
SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 41
presque droite. Les vertèbres se recouvrent souvent d'hyperostoses,
que l'on rencontre surtout au niveau de l'articulation sacro-iliaque et de
la face antérieure des vertèbres cervicales. Les premières immobilisent
les articulations atteintes ; les secondes, que l'on peut d'ailleurs percevoir
par le toucher buccal, peuvent déterminer des troubles de la déglutition.
Quant aux articulations de la racine des membres, elles présentent des
lésions analogues, surtout marquées au niveau des hanches. Les hanches
sont immobilisées en flexion et en adduction, et il est impossible de
leur imprimer le moindre mouvement. Les mouvements des épaules
sont simplement limités, et il n'est pas rare, lorsqu'ils s'exécutent, de
percevoir quelques craquements. Dans les formes pures, les autres arti-
culations des membres sont intactes.
Ces ankyloses osseuses déterminent un ensemble [de troubles fonction-
nels très particuliers. Le thorax, aplati dans le sens anléro-postérieur,
reste constamment immobile, de telle sorte que la respiration est unique-
ment abdominale. Pour garder la station verticale, les malades sont obligés
de fléchir leurs genoux ; dans le lit, ils ne peuvent se coucher comme ils
veulent ; leur dit-on de marcher, les articulations coxo-fémorales ne
fonctionnant pas, la progression ne peut se faire que grâce aux mouve-
ments des genoux et des articulations tibio-tarsiennes, et « il semble qu'en
réalité, les malades soient des mannequins en bois dont les mouvements
des jambes s'effectueraient autour d'un axe transversal passant à la fois
par les deux genoux ». La marche est donc toujours difficile et pénible.
La maladie frappe surtout des adultes du sexe masculin ; elle débute
par des douleurs, qui persistent pendant toute la durée de l'affection ;
mais ces douleurs constituent le seul phénomène inflammatoire, et, au
niveau des articulations atteintes, on ne constate jamais de rougeur, ni de
chaleur, ni de tuméfaction. La spondylose évolue de bas en haut ; elle
peut rétrocéder, mais elle ne guérit jamais.
A l'autopsie d'un de leurs malades, MM. Pierre Marie et Léri (1) ont pu
constater que l'ankylose vertébrale dépend essentiellement de l'ossification
de certains ligaments ; ligaments jaunes, ligaments costo-transversaires,
etc., etc. Ces disques intervertébraux, de même que le ligament vertébral
commun antérieur, sont intacts. Les vertèbres sont d'ailleurs loin de pré-
senter leur aspect normal ; leur surface se recouvre parfois d'exostoses,
les apophyses articulaires se soudent sur toute la hauteur de la colonne
vertébrale, les apophyses épineuses s'unissent partiellement. Quant à
l'ankylose des articulations coxo-fémorales et scapulo-humérales, elle
(1) Pierre Marie et Léri, Autopsie d'un ras de spondylose rhizomélique. Soc. Méd.
des Hôp., 24 février 1899.
42 RAYMOND ET BABONNEIX
tiendrait, d'après MM. Mayet et Jouve (1), à des productions osseuses de
néoformation, d'après M. Curcio (2), à l'ossification de la capsule et des
ligaments articulaires.
Entre les symptômes de la spondylose rhizomélique, tels que les ont
décrits MM. Pierre Marie et Léri, et ceux qu'a présentés notre malade il
y a assurément quelques différences. Elles avaient déjà été signalées par
M. Gasne. La spondylose rhizomélique serait presque particulière à
l'homme : or notre malade appartient au sexe féminin. La spondylose
rhyzomélique débute par des douleurs vives ; elle immobilise les articu-
lations coxo-fémorales en flexion, adduction et rotation interne ; elle atteint
la région cervicale, s'accompagne de craquements, se complique fréquem-
ment d'exostoses ; elle peut rétrocéder, comme M. P. Marie l'a noté dans
plusieurs de ses cas, et comme l'un de nous a pu en observer un fait,
mais elle ne guérit jamais complètement. Au contraire, chez notre ma-
lade, début insidieux, sans douleurs ; ankylose des hanches en flexion,
abduction et rotation externe ; aucun craquement, aucune exostose ; in-
tégrité complète de la région cervicale ; régression spontanée des acci-
dents, aboutissant à une guérison qui s'est maintenue plusieurs années.
Mais ce sont là des nuances. Et si l'on remarque que notre malade a pré-
senté les deux symptômes que M. P. Marie considère comme fondamen-
taux : l'ankylose vertébrale et l'ankylose des articulations de la racine des
membres, on comprendra que, cliniquement, M. Gasne ait pu intituler
sa communication à la Société médicale des Hôpitaux : Sur un cas de
spondylose rhizomélique.
Anatomiquement, nous pouvons, de même, relever quelques différences
entre les lésions que nous avons observées, et celles qu'ont décrites MM. P.
Marie et Léri. Sans doute, n'avons-nous retrouvé, ni les exostoses verté-
brales, ni l'ossification des ligaments jaunes ; par contre, dans notre cas, il 1
existe une ossification partielle des disques intervertébraux que ne signa-
lent pas MM. P. Marie et Léri. Mais il importe de remarquer que ce n'est
pas sur un seul cas que l'on peut fonder une description définitive, et,d'ail-
leurs, ne peut-on supposer que les lésions de la spondylose rhizomélique
varient selon les cas ! Nous admettrons donc que,de par l'anatomie comme-
de par la clinique, notre observation mérite d'être considérée comme un
cas un peu atypique de la maladie isolée par MM. Pierre Marie et Léri.
(1) MAYET et JOUVE, Le rhumatisme vertébral chronique et la spondylose rhizon2éli-
que. Gaz. des Hôpit., no 69, 1902.
(2) CuRcio, Encore sur la spondylose rhizomélique. Gazz. degli Osped., 30 octobre
1904, p. 1381.
SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTEBRAL 43
Si l'on accepte ce diagnostic, une première réflexion s'impose..C'est que
les différents types d'ostéo-arthrite vertébrale n'ont peut-être pas toute la
fixité qu'on leur avait attribuée au début, et qu'il existe entre eux de nom-
breuses formes de transition. Notre cas ne répond pas absolument à la
description de M. P. Marie, mais cet auteur admet lui-même que le ta-
bleau de la spondylose rhizomélique peut présenter quelques variantes.
Parfois, les malades présentent les nodosités phalango-phalanginiennes
que M. Bouchard rattache à la dilatation de l'estomac. D'autres fois
(Kôhler,Beer, Strümpell),l'articulation de l'épaule est toutà fait indemne,
Dans certains cas, enfin, comme le font remarquer MM. Mayet et Jouve,
les petites articulations des mains et des pieds ne sont pas épargnées par
le processus morbide. Fiorentini écrit même : « Si on veut considérer la
spondylose rhizomélique comme une affection définie, on ne peut en
établir les limites avec précision, à cause des variations, petites ou gran-
des qu'elle peut présenter » (1).
Aussi nombre d'auteurs, se fondant, d'une part, sur la variabilité symp-
tomatique de la spondylose rhizomélique, et, d'autre part, sur les affinités
qu'elle présente avec les autres spondylites chroniques, se refusent-ils à
la considérer comme une entité morbide distincte. MM. Ascoli, Boudet,
Frënkel, Gebs, Kollaritz (2), Lépine, Mayet et Jouve (3), Montet (4),
Pagliano (5), Rendu, Sachs, l'identifient au rhumatisme chronique ver-
tébral (6). M. Labeyrie, auteur d'un excellent travail sur les ostéo-arthri-
tes vertébrales (7), admet de même que l'on doit confondre la cyphose
hérédo-traumatique de Bechterew et la spondylose rhizomélique de
M. P. Marie, celle-là correspondant peut-être à des lésions moins avan-
cées que celle-ci. Et MM. Teissier et Roques, dans leur article du Traité
Brouardel-Gilbert (fascicule VIII), écrivent cette phrase, qui nous paraît
mettre tout à fait les choses au point : « Sans rien enlever à la haute
valeur de l'oeuvre de M. P. Marie, il ne nous semble pas que ces arthrites
(1) FIORB11TINI, Sur les ankyloses de la colonne vertébrale. Riv. critic. de clin. medic.,
2 et 9 juillet 1904, p. 429 et 445.
(2) Kollaritz, cité par HUCHARD, La spondylose rhiiomélique, Journ. des praticiens,
22 octobre 1904, p. 6J7.
(3) Loc. cit. '.
(4) MoNTET, Rhumatisme tuberculeux ankylosant, Thèse Lyon, 1903.
(5) PAGLIANO, Deux cas de spondylose rhizomélique, 111orseille média, le, avril 1906.
(6) Pour M. P. Marie, au contraire, le rhumatisme chronique se distingue essentiel-
lement de la spondylose rhizomélique par la participation des petites jointures des
extrémités, qui sont frappées les premières, et plus fortement.
(7) LABSYRIE, Ostéites non tuberculeuses de la colonne vertébrale chez l'adulle, Gaz.
des Hôp., no, 96 et 99, 1905.
44 RAYMOND ET BABONNEIX -
vertébrales et coxo-fémorales à ankylose intense puissent être absolument
séparées des autres arthrites chroniques relevant du syndrome rhumatis-
mal. »
Admettons donc qu'il s'agit d'une spondylose rhizomélique à type un
peu anormal, ou de rhumatisme vertébral chronique. Reste encore à ex-
pliquer la nature des accidents observés. Sont-ils d'origine infectieuse,
toxique ou diathésique ?
Notre malade a contracté la rougeole à 3 ans, la scarlatine à 7, et la
variole à 4 1. Peut-être ces affections ont-elles été la cause originelle de
la maladie. En tout cas, fait négatif dont nous ne saurions trop souligner
l'importance, la patiente n'a jamais eu de rhumatisme articulaire aigu,
jamais elle ne semble avoir contracté de blennorrhagie, elle n'était pas tuber-
culeuse. On sait que c'est à ces trois infections que l'on rattache habituel-
lement la spondylose rhizomélique et cette théorie ne saurait être invo-
quée ici (1).
L'hypothèse d'une intoxication d'origine externe ne mérite pas d'être
discutée longuement. Mais ne s'agirait-il pas, dans notre cas, d'une auto-
intoxication, d'un trouble de la nutrition plus ou moins bien défini (2),
et que l'on pourrait, avec quelques réserves, placer à l'origine de tous ces
troubles !
En faveur de cette hypothèse, nous pouvons faire valoir deux ordres
d'arguments. Cliniquement, nous relevons chez notre malade des antécé-
dents de rachitisme, maladie totius substal1tioe, comme on sait, et qui
exerce sur les organismes en voie de développement une influence par-
fois définitive ; de plus, dès 1898. M. Gasne remarquait certaines ano-
malies physiques : petite taille, volume exagéré de la tête, et certaines
tares d'ordre névropathique ; anatomiquement, nous trouvons des lésions
de deux sortes l : 4° périviscérites fibreuses, arthrites à type mixte,
fibreux et osseux ; et 2° altérations marquées des glandes vasculaires san-
. guines.
Ces périviscérites fibreuses, si marquées au niveau des organes thora-
ciques, n'ont pas été fréquemment signalées dans le rhumatisme chronique
vertébral ; de même, on n'a pas souvent relevé, dans les autopsies,
l'existence de lésions vasculaires analogues à celles que nous avons obser-
vées : nous voulons parler de l'aplasie aortique. Enfin, jamais, à notre
connaissance, on n'a publié de cas de spondylite chronique à l'examen
(1) Il n'existe d'ailleurs du côté des articulations atteintes, aucune lésion inflamma-
toire.
(2) Hypothèse déjà émise par M. Pierre Marie.
SUR UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE VERTÉBRAL 45
anatomique duquel on ait constaté des lésions considérables des glandes
à sécrétion interne.
Ce sont là, nous semble-t-il, les deux véritables caractéristiques de
notre cas : productions fibreuses engainant les viscères thoraciques, la
colonne vertébrale et les articulations des hanches ; lésions des glandes
vasculaires sanguines. Si nous rapprochons ces deux ordres de lésions de
la notion étiologique que nous rappellions tout à l'heure, nous pourrons,
peut-être, émettre l'hypothèse suivante : les infections que notre malade
a subies au cours de ses premières années ont déterminé des lésions pro-
fondes des glandes vasculaires sanguines. Ces lésions ont, à leur tour,
provoqué des troubles de la nutrition générale : aplasie vasculaire, néo-
formations fibreuses périviscérales et périarticulaires, ankyloses osseuses.
Il est certain que cette hypothèse n'explique pas tout, et qu'en parti-
culier, elle ne rend pas compte de l'évolution si particulière des acci-
dents : mais elle nous paraît conforme aux idées qui ont actuellement
cours sur le rôle capital qu'exercent, dans l'économie, les glandes à
sécrétion interne. Au reste, peu importent les hypothèses. Ce qui compte,
ce sont les faits. Et nous croyons être les premiers à publier une obser-
vation de rhumatisme vertébral chronique à l'autopsie duquel on ait
relevé, en plus des ankyloses osseuses, en plus des productions fibreuses
périviscérales et périarticulaires, l'existence de lésions considérables,
multiples et indiscutables des glandes vasculaires sanguines.
HOPITAL CANTONAL DE GENÈVE
LABORATOIRE DE M. LE PROFESSEUR BARD.
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE
DES MEMRRES SUPÉRIEURS TYPE ARAN-DUCHENNE
PAR NÉVRITE INTERSTITIELLE HYPERTROPHIQUE
(CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DES maladies d'évolution) (1)
PAR
E. LONG
(de Genève).
Le classement des atrophies musculaires progressives semble pouvoir
être tenté bientôt avec moins d'incertitude que par le passé, Bien que les
cas où l'examen histologique été pratiqué soient en nombre encore relati-
vement restreint, en les mettant en comparaison avec les autres formes
cliniques des maladies dites familiales ou d'évolution, on voit qu'un tra-
vail de révision portant sur l'ensemble de ces faits s'impose de plus en
plus. Il n'est plus possible de chercher à créer dans ce chapitre de la neu-
rologie des types distincts ayant une symptomatologie et une anatomie
pathologique spéciales,; on trouverait entre eux trop de formes inter-
médiaires. On devra dans l'avenir rechercher surtout la nature et la loca-
lisation des lésions et s'attacher à en étudier la physiologie pathologique.
Considérée de cette façon, l'observation suivante peut avoir, croyons-
nous, quelque intérêt documentaire :
Observation clinique.
D... Pernette, née en 1836.
Antécédents héréditaires. Père mort d'accident vers l'âge de 55 ans ; mère
morte à l'âge de 73 ans, un frère et deux soeurs bien portants, un frère mort
d'une maladie aiguë. Il n'y a pas eu dans la famille de cas d'atrophie muscu-
laire.
Antécédents personnels. Bonne santé habituelle,pas de maladies infectieu-
ses. De son mariage elle a eu six enfants : trois filles bien portantes dont deux
sont mariées et ont des enfants sains ; trois fils dont l'aîné s'est suicidé par
(1) Communication faite à la Société de Neurologie de Paris, séance du 6 décem-
bre 1906.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE la Salpêtrière.
T.XX. PI. V
A. Photographie de la malade en 1892. (Depuis lors, l'atrophie musculaire
n'a pas fait de progrès notables).
B. Nerf médian. Coupe transversale. (Pal et Carmin).
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPERIEURS
TYPE ARAN-DUCHENNE, PAR NEVRITE INTERSTITIELLE HYPERTROPHIQUE.
LONG. ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS si
pendaison, le second est mort en bas-âge, le troisième est mort à 18 ans de
tuberculose pulmonaire.
Début et évolution de la maladie. - A l'âge de 44 ans environ, affaiblis-
sement lent et progressif de la main gauche, qui en même temps s'amaigrit peu
à peu. Extension lente de l'atrophie à l'avant-bras, puis au bras et à l'épaule.
La malade fut soignée quelque temps à cette époque à l'hôpital cantonal de
Genève où on l'électrisa mais sans résultat appréciable. Pas d'observation prise
à ce moment. Depuis lors la malade a abandonné tout traitement. Sept ou
huit ans après le début dej'atrophie de la main gauche, les mêmes symptômes
se manifestent à droite : début par les muscles de la main, progression lente
vers l'avant-bras.
En 1892 et 1893 (à l'âge de 56 ans) Mme D... fait quatre séjours de courte du-
rée dans le service de M. le professeur Revilliod. Les notes prises à cette épo-
que par les Drs Jaccard, Maillart, Proniers, assistants du service, donnent les
renseignements suivants :
Membre supérieur gauche. - Les muscles de la main sont comme fondus ;
atrophie complète des muscles des éminences thénar et hypothénar et des in-
terosseux. Atrophie des muscles fléchisseurs et extenseurs de l'avant-bras,
des muscles du bras, du deltoïde, du grand pectoral. Le trapèze, les muscles
sus et sous-épineux ne paraissent pas atteints. L'impotence fonctionnelle de
ce membre supérieur gauche est complète, il pend inerte le long du corps
(Pl. ? A).
Membre supérieur droit. De ce côté l'atrophie est arrivée à un stade
moins avancé. Les muscles de la main sont notablement atrophiés mais leurs
mouvements, quoique faibles et peu étendus, sont encore possibles. Les mus-
cles de l'avant-bras donnent encore des mouvements limités de flexion et d'ex-
tension du poignet et des doigts, mais la malade se fatigue vite lorsqu'elle les
fait agir. Les muscles du bras et de l'épaule paraissent intacts. ,
On note quelques secousses fibrillaires dans les muscles atrophiés (ce symp-
tôme n'a pas été retrouvé depuis cette époque). Refroidissement des mains et
état lisse de la peau qui est très mince.
La face, le tronc et les membres inférieurs sont indemnes de tout trouble
paralytique ou atrophique.
Réflexes patellaires normaux. Pas de troubles sphinctériens.
Sensibilité. Aucune altération de la sensibilité cutanée. La malade se
plaint d'avoir quelquefois des fourmillements et des crampes, tantôt dans le
membre supérieur droit, tantôt dans le gauche, au niveau du bras ou de la a
main.
Etat mental. - A cette époque la malade présente des troubles psychiques
sans grande gravité, exagération d'un état mental habituel : loquacité, instabi-
lité d'humeur. Aussi ses séjours à l'hôpital sont-ils courts, elle s'échappe
même une fois en faisant un trou dans la haie.
Elle rentre à l'hôpital en 1894 dans le service des chroniques et y reste
jusqu'en 1899. L'atrophie et l'impotence des membres supérieurs persistent
48 . LONG
mais ne paraissent pas progresser. La malade s'est plainte au début de dou-
leurs intermittentes dans les membres atrophiés, partant parfois du rachis ou
de la racine du membre et pareilles à des douleurs lancinantes ou fulgurantes
légères.
Dans le cours de ces divers séjours à l'hôpital il n'a pas été fait d'examen
électrique des muscles.
En 1899 la malade est transférée à l'asile des vieillards et c'est là que je
suis allé la voir en 1901 avec mon ami le Dr Wiki qui m'avait signalé ce cas
intéressant. Nous constatons que les membres supérieurs seuls sont atteints
par l'atrophie musculaire ; le tronc et les membres inférieurs sont indemnes
et la malade peut faire à pied de longues promenades. L'atrophie des membres
supérieurs n'est pas symétrique, elle est beaucoup plus accusée à gauche. La
répartition et l'intensité de l'atrophie musculaire concordent bien avec la des-
cription faite en 1893. Il n'y a pas de secousses fibrillaires dans les muscles
atrophiés. Pas de troubles objectifs de la sensibilité. La malade dit ne pas sen-
tir de douleurs dans les membres paralysés (ce n'est que rétrospectivement
que nous avons retrouvé la mention faite par nos prédécesseurs de ces phéno-
mènes douloureux). En somme, le diagnostic le plus probable est donc : atro-
phie musculaire progressive de nature myélopathique à distribution asymé-
trique limitée aux membres supérieurs et arrêtée depuis longtemps dans son
évolution.
En 1903 la malade est atteinte de troubles digestifs graves avec ictère chro-
nique. Elle est transportée à l'hôpital cantonal dans le service de M. le pro-
fesseur Bard. L'état des muscles est le même que précédemment. Mort le 16
septembre 1903.
A l'autopsie,faite par 1\1. le professeur ZaUn,on constate la présence d'un néo-
plasme des voies biliaires. Pour vérifier le diagnostic d'atrophie musculaire de
nature myélopathique on enlève la moelle et vu la rareté du cas on prélève en
même temps, pour en faire des coupes de démonstration, des fragments des
nerfs du plexus brachial gauche et des fragments des muscles deltoïde et
biceps du même côté. C'est grâce à cette heureuse circonstance que nous avons
pu faire un examen intéressant du système nerveux périphérique.
Examen histologique.
Durcissement des pièces par le formol et le liquide de Müller ; coloration des
coupes par le Weigert-Pal, le carmin ammoniacal, la cochenille, l'hématoxyline-
éosine, la safranine, l'encre d'anthracène, le procédé de Van Gieson.
1. Moelle épinière. L'examen des segments médullaires correspondant
aux racines du plexus brachial, du 4e segment cervical au leur segment dorsal
inclusivement, et de quelques segments de la moelle dorso-lombaire donne
un résultat négatif.
Dès le premier coup d'oeil en effet, il est évident que rien dans ce cas ne rap-
Nouvelle Icovogkapiiie- UF la SALYt'THIËHF. T. XX. PI. YI
C. \mf brachial cutané interne.
(l'al et Carmin).
D. Nerf radial, coupe longitudinale. (Pal).
F. Fragments de la 7* racine cervicale gauche. Eu haut,
lilet de la racine antérieure ; diminution des libres
nerveuses. En bas, filet de la racine postérieure, aspect
normal. (Pal et Carmin).
G. Filet antérieur de la 7e racine cervicale droite.
Diminution des fibres nerveuses, pelotons de
libres de régénération. (Pal et Carmin).
E. Neif médian, coupe longitudinale.
([>,11 et Carmin).
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPERIEURS
TYPE ARAN-DUCHENNE, PAR NEVRITE INTERSTITIELLE HYPERTROPHIQUE.
(Long, de Genève.)
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 49
pelle les lésions bien connues de l'axe gris de la moelle dans la poliomyélite
antérieure chronique. Les cornes antérieures de la substance grise ont leur
forme et leurs dimensions habituelles avec un réseau de fibrilles bien myélini-
sées et des cellules radiculaires de nombre et d'aspect normaux (La comparai-
son a été faite avec des coupes d'une moelle normale). Il n'y a donc pas ici de
raréfaction des éléments cellulaires. Il en est de même pour le reste de la subs
tance grise. Les fibres de la substance blanche, la pie-mère, le tissu conjonc-
tif et les vaisseaux intra ou extra-médullaires ne présentent pas non plus d'al-
térations appréciables.
Le résultat négatif de cet examen de la moelle épinière fait contraste avec
les lésions considérables trouvées dans les troncs nerveux périphériques.
II. Nerfs périphériques. - Examen des nerfs du plexus brachial gauche
(nerfs cubital, médian, radial, circonflexe, musculo-cutané et brachial cutané
interne) sur des fragments pris au niveau du creux axillaire ; coupes transver-
sales et coupes longitudinales.
A. Coupes transversales. - Sur les coupes traitées par la méthode de
Weigert-Pal on voit déjà a l'oeil nu ou avec un faible grossissement (Pl. V, B
et PI. VI, C) que le nombre des fibres que contiennent ces troncs nerveux est
très inférieur à la normale. Celles qui sont encore visibles ne sont pas égale-
ment réparties ; certains fascicules en effet sont assez bien fournis tandis que
d'autres ont perdu une grande partie de leurs fibres à myéline, celles qui res-
tent forment le plus souvent des îlots périphériques. On remarque aussi que
le nerf brachial cutané interne, nerf exclusivement sensitif, est proportion-
nellement moins lésé que les nerfs mixtes ; il paraît presque normal sous un
faible grossissement.
En étudiant sous un plus fort grossissement ces coupes transversales on
trouve des lésions complexes (1) :
a) Dans le nerf brachial cutané interne, on voit (fig. 1) : 1- des libres ner-
(t) Les dessins de ce travail sont dus à l'obligeance des Dra Roehrich et A. Cramer
que je tiens à remercier.
xx 4
FIG, 1. - Fascicule du nerf brachial cutané
interne. Pal et carmin. Oc. I, obj. 3.
FIG. 2. - Nerf brachial cutané interne.
Hématoxyline-éosine. Oc. IlI, obj. 8.
la, 0 LONG
veuses en assez grand nombre dont le cylindre-axe est bien visible et la gaine
de myéline d'apparence normale ; 2° des cylindre-axes de petit calibre, entou-
rés d'une gaine de myéline de dimensions également restreintes ; 3° des vacuo-
les claires, anhystes, plus larges que des gaines de myéline et qui montrent
parfois en un point de leur périphérie un cylindre-axe filiforme; 4° des cylin-
dre-axes déformés, sans gaine de myéline et en rapport direct avec le tissu
conjonctif intrafasciculaire. Ce dernier, plus abondant qu'à l'état normal, forme
une gangue interstitielle, régulièrement répartie (fig. 2), constituée par des
éléments fibreux dont les noyaux sont ronds, ovalaires ou fusiformes et sou-
vent parallèles à la direction des fibres nerveuses, si bien que sur ces coupes
transversales, ils sont parfois difficiles à différencier d'avec des cylindre-axes
dépourvus de gaine de myéline. Les gaines lamelleuses et le tissu conjonctif
périfasciculaire ne semblent pas par contre avoir subi une augmentation de
volume notable (PI. VI, C).
b) Dans les nerfs mixtes les faisceaux qui vus à un faible grossissement
(PI. V, B) paraissent, comme le nerf brachial cutané interne, peu altérés mon-
trent avec des grossissements plus forts (fig. 3) les mêmes variantes de lésions,
mais ici déjà les fibres nerveuses composées d'uu cylindre-axe et d'une gaine
de myéline sont au total plus rares et les vacuoles claires sont en plus grand
nombre.
c) Dans tout le reste de la coupe transversale des nerfs mixtes on trouve
des lésions beaucoup plus avancées (V. PI. V, B et fig. 3). Les fibres nerveu-
ses y sont rares. Le tissu conjonctîf intrafasciculaire ne forme plus dans ces
régions une gangue interstitielle continue et dense ; il est au contraire représenté
sur une notable partie du champ du microscope par un réseau de fibres min-
ces, laissant entre elles des espaces clairs, comme dans le tissu conjonctif lâche.
Autour des éléments nerveux ce tissu conjonctif se condense soit pour former
FiG. 3. - Nerf médian. Pal et carmin. Oc. 1, obj. 3.
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 51
un feutrage plus ou moins épais englobant parfois plusieurs fibres nerveuses soit
(et c'est le cas le plus fréquent) pour constituer autour de la fibre nerveuse un
manchon cylindrique. Cette dernière disposition, si caractéristique et qui rap-
pelle aussitôt les faits semblables décrits par Gombault et Mallet, Dejerine et
Sottas, est encore plus nette sous un fort grossissement et avec des coupes
colorées par l'hématoxyline-éosine (fig. 4). On voit alors que ce manchon
fibreux qui prend l'aspect d'une volumineuse gaine de Schwann est formé de
couches concentriques ; les cellules conjonctives qui le composent montrent
des noyaux en assez grand nombre et à la périphérie du manchon elles se con-
tinuent avec les fibres plus espacées du tissu réticulé avoisinant.
Les fibres nerveuses contenues dans ces gaines volumineuses sont parfois
assez bien conservées ; on distingue facilement-leur cylindre-axe entouré d'une
gaine de myéline de dimensions variables ; mais le plus souvent le cylindre-
axe est ténu et la gaine de myéline incolorable ; souvent aussi on ne trouve
an centre du manchon fibreux qu'un espace central plus clair qui représente
la place de la fibre nerveuse absente.
Toutes ces variantes se retrouvent dans les coupes transversales de tous les
nerfs mixtes du plexus brachial, mais elles sont irrégulièrement réparties et
souvent, en déplaçant de quelques millimètres la préparation on passe d'une
zone peu altérée à une autre dont les lésions sont beaucoup plus considérables
(fig. 3 et 4).
En résumé ces coupes transversales des nerfs mixtes montrent une raréfac-
tion des fibres nerveuses ; celles qui restent sont les unes normales, les autres
atrophiées et beaucoup d'entre elles sont entourées d'un tissu conjonctif dense,
tandis qu'ailleurs le tissu conjonctif intra-fasciculaire présente la disposition
du tissu conjonctif réticulé.
Ici encore, le tissu conjonctif périfasciculaire et la gaine lamelleuse ne sont
pas hypertrophiés. Les vaisseaux, vasa nervorum, ne sont pas modifiés dans
leur structure.
B. Coupes longitudinales. - On retrouve la même répartition irrégu-
lière des libres nerveuses, tautôt rassemblées en fascicules presque aussi
Fia. 4. - Nerf musculo-cutané. llématoxyline-éosine. Oc. III, obj. 8.
52 LONG
compacts que sur des nerfs normaux, tantôt raréfiées et assez espacées pour
qu'on puisse les étudier séparément comme à l'état de dissociation (Pl. VI,
D, E). Elles se présentent sous des aspects multiples, bien visibles avec des
coupes colorées au Weigert-Pal et au carmin, ou à la safranine ou encore à
l'encre d'anthracène (fig. 5, 6, 7) :
a) Les unes ont conservé leur forme normale, la gaine de Schwann n'est
pas hypertrophiée, les segments interannulaires de la gaine de myéline sont'
disposés régulièrement. Mais c'est là l'exception.
b) D'autres fibres dont la gaine de Schwann est épaissie en manchon plus
ou moins volumineux ont cependant encore une gaine de myéline assez bien
fournie quoique de forme irrégulière et crénelée. Cette variante aussi est peu
fréquente.
c) La plupart des fibres ont une gaine périphérique très dense et épaisse et
sont elles-mêmes arrivées à un stade d'atrophie avancé : la gaine de myéline
est filiforme ou moniliforme, le cylindre-axe est grêle. On voit parfois dans un
même manchon fibreux deux ou trois fibres nerveuses à des degrés divers d'al-
tération, soit juxtaposées, soit entrelacées. Nous avons même trouvé une dis-
position assez curieuse ; une fibre nerveuse qui dans sa gaine fibreuse épaissie
se recourbe et revient sur elle-même (fig. 6),
Fm. 5. - Fibres du radial. Pal et carmin.
Oc. III, obj. 6.
FIl" 6. - Une fibre du nerf
médian. Pal et carmin. Oc.
III, obj. 6.
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 53
Nombre de gaines fibreuses ne contiennent plus qu'un cylindre-axe grêle,
dépourvu de myéline et difficilement colorable, même par la fuchsine-acide ou
la safranine. Il est enfin des gaines qui ne constituent plus qu'un cordon fibreux
dans lequel on ne trouve aucun vestige de la fibre nerveuse.
Sur ces coupes longitudinales la structure du tissu conjonctif intrafasciculaire
est mieux démontrable que sur les coupes transversales (fig. 7). Les cellules
fibreuses qui le constituent sont allongées dans le sens des fibres nerveuses,
leurs noyaux, ovalaires ou fusiformes, sont de dimensions variables. Ces
gaines fibreuses se résolvent à la périphérie en fibrilles qui dans les espaces
clairs forment un tissu réticulé à mailles très lâches.
III. Racines rachidiennes. - Un premier examen sommaire des racines
antérieures du plexus brachial avait été pratiqué aussitôt après l'autopsie (fixa-
tion par l'acide osmique et dissociation) ; il avait montré des fibres nerveuses
en grand nombre dont la gaine de myéline, imprégnée par l'acide osmique était
normale et formée de segments annulaires régulièrement rectangulaires. Le
résultat de cet examen était négatif en apparence et concordait avec l'intégrité
de la moelle épinière constatée ultérieurement. Mais les lésions de névrite
interstitielle trouvées sur les coupes des nerfs périphériques nous ont engagé à
revoir les racines rachidiennes avec un procédé plus précis que celui de l'acide
osmique, dans lequel les éléments interstitiels, non imprégnés, sont générale-
ment laissés de côté au cours de la dissociation. Des (ilets des racines rachi-
diennes antérieures et postérieures du plexus brachial ont été inclus à la cel-
loïdine et débités en coupes transversales. On peut ainsi constater des faits
intéressants.
A un faible grossissement déjà (PI. VI, F) on voit qu'il y a moins de fibres
à myéline dans les racines antérieures que dans les racines postérieures
et le tissu conjonctif intrafasciculaire y est plus abondant. Quand on examine
FiG. 7. - Fibres du nerf radial. Anthracène et hématoxyline. Oc. III, obj. 8.
54 LONG
ces coupes avec un plus fort grossissement (fig. 8), les fibres nerveuses des
racines antérieures se présentent pour la plupart avec un cylindre-axe et une
gaine de myéline de dimensions normales ; mais elles sont plus distantes les
unes des autres que dans les racines postérieures. Les espaces qu'elles lais-
sent entre elles sont occupés par du tissu conjonctif assez serré, dans lequel
on retrouve des fibres atrophiées représentées par un cylindre-axe mal coloré
et une gaine de myéline petite et peu transparente, à peine distincte de ce tissu
conjonctif interstitiel. En outre, on voit qu'autour des fibres nerveuses même
bien conservées le tissu conjonctif forme une gaine annulaire, comme dans les
nerfs périphériques mais avec un moindre volume. Il est à noter que tout
comme dans dans les nerfs périphériques le tissu conjonctif périfasciculaire
n'est pas modifié.
Nous retrouvons donc ici sous une forme atténuée le double processus :
atrophique pour les libres nerveuses, hyperplasique pour les éléments inter-
titiels intrafasciculaires.
Ces lésions n'existent que dans les racines antérieures; les racines posté-
rieures sont manifestement normales, et ceci vérifie les dissemblances trouvées
à la périphérie entre le nerf brachial cutané interne, exclusivement sensitif, et
les nerfs mixtes dans lesquels ce sont, selon toute vraisemblance, les fibres
motrices qui ont été le plus atteintes.
Ces lésions sont plus marquées dans les racines antérieures gauches que
dans les racines droites. Un petit point spécial qui mérite d'être noté, c'est la
présence au milieu des fibres un peu raréfiées de la racine antérieure C 7 de
pelotons compacts de fibres nerveuses enroulées (PI. VI, G). Cette disposition
doit être interprétée comme un processus de régénération ; nous ne l'avons
pas retrouvée sur les coupes des autres racines.
IV. Muscles (Fragments du biceps brachial et du deltoïde gauches, coupes
longitudinales et transversales, coloration par l'hématoxyline-éosine et le pro-
cédé de van Gieson). - Comme [dans les troncs nerveux, les lésions sont iné-
gales et inégalement réparties. De deux fragments du (deltoïde, prélevés l'un
à la partie antérieure, l'autre à la partie postérieure de ce muscle, le second
Fio. 8. Racine antérieure C VIII. Hématoxyline-éosine. Oc. III, obj. 6.
atrophie musculaire PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 55
est notablement plus atrophié que le premier et dans le fragment pris sur le
muscle biceps toutes les fibres musculaires ont disparu.
Les fibres musculaires que l'on voit sur les coupes du deltoïde sont de
volume variable (fig. 9) ; il en est qui sont hypertrophiées, d'autres sont en
état d'atrophie plus ou moins avancé; les fibres en état d'atrophie complète ne
sont plus représentées que par des boyaux de tissu conjonctif contenant des
noyaux arrondis ou allongés.
Le tissu conjonctif interstitiel a son aspect habituel ; il n'y a pas ici de sclé-
rose interstitielle hyperplasique. Les vaisseaux ne sont pas altérés dans leur
structure.
Les petits filets nerveux intra-musculaires que l'on voit sur les coupes du
deltoïde contiennent encore des fibres nerveuses mais en nombre bien infé-
rieur à la normale; celles qui restent sont de volume variable et presque
toutes munies d'une gaine de myéline. Le tissu conjonctif intra-fasciculaire
remplit les vides, mais il ne forme pas de gaines fibreuses distinctes autour
des éléments nerveux comme dans les gros troncs nerveux ou les racines
rachidiennes antérieures. Par contre, le hasard a fait qu'on ait enlevé avec le
fragment du muscle biceps un nerf d'assez gros calibre, probablement une
branche de division du musculo-cutané ; et ici on retrouve la même particula-
rité que dans les gros nerfs du creux axillaire, c'est-à-dire des zones où les
fibres nerveuses raréfiées sont entourées d'une gaine fibreuse en manchon,
tandis que le tissu conjonctif intra-fasciculaire est en partie transformé en tissu
réticulé.
Résumé de L'OBSERVATION clinique. - Pas d'antécédents héréditaires.
Déséquilibre mental habituel. A l'âge de 44 ans, début d'une atrophie
musculaire progressive au niveau de la main gauche, type Aran-Du-
chenne ; extension lente aux muscles de l'avant-bras, du bras et de
l'épaule gauches. 7. à 8 ans après le début de la maladie , atrophie pro-
gressive des muscles de la main droite, atrophie consécutive incomplète
des muscles de l' avant-bras .Rares secousses fibrillaires dans les muscles
atrophiés. Intégrité des muscles du bras et de l'épaule droits. Arrêt de
FiG. 9. - Muscle deltoïde, coupe transversale. Hématoxyline-éosine.
Oc. III, obj. 6.
56 LONG
la marche de la maladie après une douzaine d'années d'évolution.
Intégrité de la face, du tronc et des membres inférieurs. Pas de trou-
bles de la sensibilité cutanée. Douleurs intermittentes pendant quel-
ques années dans les membres supérieurs. Mort à 67 ans par néo-
plasme des voies biliaires.
Résumé de l'examen histologique. Intégrité de la moelle épinière.
Dans les troncs nerveux périphériques diminution du nombre des
fihres à myéline. Tissu conjonctif intra-fasciculaire tantÓt raréfié et
transformé en tissu réticulé, tantôt' épaissi et condensé dans les inter-
valles des fibres nerveuses. Présence de gaines conjonctives annulaires
et volumineuses autour d'un grand nombre de fibres des nerfs mixtes.
Ces diverses lésions sont plus marquées dans les nerfs mixtes que
dans les filets sensitifs. Elles diminuent à la périphérie, dans les nerfs
m ? Mxe«/<2'e, et au niveau des racines rachidiennes dont les
antérieures seules sont lésées et à un moindre degré que les troncs
nerveux du plexus brachial. Pas d'augmentation du tissu conjonctif
péri-fasciculaire ni des gaines lamelleuses des nerfs. Pas d'altérations
de structure des vasa-nervorum.
Remarques.
Du vivant de la malade ce cas a été considéré à tort comme un exemple
d'atrophie musculaire progressive de nature myélopathique (poliomyélite
antérieure chronique). Le début pa les extrémités des membres supé-
, rieurs, l'extension lente et progressive, la présence de secousses fibrillaires,
l'intégrité de la sensibilité cutanée, l'état normal des réflexes rotuliens
semblaient légitimer ce diagnostic. L'intégrité des muscles du tronc et des
membres inférieurs s'expliquait par l'arrêt de l'évolution de la maladie.
L'erreur de diagnostic vient du fait qu'on a négligé un symptôme im-
portant : la malade a souffert pendant plusieurs années de douleurs dans
les membres supérieurs, douleurs intermittentes, variables de siège et
d'intensité, décrites tantôt comme des crampes localisées, tantôt comme
des douleurs lancinantes à long trajet partant de la racine des membres ou
même du rachis. Ces douleurs que l'on prit pour un phénomène acces-
soire, rhumatismal, se manifestèrent encore alors que l'atrophie muscu-
laire avait cessé de progresser d'une manière apparente, puis elles dispa-
rurent à leur tour.
Le résultat inattendu de l'examen histologique montre une fois de plus
l'importance de ces symptômes douloureux en physiologie pathologique.
En fait, on peut considérera présent comme établi que les atrophies pro-
gressives myopathiques sont en elles-mêmes indolores et que les lésions
de l'axe gris de la moelle le sont également (poliomyélite antérieure chro-
atrophie musculaire PROGRESSIVE DES membres SUPÉRIEURS 57
nique, syringomyélie, sclérose latérale amyotrophique). Seules les formes
où les nerfs périphériques ou les racines rachidiennes sont pris peuvent
logiquement donner des phénomènes douloureux qui seront plus ou
moins intenses suivant la quantité des lésions causales, mais qui pourront
se reconnaître par leur persistance et leur localisation aux régions attein-
tes par l'atrophie musculaire. Il y a là un fait important qui doit permettre
de faire le diagnostic de lésions périphériques dans certaines formes cli-
niques d'atrophies qui comme l'amyotrophie Charcot-Marie.pour ne citer
qu'un exemple bien typique, ont une anatomie pathologique variable sui-
vant les cas. On pourra ainsi lorsque des lésions périphériques seront
supposées en faire un examen histologique aussi complet que possible.
Il eût été intéressant par exemple dans l'observation qui fait l'objet de .,
ce travail de rechercher l'état des ganglions spinaux et des filets sensitifs'.
cutanés et de faire la comparaison des lésions à différentes hauteurs sur-
les nerfs sensitifs et sur les nerfs moteurs. Nous devons, faute de mieux, ?
constater l'intégrité des racines postérieures et attribuer les phénomènesit
douloureux qui se sont manifestés à des altérations des nerfs périphériques\*
sans savoir à partir de quelle région el les se sont établies ni où elles avaient \
leur maximum.
Quant à l'atrophie musculaire il est bien évident que dans ce cas elle
est due à la dégénérescene des fibres motrices, accompagnée ou aggravée
peut-être par les lésions hyperplasiques du tissu conjonctif intrafascicu-
laire ; il est bien évident aussi que ces deux catégories de lésions sont
plus intenses au niveau des troncs nerveux du creux axillaire et de leurs
branches de division et qu'elles sont moins marquées, d'une part à la
périphérie dans les filets intra-musculaires, d'autre part au niveau des
racines antérieures de la moelle. Ces lésions périphériques systématisées
des fibres motrices n'ont pas eu un retentissement appréciable sur les
cellules des cornes antérieures de la moelle.
En passant à l'examen détaillé des lésions des nerfs mixtes on voit
qu'elles se présentent sous une forme typique : diminution du nombre
des fibres à myéline, augmentation du tissu conjonctif interstitiel et
présence, autour de la plupart des fibres nerveuses, d'une gaine conjonc-
tive annulaire et épaisse. Cet aspect si caractéristique (fig. 3 et 4) est
bien semblable à celui qui a été décrit par Dejerine et Sottas dans la névrite
interstitielle hypertrophique, affection familiale dont M. Dejerine a repris
récemment l'étude à l'occasion de l'autopsie du second de ses malades (1).
(1) Dejerine etSOTTAS, Sur la névrite interstitielle, hypertrophique et progressive
de l'enfance. Mémoires de la Société de Biologie, 18 mars 1893 ; DEJERINE et ANDRÉ-
Thomas, Société de Neurologie, 6 juin 1901 ; Dejerixe et ANDRÉ Thomas, Nouv. Icono-
graphie de la Salpêtrière, 1906, n° 6.
58 LONG
La comparaison que nous avons pu faire avec des coupes que notre maître
M. Dejerine a eu l'amabilité de nous remettre est des plus démonstrative.
La même analogie est évidente avec les lésions décrites par Gombault et
Mallet dans leur observation intitulée : « Un cas de tabes ayant débuté dans
l'enfance» (1). Ces auteurs décrivent dans le texte des fibres de moyen
calibre entourées de lames striées s'emboîtant les unes dans les autres et
de grosses fibres entourées d'une lame épaisse (V. la fig. 3 de la planche
qui accompagne leur mémoire).
Ces lésions semblent avoir existé aussi dans les cas déjà souvent cités
de Virchow, Friedreich, Dubreuilh, malheureusement publiés sans des-
sins explicatifs.
Virchow (2) dont l'attention s'est portée davantage sur les lésions mus-
culaires fait une brève description des nerfs. Ils semblent, dit-il, conte-
nir moins de fibres que normalement, car sur des coupes transversales et
longitudinales il reste des espaces vides très larges occupés par un tissu
riche en noyaux. Les nerfs contiennent encore des fibres qui ont une
grande largeur; après traitement par l'acide acétique, la potasse ou
la soude elles paraissent plus lisses et homogènes, moins foncées et elles
présentent par places de gros amas de myéline. A l'oeil nu les nerfs ne
sont pas atrophiés ; quelques-uns, comme le tibial antérieur, sont même
épaissis, bleuâtres, mais on y trouve difficilement des fibres.
Friedreich danssonouvragesur «L'atrophie musculaire progressive »(3)
donne deux observations anatomo-cliniques importantes pour le sujet
qui nous occupe. L'observation I (atrophie musculaire progressive de la
main droite et des membres inférieurs, intégrité de la main gauche) montre
à l'examen histologique une intégrité certaine de la moelle épinière et des
nerfs sympathiques. Les filets nerveux des muscles de la main droite
sont entourés d'un tissu conjonctif épais qui s'infiltre aussi entre les
fibres ; ce névrilème hyperplasique contient beaucoup de noyaux ainsi
que la gaine de Schwann. Ces lésions se retrouvent dans les troncs ner-
veux et vont aux racines antérieures et aussi, mais à un moindre degré, aux
racines postérieures. Friedreich fait également un examen détaillé des mus-
cles et conclut à l'existence d'une myosite chronique interstitielle et d'une
névrite chronique interstitielle. Dans l'observation II (atrophie musculaire
progressive des membres supérieurs et inférieurs) il trouve des lésions
des cordons postérieurs,des racines rachidiennes antérieures et postérieu-
(1) GOHBAULT et MALLET, Archives de médec. expériment. et d'anat. path., 1889, p. 385.
(2) Vmcnow, Ein Fall von progressive)- Muskelatrophie, Archiv. fiir path. Anatomie
und Physiologie, vol. VIII, 1855, p. 537.
(3) Friedreich, [Te6e»' progressive Muskelairophie und ùber wahl'e und faslehe Mus-
kelhypcrtrophie, 1813.
atrophie musculaire PROGRESSIVE DES membres SUPÉRIEURS 59
res et des nerfs périphériques, et dans les muscles des lésions fibreuses
aux membres supérieurs, lipomateuses aux membres inférieurs. Les mo-
difications des nerfs périphériques consistent en une névrite interstitielle
très marquée avec augmentation du névrilème et du tissu interfasciculaire
des troncs nerveux et des filets musculaires. Les filets sensitifs de la peau
sont' intacts.
' Friedreich, on le voit, expliquait ces atrophies progressives par des
lésions multiples et variables et n'hésitait pas à admettre des dégénéres-
cences primitives, soit des muscles et des nerfs soit des nerfs seuls. Il
admettait entre autres l'existence d'une névrite interstitielle chronique. On
sait que ces observations anatomo-cliniques de Virchow et Friedreich ont
servi dès 1889 à Hoffmann (1) à soutenir l'existence d'une forme dite
neurotique ou neurale de l'atrophie musculaire progressive dans laquelle
il faisait rentrer en particulier l'amyotrophie type Charcot-Marie dont
l'anatomie pathologique était encore inconnue.
On a aussi annexé ultérieurement à l'atrophie neurotique les observa-
tions de Dubreuilh publiées en 1890 (2) et dont deux comprennent un
examen histologique. L'observation I de ce travail est une atrophie qui
atteignit d'abord les membres inférieurs et fut attribuée à des névrites
suite de gelure et de blessures par éclat d'obus ; les membres supérieurs
se prirent plus tard alors que le malade était peintre en bâtiments, d'où
l'hypothèse de saturnisme ; il y eut pendant longtemps des secousses fibril-
laires visibles et des douleurs dans les membres atrophiés. L'examen his-
tologique montre une diminution considérable du nombre des fibres dans
les troncs nerveux, et autour des fibres nerveuses,une enveloppe conjonc-
tive fibreuse en anneau, contenant parfois plusieurs fibres à la fois et
parfois aussi ne contenant pas de fibre nerveuse mais un point rose qui
est soit un noyau, soit un cylindre-axe. Les lésions des nerfs vont en s'ac-
centuant vers la périphérie où le nombre des gaines vides est considérable.
La moelle est normale. Dans l'observation II de Dubreuilh où l'atrophie'
musculaire progressive est nettement familiale, la diminution du nombre
des fibres nerveuses dans les nerfs périphériques est évidente, mais
variable d'un nerf à l'autre. Il y a de la névrite interstitielle, mais l'au-
teur ne dit pas que le tissu conjonctif intrafasciculaire ait formé des man-
chons fibreux autour des libres nerveuses ; on ne pourrait donc parler ici
de névrite hypertrophique. Les muscles présentent des lésions souvent
juxtaposées d'hypertrophie et d'atrophie des fibres musculaires. La moelle
(1) HOFFMANN, Uber neurotische progressive Muskelatrophie. Archiv sur Psychiatrie,
1889, p. 661.
(2) DUBREMLH, Etude sur quelques cas d'atrophie musculaire, etc. Revue de méde-
cine, 1890, p. 441. 1
60 LONG
est intacte, du moins les fibres nerveuses y sont en nombre normal, mais
il y a une légère augmentation de la névroglie qui en certaines régions
envahit la totalité des cordons postérieurs. , '
Dans la suite, et surtout après la publication du mémoire de Dejerine
et Sottas,on s'est occupé des rapports possibles de la névrite interstitielle
hypertrophique avec les diverses formes cataloguées en Allemagne atro-
phie musculaire progressive neurotique et en France amyotrophie type
Charcot-Marie.
Marinesco (1) en 1894 publie le premier examen histologique d'un des
cas qui avaient servi à la description clinique de Charcot et Marie. Les
lésions sont complexes : dans la moelle diminution numérique des cel-
lules radiculaires des cornes antérieures et sclérose des cordons postérieurs
avec tourbillons névrogliques ; dans les troncs nerveux, dégénérescence
des fibres à myéline, augmentation du tissu conjonctif surtout au niveau
de la gaine lamelleuse qui est hypertrophiée, tandis que le tissu conjonc-
tif intrafasciculaire est notablement moins altéré, les vaisseaux des nerfs
sont normaux. Marinesco tente comme Hoffmann une oeuvre de synthèse
et fait rentrer dans l'amyotrophie Charcot-Marie non seulement les obser-
vations invoquées par son prédécesseur, mais encore celle de Gombault
et Mallet et de Dejerine et Sotlas et il cherche à expliquer les différences
assez considérables qui existent entre ces cas et le sien par une évolution
plus ou moins longue permettant aux lésions conjonctives hypertrophiques
de s'étendre et de s'accentuer avec l'âge. M. Dejerine a montré le peu de
fondement de cette hypothèse : l'hypertrophie des nerfs quand elle existe
est constatable même chez des sujets jeunes, ainsi qu'il le prouvait dans
une nouvelle observation clinique (2).
Des lésions des nerfs périphériques (hyperplasie de la gaine lamelleuse
et du tissu conjonctif interfasciculaire) ont été trouvées plus tard par
Sainton (3) à l'autopsie d'un autre des sujets de Charcot et Marie ; mais
les lésions médullaires concomitantes (sclérose des cordons postérieurs,
atrophie partielle des cornes antérieures) semblent à cet auteur devoir
être mises au premier rang et démontrer l'origine spinale de celle forme
clinique.
Inversement, des observations comparables à celles de Marinesco et de
Sainton sont interprétées, surtout en Allemagne comme des preuves de la
nature périphérique des lésions causales de l'atrophie musculaire (atrophie
(1) Marinesco, Contribution à l'étude de l'amyotrophie Charcot-Marie, Arch. de
méd. exp. et d'anat. pathol., 1894, p. 923.
(2) Dejerine, Contribution à l'élude de la névrite interstitielle hypertrophique et
progressive de l'enfance. Revue de Médecine, 1896, p. 881.
(3) Sainton, L'amyotrophie type Cliarcot-Marie, Thèse de Paris, 1889, p.86.
ATROPHIE MUSCULA111E PROGRESSIVE DES'MEMBRES SUPÉRIEURS 61
neurotique de Hoffmann). Siemerling (1), dans un cas où l'atrophie avait
débuté entre 5 et 7 ans par les muscles des cuisses et des mains et avait
été accompagnée de douleurs, trouve à l'examen histologique.une sclérose
des cordons latéraux et postérieurs, une atrophie des cornes antérieures.
des racines postérieures intactes et des nerfs périphériques dégénérés. Il
considère la lésion des nerfs comme primitive.
Nous n'avons cité ces divers travaux que pour les lésions histologiques
qu'ils décrivent et qui peuvent être mises en comparaison ou en opposition
avec celles que nous avons trouvées à notre tour. Nous avons rappelé
aussi les déductions qu'on en a tirées pour montrer combien l'observa-
tion que nous rapportons aurait paru difficile à classer il y a quelques
années encore. Actuellement la question des atrophies musculaires pro-
gressives a évolué vers une conception générale plus satisfaisante et cette
observation ne vient après beaucoup d'autres que montrer une nouvelle
forme de passage à côté des types cliniques que l'on croyait autrefois
nettement distincts les uns des autres.
Il est inutile de refaire ici l'historique de la doctrine des maladies d'é-
volution.Bien qu'elle n'ait pas encore dans les traités classiques la place
qui lui est due, elle est connue de presque lotis. Elle n'est même pas ré-
cente puisqu'en 1901 nous avons trouvé facilement les matériaux né-
cessaires pour faire sur ce sujet une revue générale (2). Depuis lors elle
s'est encore amplifiée ; un de ses principaux défenseurs, Jendrassik (3), lui
a consacré de nouvelles recherches démonstratives et dernièrement notre
collègue et ami Apert (4)' a publié un ouvrage dans lequel dès le premier
paragraphe de l'introduction il pose nettement la question sur son véritable
terrain ; la maladie du germe lui-même, la tare latente qui se manifestera
plus tard avec l'évolution ultérieure du sujet. Il suffira donc de résumer
les données decette doctrine et de les appliquer au cas particulier.
Les maladies d'évolution, quand elles atteignent plusieurs sujets d'une
même génération ou de plusieurs générations dans la même famille,
prennent de ce fait même une allure caractéristique qui les fait recon-
naître aisément ; selon la formule de Londe, de Pauly et Bonne la mala-
die : 1° atteint sans changer de forme plusieurs enfants d'une même gé-
nération ; 2° débute à peu près au même âge chez tous les enfants de cette
génération ; 3° est cliniquement indépendante de toute influence exté-
(1) Siemerling, Reilrag zur neuritisclien ],'oi-en der progressiven D9ukelalropltie.
Neurol. Centralblatt, 1891, p. 569, et Archiv. sur Psychiatrie, vol. XXIX, p. 996.
(2) Long, Les maladies nerveuses familiales [maladies d'évolution). Revue méd. de
la Suisse romande, avril-mai 1901.
(3) JENDRASSIK, lieitrdge zur Kenntniss der laereditaren laraziklteilen. Deut. Zeitschrifft
sur Nervenheilkunde, vol. XXII, 1902. ·
(4) APERT, Maladies familiales et maladies congénitales, 1907.
62 LONG
rieure, d'une affection acquise ou d'un accident de la vie intra-utérine.
Mais les cas isolés existent aussi, ils ne sont même pas rares, la remar-
que en a été faite depuis longtemps pour la paraplégie spasmodique pro-
gressive, pour les atrophies myopathiques, etc. Ces cas isolés sont cepen-
dant reconnaissables cliniquement. Ils apparaissent, comme l'a fait remar-
quer Jendrassik, de préférence soit dans la période de formation, soit dans
la période de régression de l'organisme ; leurs symptômes ont un début
insidieux, une marche régulière, lente et progressive, ils ne subissent
jamais d'amélioration,mais si les malades ne succombent pas à une maladie
intercurrente, ils peuvent s'arrêter après une marche extensive plus ou
moins longue, car il est à remarquer que la plupart de ces formes cli-
ques n'entraînent pas la mort par elles-mêmes (En fait,il n'y a guère que
les formes à localisations bulbaires qui puissent créer un danger immé-
diat). La variabilité symptomatologique des maladies d'évolution est bien
connue; d'une famille à l'autre, d'un cas isolé il l'autre on trouve des
analogies, on ne trouve pour ainsi dire jamais de ressemblance absolue,
tandis que les dissemblances entre divers cas, d'une même famille sont
l'exception.
Bien que l'anatomie pathologique de ce groupe de maladies ne possède
encore qu'un nombre restreint de faits, les documents recueillis jusqu'à
présent permettent par leur rapprochement une étude d'ensemble. Les
lésions essentielles se présentent sous la forme de dégénérescences le plus
souvent systématisées et caractérisées par une diminution de nombre ou
de volume des éléments histologiques (cellules ou fibres conductrices des
centres nerveux, fibres périphériques motrices,sensitives ou sympathiques,
fibres musculaires). On ne peut les interpréter que comme des phénomè-
nes d'atrophie régressive simple ; on ne les trouve pas en effet associées à
des lésions inflammatoires locales ou à des lésions vasculaires capables
d'agir par ischémie.
Si ces lésions atrophiques étaient seules en cause, leur pathogénie pa-
raîtrait assez- facile à expliquer : usure sans remplacement ; et on pour-
rait admettre le terme de brachybiotie proposé par quelques auteurs
anglais ou celui d'Aufbranchkrantdteiien (maladies d'usure) que donne
Edinger. Mais, fait important, on voit s'y ajouter parfois des lésions
hypertrophiques. Ces dernières, dans les faits connus jusqu'à présent
portent sur les éléments interstitiels ; elles donnent la lipomatose de la
myopathie, pseudo-hypertrophique, la névrite interstitielle avec ou sans
hypertrophie ; dans les centres nerveux la sclérose névroglique en tourbil-
lons doit être du même ordre. Ces lésions dites hypertrophiques ne
peuvent être un simple processus de remplacement, elles dépassent le
plus souvent en importance les lésions atrophiques des éléments nerveux
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 63
ou musculaires. A proprement parler ce n'est pas une hypertrophie ou
hyperplasie, il y a hypergenèse, c'est-à-dire augmentation numérique des
éléments histologiques. Et c'est là ce qui fait des maladies d'évolution
un problème des plus intéressants. Ainsi que Strümpell le disait déjà en
1893, elles doivent être dues à un état anormal d'organisation de certains
systèmes histologiques, elles existent en germe dès la période de forma-
tion embryonnaire et leurs effets visibles ne se manifesteront qu'à une
période plus oumoins avancée de la vie. Si on leur applique la dénomina-
tion de maladies héréditaires, il faut prendre ce mot dans un sens actif
(vererbteKrankheiten) ; elles sont données par les parents qui peuvent
eux-mêmes n'en être pas atteints, de même que tous les enfants n'en sont
pas nécessairement porteurs ; le fait est banal en tératologie.
Ces lésions d'atrophie régressive des éléments nerveux ou musculaires
avec ou sans hypergenèse des éléments interstitiels ont des localisations
et une extension des plus variables qui expliquent la multiplicité des
formes cliniques. Pour ne citer que les cas résumés plus haut et où on a
trouvé une névrite interstitielle, nous trouvons des variantes nombreuses.
Dans le cas de Virchow où l'atrophie musculaire avait atteint les mem-
bres inférieurs puis les membres supérieurs il y avait des lésions des cor-
dons postérieurs de la moelle ; dans les nerfs périphériques la raréfaction
des fibres nerveuses était accompagnée d'une sclérose conjonctive avec
épaississement de ces troncs nerveux. L'observation I de Friedreich (atro-
phie d'un membre supérieur et des deux membres inférieurs) indique une
intégrité évidente de la moelle épinière ; dans les nerfs périphériques, en
même temps que la diminution des fibres nerveuses il y avait un épaissis-
sement du névrilème, du tissu intra et extrafasciculaire et des gaînes de
Schwann. Les racines rachidiennes étaient altérées, les antérieures plus
que les postérieures. Dans l'observation II (atrophie des membres supé-
rieurs et inférieurs) les lésions portent à la fois sur les cordons posté-
rieurs de la moelle, sur les racines rachidiennes antérieures et postérieures
et sur les nerfs périphériques (augmentation du névrilème et du tissu inter-
fasciculaire) ; les filets sensitifs étaient intacts, les lésions des fibres mus-
culaires s'accompagnaient de lipomatose aux membres inférieurs, de sclé-
rose interstitielle simple aux membres supérieurs.
Les deux cas publiés par Dubreuilh présentent de notables différences :
dans le premier la moelle est intacte, la névrite interstitielle périphé-
rique forme autour des fibres nerveuses raréfiées des enveloppes en
anneaux ; dans le second la moelle est également intacte, les nerfs pé-
riphériques sont altérés dans des proportions très variables, mais il n'y
a pas de manchons fihreux autour des fibres nerveuses. L'observation de
Marinesco qui se rapporte à un cas authentique d'amyotrophie type
64 LONG
Charcot-Marie montre des lésions multiples : disparition partielle des cel-
lules des cornes antérieures, dégénérescence des cordons postérieurs avec
sclérose névroglique en tourbillons, comme dans le cas de maladie de
Friedreich décrit parDejerine etLetulle et comme dans diverses observa-
tions où cette lésion est décrite comme un phénomène accessoire ; dans
les nerfs périphériques, à côté des lésions atrophiques des fibres nerveuses
il y a une hyperplasie conjonctive, mais elle porte surtout sur la gaine
lamelleuse et le tissu interfasciculaire, le tissu intrafasciculaire ne pré-
sente pas la même augmentation. -
On voit combien il serait difficile de créer une forme anatomo-clinique
précise d'après ces documents. D'un cas à l'autre il y a trop de dissem-
blances globales ou régionales. Si on considère ensuite l'observation de
Gombault et Mallet et les deux observations étudiées dans la même famille
par Dejerine avec Sottas et avec André-Thomas on trouve ici des lésions à
la fois très étendues et très intenses qui leur donnent une physionomie
particulière; à elle seule l'hypertrophie considérable des nerfs est une
caractéristique et peut permettre d'en faire le diagnostic sur le vivant. La
symptomatologie de cette forme répond à l'étendue des lésions ; en même
temps que l'atrophie musculaire prédominant aux extrémités il y a des
troubles de la sensibilité et des douleurs du type fulgurant, de l'incoordi-
nation motrice avec signe de Romberg, des symptômes pupillaires, etc.
Mais, ici encore, on trouve des variations régionales : dans le cas de Gom-
bault et Mallet les racines rachidiennes antérieures ne sont pas hypertro-
phiées dans la région cervicale; les racines postérieures le sont du haut t
en bas de la moelle; dans le cas de Dejerine et Sottas les racines rachi-
diennes antérieures et postérieures sont hypertrophiées également, mais
notablement plus dans les régions inférieures que dans la partie supé-
rieure de la moelle. Gombault et Mallet citent les différences qu'ils ont
trouvées en comparant le nerf médian au sciatique ; dans le premier, la
gaine lamelleuse et le tissu intrafasciculaire ne sont pas hypertrophiés et
le volume du nerf est normal ; dans le sciatique, le tissu conjonctif a subi
une hypertrophie généralisée portant aussi bien sur les gaines lamelleuses
que sur le tissu inter et intrafasciculaire. Ils décrivent également une
augmentation de volume de la paroi des vasa nervorum avec rétrécisse-
ment du calibre interne, anomalie de structure qui n'a rien de surpre-
nant, car il est bien évident qu'on devra étendre dans l'avenir le champ
des investigations histologiques et ne pas les limiter à l'examen des appa-
reils nerveux et musculaires.
Quant à l'observation que nous publions ici, elle peut, la chose est cer-
taine, être regardée comme une forme très atténuée de la névrite inters-
titielle hypertrophique. On y trouve en effet sur les coupes transversales et
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE DES MEMBRES SUPÉRIEURS 65
longitudinales des nerfs cette organisation si caractéristique des tissus qui
rappelle aussitôt les descriptions et les dessins de Gombault et Malle[, de
Dejerine, Sottas et Thomas ; raréfaction des fibres nerveuses, augmenta-
tion du tissu conjonctif intrafasciculaire et gaines de Schwann hypertro-
phiques. Mais là s'arrête l'analogie; il n'y a pas d'hypertrophie de la
gaine lamelleuse et du tissu conjonctif intrafasciculaire, si bien qu'en
somme les troncs nerveux ne sont pas augmentés dans leur diamètre. Le
tissu conjonctif intrafasciculaire n'est d'ailleurs pas partout altéré au
même degré et on ne saurait supposer ici que les fibres nerveuses man-
quantes ont été détruites par compression ; en bien des points leur atro-
phie n'est pas proportionnelle à l'hyperplasie des tissus interstitiels. Les
racines rachidiennes ne présentent que des modifications peu importantes,
les racines postérieures sont normales ; dans les racines antérieures une
partie des fibres nerveuses se sont atrophiées, ce qui d'une part vérifie
l'inégalité déjà constatée à la périphérie entre les conducteurs de la moti-
lité et ceux de la sensibilité et, d'autre part, rappelle des faits analogues
constatés par les auteurs que nous avons cités.
En résumé, en. adaptant à cette observation ce que l'on sait aujourd'hui
de l'anatomie pathologique générale des maladies d'évolution, on peut
l'interpréter de la façon suivante : Atrophie régressive d'un grand nom-
bre de fibres nerveuses, hyperplasie du tissu conjonctif intrafasciculaire
et formation de gaines fibreuses épaisses autour des éléments nerveux.
Ces lésions sont au maximum dans les troncs nerveux ; elles sont notable-
ment moins marquées au niveau des racines rachidiennes et à la périphé-
rie dans les filets nerveux intra-musculaires.Dans leur ensemble les fibres
motrices ont été atteintes plus que les fibres sensitives. Cliniquement, ces
lésions se sont traduites par une atrophie musculaire progressive, limitée
aux membres supérieurs avec prédominance du côté gauche et par de
rares secousses fibrillaires ; les lésions des filets sensitifs ont donné nais-
sance à des phénomènes douloureux, intermittents et d'intensité moyenne
mais sans troubles objectifs de la sensibilité cutanée. Telle est la formule
anatomo-clinique de ce cas de maladie d'évolution dont la période d'acti-
vité a été d'une douzaine d'années environ.
xx 5
HOSPICE DE BICÊTRE
LABORATOIRE DE M. PIERRE MARIE
ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET
A LOCALISATION CORTICALE,
PAR R
ITALO ROSSI.
Dans la thèse de M. Crouzon sur « Les scléroses combinées de la
moelle » (1 ), un chapitre très intéressant est consacré à l'étude des scléroses
combinées chez les vieillards, étude que l'auteur a pu faire à Bicêtre dans
le service de notre maître M. Pierre Marie.
L'auteur constata chez plusieurs vieillards la présence d'un aspect cli-
nique particulier qui ne paraissait répondre à aucun des types morbi-
des connus. Il s'agissait de la présence chez ces malades d'une paraplégie
spasmodique associée chez quelques-uns d'entre eux à une démarche céré-
belleuse et incoordonnée. Ayant observé que bien qu'il existât chez
ces malades un certain nombre de caractères communs tels que debut à
un âge avancé, 50 à 70 ans, évolution lenle et progressive, absence de
syphilis dans les antécédents l'aspect clinique n'était cependant pas
le même chez chacun d'eux, M. Crouzon fut amené à en dégager plusieurs
types cliniques.
C'est ainsi qu'il décrit un type parélo-spasmodique caractérisé par une
paraplégie très légère à évolution lente el progressive, avec exagération
des réflexes rotuliens et signe de Babinski; un type ataxo-spasmodique
caractérisé par l'adjonction de quelques signes de labes aux signes de la
parésie spasmodique, et, enfin, un type ataxo-cérébello-spasmodique dans
lequel l'aspect clinique particulier présenté par deux malades était donné
par l'association de phénomènes spasmodiques dans les membres infé-
rieurs avec des phénomènes ataxiques et cérébelleux.
C'est à l'extrême obligeance de notre maître que nous devons d'avoir
pu faire dans son service l'étude anatomo-palliologique d'un des deux cas
de ce dernier type. Bien que cette étude n'ai pas montré la présence d'une
sclérose combinée de la moelle, mais celle d'une atrophie très particulière
(1) 0. Crouzon, Des scléroses combinées de la moelle, Paris, 1904.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PI. VII
l4f.t... (Obs. 11).
ATROPHIE PRIMITIVE PAREI\Clln ! ATEUSE DU CERVELET
(J. Rossi.)
ITALO ROSSI. ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 67
du cervelet, la forme clinique qui nous occupe ne laisse pas de subsister
avec tout son intérêt et sa particularité.
M. Pierre Marie en effet, dans la séance de la Société de Neurologie de
décembre 1906 où nous avons communiqué le résumé de notre étude
anatomique, a présenté deux malades dont l'affection montre les plus
grandes analogies avec celle du cas qui fait l'objet de notre étude histolo-
gique. Notre maître a à la même occasion relevé les points principaux de
ce syndrome particulier qui est encore à l'étude dans son service et qui
semble avoir son substratum anatomique principal dans les lésions céré-
belleuses par nous observées. Sans vouloir donc entrer dans l'étude clini-
que de l'affection en question, nous croyons qu'il est d'un certain intérêt
de donner ici, en même temps que l'observation clinique de notre cas, le
résumé de celles des deux autres malades présentés par M. Pierre Marie.
De la comparaison de ces trois observations on verra que si quelques
diversités existent entre elles, celles-ci concernent des détails cliniques
d'ordre secondaire. Les symptômes principaux, ceux qui se trouvent au
premier plan de la symptomatologie présentée par les malades et qui
caractérisent pour ainsi dire l'aspect clinique sont les mêmes chez les
trois malades, ainsi que l'époque de début et l'évolution de l'affection.
1
Observation I. - Il s'agit dans ce premier cas d'un nommé Ch ? buandier,
âgé de 72 ans, dans les antécédents morbides duquel est à noter seulement une
jaunisse à 20 ans et l'absence de syphilis.
La maladie actuelle aurait débuté vers l'âge de 60 ans, au dire du malade,
par de la faiblesse dans les membres inférieurs. Cette faiblesse des jambes
cependant ne l'empêcha pas de vaquera ses occupations jusqu'à son admission,
en 1896, à l'hospice de Bicêtre où il entra au bout de 3 ou 4 ans, sa faiblesse
étant allé en augmentant. Le malade n'a jamais eu de douleurs dans les mem-
bres inférieurs ni de troubles sphinctériens.
Des examens du malade qui ont été faits à plusieurs reprises, et encore der-
nièrement avant sa présentation à la Société de Neurologie, il ressort que les
symptômes présentés par le malade ont consisté et consistent presque exclusi-
vement en des troubles de la démarche, troubles qui ont montré une progres-
sion lente dans les années qui suivirent l'entrée du malade à Bicêtre.
Le malade peut marcher sans canne, mais s'en sert le plus habituellement.
Sa démarche est lente, il marche avec les jambes un peu écartées, il titube et
se balance à chaque pas comme un cérébelleux ; il lance chaque pied et talonne
légèrement. Par moment un à-coup se produit, il semble qu'il n'ait plus son
équilibre ; pour le reprendre il frappe du pied. Quand il fait demi-tour, il
le fait lentement avec quelque peine et cherche à se cramponner. Pas de
Romberg. La démarche n'est pas influencée par l'occlusion des yeux (PI. VII).
La force musculaire est conservée d'une façon à peu près égale dans ,tous
les segments des membres inférieurs et supérieurs. Le malade ne fait pas très
68 \ ITALO IIOSSI
bien l'épreuve de la diadococinésie avec la main droite ; les mouvements sont
surtout lents. Il la fait beaucoup moins bien avec la gauche ; les mouvements
sont un peu asyner ? iques. Il porte bien l'index gauche sur le nez ; quand il
fait le même mouvement avec l'index droit, il y a toujours quelques oscilla-
tions.
Dans l'épreuve de l'agenouillement de Babinski, tendance à lever un peu
trop le genou. Pour atteindre un objet avec le pied, il dirige moins bien la
jambe droite que la gauche ; au moment d'atteindre le but il y a quelques
petites oscillations, analogues à celles qui existent dans le membre supérieur
droit et qui tiennent plutôt du tremblement intentionnel que de l'ataxie.
Réflexes rotuliens très forts. Pas de clonus du pied net. Réflexes cutanés
plantaires en flexion. Les pupilles réagissent bien à la lumière et à l'accommo-
dation. Pas de nystagmus.
Aucun trouble des sensibilités superficielles ; sens des attitudes parfaitement
conservé.
La parole est nettement troublée : elle est légèrement traînante et un peu
monotone ; lettres et syllabes sont souvent mal prononcées et par moment les
syllabes se précipitent les unes sur les autres. Intelligence intacte.
Observation II (novembre 1906). -mal ? fondeur en étain, âgéde 74 ans.
A toujours eu une bonne santé, jamais d'accidents de plomb. Pas de syphilis.
L'affection actuelle débuta vers 1902, à l'âge de 70 ans, par des troubles
de la démarche qui progressèrent dans les années suivantes et qui constituent
la partie la plus saillante de la symptomatologie que le malade présente aujour-
d'hui. Le malade n'a jamais eu de douleurs ni de troubles sphinctériens.
11 ne peut marcher sans un double soutien. Sa démarche est lente, titubante,
le corps est agité d'oscillations antéro-latérales, les jambes sont légèrement
écartées. Le malade hésite beaucoup à porter la jambe qui fait le pas et il la
porte très rapidement en avant, en frappant ensuite légèrement le sol avec toute
la plante du pied. Les jambes sont tenues étendues dans la démarche et les
pieds, surtout le droit, frottent légèrement le sol avant' de le quitter : c'est une
démarche qui se rapproche à la fois de la démarche titubante, de la démarche
spasmodique et un peu aussi de l'ataxique. Pas de Romberg (PI. VII).
La force musculaire est très bien conservée dans tous les segments des
membres inférieurs et supérieurs. L'épreuve de la diadococinésie montre
que les mouvements sont normaux à gauche, lents et maladroits à droite.
Quand on lui fait porter l'index sur le nez on note que la direction du mouve-
ment est juste, mais que le mouvement est un peu saccadé, des deux côtés. La
recherche du signe de l'agenouillement de Babinski permet de constater que
ce mouvement se fait asynergiquement des deux côtés. Le malade étant dans
le décubitus dorsal, si on lui fait porter le talon d'un côté sur le genou de
l'autre; on note, avant d'atteindre le but, une série de mouvements peu amples
qui tiennent du tremblement et de l'ataxie, peut-être plus encore du tremble-
ment. Les mêmes oscillations peu marquées existent quand ou lui fait toucher
du pied un objet placé au-dessus du plan du lit.
ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 69
Réflexes rotuliens exagérés, avec réflexe contralatéral très marqué des
deux côtés ; pas de clonus du pied. Réflexe cutané plantaire en extension des
deux côtés. Réflexes tendineux des membres supérieurs pas exagérés. Réflexe
pupillaire à la lumière et à l'accommodation conservé. Pas de nystagmus.
Motilité des yeux normale. '
Pas de troubles de la sensibilité (superficielle et profonde : le sens des atti-
tudes et des mouvements passifs est parfaitement conservé).
La parole accroche un peu. Intelligence intacte.
Observation III (décembre 1903). Mans..., cordonnier, âgé de 66 ans.
Rien à noter dans les antécédents morbides du malade qu'une blennorragie.
Pas de syphilis.
En 1896 perd sa femme, en ressent beaucoup de chagrin. Peu de temps
après contracte une diarrhée avec épreintes, abondante, le dérangeant 10 fois
par jour, sans fièvre. Il se guérit de cette diarrhée au bout de 6 semaines.
Quinze jours après la guérison, il ressent des douleurs dans les jambes et
éprouve de la peine à marcher. Il n'avançait qu'avec une canne ou une
béquille, il « marchait comme un homme ivre ». Ses mains étaient faibles, il
ne pouvait plus s'en servir pour travailler ; il était maladroit. Pendant
15 jours il a été presque totalement incapable de parler, il bafouillait et bé-
gayait. Il reste chez lui dans cet état pendant 3 mois ; les douleurs survenaient
pendant une demi-journée tous les 3, 4 ou 5 jours, les troubles de la démarche
allaient en augmentant de même que les troubles dans les membres supé-
rieurs ; quant à la parole elle allait en s'améliorant.
Dans l'année suivante même progression dans les troubles, mais depuis 1899
son état n'a pas beaucoup changé. Les douleurs ont bien diminué depuis 1899,
mais elles existent encore actuellement (décembre 1903) de temps en temps,
semblables à des secousses électriques. Il a des envies impérieuses d'uriner et
de temps en temps de l'incontinence d'urine nocturne. N'a jamais eu d'ictus,
de crises laryngées gastriques ou rectales.
La marche du malade est difficile et tout à fait particulière, ne rentrant
dans aucun des types nettement établis ; il s'avance à petit pas mais avec len-
teur, chaque pied se détache lentement du sol et est projeté en avant avec
assez de vivacité, mais à peu de distance. A chaque pas le pied repose à terre
avec violence. Il y a une raideur manifeste dans les mouvements. La démarche
est en même temps titubante, de façon qu'il semble qu'il y a là une démarche
titubante et ataxo-spasmodique. La. marche est possible sans le secours d'une
canne ; toutefois il se sert habituellement d'une béquille et d'une canne pour
marcher. Quand il tourne sans canne il faut le soutenir. Quand il est debout
il oscille quelquefois sur ses jambés, surtout au début des mouvements.
Pas de latéropnlsion. Signe de Romberg.
La force musculaire est bien conservée dans tous les segments des membres
supérieurs et inférieurs ; elle est cependant plus forte dans le membre inférieur
droit que dans le gauche.
Il n'y a pas d'incoordination proprement dite des membres supérieurs. Quand
70 ITALO ROSSI
le malade saisit un objet, il le fait avec précision ; si on lui dit de porter un
verre à sa bouche, il le fait bien, mais quand il arrive près des lèvres il y a
un tremblement un peu analogue à celui de la sclérose en plaques.
Il existe des troubles de la diadococinésie dans le membre supérieur gauche
et non dans le membre supérieur droit. On note aussi dans les mouvements
de flexion et d'extension des membres inférieurs à droite et à gauche, un
certain degré d'asynergie : les mouvements sont décomposés.
L'équilibre statique dans le décubitus est bon, presque meilleur qu'à l'état
normal.
Il n'y a pas d'hypotonie.
Pupilles égales. Réflexe lumineux conservé des deux côtés.
Réflexes rotuliens forts. Pas d'épilepsie spinale. Réflexe cutané plantaire en
flexion à droite, en extension à gauche. Pas de réflexes crémastériens. Réflexe
abdominal conservé des deux côtés.
Pas de troubles de la sensibilité marqués : il existe seulement une légère
diminution de la sensibilité à la piqûre aux deux jambes.
La parole est légèrement spasmodique et zézayante.
Les notes ultérieures jointes à l'observation montrent que l'affection avait
progressé. Le malade en effet qui était atteint de cirrhose hépatique et nécessi-
tait une paracentèse, entre le 17 novembre 1905 à l'infirmerie. Le démarche
présentait les mêmes caractères que ci-dessus, mais était devenue beaucoup
plus difficile : le malade ne pouvait se tenir seul debout, il tombait fortement
en arrière. Eu le soutenant et en l'aidant il pouvait faire quelques pas.
Les réflexes rotuliens étaient toujours forts des deux côtés ; le réflexe cutané
plantaire était en extension aussi à droite. Le tremblement particulier dans
les membres supérieurs était devenu plus accusé.
' Mort le 4 décembre 1905.
Il s'agit, comme on voit, d'une affection débutant à un âge très avan-
cé, à 70, à 60 et 59 ans. Son évolution est lentement progressive. Ce qui
caractérise surtout cette affection ce sont les troubles particuliers de la
démarche. Si en effet le fait le plus saillant de cette démarche est d'être
lente, titubante, nettement cérébelleuse, on peut cependant y découvrir
quelques caractères ataxiques et spasmodiques qui, bien que peu accusés,
suffisent pour donner à cette démarche cérébelleuse une note un peu
spéciale. C'est ainsi que les trois malades lancent un peu les jambes
et talonnent légèrement et que chez deux malades en outre on observe une
certain raideur dans la démarche : les jambes sont tenues étendues et les
pieds frottent légèrement le sol avant de le quitter (Obs. 11-111)-
Dans un seul cas existe le signe de Romberg (Obs. 111).
Il y a encore chez les trois malades quelques troubles de la synergie
musculaire, dont la valeur diagnostique dans les affections cérébelleuses
a été mise en relief par Babinski. Ces troubles se manifestent chez nos
ATROPHIE PRIMITIVE PARENCRT1111TEUSE DU CERVELET 71
malades pour les extrémités inférieures dans l'épreuve de l'agenouille-
ment, et pour les supérieures dans celle de la diadococinésie.
Les mouvements intentionnels s'exécutent assez bien ; cependant on
note vers la fin du mouvement, près du but à atteindre quelques oscilla-
tions peu amples, à caractère mal défini, qui semblent toutefois relever
plutôt du tremblement intentionnel que de l'ataxie vraie.
La force musculaire est à peu près également conservée dans tous les
segments des membres inférieurs et supérieurs ; la motilité des yeux
est normale, il n'y a pas de nystagmus.
La parole est au contraire affectée avec des degrés divers suivant les
malades : il s'agit de traînement et de bredouillement.
Les réflexes rotuliens sont très forts ; chez deux malades en outre
(Obs. II-III) le réflexe cutané plantaire est en extension des deux côtés.
Le réflexe pupillaire à la lumière et à l'accommodation est conservé.
Dans un seul cas (Obs. III) existent des troubles de la sensibilité sub-
jective et objective sous la forme de douleurs dans les membres infé-
rieurs et de légère hypalgésie aux jambes ; à noter la parfaite intégrité de
la sensibilité profonde même chez ce malade.
Ce malade, âgé de 60 ans, est aussi le seul qui ait présenté quelques
troubles sphinctériens d'ailleurs très légers, se manifestant avec des
envies impérieuses d'uriner et de temps en temps avec de l'incontinence
d'urine nocturne.
L'intelligence est chez tous intacte.
L'étiologie de cette affection est obscure. La syphilis n'existe dans
aucun des trois cas. Dans un seul cas (Obs. III) l'anamnèse nous fournit
quelques renseignements ; dans ce cas l'affection aurait débuté à la suite
d'une affection intestinale ayant duré 6 semaines. Nous reviendrons plus
loin sur la valeur que pourrait avoir cette donnée anamnésique,car il s'agit
ici du cas de l'observation III qui est l'objet de l'étude anatomique que,
nous allons exposer. Au point de vue anatomique ce cas est également
intéressant, parce que il nous a offert l'occasion d'apporter une contribu-
tion à l'étude d'une forme rare des atrophies cérébelleuses.
Examen anatomique.
Rien à noter à l'oeil nu dans les hémisphères cérébraux dont les méninges
ne sont pas épaissies.
Le cervelet, au contraire, frappe par sa réduction de volume : bien que le
cervelet soit sujet à des variations individuelles assez fortes, il semble vraiment
qu'on soit en présence d'un cervelet petit. Le cervelet en effet, durci dans le
Millier et comprenant la protubérance peu au-dessus d'une ligne transversale
passant par le point de sortie de la 58 paire et le bulbe coupé au niveau des
72 ITALO ROSSI
extrémités inférieures des olives, pèse 120 grammes. Plusieurs cervelets nor-
maux dans les mêmes conditions nous ont donné des poids variant entre 150 et
160 grammes. La réduction de volume du cervelet s'est exercée in tolo. Les
proportions entre les diverses parties qui le constituent sont conservées ; le
cervelet ne présente pas de déformations, il a la configuration extérieure d'un
cervelet normal. Cependant il est à noter que dans les deux tiers antérieurs de la
face supérieure du cervelet les sillons superficiels sont plus profonds, plus
larges qu'à l'état normal et que les circonvolutions à ce niveau paraissent amin-
cies, réduites d'épaisseur.
Cet amincissement des lamelles intéressant le vermis supérieur et le lobe
quadrilatère antérieur et postérieur des deux côtés, contraste avec l'état des
lamelles du lobe semi-lunaire, et en général du reste de la face supérieure et
de la face inférieure du cervelet, où le fait n'est pas si évident.
Les méninges du cervelet ne sont nullement épaissies ni adhérentes.
La protubérance, le bulbe, la moelle épinière ne sont pas réduites de vo-
lume : leur conformation extérieure paraît normale.
Le cervelet, a été, par une coupe sagittale passant un pen en dehors du
sillon longitudinal supérieur gauche, divisé en deux parties. L'une, comprenant
la plus grande'partie de l'hémisphère cérébelleux gauche a été coupée sagit-
talement : l'autre, comprenant le vermis, la protubérance, le bulbe et l'hé-
misphère cérébelleux droit a été coupée en coupes horizontales.
Les deux parties ont été débitées en coupes sériées, colorées ensuite par les
méthodes suivantes : Pal, cochenille, Weigert, carmin, hématéine-éosine, hé-
matéine-Gieson, Gieson.
Nous avons étudié la moelle à différentes hauteurs ; les coupes ont été colo-
rées avec les méthodes : Pal, Pal-cochenille, Weigert, Gieson.
Bien qu'il nous ait été impossible de faire du Nissl, la pièce étant déjà dur-
cie dans le liquide de Müller, il nous a été possible d'obtenir des coupes minces,
qui, colorées au carmin et à l'hématéine-éosine, nous ont permis, d'une
façon satisfaisante, l'étude des éléments cellulaires de la corticalité, des
noyaux gris centraux, ainsi que des masses grises de la probubérance et du
bulbe.
Pour une étude comparative nous avons coupé en séries horizontales un cer-
velet normal, comprenant le bulbe et la protubérance : les coupes ont été colo-
rées avec les mêmes méthodes employées pour le cervelet qui est l'objet de
notre étude.
Cervelet. - Pour éviter des redites inutiles nous résumerons dans un même
chapitre l'étude comparative des coupes sagittates et horizontales.
A l'oeil nu on peut déjà observer que l'écorce du lobe quadrilatère antérieur
et postérieur, du lobe grêle, du vermis supérieur (culmen et déclive) du floc-
culus, du lobe digastrique et du lobe central du vermis est nettement atro-
phiée, tandis que cette atrophie ne parait pas exister dans les autres parties
des hémisphères et du vermis. Les sillons interlamaires et interlamellaires des
lobes précités sont plus larges que normalement. L'écorce atrophiée se dis-
tingue de celle des lamelles des parties apparemment saines du-cervelet par la
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. VIII
ATROPHIE PRIMITIVE 1'AItFNC111'ytATPn51-. f)l1 rr;1 : 1).1'.J,
ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 73
coloration plus pâle qu'elle prend avec l'hématéine-éosine, le carmin. Ce-
pendant, même à l'oeil nu, la distinction entre les trois couches (moléculaire, des
grains et médullaire) est conservée.
L'étude histologique confirme la présence d'une altération atrophique de
l'écorce cérébelleuse qui porte surtout sur la couche moléculaire, sur la couche
des grains et sur celle des cellules de Purkinje.
Cette atrophie est à peu près symétrique dans les deux moitiés du cer-
velet et atteint son plus fort degré dans les lobes quadrilatères antérieurs et
postérieurs, dans le flocculus, et dans le vermis supérieur (culmen et déclive),
auxquels succèdent en ordre d'intensité le lobe grêle, le lobe central du cer-
velet, la lingula, le lobe digastrique et la pyramide. Si dans les lobes les plus
fortement pris il existe un parallélisme entre le degré de lésion des trois couches
citées de la corticalité et si dans les mêmes lobes l'atrophie intéresse presque
avec la même intensité les lamelles correspondantes, dans les lobes moins
atteints le degré d'altération est souvent variable dans les diverses lames, et
pour les mêmes lames, dans les diverses lamelles qui leur appartiennent.
Dans ce dernier ordre de lobe il n'est pas rare de constater en plus que la
lésion épargne l'une ou l'autre des 3 couches citées, ou qu'elle se cantonne
dans la seule couche de Purkinje dans des lamelles présentant alors une écorce
d'épaisseur normale et n'ayant pas l'aspect de lamelles atrophiées. Ici et là on
note encore des ! amelles à structure histologique normale.
Comme type de la description histologique nous prendrons les lamelles
appartenant au lobe quadrilatère antérieur et postérieur, au vermis supé-
rieur, au flocculus, où les lésions atrophiques sont plus fortes et atteignent
dans leurs trois couches, avec une intensité à peu près égale, toutes les lamelles
qui leur correspondent.
Couche moléculaire. - Elle est manifestement atrophiée. Dans les lamelles
où l'atrophie de cette couche atteintson maximum, elle est réduite d'un tiers et
même quelquefois de la moitié de son épaisseur (PI. VIII, D ; PI. IX, F).
L'atrophie est en général plus forte au niveau de la crête des lamelles qu'au
niveau du fond des sillons interlamellaires.
Dans les coupes colorées au carmin, au Gieson. à l'éosine on remarque que
les prolongements protoplasmiques des cellules de Purkinje qui sont assez nets
dans la couche moléculaire des lamelles non atrophiées de la même coupe, ici
manquent complètement, ou sont extrêmement rares et peu nets.
Il n'existe aucune trace de sclérose dans cette couche ; il n'y a pas de mul-
tiplication nucléaire. Les vaisseaux ne sont pas proliférés, ils ne présentent
pas d'infiltration embryonnaire de leurs parois : ils ne sont que légèrement épais-
sis. Les plus gros d'entre eux contiennent des globules sanguins. Nulle part
il n'existe d'infiltration en foyer, d'hémorragie. Sur toutes les coupes nous
avons pu observer dans cette couche un grand nombre de corps amyloides.
Cellules de Purkinje. Dans la plupart des lamelles du lobe quadrilatère,
du culmen et du déclive, du flocculus les cellules de Purkinje ont complè-
tement disparu et n'ont laissé aucune trace (PI. VIII, D; PI. IX, F). Dans
d'autres lamelles on trouve de temps autre des petites masses rondes ou
74 ITALO ROSSI
irrégulières se colorant faiblement et d'une façon homogène au carmin et qui
sont vraisemblablement les restes de cellules de Purkinje atrophiées. Dans
d'autres lamelles encore on retrouve quelques rares cellules : mais celles-ci
sont très petites, manifestement atrophiées, avec une forme globuleuse dans
la plupart. Le noyau n'est pas visible, elles manquent de prolongements den-
dritiques ou ceux-ci sont peu nets et ne se laissent suivre que très peu dans
la couche moléculaire. On ne trouve que rarement des lamelles avec une ou
deux cellules de Purkinje non atrophiées.
Couche des grains. Elle présente des altérations nettes, consistant en
une réduction de largeur et en de la raréfaction (PI. VIII, D ; Pl. IX, F-J). Les
grains sont bien moins tassés que normalement, ils se colorent plutôt mal avec
l'hématéine et le carmin ; dans certains points de la couche la raréfaction des
grains est si forte qu'il en résulte un aspect presque aréolaire de la même. Il
n'existe pas de prolifération de tissu interstitiel nulle part.
Ici, comme dans la couche moléculaire les vaisseaux ne présentent pas de
lésions appréciables ; il n'y a pas d'infiltration embryonnaire, d'hémorragies.
La raréfaction des grains et la réduction de cette couche sont plus accusées à
la crête des lamelles qu'au fond des sillons interlamellaires.
Couche médullaire. L'état de cette couche contraste avec les altérations
des autres couches de l'écorce. En effet, la substance blanche qui se trouve à
l'intérieur des lames et des lamelles se colore très bien au Pal, au Weigert,
ne présente pas trace de sclérose, de Ramollissement ou d'hémorragie; ses
vaisseaux ne présentent non plus rien à noter de particulier. Si on la compare
avec celles des lamelles et de lames du lobe semi-lunaire non atrophié, il
ne semble pas non plus qu'elle soit réduite de volume ni en largeur ni en
longueur. C'est tout au plus si il existe, au niveau des lamelles dont l'écorce
est fortement atrophiée, une très légère raréfaction des fibres placées au milieu
de ces lamelles. De même le réseau des fibres myéliniques qui se trouve dans
la couche des grains paraît être dans les mêmes points un peu raréfié. Il est à
noter cependant que sur les coupes transversales la couche des fibres transver-
sales sous-purkiniennes est partout bien conservée, même dans les lamelles les
plus atteintes.
Dans les autres lobes (grêle, digastrique, lobe central du vermis, pyra-
mide, lingula) on retrouve, comme nous avons dit, les mêmes lésions atrophi-
naires ci-dessus décrites, mais avec une intensité variable de lamelle en la-
melle. En effet, côté de nombreuses lamelles avec forte réduction de la couche
moléculaire, avec raréfaction et réduction d'épaisseur marquée de la couche des
grains et une perte complète ou presque des cellules de Purkinje, d'autres
lamelles aussi nombreuses présentent les mêmes lésions, mais avec une moins
forte intensité. Dans ces lamelles on trouve encore quelques rares cellules de
Purkinje, pour la plupart cependant en état manifeste d'atrophie. Dans quelques-
unes mêmes de ces lamelles l'atrophie se limite presque aux cellules de Pur-
kinje ; la couche des grains présente une raréfaction, mais pas une diminu-
tion d'épaisseur, la couche moléculaire ne paraît pas atrophiée. Enfin on
trouve distribuées parmi ces lamelles avec un degré plus ou moins fort d'atro-
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. IX
ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 75
phie, d'autres où la lésion se limite exclusivement aux cellules de Purkinje ;
dans ces lamelles en effet, les grains sont aussi bien colorés et tassés que ceux
d'un cervelet normal, la couche moléculaire ne paraît présenter, pas plus que
celle des grains, une réduction d'épaisseur. Il existe au contraire dans ces la-
melles une diminution de nombre des cellules de Pukinje ; celles qui persis-
tent sont irrégulièrement espacées ; quelques-unes d'entre elles ayant un aspect
normal, d'autres au contraire présentant un degré plus ou moins fort d'atro-
phie (PI. VIII, C, B). Nous avons même, surtout sur les coupes sagittales,
observé quelques lamelles où presque toutes les cellules de Purkinje étaient
disparues, et où la couche des grains et la couche moléculaire avaient un aspect
normal.
Dans les lobes semi-lunaires, supérieur et inférieur,dans les amygdales, dans
la luette et le nodule, la plus grande partie des lamelles ne présentent rien à
noter de pathologique, mais assez fréquemment on retrouve des lamelles où
les cellules de Purkinje sont diminuées de nombre, petites, et distribuées
d'une façon irrégulière. Cette diminution de nombre des cellules de Purkinje,
bien que manifeste, n'atteint pas le degré du reste de l'écorce ; en outre, elle
ne s'accompagne pas ni d'altérations de la couche des grains ni de la molécu-
laire. C'est tout au plus si dans quelques lamelles la couche de grains présente
une légère raréfaction et décoloration. La couche médullaire est intacte.
Comme dans les lobes les plus atrophiés, il n'existe, dans le reste de la
corticalité cérébelleuse aucun point de sclérose ou d'infiltration embryonnaire
ou de multiplication des noyaux.
Les vaisseaux ne paraissent pas malades.
Noyaux centraux. - Le noyau dentelé ne paraît pas avoir subi une atrophie :
il est bien développé des deux côtés, ses plis sont nombreux, profonds, pas
rétrécis, et contiennent des cellules en aussi grand nombre que celles du cer-
velet normal qui nous sert de témoin. Ces cellules, sur des coupes minces
colorées au carmin, ne présentent pas de lésions d'atrophie. Le feutrage in-
traciliaire est très bien coloré, abondant, sans dégénération ou sclérose. Au
contraire la toison ne se distingue pas, par sa coloration plus foncée, de la
substance blanche centrale du cervelet, comme dans les coupes 'du cervelet
normal, mais microscopiquement elle ne présente ni dégénération ni sclérose ;
on ne peut même pas dire qu'il existe à ce niveau une raréfaction des fibres.
Les noyaux accessoires de l'olive,le bouchon et le noyau sphérique ont pu être
étudiés sur les coupes sériées. Autant que l'épaisseur de la coupe permet d'en
juger on peut dire qu'ils paraissent être bien développés et contenir de nom-
breuses cellules. Les noyaux du toit sont bien visibles et paraissent aussi
être bien développés el contenir des cellules aussi nombreuses que dans les
noyaux du toit des coupes normales témoins. Dans l'intérieur de ces noyaux
il existe un réseau myélinique dense, et on peut bien voir aussi les nombreu-
ses fibres qui vont constituer, en arrière de ces noyaux, l'entrecroisement
des noyaux du toit.
Substance blanche centrale des hémisphères ; elle n'est pas décolorée, ne
présente ni multiplication de noyaux, ni prolifération du tissu interstitiel, ni
76 ITALO ROSSI
foyer hémorragique ou de ramollissement. Les fibres semi-circulaires exter-
nes sont abondantes, se détachent bien sur le fond de la substance blanche
centrale et on peut très bien les suivre sur les coupes transversales dans l'en-
trecroisement commissural du vermis.
Les pédoncules cérébelleux supérieurs dans toutes les coupes où ils émer-
gent du cervelet sont bien coloriés et volumineux ; il en est de même pour le
pédoncule cérébelleux moyen.
Les méninges du cervelet ne sont pas épaissies ; ne présentent d'infiltration
embryonnaire en aucun point. Leurs vaisseaux, à part un léger épaississement
des parois en quelques-uns d'eux ne montrent aucune particularité.
Protubérance ET bulbe. - L'étude des coupes sériées ne nous a pas permis
de constater aucune modification ou altération. Notre attention a été particu-
lièrement attirée sur les formations grises et sur les voies en connexion avec
le cervelet. C'est ainsi que nous pouvons nous borner à dire que les noyaux
de Deiters nous ont paru bien riches en cellules et que le segment interne du
corps restiforme est compact et bien coloré sur toute la hauteur de la protu-
bérance et du bulbe. La substance réticulée de la calotte, la substance grise
de la protubérance nous ont paru aussi contenir des cellules aussi nombreuses
que sur des coupes normales. Les fibres transversales antérieures, moyennes
et postérieures du pont sont très abondantes.
L'olive bulbaire est bien développée, ses lames ne sont pas amincies ; le hile
est bien coloré, contient de très nombreusesfibres ; le stratum zonale est épais.
Des préparations au carmin montrent que les olives contiennent de très nom-
breuses cellules, bien conservées.
Les noyaux juxta-olivaires, interne et externe, sont aussi normaux.
Lcs fibres cérébello-olivaires, rétro, pré, et intertrigéminales, et les fibres
arciformes superficielles antérieures sont aussi abondantes qu'à l'état normal.
Les noyaux arqués sont très gros, et riches en cellules ; le noyau latéral du
bulbe est nettement apparent.
Rien à noter non plus dans les noyaux des cordons postérieurs.
Le corps restiforme, de volume normal, est très bien coloré sur toute la
hauteur du bulbe.
Nous n'avons pas observé trace de multiplication nucléaire ni de sclérose,
tant dans la substance grise que dans la blanche du bulbe et de la protubérance.
Moelle.' Dans la moelle épinière étudiée sur un grand nombre de segments
les altérations constatées sont les suivantes. Dans les cordons postérieurs, sur
toute leur hauteur, il existe une très légère raréfaction diffuse, qui cependant
est plus accusée dans les parties centrales de ces cordons. A un fort grossisse-
ment on voit que cette raréfaction est due à la plus grande richesse de fibres
fines, avec, ici et là la perte de quelques fibres. Cette raréfaction bien que
diffuse est toutefois plus marquée autour des vaisseaux qui sont un peu
épaissis, mais pas infiltrés. Au niveau d'elle il y a une légère prolifération
du tissu interstitiel. Dans aucun segment la légère raréfaction des fibres des
cordons postérieurs ne présente trace de systématisation.
Les racines postérieures adjacentes à la périphérie de la moelle et coupées
ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 77
transversalement, celles surtout de la moelle lombo-sacrée et dorsale inférieure
contiennent un grand nombre de fibres fines, beaucoup plus abondantes qu'à
l'état normal et montrent la disparition, ici et là, de quelques fibres, de telle
sorte que sur la coupe au Weigert on a l'impression d'une légère raréfaction
diffuse, et sur les coupes au Gieson d'une légère sclérose. Les vaisseaux des
racines sont légèrement épaissis ; les veines sont plutôt congestionnées.
Les zones d'entrée des racines sont partout bien colorées, d'aspect normal,
ainsi que la zone de Lissauer et les fibres collatérales, très abondantes.
Dans les cordons latéraux, surtout vers la périphérie de la moelle, il existe
la même raréfaction des fibres que dans les cordons postérieurs, mais elle est
ici encore plus légère, à peine perceptible et se limite à la moelle lombo-sacrée ;
dans la moelle dorsale et cervicale les cordons latéraux ont un aspect tout à
fait normal.
Au niveau de Ll et des coupes de la région dorsale les cellules de la colonne
de Clarke sont abondantes, pas atrophiées ; le réseau myélinique de cette co-
lonne est aussi bien développé qu'à l'état normal.
Dans les cordons postérieurs et dans les latéraux il existe une grande abon-
dance de corps amyloïdes.
Les méninges de la moelle sont normales.
En résumé, l'examen histologique du cervelet, du bulbe et de la
protubérance surcoupes sériées, et de la moelle épinière, nous donne les
résultats suivants :
Dans la moelle des lésions presque insignifiantes ; celles-ci consistent
en une très légère raréfaction des cordons postérieurs, diffuse, nullement
systématisée, un peu plus accusée autour des vaisseaux légèrement épais-
sis ; dans la même raréfaction, encore plus légère, à peine perceptible,
des fibres des cordons latéraux et enfin, dans une abondance anormale
des fibres fines, dans les racines postérieures, avec la perte, ici et là de
quelques rares fibres.
Nous croyons pouvoir interpréter ces lésions comme des lésions banales,
analogues à celles qu'on rencontre assez souvent dans la moelle des vieil-
lards et qui sont vraisembablement liées à des processus de sclérose vas-
culaire.
Dans le bulbe et dans la protubérance nous n'avons noté aucune altéra-
tion.
Dans le cervelet au contraire, nous avons rencontré, dans la plus grande
partie de l'écorce cérébelleuse des lésions d'atrophie intéressantes non
seulement au point de vue des rapports qui les lient à la symptomatologie
présentée par notre malade, mais aussi au point de vue anatomique pur.
Ces lésions atrophiques parfois d'intensité variable selon les diverses
lamelles, intéressent généralement aussi bien la couche moléculaire que
78 ITALO ROSSI
la couche des cellules de Purkinje et celle des grains : elles consistent
en une réduction de largeur de la couche moléculaire et de la couche des
grains, en une raréfaction de cette dernière, en une perte complète ou par-
tielle, avec des lésions atrophiques, des cellules de Purkinje. Dans d'autres
lamelles les lésions sont cantonnées à la couche des grains et aux cellules
de Purkinje. Ailleurs enfin, l'altération consiste seulement dans l'atrophie
et la disparition de plus ou moins nombreuses cellules de Purkinje. On
peut encore ajouter que la substance grise seule présente des lésions d'a-
trophie ; c'est tout au plus si dans les lamelles plus fortement atrophiées
il existe une raréfaction tout fait légère du réseau myéliniquede la cou-
che des grains et de la substance blanche placée au milieu des lamelles.
La substance blanche centrale du cervelet, les noyaux gris centraux ne
montrent aucun fait de dégénération ou d'atrophie.
Quelle est la pathogénie de cette atrophie ? Nous ne pouvons certaine-
ment pas la considérer comme une atrophie secondaire d'origine péri-
phérique, due à la lésion des noyaux d'origine des voies afférentes au
cervelet, ainsi que Thomas (1 ) l'a admis pour un de ses cas. Dans ce cas,
l'atrophie peu prononcée de l'écorce cérébelleuse était liée à une dégéné-
rescence très forte du pédoncule cérébelleux moyen, du corps restiforme,
à l'atrophie très prononcée de la substance grise du pont, de l'olive bul-
baire et à une atrophie nette des faisceaux cérébelleux directs, des colon-
nes de Clarke, des faisceaux de Gowers.
A part déjà que dans notre cas la substance centrale du cervelet et les
fibres arciformes externes présentaient un aspect normal nous avons, sur
les coupes sériées de la protubérance et du bulbe, et sur celles faites aux
diverses hauteurs de la moelle, pu nous assurer de la parfaite intégrité
de ces formations grises et de ces voies.
L'àge très avancé auquel débuta l'affection, dont la plus grande partie
relève du syndrome cérébelleux, et les caractères mêmes des lésions
anatomiques rendent très peu probable l'origine congénitale de celles-ci.
Dans notre cas il ne s'agit pas non plus d'une atrophie scléreuse,
comme c'est le cas plus fréquent dans les atrophies bilatérales du cervelet.
Dans aucun point, en effet, nous n'avons constaté une multiplication des
noyaux ni prolifération de tissu interstitiel, ni formation de tissu fibreux.
Les vaisseaux ne sont que légèrement épaissis.
Ces faits, et l'absence de toute lésion inflammatoire des méninges ou
de l'écorce cérébelleuse, d'épaississement méningé, de foyers hémorra-
giques ou de ramollissement, nous permet de dire, croyons-nousqu'il s'agit
dans notre cas d'une atrophie primitive, parenchymateuse de l'écorce.
(1) A. Thomas, Le cervelet. Th. Doctorat, 1897 (Obs. V, p. 215).
ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 79
C'est à Dejerine et Thomas (1) que nous devons d'avoir isolé des atro-
phies du cervelet cette catégorie d'atrophies dans lesquelles « les cel-
lules de Purkinje et des différentes couches de l'écorce s'atrophient et
disparaissent, par suite les fibres médullaires dégénèrent, l'organe est
réduit dans tous ses diamètres ; le tissu névroglique est étranger la pro-
duction de cette atrophie, ou bien la prolifération névroglique et les al-
térations vasculaires inflammatoires sont trop peu intenses pour rendre
compte des lésions dégénératives ». Ces atrophies seraient à distinguer
des atrophies simples et congénitales où le cervelet est plus petit qu'un
cervelet normal, mais toutes les parties qui le composent sont norma-
les et proportionnellement développées, et des atrophies scléreuses, d'o-
rigine vasculaire, inflammatoire.
Ces cas d'atrophie cérébelleuse primitive dégénérative sont fort rares
dans la littérature. De ce nombre sont les deux cas qui ont servi à Deje-
rine et Thomas pour constituer leur type d'atrophie olivo-ponto-cérébel-
leuse, cas qui montrent comme le même processus morbide peut envahir
en même temps la substance grise de l'écorce, du pont et des olives infé-
rieures, de façon à constituer une atrophie primitive systématisée inté-
ressant les voies afférentes cérébelleuses, leurs noyaux et l'écorce.
Notre cas, tout en entrant dans les cas d'atrophie primitive parenchyma-
teuse, diffère évidemment des denx cas précités, par le fait que l'atrophie
se limite presque exclusivement à la substance grise de l'écorce, le noyau
du pont, les olives bulbaires et leurs voies afférentes étant absolument
intactes.
Dans notre cas nous avons observé en outre que si dans les lamelles de
quelques lobes (quadrilatère, flocculus, vermis supérieur) l'atrophie frappe
avec une intensité égale les couches moléculaires, des grains et les cellules
de Purkinje, dans les autres lobes on rencontre à côté des lamelles présen-
tant le même ordre de lésions, d'autres lamelles où l'atrophie se limite à
la couche des grains et aux cellules de Purkinje. On en observe d'autres
enfin où la diminution de nombre et l'atrophie des cellules de Purkinje
constituent les seules altérations observées.
De ces faits nous avons reçu l'impression que le fait primaire est l'atro-
phie et la disparition des cellules de Purkinje, auxquelles succèdent la
raréfaction et l'atrophie de la couche des grains, et, en dernier lieu,
l'atrophie de la couche moléculaire.
Pourrait-on conclure que parmi les éléments cellulaires de l'écorce
cérébelleuse les cellules de Purkinje se présentent les plus vulnérables
aux diverses influences pathogéniques qui peuvent l'altérer ? et que
(1) DEJEUINE et Thomas, L'atrophie olivo-ponto-cérébelleuse. Nouvelle Iconographie
de la Salpêtrière, 1900, p. 330.
80 ITALO ROSSI
l'atrophie des autres couches (moléculaire et des grains) dépend en
grande partie de l'état de la couche des cellules de Purkinje ? Si quelques
observations dans la littérature des atrophies du cervelet, même des cas
d'atrophie scléreuse, semblent plaider en faveur de cette hypothèse,
d'autres cas ne permettent pas de tirer des conclusions décisives à ce sujet.
Le fait que dans notre cas nous avons pu constater dans beaucoup de
lamelles non atrophiées dans le vrai sens du mot, des lésions dégénéra-
tives parenchymateuses consistant dans la simple atrophie ou disparition
des cellules de Purkinje n'est pas sans intérêt. Il montre en effet que si
l'atrophie du cervelet peut être dû à des faits dégénératifs primitifs des
éléments nerveux constituant l'écorce cérébelleuse, ces mêmes faits dégé-
nératifs, indépendants de lésions vasculaires ou méningées, peuvent sub-
sister sans qu'il existe une atrophie du cervelet. Cela tient vraisembla-
blement à la localisation, a l'intensité, à l'ancienneté du processus mor-
bide. Mais, ce qu'il est intéressant de constater, c'est que même avec ces
lésions dégénératives, pour ainsi dire microscopiques, on peut avoir un
syndrome cérébelleux des plus nets. Les cas de ce genre sont fort rares,
mais ceux qui ont été publiées ont une valeur absolument démonstrative ;
nous voulons parler du cas d' « Atrophie lamellaire des cellules de Pur-
kinje » publié en 1905 par André Thomas (t) et du cas de « Degeneratione
cerebellare da intossicazione enterogena » de Murri (2), publié en 1900.
Dans son observation Thomas a pu constater dans beaucoup de lamel-
les l'atrophie et la disparition d'une certain nombre de cellules de Pur-
kinje, et des altérations de la couche des grains consistant dans leur
diminution de nombre, dans l'irrégularité de leur forme et dans leur
inégale coloration ; et cela indépendamment de toutes lésions méningées
ou vasculaires. Le malade avait présenté pendant la vie le syndrome
cérébelleux ayant débuté à l'âge de 40 ans.
Chez la malade de Murri, qui souffrait depuis six mois d'entérite chro-
nique se développa, précédé par des accès de vertige, un ensemble net
de symptômes cérébelleux, que l'autopsie permit de rattacher à une forte
diminution de nombre des cellules de Purkinje, à des altérations de la
substance chromatique et des noyaux des cellules de Purkinje restantes et
des cellules des noyaux centraux du cervelet. Contrairement au cas de
Thomas, il n'y avait aucune altération dans la couche moléculaire ou des
grains ; ici non plus, il n'existait d'altérations vasculaires ni de processus
inflammatoires.
(1) A. Thomas, Atrophie lamellaire des cellules de Purkinje. Revue Neurologique,
n° 18, 1905. ,
(2) MURAI, Degeneratione cerebellare de inlossicaione enterogena. Rivista critica
de clinica medica, n" 34-35, 1900.
ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 81
Ce sont bien là deux cas de syndromes cérébelleux dépendant de
lésions primitives parenchymateuses de la substance grise de l'écorce
cérébelleuse de même ordre que celles par nous constatées dans notre cas,
mais cette fois sans atrophie proprement dite du cervelet. Dans ces cas
il n'existait pas de dégénération de la substance blanche malgré les lésions
prononcées des cellules de Purkinje. Même contraste particulier se retrouve
dans notre cas : la substance blanche à l'intérieur des lamelles et des lames
présente un aspect normal, c'est tout au plus si au niveau des lamelles
les plus atrophiées on note une raréfaction tout à fait légère des fibres
nerveuses. Ce fait est difficile à expliquer, nous nous bornerons à le si-
gnaler, tout en rappelant que dans quelques cas d'atrophie scléreuse du
cervelet on a signalé aussi cette intégrité relative de la substance blan-
che contrastant avec les lésions fortes de la substance grise de l'écorce.
On peut toujours objecter que dans ces cas d'atrophie scléreuse datant
pour la plupart de l'enfance ou de la jeunesse, l'intégrité de la subs-
tance blanche n'est qu'apparente. Par la disparition des fibres dégénérées
et le tassement de celles qui persistent on aurait pu avoir un aspect nor-
mal, sans dégénération ni sclérose de la substance même, bien que
celle-ci soit atrophiée, réduite en largeur et en longueur. Cette réduction
ne nous a pas paru exister dans notre cas, tout au moins elle n'était pas
nettement évidente.
Si nous cherchons maintenant à rapprocher des symptômes présentés
par le malade les résultats de l'étude anatomique nous nous trouvons en
présence de quelques difficultés. L'ataxie cérébelleuse est facilement expli-
quée par les lésions du cervelet. De même les troubles de la synergie
musculaire, le tremblement particulier dans les extrémités supérieures et
les troubles de la parole, faits assez fréquemment consignés dans les obser-
tions d'atrophies cérébelleuses.
Dans l'observatibn clinique il est dit que le malade présentait une
démarche cérébelleuse et ataxo-spasmodique. Sans vouloir ici entrer dans
l'exposé des théories qui cherchent à expliquer la présence de phéno-
mènes d'ataxie tabétique dans les affections cérébelleuses nous nous bor-
nerons à constater que le mélange d'ataxie cérébelleuses et d'ataxie à carac-
tère spinal dans la démarche est consigné plus ou moins ouvertement
dans des observations d'atrophie du cervelet sans qu'il y ait l'existence de
lésions médullaires capables de l'expliquer. Il nous suffira de rappeler
le cas II de Duguet cité par Mingazzini (1), et le cas IV de la thèse de Tho-
mas où on lit « le malade marche en titubant et en lançant les jambes, et
(1) Mingazzini, Beilrag zum studium der Kleinhirnalrophien des Menschen. 1\10<
natsschr. f. Psychiatrie u. Neurologie, Bd. XVII, H. 1. S. 76, 1905.
xx 6
82 ITALO ROSSI
surtout la droite; il marche suivant une ligne brisée (démarche ébrieuse) ;
sa démarche tient à la fois de celle de l'ataxique et de celle du cérébel-
leux ».
On peut cependant se demander si les très légères lésions des racines
postérieures et des cordons postérieurs de la moelle ne pourraient pas
expliquer cet élément ataxique de la démarche de notre malade. Elles
pourraient expliquer en même temps certains autres symptômes présentés
par le malade, tels que le phénomène de Romberg, les légers troubles
urinaires, les douleurs et la légère hypalgésie aux jambes. On pourrait
également se demander si la raréfaction à peine perceptible des cordons
latéraux suffit à expliquer la légère spasmodicité dans les membres infé-
rieurs et le réflexe cutané plantaire en extension.
Les auteurs qui se sont occupés, de la moelle sénile ont en effet pu met-
tre sur le compte de lésions médullaires du même ordre que les nôtres,
quelques troubles de la motilité, de la réflectivité et de la sensibilité
présentés par des vieillards. Mais dans ces cas les lésions atteignaient un
degré d'intensité bien supérieur à celles par nous rencontrées. Ce fait
ainsi que celui que des lésions médullaires et radiculaires séniles d'inten-
sité analogue à celles de notre cas s'observent souvent sans se manifester
en clinique par aucun symptôme, ne sont pas sans nous laisser très per-
plexe sur les rapports qui peuvent exister entre ces lésions et les signes
cliniques d'ordre secondaire qu'on retrouve dans le tableau clinique de
notre cas en dehors de ceux appartenant au syndrome cérébelleux.
Nous nous heurtons à des difficultés aussi dans la recherche de la cause
étiologique de l'affection cérébelleuse, cause d'ailleurs qui dans beaucoup
de cas d'atrophie du cervelet n'a pas pu être établie ou même présumée.
L'âge avancé auquel l'affection a débuté dans notre cas rend déjà peu
probable l'hypothèse d'une influence héréditaire. Notre malade n'a pas
eu la syphilis; il nous manque donc même cette donnée anamnésique
qui existait dans l'observation déjà citée d'atrophie lamellaire des cellules
de Purkinje de Thomas. Un fait particulier de l'observation de notre
malade mérite cependant d'être signalé ; le début de la maladie, 15 jours
après une diarrhée avec épreintes, abondante, qui dura 6 semaines. Dans
le cas de Murri déjà cité, le syndrome cérébelleux s'était développé chez
une malade qui souffrait depuis 6 mois d'entérite chronique (avec diar-
rhée opiniâtre, indicanurie très intense). Ce fait a incité Murri à inter-
préter les lésions dégénératives du cervelet par lui observées comme étant
dues aux produits toxiques de l'affection intestinale. Peut-être pourrait-
on invoquer aussi pour notre cas cette étiologie ; ce qui plaiderait encore
en faveur de cette hypothèse, c'est que le malade était atteint de cirrhose
atrophique et partant, dans les conditions les plus favorables aux proces-
ATROPHIE PRIMITIVE PARENCHYMATEUSE DU CERVELET 83
sus d'intoxication de l'organisme. La petitesse du cervelet en aurait été,
peut-être, la cause prédisposante.
Quelle que soit la valeur de ces hypothèses, que nous ne faisons du
reste ici que proposer sous toutes réserves, nous croyons que les cas
comme le nôtre et ceux des auteurs précités, de lésions parenchymateuses
primitives du cervelet susceptibles de donner lieu à un syndrome cérébel- i
leux ont un certain intérêt clinique et anatomique pour la pathologie
nerveuse en général et celle du cervelet en particulier.
LÉGENDES DE LA PLANCHE VIII
A (object. 4). - Lamelle non atrophiée, contenant encore de nombreuses cellules de
Purkinje (2), qui cependant manquent presque complètement à droite, où la couche
moléculaire (1) est légèrement réduite en largeur. - Couche des grains d'aspect
normal (3).
B (id.) - Lamelle montrant la disparition de cellules de Purkinje; espacement irré-
gulier des restantes.
C (id.). - Lamelle non atrophiée contenant deux seules cellules de Purkinje d'aspect
normal (1) ; beaucoup de cellules ont disparu, les restantes sont pour la plupart
atrophiées (2).
D (id.). - Type de lamelles atrophiées : atrophie de la couche moléculaire (1), dispa-
rition presque complète des cellules de Purkinje, atrophie et raréfaction de la couche
des grains (2).
LÉGENDES DE LA PLANCHE IX
F (object. e). - A côté de deux lamelles non atrophiées, contenant de nombreuses
cellules de Purkinje (2), deux lamelles fortement atrophiées, avec disparition pres-
que complète des cellules de Purkinje. Atrophie de la couche moléculaire (1), raré-
faction et atrophie de la couche des grains (3).
G (object. 2). - Groupe de lamelles montrant un certain degré d'atrophie de la couche
moléculaire (1) et de la raréfaction de la couche des grains (2).
H (object. 6). 2. Couche des grains d'une lamelle non atrophiée (l'éclaircissement
qu'on observe à droite est dû à un défaut de photographie).
1. - Couche moléculaire.
3. - Une cellule de Purkinje.
/ (id.). - Couche des grains raréfiée d'une lamelle atrophiée.
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
(SÉANCE DU 6 DÉCEMBRE 1906)
[Travail de la Clinique des maladies nerveuses, à la Salpêtrière )
OSTÉITE SYPHILITIQUE DÉFORMANTE, TYPE PAGET,
CHEZ UNE TABÉTIQUE
PAR
M. CHARTIER et PAUL DESCOMPS
Internes des hôpitaux.
Depuis plusieurs années et en particulier depuis les communications
faites en 1903 par M. le professeur Fournier et M. le professeur Lanne-
longue à l'Académie de médecine, la question de l'origine syphilitique de
la maladie de Paget est à l'ordre du jour. Des travaux récents ont à la fois
confirmé et élargi cette pathogénie, et à côté de l'influence indiscutable
de l'hérédo-syphilis est née la notion du rôle de la syphilis acquise, dans
la production de l'ostéite déformante.
Le cas que nous rapportons contribue à mettre en évidence les rapports
qui unissent le processus déformant de la maladie de Paget à la sy-
philis acquise.
Observation (PI. X).
Mme Vve V...., âgée de 55 ans, brodeuse, entre à la Salpêtrière, salle
Charcot (service de M. le professeur Raymond) pour des [phénomènes ostéo-
articulaires multiples ayant débuté il y a 4 mois par le tibia droit. Disons de
suite qu'elle présente des symptômes avérés de tabes.
Antécédents héréditaires. Mère morte à 35 ans d'une phtisie aiguë. Père
mort à 34 ans, à la suite d'une carie des os de la tête. Nous notons tout spé-
cialement ce point. Elle a eu deux soeurs mortes étant jeunes d'affections
banales. '
Antécédents personnels. - Née à terme. Réglée à 11 ans. Ménopause
à 50 ans. On a peu de renseignements sur son enfance et l'on sait seulement
qu'elle eut une scarlatine à l'âge de 8 ans ; la rougeole à 23 ans.
A 16 ans elle se marie. Elle n'eut ni enfants ni fausses couches.
Son mari eut trois ictus apoplectiques en l'espace de quelques années.
Le premier ictus fut suivi d'une hémiplégie gauche. Il mourut à 44 ans, peu
de jours après son troisième ictus.
Histoire de la maladie. - Il y a 16 ans, à la suite de revers de fortune les
Nouvelle Iconographie de la SALPÉrRIÈnE.
T. XX. Pl. X
OSTÉITE SYPHILITIQUE DEFORMANTE, TYPE PAGET, CHEZ UNE TABÉTIQUE
(Charlier et Dcscoms.) -
Masson et Ce, Editeurs
'}\ ? ¡ 'Q ? f. ? IIIiI
Pliotolypie Berthaud
CHARTIER ET DESCOMPS. - OSTÉITE syphilitique déformante type PAGET 85
premiers symptômes de sa maladie sont apparus. Ce furent d'abord des étour-
dissements avec vertiges survenant plusieurs fois par jour n'entraînant ni
chute, ni perte de connaissance. En outre survinrent quelques céphalées fron-
tales et des douleurs lombaires. Elle fut soignée par l'hydrothérapie et par l'ap-
plication de pointes de feu sur la région vertébrale. Au bout d'un mois les
phénomènes céphaliques disparurent. Un an plus tard, soit il y a 15 ans, un
matin au réveil elle constate l'impossibilité de relever la paupière gauche et
de plus l'amaurose complète de l'oeil droit et un affaiblissement considérable
de l'acuité visuelle de l'oeil gauche. Elle consulte Panas et Galezowski qui
diagnostiquent en outre une paralysie du moteur oculaire externe droitet con-
cluent au tabes.
Elle ne subit pas le traitement mercuriel. Un mois plus tard la vision réap-
paraît progressivement dans les deux yeux; dès lors la malade voit double.
Dans la suite la vision redevint normale à gauche, mais l'oeil droit après cette
amélioration transitoire devient aveugle au bout de 7 ans. -
Deux mois après le début des troubles oculaires, elle éprouva dans tous les
membres des douleurs nettement fulgurantes, tout à fait caractéristiques. Elles
furent à leur maximum pendant quatre mois, mais persistèrent moins violentes
et plus espacées pendant cinq ans.
Depuis dix ans aucun autre phénomène n'est apparu.
Mais au début de l'année 1906, la malade éprouve de nouveau des douleurs
fulgurantes, non plus profondes mais superficielles, dans le membre inférieur
droit et la cuisse gauche.
L'attention de la malade étant attirée dès lors de ce côté, elle remarque que
la jambe droite commence à se déformer.
Au mois de mai 1906 la douleur se localise plus spécialement au niveau du
genou droit : violente, comparable à la constriction dans un étau ; réveillée
par la palpation. Bientôt le genou augmente de volume, la marche devient de
plus en plus difficile, presque impossible surtout du fait des douleurs, qui sont
à leur maximum lorsqu'elle pose le pied sur le sol ou qu'elle fléchit les articu-
lations, en particulier en montant les escaliers.
Au mois de juillet les articulations des poignets sont à leur tour doulou-
reuses et tuméfiées ; les mouvements de l'épaule, à droite principalement,
deviennent difficiles et la malade vient consulter à la Salpêtrière dans le
service du professeur Raymond, le 21 juillet 1906.
Etat actuel. C'est une femme chétive et maigre ; cependant son état
général est bon et l'examen de ses divers appareils n'offre rien de spécial à
signaler. Elle est intelligente et raconte bien les diverses phases de sa maladie.
La marche est difficile et hésitante, en raison des douleurs. Mais la démar-
che ne paraît pas ataxique. Elle se conduit bien dans l'obscurité ; elle descend
les escaliers mieux qu'elle ne les monte.
Dans la station debout les yeux fermés, le signe de Romberg est ébauché.
La force musculaire est difficile à apprécier, car tous les membres sont dou-
loureux à des degrés divers ; d'une façon générale elle ne paraît pas sensible
86 CHARTIER ET DESCOMPS
ment diminuée ; si l'on tient compte en outre de l'amaigrissement général très
accusé.
Il n'existe pas d'atrophie musculaire localisée et l'examen électrique ne mon-
tre aucune modification des réactions normales.
Dans les divers mouvements commandés des membres supérieurs et infé-
rieurs, il existe des phénomènes marqués d'incoordination.
Les réflexes tendineux rotuliens, achilléens, radiaux, sont abolis des deux
côtés ; les réflexes olécraniens persistent.
Les réflexes abdominaux sont conservés à droite et affaiblis à gauche.
La sensibilité superficielle est normale à tous les modes. Le sens articulaire,
le sens des attitudes, le sens stéréognostique ne sont pas modifiés ; mais il
existe des troubles notables de la sensibilité osseuse, le temps de perception
des vibrations du diapason est égal an tiers du temps normal.
De tous les organes des sens l'oeil seul est touché. Cet examen a été prati-
qué par M. Dupuy-Dutemps qui a constaté : ptosis léger de la paupière gau-
che ; paralysie des deux droits- externes et des deux droits supérieurs ! signe
d'Argyll-Robertson bilatéral, et enfin une atrophie papillaire double très
accusée à droite.
De tous ces faits nous croyons pouvoir conclure à l'existence certaine
d'un tabes.
Examinons maintenant les phénomènes ostéo--arliculaires que présente
la malade.
Ce qui frappe an premier abord, c'est une déformation très accentuée de la
jambe droite.
Côté droit. - 1° Le tibia présente le maximum de déformations. C'est en
premier lieu une double courbure, l'une fortement convexe en avant, l'autre
concave en dedans L'os est dur, et la main qui le palpe perçoit de petites nodo-
sités rugueuses. Notons tout spécialement, un peu en dedans du bord anté-
rieur, à 2 centimètres au-dessous du tubercule antérieur, une petite hyperos-
tose, de la grosseur d'un pois,, à base élargie. Le bord antérieur de l'os a com-
plètement disparu ; il est remplacé par une surface mousse qui se prolonge
sur la face externe de l'os,si bien que celle-ci en avant des muscles de la région
antéro-externe de la jambe est anormalement accessible sur une étendue de 2 à
3 centimètres environ.
La région de l'épiphyse tibiale inférieure ne participe pas à cette déformation.
Ajoutons que l'os n'est pas sensible à la palpation ; la percussion seule pro-
voque quelques douleurs vers l'extrémité supérieure.
2° Le'genou droit est un'peu en valgus et cela par suite de l'hypertrophie
du plateau interne du tibia et du condyle interne du fémur.
L'articulation est gonflée, globuleuse, les méplats sont effacés.
Les tissus péri-articulaires sont épaissis, la palpation est douloureuse mais
ne révèle pas d'hydarthrose.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. XI
Radiographies Infroit.
OSTÉITE SYPHILITIQUE DEFORMANTE, TYPE PAGET, CHEZ UNE TABETIQUE
(Cbarlier et Descomps.) 1
OSTÉITE SYPHILITIQUE DÉFORMANTE, TYPE PAGET, CHEZ UNE TABÉTIQUE 87
Les mouvements de flexion sont presque impossibles ; ils déterminent des
craquements, des douleurs.
3° Le fémur droit présente une exagération anormale de sa courbure à con-
cavité postéro-interne. Il est douloureux à la pression sur toute sa longueur.
4° L'articulation tibio-tarsienne droite était il y a deux mois gonflée et dou-
loureuse. Actuellement son aspect est normal ; elle est parfaitement, mobile et
on n'y ressent pas de craquements.
5° Depuis quelques mois les deux premiers orteils sont immobiles et présen-
tent une déformation permanente qui a pour conséquence de les écarter l'un
de l'autre.
Côté gauche. - 1° Le tibia depuis deux mois tend à se déformer de la même
façon et nous avons pu constater l'évolution progressive d'une courbure anor-
male encore peu accentuée.
2° Le genou présente, comme à droite, une hypertrophie du plateau tibial
interne et du condyle fémoral interne. Il est en outre douloureux et augmenté
de volume. Les mouvements de flexion très limités s'accompagnent de craque-
ments.
3° Le fémur semble normal.
"4° L'articulation tibio-tarsienne est augmentée de volume, mobile encore,
mais sensible à la pression.
Les membres supérieurs ne présentent aucune déformation appréciable. Les
os sont parfaitement normaux, mais nous devons signaler des manifestations
articulaires les unes passagères, les autres permanentes. En effet, il y a trois
mois les deux articulations radio-carpienues étaient augmentées de volume,
douloureuses à la pression et dans des mouvements provoqués ; aujourd'hui
tout gonflement a disparu, notons seulement la saillie exagérée de l'extrémité
inférieure du cubitus. Les articulations des doigts sont sujettes à des raideurs
passagères et variables.
Au coude, des deux côtés, l'extension est un peu limitée.
Les articulations des épaules présentent encore les mêmes douleurs et les
mêmes craquements.
Il nous faut signaler ici un symptôme particulier bien évident, consistant en
une élévation de température locale occupant les membres supérieurs et inlé-
rieurs du côté droit, et qui nous semble l'indice d'un travail inflammatoire.
Le thorax est le siège de la déformation dite en carène, qui semble d'ailleurs
devoir être imputée à un certain degré de rachitisme infantile, s'exagérant en
apparence du fait de l'amaigrissement.
Les clavicules, le bassin, les os du crâne et de la face ont un aspect normal.
La colonne vertébrale ne présente qu'un peu de raideur dans sa portion cer-
vicale, imputable à un léger degré d'arthrite.
Les radiographies faites par M. Infroit confirment surtout au niveau du tibia
droit les constatations de l'examen clinique (Pl. XI). )1
On voit en effet très nettement la double courbure que nous avons signa-
lée, l'épaississement dans le sens transversal et dans le sens antéro-postérieur
88 CHARTIER ET DESCOMPS
que traduit l'opacité générale de l'os avec çà et là des points plus opaques
répondant aux nodosités perçues à la palpation.
Pour résumer cette observation, nous nous trouvons en présence d'une
malade offrant à considérer des manifestations de deux ordres.
Les unes semblent relever nettement du tabès, ce sont : les signes d'in-
coordination, l'abolition des réflexes, les troubles de la sensibilité osseuse,
les phénomènes oculaires : signe d'Argyll, paralysies diverses de la mus-
culature externe, atrophie optique.
Les autres consistent en un processus ostéo-articulaire complexe se
traduisant :
1° par des déformations osseuses prédominant au niveau du tibia droit
et caractérisées par une courbure des os longs ; ,
2° Par un processus d'hypertrophie en masse des os avec nodosités
que confirment d'ailleurs les épreuvres radiographiques (V. les planches) ;
3° Par des modifications articulaires, qui tiennent d'une part à l'aug-
mentation de volume des épiphyses, et d'autre part à l'épaississement des
tissus mous articulaires et périarticulaires, et qui présentent les caractères
cliniques de tuméfaction globuleuse et d'ankylose. Comme le montrent
les photographies, ces modifications frappent surtout les deux articula-
tions du genou ;
4° Par de la douleur et par une élévation de la température locale.
Dans quel cadre clinique devons-nous ranger ces déformations squelet-
tiques ? ' ?
S'agit-il, en premier lieu, d'ostéo-arthropathies tabétiques ? Nous ne le
pensons pas.
Les os des tabétiques en effet ne présentent jamais d'augmentation de
volume de la diaphyse ; on n'y constate jamais de courbures accusées ; le
processus est avant tout raréfiant, et n'offre jamais les caractères d'hyper-
trophie en masse et nodulaire que nous observons chez cette malade.
\ Les arthropathies ont des signes bien connus : début rapide, indolence,
gonflement considérable, sans caractères inflammatoires, déplacements ar-
(fl ticulaires et mobilité anormale. Il est vrai qu'on voit quelquefois se
produire des lésions d'arthropathie hypertrophique ; mais ces modifications
sont différentes de ce que nous observons : elles relèvent bien plus de
l'épaississement des tissus articulaires et péri-articulairesque de l'hyper-
trophie vraie des extrémités. ?
Si le tableau clinique des malformations squelettiques de cette malade
ne relève pas de son tabes, l'hypothèse qui se présente alors à notre esprit
est la syphilis. Le tabes à lui seul nous permettrait d'envisager comme
infinimentprobable, la présence de cette infection.
OSTÉITE SYPHILITIQUE DÉFORMANTE, TYPE PAGET. CHEZ UNE TABÉTIQUE 89
De plus, si nous ne trouvons pas dans les antécédents les manifesta-
tions avérées de la syphilis, les ictus multiples et la mort subite et préma-
turée du mari viennent en fortifier la probabilité.
Nous sommes donc amenés maintenant à rechercher par l'examen cli-
nique de cette malade les caractères de la syphilis osseuse.
Il est certain que nous nous trouvons ici en présence d'un processus
nettement inflammatoire. La preuve en est dans l'augmentation de volume
des os du tibia droit surtout, dans la condensation osseuse que traduit
l'opacité radiographique, dans l'hyperostose récemment survenue sur le
bord antérieur de cet os, dans les douleurs aiguës et profondes qu'elle a
présentées, enfin dans l'altération très accusée de la température locale au
niveau du tibia déformé.
Toutefois, nous ne pouvons rattacher le processus inflammatoire à
l'existence d'une ostéomyélite gommeuse, ou d'un syphilome diffus. Il ne
s'agit point en effet d'un os doublé ou triplé de volume, présentant sur son
bord antérieur, saillant de ce fait en avant,des productions périostiques dis-
posées en couches successives, os parsemé d'orifices ou de points ramollis.
Ici, au contraire, l'os, bien qu'hypertrophié dans sa totalité a conservé une
surface lisse ; et ce qui frappe surtout, c'est la double courbure qu'il pré-
sente, convexe en avant et en dehors.
Cette déformation doit-elle rentrer dans le cadre de la syphilis osseuse ?
Au point de vue clinique, ces déformations ostéo-articulaires, font
penser au premier abord (il suffit d'examiner les photographies ci-jointes)
à ce que l'on est convenu d'appeler la maladie de Paget, et plus spéciale-
ment à cette forme décrite par Paget et les auteurs anglais,et sur laquelle
M. Lannelongue a tout spécialement attiré l'attention, forme limitée à un
très petit nombre d'os et même à un seul.
Mais au point de vue pathogénique,qu'est-ce que cette maladie de Paget ?
Bien des hypothèses ont été émises, et aucune ne parait unanimement
acceptée. Toutefois dans ces dernières années bien des auteurs, à la suite
de Lannelongue et de Fournier, se sont rattachés à l'origine syphilitique
de cette affection.
Il faut dire que c'est surtout l'hérédo-syphilis qu'ils ont incriminée !
Les cas de déformations type Paget, considérées comme manifestations
d'une syphilis acquise, sont beaucoup plus rares. La littérature nous,en
fournit cependant 4 observations.
La première est citée dans le mémoire même de Paget, où des ulcéra-
tions tertiaires des jambes coïncidaient avec les déformations osseuses.
En 1903, Ménétrier et Gauckler ont publié deux nouveaux cas dans
lesquels « l'existence contemporaine même des manifestations cutanées ou
« viscérales manifestement syphilitiques, servaient à justifier l'hypothèse
90 - CHARTIER ET DESC0111t'S
« de l'influence syphilitique dans le développement de l'affection osseuse ».
Le dernier cas nous est fourni par Ménétrier et Rubens Duval en 1905 ;
tout particulièrement intéressant, puisque pour la première fois, le trai-
tement mercuriel a donné des résultats positifs.
Nous pensons que le cas de notre malade peut venir s'ajouter à ces
4 observations : il s'agit donc chez elle d'un processus ostéo- articulaire
syphilitique, se rattachant par son aspect clinique au syndrome défor-
mant que l'on désigne sous-le nom de maladie de Paget. -
- Mais il faut remarquer en outre que le syndrome déformant coexiste
avec un tabes indéniable,et nous devons nous demander si les lésions mé-
dullaires habituelles du tabes n'ont pas contribué pour cette certaine part
à la genèse de ces malformations osseuses ?
Mentionnons à ce sujet que Gilles de la Tourette et Magdelaine, Gilles
de la Tourette et Marinesco étaient allés plus loin, et avaient émis l'hypo-
thèse que l'ostéite déformante de Paget n'était autre qu'un trouble trophi-
que placé sous la dépendance de lésions médullaires des cordons posté-
rieurs.
Les conclusions précédentes nous ont amenés à instituer le traitement
mixte, mercuriel et ioduré (Iodure à l'intérieur, piqûres de biiodure,
application d'onguent napolitain sur la face antérieure de la jambe).
Il en esl résulté une disparition rapide et manifeste des douleurs spon-
tanées. Quant aux malformations osseuses, nous ne pouvons pas encore
affirmer qu'elles soient arrêtées dans leur évolution ; mais il est certain
que l'intensité du processus d'ostéite inflammatoire est sensiblement atté-
nuée.
BIBLIOGRAPHIE
LANNELONGUE.- Bulletin médical, 23 février 1903, p. 167. Académie de médecine, 3 mars
1903.
Fournier. Bulletin médicaL,1903,n 26, p. 301; Académie de médecine, 31 mars 1903.
GILLES DE la TOURETTE et MAGDELAIl'OE'. - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière,
1894, no 1.
GILLES de la TOURETTE et liIARINESCO. - Société médicale, 1894, p. 425 ; Nouvelle Ico-
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FouQUET. - Thèse Paris, 1905.
SABRAZËS. - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1905.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. Tu1. PI. XII
UN CAS DE GIGANTISME PRECOCE
avcc
POLYSARCIE EXCESSIVE.
(farhon et Znlplacta.)
Masson et Cive Editeurs
SUR UN CAS DE GIGANTISME PRÉCOCE AVEC
POLYSARCIE EXCESSIVE
PAR
C. PARHON et J. ZALPLACTA
(de Bucarest)
Nous relaterons dans ce travail l'histoire d'un malade qui nous a semblé
digne de la plus grande attention, non seulement par la rareté des troubles
qu'il présente, mais aussi et surtout par l'importance des.problèmes de phy-
siologie et de pathologie que ces troubles soulèvent.
Nous avons trouvé ce malade exposé dans une foire, aussi son observa-
tion sera forcément incomplète. Pourtant nous avons pu recueillir quelques
données assez importantes.
Il s'agit d'un jeune homme de 15 ans dans les antécédents duquel nous
trouvons l'obésité de la mère. Mais cette obésité ne dépasse pas les limites
de celle qu'on observe assez couramment. Son père ne présente rien
d'important. Mais l'oncle maternel du malade présentait un type accompli
d'acromégalo-gigantisme. Nous avons vu, il y a quelques années, ce ma-
lade exposé dans la même foire que son neveu. Sa taille était à peu près
de deux mètres (nous ne possédons pas le chiffre exact). Il présentait la
figure glabre, un prognathisme manifeste du maxillaire inférieur. Les
mains en battoir.
Notre malade actuel possède encore deux frères qui ont respectivement
7 et 10 ans et ne présentent rien d'anormal.
La mère nous dit que la maladie a débuté vers la quatrième année, mais
notre malade n'a commencé à marcher qu'à cette même année. Aussi faut-
il penser qu'il n'était pas normal probablement dès sa naissance.
Le malade, âgé de 15 ans, présente une taille de 1 m. 725 tandis qu'un
enfant normal du même âge a seulement une taille de 1 m. 513. Notre
malade dépasse donc la hauteur des enfants de son âge de 212 millimètres.
Ce qui nous semble un chiffre assez important. Il dépasse même à peu
près de 4 centimètres la taille moyenne d'un adulte normal, taille qui
d'après Quetelet est de 1 m. 686. Nous pouvons dire par conséquent que ce
malade est un géant pour son âge. Il se nomme d'ailleurs lui-même « le
géant de la nation roumaine » (Pl. XII). ;
92 PARHON ET ZALPLACTA
Son facies ne présente rien d'anormal. Sa lèvre supérieure commence
à se couvrir de poils, ce qui est le meilleur signe d'une puberté qui com-
mence. Le teint du visage est rose et frais. Les différentes régions de la
face sont proportionnées. On n'observe pas de prognathisme ni aucune
déformation rappelant l'acromégalie. A cause de son adipose excessive on
observe un double menton. Le tronc est très riche en tissu adipeux et
dans la région mammaire les téguments font un pli extrêmement marqué.
Les mamelons sont enfoncés et par la palpation dela région mammaire on
ne parvient pas à découvrir des nodules glandulaires. L'abdomen, rond
et saillant à cause de l'obésité, présente dans la région de la ligne blanche
un développement modéré « du système pileux ».
Le malade ne nous a pas permis d'examiner ses organes génitaux. Il est
très pudique et rougit quand on lui fait cette demande. Mais d'après
le développement de son système pileux on peut affirmer qu'ils fonction-
nent assez bien, au moins en ce qui concerne leur sécrétion interne.
Les membres sont arrondis et très gros. Par contre, on n'observe ni une
hypertrophie des extrémités ni un allongement excessif des membres infé-
rieurs par rapport au tronc comme chez la plupart des géants.
Voici maintenant, quelques mesures de la circonférence des membres
comparées à celles prises chez un adulte normal :
Circonférence du bras droit : 50 centimètres. Chez un adulte normal :
30 centimètres. Donc une différence de -1- 20 centimètres.
Circonférence de l'avant-bras : 38 cent. 5. Chez l'adulte normal :
27 centimètres. Différence : -f- 11 cent. 5.
Circonférence de la cuisse droite : 75 cent. 5. Chez l'adulte normal :
48 centimètres. Différence : + 27 cent. 5.
Circonférence de la jambe droite : 58 cent. 5. Chez l'adulte normal :
36 centimètres. Différence : + 22 cent. 5.
D'après les renseignements que nous avons pris il pèse 246 kilos,
tandis qu'un adulte de taille moyenne pèse seulement 65 kilos et un enfant
de 15 ans 41 kil. 2. Son poids serait donc supérieur par rapport à celui de
l'adulte normal de 181 kilos et à celui de l'enfant de 15 ans, de 204 kil. 8.
Il faut faire pourtant certaines réserves sur l'exactitude de cette donnée
n'ayant pas eu la possibilité de peser nous-même le malade. Quoi qu'il en
soit, il suffit de regarder la photographie pour se convaincre que ce malade
doit dépasser de beaucoup par son poids celle de l'adulte normal et d'au-
tant plus celle d'un enfant de son âge.
Le malade ne nous a pas semblé présenter des troubles psychiques. Il
comprend facilement ce qu'on lui dit et répond d'une façon correcte aux
questions qu'on lui pose. Mais il ne nous a pas été possible de faire un
examen psychique plus approfondi.
SUR UN CAS DE GIGANTISME PRÉCOCE AVEC POLYSARCIE EXCESSIVE 93
C'est à ces données que se borne notre observation. Nous retiendrons
les points suivants :
1° La mère du malade est obèse, mais non d'une façon excessive ;
2° Le père de cette dernière présentait un type accompli d'acromégalo-
gigantisme ;
3° Notre malade est assurément un géant pour son dge.
4° Il présente en même temps une adiposité excessive.
Tels sont les points importants qui se dégagent de cette observation.
Discutons maintenant un peu la pathogénie des troubles présentés par ce
malade. Il est d'abord un géant précoce. Mais quelle est la pathogénie du
gigantisme ? Brissaud et Meige admettent, et il en est ainsi assurément
du moins pour la majorité des cas, que le gigantisme et l'acromégalie
ne sont que l'expression d'un seul et même trouble qui commence dans le
premier cas avant la cessation de la croissance en longueur, dans le second
après la cessation de cette dernière. Cette opinion est partagée également
par Launois et Roy.
Nous connaissons aujourd'hui les relations pathogénétiques qui unissent
l'acromégalie et les altérations de l'hypophyse, bien qu'on puisse encore
discuter sur leur mécanisme intime. Or, nous croyons qu'on peut dire
que le gigantisme est un syndrome pituitaire. A sa production peuvent
s'ajouter dans certains cas une hyperfonction au moins partielle de la
glande thyroïde, la conservation prolongée de la fonction du thymus et
l'insuffisance fonctionnelle des glandes génitales. Nous avons en vue ici
leur sécrétion interne.
Chez notre malade, la sécrétion interne des testicules, au moins à cer-
tains points de vue, se fait normalement. Il ne présente pas de signes
d'hyperthyroïdisme, bien qu'on ne puisse pas exclure une intervention de
cette glande dans la croissance exagérée de ce jeune homme.
Il n'est pas probable que son thymus soit intact, car c'est surtout chez
les géants et acromégales infantiles, autrement dit chez lesquels la puberté
n'apparaît point, que le thymus conserve son activité d'une façon prolon-
gée ; et on peut penser avec Andershon, Noël Paton que l'entrée en fonc-
tion des glandes génitales amène l'involution de cet organe qui appartient
à l'enfance.
Mais que faut-il penser dans notre cas de l'état de la glande pituitaire ?
Une expérience récente que l'un de nous a faite avec Golstein, tend à
montrer que les injections de suc testiculaire à des animaux jeunes déter-
minent également l'involution précoce du thymus. Nous sommes disposés
à admettre que c'est surtout du côté de cette dernière qu'il faut chercher
94 PARIlON ET ZALPLACTA
la raison principale du gigantisme précoce de notre malade. D'abord
malgré la rareté des cas de gigantisme précoce il semble ressortir que l'hy-
pophyse est altérée dans ces cas.Ce fait semble ressortir de l'examen radio-
graphique du crâne que Hudovernig a pratiqué dans son intéressant cas de
gigantisme précoce, publié dans la Nouvelle Iconographie de la Salpê-
trière (1903 et 1906). Dans le même sens plaident les cas de puberté,
précoce coexistant avec des troubles cérébraux et survenus précisément à
la suite d'une affection ayant intéressé le contenu de la cavité crânienne.
Ces cas s'accompagnent d'habitude d'une croissance exagérée. Or, dans
l'état actuel de nos connaissances, nous devons admettre que la croissance
comme la puberté sont surtout l'oeuvre des sécrétions internes.
Dans les cas où une affection aiguë intéresse le contenu du crâne, déter-
minant à la suite une croissance exagérée et la puberté précoce (il en
était ainsi dans le cas de Hudovernig), nous croyons qu'on est en droit de
penser que la pituitaire a été, elle aussi, intéressée. On sait d'ailleurs
quelles relations étroites unissent cette glande avec les organes génitaux.
Mais, ce qui dans notre cas nous a fait surtout penser à un trouble de
la fonction hypophysaire, c'est surtout l'acromégalo-gigantisme observé
chez l'oncle de ce géant.
Ce fait nous porte à penser qu'il y a dans la famille de ce malade une
véritable tare hypophysaire.
Cela n'a rien d'invraisemblable. Les tares glandulaires sont assez fré-
quentes, et, pour ne parler que de la glande pituitaire, nous rappellerons
que Bonardi, Schwoner, Frankel, Schaffer ont publié des cas d'acromé-
galie héréditaire.
Mais comment expliquer dans notre cas cette adipose extraordinaire ?
Nous estimons qu'il faut en chercher la raison toujours dans un trouble
des sécrétions internes.
Au point de vue de ce dernier symptôme, notre malade présente une
ressemblance frappante avec le cas publié récemment par Magalhaes Le-
mos, cas qu'il qualifie d'infantilisme myxoedémateux, bien qu'on ne doive
admettre, sans de sérieuses réserves selon nous, un pareil diagnostic
dans un cas où la croissance s'est effectuée normalement ou même un peu
au-dessus de la normale.
Nous n'ignorons pas certainement que l'infantilisme n'est pas incompa-
tible avec une croissance normale, voire même gigantesque ; mais ce n'est
pas dans l'infantilisme myxoedémateux qu'on observe ces faits, mais bien
dans l'infantilisme testiculaire et surtout hypophysaire.
D'ailleurs cet auteur a observé lui-même que si dans son cas le traite-
ment thyroïdien a été suivi d'une diminution très accentuée du poids
SUR UN CAS DE- GIGANTISME PRÉCOCE AVEC POLYSARCIE EXCESSIVE 95
(32 kil. 250 en deux mois) il a été impuissant à combattre précisément
certains symptômes qu'il mettait sur le compte du myxoedème.
A dire vrai, la démyxoedématisation proprement dite est en définitive très
faible, presque nulle. Et il en conclut que « ce bienfait partiel et léger
paraît indiquer que le corps thyroïde n'est pas seul responsable de cet en-
semble morbide; c'est-à-dire que quelques phénomènes. présentés par le
malade ont peut-être leur cause ailleurs. Il serait étrange que ce soit
précisément les phénomènes myxoedémateux.
Dans ce cas l'hérédité du malade était très chargée et en outre la mère
a eu une forte émotion pendant la grossesse (Elle faillit se noyer dans
un naufrage). Basé sur ces faits, l'auteur pense que c'est surtout l'hérédité
qu'il faut incriminer dans la production de l'état somatique et psychique
de son malade (au point de vue psychique, il était un infantile dégénéré).
L'hérédité pourrait produire l'infantilisme de deux façons :
10 Directement, en troublant, par elle-même et sans intermédiaire, l'é-
volution ontogénique. et en déterminant par ce fait, des retards ou des
arrêts de développement de l'ensemble de l'individu tout entier ou d'un
appareil spécial ;
2° Indirectement, par l'intermédiaire du corps thyroïde et peut-être des
autres glandes à sécrétion interne.
Nous ne savons pas ce qu'il faut penser au juste de cette action directe
de l'hérédité, mais nous remarquerons que l'obésité considérable du ma-
lade étudié par Magalhaes Lemos n'a débuté que vers l'époque de la pu-
berté, qui d'ailleurs ne s'accomplit pas chez lui.
Ce malade pesait 35 kilogrammes à 13 ans (le chiffre moyen à cet âge
est de 33 kil. 100), donc il avait à cet âge un poids sensiblement normal.
Puis, progressivement, l'obésité s'établit de sorte qu'il pesait 82 kilogram-
mes à 18 ans (au lieu de 53 kil. 900, chiffre moyen à l'état normal) et
160 kilogrammes à 37 ans (au lieu de 64 kil. 650).
Ce début de l'obésité vers l'époque de la puberté plaide, pour nous,
mieux en faveur d'un trouble dans les glandes à sécrétion interne, et nous
avons vu les raisons pour lesquelles nous estimons que le point de départ
dans ce cas n'est pas la glande thyroïde. Il faut penser dans ce cas comme
dans le nôtre à une autre glande.
. Nous avons en vue la pituitaire. Dans notre cas nous avons vu la crois-
sance exagérée plaider dans ce sens.
Mais une lésion de l'hypophyse est-elle capable de produire l'obésité ?
On peut aujourd'hui, sans hésiter, répondre par l'affirmative, et c'est
avec raison que Paul Carnot, dans son excellent travail sur « Les diffé-
rents types pathogéniques de l'obésité », a consacré un paragraphe à l'obé-
sité hypophysaire.
96 PARHON ET ZALPLACTA
Les cas de Froelich, Mohr, Classer, Wandsworth, Boyce et Beadies,
Stewarts, Berger, Fuchs, Zak, Stalper, Pechkranz, Bew, Dercum, dans
lesquels des lésions de l'hypophyse, surtout des tumeurs, coexistaient
avec un degré plus ou moins marqué d'obésité prouvent d'une façon suf-
fisante la réalité d'une obésité hypophysaire.
Il est vrai que dans notre cas, comme dans celui de Magalhaes Lemos,
il ne s'agit pas d'une obésité banale, mais d'une polysarcie excessive.
Une pareille polysarcie peut-elle reconnaître pour cause un trouble
hypophysaire ? -
Nous sommes disposé l'admettre. Car il nous semble peu probable que
dans notre cas le trouble général du développement reconnaisse deux
causes différentes.
Or la tare hypophysaire dont nous avons parlé (et de laquelle dépen-
dait peut-être aussi l'obésité de la mère) et le fait de la croissance gigan-
tesque de notre malade sont des indices chez lui d'une lésion de la glande
pituitaire. Il paraît rationnel d'admettre dès lors que la polysarcie soit
sous la dépendance de cette même lésion.
D'autre part, Cyon a publié l'observation d'un enfant de 12 ans, atteint
d'un développement considérable du squelette qu'il diagnostique acro-
mégalie (bien qu'ici encore il faille faire de sérieuses réserves), et qui
pesait 54 kilogrammes (au lieu de 29). Dans ce cas l'opothérapie pituitaire
a amené, outre la disparition ou la diminution des autres troubles tels
que l'arythmie cardiaque, les maux de tête, l'apathie intellectuelle, une
diminution marquée du poids qui atteint le chiffre de 45 kilogrammes en
six semaines.
Dans ce cas le diagnostic de trouble pituitaire est donc corroboré aussi
par l'opothérapie.
Dans notre cas et dans celui de Magalhaes Lemos l'obésité est plus
marquée, mais les malades sont, eux aussi, plus âgés, et on peut supposer
que dans le cas de Cyon elle aurait pu progresser si on n'était pas inter-
venu.
Il est probable qu'il s'agit des variations en rapport avec l'ancienneté
de la lésion, sa nature, etc.
Quoi qu'il en soit, l'hypothèse que dans les cas pareils aux nôtres et à
celui de Lemos il s'agit de troubles hypophysaires nous semble digne
d'être prise en considération.
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE
PAR
HENRY MEIGE
1
L'ANATOMIE DU CADAVRE ET L'ANATOMIE DU VIVANT
Une révolution révolution pacifique, mais révolution tout de même
- est en train de s'opérer dans les études anatomiques. La tyrannie du
cadavre est fortement ébranlée. L'anatomie du vivant défend ses droits
légitimes. Elle vient de remporter des victoires, dont la Science, l'Art,
l'Humanité tout entière, ne peuvent que bénéficier. 1
Or, toute révolution a des germes latents, qui finissent par éclore tôt
ou tard ; un jour vient où ils acquièrent un tel épanouissement qu'on se
demande 'avec surprise comment ils ont pu rester si longtemps dissimulés.
Les germes de la révolution anatomique ont commencé à poindre,il y a
une vingtaine d'années environ. Dans la Nouvelle Iconographie de la Sal-
pêtrière on peut en retrouver les jeunes floraisons. Aujourd'hui, ces
germes ont fructifié. C'est pour nous un devoir et un plaisir que d'en faire
connaître les premiers fruits, déjà bons à cueillir.
Il n'y a pas bien longtemps encore, l'enseignement anatomique avai t
pour base unique la dissection. Le cadavre en faisait tous les frais.
L'aspect extérieur du sujet ? A quoi bon ? Tout pour l'organe : os,
muscle, nerf, articulation.
La peau, le pannicule graisseux ? - Déchets superflus.
C'était le triomphe de l'anatomie du cadavre, mieux encore, de l'anato
mie du contenu du cadavre.
On étudiait l'os en soi, le muscle en soi. Malheur à qui ne savait réci-
ter par coeur car comment les retenir autrement ? - les faces et les
bords d'une tubérosité définie géométriquement. Et quelle géométrie !
« Le grand trochanter présente à considérer deux faces et quatre bords
La face interne se confond dans la plus grande partie avec la base du
col..... Le bord antérieur, très épais, offre la figure d'un petit rectan-
xx 7
98 HENRY MEIGE
gle..... etc. etc. » - ou ceci encore : « Dans les os larges, on considère
deux faces et une circonférence ; celle-ci est elle-même subdivisée en bords
et en angles. »
Pour beaucoup ce langage est encore classique.
Sappey, le consciencieux Sappey, dont on ne peut s'empêcher d'admi-
rer en tant d'occasions le talent descriptif, n'avait pas osé se débarrasser
de ces formules traditionnelles. « Les termes de comparaison, écrivait-il,
ont été empruntés à la géométrie. Les os se prêtent assez mal et ce langage
sévère. » - Alors, pourquoi l'employer ? Parce que, répond Sappey,
« l'anatomie est aussi une science de précision, et comme, d'une autre
part, il y a en réalité un grand avantage à n'employer que des termes bien
définis et connus de tous, cet usage a fini par prévaloir ».
Mais qui reconnaîtra une face, si elle n'existe pas, puisqu'elle se confond
avec le reste de l'os ? Qu'est-ce qu'un bord, ayant la « surface » d'un rec-
tangle ? Et qu'est-ce qu'un solide qui n'a que deux faces et quatre bords ? ..
Qu'est-ce enfin qu'une circonférence, sudiviséeen bords et angles ? ...
Singulière précision, en vérité, que celle qui consiste à appliquer des
« termes bien définis et connus de tous » à des objets auxquels ces termes
sont inapplicables.
Pourtant, c'est en adultérant de la sorte la langue géométrique qu'on
enseignait l'ostéologie. Je ne fais que signaler en passant l'inconvénient
d'une coutume, qui ne pouvait donner que l'illusion de l'exactitude scien-
tifique, et dont, à vrai dire, les modernes anatomistes tentent de se détacher.
J'arrive à un errement bien plus grave.
Nous avons tous appris le squelette à l'aide d'os soigneusement rugi-
nés, desséchés, passés au talc. Cette étude préliminaire est nécessaire,
inévitable ; à une condition cependant : c'est qu'elle ne soit que le pré-
lude d'une ostéologie moins macabre, l'ostéologie du vivant.
Or, après avoir donné connaissance de l'os en soi, de l'os mort, ensei-
gnait-on l'os en place, l'os vivant ? Apprenait-on à retrouver telle ou telle
apophyse, telle ou telle gouttière sous la peau d'un sujet en vie ? Non,
jamais. L'enseignement de l'ostéologie semblait fait pour des anthropolo-
gistes ; et il s'adresse à de futurs médecins.... Combien, parmi ceux-ci,
une fois devenus praticiens, seront appelés à manier un os tout sec Par
contre, chacun ne devrait-il pas être en mesure d'examiner l'ossature de
tout malade venu pour le consulter ? La plupart s'abstiennenl, et pour
cause : on ne leur a jamais fait reconnaître un os in situ. Ils ont pu demeu-
rer des virtuoses du squelette, aptes à réciter encore leur galimatias géomé-
trico-ostéologique. La bonne aubaine pour le patient, si son docteur n'est
pas capable, à moins de le disséquer, de retrouver sur son corps
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 99
une éminence osseuse ou une crête d'insertion, s'il confond, cela
arrive, - une saillie normale avec une exostose surajoutée
- Et les muscles ? '
A la table de dissection, la meilleure note était pour la préparation où
bouchons et ficelles artistement répartis donnaient l'impression du plus
habile jeu de patience. Surtout, qu'on n'y vit pas un atome de graisse !
Heureux ceux que le sort gratifiait d'un maigre « macchabée » ! ...
A l'examen. la forte cote à qui connaissait ses insertions aussi imper-
turbablement que jadis il fallait savoir le Jardin des racines grecques.
Le seul muscle étudié, exigé, c'était le muscle du mort, et du mort
écorché, cette chose inerte, flasque, qui prend la forme que l'on veut, qui
se place où cela est commode, dont on avait pris soin de limiter les atta-
ches aux points précis qu'indiquaient les traités, le scalpel dût-il pour
cela contrarier quelque peu la nature.
Les rapporls, les fonctions musculaires, on en parlait assurément en
quelques mots ; mais la forme vivante, mais les modifications de cette
forme entrevue sous la peau, suivant les sujets, suivant les attitudes....
Néant. Et c'est avec cette seule anatomie cadavérique qu'on a fabriqué
des générations de médecins, destinés, dans leur pratique, à n'avoir à se
prononcer que sur l'anatomie des vivants.
Entendons-nous bien. Les exercices de dissection sont, non seulement
nécessaires, mais indispensables. Seuls, ils peuvent donner à l'étudiant
cette éducation manuelle toute spéciale sans laquelle il n'est pas de bon
praticien. Mieux qu'aucune leçon, ils fixent dans l'esprit le souvenir des
multiples éléments dont est constitué le corps humain. Enfin, certainement,
il faut enseigner les insertions musculaires, exiger qu'elles soient bien sues.
C'est l'A. B. C du métier. Mais il ne suffit pas de posséder son alphabet
pour savoir lire. Et, reconnaissons-le, l'enseignement de l'anatomie, juste-
ment sévère sur les rudiments et les exercices préparatoires, s'est montré
peu soucieux dés applications à la pratique future.
Objectera-t-on que l'étudiant, pendant les années qui suivent les tra-
vaux de dissection, est en mesure de compléter cet enseignement ?
Où ? Comment ? i'
Par les épreuves de médecine opératoire ? ` ? - Ici, il apprend bien à trou-
ver quelques repères classiques, mais toujours sur le cadavre, et il se pré-
occupe surtout d'obéir aux règles préétablies pour le tracé d'une incision
ou la désarticulation d'un os.
A l'Hôpital ? Au lit du malade, là, sans doute, le futur docteur pour-
rait mettre à profit ses notions anatomiques et essayer de les appliquer à
la connaissance d'un corps vivant. Mais combien, des mieux intentionnés,
100 HENRY ME1GE
manquent de l'initiative ou de la liberté nécessaires, faute d'être conseillés
et encouragés dans, cette étude ? Pour les autres, ils n'y songent guère :
« On ne demande pas ça à l'examen.... »
Dans la salle d'autopsie, c'est encore le cadavre que retrouve l'étudiant.
Et ce qui l'intéresse alors, c'est toujours, uniquement, le contenu du ca-
davre, les viscères, les lésions de ces viscères surtout.
Ceci est encore la vérité d'aujourd'hui : jamais on n'a montré à un
futur docteur en médecine un homme nu, normal, et de bonne santé.
Et l'on voudrait que ce docteur fût en état de diagnostiquer les défec-
tuosités de l'être humain prises sur le vif.... Mais ne lui manque-t-il pas,
pour faire une observation rigoureuse, de savoir discerner l'exception de
la règle, de pouvoir comparer un malade avec un homme bien portant ? ` ?
Celui-ci, il ne l'a jamais vu. Il ne connaît que des cadavres ! 1
Ainsi, le cadavre, toujours le cadavre ! Le dogme du cadavre a pesé
lourdement sur tout l'enseignement médical, comme si ce dernier avait eu
pour objet principal de fabriquer des médecins pour les morts 1
Et telle est la toute-puissance routinière de la tradition que le culte
de ce paradoxe a pu se perpétuer pendant de longues années.
Cependant, les plus illustres protagonistes de l'anatomie descriptive,
avaient laissé entrevoir qu'un complément pratique était indispensable aux
études de dissection. «On peut, ditCruveilhier, dans la préface de son
Traité d'Anatomie, en 1849, rattacher à l'anatomie descriptive l'anatomie
des peintres et des sculpteurs, qu'on peut définir la connaissance de
la surface extérieure du corps, soit dans les diverses attitudes du repos, soit
dans les divers mouvements. Je remarquerai à ce sujet que la détermination
précise des saillies et des creux extérieurs peut fournir des indices extrême-
ment précieux sur la situation et l'état des parties profondément cachées et
qu'à ce titre elle ne doit pas être négligée par le médecin. » .
Remarque judicieuse, qui, malheureusement, demeura longtemps lettre
morte. Cruveilhier, d'ailleurs, ne faisait que rappeler une idée développée
par Gerdy, vingt ans plus tôt.
Ce dernier avait conçu le plan d'un ouvrage d'anatomie des formes ex-
térieures du corps humain appliquée à la peinture, à la sculpture et à la
chirurgie. Son oeuvre inachevée demeura peu connue et incomprise. Les
artistes, faute de connaissances anatomiques suffisantes, ne purent en tirer
partie, et les chirurgiens la dédaignèrent.
Depuis lors les ouvrages d'anatomie descriptive se sont enrichis des acqui-
sitions, assurément fort utiles, de l'histologie, de l'embryologie et de l'ana-
tomie comparée.Mais la description du corps humain à l'état vivant, l'exa-
men morphologique d'un modèle nu,sain,bien proportionné,ne semblèrent
pas dignes de l'enseignement médical.
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 101
L'idée que ces compléments ne seraient pas sans profit apparaît bien un
peu dans les traités classiques d'aujourd'hui. « Le cadavre, toujours plus
ou moins déformé, n'est qu'un moyen, une nécessité, pour s'élever à la
compréhension de l'être vivant ; il faut donc, en écrivant l'anatomie, res-
tituer la forme, animer le cadavre (1). » Et de fait, on entrevoit çà et là
quelques tendances vers une anatomie plus vivante. Mais ce n'est encore
qu'un bien faible souffle de vie. L'étude de l'homme sent toujours le ca-
davre.
Aussi bien, ce n'est pas dans les oeuvres des anatomistes de profession
qu'il faut chercher les premiers germes de l'anatomie appliquée à l'homme
en vie. Sa nécessité est apparue à ceux qui, journellement, sont appelés
à interpréter la forme humaine, et parmi eux, en première ligne, les cli-
niciens, on peut même dire tous les praticiens.
Qu'il s'agisse de chirurgie ou de médecine, tout observateur conscien-
cieux avouera qu'à ses débuts, en présence de telle ou telle anomalie cor-
porelle, il s'est trouvé dans l'embarras, faute de connaître l'homme vivani.
Oui, sans doute, l'anatomie descriptive est « le fondement de la méde-
cine ». Sans elle, pas de chirurgie, pas de diagnostic possible : sans elle,
un médecin n'est qu'un Sganarelle.Mais l'anatomie du cadavre suffit-elle ?
Non. Le clinicien a besoin de savoir autre chose, le praticien réclame
un complément nécessaire. Il leur faut une anatomie du vivant.
Or, à la Salpêtrière, il y a vingt ans à peine, une grande voix s'est
élevée pour raviver l'idée émise par Gerdy, puis par Cruveilhier.
Charcot, qui créait alors la clinique nerveuse, se trouvait chaque jour
aux prises avec les difficultés de la morphologie humaine. On connaît sa
méthode d'enseignement dont les fruits ont permis d'apprécier la valeur.
Nous l'avons exposée autrefois ici-même : .
« Un grand nombre de malades étaient examinés dans le plus simple
appareil. Le regard pénétrant de Charcot s'arrêtait sur les moindres ano--
malies corporelles ; il en prenait note, réfléchissait, faisait venir un autre
sujet, le comparait au précédent, en appelait un troisième, recommençait
le lendemain, au besoin les jours suivants, et, de cette observation minu-
tieuse, visuelle surtout, - résultait souvent une découverte pré-
cieuse, parfois même la révélation 'd'une maladie inconnue jusqu'ici.
L'artiste, qui, chez Charcot, allait de pair avec le médecin, n'était pas
étranger à ces trouvailles heureuses » (2).
(1) POIR1EII, Traité d'anatomie humaine, t. I, « Préface », p. vi.
(2) Charcot artiste, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, décembre 189S.
102 HENRY MEIGE
Et il ne se passait pas de jour que Charcot ne proclamât la nécessité
pour le médecin d'étudier le nu vivant, aussi bien le nu normal que le
nu pathologique.
« En réalité, disait-il, nous autres médecins, nous devrions connaître le
nu, aussi bien et même mieux que les peintres ne le connaissent. Un
défaut de dessin chez le peintre et le sculpteur, c'est grave, sans doute,
au point de vue de l'art, mais en somme cela n'a pas, au point de vue
pratique, des conséquences majeures. Mais que diriez-vous d'un médecin
ou d'un chirurgien qui prendrait, ainsi que cela arrive trop souvent, une
saillie, un relief normal pour une déformation ou inversement ? ? Cette
digression suffira peut-être pour faire ressortir une fois de plus la néces-
sité pour le médecin comme pour le chirurgien d'attacher une grande
importance à l'étude médico-chirurgicale du au. »
« Bientôt, je l'espère, ajoutait Charcot, nous serons en possession d'un
grand ouvrage orné de planches admirables, faites d'après nature, où
vous trouverez cette partie de notre science traitée avec tous les détails
qu'elle comporte... monument où l'on verra pour le plus grand profit de
tous, l'art et la science marcher de concert et se donnant ia main » (1).
En ce temps là, en effet, dans un modeste laboratoire de la Salpêtrière,
un travailleur silencieux, lui aussi médecin doublé d'un artiste, avait en-
trepris, tâche considérable, de créer cette anatomie du vivant, dont tous
les vrais cliniciens, Charcot le premier, reconnaissaient la nécessité. Il faut
avoir eu la bonne fortune d'assister chaque jour au labeur incessant
qu'exigea cette étude entièrement nouvelle pour apprécier la somme
d'efforts, de recherches, d'observations et d'expériences qui y fut dé-
pensée. Bien des confrères sans doute n'entrevoyaient même pas alors
que cette tâche puisse être vraiment utile au progrès de la médecine ; il
leur semblait que les artistes seuls fussent appelés à en bénéficier.
Mais, sous le regard encourageant de Charcot, le novateur poursuivait
méthodiquement son oeuvre.
En 1890, Paul Richer publia sa Description des formes extérieures du
corps humain au repos et dans les principaux mouvements . Il lui donna le
nom d'Anatomie artistique. En réalité, il venait de créer l'Anatomie du
vivant.
Cet ouvrage monumental, illustré de plus de 300 figures, et d'une
centaine de planches dessinées par l'auteur lui-même, ne fut guère connu
au début que d'une élite de médecins et d'artistes. Aussi les précieuses
notions qu'il contient mirent-elles plusieurs années à se diffuser. Au-
jourd'hui, heureusement, elles sont devenues classiques.
(1) CHARCOT, Leçons du mardi, 2° série, 30 octobre 1888, p. 21.
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 103
Pour répondre aux besoins de l'artiste, comme à ceux du médecin,
l'anatomie de Paul Richer établissait des relations « entre les portions
profondes et la forme extérieure, entre les notions anatomiques et le nu ».
Après avoir étudié en détail l'anatomie descriptive, l'auteur inaugurait
la description des formes extérieures du corps humain. Il enseignait le
nu vivant.
Les innovations furent nombreuses. Les os, d'abord étudiés isolément,
étaient considérés ensuite dans leurs rapports réciproques, et enfin, on
apprenait à connaitre l'ossature de l'être vivant, en passant en revue la
morphologie squelettique de chaque grande région.
Dans la myologie, chaque muscle se trouvait décrit avec ses insertions
précises, sa forme, son volume, mais aussitôt après venait l'étude du mus-
cle vivant sous la peau vivante.
Enfin, les planches consacrées à la représentation du nu montraient,
ou bien le corps tout entier, sous ses diverses faces, ou bien les grands
segments du corps dans leurs moindres détails morphologiques, et cela,
tantôt dans l'attitude conventionnelle de l'homme au repos, tantôt dans
l'exécution des principaux mouvements. Assurément, il n'avait pas été
possible de figurer ni de décrire l'infinie variété des attitudes et des gestes
que peut réaliser le corps humain ; mais la connaissance d'une série de
positions et de mouvements élémentaires suffisait amplement pour en-
seigner les variations physiologiques du nu.
Bref, l'oeuvre de Paul Richer mettait désormais le médecin en mesure
d'appliquer au vivant les connaissances qu'il avait puisées dans le cada-
vre. Le souhait oublié de Cruveilhier. le voeu formel de Charcot se trou-
vaient réalisés.
L'idée,à cette époque, pouvait sembler quelque peu audacieuse. Et l'on
comprend que son promoteur ait éprouvé le besoin de l'expliquer, sinon
de la défendre, en des termes dont la vérilé apparaît à tous indéniable au-
jourd'hui.
« Il existe, parmi nous, écrivait-il alors, il faut bien le dire, une sorte
de préjugé qui nous fait considérer l'anatomie des formes comme une
science élémentaire qu'on abandonne volontiers aux artistes et que le
médecin connaît toujours assez. 1
« L'anatomiste, en effet, qui a longtemps fréquenté les amphithéâtres,
dont le scalpel a fouillé le cadavre dans tous les sens, au dehors comme au
dedans, sans négliger le plus mince organe, la plus petite fibre, peut se
figurer, avec une apparence de raison, qu'une telle somme de connaissan-
ces anatomiques renferme implicitement celle des formes extérieures, et
qu'il doit connaître la morphologie humaine sans l'avoir spécialement
apprise, comme par surcroît.
104 HENRY MEIGE
« C'est là cependant une illusion. Nous avons vu des anatomistes très
distingués se trouver très embarrassés en présence du nu vivant et cher-
cher inutilement dans leurs souvenirs la raison anatomique de certaines
formes imprévues, bien que parfaitement normales.
« La chose est en somme facile à comprendre : l'étude du cadavre ne peut
donner ce qu'elle n'a pas. La dissection, qui nous montre tous les ressorts
cachés de la machine humaine, ne le fait qu'à la condition d'en détruire
les formes extérieures. La mort elle-même, dès les premières heures, inau-
gure la dissolution finale, et, par les modifications intimes qui se produi-
sent alors dans tous les tissus, en altère profondément les apparences
extérieures. Enfin, ce n'est pas sur le cadavre inerte qu'on peut saisir les
changements incessants que la vie, dans l'infinie variété des mouvements,
imprime à toutes les parties du corps humain. Il serait donc à souhaiter
que dans nos amphithéâtres d'anatomie l'élude du modèle vivant ait sa
place, à côté de l'étude du cadavre qu'elle compléterait très heureusement.
En effet, l'anatomie des formes ne peut être étudiée que sur le vivant.
Elle a pour fondements, il est vrai, les notions que fournit le cadavre,
mais elle anime, elle vivifie ces premières connaissances à l'aide desquel-
les elle reconstitue l'homme plein de vie. Son procédé est la synthèse ;
son moyen est l'observation du nu ; son but est de découvrir les causes
multiples de la forme vivante et de la fixer dans une description ; elle
demande donc à être étudiée en elle-même et pour elle-même, et elle
fournit des connaissances que l'anatomie pure et simple ne peut don-
ner » (1).
Plus éloquente encore que ce juste plaidoyer, l'oeuvre même de Paul
Richer devait assurer le triomphe de l'anatomie vivante.
A chaque instant d'ailleurs, dans l'enseignement de la Salpêtrière on
recueillait les fruits de cette science du nu. Il serait facile, avons-nous
dit, d'en faire dans ce recueil une moisson instructive.
Le premier fascicule de la première année de la Nouvelle Iconographie
de la Salpêtrière, en janvier 1888, contient déjà une note de Paul Richer
sur L'anatomie morphologique de la région lombaire. Je me souviens
encore de l'épisode qui la suggéra. Il est éminement démonstratif :
Un homme était venu à la Salpêtrière, souffrant depuis longtemps de
douleurs dans la région lombaire. L'examen fit rapidement reconnaitre
qu'il s'agissait tout simplement d'une de ces rachialgies fréquentes chez
les hystériques et les neurasthéniques. Cas banal. Mais voici qu'en
faisant deshabiller le malade on aperçut au bas de son dos les traces
(1) PAUL RiCHER, Anatomie artistique. Description des formes extérieures du corps
humain au repos et dans les principaux mouvements, Paris. Plon-Nourrit, 1890. z
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 105.
de; quatre vigoureux cautères disposés de part et d'autre de la colonne
lombaire. Pourquoi, cette révulsion brutale ? Parce ce qu'un médecin
avait conclu une tumeur de la région : il avait pris les saillies normales
des apophyses épineuses pour des productions pathologiques et n'avait
pas, hésité à prescrire un remède féroce pour un mal... qui n'existait
pas.
Quelques notions morphologiques eussent évité cette bévue.
L'année suivante, parut encore dans cette revue un article de Paul
Bicher sur la Morphologie du cou, à propos du prétendu gonflement de
cette région dans la crise d'hystérie. Puis, une Note sur le pli fessier, rec-
tifiant une erreur classique : le pli fessier n'est pas, comme on l'enseigne
couramment, formé par le bord inférieur du muscle grand fessier ; c'est
un pli permanent maintenu par des adhérences profondes de la peau au
squelette, comme le pli de l'aisselle ; la saillie qui le surmonte est due à
la graisse accumulée dans cette région, et non pas à une masse musculai-
re (1). Ici encore, nous voyons la méthode : d'examen du nu redresser un
el : rement propagé par l'anatomie du cadavre qui, faisant si trop volontiers
de la graisse et de la peau, ne saurait donner une idée exacte de la forme
vivante.
Paul Richer a d'ailleurs heureusement comblé cette lacune en étu-
disant le Rôle de la graisse dans la conformation extérieure du corps
humain. « Pour vêtir un écorché, il ne suffirait pas de le recouvrir du
tégument dont le rôle ne consisterait alors qu'à atténuer les formes trop
heurtées, sans y rien changer d'essentiel. Entre la peau et les muscles in-
tervient le pannicule adipeux, dont la présence, suivant les légions,
modifie'complètement les formes de l'écorché " ('2). Etcela, non seulement
chez les obèses, mais chez tous les sujets bien portants. Eu outre, ce pan-
nicule est d'épaisseur fort inégale suivant les régions. Dans certaines par-
ties du corps il s'accumule sous forme de bourrelets qui métamorphosent
les contours osseux ou musculaires sous-jacents. Témoin la région du
flanc avec les fossettes lombaires qui en dépendent. L'examen du nu per-
met seul d'apprécier ces particularités morphologiques. ' ' .
Plus tard, poursuivant l'étude de l'être humain vivant, Paul Richer
.entreprit de dresser le Canon des proportions dit corps humain. (3). Un
livre et une statue furent les fruits de ses observations et de ses recherches.
L'un et l'autre s'adressent à la fois aux artistes et,aux médecins. Car s'il
importe que les premiers, tout en s'abandonnant librement à l'inspira-
tion de leur art, conservent cependant le respect des lois'dëla nature, il
(1) Nouv. Iconographie de la"Salpêtrière, 1889, no. 1 et 5. y"
(2) Ibid., n 1, 1890.
(3) Paul Riciieh, Canon des proportions du corps humain, Paris, Delagrelve,s1893.
106 HENRY MEIGE
est encore plus nécessaire aux seconds de connaître les rapports normaux
des différentes parties de la figure humaine vivante. Quotidiennement',
le chirurgien ou le médecin est appelé à se prononcer sur les proportions
relatives de deux membres ou de deux segments d'un même membre, ou
de telle ou telle partie du corps par rapport à celui-ci tout entier. Le Ca-
. non de Paul Richer facilite singulièrement cette tâche. Dans l'étude des
dystrophies corporelles qui a pris un si grand développement depuis quel-
ques années, il a été un guide précieux, un repère solide et commode.
Il permet de combler une autre lacune de l'enseignement anatomique des
médecins. ·
Enfin, nouvelle et importante addition à la connaissance de la forme
humaine vivante, la Physiologie de l'homme en mouvement (1) est venue'
compléter l'oeuvre anatomique de Paul Richer.
S'adressant encore aux artistes et aux médecins, il a entrepris de dé-
crire et de figurer les modifications morphologiques qui résultent des
différents états musculaires : contraction, relâchement, distension, au
cours des principaux actes de la vie de relation, la station, la marche, la
course, et les mouvements simples des membres.
A ce propos, Paul Richer a de nouveau insisté, avec plus d'autorité
que précédemment, sur la signification et le but de ses études morpholo-
giques.
« Entre l'anatomie et le nu, dit-il, il y a toute la distance du cadavre
au vivant. Le médecin, l'anatomiste lui-même le plus exercé, a de singu-
lières surprises, si, sans autre préparation que ses connaissances puisées
sur le mort, il est mis en présence de la nature qui vit.
« C'est que l'anatomie, ainsi que son nom même l'indique,n'arrive à ses
fins qu'à la condition de couper, de séparer les organes, d'en détruire les
rapports ; et ce cadavre qui est sa matière, sur lequel elle concentre ses
efforts - avant de devenir ce quelque chose qui n'a plus de nom dans
aucune langue commence; dès les premiers moments, à perdre l'accent
individuel de la forme que seules peuvent donner la souplesse et la fer-
meté des tissus où circule la vie.
« En un mot, l'étude de la forme est la synthèse vivante de l'anatomie
du mort. Elle dépend bien plus de la physiologie que de l'anatomie. Elle
repose, cela va sans dire, sur la science anatomique préalablement puisée
dans l'étude du cadavre, mais elle en est jusqu'à un certain point indé-
pendante. Une simple remarque fera comprendre la distinction que j'es-
saye d'établir ici.
« Nous sommes tous composés des mêmes parties. Nous avons les mêmes
. (1) PAUL RICIIER, Physiologie artistique de l'homme en mouvement, Paris, Doin, 1895,
' UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 107.
organes, les mêmes tissus, les mêmes os, les mêmes muscles, et l'anato-,
mie est la même pour nous tous. Combien, au contraire,, la forme diffère
avec chacun de' nous ! Et je ne parle pas seulement du visage, mais du
corps tout entier. Le corps, lui aussi, a sa forme et son expression ca-,
ractéristiques. Nous reconnaissons facilement une personne vue de dos,,
quels que soient ses vêtements, et je pourrais dire malgré ses vêtements..
L'anatomie est donc une généralisation, elle s'adresse à l'espèce ; la forme
est particulière, elle s'adresse à l'individu. »
Et s'il est évident que le médecin doit connaître à fond l'anatomie de
l'espèce homme, il importe tout autant qu'il soit renseigné sur les varia-
tions individuelles ; car, après tout, il ne donne pas ses soins à l'espèce
humaine tout entière, mais bien à des individus isolés, dont chacun porte
en soi des caractères qui lui sont propres. Sans prétendre qu'il doive con-
naître toutes les variantes possibles, du moins doit-il être en mesure de
les apprécier. - 1
Ainsi, après l'Anatomie des formes, s'impose la Physiologie des formes.
Dans l'un comme dans l'autre de ces ouvrages, les notions anatomiques et
physiologiques sont uniquement destinées à préparer l'étude étendue et
aussi complète que possible de la morphologie humaine sous ses aspects
les plus divers.
Cette recherche de la forme extérieure dans le mouvement, générale-
ment négligée par les physiologistes, n'a pas trouvé seulement une appli-
cation aux Beaux-Arts, elle a conduit à des résultats scientifiques inat-
tendus.
Il suffira de rappeler l'étude Des différents modes de station chez
l'homme sain, celle des Variétés de la marche et de la course (marches sur
plan horizontal, en poussant, en tirant, en portant un fardeau, marches sur
plan ascendant ou descendant, sur escalier,etc.), qui ont paru ici même (1),
comprenant non seulement l'exposé du mécanisme physiologique de,la
station, et de la marche, mais décrivant, représentant par la plume et
la photographie, les changements apportés aux formes extérieures suivant
les attitudes et suivant les sujets.
La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a publié également un article
de Paul Richer : La forme du corps en mouvement (2), où l'on voit, étu-
diées sur les chromo-photographies du vivant, les modifications apportées
aux formes extérieures par les différents modes de contractions des mus-
cles actifs et de leurs antagonistes. 1
"Rappelons aussi deux notes 5m ? * une déviation de la colonne vertébrale,
chez les sujets sains en rapports avec la station hanchée, qui doit être
. (1) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, nu 2, 1894, et n" 2, 1898.
(2) Ibid., n 2, 1895..... ..
108- ' 'HENRY MEIGE - '
bien connue des médecins afin de n'être pas confondue avec- une scoliose
pathologique (1). ·
Ces études de physiologie morphologique normale ont trouvé immé-
diatement leur application en clinique : elles ont servi à élucider les
causes des anomalies de la forme, de la station ou de la marche dans
certaines affections, comme les myopathies, la paralysie agitante (2),
Cet aperçu général de l'oeuvre accomplie par Paul Richer suffit à
montrer que les lacunes que nous signalions dans l'enseignement de l'ana-
tomie se trouvent désormais comblées.
En attendant ce qui fatalement doit arriver que ces notions es-
sentielles de morphologie humaine fassent partie intégrante du programme
des études médicales, l'étudiant ou le praticien peuvent au moins, s'ils en
ont le désir, puiser à des sources sûres les renseignements qu'ils eussent
cherchés en vain, il n'y a pas seulement vingt années. Déjà même, dans
les ouvrages classiques, on fait une place chaque jour grandissante aux
acquisitions de l'anatomie et de la physiologie du vivant.
Parmi les médecins, la plupart de ceux qui ont suivi l'enseignement
de Charcot se sont efforcés d'appliquer sa méthode d'investigation cli-
nique ; ils avaient compris l'importance de l'examen du nu dans leur
pratique journalière ; ils en ontapprécié les services, et, prêchant d'exem-
ple, ils les ont fait apprécier autour d'eux. Pour mieux comprendre les
anomalies corporelles, ils n'ont pas hésité à compléter leur instruction
anatomique par l'apprentissage de l'Anatomie des formes de l'homme
normal vivant. Et il n'est pas téméraire de prétendre que ces notions ont
joué un rôle important dans la découverte d'un certain nombre d'affections
dystrophiantes où les anomalies corporelles ont été le point de départ
d'études nosographiques toutes nouvelles. Qui sait si le simple fait d'attirer
l'attention sur la forme humaine n'a pas suffi pour faire découvrir plus
vite des types cliniques aujourd'hui partout reconnus, comme l'acromé-
galie, comme l'infantilisme, et tant d'autres ? ...
De leur côté, les Chirurgiens n'ont pas tardé à s'apercevoir des grands
profits qu'ils pourraient tirer d'une meilleure connaissance de l'être
humain vivant. Ne sont-ils pas au premier chef appelés à compter avec la
forme extérieure lorsqu'il s'agit de décider d'une intervention ? Sans
doute quelques-uns d'entre eux attachent peu d'importance à ces rensei-
- r . ... -
(1) Ibid., n° 3, 1895, ne 1, 1891.
(2) PAUL Richer et Henry Meige, Etude-morphologique sur la maladie de Parkinson.
Nouv. Iconographie de la Salpêlrière, n° 6, 1895.. ,1
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 109
gnements préliminaires. Il est si simple d'inciser la peau pour aller voir
« ce qu'il y a dessous », aujourd'hui surtout où l'asepsie sévèrement prati-
quée permet d'éviter presque,à coup sûr toute complication sérieuse ! ...,
On peut se demander cependant si un examen plus minutieux abou-
tissant à une sage abstention ne vaut pas mieux qu'une opération inu-
tile. Mais le chirurgien, tout spécialement, est imprégné d'anatomie
cadavérique. Virtuose du scalpel, il est sûr de son bistouri. Rien ne lui
est étranger des mystères de l'aponévrose ; il sait tous les secrets des liga-
ments. Il ouvre vite et referme proprement. A quoi bon perdre son temps
devant une faible peau qui nous cache peut-être quelque chose ? .. z
Là encore, il faut bien le dire, on retrouve l'empreinte d'un enseigne-
ment un peu dédaigneux de ses applications au vivant. Et peut-être ver-
rait-on diminuer le nombre des interventions trop hâtives si les opéra-
teurs, tout en possédant à fond leur anatomie descriptive, avaient une meil-
leure connaissance de la morphologie humaine. Les malades ne s'en
plaindraient pas, et les chirurgiens y gagneraient d'échapper à des criti-
ques, souvent exagérées sans doute, parfois aussi quelque peu méritées.
Heureusement, ici encore, la révolution anatomique commence à
triompher.
Elle avait été préconisée autrefois par Gerdy : « Les formes extérieu-
res, disait-il, par leurs relations avec les formes intérieures, montrent,
à l'intelligence du chirurgien, ce qui est caché dans la profondeur du
corps par ce qui est visible à la surface. »
De nos jours, un chirurgien éminent n'a pas hésité à faire, devant une
haute assemblée scientifique, l'aveu de la pauvreté de nos connaissances
en morphologie.
« L'anatomie de l'homme vivant, c'est-à-dire de ses divers organes en
fonction, comprend tout un ordre de considérations dont je n'ai, pour
mon propre compte, qu'une très pauvre idée, et il y a là en même temps
qu'un ensemble de connaissances à acquérir, une éducation médicale à
faire. On est élevé et dressé à fond dans la religion du cadavre envisagé
sous tous ses aspects, et on ne se préoccupe pas de ce qui mériterait d'être
appelé l'anatomie biologique, qui est la seule qu'on ne devrait pas igno-
rer, l'étude du cadavre ne devant servir qu'à la préparer et à la faire
mieux concevoir » (1).
On ne saurait plus excellemment proclamer l'insuffisance du cadavre,
avec l'avènement nécessaire de l'anatomie du vivant. Et c'est Lannelon-
gue, averti par une expérience datant de longues années, qui s'exprime
(1) LANNELONGUE, Note sur la méthode dermographique appliquée à la pathologie e
humaine, Bulletin médical, no 31, 1904. 1
110 'HENRY MEIGE
ainsi devant l'Académie des Sciences, en mars 1904. Sa voix ne pouvait
manquer d'être entendue et obéie.
D'ailleurs, Lannelongue a payé d'exemple en préconisant un procédé
d'investigation clinique dont il a pu enregistrer les bienfaits et qui est
capable de perfectionner nos connaissances en morphologie humaine.
Il s'est fait le défenseur d'un mode de repérage cutané permettant
d'apprécier avec exactitude les modifications de forme et les change--
ments de rapport survenus dans les parties du corps humain : on dessine
sur le malade vivant, à l'aide d'un crayon dermographique, les déforma-
tions, les déplacements, les augmentations de volume, les différences de
niveau, et l'on dépiste ainsi les altérations aussi bien superficielles et
visibles que profondes et invisibles, en comparant la région normale
et la région déformée.
« La méthode dermographique, dit Lannelongue, peut être appliquée
avec frui t dans une foule de circonstances différentes où la photographie et
la radiographie ne sauraient la remplacer.
« A elle seule, elle peut, dans bien des cas, donner immédiatement la
clef d'un diagnostic, le rend plus facile et plus précis. Elle appelle l'at-
tention sur des altérations qu'on n'aurait pas découvertes sans son aide et
elle fournit par voie de conséquence des indications utiles à la thérapeu-
tique. Enfin, la méthode est la portée de tout le monde, et j'ai connu des
parents qui s'en sont emparés pour apprécier et suivre les modifications
opérées dans l'état de leurs enfants par la thérapeutique employée. »
Plus récemment, l'année dernière, a paru un livre du Dr Bruandet,
professeur suppléant à l'Ecole de médecine de Reims, inspiré par la même
pensée de mettre à la portée de tous les praticiens les notions indispen-
sables de morphologie vivante que l'étude du cadavre ne saurait leur
inculquer. Ce Guide pratique des repères anatomiques, où se trouve appli-
quée avec beaucoup de profit la méthode dermographique prônée par Lan-
nelongue, complétera heureusement certaines lacunes des précis de méde-
cine opératoire. Il sera donc surtout utile aux chirurgiens ; les méde-
cins le consulteront également avec fruit. A ce propos l'auteur ajustement
signalé la portée pratique des travaux anglais sur l' « anatomie des sur-
aces », qui n'est, en somme, sous un vocable différent, qu'une étude de
morphologie humaine. Le manuel du Dr Bruandet porte en effet pour
titre : L'Anatomie sur le vivant, et l'on retrouve dans sa préface la plupart
des idées émises par Paul Richer.
« On arrive à posséder cette anatomie par les sens bien plus que par la
mémoire. Elle doit être pratiquée par l'étudiant à l'hôpital chez les sujets
qui se confient à ses soins. Il doit répéter très souvent dans les régions
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 111
saines la recherche des saillies osseuses, des bords musculaires, des ten-
dons, des artères. Connaissant ces éléments sains, il les reconnaîtra mo-
difiés par la maladie et sera expert à appliquer ce grand principe clini-
que : « comparer le côté sain et le côté malade ».
'« L'orientation dans toutes les parties du corps doit devenir précise et
rapide, chez tous les sujets jeunes ou vieux, obèses ou maigres. Pour les
débuts, le sujet de choix sera un adulte, musclé, mais un peu maigre.
« Il ne faut pas se confiner à l'anatomie du cadavre, puisque celle-ci
n'a d'intérêt pour le praticien que clans son application aux patients » (1).
Ainsi, - n'avions-nous pas raison de le dire au début de cet article ?
- les germes de la révolution anatomique éclos à la Salpêtrière, dans le
laboratoire de Paul Richer, ont aujourd'hui donné des fruits dont profite
déjà la nouvelle génération médicale.
Le dernier de ces fruits, celui qui sera le plus universellement apprécié,
et qui rendra aux artistes et aux médecins les services les plus immédia-
tement pratiques, vient de paraître sous forme d'un manuel conçu et
réalisé encore par Paul Richer. Cette fois c'est bien l'Anatomie du vivant
mise à la portée de tous, étudiants en médecine, élèves à l'Ecole des
Beaux-Arts, chirurgiens, médecins et artistes (2).
« Je voudrais,dit l'auteur, que, lorsque vous vous trouvez en face de la
nature vivante, vous n'ayez pas devant vous une énigme plus ou moins
obscure, mais comme un livre ouvert, écrit en style clair, avec de beaux
caractères bien lisibles et que vous puissiez aisément déchiffrer.
« J'ai cherché à simplifier l'analyse anatomique et je me suis laissé
surtout guider, dans l'étude des muscles, par leur action sur la forme
extérieure. C'est ainsi que certains muscles, que j'appelle les « muscles
de la forme », sont décrits avec détail, qu'ils soient superficiels ou pro-
fonds, car l'on sait que les muscles profonds jouent parfois un rôle
important dans la conformation du nu, pendant que d'autres au con-
traire, quoique distincts anatomiquement, sont confondus dans une même
description, parce qu'ils n'intéressent pas isolément la forme.
« Ce nouveau manuel est justement fait pour faciliter cette tâche. Aussi
est-il accompagné de nombreuses figures dans lesquelles domine la préoc-
cupation constante d'établir le rapprochement entre les parties profondes
et le nu, aussi bien pour le squelette que pour les muscles reproduits plus
particulièrement dans la forme même qu'ils ont sur le vivant. »
(1) BRUANDET, L'anatomie sur le vivant. Guide pratique des repères anatomiques.
Paris, 1906.
(2) PAUL Richer, Nouvelle anatomie artistique. Paris, Plon, t906.
112 HENRY ME1GE
L'ouvrage en question porte le titre de Nouvelle anatomie artistique. Et,
de fait, Paul Richer, a voulu faire un « cours pratique et élémentaire »
d'anatomie que peintres et sculpteurs puissent utiliser pour leurs pro-
ductions.
Il importe également de signaler ce livre à l'attention des médecins.
Les notions élémentaires d'anatomie descriptive qui s'y trouvent ne pré-
tendent pas rivaliser avec le luxe de renseignements fournis par les traités
classiques ; mais nulle part ne sont mieux exposés ni mieux figurés tous
les-détails de la morphologie humaine. Outre quelques réductions de sa
grande Anatomie artistique, Paul Richer a publié des planches nouvelles
dans lesquelles à chaque dessin du squelette ou des muscles correspond
un dessin de la forme extérieure qui lui est superposable. Un simple
coup d'oeil permet de se repérer. La transition se fait sans effort du cada-
vre au vivant, de l'anatomie à la clinique (PI. XIII à XVIII).
Que semblable transition soit inaugurée dans l'enseignement pratique
de l'Ecole, qu'à la fin des travaux de dissection,les « macchabées » soient
remplacés par des « modèles », et la révolution anatomique sera parache-
vée, à l'avantage des médecins, pour le plus grand profit des malades. ' @
Si la nécessité de l'étude et même d'un enseignement de la morpholo-
gie humaine aux étudiants est aujourd'hui proclamée par un grand nom-
bre de voix autorisées dans le corps médical, et si l'on peut prévoir que
cette réforme sera bientôt accomplie, on n'en est cependant encore qu'à la
période des voeux platoniques et des timides projets. La consécration
officielle se montre, comme à l'ordinaire, temporisatrice.
Les artistes ont été plus favorisés. Pour eux, aujourd'hui, la révolu-
tion anatomique est un fait accompli. Elle était vraiment urgente.
Sans remonter plus avant que le siècle dernier on peut se rendre
compte des pauvres moyens dont' on disposait pour apprendre la struc-
ture humaine; il suffit d'ouvrir l'un quelconque des ouvrages spéciale-
ment composés pour les peintres et les sculpteurs. .
J'ai sous les yeux un Atlas intitulé : Abrégé d'anatomie accommodé aux
arts de peinture et de sculpture, composé par François Tortebat, en 1668,
et réédité par de Piles vers la fin du xviiie siècle. Cet atlas, « très utile et
très nécessaire à tous ceux qui font profession du dessin », a la louable
prétention de donner une connaissance exacte des os et des muscles de
l'homme et « d'en faire la comparaison avec les plus belles statues anti-
ques et avec la nature même ».
Un simple coup d'oeil sur les quatre planches que nous en extrayons
(PI. XX à XXIII.) fera comprendre ce que l'on entendaitalors par l'« exac-
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE. T. XX, PL. XIII.
SQUELETTE DU MEMBRE SUPÉRIEUR (SUITE) Pal. 7.
m : "111 n ? C'I' e.t
1
, PLANCHE EXTRAITE DE LA
NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE .
de Paul Richer (Pion, édit.).
iI.is.S0N et Cio, Éditeurs.
Fin. i. - PLAN LATÉRAL externe.
N : OUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL, XIV.
MUSCLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR (ÉCORCHÉ, SUITE) t'v Il
01 Pad PsAn tel
PLANCHE EXTRAITE DE LA
NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE
de Paul Richer (Plon, édit.).
M vssox ET Clr, Éditeurs.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE.
T. XX. PL, XV.
SQUELETTE DU TRONC
PL n.rrémsvn.
n r.m men dit.
planche extraite de la NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE de Paul Richer (Plon, édit.).
Masson et Ci'. Éditeurs.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE. T. XX, PL. XVI.
MUSCLES DU TRONC ET DU COU (ÉCORCIIt, SUITE)
I;r Paul Ri,II drl Pian rosrEmeun
E'faLt/ ! ffAn-dff dry
planche extraite de la NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE de Paul Richer (Plon, édit.
COUVI ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XX, PL. XVI 1.
SQUELETTE DU MEMBRE INFÉRIEUR (SUITE) ru l*).
1.1 ? Plan PQSTi..W £ l.n
Do P4MI RICcr dit a
PLANCHE EXTRAITE DE LA
NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE
de Paul Richer (Plon, édit.).
Masson i 1 Cte, Editeurs.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XX. PL. XVIII.
MUSCLES DU MEMBRE INFÉRIEUR (ÉCORCIIÉ, SUITE) PL.26.
l'un ur8nw £ XTEn.'K
a rul .1 /l,'
PLANCHE EXTRAITE DE LA
NOUVELLE ANATOMIE ARTISTIQUE
de Paul Richer (Plon, édit.).
Masson et C">, Éditeurs.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA. SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL. XX.
Figure extraite DE L' " Abrégé d Anatomie
ACCOMMODÉ AUX ARTS. DE PEINTURE ET DE SCULPTURE'
par François Tort ébat (1668).
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL. XXI.
Figure extraite DE L' "Abrégé d' Anatomie
ACCOMMODÉ AUX ARTS DE PEINTURE ET DE SCULPTURE '
par François Tortchat (1668).
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL. XXII.
Figure extraite DE L' "AIIHÍ.GÉ d'Anatomie
ACCOMMODÉ AUX ARTS DE PEINTURE ET DE SCULPTURE
par François Tortelal (t66S).
i ? i ? h ? ESMWïtNit&S ! t ? 3tM',i ! 'BBH'H ? mm.... j ? ... ? ,
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T XX, PL. XXIII
Figure extraite de L' "Abrégé d'Anatomie
.ACCOMMODÉ AUX ARTS DE PEINTURE ET DE SCULPTURE
par Fraiioi, Tort, ! bat (¡668\.
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 113
titude » en ostéologie et en myologie. Ces vénérables figures ont été, pa-
raît-il, exécutées d'après celles que le Titien avait dessinées pour les OEu-
vres de Vésale. « Vous les trouverez assurément fort justes, dit l'auteur
de l'atlas, et je m'en suis servi, parce que j'ai cru qu'il était impossible
de mieux faire sur le sujet ».... Soyons indulgent pour François Tortebat
et son admirateur de Piles, en faveur de leurs bonnes intentions. Mais n'a-
vions-nous pas raison de parler de révolution dans l'enseignement de l'a-
natomie aux artistes en voyant aujourd'hui le « Cours pratique et élé-
mentaire » que Paul Richer met entre leurs mains et en comparant les
planches de Tortebat avec celle de la Nouvelle anatomie artistique ?
Sans doute, des progrès s'étaient accomplis depuis le temps où les
squelettes, dans des poses alanguies, exhibaient leurs os hypothétiques et
leurs muscles en pendeloques. Pour ne citer que le principal effort, vers
le milieu du siècle dernier, un médecin, Fau, publia un ouvrage d'ana-
tomie artistique, accompagnée de belles planches gravées par Leveillé,
qui devint le manuel classique des élèves de l'Ecole des Beaux-Arts. Le
texte pompeux et suranné manque de la sobriété et de la précision néces-
saires aux descriptions scientifiques. Mais les dessins réalisent un vérita-
ble progrès et l'on y voit d'intéressants rapprochements entre l'anatomie
descriptive et l'anatomie des formes. La figuration des muscles est cepen-
dant encore bien imprégnée de l'observation du cadavre.
En réalité, l'application rationnelle des notions anatomiques à la com-
préhension de la forme humaine date seulement d'hier.
Car, il n'y a pas encore bien longtemps, l'enseignement anatomique of-
ficiel des artistes se bornait à quelques notions d'ostéologie et de myologie
empruntées aux traités d'anatomie descriptive, dont il était assez malaisé de
saisir les rapports avec la plastique. On exhibait aux jeunes gens un sque-
lette tant bien que mal ajusté, ainsi qu'un légendaire cadavre dont les
muscles desséchés revêtaient les formes les plus fantaisistes. L'élève de-
vait s'efforcer de reproduire ce spectacle macabre. Etude vraiment peu
l'ai te pour faciliter la compréhension et la figuration de la forme humaine
vivante.
L'avènement de la science morphologique a changé tout cela. « Le mac-
chabée » existe bien encore, mais il reste au second plan. Le modèle a re-
pris tous ses droits, la nature vivante a détrôné la rature morte.
Actuellement, l'enseignement de l'anatomie à l'Ecole des Beaux-Arts,
tel que l'a institué et fait apprécier Paul Richer, comporte deux sortes de
cours : des cours oraux et des cours pratiques, qui se poursuivent de
façon parallèle et se complètent mutuellement.
Les cours pratiques ont comme moyen d'instruction le dessin et comme
114 HENRY MEIGE
but la recherche du détail anatomique sur le modèle vivant. Ici, le scalpel
de l'étudiant en médecine est remplacé par le crayon.
Les élèves commencent par dessiner les os isolés sous leurs divers as-
pects. Puis, lorsqu'ils ont ainsi figuré tous les os d'une partie du corps,
d'un membre par exemple, on leur présente un modèle nu sur lequel on
leur apprend à reconnaître comment ces os se révèlent à l'extérieur dans
leur forme et dans leur situation exacte. En réalité, c'est par l'étude du
modèle vivant, qu'ils acquièrent la connaissance du squelette. Et cette
leçon de choses répond bien à son but qui est la connaissance du sque-
lette en vie.
De même pour les muscles ; ils sont aussi dessinés d'après le modèle.
On ne demande pas à l'élève de représenter un muscle plus ou moins
schématique, mais bien les muscles mêmes du sujet qui pose devant eux,
dans leur forme réelle et vivante, avec leur accent individuel, et suivant t
telle ou telle attitude.
Enfin, l'étude du squelette et des muscles ne saurait suffire aux artistes.
Ils ont à reproduire la forme extérieure du corps humain : il faut leur en-
seigner le rôle plastique du tissu graisseux sous-cutané, des vaisseaux et
de la peau elle-même avec ses dépendances. De là une étude très détail-
lée de la forme extérieure dont les moindres particularités sont, non seu-
lement mises en évidence, mais anatomiquement expliquées.
Ainsi l'artiste apprend à reconnaître les conditions essentielles d'une
bonne conformation, ce qu'Ingres appelait justement la « santé de la
forme » .
Dans le cours oral, préparé et facilité par ce cours pratique, le profes-
seur peut aborder des considérations générales, présenter des vues d'en-
semble nécessaires à la compréhension du détail. C'est là que se trouvent t
traitées les questions de forme extérieure avec toute l'ampleur désirable :
variations suivant les individus, l'âge, la race, le sexe. Là aussi sont abor-
dés dans tous leurs détails les problèmes de la mécanique humaine : atti-
tudes et mouvements. Lorsqu'il s'agit d'établir des comparaisons entre
les innombrables modalités de la plastique humaine [on fait appel aux
projections photographiques des différents types humains, dans leurs diffé-
rentes attitudes, ou d'après les meilleures oeuvres d'art.
Mais, toujours, le futur artiste a sous les yeux l'image réelle de la vie
qu'il est appelé à reproduire.
Ne devrait-il pas en être de même pour le futur médecin ?
Pourquoi ne met-on jamais sous ses yeux l'image de la vie qu'il est des-
tiné à conserver ? Et n'y a-t-il pas lieu d'être surpris qu'on lui enseigne
toutes les imperfections de la machine humaine sans jamais lui avoir
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 115
montréunhomme bien portant ? Etudier les altérations des formes sans con-
naître la « santé de la forme », c'est un véritable paradoxe pédagogique.
L'exemple donné par M. Paul Richer à l'Ecole des Beaux-Arts pourrait
être suivi avec profit par l'Ecole de médecine. Ici, bien entendu, les études
d'anatomie descriptive et les exercices de dissection doivent continuer à
occuper la place capitale. Mais chaque regard donné au cadavre devrait
être suivi d'un coup d'oeil jeté sur le vivant.
Au lieu de n'apprécier les gras et les maigres que par la plus ou moins
grande difficulté qu'on éprouve à les disséquer, il ne serait pas superflu
d'en détailler les caractères morphologiques sur des sujets vivants,ou tout
au moins sur des images photographiques. Et de même pour toutes les
variations du type humain, suivant l'âge, suivant la taille, suivant le
sexe, suivant la race.
C'est affaire à l'anthropologie,dira-t-on ? - Qu'importe si cette anthro-
pologie nous fait mieux connaître nos semblables,partant si elle nous per-
met de mieux examiner un malade et de le mieux soigner ? Aussi bien ne
s'agit-il pas de l'anthropologie tout entière; mais seulement de l'étude
des formes extérieures, et c'est là le propre de la morphologie.
« Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, gras ou maigres, a dit Paul
Richer, nous sommes tous composés des mêmes éléments anatomiques ;
nous avons tous les mêmes muscles avec les mêmes insertions, les mêmes
os avec les mêmes articulations, la même graisse, les mêmes vaisseaux,
etc... Ce qui diffère, c'est la figuration de ces éléments anatomiques, leurs
rapports, leur mode de répartition, etc... d'où résulte la forme indivi-
duelle, et c'est ce qui constitue la morphologie ou mieux la science du a2c.. o .
Cette science fournit les moyens de « bien comprendre, de bien connaître
et par suite de mieux reproduire ou interpréter la nature. »
Aux artistes elle est indispensable. A l'enseigner aux médecins, on ne
voit que des avantages. L'anatomie y perdrait de son aridité, sans cesser
d'être « le fondement de la médecine». L'étudiant y gagnerait de connaître
des notions immédiatement applicables dans sa pratique future.
(A suivre.)
Le gérant : P. Bouchez.
ERRATUM
Dans le ne 6 de l'année 1906 :
Page sou. ligne 7, au lieu de face interne, lire face externe.
Page 520, ligne 13, au lieu de fig. 1, lire fig. 2.
Page 524, ligne H, au lieu de fi,g. 3, lire fig. 4.
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
20e Année N° 2 Mars- Avril
1 1 E NEUROLOGIE DE PARIS
ANCE DU 7 MARS 1907)
POLTENCÉPHALITE CHRONIQUE :
OPHTALMOPLÉGIE ET PARALYSIE BILATERALE
DE LA BRANCHE MOTRICE DU TRIJUMEAU.
TARES PROBABLE
PAR
HENRI LAMY
Il s'agit d'une femme âgée de 49 ans, qui présente une ophtalmoplégie
bilatérale avec facies d'Hutchinson typique. Les renseignements qu'elle
donne sur ses antécédents et le début de sa maladie sont sujets à caution ;
car elle est d'une intelligence très inférieure à la normale, à moins que
ses facultés ne soient amoindries.
Sans maladie antérieure notable, elle dit s'être réveillée il y a 1 an 1/2
«paralysée d'une moitié de la figure». Depuis cette époque, elle voit
double et sa paupière supérieure est tombante à droite. Jamais, dit-elle,
elle n'a éprouvé d'autre trouble quelconque de la santé ; en particulier
jamais de douleurs dans la tête ni dans les membres. Elle a continué à
faire des ménages dans cet état, et n'a cessé de travailler que faute d'ou-
vrage. L'état général est resté bon ; mais depuis quelque temps la malade
éprouve une grande faiblesse des mâchoires et une réelle difficulté à man-
ger. Il y a plusieurs mois, elle dit avoir perdu sa salive involontairement.
Elle bavait continuellement. Ce symptôme a disparu aujourd'hui.
Etat actuel [Février 1907).- Paralysie complète de la 3e paire à droite
(ptosis, strabisme externe) ; mais pas de mydriase, la musculature interne
de l'oeil n'est pas touchée par la paralysie. A gauche : ptosis incomplet,
globe oculaire non dévié, mais presque immobile dans l'orbite ; seul le
mouvement du globe en dehors est conservé. Front plissé des deux côtés ;
sourcils relevés. Les pupilles sont petites, réagissent néanmoins à la
lumière, mais nullement à l'accommodation : signe d'Argyll Robertson bi-
latéral.
xi 8
118 s LAMY
Dans la moitié inférieure de la face, voici ce qu'on note : la bouche reste
la plupart du temps entr'ouverte, et le menton abaissé. Il n'y a cependant
pas d'écoulement salivaire par les commissures. De plus, celles-ci ne sont
pas abaissées comme dans la paralysie glosso-labiée, bien que la malade
ait un peu l'aspect pleurard qui caractérise la physionomie dans cette der-
nière affection (PI. XXIV, fig. 1). Il est manifeste que cet aspect et le
défaut d'occlusion buccale sont dus à la paralysie du maxillaire inférieur
qui est tombant.
D'ailleurs la malade est parfaitement capable de fermer la bouche ; mais
dans cet acte, seules les lèvres se rapprochent, tandis que les maxillaires
restent écartés. L'occlusion se fait par l'orbiculaire des lèvres ; et pour
l'obtenir, la malade est obligée de « faire la petite bouche », c'est-à-dire
de rétrécir la fente buccale. Ceci est facile à comprendre ; car il est im-
possible d'obtenir l'occlusion des lèvres les mâchoires étant écartées, sans
contracter l'orbiculaire circulairement. En outre, on note que dans ce mou-
vement le menton se plisse et se fronce, comme si les muscles du menton
s'efforçaient de concourir à l'action de l'orbiculaire (PI. XXIV, fig. 2).
Ainsi, en dépit des apparences, il n'y a point de paralysie dans le do-
maine du facial. Si l'on vient à rapprocher les mâchoires à l'aide du doigt
placé sous le menton, on constate que la malade peut faire la moue, peut
écarter les lèvres pour montrer les dents. A vrai dire, elle ne peut siffler,
et elle souffle mal une bougie ; on peut dire qu'il y a seulement une cer-
taine faiblesse de l'orbiculaire des lèvres.
En outre, le peaucier du cou se contracte normalement à droite, mais
pas du tout à gauche.
Quant à la mâchoire inférieure, elle est à peu près inerte ; les mouve-
ments d'élévation et de diduction sont nuls. On peut introduire un doigt
entre les dents de la malade, qui sont bien conservées, et lui commander
de mordre, sans éprouver autre chose qu'une légère pression : ceci à
droite comme à gauche. Toutefois le maxillaire n'est pas ballant; lorsqu'on
veut le soulever, on éprouve une certaine résistance, qui est certainement
le fait de la tonicité ou même d'un certain degré de contraction des mus-
cles sus-et sous-hyoïdiens (abaissement de la mâchoire). Cette résistance
diminue beaucoup en effet quand on fait la même recherche, la malade
ayant le cou fléchi en avant. Les muscles en question non seulement abais-
sent le maxillaire, mais l'attirent un peu en arrière, comme on peut s'en
rendre compte en regardant la malade de profil (PI. XXIV, fig. 3 et 4).
La façon dont la malade parvient à mastiquer est très particulière et
mérite d'être signalée. D'abord elle mange lentement et avec peine; mais
elle ne présente pas de trouble de déglutition. Elle est incapable, cela va'
de soi, de broyer des aliments durs ; mais elle mâche parfaitement une
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. XXIV
A
B
C
D
POLIENCEPHAL1TE CHRONIQUE..
OPIITALMOPLÉGIE ET PARALYSIE DES MUSCLES MASTICATEURS.
(H. Laniy).
A. Attitude naturelle au repos ; la bouche reste entr'ouverte par suite de la paralysie
des massieters.
B. Occlusion volontaire de la bouche par contraction de l'orbiculaire des lèvres, les
mâchoires restant écartées.
C. Profil de la malade, la bouche entr'ouverte : le maxillaire inférieur est abaissé et un
peu attiré en arrière.
D. Profil avec la bouche fermée, dans l'attitude B.
POLIENCÉPIIALITE CHRONIQUE t 19
bouchée de pain en y mettant le temps. Or, il est manifeste-qu'à cet acte
ni les masséters, ni les ptérygoïdiens ne prennent part; mais le maxillaire
inférieur exécute des mouvements peu étendus d'avant en arrière, qui pa-
raissent dus aux muscles sus-et sous-hyoïdiens. Ces muscles abaissent la
mâchoire et l'attirent un peu en arrière, avons nous dit. Or c'est ce der-
nier mouvement qui est utilisé, semble-t-il, pour la mastication : il per-
met une sorte de brassage des aliments non liquides, qui supplée, d'une
façon bien imparfaite sans doute,au rapprochement des arcades dentaires.
On se rend bien compte de ces particularités surtout en regardant de pro-
fil la malade pendant qu'elle mange.
Pas de paralysie objectivement appréciable du voile du palais ; mais il
est certainement insuffisant, car la malade nasonne très nettement en
parlant.
Voix sourde, faible, monotone. L'articulation des mots est assez dis-
tincte cependant, et n'est troublée que dans la mesure où l'abaissement
permanent du maxillaire inférieur l'entrave. La langue n'est pas atrophiée
et présente une mobilité normale en tous sens.
Pas de troubles cardio-respiratoÏ1'es, jamais de vomissements.
Sensibilité normale à tous points de vue : ni sur la face, ni sur les
membres, nous n'avons relevé d'anesthésie sous quelque mode que ce fût.
Les sensibilités olfactives et gustatives sont intactes. L'acuité visuelle paraît
conservée ; pas de dyschromatopsie ni de modification du champ visuel.
Audition assez bonne : la montre est perçue des deux côtés (30 cent. à
gauche, 10 à droite).
La malade ne souffre pas ; elle n'a jamais éprouvé de douleurs lanci-
nantes, ni de maux de tête.
La marche est normale ; aucun trouble de coordination des membres,
pas de paralysie.
Réflexes tendineux. Le réflexe du genou est aboli tout à fait à gauche;
il est très faible à droite et ne peut être obtenu que par la manoeuvre de
Jendrassik. Réflexe achilléen conservé des deux côtés, mais lent à se
produire : le « temps perdu » parait augmenté. Réflexe olécranien normal.
Réflexe massétérin nul des deux côtés.
Pas de troubles des réservoirs ; ni sucre, ni albumine dans les urines.
Réactions électriques. - Les muscles dépendant du facial se contractent
normalement par les courants faradiques. Les réactions des masséters et
des temporaux sont au contraire à peine appréciables ; elles ne paraissent
pas nulles toutefois, car on obtient un certain degré de rapprochement des
mâchoires avec des excitations énergiques.
Depuis une douzaine de jours, la malade est. soumise au traitement mer-
curiel (frictions). Il semble qu'il y ait un très léger changement en mieux,
120 LAMY
au point de vue de la paralysie de la mâchoire inférieure. La bouche n'est
plus perpétuellement ouverte, comme lors de son entrée à l'hôpital.
Dans les antécédents, rien qui permette d'affirmer la syphilis. Ni érup-
tions, ni fausses couches (pas de grossesse). Cependant la malade dit avoir
perdu ses cheveux d'une façon rapide il y a deux ans.
En résumé il s'agit d'une poliencéphalite à la fois supérieure et tinté-
rieure, puisqu'il y a ophtalmoplégie (sans participation de la musculature
interne de l'oeil), et paralysie de la branche motrice de la 5e paire : on
pourrait même dire que la poliencéphalite est totale, car il y a quelques
troubles dans le domaine du faciai inférieur. Ce fait mérite déjà d'être
noté, car dans la poliencéphalite chronique de l'adulte, il est rare que la
colonne grise du mésencéphale soit envahie sur toute son étendue (1). Ainsi '
dans la poliencéphalite supérieure, qui est souvent une localisation du Ta-
bes, le domaine du facial et du trijumeau moteur sont le plus ordinaire-
ment épargnés; et inversement dans la poliencéphalite inférieure,qui n'est
en général qu'une localisation de la sclérose latérale amyotrophique, les
noyaux oculo-moteurs ne sont pas intéressés. On a surtout signalé la
poliencéphalite totale dans les formes familiales et infantiles.
Un deuxième point mérite de fixer l'attention, c'est l'existence de cette
poliencéphalite comme unique manifestation nerveuse chez notre malade.
Comme étiologie de l'ophtalmoplégie totale, on ne rencontre guère
que le tabes, la syphilis, le diabète. Ce dernier n'est pas en cause. Quant
à la syphilis, elle est possible; mais nous ne trouvons comme indication
à cet égard qu'une alopécie rapide survenue il y a 2 ans. En ce qui con-
cerne le tabes, c'est l'hypothèse à laquelle je me rallierais le plus volon-
tiers ; car la malade présente le signe d'Argyll Robertson,et une abolition
du réflexe rotulien gauche,avec affaiblissement du côté droit. Mais j'avoue
que je ne présente cette hypothèse qu'avec réserves. Il n'y a en effet aucun
trouble de sensibilité, pas de douleurs fulgurantes, ni de troubles sphinc-
tériens. On ne note ni douleurs, ni anesthésie dans le domaine du triju-
meau. Enfin la paralysie et l'atrophie des masticateurs est un phénomène
tout à fait rare dans le tabes céphalique (2).
(1) GUINON et PARMBNTIER, De l'ophtalmoplégie externe combinée à la paralysie
glosso-labio-laryngée et à l'atrophie musculaire progressive (Nouv. Iconographie de la
Salpêtrière, 1890, p. 185).
y2) Pierre Marie et A. Léri ont présenté à la Société de Neurologie (2 février 1905)
un sujet tabétique, qui offrait, comme notre malade, une ophtalmoplégie totale et une
paralysie atrophique des muscles innervés par la branche motrice du trijumeau. Ces
auteurs disent n'avoir trouvé dans la littérature que deux exemples de cette dernière
localisation du Tabes (Schulze, Chvostek).
POLIENCÉPHALITE CHRONIQUE 121
Au point de vue symptomatique, j'insisterai sur les particularités sui-
vantes : la malade présente le faciès d' Hutchinson typique ; en outre la
moitié inférieure de la face offre l'aspect « pleurard » de la paralysie glosso-
labio-laryngée à première vue, surtout lorsque la bouche reste entr'ouverte.
Mais à l'examen, on voit qu'il n'y a ni paralysie ni atrophie prononcées dans
le domaine du facial. Cette apparence est uniquement due à la chute pa-
lytique de la mâchoire inférieure. La malade arrive en effet à fermer
la bouche en contractant l'orbiculaire des lèvres à la façon d'un sphincter.
Sous les lèvres fermées, il est facile de s'assurer que les mâchoires res-
tent écartées. Ceci donne une expression particulière à la partie inférieure
du visage : la malade fait « la petite bouche ». C'est d'ailleurs la seule
façon possible de fermer la bouche sans rapprocher les arcades dentaires
(Pl. XXIV, fig. 2).
En général, on n'observe l'atrophie des masticateurs, dans les paraly-
sies glosso-labiées, que lorsque les muscles péribuccaux sont atrophiés.
Aussi les malades ont-ils la bouche perpétuellement ouverte, et perdent-ils
leur salive par les commissures. La paralysie de la branche motrice du
trijumeau est un symptôme que les auteurs classiques déclarent ne se pro-
duire que très tardivement dans les paralysies bulbaires chroniques. Ici,
l'atrophie et la paralysie des masséters l'emportent sur les troubles dans
le domaine du facial. S'il s'agit, dans le cas présent, d'une affection pro-
gressive, comme je le crois, ce fait n'a rien de surprenant,car l'ophtalmo-
plégie paraît avoir débuté : l'envahissement du noyau masticateur avant-
celui du facial se conçoit facilement, puisque ce noyau est plus voisin de
ceux de la 3e paire que le noyau de la 7e.
HOSPICE DE BLC1 : TRG
LABORATOIRE DE 111. LE D' PIERRE MARIE
coïncidence CHEZ UN même malade
DE LA
[PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE
ET DE LA PARALYSIE SPINALE INFANTILE
AUTOPSIE.
PAR
ITALO ROSSI
La doctrine de l'analogie entre la paralysie spinale infantile et l'hémi-
plégie cérébrale infantile,- soutenue d'abord par Vizioli, Strümpell et
Pierre Marie, combattue ensuite par quelques auteurs, paraît avoir aujour-
d'hui rallié beaucoup de suffrages.
On ne peut cependant nier, nous le verrons, que si au point de vue
étiologique et clinique de nombreux faits ont été apportés à l'appui de cette
doctrine, au point de vue anatomique la démonstration directe de cette ana-
logie n'a pas encore été donnée. C'est en effet plutôt d'après des considéra-
tions théoriques tirées de la pathologie générale et d'après des analogies
cliniques et surtout étiologiques que cette analogie anatomique des deux
affections, envisagée au point de vue de leur lésion primitive, a été, et est
aujourd'hui encore soutenue. Cela tient très vraisemblablement à ce qu'il
est extrêmement difficile de saisir, dans l'étude des lésions définitives,
telles que nous les relevons dans les autopsies les plus habituelles de
paralysie cérébrale infantile, les lésions de début. Or, seules ces lésions
initiales pourraient démontrer d'une façon péremptoire l'identité anato-
mique de l'hémiplégie cérébrale infantile et de la paralysie spinale infan-
tile, dont le processus initial nous est aujourd'hui bien connu, grâce à
la faculté qu'ont certains auteurs de faire l'étude anatomique de cas
récents.
Quoi qu'il en soit, bien que le côté anatomique de cette question n'ait
pas encore été élucidé et malgré les objections qui lui ont été faites, la doc-
trine de l'analogie entre le» deux affections en question s'appuie sur tant
d'arguments et de faits qu'on ne peut pas en nier la valeur.
ITALO ROSSI. - PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE ET PARALYSTE SPINALE 123
Une de ces objections, faite par Freud (1), était celle-ci : si cette ana-
logie existe vraiment, on devrait rencontrer avec une fréquence relative
des cas où se combineraient chez le même individu les deux localisations
du même processus morbide et les symptômes des deux affections.
Or cette coïncidence avait été prévue par Pierre Marie lorsqu'il écrivait,
en 1892, dans ses Leçons sur les maladies de la moelle : « J'ai la convic-
tion que grâce à un hasard favorable on verra quelque jour l'hémiplégie
cérébrale infantile et la paralysie spinale infantile coïncider chez le même
sujet, et j'attends avec confiance la publication de cette observation typi-
que qui démontrera d'une façon irréfutable l'identité des deux affec-
tions. »
Les faits ont donné raison à Pierre Marie. On peut déjà remarquer, et
nous les citerons, qu'il existe des observations prouvant, que ces deux types
cliniques peuvent se retrouver chez diverses personnes d'une même famille
ou du même lieu lorsque la poliomyélite prend un caractère épidémique.
Plus démonstratifs encore sont les cas publiés dans la littérature, présen-
tant la coïncidence des deux affections, survenues en même temps chez le
même individu. Ces cas sont cependant rares, un seul d'entre eux a été
suivi d'aulopsie.
Nous croyons donc intéressant de rapporter ici l'étude anatomique, que
nous avons faite dans le service de notre maître Pierre Marie, à Bicêtre,
d'un cas de coexistence de paraplégie cérébrale infantile et de paralysie
spinale infantile.
Ce cas qui a été, de la part de notre maître, l'objet d'une présentation à
la Société médicale des hôpitaux (990`· séance du 7 mars) n'est pas seu-
lement intéressant par son extrême rareté. Il nous montre aussi que l'ana-
logie de la paralysie spinale infantile et de l'hémiplégie cérébrale infan-
tile peut bien s'étendre à la diplégie cérébrale. Celle-ci, en effet, comme
l'hémiplégie cérébrale infantile, n'est qu'une variété de la paralysie céré-
brale infantile ; leur étiologie est à peu près la même et elles relèvent
des mêmes processus anatomiques.
Observation clinique. Bois..., âgé de 30 ans, entré à l'hospice de Bicêtre,
service de M.Pierre Marie le 17 août 1897.
Dans les antécédents héréditaires du malade il est à noter que le grand-père
et le père auraient été atteints de paralysie dans les dernières années de leur
vie ; mère vivante, bien portante ; une soeur bien portante, mariée ; elle a 2 en-
fants en bonne santé.
Histoire de la maladie actuelle. Selon les renseignements fournis par la
mère, la maladie actuelle, la paraplégie, serait survenue à l'âge de 6 mois. Il a
été impossible d'ohtenir sur le début de l'affection des renseignements détail-
(1) FREUD, Die infantile ce¡'eb¡'alliihmung, Wien, 1897.
124 1TAL0 ROSS1
lés ; on sait seulement que la paraplégie survint à la suite de convulsions qui
ne se sont jamais répétées ultérieurement. Le malade, même dans sa première
enfance, n'a jamais souffert d'aucune autre affection. Dès sa plus tendre jeunesse
il dut recourir a des béquilles pour marcher. Il n'a jamais présenté aucun trou-
ble dans les extrémités supérieures; il a appris à écrire de bonne heure.
Etal actuel (19 août 1897). - Le malade est de taille plutôt petite et d'as-
pect fort peu vigoureux. Le crâne est un peu petit et présente une déformation
évidente ; tandis qu'il est aplati des deux côtés, le milieu semble élevé et former
une saillie entre les deux méplats latéraux^ Les dents sont d'aspect normal.
Les organes génitaux sont normalement développés, ainsi que le système
pileux du pubis.
Le malade ne peut se tenir debout sans béquilles, mais avec celles-ci il
marche encore assez bien, en usant du membre inférieur droit seulement, car
le gauche pend presque inerte et ne touche pas le sol. Dans la marche, seule la
partie antérieure du pied droit, fortement équin, porte sur le sol.
Rien à noter du côté des nerfs crâniens.
Le malade peut très bien se servir de ses extrémités supérieures ; les mou-
vements se font bien, la force est normale dans tous les segments. Il n'y a pas
de rigidité dans les mouvements passifs ; pas d'atrophie musculaire.
Le membre inférieur droit présente d'une façon typique l'aspect qu'on voit
dans la paraplégie spastique infantile. Il est légèrement fléchi dans la' hanche
et dans le genou et en forte adduction. Le pied et en position équine et en
adduction légère, avec légère flexion dorsale permanente des premières pha-
langes des orteils (PI. XXV).
Il existe en outre une légère atrophie diffuse généralisée à tous les muscles
de la jambe et surtout accusée dans ceux de la région antérn-externe ; le biceps
sural est le moins atteint. Les reliefs musculaires des deux tiers supérieurs de
la cuisse sont très marqués ; au contraire au tiers inférieur il existe au-dessus
du genou une atrophie circulaire en jarretière, frappant également le triceps
fémoral et les muscles postérieurs.
Les mouvements passifs sont plus ou moins limités dans les diverses ar-
ticulations du membre, du fait de la contracture. Celle-ci est surtout marquée
dans les adducteurs de la cuisse et dans les muscles du mollet. Il est en effet
absolument impossible de lutter contre l'état d'adduction permanente de la
cuisse ; le tendon d'Achille d'autre part forme au niveau du talon une corde
absolument inextensible qui fixe le pied en équin, s'oppose à la flexion dorsale
et permet seulement des légers mouvements d'abduction et d'adduction. Les
petites articulations des orteils sont relativement libres.
Les mouvements passifs d'extension de la cuisse et de la jambe ont subi, eux
aussi, une certaine limitation. La cuisse ne peut être complètement étendue
passivement et le mouvement d'extension de la jambe est aussi arrêté avant
d'atteindre l'amplitude normale. Dans la flexion de la jambe au contraire, on
ne rencontre pas de résistance appréciable. Il existe une légère diminution
NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière T. XX. PI. XXV
PARALYSIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 125
de la force musculaire dans les divers segments du membre ; le pied est celui
dont la motilité est le plus compromise.
Le réflexe rotulien est vif, exagéré et s'accompagne d'une très légère con-
traction des adducteurs à gauche. Le réflexe cutané plantaire est nettement en
extension avec éventail des orteils.
Le membre inférieur gauche présente un aspect tout à fait différent. Le
membre tout entier montre des muscles considérablement atrophiés et dans
un état de flaccidité complète, contrairement à ce qui se passe dans les mus-
cles du membre inférieur droit; c'est ainsi que le membre présente d'une fa-
çon très nette l'aspect connu sous le nom de jambe de polichinelle. Les muscles
fessiers gauches présentent également un état d'atrophie et de flaccidité mani-
feste, mais l'atrophie est surtout évidente à la jambe où elle atteint tous les
muscles dans toute leur étendue ; les muscles antéro-externes sont toutefois
beaucoup plus atrophiés que ceux du mollet. L'atrophie de la jambe gauche
est de beaucoup plus marquée que celle déjà décrite dans la jambe droite.
Le membre inférieur gauche est de 6 centimètres plus court que le droit.Le
pied est équin,avec flexion exagérée des orteils,dans toutes les phalanges ; il est
en outre légèrement dévié en dehors à partir de l'articulation médio-tarsienne.
Le gros orteil est franchement dévié en dehors, tandis que le petit orteil se
porte en dedans et sous les autres orteils.
La corde formée au-dessus du talon par le tendon d'Achille est beaucoup
moins nette que du côté opposé ; malgré cette rétraction tendineuse, le pied
offre l'aspect du pied ballant et ses mouvements passifs ont une amplitude
beaucoup plus marquée que du côté opposé surtout dans l'adduction et dans
l'abduction.
Aucune raideur dans les mouvements passifs au niveau de l'articulation de
la hanche et du genou.
Pour ce qui est de la force musculaire, on peut dire qu'il existe dans tous
les segments du membre une paralysie presque absolue. .
Il existe des troubles vaso-moteurs très manifestes, accusés surtout au ni-
veau de la jambe et du pied ; la peau est très froide et violacée. Tandis que
la jambe droite est abondamment pourvue de poils, la jambe gauche est ab-
solument glabre. L'excitabilité électrique des muscles est,suivant les points, ou
très diminuée ou abolie.
Le réflexe rotulien est aboli à gauche, mais la percussion du tendon rotulien
gauche donne naissance à droite à un réflexe controlatéral des adducteurs très
énergique.
Le réflexe cutané plantaire, bien que plus faible qu'à droite, est aussi en
extension nette.
Les réflexes abdominaux et crémastériens existent des deux côtés : le ré-
flexe abdominal droit est un peu plus faible que le gauche.
Les réflexes pupillaires sont conservés.
Il n'existe, nulle part, de troubles de la sensibilité subjective ou objective
(tant superficielle que profonde).
126 ITALO ROSSI
Pas de troubles sphinctériens.
Le malade ne présente pas de troubles de la parole. Quoique étant « minus
liabens » il lit et écrit assez bien.
L'état du malade ne s'est pas modifié dans les années suivantes ; un dernier
examen fait peu de temps avant sa mort a confirmé la présence des troubles
moteurs, trophiques et de la réflectivité ci-dessus décrits.
Mort le 4 août 1906, à la suite d'appendicite.
AUTOPSIE. - Il existe dans l'hémisphère cérébral gauche un foyer de ramol-
lissement ayant complètement détruit (PI. XXV-XXVI) : 1° la première cir-
convolution frontale dans sa partie interne et supérieure et dans la moitié
antérieure de sa partie orbitaire ; la première circonvolution frontale est rem-
placée par une coque excessivement mince qui semble formée presque exclusi-
vement par la méninge ; 2° la face interne du lobule paracentral ; 3° la première
circonvolution limbique et le corps calleux dans leurs 3/4 antérieurs, jusqu'au
niveau à peu près de la partie ascendante de la scissure calloso-marginale. En
avant de celle-ci il n'existe plus aucune trace de la première circonvolution
limbique ; il existe au contraire encore quelques restes du tronc du corps cal-
leux sous la forme d'une mince lamelle ; la moitié antérieure du tronc et le
genou ont complètement disparu.
La moitié antérieure du ventricule latéral est considérablement dilatée.
Des coupes macroscopiques ont montré que le ramollissement de la face interne
du lobule paracentral ne pénètre que peu dans la profondeur, et que le ramol-
lissementde la premièrecirconvolution frontale aboutit en avant etau-dessous de
la tête du noyau caudé sans toucher en rien celle-ci, et que le noyau ventricu-
laire,le thalamus,ainsi qne la capsule interne ne présentent pas de lésions ma-
croscopiques.
L'hémisphère cérébral droit présente une lésion qui est exactement la même
qu'à gauche, avec cette seule différence que la première circonvolution frontale
est un peu moins atteinte par le ramollissement qu'à gauche tant dans la partie
orbitaire qu'au niveau de la convexité ; le peu de cette circonvolution qui
persiste apparaît ratatiné, extrêmement atrophié.
Dans le reste des hémisphères cérébraux, tant à la base qu'à la convexité,
il n'y a rien à noter d'anormal ou de particulier. Les méninges molles sont,
comme la dure-mère,d'aspect normal, peu épaissies ; la pie-mère se détache fa-
cilement des circonvolutions sous-jacentes, sans entraîner de perte de subs-
tance. -
Les circonvolutions restantes ont un aspect macroscopique normal ; en au-
cun point elles ne semblent être sclérosées ou présenter un aspect microgy-
rique. Leur disposition paraît normale.
Le cerveau dans son ensemble parait un peu diminué de volume, l'hémi-
sphère gauche plus que le droit; mais cette différence, peu considérable, n'est
que de 25 grammes. Le cervelet est de volume normal, la protubérance est plutôt
petite.
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊJR1ÈRE. T. XX, PI. XXVI
PARALYSIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE
(1. Rossi) .
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 127
Sur des coupes macroscopiques pratiquées à plusieurs niveaux, le pédoncule,
la protubérance et le bulbe ne présentent pas de lésions appréciables à l'oeil nu.
Moelle la dure-mère est d'aspect normal, sans adhérences pathologiques ;
les méninges molles ne semblent pas épaissies.
L'examen macroscopique de la moelle permet de noter très aisément que les
racines antérieures gauches, partir du premier segment lombaire au troisième
segment sacré inclusivement, sont beaucoup plus grêles que les racines correspon-
dantes du côté droit.Après un soigneux repérage des racines, nous avons isolé in-
dividuellement les segments lombaires et sacrés avec leurs racines correspon-
dantes.A ces divers étages de la moelle on peut, même à l'oeil nu, sur les mor-
ceaux encore dans le liquide de iNüller, noter la forte atrophie de la corne
antérieure gauche et du cordon antéro-latéral gauche.Cette atrophie estsurtout
accusée au niveau de S 2, S 1, L 5, L 4, L 3.
Etude HISTOLOGIQUE. Elle a porté sur les 5 segments sacrés et sur les
5 segments lombaires, sur plusieurs autres fragments prélevés à différentes
hauteurs des régions dorsale et cervicale,sur le bulbe et la protubérance à di-
verses hauteurs.
Les pièces ayant été durcies dans le liquide de Müller, nous avons employé
les méthodes de coloration suivantes : Gieson, hématoxyline-éosine, Pal, Pal-
cochenille, Weigert.
Moelle.- A l'oeil nu on voit déjà qu'il existe, dans la région sacro-lombaire
sur les coupes de S 1,S et des 4 derniers segments lombaires une forte asy-
métrie de la moelle : la moitié gauche est beaucoup moins développée que la
moitié droite. Cette asymétrie, même à l'oeil nu, paraît être due à une atrophie
plus ou moins forte suivant les divers segments, de la corne antérieure gau-
che, du cordon antéro-latéral du même côté, et, en petite partie aussi, à une
légère diminution de volume du cordon postérieur et de la base de la corne
postérieure gauche.
Sur des préparations au Weigert et au Pal la corne antérieure gauche paraît
en totalité plus faiblement colorée que la droite ; mais la décoloration frappe
surtout la tête de la corne, qui sur des coupes au Gieson et à l'éosine tranche
avec le reste de la corne par la coloration plus foncée qu'elle prend.
Microscopiquement,on constate que dans les segments précités il existe, dans
la moitié externe de la tête de la corne antérieure gauche, un gros foyer ty-
pique de poliomyélite ancienne. Ce foyer atteint son maximum d'intensité et
d'extension au niveau de S ,S 4,L 5, L 4, L 3 et s'accompagne d'uue forte
atrophie massive de la corne antérieure, réduite à la moitié de son volume (PI.
XXVII). Au niveau du foyer proprement dit les fibres nerveuses constituant
le réseau myélinique de la corne sont extrêmement raréfiées ; celles qui persis-
tent sont pour la plus grande part très amincies et placées dans un tissu de sclé-
rose dense où on note, à l'hématoxyline-éosine, une légère multiplication des
noyaux névrogliques. Au milieu de ce tissu on aperçoit, sur quelques coupes
des divers segments en question, un gros vaisseau, fortement dilaté, avec des
parois très épaissies et une forte dilatation de l'espace périvasculaire. En gé-
128 ITALO ROSSI
néral, tous les autres petits vaisseaux situés tant au sein du foyer que dans le
reste de la corne antérieure ont des parois épaissies et sont très apparents.
Les grosses cellules ganglionnaires de la corne antérieure ont presque com-
plètement disparu ; on y trouve seulement quelques très rares cellules, pres-
que toutes fortement atrophiées, rondes, sans prolongements ni noyaux ; ici et
là on rencontre quelques vestiges des cellules disparues sous forme de petits
blocs protoplasmiques homogènes, de forme irrégulière, prenant fortement les
colorants. Il est à noter cependant qu'au niveau du tiers moyen de S 2 et sur-
tout dans son tiers inférieur, bien qu'il existe ici encore une très forte atro-
phie de la corne antérieure et du cordon antéro-latéral gauches, le foyer po-
liomyélitique proprement dit tend à se limiter ; en outre, on observe au sein
même du foyer et à la périphérie, surtout à l'angle antéro-internede la corne,
quelques cellules encore assez bien conservées.
Dans les segments dont il est question (S 2, S 1 ; L 5, L 4, L 3) la base de
la corne antérieure, où il n'existe pas de foyer poliomyélitique proprement dit
est moins large que la correspondante droite, son réseau myélinique est légè-
rement raréfié, les collatérales réflexes qui la traversent sont moins nom-
breuses. La base de la corne postérieure gauche présente une légère diminution
de largeur, mais pas de raréfaction de ses fibres ni de sclérose.
Le cordon antéro-latéral gauche est, comme nous l'avons dit, fortement
atrophié; le cordon latéral présente eu outre une légère décoloration, une
raréfaction des fibres avec légère hyperplasie névroglique. Les sillons du
cordon antéro-latéral par lesquels passent, en riches faisceaux, les fibres radi-
culaires antérieures, sont presque complètement dépourvus de fibres et occu-
pés presque exclusivement par du tissu interstitiel.
Le cordon postérieur gauche est un peu moins volumineux que le droit,
mais il est bien coloré, ne présente aucune trace de dégénérescence.
Les racines antérieures correspondantes aux divers segments et qui,coupées
transversalement, sont immédiatement adjacentes à la périphérie de la moelle.
sont beaucoup moins volumineuses à gauche qu'à droite ; elles ne contiennent
presque pas de fibres et sont presque uniquement constituées par du tissu in-
terstitiel fortement sclérosé. Les quelques fibres encore restantes sont pour la
plupart fines et ont une gaine myélinique très mince, mais bien colorée.
Au niveau de S 3 (PI.XXVII) il y a encore une légère asymétrie de la moelle
par l'atrophie de la corne et du cordon antéro-latéral gauche.Bien qu'il n'existe
pas dans la corne antérieure de foyer proprement dit,on y retrouve une légère
raréfaction du réseau myélinique avec sclérose légère, une diminution du
nombre des cellules et des lésions atrophiques dans quelques-unes des cellules
restantes. Il existe en outre, dans les racines antérieures gauches de ce seg-
ment une atrophie et une perte de fibres qui bien que beaucoup moins accu-
sée que dans les segments sus-jacents n'en est pas moins nette.
Au niveau deS4 l'aspect de la moelle redevientà peu près normal (LXXVII).
Au niveau de L 2, L i, le foyer est moins volumineux que dans L 3, la ra-
réfaction des fibres et la sclérose y est moins accusée. Au sein du foyer on
retrouve quelques rares cellules très atrophiées, mais à la périphérie et sur-
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. XX. PI. XXVII
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Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière T. XX. Pli. XXVIII
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PARALYSIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE
(I. Rossi).
- -.
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 129
tout à la partie médiale de la corne on observe quelques cellules d'aspect nor-
mal. L'asymétrie de la moelle est moins accusée que dans les segments sous-
jacents, et l'atrophie des racines antérieures gauches moins forte ; ces der-
nières contiennent de nombreuses fibres saines.
A noter dans la corne droite, au niveau de L 4, deux petits foyers occupant
respectivement les angles antéro et postéro-externes de la corne,avec raréfaction
forte du réseau myélinique, hyperplasie du tissu névroglique et diminution de
nombre des cellules. Ces foyers, bien que moins intenses que le foyer de gau-
che, font qu'à ce niveau la différence de volume entre les deux cornes n'est pas
aussi frappante qu'elle l'est dans L 5 et L 3 où la corne droite est indemme d'al-
térations. La racine antérieure droite de L 4 présente des lésions atrophiques
analogues, mais beaucoup moins accusées, à celles décrites dans la racine
gauche.
Dans la région dorso-cervicale de la moelle il n'existe ni dans la corne gau-
che, ni dans la droite, de foyers de poliomyélite (PI. XXVIII). La corne gauche
cependant semble, dans la région dorsale, un peu plus petite que la droite,
mais cette différence est presque insignifiante. De même il semble qu'à ce ni-
veau les cellules de la corne gauche soient un peu moins nombreuses que dans
la corne droite. Le réseau myélinique de la corne gauche n'est cependant pas
raréfié, n'existe pas non plus d'hyperplasie ou de sclérose du tissu interstitiel.
Dans les segments dorsaux et cervicaux les cordons antéro-latéraux sont
bien colorés, ne présentent ni dégénération ni sclérose. L'atrophie du cordon
latéral gauche, nette dans la moelle sacro-lombaire, est ici beaucoup moins
appréciable. L'atrophie du cordon antérieur gauche persiste au contraire très
nette dans toute la hauteur de la moelle cervico-dorsale, même au niveau de
C 1 ; il s'agit ici aussi d'atrophie simple, sans dégénération des fibres nerveu-
ses.
Les colonnes de Clarke dans toute la hauteur de la moelle lombo-dorsale
sont de volume et d'aspect normal, d'un côté comme de l'autre.
Rien à noter dans les racines postérieures, ni dans les cordons postérieurs
à part la légère atrophie, sans dégénérescence, ni sclérose, décrite dans la
moelle lombo-sacrée gauche.
Méninges normales, sauf un léger épaississement de la pie-mère à la région
sacro-lombaire de la moelle.
Bulbe. - Protubérance. - Les coupes intéressant le bulbe et la protubé-
rance à différentes hauteurs offrent un aspect normal. Dans toute la protu-
bérance la voie pédonculaire semble être aussi bien développée qu'à l'état nor-
mal, et aussi bien à gauche qu'à droite. Dans aucun de ses faisceaux il n'existe
de dégénérescence ni de sclérose. De même pour les pyramides bulbaires qui
sont très bien colorées et ne paraissent pas atrophiées (PI. XXVIII). Ces pyra-
mides bulbaires sur des coupes symétriques semblent présenter un volume
égal : peut-être cependant la pyramide droite est-elle un peu moins volu-
mineuse que la gauche, mais cette différence de volume, si tant est qu'elle
existe, est très légère et digne de toutes réserves.
130 ITALO ROSSI
En résumé, il s'agit dans notre cas d'un individu de 30 ans chez lequel,
à l'âge de 6 mois, se développa à la suite de convulsions, une paraplégie
que l'examen actuel montre se présenter dans chacun des deux membres
avec des caractères tout à fait dissemblables. Le membre inférieur droit
présente en effet l'aspect typique qu'on voit dans la paraplégie spastique
infantile. Le membre inférieur gauche, au contraire, offre d'une façon
très nette l'aspect connu sous le nom de jambe de polichinelle, et le ta-
bleau typique de la paralysie-spinale infantile. Notons cependant que,
même de ce côté, le phénomène de Babinski se fait en extension.
L'autopsie et l'examen histologique montrent :
Dans lecerveau, un foyer de ramollissement bilatéral et symétrique ayant
complètement détruit : la première circonvolution frontale dans sa par-
tie interne et supérieure et dans la moitié antérieure de sa partie or-
bitaire, la face interne du lobule paracentral, la première circonvolution
limbique ainsi que les corps calleux dans leurs trois quarts antérieurs,
jusqu'au niveau de la partie ascendante dela scissure cal loso-marginale.
C'est à ce foyer que doit être rapporté la paralysie cérébrale infantile de
notre malade.
Dans la moelle, l'existence d'un foyer typique de poliomyélite ancienne
occupant la moitié externe de la tète de la corne antérieure gauche et s'é-
tendant du 2e segment sacré au 1er segment lombaire inclusivement, avec
forte atrophie des racines lombo-sacrées correspondantes et forte atrophie
de la moitié gauche de la moelle. C'est à ce foyer que nous devons rap-
porter la paralysie spinale infantile du membre inférieur gauche.
Nous nous réservons de développer dans un travail ultérieur, l'intérêt
anatomique que présente notre cas, lorsque seront terminées les coupes
sériées du cerveau auxquelles nous nous appliquons maintenant. En effet,
les autopsies de paraplégie cérébrale infantile, du moins des cas stricte-
ment limités aux membres inférieurs sont fort rares. Il semble que notre
observation en soit cependant un exemple. Autant que nous pouvons ajou-
ter foi aux renseignements fournis par la mère, il paraît bien qu'il ne s'a-
git pas ici d'une paraplégie cérébrale infantile, résidu d'une diplégie, mais
plutôt d'une paraplégie cérébrale pure, et s'étant présentée comme telle
d'emblée. Le malade, depuis sa première enfance, a bien pu se servir de
ses extrémités supérieures, il a apprit à écrire de bonne heure, et le pre-
mier examen du malade fait à t'age de 20 ans,lors de son entrée à Bicêtre,
a montré l'intégrité absolument parfaite des membres supérieurs. Or le
résultat de l'autopsie montrant une lésion bilatérale et symétrique, dé-
truisant une partie du territoire de l'artère cérébrale antérieure, notam-
ment la face interne des deux lobules paracentraux, mérite, môme en
tant que simple constatation macroscopique, d'être relevé dans notre cas
particulier. e
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE hT PARALYSIE SPINALE INFANTILE 131
Il faut aussi noter la présence du signe de Babinski des deux côtés, même
dans le membre gauche atteint de paralysie infantile, presque complète-
ment^ paralysé, en état de flaccidité complète et présentant une atrophie
musculaire totale très accusée.
La présence du signe de Babinski a été, bien que rarement, signalée
dans la paralysie spinale infantile et diversement interprétée. Pour les uns
il serait dû à l'invasion du cordon latéral par le processus poliomyéliti-
que,pour d'autres (Oppenheim) à l'intégrité du seul muscle long extenseur
du gros orteil.
Dans notre cas nous ne croyons pas qu'il faut rechercher la cause de ce
phénomène dans l'intégrité isolée de ce muscle, car, non seulement cette
intégrité isolée n'existait pas, mais les fléchisseurs étaient moins paraly-
sés que les extenseurs. Il est plus difficile de rejeter l'hypothèse que
le phénomène de Babinski puisse relèver de la très légère raréfaction
du cordon latéral observée au niveau du foyer poliomyélitique. Mais de-
vant la bilatéralité et la symétrie des lésions cérébrales, n'est-il pas plus
logique de rattacher ce phénomène à la même cause qui le détermine à
droite, dans le membre qui présente d'une façon typique l'ensemble des
phénomènes spastiques de la paralysie cérébrale infantile ? S'il en était t
réellement ainsi, le signe de Babinski à gauche serait, à cause de la lésion
poliomyélitique,la seule expression de la spasmodicité d'origine cérébrale,
si manifeste dans le membre inférieur droit (1).
Dans notre cas il semble donc exister une concordance parfaite entre
le tableau clinique particulier, donné par l'association aussi nette que
possible des symptômes de la paraplégie cérébrale infantile et de la para-
lysie spinale infantile, et les altérations relevées à l'examen anatomique.
Il vient, avons-nous dit, apporter un très puissant appui à la doctrine
de l'analogie entre ces deux affections.Cette analogie avait été déjà entrevue
par Vizioli (2) en 1880 qui avait dès cette époque relevé les similitudes
de début et d'évolution de la paralysie spinale infantile et de l'hémiplégie
cérébrale infantile. Mais c'est à Strümpell et à Pierre Marie, que nous de-
vons d'avoir éclairé plus vivement les analogies de divers ordres existant
(1) 11 n'est pas sans intérêt de rappeler à ce propos que Schùller a présenté en 1903
tt la Société de Neurologie et Psychiatrie de Vienne, 3 cas de paralysie spinale infan-
tile d'un seul membre inférieur avec réflexe cutané plantaire en extension, dans un
cas du même côté de la paralysie, dans les deux autres cas du côté opposé. Redlich,
à la même séance, faisait remarquer que la présence du signe de Babinski du côté op-
posé à la paralysie pouvait relever de deux causes : soit d'une atteinte passagère et
fruste au début de l'affection du côté en apparence sain, avec participation légère
du faisceau pyramidal croisé, soit d'une lésion cérébrale concomitante, comme on peut
en voir dans la paralysie spinale infantile.
(2) VzIOLI, Emiplegia cérébrale, Il Morgagni, 1880, p. 568.
132 ITALO ROSSI
entre ces deux affections, et d'avoir attiré d'une façon particulière l'atten-
tion sur ce problème intéressant.
L'étude historique de cette question n'est pas dépourvue d'intérêt, car
elle nous montre comment, peu à peu, des considérations théoriques ti-
rées de la pathologie générale, appuyées sur l'observation clinique et
l'étude anatomique,ont amené des tentatives d'une conception nouvelle de
la paralysie spinale infantile.
Selon cette conception le cadre nosologique où l'on enferme cette affec-
tion est trop étroit ; il faut l'élargir et ne considérer la poliomyélite que
comme la localisation spinale d'une affection générale toxi-infectieuse
capable de frapper aussi d'autres parties du système nerveux. Ces diverses
localisations du même processus aigu, inflammatoire, d'origine vasculaire,
entraînent des tableaux morbides naturellement différents mais qui ont
entre eux de grandes analogies, des identités même pourrait-on dire,
étiologiques, cliniques et anatomiques.
Strümpell (1), en 1884, frappé par les caractères cliniques de certaine
forme de l'hémiplégie cérébrale infantile, fut amené à penser qu'à ces
particularités cliniques devait correspondre aussi un processus anatomi-
que particulier. La nature de ce processus ne lui fut pas suggérée par
des constatations anatomiques. Il se basa plutôt pour l'établir, sur les
analogies de début et d'évolution que la forme par lui détachée du groupe
cliniquement bien délimité de l'hémiplégie cérébrale infantile, présen-
tait avec une affection spinale à processus anatomique bien défini, la
paralysie spinale infantile.
Les deux affections,en effet, frappent de préférence des enfants,dans les
premières années de leur vie, au milieu d'une bonne santé. Le début est
presque toujours brusque, avec des symptômes généraux graves, tels que
fièvre plus ou moins élevée, somnolence, vomissements, convulsions, trou-
bles gastro-intestinaux, etc. Les troubles de motilité qui font suite à ces
prodromes sont d'abord plus marqués et plus généralisés qu'ils ne le sont
ultérieurement.
De ces analogies cliniques Strümpell fut amené à considérer sa variété
d'hémiplégie cérébrale infantile,comme le résultat de la localisation céré-
brale du même processus qui dans la moelle engendrait la paralysie spi-
nale infantile. Et comme il était convaincu que dans cette dernière il
s'agissait d'une inflammation primitive des cellules motrices des cornes
antérieures, - d'un processus inflammatoire aigu, systématisé et localisé
dans la substance grise antérieure de la moelle,-il concluai t que dans l'hé-
miplégie cérébrale infantile, le siège de l'affection devait se trouver dans
(1) STRllMPELL, Tageblait der Magdeburg. 5 (. deutschen Natw'f. Versammlung, 1884.
Deutsche medic. Voch., 1884, p. 114. n° 44.
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 133
la substance grise des circonvolutions motrices. D'où le nom de poliencé-
phalite, opposé à celui de poliomyélite , qu'il proposa pour indiquer
encore mieux les analogies liant entre elles l'hémiplégie cérébrale infan-
tile et la paralysie spinale infantile. Pour Sii-ümpel en effet, les deux affec- -
tions sont'de nature très analogue, dans ce sens que dans l'une el l'autre le
même agent (peut-être infectieux), se localise -tantôt dans la substance
grise de la corticalité motrice, tantôt dans la substance grise antérieure
de la moelle.
La preuve que la substance grise de la zone motrice de l'encéphale est
le siège de l'affection dans la forme clinique d'hémiplégie cérébrale infan-
tile dont il est question, résiderait pour cet auteur non seulement dans les
phénomènes cliniques (distribution de la paralysie, crises épileptiformes,
athétose), mais aussi dans les autopsies d'hémiplégie cérébrale infantile
jusqu'alors publiées. Ces autopsies montreraient en effet des lésions poren-
céphaliques dans la région motrice de la corticalité qui, selon Strümpell,
conserveraient encore les traces d'un processus inflammatoire initial.
Pierre Marie (1) presque en même temps (1885) soutenait aussi de son
côté l'analogie des deux affections ; pour Pierre Marie l'analogie n'est pas
seulement clinique (pour le mode de début et l'évolution), et anatomique,
mais encore étiologique. Il est en effet plus affirmatif que Strümpell sur la
nature infectieuse de la paralysie spinale infantile et de beaucoup des cas
d'hémiplégie cérébrale infantile. Il pense, lui aussi, que dans la plupart
des cas les processus sont très analogues dans les deux affections et que la
seule différence consiste probablement en ceci que tantôt c'est la moelle,
tantôt le cerveau qui est le siège de la lésion. Mais il n'est pas d'accord
avec Strümpell sur la nature du processus anatomique commun aux deux
affections. Pour Pierre Marie, il ne s'agit ni dans l'une ni dans l'autre
de ces deux affections d'une lésion pure et primitive de la substance grise
de la corticalité motrice ou des cornes antérieures de la moelle, comme
le croyait Strümpell, mais de lésions en foyer, d'origine vasculaire, nul-
lement systématisées, pouvant intéresser aussi la substance blanche.
Contre la conception de Strümpell de la poliencéphalite, en tant que
processus anatomique systématisé à la substance grise, engendrant l'hé-
miplégie cérébrale infantile, - conception uniquement basée sur des vues
théoriques, - s'élevèrent bientôt de sérieuses objections (l3ehrnahrdt (` ? );
Wallenberg (3), Hoven (4) et autres auteurs).
(1) P. Marie, Hémiplégie cérébrale infantile et maladies infectieuses. Progrès
médical, S septembre 1885.
(2) BFIIRNAIIRDT, Virchow'sArchiv, Cil, p. 26, 1885.
(3) WALL$NBBRG, Jahr. f. l{inderh., XXIV, p. 384, 1886.
(4) Ilovsn, Arch. f. Psyeh. und Neur.,Bd. XIX, p. 563, 1888.
xx 9
134 . ITALO ROSSI
On objecta en effet à Strümpell, de ne pas avoir prouvé anatomique-
ment cette poliencéphalite avec des pièces recueillies sur des individus
morts à une époque très voisine du début de la maladie.
Les altérations anciennes, définitives, y compris la porencéphalie ac-
quise, se prêtaient mal à l'étude de la lésion initiale, car il était déjà
démontré qu'un état terminal pouvait relever de lésions initiales va-
riées. Dans la plus grande partie des cas d'hémiplégie cérébrale infan-,
tile suivie d'autopsie, les lésions rencontrées, même les porencéphalies,
acquises, démontraient que presque toujours ces lésions n'étaient pas sys-
tématisées à la substance grise, mais qu'elles intéressaient aussi plus ou
moins la substance blanche. Même, l'hémiplégie cérébrale infantile pouvait
être due à un foyer situé dans la substance blanche sous-corticale et même
plus bas, au niveau des ganglions centraux, voir même dans le pédoncule.
On objecta encore que la porencéphalie acquise, expression terminale et
caractéristique de la poliencéphalite, selon Strümpell, s'observait fréquem-
ment dans d'autres régions de la corticalité, en dehors de la zone motrice.
Si on ajoute qu'à ce moment, des observateurs démontraient que la
poliomyélite n'était pas une affection systématisée et localisée à la subs-
tance grise motrice, mais que les cornes postérieures, la colonne de Clarhe,
la substance grise autour du canal central, la substance blanche des cor-
dons antéro-latéraux pouvaient être aussi atteintes par le processus polio-
myélitique, on voit que la conception anatomique de Strümpell, concep-
tion tirée de l'analogie avec la poliomyélite, n'avait plus raison de subsister.
En effet,Strümpell (1), en 1891 dans un deuxième travail, rejette l'idée
d'une atteinte exclusive de la substance grise de la corticalité motrice et
admet que le foyer inflammatoire peut aussi se localiser dans la substance
blanche et dans d'autres régions du cerveau. Il maintient cependant l'en-
céphalite comme lésion initiale possible de l'hémiplégie cérébrale infantile
et précisément de la forme ayant les particularités cliniques déjà men-
tionnées, et il propose le nom d'encéphalite aiguë des enfants au lieu de
celui de poliencéphalite.
Il ne donne cependant pas la démonstration anatomique de cette
encéphalite des enfants susceptibles d'engendrer l'hémiplégie cérébrale
infantile; mais il en admet la possibilité en se basant sur deux observa-
tions personnelles d'encéphalite de l'adulte, qu'il considéra comme anato-
miquement identique à la poliencéphalite hémorragique supérieure de
Wernicke, etqu'il appela encéphalite aiguë primitive hémorragique. Dans
cette encéphalite il s'agit d'un vrai processus inflammatoire aigu, dont le
point de départ doit être recherché dans les vaisseaux.
(1) S'ff1U111'ELL, Deutsches Archiv fiir klin. bled., 1891, Bd. XLVII, p. 52.
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 135
En rejetant ainsi le caractère primitivement parenchymateux et systé-
matisé de l'encéphalite par lui supposée en 1884, Strümpéll rendait
encore soutenable, même sur le terrain anatomique, l'analogie entre la
paralysie spinale infantile et. une certaine variété au moins de l'hémiplégie
cérébrale infantile.
En effet, les travaux anatomiques parus depuis lors sur la poliomyélite
aiguë de l'enfance s'accordent à démontrer la fausseté de l'hypothèse,
admise par Charcot, d'une atrophie cellulaire primitive. Auparavant déjà,
Roger et Damaschino (1), Roth (2), Eisenlohr (3) avaient émis l'opinion
qu'il s'agissait d'un processus de nature franchement inflammatoire, d'une
vraie myélite intéressant à la fois les cellules nerveuses, les tubes nerveux
et les vaisseaux. Mais c'est l'étude de cas de paralysie spinale infantile
suivis d'autopsie peu de jours après le début de l'affection qui devaient
nous éclairer sur la pathogénie de ses lésions anatomiques. Les travaux
d'Archambault-Damaschino (4), Drummond (5), Pierre Marie (6), Golds-
cheider (7), Dauber (8), Redlich (9),Siemerling (10), Schultze (11), Tre-
velyan (12), Matthes (13), Bülov-1-laiisen-Harbitz (14), Ilagenbach-Bur-
kardL(l5),PlaCzek(l6),Zappert(l7),Taylor(18),Praetorius(l9),Ballen(20)
concordent pour démontrer que la paralysie spinale infantile est due à un
processus d'inflammation franche d'origine vasculaire, à une véritable myé-
lite aiguë, interstitielle, survenant par foyers. Si cette myélite atteint
de préférence la substance grise des cornes antérieures, elle peut aussi
porter sur les cornes postérieures, sur la substance blanche de la moelle.
(1) RoGER et Damaschino, Gaz. méd, de Paris, f87f, p. 457.
(2) ROTS, Wirchow's, Archiv, 1873, Bd. 58, p : 263.
(3) EISE : 'iLOHII, Deutsche Arch. f. klin. Med., 1880, Bd. 26, p. 557.
(4) AMHAMBAULT-DAHAScniso, Revue mens. des mal. de l'enfance, 1885.
(5) DRUMMOND, Brain, 1885, VIII, p. 14.
(6) Pierre Marie, Leçons sur les mal. de la moelle, Paris, 1892.
(7) GOLDSCHEIDER, Zeitschrift f. klin. Med., Bd. XXIII, 1893, p. 495.
(8) Dauber, Deutsche Zeits. f. Nervenheilk., 1893, Bd. 4, p. 200.
(9) Redlich, Wiener klin. Wochenschr., 19 avril 1894, n° 16.
(10) Siemerling, Archiv. f.Psych., Bd. XXVI, 1894, p. 267.
(11) SCIiULTZE, Neurolog. Centr., 1894, p. 503.
(12) TREVELYAN, Brain, Summer-Autumn, 1895.
(13) MATTHES, Deutsche Zeitschr. f. Nervenheilk., Bd. XIII, 1898, p. 331.
(14) BULOW 11,1\SnN-IIAItüIT2, Norsk. Mag. f. lâgewidenskaben, n° \1, 1898.
(15) IIAGEN13,CH-BURCICIIARDT, Jahr. f. Kinderh., Bd. 49.1899.
(16) PLACZEK, Berlin, klin. Woch., 1901, no 44, p. 1114.
(17) ZAPPERT, Jahrb. f. Kinderh., 1901, p. 125.
(18) T.IYLOIi, The journ. of Nerv.and ment. Dis. August., 1902.
(19) Paaerontos, Zur Path. Anat. de Poliom. Ant. Ac. Inaugural. Dissert. Munchen,
Juli, 1903.
(20) BATTEZ, Brain, 1904, p. 376.
136 1TAL0 ROSSl
Les lésions cellulaires ne sont pas primitives, mais secondaires aux alté-
rations vasculaires et interstitielles. On a aussi presque universellement
accepté l'hypothèse émise par Pierre Marie (1) en 1892 que le mode de
distribution des foyers inflammatoires est en rapport étroit avec celui
de distribution des artères centrales ou des artères radiculaires antérieures
à l'intérieur de la moelle.
Si nous demandons maintenant si les observations et les études ulté-
rieures sont venues confirmer l'identité soutenue par Vizioli, Pierre
Marie et Strümpell entre l'hémiplégie cérébrale infantile et la paralysie
spinale infantile, on peut répondre affirmativement. Ainsi que nous l'a-
vons dit plus haut, c'est surtout au point de vue étiologique que la doc-
trine de ces auteurs a reçu de solides confirmations. En effet, la nature
infectieuse de la paralysie spinale infantile, soutenue d'abord par Seelig-
müller (2), Strümpell (3) et Pierre Marie (loc. cit.), est aujourd'hui pres-
que universellement admise. Elle cadre d'ailleurs très bien avec la con-
ception pathogénique de la poliomyélite aiguë de l'enfance telle qu'on
l'admet actuellement. Bien qu'on n'ait pas encore donné la démonstration
évidente de cette nature infectieuse par la constatation des microbes dans
le tissu médullaire même, bien qu'on puisse discuter encore si il est per-
mis d'appliquer à la pathologie humaine les résultats des tentatives de
poliomyélite expérimentale, on ne peut pas nier la valeur des arguments
et des faits sur lesquels s'appuie la doctrine de la nature infectieuse de
l'affection en cause.
Assez souvent en effet la poliomyélite antérieure aiguë éclate au cours
ou à la suite d'une maladie générale infectieuse telles que la rougeole,
scarlatine, variole, oreillons, etc. Très souvent encore, lorsqu'elle paraît
être indépendante d'une maladie infectieuse quelconque déterminée, elle
débute d'une façon brusque, avec fièvre plus ou moins forte et des phéno-
mènes généraux analogues à ceux qu'on rencontre au début d'une maladie
infectieuse aiguë et qui semblent parler en faveur d'une infection par un
virus organisé (Strümpell).
Un argument plus probant encore réside dans l'allure épidémique
qu'elle revêt parfois. Les observations d'épidémie de poliomyélite, rela-
tivement rares à l'époque où fut émise cette doctrine, se sont depuis mul-
tipliées ; nos recherches bibliographiques nous permettent de citer les au-
teurs suivants :
(1) Pierre Marie, Leçons, 1892.
(2) SBELIGMULLER, Haudbuch der Kinderheilk., 1880, Bd. V.
(3) STRGMPELT" Deutsches Arch. f. klin. Med., 1884, Bd. XXXV, p. 1.
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 137
Colme'r (1), Ilammond (2), Bergehollz (3), Cordier (4), Medin (S),
Leegard (6), Machphail (7), Caverly (8), Pieraccini (9), Dana (10), Cer-
vesato (H), Buccelli (12), Taylor (13), Buzzard (14), Packard (15),
Auerbach (16), Simonini (17), Newmark (18), Zappert (19), André (20),
Mackensie (21), Painter (22), Wade (23), Roset (24), Peschik (25),
Nannestad (26).
En ce qui concerne la nature infectieuse de l'hémiplégie cérébrale infan-
tile, on peut aussi dire que presque tous les auteurs reconnaissent aujour-
d'hui les rapports étiologiques qui existent entre un bon nombre de cas
d'hémiplégie cérébrale infantile et les maladies infectieuses aiguës, rap-
ports sur lesquels Pierre Marie dès 1885 a insisté (27). En effet, comme le
faisait remarquer cet auteur, l'hémiplégie cérébrale infantile s'observe
assez souvent, dans le cours ou dans la convalescence de maladies infec-
tieuses aiguës (rougeole, scarlatine, coqueluche, typhoïde, angine, diph-
térie, etc.) ; il est probable que souvent aussi les imposants symptômes
cérébraux masquent les autres signes d'une maladie infectieuse.
Donc l'infection en général, sans qu'on puisse parler d'agent spécifique,
(1) COLLER, Americ. Journ. of Med. Scien., 1843.
(2) HAMMOND, Dis. of the Neur. Syst., 1876, p. 451.
(3) Bergeholtz, cité par Medin.
(4) Cordier, Lyon médical, janvier 1888.
(5) MEDIN, Hygiea, septembre 1890, XLII, p. 657 (Anal. Centralbl. f. Nervenh.,
1891, p. 114).
(6) LEEGAIW, Norsk. Mag. for haegevidenskahen, 1890 (Anal. Neur. Centralblatt,
1890, p. 760).
(7) Machphail, Brit. Med. Journ., 1894, 1" décembre.
(8) CAVERLY, New York. Med. Record, 1894, p. 672 ; Journ. of the Amer. med.
Assoc., 1896, XXVI, n° 1.
(9) Pieraccini, Lo sperimentale, n° 27, 1895.
(10) DANA, Médical Record, 1895.
(11) CBRVESnTO, Sopra una épidemia di paralisi spinale infantile, Padova, 1896.
(12) BUCCELLI, Il Policlinico, 1S97, n° 12.
(13) TAYLOR, Phyladelphia Med. Journ., 1898, p. 208.
(14) Buzzard, The Lancet, 26/3, 1898, p. 847.
(15) Packard, Journ. of nerv. and ment. dis., 1899, n° 4, p. 210.
(16) AuERBACH, Jahrb. f. Kinderh., 1899, Bd. 50, p. 41.
(17) Simonini, Gazz, degli Osped. e clin., 1899, n° 43. ,
(18) Newmark, The medic. News., 28/1, 1S99.
(19) ZAPPERT, Jahrb. f. Kinderh., 1901, Il. 3.
(20) ANDRÉ, Semaine médic., 1902, n° 40.
(21) MACBENSIS, Med. Record, 4 octobre 1902.
(22) Painter, Bost. Med. Journ., décembre 1903.
(23) WADE, Australian med. Gazette, Juli, 1904.
(24) ROSET, La medic. de los ninos, 1905 (Rev. Neur., 1906).
(25 Peschik, Zur Hetiol. der Pol. inf. Inaug. Dissert., Berlin, 1905.
(26) NANNESTAD, Norsk. Mag. for hocgevidensk., avril 1906.
(27) Pierre Marie, hémiplégie cérébrale infantile et maladies infectieuses. Le Progrès
médical, n° 36, 1885. E. Jendrassik et P. Marie, Archiv. de Physiol., janvier 1885.
138 ITALO ROSSI
ni dans la paralysie infantile, ni dans l'hémiplégie cérébrale infantile,
constitue un caractère commun à ces deux affections. Elle établit ainsi
entre elles une analogie étiologique qui, avec les ressemblances cliniques
de début et d'évolution relevées par Vizioli, Strümpell, Marie, plaide
fortement en faveur de la doctrine de ces auteurs.
Les liens étiologiques et cliniques de ces deux affections trouvent leur
meilleure confirmation et dans les observations qui prouvent que ces deux
types cliniques peuvent se retrouver chez diverses personnes de la même
famille, ou du même lieu, lorsque la poliomyélite prend un caractère épidé-
mique, et plus encore, dans les cas qui, comme le nôtre, présentent la
coïncidence des deux affections chez le même individu.
A la première catégorie de faits appartiennent les observations de Mô-
bius,Medin, Pasteur, Buccelli, Hoffmann. A la deuxième, les cas de Beyer,
Parkes Weber, Williams, Neurath, Calabrese, Negro.
L'observation de Môbitis (1) (1884) a été déjà signalée en 1885 par
Pierre Marie dans son mémoire. Il s'agit d'un frère et d'une soeur, âgés
respectivement de 3 ans et de 1 ans 1/2, qui après avoir présenté tous
deux des symptômes généraux (fièvre, agitation, convulsions, somnolence,
état gastrique, etc.) pendant quelques jours, furent presque simultané-
ment atteints, la soeur de paralysie atrophique spinale, le frère d'hémiplé-
gie spasmodique infantile droite.
Medin (2) dans les deux épidémies observées par lui à Stockholm en 1888
et 1895 a rencontré en même temps des cas de poliomyélite et des cas
d'encéphalite laissant pour reliquat de l'hémiplégie spastique.
Pasteur (3) observa sept enfants d'une même famille tombés malades
brusquement dans l'intervalle de 10 jours. Les deux premiers enfants pré-
sentèrent des phénomènes généraux avec fièvre, sans symptômes d'une ma-
ladie infectieuse définie ; deux autres présentèrent des phénomènes
méningés, les trois autres des symptômes paralytiques qui chez deux d'en-
tre eux affectèrent le tableau clinique de la paralysie spinale infantile,
chez le troisième celui de l'hémiplégie cérébrale infantile.
Buccelli (4) (1897) rapporte une épidémie de 18 cas de paralysie infan-
tile, à forme tantôt spinale, tantôt cérébrale, survenue dans un quar-
tier de Gènes, dans une courte période de temps. Dans quelques fa-
milles où plusieurs membres furent frappés, les uns étaient atteints de
paralysie spinale infantile, d'autres de paralysie cérébrale infantile (hé-
miplégie ou diplégie spastique).Pour affirmer davantage les liens étiologi-
(1) P. J. Mobius, Schmidt's Jahrb., 1884, CC. IV, 135.
(2) MEDIN, loc. cil.
(3) Pasteur, Clinical transactions, vol. 13.
(4) BUCCELL, Il Policlinico, 1897, n- 12.
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 139
ques existant entre ces deux affections, Buccelli publie une intéressante
statistique basée sur une grande quantité d'observations, établissant la fré-
quence relative de ces affections durant les divers mois de l'année. Il
résulterait de ces statistiques que la courbe de fréquence de la paralysie
spinale infantile et de la paralysie cérébrale infantile est parallèle et qu'elle
atteint son maximum en été et précisément au mois d'août.
Dans l'observation de Hoffmann (1) (1898) il s'agit de deux frères qui
tombèrent malades le même jour avec de graves phénomènes fébriles et de
la somnolence alternant avec des convulsions. Peu de jours après cet état,
se développa chez l'un une paralysie spinale, chez l'autre une hémiplégie
cérébrale typique, avec athétose, clonus du pied et phénomène de Ba-
binski.
Les cas de la deuxième catégorie sont aussi démonstratifs. Quelques-
uns pourtant ne présentent pas d'une manière aussi frappante la juxta-
position des tableaux cliniques, avec leurs caractères distinctifs si tran-
chés comme dans notre observations.
Le cas de Beyer (2) est le seul de cette catégorie suivi d'autopsie.
Il s'agit d'une jeune fille de 22 ans atteinte d'hémiplégie spastique gau-
che datant de l'âge de 5 ans. Depuis lors, diminution de l'intelligence
et depuis l'âge de 12 ans, attaques d'épilepsie. Réflexe du triceps gauche
exagéré, réflexe rotulien du même côté, très faible.
A l'autopsie, porencéphalie (acquise) dans l'hémisphère cérébral droit,
intéressant la première circonvolution temporale, le gyrus marginalis, le
tiers inférieur des circonvolutions rolandiques, une partie des 2e et 3e
circonvolutions frontales et l'insula. Foyer ancien de poliomyélite dans
la corne antérieure gauche du 3e segment lombaire.
On voit que dans ce cas l'extrême faiblesse du réflexe rotulien gauche
était la seule manifestation clinique de la poliomyélite. '
Dans le cas de Williams (3) (1899), il s'agit ? d'une fillette de 11 ans
qui à l'âge de 6 ans fut atteinte soudainement de céphalée, convulsions,
suivies d'une hémiplégie droite avec aphasie. Il exisleactuellement (1899)
dans le membre supérieur droit de la parésie spasmodique avec mouve-
ments choréiformes et réactions électriques normales. Le membre infé-
rieur du même côté est plus court que le gauche et présente la réaction
de dégénérescence dans les muscles péroniers.
Parkes Weber (4) (1899) observe la coexistence d'une monoplégie facio-
(1) HOFFMANN, Munch. medic. Wochenschr., 1898.
(2) BZYER, Neurol. Centralbl., 1895, p. 620.
(3) Williams, The Lancet, Juli 1, p. 23, 1899.
(4) PARKES WEBEN, The Lancet, 1899. March. 4, p. 591.
140 : *ITALO ROSSI
brachiale droite, caractère cérébral, et d'une paralysie spinale infantile du
membre inférieur droit, survenues à l'âge de 2 ans.
Le cas.de Neurath (1) (1900) concerne une fillette , de 5 ans qui au
cours d'une maladie fébrile aiguë, diagnostiquée méningite et ayant duré
2 semaines, fut atteinte d'hémiparésie droite (avec légère rigidité muscu-
laire, exagération des réflexes tendineux), el d'une paralysie flasque loca-
lisée aux muscles de la jambe gauche, Ceux-ci sont atrophiés, le pied gau-
che est équin, mais sans limitation de sa motilité passive, tandis que le
pied droit est fixé en talus valgûs. La peau du membre inférieur gauche
est cyanotiqueet froide. Le réflexe achilléen fort à droite, est aboli à gau-
che.
Calabrese (2) rapporte un cas nettement démonstratif. Un enfant de
6 mois, S ou 6 jours après le début de troubles gastro-intestinaux graves,
avec fièvre élevée, présente des convulsions à type jaksonicn dans le côté
gauche et, tout de suite après une hémiplégie gauche. Au bout de quel-
ques jours survient une ophtalmoplégie droite et une paralysie du mem-
bre inférieur, droit qui très rapidement s'accompagne d'atrophie. Un exa-
men fait plus tard montra en plus de l'ophtalmoplégie : à gauche une
hémiplégie spastique frappant surtout le membre supérieur (avec des
mouvements choréo-athétosiques, exagération des réflexes tendineux, peu
ou pas d'atrophie musculaire),; à droite, une paralysie flaccide du membre
inférieur (avec atrophie musculaire, abolition des réflexes tendineux et
de la R. D. dans les muscles de la jambe).
Une observation particulièrement intéressante est celle publiée en 1905
par Negro (3). Il s'agit d'un enfant qui fut atteint à l'âge de 13 mois de
de fièvre intense, pendant 2 jours, avec des convulsions généralisées
suivies pendant quelques heures de coma. Au réveil du malade la mère
constata l'existence d'une paraplégie motricepresque complète dans les deux
extrémités- inférieures. Dans les deux semaines suivantes, atténuation
de la paralysie qui se limita à certains groupes musculaires. L'examen
fait par Negro 5 mois plus tard révèle dans le membre inférieur droit les
signes résiduels d'une poliomyélite antérieure aiguë (atrophie muscu-
laire, paralysie flaccide, abolition des réflexes rotulien, achilléen et
cutané plantaire, abolition de l'excitabilité galvanique et faradique. des
nerfs sciatique, poplité externe et interne et des muscles tenseur du
fascia lita et jumeaux, réaction de dégénérescence dans le muscle jambier
antérieur, sensibilité intacte). Au membre inférieur gauche l'aspect est
(1) NEUDATH, Wiener med. Presse, 1900, n° 46, p. 2116.
(2) CALA131tr.SE, Riforma medica, anno XIX, nos 2, 3, 4. z
(3) Nuc;tio, Archivio di Psichiatria, neuropatologia, etc. 1905, vol. XXVI, fac, 1,'2,
p. 128.
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 141
différent, et parle en faveur d'une lésion du neurone moteur central. Lés
troubles de la motilité se limitent ici aux muscles péroniers et l'exten-
seur propre du gros orteil, ces muscles sont dans un état de contracture
légère et entraînent la position du pied en valgus avec flexion dorsale du
gros orteil ; exagération légère du réflexe rotulien et de l'achilléen, dimi-
nution légère du réflexe cutané plantaire ; pas d'atrophie musculaire, exci-
tabilité électrique partout intacte. .
Toutes ces observations laissent présumer que l'analogie de la paralysie
infantile et d'une certaine variété au moins de paralysie cérébrale infantile,
n'est pas seulement étiologique et clinique, mais aussi anatomique; la
lésion primitive étant la même pour toutes les deux.
La démonstration directe de cette analogie anatomique serait donnée
par l'autopsie d'un cas d'hémiplégie cérébrale infantile où on constaterait
comme processus initial, l'encéphalite primaire aiguë hémorragique qui,
pour Strümpell et d'autres auteurs, serait l'équivalent cérébral du proces-
sus anatomique de la paralysie spinale infantile. Or cette démonstration
n'a pas encore été fournie. Cela tient peut-être, comme nous l'avons déjà
dit, au fait que, dans la plus grande partie des cas d'hémiplégie cérébrale
infantile, la mort ne survient que longtemps après le début de l'affection,
et que dans ces conditions il est très difficile dans les lésions terminales
anciennes, de découvrir avec certitude les traces du processus initial..
Cependant si cette démonstration directe fait défaut on ne manque pas
d'arguments et de faits tendant à faire admettre que dans un certain
nombre de cas l'hémiplégie cérébrale infantile puisse être due à une en-
céphalite aiguë hémorragique, analogue à celle de l'adulte, dont l'étiolo-
gie, la clinique et l'anatomie pathologique nous est aujourd'hui connue
par les travaux de Strümpell, Leichtenstern, Oppenheim, Friedmann, etc.
Il existe avant tout des observations anatomo-cliniques prouvant la posai-
bilité d'une encéphalite aiguë hémorragique des enfants [Ganghofer,
Sachs, Fischl, Raymond (1), Batten (2)], (3).
En présence de ces faits il paraît d'autant plus logique de penser,
comme Oppenheim (4) l'écrivait dès 1897, « qu'il n'y a rien d'arbitraire à
admettre qu'il existe dans l'enfance une forme d'encéphalite avec locali-
sation prépondérante dans la région motrice du cerveau, qui ordinaire-
ment ne menace pas la vie, mais aussi ne guérit pas complètement et qui
laisse comme résidus une cicatrice ou une sclérose, et, comme symptômes
de cette affection en foyer, une hémiplégie. »
En faveur, de cette hypothèse parlent aussi les relations existant entre
(1) Cités par Oppenheim (IOC. cit.). '
(2) BATTEN, The Lancet, 1902, Déc. 20, p. 16-il.
(3) BATTEN, Review of Neurology and Psychiatry, February, 1906, p. 140.
(4) Oppenheim, Die Encephalitis, 1897, p. 61.
142 1TAL0 ItOSSI 1
l'encéphalite de Strümpell-Reichtestern, la poliencéphalite de Wernicke
et la poliomyélite. Ces relations ont été démontrées clinicluement et anato-
miquement. Nous les résumerons brièvement.
On sait que dans quelques cas de paralysie spinale infantile, la paralysie
des différents nerfs crâniens a pu être observée. Ce sont des cas, àvrai dire,
assez rares, mais démontrant quand même la possibilité de l'extension du
processus anatomique de la paralysie spinale infantile vers le bulbe, la
protubérance, et même vers le.pédoncule. Leur rareté pourrait bien s'ex-
pliqùer d'ailleurs, ainsi que Pierre Marie le fait observer, par ce fait
« qu'en général lorsque les foyers siègent dans le domaine des noyaux
du bulbe, les troubles de la circulation et de la respiration sont tellement
graves que la malade meurt dans la période aiguë et que l'on ne peut,par
conséquent observer l'évolution ultérieure des paralysies de ce genre ! »
Les nerfs le plus fréquemment pris sont la VII°, la XIIe et la VIe paires,
mais parfois on a aussi observé la paralysie de la XIe paire (Medin), de la
X" [Medin, Huet (1)], de la Ille paire [Medin, Calabrese (2)].
Parfois les conséquences de l'atteinte de la moelle disparaissent presque
complètement et il ne reste que la paralysie d'un ou de plusieurs nerfs
crâniens [Auerbach (3), Medin]. D'autre fois encore on observe une locali-
sation exclusivement bulbaire de la pol iomyéli le,Hoppe-Seyler( 4) considère
au moins comme tel son cas d'affection bulbaire intéressant les VU", XII8 et
XI" paires,qui ne s'est d'ailleurs pas terminé par la mort. Medin dans les
deux épidémies observées par lui de poliomyélite constata de nombreux
exemples de paralysies des nerfs crâniens. Elles s'associaient parfois à des
phénomènes polynévritiques dans les membres inférieurs, parfois à de la
paralysie spinale infantile. D'autres fois encore elles restaient isolées, ex-
pression de la seule atteinte du bulbe ou de la protubérance.
Quelques auteurs ont aussi porté la preuve anatomique de cette diffu-
sion vers le haut du processus poliomyélitique. Rissler (5) en effet, dans
deux cas appartenant à l'épidémie de Medin et morts à la période aiguë,
observe des lésions inflammatoires et dégénératives des noyaux des VII",
,VI",XlIe paires dans un cas, de la Xe paire dans l'autre. Dauber (Ibe. cit.)
observa dans le cas qui lui servit pour appuyer l'origine inflammatoire
vasculaire de la poliomyélite, de l'hyperémie dans la moelle allongée, de
l'infiltration péri-vasculaire avec atrophie des noyaux des Ve, Xe, XIe
(1) Huent, Revue neurologique, 1900, p. 389.
(2) Calabrese, loc. cit. '
(3) AUERBACII, Jahrb. f. Kinderh., 1899, Bd. 50, p. 41.
(4) HOPPE-SEYLEII. Deutsche Zeits. f. Nervenh., 1892, p. 188.
(5) RISSLEII, Nord. med, Ark. Bd. XX (rapporté par Auerbach, loc. cit.)..
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE 143
paires. Bûlowllansen-Harbitz constatent aussi l'extension du processus po-
liomyélitique dans le bulbe.
On a démontré aussi anatomiquement la participation du cerveau à ce
processus. Ce cas très intéressant pour notre thèse a été publié en 1894
par Redlich (1). Il s'agissait d'un enfant de 5 mois, atteint brusquement
de fièvre et d'agitation, chez lequel au 4.e jour de la maladie survint une
paralysie des extrémités inférieures, flaccide, avec perte des réflexes ro-
tuliens. La voix était éteinte, la respiration difficile, il existait aussi de
la dysphagie. L'autopsie montra, outre les lésions de la paralysie spinale
infantile dans la moelle, des petits foyers inflammatoires dans le bulbe au-
tour des vaisseaux, un gros foyer de ramollissement inflammatoire dans le
pédoncule, des petits foyers dans les ganglions centraux, dans la capsule
interne et dans le centre ovale.
C'est ici qu'il convient de citer le cas de Lamy (2) publié en 1894. Un
homme de 43 ans, minus habens, présente une paralysie spinale infantile
de la jambe droite, avec raccourcissement, forte atrophie musculaire,
abolition des réflexes tendineux, pied équin ; cette paralysie date de Cage
de 5 ans, époque à laquelle le malade a souffert de convulsions répétées,
qui ne se reproduisirent pas plus tard. A l'autopsie, on trouve des plaques
de méningo-encéphalite au niveau du lobe pariétal supérieur et du lobe
frontal de l'hémisphère gauche, et un foyer de paralysie infantile dans
la moelle lombaire, à droite, avec atrophie des racines antérieures.
Lamy émet justement l'hypothèse que les foyers de méningo-encépha-
lite, localisés dans la zone motrice, auraient pu donner lieu au tableau
clinique de la paralysie cérébrale infantile.
Il est inutile, croyons-nous, d'insister sur l'importance de ces deux
cas qui nous donnent la démonstration anatomique de l'association de
foyers d'encéphalite avec des foyers poliomyélitiques.
On a démontré aussi que la poliencéphalite supérieure de Wernicke
n'est pas une affection exclusivement limitée à la substance grise, que bien
souvent la substance blanche participe au processus, parfois même d'une
façon considérable ; que cette poliencéphalite peut avoir la même étiologie
(l'infection) que l'encéphalite de Strümpell-Leichlenstern, et qu'enfin il
n'y a pas entre ces deux formes de l'encéphalite aiguë hémorragique des-
limites nettes, mais qu'il s'agit seulement de localisations différentes du
même processus. On a observé en effet des cas où les symptômes des deux
formes et leurs localisations se combinaient et des cas intermédiaires
(Eisenlhor, Goldscheider, Freyan) (3).
(1) Redlich, Wiener klin. Loch.,1894, n° 16.
(2) LAMY, Revue Neurologique, 1884, n" 11.
(3) Voir Oppenheim, Die Encephalitis, Wien, 1891 ; Lehrbuch der Nervenkrankheit;,
Bd. Il, 1905.
144 ITALO ROSSI
On a montré encore que la poliencéphalite supérieure de Wernicke
peut s'étendre vers le bulbe et la moelle, s'accompagner des symptômes
de la paralysie bulbaire aiguë et de la paralysie spinale (Kaiser) (1),
de façon à donner la poliencéphalomyélite.
On a prouvé enfin que le processus aigu inflammatoire peut s'étendre
tout le long de l'axe cérébro-spinal, d'où l'encéphalomyélite.
- Tout ces faits prouvent que si l'encéphalite, la poliencéphalite (supé-
rieure et inférieure) et la poliomyélite constituent des affections bien
caractérisées, à symptomatologie bien définie, en rapport avec le siège de
la lésion, elles ne sont pas strictement indépendantes l'une de l'autre; on
rencontre en effet des cas où les symptômes de toutes ces formes sont
réunies sur le même individu ; et des cas d'épidémie, comme celle décrite
par Medin, où elles se retrouvent à côté l'une de l'antre. -
Il n'est donc pas surprenant de voir des auteurs comme Medin, Schult-
ze (2), Auerbach (loc. cit.), Concetti (3), Taylor (4), Batten (loc. cit.),
considérer ces affections comme identiques,ayant la même origine toxi-in-
fectieuse, dues au même processus inflammatoire aigu, d'origine vascu-
)aire ; la seule différence résiderait dans la diverse localisation de ce pro-
cessus.
Les conclusions qu'on peut tirer des considérations et des faits jusqu'ici
rapportés sont les suivantes :
Il existe une encéphalite aiguë hémorragique, non suppurée, de l'en-
fance, analogue à celle de l'adulte.
Il existe des rapports étiologiques, cliniques et anatomiques entre les
diverses formes d'encéphalite aiguë hémorragique et la poliomyélite
aiguë.
Il existe d'autre part, entre la paralysie spinale infantile et une cer-
taine variété de la paralysie cérébrale infantile, des analogies étiologiques
(infection) et cliniques (pour le début et révolution), qui trouvent leur
meilleure confirmation dans les cas' cités de coïncidence des deux affections
sur le même individu, dont le nôtre est un exemple très démonstratif.
Si nous rapprochons maintenant entre eux tous ces faits, l'hypothèse
que l'encéphalite aiguë envisagée comme processus analogue à celui de
la poliomyélite puisse être une des causes de la paralysie cérébrale infan-
tile est rendue très vraisemblable.
- Peut-être est-il possible aussi que l'agent toxi-infectieux commun agisse
dans la pathogénie de la paralysie cérébrale inlantile non pas toujours
(1) Kaiser, Deutsche Zeits. f. Nervenh., Bd. VU, 1895, p. 359.
(2) Schultze, Munchn. med. Woch., 1898, p. 9197.
(3) Conceth, Wien. Med. Zeitung., 1900, n" 25, 26, 21. ,
(4) TAYLOR, Bost.'med. a. surg. Journ., 1903, p. 634, .
PARAPLÉGIE CÉRÉBRALE INFANTILE ET PARALYSIE SPINALE INFANTILE US
ou exclusivement en localisant ses effets sur les capillaire du parenchyme
cérébral (encéphalite aiguë hémorragique), mais aussi en se localisant
exclusivement ou simultanément sur les vaisseaux de plus gros calibre (1).
Ce serait alors à des artérites ou à des phlébites infectieuses, analogues à
celles qu'on observe au niveau de la moelle dans la poliomyélite aiguë et
déterminant dans le cerveau des foyers ischémiques ou hémorragiques, que
pourrait être due dans certains cas la paralysie cérébrale infantile. Même
dans ces cas l'analogie anatomique entre la paralysie spinale infantile et
la variété de paralysie cérébrale infantile d'origine infectieuse ne serait
pas ébranlée.
Les pièces anatomiques que nous venons d'étudier ont été mises libéra-
lement à notre disposition par notre maître Pierre Marie. Nous sommes
heureux de lui témoigner ici notre vive gratitude pour l'extrême bien-
veillance dont il n'a cessé de faire preuve à notre égard et pour les pré-
cieux conseils qu'il nous a toujours prodigués.
(1) Il va sans dire que les cas de paralysie cérébrale infantile observée au cours de
maladies infectieuses, à la suite d'embolies d'origine cardiaque, ne doivent pas être
pris ici en considération.
FACULTE DE MÉDECINE DE NANCY
DES TROPHOEDEMES CHRONIQUES
D'ORIGINE TRAUMATIQUE
(PATIIOGÉNIE DES OEDÈMES TRAUMATIQUES D'ORIGINE NERVEUSE)
G. ETIENNE
Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Nancy,
chargé de la Clinique des maladies des vieillards.
OBSERVATION 1 (1) (PI. XXIX).
M. J. C... est un vieillard de 70 ans,admirablement conservé, d'aspecl très
robuste, au teint coloré, aux yeux vifs, paraissant dans un état de santé géné-
rale parfait. Il ne signale dans ses antécédents pathologiques que la variole à l'âge
de 20 ans ; et à partir de 40 ans un « gonflement de foie » passager, ayant ré-
cidivé trois années consécutives. Il aurait présenté à plusieurs reprises des
douleurs rhumatismales dans les jambes. Ni trace ni souvenir d'accidents spé-
cifiques.
Son père, rhumatisant et goutteux, a succombé à 64 ans à une maladie ai-
guë de l'appareil respiratoire, une « congestion pulmonaire » ; sa mère serait
morte aussi d'une affection aiguë. En tout cas, il n'a jamais entendu dire
qu'aucun membre de la famille ait été atteint d'un gonflement quelconque des
membres. '
Ce vieillard vient nous consulter au sujet de la difformité de son membre su-
périeur gauche, et nous raconte, ainsi avec une grande précision les circons-
tances qui l'out amené à l'état actuel. Un jour de 1902 (qu'il nous a fixé), il
passa toute la matinée à couper le sommet et les noeuds de plusieures perches
à l'aide d'une mauvaise serpette, tranchant fort mal ; il déterminait à chaque
coup de serpe violemment donné avec la main droite, un fort contre-coup au
niveau de la paume de la main gauche qui maintenait solidement la perche;
l'un de ces contre-chocs fut notamment très violent et douloureux. Après plu-
sieurs heures de ce travail, il éprouva dans la région palmaire de la main gauche
une douleur vive qui ne le quitta plus, malgré tous les traitements qu'il tenta.
A partir de ce moment,cette douleur persista, permanente, avec crises d'exa-
cerbation, tantôt lancinante, tantôt grnvati\'e.Puis environ un an après le trau-
matisme initial, un léger gonflement apparut sans aucune nouvelle cause appa-
(1) Je remercie M. le Dr Hausmann, de Couzances-aux-Forges, des renseignements
complémentaires qu'il a bien voulu me communiquer sur son très intéressant malade,
et des clichés qu'il m'a remis.
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. XX. P1. XXIX
TROPHOEDÈME CHRONIQUE D ORIGINE TRAUMATIQUE.
(G. Etienne).
Masson & Cie, Éd;teurs
ÉTIENNE. - DES TROPHOEDÈMES CHRONIQUES D'ORIGINE TRAUMATIQUE 147
rente, occupant la main, les doigts, s'accentuant très lentement, envahissant
progressivement,en deux ans,de proche en proche, le poignet,la partie inférieure
de l'avant-bras, la région du coude, partie inférieure du bras, puis se perdant
progressivement vers le milieu du bras. Le gonflement est resté stationnaire
depuis la fin de 1905.
Actuellement l'aspect du membre supérieur gauche est monstrueux, d'aspect
éléphantiasique, dans toutes ses parties, sauf la région supérieure du bras. La
couleur est blanchâtre, sauf sur la région dorsale de l'avant-bras qui est rou-'
geâtre, recouverte d'une forte desquamation de lamelles épidermiques dessé-
chées,due à l'application récente d'une série de treize vésicatoires. En plus, des
placards hyperchromiques ou achromiques de vitiligo congénital, qui affectent
d'ailleurs tout le corps, contribuent encore à lui donner un aspect plus extra-
ordinaire.A la vue,l'impression produite est celle d'un énorme boursouflement
par empâtement effaçant tous les reliefs du membre ; à la région dorsale de la
main, l'oedème donne l'aspect à pleine peau, mais sans le luisant de la main
succulente syringomyélique par exemple (PI. XXIX). '
Au palper, l'oedème est dur, se laissant très difficilement déprimer par le
doigt,sauf à une pression franchement énergique,ne laissant pas de godet per-
sistant. '
Voici les circonférences comparées des deux membres supérieurs soigneuse
ment repérées :
148 ' fi;fimrrc '
,,Il n'existe aucune cause locale pouvant, déterminer une gêne circulatoire
au niveau de membre supérieur gauche Le coeur est en état très suffisant,'
paraissant à peine touché par la cardio-sclérose ; la pointe est à sa place nor-
male ; le pouls est régulier, égal, légèrement dur.
Fonction rénale satisfaisante ; nucléo-albumine dans les urines,en petitequan-
tité ; trace à peine appréciable d'albumine.
L'examen minutieux des autres organes n'a permis de révéler aucun trouble
fonctionnel.
.- Le diagnostic de trophoedème est seul admissible, comme il va être dé-
montré, bien que ce cas se distingue par un certain nombre de points de
ceux qui ont été publiés jusqu'à présent.
Le trophoedème tel qu'il fut décrit par Henry Meige se caractérise par
un « oedème chronique, blanc, dur, indolore», occupant un ou plusieurs
segments de l'un ou des deux membres inférieurs et persistant la vie en-
tière sans préjudice notable pour la santé ; souvent héréditaire et familial,
peut-être parfois congénital.
Dans notre cas, le gonflement est bien d'une façon générale, un oedème
blanc ; mais à condition de ne pas se laisser impressionner par la teinte
rouge de la partie inférieure de la face postérieure de l'avant-bras,existant
au moment de notre examen, et vraisemblablement due à l'irritation lo-
cale causée par toute la série de vésicatoires que l'on venait de poser,et qui
avait laissé comme autre trace une abondante desquamation. A noter
encore quelques taches hyperchromiques et achromiques (le malade est at-
teint de vitiligo) qui ne contribuent pas peu à donner à son membre son
aspect extraordinaire. -
L'oedème est bien indolore, malgré les douleurs très pénibles dont se
plaint le malade ; si on analyse soigneusement cette douleur, on se rend
compte en effet qu'elle est peut-être plus profonde que le tissu oedématié,
et qu'en tout cas elle n'est pas exacerbée par la pression : l'oedème est in-
dolore au contact et à la pression ; c'est ainsi par exemple, que devant
nous, la malade frictionne énergiquement son. avant- bras pour le décaper
de la desquamation qui le recouvre. ,
Le trophoedème occupe, dans notre observation, tout le membre supé-
rieur gauche, atteint d'une façon nettement segmentaire. Cette localisa-
tion est très exceptionnelle, puisque tous les cas antérieurement publiés
concernent des membres inférieurs, sauf les deux cas de Rapin don t
l'un impose une réserve, le cas de Testi, et l'observation IV de Vallobra
concernant une jeune femme non hystérique chez qui un trophoedème
chronique, persistant, de la main droite succéda à des poussées répétées
d'oedème aigu de Quincke, consécutifs à une intoxication intestinale. Mal-
gré la rareté de cette localisation, rien ne s'oppose théoriquement à ce
que les membres supérieurs puissent, eux aussi, être lésés.
bES TROPHOEDÈMES CHRONIQUES D'ORIGINE TRAUMATIQUE 149
Dans la plupart des observations connues, le trophoedème se montre
Vers l'âge de la puberté; il apparaît, d'après M. Meige, comme une
maladie du développement. Ce semble exact dans beaucoup d'observations,
dans les cas héréditaires et familiaux notamment. Et l'apparition excep-
tionnelle à 66 ans chez notre vieillard peut être attribuée au caractère
acquis de sa maladie.
Le trophoedème constitue-t-il une entité bien distincte ? la réponse
positive ne nous paraît pas douteuse, et cette affirmation est basée sur
l'impression clinique que nous ont laissée toute une série de faits voisins
personnellement observés. D'abord, on en a rapproché l'éphanliasis
nostras. Dans deux cas que nous avons eu l'occasion de suivre, l'as-
pect clinique ressemblait vraiment beaucoup aux cas de trophoedème
des membres inférieurs iconographiquement publiés; mais ils recon-
naissaient une cause étiologique toute différente : le premier (1) concer-
nait une jeune fille atteinte d'une fracture compliquée et infectée du tiers
inférieur de la jambe gauche, ayant longtemps suppuré,et devenue le point
de départ de poussées de lymphite et de péri-lymphite qui se reprodui-
saient encore douze ans plus tard en s'accompagnant d'élévation de tempé-
rature, et dans lesquelles nous avons isolé le streptocoque en cultures
pures. Le second cas se rapportait à une jeune fille de 25 ans atteinte à
12 ans à la partie inférieure de la jambe gauche d'une piqûre de mouche
charbonneuse, point de départ incontestable des poussées de lymphite qui
aboutissent à l'éléphantiasis occupant toute la jambe gauche jusqu'au ni-
veau du genou, pour de là diminuer progressivement. Dans l'éléphantiasis
nostras, il existe donc une cause étiologique précise constituée par une
lésion traumatique ouverte et infectée.
Dans certains cas, dans la 4° observation de Valobra, par exemple, le
trophoedème chronique parait succéder à des poussées récidivantes d'oe-
dème aigu de Quincke. Mais cet oedème aigu,angio-neurotique, la maladie
de Quincke, se distingue absolument du trophoedèmes et par sa fuga-
cité et par son aspect clinique, au moins dans un cas très remarquable, à
localisations multiples, à fréquentes récidives et à énorme développement
que nous suivons actuellement ; dans ce cas localisé au prépuce antérieu-
rement étudié (2),et dans deux cas (3) observés à une main chez des jeunes
filles pendant la période mentruelle, l'un d'eux lui-même périodique.
(t) HAUSHALTEH, ETIENNE, L. SDLLMANN et Tmnx. Cliniques iconographiques, 1900,
obs. 124, PI. 31, fig. 1.
(2) G. Etienne, OEdèmes aigus essentiels localisés, sans phénomènes généraux. Ga-
zette hebdomadaire. 1894.
(3) G. RETIENNE, Deux cas d'mdèuaes fugaces de la main chez des jeunes filles mens-
lruées. Soc. neurol., 6 juin, 1901.
xx 10
150 ÉTIENNE " · ,
On a rapproché également le trophoedème des hémi-oedèmes post-hémi-
plégiques.Nous avons observé un cardiaque chez lequel l'oedème localisé au
côtéhémiplégiéétait un oedème mou, incontestablement d'origine cardiaque,
cliniquement distinct complètement du Irophoedème; il en est certainement
de même dans les trois cas de MM.Loeper et Crouzon (1), dans celui d'Rat
not, dans celui de Hare, dans celui d'Allen, dans celui de P. Marie, dans
ceux d'Oppenheim. Mais il s'agit bien d'hémi-oedèmes vaso-trophiques
purs,durs,sans godets, se rapprochant plus du trophoedème, chez les hé-
miplégiques de Gombaut, de Raymond et Courtellemont, de Gilbert et
Garnier.
Quant à l'oedème trophique de la syringomyélie, la main succulente, son
type « à pleine peau », luisant, ne rappelle pas l'aspect pâteux du tro-
phoedème.
De l'oedème hystérique il ne peut être question chez notre vieillard, pas
plus que chez la plupart des cas signalés, et si l'hystérie peut simuler
bien des aspects, au moins doit-elle être décelable.
Enfin nous avons étudié ailleurs la place occupée par ces trophoedèmes
acquis dans la classe très hétéroclite des oedèmes dits traumatiques.
Quelle est la nature du trophoedème ? ,
Dans un certain nombre de cas il s'agirait d'une véritable dystrophie
oedémateuse héréditaire ou familiale, dans ceux notamment de M. Meige
(8 cas en quatre générations dans une même famille), de Milroy (22 cas
sur 6 générations), Lannois (4 cas sur 3 générations), apparaissant vers;
l'âge de puberté, de même que d'autres dystrophies héréditaires en réa"
lité d'origine congénitale mais ne se développant qu'ultérieurement, les
exostoses ostéogéniques par exemple.Parfois,il existerait dès la naissance :
ce serait l'ancien éléphantiasis congénital (7 individus sur 3 généra-
tions dans la famille étudiée par Nonne; 4 sur 3 générations, Tobiesen).'
Mais chez d'autres malades, le trophoedème est resté isolé, bien qu'à
début juvénile. Dans d'autres cas enfin, il est incontestablement acquis :
dans celui de Sicard et Laignel-Lavastine (obs. III), où il se développe.
au membre inférieur à la suite d'une entorse tibio-tarsienne ; dans le nôtre,'
où il apparaît à la main d'abord puis à l'avant-bras et au bras, à la suite
incontestablement du traumatisme déterminé par les contrecoups reçus
dans la paume de la main gauche tenant à pleine main,pendant toute une.
matinée, une perche dont il coupait les noeuds avec une mauvaise serpette.
Si j'insiste sur cette cause traumatique,à première vue de médiocre intensi-
té,c'est que je la retrouve à très peu de chose près dans une autre obser-,
(1) LOEPBR et CRouzON, Contribution à l'étude des hémicedèmes chez les hémiplégie-
ques. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1904, p. 181. \
DES TROPIlOEDÈMES CHRONIQUES D'oHIGINE TIUUMATIQUE 151
vation, recueillie en 1891, alors que j'étais chargé de la consultation ex-
terne de la clinique du professeur Heydenreich. ,
Observation II
Elle concernait une jeune fille âgée de 24 ans environ, qui présentait un
oedème énorme, cylindrique, blanc, dur, totalement indolore, de toute la
jambe gauche, s'arrêtant net au-dessus du genou. Cette malade me raconta
que ce gonflement avait débuté quelques jours après un dimanche dont elle
avait passé toute la matinée à briser sur le genou des brandies sèches de bois,
travail qui lui avait laissé une vive douleur pendant les jours suivants. Ce cas
resta alors pour moi une énigme, d'autant plus qu'observant à ce moment l'élé-
phantiasis nostras signalé plus haut, je m'évertuai en vain chercher les
traces d'une plaie ayant pu être la porte d'entrée d'une lymphangite ; et en ayant
conservé encore actuellement l'aspect devant les yeux, je n'ai aucune hésitation
à l'attribuer un trophoedème type.
Dans ces deux cas, aussitôt après le traumatisme prolongé, apparut une
douleur très nette, débutant au niveau traumatisé, s'étendant vers la ra-
cine du membre, augmentant d'intensité, et très persistante. Et au bout
de quelque temps l'oedème apparaissait, débutant, comme la douleur, dans
la zone primitivement lésée et devenant plus ou moins rapidement enva-
hissante. i .
Ces faits me paraissent permettre la compréhension du mécanisme éta-
blissement du trophoedème chronique acquis d'origine traumatique. Mes
deux malades, en effet, on fait incontestablement une névrite sensitive,
ascendante, donc une lésion de la branche périphérique du protoneu-
rone centripète, et tout ce que l'on sait de la pathologie générale neurolo-
gique nous permet de croire à un retentissement de celte lésion sur la
cellule centrale du protoneurone, siégeant dans le ganglion de la racine
postérieure.
Une fois admise la possibilité d'une lésion ou d'une modification de la
cellule centrale intra-ganglionnaire du protoneurone centripète, sous l'in-
fluence de la lésion de son prolongement périphérique constituant la
névrite sensitive, le retentissement sur l'appareil lympathique se comprend
facilement.
On se rappelle en effet que lors de la formation embryologique des gan-
glions cérébro-rachidiens, ganglions des racines postérieures de la moelle
et des nerfs sensoriels, se formant aux dépens de la crête de Sagemehl
ou cordon ganglionnaire de Ilis, quelques ganglioblastes s'éloignent de
ces ganglions et vont constituer de chaque côté de la colonne ver-
tébralela chaîne ganglionnaire sympath ique, moni 1 i forme,dontles segments
correspondent aux différents métamères. Chaque gonglioblaste sympathie
l32 ÉTIENNE
que donne naissance à un prolongement cylindraxile, qui constituera
soit un rameau communiquant se dirigeant vers la moelle, soit un ra-
meau périphérique, soit un rameau intermédiaire allant vers le ganglion
sympathique voisin.
Quelques cellules du système sympathique ont donc une origine com-
mune avec les corps cellulaires des protoneurones centripètes, et la dé-
monstrationseraitplus facile encoresiM. Barbiéri (1) établit que les gan-
glions nerveux des racines postérieures appartiennent au système du grand
sympathique. Et en pathologie nerveuse, ces accointances entre l'appareil
sympathique ou le protoneurone centripète nous expliquent les troubles
sécrétoires, les troubles vaso-moteurs, certains troubles oculo-pupillaires
observés parfois dans le tabes dorsal, dégénérescence du protoneurone cen-
tripète ; et la systématisation de certains cas de neuro-fibromatose généra-
lisée à tous les nerfs périphériques, aux ganglions rachidiens et à tout
le système sympathique, à l'exclusion totale du cerveau, de la moelle et
des racines postérieures des nerfs (Simon et Hoche) (2). 4
Le fonctionnement défectueux de la cellule du protoneurone centripète
peut donc par action d'un influx nerveux vicié, agir irrégulièrement sur
toute une série d'éléments sympathiques du même métamère d'abord, et
ensuite des métamères voisins par le prolongement cylindraxile signalé plus
haut réunissant certaines cellules d'un ganglion sympathique à celles des
ganglions voisins. Et ceci nous explique pourquoi la réaction vicieuse du
sympathique ainsi impressionné, se produira sur le membre lésé sous forme
d'une manifestation du type segmentaire et non du type radiculaire, mal-
gré la lésion névritique initiale. '
C'est sous l'influence de cette réaction du sympathique que s'établit dans
la zone lésée une transsudation exagérée de la lymphe dans les mailles du
tissu conjonctif, soit qu'il s'agisse d'une simple excitation de la pression
sanguine intra-vasculaire locale d'après la théorie de Ludwig; soit qu'il
s'agisse d'une véritable hypersécrétion de la lymphe par les cellules endo-
théliales des capillaires, si on accepte la théorie de Heidenhain et d'Ham-
burger, avec Valobra qui, a bien étudié la pathogénie des oedèmes ner-
veux (3) ; soit qu'il s'agisse d'une hyperactivité propre dans la modifica-
tion des tissus,si on suit l'hypothèse de Cohnhein ou d'Asher et Barbera ;
(1) Barbiéri, Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 9 avril 1900 et 2 mars
1903.
(2) Simon et Hoche, Les ganglions nerveux des racines postérieures appartiennent-
ils au système du grand sympathique ? Autopsie d'un casde nezzro-Z6romatose.
Société de Biologie, 1905, t. II, p. 487.
(3) VALOBRA, Les oedèmes circonscrits aigus et chroniques sous la dépendance du sys-
tème nerveux. Rôle de la sécrétion lymphatique sur leur pathogénie. Nouvelle Icono-
graphie, 1905.
DES TROPHOEDÈMES CHRONIQUES D'ORIGINE TRAUMATIQUE '153
'soit qu'il s'agisse enfin d'une action vaso-dilatatrice, suivant Siavtzillo ou
Tchirvinsky.
Mais quoiqu'on tende maintenant à admettre pour la formation de la
lymphe une théorie éclectique plus complexe, l'attribuant et à une action
.de pression du liquide sur la paroi des vaisseaux, et à un degré de per-
méabilité de cette paroi même, et enfin au travail des tissus, les expérien-
ces de Siavtzillo semblent bien établir que dans les oedèmes d'origine ner-
veuse, le plus grand rôle est joué par une excitation des vaso-dilatateurs,
car elles démontrent que l'hyperhémie provoquée par l'excitation de ces
derniers nerfs amène une formation lymphatique plus abondante que ne
le fait l'hyperhémie par paralysie des vaso-constricteurs.
Quoi qu'il en soit, et en tout cas, c'est une réaction défectueuse du
sympathique aux excitations du protoneurone centripète lésé-qui aboutit
à la formation exagérée de la lymphe sur les oedèmes d'origine nerveuse.
Et nous en trouvons une preuve manifeste sur les oedèmes trophoneuro-
' tiques aigus de Quincke dans les territoires occupés par les douleurs lan-
cinantes du tabes, au moment où existent ces douleurs, faits signalés par
Cassirier, et dont j'observe actuellement un exemple. Déjà Ranvier, puis
Jankowski avaient constaté qu'en cas d'oblitération veineuse, ou en cas
d'inflammation, la section du sympathique ou la section du tronc ner-
veux d'où partent les vasomoteurs de la région enflammée, font rapi-
dement apparaître- l'oedème ou l'exagèrent considérablement.
Lorsque l'oedème lymphatique existe dans les lacunes du tissu depuis
quelque temps, le lymphe s'y charge des matériaux cataboliques provenant
des échanges des tissus, et suivant les recherches de Ahser' et de Barbara
elle devient très toxique; et dans les oedèmes prolongés ou à répétition
fréquente elle peut réagir sur le tissu conjonctif dans les mailles duquel
elle séjourne ; des lésions secondaires des lymphatiques s'établissent,
avec stase et formation de grands espaces dépourvus de parois propres,
avec des réseaux formant un vrai tissu caverneux (Teichmann et Yung),
et après l'oedème lymphatique conservant l'empreinte des doigts, s'établit
l'hypertrophie du tisu conjonctif (Kapoji).
Transportons dans l'oedème d'origine nerveuse ces données établies par
les oedèmes chroniques de natures diverses, et nous aboutissons à l'oedème
dur, résistant, du trophoedème chronique, en même temps que nous com-
prenons ses ressemblances cliniques avec l'aspect des autres oedèmes
chroniques, de l'éphantiasis par exemple, si voisins comme aspect, mais si
différents comme étiologie et comme pathogénie.
Les deux observations rapportées ci-dessus se rapportent incontesta-
blement aux « oedèmes chroniques, blancs, durs, indolores, occupant
un ou plusieurs segments de l'un ou de plusieurs membres et persis-
154 ' ÉTIENNE
tant la vie entière sans préjudice notable pour là santé «/décrits par
H. Meige. Mais, ainsi que l'ont déjà fait remarquer MM. Sicard et Laignel-
Lavastine, ils rentreraient dans un deuxième groupe de trophoedème,
acquis, d'origine traumatique, se plaçant à côté du premier groupe de
trophoedèmes héréditaires ou familiaux surtout étudiés par H. Meige,
reconnaissant tous deux pour origine une réaction vicieuse du sympathi-
que sur la formation de la lymphe des tissus, mais réaction vicieuse due
à-une malformation congénitale ou héréditaire du système sympathique
dans les cas héréditaires ou familiaux, et une réaction vicieuse à un
influx nerveux lui-même vicié par lésion du protoneurome centripète
dans nos cas de trophoedème acquis, traumatiques.
L'observation de MM. Sicard et Laignel-Lavastine se rapproche beaucoup
des nôtres : .
Observation III (1).
Une jeune institutrice de 28 ans, sans antécédents héréditaires ou familiaux
notables, tombe sur la cuisse gauche et « tourne le pied » en patinant, en
l'hiver 1900. L'ecchymose disparut très rapidement, et la blessée put recom-
mencer à patiner trois jours après le traumatisme. '
Mais huit jours plus tard, elle s'aperçut d'un gonflement au niveau de la
malléole interne gauche, sans modification décoloration de la peau, gonflement
blanc, lisse, qui s'étendit peu à peu au cou-de-pied, puis à la jambe jusqu'au
genou, puis en 1902 envahit la cuisse et la grande lèvre. Douleurs à la pres-
sion au niveau du sciatique poplité interne, et douleurs spontanées dans la
position debout. L'examen radiographique montre l'intégrité absolue des sur-
faces osseuses.
Nous retrouvons dans tous ces cas de trophoedème acquis un même
mode de début : un traumatisme initial conservant l'intégrité absolue des
téguments, sans aucune infection locale; des phénomènes douloureux ;
puis l'apparition de l'oedème, précoce, après quelques jours, comme dans 's
notre deuxième observation et dans celle de MM. Sicard et Laignel-Lavas-
tine ; ou très tardivement, un an après le traumatisme initial dans notre
première observation. Puis l'oedème devient envahissant, progressivement,
lentement; et il reste définitivement établi. La cause, le mécanisme, la
symptomatologie sont donc constants ; mais si l'étiologie s'écarte de celle
des trophoedèmes familiaux de Meige, le mécanisme d'établissement et
l'aspect clinique sont assez semblables pour exiger que ces deux groupes
restent réunis dans le même cadre nosologique du trophoedème.
(1) SICARD et LAIG1OEL-LAVASTlNE, Trophteclème chronique, acquis el progressif.
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1903, p. 40.
HOPITAL CANTONAL DE GENÈVE
LABORATOIRE DE M. LE PROFESSEUR BARD
EXAMEN HISTOLOGIQUE DES TÉGUMENTS ET DES TRONCS NERVEUX
DANS UN CAS DE
, TROPHOEDÈME CONGÉNITAL (1)
PAR
E. LONG
' (de Genève). ' 1
L'observation clinique du cas sur lequel nous avons pu faire cet examen
histologique partiel est déjà connue. Elle a été communiquée en 1901 à la
Société neurologique de Paris par notre honorable confrère, le Dur Rapin (2),
de Genève, dans un travail intitulé : « Sur une forme d'hypertrophie des
membres, dystrophie conjonctive myélopathique. » Elle été publiée par
lui la même année dans l'Iconographie de la Salpêtrière avec une planche
reproduisant la photographie du sujet (3). Il suffit donc d'en donner un bref
résumé : Femme âgée de 30 ans, malformation congénitale consistant en
une hypertrophie des deux membres supérieurs due à la présence d'un
oedème dur, non dépressible, très marqué depuis les extrémités des doigts
jusqu'au milieu du bras. Pas de troubles de la motilité, ni de la sensibi-
lité cutanée, La joue et l'oreille droites sont aussi augmentées de volume
et présentent un oedème semblable.
Le Dr Rapin dit dans l'observation que cette femme l'avait consulté
pour une ulcération du dos de la main droite qui fut reconnue de nature
cancéreuse et opérée par le professeur A. Reverdin. A cette occasion une
radiographie préalable avait montré l'intégrité du squelette. Ce néo-
plasme ayant récidivé dans la suite, la malade s'adressa à notre confrère
le Dr Kummer, qui fit en 1903 l'amputation de l'avant-bras (Depuis lors,
aucune récidive à distance ne s'est produite). Avant de porter cette pièce
(1) Communication faite à la Société de Neurologie de Paris, séance du 6 décembre
1906.
(2) Rapin, Société de Neurologie de Paris, novembre 1901. V. Revue neurologique,
1901, p. 1084, obs. III.
(3) Rapin, Iconographie de la Salpêtrière, 1905, n° 6.- V. planche LxllI et obs. III,
p. 493.
156 LONG
intéressante à l'Institut pathologique de Genève dans'le musée duquel
elle est conservée, M. Kummer a eu l'aimable attention de nous proposer
d'en faire une étude histologique partielle. Dans ce but on a prélevé dans
la ligne d'amputation, c'est-à-dire dans la région du coude des fragments
des nerfs médian et cubital et une tranche comprenant la peau, le tissu
sous-cutané et les muscles sous-jacents.
Examen histologique (PI. XXX, A, B, C, D, E, F, G. H).
Durcissement par le formol et le liquide de Millier, inclusion dans la celloï.
dine, coloration par le Weigert-Pal, le carmin, 1'liématoxyliiie-éosiiie, la mé-
thode de Van Gieson.
I. Téguments. On trouve successivement sur la coupe (Planche XXX,
fig. A) :
1° L'épiderme qui n'est ni épaissi ni modifié dans sa structure (il est recro-
quevillé par suite du durcissement dans le formol) ;
2° Une couche de tissu conjonctif fibreux dense, d'une épaisseur de 3 milli-
mètres environ ; elle représente le derme (fig. B); les annexes de l'épiderme,
glandes sébacées, poils et follicules pileux, glandes sudoripares y sont comme
incluses mais ne participent pas à l'hypertrophie, les vaisseaux s'y montrent
peu développés et leurs parois ne renferment aucune trace d'inflammation an-
cienne ou récente. Le tissu conjonctif est constitué par des fibres allongées
parallèlement à la surface de la peau ; on y trouve des noyaux en assez grand
nombre ;
3° Une couche de tissu adipeux qui est l'élément essentiel de cet oedème dur ;
son épaisseur est d'un centimètre environ (9 mm. -3 en moyenne). Les cellu-
les adipeuses sont contenues dans un réseau conjonctif et réparlies en loges
de plus ou moins grande étendue, séparées par d'étroites fentes où le tissu
conjonctif est réticulé ;
4° Une couche de 3 millimètres environ constituée par du tissu conjonctif
tantôt dense et tantôt réticulé ;
5° L'aponévrose qui par sa face profonde envoie une travée séparant deux
loges musculaires. Cette aponévrose est épaissie et la travée intermusculaire
encore plus (elle paraît sur la coupe comme formée par des piliers de tissu
fibreux dense) ; ...
. 6° Les muscles sont normaux pour ce qui concerne la structure intimé de
leurs fibres qui sont vues ici en coupe transversale, mais entre les fibres il y
a des traînées de tissu adipeux. On voit sur la photographie (fig. A) que l'une
des loges en contient davantage, d'où son aspect plus clair. Pour mieux étudier
cette disposition un petit fragment de cette région a été débité en coupes pa-
rallèles à la direction des fibres musculaires et on voit ces dernières l'état
de dissociation au milieu du tissu adipeux (fig. C). '
11. Ner/'médinu. - Ce nerf est notablement hypertrophié (fig. D), mais les
faisceaux nerveux ne participent pas à cette augmentation de volume; ils sont
normaux ainsi que leur tissu conjonctif intra-fasciculaire. Ce sont les gai-
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. XXX
A -- --
B
. c
D ? DU ?
- E ? ?
r ? Go .. - v ?
H ? II
EXAMEN HISTOLOGIQUE DES TEGUMENTS ET DES TRONCS NERVEUX
' DANS UN CAS DE TROPHOEDEME CONGENITAL.
· (E. Long). '
A. Téguments (gr. 2 1/2 d.) B. Epiderme et derme (gr. 14 d.) C. Muscle.
D. Nerf médian (gr. 7 d.) - E. Nerf cubital (gr. 7 d.) - F. Nerf médian, fragment (gr. 3o d.).
- G. N. médian (coupe longit.) (gr, 7 d.) H. Nerf cubital (coupe longit.) (gr. 7 d.).
TROPIIQûDÈME CONGÉNITAL 157
nes lamelleuses et le tissu conjonctif interfasciculaire qui ont subi un dévelop-
pement excessif. Chaque faisceau possède une gaine lamelleuse qui lui est
propre (fig. F) et qui est formée comme dans la règle de lamelles concentriques
emboîtées les unes dans les autres ; puis, au delà de cette première gaine
lamelleuse commence une zone de tissu conjonctif fibreux moins dense dont
les éléments sont dirigés dans tous les sens et qui constitue une gaine volumi-
neuse assez régulièrement cylindrique contenant un ou plusieurs faisceaux ner-
veux.Une autre lame de tissu conjonctif plus dense limite la périphérie de cette
gaine lamelleuse hypertrophique.Un tissu conjonctif interfasciculaire abondant,
composé en grande partie de cellules adipeuses vient encore s'interposer en-
tre les divers groupes de faisceaux nerveux et augmenter ainsi le volume
total du nerf. z
La gaine externe ou périnèvre n'est pas spécialement épaissie. Les vasa
nervorum ne sont pas modifiés ; leur calibre est normal.
III. Nerf cubital. - Bien différent du nerf médian, ce nerf n'est pas hyper-
trophié (fig. E). L'hyperplasie du tissu conjonctif qui l'entoure s'arrête à la
gaine externe et à l'intérieur de celle-ci on voit des faisceaux nerveux rap-
prochés les uns des autres ; chacun d'eux est entouré d'une gaine lamelleuse
dont les couches sont concentriques et de dimensions normales.
La différence de structure de ces deux nerfs se voit encore mieux sur des
coupes longitudinales. Les faisceaux du nerf médian sont plus espacés que ceux
du nerf cubital (fig. G. H).
On peut résumer cet examen histologique en concluant à une simple
augmentation numérique (hypergenèse) des divers éléments des tissus
conjonctifs depuis le derme jusqu'aux régions profondes. Mais il est né-
cessaire de faire remarquer que cette anomalie de structure n'est pas égale
partout ; le nerf médian est plus remanié que le nerf cubital ; les coupes
des muscles ne montrent pas une infiltration uniforme par le tissu adi-
peux. Un examen plus détaillé eût sans doute révélé de nombreuses varia-
tions quantitatives.
L'oedème dur, non dépressible s'explique par la présence, dans le tissu
cellulaire sous-cutané,d'une épaisse couche adipeuse sanglée par un derme
fibreux dense. Les vaisseaux, sans lésions appréciables pouvaient, on le
conçoit, assurer la nutrition de ces tissus. On comprend aussi le fonction-
nement normal des nerfs dont les éléments conducteurs sont bien conser-
vés, l'hyperplasie du tissu conjonctif ne pouvant, de par sa disposition,
les comprimer ni les irriter. De même pour les muscles dont les fibres
sont parfois dissociées par du tissu adipeux intercalé mais n'ont pas subi
de modifications intrinsèques ; et nous rappelons que le Dr Rapin dit
dans son observation clinique que la malade, lingère de profession, ma-
niait habilement l'aiguille avec ses grosses mains et ses gros doigts.
Quant à l'explication que l'on peut donner de ces faits, nous pensons
.158 LONG
qu'il n'est nul besoin d'invoquer un trouble trophique d'origine myélo-
pathique. Une malformation de ce genre, que l'on aurait étiquetée na-
guère éléphantiasis congénital doit être mise aujourd'hui avec les cas
que Meige a rassemblés sous le nom de trophoedèmes chroniques. Sou-
vent familiaux, tantôt constitués pendant la vie foetale et tantôt apparais-
sant à une époque plus ou moins tardive de la vie, ils sont dus selon tou-
tes les apparences à des anomalies de développement des tissus du feuillet
moyen. Des examens histologiques plus complets montreront dans l'avé-
nir quels sont les rapports exacts du trophoedétne avec le'groupe de plus
en plus important des maladies d'évolution dont nous avons parlé dans
un article précédent (1). ?
(1) E. Long, Atrophie musculaire progressive des membres supérieurs type Aran-
Duchenne, par névrite interstitielle hypertrophique (Contribution à l'étude des mata-
dies d'évolution). Iconographie de la Salpêtrière, 1907, n- 1. " '
SUR UN CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE
PAR .
C. PARHON et S. FLORIAN
(de Bucarest) .
L'étude des troubles trophiques relevant d'une altération du système
nerveux constitue un des chapitres les plus intéressants de la pathologie
de ce système.
Mais ce chapitre est loin d'être clos. Bien des questions sont jusqu'à pré-
sent à peine effleurées. Nous ignorons bien souvent le lien qui rattache le
trouble trophique à la lésion, le plus souvent centrale, du système ner-
veux. D'autres fois, ce lien bien que fort probable ne peut être que soup-
çonné.
Il en est ainsi pour la maladie ou plutôt pour le syndrome bien étudié
surtout depuis les travaux de Henry Meige (1) et de Debove et auquel le
premier a donné le nom de trophoedème chronique sous lequel on le dé-
.signe couramment aujourd'hui, tandis que le second l'a désigné sous celui
d'oedème segmentaire.
Le nombre de cas appartenant à ce trouble trophique, publiés jusqu'à
présent est encore assez réduit. Il ne semble pas d'ailleurs trop fréquent.
En Roumanie, M. le professeur Marinesco en a observé un cas et nous ve-
nons d'en étudier récemment un deuxième.
La rareté relative de ces cas et surtout le vif intérêt que des pareils cas
suscitent au point de vue pathogénétique nous ont déterminé de rapporter
celui que nous avons eu l'occasion d'observer. 1
Nous n'avons pas certainement, la prétention de résoudre cet important
problème, mais peut-être en discutant certaines questions c'est approcher
de leur solution. En tout cas, notre travail apportera une contribution
casuistique à l'étude du trophoedème.
Nous commencerons par l'observation du cas, que nous ferons suivre
par les considérations qu'il nous a sugérées.
Il s'agit d'une jeune fille de 19 ans, dont les parents vivent sans pré-
senter de manifestations pathologiques appréciables, Ni eux ni personne
de leurs parents n'ont souffert d'un trouble semblable à celui dont est
affectée cette malade.
160 PARUON ET r· LOIiIAN
Elle a eu 9 frères ou soeurs dont il n'en reste plus que 6. Les Vois au-
tres ont succombé en bas âge à la suite de maladies infectieuses. Ceux qui
restent ne présentent aucun trouble de la santé et surtout rien rappelant le e
trouble trophique dont est atteinte leur soeur.
La malade a eu dans son enfance la coqueluche, la variole et la rou-
geole. Menstruée à 14 ans 1/2. Les deux premières années les époques
cataméniales ont continué régulièrement chaque mois. Leur durée était de
3 jours et étaient accompagnées de douleurs intenses. Puis pendant cinq
mois les règles ont disparu ; mais elles sont redevenues après ce laps de
temps et se sont continuées régulièrement.
A l'âge de 13 ans la malade ressentit des douleurs dans la hanche et la
cuisse gauches, en même temps qu'elle présentait un état fébrile. Les dou-
' leurs ont duré deux ans ; dans la dernière année elles ont envahi aussi la
jambe. - 1
Concomitant avec ces douleurs la cuisse du côté gauche augmenta de vo-
lume et cette augmentation, limitée comme les douleurs à ce segment pen-
dant la première année, envahit aussi la jambe pendant la deuxième. s
En même temps que les douleurs et la tuméfaction, le membre malade
était le siège d'une éruption disséminée de vésicules blanchâtres ayant les
dimensions d'un grain de millet à celui d'un petit pois dont s'écoulait un
liquide laiteux et parfois sanguinolent (zona ? ). Ces vésicules disparurent
avec les douleurs, mais la tuméfaction du membre n'en persista pas moins.
Pendant les deux ans qui suivirent, la malade n'eut plus aucune douleur.
Elle n'était gênée que par son membre inférieur gauche qui augmentait
toujours. Les articulations de ce membre permettaient d'ailleurs tous les
-mouvements.
- Dans les deux dernières années les douleurs revinrent trois fois, mais
elles n'étaient pas intenses et leur durée a été courte.Ces douleurs étaient
spontanées et la pression du membre n'était pas douloureuse. Elle souffrit
encore, depuis le début de sa maladie, plusieurs fois de fièvres palustres.
Le volume du membre continua encore à augmenter au point de limiter
la liberté des mouvements de ses différents segments.
Voici ce qu'on trouve maintenant (septembre 1905) : constitution gé-
nérale assez bonne. Rien du côté du coeur, des reins et des poumons. Le
foie et la rate un peu volumineux. Pas de troubles de la sensibilité ou
des réflexes. Etat intellectuel normal. Aucun stigmate d'hystérie. Le trou-
ble pour lequel le malade vient consulter est l'oedème de son membre in-
térieur gauche (PI. XXXI). C'est un oedème dur, élastique, la pression digi-
,tale ne laisse pas de godet. La coloration du membre est normale. La pression
n'est pasi douloureuse. La malade ne se plaint plus d'ailleurs de douleurs
spontanées. Les follicules pileux de la partie antérieure et supérieure dé la
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. PI. XXXI
UN CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE.
(C. Parbon et St. Florian).
Masson & Cie, Editeurs
Phot01YI11C Bcrlhauù. Paris
SUR UN CAS DE 'Cli0PI10EDG11E CHRONIQUE 161
cuisse sont très développés. La limite supérieure de l'oedème est le pli
inguinal en avant, le pli fessier en arrière. On n'observe pas de vais-
seaux dilatés, de varices veineuses ou lymphatiques. Il n'existe aucune
cause de compression dans le bassin. Une légère écorchure accidentelle
des téguments donne issue à un liquide séreux.
Les orteils ne participent pas à l'augmentation du membre qui n'inté-
resse donc que le pied, la jambe et la cuisse.
- Ainsi que nous l'avons déjà dit, l'augmentation du volume de ces diffé-
rents segments entrave dans une certaine mesure la liberté des mouve-
vements qui se passent dans leurs articulations.
Voici d'ailleurs les circonférences comparatives des deux membres à
plusieurs niveaux :
' Cuisse droite au niveau du pli Cuisse gauche au même niveau :
inguinal : 0 m. 45. 0 m. 575.
A son milieu 0 m. 41. Cuisse gauche au même niveau :
0 m. 585.
Genou droit : 0 m. 31. Genou gauche : 0 m. 46.
Milieu delajambedroite : 0 m. 30. Milieudelajambegauche : 0 m. 46.
Articulation tibio tarsiennedroite : Articulation tibio-tarsienne gau-
Om. 195. che : 0 m. 245.
Ainsi qu'il résulte de ces mensurations les différences sont très grandes.
Les deux photographies ci-jointes donnent d'ailleurs de ces différences,
une idée meilleure que ne pourrait le faire aucune description.
Ainsi qu'il résulte de cette observation, il s'agit d'une jeune fille qui
vers l'âge de la puberté commença à souffrir de douleurs localisées dans
la hanche et la cuisse gauche, puis aussi dans la jambe de ce même côté,
Une tuméfaction accompagnée d'une éruption vésiculeuse apparut en même
temps à la cuisse, puis plus tard à la jambe et au pied. Les orteils furent
respectés. Le début a été fébrile. Douleurs et éruption vésiculeuse dis-
paraissent. La tuméfaction n'en persista pas moins. Elle ne fit plutôt
qu'augmenter,donnant la disproportion marquée qui existe entre le mem-
bre inférieur gauche et celui du côté opposé. C'est une espèce d'oedème
dur, élastique dans lequel la pression digitale ne laisse pas de godet. La
coloration des téguments est normale. On ne trouve ni cyanose ni circu-
lation complémentaires, ni varices veineuses ou lymphatiques. Quel est
donc le diagnostic qui convient dans ce cas ! 1
L'absence de toute lésion cardiaque ou rénale, les caractères mêmes de
l'oedème, sa dureté, son élasticité, la couleur normale des téguments per-
mettent d'exclure une lésion du coeur ou du rein. Le manque de toute
162 PARUON ET FLORIAN
cause de compression dans le bassin, ainsi que de la circulation complé-
mentaire, des varices veineuses ou lymphatiques permettent d'exclure un
oedème de cause mécanique, dont celui du cas que nous venons de rappor-
ter n'a d'ailleurs aucun caractère. Il ne peut pas être question de
l'oedème augio-neurotique aigu de Quincque vu la chronicité et la durée
déjà longue du trouble chez cette malade. L'éléphantiasis peut être for-
mellement exclu, car la malade est une paysanne roumaine. Or la filariose
ne se trouve pas, heureusement, parmi les maladies assez nombreuses de
notre pays. Ajoutons d'ailleurs que l'examen du sang est resté à ce point
de vue complètement négatif. Il ne reste plus debout que le diagnostic
de trophoedème chronique ainsi que l'a si bien conçu Henry Meige.
Dans ce trouble trophique, comme dans notre cas, il s'agit d'un oedème
dur, élastique, localisé d'habitude à un ou plus rarement aux deux mem-
bres inférieurs. La couleur des téguments reste normale. L'oedème appa-
raît ordinairement vers la puberté. Il en a été de même dans notre cas.
Pourtant des exceptions ne manquent pas à cette règle et le cas de Ra-
pin (2), ceux deMilroy (3), de Nonne (4), d'Hertoghe (5), de Mabille 6),
de Lortat-Jacob (7) montrent que l'oedème trophique peut faire partie de
la pathologie infantile et être même congénital.
Le trophoedème est souvent familial. C'était le cas pour les premières
observations de Henry Meige (8 cas échelonnés dans quatre générations). Il
en était de même pour les cas de Milroy (22 cas sur 27 membres de la fa-
mille en 6 générations, ainsi que pour ceux de Nonne (8 cas dans 3 gé-
nérations), de Tobiesen (8) (4 cas dans 3 générations), de Lannois (4 cas
dans 3 générations) et pour ceux de Lortat-Jacob (6 cas dans 3 générations).
, On trouvera dans la thèse d'Ouvry (9) les tableaux généalogiques de
ces différents cas.
Mais dans d'autres cas, publiés par Vigouroux (10), Duckworth, Debove,
Rapin, Hertoghe, Lannois (11) et ses élèves Lançon et Roué on ne trouve
aucun fait semblable dans la famille des malades.
L'absence de ce caractère dans notre cas ne s'oppose nullement au diag-
nostic de trophoedème que nous avons adopté.
Henry Meige distingue, d'ailleurs, lui-même un trophoedème familial
et un trophoedème non familial.
Comme dans la majorité des cas,dans celui que nous rapportons l'oedème
est localisé à l'extrémité inférieure. Comme d'habitude la région fessière
ne participe pas à l'oedème. Il n'intéresse que la cuisse, jambe elle pied,
respectant les orteils. On peut donc parfaitement parler dans notre cas
d'un oedème segmentaire. Ce caractère segmentaire se retrouve d'ailleurs
dans la manière dont l'oedème s'est installé. `.
Pendant les deux premières années l'aecième n'a intéressé'que la cuisse*
SUR UN CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE 163
Seulement plus tard la jambe et le pied furent envahis à leur tour. Cette
progression dans la répartition de l'oedème se retrouve encore dans d'au-
tres observations. Mais d'habitude c'est de bas en haut que se fait l'enva-
hissement. On comprend facilement que cette différence n'a aucune im-
portance au point de vue du diagnostic et qu'elle ne nous fera nulle-
ment hésiter dans le diagnostic de trophoedème chronique que nous avons
établi dans ce cas. D'ailleurs,si la localisation aux membres inférieurs est
la plus fréquente dans ce syndrome il ne semble pas qu'on puisse affirmer
que c'est la seule possible. Ainsi Hertoghe a rapporté un cas de tl'ophoedème
chronique de la face et Rapin un autre où l'oedème intéresse les deux inem-
bres supérieurs. Dans ce dernier cas il s'agissait d'une femme âgée de
29 ans. L'oedème était congénital comme dans les cas de Milroy, de Nonne
et Tobiesen. Depuis peu une tumeur maligne est apparue sur une main,
fait qui impose une réserve dans l'interprétation du cas, ainsi que Henry
Meige le remarque avec raison.. z
Pourtant il ne faut nullement conclure que même dans ce cas il ne
s'agit pas de trophoedème et on doit se demander si l'état de la trophicité
de ces membres n'a été simplement un simple facteur favorisant la loca-
lisation et l'éclosion de la tumeur. Celle-ci n'est pas d'ailleurs bilatérale.
A ce propos il nous semble intéressant de rappeler que Rapin dans
l'un de ses cas concernant une enfant a remarqué qu'une éruption de
varicelle avait présenté cette particularité intéressante d'avoir débuté par
un rasch scarlatiniforme, d'un beau rose framboise, de coloration partout
égale, qui n'a occupé exactement que le membre abdominal hypertrophié,
s'arrêtant au pli de l'aîne et au pli fessier sans se montrer nulle part ail-
leurs. Il fut suivi d'une fine desquamation.
La pustulation fut très discrète et,faità noter, il ne se développa aucun
bouton sur le membre hypertrophié qui avait été envahi par le rasch.
Nous avons vu que l'apparition de l'oedème dans notre cas a été précé-
dée par des douleurs assez intenses dans le membre du côté malade ainsi
que par une éruption vésiculeuse (zona ? ).
La présence de douleurs n'est pas un phénomène fréquent dans le tro-
phoedème. Il se retrouve pourtant dans certains cas. C'est ainsi que dans
le deuxième cas de Henry Meige on a observé cinq fois des poussées aiguës
et douloureuses accompagnées d'une augmentation de l'oedème ainsi que
d'une coloration rouge des téguments. '
De même dans une observation de Follet, les troubles ont débuté par
des douleurs vives dans la cuisse et les lombes ainsi que par l'oedème.Mais
ce dernier ne devient persistant qu'à la troisième poussée. ' , j
Des troubles, en moins, de la sensibilité ont été également observés
dans quelques cas. C'est ainsi que la malade qui fait le sujet de la deuxiè-
164 PARDON ET FLORIAN -
me observation'de Henry Meige aurait pu être facilement reconnue atteinte
d'un oedème hystérique à cause de l'hémianesthésie qu'elle présentait, si
la présence du même trouble trophique chez d'autres membres de sa fa-
mille et dans plusieurs générations n'avait relevé la nature essentielle-
ment différente du mal.
. La malade de Mabille présentait t'anesthésie du membre oedématié,
sauf pour les agents thermiques.
Notons en passant que cette malade présentait des troubles mentaux et
que les cas de Dide (12) et celui de Dupré (13) concernent également des
aliénés.
Voyons maintenant avec quelles affections le trophoedème pourrait être
confondu. '
C'est d'abord avec l'oedème par compression. Mais dans ce dernier cas
il s'agit d'un oedème mou, où la pression du doigt détermine un godet
et la présence des varices de la circulation complémentaire nous mon-
trent facilement l'origine du mal.
L'éléphantiasis causé par les Pilaires se reconnaît par la présence du
parasite dans le sang. L'origine exotique du malade peut, dans le cas
échéant, faire supposer la nature du mal.
L'éléphantiasis nostras présente, à ce qu'il semble, des affinités assez
étroites avec le trophoedème et peut-être ne faut-il voir dans l'un et l'au-
tre qu'un seul et même trouble morbide.
L'adipose sous-cutanée qui existe dans certains cas de trophoedème, chez
la petite malade de Rapin par exemple, semble avoir également des con-
nexions avec le trophoedème. ,
L'hémi-hypertrophie intéresse tous les tissus en comprenant les os.
Disons maintenant quelques mots sur l'étiologie et sur la pathogénie
du trophoedème.
En ce qui concerne l'étiologie, l'hérédité joue certainement dans certains
cas un rôle incontestable. Cela ne nous avance d'ailleurs pas beaucoup
dans la connaissance de causes de ce syndrome.
Dans d'autres cas la puberté a favorisé l'apparition du trophoedème,
mais dans ces cas encore la vraie cause nous échappe. Nous pouvons pour-
tant penser à un trouble évolutif en rapport peut-être avec des fonctions
vicieuses des glandes à sécrétion interne. Dans le cas de Sicard et Lai-
gnel-Lavastine (14) c'est le traumatisme qui a servi de point de départ.
SUR UN CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE 165
Notons que dans ce cas l'oedème était mou, rouge, chaud et douloureux
quand la malade était debout.
Par contre il était dur, lardacé, blanc et froid quand la malade était
dans le décubitus dorsal. Chez la petite malade de Rapin le début a été
fébrile semblable à celui de la paralysie infantile. Dans un descasdeHer-
toge le trophoedème a suivi de près une rougeole.
En ce qui concerne la pathogénie,t'opinion la plus problablenous sem-
ble celle d'une altération des centres spinaux probablement vaso-moteurs
qui tiennent sous leur dépendance la nutrition du tissu conjonclif. C'est l'o-
pinion exprimée par Henry Meige ainsi que par Rapin. A la suite de
phénomènes fébriles à allure infectieuse se développa chez l'enfant obser-
vée par cet auteur une adipose sous-cutanée du membre supérieur ainsi
que l'oedème trophique du membre inférieur du côté opposé. ,
Le début brusque, fébrile de l'affection, l'alternance des troubles trophi-
ques font supposer à l'auteur cité qu'il s'agit dans son cas d'une espèce
de poliomyélite ayant atteint les centres qui tiennentsous leur dépendance
le tissu conjonctif.
Meige admet également comme probable le siège médullaire de la lé-
sion qui produit le syndrome auquel il a attaché son nom.
Il s'exprime ainsi qu'il suit sur l'origine du trophoedème : « On peut la
chercher dans une altération des centres trophiques du tissu conjonctif
sous-cutané.
. Mais où siègent ces centres ? Vraisemblablement dans la moelle, dans
la substance grise, au voisinage des centres trophiques des muscles.
Bien que les constatations histologiques n'aient pas permis d'isoler les
uns des autres les centres de ces différents systèmes, la coexistence des trou-
bles trophiques osseux, musculaires et conjonctifs à la suite de lésions des
cornes antérieures ou de leur voisinage immédiat,plaide en faveur de cette
localisation.
D'autre part, le fait que l'on peut observer isolément des troubles tro-
phiques du système osseux, musculaire et conjonctif autorise à admettre
l'existence de centres autonomes pour chacun de ces systèmes. » 1
Les recherches d'anatomie microscopique de la moelle que l'un de nous
a faites avec Mme Parhon (15) ainsi que celles plus récentes de Bruce ont
montré que les colonnes cellulaires en rapport avec le sympathique sont
constituées par des groupes superposés.
Il ne semble pas illogique de chercher dans la segmentation de ces co-
lonnes la raison de la topographie également segmentaire du trophoedème.
Ce caractère parle donc aussi pour l'origine centrale de ce trouble trophi-
que, bien qu'il ne faut pas exclure d'une façon absolue et ca priori la pos-
sibilité d'un trophoedème d'origine périphérique.
xx Il
166 PARUON ET FLORIAN
Mais de quelle façon le système nerveux intervient-il pour produire le
trophoedème ?
Les nerfs trophiques n'ayant été jamais démontrés on doit forcément
penser aux vaso-moteurs. Pourtant le caractère variable des troubles va-
so-moteurs quand ils existent dans une phase quelconque de l'évolution du
trophoedème et surtout la ressemblance frappante qui existe entre le tro-
phoedème, et l'éléphantiasis où le système lymphatique est le plus atteint,
autorise à penser avec Valobra (16), qu'il pourrait bien s'agir dans le
syndrome qui nous occupe d'un trouble dans l'innervation des vaisseaux
lymphatiques.
Hertoghe cherche à établir une relation entre le trophoedème et l'appau-
vrissement thyroïdien. Ses raisons sont les suivantes : son malade déjà cité
chez lequel le trophoedème suit la rougeole a une soeur de 7 ans fortpetite
pour son âge, à système dentaire défectueux et incomplet. Une soeur du
même malade présente en fait d'hypothyroïdie une blépharite intense. Le
père de ces enfants présente un certain degré d'exophtalmie, de pouls à
100, des angoisses nocturnes, des accès d'asthme, des palpitations.
Dans l'autre cas de Hertoghe,où le trophoedème localisé dans la région
faciale est congénital, il a été noté également qu'une soeur de la malade
est atteinte d'infantilisme myxoedomateux.
Il est vrai que l'auteur a traité sans succès ses deux cas de trophoedème'
par l'opothérapie thyroïdienne, mais cet insuccès ne prouve pas pour lui
que l'apauvrissement thyroïdien ne soit responsable dans ces cas,car ainsi
qu'il le remarque,on ne saurait assimiler complètement l'action de la thy-
roïdine séparé de l'organisme, provenant d'une autre espèce, séché même
à celle qu'exerce le corps thyroïde de l'individu lui-même qui le porte.
Mais on doit se demander en tout cas de quelle façon l'hypothyroïdie
pouvait réaliser cette localisation segmentaire 1
Il semble bien qu'il faut admettre un autre facteur qui, dans l'hypo-
thèse d'ailleurs admissible d'un terrain d'hypothyroïdie, détermine la lo-
calisation du trouble. Nous voulons dire que l'hypothyroïdie à elle
seule ne nous semble pas pouvoir expliquer l'apparition du trophoe-
dème.
D'ailleurs Henry Meige observant chez les malades atteints de trophoe-
dème la présence des malformations dentaires, des troubles trophiques
des cheveux, des noevi, des verrues, a émis l'hypothèse de l'existence
d'une imperfection congénitale des centres qui président au développe-
ment et à la nutrition du tissu cellulo-cutané.
Notons encore le rapprochement fait par cet auteur entre le trophoedè-
me familial et les dystrophies également familiales du tissu musculaire.
De nouvelles recherches sont assurément nécessaires avant de fixer dé-
SUR UN CAS DE TROl'HOED ! \;ME CHRONIQUE 167
finitivement la place de ce syndrome, car il s'agit bien probablement
d'un syndrome, dans la nosologie.
En attendant,il nous a semblé utile de rapporter le cas que nous avons
eu l'occasion d'étudier et les considérations qui précèdent.
BIBLIOGRAPHIE
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la Salpêtrière, p. 453, 1899, et Sur le trophoedème, Nouvelle Iconographie de la
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p. 347, 1903.
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Spinàrei. Presa medicala româna, n, 14, 1902.
16. VALOBHA. - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1905.
il. Voir aussi Feindel. Le trophoedème chronique d'après HENRY l\IEIGE, Gazette heb-
domadaire.
ADIPOSE DOULOUREUSE CHEZ UNE IMBÉCILE
, ÉPILEPTIQUE ET AVEUGLE
PAR R
A. PRUNIER
Interne à l'asile d'Evreux.
L'adipose douloureuse est une affection relativement rare, cependant
un certain nombre d'observations publiées depuis les premières descrip-
tions qui en furent données en 1888 parDercum au Congrès des Neurolo-
gistes américains, ont permis d'en dégager les caractères essentiels et sur-
tout un syndrome où les deux faits prédominants : l'adipose et la douleur,
la différencient du myxoedème et de la simple obésité.
La malade que nous avons examinée présente assez nettement les symp-
tômes cardinaux de l'affection que nous avons en vue, pour justifier la
publication de son étude; et d'autre part, le terrain particulier épilepti-
que sur lequel a évolué la maladie, des lésions oculaires, des troubles
vaso-moteurs et trophiques nous semblent donner quelque intérêt à son
observation.
Observation (Service de M. le docteur Bessière) (PI. XXXII), - H.P. est
âgée de 54 ans, elle a été transférée en 1870 de la Salpêtrière à l'asile d'Evreux
où elle fut admise pour épilepsie et imbécillité. Elle est de plus aveugle.
Les antécédents héréditaires nous sont inconnus ; sa cécité daterait de la pre-
mière enfance ; aujourd'hui ses globes oculaires ne sont plus que des moignons
durs et fibreux qui roulent sous les doigts lorsqu'on appuie sur les paupières.
La malade atteinte de débilité mentale, et internée dès l'âge de 10 ans, com-
prend cependant la plupart des questions et y répond comme le lui permet son
développement intellectuel et sa cécité : « qu'est-ce qu'un chien ? j> -c'est ce qui
fait peur »;« une voiture » ? -« c'est ce qui emmène.» Elle articule bien,chante
assez juste et en mesure ; elle est d'humeur joviale, facile, satisfaite, est sou-
vent gâteuse.
Les attaques épileptiques convulsives avec mouvements toniques et cloniques,
peu fréquentes jusqu'ici, deviennent depuis un an plus nombreuses : elle en eut
18 en 1905 et 40 en 1906. Elle a parfois desimpies vertiges précédés et suivis
d'une période d'excitation pendant laquelle elle tourne sur elle-même, déchire
ses vêtements el se mord les poignets.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XX. Pl. S1TII
PRUNIER. ADIPOSE DOULOUREUSE CUEZ UNE IMBÉCILE 169
C'est en 1900 que l'adipose devient intense ; elle est envahie de graisse;
elle avait alors 49 ans. Cette infiltration augmente petit à petit et depuis 1904
s'est complètement généralisée. L'état mental de la malade ne permet point
de connaître les signes subjectifs qui ont pu précéder ou accompagner l'appari-
tion et le développement de cette adipose. En tous cas, elle n'a jamais été obli-
gée de garder le lit par le fait d'une affection intercurrente, d'asthénie ou de
douleurs aiguës.
Aujourd'hui elle présente une infiltration graisseuse sous-cutanée diffuse et
fort douloureuse à une pression même faible.
La face contrairement aux casses plus nombreux n'est point respectée par
l'adipose ; de chaque côté les joues forment deux saillies molles, flasques, dé-
terminant par leur bouffissure deux plis profonds naso-géniens entre lesquels
le nez est enfoui. Sous le menton pend uue bande de graisse qui s'est accumu-
lée là comme un liquide dans un point déclive. Au front et aux tempes le tissu
cellulaire n'est point infiltré.
Au cou et sur les épaules l'adipose, manifeste, ne se montre point comme
souvent, en bourrelets formant collier, mais constitue une épaisse pèlerine qui
presque sans pli passe de la région cervicale à la région dorsale. L'infiltration
par son abondance ne permet ni la palpation du thyroïde qu'on a plusieurs
fois trouvé atrophié, ni celle des masses musculaires profondes.
Le dos, la poitrine et l'abdomen présentent une même lipomatose diffuse sans
qu'en aucun point on y puisse déceler la présence de masses nodulaires circons-
crites. Le dépôt adipeux, régulier, symétrique très abondant a la partie infé-
rieure de l'abdomen et de la poitrine est moins épais dans les régions supé-
rieures du thorax et dans la zone sous-claviculaire.
Les seins très développés, adipeux et pendants sont d'une mobilisation dou-
loureuse. La circonférence de la taille est de 1 m. 05.
C'est aux membres que nous rencontrons l'infiltration la plus serrée et cette
densité de l'adipose augmente au sur et à mesure que l'on s'éloigne davantage de
la racine du bras ou de la cuisse pour gagner les extrémités. Mais au poignet ou
à la cheville, l'adipose cesse brusquement par un bourrelet circulaire au-de-
sus duquel se creuse un sillon profond. Les pieds et les mains de notre ma-
lade remarquablement indemnes ne sont point ceux d'une obèse.
Le bras et l'avant-bras sont surtout infiltrés au niveau de leur face posté-
rieure ; le bras mesure à sa partie moyenne 37 centimètres de circonférence ;
l'avant-bras au-dessous du coude, 31 centimètres ; le poignet au niveau du
bourrelet mentionné 21 centimètres alors qu'immédiatement au-dessous de
ce bourrelet il n'a plus une circonférence que de 15 centimètres.
Les mains contrastent par leur petitesse avec l'aspect massif des deux
segments supérieurs ; la peau comme trop grande pour les plans qu'elle
recouvre est ridée et l'on peut se demander si l'épiderme n'a pas été distendu
à un moment donné par une infiltration de graisse et n'est point devenu trop
lâche par disparition de celle-ci ? ?
Aux membres inférieurs, les jambes semblables à des poteaux présentent à la
hauteur des malléoles un gros bourrelet circulaire analogue à celui du poignet
170 PRUNIER
il limite en bas l'adipose ; les pieds sont peu près normaux. Ils présentent
cependant un léger oedème dur et sans godet. empâtement qui est peut-être
le stade de début de l'adipose.
Dans la région poplitée un sillon transversal profond, allant d'un condyle à
l'autre bride et sépare l'adipose diffuse de la cuisse de celle de la jambe ; ici,
comme au membre supérieur, l'adipose est plus abondante en arrière qu'en
avant. Notons aussi une accumulation maxima au niveau de la face supéro-
externe de la cuisse, région qui est normalement chez la femme le siège de
dépôts adipeux. '
La mensuration donne les mêmes chiffres à droite et à gauche.
ADIPOSE DOULOUREUSE CUEZ UNE IMBÉCILE ÉPILEPTIQUE ET AVEUGLE 171
breuses squames. Dans les régions à adipose dense elle est lisse, adhérente
sans souplesse, difficile à pincer et présente aux jambes surtout un léger degré
de sclérème. Les orifices pi lo-sébacés dépourvus de poils et distendus donnent
aux téguments, aux endroits où l'adipose est prononcée, l'aspect d'une peau
d'orjnge. On ne voit point de poils sous les aisselles et presque point aux régions
génitales.
- Les troubles vaso-moteurs et trophiques sont importants ; les orteils ont
une teinte asphyxique et sont froids, les membres sont le siège de marbrures
irrégulières. La face toujours très congestionnée est rouge, les épistaxis sont
fréquentes, la peau du visage est parcourue par de multiples et fines vari-
cosités.
Au tiers inférieur de la face postérieure de la jambe gauche a existé il y a
un an un ulcère des dimensions d'une pièce de 5 francs. Cet ulcère ouvert
pendant plusieurs mois est actuellement cicatrice ; on trouve à sa place une zone
cyanosée arrondie de 7 il 8 centimètres de diamètre, d'un violet foncé à son
centre, moins asphyxique à la périphérie. Cette région est froide, indurée,
des tractus fibreux plissent la peau complètement adhérente aux tissus sous-
jacents, des papules d'un rouge vineux du volume d'une lentille et des taches
ecchymotiques se rencontrent tout autour de cette région,
Point de dermographisme.
Les différents appareils ne présentent rien de particulier à noter, les urines
ne renferment point d'éléments pathologiques.
Le traitement thyroïdien n'a pas donné de résultats, le poids est resté le
même, la sensibilité des masses adipeuses n'a point diminué, et la malade ne
s'est pas montrée moins asthénique.
De par son âge et son sexe notre malade répond bien à la très grande
majorité des cas observés ; ce sont en effet presque toujours des femmes
adultes ou déjà vieilles qui sont atteintes et c'est le plus souvent à l'âge de
la ménopause que débute l'affection ; la pathogénie ovarienne a de plus
pour elle quelques cas où le syndrome de Dercum apparut à la suite d'ova-
riotomie.
Notre malade est en outre épileptique ; la coïncidence de cette affection
avec l'adipose douloureuse a été plusieurs fois signalée, mais vu surtout
l'ignorance ou nous sommes encore de la pathogénie de l'épilepsie nous ne
saurions préciser le rôle de cette névrose et nous ne pouvons dire si le
syndrome de Dercum apparaît chez une comitiale parce que son mal a
préparé le terrain, ou si ce sont là deux manifestations différentes d'une
même perturbation initiale.
L'intoxication alcoolique, un traumatisme violent que quelques obser-
vations signalent comme étiologie possible ne peuvent être incriminés
dans le cas qui nous occupe.
Dans la maladie de Dercum l'adipose est le plus souvent partielle et
172 PRUNIER
nodulaire, mais il n'en est pas toujours ainsi et à côté de cette forme la plus
communément observée on en décrit une autre mixte où l'adipose,diffuse au
tronc, se présente aux membres en néoplasies nettement circonscrites. Un
dernier type d'infiltration plus rare est diffus et généralisé comme celui
de notre malade ; cependant quelle que soit cette généralisation les extré-
mités sont toujours remarquablement respectées.
Celte, indépendance physiologique des extrémités n'est d'ailleurs pas un
fait appartenant à la seule adipose douloureuse, ne voyons-nous pas en
effet dans l'acromégalie, dans les diverses formes de l'ostéo-arthropathie
hypertrophiante, dans la maladie de Raynaud les extrémités évoluer d'une
façon pathologique pour leur propre compte. Dans l'affection qui nous
occupe elles demeurent au contraire normales et sont indemnes d'une dys-
trophie très généralisée. Elles se comportent dans tous ces cas très diffé-
rents comme jouissant de centres trophiques et régulateurs de nutrition
leur appartenant en propre.
Quant à la douleur de cette adipose elle n'est point toujours, comme chez
notre malade, constante à la pression ; elle peut survenir par crises, appa-
raître spontanément dans les masses adipeuses en voie de développement
avec des périodes de paroxysmes et d'accalmie se succédant à intervalles
variables. Dercum a décrit l'atrophie des fibres des nerfs périphériques,
mais ce sont là des constatations trop inconstantes pour que l'on puisse voir
dans cette affection une névrite périphérique, le tableau et l'évolution cli-
nique sont d'ailleurs tout autres.
Le myxoedème ne semble point sans parenté avec la maladie dont Der-
cum l'a différencié ; celui-ci d'ailleurs leur reconnaît un certain nombre
de traits communs. Nous avons vu chez notre malade la peau sèche, les
poils très rares (notons cependant que la chevelure est abondante), l'as-
thénie, l'extrême apathie, troubles qui font tous partie du tableau symp-
tomatique du myxoedème ; mais dans ce dernier l'infiltration se localise
avec prédilectiou à la face dorsale des' pieds et des mains. On a de plus
décrit dans l'adipose douloureuse comme dans le myxoedème des lésions
du thyroïde et certains ont vu la pathogénie du syndrome de Dercum dans
un trouble de la sécrétion interne de cette glande. Ces lésions sont incons-
tantes et cette pathogénie ne paraît pas s'appliquer à tous les cas.
Quant à l'efficacité du traitement thyroïdien elle a été rarement cons-
tatée. La plupart des malades n'ont, comme la nôtre, point retiré d'amé-
lioration notable de cette médication.
Il est difficile de voir pour l'instant autre chose qu'une coïncidence dans
les cas où ont été observées des lésions oculaires. Dans un cas cependant
ces lésions s'accompagnaient d'une tumeur susceptible d'intéresser le corps
pituitaire; elles prêtaient par là appui à ceux qui, considérant ce corps
ADIPOSE DOULOUREUSE CHEZ UNE IMBÉCILE ÉPILEPTIQUE ET AVEUGLE 173
comme une glande à sécrétion interne, voient dans ses lésions une patho-
génie possible de l'adipose douloureuse.
On ne peut guère admettre qu'il s'agisse dans cette maladie d'un syn-
drome « accidentel » de simples algies survenant chez une obèse. Les
troubles accessoires trophiques, vaso-moteurs, sécrétoires, si souvent
observés sont bien plutôt de nature à faire considérer cette adipose comme
un trouble dystrophique du tissu cellulaire sous-cutané à ranger dans le
vaste groupe des trophonévroses.'
Toutes ces dystrophies cellulo-conjonctives, oedèmes aigus circonscrits,
trophoedémes, lipomatose symétrique douloureuse, pseudo-oedème catato-
nique, myxoedème, maladie de Dercum semblent avoir une pathogénie
analogue : un trouble de l'innervation sympathique sous la dépendance
d'altérations diverses des nombreuses glandes à sécrétion interne.
' Sans vouloir prendre parti pour l'une ou l'autre de ces théories patho-
géniques nous avons simplement tenu à relater un fait de plus.
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE
PAR
HENRY MEIGE
.. (Suite et fin)
- - ii
l'écorché mort ET l'écorché vivant
Parmi les procédés pédagogiques destinés à faire connaître l'anatomie,
il en est un qui jadis fut en honneur, aussi bien dans l'enseignement mé-
dical que dans les écoles artistiques. Nous voulons parler des Écorchés.
Au temps où les cadavres se faisaient rares dans les pavillons de dis-
section, on était obligé d'y suppléer par des démonstrations sur des
statues reproduisant tant bien que mal la musculature humaine. Les écor-
chés eurent donc leur temps de succès. Ils tombèrent bientôt en décadence,
et l'on ne saurait les regretter : les meilleurs ne pouvaient donner que des
idées assez vagues, sinon erronées, de la forme et des rapports muscu-
laires. Eussent-ils été irréprochables, ils n'auraient jamais été suffisants :
leur étude, même approfondie, ne permet pas d'acquérir cette habileté
manuelle, si nécessaire au médecin, que peut seul donner le maniement
prolongé du scalpel.
Pour les artistes, le culte de l'écorché s'est prolongé plus longtemps. Et,
de fait, ce moyen pédagogique est appelé à leur rendre de réels services.
Encore faut-il que ces statues correspondent à leur but, qui est de faciliter
l'analyse scientifique des formes corporelles, mais à une condition, bien
entendu, c'est de rester fidèles à la vérité naturelle. Or, il s'en faut, et de
beaucoup souvent, que les écorchés, même les plus réputés, soient confor-
mes à la réalité morphologique.
Que dire de ceux qui ne sont pas signés d'un nom illustre, et qui ce-
pendant servirent à l'éducation anatomique de tant de générations d'ar-
tistes !
Un exemple à leur propos :
Il y a quelques années, à la vitrine d'un brocanteur, j'aperçus une sta-
tue d'écorché. Elle provenait de la vente d'un atelier. L'attitude préten-
tieuse du sujet, appuyé sur une sorte de colonne, sa musculature assez
floue, indiquaient une oeuvre déjà ancienne où le souci de l'effet artistique
l'emportait sur celui de l'exactitude anatomique. Mais c'était bien un écor-
HENRY MEIGE. UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 175
ché, un écorché tout blanc, qui semblait de plâtre comme tant de ses con-
génères. A peu de frais, j'en fis l'acquisition.
En l'examinant de plus près, je m'aperçus que la peinture blanche en
s'effritant laissait à découvert des parties rosées. Un lavage lit apparaître
un autre écorché colorié, un vrai, avec des muscles rouges, des os
jaunes et des ligaments blancs, d'une exactitude d'ailleurs contestable,
mais qui certainement avait eu la prétention de servir l'enseignement
anatomique.
Or, le lavage aidant, voici que çà et là certains reliefs se brisèrent, tan-
dis qu'en d'autres places se creusaient des gouttières d'abord insoupçon-
nées. Un grand bain, et tout à coup sous celle carapace de plâtre apparut...
un écorché de bois, d'un fin travail, mais d'une piètre valeur anatomique.
Et voici l'explication du mystère : cet écorché de bois avait été en son
temps une statue sainte : Saint Barthélemy lui-même, le patron des Ecor-
chés, son couteau à la main, avec sa peau tout entière déposée comme un
pardessus sur le tronc d'arbre où il appuie négligemment son coude...
Je sais bien que l'anatomiste espagnol, Valverde, qui vivait au xvie siè-
cle, a figuré dans sa myologie un écorché muni des attributs traditionnels
de saint Barthélemy. Mais je n'ai pas oublié non plus la statue de saint
Barthélemy de Marco Agrate, dans la cathédrale de Milan, et je crois volon-
tiers qu'une ancienne sculpture destinée à la dévotion a pu se métamor-
phoser en un écorché d'atelier, sur laquelle peintres et sculpteurs ont sans
doute essayé d'étudier l'anatomie des formes. Et quelle anatomie ! ...
L'aventure assurément est exceptionnelle. Il n'en faudrait pas con-
clure que toutes les statues d'écorchés mises à la disposition des artistes
ont des origines aussi peu scientifiques. Cependant il est sage de conser-
ver quelque réserve au sujet de l'exactitude anatomique de ces oeuvres d'art
ou enseignement.
Dès sa première leçon d'ouverture, à l'Ecole des Beaux-Arts, M. Paul
Richer avait pris soin de mettre ses élèves en garde contre les statues d'é-
corchés.
D'abord, il leur reprochait leur insuffisance : elles ne tiennent pas
compte des aponévroses superficielles, ni de la graisse, qui, en certaines
régions, joue un si grand rôle dans la forme extérieure. Il s'élevait surtout
contre leurs inexactitudes, tant au point de vue anatomique qu'au point
de vue physiologique ; la plupart de ces écorchés. malgré leurs poses mou-
vementées, ce sont que des « manières de cadavres galvanisés «.Quelques-
uns, au point de vue artistique, sont sans doute des oeuvres intéressantes
et non sans valeur ; mais leur rôle pédagogique est très discutable, lors-
qu'il n'est pas dangereux.
176 HENRY MEIGE
A ce propos, le professeur rappelait le geste d'Ingres brisant une
statue d'écorché que quelques-uns de ses élèves avaient introduite dans son
atelier.
Dans son premier cours de l'année 1906-1907, M. Paul Richer a tenu
à justifier ces préventions par des preuves précises, tirées de l'examen
méthodique des écorchés les plus célèbres. Nous avons eu la bonne fortune
d'avoir à notre disposition les notes de ce cours, et la permission d'y faire
de larges emprunts. Rien ne saurait mieux mettre en évidence l'utilité de
la science du nu. Si cette leçon s'adressait surtout à des artistes, les mé-
decins aussi peuvent en faire leur profit.
Une des plus anciennes figurations (l'écorché est une statuette bien
connue attribuée à Michel Ange (pli. XXXIII, A). Ses qualités artistiques
justifient pleinenement la vogue dont elle jouit ; mais au point de vue
anatomique elle mérite plus d'une critique :
« Par exemple, des deux muscles pectoraux, l'un, le gauche, est aplati ;
l'autre, le droit, est gonflé, volumineux. Or, ce dernier s'attache à un bras
fortement relevé ; même contracté, le pectoral dans ces conditions ne peut t
prendre l'aspect globuleux, à cause de l'état de distension dans lequel le
met l'éloignement de ses points d'attache, tandis que celui du côté opposé,
par suile du rapprochement de ces mêmes insertions qui occasionne l'a-
baissement du bras, devrait être au contraire gonflé et volumineux. Il y
a là, en somme, entre la forme donnée aux deux : muscles pectoraux une
curieuse opposition, de sens absolument contraire à celle qu'exigeraient
les lois physiologiques.
« Le vaste externe est divisé dans le sens de sa longueur par un sillon
profond qui fait deux muscles là où il devrait n'y en avoir qu'un.
« Autre remarque : les plis de l'abdomen ne correspondent pas aux divi-
sions des muscles grands droits ; ils reproduisent plutôt l'apparence des
plis cutanés. Ce qui ne saurait exister sur un écorché.
« On peut aussi signaler la trop grande symétrie de position des deux
omoplates et l'inexactitude des muscles qui s'y insèrent, aussi bien que
la fantaisie des saillies qui meublent la région sous-scapulaire. Enfin,
dans la région du flanc, les replis que l'on voit seraient peut-être exacts
chez un sujet revêtu de peau et de graisse, mais ne correspondent nulle-
ment à des reliefs musculaires.
En résumé, « c'est là une oeuvre d'art pleine de mouvement, fort inté-
ressante et fort curieuse, géniale, si l'on veut, mais ce ne sera jamais un
document d'étude. A ce point de vue elle serait pernicieuse, et elle est à
négliger ».
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XX. Pl. XXXIII
A
B
B'
B"
c
C'
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE.
(Henry Meige).
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XX. PI. XXXIV
D
D'
F . ?
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F
F'
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE.
(Henry Meige).
Statues d'écorchés.
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 177
On attribue à Bandinelli une autre statue d'écorché connue sous le nom
d'Ecorché danseur, oeuvre mouvementée, mais dont l'analyse scientifique
révèle encore de graves inexactitudes. La plupart des muscles sont figurés
incorrectement et bon nombre d'entre eux sont difficiles à identifier ; par
exemple, ceux de la face externe de la jambe, ceux de l'avant-bras, ceux
des parties latérales du torse, etc... Les muscles du dos donnent cette ap-
parence de « sac de noix » justement critiquée par Léonard de Vinci.
L'écorché de Bouchardon, d'une pose moins compliquée, présente plus
d'exactitude anatomique (PI. XXXIII, C, C', C"). Il est cependant enta-
ché de bien des erreurs parmi lesquelles il suffit de signaler la forme
du grand pectoral droit, le modelé du genou, du côté de la jambe portante,
le peu de précision des muscles de la face externe de la jambe gauche qui
rappelle l'écorché de Bandinelli ; et, en arrière, le modelé défectueux du
deltoïde, des muscles de l'omoplate et des muscles fessiers.
Il existe au musée de l'Ecole des Beaux-Arts une statue d'écorché dont
on ignore l'origine, mais qui semble bien provenir d'un moulage d'après
nature (Pl. XXXIII, D, D'). On peut donc s'attendre trouver sur elle des
indications plus précises.Mais, ici encore, il importe de se mener, car les
moulages d'ensemble sont extrêmement difficiles à réaliser : la plupart du
temps l'opération se fait séparément pour les différentes parties du corps
qui sont juxtaposées après coup. '
Sur une vue postérieure de cette statue, l'exactitude de la muscula-
ture du dos est incontestable. Mais dans la région fessière où le moulage
est très difficile à faire, ce qu'on appelle magotage, en terme de métier,
crève les yeux : les raccords n'ont rien d'anatomique. Enfin, il n'est pas
malaisé de voir que les muscles figurés sont des muscles morts. C'est en
somme « une statue de cadavre dressée dans une attitude de vie et qui ne
peut pas renseigner davantage que le cadavre lui-même ».
« Mais voici, dit M. Paul Richer, la statue d'écorché la plus fameuse et
la plus répandue dans les centres d'enseignement. C'est l'Ecorché de Hou-
don, qui marque évidemment sur tous les précédents un grand progrès,
et se présente avec des allures d'exactitude qui en imposent et doivent
nous rendre plus circonspects (PI. XXXIV, D, D').
« On y retrouve cependant un certain nombre des erreurs de l'écorché
de Bouchardon, notamment au sujet du grand pectoral. Par contre, les
bras et les jambes sont plus corrects. Mais sur une vue postérieure le tra-
pèze apparaît trop mince, privé de son aponévrose ; on ne distingue guère
le rhomboïde ; les apophyses épineuses de la colonne vertébrale sont ab-
178 UENRY MEIGE
sentes. Les muscles fessiers ont même forme à droite et à gauche, alors
que le sujet ne porte que sur une seule jambe ; et l'on sait combien la sta-
tion hanchée modifie la morphologie de cette région.
« Les plus grosses fautes apparaissent dans la région du genou. En ar-
rière, la partie inférieure du demi-membraneux n'existe pas ; en avant,
l'interligne articulaire est située beaucoup trop haut, et les pelotons adi-
peux sous-rotuliens ainsi que les bourrelets sus-rotuliens font complète-
tement défaut. Il est impossible, à l'aide de ce genou d'écorché de se rendre
compte des formes extérieures du genou d'un modèle vivant placé dans la
même attitude.
« Un sculpteur du commencement du siècle dernier eut l'idée,bonne en
soi,de faire un écorché sur lequel il représentait d'un côté les muscles su-
perficiels et de l'autre les muscles profonds. C'était vouloir parer à l'une
des insuffisances de l'écorché superficiel. Malheureusement, il donna à sa
statue une attitude tourmentée,qui,en détruisant la symétrie entre lesdeux
moitiés de la figure, rendit sa tentative infructueuse. En effet, en rendant
impossible la comparaison entre deux mêmes régions de chaque côté du
corps, ruina du coup la démonstration qui pouvait être faite du rôle très
important de certains muscles profonds dans la forme extérieure.
« On peut lui reprocher aussi quelques erreurs, de peu d'importance il
est vrai,mais surtout une certaine redondance des muscles qui leur enlève
leur accent de vérité. A preuve le muscle grand fessier, volumineux et
lout rond,qui ne donne guère l'idée de ce qu'est véritablement ce muscle
très important.
« Un médecin militaire, chirurgien aux armées de la première Républi-
que, puis professeur au Val-de-Grâce, Salvage, entreprit, vers 1796, de
faire l'écorché de la célèbre statue antique, le Gladiateur combattant. Il
consacra à ce travail beaucoup de temps et beaucoup de peine, et son oeu-
vre qu'il mena à bien, malgré les difficultés sans nombre d'une semblable
entreprise,est aujourd'hui dans notre amphithéâtre d'anatomie. Il publia
en même temps un grand ouvrage dont il dessina lui-même toutes les plan-
ches, sur L'anatomie du Gladiateur combattant (Pl. XXXIV, E, E').
« Vous connaissez tous cettestatue.A part quelques erreurs d'interpréta-
tion, elle donne bien l'explication anatomique de la statue d'Agasias.
« Elle eut un très grand et très légitime succès ; et pendant longtemps
elle fut comme le pivot de l'enseignement de l'anatomie artistique.
« On peut cependant à ce point de vue lui adresser deux reproches :
« 1° Son attitude même,, qui rend difficile et même impossible la dé-
monstration de certaines régions. , 1
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 179
« 2° La façon dont elle a été exécutée, et ce point demande explication.
Salvage a écorché la statue du Gladiateur combattant tout en essayant de
conserver l'aspect général des formes et du modelé ; et, pour cela, il n'a
pas tenu compte de l'épaisseur de la peau, et surtout du pannicule adipeux
qqi la double. Il en résulte que ce sont les muscles eux-mêmes qui occu-
pent toute la place prise sur le vivant par la graisse. ! 1 n'est tenu également
aucun' compte des aponévroses pour la production de certaines formes.
« Sur une vue prise de profil, vous pouvez constater une des principales
erreurs : elle consiste dans le dessin de la crête iliaque, trop surbaissée et
dans le mode d'attache défectueuse des fibres charnues du grand oblique.
« A la partie postérieure du flanc, on peut noter aussi l'absence du bour-
relet graisseux.
« Ces erreurs n'existent pas sur les moulages sur nature que fit exécuter
Salvage. Ces moulages que nous possédons aussi à l'amphithéâtre d'ana-
tomie sont extrêmement curieux et intéressants à étudier. Ils ont été faits
d'après des sujets d'une belle musculature et placés dans l'attitude même
du Gladiateur, ce qui n'était pas fait pour faciliter la besogne.
« La dernière en date des statues d'écorché est celle que fit exécuter le
docteur Fau, vers 1845, par un artiste de valeur, Jacques-Eugène Cau-
dron. L'écorché de Caudron a encore un très légitime succès.
« C'est au point de vue artistique une oeuvre de valeur,pleine d'harmo-
nie et de mouvement ; et, au point de vue de l'exactitude anatomique, il
n'y a guère à lui reprocher qu'une exagération de la structure fasciculaire
des muscles également répandue partout. Sur le vivant, -et cette statue
a évidemment la prétention de représenter un homme en action, les
muscles n'apparaissent pas ainsi subdivisés régulièrement en un aussi
grand nombre de faisceaux.
« Sous ces réserves, cette statue est fort intéressante à consulter, mais à
cause de son attitude violente, elle ne se prête pas à la démonstration
méthodique et régulière. »
Enfin, pour terminer, M. Paul Richer signale une esquisse tout à fait
remarquable d'écorché exécutée par Dalou (PI. XXXIV, F, F').
« C'est une étude inachevée mais d'un haut intérêt, car elle indique
avec sûreté quelques-unes des conditions que doit remplir la statue d'écor-
ché pour être vraiment utile.
« D'abord le sujet est placé dans l'attitude droite, pure et simple, indis-
pensable à la démonstration. Puis, on se rend compte que l'artiste s'est
efforcé de rendre la forme vivante, comme en témoigne le modelé très
exact du grand pectoral, l'indication du bourrelet sus-rotulien qui, pour
la première fois est visible sur un écorché. »
180 HENRY MEIGE
Mais il faut dire que, pour cette esquisse, Dalou s'était inspiré des étu-
des et des dessins déjà publiés par Paul ! -licher, dont il partageait entiè-
rement les idées sur l'anatomie des formes.Malheureusement cette ébauche
est incomplète.
Cette rapide revue des statues d'écorché suffit à montrer combien celles-
ci demeurent insuffisantes pour l'enseignement de la morphologie hu-
maine. -
r « Sur le plus grand nombre, il existe des erreurs anatomiques et surtout
de grosses fautes de physiologie.
« Sur aucune il n'est tenu compte du tissu adipeux sous-cutané qui tient
une si grande place dans la morphologie, pas plus que des aponévroses
superficielles dont l'importance dans certaines régions n'est pas moindre.
« Sur aucune, la comparaison entre l'écorché superficiel et les formes
extérieures, autrement dit la relation entre le nu et les parties profondes,
ne peut être facilement établie.
« Enfin, toutes ont des poses plus ou moins mouvementées qui, au point
de vue de l'enseignement limite considérablement leur utilité. »
Quelles sont donc les( conditions que devrait remplir un écorché pour
prêter un concours vraiment utile à l'enseignement ? ' ?
1° Il devrait, ditM. Paul Richer, avoir l'attitude de convention choisie
par les anatomistes dans leurs descriptions : station droite, les bras tom-
bant le long du corps, la paume des mains tournée en avant, c'est-à-dire
l'avant-bras en supination.Cette pose très simple est la seule qui convienne
aux démonstrations élémentaires, claires et méthodiques. C'est par elle
qu'il faut commencer, Ce n'est qu'ensuite que les attitudes plus complexes
et les mouvements peuvent être étudiés avec fruit. Comment se fait-il
qu'aucun des écorchés n'ait cette attitude ? Probablement parce que
c'était trop simple, mais aussi peul-être parce qu'on a pensé qu'il fallait
parer la science pour la faire accepter des artistes : une belle attitude, un
mouvement intéressant faisant passer ce que peut avoir de désagréable la
vue des muscles mis à nu.
« Mais est-il bien nécessaire de traiter ainsi les artistes comme de
grands enfants qui ont besoin - passez-moi l'expression qu'on leur
dore la pilule ? Je ne le pense pas. La science toute nue est faite aussi
pour eux, mais à la condition qu'elle ne s'entoure pas de voiles obscurs,
qu'elle parle un langage clair et qu'elle leur donne par ses applications
directes l'aide qu'ils sont en droit d'en attendre.
« 2° L'écorché devrait être vraiment l'explication du nu, c'est-à-dire
porter sur lui-même, pour ainsi dire, le rapport entre les parties profon-
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l'écorché vivant DE PAUL RICIIER.
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T. XX. PI. XXXVI
L'ÉCORCHÉ VIVANT DE PAUL RICIIER.
Masson & Cie, Editeurs
Plinlnly·le It·Ulinml, Pm
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 181
des et les formes superficielles. Il suffirait pour cela que le sujet étant
figuré dans une attitude absolument symétrique, un seul côté fût « ana-
tomisé », l'autre côté montrant les formes du nu. La comparaison serait
ainsi facilement établie entre deux régions analogues dont l'une,disséquée,
donnerait l'explication de l'autre, recouverte de peau.
« 3° Le nu ne trouvant pas toute son explication dans l'ostéologie et la
musculature, puisqu'il est des régions où la graisse et les aponévroses
. jouent un rôle important, l'écorché devrait nécessairement tenir compte de
ces deux éléments.
« 4° Enfin, comme ce qui nous intéresse surtout c'est la forme vivante,
les muscles à découvert sur notre écorché devraient avoir la forme qu'ils
ont sur le vivant, c'est-à-dire correspondante à l'état physiologique du
muscle en rapport avec l'attitude donnée. Car cette attitude la station
droite quelque simple qu'elle soit, n'est point celle d'un cadavre. Elle
n'existe que conformément aux lois de la vie. Certains muscles sont con-
tractés, d'autres relâchés, d'autres simplement distendus. Et nous savons
que pour un même muscle, une forme spéciale correspond à chacun de
ces divers états.
« Ceux d'entre vous qui ont déjà suivi le cours pratique se souviennent
certainement du soin que j'ai mis à leur faire distinguer sous la peau du
modèle ces divers états musculaires qui sont la manifestation de la vie, et
aussi de l'insistance que j'ai mise à leur demander d'en tenir compte dans
le dessin qu'ils faisaient des muscles.
« C'est là, en effet, le seul moyen de vivifier l'anatomie du mort en lui
demandant d'éclairer l'anatomie du vivant. Mais ce nest pas là une tâche
facile et rien ne serait mieux fait pour en aplanir les difficultés que cette
statue d'écorché dont je parle, qui servirait pour ainsi dire de transition
entre le modèle vivant et le cadavre disséqué aux muscles flasques et sans
formes. »
Eh bien ! cette statue de l'Ecorché vivant, M. Paul Richer l'a réalisée.
Maniant l'ébauchoir après le crayon, il a exécuté lui-même en ronde bosse
cette sculpture d'enseignement qui matérialise en relief les formes exté-
rieures de l'homme en vie. Evitant à dessein les attitudes compliquées qui
déroutent le néophyte, il s'est efforcé de rendre cette image,avant tout,claire
et facilement compréhensible.
L'écorché de Paul Richer se tient debout, en station droite et symétri-
que, sur les deux pieds, dans l'attitude conventionnellement adoptée par
les anatomistes, qui répond le mieux aux besoins de la démonstration.
C'est un homme sain, de taille moyenne, mesurant sept têtes et demie,
à l'ossature solide, aux muscles bien développés (Pl. XXXV et XXXVI).
182 HENRY MEIGE - 1
Il apparaît mi-écorché et mi-nu ; c'est-à-dire que, sur une moitié du
corps, à gauche, la peau et le pannicule adipeux ayant été enlevés, les
muscles sont visibles, avec leurs aponévroses, ainsi que les principaux
paquets graisseux de remplissage, qu'on peut à volonté enlever ou remet-
tre pour les besoins de la démonstration. Du côté droit, le sujet est enve-
loppé de sa peau et de la graisse sous-jacente ayant l'épaisseur que l'on
rencontre chez les sujets vigoureux en pleine santé..
Les muscles écorchés se distinguent les uns des autres par leurs reliefs
et des sillons de séparation suffisamment marqués. Innovation importante,
ils sont représentés avec la forme réelle qui correspond à la pose du sujet.
Sur la tête, sont seuls indiqués les muscles qui jouent un rôle dans
la forme extérieure de cette région, le masséter et le temporal. Les pau-
ciers de la face, traduisant surtout leur existence par des modifications de
la peau à laquelle ils adhèrent, sont moins importants à connaître pour
les artistes. Ceux-ci en effet reproduisent les différentes expressions de la
physionomie d'après les modifications du masque cutané.
La morphologie du corps et des membres est d'une grande exactitude.
On remarque en particulier dans la région thoracique, la forme du
grand pectoral au repos, à la fois distendu dans sa moitié supérieure
et relâché dans sa moitié inférieure, et, par comparaison avec le côté op-
posé, le modelé de la région mammaire où la graisse joue un rote qui n'est
pas à négliger.
Plus bas, on voit les digitations du grand dentelé et du grand oblique,
soulevées par les côtes ; et en avant les muscles grands droits de l'abdo-
men légèrement distendus.
Par contre, dans la région scapulaire, les muscles apparaissent contrac-
tés à cause de la rotation de l'humérus, les mains étant en pronation.
Plus bas, les spinaux sont relâchés de même que les fessiers, confor-
mément à ce qu'on observe encore dans la situation droite bien équilibrée.
Enfin, la comparaison de l'écorché à gauche et du nu à droite permet
d'apprécier pour une même région l'importance du rôle morphologique
de la graisse, en particulier dans la région du flanc et de la fesse. Inutile
' d'ajouter que le modelé du genou est conforme à la description très exacte
qu'en a donnée depuis longtemps M. Paul Richer.
Cette statue réalise donc un incontestable progrès sur les anciennes
statues d'écorchés. Elle matérialise en somme les plus récentes acquisitions
de la morphologie humaine sous une forme toute nouvelle, exactement
adaptée à son but pédagogique.
Si les artistes sont les premiers à en bénéficier, les médecins n'en doi-
vent point faire fi. A défaut de modèles dont l'exhibition en permanence
UNE RÉVOLUTION ANATOMIQUE 183
dans un pavillon de dissection n'irait pas sans quelques difficultés, une
statue de ce genre représentant le muscle en place et envie, et, à côté,
la forme extérieure qui le révèle, pourrait être consultée avec fruit par
les étudiants en médecine. Ils seraient ainsi en mesure de comparer le
cadavre au vivant. Leur oeil s'habituerait à la configuration de l'homme
normal ; ils deviendraient plus aptes à découvrir sur le malade les défor-
mations et les anomalies qui mettent sur la voie du diagnostic et du trai-
tement. t.
Ce serait tout au moins un acheminement vers l'enseignement de cette
anatomie vivante, qui s'impose comme un complément indispensable de
l'anatomie descriptive, pour ceux qui, destinés à soigner les hommes,
doivent acquérir une connaissance aussi parfaite qne possible de l'être
humain.
Concluons : il est temps que les médecins, tout en demeurant juste-
ment respectueux du cadavre, se décident à accorder plus d'attention aux
enseignements du vivant.
La voie est désormais tracée. Elle est attrayante ; c'est la voie du pro-
grès de l'Art et de la Science ; elle conduit à des buts utiles au bien
de l'humanité.
Il faut la suivre.
Le gérant : P. Bouchez.
lmp. J. Thevenot ? baint-Dtzter (Haute-Marne).
20° Année N° 3 Mai-Juin
HOSPICE DE BICsTRG
TRAVAIL DU LABORATOIRE DU D' PIERRE MARIE
SYNDROME DE WEBER AVEC IIÉMIANOPSIE
DATANT DE 28 ANS
ÉTUDE ANATOMIQUE ; FOYER DE RAMOLLISSEMENT DANS LE PÉ
CULE, LE CORPS GENOUILLÉ EXTERNE ET LA BANDELETTE
QUE... 9.
PAR n i
ITALO ROSSI ET GUSTAVE ROUSSY (
. (de Milan) Ancien Interne Lauréat des IlÕ]
de Paris.
Le cas, dont nous rapportons dans ce travail l'étude anatomique faite
sur coupes microscopiques sériées, présente un intérêt à la fois clinique
et anatomique.
L'intérêt clinique de ce cas, dû à l'association très rare d'une paralysie
alterne supérieure et d'une hémianopsie homonyme datant de plus de
27 ans, avait motivé, de la part de MM. Pierre Marie et Léri, la présenta-
tion du malade à la Société de Neurologie en mars 1905.
L'étude anatomique que notre maître M. Pierre Marie a bien voulu nous
confier, nous a permis de relever un certain nombre de faits intéressants,
soit en rapport avec la symptomatologie présentée par le malade, soit au
point de vue de la pathologie du pédoncule en général, soit enfin au point
de vue anatomique pur.Nous chercherons à les faire ressortir à la suite de
l'histoire clinique et de l'étude anatomique que nous allons exposer.
Observation CLINIQUE.
Moi...mécanicien, âgé de 57 ans,entre à l'hospice de Bicêtre, salle Bichat, le
5 mai 1903.
Antécédents héréditaires. Rien à noter de particulier.
Le père s'est noyé accidentellement ; la mère est morte à 60 ans d'une affec-
(41 Communication (avec présentation de coupes), faite à la Société de Neurologie,
séance du 2 mai 1907.
xx 12
186 ROSSI ET ROUSSY
tion que le malade ne peut préciser. De quatre frères, trois sont vivants et bien
portants ; le quatrième est mort accidentellement.
Antécédents personnels. - Fièvre typhoïde et variole en 1807, à l'âge de
21 ans.
A 27 ans, chancre unique, induré, pas de traitement spécifique. Le malade
dit avoir eu quelque temps après une plaque rouge sur le thorax ; pas de ro-
séole ni de céphalée.
Les troubles paralytiques ont débuté à l'âge de 32 ans, précédés par de vio-
lentes douleurs à la nuque. Le malade en remarqua les premiers symptômes
une nuit en voulant se lever , il se sentit alors très faible, eut de la difficulté
à se servir de sa main droite et traîna pour la première fois la jambe droite.
En même temps il constata une chute légère de sa paupière gauche. Il n'eut
pas d'ictus proprement dit.
Le lendemain et les jours suivants, l'hémiplégie progressa lentement ainsi
que le ptosis, si bien que le malade fut obligé de s'aliter dix jours après le
début de l'affection. Pendant ce temps la paupière gauche s'était complète-
ment fermée et dans tout le côté droit, y compris la face, la paralysie était
devenue complète. Le malade aurait eu en outrera ce moment un peu de difli-
culté à parler, mais il est difficile de savoir s'il s'agissait ou non d'aphasie
vraie ; il avait du mal à prononcer les mots, il ne pouvait lire (peut-être à
cause de son obnubilation intellectuelle), mais comprenait très bien ce qu'on
lui disait.
Il resta complètement alité pendant deux mois,puis commença à se lever et à
faire quelques pas, fortement soutenu par son frère. L'impotence fonctionnelle
du côté droit s'améliora ainsi légèrement pendant quelques mois encore, bien
que les membres du côté droit se fussent contractures. Il vint à Paris consul-
ter Charcot fit un séjour à la Salpêtrière, puis entra à Bicêtre où il resta de
1880 ;i 1895 ; il en sortit alors jusqu'en 1903, époque à laquelle il y rentra dé-
finitivement.
Depuis 1880 l'état de ses membres du côté droit n'a pas sensiblement varié.
L'oeil gauche resta fermé pendant 5 mois après le début de l'affection, puis le
malade put le rouvrir petit à petit mais toujours incomplètement, comme on
le constate encore aujourd'hui.
C'est au moment où le malade put recommencer à marcher, qu'il s'aperçut
qu'il ne voyait pas les objets situés à sa droite ; il était ainsi obligé de tourner
la tête pour voir une voiture qu'il entendait passer à sa droite et faillit même
de ce fait avoir divers accidents.
Le malade aurait eu aussi de nombreux accès de rire et de pleurer spas-
modiques : « Il riait et ne pouvait s'en empêcher quoiqu'il n'eut aucune envie
de rire. »
Il n'a jamais eu de douleurs dans les membres paralysés ni d'anesthésie,
mais il nous dit que quand on lui appliquait un objet froid sur la jambe droite,
il éprouvait une sensation de violente brûlure. Il n'a jamais eu de troubles
sphinctériens.
Etat actuel (mai 1903). '
SYNDROME DE WEBER AVEC 11É1111101'JII : DATANT DE 28 ANS 187
Motilité : le malade présente une hémiplégie droite typique, avec par-
ticipation du facial et de l'hypoglosse.
Le membre supérieur droit est contracture en flexion : flexion à angle légè-
rement aigu de l'avant-bras, flexion légère du poignet, flexion des doigts dans
la paume de la main au niveau de la première et de la seconde phalange. Tout
mouvement du membre supérieur est impossible sauf un léger degré d'ab-
duction du bras.
Le membre inférieur droit est paralysé et en extension ; il existe de la rai-
deur dans ce membre, mais pas de contracture véritable ; le malade peut le
fléchir quand il s'asseoit.
La face est incomplètement paralysée. Le facial supérieur est pris en partie
aussi ; le malade résiste très peu à la traction en haut de la paupière droite
préalablement fermée ; la fermeture de la paupière gauche est au contraire
plus énergique.
La langue est déviée nettement vers la droite. Pas d'asymétrie ni de para-
lysie appréciable du voile du palais.
Dans la marche la jambe droite étendue reste toujours en arrière de la gau-
clie ; le malade ne fauche pas, mais marche d'une façon très spéciale, « obli-
quement » pour ainsi dire.
Il existe une paralysie presque complète de l'oculo-moteur commun gauche.
La paupière supérieure gauche est tombante, à demi-fermée et le malade est
incapable de la relever complètement, mais il peut cependant découvrir assez
facilement sa pupille. Celle-ci est dilatée et absolument immobile à la lumière
et l'accommodation alors que la pupille droite réagit parfaitement. Lorsqu'on
ouvre et qu'on ferme alternativement la paupière gauche, la pupille droite se
dilate et se contracte (réflexe consensuel) ; lorsqu'au contraire on ferme et on
ouvre la paupière droite, la pupille gauche reste immobile. Les muscles droits
supérieur et inférieur ne semblent pas agir ; le droit interne au contraire se
contracte modérément. Le mouvement de l'oeil en dehors est normal. Le ma-
lade est dans l'impossibilité d'accommoder.
188 ROSSI ET ROUSSY
Sensibilité générale : parfaitement conservée partout, pour tous les modes ;
pas d'anesthésie cornéenne.
Sensibilité spéciale : le goût et l'odorat sont normaux.
La recherche du champ visuel au campimètre montre une hémianopsie ho-
monyme latérale droite des plus nettes, avec sa forme habituelle et la légère
encoche centrale de 10° environ correspondant à la macula.Bien que le malade,
qui ne peut pas accommoder, ait l'impression que sa vue de l'oeil gauche est
très mauvaise, la recherche de l'acuité visuelle donne la valeur 2/3, à gauche
comme à droite. A l'ophtalmoscope, on ne constate aucune lésion du fond de
l'oeil.
Réflexes : le réflexe rotulien est très exagéré à droite, le contra-latéral
fort des deux côtés, ainsi que les réflexes du poignet et du coude.
Le réflexe crémastérien présent à droite, manque à gauche, mais il existe
là une grosse hernie inguinale ; le réflexe abdominal est présent et normal des
deux côtés ; le réflexe cutané plantaire se fait en extension à droite, en flexion
à gauche.
Troubles trophiques : Il existe une atrophie très marquée des membres
du côté droit. La jambe gauche mesure, au milieu du mollet, 34 centimè-
tres, la droite 27 centimètres ; à 5 centimètres au-dessus de la rotule, on a 39
centimètres à gauche et 35 centimètres adroite. Le membre supérieur gau-
che, aussi bien à 10 'centimètres au-dessus de l'apophyse styloïde du radius
qu'au milieu du bras, mesure 3 centimètres de plus que le droit.
Pas de troubles sphinctériens.
Le malade ne présente aucun signe d'aphasie, il lit et écrit très bien de la
main gauche. Pas de dysarthrie.
L'intelligence est bien conservée; la voix est légèrement enrouée.
Aucun trouble viscéral, à part la hernie inguinale.
A la ponction lombaire faite le 7 mai 1903, on retire environ 6 centimètres
cubes de liquide très clair; pas de lymphocytose.
Aucune modification à noter dans l'état du malade de 1903 à 1906.
Mort le 10 avril 1906, à la suite d'une intervention pour hernie étranglée, soit
28 ans après le début de l'affection.
AUTOPSIE. - A l'examen macroscopique du cerveau, on ne constate aucune
lésion au niveau de la surface des deux hémisphères ; les méninges ne sont
pas épaissies et ne sont pas adhérentes à la substance cérébrale. Au niveau de
la base du cerveau, on remarque que le nerf moteur oculaire commun gauche
est un peu plus petit que le droit et que le pédoncule gauche est nettement
atrophié et aplati. Pas de méningite basilaire.
Le cervelet est normal.
On pratique une coupe transversale au niveau de la partie moyenne de la
protubérance, de façon à laisser sa moitié supérieure attenante à la partie su-
périeure du tronc encéphalique qui sera ainsi incluse en bloc. Sur cette coupe
macroscopique on voit que l'étage antérieur de la protubérance est nettement
diminué de volume du côté droit. Sur une coupe passant par la partie moyenne
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PL XXXVII
z - Fù/. 1.
fief. 2.
- Fiff. 3. ? - A»(/. 4.
SYNDROME DE WEBER AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 189
du bulbe, on note une atrophie très marquée de la pyramide bulbaire gauche.
Sur les coupes des différents segments de la moelle enfin, on constate une
atrophie de tout le cordon antéro-latéral du côté droit.
ETUDE microscopique SUR coupes sériées.
Nous avons étudié sur coupes sériées horizontales, la partie supérieure du
tronc encéphalique (capsule interne, région sous-optique et pédoncule cérébral) ;
de même la protubérance et le bulbe. Les lobes lemporo-occipitaux ont été dé-
bités séparément en coupes frontales. L'étude de la moelle a porté sur de nom-
breux fragments prélevés à différentes hauteurs.
Nos coupes ont été traitées, soit par la méthode de Weigert, soit par celle
de Weigert-Pal-coehenille. Pour la moelle (renflements cervical et lombaire),
nous avons fait quelques colorations à t'hématoxytine'éosine et au van Gieson.
L'étude de la série des coupes de ce cas va nous permettre de faire la loca-
lisation exacte du foyer primitif, d'examiner avec soin les différents organes
qu'il a détruits et les dégénérations secondaires qu'il a provoquées. Pour ce faire
nous procéderons de la façon suivante : nous décrirons tout d'abord analyti-
quement, un certain nombre de coupes, dont nous donnons dans les planches
ci-jointes, les reproductions photographiques; nous chercherons ensuite en
nous résumant, à établir d'une façon synthétique la topographie de notre
lésion.
Avant de commencer notre description, nous voulons attirer l'attention sur
le fait que les coupes du tronc encéphalique ne sont pas rigoureusement hori-
zontales ; elles sont en effet légèrement obliques d'arrière en avant et de haut
en bas ; elles sont également très légèrement obliques de droite à gauche et
de haut eu bas ce qui fait qu'elles n'intéressent pas symétriquement les deux
moitiés du tronc encéphalique. Le lecteur aura donc à tenir compte de cette
asymétrie sur les figures ci-jointes. Nous avons nous-mêmes, pour établir la
topographie du foyer, comparé entr'elles les moitiés gauches des coupes de la
série avec celles du côté droit passant exactement au même niveau.
Description des figures. - Sur la coupe représentée (fig. 1) passant par la
partie supérieure de la région sous-optique, et intéressant les tubercules qua-
drijumeaux antérieurs, la partie postérieure du pulvinar, les corps genouillés
externes et internes et la partie supérieure du noyau rouge, on voit un foyer
de ramollissement qui occupe la moitié postérieure du segment postérieur de
la capsule interne. En arrière, ce foyer pousse une pointe vers le pulvinar,
délruit le corps genouillé externe en s'arrêtant à la couche grillagée et au
champ de Wernicke dont il sectionne quelques fibres ; en dehors il s'arrête
au confin du globus pallidus. Il existe en outre un petit foyer isolé du précé-
dent, qui occupe la partie antéro-interne du corps genouillé interne. A noter
enfin, une réduction en largeur de la partie de la capsule interne respectée par
la lésion et une atrophie nette du champ de Wernicke.
Les figures suivantes (fig. 2 et 3) montrent que la lésion occupe la même
situation que sur la coupe précédente mais qu'elle a augmenté d'étendue. Le
petit foyer du corps genouillé interne, qui sur la coupe de la figure 2 est encore
100 R0SS1 ET ROUSSY
nettement indépendant du foyer principal, capsulaire, vient sur la coupe sui-
vante (fig. 3), se réunir à celui-ci en avant, alors qu'en arrière il s'étend jus-
qu'au sillon qui sépare le pulvinar du tubercule quadrijumeau antérieur, en
détruisant ainsi le corps genouillé interne presque en totalité. En dedans ce
foyer s'étend dans la substance réticulée de la calotte dans il détruit une grande
partie.
La lésion détruit en outre ici, en plus de la capsule interne, le corps ge-
nouillé externe (moins une petite partie postérieure) et sectionne complètement
la bandelette optique à sa pénétration dans le corps genouillé externe ainsi
- que dans sa portion circumpédonculaire la plus externe. En avant et en dedans,
elle s'avance vers le pied du pédoncule dont elle lèse la partie avoisinante à
l'extrémité externe du corps de Luys
Le reste du pied du pédoncule, ainsi que le corps de Luys sont nettement
diminués de volume ; le champ de Wernicke est fortement atrophié. A noter
enfin, la dégénérescence presque complète de la bandelette optique gauche (dans
toute sa portion circumpédonculaire non intéressée par le foyer) dans
laquelle ne persistent plus que quelques rares fibres saines, et une diminution
de largeur évidente de la couche des fibres représentant les radiations optiques.
Il n'existe pas dans cette couche de fibres, de dégénération proprement dite,
bien qu'il y ait une légère raréfaction des fibres avec très légère sclérose.
Sur la coupe suivante (fig. 4) passant par les tubercules quadrijumeaux
antérieurs, les corps genouillés externe et interne et la. partie toute posté-
rieur du pulvinar, le foyer détruit la moitié externe du pied du pédoncule, le
corps genouillé interne complètement, le corps genouillé externe presque entiè-
rement, en respectant comme sur les coupes précédentes une petite partie pos-
térieure. En arrière il vient encore léser la partie tout il fait postéro-inférieure
du pulvinar. Comme sur les coupes des figures 2 et 3, la bandelette optique est
complètement détruite à sa pénétration dans le corps genouillé externe en
dedans. Enfin le foyer primitif pénètre dans la partie externe de la calotte, et
sectionne le bras du tubercule quadrijumeau postérieur en totalité ; le ruban
de Reil médian dont il respecte peut-être les fihres les plus internes adja-
centes à la capsule du noyau rouge et le bras du tubercule quadrijumeau
antérieur en grande partie. La lésion détruit encore une grande partie de la
substance réticulée de la calotte et pénètre en dedans entre le noyau rouge
et le corps de Luys pour s'arrêter à la limite interne de celui-ci. On voit
enfin sur cette coupe que la dégénération de la bandelette optique est aussi
nette que sur les coupes précédentes ! et que la couche de fibres représentant
les radiations optiques est moins large du côté gauche qu'à droite et présente
une légère raréfaction de fibres avec sclérose très légère.
La coupe représentée figure 5, nous montre que le foyer détruit les mêmes
formations que sur les coupes précédentes, mais qu'en plus le prolongement
qui pénètre entre le noyau rouge et le corps de Luys tend à augmenter d'éten-
due et vient sectionner les fibres de la partie antérieure de la capsule du noyau
rouge et effleurer à ce niveau la partie tout inférieure du corps de Luys.
La figure suivante (fig. 6 représente une coupe du pédoncule cérébral in-
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. PL XXX\'III
Fig. 5.
1 ? 6.
1 ri 7.
19.
Jazz.
ïï(h (<b
SYNDROME DE WEBER AVEC IIÉIIlAN0h31L DATANT DE 28 ANS 191
téressant la partie moyenne des tubercules mammillaires, les fibres radiculai- >-
res les plus antérieures de. la IIIe paire gauche et la partie postéro-inférieure du
corps genouillé interne. La lésion détruit ici, dans la calotte : le bras du tuber-
cule quadrijumeau postérieur, le ruban de Reil médian (exception faite de
sa portion la plus interne) et la région avoisinante de la substance réticulée.
Elle s'avance en avant et en dedans pour détruire les 3/4 externes du pied du
pédoncule et le locus niger en totalité et sectionner, comme sur la coupe de
la figure précédente, les fibres de la portion antérieure de la capsule du noyau
rouge. Elle effleure même à ce niveau la partie adjacente de ce noyau.
A partir de la coupe représentée figure 6, sur toute la série des coupes du
pédoncule et jusqu'à celle représentée figure 8, le foyer primitif qui intéresse le
ruban de Reil médian, le locus niger et la partie antérieure de la capsule du
noyau rouge vient sectionner en outre le groupe externe des fibres de la Tille
paire, lesquelles traversent, comme on le sait, ces différents organes pour se
rendre à leur point de convergence à la face interne du pédoncule.
Sur les trois figures suivantes (fig. 7, 8 et 9), on voit que le foyer primitif se
poursuit aussi bien dans le pied du pédoncule que dans la calotte. Dans le pied
du pédoncule, il détruit presque complètement toutes les fibres qui le compo-
sent, et ne respecte que quelques faisceaux isolés de sa portion interne. Dans
la calotte, il tend à diminuer d'étendue et détruit à ce niveau le ruban de Reil
latéral, le ruban de Reil médian (moins sa portion la plus interna) et la partie
avoisinante de la substance réticulée de la calotte Sur la coupe représentée
figures 8 et 9, les fibres les plus externes du pédoncule cérébelleux supérieur
sont intéressées par la lésion. Sur ces mêmes coupes (fig. 8 et 9) on voit que
les faisceaux extra-pédonculaires de la Ill- paire gauche sont en grande partie
dégénérés. '
Le foyer primitif enfin se termine dans la région inférieure du pédoncule,
au niveau de l'apparition des fibres transversales du pont. A ce niveau (fig. 10)
la lésion de la calotte ne consiste plus que dans un prolongement effilé placé
à sa partie antéro-externe, prolongement qui ne détruit plus que la moitié
externe du ruban de Reil médian et vient en arrière s'arrêter à la partie
antérieure du ruban de Reil latéral dont quelques fibres sont encore sec-
tionnées. Le foyer détruit encore ici le bord interne du pied du pédoncule
dont tout le reste est représenté par du tissu de sclérose au sein duquel per- ,
sistent quelques faisceaux de la voie pyramidale et quelques fibres transversales
du pont. -
Topographie du foyer primitif . - Nous pouvons maintenant, à l'appui de
la description des différentes coupes que nous venons de faire, établir d'une
façon très précise la topographie de notre foyer ; nous verrons ensuite quelles
sont les dégénérations qu'il a provoquées.
L'étude de la série des coupes montre qu'il s'agit d'un vaste foyer de
ramollissement ancien. Ce foyer, de forme irrégulière, beaucoup plus étendu
en hauteur qu'en largeur, occupe la partie externe du tronc encéphalique
gauche, s'étend, de la région sous-thalamique supérieure la région pédon-
culaire inférieure et s'arrête là, au niveau de l'apparition des fibres trans-
192 nossr ET ROUSSY
versales du pont. 1° dans la région sous-optique, le foyer détruit la moitié
postérieure du segment postérieur de la capsule interne en poussant une
pointe en arrière qui va sectionner quelques fibres de la zone réticulée et
détruire la partie tout il fait postéro-inférieure du pulvinar.
2° Au niveau de la région pédonculaire supérieure, il détruit la plus grande
partie des corps genouillés interne et externe ; la bandelette optique entière-
ment, à sa pénétration dans le corps genouillé externe, ainsi que dans sa por-
tion circumpédonculaire la plus externe. En dedans, il envahit la calotte
pédonculaire, en détruisant là une partie du bras du tubercule quadrijumeau
antérieur, le bras du tubercule quadrijumeau postérieur en totalité, le ruban
de Reil médian (moins sa portion tout interne) et une grande partie de la
substance grise réticulée déjà calotte. En plus il pousse une pointe qui pénètre
entre le noyau rouge et le corps de Luys et qui s'arrête à la partie interne de
celui-ci.
En avant enfin, il détruit la moitié externe du pied du pédoncule et coupe
complètement à ce niveau les fibres du faisceau de Turck.
3° Dans tout le reste du pédoncule, jusqu'à son extrémité inférieure, la
lésion se continue aussi bien dans la calotte que dans le pied du pédoncule.
Dans la calotte, au niveau du noyau rouge, elle occupe toujours avec prédilec-
tion la région externe de celle-ci et détruit le ruban de Reil latéral en partie,
le ruban de Reil médian (moins sa portion la plus interne), et la substance
réticulée 'avoisinante de la calotte ; puis s'avançant en dedans, elle pousse
une pointe qui pénètre dans le locus niger, entre le noyau rouge et le pied du
pédoncule, sectionnant à ce niveau les fibres de la capsule du noyau rouge et
même sur une petite hauteur, la partie adjacente de ce noyau lui-même. A ce
niveau le foyer vient enfin sectionner le groupe externe des fibres de la
IIIe paire qui sont prises soit à leur passage à travers la partie interne du ru-
ban de Reil médian, soit dans la partie antéro-externe de la capsule du noyau
rouge, soit enfin dans le locus niger où elles sont coupées par le prolonge-
ment interne du foyer ci-dessus décrit.
Plus bas au niveau de l'entrecroisement des pédoncules cérébelleux supé-
rieurs, le foyer de la calotte, se rétrécit de plus en plus et ne sectionne plus
que la partie antérieure du Reil latéral, la partie externe du Reil médian et
effleure les fibres les plus externes du pédoncule cérébelleux supérieur.
Dans le pied du pédoncule,la lésion au contraire augmente d'étendue de haut t
en bas et détruit même, à un moment donné, presque toutes les fibres qui le
composent,en ne respectant que quelques faisceaux isolés de sa portion interne.
Le foyer se termine enfin, dans le pédoncule au niveau de l'apparition des
fibres transversales du pont.
\ remarquer ici, pour les vaisseaux, que les artères an voisinage et au sein
du foyer, présentent des altérations très nettes d'endoartérite oblitérante ; leurs
parois sont fortement épaissies, surtout au niveau de la tunique interne, dont la
prolifération est parfois très considérable. La lumière des vaisseaux esten géné-
ral fortement rétrécie ; dans quelques-uns, même de gros calibre, elle est com-
plètement oblitérée. Il existe en outre une forte infiltration périvasculaire.
SYNDROME DE WEBER AVEC IILMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 193
Les méninges molles de la base ne sont pas épaissies d'une façon évidente,
mais présentent une infiltration embryonnaire diffuse et discrète.
Dégénérations secondaires. - La lésion 'primitive, que nous venons de dé-
crire a déterminé un certain nombre de lésions dégénératives et atrophiques
dire6tes ou indirectes que nous allons maintenant étudier. Nous commence-
rons par celles que l'on voit sur les coupes du tronc encéphalique intéressant
le foyer primitif, nous verrons ensuite les dégénérations ascendantes sur les
coupes de la région capsulaire moyenne et supérieure et enfin les dégénérations
descendantes dans la protubérance, le bulbe et la moelle.
1° Au niveau du foyer. - Les fihres de la IIIe paire gauche sont en partie
dégénérées ainsi qu'on peut le voir sur les coupes qui les intéressent à leur
sortie de la face interne du pédoncule. La bandelette optique en avant du
point où elle est détruite par lésion présente une dégénération rétrograde
très marquée dans toute sa partie circumpédonculaire; en effet, elle n'est plus
formée que par du tissu de sclérose dense avec légère prolifération nucléaire
au sein duquel ne persistent que quelques rares fibres saines. A la partie an-
térieure de la portion circumpédonculaire de cette bandelette dégénérée, on
voit en plein tissu de sclérose (fig. 3 et 4) une cavité allongée formée par
une perte complète de substance et que l'étude histologique nous permet de
considérer comme étant, non pas le résultat d'une lésion primitive, mais bien
comme l'effet d'un processus de raréfection secondaire au sein de ce tissu de
sclérose très ancien.
Au sur et à mesure qu'on s'approche du chiasma, les fibres redeviennent
plus nombreuses dans la bandelette, et au niveau du chiasma lui-même, on ne
note plus, du côté gauche (fig. 7 et 8), qu'une diminution de volume avec ra-
réfaction légère des fibres accusée surtout à la partie la plus externe.
Il existe enfin, sur toutes les coupes de la série, une atrophie nette du
champ de Wernicke et du corps de Luys du côté gauche. La couche des
fibres représentant les radiations optiques est nettement diminuée de largeur,
atrophiée ; bien qu'il n'existe pas de dégénérescence nette à proprement parler,
on voit que les fibres y sont moins denses et moins serrées que du côté oppo-
sé et qu'il existe une légère prolifération interstitielle. La couche sagittale ex-
terne (faisceau longitudinal inférieur) de ce côté présente le même ordre de
lésions, mais beaucoup moins accusées.
2° Au-dessus du foyer. Sur le petit nombre des coupes sériées, comprises
entre la limite supérieure du foyer et le thalamus et intéressant la région sous-
optique, on voit en dehors du centre médian de Luys, dans la région du ru-
ban de Reil médian, qu'il n'y a pas de dégénération à proprement parler. Dans
cette région cependant, il semble exister une certaine raréfaction des fibres qui
paraissent plus espacées et moins nombreuses qu'à l'état normal. Les noyaux
médian et externe du thalamus ne semblent pas atrophiées, ni présenter d'alté-
rations appréciables, pour autant que les méthodes décoloration employée per-
mettant d'en juger.
Les coupes de la partie supérieure du tronc encéphalique montrent en
outre qu'il existe dans la capsule interne une dégénération rétrograde occupant
194 ROSSI ET ROUSSY
surtout la moitié antérieure du segment postérieur de cette capsule. En effet
si la moitié postérieure du segment postérieur de la capsule interne est moins
développée en largeur qu'à l'état normal, les fibres y sont assez denses et assez
bien colorées alors que dans la moitié antérieure elles sont plus rares et
nettement décolorées.
La série des coupes de la capsule interne montre que cette dégénération
rétrograde diminue progressivement à mesure qu'on étudie des coupes plus
élevées et que dans la portion supérieure de la capsule interne, à partir de la
disparition du 26 segment du noyau lenticulaire, elle n'est plus appréciable.
3° Au-dessous da foyer, on note :
Protubérance. - La moitié gauche de la protubérance (l'étage antérieur
surtout) est nettement moins développée que la droite. Dans l'étage postérieur
on note : une atrophie très marquée du ruban de Reil médian dont la couche
des fibres est réduite au moins des deux tiers par rapport à celle du côté
droit une atrophie moins intense mais évidente cependant du ruban de Reil
latéral et une dégénération nette des fibres de la portion externe de la subs-
tance réticulée. Celle-ci se poursuit, tout en diminuant, jusqu'à la partie
inférieure de la protubérance. Dans l'étage antérieur, on voit une dégénération
presque complète de la voie pyramidale dont seulement quelques petits fais-
ceaux sont conservés à sa partie tout à fait interne.
Bulbe. - On note ici la dégénération complète de la pyramide bulbaire et
l'atrophie très nette de la portion interolivaire de la formation réticulée blanche à
gauche. Ici en effet, ainsi que le montre la figure 11, on voit que les fibres trans-
versales de la région sont bien colorées et nombreuses mais que les fibres cou-
pées perpendiculairement sont fortement diminuées de nombre. Or ce sont
là justement les fibres du ruban de Reil médian dont on poursuit toujours la
forte dégénération rétrograde. La partie antérieure de la formation blanche
interréticulée à gauche est également un peu diminuée de volume et un peu
moins riche en fibres que la partie correspondante du côté droit.
Sur les coupes sériées de la partie inférieure du bulbe, passant par les
noyaux des cordons postérieurs et intéressant l'entrecroisement sensitif,on voit
que le noyau de Goll, et surtout ceux de Burdach et de Monakow du côté
droit sont le siège de lésions atrophiques très nettes. En effet, ces noyaux sont,
sur toute la série des coupes du bulbe, moins développés que ceux du côté
gauche. On y voit en outre une raréfaction très marquée de leur réseau myé-
linique, une forte réduction de nombre et une atrophie de leurs cellules. En
relation avec les lésions de ces noyaux, en relation aussi avec la dégénération
rétrograde très accusée du ruban de Reil médian mentionnée dans la'région
bulbaire supérieure, il existe des lésions atrophiques très manifestes (V. fig. 12),
des fibres arciformes interréticulées du. côté droit, et cela sur toute la série des
coupes intéressant l'entrecroisement piniforme. Le groupe de ces fibres qui est
très apparent du côté gauche, est à droite fortement réduit, les fibres y sont
rares, celles qui persistent sont cependant bien colorées.
Moelle. - Sur les coupes de la moelle, et jusque sur celles du 3e segment
sacré inclusivement, on observe : une atrophie en masse de tout le cordon antéro-
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. XXIX
l¡, Il.
r7,'y ta.
7. /. ? .
Fig. li.
SYNDROME DE WEUEH AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 195
latéral droit, prédominant au niveau du cordon latéral (fig. 13, 14, 15, 16);
une dégénération presque complète du faisceau pyramidal croisé droit et enfin
un éclaircissement avec très légère raréfaction des fibres dans le pyramidal
croisé du côté gauche. A remarquer en outre, ainsi que le montre les figures,
que le faisceau pyramidal direct gauche n'est pas dégénéré mais qu'il existe
simplement une diminution de volume du cordon antérieur gauche par rapport
à celui du côté opposé, bien que la dégénération de la voie pyramidale au
niveau du bulbe, soit complète. Ce fait qui pourrait de prime abord paraître
anormal, n'a rien cependant qui doive nous surprendre. L'ancienneté de l'affec-
tion (28 ans) nous permet d'admettre qu'il a du se passer là un processus sem-
blable à celui qu'on observe communément dans les cas d'hémiplégie cérébrale
infantile très ancienne, c'est-à-dire une résorption progressive des fibres dégé-
nérées du pyramidal direct et un tassement des fibres saines persistantes du
reste du cordon antérieur aboutissant en fin de compte à une atrophie en masse
de ce cordon antérieur.
Les coupes de la moelle colorées au van Gieson, montrent qu'il existe des
lésions de sclérose très accusées dans toute l'aire du pyramidal croisé droit,
et aussi mais très légères dans le gauche. Aucune lésion interstitielle dans le
pyramidal direct gauche.
Les cornes antérieures de la rnoelle ne présentent pas de différence de vol il-
me appréciable d'un côté à l'autre, leur réseau myélinique est également riche
en fibres.
Les cellules enfin des cornes antérieures, sur des coupes colorées au van
Gieson et à 1'liématoxyline-éosine, sont égales en nombre et en volume des
deux côtés.
Les racines antérieures sont normales, ainsi que les vaisseaux et les mé-
ninges de la moelle.
4° Lobe occipital. - Les coupes frontales du lobe occipital gauche mon-
trent qu'il existe une diminution de largeur très notable des couches sagittales
de ce lobe, surtout accusée pour la couche sagittale interne (radiations optiques),
mais évidente aussi pour la couche sagittale externe (faisceau longitudinal infé-
rieur). Ici, comme nous l'avons vu sur les coupes horizontales ci-dessus décrites,
il s'agit d'atrophie plutôt que de dégénération proprement dite. A noter cepen-
dant que, surtout dans la couche sagittale interne, il existe une certaine raré-
faction des fibres de cette couche, ce qui lui donne un aspect plus pâle que celle
du lobe occipital droit.
Les circonvolutions du lobe occipital gauche sont, d'une façon générale, un
peu moins développées que celles du même lobe de l'hémisphère opposé, mais
c'est surtout au niveau des lèvres de la scissure calcarine que cette différence
de volume est très nette. A ce niveau il existe une raréfaction évidente des
fibres radiaires, du ruban de Vicq d'Azir et même des fibres tangentielles pro-
prement dites.Sur des coupes plus fines faites au niveau des deux circonvolutions
péricalcarines et traitées par 1'liémitéiiie-éosine, on voit qu'il existe, comparati-
vement au côté sain, une diminution de largeur évidente des différentes couches
cellulaires, surtout accusée pour les couches profondes (3°, 4e, 5e couches).
196 ROSSI ET ROUSSY
Résumé.
1° Clinique. - Chez un homme, syphilitique, âgé de 32 ans, est ap-
paru, 5 ans après le chancre, dans l'espace de 10 jours, piogressivement
et sans ictus véritable, une hémiplégie droite accompagnée de paralysie
presque complète de la 111° paire gauche et d'hémianopsie homonyme
latérale droite. Dans les mois suivants amélioration légère de l'hémi-
plégie ainsi que de la paralysie de la IIIe paire.
L'examen fait dans le'service 27 ans après le début de l'affection, en
1903, a permis de constater : 1° une hémiplégie spastique droite typi-
que, avec participation du facial et de l'hypoglosse ; 2° une paralysie
presque complète de l'oculo-moteur gauche (paupière gauche à demi-
fermée, paralysie des droits supérieur et inférieur, intégrité partielle
du'droit interne, pupille gauche dilatée et immobile à la lumière et à
l'accommodation ; perte à gauche du réflexe consensuel qui est conservé à
droite) ; 3° une hémianopsie homonyme latérale droite, avec légère en-
coche centrale de 10 degrés environ correspondant à la macula.
Pas de troubles objectifs ou subjectifs de la sensibilité générale. Fond
de l'oeil normal. Goût et odorat normaux. Forte diminution de volume
dans les membres paralysés. Pas de troubles sphinctériens. Pas de dysar-
thrie ni d'aphasie. Intelligence conservée.
Le malade qui a survécu 28 ans après le début de l'affection, est mort
d'un étranglement herniaire en 1906.
2° Anatomique. - Il s'agit d'un foyer de ramollissement ancien, occu-
pant avec prédilection , la région externe du tronc encéphalique gauche
et s'étendant de la région sous-optique à la partie inférieure du pé-
doncule. En haut, ce foyer détruit la moitié postérieure du segment
postérieur de la capsule inlerne et effleure l'extrémité postéro-interne
du pulvinar ; plus bas, les corps genouillés externe et interne dans
leur plus grande partie et la bandelette optique, soit à sa pénétra-
Lion-dans le corps genouillé externe, soit dans sa portion circumpé-
donculaire la plus externe. Dans le pédoncule, la lésion s'étend à la fois
dans la calotte et dans l'étage antérieur de celui-ci ; dans la calotte, il dé-
truit : les bras des tubercules quadrijumeaux antérieur et postérieur, le
ruban de Reil latéral en partie, le ruban de Reil médian en presque
totalité et la partie adjacente de la substance réticulée de la calotte. En
dedans, il pousse une pointe qui s'insinue entre le noyau rouge et le
pied du pédoncule, en plein locus niger et vient sectionner le groupe
externe des fibres de la Ille paire.
Dans le pied du pédoncule, le foyer qui a sectionnné la partie
externe du locus niger, détruit en haut la moitié externe de ce pied et
SYNDROME DE WEBER AVEC UÉMIANOPS1E DATANT DE 28 ANS 197
plus bas tout le pied du pédoncule, exception faite pour quelques petits
faisceaux les plus internes.
Le lobe occipital est indemne de tout foyer primitif.
Comme dégénérations secondaires, directes ou indirectes, nous avons
vu que le foyer avait déterminé : une dégénération rétrograde très mar-
quée de la bandelette optique gauche; une atrophie du champ de Wernicke
et des couches sagittales interne et externe du lobe temporo-occipital ;
une dégénération rétrograde du segment postérieur de la capsule interne ;
une dégénération très marquée de la voie pyramidale, qui se p ''
jusqu'au 3e segment sacré; et une dégénération rétrograde des pi
nifestes, du ruban de Reil médian, que l'on suit dans la protubéi
dans le bulbe jusqu'au niveau des noyaux des cordons postérieurs.
* .
..
Le cas que nous venons d'étudier est avant tout intéressant pai
reté. Si en effet les observations cliniques ou anatomo-cliniques ue syn-
drome de Weber sont loin d'être fréquentes dans la littérature, les cas
de paralysie alterne supérieure associés à l'hémianopsie sont extrêmement
rares. Nous n'avons pu en retrouver que 6 cas publiés jusqu'ici (Leyden,
Martius, Wernicke, Blessigs, Rudnieur, Joffroy), et parmi ceux-ci un
seul (Blessys) a été suivi d'autopsie et n'a fait l'objet que d'une simple
description anatomique macroscopique. Le cas que nous rapportons
aujourd'hui, étudié sur coupes sériées, vient donc apporter une con-
tribution non dépourvue d'intérêt à l'anatomie pathologique de l'associa-
tion morbide en question.
Si'on envisage la question au point de vue théorique, et si on se de-
mande quelles sont les conditions anatomiques et pathologiques de l'as-
sociation de la paralysie alterne supérieure et de l'hémianopsie homonyme,
on voit que le mécanisme de production de cette association morbide n'est
pas unique, mais qu'il peut être dû à des causes variées. Et ceci esl dicté
soit par les rapports de contiguïté que contracte le pédoncule cérébral
avec des organes dont la destruction est susceptible de provoquer l'hémia-
nopsie (bandelette optique, corps genouillé externe), soit pas la commu-
nauté d'irrigation artérielle qui existe entre le pédoncule cérébral et les
voies optiques centrales.
Il est facile de comprendre qu'une tumeur, siégeant dans une moitié du
pédoncule cérébral puisse, par extension en dehors, intéresser soit la
bandelette optique en un point quelconque de son tiajet circumpédon-
culaire, soit le corps genouillé externe soit les deux organes concomi-
tamment, et ajouter ainsi au syndrome caractéristique du pédoncule céré-
bral, la paralysie alterne supérieure, celui de la bandelette optique
ou du corps genouillé externe, - l'hémianopsie homonyme.
198 ROSSI ET ROUSSY
De même, si on prend ici en considération les cas de syndrome de
Weber par lésions d'origine non pas intra, mais bien extra-pédonculaire,
il est aisé de concevoir qu'un processus morbide basal puisse produire,
par compression ou invasion du pied du pédoncule et de la bandelette
optique, l'association morbide en question.
Rudnieur (1) admet pour son cas clinique l'un ou l'autre de ces*méca-
nismes pathogéniques. Il s'agit d'un homme de 30 ans, chez lequel s'est
développé un complexus symptomatique représenté par une hémiparésie
droite, une paralysie totale de la III' paire gauche, et une hémianopsie
homonyme droite avec réaction hémiopique de l'oeil droit. L'auteur émet
l'hypothèse de l'existence, soit d'une tumeur syphilitique intra-pédon-
culaire intéressant en même temps la bandelette optique, soit d'une
pachyméningite syphilitique.
Pour ce qui est de la syphilis cérébrale en particulier, où l'on voit si
souvent coïncider des lésions méningitiques basales avec des lésions arté-
rielles surtout du même côté, il est également possible de concevoir - bien
que la démonstration anatomique n'ait pas été faite jusqu'ici - que l'as-
sociation de la paralysie alterne supérieure et de l'hémianopsie puisse
être produite par la coexistence d'une lésion de la bandelette, d'origine
basale et d'un foyer de ramollissement pédonculaire, d'origine artérielle.
Ce serait là, pour ainsi dire, l'homologue de ce que Oppenheim a pu ob-
server dans un cas de syndrome de Weber au cours d'une syphilis céré-
brale. Dans cette observation en effet, la paralysie alterne supérieure
n'était pas due, comme c'est le cas plus habituel au cours de la syphilis
cérébrale, à une gomme ou à un foyer de ramollissement du pédoncule
cérébral, mais elle relevait de la coexistence d'une méningite basale
gommeuse intéressant la III° paire et d'un foyer de ramollissement placé
dans la capsule interne du même côté.
La lésion intéressant en même temps le pédoncule cérébral et la ban-
delette optique peut être aussi d'origine traumatique. Le cas de Wer-
nicke (2) publié en z quoiqu'isolé et non suivi d'autopsie - semble
en effet le prouver. A la suite d'une blessure faite avec un couteau dans la
région temporale gauche, le malade de Wernicke avait présenté une mo-
noplégie facio-brachiale droite', associée à un léger ptosis gauche et à une
hémianopsie homonyme droite avec réaction hémiopique. L'auteur s'appuie
sur la présence du ptosis et sur celle de la réaction hémiopique (qu'il
juge pathognomonique des lésions de la bandelette) pour admettre que dans
(i) Rudnieur, Journ. d. Nerven u. psychiatr. medicin (russe), 1897, Bd, II ; analysé
in : Neurologisches Centralblatt, 1890, p. 817.
(2) WERNiCKE, Allg. Wien. Med. Zeitung, 1893, n" 48-49.
SYNDROME DE WEBER AVEC HéMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 199
son cas, il doit s'agir d'une lésion du pédoncule gauche faite par l'instru-
ment tranchant à l'endroit où le pédoncule est entouré par la bandelette
optique.
La lésion capable de provoquer l'association morbide dont il est ques-
tion, peut être enfin d'origine vasculaire. Cette modalité est particulière-
ment intéressante parce qu'ici la symptomatologie peut être produite
d'emblée et non pas d'une façon progressive, par l'adjonction successive
des divers symptômes, comme on l'observerait dans les cas de tumeur.
Dans l'ordre des lésions d'origine vasculaire il faut cependant faire une
distinction entre les hémorragies et les ramollissements.
Une hémorragie du pédoncule peut à priori, par diffusion à la bande-
lette optique adjacente et au corps genouillé externe, produire - en plus
de la paralysie alterne supérieure une hémanopsie homonyme qui sera
temporaire ou définitive selon que ces deux organes auront été seulement
comprimés ou au contraire détruits par l'irruption sanguine. Nous n'a-
vons pas trouvé dans la littérature des cas anatomo-cliniques confirmant
cette éventualité. Cela tient très vraisemblablement à ce que, dans de tels
cas, l'hémorragie du pédoncule doit être si considérable que la mort sur-
vient très rapidement, dans le coma même, et qu'il est impossible ainsi de
faire une étude précise des symptômes présentés par le malade et en par-
ticulier de l'hémianopsie. ^
Le fait contraire, à savoir une hémorragie de la bandelette optique ou du
corps genouillé externe produisant une compression du pédoncule ou fai-
sant irruption dans celui-ci est également concevable. Mais ces hémorra-
gies, on le sait, sont extrêmement rares ; on comprend en outre difficile-
ment qu'une hémorragie due à la rupture d'artères de petit calibre, comme
celle de la bandelette optique, puisse retentir sur le pédoncule de façon
à déterminer le syndrome de Weber. Cette éventualité a été cependant
admise par Martius (1) à propos d'un cas qu'il eut l'occasion d'obser-
ver. Il s'agissait d'un individu âgé de 24 ans, non syphilitique, qui à la
suite d'un ictus avec de graves phénomènes généraux, présenta les
symptômes suivants : hémiplégie sensitivo-motrice gauche, parésie par-
tielle de l'oculo-moteur commun droit, hémianopsie gauche homonyme
avec réaction pupillaire hémiopique. En peu de temps les deux premiers
* symptômes disparurent complètement et l'hémianopsie seule persista.
Le .début apoplectiforme à la suite d'un effort musculaire, le manque
de toute autre cause étiologique (surtout de la syphilis) et l'évolution de
la maladie, firent admettre à Martius l'hypothèse que dans ce cas il
devait s'agir d'une hémorragie circonscrite, détruisant complètement la
(1) lIIARTIUS, Charité Annalen. 13 Jahrgang, 1S88, p. 261.
200 ROSSI ET ROUSSY
bandelette optique droite et produisant, par compression de la voie
pyramidale dans le pédoncule et de quelques fibres radiculaires de la
Ille paire du même côté, l'hémiplégie gauche et la parésie de la IIIe paire
droite.
L'association de la paralysie alterne supérieure et de l'hémianopsie
peut être enfin la conséquence d'oblitération vasculaire ; des faits ana-
tomo-cliniques sont là pour le prouver. Les conditions de la circulation
du pédoncule cérébral, des voies et des centres optiques peuvent nous
expliquer la possibilité de cette association morbide et nous montrer
comment elle peut être due à l'oblitération d'un tronc vasculaire unique :
l'artère cérébrale postérieure.
On sait en effet que cette artère dans sa première portion directe ou
ascendante- comprise entre le tronc basilaire et le point où elle reçoit la
communicante postérieure - donne de nombreuses collatérales se rendant
au pédoncule cérébral, et surtout à la partie antérieure et interne de
celui-ci (artère de l'oculo-moteur commun, artères pédonculaires inter-
nes). Au delà du point d'anastomose avec la communicante postérieure,
l'artère cérébrale postérieure donne des artères collatérales et terminales
qui se rendent entr'autres aux corps genouillés externe et interne, à une
grande partie du lobe temporal et au lobe occipital. On comprend aisé-
ment que l'oblitération isolée de la première portion de la cérébrale pos-
térieure, tenant sous sa dépendance par ses collatérales et à elle seule
presque complètement, la circulation de la partie antéro-interne du pé-
doncule, puisse être la cause d'une paralysie alterne supérieure. En effet,
dans le foyer de ramollissement qu'elle provoque se trouvent comprises,
et la voie pyramidale et les fibres de la IIIe paire à leur point de conver-
gence à la partie interne du pédoncule. D'Astros (1) a recueilli des faits
anatomiques de cet ordre et a bien montré que la paralysie alterne supé-
rieure est « fonction de l'oblitération de la portion directe de la cérébrale
postérieure ou de ses branches ». Mais si la thrombose ne se limite pas à la
première portion de la cérébrale postérieure et qu'elle s'étend encore jus-
qu'au delà du point d'embouchure de la communicante postérieure, les
branches terminales de la cérébrale postérieure ne trouveront plus
comme dans les conditions précédentes, une suppléance d'irrigation au
moyen de la communicante postérieure. La circulation sera donc aussi
interrompue dans les branches terminales de l'artère cérébrale postérieure
et on aura dans ces conditions un double foyer, l'un pédonculaire, déter-
minant la paralysie alterne supérieure, l'autre temporo-occipital provo-
quant l'hémianopsie.
(1) D'AsTnos, Pathologie du pédoncule cérébral, Revue de médecine, t. XIV, janvier
et février 1894.
SYNDROME DE WEBER AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 20l
Cette éventualité n'est pas une simple hypothèse. Luton (1) déjà, dans
un cas de syndrome de Weber,avait observé à l'autopsie la coexistence d'un
foyer de ramollissement pédonculaire droit et de deux autres foyers dans
l'hémisphère du même côté siégeant dans le domaine des branches termi-
nales de l'artère cérébrale postérieure (un foyer à l'extrémité de la corne
sphénoïdale,un deuxième au sommet du lobe occipital). Dans l'observation
de Blessigs (2) il existait aussi un foyer pédonculaire et un foyer occipital,
mais ce dernier avait en plus déterminé de l'hémianopsie qui était ainsi
associée à la paralysie alterne supérieure produite par le foyer pédoncu-
laire. Il s'agissait ici d'un vieillard de 68 ans chez lequel s'était déve-
loppé, peu à peu, dans l'espace de quelques jours, un complexussympto-
matique représenté par une hémiplégie gauche, une paralysie presque
complète de la troisième paire droite et une hémianopsie homonyme gau-
che. Dans les mois suivants, amélioration progressive de l'ophtalmoplégie
qui disparaît complètement, tandis que l'hémiplégie et l'hémianopsie per-
sistent jusqu'à la mort survenue un an et demi après le début de l'affec-
tion. A l'autopsie, purement macroscopique, on constate : artère cérébrale
postérieure oblitérée, pédoncule petit, aplati, avec une cicatrice dans le
locus niger. L'auteur ne donne pas de renseignement sur l'état du lobe oc-
cipital, mais dit que l'hémianopsie doit être considérée comme d'origine
corticale et due elle aussi, comme la paralysie alterne supérieure, à l'oblité-
ration de l'artère cérébrale postérieure. Pour lui, le complexus sympto-
matique paralysie alterne supérieure plus hémianopsie - est caracté-
ristique de l'oblitération de l'artère cérébrale postérieure.
Une observation clinique analogue a été rapportée par Joffroy (3) ; chez
une femme de 58 ans, gauchère, à la suite d'une attaque d'apoplexie avec
perte de connaissance prolongée et complète, on observe une hémiplégie
gauche très accusée, une paralysie de la III0 paire droite, une hémianopsie
gauche homonyme et de la paraphasie. L'auteur soumet son cas à une
analyse très minutieuse pour chercher à localiser le point précis où doit
s'être produit la thrombose de l'artère cérébrale postérieure droite. A
cause de l'amélioration de la paralysie de la IIIe paire et de l'hémiplé-
gie, dans les trois semaines qui suivent l'ictus, l'auteur rejette l'hy-
pothèse d'une thrombose de l'artère cérébrale postérieure sur la plus
grande partie de son tronc, depuis son origine jusqu'au delà du point où
elle reçoit la communicante postérieure. Il admet au contraire l'hypo-
thèse d'une thrombose de la cérébrale postérieure au niveau de l'anasto-
(1) LUT011, cité par d'AsTnos, loc. cit.
(2) Blessigs, St-Petersburger med. V'oc'henschritt, 1897, n. 15, p. 731.
(3) JOFIIROY, Syndrome temporaire de Weber avec hémiopie permanente. Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière, 1898 p. I, 1,
xx 13
202 ROSSI ET ROUSSY
mose avec la communicante postérieure ; celte localisation de l'obli-
tération expliquerait et la symptomatologie présentée par le malade et
l'évolution des symptômes. La thrombose ainsi localisée aurait en effet
produit : une suspension complète de la circulation dans les branches
terminales de la céréblale postérieure, d'où l'hémiopie et les symptômes
temporaires d'aphasie sensorielle ; un ralentissement considérable de la
circulation dans la partie de la cérébrale postérieure s'étendant de son
origine jusqu'au voisinage de la communicante postérieure, ainsi que
dans les collatérales qui en partent, d'où le syndrome de Weber tem-
poraire. Ici, en effet, la circulation ralentie aurait permis une nutrition
suffisante du pédoncule « pour éviter la mort des tissus et attendre le
rétablissement d'une circulation plus active, soit par la disparition du
trombus, soit par l'élargissement des vaisseaux non oblitérés ».
D'Astros, au travail duquel l'observation de Blessigs est postérieure,
admet aussi la possibilité de l'association morbide en question par lésion
de la cérébrale postérieure : « la coïncidence, dit-il, de lésions oblité-
rantes dans la cérébrale postérieure à son origine (ramollissement pé-
donculaire) et dans ses branches terminales (ramollissement occipital)
pourrait se traduire par cette association de symptômes : paralysie
alterne supérieure avec hémianopsie ». Pour l'auteur ce n'est que par
l'intermédiaire du ramollissement occipital que la lésion de la cérébrale
postérieure pourrait donner lieu à l'hémianopsie. La tendance qu'aurait
Leyden (1) à attribuer l'hémianopsie à la lésion de la bandelette optique
dans le fait clinique qu'il rapporte et dans lequel l'association morbide
qu'il observa était très vraisemblablement sous la dépendance d'une
affection de l'artère cérébrale postérieure, n'est pas soutenable, selon
d'Astros. En effet, pour cet auteur, la plupart des artères de la bande-
lette optique proviennent non pas de la cérébrale postérieure, mais de
la communicante postérieure.
Voyons maintenant ce qui s'est passé dans notre cas particulier. Ici, le
foyer pédonculaire ne correspond pas au district d'irrigation de toutes les
artères collatérales de la cérébrale postérieure se rendant au pédoncule.
Nous avons vu, que le foyer siégeait de préférence dans la partie antéro-
externe du pédoncule et que la partie interne de celui-ci était épargnée.
Or la conservation de la partie interne du pédoncule est incompatible
avec l'oblitération complète de la première portion de la cérébrale posté-
rieure, car dans ce cas,c'est justement cette partie interne qui est avant tout
intéressée. Et encore d'Astros, qui a soumis cette question à une étude
approfondie, dit que dans ces cas le ramollissement occupe seulement les
(1) Leyden, Zeitschrift für klin. Medic, 1882.
SYNDROME DE WEBER AVEC HEMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 203
régions internes et antérieures du pédoncule, tandis que les parties ex-
ternes et surtout postérieures restent relativement indemnes. Ce fait relève
des conditions de la circulation pédonculaire. Les études de Duret(l),
Heubner (2), Alezais et d'Astros (3), Shimamura (4) sur la circulation du
pédoncule, nous ont montré que parmi les artères collatérales issues de
la première portion de la cérébrale postérieure, celles qui se rendent aux
parties antéro-internes de celui-ci(artère de l'oculo-moteur commun, ar-
tères pédonculaires internes) sont des artères terminales, tenant sous leur-
dépendance presque exclusive la circulation de cette région ; au contraire,
les collatérales de la même portion de la cérébrale postérieure se rendant
à la partie externe du pédoncule ne sont pas terminales, mais s'anastomo-
sent richement, surtout dans les parties latérales de la calotte, avec des
collatérales issues soit de la portion réfléchie de la cérébrale postérieure,
soit de la communicante postérieure et de la cérébelleuse supérieure.
Dans notre cas, par conséquent, la situation particulière du foyer pédon-
culaire qui, tout en détruisant presque complètement la partie antérieure
de celui-ci (étage inférieur), respecte complètement les parties internes du
pédoncule et intéresse au contraire la partie externe de la calotte, prouve
que la portion directe de la cérébrale postérieure n'a pas été oblitérée
complètement et que l'interruption de la circulation sanguine s'est fait t
sentir seulement clans quelques-unes de ses collatérales ; cette situation
du foyer montre en outre que d'autres collatérales issues soit de la portion
réfléchie de la cérébrale postérieure, soit delà communicante postérieure,
soit de la cérébelleuse supérieure doivent avoir été le siège d'une oblité-
ration. On est porté à cette déduction non seulementpar la topographie
du foyer pédonculaire, mais aussi par l'extension de ce' foyer en dehors
du pédoncule proprement dit. Nous voyons en effet que la lésion intéresse
aussi les corps geuouillés externe et interne, la bandelette optique à son
entrée dans le corps genouillé externe et dans une portion de son trajet
circumpédonculaire ainsi que la moitié postérieure du segment sous-len-
ticulaire de la capsule interne. Or si les lésions de corps genouillés externe
et interne relèvent elles aussi, de l'interruption de la circulation dans une
collatérale issue de la cérébrale postérieure (artère des corps genouillés
qui vient de la partie réfléchie de la cérébrale postérieure), la lésion de
la bandelette optique et de la moitié postérieure du segment sous-lenti-
culaire de la capsule interne ne peut pas être autrement expliquée qu'en
admettant une oblitération des collatérales issues de la communicante
postérieure et de la choroïdienne antérieure.
(1) Duket, Archives de Physiologie, 1814.
(2) HEUBNER, Die luetische Erkrankùung der Hirnarterien, 1874.
(3) ALBZAIS et d'ASTROS, Journal de l'anat. et de la physiologie, 1892, no 5, p. 519,
(4) Shimamura, Neurologisches Centralblatt, 1894, p. 685 et 769.
204 BOSS) ET ROUSSY
C'est ainsi que le foyer de ramollissement, qui dans notre cas avait donné
lieu à l'association morbide de la paralysie alterne supérieure et de l'hé-
mianopsie, n'est pas un foyer unique, relevant d'une lésion artérielle
unique, mais doit être envisagé comme la conglomération de foyers mul-
tiples, relevant de l'oblitération d'origine spécifique de certaines collatéra-
les de différentes artères (cérébralepostérieure, communicante postérieure,
cérébelleuse supérieure, choroïdienne antérieure). Nous avons pu cons-
tater en effet, autour et au sein du foyer,des altérations très accusées d'en-
dartérite oblitérante dans de nombreux vaisseaux, de calibre divers ;
dans plusieurs d'entre eux l'oblitération était complète.
Ce fait, petits foyers multiples de ramollissement susceptibles de se
réunir en un seul, n'estpas étranger aux caractères de l'artérite cérébrale
syphilitique ; il peut encore expliquer l'évolution de l'affection présentée
par notre malade, chez lequel les symptômes atteignirent leur maximum
d'intensité en [une dizaine de jours, progressivement, sans ictus pro-
prement dit.
Si nous cherchons maintenant à rapprocher la symptomatologie pré-
sentée par le malade et les lésions que l'étude anatomique a permis de
constater, nous voyons que certains points méritent d'être pris en consi-
dération.
Un premier digne d'être relevé dans notre observation est l'absence de
troubles de la sensibilité générale, bien que, nous l'avons vu, il existât sur
toute la hauteur de la calotte pédonculaire, une destruction presque com-
plète du ruban de Reil médian (dont seules les fibres les plus internes,
adjacentes au noyau rouge étaient conservées) et une destruction d'une
grande partie delà substance réticulée. On sait en effet, que dans les cas
de lésions pédonculaires, lorsque la région de la calotte participe à la
lésion, on peut observer des troubles de la sensibilité générale du côté
de l'hémiplégie ; leur présence, leur intensité et leur durée sont sous la
dépendance du siège et de l'étendue de la lésion de la calotte. Les auteurs
admettent, avec von Monakow et Nothnagel, que pour qu'il y ait des trou-
bles accusés et durables de la sensibilité, dans les cas de foyer pédoncu-
laire, il faut qu'une grande partie de la calotte (surtout sa partie externe)
soit intéressée et qu'ainsi la région occupée par les fibres du ruban de
Reil médian et les parties latérales de la formation réticulée grise soient
complètement détruites. Les troubles sensitifs par contre peuvent manquer,
ou ne persister que peu de temps, d'après von Monakow, lorsque la lésion
du ruban de Reil médian n'est que partielle ou qu'elle se fait lentement,
comme dans les cas de tumeur.
L'absence de troubles sensitifs dans notre cas, où il existe les conditions
ci-dessus décrites pour la production des troubles sensitifs, est donc loin
SYNDROME DE WEBER AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 205
d'être facile à expliquer. Peut-être est-elle due au fait que quelques rares
fibres de la portion la plus interne du ruban deReil médian ontété conser-
vées ? Pent-être aussi - ce qui est beaucoup plus vraisemblable - les
troubles sensitifs ont-ils existé à un moment donné chez notre malade.Nous
avons vu il est vrai, qu'il n'avait jamais eu de troubles sensitifs subjectifs, de
douleurs d'origine centrale du côté hémiplégie, et que dans l'histoire de sa
maladie on ne retrouvait signalés, comme troubles objectifs de la sensibi-
lité, que quelques phénomènes dysesthésiques ; mais l'observation clini-
que que nous rapportons n'a été recueillie qu'en 1903, soit 25 ans après
le début de l'affection et c'est à ce moment qu'on note l'absence des trou-
bles de la sensibilité ; avant cette date tous les renseignements que nous
trouvons colligés dans l'observation, ne reposent que sur le dire du malade
lui-même. Il est donc logique d'admettre, que si certaines modalités de la
sensibilité, comme celle du tact, de la douleur et de la température n'ont
pas dû être altérées profondément - car le malade s'en serait aperçu -
elles peuvent avoir été touchées légèrement et qu'en même temps, peuvent
avoir été atteintes d'au très modalités de la sensibi lité, comme les sensibilités
profondes, le sens musculaire, le sens stéréognostic. Et cela d'autant
plus, qu'on sait (Monakow) que dans les cas d'hémianesthésie d'origine
mésocéphalique, (par lésion du ruban de Reil médian) ce sont surtout
les troubles de sensibilité profonde qui prédominent. Il est d'ailleurs facile
de comprendre que de tels troubles puissent parfaitement exister à l'insu
d'un malade qui, comme le nôtre, est frappé d'une hémiplégie avec con-
tracture. Quoi qu'il en soit, l'absence certaine de troubles sensitifs cons-
tatée 23 ans après le début de l'affection nous montre que si ceux-ci ont
existé, ils n'ont pas persisté jusqu'à une période aussi éloignée du début
de l'affection.
Nous ne retrouvons pas dans notre observation de renseignements re-
latifs à la réaction hémiopique de Wernicke ; nous savons seulement que
l'oeil droit réagissait bien à la lumière et à l'accommodation. Mais nous ne
savons pas si, pour l'oeil droit, le réflexe pupillaire à la lumière pouvait
être obtenu par l'excitation lumineuse des deux moitiés de la rétine in-
différemment ou seulement de la moitié ayant conservé sa fonction nor-
male. Le manque de renseignements précis à ce sujet dans l'observation
clinique est regrettable, car nous trouvons remplies dans notre cas les
meilleures conditions pour la production de la réaction hémiopique qui,
selon Wernicke et d'autres auteurs, serait constante dans les lésions com-
plètes de la bandelette optique.
De. même, il n'existe pas dans l'histoire clinique de notre malade de
renseignements sur l'état de la fonction auditive ; ce fait enlève toute va-
leur anatomo-clinique à la lésion constatée du ruban de Reil latéral et du
corps genouillé interne, formations qui sont, paraît-il, en rapport intime
206 ROSSI ET ROUSSY
avec la fonction auditive. Leur destruction, en effet, amènerait des trou-
bles auditifs dans l'oreille opposée à la lésion, selon Weinland ; bilaté-
raux, selon Siebemann.
Un autre point digne, d'être relevé dans notre observation, concerne la
paralysie de la IIIe paire. Nous avons vu d'une part qu'il existait une
paralysie de la IIIe paire intéressant presque complètement la musculature
externe de l'oeil innervé par ce nerf et complètement la musculature
interne; la pupille gauche était immobile, non seulement à la lumière
mais aussi à l'accommodation, et existait en outre une paralysie de l'ac-
commodation. Nous avons vu d'autre part, que le foyer de ramollisse-
ment intéressait le groupe des fibres externes du moteur oculaire commun,
et respectait les fibres internes, et cela sur toute la hauteur du pédoncule.
Or ce fait, c'est-à-dire la conservation des fibres radiculaires médianes,
rapproché de la paralysie complète de la musculature interne de l'oeil
semble être en contradiction avec l'opinion soutenue par Bernheimer et
d'autres, selon laquelle les fibres radiculaires médianes les plus proxima-
les de la IIIe paire appartiendraient à la musculature interne. - Mais,
comme il s'agit dans notre cas d'un syphilitique, etqu'on pourrait à toute
rigueur objecter que l'abolition des réflexes pupillaires et la paralysie de
l'accommodation soient sous la dépendance directe de la syphillis, nous
nous bornons ici à relever le fait, sansvouioirprétendreprendreparti dans
la question encore loin d'être résolue aujourd'hui de la topographie dans
le pédoncule, des fibres radiculaires de la IIP paire, correspondant au di-
vers muscles de l'oeil. - Quoi qu'il en.soit, il est indéniable que nous som-
mes en présence dans notre cas, d'un syndrome de Weber par ramollisse-
ment pédonculaire ; le fait que le ptosis gauche est survenu en même
temps que l'hémiplégie droite et que le foyer pédonculaire inléresse le
pied du pédoncule et un grand nombre de libres de la IIIe paire, sont là
pour le prouver. '
Enfin notre cas présente, au point de vue anatomo-clinique, un certain
intérêt relatif à l'hémianopsie. En premier lieu , relevons qu'il s'agit
comme nous l'avons vu, d'une hémianopsie par ramollissement de la ban-
delette et du corps genouillé externe ; les cas semblables sont rares dans
la littérature et la nôtre en est un exemple des plus nets. Une deuxième
considération d'un certain intérêt ressort du rapprochement des caractères
de l'hémianopsie et de la localisation de la lésion qui l'a provoquée. On
admet généralement, en effet, que dans les cas de lésion totale de la ban-
delette optique, l'hémianopsie est totale, c'est-à-dire que la ligne de sépa-
ration passe perpendiculairement par le point de fixation, et cela contrai-
rement aux hémianopsies d'origine corticale, où il existe dans la moitié
du champ visuel aveugle, une encoche centrale plus ou moins étendue,
SYNDROME DE WEBER AVEC HÉMIANOPSIE DATANT DE 28 ANS 207
correspondant à la vision centrale ou maculaire qui échappe à la perte hé-
mianopsique de la vision.
Notre cas montre que cette distinction ne constitue pas une loi absolue.
En effet, il existait chez notre malade, une hémianopsie homonyme latérale
droite des plus nette, avec les caractères des hémianopsies corticales (c'est-
à-dire avec une encoche centrale de 10° environ correspondant à la vision
centrale conservée, bien que les coupes microscopiques sériées aient mon-
tré l'existence non seulement d'une lésion presque complète du corps
genouillé externe, mais encore celle d'une lésion complète de la bandelette
optique. La conservation de la vision maculaire, dans notre cas semble
plaider en faveur de l'hypothèse soulenue par Wilbrand, IIenschen ,
Bernheimer, etc.. qui, pour expliquer cette conservation dans les cas
d'hémianopsie d'origine corticale, admettent que chaque point de la macula
aurait une représentation corticale bilatérale et que les fibres maculaires
pour chacun de ces points se rendraient dans les deux bandelelles.
Telles sont les différentes considérations que nous avions à faire à pro-
pos du cas de « syndrome de Weber avec hémianopsie » dont nous rap-
portons dans ce travail l'étude anatomo-clinique.
LÉGENDE DES FIGURES DES PLANCHES XXXVII A XXXIX
BrQa. Bras du tubercule quadrijumeau antérieur.
BrQp. - postérieur.
Cge. Corps genouillé externe.
Cgi. - - - interne.
Cip. - Segment postérieur de la capsule interne.
CL. Corps de Luys.
CNR. Capsule du noyau rouge.
F. Foyer primitif.
Fli. - Faisceau longitudinal inférieur.
fir. Fibres arciformes interréticulées.
Ln. - Locus niger.
NB. - Noyau de Burdach.
NG. - Noyau de Goll. 1.
NL. Noyau lenticulaire.
NR. Noyau rouge.
P. - Pied du pédoncule.
Pcs. - Pédoncule cérébelleux supérieur. v
Pul. - Pulvinar.
Py. - Pyramide.
Qa. Tubercu'e quarijumeau antérieur.
Qp. postérieur.
Rm. Ruban de Reil médian.
ni. - - latéral.
RTh. Radiations optiques.
SgR. Substance gélatineuse de Rolando.
SRa (Rm). Formation réticulée blanche (Reil médian).
W. Champ de Wernicke.
xpin. Entrecroisement piniforme.
II. Nerf optique.
* III. Nerf moteur oculaire commun.
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE
(LABORATOIRE DE 111. LE PROFESSEUR RAYMOND)
LES LÉSIONS ANATOMO-PATHOLOGIQUES DE LA
MOELLE ÉPINIÈRE
DANS LA MALADIE PAR DÉCOMPRESSION CHEZ LES
- PLONGEURS A SCAPHANDRE,
PAR
S. ZOGRAFIDI
Médecin de la Marine R. Hellénique.
Dans un article antérieur publié dans la Revue de Médecine, j'ai
exposé très sommairement les faits cliniques que j'ai constatés chez 260
scaphandriers malades, que j'ai étudiés pendant mes deux voyages en
Afrique (1), aussi bien que les faits concernant l'ensemble des lésions
de la moelle, ayant examiné cinq moelles épinières dans le laboratoire
de M. le professeur C. Savas, de l'Université d'Athènes. Grâce à l'obli-
geante courtoisie de M. le professeur F. Raymond, j'ai pu examiner dans
le laboratoire de la Salpêtrière une sixième moelle d'un jeune plongeur
mort après 3G jours de maladie. Dans cet article nous insisterons en détail
seulement sur les lésions anatomo-patboiogiques et sur l'examen de ce cas,
dont voici l'histoire.
Observation.
Il s'agit d'un plongeur de 23 ans ; c'était la première année qu'il faisait des
immersions avec le scaphandre. Après une remontée rapide d'une profon-
deur de 70 mètres à laquelle il était resté pendant 25 minutes, il fut pris de
douleurs générales, de fourmillement, puis de paralysie et d'anesthésie com-
plètes des membres inférieurs et supérieurs Le lendemain il me fut apporté
dans notre hôpital provisoire des plongeurs à Tripoli d'Afrique, avec les phé-
monènes suivants : Fièvre 38° 2. Le corps, sauf la tête et le cou, était atteint
d'une paralysie flasque et d'une anesthésie complète. Pas de réflexes anx
membres supérieurs et inférieurs. Le tronc était légèrement cedématié. Réten-
tion des sphincters.Douleurs aux parties supérieures du tronc et au cou (io cer-
(1) A bord du Transport R. Crête que le gouvernement hellénique envoie chaque
année aux côtes méditerranéennes d'Afrique, pour l'assistance des pêcheurs d'éponge
et surtout des plongeurs.
LÉSIONS AN.1TOAL0-PATnOLOGIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 209
vic.). Vomissements sans nausées préalables. Ventre en bateau. Pupilles nor-
males, céphalée.
Traitement. - Purgation et antisepsie intestinale, application de glace sur
la colonne vertébrale, ergotine, quinine, quinquina, kola, oxygène en inhala-
tions, etc.
Cet état continua pendant 5 jours ; la sensibilité revint] faiblement à la
partie supérieure du tronc (4° cervicale),plus faible à la surface des membres
supérieurs innervée par la 76 et 8e cervicale. La superficie interne de ces
membres (innervée par la 1'" dorsale) restait insensible. Mais le retour de la
sensibilité s'est accompagné de douleurs continues aux endroits où elle est re-
parue. A la limite entre l'anesthésie et la sensibilité normale existait une cein-
ture d'hyperesthésie douloureuse. La paralysie des membres supérieurs (aussi
bien que des inférieurs) persiste. Nous verrons dans l'examen de la moelle
la raison de ce phénomène. Aux autres symptômes se sont ajoutées des érec-
tions continues sans pertes séminales. Le 8" jour, tache sombre de décubi-
tus à la région sacrée. Fièvre 38° 8. Les phénomènes continuèrent en s'ag-
gravant jusqu'au lue jour ; à cette date la rétention fut remplacée par de l'in-
continence ; les érections cessèrent. La fièvre continua jusqu'à la fin. Les
urines devinrent troubles et contenaient du pus. A toutes les parties soumises
à des pressions on voyait des taches ou des bandes sombres et bleu-noires
(coudes, omoplates, côtes, région sacrée, épine iliaque, jambes, talons). Pen-
dant 13 jours l'état s'aggrava. Le 29° jour de la maladie, coma, fièvre 39° 2
le matin,et 39° 5 à minuit avec de l'excitation et délire ; l'excitation consistait
en mouvements continuels à droite et à gauche de la tête la seule partie
restée mobile, avec des cris de douleurs, etc. Le 30° jour, toujours de la fiè-
vre ; intelligence troublée, dysarthrie, cris de douleurs. Pendant deux jours,
même état. Le 33" jour, surviennent des vomissements bilieux ; le 3le jour,
même état corporel et mental,et vers lesoir,strabisme droit et coma. Le 35°jour,
les mêmes phénomènes. Le 36° jour agonie et mort.
AUTOPSIE. - J'ai constaté les faits suivants .
La moelle épinière presque entièrement ramollie. Dans les méninges, vais-
seaux congestionnés ; bulles d'air surtout dans les veines.
Le cerveau.- Les vaisseaux cérébraux étaient pleins de petites bulles d'air,
comme de petites perles ; avec le doigt on pouvait les pousser le long du vais-
seau. La surface cérébrale aussi bien que tout l'organe, en congestion. Dans
les ventricules pas de bulles d'air; les toiles choroïdes contenaient de petites
bulles d'air brillantes comme de petits diamants.
Poumons ? Leurs surfaces antérieures étaient comme badigeonnées par
de l'écume à cause des bulles d'air abondantes qu'on constatait dans les vais-
seaux ; congestion des bases. '
Coeur. Pas de bulles d'air dans le sang ni dans les vaisseaux.
Mésentère. Les grands vaisseaux étaient pleins de grosses bulbes d'air.
Les petits vaisseaux en contenaient aussi des plus fines.
Estomac et intestins. Pas de bulles d'air.
Vessie. - Parois très épaissies ; la vessie contenait du pus.
210 ZOGRAFIDI
Les autres organes (foie, rate, reins) ne présentaient, en apparence du
moins, rien d'anormal.
Examen histologique de la moelle.
Dans une publication antérieure (1), j'ai expliqué les phénomènes ana-
tomocliniques en disant que les foyers ischémiques (à cause des embolies
gazeuses) ou hémorragiques (quand la décompression était extrêmement
brusque) deviennent des foyers myélitiques. Les foyers ischémiques et
hémorragiques déterminent des aires nécrotiques ; mais en même temps,
d'après l'opinion que j'exprimais, ils affaiblissent la résistance de la
moelle contre les agents pathogènes absorbés par le canal intestinal at-
teint de rétention, ou contre les toxines du surmenage des plongeurs,
ou même ils exercent une attraction chimiotaxique positive sur les leu-
cocytes et déterminent le processus myélitique. L'examen de cinq moelles
et l'étude des faits cliniques se trouvent en harmonie avec cette inter-
prétation. L'examen de cette sixième moelle vient de confirmer cette ma-
nière de voir.
Quant aux lésions de la moelle chez les plongeurs, je dois rappeler sur-
tout les travaux deLeyd2n et Schrotter. M. le professeur E. Leyden examina
une moelle et trouva des lésions caractérisant la myélite parenchymateuse,
des foyers nécrotiques et des dégénérescences, mais pas de ruptures des
vaisseaux et des hémorragies, pas de lésions dans la substance grise et
les racines, pas d'altérations dans les renflements cervical et lombaire.
Dans mes cinq cas, j'ai trouvé ces lésions. M. H. -V. Schrotter, de Vienne,
examina 3 moelles de plongeurs morts longtemps après l'attaque, et
trouva des foyers nécrotiques multiples, des espaces vides disséminés
dans la substance grise et blanche, dus à la résorption des éléments al-
térés, de la réaction inflammatoire autour des foyers, des dégénérescences
ascendantes et descendantes, des ramollissements, mais pas d'hémorra-
gies, pas de lésions myélitiques. Dans mes cas on peut voir ces lésions.
Les grosses lésions delà moelle rappellent la topographie vasculaire
de la moelle épinière. Ce sont des nécroses plus ou moins nettement cir-
conscrites, dans les domaines des artères embolisées. Le siège de prédi-
lection des nécroses est, en première ligne, les cordons postérieurs et
puis les cordons latéraux. Il paraît que les artères nourricières (Van Ge-
huchten) des cordons postérotatéraux que Colmheim nomme artères termi-
nales (parce qu'elles ne s'anastomosent pas), s'embolisent plus facilement
ou du moins plus souvent que les branches de l'artère spinale an-
térieure, que Kadji nomme artères centrales et Adamkiewicz artères du
(1) Revue de Médecine, 1907. - Au Congrès panhellénique d'Athènes, 1906, j'ai
fait une communication très sommaire à ce sujet.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. XL
MYÉLITE DES PLONGEURS
(Zogrn fid i) .
LÉSIONS ANATOIrO-PATffoLOGIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 211
sillon. On sait bien que les artères des cordons postéro-tatéraux qui nais-
sent du réseau périphérique pénètrent dans la substance blanche, y aban-
donnent des branches collatérales et vont se terminer dans les zones péri-
phériques de la substance grise (1). Eh bien ! certains foyers nécrotiques
présentent dans mes coupes une disposition cunéiforme, à base méningée
répondant exactement à la topographie des artères.
Voici les résultats de l'examen histologique : (Pl. XL.)
Région cervicale. Dans la partie supérieure juxlabulbaire on voit
une bandelette de nécrose située entre les cordons de Goll et de Burdach
à la place du faisceau en virgule de Schultze. Dans les cordons postérieurs
une raréfaction légère des fibres nerveuses.
Dans des segments plus inférieurs de la région cervicale on voit des
nécroses dans le domaine des artères postérolalérales. Le champ ventral
(zone cornicommissurale de P. Marie) et les parties des cordons posté-
rieurs adjacentes aux cornes postérieures sont respectés. Les cordons pos-
térieurs ne sont qu'incomplètement atteints jusqu'à la 7e racine, c'est ce
qui explique pourquoi la sensibilité persiste - affaiblie, il est vrai -
dans la partie supérieure du tronc innervé par la 4e cervicale, et les sur-
faces des membres supérieurs innervés par la 6e et la 7e.
Dans les cordons latéraux la nécrose est nettement circonscrite ; elle
atteint les faisceaux cérébelleux, les pyramidaux croisés et de Gowers, et
laisse plus ou moins intacts les cordons fondamentaux postérolatéraux.
Dans les cordons postérieurs les parties qui sont plus ou moins respectées
sont celles qui correspondent aux centres ovales de Flechsig et un peu
aux champs ventraux. Dans ces foyers si étendus de nécrose, on voit le tissu
nerveux altéré, en îlots irréguliers séparés par des espaces vides larges,
ou par d'étroites déchirures attribuables à la résorption des éléments
nécrosés. Les cylindraxes sont gonflés, quelquefois demi-résorbés, ou en-
tourés de myéline incomplètement colorée, ou irrégulièrement gonflée.
On voit une grande quantité de cellules éparses, ovalaires plutôt que
rondes, avec un noyau rond, quelquefois en forme de croissant, souvent
unique. Il y a quelquefois deux noyaux. Le protoplasma de ces cellules
se colore assez bien à l'hématéine-éosine. On voit ces cellules en abon-
dance plus grande dans les foyers de nécrose où la destruction des élé-
ments nerveux est plus profonde. Apparemment ce sont des leucocytes
venus pour résorber les éléments nécrosés. On constate aussi une grande
prolifération des cellules névrogliques ayant pour but de réparer peut-
être la lésion.
On constate aussi de rares foyers d'hémorragie peu abondante. '
(1) VAN GEFIUCHIEN, Anatomie du système nerveux de l'homme.
212 ZOGRAPIDI
Dans la substance grise on constate de petits foyers hémorragiques
dans la substance même. Les cellules des cornes antérieures présentent les
altérations suivantes : elles tendent à devenir globuleuses; leurs noyaux
sont pâles et quelquefois invisibles, souvent refoulés à la périphérie;
leur nucléole est plus net ; on voit les granulations. Le protoplasma des
cellules est trouble et présente un degré avancé de chromatolyse. Les cy-
lindraxessontplus ou moins gonflés. Autour des cellules nerveuseson cons-
tate des cellules névrogliques et de rares leucocytes. Dans toute la subs-
tance grise on constate en abondance des noyaux névrogliques, des leuco-
cytes, et ça et là des petits foyers hémorragiques. Ces faits expliquent la
paralysie des membres supérieurs et l'absence des réflexes tendineux.
Les vaisseaux de la substance grise et blanche sont dilatés, congestion-
nés,'thromboses, infiltrés de leucocytes. Autour d'eux, dans les gaines
lymphatiques et dans la substance voisine, on voit des leucocytes et des
éléments arrondis ou fusiformes. Les vaisseaux rompus des foyers hé-
niorragiques ne présentent rien de particulier. Ajoutons aussi que dans
""les parties nécrosées de la substance blanche on voitça et là de petits amas
de globules du sang (c'est-à-dire des petits foyers hémorragiques dont le
vaisseau ne se trouvait pas dans la coupe examinée).
Dans toute la coupe on voit en général des cellules névrogliques libres
en abondance et des lymphocytes.
En descendant à la région cervicale les altérations deviennent plus in-
tenses et plus étendues. Dans une coupe à sa partie inférieure on voit
une destruction presque complète des cordons et des cornes postérieures,
des faisceaux cérébelleux et pyramidaux croisés, de la partie postérieure
du faisceau de Gowers, elde la plus grande partie des cordons fondamen-
taux latéraux. Dans la partie antérieure des cordons fondamentaux antéro-
latéraux,'on voit d'un côté une nécrose cunéiforme à base dirigée vers la pé-
riphérie et del'auti-c côté une nécrose semblable plus près du sillon. Il saute
aux yeux qu'une embolie gazeuse des branches nourricières de l'artère spi-
nale antérieure nourrissait les territoires nécrosés, causa ces nécroses
cunéiformes. Dans les cornes postérieures on voit une déformation due au
ramollissement du tissu nécrotique. Le septum médian, au lieu d'être
droit, à cause des pressions et de la résorption de la substance altérée, a
une forme serpentine ; la partie postérieure de la moelle semble être
aplatie et comprimée. Dans chaque cordon postérieur on constate aussi un
espace vide, plus ou moins cunéiforme, rappelant le trajet des branches
postérieures. Les méninges molles présentent de la congestion et de la
diapédèse. .
Région dorsale. -A la région supérieure on trouve les mêmes lésions,
mais plus intenses et plus étendues. En descendant, on trouve dans tout
LÉSIONS ANATOfo-YATllOLOGIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 213 3
la coupe des altérations profondes, des cornes antérieures à l'excepton des
commissures et d'une petite bandelette des cordons fondamentaux antéro-
latéraux qui sont respectés. Vers la périphérie des cordons postérieurs
atteints on voit de larges espaces vides, aussi bien que des déchirures
séparant les îlots du tissu altéré. Les lésions diffèrent de coupe en coupe
d'intensité et d'étendue, mais leur nature est toujours la même.
Dans la substance grise on constate une prolifération des éléments né-
vrogliques, des leucocytes, des petits foyers d'hémorragie. Les cellules
nerveuses des cornes antérieures sont troubles, leurs noyaux sont pâles ou
invisibles ou rejetés vers la périphérie ; leur protoplasma présente de la
chromatolyse et des amas de pigment ; le plus souvent on constate un
lésion plus profonde des cellules nerveuses, quelquefois leur disparitio
complète. Autour de ces cellules on voit des éléments névrogliques e
plus grande abondance qu'à l'état normal, des leucocytes, et çà et 1
quelques figures de « neuronophagie » ; les cylindraxes sont gonflés ; lE
cellules de la colonne de Clarke ont presque disparu. D'ailleurs la deslrui
tion et la grande nécrose qui a atteint les cordons et les cornes posteriez
res aussi bien que les cordons latéraux (cérébelleux, pyramidaux, un pe
les fondamentaux, de Gowers) les a aussi touchées. Les fibres nerveuses
sont gonflées. Le canal épendymaire est obiitéré, souvent disparu, et autour
de lui l'amas des éléments névrogliques demeure normal. Les branches ar-
térielles centrales ou du sillon aussi bien que leurs ramifications fines sont
dilatées, pleines de sang, thrombosées ; leurs parois sont infiltrées de leu-
cocytes ; dans leurs gaines périvasculaires.llymp6atiques el dans le tissu
voisin on voit des éléments névrogliques et des leucocytes en abondance.
Dans la substance blanche on constate une destruction générale du tissu.
Une bandelette de substance blanche des cordons fondamentaux antéro-
latéraux autour des cornes antérieures est seulement respectée. Les lésions
présentent les caractères des dégénérescences et des nécroses aiguës et
irréparables. Le tissu nécrosé est disposé en îlots, en séquestres irrégu-
liers séparés par des espaces vides larges, ou par de simples déchirures,
dus à la résorption des éléments nerveux altérés. Dans ces étendues nécro-
tiques on voit une grande prolifération des éléments névrogliques, des
corps granuleux et une grande abondance de leucocytes mononucléaires ;
leur protoplasma présente des granulations très pâles et leurs noyaux
se colorent (1)(,matéine-éositie) très nettement. Les fibres nerveuses sont
gonflées ou brisées ou à demi résorbées. Les cylindraxes sont gonflés, quel-
quefois atrophiés, irréguliers, entourés de myéline ramassée en boules ou
en blocs irréguliers ; elle se colore mal par l'hématoxyline et incomplè-
tement vers la périphérie. Les fibres nerveuses sont parfois résorbées et
214 ZOGRAFIDI
ont laissé à leur place de petits espaces vides, des réseaux névrogliques
vides.
Dans les fragments plus ou moins massifs de ce tissu nécrosé on voit
des petits foyers d'hémorragie. Les vaisseaux gorgés de sang présentent
de la diapédèse leucocytaire.
Dans les espaces vides et les déchirures entre les îlots du tissu altéré, on
constate différents débris fins névrogliques, nerveux, des libres des
septa, quelquefois des corps granuleux libres restés là, après la résorp-
tion. ·
Les méninges molles sont attachées à la moelle; infiltrées de leuco-
cytes, elles présentent des vaisseaux très congestionnés avec diapédèse.
Les méninges prennent part au processus.
Ces lésions existent à tous les niveaux de la moelle dorsale ; elles dimi-
nuent d'intensité vers la région lombaire.
Région lombaire. Les lésions sont moins intenses. Les cellules ner-
veuses sont troubles, les fibres nerveuses gonflées, les vaisseaux conges-
tionnés ; infiltration et diapédèse leucocytaires moins intenses. Dégéné-
rescence descendante secondaire des faisceaux pyramidaux croisés. Les
lésions dans la région sacrée vont en s'atténuant jusqu'au filum terminal.
Il s'agit donc dans ce cas là - comme dans les cinq autres - de
lésions myélitiques. Dans deux de ces 6 cas les lésions myélitiques étaient
extrêmement intenses. J'ai trouvé toujours des foyers nécrotiques circons-
crits ou diffus rappelant la topographie vasculaire, des espaces vides à
cause de la résorption de la substance altérée. Dans 4 cas sur 6 cas j'ai
constaté les foyers d'hémorragie. Dans un de ces cas, - représentant le
premier stade de la maladie, car le malade mourut' le cinquième jour, -
j'ai constaté, en dehors des premières lésions de la myélite (congestion,
diapédèse leucocytaire, gonflement des fibres nerveuses, prolifération des
éléments névrogliques), en dehors des foyers d'hémorragie, j'ai constaté,
dis-je, un fait très intéressant : des dilatations énormes, de vrais ané-
vrysmes des vaisseaux dans la substance même.
Les lésions anatomiques et les symptômes cliniques nous prouvent
qu'il s'agit de myélite chez les plongeurs. J'ai constaté de petits foyers
hémorragiques dans les 2/3 des cas. Quand le malade guérit, les lésions
médullaires passent à la sclérose, et les symptômes cliniques de la myé-
lite aux symptômes de la paraplégie spasmodique chronique (exaltation
énorme des réflexes, signe de Babinski, marche spasmodique et quel-
quefois impossible, du moins sans appui, troubles trophiques diffus des
muscles contractés et de la peau, quelquefois légère incontinence vési-
cale). J'ai trouvé ces plaques scléreuses dans les cordons latéraux (surtout
LÉSIONS ANA'l'OMO-PATliOLOGIQUES DE LA MOELLE ÉP1N1ÈRE 215
aux cordons pyramidaux croisés) et aux cordons postérieurs. Elles rappel-
lent un peu la topographie vasculaire.
Ces lésions scléreuses présentaient les caractères suivants : on ne voyait
des fibres nerveuses que dans la périphérie de la sclérose, et là même
elles étaient altérées et très rares. Tout le reste consistait en tissu névro-
glique avec ça et là des cylindraxes nus et atrophiques. Les parois des
vaisseaux étaient épaissies. J'ai trouvé ces lésions chez des malades guéris
de leur première attaque (ayant eu lieu plusieurs années auparavant),
et morts d'une nouvelle attaque. La sclérose alors représente la guérison,
la cicatrice médullaire ; le fait rappelle l'opinion de Erb, Charcot, Leyden,
Goldscheider, sur l'origine inflammatoire de la sclérose. Et comme la
sclérose et la paraplégie spasmodique sont des suites de la myélite, nous
insistons sur la concordance de nos faits démontrant qu'il s'agit de la
myélite chez les plongeurs.
Conclusions. - Nous pouvons donc conclure que chez les plongeurs à
scaphandre, à la suite de la décompression atmosphérique brusque, il se
produit dans la moelle des embolies gazeuses, par conséquent des foyers
ischémiques, et, si l'attaque est forte, des foyers hémorragiques ; ces
lésions ont pour conséquence la myélite. Cette myélite se termine par la
mort ou passe à l'état spasmodique chronique. Dans le premier cas on
trouve des altérations aiguës de la myélite (avec des foyers nécrotiques
et hémorragiques, des cavités, etc.) ; dans le second les lésions se transfor-
ment en scléroses, c'est-à-dire en cicatrices médullaires.
POLYNÉVRITE AIGUË INFANTILE :
PSEUDO-PARALYSIE SPINALE INFANTILE
PAR
Jacinto de LÉON
' (de Montévidéo).
La polynévrite aiguë généralisée consécutive à une infection ou à des
infections indéterminées, peut-être à l'influenza, s'observe rarement chez
les adultes ; elle s'observe plus rarement encore dans l'enfance. D'ordi-
naire, à cet âge, on la diagnostique comme paralysie spinale infantile ;
cela constitue une erreur déplorable qui discrédite le médecin et cause une
affliction profonde et non motivée des parents du petit patient qui le con-
sidèrent condamné à une paralysie incurable. Ce qui est encore plus
fâcheux, c'est que, en ne soignant pas le petit malade d'une manière con-
venable, on peut retarder sa guérison et, dans les cas graves, rendre vrai
le faux pronostic; dans de telles conditions la maladie peut même aboutir
à la mort.
J'ai observé l'année dernière cinq cas : deux que je considère comme
évidents, le ter et 2e, terminés par une guérison complète; un, net et
grave, le 5e ; et deux douteux, le 3e et spécialement le 4e, que je classe
comme neuronite ; je n'ai pu les suivre dans tout leur développement, ni
en faire une étude analomo-palhologique, comme il aurait fallu pour
formuler leur diagnostic avec certitude.
Ce nombre de cas en une seule année a frappé mon attention, parce que
je ne me rappelle pas en avoir observé aucun auparavant et d'autant plus
qu'ils se sont déclarés en des régions très éloignées les unes des autres.
Il me semble'aussi que celte année il y a eu diminution de cas de para-
lysie spinale infantile.
Je crois que, pour en faciliter le diagnostic, il convient de grouper les
cas en trois formes : la forme légère ou motrice systématisée, avec des al-
térations douteuses ou anciennes de la sensibilité objective, sans réaction de
dégénération et d'un cours rapide ; la forme douloureuse ou sensitive ; et
la forme grave, ou mixte, avec des altérations profondes de la sensibilité
objective, avec réaction de dégénérescence et évolution lente.
Pour plus de clarté, j'exposerai d'abord l'histoire des cas sur lesquels
je base cette communication. -
POLYNEVRITE AIGUË INFANTILE 217
1er Cas. - Polynévrite aiguë généralisée, forme légère ou motrice.
J. B..., âgé de trois ans, domicilié dans la capitale, robuste, fils de pa-
rents sains, eut vers la fin de novembre 1905 une légère indisposition, avec un
peu de fièvre et des troubles gastriques ; au bout de trois jours, il fut considéré
comme guéri, mais, à son lever on observa qu'il avait beaucoup de faiblesse dans
les jambes, pouvant à peine marcher avec soutien, raison pour laquelle on le
remit au lit. Le lendemain, il avait de la difficulté à mouvoir le bras droit, spé
cialement pour porter les aliments à la bouche, et deux jours plus tard, on
observa quelque chose de semblable dans le bras gauche. Alors, on consulta un
médecin qui fit lever le petit malade en l'aidant, et même le fit marcher, ce
qu'il obtint quoique avec de grandes difficultés. Le malade empirait chaque
jour, dit la mère, jusqu'à ce que, au bout d'une semaine plus ou moins, il
resta presque complètement paralysé des quatre extrémités et du tronc,
pouvant se tenir debout ni lever les bras, ni même s'asseoir. On consulta alo
séparément et en consultations, plusieurs médecins, qui formulèrent de co
mun accord le diagnostic de paralysie spinale infantile, ce qui comportait
pronostic d'incurabilité par rapport à la paralysie.
Le 14 décembre de la même année, c'est-à-dire au 20" jour de sa malad
je vis l'enfant pour la première fois, et je notai les symptômes suivants : pa
lysie flaccide totale et incomplète des quatre extrémités et des muscles dors
lombaires, abolissement des réflexes tendineux, douleurs à la pression des
troncs nerveux et des masses musculaires, hypoesthésie tactile et douloureuse,
douteuse dans les segments périphériques des extrémités, légère diminution
des réactions électriques, galvaniques et faradiques, directes et indirectes, sans
aucun signe de réaction de dégénérescence. '.
Le petit malade fut soumis au traitement suivant : bains chauds à 38°,
massage et gymnastique passive avec modération, et galvanisation au courant
constant ; après que l'amélioration se fut déclarée, quinze ou vingt jours plus
tard, des exercices plus répétés, et plusieurs interruptions à la fin des applica-
tions galvaniques.
L'amélioration se produisit avec assez d'uniformité et de symétrie, d'abord
dans les muscles du tronc, puis aux extrémités supérieures, et enfin dans les
inférieures, quoique l'extrémité inférieure droite fût la dernière à fonctionner
normalement ; on n'observa rien de semblable, cette localisation de la paralysie
et de l'atrophie, si caractéristique de la paralysie spinale infantile. Le petit
malade fut tout à fait guéri en trois mois, et aujourd'hui il court comme tous
les enfants de son âge.
2* Cas. - Polynévrite aiguë généralisée, forme légère ou motrice.
M. I..., âgé de 4 ans, de Santa Ana, près de Rivera, qui a sa mère et quatre
petits frères sains, et son père avec une polynévrite brachiale, probablement
consécutive à une variole confluente ; il n'a eu aucune maladie digne d'être men-
tionnée jusqu'aux premiers jours de juin 1906, où il fut atteint d'un malaise
14
218 JACINTO DE LÉON
général, fièvre légère, coryza, toux, troubles gastriques, influenza peut-être ;
il garda le lit pendant cinq jours. En se levant on observa qu'il ne pouvait se
tenir debout, parce que les jambes lui faisaient défaut, et qu'il lui en coûtait
de mouvoir les bras, ce qui fut imputé à une simple débilité de convalescence ;
mais, malgré l'alimentation et la bonne aération, cet état d'impuissance motrice
augmenta lentement pendant trois jours jusqu'à arriver à l'impossibilité de
se tenir assis et de mouvoir les divers segments des quatre extrémités : on
diagnostiqua la paralysie infantile et l'on émit le pronostic en conséquence, en
prescrivant des bains chauds et massage avec gymnastique passive.
La semaine suivante, c'est-à-dire la quatrième de la maladie, on observait
déjà une grande amélioration ; l'enfant pouvait lever les bras presque jusqu'à
l'horizontale et les mouvoir dans leurs divers segments, il pouvait aussi rester
assis le dos appuyé sur un dossier.
Ce fut alors que je le vis pour la première fois et, en l'examinant, je vérifiai
les symptômes suivants : paraplégie crurale flaccide, totale et complète, parésie
des extrémités supérieures, parésie des muscles fléchisseurs et extenseurs du
tronc, suppression des réflexes tendineux, aucun trouble de la sensibilité, légère
diminution des réactions électriques aux extrémités inférieures, réactions pres-
que normales dans les supérieures.
On continua avec les bains chauds et le massage, la gymnastique passive, en
y ajoutant la galvanisation des muscles paralysés, d'abord constante et ensuite
avec des interruptions.
La paralysie s'améliora lentement et progressivement, avec assez d'nnifor-
mité, d'abord dans les extrémités supérieures et puis dans les inférieures.
Après un mois, l'enfant put déjà se tenir debout et faire quelques pas avec dif-
ficulté, et, à la fin du second mois, il fut congédié complètement guéri.
3e Cas. Polynévrite aiguë douloureuse ; cas douteux, neuronite.
M. Sou..., âgée de quatre ans, du Durazno, eut, dans les derniers jours de
juillet 1906, une maladie fébrile de quelques jours ; quand la fièvre disparut, les
parents observèrent qu'il était impossible à l'enfant de se lever, parce que les
extrémités inférieures cédaient au poids du corps ; l'enfant ne pouvait pas
non plus mouvoir les jambes.
Les parents ne peuvent pas assurer si, au début, il exista quelque difficulté
dans les mouvements des bras et si elle pouvait rester assise ; d'après eux, elle
fut toujours couchée. Ils racontent que lorsqu'on la soulevait, elle se plaignait
de fortes douleurs.
Le 12 août, c'est-à-dire après trois semaines de maladie, je l'examinai et j'ob-
servai les symptômes suivants : paraplégie crurale flaccide, totale et complète,
douloureuse quand on imprime des mouvements aux segments supérieurs des
extrémités abdominales ; douleur à la pression des troncs nerveux et des masses
musculaires, pression très pénible à la partie antérieure et moyennede la cuisse
gauche ; suppression des réflexes tendineux ; sensibilité objective normale en
POLYNÉVRITE AIGUË INFANTILE 219
apparence ; diminution des réactions électriques, faradiques et galvaniques,
directes et indirectes, spécialement'au muscle droit antérieur du quadriceps
fémoral gauche, où l'on remarquait une inversion polaire, et au nerf sciatique
poplité externe du même côté ; sensibilité électrique en apparence augmentée
lorsqu'on fait l'étude des réactions.
Elle fut soumise au même traitement que les cas antérieurs et elle s'améliora
lentement et progressivementjusqu'au 20 octobre, date à laquelle elle pouvait
mouvoir la jambe droite en tous sens et la soulever assez haut, et faire la plupart
des mouvements avec l'extrémité gauche ; mais elle ne pouvait en exécuter l'é-
lévation étant couchée sur le dos ; en marchant, elle boitait un peu et tour-
nait le pied gauche en dehors ; les réactions électriques du muscle droit anté-
rieur et du nerf sciatique poplité externe continuaient à être diminuées, mais
on n'observait plus eu ce dernier l'inversion polaire.
Deux mois et demi plus tard, je l'examinai de nouveau et j'observai une
grande amélioration dans la marche parce qu'elle ne déviait pas le pied, et que
le pas était presque normal si elle l'exécutait avec lenteur : il y avait, cepen-
dant, des signes d'atrophie dans toute l'extrémité, 3 centimètres de différence
dans le périmètre du milieu de la cuisse, et un et demi au tiers supérieur de la z
jambe.
Je conseillai de continuer le traitement, mais je n'ai pas revu la petite ma-
lade.
4e Cas. - Polynévrite aiguë douloureuse, avec localisation grave
dans le nerf médian droit.
C. Perd..., âgée de 4 ans, du département de la Florida, fille de parents
sains et avec deux petits frères en bon état de santé ; n'a eu aucune maladie
digne de mention jusqu'au mois d'avril de l'an dernier, où elle tomba malade
de nausées, vomissements et fièvre de moyenne intensité, état qui dura plu-
sieurs jours, à ce que déclarent les parents. Dès le début, elle était très abat-
tue et elle se plaignait de douleurs spontanées, et de douleurs intenses lors^
qu'on la changeait de position, ou simplement qu'on lui mouvait les extrémités.
Après vingt-cinq jours, je l'examinai pour la première fois, et je pus véri-
fier que l'enfant se plaignait et pleurait quand la changeait de position, quand
on soulevait les extrémités ou que l'on comprimait les troncs nerveux et les
masses musculaires ; cela me démontra clairement l'existence d'intenses dou-
leurs provoquées ; il existait, en outre, une paralysie incomplète, flaccide, des
quatre extrémités, et des muscles extenseurs du tronc, avec inclinaison en
avant, et suppression des réflexes tendineux. Trouvant que la recherche de la
sensibilité objective était très difficile en ce cas, je me bornai à celle de la
douloureuse, qui me parut diminuée dans la main droite. Les réactions élec-
triques, faradiques et galvaniques révélèrent de la diminution aux quatre ex-
trémités, et la réaction de dégénérescence aux muscles innervés par le nerf
médian droit. '
220 JACINTO DE LÉON
La petite malade ayant été soumise au traitement par les bains chauds et la
galvanisation, il fallut suspendre la dernière après douze jours, parce qu'il y
eut réapparition d'une légère fièvre, environ 38°, et quelques troubles gastri-
ques qui se prolongèrent plusieurs jours ; l'enfant fut transportée à la campa-
gne, et ce nouvel état fébrile disparut en dix jours.
Au bout d'un mois et demi, je la vis pour la seconde fois. L'examen donna
un résultat semblable au premier; on observait seulement plus d'inclinaison
du tronc en avant et une atrophie sensible des muscles de l'éminence thénar
droite avec la déformation caractéristique de la main simienne; l'hypoesthésie
correspondait à la topographie périphérique.
On recommença le traitement qui fut continué pendant quarante jours : les
douleurs diparurent au premier mois ; les mouvements actifs réapparurent
lentement, spécialement aux racines des membres ; elle pouvait mouvoir, bien
qu'avec difficulté et beaucoup de réserve, les extrémités et leurs divers seg-
ments en toute direction, excepté le pouce ; la flexion de la main droite était
impossible à cause de la paralysie du médian ; elle restait assise, bien qu'incli-
née en avant; elle gardait la position debout en se s'appuyant aux objets, ou
murs voisins; les réactions électriques paraissaient être normales; l'atrophie
de l'éminence thénar s'améliorait et les réactions de l'opposant, du fléchisseur
et du court abducteur indiquaient une amélioration ; ils se contractaient faible-
ment à l'excitation faradique.
En cet état, au mois d'août, elle fut attaquée d'une double pneumonie et
mourut, avec des symptômes d'asphyxie le quatrième jour. ,
5° Cas. - Polynévrite aiguë généralisée, forme grave.
J. Gar..., âgé de 5 ans, du département de Minas ; parents et petits frères
sains, tomba malade tout à coup en juin 1906, fièvre élevée, nausées, vomis-
sements, grand abattement et somnolence, état grave qui dura quatre ou cinq
jours, d'après ce que disent ses parents ; la fièvre tombée, on s'aperçut que
l'enfant ne pouvait se mouvoir spontanément, et que, lorsqu'on le changeait
de position il se plaignait amèrement, comme si le mouvement passif provo-
quait en lui des douleurs intenses.
Le seizème jour de la maladie, je l'examinai et observai les symptômes
suivants : paralysie généralisée flaccide, totale et complète, au cou, au tronc et
aux extrémités ; double paralysie faciale incomplète ; ophtalmoplégie externe
totale et complète à l'oeil gauche, et incomplète au droit ; réaction pupillaire
à la lumière très sensible, et impossibilité d'observer celle de l'accommoda-
tion ; tachycardie, 123 battements, sans fièvre ; douleurs intenses à la pres-
sion musculaire, quand en le meut ou qu'on change sa position, ce que
demande souvent le petit patient; douleurs spontanées; anesthésie tactile,
douloureuse et thermique, qui diminue progressivement de la périphérie à la
racine des membres ; suppression des contractions faradiques ; suppression des
gavaniques avec 15 m A, dans tous les nerfs et muscles périphériques, excepté
aux muscles extenseurs des doigts de l'extrémité supérieure droite, où elles
POLYNÉVRITE .\IGUE INFANTILE 221 1
existent avec inversion polaire, c'est-à-dire réaction complète de dégéné-
rescence ; enfin anesthésie électrique à l'étude des réactions.
J'ordonnai le même traitement que dans les cas précédents, ce que ses
parents acceptèrent à la condition de le faire par des personnes de leur
famille, en leur domicile et la campagne. Après six mois, je sus que le petit
malade avait eu un peu d'amélioration ; la tachycardie avait cessé, il pouvait
mouvoir les yeux, les lèvres et la tête, quand il restait assis sur un siège à dos-
sier ; il peut remuer un peu les extrémités.
Dans un travail antérieur sur la polynévrite aiguë généralisée (1),
j'ai appelé l'attention sur les caractères différentiels entre la polynévrite
et la polyomyélite aiguë des adultes ; ces mêmes caractères, appliqués à
l'enfant, peuvent servir pour le diagnostic de la polynévrite aiguë infan-
tile, en tenant compte de certaines différences que nous apprend l'obser-
vation, certaines dépendant seulement de la difficulté d'examen dans le
premier âge.
Le début de la maladie par une légère fièvre et le lent développement
delà paralysie, qui se fait comme par poussées successives (cas 1 et 2), et
non brusquement, comme dans la paralysie spinale infantile sont une don-
née d'une importance positive ; mais ce renseignement ne s'obtient pas
toujours (cas 3, 4 et 5), soitpaf insuffisance d'observation, soit parce que
réellement le début, quelquefois, parait identique à celui de la paraly-
sie spinale.
Les douleurs spontanées, ou provoquées par les changements déposition,
par la pression des masses musculaires et des troncs nerveux, sont un in-
dice d'une grande importance diagnostique ; mais elles ne sont pas éviden-
tes dans les formes légères ou motrices systématiques ; d'autre part elles
s'observent, bien que rarement, dans la paralysie spinale infantile,
probablement quand il s'agit de formes associées, de neuronite. Dans les
formes douloureuses ou sensitives, et dans les formes graves ou mixtes,
elles acquièrent une grande intensité.
La douleur intense provoquée par l'excitation faradique des troncs ner-
veux, spécialement du cubital, que j'ai observée dans quelques cas de
polynévrite aiguë chez les adultes, n'a pas la même signification chez les
enfants, parce qu'ils se plaignent toujours et se révoltent contre cemoyen
d'investigation. Dans le cas 5, il y avait, au contraire, anesthésie éclecti-
que ; cela pour moi, a la même signification diagnostique, mais un pro-
nostic différent, parce qu'il révèle un plus profond degré d'altération du
nerf : la guérison tarde beaucoup plus à se produire.
(1) Communication à la Société de Médecine de Montevideo, Revista medica de
Uruguay, 1903.
222 JACINTO DE LÉON
La plus grande durée de la période fébrile et ses rechutes (cas o), déjà
notées par Oppenheim doivent être tenues en compte.
Les nerfs crâniens, ainsi que l'ont observé plusieurs auteurs, participent,
quelquefois de la paralysie de la polynévrite (cas 5), et l'on doit remarquer
dans leur histoire l'ophtalmoplégie externe avec conservation du mouve-
ment pupillaire. La tendance à plus d'intensité de la paralysie dans la
périphérie que dans les racines des membres, symptôme distinctif sur le-
quel Babinski appelle l'attention et qui s'observe ordinairement chez les
adultes, est un signé qui a sa valeur, quand les enfants se prêtent à cette
investigation.
La période de régression si caractéristique de la paralysie spinale infan-
tile, quand elle est généralisée et qu'elle évolue rapidement pour se
localiser dans les muscles, dans le membre ou membres qui doivent res-
ter atrophiés d'une manière permanente, ne s'observe pas dans la poly-
névrite aiguë infantile ; il existe dans cette maladie-ci, comme de raison,
une période de rétablissement, le retour il l'état normal, mais c'est une
régression lente et assez uniforme, d'abord aux extrémités supérieures et
puis aux inférieures, sans que cela signifie qu'il y ait une complète uni-
formité d'évolution aux extrémités homologues, ni que les supérieures
soient toujours complètement guéries, avant les inférieures.
Cette régression de la polynévrite aiguë, dans les cas graves, peut se
faire attendre plusieurs mois, spécialement quand elle n'est pas traitée
convenablement et avec persévérance.
Lorsqu'on peut déterminer la topographie de la paralysie ou des troubles
objectifs de la sensibilité, comme dans le cas 5, topographie périphérique
parlésion du nerf médian, on a une donnée de grande valeur ; la connais-
sance en esl due à Dejerine qui, d'autre part, a été le premier à démon-
trer que, dans la paralysie spinale infantile, la topographie est radiculaire.
Dans la polynévrite, le liquide céphalo-rachidien est normal (1).
Les altérations objectives de la sensibilité, diminuant lentement de
la périphérie vers la racine des membres, constituent un symptôme qui,
non seulement exclut la paralysie spinale infantile, mais encore caraeté-
rise lespolynévrites; seulement ceci ne s'observe nettement chez les enfants
que dans les cas graves. Dans les formes légères, dans celles qu'on appelle
motrices systématiques des adultes, avec un examen attentif et au début
de l'évolution morbide, on peut observer quelques légères altérations ob-
jectives de la sensibilité, de l'hypoesthésie et même de l'anesthésie, mais,
chez les enfants, le résultat est toujours douteux.
(t) Communication déjà citée.
POLYNÉVRITE AIGUË INFANTILE 223
L'amyotrophie de la polynévrite, qui, selon Dejerine, paraît être plus
précoce, est susceptible de s'améliorer (cas 5), tandis que, dans la para-
lysie infantile, elle est très rebelle : les fibres atrophiées, comme l'ont
démontré Duchenne et Charcot, le sont définitivement.
L'étude des réactions électriques est, sans doute, le moyen de la plus
grande valeur diagnostique ; dans les formes légères, les contractions fara-
diques sont normales ou à peine diminuées (cas 1 et 2) ; dans les formes
douloureuses (cas 3 et 4), les muscles paralysés se contractent aussi par
l'action des excitations faradiques, excepté quand il existe une localisa-
tion de névrite grave, comme dans les muscles innervés par le médian droit
du live cas, et les réactions galvaniques bien qu'inverties dans les pre-
miers examens (cas 5), acquérant ensuite la prédominance des contractions
de la fermeture du pôle négatif - sont diminuées seulement; enfin,dans les
formes graves, il existe une complète réaction de dégénérescence ou une
abolition de réaction, bien plus étendue que dans la paralysie spinale in-
fantile, ce qui éclaire déjà le diagnostic ; cette modification est toujours
accompagnée, ce qui est décisif, d'altérations intenses de la sensibilité
objective.
En somme, dans la polynévrite aiguë infantile généralisée, ou il n'y
a pas de réaction de dégénération, et alors nous pouvons éliminer la
paralysie spinale infantile, ou bien elle existe, comme dans cette mala-
die, mais alors elle est plus étendue et accompagnée de troubles profonds
de la sensibilité objective.
HOSPICE DE LA Salpêtrière
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
MYOPATHIE PSEUDO-HYPERTROPHIQUE DES MOLLETS ET
DES CEINTURES SCAPULAIRES ; ATROPHIE DU GRAND-
PECTORAL 1
PAR
F. RAYMOND ET Félix ROSE.
Si nous étions encore au temps où se succédèrent les descriptions des
formes diverses des myopathies, que l'on distinguait soigneusement les
unes des autres, nous pourrions dire que l'observation que nous rappor-
tons ici est un exemple d'une forme particulière, non encore décrite de
la paralysie pseudo-hypertrophique de Duchenne. Mais ces temps ne sont
plus et nous ne voulons que mettre sous les yeux du lecteur un document
iconographique, qui vient, une fois déplus, à l'appui de la théorie actuel-
lement admise : à savoir, que toutes les anciennes formes de la myopathie
peuvent se combiner et se confondre chez un même malade (PI. XLI).
Observation.
Le jeune H... Roger, âgé de 10 ans, vint nous consulter à la Salpêtrière, le
15 avril 1907, amené du département de l'Yonne par son père qui nous donna
les quelques renseignements suivants :
Le père lui-même, ainsi que la mère sont bien portants. Le malade est leur
enfant unique venu à terme, après un accouchement normal ; il a parlé il un
an, mais n'a commencé à marcher qu'à l'âge de 19 mois. Il a toujours mal
marché, tombait sans cesse ; le caractère de la démarche est toujours resté le
même et le père trouve que, d'une façon générale, la maladie n'a pas fait de
grands progrès.
L'enfant n'a jamais eu de convulsions, ni de maladie' infectieuse grave.
Etat actuel (27 avril 1907). L'enfant a un air hébété à qui correspond
d'ailleurs une arriération intellectuelle réelle. Il compte à peine, sait à peine
lire (il est vrai que ses parents l'ont retiré de l'école dès le 2e jour, parce
qu'il avait été bousculé). Quoiqu'il assiste souvent aux travaux de son père
qui s'occupe d'automobiles, il est incapable d'en nommer certaines parties es-
sentielles et apparentes, telles que le volant, etc. II u'a pas l'air de bien com-
prendre les questions. Il est indolent, ne sait pas s'habiller seul, etc.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PL XLI ï
MYOPATHIE PSEUDO HYPERTROPHIQUE
des mollets et des ceintures scapulaires, avec atrophie du grand pectoral.
(Raymond et F. Rose).
MYOPATHIE l'S : UDO-il YI'I,HTBOP1JIQUE DES MOLLETS 225
Au point de vue somatique, ce qui frappe tout d'abord c'est l'aspect athléti-
que des muscles des ceintures scapulaires et des mollets.
Ceinture scapulaire el membres supérieurs.- Les muscles qui montrent le
degré d'hypertrophie apparente le plus accusé sont le sus- et le sous-épineux et
le grand dentelé qui forment sur la face postérieure et en dedans de l'omoplate
de fortes saillies boudinées, en dehors de toute contraction.Le deltoïde est éga-
lement très hypertrophié et il est limité du côté des bras par une dépression
profonde. Les trapèzes sont dans leur partie supérieure peut-être un peu plus
développés que chez un enfant du même âge normal. Par contre le grand pec-
toral est totalement atrophié dans toute sa partie sterno-costale, la portion
claviculaire étant un peu mieux conservée et la disparition du muscle déter-
mine l'existence de chaque côté du sternum d'une dépression longitudinale
et laisse voir la grille costale.
Le reste de la musculature du hras est à peu près normal de volume et d'as-
pect, sauf le long supinateur gauche qui est peut-être un peu volumineux.
La force musculaire est fortement diminuée et cette diminution ne se superpose
pas exactement aux atrophies et pseudo-hypertrophies. Des deux côtés la main
serre sans grande vigueur, le malade résiste mal à la flexion, l'extension, la
supination, et la pronation passives de la main et aussi à l'extension passive
de l'avant-bras. Mais il na s'agit là que d'une diminution légère de la force
musculaire. Au contraire, l'extension de l'avant-bras, l'adduction, l'abduction
et l'extension du bras se font sans aucune force ; les rotations externe et in-
terne du bras, le haussement des épaules se font bien. Nulle part n'existe du
tremblement ubrillaire ; les réflexes tendineux et périostés du poignet sont nuls,
le réflexe olécrânien est très affaibli, et on ne peut provoquer le réflexe de
Bechterew.
Ceinture pelvienne et membres inférieurs. - Les mollets présentent l'as-
pect pseudo-athlétique de la paralysie pseudo-hypertrophique de Duchenne ;
ils sont globuleux, assez durs au palper. Il existe, du côté droit, une légère
hypertrophie du vaste externe de la cuisse. Les fesses sont de volume inégal,
la droite étant plus petite que la gauche ; quoiqu'il soit difficile de se pronon
cer, nous pensons que c'est la première qui est atrophiée, mais nous ferons
observer que la fesse gauche est arrondie et saillante comme on le voit rare-
ment chez les garçons. '
La force musculaire est diminuée dans la flexion dorsale du pied, conservée
dans la flexion plantaire, un peu faible dans la flexion et l'extension de la'
jambe. A la cuisse la flexion et l'adduction sont très affaiblies, l'extension et
l'abduction normales. Les réflexes rotuliens sont abolis ; les achilléens n'ont
pu être recherchés l'enfant ne voulant pas relâcher son pied ; les réflexes
cutanés plantaire et crémastérien sont normaux.
Tronc : le grand oblique de l'abdomen est renflé sur les côtés et déborde
le bassin. Il n'y a pas d'atrophie apparente des muscles de la masse sacro-
lombaire et long dorsal ; mais elle n'en est pas moins probable, car leur force
est diminuée et il existe nne lordose dorso-lombaire très accentuée, combinée à
un léger degré de scoliose.
226 RAYMOND ET ROSE
Face et cou : tous les muscles sont normaux.
Démarche : L'enfant marche les jambes écartées en se dandinant, et en
faisant osciller le bassin en un continuel mouvement de bascule : démarche de
canard typique.
Pour se relever de la position couchée le malade est obligé de passer par
les diverses phases successives classiques de la description de Duchenne.
L'examen électrique, obligeamment pratiqué par le Dr Dignat a montré que
les contractilités faradique et galvanique sont conservées partout, mais dimi-
nuées dans les portions moyenne et postérieure du deltoïde gauche et dans
le sous-épineux du môme côté avec, aux deux variétés du courant, une con-
traction manifestement lente. Pas d'inversion de la formule polaire.
Il n'existe aucun trouble sensitivo-sensoriel ou des sphincters. Les viscères
sont normaux, à part une dilatation marquée de l'estomac, suite de la glou-
tonnerie du malade.
Le corps thyroïde n'est point perceptible à la palpation.
Pour nous résumer nous trouvons chez cet enfant, à côté de l'aspect
classique desmollels de la paralysie pseudo-liypertrophique, une hyper-
trophie exceptionnelle des muscles deltoïde, sous-épineux et grand den-
telé, combinée à une atrophie très marquée du grand pectoral. Il existe
en outre de l'hypertrophie des grands obliques de l'abdomen, du vaste
externe de la cuisse droite et peut-être de la fesse gauche. On n'observe
ni contractions fibrillaires, ni DR caractérisée. L'aspect du malade, sa
démarche, l'absence de contractions fibrillaires, de DR, de troubles sphinc-
tériens nous dispensent de discuter le diagnostic de myopathie qui est
évident.
L'intérêt du cas réside dans la combinaison qu'il offre de plusieurs des
anciens types de myopathie : c'est-à-dire du type pseudo-hypertrophique
de Duchenne (mollets), du type Zimmerlin (atrophie du grand pectoral) et
du type juvénile d'Erb. En effet, cet auteur a signalé dans la description
première de son type la possibilité d'une pseudo-hypertrophie de certains
muscles de la ceinture scapulaire et en particulier du deltoïde, du sous-
épineux et du grand dentelé. Mais nous ne croyons pas, sans vouloir
.1'affirmer, qu'on ait déjà décrit un cas de myopathie présentant une
pseudo-hypertrophie aussi étendue.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALI'trRILRE.
T. XX. Pl. XLII
DYSOSTOSE CLE1DO-CRANIENKE
(Roger Voisin, Macé de Lépinay et Introït) .
SERVICE DU DOCTEUR JULES VOISIN A LA SALPÈTRIÈRE
ETUDE CLINIQUE ET RADIOGRAPHIQUE D'UN CAS
DE DYSOSTOSE CLÉIDO-CRANIENNE
PAR
MM. ROGER VOISIN, MACÉ DE LÉPINAY et INFROIT.
Les cas de dysostose cléido-crcznienne, l'affection décrite pour la pre-
mière fois par MM. Pierre Marie et Paul Sainton (1), sont encore
relativement peu fréquents. Nous avons eu l'occasion d'observer dans
le service du Dr Jules Voisin l'hospice de la Salpêtrière une jeune
fille de 16 ans, qui est un bel exemple de cette affection (PI. XLII). Elle
fit l'objet d'une présentation à la Société Médicale des hôpitaux de Pa-
ris (2). Mais il nous a paru intéressant de revenir sur quelques points
de son histoire clinique, en particulier d'insister sur les données que nous
a fournies la radiographie.
Voici d'abord l'observation de cette enfant :
OBSERVATION. - lVlél... (Antoinette), née le 5 janvier 1891, âgée actuelle-
ment de seize ans, est entrée à la Salpêtrière en 1903. Nous n'avons que peu de
renseignements sur son enfance : le père aurait été éthylique ; ses parents sont
morts de tuberculose alors qu'elle était encore toute petite, et elle a été recueil-
lie par une voisine. Elle aurait en une méningite ( ? ) à quatre ans.
Actuellement c'est une enfant de petite taille ; elle ne mesure que 1 ni. 18,
elle est maigre, chétive.
Cette petitesse de taille tient à une déformation thoracique très marquée.
La colonne vertébrale présente une très forte cyphose à convexité droite et
postérieure avec scoliose à concavité gauche. En avant le thorax présente une
déformation compensatrice. Le sternum est reporté du côté droit, projeté en
avant. Les côtes forment une légère saillie à la partie droite, un peu en dehors
du sternum ; la tête est enfouie dans les épaules, et repose presque sur le
thorax.
L'aspect de la tète est étrange, caractéristique de l'affection. Le front bombé,
olympien,les bosses frontales exagérées avec sillon médian, la petitesse du mas-
(1) P. Marie et P. SAINTON, Soc. Méd. des hôp., mai 1891, mai 1898.
(2) JULES Voisin, Rogner Voisin, Macé de Lépinay, Soc. Méd. des hôp., 8 février 1901,
p. 130.
228 VOISIN, MACÉ DE LI : I'1NA1 ET lNFlio1'l'
sif facial, les yeux à fleur de tête, le nez allongé, la bouche large donnent à
l'ensemble de la physionomie l'aspect de tête d'oiseau.
Le crâne a une forme spéciale : court dans le sens antéro-postérieur, large
au contraire dans le sens transversal ; il y a ce qu'on appelle de la brachycé-
phalie. On s'aperçoit, en le palpant, que les divers os n'en sont pas soudés,
que toutes les fontanelles persistent et que la suture sagittale n'est point fer-
mée. L'os frontal n'est même pas unifié, et les deux os frontaux embryolo-
giques persistent : entre les deux bosses frontales saillantes se creuse une
gouttière^d'autant plus marquée qu'elle se rapproche de la fontanelle anté-
rieure. La fontanelle antérieure a 10 cent. 5, la postérieure 9 centimètres.
La fontanelle temporale est encore perceptible. La soudure n'existe pas entre
les pariétaux et l'occipital. La suture sagittale, dans son point le plus rétréci,
mesure 38 millimètres. On n'observe aucun souffle à l'auscultation du crâne.
La voûte palatine est très ogivale, très haute, elle n'est pas soudée complè-
tement et, sur la ligne médiane, le doigt sent un sillon net. Mais si les os ne
sont pas soudés, il n'en pas de même des parties muqueuse et musculeuse.
Le voile du palais et la muqueuse sont normaux.
La dentition est très particulière. L'enfant ne présente qu'un nombre de
dents infime. '
A la mâchoire supérieure il n'y a que neuf dents : trois incisives, deux
canines, deux petites molaires et deux grosses molaires de la première den-
tition.
A la mâchoire inférieure il existe deux grosses dents molaires de la pre-
mière dentition et deux incisives médianes de la deuxième dentition en voie de
développement. Dans le courant de l'année dernière, la malade a perdu ses
incisives inférieures.
Par conséquent, la dentition est très imparfaite, les dents de lait subsistent ;
seules à la mâchoire inférieure percent des incisives, début de la deuxième
dentition. '
De plus, toutes les dents de l'enfant sont cariées.
La mensuration du crâne et de la face nous donne :
Nouvelle Iconographie de la .Salpêtrière.
T. XX. PI. XLIII
DYSOSTOSE CLEÏDO-CRANIENNE
(Roger Voisin, Macé de Upillay et Infroit).
UN CAS DE DYSOSTOSE CLEIDO-CHANIENNE 229 9
sont tellement molles que la clavicule se déforme facilement à la pression. Il
ne paraît pas qu'il y ait articulation de la clavicule avec le sternum ni avec
l'acromion. '
Du côté gauche, la portion osseuse est plus considérable, elle est à peu près
de 2 cent. 5, elle est située à l'union du tiers moyeu et du tiers interne. La
clavicule, aussi flexible que du côté opposé, s'articule avec le sternum par un
tissu fibreux très lâche. Elle ne paraît pas s'attacher à l'acromion, mais s'ar-
rêtera ce niveau ;i la 1 ro côte.
Les omoplates ne sont pas détachées du thorax et nous ne trouvons pas
chez notre malade cet aspect de scapulae atatae noté par MM. Villaret et
Francoz (1) dans leurs observations. Les épaules ne sont pas tombantes ; le fait
tient peut-être à la gibbosité du sujet. Enfin, nous n'avons pu constater le
tubercule du trapèze, que MM. Villaret et Francoz avaient signalé.
Du fait de cette anomalie des clavicules, les mouvements volontaires du bras
ne sont pas modifiés, il n'existe pas de mouvements anormaux ; mais l'on
peut rapprocher fortement les deux bras l'un de l'autre, les mettre presque
en contact et reproduire ainsi cette position particulière caractéristique qui a
été photographiée par divers auteurs.
La malade présente d'autres modifications que cette anomalie de l'ossifica-
tion du crâne et de la clavicule et la gibbosité constatée.
Du côté des membres supérieurs, on remarque une malformation spéciale du
coude. Jl fait saillie en arrière et en dehors du plan du bras, et l'on s'aperçoit
à la palpation que cet aspect est dû à une luxation congénitale du radius en
arrière sans luxation du cubitus.
Le poignet est plus gros que chez l'enfant normal. Les apophyses styloides
du radius et du cubitus plus volumineuses fout saillie sous la peau.
La main enfin a un aspect particulier ; elle est rejetée en dehors. Cepen-
dant les doigts ne sont pas longs, effilés, comme on les trouve habituel-
lement dans cette affection. Le rapport des doigts entre eux est normal, mais
leurs extrémités sont un peu grosses, légèrement hippocratiques, et cette
déformation nous paraît relever des troubles de l'hématose dus à la déforma-
tion thoracique.
Les rapports des segments du membre sont normaux.
Longueur de l'avant-bras de ia saillie radiale à l'apopliyse styloïde du radius :
18,5 à 19 centimètres.
Longueur du bras, de l'épicondyle à la coracoïde : ? 5 à 25 centimètres.
Mais cependant il y a micromélie, car chez trois enfants du même âge nous
trouvons :
Longueur du bras : 26, 5 ; 26, 5 ; 25.
Longueur de l'avant-bras : 21 ; 22, 5 ; 23.
Du côté des membres inférieurs, on constate que les fémurs ont une cour-
bure à convexité antérieure exagérée ; de plus, le fémur gauche forme une
courbure à convexité externe au niveau de l'union du col et du corps.
(1) M. VILLAHST et Francoz, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, mai-juin 1905.
230 VOISIN, MACÉ DE LÉPINAY ET INFROIT
Les tibias présentent une légère concavité antérieure ; il existe un léger
degré de genu valgum. Les apophyses styloïdes des tibias sont plus saillantes
que normalement. Enfin le pied est un peu plat.
Les dimensions du membre inférieur sont les suivantes :
De l'extrémité inférieure du grand trochan-
ter à la tubérosité externe du condyle
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊrRIÈRF ? ? -1 - TTX1 PI. XI-IV2
DYSOSTOSE CLEÏDO-CRANIENNE
(Roger Voisin, Macê de Lépinay et Infroit) .
UN CAS DE DYSOSTOSE CLGIDO-CRANIEN1E 231
Au niveau de l'humérus, on remarque que cet os est très notablement
élargi à sa partie supérieure. Le canal médullaire semble plus large que
normalement, et il y a raréfaction osseuse.
La radiographie du coude est fort intéressante. L'une des épreuves a
été effectuée de face, l'avant-bras étendu et en supination ; l'antre, de
profil, l'avant-bras à demi fléchi sur le bras. Sur la première radiographie
on remarque que le cubitus garde ses rapports normaux avec l'extrémité
inférieure de l'humérus. L'os lui-même est normal. Le radius au con-
traire n'affecte aucun rapport avec la petite cavité sigmoïde du cubitus, et
les deux os sont écartés l'un de l'autre d'environ 1 centimètre.
L'extrémité supérieure du radius ne présente ni tête, ni col ; elle con-
tinue, sans modification de forme, la diaphyse.La tubérositébicipitale est
à peine indiquée. L'extrémité supérieure de l'os remonte sur le bord pos-
térieur et externe du condyle, et atteint environ le tiers de la hauleur de
l'olécrâne. Le point céphalique du radius est soudé, mais toute la partie
supérieure de l'os présente de la raréfaction osseuse.
La seconde radiographie nous donne les mêmes renseignements ; elle
indique nettement que l'extrémité inférieure du radius est reportée en ar-
rière du condyle humerai. L'extrémité du radius atteint l'union du tiers
supérieur et du tiers moyen de l'olécrâne : il semble donc que, dans la
flexion, il y ait ascension plus marquée de l'os. La radiographie montre
également une courbure à convexité antérieure de tout le corps du radius,
nettement accusée.
A la partie inférieure de l'avant-bras on remarque un retard très net
d'ossification portant sur les deux os de l'avant-bras. Le cubitus présente
une incurvation assez marquée à l'union de son tiers supérieur et de son
tiers moyen.
A la main, même retard d'ossification, portant sur les métacarpiens et
les phalanges. On remarque encore, en comparant avec la radiographie
d'une main d'enfant du même âge, qu'il existe un raccourcissement très
notable des phalangines et des phalangettes, avec élargissement de ces
mêmes os, ce qui leur donne un aspect trapu. Il y a très nettement raré-
faction osseuse, ainsi que le montre la transparence de l'image ; et élar-
gissement du canal médullaire.
3° La radiographie du crâne permet d'apercevoir nettement le cerveau;
ce fait n'a jamais été signalé.
Sur l'épreuve on ne voit que très imparfaitement l'image du frontal;
l'image de l'occipital est encore plus pâle. Au niveau du rocher et de la
mastoïde il y a une ombre nette ; mais partout ailleurs on a une transpa-
rence presque complète ; c'est-à-dire qu'au point de vue radiographique,
seuls le frontal, la base du temporal, et un peu l'occipital sont opaques,
2 : {2 VOISIN, MACÉ DE LÉPINAY ET INFROIT
donc seuls bien ossifiés; partout ailleurs, radiographiquement, il n'y a
pas d'os, puisqu'il y a transparence. Le sinus frontal est normal ; mais,
comme on l'a signalé dans un certain nombre d'observations de dysostose,
il y a retrait du massif facial.
A travers l'ombre légère du frontal et de l'occipital, on voit fort bien
les hémisphères cérébraux. L'ampoule a été placée de telle façon que les
deux hémisphères ne se superposent pas sur l'image. L'hémisphère le plus
foncé est celui qui repose sur la plaque. L'autre hémisphère se traduit
par une image plus claire, et en même temps plus grande, en raison de
son rapprochement de la source lumineuse. Les hémisphères sont un peu
crénelés sur leurs bords ; ils présentent même quelques points inégale-
ment teintés ; et il semble bien qu'on puisse apercevoir quelques scissures
et sillons séparant les circonvolutions, sans toutefois qu'on puisse affirmer
qu'il s'agit en tel ou tel point d'un sillon ou d'une circonvolution déter-
minés.
Même sur les radiographies de crânes de très jeunes enfants, on ne peut
obtenir l'image du cerveau. Ce cas serait donc unique jusqu'à ce jour.
Notre sujet présente bien les principaux caractères assignés par Marie
et Sainton à la dysostose ctéido-cranienne : 1° le développement exagéré du
diamètre transversal du crâne (15 cent. alors que la normale est 9 ? J3 ;
indice céphalique de 87.6, nettement brachycéphale).
2° Le retard dans l'ossification des fontanelles. Ce retard est très carac-
téristique dans cette observation. Notre sujet, âgée de 16 ans, ne présente
pas trace de début de soudure des divers os du crâne ; le frontal est encore
séparé en ses deux os embryologiques et l'écaille du temporal n'est pas
soudée au rocher.La suture sagittale présente près de 4 centimètres d'écar-
tement dans son point le plus rétréci. Enfin, ainsi que nous le montre la
radiographie, il y a même retard dans l'ossification des os du crâne, puis-
que nous avons pu obtenir au travers des pariétaux et de l'occipital l'image
radiographique du cerveau.
3° L'aplasie des clavicules. Plus marqué à droite qu'il gauche, le
défaut d'ossification des clavicules est facile à reconnaître. Il permet le
rapprochement anormal des moignons de l'épaule, décrit dans les obser-
vations antérieures.
4° Quant au caractère héréditaire de ces troubles, nous n'avons pu le
retrouver chez notre malade. Ses parents sont en effet morts alors qu'elle
était toute petite. C'est une voisine qui s'est occupée d'elle et qui n'a
pu donner aucun renseignement utile.
Si cette enfant présente ces caractères communs à tous les cas de dysos-
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. XLV
DYSOSTOSE CLE1D0-CRNIE\rE
(R. Voisin, Macé de Lepiiiay et Infroit).
UN CAS DE DYSOSTOSE CLÉIDO-CRANIENNE 233
tose cléido-crânienne, elle s'en distingue par contre par l'existence d'un
certain nombre de symptômes sur lesquels il nous reste à insister.
1° Mél... Antoinette présente une déformation thoracique des plus
accusées : cyphose et scoliose, projection du sternum en avant, etc.
Quelques observations ont signalé la concomitance possible des défor-
mations thoraciques avec la dysostose cléido-crânienne, mais il ne semble
pas que dans aucun des cas rapportés, la déformation ait été aussi consi-
dérable. Il a été signalé des dépressions ou des pliures du sternum (Ge-
genbaur, Dowse, Rappeler, Pierre Marie et Sainton,Carpenter, Shorstein,
Pinard et Varnier), de l'aplatissement du thorax (Schentlauer), la défor-
mation dite « thorax de poulet » (IIirtz et Louste,Gross),plus rarement des
modifications de la colonne vertébrale : de la cyphose (Guzzoni), de la
lordose (Hirtz et Loüste),et quatre fois seulement de la scoliose (P. Marie
el Sainton, Niemeyer, Hamilton, ViIlIretetFrancoz).
2° Notre malade présente en second lieu des troubles importants de la
dentition.
Quoique âgée de 16 ans elle n'a que 13 dents : 9 de première dentition
à la mâchoire supérieure, 4 à la mâchoire inférieure, dont 2 seulement
de seconde dentition, des incisives médianes qui commencent seulement
à pointer, et encore depuis seulement quelques mois. Toutes ces dents
enfin sont cariées.
Il y a donc à la fois retard de la dentition, qui correspond à celle d'un
enfant de 7 ans, absence de certaines dents (une seule incisive à la mâ-
choire supérieure, mais G dents à la mâchoire inférieure) ; et carie den-
taire.
Il est à remarquer que chez les malades atteints de cette affection les
troubles de la dentition sont assez fréquents.
En nous bornant à l'étude des cas publiés en France, nous voyons que
dès leurs premières communications Marie et Sainton avaient observé des
troubles de la dentition.
Obs. de A.. 39 ans (S. M. hôp., 1897, p. 708) : « Les dents sont très
mauvaises ; elles semblent avoir été implantées très irrégulièrement, il
en manque beaucoup actuellement et il est impossible de juger de leur
quantité. »
.4 ? 12 ans : « La dentition est très irrégulière, les dents supérieures
sont très petites, les incisives ont la dimension de petites canines ; les
canines sont cupuliformes. Toutes ces dents sont déjà usées. Les dents
inférieures sont un peu moins petites, les canines également cupulifor-
mes. Une ou deux dents sont déjà cariées ».
Ils retrouvèrent également des troubles de la dentition sur les deux
malades qu'ils observèrent en 1898 : chez la mère, 49 ans, les dents étaient
xx -11 15
2a4 VOISIN, MACÉ DE LÉPINAY ET INFROIT
déjà tombées, tandis que la fille, 10 ans, avait un retard de la dentition.
La malade de Pinard et Varnier (1), présentait également une dentition.
irrégulière et mauvaise.
Dans l'observation de l'homme de 49 ans, étudiée par Hirtz et Louste (2)
il est dit : « La mâchoire est presque complètement dépourvue de dents.
Celles-ci sont apparues fort tard, de nombre restreint dans les deux den-
titions. Elles ont été très irrégulièrement implantées et se sont cariées de
bonne heure. » -
Enfin tous les membres de la famille observée par Villaret et Francoz
avaient des altérations dentaires : dents irrégulières, petites, cupuliformes,
mal implantées ; incisives médianes en retrait sur leur bord interne,
canine supplémentaire chez la mère, 36 ans retard dans l'évolution des
dents, qui sont petites, irrégulières, crénelées chez la fille, 9 ans - ; dents
supérieures mal implantées, petites, crénelées, cupuliformes, tandis que
les dents inférieures sont à peu près normales chez le garçon de 6 ans ;
dentition retardée chez le bébé de 21 mois- et la malade observée par
Couvelaire, dont l'observation est rapportée dans le même mémoire, âgée
de 3 ans, avait une dentition si mauvaise que la malade portait un dou-
ble râtelier.
Mêmes constatations ont été faites par les auteurs étrangers, nous ne
signalerons que le cas d'Hamilton (3) concernant une femme de 38 ans,
dont les premières dents apparues à 2 ans ne tombèrent qu'à 15 ans, et
dont la dentition était très peu developpée.
De ce court aperçu il paraît bien que les troubles de la dentition sont
un symptôme presque constant de la dysostose cléido-crânienne.
Les anomalies dentaires, que nous avons observées chez notre malade,
sont d'ailleurs rares, surtout poussées à un si haut degré. Elles ont été
surtout étudiées comme étant un des plus importants stigmates de l'hérédo-
syphilis. Pour Edmond Fournier (4), l'absence de certaines dents se
limite presque toujours à un petit nombre, et affecte le plus souvent le
groupe des incisives, et surtout des incisives supérieures. Chez notre ma-
lade il y a bien à la mâchoire supérieure absence d'une incisive latérale,
mais à la mâchoire inférieure il y a 6 dents qui manquent.
Il en est de même de la persistance des dents de lait : on observe
ordinairement la persistance d'une, de"deux, de quatre dents au plus ; il
est rare de n'observer qu'à 16 ans la chute de deux incisives. Notre obser-
(1) Pinard et VARNiER, C. R. Société obstétrique, gyn. et péd., juin 1899.
(2) Hirtz el Louste, S. méd. des hôpitaux, 1903, p. 270.
(3) HAMILTON, Philadelphia med. journ., 14 octobre 1899.
(4) E. Fournier, Stigmates dystrophiques de l'itérédo-syphilis. Thèse Paris, 1895,
p. 85.
UN CAS DE DYSOSTOSE CLÉIDO-CHANIENNE 235
vation serait comparable au cas observé par Ferras où il y avait persistance
de toutes les dents de lait chez un enfant de 10 ans. Il s'agissait d'un
hérédo-syphiti tique.
3° Les radiographies ont montré qu'il y avait non seulement retard
dans l'ossification des os longs, mais raréfaction du tissu osseux de ces os.
Cette raréfaction se retrouve au niveau des os du crâne et permet la ra-
diographie du cerveau.
4° Enfin notre enfant présente une luxation congénitale double du radius
eu arrière. Cette affection est excessivement rare, puisque Kirmisson en
1898 dans son traité des maladies chir2 ? gicales congénitales (1) ne signale
d'après une statistique de Bonnenberg que 12 cas de luxation congénitale
bilatérale du radius, dont 8 en arrière.
Depuis ce travail nous n'avons trouvé signalé en France que le cas de
Galliard et Lévy (2). Il s'agissait d'une femme de 28 ans, de petite taille
(1 m. 43), aux membres courts dont le mouvement de supination des deux
avant-bras était très limité du fait, constaté par la radiographie, de l'as-
cension de la tête du radius jusqu'à mi-hauteur de l'olécrâne.
Nous avons également trouvé signalés en Amérique deux cas qui,d'après
leur titre paraissent également concerner des luxations du radius congé-
nitales : ceux de la Ferlé (3), et de Van Hook (4), mais les journaux amé-
ricains où ces cas sont relatés, ne sont pas à la Bibliothèque de la Faculté.
Par contre, en 1904, Meijers (5) en Hollande a présenté deux malades,
le père (41 ans) et la fille (10 ans) atteints de cette malformation. Cette
malformation était héréditaire dans la famille.
Il y avait en plus des anomalies particulières du carpe.
Cet auteur apporte les observations d'Abbot qui a pu dans 4 générations
d'une même famille décrire 7 cas de luxation de la tête du radius.
Comme dans le cas de Meijers, dans celui de Kirmisson, nous remar-
quons chez notre enfant une courbure anormale du radius (6).
Les particularités que nous avons relevées dans cette observation de
(1) Kirmisson, Traité des maladies chirurgicales congénitales, p. 481.
(2) GALLIARD et Lévy, Micromélie avec malformation symétrique des radius. Soc.
méd. des hôp., 18 novembre 1904, p. 1103.
(3) La Ferté, Congénital dislocation of the head of the radius. Harper hospital Bul-
letin Detroit, 1905-1906, XVI, 1-S.
(4) VAN Hook, Double congénital dislocation of the heads of the t'adtt. Illinois med.
journ., Springield, 1903-1904, n. s. v. 958,
(5) MSIJERS, Nederlandsch Tijdschrift voor Geneeskunde,1904, 1, p. 946-950.
(6) Roger Voisin et Macé DE Lépinay, Luxation [double congénitale du radius en
arrière. 13u11. de la Société anatomiqne, avril 1907.
236 VOISIN, macé DE LÉPINAY ET INFROIT
dysostose cléido-crânienne, principalement la gibbosité très marquée de la
malade, les troubles de la dentition, le retard de l'ossification et la raré-
faction osseuse nous montrent que, ainsi que l'ont déjà fait remarquer
Couvelaire (1), M. Villaretet Francoz, le groupe osseux, crâne el clavicule,
n'est pas toujours le seul intéressé ; elles soulèvent de plus le problème
des rapports existant entre la dysostose cléido-crânienne et le rachitisme.
La gibbosité que présente Miel ? a tous les caractères en effet de la gib-
bosité rachitique : scoliose et cyphose arrondie ; de plus, est signalé que
dans le rachitisme il peut y avoir retard de l'ossification, et retard de la
dentition ; or, notre enfant présente ces deux symptômes. Mais cependant
il nous faut remarquer qu'il est exceptionnel, qu'il n'a même pas été si-
gnalé, un tel trouble de la dentilion dans le rachitisme, et que la malade
n'en présente pas certains stigmates presque constants : il n'y a pas de cha-
pelet coslal, pas de tibia en lame de sabre, etc.
Quoi qu'il en soit,ces constatations doivent faire discuter les trois hypo-
thèses suivantes : ou les anomalies que présente la malade sont toutes de
nature rachitique, ou bien elles relèvent toutes de la dysostose cléido-crâ-
nienne ; ou enfin il y a coexistence de rachitisme et de dysostose cléido-
crânienne.
Le mécanisme de ces deux affections est en effet bien différent, ainsi
que l'ont montré Porak et Durante (2) : dans la dysostose, que l'on peut
avec ces auteurs considérer comme une forme particulière de leur dyspla-
sie périostale, il s'agit d'une dystrophie dans l'ossification des os à ébau-
che fibreuse, dans la formation de l'os par le périoste : il y aurait hyper-
activité des ostéoclastes; dans le rachitisme il y a dystrophie, par défaut
d'ossification des travées osseuses qui demeurent cartilagineuses ; il y au-
rait hypoactivité des ostéoblastes.
Quoique ces mécanismes diffèrent, on comprend que dans certains cas,
localisés à certains os, ils puissent occasionner des déformations compara-
bles. Seul un examen histologique permettrait d'en résoudre l'origine.
Aussi nous paraît-il difficile d'admettre avec Apert (3), que la dysostose
cléido-crânienne doive être considérée comme une mutation, aboutissant
d'une variation progressive par prédominance de plus en plus marquée
de l'ossification enchondrale sur l'ossification périostale, de nature abso-
lument opposée à l'achondroplasie, où, l'ossification périostale étant con-
servée, c'est l'ossification enchondrale qui est modifiée.
(1) Couvelaire, Journ. de Phys. et path. générales, juillet 1899.
(2) pOaAA et DURANT ? Les micromélies congénitales. Nouv. Icon. de la Salpêtrière,
1905.
(3) APERT, Maladies familiales, Baillière, 1907. - Voir aussi Quelques remarques sur
l'achondroplasie. Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1903.
UN CAS DE DYSOSTOSE CLIDO-CRANIENNE 237
Nous sommes plutôt disposés, avec Porak et Durante, à considérer la
dysplasie périostale et la dysostose cléido-crânienne comme résultant d'un
trouble glandulaire ou trophique, à la suite d'une lésion soit de la mère
(hérédo-intoxication), soit du foetus (auto-intoxication).
Les troubles de la dentition que nous avons observés seraient une
preuve en faveur de cette hypothèse ; ils sont en effet tout à fait compa-
rables à ceux que l'on constate chez les myxoedémateux dont on connaît
bien l'origine thyroïdienne.
Ainsi se trouveraient rapprochés cette affection et le rachitisme (Po-
rak et Durante) qui parait également,d'après les travaux actuels, répondre
au fonctionnement imparfait d'un organe à sécrétion interne. Ainsi pour-
rait s'expliquer la coexistence de ces deux affections chez le même malade.
En tout cas, à la base de ces troubles dystrophiques, et quelle qu'en
soit la nature, il est possible qu'il y ait eu une intoxication ou une infec-
tion. Parmi elles, la syphilis doit être soupçonnée comme étant une des
causes les plus fréquentes des dystrophies de l'enfance. Chez notre sujet
on relève deux des symptômes de la triade d'Ilutchinson, la surdité, les
troubles de la dentition. Mais le Dr Gellé qui a examiné Mél... au point
de vue auriste, nous a déclaré que rien dans son examen ne lui permet-
tait d'affirmer l'origine spécifique de la surdité; et, d'autre part, si les
troubles dentaires doivent faire penser à l'hérédo-syphilis, ils ne sont
cependant pas pathognomoniques de cette infection. Chompret, dans la
thèse de E. Fournier admet lui-même que la persistance des dents de lait
est un fait intéressant au point de vue de l'hérédité syphilitique, mais il
ajoute : « en ce qu'elle témoigne qu'une influence dystrophique des plus
sérieuses s'est exercée dans le jeune âge sur le système dentaire, et à ce
titre elle met en cause, ipso facto, l'hérédité syphilitique en tant qu'origine
la plus usuelle de cet ordre de dystrophie » ; il ne dit pas « origine cons-
tante », et nous avons déjà signalé qu'un trouble de sécrétion glandulaire
suffit à les déterminer (corps thyroïde dans le myxoedème).
ASILE DE VAUCLUSE
INFANTILISME ET INSUFFISANCE DIASTEMATIQUE
PAR -
A,'VIGOUROUX ET A. DELMAS.
Médecin de l'Asile de Vaucluse. Interne des Asiles de la Seine
L'observation que nous apportons ici concerne un malade de 44 ans
présentant le syndrome clinique d'infantilisme vrai, d'infantilisme thyroï-
dien tel que l'ont établi les travaux de Brissaud et H. Meige (PI. XLVI).
Ce malade, malgré son âge avancé, avait conservé les formes extérieures
de l'enfance et donnait l'apparence d'un enfant « vieillot de 12 à 14 ans ;
chez lui, n'était apparu aucun des caractères sexuels secondaires.
L'examen clinique du malade ne permettant pas de déceler, par la palpa-
tion, le corps thyroïde, il était naturel de rapporter l'arrêt de développe-
ment physique et psychique à un trouble de la fonction thyroïde, à l'hy-
pothyroïdie qui aurait déterminé secondairement l'arrêt d'évolution de
de l'appareil génital.
Or, l'autopsie a montré l'existence de la glande thyroïde, atrophiée,
il est vrai, mais normale de forme et d'apparence, l'existence de deux
testicules, dont l'un était dans l'anneau, également petits mais d'appa-
rence normale, et enfin la présence d'une petite tumeur de la tige de la
glande pituitaire.
D'autre part, l'examen microscopique montre que la glande thyroïde est
histologiquement normale, que la tumeur fibreuse de la tige de la glande
pituitaire n'a pas altéré le parenchyme glandulaire, alors que les lésions
du testicule sont très profondes et très étendues ; non seulement les
canalicules séminipares ne sont pas développés, les cellules de la lignée
séminale ne sont pas différenciées, mais dans le tissu conjonctif on ne trouve
aucune cellule interstitielle.
Ce cas est donc difficile à interpréter de par la complexité même des
lésions, puisque les trois glandes à sécrétion interne considérées comme
susceptibles de régler la nutrition sont touchées à des degrés divers :
glande thyroïde, pituitaire, interstitielle.
Au point de vue histologique c'est la' glande diastématique qui est de
beaucoup la,plus altérée et il est donc possible d'incriminer en première
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. XLVI
INFANTILISME ET INSUFFISANCE DlASTÜ¡ATIQUE
INFANTILISME ET INSUFFISANCE DIASTÉMATIQUE 239
ligne l'insuffisance interstitielle, l'adiastématie précoce, telle que l'ont
décrite Ancel et Boin (Presse médicale, 3 janvier 1906). ,
Observation.
B... Charles-Ernest, âgé de 44 ans, est entré à l'asile de Vaucluse le
lee août 1906 avec le diagnostic porté par M. le Dr Dupré :
Débilité mentale avec arrêt général du développement de l'organisme par
insuffisance thynoidienne. Syndrome myxoedémateux incomplet. Le corps
thyroïde semble absent. Depuis quelques jours, idées de persécution, hallu-
cinations visuelles et auditives. Habitudes alcooliques anciennes.
Comme le montre la photographie ci-jointe, B... donne l'impression d'un
enfant vieillot, présentant le syndrome d'infantilisme myxoedémateux.
Il mesurait 1 m. 27 de taille,pesait 32 kilos ; les différentes parties du corps
étaient bien proportionnées et à un examen superficiel il paraissait être un gar-
çon de 12 à 14 ans, il avait conservé les formes extérieures de l'enfance et
aucun des caractères sexuels secondaires n'était apparu chez lui.
La face est entièrement glabre, la peau est sèche et légèrement jaunâtre,
ridée aux tempes, légèrement bouffie sous les yeux.
Les cheveux, plantés bas sur le front, sont clairsemés, mais sont fins
sourcils existent.
Les joues sont arrondies et fermes, leur forme donne à la face l'aspe(
naire.
La lèvre inférieure est un peu grosse, légèrement tombante, mais la
che reste bien fermée ; la langue est de volume normal.
Le crâne est bien conformé, les sutures en sont légèrement saillante
circonférence horizontale est de 0.515, le diamètre antéro-postérieur maxi-
mum 171, le diamètre 'transversal maximum 144, ce qui donne un indice
céphalique de 84 et range le malade dans les brachycéphales.
La tête est légèrement enfoncée dans les épaules; le cou est très court et la
palpation ne permet pas d'y sentir le corps thyroïde.
Le tronc est d'apparence normale, le bassin est légèrement élargi. La peau
est entièrement glabre au niveau des aisselles et du pubis ; il y a une hyper-
trophie graisseuse notable au niveau des seins, mais on ne trouve pas de
mamelon ni d'auréole.
Les organes génitaux sont tout à fait rudimentaires. La verge, y compris le
prépuce qui est très saillant, a 15 millimètres de longueur, est de la gros-
seur d'un crayon ; à peine peut-on sentir sous les doigts rouler le corps caver-
neux qui tend à disparaître sous la peau du pubis. C'est la verge d'un enfant
de quelques mois. Elle est incapable d'érection.
Le scrotum est très rudimentaire et contient un seul testicule mou et gros
comme une petite fève qui tend à remonter dans l'anneau.
Les organes génitaux situés au centre d'un triangle curviligne saillant ont
un aspect spécial rappelant les organes féminins.
Les membres, sauf une cuisse déformée par deux fractures anciennes, sont
240 VIGOUROUX ET DELMAS
de proportions normales ; les bras sont gras et potelés, les mains sont grosses
et les doigts boudinés.
La température rectale est de 37°5.
Les appareils de la digestion, de la respiration et de la circulation sont nor-
maux.
La sensibilité est normale ; la force musculaire est peu développée ; les
réflexes patellaires sont forts. La voix est aiguè et en fausset.
Au point de vue mental, B... est également un enfant aux notions très
bornées, au caractère très instable,passant rapidement du rire aux larmes, in-
capable d'attention,inapte à une occupation suivie, taquin, irritable, se mettant
facilement dans des colères de courte durée.
Ce n'était pas cependant un idiot ni même un imbécile, il avait de la mémoire
et toute sa vie il avait vécu avec sa mère, l'aidant dans son travail et même
faisant des courses dans Paris ; il avait habité avec sa mère l'Amérique et bien
que revenu en France depuis plus de dix ans, il parlait un peu l'anglais et sur-
tout chantait quelques chansons à boire américaines.
D'après les renseignements fournis par lui et confirmés par sa mère, son
père serait mort de tuberculose pulmonaire alors qu'il avait 7 ans ; il n'avait
ni frère ni soeur.
Sa mère paraît bizarre et peut être soupçonnée d'éthylisme. Lui-même a
toujours bu rhum et absinthe depuis son enfance et il est probable que c'est
étant ivre qu'il s'est cassé à deux reprises la cuisse gauche.
C'est également un accès subaigu d'alcoolisme chronique qui l'a fait arrêter
et interner.
Dans les premiers jours de son entrée, il est confus, halluciné et presque
anxieux. Il s'entend appeler, se lève de son lit pour obéir à cet appel, demande
à sortir, n'a aucune conscience de sa situation.
La nuit il ne dort pas, se croit appelé par des malades ses voisins et leur
demande ce qu'ils lui veulent. Grâce à une abstinence prolongée et au régime
lacté cet état de confusion hallucinatoire disparait assez rapidement et trois
semaines après son entrée il se montre calme, assez raisonnable, mais d'un
caractère très enfantin, taquin et boudeur, jouant comme un tout jeune enfant.
Six semaines après son entrée, le 16 septembre, le malade s'affaiblit sans rai-
son appréciable. Il tombe rapidement dans un état voisin de la stupeur : im-
mobile, il ne répond plus aux questions, il s'alimente très peu. Le 19 septembre
cet état s'accentue sans que l'examen viscéral ne révèle rien autre que de
la congestion pulmonaire. Il a de l'hypothermie : 35°4 le soir,36°9 le matin sui-
vant et malgré une injection de sérum et l'application de boules d'eau chaude, il
succomba. -
Autopsie. - A l'ouverture du thorax on ne trouve pas de liquide pleural,
les poumons ne présentent pas de lésions appréciables ; pas de tuberculose des
sommets ; quelques adhérences pleurales surtout de la plèvre diaphragmatique
droite.
La base pulmonaire droite présente de la congestion.
Le poumon droit pèse 310 grammes ; le poumon gauche pèse 170 grammes.
INFANTILISME ET INSUFFISANCE DIASTÉMATIQUE 241
Le coeur est contracté ; le ventricule gauche est dur ; le droit est vide de cail-
lot. A l'ouverture on trouve des valvules aortiques un peu dures surtout à la
base ; plaques athéromateuses, 2 ou 3 la base de l'aorte, à l'épreuve de l'eau
les valvules sigmoïdes laissent écouler lentement toute la colonne d'eau, léger
degré d'insuffisance. La valvule mitrale est un peu indurée, laisse passer un
doigt très facilement, mais non deux. Poids : 190 grammes.
Le foie pèse 950 grammes, il est assez volumineux proportionnellement;
périhépatite avec adhérences assez serrées avec diaphragme ; un peu graisseux,
mais surtout très congestionné.
Les reins pèsent 130 grammes, sont plutôt pâles, substances médullaire et
corticale peu différenciées ; se décortiquent assez bien.
La rate pèse 40 grammes, putréfiée ; rien d'anormal.
Les capsules surrénales saines macroscopiquement, pèsent 4 gr. 29 cen-
tigrammes (après 2 jours de formol).
Testicules : les deux testicules existent. l'un d'eux dans l'anneau, rien
d'anormal microscopiquement, sauf leur petit volume. Les deux avec épidi-
dyme et pédicule, le droit pèse 2 gr. 57, le gauche pèse 2 gr. 6 centigrammes.
La glande thyroïde : elle paraît peu atrophiée relativement, les deux lobes
pèsent 6 gr. 12 centigrammes, le droit pèse 3 gr. 54 'centigrammes, le gauche
pèse ') gr. 58 centigrammes.
A l'ouverture de l'abdomen : pannicule graisseux très abondant et épais.
Epaisseur au niveau de l'ombilic : 3 centimètres. Graisse jaune, ferme.
Crâne peu épais, quelques orifices dans les deux pariétaux près de la suture
médiane gros comme une tête d'épingle. Un ou deux trajets obliques.
Dure-mère : rien d'anormal, épaisseur relativement normale. Liquide cépha-
lo-rachidien pas très abondant.
Hémisphères non décortiqués, paraissent extérieurement normaux. Sur la
face inférieure du cerveau la glande pituitaire apparaît enchâtonnée dans une
tumeur développée dans son pédicule du volume d'une petite noix muriforme,
blanchâtre, de consistance crétacée. Elle ne paraît pas augmentée de volume.
L'ensemble est conservé tel que dans le formol et pèse 1.210 grammes.
Examen histologique : Cerveau. La pie-mère est légèrement épaissie,
infiltrée de noyaux cellulaires, contenant des vaisseaux très congestionnés,
mais dont les parois ne sont pas altérées.
La face externe (arachnoïdale) est tapissée de 2 ou 3 assises de cellules cu-
biques qui, dans certains points, forment de petits nodules ou des excroissan-
ces ; la face interne est par endroit adhérente au cortex.
La couche moléculaire du cerveau est scléreuse : les cellules de névroglie
y sont multipliées.
Les capillaires du cortex sont aussi congestionnés, dans leur espace périvas-
culaire on trouve du pigment ocre (hémoglobine).
Les cellules nerveuses sont altérées, mais principalement les cellules pyra-
midales de Betz qui sont déformées, globuleuses, à protoplasma se colorant
en masse, à noyau excentrique.
242 VIGOUROUX ET DELMAS
Au Weigert ; les fibres nerveuses sont grêles, mais ne présentent pas d'al-
tération.
Le bulbe et la moelle ne présentent pas d'altération.
La glande pituitaire normale. Les cordons de cellules épithéliales polyé-
driques du lobe antérieur sont normalement constitués. Les cellules ont leur
protoplasma bien différencié et leurs noyaux granuleux bien colorés.
Corps thyroïde. - Les vésicules sont tapissées de cellules épithéliales
normales et pleines de substance colloïde, parfois il y a prolifération de cellules
épithéliales et de cellule. Le tissu conjonctif paraît peu augmenter.
Le testicule : est le siège d'une atrophie scléreuse. De l'albuginée partent
de larges tractus fibreux formés par des fibres très fines et flexueuses qui
enserrent des canalicules atrophiés ou non développés.
Sur la paroi propre du canalicule sont situées des cellules épithéliales cubi-
ques à gros noyaux rangés sur une ou deux couches. Ces cellules épithélia-
les ne sont pas différenciées et on ne peut distinguer ni cellules de Sertoli ni
aucune cellule de la lignée séminale : spermatogonie, spermatocyte, etc., les
noyaux sont sphériques,mais pas en voie de segmentation.
Dans les travées fibreuses on ne trouve aucune CELLULE interstitielle.
Capsules surrénales saines, normales. Peut-être cellules chromaffisses moins
nombreuses.
Reins congestionnés, quelques glomérules fibreux.
Foie congestionné, normal.
NOTA. - Ces préparations ont été montrées à la Société anatomique dans
sa séance du 23 novembre 1906. L'absence des cellules interstitielles dans les
testicules a été spécialement vérifiée par M. Lecène dont la compétence est toute
particulière. Il bien voulu se charger de faire de nouvelles coupes et de
nouvelles colorations afin de pouvoir affirmer qu'elles n'existaient pas.
CLINIQUE OPHTALMOLOGIQUE DE LA FACULTÉ DE BORDEAUX
MYDRIASE HYSTÉRIQUE
PAR
Ch. LAFON ET M. TEULIÈRES
Chef de clinique, Interne des hôpitaux.
Nous avons eu la bonne fortune d'observer, dans le service de notre
maître, le professeur Badal, un cas fort curieux de mydriase paralytique .
maximale, dont la nature hystérique ne nous paraît pas douteuse.
La rareté des faits analogues et surtout les discussions auxquelles a
donné lieu l'existence de la mydriase hystérique, nous ont engagé à pu-
blier cette observation.
Observation
Albert R..., âgé de 34 ans, horloger, vient a la clinique le 19 mars 1907
pour une mydriase droite.
Il n'a pas d'antécédents héréditaires 1 mentionner. Il a joui d'une bonne
santé jusqu'en 4905 ; il a fait son service militaire, s'est marié, et a eu deux
enfants bien portants ; sa femme u'a pas fait de fausse couche. Il n'a eu d'autre
affection oculaire qu'un orgelet, l'an dernier, et on ne lui a jamais instillé d'a-
tropine. Il y a deux ans, le malade fut atteint de néphrite épitliéliale doulou-
reuse, avec du sable dans l'urine ; le professeur Pousson, soupçonnant un
calcul, pratiqua une néphrotomie à gauche ; on ne trouva pas de calcul, mais
l'intervention amena la guérison. Depuis lors, le malade a eu, à deux reprises,
delà rétention d'urine, qui a cédé, chaque fois, à un seul cathétérisme ; le
professeur Pousson n'a pu découvrir la cause de cette rétention et c'est pour
savoir s'il n'existait pas une relation avec la mydriase qu'il nous a adressé le
malade.
Albert R... ignore quand a débuté sa mydriase ; il prétend avoir toujours eu
sa pupille droite dilatée, mais il ne s'en préoccupa pas, car il n'en a jamais été
gêné ; le médecin qui l'examina au conseil de révision constata son existence
et, depuis lors, plusieurs autres médecins l'ont remarquée.
A droite, il existe une mydriase complète, maximale; la dilatation est aussi
prononcée que celle que l'on obtient par l'atropine et l'iris est réduit à un
mince liseré. La réaction à une lumière, même intense, est absolument nulle,
ainsi qu'on peut s'en rendre compte par l'observation à la loupe oculaire. Les
réflexes à la convergence et à la douleur, ainsi que le réflexe consensuel;
244 LAFON ET teulières
n'existent pas ; en somme, l'iris est absolument immobile. La cornée et la con-
jonctive ont gardé leur sensibilité et le réflexe cornéen est très vif. Le tonus
oculaire est normal.
A gauche, la pupille est moyennement dilatée ; elle est régulière et légère-
ment décentrée en haut et en dedans, ce qui peut être considéré comme nor-
mal. Elle paraît ne pas réagir à la lumière du jour ; avec un éclairage électrique
intense, on constate, à la loupe oculaire, une légère contraction d'assez courte
durée. Le réflexe à l'accommodation existe, mais très faible ; pas de réflexe à
la douleur. Sensibilité cornéenne, conjonctivale et réflexe cornéen normaux.
, L'examen de la réfraction à l'image droite et à la.skiascopie donne les résul-
tats suivants :
0. D. myopie de 6 dioptries.
0. G. myopie de 8 dioptries.
, A l'ophtalmomètre, on ne trouve pas d'astigmatisme cornéen.
Examen ophtalmoscopique : des deux côtés, staphylome myopique en crois-
sant ; à gauche, la lésion est plus étendue.
Acuité visuelle :
MYDI\1ASE HYSTÉRIQUE 245 1")
marquée. Les réflexes cutanés et tendineux sont normaux ; pas de troubles
appréciables des sensibilités viscérales, tendineuses et osseuses profondes. ,
Le malade n'a jamais eu de « crises nerveuses » ; les personnes de son
entourage nous ont assuré qu'il avait un caractère gai, très calme, peu impres-
sionnable et nullement coléreux.
Elude de la mydriases En voulant étudier l'action de l'ésérine sur cette
mydriase, nous avons été conduits à faire une série d'expériences que nous
allons rapporter maintenant.
1° Instillation d'une goutte d'eau froide dans l'oeil droit ; le contact de cette
goutte provuque une contraction énergique de l'iris ; le diamètre pupillaire se
réduit à 2 millimètres. Cette contraction est de courte durée et l'iris reprend
progressivement sa position première , la mydriase est redevenue maximale
au bout d'une minute environ.
po En instillant toutes les minutes une goutte d'eau froide, on provoque
chaque fois la contraction de l'iris ; mais cette contraction devient de moins
en moins énergique et son amplitude va en diminuant.
3° Nous obtenons les mêmes résultats avec de l'eau à 37°.
tir Instillation d'une goutte d'ésérine à 0,5 0/0. Nous observons d'abord les
mêmes phénomènes qu'avec l'eau pure et l'iris ne tarde pas à reprendre sa
position première. Au bout de 6 minutes la pupille commence à se rétrécir et
il ne tarde pas à se produire un myosis intense; le malade accuse une sensa-
tion de tension dans son oeil et il prétend voir plus mal qu'auparavant ; il a a
maintenant une myopie de 12 dioptries, ce qui indique une contracture du
muscle ciliaire ; il est du reste facile de mettre en évidence cette contracture
de l'accommodation. En outre, le malade prétend voir tous les objets avec uue
teinte verte (chloropsie). La contracture de l'iris et du muscle ciliaire a eu sa
durée normale et a disparu progressivement.
5° Instillation d'une goutte de cocaïne à 4 0/0. Mêmes phénomènes immé-
diats que pour l'eau pure ; l'iris ne tarde pas à reprendre sa position première
et la mydriase n'est pas inllueucée. Anesthésie normale de la cornée et de la
conjonctive ; légère parésie de l'accommodation.
6o Instillation d'une goutte d'atropine à 0,5 0/0. Mêmes phénomènes que
pour l'eau pure ; quand l'iris a repris sa position première la mydriase n'est
pas plus prononcée ; paralysie totale de l'accommodation qui dure une huitaine
de jours ; le malade n'en éprouve aucune gène à cause de sa myopie.
7° Pendant que l'oeil est sous l'action de l'atropine, l'instillation d'une goutte
d'eau n'a plus aucun effet; il en est de même de l'électricité dont nous allons
parler maintenant.
8° Nous nous sommes servis des courants alternatifs ; l'électrode positive
est placée dans le dos et l'électrode négative sur l'oeil, la paupière étant fermée.
Les courants faibles n'ont eu aucune action ; avec des courants d'intensité
moyenne, nous avons obtenu une contraction progressive assez lente : au bout
d'une minute environ, la pupille droite avait les mêmes dimensions que la gau-
che ; cette contraction n'a pas duré et l'iris a repris peu à peu sa position pre-
mière. 1
246 LAFON ET TEUL1ÈRES
9° A gauche, l'iris et l'accommodation réagissent normalement à l'action des
collyres ; mais l'instillation d'eau pure ne provoque aucune réaction ; il en est
de même de l'électricité.
Dans l'étude qui va suivre, nous ne nous arrêterons pas à la paresse du
réflexe photo-moteur gauche ; cette paresse n'a pas grande signification.
Nous ne nous occuperons que de la mydriase droite.
Avant de rechercher la cause de cette mydriase, il convient, croyons-
nous, de discuter une importante question : cette mydriase est-elle para-
lytique ou spasmodique ?
Voyons d'abord les caractères différentiels que la plupart des auteurs
assignent à ces deux formes.
a) Mydriase paralytique (paralysie de la 1111, paire). La pupille pré-
sente une dilatation peu considérable, moyenne ; son diamètre est égal
à celui de la pupille saine dans l'obscurité complète. Les réflexes à la
lumière et à l'accommodation ont disparu, tandis que le réflexe cutané serait
conservé ( ? ). En outre, souvent le muscle ciliaire est intéressé ; et il existe
des faits irréfutables, où une lésion circonscrite n'a provoqué qu'une para-
lysie de l'iris. Dans son étude sur « l'exploration de la pupille », Cop-
pez (1) a indiqué les particularités suivantes : l'atropine et la cocaïne
augmentent la dilatation ; l'ésérine conserve toute son action et produit
un myosis intense. En somme la mydriase que nous avons observée ne
répond pas du tout à ces symptômes classiques et ne serait donc pas para-
lytique.
b) Mydriase spasmodique (excitation du grand sympathique cervical). La
dilatation peut être fort variable ; tantôt elle est intense, maximale ; tan-
tôt, au contraire, elle est moyenne. Les réflexes à la lumière, à la con-
vergence et à la douleur sont conservés, quelque légers qu'ils soient. Le
muscle ciliaire n'est jamais atteint, mais l'irritation du grand sympathique
entraîne très fréquemment des troubles vaso-moteurs de la face. L'épreuve
des collyres donne les résultats suivants : l'atropine produit une dilata-
tion maximale, si celle-ci n'existait pas déjà ; la cocaïne au contraire est
sans action ; l'ésérine enfin rétrécit la pupille, mais moins que dans les
cas de mydriase paralytique. Ici encore, ce tableau clinique ne répond pas
à celui que nous avons observé.
Ainsi donc, en nous en tenant à la symptomatologie classique, il nous
est impossible de faire entrer notre cas dans une de ces deux formes de
mydriase. Dans une circonstance analogue, Aurand et Frenkel (2) ont été
obligés d'accepter l'existence simultanée « d'une paralysie des filets mo-
(1) CoppEz, Arch. d'Opht., 1903.
(2) AURAND et FRENKEL, Revue de Méd., 1896.
MYDRIASE HYSTÉRIQUE 247 7
teurs et d'une excitation des filets sympathiques de l'iris » pour expliquer
les symptômes qu'avait présentés leur malade.
On nous permettra de faire une remarque importante à ce sujet. Les
signes que tous les auteurs attribuent à la mydriase paralytique sont ceux
que produit une lésion organique siégeant soit sur le noyau irido-cons-
tricteur du moteur oculaire commun, soit sur les filets iriens de ce nerf
jusqu'à leur entrée dans le ganglion ciliaire. De même les signes de la
mydriase spasmodique sont ceux que provoque l'excitation du centre
irido-dilatateur de la moelle cervicale ou des filets sympathiques jusqu'à
leur entrée dans le ganglion ciliaire. Nous connaissons bien ces deux for-
mes, que l'on observe souvent en clinique, et qu'il est facile d'étudier
par l'expérimentation. Mais la plupart des auteurs, qui discutent la pa-
thogénie des troubles pupillaires, ne tiennent compte que de ces deux
types et raisonnent comme si l'iris était directement innervé par le moteur
oculaire commun et par le grand sympathique. Or cette conception
n'est pas juste, car les muscles iriens sont en réalité sous la dépen-
dance du ganglion ciliaire. Les expériences faites sur les mammifères
supérieurs ont montré que le moteur oculaire commun n'agit sur les
muscles de l'iris que grâce au ganglion ciliaire, qui reçoit l'excitation de
ce nerf et la transmet, au moyen d'une articulation neuronique de na-
ture sympathique, à la musculature lisse de l'iris. Comme le fait remar-
quer Coppez (1) avec beaucoup de justesse, « ici comme ailleurs, les
muscles lisses sont innervés par un ganglion sympathique sous la dépen-
dance d'un nerf moteur ».
Donc, au lieu de rapporter tous les troubles moteurs de l'iris à des
lésions siégeant en amont du ganglion ciliaire, il est logique d'admettre
l'existence de troubles fonctionnels ou organiques ayant leur origine soit t
dans les cellules motrices du ganglion ciliaire, soit dans les filets moteurs
des nerfs qui en émanent. Malheureusement nous ignorons à peu près to-
talement les symptômes des troubles morbides, qui peuvent se produire
dans ce ganglion ou dans ses nerfs centrifuges. Ce que nous en savons
nous a été appris par la physiologie.
On sait que la nicotine est un poison spécifique des cellules sym-
pathiques ; injectée dans l'orbite du singe, son action élective se manifeste
par la destruction des cellules sympathiques du ganglion ciliaire ; cette
lésion a pour conséquence la production d'une mydriase maximale, avec
perte des réflexes.
Avant les travaux de Schultze (2), on était obligé, pour expliquer l'ac-
tion de l'atropine, d'invoquer une paralysie de la III° paire et une excita-
(1) COPPEZ, loc. cit.
(2) Schultze, Arch. für Anat. und. Physiol., 1898.
248 LAFON ET TEULIÈRES
tion simultanée du grand sympathique. Cet auteur a démontré que ce-
poison agissait simplement en paralysant les terminaisons nerveuses du
sphincter de l'iris.
La cocaïne, au contraire, présente deux actions successives : tout d'a-
bord, elle excite les terminaisons nerveuses du dilatateur de l'iris, d'où
légère mydriase avec conservation des réflexes ; cette dilatation est iden-
dique à celle que provoque l'excitation du sympathique. Plusieurs heures
plus lard,' la cocaïne paralyse les terminaisons nerveuses du sphincter et
agit alors comme l'atropine ; mais cela ne se produit guère qu'avec des
solutions fortes.
Ainsi donc, l'expérimentation nous démontre que la paralysie des cel-
lules sympathiques du ganglion ciliaire ou celle des terminaisons nerveu-
ses du sphincter de l'iris produisent une mydriase maximale avec perte
des réflexes.
L'existence de cette dilatation paralytique totale n'est pas en contradic-
tion avec la mydriase moyenne, que produit la paralysie du moteur ocu-
laire commun, et ces deux types peuvent parfaitement s'expliquer. Les
filets irido-moteurs contenus dans la IIIe paire ont pour rôle unique de
provoquer la contraction du diaphragme irien sous l'influence des impres-
sions rétiniennes, de la convergence, de la douleur, etc... La paralysie
de ces filets ne fait qu'interrompre l'arc réflexe, mais le sphincter lui-
même n'est pas atteint. L'iris, n'étant plus soumis aux excitations exté-
rieures, se place dans sa position d'équilibre, c'est-à-dire que son diamètre
est égal à celui de l'iris normal dans l'obscurité et le repos absolus; le
tonus du sphincter est équilibré par le tonus du dilatateur. Si le sphincter
lui-même vient à être paralysé, c'est ce que produit l'atropine, l'é-
quilibre est rompu ; le dilatateur conserve seul son action, ce qui produit
une mydriase maximale. Réciproquement, l'ésérine rompt aussi l'équilibre,
en excitant le sphincter, d'où myosis intense.
Nous admettrons donc que nous avons observé chez notre malade un cas
de mydriase due à un trouble paralytique siégeant soit dans le ganglion
ciliaire, soit dans les nerfs qui en émanent.
La cause de cette mydriase mérite de nous arrêter quelques instants.
Son unilatéralité nous permet d'éliminer a priori tous les facteurs étiolo-
giques généraux. D'autre part, la facilité, avec laquelle nous avons pu
provoquer la contraction de la pupille, suffit à démontrer qu'il ne s'agit
pas d'une lésion anatomique de l'iris lui-même ; enfin rien dans l'état de
l'oeil ne peut l'expliquer. Il nous faut donc rattacher cette mydriase à un
trouble de l'innervation locale.
9 Causes organiques. - Nous croyons avoir démontré que cette my-
driase était due à une paralysie du sphincter. Or, si cette paralysie était
MYDRIASE HYSTÉRIQUE 249
organique, il nous eût été impossible de provoquer la contraction de la
pupille, surtout par des moyens aussi simples que l'électricité ou que
l'instillation d'unegoutte d'eau. En outre une paralysie organique durant
depuis aussi longtemps aurait entraîné des lésions atrophiques de l'iris.
2° Causes fonctionnelles. a) Peut-on incriminer le vice de réfraction
du malade° On sait que les myopes ont souvent la pupille plus large que
les emmétropes et les hypermétropes ; mais cette dilatation est légère et
les réflexes sont conservés. D'autre part le malade a une myopie de 6 diop-
tries à droite et il travaille sans verre correcteur : il ne se sert donc pas
de son accommodation. En outre, n'ayant pas la vision binoculaire, il ne
met pas en jeu sa convergence. Ces particularités ont peut-être été des
causes adjuvantes, mais nous les croyons incapables d'avoir provoqué à
elles seules une paralysie du sphincter.
b) La possibilité d'une crampe professionnelle est encore une hypo-
thèse que l'on peut envisager. Un examen rapide nous permet cependant
de l'éliminer ; la crampe, en effet, est la contracture d'un muscle en tra-
vail ; notre malade, qui est horloger, travaille sur des objets très éclairés
et la loupe concentre sur sa rétine les rayons lumineux ; aussi pendant
son travail sa pupille devrait être contractée et logiquement la crampe de
l'iris devrait se traduire par du myosis. On pourra nous objecter que
la contraction longtemps prolongée du sphincter a provoqué simplement sa
fatigue, d'où affaiblissement de son tonus et prépondérance du dilatateur.
Nous répondrons à cela que la mydriase existait avant que le malade se
servît de la loupe ; de plus nous ne pouvons admettre qu'un muscle,
fatigué au point de ne plus réagir du tout à ses excitants naturels (lumière,
convergence, douleur, etc.), puisse se contracter d'une façon aussi in-
tense sous l'influence d'excitations, qui sont normalement sans action sur
lui.
c) Il nous faut donc envisager la possibilité d'une paralysie hystérique
du sphincter de l'iris. Cette hypothèse seule nous permet d'expliquer
certains faits, que nous avons signalés dans l'observation : la facilité avec
laquelle nous avons provoqué la contraction du sphincter par des moyens
qui n'ont normalement aucune action sur la pupille (instillation d'une
goutte d'eau,courants alternatifs); la conservation de la puissancemyotique
de l'ésérine; l'intégrité du 'parenchyme de l'iris, qui n'a pas été altéré
par la longue durée de la mydriase. Ces divers caractères impliquent l'ab-
sence de toute lésion organique des nerfs irido-moteurs.
Notre malade a présenté, en outre, divers symptômes, qui viennent
corroborer l'hypothèse d'hystérie. Nous savons que chez les sujets sains
la mydriase maximale provoque une photophobie intense ; or notre malade,
nous l'avons dit, travaille à une lumière vive sans la moindre fatigue et
xx vs
250 LAFON ET TEULIÈRES
seul le grand soleil lui donne un léger éblouissement ; il existe donc
une diminution de la sensibilité rétinienne pour la lumière ; comme l'a
montré Parinaud, cette anésthésie pour la lumière est compatible avec
une sensibilité normale pour les couleurs et avec une acuité visuelle nor-
male. Il existe en outre un rétrécissement concentrique du champ
visuel pour le blanc, avec conservation du champ des couleurs. La vision
verte qui s'est manifestée après l'instillation d'ésérine nous paraît être un
phénomène de même nature ; on ne sait que fort peu de choses sur la
chloropsie et les auteurs la considèrent comme la première phase de
l'érythropsie ; mais le malade n'a pas eu de vision rouge. Il faut encore
signaler l'hémi-hypoesthésie gauche, c'est-à-dire du côté où fut pratiquée
la néphrotomie, et les crises de rétention passagère d'urine, sans cause
organique, et cédant à un simple cathétérisme.
L'existence de la mydriase hystérique est une question des plus contro-
versées et beaucoup d'auteurs ne l'admettent pas. Dans son important
article sur « les troubles oculaires dans l'hystérie », Parinaud (1) ne pro-
nonce pas son nom, même pour l'éliminer ; Brinswanger (2) pense que
« tous les cas de mydriase hystérique peuvent s'expliquer soit par une
lésion organique, soit par l'usage de l'atropine par les malades à l'insu de
l'observateur. » Il faut avouer en effet que beaucoup de mydriases hysté-
riques sont suspectes et il faut toujours soupçonner l'emploi clandestin de
l'atropine; on ne peut envisager la possibilité de cette supercherie chez
notre malade, car l'accommodation avait conservé toute son amplitude. De
même dans quelques rares cas de mydriase considérée comme hystérique,
l'autopsie a démontré la présence de lésions organiques ; mais ces faits ne
suffisent pas à légitimer le rejet de la mydriase hystérique. Les auteurs
qui n'admettent pas son existence s'appuient sur ce que les centres pupil-
laires ne sont pas soumis à la volonté; dès lors.il leur semble que ces
centres doivent échapper aux manifestations de la névrose. Cette objection
toute théorique a beaucoup perdu de sa valeur et la publication de faits
précis montre que l'on ne doit pas être si absolu ; il faut accepter la my-
driase hystérique.
La discussion s'étend aussi à la nature de cette mydriase : pour
Schwartz (3), il n'existerait pas de mydriase paralytique ; c'est aussi l'opi-
nion de Dejerine (4), parce que l'ésérine était sans action sur les dilata- «
tions dont ils ont eu connaissance. Sans nier la mydriase spasmodique,
(1) PARINAUD, Annales d'ocul., CXXIV, 1900.
(2) BR1NSWANf3ER, Die Hystérie, Handbuch von Notlznagel, Vienne, 1904.
(3) ScHWARTz, Die Bedeulung des Augenstorungen für die Diagnose der Krankeithei-
ten, 1898.
(4) DEJERINE, Traité de Path. générale de Bouchard, 1900.
MY0RIASE HYSTÉRIQUE 251 t
nous croyons que le type paralytique existe et qu'il est même plus fré-
quent que d'aucuns le supposent. Ce qui a égaré beaucoup d'auteurs, c'est
qu'ils ont voulu expliquer la mydriase maximale par les seuls troubles du
moteur oculaire commun ou du grand sympathique cervical, sans tenir
compte du ganglion ciliaire ; la paralysie de la IIIe paire ne pouvant pro-
duire seule cette dilatation maximale, ils ont dû invoquer l'excitation du
sympathique.
Beaucoup d'observations de mydriase hystérique sont trop incomplètes
ou trop peu explicites pour servir utilement à l'étude de cette affection ;
on peut néanmoins établir que la forme paralytique peut seprésenter sous
deux types :
1 Paralysie du moteur oculaire commun : les signes sont identiques à
ceux des paralysies organiques ; il y a fréquemment des paralysies conco-
mitantes du muscle ciliaire ou de certains muscles extrinsèques.
2° Paralysie du sphincter : la mydriase est maximale et toutes les réac-
tions de la pupille sont abolies, comme dans la dilatation atropinique ;
mais le muscle ciliaire n'est pas intéressé et l'ésérine a conservé toute sa
puissance. C'est là le type que nous avons observé ; nous rapprocherons
de ce fait les cas de Borel (1) et de Max Weil (2).
En résumé nous ne croyons pas qu'on puisse mettre en doute l'exis-
tence de la mydriase paralytique hystérique ; mais on ne saurait être trop
circonspect avant d'en affirmer le diagnostic. Dans son étude de la séméio-
logie pupillaire, Morax (3) dit : « On ne devra admettre'hystérie qu'après
avoir écarté toutes les autres interprétations ». Nous trouvons ce principe
trop large et nous croyons que le diagnostic de la mydriase'hyslérique
doit être soumis à la règle suivante : on ne devra penser à la possibilité de
l'hystérie qu'après avoir écarté toutes les autres interprétations ; mais on
ne sera autorisé à l'admettre, que s'il existe d'autres symptômes positifs
de la névrose.
(1) BouaL, Annales d'ocul., CXXIII, 1900.
(2) Mm Weil, Neurolog. Centralblatt, 1899.
(3) Moraux, Encyclopédie franc. d'Opht , IV, 1905.
NOTE SUR LA FOLIE HASCHICHIQUE
(A PROPOS DE QUELQUES ARABES ALIÉNÉS PAR LE HASCHICH)
Auguste MARIE
(de Villpjtiif).
Dans tous les climats et pour toules les races humaines il existe des
substances, empruntées au règne végétal le plus souvent, à l'aide des-
quelles l'homme s'intoxique, c'est-à-dire modifie volontairement son équi-
libre nerveux pour se donner une excitation ou une anesthésie variables
selon les doses employées.
Tantôt c'est par les voies digestives, tantôt par les voies respiratoires
que le plus souvent l'absorption se fait. L'emploi de substances chimiques
et des voies hypodermiques est tout moderne et encore relativement peu
étendu.
Parmi les toxiques relativement anciens et que l'Orient pratique avec
une vogue qui n'a d'égale que celle des alcools en Occident et ailleurs, il
faut citer le haschich et l'opium.
L'opium se réfère plutôt à l'Extrême-Orient.
Le haschich est plus caractéristique de l'Europe sud-orientale, de l'Asie
occidentale et de l'Afrique musulmane. Il est vrai que la pénétration en
Occident semble imminente, pour l'opium comme pour le haschich.
Aux confins des deux zones, opium et haschich se combinent d'ailleurs,
comme les statistiques des Asiles des Indes (1) le montrent, de même qu'en
Turquie et Afrique nord, alcool et haschich commencent à se combiner
dans les moeurs indigènes modernes des centres européanisés.
(1) Tableau des folies haschichiques et opiomaniaques placées en 1905 à l'asile du
Pendjab :
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. PL XLVII
ARABES ALIENES. FOLIE HrISCHICHIQUE
(Auguste Marie de Villejuif) .
Masson et Ci-, Éditeurs
rhototy[no Bertrand, Pans.
. NOTE SUR LA FOLIE HASCRIICHIQUE 253
Quoi qu'il en soit, le haschich est encore plus spécialement le toxique
usité au pays turc, c'est à ce titre que l'Egypte musulmane encore sous
l'influence des moeurs turques offre à considérer de fréqnents exemples de
maladies par hascbichisme. Les psychoses et névroses sont ici comme pour
les autres toxiques les affections les plus fréquentes et les plus sérieuses.
Ayant eu l'occasion d'observer la folie haschichique au Caire, je donne
ici quelques photographies recueillies grâce à l'obligeance de notre collègue
M. le Dr Warnock, médecin-directeur de l'asile d'Abbassieh (PI. XLVII).
Le haschich usité en Orient vient de Grèce, où le chanvre indien cultivé
est préparé en drogues diverses pour l'usage de la pipe ou bien pour l'in-
gestion par la bouche.
Ces préparations portent des noms divers selon les pays et selon les
espèces de chanvre, la qualité de l'extrait, son mode de préparation et d'ex-
traction.
Le Dawamesk ou extrait gras est sucré et aromatisé de canelle, pistache,
poivre et muscade, additionné de musc, cantharide et noix vomique, il se
mange chiqué sous forme de bol ou mêlé à des gelées de fruits.
Le haschich (gozah) se fume aussi dans une pipe spéciale d'environ
50 à 60 centimètres de long il fourneau perpendiculaire où la pastille
brûle avec ou sans feuilles aromatiques. Des locaux spéciaux ou masche-
chels, sorte de cafés arabes, sont généralement les lieux de fumeries collec-
tives.
Aux Indes anglaises, le haschich à fumer porte le nom deganja et chara
selon qu'il est ou non combiné au tabac et à l'opium, tandis que ce
dernier se présente sous deux variétés appelées madruk et chandu, éga-
lement employées à la pipe ; l'opium à manger forme une troisième variété
également à part. Ces expressions de Dawamesk, Gozah ou Ganja, Chara,
Bhang, Madruk et Chandu émaillent fréquemment les rapports médico-
administratifs des asiles d'aliénés hindous, et il n'est pas toujours facile de
débrouiller nettement les étiologies toxiques de ces divers ordres pour faire
la part exacte des genèses exotoxiques de l'aliénation mentale de ces po-
pulations.
En Egypte, la culture et l'importation du haschich furent interdits en
1868, mais en 1874 il fut permis d'en importer après payement d'un droit.
En novembre 1877 un ordre arriva de Constantinople que tout le has-
chich importé en Egypte, soit saisi et détruit ; finalement en mars 1879
l'importation et la culture du haschich fut interdite par édit du Khédive.
En mars 1884 il fut prouvé que le haschich prohibé était vendu par les
douanes au lieu d'être détruit comme auparavant et les produits étaient
partagés par les agents et les officiers qui avaient fait la saisie. Cette me-
sure était rendue nécessaire, dit M. Caillard, le Directeur général des
254 MARIE
douanes, par l'absence de l'argent qui pouvait leur être distribué, pendant
que d'autre part les profits de la contrebande étant très grands, de grosses
sommes étaient versées par les contrebandiers pour s'assurer du silence
ou de la complicité des officiers de la douane, gardes-côtes et autres.
Un grand nombre de gens s'occupaient de ce commerce de contrebande
dont beaucoup n'avaient que ce moyen d'existence. Une grande ingénio-
sité était déployée par les contrebandiers dans ce commerce illicite, et
pas plutôt une ruse était-elle éventée qu'une autre naissait. Le grand
obstacle était que la répression complète de la contrebande était refusée
par quelques Etats européens qui ne reconnaissaient pas au gouverne-
ment égyptien le droit de recherche dans les magasins suspectés et de
punir les délinquants par la confiscation. Vue l'impossibilité de suppri-
mer la contrebande du haschich ; on tend à abolir la prohibition du poi-
son et à le frapper d'une taxe (9 s 3 d par Ib), en outre d'une taxe de
licence de vente. Il se consomme annuellement en Egypte 140.000 livres
malgré la défense. Ce haschich est manufacturé principalement en Grèce.
En Egypte, dit M. le Dr Warnock, ces statistiques sont rigoureuses de-
puis 1895.
Pendant les six années 1896-1901, parmi les 2S64 cas d'aliénés du
sexe masculin admis à l'hospice des aliénés égyptiens du Caire,689 furent
attribués à l'abus du haschich, soit environ 27 0/0. Très peu d'internés du
sexe féminin avaient fait usage du haschich,et il est notoire que la folie est
trois fois plus commune chez les hommes qui font usage du haschich
que chez les femmes qui emploient relativement rarement cette drogue.
Cette différence dans la moyenne des aliénations entre les sexes est
significative, et tend à démontrer grandement l'importance du haschich
comme cause de la folie chez les Egyptiens hommes. En Europe, l'aliéna-
tion est plus fréquente parmi les femmes que parmi les hommes (35 à 3 ! ,
en Grande-Bretagne par exemple).
La proportion des malades par le haschich sur le nombre total des
hommes malades admis en '190G à Abbassieh était de 15 0/0 : en 1905
de 14 1/2 0/0. En 1903, le pourcentage était de 18 0/0, en 1902 de
22 1/3 0/0. Il est très possible que cette grande diminution dans les
admissions des cas de haschich soit due au traitement hors l'asile, des
cas de délire transitoire, comme suite aux instructions données aux mé-
decins locaux de n'envoyer à l'asile que les cas les plus graves. C'est ainsi
que sur 208 cas de folie de toutes sortes admis à l'hôpital d'Alexandrie
pendant 1904, 37 cas seulement furent envoyés à l'hôpital d'Abbassich.
L'ivresse du haschich est euphorigène comme la plupart des ébriants
à faible dose. A un degré plus avant l'état subjectif de rêve devient un
NOTE SUR L\ FOLIE HASCllICHIQUE 235 5
véritable délire onirique persistant et inhibant le courant centripète des
excitations réelles.
Les synesthésies les plus complexes s'éveillent alors avec les associations
intenses et l'évocation d'impression antérieures. L'illusion de puissance
intellectuelle et de compréhension nouvelle donne à certains l'illusion de
possessions par des puissances surnaturelles, et l'exaltation prophétique.
La physionomie de certains de ces délirants au début est caractéristique
du visionnaire à délire onirique euphorique et exalté (Fig. I et II).
A un degré plus avant, l'excitation se manifeste par de l'excitation in-
cohérente avec insomnie et verbigération sans suite, puis vient la fatigue
et l'épuisement avec dépression et orientation fâcheuse du courant des
sensations (Fig. III et IV), illusions et hallucinations des divers sens. Les
idées de persécution se développent alors et quelques idées hyponchon-
driaques ou mélancoliques, mais rarement surviennent les réactions sui-
cides.
En revanche, les réactions médico-légales fâcheuses autres ne sont pas
rares.
Le caractère érotique de l'excitation spinale dû au haschich se mani-
feste dans l'ivresse comme dans le délire ultérieur ; à l'excitation sexuelle
se lient les attentats divers aux moeurs et à la pudeur, exhibitionnismes,
viols, etc. Cependant les manifestations délirantes objectives sont moins
marquées quelquefois que dans l'alcoolisme en raison de l'apathie motrice
due au toxique. La démarche chancelante et les tremblements ataxiques
peuvent s'observer au début dans l'ébriété comme au déclin des accès dé-
lirants transitoires, bien que plus rares que dans le delirium trevaens.
Si le malade n'est pas isolé et sevré à temps, peut apparaître l'accès de
manie haschichique. Les réactions actives s'accumulent alors avec une ra-
pidité d'impulsion marquée que les tremblements ne gênent pas, en rai-
son de la rapidité même. 1
Le délire aigu mortel avec épuisement rapide et forme galopante sub-
fébrile peut s'observer, mais aussi la confusion mentale onirique peut
passer l'état chronique ; une systématisation secondaire peut s'établir
ou se retrouvent les caractères précités du délire transitoire (persécutions
et possessions, mégalomanies prophétiques) ; c'est le cas, semble-t-il, des
sujets à dégénérescence héréditaire préalable ; d'autre part, la dèmence
précoce peut s'établir plus ou moins vite (Fig. V).
Les cas d'haschichisme à rechute ne sont pas moins fréquents que dans
l'alcoolisme chronique. Dans les intervalles des accès d'haschichisme, ces
malades restent alors les. déclassés moralement dégradés et inaptes à la
lutte normale pour l'existence, vagabonds, mendiants, malfaiteurs, réci-
divistes du vol, du mensonge et des outrages à la pudeur, ils sont le fléau
256 MARIE E E
des milieux sociaux et familiaux auxquels ils appartenaient, et sur les-
quels ils ne sont plus capables de subsister qu'en parasites usant de ruse
ou de violence pour satisfaire quand même leur passion.
Ce sont des dégénérés acquis passant de la prison à l'asile et inverse-
ment. Parmi eux, certains seraient, des haschichomanes intermittents à
part, comme les dipsomanes distincts des alcooliques (Fig. VI).
Le haschich agit sur la genèse de la criminalité et de la folie non moins
que l'alcool chez nous; si le suicide en résulte plus rarement, cela peut
provenir de ce que la religion mahométane y pousse moins et que dans
les autres formes de folie il est également rare chez l'Arabe.
Au demeurant le haschich ne fait pas de dégâts plus considérables que
l'alcool, peut-être même moins, et les administrateurs anglais et égyp-
tiens se demandent si la croisade anti-haschichique ne tournerait pas au
profit de l'alcool plus nuisible encore.
L'alcool est, dans d'autres pays, une cause si fertile de crimes et de
folie que sa substitution au haschich en Egypte empirerait probablement
l'état des choses. L'alcool paraît aussi avoir une action plus délétère, spé-
cialement dans les climats chauds et sur les races orientales.
La politique la plus sage en Egypte serait probablement de conserver
l'usage du haschich dans certaines limites sans le défendre entièrement
(Warnock).
L'usage du haschich, contrairement à celui de l'alcool ne semble pas
s'accompagner de lésions anatomiques caractéristiques, et il n'en résulte
généralement pas de désordres physiques notables.
AAbassieh, le diagnostic de l'aliénation par le haschich dépend de
l'historique du cas et des déclarations du malade. Le dossier de police
donne souvent des renseignements sur l'existence de l'habitude, mais à
moins qu'il ne soit confirmé autrement, ce témoignage n'est pas pris en
considération pour établir le diagnostic de l'aliénation par le haschich.
« Occasionnellement, la présence du haschich dans les vêtements du
malade ou caché dans ses oreilles ou sa bouche trahit la nature du cas. A
l'admission tout malade de sexe masculin est interrogé au sujet du has-
chich, et un rapport est dressé sur la quantité qu'il en prend et sa tolé-
rance de la dose absorbée.
« A mesure que l'état mental du malade s'améliore, il est interrogé à
nouveau au sujet du haschich et, avant sa sortie, il est invité à donner
tous les détails sur son habitude. En comparant les différents détails sur
la manière de fumer le haschich, tels que le prix de la Gozah, les diffé-
rentes qualités de la drogue, etc. ; il n'est pas difficile, dans bien des cas,
de se former une opinion pour savoir s'il s'agit d'un cas de haschich ».
L'usage excessif des drogues dérivées du chanvre est-il plus commun
NOTE SUR LA FOLIE 11ASC ! IlCIIJQUE 257
en Egypte qu'aux Indes ? Le Dr Warnock ne peut se prononcer sur ce
point, mais comme des milliers de personnes en font un usage journalier,
celles-là seules qui en font abus ou les individus particulièrement sus-
ceptibles à son action toxique, deviennent aliénés à tel point que leur état
nécessite l'internement. C'est donc plutôt un réactif révélateur des tares
latentes.
Qu'il me soit permis de rapporter en terminant les conclusions du
rapport de la commission d'enquête indienne sur l'usage des poisons
du chanvre (vol. I, 264). « L'usage modéré des drogues ne produit pas
d'effets nuisibles à l'esprit, mais l'usage excessif indique et accroît l'ins-
tabilité mentale; il tend à affaiblir l'esprit; il peut même conduire à la
folie. Il a été démontré que l'action des drogues dérivées du chanvre a été
souvent très exagérée, mais il est hors de doute qu'elles produisent quel-
quefois l'aliénation » (15 0/0 en Egypte).
Le gérant : P. Bouchez.
Imp, j, Thevenot, : 5uull-Uizier (Haute-Marne,
20° Année N° 4 JutLLEr-AoUT
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE P1RI,S ? "
(SÉANCE DU 4 JUILLET 1907) ,e 0',
(SÉANCE DU 4 JUILLET 1907) / 1
SÉANCE DU l JU1LLET 'IOÎ yR i..1 t : . ï = ? >
lQlVOIYÉLIIi; AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES
K - ET
TROUBLES TROPHIQUES INTENSES,
par
F. RAYMOND et P. LEJONNE
Professeur de Clinique Chef de clinique
des Maladies du Système Nerveux à la Salpêtrière.
Les phénomènes'bulbaires, les troubles trophiques sont des manifesta-
tions bien connues de la syringomyélie, mais il est rare de voir les uns
et les autres se rencontrer chez le même malade d'une manière aussi
accentuée; celle association fait le principal intérêt de l'étude clinique
que nous entreprenons ici. ? Observation.
' Le malade F..., âge de 18 ans, exerçait la profession de mécanicien. Il n'y
a rien à noter dans ses antécédents de famille, si ce n'est la santé remarqua-
ble et la longévité de ses ascendants ; il a encore trois grands parents vivants,
âgés de 70, 72 et 82 ans ; seul son grand-père paternel est mort, à 76 ans. Il
a cinq frères et soeurs tous en bonne santé; un seul est mort de convulsions,
à l'âge de 4 ans.
Lui-même est né à terme, dans de bonnes conditions, il n'a présenté aucune
maladie d'enfance sauf une scarlatine à 4 ans : en particulier il n'a jamais
souffert de rachitisme ; toutefois il n'a marché qu'à 18 mois.
Depuis son enfance il a présenté des végétations adénoïdes; il dormait la
bouche ouverte et ronflait ; ces végétations ont été enlevées une première
fois, il y a trois ans, à l'hôpital Boucicaut ; elles ont réapparu il y quelques
mois et ont amené à leur suite une surdité progressive. ! La maladie .actuelle paraît avoir débuté d'une manière insidieuse vers l'âge
de 10 à 11 ans ; à cette époque la mère remarqua que la main droite de son
fils était plus grosse que la gauche ; 1... avait très facilement des engelures
aux pieds et surtout à la main droite ; peu de temps après il se plaignit de
xx 17
2C2 RAYMOND ET LEJONNE
crampes dans le bras droit ; mais les accidents n'ont réellement frappé le ma-
lade et son entourage qu'en 1903. A cette époque, F..., âgé de 14 ans, quitta
/ l'école'' pour entrer en apprentissage; il commença alors à se courber peu à
/ peu vers la gauche : cette scoliose s'établit progressivement, sans douleurs ;
peu à près il eut une certaine difficulté à avaler ; cette difficulté persiste encore
actuellement, mais jamais le malade n'a avalé de travers. Vers la même épo-
que son bras droit commença à devenir plus faible. Il y a peu près un an
que F... traîne la jambe droite ; deux mois après, la jambe gauche est devenue
raide à son tour et depuis six mois la marche est très difficile.
Il y a un peu plus de deux ans le malade a consulté pour sa scoliose le pro-
fesseur Kirmisson qui lui a fait porter un corset orthopédique. Il a revu de-
puis une dizaine de fois M. Kirmisson qui finalement l'envoya la Salpêtrière en
juin 1907.
Etat actuel, 28 juin 1907. - Le malade se plaint avant tout d'éprouver
une très grande difficulté pour marcher : en effet la démarche est spasmodi-
que, les jambes sont raides et le malade les traîne difficilement sur le sol, il
use le côté externe de ses souliers.
Au contraire lorsque le malade est couché les divers mouvements se font
d'une façon spasmodique mais avec assez de force; pourtant la jambe droite
est évidemment plus faible et on s'en aperçoit surtout dans les mouvements
d'abduction et d'adduction du pied.
Les réflexes rotuliens et achilléens sont très vils ; il existe une trépidation
spinale bilatérable ainsi que la danse de la rotule.
Le signe de Babinski et celui d'Oppenheim sont positifs, tant à droite qu'à
gauche.
Il n'y a pas d'atrophie musculaire appréciable. L'examen électrique prati-
qué par M. le Dr Huet n'a montré qu'un peu de diminution simple sur les
muscles des jambes paraissant plus accentuée sur les muscles antérieurs et
externes, des deux côtés.
En examinant les membres supérieurs, on est frappé immédiatement par la
différence de coloration et de volume qui existe entre les deux mains.
L'avant-bras et la main du côté droit sont souvent parsemés de marbrures
rougeâtres ; le malade ressent à ce niveau une impression de froid, au moindre
abaissement de la température; objectivement la main est certainement plus
\' froide au toucher que celle du côté opposé. Ces troubles vasomoteurs s'exagè-
\. 'rent lorsque la température est froide, pendant l'hiver ; on peut obtenir le
\ -même résultat en faisant tremper au malade ses mains dans l'eau très froide :
% la main et l'avant-bras droits prennent alors une teinte violacée uniforme et le
|malade se plaint de fourmillements et d'engourdissement de tout le membre
i ^supérieur.
Il existe nettement une augmentation de volume de la main et du poignet
droits. L'avant-bras ne participe pas au processus d'hypertrophie ; selon les
régions il présente du côté droit un demi-centimètre à 1 cent. 1/2 de plus que
(du côté gauche ce qui est sensiblement normal.
A la main l'hypertrophie existe uniquement en largeur et la longueur des
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. XL Y III
SYRINGOEIYELIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES ET TROUBLES
TROPHIQUES INTENSES.
(Raymond ci Le jointe).
Masson et CI-, Editeurs
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. XLIX
SY1UNGOMYELlE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES ET TROUBLES
TROPIIIQUES INTENSES.
NOUVELLE Iconographie de la SALPtTRU\RF T. XX. Pl. L
SS'RI\TGn\IS') : : LIP AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES ET TROUBLES
TROPHIQUES INTENSES.
NÕUVEIIE fcOHOGRAPHIE DF IA Salpêtrierf
T. XX. Pi. LI
ï1 Rl\C;OVII'ELIF AVEC PIIEOME1OES BULBAIRES ET TROUBLES
TROPHIQUES INTENSES.
(Raymond et LfjO/lIIl).
SYRINGOMYELIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES ti(>3 3
deux mains est à peu de chose près la même. Le poignet a 1 cent. 1/2 de plus
de tour, à droite qu'à gauche; la différence en faveur du côté droit atteint
jusqu'à 3 centimètres au niveau du carpe. Les doigts sont boudinés, élargis
sur toute leur longueur, beaucoup plus gros que ceux du côté opposé; les on-
gles sont striés, cassants ; il n'y a aucune cicatrice de panaris, ni d'ulcérations
des doigts (Pl. L et LI).
La motilité des membres supérieurs n'est pas indemne; si tous les mouve-
ments spontanés sont possibles, le malade se plaint que son côté droit soit
devenu beaueoup plus faible; et de fait tandis que les mouvements du côté
gaucho s'accomplissent avec une vigueur satisfaisante, à droite les mouvements
de la racine du membre sont seuls normaux, la pronation et la supination, la
flexion et l'extension du poignet, les divers mouvements des doigts étant dimi-
nués de force d'une façon globale, sans qu'il soit possible d'établir lit une sys-
tématisation.
Les réflexes tendineux et particulièrement le réflexe olécrânien sont plutôt
un peu forts du côté gauche, tandis qu'à droite ils sont nettement affaiblis,
non seulement par comparaison avec le côté opposé, mais d'une manière abso-
lue. Il ne paraît guère, toutefois, exister d'atrophie musculaire et l'examen
électrique ne montre aucune modification.
Si l'on examine le thorax et l'abdomen de F..., on est avant tout frappé de
l'énorme scoliose qu'il présente et de la déformation thoracique qui en est la
conséquence (PI. XLIX)..
(Jette scoliose à convexité droite très prononcée se manifeste dès la première
vertèbre dorsale, elle devient intense dès la 5e ou 6e vertèbre et occupe toute
la colonne dorsale.
Par compensation, la hanche gauche est très relevée par rapport à la han-
che opposée ; au contraire l'épaule droite est plus haute que la gauche, il existe
de plus au niveau de l'articulation scapulo-humérale droite une arthropathie
avec déformation légère, mobilité anormale et surtout gros craquements à la
palpation et dans les mouvements : ces craquements avaient depuis plusieurs
mois attiré l'attention du malade qui ne s'en préoccupait pas à cause de l'ab-
sence de douleur.
Par suite de la déformation vertébrale, le thorax se trouve avoir subi un
mouvement de torsion vers la droite, la moitié gauche est comme projetée en
avant et en dedans, la moitié droite en dehors et en arrière.
L'omoplate droit est rejeté en arrière, le gauche par contre entraîné en
avant.
Les mouvements de la ceinture scapulaire s'accomplissent assez mal tant à
droite qu'à gauche ; le malade s'asseoit très péniblement sur son lit, les divers
mouvements du thorax sont diminués. Par contre, les muscles de la paroi ab-
dominale antérieure paraissent bien se contracter ainsi que le diaphragme et
les muscles respiratoires.
Ces troubles ont une origiue complexe : avant tout il faut mettre en cause
l'énorme déformation vertébrale et thoracique ; mais il existe un certain degré
de parésie spasmodique, la spasmodicité étant surtout marquée au niveau de
5264 BAYMOND ET LEJONNE
la masse sacrolombaire qui est contracturée particulièrement M gauche, et une
atrophie musculaire diffuse, prédominant sur les muscles de l'omoplate qui
ont un peu l'aspect * ailé ».
L'examen électrique montre un peu de dimiuution de l'excitabilité faradique
et galvanique sur les muscles les plus atteints.
Du côté du cou, il n'existe aucun trouble de la motilité ; la face est de même
absolument normale ; le malade siffle, ferme les yeux, d'une manière correcte.
Lorsqu'il tire la langue, on remarque un tremblement fibrillaire très net,
beaucoup plus marqué à droite, et une atrophie de toute la moitié droite de la
langue; le côté gauche n'est d'ailleurs pas absolument indemne, tant au point
de vue de l'atrophie que du tremblement fibrillaire (Pl. XLIII).
Le malade se plaint d'une certaine difficulté pour avaler ; il est parfois
obligé de prendre certaines attitudes, de tourner la tête de côté, par exemple,
pour faciliter la déglutition ; parfois, il existe un peu de reflux des liquides.
L'examen de la gorge montre que la moitié droite du voile du palais se con-
tracte beaucoup moins bien que la gauche et présente une parésie évidente.
Le malade n'a jamais eu aucun trouble de la parole et sa voix ne s'est pas
modifiée"; cependant l'examen du larynx pratiqué par M. le Dr Gellé montre
que lors de la phonation la corde vocale droite se porte sans vigueur vers la
ligne médiane ; c'est la corde gauche qui achève l'occlusion glottique nécessaire
à l'émission vocale ; il y a donc une paralysie de la corde vocale droite.
Du côté des yeux, s'il n'existe aucune lésion du fond de l'oeil et si les pu-
pilles réagissent bien à la lumière et à l'accommodation, on observe un nystag-
mus rotatoire continuel qui s'exagère lorsque le malade regarde en bas et en
dehors vers la droite, c'est-à-dire fait agir le muscle grand oblique de l'oeil
droit.
La sensibilité est extrêmement touchée, au point de vue subjectif; à part
quelques fourmillements dans le bras droit, il n'existe aucun phénomène dou-
loureux. Objectivement, on constate de très gros troubles des sensibilités sv-
pe1'/icielles, ainsi qu'en rend compte le schéma ci-joint. On peut dire d'une
manière générale que les troubles occupent toute la moitié droite du corps, la
moitié gauche étant presque indemne. En effet, à gauche il n'existe qu'une
bande radiculaire, occupant le territoire de CI, surtout dans sa partie posté-
rieure, au niveau de laquelle la sensibilité à la température est complètement
abolie, les autres sensibilités superficielles étant normales.
, A droite, dans un premier territoire, comprenant la face, et en arrière la
zone de distribution de CI et de C2, les troubles sensitifs, très légers, consis-
tent simplement en quelques erreurs dans la reconnaissance du chaud et du
froid.
Une seconde zone, où les troubles sont plus marqués, comprend en avant
le territoire de C2 et un peu de C3, en arrière ca tout entier, c'est-à-dire la
région du cou et de la nuque ; la sensibilité à la piqûre y est tout à fait nor-
male, le tact étant émoussé et l'anesthésie à la température presque absolue.
Au-dessous, c'est-à-dire dans toute la moitié droite du tronc et des membres,
~'les trois modes de la sensibilité superficielle sont atteints, surtout la tempéra-
SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES 265
ture, le tact un peu moins, la sensibilité à la piqûre étant mieux conservée.
C'est dans le territoire de C4 que )'anesthésie aux trois modes est le plus mar-
quée ; elle diminue très légèrement à mesure que l'on descend, et en particu-
lier au niveau de la jambe droite la sensibilité aux trois modes est évidemment
il
FIG. 1.
Hachures horizontales = troubles de la sensibilité thermique.
Hachures verticales = troubles de la sensibilité tactile.
Hachures obliques .= troubles de la sensibilité aux trois modes.
) 2GG RAYMOND ET LJONNE
}' moins touchée qu'à la partie supérieure du thorax, mais il est impossible do
t préciser davantage.
Les sensibilités profondes sont très atteintes, surtout à droite. La sensibilité
osseuse pour les vibrations du diapason est presque abolie, au niveau des
FIG. 2, 2.
'1\ Hachures horizontales = troubles de la sensibilité thermique.
Hachures verticales = troubles de la sensibilité tactile.
Hachures obliques = troubles de la sensibilité aux trois modes
Sln1\GO\(1'GLIG AVEC PHÉNOMÈNES BUL1U1HES 267
membres supérieur et inférieur droits; elle est très diminuée sur toute la
hauteur de la colonne vertébrale ; il gauche on n'observe qu'une légère hypoes-
thésie et surtout du raccourcissement de la durée de la perception, particu-
lièrement aux extrémités. A droite, comme à gauche, la sensibilité osseuse est
normale à partir des épaules jusqu'au sommet de la tète.
La sensibilité articulaire et la notion de position sont des plus troublées' !
à droite, non seulement au niveau des orteils et des doigts, mais même des 1
grosses articulations, cou-de-pied et genou, poignet et coude. 1
La perception stéréognostique est presque abolie et le malade ne se rend t
nullement compte des objets qu'on lui met dans la main droite ; il sent à peine I
qu'il a quelque chose dans la main, et seulement si l'objet est très gros. A
gauche il existe simplement de légers troubles du sens des attitudes aux doigts 1
et aux orteils. '
Dans les mouvements, on constate un certain degré d'ataxie au membre 1
supérieur droit; rien de pareil il gauche. Pas d'ataxie statique. La diadococi- t
nésie est normale. !
Les réllexes abdominaux sont absents et le réflexe crémastérien affaibli des j
deux côtés.
Il n'y a aucun trouble de la sensibilité au niveau de la cavité buccale et du
pharynx ; les réflexes du voile du palais et du pharynx sont normaux. ,
Rien de pathologique à signaler du côté du goût; ni de l'ouïe, à part l'otite,
chronique dont nous avons parlé.
Nous avons déjà signalé les troubles trophiques accentués que présente F... :
(scoliose, arthropathie de l'épaule et chiromégalie du côté droit, atrophie J
musculaire diffuse), et les troubles vasomoteurs (rougeur et refroidissement
du membre supérieur droit). 1
Il n'y a aucun trouble sphinctérien. 1
L'état psychique est satisfaisant. 41
Au point de vue viscéral il existe des lésions pulmonaires d'emphysème et t
de bronchite chronique qu'expliquent les déformations considérables du tho- 3
rax ; il semble y avoir plus et les somrhets sont suspects au point de vue de J(
la tuberculose. Toutefois le malade n'a jamais eu d'hémoptysie et la recherche ^
des bacilles a été négative. ,1
Le pouls, régulier, bat à 80 ; il n'y a aucune lésion cardiaque. On ne trouve
aucun élément anormal, sucre, albumine, dans les urines. ^MTT
Chez ce malade, il s'est donc développé depuis quatre ans une affection
complexe constituée surtout par des symptômes moteurs, sensitifs, tt'oplii-I
ques, et par des troubles bulbaires. \
4° Les symptômes moteurs consistent surtout en une paraplégie spasmo-
dique avec trépidation spinale et signe de Babinski et une parésie du
membre supérieur droit, -accompagnée d'affaiblissement des réflexes.
2° Les troubles sensilifs, en une hémi-hypoestbésie aux trois modes
occupant le côté droit du corps, et remontant jusqu'à la base du cou ; du
2G8 RAYMOND ET LEJONNE
côté droit du con la température est peine reconnue, le tact était un peu
diminué; du côté droit de la tête seule la sensibilité thermique est troublée;
à gauche, au niveau de l'épaule seulement, on observe une anesthésie
totale à la température. Les sensibilités profondes sont très troublées sur-
tout à droite.
3° Les troubles trophiques en une scoliose à convexité droite, une ar-
thropathie de l'épaule droite et une hypertrophie du poignet et de la main
du même côté, accompagnée de troubles vaso-moteurs.
4° Enfin les troubles bulbaires sont surtout constitués par une hémiatro-
phie linguale droite et une parésie du voile du palais et de la corde vocale
du même côté.
En face d'un pareil tableau clinique, qui a évolué peu à peu, sournoi-
sement, et a mis plusieurs années à se constituer, peu d'hypothèses sont
possibles et le diagnostic de syringomyélie est évident.
Si l'on ne tenait compte que de certains symptômes, la déformation
'\ vertébrale et les troubles de sensibilité pourraient à la rigueur en impo-
ser pour une contracture hystérique des muscles du dos. Certaines mé-
ningites chroniques du mal de Pott s'accompagnent de paraplégie spasmo-
' clique, de scoliose, de troubles de la sensibilité, même avec dissociation
dite syringomyélique (1) et on a parfois pris pour une syringomyélie un
"mal de Pott (2). -
' - La maladie de Morvan et surtout la ]épie sont parfois d'un diagnostic
plus délicat ; mais, chez ce jeune homme, tout symptôme pouvant faire
penser à la lèpre fait défaut (pas de séjour dans un pays où règne la lèpre;
pas de névrome), et l'on ne voit guère une lèpre évoluant avec un cortège
de signes aussi complet, sans s'accompagner de symptômee cutanés carac-
téristiques.
Il nous paraît donc inutile de prolonger le diagnostic différentiel : la
syringomyélie s'impose. '
Mais il ne nous suffit pas d'avoir catégorisé l'affection dont souffre ce
malade, il faut préciser le siège des lésions syringomyéliques. Une pre-
mière constatation s'impose, c'est la tendance à l'unilatéralité des phéno-
mènes, à part la paraplégie bilatérale, presque tous les troubles siègent à
droite (hémi-anesthésie , troubles trophiques et bulbaires, parésie du
bras) ; c'est d'ailleurs un fait fréquemment signalé dans la syringomyélie.
Pour localiser avec une certaine précision les lésions cavitaires, deux
ordres de symptômes nous seront particulièrement utiles, les troubles de
sensibilité et les phénomènes bulbaires.
Nous ne reprendrons pas l'étude détaillée des troubles de la sensibilité,
(1) At.Jmcrs et LnawuTre, Rev. Neurol., 190fi, p. 1141.
(2) SIIILLER, Medic. Bull., 1905-1906, p. 147.
SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES 269
le schéma ci-joint permet de s'en rendre compte aisément. Quoiqu'ils
affectent à première vue le type d'une hémianesthésie droite, on voit
qu'ils sont en réalité à disposition radiculaire et qu'on peut au point de
vue de l'intensité de ces troubles diviser la moitié droite du corps en
trois zones bien distinctes. A gauche il n'existe qu'une bande radiculaire
dans le territoire de C'.
On remarquera que la dissociation syringomyélique n'existe que dans
les zones très limitées (moitié de la tête à droite, territoire de C' à gau-
che) ; partout ailleurs, contrairement à la règle, la sensibilité tactile est,;
plus émoussée que la sensibilité douloureuse /<$
Les troubles des sensibilités profondes sont plus considérables que cx"
qu'on signale d'habitude : il existe à droite de très gros troubles (le
sensibilités superficielles, tandis qu'à gauche on observe de légers troubles
du sens des attitudes aux doigts et aux orteils, et la sensibilité osseuse,
tant au point de vue de l'intensité que de la durée de perception des
vibrations du diapason est certainement diminuée aux extrémités, c'est-à-
dire en des points où la sensibilité superficielle est normale à tous les
modes. `
Les troubles bulbaires consistent en premier lieu en une hémiatrophie
linguale droite accompagnée de contractions fibrillaires des plus nettes ;
il ne semble pas que le côté gauche soit tout à fait indemne, il y a quel-
ques contractions fibrillaires et peut-êlre aussi un peu d'atrophie ; la mo-
lilité de la langue ne semble guère troublée ; puis en une parésie du
pharynx et surtout de la moitié droite du voile du palais, obligeant le
malade à des mouvements forcés du cou lors de la déglutition et ame-
nant de temps en temps le reflux des liquides; enfin en une parésie de
la corde vocale droite tout à fait indéniable au laryngoscope, bien que
ne s'accompagnant d'aucune modification de la voix.
La réunion de ces trois symptômes, hémiatrophie linguale avec para-
lysie du pharynx et de la corde vocale du même côté constitue ce qu'on a
appelé un syndrome de Jackson.
Rappelons que les lésions unilatérales du bulbe peuvent réaliser trois
syndromes assez voisins : le syndrome d'Avellis, caractérisé par une
paralysie unilatérale et homologue du voile du palais et du larynx, le
syndrome de Schmidt ou de plus le trapèze et le siernomastoïdien sont
paralysés et enfin le syndrome de Jackson (1).
La constatation'd'un de ces syndromes n'est pas très rare au cours de
la syringomyélie; il faut d'ailleurs ajouter qu'ils ne se traduisent pas
toujours par des symptômes, très objectifs et qu'on peut les laisser échap-
(t) V. à ce sujet F. Raymond et G. GUILLAIN, Syringobulbie. Syndrome d'Avellis,
Rev. Neurolog., 1906, p. 41.
270 0 RAYMOND ET LEJONNE
per si l'on n'examine pas de partis pris le pharynx et surtout le larynx de
tous les syringomyéliques; c'est ce qui explique que ces phénomènes
bulbaires soient observés beaucoup plus fréquemment depuis quelques
années, l'attention ayant été attirée sur eux récemment (1).
La présence d'une pareil syndrome indique évidemment l'existence
d'une lésion bulbaire droite qui atteint le noyau de la branche interne du
spinal et le noyau de l'hypoglosse. Il n'existe aucun trouble dans la sphère
du pneumogastrique, la respiration, le pouls sont réguliers. De même ni
le glossopharyngien, ni le facial ne sont touchés. Quant à l'auditif, les
troubles de l'ouïe présentés par le malade sont dus à des lésions d'otite
catarrhale chronique et la huitième paire paraît bien indemne.
Il existe encore chez ce malade deux symptômes qui peuvent indiquer
une localisation bulboprotubérantielle et dont il faut discuter la significa-
tion ; c'est le nystagmus el l'hypoesthésie de la face.
Le nystagmus rotatoire constaté au niveau de l'oeil droit du malade
quand il regarde en bas et en dehors semble bien le signe d'une parésie
du muscle grand oblique droit, c'est-à-dire d'une lésion du pathétique
gauche, bien plus que d'une atteinte du pédoncule cérébelleux inférieur ;
il est difficile d'affirmer avec précision il quelle lésion il correspond : il est
possible qu'il existe un prolongement du tissu gliomaleux remontant assez
haut pour atteindre les fibres émanées du noyau du pathétique gauche.
Quant à l'aiiestitésie limitée et la moitié droite de la face, bien que peu
prononcée, elle a très nettement le caractère d'une anesthésie dite syrin-
gomyélique (hypoesthésie, et erreurs à la chaleur et au froid, conserva-
tion parfaite de toutes les autres sensibilités). Elle siège à droite, c'est-à-
dire du côté de la lésion bulbaire. Etant donné les caractères de cette
anesthésie, il ne peut s'agir d'une atteinte du noyau ou des racines du
trijumeau droit, mais d'une lésion des libres non entrecroisées de la voie
sensitive centrale, c'est-à-dire des fibres qui émanées.du noyau du triju-
meau traversent la ligne médiane pour gagner le faisceau sensitif (2). Il
existe donc, à droile, un prolongement de la lésion bulbaire qui compri-
me ces fibres.
A côté de ces lésions de srriaob2clbie indéniable, il y a lieu de se de-
mander s'il y a des lésions dans la moelle proprement dite et en particu-
lier si l'hémianesthésie droite présentée par le malade ne serait pas en
rapport avec le processus gliomateux bulbaire qui comprimerait du côté
gauche le ruban de Reil. ,
(1) Nous n'insistons pas davantage sur la question des syndromes d'Avellis et de
Jackson dans la syringomélie et nous renvoyons à un article de MM. F. Rose et
Lemaithe (Annales des maladies du larynx et de l'oreille, novembre 1907) où elle sera
traitée à l'ond.- Voir aussi SCIILLSINOCtt, la Syringomyélie, 2" édition, p. 171-175.
(2) V. Bnntvsr, Lésion bulbaire unilatérale. Rev. Neurolog., décembre 1906, p. 1179.
SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBA11;LS 271 1
Il y a une objection de première valeur à faire cette hypothèse ; dans
le cas qui nous occupe, les troubles de sensibilité ont une disposition ra-
diculaire, variable avec les régions : dans une zone comprenant les 2° et
3e racines cervicales, la température est très atteinte, le tact peu touché,
la sensibilité à la douleur et la sensihilité osseuse sont normales ; tandis
que brusquement à partir de C'' les troubles de sensibilité deviennent in-
tenses et atteignent à la fois la sensibilité superficielle sous tous ses modes
et la sensibilité profonde.
Il y a donc, certainement, du côté droit de la moelle cervicale, une lé-
sion syringomyélique de la zone sensitive qui, peu intense en Ci, l'est
davantage en C et C3 pour atteindre en CI son maximum.
L'existence, à gauche, d'une anesthésie limitée à la température au ni-
veau de C' indique qu'au point correspondant de la moelle la lésion se
propagea gauche où elle atteint la zone sensitive. Voici donc bien établie
l'existence de lésions syringomyéliques dans la région cervicale.
Mais la constatation de symptômes sensitifs et moteurs s'étendant jus-
qu'aux extrémités inférieures n'implique pas par cela même une lésion
qui se propagerait sur toute l'étendue de la moelle.
Une lésion de la région cervicale parait suffire à expliquer l'hémianes-
thésie droite qui diminue légèrement à mesure que l'on considère une
région plus inférieure.
La paraplégie spasmodique bilatérale indique une irritation pyrami-
dale qui peut fort bien siéger à la région cervicale dorsale. La parésie du
bras droit avec diminution des réflexes tendineux est une confirmation de
l'atteinte importante de la moelle au niveau de la région cervicale droite
et il faut donner la même signification aux troubles trophiques et vaso-
moteurs qu'on remarque au niveau du membre supérieur droit.
Ainsi donc l'existence d'une syringomyélie bulbo-cervicale suffit à ex-
pliquer tous les symptômes que l'on observe chez F...; le maximum des
lésions médullaires paraît siéger en C., elles se prolongent probablement
dans toute la hauteur de la moelle cervicale et peut-être à la partie supé-
rieure de la moelle dorsale ; aucun phénomène n'indique qu'elles descen-
dent plus bas.
Le foyer syringomyélique occupe surtout le côté droit, aussi bien dans
le bulbe que dans la moelle cervicale. Il semble que le processus soit
avant tout intra-médullaire, la pachyméningite cervicale ne paraît jouer
aucun rôle (absence de douleurs, de raideur de la nuque, etc.).
Dans la moelle, la lésion paraît atteindre avant tout la corne postérieure
(troubles des sensibilités superficielles, troubles trophiques), mais le
cordon postérieur ne paraît pas indemne (sensibilités profondes presqu'a-
272 RAYMOND ET LEJONNE
bolies à droite). On sait d'ailleurs à quel point nous connaissons mal les
voies conductrices des diverses sensibilités dans la moelle.
Les deux faisceaux pyramidaux sont comprimés et irrités (paraplégie
spasmodique avec signe de Babinski), enfin, la corne antérieure à la ré-
gion cervicale paraît légèrement atteinte (parésie flasque du bras), mais
peu profondément puisqu'il n'y a guère d'atrophie musculaire ni de trou-
bles des réactions électriques..
Voilà les seules localisations du'processus que nous puissions affirmer ;
chercher plus de précision serait s'exposer à tomber dans des erreurs.
Un point particulièrement intéressant dans le tableau clinique présenté
par F..., c'est l'intensité des troubles trophiques puisque l'on observe à la
fois chez lui une scoliose considérable, une arthropathie et une chiromé-
galie.
La scoliose est un phénomène banal dans la syringomyélie, mais il n'est
pas habituel de lui voir atteindre un degré aussi accentué que chez notre
malade.
Rappelons que chez F... il existe une énorme scoliose dorsale à
convexité droite ; nous ne reviendrons pas sur les déformations thoraçi-
ques qui l'accompagnent ni sur l'attitude hanchée du corps qui en est la
conséquence : tous ces détails sont bien visibles sur les photographies
ci-jointes (Pl. XLIX).
Le siège dorsal de la scoliose à convexité regardant le côté le plus ma-
lade est la règle dans la syringomyélie (1).
Pour ce qui est de sa fréquence, on l'observe selon les auteurs dans
50 à 73 p. 100 des cas. Pour Nalbandoff, qui a consacré à la syringomyélie
de nombreuses publications, les 2/3 des cas de scoliose syringomyélique
seraient dues au rachitisme (2). Rien chez notre malade ne justifie une
pareille opinion, on ne trouve pas le rachitisme dans ses antécédents et il
n'en présente actuellement aucun stigmate ; sa scoliose est bien syringo-
myélique d'origine.
Mais, d'après les auteurs, elle peut reconnaître une origine soit mus-
culaire, soit ostéo-articulaire. ChezF..., il y a bien à la fois de la con-
tracture etde l'atrophie d'un certain nombre de muscles de l'omoplate et
du dos ; mais ces troubles musculaires sont en général bilatéraux, ils ne
sont pas très intenses, les réactions électriques sont peu troublées au ni-
veau des muscles malades, ils paraissent surtout des troubles secondaires,
incapables d'avoir produit une pareille scoliose ; malgré toutefois un cer-
tain degré de contracture de la masse sacrolombaire gauche qui peut con-
tribuer à exagérer la courbure vertébrale, nous ne croyons pas qu'on
(1) HALT.10N, Th. de Paris, 1892.
(2) NALBANDOFF, Soc. de Neurol. et de Psych. de Moscou, 1900.
SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES 273
puisse invoquer chez ce malade la théorie musculaire (théorie de Roth)
pour expliquer la production de la scoliose. ,
C'est aux altérations osseuses et articulaires qu'il faut faire jouer le prin-
cipal rôle. L'examen clinique, confirmé par la radiographie, montre qu'il 1
n'y a pas chez ce malade d'artropathies vertébrales et que selon l'opinion
de Nalbandofl" (4) il s'agit avant tout d'un trouble trophique des os eux-
mêmes. Nous n'avons malheureusement pas obtenu de radiographies très
satisfaisantes, le malade ne pouvant garder l'immobilité à cause de la
difficulté qu'il éprouve à respirer; néanmoins on constate que la colonne
dorsale, surtout au niveau des parties les plus saillantes, est notablement
plus opaque que les colonnes cervicales et lombaires ; les vertèbres pa-
raissent avoir une certaine tendance à se souder, les disques interverté-
braux sont très peu distincts surtout entre la 5e et la 8e dorsale ; il n'y a
pas d'hypertrophie vertébrale, pas de production osseuse anormale ; il pa-
raît donc exister avant tout un processus d'ostéite condensante, c'est-à-
dire un trouble trophique véritablement primitif de la colonne dorsale.
L'arthropathie que présente F..., au niveau de l'articulation scapulo-
humérale droite, est assez peu considérable ; elle a bien eu le début insi-
dieux, indolore, habituel aux arthropathies syringomyéliques et qui les
rapproche des arthropathies tabétiques par exemple; le siège au niveau
de l'épaule est également le plus fréquemment observé dans la syringo-
myélie (2).
Elle ne se manifeste que par une très légère déformation de l'épaule,
un peu de mobilité anormale et surtout de gros craquements lorsqu'on
fait mouvoir le bras droit.
La radiographie montre peu de déformation; on constate surtout un
certain degré d'élargissement de la tête humérale.
En revanche l'image radiographique est plus claire que celle de la
tète humérale opposée. Nos constatations, contraires à celles de Iludover-,
nig (3), se rapprocheraient donc plutôt de celles de Nalbandolf, sans que
toutefois nous voulions affirmer comme cet auteur que l'arthropathie
reconnaît pour cause surtout un processus de décalcification.
La chiromégalie est un trouble trophique beaucoup plus rare ; c'est un
cas particulier des hypertrophies partielles que l'on peut observer dans la
syringomyélie.
Ces hypertrophies atteignent parfois tout un membre ; c'est presque
toujours alors le membre supérieur qui est touché [Lunz (4), Chauffard
(1) N,1,BANDOrF, Deutsch. Zeitschrift f. Nervenheilk, 1901.
(2) SCIILESINGEH, loc. Cil., p. 95-.
(3) L. Hudovernig, Neurolog. Centralbl., 1901, p. 1137.
(4) LuNz, Deutsch. med. Wochenschr., 1898.
274 RAYMOND El' LEJO'4N[e.
et Griffon (1), Heldenbergh (2), Raymond et Guillaiu (3)], tantôt tout le
membre, tantôt seulement l'avant-bras et le bras, toujours c'est la main
dont l'hypertrophie est le plus manifeste, il n'y a qu'une exception, le cas
de Heldenbergh où c'était l'avant-bras.
Le plus souvent le processus d'hypertrophie est localisé aux extrémités.
Parfois la main et le pied sont pris en même temps, tantôt les quatre
extrémités, tantôt les extrémités d'un même côté, tantôt celles de côté
opposé ; il n'y a aucune règle fixe [P. Marie (4), Straeten (5), etc.].
Il est exceptionnel que le pied soit seul atteint d'hypertrophie, il n'est
pas rare au contraire de voir les mains présenter la « chiromégalie ».
Cette chiromégalie est alors tantôt bilatérale IIoIscIevnilcolF (6), Pe-
terson (7), Graziani (8), Schlittenhelm (9)], mais presque toujours dans
ce cas une main est plus atteinte que l'autre, tantôt unilatérale.
Chez notre malade la chiromégalie est unilatérale et prend uniquement
la main droite, elle n'est pas limitée à la main d'une manière absolue et
le poignet est augmenté de volume par rapport à celui du côté opposé
(pli. L et LI).
Nous n'avons pas à discuter ici (10) la nature essentiellement syringo-
myélique de cette chiromégalie ; M. Pierre Marie (il) a bien montré qu'il
ne s'agit aucunement^d'un processus d'acromégalie surajoutée. Dans le
cas de F... il n'existe aucun des signes classiques de l'acromégalie et ce
diagnostic n'est pas à prendre en considération.
Cette chiromégalie peut être d'origine osseuse ou bien due à l'hyper-
trophie des parties molles ou encore reconnaître pour origine un processus
atteignant tous les tissus de la main.
On conçoit que l'examen histologique seul soit vraiment en mesure de
nous renseigner d'une façon absolument rigoureuse à ce sujet (12), toutefois
l'examen clinique combiné avec la radiographie nous donne des résultats
intéressants. '
La chiromégalie chez F...., on s'en rendra bien compte sur la photo-
graphie comparative des deux mains (I'1. L), porte sur la largeur de la
main; le poignet, le carpe, tous les doigts sont augmentés de volume,
(1) Chauffard et Griffon, ltev. neurolog., 1899.
(2) Heldenbergh, Journal de Neurologie, 1901.
(3) RAYMOND et Ctuillain, Soc. de Neurologie, juillet 1904.
(4) P. Marie, Soc. méd. des Hôpit., 1894.
(5) STRAETEN, Inaug. dissert. Kiel, 1903.
(6) HOLSCIIVNIKOFF, Virchow arch., t. C : CIx.
(7) PFTEnsoN, Medic. Record., 1893.
(8) GRACIANT, Gaz. degl. osped. e dell. clin., 1899.
(9) SCIILITTRi111ELM, Neurolog. Centralbl., 1903.
(10) V. l'article de Liiehuitte et ARTOM, Iconog. de la Salpêtr., 1907, n°5.
(11) P. l\lA 1\ OE, loc. cit.; voir aussi SCUL1 ! SINOEI\, loc. cit., p. 137-138.
(12) Lhermitte et ART011, loc. cil.
SYRINGOMYÉLIE AVEC PHÉNOMÈNES BULBAIRES 215
peul-être le pouce et l'index sont-ils relativement plus gros que les trois
derniers doigts.
La radiographie montre nettement (Pl. LI) une grosse hypertrophie en
largeur de tout le premier métacarpien, le second et le troisième semblent
un peu augmentés de volume. L'extrémité inférieure du radius droit
est plus volumineuse que celle du côté gauche. Il ne paraît pas y avoir de
lésions articulaires. Les os offrent la même transparence que ceux de
la main opposée.
On peut donc conclure qu'il s'agit d'un cas d'origine mixte dans lequel
les lésions d'ostéite hypertrophiante jouent un certain rôle, mais la chiro-
mégalie est néanmoins surtout due à l'augmentation de volume des parties
molles, sans que la peau paraisse prendre une très grande part au pro-
cessus.
Chercher à localiser en un point du système nerveux une lésion qui
expliquerait cette chiromégalie serait émettre une hypothèse, que ne
permettent pas encore les recherches anatomiques entreprises jusqu'ici.
CLINIQUE PSYOUATHIQUE DE GENÈVE
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL
DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS,
PAR R
R. WEBER, Prof.
L'évacuation d'une quantité plus ou moins grande du liquide intraven-
triculaire peut constituer un moyen de défense contre l'augmentation de
pression causée par la croissance d'une tumeur intracrânienne. Telle était
l'une des conclusions d'une précédente notice sur ce même sujet (1) ;
aujourd'hui il m'est possible d'en donner une preuve.
Ons. VIII.
A. Manuel, ler séjour : 30 septembre 1903 au 3' octobre 1903.
2" séjour : 30 décembre 1903 au 4 avril 1904.
Le 30 septembre'1903 au soir, le marchand de légumes A..., âgé de 36 ans,
tomba dans la rue d'un accès épileptiforme ; conduit à la Policlinique il se mit
à tout démolir et fut transféré d'urgence en psychiatrie à Bel-Air. Il y arriva
désorienté, délirant, fut pris de vomissements répétés ; il se plaignait de douleurs
à la nuque. Après une nuit tranquille, il se réveilla lucide, mais continua à
ressentir des douleurs atroces à la nuque. Toute pression sur la tête, le mouve-
ment de S'asseoir dans son lit lui étaient extrêmement douloureux. On nota
que la pupille droite était un peu plus large que la gauche, que la réaction des
deux à la lumière était peu ample et paresseuse.
Les antécédents de A... ne présentent rien de spécial jusqu'à l'époque de son
service militaire. Appelé à changer de garnison après 33 mois, A... en fut
vivement affecté ; il eut des crises épileptiformes et fut licencié après un trai-
tement (bromure ? ) qui eut d'excellents résultats. Depuis lors plus d'attaques.
Marié depuis 7 ans ; pas d'enfants. Infection syphilitique niée. Sa femme le
dit obstiné, très excitable.
La semaine qui précéda l'accident du 30 septembre, A... fut irritable outre
mesure, se fit des soucis au sujet de son commerce qui cependant n'allait pas
mal du tout. Il ne boit pas beaucoup, mais ne supporte pas le peu d'alcool
qu'il consomme. C'est ainsi que le 30 septembre il avait pris 1 lit. 1/2 de vin
blanc avec deux amis. Il se souvint encore d'être tombé de son char à la Cor-
raterie.
(1) Voir Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, no 3, 9908.
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 277
Tranquille et orienté, mais se plaignant toujours de vives douleurs à la nu-
que, il est repris par sa femme le 3 octobre 1903. Cependant il ne put pas se
remettre au travail. Il accusait des céphalées violentes, paroxystiques. En no-
vembre 1903 apparut une tumeur dans la région pariétale droite; A... fut tré-
pané et l'examen histologique démontra qu'il s'agissait d'une gomme. Les maux
de tête diminuèrent, mais ce fut le seul résultat obtenu par l'intervention chi-
rurgicale. -
A la suite de crises épileptiformes et de délires avec violences, le malade
nous fut ramené le 30 décembre 1903. De nouveau les pupilles sont inégales
(D > G) et ne réagissent pas à la lumière. A... nous a reconnus; il dit avoir
toujours peur; il ne peut pas se tenir debout, vacille, mais veut descendre en
ville, vendre son cheval, etc. Il tient la tête raide et dit qu'elle lui fait mal.
Cicatrice semi-circulaire récente dans la région pariétale droite. Fond de l'oeil
gauche apparemment normal ; à droite, dilatation des veines, interruptions de
continuité des vaisseaux,bords de la papille indistincts (Stauungspapille). Trem-
blement fibrillaire de la langue. Dynamomètre : main gauche 10 ; droite, 36.
Réflexes patettaires faibles. A... ne peut marcher que si on le soutient. A droite
l'ouïe ne parut jamais altérée, elle sembla parfois diminuée à gauche. Cepen-
dant les résultats de cet examen sont peu sûrs, carA... tomba en février 1904
dans un état de somnolence ; il s'endormait par exemple en mangeant. Grin-
cements des dents. Vomissements. Signe de Kernig. Titube comme un homme
ivre. Sensation de froid. Désorienté et euphorique.
Fin février il est beaucoup plus éveillé, se lève et se promène au préau. Il
parle vivement et à haute voix. Il veut n'avoir plus de maux de tête, se sent
capable de marcher dts heures entières, de soulever tous les meubles, 100 ki-
los, etc.
Déjà 3 jours plus tard il est de nouveau angoissé, persuadé qu'il va mourir.
Devient gâteux.
Mi-mars, accès fréquents de faiblesses, pertes de connaissance sans convul-
sions. Léger strabisme divergent de l'oeil droit. Les moitiés droites des rétines
paraissent insensibles. Le strabisme s'accentue, disparaît, revient ; quelquefois
il s'accompagne de ptosis de la paupière droite.
Une fois aussi la somnolence profonde fut interrompue par une courte rémis-
sion où A... connut les médecins, les appela par leur nom, etc. Un jour le bras
droit sembla parésié ; quand on l'y piquait il se servait du gauche pour se
défendre.
Le 2 avril c'est le facial droit qui est parésié et les pupilles ne sont plus
rondes; elles ont pis informe iudiquée lig. 1. Dèjil le lcnùemaiu la pupille
droite n'a plus qu'une légère pointe à droite.
xx 18
Fig. 1. - Pupilles le 2 avril 1904.
278 WEBER
A... ne réussit plus à sortir la langue ; il salue encore de la tête et nous suit
des yeux. Rxitus le 4 avril 1904.
DATES. - 30 septembre 1903 : premiers symptômes de maladie, sous forme
d'attaque convulsive, précédée d'une semaine d'irritabilité, de dépression.
Novembre 1903. Apparition d'une tumeur sous le cuir chevelu, trépana-
tion.
4 avril 1904. Exitus.
Il en résulte, que nécessairement ce néoplasme cérébral eut une longue
période latente. Je chercherai à l'expliquer par l'étude de l'encéphale.
Autopsie de la tête, seule autorisée.
Sur le côté droit du crâne, à deux doigts au-dessus de l'insertion de l'o-
reille, solution de continuité de l'os, d'un diamètre de 2 centimètres. Cette ou-
verture est couverte de tissu cicatriciel mou. Dure-mère très tendue ; face in-
terne lisse, sèche. Circonvolutions aplaties, sillons fermés. Pie-mère épaissie,
stase veineuse. Poids du cerveau avec leptominiuge : 1.650 grammes.
Ceci sont les signes habituels de la compression cérébrale par augmen-
tation de volume de l'encéphale.
Dans la région de la F. S. à droite, la dure-mère est adhérente au cerveau
sur une longueur de 3-6 centimètres et une hauteur de 1 centimètre environ.
Dessous on rencontre du tissu néoplasique, empiétant surtout sur T. 1 et T. 2.
mais touchant également le pied de Fa. et Pa. G. s. m. et T. 3 paraissent li-
bres.
Résultats macroscopiques. - Le cerveau fut durci en entier pour éviter
toute altération de l'état des ventricules, puis débité en coupes sériées. L'hé-
misphère droit paraissait plus volumineux que le gauche. Cela fut confirmé
par la mensuration au planimètre de 93 coupes vertico transversales : le rap-
port entre les moitiés gauche et droite du cerveau est 48 0/0 G., S2 0/0 D. ;
les coupes étant équidistantes, j'ai pu ne tenir compte que des surfaces. Or, la
moitié de cette augmentation de volume de l'hémisphère droit porte sur les
segments frontal et occipital ; une moitié seulement sur les grandes coupes du
segment moyen, soit calleux.
Il en résulte que, la tumeur obstruant une partie de la F. S. a poussé
en avant et en arrière le tissu cérébral. Les scissures nombreuses, fron-
tales et occipitales, se sont fermées, la substance blanche s'est tassée en
augmentant la surface des coupes, tandis que l'écorce eut évidemment à
couvrir une étendue plus vaste. Cela se traduit par une différence du pour-
cent de l'écorce par rapport à la surface totale, différence en moins allant
jusqu'à 10 0/0, au lobe occipital droit avec ses scissures profondes.
Il est intéressant de constater à la surface des circonvolutions les impres-
sions profondes qu'y font les vaisseaux. D'abord c'est une sorte d'U, recouvert
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 279
de pie-mère, dans lequel sont abritées artère et veine; à un stade plus avancé
le vaisseau est complètement rentré dans l'écorce (fig. 2). '
Le tissu cérébral cède donc déjà à une pression moindre que celle du
sang. Cette destruction locale est une sauvegarde, car elle garantit la nu-
trition de l'organe.
Ventricules. La corne occipitale droite après avoir formé un petit diver-
ticule est soudée, puis se rouvre, mais tout le ventricule latéral est de beau-
coup en dessous de la contenance normale (fig. 3 et 3 bis).
Le ventricule latéral gauche est tout à fait analogue dans la région occipitale ;
un peu dilaté dans la partie frontale, il est normal au carrefour.
Fig. 2. Vaisseaux faisant empreinte dans la substance cérébrale.
Fig. 3. - Coupe du ventricule droit.
Fig. 3 bis. Coupe du ventricule droit.
280 WEBER
Le 3e ventricule est surtout altéré dans sa forme ; l'aqueduc de S. est ou-
vert.
.t,' \
Il semble naturel d'en conclure que la tumeur a agi de la façon sui-
vante : elle a fermé les scissures et le sillon inter hémisphérique, aplati
les circonvolutions contre le crâne ; mais elle a également vidé les ven-
tricules pour gagner de la place. Elle est restée latente aussi longtemps
que ces moyens ne furent pas épuisés. Ensuite les symptômes de com-
pression générale se déclarèrent d'autant plus nets et plus rapides. Il y
eut alors obstruction du courant ventriculaire ; c'est sans doute de cette
époque que date la faible dilatation ventriculaire du côté opposé au néo-
plasme (Icotogr., n° 2, 1905).
Vaisseaux. Il y en a qui paraissent intacts. D'autres ont une intima for-
tement épaissie par endroits. Une 3° catégorie a les parois disséquées, parfois
très minces. Ils sont fréquemment entourés de masses amorphes, [de pigment
ou d'épanchements sanguins récents où les hématies sont encore bien dessi-
nées. Il n'y a nulle part d'infiltration péri-vasculaire telle qu'on l'observe dans
la paralysie générale.
On dit en pareil cas « que les parois vasculaires se sont laissé dilacé-
rer par la pression du sang ». Cette hypothèse me paraît difficilement ad-
missible, la présence du néoplasme ayant augmenté aussi la pression' am-
biante.
Il semble plus simple de dire que les vaisseaux sont usures, mortifiés,
par l'effet simultané des pressions intérieure et extérieure. Leurs parois
doivent être dans de mauvaises conditions de nutrition. On comprend
alors également que la fréquence de ces hémorragies augmente avec la
pression, ce qui est bien le cas ici. L'hémisphère droit où siège la tumeur
est piqueté d'une multitude de petites hémorragies. Ce n'est là évidem-
ment qu'un des modes de production de ces épanchements sanguins.
Examen des coupes sériées. Dès la pointe du lobe occipital il y a une diflé-
rence entre les deux hémisphères. Le droit se colore plus en rouge au carmin
que le gauche, d'abord dans sa moitié inférieure seulement, puis sur toute la
surface, lorsqu'on se rapproche de l'extrémité du corps calleux. En beaucoup
d'endroits apparaissent de fines vacuoles et de petites hémorragies dans la
substance blanche semée « d'araignées gonflées ». La répartition des cellules
nerveuses dans l'écorce est « brouillée » depuis la calcarine par le pourtour
inférieur jusqu'au tiers de la face externe (fig. 4).
Rappelons qu'il s'agit d'un néoplasme fixé à la dure-mère et même au
crâne. Il est possible que cela ait soumis la moitié inférieure du lobe oc-
cipital à une pression particulièrement intense et qu'ainsi s'explique
cette localisation des lésions anatomiques les plus marquées.
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 281
C'est un peu en arrière du corps calleux que la tumeur apparaît ; elle n'est
pas délimitée par une membrane (fig. 5). M. le professeur Askanazy en con-
firme la nature syphilitique et attribue la même origine aux altérations vas-
culaires.
Les figures 4, 5, 6, 7 et 8 en in diquent la localisation, mais elles sont sur-
tout instructives parce qu'elles en démontrent les effets à distance. Le voisi-
nage du néoplasme se compose de tissu en voie de mortification ; on n'y voit
que des restes de structure, des masses amorphes comme coagulées (analogues
à celles qui entourent les vaisseaux) et des vacuoles. Puis vient une large
zone d'araignées gonflées, semées très régulièrement dans la substance blanche.
l'ig. 4. - Coupe 315.
Fig. 5. Coupe 694.
282 WEBER
Cela me fait supposer qu'il s'agit plutôt de gonflement de cellules exis-
tantes que de formations récentes (Iconogr., n° 3,1906).
Les faisceaux sagittaux du lobe occipital droit sont particulièrement al-
térés, ce qui explique l'hémianopsie, car c. g. e. et le tractus paraissent in-
tacts ou peu touchés. L'hémianopsie fut donc en effet à distance.
Ces lésions diffuses de la substance blanche méritent d'autant plus d'être
relevées, que l'écorce, les masses grises basales. l'avant-mnr sont beaucoup
moins altérés (fig. 7).
Fig. 6. - Coupe 1055.
Fig. 7. - Coupe 1495.
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 283
L'hémisphère gauche est fortement hyperémié ; les hémorragies y sont nom-
breuses mais petites ; il y en a entr'autres toute une série de fraîches dans la
partie médiane de Th. opt.
Les fibres nerveuses de l'écorce sont généralement bien conservées à droite et
à gauche. Celles de la substance blanche sont gonflées et souvent variqueuses.
La coloration Weigert-Pal réussit mal et la coupe est criblée de « soleils » plus
grands que les normaux, tandis que l'enveloppe de myéline est amincie. Tout
cela est plus prononcé à droite qu'à gauche.
On retrouve les mêmes hémorragies et fibres variqueuses au cervelet et
dans l'oblongala. La région de la protubérance est déformée par pression
agissant de droite en haut vers la gauche et en bas. Il est possible que le fais-
ceau pyramidal gauche, aiusi appliqué sur l'os sous-jacent ait été mis hors
d'état de fonctionner, ce qui expliquerait l'hémiplégie doite dont il a été fait
mention.
Résumé. - En ne tenant compte que d'altérations grossières, excluant
pour ainsi dire toute possibilité d'erreur, je constate ce qui suit.
Une tumeur spécifique, de dimensions relativement petites, mais péné-
trant dans la substance blanche a produit des lésions dans tout l'encé-
phale. Encore est-il certain que je suis loin de les avoir toutes vues et
décrites. Ces lésions prédominent évidemment du côté du néoplasme;
elles concernent avant tout la substance blanche, beaucoup moins l'écorce
et les masses grises. Elles se sont produites en majeure partie après que
tous les moyens de créer de la place, soit fermeture des sillons et des es-
paces pie-mériens, évacuation des ventricules eurent été épuisés. On ne
saurait en effet admettre que de telles altérations eussent pu rester sans
retentissement sur les fonctions psychiques. Depuis leur début, la tumeur
jusqu'alors latente devint manifeste et cela de façon très violente. La nu-
trition du cerveau, la possibilité d'évacuer les produits usagés se trouvè-
rent du coup gravement dérangés par l'interruption du courant intraven-
triculaire.
J'hésite cependant à assimiler toutes ces lésions à de simples effets de
compression ; il faut ne pas oublier que les vaisseaux étaient également
touchés par l'infection syphilitique et que l'artère de la F. S. était englobée
dans le néoplasme.
Le manque d'infiltration périvasculaire dans ce cas, pourtant spécifi-
que, ne me semble pas tout à fait sans importance au point de vue de la
paralysie générale. Du reste, j'ai fait des constatations analogues dans une
observation d'oedème cérébral aigu chez un syphilitique (Dr Paohantoni,
Revue méd. de la Suisse no 9, 1906).
CONCLUSIONS.- i" Avant de vouloir attribuer à l'interruption de tel ou
tel faisceau les phénomènes psychiques accompagnant l'évolution d'une
284 WEBER
tumeur cérébrale, il est urgent d'en étudier encore beaucoup mieux les
effets généraux sur le tissu nerveux central.
2° Il faut surtout se souvenir que tout néoplasme pénétrant dans la
substance blanche produit des dérangements graves dans la circulation
lymphatique ; qu'il en résulte des altérations histologiques locales d'a-
bord, mais ne tardant pas à se généraliser. Théoriquement ceci me sema
blerait surtout applicable aux tumeurs du corps calleux.
3° Les chances de réussite d'une intervention chirurgicale diminuent
sansaucun doute avec l'intensité de ces altérations du tissu cérébral, car
elles sont en bonne partie irréparables.
4° Toute explication me manque pour le phénomène excessivement
curieux de la déformation pupillaire conjugée.
Observation XI (PI. LU et LUI).
De M. le D1' Weber, médecin à Colombier (Neuchàtel).
M. G.... instituteur, est décédé en janvier 190.*j, de 50 ans. Dans son en-
fance il a eu un accident de voiture et a été atteint d'une forte contusion à la
tête. Dès lors son caractère aurait toujours été moins gai que celui de ses
frères, dont la sauté est parfaite. M. G... était cependant bien doué intellectuel-
lement et devint un excellent instituteur. Il a exercé cette profession avec
distinction pendant 30 ans.
Marié de bonne heure, il laisse une assez' uombreuse famille. La santé des
enfants est parfaite. Plusieurs d'eutre eux présentent la particularité d'avoir
conservé des résidus de la membrane pupillaire, résidus qui ne gênent cepen-
dant qu'assez peu leur acuité visuelle. M. G... lui-même a été porteur de cette
même anomalie.
Après avoir joui pendant fort longtemps d'une excellente santé M. G... souf-
frit, il y environ 10 ans, d'un iritis, dont la nature resta indéterminée. Cette
même affection récidiva il y 3 ans. En mars 1901, eczéma humide du pavillon
des deux oreilles.
En juillet 1902, la vue baisse, V = 2/3 à gauche et à droite M. le professeur
Dufour,à Lausanne, écrit « que cette vision 2/3 est d'autant plus étonnante que
M. G... porte une forte stase papillaire anx deux nerfs optiques, avec papilles
extrêmement gonflées et proéminentes, bref les symptômes d'une pression iutra-
crânienne augmentée, bien qu'il n'ait pas de céphalalgie. Il faut donc admettre
un foyer d'apoplexie et cela le plus volontiers près du 'cervelet, vu le manque
de coordination ».
L'urine ne contenait ni albumine ni sucre. Le traitement consista en ven-
touses et iodure. Le résultat fut nul.
Dès lors le malade marcha en chancelant, toujours d'une façon plus accen-
tuée et sur la rue il ressemblait vraiment à un homme ivre. Bientôt il dut
interrompre ses occupations à cause de sa vue qui continuait de baisser rapi-
dement. L'incertitude dans la démarche s'accentua aussi. A ces symtômes
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
.T. XX. Pl. LII
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS.
(Weber).
Observation IX
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. LUI
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS.
(Weber).
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 285
vinrent s'ajouter des crises d'angoisse. Un peu plus tard ces crises prirent un
caractère épileptiforme très marqué. Pendant la dernière année le malade fut
pris de crises épileptiques extrêmement intenses, avec nausées et quelquefois
vomissements, et cyanose. Les crises ne survenaient que lorsque le malade
était debout ou assis dans son lit, jamais lorsqu'il restait couché et immobile.
C'est pour ce motif que le malade resta alité pendant deux années entières.
En dehors des crises l'appétit resta bon et M. G... devint obèse. En 1902,
alors que le diagnostic était encore douteux, G... fut, après consultation, consi-
déré comme atteint de sclérose en plaques.
Depuis fin 1902 amaurose totale.
Tous les traitements institués, y compris Hg. et KJ. à hautes doses ne per-
mirent pas d'enrayer les progrès de la maladie.
Depuis 1903, maux de tête presque continuels, avec siège surtout au vertex.
En novembre je pratique une ponction lombaire. Elle donne issue à du
liquide cérébrospinal limpide. La nuit suivante le mal de tête s'est beaucoup
aggravé, au point que le malade pousse des cris. Ensuite le calme revient,
suivi de stupeur et de lucidité imparfaite. Ce n'est qu'après plusieurs jours
que son état s'améliora de nouveau.
En janvier 1904 le malade est souvent taciturne, quelquefois il est désorienté.
Toutefois ces troubles ne durent jamais plus de 2 à 4 jours. Depuis plusieurs
mois les membres et surtout le bras et la jambe droits présentent un tremble-
ment qui s'accentue toujours davantage. Lorsque le malade veut serrer la main
de quelqu'un il se produit un mouvement de trémolo très frappant. Par contre
il n'existe nulle part la moindre paralysie. Crises épileptiques fréquentes. Cécité
toujours complète.
Le 8 janvier 1905 au matin, forte crise épileptiforme. Le malade est livide-
Fig, 8.-Coupe 1815.
286 WEBER
C'est en allant à la selle sur une chaise percée que la crise s'est produite. La
respiration est en arrêt complet, sauf une rare inspiration bruyante par ci par
là. Remis immédiatement dans son lit, le coeur cesse de battre après peu de
minutes.
Le malade a donc présenté de bonne heure et à un haut degré l'ataxie céré-
belleuse.
Depuis, une fille de M. G... a accouché d'un enfant anencéphale avec gliomes
dans les poumons (ce cas sera publié par M. le prafesseur Askanazy). Cette
répétition d'anomalies corporelles à travers trois générations est remarquable.
Dates. Début en juillet z902 par un affaiblissement de la vue et des symp-
tômes cérébelleux. Fin 1902, amanrose totale, maux tête, nausées. Janvier 1904,
troubles psychiques nets, tremblement accentué du bras et de la jambe droite.
Exitus en janvier 1905 au cours d'une crise épileptiforme .
L'autopsie, faite dans des conditions peu favorables, resta incomplète. Le
cerveau, semblable à une balle à parois épaisses me fut envoyé après durcis-
sement dans le liquide de Mutter il prit une consistance analogue au caout-
chouc et fut fort difficile à couper, Les clichés ont été pris sur la pièce entière,
dans le microtome de Gudden (PI. LU et LUI).
L'hémisphère gauche du cervelet est bombé ; le droit au contraire est aplati.
Ceci s'explique par la présence, dans le sillon bulbo-cérébelleux droit, d'une
tumeur à surface noueuse, de forme cylindrique il peu près. Diamètre : 2 cen-
timètres, longueur : 3 cent. 1/2. Elle était presque séparée de l'encéphale lors-
que la préparation me parvint et il ne me fut plus possible d'en établir exac-
tement les relations éventuelles avec les nerfs de cette région, entr'autres le
VIII. Le bord médian du néoplasme contient des fibres nerveuses encore colo-
rahles. Il s'agit d'un sarcome à cellules fusiformes (prof. Askanazy).
Examen des coupes sériées. Oblongata et cervelet (fig. 9 et 10).
A plus d'une reprise déjà j'ai montré que dans certaines conditions, le ven-
tricule latéral, opposé à la tumeur, est dilaté. Il est intéressant de noter
que le même fait se reproduit dans IVe ventricule. Le liquide céphalo-rachi-
dien, ne pouvant s'écouler assez vite, s'est fait place du côté gauche (V. IV,
fig. 9 et 10). Cependant à droite aussi il y a eu rétention, sous forme d'une
sorte de kyste (C.fig. 9 et 10) que l'on peut suivre jusque sur le bord antérieur
et médian de l'hémisphère droit du cevelet. Ce kyste ne paraît pas communi-
quer avec le IVe ventricule et s'être développé aux dépens de la substance
cérébelleuse ; en effet les bords en sont absolument sclérosés. On a l'impres-
sion que du liquide céphalo-rachidien, ne trouvant plus son écoulement natu-
rel vers la périphérie du cervelet, s'est ainsi fait place. Il en est résulté, avec
l'aide de la compression directe par la tumeur, une destruction fort nette de
l'hémisphère droit du cervelet. On y retrouve les vacuoles, les grosses cel-
lules araignées, les hémorragies et les fibres variqueuses décrites ailleurs. Le
noyau denté droit est très fortement atrophié, le corps restiforme droit de
même. Le péd. céréb. supérieur droit est bien mieux conservé. L'hémis-
phère gauche cependant n'est pas intact non' plus ; les altérations anato-
miques y sont seulement partout moins prononcées. Le pourtour de l'aqueduc
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL z81
de S. et du IV° ventricule est semé de vacuoles et les fibres nerveuses y sont
variqueuses, en voie de destruction. Le nodule du cervelet est transformé en
tissu sclérosé.
C'est au maximum d'extension de la tumeur (fig. 9) que correspond natu-
rellement la déformation la plus avancée.
Cerveau. -- La dilatation générale des ventricules est frappante ; en raison
des résultats de la mensuration au planimètre, je crois qu'elle s'est faite surtout
aux dépens des sillons, des espaces sous-arachnoïdiens et de la fente interhé-
misphérique. Comme je l'ai toujours constaté en pareil cas, ce sont les cornes
occipitales et frontales qui sont le plus dilatées, soit parce qu'en ces régions le
nombre et la profondeur des sillons sont relativement grands, soit parce que
la résistance de la masse blanche à surmonter y est moindre.
Cette dilatation ventriculaire très notable (5-7 : 1) doit être attribuée à
l'obstruction du courant intraventriculaire par la tumeur.
Preuve en' est l'épaississement épendymaire généralisé ; tout le pourtour
des ventricules se compose d'une masse de tissu névroglique, d'un feutrage de
grosses cellules araignées-. En dehors vient une zone contenant des vacuoles
et des placards amorphes, en voie de destruction. A mesure que l'on se rap-
proche de;l'écorce, les tissus prennent un aspect normal.
Fig. 9. D. Diverticule; Tm. tumeur.
Fig. 10.
288 WEBER
Il est regrettable que le durcissement de ce cerveau ait quelque peu laissé
à désirer et que par conséquent certaines altérations histologiques puissent
être simplement des effets de macération. Pour ce motif il n'a été tenu compte
que de ce qui semblait ne pas pouvoir donner lieu à erreur.
Il est certain que les espaces périvasculaires sont partout dilatés, souvent
même ceux des capillaires ; on y voit des éléments cellulaires du sang et du
pigment. Le plexus choroïde est riche en tissu conjonctif et contient une
quantité incroyable de corps amylacés.
Mode d'action de la tumeur. - C'est donc par obstruction du courant
intraventriculaire céphalo-rachidien que ce néoplasme a agi. Mais il faut
croire que cette obstruction ne fut pas complète et cela seul explique la
longue durée de la maladie. Dans les symptômes observés par M. le
Dr Weber, il est quelques détails qui appuient cette manière de voir. Dès
que M. G.... se mettait debout ou s'asseyait dans son lit, il s'en suivait une
crise épileptiforme. Ne doit-on pas admettre que, dans cette position, la
tumeur, faisant en quelque sorte bouchon dans la région du foramen occi-
pital et augmentant ainsi,la gêne circulatoire, fut la cause de ces accès ?
Le malade connaissait si bien son état qu'il resta couché durant années.
C'est encore par le même mécanisme que s'expliquent les effets funestes de
la ponction lombaire. Il faut croire que, le courant céphalo-rachidien étant
gêné, la poussée d'en haut n'agissant plus, il se produit également une cer-
taine stase dans le canal vertébral. La ponction lombaire fut faite alors que
M. G.... était couché. Malgré cela, l'évacuation subite d'une certaine quan-
tité de liquide détruisit l'équilibre de pression dans les cavités crânienne
et rachidienne. Il en résulta une poussée sanguine au cerveau, accompa-
gnée de maux de tête des plus violents, de troubles de la conscience, etc.
Il semble que des observations du genre de celle-ci doivent être utili-
sées aussi pour éclairer la question de l'auto-intoxication, si à la mode
aujourd'hui. Est-il logique d'affirmer que ce petit néoplasme ait sécrété
des produits toxiques, du reste absolument hypothétiques ? Ou bien est-on
plus près de la vérité en supposant qu'il ait agi mécaniquement, par obs-
truction d'un courant bien connu (voir p. ex. Noibnagel) du liquide cé-
phalo-rachidien ? Certes il a pu y avoir intoxication aussi, mais simple-
ment du fait que les produits des échanges nutritifs n'étaient plus éliminés,
précisément à cause de cette obstruction.
Ceci conduit à toucher à la question de la Stauungspapille. Est-ce dans
le cas particulier la suite d'une inflammation ou est-ce un « effet mécani-
que ? » Veut-on admettre que les nids de cellules araignées qui se ren-
contrent jusqu'à l'extrémité frontale du ventricule latéral sont la consé-
quence d'une inflammation ?
Pour nous, la compression, par stase du liquide céphalo-rachidien est
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL 289
la cause première de toutes ces altérations pathologiques. Il peut en ré-
sulter une sorte d'inflammation sous l'influence de produits chimiques,
résidus de la nutrition, produits qui normalement sont évacués par les
courants intraventriculaire et veineux.
Il n'est peut-être pas sans intérêt clinique de rappeler que le bras et la
jambe droite du malade furent affectés d'un mouvement de trémolo très
frappant. Ce tremblement accompagnait les mouvements intentionnels ; il
n'était pas associé à une diminution de la force. Ces symptômes furent sans
doute la conséquence des destructions étendues dans l'hémisphère droit t
du cervelet.
A en juger d'après les pièces anatomiques, M. G.... aurait été opérable ;
sans doute les difficultés d'accès eussent été grandes. Aurait-on pu les
surmonter ? Les lésions secondaires aurait-elles encore été capables de
restitution à l'époque où le diagnostic de tumeur s'imposa ?
Urne semble qu'en pareil cas uné opération exploratrice, faite avec
toutes les précautions en vue d'éviter un changement trop brusque de la
pression, aurait pu, ou bien déceler la situation exacte de la tumeur, ou
bien soulager beaucoup le malade par la création d'une sorte de fonta-
nelle.
J'aurai l'occasion de démontrer, en m'appuyant sur des pièces anato-
miques que, une fois le danger de mort évité par l'établissement d'une
soupape, si je puis dire ainsi, le crâne, même de l'adulte, altère sa forme
pour faire de la place. Il ne faut pour cela que du temps.
HÉMIMÉLIE
AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS
ÉTUDE ANATOMIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE L'HÉMIMÉLIE,
PAR
M. KLIPPEL, et PAUL BOUCHET,
Médecin de l'hôpital Tenon. Ancien prosecteur provisoire
à la Faculté.
CHAPITRE PREMIER
L'histoire clinique du sujet hémimèle dont nous publions ici la dissec-
tion, a fait l'objet d'un travail de l'un de nous en collaboration avec le
Dr Rabaud (1).
Nous rappellerons tout d'abord, et très brièvement, l'histoire de ce ma-
lade en renvoyant nos lecteurs au mémoire indiqué pour les détails qui
peuvent compléter notre étude anatomique.
L'individu est un garçon de 17 ans, de petite taille, ayant un aspect
infantile assez caractérisé. Il présente une lésion mitrale congénitale, un
palais ogival et une disposition vicieuse des deux incisives latérales supé-
rieures qui sont sensiblement en arrière de la ligne normale d'implanta-
tion. (Pl. LIV).
Son membre thoracique droit est représenté par son segment huméra
normal et par un segment antibrachial très court, terminé par une sorte
de palette de dimensions très réduites tenant lieu de main. L'avant-bras
mesure 7 centimètres en longueur ; sa petite base, inférieure, porte une
sorte de bourgeon charnu de 1 centimètre de long sur 2 de large, muni
de cinq tubercules. L'un d'eux sensiblement plus volumineux que les
voisins correspond incontestablement au pouce. (l'l. LV).
Le segment antibrachial est mobile sur le segment brachial ; l'individu
l'utilisait avec adresse pour saisir divers objets, les maintenir et les ser-
rer avec force. Mais les saillies digitales ne sont susceptibles d'aucun
mouvement.
Il) MM. KLIPPEL et Er. RABAUD, llémil1lélie thoracique droite. Revue de l'Ecole d'an*
thropologie de Paris, 1906, V, mai, p. 141-152.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XX, PL. LIV.
11EMIMELIE
AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS
(Klippel et Paul Bouchel).
Masson 1 : 1' Cie, Editeurs.
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE. T. XX, PL. LV.
IIÉMIMELIE
AVEC ATROPHIE NUMERIQUE DES TISSUS
- (Kllppel et Paul Bouchel).
1\IA8150 : \ 1.'1 CI'. Editeurs.
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE. T. XX, PL. LVI,
HÉMIMÉLIE
AVEC ATROPHIE NUMERIQUE DES TISSUS
{Klippel et Paul BOl/chet),
Radiographie du coude.
Ia55oa I : T ( ? I ? IWura.
HEMIMÉL1E AVEC ATROP111E NUMÉRIQUE DES TISSUS 291
La radiographie (PI. LVI) montre une extrémité inférieure d'.humérus
entièrement normale, un cubitus très reconnaissable, une extrémité
supérieure du radius légèrement réduite. Les deux os de l'avant-bras sont
réellement complets,mais brusquement réduits et très réduits quant à leur
diaphyse et leur épiphyse inférieure. Il n'existe ni carpe, ni métacarpe, ni
phalanges.
Pour marquer de suite l'intérêt que comporte une telle observation,
nous dirons que dans ce cas il y avait non seulement arrêt de croissance,
mais aussi anomalies multiples, portant en particulier sur le système
musculaire.
Après avoir décrit notre dissection en tous ses détails, nous revien-
drons sur l'enseignement pathologique et pathogénique que peut com-
porter notre cas.
L'autopsie a montré une lésion initiale qui a fait l'objet d'une thèse (1).
L'examen macroscopique de l'encéphale a démontré que le cerveau, à
l'oeil nu ne présentait pas de modification importante.
Le poids de l'hémisphère gauche était de 570 grammes.
Celui de l'hémisphère droit était de 563 grammes.
Le cervelet ne présentait qu'une altération, mais très importante, l'ab-
sence du corps dentelé du côté droit.
L'examen plus complet de l'encéphale sera fait et publié ultérieurement.
Dissection.
Nous avons pratiqué une amputation du bras droit, au tiers supérieur,
afin de pouvoir en pratiquer la dissection. Injection de solution de formol du
commerce (40 0/0) étendue d'un tiers d'eau, dans le tissu cellulaire superficiel
et profond, pour conserver la pièce dans un bon état.
Découverte, à la face interne du bras, au niveau de la section osseuse, du
nerf médian et d'une artère, petite, accolée à lui ; injection faite avec lenteur
d'une masse de suif coloré en rouge, par cette artère ; l'avant-bras et le bour-
geon représentant la main étaient plongés dans l'eau chaude pour cette injec-
tion du système artériel.
L'attitude de l'avant-bras et de l'ensemble du bourgeon représentant la main
est, au moment de la dissection, en supination, face palmaire et pouce en de-
hors, et en flexion légère sur le segment antibrachial.
L'extension complète ne peut être obtenue qu'avec effort ; elle est très diffi-
cile à maintenir; cependant elle n'est pas impossible, et, comme il n'y a pas
d'obstacle osseux s'opposant aux mouvements passifs de flexion et d'extension
à tous degrés, il est vraisemblable que cette attitude de flexion est due à la
rétraction des biceps et brachial antérieur, beaucoup plus développés dans le
cas présent, que la masse des extenseurs représentée par le triceps. L'injection
(1) Jesson, Nanisme el infantilisme cardiaques. Paris, 1905.
292 KLIPPEL ET BOUCHET
de formol au tiers a saisi en quelque sorte les tissus dans leur situation au
moment de la mort, et les a conservés dans cette attitude qui a apporté une pe-
tite difficulté dans la dissection et l'étude anatomique de cette hémimélie.
Au niveau du segment brachial, on trouve sous la peau dont l'aspect et
l'épaisseur sont normaux, une couche de graisse très abondante, du côté de
la flexion, à peu près nulle au niveau de la face postérieure; au niveau de ce
qu'on peut appeler les bords interne et externe du bras, la graisse sous-cutanée
n'a pas moins d'un centimètre* et quart d'épaisseur. La veine basilique est
grosse, située normalement, mais il n'existe pas de veine céphalique; la basi-
lique est la seule veine superficielle du segment brachial ; elle est environ d'un
tiers plus gros que la normale ; elle reçoit au niveau de la partie moyenne du
bras, perpendiculairement à son trajet, trois veinules petites, sans intérêt. Le
nerf brachial cutané interne est normal, mais l'accessoire du brachial cutané
interne est ahsent (Fig. 1).
Le muscle biceps brachial est volumineux et normal ; son expansion aponé-
vrotique est épaisse. Sur le bord interne de ce muscle cheminent le nerf mé-
dian, l'artère humérale et les veines satellites. L'artère et les veines passent,
au niveau de la partie moyenne du bras, à la face profonde d'un faisceau apo-
névrotique et un peu charnu, parti du bord interne du brachial antérienr et
allant se perdre sur la face antérieure de la cloison intermusculaire interne. Le
nerf médian passe sur la face antérieure de ce faisceau ; dans toute l'étendue
du bras, le nerf est franchement en dedans des vaisseaux. A la partie infé-
rieure du bras, au voisinage de l'expansion aponévrotique du biceps, les vais-
seaux numéraux perforent d'arrière en avant le faisceau musculo-aponévro-
tique du brachial antérieur sous lequel ils s'étaient engagés, puis cheminent
normalement au-dessous de l'expansion bicipitale.
Le muscle brachial antérieur est plus gros que sur un sujet normal ; c'est
le muscle le plus volumineux du membre tout entier, tant en largeur qu'en
épaisseur. Sur son bord externe, on trouve isolées sur une grande longueur,
les deux languettes nées des branches du V deltoïdien ; elles se fusionnent en-
suite, mais ne s'unissent au reste du muscle, qu'à la partie toute inférieure du
bras, alors que le tendon est déjà constitué ; un faisceau, dont nous avons parlé
plus haut, s'insère sur la face antérieure de la cloison intermusculaire interne;
largement étalé, il vient se fusionner, en bas, avec le tendon terminal.
Le coraco-brachial est absent.
Le nerf musculo- cutané innerve les biceps et brachial antérieur, comme
normalement. Le nerf radial chemine entre le brachial antérieur et le long su -
pinateur. Ce dernier muscle est également très développé; son insertion supé-
rieure remonte très haut, jusqu'au tiers supérieur de l'humérus. Il y a deux
chefs superposés dans le sens vertical, au niveau de cette insertion.
La cloison intermusculaire interne est large et forte; elle est formée et ren-
forcée par une insertion interne du brachial antérieur qui lui fournit les fibres
longitudinales, normalement fournies par le coraco-huméral absent ici,
La cloison intermusculaire externe est plus large et plus forte que l'interne,
ce qui est l'inverse de l'état habituel.
HÊMÏMÉUE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 293
Le triceps brachial est normal, plutôt peu développé, par rapport à la masse
des fléchisseurs. Le nerf cubital est à sa place.
Au niveau de la région du pli du coude, on constate que le réseau veineux
superficiel est composé essentiellement par une veine médiane venue de l'avant-
bras, recevant de la profondenr une veine communicante, et de la superficie
une veine radiale peu développée, et une veine cubitale superficielle plus mar-
quée ; de ce réseau émerge seulement la veine basilique du bras. L'artère fin-
mérale ne passe pas à la face profonde de l'expansion aponévrotique du biceps
dans toute son étendue ; elle la perfore bientôt d'arrière en avant et devient
superficielle dès la partie toute supérieure de la face antérieure de l'avant-bras.
Le tendon du biceps est énorme. Celui du brachial antérieur est encore plus
considérable; très largement étalé, et fort épais à la coupe, il a causé le déve.
xx 19
rig. 1.
a, Biceps brachial ; b, Brachial antérieur ; c, Long supinateur ; d, Nerf musculo-
cutané ; e, Nerf médian ; f, Doigts ; g, Humérus.
294 KLIPPEL ET BOUCHET
loppement prépondérant de l'apophyse coronoïde du cubitus. Nous insistons
tout particulièrement sur ce développement parallèle du tendon et de l'insertion
osseuse. \
L'épitrochlée est très saillante en dedans. Pas d'apophyse sus-épilrochléenne.
Les muscles de la face antérieure de l'avant-bras sont, les uns, externes, à
peu près verticaux, les autres internes, fortement obliques en bas et en dehors,
en raison de la forte saillie de l'épitrochlée ; enfin le court supinateur, très dé-
veloppé ici, normalement inséré, occupe la région profonde et externe.
L'avant-bras, dans l'ensemble, est extrêmement court ; d'ailleurs au sur et à
mesure qu'on va vers les doigts ou leurs rudiments, on assiste à un raccour-
cissement de plus en plus considérable, en raison inverse des puissances cubi-
ques, peut-ou dire approximativement. L'extrémité supérieure des os de
l'avant-bras est très développée, à peu près normale presque, comme dimen-
sions, ce qui est dû à ce fait que les muscles qui s'y insèrent : brachial anté-
rieur, biceps, court supinateur, triceps brachial, anconé, surtout, sont eux-
même développés et contrastent singulièrement avec le plus grand nombre
des muscles antibrachiaux absents, anormaux, ou complètement bouleversés
comme disposition et insertions, sans qu'on puisse les rattacher au premier
abord à des muscles normaux. Aussi le corps et surtout les extrémités inférieu-
res des os de l'avant-bras sont brusquement réduits et très fortement réduits.
La diminution de volume des os et des autres tissus de l'avant-bras est immé-
diate et non progressive de haut en bas sur cet avant-bras; elle commence
presque subitement au-dessous d'un plan passant par la tubérosité bicipitale
du radius.
La graisse sous-cutanée est excessivement abondante et épaisse, jusqu'à
deux travers de doigt, au tiers supérieur de la face antérieure ; elle est abon-
dante, quoique moins épaisse, sur tout le reste de l'avant-bras.
Du côte interne de la face antérieure, partant de la région épitrochléenue,
on voit deux muscles superficiels : l'un représente exactement le rond prona-
teur, l'aytre est une formation spéciale, ainsi que nous verrons.
Le rond pronateur est double dans toute son étendue, et présente un chef
superficiel et un chef profond. Le chef superficiel présente des insertions sup-
plémentaires sur la cloison intermusculaire interne, et sur l'expansion aponé-
vrotique du biceps ; le chef profond, sur le tendon du brachial antérieur, et
sur l'angle interne du cubitus. L'artère radiale qui est d'abord très superfi-
cielle, au pli du coude, s'engage bientôt entre les extrémités externes des ten-
dons radiaux des deux chefs du rond pronateur, puis perfore d'arrière en avant
le tendon radial du chef superficiel, pour redevenir superficielle.
Plus en dedans, il y a un gros muscle (/, lig. 2) s'insérant l'épitrochlée, à
la face antérieure de l'extrémité supérieure du cubitus, à la face profonde de
l'aponévrose antibrachiale, à une cloison qui le sépare du rond pronateur, et
au quart supérieur de la crête postérieure du cubitus, par un tendon aponévro-
tique. Ce muscle est oblique en bas et en dehors, vers le bord interne de ce
qui représente la main ; à sa partie inférieure, il se termine par un tendon
(le, fig. 3) très largement étalé sur la face antérieure de la main, formation
UÉMIMÉL1B AVEC A'l'IiOI'111G NUMÉlllQUE DES TISSUS 295
tendineuse qui se perd, sans limites précises, d'une part à la face profonde de
la peau, d'autre part au tissu fibreux dense situé aux lieu et place des os du
carpe et du métacarpe absents ; en outre cette formation se continue du côté
radial avec une autre formation tendineuse venue d'un muscle externe, qui
semble être le long supinateur, ces deux formations constituant ainsi par leur
réunion une sorte d'aponévrose. Ce muscle est innervé par un rameau du mé-
dian.
Cette formation musculaire (k) représente la partie superficielle du pronato-
flexor mass dont parle Humpliry, et qui, après la cinquième semaine de la vie
embryonnaire, forme, non encore dilrérenciés, les fléchisseur commun super-
ficiel des doigts, grand palmaire, petit palmaire, cubital antérieur. C'est la por-
lion la plus interne de cette masse, qui est la plus avancée en développement
et différenciation (futur cubital antérieur).
Ces muscles une fois sectionnés, c'est-à-dire la couche superficielle élimi-
née, on constate que la couche musculaire profonde est très réduite et très inti-
,
Fig. 2. - Avant-bras (plan superficiel).
a, Long supinateur ; b, Court supinateur ; c, Deuxième radial externe ; d, Faisceau
profond du rond pronateur ; e, Artère radiale ; ? Tendon du long supinateur ;
g, Tendon du brachial antérieur ; h, Nerf médian ; i, Artère radiale ; j, Artère
cubitale ; k, Rond pronateur ; l, Formation musculaire anormale; m, Portion ten-
dineuse du rond pronateur perforée par l'artère radiale ; n, Expansion tendineuse
de l, s'unissant au tendon f du long supinateur, et à o, l'aponévrose palmaire ;
o, Aponévrose palmaire.
296 KLIPPEL ET BOUCHET
mement accolée au périoste. Elle est représentée par deux faisceaux muscu-
laires dont la disposition est la suivante : l'un d'eux (b , fig. 3), plus
externe, va de la face inférieure de l'apophyse coronoïde du cubitus et de la
partie de la face antérieure du corps du cubitus immédiatement sous-jacente
au tubercule coronoïdien, et, peu épais, mais assez large, va s'attacher par
des insertions purement charnues sur le tiers moyen de la face antérieure,
assez étroite, du corps du radius ; l'autre faisceau musculaire (c), fort mince,
mais étalé, part de la partie moyenne de la face interne du corps du cubitus,
et oblique en bas et en dehors, et se perd sur la partie inférieure de la face
antérieure du cubitus, près de l'épiphyse inférieure. Ces deux faisceaux
représentent une partie de la couche profonde du pronato-flexormass.
Il n'existe pas de carré pronateur; à ses lieu et place, il y a un trousseau
fibreux très épais qui va obliquement de la face antérieure de l'extrémité infé-
rieure du radius en dehors, vers la région correspondante du cubitus en de-
dans et en bas ; mais ce trousseau fibreux ne descend pas très bas. Derrière
lui, passe une branche artérielle qui semble être l'interosseuse antérieure.
Fig. 3.
a, Biceps brachial ; b, Artère radiale sectionnée ; c, Rond pronateur ; d, Tendon du
long supinateur ; e, Doigts ; f, Nerf médian et ses divisions ; g, Tendon du bra-
chial antérieur ; h, Artère cubitale ; i, Court supinateur ; j, Muscle anormal ;
k, Son tendon inférieur ; l, m, Faisceaux musculaires anormaux représentant la
couche profonde.
HÉMIMÉL1E AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 297
A la région profonde et externe, on trouve le court supinateur extrêmement
développé, avec insertions normales. '
Le nerf médian innerve le rond pronateur et les deux muscles épitrochléens
superficiels dont nous avons parlé ; le nerf cubital innerve les deux faisceaux
musculaires internes profonds ; dès la partie moyenne de la face antérieure de
l'avant-bras, ces nerfs envoient des filets à la peau et s'éparpillent en faisceaux
ténus ; leurs troncs cessent d'exister.
L'artère humérale,au pli du coude, donne en dehors une branche volumineuse
qui passe à la face profonde du tendon du biceps, chemine au-dessus des inser-
tions supérieures du court supinateur et se perd dans l'anconé près de son
insertion épicondylienne ; cette artère a un trajet descendant dans son ensem-
ble. Peu après; l'humérale donne une artère radiale qui est très superficielle
d'emblée jusqu'aux tendons du rond pronateur entre lesquels elle passe, pour
perforer bientôt d'arrière en avant le faisceau tendineux superficiel du rond
pronateur ; la radiale redevenue superficielle, va ensuite contourner le bord
externe du radius, et passe entre deux faisceaux tendineux appartenant au long
Fig. 4.
a, Nerf radial ; b, Tendon du biceps ; c, Court supinateur ; d, Cloisons intermus-
culaires ; e, Tendon du brachial antérieur ; f, Face antérieure du cubitus.
298 KLIPPEL ET BOUCUET
supinateur pour arriver à la face dorsale de la région représentant le carpe,
où elle devient extrêmement grêle, filiforme, et où elle se perd. L'humérale
donne ensuite au même point la cubitale, qui va passer à la face profonde du
rond pronateur et se perd en vascularisant par quelques branches les muscles
superficiels et profonds de la région interne, puis les deux artères interosseuses,
toutes deux grêles ; l'interosseuse postérieure toutefois est assez grosse pen-
dant 2 centimètres, puis elle devient filiforme au moment où elle a gagné la
Fig. 5. Vue latérale externe,
a, Nerf radial ; b, Humérus ; c, Biceps ; d, Branchial antérieur ; e, Court supinateur.
Fig. 6.
a, Radius ; b, Apophyse styloïde ; c, Long supinateur ; d, Aponévrose palmaire ;
e, Doigts.
HÉMTMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 299
face postérieure de l'avant-bras après avoir émis une branche récurrente ra-
diale postérieure, extrêmement grêle, qui va se perdre dans l'anconé et face
postérieure de l'articulation du coude, huméro-radiale.
A la face postérieure et externe de l'avant-bras on voit d'abord l'anconé,
volumineux et normal ; on constate que son innervation et sa vascularisation
Fig. 7.
Fi ! ? . S.
300 KL1PPEL ET BOUCHET
sont normales. Puis, plus en dehors, se distinguent trois muscles, dirigés lon-
gitudalement suivant l'axe de l'avant-bras et parallèles entre eux. Le plus
externe (h, fig. 9) est visiblement un chef du long supinateur dédoublé ;
à sa partie inférieure ce muscle large conserve son dédoublement au niveau
de sa partie tendineuse (fig. 6) : un faisceau solide, en forme de gros cordon,
s'attache à la partie inférieure de la face externe du corps du radius, à un
travers de doigt de l'apophyse styloïde, ce qui est appréciable si on se reporte
aux dimensions des os dans le cas présent ; un autre faisceau, étalé, continue
son trajet vertical et aborde le bord externe et la face postérieure de la région
correspondante au carpe et au métacarpe, où il s'étale sans limites précises
sur le tissu fibreux dense de la région ; entre ces deux tendons passe l'artère
radiale. Sur la face postérieure de l'avant-bras, on voit ensuite un muscle
(i, fig. 9) qui a des insertions supérieures analogues à celles qui sont normale-
ment celles du muscle deuxième radial externe : même insertion épicondylienne,
même attache sur le bord convexe d'une arcade fibro-tendineuse épicondylo-
radiale ; mais à sa partie inférieure, ce muscle s'attache très fortement par un
tendon cordiforme au bord postérieur du radius demeuré saillant à sa partie
inférieure contrairement à la normale ; cette insertion se fait à un centimètre
au-dessus de l'extrémité inférieure de l'os.
Fig. 9. - Face postéro-externe.
a, Longue portion du triceps ; h, Vaste externe ; c, Tendon du triceps ; d, Olécrane ;
e, Anconé ; f, Humérus ; g, Épicondyle ; h, i,j, Trois muscles anormaux; Is, Radius.
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 301
Enfin le troisième muscle longitudinal (j, fig. 9), situé entre le précédent
et le muscle anconé, s'insère sur la face postérieure de l'épicondyte, près de
son bord externe, et sur l'arcade fibreuse épicondylo-radiale, ainsi que sur
un petit faisceau tendineux qui le sépare du muscle longitndinal voisin ; ce
muscle ne tarde pas à longer dans presque toute son étendue la gouttière qui
sépare le radius du cubitus, en arrière ; à la partie inférieure, devenu tendi-
neux, il passe dans le fond de cet interstice, puis s'éparpille aussitôt à la face
dorsale de ce qui représente le poignet et la main, s'attachant sur le tissu
fibreux dense qui constitue leur squelette.
La masse représentée en h, est constituée par le long supinateur et les deux
radiaux externes contigus, non différenciés ou à peine, comme ils le sont dans
le deuxième groupe des extenseurs, après la 5° semaine de la vie intra-uté-
rine, 1 ? et te partie. En j, sont représentés les extenseurs communs, cubital
postérieur, extenseur propre du petit doigt, non différenciés. Peut-être le
muscle figuré en i représente-t-il l'ensemble des muscles du pouce, arrêtés
dans leur développement, 3e groupe des extenseurs, non différenciés (après la
5e semaine intra-utérine).
Profondément par rapport à la partie supérieure de ces muscles, on trouve
la face postérieure dn court supinateur, normal.
Telle est toute la musculature de la face postérieure de l'avant-bras ; tous
ces muscles sont innervés par le radial.
Au niveau du poignet, de la main et des rudiments de doigts, il n'est
possible de rien disséquer : depuis l'extrémité inférieure des os de l'avant-bras
jusqu'à l'origine des doigts, il n'y a guère que l'étendue de deux centimètres
et demi ; là, il n'y a que de la peau très épaissie, un peu de graisse, et sur-
tout un épais tissu fibreux dense, criant sous le bistouri, sans noyaux dis-
tincts ; sur la face antérieure et sur la face postérieure de ce tissu fibreux,
se perdent les trousseaux aponévrotiques résultant de l'épanouissement de
tendons que nous avons décrits.
Fig. 10.
a. Radius; b, Cubitus ; ç, Olécrane ; d, Espace interosseux.
302 KLIPPEL ET BOUCHET
L'articulation du coude est normalement constituée. La cavité olécrânienne
est extrêmement large et profonde. La cupule du radius a un biseau bien dé-
veloppé ; mais le fond de la cupule est dépourvu de cartilage et présente un
aspect poreux ; un repli falciforme, en forme de bourrelet fibreux épais fait
saillie dans l'interligne huméro-radial à sa face postérieure; anormalement
développé, il est en grande partie interposé entre le radius et l'humérus qui,
même à angle droit, sont relativement éloignés l'un de l'autre. -
L'extrémité inférieure des os de l'avant-bras est aussi petite que leur extré-
mité supérieure est grosse, et elle se termine en petites spatules avec un véri-
table bord distal dirigé d'avant en arrière.
CHAPITRE II
A.- Nous donnons ici la relation des observations d'hémimélie que nous
avons pu recueillir dans la littérature. Pour bien faire mettre en relief
les différences qui séparent l'hémimélie vraie de l'amputation congénitale,
nous faisons précéder la série des observations d'hémimélie, d'un cas
type d'amputation congénitale appartenant à Mouchotte, et de quelques
considérations tirées de deux thèses récentes sur cette difformité. On ne
doit plus dire en effet : hémimélie par amputation congénitale; ce sont
deux lésions totalement différentes; la seconde indique elle-même sa
cause, quelquefois même sa cause anatomique déterminante, la première
indique un arrêt de développement dont il sera désormais parfois possible
de fixer la date originelle, sinon toujours la cause première.
L'argument de Mathias-Duval, à savoir que « l'hémimélie ne correspond
à aucune phase embryologique, à aucun stade du développement » porte
absolument il faux, comme l'ont montré Klippel et Rabaud. « Sans doute,
Fig. 11.
Moelle cervicale (à la 8e paire cervicale)
Nombre de cellules : côté sain 33 ; côté atrophié 18.
11GDIIMLLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 303
écrivent-ils, si l'on considère l'individu dans son ensemble, il n'est aucun
moment de l'évolution embryonnaire qui correspond à la morphologie de
l'hérnimèle. Si même on restreint la comparaison au membre supérieur
seul, on ne trouve pas un stade où le segment humerai étant développé,
les segments antibrachial et carpo-métacarpien soient à ce point dispro-
portionnés. C'est l'inverse que l'on pourrait à la rigueur observer, c'est-à-
dire une phase correspondant grossièrement à la phocomélie. Mais, en se
plaçant au point de vue comparatif, ce qu'il importe d'opposer, ce sont
strictement les parties atteintes aux parties de même nom normalement
formées. Or il est incontestable que la main de l'hémimèle rappelle d'une
façon suffisamment exacte une phase connue du développement de cette
région du corps ; que, de même, la majeure partie de l'avant-bras se rap-
porte à une phase du développement morphologique. »
C'est précisément ce que nous montrerons. ,
B. - Quelques documents relatifs à l'amputation congénitale.
1. - OSMONT, Contribution à l'étude des amputations congénitales.
Thèse Paris, 1892.
Le sillon est le premier degré de la lésion ; il peut exister seul et ne pas
continuer son évolution. Il peut, en s'accentuant, amener l'amputation. Dans
ce cas, la présence de brides amniotiques n'est plus nécessaire pour produire
cette amputation, le tissu cicatriciel qui forme le fond du sillon agissant à la
façon d'un lien élastique.
Il Llroniuc, Recherches sur les amputations congénitales,
Thèse Paris, 1893.
Les amputations congénitales, que l'on connaît bien seulement depuis le
mémoire de Montgomerry, sont des mutilations et non des malformations.
On explique les amputations congénitales par deux sortes de causes :
4° Une cause externe, agissant par compression sur les parties foetales,
brides amniotiques ou cordon (Montgomerry, Schoeffer, Zagowski, A. Moreau,
Martin d'Iéna) ;
2° Une cause interne, d'ordre histologique, amenant par rétraction des
tissus l'amputation du membre (Kristeller, Menzel, Longuet). '
Il existe enfin une théorie éclectiqne qui veut que les causes précédentes se
réunissent dans certains cas pour produire l'amputation (Horteloup, Fournier,
Reclus).
III. - J. Mouchotte, Observation d'amputation congénitale de l'avant~bras
gauche. Soc. anat., Paris, 1903, p. 750.
Enfant Dav..., 6 ans. Né plus gros et plus fort que ses autres frère et soeur.
304 KLIPPEL ET BOUCHET
Présentait à la naissance un moignon brachial gauche, sans aucune malforma-
tion concomitante. Pas de maladie jusqu'à 4 ans 1/2.
A 4 ans 1/2, rougeole compliquée d'ophtalmie purulente. Depuis, l'enfant
tousse toujours un peu ; il est pâle, délicat. Actuellement il a de l'impétigo.
Le moignon brachial gauche est conique. Il est constitué par l'humérus
correspondant dont la longueur est la même que celle de l'humérus droit, et
par une très courte partie anti-brachiale. La circonférence prise au milieu du
bras du membre amputé est de 15 centimètres ; celle du membre droit sain,
de 17 centimètres 1/2. L'extrémité du moignon peut être légèrement fléchie
et la palpation y révèle une dureté osseuse. La radiographie montre, à ce ni-
veau, au-dessous de l'humérus, deux petits fragments appartenant aux os am-
putés.
Un peu en retrait sur l'extrémité du moignon, on constate une cicatrice
déprimée.
C. Observations d'hémimélie.
I. ALBRECHT, De infante trunco sine artubus, dans les Act. natur. cur.,
t. V, obs. XXII, 1740.
L'auteur a figuré et décrit avec soin un enfant mâle de 15 mois, dont les
quatre membres étaient affectés d'hémimélie. Les testicules n'étaient point
descendus dan s le scrotum. La mère attribuait la singulière conformation de
son enfant, à des statues mutilées, dont la vue l'avait frappée pendant la gros-
sesse.
II et III. - ISIDORE GEOFFPOY Saint-Hilaire, Histoire générale
et particulière des anomalies de l'organisation, 1836, t. II, p. 214.
(Genre II, Hémimèles, de ;zi, demi, et pD.o" membre).
L'auteur rapporte deux cas :
I. - Une jeune fille, privée presque complètement des membres inférieurs,
avait le membre supérieur droit bien conformé, et le gauche affecté d'hémimé-
lie ; le bras de ce côté existait seul ; son volume était normal, et on sentait
distinctement sous la peau un humérus terminé par deux condyles très bien
formés, quoique n'étant articulés avec aucune autre partie osseuse. Le membre
se terminait en un moignon hémisphérique, portant à sa partie inférieure un
très petit lobule, de forme arrondie, qui paraissait être un doigt rudimentaire.
IL Enfant de deux ans, dont le bras droit était représenté par un moi-
gnon comparable à celui qui résulterait de l'amputation du bras au-dessous du
coude. Le bras gauche et l'un des membres inférieurs étaient aussi affectés
d'hémimélie, mais avec des conditions un peu diverses.
IV. - LE CADRE, Monstruosité par défaut ou privation des extrémités
abdominales et de l'avant-bras gauche. Soc. Biologie, 1852.
Femme de 30 ans. Le bras droit est normal, mais le bras gauche n'a que
l'humérus et ressemble à un moignon d'amputé. On n'y voit aucun rudiment
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 305
d'avant-bras ni de main, seulement une empreinte circulaire dans un point et
vis-à-vis un corps mou pédiculé immobile, long tout au plus de 3 centimètres;
à travers les téguments, on sent les deux tubérosités de l'humérus, mais rap-
prochées l'une de l'autre, de sorte que l'os, au lieu d'être aplati d'avant en ar-
rière, est presque arrondi.
A la place des extrémités inférieures existent deux moignons longs tout au
plus de 18 centimètres, de la grosseur d'une cuisse ordinaire, et en rapport
avec l'obésité du sujet, permettant par leur mobilité au sujet de s'asseoir sur
un tabouret. Le moignon gauche offre à sa base un gros orteil muni de son on-
gle ; ce gros orteil présente deux phalanges qui se meuvent librement, et une
articulation de la première phalange avec un segment du fémur : on sent cette
articulation à travers les chairs, mais cette exploration est douloureuse. Mais
c'est le moignon gauche qui offre à l'observation les particularités les plus in-
téressantes : au lieu d'un orteil, on y voit une espèce de mamelon mou, sans
os à l'intérieur, resserré à sa base par une sorte de sphincter, et immobile.
V. - BLACHEZ, Hémimélie bithoracique.
Soc. anat., Paris, 1856, p. 281-284.
Dissection. - Sujet mâle mort à 2 mois.
Les deux membres supérieurs sont réduits de chaque côté à un fragment
d'humérus qui comprend tout le tiers supérieur, c'est-à-dire la portion deltoï-
dienne. A droite, l'os est un peu plus long qu'à gauche ; il se termine par une
extrémité très légèrement taillée en biseau, absolument comme s'il y avait eu
fracture en cet endroit. On ne trouve aucune trace, aucun rudiment d'avant-
bras, ou de main. Les muscles grand pectoral, petit pectoral, deltoïde, sont
très bien développés. Les parties sont exactement dans l'état de développement
où elles seraient, si une section transversale avait été portée sur l'humérus au
niveau de la jonction de son tiers supérieur. La portion supérieure du triceps
est assez développée, et les faisceaux musculaires, très courts, s'insèrent sur
le fragment osseux dans toute leur étendue ; ils vont en s'amincissant et en
s'effilant à leur partie inférieure. L'extrémité inférieure de l'os fait saillie sous
la peau.
La cuisse gauche n'a que 4 centimètres ; les muscles ont leur insertion nor-
male. La cuisse du côté droit n'est représentée que par un rudiment ostéo-
fibreux, un peu renflé au niveau des tubérosités du tibia avec lequel il s'arti-
cule incomplètement, et qui ne se continue pas jusqu'au bassin. Les muscles
coxo-fémoraux s'insèrent sur le tibia à la partie supérieure. Le grand fessier
est bien développé à la partie externe au-dessous de la tubérosité articulaire ;
les adducteurs au même niveau, mais à la partie interne. Ces muscles circons-
crivent une espèce de pyramide à parois musculaires, dans l'intérieur de la-
quelle on ne sent qu'un rudiment ostéo-fibreux, qui n'offre aux muscles aucune
insertion.
306 KLll'l'EL ET BOUCLIET
VI. GOURIET (de Niort), Exemple curieux d'anomalies multiples.
Gaz. des hôpitaux, 1857, p. 15.
Hémimélie thoracique gauche ; la main et l'avant-bras étaient absents ; il
existe seulement un faible rudiment du radius et du cubitus.
VU. - TAssiN, Hémimélie thoracique droite.
Bull. Soc. méd. de l'Yonne, 1870, p. 10.
Enfant de 5 mois. Il y a au coude un rudiment composé de la naissance des
os radius et cubitus avec quelques os du carpe, le tout formant un moignon
arrondi, à l'extrémité duquel se trouve un doigt (l'index), parfaitement con-
formé.
La mère, étant enceinte de six semaines, a éprouvé une grande impression
à la vue d'un mendiant qui lui exhiba un moignon de bras ayant l'aspect de
celui de son enfant.
VIII. Troisier, Hémimélie thoracique droite. Examen de la moelle
épinière. Société anatomique, juillet 1871, p. 140-142.
Marie C..., morte à l'âge de 6 mois, dans le service de M. mollard, à l'hô-
pital de la Pitié, présentait, depuis sa naissance, la monstruosité suivante :
l'avant-bras est remplacé par un moignon de 4 centimètres de longueur, ce moi-
gnon se termine par une surface arrondie sur laquelle on remarque un petit
tubercule cutané et deux plis de la peau, dont l'un adhère aux parties profon-
des. Le mamelon offre lui-même latéralement une petite saillie hémisphérique
d'une consistance assez ferme. En aucun point on ne trouve de cicatrice.
Le coude est bien conformé et jouit de tous les mouvements propres à cette
articulation.
Le bras est long de 7 a 8 centimètres, et il ne paraît pas y a avoir de diffé-
rence de longueur ni de volume avec le gauche.
L'épaule gauche est aussi bien développée que la droite. Cette enfant ne
présentait point d'autre difformité.
Sa mère est atteinte d'un rhumatisme articulaire chronique du cou-de-pied
et du poignet du côté gauche, qui débuta trois semaines environ avant son
accouchement. Elle est accouchée précédemment de 3 enfants nés vivants et
bien conformés.
Dissection du membre. - Le cuhitus a 3 centimètres et demi, le radius n'en
a que deux. Le radius est situé en avant du cubitus et offre une courbure dont
la concavité regarde en dedans et en arrière, de sorte que son extrémité infé-
rieure est relevée vers le cubitus qui se trouve situé un peu plus haut et sur
un plan postérieur. Ces os présentent en raccourci la forme de leurs congénè-
res : leurs extrémités supérieures ont une conformation normale et s'articulent
avec l'humérus. Le corps du cubitus présente trois faces ; sur le corps du ra-
dius on remarque deux tubérosités, l'une qui est située immédiatement au-des-
sous de la tête (tubérosité bicipitale), l'autre à la partie moyenne de l'os, et
qui représente les rugosités qui se voient à l'état normal sur la face externe.
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 307
Enfin, les extrémités inférieures de ces os sont épaisses et rappellent la con-
formation des extrémités des os normaux. Elles sont rattachées l'une à l'autre
par un fort ligament qui représente le ligament triangulaire. Deux autres liga-
ments partent des deux apophyses styloïdes et s'insèrent à la face profonde de
la peau, au niveau des plis que nous avons signalés sur le moignon. Il existe
une articulation radio-cubitale inférieure.
Les muscles de la région antérieure de l'avant-bras peuvent être divisés en z
2 groupes, dont les insertions supérieures sont normales, et dont les inférieu-
res se font, pour le groupe superficiel, à la tubérosité de la face externe du
radius, et pour le profond à l'extrémité inférieure du radius et à la peau.
(légion externe. - Les insertions du court supinateur sont normales, les in-
sertions inférieures du long supinateur et des radiaux se font à la peau de l'ex-
trémité du moignon. Les muscles de la région postérieure confondent en partie
leurs insertions inférieures avec celles des muscles de la région externe.
L'artère humérale se divise, au niveau du pli du coude, en 5 ou 6 petits ra-
meaux qui se distribuent aux muscles et au tissu cellulaire sous-cutané.
Les principaux nerfs de l'avant-bras sont représentés par des cordons ner-
veux bien développés et se terminent par des filets excessivement déliés qui
se perdent dans la peau du moignon. Le tubercule cutané ne reçoit ni fibres
musculaires ni filet nerveux apparent.
Moelle épinière. Après durcissement dans une solution faible d'acide cbro-
mique, on remarque, sur des coupes faites transversalement au niveau du ren-
dement cervical, une diminution de volume portant sur le côté droit. La diffé-
rence entre les deux moitiés de la surface de section est appréciable à l'oeil nu,
mais beaucoup plus visible il un faible grossissement ; elle est très prononcée
dans le quart, inférieur du renflouement, où elle est de près de 1 millimètre
dans le sens transversal. Elle est moindre dans les parties supérieures et
n'existe plus dans la région sous-bulbaire ; elle s'atténue également de haut en
bas, et les deux moitiés sont parfaitement égales dans toute la hauteur de la ré-
gion dorsale. Mais, au niveau du renflement dorso-lombaire, on retrouve une
asymétrie, cette fois en sens inserse; elle est fort peu marquée, et cette par-
ticularité tout à fait inattendue ne peut être expliquée par une différence entre
les deux membres inférieurs.
L'amoindrissement porte sur les deux substances de la moelle, mais surtout
sur la substance grise.
A un fort grossissement, on ne remarque aucune modification histologique
des éléments nerveux, tubes et cellules ; leurs dimensions sont les mêmes des
deux côtés, mais ils sont bien moins nombreux à droite qu'à gauche ; on a pu
faire le dénombrement des cellules des cornes antérieures et, sur toutes les pré-
parations, il y a une diminution notable du nombre de ces éléments de la
corne du côté droit : ainsi, dès le quart inférieur du renflement cervical, on
en compte 42 à droite et 125 à gauche ; vers la partie moyenne, 97 à droite
et 140 à gauche.
Les vaisseaux et la névroglie ne présentent aucune altération de structure.
Le canal central de la moelle offre des dimensions normales.
308 KLIPPEL ET BOUCHET
IX. - M. BLAIN, Hémimélie thoracique droite ; conformation normale du
bras, avant-bras rudimentaire . Soc. anat. Paris, juillet 1873 (p. 599-600).
Femme morte phtisique à la Maternité, trois semaines après être accouchée
de deux jumeaux bien conformés.
Le bras se terminait au-dessous du coude, par une sorte de moignon coni-
que, terminé par 2 petits tubercules. L'articulation du coude existait évidem-
ment, car ce petit moignon était susceptible de mouvements rudimentaires.
La peau, à l'extrémité du tronçon autibrachial était épaisse et rugueuse; elle
ne présentait pas la moindre trace de cicatrice, mais on voyait 2 petits tuber-
cules cornés, paraissant adhérer aux parties profondes, et qui semblaient le
rudiment des doigts.
Dissection. L'humérus était aussi long que le gauche, mais plus grêle. Les
deux os qui constituaient le squelette rudimentaire de l'avant-bras n'avaient pas
plus de 7 à 8 centimètres de longueur. L'articulation huméro-cubitale était à
peu de chose près normale, sauf que les os de l'avant-bras étaient bien plus
petits que de coutume et qu'ils étaient dirigés de façon à converger immédia-
tement l'un vers l'autre.. Le système musculaire du bras était complet ; mais
les muscles, notamment le biceps, étaient peu développés et atrophiés. Le
tendon du biceps venait s'insérer à une rugosité de l'un des petits os, qui re-
présentait le radius. On y voyait aussi une rugosité pour l'insertion de ce
qui devait être le rond pronateur. Enfin le brachial antérieur s'insérait à la
coronoïde cubitale. Mais au-dessous, les os allaient s'effilant brusquement et
se terminant en pointe, et les insertions tendineuses devenaient confuses. Les
deux tubercules de la peau correspondaient aux extrémités des os, mais ne
leur adhéraient pas, contrairement à ce que l'on aurait cru d'aburd. Il n'exis-
tait ni rudiments de phalanges, ni tendons y aboutissant. Plexus brachial et
ses branches terminales grêles. L'artère au contraire avait le même volume
des deux côtés ; elle se bifurquait au niveau du coude, en deux branches tout
à fait rudimentaires.
X. - CHANCEREL, Hémimélie congénitale. Circonstances occasionnelles.
Année médicale de Caen, 1876, p. 6.
L'auteur relate un cas d'hémimélie abdominale ; il a fait l'amputation pour
faire appliquer une jambe artificielle à pied articulé. La mère avait vu, durant
la gestation, un mendiant dont le corps, outre la tête, était réduit au tronc et à
'un seul bras, dont il se servait pour progresser, même assez vite, en les proje-
tant en avant, d'un mouvement alternatif, comme les branches d'un compas.
XI. A.' JEAN, Cas d'hémimélie (avant-bras gauche).
Société anatomique de Paris, mars 1877, p. 144-146.
Il s'agit d'un malade de 53 ans, du service de M. Dieulafoy. Bras gauche
moins volumineux que le droit, à muscles moins forts ; 3 centimètres de lon-
gueur en moins. Avant-bras représenté seulement par un moignon de 10 cen-
timètres de long. Au sommet du cône, on constate une petite dépression sur
montée d'une légère saillie. A 3 centimètres en dedans, sur le bord interne,
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPUIE NUMÉRIQOE DES TISSUS 309
deux petits tubercules réunis pas plus gros qu'une noisette, ne paraissent
constitués que par des parties molles ; cependant on sent profondément une sorte
de corde fibreuse qui les rénnit au cubitus. En arrière du sommet du cône et à
1 cent. 1/2 au-dessous, il y avait un autre tubercule un peu plus volumineux,
dans l'épaisseur duquel était un os très mobile inséré sur le radius.
Dissection du moignon. - Les muscles de la région externe de l'avant-bras
existent, mais avec des dimensions très petites. Le premier muscle, le plus su-
perficiel, représente le long supinateur et s'insère inférieurement à la partie
inférieure de l'os externe qui remplace le radius. Le court supinateur est nor-
mal, les deux radiaux externes s'insèrent au sommet du cône à la face profonde
de la peau. Parmi les muscles de la région antérieure on ne distingue que le
cubital antérieur et le fléchisseur des doigts, insérés tous deux à la face pro-
fonde de la peau. A la région postérieure, on trouve l'extenseur des doigts in-
séré à la peau, et le cubital postérieur inséré sur le petit os mobile à l'extrémité
inférieure du cubitus, et représentant probablement le 58 métatarsien. Le bi-
ceps s'insère sur un tubercule situé à la place ordinaire de la tubérosité bici-
pitale, de telle sorte que pendant la vie, les mouvements de supination étaient
conservés.
Le cerveau a été examiné avec soin ; on n'y a constaté aucune lésion corti-
cale ou centrale. La moelle ne présentait aucune altération à l'oeil nu, mais elle
n'a pas été examinée au microscope. '
XII. En. MARTIEN et MAURICE LETPLLE. Contribution à la tératologie.
Monstre unitaire. Iémimélie, Journal d'anatomie et de physiologie. Paris,
1877 (p. 371-390).
Sujet masculin de 5 mois. Les 4 membres sont le siège d'un vice de confor-
mation.
Dissection. - Membre supérieur droit. La malformation ne remonte pas
plus haut que le poignet.
En palpant profondément, on discerne aisément le le, métacarpien et les
deux phalanges du pouce ; puis, sur le bord externe, le 2e métacarpien; enfin,
au bord cubital, on a la sensation d'un dernier métacarpien. Dans l'espace in-
tercepté entre ces deux derniers os, on cesse de sentir d'autres os, et on est
certain que les métacarpiens de l'annulaire et du médius font défaut.
On sent la mobilité d'une première phalange sur la tête métacarpienne ; de
même au bord cubital. Ces deux premières phalanges se terminent par des
portions osseuses libres, articulées, qui sont bien des phalangines et des pha-
languettes : la phalangette de l'index se déjette en dedans et vient se fondre avec
la partie osseuse voisine.
Membre supérieur gauche : ici non plus, il n'y a que la main qui soit atteinte
par la malformation. Cette main comprend une région carpienne et deux appen-
dices qui rappellent assez bien une pince d'écrevisse. Son volume est moindre
que celui de la main droite.
Membre supérieur droit : les muscles du bras ne présentent rien à signaler.
A l'avant-bras, tous les muscles épitrochléens, sauf le petit palmaire, existent,
xx 20
310 KLIPPEL ET BOUCHET
avec un aspect normal supérieurement; maisinférieurement.le grand palmaire
va à l'extrémité supérieure de l'os que nous avons considéré comme le zu mé-
tacarpien ; le cubital s'insère sur un os pisiforme.
A la région profonde de l'avant-bras, le fléchisseur commun superficiel est
représenté par deux faisceaux charnus qui seraient destinés à l'index et à l'au-
riculaire ; le fléchisseur commun profond, également divisé en deux masses
volumineuses, écartées.
Il n'y a pas de lombricaux, mais il y a deux interosseux palmaires et un
dorsal.
Membre supérieur gauche : Les muscles du bras sont normaux. L'avant-bras
est normal dans son plan antérieur et superficiel, à part l'absence du petit pal-
maire qui, du reste, n'est pas constant à l'état normal. L'anomalie commence
à la région profonde et antérieure de l'avant-bras qui offre cinq masses distinc-
tes, mais dont les éléments, au point de vue des insertions et des rapports,
sont considérablement altérés. C'est ainsi qu'au lieu de trouver les insertions
supérieures limitées des fléchisseurs, nous voyons, de dehors en dedans :
1° Un muscle anormal, qui nous représente le fléchisseur commun superficiel,
lequel, au lieu d'être épitrochléen, s'insère aux 3/4 supérieurs de la face anté-
rieure du radius et au bord externe de cet os. Au niveau du poignet, il donne
naissance à un large tendon aplati qui, traversant la gouttière carpienne dans
une gaine propre, se perd un peu plus bas dans le ligament annulaire et dans
l'aponévrose palmaire qu'il contribue à constituer ;
2° Plus en dedans et sur le même plan, il y a une autre masse musculaire
qui représenterait pour nous le faisceau coronoïdien du fléchisseur. Cette
masse musculaire, plus grêle, se fixe à la partie inférieure de l'apophyse coro-
noïde. A peine né, ce faisceau se bifurque et donne deux chefs descendant pa-
rallèlement au grand palmaire, vers la partie inférieure de l'avant-bras : l'ex-
terne se jette sur le tendon du muscle précédent ; l'interne donne bientôt nais-
sance à un tendon très effilé qui se perd dans le ligament annulaire du carpe,
ou plutôt sur les tractus fibreux qui comblent l'espace des deux doigts de la
pince.
3° Le 3" faisceau est constitué par la masse la plus interne. Il s'attache, en
haut, aux 3/4 des faces antérieure et interne du cubitus, plus en bas et en
dedans, à l'aponévrose anti-brachiale. Nous pouvons donc le considérer comme
un fléchisseur profond. Il se termine inférieurement par uu fort tendon qui
naît à 1 centimètre environ au-dessus du poignet, et passe dans la gouttière du
carpe, où il disparaît. Il contracte alors une adhérence intime avec le ligament
annulaire; cependant on le suit encore jusqu'à l'articulation carpo-métacar-
pienne de la branche interne de la pince. A ce niveau, tout distinct qu'il soit
encore, il adhère par sa face postérieure à la gaîne qui lui est destinée. Il se
termine bientôt par un épanouissement assez large de fibres tendineuses qui se
fixent à la face profonde de la peau recouvrant l'espace iuterdigital. Mais les
fibres internes de ce tendon se continuent plus bas, dessinant un tendon
mince qui s'attache à la 1. ro phalange du petit doigt. Encore plus bas, partent
de petites lamelles aponévrotiques formant un tendon distinct, arrondi, sans
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 311
continuité directe avec le précédent. Ce petit tendon phalangien va de la
1 ? phalange à la partie supérieure de la dernière. De cette disposition résulte
donc une sorte de corde raide qui immobilise le doigt dans une attitude vi-
cieuse.
4 La 4°. masse est formée par un muscle bien conformé qui est le long
fléchisseur propre du pouce, qui n'offre de spécial qu'un faisceau de renforce-
ment qui lui vient du muscle fléchisseur commun profond.
5° La dernière masse est le carré pronateur.
En somme les insertions inférieures des fléchisseurs ne pouvant se faire sur
des doigts absents se font sur des couches aponévrotiques intermédiaires aux
deux branches de la pince.
Région externe. - Rien d'anormal si ce n'est la gracilité de la masse mus-
culaire du long supinateur.
Les deux radiaux externes ont leurs insertions supérieures normales; mais, à
l'extrémité inférieure du radius, le 1"' radial glisse sous le second et se termine
sur une large lame aponévrotique qui recouvre le poignet en arrière. Par cette
lame, ce radial s'attache au 2er et au dernier métacarpiens. Le 2° radial se bifur-
que manifestement par 2 expansions allant s'attacher chacune à son métacar-
pien ; elles interceptent entre elles un angle droit.
Région postérieure. Extenseur commun des doigts. - Il est normal en haut ;
puis il se sépare bientôt et donne naissance à deux tendons, lesquels se divisent
eux-mêmes au tiers inférieur de l'avant-bras. Le tendon le plus externe fournit
deux faisceaux, dont l'un va à la face dorsale du pouce jusqu'à la 1re phalange,
ce qui est normal, tandis que l'autre va se perdre dans la couche profonde de la
peau interdigitale. Comme le tendon interne n'est pas destiné à un auricu-
laire, il se termine en une large lame aponévrotique triangulaire qui n'a pour
effet que de renfoncer l'espace iutermétacarpien. De plus, cette lame contracte
des adhérences avec la peau.
L'extenseur propre du 5e, normal en haut, mais très grêle, finit en bas par
un tendon aplati, qui se perd dans les couches fibreuses recouvrant le 5e méta-
carpien.
A nconé, cubital postérieur normaux.
Muscles longs du pouce normaux.
Mais l'extenseur propre index manque.
Main. - Les muscles de l'éminence thénar sont peu développés ; il n'y a
pas d'adducteur du pouce; à l'éminence hypothénar, il y a une petite masse
musculaire peu développée où on croit constater l'adducteur et le court flé-
chisseur du 5°. Le palmaire cutané existe.
Membre inférieur droit. - Tous les muscles de la cuisse existent avec leurs
insertions supérieures régulières. En bas, les insertions inférieures sont peu
différentes. Le biceps n'offre que sa longue portion ; son tendon effilé ne tarde
pas à se jeter sur uue aponévrose épaisse représentant l'aponévrose jambière et
va ainsi se fixer au niveau de la partie moyenne de la face externe du long
cartilage qui représente le tibia (seul os do la jambe ici).
Jambe. Pas de muscles à la région antérieure. En arrière, le triceps
312 KLIPPEL ET UOUCHET
sural est incomplet ou du moins mal formé : le jumeau externe s'insère au
condyle externe et vient à quelques millimètres au-dessous du plateau du
tibia, se réunir au jumeau interne, qui, 5 à 6 fois plus développé, présente
les insertions supérieures normales et se termine bientôt en un tendon aplati ;
le soléaire est atrophié ; il s'attache à la partie supérieure et externe de la
face postérieure du tibia, et se jette bientôt dans le jumeau interne, à la face
antérieure duquel il s'accole. -
Le tendon terminal commun à ces trois muscles passe en arrière de l'extré-
mité inférieure du tibia cartilagineux, et vient s'attacher à la partie la plus
élevée d'un petit cartilage mobile sur l'extrémité inférieure du tibia et qui
représente à lui seul, le squelette du pied. Il n'y a pas trace de muscles, au-
dessous de ce cartilage.
Peut-être cependant y a-t-il un pédieux représenté par quelques faisceaux
musculaires qui partent des couches aponévrotiques recouvrant l'extrémité
inférieure du tibia, et se portent obliquement sous la peau, de la partie ex-
terne du tibia jusqu'à l'extrémité antérieure et interne du bourgeon cutané et
se perd à la face profonde de la peau de cette région.
Membre inférieur gauche. Cuisse. Tout est normal ; mais il n'y a pas
de courte portion du biceps ; la longue portion se perd par son tendon sur le
fascia lata très apparent, et se fixe avec ce fascia à la partie externe de l'extré-
mité supérieure du tibia.
Jambe. Il n'y a pas de muscles à la région antérieure. En arrière, les deux
jumeaux existent, comme à droite, mais l'interne est ici le moins développé
et il reçoit du demi-membraneux un faisceau musculaire effilé qui part de la
partie moyenne de la cuisse; le jumeau externe, 3 fois plus développé que
l'interne, se termine sur le tendon d'Achille. Plus profondément, on voit par-
tir des fibres musculaires qui représentent le soléaire et le poplité réunis.
Elles se fixent, en effet, à la partie postérieure du condyle et au tibia et se
perdent à la face profonde des jumeaux. Le tendon d'Achille qui fait suite à
ces muscles, s'attache en bas, comme à droite, sur le petit cartilage calcaire.
Il n'y a pas de pédieux. '
Vaisseaux. rM. em&rMeWeurdro. - La radiale, très ténue,
contourne le long supinateur au tiers inférieur de l'avant-bras et se perd dans
la peau du poignet après un court trajet.
La cubitale à partir de ce point, constitue l'artère unique ; elle se bifurque
au poignet et donne deux branches : l'une, interne, sous-aponévrotique, qui
passe sous le ligament annulaire carpien, glisse au-devant des muscles de l'é-
minence hypothénar, et forme les deux collatérales de la branche interne de la
pince et le rameau externe de la branche externe.
Membre supérieur droit.- Les artères de l'avant-bras arrivent jusqu'au poi-
gnet, avec les tendons et nerfs satellites ordinaires.
Les veines répondent au trajet des artères.
Membres inférieurs. - Arrivée au creux poplité, la fémorale, des deux
côtés, passe entre les jumeaux, longe la face postérieure du tibia et se bifurque
au niveaudu tiers inférieur de cet os en deux branches : l'une externe, grêle, se
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 313
perd dans les téguments des moignons pédieux ; l'autre, interne, croise le tendon
d'Achille et vient s'épuiser dans la région interne et inférieure de ces moignons.
Les veines fémorales répondent aux artères ; il n'y a pas de veine saphène
et, d'une façon générale, les veines superficielles sont presque imperceptiles.
Système nerveux. - Du côté de l'encéphale, il n'y a rien à noter ; la sérosité
sous-arachnoïdienne est très abondante. Du côté de la moelle, il n'y a rien au
point de vue macroscopique. M. Balzer, au microscope, n'y a trouvé absolu-
rien d'anormal non plus.
Nerfs. - Membre supérieur droit. - Le médian, au pli du coude, passe entre
les deux fléchisseurs communs ; il descend sur la face antérieure de l'avant-
bras sans fournir au fléchisseur profond, ce qui est une anomalie ; dans son
trajet, il innerve le fléchisseur superficiel, le fléchisseur propre du pouce, le
rond pronateur, le grand palmaire, le carré pronateur. Au poignet, il donne
un rameau palmaire cutané ; à la main, il donne un rameau musculaire à l'é-
minence thénar et quatre autres pour les téguments.
Le cubital fournit seul au fléchisseur profond. Au tiers inférieur, il donne
-une branche antérieure, satellite de la cubitale, qui arrive à l'éminence thénar,
à laquelle il donne des rameaux musculaires, et se termine en deux rameaux
pour la main. La branche postérieure du cubital, arrivée au dos du poignet, se
divise en deux rameaux ténus.
Radial. Tous les muscles qui sont sous la dépendance normale de ce
nerf reçoivent ses branches.
Membre supérieur gauche. - Le médian est très ténu ; il innerve ses
muscles normaux, et aussi les deux faisceaux anormaux décrits sous les noms
de fléchisseur superficiel et fléchisseur coronoïdien.
Le cubital fournit au fléchisseur profond et se termine en deux rameaux,
antérieur et postérieur.
Membres inférieurs. Le sciatique poplité externe contourne la face ex-
terne du tibia, devient aussitôt sous-cutané et s'épuise dans la peau, mais après
s'être d'abord anastomosé avec le saphène externe, branche du poplité interne.
On ne peut le suivre au delà du cartilage tarsien. Il est a supposer que ces
rameaux anastomotiques se rendaient au petit pédieux du membre droit.
Le sciatique poplité interne va aux jumeaux et au soléaire. Il longe la face
postérieure du cartilage représentant le tibia, suit le tendon d'Achille et vient
se perdre dans la peau du moignon terminal du membre. Les nerfs se com-
portent symétriquement à droite et à gauche ; il n'y a à signaler que l'absence
du saphène externe au membre gauche.
Os. - Membre supérieur droit. - Carpe. Ire rangée. Le scaphoïdc n'a pas
de facette correspondant au grand os, lequel est confondu avec plusieurs des
os contigus.
Le semi-lunaire, plat à sa face inférieure, présente une facette destinée,
par anomalie, au scaphoïde, et une autre facette large répondant à l'os anor-
mal que nous verrons tout à l'heure.
Le pyramidal se perd dans ce grand os anormal répondant à la 2" rangée.
Le pisiforme est régulier. '.
314 KLIPPEL ET BOUCIIET
2e rangée. Le trapèze est normal.
Le trapézoïde ne s'articule en bas, par anomalie, qu'avec la partie externe
du 2" métacarpien. ' .
Le grand os anormal paraît résulter de la fusion du pyramidal, du grand os
et de l'os crochu.
Métacarpe. - Il y a seulement trois métacarpiens ; le premier est normal ;
le 2° répond par son extrémité supérieure au trapèze, au trapézoïde et au grand
os anormal ; il s'articule quelque peu avec le 5e métacarpien. Le 5a métacar-
pien, plus petit et plus large, répond au grand os. L'extrémité inférieure du
2e métacarpien s'unit il la 'Ira phalange, tandis que celle du 5e offre deux facettes
articulaires continues regardant l'une en dehors avec laquelle s'articule la 1
Ir° phalange du doigt intermédiaire que nous avons appelé le médius, et l'autre
en dedans, pour la phalange de l'auriculaire.
Pour les deux doigts extrêmes, la 1'° phalange paraît à peu près normale, tan-
dis que les deux dernières convergent vers l'axe de la main ; elles sont petiteset
atrophiées et la phalangette de l'index est soudée à celle du doigt qui serait le
médius.
Membre supérieur gauche. Le carpe se réduit il 3 os : le scaphoïde ré-
pond en haut au radius ; en bas, il joue le rôle du trapèze, car il s'articule
avec le premier os de la pince ; il offre une face interne verticale, convexe,
qui répond au semi-lunaire. Le semi-lunaire s'unit, en haut au radius, en has,
par une petite facette, au 1er os : de la branche externe de la pince, en dedans au
3e os anormal. Sa face antérieure est divisée en deux parties égales par un sillon
qui ne comprend que les 2/3 de l'épaisseur de l'os. C'est donc là un arrêt de
division de l'os et c'est la seule trace de la composition qu'affecte normale-
ment le carpe. Le 3e os est le plus'gros des trois ; prismatique et triangulaire,
il répond, en haut, au ligament triangulaire, en bas, au premier os de la bran-
che interne.
La face dorsale de ce carpe est recouverte par des tractus fibreux résistants
qui maintiennent les trois os entre eux.
Métacarpe. - Deux os seulement. : leur et 5e métacarpiens. Le leur s'unit aux
deux premiers os du carpe ; le 5° s'unit seulement au grand os anormal.
Membres inférieurs. Les condyles externes fémoraux, de chaque côté,
sont moins volumineux que les internes, ce qui est corrélatif de l'absence des
péronés. Tibias petits, atrophiés, cartilagineux.
Les ménisques externes manquent ; les ménisques internes sont à peu près
formés.
Pas de surface articulaire à la partie inférieure des tibias. Rotules cartilagi-
neuses.
Les ligaments latéraux externes des genoux se fixent à la partie postérieure
des plateaux des tibias.
Au-dessous de l'extrémité inférieure des tibias, on trouve nn cartilage gros
comme un pois qui est le seul représentant du squelette des pieds. Ce carti-
lage est comme perdu dans la masse des moignons pédieux.
Etat d'ossification du squelette. - Os du carpe : Tous cartilagineux.
' HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 315
Métacarpiens : Ont tous un point d'ossification qui occupe presque toute leur
étendue.
1"e phalange. Ibid.
2° phalange. - Elles n'existent qu'à la main droite, et offrent un état car-
tilagineux pour l'index et l'auriculaire, tandis que le médius anormal offre un
point d'ossification central.
3e phalange. Sont toutes ossifiées, et les phalangettes soudées de l'index
et du médius constituent une lamelle osseuse plate, bifide supérieurement et
ne formant qu'un os unique.
XIII. DRON, Sur un cas d'hémimélie bi-thoracique.
Lyon médical, 1883, p. 460.
L'arrêt de développement porte principalement sur les avant-bras. L'extré-
mité des membres avortés se termine par un appendice digital unique. On a
appliqué des membres supérieurs artificiels.
XIV. - J. GRYNFELDT, Anatomie d'un monstre ectromélien (phocomélie
pelvienne double, hémimélie thoracique gauche), d'après un manuscrit du
professeur J. Fages. Gaz. hebdomadaire des sciences médicales de Montpel-
lier, 31 octobre 1885. '
Il s'agissait d'un sujet de 32 ans, mort de fluxion de poitrine bilieuse. La
clavicule et l'omoplate du côté gauche sont beaucoup plus petites que du côté
droit. Le bras ne présente qu'un tronçon d'humérus, de 6 pouces environ de
longueur. Son extrémité supérieure, un peu plus grêle que dans l'état naturel,
offre la tête, le col, la grosse et la petite tubérosités, quoique moins saillantes,
ainsi que la gouttière bicipitale; qui a moins de profondeur. Le reste de cet
humérus, un peu cylindrique vers le haut, s'aplatit postérieurement à mesure
qu'il devient inférieur. Bien plus grêle que celui du côté droit, il ne présente
qu'un pouce et demi de circonférence, et se termine par une petite éminence
convexe ressemblant à la petite tête du cubitus, ayant à sa partie antérieure
un bord tranchant et recourbé vers le haut, surmontée dans son centre et un
peu en arrière par une petite apophyse styloïde. Les parties cartilagineuses et
ligamenteuses de l'articulation n'offraient rien de particulier.
Le nombre, la position et les attaches des muscles qui entourent cette arti-
culation de l'humérus avec l'omoplate ne présentent d'autre différence dans ce
tronçon de bras que leur petitesse. Ceux de la partie interne et antérieure, et
externe et postérieure du bras ne paraissent qu'ébauchés. Le biceps qui était
le seul à la région interne, était très mince. Les deux tendons supérieurs, très
grêles, ne variaient pas dans leurs attaches, tandis que la partie inférieure qui
était très peu charnue, formait un épanouissement tendineux très mince qui
s'attachait au bord tranchant et recourbé de l'extrémité inférieure de l'humé-
rus. A la partie externe et postérieure, je n'ai trouvé que la partie moyenne
du triceps brachial qui était très mince et terminée inférieurement par un pe-
tit plan aponévrotique qui s'attachait à l'espèce d'apophyse styloïde dont j'ai
parlé et qui se joignait avec le plan tendineux de la partie inférieure du
biceps.
316 KLIPPEL ET BOUCUET
L'artère sous-clavière était plus petite que dans l'état ordinaire, vu la gros-
seur de la sous-clavière droite. Les six branches que donne cette artère avant
son passage par l'écartement des scalènes n'ont rien présenté de remarquable.
Le tronc de la sous-clavière après avoir donné ces six branches, est considéra-
blement diminué de volume, et immédiatement après son passage à travers les
sealènes, elle se divise en cinq petites branches : les deux premières vont se
perdre sur les parties molles qui tapissent la partie antérieure et latérale de la
poitrine, les deux suivantes se portent vers la fosse sous-scapulaire de l'omo-
plate, en parcourant à peu près le même trajet des artères sous-scapulaires, et
la cinquième enfin, qui paraît être la continuation du tronc, descend tout le
long de la partie postérieure de l'union du grand pectoral avec le deltoïde et se
distribue dans les parties molles qui environnent le tronçon d'humérus.
Après sa sortie de la poitrine, la veine axillaire donnait quelques rameaux
qui accompagnaient les distributions de l'artère.
Le plexus brachial, quoique plus petit que celui du côté opposé, avait pour
origine le même nombre de cordons nerveux, mais il ne partait de ce plexus
que trois cordons nerveux assez distincts. Le ter se portait vers la partie anté-
rieure du creux de l'aisselle pour se perdre dans les parties molles qui avoisi-
nent cette région. Le second descendait obliquement en dehors en passant
derrière la partie supérieure du faisceau coracoïdien du biceps, pour s'engager
entre la face postérieure du deltoïde et l'humérus, et, après avoir donné quel-
ques filets nerveux à ce muscle, il le perçait vers la partie moyenne et ex-
terne, pour se perdre ensuite sur la région externe du tronçon. Le 3e cordon,
peu après sa séparation se portait vers la partie interne de l'articulation, où
il donnait quelques filets, après quoi il descendait le long de la partie interne,
caché par le tendon du grand pectoral, et se perdait dans les parties molles
de la région interne et antérieure de cette ébauche de bras.
XV. G. Hervé, Bull. Soc. anthropol. Paris, 1886, p. 752.
L'auteur présente un enfant ayant une hémimélie thoracique gauche, dont
le moulage fait par Chudzinski a été déposé dans les vitrines du musée. Le
terme d'hémimélie est ici une dénomination très impropre, puisqu'elle semble
indiquer que toute la moitié d'un membre fait défaut, alors que, presque tou-
jours, l'atrophie, beaucoup plus limitée, ne porte que sur l'extrémité termi-
nale du membre.
Ici, l'avant-bras, raccourci et présentant à sa surface antérieure une inflexion
concave qui se marque sur les téguments par un sillon transversal permanent,
est terminé par un moignon où l'on retrouve une apparence de main. Quel-
ques ossicules peuvent être sentis dans ce moignon, au-dessous des apophyses
styloïdes. Le moignon est surmonté de cinq petites saillies verruqueuses et
molles, qui figurent les doigts. Le reste du corps est bien conformé.
XVI. Puech (Paul), Absence de la main gauche par arrêt de
développement. Montpellier médical, 1886, p. 501.
Le membre supérieur gauche se termine par une extrémité arrondie rappe-
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 317
lant assez l'aspect d'un moignou d'amputé. Pas de carpe, pas de métacarpe, ni
de phalanges. Sur l'extrémité du moignon existent cependant cinq petits
appendices, en forme de bourgeons, représentant cinq doigts. Le pouce est le
plus long et le plus volumineux
La mère, au se mois, vit s'approcher un « manchot », dont la vue la trou-
bla tellement qu'elle perdit connaissance sur-le-champ... z
XVII. - MABARET du BASTY, Un cas de tératologie.
Progrès médical, Paris, 1888, p. 236.
Enfant mâle, à terme, mort à 1 jour, ayant un céphalématome frontal gau-
che, un bec-de-lièvre unilatéral complet, et une hémimélie thoracique droite.
Hérédité.
L'épaule et l'humérus sont bien conformés ; on reconnaît, à travers la peau,
la trochlée, l'épitrochlée, l'épicondyle, la cavité olécrânienue qui est vide. Fai-
sant suite à l'humérus, mais ne s'articulant pas avec lui, on trouve une masse
osseuse, longue de 2 centimètres, terminée par une main peu développée,
constituée par 4 métacarpiens et 4 doigts. Le 4°r métacarpien et le pouce man-
quent.
XVIII. - Chaput, Soc. anat., Paris, juin 1889, p. 53-r54.
Il s'agit d'une pièce trouvée à l'Ecole Pratique. Le sujet, âgée de 55 ans,
avait un moignon droit conique, sans adhérence de la peau à l'os. Pas de tra-
ces de cicatrice, mais au sommet du cône, la peau était un peu modifiée dans
sa couleur et son aspect.
A 5 centimètres de l'extrémité du moignon, couchée sur la partie externe, se
trouvait une petite saillie aplatie, large environ de 1 centimètre et demi, épaisse
de 3 à 4 centimètres, haute d'un demi-centimètre, terminée par 4 à 5 mame-
lons très petits (1 ou 2 millimètres), et garnis d'ongles rudimentaires à leur
sommet. Cette petite saillie, quoique molle de consistance, avait les caractères
d'une main rudimentaire ; à la palpation on la sentait reliée aux parties pro-
fondes par un pédicule de consistance fibreuse.
La dissection a montré un biceps atrophié, dont le tendon aplati et aminci
se confondait avec une calotte fibreuse, recouvrant l'extrémité inférieure de
l'humérus. Le brachial antérieur et le triceps plus atrophiés encore sont en-
tièrement fibreux dans l'étendue de 3 travers de doigt. Peu d'anomalies vas-
culo-nerveuses. Ces muscles se terminent comme le biceps. Le nerf musculo-
cutané ne perfore pas le caraco-brachial; il est peu diminué de volume. Mais
le médian, le radial, le cubital sont beaucoup plus atrophiés ; en bas, ils sont
tellement grêles qu'on a grand'peine à les suivre. L'humérus est étalé à son
extrémité inférieure qui représente un prisme triangulaire à sommet supérieur.
La base du prisme regarde en avant par suite de l'incurvation en avant de l'ex-
trémité numérale ; sur la base du prisme qui termine en bas l'humérus, on
distingue une base interne et un sommet externe. Il existe des mamelons irré-
guliers qui échappent à toute description. L'extrémité de l'humérus est coiffée
par une coque fibreuse où s'insèrent tous les muscles. Cette coque est séparée
de la peau par une très grande bourse séreuse large environ de 2 centimètres.
318 KLIPPEL ET BOUCHET
L'humérus est un peu atrophié ; il mesure environ 22 centimètres de longueur.
XIX. VARIOT (G.), Présentation d'un cas d'hémimélie. Bulletin Soc. an-
thropol. Paris, 1890, 4e s., I, 2° fascicule, p. 280-28S ; 489-492.
Le sujet est un enfant mâle, de 3 ans.
La monstruosité porte tout entière sur l'avant-bras, qui paraît amputé à
l'union du tiers supérieur avec les deux tiers inférieurs. La comparaison avec
un membre amputé est d'autant plus exacte qu'on remarque un pli déprimé de
la peau à l'extrémité du moignon, comme si deux lambeaux s'étaient accolés
par un travail de réparation cicatricielle.
A l'extrémité de ce moignon, en dehors du pli demi-circulaire que nous ve-
nons de signaler, on remarque deux petits tubercules cutanés arrondis, pédi-
cules, de la grosseur d'une lentille ; si l'on écarte ces deux tubercules qui se
.touchent, on aperçoit entre eux deux autres petites saillies très petites de la
grosseur de petits plombs de chasse. La peau est saine et de coloration nor-
male. On sent très bien, au palper, deux extrémités osseuses correspondant au
radius et au cubitus brusquement sectionnés.
Au cerveau, rien de particulier ; les circonvolutions rolandiques étaient
symétriques dans les deux hémisphères.
Dissection. L'enlèvement de la peau met à nu une couche de tissu cellulo-
adipeux un peu plus épaisse dans la portion arrondie de l'avant-bras sectionné.
Le tissu cellulaire qui est en contact avec l'extrémité des tronçons du radius
et du cubitus s'est condensé et a pris une apparence fibreuse.
Les tubercules cutanés et la peau adjacente, sur une coupe au rasoir, ne
montrent aucun nodule cartilagineux ou osseux pouvant être regardé comme
un rudiment de squelette.
L'examen microscopique de ces mêmes parties permet de constater que ces
bourgeons sont formés uniquement de tissu fibreux, avec des prolongements
papillaires d'une dimension qui dépasse même la grandeur des papilles de la
pulpe des doigts. Le revêtement épidermique à la surface de ces prolongements
papillaires est normal. Entre les faisceaux fibreux dermiques, dans les deux
tubercules les plus développés, on voit de grosses glandes sudoripares. Le
réseau élastique est bien apparent. Les grandes papilles recouvrant les bour-
geons sont richement vascularisées, mais on n'y distingue pas de corpuscules
de Meissner, mais la pièce n'a pas été bien fixée.
Tous les muscles de l'épaule et du bras ont leur configuration et leurs inser-
tions ordinaires. Le biceps est pourvu de son aponévrose antibrachiale et va
s'attacher il la tubérosité bicipitale du radius. Le brachial antérieur vient à
l'apophyse coronoïde et le triceps à l'olécrâne. Rien de changé dans les dispo-
sitions normales jusqu'au pli du coude.
L'artère humérale, un peu grêle, se bifurque et donne deux petits rameaux
très fins correspondant aux artères radiale et cubitale et allant se perdre dans
les petites masses musculaires épitrochléenne et épicondylienne.
Le nerf médian, le cubital et le radial, à part leur réduction de volume, ont
tous leurs rapports normaux jusqu'au pli du coude.
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 319
Le médian se prolonge au-delà du pli du coude en un petit rameau fin qui
semble se perdre sur le périoste du radius.
Le cubital,- après avoir côtoyé le bord interne de l'olécrâne, plonge dans la
masse musculaire de la région interne du moignon et disparaît au contactd'un
petit tronçon de muscle qui doit être regardé comme le cubital antérieur.
On trouve également les deux branches de bifurcation du radial, et notam-
ment la branche postérieure qui contourne radius, pour se perdre dans le
court espace interosseux.
Les masses musculaires épitrochléennes et épicondyliennes sont respective-
ment représentées.
Le muscle rond pronateur est assez bien développé ; le grand palmaire et le
petit palmaire sont bien apparents. Le cubital antérieur l'est moins. Ces mus-
cles n'ont pas de tendon inférieur distinct; ils viennent s'insérer, en se con-
fondant sur le tissu fibreux périostique qui recouvre l'extrémité du radius, for-
tement renflée.
Le long supinateur et les ébauches de muscles radiaux s'attachent, par une
petite aponévrose nacrée, sur le côté externe de l'extrémité du tronçon radial.
Le court supinateur existe.
Il est fort remarquable que le tronçon du radius est dans la pronation forcée
et permanente. L'extrémité du radius chevauche sur le cubitus qui est placé
sur un plan postérieur. Ce chevauchement en pronation permanente du radius
sur le cubitus trouve son explication dans le développement relatif du muscle
rond pronateur et dans la présence du biceps. -
Les tronçons du radius et du cubitus détachés des surfaces articulaires du
coude n'ont que 4 centimètres de longueur.
L'articulation du coude est absolument complète et normale.
Les surfaces diarthrodiales du radius et du cubitus sont régulièrement con-
formées.
L'extrémité inférieure du radius est un peu renflée et aplatie ; celle du cubi-
tus est plutôt arrondie. Ces deux tronçons osseux, sectionnés suivant leur
longueur, laissent voir les épiphyses du côté de l'articulation du. coude. Mais
à leur extrémité inférieure, le radius et le cubitus sont absolument ossifiés. Il
n'y a ni cartilage d'encroûtement ni cartilage épiphysaire. Cette absence d'épi-
physe inférieure est bien une preuve que l'amputation congénitale a porté sur
la diaphyse, et qu'il n'y a pas eu simple arrêt de développement du squelette et
du reste du membre.
Les coupes de la moelle, faites par M. Bourdon montrent une atrophie por-
tant à peu près uniquement sur la corne antérieure et la corne postérieure du
côté de l'hémimélie. Les cordons blancs sont symétriques des deux côtés de la
moelle. Au contraire, l'asymétrie est frappante, surtout quand on considère à un
faible grossissement les deux cornes antérieures. La corne antérieure du côté
amputé est d'un quart plus petite que la corne du côté sain. Peut-être les cellules
sont-elles un peu moins nombreuses du côté de l'hémimélie. Mais, en somme,
il nous paraît qu'il s'agit surtout d'une atrophie en masse de la substance grise,
sans pouvoir affirmer qu'il n'y ait pas d'autre altération qui nous échappe.
320 0 KLIPPEL ET BOUCHET
XX. TOURNIER, Deux cas d'amputation congénitale
de l'avant-bras. Revue d'orthopédie, 1891.
I. A gauche : 13 ans ; les deux os de l'avant-bras existent, mais se termi-
nent brusquement après une longueur de 4 centimètres. Les parties molles
qui les recouvrent forment un moignon conique parfait. A l'extrémité de ce-
lui-ci, la peau forme un ou deux replis, sortes de cicatrices, et il existe une
petite éminence charnue de 2 millimètres de haut sur 12 millimètres de dia.
mètre, recouverte par de la peau normale.
II. A droite : 55 ans ; il existe seulement une courte portion d'avant-bras.
A l'extrémité du' moignon, on remarque l'aspect cicatriciel de la peau ; la cica-
trice qui occupe exaotement le bout du cône, est constituée par une peau un
peu adhérente, d'aspect presque normale, mais creusée de sillons.
XXI. BOUIINEVILLE, Un cas d'hémimélie bi-abdominale. Progrès médical,
28 octobre 1893, t. XVIII, 2' série, no 43.
Sujet mâle, 39 ans.
Le fémur se termine par une masse arrondie, qui paraît mamelonnée. La
surface articulaire est située sur le côté externe du fémur, et correspond au
collet du pilon. La jambe, après s'être articulée là, remonte obliquement en
haut, en avant et en dedans, de sorte que l'extrémité inférieure de la cuisse
est pour ainsi dire couchée sur la moitié de la jambe qui correspond au fé-
mur ; l'autre moitié de la jambe vient se placer dans l'angle formé par les
cuisses, écartées, en dedans d'elles, à 4 ou 5 centimètres au-dessous du scro-
tum et les deux pieds adossés l'un à l'autre se trouvent tout près de l'extré-
mité de la verge pendante. Dans la jambe nous n'avons pu sentir qu'un os, et
cet os, légèrement incurvé, à convexité externe, se termine par une apophyse
pyramidale triangulaire, qui rappelle la malléole externe. D'après la situation
de l'os on pourrait être amené à croire qu'il s'agit du péroné, et, ce qui sem-
blerait manquer, c'est la moitié interne de la jambe. Nous n'avons pas décou-
vert de rotule. Le pied est implanté sur la face interne (antérieure), de ce qui re-
présente la jambe, deux centimètres au-dessous de la face interne de la malléole.
Il est recourbé sur lui-même, de telle façon que la face antérieure c'est-à-dire
la face supérieure, décrit une convexité qui regarde en dedans et en bas. Les
orteils viennent aboutir juste au niveau du pli de jonction de la jambe avec la
cuisse ou jarret. Le talon forme un moignon qui vient se reposer sur la partie
moyenne du bord interne de la cuisse. Le talon regarde en haut et en avant;
le calcanéum paraît très irrégulier. On ne peut distinguer les os du tarse qui
semblent soudés à l'os unique de la jambe. Le métatarse existe au complet.
On distingue très nettement les métatarsiens à leur insertion aux orteils. Leur
autre extrémité, au contraire, n'est pas distincte et paraît se souder à une masse
osseuse irrégulière, formant une sorte de saillie convexe. Il n'y a aucun mou-
vement dans cette articulation du pied. L'articulation des métatarsiens et des
orteils est normale. Les orteils sont réguliers. L'attitude des membres est
symétrique. Les deux pieds se touchent par ce qui correspond à l'extrémité su-
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 321
périeure des métatarsiens. La malléolle droite appuie sur la malléole gauche.
Au point de vue intellectuel, le sujet est un arrièré.
Ici, l'hémimélie est réduite à sa plus simple expression, car l'un des os de la
jambe, quoique normalement constitué, existe très nettement, et les deux
pieds sont probablement au complet.
XXII. - G. Cousin, Un cas de tératologie ; foetus anencéphale ; bec-de-lièvre
unilatéral ; hémimélie ; anomalie de l'oesophage. Nouveau Montpellier médi-
cal, 1894.
C'était un mort-né présentant des malformations résultant de plusieurs
arrêts de développement. Du côté du membre supérieur droit, le bras est nor-
mal ; l'artère numérale, après avoir fourni l'humérale profonde, diminue de
calibre ; arrivée au coude, elle ne se bifurque pas, mais suivant le bord externe
du cubitus, elle se termine un peu au-dessus du moignon en plusieurs arté-
rioles.
Les nerfs du plexus brachial se terminent en bas par de petits renflements
arrondis.
Le squelette est représenté par le tiers supérieur du cubitus avec son olé-
cràne qui n'a pas de petite cavité sigmoïde. Le radius fait défaut. Les bour-
geons du moignon, qui sont les rudiments des doigts, sont constitués par de
petits lobules graisseux recouverts des téguments naturels.
XXIII. F. Brun et M. Chaillous, Un cas d'hémimélie, Presse médicale,
1896, p. 413; Société anatomique, 24 avril 1896 (MM. Paul Desfosses et
Maurice Chaillous); Revue mensuelle de l'Ecole d'anthropologie de Paris,
1897, VII, 60-62 (analyse de Collineau).
Il s'agit d'une hémimélie abdominale droite chez une petite fille de 3 ans.
La cuisse est à peu près aussi longue et aussi volumineuse que la gauche ; il
n'y a pas trace de jambe ; près de l'extrémité libre du membre incomplet, à la
partie postérieure, se détache perpendiculairement à l'axe de ce membre, une
ébauche de pied. Il n'existe de tare d'aucune sorte.
L'ébauche de pied a 4 centimètres de long, et se termine par deux orteils, dont
l'un, volumineux, interne, muni d'un ongle, long de 2 centimètres, représente
probablement le gros orteil. On fait une amputation du pied pour mettre un
appareil prothétique. Ce pied n'est rattaché à la cuisse que par du tissu fibro-
élastique.
Dissection, - Squelette : du côté interne correspondant au gros orteil, une
phalangette osseuse, longue de 6 millimètres, fait suite à une phalange de même
volume, légèrement renflée à ses deux extrémités, longue de 15 millimètres,
et il un métatarsien de 15 millimètres. Ces différentes pièces sont unies entre
elles par des capsules articulaires épaissies sur les parties latérales ; elles se
terminent d'ailleurs par des surfaces articulaires munies de cartilage. A l'ex-
trémité postérieure du métatarsien se placent trois petits os rudimentaires,
unis par des capsules aux-précédents ; le plus antérieur, cuboïde ( ? ) est long
de 3 millimètres ; le postérieur, effilé par son extrémité antérieure, est long Z)
322 KLIPPEL ET BOUCIIET
de 5 millimètres ; l'intermédiaire, aplati, mince, cartilagineux, est concave en
arrière. Enfin, dans la région du talon, sur le prolongement du squelette du
gros orteil, existe un petit os pisiforme, isolé des précédents. Ces différents os
paraissent être l'ébauche du premier cunéiforme, du scaphoïde, de l'astragale,
du calcanéum. Du côté externe, correspondant au petit orteil, se trouve une
phalange longue de 7 millimètres, une phalangine de 10 millimètres et une
phalangette de 6 millimètres. Le métatarsien n'existe pas.
Muscle. Large de 5 millimètres, long de 15, il s'insère en avant à l'ex-
trémité postérieure de la phalange du petit orteil. Il se dirige obliquement en
arrière vers les os du tarse et se perd dans le tissu cellulaire sous-cutané de
la région du talon, présentant la situation, la direction et une des insertions de
l'abducteur du petit orteil.
Nerf. - Emergeant sous les os du tarse, il se divise bientôt en trois bran-
ches, qui se dirigent vers les orteils et se perdent dans le tissu cellulaire où
rampent quelques branches vasculaires.
En somme, absence, comme squelette, de cuboïde, des 2° et 3° cunéiformes,
des 2e, 3e, 4° métatarsiens, des phalanges des 2e, 3e, 4° orteils. '
XXIV. - G. Commandeur (de Lyon). Hémimélie unilatérale du membre su-
périeur. - Note sur l'anatomie des moignons d'arrêt de développement
des membres. Archives provinciales de chirurgie, 1896 (p. 550-557).
Hémimélie thoracique gauche, chez une femme de 28 ans.
L'avant-bras se termine eu une sorte de cône arrondi à son sommet et aplati
d'avant en arrière, et au sommet duquel on voit, rangés suivant une ligne
transversale, quatre petits tubercules arrondis et à peine saillants, au niveau
desquels l'épiderme est notablement plus épais.
Ces tubercules ressemblent assez à des durillons. Outre la diminution de lon-
gueur de l'avant-bras, la largeur, la partie terminale,est notablement diminuée..
Dissection. A l'extrémité du moignon, on trouve : 1° la peau adhérente;
2° un plan fibreux aponévrotique sur lequel vient s'insérer une partie des
fibres tendineuses des muscles de l'avant-bras, surtout des extenseurs ; 3° une
couche celluleuse ; 4° le massif osseux représentant le groupe des os du carpe,
du métacarpe et des os non développés, le tout recouvert par une couche pé-
riostique, sur laquelle viennent prendre attache des fibres tendineuses surtout
des fléchisseurs.
Histologiquement, les durillons cutanés que l'on trouve à l'extrémité du
moignon semblent bien être des rudiments de doigts; car on constate à la coupe
que la couche cornée de l'épiderme s'invagine à ce niveau, constituant comme
un embryon de matrice unguéale.
Squelette. Les deux humérus sont absolument de même longueur. Les
différences portent seulement sur radius et cubitus. La proportion entre les
deux cubitus est sensiblement la même qu'entre les deux radius (a peine un
centième de différence), de sorte que l'arrêt d'accroissement semble avoir porte
également sur les deux os.
hémimélie avec atrophie numérique DES TISSUS 323
Cubitus et radius gauche présentent dans leur partie supérieure et leur dia-
physe leurs détails anatomiques normaux, mais ressemblent à des os d'enfant.
Seule leur extrémité inférieure a subi des moditications. Sur le cubitus, au
lieu de deux surfaces articulaires, l'une pour le carpe, l'autre pour le radius,
on voit une seule facette elliptique et oblique s'articulant avec le radius seule-
ment ; apophyse styloïde bien marquée.
Sur le radius, on voit partir de son extrémité inférieure une masse apophy-
sairequi se dirige en bas et en dedans et qui constitue le squelette du moignon.
Cette masse a une forme quadrilatère; son bord supérieur est soudé au radius ;
ses bords externe et interne sont rugueux et servaient à des insertions mus-
culaires ; son bord inférieur lisse et arrondi, faisait saillie sous la peau, et est
mamelonné; on trouve un tubercule saillant à sa jonction avec le bord externe;
la face postérieure est convexe, un peu rugueuse ; la face antérieure présente
une fossette qui servait à l'insertion des fléchisseurs. Sur les deux faces, une
crête peu marquée indique le point de soudure de l'os du moignon au radius.
Sur le bord externe se voit un tubercule représentant la styloïde radiale.
Les tubercules du bord inférieur sont recouverts d'une couche de cartilage
d'apparence hyaline et formant un revêtement de plus en plus épais à mesure
qu'on s'approche du bord inférieur.
Muscles. - Tous' les muscles de la région offrent un caractère commun ,
ils sont diminués de longueur et de volume et apparaissent comme des muscles
d'un enfant de douze ans ; cependant les muscles actifs de la pronation et de la
supination (du moins ceux qui persistent), offrent proportionnellement un vo-
lume plus considérable que les autres muscles longs de l'avant-bras : rond
pronateur, court supinateur, anconé. Toutes les insertions supérieures, c'est-
à-dire celles qui se font au voisinage de l'articulation du coude, sont normales
comme siège et comme volume; seules les insertions inférieures, sont
modifiées.
Enfin trois muscles, dont l'insertion supérieure se fait dans la moitié infé-
rieure de l'avant-bras n'existent pas : carré pronateur, long abducteur du pouce,
court extenseur du pouce.
A. - Région antérieure. Rond pronateur, bien développé ; son insertion in-
férieure descend jusqu'au-dessous de la partie moyenne de l'avant-bras (le
rapport du bras de levier est donc modifié).
Grand palmaire. Son tendon grêle semble s'insérer à la partie externe du
massif osseux du moignon ; mais on peut le suivre plus loin et on voit que son
tendon vient se perdre en s'évasant en éventail sur l'aponévrose qui recouvre
le moignon, de sorte que ses fibres semblent en continuité avec celles des
radiaux.
Petit palmaire. Tendon très grêle allant se perdre sur l'aponévrose- de la
partie antérieure de l'avant-bras.
Cubital antérieur. Son tendon s'épanouit rapidement pour aller se perdre
dans l'aponévrose de la partie interne et inférieure de l'avant-bras ; il ne prend
donc pas inférieurement d'insertion osseuse.
Fléchisseur superficiel.Tous les tendons constituent un seul ruban cannelé ;
324 klippel et BOUCHET
ce ruban va se souder au fléchisseur profond à un centimètre de son insertion
osseuse supérieure.
Fléchisseur profond. Même disposition du tendon en ruban cannelé. Le
faisceau d'insertion épitrochléenne est très marqué. Recouvert par le fléchis-
seur superficiel, il va, après sa soudure avec celui-ci, s'insérer sur le moignon
par trois ordres de fibres tendineuses : 1° les supérieures s'insèrent à la partie
moyenne de la face antérieure du massif osseux ; 2° les moyennes s'insèrent
entre l'insertion supérieure et l'extrémité du massif osseux ; 3° les inférieures
vont se perdre sur l'aponévrose du moignon. Le fléchisseur profond envoie
un faisceau tendineux qui se perd sur le fléchisseur superficiel.
Fléchisseur propre du pouce : manque ou plutôt est fusionné avec les autres
fléchisseurs.
B. Région externe. Long supinateur. Est assez bien développé, quoique
moins volumineux que normalement. Son tendon va s'insérer à l'extrémité in-
férieure et externe du radius au voisinage de l'apophyse styloide.
Premier et deuxième radial externe. Leur tendon contourne le radius et
passe à la partie postérieure dans la double gouttière ostéo-fibreuse, qui pré-
sente sa disposition normale. De là les tendons gagnent l'extrémité du moignon,
prennent vers son bord inférieur une légère adhérence osseuse et se terminent
en s'évasant dans l'aponévrose d'enveloppe du moignon. Ils semblent former
avec le grand palmaire une sangle qui coiffe le sommet du moignon.
Court supinateur très bien développé ; insertions normales.
C. - Région postérieure. Cubital postérieur. Son insertion se fait sur le bord
interne du massif osseux du moignon.
Extenseur propre du petit doigt. S'insère par un tendon grêle à la partie la
plus interne de la face postérieure de l'os du moignon. Quelques fibres vont se
perdre sur le tendon de l'extenseur commun.
Extenseur commun. Un seul tendon large et rubané qui passe dans une
gouttière postérieure et se termine par trois ordres d'insertions : 1° fibres pro-
fondes, s'insérant à la partie supérieure de la face postérieure du massif
osseux ; 2° fibres externes qui vont se perdre sur la gouttière des radiaux ;
3° fibres superficielles qui vont s'insérer sur l'aponévrose du moignon.
Extenseur propre de l'index. Très grêle ; s'insère en entier sur la gouttière
des radiaux.
Long extenseur du pouce. Tendon grêle qui croise obliquement la face pos-
térieure des tendons des deux radiaux pour venir s'insérer à la partie [la [plus
externe de la face antérieure de l'os du moignon.
Anconé. Bien formé ; insertions normales.
Aponévrose du moignon. C'est une lame fibreuse, prolongement de l'aponé-
vrose antibrachiale, qui coiffe le moignon comme d'une calotte. Elle est for-
mée de fibres propres et surtout de fibres d'emprunt de l'épanouissement t
des tendons de l'avant-bras, surtout le fléchisseur et l'extenseur commun des
doigts, les deux radiaux et le grand palmaire. Sa face superficielle adhère à la
peau. Sa face profonde est séparée de l'os par une couche celluleuse, qui est
tellement lâche qu'elle affecte, tout-à-fait à l'extrémité du moignon, une dispo-
HÉMIMÉLIE avec atrophie numérique DES TISSUS 325
sition qui rappelle les bourses séreuses de glissement. Cette disposition est
surtout marquée au niveau des tendons des radiaux et du grand palmaire.
Vaisseaux et nerfs. Ces organes présentent déjà, au niveau du bras et à sa
racine un aspect grêle manifeste, et ce caractère s'accentue à mesure que l'on
s'approche de l'extrémité du membre. Nous n'avons pas remarqué d'anomalie.
Il n'y en a ordinairement pas.
Artères. L'humérale, à sa bifurcation, est petite et présente à peine le
volume d'une radiale de femme. Sa distribution représente le type classique,
cependant sa bifurcation se fait exactement au niveau de l'interligne du coude
et se trouve donc plus haut que normalement L'interosseuse que fournit la
cubitale, est plus développée que la cubitale elle-même dans son trajet infé-
rieur et on la suit facilement jusqu'au bas de l'espace interrosseux qu'on la
voit perforer. La radiale, un peu plus petite que cette interosseuse, se perd
en suivant le tendon du long supinateur dans la peau de la partie antérieure
du moignon. Il nous a été impossible (n'ayant pu faire d'injection), de suivre
la cubitale jusqu'au moignon.
Veines. - Les superficielles se réduisent à quelques ramuscules sans im-
portance qui ne rappellent nullement, par leur disposition, l'M classique du
pli du coude.
Nerfs. Ils présentent dans la moitié supérieure leur distribution nor-
male, quoique notablement diminués de volume. Mais le brachial cutané in-
terne et le musculo-cutané épuisent leurs rameaux dans le tiers supérieur. Le
cubital, lorsqu'il a fourni ses branches musculaires s'épuise au voisinage du
tiers inférieur ; le médian se réduit au-dessous du tiers inférieur à un grêle
filet interosseux. On peut suivre le nerf radial jusqu'au niveau du moignon,
où il ne représente plus qu'un mince fil.
XXV. LEFOUR. Un cas d'hémimélie, Journal de
médecine de Bordeaux, 1896, p. 73.
Nouveau-né, mort à 8 jours ; avant-bras normal, terminé par cinq bourgeons
digitaux qui tiennent lieu de la main absente. Chez la mère, ni syphilis, ni
bydramnios. Père absolument sain.
XXVI. - G. GASNE, Un cas d'hémimélie chez un fils de syphilitique.
Nouv. Iconog. de la Salpètr., 1897, p. 31.
XXXVII. - CRÉIIANGE, Contribution à l'étude de l'hémimélie,
in thèse Paris, 1878.
Observation PERSONNELLE
Hémimélie thoracique gauche. Sujet de 4 ans 1/2, La radiographie montre
que le cubitus- descend plus bas que le radius. La main est un moignon in-
forme présentant, à sa partie inférieure, un petit appendice digitiforme aminci
à sa base, renflé à sa partie terminale et pourvu d'uu ongle; il semble corres-
pondre au pouce ; il n'y a pas trace de tissu osseux dans ce moignon.
xx 21
326 klippel ET BOUCHET
XXXIII. - ALBERT MOUCHET et CH. Vaillant, Un cas d'hémimélie
avec radiographie. Soc. anat. Paris, novembre 1899, p. 937-942.
Hémimélie thoracique gauche ; garçon 15 ans.
Le bras a une conformation absolument normale.
La radiographie montre que le radius, fortement incurvé en dehors, a son
extrémité supérieure déformée et luxée en dehors de l'humérus ; le cubitus
n'apparaît distinct qu'à son extrémité supérieure, longue de 3 centimètres,
large de 1, qui est luxée elle aussi, en dedans cette fois, de l'humérus ; dans
le reste de son trajet, le cubitus n'apparaît qu'en trois zones représentées par
trois surfaces arrondies, de la dimension d'un petit pois ; ces trois zones osseuses
siègent, l'une au milieu de l'os, les deux autres assez rapprochées, à l'extrémité
carpienne ; la plus inférieure s'articule manifestement avec le carpe. Ainsi,
dans la plus grande partie de son trajet, le cubitus est resté fibreux ou cartila-
gineux, perméable aux rayons X.
L'extrémité inférieure de l'humérus est conformée d'une façon très bizarre ;
à peine plus large que la diaphyse, usée même en dehors au contact de la tête
radiale, elle s'effile entre le radius et le cubitus en un bec cylindrique, de
3 centimètres de longueur environ, contigu au cubitus sur son bord interne.
Le carpe n'est représenté que par trois os qui paraissent être le trapèze, le grand
os, le pyramidal, le trapèze articulé avec l'extrémité inférieure du radius, dans
les deux tiers externes de cette extrémité et le pyramidal articulé en haut avec
le tiers interne. Le trapèze s'articule en bas avec le premier métacarpien, le
pyramidal avec l'autre métacarpien. Quant au troisième os du carpe, interposé
entre les deux autres et un peu antérieur à eux, il s'articule en dedans avec
le côté externe de l'extrémité supérieure du 2e métacarpien. Mais la signification
attribuée à ces os du carpe est hypothétique, et ne présente point de certitude
absolue. Du côté des deux doigts existant, rien de particulier, sauf le volume
extrême de l'unique sésamoïde (interne) du pouce ; métacarpien et phalanges
sont bien conformés.
XXIX. - Michel, Un cas d'lémimélie; présentation de radiographies .
Soc. méd. Nancy, Compte rendu, 1899-1900, p. GUI (juillet 1900).
Le sujet, jeune homme de 18 ans, avait le bras gauche normalement cons-
titué, un peu moins volumineux que celui du côté opposé. L'avant-bras était
atrophié, le membre se terminait par un moignon au bout duquel on aperce-
vait à la partie inférieure un rudiment de main constitué par cinq tubercules
au niveau desquels on remarquait des ongles. Au palper, dans ces tubercules,
il n'y avait pas de parties osseuses. Le moignon d'avant-bras était très conique ;
il allait en s'effilant ; à la palpation de sa partie terminale on percevoit très
nettement les extrémités du cubitus et du radius. Ces deux os étaient très
incurvés.
Radiographies : le radius, à part son incurvation, semble avoir une forme
normale et paraît complet ; le cubitus, au contraire, n'est pas normal ; l'extré-
mité inférieure, l'apophyse styloïde manque. En avant des deux os, séparées
d'eux par deux sortes d'interlignes, on trouve d'une part, du côté du cubitus,
hémimélie avec atrophie numérique DES TISSUS 327 "1
une masse plus volumineuse,rappelant la forme d'un sabot de cheval. On pcut
supposer, d'après ces radiographies, que l'arrêt de développement a porté sur
le carpe et sur l'extrémité inférieure du cubitus.
XXX, - HuET et Infroit, Description d'un ectromélien hémimèle avec quel-
ques considérations sur l'hémimélie. Nouv. Iconog. Salpêtr., Paris, 1901,
p. 128-148.
Sujet masculin, 24 ans. Les avant-bras et les mains ont subi un arrêt de
développement et présentent des malformations qui donnent aux membres su-
périeurs une ressemblance grossière avec les ailes de certains oiseaux, d'où le
nom de ptéromélie que l'on pourrait appliquer à ce cas d'hémimélie.
Les avant-bras paraissent d'autant plus courts qu'ils restent fléchis à angle
assez aigu sur le bras et qu'au pli du coude les parties molles du bras se réflé-
chissent sur l'avant-bras, en le recouvrant dans plus de la moitié de son étendue.
A gauche, la main n'est représentée que par un seul doigt, le pouce, et par
le métacarpien correspondant. Les phalanges semblent normales. ,
A droite, la main se dévie et s'incline d'abord sur le côté interne, puis au
niveau des doigts en sens opposé sur le côté externe, de sorte que l'avant-bras,
la main et les doigts forment comme un Z allongé ; deux doigts paraissent en
partie fusionnés."
Les radiographies montrent un seul os à l'avant-bras ; il ressemble plutôt
au radius qu'au cubitus, bien qu'il ait subi quelques modifications ; ainsi il est
à peu près aussi épais, sinon plus épais à sa partie supérieure qu'à l'inférieure ;
mais dans sa partie supérieure il présente une tubérosité qui correspond à la
bicipitale. Pas de traces de cubitus, comme dans le cas de Mouchet et Vaillant.
Cependant, par son extrémité supérieure, cet os unique de l'avant-bras pré-
sente quelques caractères qui le rapprochent du cubitus ; il est plus gros à ce
niveau, qu'un radius normal ; il ne se termine pas en cupule comme un ra-
dius, mais présente une forme qui lui donne une ressemblance éloignée avec
l'olécrilne; d'ailleurs il s'articule avec l'humérus en se juxtaposant au bord
interne de l'extrémité numérale. L'article du coude est donc profondément mo-
difié ; il ne se fait ni par un condyle, ni par une trochlée, mais par une sorte
de juxtaposition latérale des deux os. L'extrémité inférieure de i'humérus a
l'aspect d'un pilon ; rien n'y rappelle l'épicondyle, le condyle, la trochlée, l'é-
pitrochlée. L'extrémité supérieure de l'os de l'avant-bras est d'un volume plus
petit, s'articule avec la partie interne de l'extrémité humérale, en se mettant
eu contact avec elle par sa partie externe.
Le carpe est réduit à un seul os qui ne ressemble à aucun des os normaux
du carpe ; il s'articule en haut avec l'extrémité inférieure du radius et en bas
avec l'os du métacarpe ; il paraît correspondre à la fois au scaphoïde et au tra-
pèze.
Le métacarpien semble correspondre au premier, bien qu'il soit un peu plus
long ; un seul sésamoïde.- L'extrémité supérieure de-ce métacarpien est un peu
modifiée et, en examinant attentivement les radiographies, on peut se deman-
der si elle n'est pas formée par la soudure du leur métacarpien avec le trapèze
328 KLIPPEL ET BOUCHET
modifié. Dans ce cas l'os du carpe correspondrait seulement au scaphoïde. Les
doigts sont au nombre de deux, mais ils sont en partie soudés. L'os qui s'ar-
ticule avec la tête du métacarpien paraît formé par la fusion de la 1 ? phalange
du pouce avec la première phalange de l'autre doigt. En dehors il se continue
avec la lire phalange ou phalange unguéale du pouce, qui est assez bien formée,
mais qui lui est soudée. En dedans s'en détache à angle droit une apophyse
qui représenterait une partie de la lro phalange de l'autre doigt, notablement
atrophiée. La 2e phalange de ce doigt est notablement atrophiée aussi. Elle
s'articule à angle droit sur le côté externe de la partie libre de la ira phalange,
de sorte que son axe longitudinal est parallèle à l'axe de la 2° phalange du
pouce. La 30 phalange est mieux conservée, s'articule avec la 2e, en suivant
une direction obliquement dirigée en bas et en dedans par rapport à l'axe de
cette 2e phalange.
* Le membre supérieur gauche présente de grandes analogies, dans son en-
semble, avec le squelette du membre droit.
Muscles et nerfs. - A droite ; mouvements de l'avant-bras sur le bras :
la flexion est le mouvement le mieux conservé et le plus étendu. L'extension
active ou passive est notablement plus faible que la flexion. Les mouvements
de rotation de l'avant-bras en dehors et en dedans sont possibles, mais limités,
la pronation étant plus étendue que la supination. Actifs, ces mouvements
sont beaucoup plus restreints que les passifs. Les mouvements de la main sur
l'avant-bras sont très limités, plus dans le sens latéral que dans le sens de la
flexion et de l'extension.
XXXI. - SOUBEYRAN (de Montpellier), Hémimélie avec avant-bras partiel
et vestiges de la main. Soc. anat. de Paris, février 1902, p. 153-154.
Le sujet dont nous présentons la radiographie à la Société, est porteur d'une
difformité congénitale du membre supérieur droit. A l'inspection, le bras pa-
raît normal, l'avant-bras est atrophié, sa longueur est de 10 centimètres, sa
base est large et son extrémité libre arrondie ; sur cette extrémité on remarque
un rudiment de main représentée par les vestiges des doigts. Les deux pre-
miers doigts font une saillie assez nette, les trois derniers sont à peine visibles.
Les mouvements de l'épaule et du coude sont normaux ; le rudiment de
main jouit d'une mobilité indépendante.
La radiographie du membre montre que les deux os de l'avant-bras existent
avec leurs saillies et leurs cavités, mais ils sont déformés et minuscules ; de
plus, ils sont incurvés sur eux-mêmes, comme si une pression les avait arrê-
tés dans leur développement.
Le cubitus décrit une courbe prononcée à concavité dirigée en dedans, son
corps très volumineux pour sa longueur présente à sa partie moyenne une
grosse tubérosité saillante sur sa face externe. Son extrémité supérieure est
très volumineuse et égale environ à la moitié de sa longueur totale ; l'olécrâne
est plus large que haute ; l'apophyse coronoïde est déjetée en dehors. La cavité
sigmoïde, fort grande, embrasse la trochlée. La tête du cubitus est petite, ne
possède pas d'apophyse styloïde, et repose sur le radius.
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 329
Le radius décrit également une forte courbe à concavité interne ; il s'épaissit
peu de haut en bas, et présente une tubérosité à sa partie moyenne. Son ex-
trémité supérieure est remontée en avant du condyle huméral et s'articule
avec la face antérieure de ce dernier-; la tubérosité bicipitale fait une forte
saillie. L'extrémité inférieure est très déformée ; elle est allongée transversale-
ment, aplatie de haut en bas, pyramidale à base externe, et à sommet débor-
dant en dedans la tête cubitale ; cette dernière en effet repose sur la face su-
périeure de l'épiphyse radiale; enfin on ne trouve pas trace de l'apophyse
slyloïde de cet os. Les os du poignet et de la main font défaut ; notons seule-
ment sur l'épreuve une petite ombre, à leur niveau, représentant un point
osseux isolé.
L'interrogatoire révèle un frère et une grand'mère ayant un pied-bot.
XXXII. Saint-Martin, Note sur un cas de monstre autosite ectromélien
hémimèle. Bulletin de la Société médicale de Pau, 14 février 1902, n° 5,
p. 90-93.
Enfant de 3 à 4 ans, ayant la tête et le tronc bien conformés ; il s'est noyé.
Membre supérieur droit. Normal, sauf la main qui est privée du médius,
ainsi que du métacarpien correspondant ; l'annulaire est fléchi et ankylosé à
l'articulation phalango-phalangienne.
Membre supérieur gauche. Le bras est normal, mais il y a ankylose du
coude ; les mouvements de flexion de l'avant-bras sur le bras sont impossibles
tandis que les mouvements de pronation et de supination existent. Le cubitus
et le radius séparés la partie supérieure de l'avant-bras se fusionnent en bas
pour former un semblant d'articulation radio-carpienne, sur laquelle vient' se
greffer un rudiment de main gauche réduite au 5' métacarpien et au lor mé-
tacarpien surmonté de la lr0 phalange de l'index sans ongle, supportant elle-
même un moignon de pouce avec ongle, mais sans squelette.
Membre inférieur. De chaque côté, il est incomplet et grêle, d'une seule
pièce, le pied mis à part, sans articulation du genou. Est-ce une cuisse, est-ce
une jambe ? Toujours est-il que ce segment de membre s'articule mollement à
un bassin qui parait normal. On est embarrassé pour déterminer quel est l'os
qui supporte ce membre abdominal, fémur ou tibia ? On ne sent pas de tubé-
rosité trochantérienne, pas de trace de courbures fémorales, pas de condy-
les ; l'os, au lieu d'être cylindrique comme un fémur est plutôt prismatique
triangulaire comme un tibia, avec arête tranchante antérieure; absence de
péroné, et cependant, en bas, on trouve de chaque côté deux malléoles avec
une articulation tibio-tarsienne fonctionnant très bien. Les pieds sont presque
normaux, à part les détails suivants : le gauche n'a pas de 9° orteil; de plus,
le 3e et le 4°, un peu atrophiés, semblent greffés sur un même métatarsien.
Le pied droit est absolument normal, sauf qu'il est un peu dévié en valgus.
XXXIII. - AzouLAS·, Hémimélie bi-tlaoracique. Bull. Soc. anthropol.
Paris, 1902, p. 51. .
L'auteur présente la photographie d'une femme atteinte d'hémimélie des
330 KLIPPEL ET BOUCIIET
deux membres supérieurs. Le bras droit ne présente plus qu'un doigt, muni
d'ongle. Ce doigt semble être l'index ou le médius. L'avant-bras extrêmement
grêle paraît ne pas présenter de carpe. Le bras gauche possède 3 doigts :
pouce, index et médius, tous munis d'ongle. L'extrémité inférieure du cubitus
semble s'être développée. C'était une espagnole qui montrait son infirmité pour
quelques sous .
XXXIV. - HEITZ (J.) et Infroit (C.), Un cas d'hémimélie du membre abdo-
minal droit, étudié par, la radiographie. Nouv. Iconog. de la Salpêtre,
p. 265-271. -
Le sujet est une femme de 58 ans, malade du service du Professeur Deje-
rine. La cuisse est légèrement raccourcie, le genou est ankylosé en flexion, la
rotule fusionnée au condyle interne, la jambe très atrophiée, la plante du pied
regardant en haut, accolée à la face interne de la cuisse ; il n'existe que deux
orteils, avec leurs métatarsiens et leurs phalanges ; c'est une hémimélie par
absence du péroné.
XXXV et XXXVI. - J. Mouchotte. - Obs. I. Hémimélie thoracique
gauche, Soc. anat. Paris, 1.902. p.741.
T. J..., 33 ans, piqueuse à la machine. Le père, gendarme, et la mère, cou-
turière, sont morts tous deux à un âge déjà avancé. Ils étaient bien conformés,
très sobres. Tels sont les seuls renseignements se rapportant aux antécédents
héréditaires de T. J..., que nous avons pu recueillir.
T. J... avait un frère qui mourut tuberculeux à 29 ans ; elle a une soeur ac-
tuellement âgée de 30 ans et bien portante ; le frère et cette soeur naquirent
parfaitement conformés.
T. J... marché très jeune et toujours bien. A part une fièvre typhoïde
contractée à l'âge de 12 ans, elle n'a jamais été malade. Pas de nervosisme. La
taille est moyenne. Le squelette, le membre malformé excepté, ne présente
aucune difformité. En dehors de l'hémimélie on ne constate aucune autre
malformation congénitale. La dentition est régulière. La langue est légèrement
raghadée. L'appareil de la reproduction a normalement fonctionné.
T. J... a été réglée s 15 ans. Elle a mené deux grossesses à terme. Les ac-
couchements ont été simples. Chaque fois la présentation était celle du sommet.
Les suites de couches ont été physiologiques.
La 2" grossesse cependant fut un peu pénible ; 15 jours avant l'accouche-
ment, les urines auraient renfermé une légère quantité d'albumine. Le liquide
amniotique, lors de ces deux accouchements, aurait été relativement abondant.
Quant aux deux enfants, un garçon et une fille, ils sont nés vivants, sans
malformation. Ils ont été élevés au sein maternel et sont actuellement tous
deux bien portants. Il est regrettable qu'on ne puisse être fixé sur leur poids à
la naissance, ainsi que sur le poids et l'état des arrière-faix.
T. J... présente une hémimélie thoracique gauche. L'humérus gauche a la
même longueur que l'humérus droit. Le membre supérieur gauche se termine,
un peu au-dessous de l'articulation du coude, par un moignon arrondi qui me-
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 331
sure immédiatement au-dessous de cette articulation une circonférence de
10 centimètres.
Le coude de ce membre malformé reposant sur un plan résistant, le moignon
légèrement fléchi, on constate sur la face interne du moignon, un peu en re-
trait sur l'extrémité arrondie, un petit appendice représentant une main avortée.
Ce petit appendice, disposé dans le plan vertical dans la situation où nous
examinons le membre, est constitué par cinq tubercules cutanés, arrondis, su-
perposés : un supérieur, du volume d'un pois séparé par un profond sillon
des quatre autres qui, eux, ne sont isolés que par des sillons'beaucoup moins
accentués. Ces appendices s'insèrent sur un large pédicule dont ils sont sépa-
rés par un pli.
Au point où ce pédicule élargi se fixe sur le moignon on observe deux plis
cutanés de flexion, l'un un peu postérieur au premier. C'est au niveau de ces
plis et particulièrement au niveau de l'antérieur que s'exécutent les mouve-
ments volontaires de flexion de l'appendice sur le moignon. Les mouvements
s'accompagnent de très petits craquements.
Dans le pli antérieur, des objets ténus sont solidement fixés. La femme y
place son aiguille qu'elle enfile de la main droite.
Quant aux bourgeons digitaux, ils n'ont pas de mouvements partiels et ne
se déplacent qu'en totalité avec tout l'appendice.
Avec son moignon la femme fixe son ouvrage sur la machine à coudre,
pousse la toile et exerce convenablement son métier de piqueuse.
La sensibilité du moignon, de l'appendice, des bourgeons digitaux est très
développée et à tous les modes.
L'humérus gauche a ses muscles légèrement atrophiés ; le bras en son mi-
lieu n'a que 18 centimètres de circonférence. Le bras droit à la même hauteur
mesure 22 cent. 1/2.
Lorsqu'on ne regarde plus le moignon par sa face interne, mais directement
de bout, on constate qu'il présente à sa partie inférieure une petite fossette,
centre de convergence de huit plis cutanés disposés radiairement. Cette petite
fossette n'a ni l'apparence ni le caractère d'une cicatrice.
Cas. IL - Hémimélie thoracique droite.
L. L..., âgée de 4 ans, a marché à 14 mois et toujours bien. Elle eut la rou-
geole à 2 ans. Cette affection exceptée, la santé fut parfaite. Bon état général.
Pas de rachitisme. Bonne dentition. Pas de stigmates de dégénérescence. En de-
hors de l'hémimélie thoracique droite, L. L... est parfaitement bien conformée.
Le membre supérieur droit n'est représenté que par le bras dont l'os forme
à son extrémité inférieure, comme une sorte de crochet incurvé en avant.
L'articulation du coude n'existe pas. Un très court, moignon cutané recouvre
le crochet humera ! , formant un rudiment d'avant-bras.
A la partie supéro-interne de ce moignon et à son extrémité, se trouve un
petit appendice cutané dû volume de deux pois, légèrement pédiculé, présen-
tant sur son bord libre cinq petits tubercules séparés par des sillons et disposés
exactement comme les cinq doigts d'une main.
332 KL1PPEL ET BOUCHET
Cette main avortée se replie sur le moignon, l'insertion du pédicule servant
de charnière, de pli de flexion. Dans ce pli, des épingles peuvent être main-
tenues solidement ; le petit moignon, animé dans sa totalité de mouvements
volontaires, possède une sensibilité très développée, à tous les modes.
Des mouvements délicats sont exécutés par ce membre frappé d'arrêt de
développement. En outre, la petite L. L... a suppléé à l'insuffisance fonction-
nelle déterminée par cette hémimélie, par une éducation de son autre main et
de ses pieds, particulièrement du pied correspondant au côté de l'hémimélie;
entre le pouce et l'index de sou pied droit, elle comprime avec force, saisit
des objets, les ramasse terre, défait la chaussette de la jambe gauche, etc.
L'extrémité du moignon est lisse, sans dépression, sans plis cutanés, sans
cicatrice.
Cette petite hémimèle est née de parents bien constitués, sobres, sains.
Aucun signe ne permet de dépister la syphilis chez les ascendants directs.
Mais signes nets d'endométrite maternelle, antérieure à la conception et au
développement de la petite L. L....
XXXVII. HALBRON, Un cas de phocomêlie et hémimélie.
Nouv. Iconog. Salpêtr., 1903, p. 122.
Sujet masculin, âgé de 16 ans, malade de l'hospice d'Ivry. Il s'agit d'une
hémimélie abdominale droite, et de ohocomélie avec hémimélie par absence du
péroné à gauche. Pas de syphilis dans les antécédents.
XXXVIII. - KLIPPEL et RABAUD (Et.), Sur une forme rare d'hémimélie
radiale intercalaire. Nouv. Iconog. Salpètr. Paris, 1903, p. 238.
Il s'agit d'un cas d'hémimélie radiale très atténuée du membre gauche, por-
tant principalement sur la pue phalange du pouce, et en correspondance avec
une atrophie assez intense des muscles de l'éminence thénar de la main droite.
L'hémimélie n'est pas d'ordinaire strictement limitée au tissu osseux. Bien
au contraire, elle porte sur l'ensemble du tissu conjonctif embryonnaire du
membre, sans égard pour les différenciations ultérieures qu'aurait acquises le
tissu conjonctif. '
XXXIX, - E. f3EIlTIN et M. Oui, Monstre ectromélien hémimèle.
Echo médical du Nord, 1903, p. 378.
Il s'agit d'une fillette de 7 mois, ayant une hémimélie abdominale bilatérale,
une hémimélie thoracique droite, une ectrodactylie et syndactylie gauches.
XL. Fischer (IL), Fait von Hémimélie. N. Yorker med.
Monatschrift, 1904, XVI, 526.
Malade : 62 ans. Pas de difformités congénitales dans sa famille. Au bras
droit, ankylose de l'articulation du coude. Le radius est plus court et plus pe-
sant que normalement; le cubitus n'est formé qu'aux 2/3. Des os du carpe
3 seulement sont développés : scaphoïde, semi-lunaire et trapézoïde ; des doigts,
seuls le pouce et l'index existent.
Au bras gauche, il y a également ankylose de l'articulation du coude ; le ra-,
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 333
dius est plus court que normalement; le tiers supérieur du cubitus est formé ;
au carpe, il y a un seul os ; au métacarpe, un seul doigt est entier ;' le pouce
n'a que la première phalange, et l'index, la phalangette. Ce qu'il y a d'inté
ressant dans ce cas, c'est l'atrophie du cubitus, bien moins souvent atteint
dans ces cas d'hémimélie que le radius.
Pli. - Faix, Musculature du membre malformé chez un hémimèle.
Bull. Soc. obstét. Paris, 1906, IX, p. 88-93.
Un nouveau-né porteur d'une hémimélie thoracique droite, ayant en outre,
à gauche une main bifide avec syndactylie des deux premiers doigts et des
trois derniers, et un bec-de-lièvre simple, unilatéral gauche, mourut 30 minu-
tes après sa naissance.
Radiographies. - L'humérus est sensiblement atrophié à partir du V del-
toïdien, se terminant à 5 millimètres environ du revêtement cutané du moi-
gnon brachial par une surface mousse. A la main, les cinq métacarpiens sont
divisés en deux groupes : l'externe comprenant le 1 cr métacarpien, le 28 et le 30,
celui-ci légèrement incurvé en dehors, tendant à rejoindre l'extrémité supé-
rieure du 2e ; dans le groupe interne, se trouvent les 3e et 40 métacarpiens.
La division de la main en deux portions va donc jusqu'au milieu des métacar-
piens.
Dans le groupe externe, on note la présence de deux phalanges pour le
pouce, auquel est accolé non pas l'index, mais bien un second pouce d'aspect
extérieur exactement semblable et ne comportant lui aussi qu'une phalange et
un phalangette. Ce second pouce décrit dans son ensemble une courbe il conca-
vité externe, et ce fait nous est expliqué quand nous nous apercevons que sa
phalange est intimement soudée avec celle du 3° doigt, qui lui, comporte une
ossature normale.
Dans le groupe interne, le 4° doigt est normal, et seul le 58 manque de pha-
lancina, n'ayant comme un pouce, que phalange et phalangette.
Dissection. Le deltoïde est normal. Le grand pectoral est très anormal ;
on doit ici le considérer comme un muscle de renforcement qu'on pourrait
appeler obturateur de l'aisselle; les autres muscles de l'épaule sont normaux.
Au bras, il n'y a pas de longue portion du biceps ; la courte portion est à
peine indiquée ; le corps musculaire n'existe pas différencié. Le vaste externe
est nettement représenté ; le vaste interne consiste en un amas fibro-muscu-
laire sur lequel se jette le tendon commun au coraco-brachialet aux fibres su-
périeures du grand pectoral surmonté en dehors d'un corps charnu mal diffé-
rencié, longé à sa partie externe par le médian et l'artère humérale que bordent
en dehors les faisceaux terminaux du deltoïde. De là part un tendon assez fort
qui se perd insensiblement sur la coque fibreuse qui entoure le moignon ter-
minal. A la partie postérieure du bras, il est impossible de différencier un
faisceau musculaire; à la partie inférieure seulement un tendon assez net vient
se jeter sur la coque fibreuse terminale.
En avant et en dehors existent aussi trois tendons différenciés qui semblent
répondre plus à des muscles de l'avant-bras qu'à des muscles du bras.
334 li KLIPPEL ET BOUCHET .1
Les nerfs ont été examinés par M. Durante. Le cubital est plus grêle, du
côté malade. Les tubes nerveux sont normaux ; l'atrophie est seulement quan-
titative ; dans l'ensemble, l'épaisseur est moindre d'un quart. Cette diminution
est encore plus notable si on considère individuellement les faisceaux, car l'a-
trophie totale est en partie masquée par une hyperplasie du tissu interstitiel.
Le brachial antérieur n'est pas différencié, ni le long supinateur non plus.
Le triceps est fortement atrophié ; le petit palmaire est absent ; le grand pal-
maire et le cubital antérieur sont normaux.
L'artère du nerf médian a un volume considérable.
De l'étude anatomique de la face palmaire, il semble que la division s'est
faite au niveau même des territoires nerveux du médian et du cubital, celui-ci
formant un collatéral de plus, quoiqu'on trouve trace du filet du médian cons-
tituant normalement le collatéral externe du Se. La distribution artérielle et
musculaire a suivi la même division, les tendons des doigts syndactylisés
ayant tendance à contracter des connexions de suppléance.
A la face dorsale, les muscles long supinateur, radiaux, long abducteur du
pouce, long extenseur du pouce sont normaux; les muscles court extenseur du
pouce et extenseur propre de l'index manquent. L'extenseur commun donne
deux faisceaux : l'externe se divise tardivement en deux larges tendons pour le
2° et le 3e, et envoie une expansion longue au faisceau interne ; l'interne donne
deux tendons pour le lie et le 58 ; ce dernier est double sur une partie de son
trajet.
Le sujet est mort de perforation interventriculaire. L'anomalie du grand
pectoral n'est signalée nulle part, non plus que par Ledouble.
. (A suivre.)
LE RADIO-DIAGNOSTIC
DANS UN CAS DE DILATATION PARALYTIQUE
DE L'OESOPHAGE,
TYPE SACCIFORME DE LEICHTEMTERN,
, PAR
M. BERTOLOTTI, et G. BOIDI-TROTTI,
Directeur de l'Institut de Radiologie médicale Assistant.
à l'hôpital St-Jean de Turin.
Nous avons eu l'occasion dans ces derniers temps de pratiquer le radio-
diagnostic dans un cas très intéressant. ,
On pourra constater par ce qui va suivre toute la valeur de l'examen
radioscopique et l'utilité de la méthode d'exploration radioscopique de
l'oesophage que l'un de nous a proposé dans une note communiquée à
l'Académie de médecine de Turin en 1905 (1).
Voici l'histoire clinique de ce cas que nous devons à l'extrême obli-
geance du professeur Battistini dans le service duquel a séjourné la
malade.
C. B..., 36 ans, femme mariée. Rien à noter dans les antécédents héré-
ditaires. Scarlatine à l'âge de 6 ans ; à 8 ans, sans cause appréciable,
elle est frappée d'une lésion inflammatoire dans la malléole externe droite,
il s'esl agi probablement ici d'une ostéite tuberculeuse qui a duré
cinq mois.
A 16 ans, tuméfaction douloureuse de la région sous-maxillaire droite
avec fièvre et rougeur de la peau. Bientôt il se fait un abcès qui fut
incisé quinze jours après.
La maladie actuelle a commencé à 17 ans : à cet âge la malade commença
à ressentir une sensation de lourdeur à la région inférieure du sternum
et notamment à l'épigastre. Cette sensation de poids se manifestait spécia-
lement après les. repas. Notre malade ne tarda pas à noter que les liquides
passaient facilement, tandis que les aliments solides étaient déglutis pé-
niblement.
(1) M. l3aaroLOrTi. Un 1 ! 1l0VO metodo di radioscopia esofagea. Séance du 24 novem
re 1905.
336 BERTOLOTTI ET BOIDI-TROTTI
Les phénomènes en question n'ont pas changé jusqu'à t'age de 23 ans.
A cette époque la malade se marie et a 6 accouchements successifs ; or
pendant qu'elle était enceinte les phénomènes morbides empiraient, la
difficulté dans la déglutition augmentait et apparaissaient des vomissements
très fréquents.
Depuis quelques années, la malade s'est aperçue que dans le écubit1ts
latéral gauche elle a spontanément et sans efforts une régurgitation du contenu
gastrique.
Il y a trois ans, la malade eut une hématémcse très abondante sans cause
appréciable.
Dans ces derniers temps les troubles gastriques sont allés en augmen-
tant d'une façon lente et régulière, tellement que la malade est réduite à
présent à une alimentation exclusivement liquide.
Etat présent. - Malade très amaigrie, pâle, cachectique. Elle entre à
l'hôpital le 22 juin et après un séjour de 5 jours seulement retourne dans
son pays.
Si l'on suit la malade pendant qu'elle avale son bol de lait, on peut as-
sister à des mouvements bien étranges : en effet, B... pour faire passer
ses aliments, qu'elle sent arrêtés au niveau de la portion inférieure du
sternum, se tapote assez violemment la poitrine avec le poing fermé.
Pendant cette déglutition laborieuse, on peut assister à toute une série
de symptômes alarmants : la malade devient cyanotique, les réseaux vei-
neux du cou se gonflent énormément, les muscles slerno-mastoïdiens font
saillie des deux côtés; il y a dyspnée, stertor trachéal et râle bronchial
qu'on peut entendre à distance.
Pendant les efforts de vomissement qui suivent une déglutition difficile,
on peut voir le côté droit de la région cervicale antérieure se gonfler con-
sidérablement, notamment dans la fossette supra-claviculaire.
A la percussion du thorax faite postérieurement du côté droit, on note
une zone de matité qui s'étend de l'épine de-1'omoplate et descend en bas
à côté de la colonne vertébrale.
Sur cette zone on n'entend ni le frémissement vocal, ni le murmure
respiratoire,en dehors de cette zone d'obscuritéle son est nettement tym-
panique, tandis que la respiration est normale.
Les sommets sont normaux.
Rien de particulier dans le côté gauche du thorax, coeur dans les limi-
tes normales, rien à la charge des gros vaisseaux. Pouls lent et régulier;
les deux pouls radiaux à droite et à gauche parfaitement synchrones. Phé-
nomène d'Olivier-Cardarelli absent.
Rien à l'auscultation trachéale. Les pupilles sont égales et réagissent
bien à la lumière et à l'accommodation.
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B
RADIODIAGNOSTIC DANS UN CAS DE DILATATION PARALYTIQUE DE L'OESOPHAGE .
(Bertolotti et Boidi-Trolti) .
LE RADIO-DIAGNOSTIC 337
L'examen de l'abdomen décèle une ptose gastrique discrète, l'estomac
est un peu plus en bas et en position oblique à gauche.
En présence de ces symptômes, on pose le diagnostic clinique de sténose
du cardia, probablement de nature spasmodique, avec présence d'un di-
verticule de la première portion de l'oesophage au niveau de la région sous-
claviculaire droite.
Voici, à présent, les données qu'on a pu établir au moyen du radio-
diagnostic :
A l'examen radioscopique antérieur (PI. LVII, A) on aperçoit dans le
côté droit du thorax une ombre allongée dans le diamètre longitudinal et
qui se prolonge du rebord inférieur de la première côte jusqu'au sinus
costo-diaphragmatique du même côté.
Dans le diamètre transversal cette zone, qui a un profil bien net, occupe
toute la largeur de la base du sommet droit et s'étend en bas obliquement
en dehors jusqu'à l'insertion costale du diaphragme.
A gauche cette ombre se confond avec celle du coeur et des gros vais-
seaux. On ne peut saisir aucune pulsation dans les limites de celte zone ;
à gauche on peut voir les contractions du ventricule gauche du coeur,
mais l'on ne peut bien fixer la position de la pointe.
Après cet examen radioscopique on n'a pu formuler aucun diagnostic,
on rejette seulement par exclusion le diagnostic de dilatation aortique
posé par d'autres médecins radiographes, mais l'on reste très incertain
et très étonné en présence d'un profil radioscopique tellement anormal.
Dans un deuxième examen radioscopique dans la position oblique an- ¡
térieure droite, on fait déglutir à la malade une capsule de gélatine rem-
plie de bismuth clans le but d'explorer le trajet de l'oesophage et de voir
s'il existe la sténose qu'on a diagnostiquée cliniquement.
La capsule est déglutie et vient s'arrêter au niveau de la crosse amorti-
que ; arrivée à cet endroit la capsule se dépose dans le sens transversal et
après quelques secondes elle suit un trajet parfaitement horizontal et vient
se montrer dans le thorax droit au niveau du deuxième espace inter-
costal.
A ce moment, suivant la méthode d'exploration de l'oesophage que l'un
de nous a décrite (1), on fait avaler à la malade quelques gorgées d'une so-
lution concentrée de bicarbonate de soude et après, un demi-verre d'une
solution d'acide citrique : on voit tout de suite alors s'éclairer le sommet
droit et les espaces intercostaux devenir visibles, si bien que en regardant
de près on voit que la capsule de bismuth repose dans le cul-de-sac d'une
dilatation de l'oesophage (PL LVII, B).
(1) BERTOLOTTI, IOC. Ctt.
338 R 13ER'foLO'f'fl ET BOIDI-TROTTI
Dans une troisième reprise de l'examen radioscopique, on fait déglutir
encore une autre dose du mélange effervescent et l'on peut voir avec sur-
prise que toute cette ombre foncée du médiastin s'éclaircit peu à peu, de
façon qu'il est possible de constater la position de la pointe du coeur qui
bat dans le cinquième espace intercostal.
La PI. LVIII, C est très démonstrative : on voit le premier diverticule
supérieur très arrondi et rempli par les gaz, on voit aussi très bien la di-
latation sacciforme inférieure qui est devenue très claire après l'introduc-
tion du mélange effervescent et l'on peut suivre tout le contour de cette
dilatation qui se porte à gauche au-dessous de la pointe du coelll' dans le
sixième espace intercostal.
Il fallait encore démontrer qu'il ne s'agissait pas d'une hernie diaphrag-
matique de l'estomac, comme on en a relaté quelques cas (1), et cette
démonstration nous l'avons eue facilement, puisqu'on a pu voir à la radios-
copie l'estomac se dilater lentement au-dessous du diaphragme par les
gaz qui venaient de l'oesophage.
Il s'agissait enfin de se faire une idée sur les voies de communication
existant entre les deux gonflements de l'oesophage et nous avons eu bien
de la peine à introduire une sonde gastrique, qui, après s'être arrêtée
dans le premier gonflement, est remontée de droile à gauche tout le long
du cul-de-sac du premier diverticule et après est descendue dans la dila-
tation sacciforme inférieure, de façon que nous avons pu radiographier
cette sonde qui traversait tout le thorax droit de dedans en dehors et allait t
s'arrêter dans le sinus costo-diaphragmatique droit (Pi. LVIII, D).
Nous nous trouvons en présence d'un cas exceptionnel qui n'a, par
son côté radio-diagnostique, aucun exemple analogue dans la littérature;
en effet la plupart des cas de dilatation considérable de l'oesophage ont été
étudiés à l'autopsie. Schwôrer (2) dans un cas semblable avait eu recours
à l'examen radioscopique, mais avec peu de résultat. En réalité il convient
de mettre en relief l'utilité de la méthode basée sur l'introduction des
poudres réophores dans l'oesophage, puisque, comme on le voit par les ra-
diographies très démonstratives à cet égard, sans cet artifice l'interpréta-
tion de l'image radioscopique, notamment pour ce qui a trait il l'ombre
médiastinale, était bien autrement difficile.
Quelle a pu être, dans notre cas, la cause de cette double dilatation
énorme de l'oesophage ? Il s'agit probablement ici d'une dilatation paraly-
(1) D' Guido IIOL%KNECIIT, Die r6nlgenologische Diagnoshk der Erhrankungen der
Brusteingeweide . Fortschritte Rbntgenstrablen, 1901, p. 202-203.
(2) SCIIWOIIEII, Iiinch. med. Woch" 1899, n° 2 : j,
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PI. LVIII
c
D
) : 1DIODI4GIOST1C DANS UN CAS DE DILATATION PARALYTIQUE DE L'OESOPHAGE.
(Bertolotti et Boidi- Trotti).
LE RADIO-DIAGNOSTIC 339
tique de l'oesophage, sans cause anatomique, par sténose spasmodique du
cardia, selon le type sacciforme décrit par Leichtemtern (1). Pour l'expli-
cation du premier gonflement nous sommes encore plus embarrassés;
peut-être, selon les hypothèses émises par quelques auteurs dans des cas
de ce genre, le diverticule supérieur serait-il congénital.
Il faut signaler que dans notre cas, par analogie avec ceux observés par
Hblder et par Rosenheim, on constata une zone de matité tout le long de
la colonne vertébrale à droite. Chez la malade que nous avons observée,
aussi bien que dans les deux cas de Hôlder et de Rosenheim, cette zone
de matité allait en augmentant de haut en bas.
Il est vraiment regrettable que dans ces deux cas l'examen radiosco-
pique n'ait pas été fait. '
Une telle entité morbide est très obscure cliniquement ; toutefois, on ne
peut dire qu'elle soit exceptionnelle, puisqu'on en a déjà compté plus de
70 cas dans la littérature.
Il faut ajouter pourtant que jusqu'à présent cette maladie n'a eu qu'un
intérêt anatomo-pathotogique, puisqu'elle échappe très facilement au
diagnostic clinique.
Seulement dans trois cas : cas de Haybaum, de Rumpell etdeSchwôrer,
le diagnostic fut fait pendant la vie du malade sans l'appui de l'examen
radiologique.
Nous retrouvons dans l'histoire clinique de ces trois cas les mêmes
symptômes qu'on a constatés chez notre malade : c'est-à-dire la longue
durée de l'affection, les signes simulant une simple sténose du cardia,
rage de développement de la maladie entre 20 et 40 ans et les sensations
subjectives caractéristiques.
On doit considérer l'hématémèse survenue il y a'trois ans comme due à
des varices oesophagiennes qui sont fréquentes dans ces formes. Il est re-
grettable que la malade n'ait pas voulu rester plus longtemps à l'hôpital,
on aurait pu de cette façon compléter mieux son histoire clinique et tenter
l'endoscopie de l'oesophage.
De toutes façons, tel qu'il est, le cas est particulièrement intéressant
par deux côtés :
1° Par le volume exceptionnel de cette dilatation sacciforme.
2° Par la valeur de l'examen rontgénologique fait avec l'introduction
d'un élément gazeux dans l'aesopllage.
1) Voir à ce propos la monographie de Kiuus dans ['Encyclopédie de Nothnagel.
TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE
DE PORT-ARTHUR
PAR
S. WLADYCZKO,
Ancien Médecin de l'asile d'aliénés de Port-Arthur, actuellement Médecin de la
clinique des maladies du système nerveux à ICie(f.
A partir du 27 janvier 1904 (début de la guerre russo-japonaise)
jusqu'au 9 mai 1905, jour où les aliénés quittèrent Port-Arthur, nous
eûmes à constater parmi les officiers et soldats de la garnison (environ
52.000 hommes, y compris les marins) 42 cas d'aliénation mentale pou-
vant se répartir de la manière suivante : 5 cas jusqu'à l'ouverture des
hostilités, mais ces malades n'entrèrent à l'hôpital que^dans les premiers
mois du siège; 3 pendant la première période, 26 pendant la seconde et
8 après la capitulation.
La première période donne seulement 3 cas d'aliénation, car à ce mo-
ment du siège, la vie à Port-Arthur suivait son cours ordinaire. L'ennemi
était encore à une assez grande distance de la forteresse et le secours
attendu d'un jour à l'autre. Il y avait des vivres en quantité suffisante.
Comme les régiments placés aux avant-postes pouvaient être relevés, les
soldats ne ressentaient pas la fatigue et se trouvaient dans une excellente
disposition d'esprit ; ils considéraient d'ailleurs la situation présente
comme temporaire, sûrs de rester enfin victorieux. Les défenseurs de la
place n'étaient donc ni affamés, ni surmenés. Les communications avec
la mère-patrie n'étant pas interrompues, ils avaient en outre la possibilité
de recevoir des nouvelles de leur pays et de leur famille. Toutes ces cir-
constances favorables réunies ne pouvaient manquer d'avoir une bonne
influence sur l'état psychique des troupes. Voilà pourquoi je pense que
le laps de temps compris entre le 27 janvier et le 13 mai n'a donné que
3 cas d'aliénation mentale.
Mais quand l'ennemi cerna la forteresse de toutes parts, livra ces vio-
lents assauts, bombarda la ville sans relâche des semaines entières; le
nombre des morts et des blessés augmenta de jour en jour; les vivres
s'épuisèrent avec rapidité, l'ennemi devint plus acharné et le scorbut ré-
gna en maître. C'est alors que la situation des assiégés devint intolérable ;
à mesure que leurs forces diminuaient leur labeur devenait plus pénible et
l'épuisement du système nerveux atteignit son apogée.
TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 341
Nos soldats travaillaient malgré tout. Dans la boue, exposés au froid,
couverts de vermine, affamés, grelottants, ils repoussaient de jour les as-
sauts des assiégeants, de nuit restauraient les tranchées, les blindages, et,
ce qu'ils avaient obtenu au prix de tant d'efforts était de nouveau détruit
dans le courant de la journée. Les Japonais cencentrant le feu de leur
artillerie sur un certain pomt des fortifications y faisaient pleuvoir une
grêle de mitraille. Il semblait que tout dût périr dans cette atmosphère
asphyxiante de projectiles en explosion. Effectivement tout était anéanti :
les blindages, les retranchements, les canons.
Malgré cela, la vaillance du soldat russe ne sedémentitpas un instant ;
s'il fut terrassé dans la suite, c'est non seulement sous t'influence de l'ar-
tillerie japonaise, mais aussi de ses deux alliés, l'épuisement et le scorbut.
Pendant les deux ou trois derniers mois du siège, les régiments des
forts rappelaient des martyrs. Ce n'étaient plus des hommes, mais des om-
bres : des squelettes vivants.
Ajoutez à la souffrance physique, la dépression morale causée par l'iso-
lement complet où ils se trouvaient du reste du monde, ne recevant au-
cune nouvelle de leurs familles, de leurs amis, de leur patrie, et les rares
informations pénétrant de temps à autre annonçaient toutes nos défaites
successives ; la retraite de l'armée vers le nord.
Une autre circonstance agit aussi défavorablement sur la sphère psy-
chique des défenseurs. Ce fut la situation où ils se trouvaient pendant
plusieurs mois, s'attendant de minute en minute à être mutilés, estropiés
et se trouvent parfois dans l'impossibilité absolue de tirer vengeance
d'un ennemi qui était le plus souvent invisible, inabordable et cependant
les battait sans merci, les écrasait sous le feu de son artillerie.
Dans le but de mieux faire comprendre l'état psychique de nos soldats,
nous décrirons brièvement l'aspect de la Colline de 203 mètres trois ou
quatre jours avant l'occupation japonaise. « Tous les retranchements, tous
les blindages sont détruits, les soldats n'ont rien pour s'abriter. Ceux qui
occupent les hauteurs de la montagne ont constamment la carabine à la
main, toujours prêts à repousser les attaques des assiégeants. Mais l'en-
nemi n'apparaît pas, et, à sa place, une pluie d'obus, souvent de gros
calibre, transforment des bataillons entiers en monceaux de chair san-
glante. De nouveaux bataillons arrivent pour remplacer les morts et les
blessés, mais ils partagent bientôt le sort de leurs devanciers. Le sol est
imprégné de sang et couvert de membres humains. Il est impossible de
passer sans fouler aux pieds ces débris informes gisant en abondance et
disséminés sur toute l'étendue de la colline... C'est toute une épopée atten-
dant son Homère. Cent mille pouds de métal furent dirigés sur ce seul
point et le métal fut plus puissant que l'homme. »
22
342 WLADYCZKO
Toutes ces circonstances, surpassant les forces physiques et morales, ne
pouvaient manquer de fournir un terrain favorable aux troubles men-
taux. Dans 26 cas, la maladie se développa rapidement, c'est-à-dire dans
l'espace d'un jour ou deux. La dernière cause était : soit un assaut acharné
ayant duré plusieurs jours, soit la mort d'un ami, combattant à ses côtés,
déchiré, broyé par un boulet ennemi, soit une retraite précipitée devant
l'assiégeant, ou bien encore une forme aiguë de scorbut.
L'ictus émotionnel jouait sans contredit un rôle dans certains cas. Par
exemple, le 31 mars 1904, quand le Petropavlosk fut englouti en moins
de deux minutes et laissa seulement quelques épaves auxquelles se cram-
ponnaient un petit nombre de survivants, un officier d'artillerie obser-
vant l'escadre d'un fort du littoral, étendit soudain les bras comme pour
empêcher le navire de sombrer et s'élança précipitamment au pied de la
colline. Pendant deux semaines il souffrit d'une confusion mentale aiguë.
Certains aliénés ont pu nous fournir des détails sur le commencement
de leur maladie mais, bien entendu, autant que le leur permettaient la
mémoire et une juste appréciation des faits.
B... s'explique ainsi : « Accablé de fatigue, j'étais extrêmement triste
car j'avais vu des blessés et je les plaignais. Il ne doit pas en être ainsi,
me disais-je, pourquoi tuer inutilement. Cette idée m'obséda, je fus pris
de vertige. Envoyé en sentinelle, je me couchai en revenant et réfléchis-
sais toujours; puis je me relevai et fis du bruit. On m'envoya à l'hôpital.» JI
T.. : « Pendant un assaut, je fus très effrayé, après cela je crus me
trouver en voyage, me dirigeant vers le nord afin de revenir dans mon
pays. »
B... : «Etant un jour aux positions avancées, j'eus le vertige et me mis
à divaguer. »
M... « Au début de ma maladie je voyais de tous côtés des mines japo-
naises, placées là pour ma perte. » ' «
En ce qui concerne les formes d'aliénation, elles peuvent se répartir de
la manière suivante :
TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 343
344 WLADYCZKO
Dans 3 cas, 'l'aliénation était précédée d'un complet épuisement de
l'organisme causé par une forme aiguë de scorbut ; dans un cas la maladie
apparut immédiatement à la suite d'une crise de pneumonia crouposa,
dans l'autre pendant un assaut. -
Aucun mieux ne se fit remarquer dans l'état de ces malades tant que
dura le siège ; mais après la reddition de la place, recevant une meilleure
nourriture, des soins plus assidus et le retour de la belle saison aidant,
3 d'entre eux, précisément ceux dont la confusion mentale (Amentia Mey-
nerti) avait pour base le scorbut, donnèrent une brusque et rapide amé-
lioration. Dans les deux derniers cas, il n'y en eut aucune jusqu'au mo-
ment du départ.
La psychose périodique sous forme de mélancolie périodique se place
en second lieu. Tous les sujets qui en étaient atteints entrèrent à l'hôpital
avant la capitulation.
La première partie du siège donne 1 malade, la seconde 5. Dans deux
de ces cas nous remarquâmes 3 accès de mélancolie durant chacun de
2 mois 1/2 à 3 mois, dans les autres deux accès de 2 mois 1/2.
Ordinairement tous ces accès se ressemblaient. Le plus souvent nous
observions : un état dépressif très fortement marqué avec des idées déli-
rantes d'auto-accusation, un ralentissement des processus psychiques et
des hallucinations désagréables, parfois terrifiantes. D'autres avaient pour
affection l'angoisse et le désespoir. Le malade P... voyait des Japonais
essayant de l'égorger, ou bien les têtes de ses compagnons défunts.
Dans quatre patients nous avons remarqué des manifestations sembla-
bles à celles dont parle Ozeretskovsky (1) : psychose neurasthénique,
observée à l'hôpital militaire de Moscou, section des officiers. Nos quatre
cas concernent des soldats ; ici nous avons constaté un état d'apathie et
une grande dépression ;en même temps une émotivité exagérée, l'impres-
sionnabilité et des hallucinations conscientes ayant pour objetdes tableaux
de siège ou de vie paisible dans leur pays au milieu d'un cercle de pa-
rents et d'amis. Les patients reconnaissaient eux-mêmes ces hallucinations
et ne croyaient pas à la réalité de leur existence. Tous les quatre se plai-
gnaient de maux de tête, d'ennui, pleuraient parfois et ressentaient une
incapacité absolue au travail. Dans deux cas, nous observâmes une con-
fusion mentale de courte durée. Un examen découvrit dans tous les quatre
un haussement des réflexes rotuliens, dans deux cas le trouble de la sen-
sibilité, sous forme d'hyperalgésie sans classement régulier. Jusqu'à la
capitulation, aucune amélioration visible ne se fit remarquer dans l'état
de ces malades, mais, quand l'atmosphère cessa d'être ébranlée par le
(1) A. Ozeretskowsky, Troubles mentaux causés par la guerre russo-japonaise, pen-
dant la première année, Journal de médecine militaire (Russe), 1905, livre X.
TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 345
bruit du canon, cette terreur inconsciente disparut. Pouvant être alors
mieux nourris et mieux soignés, ils se rétablirent promptement. Malgré
cela, l'idée de leur prochaine traversée, l'incertitude de leur séjour ulté-
rieur à Port-Arthur, leur isolement prolongé du reste du monde ; toutes
ces causes réunies agirent défavorablement sur les malades atteints de
psychose neurasthénique. Voilà pourquoi il n'y eut aucune guérison
complète jusqu'au moment du départ.
Sur quatre aliénés souffrant de psychose alcoolique, l'un entra à l'hô-
pital le dernier mois du siège et trois dans le courant de la semaine qui
suivit la capitulation. Les formes de cette affection cérébrale étaient les
suivantes. Dans trois cas, l'alcoolisme cérébral chronique, dans un, dégé-
nération psychique alcoolique. Jusqu'au départ de Port-Arthur nous
observâmes dans leur état une amélioration graduelle, tant dans la sphère
psychique que dans la sphère somatique.
Dans trois cas de vésanie mélancolique (vesania melancholica S. S. Kor-
sakovi) deux se déclarent dans la première moitié du siège, le troisième
après la capitulation. Là, nous voyons une combinaison des particularités
caractéristiques à la mélancolie et au délire de persécution (paranoia) ;
outre cela, dans deux, des manifestations de confusion mentale (dysnoia
Korsakowi-amentia Meynerti). Le début et le développement de la mala-
die étaient brusques. Les troubles cérébraux se firent remarquer à la suite
d'un long assaut, ayant exigé une grande dépense de forces et une ex-
trême tension d'esprit. Outre ces apparitions de grande dépression psy-
chique on remarquait encore de temps à autre la tristesse avec des idées
délirantes d'auto-accusation et en même temps des idées de persécution.
Dans deux cas il y avait aussi un défaut dans l'association des idées et
l'impossibilité de les coordonner. Tous les trois ont l'air hébété, stupide,
le regard éteint ; ils sont silencieux et recherchent la solitude. Dans le
premier cas nous constatons une abondance d'illusions, d'hallucinations
terrifiantes ; dans un cas à un moindre degré, dans l'autre elles n'existaient
pas. Leurs hallucinations avaient pour objet des scènes de la ville assiégée.
Les malades entendaient les pas des Japonais chargés de les fusiller ou de
les hacher à coups de sabre ; l'un d'eux prenait souvent la porte pour
un ennemi, s'élançait de son côté et la frappait à coups redoublés. Un
second, dont nous avons parlé plus haut, voyait partout des mines. «Les
Japonais les placent autour de nous, disait-il, il suffit de les effleurer
pour être déchiré et périr. » Un troisième était persuadé que les allants et
venants étaient des ennemis désirant le conduire à une mort certaine..
Outre les manifestations énumérées, nous observions souvent : une
profonde tristesse, un complet désespoir et un ralentissement de l'activité
intellectuelle. Le mal faisant de rapides progrès avait au bout de quatre
semaines atteint son complet développement.
346 WLADYCZKO
Dans les deux cas déclarés pendant la première période du siège, la
maladie se maintint in statu quo jusqu'à la reddition delà place. Mais
quand la vie eut repris son cours ordinaire, une amélioration progressive
se fit remarquer ; les affections de tristesse et d'angoisse devinrent plus
rares, l'appétit et le sommeil furent meilleurs à mesure que le scorbut
diminuait. Malgré cela aucun des aliénés ne donna un mieux notable
jusqu'au moment du départ.
Dans les trois cas désignés sous la rubrique de « psychose traumati-
que » la maladie se déclara dans le premier cas immédiatement à la suite
d'une blessure dans les deux autres après des contusions à la tête.
Tous ces trois cas conformément à leur caractère se rapportent : deux
cas la neuro-psychose traumatique avec des apparitions mélancoliques
et un à la mélancolie de forme légère, ce que Korsakoff nomme dysthymia
melancholica : trouble du sentiment, état émotionnel pénible. 1
L'humeur dépressive que nous avons remarquée n'était accompagnée ni
de délire, ni de confusion mentale.
Chez l'un de ces malades nous observâmes des idées hypochondriaques
jointes à une douleur à l'orifice produit par l'entrée et la sortie de la balle.
Dans un cas le mal se développa tout de suite après une blessure et dans
deux, trois ou quatre semaines après des contusions. Chez ces trois patients
la maladie suivit son cours et en arrivant à Odessa ils purent être renvoyés
dans leur village.
Les deux cas de manie déclarés l'un en novembre 1904, l'autre qua-
tre mois après la capitulation, se rapportent à la manie typique (mania
typica seu mania simplex) accompagnée parfois d'accès prolongés de folie
furieuse. Un de ces aliénés se rétablit au bout de sept mois l'autre, que
nous avons pu observer pendant quatre mois, ne donna qu'au bout du
quatrième mois une légère amélioration et en arrivant à Odessal fut di-
rigé sur Vinitza où il entra à l'asile d'aliénés de cet arrondissement. Etait-
ce deux cas de manie, un accès de psychose périodique, il est impossible
de le définir, car nos observations ont été de courte durée et nous avons
perdu de vue ces malades.
Deux sujets souffrant de démence secondaire et deux de démence pré-
coce, l'un avec imbécillité, ne doivent pas être mis au nombre des mala-
des atteints d'aliénation pendant le siège, tous deux réservistes devaient
avoir depuis longtemps des troubles cérébraux.
Jusqu'au départ de Port-Arthur, toute la catégorie qui vient d'être
énumérée demeurera in statu quo.
Les autres formes de psychose étant uniques, n'exigent pas de descrip-
tion spéciale.
De sorte qu'un résumé sommaire nous donne dans 22 cas sur 38 un
TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 347
brusque changement de la sensibilité morale, sous forme de chagrin mo-
ral, tristesse, crainte, angoisse et désespoir. Dans 14 cas sur 22, un dé-
rangement de la sensibilité morale, avec une nuance dépressive, était dès
le début primaire dans les uns, secondaire dans les 8 autres cas.
Toutes les formes d'aliénation développées pendant le siège sont em-
preintes du même cachet : dépression extrême, stupeur de la sphère psy-
chique. Dans 22 cas sur 37, les malades ressentaient presque constam-
ment : la souffrance, le chagrin, la tristesse, l'angoisse, la crainte et le
désespoir. En résumant les 15 derniers cas nous voyons dans 8 un déran-
gement primaire et indépendant de l'intelligence, sans troubles particu-
liers dans la sensibilité morale. Dans 4, une surexcitation de toutes les par-
ties de l'activité intellectuelle et morale. Pendant la période du siège
nous observâmes 3 cas semblables, le quatrième se déclara après la capi-
tulation.
Il faut ajouter à ce qui vient d'être dit plus haut, que sur 37 soldats
atteints de troubles cérébraux pendant le siège, il y avait 17 réservistes,
ce qui fait 45,97 0/0. Pour le démontrer nous donnons ci-dessous un ta-
bleau comparatif du nombre des soldats de la réserve et de l'armée active
souffrant de l'une ou de l'autre forme d'aliénation.
TABLEAU II.
348 WLADYCZKO
étaient malades avant la guerre. A ces cas il convient d'en ajouter 3 de
psychose périodique, 1 de psychose alcoolique, 2 de démence précoce et
1 d'imbécillité.
Parmi les réservistes : 3 cas de psychose périodique, 3 de psychose , 1
alcoolique, 2 de démence secondaire, 1 de folie raisonnante et i de psy-
chose épileptique. Donc dans 17 cas le mal existait certainement avant la
guerre, c'est le 49, 97 0/0. Ainsi les cas d'aliénation développés pendant
le siège de la forteresse sont au nombre de 20 sur 52.000 hommes de la
garnison ou 0,39 sur 1.000.
Il est indispensable de parler encore de 2 malades ne faisant pas partie
du nombre de ceux qui étaient atteints de troubles psychiques pendant
le siège, mais ayant malgré cela passé 4 ou 5 jours à l'hôpital.
Dans un cas nous remarquâmes la confusion mentale, dans l'autre un
état dépressif fortement accusé, accompagné d'idées d'auto-accusation. A
leur entrée, tous deux avaient une température normale. Sauf les mani-
festations pathologiques que nous avons citées, nous ne vîmes aucun chan-
gement dans la sphère psychique. Le quatrième ou le cinquième jour la
température s'éleva tout à coup jusqu'à 39°-40°. Comme ces deux sujets
appartenaient à une compagnie où il y avait eu des cas de typhus récur-
rent, le sang fut examiné et nous y trouvâmes spirill2cna febris recurrentis
Obermeyeri. Tous deux eurent à l'hôpital 3 accès de cette maladie à la
suite desquels les manifestations psychiques s'affaiblirent et disparurent
peu à peu après le dernier accès. Ces deux cas méritent d'attirer l'atten-
tion, car les manifestations pathologiques du côté de la sphère psychique
provoquées certainement par le typhus récurrent se faisaient remarquer
sans élévation de température avant le premier accès, puis pendant des
intervalles entre les accès partiels de cette maladie.
Outre les 37 cas d'aliénation mentale cités précédemment rencontrés
parmi les soldats et 2 parmi les officiers, il y en eut certainement encore
de psychose aiguë qui ne furent pas soignés à l'hôpital.
D'après des témoins oculaires, à l'un des forts de l'aile droite, un ti-
railleur dans l'état duquel rien d'anormal ne s'était manifesté jusque-là,
fut tout à coup surexcité, il s'élança seul vers les ennemis, sans carabine
et sans casquette. Un Japonais l'ayant visé le tua raide.
On voyait aussi des cas de psychose aiguë, développés pendant des as-
sauts et qui ne furent pas non plus soignés à l'hôpital. En voici des
exemples :
Un soldat, de même que celui dont nous avons parlé, et qui, d'après le
récit de ses compagnons, n'avait rien d'anormal dans la sphère psychique,
se mit tout à coup à tirer sur ses camarades et à les percer de sa baïon-
nette, car il les prenait pour des Japonais, déguisés. A peine l'eut-on dé-
sarmé qu'il fut tué par un éclat d'obus.
TROUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DE PORT-ARTHUR 349
20 cas. Pendant la retraite des « Montagnes vertes un officier ayant
ordonné à sa compagnie de faire balte, dit adieu à ses soldats les larmes
aux yeux et commanda ensuite au sergent-major de continuer sa route.
Resté seul, il se plaça sur une pierre et se mit à sangloter. Ceux qui pas-
sèrent un moment après le trouvèrent déjà mort, un revolver gisant auprès
de lui. Il s'était probablement suicidé.
Nous vîmes aussi des cas de bravoure pathologique : des hommes à l'air
effrayé et considérés comme poltrons devenaient braves tout d'un coup,
mais leur bravoure était parfois dépourvue de sens logique, car ils s'élan-
çaient presque isolément dans les endroits les plus dangereux et péris-
saient inutilement. Il arrivait aussi d'entendre parler de manifestations
contraires. Un homme qui s'était fait remarquer par sa vaillance dans les
combats, se trouvant toujours au premier rang, devenait soudain lâche.
Ce siège prolongé imposa dans les derniers mois un cachet spécial à
tous les défenseurs de la forteresse. On remarquait tout d'abord un grand
abattement moral, une irritabilité maladive. Tous avaient le caractère aigri
et acariâtre. Le plus grand nombre étaient neurasthéniques. Nous-même
avons remarqué plusieurs cas d'hystérie parmi les officiers. La plupart
ressentaient de l'apathie au travail et pendant le dernier mois une indiffé-
rence complète à tout ce qui se passait autour d'eux. Même l'issue du
siège leur était indifférente. « Le dénouement nous importe peu, di-
saient-ils, pourvu que cela finisse ; car nous n'y tenons plus. »
Ainsi parlaient beaucoup de ceux auxquels était cher l'honneur de la
Russie, mais qui ne pouvaient plus supporter la situation présente. Une
tension nerveuse si longtemps prolongée provoquait un extrême épuise-
ment du système nerveux n'arrivant pas jusqu'à la psychose, mais causantau
plus grand nombre une neurasthénie aiguë. A la fin du siège, les hommes
les plus doux étaient devenus insupportables, le bien et le mal étaient,
pour ainsi dire, émoussés. La plupart des assiégés étaient épuisés tant
physiquement que moralement.
L'asile des aliénés fut exposé plusieurs fois au feu des Japonais, mais
aucun projectile n'atteignit le bâtiment. Les boulets tombaient tout autour
sans arriver jusqu'à l'édifice. Des éclats d'obus brisèrent les fenêtres et
démolirent l'angle d'un mur bordant [la cour où les malades se prome-
naient ordinairement. Cet asile offrait un tableau assez original pendant
le bombardement. Quelques-uns ne réagissaient pas au sifflement et à
l'explosion' des obus ; -d'autres, par exemple ceux qui souffraient de psy-
chose neurasthénique, étaient terrifiés, épouvantés el tâchaient de se
mettre à l'abri. Un artilleur malade s'écriait : « Je vis depuis 800 siècles
et n'ai jamais entendu pareille turpitude » puis il commandait : « Pre-
mière, feu ! deuxième, feu ! » En ce moment, des injures cyniques se
350 WLADYCZKO
faisaient entendre. C'était un aliéné, atteint de démence secondaire, qui
devenait furieux pendant le bombardement, mais restait tout à fait calme
si le bruit du canon cessait de retentir.
Parmi les sujets atteints de confusion mentale (Amentia Meynerti-
Dysnoia Korsakowi) les uns ne réagissaient pas du tout, les autres avaient
un air très étonné. L'un d'eux (souffrant d'amentia deliriosa) commençait
à pleurer et s'écriait : « En quoi ai-je offensé le Seigneur ? »
C'est sèulement pendant la première période du siège que de sembla-
bles tableaux se présentèrent à nos regards, plus tard, tous les aliénés
eurent le scorbut, les uns étaient si grièvement malades qu'ils ne pou-
vaient marcher. Lorsque tous souffrirent d'une anémie aiguë et que le
bombardement devint chose normale, ils furent indifférents aux événe-
ments du dehors.
Ainsi, le jour où les aliénés quittèrent Port-Arthur, 9 mai 1905, nous
en trouvons 39 (officiers et soldats) atteints de troubles cérébraux pendant
le siège, dont 2 moururent et le troisième se suicida ; il en resta 36, plus
7 cas d'aliénation déclarés jusqu'au 27 janvier 1904 ou pendant les pre-
miers mois de la guerre. Le nombre total des aliénés passibles d'être éva-
cuésen Russie fut de 43. C'étaient les derniers Russes quittant la forteresse.
De prime abord, il ne semble ni juste, ni logique de voir ces malades
évacués en dernier lieu, mais une semblable manière d'agir avait sa rai-
son d'être. Bien que les Japonais nous aient rendu pénible notre séjour
involontaire à Port-Arthur, ils nous laissèrent partir seulement après
avoir été informés par l'intermédiaire du consulat français, que dans la
rade de Chefoo se trouvait un navire à l'ancre, portant pavillon anglais
et spécialement aménagé au transport des aliénés.
Donc, le matin du 9 mai 1905, ces malades accompagnés de 126 infir-
miers, 2 médecins, 4 soeurs de charité, 1 pharmacien et d'un employé
militaire furent, dans des vagons fermés, conduits à Dalny, puis emba-
qués sur le Djingo-maron, bateau hôpital, tout à fait impropre non
seulement au transport d'aliénés mais aussi de malades quels qu'ils
soient. Dans la rade de Chefoo un canot à vapeur nous transborda sur le
Whampoa.
Ce bâtiment, jaugeant 1.109 tonnes, filant 9 noeuds à l'heure, -était
un navire faisant le commerce depuis vingt ans sur la côte orientale de
l'Asie, de temps à autre dans les ports d'Australie et n'avait jamais na-
vigué en plein océan. Afin de le rendre convenable au transport d'aliénés,
des grillages avaient été placés parallèlement au bord, et en travers du
navire. Ces grillages formaient trois plates-formes et donnaient aux ma-
lades la possibilité de séjourner sur le pont, sans risque de tomber à la
mer ou de s'y jeter volontairement. Comme ils étaient toujours en vue,
TnoUBLES MENTAUX PENDANT LE SIÈGE DU PORT-ARTHUR 351
un petit nombre de gardiens suffisaient il leursurveillance. On avait aussi
installé des bains, des douches d'eau salée et d'eau douce. Les cabines,
placées dans la cale, grâce à une cloison transversale aux deux bord, pos-
sédaient, presque toutes, un hublot. Ces cabines avaient une sortie au
centre de la cale où les serviteurs étaient logés. Les lits de camp, en bois,
fixés au plancher, se trouvaient placés soit parallèlement, soit transver-
salement au navire. Il y avait deux malades par cabine. Pendant la tra-
versée, ces derniers recevaient une nourriture plus abondante, le genre
et la qualité des mets avaient été examinés à Shangaï, par une commis-
sion spéciale, composée de médecins russes, de l'armée de terre et de
mer.
Les malades passaient une grande partie de la journée sur le pont, où
les convalescents jouaient à différents jeux, écoutaient le graphophone ;
ceux qui ne pouvaient marcher y étaient transportés. '
Sur mer, le scorbut disparut promptement, et principalement chez les
malades ayant un état expansif, nous remarquâmes dans ces derniers une
amélioration de la sphère psychique, tandis que le contraire se fit obser-
ver chez les malades avec un état dépressif.
L'influence (1) de la pleine mer sur ces sujets était différente, cela dé-
pendait des formes d'aliénation. Tout d'abord le mal de mer fit trois fois
plus de victimes parmi les aliénés que parmi le personnel de service. Sur
126 infirmiers, 22 souffrirent de ce mal, ce qui fait 17,45 0/0. Sur
A6 malades (nous en primes 3 en route), 24 en furent atteints, cela nous
donne 53,33 0/0. Les aliénés souffrant de mélancolie furent plus expo-
sés au mal de mer que les aliénés atteints de manie, de confusion men-
tale (dysnoia Korsakowi amentia Meynerti) ou de l'une ou l'autre forme
de psychose alcoolique. La disposition ! au mal de mer et son intensité
dépendaient de la sorte de dérangement de la sensibilité : l'étal expansif
semblait en préserver, l'état dépressif y contribuer.
Chez les malades souffrant du mal de mer, on remarquait pendant le
ballottement une aggravation dans toutes les sphères de l'activité psy-
chique, principalement dans le sens du ralentissement du processus psy-
chique, parfois, presque jusqu'à l'arrêt de l'activité mentale. Plus le mal
de mer était violent, plus l'aggravation se faisait observer dans la sphère
psychique. Pendant la traversée, si le ballottementnese faisait pas sentir,
ou pendant notre séjour dans les ports, il y eut dans l'état de ces malades
aggravation dans toutes les sphères de l'activité morale, en un mot, exa-
cerbation de toutes les manifestations pathologiques pendant le roulis ou
le langage et rémission en leur absence.
(1) S. WLADYZCKO, Influence de la pleine mer et du roulis sur certaines formes de
maladies mentales. Kiff, 1906, p. 144.
352 WLADYCZKO
Chez les sujets non exposés au mal de mer en plein océan, on remar-
quait l'affaiblissement des manifestations pathologiques dans la sphère
psychique jusqu'à leur complète disparition.
Il faut ajouter à tout cela que le roulis provoquait un plus violent mal
de mer que le tangage.
La traversée du Whampoa dura 70 jours, après avoir fait, 21 ou 23
jours, escale dans différents ports. En nous rendant à Odessa, nous ne
suivîmes pas la route ordinaire, de Singapour à Colombo ; nous mîmes le
cap droit au sud dans la direction de Java, et de là nous nous dirigeâmes
vers les iles Seychelles, afin d'entrer dans la zone du calme ; mais nous
ne trouvâmes pas la bonace attendue, et à sa place un violent roulis qui
dura tout le temps de notre passage.
Voulant non seulement placer les aliénés dans des conditions favorables
en évitant le ballottement du navire, nous voulions aussi nous soustraire
au danger auquel nous exposerait la houle pendant la traversée de Singa-
pour à Colombo et de Colombo à Aden à cause des petites dimensions de
notre bâtiment.
A Shangaï nous prîmes encore deux malades, l'un avait une hémiplé-
gie, résultat d'une blessure d'arme à feu dans le crâne, l'autre amentia
Meynerti. A Singapour nous en reçûmes un, atteint de folie raisonnante.
Le lendemain de notre débarquement à Odessa (20 juillet 1905), sur
46 aliénés il s'en trouva 16 seulement, exigeant d'être internés dans des
asiles spéciaux. Les autres, suffisamment rétablis, purent, tout de suite,
être renvoyés dans leur village.
Conclusions :
1° Le nombre de militaires atteints de troubles cérébraux pendant la
période du siège (officiers et soldats) est de 39 sur 5 ? 000 hommes for-
mant la garnison de la forteresse, ce qui fait 0,75 sur 1000.
2° Les cas d'aliénation développés spécialement pendant le siège sont
de 20, donc 0,38 sur 1.000.
3° Dans tous ces malades, nous remarquâmes des manifestations de
dégénération physique et psychique, et découvrîmes chez eux, soit alcoo-
lisme, soit lues,ou bien encore une mauvaise hérédité nervo-psychique,
parfois la combinaison de ces deux faits.
4° Les psychoses prédominantes furent : amentia Meynerti 7 cas, la psy-
chose périodique sous forme de mélancolie périodique 6 cas, la psychose
neurasthénique et la psychose alcoolique donnèrent chacune 4 cas.
5° Le siège imprima un cachet spécial à toutes les formes de psychose.
C'est une dépression fortement accusée.
FOLIES PELLAGREUSES DES ARABES,
PAR
Auguste MARIE
Médecin de Villejuif.
La folie pellagreuse devenue presque inconnue en France, s'y mani-
feste cependant encore sous forme d'hérédopellagre, ainsi que le récent
travail de Régis le démontre. Les asiles de Pau et de Montpellier sont
presque les seuls où subsiste cette affection dans les statistiques ; c'est
que le maïdisme n'est possible que là ou se consomme du maïs ; pour
s'empoisonner avec les ferments de mauvais maïs, il faut faire entrer
cette céréale dans l'alimentation humaine courante, ce qui ne se fait plus
chez nous que très exceptionnellement et dans des régions arriérées, mi-
sérables et déshéritées. '
Il n'en est pas de même en Espagne ou le maïdisme persiste en cer-
taines régions et atteint 20 0/0 de la population.
En Italie, malgré la lutte vaillante menée par Lombroso durant toute
sa vie, les régions de Bergame, Brescia, Venise, Padoue, comptent encore
de 30 à 50 pellagreux par 1.000 habitants.
Trévise, Vicence, Crémone, Pise de 10,à 20 p. 1000 . A Milan j'ai pu
examiner il y a quelques mois plusieurs malades aliénés de ce genre ; on
évalue à 72.000 le nombre total pour l'Italie.
En Orient, le maïdisme sévit aussi en Roumanie, Serbie, Bosnie, Ma-
cédoine, Albanie et pays turcs ainsi qu'en Grèce.
Les beaux travaux de Babès et Marinesco en Roumanie sur l'anatomie
pathologique nerveuse de cette intoxication sont venus compléter ceux de
l'Ecole italienne à qui l'on doit les mesures de prophylaxie sociales (loi
du 21 juillet 1902) sorties des Congrès antipellagreux de Bologne, Padoue
et Milan.
En Egypte, la pellagre règne comme en d'autres pays turcs où le maïs
est largement consommé.
Là, on peut dire que presque tous les fellahs sont à quelque degré
touchés par l'empoisonnement pellagreux.
A l'hôpital de Kars el Nil, au Caire, en 10 ans, plus de mille pella-
greux on[ été traités. z
Chaque année, sur ce nombre une quarantaine de cas compliqués d'a-
liénation mentale sont ensuite évacués sur l'asile d'Abbassieh où j'ai pu
les étudier.
Hors des hôpitaux, l'étude de la pellagre dans la population des cam-
pagnes a été entreprise par M. le D' Sandwith (Congrès Egyptien, p. 485).
354 MARIE
Il estime que en moyenne générale, plus de 3G 0/0 des paysans égyptiens
sont atteints. Dans les districts les moins misérables la proportion peut
tomber à 15 0/0, mais s'élève à plus de 62 0/0 ailleurs.
En Basse-Egypte, la moyenne serait la plus forte,même chez les jeunes
femmes. Lamortinatalité considérable ne serait pas sans rapport avec ce
fléau. En Haute-Egypte la sécheresse plus grande et l'alimentation par le
mil diminuent le danger, et probablement aussi les pays moins proches
des côtes consomment moins de maïs importé qui est le plus dangereux
à cause des moisissures de cale et des défectuosités de transport.
A l'asile que nous avons visité, le relevé des entrées par pellagre de
1896 à 1906 fut le suivant : -.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DF LA SALFËrxIÈRE. -I . 1. PI. IIÂ
FOI IE PELL\GIOEUE CHEZ LES ARABES.
(,l«jnste Mario).
FOLIES PELLAGREUSES DES ARABES 355
comme parcheminé , desséché et écailleux ; des cicatrices fréquentes
d'ulcérations anciennes viennent encore altérer l'aspect du tégument au
point le plus exposé.
La période ulcéreuse est parfois précédée d'une phase de desquamation
par lambeaux de l'épiderme pigmenté qui éclate et se fissure. Nous don-
nons plusieurs photographies à ces diverses phases ; chez le nègre l'érup-
tion, surtout à la face peut affecter l'aspect de grains de mil pigmentés
et durs sur le front, le cou, les joues, et le pourtour des lèvres (Pl. LIX).
Nous n'insisterons pas autrement sur les stigmates physiques tégumen-
taires bien connus avec leurs rythmes saisonniers ni sur les troubles vis-
céraux dominants qui les accompagnent (troubles gastro-intestinaux
divers, gastrorrhées et diarrhées, etc.).
Nous nous restreindrons aux particularités mentales et nerveuses, dont
les manifestations sont généralement consécutives aux signes précédents
bien qu'elles puissent cependant les précéder ou se substituer à eux par
une sorte de suppléance en certains cas.
L'état mental de ces malades se caractérise généralement après une
phase initiale de faiblesse irritable, par une apathie avec dépression phy-
sique et morale et phobies diverses. La sitophobie est fréquente et coïn-
cide avec les troubles gastro-intestinaux, gastralgie, crampes, nausées, état
saburral, constipations et diarrhées alternantes.
Le mutisme s'ajoute à la sitophobie, les malades deviennent sauvages et
craintifs, s'isolant et recherchant les coins sombres (photophobie et hyper-
thermo-esthésie cutanée douloureuse).
La torpeur mentale s'accompagne d'amnésie et de spasmes allant jus-
qu'aux vertiges et convulsions épileptiformes ou leurs équivalents psychi-
ques. Au premier rang de ces derniers il faut citer les automatismes am-
bulatoires, cause fréquente de suicides inconscients par précipitation ou
submersion dans les canaux du Nil.
Les auto-accusations ou les préoccupations hyponchondriaques noso-
phobiques ne sont pas rares associées aux idées vagues de persécution.
La stupeur est coupée de raptus automatiques et de fugues diverses,
avec ou sans délire onirique confus.
La sitophobie peut être dysphagique et anorexique et l'apathie peut
confiner la catatonie; elle fait place parfois à de la sitiomanie à une
phase ultérieure, car la folie pellagreuse affecte fréquemment la forme
chronique avec ou sans rémissions intercalaires. Cela se comprend, car
les malades améliorés retombent aux mêmes conditions de milieu primi-
tif nocif, par l'alimentation au maïs avarié.
Dès lors les mêmes causes reproduisent leurs mêmes effets.
Les rechutes sont donc fréquentes, et les états chroniques aussi ; les
356 MARIE. - FOLIES PELLAGREUSES DES ARABES
complications d'ailleurs par d'autres facteurs étiologiques de psychoses ne
sont pas rares.
Citons pour l'Egypte, l'association de l'intoxication pellagreuse avec
celle du haschich. Citons enfin les combinaisons possibles d'infections di-
verses en particulier du paludisme et de la syphilis, et le parasitisme en-
démique en Egypte de l'ankylostomasie que nous avons trouvée très ré-
pandue parmi les aliénés ègyptiens comme dans la population indigène en
général. '
Pour l'infection spécifique précitée, j'ai déjà ici même signalé la para-
lysie générale fréquente des arabes égyptiens ; la pseudo-paralysie géné-
rale pellagreuse existe-t-elle cbez eux ou est-ce une simple combinaison
de paralysie générale spécifique avec un terrain préparé par l'intoxica-
tion pellagreuse.
La question n'est pas neuve, et c'est l'Ecole française qui l'a soulevée
lors des débats académiques retentissants soulevés par Baillarger en
1847 (1).
L'examen des arabes aliénés pellagreux de l'asile Abbassieh montre
que, si la pellagre vraie est presque constante parmi eux comme parmi
les populations dont ils tirent origine, il y a côté des pellagreux devenus
aliénés, des aliénations consécutives à la pellagre et en rapport étroit de
causalité avec elle. Elles tirent de leur origine pellagreuse des caractères
typiques joints aux stigmates physiques.
Un certain nombre de folies paralytiques coïncident avec la pellagre et
confirment l'opinion de Baillarger que la phase paralytique ultime de la
pellagre peut réaliser un état identique cliniquement et pathologiquement
à la paralysie générale des aliénés.
Ces cas n'infirment en rien les paralysies générales autres dont ils sont
distincts et que j'ai signalés comme en rapport avec la syphilis.
Les deux formes peuvent cependant se combiner, c'est-à-dire qu'on peut
observer des arabes paralytiques généraux qui sont à la fois syphilitiques
et pellagreux.
(1) Il s'agissait de dresser un programme d'enquête proposée par Roussel au minis-
tère du commerce, enquête à faire en Espagne sur les causes et manifestations de la
pellagre qui existait alors fréquente dans le sud-ouest de la France.
M. Gibert, membre de l'Académie émit, une opinion contraire à l'origine maïdique
en s'appuyant sur des cas observés par lui à Paris à l'hôpital St-Louis.
Il s'agissait probablement d'hérédo-pellagre analogue au cas relaté par Regis chez
une malade n'ayant jamais consommé de mais avarié ou autre, mais fille et petite
fille de pellagreux avérés et aliénés.
Le gérant : P. Bouchez.
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
20e Année N° 5 Septembre-Octobre
SUR LE CERVELET SÉNILE
PAR
ANGLADE et CALMETTES
de Bordeaux.
Le problème de la déchéance sénile du système nerveux est, assuré-
ment, trop bien posé pour qu'il soit nécessaire d'insister beaucoup sur ce
que nous entendons par cervelet sénile ; nous n'en sommes plus à faire la
distinction entre la vieillesse et la sénilité; nous savons parfaitement
qu'on peut cire sénile avant d'être vieux. On le trouvera d'ailleurs, fort
bien dit, dans le très remarquable rapport de Léri (1). Ce rapport qui
contient en outre de si riches documents anatomo-cliniques sur le « grand
cerveau » est à peu près muet sur'la sénilité dans le « petit cerveau ».
Le rapporteur avait pour s'en excuser deux bonnes raisons : d'abord,
le cervelet n'est pas, incontestablement du moins, une partie du cerveau ;
ensuite, nous ne savons pas grand'chose de précis sur le « petit cerveau »
sénile. Cette seconde raison est assurément la meilleure.
Le cervelet s'est jusqu'à présent effacé derrière le cerveau et nos con-
naissances sur ses lésions sont demeurées insuffisantes faute surtout d'in-
vestigations attentives. On peut dire, sans risquer d'être injuste vis-à-vis
de personne, que le cervelet sénile n'a pas à proprement parler d'histoire
clinique, que son anatomie pathologique est à faire.
Sans doute divers auteurs ont noté, chez des vieillards, de l'atrophie
cérébelleuse : Thomas (2) dans sa thèse inaugurale sur le cervelet,
Léri (3) dans son rapport sur le cerveau sénile ; mais, nous le verrons,
l'atrophie du cervelet n'est pas une manifestation habituelle de la sénilité
et nous sommes sur ce point entièrement d'accord avec Obersleiner (4)
lorsqu'il dit : « Ordinairement l'atrophie sénile est peu nette dans le cer-
(1) Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue
française. Seizième session : Lille, 1 août 1906.
(2) Thomas, thèse de Paris, 1897 : Le cervelet, élude anatomique, clinique et ylzysiolo-
gique, Ch. vi, p. 159, Observations cliniques, atrophie, sclérose.
(3) LÉRI, loc. cit., p. 41.
(4) Oursasrsmee, Anleitung bellll Sludium des Baues der nervüsen Centralorgane,
p. 547.
xx 23
358 ANGLADE ET CALMETTES
velet : senile Atrophie macht sich vonst am Kleinhirn relativ wenig
bemertbar ».
Ce qui prouve bien que les lésions du cervelet sénile sont restées jus-
qu'à présent méconnues, c'est que dans le mémoire de Catola (1) sur les
« Lacunes de désintégration cérébrale », mémoire très documenté sur les
états lacunaires en général, les lacunes cérébelleuses ne sont pas men-
tionnées; le cervelet est même rangé parmi les organes qui en sont dé-
pourvus, or nous démontrerons, qu'elles y sont la règle. L'un de nous (2)
l'a d'ailleurs constaté au cours de la discussion sur le cerveau sénile;
Il disait en effet : « Il n'a rien été dit du cervelet chez les lacunaires et
pourtant il est intéressé à un degré qui pour être microscopique n'en est
pas moins très accusé; on ne peut interpréter correctement ces troubles
de la marche des séniles où les désordres de l'équilibration semblent bien
cliniquement jouer un rôle tant qu'on méconnaîtra les lésions cérébel-
leuses dont je signale l'extrême fréquence » ; il suffit de se reporter aux
Bulletins de la Société d'anatomie et de physiologie de Bordeaux (3), pour
y rencontrer la même opinion plusieuis fois exprimée avec des preuves
à l'appui.
Et il n'y a pas lieu de s'étonner que les petites lacunes dans le cervelet
aient échappé aux observateurs si on remarque que les grands ramollis-
sements cérébelleux, qui ne sont autre chose que de grandes lacunes, pas-
sent encore, évidemment à tort, pour des raretés.En effet,dans le Traité de
médecine de Bouchard et Brissaud, Tollemer (i), après avoir parlé de la
rareté de l'hémorragie cérébelleuse, dit : « Le ramollissement cérébelleux
est plus rare encore que l'hémorragie; en effet les thromboses oblité-
rantes sont peu fréquentes dans le cervelet et l'angle que les vaisseaux
forment avec l'artère basilaire rend difficile leur embolie.» Cependant
Andral (5), dans sa Clinique médicale, développe treize observations de
(1) CATOLA, Etude clinique et anatomo-pathologique sur les lacunes de désintégra-
lion cérébrale. Revue de médecine, n° 10, octobre 1904.
(2) ANGLADE. Discussion du rapport sur le cerveau sénile. Congrès de Lille, 1906,
Revue de neurologie, p. 763.
(3) ANGLADE, Quelques considérations à propos de l'autopsie d'une démente pseudo-
bulbaire ; observation communiquée à la Société d'anatomie et de physiologie de Bor-
deaux dans la séance du 25 février 1907 : n Le cervelet présente des lacunes visibles
à l'oeil nu, lacunes nombreuses et quelques-unes capables de loger un pois ; je l'ai
dit maintes fois, ces lésions cérebelleuses lacunaires pour avoir été méconnues n'en
sont pas moins la règle dans le cerveau sénile. » Journal de médecine de Bordeaux,
numéro du 7 avril 1907. - ANGLAI>E et FOUI12ÇIAL, Noyau de sclérose cérébrale chez une
persécutée sénile, Société d'anatomie et de physiologie de Bordeaux, séance du 7 jan-
vier 1907. Rapporté dans le Journal de médecine de Bordeaux, 24 février 1907.
(4) Traité de médecine de Bouchard et Brissaud, 2' édition, t. IX, p. 399.
(5) ANDRAL, Clinique^ médicale, t. V, Maladies de l'encéphale.
SUR LE CERVELET SÉNILE 339
ramollissement cérébelleux et Colmeil (1), dans son Traité des maladies in-
flammatoires du cerveau, en étudie de nombreux cas : l'un de nous dans
l'espace de quelques mois en a observé et fait publier deux cas (2).
Une étude attentive du cervelet d'un certain nombre de séniles nous a
conduits à formuler deux conclusions d'inégale valeur mais toutes les deux
importantes :
9° Le cervelet sénile se caractérise anatomiquement par des lésions
typiques.
2° La fréquence et l'étendue de ces lésions cérébelleuses dans le cas de
syndrome clinique sénile, permettent de mieux comprendre sinon d'ex-
pliquer entièrement, quelques-uns des symptômes observés.
On le voit, cette dernière conclusion est la moins précise. Les raisons
qui nous invitent à la formuler seront développées dans la thèse inaugu-
rale de l'un de nous (3). C'est de la conclusion anatomique qu'il s'agira
exclusivement ici. Cependant pour bien marquer d'ores et déjà l'intérêt
des constatations histologiques relativesau cervelet sénile, nous rappelle-
rons que les troubles de l'équilibration ne sont pas négligeables dans les
symptômes cliniques de la sénilité cérébrale ; que les vertiges en font
partie, que la marche à « petits pas », caractéristique a-t-on dit des étals
lacunaires, est considérée par Grasset (li) comme un trouble d'équilibre
susceptible de s'observer chez des cérébelleux avérés.
Il n'est pas douteux que dans la symptomatologie si complexe de la séni-
lité nerveuse quelque chose relève du cervelet sénile. Si pourtant la lecture
des observations les mieux recueillies n'a pas été plus fructueuse, c'est que
le rôle physiologique du cervelet est bien incertain. C'est une raison de plus
pour recourir à la méthode anatomo-clinique qui peut éclairer la physio-
logie cérébelleuse, comme elle éclaire chaque jour la physiologie céré-
brale.
Avant tout il convient d'être fixé sur l'anatomie du cervelet. Or il y a,
entre les anatomistes, malgré les apparences d'un accord parfait, des diver-
(1) COLMEIL, Maladies inflammatoires du cerveau, t. IL
(2) Ducos, Société d'anatomie et de physiologie de Bordeaux, séance du il décem-
bre 1905. Ramollissement du cervelet et cérébro- sclérose lacunaire diffuse, rapporté
par le Journal de médecine de Bordeaux, numéro du 28 janvier 1906. ROIIEIIT et
Fournial, Société d'anat. et physiol. de Bordeaux, 25 juin 1906 : Sur un nouveau
cas de ramollissement du cervelet. Journal de médecine de Bordeaux, numéro du
4 novembre 1906.
(3) CALMETTES, Thèse de Bordeaux (en préparation, novembre 1907) : Le cervelet sé-
nile.
(4) Grasset, Semaine médicale, octobre 1904 : La cérébro-sclérose lacunaire progres-
sive d'origine artérielle.
360 ANGLADE ET CALMETTES
gences profondes sur la structure de l'écorce cérébelleuse. Pour ne parler
que de la dlarpente névrogl ique de la couche moléculaire, Cajal, Oberstei-
ner, Van Gehuchten (1) et la plupart des auteurs qui l'ont étudiée par la
méthode de Golgi, la considèrent comme robuste, constituée même par
des éléments spéciaux (cellules épithéliales moussues).
Au contraire, par les méthodes de Weigert et d'Anglade rigoureuse-
ment électives pour la névroglie, le réseau de soutien dans la couche
moléculaire aussi bien d'ailleurs qu'autour des cellules de Purkinje et
dans la couche des grains est excessivement discret. Par ces deux mé-
thodes de coloration et non plus d'imprégnation dont les résultats concor-
dent, on ne met pas en évidence les cellules épithéliales de Cajal bien
que les cellules épendymaires se colorent parfaitement. Ce n'est pas ici
le lieu d'expliquer cette divergence de résultais. Il suffit, pour que nous
fassions oeuvre utile, de comparer un nombre suffisant de pièces étudiées
par les mêmes moyens. Au surplus les dessins qui complètent ce tra-
vail prouveront bien que nous ne sommes pas le jouet d'illusions. Leur
interprétation est vraiment trop facile pour qu'elle risque de tomber
dans l'erreur.
La première planche met en opposition deux états d'un même cerve-
let sénile ; nous verrons que tout n'est pas sénile dans un processus
frappé de sénilité. La figure 1 représente une circonvolution respectée et
relativement normale ; nous disons relativement normale parce que le
cervelet des sujets qui ne sont que vieillis est un peu plus riche en névro-
glie que celui des sujets jeunes et normaux ; elle est encore bien pauvre,
dira-t-on : sans doute, mais il faut savoir que, normalement, la couche
moléculaire ne possède que quelques fibres radiées ou horizontales, que
la membrane basale, quand elle existe, est représentée par une fibre ram-
pante et quelques rares noyaux ; autour des cellules de Purkinje, les
corbeilles fibrillaires sont fort discrètes et, dans la couche des grains, il
faut parcourir plusieurs champs de préparation pour découvrir un astro-
cyte ; etc'est sans doute celte rareté qui a fait nier par Weigert leur pré-
sence dans cette zone. Dans la substance blanche il y a de gros aslrocytes,
tout le monde est d'accord sur ce point.
Au-dessous de cette figure (Pl. LX, fig. 1)nous avons placé un fragment
de foliole dont les diverses parties sont le siège d'une sclérose atrophique
(1) CAJAL, lIitolo91f"t del sislema nervioso de los vertebrados, p. 370 : a Nos recher-
ches nous ont montré que les fibres citées plus haut se trouvent hérissées d'une inimité
d'appendices granuleux abondamment ramifiés, dont les rameaux constituent une
espèce d'éponge dans les trous de laquelle se logent les éléments de la couche plexi-
forme ». - 08r.RSTEIiri, loc. cit., p. 533. - VAl'< GEIIUCII'l'EN, La structure des centres
nerveux. La Cellule, t. 7, 1891.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PI. I.X
FIG. 1
Fin. 2
SUR LE CERVELET SÉNILE
(Anglade et Calnictle.)
NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière
T. XX Pl. LXI
FIG. 1
Ftc. 2
SUR LE CERVELET SÉNILE
(Anglade et Camelle.)
SUR LE CERVELET SÉNILE 361
très accentuée (PI.LX, fig.2); nous aurions pu toutefois figurer une atrophie
plus complète d'une circonvolution très ratatinée, mais sur celte prépara-
tion on voit mieux l'évolution atrophique. Les libres névrogliques sont
déjà très denses ; on distingue pourtant celles qui appartiennent Il couche
moléculaire ; on reconnaît des îlots de grains emprisonnés dans-les mailles
du réseau ; on assiste presque à l'effondrement de cette plaque scléreuse
et on voit, à l'extrême droite, une activité astrocytaire très grande comme
il est de règle autour des lacunes en formation : cette organisation des
foyers de sclérose en plaques avec tendance lacunaire est le fait de la sé-
nilité. Dans cette même figure on passe, sans transition ou à peu près, du
tissu très altéré au tissu sain ; nous reviendrons sur l'importance de ces
caractères.
Cette opposition faite entre l'état normal et une lésion avancée, exa-
minons avec pour guide la planche LXI les étapes du processus dont nous
préciserons après les caractères distinctifs.
Le travail de sclérose peut s'opérer dans la substance blanche, dans la
couche des grains, dans la couche moléculaire. C'est dans celle-ci que l'ont
surprise les figures 1 et 2 de la planche LXI.
Dans la figure 1 toute la couche moléculaire, y compris la zone des cel-
lules de Purkinje, est le siège d'une exagération de la névroglie. dont les
fibres sont plus grosses, dont le réseau est beaucoup plus dense. On peut
voir qu'à ce degré de sclérose ne correspond pas une atrophie de la cou-
che moléculaire. La circonvolution n'est pas épaissie, on la dirait plutôt
mamelonnée. Le fait est retenir. Dans cette figure 1 la couche moléculaire
est uniformément scléreuse et il serait bien difficile de dire en quel point
le processus a commencé. Ce qui est certain, c'est que dans la préparation
il se détache nettement des parties voisines à peu près intactes ; on re-
marquera le changement brusque et profond survenu dans la couche molé-
culaire. La membrane basale, si on peut appeler ainsi les quelques rares
fibres névrogliques qui rampent normalement à la surface des circonvolu-
tions cérébelleuses, est considérablement épaissie. Et les fibres radiées,
qui dans les parties saines se rencontrent de loin en loin,sont ici très rap-
prochées, de plus gros calibre, mieux colorées. Elles forment un réseau
vraiment bien curieux de fibres à peu près toutes parallèles, réalisant un
contraste avec le réseau de la couche des cellules de Purkinje disposé en
nids, en pelotons d'où cependant un grand nombre de fibres s'écartent pour 1-
prendre une direction horizontale. Ces plaques s'organisent souvent, et
c'est le cas ici, autour des vaisseaux.
Dans la Usure 2 au contraire la couche moléculaire étant aussi très scié-
362 ANGLADE ET CALMETTES
reuse, on voit distinctement prédominer le processus au niveau de la cou-
che des celllules de Purkinje. Rien n'est plus net que cette traînée de
névroglie très dense et très colorée, à la fois fibrillaire et nucléaire, qui
épouse parfaitement tous les contours delà ligne des cellules de Purkinje ;
celle prédominance scléreuse sous cet aspect, nous ne l'avons pas rencon-
trée ailleurs que dans le cerveau sénile.
Dans la couche des grains, on voit aussi s'organiser ,habiluellement au-
tour d'un vaisseau, des plaques de sclérose; celle qui est dessinée dans
la figure 1 de la planche LXII se substitue la couche des grains dans toute
son épaisseur et s'étend de la zone des cellules de Purkinje à la substance
blanche. Il est particulièrement intéressant de saisir ce processus, incon-
testablement néoformatif, dans une région normalement si pauvre en né-
vroglie que Weigert l'en a considérée comme dépourvue.
La substance blanche présente à considérer des lésions banales de sclé-
rose secondaire et des plaques identiques à celles qui s'observent dans les
autres couches. Des îlots de sclérose peuvent s'observer partout ; on les
trouve ordinairement au niveau des carrefours et, très souvent, auteur du
noyau dentelé. Ce n'est cependant en aucun de ces points que la figure 2
de la planche LXII a été prise. Bien mieux, elle provient d'un noyau de
sclérose qui n'est pas caractéristique d'une lésion sénile quoiqu'il appar-
tienne au cervelet d'une vieille femme. Si néanmoins ce dessin occupe
la place qui reviendrait logiquement à un îlot de sclérose sénile dans la
substance blanche, c'est qu'il nous a paru doublement instructif. En effet
la sclérose de la substance blanche qui s'y observe est parfaitement
comparable à celle qui résulte de la sénilité, c'est la même densité des
fibres avec quelques gros astrocytes. Mais tout le reste du processus sclé-
reux a un aspect qui doit le faire distinguer de la plaque véritablement
sénile : la névroglie de la couche moléculaire est trop tourmentée ; le
réseau fibrillaire n'est pas assez dense au niveau de la couche des cellules
de Purkinje. Celle vieille femme n'est pas une cérébelleuse sénile ; elle
est porteur d'une plaque très ancienne de sclérose tubéreuse dans la-
quelle l'aspect de la substance blanche sclérosée est seul à ressembler à
ce qui est le propre de la sénilité. Cette figure 2 de la planche LXII doit
donc mettre en garde contre la tendance à interpréter comme séniles des
lésions qui ne le sont pas incontestablement.
La planche LXII nous fait assister au processus de formation lacunaire
par nécrose des plaques scléreuses. La figure 1 reproduit une des nom-
breuses formations lacunaires qui se réalisent dans la couche moléculaire
au fond des sillons ; et la figure 2 fait bien voir une formation identi-
que située plus profondément. La lacune qui se forme au niveau de
la couche des grains et de la substance blanche n'est que le résultat de
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière £ T. XX. PI. LXII
FIG. 1
Fcc. 2
SUR LE CERVELET SÉNILE
(Allglade et Calmetle.)
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XX. PL LXIII
FIG. 1
FIG. 2
SUR LE CERVELET SENILE
(Anglade el Cnlmctte.)
SUR LE CERVELET SÉNILE 363
l'effritement et de la fonte d'une plaque comme celle que représente la
figure 1 de la planche LXII : nous n'insisterons pas sur ce processus que
l'un de nous (1) a décrit longuement dans le cerveau. Les choses ne se
passent pas autrement dans le cervelet. Elles y sont seulement plus
faciles à interpréter.
Nous venons de rapporter des faits, et ce mémoire ne vise qu'à rester
une légende descriptive de dessins fidèlement cueillis sur des préparations.
Nous devons cependant indiquer ce qu'il y a à retenir dans ces faits
comme caractéristique du cervelet sénile.
La sénilité cérébelleuse ne se manifeste pas par une atrophie en masse.
Elle se caractérise au contraire par des atrophies très limitées qui sont des
plaques de sclérose ordinairement périvasculaire. Ces plaques tendent à
se nécroser pour former des lacunes. Ces formations scléreuseset lacunai-
res sont susceptibles de se réaliser dans toutes les parties du cervelet.
Cependant elles ont une tendance très marquée à prédominer dans les
zones lesplus internes des circonvolutions semi-lunaires à hauteur de leur
bord postérieur; et, ce niveau, c'est profondément qu'elles sont situées, fré-
quemment au fond des sillons, souvent dans la substance blanche autour
du noyau dentelé. Ce sont les zones de prédilection, mais les plaques et
les lacunes peuvent s'installer en tout point. Leurs caractères distinctifs
sont : la localisation du processus qui ne diffuse pas insensiblement autour
de lui, la prédominance fréquente de ce processus autour des cellules de
Purkinje, l'absence de méningite concomitante et de cellules en bâtonnet.
Ces caractères s'opposent ci ce que le cervelet sénile soit confondu avec
tout autre. En effet il n'y a pour lui ressembler que le cervelet alrophique
congénitalement ou non et le cervelet dés paralytiques généraux. L'atro-
phie en masse n'est pas le fait de la sénilité cérébelleuse ; nous ne l'avons
pas rencontrée une fois dans les nombreux examens que nous avons
pratiqués. Ce qui s'observe, c'est l'atrophie limitée il une ou plusieurs
folioles cérébelleuses ; l'aspect n'y est aucunement celui de l'atrophie gé-
néralisée. Ici la sclérose est régulière avec de faibles prédominances régio-
nales ; les cellules de Purkinje sont absentes, on voit beaucoup de noyaux
et peu de fibrilles (voir pl. LXII, fig. 2) ; la couche des grains et la subs-
tance blanche sonl indivises et méconnaissables, à leur place on voit un
réseau névroglique uniforme, la tendance à la formation lacunaire est
nulle. Là tout au contraire la zone de sclérose atrophique est toujours
très limitée; autour des cellules de Purkinje le réseau névroglique est
particulièrement dense ; la zone des grains et la substance blanche se recon-
' (1) W c.noE, Société de Biologie, La réaction névroglique dans l'encéphalo-malacie,
18 février 1905 (p. 319 et 320).
364 ANGLAM ET CALMETTES
naissent toujours, même dans les cas où les plaques intéressent toute une
foliole ; la formation lacunaire est la règle.
Les différences sont donc parfaitement tranchées et il sera toujours
aisé de dire si un cervelet est atrophié ou sénile. Bien mieux une plaque
scléreuse atrophique ou hypertrophique ancienne pourra être reconnue
au milieu d'autres lésions, elles, séniles (Pl. LXII, fig. 2).
On distinguera avec la même assurance un cervelet sénile du cervelet
d'un paralytique. Si on veut bien se reporter il un travail qui paraît en
même temps que celui-ci dans l'Encéphale (1 ) et à la thèse en préparation
de Latreille (2), on y trouvera le moyen de faire à coup sûr un diagnos-
tic différentiel. Le cervelet du paralytique est plus atrophié, plus ferme,
et cela parce que le processus y est plus diffus.
Cette diffusion est réalisée par la méningite cérébelleuse d'oii résul-
tent des symphyses inflammatoires méningo-corticaies. C'est dire que la
sclérose cérébelleuse est à prédominance doublement superficielle en tant
qu'elle frappe surtout la surface libre des circonvolutions et qu'elle va en
diminuant de la périphérie vers le centre de la couche moléculaire.
Cette méningo-corticalite suffirait à elle seule pour certifier qu'il ne
s'agit pas du cervelet sénile. Mais il y a d'autres différences. Dans le
cervelet paralytique on observe des prédominances scléreuses qui peuvent
aller jusqu'à la plaque, mais n'aboutiront jamais à la lacune. Les cellules
en bâtonnet (Staibctenzellen de Nissl) y abondent tandis qu'elles sont, non
pas absentes, mais très rares dans le cervelet sénile.
Ainsi le cervelet sénile se distingue parfaitement du cervelet atrophi-
que et du cervelet paralytique, les seuls d'ailleurs qui puissent en quel-
que manière lui être comparés : nous ne dirons pas autre chose de ces
lésions. Ailleurs l'un de nous les comparera à celles du cerveau sénile.
Et de cette comparaison résultera la conclusion qu'il s'agit de processus
analogues à peine modifiés dans leur aspect par la différence de structure
anatomique. Il en résultera aussi cette conviction que si les symptômes
cérébelleux ont grand besoin d'être précisés, ses lésions très nettes facili-
tent singulièrement la lecture de celles du cerveau sénile. Elles fournis-
sent la preuve que la sénilité du système nerveux est le résultat,non d'une
nécrobiose pure et simple, mais d'une inflammation scléreuse (3).
(1) ANGLADE et Latreille, Les lésions du cervelet dans la paralysie générale. L'En-
cephale, numéro d'octobre 1907.
(2) Latreille, Le cervelet du paralytique général. Thèse de Bordeaux, novembre 1907
(en préparation). ,
(3) ANGLAOE, loc. eu. '
TUMEUR CÉRÉBRALE DE LA RÉGION DES CIRCONVOLU-
TIONS PARIÉTALES SUPÉRIEURES. HÉMIPLÉGIE
SPASMODIQUE BILATÉRALE PAR COMPRESSION DES
FAISCEAUX PYRAMIDAUX,
PAR
A. SOUQUES.
L'observation suivante est particulièrement intéressante par le contraste
qu'elle offre entre l'absence prolongée de signes localisateurs et l'extrême
volume de la tumeur. Il fut impossible de formuler un diagnostic topogra-
phique jusqu'à l'apparition d'unesaillie extra-cranienne, d'une «bosse »
révélatrice. La région frontale pouvait être soupçonnée aussi bien que la
zone des circonvolutions pariétales. Or, l'autopsie montra l'existence
d'une tumeur de volume inusité, comprimant et refoulant d'une façon
extraordinaire les deux hémisphères cérébraux sur une étendue très con-
sidérable.
En dehors de ce contraste, qui n'est pas exceptionnel dans les tumeurs
de l'encéphale, le cas se distingue par quelques particularités cliniques
qui seront soulignées, chemin faisant.
Bér..., 23 ans, mécanicien, ne présente aucun antécédent héréditaire di-
gne d'être noté. Son père est mort à 28 ans d'un ulcère gastrique ; sa mère,
bien portante du reste, est atteinte d'un glaucome double ; sa soeur est en
bonne santé. Du côté des grands-parents il n'y a rien à signaler.
Antécédents personnels. - A sa naissance la tête aurait été déformée ( ? ) par
un accouchement difficile. A quatre ans, abcès du cuir chevelu, au niveau du
vertex. Cet abcès a suppuré pendant huit mois et a nécessité, à diverses repri-
ses, l'exploration avec une sonde cannelée. Il en est resté une cicatrice de 2 à
3 centimètres de longueur.
Pas d'autre maladie dans l'enfance. Pas de syphilis, pas de tuberculose, pas
d'alcoolisme.
Le début de la maladie actuelle a commencé, en octobre 1903 (peu de temps
avant son départ pour le service militaire), par des maux de tête. En octobre
il eut deux crises de céphalée, ayant duré douze à vingt-quatre heures, sans
vomissements. -
Il part au régiment en novembre. Là, les maux de tête reviennent plus fré-
quents et plus persistants, diffus avec prédominance au niveau de la nuque et
du front, déterminés par les mouvements, se présentant sous la forme d'élan-
366 souques
cements ou de serrements. Les crises revenaient chaque jour et quelquefois
plusieurs fois par jour, mais étaient de courte durée. Parfois cependant elles
duraient une journée. Il n'y eut jamais de vomissements.
Peu à peu sa vue s'affaiblit. Il s'aperçoit un jour, par hasard, en fermant l'oeil
gauche, qu'il ne voyait plus de l'oeil droit.
En juillet 1904, il rentre à l'hôpital militaire où on lui fit des piqûres
d'atropine.
Un mois plus tard, il revient dans sa famille et est admis à l'Hôtel-Dieu
dans le service de M. de Lapersonne. Il distinguait encore les couleurs et voyait
très bien, dit-il, les objets situés dans le centre du champ visuel. On lui fit
une ponction lombaire qui, d'après les renseignements fournis par l'interne,
ne révéla rien d'anormal. Il resta six mois il l'Hôtel-Dieu, reçut une trentaine
de piqûres de mercure. C'est pendant ce temps que la vision disparut complè-
tement. C'est aussi à cette époque qu'il éprouva les maux de tête les plus vio-
lents. La céphalée était très pénible, durait un jour ou deux, puis s'atténuait
et devenait supportable jusqu'à l'apparition d'une nouvelle crise qui survenait
au bout de quelques jours d'accalmie. Une seule fois le paroxysme s'accompa-
gna de vomissements. Le malade est incapable de dire si la douleur commen-
çait par la région frontale, occipitale, etc., du côté droit ou du côté gauche du
crâne.
Il n'y eut jamais de vertiges, ni de convulsions, ni de troubles moteurs du côté
de la face ou des membres.
Il y a deux mois, le malade ressent pour la première fois des fourmillements
qui commencent par le pied droit, remontent jusqu'à l'aine et durent deux à
trois minutes. Ces troubles d'épilepsie partielle sensitive ne s'accompagnert
pas de secousses convulsives, mais pendant quelques minutes le membre infé-
rieur reste faillie et ne peut supporter le poids du corps. Une crise analogue
a reparu, ces jours derniers.
Etal actuel (28 avril 1905). La cécité est absolue. Les pupilles sont lar-
ges, immobiles à la lumière, et réagissent à l'accommodation. Secousses nys-
tagmiformes dans les mouvements provoqués du regard. L'ophtalmoscope mon-
tre une stase papillaire avec engorgement veineux et névrite optique double.
II n'y a pas de troubles auriculaires appréciables ni de troubles gustatifs (il
sent le salé et le sucré). Il semble qu'il y ait une diminution de l'odorat, cons-
talée par le malade lui-même, et qui paraît nette et bilatérale.
La motilité est normale, la marche régulière, la force musculaire très grande.
Ainsi au dynamomètre on obtient 46 à gauche, 51 à droite. Il n'y a aucun
signe de parésie droite ou gauche, aucune parésie des nerfs moteurs crâniens.
Pas d'ataxie dans les mouvements, pas de raideur de la nuque, pas de dévia-
tion du rachis.
La sensibilité subjective ou objective ne présente aucun trouble appréciable.
La percussion du crâne ne révèle aucune zone douloureuse.
Les réflexes rotuliens sont très vifs des deux côtés. A droite, parfois, le re-
dressement de la pointe du pied amène deux ou trois secousses successives.
Le réflexe cutané plantaire se fait en flexion de chaque côté. Les réflexes cré-
TUMEUR CÉRÉBRALE DE LA RÉGION DES CIRCONVOLUTIONS PARIÉTALES 367
mastériens et abdominaux sont normaux. 11 en est de même des réflexes ten-
dineux et osseux des membres supérieurs.
Pas de troubles vaso-moteurs ni trophiques. L'état général est excellent : il
s'agit d'un homme de taille élevée, très solide, très vigoureux, dont le système
pileux et les organes génitaux sont normaux.
Son état intellectuel est intact. Il n'y a aucun trouble de la parole, aucune
lenteur ni dans la compréhension ni dans l'expression des idées. Il est gai mais
sans excès, sans jovialité. Aucune modification du caractère, aucune torpeur
ou paresse physique.
La respiration est normale, le coeur régulier, le pouls égal à 84.
16 octobre 1905. - Depuis le mois d'avril le malade a eu deux ou trois
crises très douloureuses de céphalée par mois, avec une fois des vomissements
bilieux. Il se plaint d'une faiblesse de la jambe droite, qui remonterait à qua-
tre mois. En outre, il raconte que depuis la même époque il éprouve tous les
huit ou quinze jours quelques secousses dans le membre inférieur droit. Ces
secousses sont quotidiennes depuis quelques jours. A la suite de ces crises
jacksonniennes il y a paralysie post-épileptoïde même du membre supérieur
droit. La paralysie dure dix à quinze minutes. Il existe aujourd'hui une hémi-
parésie droite avec un peu d'hémiasynergie.
9 novembre 1905. Le malade se plaint de ne pouvoir se tenir sur ses
jambes d'une façon solide, et qu'il est un peu faible du côté droit (même au
membre supérieur). Au dynamomètre on a cependant 60 à droite pour 48 à
gauche. Il est incapable de se tenir debout, et, si on le lâche, en imminence de
tomber en arrière. La force ne paraît pas plus diminuée dans une jambe que
dans l'antre.
Les réllexes rotuliens sont forts des deux côtés, exagérés même. Clonus du
pied à droite, avec signe de Babinski des deux côtés. Pas de troubles de la
sensibilité.
Ces phénomènes sont survenus depuis quelques jours à la suite d'une lon-
gue crise de céphalée et de vomissements qui n'a cessé que ce matin.
Depuis quelque temps il sent des bourdonnements et des bruits de cloche
dans les oreilles, mais sans diminution évidente de l'acuité auditive. Jamais
avant sa maladie il n'aurait éprouvé de sensations subjectives du côté des
oreilles.
29 janvier 1906. - Le malade dit que son côté droit est plus faible que le
gauche, et qu'il est engourdi et maladroit. Il semble, en effet, qu'il y ait une
hémi-hypoesthésie droite très légère : il sent moins bien le sol de ce côté ; il
laisse parfois tomber les objets qu'il tient de la main droite et prend l'habitude
de se servir de la gauche.
Les réflexes rotuliens sont exagérés des deux côtés, mais plus à droite. Si-
gne de Babinski unilatéral (côté droit).
A droite le sens musculaire est diminué ainsi que le sens stéréognostique.
Quelques troubles vaso-moteurs de ce côté.
, 25, juin 1906. - Depuis la dernière sortie de l'infirmerie, l'impotence a
368 souques
fait de grands progrès des deux côtés du corps, surtout du côté droit où l'hé-
miplégie s'est nettement établie. Depuis le mois de février, ce malade est in-
capable de marcher seul et actuellement il ne peut plus se lever du lit. Au
dynamomètre on a 17 à droite et 23 à gauche.
L'hémiplégie droite est très accusée, quoique incomplète. La face elle-même
est prise et la langue déviée du côté droit. Le malade ne peut se tenir debout
sans être soutenu ; si on le lâche, il tombe à droite ; si on essaie de le faire
marcher en le tenant, ses jambes se dérobent sous lui, surtout la droite. Il y
a, en réalité, une double hémiplégie.
Il y a une légère hémihypoesthésiedu côté droit, sans troubles subjectifs de
la sensibilité.
Les réflexes rotuliens sont exagérés. Signe de Babinski à droite. A gauche
ce signe est inconstant.
Pas de troubles des nerfs crâniens. Pas de troubles vaso-moteurs. Le pouls
est régulier et hat à 68 ; la respiration normale (16 par minute). Pas de trou-
bles psychiques : cependant l'intelligence est un peu engourdie.
Le goût est normal, l'odorat affaibli mais non aboli, l'acuité auditive dimi-
nuée avec bourdonnements d'oreille à peu près constants.
Pour la première fois on constate une tuméfaction sur la ligne médiane de
la tête, commençant un peu eu arrière du plan vertico-transversal biauricn-
laire et s'étendant à dix centimètres en arrière. Cette tuméfaction est régulière,
arrondie, avec tendance à pointer. La percussion, douloureuse sur tout le som-
met de la tète, est plus douloureuse en cette région.
9 octobre 1906. - La tuméfaction, due à un soulèvement osseux, a aug-
menté de volume sans changer de forme.
L'impotence motrice a fait de nouveaux progrès. Au dynamomètre la main
droite amène 4 et la gauche 13. Le malade est condamné au lit et gâte 'quel-
quefois. La torpeur cérébrale est assez accusée, sans aucun trouble de la rai-
son. Le malade n'est ni gai ni triste ; il est plus silencieux qu'autrefois.
Réflexes rotuliens exagérés, plus à droite. Esquisse de clonus avec signe de
Babinski de ce côté.
Il n'y a ni albumine ni sucre dans les urines. Deux petites eschares existent
au niveau de la fesse et de la cheville droites.
20 octobre 1906. - Aggravation rapide. Somnolence. Une ponction lom-
baire amène un liquide clair, sans hypertension, sans lymphocytose.
22. - Coma presque complet. La respiration est inégale, irrégulière, sans
être fréquente. Le pouls égal, régulier, faible, bat à 90. Le malade sent la
forte piqûre. Signe de Babinski bilatéral. La température monte, le soir à 38°8.
23. - La température atteint 40° le soir, le pouls restant réguliers et de
fréquence à peu près normale. Coma complet.
24. - Le pouls est à 136, la respiration it 36, la température, 49°4. Le
malade meurt à 11 h. 50 du soir avec une température de 42°4. Après la mort
le thermomètre monte encore et à minuit et demi marque 42°5, Elle descend
ensuite lentement et ne revient à. 37° dus 6 heures du matin.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. LXIV
TUMEUR CEREBRALE
(,.A. Souques.)
Masson &. Cie, Editeurs
Phototyplc 13orthitud, Pans
NOUVELLE ICOXOGRAPHÏE DE LA SALPÈ-rRiÈnE.
T. XX. Pl. LXV
'1U.\OEUR CÉRÉBRALE
(A. Souques.)
Masson et Cl=, Éditeurs
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TUMEUR CÉRÉBRALE DE LA REGION DES CIRCONVOLUTIONS PARIÉTALES 369
.4 l'autopsie, on ne constate rien d'anormal dans les viscères thoraciques
et abdominaux, à l'exception d'une congestion passive des organes et d'un foyer
hépatisé de la base droite.
L'examen du crâne et du cerveau montre des détails intéressants. Au niveau
de la bosse crânienne du vertex, le cuir chevelu est épaissi, oedématié, et
adhérent l'os qui fait saillie. Celui-ci, de son côté, adhère à la tumeur, si
bien qu'en enlevant la calotte crânienne, un lambeau de la tumeur reste fixé
à la face interne de cette calotte. La voûte crânienne apparaît très friable et
très amincie dans sa totalité, sauf au niveau de la partie médiane de la région
frontale. Au niveau de la tumeur elle est, au contraire, très épaissie, fongueuse,
complètement envahie.
Le cerveau proprement dit est déformé, aplati, augmenté de volume et de
poids. Il pèse 1.830 grammes, la tumeur y comprise (PI. LXIV).
Il existe, en effet, une tumeur infra-crânienne, très volumineuse, qui occupe
la région des lobules pariétaux supérieurs et la partie adjacente de la faux
du cerveau. Cette tumeur a perforé la dure-mère sur un petit]espace de la-
ligne médiane et envahila voûte crânienne. Elle est située, sur la ligne médiane
et à droite et à gauche de la ligne médiane, au-dessous de la dure-mère à la
quelle elle adhère et dont on parvient aisément à la détacher. Elle repose sur les
lobules pariétaux supérieurs qu'elle écarte et refoule fortement en lias et en de-
hors et dont elle reste indépendante, énucléable en quelque sorte. Elle s'étend
en avant jusqu'aux zones rolaiidiqlies.
La faux du cerveau très épaissie, détruite sur son trajet interpariélal, est
probablement le point de départ de la tumeur. Celle-ci, grisâtre à la surface,
rouge et sanglante sur des coupes, est arrondie, et mesure environ 10 à 11 cen-
timètres de diamètre en tous sens. Les deux photographies (PI. LXIV et LXV)
me dispenseront d'une description macroscopique plus détaillée.
Un examen histologique, fait après dissociation extemporanée, montre [qu'il
s'agit d'un sarcome pur fuso-cellulairé. L'examen d'un fragment de l'écorce
cérébrale, pris loin de la tumeur dans le lobe orbitaire, pratiqué par mon
interne M. Aynaud, ne révèle par la méthode de Nissl aucune altération des
cellules nerveuses. La moelle, examinée au Marchi, fait voir quelques rares
granulations noires disséminées dans toute la coupe, plus nombreuses cepen-
dant dans le territoire des faisceaux pyramidaux.
En résumé, il s'agit d'un sarcome très volumineux, né de la faux du
cerveau dans son trajet interpariétal. La tumeur, d'abord médiane, s'est
peu à peu étalée de chaque côté, au-dessus des circonvolutions pariétales
supérieures, au-dessous de la dure-mère; celle-ci a été détruite en un
point, la voûte crânienne infiltrée et repoussée en dehors sous la forme de
tumeur osseuse, visible au niveau du vertex pendant la vie.
.Les photographies montrent nettement la perforation de la dure-mère,
l'écartement elle refoulement des hémisphères cérébraux qui [sont forte-
ment comprimés et extraordinairement déformés.
370 SOUQUES
Le siège de cette tumeur dans une zone silencieuse explique la longue
absence de tout symptôme localisateur. Son étendue jusqu'au voisinage
des zones rolandiques rend compte de l'hémiplégie bilatérale, survenue
tardivement, ainsi que des accès d'épilepsiejacksonnienne II est probable
que l'intermittence du signe de Babinski est en rapport avec les crises de
céphalée et les poussées congestives.
Dans les paralysiespar compression du faisceau pyramidal, il peut donc
y avoir quelques signes de dégénération secondaire, permanents ou transi-
toires. II y avait en effet, chez ce malade, exagération des réflexes rotuliens
et clonus du pied. Ces signes peuvent, du reste, faire défaut, comme dans
l'observation publiée récemment par M. Babinski (1).
La compression extraordinaire des hémisphères contraste avec l'absence
de troubles intellectuels, et montre bien l'extrême tolérance du cerveau.
Quant au développement du sarcome, on peut se demander s'il n'est
pas en rapport avec le traumatisme crânien de l'enfance. yeut, il quatre
ans, un abcès dans la région du vertex, qui dura longtemps et nécessita
l'emploi fréquent de la sonde cannelée. C'est une hypothèse que permet
de soulever le siège de cet abcès, qui occupait précisément la région enva-
hie plus tard par la tumeur. Mais le laps de temps écoulé est trop grand
pour qu'on puisse affirmer une relation de causalité entre le traumatisme
ancien et le sarcome actuel.
(1) BABIft561, De la paralysie par compression du faisceau pyramidal sans dégenê-
ration secondaire. Société de Neurologie, juillet 1906.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. PL LXVI
A
B
PARALYSIE PSEUDO- BULBAIRE
(Raymond et Alquier.)
Coupes horizontales de l'hémisphère droit présentant plusieurs petites lacunes de désintégration,
avec démyélinisation légère, diffuse. Intégrité du faisceau pyramidal.
Masson & Cie, éditeurs
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. LXVII
L
D
PARALYSIE PSEUDO-BULBAIRE
, ('Raymond el .tllquicr.)
C. La calotte i la protubérance est occupée par quatre grandes lacunes ; d'autres plus
petites sont disséminées notamment entre les deux faisceaux pyramidaux.
D. Lacunes plus petites, dont plusieurs, centrées par un vaisseau sanguin.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. LXVIII
PARALYSIE PSEUDO-BULBAIRE
('7&tyfHOf;c ? M;'t'rJ
E et 1=. Au niveau du bulbe, les lacunes deviennent de plus en plus petites, et n'intéres-
sent aucun des noyaux d'origine des nerfs bulbaires. (Ces deux coupes sont retournées
par rapportais suivante.)
(1. 1)ans la moelle cervicale on ne trouve d'autre lésion qu'une légère pâleur diffuse sur-
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
(SEANCE du 2 mai 1907).
SUR UN CAS DE PARALYSIE PSEUDO-BULBAIRE,
PAR R
F. RAYMOND et L. ALQUIER.
(PL. LXVI, LXVII, LXVIII)
Le fait que nous rapportons peul se résumer en quelques mots, mais
n'en présente pas moins un certain intérêt au point de vue du diagnostic
et de la signification nosologique des paralysies pseudo-bulbaires.
La malade, âgée de 77 ans,était entrée à la Salpêtrière, salle Cruveilhier,avec
les signes classiques d'une paralysie pseudo-bulbaire dont il nous a été impos-
ble de reconstituer entièrement l'évolution clinique,en raison de l'affaiblissement
intellectuel de la malade, et de l'absence totale de renseignements précis sur
son compte.
Son aspect était caractéristique.Elle restait immobile, ou presque, présentait
une confusion mentale à peu près complète, reconnaissant à peine le lieu où elle
se trouvait et les personnes qui l'entouraient, incapable de comprendre les
questions qu'on lui posait, et d'y répondre. De temps à autre, accès de rire, et
surtout de pleurs spasmodiques. Avec cela, aucune idée délirante ; il s'agit d'un
simple déficit intellectuel global et très accusé.
L'examen somatique révélait l'existence d'une parésie spasmodique des qua-
tre membres, qui étaient un peu raides, et dont les mouvements segmentaires,
quoique gênés et maladroits, se faisaient cependant avec une force suffisante.
Pas d'atrophie musculaire. Il ne semble pas y avoir des troubles grossiers de
la sensibilité, autant du moins que l'état intellectuel de la malade permet de s'en
rendre compte. Tous les réflxes tendineux sont, aux quatre membres, notable-
ment exagérés ; le clonus du pied, le signe de Babinski sont très nets des deux
côtés : l'incontinence des sphincters est complète.
Il n'y a aucun trouble bulbaire, en particulier, du côté du pouls ni de la res-
piration ; pas de paralysie des muscles innervés par le bulbe, dont les mouve-
ments sont, comme ceux des membres, difficiles et maladroits. Le réflexe mas-
sétérin est exagéré. Il n'y a pas de paralysie des muscles de l'oeil.
Le diagnostic porté était celui de paralysie pseudo-bulbaire. Pourtant, aux
symptômes classiques que nous venons d'énumérer s'en ajoutaient d'autres qui
eussent pu rendre le diagnostic assez difficile, si la malade avait été moins âgée
et si les troubles mentaux et sphintériens ayaient été moins accentués. La pa-
role était lente et scandée : on constatait du nystagmus dans les mouvements
extrêmes, en dehors, des deux globes oculaires ; les membres supérieurs pré-
372 RAYMOND ET ALQUIER
sentaient un tremblement intentionnel de tous points analogue il celui de la sclé-
rose en plaques.
Peu après son admission dans le service, la malade est morte de broncho-
pneumonie.
L'autopsie nous a révélé l'existence des lésions suivantes :
1° Dans le cerveau : Plusieurs lacunes de désintégration, grosses au plus
comme un petit pois, sont irrégulièrement disséminées dans la substance blan-
che des deux hémisphères et dans les noyaux gris centraux. Plus nombreuses
et plus volumineuses à droite, ces lacunes occupent presque exclusivement
leur moitié postérieure et provoquent une démyélinisation diffuse, assez mar-
quée, des principaux faisceaux d'association, notamment du faisceau longitu-
dinal supérieur et de l'occipito-frontal. Dans les noyaux gris centraux, elles siè-
gent dans la substance grise du noyau lenticulaire et du thalamus, respectant
complètement la capsule interne.
Rien de semblable dans les pédoncules cérébraux.
2" Dans la protubérance annulaire et la partie toute supérieure du bulbe,
la calotte présente des lacunes de désintégration nombreuses et minimes sauf à
la partie moyenne de la protubérance où la calotte est presque entièrement oc-
cupée par quatre lacunes de volume supérieur à celles du cerveau. La plus
grande, située à gauche, effleure les fibres les plus postérieures de la voie py-
ramidale. Dans la partie moyenne et inférieure du bulbe, on ne trouve plus
aucune lacune, les pyramides ne sont pas nettement dégénérées, et présentent
simplement une légère pâleur diffuse et variant d'un niveau à l'autre.
3° Enfin, la moelle présente des lésions légères, diffuses, pâleur de la myé-
line, surtout dans les faisceaux pyramidaux croisés, mais aussi de la partie cen-
trale des cordons postérieurs.
Ces lésions concordent bien avec les symptômes observés dans le cerveau,dé-
myélinisation diffuse et étendue des faisceaux d'association, expliquant bien le
gros déficit intellectuel ; les volumineuses lacunes de la calotte protubérantielle
semblent bien correspondre aux symptômes particuliers : nystagmus, parole
scandée, tremblement intentionnel, que présentait notre malade ; les qua-
tre membres étaient atteints de parésie spasmodique, mais non paralysés, sans
atrophie, avec conservation suffisante de la force musculaire : la voie motrice
est, dans la moelle, à peine touchée ; on trouve des lésions de la substance blan-
che, légères, diffuses, analogues à celles que Lhermitte a fréquemment rencon-
trées dans les paraplégies des vieillards.
Ce fait présente, avons-nous dit, un double intérêt.
Nous avons souligné l'existence de tremblement intentionnel, de nystag-
mus, de parole scandée. Ces symptômes sont rarement observés dans la
paralysie pseudo-bulbaire et auraient pu, 'avons-nous dit, faire hésiter le
diagnostic si l'àge avait été moins avancé, et surtout, si l'ensemble sympto-
matique, malgré ces particularités, avait été moins net.
- Mais nous voulons surtout faire ressortir l'intérêt que présente, au point
- SUR UN CAS DE PARALYSIE PSEUDO-BULB.11RE 373
de vue nosologique, la topographie des lésions. Nous ne trouvons d'autres
causes au syndrome clinique observé, que des lacunes de désintégration
multiples, et peu volumineuses dans le cerveau, plus nombreuses et plus vo-
lumineuses dans la calotte protubérantielle.
D'habitude, les lésions causales du syndrome pseudo-bulbaire sont céré-
brales, et M. Raymond a, dans ses Cliniques (tome V, p. 332), publié une
autopsie où les lacunes de désintégration étaient uniquement cérébrales,
interrompant, des deux côtés, la voie motrice dans la capsule interne et
déterminant des lésions dégénératives accentuées dans les pyramides
bulbaires.
En 1886, Oppenheim et Simmerling avaient observé 5 faits ressemblant
au nôtre par la présence, indépendamment des lésions cérébrales localisées,
de foyers bulbo-protubérantiels. Ces auteurs avaient même cru pouvoir
alors mettre en doute l'existence nosologique des paralysies pseudo-bul-
baires. Aujourd'hui, la question ne se pose même plus, et Oppenheim lui-
même est revenu, en 1896 (Neurologisches Centralblatt), sur l'opinion
qu'il avait émise neuf ans plus tôt.
En 1900, Comte (Th. Doct. Paris) publie plusieurs cas de paralysie
pseudo-bulbaire avec lésions du pédoncule cérébral et de la protubérance
et conclut que les lésions peuvent siéger soit au niveau de l'écorce même,
soit à un point quelconque du trajet des fibres qui, de l'opercule, se
rendent aux noyaux bulbo-protubérantiels. Dans le bulbe, au contraire,
il n'a trouvé que deux petits foyers microscopiques occupant la cavité
d'une des olives : les gros foyers bulbaires donnent naissance, non à la
paralysie pseudo-bulbaire, mais à la paralysie bulbaire apoplectiforme : il
existe, d'ailleurs, entre les deux types cliniques, de nombreuses formes
intermédiaires.
Du fait que nous avons observé semblent se dégager nettement les deux
conclusions suivantes :
1° Le syndrome pseudo-bulbaire indique simplement l'existence de lé-
sions situées au-dessus des noyaux bulbaires. Ces lésions, habituellement
cérébrales, peuvent également occuper la protubérance.
2° En pareil cas, on peut voir apparaître, à côté des troubles intellec-
tuels qui indiquent l'existence des lésions cérébrales, d'autres symptômes
tels que le nystagmus, la parole scandée, le tremblement intentionnel,
susceptibles de faire soupçonner la participation de la protubérance au
processus morbide.
xx 2t
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
(SÉANCE DU 4 JUILLET 1907).
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CIIEIROMÉGALIE
SUIVI D'AUTOPSIE
PAR
J. LHERMITTE et ARTOM (de Turin).
Les troubles trophiques comptent certainement parmi les symptômes
les plus fréquemment observés au cours de la syringomyélie : que ceux-
ci portent sur les os, les muscles, le revêtement cutané, ils consistent, en
règle générale, dans la destruction plus ou moins rapide et complète,
accompagnée ou non d'inflammation, des éléments anatomiques. Les atro-
phies musculaires en constituent un des exemples les plus nets et les
mieux étudiés.
Ces atrophies peuvent porter aussi sur les différentes pièces du sque-
lette et déterminer les déformations classiques des articulations et de la
colonne vertébrale. Beaucoup plus rarement, le revêtement cutané est le
siège d'une atrophie manifeste [Schlesinger (1)] et l'épaississement de la
peau et du tissu cellulaire sous-cutané est beaucoup plus souvent relevé.
Cette hypertrophie de la peau peut être déterminée par un processus in-
flammatoire ou bien se développer pour son propre .compte : c'est ainsi
qu'on rencontre des callosités à la base des doigts chez des sujets qui ne
travaillent pas manuellement ; parfois les parties latérales des doigts sont
atteintes et, engainé par cette enveloppe rigide, le doigt perd la souplesse
de ses mouvements [Pal (2), Roth (3)]. L'hypertrophie cutanée peut être,
dans certains cas, tellement accentuée qu'elle empêche de constater l'atro-
phie musculaire ainsi que l'a observé Macfarlane (4).
Dans ces différents cas, on ne relève aucun phénomène particulier qui
puisse expliquer le développement de ces symptômes.
En dehors de ces troubles trophiques, il en est d'autres, moins fréquem-
ment observés, qui atteignent un segment de membre ou même unmem-
(1) Schlesinger, Die Syringomyélie, 1902.
(2) PAL, Jahrb, der Wiener Krankenaustalten, B. III.
(3) Roru, Archiv. d. Neurologie, 1887-1889. 1
(t) IIIACFARLANE, Albany medical Journal, 1897.
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CUEIROMÉGALIE 375
bre tout entier en déterminant une hypertrophie plus ou moins considé-
rable (1). ,
Ces macrosomies partielles peuvent donner à la main un volume énorme,
ressemblant de loin à celui de la main acromégalique, et justifiant le
terme de cheiromégalie employé par Charcot et Brissaud (2), Hoffmann(3),
ou bien déterminer une hypertrophie considérable du pied : podo-mé-
galie de Schlesinger (4).
Si le développement de ces hypertrophies,ou mieux de ces macrosomies
partielles, n'est pas une rareté au cours de la syringomyélie, leur cause et
leur nature sont encore à l'heure actuelle mal connues.
Nous ne connaissons pas, en dehors de l'observation déjà ancienne
d'HolschevJnihoff (5), d'étude anatomique de la cheiro ou de la podoméga-
lie et c'est la raison qui nous a déterminés à publier les résultats que
nous a fournis l'examen anatomique d'un cas des plus typiques de cheiro-
mégalie, bien que nous ne soyons pas en mesure, de par ces résultats,
d'interpréter la genèse de ce phénomène pathologique.
OBSERVATION CLINIQUE.
Dans les antécédents du malade, maçon de son état, on ne trouve rien de
bien particulier. Il fit une rougeole dans l'enfance et une grippe dans l'âge
mûr.
La première manifestation de la maladie semble avoir été un panaris qui
évolua sur l'index droit en 1894. Peu après le malade fit une chute de la hau-
teur de deux mètres et cette chute semble avoir précipité l'évolution de la ma-
ladie. En 1900, le malade entre à la Salpêtrière et le diagnostic porté dès cette
époque fut celui de syringomyélie. En 1904, lorsque le malade fut présenté
à la Société de Neurologie par MM. Raymond et G, Guillain (6), le tableau
clinique était le suivant.
Au bras droit il existait une impotence fonctionnelle des muscles de la main
avec amyotrophie, une parésie des extenseurs de la main et de l'avant-bras,
le deltoïde était un peu amaigri. A gauche on retrouvait les mêmes caractères
sur les muscles de l'éminence thénar et sur les muscles interosseux et ex-
tenseurs de la main.
Les réflexes tendineux étaient abolis aux membres supérieurs. Aux mem-
bres inférieurs, il existait une légère parésie avec exagération des réflexes
tendineux.
(1) Chauffais et Griffon, Revue neurologique, 15 mai 1889 ; IIeli)enbe[igh, Annales
de la Société belge de neurologie, 5° année, 1899.
(2) Ciiahcot et Brissaud, Progrès médical, 1891.
(3) HOFFMANN, Syringomyélie. Volkman's Vortrage, Folge, 1891.
(4) Schlesiageh, Die Syringomyélie, p. 134.
(5) 13o.scHSwNW orr·, Virchow's Archiv, Bd. 119.
6) RAYMOND et G(IILLAIN, Soc. de Neurologie, 1904.
376 LHERMITTE ET ARTOM
On notait une cyphose de la colonne vertébrale dans la région dorsale.
Au point de vue de la sensibilité, sur le membre supérieur droit la thermo-
anesthésie était très prononcée, sur le bras gauche les erreurs d'interprétation
des sensations thermiques étaient fréquentes. Sur le thorax, existait une dis-
sociation syringomyélique,.qui se prolongeait sur l'abdomen et le membre in-
férieur droit à l'exception des racines sacrées.
Aucun phénomène bulbo-ponto-pédonculaire.
Le phénomène qui chez ce malade était le plus frappant consistait en une
hypertrophie manifeste de la main, du poignet, de l'extrémité inférieure de
l'avant-bras du côté droit.
Cette hypertrophie spécialement évidente à la main droite portait sur l'é-
paisseur et non sur la longueur des doigts, elle aurait commencé, d'après le
récit du malade, un an avant cet examen, en 1903.
Le pied ne présentait pas cette hypertrophie.
L'examen radiographique de la main atteinte par le processus hypertro-
phiant montrait que le squelette osseux ne présentait pas d'altération. Leur for-
me aussi bien que leur structure étaient normales. Les articulations des os du
carpe entre eux et avec les métacarpiens et les os de l'avant-bras ne présen-
taient aucune lésion.
La cheiromégalie parait donc seulement due à l'augmentation de volume des
parties molles, sans aucune participation du squelette.
Le malade succomba en 1906 à l'àge de 61 ans, consécutivement à une bron-
cho-pneumonie aiguë.
L'autopsie pratiquée 30 heures après la mort nous a fourni les résultats sui-
vants :
Autopsie
Broncho-pneumonie étendue aux deux poumons, adhérences pleurales à
gauche. Le coeur est sain, le foie est gras, la rate volumineuse. Les reins
sont congestionnés.
Système nerveux. Il existe sur la convexité des hémisphères une légère
lepto-méningite chronique. Le cerveau, le cervelet, le bulbe ne présentent pas
d'altérations. Au niveau des méninges spinales, on constate de nombreuses
adhérences entre l'arachnoïde, la pie-mère et la dure-mère sur la face posté-
rieure de la moelle ; dans les régions cervicale et dorsale, les méninges parais-
sent épaissies.
La section de la moelle fait constater l'existence d'une cavité qui commence
à la hauteur de C. IV et se termine vers D. IX. Au-dessous de la cavité, la
moelle a gardé son aspect normal.
ETUDE histologique.
Le cerveau, le bulbe, la protubérance, les pédoncules, le cervelet, exami-
nés suivant les méthodes de Pal, de Nissl, de Van-Gieson, ne montrent aucune
modification. ·
Moelle épinière. Description de la cavité. La cavité commence à la hau-
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CHEIROMÉGALIE 377
teur de la IVe tranche cervicale sous la forme d'une fente mince, plus large
en avant qu'en arrière, et contenue dans la corne postérieure droite. Sa paroi
paraît être constituée par une bande de tissu névroglique peu épais ; les fibres
nerveuses sont bien conservées en avant et dans le voisinage immédiat de la
cavité ; dans l'intérieur de cette cavité, on remarque des vaisseaux dont la
paroi épaisse est en dégénérescence hyaline, et de fins rubans conjonctifs
dont, par endroits, les fibres s'écartent pour envelopper un amas de globules
rouges.
On saisit ainsi l'origine vasculaire du tissu conjonctif si abondant parfois dans
les cavités syringomyéliques ainsi que l'a montré Hauser.
A la hauteur de C. VII, la cavité notablement plus développée prend la forme
d'un croissant qui suit l'axe des cornes postérieures en passant derrière l'épen-
dyme ; elle occupe toute la corne postérieure gauche et la corne postérieure
droite jusqu'à l'union du tiers postérieur avec les deux tiers antérieurs. A
côté de cette grande cavité, il en existe une plus petite, à droite. La moelle est
dans son ensemble aplatie dans le sens antéro-postérieur, les cornes antérieu-
res sont étalées.
Plus bas, la cavité tout en conservant la même forme et les mêmes rap-
ports occupe toute la longueur des cornes postérieures qu'en s'élargissant,
elle envahit peu à peu complètement jusqu'à s'ouvrir directement à la périphé-
rie du côté droit. A la région dorsale, la cavité s'agrandit encore, et la moelle
est réduite à un mince ruban, la cavité est irrégulière et notablement plus
large à droite qu'à gauche.
Au niveau de la IVe tranche dorsale, la cavité s'atténue rapidement et se
termine par une prolifération névrogtique dans la région juxta-épendymaire.
Canal épendymaire. - Au-dessus de la 1V° cervicale, le canal épendymaire
est dilaté, entouré d'une prolifération discrète des éléments névrogliques. Au
niveau de C. VII, alors que la cavité est complètement développée, le canal est
aplati,presque virtuel grâce à la compression exercée par la cavité et à la pro-
lifération épithéliale. Dans la région dorsale supérieure, le canal s'ouvre dans
la cavité dont la paroi est tapissée par endroits par l'épithélium épendymaire ;
il réapparaît normal à la partie inférieure de la moelle dorsale.
La paroi de la cavité syringomyélique est tapissée presque partout par un
revêtement conjonctif formant une membrane plissée (membrane papillaire des
auteurs) sur laquelle semblent s'attacher en grand nombre les fibres névrogli-
ques du voisinage : par endroits, la paroi est constituée seulement par un feu-
trage névroglique plus ou moins épais.
Rappelons que par place, la cavité est limitée par l'épithélium épendymaire
recouvrant la zone névroglique.
Dans tous les segments dans lesquels existe la cavité, la prolifération névro-
glique est active, près de la cavité et aussi autour des vaisseaux, les fibrilles
deviennent indistinctes et peu nombreuses. Il semble que les deux processus
d'homogénéisation et de raréfaction soient en jeu pour produire les différents
aspects rencontrés.
Dans l'intérieur de la cavité, on trouve de nombreuses cloisons qui donnent
378 - LHERMITTE ET ARTOM
naissance à des diverticules d'aspect et de formes variés ; en outre on remar-
que des colonnes constituées par un tissu névroglique, des vaisseaux et entou-
rées par une membrane conjonctive plissée.
Au niveau de la partie postérieure de la cavité, et dans son intérieur, nous
avons constaté plusieurs formations décrites par les classiques sous le terme de
névromes de régénération.
Lésions vasculaires. - Nous avons pu rencontrer les diverses lésions dé-
crites par Philippe et Obertl)ür et Thomas et Hauser dans le processus syrin-
gomyélique. Les vaisseaux sont tortueux, dilatés, extrêmement nombreux
(probablement multipliés) ; leurs parois sont très épaisses, en dégénérescence
fibro-hyaline. Sur la bordure de la cavité les parois vasculaires s'épaississent à
un point tel que la cavité s'efface ; le vaisseau ainsi transformé en un ruban
fibreux devient l'origine de la membrane papillaire que nous avons signalée.
Les lésions vasculaires n'existent pas seulement au voisinage et dans l'in-
térieur de la paroi de la cavité, elles sont manifestes à distance; elles existent
nettement d'ailleurs au niveau de C. Il c'est-à-dire, bien au-dessus de la partie
supérieure delà cavité.'Nous n'avons pas constaté de processus de thrombose
ni d'hémorragie.
Substance grise. - Elle est parfaitement normale à la moelle cervicale jus-
qu'au niveau du IVe segment. Là, la corne postérieure droite a en partie disparu;
plus bas, les deux cornes sont atteintes par le processus cavitaire; à ce niveau
la méthode de Nissl permet de constater quelques altérations minimes des cel-
lules des cornes antérieures et la méthode de Weigert fait voir que les fibres
nerveuses sont irrégulières et moniliformes. Le groupe cellulaire postéro-in-
terne est particulièrement pauvre en cellules.
Dans les segments cervicaux inférieurs (VI,VII et VIII), la corne antérieure
droite a presque complètement disparu, plus bas les deux cornes sont indis-
tinctes, envahies qu'elles sont par la cavité ou par la gliose juxta-cavitaire.
Dans la moelle dorsale inférieure, les cornes postérieures réapparaissent
normales ; à ce niveau, les cornes antérieures sont reconstituées, mais elles res-
tent profondément lésées et leurs éléments constituants présentent encore un
processus net de désintégration : les cellules sont arrondies, pigmentées, sans
chromatophiles, quelques-unes sans noyau.
A la moelle lombaire, la substance grise est normale.
' Les cellules nerveuses des segments médullaires où n'existe aucun proces-
sus syringomyélique ne sont pas normales, les noyaux sont petits, le pigment
est abondant, les prolongements grêles. Ces altérations nous paraissent devoir
être mises moins sur le compte de la gliose spinale que sur le compte de l'âge
assez avancé du malade (61 ans).
Substance blanche. - D'une manière générale, on peut dire qu'il n'est pas
un faisceau qui n'ait été touché plus ou moins par le processus gliomateux.
Au niveau deC. IV les faisceaux postérieurs sont dégénérés, aussi bien Goll 1
que Burdach, seule est respectée la partie la plus externe de ce dernier cordon.
Au niveau de C. VII, le faisceau de Gowers, le faisceau cérébelleux direct, le
UN CA.S DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CIIEIROMÉGALIE 379
faisceau fondamental latéral sont intéressés, les lésions des cordons postérieurs
affectent la même topographie que dans les régions sus-jacentes.
La dégénération des faisceaux antérieurs et latéraux augmente de haut en
bas, et à la région dorsale, il ne persiste au niveau des cordons latéraux que
quelques fibres périphériques colorées suivant la méthode de Weigert.
La méthode de Marchi nous a montré exclusivement au niveau de la VIe cer-,
vicale l'existence de corps granuleux dans tous les faisceaux spinaux.
Racines rachidiennes. - Les racines antérieures et postérieures sont sai-
nes jusqu'à C. VII ; à partir de ce niveau elles sont plus ou moins sclérosées
suivant les niveaux considérés.
Méninges. Il existe sur toute l'étendue de la moelle occupée par la cavité
un épaississement des méninges surtout de la dure-mère et de l'arachnoïde.
Nerfs périphériques. Nous avons examiné le tibial antérieur, le médian,
le cubital, le musculo-cutané du côté droit. Tandis que les coupes des nerfs
du membre inférieur ne nous ont montré que de légères lésions de sclérose
sans dégénérescence, les nerfs du membre supérieur droit présentaient des
lésions marquées : c'est ainsi que le cubital, le musculo-cutané étaient extrê-
mement riches en fibres,grêles aux dépens des fibres moyennes et grosses net-
tement diminuées de nombre. Il n'existait pas de processus récent de dégéné-
ration.
Les nerfs de la main ont été examinés isolément (cubital, médian, collaté-
raux des doigts). Dans tous ces troncs nerveux la méthode de Marchi nous a
permis de constater l'existence de fibres en dégénérescence, de corps granu-
leux en abondance. Les vaisseaux étaient normaux, non épaissis, sans aucune
infiltration.
Muscles. Les muscles des membres inférieurs ne présentaient aucune
atrophie. Le jumeau interne, le biceps droits sont absolument sains dans le
jambier antérieur, on constate une prolifération des noyaux du sarcolemme
associée à l'atrophie de quelques fibres, mais ce processus d'atrophie simple est
discret et limité.
Les petits muscles de la main droite (éminence thénar, éminence hypothé-
nar) sont extrêmement atrophiés. Au microscope, les fibres apparaissent di-
minuées de nombre et de volume, les noyaux du sarcolemme ont activement
proliféré, ainsi que le tissu interstitiel. Dans certains muscles existe une
infiltration adipeuse marquée.
Peau. La peau de la paume de la main droite et de la face dorsale est
épaissie d'une manière régulière, sans callosités, sans raghades ni ulcérations.
Au point de vue histologique,on constate que la couche cornée est très épaissie
et a au moins quadruplé d'épaisseur. L'hypertrophie porte surtout sur le stra-
tum lucidum, et la couche de Malpighi est intacte. Le derme est augmenté
d'épaisseur, les trousseaux fibreux sont abondants et forts, le tissu adipeux est
épais ; les glandes sébacées et sudoripares sont normales, les vaisseaux ne sont
pas altérés. -
Glandes vasculaires sanguines. - Les capsules surrénales, le corps thyroïde
sont normaux. 1
380 ' LHERMITTE ET ARTOM
L'hypophyse n'est nullement augmentée de volume ; les coupes montrent
que les éléments glandulaires sont ordonnés suivant l'orientation normale. Il
n'existe aucune trace de sclérose. Il est à noter que les cellules ehromophobes
sont très rares et qu'au contraire les éléments chromophiles sont nombreux et
serrés ; les cellules éosinophiles sont plus nombreuses que les cyanophiles. En
définitive l'hypophyse possède tous les caractères d'une glande en activité se-
crétoire normale et nullement désordonnée.
Ainsi que le montrait déjà l'examen clinique, il s'agit ici d'un cas de
syringomyélie classique; la cavité est assez développée puisqu'elle s'étend d
depuis le IVe segment cervical jusqu'au IXe segment dorsal. Les troubles
moteurs aussi bien que les troubles de la sensibilité permettaient déjà de
localiser avec assez de précision l'étendue en hauteur du processus cavi-
taire et il serait facile, après l'étude à laquelle nous nous sommes livrés,
de superposer assez exactement les symptômes aux lésions et d'expliquer
ceux-là par celles-ci. En particulier on pourrait faire remarquer que
l'exagération des réflexes tendineux des membres inférieurs cadre bien
avec la dégénération pyramidale bilatérale, que leur abolition aux membres
supérieurs dérive des lésions nerveuses périphériques et de la destruction
des cellules des cornes antérieures ; il serait facile également de superpo-
ser les désordres sensitifs et particulièrement la thermo-anesthésie du
membre supérieur à la destruction des cornes postérieures par la gliose ;
mais nous ne voulons pas insister sur ces faits pour nous limiler à l'étude
de la cheiromégalie.
L'hypertrophie de la main qu'il est possible de rencontrer au cours de
la syringomyélie est spéciale à tous égards et ne peut être confondue avec
aucune autre affection. Les premiers auteurs qui eurent l'occasion d'ob-
server la cheiromégalie ou la podomégalie pensèrent à une combinaison
de l'acromégalie et de la syringomyélie (4). L'acromégalie se manifesterait
par le développement des macrosomies partielles et la syringomyélie par
les troubles sensitifs qui sont toujours superposés à la cheiromégalie.
Peterson, Holschewnikoff, Recklinghausen admirent ainsi la combinaison
de ces deux affections pour expliquer les cas qu'ils eurent l'occasion d'ob-
server. M. P. Marie (2) au sujet d'un cas rapporté par lui insiste avec
force sur les éléments différentiels qui permettent de séparer d'une ma-
nière absolue les macrosomies partielles de la syringomyélie des hyper-
trophies de l'acromégalie. Schlesinger déclare partager entièrement les
(11 Hocscucwruhote, Recklinghausen, Ueber Acrnmegalie. Virchow's Archiv, 1890 ;
- Pr.Tr.RS0N, New-York medical Record, 1893; - i'iscuen, Inaug. Dissert, zu Kie ,
1891.
(2) Marie, Soc. méd. des hôpitaux, 1894.
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CIIEIROMÉGALIE 381
idées de M. Pierre Marie et avoue que jamais il n'a éprouvé la moindre
difficulté de reconnaître à première vue la cheiromégalie de l'hypertrophie
acromégalique de la main. Dans notre cas le diagnostic était extrêmement
facile et la confusion avec l'acromégalie impossible. '
Il peut n'en être pas toujours ainsi et parfois la cheiromégalie se rap-
proche de plus près de l'acromégalie, cependant les éléments de diagnos-
tic ne manquent pas.
Dans la syringomyélie, la main et les doigts sont déformés, contractu-
rés, bizarrement tordus; souvent l'hypertrophie porte surtout sur certains
doigts ou même sur certaines phalanges. L'augmentation de volume porte
beaucoup plus sur la largeur que sur la longueur. Dans l'acromégalie, les
mains sont trapues, en battoir, les doigts sont uniformément hypertro-
phiés, non contractures ; il exisle, suivant l'expression de P. Marie, une
proportion dans cette disproportion, l'augmentation de volume porte aussi
bien sur la longueur que sur la largeur ; l'atrophie musculaire est généra-
lement prononcée dans la syringomyélie tandis qu'elle manque dans
l'acromégalie. Toutefois il faut ajouter que ce dernier symptôme peut-être
d'une constatation difficile et que souvent l'hypertrophie de la peau mas-
que complètement l'amyotrophie, (Macfarlane, notre cas).
Les altérations de la peau facilement visibles sont un signe différentiel
moins trompeur. Il est rare que la peau ne soit pas le siège de quelque
fissure, callosité, raghade, ou d'une ancienne cicatrice de panaris ou de
phlegmon dans la syringomyélie, tandis qu'elle reste intacte ou à peu près
dans l'acromégalie.
Du côté du squelette, la radioscopie fait voir d'un côté que l'augmen-
tation des os est régulière et s'étend à tout le squelette de la main tandis
que dans la cheiromégalie l'augmentation des os est irrégulière ou bien
fait complètement défaut ; les altérations articulaires manquent dans
l'acromégalie et au contraire sont fréquentes dans la syringomyélie. Enfin,
dans l'acromégalie, les hypertrophies des membres évoluent parallèle-
ment et dans le même temps tandis que la plus grande irrégularité est de
règle dans la syringomyélie ; si l'on ajoute que dans l'acromégalie les
troubles moteurs et sensitifs font défaut tandis que les derniers au moins
sont toujours présents chez le syringomyélique atteint de cheiromégalie,
on peut voir que l'erreur entre la gliose médullaire et la maladie de
P. Marie peut être, dans tous les cas, facilement évitée.
Cette hypertrophie des extrémités doit donc trouver sa cause dans le
développement de la gliose médullaire syringomyélique et en faveur de
cette hypothèse deux faits peuvent plaider : c'est, d'une part, la juxtapo-
sition sur le même membre des troubles trophiques divers, de la macro-
382 LHERMITTE ET ARTOM
somie, des perversions de la sensibilité [De Cambiaire(l) ], d'autre part
l'absence de phénomènes inflammatoires au moins dans les cas purs de
cheiromégalie.
Avant de rechercher la cause qui préside au développement de ces
hypertrophies, nous devons préciser les lésions anatomiques qui sont à
la base de la cheiromégalie. Celles-ci sont encore assez mal connues, puis-
que, ainsi que nous le disions plus haut, à part le cas d'Iiolschewnil,off,
il n'en existe pas dans lesquels l'étude anatomique a pu être poursuivie.
Dans l'observation d'Ilolschevnikoff, il s'agissait d'un malade âgé de'
36 ans qui succomba au tétanos.
Les mains étaient volumineuses, grosses et trapues, à gauche le pouce
étant renversé en dehors ; à la base de la première phalange du pouce et
du 3e métacarpien existaient des exostoses, les articulations étaient nor-
males. La peau présentait des rides, des fentes, des épaississements irré-
guliers. Les ongles, très incurvés dans le sens transversal, étaient forte-
ment striés longitudinalement. Les pieds étaient gros, trapus, à leur
niveau la peau était normale.
Dans la moelle épinière, existait une cavité syringomyélique qui com-
mençait sous forme d'une fente au niveau de la III" cervicale, occupant
la corne postérieure gauche. Dans les régions sous-jacentes la cavité dé-
truit les cornes postérieures et en partie les cornes antérieures. La cavité
disparaît au niveau de la VIe dorsale, pour réapparaître au-dessous et se
terminer définitivement à la IX" dorsale. Les racines postérieures con-
tiennent un certain nombre de fibres dégénérées isolées. Dans les cinquiè-
me et sixième racines gauches on remarque un mode spécial de dégéné-
rescence des fibres nerveuses. Celles-ci apparaissent inégalement renflées
et presque dépourvues de gaine myélinique. De telles altérations étaient
encore visibles dans tous les nerfs du plexus brachial et dans leurs bran-
ches. En outre dans le nerf médian on remarquait des corps arrondis ou
ovales que, par leurs réactions, .11olseliewnilçoff' déclare être des corps
hyalins.
La peau de la main, notablement épaissie, présentait dans le derme des
fibres conjonctives très épaisses et des faisceaux ressemblant à ceux du tissu
tendineux, le tissu cellulaire était pauvre en graisse. Il n'existait pas trace
de lésions inflammatoires de la peau et les vaisseaux étaient de tous points
normaux.
L'hypophyse avait ses dimensions normales et ne semblait pas lésée.
Holschewnikoff n'hésite pas à mettre sur le compte de l'acromégalie les
déformations et l'hypertrophie des extrémités distales des membres et à
(1) De CAbll3lAlRuThèse de Paris, 1899 : Hypertrophie pseudo-acromégalique au cours
de la syringomyélie.
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE AVEC CIJEIROMÉGALIE 383
rattacher leur développement aux altérations des nerfs périphériques.
Notre cas est assez comparable à celui d'Hotsct)ewnikoff, car si nous
n'avons pas constaté de lésions osseuses, du moins nous avons relevé des
altérations considérables de la peau, des muscles, des nerfs périphéri-
ques. 1
Le revêtement cutané était modifié aussi bien à la face dorsale qu'à la
face palmaire et l'étude histologique nous fait voir que l'hypertrophie
de la peau était due à l'augmentation de la couche épidermique ainsi que
du derme, sans que les glandes sébacées et sudoripares, les vaisseaux ou
soient lésés en rien.
Les muscles présentaient des lésions d'atrophie simple avec infiltra-
tion adipeuse légère, lésions qui sont banales dans la syringomyélie, mais
intéressantes à relever ici, en raison et du volume énorme de la main et
de la difficulté qu'il peut y avoir à faire la constatation de l'amyotrophie.
L'observation de Curschmann (1), peut être rapprochée de notre cas il
est noté que les petits muscles de la main sont atrophiés tandis que la
peau et le tissu cellulaire sous-cutané sont en voie d'hypertrophie mani-
feste. Enfin, dans notre cas, les lésions des nerfs périphériques étaient
intenses et généralisées à tous les rameaux nerveux de la main. Dans les
nerfs du bras (médian, cubital), l'examen histologique montrait seule-
ment une abondance de fibres grêles et une diminution de nombre des
grosses et moyennes fibres, tandis que dans la main les nerfs présentaient
les phénomènes de névrite active avec corps granuleux.
En définitive les modifications des tissus de la main dans la cheiromé-
galie sont bien différentes de celles qui conditionnent l'énorme hypertro-
phie de l'acromégalie, il est inutile d'y revenir.
Bien qu'il puisse exister certains points de rapprochement entre les
deux affections ainsi que le fait remarquer Rectdinghausen : lésions
osseuses hypertrophiantes de la cheiromégalie (2), altérations spinales et
même névritiques dans la maladie de Pierre Marie, il n'est pas besoin de
recourir à l'examen de la moelle ou de l'hypophyse pour faire le départ
de ce qui revient à la syringomyélie et de ce qui est sous la dépendance de
l'acromégalie.
Rappelons que l'examen histologique des glandes vasculaires sanguines
nous a fait voir leur parfaite intégrité ; pour ce qui a trait à l'hypophyse,
son volume était sensiblement normal et au microscope, nous avons cons-
taté l'aspect d'une glande en activité modérée : les cellules chromophiles
étaient abondantes, régulièrement ordonnées, par endroits les cellules
(1) CunscnMANN.'Deutsche Zeitsch. f. Nervenhkeilunde, 1905. Voir aussi l'observation
citée plus haut de Macfarlane.
(2) Voir RAYMOND et LEJONNE (article précédent).
384 LHERMITTE ET ARTOM
éosinophiles étaient plus abondantes que les cellules basophiles ; dans
d'autres régions la proportion de ces éléments était inversée; quelques
vésicules dans la région hilaire contenaient de la substance colloïde.
Le cas rapporté par Cesaris Demel nous semble devoir être mentionné
ici, car il montre que, même 'avec une hypertrophie considérable de l'hypo-
physe et une syringomyélie, il peut ne se produire aucun phénomène
rappelant la cheiromégalie. Malgré l'existence d'un adénome hypophysaire
qui atteignait le volume d'une noix, et le développement d'une cavité
syringomyélique dans la moelle cervico-dorsale, la malade ne présentait
aucune hypertrophie des mains ni des pieds, mais seulement une raré-
faction du squelette des membres.
La question qui nous reste à résoudre est particulièrement délicate et
il ne nous paraît pas qu'on puisse lui donner, actuellement, une solution ;
elle a trait la pathogénie de la cheiromégalie. Si, à l'exemple de Pierre
Marie, Schlesinger, Fischer, etc., nous croyons que la cheiromégalie
constitue un symptôme de la syringomyélie et est tout à fait indépendante
d'une affection surajoutée, comment expliquer la genèse de ce trouble
trophique ?
Ainsi que [le remarque Schlesinger, nous ne pouvons faire que des
hypothèses et il nous est aussi difficile d'expliquer le développement de
la cheiromégalie que l'apparition des arthropathies par exemple. Ce qui
nous paraît à retenir, c'est l'importance prise dans notre cas, par les né-
vrites périphériques, étendues comme nous l'avons dit à tous les nerfs de
la main et aussi ce fait que la cavité syringomyélique était notablement
plus développée du côté droit, siège de la cheiromégalie, que du côté
gauche.
Quant à la raison intime qui fait que devant une lésion donnée du sys-
tème nerveux, les I issus constitutifs d'un segment de membre (os, muscles,
tissu conjonctif, peau) réagissent différemment, elle reste cachée et nous
paraît à chercher moins dans la localisation elle-même de la lésion ner-
veuse que dans l'aptitude réactionnelle inhérente à chaque tissu en par-
ticulier pour un agent morbide défini.
Après la présentation de ce travail, est paru un important mémoire de
M. Karl. Petreu ; nous ne pouvons ici discuter ses conclusions, sur lesquelles
uous reviendrons dans un prochain travail (Petreu : Ube1' daes gleilchein
zeitige vorkommen von airomigalie und syringomyélie. Yirchow's Archiv,
1er oct. 1907).
(1) Cesaris Demel, Sap io due casi di siringomielia. Archivio perla scienze médicale,
1900.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. LXIX
ECCHYMOSES ZONIFORMES SPONTANEES
(Etienne.)
Masson & C ? 1 dltcur.,
Photutypie Reithaud, Taris
? tC7'A- DE MÉDECINE DE NANCY
DES ECCHYMOSES ZONIFORMES SPONTANEES
PAR
G. ÉTIENNE
Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Nancy.
L'observation suivante d'ecchymoses zoniformes spontanées me paraît.
constituer un type morbite dont je n'ai pas encore rencontré la descrip-
tion dans la littérature médicale.
Mme Bul..., vieille femme de 80 ans, hospitalisée à St-Julien, encore vail-
lante, bien conservée pour son âge, n'ayant jamais fait d'autre maladie
qu'une fièvre typhoïde à l'âge de 30 ans, un peu nerveuse, a son attention
attirée le 18 mars 1907 par une zone douloureuse siégeant au-dessus de
l'oei) droit. Cette douleur augmente rapidement, sans qu'il existe aucune mo-
dification appréciable des téguments.
Le 21 mars, la malade se présente à la consultation à cause de ses douleurs
intenses et des taches dont elle vient de remarquer la présence. 1
On constate alors l'existence de taches bleuâtres, légèrement ecchymotiques,
siégeant vers le rebord orbitaire supérieur et inférieur, très douloureuses à la
pression (Pl. LXIX).
Le 23 mars, les taches ont considérablement augmenté d'étendue, et leur
disposition, rappelant étrangement celle du zona ophtalmique, ne permet
pas d'échapper à l'idée d'un rapprochement de nature entre les deux manifesta-
tions. Sur un fond jaunâtre, s'étalent une série de larges placards violets, con-
tusiformes, groupés sur le côté droit du front, jusque vers la région malaire
en dehors ; en dedans débordant légèrement en deçà de la ligne médiane et
euvahissant l'angle droit de l'oeil ; en haut, allant se perdre par nuances
dégradées dans le cuir chevelu ; en bas, occupant par une vaste ecchymose
noire toute la paupière supérieure, avec un petit prolongement noir aussi
foncé à l'angle de la paupière inférieure, dont la totalité est oedématiée et
jarinâtre.
L'infiltration oedémateuse et ecchymotique des deux paupières prend abso-
lument la forme d'un chémosis.
Pas de lésion, d'altération de la cornée ni de l'iris.
Les douleurs spontanées, au niveau des régions occupées par les ecchymoses,
sont extrêmement vives, à devenir enragée »,dit la malade. Le contact du doigt
explorant très doucemeut la région est intolérable ; et la malade recule et se
dérobe dès qu'elle voit approcher le doigt.
Les jours suivants, progressivement, la coloration des ecchymoses s'atténue,
386 ETIENNE
passant par dégradation au bleu, au vert, au jaune ; le clémosis diminue. Il
n'y a plus trace d'ecchymose le avril, mais la région reste sensible à une
pression légère.
Le 6 mai, au retour d'une permission passée hors de l'hôpital, la région est
complètement normale.
Le premier point à relever dans cette observation, c'est la disposition
topographique remarquablement zoniforme des ecchymoses, se superpo-
sant de façon très frappante à celle du zona ophtalmique.
- Chez notre malade en effet, de même que l'éruption dans cet autre type
clinique, la teinte ecchymotique générale et surtout les placards violacés,
et aussi la zone douloureuse, occupent très nettement le territoire du nerf
frontal, deuxième division, moyenne, de la branche ophtalmique de
Willis, elle-même branche supérieure du trijumeau.
Rappelons que le nerf frontal donne l'innervation sensitive par le nerf
frontal externe à la muqueuse et à la peau de la paupière supérieure
(filets palpébraux) et à la peau du front et du cuir chevelu (filets ascen-
dants frontaux) ; et par le nerf frontal interne à la peau de la partie in-
terne de la paupière supérieure (filets descendants), à la peau de la partie
médiane du front (filets ascendants), à la peau de la racine du nez (filets
internes) et à l'espace intersourcilier (fibres sus-trochléaires),
Mais dans notre lésion ecchymotique, de même encore que dans les
zonas, la lésion déborde légèrement la région du nerf lésé, par retentisse-
ment vers les anastomoses : d'où l'extension limitée vers la région gauche
symétrique; etd'autre part le placard noir vers l'angle interne de la pau-
DES ECCHYMOSES ZONIFORMES SPONTANÉES 387
pière inférieure, territoire des anastomoses des filets descendants du fron-
tal interne avec les terminaisons du nasal externe, l'une des divisions de
la 3e branche (nerf nasal) de l'ophtalmique de Willis.
Outre ce rapprochement topographique entre notre ecchymose zoniforme
ophtalmique et le zona ophtalmique, un autre point de contact est fourni
par les douleurs spontanées extrêmement vives, intolérables, qui ont précé-
dé et accompagné la manifestation hémorragique. Enfin, autre coïncidenc e
d'importance peut-être secondaire, mais cependant à noter : notre cas a
été observé en mars, et quelques jours plus lard, nous trouvions dans le
service une autre vieille femme atteinte d'un zona ophtalmique; or on sait
que la fréquence des zonas a été signalée en mars et avril, et qu'ils se pré-
sentent souvent en état de pseudo-épidémicité.
Il s'agit donc ici -bien manifestement d'une ecchymose zoniforme ophtal-
mique développée sur le territoire du nerf frontal.
Je n'ai pas trouvé dans la littérature l'indication de cet aspect zoniforme
d'ecchymoses spontanées ; les cas en seraient donc très rares ; ou peut-
être n'ont-ils pas été diagnostiqués, la disposition zostérienne n'ayant pas
frappé l'attention, ou l'élément douloureux faisant défaut comme il arrive
souvent également pour le zona.
Elle paraît cependant fort probable dans la deuxième observation de la
thèse de Faisans (1) : série de trois ecchymoses, l'une très vaste couvrant
toute la partie antéro-interne de la jambe avec maximum au niveau du
creux poplité ; une 2e au côté externe de la partie moyenne de la cuisse ;
la 3e sur la fesse droite ; ces trois ecchymoses, paraissant bien repérer
le territoire du sciatique, coïncidaient chez un homme de 48 ans avec
une crise douloureuse de névrite sciatique. Chez un autre malade
(1re observation), une ecchymose analogue s'étendait à toute la région
externe de la jambe, surtout foncée dans le creux poplité, chez un
homme également atteint de névrite sciatique.
Peut-être en serait-il encore de même ( ? ) dans le cas signalé par le
professeur Bouchard (2), d'après Brown-Séquard, « d'ecchymoses sponta-
nées survenant à la face dans le cours d'une névralgie faciale ».
Quelle peut en être la cause ? Eliminons d'abord, il est à peine besoin
de le dire, tout traumatisme local : la malade, ses voisins, son entourage,
affirment qu'à aucun moment elle ne s'est heurtée nulle part.
Il est hors de doute que la douleur locale a été le premier phénomène,
que c'est elle qui a attiré l'attention de la malade; et ce n'est qu'au
(1) Faisans, Des hémorragies cutanées liées à des affections du système nerveux
el en particulier du purpura myélopathique, Thèse Paris, 1881-82.
(2) BOUCHAI1.0, De la pathogénie des hémorrhagies, Thèse d'agrégation, Paris, 1869,
p. 83.
388 ETIENNE
cours du 3° jour qu'on a constaté l'apparition des ecchymoses. L'accident
initial a donc été un phénomène sensitif traduisant une altération nerveuse,
névralgie ou névrite, de la branche ophtalmique du trijumeau droit.
Il en est de même dans les deux cas de névrite sciatique de M. Faisans,
dans le cas hypothétique de névralgie faciale du professeur Bouchard. Et
pour saisir l'ensemble de la question, nous rapprocherons de notre cas
l'observation de purpura avec infinité de petites taches sur les deux jam-
bes et les deux cuisses, rapportée par Faisans, chez un vieillard de 67 ans
(obs. 3), atteint d'une poussée de névrite des deux sciatiques avec atro-
phie musculaire très marquée ; et les cas de purpura accompagnant chez
certains tabétiques les crises de douleurs fulgurantes (1), bien que nous
laissions complètement de côté ici la question de la disposition des érup-
tions purpuriques ordinaires.
Les ecchymoses peuvent donc manifester l'existence d'une lésion du
nerf périphérique ; mais elles n'accompagnent qu'une lésion du nerf sen-
sitif, la branche de Willis du trijumeau, ou des filets sensitifs et trophi-
ques du sciatique, dans les névrites banales, ou dans la lésion tabétique
des protoneurones centripètes. Et en ceci encore, les quelques cas connus
d'ecchymoses spontanées zoniformes se rapprochent du zona.
Nous croyons, en effet, que ces cas rentrent bien dans la catégorie des
phénomènes zoniformes du type névritique, dont l'existence est aussi in-
contestable (Chantelux, Pitres et Vaillard) que celle des cas d'origine
médullaire métamérienne, de MM. Brissaud, Achard et Head, ou d'origine
ganglionnaire.
Et on arrive ainsi à cette conception des ecchymoses zoniformes, mani-
festation vasodilatatrice d'une névrite qui, chez d'autres malades, se tra-
duit par le trouble trophique de l'éruption zostérienne. Et entre ces deux
résultats d'une même lésion, nous trouvons comme forme de passage le
zona hémorragique, constitué par la bande de vésicules d'herpès zoster
remplies de sang.
Mais un phénomène de vasodilatation peut-il arriver jusqu'à produire
l'extravasation sanguine, l'ecchymose ? Brown-Séquard, par une lésion
de la moelle allongée chez le cobaye telle que la section d'un corps resti-
forme, a obtenu des hémorragies sous-cutanées dans l'oreille du côté lésé.
Le professeur Bouchard (2), après avoir arraché le ganglion cervical supé-
rieur gauche à un jeune lapin, a vu aussitôt se produire une augmentation
de la vascularisation de l'oreille du côté opéré; puis des ecchymoses,
après ligature de l'aorte au-dessous des rénales. Et dans d'autres cas, la
(1) SrRnoss, Des ecchymoses tabétiques à la suite de crises de douleurs fulgurantes.
Archives de Neurologie, 1880-1881, p. 555.
(2) BOUCBARD, loc. cit., p. 80.
DES ECCHYMOSES ZONIFORMES SPONTANÉES 389
section unilatérale du grand sympathique au cou fait rougir l'oreille, et
à la longue détermine l'apparition d'éruptions, mais sans hémorragie.
MM. Mathieu et Gley (Soc. anatom. de 1887), passant une mèche imbi-
bée de NaCI dans le sciatique d'un chien,ont trouvé, dans des coupes mi-
croscopiques de la peau des doigts, des trainées anastomosées de globules
rouges répondant à des capillaires dilatés ou à de petits foyers hémorra-
giques, véritables ébauches de lésions purpuriques.
Reste à examiner comment la névrite, et plus exactement la névrite
sensitive ou mixte, peut déterminer le phénomène sympathique de la
vasodilatation. L'hypothèse la plus simple, c'est que la névrite du nerf
sensitif intéresse également les filets sympathiques qui l'accompagnent ;
or on sait que notamment la branche ophtalmique de Willis reçoit des
filets sympathiques du plexus caverneux soit par des fibres anastomoti-
ques directes, soit par la racine grise du ganglion ophtalmique. L'inflam-
mation de ces filets sympathiques pourrait déterminer soit la vasodilata-
tion extrême avec ecchymose, soit les troubles trophiques zostériens.
Un autre mécanisme pourrait être le retentissement direct des cellules
ganglionnaires, lésées par la névrite sensitive, sur l'appareil sympathique
connexe, en raison des accointances anatomiques et embryologiques entre
les corps cellulaires des ganglions sensitifs craniens ou rachidiens issus
de la crête de Sagemehl et les cellules des ganglions sympathiques du
même système métamérien ou des voisins. Le fonctionnement défectueux
de la cellule du protoneurone centripète peut donc, par action d'un influx
nerveux vicié, agir irrégulièrement sur une série d'éléments sympathiques
du même métamère ou des métamères voisins,et déterminer ainsi des acci-
dents d'ordre sympathique, tels que de la vasodilatation exagérée, des
troubles trophiques ou des oedèmes (1).
(1) G. ETIENNE, Des trophoedèmes chroniques d'origine traumatique ; pathogéiie des
oedèmes traumaliques d'origine nerveuse, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière
1907, n° 2.
xx lit
UN CAS D'ACHONDROPLASIE
PAR
CHARON, DEGOUY et TISSOT,
d'Amiens.
L'achondroplasie est une affection aujourd'hui bien connue tant dans
son aspect clinique que dans ses caractères anatomiques, grâce aux nom-
breux travaux que son étude a suscités dans ces dernières années. Parmi les
plus récents nous citerons seulement l'excellente revue générale de Porak et
Durante sur les Micromélies congénitales parue ici même en 1905 : on y
trouvera l'historique complet, la description détaillée, la bibliographie
déjà riche de l'achondroplasie. Malheureusement sur la pathogénie de
cette maladie il règne une obscurité qui est commune à bien d'autres,
mais qui semble plus profonde-encore quand il s'agit des affections congé-
nitales. Le cas qui fait l'objet de cette nouvelle observation ne sort pas du
mystère où se cachent ses semblables, cependant il nous a paru intéres-
sant à relater à cause de la multiplicité et de l'intensité des lésions cons-
tatées, en raison aussi de l'association des anomalies physiques à une
constitution psychique dégénérative (imbécillité), en sorte qu'il y a peut-
être lieu de rattacher ce double mouvement de dégénérescence au même
processus foetal, encore que ce processus reste introuvable.
Observation.
C... J.-B., 1 ans, emprisonné pour meurtre, entre à l'asile de Dury le
12 octobre 1899 à la suite d'une ordonnance de non-lieu basée sur son état
mental. Il est le huitième de douze enfants dont un seul, avec lui, a présenté
une difformité physique (pied-bot congénital); quatre sont morts en bas-âge
d'affections banales, un autre n'a vécu que deux jours, un dernier est mort-
né ; les cinq autres n'offrent'aucune particularité biologique. Les parents sont
l'un et l'autre des septuagénaires bien conservés, touchés seulement par quel-
ques infirmités de la vieillesse, auxquelles il faut ajouter, pour la mère, les
fatigues de ses douze grossesses ; néanmoins seule de celles-ci le gestation du
micromèle fut pénible, accompagnée de malaises inconnus pour les autres.
Le grand-père maternel s'adonnait à la boisson, la grand'mère du même côté a
versé dans l'aliénation mentale.
L'instruction et l'éducation de C... sont nulles : il fut bien à l'école mais
UN CAS D'ACQONDROI'LASIE 391
n'eut aucune disposition à l'étude ; il sait juste signer son nom. Le caractère,
assez enjoué d'abord, devint par la suite très inégal, très sensible aux condi-
tions météorologiques, il s'aigrit dès que l'aîge permit à l'enfant de constater
sa difformité et son infériorité vis-à-vis de ses camarades. Son entourage
d'ailleurs en avait fait un jouet, il s'amusait de ses réactions d'imbécile, et
c'est ainsi provoqué qu'un jour il porta en plein coeur un coup de couteau à
une jeune domestique, pour un motif futile.
A côté de cette anomalie psychique grave on trouve chez notre sujet des
malformations physiques diverses dont la plus importante est une micrornélie
abdominale double et asymétrique, du fait de laquelle la taille totale atteint
seulement 1 m. 34. Cette exiguïté des membres inférieurs est ici l'unique
cause du nanisme, car la hauteur du tronc, mesurée de la fourchette sternale
au pubis, est de 50 centimètres, ce qui correspondrait chez un adulte bien
constitué à une taille de 1 m.56. Voici à cet égard quelques mensurations pri-
ses concurremment sur C... et sur un sujet du même âge présentant la même
hauteur de tronc :
392 CHARON, DEGOUY ET TISSOT
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. LXX
ACIIONDROPLASIE
(Charron, Degouy et Tissât.)
Masson & Cie, Editeurs
PhototYPie Berthaud, Pans.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. LXXI
ACHONDROPLASIE
(Charron, Degouy et Tissai.)
UN CAS d'achondroplasie 393
très postérieur au tibia et un peu en dehors de lui. Le tibia est plat et mince dans
le sens antéro-postérieur, élargi dans le sens transversal, il a l'aspect d'une
double spatule (PI. LXXII) ; la malléole interne manque. Il paraît unique-
ment constitué par du tissu spongieux, si l'on s'en rapporte à la différence
d'opacité entre le tibia et le péroné dans l'épreuve radiographique auté-
ro-postérieure); il est de plus très court (15 cent.). La même épreuve mon-
tre le développement énorme du péroné par rapport au tibia et sa cour-
bure exagérée à concavité antérieure; la projection du péroné dans le sens
antéro-postérieur donne la dimension ordinaire en largeur, mais l'épreuve
interne-externe donne une projection beaucoup plus grande. Cet os est
donc aplati lui aussi, mais suivant un plan perpendiculaire à l'aplatisse-
ment du tibia. Son extrémité inférieure a une configuration normale et s'ar-
ticule comme il convient ; sou extrémité supérieure ne paraît pas défectueuse
au point de vue anatomique, mais au lieu de s'articuler avec l'épiphyse supé-
rieure du tibia, cet os, trop long pour un tibia trop court, va s'articuler sur
la face postéro-externe et sus-condylienne du fémur ; de ce fait cette extrémité
n'est pas accessible à la main, elle se perd dans le creux poplité. Le péroné
présente une texture ordinaire : épiphyses spongieuses, diaphyse compacte.
Le fonctionnement de la jambe est très restreint, compris dans un angle d'en-
viron 30 degrés; la flexion semble arrêtée par le buttage de la tête péronière
contre le fému
Pied. - Le pied est large, court, mais de constitution normale ; les cinq
orteils, distincts les uns des autres, sont élargis en battant de cloche, le
premier en retrait sur les autres, le cinquième presque aussi gros et sur le
même plan transversal que le premier. La mobilité du pied est minime.
Membre inférieur gauche. Le membre abdominal gauche, plus long
que le droit, présente aussI1des)non13lies importantes : la cuisse est raccour-
cie (33 cent.), le col du fémur fait un angle droit avec le corps (Pl. LXXIII) ;
le cotyle manque. Le jcol, sans tête articulaire, apparaît taillé en bec
de flûte sur sa face supérieure; de plus le col regarde plus directement
d'avant en arrière qu'à l'état normal, et cette orientation spéciale produit
l'aplatissement du bassin par la projection du pubis au-devant du promon-
toire sous l'effort de la contre-pression fémorale. L'extrémité inférieure du
fémur est élargie transversalement. L'abduction de la cuisse est impossible,
ce qu'explique suffisamment la configuration de la hanche.
La jambe est à peu près normale sauf la longueur (34 cent.) ; la tête péro-
nièrè est rudimentaire, ce qui donne un aplatissement de la partie supéro-
externe de la jambe. Le genou ne possède pas de rotule. '
Le pied présente les mêmes particularités qu'à droite : diminution en lon-
gueur, élargissement du tarso-métatarse, orteils en battants.
Bassin. Le bassin est aplati, asymétrique et en antéversion (PI. LXXIII) ;
la moitié droite est en arrêt de développement, en retrait et abaissée par
rapport à la gauche ; a gauche la ligne innominée est redressée,' l'acétavulum
est un peu refoulé en dedans.
394 . CHARON, DEGOUY ET TISSOT
Chez ce sujet, c'est la hanche gauche qui porte tout le poids du corps ; la
contre-pression fémorale devait donc s'exercer uniquement de ce côté, d'où
redressement de la ligne innominée et asymétrie du bassin. Ce fait explique-
rait également le changement d'orientation du col avec le corps du fémur,
l'angle obtus disparaissant peu à peu, dans un os mou, sous l'effet du poids
du corps, pour arriver graduellement à l'angle droit; la face supérieure du col
paraît d'ailleurs comme usée par les frottements et les pressions. Le grand
trochanter, du fait de la fermeture de l'angle d'inclinaison et aussi de l'usure
du bord supérieur du-col, se trouve plus haut situé que normalement quant
au bassin. Du côté droit le corps du fémur et le col se sont coudés jusqu'à
l'angle très aigu, aussi la cuisse très raccourcie et remontée le long de l'os
coxal est-elle en adduction exagérée. Des deux côtés l'articulation de la hanche
n'existe pour ainsi dire pas ; de même qu'il n'y a pas de têtes fémorales, de
même il n'y a pas de cavités cotyloïdes bien différenciées; les cols semblent
maintenus au-devant des rudiments de cavités cotyloïdes par une gangue de
tissu osseux néoformé et peu dense aux rayons X, principalement à droite.
Les trous obturateurs sont un peu plus larges que normalement.
Tronc : - Le tronc est bien conformé, ne présentant aucune anomalie pri-
mitive ; il existe une scoliose dorso-lombaire à concavité gauche (Pl. LXXI),
compensatrice de l'abaissement unilatéral du bassin, une lordose lombaire très
marquée avec saillie en arrière du sacrum. Le pli fessier droit est plus bas
que le gauche, la saillie des fessiers est plus accusée à gauche.
' Membres supérieurs. - Les membres supérieurs out un développement
en harmonie avec le tronc, les diverses mensurations qu'on y peut faire sont
presque identiques à celles prises sur le sujet témoin offrant la même hauteur
de tronc (voir plus haut). Les doigts sont, comme les orteils, épais, élargis en
spatule à leur extrémité. La main n'a pas l'aspect en trident- ni en éventail,
cependant les doigts sont presque d'égale longueur.
Tête. - De volume normal d'après les dimensions déjà données ; c'est une
tête brachycéphale.
Oreilles. Les oreilles présentent des malformations intéressantes : la
gauche est la mieux conformée des deux (PI. LXXI), elle a ses parties constituti-
ves, mais le lobule n'existe pour ainsi dire pas, le bord libre du pavillon se sou-
dant en bas sans former de renflement lobulaire ; la racine de l'hélix est sou-
dée à la conque, les crurafurcata ne sont pas dessinées. Le conduit auditif est
imperforé; sous l'opercule cutané qui le ferme on sent un orifice atrésié.
L'oreille droite est embryonnaire, réduite à un bourrelet longitudinal renflé
à son extrémité supérieure en un rudiment de pavillon replié et soudé en
avant, logeant une fossette unique. Elle est aussi imperforée et l'on ne
perçoit aucun orifice auditif. Malgré cette imperforation des oreilles, l'audition
n'est pas considérablement diminuée.
OEil. Le malade prétend ne pas voir très clair ; les papilles sont un peu
congestionnées, les vaisseaux en sont dilatés surtout à droite ; les pupilles
sont dilatées et inégales, la droite étant plus grande que la gauche ; les ré-
flexes lumineux et accommodateur existent.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. LXXII
. ACHONDROPLASIE
(Charron, Degouy et Tissot.)
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. ' T. XX. PI. LXXIII
.1CI10\ DROI'LASIE
- - fr : lJin.-nm T{rcrOIlI' ri 7ï.îço ? ?
UN cas d'achondroplasie 395
Parole. - Aucune malformation de la bouche ; cependant la parole est dé-
fectueuse, mal articulée ; la voix est gutturale, élevée, eunuchoïde.
Organes génitaux. - Pénis normal. Monorchidie : le testicule gauche
existe seul, il est d'ailleurs petit et mou; l'autre n'est même pas perçu dans
le canal inguinal.
Les poils sont assez abondants au pubis, rares sous les bras ; la barbe et la
moustache sont moyennement fournies.
Sensibilité générale normale.
Les réflexes du coude et du poignet existent, ceux du genou font défaut.
En résumé, on trouve chez ce sujet un état de dégénérescence totale,
atteignant les sphères psychique et physique, se révélant par l'imbécillité
et par des malformations diverses prédominant dans la moitié droite du
corps. Ce fémur à incurvation brusque, ce tibia spongieux et court, ce
péroné remontant trop haut, voilà bien, semble-t-il, des caractères nets
d'achondroplasie ; les mains ne forment pas le trident, il est vrai, mais
les doigts sont presque d'égale longueur. On ne trouve d'ailleurs aucun
stigmate de rachitisme, ni trace de fracture pouvant faire penser à la
dysphasie périostale.
HÉMIMÉLIE
AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS
ÉTUDE ANATOMIQUE ET PATHOGÉNIQUE DE L'HÉMIMÉLIE ;
PAR
M. KLIPPEL, et PAUL BOUCHET,
Médecin de l'hôpital Tenon. Ancien prosecteur provisoire
. à la Faculté.
(Suite et fin).
D. L'hémimélie relève d'un arrêt de développement.
En effet, pour les raisons que Klippel et Rabaud ont développées,
l'hypothèse d'une amputation congénitale n'est pas soutenable.
Blain estima que son observation plaide en faveur de l'hypothèse d'une
amputation intra-utérine, en raison de l'inégalité de la jointure, de l'arrêt
des deux os del'avant-bras au même niveau, et surtout de ce fait que les
tubercules digitaux ne sont qu'au nombre de deux, tandis que dans l'hé-
mimélie, par suite d'arrêt de développement, on en trouve quatre d'habi-
tude ; l'auteur estima que son observation s'écarte de la généralité des
faits d'hémimélie en ce que l'articulation est presque normale, et les épi-
physes du radius et du cubitus conformées régulièrement.
M. Troisier répliqua qu'il s'agissait dans ce cas, à son avis, « plutôt
d'un arrêt de développement que d'une amputation intra-utérine, car la
forme des os de l'avant-bras rappelle celle des os normaux, atrophiés
dans leur totalité ; le radius offre vers sa partie moyenne une crête qui
représente les rugosités où s'insère le rond pronateur sur un os normal ;
il est évident que ces rugosités n'existeraient pas sur un os qui.aurait été
sectionné vers son extrémité supérieure ; en outre, il n'y a pas decicatrice
sur le moignon. » ,
Variot « doutait qu'il s'agît dans son cas, d'une amputation congénitale,
à cause de la présence de bourgeons cutanés qui s'étaient développés à
l'extrémité du moignon. Mathias Duval ajustement fait observer que cette
repullulation des extrémités, à la suite d'une perte de substance, était 1
conforme aux lois ordinaires de la nutrition de l'embryon des mammi-
fères, qui se comportait à la manière des animaux à sang froid. L'opinion
de ce maître concluant à l'amputation congénitale pour expliquer l'hémi-
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 397
mélie, a été pleinement confirmée par la dissection. L'absence d'épiphyse
inférieure est bien une preuve que l'amputation congénitale a porté sur la
diaphyse et qu'il n'y a pas eu simple arrêt de développement du squelette
et du reste du membre. »
Mathias Duval, à l'occasion du cas de Variot, disait : « Il existe plu-
sieurs formes d'amputations congénitales ; les unes ont pour causes les
ligatures faites par le cordon ombilical, les autres sont dues à des brides
amniotiques qui peuvent arrivera fendre la bouche jusqu'aux oreilles.
Dans tous ces cas d'amputation précoce ayant une origine purement méca-
nique, les bourgeons peuvent se produire. Mais lorsque l'amputation re-
connaît pour cause l'ainhum congénital sur lequel M. Proust a appelé
l'attention, aïnhum qui est une maladie et non un accident, il n'est pas
étonnant qu'il s'ensuive un arrêt de développement et que la production
de bourgeons n'ait pas lieu ».
Chaput pense pour son observation à « un étranglement du membre
par une bride amniotique ou par le cordon ombilical. L'amputation n'a
pas été tout à fait consommée puisqu'il existe un rudiment du membre
constitué par la main et le cordon fibreux qui en part. Il est probable que
ces vestiges ont été, du fait de l'agent constricteur, déviés en dehors;
plus tard, le bras augmentant de longueur, ils ne se sont plus trouvés
correspondre à l'extrémité terminale du bras. Il remarque une preuve en
faveur de la suractivité du cartilage épiphysaire restant : en effet l'humé-
rus ne présente qu'une faible diminution de longueur. » '
Hervé soutient « que l'hémimélie est le résultat d'une amputation
congénitale et non pas une malformation par arrêt de développement
comme l'ectromélie et la phocomélie. Ce n'est pas une malformation ayant
maintenu le membre à l'un des stades de son évolution embryonnaire.
Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler comment se fait le dévelop-
pement des membres, à savoir, de leur extrémité à leur attache, les
segments suivant, dans leur apparition successive, l'ordre décroissant de
leur distance au tronc. Il en résulte que, s'il va arrêt de développement,
ce qui manquera, ce sera la racine du membre, dont la partie terminale e
se retrouvera, au contraire, plus ou moins complète. On aura alors l'ec-
tromélie, la phocomélie, monstruosités qui ont été rangées à tort à côté
de l'hémimélie.
« Celle-ci résulte de conditions précisément inverses.Un membre hémi-
mèle possède ses segments radicaux, qui y sont bien développés ; ce sont
les segments terminaux qui manquent ou sont imparfaits. L'atrophie,
suivant qu'elle est poussée plus ou moins loin, donne lieu, d'ailleurs, à
des variétés nombreuses. On pourrait penser à des constrictions soit par
des brides amniotiques, soit par le cordon, d'où un obstacle à la circula-
398 KLIPPEL ET BOUCHET
lion sanguine dans une partie du membre. C'est par ce mécanisme que se
produisent les amputations congénitales. Le sillon signalé à la surface de
l'avant-bras, dans mon cas, porterait à admettre ici l'action d'une telle
cause. »
Pour Hervé, l'hémimélie est le résultat d'une amputation congénitale
et non pas une malformation par arrêt de développement comme l'ectro-
mélie et la phocomélie. Il ne faut pas dire que c'est une monstruosité.
Voici donc quelques observateurs qui, après Simpson, font de l'hémi-
mélie la conséquence d'une amputation congénitale, estimant que les
rudiments digitaux sont le résultat d'un bourgeonnement secondaire du
membre amputé.
Mais, comme dit Mouchotte, d'une part les os de l'avant-bras, dans les
cas d'hémimélie thoracique, par exemple, sont, ainsi que le prouvent soit
la dissection, soit la radiographie, soit le palper, des os complets et non
sectionnés en un point de leur trajet ; ces os sont courts, raréfiés, incurvés
parfois, atrophiés toujours, et l'atrophie va en s'accentuant de l'épiphyse
supérieure à l'épiphyse inférieure ; on comprend qu'au niveau du carpe
et de la main ce processus d'atrophie puisse être tel que les parties sque-
lettiques soient absentes et les doigts représentés par de simples bour-
geons cutanés ; d'autre part, il n'y a point de cicatrice, et la sensibilité
est très développée.
Troisier fait rentrer son cas dans le groupe des monstruosités par arrêt
de développement. « On sait que ces monstruosités présentent parfois une
grande analogie avec les malformations des membres résultant d'une am-
putation intra-utérine. Mais l'absence de cicatrice à l'extrémité du moi-
gnon, et l'existence d'un ou plusieurs appendices, ou simplement d'un
tubercule cutané, sont généralement regardés comme des signes certains
d'un arrêt de développement.
« Il est vrai que Simpson, attribuant à l'embryon, dans les premiers
temps de son développement, la puissance de régénération que possèdent
les animaux des espèces inférieures, ne voit dans ces excroissances que la
reproduction rudimentaire des parties mutilées.
« Les résultais fournis par la dissection vont à rencontre de cette théo-
rie ; en effet, le radius et le cubitus sont renflés à leurs extrémités infé-
rieures et ils représentent dans leur configuration l'aspect des os nor-
maux, à part les dimensions et quelques détails de forme ; on y remarque
entre autres particularités importantes, la présence des apophyses sty-
loïdes et l'existence d'une articulation radio-cubitale inférieure.
« Pour admettre une amputation intra-utérine, il faudrait supposer que
l'avant-bras a subi un arrêt de développement consécutif à la section du
membre, faite immédiatement au-dessus des os du carpe.
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 399
« La théorie de l'arrêt de développement donne lieu, elle aussi, à quel-
ques difficultés d'interprétation, puisqu'il est admis que les parties péri-
phériques des membres sont celles qui se forment les premières. »
Pour Brun et Chaillous, « en général, les excroissances sont constituées
par des tubercules cutanés très courts, sans squelette, sans éléments ana-
tomiques distincts ; quelquefois les rudiments de doigts peuvent être mo-
biles, contenir des muscles et même des phalanges, mais ce sont des
observations bien rares. Pour ces auteurs, la présence d'éléments anato-
miques, absolument différenciés et bien développés dans le rudiment de
pied de l'hémimélie qu'ils relatent, donne un intérêt particulier à l'ob-
servation, car elle est de nature à faire rejeter l'hypothèse de Mathias
Duval, pour qui l'hémimélie ne correspond à aucune phase embryolo-'
gique, à aucun stade de développement; ce serait une amputation congé-
nitale et il faut pour expliquer que le moignon représentant la base du
membre puisse porter des extrémités digitales rudimentaires, invoquer
une propriété particulière des organes embryonnaires, la régénération. »
Pour Brun et Chaillous, « que l'on admette l'hypothèse d'une amputa-
tion congénitale avec bourgeonnement consécutif à la cicatrisation dans
les cas où l'appendice terminal n'est représenté que par des bourgeons
informes et purement cutanés, rien de plus naturel. Mais peut-on soutenir
la même opinion en présence d'organes aussi nettement différenciés que
ceux décrits dans notre cas ? La question nous paraît tout au moins dou-
teuse et mérite d'être posée. »
Puech fait de son cas un arrêt de développement, car, dit-il, si c'était
une véritable amputation intra-utérine portant sur l'articulation radio-
carpienne, la section faisant disparaître tout ce qui se trouve au-dessous
d'elle, on n'aurait pas trouvé à l'extrémité du moignon ces bourgeons di-
gitiformes, indices manifestes d'une évolution avortée.
Commandeur dit de même : « Mon observation est un arrêt de dévelop-
pement du membre et non une amputation congénitale, car : 1 il existe
des tubercules cutanés représentant des rudiments de doigts ; à leur ni-
veau l'épiderme s'invagine en formant une ébauche de matrice unguéale ;
2° il existe une masse osseuse commune, représentant le carpe, et termi-
née par des tubercules, en partie cartilagineux, qui paraissent des rudi-
ments du squelette métacarpo-phalangien ; 3° les muscles qui s'insèrent
sur le tiers inférieur de l'avant bras ont disparu. Ce fait est surtout im-
portant pour le carré pronateur, car, en supposant qu'il s'agisse d'une
amputation congénitale passant au niveau du carpe, ce muscle ne devait
pas disparaître en totalité, d'autant plus que les mouvements de pronation
persistent dans toute leur étendue. On ne peut donc pas dire : suppression
de la fonction. Il est plus simple d'admettre qu'il y a arrêt de développe-
400 KLIPPEL ET BOUCHET
ment de la portion terminale du membre, qui est la cause de l'absence de
ce muscle. »
Michel, Jean, Cousin pensent également que dans leurs observations,
il s'agit non d'amputations spontanées intra-utérines, mais d'arrêts de dé-
veloppement.
Soubeyran : « On peut attribuer cette anomalie à une compression
foetale. Si la compression a lieu au début de l'apparition des bourgeons
des membres, ils avortent et on a un ectromélien ; lorsque le bourgeon est
déjà segmenté, on a un hémimélien. L'incurvation des os de notre sujet
et leurs déformations semblent bien prouver qu'il y a eu un obstacle s'op-
posant à leur développement. >7
Infroit et Heitz pensent aussi : « que leur hémimélie avec absence du
péroné est due vraisemblablement à la pression purement accidentelle du
capuchon amniotique trop étroit, sur la face externe du segment distal du
membre, pendant les premiers mois de la grossesse ».
Huet et Infroit font de leur cas une malformation symétrique dont
la caractéristique principale est l'absence du cubitus. Dans les difformités
congénitales des membres supérieurs, l'absence du cubitus est beaucoup
plus rare que l'absence du radius. Kümmel n'en a pu réunir que 13 de la
première, contre 67 de la seconde ; on peut y ajouter le cas de Moucheté !
Vaillant, et le cas de Pagenstecher.
On peut distinguer parmi les hémimélies, trois groupes :
a) Hémiméles proprement dits, où l'avant-bras manque en totalité ou
en partie, la main peut manquer également ou bien n'être représentée que
par une partie des doigts ou par des vestiges plus ou moins rudimentaires
de ceux-ci ;
) Hémiméles par absence de la tige ou rayon cubital. Dans la variété-
type, la partie radiale de la main, 1er métacarpien et pouce existent, mais
les quatre autres doigts ou plusieurs d'entre eux manquent en même temps
que le cubitus et une grande partie du carpe et du métacarpe.
7) Hémimèles par absence de la tige ou rayon radial ; l'avant-bras et la
main paraissent mieux représentés dans leur ensemble ; généralement,
cependant, les derniers doigts seuls existent, le pouce et son métacarpien
font le plus souvent défaut ou ne sont qu'imparfaitement développés ; le
carpe aussi est habituellement incomplet ; de plus, ces malformations en-
traînent l'existence de certaines variétés de main-bote congénitale.
Nous ne pouvons que conjecturer les conditions pathogéniques qui ont
pu provoquer les difformités présentes en nous basant sur les connaissan-
ces actuellement acquises en tératogénie.
Un certain nombre d'anomalies et de malformations congénitales parais-
sent tirer leur origine de conditions antérieures à la fécondation ; en fa-
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMERIQUE DES TISSUS 401
veur de cette opinion on peut faire valoir les cas où ces anomalies et mal-
formations ont été transmises par hérédité; on en a cité des exemples pour
quelques cas d'ectromélie et d'ectrodactylie. Pour quelques autres anoma-
lies des membres on a pu invoquer aussi une régression atavique. Au pre-
mier abord, l'aspect des membres supérieurs de notre sujet rappelle celui
des membres antérieurs de certains oiseaux ; mais cette ressemblance n'est
que très grossière, puisque le squelette de l'avant-bras ne se compose que
d'un seul os; il ne peut pas être plus question de régression atavique dans
ce cas d'absence du cubitus que dans des cas d'absence du radius où l'as-
pect est complètement différent.
Nous ne nous arrêterons pas aux anomalies de développement qui ont
eu leur origine dans la fécondation même ou dans la segmentation de l'o-
vule. Les difformités comme celles que nous avons en vue, c'est-à-dire les
diverses variétés de l'ectromélie et plus spécialement celles de l'hémimé-
lie ne paraissent pas devoir reconnaître une pareille origine; elles sem-
blent plutôt devoir prendre naissance pendant la période embryonnaire,
à une époque assez avancée de celle-ci correspondant à la formation et au
premier développement des membres. Le mécanisme de leur production
n'est sans doute pas univoque. Il est vraisemblable que quelques-unes
sont dues à des causes agissant directement sur l'embryon lui-même,
elles seraient d'origine endogène ; d'autres reconnaîtraient des causes
siégeant en dehors du corps de l'embryon soit dans les annexes (amnios,
allantoïde, cordon ombilical), soit plus extérieurement encore (organes
maternels), elles seraient d'origine exogène. Dans quelques cas d'ectro-
dactylie, d'hémimélie et même d'ectromélie proprement dite, cette origine
exogène semble bien démontrée ; elle peut être attribuée par exemple à
des compressions ou à des adhérences amniotiques produisant de vérita-
bles amputations congénitales. La présence de doigts rudimentaires,
comme il en existe souvent en pareil cas, peut s'expliquer par un nou-
veau bourgeonnement et une régénération incomplète de ces organes (Ma-
thias Duval). Cette régénération qui ne se produirait chez les vertébrés
supérieurs que dans la période de l'état embryonnaire est observée bien
plus complète chez certaines espèces de vertébrés à sang froid, soit seule-
ment pendant les premières périodes de l'existence, soit même encore
pour quelques espèces, après complet développement.
On a toutefois (Brun et Chaillous) opposé à cette opinion des cas où les
parties existantes étaient assez complètement formées pour rendre peu
admissible ou douteuse )'hypothèse d'une régénération. Mais nous ne
croyons pas que cette objection permette de repousser dans ces cas
l'action d'une compression ou d'une constrictiou intra-utérine. Celles-ci,
sans être suffisantes pour produire l'amputation congénitale, ont pu être
402 KLIPPEL ET BOUCHET
capables d'entraîner la mort ou d'entraver le développement des bour-
geons embryonnaires qui devaient produire les parties avortées, tandis
que des parties voisines, échappant à l'action de la compression, ont con-
tinué leur développement plus ou moins complet. Roux et Chabry, en
détruisant expérimentalement par des traumatismes des parties de l'ovule
au moment de sa segmentation, ont produit des arrêts de développement
et des monstruosités dont le mécanisme paraît être de même nature que
celui que nous invoquons. Ces compressions peuvent d'ailleurs avoir. une
autre origine que les annexes de l'embryon ; elles peuvent être produites
notamment par des parties de l'embryon serrées les unes contre les autres ;
dans ces conditions on a pu faire jouer un rôle à des contractions vives ou
prolongées de l'utérus, à des constrictions extérieures, à des traumatismes
subis par la mère pendant cette période embryonnaire.
Une objection que l'on peut faire encore contre l'origine exogène de
ces difformités congénitales serait la mtiltiplicité-et la symétrie observées
assez souvent dans ces cas de malformation. On peut facilement concevoir
cependant que les causes de compression portent leur action à la fois sur
plusieurs points de l'embryon, d'où la multiplicité des malformations.
Quant à leur symétrie, elle se conçoit également si l'action de la compres-
sion se fait sentir sur des régions similaires de l'embryon. La multiplicité
des lésions et une symétrie assez grande ont d'ailleurs été signalées dans
des cas bien établis d'amputation congénitale.
Quelquefois on a voulu voir une influence du système nerveux central.
Mais, comme on l'a fait remarquer, ces malformations doivent être anté-
rieures à la vie foetale et remonter pour la plupart à la. période embryon-
naire, à une époque où le système nerveux central est en pleine période
de développement, où ses fonctions paraissent nulles encore et où il ne
se trouve pas en connexion avec les parties périphériques.
. Dans notre cas, il existerait, à côté de malformations par défaut, des
malformations analogues à celles dites par excès. Une même cause a dû
produire non seulement l'arrêt de développement du cubitus et des parties
correspondantes de la main, mais encore une déviation dans le dévelop-
pement donnant naissance à ces deux doigts en partie syndactyles et fu-
sionnés. Quelle est la nature de celte cause ? Nous ne nous croyons pas
autorisés à répondre d'une façon précise. Pour les malformations congé-
nitales du sujet, une origine endogène est possible, mais une origine
exogène nous paraît plus probable ».
L'origine du processus est, ainsi qu'on le voit, fort obscure. Sans doute
nous ne sommes plus au temps où, ainsi que le raconte Ernest Martin,
ancien médecin de la légation de France à Pékin, in Histoire des monts-
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 403
truosités, Ambroise Paré expliquait ces difformités par le « défaut de se-
mence virile ». Mais le problème est encore loin d'être résolu.
Dareste admet une compression amniotique. Mouchotte pense que
peut-être pourrait-on penser pour sa '28 observation d'hémimélie à un
arrêt de formation de l'amnios admis comme manifestation d'une maladie
de l'amnios, d'ordre local, en rapport avec l'endométrite maternelle
observée, et l'hydramnios de l'oeuf correspondant au porteur de l'hémi-
mélie. Mais M. Et. Rabaud a montré que l'action mécanique, sous une
forme quelconque, n'est pas capable de modifier la croissance d'un organe ; -,
la prolifération cellulaire s'effectue normalement dans une enceinte trop
étroite, mais l'organe comprimé s'accommode comme il peut, partant il se
déforme d'une façon incohérente, affectant des contours extrêmement
irréguliers. Ce n'est point le cas de l'hémimélie vraie où l'harmonie des
formes persiste et où, à voir les choses superficiellement, le volume seul
entre en ligne de compte.
D'autres auteurs ont cru trouver la cause de l'hémimélie dans une lé-
sion du système nerveux, parfois dans la syphilis des centres.
C'est ainsi que Cousin attribue à la tare nerveuse du père (alcoolique
et mental ensuite), et aux vives émotions consécutives de la mère, une
influence marquée sur les arrêts de développement qu'il relate.
G. Gasne va plus loin : « Le père était, au moment de la conception, en
pleine évolution de syphilis secondaire et de syphilis grave touchant avec
une insistance remarquable le système nerveux. L'avortement des membres
est subordonné, suivant la remarque de Lancereaux, à l'agénésie ou à une
modification des cellules de la moelle, pendant la durée de la vie foetale.
La moelle, chez le foetus, est loin d'être à l'abri des processus morbides
qui l'altèrent et le modifient. Il résulte de recherches personnelles que,
chez les foetus, et en particulier chez les foetus issus de parents syphiliti-
ques, les lésions de la moelle ne sont pas rares, la syphilis héréditaire
agit, avant la naissance, comme fait la syphilis acquise chez les adultes.
Nous appellerons l'attention sur ce fait que la syphilis est coutumière de
ces malformations congénitales ; les exemples en abondent : spina bifida,
division de la voûte palatine, pieds-bots, luxations congénitales de la
hanche, etc. Nous admettons ici l'hypothèse d'une lésion médullaire, due
à la syphilis héréditaire, et ayant évolué pendant la vie foetale.
Larcher ne pense pas que la « coïncidence signalée dès longtemps par
Serres, Tiedmann, Guret, Troisier, Ldinger, entre certains cas d'ectromé-
lie, une altération des filets nerveux et une atrophie des renflements de la
moelle épinière, doive être considérée comme purement fortuite » ; il
penche plutôt pour l'opinion de Lancereaux. »
Mais Troisier fait observer qu'il n'a trouvé aucune lésion organique de
404 . KLIPPEL ET BOUCHET
la moelle ; l'atrophie consistait en une diminution du nombre des cellules
nerveuses : « Un seul mécanisme peut en rendre compte, c'est l'agénésie
des éléments nerveux, liée intimement, et probablement consécutive à
l'arrêt de développement du membre, à moins qu'elle ne soit sous la dé-
pendance même de la cause de la monstruosité.
Dareste est dans le vrai quand il dit : « Ces atrophies de la moelle et
du cerveau sont la conséquence et non la cause de la monstruosité. La
formation du système nerveux, comme celle du système vasculaire, est
sous la dépendance des organes auxquels ils apportent l'innervation et le
sang. Si les organes se forment d'une manière incomplète, s'ils sont plus
ou moins arrêtés dans leur développement, ces modifications de l'évolu-
tion retentissent, si on peut parler ainsi, dans le système nerveux lui
même. C'est en rapport avec ce qui se passe dans les centres nerveux,
consécutivement aux sections des nerfs, comme l'a démontré expérimenta-
lement Vulpian, et aux amputations. »
L'hypothèse d'une amputation congénitale n'est pas soutenable aussi
bien dans le cas qui nous occupe que dans les cas semblables. Mais si l'on
tend communément à rattacher la nature du processus à un arrêt de déve-
loppement, les observations relatées n'ont point éclairci l'origine de ce
processus, et nous devons éliminer comme cause prochaine l'amnios et le
système nerveux.
CHAPITRE III
CONCLUSIONS
A. - Après avoir décrit les altérations que'nous avons rencontrées chez
notre malade et après avoir donné un résumé des cas publiés par d'autres
auteurs, nous devons maintenant nous efforcer de tirer les conclusions
qui se dégagent de notre observation.
Nous le ferons d'abord en ce qui concerne les troubles que la dissection
nous a fait reconnaître. Ensuite nous signalerons ce que l'examen micro-
scopique des différents tissus nous a montré et ce que ces constatations
offrent de particulier au point de vue pathogénique.
Nous avons dit que l'examen de l'encéphale n'avait point montré d'alté-
rations évidentes à la simple vue. Il y aura lieu de faire un examen très
détaillé du cerveau et du cervelet, en prenant les mesures aussi exactes
que possible des circonvolutions motrices de chaque côté ; il y aura lieu
aussi de faire un examen microscopique de l'écorce cérébrale. Une telle
étude sera publiée ultérieurement.
Mais dès à présent l'absence de toute modification objective importante
doit être soulignée. Le poids des deux hémisphères cérébraux ne présen-
IIEMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES' TISSUS 405
tait pas de différences notables et n'était point différent, pour l'un par
rapport à l'autre, de l'écart que l'on constate souvent chez les sujets nor-
malement développés. Les circonvolutions motrices, et en particulier
celles qui commandent les mouvements du membre supérieur, n'apparais-
sent point à ce premier examen comme offrant des différences bien appré-
ciables.
A ce double point de vue notre cas est assez remarquable. Ne devait-on
point s'attendre à rencontrer ici une différence caractérisée de poids et
une différence non moins notable dans le développement cortical ?
Comment un tel fait peut-il s'expliquer ? Tout d'abord nous ferons re-
marquer que plus on se rapproche de la périphérie et plus les lésions sont
intenses et marquées.
Ainsi les troubles sont relativement plus marqués dans le membre que
dans la moelle, plus marqués dans celle-ci où on note à la vue une dimi-
nution de volume de la substance grise de la portion cervicale, que dans
le cerveau.
Ensuite, il est très possible qu'une petite portion de l'écorce préside
aux mouvements de la main qui, en réalité, était le seul segment du mem-
bre qui fût presque complètement absent et dont la fonction fut tout à
fait réduite. Ainsi même dans l'avant-bras il y avait des muscles relative-
ment développés et très actifs.
Enfin, il est possible que le microscope démontre une diminution du
nombre des cellules motrices dans la portion de l'écorce correspondant
aux mouvements de la main.
Quoi qu'il en soit; l'atrophie du membre n'est pas projetée sur le cer-
veau au degré que l'on eut pu attendre.
C'est qu'il existe pour la périphérie et pour les centres nerveux une
indépendance dans le développement ontogénique, qui doit sans doute
être invoquée ici. Et il faudrait surtout compter avec un arrêt de déve-
loppement secondaire à l'absence de fonction d'une portion de l'écorce.
Schaper, Wintrebert ont d'ailleurs mis en pleine lumière par leurs expé-
riences sur des batraciens, l'indépendance complète de l'organisme em-
bryonnaire et foetal vis-à-vis du système nerveux qui n'a d'autre valeur
dans l'organisme que celle d'une ébauche quelconque. Rabaud a corroboré
ces recherches expérimentales par des observations précises qu'il a faites
chez des foetus humains.
Nous avons reconnu dans le cervelet une anomalie très curieuse, con-
sistant en l'absence de corps dentelé dans l'hémisphère droit. Quelle est
la valeur que peut avoir une telle constatation par rapport à l'hémimélie ?
S'agit-il de simple coïncidence ? Cela serait d'autant plus remarquable
que c'est justement du côté droit que se trouve cette anomalie. S'agit-il
xx 26
406 ' KLIPPEL ET BOUCIIET
d'un fait de corrélation ? C'est possible, mais dans l'état actuel de nos
connaissances, il est difficile d'en trouver l'explication.
Les anomalies constatées par la dissection dans le membre supérieur
sont nombreuses et diverses, marquant à la fois un arrêt de dévelop-
pement et une perturbation générale des dispositions anatomiques nor-
males.
Ces anomalies sont encore d'autant plus marquées qu'on se rapproche
davantage de l'extrémité distale. Nous avons tenté d'en établir une classi-
fication.
B. Au niveau du bras où il y a relativement peu de troubles, les
anomalies sont de celles qui sont reconnues et décrites avec une certaine
fréquence. Ce qui est ici remarquable et ce sur quoi nous insistons, c'est
sur leur accumulation, accumulation d'anomalies quelque peu banales,
semblant indiquer que celles-ci sont l'ébauche des troubles que nous ob-
servons chez notre sujet et qu'elles répondent peut-être à une cause pa-
thogène analogue. Il est en effet remarquable que ces anomalies légères,
assez fréquentes pour- être considérées dans les classiques comme des
variétés de l'état normal, sont ici présentes dans les points où le trouble
pathologique est à son minime degré. '
Au bras, en effet, on constate le volume considérable du brachial an-
térieur qui va avec l'énorme apophyse coronoïde. Le faisceau qui va à la
cloison inter-musculaire interne et sous lequel passent les vaisseaux hu-
méraux est l'exagération de l'arcade aponévrotique signalée par Gruber
in Bulletin de l'Académie de ! Sciences de St-Pétersbourg, t. XII, p. `59,
dans son étude sur les anomalies du brachial antérieur ; toutefois il s'agit,
dans notre cas, d'un faisceau surnuméraire proprement dit qui rejoint
en bas le tendon terminal ; les languettes qui se détachent des branches
du V deltoïdien constituent un brachial antérieur accessoire, comme on
en rencontre souvent, depuis que Wood, Gruber, Hildebrandt, Müller,
Henle ont attiré l'attention sur ces faisceaux.
L'absence du coraco-brachial a été signalée par Barkow.
Cependant l'artère humérale n'est pas signalée par les auteurs comme
perforant quelquefois d'arrière en avant l'expansion aponévrotique du
biceps pour se diviser en branches superficielles ; le cas étudié et repré-
senté par Bourgery et Jacob (Anat. descript., 1835, t. IV, Taf. 38, fig. 5)
est celui d'une anomalie de l'humérale qui perfore l'aponévrose du bras
au-dessus du niveau du pli du coude ; ce n'est donc pas un fait compa-
rable au nôtre.
L'absence du nerf accessoire du brachial cutané interne n'a guère
d'importance ; elle est vraisemblement liée à l'existence d'un nerf inter-
costo-huméral volumineux.
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 407
Par contre l'absence totale de la veine céphalique du bras est reconnue
des auteurs classiques,
Au niveau de l'avant-bras, où les troubles sont beaucoup plus marqués,
nous pouvons répartir les anomalies musculaires en trois groupes :
9 Muscles reconnaissables, mais anormaux.
a) Par dédoublement, rond pronateur, qui est double dans toute son
étendue.
b) Par insertions et connexions irrégulières : long supinateur ; celui-ci
a des origines numérales qui remontent haut, comme l'a parfois observé
Gruber, puis Chudzinsky ; l'insertion inférieure complexe que nous lui
trouvons ici, d'une part sur la partie inférieure de la diaphyse radiale, et
d'autre part sur le tissu fibreux carpien et métacarpien externe n'est guère
assimilable au cas de Dursy où il s'agissait d'un chef d'insertion qui s'é-
tendait de la styloïde radiale vers le trapèze et le3e métacarpien ; dans un
autre fait, la branche antérieure cutanée du nerf radial passait entre deux
languettes du tendon styloïdien ; ici, rien de semblable ; d'ailleurs, la
branche nerveuse en question reste très superficielle et se perd à la hau-
teur de la styloïde ; mais l'artère radiale passe entre les deux insertions
différentes, el toutes deux anormales du long supinateur.
c) Par excès de volume : radiaux externes fusionnés.
2° Muscles méconnaissables, sans analogies, très difficiles à identifier.
Perturbation totale. Mais, en étudiant l'innervation, les connexions orga-
niques, nous avons pu identifier ces muscles : c'est ainsi que les muscles
figurés en i (fig. 9) représentent les muscles longs du pouce, mais leur
insertion s'est faite plus haut, sur le radius ; que les muscles figurés en j,
sont 'constitués par la masse non différenciée des extenseur commun des
doigts, extenseur propre du petit doigt, cubital postérieur ; que les mus-
cles b et c (fig. 2), représentent les fléchisseurs profonds (commun des
doigts, et long du pouce).
3° Muscles absents. - En apparence, un grand nombre de muscles
manquent; en réalité seuls sont réellement absents, les muscles de la
main, c'est-à-dire les muscles des éminences thénar et hypothénar, les
muscles lombricaux et interosseux, le carré pronateur, le petit palmaire.
Les autres muscles existent, mais ils sont soit très considérablement
réduits de volume, soit plus souvent encore, fusionnés avec d'autres, en
des masses d'où ils ne sont pas encore différenciés en muscles auto-
nomes.
Les muscles grand palmaire, fléchisseur commun superficiel des doigts,
cubital antérieur sont en effet en une seule masse ; de même les fléchis-
seurs commun profond des doigts et long fléchisseur du pouce. Les ex-
tenseurs commun des doigts, extenseur propre du petit doigt, cubital
408 KLIPPEL ET BOUCHET
postérieur sont aussi fusionnés, de même que les 1er et 2e radial externe,
et que les muscles longs du pouce.
Si l'on étudie le développement embryologique du membre supérieur,
et en particulier les différentes époques d'apparition, de perfectionne-
ment, d'isolement de chacun des muscles de ce membre, on voit aisément,
d'après le tableau ci-joint, construit d'après les indications de Warren
Harmon Lewis, combien il paraît logique de penser qu'il s'agit, dans
notre cas du moins, d'un arrêt de développement s'étant produit aux
environs de la 5e semaine de la vie intra-utérine, en tous cas certainement
avant la fin de la sixième semaine. Les muscles qui font défaut, et ceux
qui semblent ne point exister et sont en réalité seulement confondus et
compris dans de plus complexes masses musculaires, apparaissent à la fin
de la sixième semaine, ou se différencient les uns des autres à cette date.
Il suffit de se reporter au tableau ci-joint pour s'en rendre compte.
Développement du membre supérieur
(d'après Warren Harmon LEwis).
Après la troisième semaine : Formation de cellules musculaires sur la
partie centrale du myotome.
Après la quatrième semaine : Les os de l'avant-bras sont courts et épais.
Le cubitus est le plus grand.
Après la cinquième semaine : embryon de H millimètres. Le membre
supérieur est légèrement plus avancé en développement que le membre
inférieur.
Os : L'humérus est en continuité avec l'omoplate qui est entourée d'un
tissu qui fera les muscles péri-scapulaires (il n'y a ni coracoïde, ni acro-
mion, ni clavicule) ; est aussi en continuité avec les cubitus et radius, qui
eux-mêmes sont en continuité avec une palette représentant la future
main, elle-même constituée de tissu moins différencié.
Main : on peut cependant y remarquer quelques centres de condensa-
tion qui représenteront tous les os du carpe, sauf le pisiforme.
Le scaphoïde est en ligne avec le radius, le semi-lunaire avec le cubi-
tus ; le pyramidal est du côté cubital du carpe.
Le 5e métacarpien est dans son prolongement plus que dans celui de
l'os crochu.
Toute la main a une légère courbure, surtout du côté cubital.
Du carpe partent 5 masses de tissu spécialement condensé, dans les-
quelles on ne peut distinguer aucune indication de segmentation entre les
métacarpiens et les phalanges.
Trapèze et 1er métacarpien ne sont pas encore séparés l'un de l'autre.
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 409
Muscles : a) Pectoraux (grand et petit), forment une masse qui com-
mence à se différencier du tissu voisin.
b) Grand dorsal et grand rond, forme une masse analogue.
a et b sont différenciés l'un de l'autre par la présence du plexus bra-
chial qui s'insinue ente ces deux masses.
c) Une troisième division parallèle à la portion ventrale du myotome
cervical représente :
Masse : angulaire de l'omoplate, grand dentelé.
d) Masse : Rhomboïdes, ils ne sont qu'à l'état de très vague différencia-
tion, et n'ont pas d'attaches scapulaires.
e) Masse : Deltoïde, sus-épineux, sous-épineux, petit rond.
f) Sous-scapulaire.
g) Triceps brachial : on voit ses trois chefs.
h) Biceps et coraco-brachial.
i) Brachial antérieur.
j) Pronato-flexor mass de l'avant-bras : partie supérieure, plus petite,
compacte à l'extrémité proximale de l'avant-bras, se continue à sa partie
distale, avec le tissu condensé des doigts. donnera plus tard :
Masse : rond pronateur, grand palmaire cubital antérieur, petit pal-
maire fléchisseur commun superficiel des doigts.
Partie profonde : Masse, fléchisseur commun profond des doigts, long
fléchisseur du pouce, carré pronateur.
Le médian passe entre ces deux couches.
le) Extenseurs.
1er groupe, superficiel, s'étend du condyle humérale à l'extrémité pro-
ximale des doigts où elle se confond avec du mésenchyme condensé ; com-
prend, encore non différenciés ;
Masse : extenseur commun des doigts, extensenseur propre du petit
doigt, cubital postérieur.
2° groupe, occupe l'extrémité proximale du côté radial de l'avant-bras.
Longe le radius et se divise en deux parties [entre lesquelles passe le ra-
dial ;
a) 1r° partie, radiale, se continue avec du tissu condensé de l'extrémité
distale du radius : long supinateur.
(3) 2° partie, passe près du 3" groupe et se fusionne aiec le tissu con-
densé des extrémités proximales des 2e et 3e doigts ;
Masse : le, radial externe, 2 radial externe.
3° groupe, naît du cubitus et du radius, et se termine dans le tissu con-
densé des 1 er et 2e doigts; la portion destinée au 2e doigt est fusionnée
intimement avec la portion du irez groupe qui se dirige vers ce doigt.
410 . KLIPPEL ET BOUCHET
Masse : long abducteur du pouce, court extenseur du pouce, long ex-
tenseur du pouce, extenseur propre de l'index.
/) Court supinateur se voit, très profondément ; il est en connexion avec
le 38 groupe, et contraste par sa position et la direction de ses fibres.
Les fibres musculaires du groupe des extenseurs ne s'étendent pas aussi
loin que celles de la masse des fléchisseurs.
Les 1°r et 3e groupes se continuent plus ou moins avec le mésenchyme
qui formera les doigts, où toute distinction entre ce qui sera muscle et ce
qui sera cartilage, est impossible.
Après la sixième semaine.
Os : L'omoplate est cartilagineuse. La clavicule est formée de tissu
condensé, l'olécrâne très développé, est cartilagineux, la coronoïde est
plutôt en tissu condensé, la tubérosité bicipitale, de même, ce qui sera
la coracoïde et l'acromion, est très visible.
Extrémités distales des os de l'avant-bras sont élargies et séparées par
du tissu condensé continu avec le périchondre de chacun d'eux.
Humérus, radius et cubitus ont à leurs extrémités une couche de car-
tilage hyalin.
Carpe : Tissu condensé d'origine, ou en trouve différents cartilages ; la
rangée distale est complète ; dans la Il' rangée, la scaphoïde et le pyra-
midal sont cartilagineux, le semi-lunaire et le pisiforme sont en tissu
condensé.
Métacarpiens : sont différenciés et surmontés de minces cartilages.
Les quatre derniers doigts sont représentés par une masse cartilagi-
neuse incrustée profondément dans du tissu condensé, tandis que pour le
ter doigt, le tissu condensé prend la place du cartilage.
A l'extrémité de chaque doigt est une masse de tissu condensé.
Les cavités comprises entre les cartilages de la main ne communiquent
pas entre elles et sont séparées par une aréole de tissu condensé.
Muscles : On peut distinguer l'un de l'autre : grand pectoral, petit pec-
toral ; angulaire de l'omoplate, grand dentelé, deltoïde, sus-épineux, sous-
épineux et petit rond encore fusionnés, comme ils le sont souvent encore
chez l'adulte.
Trapèze apparaît, mais n'a pas encore d'attaches scapulaires. Grand
palmaire se perd dans le tissu condensé de la main, puis se fusionne avec
le tissu de l'extrémité proximale du 2° métacarpien ; son tendon va pas-
ser profondément.
Rond pronateur croise la face antérieure de la diaphyse du radius.
Les tendons fléchisseurs superficiels n'arrivent qu'à mi-hauteur du carpe
et ne montrent pas l'englobement des tendons du fléchisseur profond.
Cubital antérieur est tout à fait distinct.
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 411
5 tendons du fléchisseur commun profond et du long fléchisseur du pouce,
unis entre eux, ces tendons, en bas, sont bien formés ; ils passent à proxi-
mité des tendons du fléchisseur superficiel, et continuent jusqu'à l'extré-
mité des doigts.
Carré pronateur.
Lombricaux commencent à se former.
Interosseux peu différenciés.
Après la septième semaine, embryon de 20 millimètres.
Os : Os du carpe, cartilagineux, dans leur position définitive. Com-
mencement d'indication des ligaments du poignet.
Les cinq métacarpiens sont présents ; le 1 er est le plus court.
Les deux premières rangées de phalanges sont présentes.
Muscles : Sous-clavier. Fléchisseur commun profond est séparé du
long fléchisseur du pouce.
L'extenseur commun des doigts s'allonge. Le "tendon du cubital posté-
rieur se forme.
Les deux radiaux ne sont pas encore séparés l'un de l'autre.
Long abducteur et court extenseur du pouce ne sont séparés qu'au ni-
veau de leurs tendons qui se fusionnent avec le périchondre du premier
doigt. -
Tous les muscles de l'adulte sont présents et à peu près dans la posi-
tion qu'ils doivent conserver.
C'est à la fin de la 6e semaine qu'existent le carré pronateur, les mus-
cles de la main ; c'est il ce moment seulement que se distinguent nette-
ment les différents muscles qui composent les deux couches du pronato
flexor mass d'Uumphry ; qu'apparaissent les tendons isolés des fléchisseurs
superficiel et profond, en même temps que les phalanges d'insertion ;
que se séparent les long supinateur et radiaux, les différents extenseurs
dont les tendons inférieurs se scindent en autant de faisceaux que de
doigts ; que se différencient chacun des muscles longs du pouce.
Avant la fin de la cinquième semaine, au contraire, les formations mus-
culaires ont la situation, la forme et les connexions que nous avons trou-
vées ; au niveau du poignet et de la main, elles se perdent ou se terminent
dans un tissu fibreux condensé qui représente à la fois leurs tendons infé-
rieurs, distaux, et la masse centrale de la main. Les muscles du pouce
sont les moins développés ; dans notre cas ils sont représentés par un
seul muscle qui s'insère en bas sur la partie inférieure du radius ; le
pouce n'est en effet représenté que par une formation ayant l'aspect et la
consistance d'un petit tubercule cutanéo-fibreux, surtout cutané et légère-
ment graisseux. '
Les tendons des autres muscles des doigts et de la main s'étalent en un
412 KLIPPEL ET BOUCHET
tissu fibreux commun ; mais le pouce est une formation à part, comme
chacun sait ; les tendons inférieurs de ses muscles sont, comme leurs
corps charnus, l'objet d'un développement à part; ils ne sont que fusion-
nés entre eux, non clivés, dès le début de leur apparition, mais sont, tant
à leur partie musculaire qu'à leur partie distale, fibreuse, séparés des
muscles des autres doigts ; ceux-ci ont une partie fibro-tendineuse com-
mune ; les muscles longs postérieurs du pouce se terminent en bas par
une seule masse fibreuse qui s'arrête sur le radius, le pouce manquant en
tant que formations osseuses nettes ; d'ailleurs on peut, par une dissection
très délicate, suivre quelques travées fibreuses qui partent de ce tendon
vers la masse du pouce, face postérieure.
On voit donc de par les faits précédents que les arrêts de développe-
ment et les anomalies que nous a montrés la dissection de notre sujet,sont
en rapport d'intensité pour les muscles et pour les os, avec la chronologie
qui, à l'état normal, préside au développemeut de ces parties respectives.
C. - Examen likistalogique.
L'examen histologique des centres nerveux, des nerfs et des muscles a
montré, de son côté, des particularités intéressantes et qui permettent de
conclure que tous les éléments histologiques de ces tissus étaient de struc-
ture normale, mais diminués quant au nombre. En d'autres termes, l'exa-
men a montré qu'il s'agissait, en ce cas, de l'atrophie numérique telle
qu'elle fut décrite par l'un de nous.
' MOELLE.
- et) Examen de la moelle. Toutes les modifications portent sur la
'substance grise. Déjà à l'oeil nu on constatait dans la région cervicale in-
férieure une diminution de volume d'environ un tiers, de la substance
grise par rapport au côté sain.
Sur les coupes histologiques, ces modifications apparaissent. déjà dans
la région cervicale moyenne, et se poursuivent jusque dans la région dor-
sale.
Les cellules de la corne du côté de l'hémimélie sont de dimensions et
de structure absolument normales, mais leur nombre est notablement di-
minué par rapport au côté sain. Toute la lésion est là.
Voici la résultat ries numérations v
HÉMIMÉLIE AVEC ATROPHIE NUMÉRIQUE DES TISSUS 413
Ainsi dans le point où la lésion est au maximum les éléments histolo-
giques sont au nombre de 18 contre 33 du côté sain. i
NERFS. MUSCLES.
p) Examen histologique des nerfs et des muscles. Ici, comme pour la
moelle, on trouve du côté malade une diminution du nombre des fibres
qui composent un nerf (médian, musculo-cutané, radial) et des fibres qui
composentun muscle (presque tous ont été examinés), tandis que nulle
part il n'y a la moindre altération de volume ou de structure de ces élé-
ments.
Ainsi, dans les muscles les plus petits, les fibres musculaires ont le
même volume que celle du muscle correspondant d'un sujet sain.
7) Conclusions tirées de l'examen microscopique. Il résulte de ces
faits que dans la moelle, dans les nerfs, dans les muscles, les éléments
histologiques qui composent ces divers organes sont partout de structure
normale et de volume normal, mais que leur nombre est seul diminué.
Ce défaut de nombre est, répétons-le, toute la lésion. i
La lésion est quantitative, non qualitative. Ce cas est donc encore un
exemple de cette atrophie numérique marqué par un arrêt de développe-
ment consécutif à de multiples lésions survenant avant le développement
complet de l'individu, que ces lésions se produisent pendant la vie intra-
utérine ou dans l'enfance (brûleurs, arthrites chroniques, tumeurs blan-
ches, caries, traumatismes, etc., au niveau des membres, du tronc, de la
face.
En renvoyant le lecteur pour les détails de ces lésions aux travaux de
l'un de nous (1), nous concluons en définitive que la lésion histologique
pour le cas qui nous occupe présente les caractères de l'atrophie numé-
rique.
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UN CAS D'HYPERTROPHIE MAMMAIRE
ILLUSTRÉ PAR HORACE VERNET,
PAR
LUCIEN HAHN et ERNEST WICKERSHEIMER.
Souvent on s'est étonné de la prodigieuse fécondité d'Horace Vernet, de
la diversité des genres qui tentèrent son pinceau. C'est sur cette diver-
sité qu'insiste M. Armant Dayotdans la conclusion de son étude sur les
Vernet (1).
« L'oeuvre d'Horace est immense... De la plus vaste à la plus modeste
dimension il a traité tous les sujets, tantôt avec le fin pinceau de l'aqua-
relliste, lorsqu'il peignait ses délicates et précieuses figures de Merveil-
leuses et d'Incroyables, tantôt avec d'énormes brosses, lorsqu'il recouvrait
les centaines de mètres carrés où sont racontés les moindres détails de la
Bataille de 'YVola, de l'Assaut de Constantine, de la Prise de la Smalah, de
la Bataille d'Isly, du Siège d'Anvers, de la Prise de Rome... tantôt avec
la plume ou le crayon, lorsqu'il jetait sur la pierre ou sur le papier, avec
une si spirituelle prodigalité, tant de croquis légers et vivants : scènes
militaires, épisodes de courses et de chasses, désopilantes caricatures de
personnalités contemporaines... Il toucha à tous les genres... »
Ce qu'ignorent généralement les critiques d'art et ce que savent bien
peu de médecins, c'est qu'Horace Vernet dans un de ses tableaux a fixé le
souvenir d'une opération chirurgicale (PI. LXXIV).
Au n° 12 de la rue de Seine est l'hôtel de la Société de Chirurgie de
Paris. C'est là que se trouve le tableau qui nous occupe. Il appartient à la
Société de chirurgie depuis un quart de siècle, comme cet extrait du pro-
cès-verbai de la séance du 4 avril 4883 en fait foi : « M. Desprès offre à
(1) ARMAND DAYOT, Les Vernet. Joseph-Ca·te-Horace, Paris, 1898, in-4-.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. LXXIV
UN CAS D HYPERTROPHIE MAMMAIRE
Illustré par Horace Vernet
(L. Hahn et E. Ihiclcrsbcinrcr.)
Masson & Cie, Éditeurs
Pliotolypic BCI thaud, Pans.
UN CAS D'HYPERTROPHIE MAMMAIRE 419
la Société de chirurgie au nom de M. leDr Mance [sic], ancien chirurgien
de l'hôpital de la Charité, trois photographies et un tableau peint par
Horace Vernet, représentant une malade atteinte d'hypertrophie des deux
mamelles et opérée avec succès. C'est le seul exemple aussi complet et
aussi important, connu jusqu'ici... » (Bulletins et mémoires de la Société
de chirurgie, t. IX, p. 263 ; Paris, 1883, in-8°).
C'est en vain qu'on chercherait sur les listes des chirurgiens de la Cha-
rité le nom du Dr Mance. Rectifions tout de suite cette coquille : le nom
véritable du donateur est Manec.
Pierre-Joseph Manec était bien oublié, lorsque, en 1884, il mourut âgé
de quatre-vingt-cinq ans, dans un petit village de la Guyenne son pays
natal, où, célibataire, il s'était retiré, ayant, par son bistouri, acquis une ,
grosse fortune. C'est à peine si quelques journaux médicaux de 1884, la
France médicale et la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, lui
consacrèrent une brève notice nécrologique. Pourtant quelque cinquante
ans auparavant, son livre sur la ligature des artères avait joui d'un grand
renom, en France aussi bien qu'en Angleterre où une traduction l'avait
fait connaître.
Un an avant de prendre sa retraite, dans les derniers mois de l'année
1858, Manec avait reçu dans son service de la Charité une jeune fille dont
les seins présentaient une hypertrophie extraordinaire. En voici l'obser-
vation telle qu'elle fut publiée dans le numéro du 29 janvier 1859 de
la Gazette des hôpitaux :
«... Cette jeune fille, âgée aujourd'hui de dix-sept ans, d'une '.aille un
peu au-dessous de la moyenne, d'une constitution délicate et d'une phy-
sionomie agréable, paraît avoir joui d'une bonne santé jusqu'à l'âge de
quinze ans, époque où elle s'est aperçue pour la première fois que ses
seins prenaient un développement considérable. Elle n'était pas encore
réglée à cette époque. Ce n'est qu'un peu plus tard, à seize ans, qu'a eu
lieu la première éruption menstruelle. Depuis ce moment ses seins n'ont
cessé de s'accroître, au point d'avoir acquis en deux ans les proportions
énormes qu'ils présentent aujourd'hui.
« Les mamelles de cette jeune fille représentaient deux énormes ap-
pendices pédiculés tombant sur la poitrine et le ventre, qu'ils recouvrent
presque en totalité jusqu'au pubis. Mesurées dans la partie qui présente
le plus grand développement, elles avaient une circonférence de 75 centi-
mètres à gauche et de 72 centimètres à droite. La circonférence de leur pé-
dicule était de 50 centimètres environ ; leur poids, autant qu'il a été
possible de l'apprécier, de 6 kilogrammes 1/2 pour la droite, et de 7 pour
la gauche, qui paraissait un peu plus développée. La peau, qui recouvre
ces immenses glandes mammaires (car, comme on le verra tout à l'heure,
420 HAHN ET WICKERSHEIMER
il ne s'agit là ni de cancers, ni de tumeurs adénoïdes, ni de lipomes, mais
bien d'une simple hypertrophie du tissu glandulaire, ainsi que de tous
les éléments anatomiques, tissu cellulo-graisseux, peau, etc., qui entrent
dans la constitution normale du sein), la peau, disons-nous, ne paraissait
en aucun point avoir subi aucune altération, aucune modification dans
sa texture ; elle était blanche, douce au toucher, souple, mobile sur les
parties sous-jacentes ; elle offrait, en un mot, tous les caractères du té-
gument normal du sein ; elle avait acquis un développement graduel et
proportionnel à celui de la glande et des autres parties du sein ; aussi
n'est-elle ni épaissie et hypertrophiée comme dans l'éléphantiasis par
exemple, ni éraillée, et amincie comme le sont habituellement les tégu-
ments qui ont subi une distension considérable et rapide. Elle n'était
tiraillée seulement qu'à la naissance des seins, aux pédicules, là où elle
supportait tout le poids du sein dans la station. Le mamelon n'existait pas
ou du moins il était aplati, presque entièrement effacé, mais sa place était
parfaitement indiquée par l'aréole, d'une teinte légèrement brunâtre et
extrêmement large.
« On remarquait vers la racine des deux seins et sur le petit espace de
la paroi thoracique qui les sépare, un développement exagéré du système
veineux sous-cutané.
« Enfin, en explorant avec soin les divers points de ces deux mamel-
les, on sentait partout à travers la peau la consistance et la sensation que
donne au doigt le tissu lobulé de la glande mammaire.
« Ajoutons que ces seins n'ont jamais été le siège d'aucune douleur,
ni même d'aucune sensibilité anormale, et que la pression et la palpation
n'y étaient nullement pénibles. Mais ils étaient, on le comprendra aisé-
ment, pour cette jeune fille, plus qu'une infirmité pénible, c'était pour
elle une cause de gêne extrême et continue, qui l'a engagée à venir de-
mander un remède aux chirurgiens de la capitale. On comprend d'ailleurs
aussi qu'un semblable travail de nutrition anormale n'a pu s'opérer depuis
deux ans sans préjudicier d'une manière sensible à la santé générale,
et sans menacer surtout l'avenir. Aussi cette jeune fille avait-elle sensi-
blement maigri. Mais la fonction qui avait le plus notablement souffert
de cet état, c'était la fonction menstruelle ; la malade a à peine vu ses
règles cinq ou six fois et d'une manière très irrégulière depuis deux ans.
On a soumis cette malade dans son pays à plusieurs médications, mais
sans aucun effet. Entre autres moyens, elle a été mise à l'usage de l'io-
durede potassium. Mais le seul résultat de celle médication a été de pro-
duire un amaigrissement général ; tandis que les mamelles, loin de
s'atrophier, ne faisaient que se développer de plus belle... »
Manec, après avoir pris l'avis de Velpeau, son collègue de la Charité,
UN CAS D'HYPERTROPHIE MAMMAIRE 421 t
décida d'amputer successivement les deux seins de la malade, et la pre-
mière opération eut lieu sur le sein gauche, le 14 novembre 1858, en
présence de Larrey, de Depaul, de Duchenne (de Boulogne) et de quelques
autres praticiens, comme nous l'apprend le Dr A. Linas dans la Gazette
hebdomadaire de médecine et de chirurgie du 19 novembre 1858 (1) :
«... La malade ayant été chloroformisée, le chirurgien a pratiqué d'a-
bord, sur la face supérieure de la mamelle, et à une certaine distance
de sa racine, une incision curviligne, à convexité inférieure, et s'étendant
d'un bord à l'autre du pédicule. Après avoir coupé la peau amincie et le
tissu cellulaire sous-cutané, l'instrument tranchant a divisé un assez grand
nombre de vaisseaux anormalement dilatés, réunis en faisceau et formant
comme un riche plexus destiné à la nutrition de la glande hypertrophiée.
Deux ou trois artères qui donnaient une grande abondance de sang ont été
liées sur le champ. Le premier lambeau ayant été soigneusement disséqué,
la partie centrale du pédicule a pu se séparer aisément de la paroi thora-
cique ; il a suffi de diviser avec le doigt le tissu cellulaire lâche qui unit
la mamelle au grand pectoral : cependant cette couche celluleuse était
traversée, de distance en distance, par des espèces de cloisons fibreuses qui
nécessitaient l'emploi du bistouri Puis un second lambeau, beaucoup plus
petit que le premier, a été taillé aux dépens de la face inférieure du pé-
dicule. Après la ligature des artères divisées, les lambeaux ont été rappro-
chés et réunis par des sutures entortillées et des bandelettes de diachylon
placées dans l'intervalle des épingles. Enfin la plaie a été pansée avec des
plumasseaux de charpie imbibés d'eau froide.
» La peau de la face supérieure du pédicule avait été tellement tiraillée
par le poids énorme de la mamelle que le premier lambeau, malgré ses
dimensions apparentes, était devenu presque insuffisant, après l'ablation
de la tumeur, par suite du retrait considérable de la peau. Aussi, nous
a-t-il semblé que M. Manec regrettait de ne pas avoir donné plus d'étendue
à ce lambeau.
» La mamelle, étalée sur une table, offrait un diamètre de 1 m. 15 cen-
timètres. Son poids exact était de 7 kilogrammes et demi. Les corps durs,
semés profondément dans cette masse, étaient, comme nous l'avions prévu,
les lobules hypertrophiés.
» Leur consistance est plus grande que celle du tissu glandulaire nor-
mal ; ils crient sous le bistouri qui les divise, et leur surface de section
offre cette teinte blanchâtre et nacrée, cet aspect homogène et uni, qui ap-
(1) C'est par erreur que la Gazelle des hôpitaux assigne la date du 24 novembre à
cette opération que la Gazette hebdomadaire décrit déjà dans son numéro du 19 no-
vembre.
422 HASN ET WICKERSHEIMER
partiennent aux tissus fibreux. Ces lobules sont séparés les uns des autres
par un tissu cellulaire qui diffère de l'état normal par sa grande conden-
sation et par le peu de graisse qui l'infiltre.
» Examen microscopique du sein. M. Verneuil, auquel M. Manec a
envoyé un fragment de la tumeur, a constaté .les particularités suivantes.
Le tissu est d'un blanc rosé, assez mou et cependant doué d'une grande
cohésion. La coupe est lisse, luisante, homogène ; elle rappelle tout à fait,
sauf la coloration, l'aspect de la mamelle saine, hors l'état de lactation.
On voit cependant, çà et là, quelques pertuis assez volumineux d'où s'é-
coule par la pression une très petite quantité d'un liquide visqueux, trans-
lucide, analogue à de la synovie. Ces pertuis ne sont autres que des con-
duits galactophores coupés en travers. Au microscope, la structure est tout
à fait celle de la glande mammaire chez une fille qui n'a jamais été mère.
La presque totalité de la masse est formée par du tissu fibreux assez lâche,
qui, par l'acide acétique, montre une assez grande quantité de noyaux.
Ce tissu est traversé par des conduits excréteurs assez volumineux, à pa-
rois épaisses. Çà et là on retrouve des groupes de grains glanduleux petits,
et composés de cinq à six culs-de-sac allongés, d'un petit volume. Les
éléments glandulaires ne constituent pas la trentième partie de la tumeur,
au moins dans les fragments qui m'ont été remis. Les vaisseaux capillai-
res sont assez nombreux ; je n'ai pas rencontré de nerfs dans les prépara-
tions que j'ai faites. »
La Gazette des hôpitaux nous renseigne en quelques mots sur les suites
de l'opération, et sur la seconde opération qui eut lieu le 26 décembre
1858(1) :
a Les suites ont été des plus heureuses sauf toutefois un léger accident
survenu dans la nuit du 3e au 4e jour de l'opération, une légère hémorra-
gie qui a fait craindre un instant une congestion pulmonaire, ce qui n'a
heureusement pas eu lieu. La plaie, réunie par un grand nombre de
points de suture et recouverte pour tout pansement de gâteaux de charpie
mouillée, a marché rapidement vers la cicatrisation, qui était complète
vers le 10 décembre....
» (La deuxième opération) fut faite le 26 décembre. Elle n'a présenté
rien de particulier à signaler en ce moment. Il importe de noter ici
que dans le court intervalle d'un mois écoulé entre ces deux opérations,
la mamelle restante (la droite) avait subi un surcroît d'accroissement
tel, qu'elle avait dépassé le poids et le volume du sein gauche. Du poids
(1) Dans l'intervalle des deux opérations, Manec observa que la sensibilité tactile de
la mamelle était très obtuse. Les tentatives de pincement et de piqûre se transmet-
aient avec une lenteur excessive et d'autant plus grande qu'on s'éloignait davantage
du pédicule (Gaz. hebd., 4 février 1859).
UN CAS D'HYPERTROPHIE MAMMAIRE 423
de 6 kilogrammes et demi qu'elle avait lors du premier examen, au mois
d'octobre, elle en était venue à peser 8 kilogrammes lors de la deuxième
opération, c'est-à-dire une livre de plus que la mamelle gauche. Elle
avait ainsi gagné en moins de deux mois, et surtout pendant le dernier
mois, un kilogramme et demi (trois livres).
» Les suites de cette seconde opération ontété encore plus simples que
celles de la première. Du troisième au quatrième jour, elle a eu seule-
ment un peu de mal de tête, mais sans toux, ni oppression, ni hémoptysie.
» Le quatorzième jour, il est survenu de nouveau de la céphalalgie, cette
fois avec un peu d'oppression, de mal de coeur, et quelques épistaxis.
M. Manec se disposait à appliquer quelques sangsues aux cuisses pour
provoquer les règles, lorsqu'elles sont venues spontanément. Dès ce mo-
ment tout s'est calmé. La plaie était complètement cicatrisée du 15 au
20 janvier. Cette jeune fille, dont l'état est très satisfaisant maintenant,
et qui n'est seulement qu'un peu anémiée, a dû quitter l'hôpital hier,
heureuse d'être débarrassée de ses deux monstrueuses mamelles. »
C'est dans la thèse de doctorat de Labarraque (Paris, 1875) qu'il faut
chercher l'épilogue de l'observation :
« M. Manec a bien voulu nous apprendre que la malade s'était mariée
depuis, et qu'elle avait eu quatre ou cinq enfants. A l'époque où, physio-
logiquement, les seins se développent par la lactation, des douleurs se
sont manifestées dans les cicatrices, et les glandes de l'aisselle se sont en-
gorgées. Puis au bout de peu de temps, tout est rentré dans l'ordre. »
Nous aurions aimé à savoir comment Horace Vernet fut amené à pein-
dre le portrait de l'opérée de celui qu'il appelle son ami. Manec fut-il
aussi son chirurgien dans la cruelle maladie qui, après de longues souf-
frances, l'emporta au début de l'année 1863 ? M. Horace Delaroche-Ver-
net, arrière-petit-fils d'Horace Vernet, à qui nous avons demandé des
renseignements à cet égard, nous a répondu que ses papiers de famille ne
fournissent aucune indication au sujet des relations de son aïeul avec le
docteur Manec.
Le tableau de la Société de chirurgie est à l'huile ; il mesure 53 cen-
timètres de hauteur sur 45 centimètres de largeur. L'opérée est représen-
tée en buste, de trois quarts à droite, velue d'une chemise, entr'ouverte au
niveau delà région mammaire. L'artiste a tracé le visage avec une impré-
cision voulue ; il est donc difficile de s'assurer si la jeune fille était vraiment
« de physionomie agréable » comme l'affirme la Gazette des hôpitaux. La
plaie opératoire du sein gauche est fermée, et la cicatrice est à peine visi-
ble dans ses deux tiers internes. L'amputation du sein droit étant plus ré-
cente, la cicatrisation est moins avancée de ce côté. Les fils ont été retirés.
Le tableau n'est pas signé, mais le cadre porte à sa partie supérieure un
424 4 IIAXN ET WICKERSHEIMER
cartouche où sont inscrits ces mots : Horace Vernet à son ami Manec. Une
carte fixée dans un angle rappelle l'observation publiée par la Gazette des
hôpitaux.
Des trois photographies que le docteur Manec donna à la Société de
chirurgie en même temps que le tableau, une seule représente la malade
après l'opération ; elle paraît, à peu de jours près, contemporaine de la
peinture d'Horace Vernet.
Le gérant : P. Bouchez.
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizicr (Haute-Marne).
20e Année ? 6 Nove
HOSPICE DE BICÊ1'RE
UN CAS DE POUI;N(,1JPHALII : CHEZ UN HYDROCÉPHALE
ÉPILEPTIQUE,
PAR
J. SÉGLAS K. ANDRÉ BARBÉ
Médecin de l'Hospice de Bicêtre. Interne des Hôpitaux.
Les cas de porencéphalie publiés jusqu'ici sont relativement peu nom-
breux ; leur étude histologique et leur pathogénie ont donné naissance à
des recherches dont les résultais sont peu comparables et ne concordent
que rarement. Parmi les études parues dans ces dernières années, il con-
vient de citer le travail de Iticlilei- (1) qui fait jouer à l'arrêt de dévelop-
pement du corps calleux un rôle étiologique dans un certain nombre de
cas de porencéphalie ; l'hydropisie ventriculaire serait également à consi-
dérer dans le mode de formation des cavités, et serait peut-être attri-
buable à des troubles circulatoires (compression de la veine de Galien).
Deganello (2), étudiant un cas de porencéphalie chez un chien, trouvait
une cavité développée aux dépens de la presque totalité de l'hémisphère
cérébral gauche, une absence à peu près complète du faisceau pyramidal
dans le pédoncule cérébral, dans le pont et dans le bulbe du côté gauche,
une forte aplasie du faisceau sensitif (ruban de Reil) dans le pédoncule
cérébral, le pont et le bulbe du côté gauche, une aplasie des noyaux bul-
baires de Goll et de Burdach à droite, une atrophie du tubercule quaclri-
jumeau antérieur gauche, et du nerf optique droit. Dans toute la hauteur
de la moelle, il n'y avait aucun indice de dégénéralion ; le cervelet, la
moelle épinière et les ganglions vertébraux étaient absolument normaux.
Cette intégrité de la moelle dans la porencéphalie avait déjà été signalée
par Kahlden, Kundrat, Kirchoff, Sperling.
La même année, Ravaut (3) rapportait un cas de porencéphalie acquise
chez un homme qui, à la suite d'une chute, eut des crises d'épilepsie et
(1) RccnTaa, Soc. de psych. de Berlin, janv. 1S98, Archiv. f. Psychiatrie, t. XXXII,
f. 1, 1899 (20 p., 27 fig.).
(2) DEGANELLO, Un caso di porencefalia. Rivista di patologia nervosa et mentale,
vol. V, rase. 5, p. 193, mai 1900 lExam. Iiistol., 1 fig.).
(3) RAVAUT, Un cas de porencéphalie acquise. Bulletins de la Sociéié anatomique de
Paris, 1900, p. 83.
xx 7
426 J. SÉGLAS ET ANDRÉ BARBÉ
succomba pendant une attaque épileptiforme. A l'autopsie, on trouva un
foyer de ramollissement très étendu, avec perte de substance sur le lobe
temporo-occipital, formant une cavité allongée, communiquant sur toute
sa longueur avec le ventricule latéral, se prolongeant jusqu'à l'extrémité
postérieure du lobe : Ce cas de porencéphalie acquise est à rapprocher de
celui publié par Touche (1) qui observa une perte de substance du lobe
pariélo-occiplial droit, due à l'oblitération de deux artères, et de celui de
Marcel Labhé (2) qui trouva une cavité en entonnoir communiquant avec
le ventricule latéral chez une jeune fille qui avait fait dans son enfance
une chute sur la tête et qui conservait une dépression crânienne à la
partie inférieure du pariétal.
En 1901. Jumpolski (3) a porté le diagnostic possible de porencéphalie
de l'hémisphère droit dans la région motrice chez un enfant épileptique,
d'intelligence nulle, qui avait de l'exagération des réflexes, et les deux
membres inférieurs en état de paraplégie spasmodique.
Zingerlé (4) publie une étude anatomique dans laquelle on trouve un
aspect porencéphalique de l'hémisphère gauche; le déficit porte sur les
trois cinquièmes moyens de la frontale ascendante, les deux cinquièmes
de la pariétale ascendante, la plus grande partie du lobule du pli courbe,
le pied des circonvolutions frontales moyennes et inférieures, et une par-
tie du pied de la 1re frontale. L'hémisphère droit contient un kyste dans
la couronne rayonnante du lobe pariétal. Zingerlé considère son cas
comme une porencéphalie vraie due à une lésion d'origine vraisemblable-
ment vasculaire, dans le domaine des 2" et 3e branches de la cérébrale
moyenne, quoiqu'on ne retrouve pas de reliquat manifeste d'une lésion
des vaisseaux ; le trouble circulatoire aura été transitoire, et il a dû se
produire au plus tôt dans les derniers mois de la vie intra-utérine.
Messing (5) a publié trois cas de porencéphalie ; il conclut que cette
affection est la conséquence de processus pathologiques variés. Congéni-
tale ou acquise,elle peut être en définitive rattachée aux mêmes causes, à
des troubles circulatoires el à des processus encéphalitiques ou encéphalo-
malaciques. herrannini (6) réunit la porencéphalie à tout un groupe d'af-
(1) Touche, Porencéphalie acquise. Bulletins de la Société anatomique de Paris,
1900, p. 228.
(2) Maucel Laubé, Porencéphalie acquise traumatique. Bulletins de la Société ana-
tomique de Paris. 1899, p. 607.
(3) JUMPOLSKI, Déformation congénitale des deux pieds et d'une main. Ozasopismo
lekarskie, nua 8, 1901 (polonais).
(4) Zingerlé. Un cas de lésion de développement circonscrite du cerveau. Contribu-
tion à l'élude de la porencéphalie. Archiv sur Psychiatrie, 1902, t. 36, f. 1. (16 p. 6 fig.).
(5) Messing, DI ei Fille von Porencéphalie, 21 dessins, 2 pl. hors texte, bibliogra-
phie. Aibeit. aus d. nenrol. Institute. an der Wiener Universittzt, XI nand, 1904.
(6) rLaaww, Sur la pathogénie des scléroses 1ww'o-centl'ales juvéniles. Giornale
internationale delle science mediche, tapies, An XXVII, 1905.
Nouvelle ICONOGRAPHIE DE LA SALPTRIRE
T. XX. PI. LXXV
l'ORF\C : 1`I'11,1LIT : ET IIYDROCÉPIIAUR CHEZ UN 1PILP : PTIQU1 :
(Scglas et Barbé)
Masson et Cire, ] : ,Ittctllq
PhOI01YP ! 11 BrrLhauJ, Paru
UN CAS DE P011ENCÉI'.IL[L ? CHEZ UN HYDROCÉPHALE ÉPILEPTIQUE 427 7
fections telles que la sclérose lombaire infantile, la maladie de Lillle, la
maladie de Friedreich, la sclérose latérale amyotrophique familiale, l'a-
thétose et la chorée familiales, etc. On aurait ainsi un groupe d'affections
à début insidieux dans le jeune âge, à évolution lente et progressive, à
caractère familial, et ayant pour base anatomique une sclérose dégénéra-
tive frappant surtout, mais non exclusivement, le système nerveux central
dans sa partie motrice. C'est encore à une lésion pyramidale que Ha us-
halter et Collin (1) rattachent le point de départ de la porencéphalie.
Nous avons eu l'occasion d'examiner à l'hospice de Bicètre un malade
atteint de porencéphalie vraie et la rareté des observations publiées jus-
qu'à maintenant nous a engagé à publier ce cas.
Observation.
G... Alexandre entre le 9 août 1880,n l'âge de 25 ans, à l'hospice de Bicêtre
pour épilepsie et débilité mentale ; les attaques convulsives, graves et. fréquen-
tes, s'accompagnent de céphalée et par instants de véritable état de mal ; le
niveau intellectuel est très faible, le caractère irascible, et le malade ne peut
se livrer à aucun travail suivi.
L'examen physique du sujet révèle un certain nomhre de particularités : la
taille est de 1 m. 55, l'envergure des bras de 1 mètre 615 mill. (PI. LXXV).
Tête : Les dimensions de la tête sont les suivantes : le diamètre antéro-pos-
térieur du crâne est de 22 cent. 5; le diamètre transversal est de 18 cent. 6,
la circonférence horizontale maxima de 67 centimètres. L'indice céphalique
est de 82. 7. Le front est droit, les bosses frontales saillantes, le nez ré-
gulier et non déprimé à la racine. Les narines et les yeux sont très écartés (la
distance entre les deux angles internes des yeux est de 4 cent. 3). La voûte
palatine est profonde ; les dents de sagesse existent, mais il manque en bas une
incisive dont on ne retrouve pas la trace ; les dents sont d'ailleurs très serrées
les unes contre les autres.
Tronc : saillie du sternum à la partie supérieure; dépression thoracique en
entonnoir avec un chapelet costal ; les courbures claviculaires sont exagérées,
le thorax est déprimé au niveau de la région mammaire. La circonférence de la
poitrine au niveau des mamelons est de 85 centimètres. La hauteur du tronc
est de 52 centimètres (le sujet étant assis et le point de repère supérieur étant
l'acromion). Le rachis présente une cyphose dorsale et une lordose lombaire.
Membres supérieurs :
Longueur des bras : 26 centimètres (de l'acromion à l'épicondyle).
Longueur des avant-bras : rr centimètres (de l'épicondyle à l'apophyse sty-
loïde du radius).
Longueur des mains : 18 centimètres (de l'apophyse styloïde du radius il
l'extrémité du médius).
(1) IIAusHALTEB et COLLIN, Les affections spasmodiques de l'enfance ; classification et
pathogénie (rapport),1V° Congrès international de médecine, section de Pédiatrie.
Lisbonne, 1906.
428 J. SÉCLAS ET A\LItÉ BARRE
Au niveau des mains, l'auriculaire de la main gauche surtout rappelle un
peu la disposition en trident ; l'annulaire de la même main est en retrait.
Membres inférieurs :
De l'épine iliaque antéro-supérieur au sol :
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALtETTHEXE.
T. XX. Pl. LXXV
rORE)\CIPII¡\I.IE CHEZ UN HYDROCÉPHALE ]';PIt.rPTIdUr
(Séglas el Barbé)
Aspect du cerveau vu par sa convexité.
Masson & Cie, Éditeurs
PhototYIIIl ! n.111\IAII.J, PJ.II Pu
NOUVILLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRI$RC
T. XX. Pl. LXXVII
A
n
PORENCÉPHALIE CHEZ UN HYDROCÉPHALE épileptique
(Séglas et Barbé)
A Coupe verticale nntéro-poitéiieure de 1 hémisphère droit, à 5 centimètres en dehors de la icî'S'ïui'C
interhémisphérique. Les deux fragments de la coupe ont été renversés.
li Coupe verticale antéro-postérieure de l'hémisphère gauche, i ; 3 centimètres en dehors de la scissure
r7n V;r^Jjli|h]Ai><i^i;miM,J(J]j Jj'JCTJIlll^jMfc^.™^' ! ^. et, montrent le foyer hemorl hagiq ue.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. Pl. LX.TVIII
PORENCÙPIIALIE CHEZ UN HYDROCÉPHALE ]\PILEPTIQUE
(Séglas et Barbé)
Coupe verticale oblique en arrière et en dehors de l'hémisphère gauche, montrant retendue'
de la cavité ventriculaire.
Masson & Cie, FJ¡teurs
NII7101)'IIO Il'1111'111111, J'J l'j
UN CAS DE paBENCÉPIlALlE CHEZ UN HYDROCÉPHALE ÉPILEPTIQUE 429
et régulière quant à ses parois. Elle s'étend la partie supérieure de l'hémi-
sphère droit, commençant à l'union du tiers antérieur et du tiers moyeu de la
scissure interbémisphénque ; au niveau de cette scissure, la substance céré-
brale est complètement absente dans les deux tiers postérieurs, et remplacée
par un bord mousse, le bord interne de la cavité, siégeant à 2 centimètres
environ au-dessous de la ligne par où passerait lebord supérieur de cet hémi-
sphère droit. Quant au bord externe.de la cavité, il part du bord interne, s'éten-
dant d'abord en demi-cercle jusqu'à environ 8 centimètres de la scissure in-
terhémisphérique, puis, se recourbant, il forme une crête mousse qui va se
perdre en arrière au niveau de la partie postéro-supérieure du vermis supérieur
du cervelet. La pie-mère, très épaissie, forme comme un rideau étendu au-des-
sus de cette cavité; les vaisseaux qui sillonnent les circonvolutions se conti-
nuent directement au niveau de cette membrane pie-mérienne, au lieu de s'en-
foncer,dans la cavité. Quant à la dure-mère, très épaissie, elle ne présente,
aucune adhérence ni altération macroscopique notable (PI. LXXVI).
Si l'on examine maintenant la paroi de la cavité, on voit que cette cavité,
de forme assez irrégulière, mais dont l'axe. est cependant dirigé en bas et en
dedans vers le ventricule, présente deux aspects différents suivant les points
où on la considère. Dans la moitié supérieure de la cavité, on observe une
membrane lisse, unie, blanc-jaunâtre, épaisse, et sillonnée par de petits vais-
seaux. Cette moitié supérieure est limitée et séparée de la moitié inférieure par
un rebord épais et mousse, qui surplombe le fond de la cavité en formant un
épaississement d'environ 4 à 5 millimètres. Quant à la partie inférieure de la
cavité, elle est tapissée par une membrane mince, tendue, transparente, per-
forée dans toute son étendue par de nombreux trous qui permettent une facile
communication entre la cavité porencéphalique et la cavité ventriculaire.
Pour étudier cette cavité,on pratique une coupe verticale antéro-postérieure
de l'hémisphère droit, parallèle à la scissure inter-hémisphérique et distante
de celle-ci de 3 centimètres environ. Cette coupe montre que l'on est en pré-
sence d'une absence presque complète-du lobe pariétal droit. Le lobe frontal
est assez régulièrement développé. Quant au lobe sphénoïdal, extrêmement
aminci, il est réduit une simple lame de substance cérébrale épaisse de
2 centimètres environ et limitant la paroi inférieure de la cavité, la séparant
ainsi du cervelet (PI. LXXVII et LXXVIII).
Si maintenant, on pratique sur l'hémisphère gauche une coupe parallèle il
la première, on constate que cet hémisphère est creusé en son intérieur par
une cavité ventriculaire relativement considérable. Au niveau du lobe frontal,
cette cavité est assez développée, puis en allant d'avant en arrière, elle s'a-
mincit et prend un développement considérable dans le lobe occipital qui n'est
plus réduit qu'à une simple lame de tissu, le centre étant creusé par une
énorme excavation. Les parois de cette excavation sont normales et peu vas-
culaires, ainsi du reste que les parois de la cavité dans sa partie antérieure.
. A l'union du tiers antérieur et du tiers moyen de cette cavité, on observe une
petite masse d'un brun rougeâtre, couleur lie de vin, siégeant dans la cavité
épendymaire entre le lobe frontal et le lobe pariétal. Cette niasse, d'un aspect
430 0 J. SI¡GLAS ET ANDRÉ BARBÉ
spongieux, est circonscrite au niveau de la substance cérébrale à laquelle elle
adhère par une petite zone de un millimètre d'épaisseur présentant un fin pi-
queté hémorragique. Plus en arrière de cette masse se trouve une autre pe-
tite tumeur pédiculée, blanchâtre et à parois lisses, ne paraissant avoir aucun
rapport avec la masse spongieuse avoisinante et ci-dessus décrite.
La protubérance annulaire, le bulbe et la moelle étaient normaux. Sur le
cerveau, on préleva pour l'examen histologique, des fragments différents du
cerveau et c'est ainsi que nous avons étudié le point de réflexion de la séreuse
au niveau du rebord de la cavité porencéphalique, l'état des circonvolutions en
avant de cette cavité, lé foyer hémorragique ci-dessus décrit dans l'hémi-
sphère gauche, et les granulations épendymaires qui tapissent la cavité ventri-
culaire de ce même hémisphère.
Ces, fragments ont été mis dans le liquide de Muller pendant quatre mois,
puis déshydratés, inclus à la celloïdine ; les coupes ont été traitées par les
méthodes de Van Gieson et de Weigert-Pal pour la myéline.
Le point de réflexion de la séreuse montre que celle-ci est très épaissie, que
les vaisseaux sont gorgés de sang, et que la paroi de la cavité est formée par
un feutrage névroglique épais, régulier ; ce feutrage névroglique est séparé des
circonvolutions par une épaisse cloison de gaines myéliniques dont les fibres
sont parallèles à la paroi névroglique, En avant de la cavité, les circonvolu-
tions sont, mais en ce point seulement, le siège d'une sclérose très accusée, avec
raréfaction de la myéline.
Le foyer hémorragique situé dans l'hémisphère gauche est volumineux ;
autour de lui, la myéline est raréfiée ; le foyer lui-même est constitué par un
caillot dont la paroi épaisse, organisée, montre l'ancienneté de formation de
cette hémorragie. Enfin, la paroi épendymaire de l'hémisphère gauche est
épaisse ; recouverte de granulations jaunâtres ; ces granulations sont plus accen-
tuées en certains points, et forment ainsi comme de véritables petits îlots.
Nous sommes donc ainsi en'présence d'un cas de porencéphalie vraie,
suivant la description qui en a été donnée par \111. Bourneville et Sol-
lier, pour la distinguer de la porencéphalie vraie. Ce cas nous a paru in-
téressant à rapporter tant à cause des particularités qu'il présente que par
la rareté des faits de ce genre.
LE TOPOGRAPHE CÉRÉBRAL
APPAREIL DE PROJECTION DES PARTIES DU CERVEAU
SUR LA SURFACE DU CRANE
PAR .
G. ROSSOLIMO
Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Moscou.
Malgré les progrès de la technique chirurgicale, qui permet quelque-
fois, en pénétrant dans le cerveau pour atteindre un foyer d'étendue peu
considérable, d'ouvrir presque la moitié du crâne, il est impossible de ne
pas désirer, dans les trépanations, d'éviter les lésions traumatiques inu-
tiles et de ne pas rendre justice à tous les moyens qui permettent de pré-
ciser la localisation du procès sur ou sous la surface du cerveau. Le pro-
fesseur Ze l' 11 off (1) ,allant à la rencontre de ce problème, a proposé son
encéphalomètre et a élaboré ;t l'aide de celui-ci, en collaboration avec le
Dr Altoukhoff (2), une série de cartes topographiques des grands hémi-
sphères ; guidé par celles-ci il est possible, pendant les recherches encé-
phalométriques, de noter sur la surface du crâne, la partie sous-jacente
du cerveau. Le professeur Zernoff a pris pour hase de son invention la
forme plus ou moins sphérique du crâne et du cerveau et a trouvé possible
de tracer le dessin de la surface cérébrale sur les endroits correspon-
dants d'une demi-mappemonde ; il obtint ainsi une vraie carte géogra-
phique du cerveau d'hommes de tout âge, des deux sexes et de tout
index crânien, avec la caractéristique de chaque partie du cerveau en
degrés de longitude et de latitude.
De cette manière l'encéphaloniètre de Zernoff permet d'établir des rap-
ports entre différents points donnés sur la surface du crâne et du cerveau ;
cette méthode donne pourtant lieu à des erreurs, provenant de l'hypo-
thèse de la forme de sphère géométrique de la tète. Comme ni le crâne, ni
(1) D. X. Zernoff. L'encéphalométre,appareil pour déterminer la situation des parties
du cerveau chez un homme vivant. Moscou. Séance de la Société physico-médicaie
du 22 mars 1891.
(2) D. N. ALTOUK11OFr. Recherches encéphalomêtriques suivant le sexe, l'âge el l'in-
dex crânien. Moscou, 1891. Thèse.
432 ROSSOLli)10
l'encéphale ne présentent la -forme précise d'une sphère géométrique,
l'erreur sera d'autant plus grande que la forme du crâne observé s'éloignera
plus de la forme sphél'oïdale.C'est pourquoi l'exactitude de l'appareil et de
la méthode qu'il représente est plus ou moins approximative, -approxi-
mation, du' reste,négligeable à moins d'évaluation mathématiquement pré-
cise, parce que les caries de la surface cérébrale d'individus de différents
index crâniens, c'est-à-dire celles des encéphales,plus ou moins proches
d'une sphère géométrique, diffèrent si peu l'une de l'autre, surtout par
rapport aux circonvolutions centrales et temporales, que pour un physio-
logiste et pour un clinicien contemporain il s'agit d'une erreur négli-
geable. 1
C'est pourquoi nous croyons pouvoir compter l'encéphalomètredu pro-
LE TOPOGRAPHE CÉHÉBRAL 433
fesseur Zernoff comme l'appareil le plus convenable et le plus pratique en
'ce qui concerne la solution des deux problèmes suivants :
1) Pour déterminer à la surface du crâne des points correspondant il
des endroits donnés de la surface ou de l'intérieur de l'encéphale.
zu) Pour indiquer à la surface de l'encéphale une circonvolution ou une
de ses parties, correspondant à une partie quelconque. Et il ne s'est
fait aucune trépanation dans notre clinique, sans que nous utilisions,
et avec les meilleurs résultats, le procédé encéphalométrique du profes-
seur Zernoff.
Cependant il nous a été donné de rencontrer les défauts de cet appa-
reil, particulièrement sensibles dans la clinique et qui rendent les recher-
ches longues et minutieuses, quelquefois dans les moments même où
l'état du malade réclame la moins grande perte de temps.
Ces défauts sont les suivants : .
10 En se servant de l'encéphalomètre il est indispensable de se servir
d'une carte, c'est-à-dire que pour déterminer à la surface du crâne l'en-
droit correspondant au centre du cerveau intéressé, il faut préalablement
rechercher ce dernier sur la carte et transposer sur le crâne tous ces points,
déterminés par degrés de longitude et de latitude. '
Pour celle transposition il faut exécuter toute une série de changements
de place de l'arc mobile et du rayon mobile de l'encéphalomètre, chose
nécessaire pour le tracé de chaque point de l'encéphale sur la surface
du crâne. Ce double procédé est compliqué et exige beaucoup de temps,
c'est pourquoi il représente le défaut capital de la méthode.
2° Le second inconvénient provient de ce que l'appareil étant insépa-
rable de la carte, au cas où l'on n'aurait pas sous la main celle-ci ou une
table explicative, l'emploi de l'encéphalomètre est absolument impossible.
A la clinique ce défaut a une grande importance.
Ces deux inconvénients de l'encéphalomètre de Zernoff nous ont obligé
à résoudre le problème de l'encéphalomètre dans un sens un peu diffé-
rent, et nous ont amené à la construction d'un appareil que nous pro-
posons d'appeler « le topographe cérébral ». Le principe de notre appa-
reil consiste en ce que, pour la commodité du 'tracé sur le crâne des
, parlies du cerveau données par les caries de Zernoff et Altoukhoff, et afin
d'écarter la nécessité de recourir à des labiés auxiliaires, nous avons joint
il l'appareil une carte des hémisphères cérébraux, utilisant en cela l'idée
de la mappemonde géographique.
Dans ce but, au cercle horizontal et basal (a) de l'encéphalomètre de
Zernoff, ayant 26 centimètres de diamètre intérieur et muni pour la pause
sur la tôle en haut, d'une vis avec coussinet (h), en avant, - d'une gou-
pille (b) avec plaques il deux pattes qu'on introduit sous le bord supérieur
431 hossolimo
des deux orbites (c), en arrière, - d'une goupille se terminant au moyen
d'une charnière sphérique par un rond métallique muni d'un tampon de
caoutchouc pour l'occiput (d, e) (1), de chaque côté, - dedeux goupilles
mobiles sur des plans horizontaux et verticaux ayant à leur extrémité
des olives en bois d'ébène pour les orifices extérieurs des oreilles (/, g),
à cet anneau horizontal, disons-nous, est soudé un casque hémisphérique
d'aluminium renversé, de 26 centimètres de diamètre, ayant comme pôles
le front et l'occiput, un équateur frontal, des méridiens et des parallèles
gravés à 10" d'intervalle comme sur le globe terrestre.
Sur ces méridiens et parallèles est gravée, suivant les données de Zer-
noff et Altoukholf, la carte des sillons et circonvolutions des grands
hémisphères du cerveau ainsi que la position des ganglions basais et des
sutures crâniennes (2).
Un hémisphère de ce genre représentera la projection des parties du
crâne et du cerveau ci-dessus mentionnées sur la surface de la sphère ;
l'ayant ainsi construit il restait encore à trouver le moyen de transporter
une partie quelconque de cette carte sur la .surface du crâne. Dans ce but
il a fallu rechercher le moyen de tracer des rayons passant par un point
(1) Ces deux goupilles sont munies de divisions pour permettre de fixer chaque fois
l'anneau à égale distance du front et de l'occiput.
(2) Pour les travaux de clinique nous croyons qu'il est suffisant de se servir de la
carte simplifiée de la surface des hémisphères présentant la position moyenne des cir-
convolutions chez l'homme (Altoukhoff, carte I).
LE TOPOGRAPHE CÉRÉBRAL 435
quelconque de la surface du globe posé sur la tête, jusqu'à leur contact
avec le point, correspondant de la surface du crâne. Nous y sommes arrivés
par le moyen suivant :
1° Nous avons perforé le casque d'aluminium d'un grand nombre d'ou-
vertures rondes d'un millimètre et demi de diamètre, au nombre de 6 à 9
dans chaque carré de 10° de la mappemonde, et ceci suivant la largeur de
l'intervalle entre les méridiens. Un grand nombre de ces ouvertures tom-
bèrent ainsi sur les sillons gravés ; néanmoins cela n'a changé en rien l'in-
tégrité de la carte ; et le réseau géographique est resté intact.
2° Nous avons préparé une goupille ronde en aluminium d'un demi-
millimètre (i) de diamètre, terminée d'un côté par une
tête plate el de l'autre par un crayon à encre devant pas-
ser par une ouverture quelconque en qualité de rayon,
jusqu'à contact avec la surface de la tête. Cette goupille
à laquelle nous avons attribué un rôle important dans
notre topographe cérébral, n'aurait pas dans cet état en-
tièrement atteint ce but par suite de l'épaisseur infime
de la paroi du casque, qui ne peut pas donner à la gou-
pille, placée dans les ouvertures, la direction mathéma-
tique vers le centre du casque. C'est pourquoi nous
avons dû inventer un'appareil métallique ayant la forme
d'une tonnelle (j) à base annulaire de caoutchouc dur,
avec un toit métallique compact, du centre duquel des-
cend un tube d'un demi-millimètre de diamètre suivant
la direction exacte et verticale de l'axe et se terminant
presque à l'extrémité de la tonnelle. Lorsque cette der-
nière est posée sur la surface de notre globe, l'anneau
reposant sur celui-ci, on peut faire passer par son tube
central la goupille servant de rayon et, suivant la place
qu'occupe la tonnelle, pénétrer à travers, l'ouverture
correspondante du globe jusqu'à contact avec la surface
de la tête, dans l'exacte direction mathématique du
rayon.
Construit comme nous venons de le décrire, le « topographe cérébral »
permet de résoudre facilement et rapidement les deux problèmes de tout
encé-ol)alomètre :
A) Poser sur la surface de la tête une carte cérébrale ou un de ses points
quelconque : pour cela, en mettant l'appareil sur la tête, il faut mar-
quer sur la peau de la tête rasée, à l'aide du crayon de la goupille, un
seul point ou une série de points dans la direction des sillons intéressés,
et ensuite, enlevant l'appareil, achever d'après ces points le dessin de la
carte demandée.
436 ROSSOLIMO . -
, B) Déterminer la partie de la surface de l'encéphale qui correspond à
.une partie donnée du crâne : en mettant l'appareil sur la tête, on amène
la goupille indicatrice jusqu'à la partie intéressée de la surface de la tète
(exostose, perforation, etc.), en regardant à travers les trous, du casque
ou en tâtant de la main gauche passée sous celui-ci et l'on indique par
quels endroits de la surface du globe cérébral a passé la goupille,
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière
T. XX. Pi. LXXIX
DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE
(Halipré et Hébert)
Radiographie des membres supérieurs.
(Obs. I)
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. LXXX
DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE
(Halipré el Hébert)
Radiographie des genoux.
(Obs. I)
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. LXXXI 1
DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE
(Halipré et Hébert)
Radiographie du membre supérieur. ? ,. (Oh ? n
EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES
DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE
(TROIS GÉNÉRATIONS)
PAR
A. HALIPRÉ et A. HÉBERT,
Médecins des Hôpitaux de Rouen.
Les exostoses de croissance, ou exostoses ostéogéniques.se montrent en'
général à l'extrémité des os longs et de préférence sur celle des extrémi-
tés dont le cartilage d'accroissement est le plus actif. Suivant la loi posée
par 01 lier, elles occupent les extrémités voisines du genou et les extrémi-
tés éloignées du coude. Les exostoses sont souvent symétriques ; on les a
quelquefois observées dans plusieurs générations successives. Leur carac-
tère héréditaire, en même temps que leur développement en des points
symétriques permettent de les regarder comme dépendant d'un trouble
fonctionnel des centres trophiques, le trouble fonctionnel étant peut être
lui-même imputable à quelque modification d'un appareil glandulaire à
sécrétion interne. Cette dernière hypothèse soulevée par Pierre Marie' (1)
à propos de la pathogénie de l'achondroplasie pourrait selon toute vrai-
semblance s'appliquer aux exostoses de croissance.
Les observations que nous avons recueillies dans lesquelles des ma) for-
mations se sont reproduites dans trois générations successives nous parais-
sent favorables à cette interprétation.'
Observation 1
(PI. LXXIX, LXXX, LXXXI)
Le F..., 43 ans, forgeron, est de petite taille (1 m. 53), mais bien musclé
comme l'exige sa profession. Intelligent il répond avec précision aux questions.
Ce qui frappe à première vue en dehors de la petite taille du sujet, c'est le vo-
lume de la tête, qui est en quelque sorte globuleuse, et les petites dimensions
des bras, surtout du bras gauche. A ce sujet il dit qu'il a toujours eu le bras
gauche plus petit et que cela ne l'a jamais entravé dans son travail, pas plus
d'ailleurs que les « nombreuses bosses » que présentent les os des membres.
(I) Piiiimii Uwum, Presse médicale, n 56, 14 juillet 1900.
438 JIALIPRÉ ET UÉBERT
Son père était atteint de la même affection. Sur 9 enfants dont 4 sont vivants
(un (ils et trois filles), le fils est atteint des mêmes déformations osseuses.
A l'examen on constate da nombreuses saillies osseuses adhérant au sque-
lette, siégeant le plus souvent au voisinage du cartilage diartbrodial. Ces ostéo-
mes sont nombreux au niveau de l'épaule et du poignet et au voisinage du
genou. Celte topographie, signalée par Ollier, répond aux points où le carti-
lage d'accroissement est le plus actif et où la soudure de la diapliyse et de l'épi-
physe est plus tardive. Les radiographies montrent nettement ces malforma-
tions, elles mettent aussi en évidence l'arrêt de développement du cubitus à
gauche et à droite, arrêt de développement qui explique en partie tout au moius
les petites dimensions de l'avant-bras. A gauche, le radius est incurvé en de-
dans de telle façon que son extrémité inférieure passe sous l'extrémité infé-
rieure du cubitus. Les rapports de la tête du radius avec le carpe s'en trou-
vent sensiblement modifiés comme le montre la radiographie.
Main gauche. -- La main gauche est un peu moins développée que la main
droite. Les doigts dans les mouvements d'extension ne peuvent se juxtaposer
dans toute leur longueur. Ils affectent la disposition en trident signalée par
Pierre Marie chez les achondroplasiques. L'annulaire et l'auriculaire s'écar-
tent de l'axe de la main ; le médius s'écarte en sens contraire au niveau des
deux dernières phalanges, refoulant en dehors l'index. Les trois doigts, annulai-
res médius et index, sont sensiblement de même longueur. L'auriculaire est très
court et dépasse à peine l'articulation de la 1°° avec la 2e phalange de l'annu-
laire.
Main droite. - La main droite présente un très léger écartement de l'auri-
culaire, les trois autres doigts restant l'un contre l'autre.
Si l'on en excepte le radius gauche, les os longs des membres ne présentent
pas de courbure. L'axe général des membres n'est pas modifié. Il n'y a rien
qui rappelle le squelette des rachitiques.
Le tronc n'offre aucune anomalie appréciable. Le développement est nor-
mal ; il n'y a aucune courbure anormale de la colonne vertébrale. Aucune trace
de rachitisme du côté des côtes ou cartilages costaux.
Le crâne est développé et globuleux.
Mensurations : Taille 1 m. 53. Poids 56 kilos.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. LXXXII
DYSTROPHIE OSSEUSE HEREDITAIRE
(Halipré et Hébert)
Radiographie des membres supérieurs.
(Obs. III)
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. ? CX. Pl. LX1XIII
DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE
(Halipré et Hébert)
Radiographie des membres inférieurs.
(Obs. III)
EXOSTOSES OSTÉOGEN1QUES. - D1'STYOPlllI. OSSEUSE lIÉInDITAlItI 439
440 - HALIPRÉ ET HÉBERT
Dès la naissance, la mère aurait constaté que l'enfant avait « un os qui
faisait une petite bosse » à l'avant-bras gauche ainsi qu'au niveau des jambes.
Il n'a jamais été malade. Bien musclé, d'aspect vigoureux, intelligent. La
croissance s'est faite régulièrement.
Taille, 1 m. 36. ,
Avant-bras gauche. Ainsi que chez le père, il y a arrêt de dévelop-
pement de l'avant-bras gauche. L'extrémité inférieure du cubitus est à deux
travers de doigt au-dessus du carpe. Le radius s'est incurvé en dedans, dis-
position identique à celle constatée chez le père (voir PI. LXXXII). Il existe
en outre une luxation en dehors et en arrière de la tête du radius, luxation
sur l'origine de laquelle ou ne fournit aucune indication et qui est probable-
ment contemporaine du développement.
D9an gauche courte, plus petite que la main droite. Les doigts peuvent se
juxtaposer normalement.
Main droite : disposition des doigts en trident : l'index, le médius et l'an-
nulaire se touchent ; l'auriculaire s'écarte au niveau des deux dernières pha-
langes.
Membres inférieurs présentent, principalement au voisinage de l'articulation
des genoux des tumeurs osseuses.
Aucune malformation n'est appréciable sur la colonne vertébrale ou les os
du bassin.
Crâne un peu fort, sans saillies anormales. Dents bien implantées.
Ogive palatine normale.
Organes des sens indemnes.
Développement normal des organes génitaux et du système pileux.
Mensurations :
EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES. - DYSTROPHIE OSSEUSE HÉRÉDITAIRE 441
puisque la mère signale chez son fils l'existence, dans les premiers jours
qui suivirent la naissance, de saillies sur l'avant-bras gauche. C'est à ce
,niveau que les lésions du squelette sont le plus marquées. Pour le père et
le fils elles sont absolument superposables comme le montrent les radio-
graphies. Le fait est d'autant plus intéressant qu'à ce niveau existent tout
à la fois une exubérance du processus ostéogénique et un arrêt de dévelop-
pement. Les productions osseuses anormales sont représentéss ici par une
sorte dédouble bourgeon osseux probablement de nature spongieuse.
L'un des bourgeons est implanté sur le radius et l'autre sur le cubitus.
Ils semblent marcher à la rencontre l'un de l'autre pour combler l'es-
pace séparant les deux os et souder l'un à l'autre le radius et le cubitus.
A côté de cette hyperplasie osseuse, la radiographie montre un arrêt de
développement du cubitus, dû sans doute à la soudure précoce de l'épi-
physe inférieure à la diaphyse. Les autres déformations du squelette sont
très comparables dans les deux observations. Elles répondent, au point de
vue topographique, au type classique, car elles prédominent pour le mem-
bre supérieur aux points éloignés du coude et pour le membre inférieur
au voisinage du genou. Si dans les cas de ce genre certaines exostoses sont
situées à distance du cartilage diarthrodial, on l'explique en faisant re-
marquer que ces exostoses, développées de bonne heure dans la zone d'ac-
croissement tenant à la diaphyse, ont été refoulées loin de la tête de l'os
par les couches osseuses de formation plus récente. D'autres exostoses for-
ment autour de l'os un véritable manchon à point de départ périoste.
Quel que soit le siège ou l'aspect de ces malformations, elles dépendent
d'une même cause générale. Il s'agit très vraisemblablement d'un trouble
fonctionnel de l'appareil régulateur qui préside à la croissance normale
du squelette. A propos de la pathogénie de l'achondroplasie, Pierre Marie
émet, nous l'avons rappelé en commençant, l'hypothèse « d'un trouble de
la fonction ou du développement de quelque organe glandulaire ». Peut-
être en est-il de même pour la dystrophie osseuse qui nous occupe. D'ail-
leurs si nous faisons allusion à l'achondroplasie, c'est que le souvenir
de cette affection nous est revenu en mémoire en apercevant le premier
de nos malades. Frappé par sa petite taille, sa grosse tête et l'exiguïté de
ses bras, le rapprochement s'imposait à première vue.
Bien que très dissemblables, les deux affections ne défient pas toute
comparaison. Il semble que l'une offre en excès ce qui manque à l'autre.
L'achondroplasie, considérée comme une dystrophie du cartilage pri-
mordial (Parrot), aboutit à une insuffisance de développement du squelette
des membres. La micromélie est rendue plus frappante par le développe-
ment normal du tronc. « ... Bien singulière apparition, dit Pierre Marie,
que celle d'un torse d'adultesur lequel viennent s'insérer quatre membres
xx 28
4M 2 HALIPRÉ ET RIÉBEIIT
ayant tout au plus la longueur de ceux d'un enfant de sept ans 1). Sont res-
- pectés, ajoute Pierre Marie, les os qui se développent sans passer par une
phase cartilagineuse (clavicule, côtes, pariétaux, frontal].
Mais tout n'est pas expliqué dans l'histoire de l'achondroplasie et le
développement exagéré de la tête figurant comme élément presque essen-
tiel du tableau clinique ne peut s'expliquer par une dystrophie du carti-
lage primordial puisque l'ossification du crâne n'est pas précédée d'une
phase cartilagineuse. -
La dystrophie osseuse héréditaire qui nous occupe aujourd'hui a pour
siège d'élection les os longs des membres. Là encore c'est au voisinage du
cartilage d'accroissement que se localise la lésion principale Mais con-
trairement à ce qui paraît exister chez l'achondroplasique, les os du tronc,
omoplate, bassin (bassin épineux), colonne vertébrale, ainsi que les os
du crâne sont intéressés. Il est vrai qu'ils sont beaucoup moins touchés
que les os des membres.
Ainsi achondroplasie et dystrophie osseuse relèvent d'une viciation du
processus normal d'ossification.
Dans l'achondroplasie il y a surtout arrêt de l'ossification dépendant du
cartilage primordial.
Dans la dystrophie osseuse il y a surtout exagération de l'ossification,
cette surproduction se faisant aux dépens des multiples éléments qui assu-
rent la formation de l'os, cartilage et périoste pour les membres,tissu em-
bryonnaire primitif pour le thorax, le crâne et la face.
Les dystrophies osseuses localisées, comme le Leontiasis ossea de Vir-
chow seraient justiciables du même mécanisme.
Ajoutons que l'arrêt de développement du cubitus dans les deux obser-
vations montre la coexistence possible de deux processus opposés chez un
même sujet. Ne voyons-nous pas d'ailleurs dans les arthropalhies ner-
veuses (tabes, syringomyélie) des hyperostoses exubérantes coexistant
avec la raréfaction du tissu osseux voisin.
NOUVELLE Iconographie DE la SALPRTRIL`RE. T. XX. Pl. LXXXIV
ACROMÉGALIE AVEC OSTTOAR1'I1ROPATI11ES
(l3crlarschi)
) ? -... ? T'- ? 'C ? r ? Lie Il 1111L1cIe tiW 15 51 jeunesse et actuellemcnt.
INSTITUT DES RACHTTIQUES DE MILAN. PROF. GALEAZZI, Directeur
SUR UN CAS D'ACROMÉGALIE
AVEC OSTO-ARTHROPATHIES ET PARAPLÉGIE.
PAR
V. BEDUSCHI
On a beaucoup écrit sur l'acromégalie, et nous possédons tellement de
cas cliniques que la description d'un nouveau cas serait superflue si ce-
lui-ci ne présentait des caractères qui le différencient par des symptômes
particuliers du cadre commun de la maladie de Pierre Marie.
lsabella Fabiano, née à Trani,est âgée de 30 ans : son père et sa mère sont
envore vivants et sains ; elle a trois frères et une soeur qui jouissent tous d'une
bonne santé. La malade a été saine jusqu'à l'âge de 15 ans ; à cette époque
elle a souffert de douleurs gastro-intestinales qui épuisèrent ses forces ; elle se
maria à 22 ans, et trois mois après son mariage, elle eut un avortement qui
fut suivi, pendant uue année, de fortes douleurs lombaires ; ensuite elle fut de
nouveau enceinte et six mois après elle commença à remarquer une saillie de
l'oeil droit et un accroissement notable du genou droit accompagné de douleurs
très vives. Elle accoucha à terme ; l'enfant mourut à l'âge de dix mois. Après
l'accouchement les douleurs augmentèrent, et à la suite de pointes de feu elles
diminuèrent. Ses menstrues, suspendues pendant onze mois, réapparurent,
et, alors, la malade s'améliora. Jusqu'à 27 ans sa santé demeura dans un état
stationnaire ; à ce moment ses menstrues furent de nouveau suspendues, et
des symptômes de plus en plus graves apparurent qui conduisirent la malade
à l'état actuel.
Des tuméfactions molles se formèrent peu à peu aux membres inférieurs au
niveau du tibia; d'abord ces tuméfactions produisirent des douleurs intenses,
puis graduellement elles devinrent dures comme l'os lui-même et indolores à
la pression ; actuellement elles sont dans cet état.
Les articulations des genoux grossirent, devinrent plus douloureuses,et de-
meurèrent déformées, comme elles le sont aujourd'hui.
Pendant ce temps la face se déformait aussi en raison du progrès de l'exoph-
talmie, de- l'augmentation du volume des os et de l'avancement de la mandi-
bule (PI. LXXXIV).
Le volume des mains s'accrut au point qu'il devint impossible à la malade
de passer son alliance au doigt.
41l ' DEDUSCUL 1
La colonne vertébrale se courbant, la stature diminua.
Le volume des pieds aussi augmenta, sans toutefois les déformer d'une façon
remarquable.
On lit suivre plusieurs fois la cure antibiotique, mais les symptômes ne se
modifièrent pas.
Depuis quelques mois on remarque un affaiblissement lent et progressif des
membres inférieurs, de sorte que la patiente ne peut marcher qu'avec des bé-
quilles ; elle n'a pas de douleurs aux membres, mais une céphalée, localisée
particulièrement à la région pariétale droite et ayant un caractère pulsatil, la
tourmente ; elle se plaint de faiblesse générale, de vertiges, accompagnés de
paresthésies aux membres inférieurs.
Etai actuel. - I. F. est de taille moyenne, sa nutrition est passable. Elle
ne présente pas d'hypertrophies glandulaires. Sa peau est brune, avec des ta-
ches de pigmentation jaunâtres au visage. L'examen des viscères ne présente
rien de notable. L'examen des urines est négatif.
, La malade a le front bas et les sinus frontaux plutôt saillants ; l'exophtal-
mie est prononcée à droite ; moindre, mais toutefois visible, à gauche; les zy-
gomas très saillants ; le nez gros, charnu; les lèvres épaisses, et la lèvre in-
férieure tombante : la mandibule est très volumineuse ; le menton est large.
La cavité buccale est très ample, la langue épaisse, avec des sillons profonds
et les papilles très prononcées. Les dents sont longues, la plupart gâtées, et
très éloignées les unes des autres. Les mains sont charnues, les doigts gros et
courts et les articulations noueuses. La colonne vertébrale présente une grande
courbure cyphotique dans la région cervicale et dorsale.
Le genou droit est très gros, le gauche l'est moins, tous les deux sont en
valgus, mais particulièrement le droit. A l'union du tiers moyen et du tiers
inférieur du tibia gauche, on remarque deux saillies de la grosseur d'une noix.
Les pieds sont volumineux et les orteils sont accrus en largeur et en épaisseur.
A la palpation on ne perçoit rien dans le squelette aux membres supérieurs,
à la colonne vertébrale, aux côtes, au sternum, au bassin ; au contraire, au
fémur droit, à la partie moyenne, on palpe une saillie bosselée, très dure, mais
qu'on ne peut pas déplacer ; l'os dans sa partie inférieure est très gros et irré-
gulier. Le tibia droit aussi est gros et irrégulier dans sa partie supérieure. On
obtient le même résultat si l'on palpe le squelette au membre inférieur gauche,
mais les difformités y sont moins développées. On remarque que la saillie sus-
dite du tibia est due à une exostose. Du reste l'examen des épreuves radiogra-
phiques ci-jointes, obtenue par le Docteur Stampa, nous renseigne mieux
qu'une description détaillée (PI. LXXXV, LXXXVI. LXXXVII). ,
L'articulation de la hanche droite est libre; la flexion du genou est limitée;, ¡,
à gauche l'articulation de la hanche est libre, elle est au contraire limitée en
correspondance du genou.
Examen du système nerveux. - Il n'y a pas d'altération des mouvements
dans les muscles du visage- Le mouvement des globes oculaires est normal ;
toutefois le globe de l'oeil droit est en strabisme externe ; ce strabisme existait
avant le développement de cette infirmité, on peut le voir sur une ancienne
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PI. LXXXV : 1CR0\Il : GAI.IE AVEC OSTIù0ART11RO1'AT111)rS
(Bedllschi)
Radiographie des genoux.
MflC;C'Ql1 rt ri,. 7 ' ? . , ? .... .7 ? ... ?
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. XX. PL LXXXVI
ACROMËGAL1E AVEC OST.0 : 1R'I'I1R01'A'I'lIlES
(Bediisciii L ,
sur UN cas d'acromégalie 443
photographie de la malade. La langue est deviée; à droite ; elle est mobile en
tous les sens, elle n'offre rien de remarquable, excepté son volume exagéré.
Les mouvements des membres supérieurs sont normaux et la force y est assez
bien conservée.
Aux membres inférieurs, au contraire, la flexion de la cuisse sur le bassin
est très faible ainsi que l'extension ; la flexion et l'extension des jambes out
presque disparu ; la mobilité du pied est normale. La sensibilité est conservée
entière sur tout le corps et dans toutes ses formes.
L'examen des réactions pupillaires, du champ visuel et du fond de l'oeil est
complètement négatif. Outre le sens de la vue, tous les sens ont conservé leur
intégrité. ,
Les réflexes profonds sont faibles aux membres supérieurs; aux membres
inférieurs on remarque l'absence du réflexe au-dessous et au-dessus de la ro-
tule et du réflexe achilléen ; on constate, au contraire, la présence des réflexes
superficiels. ,
L'examen électro-faradique a démontré l'hypoexcitabilité des muscles de la
jambe, particulièrement remarquable à la région postérieure ; aux cuisses, au
quadriceps ; seul le vaste interne est légèrement excitable ; les autres parties
sont hypoexcitables. L'hypo-excitabilité des autres muscles est évidente.
L'examen psychique ne présente rien de remarquable.
Il n'y a pas de doute que nous ayons affaire à un cas d'acromégalie
avec des manifestations insolites de dystrophie ostéo-articuiaire et
nerveuse.
La malade présente le facies typique ayant tous les caractères physio-
nomiques qui servent à déterminer l'individualité nosologique de l'acro-
mégalie.
L'exophtalmie, le nez déformé et charnu, les zygomas saillants, les
lèvres enflées, le prognathisme, le menton exagéré, la langue épaisse, la
diastase dentaire : voilà les caractères de la physionomie acromégalique.
L'accroissement des mains et des pieds est considérable. L'examen radio-
graphique nous montre d'autres faits sur l'existence desquels Béclère a
insisté.Dans ce cas nous avons un épaississement exagéré des os du crâne,
et une distribution irrégulière de cet épaississement, lequel est tellement
marqué qu'il empêche de se rendre compte s'il y a augmentation des
diamètres de la selle turcique ; de même nous avons un développement
exagéré des sinus frontaux dans le sens de la hauteur et de la profondeur..
On voit aussi chez cette malade la cyphose et la difformité du thorax,
ainsi que deux autres symptômes essentiels de l'acromégalie : l'aménor-
rhée et la céphalalgie, laquelle est continue et ne lui laisse pas de repos.
Mais ce qui, surtout, rend intéressant le cas que présente ce sont
' deux ordres de faits : la paralysie flasque et les graves dystrophies ostéo-
446 BEDUSCIII
articulaires qui n'ont pas été décrites dans les cas connus d'acromégalie,
si toutefois mes recherches bibliographiques ont été suffisantes.
Ces lésions médullaires dans l'acromégalie furent décrites par Marie et
Marinesco, par Bonardi, par Sainton et State, par Klebs, par Linsmayer,
par Arnold, par Duchesneau et par Cagnetto, lesquels remarquèrent les
lésions des cordons postérieurs ou antéro-latéraux, celle des racines pos-
térieures ; ou bien l'énorme accroissement de la moelle in-toto.
On remarque souvent dans l'acromégalie l'absence du réflexe rotulien ;
et cela peut défendre de la compression supportée par les racines nerveuses
correspondant aux trous de conjugaison déformés par le processus mor-
bide des os. Mais dans le cas actuel, outre l'abolition des réflexes rotulien
et achilléen, nous avons une paralysie avec amyotrophie, et l'inexcitabilité
faradique dans certains groupes iiiuscul aires, l'hypoexci tabi 11 té de certains
autres ; en somme, l'altération à de différents degrés dans tous ces mus-
cles. La lésion anatomique qui peut expliquer ces faits est-elle dans la
moelle ou bien dans les racines, ou dans l'une et les autres ensemble ?
Pour le moment, puisque l'examen anatomo-pathotogique manque, il
est prudent de ne pas formuler d'hypothèses ; il suffit de faire remarquer
ce fait clinique insolite, lequel pourrait nous conduire à admettre à côté
des attributs de l'acromégalie amyotrophique (Duchesneau), douloureuse
(Sainton et State), une forme paralytique.
Pour ce qui se rapporte à l'énorme accroissement des os des membres
inférieurs, à l'exostose et aux ostéopli3 tes, aux difformités articulaires que
la radiographie met en évidence, nous nous demandons quelle est la pa-
thogénésie que nous devons admettre.
On doit exclure que la syphilis ait donné lieu à un tel processus, parce
que la malade n'a pas été contagionnée, parce que des manifestations
semblables n'apparaissent pas dans l'anamnèse ; et parce que la cure anti-
luétique, entreprise aux premiers symptômes du mal, n'en a pas empêché
l'évolution.
On pourrait croire que les lésions des os soient produites par des alté-
rations médullaires, comme il arrive dans le cas de tabes ou de syringo-
myélie. Mais dans ce cas nous ne pouvons pas admettre que ces lésions
sont celles du tabes ou de la syringomyélie ; les ostéo-arthropathies tabé-
liques et syringomyéliques n'ont pas la physionomie du cas actuel. Du
reste, l'histoire de la malade nous apprend que les lésions ostéo-articulai-
res ont précédé la manifestation des symptômes des maladies de la moelle
épinière : avec la déformation du visage parurent d'abord l'aménorrhée et
les altérations des os, ensuite les phénomènes paralytiques et amyolro-
phiques.
Il est donc logique de supposer que nous sommes en présence d'une
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. PI. LXXXVII
ACROMÉGALIE AVEC OS1'1 : OARTIIROPATIIII : S
. (Bediiçcl)i)
. - R'ldirlrrt-'1nhip-A"r""1 1'1 ? r ? - ? T . -- - ' ' -* -
SUR UN CAS d'acromégalie 447
manifestation assez rare du processus acromégalique, manifestation qui est
liée aux autres symptômes comme une conséquence de la cause pathogé-
nique de laquelle ils dépendent tous. Rechercher quelle est cette cause
équivaut à exposer les théories scientifiques de la pathogénie de l'acromé-
galle : ce qui serait superflu. Mais il faut remarquer que, dans ce cas,
étant donné l'examen négatif du fond oculaire, du champ visuel, de la
radiographie, on n'a pas de symptômes qui annoncent l'accroissement de
l'hypophyse.
Si on voulait essayer d'interpréter ces faits, il faudrait peut-être avoir
recours aux connaissances que l'on a sur les rapports qui existent entre
l'acromégalie et le gigantisme, rapports qui ont été établis par les faits
cliniques et par les résultats de l'observation de l'anatomie pathologique,
et qui démontrent que, aussi bien l'un que l'autre, les deux processus
morbides sont le résultat d'une cause unique. Ce facteur encore indéfini,
qui détermine chez l'individu jeune le gigantisme en exagérant l'activité
des cartilages de l'épiphyse et du périoste, chez l'adulte détermine les dif-
formités de l'acromégalie (Brissaud et Henry Meige).
Chez cette malade le processus de l'acromégalie commença à 23 ans,
c'est-à-dire longtemps après que l'épiphyse a été soudée à la diaphyse, et
lorsque l'activité des cartilages de l'épiphyse ont perdu toute leur activité.
Il doit y avoir eu dans ce cas une excitation anormale à l'ostéogénèse,
au détriment du périoste et des cartilages articulaires. Si l'on observe les
radiographies on voit que l'activité du périoste a été énorme partout, exa-
gérée irrégulièrement en certains points ; et, de la sorte, elle a donné lieu
à différentes formes d'exostose.
Cette condition morbide, exceptionnelle, dans les formes typiques
d'acromégalie, mérite d'être signalée ; elle contribue à compléter l'histoire
clinique de la maladie de Pierre Marie.
.SUR UN NOUVEAU CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE.
CONSIDÉRATIONS SUR L'ÉTIOLOGIE ET LA PATIIOGÉNIE
DU TROPHOEDÈME
PAR
C. PARHON ET P. CAZACOU
(de Bucarest).
L'étude des troubles trophiques constitue certainement une des plus in-
téressantes que nous offre la pathologie, car non seulement elle nous mon-
tre des modalités pathologiques assez variables et curieuses, mais elle tend
à éclairer les phénomènes normaux de la nutrition. Et la nutrition c'est
la vie ! 1
On comprend dès lors combien est grand l'intérêt qui s'attache à tous
les problèmes concernant les troubles trophiques.
Parmi ces derniers le trophoedème chronique, syndrome bien connu
surtout depuis les travaux de Henry MLICU (1), est sans conteste un des
plus dignes d'attention.
Les cas publiés jusqu'à présent ne sont pas trop nombreux, et cela jus-
tifie déjà jusqu'à un certain point la publication de ceux qu'on a l'occasion
d'observer de temps en temps. Mais celui que nous rapportons dans ce
travail va nous permettre quelques considérations sur la pathogénie du
trophoedème, considérations qui, sans avoir la prétention de résoudre cette
question si intéressante, pourront peut-être indiquer des voies nouvelles
dans lesquelles ceux qui s'occupent du problème s'engageront peut-être
pour chercher sa solution.
Nous commençons par donner l'observation de la malade pour exposer
ensuite les considérations qu'elle nous suggère.
Il s'agit d'une jeune femme âgée de 35 ans. Son père est mort à l'âge de
62 ans avec un oedème mou généralisé (lésion rénale ? ).Sa mère, âgée de 67 ans,
jouit d'une santé assez bonne pour son âge.
Plusieurs des frères ou soeurs de notre malade sont morts en bas-âge à la
SUR UN NOUVEAU CAS DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE 449.
suite de maladies infectieuses. De ceux qui en restent encore deux ne présen-
tent rien d'anormal. Le troisième est au contraire très nerveux.
La malade elle-même a eu des maladies infectieuses multiples. C'est ainsi
qu'elle a souffert de paludisme à 6 ans, de fièvre typhoïde à 10 ans, de rou-
geole à 12 ans et de varicelle à 14 ans. De plus elle a eu plusieurs fois des
phlegmons amygdaliens. Menstruée à 16 ans. Les menstrues étaient doulou-
reuses et duraient 3 jours. Mais depuis l'âge de 18 ans les douleurs ont dis-
paru et la fonction menstruelle se répète régulièrement tous les 26 jours.
A l'âge de 23 ans elle a eu une éruption intéressant la face, le tronc et les
membres, constituée par des éléments proéminents (papules) et très prurigi-
neux. Cette éruption duraun mois et s'est répétée pendant chaque hiver, avec
une intensité décroissante les quatre années suivantes.
Elle présente d'ailleurs maintenant encore parfois, surtout quand elle se
fâche, des éruptions peu marquées, mais très prurigineuses sur le front, le
tronc et les membres.
Depuis l'apparition de ces troubles la malade a exclu la viande de son ré-
gime.
Deux ans plus tard,c'est-à-dire à l'age de ô ans, les jambes et les cuisses ont
commencé à se tuméfier d'une façon symétrique.
Cette tuméfaction était dure, régulière,sans modifications dans la coloration
des téguments. La marche était un peu gênée par cette tuméfaction.
En même temps la malade commença à présenter un état de faiblesse géné-
rale, des céphalalgies, de l'apathie, de la peur d'espaces, ainsi que de légères
contractions musculaires involontaires (tremblement fasciculaire) et la sensa-
tion qu'elle va tomber en arrière.
Il y a deux ans elle consulta un professeur d'Odessa qui diagnostiqua la
neurasthénie et lui prescrit de l'eau minérale de Contrexéville, du bromure
de lithium et plus tard de la valériane et enfin du fer et des bains froids.
Il y a un an le professeur SCECOr.ErF d'Odessa lui prescrit du fer et de l'ar-
senic. Elle subit 13 injections de cacodylate de soude, mais son état ne fit que
s'empirer.
Etat actuel. - La malade, de taille moyenne,présente le système osseux et
-musculaire bien développé. Visage un peu pâle. Maxillaire inférieur un
peu proéminent. Sur la muqueuse de la lèvre inférieure, tache noire datant
de 3 ans et ayant les dimensions d'une pièce de 90 centimes.
Rien au coeur et aux poumons. Les fonctions gastro-intestinales ne présen-
tent pas d'altérations appréciables. La rate est un peu augmentée.
Ni sucre ni albumine dans l'urine.
La malade présente des céphalalgies ainsi qu'une hyperesthésie du cuir
chevelu. Elle accuse encore des douleurs lombaires,un manque d'énergie, de
I apathie, des fourmillements, des spasmes musculaires, un affaiblissement de
l'attention, la sensation d'être en imminence de tomber en arrière.
L'intelligence ne présente pas d'écarts marqués du type normal. On doit
pourtant signaler une religiosité exagérée, avec pratique ponctuelle de toutes
les prescriptions du rite orthodoxe. Elle va très souvent à l'église où elle reste
450 PARUON 'ET CAZACOU
des heures entières debout,ce qui aurait peut-être favorisé dans une certaine
mesure au moins l'apparition du trophoedème de ses membres inférieurs.
Ces derniers sont en effet le siège d'un oedème ou mieux peut-être d'un
pseudo-oedème dur, élastique. La pression, même énergique, n'est pas dou-
loureuse, et le doigt ne laisse qu'une faible impression. La coloration des
téguments est normale. On ne remarque pas de dilatations vasculaires. Cette
tuméfaction commence au niveau des plis inguinaux et s'arrête à celui des mal-
léoles. -
Nous regrettons beaucoup de ne pouvoir donner une photographie de la
malade, mais elle a refusé catégoriquement.
Les circonférences des jambes et des cuisses donneront une idée de l'agran-
dissement considérable de volume qu'elles présentent.
Il nous a semblé bon de mettre en parallèle ces dimensions avec celles des
- membres d'une autre malade (âgée de 19 ans) atteinte du même trouble mais
d'un seul côté et dont l'un de nous a publié l'observation avec FLORIAN (2).
On pourra de cette façon établir une comparaison avec les dimensions d'un
autre membre atteint de trophoedème et surtout avec ceux d'un membre nor-
mal d'une malade à développement moyen.
SUR UN NOUVEAU CAS DE Tliol'ilD1.61E CHRONIQUE 451
l'organisme interviennent. Cela nous expliquerait l'apparition fréquente
du trophoedème à l'époque de la puberté.
Dans d'autres cas,comme dans celui de Rapin (3l,le trophoebème semble
reconnaître pour cause une infection à début brusque et fébrile, avec les
allures de celui de la paralysie infantile et on doit se demander avec l'au-
teur suisse si dans son cas, comme dans les autres d'ailleurs il ne s'agit
pas des formes spéciales de poliomyélite aiguë ou chronique, formes dont
la symptomatologie si bizarre a son explication'simplement dans le siège
de la lésion dans les régions médullaires en rapport avec le grand sympa-
thique ?
Il faut enfin admettre à la suite des faits observés par SICARD et LAIGNEL-
Lavastine (4), par Etienne (5) un trophoedème d'origine traumatique et
dont le mécanisme semble être d'ordre réflexe conformément à l'opinion
de ce dernier auteur.
Dans notre cas il ne s'agit pas d'un cas héréditaire et familial. La ma-
lade a été affectée par des infections multiples et on peut supposer que
l'une ou l'autre de ces infections a été le point de départ d'une altération
des centres nerveux ou d'une modification de l'état général de la malade
ou de l'une ou de l'autre en même temps, etc.
En tout cas c'est là une simple hypothèse dont la démonstration et la
justesse ne ressortent pas d'une façon claire de notre observation.
En tout cas les poussées d'urticaire qu'elle a présentées assez souvent
indiquent un état constitutionnel congénital ou acquis, mais dont l'exis-
tence ne semble pas douteuse.
Nous devons nous demander si la station debout longtemps et souvent
prolongée, pendant les pratiques religieuses du rite orthodoxe, ne doit pas
être incriminée dans une certaine mesure.
Mais c'est surtout la question pathogénétique qui nous semble offrir le
plus vif intérêt.
Un premier point, celui de la topographie segmentaire du trophoedème,
plaide hautement en faveur d'un trouble nerveux, d'origine médullaire.
Certaines dispositions anatomiques sur lesquelles l'un de nous avec
Florian ont attiré l'attention dans leur travail déjà cité semblent de nature
à donner une explication suffisante de la topographie segmentaire de ce
trouble trophique. Nous ne reviendrons pas sur ce point, renvoyant le
lecteur au susdit travail. Mais nous voudrions ici insister plus longtemps
sur un autre point touchant de près le mécanisme du trophoedème.
Récemment Valobra (6) dans une communication à la Société de Neu-.
rologie de Paris et dans un travail paru dans la Nouvelle Iconographie de
la Salpêtrière envisage l'eedème nerveux circonscrit de l'urticaire, de la
forme de Quinckh et du trophoedème chronique, comme la conséquence
452 PAHUON ET CAZACOU
d'une altération de la sécrétion,lymphatique, qui peut frapper une région
plus ou moins étendue, plus ou moins profonde du derme ou bien de
l'hypoderme.
La forme de QUINCKE, serait le représentant type de ces oedèmes et par
un examen attentif, on peul en démontrer la présence dans toutes les
observations de ce genre. Dans l'urticaire, l'oedème lymphatique avec sa
marche aiguë s'accompagne de phénomènes vaso-moteurs; dans le tro-
phoedème chronique il produit par sa présence prolongée l'hypertrophie
secondaire du tissu conjonctif sous-cutané.
Toutes ces formes représentent des types cliniques séparés, quoique
liés par des cas de passage. Mais elles reconnaissent une pathogénie
unique : au moins elles dépendent toutes de l'altération du système lym-
pho-sécréteur.
L'auteur italien considère ces trois formes d'oedème nerveux « comme
la conséquence d'une excilo-sécrélion localisée de la lymphe. Celle sécré-
tion se ferait par l'action de fibres sécrétrices qui sont douées, comme les
vaso-motrices, de voies et de centres spéciaux, ces centres pouvant pré-
senter chez certains sujets une excitabilité spéciale. Cette excitabilité
morbide peut être acquise, mais plus facilement elle est congénitale et
familiale ».
* Celte hypothèse d'un trouble dans la circulation lymphatique sous la
dépendance du système nerveux semble très admissible, ainsi que l'un de
nous l'a déjà dit dans son travail antérieur fait en collaboration avec FLO-
Rien. On doit encore se demander si, dans certains cas, des obstacles à la
circulation mécanique de la lymphe ne peuvent pas réaliser un tableau
plus ou moins semblable, voire même identique à celui du trophoedème
chronique sans l'intervention du système nerveux.
Hertoghe (7) dont les travaux sur l'hypothyro'idisme sont si connus a
fait intervenir la tare llypotlyroïclienne dans la pathogénie du trophæ-
dème.
Celle hypothèse ne nous explique pas la topographie segmentaire de ce
trouble trophique. Mais elle ne doit pas être non plus rejetée sans droit
de recours.
On peut facilement concevoir une tare hypothyroïdienne et en même
temps une excitabilité anormale ou un manque d'action inliibilrice sur
la sécrétion lymphatique de certains centres nerveux, surtout médullaires,
et ces deux facteurs se prêteraient un mutuel secours pour déterminer
. l'apparition du trophoedème.
Noire cas apporte en tout cas un sérieux appui il la conception de la pa-
renté étroite qui unit le trophoedème, l'oedème aigu de Quincque et l'urti-
caire, car nous avons vu que cette malade présentait assez fréquemment
SUR UN NOUVEAU CAS DE TROPIIOÈDÈME CHRONIQUE 453
des éruptions d'urticaire, éruptions très prurigineuses et intéressant non
seulement les membres inférieurs, mais aussi les supérieurs, le tronc el
, la face. 1
Elle présente donc une disposition particulière à ces stases ou transsu-
dations lymphatiques efon peut penser que son trophaedème est dû à une
transsudation analogue dans le tissu cellulaire sous-cutané de ses membres
inférieurs, favorisée probablement par la station debout longtemps pro-
longée ainsi que par une lésion, infériorité fonctionnelle ou hyperexcita-
bihté, hypothétiques d'ailleurs de certains centres en rapport avec l'in-
nervation des lymphatiques.
Mais cette disposition particulière à des stases ou à des transsudations
lymphatiques qui n'est pas limitée aux membres inférieurs soulève le
problème d'un certain état constitutionnel qui peut bien ne pas résider
dans le système nerveux, même si l'on veut admettre l'intervention néces-
saire de ce dernier dans tous les oedèmes dénommés d'une façon un peu
précoce peut-être - nerveux.
Ceci nous amène à parler et à faire intervenir dans la pathogénie de l'oe-
dème aigu et du trophoedème l'existence d'un mécanisme sur la possibilité et
sur l'importance duquel l'attention a été attirée récemment à propos de
l'étude de l'urticaire.
, VRcr a émis l'opinion que l'urticaire est la conséquence directe de la
. diminution de la coagulabilité du sang. « Il considère du reste les urti-
caires et les oedèmes aigus comme des hémorragies séreuses ne différant
des hémorragies vraies que par l'absence d'issue de globules rouges et re-
levant de la diminution de coagulabilité. »
« Il fait remarquer en 1894 que les conditions étiologiques de l'urticaire
justifient cette pratique. Comme les épistaxis, l'urticaire frappe souvent les
sujets jeunes dont les os en voie d'ossification font appel aux sels de chaux,
diminuant de ce fait la teneur du sang. Les fruits non murs, acides, les
lavements de savon, la rhubarbe, riches en oxalates, oléates ou stéarates,
causes fréquentes d'urticaire, précipitent la chaux. Les urticaires consécu-
tives aux injections de sérum peuvent être assimilées à celles qui appa-
raissent chez les chiens à la suite d'injections intraveineuses de peptones,
qui diminuent la coagul abil i té. La même explication conviendrai aux urti-
caires consécutives à l'ingestion d'écrevisses, de moules, de fraises, aux
affections de foie, etc... »
N : TT1m (8), auquel nous empruntons cette exposition des idées de WRci',
rappelle aussi que IIEmENUam avant Wrigt avait montré dans son mé-
moire sur les lymphagogues, les relations del'urticaire avec les oedèmes qui
succèdent à l'ingestion de muscles d'écrevisses, de moules, phénomènes
considérés par le physiologiste allemand comme en rapport avec une ex-
sudation plus considérable de lymphe.
454 PARHON ET CAZACOU
NETTER ne croit pas que l'urticaire soit due simplement à la diminution
de la coagulabilité du sang, car. dit-il, si dans les observations de Roos et
dans une observation de PARAIlIOIOE, l'urticaire coïncidait avec une diminu-
tion de la coagulabilité du sang, n'y eut rien de pareil dans l'observation
personnelle de PARAMORE où l'ingestion d'acide oxalique ne modifia nulle-
ment le temps de coagulation. L'observation personnelle dont il s'agit se
réfère au fait que PARAMORE ingérant pendant une semaine de l'acide oxali-
que (0, 65 cent. par jour) ressentit des démangeaisons extrêmement péni-
bles, surtout la nuit, et vit apparaître une papule et quelques pétéchies.
L'auteur français observe qu'on admet aujourd'hui que les oedèmes sont
sous la dépendance d'une augmentation de la pression osmotique, elle-
même en rapport avec la répartition des électrolytes, et à ce propos il se
demande si l'apport de calcium ne pourrait agir en soustrayant l'eau
extravasée dans les plaques d'urticaire ?
La conclusion qui semble découler des faits ci-dessus cités semble être
celle de l'existence d'un rapport assez étroit entre l'apparition de l'urti-
caire comme de l'oedème aigu et certains troubles du métabolisme calcique.
Or ainsi que le remarque V ALOBRA et que notre cas vient le confirmer,
il semble bien qu'il faut admettre que le trophoedème chronique n'est
que l'aboutissant d'un processus identique par sa nature à celui de
l'oedème aigu.
Cela nous amène à émettre l'hypothèse d'une relation entre certains
troubles du métabolisme calcique et le trophoedème chronique.
L'influence du système nerveux pourrait n'être que celle de déterminer
la prépondérance du processus sur une région déterminée ou peut-être
aussi,au moins dans certains cas,de le créer de toutes pièces mais seulement
dans la région atteinte par l'oedème. Mais en tout cas rien ne prouve que
dans certains cas, comme dans le nôtre par exemple, la prédisposition aux
transsudations ne reconnaisse une cause plus généraleet pouvant être indé-
pendante du système nerveux, par exemple un trouble du métabolisme
calcique général d'origine glandulaire.
Il serait intéressant de connaître l'état de la coagulabilité du sang dans
le trophoedème. Nous n'avons pas pu malheureusement pratiquer cet
examen dans notre cas.Nous rappellerons ici à ce propos que LANNois (9) et
son élève Roué (10) ont pu observer le trophaedéme dans l'épilepsie-ou
d'après Besta (11) la coagulabilité du sang est diminuée.
(L'un de nous observe en ce moment une épileptique avec de véritables
hémorragies menstruelles qui sont certainement en rapport avec la di-
minution de la coagulabilité du sang.)
Il semble donc qu'on peut supposer que le trophoedème est, au moins
SUR UN NOUVEAU CAS DE TROPHOEDRAME CHRONIQUE 455 5
dans certains cas,en rapport avec un trouble du métabolisme calcique, ce
qui favoriserait une transsudation de la lymphe dans les tissus.
Si nous nous rapportons aux connaissances d'ailleurs assez peu nom-
breuses, que nous possédons sur les facteurs qui règlent le métabolisme
calcique nous devons forcément penser à l'insuffisance thyroïdienne.
L'un de nous a soutenu en 1904 avec PAPINIAN (12) que la glande thy-
roïde a un rôle très important dans l'assimilation du calcium, et de fait
on trouve dans l'insuffisance thyroïdienne l'arrêt de la croissance, la carie
dentaire, la diminution de la coiglilabilité du sang, tant de faits qui sont
certainement en rapport avec une assimilation ou une utilisation défec-
tueuse du calcium et nous pouvons rappeler que Léopold Lévi et ROT-
SCIIILD (13) ont eu l'ingénieuse idée d'attribuer la constipation des hypo-
thyroïdiens à un trouble du même genre. M. NETTER pense également que
la glande thyroïde a un rôle important dans le métabolisme du calcium.
On conçoit que dans ces conditions on peut s'attendre à l'apparition des
troubles tels que ceux de l'urticaire, de l'oedème aigu ou du trophoedème
sur un terrain d'hypothyroïdie.
Et de fait t HEIBERG (14) a publié l'observation d'une femme myxoedéma-
teuse qui présentait une éruption pemphygoïde. Cette éruption avait été
précédée par l'apparition de papules semblables à celles de l'urticaire. La
malade fut soumise à la thyroïdine et les bulles disparurent avec l'amélio-
ration de l'état général pour être remplacées par des papules urticariennes
qui disparurent enfin à leur tour.
L'opothérapie thyroïdienne en rétablissant l'équilibre calcique a fait
cesser, précisément par ce fait selon nous, les troubles ci-dessus mention-
nés. La conception ci-dessus décrite est susceptible de nous donner la clef
de certains phénomènes, tels que l'apparition fréquente du trophoedème à
l'époque de la puberté et sa fréquence plus grande dans le sexe féminin.
En effet la puberté signifie l'entrée en fonction des glandes génitales,
des ovaires pour la femme.
Or ces glandes antagonistes de la thyroïde, à plusieurs points de vue,
favorisent la décalcification de l'organisme et donc les conséquences de
celle-ci comme les éruptions urticariennes et le troplloedéme.
On conçoit facilement maintenant pourquoi la fréquence du trophoedème
est également plus grande chez la femme que chez l'homme.
Long (15) a eu récemment l'occasion d'étudier, au point de vue anatomo-
pathologique, les téguments et le tissu cellulaire sous-cutané d'une malade
atteinte de trophoedème (un des cas de RAPIN) et dont un des membres
456 PARUON ET CAZACOU
affectés par ce trouble a été amputé pour une tumeur. Il trouva du tissu
adipeux engaîné dans du tissu conjonctif fibreux.
La transsudation lymphatique conduit à la longue la formation du tissu
adipeux, fait qui est à rapprocher de la présence de lipomes autour des
ganglions tuberculeux, de l'adénolipomatose, etc.
Ces différents faits semblent de nature à éclairer jusqu'à un certain
point certains troubles trophiques et certains faits physiologiques d'un
- ordre très général. -
On comprend maintenant la raison de l'adiposité dans l'hypothyroï-
disme comme une conséquence du même trouble du métabolisme calcique
en vertu duquel la transsudation de la lymphe est facilitée, transsudation
qui à la longue amène la formation du tissu adipeux comme dans le
trophoedème, dans les adénolipomes, etc. Seulement la transsudation et la
formation de la graisse sont généralisées.
L'infiltration myxoedémateuse elle-même semble susceptible d'une
explication analogue. Il s'agit de la même transsudation de lymphe à la
suite du trouble dans le métabolisme calcique. Mais ici il semble que, par
suite de l'absence plus complète de certaines substances, l'élaboration de
cette lymphe est plus défectueuse.
Donc non seulement les troubles de la croissance, de la dentition, de la
coagulation du sang et en partie du système pileux, la constipation dans
l'insuffisance thyroïdienne peuvent être considérés comme la conséquence
du défaut de la fonction calcifiante de la glande en question, mais l'adi-
posité et même l'infiltration myxoedémateuse semblent susceptibles de
reconnaître la même cause. On comprend quelle importance considérable
prendra cette fonction si ces vues sont confirmées.
Cette fonction calcifiante nous donnera la clef de l'action multiple de la
glande thyroïde et son absence ou ses troubles nous expliqueront le tableau
clinique complet ou à peu près de l'insuffisance thyroïdienne. Le rôle du
calcium comme activant de certains ferments nous fera peut-être cor-
prendre par l'absence de cette même fonction l'abaissement des oxydations
dans le myxoedème.
La fonction décalcifiante des ovaires nous explique par le même mécanis-
me la raison du développement plus abondant du tissu adipeux chez
la femme.
Le calcium nous apparaît donc comme un très important facteur régu-
lateur dans le mécanisme trophique des tissus.
Récemment Prunier (16) a soutenu que l'oedème aigu, le trophoe-
dème, le pseûdo oedème catatonique, l'adipose douloureuse, le myxoedème
sont des troubles qui ont beaucoup de connexion entre eux au point de
vue pathogénétique.
SUR UN NOUVEAU CAS DE TRO'PHOEDÈME CHRONIQUE ' · 47
C'est le trouble du métabolisme calcique et la transsudation lymphatique
consécutive qui nous semblent constituer leur lien principal.
Nous ajouterons pour terminer que nous avons soumis notre malade au
traitement thyroïdien ; mais le temps est encore trop court pour pouvoir
nous prononcer sur les résultats. Nous n'ignorons pas certainement les ré-
sultats négatifs obtenus à ce point de vue par Hertoghe lui-même.
Mais, comme le dit cet auteur, ces résultats ne suffisent pas à exclure
l'intervention d'une certaine insuffisance thyroïdienne et cela d'autant
plus, selon nous, qu'il y a lieu de tenir compte de l'influence probable
d'une lésion ou d'une perturbation fonctionnelle de certains centres
nerveux.
Les cas de trophoedème avec goitre, comme celui de LAIGNEL-L : 1VAST11E
et T11AOiN (12), donnent un certain appui à l'opinion de Hertoghe (1).
bibliographie
i. HENRY MEIGE. - Le f1'ophoedème chronique héréditaire. Nouvelle Iconographie de
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13. LÉOPOLD Lévi et II. ROTSCIIILD. - C. R. de la Soc. de Biologie, ne 13, 1907.
(1) Depuis que nous avons écrit ce travail, il y a à peu près deux mois, nous n'a-
vons pas revu la malade qui est partie pour la Russie. Mais d'après les informations
qu'elle nous a envoyé on peut constater à la suite du traitement thyroïdien une di-
minution de la circonférence de ses membres inférieurs.
xx 29
l
458 » PARHON ET CAZACOU
14. HBIBER. - Un cas de myxoedème compliqué d'éruptions vésiculaires. Revue Neu-
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15. LONG. - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n° 2, 1907.
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Salpêtrière, no 2, 1907.
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trophoedème. Revue Neurologique, 1905, p. 1106.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XX. PI. LXXXVIII
A
B
C
D
E
TORTICOLIS MENTAL DE BRISSAUD
(Sicard et Descomps)
A. B. Attitudes du malade dans la première période de l'observation.
C. Appareil plâtré. D. E. Attitudes du malade après l'opération.
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
- (SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 1907.)
TORTICOLIS MENTAL DE BRISSAUD.
INSUCCÈS DU TRAITEMENT CHIRURGICAL
(PL. LXXXIX)
PAR
SICARD de DESCOMPS
Médecin des hôpitaux Interne des hôpitaux
Voici un nouveau cas de ce syndrome singulier que M. Brissaud a dé-
crit sous le nom de « torticolis mental ?
Le malade, M. B..., âgé de 44 ans, a vu son affection débuter au mois
de septembre 1905. D'un naturel violent, coléreux, le malade avait eu à
cette époque des chagrins, des ennuis graves ; la mort de sa femme, sur-
venue quelque temps avant, ne fit qu'augmenter sa tristesse.
A ce moment son torticolis était peu accusé et la déviation de sa tête à
gauche était légère, quoique déjà permanente. Mais bientôt, progressive-
ment, la déviation s'exagère et atteint au bout de 2 mois environ son
maximum. Mais dès ce moment cette violente action musculaire est corri-
gée par une réaction légère : l'apposition de deux doigts de la main gauche
derrière la tête, dans la région occipitale, suffit à faire disparaître le
spasme, qui réapparaît dès que le malade fait cesser l'action de sa main
gauche. C'est là, ainsi que l'a montré M. Brissaud, un fait capital, qui
permet d'affirmer le diagnostic de torticolis mental et qui le différencie
des autres tics rotatoires. « C'est tout simplement, dit M. Brissaud, un
acte de foi de foi qui sauve - puisque, la volonté ne peut jamais s'abs-
tenir assez pour laisser à des muscles antagonistes la liberté de se vaincre
réciproquement. »
B... entre dans le service du professeur Brissaud à l'Hôtel-Dieu, fin
1906. Dès ce moment ce torticolis apparaît indépendant de toute pertur-
bation pyramidale, du moins cliniquement. Les réflexes tendineux sont
faibles tant aux membres supérieurs qu'aux membres inférieurs, et cela
d'une façon symétrique. Il n'existe pas de signe de Babinski, ni de flexion
unilatérale de la cuisse et du bassin. Les pupilles réagissent bien et le
liquide céphalo-rachidien est normal.
Mais à ce moment une modification survient et au torticolis permanent
viennent s'ajouter par instant des secousses spasmodiques qui p ?
violemment la tête en arrière, en extension forcée.
460 SICARD ET DESCOMPS
Sur l'insistance du malade, on applique une minerve plâtrée. L'appa-
reil est gardé 3 semaines. Lorsqu'on l'enlève, la position vicieuse primi-
tive réapparaît aussitôt.
On tente alors,après mise à nu de la branche externe du spinal, l'injec-
tion d'alcool à 90° dans le tronc de ce nerf. Après cette intervention une
amélioration réelle paraît se dessiner. Elle persiste pendant environ 3 se-
maines. Mais au bout de ce temps les phénomènes spasmodiques se révè-
lent plus intenses que par le passé et au torticolis primitif fait place un
a rétrocolis » permanent avec contractions paroxystiques très rapprochées
des muscles de la nuque, projetant violemment la tête en arrière. Nous
refusons de donner notre consentement à une nouvelle intervention chi-
rurgicale, que sollicite le malade. B... quitte alors l'Hôtel-Dieu et entre
à l'hôpital Boucicaut, où sur les instances du malade et pour essayer de
remédier à cette lamentable situation le chirurgien propose la section des
muscles de la nuque. La nouvelle opération est pratiquée et l'on sectionne
la portion occipitale du trapèze, les splénius, les grands complexus, les
petits complexus, les obliques inférieurs.
Deux mois après, soit en septembre 1907, B... rentre de nouveau à
l'Hôtel-Dieu dans le service de M. Brissaud. Il vient nous faire part de
ses mécomptes opératoires. Le malheureux, balafré et couturé, n'a retiré
aucun bénéfice de la dernière intervention sanglante. L'épaule droite
surélevée, il présente toujours le même rétrocolis avec une légère dévia-
tion de la le le à gauche. Mais en outre la tôle privée de l'aide puissante
des muscles de la nuque tend continuellement à tomber en arrière et les
efforts incessants que fait le malade pour la retenir lui causent un sup-
plice épouvantable et continuel.
L'état des réflexes tendineux est resté le même ; en effet, les réflexes
brachiaux, rotuliens sont très faibles, les achilléens à peu près nuls. Un
examen soigneux et méthodique ne décèle aucune perturbation du faisceau
pyramidal.
Depuis le retour du malade à l'Hôtel-Dieu nous essayons la psychothé-
rapie et les exercices de gymnastique comprenant tous les mouvements de
l'extrémité céphalique selon la méthode de notre maître Brissaud. Les
résultats, sans être bien remarquables sont déjà appréciables et le mieux
est manifeste. Arriverons-nous à guérir complètement le malade ? Nous
n'osons l'espérer, surtout après les brèches irréparables des chirurgiens !
Nous ne désespérons pourtant pas, c car, comme le dit M. Brissaud, ici
patience et longueur de temps font plus que force interventions ni que
rage opératoire ».
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL
(HISTOIRE clinique ET thérapeutique).
PAR
HENRY MEIGE.
Voici bientôt quinze ans que M. Brissaud prononça pour la première
fois le nom de torticolis mental. On a critiqué cette dénomination, discuté
sur les causes et la nature de cette maladie. Ce qui est certain, c'est qu'à
dater de cette époque l'attention s'est fixée sur les affections consulsives
de la têle et du cou, assez peu étudiées jusqu'alors. Les exemples pu-
bliés auparavant, épars dans la littérature médicale sous des noms dis-
parates, ont été groupés et rapprochés de faits nouvellement observés.
Cette année même, M. Cruchet a montré, par un scrupuleux travail
d'exégèse, que l'étude des torticolis spasmodiques pouvait donner ma-
tière à un volumineux Traité.
Malgré cette riche documentation, la question des torticolis convulsifs
reste encore entourée de difficultés. De nouveaux faits cliniques aideront
peut-être à les résoudre, et, dans le nombre, ceux surtout dont l'observa-
tion sera poursuivie pendant une longue durée.
Car il s'agit d'affections tenaces, changeantes, capricieuses, dont la
marche oscillante demande à être surveillée au jour le jour, et fort long-
temps. On a d'excellentes descriptions d'ensemble de cette maladie, mais
on a moins bien repéré ses manifestations convulsives suivant leur siège
et suivant leurs formes. Enfin, on connaît moins bien' encore son évo-
lution.
Voilà pourquoi j'ai cru devoir relater l'observation suivante. Mais je
dois d'abord m'excuser : '
Les histoires courtes sont, dit-on, les meilleures ; et c'est vrai, même
pour les histoires cliniques. Or, celle qui suit est longue, très longue
Dans sa longueur même réside, je crois, son intérêt. C'est un torticolis
mental observé pendant six années, très amélioré d'abord, puis récidi-
vant, amélioré de nouveau, reparaissant encore, mais enfin guéri.
De plus, celle observation est doublée d'une auto-observation : le pa-
462 HENRY MEIGE
tient, intelligent et instruit, a fait lui-même une analyse très exacte de
son mal. Et si, en général, il est prudent de n'accepter qu'avec réserve les
renseignements de ce genre, on reconnaîtra sans doute que, dans le cas
particulier, le malade a été un bon collaborateur clinique.
Il a été enfin un collaborateur thérapeutique avisé, d'une conscience
digne d'éloges, et d'une persévérance inlassable. Il en a été récompensé
de la meilleure manière ; car, je ne dis pas : il a guéri ; mais il s'est guéri.
PREMIÈRE PARTIE. OBSERVATION
1S décembre 1902. Taurone à 39 ans. 11 est de petite taille, mais
vigoureux, d'une excellente santé.
Il est intelligent, observateur, réfléchi ; sa parole est simple, claire,
précise. Il a de la fermeté, beaucoup de méthode et de persévérance.
C'est un homme de devoir, consciencieux. Il est sensible, impression-
nable, mais il ne le laisse point paraître.
Fils de cultivateurs robustes, d'une famille où il ne connaît que des
gens bien portants, élevé dans un milieu modeste et laborieux, Taurone
a acquis une instruction solide; il exerce avec succès une profession li-
bérale. Il est marié, il a des enfants qu'il aime tendrement et qu'il éduque
avec soin.
Il avait, à la vérité, cédé à l'habitude de l'apéritif, sans d'ailleurs que
celle-ci devint irrésistible ; il a pu s'en corriger facilement. Il est encore
grand fumeur.
Il mène, en province, une vie paisible, exempte de chagrins et de
préoccupations. Cependant, paraît-il, dans son intérieur, il ne trouve pas
toujours un calme absolu : certaines discordances, pour des vétilles, se ré-
pétant fréquemment, lui ont causé plus d'un ennui. Il en est péniblement
affecté, mais il les supporte avec indulgence, car il est patient, pondéré,
et il a de l'optimisme.
Tel est Taurone, sans hérédité ni passé pathologiques.
Le seul épisode méritant d'être signalé est une sorte de « crampe des
écrivains » survenue il y une dizaine d'années, ayant peu duré, mais réci-
divé, sans jamais d'ailleurs persister longtemps ni l'incommoder beaucoup ,'
Or, il y a six mois environ, en juin 1902, Taurone ressentit un malaise
singulier, qui bientôt s'aggrava. C'était le début d'un torticolis mental.
Le premier symptôme qui l'ait frappé fut le suivant : il lui semblait
que sa tête avait tendance à tomber sur l'épaule gauche II éprouvait
comme une sensation de pesanteur à gauche. Ce qui est certain, c'est que,
de temps à autre, la tête se rapprochait de l'épaule gauche, involontaire-
LES PERIPETIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 463'
ment. Pour y remédier, Taurone relevait la tête en tournant le visage à
gauche. Cela, pense-t-il, devint chez lui une habitude.
Tout de suite, il faut signaler un détail qui peut avoir eu son impor-
tance dans la genèse de ce mouvement involontaire : les deux yeux ne
voient pas également bien ; le gauche est un peu myope et astigmate.
Aussi, de longue date, Taurone a-t-il pris l'habitude d'utiliser surtout
son oeil droit, et, pour cela, il tourne la tête à gauche. C'est pour écrire
que cette attitude lui est notamment familière il fixe son papier avec le
seul oeil droit. se rappelle d'ailleurs que plusieurs personnes ont remar-
qué que,dans la conversation, il avait coutume de tourner la tête à gauche,
et il pense que c'est pour regarder l'interlocuteur de son meilleur oeil.
D'autre part, Taurone entendait moins bien de l'oreille gauche, à l'épo-
que où son torticolis a débuté : autre raison pour lui de tourner la
tête à gauche, afin de prêter attention surtout avec l'oreille droite.
Mais cette diminution de l'acuité auditive à gauche tenait uniquement à
la présence d'un bouchon de cérumen ; celui-ci ayant été retiré, l'ouïe
est devenue aussi bonne des deux côtés. Cependant le mouvement de ro-
tation de la tête vers la gauche a persisté.
Ces troubles visuels et auditifs ont-ils vraiment provoqué une habitude
de rotation de la tête à gauche ? Ou bien, avant que le torticolis fut fran-
chement constitué, existait-il déjà une action prédominante des rotateurs
de la tête à gauche, à laquelle Taurone ne prêtait pas attention ? Ce pro-
blème pathogénique se pose fréquemment quand on recherche les prodro-
mes d'un torticolis mental. Il est certain qu'au commencement la rotation
de la tête passe souvent inaperçue des malades ; elle est constatée par leur
entourage avant qu'eux-mêmes l'aient remarquée.
Mais un jour vient où cette rotation s'exagère, les contractions deviennent t
plus fréquentes et plus violentes. Le malade en est incommodé, gêné,
agacé, irrité ; bientôt il s'en préoccupe, s'en inquiète ; il ne cesse d'y
penser, s'observe, s'analyse. A ce mal irritant s'ajoute l'obsession de ce
mal.
Tel fut le cas pour Taurone. Sa tête tourna davantage à gauche,le visage
dirigé un peu vers le haut : rotation assez lente, suivie d'un retour et d'un
temps de repos. D'abord, il ramena facilement sa tête vers la droite et put
la maintenir dans cette position sans grande peine. Mais peu à peu la
rectification devint plus difficile ; le maintien de la tête dans la position
droite ne put se faire qu'au prix d'un réel effort.
Le torticolis convulsif était constitué. Il se produisait sans cause spé-
ciale, n'était pas plus fréquent pendant la lecture ni pendant les repas.
Il cessait souvent au cours d'une conversation, surtout'si celle-ci était
intéressante. S'exagérant parfois pendant l'écriture, il' disparaissait sou-
464 llENRY MEIGE
vent,pendant la parole, notamment au cours d'un discours animé d'une
certaine durée. Mais il augmentait surtout dans la solitude, et plus en-
core avec les préoccupations et les soucis.
Pendant la nuit, le mouvement de rotation ne se produisait pas au
début; n'a commencé à se manifester au lit qu'au bout de deux ou
trois mois. Dès lors, les nuits sont devenues mauvaises, le sommeil a dis-
paru presque complètement : impossible de trouver une position de repos.
Les soporifiques et les calmants, valériane, sulfonal, même à fortes doses,
sont restés sans effet. Mais, pendant le sommeil, aucun mouvement.
Chose curieuse, et déjà observée chez.plusieurs malades atteints de ce
torticolis, lorsque les nuits sont plus mauvaises, les journées qui les sui-
vent sont meilleures, et inversement.
Plus tard, les repas sont devenus pour Taurone un supplice : chaque
fois qu'il portait son verre, sa fourchette ou sa cuillère à la bouche, la
tête tournait brusquement vers la gauche, comme pour fuir le liquide ou
l'aliment. 1.
Au début, la correction de ce geste involontaire fut possible : il suffisait
de le vouloir, la tête revenait vers la droite ; mais, avec le temps, elle se
maintint de moins en moins longtemps dans cette position.
A partir de cette époque, Taurone commença à se préoccuper de son
torticolis. Pour y remédier, il eut recours, comme ses congénères, aux ges-
tcs antrronistes : il appliquait un doigt sur son menton ; mais il s'en est
spontanément corrigé, ayant connu par la lecture d'un article médical les
inconvénients de ce procédé.
Il a usé d'un stratagème orthopédique. II s'était fabriqué une sorte de
calotte, munie d'une allèle qui partait de l'oreille gauche et venait se fixer
par une épingle sur l'épaule droite. Mais il a renoncé bien vite à cet ap-
pareil, aucune altèle ne pouvant résister aux contractions des muscles de
son cou, exaspérés par celte résistance.
Depuis l'apparition de son torticolis Taurone a pris de nombreux avis
médicaux ; il a suivi plusieurs traitements qui sont restés inefficaces, en-
tre autres une cure thermale et un traitement électrique qui fut désas-
treux. Il est vrai qu'on avait fait usage de courants tellement forts qu'aux
points d'application des électrodes, sur l'épaule et sur le cou du côté
gauche, des eschares se produisirent qui persistaient encore 3 semaines
après la cessation de ce traitement.
16 décembre 1902. - Examen clinique.
Au premier coup d'oeil le sterno-masloïdien droit apparaît notable-
ment plus développé que le gauche ; et cetle hypertrophie est surtout
manifeste pendant la rotation de la tête à gauche, c'est-à-dire pendant la
contraction du muscle ; celui-ci acquiert alors une dureté extrême et pré-
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 465
sente un renflement fusiforme dans son tiers supérieur ; ce n'est là d'ail-
leurs que l'exagération d'une disposition anatomique fréquente chez les
sujets fortement musclés ; le sterno-mastoïdien gauche, lorsqu'il se con-
tracte, offre le même renflement, moins saillant, il est vrai, et moins dur.
Lorsque la tête se maintient directement en face, et que les sterno-
mastoïdiens sont complètement décontractés, on ne constate aucune diffé-
rence appréciable dans leur volume ; mais souvent dans cette position
on voit les deux stemo-mastoïdiens se contracter, faisant saillie sous la
peau ; la tête alors ne tourne pas. Le malade explique à ce propos que,
dès le début de sa maladie, il s'est efforcé de contrebalancer l'action pré-
pondérante du sterno-mastoïdien droit en contractant le gauche, si bien
qu'il est arrivé à développer presque parallèlement ces deux muscles, et
à obtenir une position d'immobilisation forcée dans le regard en face.
L'hypertrophie apparente du sterno-mastoïdien droit était d'ailleurs
plus accentuée, paraît-il, il y a quelque temps et elle a tendance à dé-
croître.
C'est qu'en effet, au début, la rotation de la tête se faisait seulement de
droite à gauche/sans que le menton fut levé ; plus tard, la rotation s'est
accompagnée d'un mouvement de renversement de la tête en arrière, le
menton se portant vers le haut. Au début donc, le sterno-mastoïdien droit
était seul touché ; plus tard, le trapèze droit fut atteint à son tour, et son
action eut pour effet d'ajouter à la rotation de la tête à gauche son ren-
versement en arrière.
La participation du trapèze droit est rendue évidentepar l'élévation de
l'épaule droite,visible surtout pendant la marche. Cependant le malade est
toujours capable d'abaisser cette épaule à volonté, dès qu'il s'en aperçoit
ou qu'on le lui demande.
Lorsque le mouvement de rotation de la tête à gauche est très violent
on voit parfois quelques mouvements convulsifs des muscles de la face :
la commissure labiale gauche est tirée en arrière ; les muscles frontaux
et le sourcilier du côté droit se contractent. De là une grimace exprimant
une gêne douloureuse, sans que cependant aucune sensation de dou-
leur soit éprouvée, et qui paraît dépendre de l'effort que fait le ma-
lade pour regarder en face. Ces contractions faciales cessent d'ail-
leurs instantanément dès qu'il y porte attention.
Dans les crises un peu violentes,. on observe aussi, mais non toujours.
outre .l'élévation de l'épaule droite, quelques mouvements rapides et
successifs de flexion et d'extension des doigts de la main droite.
La rotation de la tête se produit surtout à l'occasion de gestes usuels,
comme de boutonner les vêlements, prendre un objet sur une table, dé-
placer une chaise, etc. ,
466 HENRY MEIGE ' -
Pendant la marche, la rotation de la tête à gauche s'accentue davanta-
ge. Taurone peut cependant avec un léger effort marcher en tenant la
tête tournée à droite ; il lui est plus difficile de marcher la tête regardant
en face, et plus difficile encore de la tenir légèrement tournée à gauche ;
cette dernière position semble solliciter un mouvement de rotation irré-
sistible.
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 467
Dans la rue, les mouvements s'exagèrent encore, et pour deux raisons.
D'abord, Taurone craint de se heurter contre les personnes ou les objets,
parce qu'il voit mal ceux qui sont à sa droite. Mais aussi, il l'avoue,
la peur du ridicule le préoccupe sans cesse : il croit que son attitude et
ses contorsions sont remarquées par tous les passants et que ceux-ci le
tournent en dérision ; il en est péniblement humilié.
Les mouvements sont aussi exagérés lorsque le malade passe dans un
couloir étroit.
La lecture est presque impossible. Dès qu'il prend un livre, la tête est
entraînée à gauche; il ne peut lire que de l'oeil droit, et encore est -il
obligé de déporter constamment son livre vers la gauche.
L'écriture est aussi pénible. Taurone a essayé lui-même de corriger
son attitude vicieuse de la façon suivante : il se tient très droit, et s'efforce
de tourner la tête à droite, c'est-à-dire en sens inverse de son torticolis ;
dans cette position il arrive parfois à écrire pendant une heure sans trop
de gêne; mais d'autres fois la tête est entraînée irrésistiblement à gauche ;
en général cependant, un léger effort suffit pour la ramener dans la bonne
position.
L'écriture a été plus mauvaise autrefois : elle était très irrégulière, les
lignes chevauchaient les unes sur les autres. Actuellement l'écriture est
petite, peu lisible, les caractères sont incomplets, souvent remplacés par
de brusques accents ; il y a de fréquentes échappées de plume.
Taurone n'a pas éprouvé jusqu'à ce jour de douleurs véritables dans le
cou, dans la tête, ni dans les épaules, mais seulement une sensation de
fatigue, de courbature, dans le cou,et une tension exagérée dans le muscle
sterno-mastoïdien droit, lorsque ce muscle est fortement contracté ; ces
sensations disparaissent complètement lorsque la tête reste pendant un
instant dans la position droite. ,
La sensibilité cutanée est normale des deux côtés.
Les réflexes patellaires sont égaux et normaux ; le réflexe cubital du
côté droit est un peu plus vif que celui du côté gauche.
Le malade est capable d'exécuter tous les mouvements qu'on lui com-
mande avec correction, mais il ne peut obtenir qu'avec peine le relâche-
ment musculaire complet. Le phénomène de la chute des bras se constate
facilement : si l'on soutient l'un des bras avec la main et qu'on demande
de le laisser retomber inerte le long du corps, la détente musculaire im-
médiate et absolue ne peut pas être obtenue. Le bras reste étendu trop
longtemps, ou sa chute n'est pas suivie des oscillations normales. Quand
on recherche les réflexes-patellaires on sent une résistance de la jambe
à la flexion ou à l'extension, qui s'oppose à la production du réflexe.
Le tonus musculaire est donc anormal, et cette anomalie se traduit
468 HENRY MEIGE
par un excès d'intensité et de durée de la contraction, analogue à ce que
l'on observe dans le catatonisme. Les muscles semblent être en perpé-
tuelle imminence de contracture. On constate aussi une sorte d'hésita-
tion, de vigilance inopportune dans les actes musculaires, chaque mus-
cle ébauchant une contraction qui avorte et qui est suivie d'une courte
période de relâchement, bientôt remplacée à son tour par une nouvelle
contraction. De là une .apparence d'état vibratoire, variable d'ailleurs
- suivant les moments, mais qui paraît bien'témoigner d'un certain trouble
du contrôle des actes musculaires volontaires.
Un examen électrique a été pratiqué le 22 décembre 1902, par le
Dr Allard.
Le sterno-mastoïdien gauche est notablement plus excitable que le
droit, aussi bien pour le courant galvanique que pour le courant faradi-
que. Les autres muscles de la région (trapèzes, deltoïdes, pectoraux), ne
présentent pas d'anomalie des réactions électriques.
Ces modifications observées dans la contractilité du sterno-mastoïdien
droit peuvent d'ailleurs s'expliquer par l'état de contraction violente et
presque permanente du muscle : un courant électrique notablement plus
fort est nécessaire pour déterminer sa contraction.
Au point de vue mental, Taurone ne présente aucune anomalie, pas
même de bizarreries ni de caprices : volonté ferme et soutenue, intelli-
gence claire, excellente mémoire, affectivité pondérée ; mais il est cer-
tainement émotif.
La préoccupation que lui cause sa maladie est parfaitement justifiée ;
d'abord, il en est grandement incommodé dans la plupart des actes de
la vie ; ensuite, il redoute qu'elle porte préjudice à sa situation so-
ciale. Peut-on trouver excessif qu'il ait cherché à s'éclairer sur la na-
ture et la gravité de son mal, soit en consultant plusieurs médecins, soit
en faisant de nombreuses lectures médicales ? Rien de plus légitime que
cette curiosité intéressée ; rien deplus néfaste, il est vrai, pour un grand
nombre de malades. Tel n'est cependant pas le cas de Taurone. Avec
beaucoup de bon sens, il a su tirer parti de ses lectures pour analyser sa
propre maladie, sans en tirer des conclusions trop pessimistes. Il connaît
presque tout ce qu'on a publié sur le torticolis mental. Il a reconnu dans'
les descriptions les'signes physiques de son mal, mais déclare sincè-
rement ne pas retrouver chez lui les particularités psychiques signalées
chez un grand nombre de sujets. Il demeure convaincu que ses accidents
convulsifs dépendent d'une irritation nerveuse qu'il localise, non pas à
la périphérie, mais dans les centres cérébraux. Il ne croit pas à une lésion
grave, irrémédiable, mais à un état irritatif particulier de la substance
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 469
nerveuse cérébrale. Et il faut bien convenir que cette palhogénie adop-
tée, sinon inventée, par Taurone, est assez défendable.
En somme, un examen prolongé n'a pas permis de constater la moindre
défectuosité mentale, hormis une disposition peut être exagérée à l'in-
trospection, et, par suite, une tendance à l'obsession.
Taurone a commencé son traitement le 20 décembre 1902. - Dès le
début, il a été averti que la durée de ce traitement ne pouvait être fixée à
l'avance et que les progrès dépendaient de sa bonne volonté,de sa régulari-
té et de sa persévérance ; que la maladie suivait, ce qu'il avait lui-même
constaté-, une évolution capricieuse,traversait des périodes d'accalmie el
d'aggravation, sans qu'on puisse souvent en préciser les causes, mais les
fatigues, les émotions étant toujours défavorables; qu'il ne fallait pas espé-
rer obtenir une amélioration régulière, la courbe des progrès présentant
toujours des oscillations, ascensions, plateaux ou descentes, mais qu'en
définitive les efforts de correction étaient toujours récompensés. Ces ex-
plications préliminaires sonten effet indispensables au début de tout trai-
tement de ce genre. La persévérance dans les efforts, une exacte connais-
sance de la marche de la maladie et une juste compréhension du traitement,
sont des conditions essentielles de succès.
Le malade doit mener une vie réglée, méthodique, se coucher tôt, se le-
ver lard, rester environ douze heures au lit, éviter les boissons alcooli-
ques ou excitantes.
Chaque jour, trois fois par jour, aux heures prescrites, répéter régu-
lièrement les exercices qui seront indiqués, sans chercher à en augmenter
la durée ni le nombre ; se rappeler qu'une certaine fatigue,et parfois une
légère recrudescence des phénomènes convulsifs,se produisent parfois dans
les premiers jours, surtout lorsque l'on dépasse la mesure.
Tous les exercices doivent être répétés devant un miroir, le malade étant
assis, le dos non appuyé, les mains posées sur une table.
Sur le miroir est tracée une ligne verticale qui doit couper en deux
parties égales l'image de la face, et une ligne horizontale passant par les
angles des deux yeux ; au-dessous de cette ligne, une seconde ligne hori-
zontale passe par la base du cou, au-dessus des épaules. Les yeux doivent
rester fixés sur le point d'intersection des deux premières lignes. Grâce a
ce dispositif, le moindre déplacement de la tête ou des épaules est facile
à constater.
Deux sortes ^'exercices :
1° Immobilisations . Conserver l'immobilité absolue pendant 5 se-
condes ; recommencer 9 U fois de suite à chaque séance ; se reposer 15 se-
470 HENRY MEIGE
condes entre chaque immobilisation. Augmenter chaque jour de 5 secon-
des la durée de chaque immobilisation.
2° Mouvements. - Mouvements lents, réguliers, sans saccades.
Mouvements élémentaires de la tête : Rotation. Inclinaison à droite et
à gauche. Flexion et extension.
Mouvements élémentaires des épaules, du torse, des bras.
Exercices combinés des différents segments du corps.
Exercices de relâchement musculaire.
3° Exercices de lecture, d'écriture surveillées. Exercices respiratoires.
Récitations et narrations orales.
4° Applications pratiques des exercices aux actes usuels.
22 décembre 1902. - Taurone suit son traitement avec une docilité et
une attention parfaites ; il y apporte beaucoup de bonne volonté et de
sagacité. Dans ses exercices, il est surveillé par une de ses parentes, qui
le seconde avec fermeté et intelligence.
Tous les exercices prescrits se font correctement. Taurone fait lui-même
celte remarque : « Dès que je concentre mon attention sur un exercice
quelconque, je me tiens le plus correctement du monde ; même dans les
moments où ma tête a le plus de tendance à tourner à gauche, où je me
sens le plus raidi, je suis toujours capable d'exécuter correctement un
mouvement commandé de rotation ou de flexion de la tête. »
Les immobilisations sont parfaites et atteignent bientôt 30 secondes.
25 décembre 1902. Taurone va notablement mieux aujourd'hui. Il
a pu rester pendant une heure en ma présence sans que sa tête tournât
une seule fois vers la gauche ; tous les mouvements étaient aisés. A peine
remarquait-on une légère raideur. Pendant la marche la tête se tient com-
plètement droite.
Aux exercices d'immobilisation et aux mouvements méthodiques sont
ajoutés des exercices respiratoires. Le malade rappelle à ce propos qu'il
avait imaginé autrefois, pour atténuer ses contractions, de faire de légers
bâillements ; il en éprouvait un soulagement instantané. La détente mus-
culaire succède en effet presque toujours au bâillement.
Taurone doit faire aussi des exercices de relâchement musculaire. Ceux-
ci semblent lui avoir rendu un grand service.
Autrefois, en effet, lorsque sa tête tournait vers la gauche, il essayait
de contrebalancer l'action intempestive du sterno-mastoïdien droit en
contractant fortement son antagoniste, le sterno-mastoïdien gauche ; les
deux muscles luttaient ainsi l'un contre l'autre jusqu'à ce que le droit
cessât de se contracter. Aujourd'hui, Taurone opère tout autrement : au
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 471.
lieu de contracter volontairement le sterno-mastoïdien gauche il s'efforce
de décontracter volontairement le sterno-mastoïdien droit ; il a appris à
provoquer la détente de ce muscle au commandement et il l'obtient géné-
ralement sans être obligé de se livrer comme avant à des contorsions exa-
gérées.
Enfin, il lui est enjoint de faire tous les jours des exercices d'écriture,
en traçant les lettres très lentement; celles-ci .doivent être grosses et ron -
des. Et pendant cet exercice, il doit s'efforcer de tenir la tête bien en face
et non tournée vers la droite, comme il faisait précédemment.
Taurone a constaté que les exercices de la tête et du cou faits avec
douceur, méthodiquement, favorisent la détente. Lorsqu'il fléchit la tète
en avant, il éprouve à l'ordinaire une raideur dans la nuque qui s'op-
pose à la liberté de ce mouvement. Mais s'il maintient pendant quel-
ques instants sa tête fléchie, il sent peu à peu les muscles de la nuque se
relâcher les uns après les autres. Il en éprouve un soulagement manifeste
et c'est surtout de cet assouplissement qu'il se déclare satisfait.
D'une façon générale, Taurone constate déjà une amélioration sensi-
ble ; les exercices lui procurent un soulagement appréciable au moment
même où il les fait, et ce soulagement persiste pendant un certain temps,
plus ou moins long suivant les jours.
2 janvier 1903. Pendant deux ou trois jours le cou a été plus raide,
la tête avait plus de tendance à tourner vers la gauche; néanmoins tous
les exercices ont été faits correctement.
L'immobilité absolue est maintenue pendant une minute un quart, dans
n'importe quelle position, de face, ou de profil à droite, et sans aucun
effort. L'attitude du corps est correcte, symétrique ; l'épaule droite ne se
soulève plus. 110,
Enfin, Taurone peut faire actuellement 100 pas en tenant sa tête com-
plètement droite, et cela sans effort.
Les repas sont toujours assez pénibles ; cependant, il arrive à porter
régulièrement son verre à sa bouche en maintenant sa tête droite. Pres-
que toujours à la suite du repas, il éprouve un peu de fatigue, mais de
courte durée.
Pour une foule de gestes usuels, comme de rouler une cigarette,
prendre son mouchoir ou son portefeuille dans sa poche, etc., Taurone
éprouvait une grande gêne, et chaque fois sa tête tournait vers la gauche.
Il s'est entraîné à corriger ces gestes devant le miroir et il est arrivé à les
exécuter correctement.
De même, pour la lecture, il est parvenu, grâce au contrôle du miroir,
à rectifier sa mauvaise position d'autrefois.
472 HENRY MEIGE
Son entourage constate des progrès croissants; deux de ses amis, qui
ne l'avait pas vu depuis deux mois, ont été surpris de l'amélioration.
Au point de vue physique, cette amélioration se traduit par une véri-
table fonte du sterno-mastoïdien droit. Actuellement, ce muscle ne fait
plus l'énorme saillie constatée les premiers jours et 1(t peau qui le recou-
vre, autrefois distendue, rouge et épaisse, est devenue souple et blanche,
elle est même un peu ridée.
` L'état mental est excellent. Le malade poursuit son traitement avec
bonne humeur, assiduité et intelligence.
Cependant, il continue à mal dormir. Couché à 10 heures du soir, il
ne s'assoupit que vers minuit, se réveille à 3 heures et ne se rendort
guère. Une fois couché, il parvient il maintenir sa tête et à s'endormir en
position correcte ; mais, lorsqu'il se réveille, les mouvements de rotation
de la tête ne tardent pas à reparaître ; alors il se lève, fait quelques
exercices qui le reposent, se recouche et reste calme.
S janvier 1903. - Depuis 3 jours, les mouvements de rotation de la
tête à gauche sont devenus plus forts et plus fréquents ; le malade n'ar-
rive que difficilement à maintenir sa tête en face, surtout au repas et
dans la rue. Il fait cependant avec correction tous ses exercices devant
miroir, y compris la marche. Il a atteint 100 secondes d'immobilité ab-
solue.
Les mouvements respiratoires ne lui apportent plus le même soulage-
ment que les premiers jours.
Mais les nuits ont été meilleures : il a dormi plus calme et plus long-
temps.
9 janvier 1903. - Les contractions sont encore plus fortes, Taurone
fait des efforts violents pour réagir contre ces contractions, mais né par-
vient pas toujours à ramener sa tête à droite. La marche dans la rue est
très difficile, le malade ne pouvant voir où il pose le pied.'
Il faut dire qu'il est grippé ; peut-être cette infection passagère déter-
mine-t-elle la recrudescence actuelle.
Il devra garder le lit pendant 2 ou 3 jours ; il est d'ailleurs très calme
lorsqu'il est étendu et peut rester ainsi plusieurs heures, la tête très
droite, avant de s'endormir, sans aucune raideur ni contraction.
12 janvier 1903. - Le repos au lit n'a pas apporté de changement ap-
préciable. Il est vrai que Taurone n'a pu rester une journée entière dans
son lit; les contractions ont reparu dans la position couchée et l'ont obligé
à se lever ; il répétait alors ses exercices devant le miroir ; cela lui procu-
raitenviron deux heures de calme,puis la rotation de la tête recommençait. t.
Aujourd'hui, il se sent mieux ; il a pu faire quelques pas dans la rue
la tête droite; néanmoins, devant moi, il ne conserve que difficilement
LES PÉIiIPI : '1'IGS D'UN TORTICOLIS MENTAL 473
la position correcte dans l'immobilité; mais il répète très bien tous ses
exercices, y compris la marche, qui se fait sans*aucune faute, même en
l'absence de miroir. Chez lui, pour arriver à marcher correctement, il
faut qu'il commence par se surveiller dans le miroir, sinon la tête tourne
toujours à gauche; quand il a répété plusieurs fois cette marche devant
le miroir, il peut marcher un certain temps la tête droite sans se regar-
der.
Fait nouveau : depuis 4 jours, il se plaint d'une douleur dans l'épaule
gauche, dans la région du trapèze, surtout lorsqu'il fait des mouvements
de bras.
L'état mental de Taurone s'est aussi modifiée ; il est de moins bonne
humeur, il a moins d'entrain ; il. est hanté par l'idée que sa maladie est
sous la dépendance d'une altération ou tout au moins d'une irritation des
nerfs ou des centres nerveux. Il s'en inquiète; mais il garde confiance
dans les effets du traitement qu'il exécute toujours avec ponctualité.
1 13 janvier 1903. - A l'aggravation de ces derniers jours succède une
amélioration très sensible, Taurone a retrouvé la souplesse de ses mou-
vements ; il peut ramener sa tête à droite chaque fois qu'il le désire, et
il reste parfois longtemps sans effort dans cette position. Les exercices se
font correctement ; la marche est beaucoup plus aisée. 1
17 janvier 1903. L'amélioration continue. Le malade rencontré
dans la rue, marchait la tête complètement droite, et sans effort.
Un nouvel examen électrique a été pratiqué. On constate un change-
ment notable de la contractilité électrique ; la différence qui existait
entre les deux sterno-mastoïdiens lors du premier examen a disparu.
' 23 janvier 1903. -- Les progrès n'ont cessé de. s'affirmer depuis six
jours. Taurone éprouve une telle amélioration qu'il ne doute pas de sa
guérison prochaine et complète. il est obligé de quitter Paris ; mais il se
sent en mesure de poursuivre chez lui d'une façon régulière et prolongée
ses exercices. Et il promet formellement de ne rien négliger. Un pro-
gramme détaillé, un emploi du temps méthodique lui ont été indiqués ;
il s'engage à s'y conformer ponctuellement. Des instructions ont été aussi
données à son entourage pour assurer la bonne exécution du traitement.
Dans le milieu familial, ce traitement exige une méthode et une ré-
gularité absolue, une persévérance patiente,qui ne peuvent être réalisées
que si toutes les personnes de l'entourage s'engagent à en faciliter l'exé-
cution. Sous aucun prétexte, le malade ne doit être dérangé pendant ses
exercices et ceux-ci doivent être répétés chaque jour aux mêmes heures.
L'entourage peut aussi venir en aide au patient en signalant les in-
corrections de ses mouvements ou de ses attitudes, grâce à des rappels
discrets, qui ne doivent être ni trop fréquents ni jamais irritants. ,
xx 30
474 HENRY MEIGE
Il importe de ne pas s'apitoyer avec excès sur le malade, et de lui
parler le moins possible de son mal. Le distraire sans jamais le fatiguer.
Assurer autour de lui le calme et la tranquillité, sans qu'il souffre du
désoeuvrement et de l'ennui.
Au cas où ces conditions ne pourraient être réalisées dans la vie de
famille, ne pas hésiter à recourir à l'éloignement. à l'isolement.
Enfin, il est de nécessité absolue que le malade continue à tenir le
médecin au courant de son état, en lui envoyant un bulletin de santé
toutes les quinzaines, bulletin auquel il est répondu régulièrement par
les conseils et les prescriptions nécessaires.
DEUXIÈME PARTIE. - AUTO-OBSERVATION
Se conformant à ce qui lui avait été prescrit, Taurone a envoyé régu-
lièrement de ses nouvelles. Voici les principaux extraits de cetle auto-ob-
servation. Certains détails pourront paraître oiseux. En les supprimant,
j'ai craint d'établir prématurément une distinction entre des faits re-
gardés comme essentiels et d'autres considérés, peut-être à tort, comme se-
condaires. Une observation clinique ne doit pas se limiter à la recher-
che et à l'indication des signes énumérés dans des observations anté-
rieures.
Enfin, puisqu'il s'agit de torticolis mental, n'est-ce pas un récit fait par
le patient lui-même qui permettra d'apprécier le mieux sa mentalité ?
Dans cette seconde partie, je ferai suivre chaque bulletin du malade de
remarques destinées à mettre en évidence les faits qui m'ont paru se re-
produire dans la plupart des cas de torticolis convulsif qu'il m'a été donné
d'observer personnellement (une cinquantaine environ).
27 janvier 1903. - 10 Mon voyage a été un peu fatigant; je ne pouvais
pas arriver à trouver une position favorable au repos ; il me tardait d'arriver
et l'attente exaspère généralement notre affection ; je me suis trouvé mieux à
domicile. Ma famille a été heureusement impressionnée par la constatation des
progrès que j'avais faits.
Je suis néanmoins moins maître de mes mouvements que dans les premiers
jours de la semaine dernière. Mais je sais qu'il faut laisser passer patiemment
les retours offensifs et ne les considérer que comme une excitation à la lutte
contre l'hôte désagréable que nous devons déloger.
2° Dès hier, j'ai exécuté mon programme journalier et j'ai pris toutes les dis-
positions nécessaires pour qu'il fût respecté par tout le monde. Ma porte est
rigoureusement consignée. Ma femme y veille attentivement. Il lui sera plus
difficile de ne pas s'apitoyer quelquefois sur mon sort et de dissimuler tout le
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 475
chagrin qu'elle en éprouve. Les victoires qu'elle remportera à cet égard seront
certainement passagères, malgré toute sa bonne volonté. Mais je compte sur les
progrès pour dissiper les nuages...
3° Je me rends de plus en plus compte combien les longues conversations
que j'ai eues avec vous ont exercé une heureuse influence dont les effets seront
durables. Le malade atteint de torticolis mental a besoin d'être éclairé sur son
affection, et non seulement sur le traitement à exécuter, mais encore et sur-
tout sur son mode d'action. Pour obtenir ce résultat le médecin est obligé de
ne pas ménager son temps et son rôle est souvent ingrat. »
Remarques. 1° Les sujets atteints de torticolis mental ont ceci de
commun avec les tiqueurs qu'ils ne savent pas attendre; l'attente exas-
père leurs mouvements convulsifs.
2° Il est rare de rencontrer dans l'entourage immédiat des malades des
personnes capables de maîtriser suffisamment leurs manifestations émo-
tives, et celles-ci ont toujours un effet déplorable sur le patient.
3° Le rôle apaisant des explications et des exhortations données par le
médecin est incontestable. Le bon effet de ces interventions psychiques est
en faveur de l'existence d'un facteur mental dans l'affection.
3 février 1903. 1° « Je traverse en ce moment une crise aussi pénible,
peut être plus même, que celle que j'ai eue à Paris. Je me trouvais assez bien
à mon arrivée ici, mais bientôt, j'ai eu une recrudescence marquée; une nuit a
été fort mauvaise ; il ne m'a pas été possible de conserver un seul moment au lit
la position correcte, et depuis lors je suis en complète. rechute.
J'ai été et je suis encore fortement enrhumé, et la douleur de l'épaule gau-
che a reparu. Aujourd'hui seulement je suis arrivé à écrire, mais devant le
miroir, en prenant des immobilisations toutes les fois que ma tête tourne.
La marche est devenue, même devant miroir, complètement incorrecte : à
peine quelques pas sans rotation de la tête.
Au lit, plus une minute de bonne position. Je passe mon temps, sauf de
courts moments de sommeil ou plutôt d'assoupissement, à me tordre le cou,
poussant jusqu'à la douleur les contractions, qui ne sont séparées que par
quelques secondes de demi-rémission ; je fais ainsi, - du moins je le crains,
de la contre-éducation bien involontaire.
Les repas, qui étaient devenus presque complètement bons, sont à nouveau
très mauvais.
En dehors des exercices, le torticolis est presque continuel ; je ne ramène la
tête que par un grand mouvement de rotation de gauche à droite, je ne peux
l'arrêter qu'un instant dans la position en face, avec de nombreuses oscilla-
tions, et encore pas toujours.
Le torticolis est d'autant plus pénible que l'espèce d'accommodation défec-
tueuse des divers muscles des épaules ou du tronc a (ce dont je suis d'ailleurs
476 HENRY MEIGE
satisfait comme d'un progrès définitif) complètement disparu. L'épaule droite
n'accompagne plus le mouvement, la contraction du trapèze droit, sauf dans
quelques rares mouvements, ayant cessé. 1
La tête a, pour ainsi dire, perdu une de ses racines et s'en va seule gauche
et en arrière, aussi loin que possible. 1
Le lecture à haute voix n'est possible que pendant quelques courts' ins-
tants, et seulement aux moments de moindre excitation. La lecture ordinaire
est plus facile, mais nécessite de fréquentes reprises d'immobilisation ; de
même pour l'écriture (toujours devant miroir).
Enfin, l'immobilisation au début des exercices est souvent aisée, mais d'au-
tres fois très longue à obtenir et exigeant toute une série de luttes et de ma-
noeuvres. Au cours des exercices, des défaillances se produisent et certains
mouvements restent inexécutables correctement, notamment l'immobilité de
la tête en rotation à droite et la flexion complète.
A tout cela s'ajoute un état de nervosisme considérable; les tentatives de
correction sont quelquefois accompagnées de secousses de tout le corps, com-
parables à des commotions électriques. et il suffit pour me faire sursauter,
lorsque je suis attentif à ma table, que quelqu'un touche brusquement la poi-
gnée de la porte de l'appartement.
'Tel est le tableau certainement noir, mais réel, de mon état actuel. J'ajoute
tout de suite que je ne me décourage pas.
2° Dès que je me suis aperçu que cette crise survenait, j'ai compris que vous
aviez complètement raison en me conseillant de différer pour quelque temps
encore la reprise de mes occupations ; j'ai pris une mesure radicale en infor-'
mant que jusqu'à nouvelle décision je m'éloignerais des affaires ; ma porte à
été rigoureusement consignée, et je me suis consacré exclusivement à mon
traitement. J'ai ajouté une séance complète d'exercices l'après-midi à 5 heures,
à celles que je faisais le matin au lever et le soir avant le coucher. Je me suis
fail installer une petite table devant l'armoire à glace d'une chambre voisine
de ma salle à manger et j'y prends seul mes repas pendant que ma famille les
prend à côté ; je peux ainsi profiter de tous les moments favorables pendant
le repas pour me ressaisir et rester au moins quelques instants en position
correcte. Pendant les repos, je fais un peu de lecture devant miroir, un peu
d'écriture, lorsque cela est possible. Je me distrais un peu en causant avec
ma famille ou en me promenant dans la maison ; mais dès que le torticolis
devient trop pénible je vais essayer quelque immobilisation, passant ainsi
devant la glace la majeure partie de ma journée.
3° Je me demande si je n'abuse pas un peu de ces séances devant le miroir
(en dehors de mes temps d'exercices) et si je n'ai pas à craindre que les dé-
faillances qui s'y produisent pendant cette période de crise lui fassent perdre
une partie de son efficacité, enfin si le miroir, dans une certaine mesure, ne
jouerait pas quelque peu le rôle de subterfuge antagoniste pour l'obtention de
l'immobilisation.
4° D'autre part, j'ai fait une remarque que je crois devoir signaler. Dans le
mouvement de torticolis, ma tête ne s'incline plus à droite comme au début ; en
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL l ! ·11
même temps qu'elle tourne à gauche elle se renverse en arrière. Ce renver-
s3ment en arrière étant peut-être plus marqué encore que la rotation à gauche.
Peut-être le splenius gauche, mais sûrement le trapèze gauche, que je sens
nettement se contracter au niveau de l'omoplate et près du cou, me semblent
jouer un rôle sérieux dans ce mouvement anormal ; le trapèze gauche agit en
même temps que le sterno-mastoïdien droit, et cela me semble nécessiter un
nouveau mode de résistance (ou de décontraction) avec lequel je suis encore mal
familiarisé et que j'ai à apprendre. Je multiplie à ce point de vue dans mes
exercices les flexions de la tête en avant devenues assez difficiles à exécuter l'
correctement.
5° Les contractions du trapèze gauche exercent une influence marquée sur
la douleur que j'éprouve à l'épaule gauche, douleur qui, comme à Paris, n'est
survenue que deux ou trois jours après le début de la crise. N'y aurait-il pas
entre la contraction et la douleur des relations dont je saisis malle carac-
tère ?
N'y aurait-il pas lieu de recourir à un traitement quelconque pour l'état de
nervosisme général ? Et pour la nuit ?
Veuillez bien m'excuser de ma trop longue lettre, j'ai dû employer plusieurs
séances pour l'écrire et je crains de vous fatiguer de raisonnements peut-être
sans portée; mais il m'est difficile de discerner ceux qui en ont, et je voudrais
ne rien omettre.
Je serai heureux de recevoir votre réponse. J'espère qu'elle m'arrivera au
moment où ma crise commencera à passer, et par les conseils qu'elle m'appor-
tera en hâtera la terminaison. »
Remarques. 1° Description très exacte d'une forte rechute où toutes
les manifestations convulsives sont aggravées. Un état d'instabilité, une
surexcitation générale apparaissent souvent en même temps.
2° Au cours de ces rechutes l'exécution des exercices devient très
difficile. Les malades s'efforcent à tort de les réussir; ils n'arrivent qu'à
se fatiguer et à s'exaspérer. On doit, pendant ces mauvaises périodes,
réduire le nombre et la durée des séances, en n'exigeant que des mou-
vements faciles, de courtes immobilisations, et surtout des exercices de
relâchement musculaire.
3° L'effet correcteur et reposant du miroir peut s'atténuer passagère-
ment, s'il y a abus de ce moyen de contrôle. Il ne faut l'employer qu'au
moment des exercices, ou pour se familiariser avec certains gestes usuels
(repas, écriture, etc.). 1
4° Au cours d'un torticolis mental suivi pendant plusieurs mois, il est
fréquent d'observer des transformations dans les mouvements ou les atti-
tudes forcées. Non seulement plusieurs muscles du même côte peuvent
être atteints ou cesser de l'être l'un après l'autre ; mais du côté opposé
d'autres muscles entrent aussi enjeu. Le cas présent est significatif. Le
478 HENRY MEIGE -
sterno-mastoïdien droit seul a débuté, après lui, le trapèze droit; ce der-
nier a cessé d'agir ; mais ensuite les contractions ont apparu dans le tra-
pèze gauche. Ainsi, un rétrocolis succède souvent à un torticolis.
Celte variabilité et cette migration des phénomènes convulsifs est con-
traire à l'hypothèse d'une lésion périphérique unilatérale (du spinal par
exemple).
5° Les douleurs signalées par certains malades semblent bien être la
conséquence de leurs contractions musculaires exagérées. Elles ne précè-
dent pas les phénomènes convulsifs; elles leur succèdent généralement.
Ce sont des accidents de compression.
20 février 1903. - Huit.jours se sont passés, sans amélioration. Le ma-
lade éprouvant une grande difficulté pour écrire, dicte la lettre suivante :
4a Je commence à être inquiet, car un rhume qu'on aurait pu considérer
comme coupable de ma rechute, a déjà bien diminué d'intensité; d'ailleurs,
j'ai conservé dès le début un appétit régulier, et, n'était l'exacerbation du
torticolis, je ne me serais pas inquiété de cette indisposition qui n'avait d'autre
conséquence apparente que de me-faire tousser.
Désireux cependant de ne pas l'aggraver, je suis resté sans sortir jusqu'à
avant-hier ; ce jour-là, le temps était si beau que j'âi été faire une petite pro-
menade après déjeuner; je suis rentré très fatigué, car sa tête étant rigoureu-
sement fixée en rotation à gauche et en haut, la marche était difficile et hési-
tante. Je me suis couché en arrivant, comme je le fais tous les jours à la
même heure, jusqu'à 4 heures, pour faire à 4 h. 1/2 une série d'exercices.
Hier, j'ai recommencé. Je fais en effet 3 séances par jour, une le matin à
8 heures, l'autre l'après-midi à 4 h. 1/2, la troisième le soir à 9 heures (une
heure environ) ; c'est tout ce que je puis faire et encore il m'arrive quelque-
fois de ne pas réussir les mouvements, même étant assis ; debout, depuis plu-
sieurs jours, je ne puis les faire malgré tous mes efforts ; pour ceux que j'exé-
cute, je tiens pour ainsi dire la tête en équilibre devant la glace, équilibre que
je perds aussi facilement qu'il m'est souvent difficile de le prendre au début.
J'espère toujours arriver à recouvrer plus d'aisance dans les exercices devant
la glace ; c'est la condition indispensable pour revenir aux applications des
exercices aux actes de la vie courante, ces applications étant la répétition hors
miroir de mouvements ou séries de mouvements, qui, très difficiles à obtenir
maintenant devant miroir, deviennent impossibles en l'absence de cet auxi-
liaire. Tout ce que je puis faire c'est de m'exercer le plus souvent possible il
remettre la tête à droite en décontractant mes muscles ; il m'arrive d'éprouver
alors des oscillations de bas en haut, et toujours à peine la tête est-elle portée à
droite, qu'elle repart brusquement vers la gauche d'un seul coup, sans pou-
voir être arrêtée au milieu.
Ai-je perdu la faculté de savoir décontracter le sterno-mastoïdien droit ? Ou
bien la tendance à la contraction est-elle trop violente pour que je puisse la
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 47')
réfréner ? Ou bien suis-je victime de l'entrée en jeu d'autres muscles ? Je ne
sais pas à quoi attribuer cet état.
2° Cependant je n'éprouve plus de douleurs dans l'épaule gauche ; je ressens
seulement dans les exercices de renversement de la tête en arrière ou d'incli-
naison à gauche une sensation de compression, une légère douleur en arrière
de l'épaule, près du cou, et parfois un fourmillement consécutif dans la main
gauche.
3° En outre je suis toujours dans l'état que je vous ai précédemment signalé ;
mon nervosisme est très grand, je ne puis rester un instant sans remuer quel-
que chose; il me faut porter la main sur un objet, sur mes vêtements, au
visage, en somme m'agiter d'une façon quelconrlue. Lorsque la tête est com-
plètement et violemment tournée à gauche, j'ai des contractions un peu dou-
loureuses de la face avec clignement des yeux.
4° Je passe ma journée à tiquer constamment et dans un désoeuvrement que
l'impossibilité de lire et d'écrire rend encore plus désagréable.
5° Ne jugeriez-vous pas à propos d'essayer un peu d'hydrothérapie froide
pour calmer si possible, la surexcitation générale ? Je recours encore à vous
puisque vous voulez bien me le permettre et j'en ai bien besoin.
Remarques. - 1° Les infections passagères, les rhumes, exercent tou-
jours une action défavorable sur le torticolis ; l'exacerbation qui en ré-
sulte se prolonge souvent pendant longtemps. ,
2° Le fourmillement des doigts, accompagné ou non d'agitation des
doigts s'observe parfois dans les cas où les contractions musculaires sont
très violentes. ,
3° Il n'est pas rare d'observer des contractions faciales dans les crises
violentes. Celles-ci peuvent être la conséquence d'une extension irritative
dans le domaine du nerf facial. D'autres fois, ce ne sont que des grima-
ces, une mimique exprimant le malaise ou l'effort.
, 4° Le désoeut'I'emellt est aussi pernicieux aux malades qu'une existence
trop agitée
zu L'hydrothérapie froide est absolument contre-indiquée. Les douches
tièdes à très faible pression,générales ou locales (sur les muscles contrac-
tés), ou les tubs tièdes ont un effet sédatif.
L'alitement réussit mieux.
7 mars 1903. - 1° Comme me le conseillait votre dernière lettre j'ai passé
8 jours au lit. Au point de vue intellectuel, le repos a été absolu ; au point
de vue physique, il n'a été que relatif, car il m'arrivait bien souvent d'être
obligé de me tourner et de me retourner comme Saint Laurent sur son gril, sans
pouvoir trouver une position favorable, et les contractions musculaires persis-
480 . HENRY MEIGE
taient; enfin le sommeil n'est pas venu. J'ai cependant éprouvé un résultat
bienfaisant, car ma surexcitation nerveuse, encore assez vive, a cependant
diminué d'intensité, et le trapèze gauche qui a, pendant toute la période que
je viens de traverser, joué certainement un rôle fâcheux en s'associant à
l'action du sterno-mastoïdien droit s'est à peu près décontracté ; je sens nette -
ment encore lorsque je ramène la tête de gauche à droite comme la détente de
large bande de caoutchouc en arrière de l'épaule et du côté gauche du cou ;
aussitôt après cette détente, le mouvement de rotation devient plus facile ;
bref, je n'éprouve plus en général à ce point de vue la résistance invincible
que j'éprouvais avant ma période de lit. Une autre conséquence a été la sup-
pression des oscillations de bas en liaut et une plus grande facilité dans l'immo-
bilisation devant la glace ; je ne ressens presque plus cette pression un peu
douloureuse que j'éprouvais à gauche du cou dans le mouvement d'inclinaison
de ce côté.
2° Au cours de mon séjour au lit, j'ai éprouvé quelques bienfaits des mon-
vements d'inspiration et d'expiration ; à la fin de ces derniers (expiration)
j'éprouvais même une certaine décontraction qui me permettait souvent de
rester sans fatigue. Même levé, j'utilise depuis lors cet effet bienfaisant, et
j'arrive presque toujours à vaincre la fixité du torticolis, à pouvoir porter la
tête lentement jusqu'à droite et à l'y maintenir même quelquefois un instant ;
puis elle repart, lentement à cause de ma résistancejusqu'à la ligne médiane,
ou rapidement quand ma résistance est vaincue.
Quant aux exercices, j'accomplis deux séances, une le matin à 9 heures,
l'autre le soir à 4 heures ; je réussis en majeure partie le matin surtout les
mouvements assis ; mais je n'ai pas encore pu aller au delà.
3° Tel est mon état actuel ; je sens que je suis sorti d'une crise violente mais
je piétine sur place sans pouvoir avancer.
Je me demande si je ne devrais pas, armé du cahier de notes que j'ai jour-
nellement dressé à Paris, reprendre toute la série d'exercices comme si je
commençais mon traitement, sauf à augmenter de dix secondes au lieu de cinq
par jour la durée des immobilisations pour aller un peu plus vite ; en outre,,
je ferais, dès qu'il serait possible, quelques applications pratiques de ces exer-
cices (boire en position correcte, etc.) et quelques marches devant la glace et
en dehors. En ce moment, je vais dans mes exercices jusqu'à l'extrême limite
des possibilités, faisant tantôt plus, tantôt moins, et m'arrêtant aux défaillances
après une série d'efforts infructueux. Il me semble que je ne suis plus ainsi
dans la méthode régulièremeut progressive d'entraînement qui doit caractériser'
le traitement.
4° Dois-je d'autre part, persévérer dans les efforts très fréquents que je fais
pour porter la tête à droite, alors que je ne réussis pas à l'y maintenir, ou
bien ne faudrait il pas qu'en dehors d'une nécessité je conserve ma position
défectueuse dans l'intervalle des exercices jusqu'au moment où j'aurais pou-
voir de la corriger comme je voudrais. En d'autres termes, ces efforts fréquents
suivis de défaillances ne sont-ils pas un mal ?
L'ennui me porte quelquefois à lire un peu (le journal, par exemple) en po-
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 481
sition complètement incorrecte. Faut-il que j'y renonce et que je ne me per-
mette la lecture que lorsque je pourrai la faire en bonne position ? chose im-
possible en ce moment.
50 Enfin, au lit, le soir principalement, 1/2 ou 1 heure après le coucher, j'ai
des « inquiétudes » très désagréables dans les jambes, dans l'articulation du
genou, jusqu'aux pieds.
Remarques. 1° L'alitement, lorsqu'il est toléré, calme la surexcita-
tion générale et les accidents douloureux.
2o Les exercices respiratoires ont parfois un effet sédatif, en favorisant
les détentes musculaires, surtout à la fin de l'expiration. ,
3° Il est mauvais de pousser les exercices jusqu'à la fatigue. Après
plusieurs efforts demeurés infructueux pour exécuter un mouvement
correct, se reposer, et ne recommencer qu'à la séance suivante. Ne jamais
se décourager d'un insuccès. Tel mouvement impossible aujourd'hui de-
viendra possible demain. ' .
4° Eviter les occupations prolongées qui ne sont possibles qu'avec une
position défectueuse de la tête.
5° Les fourmillements, les « inquiétudes » dans les jambes, sont sou-
vent le fait d'une fatigue nerveuse. ,
, 4 avril 1903. - 1° Un peu calmé par le séjour au lit, j'ai essayé de re-
prendre les exercices en suivant la progression que vous m'aviez donnée ; j'ai
assez bien commencé ; mais dès le 3e ou le 4" jour je ne réussissais plus, même
à prendre l'immobilisation du début ; cependant mon état général s'améliorait.
Je ne pouvais expliquer cette anomalie que par le fait que les défaillances ex-
trêmement nombreuses qui s'étaient produites devant le miroir avaient fait
perdre à celui-ci son efficacité ; en effet, lorsque mes yeux se trouvaient en
face du croisement des lignes tracées sur la glace, la tête était prise d'une sorte
de tremblement qui se terminait par la déroute, et que je considérais comme
provoqué par les efforts faits pour maintenir la position joints à l'appréhension
de ne pas pouvoir y réussir. J'ai pensé qu'il fallait essayé de rendre au miroir
sa vertu primitive en rompant l'association fâcheuse qui s'était créée dans mon
esprit entre sa vue et la fuite de la tète et en m'efforçant d'obtenir l'association
inverse. Pour cela je suis resté 3 jours sans faire aucun exercice devant mi-
roir et en me contentant de pratiquer en dehors des efforts de détente et de
rotation. Je me suis remis ensuite aux mouvements indiqués devant la glace ;
mais en suivant une progression très lente, et comme durée d'immobilisation
et comme nombre de mouvements. Cela m'a réussi.
2° Il y a quelques jours j'étais arrivé à réussir même les exercices debout
et j'allais commencer la marche; mais, depuis le début de la semaine, une
certaine exacerbation s'étant produite, ces derniers devenaient trop difficiles :
J'ai quelque peu persisté, craignant le retour des défaillances avec leurs con-
482 HENRY MEIGE
séquences. Je m'en tiens, depuis deux jours, aux exercices assis avec diminu-
tion de la durée des immobilisations à droite; je ne commets presque pas
de fautes, mais je suis un peu en équilibre instable, et je marque le pas atten-
dant le moment favorable pour reprendre la marche en avant.
3° L'exacerbation que 'je viens de vous signaler me paraît due à une recru-
descence des contractions des muscles de la nuque, le trapèze gauche notam-
ment, et aussi probablement un des muscles voisins du sterno-mastoïdien droit,
car je sens dans la gouttière qui est à côté de l'attache de ce dernier sur l'apo-
physe mastoïde des tiraillements douloureux qui ont ramené les contractions
de la face que je vous avais précédemment signalées. De même ont reparu les
oscillations de la tête de bas en haut. Le mouvement que je réussis le moins
bien est la flexion en avant.
J'ajoute que les bienfaits de la reprise des exercices, quoique bien moins
sensibles et plus lents que pendant mon séjour à Paris, ont commencé se
faire sentir ; j'arrive à lire un peu et quelquefois à écrire quelques lignes en
position correcte ; je tiens ma tête bien mieux lorsque je suis absolument tran-
quille, mais les contractions reparaissent au moindre mouvement, même lorsque
je veux parler ; les nuits sont meilleures, j'ai encore des insomnies, mais je
suis plus tranquille et me lève le matin reposé. Tel est mon état actuel ; je
continuerai la lutte avec l'espoir que les progrès assez stationnaires en ce mo-
ment reprendront sous peu.
Remarques. 1° Lorsqu'il a été abusé du contrôle du miroir, il suffit
d'en supprimer l'usage pendant quelques jours. On retrouve ensuite son
efficacité correctrice.
2° Quand l'affection se prolonge, il est bon de recommencer les pre-
mières gammes d'exercices, à petites doses.
3° De nombreux malades se plaignent d'une sensation de tiraillement
douloureux en arrière de l'attache supérieure du sterno-mastoïdien.
18 mai 1903. Depuis 12 jours je suis au lit pour attendre et tâcher de
favoriser une détente qui ne vient pas. J'avais eu une certaine amélioration :
aux repas, la tète était très facilement mobile dans toutes les directions, et
j'arrivais même à la maintenir pendant un temps souvent assez long au milieu
ou à droite ; la lecture silencieuse m'était possible en position directe ; j'écri-
vais quelques minutes tous les jours. Devant miroir les exercices assis, les
bras reposant sur la table, étaient relativement faciles, Enfin, je reposais lors-
que j'étais couché ; je ne dormais certainement pas toute la nuit ; mais, même
éveillé, je demeurais en bonne position, la tête directe ou légèrement inclinée
dans la position opposée au torticolis ; c'était le progrès le plus manifeste et
dont j'étais le plus heureux; il paraissait même durable, car il persistait dans
les journées un peu plus mauvaises.
J'allais à mes affaires de temps en temps, pour me distraire un peu ; je m'é-
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 483
tais même risqué à prendre la parole et je me tenais assez bien. J'éprouvais
donc un mieux, relatif, mais incontestable. Cependant, je n'étais pas très satis-
fait de mon état : la marche et les repas demeuraient toujours pénibles, et ce
qui m'inquiétat surtout, c'est que je ne pouvais pas progresser dans mes exer-
cices : je tenais assez bien l'immobilité daus les diverses positions de la tête ;
mais, au moindre mouvement, à la moindre vibration, je n'en étais plus maî-
tre. J'avais obtenu (je m'exprime ainsi parce que cela me paraît bien rendre ma
pensée) « l'équilibre dans la décontraction » ; mais je ne l'avais pas dans la con-
traction, et tous mes efforts pour arriver à ce dernier résultat demeuraient
vains ; aussi je comprenais que je n'étais pas prêt à résister à une aggravation
tant soit peu sérieuse; je redoutais cette dernière, car depuis quelques temps,
lorsque j'étais en mouvement ou que je parlais, la tête se portait plus en
arrière, les mouvements de flexion et d'extension ne se faisaient pas dans un
plan vertical, ceux de flexion étaient souvent même impossibles, le menton se
portait invinciblement à gauche.
Dans les premiers jours du mois, ces symptômes se sont aggravés, les mou-
vements intempestifs ont pris une amplitude plus grande, surtout le renverse-
ment de la tête en arrière. La douleur de l'épaule gauche, qui partait de la
région postérieure de l'omoplate, semblait avoir passé sous cette dernière, sé-
vissait surtout dans l'articulation de l'humérus, s'irradiait dans le bras, et
venait unir en fourmillements à l'extrémité des doigts ; elle s'accentuait au
moment des contractions et ne disparaissait que lorsque celles-ci avaient cessé
depuis un certain temps. Le déplacement du cou vers la droite s'accentuait.
J'ai voulu essayer de vaincre ces déplacements par des efforts assez violents
devant le miroir, mais sans succès.
En présence de cet état, j'ai pensé qu'il fallait profiter de ce que les contrac-
tions ne m'avaient pas encore gagné quand j'étais couché pour me mettre au
lit pendant un certain temps, et c'est ainsi que je suis resté couché depuis le
5 courant. Mais je n'ai pas gagné du terrain : les contractions sont extrême-
ment violentes et franchement douloureuses, surtout dans la région de l'épaule
gauche ; la douleur prend même dans cette dernière région une acuité des plus
pénibles ; tout exercice devant miroir est devenu impossible ; les repas sont un
véritable supplice et les oscillations se produisant de bas en haut au moment
où je veux incliner la tète en avant me rendent même à certains moments très
difficile l'introduction des aliments dans la bouche. Enfin, ce qui me contra-
rie le plus, c'est que, depuis 3 jours, les contractions se produisent au lit, et
ce n'est qu'après de longues périodes d'agitation que j'arrive quelquefois à obte-
nir l'immobilité, je la conserve pendant quelque temps, mais à la condition de
ne pas bouger et de ne pas parler. Le sommeil a disparu.
C'est certainement le trapèze gauche qui prend la glus grande part dans cette
aggravation ; je sens, lorsque j'applique ma main sur ce muscle, au moment
où les contractions se produisent, des sortes de pulsations analogues à celles
que je vois devant le miroir agiter le sterno-mastoïdien droit. Quand je suis
debout la tête se renverse violemment en arrière et des oscillations se produi-
sent de bas en haut lorsque j'essaye de la fléchir. Couché sur le dos, les
484 HENRY MEIGE
épaules et le- haut du buste se soulèvent au moment des contractions, le point
d'appui se prenant sur la partie postérieure de la nuque. Assurément, le sterno-
mastoïdien droit joue toujours son rôle malfaisant; mais je suis convaincu
que, à l'heure actuelle, c'est dans le trapèze gauche que prédominent les .con-
tractions.
Celles-ci se sont accentuées dans la face et j'ai des clignements des paupières
qui vont quelquefois jusqu'à l'occlusion complète pendant quelques instants.
Tel est mon déplorable état actuel ; certainement je ne me décourage pas,
j'en ai vu d'autres et je serai, j'espère, aussi tenace que ma désagréable affec-
tion ; mais la lutte est bien pénible, surtout lorsque je me vois impuissant à
obtenir des progrès.
23 mai 1903. - Je reste au lit aussi longtemps que je le puis et voici com-
ment mon état m'oblige à procéder :
Si, lorsque je me couche, je me trouve en un moment de décontraction
relative, j'arrive à m'immobiliser en bonne position, et à rester ainsi pendant
une heure, quelquefois deux, rarement plus, soit endormi, soit éveillé; puis
les contractions reparaissent ; elles débutent par quelques légères secousses
d'avant en arrière ; puis la tête est violemment déviée à gauche et en arrière ;
je la ramène, elle y revient. La douleur de l'épaule s'exacerbe ; au bout d'un
moment la situation devient intolérable, et je suis obligé de me lever. Je cir-
cule un moment dans la maison, je tâche de me distraire, puis je me recouche.
Si je réussis à m'immobiliser, je reste au lit, sinon je me relève de nouveau,
attendant une tentative qui réussira. C'est ainsi que je passe et les journées et
les nuits.
Levé, les contractions ne cessent pas et la douleur non plus ; la tête est
toujours portée à gauche et très en arrière. Au prix quelquefois d'un assez
grand effort, je la ramène à droite pour avoir un répit dans la douleur ; mais
elle repart aussitôt violemment et d'un seul coup vers sa position défectueuse.
Si j'essaie de décontracter le trapèze gauche en abaissant la tête, celle-ci est
prise d'oscillations de bas en haut atteignant une grande amplitude et secouant
tout le corps jusqu'à ce que je laisse reprendre la position défectueuse et dou-
loureuse.
Quant aux exercices, je ne puis les faire. Si je me mets devant la glace,
quelque temps après m'être levé, je n'arrive même pas à obtenir un instant
d'immobilisation : si je m'y mets après être resté en bonne position au lit
pendant une heure ou deux, j'arrive quelquefois à m'immobiliser un moment
la tête en face, ou complètement à droite; mais de cette dernière position je
ne puis pas revenir lentement en face : la tête repart brusquement et violem-
ment à gauche et en arrière. Après quelques mouvements, les contractions
deviennent plus violentes et je suis réduit à l'impuissance.
J'ai essayé, sans résultat appréciable de prendre des pilules calmantes con-
tenant extrait thébaïque, jusquiame et valériane.
Ainsi, la crise dure encore, et ne me paraît pas près de finir; c'est la plus
douloureuse que j'ai traversée.
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 485
. REMARQUES, - Voici un exemple d'une crise très violente, comme il
s'en produit parfois au cours de l'affection. La situation des malades der
vient intolérable. Ils ne savent qu'imaginer pour se procurer un soulage-
ment.
Les contractions deviennent douloureuses par leur fréquence et leur
intensité même. Plus de sommeil, plus de repos. Le nervosisme aug-
mente ,et avec lui le découragement.
C'est alors qu'une mesure radicale s'impose : l'isolement absolu.
Il importe de noter ici les contractions limitées à de petits faisceaux
musculaires que le malade qualifie de «pulsations». Cette comparaison
est très exacte. Ce phénomène offre des ressemblances avec les contrac-
tions parcellaires du spasme facial ; on doit se demander, quand il existe,
si l'on n'a pas affaire à un spasme du cou (torticolis-spasme) ; la quasi-
impossibilité de réfréner les mouvements convulsifs, dans ces périodes
aiguës, permet aussi de considérer ceux-ci comme des accidents spasmo-
cliques. r
L'isolement avait été conseillé à Taurone, à son départ de Paris, pen-
dant un mois environ. Il avait cru pouvoir le réaliser dans son milieu or-
dinaire. Erreur. Les demi-mesures de cette espèce donnent rarement de
bons résultats. Taurone ne pouvait pas trouver dans son entourage les
auxiliaires qu'il lui eût fallu. Loin de là, au lieu de réconforts, d'en-
couragements et d'appuis, il ne rencontra que des lamentations, des do-
léances, et maintes causes d'irritation.
En présence de l'aggravation de son mal, l'isolement rigoureux lui fut
conseillé : : éloignement du milieu familial,, suppression de toute espèce
de travail, absence complète de préoccupations, existence toute végétative,
séjour au lit prolongé, quelques distractions non fatigantes.
Avec la même fermeté et la même méthode dont il avait déjà fait preu-
ve, dès le début de son traitement, Taurone a pris la résolution nécessaire
qui lui était indiquée. Et avec la même confiance, la même persévérance,
il s'est attaché à demeurer fidèle aux nouvelles prescriptions.
Les lettres suivantes en sont le témoignage. Elles font aussi connaître
les singulières oscillations de la maladie, alors même que sous l'influence
d'une discipline méthodiquement poursuivie, elle évolue progressivement t
vers la guérison. Elles sont enfin un reflet très clair de l'état mental dé
Taurone.
21 juin 1903. -'Vous m'avez demandé lors de mes premières visites de :
486 HENRY MEIGE
consentir un pacte m'engageant à suivre vos instructions ; je l'ai fait et je ne
manquerai pas à mes engagements. Je suis aujourd'hui dans un village de
montagne à 800 mètres d'altitude ; demain je vais m'installer à 2 kilomètres
de là dans une maison de campagne. Un hôtelier assurera ma subsistance et
la tenue en état de mon appartement.
Je passerai couché tout le temps que l'absence des contractions violentes me
permettra de conserver cette position, la nuit dans mon lit, le jour, lorsque
la température le permettra, dans un hamac. Absolument aucune occupation ;
tous les deux ou trois jours seulement un bulletin de santé envoyé à ma famille
qui, à ma demande expresse, bornera sa correspondance à en faire autant; je
n'aurai d'autre conversation que celle, forcément très courte, avec la personne
qui me portera mes repas. La campagne dans laquelle je serai installé est
entourée de bois et au bord d'une rivière. Je me suis procuré un outillage de
pêche à la ligne; ce sera ma distraction. Etant placé sur la rive droite de la
rivière, la nécessité de suivre la ligne dérivant au courant de l'eau me fera un
exercice de rééducation.
Vous m'avez demandé un isolement rigoureux ; vous voyez, d'après mon pro-
gramme, que je me conforme rigoureusement à vos instructions.
C'est un bien grand sacrifice pour ma famille qui s'est avec beaucoup de
peine décidée à le faire ; c'en est un considérable pour moi aussi ; mais je me
dois à moi-même et je dois à mes enfants et à tous les miens de ne rien né-
gliger pour recouvrer une santé dont nous avons tous bien besoin. Au surplus,
je dois dire que la pensée que je travaille à ma guérison adoucit toutes mes
peines et que l'espoir que je pourrai y arriver me fait entreprendre, je puis
presque dire avec satisfaction, cette nouvelle phase du traitement.
Après quelques jours de repos absolu, j'essayerai de reprendre les exercices
qui me sont devenus impossibles, et, dès que je le pourrai, je m'efforcerai de
suivre la progression que vous m'avez donnée.
Je serai très heureux si j'arrive à ce résultat, car ce qui me chagrine le plus
dans la période que je traverse, c'est l'impossibilité de faire les exercices sans
lesquels il n'y a pas de progrès réalisables. Je prolongerai mon isolement,si le
résultat m'en paraît bienfaisant,aussi longtemps que vous lejugerez nécessaire ;
je vous tiendrai d'ailleurs au courant. Dans un mois ma famille viendra me
rejoindre à la campagne, aussitôt que cela sera permis ; mais je suis certain
d'être affranchi par la force des choses et par ma propre volonté de toute occu-
pation professionnelle jusqu'à la fin d'octobre.
Voici quels furent les premiers résultats de l'alitement combiné aux
exercices méthodiques de discispline psycho-motrice dans un isolement ri-
goureux.
11 juillet 1903. Je me décide à vous donner de mes nouvelles en écri-
vant la tête de travers, car il serait probablement trop long d'attendre que je
puisse le faire en bonne position, n'arrivant même à tracer ainsi que quelques
lettres dans l'intervalle des séries de mouvements pendant les exercices.
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 487
Comme vous le savez, je suis depuis le 22 juin seul dans une campagne;
tout au plus si l'on ne me fait pas passer ma nourriture par un tour; à part
cela, mon isolement est bien complet.
Je bois du lait quand j'ai soif, et souvent un verre d'eau en guise d'apéritif.
De plus, à dater de demain ou après-demain j'aurai un étui fume-cigare pour
aspirer le camphre ; je réduirai ainsi encore ma ration de tabac. J'ai pensé au
camphre à cause de sa réputation calmante. -
Voici,mon programme d'existence :
Lever à 6 heures, petit déjeuner (lait) et promenade, ou plutôt série de sta-
tions au grand air jusqu'à 8 heures.
De 8 à 9 heures, repos au lit pour me préparer aux exercices.
De 9 à 10, exercices avec, dans l'intervalle des séries de mouvements, essais
de lecture ou tracés de quelques lettres.
De 10 à 11, au lit pour me délasser et conserver mieux l'effet des mouve-
ments de rééducation.
A 11 heures,déjeuner ; puis 1/4 d'heure de repos sur le lit pour me détendre
un peu ; après quoi, une cigarette au grand air.
De midi 1/2 à 3 heures, sur le lit.
De 3 à 4, exercices comme le matin.
De 4 heures à 4 1/2, sur le lit.
De 4 1/2 à 5, petite promenade.
De 5 à 6, sur le lit ou le hamac.
A 6 heures, dîner. '
Après dîner comme après le déjeuner.
A 8 heures, au lit.
Résultats : Encore nuls comme tenue et correction. Mais j'ai plus de faci-
lité pour le repos couché. Je reste presque tout le temps en bonne position,
les contractions sont rares et peu violentes.
Une parole ou un mouvement suffisent pour me faire perdre l'équilibre,
mais je le retrouve vite et aisément. Je ne me lève plus la nuit; je ne dors
certainement pas tout le temps : ce serait difficilet étant donnée l'absence de
fatigue corporelle et le long temps que je passe couché ; lorsque je ne dors
pas, je repose tout de même ; ainsi je reste couché à peu près tout le temps
(16 heures sur 24), en bonne position, m'efforçant même d'être un peu en po-
sition opposée aux mouvements de torticolis, afin d'habituer au relâchement
les muscles qui d'ordinaire entrent en contracture.
Le 29 juin, j'ai commencé les exercices ; ils se sont exécutés assez facile-
ment pour les mouvements de rotation et pour l'immobilisation tête à droite,
demi à droite et au centre, péniblement et pas toujours avec une correction
absolue pour la flexion (le menton se dévie à gauche) ; mais j'ai été arrêté dès
que j'ai'voulu passer aux mouvements des épaules (élévation et abaissement,
propulsion et extension), la tête était toujours et invinciblement entraînée à
gauche ; je ne pouvais pas arriver à dissocier les contractions. Suivant vos
instructions, je me suis arrêté, et depuis je marque le pas, m'en tenant aux
mouvements de rotation, extension, flexion et inclinaison de la tète (ces der-
488 HENRY MEIGE
niers, comme la flexion; s'exécutent difficilement). Ce sont les trapèzes, et
surtout le trapèze gauche, qui, ennemis plus récents, sont aussi les plus durs
à décontracter. Au moment des immobilisations, il se produit des secousses
convulsives de tout le haut du corps qui sont comme des défenses aux con-
tractions de torti et rélro-colis ; je m'efforce de les remplacer par un affaisse-
ment général, je n'y réussis pas toujours.
J'attends ainsi un moment favorable pour reprendre la marche en avant
dans la progression des exercices. S'il survient, je crois que je suis en excel-
lente position pour en profiter, a cause du repos considérable dont je jouis,
car je suis persuadé que l'échec de mon traitement à Paris qui s'annonçait si
bien a été dû à un état de nervosisme aigu, conséquence d'un peu de surme-
nage, d'efforts peut-être, mais surtout de l'absence presque complète de repos
et de sommeil, absence à laquelle il n'a pas été possible de remédier, les con-
tractions étant alors très violentes dans la position couchée, tandis qu'aujour-
d'hui elles sont à peu près nulles.
Je n'ose pas faire les quelques exercices possibles dans cette position, car
j'ai un peu peur de réveiller le chat qui dort.
J'ai cependant l'intention de faire deux fois par jour au lit des mouvements
respiratoires et de passer ensuite à quelques exercices oratoires. J'ai la pensée
que, si je me consolidais un peu plus dans la position couchée, cela pourrait
faciliter mes mouvements dans d'autres positions.
Remarques. - L'alitement dans l'isolement a donc produit déjà un
certain apaisement : le sommeil est meilleur, la station couchée peut être
prolongée, la tête restant presque toujours en position correcte. Certains
exercices redeviennent possibles.
Patiemment, sans se décourager, Taurone continue avec méthode le
traitement prescrit. Les exercices d'écriture surveillée devant miroir lui
ayant été conseillés, il les met en pratique pour écrire son bulletin de
santé.
3 août 1903. - 1° J'y mettrai le temps, car je suis encore obligé de me
surveiller beaucoup : pendant que je crois avoir conservé une bonne position,
, LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 489
je m'aperçois souvent en me regardant dans la glace devant laquelle j'écris,
que mon corps s'est légèrement incliné et dévié à droite ; la tète, déplacée
latéralement du même côté, et, trompant ainsi mon attention, a tourné un peu
à gauche. Je compte cependant arriver à la fin en deux séances, trois au plus,
de trois quarts d'heure environ chacune.
J'ai donc obtenu quelques progrès. Convaincu que les trapèzes, et surtout
le gauche, me gênaient beaucoup dans ma lutte contre mon vieil ennemi, le
sterno droit, j'ai dirigé plus spécialement mes efforts de ce côté ; j'ai multiplié
pendant et en dehors des exercices les mouvements de flexion, je me suis
livré dans le but poursuivi à toutes les manoeuvres que je pouvais imaginer.
Enfin, j'ai constaté un peu de détente : la flexion est devenue plus facile et
plus ample, la nuque plongeant en avant avec sensation de relâchement dans
le dos ; la rotation à droite a été (¡Jus étendue et la roideur du côté gauche de
la nuque qui enrayait ce mouvement a faibli ; la douleur de l'épaule a sensi-
blement diminué, ce qui m'a fait grand plaisir, car elle est très pénible. Les
exercices sont devenus plus faciles eu plutôt moins difficiles. J'ai pu aborder,
quoique avec quelques incorrections, les mouvements des épaules et des
bras. '
2° Je suis loin encore de l'aisance et de la belle assurance que j'ai toujours
eue à Paris pendant les séances, même dans les périodes de crises.
3° Les secousses convulsives de tout le haut du corps que vous signalait ma
dernière lettre ont à peu près disparu ; il reste seulement des soubresauts
dans la région du larynx et des arrêts des mouvements respiratoires ; mais il
existe encore de la roideur, des imperfections ; notamment dans l'immobilisa-
tion au centre, la tête s'arrête invariablement en légère déviation à gauche,
déviation un peu plus accentuée dans la flexion, et tous mes efforts pour lui
donner un pointd'immobilisation plus correct demeurent inutiles. Enfin.j'écris,
quoique avec de sérieuses difficultés, en bonne position ; pour cela d'ailleurs
comme pour les exercices, il y a de très grandes différences en bien ou en mal
d'une séance à l'autre. Les repas sont un peu moins mauvais, et surtout moins
fatigants.
Tel est le bilan de mes améliorations ; il est encore mince, mais je l'apprécie
cependant et j'en suis satisfait, pensant que les premiers pas doivent être les
plus difficiles. Mais i ! y a une ombre au tableau.
Au moment où je comptais commencer bientôt les exercices que vous me
conseilliez pendant mes repos de la journée sur le lit,j'ai très rapidement perdu
la faculté que j'avais de rester couché en bonne position ; la tête est repartie
avec, à la fin du mouvement de rotation à gauche, des oscillations de bas en
haut ; je n'arrive que rarement à m'arrêter, et pas pour longtemps, la tête di-
recte. L'état de contracture des divers muscles qui entrent en jeu dans mon
torticolis avait-il créé une espèce d'équilibre de hasard et de mauvais aloi que
la détente partielle du trapèze gauche a détruit ? Je suis porté à le croire, car
il y a eu coïncidence entre les indices de cette détente et la perte de la bonne
position au lit ; s'il en est ainsi, il faut espérer qu'un nouvel équilibre s'éta-
blira dans mon nouvel état. Je le souhaite bien, car je ne puis plus, à l'heure
xx 31
490 11EKRY MEIGE '
qu'il est, jouir du repos considérable que j'avais, le séjour au lit entraînant le
plus souvent une fatigue par les mouvements et, les résistances qui s'y produi-
sent. Je redouterais, si cette situation persistait, l'énervement considérable qui
en avait été la conséquence à Paris.
4° Mais je ne m'effraie pas encore ; je me suis en effet rendu compte que
dans cette affection il ne faut s'étonner, s'alarmer ni trop se réjouir de rien.
En même temps qu'une bonne chose en arrive une mauvaise ; plus mal la
veille on est mieux le lendemain ou inversement ; et les symptômes d'amélio-
ration disparaissent quelquefois comme avaient disparu des symptômes d'ag-
gravation. L'important est de voir si la marche générale est bonne ou mau-
vaise, et pour l'instant je crois la mienne plutôt bonne, malgré la perte du
repos au lit. Les nuits sont d'ailleurs encore moins mauvaises qu'elles n'étaient
autrefois ; j'ai quelques heures de sommeil.
J'ai essayé, comme je l'avais fait à diverses reprises, l'emploi de pilules cal-
mantes pour les moments de surexcitation (extrait thébaïque, 0 gr. 03 ; jus-
quiame,0 gr. 10; valériane, 0 gr. 10, pour une pilule, à prendre à midi et
6 heures du soir). Pour la première fois un affaissement marqué s'est produit
les deux premiers jours, deux heures environ après l'absorption de ces pilules,
surtout de celle du soir ; j'en augurais que ma résistance aux antispasmodi-
ques et aux soporifiques avait diminué (ce que je voyais avec plaisir), mais
l'accoutumance s'est vite faite,et je ne constate plus d'effet bien certain ; aussi
'je vais réduire à une pilule par jour, le soir, puis supprimer ces pilules, sauf
à les reprendre si je remarquais qu'une plus grande surexcitation suit cette
suppression, et sauf aussi votre avis.
Pour être plus sûr de suivre avec sévérité le régime d'isolement que vous
m'avez prescrit, j'ai envoyé ma famille aux bains de mer au lieu de l'installer
à proximité de moi.
En résumé, je marche très lentement, mais j'ai un peu avancé. Il faut espé-
rer que l'adage « che va piano.... » sera vrai pour moi. Réellement, je le mé-
riterais bien un peu.
Remarques. - 1° Parmi les exercices correcteurs, l'écriture surveillée,
exécutée devant miroir rend souvent service.
Ecrire gros, rond, lentement.
2° Il est constant que les exercices faits sous la surveillance médicale
sont beaucoup mieux exécutés que lorsque le malade est seul. Outre qu'en
présence de leurs éducateurs les patients apportent plus d'attention à la
correction des mouvements commandés, ils n'ont pas toujours une notion
très exacte de leurs incorrections; certains, de bonne foi, s'imaginent très
bien faire et ne sont pas en mesure de reconnaître tout seuls les fautes de
direction ou de vitesse qu'ils commettent. Pour la même raison, ils arri-
vent à ne plus s'apercevoir des fâcheuses attitudes compensatrices qu'ils
prennent.
3° Les troubles respiratoires sont fréquemment associés au torticolis ; les
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 491
uns résultent de compressions laryngées, par les contractions des muscles
hyoïdiens ; d'autres fois le diaphragme entre manifestement en jeu.
4 Le malade décrit avec beaucoup de justesse les variations de l'affec-
tion dont il est atteint.
5° Les médicaments antispasmodiques sont sans effet sur les torticolis
convulsifs, ou du moins leur action n'est qu'éphémère.
31 août 1903. Vos encouragements sont précieux pour moi. Je comprends
bien qu'en principe ils font partie du traitement, et en effet, dans mon affec-
tion, on a souvent besoin d'être réconforté. Je sais que vous ne me faites rien
espérer qui ne soit au moins réalisable et je me sens assez de force et de persé-
vérance pour seconder vos efforts. J'ai attendu quelque temps pour vous
écrire de nouveau dans le désir de ne pas abuser, et aussi dans l'espoir de
pouvoir vous signaler des progrès plus sensibles, mais je suis un peu encore
comme soeur Anne... Je n'ai pas à vous annoncer grand changement dans mon
état.
J'ai avancé un peu seulement dans les exercices ; il est vrai que ce sont ces
progrès auxquels je tiens le plus, pensant que, s'ils persistent, ils finiront par
entraîner les autres. Après avoir recommencé plusieurs fois la progression,
parce que je n'avais pas la correction nécessaire, je suis aujourd'hui à cent
secondes d'immobilisation parfaite dans la position directe avec seulement une
légère tendance à la dérivation vers la gauche dans le demi à droite et quel-
ques secousses dans la position extrême droite. J'ai eu à lutter pendant long-
temps contre la défectuosité du point d'arrêt de la tête au centre, l'axe du cou
étant invariablement déplacé un peu à droite et la tête en légère rotation à
gauche ; je chassais le cou de ce côté et prenais la position bien directe, mais
je ne la conservais pas et ce mouvement de va-et-vient faisait obstacle à une
bonne immobilisation, en même temps que l'attitude incorrecte laissait pour
ainsi dire la tète au cran de départ et en rendait le maintien plus difficile au
moindre mouvement. J'ai l'impression que c'est cette attitude défectueuse pro-
voquée par le désir d'avancer l'oeil droit, bien meilleur chez moi que l'oeil gau-
che, qui a dû (prise inconsciemment depuis peut-être de longues années), être
la cause occasionnelle de mon torticolis. J'ai enfin triomphé, sauf à me sur-
veiller toujours, et c'est depuis que l'immobilisation au centre est réellement t
bonne. Les rotations sont en majeure partie satisfaisantes ; à signaler seule-
ment que les muscles intéressés,et notamment le sterno droit et le trapèze gau-
cre,ntrent en contracture quelquefois assez violente dès l'arrivée à proximité
de l'extrême gauche, et que le retour de droite au centre se fait,durant certains
exercices, avec une rapidité que je ne puis maîtriser.
Les inclinaisons sont convenables, la flexion aussi. Les mouvements des
épaules, des bras (surtout dans l'élévation verticale) et ceux du torse sont,
en général, accompagnés d'une certaine roideur de la tête et de quelques
secousses l'entraînant quelquefois à gauche.J'ai commencé les marches ; mais,
492 HENRY MEIGE
sauf dans les très bons exercices, elles s'accompagnent encore de secousses
avec dérivation à gauche. J'ai fait quelques tentatives de combinaison des mou-
vements de la tète avec ceux des bras, des épaules et du buste, mais j'attends
pour les entreprendre complètement d'être un peu plus sûr de moi.
En somme, je ne suis pas mécontent de la marche de mes exercices, je vais
très lentement, mais j'avance toujours un peu, et, s'il ne survient pas un de
ces mouvements de recul, comme j'en ai eu malheureusement déjà plusieurs,
je compte arriver bientôt à accomplir toute la série correctemeut. Je termine
chaque séance par quelques mouvements respiratoires et une courte déclama-
tion,ayant depuis longtemps remarqué la participation des muscles respirateurs
aux contractions.
En dehors des exercices, pas de progrès encore; j'essaie bien quelques
applications dans les mouvements usuels, mais je ne réussis guère ; l'attitude
générale est ausi vicieuse ; le repas, comme lors de mon précédent bulletin,est
toujours plus mauvais à la fin qu'au commencement ; la marche est devenue
encore plus pénible, le renversement de la tête en arrière s'étant accentué
encore davantage ; je n'ai pas retrouvé au lit la bonne position ; il y a seule-
ment un léger changement d'orientation, la rotation à gauche est un peu moins
poussée à l'extrême pendant que les contractions renversant la tête en arrière
sont plus violentes et toniques comme dans la marche.
Voilà, aussi fidèlement rapporté que possible, mon état actuel ;je doisajouter
pour être complet, que mon état général d'hyperexcitabilité musculaire est le
même ; je m'en rends compte au soubresaut de tout le corps que j'éprouve
lorsque un contact inattendu vient à en atteindre une partie quelconque.
Le séjour dans la montagne où je me trouve devient peu pratique, les brouil-
lards et le mauvais temps arrivent; les jours se raccourcissent et il sera diffi-
cile de me faire porter le repas du soir ; je songe à mettre fin à mon isolement,
qui aura bientôt duré deux mois et demi, et à aller continuer le même pro-
gramme que j'ai adopté ici au village où ma famille passe les vacances. Mon
intention d'ailleurs bien arrêtée est d'y rester jusqu'au jour où ma guérison
sera considérée comme complète, ou bien j'aurai perdu tout espoir de l'obtenir,
- ce qui n'arrivera pas vite, et j'espère même jamais, car j'ai toujours, mal-
gré tous les retards que je subis, complète confiance et dans votre pronostic et
dans le mode de traitement. Ce n'est qu'une fois celui-ci terminé, ou tout au
moins passé à la période de consolidation,que je rentrerai chez moi ; j'éviterai
ainsi toute tentation de me livrer à des occupations quelconques et conser-
verai un repos absolu.
Remarque. - Etat presque stationnaire pendant un mois ; cependant
Taurone conserve confiance et note avec justesse quelques progrès, pré-
ludes d'une amélioration croissante.
1er octobre 1903. - 1° Je suis venu retrouver ma famille sous un climat
plus doux et continuer mon traitement. Voilà exactement un mois que je vous
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 493
ai envoyé mon précédent bulletin ; je suis bien heureux de pouvoir vous si-
gnaler de nouveaux et notables progrès tout au moins pour les exercices. Les
obstacles à leur bonne exécution ont disparu peu à peu et j'accomplis aujour-
d'hui la série complète avec la même aisance que j'avais à Paris. Sur les trois
séances journalières, je supprime même le miroir pour une séance et la per-
sonne qui me surveille n'a cependant que très peu de fautes à relever.
Je suis à quatre minutes d'immobilisation correctement prise et conservée ;
je pourrais sans difficulté aller bien plus loin et rester, tout au moins au centre,
aussi longtemps qu'avant d'être atteint de torticolis, mais je sais que vous ne
jugez pas opportun de dépasser cinq minutes et je m'en tiendrai là lorsque j'y
serai arrivé.
Pendant la marche et pour obtenir plus d'assouplissement, j'exécute tous
les mouvements de la tête, des bras, des épaules et du buste ; c'est mon pro-
grès le plus récent. Les exercices de lecture silencieuse ou à haute voix sont
aisés même en marchant.
2* L'écriture n'est pas souvent troublée par les contractions, mais depuis
une dizaine de jours, je suis très gêné par une recrudescence d'un trouble
moteur de date déjà ancienne (12 ans environ) que je vous ai fait connaître au
cours de nos conversations, sans vous le décrire, en lui donnant le nom de
« crampe des écrivains », qui m'avait été indiqué. J'ai des doutes sur l'exacti-
tude de cette désignation. Une crampe, au moins dans l'acception vulgaire,
implique une contracture assez violente des muscles qui en sont atteints ; or ce .
n'est pas ce que je ressens ; c'est au contraire une sorte d'engourdissement du
bras, et surtout de la main, avec tremblement à peine perceptible de celle-ci.
Suivant l'expression commune, « la main me meurt », et il est très difficile,
quelquefois impossible, de lui faire exécuter les mouvements légers et délicats
de l'écriture, tandis qu'elle conserve l'intégrité de sa fonction pour des mouve-
ments plus amples et plus violents. Hier j'ai éprouvé ce trouble, mais un ins-
tant seulement, en me rasant. Depuis sa première apparition, j'en étais atteint
à intervalles éloignés, peut-être une dizaine de fois par an autant que je puis
préciser, et il était de très courte durée; une cigarette, un peu de distraction
et il disparaissait; après quelquefois un ou deux essais infructueux je pouvais
me remettre à écrire ; jamais il n'avait eu la persistance et la tenacité qu'il
affecte cette fois. Je lui attribuais pour cause une douleur assez légère, d'ori-
gine probablement arthritique,que j'ai depuis fort longtemps dans l'articulation
scapulo-humérale droite avec irradiation plus faible autour de l'humérus. De
fait, depuis que les sensations très douloureuses qui, dans l'épaule gauche, ac-
compagnaient les contractions violentes, ont, sauf à de rares moments, cessé,
la douleur, qui semblait avoir changé de côté, a reparu à droite ; et, quelque
temps après, est survenu de nouveau dans les conditions de persistance que
je vous indique, le trouble ancien. Est-ce une simple coïncidence ? Je serai
heureux d'avoir votre opinion sur la nature de ce trouble fonctionnel et de
savoir si je dois m'en préoccuper ou attendre simplement qu'il disparaisse.
3° En dehors des exercices, je n'ai pas encore des résultats sérieux ; j'ai ce-
pendant commencé les applications que j'avais entreprises plusieurs fois infruc-
494 HENRY MEIGE
tueusement parce qu'il était certainement trop tôt ; j'espère réussir mieux
maintenant. J'ai commencé par les repas qui suivent immédiatement, le matin,
une des séances de mouvements, et, le soir, un exercice de lecture. C'est à
dessein que je ne laisse pas d'intervalle, afin de ne pas arriver à table trop
décousu, car il me serait alors difficile, sinon impossible, de me ressaisir. A
la condition de ne pas parler, et de ne pas être distrait, je reste en bonne po-
sition pendant le premier plat; j'ai maintenant entrepris le second, je me
maintiens souvent jusqu'à la fin de celui-là, mais moins bien et avec plus de
difficulté; lorsque la tête finit par m'échapper, les contractions deviennent
extrêmement violentes ; le rétrocolis est encore plus accentué que la déviation
à gauche ; j'ai beaucoup de peine, et encore après de nombreuses secousses,
à reprendre une position moins défectueuse que je suis d'ailleurs impuissant
à conserver. Même situation toutes les fois que je ne suis plus maître de mes
mouvements, ce qui m'arrive assez rapidement après chaque exercice pour ne
cesser qu'au début de l'exercice suivant. Mon attitude est alors si vicieuse que
les personnes qui me voient, sans être au courant, ont certainement l'impres-
sion que je vais plus mal. Je suis au contraire persuadé que je me trouve en
bonne voie, et que, si je ne bronche pas de nouveau, j'arriverai bientôt à des
résultats très appréciables dans l'accomplissement des actes ordinaires de la
vie; et j'espère ne pas broncher, car, depuis quelque temps, j'ai une régularité
à peu près complète dans l'exécution des exercices, quelles que soient les va-
riations qui se produisent dans l'intervalle de ceux-ci. Dans deux ou trois jours
je ferai les mouvements avec un poids d'un kilogramme à chaque main, puis de
deux kilogrammes,comme je devais le faire au moment de mon départ de Paris.
Les contractions sont violentes dès que je me couche, mais elles diminuent
peu à peu à mesure que vient le sommeil ; je m'endors le soir, une heure en-
viron après m'être couché et repose la majeure partie de la nuit; les contrac-
tions reparaissent aussitôt que je suis éveillé.
4° Je ne veux pas terminer cette lettre sans vous poser une question qui
me préoccupe depuis quelques jours. Je puis maintenant, au cours des séances
d'exercices, être distrait, parler, sans nuire à la régularité des immobilisations
et des mouvements ; cela paraîtrait devoir favoriser la création de l'automa-
tisme dans la suppression de l'automatisme des contractions incorrectes, ce
qui est bien le but poursuivi ; mais, d'autre part, n'est-ce pas nuire à l'inten-
sité des effets de la rééducation ? Dans l'idée que je me fais de mon mal, c'est
l'organisme, qui met en communication avec le siège de la volonté les extré-
mités des cordons nerveux, dirige ou établit dans ceux-ci le courant d'énergie
destiné à produire les contractions musculaires ou le supprime, qui est altéré
ou faussé. La rééducation serait basée sur le principe que la fonction fait l'or-
gane. S'il en était ainsi, la fonction ne serait-elle pas plus active, et par suite
plus efficace pour le rétablissement de l'organe,si celui-ci était maintenu en ac-
tion par un effort attentif sous la dépendance constante de la volonté, que si
on le laissait pour ainsi dire obéir à J'influence de l'impulsion une fois donnée
ou seulement de temps en temps répétée ? ...
D'autre part encore, lorsque le torticolis est définitivement constitué, il pa-
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 495
raît s'être créé un système psycho-moteur ( ? ) anormal, substitué au système
psycho-moteur normal, de telle sorte, qu'avant d'avoir obtenu quelques bien-
faits de la rééducation, ou lorsqu'on échappe aux effets de celle-ci encore in-
complète, si on pense exécuter un mouvement dans la région atteinte ou à
l'immobiliser, il est rare que ne se produisent pas les mouvements ou l'attitude
défectueuse du torticolis ; si, au contraire, on est distrait ou occupé d'autre
chose, souvent le torticolis n'apparaît pas ; il semble que l'automatisme ancien,
le bon, a repris momentanément son pouvoir. Dès lors ne vaut-il pas mieux
pour obtenir de la rééducation les meilleurs effets, penser à bien faire pendant
les exercices, et bien faire, que.... bien faire sans y penser ?
Vous me pardonnerez de vous communiquer des impressions qui ne corres-
pondent peut-être à rien de réel, et en des termes certainement bien impro-
pres, dépourvu que je suis de toute connaissance médicale.
Remarques. - Io Phase d'amélioration très sensible pendant un mois
environ.
2* Des accidents très analogues à la crampe des écrivains s'observent
assez souvent au cours des torticolis convulsifs. Le plus souvent ce trouble
moteur précède le torticolis ; parfois ce dernier ne se produit au début
qu'à l'occasion de l'écriture.
Dans le cas présent, il y a lieu de noter :
a) Que le phénomène signalé par le malade s'est manifesté longtemps
(12 ans) avant son torticolis.
b) Qu'il s'accompagne d'une sensation d'engourdissement du bras et
de la main du côté droit (côté du sterno-mastoïdien contracté) et d'un lé-
ger tremblement, ainsi que d'une sensation douloureuse dans l'épaule et
le bras droit.
c) Qu'il ne se produit pas seulement à l'occasion de l'écriture, mais
d'autres actes menus et délicats (se raser), tandis qu'il n'a pas lieu pour
les gestes plus amples.
d) Que la distraction le faisait cesser rapidement.
3° Il est de règle que les progrès réalisés les premiers se manifestent
par une meilleure exécution des mouvements rééducateurs.
4° Le malade apprécie assez bien le but et les moyens de la discipline
psycho-motrice. Voici ce qu'il veut dire :
Nous avons à considérer, non pas une imperfection organique, mais une
imperfection fonctionnelle. Un trouble fonctionnel s'est produit, sans que pour
cela l'organe ait été modifié profondément. Le but thérapeutique est de réta-
blir la correction de la fonction, grâce aux interventions correctrices de la
volonté. Il s'agit de déraciner une habitude fonctionnelle anormale et de la
remplacer par une habitude fonctionnelle normale. Or, c'est par la répétition
que se crée l'habitude, que s'est créée la mauvaise, que reparaîtra la bonne.
Si, au cours des exercices on arrive à pouvoir exécuter correctement tous les
496 HENRY MEIGE
actes moteurs, tout en étant distrait, c'est qu'en effet on a reconquis une bonne
habitude fonctionnelle pour les exercices en question. La même pratique doit
être appliquée à la correction des habitudes motrices défectueuses dans les dif-
férents actes de la vie et à leur remplacement par des habitudes motrices cor-
rectes. Et ce travail se trouve facilité par les bonnes habitudes acquises dans
les exercices méthodiques.
Pour arriver à ce résultat, il est très juste de dire que le vrai moyen est de
penser à bien faire, plutôt que de bien faire sans y penser.
Il importe au début de simplifier au maximum tous les actes de façon à pou-
voir facilement concentrer l'attention sur des mouvements simples. Nos gestes
usuels sont si complexes que leur surveillance est malaisée si l'on ne prend
soin de les décomposer, de les débarrasser de tout ce qui est superflu, et sur-
tout de les exécuter avec la plus extrême lenteur, de façon que la surveillance
ait le temps de porter successivement sur chacun des actes moteurs qui les
composent.
Si on fait attentivement ce travail de dissociation des mouvements com-
plexes en mouvements élémentaires, on arrive vite à exécuter chaque mou-
vement élémentaire avec correction, puis deux mouvements élémentaires
successifs ou simultanés, puis trois, et ainsi de suite, enfin le mouvement com-
plexe usuel lui-même, qui n'est que la succession ou la réunion des précédents.
Mais il faut que l'étude de la succession précède celle de la superposition des
mouvements.
novembre 1903. 1° Monredoutable ennemi ne désarme pas encore. Peu
de jours après mon bulletin du mois dernier, j'ai entrepris les exercices de
marche à l'intérieur, je suis assez rapidement arrivé à faire tous les matins
une petite promenade dont j'augmentais progressivement la durée; je conser-
vais une position correcte, ou, tout au moins, j'évitais de me laisser aller à la
position incorrecte, la condition de fixer la tête de temps en temps en bas et
à droite, en me livrant à quelques coups de pointe de canne sur les objets que
je voyais à terre dans cette direction (escrime nouveau genre) ou de regarder
aussi de temps en temps à droite et de maintenir quelques instants la tête en
rotation de côté pour revenir ensuite à la position directe. Je cherchais par
ces moyens à éviter la dérivation à gauche et en haut, qui,sans ces manoeuvres,
se produisait, lente et insensible d'abord, puis aboutissait aux contractions
ordinaires du torticolis. Une semaine après le début de ces exercices, j'ai
ajouté une petite promenade, mais bien plus courte, le soir.
2° Mon programme était alors le suivant :
A 6 heures 1/2, lever, toilette et petit déjeuner.
A 7 heures, premier exercice devant miroir pour me fixer un peu (réduit
aux immobilisations et mouvements simples, 40 minutes environ).
De 8 h. 1/4 progressivement jusqu'à 9 heures, marche à l'extérieur.
De 9 heures à 10 h. 1/2, lecture et écriture.
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 497
De 10 h. 1/2 ou 10 h. 45 à midi, 26 exercice, complet celui-là, devant miroir
ou sous la surveillance d'une personne de la famille.
Midi à 1 heure, repas.
De 1 h. 1/2 à 3, repos au lit.
De 3 h. 1/2 à 5, troisième séance d'exercices devant miroir. '
De 5 à 5 1/4, puis 5 1/2, promenade à l'extérieur.
De 5 h. 1/2 à 7, lecture et écriture.
De 7 à 8, repas.
A 9 heures environ, coucher.
Ma journée était ainsi presque intégralement prise par les exercices (les
repas eux-mêmes en constituant un, et des plus difficiles) et je réduisais au
minimum les intervalles pendant lesquels le tic se produisait.
3° Comme vous le signalait ma dernière lettre, les contractions, en dehors
des moments où je les réfrénais par les exercices, étaient très violentes ; elles
me produisaient l'effet d'être commandées par un ressort agissant d'autant
plus énergiquement que sa tension a été plus augmentée. Depuis une quinzaine
de jours cette violence des contractions, une fois que je suis démonté, s'est
encore accrue en s'accompagnant dans toute la face d'une véritable débauche
de contractions accessoires ; le cuir chevelu, le front, les yeux, les joues, le
nez, la bouche, le peaucier du cou, tout est en mouvement, et pour savoir ce
qui bouge, j'ai plus tôt fait de chercher ce qui ne bouge pas ; contractions
d'attention, d'anxiété, d'effort, de souffrance, de rien du tout peut-être, comme
celles du cuir chevelu et du peaucier du cou, c'est toute la gamme jouée en
même temps. Je me réfugie devant le miroir, et, si je ne suis pas resté trop
longtemps dans ce désordre, j'arrive assez vite à me ressaisir ; dans le cas
contraire, je mets plus longtemps, mais j'y arrive tout de même ; après quel-
ques immobilisations, d'abord irrégulières, puis plus régulières, un peu d'écri-
ture et de lecture, je finis par retrouver le calme, d'autant plus complètement
que je prolonge plus longtemps ces exercices. C'est surtout vers la fin et après
les repas que ces désordres s'accentuent. J'essaye bien d'enrayer l'envahisse-
ment des contractions de la face, mais je ne puis les surveiller toutes à la fois,
et ce n'est qu'en m'en prenant à celles du cou, dont elles sont pour ainsi dire
l'accompagnement, et en arrêtant celles-ci que toutes disparaissent.
4° C'est toujours, depuis un certain temps, le trapèze gauche qui est le plus
grand coupable; je le sens commençant ses contractions, d'abord faibles, puis
de plus en plus fortes ; je lutte dès le début, et autant que je le puis, en por-
tant la tête en rotation à droite et en flexion vers le bas, mais la défaite finit t
par arriver et avec elle le cortège des convulsions de la face. Mes progrès se
trouvent ainsi depuis une quinzaine de jours entravés; je n'ai pas eu dans
cette période de nouvelles améliorations dans la marche, les repas, plutôt au
contraire un peu de fléchissement, même dans les exercices devant miroir;
les quelques rares difficultés que j'avais encore dans les mouvements simples
ont persisté (contractions assez fortes dans la rotation complète à gauche, ten-
sion avec sensation de roideur et de courbature dans la rotation complète à
droite, difficulté dans l'inclinaison de la tête à droite tandis que l'inclinaison.
498 HENRY MEIGE
de la tête à gauche est très aisée) ; les mouvements de rotation à droite com-
binés notamment avec la marche et les mouvements respiratoires sont très
difficiles à obtenir, tandis que je les réussissais avant cette période.
Je traverse très probablement une crise qui serait d'une violence très grande,
si elle n'était pas atténuée dans ses effets par la possibilité de retrouver le
calme devant miroir, et surtout là dans les exercices de lecture et d'écri-
ture. -
J'espère néanmoins que, pendant cette courbe des progrès un peu en des-
sous de la ligne d'ascension, les séances d'exercices que, sauf les quelques dif-
ficultés que je signale, j'accomplis en somme régulièrement, continueront
d'une façon latente leurs effets ; que le progrès se réalisera en dedans en
attendant qu'il se manifeste de nouveau au dehors ; mais c'est réellement bien
dommage que j'aie ce temps d'arrêt : je marchais si bien. Vous m'avez d'ail-
leurs toujours prévenu de l'allure oscillante de la maladie et je la connais par
une expérience déjà longue, hélas ! J'attends donc, avec confiance le relève-
ment de la courbe ; la patience et la persévérance ne me font pas défaut ; j'es-
père toujours arriver bientôt à la victoire complète. J'ai cependant de temps
en temps à l'esprit la phrase de M. Feindel dans l'article d'un journal médical
que j'ai lu : « si la maladie reçoit le traitement approprié, l'état est toujours
amélioré, et on peut parfois arriver à la guérison «. J'ai l'amélioration et je
serai sans doute de la catégorie de ceux qui arrivent à la guérison : puisqu'il
y en a, je puis être du nombre et confirmer votre pronostic auquel je me rap-
porte toujours avec bonheur.
5° Par une coïncidence bizarre (mais, que de choses bizarres dans cette mala-
die) ? pendant cette période de fléchissement (que je pourrais appeler nouvelle
crise du trapèze gauche), la position dans la station couchée s'est plutôt amé-
liorée. J'ai quelques difficultés à prendre les attitudes correctes, mais j'y arrive
assez rapidement, et, sans avoir un sommeil interrompu, je passe en somme
de bonnes nuits.
6° Je bavarde bien longuement, mais je suis si heureux de vous écrire. Il
n'y a qu'à vous que je puis parler de tous ces menus détails. Je le fais en une
écriture que j'adopte depuis quelques jours dans ma correspondance seulement,
m'efforçant de transformer pour mes besoins ultérieurs en écriture courante
celle des exercices. Vous vous rendrez compte que je suis loin de bien réussir
encore. J'écrivais si mal qu'il n'est pas commode de tracer bien couramment
un nouveau genre de caractères ; mais, sauf pendant les moments où, arrivé
démonté devant le miroir, je me sers de l'écriture pour me fixer, je ne suis
plus gêné par les contractions dans cet exercice.
Spécimen d'écriture. 2 novembre 1903.
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 499
7° Il en est de même pour la lecture, et j'utilise cette faculté dans mes pro-'
menades. Lorsque la lutte devient trop difficile, je prends un livre ou un jour-
nal dont j'ai eu soin de me munir; je le tiens un peu à droite pour entraîner
la tête de ce côté, et, l'oeil fixé sur les caractères, et la pensée autant que pos-
sible sur ce qu'ils expriment, j'arrive à marcher dans de bonues conditions. A'
l'heure qu'il est, si je partais de la maison immédiatement après une séance
d'exercices devant miroir et un livre à la main, je pourrais marcher une heure
et plus sans être désemparé. '
8° Je dis que je porte un peu à droite le livre pendant la lecture; je mets
même quelquefois des lorgnons de rééducation qui m'avaient été conseillés au
début; le verre de droite est dépoli, de sorte que je suis obligé de regarder de
l'oeil gauche et de prendre ainsi une position inverse de celle qui probablement
a été la cause occasionnelle de mon état. Je favorise de même en lisant ou en
écrivant devant miroir cette position qui m'éloigne de celle favorable anx con-
tractions. Fais-je,bien ou vaut-il mieux que je me tienne le plus possible dans
l'attitude complètement directe ?
Remarques. - 4° Les exercices d'écriture ou de dessin sur le sol, avec
une canne, la tête étant maintenue en position correcte, peuvent être uti-
lisés avec fruit.
2° Bon exemple de l'emploi du temps dans le traitement du torticolis
mental.
3° Dans les crises violentes, les muscles de la face se contractent par-
fois. Il s'agit le plus souvent de grimaces surajoutées au torticolis, expres-
sions mimiques de l'effort ou de la souffrance.
4° Les phénomènes convulsifs, dont le muscle sterno-mastoidien droit
était seul atteint au début, ont presque entièrement disparu (comme le
prouve la facilité avec laquelle la tête peut être inclinée à gauche). Par
contre, les contractions qui ont apparu peu à peu dans le trapèze gauche
vont en s'exagérant.
5° Il est fréquent d'observer au cours d'un torticolis mental, que les
meilleures journées succèdent à de moins bonnes nuits, et inversement.
6° Confirmation des effets sédatifs de l'écriture surveillée.
7° Les exercices de lecture sont aussi profitables. Et, d'une façon géné-
rale, toutes les occupations obligeant 'le malade à tourner la tête du côté
opposé à la rotation de son torticolis, à la condition toutefois de ne pas
exagérer les efforts correcteurs.
8 Les lorgnons de rééducation peuvent être utilisés à la rigueur ; mais
il est préférable de se passer de toute espèce d'accessoires.
*
..
19 novembre 1903. i° La crise que je vous signalais a eu des consé-
quences bien plus funestes que je ne pensais,. Le fléchissement que j'avais
500 HENRY MEIGE .
constaté dans les exercices s'était considérablement aggravé. J'avais beau me
cramponner aussi énergiqnement que possible, chaque jour disparaissait quel-
qu'uu des progrès réalisés ; je refaisais en arrière progressivement, mais avec
une navrante rapidité, le chemin que j'avais mis si longtemps à parcourir en
avant. En huit jours toutes mes acquisitions ont été perdues ; il ne m'en est
resté que la faculté d'écrire, et encore avec une assurance et une correction
d'attitude bien moins grandes. J'étais désolé ; j'ai fait des réflexions amères.
Je m'étais cru désormais inexpugnable dans les exercices, au moins quant à
l'ensemble, et une courte période m'enlevait la possibilité d'en exécuter aucun
correctement. Après avoir réappris à faire fonctionner normalement quelques
branches de mon système nerveux insubordonné, d'autres mettraient en dé-
faut mon éducation incomplète, et, pendant que je ferais des efforts pour les
ressaisir, les premières m'échapperaient peut-être. N'étais-je pas voué à un
perpétuel recommencement et à ne voir la guérison que dans un mirage ? Les
efforts que je faisais pour discipliner mes mouvements aux ordres de la volonté
ne devaient pas aller sans fatigue et usure pour elle. Aurais-je la force d'arriver
jusqu'au bout, alors que je n'avais à ma disposition qu'une faculté déjà en-
dommagée, mon affection me rangeant dans la catégorie des abouliques ?
Cependant je tiens bon encore. J'ai décidé de rester couché pendant trois
jours. C'était une espèce de retraite que je m'imposais pour essayer de m'en-
dormir sur le peu qui restait de mes acquisitions, de voir un peu clair dans
mon nouvel état et me préparer à recommencer la lutte.
2° Il m'a paru que les crises que j'ai traversées jusqu'à présent sont de deux
sortes : les unes seraient dues à une aggravation de l'excitabilité nerveuse :
les contractions s'exacerbent alors, les mouvements anormaux augmentent
de violence ou d'amplitude, et en général des deux à la fois, mais la direction
est la même. Les autres proviendraient d'une variation dans les muscles ou
portions de muscles entrant en contracture ; les contractions ne sont pas plus
violentes. le sens de l'attitude vicieuse est seulement modifié ; la tête ne se
fixe pas au même point ou y arrive en parcourant un tracé qui n'est pas exac-
tement le même qu'auparavant. La difficulté pour vaincre les désordres mo-
teurs n'en est pas moins grande que dans le premier cas. On s'était exercé à
décontracter certains faisceaux musculaires, d'autres sont arrivés à la res-
cousse ; on tâtonne, on est surpris par des mouvements ou des attitudes nou-
velles, désorienté, comme si, sur une espèce de clavier central, on avait ap-
pris à manoeuvrer quelques touches rebelles et que d'autres se refusent à
fonctionner normalement, sans qu'on sache encore les atteindre ou les toucher
au bon endroit. Il me semble que c'est principalement à cette deuxième caté-
gorie qu'appartient la crise que je traverse.
3° Je vous avais signalé la recrudescenee des contractions du trapèze gau-
che, et, au moment où j'ai constaté les premiers fléchissements dans les exer-
cices, je remarquais le matin, au début de la première séance journalière, que
le cou était déplacé vers la droite, la tête restant à gauche de la ligne médiane
du corps ; le cou portait la tête comme celle-ci porte un chapeau sur l'oreille ;
mais il me suffisait d'une rotation un peu prolongée à droite, pour, de retour
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 501
au centre, trouver l'attitude correcte, et c'était à peu près acquis pour tous
les exercices de la journée. Lorsque le détraquement s'est aggravé, cette posi-
tion vicieuse est devenue de plus en plus difficile à vaincre, les efforts entraî-
naient des oscillations, des secousses, qui se reproduisaient de temps en temps
pendant l'immobilisation. Aujourd'hui, il m'est à peu près constamment im-
possible de conduire la tête au centre sans constater la position incorrecte que
je vous signale, et, lorsque je me trouve en état complet de contracture, le côté
gauche de la nuque presse violemment sur la partie voisine du trapèze et toute
la région de ce côté est tendue et souvent douloureuse.
4° Evidemment le sterno droit ne demeure pas inactif ; il est tendu, mais
pas autant qu'il l'a été d'autres fois. C'est à gauche que sont surtout les con-
tractions ; les points de traction paraissent être : le côté latéro-postérieur du
cou sous l'apophyse mastoïde, un point de l'épine dorsale à la base de l'attache
du cou, et la partie interne de l'omoplate. Il y a dans tout cela quelques modi-
fications à l'état antérieur.
Enfin, j'ai remarqué aussi que le mouvement de rotation à droite qui était
limité dans son étendue par une tension considérable des muscles de la nuque,
s'exécute maintenant d'une façon complète ; quelque faisceau musculaire a
cédé pendant que d'autres sont entrés en contracture ou que leur état de con-
tracture a augmenté. Toutes ces constatations, jointes au fait que mon exci-
tabilité générale ne s'est pas sensiblement aggravée, me font penser que je
suis bien dans le genre de crise que j'indique. Il n'y a peut-être pas lieu d'en
être moins contrarié, car, pour en sortir, il faudra sans doute de nouveau la
rééducation du nouvel organe avec la lenteur qu'elle comporte.
Le 17, ma retraite terminée, je me suis remis résolument à la tâche ; mais
je ne fais pas encore grand'chose de bon. La prise de position au centre est
longue, difficile, et rarement bien réussie, les immobilisations défectueuses, le
mouvement demi à droite impossible à conserver, le retour de droite au centre
s'exécute avec une brusquerie qui me semble augmenter tous les jours comme
si le sterno droit, profitant du renfort qu'il a reçu d'autre part, augmentait
de violence ; l'extension et la flexion ne suivent pas le plan vertical ; j'exécute
des mouvements de rotation à droite et demi à droite la tête fléchie; la posi-
tion ainsi prise demi à droite me paraît très favorable à la découtraction et j'y
réussis quelques bounes immobilisations sur lesquelles j'insiste comme durée.
Voilà où j'en suis ; j'espère que j'arriverai à reprendre les exercices dans de
bonnes conditions et que ce ne sera que du temps perdu pour la marche en
avant, mais il me tarde bien d'en être certain.
5» Je me demande vainement quelle peut être, la cause, au moins occasion-
nelle, de cette crise ; je n'ai eu aucune secousse, ni physique ni morale ; il y a
longtemps que je n'avais pas été aussi heureux que depuis que mes progrès
s'affirmaient et c'est à ce moment que j'ai été atteint. Je ne puis incriminer que
l'état pathologique auquel est due mon affection.
Remarques. 1° Voici un nouvel exemple de rechute.
L'analyse qu'en l'ait le malade est très exacte et conforme aux observa-
tions faites dans d'autres cas.
502 HENRY MEIGE
II existe bien en effet deux variantes de ces rechutes : les unes tien-
nent à une variation de l'intensité des phénomènes convulsifs, les autres
sont dues à des variations de localisation.
3° On doit distinguer dans les déviations du torticolis celles de la tête
et celle du cou.
a) La position du cou peut rester normale, son axe n'étant pas dé-
placé ; la tête seule est inclinée ou tournée à droite ou à gauche.
b) Ou bien, l'axe du cou est lui-même déplacé à droite ou à gauche. Ces
deux sortes de déviations peuvent coexister.
4° Les phénomènes douloureux, toujours secondaires aux phénomènes
convulsifs, varient avec ces derniers d'intensité ou de siège.
5° 11 est souvent impossible de trouver une cause, physique ou mentale,
aux rechutes.
Après tant de tribulations, voici enfin que commence pour Taurone
une ère d'amélioration progressivement croissante.
28 février 1904. Je puis enfin vous annoncer un état réellement satis-
faisant, pourvu qu'il soit durable.
Vous savez quelle était ma situation en novembre : perte à peu près com-
plète de tous les progrès réalisés, contractions très violentes, impossibilité
d'exécuter les exercices. J'en suis même arrivé à ne pouvoir de nouveau ni
lire ni écrire.
Malgré quelques jours de repos absolu au lit, les tentatives pour reprendre
les mouvements de rééducation restaient vaines; le phénomène mental qui
avait fait du miroir un auxiliaire précieux agissait en sens inverse; le croise-
ment des lignes au lieu d'exercer une sorte d'attraction, produisait un effet ré-
pulsif et la tête se portait violemment à gauche, dès que je jetais les yeux sur
la ligne verticale ; j'ai essayé de faire disparaître cette influence fâcheuse en
m'abstenant pendant huit jours de paraître devant le miroir ; pas de change-
ment. Une seule bonne chose me restait : c'était l'amélioration relative obtenue
dans la position couchée ; les contractions vers la gauche s'y produisaient peu ;
celles en arrière diminuaient de fréquence et d'intensité et cessaient même
complètement, quelquefois pendant un temps assez long. Ne voyant rien au-
tre d'utile à faire, je prolongeai la durée de la station couchée : nuits de onze
à douze heures, et souvent plus, sieste de deux heures après déjeuner, nou-
veau repos avant le repas du soir. Je me trouvais de mieux en mieux au lit;
j'en arrivais même à pouvoir faire quelques changements de position sans pro-
voquer de contractions.
' Peu à peu l'amélioration gagnait la station debout ou assise en suivant abso-
lument la même marche ; les contractions ne se produisaient plus, en général,
que vers l'arrière, avec très légère déviation à gauche, puis diminuaient
d'intensité. -
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 503
Vers le commencement de janvier, je pouvais rester assez longtemps, cau-
ser même, la tête directe, mais le cou raidi, la nuque tirée vers l'épine dorsale,
la base du cou chassée en avant comprimant quelque peu l'oesophage. Insensi-
blement cette raideur diminuait, la marche devenait possible, puis de plus en
plus facile, la lecture et l'écriture très aisées, enfin de même les repas. Il y
a 15 jouis je reprenais la bicyclette et m'en tirais fort bien ; enfin, actuelle-
ment je puis me livrer sans difficulté à toutes sortes d'occupations, me pro-
mener, passer sans aucune fatigue une bonne partie de la journée à surveiller
les travaux de la campagne, ce qui me donne une distraction à la fois agréable
et utile. Il me reste seulement un peu de raideur du cou et les mouvements
de la tête vers la droite sont très limités. Si ces deux dernières gênes dispa-
raissaient, ce serait une guérison complète , sauf récidive.
Ce qui m'a le plus surpris dans cette marche lente, mais continue, vers le
progrès, c'est que la correction de l'automatisme précédait la correction des
mouvements consciemment voulus; au moment par exemple où la tête restait
ordinairement droite et se fléchissait au besoin pour les actes que j'accomplis-
sais, si j'essayais quelques flexions consciemment voulues et dirigées, si je
tentais un exercice devant ou hors miroir, il se produisait des secousses ou
des contractions nettes qui empêchaient l'exécution des mouvements comman-
dés ou les rendaient irréguliers ; les mouvements s'exécutaient d'autant plus
facilement qu'ils étaient, pour ainsi dire, moins intensivement' voulus. Il y a
une dizaine de jours seulement que, ce phénomène s'atténuant peu à peu, j'ai
pu reprendre les exercices proprement dits, interrompus depuis trois mois, en
n'y insistant cas trop. J'exécute en ce moment toute la série des mouvements
simples, sauf la rotation à droite, qui est ou impossible ou limitée dans son
étendue; je fais trois courtes séances par jour.
Je suis bien heureux, comme tout le monde autour de moi, de l'état dans le-
quel je me trouve, et dussé-je rester toujours ainsi, j'en prendrais facilement
mon parti, car je ne suis que peu incommodé ; mais je ne suis pas tranquille,
tant que je ne vois pas complètement affirmer la coordination entre la volonté
consciente et tous les mouvements.
J'ai fait faire des frictions à l'huile d'olive chaude sur les muscles du cou.Je
continue, pensant que cette sorte de massage ne peut qu'aider à la disparition
de la courbature des muscles.
Remarques. - Excellente phase d'amélioration pendant près de quatre
mois, dont la régularité progressive est d'un bon pronostic.
A noter une nouvelle période dans laquelle lerétrocolis tendait à rem-
placer le torticolis (modification plusieurs fois constatée).
Il est intéressant de constater que les actes automatiques ont été les
premiers à s'exécuter correctement ; les mouvements volontaires attenti-
vement surveillés ne se sont perfectionnés qu'un peu plus tard. ,
*
22 niai 1904. - Je n'ai rien de bien saillant à vous signaler depuis ma der-
504 .HENRY MEIGE
nière lettre ; je puis dire que j'en suis heureux d'abord, parce que la persistance
pendant plus de quatre mois, sans une seule dépression, de l'élaf très satisfai-
sant dans lequel je me tr)ttve, est de nature à me faire espérer qu'il ne s'agit
pas d'une simple rémisskn temporaire ; ensuite, parce que parvenu, après la
si longue et si pénible pé iode que vous connaissez, à une quasi guérison,
j'éprouve un tel bien-être, que ce que je souhaite surtout.c'est de ne pas reve-
nir en arrière.
Je ne me laisse pas aller cependant à une quiétude qui pourrait être dange-
reuse, je n'ai abandonné ni les exercices de rééducation ni la pensée rééduca-
trice. Je crois que le meilleur moyen pour ne pas reculer, c'est de m'efforcer
d'avancer, et je ne suis pas tranquille tant que les vestiges de ma maladie me
démontrent que l'état pathologique dont elle était la manifestation n'a pas com-
plètement disparu. Conformément à vos conseils, j'ai modéré la durée des exer-
cices : une demi-heure au lever, autant avant de me coucher. Dans la journée,
je m'observe souvent ; je m'efforce de faire quelques mouvements avec une
régularité méthodique; je décontracte les muscles que je surprends en état de
contracture.
Je fais, tous les matins, deux heures environ, et tous les soirs, une heure
de promenade.
Je suis, depuis une vingtaine de jours, rentré chez moi, et, je compte pro-
gressivement, comme pour les autres exercices, reprendre mes occupations
professionnelles. 1
Pour tout le monde je suis guéri et, de fait, je n'ai plus à, proprement
parler de torticolis. Comme vous le disait ma dernière lettre, et même avec
une atténuation sensible depuis, il me reste seulement de la roideur, de la
gêne dans la dernière moitié de tous les mouvements de rotation de la tête,
le début de ces mouvements étant normal. La rotation complète à droite n'est
pas toujours possible, surtout pendant la marche. La roideur des muscles du
cou augmente lorsque je porte les mains à la tête pour me moucher, me grat-
ter, me laver.. ; j'éprouve même parfois un peu de tremblement de la tête, de
petites contractions frustes, limitées, n'entraînant jamais de torticolis. Je n'ai
pas encore mon ancienne sûreté de main ; lorsrlue je m'observe dans l'immo-
bilité je remarque que je n'ai pas toujours l'équilibre parfait de contractions
qui doit la réaliser ; ainsi dans la position debout devant miroir je puis obser-
ver un très léger flottement du corps. Les mouvements, au lieu d'avoir une
régularité absolue de marche, s'accompagnent souvent de faibles accélérations
succédant à un temps d'arrêt à peine perceptible.
En somme, tout cela est bien peu de chose; je vous l'indique pour vous
faire connaître complètement mon état actuel et ne m'en préoccupe que comme
indices que la cause de mon mal n'a pas entièrement disparu. Tant qu'il en
sera ainsi, je ferai tout ce que vous me conseillerez pour arriver, si possible, à
une guérison complète. '
Je pense depuis quelque temps à me procurer un « Exerciser » et à faire
suivre les exercices que vous m'avez prescrits d'une courte séance de mouve-
ments avec cet accessoire ; je me demande si la résistance ou la traction tou-
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS 111ETAL 505
jours souples des cordons en caoutchouc n'aurait pas une influence favorable
sur la régularité et la souplesse de mes mouvements. Puis ce serait toujours
l'exécution de mouvements commandés, lents, réguliers, conformes aux prin-
cipes de la rééducation, variant et intéressant les séances.
Remarques. - Trois nouveaux mois d'amélioration régulière portant'
sur tous les actes moteurs, automatiques ou surveillés.
Cette sorte de tremblement de la tête que signale le malade et qu'il dé-
crit très exactement : « petites contractions frustes, limitées, n'entraînant
jamais de torticolis », s'observe au déclin du torticolis mental.
24 octobre 1904. - 1° La quasi-guérison que je vous annonçais s'est affirmée
sans aucune période de dépression ; les dermers vestiges de mon mal n'ont pas
encore complètement disparu, mais ils s'atténuent peu à peu ; la raideur dans
les mouvements de la tête diminue ; de même les légères secousses, les espèces
de crépitations et de bruissement qui les accompagnent, les difficultés dans
quelques-uns des mouvements d'élévation des bras,de leur circonvolution autour
de la tête et de rotation de celle-ci.. etc. Le peu de gêne qui subsiste s'en va
très lentement, mais s'en va tout de même. Il n'y a pas de différence sensible
eutre mon état d'aujourd'hui et celui d'il y a 8 jours, mais je puis constater
par exemple qu'il m'est plus facile aujourd'hui qu'il y a un ou deux mois de
faire avec la main droite la toilette de l'oreille gauche, de tourner la tête com-
plètement à droite en marchant etc... De telle sorte que, si la marche actuelle
continue, on peul prévoir que, dans six mois ou un an, il pourrait ne rester
plus rien, tout au moins des manifestations extérieures des vices de mon or-
ganisation. J'ai d'ailleurs les apparences d'une guérison complète. Avant les
vacances, j'avais repris peu à peu mes occupations professionnelles sans en
éprouver aucune fatigue, faisant à tout le monde un peu l'effet d'un revenant,
car on m'avait bien cru définitivement infirme et disparu. Pendant les vacances
j'ai supporté bravement quelques fatigues physiques (bains de mer, surveil-
lance des travaux de campagne) et je me remets en ce moment sans aucune
fatigue aux affaires.
J'ai réduit le nombre et la durée des séances d'exercices, mais je ne les ai
abandonnés que pendant deux périodes de vingt jours environ chacune. En ce
moment, je me borne à un quart d'heure ou vingt minutes en me levant et
avant de me coucher. Le reste du temps je m'observe de mon mieux.
2° Je surprends assez souvent quelques muscles en état de contraction légère,
non voulue, tantôt la joue gauche, tantôt la partie dorsale des trapèzes, tantôt
les mollets, tantôt la langue venant s'appliquer au palais ; je remets le tout
dans l'ordre et m'efforce d'avoir toujours une position et des mouvements cor-
rects.
3° Voilà dans quel état je suis bien heureux de me trouver ; ma bonne vo-
lonté aurait été certainement insuffisante pour arriver à ce résultat. Autour de
moi tout le monde était découragé ; je me rendais compte que les docteurs avec
506 HENRY MEIGE
lesquels j'étais amené à causer n'avaient aucun espoir de guérison ; l'un deux
même m'avait fait l'impression de manquer totalement de confiance ; j'ai su
depuis qu'il avait dit à ma femme : « Votre mari veut aller à Paris ; laissez-le
se contenter, mais je ne puis pas vous laisser d'illusion ; il est définitivement
infirme ». Que de chagrin ces paroles inconsidérées ont donné à tous les miens
à la pensée desquels elles étaient toujours présentes !
Remarques. - 1° Les derniers vestiges du torticolis convulsif sont une
sensation de raideur dans certains mouvements de la tête et du cou, rai-
deur qui peut persister longtemps, mais ne constitue qu'une gêne insi-
gnifiante. Avec cette raideur persistent souvent les craquements ou bruis-
sements articulaires que l'on observe pendant toute la durée de l'affection
ces bruits ne s'accompagnent d'ailleurs pas de douleurs.
2TYès intéressante la constatation faite par le malade de la persistance
de contractions involontaires, non seulement dans les muscles de la nu-
que et du cou, mais dans les muscles de la face, de la langue, et jusque
dans ceux des jambes.
30 Il ne faut jamais prédire l'avenir d'un sujet atteint de torticolis
mental. Si l'on ne peut lui promettre formellement la guérison, on a le
droit et le devoir de lui faire envisager une amélioration dont le degré dé-
pend de la persévérance des efforts correcteurs.
Enfin, quatorze mois plus tard, voici le dernier bulletin de Taurone :
7 janvier 1906. - Nous nous trouvons à l'époque des souhaits et vous
occupez, le vous assure, une large place dans ceux que je fais.
Car, je vais aussi bien que possible. Il ne reste plus de trace apparente de
mon 1,)i licolis.
Sauf un peu de raideur dans les muscles postérieurs du cou, entrainant
quelquefois de légères secousses dans les mouvements de rotation, j'exécute
sans aucune difficulté tous les mouvements simples ; quelques mouvements
combinés de la tête et du bras droit surtout, comme le port et les frictions de
la main droite sur le côté gauche de la tête et la rotation simultanée de celle-ci
à droite, sont encore moins aisés ; mais tout cela disparaît peu à peu.
Je ne fais plus d'exercices proprement dits ; je surveille seulement l'exé-
cution des mouvements les moins aisés, et, de temps en temps, pendant des
périodes de dix ou quinze jours je me livre malin et soir à une courte séance
d' « exerciser ».
J'ai changé de résidence. La ville où j'habitais n'offrait pas des facilités
suffisantes pour l'instruction de mes deux garçons ; j'allais être obligé de me
séparer d'eux et je le regrettais d'autant plus que l'aîné me paraît avoir
besoin d'une surveillance assidue. Extrêmement vif d'intelligence et de tempé-
rament, il me semble présenter quelques-unes des défectuosités qui caractéri-
sent le tiqueur ; il est désordonné, émotif, souvent plus enfant que ne le com-
LES PÉRIPÉTIES D'UN TORTICOLIS MENTAL 507
porterait son âge, manquant surtout d'attention, prompt à prendre de mauvai-
ses habitudes motrices et les perdant difficilement. Il a un caractère complète-
ment différent de celui que, de l'avis de tous, j'avais à son âge, en sorte que
mon torticolis aurait été la première manifestation au moins sensible de l'état
mental que cette affection comporte, et cet état aurait été cependant en germe
chez moi puisque.je l'ai transmis à mon enfant. Mystère de l'hérédité !
Je suis donc en éveil, et voudrais bien que l'accident qui m'est arrivé ait
au moins l'avantage de me permettre d'en éviter d'analogues à mon garçon ;
je désire le conserver à côté de moi pour, à mesure qu'il pourra le comprendre,
lui persuader qu'il a à se surveiller, à mettre le plus d'ordre possible et dans
les actes de sa vie et dans ses mouvements, à s'efforcer d'être attentif en toutes
choses
Ainsi, plus d'un an s'est écoulé sans retour des accidents convulsifs.
Taurone est désormais guéri de son torticolis.
Son état mental est excellent. Il est, à juste titre, satisfait du présent,
et confiant dans l'avenir.
La légère raideur de la tête et du cou qu'il éprouvait encore l'année
dernière s'est atténuée progressivement. A peine persiste-t-il une petite
gène pour certains mouvements combinés de la tête et du bras droit, qui
d'ailleurs s'atténue peu à peu.
Le traitement est fini ; mais Taurone continue par habitude à exercer
de temps à autre la surveillance motrice dont il a pu apprécier les bons
effets.
Et ce n'est pas seulement pour lui-même qu'il met en pratique les
conseils qui lui ont été donnés, il en envisage aussi l'application à ses en-
fants. Précaution judicieuse, encore que les exemples de torticolis mental
héréditaire soient tout à fait exceptionnels.
Mais, appliquée dès le jeune âge, la discipline pyscho-motrice préven-
tive permet d'enrayer en temps utile une foule d'habitudes fâcheuses,
qui, plus tard, deviendraient incorrigibles.
Au commencement de l'année 1908, Taurone continue à se bien porter.
SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL
PAR
POLIMANTI.
,
Charles Bell (1) observa qu'en serrant les paupières, après la fermeture
complète, la paupière supérieure s'abaisse légèrement, le bulbe oculaire
tourne en haut vers l'intérieur, et ensuite de l'intérieur vers l'extérieur,
enfin simultanément la paupière inférieure se rapproche du nez. Il ob-
serva très bien ce phénomène à l'aide de deux points noirs de repère
qu'il mit sur chaque paupière : les points noirs de la paupière supérieure
s'abaissaient verticalement, tandis que les points de la paupière inférieure
se déplaçaient horizontalement. La description très nette que donna
Ch. Bell lit donnera ce phénomène le nom de phénomène de Charles Bell.
Ch. Bell avait observé les mêmes faits sur un chien auquel il avait
coupé le nerf élévateur des paupières, et qui présentait le même phéno-
mène aussitôt que ce nerf était stimulé. Il l'observa aussi chez une jeune
fille dépourvue de paupières.
Le phénomène devrait donc être attribué à l'action simultanée du mus-
cle levator palpebrae superioris d'un côté et du muscle rectus superior et
obliquus inferior de l'autre, innervés par le nerf oeuloiiiolorius.
Pour étudier ce phénomène on prie le sujet de serrer les paupières,
comme pour dormir ; et en posant les doigts sur les paupières supérieures
on peut constater le mouvement caractéristique des bulbes oculaires que
nous avons décrit précédemment. L'observation est encore plus facile si l'on
empêche mécaniquement la fermeture des paupières en les maintenant ou
à l'aide d'un écarteur.
Chez la plupart des sujets le bulbe oculaire dévie vers l'extérieur
quand il est dirigé en haut; il y a cependant des exceptions. Von Graefe(2)
a pu observer quelquefois le phénomène inverse, c'est-à-dire les yeux
déviés vers le bas; je n'ai pas réussi à observer cette inversion, même
dans un grand nombre de cas.
Le phénomène de Ch. Bell peut être modifié volontairement par l'ac-
tion des muscles oculaires ; il suffit de prier le sujet de regarder un objet
quelconque en même temps qu'il ferme les paupières. Les globes ne se
SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL 509
tournent plus en haut ; ils convergent plus ou moins selon la distance de
l'objet fixé.
Ch. Bell a conclu que les mouvements qu'il adécrits remplissaient trois
buts très importants :
1° Le nettoyage de la surface antérieure de la cornée pour assurer la
vision nette et claire (les paupières ne se ferment pas hermétiquement, et
par les petites ouvertures des corps étrangers pourraient entrer et rester
sur la cornée) ;
2° Il facilite la sortie des larmes des points lacrymaux (l'oeil reste pressé).
Le mouvement des paupières inférieures vers le nez (elles se meuvent
comme une navette, dit Ch. Bell) pourrait porter vers les points lacry-
maux les corps étrangers qui peuvent se trouver dans l'oeil ;
3° L'oeil est protégé d s actions extérieures (le phénomène se produit
aussi chez les poissons qui sont dépourvus de paupières dans le but, aussi,
de nettoyer la cornée des corps étrangers).
Celle déviation des yeux vers le haut est un mouvement combiné d'un
très grand intérêt, car la paupière en se fermant, par la contraction du
muscle orbiculaire, devient plus épaisse ; conséquemment on a un moyen
de défense plus parfait ; en outre, le bulbe oculaire se tournant vers le
haut, la cornée, le cristallin et l'iris, qui sont de la plus grande impor-
tance pour la vision, peuvent être aussi mieux protégés. Ce mouvement de
protection est utile non seulement contre les corps étrangers, mais aussi
contre la trop vive lumière. Dans ce cas, la paupière était plus épaisse,
à cause de la contraction de l'orbiculaire, l'oeil reçoit une moindre quan-
tité de rayons, et simultanément la cornée, le cristallin et la pupille sont
tournées vers le haut dans un but de protection.
A. von Graefe (3) a pu observer chez une femme, qui ne remuait les
bulbes oculaires dans aucune direction, que la déviation des yeux vers le
haut était un phénomène actif. En effet, dès que le sujet baissait la pau-
pière inférieure ou clignait, les bulbes se tournaient promptement vers le
haut. Ce mouvement dépendait de la paupière inférieure, car dès que
celle-ci était éloignée et la paupière supérieure baissée, on ne voyait plus
se produire le phénomène ; cependant on pouvait l'obtenir dès que la
paupière inférieure était mise au contact de l'oeil.
On peut observer le phénomène de Ch. Bell, non seulement chaque fois z
que la pression de l'oeil est complète, mais aussi comme j'ai pu l'observer
en confirmant les résultats d'autres observateurs, en examinant l'oeil des
sujets qui sont sur le point de s'endormir ; car dans cet état les yeux.sont
tournés en haut, vers l'extérieur, au-dessous de la paupière supérieure
presque relâchée, comme si le sujet craignait d'éprouver des sensations
lumineuses.
510 POLIMANTI
Dans le sommeil profond les bulbes oculaires ne restent pas toujours en
cette position, mais ils font souvent des mouvements lents ou rapides dans
toutes les directions, qui peuvent être attribués à des rêves. J'ai pu ob-
server, sur des individus qui avaient l'habitude de dormir avec les pau-
pières mi-closes, que les yeux se meuvent, ou, généralement, qu'ils sont
tournés en haut vers l'extérieur.
Ce phénomène peut se constater dans les cas où un individu n'est plus
soumis à l'action de ses propres centres nerveux et où la fixation des yeux
ne dépend plus de sa volonté. Dans ces cas, en effet, la fente palpébrale
est plus ou moins fermée, la paupière supérieure est légèrement baissée et
les bulbes sont tournés vers l'extérieur. Chacun a observé, à ce propos, la
position caractéristique des yeux d'un individu soumis à la narcose géné-
rale chloroformique ou d'autre substance anesthésique. '
L'art de la peinture nous a laissé des exemples illustres et excellents de
ce phénomène ; ce qui démontre bien la finesse d'observation des anciens
maîtres du pinceau.
Il suffit de voir le Saint.Jl1'ome du Domenicllino pour se donner une
idée de la position des yeux dans l'extase et dans l'évanouissement.
Guido Reni fut incomparable pour représenter la position des yeux dans
l'agonie,comme on peut le voir dans ses figures d'Ecce Homo (PI.LXXXIX).
Non moins caractéristique est la position des yeux du Saint Sébastien du
même Guido Reni (il semble qu'il soit entre l'extase et l'agonie) et du
Saint Sébastien du Sodoma.
Pareillement, dans l' « Enfant démoniaque » de la Transfiguration de
Raphaël on a un exemple très net du phénomène, dont nous nous occupons,
dans un cas d'accès hystérique.
Ch. Bell avait vu que le phénomène se rencontre manifestement dans
les cas de paralysie complète du nerf facial, ou seulement de sa branche
supérieure. De plus, il insista beaucoup sur ce fait que la déviation des
yeux ne faisait pas partie intégrante de la maladie, mais qu'elle était une
position naturelle quand on tient les paupières serrées.
En effet, en invitant un sujet atteint de paralysie faciale à fermer les
paupières, du côté de cette paralysie, au travers des paupières demi-fer-
mées, on voit manifestement le phénomène de l'oeil. Ce phénomène est
bien plus manifeste en cas de lagophtalmos consécutif à la paralysie faciale,
et si l'on invite le sujet à fermer avec force les paupières. Si l'on fait fer-
mer au sujet les paupières du côté sain, comme s'il devait s'endormir,
l'ceil se tourne un peu vers le haut, à l'extérieur et, quelquefois, à l'inté-
rieur ; tandis que, si l'on fait fermer arec force les paupières, l'oeil du
sujet se meut à l'inslant dans la direction connue, en même temps que la
fente palpébrale du côté paralysés'ouvre bien plus que normalement. Chez
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XX. Pl. LXXXIX
LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL
(Polimanli)
Trois Ecce Homo de Guido Rem
(G.ilerie Corsini, Rome).
Masson & Oe, Éditeurs
SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL 511
bien des individus, spécialement avec paralysie complète du facial, la
cornée disparaît si complètement sous la paupière que l'oeil ressemble à
celui des anciennes statues dans lesquelles on ne voit jamais modelées ni
la cornée ni la pupille. A peine les yeux sont-ils sous les paupières supé-
rieures, qu'on peut noter une divergence de la ligne visuelle. En effet, si
un individu endormi tente de soulever les paupières il voit réellement
double. -
Ce phénomène donc, reconnu par Ch. Bell comme absolument physiolo-
gique et qui se manifeste plus spécialement dans les cas de paralysie du
facial (puisque l'on voit alors le bulbe oculaire à cause de la fermeture
incomplète de la fente palpébrale) fut plus tard considéré comme patholo-
gique, si bien, que certains observateurs l'on décrit comme un symptôme
pathognomonique d'une forme spéciale de la paralysie faciale.
Cette erreur, cependant,doit être absolument rejetée,et nous devons re-
tenir que le phénomène de Ch. Bell est uniquement d'ordre physiologique, il
s'observe chez la plupart des sujets.
Il reste seulement un doute sur la manière dont se produit ce phéno-
mène, c'est-à-dire quel rapport existe entre le mouvement de fermeture
des paupières et le mouvement de dévialion en haut du bulbe oculaire.
Pour l'explication de ce phénomène on a recours à des faits d'ordre
physiologique, anatomique et clinique.
MM. Bordier et Frenkel 14.j disent que dans une légère paralysie péri-
phérique du facial avec bon pronostic, ce phénomène fait toujours défaut,
tandis qu'il existe toujours dans une paralysie avec réaction dégénérative.
En examinant le mouvement des muscles du visage, le déplacement de
l'oeil vers le haut, en serrant les paupières, devient toujours plus faible,
et cela, selon ces auteurs, doit être retenu comme un signe d'améliora-
tion de la paralysie.
M. Bernhardt (5) en confirmant ce qui avait été déjà soutenu par
Ch. Bell, va coutre l'assertion de ces auteurs, en soutenant précisément
que le phénomène de Charles Bell n'esl pas une chose nouvelle, comme
ils le croyaient, mais il dit que ce phénomène se voit plus manifestement
dans le côté où siège la paralysie du facial (c'est-à-dire du côté où est im-
possible la fermeture complète des paupières). Naturellement il est confus
dans les paralysies faciales centrales, puisque dans ces cas les branches
orbiculo-fronlales sont presque tout à fait prises ; au contraire, il est ma-
nifeste dans les cas de paralysies périphériques du facial, que celles-ci
soient graves ou légères.
Selon M. Bernhardt, il a une signification diagnostique, dans le cas
où la gravité d'une paralysie périphérique du facial ne peut être déter-
minée autrement, et simultanément il a aussi une signification pronostique,
SI 2 POLIMANTI
car avec l'amélioration ou la guérison de la paralysie faciale,le phénomène
de Bell devient toujours plus faible ou disparait tout à fait. Cependant le
fait n'est pas certain selon moi et des recherches nouvelles à ce sujet sont
nécessaires.
En résumé, M. Bernhardt fut peut-être le premier qui entra dans la
question de la production de ce phénomène : il dit, en effet,que chez cer-
tains individus la même impulsion volontaire commande la fermeture de
l'oeil (par la voie du facial) et qu'elle transmet en même temps des im-
pulsions volitives à un on à plusieurs muscles du bulbe oculaire oblique
inférieur (quelquefois peut-être, le droit supérieur). Ce même auteur
soutient aussi que ce mécanisme est très utile, parce que, par la contrac-
tion de l'orbiculaire. la paupière supérieure s'épaissit et le bulbe tournant
vers le haut, la cornée, le cristallin et l'iris sont protégés (unique défense
qui soit possible dans les paralysies du facial). Cet auteur, enfin, consi-
dère comme inexplicable la manière dont se produit ce phénomène,
M. Kôsler (6) admet qu'il est seulement d'ordre physiologique (il étu-
dia 60 hémiplégiques chez lesquels étaient paralysés les deux tiers infé-
rieurs du facial) et il en conclut que dans les paralysies faciales péri-
phériques, qu'elles existent dès la naissance, ou qu'elles soient d'origine
rhumatismale ou auriculaire on peut voir aisément les deux mouvements
oculaires (déviation vers le haut et l'intérieur et de là vers l'extérieur).
M. Campos (7) soutient aussi que le phénomène est purement physio-
logique, ce qui avait été déjà soutenu longtemps avant par M. Michel (8).
M. Mendel (9) chercha à expliquer anatomiquement ces faits en sup-
primant à des jeunes cobayes et à des lapins les paupières d'un seul côté.
Cinq ou six mois après l'ablation le noyau du facial était intact, tandis
que le noyau de l'oculomoteur du même côté et plus spécialement de la
partie inférieure était atrophié de telle façon que le nombre des cellules
était réduit à 1/8, 1/9. Cet auteur conclut de ces chiffres que le facial su-
périeur tire son origine des parties inférieures du noyau de l'oculo-mo-
teur du même côté et qu'il va dans le faisceau longitudinal au genou du
facial pour s'unir là au nerf principal.
M. Kôlliker (10) enfin, à l'aide de ses recherches, établit que le fais-
ceau longitudinal n'envoie pas de fibre au facial ; par conséquent l'hy-
pothèse de Mendel resterait sans fondement; bien plus, MM. Schwabe,
Bach et Marinesco,en se servant de la méthode de Nissl,ne purent confir-
mer ce que celui là avait affirmé.
M. Schwabe (11) aussi, qui expérimenta sur les lapins, ne put voir l'o-
rigine du facial (branche oculaire) au noyau de l'oculomoteur.
M Bach (12) trouva intact le noyau de l'oculomoteur chez les lapins et
chez les chats, soit en coupant le facial, soit aussi en enlevant les pau-
pières.
SUR LE PHÉNOMÈNE DE CUARLES BELL 513
M. Marinesco (13) coupa chez des chiens les branches nerveuses qui
vont au muscle frontal, à l'orbiculaire des paupières et au muscle fron-
tal ; il laissa vivre 15-20 jours les animaux et il trouva ensuite absolu-
'ment intact le noyau de l'oculomoteur..
Aussi bien les recherches de M. van Gehuchten (14} sur les lapins, de
MM. Parhon et de Papinian (15) chez une femme (cas de tumeur cancé7
reuse), de 141.Iotelewski (16) sur les chais et lescliiens,ite concordent pas
avec l'affirmation de Mendel. Selon 141141. Marinesco, vau Gehuchten et
Kotelewski, dans le noyau endopontique de la Vlle paire on peut distin-
guer quatre colonnes cellulaires, dont la postérieure représente le noyau
d'origine du facial dit supérieur. MM. Parhon et Papinian de leur côté
ont conclu que, dans le groupe dorsal des cellules du noyau de la sep-
tième paire, on doit rechercher selon toute probabilité, le rapport avec le
facial supérieur. La preuve inverse de l'opinion soutenue parMendel au-
rait été obtenue par M. Obersleiner (17) qui, par l'extirpation de l'oculo-
moleur commun aurait vu la dégénération de la plupart du noyau de la
troisième paire, pendant que l'extrémité postérieure de ce noyau restait
intacte. Aussi bien M. Spilsha (18) trouva que le groupe cellulaire décrit
par Mendel est celui qui reste indemne quand l'on détruit le tronc du
troisième nerf cérébral.
On a rapporté aussi des cas cliniques pour confirmer ce qui avait été vu
par Mendel. De la même manière M. Taylor (19) observa une faiblesse
de l'orbiculaire dans un cas, après une paralysie de 1'0culoll1oteur. On
peut en dire autant des cas de M. Fragstein et de M. Kempner(20). Dans
cedernier cas il s'agissait d'une paralysie nucléaire de tous les muscles
oculaires unie à une paralysie des muscles innervés par le facial supérieur
droit. t.
M. Negro (21) admet une véritable union entre le facial et l'oculomo-
leur, de telle façon qu'une stimulation volontaire peut passer de l'un à
l'autre et inversement. On pourrait obtenir la fermeture de 1 orbiculaire
dans certains cas de paralysie complète de l'oblique inférieur.
Dans le cas d'une interruption du conducteur nerveux pour l'élévateur
des paupières on aurait dû avoir une contraction de l'orbiculaire, quand,
avec une paralysie de l'élévateur on cherchait à faire fermer les paupières.
En parcourant la littérature des cas de paralysie faciale on voit que les
auteurs ne parlent pas de la partie dorsale du noyau de la IIIe paire.
Dans le cas publié par M. Pardo (22) de paralysie périphérique du fa-
cial qui existait depuis 26 années, on aurait constaté bilatéralement la par-
faite intégrité de l'entière colonne du noyau principal de la IV paire jus-
qu'à l'extrémité dystale du noyau de la IIIe, soit du groupe cellulaire, soit
de la couronne de libres.que dorsalemeiil Ilmite- le noyau.; les altérations
514 ik POLIMANTI
cellulaires concernant le noyau homolatéral de la VIIe et une petite par-
tie du noyau du côté opposé.
M. Michel (23), qui eut trois cas semblables, neput confirmer l'asser-
tion de Negro. Il rattache ce phénomène aux rapports d'association cen-
trale que peuvent avoir les deux nerfs (facial et oculomoteur) dans le cer-
veau.
MM. Siemerling et Baedeker (24) ont localisé le centre de la IVe paire
dans le noyau conlenu dans le sein du faisceau longitudinal postérieur,
considérant, cependant, la partie plus proximale de ce noyau comme étant
en rapport étroit avec l'oculomoteur, toujours comme centre de l'élévation
des paupières supérieures. Aussi bien Siemerling a essayé de concilier
cetle affirmation avec celle de Mendel, en admettant que dans la partie
dystale du noyau de la IIIe paire, située dans le sinus du faisceau longi-
tudinal postérieur, le noyau du facial supérieur et celui de l'élévateur de
la paupière puissent y être représentés simultanément. Beaucoup d'observa-
teurs ont apporté des arguments en faveur de cette idée en démontrant la
solidarité existant dans des conditions pathologiques entre l'élévateur de
la paupière supérieure et les muscles innervés par le facial supérieur,
spécialement rorbiculaire de la paupière (Remack, Hunghlings, Jackson,
Lonrle, Brissaud et Marie, Vineles, etc...).
M. Panegrossi (25) croit que dans le noyau de la IV° paire (toute la
chaîne cellulaire comprise dans le sein du faisceau longitudinal postérieur)
l'origine de ce nerf est contenue en direction dystale et au voisinage de celle
de l'élévateur de la paupière supérieure (IIIe paire). Cependant l'hypothèse
de placer aussi dans ce noyau le centre du facial supérieur ne semble pas
soutenable à cet observateur ; il fait observer que de tous les arguments
exposés en faveur de cette idée, aucun ne peut être considéré comme pro-
bant.
Les défenseurs les plus obstinés de l'hypothèse de Mendel ou de Men-
del-Siemerling (26) ne s'appuient que sur des épreuves indirectes. L'ex-
périence de Mendel n'est pas soustraite à cette critique ; mais cette expé-
rience se rapporte au lapin et non pas à l'homme (on ne peut pas appliquer
d'un animal à l'autre les conclusions des résultats obtenus seulement chez
l'un d'eux). L'observation rapportée par M. Giannelli (27) réalise chez
l'homme l'expérience de Mendel. Bien que dans le travail de Mendel il
soit dit que l'altération se rapporte à la portion postérieure, dystale du
noyau de la III. paire, et non pas si elle se trouve ou non dans le sein du
faisceau longitudinal postérieur, cependant l'indication donnée par Men-
del que bien d'autres muscles (il énumère le lerator palpebrae superioris)
peuvent dépendre de la même partie de la chaîne cellulaire, précise suf-
fisamment le point en question, de même que M. Siemerling localisa le
SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL 515
centre de l'élévateur de la paupière. M. Giannelli, dans l'observation
d'une femme, examinant les organes nerveux appartenant au muscle fron-
tal, au muscle orbiculaire des paupières et au muscle élévateur du sourcil
du côté droit, constata des deux côtés l'état normal des noyaux des XH",
VIIe et V Ipaires, y compris le noyau accessoire de Pacetti et la formation
cellulaire diffuse de Bôttiger. Au contraire, il existait une atrophie bien
marquée du noyau placé dans une excavation dorsale du faisceau longitu-
dinal postérieur, au niveau de la région pédonculaire dans le côté droit, et
on trouva très atrophiées les libres qui en émanaient et qui semblaient se
jeter dans le faisceau longitudinal.
Ce noyau qui pour Kôlliker est le noyau d'origine de la IV° paire, est
considéré par d'autres auteurs comme appartenant à la IIIe et qui fournit
spécialement l'élévateur de la paupière supérieure. La constatation de
Giannelli va donc confirmer les idées deMendel pourqui ce noyau préside
simultanément au fonctionnement de l'élévateur de la paupière et du fa-
cial supérieur. Le fait que le genou de la VIF paire à la protubérance
avait diminué de volume va corroborer l'idée du même auteur, qui croit
que les fibres qui partent du noyau dont nous avons parlé descendent dans
le faisceau longitudinal et se jettent dans le genou du facial.
Dans ces derniers temps M. Nagel (28) a soutenu que le phénomène de
Charles Bell pouvait être attribué à un réflexe causé par la stimulation
mécanique produite sur la cornée par la pression de la paupière supé-
rieure qui s'abaisse. Cependant, il n'exclut pas que le phénomène de Bell
soit seulement le produit d'un réflexe, mais il peut dépendre aussi d'une
innervation simultanée de l'orbiculaire et de l'élévateur de la paupière ;
cependant abondant davantage dans le sens de v. Michel que dans celui
de Negro et de Mendel, M. Nagel a aussi observé qu'en fermant lentement
les paupières le phénomène ne se produit pas, tandis qu'il est manifeste
quand l'on ferme les paupières avec force (j'ai pu constater cela en fixant
une flamme, en fermant les yeux et en les ouvrant de nouveau : l'image
négative'de la flamme coïncidait ou non avec la source lumineuse selon
que les paupières avaient été baissées avec une plus ou moins grande
force, selon donc qu'était intervenue une plus ou moins forte action mé-
canique du tarse). Ce même auteur observa qu'on obtenait plus facile-
ment le phénomène chez des personnes qui n'étaient pas au courant sur
sa production ; j'ai pu confirmer cela dans mes nombreuses observations
à ce propos. M. Nagel observe en outre que le phénomène était plus in-
tense quand l'oeil était comprimé par un bandage occlusif; on pouvait
le noter, puisque, à peine le bandage enlevé il était douloureux de fixer
un objet, car précisément pendant la' période d'occlusion, l'oeil était resté
dans la position de Ch. Bell.
516 Û POLIMANTI
Cette douleur, cependant pourrait dépendre, selon moi, bien plus de
la lassitude des muscles oculaires qui participent à la production du phé-
nomène, que de la sensation douloureuse que pourrait donner la cornée
comprimée contre le paroi supérieure de la cavité oculaire. En fermant
un oeil par un bandage occlusif trop pressant, Nagel nota qu'en fixant un
objet avec l'oeil libre, la tète de l'observateur se courbait inconsciem-
ment jusqu'à ce que )'oei) libre se trouvai dans la même position que i'cei)
fermé, qui était dans la position de Bell, et dans les jours suivants l'oeil
fermé présentait une douleur caractéristique comme si la cornée eût été
lésée en quelque point (mais cela peut dépendre de la compression exces-
sive exercée par le bandage sur les bulbes oculaires ; en effet, en nous
levant du lit le matin nous n'éprouvons pas cette douleur caractéristique
qu'on devrait avoir si elle dépendait réellement de celle position des yeux).
Selon Nagel, à peine eût-on cocaïnlsé la cornée de l'oeil occlus, l'observa-
teur put regarder avec l'oeil qui était resté libre en ligne directe sans
éprouver aucune douleur. D'après cet auteur, une observation, faite sur
un cas de paralysie double du facial déciderait la question, c'est-à-dire si
le phénomène de Ch. Bell doit être attribué à un réflexe ou s'il dérive des
centres nerveux supérieurs.
J'ai voulu reprendre la question controversée pour m'efforcer de la ré-
soudre et savoir si le phénomène doit être attribué à l'une ou à l'autre
cause. Dans ce but, j'ai eu recours à la cocaïnisation (1 0/0) des deux
cornées chez des individus différents de sexe et d'âge, mais qui n'étaient pas
du tout au courant de la production de ce phénomène. Au moment ou
l'anesthésie de la cornée était complète j'invitais les sujets à fermer les
yeux et à l'aide de deux doigts posés sur les paupières, je pouvais cons-
tater toujours constamment la déviation caractéristique des bulbes oculaires
vers le haut, puis à l'intérieur, et enfin vers l'exlérieur.
Je voulus voir aussi si dans la littérature se trouvaient rapportés des cas
de paralysie double du facial dans lesquels on eùt fait des observations sur
la position de ce phénomène. M. Panegrossi (29), qui a recueilli un grand
nombre de ces cas, s'exprime ainsi à propos de l'observation I où il avait
fait cette recherche : « ordinando all'irr fer°vto di rliiudere gli ocehi sivedono
le palpebre abbassani alquanto ei bulbi 1'uola¡'e in alto e verso destra. »
Sur ma demande,mon collègue M. Wildbrand (30) à propos du cas qu'il
a rapporté page 42, vol. 1 de sa « Neurologie des Auges » et qui présen-
tait une paralysie double du facial, il me répondit que « zeigte in gans
besonders deulficher lVeise das Bell'sche P/¡dno1llen ». '
Un exemple très net du phénomène de Ch. Bell a été rapporté par
M. Cassirer (31) dans un cas de paralysie double du facial chez une
femme. '
SUR LE PHÉNOMÈNE DE CHARLES BELL Si 7
De tout rela l'on doit conclure que dans les paralysies doubles .la racial
on obtient le phénomène de Charles Bell et en mettant ce fait en rapport
avec les résultats obtenus après la cocaïnisalion des deux yeux on est porté
à conclure que le phénomène de Charles Bell n'est pas d'origine réflexe
(col'1léale), mais qu'on doit l'attribuer à des- faits d'ordre central, soit dans
le sens de Mendel, soit dans celui de v. Michel. Qu'il ne doive pas être
attribué à un réflexe, nous sommes conduit à le soutenir, en outre de ce
que nous avons déjà dit à ce sujet, pour ce fait que beaucoup d'animaux
qui, dépourvus de paupières (poissons) le présentent manifestement,
comme nous l'avons décrit ci-dessus. En culte, on peut noter manifeste-
ment ce phénomène dans le sommeil très profond ou dans le sommeil
causé par les narcotiques (dans ce cas au moment où l'individu revient à
lui, et par conséquent où reparaît le réflexe coméal, les yeux reprennent
tout de suile leur position normale) ; aussi bien on peut l'observer dans le
coma, dans l'agonie, tant chez l'homme que chez les animaux, tous états
qui sont caractérisés par l'insensibilité de la cornée. Dans ces étais nous
pouvons le considérer comme un vrai et propre mouvement inconscient
pour la défense des facultés visuelles.
Il existe, enfin, certainement, un rapport consensuel déterminé entre
l'innervation du muscle orbiculaire et celle des élévateurs du bulbe ocu-
laire, spécialement des deux muscles obliques inférieurs.
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BOUCHET et KLIPPEL. Hémimélie avec atro-
phie numérique des tissus, 290, 396.
BRISSAUD. L'infantilisme vrai, 1.
CALMETTES et ANGLADE. Sur le cervelet
sénile, 357.
CARAcou et Parhon. Sur un nouveau cas
de trophoedème chronique. Considéra-
tions sur l'euologie et la pathogénie du
trophcedeme, 448.
CunnoN, DEGOUY et TISSOT. Un cas d'achon-
droplasle (4 pl.), 390.
CHARTIER et P. Descomps. Ostéite syphili-
tique, type Paget, chez une tabélique
(2 pl.). 84.
DEGOUY, CHARON et TISSOT. Un cas d'achun-
dioplasle, 390.
DBLMAS et A. Vigouroux. Infantilisme et
insuffisance diastematique, 238.
Descomps et SICARD. Torticolis mental de
Brissaud. Insuccès du traitement chi-
rurg cal, 459.
DESCOMPS et M. CHARTIER. Ostéite syphili-
tique, type l'aget, chez une tabétique, 84.
ETIENNE. Des trophoedèmes chroniques
d'origine traumatique (1 pl.), 146.
BT1EI1NE. Des ecchymoses zoniformes spon-
tanées (1 pl., 1 dessin), 385.
FLORIAN et PARHON. Sur un cas de trophoe-
dème chronique, 159.
HAHN (LucIEN) et Wickersheimer. Un cas
d hypertrophie mammaire illustré pur
Horace Vernet (1 pl.), 418.
Halipré et HE8ERT.Exostoses ostéogéniques.
Dystrophie osseuse héréditaire (5p1.),437.
INFROIT, VOISIN et Macé de Lépinay. Élude
clinique et radiographique d'un cas de
dnostose cleïdo-crânienne, 227.
Klippel et P. BoucuET. Hémimélie avec
atrophie numérique des tissus (S pl.,
il ng,) 290, 396.
Lafon et M. Teulières. La mydiiase hys-
térique, 243
LAMY, Poli encéphalite chronique ; ophtal-
moplégie et paralysie bilatérale de la
branche motrice du trijumeau ; tabès
probable (1 pl.). 117.
LEJONNE et RAYMOND. Syringomyélie avec
phénomènes bulbaires et troubles tro-
phiques intenses, 261.
Léon (JACINTO DE). Polynévrite aiguë infan-
tile ; pseudo-paralysie spinale infantile,
216.
LHERMITTE et Artom. Un cas de syringo-
myelie avec cheiromégalie suivi d'au-
topsie, 374.
Long. Examen histologique des téguments
et des troncs nerveux dans un cas de
trophoedème congénital (t pt.), 155.
Long. Atrophie musculaire progressive des
membres supérieurs, type Aran-Duchen-
ne, par névrite interstitielle hypertro-
phique (contribution a l'etude des mala-
dies d'évolution) (9 dessins, 2 pl.), 46.
Macé DE LEPINAY, VOISIN et Infroit. Etude
clmique et radiographique d'un cas de
dysostose cléido-crânienne, 227.
Marie (Auguste). Note sur la folie haschi-
chique (1 pl.), 252.
Marie (Auguste). Folies pellagreuses des
Arabes, 353.
Meige (Henry). Les péripéties d'un tortico-
lis mental, 461.
Muge (HENRY). Une révolution anatomique
520 TABLE DES AUTEURS
I. L'anatomie du cadavre et l'anatomie
du vivant 110 pl.), 97.
Meige (Henry). Une révolution anatomique
(suite ei fin). 11. L'e,,oche 11101 t et l'e-
corché vivant (4 pi.), 174.
PAAHON et CAHdCOU Sur un nouveau cas
de Irophoedème chronique. Considéra-
tions sur l'etiologie et la palhogenie du
trnphoedème, 448.
Parhon et Florian. Sur un cas de truphoe-
dème chronique il pl ? 159.
PARHON et ZALPL4CTA. Sur nn cas de gigan-
tisme précoce avec polysarcie excessive
(in ! .),91.
POLIMANTI Sur le phénomène de Charles
[tell il pl.) 508.
Prunier. Adipose douloureuse chez une
epileptique imbécile et aveugle (1 tl.),
168.
Raymond et ALQUIER. Sur un cas de para-
Ivsie nseudo-bultuitre (3 pl.). 3-il.
Raymond t L. RAüOYNEIC. Sur un ra de
rhumatisme chronique vertébral (2 pl.),
28
Raymond et Lejonne. Syringomyélie avec
phénomènes bulbunes et troubles tro-
phiqups (4 pl.. -' fig.) 261.
Raymond et F, Rose. Myopathie nspudo-
hypertrophique des mollets et des cein-
turrs ^capillaires : atrophie du grand
ppdoral (1 [il ), 224.
Rose et F. RAYMOND. Myopathie pseudo-
hypertl'Ophiqup des mollets et des rein-
tures scapulaires : etrophie du giand
pectoral, 224.
Rossi.Atrol hie primitive parenchymateuse
du cei veletà localisation corticale (3 pl.),
66.
Rossi. Coïncidence chez un ? me mlllade
de paraplégie cérébrale infantile et de
paralysie spinale infantile. Autopsie
'4 ni.), 12-2.
Rossi et Roussy. S\ndrome de Weber avec
hémianopsie dahint de 28 ans (a pi ),185.
Rossolimo. Le topngrnphr cerehral, 431.
Roussy et Rossi. Syndrome de Weber avec
hémianopsie datant de 28 ans, 185.
Séglas. Des symptômes cala Ionique, au
runrs de la pAralY'le général-- (2 01.),18,
SÉOLAS Pl Barré. Un cas de porencéphalie
riiez un hydrocéphale épileptique(4 pl.),
423.
SICARD et Descomps. Torticolis mental de
Brissaud. Insuccès du traitement chirur-
gical (1 pi.), 459.
Souques. Tumeur cérébrale de la région
des clcnuvolutious pariétales supérieu-
res(2pLj,3R5.
Teulières et l h. LAFON. La mydriase bys-
leryue. 243.
Tissot. DEI,OUY et Charron. Un cas d'a-
rhondroplnwe, 3"U.
Vigouroux et Delmas. Infanlilisme et insuf
si ? nuP di,st 111"III"e (1 pl.), 238.
Voisin, Macé de 1 EPIN \ et Infroit. Etude
clinique et radiogiaptiique il un cas de
dysostose cleid ? nimenne (4 [il.), 227.
Weber. De quelques altérations du tissu
cel ebl al dues à la présence de tumeur
(11 fi¡¡..2 2 pl pi ), 275.
Wickersheimer et LuciEN Hahn. Un cas
d y·petruphie mammaire illustré par
Horace Vemrt, 41R.
Wladyczko. Troubles mentaux pendant le
sieye d ' Port-Arlhur, 340.
ZALPLACTA et PARHON Sur un cas de gigantis-
me précoce ne'1 polysarcie excessive, 91.
ZOGRAFIDI Les lésion» afialomo-patliologi-
ques de la moelle dans la maladie par
décompression chez les scaphandriers
(1 pi.), 208.
TABLE DES MATIÈRES
Acroméonlie avec o ? éoarthl'Opathi., et pa-
rapléqie (4 pL), p.r BEDUSCIII, 443.
Adipose douloureuse chez une é/JÏle,'tique
imbecile et aveugle (i pi.), par Prunier,
168.
Anatomique [Révolution). 1- L'anatomie
du cadavre et l'anatomie du vivant
(10 pl.).- 2° L'écorché mort et l'écorché
en vie, par Henry MEIGE, 97, 174.
Atrophie musculaire progressive des mem-
bres supérieurs, type Aran- Dut henné,
par névrite iarerslirielle hypei trophique
(contribution à l'étude de\ maladies d é-
valution) (9 dessins, 2 pi.), par E. Long,
46.
Catit toniques (symptômes) au CO'II'S de la
paralysie qértérale (2 pl ), par SÉGLAS, 18.
Cervelet [atrophie parcnchymateuse à to-
calisation corticale) (3 pi. par 1. Rossi,
66. .
Cervelet sénile (4 pl.), par ANGLADE et Cal-
mettes, 357.
Dysostose cléido-crânienne (Etwle clinique
el nariographrque) (4 pl.), par' Voisin,
Macé DE LErtaex et INFROIT), 227.
Exosloses 0'léoqeniques Dys rophie os-
seuse héréditaire (5 pi ), par Halipré et
Hébert, 437.
Folie /i6['.t ? te/M<y ! <e, par Auguste Marie, 252.
Gigantisme précoce avec polysarcie excès-
sive (1 pi ), par Parhon Il Ziplacta, 91 .
Hémimélie avec atrophie numérique des
tissus (3 pl., 11 fig.), par HLIPPBL OtP.BOU-
CHR,T, 290, 396.
Infantilisme Il'\ vrai, par BRISSAUD, 1.
Infantilisme et in '" {fi anre din·tPrnalique
(1 pl.), par VIGOUROUX et DELMAS. 238.
Mammaire (ltrtpertrolrteiv), illustrée par
Horace VPrnet (1 pl.), par L. HAHN et
WICIOERSHEBIER), 418.
Mentaux (troubles) pendant le siège de
('or-l-Artltrrr, par WLADIr.710, 340.
Mydriase hystérique, par C. LAFON et M.
Teulières, 243.
Myopathie pseudo hyper trophique des
mollets et des ceinture, srapulatres,atra-
ptrie du grand pectoral (1 pi.), par RAY-
atorrn et Rose, 224.
OEsophnge (,'ndindiaqnostic dans un cas
de dilatation paralytique) (2 pl.), par
BERrfILOTT1 et BOIDI TROTTI, 834.
Oslétm syphilitique (2 pl.), par Quartier
et DESCOMPES, 84.
Paralysie ¡ ? udo bulbaire (3 pl.), par RAY-
TfOP7D et ALQUIER, 371.
Paraplégie terebiale infantile coïncidant
avec une para 41ste spinale infantile. Au-
tops,e (4 jil.) par Italo ROSSI, 122.
Pellnyreuses {folies chez les Arabes) (1 pl.),
par Auguste Marie, 353.
Phénomène de ( : harles Bell (sur le)
(1 pl.). par Polimanti 508.
poben 'éphaltle; ophtalmoplégie et para-
lysie bilatérale de la branche molrice
du trijumeau; tubes probable (i pt.),
par H. Lamy, 117.
Polynévrite aiguë infantile ; psendo-pnra-
lysies ¡>inale infantile, par J de Léon,216.
Porencéphalie chez un hydrocéphale épi-
leptique ( pl.), par Séglas et Barbé, 425.
Rhumal sme vertrbrrrl n'It1'07tiqild (2 pl.),
par Raymond et BABONIOEIX. 28.
Scaphandriers (lésians ue la moelle dans
la /lia rtrlre pur décompression) (1 pL).
par ZOGRAFIDI, 208.
Syringomyélie avec cheiromégalie suivie
d'attlopsze, par LHERMITTE et ARTOM, 314.
Syringomyélie avec phénomènes bulbaires
et troubles trophiques intenses (4 pl.,
2 fig.), par Raymond et Lejonne, ? 6l.
Topographe cet-ebial (3 6g.), parRosso-
LINIO, 431.
TOI.a. ol" mental (les péripéties d'un).
Histuire clinique et thérapeutique (3 fig.),
par HENHY Meige, 461.
Torticolis mental de B, issaetd, Irzsrtccès du
traitement chirurgical (t pl.), par SICARD
et DESCOMPS, 459.
Ttnp"oedeme chronique : un nouveau cas
avec considérations sur l'eliologie el la
pathoq""i du tl-ophoedème, par Parhon
et Caracou, 448
Tl"opltoedème$c ? oniq""s d'oriaine 1 ?
mulique (1 pl.), , [)..r Etienne,
Trophoe,feme chronique (un cas
par Parhon et Florian, 159.
522 TABLE DES MATIÈRES
Trophoedème congénital (Examen histolo-
gique des téguments et des troncs ner-
veux) (1 pi.), par E. Long, 155.
Tumeur cérébrale de la region des circon-
volutions pariétales supérieures (2 pi.),
par Souques, 365. '
Tumeurs cérébrales[de quelques altérations
dues à leur présence) (H fig., 2 pl.),par
R. WE3ER, 275.
Weber (Syndrome de) avec hémianopsie
datant de 28 ans (3 pi.), par ITALO Rossl
et G. Roussy, 185.
Zoniformes (ecchymoses spontanées) (1 pl.),
par ETIENNE, 385.
TABLE DES PLANCHES
Achondroplasie (CfiARRON,DEGOUY et TISSOT,
LXX à LXXIII.
Acromegalie a'ec ostéoarthropathies (BE-
Dusciii), LXXXIV a LXXXVII.
Adipose douloureuse chez une imbécile
épileptique et aveugle (Prunier), XXXII.
Anatomie du cadavre et anatomie du vi-
vant 1 HENRY MEIGE), XIII à XXIII.
Atrophie mus ulaire progressive des mem-
bres supérieurs par nevnte interstitielle
hypertrophique (E. Long), V, VI.
Atrophie primitive parenchymateuse du
cervelet (ITALO ROSSI), VII, VIII, IX.
Catatonie au cours de la paralysie géné-
rale (J. SEGLAS), 1, l1.
Cervelet sénile (ANGLADE et CALMETTES), LX
a LX111.
Dysostose cléido-crânienne (ROGER Voisin,
Macé de LEPINAY et INFROIT), XLII à XLV.
Ecchymoses zoniformes spontanées (ETIEV-
,NE), LXIX.
Ecorché mort et écorché vivant (Henry
NEIGE), XXXIII a XXXVI.
Exostoses osteogéniques héréditaires (Ha
LIPHÉ et Hébert), LXXIX à LXXXIII.
Folie haaehichique chez les Arabes (Au-
GUSTE MAR,E), XLVII,
Folles pellagreuses des Arabes (Auguste
Marie), LIX.
Gigantisme précoce avec polysarcie exces-
sive (PARHON et ZALPLACTA), XII.
Hémimélie avec atrophie numérique des
tissus (ILIPPEL et P. Bouchet), LIV, LV,
LVI.
Hypertrophie mammaire illustrée par
Horace Vernet (L. HAHN et E. WICIOERS-
REIMER), LXXIV.
Infantilisme et insuffisance diastématique
(VIGOUROUX et DELMAS), XLVI.
Moelle (lésion de la) par décompression
chez les scaphandriers (ZOGRAFIDI), XL.
Myopathie pseudo - hypertrophique des
mollets et des ceintures scapulaires ;
atrophie du grand pectoral (RAYMOND et
Rose), XLI.
Ostéite syphilitique déformante type Paget
chez une syphilitique (CHARTIER et P.
DEscoNips), X, XI.
Paraplégie cérébrale infantile et paralysie
spinale infantile (1 Rossi), XXV a XXVIII.
Paralysie pseudo-bulbaire (Raymond et AL-
QUlER), LXVI à LXVIII.
Phénomène de Charles Bell (Polimanti),
LXXXIX.
Poliencéphalite chronique. Ophtalmoplé-
gie et paralysie des muscles mastica-
teurs (H. LAMY), XXIV.
Porencéphalie chez un hydrocéphale épi-
leptique (Séglas et Barbé), LXXV à
LXXVIII.
Radiodiagnostic dans un cas de dilatation
paralytique de l'oesnphage (BERTOLOTTI et
Boidi-Trotti), LVII, LVIII.
Rhumatisme veriebral chronique (RAY-
MOND et Beaon,talx), III, IV.
Syndrome de Weber avec hémianopsie
(Rossi et Roussy), XXXVII a XXXIX.
Syringomyélie avec phénomènes bulbaires
et troubles trophiques intenses (RAY-
MOND et Lejonne), XLVIII à LI.
Torticolis mental de Brissaud (Sicard et
Descomps), LXXXVIII.
Trophoedème congénital (Examen histolo-
gique) (E. Long), XXX.
Trophaedéme chronique (PARHON et FLORIAN),
XXXI.
Trophoedème chronique d'origine trauma-
tique (ETIENNE), XXIX.
Tumeur cérebrale (Souques), LXIV, LXV.
Tumeurs cérébrales (R WEBER), LU, LUI.
Le gérant : P. Bouchez.
Imp, J. THEVENOT, Saint-Dizier (Hte-Marne)