E TU DES CLINIQUES
SUR
L'HYSTÉRO-ÉPILEPSÏE
ou
GRANDE HYSTERIE
ÉTUDES CLINIQUES
sur
L'HYSTÉRO-ÉPILEPSIE
0 u
GRANDE HYSTÉRIE
par
LE DR PAUL RI CHER
ancien interne, lauréat des hopitaux de paris, lauréat du la faculté
PRÉCÉDÉ D'UNE LETTRE-PRÉFACE
de M. le professeur J.-M. CHARCOT
AVEC 105 FIGURES INTERCALÉES DANS LE TEXTE, ET 9 GRAVURES A L'EAU FORTE
PARIS
ADRIEN DELAHAYE et EMILE LECROSNIER, ÉDITEURS
pla.ce de l'école-de-médecine
1881
Tous droits réservés.
A
M. LE PROFESSEUR J.-M. CHARCOT
médecin de la s a l i ê trière
Permettez-moi, mon cher maître, d'inscrire votre nom en tète de ces Études entreprises sur vos conseils, et poursuivies sous votre bienveillante direction. Si elles ont quelque valeur, c'est à vous qu'en revient tout le mérite.
Paul RICHER
PRÉFACE
Mon cher Richer,
Vous avez mis votre talent d'artiste, ainsi que vos qualités d'observateur consciencieux et sagace, au service d'une bonne cause : vous avez voulu contribuer à établir, une fois de plus, que la névrose hystérique n'est pas, comme beau-coup l'affirment encore, même parmi nous, en France, con-trairement aux enseignements de Briquet, « un Protée qui se présente sous mille formes et qu'on ne peut saisir sous au-cune » ; une maladie hétéroclite, composée de phénomènes bizarres, incohérents, toujours changeants, inaccessible, par conséquent, à l'analyse et qui ne pourra jamais se soumettre aux investigations méthodiques.
En raison du but que vous vous proposiez surtout d'at-teindre, vous vous êtes attaché volontairement à considérer non pas la maladie totale, mais seulement quelques-uns de ses principaux épisodes. Par le temps de rénovation où nous sommes, je crois la méthode fort recommandablc. 11 ne me paraît pas douteux, en effet, que ces grands épisodes, minu-tieusement étudiés, profondément fouillés, conformément aux tendances scientifiques qui vous ont constamment guidé,
seront les meilleurs documents à utiliser, lorsqu'il s'agira, quelque jour, de reconstituer sur des bases nouvelles l'his-toire tout entière. Quoi qu'il en soit, dans vos études relatives à l'attaque hystérique, il vous a été permis de montrer que là, pour le moins, rien n'est livré au hasard; que tout se passe, au contraire, suivant de certaines règles bien détermi-nées, communes à la pratique d'hôpital et à celle de la ville, valables pour tous les temps, pour tous les pays, chez toutes les races ; règles dont les variations mêmes n'affectent en rien l'universalité, puisque ces variations, quelque nombreuses qu'elles puissent paraître, se rattachent toujours logiquement au type fondamental.
Vous avez regardé l'hystérie de trop près pour méconnaître que l'intervention de la simulation y est chose fréquente. Mais vous avez pensé, avec raison, que cette source d'erreurs, si fort redoutée de quelques-uns, n'est, à tout prendre, qu'un épouvantail qui, au grand détriment des malades, retient trop souvent les timides sur le seuil d'un des plus grands chapitres de la pathologie nerveuse. N'appartient-il pas, en effet, au médecin véritablement instruit dans ces matières de savoir dépister la fourberie partout où elle se produit et dégager des symptômes réels, faisant foncièrement partie delà maladie, les symptômes simulés que l'artifice des malades y surajoute ? C'est ainsi que, prenant pour exemples « l'anesthésie », « l'achro-matopsie », « le transfert », C( les oscillations consécutives », vous avez très justement fait ressortir que ces phénomènes vulgaires de l'hystérie, aujourd'hui connus jusque dans leurs moindres détails et ramenés même, pour la plupart, à leur condition physiologique, constituent désormais, soit qu'on les considère individuellement, soit qu'on les envisage dans leurs
relations réciproques, comme une trame serrée, dont les mailles étroites, impénétrables ne sauraient céder la moindre place aux créations de la fantaisie ou du caprice.
A propos de ces mêmes phénomènes, exposant les résultats des nombreuses ~« observations de contrôle » que nous avons poursuivies ensemble, dans le cours des trois dernières années, vous avez pu réduire à sa juste mesure le rôle de « l'attention expectante » et vous avez rendu manifeste que l'influence de cet agent psychique sur le développement et l'évolution des symptômes hystériques, tout incontestable et puissante qu'elle soit, a été cependant singulièrement exa-gérée par quelques auteurs, plus préoccupés, évidemment, du côté spéculatif, que de la réalité objective des choses. !
Enfin, amené à parler des faits d'hypnotisme nouvelle-ment remis à l'étude, faits qui confinent de si près à l'histoire de l'hystérie, vous avez, ce me semble, bien caractérisé la méthode qui doit présider à ce genre de recherches destinées à porter la lumière dans une foule de questions non seule-ment de l'ordre pathologique, mais encore physiologiques et psychologiques, autrement presque inaccessibles. « Au lieu de nous lancer, » avez-vous dit, entre autres, « à la poursuite de l'extraordinaire, comme l'ont fait beaucoup d'observateurs qui se sont occupés de la matière, nous avons cru mieux servir la science en cherchant surtout les signes diagnostiques physiques et facilement appréciables des di-vers états nerveux produits, en nous renfermant d'abord dans l'étude des faits les plus simples et les plus grossiers, en n'abordant qu'ensuite et avec beaucoup de circonspection, les faits un peu plus complexes, et j'ajouterai même en négli-
géant complètement, du moins provisoirement, ceux d'une appréciation beaucoup plus difficile, qui pour le moment ne se rattachent par aucun lien saisissable aux faits déjà con-nus. » Cela est excellent. Vous auriez pu ajouter, en manière de corollaire, que la méthode par vous préconisée a porté ses fruits, car à l'heure qu'il est, en présence de l'évidence des faits, le scepticisme prétendu scientifique que quelques-uns semblent affecter encore vis-à-vis de ces études ne saurait plus être considéré que comme un scepticisme pure-ment arbitraire, masquant à peine le parti pris de ne rien entendre et de ne rien voir.
En somme, mon cher Richer, sur tous les points que vous avez touchés, vous avez, si je ne me trompe, fourni à l'appui de la thèse que vous défendez, des preuves qui me paraissent de nature à entraîner la conviction des plus re-belles. Aussi je me sens fort à l'aise pour recommander votre livre à l'attention de tous ceux de nos confrères qui s'intéres-sent aux progrès de la neuropathologie et je lui souhaite, de grand cœur, le succès qu'à mon avis il mérite d'obtenir.
J.-M. Charcot.
31 décembre 1880.
INTRODUCTION
Les auteurs ont distingué deux formes principales d'hystéro-épilepsie. Dans la première, hystéro-épilepsie à crises distinctes, les accidents convulsifs sont de deux sortes : on observe tantôt des accès d'hystérie, tantôt des accès d'épilepsie avec les carac-tères qui sont propres à chacun et toujours parfaitement séparés. Dans' la seconde, hystéro-épilepsie à crises combinées, les con-vulsions, dans un môme accès, revêtent successivement les ap-parences de l'hystérie et de l'épilepsie; il semble y avoir mé-lange des deux névroses.
C'est de cette dernière forme qu'il s'agit spécialement, ici, de cette forme que Louyer-Villermay, Tissot, Dubois (d'Amiens), Sandras, Briquet, Charcot, considèrent comme une forme grave de l'hystérie, dans laquelle la convulsion à forme épileptique ap-paraîtrait, comme elle apparaît dans tant d'autres affections du système nerveux, à titre d'élément accessoire, sans rien changer à la nature de la maladie primitive (Charcot). C'est l'hystérie épileptiforme de Louyer-Villermay, de Tissot, — Y hystérie à at-taques mixtes de Briquet,— Yhysteria major ou grande hystérie, comme la désigne quelquefois M. Charcot.
Parmi les'maladies du système nerveux qui doivent aux travaux de M. le professeur Charcot et de ses élèves une si grande part des progrès réalisés dans ces derniers temps, la névrose par ex-cellence, l'hystérie, n'est pas restée en dernière ligne.
Dans ses Leçons sur les maladies du système nerveux, M.. Char- ^ col a remis à l'étude et complètement remanié les principaux points de l'histoire delà grande névrose; aux régions déjà ex-plorées il a ajouté de nouvelles conquêtes. On trouve dans son livre des leçons consacrées à l'étude de Fischurie hystérique, de l'hémianesthésie hystérique, de Fhyperesthésie ovarienne, de la compression ovarienne, de la contracture hystérique, de l'hystéro-épilepsie, etc., etc.
Le Dr Bourneville, depuis l'année 1872, a poursuivi, dans le service de M. Charcot, ses laborieuses et patientes recherches sur l'épilepsie et sur l'hystérie. Ses observations ont été consignées dans diverses publications 1 et notamment dans Y Iconographie photographique de la Salpêtrière, dont le troisième volume est en cours de publication. Quelques-unes des malades qui ont été sou-mises à mon observation, et dont il est question dans ce livre, avaient déjà leur histoire médicale publiée dans les différents re-cueils cités plus haut; aussi chaque fois que l'occasion s'en est présentée je n'ai point négligé d'y renvoyer le lecteur.
Une description méthodique de cette névrose, que tous les auteurs se sont accordés à considérer comme un Protée insaisis-sable, ne pouvaitêtre tracée d'un coup. Ce n'est que peu à peu, et pour ainsi dire par étapes, que le professeur de la Salpêtrière est parvenu à porter la lumière sur ce vaste terrain. Lorsqu'en 1878 j'eus l'honneur de terminer mon internat sous sa direction, M. Charcot arrivait à cette conception delà grande attaque hys-térique divisée en quatre périodes, conception si simple qu'on s'étonne de ne l'avoir point trouvée depuis longtemps, et si féconde qu'elle éclaire l'histoire tout entière de la grande névrose. C'était là une mine à exploiter toute pleine de richesses2.
1. Bourneville, Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie et l'hys-térie, 1876. —Bourneville et Voulet, De la contracture hystérique permanente, 1872. — Bourneville, Louise Lateau, 1875.
2. J'y puisai le sujet de ma thèse de doctorat (Étude descriptive de la grande
A cette époque, la commission nommée par la Société de bio-logie pour l'examen de la doctrine de M. Burq sur la métallothé-rapie, terminait ses travaux au laboratoire cle M. Charcot à la Salpêtrière.
L'impulsion était donnée et les recherehes sur le mode d'ac-tion des agents sesthésiogènes s'y poursuivirent activement pen-dant toute l'année. Il est inutile d'ajouter que le plus souvent la grande hystérie fournissait la matière de l'expérimentation.
Vers le milieu de l'année, le hasard et aussi un peu la pente naturelle de nos recherches sur la sensibilité des hystériques nous conduisirent, sous les auspices et avec la participation de M. Charcot, à l'étude de l'hypnotisme dans l'hystérie. Ainsi s'ou-vritdevant nous un vaste champ presque inexploré, pleind'écueils il est vrai, mais riche de faits et d'enseignements nouveaux. Les principaux résultats des recherches opérées dans cette direction et auxquelles mon excellent ami et collègue P. Regnard, au-jourd'hui professeur à l'Institut agronomique, prit une part fort active, furent exposés par M. Charcot dans ses conférences cliniques de la fin de l'année 1878
C'est ainsi qu'ont été réunis les matériaux que j'ai tenté de mettre en œuvre dans ces Etudes sur Vhystéro-épilepsie ou
attaque hystérique et de ses principales variétés, 1879) qui se trouve reproduite dans ces Études après avoir subi de nouveaux développements.
1. Dès cette époque fut mise en relief l'influence d'un certain nombre d'agents sur la production de l'état hypnotique : lumière vive (lampe Bourbouze, lumière de Drummond, lumière électrique), vibrations d'un grand diapason, bruit intense et inattendu (bruit du gong), fixité du regard, pression des globes oculaires. C'est également à ces premières recherches faites au laboratoire de M. Charcot à la Sal-pêtrière que l'on doit la découverte de l'important phénomène de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire servant à caractériser une des phases du sommeil hypnotique, désignée par M. Charcot sous le nom de léthargie hystérique provoquée. La cata-lepsie hystérique provoquée fut aussi décrite avec tous ses caractères, ainsi que le mode de succession chez un même sujet de ces deux états nerveux : léthargie pro-voquée et catalepsie provoquée; leur localisation possible à un seul côté du corps : hémiléthargie, hémicatalepsie, etc., etc. Voyez, à ce sujet, le compte rendu du Pro-grès médical, n° 51, 1878, et ma thèse de doctorat qui parut quelques mois après (avril 1879), ainsi que les articles de la Gazette médicale de Paris, n°s 46, 47 et 48, 1878,parleD'E.deRanseetdujournal laNature,n"à\i 18 janvier 1876,parleDrCartaz.
grande hystérie, tentative certainement bien imparfaite et bien incomplète, surtout en face d'une moisson de faits nouveaux si riche et si abondante.
Ce livre n'a donc pas les allures d'un traité dont le but est d'embrasser une question dans son ensemble et qui ne doit né-gliger aucun détail, assignant à chacun une place en rapport avec son degré d'importance. Unouvrage de ce genre n'est point entré dans ma pensée, mes forces n'y auraient pas suffi, et je me suis contenté de toucher, dans la longue histoire de la grande hysté-rie, aux seuls épisodes qui m'ont semblé recevoir quelque nou-velle lumière des faits récemment observés.
La première partie est uniquement consacrée à l'étude de la grande attaque hystérique ou attaque hystéro-épileptique, dans son état d'entière régularité et de complet développement. Les diverses périodes de l'attaque y sont décrites, en autant de cha-pitres, suivant l'ordre de succession des symptômes. Cette descrip-tion est suivie d'un certain nombre d'observations destinées à prouver qu'elle ne s'applique pas spécialement aux malades de la Salpêtrière, mais qu'elle convient également aux cas observés en dehors de l'hospice, aussi bien en France qu'à l'étranger. Un parallèle entre notre description de la grande attaque hystérique et la description que donnent les auteurs de l'attaque d'hystérie vulgaire termine cette première partie et montre les connexions intimes qui existent entre cette forme d'hystéro-épilepsie ou grande hystérie et l'hystérie vulgaire ou petite hystérie.
La deuxième partie traite des principales variétés de la grande attaque hystérique, dérivant toutes du type décrit : a.) variétés résultant de modifications survenues dans les symptômes déjà existants; d'où attaque épilepto'ide, attaque de contorsion ou dé-moniaque, attaque d'extase, attaque de délire; — b.) variétés ré-sultant de l'immixtion de phénomènes habituellement étrangers
à l'attaque, d'où attaque de léthargie, attaque de catalepsie, at-taque de somnambulisme. Cette dernière classe de variétés est précédée d'unchapitre destiné à en faciliterl'étudeet dans lequel se trouvent consignées un grand nombre de nos expériences sur l'hypnotisme chez les hystériques. J'ai fait suivre l'étude des va-riétés de la grande attaque hystériqued'un court exposé des ana-logies remarquables qui existent entre le délire hystérique et les troubles cérébraux occasionnés par l'absorption de l'alcool, de l'absinthe, de l'opium et du haschisch.
La troisième partie comprend l'étude de quelques-uns des symptômes permanents delà grande hystérie, que .les nouvelles expériences sur l'action des agents oesthésiogènes éclairent d'un jour nouveau.
Dans une quatrième partie, à propos du diagnostic, j'ai cru utile de grouper les raisons qui plaident en faveur de la réalité des faits énoncés précédemment, et particulièrement au sujet des expériences d'hypnotisme et de l'action des agents œsthésiogènes. J'insiste ensuite sur le diagnostic différentiel de l'hystéro-épi-lepsie ou grande hystérie et de l'épilepsie véritable, point capital au point de vue de la pratique, et que l'étude du pronostic me permet encore d'accentuer.
Les dernières pages de cette quatrième partie sont consacrées à l'étude du traitement. Il en ressortira cet enseignement que l'hystéro-épilepsie ou grande hystérie, malgré ses dehors parfois si effrayants, n'est pas au-dessus des ressources de l'art, et que, le plus souvent, elle est susceptible de gué-rison à la suite d'un traitement approprié et conduit avec mé-thode. J'appelle l'attention sur un mode de traitement nouveau qui paraît résumer les propriétés curatives des agents aesthésio-gènes,jeveux parler de l'électrisation statique. Les premières tentatives dans cette direction furent faites au laboratoire de
M. Charcot par le Dr Romain Vigouroux, à l'obligeance duquel je dois de pouvoir donner quelques détails précis à ce sujet.
Enfin, j'ai rassemblé sous forme d'appendice un certain nombre de notes historiques puisées, pour la plupart, dans les anciens au-teurs et concernant la chorée épidémique du moyen âge, les pos-sessions, les convnlsionnaires et les extatiques. Ces notes sont destinées à montrer le lien commun qui réunit tous ces faits rangés trop facilement dans le domaine du merveilleux. On trou-vera au fond de chacun d'eux l'existence d'un même état morbide (la grande hystérie) susceptible de revêtir, suivant les diverses conditions dumilieuoùil se développe, les dehors les plus variés et parfois même les plus opposés en apparence. Ce fragment de médecine rétrospective, qui pourrait s'intituler « l'hystérie dans l'histoire )), démontre également que lagrande hystérie n'est point le produit de notre époque et que, si elle a été méconnue autre-fois, comme elle peut l'être encore aujourd'hui, les grands traits qui la caractérisent n'ont point varié, au moins dans ce qu'ils ont de fondamental.
Je me suis fait un devoir de citer, au cours de cet ouvrage, les noms de mes amis et de mes confrères qui, par des observations puisées dans leur clientèle privée, m'ont mis à même de profiter de leur expérience, me prêtant ainsi le plus utile et le plus pré-cieux concours. Je ne veux pas terminer sans leur adresser de nouveau, à tous, mes plus sincères remerciements.
Je prie également M. le Dr Lunier d'agréer ici l'expression de ma gratitude, pour la libéralité avec laquelle il a bien voulu mettre à ma disposition les richesses de sa bibliothèque.
ÉTUDES
sur
L'HYSTÉRO-ÉPILEPSIE
PREMIÈRE PARTIE
DELA GRANDE ATTAQUE HYSTÉRIQUE COMPLÈTE ET RÉGULIÈRE
CHAPITRE PREMIER
PRODROMES
L'attaque d'hystéro-épilepsie, ou grande attaque d'hystérie, ne surprend pas ; elle est toujours précédée quelquefois pendant plu-sieurs jours, d'un cortège de phénomènes permettant aux malades de prévoir le moment où elles vont tomber en attaque.
Ces signes précurseurs sont nombreux et variés ; ils trahissent le trouble de l'économie tout entière et l'on peut dire qu'aucun des grands appareils n'en est exempt.
Pour en donner de suite une idée d'ensemble, je rapporterai le fait de Tune de nos malades qui, après être demeurée pendant sept mois sans aucun accident, au point qu'on pouvait la croire complètement guérie, vit ses attaques reparaître, sans qu'il nous ait été permis de saisir la cause de cette rechute.
Marie B..., hystéro-épileptique, traitée par la métallothérapie, n'a plus d'attaques depuis huit mois. Tous les autres symptômes de l'hystérie, hémia-nesthésie, amyosthénie, ovarie, etc., ont également disparu. Elle exerçait les fonctions d'infirmière dans l'hospice et se pouvait croire délivrée de sa maladie, quand le 28 mai 1878 elle vient nous trouver.
Depuis deux mois, ses règles, qui avaient repris leur cours régulier, richer. Hystéro-cpilepsie. 1
n'ont pas paru. A partir de la même époque, elle se sent plus faible et n'a pas d'appétit. Elle vomit même depuis trois jours et ne peuf garder aucune nourriture. Elle est triste, abattue, elle sent que ses attaques vont la repren-dre et en conçoit le plus profond chagrin. Son visage altéré exprime la souf-france et l'inquiétude, elle éprouve un malaise général qui empêche tout travail et des idées noires envahissent son esprit. Elle est prise de frayeurs soudaines sans en connaître la cause. Elle ne dort pas, des hallucinations la tourmentent pendant la nuit, elle voit des rats noirs et des chats auxquels elle fait la chasse. Ces animaux se-montrent à la tête de son lit et du côté droit.
Aujourd'hui elle se plaint de souffrir des deux côtés du ventre, la douleur est plus intense à droite. Et quand on lui demande de préciser le point douloureux, elle montre la région ovarienne. Elle a des étouffements. La sensation douloureuse part du ventre, s'arrête à l'épigastre, puis monte à la gorge et produit la suffocation. Elle a de violentes palpitations cardiaques.
Ses oreilles sifflent, elle entend comme un wagon qui passe. Ses tempes battent, on dirait qu'on assène des coups de marteau sur la région tempo-rale, surtout à droite, et le sommet de la tête est le siège d'une vive douleur.
Ces phénomènes douloureux reviennent par accès.
Ses jambes tremblent et fléchissent ; elle est prise par moments de secousses générales qui la font sauter sur sa chaise.
L'anesthésie est complète et totale1. Elle existe des deux côtés du corps, et une grosse épingle peut lui traverser les chairs sans qu'elle s'en aperçoive. La force musculaire est affaiblie, principalement à droite. La pression dynamométrique est de 9 pour la main droite et de 20 pour la main gauche.
L'achromatopsie est complète pour les deux yeux. Toutes les couleurs deviennent du « blanc », seul le bleu paraît « blanc fané ». — Elle dit voir par instants les « objets doubles ».
Elle était autrefois sensible au cuivre, et le traitement du Dr Burq par la solution de sulfate de cuivre semble avoir amené sa guérison temporaire. Une plaque de cuivre, appliquée à Favant-bras droit ne modifie en aucune façon l'insensibilité. Cinq à six éléments de la pile Trouvé, appliqués aux deux tempes, ne donnent également aucun résultat.
Le soir à sept heures et demie elle avait ses attaques.
Dans la description qui va suivre, j'étudierai ces troubles variés dans l'ordre suivant :
•1° Les troubles psychiques, les hallucinations; 2° Les troubles des fonctions organiques ; 3° Les troubles de la inutilité ; 4° Les troubles de la sensibilité.
1. On avait constaté, huit jours auparavant, l'intégrité de la sensibilité.
PRODROMES
Agitation et contractures
o
partielles
A Delahaye et E.Lecrosmer
§ 1. — TROUBLES PSYCHIQUES
Les troubles psychiques sont les premiers qui apparaissent. Quelquefois huit jours avant l'attaque, la malade, ainsi qu'elle le dit elle-même, se trouve changée. Elle est incapable de se livrer à un travail assidu,quel qu'il soit. Elle néglige ses occupations habi-tuelles et dédaigne ses distractions. Les souvenirs de son passé et surtout ceux qui l'impressionnent péniblement, reviennent en foule à son esprit; elle ne peut s'en distraire. Les contrariétés du présent l'affectent vivement et les circonstances les plus insigni-fiantes prennent à ses yeux une importance exagérée. Parfois elle tombe dans une mélancolie profonde qui peut aller jusqu'au dé-sespoir.
Il n'est pas difficile aux personnes qui ont l'habitude de la fré-quenter de prévoir l'imminence des attaques. Tout dans son exté-rieur trahit le trouble de son esprit; sa mise, habituellement em-preinte d'une certaine recherche, est négligée; elle abandonne jusqu'aux soins élémentaires de propreté. On la voit les cheveux épars, la figure défaite, demeurer absorbée dans des réflexions sans fin; ou bien son regard perdu fixe un point dans l'espace et l'expression changeante de sa physionomie trahit la présence d'hallucinations dont nous aurons à parler dans un instant.
Ces accès de tristesse ou de mélancolie alternent avec des moments de folle gaieté, dont la cause est souvent aussi insaisis-sable. Les malades se livrent à toutes sortes d'enfantillages et un rien excite chez elles unrire inextinguible. Souvent Marc... *, trois ou quatre heures avant ses attaques, commence le long répertoire de ses chansons et ne cesse qu'au moment où la crise convulsive vient brusquement l'interrompre.
Les facultés affectives sont en même temps exaltées ou per-verties. Les malades sont inquiètes, jalouses, soupçonneuses et
1. Voyez son observation clans l'Iconographie photographique de la Salpêtrière, par Bourneville et Regnard, t. I, page 110.
très irritables. Elles ne peuvent plus supporter la moindre obser-vation, et les personnes qui d'habitude ont quelque influence sur elles perdent tout leur ascendant. Elles ont envers leurs com-pagnes des élans d'amitié insolites, ou des mouvements d'une haine tout instinctive. Elles se renferment dans un mutisme obstiné que rien ne peut rompre, ou elles entrent dans des confidences sans raison et nullement provoquées l.
Le plus souvent elles ne paraissent chercher la dispute que pour satisfaire à un besoin d'activité. Elles ne peuvent rester en place; elles ont des inquiétudes dans tous les membres, et il n'est pas rare de les voir tourner contre les objets inanimés le surcroît d'énergie qui les tourmente. Elles renversent et brisent ce qui se trouve sous leur main.
Cette agitation,accompagnée de grands cris, a parfois un aspect effrayant, mais elle n'offre jamais le danger du délire des épilep-tiques. L'impulsion à laquelle la malade obéit alors n'est pas un instinct de destruction envers autrui ou envers elle-même, c'est une agitation qui ne semble avoir d'autre but que celui de faire du bruit et de dépenser au dehors un excès d'activité 2.
Gen...3 nous donne souvent le spectacle de semblables scènes.
1. Le mutisme hystérique que l'on serait tenté d'attribuer au mauvais vouloir, est tellement sous la dépendance de la névrose, que le même procédé à l'aide duquel on arrête les convulsions parvient toujours à en triompher. La compres-sion ovarienne, comme nous l'avons expérimenté maintes fois, ne manque pas de délier la langue aux hystériques les plus obstinées qui avaient résisté à tout autre moyen, instances, supplications ou menaces.
2. Au sujet de ces impulsions des hystériques le docteur J. Moreau s'exprime ainsi :
« C'est sous la pression d'idées de vengeance, de terreur, le plus souvent dans le but de prévenir un danger imaginaire, de repousser l'agression d'un ennemi, etc., que les aliénés, en général, se livrent à des actes dont ceux qui les entourent et les soignent sont trop souvent victimes. Il n'en est pas de même des hystériques et des hystéro-épileptiques. Un irrésistible besoin d'étreindre fortement les objets qui se trouvent à leur portée, de frapper, de mordre même, de déchirer leurs vête-tements, ou tout simplement d'injurier, de chercher querelle, de taquiner, d'exciter l'impatience et la colère, s'empare d'elles brusquement, sans cause, et comme on dit vulgairement, sans rime ni raison. Elles n'en veulent aucunement aux personnes contre lesquelles elles s'emportent, ne sont mues ni par la haine, ni par la ven-geance. L'impulsion, l'acte, semblent n'avoir aucune raison d'être et obéir aux mêmes lois que les mouvements désordonnés qui constituent leurs attaques.» (Traité pratique de la folie névropathique, par le docteur J. Moreau, Paris, 1869, p. 17.)
3. Voyez son observation dans Ylconog. phot. de la Salp., t. I, page 49..
Ses grandes attaques ne surviennent d'ordinaire que tous les mois, au moment de ses règles, et durent plusieurs jours. Elles sont précédées d'une période prodromique marquée par la plupart des signes sur lesquels nous insisterons plus loin. Gen... cesse tout travail1, elle se plaît à faire des extravagances, et il n'est pas
FlG. 1.
rare de lavoir entrer par instants dans une agitation dont il est difficile d'imaginer la violence. Elle réussit à s'échapper des mains des infirmières, s'élance dans la cour, et là se livre à des gesti-culations qui ne connaissent ni règle, ni frein.
1. Quand Gen... n'est pas sous l'influence de ses attaques, elle s'occupe assez assidûment à des travaux de couture. Elle passe pour bonne couturière.
Parfois elle vient de quitter le lit où les malaises proclromiques l'avaient confinée et la légèreté de son costume ne saurait l'ar-rêter. Bien mieux, quand elle est vêtue, elle dépouille ou déchire une partie de ses vêtements. Les intempéries des saisons ne sont pas davantage un obstacle pour elle. Je l'ai vue, sous une pluie bat-tante et au milieu de la boue, se livrer aux mêmes transports.
Elle court à demi nue, les cheveux aux vents, la tête renversée, balançant le tronc en avant et en arrière, sautant d'un pied sur l'autre, accélérant ou ralentissant sa marche, et élevant les bras qu'elle agite au-dessus de sa tête (fig. 1).
Elle pousse des cris de bête féroce ou bien déclame des discours insensés. Tantôt elle demande à grands cris pardon à Dieu de ses
FiG. 2. — Accès épileptoïdc.
lautes, prononce des malédictions d'une voix terrible ; tantôt elle déplore sa destinée, s'épuise en supplications et appelle le ciel et les hommes à son secours.
Elle saute par-dessus les bancs, se heurte et se roule contre les murailles, avec des plaintes et des gémissements.
Elle se laisse choir tout d'un coup et demeure immobile, on la dirait sans vie; puis elle gesticule avec violence, ses bras frappent le sol, ses genoux s ecorchent aux graviers, elle exécute plusieurs tours sur elle-même.
Survient parfois un petit accès épileptoïde (fig. 2). Elle perd connaissance, ses membres se raidissent dans l'extension, un léger tremblement anime tout son corps, puis, au bout de quel-ques secondes, elle reprend sa course désordonnée.
La contracture passagère d'un membre vient souvent imprimer
à toute cette scène une physionomie bien spéciale, je dirai môme bien hystérique. Au milieu de cette agitation qui, par les dehors, peut ressembler au délire furieux des épileptiques, ou à l'excitation maniaque, la contracture qui vient subitement pour disparaître de même, immobilisant tantôt un membre, tantôt un autre, est comme le sceau de la grande névrose.
Fig. 3. — Contracture du bras gauche.
Un brasse trouve tout à coup contracture, le poing fixé dans le dos (fig.3), etGen.., dans cette singulière attitude, continue sa course. Il n'est pasrare de voir les deux membres supérieurs contractures de la même façon, 1 un en avant, l'autre en arrière (fig. 4). D'autres fois c'est une jambe que la con-tracture envahit, et Gen..., comme poussée par une force irrésistible, ne saurait s'arrêter; elle saute sur un pied.
La contracture est souvent croisée, le membre supérieur gauche et le membre inférieur droit se contracturent dans l'extension (pl. I, page 1). Il est alers relativement facile de maîtriser Gen... et les infirmières parvien-nent sans trop de peine à la reconduire dans son dortoir.
Quand Gen... ne réussit pas à sortir, c'est dans la salle que s'épuise son agitation, et elle arrive facilement à mettre à bout les forces des infirmières et des surveillantes1.
1. La camisole de force ne peut la maintenir quand elle se trouve ainsi agitée ;
Marc... (10 février 1878) a été tourmentée toute la journée par les pro-dromes ordinaires de ses attaques... Elle est demeurée au lit;elle est abattue, l'insensibilité est complète et générale. Force dynamométrique à gauche 17, à droite 20. Elle souffre dans le côté droit de la tête et dans le côté, gauche du ventre. Des douleurs erratiques parcourent la poitrine.
A 6 heures et demie elle saute tout à coup à bas de son lit, et avant qu'on ait eu le temps de s'y opposer,passe par la fenêtre. Elle court en chemise jus-
FiG. 4. — Contracture des deux bras.
qu'à la porte de sortie de l'hôpital, disant à qui voulait l'arrêter: «Mademoi-selle B... (c'est la surveillante du service) m'envoie de suite chez un phar-macien chercher un médicament pour me faire du bien. » Elle se laisse ramener sans faire de difficultés, et aux justes observations que lui fait mademoiselle B..., elle répond : « Je n'ai pas fait de mal, pourquoi m'avez-vous envoyée? »
On veut lui mettre la camisole pour empêcher de nouvelles escapades, et elle entre dans une fureur extrême, proférant des plaintes ou des menaces,
elle l'a bientôt déchirée avec ses dents et mise en morceaux. Lorsque cette sur-excitation est apaisée, et que Gen... sent l'imminence de ses grandes attaques, elle demande elle-même la camisole, qu'elle conserve parfaitement tant que dure le mal.
lançant les chaises par les fenêtres, bousculant les tables de nuit, jetant les bouteilles par terre, et crachant au visage des gens. A huit heures moins un quart son attaque commençait.
Dans ce dernier exemple nous voyons l'hallucination de l'ouïe jouer un certain rôle et contribuer pour une part au désordre des facultés intellectuelles. — Les hallucinations sont fréquentes chez les hystéro-épileptiques; elles peuvent affecter tous les sens, et plus particulièrement le sens de la vue et le sens de l'ouïe. La place importante qu'elles occupent souvent parmi les prodromes de la grande attaque hystérique nous engage à nous y arrêter un instant.
hallucinations
Il est une loi sur laquelle M. Charcot a insisté et qui établit une relation constante entre les sens atteints d'hallucinations et le siège de l'hémianesthésie. Les hallucinations de la vue les plus com-munes consistent en des visions d'animaux, chats noirs, rats gris ou de couleurs variées, araignées, corbeaux, vipères, etc., ou animaux fabuleux. La vision n'est pas immobile, elle apparaît en marchant dans un certain sens, et dans une direction qui est toujours la même, et que M. Charcot a le premier indiquée1.
Les chats, les rats, etc., courent en passant devant la malade, de gauche à droite ou de droite à gauche, suivant que l'hémianes-thésie siège à gauche ou à droite. Le point de départ de l'hallucina-tion est toujours du côté hémianesthésié. Mais, le plus souvent, le fantôme passe aux côtés de la malade, il vient de derrière elle pour s'évanouir en avant, et cela toujours du côté insensible. Ces vi -sions sont diversement colorées; la malade voit aussi des scin-tillements d'étoiles, des boules brillantes et de diverses cou-leurs.
G1...2, quelques jours avant ses attaques,pendant qu'elle travaille à l'atelier, voit par instants aux fenêtres les carreaux se nuancer de teintes variées, au point de ressembler à un vitrail d'église. Elle
1. Progrés médical, n° 3, janvier 1878.
2. Voy. Icon. phot., t. Il, p. 123.
ajoute, ce qui est bien fait pour mettre le comble à l'illusion, qu'elle voit les reflets colorés à terre ou sur ses voisines.
Elle voit aussi des « rats très noirs et très sales », qui passent à sa droite et d'arrière en avant ; une fois, un gros chat saute sur ses erenoux.
Wit... voit un lion rouge à sa gauche \ elle a par instants comme un brouillard devant les yeux.
Marie B... voit des chats noirs, des rats grimper à la tête de son lit, du côté droit2. Aussitôt qu'elle s'assoupit, elle voit des hommes au pied de son lit, passant dans un sens ou dans l'autre, ou bien se croisant. Ce sont des militaires vêtus de rouge avec des bandes bleues, et des « hommes de bureau a.
Pour Alphonsine Bar...3, ce sont des hommes qui viennent en avant d'elle, s'arrêtent au pied de son lit, la regardent fixement et lui font peur. Elle ne voit pas d'animaux.
An g..., qui est aveugle, voit aussi des figures d'hommes, les uns effrayants qui menacent, les autres « gentils », parmi lesquels Alphonse. Toutes ces apparitions viennent de derrière elle en passant de gauche à droite 4.
Geneviève B... 5 voit des corbeaux ou des vipères. Elle aperçoit Camille qui l'appelle. Elle commet des erreurs de personnes et prend pour d'autres les gens qui l'entourent d'habitude et qu'elle ne re-connaît plus.
Ler...0 aperçoit des quantités de papillons colorés; elle voit le diable dans les arbres.
Je rapporterai ce qui est consigné à la date du 18 mars 1878 dans l'observation de Marc...
Marc... a eu des accès dans la matinée, elle demeure au lit tout l'après-midi, elle est très agitée. Elle souffre de douleurs dans le ventre et de pal-pitations. Elle a des hallucinations. Elle voit des rats et des chats courir les
1. Anesthésie totale, avec prédominance à gauche.
2. Hémianesthésique à droite.
3. Voy. Icon.phot., t. II, 187. h. Hémianesthésique à gauche.
5. Voy. Icon.phot. de la S., p. 50, t. I.
6. Voy. lcon. phot., t. I, p. 14.
uns après les autres, sur le sommet d'un mur qu'on aperçoit par la fenêtre en face de son lit. Près delà se trouve une lucarne qui semble être leur re-paire. Ils en sortent tous et y disparaissent au retour de leur course. Quel-quefois ces animaux viennent dans la salle. Ils passent alors à gauche de la malade, venant d'arrière en avant, ou bien faisant un circuit autour d'elle dans le même sens, de gauche à droite. Ils montent quelquefois jusque sur ses membres, et lui occasionnent de grandes frayeurs.
Les rats sont gris, verts sous le ventre, avec le train de derrière jaune et la queue marquée de noir et de blanc.
Elle voit des centaines de hannetons dans les arbres, et des points de diverses couleurs qui scintillent comme des étoiles et l'éblouissent.
Elle cause avec ses compagnes assises autour de son lit. Toul? d'un coup elle montre le mur à sa droite : « Oh ! M. X... qui veut tirer un grand tiroir, et n'en vient pas à bout. Il est entouré de plusieurs personnes. »
Les hallucinations de l'ouïe ne sont pas moins communes que celles de la vue. Elles affectent principalement l'oreille du côté hémianesthésique. Les hallucinations de l'ouïe qui ne se font en-tendre que d'un seul côté, ont été signalées par les divers auteurs.
Baillarger parle d'une femme atteinte de monomanie religieuse qui percevait par l'oreille droite une musique céleste qui l'exaltait
au plus haut degré
« Quelques sujets, dit Calmeil, affirment que les sons qu'ils sup-posent arriver jusqu'à eux sont perçus tantôt par l'oreille droite, tantôt par l'oreille gauche2. »
Baillarger rapporte l'histoire d'une femme saine d'esprit, mais sujette à des accidents hystériques — convulsions avec perte de connaissance, céphalalgies, bourdonnements dans les oreilles, étourdissements — née d'une mère atteinte d'une maladie con-vulsive. Cette femme entendait des voix, principalement de l'oreille droite. C'était aussi à droite que les bourdonnements étaient le plus forts. Il n'est pas parlé d'hémianesthésie3.
Chez nos malades, les exemples ne sont pas rares.
Pendant qu'elle marche seule, Gl... entend une voix qui l'appelle, elle se retourne : personne. Pendant qu'elle travaille, des voix connues lui parlent à l'oreille. Elle les entend des deux côtés,
1. J. Baillarger, des Hallucinations, p. 300, Paris, 1846.
2. Calmeil, art. Hallucination dans le Dictionnaire de médecine en 25 vol.
3. Baillarger, loc. cit., p. 302.
mais surtout à droite. Tout d'un coup elle éprouve la sensation d'une étreinte : quelqu'un l'embrasse et la soulève. Un fait curieux à signaler, c'est qu'elle ne ressent le baiser que sur la joue droite *.
Les hommes que voient Bar..., Marie B... et Ang... dans leurs hallucinations parlent aussi.
Quelques instants avant d'avoir ses attaques il n'est pas rare de voir Gen... se lever tout d'un coup de son lit et se sauver dans la cour, où elle prétend avoir entendu « Camille» l'appeler. Marc... en fait autant, c'est à la voix d'« Ernest » qu'elle répond.
Alph. Bar..., 20 juin 1878. Dans la matinée, elle est effrayée par des voix qui lui commandent « toutes sortes de choses ». Elle a mal à la tête et se sent horriblement fatiguée.
Vers le soir elle a des attaques qui durent environ une heure. La nuit est relativement bonne, quoique tourmentée par des cauchemars et des visions.
21 juin 1878. A huit heures quelques petites attaques. Elle raconte qu'elle est toujours obsédée par des voix qui cherchent à contrarier ses désirs. Les voix se font entendre dans l'estomac et remontent jusque dans l'oreille droite. Elles ne se font jamais entendre à gauche. Quelquefois les voix semblent sortir du nez. Elle sait fort bien qu'elle est le jouet d'hallucinations, mais elle ne peut se défendre d'une grande frayeur, et malgré toute la bonne vo-lonté qu'elle y emploie, elle ne peut parvenir à les chasser.
Presque toutes les malades ont des sifflements d'oreille, tou-jours plus intenses dans l'oreille du côté hémianesthésique. Elles entendent le roulement d'un wagon, des sons de cloches, de fan-fares. Ler... entend «tous les oiseaux qui chantent dans sa tète ».
Toutes ces hallucinations se produisent le jour et obsèdent les malades, même au milieu de la société de leurs compagnes. Mais pendant la nuit elles acquièrent une plus grande intensité. Ce qui n'était qu'une rapide vision, devient une longue scène dans laquelle la malade joue son rôle.
Gl... voit souvent dans l'angle de la salle où elle couche un grand homme noir, poilu, immobile, couvert d'un suaire. Il est maigre, pâle et roule de gros yeux noirs. Elle est saisie d'effroi, tout en ayant conscience de l'illusion dont ses sens sont l'objet.
1. Gl... est anesthésique à droite.
Alors elle s'arme de courage, se lève, va au-devant du fantôme. Elle tend la main, mais il a déjà disparu. A peine est-elle de re-tour à son lit, que l'effrayante vision reparaît à la même place.
D'autres fois ce sont des scènes des romans qu'elle a lus, dont elle devient l'héroïne. Elle voit des jardins dans l'ombre du soir, un balcon sous un rayon de lune, etc.
Ang... reçoit, les nuits qui précèdent ses attaques, la visite de son père qui est mort. Le fantôme a l'air profondément triste, mais il ne prononce que des paroles de consolation. Elle revoit aussi « Alphonse » ; elle l'entend, le touche, et perçoit le contact de ses baisers.
Marc... était tourmentée la nuit du 18 février par des visions dans lesquelles Th. L..., une de ses anciennes compagnes, morte depuis un an, venait pour la chercher, et lui posait ses mains glacées sur le visage. Elle voyait aussi le cortège de l'enterrement du pape, une longue suite de cardinaux rouges, etc.
Souvent, au milieu de la nuit, on la voit se lever effrayée et courir autour de son lit. Elle poursuit les rats qui l'assiègent.
« Ernest », en ces circonstances, vient quelquefois la trouver.
La nuit qui précéda le 1er février, jour où elle eut ses grandes at-taques, elle affirme avoir reçu à plusieurs reprises la visite d'Ernest. Si je demeure incrédule en traitant tout cela d'imaginations, elle insiste, elle se fâche en répétant qu'elle n'est pas folle et qu'elle sait fort bien se rendre compte de ce qu'elle voit. « La preuve, dit-elle, c'est que chaque fois qu'il venait, je me trouvais couverte d'une sueur froide. Il m'a trouvée plus ma-lade que les autres fois. » — Mais par où a-t-il pu passer pour venir jus-qu'ici?—Cette porte-là n'est jamais fermée... Et puis je ne sais pas comment il s'y est pris; tout ce que je sais, c'est qu'il est venu. »
Les hallucinations nocturnes ont souvent un caractère erotique qui indique que le sens génital y prend une large part *.
1, Les exemples d'hallucination des organes génitaux ne sont pas rares dans les auteurs. Elles acquièrent parfois une violence extrême, et on lira avec intérêt l'observation rapportée à ce sujet par Baillarger (des Hallucinations, p. 314). Ces-sortes d'hallucinations ne sont pas constantes chez les hystériques; et nous pouvons citer l'exemple de Ler..., une de nos hystéro-épileptiques, remarquable par l'ancien-neté dé sa maladie, par le, violence de ses attaques et chez laquelle les hallucinations
Baillarger cite l'histoire d'une dame renfermée depuis plus de dix ans dans un hospice, et qui se plaint souvent qu'un jeune mé-decin abuse d'elle pendant la nuit; mais, en outre, vingt fois par jour elle croit avoir à se défendre contre des manœuvres indiscrètes qu'on exerce sur elle à distance, et par des moyens cachés.
La plupart de nos malades et Gen... en particulier nous offrent des exemples bien curieux de ce genre d'hallucinations nocturnes.
Elle reçoit souvent la nuit la visite d'un certain ce Camille » dont l'histoire est assez curieuse1. Et s'il arrive que certaines malades, le jour une fois levé, se rendent compte de l'illusion dont elles ont été le jouet, il en est d'autres, et Gen... est de ce nombre, qui conservent une foi entière et profonde en la réalité de leur halluci-nation. On lira avec intérêt dans le deuxième volume de Y Iconogra-phie de la Salp., par MM. Bourneville et Begnard, le récit de ces amours imaginaires qu'il serait trop long de consigner ici.
Contrairement à Marc..., Ang... et Gen..., qui, dans leurs hal-lucinations erotiques, revoient le plus souvent le même personnage, Alphonsine B... reçoit la visite nocturne de fantômes qui suivent le cours des impressions de chaque jour. Il suffit qu'une figure l'ait désagréablement impressionnée, pour que, la nuit, le person-nage vienne l'accabler de ses instances et, malgré sa résistance,
sont d'un autre ordre. Mais l'on peut dire néanmoins que les hallucinations du sens génital sont fréquentes chez les hystéro-épileptiques.
Baillarger fait suivre son observation des remarques suivantes : « Si on se re-porte à une autre époque, si on suppose d'autres idées et d'autres croyances, on concevra facilement cette variété de la démonomanie dont les hallucinations géni-tales formaient le symptôme principal, et qui portait tant de malheureuses aliénées à confesser qu'elles avaient eu pendant plusieurs années commerce avec le diable, etc. »
1. Son imagination malade a forgé tout un roman. Elle aurait été fiancée dans sa jeunesse à un certain Camille, qu'une fièvre typhoïde enleva, avant l'accomplis-sement de ses vœux. Malgré les nombreuses aventures qui depuis ont marqué son existence, Camille est demeuré l'idéal qu'elle a toujours appelé dans ses attaques. Mais voilà qu'un jour en arrivant à la Salpêtrière, elle croit reconnaître dans M. X..., Camille qui n'aurait simulé la mort que pour échapper à ses engagements. Bientôt ce qui n'était qu'un pressentiment devient une certitude, car M. X... vient la visiter une nuit et lui avoue tout. Sa conviction depuis est tellement profonde qu'aucun raisonnement ne saurait l'en dissuader ; elle a réponse à toutes les objections ; de-puis ce temps M.X...vient très fréquemment, dans ses visites nocturnes,la dédom-mager de son abandon. (Voy. Icon.phot., t. II, p. 202.)
l'oblige à subir ses baisers. Bien rarement la vision est d'accord avec ses sympathies. Ces hallucinations existent parfois, comme chez les autres malades, en dehors du temps des attaques; mais elles se produisent toujours avec plus d'insistance lorsque l'at-taque est proche.
Dès le début de sa maladie qui remonte à trois ans, Bar... a eu fréquem-ment des hallucinations nocturnes de ce genre. Pendant qu'elle était à Sainte-Anne, où elle est restée pendant les deux premières années de sa maladie, elle n'a jamais voulu s'en ouvrir au médecin qui la soignait. « Le médecin, dit-elle, m'a souvent trouvée défaite et fatiguée le matin à l'heure de la visite, sans qu'il en soupçonnât la véritable cause. »
Après les nuits pendant lesquelles surviennent ces hallucina-tions, toutes les malades qui en sont l'objet accusent une fatigue extrême. Elles se sentent à bout de force et comme anéanties. En effet, plus d'une fois nous avons pu voir l'abattement de leurs traits, la pâleur de leur visage et leurs yeux cernés de noir. Leur réponse est prévue et presque inévitable lorsque le matin on les trouve dans cet état. Et ce n'est pas là leur moindre argument en faveur de la véracité des événements dont la nuit a été le théâtre.
L'hallucination que nous venons de voir occuper une si grande place dans les phénomènes qui précèdent de plusieurs jours l'at-taque hystéro-épileptique, fait quelquefois partie de l'aura et marque le début de l'accès.
26 février 1878. — Marc..., debout, appuyée contre son lit, silencieuse, les traits altérés, l'œil dirigé du côté de la fenêtre, fixe au dehors un point éloigné. On soupçonne que son attaque n'est pas loin. L'infirmière s'empresse de la déshabiller. Elle se laisse faire sans résistance, mais inconsciemment, sans changer la direction de son regard. Elle semble écouter, faisant de temps à autre des signes d'intelligence. Puis elle cherche à fuir sans mot dire, comme pour aller rejoindre celui qui l'appelle. Complètement absorbée par son hallucination, elle se laisse mettre au lit. Toujours son regard est fixé sur le même point. Ses bras et ses jambes commencent à se contracturer.
Une fois au lit, sa figure impassible ouvre les yeux démesurément, et im-mobile, ne cesse de fixer le point imaginaire. Les jambes sont contracturées dans l'extension et ses bras diversement fléchis (fig. 5). Au bout de peu d'instants, l'attaque commence subitement.
Chez Alphonsine B... l'hallucination inaugure toujours l'attaque
et se joint aux phénomènes ordinaires de l'aura. Le 16 juin l'hal-lucination est triste et la vision terrible. La malade veut se dé-tacher pour fuir et crie d'une voix forte : « Oh! terreur! terreur!! il vient pour me faire du mal, celui-là! » Puis la respiration pressée s'arrête subitement et l'attaque commence. Le 24 juin, les attaques
Fig. 5. — Hallucination et contracture.
ont changé de caractère et l'hallucination est gaie. Elle entre dans une sorte d'extase, rit, échange même quelques mots avec la vision, qui s'arrête au pied de son lit. Cependant les autres phénomènes de l'aura s'accusent, douleur de ventre, constriction épigastrique, palpitations, oppression. Alors le fantôme s'approche, mais il l'étreint trop violemment, elle étouffe, c'est la période épi-leptoïde qui survient.
§2. — TROUBLES DES FONCTIONS ORGANIQUES 1° troubles des fonctions digestives
Dans l'ordre chronologique les troubles digestifs sont des pre-miers à apparaître, parmi les prodromes de l'attaque. Avec les troubles cérébraux dont nous venons de parler, ils précèdent ha-bituellement de plusieurs jours l'apparition des phénomènes dou-loureux.
Ils paraissent constants. La malade a de l'inappétence, ou bien le goût se pervertit. Souvent des vomissements rejettent près-
que immédiatement les aliments ingérés. En dehors des repas il se produit parfois des nausées, dues à la contraction spasmodique du diaphragme, de l'estomac et de l'œsophage; d'où peut résulter un état nauséeux qui se prolonge et devient très pénible.
Le spasme de la gorge, c'est-à-dire, la suffocation hystérique, peut siéger, soit dans le pharynx et dans l'œsophage, soit dans le larynx et dans la partie supérieure de la trachée (Briquet).
« Si l'on fait attention, dit Briquet, à ce qui se passe chez les femmes qui éprouvent une émotion morale, on saisit facilement la raison de la fréquence si grande de cette névrose (suffocation hys-térique). En effet, sur quatre cents hystériques, je n'en ai trouvé que trente qui n'en avaient jamais été atteintes ; toutes en effet éprouvent lors des émotions un sentiment de compression à la ré-gion épigastrique, et d'étranglement à. la gorge. Ces sensations constituent le mode de manifestation le plus ordinaire des passions affectives. Bien d'étonnant que l'un des symptômes les plus com-muns de l'hystérie soit précisément le trouble que produisent or-dinairement les émotions *. »
Ce spasme de la gorge, si commun chez les hystériques, et qui peut se rencontrer pendant l'attaque, comme dans l'intervalle des attaques d'hystérie (Briquet), s'observe aussi parmi les prodromes de la grande attaque hystéro-épileptique, et fait ordinairement partie des phénomènes douloureux de l'aura dont nous parlerons plus loin.
Je ne ferai que signaler ici les borborygmes, et la tympanite sou-vent si considérable. Gen..., avant ses attaques, sent son ventre qui gonfle. Gl..., par instants, est obligée de dégrafer sa robe sitôt qu'elle a mangé. Cette augmentation de volume de l'abdomen, due aune accumulation de gaz dans le gros intestin surtout, survient brusquement et cesse de même. Nous retrouverons la tympanite et les borborygmes parmi les signes de l'attaque elle-même.
1. Briquet, Traité de l'hystérie.
Richer. Hystéro-épilepsie.
2° troubles des sécrétions
Le ptyalisme, à un degré varié, se retrouve dans le début môme de l'attaque, et entre pour quelque chose dans la production de l'écume qui vient aux lèvres dans la période épileptoïde.
B... raconte qu'au moment de l'invasion de l'accès, en même temps qu'elle suffoque, elle sent un flot de liquide qui semble monter de l'estomac et lui emplit la bouche. Il est à remarquer que B..., même dans les accès les plus légers, a toujours la mousse aux lèvres.
ce Une de mes clientes, dit Mathieu, est avertie de l'approche d'une attaque par l'abondance de la salive1. »
Marthe Lesp... sent un mauvais goût dans la bouche pendant les quelques minutes qui précèdent ses attaques : ce J'ai la bouche empoisonnée, » dit-elle.
Les urines sont plus abondantes, claires et incolores (urine nerveuse).
3° troubles respiratoires
Les troubles de la respiration ne consistent le plus souvent qu'en une oppression constante, plus ou moins accusée. Les ma-lades sentent le besoin de prendre l'air.
Cependant le spasme du larynx fait partie des phénomènes con-vulsifs qui se montrent souvent par accès les jours qui précèdent l'attaque. Le hoquet, le rire rentrent dans la même catégorie.
Au dire de Piorry, certaines femmes sont averties de leurs atta-ques prochaines par une petite toux laryngienne évidemment spasmodique2.
La perte de la voix, les cris variés d'animaux, l'engastrimy-thisrne qui s'observent le plus souvent à l'état épidémique, se ren-contrent plus fréquemment en dehors des attaques et alternent avec elles.
C'est ici le lieu de citer les bâillements des hystériques.
1. E, Mathieu, Études cliniques sur les maladies des femmes. Paris, 1817,p. 494. i. Cité par Mathieu, loc. cit., p. 493.
4° troubles de la circulation
Les palpitations cardiaques tiennent une grande place dans les prodromes de l'attaque hystéro-épileptique.
Toutes les malades s'en plaignent. Elles se montrent d'abord isolées, revenant par accès, sous le plus léger motif ou sans cause appréciable. Puis elles accompagnent constamment les phéno-mènes douloureux de l'aura hystérique. Ces palpitations sont tel-lement intenses, que les malades les perçoivent dans toute la poi-trine, jusque dans le cou et dans les tempes.
Les troubles vaso-moteurs ne sont pas rares : Gen..., avant ses attaques, a souvent ce qu'elle appelle ses rougeurs
Rosenthal rapporte un fait intéressant à plus d'un titre et dans lequel l'attaque avait pour signe précurseur une sensation de froid et une décoloration des mains et du bout des doigts.
Une jeune fille de vingt-trois ans, que j'avais soignée antérieurement pour des attaques d'hystérie et de catalepsie, fut prise d'une récidive à la suite d'un coup violent sur la mamelle gauche; elle avait un hoquet opiniâtre avec pa-roxysmes, qui à certains jours alternait avec des attaques épileptiformes. Celles-ci avaient pour signes précurseurs une sensation subjective de froid et une décoloration des mains et du bout des doigts. Les deux mains deve-naient très pâles, le bout des doigts et les ongles d'un bleu foncé ; la ma-lade ressentait dans les mains un froid désagréable, leur température qui était de 33°,4 C. à l'état normal, descendait à 30°,6 C. ; le pouls baissait de 72 à 65 ou 66. Après la fin de l'attaque hystéro-épileptique, la température des mains remontait à 35°,6 ou 35°,8, la chaleur reparaissait, les doigts et les ongles devenaient très rouges, étaient le siège d'une transpiration abon-dante, el le pouls se relevait à 84-88.
Pendant les heures qui précédaient l'attaque, plus rarement pendant les jours qui se passaient sans attaques, il se manifestait un symptôme curieux : c'était une hyperesthésie de la peau, sur différents points du tronc, plus sou-vent à gauche qu'à droite ; quelquefois elle était croisée, occupant le bras
1. 5 février 1878. — Deux heures après midi, Gen... est au lit, contracturéedes membres, elle sent que ses attaques vont la prendre. Depuis une heure elle a le front, les deux joues et les oreilles très rouges, contrastant avec le bas de la fi-gure qui est très pâle. Les parties rouges sont chaudes au toucher. Les bras sont plus raides que le matin, surtout le gauche. Elle dit que ses rougeurs vont bien-tôt cesser parce que son ventre gonfle.
Quelques instants après elle avait ses attaques.
gauche et la jambe droite; les muscles présentaient aussi de l'hyperesthésie à la pression et au contact du lit, et la malade était obligée de changer souvent de position. On constatait alors une élévation notable de température sur le côté du corps hyperesthésié ; à la main, il y avait 35°,5,une fois même 36°,1, au lieu de la normale 34°,4; au pied 35°,3, au lieu de 34°,2; dans l'aisselle, du même côlé, la température était légèrement abaissée.
Les jours où l'hyperesthésie précédait les attaques, elle durait jusqu'à l'ap-parition des symptômes décrits plus haut, pâleur et cyanose des mains et du bout des doigts. Dès que ces symptômes se manifestaient, l'hyperesthésie di-minuait, et aux mains, outre le refroidissement appréciable que nous avons signalé, elle faisait place à de l'anesthésie, avec sensation d'engourdissement dans les doigts et les orteils. Ces signes indiquaient toujours infailliblement l'approche de l'attaque. Vers la fin de l'attaque, si l'on touchait les mains ou les doigts, ils s'écartaient par un mouvement réflexe, bien qu'à ce moment la connaissance fût encore abolie, les pupilles insensibles à la lumière. Ce re-tour de la sensibilité qui gagnait progressivement de la périphérie au centre, était un signe certain du retour prochain de la connaissance. Tant que les doigts ou les orteils restaient insensibles, on pouvait être certain que l'attaque durerait encore longtemps. Cet état ayant persisté environ trois mois, sur-vint tout d'un coup un mouvement fébrile, qui céda dès le jour suivant à de fortes doses de quinine; les règles supprimées depuis plusieurs mois, reparu-rent, le hoquet, les vomissements et les attaques cessèrent subitement, et ma convalescente retourna très satisfaite dans son pays l.
§ 3. — TROUBLES DE LA MOTILITÉ
L'amyosthénie existe comme symptôme permanent de Fhystéro-épilepsie, et accompagne toujours l'anesthésie, dont elle semble partager le sort, apparaissant ou disparaissant avec elle. Mais à l'approche des attaques, la faiblesse musculaire augmente; sou-vent la malade ne peut se servir du bras anesthésié. Elle ne peut se peigner le matin et laisse facilement échapper les objets. Ler... dit qu'elle a son bras droit aussi lourd à lever qu'un poids de 110 livres: «On dirait que j'ai du plomb dans le bras. » Au dyna-momètre elle marque six divisions avec la main droite, tandis qu'avec la main gauche elle atteint jusqu'à vingt et une.
La démarche est mal assurée, les malades ne sont pas « solides sur leurs jambes ». Celle du côté hémianesthésique surtout fléchit
1, Rosenthal. Traité clinique des maladies du système nerveux, p. 471. (Tra-duction du docteur Lubanski.)
sous leur poids. Ler... « tremble comme si elle avait commis un crime » et parfois elle s'affaisse subitement, ses jambes lui refu-sant tout service.
Il se produit souvent des crampes douloureuses, des secousses, ou un tremblement analogue à la trépidation. Le membre est dans cet état particulier qui permet l'exagération du mouvement réflexe, par la percussion du tendon rotulien.
Lessecousses qui agitent par instants nos malades sont semblables à celles qui se rencontrent dans l'épilepsie vraie. La secousse con-siste en une tétanisation brusque d'un groupe musculaire, de peu de durée et cessant aussi subitement qu'elle s'est produite : d'où résulte un mouvement rapide dans les leviers sur lesquels les muscles atteints prennent leur point d'attache. Ce mouvement est absolument comparable à celui que produit la décharge élec-trique.
La secousse peut être partielle, affecter un seul côté du corps — et alors c'est de préférence le côté anesthésié, — un seul membre, la face, le ventre, etc., ou bien elle est générale et le corps tout entier participe au mouvement. Quand elle marche, la malade peut être renversée à terre; quand elle se trouve assise, elle est brusque-ment soulevée de son siège, pour y retomber lourdement. C'est de préférence la nuit, au moment où le sommeil arrive, que survien-nent les secousses; mais cependant elles peuvent se montrer dans le jour. La malade est réveillée en sursaut; il lui semble qu'elle tombe à bas de son lit, ce qui arrive effectivement quelquefois.
Gl... (1er novembre 1878) va avoir ses attaques.Elle est au lit, et est prise de secousses généralisées qui reviennent toutes les minutes environ. Tout d'un coup la tête se renverse, la bouche s'ouvre, tes yeux se ferment, les traits se contractent agités de quelques convulsions bioniques. Il se produit à ce moment un bruit laryngien qui imite le coq. Le ventre est soulevé à plu-sieurs reprises par une agitation spasmociique du diaphragme. Les bras s'é-tendent et se rapprochent du tronc, l'avant-bras en pronation forcée, les doigts et le poignet fléchis. Elle ne perd pas complètement connaissance, et éprouve des tressaillements dans les yeux et le long du bord interne des bras. Le tout dure 4 à 5 secondes.
Ces secousses ou commotions épileptoïdes s'observent en dehors
des attaques, et nous aurons occasion plus loin de démontrer qu'elles peuvent être considérées comme des ébauches de la période épi-leptoïde.
Dans les prodromes de l'attaque, les secousses sont comme le prélude de la convulsion épileptiforme, et dans les quelques se-condes qui précèdent l'accès, elles vont quelquefois en se précipi-tant et en se rapprochant de plus en plus, jusqu'au moment où le tétanisme épileptoïde qui inaugure l'attaque semble résulter de leur fusion.
L'observation suivante nous montre ces divers troubles du mou-vement réunis chez une même malade.
Ang... a des attaques environ tous les mois, au moment de ses règles.
Elle est prévenue parfois huit jours à l'avance, d'abord par une irritabilité extrême, des besoins de remuer, des envies de mal faire, des idées de suicide, et par des hallucinations.
Quatre jours avant l'attaque commencent des douleurs de ventre très vives, dans la région de l'ovaire gauche, puis les signes ordinaires de l'aura hystérique, qui reviennent, à intervalles de plus en plus rapprochés.
Deux ou trois jours avant l'attaque elle ne mange plus, quelquefois elle vomit. Elle éprouve dans tous les membres des inquiétudes, des engourdis-sements, des douleurs, surtout du côté droit du corps. Il lui semble qu'on lui donne des coups sur les jambes. Elle a des secousses clans les deux jambes et le bras gauche. Sa main gauche est prise d'un petit tremblement dont parfois elle n'a pas conscience, mais que lui signalent ses voisines. Ses doigts se crispent par instants. La nuit elle tient sa main gauche avec sa main droite pour s'endormir.
La contracture est très souvent un phénomène précurseur des accès. Nous l'avons observée bien des fois. Elle est le plus ordinai-rement partielle et débute brusquement. Elle passe d'un membre dans l'autre, cesse pour revenir, et se généralise peu à peu au point d'envahir parfois les quatre membres quelques instants avant l'at-taque.
L'attitude des membres contractures est des plus variables ; tou-tefois, chez une même malade, elle se reproduit presque toujours d'une façon identique. Chez Gen..., la contracture commence ha-bituellement par le bras gauche, envahit ensuite la jambe droite,
puis les autres membres. Le bras gauche et les deux jambes sont contracturées dans l'extension, le bras droit dans une demi-flexion, la main reposant sur l'abdomen, comme il est représenté figure 6.
Marc... a le bras droit fléchi, le poignet fléchi, la main au niveau de l'épaule et les doigts étendus, (fig. 5.)
Fig. 6. — Contractures.
Comme je l'ai déjà dit, la contracture survient soudainement; en voici un exemple entre mille.
Gen... est depuis quelques jours sous le coup de ses grandes attaques. Son imagination bat la campagne. Elle s'est affublée d'un long voile noir et s'intitule la « fiancée de la mort ».
Nous essayons de provoquer quelques-unes de ces divagations dont elle est d'ordinaire peu avare, mais elle se renferme dans un mutisme obstiné. — Elle est libre de tous ses membres et va se placer dans l'embrasure d'une fenêtre pour échapper à nos ques-tions. Au bout de peu d'instants, elle y est immobilisée par la contracture qui envahit tous ses membres (fig. 7). Elle conserve toute sa connaissance, mais ne peut plus bouger. Quelques peti-tes secousses qui se passent dans les épaules et à la face indiquent l'imminence des accès. On se hâte de la transporter à son lit, où l'attaque convulsive ne tarde pas à éclater.
J'ai déjà insisté sur les contractures partielles ou générales, qui peuvent survenir pendant les grandes gesticulations qui prôcèden 1 es attaques et dont il a été question précédemment.
Lesp..., au moment d'être malade, se sent envahir par une con-tracture générale qui immobilise tout le corps, dans la situation qu'il occupe, quand elle survient. La langue est contracturée, la pointe se fixe derrière les incisives inférieures, ou dans lecoin gau-che de la bouche. La malade entend encore tout ce qui se passe autour d'elle, mais elle ne peut parler ni faire aucun mouvement.
Fig. 7. — Contractures.
Marthe Lesp... n'est prévenue qu'un quart d'heure environ avant l'accès. Elle éprouve alors des envies de rire ou le plus souvent des envies de pleurer. Le rire termine habituellement ses attaques. Elle se sent envahie par des idées tristes, et le souvenir des événements passés revient avec tant de vivacité à sa mémoire qu'elle se figure voir les personnes et les lieux qui en ont été le théâtre. Elle n'est cependant pas complètement distraite du monde extérieur, car elle entend encore ce qui se passe autour d'elle, mais elle ne peut plus remuer, elle se trouve immobilisée et comme maintenue dans la situation qu'elle occupait par une force supérieure à sa volonté. Si à ce moment, que l'expression hébétée de son faciès, son regard vague et son
attitude immobile permettent facilement de reconnaître (fig. 8), on essaye de déplacer ses membres, on éprouve une résistance presque invincible due à la contracture généralisée qui les a envahis. En même temps elle sent que sa langue se fixe, la pointe derrière les incisives inférieures ou dans le coin gauche de la bouche. Survient alors une sorte d'engourdissement général, et une douleur poignante au côté droit, précédée quelquefois, mais non toujours, d'une douleur au bas-ventre qu'elle ne localise pas très bien. Oppression ex-trême, la respiration se précipite, étouffement; la sensation monte à la
Fig. 8.
gorge, strangulation. Battements très intenses dans la région stomacale, puis la vue se voile, bouffées de chaleur à la figure, sifflements d'oreille surtout à droite, battements dans la tête, surtout dans la tempe droite. L'obnubilation de l'intelligence devient complète et l'attaque éclate.
Gl..., peu d'instants avant l'attaque, sent la pointe de sa langue qui se retourne en haut et se colle au palais. Ses mâchoires se serrent l'une contre l'autre, elle ne peut plus parler.
Parmi les troubles de la motilité qui précèdent les grandes attaques, il convient peut-être de ranger à côté des contractures
et des secousses les petits accès épileptoïdes, qui sont comme un lambeau détaché de la grande attaque, et plusieurs jours à l'avance se mêlent parfois aux autres signes prodromiques.
3 juillet 1878. — Gen... est sous le coup des grandes attaques. Elle a été assez calme dans la matinée, elle a travaillé.
A une heure et demie, pendant qu'elle est assise à son travail, elle est prise subitement d'un accès épileptiforme qui présente les caractères habituels : perte de connaissance, convulsions toniques généralisées, puis mouvements cloniques, enfin stertor peu accusé. Mais aussitôt survient le délire avec les hallucinations. Elle court de côté et d'autre, veut fuir les obsessions de Camille qui la trahit. Elle le voit qui fait des grimaces. Elle se plaint d'être la plus malheureuse des femmes, et commence la longue suite de ses lamen-tations et de ses récriminations. Elle aimerait mieux être torturée et coupée en morceaux.
Elle ne reconnaît personne, et donne aux gens qui l'entourent des noms empruntés. Elle veut sortir, elle éprouve un besoin de mouvement extraor-dinaire et désire aller dans les cours se livrer à ses extravagances habi-tuelles. On se refuse à la laisser sortir. Survient de nouveau un petit accès épileptoïde, et le même délire violent continue. Elle voit des corbeaux, des vipères.
Enfin elle réussit à s'échapper et, maintenue par deux infirmières, on la laisse se rouler sur l'herbe et se livrer aux gesticulations les plus effrénées, interrompues de temps à autres par un petit accès épileptoïde.
Le 4 juillet, Gen... demeure contracturée toute la journée. Les quatre membres sont pris. Elle est confinée au lit. De temps à autre surviennent de petits accès épileptoïdes.
Le 5 au matin éclatent les grandes attaques.
§ 4. — TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ
L'anesthésie totale, ou le plus souvent d'une moitié du corps (hé-mianesthcsie), est un symptôme de l'hystéro-épilepsie et existe en dehors des attaques. Elle peut n'être pas complète, la piqûre est sentie, mais elle n'est pas douloureuse; c'est l'analgésie. Pendant les jours qui précèdent l'attaque, l'anesthésie survient si elle n'existe pas et remplace l'analgésie. Dans tous les cas elle acquiert une fixité, rendant inutiles tous les moyens qui la font disparaître mo-mentanément toutefois dans l'intervalle des attaques *.
1. C'est ce que nous avons pu facilement observer chez M. B... dont nous avons
L'hyperesthésie cutanée, limitée à certains territoires nerveux, n'est pas rare chez les hystériques et peut se rencontrer parmi les prodromes de l'attaque.
L'observation dellosenthal rapportée plus haut en est un exemple; mais il est à remarquer queles jours où l'hyperesthésie précédait les attaques, elle était remplacée par de l'anesthésie quand celles-ci devenaient imminentes.
La sensibilité spéciale est également affectée, et du môme côté que la sensibilité générale, dont elle partage le sort. Les deux sen-sibilités sont également modifiées par les mêmes agents, ce qui ne veut pas dire que l'une ne saurait exister sans l'autre. L'anesthésie cutanée peut exister sans que les sens soient atteints, bien que le fait soit rare, il est vrai. Et l'on conçoit parfaitement que l'anesthé-sie à un degré quelconque puisse intéresser l'un des sens, sans que la peau perde sa sensibilité. Cette considération ferait rentrer dans le cadre de l'hystérie ovarienne des cas qui s'en séparent jusqu'à présent, parce que l'altération des sens qui demande à être recher-chée avec soin, a passé jusqu'ici inaperçue.
Ayant déjà traité longuement des hallucinations, je n'en parlerai pas ici.
La vision des couleurs se perd complètement, achromatopsie. L'amblyopie même peut être très accusée. Ler... dit qu'elle devient sourde de l'oreille droite.
A V R A h y s ï E R i C A
J'arrive maintenant aux phénomènes douloureux, qui constituent à proprement parler Y aura hysterica. Les signes prodromiques dont il a été question jusqu'ici, peuvent
parlé dès le début de ce travail. Après une guérison temporaire de huit mois, l'anesthésie revient précédant de huit jours une rechute. La veille de ses attaques on essaye de répéter, mais sans succès, une expérience qui autrefois ne manquait jamais de réussir chez elle. L'application d'une plaque de cuivre sur une partie du corps anesthésiée, ramenait infailliblement en quelques minutes la sensibilité au point de contact. Dans la tentative faite peu de temps avant l'apparition des at-taques, l'anesthésie ne s'est trouvée modifiée en aucune façon.
se montrer à un moment plus ou moins éloigné du début de l'atta-que; ceux dont il s'agit maintenant précèdent immédiatement l'éclosion des convulsions dont ils sont pour ainsi dire le prélude obligé.
Les hystériques dont il s'agit portent en tout temps au ventre une douleur fixe, plus ou moins intense, et que M. Charcot, d'ac-cord avec Schutzenberger contre Briquet, rapporte à l'ovaire. C'est l'hyperesthésie ovarienne ou ovarie.
Tous les caractères en ont été parfaitement tracés, il y a long-temps déjà, par M. Charcot, dans ses Leçons sur les maladies du système nerveux. Nous lui laissons la parole :
« 1° Tantôt, c'est une douleur vive, très vive même : les ma-lades ne peuvent supporter le moindre attouchement, le poids des couvertures, etc. ; elles s'éloignent brusquement, par un mouvement instinctif, du doigt investigateur. Joignez à cela un certain degré de gonflement de l'abdomen, et vous aurez l'ensemble clinique de la fausse péritonite — spurious peritonitis des médecins anglais. Il est évident qu'ici les muscles et la peau elle-même sont de la partie...
» 2° D'autres fois, la douleur n'est pas spontanément accusée; il faut la rechercher par la pression, et, en pareille circonstance, on note les phénomènes suivants : a. la peau est partout anesthésiée; — b. les muscles, s'ils sont lâches, peuvent être pinces et soulevés sans douleur; — c. cette première exploration montre que le siège de la douleur n'est pas dans la peau ni dans les muscles. Il est par conséquent indispensable de pousser l'investigation plus loin, et, en pénétrant en quelque sorte dans l'abdomen, à l'aide des doigts, on arrive sur le véritable foyer de la douleur.
)) Cette manœuvre permet de s'assurer que le siège de la douleur en question est à peu près fixe, qu'il est toujours à peu près le même : aussi n'est-il pas rare de voir les malades le désigner avec une concordance parfaite. Sur une ligne horizontale passant par les épines iliaques antérieures et supérieures, faites tomber les li-
gnes perpendiculaires qui limitent latéralement l'épigastre, et à l'intersection des lignes verticales avec l'horizontale se trouve le foyer douloureux qu'accusent les malades et que la pression exercée à l'aide du doigt met d'ailleurs en évidence.
» L'exploration profonde de cette région fait reconnaître aisé-ment la portion du détroit supérieur qui décrit une courbe à con-cavité interne : c'est là un point de repère. Vers la partie moyenne de cette crête rigide, la main rencontre le plus souvent un corps ovoïde, allongé transversalement et qui, pressé contre la paroi os-seuse, glisse sous les doigts. Lorsque ce corps est tuméfié, ainsi que cela se présente fréquemment, il peut offrir le volume apparent d'une olive, d'un petit œuf. Mais, avec un peu d'habitude, sa pré-sence peut être facilement constatée, alors même qu'il reste bien au-dessous de ces dimensions.
)) C'est à ce moment de l'exploration que l'on provoque surtout la douleur, et qu'elle se révèle avec des caractères pour ainsi dire spécifiques. Il ne s'agit pas là d'une douleur banale, car c'est une sensation complexe qui s'accompagne de tout ou partie des phéno-mènes de Y aura hysterica, tels qu'ils se produisent d'eux-mêmes à l'approche des crises, et cette sensation provoquée, les malades la reconnaissent pour l'avoir ressentie cent fois.
» En somme, messieurs, nous venons de circonscrire le foyer ini-tial de l'aura, et du même coup, nous avons provoqué des irradia-tions douloureuses vers l'épigastre (premier nœud de l'aura, dans le langage de M. Piorry), compliquées parfois de nausées et de vo-missements ; puis, si la pression est continuée, surviennent bientôt des palpitations de cœur avec fréquence extrême du pouls, et enfin se développe au cou la sensation du globe hystérique (deuxième nœud).
» En ce point s'arrête dans les auteurs la description des irra-diations ascendantes qui constituent l'aura hystérique. Mais, d'a-près ce que j'ai observé, l'énumération ainsi limitée serait in-complète, car une analyse attentive permet de reconnaître, le plus souvent, certains troubles céphaliques qui ne sont évidemment que la continuation de la même série de phénomènes. Tels sont,
s'il s'agit par exemple de la compression de l'ovaire gauche, des sifflements intenses qui occupent l'oreille gauche et que les ma-lades comparent au bruit strident que produit le sifflet d'un che-min de fer; une sensation de coups de marteau frappés sur la région temporale gauche; puis, en dernier lieu, une obnubiîation de la vue marquée surtout dans l'œil gauche.
» Les mêmes phénomènes se montreraient sur les parties cor-respondantes du côté droit, dans le cas où l'exploration porterait, au contraire, sur l'ovaire droit.
» L'analyse ne peut être poussée plus loin : car, lorsque les choses en sont à ce point, la conscience s'affecte profondément, et dans leur trouble, les malades n'ont plus la faculté de décrire ce qu'elles éprouvent. L'attaque convulsive éclate d'ailleurs bientôt, pour peu qu'on insiste d. »
Aux approches de l'attaque la douleur ovarienne s'exaspère et toute la suite des phénomènes douloureux de Y aura hysterica se produit spontanément. Ils reviennent sous forme de petits accès, d'abord éloignés, et qui se rapprochent à mesure que l'attaque devient plus imminente.
Pour en donner un exemple, je rapporterai ce qui se passe chez une de nos malades dont il a été déjà question, L. Gl...
Gl... est tourmentée par les signes prùdromiques de l'attaque pendant environ cinq jours.
Et d'abord c'est un état psychique spécial accompagné d'hal-lucinations des divers sens. Les douleurs n'apparaissent que deux ou trois jours avant l'attaque et se montrent sous forme de petits accès d'autant plus rapprochés que l'attaque est plus imminente. Puis l'ovarie droite augmente d'intensité, la douleur descend dans la jambe droite et jusqu'au bout du pied droit, en même temps qu'elle monte au creux épigastrique et que de violentes pal-pitations soulèvent la poitrine. A la gorge ce n'est plus une dou-leur, c'est une sensation de suffocation; la malade sent à la bas( du cou comme une petite pomme d'api qui l'étouffé (boult
1. Leçons sur les maladies du système nerveux.
hystérique). Ensuite les sifflements d'oreille, qui peuvent exis-ter dès le début, redoublent surtout du côté droit ; elle éprouve la sensation de coups de marteau dans la tempe droite et en même temps celle dépression sur l'œil droit; alors sa vue se trouble, elle chancelle... Mais bientôt tout rentre dans l'ordre après avoir duré une à deux minutes au plus.
Elle a comme la sensation d'un vent qui la renverse et la fait tomber en arrière. Elle éprouve comme le choc d'une chute. Cet ensemble de phénomènes se produit surtout lorsque Gl... est debout ou au moment où elle se lève, et se répète environ une quinzaine de fois par jour.
Ces accidents sont absolument comparables à ceux qui forment le début de l'attaque ; c'est en quelque sorte une attaque incom-plète qui s'en tient aux préludes et s'arrête à peine commencée.
Lorsque l'attaque doit suivre, en même temps que les signes de l'aura se produisent, Gl... sent sa langue s'immobiliser et se contour-ner la pointe en haut contre le palais. Elle ne peut plus parler, mais elle entend; un brouillard descend devant ses yeux, et en même temps que son intelligence s'obscurcit, elle sent sa tête qui se tourne adroite et ses mains qui se crispent douloureusement. Au même moment la douleur au ventre, au creux épigastrique et à la tête at-teint son summum. La suffocation est extrême, et bientôt la con-science se perd. La première période de l'attaque ou période épilep-
oïde est commencée.
En outre des phénomènes douloureux qui font partie du cor-tège de l'aura, il peut survenir à différents points du corps des louleurs fixes et intenses, principalement à la têfe, au sommet ou i la nuque. Ces douleurs sont parfois d'une violence qui paraît lépasser toute imagination et les malades n'ont pas d'expressions assez fortes pour les exprimer. Ler..., dont les attaques sont si violentes, présente parmi les prodromes de son attaque une exa-gération de tous les symptômes douloureux.
5 février 4878. — Ler.. est depuis quelques jours sous le coup de ses at-taques qui, suivant sou dire, ne peuvent tarder. Elle souffre de la tête, du
ventre et des reins. Elle laisse échapper ses urines, a perdu l'appétit, ne peut dormir et se sent en proie à une agitation qui ne lui laisse aucun repos. Il lui semble qu'elle manque d'air. Elle est prise d'éblouissements, de suf-focations et de vertiges.
Hier les douleurs de tête ont augmenté de violence et l'agitation a été en-core plus vive. Elle avait devant les yeux « comme des papillons de toutes les couleurs. » Après s'être couchée de bonne heure, elle fut prise sur les dix heures du soir de battements de cœur violents, de frissons intenses avec cla-quements de dents et sensation de froid, puis d'étouffements, avec sensa-tion de boule hystérique et suffocation. Des inhalations d'éther ne la calment qu'imparfaitement.
Ce matin les douleurs de tête sont encore plus violentes. « C'est comme du feu, dit-elle, j'ai la cervelle en ébullition. » Il lui est impossible de demeurer la tête sur l'oreiller. « On dirait que j'ai la tête sur des charbons ardents. Je ne puis me coucher sur le ventre, j'étouffe sur le côté; j'ai des battements de cœur à tout rompre. » Elle a des sifflements d'oreille, elle entend le « bour-don » et les « cloches qui sonnent à toute volée ».
L'anesthésie cutanée est complète à droite, la main droite peut à peine serrer. Du côté gauche la sensibilité existe à un faible degré ; la main gauche, tout en ayant plus de force que la droite, ne serre que faiblement.
L'amyosthénie est très accusée dans tout le côté droit. Elle traîne presque la jambe droite qui fléchit souvent sous son poids. Et cependant elle éprouve un besoin incessant de remuer. « Quand je m'arrête, j'ai des milliers de fourmis dans la plante des pieds, dans les jambes. Il faut que je marche. »
Elle éprouve des secousses dans les bras, dans le ventre et clans les jambes, surtout dans la jambe droite. Les secousses sont plus fortes la nuit.
Elle se réveille en sursaut, se figurant tomber à bas de son lit; ce qui ar-rive effectivement quelquefois.
Les secousses surviennent principalement au moment où elle s'endort. Quand elle est éveillée, elles sont bien moins fréquentes.
Dans la journée Ler... avait ses grandes attaques.
ZONES HïSTÉROGÈNES
Nous avons vu que l'attaque pouvait être provoquée par la pression sur l'ovaire douloureux. C'est là le point de départ de Y aura hysterica, et il suffit de le toucher même légèrement pour faire naître toute la succession des phénomènes douloureux qui constituent cet aura et qui, si l'excitation est un peu soutenue, peuvent ne pas s'arrêter en chemin et conduire aux grandes atta-
gues. Nous verrons plus loin comment une compression plus énergique de la même région peut, par une action tout opposée,, arrêter les convulsions qu'elle a servi à provoquer.
L'étude de ce curieux phénomène a conduit bientôt à recon-naître que la région ovarienne n'est pas le seul point douloureux dont l'excitation ait une influence marquée sur le développement ou l'arrêt des convulsions.
Tout le monde connaît les recherches si intéressantes de M. Brown-Séquard sur l'épilepsie expérimentale. Ce physiologiste a montré que les lésions de la moelle épinière, du bulbe rachidien, que celles des nerfs et en particulier du nerf sciatique, déter-minent, chez les cochons d'Inde et même chez les autres animaux, chez le lapin, le chat et le chien, la production d'une affection dont les manifestations qui se rapprochent beaucoup de celles de l'épi-lepsie se montrent un certain nombre de jours après le trauma-tisme expérimental.
Les animaux ainsi rendus épileptiques sont pris de temps en temps d'attaques spontanées ; mais ce qui est plus particulière-ment intéressant, c'est qu'il est possible de provoquer ces attaques en excitant une certaine région de la peau que M. Brown-Séquard désigne sous le nom de zone épileptogène. Cette zone, située du même côté du corps que la lésion nerveuse, siège vers l'angle de la mâchoire inférieure et s'étend de là vers l'œil et vers la région latérale du cou. La peau de cette région est un peu moins sen-sible que celle du côté opposé, et il suffit de l'attouchement le plus léger pour provoquer les convulsions épileptiques. La simple action de souffler amène le même résultat.
Il se produit quelque chose d'analogue chez les hystéro-épilep-tiques et le fait a déjà été signalé par les auteurs. Ainsi Willing et Turk ont constaté qu'une pression exercée sur les apophyses épi-neuses pouvait provoquer des convulsions et même des attaques. Dans d'autres cas, c'est une pression profonde sur l'ovaire ou la rég'on épigastrique (Charcot, Schùtzemberger) qui détermine des accidents hystériques analogues. J'ai vu deux malades, dit Kosenthal, chez lesquelles l'introduction du spéculum était bien
richer. Hystéro-épilepsie. 3
supportée, mais chaque lois qu'on touchait par hasard ou volon-tairement le col de l'utérus, il survenait une attaque.
Dans sa thèse sur le Sommeil magnétique clans Vhystérie (Stras-bourg, 1868), Baillif rapporte que chez un sujet, il produisait une attaque par une légère friction au-dessus de l'appendice xiphoïde, et que chez une autre par la même friction, il la faisait revenir à elle, puis elle retombait. « Chez certaines hystériques, ajoute-t-il, on trouve nombre de points assez sensibles pour que, par des fric-tions assez vives, ils deviennent le point de déparf de douleurs ré-flexes pouvant occasionner l'attaque. »
Sans chercher par quel mécanisme l'excitation périphérique de certains territoires nerveux donne naissance aux convulsions, je me bornerai à constater l'existence chez les hystéro-épileptiques de zones absolument comparables aux zones épileptogènes du cochon d'Inde et que je désignerai sous le nom de zones hystéro-épileptogènes, ou plus simplement de zones hystérogènes.
Gen... possède entre les deux cirioplates une zone hyperesthé-siée dont le simple attouchement suffit pour provoquer une at-taque, et cela d'autant plus facilement qu'elle se trouve plus près d'une attaque spontanée. Après les grandes attaques il semble que l'excitabilité soit épuisée, et la pression de la zone indiquée n'a-mène plus aucun phénomène convulsif.
Alph. B... présente la même particularité. Elle raconte qu'au moment où on lui touche l'épine dorsale entre les deux épaules, elle ressent une violente douleur dans le ventre, puis une suffoca-tion qui amène de suite la perte de connaissance. Il semble que dans cette circonstance les différents points douloureux de l'aura hystérique, au lieu de se développer successivement et dans l'ordre connu, comme il arrive lorsque l'accès est spontané, sur-viennent tous à la fois et avec une grande intensité.
Gl... possède une zone hystérogène différente. La zone est double, il faut toucher à la fois deux points symétriques situés en dehors et un peu au-dessous du sein, pour provoquer les con-vulsions hystéro-épileptiques, l'attouchement d'un seul point ne produit aucun résultat.
Au contraire, chez Suzanne N..., une zone hystérogène existe
t'ir,. 9- — Principales zones hystérogènos Face antérieure du corps. 1, 1'. Zones sus-mammaires.
2. Zone mammaire. 3, 3'. Zones sous-axillaires. i, 4', 5. Zones sous-mammaires.
6, 6'. Zones costales.
7, 7'. Zones iliaques.
8, 8'. Zones ovariennes.
vers la même région, mais d'un seul côté. Il suffit de toucher un
point situé du côté gauche au-dessous dusein, pour provoquer les
Fig. 10. — Principales zones hystérogènes. Face postérieure.
1. Zone dorsale supérieure.
2. Zone dorsale inférieure.
3. Zone latérale postérieure de Suz. N...
convulsions. L'excitation du point symétrique au côté droit de-meure inefficace (fig. 9, n° 5). N... possède à la partie postérieure du tronc un autre point hystérogène qui, contrairement à ce qui se passe le plus souvent pour les zones hystérogènes postérieures,
n'est pas situé sur la ligne médiane. Il se trouve sur les limites de la région lombaire et de la région dorsale, du côté gauche, à un travers de doigt de la ligne médiane et à trois travers de doigt environ au-dessous de l'angle inférieur de l'omoplate (fig. 10, n° 3).
Witt... ressemble sous ce rapport à Gl... Sa zone hystérogène est double et existe de chaque côté, en deux points symétriques situés un peu en dehors des seins, presque sous les aisselles (fig. 9, n° 3, 3').
Chez Marc..., la zone hystérogène est également double, elle siège un peu plus bas au niveau du rebord des fausses côtes, (fig. 9, n° 6 et 6') et aussi au niveau des épines iliaques anté-rieures (fig. 9, n° 7 et 7').
Juliette Dub... possède, sans compter l'hyperesthésie ovarienne, trois zones hyperesthésiques capables, par leur excitation, de donner naissance aux attaques. L'une est située en arrière, sur la ligne médiane. Semblable à celles de Gen... et Bar..., elle siège le long de la colonne vertébrale, entre les deux épaules (fig. 10, n° 1). Les deux autres sont antérieures et sont placées de chaque côté du sternum, au-dessus des seins (fig. 9, n°l, 1'). L'excitation d'un seul de ces points suffit pour déterminer les convulsions. Portée sur le milieu du sternum, l'excitation demeure sans effet.
Ernestine Pil... possède une zone hystérogène sur la partie anté-rieure delà poitrine et du côté gauche seulement. Elle est située sur le sein, à deux centimètres environ au-dessus du mamelon, (fig.9,n°2).
Léonore Rob..., comme Dub..., possède une zone antérieure et une zone postérieure. Antérieurement la zone est double, placée presque immédiatement au-dessous du sein (fig 9, n° 4 et 4'). La zone à gauche est beaucoup plus sensible qu'à droite. Un simple attouchement suffit à gauche,;tandis qu'à droite il faut insister da-vantage. Postérieurement la zone est unique, située sur la ligne médiane, mais beaucoup plus bas que Gen..., Bar... et Dub... ; elle occupe la partie inférieure de la région dorsale, près de la limite de la région lombaire (fig. 10, n° 2).
Enfin je rappellerai qu'il est une zone d'hyperesthésie com-
mune à toutes nos malades et dont il a été déjà question. Je veux parler de l'ovarie ou hyperesthésie ovarienne qui ne diffère en rien d'essentiel des zones hystérogènes que je viens d'indiquer (fig. 9, n°8 et 8'). L'assimilation toutefois ne saurait être complète. La douleur ovarienne a pour siège un viscère profondément situé dans le petit bassin, tandis que les autres zones hystéro-gènes sont plus ou moins superficielles. Si l'hyperesthésie n'affecte pas la peau elle-même, elle parait intéresser les ramifications nerveuses sous-cutanées. Déplus, dans la variété d'hystérie dont il s'agit ici, l'ovarie ne manque presque jamais. Nous l'avons constatée chez toutes nos malades, et lorsqu'on même temps que l'hyperesthésie ovarienne existent d'autres points hystérogènes, l'excitation de la région ovarienne est toujours beaucoup plus efficace. En un mot, l'action de la compression ovarienne est tou-jours plus prompte et plus complète.
Il résulte de ce qui précède que les zones hystérogènes ont une situation des plus variables. Elles occupent divers points des té-guments ou les parties profondes. Mais si elles varient d'une ma-lade à l'autre, elles persistent toujours aux mêmes places chez une même malade.
La simple inspection des figures 9 et 10 permet de constater, d'après les faits que nous avons eu l'occasion d'observer, que le^ zones hystérogènes occupent le tronc exclusivement' qu'elles sont plus fréquentes en avant qu'en arrière ; qu'en avant elles occupent les parties latérales et sont le plus souvent doubles et symétriques; qu'en arrière elles sont le plus souvent uniques et médianes; qu'enfin elles existent plus fréquemment à gauche qu'à droite, et que les zones unilatérales que nous avons rencontrées ont toujours été situées à gauche.
Les zones hystérogènes n'affectent avec î'hémianesthésie aucun rapport constant. Nous savons, il est vrai, que le plus souvent l'ovarie siège du côté hémianesthésique. On peut citer cependant plusieurs cas dans lesquels l'ovarie existait du côté opposé à I'hémianesthésie.
Très souvent la zone hystérogène existe sur la ligne médiane,
comme c'est le cas chez Bar..., qui est hémianesthésique droite, et chez G..., qui est anesthésique totale. Elle est double et existant de chaque côté en deux points symétriques chez61..., qui est hé-mianesthésique droite, et chez Witt...,quiest anesthésique totale. Enfin elle est unique et latérale à gauche chez S. Nan..., qui est anesthésique des deux côtés.
Dub... est anesthésique à gauche et possède une zone hystéro-gène double sur la partie antérieure de la poitrine, de chaque côté du sternum. Le point hystérogène situé du même côté que l'anesthésie est également insensible à la piqûre. Par contre Ernestine X..., qui est hémianesthésique gauche, n'a qu'un seul point hystérogène antérieur situé du même côté que l'anesthésie, près du bord gauche du sternum, et sur ce point seulement la sensibilité à la piqûre persiste.
Les zones hystérogènes ne sont pas en tout temps également excitables. Elles le sont d'autant plus que l'attaque convulsive est plus imminente. Il semble que la malade qui est sur le point d'avoir les attaques, soit comparable à un vase trop plein que le moindre choc va faire déborder, ou mieux à une bouteille de Leyde dont le moindre contact va occasionner la décharge. En effet, lorsque les convulsions ont eu lieu et que la malade, si l'on veut bien me permettre cette expression, se trouve en quelque sorte déchargée, les zones hystérogènes s'amoindrissent ou même dis-paraissent complètement. En dehors de cette influence bien connue des attaques convulsives sur l'excitabilité des zones hysté-rogènes, on peut voir cette excitabilité s'atténuer ou même dispa-raître, momentanément toutefois, dans des circonstances encore mal définies — une émotion vive par exemple, — et dontle mode d'action nous échappe complètement.
L'action des zones hystérogènes ne se borne pas à provoquer les attaques. Ce qu'elles ont fait, elles peuvent le défaire. Elles sont comme des armes à la fois offensives et défensives servant à parer les coups ou à en porter. Une première excitation occasionne les convulsions, une seconde amène l'arrêt immédiat de ces mômes convulsions. Ce fait est déjà connu depuis longtemps pour ce qui
est de la pression ovarienne. Aux auteurs qui ont prétendu que la compression ovarienne arrêtait les attaques convulsives, on a voulu opposer ceux qui par le même procédé affirmaient leur donner naissance. Mais la vérité existe des deux côtés, et loin de s'exclure ces deux opinions se concilient ainsi : quand les con-vulsions n'existent pas, la compression ovarienne les fait naître; quand elles existent, la même manœuvre les fait cesser. Nous avons dit que la pression ovarienne légère déterminait l'apparition des phénomènes de l'aura, et qu'en insistant un peu, l'attaque con-vulsive ne tardait pas à suivre. A peine les convulsions ont-elles dé-buté, qu'une pression un peu plus forte les arrête instantanément.
Quelle que soit la raison de cette double action opposée d'une même cause, le fait est là qui s'impose. Il est indéniable.
Ce qui est vrai pour la compression ovarienne l'est également pour l'excitation de toutes les zones hystérogènes que nous avons signalées. L'expérience a été répétée maintes fois*chez nos malades et a toujours donné les mêmes résultats. Ainsi un léger attouche-ment dans le dos de Bar... amène aussitôt les convulsions, qui à peine commencées peuvent être aussitôt enrayées par une nouvelle excitation du même point. La même chose existe chez toutes les malades dont nous avons parlé.
J'ajouterai qu'en général l'excitation qui arrête la convulsion doit être plus forte que celle qui la détermine. Un frottement même léger réussit dans le premier cas; dans le second il faut donner la préférence à la pression.
Quand la malade possède plusieurs zones hystérogènes, l'attaque occasionnée par l'excitation de l'une peut être arrêtée par l'excita-tion portée sur une autre. Par exemple chez Dub..., l'attaque donnée par le frottement sur les apophyses épineuses est arrêtée par la pression sur les côtés du sternum et réciproquement. Chez Bar..., l'attaque donnée par le frottement sur les apophyses épi-neuses est arrêtée par la pression ovarienne et réciproquement-L'expérience peut être ainsi variée chez chacune de nos malades suivant la situation et le nombre de leurs zones hystérogènes, et le résultat obtenu ne saurait changer.
CHAPITRE II
PREMIÈRE PÉRIODE. — PÉRIODE ÉPILEPTOÏDE
Une attaque complète d'épilepsie vraie se compose d'une suc-cession de phénomènes qu'on peut diviser en trois phases, se reproduisant toujours dans le même ordre.
1° Tétanisation brusque des muscles de tout le corps, en même temps que spasmes viscéraux et perte de connaissance;
2° Convulsion clonique des muscles tétanisés ;
3° Résolution générale et stertor.
Nous retrouvons dans la période épileptoïde de l'attaque hys-téro-épileptique le même cortège de symptômes, au point qu'un observateur non prévenu pourrait prendre pour de l'épilepsie vraie ce ™ui n'en a, en définitive, que les apparences. Deux faits entre autres prouvent péremptoirement que l'épilepsie n'est laque dans le dehors et non dans le fond des choses : 1° la compression ovarienne arrête brusquement l'attaque à quelque moment de la période épileptoïde qu'on la pratique; 2° les interversions de cou-rants électriques produisent le même effet. Or jamais aucun de ces moyens n'a pu non seulement enrayer, mais même atténuer les convulsions de l'épilepsie vraie.
Afin de préciser autant que possible les caractères de cette pé-riode épileptoïde, j'ai entrepris avec mon collègue et ami M. Re-gnard, d'appliquer A son étude les procédés graphiques de M. le Dr Marey. Nos recherches ont fait l'objet d'une présentation à la Société de biologie le 43 juillet 1878 et sont consignées tout au long dans un mémoire qui a paru dans le numéro de septembre 1878 de la Revue mensuelle de médecine et de chirurgie. C'est à
PÉRIODE ÉPILEPTOÏDE DE L'ATTAQUE HYSTÉRO-ÉPILEPTIQUE. (Tracé schématique.)
1° Phase tonique. 2° Phase cîonique. 3° Phase de résolution.
Fig, il. — N°l. Grands mouvements N° 2. Tctanismc ou immobilité iNo 3. Convulsions cloniques ; N°Î4. Sommeil
convulsions toniques. tonique, secousses. slertoreux-
lè2EPÉRI0DE_PÉRIODE ÉPILEPTOÏDE
Phase d'immobilité Tonique ou Tétanisme
A.Delahaye et IMecrosnier.
étude des convulsions externes que nous nous sommes particuliè-rement attachés. Nous avons fait usage de l'appareil myographique lu Dr Marey. Le tambour explorateur a été appliqué le plus sou-vent sur la masse musculaire antérieure de l'avant-bras.
Notre appareil a enregistré les modifications survenues dans la contraction musculaire pendant les mouvements convulsifs du bras. Et comme les convulsions lorsqu'elles sont générales, comme c'est le cas ici, revêtent par tout le corps le même caractère, à part toutefois la question de prédominance, il se trouve que nos tracés représentent assez fidèlement la physionomie de l'attaque épileptoïde dans son ensemble, et que ses différentes phases y sont inscrites par des courbes variées.
Ce procédé graphique est venu confirmer ce que la simple observation avait déjà donné, et nous divisons en trois phases la période épileptoïde de l'attaque hystéro-épileptique :
1° Phase tonique;
2° Phase clonique ;
3° Phase de résolution.
§ 1. — MODE DE DEBUT
Lorsque l'attaque d'hystéro-épilepsie survient spontanément,
Fig. 12. — Secousses généralisées.
comme par les seuls progrès de la marée hystérique, dont le flot
monte par degrés, la période épileptoïde est précédée de quelques phénomènes convulsifs variés, sans parler ici des phénomènes dou loureux de Y aura hystérique dont il a été question.
Ces troubles moteurs ne se produisent que peu d'instants avant la phase tonique, qu'ils préparent pour ainsi dire. Tantôt c sont des secousses générales qui soulèvent tout le corps ou hier affectent plus particulièrement un côté du corps, ou bien se locali-sent aux membres supérieurs. Ces secousses, d'abord éloignées, se rapprochent de plus en plus \ Elles sont très nettement indiquées sur les tracés de la figure 34 par les grandes oscillations qui précè-dent l'ascension de la phase tonique. C'est tantôt un mouvement précipité des paupières supérieures, tantôt une ondulation rapide du ventre avec borborygmes bruyants, tantôt un tremblement général ou d'un côté du corps seulement; tantôt la respiration bruyante se précipite par degrés.
Pendant les quelques secondes que durent ces phénomènes, la malade a conscience de ce qui se passe en elle. Mais déjà elle est distraite du monde extérieur, et son intelligence s'obscurcit.
Puis surviennent à la fois les trois phénomènes qui marquent le début delà phase épileptoïde : la perte de connaissance, l'arrêt de la respiration et la tétanisation musculaire.
Quand au contraire l'attaque hystéro-épileptique n'est pas aban-donnée à elle-même, lorsqu'elle est précipitée ou même complète-ment provoquée par des influences extérieures, dans l'ordre psychique ou somatique, comme une impression morale vive, ou l'attouchement
1. Les secousses qui s'étendent à tout le corps revêtent le plus souvent la forme que la figure 12 essaye de représenter. Ce phénomène qui se produit et cesse en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, peut être ainsi analysé. — Tout d'un coup les membres supérieurs s'étendent, s'élèvent un peu et se rapprochent du tronc, l'avant-bras étant en pronation, le poignet fléchi et le poing fermé. Quel-quefois les deux poignets se rapprochent de la ligne médiane, au point de venir se heurter par leur face dorsale. La tête se raidit, s'enfonce entre les deux épaules, droite ou tournée de côté, les traits sont animés de convulsions rapides. La partie supérieure du tronc se soulève et quitte l'oreiller. En même temps les jambes s'étendent, les pieds étant en extension forcée, et s'élèvent un peu au-dessus du lit, de telle sorte que pendant un inslant, très court il est vrai, la malade ne re-pose plus que par le siège. La secousse peut être unique, ou composée de plu-sieurs soubresauts qui se succèdent rapidement. Puis en un clin d'oeil toute agita-tion cesse, et la malade retombe sur son lit dans la résolution la plus complète.
des zones hystérogènes, le début de la période épileptoïde peut être tellement brusque que la malade tombe comme foudroyée, et la perte de connaissance est si rapide, qu'au sortir de l'accès, le sou-venir de la cause qui Ta provoqué n'existe pas f.
Le début d'une attaque provoquée est tellement subit que si la cause occasionnelle surprend la malade pendant son sommeil, celle-ci n'a pas le temps de reprendre ses sens. C'est ce qu'il est facile de constater et ce qui arrive toutes les fois que, chez une malade endormie, on vient à toucher les points hystérogènes. L'attaque se développe instantanément, et lorsque, par la compres-sion ovarienne ou par une nouvelle excitation du point hystérogène, on fait cesser les convulsions en même temps que l'on ramène la connaissance, la malade n'a aucune conscience de ce qui s'est passé.
Le 28 juin 1870, Suzanne N..., hystéro-épileptique, tombe en attaque aux premiers coups de tonnerre d'un violent orage qui se déclare à six heures du matin. L'attaque l'a surprise au milieu de son sommeil, et lorsqu'on la ré-veille par la compression ovarienne, elle est fort étonnée de l'état dans lequel elle se trouve et ne se souvient de rien, ni de l'orage, ni des coups de ton-nerre, ni du début des convulsions. Deux de ses compagnes, également hystéro-épileptiques, couchées dans la même salle, tombaient en attaque en même temps qu'elle et sous la même influence.
Perte de connaissance. — « Dans la majorité des cas, dit Briquet, au sujet des attaques d'hystérie vulgaire, la perte de con-naissance succède très promptement à la strangulation; elle a lieu subitement et à partir de ce moment les malades ne voient plus, n'entendent plus et ne sentent plus rien; les excitations, la brûlure, les piqûres ne sont en aucune manière senties, et quand après l'accès les malades sont revenues à elles-mêmes, elles n'ont aucun souvenir de ce qui s'est passé... » Ceci est absolument vrai
1. Dans son intéressante observation d'hystérie avec catalepsie et somnambu-lisme, publiée au numéro de février 1860 des Archives générales de médecine, le Dr Mesnet raconte qu'un jour on présenta à la malade une. lettre : aussitôt vio-lentes attaques d'hystérie avec catalepsie ; trois fois on lui présente la lettre, trois fois elle est reprise de convulsions, et, au sortir de chaque accès, elle n'a nulle-ment conscience de ce qui vient de se passer, elle a oublié la lettre qu'on lui a présentée.
et a lieu dans la totalité des cas, en ce qui concerne la période épi-leptoïde del'attaque hystéro-épileptique.—La perte de connaissance est complète pendant toute la durée de cette première période de l'attaque, et nous avons entre les mains un moyen sûr et facile de s'en rendre un compte exact. La compression ovarienne permet de faire cesser tout d'un coup les convulsions, à quelque moment de l'attaque qu'on la pratique, et de rendre en même temps à la ma-lade toute sa connaissance. Si donc on vient à l'exercer pendant les autres périodes de l'attaque, la malade qui reprend ses sens, raconte parfaitement le sujet des hallucinations qui président à ces diverses périodes, comme nous le verrons plus loin; mais pendant la pé-riode épileptoïde, sa réponse est invariable : elle ne sait rien, elle n'a rien vu, elle ne se souvient de rien.
Le cri de l'épileptique qui tombe n'existe pas ici. Contrairement à ce qu'a dit Briquet, M. Charcot professe que l'hystérique en tom-bant ne crie pas. Le spasme respiratoire qui survient brusquement est la cause quelquefois d'un son laryngien plus ou moins rauque ou étouffé. On peut entendre aussi quelque bruit pharyngien oc-casionné par une vibration du voile du palais, ou des mouvements de déglutition bruyants.
Gl..., qui à ce moment ouvre parfois la bouche démesurément, pousse quelques « Ah! ah! » gutturaux. Mais aue:un de ces bruits différents ne saurait être qualifié de cri.
Ce n'est pas à dire que le cri n'existe pas dans l'attaque hystéro-épileptique, mais il ne se produit pas au début. Il fait partie de la deuxième période et est le plus souvent aigu et prolongé, toute-fois il peut revêtir les caractères les plus variés. Nous le décrirons en temps et lieu.
§ 2. — PHASE TONIQUE
La tétanisation musculaire n'arrive pas d'emblée à son maxi-mum. Elle débute d'une façon brusque ou s'accuse par degrés, comme le montre la ligne de début de nos tracés. Mais avant d'ar-river à Y immobilité tétanique, la malade exécute avec les m cm-
bres quelques grands mouvements; ce qui nous conduit, pour plus de clarté, à subdiviser la phase tonique en deux parties :
a. Phase tonique avec mouvements à grand rayon ou convul-sions toniques (fig. 16).
b. Phase tonique avec immobilité tétanique ou tétanisme(pl. II, p. 41).
a. — Phase tonique avec mouvements.
Les mouvements alors exécutés par la malade ont une grande analogie avec ceux qui se rencontrent dans l'épilepsie partielle désignée sous le nom d'épilepsie partielle toniquel.
Ils ont pour caractères d'être d'une certaine lenteur, puisqu'ils sont exécutés par des parties du corps dont tous les muscles sont déjà contractés à un assez haut degré; de plus, ils sont étendus, ils produisent un déplacement du membre dans sa totalité; le plus souvent, ce sont des mouvements de circumduction. Ces deux qualités les distinguent des mouvements de la phase clonique, qui sont précipités et provoquent dans les membres de courtes oscil-lations.
Cette partie de la phase tonique se trouve représentée sur nos tracés (fig. 11,30, 31, 32, 33 et 34) par une ligne dont la courbe générale s'élève au-dessus du niveau de la résolution musculaire pour se rapprocher de p]us en plus du plateau de la tétanisation. De plus, cette ligne est ondulée, et cette ondulation répond aux grands mouvements de flexion, d'extension ou de rotation du membre, pendant lesquels les muscles sur lesquels se trouve appliqué le tambour explorateur sont alternativement dans un état de contraction et de relâchement relatif.
Enfin, on peut remarquer une petite dentelure fine et assez irré-gulière de toute la ligne qui correspond à une légère trépidation de tout le membre., et qui semble être la marque d'une tétanisation incomplète.
Ces convulsions toniques ont une physionomie particulière sui-1. Bourneville et Regnard, Iconog. phot., tome li, p. 63.
vaut les malades. Elles sont générales, mais le plus souvent avec une prédominance marquée d'un côté.
La tête se raidit, se renverse lentement en arrière, faisant saillir le cou qui se gonfle, ou bien subit un mouvement de rota-tion, tournant habituellement la face du côté du corps où pré-dominent les convulsions, ou bien demeure rectiligne, un peu penchée en avant et s'enfonçant entre les deux épaules qui s'élè-vent. La face, excessivement pâle tout d'abord, ne tarde pas à se
congestionner. Le front se ride, les yeux convulsés cachent habi-tuellement leur pupille sous la paupière supérieure, ou roulent dans l'orbite. La pupille est dilatée, quelquefois au contraire elle semble resserrée. L'immobilité n'existe pas plus là que sur le reste du corps. La bouche s'ouvre démesurément, la langue sort quel-quefois et se meut d'une commissure à l'autre (fig. 13, 14); ou bien les mâchoires sont fortement serrées, et, par un mouvement de diduction du maxillaire inférieur, la malade fait entendre un grincement de dents souvent très intense. Le nez se plisse diffé-remment. Enfin toute la figure est grimaçante. Cette distorsion de la physionomie se produit avec une lenteur relative, et par-là
même se distingue facilement de l'agitation convulsive et par-tielle des traits qui inarque la phase clonique.
La respiration s'arrête brusquement comme dans le phénomène de l'effort. Mais nos tracés montrent qu'elle n'est pas dans les premiers instants complètement suspendue. 11 se fait de temps à autre de rapides mais profondes inspirations. Le soulèvement de Vabdomen se produit en même temps que i'ampliation thoracique et aussi brusquement. Et pendant cette phase tonique les deux tracés du pneumographe, tracé du thorax et tracé de l'abdomen, marquent de grandes oscillations isochrones et à peu près iden-tiques, tandis que, comme nous le verrons plus loin, dans la phase clonique l'antagonisme règne entre les mouvements du thorax et ceux de l'abdomen. (Fig. 15, nos 1 et 2.)
Le gonflement du cou qui accompagne constamment la convul-
Fig 14. Phase tonique. Saillie de la langue.
sion épileptoïde de l'hystérie est un phénomène important à signa-ler, car il ne se rencontre pas au même degré dans l'épilepsie vraie, ous avons pu, M. Régnard et moi, en appliquant au tour du cou un des tambours du pneumographe, obtenir plusieurs tracés dont la courbe permet d'étudier plus sûrement les modifications de volume
richer. . 4
Fie 15. — N°» 1, 2. Tracés pNEUMOGRAPHIQUES pris sur Gl,....— JN° 1. Tliorax. —N° 2. Abdomen. Respiration normale au début. Puis phase tunique. C. Commencement de la phase clonique.l- N° 3. Tracé des changements de volume du cou.— T. Phase tonique. C. Commencement de la phase toniaue
qu'il subit. On y voit (fig. 15, n° 3) que le gonflement du cou débute brusquement. La ligne du graphique descend presque verti-calement et le plateau tend à s'établir, mais il est bientôt inter-rompu par de soudaines ascensions. Ces ascensions de courte durée correspondent aux quelques inspirations rapides indiquées sur le tracé pneumographique.
Les membres exécutent dès le début de la phase tonique quelques grands mouvements qui varient suivant les malades, mais qui chez le même sujet se répètent toujours à peu près de la même façon. Ce sont bien là les véritables convulsions toniques. Le plus souvent les bras exécutent de grands mouvements de circumduc-tion qui peuvent se décomposer ainsi : (fig. 16) d'abord, mouve-
Fig. 16. Représentation schématique des grands mouvements toniques.
ment de pronation avec flexion du poignet, le pouce, contre la paume de la main, est recouvert plus ou moins par les doigts forte-ment fléchis; puis les bras s'élèvent, le coude se fléchit ensuite, ramenant la main au niveau de la figure, et le membre tout en-tier reprend sa position première, étendu le long du corps, en accusant le mouvement de pronation. Ces mouvements se répètent trois ou quatre fois de suite.
Les jambes sont en même temps animées d'un mouvement analogue, se fléchissant et s'étendant tour à tour avec lenteur. La convulsion se montre quelquefois d'un seul côté, et un seul bras exécute le grand mouvement dont il vient d'être question.
Le tronc, pendant que les membres s'agitent, ne demeure pas immobile, il se tourne de côté, se fléchit ou s'étend.
;,. 17. Phase tonique. Mouvement de circumduction des membres supérieurs. (Grands-mouvements toniques.)
Marc... présente une grande variété dans ses mouvements to-niques.
La face grimace affreusement (fig. 13). Les bras s'élèvent alter-nativement et exécutent une espèce de moulinet par lequel les
Fig. 18. Phase tonique. Grands mouvements toniques des membres inférieurs.
mains passent successivement devant la figure. Le poignet est fléchi, et les trois premiers doigts de la main, pouce, index et médius, sont étendus et écartés, pendant que les deux derniers sont fléchis
(fig. 17). Le moulinet s'exécute parfois en plusieurs temps, et le bras demeure un moment élevé au-dessus de la tête avant de redes-cendre (fig.18). Les jambes non seulement se fléchissent, mais s'élèvent et se croisent diversement. Parfois elle se trouve ramassée en boule et fait un tour complet sur elle-même. (Fig. 19.)
Fig. 19. Phase tonique. Grands mouvements toniques. La malade se trouve ramassée en boule et fait un tour complet sur elle-même.
Si nous avons décrit aussi longuement ce commencement de la phase tonique, ce n'est pas sans quelque raison; car bien que cette partie de la phase puisse être très courte et même ne pas exister du tout, il n'en est pas moins vrai qu'elle paraît spéciale à l'hystéro-épilepsie et que son extension explique l'aspect ef-frayant que revêt une des variétés de l'attaque hystéro-épileptique que nous étudierons plus loin, je veux parler des attaques démo-niaques.
b). — Phase tonique avec immobilisation. (Pl. II, p. 41.)
Après les convulsions toniques, la malade se trouve bientôt im-mobilisée par la tétanisation musculaire portée à son comble. Ce moment est marqué sur nos tracés par une ligne droite, un pla-teau qui est le point culminant de toute la courbe.
La position de la malade ainsi immobilisée est variable, le plus souvent elle est dans l'extension complète et le décubitus dorsal
La tête est renversée en arrière, le cou gonflé au plus haut de-gré, les veines y dessinent des cordes saillantes. Il est fortement
cyanose, ainsi que la face, devenue bouffie et dont tous les traits sont contractures et immobiles. L'écume apparaît aux lèvres. Les
Fig. 20. Phase tonique. Immobilité tonique dans le décubitus latéral
bras sont étendus dans l'adduction et la rotation en dehors, le poignet fléchi, le poing fermé; parfois les deux mains, ramenées
Fig. 21. Phase tonique. Attitude tétanique se rapprochant de l'attitude passionnelle
du crucifiement.
vers le milieu du corps, se touchent par leur dos et même se croi-sent. Les membres inférieurs sont également dans l'extension, les genoux fortement appliqués l'un contre l'autre, et les pieds en
pied-bot cquin tournés en dedans ou en dehors. (Pl. II. p. 41.)
Le tronc, raidi comme une barre de fer, repose sur le dos ou sur l'un des côtés; il est fréquemment courbé en arrière comme dans l'opisthotonos.
Fig. 22. Phase tonique. Attitude tétanique.
Telle est l'attitude qui paraît la plus commune, mais elle peu varier beaucoup.
Fig, 23. Phase tonique. Attitude tétanique.
Le tronc et les membres, diversement fléchis ou étendus, peu-vent donner aux malades les positions les plus imprévues et les plus bizarres, que l'on serait tenté de confondre avec les con-
torsions de la deuxième période, dont nous parlerons plus loin, si l'on ne remarquait qu'au tétanisme musculaire s'ajoutent ici deux phénomènes épileptoïdes importants : la perte de connais-sance et le spasme de la respiration.
C'est ainsi que le corps, courbé en arrière et ne reposant plus que sur les pieds et la tête, peut simuler Y arc de cercle, et que les bras, étendus perpendiculairement au tronc, peuvent faire croire à l'attitude du crucifiement, qui est parfois une attitude passion-nelle de la troisième période. (Fig. 21.)
Enfin il semble que la grande convulsion tonique du début puisse être immobilisée à un moment quelconque de son évolu-tion. Elle demeure interrompue par la tétanisation, qui vient en quelque sorte la fixer.
Marc..., qui présente à un si haut degré les grandes convulsions toniques dont nous avons parlé, offre également et comme une conséquence naturelle les attitudes les plus variées de la tétani-sation. Les fig. 22, 23 et 24, qui Font pour sujet, en sont autant de représentations que l'on pourrait multiplier à l'infini. Mais par
Fig. 24. Phase tonique. Attitude tétanique.
contre l'immobilité tétanique ne dure que fort peu, et dans quel-que situation qu'il immobilise la malade, le tétanisme se résout bientôt et la deuxième phase, celle des mouvements cloniques, apparaît.
§ 3. — PHASE CLONIQUE.
La phase clonique commence par de rapides et brèves oscilla-tions du membre tétanisé. Elle est marquée sur nos tracés par une suite de dentelures, d'abord très fines, qui succède à la ligne droite du tétanisme. Peu à peu les dents s'accusent davantage en même temps que la courbe baisse vers la résolution. Dans son en-
Fig. 25. Phase clonique. Représentation schématique des mouvements cloniques.
semble la phase clonique est représentée par une ligne de descente. Les secousses élémentaires, dont le plateau du tétanisme repré-sente la fusion, deviennent de plus en plus accentuées. Enfin suit souvent un plus ou moins grand nombre de grandes secousses
Fig. 26. Phase clonique. Les mouvements cloniques sont limités au côté gauche.
très rapprochées les unes des autres et qui agitent le membre, alors qu'il n'existe plus trace de tétanisation. En effet ces secousses sont marquées sur le tracé par de grands crochets, la plupart di-crotes, et dont la base ou point de départ est au niveau de la ligne de la résolution musculaire.
Les mouvements cloniques sont généralisés (fig. 25). Ils affectent lout le corps, les traits de la face sont agités convulsivement, la tête est animée d'oscillations rapides aussi bien que les membres. Mais le plus souvent ils prédominent d'un côté du corps, ils peuvent même s'y montrer exclusivement. (Fig. 26.)
Ils surprennent la malade dans la position que lui a donnée la phase tonique, et à mesure que la résolution s'opère le corps s'af-faisse peu à peu et quitte par degrés l'attitude tétanique qu'il avait. En môme temps la respiration suspendue reprend péniblement. Puis elle s'effectue dans le plus grand désordre, l'inspiration est sifflante et l'expiration saccadée; il y a parfois du hoquet; des mouvements bruyants de déglutition se produisent et le ventre est agité de secousses avec borborygmes sonores.
Nos tracés pneumographiques montrent bien le désordre qui existe à ce moment dans le jeu des agents mécaniques de la respi-ration. Dans la respiration normale l'ampliation thoracique se fait en même temps que le soulèvement de l'abdomen; et il ne peut en être autrement, puisque l'augmentation de la capacité de la cage thoracique se fait par un double moyen, le développe-ment des côtes et l'abaissement du diaphragme. Or le diaphragme en s'abaissant refoule les viscères, et ceux-ci soulèvent la paroi abdominale, qui ne joue plus que le rôle d'une membrane élas-tique. Mais supposons que les muscles de la paroi abdominale se contractent brusquement, leur effort vient combattre et annihiler celui du diaphragme. C'est ce qui arrive dans la phase clonique dont il s'agit : les muscles de l'abdomen sont pris de convulsions cloniques comme celles de tout le corps, et il en résulte, entre les mouvements du thorax et ceux de l'abdomen, l'antagonisme nettement indiqué sur nos tracés (fig. 15) où l'on remarque :
1° D'abord un petit tremblement fin de toute la ligne, qui n'existe qu'au commencement de la phase clonique et coïncide avec les courtes et rapides oscillations de tout le corps.
2° Les crochets sont en nombre égal aux deux tracés, ce qui montre la relation constante qui existe entre les mouvements du thorax et ceux de l'abdomen.
3° Ils sont très rapprochés, en moyenne deux à trois par *se-conde. Rapidité des mouvements respiratoires.
4° Ils sont irréguliers en hauteur, les petits s'entremèlant avec les grands. Inégalité des mouvements respiratoires.
5° Les crochets des deux traces sont souvent opposés par leur pointe. Antagonisme du thorax et de l'abdomen.
Le gonflement du cou subit les mômes variations : il diminue de volume à chaque inspiration, et les mouvements cloniques se trouvent aussi représentés par le tracé qu'il a fourni. Dans l'inspiration les dépressions sus-clavicul.ures font saillir les sterno-mastoïdiens.
Toute la face est agitée de contractions qui se succèdent rapide-ment, et l'écume coule en abondance.
Cependant le calme se fait peu à peu, troublé seulement par les grandes secousses dont nous avons parlé, qui prédominent sou-vent aux membres supérieurs ou d'un seul côté du corps. La tête elle-même participe à ces mouvements, qu'on ne saurait mieux comparer qu'à ceux produits par une commotion électrique. Mais, d'abord très rapprochées, les secousses s'éloignent de plus en plus pour faire place au relâchement musculaire complet qui constitue la troisième phase de la période épileptoïde.
§ i. — PHASE DE RÉSOLUTION MUSCULAIRE.
•
Cette phase n'est pas représentée sur nos tracés, ou du moins le début seul y est indiqué. Le muscle est complètement relâché, il ne se produit aucun mouvement, et l'aiguille immobile du myo-graphe ne saurait tracer qu'une simple ligne droite située au ni-veau le plus bas de la courbe.
Le corps est dans le décubitus dorsal ; la tête s'affaisse le plus souvent sur une épaule, la face est encore congestionnée et légère-ment bouffie, les yeux sont fermés, la respiration s'établit plus régulière, mais elle est parfois très bruyante. Il y a un véritable
stertor, et la salive battue s'écoule des lèvres entr'ouvertes et sou-levées par l'air expiré.
Fig. 27. Phase de résolution.
Il n'est pas rare de voir cette phase modifiée par la persistance d'un phénomène qui régulièrement lui est étranger. La résolution musculaire peut être incomplète, et un certain degré de contrac-ture persister clans tout le corps ou seulement dans un membre.
Cette contracture imprime à la malade, pendant la période du stertor, des attitudes variées. (Fig. 28.)
Fig. 28. l'hase de résolution. Quelques contractures partielles persistent.
Le sommeil est parfois interrompu par des ( secousses générales qui soulèvent complètement la malade et la font quelquefois se ramasser en boule (fig. 80). Elle y demeure fort peu de temps ei retombe aussitôt dans un relâchement musculaire complet.
riy. -2\j.— Traces PRIS SUR Gl.... Tambour luvojjrapkique sur la partie autu'ieure dj l'avaul-brus. beijut brusque. T. Convulsions ioniques; les bras s'élèvent et s'abaissent
en se fléchissant. C, Convulsions cloniques. L'immobilité tonique fait défaut. S. Secousses.
Les secousses peuvent être partielles, occuper les membres ou la face.
Fig. 30. Phase de résolution. Secousses générales.
Très souvent les paupières fermées sont animées de courtes et rapides oscillations.
§ 5. — DURÉE DE LA PÉRIODE ÉPILEPTOÏDE ET DE SES DIVERSES PHASES.
La période épileptoïde n'a guère de durée constante que dans ses deux premières phases : tonisme et clonisme. La phase de stertor et de résolution se prolonge d'une façon fort variable; il est difficile de la séparer de l'intervalle de calme qui souvent se trouve entre la période épileptoïde et la deuxième période de l'attaque, et par-fois elle manque complètement. En moyenne on peut dire que la période épileptoïde dure dans son ensemble plusieurs minutes, deux, trois, quatre et cinq, rarement davantage. Mais s'il est diffi-cile d'être précis sur la durée de toute la période épileptoïde, il n'en est pas de même relativement aux deux premières phases, qui, lorsqu'elles sont complètes, ont sous ce rapport une régularité re-marquable. Des moyennes prises sur diverses malades et pendant plusieurs états de mal, alors que les attaques se répètent un grand nombre de fois, ont toujours donné un chiffre se rapprochant de soixante secondes.
big.ai. —Tkacks fuis suh Wrr...— lamnour in^ographique applique sur la région antérieure de l'avaut-bras. -iN°l.Début progressif du tétanisme. Immobilité tétanique. C. Mouvements cloniiues. S. Grands mouvements de tout le corps. Salutations. — N° 2. T. Tétanisme. C. Mouvements cloniques. G. M. Grands mouvements de tout le corps. Salutations. — N° 3. T. Tétanisme. C. Mouvements cloniques. G. M. Grands mouvements de tout le corps. T. Nouveau tétanisme. Cri après lequel reprennent les grands mouvements. — On remarque la prédominance du tétanisme, l'absence complète de résolution, puisque les grands mouvements de tout le corps, qui font partie de la 2e pé-riode, succèdent immédiatement aux mouvements cloniques, enfin le peu^e durée de la période épileptoïde tout entière.
Nos tracés ont été pris sur un cylindre dont la révolution s'ac-complissait en soixante secondes. Et sur tous nous avons pu ob-server qu'un seul tour suffisait pour l'inscription des deux premières phases. Un chronographe marquant les secondes nous permet de mesurer les diverses phases elles-mêmes. Les soixante secondés peuvent être divisées par moitié entre la phase tonique et la phase clonique. La phase tonique elle-même semble pouvoir être sub-divisée en deux parties égales : soit quinze secondes pour les con-vulsions toniques et autant pour la tétanisation.
Toutefois il ne peut être question pour ces subdivisions que de moyennes très approximatives ; car nous verrons que la durée de ces diverses phases est susceptible de grandes variations.
§ G. — QUELQUES OBSERVATIONS. — VARIÉTÉS DE LA PÉRIODE ÉPILEPTOÏDE.
Avant de signaler les diverses modifications dont est susceptible la première période de l'attaque, je crois qu'il ne sera pas superflu, pour servir de complément à la description générale qui précède, de rapporter ici quelques exemples concrets, choisis parmi celles de nos malades qui nous ont présenté la période épileptoïde dans son type le plus régulier et le plus complet.
Gl... (9 avril 1878). Description de la période épileptoïde.
Début. — Quelques secousses généralisées présagent le retour de l'at-taque. Apparaissant d'abord à des intervalles éloignés, elles se précipitent par degrés, puis tout d'un coup :
1° Phase tonique. — a) Grands mouvements toniques. La respiration s'arrête, la perte de connaissance a lieu, tout le corps se contracte. La tète se raidit dans la situation droite, s'enfonçant entre les deux épaules; la face devient bouffie et commence à se congestionner. Les yeux grands ouverts se convulsent. Strabisme en dedans de l'œil droit, contraction pupillaire ; la bouche est démesurément ouverte et laisse échapper quelques « Ah! Ah! » gutturaux. Les bras—Je poignet fléchi, le pouce dans la paume de la main passant entre les doigts fermés — se fléchissent, amenant la main jusqu'au niveau de la face, le coude élevé, et s'étendent lentement en accusant le mouvement de pronation. Ce mouvement est répété plusieurs fois. En même temps les jambes reproduisent un mouvement analogue, se fléchissent et s'étendent avec lenteur dans la contraction de tous leurs muscles.
b) Immobilité tonique (pl. II, p. 41). — Puis les membres demeurent étendus et tétanisés : les bras dans l'adduction, l'avant-bras en pronation, le poignet et les doigts fléchis. Les poignets, rapprochés de la ligne médiane se touchent parleur face dorsale et se croisent quelquefois. Les genoux sont fortement appliqués l'un contre l'autre, les pieds tournés en pied bot équin varus. La congestion de la face est. extrême, le cou énormément gonflé. Le strabisme persiste. Tous les traits sont contractés, la bouche est fermée, la commissure labiale tirée des deux côtés en dehors et un peu en bas. L'écume apparaît aux lèvres:
2° Phase clonique. — Bientôt surviennent de petits mouvements brefs et rapides des membres, les traits sont agités convulsivement. L'amplitude de ces mouvements précipités augmente peu à peu; ils gagnent tout le corps. En même temps qu'ils deviennent plus étendus, ils perdent de leur vitesse. La résolution musculaire s'opère peu à peu, et les convulsions cloniques dégénèrent en grandes secousses qui deviennent de plus en plus éloignées. La secousse est plus forte aux membres supérieurs qu'aux inférieurs, et du côté droit que du côté gauche.
3° Phase de résolution. — Enfin le calme s'établit avec la résolution com-plète. La respiration s'exécute librement. Il n'y a point de stertor. — Le faciès est immobile, les yeux fermés. L'écume coule le long du menton.
Après un repos de courte durée, la deuxième période de l'attaque com-mence : les contorsions, les grands mouvements, etc., et la suite de l'at-taque se déroule ainsi que nous dirons plus loin.
Marc... (3 avril 1878). Description de la période épileptoïde.
L'attaque débute par un mouvement rapide des paupières et une ondula-tion des parois de l'abdomen légèrement météorisé.
ï°Phase tonique. — a) Grands mouvements toniques. —La tête tourne à gauche. La respiration est suspendue, les globes oculaires convulsés en haut roulent dans l'orbite, la pupille est dilatée. Tantôt les mâchoires sont ser-rées; mouvement de diduction du maxillaire inférieur; grincement de dents; la lèvre inférieure proémine, les coins de la bouche sont fortement abaissés, il y a de l'écume. Tantôt la bouche est ouverte, et la langue, sortie, se tord de diverses façons. Les bras contractures, passent alternativement devant la face en faisant une espèce de moulinet. Les poings sont fermés, ou les trois premiers doigts étendus. Les jambes se fléchissent et s'étendent alternative-ment, se croisent quelquefois. Le tronc se contourne et la malade, qui se trouve ramassée en boule, exécute parfois un tour complet sur elle-même (%. 19).
b) Immobilité tonique. —De courte durée; la malade se trouve dans les positions les plus bizarres et les plus variées (fig. 22, 23, 24).
2° Phase clonique. —Les petits mouvements cloniques, d'abord extrême-ment menus, surprennent la malade dans l'attitude tétanique qui précède,
kicher. 5
fcig. 32.— Tracés pris sur Gl... — Tambour myographiqwi appliqué sur les muscles de la région antérieure do l'avant-bras. T» Convulsions toniques.
S. Grandes secousses, remarquables par leur étendue.
et augmentent graduellement d'amplitude en même temps que les membres quittent peu à peu leur position première pour descendre vers la résolution. Les mouvements respiratoires sont bruyants et précipités. L'inspiration est sifflante et l'expiration saccadée fait entendre comme deux sanglots entre-coupés. Bientôt le relâchement musculaire est complet et les membres sont encore animés de grandes secousses qui s'éloignent peu à peu.
3° Phase de résolution. —Le stertor n'existe pas. Cette phase est mar-quée par un calme généralement assez court. Et la malade passe ensuite aux grands mouvements de la deuxième période.
Math... 13 juillet Période épileptoïde.
Début. — Les yeux se convulsent à droite et en haut. Quelques contrac-tions dans le front.
1° Phase tonique.—a) Grands mouvements toniques. — Les bras, con-tractures, exécutent de grands mouvements de circumduction, les poings fléchis et tordus, passent alternativement devant la figure. Les jambes s'élè-vent, le tronc se contourne. La malade se trouve parfois à plat sur le ventre; d'autres fois elle est sur le dos, ramassée sur elle-même. La face rougit, tous les traits se contractent et impriment à la physionomie l'expression du pleurer â chaudes larmes. La respiration entrecoupée fait entendre une longue plainte saccadée.
b) Immobilité tonique. .— Bientôt la respiration se suspend, la conges-tion de la face esta son comble, et la malade demeure quelques instants dans une attitude variable et des plus étranges.
2° Phase clonique. — Suivent les petits mouvements cloniques généralisés semblables â ceux qui sont décrits dans les observations précédentes.
3° Phase de résolution. — La résolution s'accompagne de stertor et est entrecoupée de secousses généralisées.
Alphonsine Bar... Juin 1878. Période épileptoïde.
Début. — Fixité du regard; la respiration bruyante se précipite, puis s'arrête brusquement.
1° Phase tonique. — a)Mouvements toniques. — La face se convulsé et se congestionne, le front est contracté, sillonné de plis transversaux. Les yeux, convulsés en haut, tournent adroite et â gauche. Les paupières se ferment, animées de petits frémissements qui se retrouvent aussi dans le reste de la face. La bouche est tirée sur les côtés, l'écume sort des lèvres. — La tête se raidit, s'enfonce entre les deux épaules, la gorge se gonfle. Les brasse redres-sent, fléchis et contractures, les jambes se fléchissent, le tronc se contourne.
b) Immobilité tonique. — La malade demeure rigide en diverses situa-tions, le plus souvent les membres étendus, la tête renversée, le bassin soulevé, et le tronc tourné sur le côté.
2° Phase clonique. — Convulsions cloniques généralisées.
hlg. Jd.— iuAocis pm» a oit ut..... j) Uuijoui' uiyjgfdpaujuo a om up^it^uo sur ig mcou* iu.uai-.«i pour îu trace ir i, c. sui lu jauijier antérieur pour ie iraco 11" i. T. Convulsions toniques. Le mambre inférieur s'étend et se fléchit tour à tour avec lenteur, Pas de tétanisrae. C. Glonism; bientôt remplacé paroles grandes secousses.
3° Phase de résolution. — La résolution est complète, le stertor pro-noncé, et l'écume coule en abondance.
Witt... 23 mars 1878. Période épileptoïde.
1° Phase tonique. —a) Mouvements toniques. — La tète tourne un peu sur le côté, la face est congestionnée, les traits contractés, le cou gonflé; les yeux convulsés en bas et de côté. Il existe parfois du strabisme convergent. La respiration est suspendue et ne reprend que par instants pour faire entendre une inspiration sifflante. Les bras s'élèvent un peu et se contour-nent en reproduisant à l'état d'ébauche les mouvements de circumduction que nous avons vus si développés chez les autres malades citées précé-demment. Quelquefois même ces mouvements n'existent pas du tout; les brasse placent de suite en extension forcée, le poignet fléchi, et l'avant-bras en pronation. Les membres inférieurs sont dans l'adduction et l'extension forcée, le pied en pied bot équin; ils se fléchissent parfois légèrement pour s'étendre ensuite.
b) Immobilité tonique. — Si les mouvements toniques sont peu accusés chez cette malade, par contre l'immobilité tonique se prolonge pendan un temps relativement long, comme on peut le voir sur les tracés de la figureSl.
Le plus souvent l'immobilisation se fait dans une attitude semblable à celle qui est figurée (pl. II, p. 41). Les membres sont dans l'extension, le tronc dans le décubitus dorsal; il arrive que l'attitude peut varier, un membre s'élevant un peu ou se fléchissant, le tronc se courbant en divers sens; mais jamais nous n'avons observé chez Witt... les attitudes tétani-ques si variées et si étranges que nous offre Marc...
2° Phase clonique. — Les mouvements cloniques sont très marqués. Ils agitent tout le corps et se terminent suivant la coutume par de grandes secousses qui se prolongent pendant le stertor.
3° Phase de résolution. — La résolution est complète, la tête retombe sur une épaule, l'écume coule des lèvres; la respiration reprend régulière-ment, mais avec bruit, respiration stertoreuse. Les secousses qui de temps à autre agitent la malade, se montrent plus fortes dans les membres supé-rieurs.
Telle est la période épileptoïde complète et régulière : mais elle peut subir quelques modifications et constituer ainsi des variétés qu'il est facile de rattacher au type que nous venons de décrire.
Elle se modifie surtout de deux façons ou par excès, ou par défaut. L'une de ses phases se prolonge au détriment des autres, ou bien l'une de ses phases, ou même deux peuvent manquer. Ces deux modes de variation peuvent se combiner pour créer de nou-veaux types : une phase peut se supprimer pendant qu'une autre
Fig. 34.— Tracés tris sur Gu..., — Tambour myographique applique à l'avanl-bras. S. Secousses du dc'buf, T. Grands mouvements toniques.
Convulsions cloniques. S. Secousses.
prend une importance considérable. Enfin un élément étranger vient se surajouter à ceux qui d'ordinaire composent la période épileptoïde, par exemple : la contracture permanente et plus rare-ment l'hallucination.
L'on conçoit que sur ces données les variétés puissent se mul-tiplier indéfiniment.
Voici cependant les principales qu'il nous aétô donné d'observer.
a) Les grands mouvements toniques du début peuvent être très réduits ou manquer complètement. La tétanisation qui s'établit dé-bute d'une façon progressive (fig. 31, n° 1) ou subite (fig. 31, n° 3).
b) D'autres fois au contraire ils représentent à eux seuls la phase tonique, et l'immobilité tétanique manque absolument. Par exemple (fig. 34) :
La malade commence par exécuter quelques grandes convul-sions toniques, et les petits mouvements cloniques suivent immé-diatement.
Marc... 26 février 1878.— Les attaques se succèdent avec leurs trois périodes diversement accusées. La première période est écourtée. Les yeux se convulsent, la tête tourne à gauche, les bras exécutent le moulinet habi-tuel. Clignotement des paupières, mouvement de diduction du maxillaire; grincement, ondulation du ventre, quelquefois un peu d'écume. Les jambes s'élèvent et se fléchissent.
Bientôt les jambes se détendent brusquement, et commentent les grands mouvements de la seconde période de l'attaque. Ici, la période épileptoïde est uniquement représentée par les grands mouvements toniques.
Par leur exagération, ces convulsions toniques contribuent à donner à la, variété démoniaque de l'attaque l'aspect effrayant qu'on lui connaît.
c) Je n'insisterai pas sur la variété des convulsions toniques et des attitudes du tétanisme. Il en a été parlé assez longuement lors de la description de la phase tonique. La phase tonique peut se prolonger et môme représenter à elle seule toute, la période épilep-toïde de l'attaque.
d) Les petits mouvements cloniques sont constants, mais ils peuvent durer peu pour faire place aux secousses (fig. 32).
Quelquefois au contraire ils se prolongent et occupent la plus grande partie de la phase épileptoïde (fig. 29, n° 1).
e) Dans d'autres cas, quelques convulsions cloniques ou quelques secousses rapides peuvent représenter à elles seules toute la phase épileptoïde.
Il arrive parfois, que les deux premières phases de la période épileptoïde, phase tonique, phase clonique, se répètent plusieurs fois de façon à prolonger cette partie de l'attaque et à y jeter un peu de confusion. Nous l'avons observé très nettement chez Marc...
9 avril 1878. Marc... a ses grandes attaques. La période épileptoïde se com-pose des diverses phases déjà décrites plusieurs fois. D'abord se montrent les grands mouvements toniques, aboutissant à une attitude tétanique variée qui se résoud peu à peu, en commençant par les mouvements cloni-ques dont les oscillations d'abord brèves vont en augmentant et se ter-minent par des grandes secousses. Mais il arrive parfois qu'au milieu des mouvements cloniques le tétanisme revient de nouveau immobiliser les membres, il en résulte une nouvelle attitude tétanique que suivent bientôt les petits mouvements cloniques. Le tétanisme se reproduit ainsi parfois de façon à faire croire à plusieurs accès épileptoïdes se succédant ai' nombre de trois ou quatre.
La troisième phase, ou phase de résolution, manquera complète-ment, ou bien elle sera interrompue de temps en temps par de violentes secousses. Enfin, comme je l'ai déjà dit, la résolution est souvent incomplète, la contraction musculaire persistant d'une façon générale, ou sur un point du corps seulement.
Je me réserve d'étudier au chapitre des attaques anormales quelques variétés de l'attaque épileptoïde, qui parfois constituent à elles seules toute l'attaque d'hystéro-épilepsie.
2? PERIODE___PERIODE DE CLOWNISME
Fig"*. 1. Phase des grands mouvements
2. Phase des contorsions
( Arc de cercle. )
A.Delahayc et E. Lecroanier.
CHAPITRE III
DEUXIÈME PÉRIODE. — PÉRIODE DES CONTORSIONS ET DES GRANDS MOUVEMENTS (CLONISME)
Après un repos assez court, mais le plus souvent bien marqué, commence la deuxième période.
La deuxième période dans ses différentes phases et dans ses va-riétés semble répondre à un même principe et n'avoir qu'un seul but, celui d'une dépense exagérée de force musculaire. C'est, si l'on veut me passer une expression un peu vulgaire, la période des tours de force; et ce n'est pas sans raison que M. Charcot lui a donné le nom pittoresque de clonisme, rappelant par là les exercices musculaires auxquels se livrent les acrobates.
En effet, cette période comprend deux phases, celle des atti-tudes illogiques ou contorsions, et celle des grands mouvements, toutes deux exigeant une souplesse, une agilité et une force mus-culaire bien faites pour étonner le spectateur, et qui, au temps des convulsionnaires de Saint-Médard, avaient paru tellement au-des-sus des ressources de la nature, que l'intervention divine seule semblait devoir les expliquer.
§ 1. — PHASE DES CONTORSIONS OU ATTITUDES ILLOGIQUES
Ici la malade prend les positions les plus variées, les plus im-prévues, les plus invraisemblables.
Parmi ces attitudes qualifiées d'illogiques par M. Charcot pour les opposer aux attitudes de la troisième période, attitudes pas-
sionnelles, qui toujours sont la représentation d'une idée ou d'un sentiment, il en est une pour laquelle la plupart des malades semblent avoir une préférence marquée. Elle se reproduit chez presque toutes et à peu près de la même façon, et mérite le nom d'arc de cercle.
Attitude de l'arc de cercle. Le corps est courbé en arrière er forme d'arc, ne reposant sur le lit que par la tête et les pieds. Le ventre souvent météorisé forme le sommet de la courbe (pl. III, fig. 2). La rigidité de tous les membres est telle, qu'on peut déplacer la malade, la mettre sur le ventre ou sur le côté sans modifier cette attitude.
Cette forme de la contorsion se présente avec quelques variétés. Gen...., accumulant en quelque sorte les difficultés, soulève le plus souvent la jambe droite et ne repose plus que sur un seul pied
Fig. 35. Contorsion. — Arc de cercle.
La courbe du corps peut être plus ou moins accusée et la tête se rapprocher des talons. Tantôt la tête ne participe pas à l'arc de cercle, et la malade repose sur la partie supérieure du dos (fig. 36); tantôt, au contraire, la tête portée, au dernier degré de l'extension, se rapproche des talons et la face tout entière repose sur l'oreiller (fig. 44).
Au lieu de reposer sur les pieds et la tête, la malade peut ne porter que sur un point du ventre, le reste du corps conservant sa position courbée. Quelquefois elle repose sur le côté (fig. 37).
Fig. 3G. Contorsion. — Arc de cercle incomplet.
Enfin, au lieu d'être courbé en arrière, le corps se fléchit, for-mant un arc de cercle anguleux à concavité antérieure1.
Parmi toutes ces variétés qui peuvent se multiplier encore, on reconnaît facilement que Varc de cercle est caractérisé au
1. Il est facile de ramener toutes ces variétés de l'arc de cercle à plusieurs types principaux que l'on pourrait désigner ainsi : 1° La malade étant courbée en arrière (opisthotonos), et par là même le plan antérieur du corps formant la convexité de l'arc, le décubitus peut être dorsal (fig. 35), c'est Varc de cercle (intérieur dorsal ou droit; le décubitus peut être latéral (fig. 37), c'est Varc de cercle antérieur latéral; ou bien enfin le décubitus est abdominal (fig. 46), c'est Varc de cercle antérieur abdominal ou renversé. 2° Si, au lieu d'être courbée en arrière, la malade est courbée en avant, (emprosthotonos), le plan postérieur du corps forme la convexité de l'arc, et l'on peut désigner cette attitude sous le nom à'arc de cercle postérieur (fig. 45), qui est susceptible des mêmes variétés suivant que le décubitus est dorsal, abdominal ou latéral. 3° Enfin, bien que nous l'ayons observé moins souvent, la malade peut être courbée sur le côté (pleurothotonos), et celte attitude peut se combiner avec le décubitus dorsal ou abdominal. Chacune de ces variétés peut être complète ou incomplète.
milieu de la contracture généralisée des muscles par la prédo-minance d'action des extenseurs sur les fléchisseurs, et se rappro-che en cela de l'opisthotonos. On ne saurait cependant confondre la contorsion hystérique avec l'attitude tétanique. Et il suffira de
Fig. 38. Véritable opisthotonos, d'après Ch. Bell. L'esquisse originale est au collège des chirurgiens d'Edimbourg.«J'ai pris ce dessin sur des soldats blessés à la tête à la bataille de Coronne. Trois hommes étaient semblablement atteints et dans un espace de temps assez court présentèrent les mêmes symptômes, de sorte que le caractère de l'affection ne pouvait être méconnu.» (The anatomy and philosopha of expression as connected with the fine arts. By sir Charles Bell. — London, 1872.)
jeter un coup d'œil sur la figure 38 pour en saisir les principaux caractères différentiels. Cette figure est le décalque minutieux d'un dessin du célèbre médecin anglais Charles Bell représenet te un soldat atteint d'opisthotonos à la suite d'une blessure à la tête. On remarquera particulièrement la contracture de la face et le rictus spécial sur lequel tous les auteurs qui ont traité du tétanos ont insisté, et que Ch. Bell a si bien représenté sur son dessin.
Dans l'arc de cercle hystérique, bien que les mâchoires soient fortement serrées l'une contre l'autre, les traits sont le plus sou-vent sans expression. La contracture de la face et la distorsion des lignes du visage qui en résulte, se rencontrent plutôt dans les autres variétés de contorsions.
La courbure du tronc diffère peu dans les deux cas. Mais la dé-pression abdominale, qu'on observe sur le dessin de Ch. Bell, s'é-loigne beaucoup de la tympanite qui soulève les parois du ventre
chez la plupart de nos malades. De plus les membres inférieurs du tétanique, complètement rigides dans l'extension, ne reposent sur le lit que par les talons, tandis que nous avons toujours observé
Fig. 39. Contorsion.
que les genoux légèrement fléchis permettent aux hystériques de reposer sur le lit par la plante du pied.
Fig. .40. Contorsion. —Variété de l'arc de cercle.
On ne saurait trop insister sur cette forme de la contorsion hystérique. Nous avons observé l'arc de cercle chez presque toutes
nos malades; nous verrons dans les observations que nous avons
Fig-. 43. Contorsion.
pu recueillir en dehors de la Salpêtrière, en France comme à l'étranger, que l'arc de cercle n'est pas moins fréquent, et dans
les épidémies convulsives l'attitude de l'arc de cercle est souvent signalée.
Enfin, la situation que peut prendre le corps dans cette phase de l'attaque, ne semble soumise à aucune loi, si ce n'est la loi de l'é-trange et de l'impossible. La description de ces diverses attitudes deviendrait fastidieuse, et pour en donner une idée on permettra à la plume de céder la place au crayon (fig. 39, 40, 41, 42 et 43).
Lorsque les muscles de la face participent à la contracture géné-rale, on voit se produire les expressions les plus terrifiantes. Les yeux sont grands ouverts, les pupilles convergent parfois en un strabisme effrayant, ou bien se cachent complètement sous la paupière supérieure. Les sourcils sont contractés, la bouche béante et la langue sortie. Les traits, tirés en divers sens, rendent la face asymétrique. C'est l'image des possédés.
D'autres fois l'expression de la physionomie est moins terrible, et se rapproche davantage des contorsions grimaçantes des clowns.
Les contorsions se distinguent des attitudes tétaniques de la pé-riode épileptoïde, en ce que leur durée est beaucoup plus longue. La même attitude, Y arc de cercle, par exemple, est souvent gardée par Gen... pendant cinq à dix minutes. De plus, la respiration s'exerce plus ou moins facilement, mais elle n'est pas suspendue. Le spasme respiratoire n'existe pas, d'où l'absence de turgescence de la face. Il n'y a pas d'écume. On ne voit point non plus appa-raître les petits mouvements cloniques qui sont la terminaison des attitudes toniques de l'épilepsie.
Si dans quelques cas les contorsions suivent la période épi-leptoïde de si près qu'elles semblent se confondre avec elle et que la distinction entre les attitudes tétaniques de la première période dont nous avons parlé, et les attitudes illogiques de la deuxième période dont il s'agit, devient difficile; il en est d'autres, au contraire, où la confusion n'est plus possible. Les exemples ne sont pas rares, dans lesquels les contorsions apparaissent dans l'ordre indiqué, nettement séparées de la période épileptoïde. Il suffira d'en citer quelques-uns :
Gl... (25 mars 1878) est en attaque depuis 9 heures du matin. Les diverses périodes se succèdent ainsi : La première période existe dans son entier développement et avec ses diverses phases, telle qu'elle est décrite page 62. Les grands mouvements toniques ont lieu, puis l'immobililé tonique, et les mouvements cloniques se produisent suivant la règle, s'atténuant peu à peu pour faire place aux secousses, puis à la résolution musculaire. La première période est complète et bien terminée.
Deuxième période. Après un repos de quelques minutes pendant lesquelles la malade semble dormir, elle se tord tout à coup, prenant les attitudes les plus étranges, qui se succèdent sans transition (fig. 41 et 42). La ligure grimace horriblement, elle tire la langue. La fixité de son regard fait qu'on se demande si elle n'a pas quelque effrayante vision. Elle semble se débattre par instants; l'abdomen est météorisé, agité de secousses répétées, avec borborygmes sonores. La malade pousse de petits cris étouffés. C'est cette phase qu'il convient de désigner sous le nom de phase des contorsions. Elle est immédiatement suivie des grands mouvements rythmiques qui revêtent la forme de « salutations » et sont accompagnés de.cris.
Troisième période. Surviennent ensuite les scènes mouvementées delà troisième période et les attitudes passionnelles dont il sera parlé plus loin.
L'attaque se répète ainsi un grand nombre de fois, toujours semblable à elle-même.
Gl... (3 avril). Attaques. Début par des secousses d'abord éloignées qui se rapprochent. La première période est marquée par les grands mouve-ments toniques et le tétanisme ; puis les mouvements cloniques et les secousses multipliées.
Quelquefois le repos se prolonge et l'attaque s'en tient là, pour recom-mencer par la première période au bout de quelques instants.
Ou bien, après un instant de calme les autres périodes se succèdent dans leur ordre habituel. On voit alors se produire les attitudes illogiques dans leur bizarrerie, puis les grands mouvements rythmiques et les attitudes pas-sionnelles de la troisième période, avec les hallucinations et le délire.
Je pourrais multiplier les observations de ce genre, toutes égale-ment probantes. Je me bornerai à consigner une autre observation dans laquelle les attitudes illogiques avec tous leurs caractères, et parfaitement distinctes de la première période, apparaissaient sous trois formes différentes, se succédant avec une précision presque mathématique, avec les mêmes caractères et toujours dans le même ordre à chacune des attaques qui composaient la série.
Suzanne N..., dans une série d'attaques que nous avons occasion d'obser-ver le 28 juin 1879, présente une suite d'attitudes illogiques qui à chaque
Fig. il. —¦ Contorsion. —¦ Arc de cercle.
attaque se reproduisent dans le même ordre et de la même façon. Ces alti-tudes illogiques sont au nombre de trois.
Fig. 45. — Contorsion.
Après une première période épileptoïde fort bien marquée par la roideur tonique, la congestion de la face avec écume aux lèvres et les mouvements cloniques généralisés, survient la deuxième période qui débute par les
kicher. • (i
grands mouvements. La malade exécute sur son lit un grand saut qui rap. pelle celui de Marc... (fig. 51). Elle le reproduit plusieurs fois de suite en poussant de grands cris, puis tout à coup s'arrête dans la position de Varc de cercle, les pieds fort rapprochés de la tête et le ventre très proéminent (fig. 44). Elle demeure ainsi une à deux minutes, puis elle retombe sur son lit, et se place presque aussitôt dans la situation figurée ci-dessus (fig. 45), qui est un sorte d'arc de cercle à concavité antérieure. Bientôt mue comme par un ressort, elle se jette sur le ventre dans l'attitude représentée figure 46 qui est la troisième attitude illogique, ou contorsion, par laquelle elle passe avant d'arriver à la troisième période de son attaque. En effet il se produit encore quelquefois plusieurs grands mouvements qui consistent en une sorte de mouvement de roulis, la malade étant couchée sur le dos et tournant rapi-dement tout le corps de côté et d'autre; puis surviennent les hallucina-tions et les attitudes passionnelles qui marquent la troisième période. Cette
Fig. 46. — Variété de l'arc de cercle.
dernière forme de la contorsion (fig. 46) peut être considérée comme un arc de cercle renversé, la malade reposant sur le sommet de l'arc, c'est-à-dire sur le ventre, au lieu de reposer sur ses deux extrémités, c'est-à-dire sur la tête et les pieds.
Lorsque cette phase des contorsions est suffisamment déve-loppée, comme dans l'exemple précédent, on voit les attitudes illogiques se succéder parfois nombreuses, et la malade passe de l'une à l'autre sans transition. Tantôt elles sont en quelque sorte stéréotypées et se reproduisent toujours avecles mêmes caractères; tantôt leur variété ne connaît pas de bornes.
§ 2. — PHASE DES GRANDS MOUVEMENTS
Ces mouvements se séparent de ceux de la phase clonique en ce qu'ils sont beaucoup plus étendus et n'ont aucune relation avec la tétanisation. Ils ne sont pas compatibles avec un degré
quelconque de contracture, et une des conditions de leur produc-tion est le relâchement musculaire complet.
Fig. 48. — Grands mouvements.
Ces mouvements sont exécutés par le corps tout entier ou par une partie du corps seulement.
A. — Le môme mouvement se reproduit un certain nombre de fois de suite, quinze à vingt fois, avec une grande rapidité et une régularité qui ne se dément pas.
Le plus fréquent de ces mouvements est celui représenté ci-dessus (fig. 47). Il consiste en une flexion brusque du tronc, le front vient heurter les genoux, puis le corps se redresse
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Fig. 49. — Grands mouvements limités à un seul membre.
vivement, et le dos et la tête frappent avec violence l'oreiller. Dans ce mouvement d'extension la malade prend un point d'ap-
Fig. 50. — Grands mouvements du tronc.
pui avec ses pieds sur son lit, les jambes étant à demi fléchies.
Au lieu d'être exécuté par la partie supérieure du corps, ce grand mouvement est reproduit d'une façon analogue par les jambes seulement, ou bien la tête et les jambes participent à la fois au mouvement (fig. 48).
Fig. 51.— Grands mouvements. — Variété remarquable par l'étendue du mouvement. — La malade passe successivement par les trois positions figurées ci-contre.
D'autres fois, le mouvement est plus local, il est exécuté par un seul membre. Le pied droit, par exemple, vient frapper le genou gauche (fig. 49); ou bien la malade réunit les deux bras en avant pour les lancer de côté avec violence.
Ler.... se soulève, tout le corps reposant sur les pieds et la tête seulement, puis elle se laisse retomber sur le lit. Elle rebondit ainsi quinze à vingt fois de suite (fig. 50).
Marc... exécute encore un grand mouvement qui a beaucoup plus d'ampleur (fig. 51 ) : elle lance les j ambes en l'air et, passant par les trois positions figurées ci-dessus, elle retombe sur son lit, qui fait office de tremplin, et ce grand mouvement recommence jus-qu'à dix et quinze fois de suite.
Cri. — Cette phase est souvent marquée au début par un cri d'un
Fig. 52. — Cri.
caractère tout spécial. Il est perçant, semblable à un sifflet de loco-motive, prolongé et parfois modulé. Il se répète plusieurs fois de suite, le plus souvent trois fois.
La malade s'enfonce dans son lit ou se ramasse sur elle-même pour pousser ce cri (fig. 52).
Il se produit avant les grands mouvements réguliers, entre deux grands mouvements ou après.
Il est distinct de celui qui s'observe à la même période, au mi-lieu des mouvements désordonnés.
B. — Les grands mouvements, en effet, n'ont pas toujours la régularité que je viens de décrire. Ils consistent parfois en une
sorte de lutte. La malade se tourne dans tous les sens, elle essaye de se débarrasser des liens qui la retiennent (fig. 53).
C. — Survient quelquefois une sorte de rage. La malade entre en
Fig-. 53. — Lutte.
furie contre elle-même. Elle cherche à se déchirer la figure, à s'ar-racher les cheveux; elle pousse des cris lamentables. Ler... se frappe si violemment la poitrine avec son poing, qu'on est obligé d'interposer un coussin.
Fig. 54. — liage.
La malade s'en prend aux personnes qui l'entourent, elle cherche à mordre (fig. 54). Si elle ne peut les atteindre, elle déchire tout ce qui est à sa portée, ses draps, ses vêtements.
Elle pousse alors de véritables cris de rage ou des hurlements de bête fauve (fig. 55).
Fig. 55. — Cris de rage.
Elle frappe son lit de la tête en même temps que des poings, ré-
Fig. 50. —Mouvements désordonnés.
pétant ce mouvement jusqu'à satiété, puis la tête est animée d'un mouvement de rotation rapide. Elle se redresse, jette les bras de tous côtés, fléchit les jambes pour les étendre brusquement, se-
coue la tête en la balançant d'avant en arrière et en poussant de petits cris rauques; ou bien, assise, elle tourne alternativement la partie supérieure du troncde côté et d'autre, en faisant une sorte de salut et en agitant les bras (fig- 56). Ces mouvements sont entre-mêlés de cris et se prolongent souvent fort longtemps. J'ai vu Gen... s'agiter ainsi pendant près d'une demi-heure. Elle est essoufflée, la face est congestionnée, le cou gonflé; la respiration, précipitée, est accompagnée d'un bruit analogue à celui d'un soufflet de forge. Et cependant rien n'arrête la rapidité de ses mouvements.
Gen..., 18 avril 1878. Attaques remarquables par une prolongation de la deuxième période marquée par les mouvements les plus variés.
Première période. — Tétanisme généralisé suivi de convulsions cloniques dans les membres et dans la face. L'écume coule des lèvres. Suit un sommeil stertoreux peu accusé. La première période dure de une à deux minutes.
Deuxième période. — Commence par une contorsion dans l'attitude de l'arc de cercle. Puis grands mouvements de salutation qui perdent bientôt de leur régularité. Gen... se tourne de côté et d'autre, elle se débat, ses mouvements répétés ressemblent aux allures d'une bête fauve qui se démène dans sa cage. De temps en temps elle pousse un cri rauque. Elle cherche à mordre. Elle ne demeure pas une seule minute en repos. La face est très congestionnée, le cou se gonfle, sa respiration haletante imite le bruit d'un soufflet de forge. Divers mouvements se succèdent sans interruption : tantôt tout le tronc exécute un mouvement de va-et-vient d'arrière en avant ou de gauche à droite; la tête se fléchit et s'étend en même temps qu'elle subit un mouve-ment de rotation rapide ; les jambes frappent le lit, se fléchissent et s'étendent brusquement; les bras donnent du poing dans le vide. Enfin l'agitation échappe à une description régulière.
La deuxième période, composée uniquement de ces mouvements variés, dure en moyenne vingt à ving'-cinq minutes.
Troisième période. — Puis Gen... appelle Camille..., etc. La troisième pé-riode dure peu.
L'attaque se reproduit avec les mêmes caractères.
Enfin les grands mouvements de la deuxième période sont sus-ceptibles de nombreuses variétés, dont le classement devient diffi-cile. Pour en citer un exemple, je rapporterai le fait d'une malade de la Salpêtrière que j'ai eu l'occasion d'observer récemment. A la deuxième période de son attaque, elle imite le bruit d'une locomo-tive qui se met en marche, et l'accompagne de mouvements ryth-mes de tout le corps et des bras particulièrement.
5 juillet 1879. Math... est en attaques au moment de la visite. Ses attaques sont presque exclusivement composées de la deuxième période qui se prolonge et revêt une forme qui s'éloigne du type vulgaire.
La première période est représentée par quelques grands mouvements oniques suivis de convulsions cloniques : tout d'un coup la respiration s'ar-rête, la face se congestionne, les traits sont contractés, les bras s'élèvent et s'abaissent lentement en formant une sorte de moulinet, les jambes se flé-chissent et s'étendent avec lenteur; puis la malade s'immobilise dans une attitude qui peut varier, le plus souvent les membres étendus et le tronc demi-courbé en avant, et alors surviennent les petits mouvements cloniques généralisés. Cette période dure fort peu de temps.
Deuxième période. — Après un instant de repos, ou bien tout de suite, la malade se place en arc de cercle en poussant a plusieurs reprises un cri perçant et prolongé qui ressemble au sifflet d'une locomotive. Mais il semble qu'elle prenne à tâche d'imiter le chemin de fer jusqu'au bout. Après le sifflet elle se laisse retomber étendue sur le dos; alors sa respiration d'abord calme devient bruyante, elle se précipite de plus en plus, et ne saurait être mieux comparée qu'au bruit de la vapeur d'une locomotive qui se met en marche et peu à peu accélère son mouvement. L'inspiiation est sifflante et l'expira-tion bruyante, saccadée, fait entendre un double bruit dont la consonance est celle du eh de la prononciation française. L'abdomen est en même temps animé d'ondulations qui suivent les mouvements de la cage thoracique et sont dus à la contraction spasmodique du diaphragme. D'abord lents, ces bruits inspiratoires et expiratoires se précipitent peu à peu, augmentant à la fois de vitesse et d'intensité. La tête, droite, renversée en arrière dans l'oreiller, suit les mouvements saccadés que cette respiration singulière imprime au tronc. Les yeux sont ouverts, convulsés en haut et à gauche. Les traits ne sont point grimaçants, mais la face est congestionnée. Bientôt le mouvement, en même temps qu'il augmente de rapidité, s'étend et gagne les membres. Les bras, par des mouvements alternatifs de flexion et d'extension, sont déjetés en dehors et frappent le lit suivant le rythme de la respiration; les jambes se fléchissent et s'étendent en suivant la même mesure. La congestion de la face augmente, la sueur perle sur le visage, et, arrivée au dernier degré de violence et de rapidité, la malade retombe épuisée, ou, se ramassant sur elle-même, pousse un nouveau cri strident et recommence le même manège. Les cris et les mouvements que je viens de décrire s'entremêlent et se répètent, prolongeant ainsi indéfiniment la deuxième période, qui peut durer sans trêve jusqu'à cinq ou dix minutes.
Troisième période. — J'ai observé la malade près d'une heure et je n'ai vu qu'une seule fois quelques mouvements de frayeur, et des phrases entre-coupées marquer la troisième période. Le plus souvent les convulsions toniques décrites plus haut, survenant tout d'un coup, indiquaient le débul d'une nouvelle attaque où se reproduisaient les mêmes mouvements.
10 juillet. Grande attaque. La deuxième période est marquée par l'arc de
cercle et l'imitation du chemin de fer déjà décrite. Au milieu de l'agitation des bras, on remarque un mouvement qu'elle répète assez souvent, et par lequel la main se meut circulairement dans un plan vertical. Les mouve-ments se passent surtout dans le côté droit du corps, où ils ont beaucoup plus d'étendue.
13 juillet 1879. Attaques plus complètes que celles du 5 juillet. La pre-mière période, ou période épileptoïde, s'y présente avec ses diverses phases et suit l'évolution régulière que nous avons décrite plus haut. La troisième période, ou période des attitudes passionnelles, y est représentée par des attitudes cataleptiques avec hallucinations, et sur lesquelles nous aurons occasion d'insister plus loin. La deuxième période imite le chemin de fer, de la façon que nous avons dite. Ces mouvements sont interrompuspar des contorsions variées, et principalement par Varc de cercle. Dans cette dernière position la malade entreprend parfois son imitation habituelle du chemin de fer, mêlant ainsi la contorsion aux grands mouvements.
Nous avons, à plusieurs reprises, cherché à savoir si une hallucination quelconque ne présidait pas à ces mouvements de « chemin de fer ». Chaque fois que nous avons réveillé la malade par la pression ovarienne au milieu de ces mouvements, elle nous a répondu qu'elle ne voyait rien, n'entendait rien, n'avait, en somme, connaissance de rien. Au contraire, réveillée de la même façon pendant la troisième période, elle a parfaitement raconté le sujet de ses hallucinations.
17 juillet 1879. Dans une série d'attaques présentant les caractères décrits précédemment, l'imitation du chemin de fer est encore en quelque sorte plus parfaite.
Après la période épileptoïde suivie d'un instant de repos, le « chemin de fer » débute sur un rythme variable à trois ou quatre temps. Puis le cri imite le sifflet, ce sont d'abord plusieurs petits cris d'un timbre un peu voilé, qui précèdent un cri plus strident et plus prolongé, c'est le sifflet de la locomotive à l'abord d'un tunnel. Ensuite le bruit de la vapeur se fait entendre suivant un rythme qui se précipite peu à peu. Tout le corps est agité de secousses qui suivent la même mesure, et les bras exécutent un mouvement circulaire qui semble imiter le mouvement de la bielle.
Je n'insiste pas, en terminant, sur les variétés de cette deuxième période de l'attaque. Les contorsions et les mouvements peuvent se prêter à diverses combinaisons. Le plus souvent la phase des contorsions précède celle des mouvements, mais ces deux phases peuvent se mêler en quelque sorte, et une attitude illogique appa-raître au milieu du désordre des mouvements.
Malgré leurs aspects si variés, il est à remarquer que les contor-sions et les grands mouvements se présentent presque toujours
avec les mômes caraeLères chez une môme malade. Je montrerai plus loin comment l'exagération de cette phase peut donner lieu à des attaques d'un caractère particulièrement effrayant et qui mé-ritent bien le nom d'attaques démoniaques.
§ 3. — ÉTAT MENTAL PENDANT LA DEUXIÈME PÉRIODE,
La perte de connaissance n'est pas la règle durant cette période, comme il arrive pour la période épileptoïde. Il est d'ailleurs fort difficile de s'en rendre un compte exact. Mais à la façon dont la malade s'agite, lutte, et cherche à déchirer ou à mordre, il semble qu'elle n'ait pas complètement perdu la notion du monde exté-rieur.
L'hallucination préside quelquefois aux grands mouvements. Nous en avons eu maintes fois la preuve chezGl..., lorsque, l'arrê-tant par la compression ovarienne au milieu de ses grandes salu-tations et lui demandant ce qu'elle fait, elle nous répond inva-riablement qu'elle court et se sauve, évitant la poursuite d'un personnage qui joue un grand rôle dans les hallucinations de la troisième période.
Wit..., réveillée par la pression ovarienne au milieu de l'arc de cercle, laisse échapper ces mots : « Oh! vous faites bien! » Elle pa-raît délivrée d'un cauchemar. Si nous insistons pour connaître la nature de son rêve, elle hésite beaucoup à répondre. Une première fois elle dit qu'elle se trouvait sur une haute montagne et qu'elle tombait dans un précipice, une seconde fois elle avoue avec beau-coup de réticences qu'elle était en butte aux persécutions d'un « vi-lain homme ». Quoi qu'il en soit de la véracité de ces assertions, il ne nous paraît pas douteux que pendant cette attitude de l'arc de cercle mise par nous au nombre des contorsions de la deuxième période, la perte de connaissance n'est pas aussi absolue que pen-dant la période épileptoïde, et qu'il existe parfois une hallucination pénible. Malgré la présence de cette hallucination, les contorsions de la seconde période se séparent nettement des attitudes de la
troisième, en ce que, dans ces dernières, la pose de la malade est constamment en rapport avec l'hallucination qui existe toujours ; tandis que dans la contorsion il n'y a aucun lien nécessaire entre l'attitude de la malade et la nature de l'hallucination, quand elle existe. De telle sorte que si le nom d'altitudes passionnelles con-vient parfaitement à la troisième période, la dénomination d'atti-tudes illogiques n'est pas moins justifiée pour ce qui a lieu dans la deuxième période.
CHAPITRE IV
TROISIÈME PÉRIODE. — PÉRIODE DES ATTITUDES PASSIONNELLES
Entre la deuxième période et la troisième, la limite n'est pas toujours aussi nettement tranchée qu'entre la deuxième et la pre-mière. Il y a rarement un intervalle de repos, et le délire semble commencer dans l'attitude de la contorsion, et même pendant les grands mouvements.
Le caractère de cette période se trouve parfaitement défini par le nom que lui a donné M. Charcot, période des attitudes passion-nelles ou des poses plastiques. Et en effet, ce n'est pas ici un simple délire de mémoire ou d'imagination; la malade est en proie à des hallucinations qui la ravissent et la transportent dans un monde imaginaire. Là, elle assiste à des scènes où elle joue souvent le principal rôle; l'expression de sa physionomie et ses attitudes re-produisent les sentiments qui l'animent; elle agit comme si son rêve était une réalité. Et, par la mimique expressive à laquelle elle se livre, ainsi que par les paroles qu'elle laisse échapper, il est fa-cile de suivre toutes les péripéties du drame qui se déroule devant elle, ou auquel elle prend elle-même une part active; — son hal-lucination, purement subjective, devient en quelque sorte objective par la traduction qu'elle en fait.
Quand elle est réveillée, la malade conserve le souvenir de tout ce qui s'est passé, et le récit qu'elle peut en faire concorde en tous points avec ce que l'on a observé.
Pendant cette période des hallucinations, elle est complètement insensible à toute excitation extérieure. La piqûre, la titillation de la conjonctive, l'application d'un bandeau sur les yeux, la respira-
Fig\ 1. Phase triste
rie"- 2. Phase 6aie
A.Delahîwe et E.Lecrcsnier.
tion de l'ammoniaque, un bruit violent aux oreilles, etc., rien ne peut troubler le cours de son délire. Nous ne connaissons que deux procédés qui, sur-le-champ, font évanouir le rêve et ramènent la malade à la réalité : c'est, en première ligne, l'excitation des zones hystérogènes et particulièrement la compression de l'ovaire, dont l'effet est constant et instantané, et ensuite le choc électrique, dont l'action, sans être toujours aussi prompte et aussi sûre, n'en est pas moins manifeste.
Le sujet de ces hallucinations est le plus souvent puisé dans le passé delà malade. Les scènes, qui dans un sens heureux ou mal-heureux ont frappé son imagination, se reproduisent avec une vi-vacité que le temps ne peut éteindre, et surtout celles qui ont eu une influence sur le développement de la maladie.
D'autres fois, au contraire, l'hallucination est une pure création qui varie avec la richesse d'imagination dont est douée la malade.
On peut distinguer deux phases: la phase des hallucinations gaies et la phase des hallucinations tristes (pl. IV, p. 94). Ces deux phases se succèdent ou s'entremêlent sans interruption. Dans une même attaque, le tableau gai fait place au tableau triste, ou inversement, avec la rapidité des images qui passent sous les verres d'une lan-terne magique. Souvent une scène est à peine commencée, qu'elle est brusquement interrompue par une autre. Il y a là comme la taquinerie d'un malin génie que les malades ne peuvent éviter. Elles s'en plaignent souvent amèrement, disant « que le côté gai d'une attaque est toujours troublé par les visions terribles, et qu'en somme il y a plus de malheur que de bonheur ».
Gl... est celle de nos malades chez laquelle ces poses plastiques ou attitudes passionnelles ont le plus de régularité. Elles retracent principalement deux événements de son existence. Le premier, terrible, marque son entrée dans la vie ; elle avait dix ans quand elle en fut victime. Le second, au contraire, lui cause un plaisir qu'elle ne cherche pas à dissimuler.
Pendant les grands mouvements, qui sont toujours chez elle les grandes salutations, sa. physionomie, où se peint l'effroi, indique que l'hallucination a commencé. En effet, si on la réveille à ce
moment par la compression ovarienne, elle dit avoir peur de quel-qu'un qui la poursuit, elle court, elle cherche à lui échapper. C'est l'apparition de ce personnage dont le souvenir, avec la per-sistance d'une obsession, revient sans cesse imprimer à cette phase de l'attaque son caractère si pénible.
Les grands mouvements se terminent par une vive agitation. La malade semble lutter pour se soustraire à des étreintes, et ces paroles lui échappent : c Au secours! Au secours ! — Ah! vous
Fig. 57. — Attitude passionnelle.
ne m'aurez pas... Rendez-moi ma clef1!... Vous ne m'embrasserez pas... Il est minuit, rentrez!... Changez de verre!... Je ne boirai pas... Moi, je ne suis pas maman... Non, lâchez-moi... »
Mais elle ne peut longtemps soutenir la lutte. Tout d'un coup elle supplie; ses mains sont jointes, ses bras tendus en
i.Il paraît qu'une fois entré dans la chambre où la pauvre petite s'était réfu-giée, le premier soin du persécuteur fut de fermer la porte et de s'emparer de la clef.
avant, elle se roule sur son lit en criant : « Pardon! pardon! »
Parfois, dans un mouvement plus accusé, elle se redresse et se met complètement à genoux (fig. 57). Dans ses poses, déplus en plus suppliantes, comme dans sa voix, dont l'accent devient plein d'angoisse et de terreur, on sent que le malheureux ne se laisse pas toucher.
Brusquement la malade retombe sur son lit comme terrassée par une force invisible. Elle est couchée sur le dos, étendue en croix : la tête, droite, légèrement renversée en arrière ; les yeux grands ouverts; son visage exprime la colère et l'effroi; les bras sont roides, maintenus perpendiculairement au corps, les poings
Fig- 58. — Attitude passionnelle.
fermés; une seule jambe, la droite, estétendue et contracturée, la jambe gauche est demi-fléchie, et relativement molle (fig. 58). Les paroles qu'elle laisse échapper montrent clairement ce qui se passe :
« Il m'attache!... non, je ne vous céderai pas... d'abord je ne pourrai pas faire ma première communion... Oui, je crierai!... Oui, je crierai! Est-ce que je dois vous servir aussi... Vous allez m'étouffer en me mettant la main sur la bouche! »
Et, fait curieux qui indique avec quelle précision de détails la scène est représentée : d'après les renseignements qu'elle a donnés elle-même en dehors delà crise, son agresseur, après l'avoir placée en travers sur le lit, lui attacha la tête, les deux bras enjeroix, et une-seule jambe, la jambe droite.
richer. 7
Après cette scène, qu'on pourrait appeler le crucifiement, sur-vient une scène de menaces (fig. 59). Elle se relève furieuse,
Fig. 59. — Attitude passionnelle.
montre le poing, se jette en avant comme pour atteindre le cou-pable et ressemble à une véritable furie (fig. 60); elle crache à la figure du personnage imaginaire.
Fig. 60. — Attitude passionnelle.
Mais son courage est au-dessus de sa force et la menace est parfois interrompue par des coups (fig. 61) :
« Oh! là là! des coups... pardon, laissez-moi! De grâce, mon-sieur. Vous me faites mal... Oh! maman!... sale c... tu m'atta-cheras les bras et le cou... Oh! je le dirai à tout le monde... à quarante ans et quelques années!... quand on a une fille de vingt et un ans... »
Presque toutes ces paroles sont prononcées à demi-voix, les dents serrées et d'un ton contenu. Il est une autre scène qui, pour être une pure création de son
Fig. 61. — Attitude passionnelle.
imagination, ne lui en inspire pas moins une grande frayeur. Elle voit un immense chariot couvert de tentures mortuaires et rempli de squelettes effrayants dont les yeux caves lancent du feu. Il y a des flammes rouges partout. Les squelettes essayent de l'attirer à eux et veulent la faire monter dans leur char. Elle leur demande pardon.
Tous ces tableaux sont reliés entre eux et se succèdent le plus souvent dans l'ordre que nous avons indique, c'est l'ordre logique et répondant à la réalité. Cependant l'ordre en est parfois inter-verti, quelques-uns peuvent manquer ou se trouver mêlés diver-sement aux scènes de la phase gaie de l'hallucination.
Cette phase se compose d'une série de tableaux qui sont d'une précision et d'une régularité non moins surprenantes.
La transition est brutale : un geste de terreur ou de menace se trouve brusquement interrompu, la malade demeure interdite
comme sous le charme d'une apparition; elle marque l'étonné-ment, la surprise mêlée de joie, son regard est dirigé en haut. Et
Fig. 62. — Attitude passionnelle.
si on lui demande, en la réveillant subitement par la pression ova-rienne, pourquoi elle regarde ainsi, et ce qu'elle voit : ce II est à un balcon, » répond-elle.
Fig. 63, — Attitude passionnelle.
Puis elle tend les bras dans une attitude extatique. « Oh viens! viens! »
Elle appelle d'une façon, plus pressante en faisant signe avec le doigt. En même temps elle montre une place à côté d'elle. Ces mouvements sont répétés avec instance.
Enfin elle se renverse, ferme les bras, comme pour étreindre le fantôme, et le couvre de baisers (fig. 62).
Le calme revient peu à peu.
Elle fait la nique à un être imaginaire 1 en tirant la langue (fig. 63).
Puis elle prête l'oreille, elle écoute (fig. 64) :
« Écoutez!... Écoutez!... Oh! la belle musique! »
C'est la musique militaire au milieu d'un grand jardin planté de marronniers roses. Elle s'y promène au bras du préféré. Les soldats sont vêtus de rouge et portent de grands pompons de cette couleur. La musique est très entraînante.
Ces détails nous ont été donnés par la malade en dehors de son
Fig. 64. — Attitude passionnelle.
attaque. Dans les différentes scènes qui composent l'hallucination gaie, il ne lui écha'ppe que de brèves exclamations ou quelques mots isolés ; tous ces divers tableaux se succèdent comme dans une pantomime d'une rare expression et se rattachent vraisemblable-ment, comme les scènes tristes, à quelques circonstances de sa vie passée.
L'hallucination de la musique militaire marque toujours l'ap-proche de la fin de l'attaque. Bientôt elle voit des rats, elle a des mouvements de frayeur, elle frappe sur son lit comme pour les
1. Vraisemblablement au personnage de la première scène.
tuer. Puis elle se met sur son séant, se cache le visage dans les mains et déplore sa destinée :
« Ah! malheureux parents!... En voilà une femme que cette mère-là! Non, non, je ne veux pas y penser... Non, je me tuerai... mais ce n'est pas ma faute, à moi, si c'était son amant!... »
Là commence un délire sans attitudes spéciales ; il se prolonge pendant un temps plus ou moins long et doit être rangé dans la quatrième période. Nous y reviendrons au chapitre suivant.
Ce que nous venons d'exposer montre bien la justesse de la dé-nomination sous laquelle M. Charcot désigne cette période de l'at-taque. Les divers tableaux qui la composent reviennent invariable-ment. Toutefois, suivant les attaques, ils peuvent être écourtés et même ne pas être tous représentés. Les gais et les tristes s'entre-mêlent diversement. Mais il est bien curieux d'observer qu'ils se présentent toujours avec la même physionomie. Ils sont en quel-que sorte stéréotypés : les gestes, les attitudes, les paroles même ne varient pas.
Pour donner une idée de la rapidité avec laquelle se succèdent parfois ces différents tableaux, j'indiquerai la durée de chacun d'eux, notée pendant l'une quelconque des attaques.
Secondes.1° Période épileptoïde............... 502° Grands mouvements. — Salutations....... 103° Attitudes passionnelles :Croix.................... 23Menace................... 18Lubricité.................. 14Extase................... 24Rats.................... 22Musique militaire............. 19Nique...........,...... 13Lamentations............... 23
Marc... ne le cède pas à Gl... pour le nombre et la variété de ses attitudes passionnelles ; mais elle offre moins de régularité. Elle semble avoir plus de ressources, elle est moins renfermée dans un cadre toujours le même, et, pour rendre un même senti-ment, elle a comme un luxe d'attitudes différentes.
Son hallucination gaie est le plus souvent la reproduction des scènes de sa jeunesse, pendant laquelle, enfant du peuple, aban-donnée à elle-même, elle a fréquenté les bals de barrières et les tavernes de la banlieue. L'hallucination triste est une création de son esprit.
Voici ce qu'elle raconte :
Elle est avec « Ernest » en partie de plaisir dans un de ces restau-rants des environs de Paris, où les tables sont dressées sous des treillages garnis de plantes grimpantes et de fleurs. Mais son bon-heur est troublé par le spectacle suivant. Elle voit une négresse entourée d'hommes noirs, aux bras robustes, tatoués à la façon de certains ouvriers et complètement nus. Ils veulent abuser de la malheureuse ; une lutte s'engage, alors ils la saisissent par les che-veux et se mettent en devoir de la scalper. Le sang coule à Ilots sur le visage de l'infortunée, qui pousse des cris lamentables, appelle au secours et tend vers Marc... des mains suppliantes. Une sorte de balustrade la sépare de cette scène, elle voudrait secourir la pauvre victime, mais elle ne peut; Ernest, qui voit le danger, la retient.
Tel est le côté lugubre du tableau; mais de l'autre côté, du côté d'Ernest, c'est bien différent. Ils sont en société nombreuse, Ernest a une foule d'amis qu'accompagnent d'autres jeunes filles. Tous les personnages n'ont pour vêtement qu'une large ceinture rouge, à l'exception d'Ernest qui porte un costume espagnol. On s'attable, on mange des huîtres, on boit du vin blanc, on chante, on rit beaucoup. Puis on se divise par groupes et l'on recherche les coins obscurs du jardin.
Les scènes amoureuses ne manquent pas dans le passé de Marc..., et leur souvenir occupe une grande place dans son délire et dans ses attitudes.
C'est sur ce thème, tour à tour gai ou triste, que se développe invariablement la troisième période de l'attaque de Marc... Pour l'interpréter, notre malade se livre à une mimique des plus mou-vementées et des plus expressives. C'est une succession non inter-rompue d'attitudes variées, tantôt silencieuses, véritables poses plastiques, qu'elle garde immobile plusieurs minutes; tantôt accompagnées de gestes violents et de paroles appropriées1. Il
Fig. 65. — Attitude passionnelle.
faut avoir assisté à cette scène pour s'en faire une juste idée. Le récit en est décoloré; nous essayerons d'y suppléer par quelques figures.
Les grands mouvements de la deuxième période, dont il a été question page 86 et représentés figure 51 viennent de cesser; les
1 Le développement de ces attitudes se trouve habituellement gêné par la cami-sole de force dont on a soin de revêtir la malade au moment de ses attaques. Mais il n'y a aucun danger à l'en délivrer, s'il se trouve autour d'elle assez d'aides pour la maintenir. On peut alors observer les attitudes passionnelles, telles que nous avons cherché à les représenter.
trois grands cris perçants comparés avec justesse au sifflet d'une locomotive se sont fait entendre, et brusquement, sans transition, l'hallucination commence. Marc... se soulève à demi, le regard fixé du côté gauche et un peu en haut. Son expression de physio-nomie se rapproche de celle de l'extase, elle paraît comme fas-cinée et attirée par la vision qui vient de lui apparaître. Mais un léger pli de ses traits qui ébauchent un sourire, un baiser bien
Fig. 66. — Attitude passionnelle.
discret, donné de la main droite, montrent que l'idéal qui l'ab-sorbe n'a rien de mystique, et que c'est, bien sur la terre que se passe la scène à laquelle nous allons assister. D'ailleurs le mouve-ment s'accuse bientôt. On l'entend prononcer à mi-voix : « Er-nest!... » ou bien seulement l'abréviation familière : « Nest!!, viens!... » Son regard s'anime, elle invite du doigt l'objet de la vision (fig. 65), et accompagne ce geste de petits mouvements de tête latéraux tout à fait significatifs. Puis, tout d'un coup, elle s'élance comme pour joindre d'un
bond la vision qui ne se rend pas à son appel, et les infirmières ont beaucoup de peine à la maintenir dans son lit. Une véritable lutte s'établit. Marc..., qui est petite et chétive, trouve, pour la circonstance, des forces qu'on ne lui connaissait pas. Elle se débal comme une forcenée, l'œil toujours fixé sur la vision et faisant des gestes désespérés pour l'atteindre.
D'autres fois il s'établit une sorte de colloque entre « elle » el ce lui ». A genoux, les bras ouverts tout prêts à l'étreindre, elle semble demander ou attendre une explication (fig. 66). Sa phy-
Fig. b7. — Attitude passionnelle.
sionomie exprime les sentiments les plus divers : tour à tour elle craint, elle espère, elle doute, elle affirme, elle demande, elle supplie, elle respire la. joie, ou se laisse aller à une douleur voi-sine du désespoir.
Elle a, pour demander pardon, des attitudes dont le crayon peut difficilement rendre toute l'expression (fig. 67).
Parfois, c'est le découragement et un désespoir contenu qui
se peignent sur toute sa personne (fig. 68.) Un jour nous avons recueilli les paroles suivantes :
Fig. 68. — Attitude passionnelle.
Ernest!... l'hypocrisie règne partout, chez toi comme chez le^
Fig. 69. — Attitude passionnelle.
autres..... Vieil imbécile!... Faut pas venir me dire la moindre
des choses... Ernest! tu fais donc du mal comme les autres. »
Il lui arrive quelquefois de demeurer longtemps dans une sorte d'attitude contemplative comme celle qui est représentée figure 69. Sa physionomie est impassible, son regard immobile fixé à terre. Aucun mouvement ne trahit la préoccupation de son esprit. A voir le calme de son attitude, on pourrait croire que l'attaque est ter-
Fig. 70. — Attitude passionnelle.
minée; mais il n'en est rien. Fermez-lui les yeux, faites retentit un bruit violent à son oreille, mettez-lui un flacon d'ammoniaque sous les narines, et vous ne troublerez en aucune façon cette sorte d'extase. Elle ne voit rien, n'entend rien, elle demeure insensible à toute excitation, et est complètement distraite du monde exté-rieur.
Mais tout à coup les scènes de terreur surviennent. Elle se
redresse vivement, et, avec des gestes et des cris de compassion et d'horreur, elle se blottit contre le mur près duquel est appuyé son lit (fig. 70). 11 lui échappe des paroles comme celles-ci, qui rnon-
Fig. 71. — Attitude passionnelle.
trent que c'est la négresse qui entre en scène : « Ah! pauvre
femme!... Mon Dieu! donne donc un coup de poing..... Oh!
qu'ils sont mauvais! ils lui font mal! » Elle pleure en se cachant
le visage de ses mains... « MonDieuL. le sang coule!.....»
Puis elle a des attitudes provocantes, comme pour défier les assassins (fig. 71).
Parfois elle pousse de grands cris, en levant les bras (fig. 72). Sa physionomie est celle d'une furie vengeresse, qui semble pour-suivre des criminels.
Ou bien avec le geste et le ton du commandement le plus
Fig. 72. — Attitude passionnelle.
impératif elle s'écrie : « Vous ne viendrez pas là, c'est pour
Ernest, c'est Ernest par ici... Remontez... Ah!... vous y voilà dans le ran0- des sauvages. Ernest! reste là... ne va pas te battre!... » {Fig. 73.)
Fig. 73. — Attitude passionnelle.
Mais ces scènes terribles ne sauraient durer. Le côté gai de l'hallucination doit avoir son tour, et Ernest se charge bientôt de tout faire oublier. Elle s'abandonne tout entière à lui, et suivent des scènes traduites par des attitudes nombreuses et variées dont le cynisme arrête le crayon.
4 Viens, mon cœur! viens, mon chéri. Tout ce que j ai, c'est pour toi... A qui c'est ça? C'est à moi. Mon chéri, mon chéri.... Tu es toujours fatigué toi....., moi je ne le suis pas....., etc., etc. »
Ces scènes lubriques sont entremêlées de danses et de chants. Elle demande du punch..... Elle agite les bras en cadence en
Fig. 74, — Attitude passionnelle.
chantant et tout le corps suit le rythme de la chanson (fig. 74). Elle fait claquer ses doigts comme pour imiter les castagnettes (fig. 75).
Elle se redresse parfois complètement sur son lit pour exécuter une sorte de danse bizarre. En résumé, ses attitudes gaies varient à l'infini, et elle met à représenter sa joie autant d'ardeur et d'ex-pression qu'elle en déployait, il y a un instant, dans ses attitudes d'effroi.
Cette phase de l'attaque se prolonge souvent fort longtemps, nous l'avons vue, plus d'une fois, durer à elle seule plus d'une demi-heure. .Vers la fin, elle est interrompue par des visions d'animaux qui ramènent l'effroi et la terreur. Ce sont habituellement des rats
ou de grosses araignées. Elle s'écrie tout d'un coup : « Oh ! ce
Fig. 7G. — Attitude passionnelle.
rat... d en le montrant du doigt. Puis elle se livre à un combat
richer S
acharné, accompagné de gesticulations et de cris, dont le drama-tique ne laisse pas d'être hors de proportion avec les ennemis imaginaires contre lesquels les coups sont dirigés (fig. 76). Elle lutte avec le poing, les pieds, la tête et les dents. Elle s'acharne après l'ennemi vaincu et roule sur son lit avec son oreiller qu'elle étreint dans ses bras.
Pendant cette lutte la connaissance revient peu à peu. Bientôt la malade reconnaît les personnes qui l'entourent et répond aux interpellations. Elle n'en continue pas moins à être poursuivie
Fig. 77 et 78. —¦ Attitudes passionnelles.
parles visions d'animaux, Mais la troisième période de l'attaque est finie; elle afait place à la quatrième période avec ses hallucinations spéciales, jusqu'à ce qu'un mouvement convulsif des paupières ou de l'abdomen indique le retour de la période épileptoïde d'une nouvelle attaque, comme cela a lieu le plus souvent.
Gen..., lors de ses attaques régulières, n'a pas la variété d'atti-tudes que nous avons trouvée chez Gl..., et Marc...
Le plus souvent son hallucination est lubrique. Elle voit Ca-mille, l'appelle, le presse de venir :
« Camille, je n'ai jamais aimé que toi.
Elle affecte des poses théâtrales accompagnées de ces paroles : « Donne-moi ton amour (fig. 77).» « Ne m'outragez pas (fig. 78).»
Ou bien elle prend des attitudes silencieuses, se rapprochant de l'extase. Elle est à genoux ou assise sur son lit, l'œil au ciel, un doigt levé ou les mains jointes. Elle demeure ainsi complètement absorbée pendant plusieurs minutes.
Ou bien elle s'écrie : « Mon Dieu! secourez-moi! » Sa prière ne laisse pas de paraître édifiante; mais bientôt elle reprend ses propos inconvenants et les attitudes passionnées reparaissent.
Yient ensuite un délire de mémoire interrompu de temps à autre par des visions de corbeaux et de vipères, et pendant lequel elle raconte tous les événements de sa vie. Ce délire dure souvent fort longtemps, mais il fait partie de la quatrième période, dont nous parlerons plus loin. .
En dehors de ses attaques, Gen... a des extases que l'on doit considérer comme des attaques modifiées et réduites à une seule phase, celle des attitudes passionnelles. Il en sera question quand nous traiterons des diverses variétés de l'attaque.
Ang..., a des hallucinations fort variées.
Dans l'ordre gai elle voit « Alphonse1 », perçoit ses embras-sements et les scènes d'amour d'autrefois se reproduisent. Parfois elle l'accable de reproches.
Elle assiste à une noce dont les mariés lui sont inconnus.
Elle se promène dans un grand jardin, sous de grands arbres. Il y a beaucoup de roses blanches.
Dans l'ordre triste la scène d'Alphonse a son pendant2.
1. Cet, Alphonse était un marin qui la séduisit, il y a huit ans, alors qu'elle était à Marseille. Elle se brouilla avec toute sa famille à cause des relations qu'elle en-tretenait avec cet homme dont elle était amoureuse, et qui ne tarda pas à l'aban-donner. Ang... a toujours conservé la mémoire de son amant. Alphonse joue un grand rôle dans toutes ses attaques.
2. En 1871, Ang... a été faite prisonnière par les communards. Le délégué l'a gardée un mois et a abusé d'elle, après l'avoir menacée de son pistolet. Elle a eu une grande frayeur. Depuis elle le revoit toujours dans ses attaques, elle se débat, elle résiste, etc..
Elle voit de grosses bêtes qui ont des ailes immenses, des griffes énormes et un gros bec crochu. Ces animaux sont toujours à sa gauche et se précipitent sur elle.
iVng... voit encore deux hommes nus jusqu'à la ceinture, cou-verts de poils, et d'un aspect repoussant. Ils veulent abuser d'elle malgré ses résistances. Ces deux hommes reviennent toujours en-semble l'obséder et la tourmenter.
Elle voit quelquefois une grande lueur semblable à celle d'un incendie.
Elle assiste à un enterrement. Les corbillards sont blancs avec des croix noires et couverts de couronnes blanches. Il y a beau-coup de personnes en larmes qu'elle ne connaît pas. Le mort est aussi un inconnu. Elle voit le cercueil descendre dans la fosse.
Pendant tout ce délire, ses gestes sont en rapport avec la na-ture de son hallucination. Elle laisse échapper des paroles comme celles-ci :
ce Viens!... tu ne veux pas?... On me persécute... Tu m'as trompée!... Il m'avait recommandée à toi... Il avait confiance en toi, sale bête. — (Cris, elle se débat.) Tu ne m'auras pas!... non... Qu'est-ce que dira ma sœur Eugénie, mon beau-frère?... S'ils sa-vaient ce que tu as fait...Tu es la cause qu'ils sont tous fâchés... Je t'aimais!... Tu ne m'aimes pas !... Mais je t'aime encore... », etc.
Wit... a un délire et des hallucinations qui rappellent aussi les principaux événements de sa vie. Elle parle d'un certain Al-phonse, l'appelle « ingrat » et lui adresse les reproches les plus sanglants.
Elle appelle aussi « maman ».
Elle voit des lions rouges et des lézards au bec rouge qui lui causent une frayeur extrême.
Ler... nous offre un délire épouvantable, où la lubricité n'est pour rien, et qui rappelle les émotions et les frayeurs qui ont occa-sionné sa maladie.
Pour donner une juste idée de la violence de ce délire, je ne puis mieux faire que de consigner ici quelques passages des notes recueillies au lit de Ler... pendant une de ses grandes attaques.
Mais auparavant, afin de bien faire saisir la relation qui existe entre les causes occasionnelles de l'hystérie, et la nature du dé-lire des attaques, je rappellerai, d'après Y Iconographie de la Sal-pêtrière, les diverses frayeurs qui ont favorisé le développement de la névrose.
Ler... (Rosalie), âgée actuellement de cinquante-six ans, habite la Salpêtrière depuis trente-trois ans.
A onze ans, L... eut une première peur. Allant un jour porter le déjeuner de son père nourricier qui travaillait dans un autre village, elle rencontra un chien qui avait les yeux hors delà tête, la gueule pleine de bave, la queue traînante et balayant le sol. Cette vue l'effraya. Le chien qu'elle supposait enragé, la suivant toujours, sa frayeur redoubla. Elle s'enfuit, tomba par terre et se fit de profondes blessures. Elle put se relever néanmoins et re-prendre sa course folle jusqu'à la maison où, en arrivant, elle tomba de nou-veau le corps tout roide et couvert d'une sueur froide... Durant huit jours, elle fut souffrante, eut de « fausses peurs » s'imaginant que le chien courait encore après elle. A partir de ce jour elle fut sujette à des accidents qu'elle qualifie de « pertes de connaissance ».
Cinq ans plus tard, seconde peur. Voyant un attroupement autour d'une maison, elle voulut en connaître la cause et malgré les recommandations des personnes sensées qui essayaient de l'éloigner, elle se faufila jusque dans la maison où elle vit le cadavre d'une femme que son mari venait d'assassiner. La vue du cadavre et de l'assassin arrêté par les gendarmes déterminèrent une « attaque de nerfs ».
L... eut une troisième peur dans les circonstances suivantes : Une nuit d'hiver, traversant un bois où, deux années auparavant, on avait tué une enfant de dix ans, et portant sur elle une somme de deux cents francs, elle fut poursuivie par un voleur. Elle se sauva, appelant au secours : mais, de plus en plus épouvantée par cet homme qui lui criait : «Je t'attraperai, va, gueuse! tu auras beau faire » elle s'accrocha dans des « éronces » et tomba sans connaissance, en proie à une violente attaque convulsive.
Voici maintenant comment se présente une grande attaque chez Ler...
11 février 1878. L'attaque a débuté à 7 heures et demie. Il est 0 heures 20, el elle n'a rien perdu de sa violence. Elle est composée d'une série d'attaques qui se succèdent et dans chacune desquelles on peut distinguer, malgré une apparente complication, les trois périodes ordinaires.
9 heures 20. Après un moment de calme la respiration devient saccadée, les jambes se contracturent, s'élèvent et se croisent, les bras sont également contractures, la face est congestionnée, les traits contractés, les yeux convul-
ses en haut, la bouche grande ouverte et la langue sortie. La respiration un moment suspendue reprend péniblement. Il se produit des hoquets. 9 heures 22. Le calme revient.
9heures 24. Rage; grands mouvements précipités. Arc de cercle. « Ah ! Ah !... » Grands cris : « Les bourreaux !!! » L'agitation est extrême. Ler... se soulève complètement pour se laisser retomber sur son lit. Elle se jette de côté et d'autre, bat le lit avec ses pieds. « Ah ! Ah !... oui... les bourreaux, les voilà! » (9 heures 26) : Elle continue à s'agiter. « C'est à M. Coupat-Fontaine !... ce n'est pas à moi; oui... les gendarmes!... à mon secours ! » Elle se jette de côté comme pour se sauver. Pendant tout ce temps son visage exprime la plus violente terreur, « M. X..., M. Coupat-Font. !... à mon se-cours !... c'est pas à moi ! M. Dub... » Elle fait avec la partie supérieure du tronc comme de grandes salutations, accompagnées d'agitation des bras et de mouvements de rotation de la tète. (9 heures 27) : «Vlà !... les voleurs ! l'as-sassin !... les bourreaux!... Voilà la mort! Voilà la mort. (Elle répète ces paroles d'une voie terrifiée, jusqu'à sept fois de suite.) «. A mon secours !... (9 heures 28) : Ah ! Ah!... (cris étouffés). Oh! là là... voyez les feux... voyez les flammes!... oh! la mort!... (Grands mouvements du tronc.) Oh! là là! mon Dieu!... à mon secours!... les voleurs, les feux, les flammes (quatre fois). Oh ! Ah!... (cris inarticulés)... les v'ià !... à mon secours ! les bourreaux. (9 heures 29) : Vlà !... les voleurs. (Soulèvement du tronc.) Ah ! ah !... (se jette de côté)... ah! ah!... Vlà! oui... les vlà !... les brigands, les assassins... (9 heures 30) : Les gendarmes !... C'est à M. Coupat-Fontaine... C'est pas à moi (quatre fois de suite) (grandes salutations); oui... les vTà... les voleurs, les assassins. (9 heures 31)... les gendarmes !... à mon se-cours !... (elle se jette de côté). M. Coupat-Fontaine... (cinq salutations) c'est pas à moi!... (9 heures 32) : Oh ! Ah !... (cris inarticulés) ouâ à... là là... (cris de rage)... » Elle se soulève, tourne la tète... « Ah!... les voleurs!... les gendarmes!... (9 heures 33)': A mon secours!... (soulèvement de tout le tronc). Ah ! ah !... y m'onterevé les yeux !... ah ! ah! (plaintes sourdes).,„» Le calme se fait peu à peu.
Cet instant de calme marque la fin de cette attaque, qui a duré treize mi-nutes, immédiatement suivie, avant que Ler... ait repris connaissance, par un autre attaque qui débute par la période épileptoïde, et se reproduit à peu près de la même façon. La série ne s'est terminée qu'à onze heures.
On voit, par cet exemple, combien est persistante l'impression causée par les événements qui ont eu quelque influence sur le développement de la maladie. Après plus de quarante années les scènes qui ont vivement impressionné l'enfance de la malade, se reproduisent pendant ses attaques, comme au premier jour, avec une vivacité que le temps n'a pu atténuer, leur imprimant une physionomie particulière qui n'a jamais varié. La thèse dcDunant
J'ai dit précédemment que cette troisième période de l'attaque hystéro-épileptique, ou période des attitudes passionnelles, va-riait suivant la richesse d'imagination de la malade. Sur un pre-mier thème fourni par les causes occasionnelles de la maladie, et qui n'est que l'expression pure et simple de la vérité, la malade peut créer des développements, et, si l'on veut me permettre cette expression, exécuter des variations en rapport avec les aptitudes spéciales de son esprit. Parfois même, elle crée de toutes pièces des scènes qui n'ont jamais existé et ne sont que le produit de son imagination, par exemple le charriot des morts de Gl..., et la né-gresse de Marc...
Ler... est une femme sans instruction, elle ne sait ni lire ni écrire et n'a jamais rien appris. Elle n'en est pas moins douée d'une certaine dose d'intelligence naturelle, mais le défaut d'éducation lui a laissé des manières bizarres. Elle a des familiarités choquantes qui, de prime abord, portent les personnes non habituées à son commerce à se demander si Ler... jouit bien de l'intégrité de sa raison. Pour qui la connaît, il est bien évident que la faculté qui lui fait complètement défaut, c'estTimagination.
Aussi nous voyons les attaques de Ler... garder en quelque sorte le caractère brutal des événements qui y ont donné nais-sance.
Les sentiments qui y sont représentés sont l'effroi, la terreur, la crainte. Ils le sont avec une violence inouïe, en rapport avec la
dans laquelle il est parlé de Ler..., montre qu'en 1863, les atta-ques de Ler... étaient marquées d'un délire pareil à celui que nous avons nous-meme observé.
« L... (Rosalie), âgée de trente-huit ans, enfant trouvée, élevée àla campagne. A onze ans frayeur d'un chien enragé; à seize ans seconde frayeur très vive à la vue du cadavre d'une femme assassinée par son mari; à dix-neuf ans, traversant un bois avec une somme de deux cents francs, elle fut poursuivie par un homme et éprouva une violente émotion. La malade se souvient de tout cela avec une grande précision, à chaque attaque où l'hystérie a une part elle répète automatiquement quelques paroles (toujours les mêmes) qui s'y rapportent, mais sa mémoire fait défaut sur tout le reste. »
vivacité de l'impression reçue; mais avec une pauvreté de gestes et d'attitudes en rapport avec le dénuement de son esprit. Pendant qu'elle vocifère, tous ses gestes consistent en de violentes gesticu-lations. Elle cherche à se sauver ou à se soustraire... Elle lutte... Aussi chez elle la deuxième période semble-t-elle se confondre avec la troisième.
Nous avons vu que chez Gl... l'hallucination commençait pen-dant les grandes salutations de la deuxième période, et qu'à ce moment elle s'imaginait courir et se sauver. Au milieu de son dé-lire et de ses cris, Ler... exécute aussi les grandes salutations, les grands mouvements des jambes, les soulèvements du tronc, qui ca-ractérisent plus particulièrement la deuxième période.
Nous pouvons opposer àl'observation de Ler... celle d'une autre de nos malades hystéro-épileptiques, tout nouvellement entréeà la Salpêtrière, et dont les attaques présentent les quatre périodes que nous décrivons. Pendant la troisième période, elle assiste à des scènes de pure, imagination ; elle en prend souvent le sujet dans la nature; elle récite des vers. Les animaux qu'elle voit sont des singes.
Suz. N... 28 juin 1879. Est en attaque depuis le matin.
Après les contorsions et grands mouvements, on la voit se soulever à demi, elle regarde fixement et s'écrie avec effroi «Oh! c'est affreux... Dieu! mais ils vont mourir... » Puis après un moment de silence avec un geste théâtral : « La vague monte!... Entendez-vous l'orage?... Il faut courir les sauver. » (Tous ses mouvements sont en rapport avec ces paroles.)
Son effroi augmente : « Ils vont périr!... s'écrie-t-elle avec un accent déchirant... Ils sont disparus! » Puis elle retombe affaissée, le visage dans ses mains. « C'est affreux!., répète-t-elle. »
Puis les singes viennent la tourmenter « Oh! là là... tous ces singes!... » crie-t-elle en se débattant.
Ensuite, étendue sur le dos, les yeux fermés, elle récite de longues pièces de vers de différents auteurs, Musset, Lamartine, etc., sans faire aucun geste, mais avec des intonations dans la voix, qui rappellent la décla-mation du théâtre.
Un semblable délire doit paraître étrange, et l'on peut se de-mander si l'on a bien affaire ici à une attaque d'hystérie, ou si l'on n'est pas l'objet d'une mystification. Nous sommes heureusement
en possession de signes certains qui mettent l'observateur à l'abri
de toute erreur de ce genre. Sans parler delà régularité de succes-sion des diverses périodes de l'attaque qu'une malade ne saurait in-venter, je rappellerai la présence de l'anesthésie cutanée et senso-rielle, et les effets delà compression de l'ovaire ou des autres points hystérogènes.
Suz. N... dont nous venons de parler est sujette, en dehors de ses attaques, à des accidents bizarres qui sont sous la dépendance de l'excitabilité du nerf auditif. Un bruit quelque peu violent, comme un coup de gong, la plonge dans un état cataleptique que nous aurons occasion d'étudier plus loin.
Pour l'instant, je veux ne me servir de ce fait que pour montrer jusqu'où va l'anesthésie sensorielle pendant l'attaque. Pendant tout le temps de son attaque, Suz. N..., suivant la règle, est insensible à tous les excitants, piqûre, respiration d'ammoniaque, bruit violent..., etc. Il n'est pas alors jusqu'au bruit du gong qui de-meure sans effet sur elle. Pendant la scène du naufrage, pendant qu'elle récite ses vers, de violents coups sont frappés tout près de son oreille, et ni sa mimique, ni son récit, ne'sont troublés. Mais aussitôt que l'attaque touche à sa fin, à peine le premier indice de connaissance a-t-il paru, qu'elle est immédiatement rendue cata-leptique par un bruit modéré du gong.
Après avoir fait ressortir l'influence des causes occasionnelles de l'hystérie sur la nature des hallucinations qui composent la troisième période de l'attaque, et montré comment, dès le début, l'attaque revêt un caractère spécial, une physionomie toute par-ticulière empruntée aux émotions violentes qui en ont déterminé l'apparition, j'ajouterai cependant que, dans la suite, les attaques peuvent se trouver plus ou moins modifiées par des impressions vives ressenties dans leurs intervalles. Ces impressions nou-velles se joignent aux premières pour augmenter la durée et la variété des hallucinations de la troisième période, mais la plus grande part en revient toujours aux influences les plus profondes l111, le plus souvent, tiennent aux premières émotions. Nous avons eu maintes fois l'occasion d'observer chez nos malades quel-
ques modifications des attaques survenues sous l'action de cer-taines émotions, dont il a toujours été facile de retrouver la cause. Je rappellerai ce qui est arrivé à Marc...
Une circonstance malheureuse est venue en 1875 ajouter au côté triste de son délire. Elle est ainsi rapportée dans Y Iconogra-phie : ce II était intéressant de rechercher la cause de ces modifica-tions des attaques (expressions de colère, de dédain, de dégoût). Notre curiosité était d'autant plus vivement excitée que pendant les jours qui suivirent, Marc... était plus triste que de coutume et pleurait souvent. A force d'insistance, nous parvînmes à savoir que, peu auparavant, Marc... était sortie en ville et que, le soir, la personne qui la ramenait à l'hospice et qui lui touche de près par les liens du sang, l'avait fait monter en voiture et avait essayé d'a-buser d'elle. Cette tentative, bien qu'elle ait échoué, l'avait vive-ment et douloureusement impressionnée *. »
En voici un autre exemple :
Alph. B... avait le plus souvent pendant ses attaques des hallu-cinations terribles "rappelant les circonstances qui ont vu naî-tre sa maladie : c'étaient des scènes de la guerre, des hommes morts, des incendies, une femme qui jette son enfant dans le feu...
Le 24 juin nous sommes témoin d'attaques dans lesquelles se manifeste un délire tout différent, et que nous n'avions pas observe jusque-là.
Au début, fixité du regard qui indique la présence d'une hallucination; elle sourit, une sorte de colloque muet s'établit entre elle et un être ima-ginaire. Tout d'un coup la. période épileptoïde la surprend au milieu de son sourire. Ses membres se tétanisent, la respiration se précipite, les paupières battent, la face rougit, l'écume vient aux lèvres. La convulsion de sa face produit une espèce de rictus. Tout le tronc se roidit et se contourne diverse-ment. La phase clonique est marquée par quelques secousses des membres; suit un stertor assez court pendant lequel l'écume coule plus abondante.
Deuxième période. —Après un repos assez court la malade est. prise de grands mouvements de flexion et d'extension du tronc qui se penche en avant pour retomber brusquement en arrière sur l'oreiller, avec des mouvements des jambes...; elle se débat...
1. Rourneville et Regnard, Iconographie photographique de la Salpêtrière, t. I, p. 125.
Troisième période. — Bientôt le rire et la satisfaction reviennent sur sa physionomie. Elle s'agite ou plutôt semble jouer avec quelqu'un, tantôt riant tantôt pleurant. Elle a des mouvements lascifs, et croise ses bras sur sa poitrine comme pour embrasser la vision qui la ravit. Puis elle se calme, paraît rêver, converse à voix basse ; ses paroles sont inintelligibles. Elle chante entre ses dents avec des mouvements de tête, et son expression devient radieuse.
Enfin elle recouvre ses sens, et paraît confuse en reconnaissant les assistants.
Questionnée sur la nature de son délire, elle se cache le visage de ses mains et ne répond qu'avec peine. Elle dit que ce n'est pas bien et qu'elle a honte de raconter ce qui se passe. Mais elle avoue qu'elle est bien heureuse. C'est la première fois que le délire de ses attaques revêt ce caractère. Plus de feu, d'incendies, de guerre, ou de personnages importuns qui viennent l'obséder. C'est au contraire une vision charmante, qui revêt les traits d'une personne qu'elle a vue depuis peu pour la première fois 1 .
La vision est vêtue comme le personnage qu'elle représente, sans habits de couleurs vives. Elle apparaît au pied de son lit, où elle demeure quelques instants lui tenant d'agréables propos, jusqu'au moment où elle s'avance vers elle, ce qui coïncide avec une exacerbation de la douleur ovarienne. Puis la vision l'étreint au point de l'étouffer et elle perd connaissance. C'est le moment où survient la période épileptoïde. Quand l'hallucination reparaît elle se trouve transportée dans un jardin délicieux, planté de grands arbres, et semé de gazon. Alph. B... et son bien-aimé jouis-sent en paix d'un aussi charmant séjour; ils se promènent, conver-sent, lutinent, chantent des duos, etc.
Quand la vision lui dit adieu, elle reprend bientôt connaissance; l'attaque est terminée pour recommencer ensuite avec les mêmes caractères.
Ici l'imagination joue un grand rôle, et tout en prenant son su-jet parmi les personnes qu'elle a vues pendant l'état de veille, la malade crée une scène toute de fantaisie.
!• D après sa tante, la malade aurait toujours été sage; on ne lui aurait jamais COnnu de liaison, môme platonique.
En résumé, si l'on sait faire la part des émotions violentes sous l'influence desquelles se sont développées les premières attaques, des émotions qui ont pu survenir depuis, et de l'imagination plus ou moins vive dont est douée la malade, on retrouvera presque toujours la raison des hallucinations de la troisième période de l'attaque.
Pour terminer, je résumerai en quelques propositions, les prin-cipaux signes distinctifs de cet état nerveux particulier qui carac-térise la troisième période de l'attaque hystéro-épileptique, et que nous avons désignée sous le nom A'attitude passionnelle.
1° L'attitude passionnelle exprime toujours un sentiment, une action ou une pensée.
2° Pendant l'attitude passionnelle, les facultés intellectuelles sont actives; il y a toujours hallucination.
3° Pendant l'attitude passionnelle, la sensibilité générale et spé-ciale est complètement abolie, mais la malade conserve la liberté de ses mouvements.
4° Après l'attitude passionnelle, la malade garde le souvenir de ses hallucinations.
CHAPITRE V
QUATRIÈME PÉRIODE. — PÉRIODE DE DÉLIRE
Après la période des attitudes passionnelles ou poses plas-tiques, on .peut dire, à proprement parler, que l'attaque est ter-minée. La connaissance est revenue, mais en partie seulement, et pendant un certain temps la malade demeure en proie à un délire dont le caractère varie ; il est entrecoupé d'hallucinations et ac-compagné parfois de quelques troubles du mouvement. Ce délire constitue une quatrième période par laquelle passe la malade avant de retrouver son équilibre normal. C'est comme un reste de l'attaque qui s'épuise, et les accidents qui se présentent alors sont justement comparables et, parfois même, identiques à ceux qui précèdent l'attaque et lui servent en quelque sorte de prélude.
§ 1. — DÉ LI RE
Le délire est le plus souvent un délire de mémoire, il porte sur les événements qui ont marqué la vie de la malade. Il est triste et mélancolique. La malade raconte toute son histoire et l'accompagne de lamentations qui ont parfois un accent de vérité vraiment sai-sissant.
Gen... termine presque toujours ses attaques par quelque dis-cours de ce cerne :
« Ah! pauvre Gen...! qui pourra comprendre ma douleur!... Dieu seul... Je devrais ne pas le recevoir... Il m'outrage... Je de-vrais être sa femme, il fait de moi sa maîtresse,., mais je l'aime hop.., tout est perdu pour moi!... »
Tout à coup elle se redresse, et regardant avec des yeux pleins de larmes, comme si quelqu'un venait de s'approcher de son lit : « Tiens!... te voilà!... » Elle pleure abondamment : « Oui, oui.,^ je t'aime et je suis en colère... je voudrais que tout cela finisse... Fais-moi mourir... Personne n'en saura rien... Donne-moi quelque chose pour me faire mourir... » Puis, après un moment de calme: « Et dire qu'il a eu la cruauté de se faire connaître!... Ah! ... la nuit qu'il m'a tout avoué, il aurait mieux fait de se casser une
jambe... Me marier!... jamais de la vie, jamais un homme ne me sera rien... Ah! Camille, Camille! ...je veux mourir dans ma dou-leur! »
Parfois ce délire triste revêt un caractère effrayant. Je l'ai vue un soir, après une série d'attaques, alors que la camisole avait été enlevée, entrer tout d'un coup dans une fureur incroyable. Elle s'était levée, et avec de véritables hurlements de douleur, parcourait la salle, en s'arrachant les cheveux et en frappant de la tête les murs et le parquet. Elle criait : « Ah! malheureuse que je suis! — Je veux mourir. » Trois ou quatre infirmières avaient beaucoup de peine à la maintenir; on essaya, mais sans succès, de lui remettre la camisole. Et cependant, tout ce tapage cessa comme par enchantement lorsque, après l'avoir étendue par terre, je parvins à lui comprimer l'ovaire.
Fig. 79. — Quatrième période : Délire triste.
Habituellement ce délire est plus calme et Gen... commence la longue histoire de ses aventures. La compression de l'ovaire ou les interversions de courants électriques arrêtent brusquement, au milieu d'une phrase, toutes ces divagations, et montrent bien qu'elles sont sous la dépendance de l'affection hystérique. Mais aussitôt après, le délire reprend, et sur un sujet différent; ce qui prouve que pendant le temps d'arrêt, la malade a complètement perdu la mémoire de ce qui vient de se passer. Elle ne continue pas l'histoire commencée, elle en reprend une autre par son mi-lieu, semblant continuer un récit déjà entrepris, ou comme quel-qu'un qui, feuilletant un volume, lirait au hasard les premières lignes de quelques pages.
Ce délire de la quatrième période porte sur les sujets les plus variés. Il est tantôt gai, triste, furieux, religieux ou obscène. Le ton général en est donné par l'impression du moment.
En voici un exemple entre mille :
Depuis quelques jours Marc... est atteinte d'une bronchite, elle est morose, elle est fatiguée de la vie et voudrait mourir. Elle songe beaucoup à une de ses anciennes compagnes du service, Thérèse L..., morte depuis un an.
Elle est prise d'attaques dont les différentes phases se dévelop-pent comme d'habitude, mais dans le délire de la fin on reconnaît la préoccupation de son esprit : « Thérèse!... tu viens me placer tes mains froides sur la figure... Je te reconnais bien... Je te vois assez souvent les nuits... Morte d'une bronchite négligée! — Moi, je veux bien mourir comme ça! — Je voudrais aller au cimetière... Papa?... Je ne le vois pas souvent... Qui voulez-vous que j'aime? Maman est morte à vingt-sept ans... J'ai vécu un an de trop (Marc... a vingt-huit ans)... Voilà ce que c'est de mourir dans un hospice!... Au moins, chez soi, on a des parents qui vous em-brassent... Pourquoi voulez-vous que je tienne à la vie ?... »
A la suite d'un autre accès, le même sujet revient : « Si j'enten-dais seulement dire : la poitrine est prise... Souffrir et ne jamais mourir!... Avoir une vie dure comme la mienne!... Je suis donc une bête... pas comme les autres femmes... »
Marc... n'a pas toujours un délire aussi lugubre. Parfois les scènes du passé reviennent à son esprit ; elle se retrouve avec Er-nest. Absorbée dans ses réflexions, elle parle toute seule, et l'on entend ces paroles prononcées à demi-voix :
« Je n'irai pas à l'école du soir... Vaut autant ça que de savoir écrire... Ça fait autant de bien... Si papa me demande pourquoi je suis rouge, je dirai que j'ai couru... J'ai été te voir hier, tu dois être content... tu m'embrasses toujours... (Gaieté lubrique.) — Oh ! « va à l'école ! va à l'école! » je m'en fiche; je vais à l'école chez lui... il m'apprenait à lire et à écrire..., etc. »
Ce délire de la quatrième période, bien que souvent accom-pagné d'hallucinations sur lesquelles nous insisterons plus loin, se distingue assez nettement des attitudes passionnelles qui carac-térisent la troisième période et dont nous avons longuement parlé. On conçoit que prenant toutes deux leur origine dans des troubles de l'intelligence (délire) et de la sensibilité (hallucina-tions, illusions), la troisième et la quatrième période puissent parfois se confondre.* Peut-être les limites des deux périodes ne sont-elles pas toujours nettement tranchées; mais il n'en est pas moins vrai que chacune d'elles, lorsqu'elle est suffisamment développée, possède des caractères assez précis et distincts pour autoriser la séparation que nous établissons ici.
Si dans les deux cas il y a conception délirante, dans l'un c'est le délire de mémoire, dans l'autre c'est le délire d'action. Dans la quatrième période, la malade converse et raconte; dans la troisième, elle agit. Ici, de la mimique, des attitudes variées; là, des paroles, des discours. Si la quatrième période se parle, la troisième se joue. Les hallucinations sont la raison d'être, la condition nécessaire, sine quâ non de la troisième période, les attitudes passionnelles n'en étant en quelque sorte que la tra-duction objective; elles manquent le plus souvent dans la qua-trième période, et sont remplacées par des illusions.
Pour accuser encore davantage les différences qui séparent la troisième période de la quatrième, nous pouvons opposer à la mobilité des conceptions délirantes delà quatrième période, ce
caractère spécial des hallucinations de la troisième période de se reproduire d'une façon toujours identique. Nous avons vu au chapitre précédent que les attitudes passionnelles, en dehors des scènes de pure imagination, reproduisaient, le plus souvent, les événements qui, par l'impression vive portée sur l'esprit de la malade, avaient occasionné les premières attaques, ou en avaient favorisé le développement. Ces scènes quelquefois gaies, mais le plus souvent terribles, reparaissent à chaque attaque sans jamais rien perdre de leur vivacité, et sont rendues par des gestes, des attitudes, des paroles qui ne varient pas. Le délire de la quatrième période n'est pas ainsi stéréotypé. Il est varié à l'infini, et porte sur les sujets les plus divers. S'il touche aux grandes émotions passées.de la malade, c'est pour en parler comme d'un fait éloigné et non pour les faire revivre dans tous leurs détails, comme cela a lieu dans la troisième période. Mais le plus souvent ce délire de la fin puise son sujet dans les im-pressions journalières de la malade et dans les préoccupations de son esprit ou de son cœur. L'abolition de la volonté rend même toute dissimulation impossible. Aussi la malade découvre-t-elle parfois ses plus secrètes pensées, et fait-elle part de ses projets les mieux cachés.
En outre de ces caractères différents de délire, l'état de l'in-telligence et des divers sens permet encore de distinguer la troi-sième période de la quatrième. Dans la troisième période, la malade est complètement distraite du monde extérieur, et in-sensible à toutes les excitations. Elle ne voit rien, elle n'entend rien, elle ne sent rien. Rien de ce qui se passe en dehors d'elle ne saurait influencer son délire. Dans la quatrième période, sans avoir complètement recouvré ses sens, elle ne demeure pas aussi inaccessible aux influences du dehors. Elle est le jouet d'illusions. Elle entend, mais elle ne rapporte pas le bruit à sa véritable cause; elle lui attribue une signification en rapport avec l'idée qui la possède. Elle voit, mais elle ne reconnaît pas les personnes qui 1 entourent, elle leur donne des noms supposés et les prend pour les personnages de ses hallucinations. Gen... ne manque
Richer. Hystéro-épilepsic. 9
jamais d'appeler du nom de Camille celui qui, arrêtant son attaque par la pression ovarienne, amène ce délire de la qua-trième période»
Chez une même malade la distinction de la troisième et de la quatrième période est toujours facile à établir. Le contraste est saisissant lorsque les deux périodes existent, mais il ne faut pas oublier, comme nous le verrons plus loin en traitant des variétés de l'attaque, que l'une de ces deux périodes peut faire défaut. .
Ce que nous avons dit du délire de Marc... à la quatrième période de l'attaque, montre assez combien il est différent du ta-bleau si varié qu'offrent les attitudes passionnelles de la troisième période. Gl... nous offre un nouvel exemple non moins frappant.
Fig. 80. Délire de la quatrième période.
On se souvient des scènes si émouvantes qui composent la troisième période de l'attaque de Gl... Nous les avons décrites tout au long. La fin de la troisième période est toujours marquée par les mêmes hallucinations : c'est la musique des militaires rouges qui se fait entendre, et la malade, attentive et joyeuse, ac-compagne le rythme du morceau, de mouvements de la tête et du doigt; ce sont les rats qui apparaissent tout d'un coup et lui causent la plus grande frayeur.
Mais bientôt elle se cache la figure de ses mains, et se répand en pleurs abondants (fig. 80). Elle déplore sa destinée et accuse ses parents. Les plaintes sont troublées de temps à autre par des visions d'animaux. La malade a recouvré en partie connaissance, et nous devons considérer cette phase de délire comme appar-tenant à la quatrième période de l'attaque. Peu à peu les larmes cessent et la malade revient complètement à elle. Dans toutes ses attaques, même dans celles qui se répètent pour composer les grandes séries qui durent plusieurs heures, la quatrième période de l'attaque est représentée pour le moins par le délire triste que nous venons d'indiquer. Mais il est des attaques qui offrent une quatrième période beaucoup plus étendue, comme le prouvent les quelques notes qui la concernent consignées ci-après.
Les observations suivantes sont destinées à mettre en relief les caractères spéciaux du délire de la quatrième période sur lesquels nous avons insisté.
Gl..., dans ses attaques du 14 mars 1878, présente une qua-trième période plus longue que de coutume et dont voici quel-ques exemples :
« Ah! non!... je ne savais pas ce que cela voulait dire... J'ai promis de ne jamais les raconter, les trois scènes de la Fête-Dieu!... Ah! non, je ne veux pas les raconter... J'étais habillée en blanc ce jour-là... On m'a de-mandé qui m'avait frappée, mais je ne le dirai pas... Cependant si maman avait voulu, il aurait eu de l'amende. » Après un long instant de silence pendant lequel elle paraît en proie à l'indécision : « Mais non... une poignée de main à contre-cœur... non, non, je n'aime pas tous ces hommes-là. »
On entend du bruit à l'extérieur, la malade tressaille : « Sauvons-nous, voilà quelqu'un... je vous assure que j'ai entendu sonner... (Nous avons fait remarquer que, pendant la troisième période, la malade demeure insensible à toute espèce de bruit ou d'excitation quelconque :)... Ah!... M. X... sort là-bas... Non, laissez-moi la paix. »
Plus calme, la malade se couche dans son lit avec l'intention évidente de se reposer. Mais elle est reprise de délire au bout de quelques minutes : « Oh! je te jure que ce n'est pas ma faute... En voilà une femme que cette mère-là..,-Non, non, je ne veux pas y penser... Non, non.... je me tuerai. Il y a déjà bien des fois que cela a raté à la Salpêtrière... Mais ce n'est pas ma faute si c'est son amant... » Elle se cache la figure dans ses mains, pleure... puis sa tristesse devient plus calme.
Nouveau bruit au dehors. — « Oh! ne le laissez pas entrer, je suis perdue... je suis perdue... Oh! dites que je ne suis pas là... C'est bien, c'est bien... à la bonne heure, à la bonne heure... »
Elle revient un peu à elle : « Ah ! mon Dieu, mon Dieu, que j'ai mal à la tête, j'ai mal au cœur. Otez-moi donc cela qui me gêne... Ah! cela me gêne. » Elle désigne la courroie de la camisole qui retient son bras gauche, on la dénoue.
Elle s'assied sur son lit, la tète dans ses mains et semble réfléchir. Le délire revient plus calme. « Non, je ne peux pas me sauver de la Salpêtrière pour te faire plaisir et te suivre en Angleterre... Je t'ai bien accordé quel-ques jours... Je n'aime pas l'Angleterre. Enfin j'essayerai... Dans quelmois?
A la fin d'avril? Tant pis si je ne peux pas.....Non, je suis guérie, je n'ai pas
été à la Salpêtrière... On nous suivra partout; mon père mettra tout à ma poursuite. »
Elle semble alors reprendre connaissance, elle regarde autour d'elle : « Ah! voilà des messieurs que je connais... Enfin qu'est-ce qu'ils écrivent... C'est ce papier que je veux. » Elle fait des efforts pour saisir le papier sur le-quel je consigne son observation.
Puis complètement revenue à elle, elle déplore son sort : « Non ; je vou-drais que vous ayez des attaques comme nous. C'est affreux ! Ça me fait penser à toutes sortes de choses : Ah ! si on savait, etc. »
A la suite d'une nouvelle attaque, la quatrième période est marquée par un délire analogue. Elle converse avec des personnages invisibles. Avec un rire bruyant : « Ah! c'était bien, c'était on ne peut mieux; vous n'allez pas vous battre en duel ? Ah! maman! c'est un lâche... si ce n'était pas lui. (Mouvement de menace.) Si je disais les trois scènes, et ce que je lui ai répondu... Ah! je pourrais avoir des attaques de nerfs à moins... Je ne l'ai dit qu'à une personne... Je ne l'ai pas accepté son argent... »
Elle se tourne d'un autre côté et semble s'adresser à d'autres personna-ges : « Ah ! il est venu au cours!... Je lui faisais des signes avec mon mou-choir. On croyait que c'était à M. X., un externe; je l'ai écrit. Je l'ai quel-que part avec toutes mes lettres... Elles parlent de M. X..., de M. Z... Elles sont cachées... On croit que je ne reçois jamais de lettres... »
Le personnage de la fuite en Angleterre reparaît : « Je ne comprends pas qu'après cela tu dises que je ne t'aime pas ; c'est pour la fin d'avril!... Ah! (Piire bruyant.) Ah! du punch! Ah! donne-m'en encore!... » La tête appuyée sur son bras fléchi, elle demeure longtemps pensive, puis riant : «Ah! des serpents! des serpents! qu'il a dans sa culotte! Ah! ça remue,ça remue!... regarde plutôt... Ah! j'étais enfant! je riais; c'était mal vraiment. Éclat de rire.)... Ah! maman, maman, j'ai vu je ne sais quoi, etc. »
Si le délire de la quatrième période n'esf pas toujours aussi accusé chez notre malade Gl..., par contre il peut prendre une
extension bien plus considérable aux dépens des autres périodes de l'attaque. Et il constitue si bien quelque chose de distinct de la troisième période, qu'on l'a vu, dans quelques cas, remplacer les attitudes passionnelles, et môme formera lui seul une variété de la grande attaque, sur laquelle nous aurons à insister plus loin.
31 janv. 1878. — L'attaque de Gen... a commencé à 1 heure de l'après-midi et ne s'est terminée que le soir. Les diverses périodes se succèdent comme d'habitude. — La 4e période est marquée d'un délire dont voici quelques exemples :
« Ah ! il est là !... s'écrie-t-el!e en s'élançant vers un des assistants, qu'elle prend pour Camille... Non, il faut que je parte d'ici! Non, Camille, je l'ai dit, c'est bien dit... Mais couvrez-moi. » Puis ramenant sa chemise: «Quelle horreur de me laisser découverte comme cela!... Tu as le cœur, le cou-rage d'avoir empoisonné la vie de cette « créature », comme tu dis. » Après un instant de repos, elle se relève dans un élan plein de dignité théâtrale, et montrant du doigt un petit crucifix attaché à la tête de son lit : « Si je voulais te confondre, regarde ce Dieu qui est mort pour toi... Qu'est-ce qui vient les nuits?... » Un accès épileptoïde interrompt ce beau discours. — Ensuite elle se redresse, son bras gauche demeure contracture. Elle cherche dans son lit, soulève ses draps ; tout d'un coup elle frappe du poing en criant : « Elle est tuée! » Elle ne paraît cependant pas délivrée; car son inquiétude croît. « Ah ! j'en ai plein le pied... Elles me mangent... Otez donc toutes ces vipères. » Elle se roule sur son lit en se cachant la figure de ses mains. — Au bout de quelques instants elle est plus calme : « Ah! ah ! fait-elle en se lamentant, il ne va venir que dans une heure. Camille... Camille... attache-moi, guillotine-moi, je t'aimerai toujours. Je n'ai jamais aimé personne!... Laf... est le père de ma fille, etc. » Le délire continue sur sa fille. Ensuite elle se couche: « Nous allons dormir, Camille et moi... là, dormons... Ah' horreur!! (Elle est dérangée par les vipères.) Ah!... Camille!... j'y vais. (Elle se lève, les infirmières la retiennent.) Laissez-moi. Nous pouvons bien nous en aller, je ne suis pas malade... (Elle tend la main vers Camille.) Tu t'en vas... » Elle se revêt de son drap : « Non, non... ce n'est pas à Loudun... M. Delaménardière... j'ai sa carte... le premier interne qui m'a soignée à l'Hôtel-Dieu de Poitiers... (Suit une longue dissertation sur Poitiers.) » Elle ne prend pour Camille, et m'entretient longuement de sa fille. « Je t'ai fait bisquer ce matin!... Qu'est-ce que tu m'as encore fait cette nuit... Tu ne m'en as pas donné autant que je voulais... Tu m'as dit que je te ferais mourir, etc.. »
D'autres fois le délire est remplacé par un mutisme obstiné. La malade est taciturne, elle fuit la société, il est impossible de lui arracher une parole.
Ou bien elle est prise, par accès, d'un rire nerveux dont elle n. peut se défendre; c'est ainsi que Lesp... termine habituellement ses attaques.
Enfin, ce qui est plus rare, la malade demeure stupide, elle cherche dans son lit, arrange ses draps, etc.. et, suivant l'expres-sion pittoresque deCalmeil, semble mettre de l'importance à pas-ser pour imbécile. Cette terminaison est beaucoup plus fréquente dans les accès d'épilepsie vraie, à la suite des" vertiges du petit mal.
§2. — HALLUCINATIONS, ZOO.PSIE.
Le délire est mêlé d'hallucinations, des voix se font entendre... La malade se lève pour courir au-devant de celui qui l'appelle. Elle voit encore des personnages connus, ou des scènes complète-ment imaginaires.
Nous avons déjà dit qu'au moment où finissent ses attaques, Gl..., écoute la musique, elle fait signe du doigt. C'est la musique des militaires rouges.
Soudain, elle est saisie d'une grande frayeur causée par les rats noirs avec leurs longues queues.
Puissurvientledéliremélancolique: « Malheureuxparents,etc...»
Après ses attaques, Gl... a des « visions », se fait des peurs. Elle revoit un ouvrier peintre qu'elle allait souvent visiter quand elle était jeune; un chien qui se jette sur son frère, le mord et se sauve emportant un morceau de chair à sa bouche; — d'autres fois elle s'imagine qu'elle va mettre les pieds dans l'eau ; — elle voit des bêtes noires, semblables à de gros rats, qui se promènent à 4 ou 5 mètres d'elle, ou des bêtes plates, noires, à coquilles *.
Ce qui semble caractériser ces hallucinations de la fin, c'est la fréquence et la persistance des visions d'animaux.
Gen... est assaillie par des vipères et des corbeaux. Au milieu
1. Iconographie phot., par Rourneville et Regnard, t. II, p. 129.
du délire dont nous avons parlé, elle s'arrête soudain, l'effroi peint sur ses traits, elle soulève ses draps ou sa chemise : « Des vipères!... j'en ai plein mon lit... elles me montent partout le corps. ))
Les corbeaux apparaissent habituellement du côté gauche de son lit.
Fig. 81. Quatrième période. Zoopsie.
Gen... 26 février 1878.— Après une série de 14 attaques, survient le délire de la 4e période. — « Chameau, C..., va c'est fini, je ne te reverrai plus ; oui, c'est fini, bien fini, je te déteste... Oh! couvrez-moi, miséricorde... A boire, à boire. Ah ! regardez tous ces corbeaux... (Elle entre dans une grande agi-tation.) De grâce, délivrez-moi... On me tient les jambes... Ils me laissen toutes ces vipères monter dans le corps... Ah! S..., ôtez-les donc, tous ces corbeaux, toutes ces vipères. (Elle se débat avec fureur pour échapper aux bêtes qui la poursuivent») Ah! sale bête, veux-tu t'ôter de là... Il faut que je me défende... M. X., Camille, laisse-moi lever... Ah! qu'elles sont mé-chantes. Laisse-moi donc lever... M. Y..., ôte donc toutes ces vipères ; ôte-les de grâce, enlève-les, oh ! laisse-moi lever... »
La compression ovarienne interrompt le délire et amène une nouvelle attaque, à la suite de laquelle reviennent les visions de vipères et de cor-beaux.
Marc... s'écrie tout d'un coup avec un geste d'horreur : « Tous
ces crapauds!... » puis, avec des larmes : «Papa... tu es là de-dans... (Elle crache)... Des araignées... Ah! ce rat... etc.. »
Elle se livre parfois à une pantomime des plus comiques en sou-tenant contre ces bêtes imaginaires une lutte acharnée (fig. 76).
Ler... termine son attaque par une phase qui présente à un haut
Fig. 82. Quatrième période. Zoopsie.
degré les principaux caractères que nous assignons à la quatrième période. — Le délire si violent, si terrible, dont nous avons donné un exemple plus haut (p. 418) et qui fait partie de la troisième période, fait place à un délire plus calme. L'agitation cesse, la ma-lade n'assiste plus aux scènes affreuses qui ont occasionné sa maladie, elle les raconte. En même temps, elle a des hallucinations de l'ouïe et de la vue, elle voit des animaux; elle a recouvré en partie connaissance, elle se plaint de douleurs atroces dans la tête ou dans les membres, est prise de vertiges, et voit parfois ses membres se contracturer partiellement.
Voici quelques exemples de cette quatrième période des attaques de notre malade Ler...
11 février 1878. — La grande attaque dont nous avons rapporté quelques fragments plus haut se termine ainsi. L'attaque a commencé à sept heures et demie. Il est dix heures cinq minutes. Après une période épileptoïde bien marquée, et une période de grands mouvements désordonnés et de rage, sa fureur s'épuise peu à peu. « Ah ! Jean-Louis-Philippe!... il a tué sa femme, le chameau!... Tiens, v'ià pour toi ! (Elle frappe de grands coups de pied sur
le lit). Ah! ton affaire est réglée (40 h. 7). Ah!... le propre à rien, crois-tu qu'il a tué sa femme ? (Elle s'assied sur son lit, tourne la tête de côté et d'autre.) Tiens, v'ià pour toi! (Elle a trois violentes éructations.) v'ià pour toi (10 h. 10). Oh! le chameau! (Elle se couche.) On a fait un bel enterrement à sa femme, s... vieux maquereau salé! Quand j'étais en nour-rice... La première peur, c'est un chien enragé... (10 h. 11)... Attends donc, c'est pas ma fille. (Elle s'adresse aune des infirmières qui l'assistent; elle a l'habitude d'appeler « ma fille » la surveillante du service.) Tu as bien travaillé... (Elle se répand en injures.).'.. (10 h. 12). Attaché à la queue du chevreau... on l'a enchaîné... Ah! c'est effrayant... c'est-y lâche (10 h. 13)! On m'a rentrée dans l'auberge, je me suis trouvée mal...Es-tu là, ma fille? (Elle s'adresse à la surveillante ; cette question s'explique, parce que pendant tout ce délire ses yeux sont convulsés en haut, et elle ne voit pas.) La troisième peur, c'est un feu dans le pays... Veux-tu que je te dise où? c'est en Picardie... On a mis le feu à la paille (10 h. 14), puis ils se sont sauvés, comment?... (Elle rit.)... un homme "qui s'est soûlé!... (Rire.) J'étais dans le commerce... Y sont là-bas, les vaches... imbécile, t'as beau trotter... (Rire.)... le v'ia qui va sur les toits, les rideaux... (Rire.) (Elle raconte une histoire sur son maître, quand elle était dans le commerce, et l'entremêle d'injures et de rires.) »
Je lui demande combien elle portait d'argent lorsque les voleurs l'ont poursuivie, et elle me répond avec une connaissance parfaite: « 250 fr. ».
Puis son regard se fixe, elle étend le doigt... « Il a le toupet de me regarder celui-là!... Il a des bêtes, des souris, des rats, des papillons... des mouches... (10 h. 20). Pourquoi tout tourne?... Regarde donc mes bêtes, papillons, rats gris... souris noires... comme ça court... (10 h. 21). Veux-tu t'en aller... » Elle voit des merles, son regard demeure fixé en haut sur les rideaux des fenêtres.
Survient un accès épileptoïde qui dure cinq minutes, puis le délire recom-mence.
«Oh! Jean-Louis-Philippe! il a tué sa femme... A boire! à boire!... (Elle se met à genoux, se frotte les mains, claque des mains.) Oh ! Jean-Louis-Philippe!... (Elle se frotte de nouveau les mains. Elle boit en tenant le gobelet de plomb avec ses dents seulement, elle ne veut jamais boire au-trement durant ses attaques.) Ah! les chameaux. Il y a des bêtes... » Elle s'accroupit sur son lit et fait la mimique de souffler le feu (fig. 83). Puis elle se redresse en criant : « A chat! à chat! » Elle se frotte les mains, frappe de la tête sur le lit, a plusieurs éructations qu'elle accompagne d'un « Vlà pour toi ». Elle se lève et fait sur son lit une véritable culbute, elle répète la culbute plusieurs fois. « Arrête donc tout ça, la mécanique tourne. » Elle recommence deux culbutes.
« Ah! les jeanf..., ils ont foiré dans mon lit, je ne [veux pas coucher dans ce lit, je sais bien que ce n'est pas toi. » Elle prête l'oreille comme si quelqu'un l'appelait du dehors. « Oui, j'y cours, mon ami... si tu es prêt, je ne le suis pas, moi... Comme ils voltigent... plus que j'ouvre mes yeux
plus qu'y a des bêtes... On m'appelle..., je veux f. mon camp... Entends-tu les bourdons... J'ai t'y mal à la tête... Ça m'étonne que je ne voie pas le diable (Rire.), dépêche-toi, donne-moi ma chemise... As-tu vu les écureuils?.. » Elle se lève, met sa chemise et ses souliers. « Oui, j'y vais. » L'infirmière la retient. « Une fois dans ma vie ils ne veulent pas me laisser voir Ernest. Il m'appelle, il est là-bas avec sa lanterne magique. Je vais lui dire par la fenêtre qu'il ne m'attende pas. » Elle crie par la fenêtre et va regagner son
Fig. 83. Quatrième période. Ler... « souffle le feu ».
lit. A pçine couchée elle est saisie d'un tremblement nerveux. Elle demande des boules aux pieds. « Oh! les bêtes, fait-elle en regardant au plafond.... t'entends pas le bourdon..., tais-toi, mon vieux, je t'écrirai... (Il est onze heures).
Ler..., comme on le voit, n'a pas toujours beaucoup de suite dans son délire. Mais elle présente ce fait singulier de voir se re-produire à la fin de ses attaques toujours les mêmes actes et les mêmes hallucinations. Les personnes du service qui assistent sou-vent la malade pendant ses attaques ne s'y trompent pas. Elle se frotte les mains et les yeux, en demandant qu'on lui rende ses yeux; elle s'agenouille sur son lit, la face contre les draps, et souffle le feu ; elle crie « Achat !...à chat!... »; elle faitdes culbutes, elle demande à boire, et boit le gobelet aux dents, elle entend les bourdons et voit des bêtes. Nous pouvons rapprocher ces faits de ce qui a lieu chez une autre de nos malades dont nous avons parlé, Gl..., qui, au moment où se termine la troisième période de l'at-taque, ne manque jamais d'entendre la musique des militaires rouges et de voir des rats.
Obs. Ler... 5 février 4878. — A sept heures moins le quart, attaqueuniqne composée d'une première période épileptoïde bien nette, d'une deuxième période de grands mouvements (soulèvements du tronc, grandes salutations, agitation des jambes, etc.), d'une troisième période avec un délire très agité, mêlé de grands mouvements, et d'une quatrième période qui se pré-sente ainsi :
Ler... exécute plusieurs culbutes complètes. «Ah! c'est comme ça; attends, va. » Elle crie: A chat! à chat!... Elle s'accroupit sur soi! lit pour souffler le feu. Elle a comme des grognements de rage. « Attends un peu... Lâche-moi... des bêtes... à boire, à boire ! » Elle boit deux gobelets. « Où que je suis? Ote-moi donc toutes ces bêtes-là. Y a que toi qui sais arranger cela... Cache-moi, c'est le principal... » Elle cause avec volubilité, converse avec les assistants. «Attends que je frotte mes yeux... Vlà mon lit qui tourne. Arrête-moi donc... Je tombe dans la fosse... Entends-tu les bourdons?... Chasse-moi toutes ces bêtes-là. J'en ai plein mes couvertures. » Elle raconte qu'elle a refusé de se laisser embrasser pour cent sous. « Ils pourront dire tout ce qu'ils voudront, je suis vierge tout du long... Ote-moi donc les bêtes... Faut que je m'en aille... J'ai une chaudière dans la tête, tu vois bien que ça bout. Laisse-moi... Arrête mon lit, tu vois bien que tout tourne... » Elle voit des rats gris tout le long du mur, des souris, des hannetons... des papillons de toutes les couleurs avec des petits ronds brillants par-dessus les ailes. « Arrête donc... nous allons tomber, le lit tourne, tu ne te fais pas de bile... nous tombons... Donne-moi à boire, j'ai le gosier sec... » Elle boit. « Ça va mieux. » Elle étend les membres, se plaint encore des bêtes.
Il est 7 heures 20, Ler... est toujours agitée, mais l'attaque paraît bien terminée.
Ces phénomènes de la fin des attaques de Ler... dont nous faisons une classe à part en les rangeant clans la quatrième pé-riode, ont été parfaitement observés par M. Bourneville en 1875.
«Ces scènes (les contorsions, le délire des bourreaux, etc.), qui sont effrayantes, font place à d'autres phénomènes : mouvements de déglutition bruyants, mouvements de lappement, hoquet. Ler... prétend qu'on lui tire la tête, les « pés » (les pieds) ; cette dernière sensation s'explique par la contracture qui existe durant l'attaque. Elle détire ses membres, se plaint de souffrir de l'épigastre, à la tête; bavarde; on court après elle, elle tente de s'égratïgner la figure; frappe ses mains l'une contre l'autre, parce qu'elle a des « fourmiches » ; se gratte la tête ; s'imagine que sou lit marche et roule: que tout saute ; furète dans son lit ; appelle son « cher ami Ernest ». Elle a des bêtes dans le ventre.
« Entends, dit-elle, comme ils sonnent. » Elle gratte sa langue sur laquelle °n a mis du plomb. « Tout le bataclan remue ! » Se plaint de voir double,
fait des grimaces. Enfin, elle demande à boire, avale un verre d'eau d'un seul trait et tout paraît finid. »
C'est pendant cette période de l'attaque que se produisent les affirmations les plus audacieuses. La malade croit à la réalité de ses rêves et de ses hallucinations, elle accuse souvent les plus innocents avec une persistance, un accent de sincérité fait pour tromper les plus incrédules.
Un certain soir Wit..., au sortir de ses attaques, accuse Gl... de lui avoir dérobé ses fleurs 2. Elle l'a vue, elle l'a prise sur le fait, il n'y a qu'un instant. Et nous sommes demeurés près d'elle tout le temps qu'a duré son attaque. Gl... n'a pas même paru dans la salle. Tous nos efforts n'arrivent pas à convaincre Wit... qu'elle est victime d'une hallucination.
Gen... est intimement persuadée qu'elle a vu Camille, elle serait prête à le jurer à la face du ciel et de la terre.
Il y a là un trouble mental fort intéressant, mais que nous ne fai-sons qu'indiquer ici. En effet, cette croyance à la réalité des halluci-nations persiste parfois en dehors du temps des attaques. Nous en avons un exemple frappant dans Gen..., qui croit à la réalité de son commerce avec Camille. Nous pouvons nous expliquer ainsi les dépositions de ces malheureuses, qui, aux temps de sorcellerie, s'accusaient elles-mêmes avec tant d'audace et d'obstination, se vouant à la torture et au bûcher, plutôt que de renoncer à la croyance d'un commerce diabolique qui n'avait jamais existé que dans leur imagination. A une époque plus rapprochée de nous, la connaissance des faits que nous indiquons ici peut jeter quel-ques lumières sur le malheureux procès dont la Roncière fut vic-time en 1834 3.
1. Bourneville, Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie et l'hys-térie, 1876, p. 146.
2. Witt..., comme presque toutes les hystériques, avait orné la tête de son lit de fleurs artificielles.
3. Causes célèbres de tous les peuples, par A. Fouquier, cahier 4.6.
§ 3. — TROUBLES DU MOUVEMENT
La contracture générale ou partielle persiste souvent après l'at-taque.
Fig. 84. Quatrième période. Contractures généralisées.
A. — Contracture généralisée. La contracture généralisée peut être douloureuse au point d'arracher à la malade, complètement revenue à elle, des cris déchirants.
Gen... à la fin de ses attaques voit souvent ses quatre membres contractures dans des situations variables. Le plus souvent ils sont dans l'extension (fig. 84), mais ils ne restent pas dans une im-mobilité absolue. La contraction semble varier à tout instant, aug-mentant ou se relâchant un peu. Un tambour myographique appliqué sur le mollet montre, par le mouvement continuel du levier enregis-treur, que le muscle demeure peu de temps dans Te même état de contraction. Tantôt la contracture s'exagère successivement sur les différents segments du corps, de sorte que les membres se contournent les uns après les autres; tantôt le mouvement est encore plus restreint et se trouve limité aux pieds, aux mains et même à un seul doigt. Ou bien le tôtanisme général s'accuse par-
tout à la fois, tous les muscles se dessinent sous la peau en sail-lies vigoureuses, et ces exacerbations de la contracture arrachent des cris à la patiente.
Fig. 85. Quatrième période. Contractures généralisées.
La contraction des muscles abdominaux est telle que la com-pression ovarienne devient très difficile; lorsque cependant on ar-rive à la pratiquer, le relâchement musculaire se produit peu à peu et la contracture peut cesser complètement pour reprendre aussitôt que la compression n'est plus exercée. Les interversions des courants électriques sont sans effet sur ces contractures.
Cet état de contraction musculaire sfénéralisée donne à la ma-lade des attitudes variées et souvent bizarres, (fig. 85) qui, malgré leur ressemblance avec les attitudes que nous avons décrites dans le tétanisme de la période épileptoïde et dans la période des contor-sions, s'en distinguent aisément. Nous avons déjà signalé comme caractères communs aux attitudes du tétanisme et aux contor-sions : — a) leur variété ; — b) la perte de connaissance au moins apparente; — c) l'immobilité tétanique; et comme carac-tères distinctifs: — d) le peu de durée; — e) le spasme de la respiration; — f) la perte de connaissance absolue, pour les attitudes de la phase épileptoïde; — d) la durée souvent longue;
— e) l'absence de troubles respiratoires; — f) parfois la pré-sence d'une hallucination pénible, pour les attitudes de la phase des contorsions.
Ici:
a) Les attitudes sont également variées.
b) Mais la perte de connaissance n'existe pas, il n'y a pas d'hal-lucination, la malade a parfaitement conscience de son état; elle
Fig. 86. Quatrième période. Contractures généralisées.
souffre horriblement et demande à grands cris qu'on la sou-lage.
c) De plus, l'immobilité n'est pas absolue, l'attitude ne de-meure pas longtemps la [même; elle varie sinon dans son en-semble, au moins partiellement, vu l'état de contraction instable du muscle; nous sommes en présence d'une sorte de crampe gé-néralisée qui s'exaspère tantôt sur un point, tantôt sur un autre; c'est un phénomène purement musculaire, et le sensorium com-mune n'est point atteint.
d) Enfin cet état peut se prolonger et la respiration n'est habi-tuellement pas troublée.
Marc... voit souvent ses attaques se terminer comme celles de Gen... par ces contractures généralisées (fig. 86).
Nous aurons à examiner plus loin comment la prédominance de ces crampes généralisées donne à certaines de ces attaques, que les malades appellent du nom de tortillements, un caractère particulier.
B. —¦ Contracture partielle. La contracture partielle, qui par-fois succède aux attaques et se montre dans la quatrième période, n'est habituellement pas douloureuse. Elle atteint un bras, une jambe, ou bien une partie de la face, la langue..., etc.
Elle peut porter sur les viscères : la contracture de l'œsophage peut empêcher pendant un certain temps l'alimentation, et la contracture du sphincter de l'urètre nécessiter le sondage.
Parfois au contraire l'attaque laisse derrière elle une parésie ou une paralysie de certains muscles, se traduisant par l'impuissance fonctionnelle d'un membre, par l'incontinence d'urine..., etc.
Enfin les secousses ou commotions épileptoïdes générales ou partielles peuvent se rencontrer ici comme dans les prodromes de l'attaque. Il en est de même des spasmes viscéraux : hoquet, nausées, vomissements, borborygmes, etc..
Je rapporterai à titre d'exemples quelques observations dans lesquelles ces différents troubles musculaires ont été observés:
Ler..., 14 février 1878. — Grande attaque, qui commence à trois heures i demie, présente les diverses périodes dont il a été question et se termint ainsi : Après le grand délire des brigands, des voleurs, des assassins, le calme se fait peu à peu. Elle s'assied sur son lit. « Ah ! c'est comme ça », elle se pré-pare à faire la culbute : « Dis rien, va ! » Elle exécute plusieurs culbutes entremêlées d'imprécations grossières. Elle se met à genoux, la face con-tre le lit, elle converse avec Ernest, à voix basse : « Tu m'embêtes, tu dis toujours des bêtises... Ah! va te f. f... » Elle « souffle le feu», crie à chat! à chat!... exécute des mouvements rapides de rotation de la tête, pousse des grognements de rage, demande à boire. Elle boit, suivant son habitude, le gobelet aux dents. Puis elle se prend de rage contre elle-même, cherche à se déchirer la figure. « Arrête-moi donc ces bêtes-là. J'ai mal au dos et dans le cou. » Les plaintes se prolongent : a J'ai des crampes!... Ah! mes pieds!... mon pied se tortille... (Contracture de-pieds.) Qui vient là?... Je ne vois pas clair... (Les yeux convulsés cachen
la pupille sous la paupière supérieure). Mon Dieu, qu'est-ce qu'il y a là-dedans? (Elle se frappe la tète.) Ça va mieux!... (Les jambes sont toujours contracturées). Laisse-moi, je t'envoie une giffle... Si j'avais mes mains, comme je dévorerais tout ça... Laisse-moi frotter mes yeux, que je voie clair... (Elle cherche à échapper aux étreintes des infirmières qui la maintiennent.) » Bientôt la contracture des jambes cesse. Elle fait de grands gestes avec les mains. Les yeux ne sont plus convulsés. Elle regarde dans la cour. « Je commence à voir clair... Ah! c'est Henriette. (Elle désigne une infirmière.)... Le diable dans la cour!... J'ai bien ma robe, il faut que je parte... » On ne la maintient plus... Elle furète dans son lit, chasse les bêtes... arrange les oreillers. Puis, se mettant debout sur son lit, elle se livre à quelques grandes gesticulations... Il est 5 heures 10. L'agi tation persiste encore pendant quelque temps.
Gl... 18 juillet 1878. — Hier soir, Gl... a eu des attaques jusqu'à onze heures. Puis elle s'est sauvée dans la cour, après s'être décamisolée toute seule, et en maugréant contre les malades de la salle qui se plaignaient. Elle reste dans la cour jusqu'à une heure du matin et se laisse ramener sans difficulté, disant qu'elle ne sait pas trop comment elle est là, ni ce qu'elle y fait. Un gros chat qui lui fait peur, achève de la décider à rentrer. Elle affirme que ce chat était véritable.
Ce matin elle ressent les phénomènes douloureux de l'aura qui précède habituellement ses attaques; elle a des hallucinations, elle voit des hommes dans le costume primitif d'Adam. Sur les six heures, à la suite d'un aura, elle sent son bras droit qui tourne, elle croit que c'est le début de son attaque, mais elle ne perd pas connaissance. La convulsion s'arrête, son bras droit demeure contracture, le poing fermé et fixé dans le dos entre les deux omoplates. En même temps la langue se contracture, la pointe en l'air, appuyée contre le palais. Elle veut parler et. ne peut pas, les mâchoires sont fortement serrées. Elle s'aperçoit que les personnes remuent les lèvres au-tour d'elle, elle n'entend rien. Elle est sourde et il se produit un bourdon-nement continuel dans ses oreilles. Elle n'a pas remarqué que ce fût plutôt dans une oreille que dans l'autre. La jambe droite est contracturée dans l'extension, le pied en varus équin.Les membres du côté gauche sont libres.
Nous la voyons à onze heures, elle est dans une sorte de rage de ne pouvoir entendre ni parler. Elle fait signe qu'elle souffre beaucoup dans l'épaule droite.
M. Vigouroux, en appliquantes pôles d'un aimant à peu de distance de la jambe gauche qui est libre, en détermine la contracture, pendant que la jambe droite, qui était contracturée, recouvre sa souplesse. M. Bourneville fait tout cesser en quelques instants par la compression ovarienne droite, maintenue quelques minutes. Les contractures disparaissent, la parole revient, elle entend.
Mais alors survient un hoquet violent avec des secousses dans le ventre et les membres supérieurs. Elle vomit à deux reprises des matières vertes et du café qu'elle avait pris hier.
richer. Hystcro-épilepsie. 10
Les secousses, d'abord assez violentes et très rapprochées, s'éloignent peu à peu et diminuent d'intensité; à quatre heures de l'après-midi, elle n'a plus qu'un rare hoquet qui ne s'accompagne que de légers mouvements convulsifs dans les bras.
« 20 octobre 1872. —Observation Ler... —Attaque hystérique, avec con-torsions violentes, suivie, le 21, de paralysie de la vessie avec rétention d'urine nécessitant le cathétérisme, et, le 22, d'une contracture de la langue exigeant l'alimentation par la sonde œsophagienne. La langue est dure, comme tassée, rétrécie dans sa largeur, mais épaissie, recourbée en S. La pointe est appliquée contre la face postérieure de la partie droite de l'ar-cade dentaire inférieure. La première courbure de l'S comprend les deux tiers postérieurs de la langue, qui fait gros dos. Lespiliers antérieurs du voile du palais sont contractures, insensibles au contact. La base de la langue obture à peu près absolument l'isthme du voile palatin.
» 27 octobre. —Attaques violentes à la suite desquelles disparaissent la con-tracture de la langue et celle du col vésical. A la rétention d'urine succède une incontinence. D'habitude les contractures disparaissent en deux temps!. »
Il n'est pas rare de voir au contraire des troubles musculaires, contractures ou paralysies, qui existaient parfois depuis plusieurs années, cesser brusquement à la suite d'une attaque convulsive. Des faits de ce genre ont pu passer pour des miracles, comme le témoigne le récit de Montçeron.
Je ne ferai qu'indiquer ici les sécrétions qui parfois terminent l'attaque.
Les urines abondantes et claires ont été signalées par tous les auteurs. Pour Sydenham, l'urine claire est un signe pathognomo-nique de l'hystérie.
Mathieu parle de P « émission d'une sorte de mucus vaginal, si fréquemment observée à la fin des attaques d'hystérie, que des auteurs ont considéré comme un sperme féminin 2 ».
« Une jeune dame, rapporte Cerise, avait plusieurs fois pai jour de légères attaques d'hystérie, lesquelles se terminaient par une abondante salivation 3. »
Cette quatrième période peut durer de quelques heures à plu sieurs jours.
1. Rourneville, loc. cit., p. 140.
2. Mathieu, loc. cit., p. 505.
3. Cerise, An. mécl.'psyc, sept. 1843.
CHAPITRE VI
MARCHE. — DURÉE DES ATTAQUES. — ÉTAT DE MAL HYSTÉRO-ÉPILEPTIQUU
A. Marche des attaques. Durée. — Les périodes dont on vient de lire la description se succèdent dans l'ordre que nous avons suivi, pour constituer une attaque d'hystéro-épilepsie régulière et complète. La période épileptoïde dure en moyenne de une à trois minutes. D'ordinaire elle est nettement séparée, par un moment de calme, de la seconde période (clonisme : grands mouvements et contorsions), dont la durée est à peu près égale à celle de la période épileptoïde. Enfin la ligne de démarcation est bien moins nette entre les attitudes passionnelles et la deuxième période, l'hallucination commençant quelquefois pen-dant celle-ci. La période des attitudes passionnelles est la plus longue, elle dure en moyenne de cinq minutes à un quart d'heure.
Ces trois périodes, qui constituent à proprement parler l'attaque, ont ensemble une durée moyenne d'un quart d'heure à une demi-heure. La quatrième période, qui est plutôt une sorte de prolonga-tion de l'attaque que l'attaque elle-même, a une durée fort difficile à préciser. Elle peut être fort courte, de quelques minutes seule-ment, ou se prolonger beaucoup plus longtemps.
B. Etat de mal hystéro-épileptique. — L'attaque d'hystéro-épilepsie se montre très rarement isolée. Elle se répète plusieurs fois de suite, pour former ce qu'on appelle des séries d'attaques, parfois fort longues. C'est l'état de mal hystéro-épileptique.
Dans les séries, les attaques se succèdent de deux façons : 1° Elles s'imbriquent, c'est-à-dire qu'une attaque n'est pas finie qu'une autre commence aussitôt. La malade ne reprend pas con-
naissance. Dans ce cas, la quatrième période fait défaut, et les at-titudes passionnelles sont brusquement interrompues par la période épileptoïde d'une nouvelle attaque. La quatrième période ne se montre qu'à la fin de la série.
2° Les attaques sont séparées par un intervalle de lucidité plus ou moins long, comme il arrive toujours chez Gl..., qui, entre cha-cune des attaques composant ses séries, jouit d'un repos de dix minutes à un quart d'heure. Dans ce cas l'attaque est complète et la quatrième période est représentée.
Le nombre des attaques qui composent une série peut être con-sidérable, de vingt à cent, quelquefois davantage. La série se pro-longe pendant quatre, cinq heures et même un jour entier.
Enfin les séries elles-mêmes peuvent se succéder, ne laissant par jour que peu d'heures de repos, pendant lesquelles la malade prend quelque nourriture. Et cet état peut durer quinze jours, un mois, et même davantage.
Georget parle d'un cas où l'attaque avait duré quarante-cinq jours, et les attaques partielles qui la composaient avaient des intervalles de repos de quarante à cinquante minutes.
Un caractère clinique très important, signalé par M. Charcot dans ses Leçons sur les maladies du système nerveux, sé-pare Vétat de mal hystéro-épileptique de l'état de mal épilep-tique : « Si, dans l'état de mal épileptique à grandes séries, la tem-pérature s'élève très rapidement à un haut degré, en même temps que la situation devient des plus graves, au contraire, dans l'état de mal hystéro-épileptique à longue série, la température ne dé-passe guère le chiffre normal, et d'ailleurs l'état général conco-mitant n'est pas de nature à inspirer de l'inquiétude. » (Charcot).
Les attaques qui composent une même série ne sont pas toutes d'égale durée, ni parfaitement semblables. Dans le commence-ment les attaques se montrent violentes et précipitées ; vers la fin de la série, au contraire, elles se prolongent et semblent gagner en étendue ce qu'elles perdent en intensité.
Si nous essayons de résumer les observations que nous avons faites à ce sujet, voici comment, dans la généralité des faits, se
comporte une série d'attaques dont la durée est de plusieurs heures.
Dès le début l'attaque est souvent incomplète; une des périodes fait entièrement défaut ou ne se présente qu'à l'état d'ébauche. Bientôt les trois principales périodes se montrent complètement développées; période épileptoïde, période des contorsions et des grands mouvements, période des attitudes passionnelles se suivent sans interruption, et ne laissent à la malade ni trêve ni repos. C'est en quelque sorte le fastigium ou la période d'état de la série; la durée en est plus ou moins longue. Puis la violence des accidents diminue peu à peu. Les diverses périodes sont séparées par un intervalle dereposet les attitudes passionnelles sont suivies du délire de la quatrième période, qui prend une importance de plus en plus giande. Ce délire s'accompagne parfois d'une demi-connaissance, et quelques instants de lucidité complète séparent les attaques. Les grands mouvements ont souvent cessé; les contorsions sont rares; enfin, les attitudes passionnelles s'effacent peu à peu, cédant la place aux accidents variés de la quatrième période. Le délire se prolonge, les contractures générales ou partielles surviennent et arrachent des cris à la patiente. Il ne reste plus des autres périodes de l'attaque que quelques phénomènes épileptiformes qui se mon-trent de loin en loin et finissent par s'épuiser complètement.
La malade demeure encore en proie à quelques-uns des phé-nomènes de la quatrième période, qui cessent bientôt entièrement, ou persistent au contraire pendant un temps fort long.
Voici quelques observations dans lesquelles la durée des diverses périodes a été notée avec soin ; on y trouvera quelques exemples de la façon dont se modifient les attaques vers la fin de la série.
14 mars. — Gl...
I. 1° Période épileptoïde................................... 85"
Intervalle de calme................................... 30
2° Grands mouvements................................... 60
3° Attitudes passionnelles. — Scènes gaies.................. 85
Scènes de terreur qui se terminent par quelques altitudes
erotiques de courte durée........................... 135
II. 1° Période épileptoïde.................................... 85"
Calme.............................................. 10"
2° Grands mouvements.................................. 90"
3° Attitudes passionnelles :
Phase gaie........................................ 90"
Phase terrible..................................... 40"
III. 1° Période épileptoïde................................... 60"
2° Grands mouvements................................... 110"
3° Attitudes passionnelles :
Colère, provocation................................. 30"
Supplication....................................... 45"
Lubricité........,................................ 45"
IV. 1° Période épileptoïde................................... 60"
2° Grands mouvements.................................. 90"
3° Attitudes passionnelles................................ 150"
Les attaques suivantes, observées chez Marc..., ne présentent que deux périodes : a) période épileptoïde; b) période des hallucinations et de délire.
1° — Période épileptoïde..................................... 55"
Tableau gai................................ .......... 45"
Cris, plaintes.......................................... 15"
Colère et dédain....................................... 30"
Reproches............................................. 40'
Délire indifférent...................................... 15'
2° — Période épileptoïde..................................... 30"
Délire triste, plaintes...................,............... 15"
3° .— Période épileptoïde..................................... 40"
Tableau terrible»....................................... 25"
Défi.................................................. 50"
4° — Période épileptoïde..................................... 20"
Supplication........................................... 10
Gaieté............................................... 45"
5° — Période épileptoïde..................................... 90
La période épileptoïde se répète sans interruption........... 45"
Hallucination.......................................... 15"
6° — Période épileptoïde..................................... 35"
La période épileptoïde se répète comme dans l'attaque précé-dente............................. ................. 30
Tableau gai........................................... 30"
Tableau terrible....................................... 15"
Désespoir............................................. 10"
Joie.................................................. 10"
Lubricité............................................ 45"
Désespoir, s'arrache les cheveux.......................... 40"
70 — Période épileptoïde..................................... 40"
Délire se prolonge... ..................................
Ler..., 11 février 1878. —Grandes attaques. Les attaques ontdébuté àsept heures et demie, il est neuf heures vingt lorsque nous observons la malade. Nous sommes au plus fort de la série, qui se termine à onze heures. Voici la durée et la composition des cinq dernières attaques dont nous sommes témoin :
lre Attaque. Durée de quinze minutes. Elle est ainsi composée :
a) Période épileptoïde.
b) Grands mouvements et contorsions de la deuxième période.
c) Hallucinations terribles de la troisième période.
2e Attaque. Durée de quinze minutes.
a) Période épileptoïde.
b) Grands mouvements et contorsions de la deuxième période.
c) Hallucinations terribles de la troisième période.
d) Le délire de la quatrième période apparaît.
3e Attaque. Durée de six minutes. Bien que plus courte, cette attaque pré-sente les mêmes caractères que le numéro 1. On n'observe pas le délire de la quatrième période.
4e Attaque. Durée de quatorze minutes et plus.
a) Période épileptoïde.
b) Contorsions et grands mouvements de la deuxième période.
c) Les hallucinations terribles de la troisième période n'existent pas.
d) Délire de la quatrième période.
5e Attaque. Durée de trente et une minutes.
a) Période épileptoïde.
b) Rage et grands mouvements.
c) Les hallucinations de la troisième période ne reparaissent pas.
d) La quatrième période se prolonge.
L'on voit dans la seconde moitié de cette série les hallucinations de la
troisième période se supprimer pour faire place au délire de la quatrième période.
18 mars 1878. —Marc... a ses grandes attaques depuis neuf heures du matin. Elles se succèdent sans interruption pour constituer une série, ou état de mal hystéro-épileptique. Jusqu'à 10 heures 20, moment où nous l'ob-servons, on a déjà compté dix-neuf attaques.
Les attaques sont composées des trois premières périodes. Voici comment se déroule l'attaque dont nous sommes témoin à notre arrivée :
20e attaque. — l10 période. Grands mouvements toniques décrits p. 51, et représentés fig. 17, avec grincements de dents, puis mou-vements cloniques généralisés. Ondulation du ventre. — Cette période est très courte.
^"période. Trois grands mouvements de « salutation ». Trois cris perçants et prolongés.— arc de cercle.
3e période. Délire lubrique avec attitudes passionnelles en rapport avec l'hallucination. — Elle appelle Ernest, en-voie des baisers, etc.; vers la fin, elle voit des rats, se livre contre eux à une lutte acharnée. Nous prenons note de la durée des attaques qui suivent :
21° attaque. — lre et 2e période............................. 35"
3e période.................................. 4' 40"
22e attaque. — lrc et 2e période............................. 1' 10"
3e période.................................. 5'
23e attaque. — lre période................................. 50"
2e période.................................. 45"
3e période.................................. 30'
Pendant cette dernière période, qui se prolonge 1/2 heure, les attitudes passionnelles ne cessent pas un seul instant. Les tableaux gais et les tableaux tristes se succèdent. Et tour à tour r Ernest : et la « négresse » en font les frais, ainsi que nous l'avons raconté plus haut (p. 103).
24e attaque. — lre période.................................. 1'
2e période manque.
Les attitudes passionnelles font également défaut et sont rem-lacées par un délire triste accompagné de plaintes et de contrac-tures généralisées que l'on doit ranger dans la 4e période. La durée de cette 4e période est de................................... 2f
25e attaque. — lre période.................................. 40"
2e période n'existe pas.
3e période avec attitudes passionnelles bien carac-térisées .................................. 10'
Comme d'habitude, les scènes d' «Ernest» et de la c( négresse apparaissent et la remplissent tout entière-, mais c'est pour la dernière fois. Dans les attaques qui suivent, la 3e période n'existe plus et est remplacée par les phénomènes de la 4e période. Cette modification des attaques présage la fin de la série.
26° attaque. — lrc période, consistant surtout en grands mou-vements toniques. La phase de résolution n'existe pas............................. 70"
2° période n'existe pas.
3" période fait défaut.
4e période marquée par un délire triste, accom-pagné de plaintes et de contractures généra-lisées; la connaissance revient en partie...... 6'
27e attaque. — lro période.................................. 60"
2e et 3° période manquent
4° période comme précédemment.............. 3'
28e attaque. — lrc période................................. 80"
2e et 3e période manquent.
4e période marquée par un délire plus calme. Elle pleure abondamment. La contracture per-s;ste néanmoins......................... 4'
29e attaque. — lre période................................. 55"
4e période avec pleurs, plaintes et contracture gé-néralisée.........¦..................... 3'
30e attaque. — lrc période................................. 50"
4e période se prolonge.
Marc... pleure, la contracture se détend peu à peu, et les douleurs sont moins vives.
Dans cette série d'attaques nous avons vu, vers la fin, les grands mouvements disparaître, et les attitudes passionnelles de la 3e pé-riode être remplacées par des phénomènes qui appartiennent à la 4e période.
1er février 1878. — Marc..., pendant que nous la questionnons sur les signes prodromiques qu'elle ressent depuis le matin, tombe tout d'un coup en attaqué ; il est trois heures et demie.
Les attaques se succèdent rapidement, nous notons leur durée ainsi qu'il suit :
4e attaque. — 1° Période épileptoïde écourtée, réduite à une téta-nisation généralisée avec grincement de dents, palpitation des paupières et ondulation des
parois abdominales .-................•..... 20"
2° Gris. Grands mouvements................... 30"
3° Attitudes passionnelles. Lubricité............. 1' 20"
5e attaque. — 1° Période épileptoïde écourtée................. 15"
2° Cris. Grands mouvements................... 45"
3° Attitudes passionnelles. Lubricité et dégoût..... 1' 15"
6e attaque. — 1° Période épileptoïde........................ 30"
2° Cris. Grands mouvements................... 30"
3° Attitudes passionnelles..................... 3'45"
7e attaque. — 1° Période épileptoïde........................ 15"
2° Grands mouvements........................ l'45"
3° Attitudes passionnelles...................... l'30"
8e attaque. — 1° Période épileptoïde......................... 15"
2° Cris. Grands mouvements................... 20"
3° Attitudes passionnelles...................... l'30"
9e attaque. —1° Période épileptoïde plus accusée............. 45"
2° Cris. Grands mouvements..........,........ 45"
3° Attitudes passionnelles..................... 3' 15"
10e attaque. — 1° Période épileptoïde écourtée................. 10"
2° Grands mouvements........................ 20"
3° Attitudes passionnelles...................... l'25"
41e attaque. — 1° Période épileptoïde........................ 10"
2° Grands mouvements, dis................... 15"
3° Attitudes passionnelles, dégoût, lubricité, fureur. 12'
12° attaque. — 1° Période épileptoïde........................ 20"
2° Grands mouvements. Cris................... 40'
3° Attitudes passionnelles...................... 6'35"
13e attaque. — 1° Période épileptoïde----.................... 25"
2° Grands mouvements. Cris et contorsions........ 2'
3° Altitudes passionnelles..................... 13'
15e attaque. — 1° Période épileptoïde très accusée : phase tonique avec les grands mouvements de moulinet des bras, phase clonique avec la respiration sac-cadée................................... 1'
2° Grands mouvements........................ 45"
3° Attitudes passionnelles...................... 13'
18e attaque. — 1° Période épileptoïde........................ 20"
2° Cris. Grands mouvements. Rage.............. 40"
3° Attitudes passionnelles...................... 2'
19e Attaque. — 1° Période épileptoïde bien marquée............ 45"
2° Grands mouvements. Rage, mouvements désor-donnés ................................ 3'
3° Attitudes passionnelles..................... 2'
20e Attaque. — 1° Période épileptoïde........................ 25"
2° Grands mouvements........................ 10"
3° Attitudes passionnelles..................... 15"
21e Attaque. — 1° Période épileptoïde, avec phase tonique et clo-nique bien accusée...................... r
2° Pas de grands mouvements. 3° Pas d'attitudes passionnelles.
4° Plaintes.................................. 1'
A ce moment l'attaque change de physionomie. On ne retrouve plus les grands mouvements, ni les attitudes passionnelles. Par contre surviennent les contractures généralisées, et le délire triste de la 4e période.
22e attaque. — 1° Période épileptoïde........................ 25"
2° Grands mouvements........................ 40"
3° Pas d'attitudes passionnelles.
4° Contracture généralisée, avec plaintes et retour
de la connaissance........................ 3'
23e attaque.—4° Période épileptoïde courte.................. j
4° Contracture généralisée, plaintes............ |
24e attaque. — 1° Période épileptoïde bien marquée, avec phase \ tonique, grincemejit de dents et phase clo- j
nique.................................. 2'30"
4° Contracture généralisée.................... V
Délire triste, demande pardon............... /
25e attaque. — 1° Période épileptoïde....................... j ^
4° Plaintes et contractures.................... j
26e attaque. — 1° Période épileptoïde............. •......... )
4° Délire triste............................. )
27° attaque. —1° La période épileptoïde est réduite aux grands
mouvements toniques..................... 15"
4° Contractures généralisées. Plaintes. Retour de la connaissance............................ 3'
28e attaque. —¦ 1° Période épileptoïde marquée, au milieu de la contracture généralisée qui persiste, par la perte de connaissance, l'exacerbation de la contracture, les grands mouvements toniques, et les convulsions cloniques des membres et
des muscles de la face................... 45"
4° Retour de la connaissance. Plaintes. Contracture
généralisée............................ 2'15"
29e attaque. — 1° Période épileptoïde comme précédemment..... 30
4° Contracture généralisée, plaintes............. 5'
30e attaque. — 1° Période épileptoïde incomplète.
2° Plaintes et contracture généralisée. Délire.
Enfin, l'attaque se trouve réduite à un état de contracture généralisée avec retour de la connaissance et sensation douloureuse très vive dans les membres contractures. De temps à autre surviennent quelques phénomènes épileptoïdes qui s'accompagnent d'une perte de connaissance de courte durée. La malade demande à grands cris qu'on la soulage.
Nous lui donnons du chloroforme. Il est cinq heures et demie. — La série d'attaques a duré deux heures et à été composée de 30 attaques. La durée moyenne de chaque attaque a donc été de quatre minutes.
A la suite des séries d'attaques, la malade est courbaturée, mais elle est loin d'éprouver une fatigue en rapport avec la dépense
musculaire énorme qui s'est produite. La plupart même sont encore, pendant plusieurs heures, en proie à une agitation qui éloigne le repos. Quand tout est fini, il faut peu de temps pour réparer les forces ; le visage, un peu défait, ne tarde pas à reprendre sa colora-tion habituelle, et aucun signe sur la physionomie ne trahit la gra-vité des accidents qui viennent d'avoir lieu. Même chez les hysté-riques dont les séries sont fréquentes, la santé générale ne paraît pas altérée; plusieurs ont de l'embonpoint.
La régularité que nous avons signalée dans le mode de succes-sion des diverses périodes d'une attaque, peut se retrouver dans le mode de succession des attaques qui composent une série.
Un exemple bien curieux nous en est donné depuis quelque temps par Wit...
Les attaques composant la série ne se ressemblent pas. La série compte quatre attaques qui se succèdent ainsi qu'il suit :
N° I. — lr0 Période. — Tétanisme prolongé; membres dans l'extension; — mouvements cloniques;— secousses; — stertor;
— écume.
2e Période. — Grands mouvements; —; la tète frappe l'oreiller. 3e Période. — Attitudes passionnelles ; — elle voit le lion rouge ;
— crainte, terreur et menace; elle lève le poing.
N° IL — lrc Période. — Semblable à la précédente.
2° Période. — Grands mouvements; — la tête frappe l'oreiller;
— puis arc de cercle parfait; les bras sont dans l'extension; les yeux ne sont pas convulsés; respiration normale. Cette période se prolonge de deux à trois minutes.
La période des attitudes passionnelles fait défaut.
N° III. — lre Période. — Ne varie pas.
2e Période. — Grands mouvements; — pas de contorsion.
3e Période. —Attitudes passionnelles ; elle voit Alphonse; scène lubrique; réveillée, elle se plaint amèrement.
N°IV. — lrc Période. — Toujours la même.
^Période. — Grands mouvements; — puis contorsion qui ne ressemble pas complètement à la contorsion du n° II; arc de cercle incomplet : elle est couchée sur le côté droit, les bras fléchis,
les coudes portés en avant et les mains sur la poitrine; — durée, deux à trois minutes.
La, troisième période manque, comme dans l'attaquen° II.
Après cette première série commence immédiatement une se-conde série, exactement semblable à la première, et ainsi de suite. En résumé, l'attaque entière est composée d'une série de séries.
Cet ordre est tellement invariable que si par 1a pression ova-rienne on supprime l'attaque n° I à son début, c'est l'attaque n° II qui commence. Si l'on veut me permettre une comparaison un peu banale, mais qui me paraît devoir bien faire comprendre ce qui se passe ici, notre malade ressemble à ces boîtes à musique qui possèdent plusieurs airs différents, mais disposés dans un ordre invariable. Arrêtons-nous successivement une, deux, trois attaques, il semble que nous ayons sauté un, deux, trois crans de la boîte à musique, et si nous laissons ensuite l'attaque suivre son cours, c'est le motif suivant, le n° IV, qui s'exécute. De telle sorte que chez cette malade nous pouvons à volonté laisser se dérouler l'une ou l'autre de ses attaques.
CHAPITRE VIT
FAITS NOUVEAUX A L'APPUI DE LA DESCRIPTION PRÉCÉDENTE.
observations nouvelles recueillies a la salpêtrière. observations inédites recueillies en dehors de la salpêtrière. observations puisées dans les annales de la science.
Dans l'étude descriptive qui précède de la grande attaque hys-térique, nous sommes loin d'avoir mis à contribution tous les faits que nous avons rassemblés à ce sujet. Les éléments de notre description ont été puisés presque exclusivement parmi les malades hystéro-épileptiques réunies dans le service de M. Charcot à la Salpêtrière et que nous avons pu étudier à loisir pendant notre internat de 1878.
Mais il ne faudrait pas croire que l'attaque convulsive de la grande hystérie avec les caractères que nous avons décrits soit spéciale aux malades de la Salpêtrière, sur lesquelles se sont plus particulièrement concentrées nos études. Sans méconnaître l'in-fluence que peut avoir l'imitation sur la forme que revêtent les accidents de l'attaque hystérique, nous pouvons affirmer qu'elle est ici hors de cause, et nous saurons plus loin faire la part qui lui revient dans les modifications dont certaines parties de l'attaque sont plus particulièrement susceptibles. Toujours est-il qu'en dehors du milieu d'où sont sorties ces recherches, notre descrip-tion, tout au moins dans ce qu'elle a d'essentiel, subsiste toute entière. C'est ce que nous espérons prouver par les faits accu-mulés dans ce chapitre, qui forme en quelque sorte la seconde partie de notre démonstration. Dans ce but, nous avons divisé nos observations en trois catégories :
I. Observations nouvelles recueillies à la Salpêtrière.
IL Observations inédites recueillies en dehors de la Salpêtrière et relatives à des malades venues de différents points de la France ou de l'étranger.
III. Observations puisées dans les annales de la science. — Auteurs étrangers
I
Observations nouvelles recueillies à la Salpêtrière.
Nous avons réuni ici les observations relatives aux nouvelles malades hystéro-épileptiques entrées depuis peu dans le service de M. Charcot et dont il n'a été que peu parlé précédemment; nous verrons comment les attaques de ces nouveaux sujets se rapprochent ou s'éloignent de la description que nous avons tracée, et quelle part, dans l'espèce, doit revenir à l'imitation.
PREMIÈRE OBSERVATION.
Suzanne N..., âgée de dix-neuf ans, petite, brune, d'un tempérament ner-veux, très irritable, a reçu une certaine instruction, et est douée d'une vive intelligence. Depuis longtemps sujette à des accès de colère non justifiés, à des frayeurs sans motifs, elle a fini par avoir des crises de nerfs qui, augmentant peu à peu de gravité, ont rendu son séjour dans sa famille into-lérable et forcé ses parents à demander son admission à l'hospice de la Salpêtrière. Elle y est entrée le 24 mars 1879.
Elle est anesthésique et analgésique totale. Les points d'analgésie, irrégu-lièrement distribués à la surface du corps, paraissent prédominer à l'entour des grandes articulations. L'hyperesthésie ovarienne est double avec une prédominance du côté gauche. La malade possède, en outre, deux autres points hyperesthésiques dont l'excitation même légère peut déterminer les attaques. (Voy. p. 36.)
Un bruit violent et inopiné occasionne à l'instant même une attaque de catalepsie. Elle est fort sensible aux pratiques de l'hypnotisation. Nous re-viendrons plus loin sur ce sujet.
Les attaques hystéro-épileptiques sont remarquables par leur régularité et leur conformité au type que nous avons décrit. Elles en diffèrent par un point de détail, fort intéressant et dû au rôle prédominant que joue l'ima-gination dans les scènes d'hallucinations et de délire des deux dernières périodes, comme on pourra le voir par les quelques exemples que j'ai re-cueillis au mois de septembre 1879.
Prodromes des attaques.— Suzanne est avertie, plusieurs jours à l'avance, de l'invasion de ses attaques : « elle les sent venir. » Cependant une vive émotion peut faire éclater les attaques tout d'un coup. Lorsqu'elles sont pré-cédées de prodromes, comme il arrive le plus habituellement, Suzanne le reconnaît à une vive agitation qui s'empare d'elle. Elle a des besoins de remuer, des envies de taquiner, « elle se sent en gaieté, » suivant son expres-sion. Puis elle a, de temps à autre, des visions d'animaux : ce sont des arai-gnées, des rats, des singes qui courent à quatre pattes et lui font des gri-maces. Toutes ces images apparaissent à sa gauche, et se déplacent toujours dans le même sens, c'est-à-dire de gauche à droite. Nous avons déjà insisté sur la loi d'après laquelle ces hallucinations se déplacent. La douleur ova-rienne devient très vive, elle est double, mais avec plus d'intensité à gauche. Bientôt elle éprouve ce qu'elle appelle de fausses alertes. Les phénomènes douloureux de l'aura hysterica se développent spontanément, au point de lui faire croire à l'invasion des attaques; mais la crise s'en tient aux prodromes et avorte. L'aura hysterica présente, chez Suzanne, la succession des points douloureux maintes fois observés en pareille circonstance. Au début, exa-cerbation de la douleur ovarienne, puis douleur précordiale, palpitations, sensation de suffocation et de strangulation, puis enfin, battements dans les tempes, bourdonnements, sifflements dans les oreilles, obscurcissement de la vue et perte de connaisance, si les attaques doivent avoir lieu. Tous ces phénomènes existent des deux côtés du corps, mais avec une prédominance marquée du côté gauche. Je rappellerai ici que les deux zones hystérogènes de cette malade se trouvent également situées du côté gauche.
18 sept. 1879. — Suzanne N... est au milieu de ses grandes attaques à la visite du matin. Selon l'habitude, les attaques se succèdent pour former une série. Nous en notons plusieurs :
I. — a). La période épileptoïde est bien marquée, mais assez courte. On y distingue très nettement la phase tonique et la phase clonique.
b). Après quelques courts instants de calme, la malade se met en arc de cercle, elle pousse de grands cris aigus.—Puis elle s'enfonce dans son lit, se contourne, et finit par se placer en arc de cercle, les bras derrière le dos, reposant sur le ventre, dans l'attitude que représente la figure 46, qui a été dessinée d'après elle, lors d'une autre attaque.— Elle pousse de nouveau de grands cris.
c). Puis son regard s'anime, elle se redresse à demi sur son séant, sa physionomie exprime la terreur, le coude droit est levé comme pour se dé-fendre. Elle semble menacer, mais bientôt l'effroi gagne, et elle se tourne de côté et d'autre, comme pour éviter la poursuite d'un ennemi.
Soudain, son expression change, elle regarde fixement en haut, pendant que la joie et Vadmiration se peignent sur ses traits. Elle lève les deux mains dans une sorte d'attitude extatique : « Ah! qu'ils sont beaux !... » dit-elle, avec l'accent de la plus profonde admiration ; elle exécute de la tête et des bras un mouvement de balancement cadencé : « Ah ! sont-elles jolies,
richer. Hystéro-épilepsie. 11
toutes ces femmes dans ce bateau!... et ces hommes couchés à leurs pieds ! On dirait la Mythologie (sic) qui passe là... On ne voit pas clair partout ail-leurs, tout est noir à l'entour, il n'y a qu'eux qui sont éclairés comme par la lumière électrique. Ah! ça balance!... » Elle imite avec les bras et la tête le mouvement du bateau. Mais tout d'un coupelle s'écrie pleine d'angoisse : « Ils vont tomber... Ah! ça tombe !... » Puis elle se couvre le visage de ses mains, pousse des cris de terreur et se cache la tête dans son oreiller.
d). Mais bientôt elle se redresse sur son séant et se met à causer. Elle n'a plus d'hallucinations. « Oh! pour sûr, je me ferai actrice... ça... on ne me l'ôtera pas de l'idée : j'entrerai au Conservatoire, je ferai deux ans d'études. Puis j'arriverai sur la scène, je déclamerai, je ferai comme Sarah Bernhardt: «Cette lumière que je revois encore me brise le cœur! » (Elle dé-bite cette phrase sur le ton emphatique du théâtre.) Ce n'est pas plus diffi-cile que ça... Quand on parle, on sent ce qu'on dit, et voilà tout. »
Tout d'un coup survient une nouvelle attaque.
II. —10 h. 10 min. a). La. période épileptoïde dure une minute. La phase tonique a lieu dans l'extension, les mouvements cloniques sont très accusés, l'écume coule des lèvres.
b). La malade pousse des cris de rage et s'agite. —Survient l'attitude de Y arc de cercle, pendant laquelle le ventre est animé d'ondulations rapides. —La malade se tourne de côté et d'autre, exécutant une sorte de mouvement de roulis. —Rage, cris. Arc de cercle sur le ventre, (fig. 46.) — La malade se contourne et roule plusieurs fois sur elle-même.
c). Puis elle se redresse à genoux, son visage exprime la terreur : c Traître!... C'est vrai, qu'est-ce qu'il vient faire ici?... » Elle se calme peu à peu, prend un air désolé, puis rit, se couche, s'enfonce dans son lit et se tourne de côté et d'autre.
Elle s'assied, balance les bras et la tète. L'expression est souriante. Le regard est fixé en haut. « Oh! c'est joli... il s'envole. » — Tout d'un coup les traits se contractent et respirent l'effroi, les yeux sont dirigés en haut et à droite. Elle pousse plusieurs cris de terreur, elle se débat, l'œil toujours fixé au même endroit. — Aussi promptement qu'il était devenu affreux, le tableau reprend son calme et sa gaieté : « Oh! c'est joli... » Elle semble suivre du regard quelque chose qui voltige dans l'air : « Il faudrait des chasseurs pour tirer dessus. » Elle cherche dans son lit, gratte: « Oh! oh !... que c'est drôle, ah! ah !..»
10 h. 17. Une nouvelle attaque survient.
III. — a). La période épileptoïde présente les mêmes caractères que pré-cédemment.
b). Arc de cercle avec ondulation du ventre. — Grands mouvements, cris.— Nouvel arc de cercle, la malade repose sur les pieds et la tête; puis tout d'un coup elle se jette sur le ventre dans l'attitude de la figure 46, qui est
un arc de cercle renversé. — Cris en se débattant, et en se jetant à droite et à gauche.
c). Attitude de terreur : la malade est à genoux, penchée en avant : « Ah ! tous ces singes!... maman, je ne veux pas qu'on me frappe... (Elle se débat.) Tous ces singes !... (Geste de menace.) Ils vont le tuer, tant mieux... Oh! tout ce sang!... c'est bien fait. »
10 h. 22. La pression ovarienne ramène la connaissance, qui disparaît aussitôt qu'on cesse cette manœuvre. Suzanne, contrairement à ce qui se passe habituellement, ne reprend pas son attaque par le commencement; elle continue. Une nouvelle attitude passionnelle se reproduit, elle est toute admirative. La malade est sur son séant, les deux mains jointes : « Oh ! comme elles dansent bien ! Sont-elles légères et gracieuses ! On dirait des nymphes!... » L'attaque est suspendue de nouveau par la compression ova-rienne. 10 h. 23.
Bien que la compression ne soit pas maintenue, la malade garde sa connais-sance quelques instants. Mais bientôt survient spontanément une nouvelle attaque.
IV.— a). Période épileptoïde (phase tonique, phase clonique, écume) arrê-tée au milieu de la phase clonique par la compression ovarienne. La malade reprend ses sens. La pression sur le point hyperesthésique mammaire pro-voque une nouvelle période épileptoïde qu'on ne parvient pas à arrêter par une nouvelle excitation portée sur le même point.
b). Cris, arc de cercle dansles diverses situations figurées(fig. 44, 45 et 46.) Ces différentes attitudes se succèdent brusquement, et ne durent chacune que quelques secondes.—Cris; mouvements de roulis.—Rage, mord l'oreiller.
c). 10 h. 27. Attitude de terreur, pousse plusieurs ah ! ah! de crainte; succède aussitôt une attitude gaie, qui ne dure pas longtemps. « G'est-y mal-heureux! Pauvre femme!... Enfin, ce n'est pas vrai, on dirait bien cependant que c'est vrai. » Puis elle se met à débiter ces vers d'Alfred de Musset :
Vous n'avez jamais vu le spectre de la Faim Soulever en chantant les draps de votre couche, Et, de sa lèvre blême effleurant votre bouche Demander un baiser pour un morceau de pain.
« Toutes ces femmes-là, ça se moque des pauvres gens! Moi, je ne m'en moquerai jamais, non, jamais... On ne sait pas comment elles sont arrivées là. D'abord, moi, je n'ai pas le droit de rien dire, ce serait mépriser ma fa-mille elle-même... Je ne suis pas juge des actes de mes parents... ce sont les enfants qui supportent les conséquences... Çam'est égal, je serai actrice. Certainement, je veux me faire actrice... je m'en irai de la maison... (Se ravisant.) Et puis, non, tiens, je me mettrai religieuse. Adorer le bon Dieu ! je mourrai toute jeune... je verrai Dieu... j'irai au ciel. » Elle regarde à droite de son lit : u J'ai un ange gardien, je le vois !... Oh ! qu'il est beau ! »
Elle reste en contemplation, joint les mains, paraît réciter quelques prières, car on voit ses lèvres remuer. Son expression est radieuse, ses yeux grands ouverts sont mouillés de larmes : «Je voudrais qu'il me parle... Oh ! non, je ne me ferai pas actrice. » À peine avait-elle terminé cette phrase qu'une nou-velle attaque survient.
V. — 10 h. 33. a). Période épileptoïde semblable aux précédentes, à cela près que le stertor est plus accusé.
h). Cris, contorsions, mouvements de côté et d'autre, comme ceux que nous avons déjà rapportés. Il s'y ajoute de grands mouvements des pieds qui frappent violemment contre la barre du lit, et des accès de rage, pendant les-quels elle mord son oreiller.
c). 10 heures 34. « Oh! en voilà une poursuite, heureusement que je me suis sauvée! Tirez donc ces bêtes! Voyons... C'est bien malheureux que je sois paralysée !... Je les tuerais toutes. Elles vont venir là... (Mouvement de terreur). Tiens, comme ça sort... (Son regard suit quelque chose en l'air.) Oh ! les belles fleurs rouges! il y a des bêtes dedans, des mouches de toutes les couleurs...» La scène change : « Elle est tout en blanc... La belle couronne qu'elle a sur la tête.... Ah! c'est ça, je savais bien. Tiens, il va se coucher à côté d'elle. Je n'aime pas cette tête-là. Si j'étais gentille comme elle, je ne voudrais pas d'une semblable figure. Après tout, c'est peut-être son habit vert avec des étoiles d'or qu'elle aime! Tiens, un petit toutou... Mords-là. (Elle l'excite de sa voix.) ksi... ksi... Il va les déranger. » Elle rit. « Tiens! du brouillard! ça cache tout! J'ai mal à la gorge... je n'aime pas les temps de brouillard, ça me prend à la gorge.... » Elle tousse, met la main à la gorge, fait quelques mouvements de déglutition, comme pour se débarrasser de quelque chose qui la gène; ce sont les préludes d'une nou-velle attaque qui ne tarde pas à éclater.
VI. — 10 heures 38. a). Première période comme précédemment.
b). Contorsions, cris, grands mouvements, frappe des pieds. Tout d'un coup elle s'arrête :
c). « Oh! ces horreurs de bêtes!.. (Elle frappe sur son lit.) des crapauds! des hannetons ! des lézards! (Elle crache sur ces bêtes.) J'aime encore mieux des grosses bêtes que ces petites bêtes-là, c'est sale! c'est dégoûtant! » — Elle regarde en haut les mains jointes dans une sorte d'extase : « Oh! la belle vierge! Elle est habillée de bleu avec... » Suzanne fait une prière qui dure quelques instants et qu'elle termine par le signe de la croix. « Et dire qu'il y a des gens qui n'y croient pas! » — Elle regarde en bas, cherche dans son lit : « C'est de l'eau, ça! Je ne veux pas me mouiller les pieds.... Oh! (Avec des gestes de dégoût.) il sort des bêtes de là dedans... Quelles sont ces bêtes là? des sangsues; elles n'ont pas de pattes... »
A ce moment un violent coup de gong frappé près de son oreille demeure sans effet. Le délire qui continue est arrêté par la compression ovarienne et la connaissance ramenée. Nouveau coup de gong. Aussitôt Suzanne est rendue
cataleptique, comme cela a lieu habituellement. On abaisse ses paupières avec la main, et survient un nouvel état nerveux, la sommation1. Mais bientôt recommence spontanément une nouvelle attaque.
VIL — 10 heures 48. a).Période épileptoïde comme précédemment.
b). Période des contorsions et des grands mouvements, semblable aux précédentes. Elle enlève l'oreiller avec les dents.
10 heures 49. c). « Oh! tout ce sang! ces plaies!... C'est le champ de bataille! Quel carnage! Ces chevaux morts!... Ces pauvres gens qui ne sont pas tout à fait morts, faut les ramasser, leur bander la tète, les panser... Celui-là qui se plaint... Ohé! monsieur, là-bas, faut lui mettre de l'eau (A part.) il ne bouge pas. Faites un signe si vous entendez, êtes-vous sourd : Il faut lui donner de l'eau. » Elle fait des signes avec la main, regardant en bas, penchée sur le bord gauche de son lit. On dirait que la scène se passe bien loin sous le parquet. « S'il pleuvait, ça ferait revenir tous ces morts-là!... C'est les Prussiens qui les ont tués. Ces maudits Prussiens!...
» Si je pouvais en tuer, quel bonheur! Je boirais leur sang... On va les enterrer comme des bêtes, tous pêle-mêle...
» En voilà un qui étouffe sous son cheval, il faut le retirer... Ces bonnes sœurs qui les ramassent... Il a mal à son bras, celui-là. Il faut lui bander le bras...»
— La scène change. « Oh! qu'il est joli! » Assise sur son séant, l'œil dirigé en haut, elle chantonne et marque la mesure de la tête et des mains. « Y en a-t-il, des paillettes d'or! Ça fait mal à la tête... Comme elles dansent bien!... Oh! ce gaz m'étourdit... Je ne vois plus rien que du brouillard... Oh! oh! ! ça me fait un drôle d'effet. » Survient aussitôt une nouvelle attaque.
VIII. —10 heures 54. a), b). La première et la deuxième période ne pré-sentent rien de nouveau. Elles durent ensemble 2 minutes.
Ensuite Suzanne tourne dans son lit, cherche, furète... « Je te dis qu'il est là-dessous... » Elle fait des grimaces, tire la langue.,. « Monstre!... Je vais aller aux courses, je vais m'habiller... Quelle heure est-il?... Non, c'est comme ça... je suis bien libre, moi. Ah ! ah! » Elle rit, et demeure quel-ques instants couchée, la tête sur son bras gauche replié.
Elle se soulève, un nouveau tableau se déroule à ses yeux. « Oh! il y en a au moins deux millions!... Ils sont à cheval... (Elle fredonne un air mili-taire). C'est beau des soldats!... Georges, regarde donc, comme je serai fière de toi, quand tu seras officier... Après tout je m'en moque pas mal, va. (Elle paraît redoubler d'attention.) Les chevaux sont, encore plus beaux que les hommes. Je ne sais pas pourquoi, mais les soldats ne sont jamais beaux de figure. C'est probablement parce qu'ils n'ont pas de barbe ni de cheveux...
» J'aime mieux les cuirassiers... cependant les bottes ça sent mauvais,. Que de lances au soleil!... C'est la revue... Tiens! Napoléon IV qui passe là.
_ 1. Nous étudierons plus loin ces curieux phénomènes de catalepsie et de somma-tion hystériques provoquées.
Allons, à bas la république puisque l'empereur est revenu. Je croyais qu'il était mort...
» Tiens, il a l'air d'un fat!... — Ça brille au soleil tout ça... Quelle pous-sière!. On ne les voit plus. Toute cette poussière les cache .. Ça prend à la gorge... ça m'agace... en voilà de la poussière... Oh! ça brille, ça éblouitet puis cette poussière!... (Elle tousse, se frotte la gorge.)Allons, je ne regarde plus rien... »
11 heures 4. Nouvelle attaque arrêtée par la compression. Pour sus-pendre complètement cette série d'attaques qui se prolonge, nous soumettons notre malade aux inhalations de chloroforme.
29 septembre 1879. — Suzanne N... est en attaque depuis 11 heures jusqu'à 3 heures 20. La série s'est composée de vingt-six grandes attaques complètes et de cinq attaques bornées à la période épileptoïde. Les grandes attaques n'ont pas changé de caractère, elles se ressemblent toutes et ne varient que par la période des hallucinations et du délire, dont la variété paraît inépuisable. En voici un échantillon :
11 heure 50 a). La période épileptoïde est d'assez courte durée, on y distingue cependant les trois phases habituelles, et l'écume coule des lèvres.
h). Agitations ; cris ; les attitudes illogiques se succèdent au nombre de trois, représentées déjà figures 44, 45 et 46 ; mouvements de roulis.
c). Elle est saisie de crainte, se cache la ligure dans l'oreiller. — Bientôt elle se redresse, et se penchant sur le bord de son lit, l'œil fixé à terre, elle est victime d'une hallucination effrayante qu'elle traduit en ces termes : «Oh! la terre qui s'ouvre... des têtes sortent... ce sont des fantômes... Tiens!... Oh! ces têtes affreuses! ces grimaces qu'elles font!... je n'ai pas peur (Elle se redresse un peu.) Je ne veux pas qu'il me touche, celui-ci... (Brusque mouvement d'effroi.) » Après un instant de silence : « Eh! bien, approche... qu'il ose... (Air de défi.)oh! (Elle rit.) pour sûr que ce n'est pas vrai... si... c'est bien des fantômes... Oh! ... (Long mouvement de surprise et d'effroi.) ces bêtes qui viennent près de moi !... ces crapauds ! Oh! maman ! ds viennent sur moi. (Vive frayeur; elle se retire, se cache sous ses couver-tures.), je n'aime pas ça, des crapauds... c'est sale, pouah!... des crapauds. On voit des singes, des crapauds, de tout dans cette maison-là. »
Le côté gai de l'hallucination ne tarde pas à se montrer. On voit Su-zanne, assise sur son lit, diriger en haut un regard extatique : « Oh! c'est le chœur des anges... qu'il est beau... Ce n'est pas un angepourtanl... Ah! c'est ça... c'est un acteur!... Quelle drôle de tête il a...Tiens! Tiens! (Elle chan-tonne en prêtant l'oreille.) J'aime bien cet air-là... Oui... J'aime bien entendre de la musique comme ça... Mais sont-ils laids, tous ces musiciens!... Ils sont bien galonnés!... de l'or... en voilà de l'or. (Puis se ravisant.), c'est-à-dire du cuivre!... Oh! ça étourdit!... Oh! que c'est drôle !...— Il fait froid!... Brr!... on gèle... En voilà de la neige qui tombe... je ne vais jamais retrou-ver mon chemin!... Quel temps gris!... C'est aussi gris sur la terre qu'au ciel!... Quel tourbillon ! En voilà de la neige... Ça prend à la gorge, ce
froid-là!... (Elle porte la main à son cou comme pour en détacher quelque chose qui l'étouffé.) Toute cette neige!... c'est gênant!.. Je suis tout étour-die. »
Subitement une nouvelle attaque recommence. Il est midi. L'attaque que nous venons de décrire a duré 10 minutes.
Il est difficile de trouver un exemple plus complet et plus con-firmatif de la description que nous avons donnée.
Nous y relèverons les caractères si accusés de la période épileptoïde, la régularité de la période des contorsions, qui se montrent sous trois formes principales et qui se répètent le plus souvent de la même façon, enfin la nature des hallucinations qui président à la troisième période, dont la source est dans l'imagi-nation de notre malade et sur lesquelles nous avons déjà insisté ailleurs.
Les attaques de Suzanne N... n'ont pas toujours eu ce déve-loppement, et l'on serait peut-être tenté de l'attribuer à l'influence du milieu et de l'imitation. En effet, au commencement de son séjour à la Salpêtrière, ses attaques, quoique plus fréquentes, n'offraient pas un caractère aussi nettement défini. Dans ce cas particulier, nous avons eu la bonne fortune de pouvoir observer la malade avant son entrée à la Salpêtrière, alors qu'elle n'avait été en relation avec aucune autre hystérique. Voici les notes que j'ai prises alors, relativement à une attaque dont je fus témoin en ville le 14 mars 1879. La malade est entrée à la Salpêtrière le 24 mars.
Quelques heures avant la crise, la mère de Suzanne raconte que celle-ci cherche à s'isoler. Elle sent qu'elle va être malade, souffre de partout et principalement du ventre. Elle chante, récite des vers... puis, la crise éclate tout d'un coup. Elle s'endort, selon l'expression des parents, mais d'un sin~ gulier sommeil. Transportée sur son lit, ou étendue à terre sur un matelas, elle est rigide, la tète droite, les yeux convulsés en haut, les dents serrées, les bras dans l'extension et la pronation forcée, rapprochés du tronc, les poignets légèrement fléchis, les doigts fermés sur le pouce, les jambes étendues et fortement serrées l'une contre l'autre. Par instants, de légers tressaillements parcourent les bras et tout le corps, quelques mouvements de déglutition pénible se produisent, un peu d'écume vient aux lèvres, les paupières sont animées d'un clignotement menu et rapide. Cette phase, qui présente les
caractères de l'épilepsie, avec prédominance des contractions toniques, dure quelques minutes.
Puis les bras se fléchissent brusquement, et commence alors le désordre des mouvements; il devient très difficile de la maintenir. Quatre personnes y parviennent à peine. La malade se soulève en arc de cercle et retombe brusquement sur le siège, elle pousse des cris perçants, elle tourne la tète de côté et d'autre, s'agite dans toutes les directions et cherche à se déchirer elle-même.
Enfin la malade retombe affaissée, dans la résolution. Quelquefois elle se frotte les yeux, recouvre un instant connaissance, elle parle à sa mère. Mais bientôt survient la raideur, et une nouvelle crise se développe semblable à la première. Les crises se succèdeut ainsi pour former une série.
Au réveil, quand l'attaque est terminée, Suzanne dit ne se souvenir de rien. En tout, l'attaque a duré environ une heure.
Si dans cette attaque nous trouvons sans difficulté une période épilep-toïde et une période des contorsions et des grands mouvements, la période des attitudes passionnelles paraît faire complètement défaut. Cependant la mère de la jeune malade nous raconte qu'à la suite de ses attaques, alors qu'elle a repris connaissance et qu'elle est bien tranquille couchée dans son lit, elle est tourmentée par des hallucinations qu'elle raconte fort bien ensuite. Elle voit des animaux, des singes principalement. Elle a des mouvements de grande frayeur, elle cherche à se dérober; d'autres fois elle manifeste un contentement qui se traduit par des signes non équivoques. Elle demeure parfois comme en extase.
Il est facile de distinguer dans ce que nous venons de rapporter la période épileptoïde, la période des contorsions et des grands mouvements et les éléments de \apériode des attitudes passionnelles. Par les progrès seuls de la maladie, les attaques, en augmentant de gravité, devaient naturellement revêtir les caractères que nous avons observés plus tard, alors que la malade était depuis quel-ques mois dans le service de M. Charcot.
DEUXIÈME OBSERVATION.
Léonore Rob... est entrée le27mai 1879 dans le service de M. Charcot à la Salpêtrière. Petite, brune, constitution peu robuste. A eu sa première at-taque hystéro-épileptique à dix-huit ans. Elle est hémianesthésique du côté gauche et achromatopsique du même côté. La douleur ovarienne existe aussi à gauche. Elle possède, en outre, plusieurs zones hystérogènes. (Voy. p. 37.) Le bruit du gong provoque immédiatement la catalepsie. Elle est très sen-sible aux pratiques hypnotiques.
Les attaques sont précédées des prodromes habituels. L'aura hysterica se développe suivant la loi connue : douleur ovarienne, douleur cardiaque,
palpitations, strangulation ; puis, battements dans les tempes, sonneries dans l'oreille, brouillard devant les yeux. Ces phénomènes se produisent presque exclusivement du coté gauche.
Les attaques que nous avons l'occasion d'observer chez cette malade le 9 septembre 1879 présentent les trois périodes habituelles, avec les parti-cularités suivantes :
l°La première période n'est qu'esquissée. Au début de l'attaque, la ma-lade porte la main au creux de l'estomac, comme quelqu'un qui souffre, puis les bras se fléchissent et s'étendent lentement, ébauchant les grands mou-vements toniques, et tout le corps demeure un instant rigide dans l'exten-sion. La période épileptoïde s'arrête là. Quelquefois même elle paraît man-quer complètement.
2° La deuxième période est bien marquée par des arcs de cercle, de l'agi-tation et de grands sauts de tout le corps.
3° La troisième période se prolonge pendant un temps fort long. Les hallu-cinations et les attitudes passionnelles qui y correspondent sont fort variées. Elle voit des fleurs qu'elle cueille, elle les approche de ses narines pour les sentir. Elle voit des papillons qui volent, des oiseanx magnifiques auxquels elle présente l'index, des singes qu'elle cherche à attirer en faisant un petit bruit spécial avec ses lèvres..., etc. Attitude de menace, de crainte, de colère, de joie, etc. Les tableaux gais et terribles se succèdent tour à tour.
Voici quelques notes prises à son lit, lors d'une de ses grandes attaques, le 25 octobre 1879 :
Léonore a eu des attaques hier soir. Ce matin les attaques ont recom-mencé. Lorsque nous l'observons, elles durent depuis une heure en-viron.
I. — 10 h. 55. La malade porte lamain à l'estomac et se frotte la poitrine. C'est l'indice précurseur d'une attaque.
a). En effet, elle se renverse bientôt, et tout le corps se raidit en se con-tournant ; la face est congestionnée, les yeux convulsés en haut. Celte phase tonique, qui dure peu d'instants, représente à elle seule la période épilep-toïde.
b). Aussitôt après, Léonore exécute de grands sauts, qu'elle répète une dizaine de fois, soulevant en arc de cercle et se laissant brusquement retomber sur le lit. Puis elle demeure immobile dans une attitude bizarre : elle ne repose que sur le siège; les deux bras, croisés derrière les cuisses, élèvent les deux jambes presque verticalement, et maintiennent les genoux contre la poitrine. La tête est renversée, les yeux grands ouverts, et la face sans expression. Cette attitude, qui dure 10 à 15 secondes, se résout tout d'un coup, et les hallucinations commencent.
c). La malade s'agite, en proie à une vive terreur. Elle fait des gestes de menace, sa figure devient terrible, elle s'écrie : «Ah .'boucher, chameau!...
sale bête!... » Elle se cache la tête dans les oreillers, en poussant des cris très aigus. On dirait qu'on l'étrangle1.
Un tableau plus riant succède à cette agitation. Assise sur son lit, les bras croisés sur ses jambes, elle contemple...; sa physionomie respire le conten-tement.
II. — 10 h. 58. Mais la malade porte bientôt la main à sa poitrine, elle se renverse, et presque aussitôt elle se met à exécuter les grands sauts déjà signalés. Cette fois, la période épileptoïde a paru faire complètement défaut.
Les grands mouvements se terminent par l'attitude bizarre, décrite dans l'attaque précédente. Puis commencent les attitudes passionnelles de la troisième période.
Expression d'anxiété. La malade se tient la langue, qu'elle tourne en divers sens dans la bouche. La terreur augmente : « Chameau !... » Alors survient une lutte terrible accompagnée de cris perçants. Le calme revient tout d'un coup, elle appelle des oiseaux et leur présente l'index recourbé. Elle se débat de nouveau, tire la langue, fait des grimaces : « J'ai pas peur de toi, sale bête!... » Survient une attitude dont nous ne comprenons pas bien la signification. Assise sur son lit, elle croise les jambes, saisit son pied droit et se met à sucer son gros orteil. Elle rit à se tordre. La gaieté ne dure pas longtemps: « Te voilà encore, sale bête! » Elle saisit le drap avec ses dents et se met en devoir de le déchirer. On parvient à lui faire lâcher prise, en lui pinçant fortement le nez pour empêcher la respiration. — Elle regarde en l'air avec admiration ; « Quel beau feu d'artifice ! » — Elle se retourne : « T'as beau faire des grimaces, vieux guignol!... » Elle se balance en fai-sant des grimaces.
III. —11 heures 5. Elle porte la main à sa poitrine, et se frotte. Un léger frémissement parcourt tout le corps, elle se renverse, et exécute de suite une dizaine de grands sauts qui se terminent par la même attitude que pré-cédemment.
Attitudes passionnelles. Assise sur son lit, elle joint les mains en regar-dant le ciel, «la Sainte Vierge », dit-elle. Puis elle se renverse, et se mettant en croix, elle dit : a Le bon Dieu fait comme ça ». Cette attitude ne se pro-longe pas, elle se redresse et, accroupie sur son lit, rit aux éclats. — Mais la terreur survient avec une violence extrême. Elle se dresse toute droite sur un pied, le poing levé et la fureur au visage. Tout le poids de son corps porte en avant sur les liens relâchés de sa camisole de force, et plusieurs infirmières la maintiennent difficilement. « Sale bête, dit-elle, tu viens me manger; c'est un ours, voyez sa gueule. »
1. Ge côté terrible de son délire lui représente un boucher qui veut lui couper la langue, lui arracher les dents, la tuer. Dans les attaques qui suivent nous trou-verons d'autres attitudes en rapport avec cette hallucination.
IV.— H h. 0. Sans qu'elle change d'attitude on voit son visageperdre son expression, sa respiration se précipite, ses yeux se convulsent en haut, tout son corps est agité d'un petit tremblement. Peu à peu elle s'affaisse et re-tombe sur son lit.
A peine étendue, les grands sauts commencent. Ils se répètent jusqu'à seize fois, et se terminent par une attitude analogue à celle que nous avons indiquée daus les précédentes attaques.
Attitudes passionnelles. Elle fait des pieds de nez, tire la langue en fai-sant des grimaces. Mais la terreur gagne, elle se lève et entre dans une grande agitation en criant : «Non !Non!»—Elle fait des efforts surhumains on a beaucoup de peine à la maintenir. « Non, je ne veux pas; sale bête, il veut me tuer; tu n'auras pas ma tête. » Elle se cache la tête dans les oreil-lers, en poussant des cris si aigus, si perçants qu'on ne saurait mieux les comparer qu'à ceux d'un porc que l'on égorge. — Elle se redresse et se balance : « Oh ! qu'il est beau ! » Elle fait du bruit avec les lèvres comme pour attirer un oiseau. « Pierre! Pierre ! » crie-t-elle d'une voix forte. — Elle déchire son drap. — Le calme revient : « Oh! les belles fleurs! », dit elle, et elle se penche en avant pour les cueillir. Elle fait le geste de les sentir : « Ça sent bon », ajoute-t-elle. —Nouvelle attitude de terreur, elle lève le poing et frappe le lit : « Sale bête ! » — La connaissance revient tout d'un coup et spontanément : « Tiens te voilà, madame X. (Elle nomme la surveillante qui est près d'elle.); il fait chaud ! » Mais cet instant de rai-son est fort court.
V.—11 h. 15. Nouvelle attaque; la malade se frotte la poitrine et exécute aussitôt les grands sauts de la seconde période.
Les attitudes passionnelles' se succèdent ainsi : Terreur, le poing levé. Elle rit : « Oh ! les beaux petits pigeons ! viens donc ! » Elle leur présente le doigt.—• Sorte d'extase, les mains étendues, présentant leur face palmaire en avant et en haut.—- Terreur. Elle compte ses dents avec le doigt, pousse des cris aigus: «Vieux boucher !» — Elle appelle son chat: « Noireau !... dit-elle en regardant en haut, donne ta patte !... » — Elle se retourne tout à coup comme si quelqu'un venait de passer au pied de son lit : « Comme tu es belle!... tu es mariée aujourd'hui ! Oh! je voudrais me marier... » — Elle reprend aussitôt connaissance. Au bout de peu d'instants recommence une nouvelle attaque.
VI. — 11 h. 19. Cette nouvelle attaque commence par une phase où les signes épileptoïdes sont un peu plus accusés que nous ne l'avons observé jusque-là. La malade se raidit en s'enfonçant dans son lit, le tronc s'incurve en arrière, les jambes à demi fléchies, les bras élevés au-dessus de la tête. La tête est tournée un peu à droite, les yeux sont convulsés en haut et à droite, la bouche à demi ouverte, la face légèrement congestionnée. Il n'y a pas d'écume. Cette attitude tétanique dure peu et cesse tout d'un coup. Si
nous pouvons retrouver là la phase tonique de la période épileptoïde, la phase clonique manque complètement.
La malade exécute ensuite ses grands sauts entremêlés de cris aigus.
Puis elle se redresse, appelle madame X..., fait des grimaces, tire la lan-gue... Ses bras se fixent derrière son dos. « Mes bras ! » crie-t-elle d'un ton de souffrance. Elle a aussitôt recouvré sa connaissance, et fses bras sont contractures.
11. h. 22. Nouvelle attaque. Nous quittons la malade. Mais il est facile de prévoir que la série touche à sa fin, ce qu'indiquent suffisamment et le retour momentané de la connaissance entre les attaques, et l'apparition de la contracture partielle.
TROISIÈME OBSERVATION.
Juliette Dub..., dix-huit ans, forte, grande, d'une solide constitution, est entrée à la Salpêtrière, dans le service de M. Charcot, le 21 mars 1870. A part une lièvre typhoïde à onze ans, Juliette s'est bien portée jusqu'à quinze ans. Vers l'âge de quinze ans, elle aurait eu des attaques d'épilepsie qui ont persisté jusqu'à son entrée à la Salpêtrière.
Six semaines environ après son arrivée ici, on aurait observé les grandes attaques hystériques. Il est possible que cette malade soit à la fois hystérique et épileptique, ou autrement dit, soit atteinte d'« hystéro-épilepsie à crises distinctes ». Mais nous ne saurions l'affirmer, n'ayant jamais eu l'occasion d'observer ce qu'on appelait ses attaques d'épilepsie. Tout ce que nous pou-vons dire, c'est que les attaques dont nous avons été témoin et dont nous rapportons quelques exemples plus loin, relèvent de la grande hystérie ou « hystéro-épilepsie à crises combinées », dont la malade présente d'ailleurs d'autres signes importants. Elle est hémianesthésique à gauche et achroma-topsique du même côté. En outre de l'hyperesthésie ovarienne, elle possède trois zones hystérogènes (voy. p. 37).
Le bruit du gong ne la rend point cataleptique, mais occasionne une attaque épileptiforme. Elle est fort sensible aux pratiques hypnotiques.
Prodromes des attaques. — Dub... présente les.signes précurseurs habi-tuels de la grande attaque hystérique : agitation, perversion des idées et des sentiments, douleur ovarienne surtout du côté gauche, douleur thoracique au-dessus des seins au niveau des zones hystérogènes, strangulation, batte-ments dans les tempes et sifflements dans les oreilles, principalement du côté gauche. Elle offre ceci de particulier qu'au moment où vont éclater les convulsions, elle voit tout en rouge.
26 septembre 79. —Juliette Dub... a ses attaques depuis quelques ins-tants; à notre arrivée, elle est au milieu des attitudes passionnelles.
I. — 10 h. 36. a). Période épileptoïde marquée par une raideur de tout le corps dans l'extension, suivie bientôt d'un tremblement généralisé et violent.
ô).La seconde période est marquée par cinq grandes « salutations» rapides (fig- 47), des sauts irréguliers, un grand cri prolongé, puis un « arc de cercle », la malade reposant sur le côté.
c). La troisicmepériode suit immédiatement,composée d'attitudes passion-nelles variées avec hallucination qui se succèdent ainsi : — Attitude de me-nace, expression terrible. — Expression plus calme, la malade met un doigt sur sa bouche. — Elle se saisit la gorge et se roule sur son lit, en proie à une violente suffocation l. Le visage est congestionné. — Nouvelle attitude de menace. — Terreur. — Plus calme, elle paraît préoccupée d'une vision qui se trouve en haut et en face de son lit, regardant tour à tour à droite et à gauche et changeant de physionomie atout instant.
II.— 10 heures 40. a). Nouvelle période épileptoïde semblable à la précé-dente.
b.) Plusieurs sauts; altitude illogique analogue à celle qui est représentée figure 45, et que nous désignerions volontiers sous le nom d'arc de cercle à concavité antérieure; — puis arc de cercle à concavité postérieure dans le décubitus latéral et les bras fixés derrière le dos.
c.) Assise sur son lit, la malade semble interroger du regard un être invi-sible, les doigts de la main droite sont près de ses lèvres. — Tout à coup terreur; attitude de la défense; au-dessus du coude levé, le visage lance de côté des regards furieux. — Elle regarde sur son lit, touche avec la main, se redresse, se baisse de nouveau, cherche du regard près d'elle, sent son oreiller. — Ses yeux se dirigent de nouveau en haut ; geste de défi. Elle se mord les doigts; fait un signe avec la main comme pour éloigner.
III —a). Tout d'un coup la tête tourne à droite. Raideur générale dans l'extension; puis tremblement.
b). Cinq grands sauts, — cris, — arcs de cercle variés, postérieur (fig. 44), antérieur (fig. 45), puis latéral (fig. 37).
c). 10 h. 48. Mouvement de défense, regard de défi, — elle se croise les bras, semble questionner quelqu'un;—vision plus gaie en haut et à gauche, elle fait quelques signes de dénégation. —Elle regarde à gauche dans son lit, embrasse l'angle de son oreiller, rit, le caresse, l'embrasse de nou-veau. — Attitude de terreur, le regard dirigé en haut et à droite.
IV. — 10 h. 51. a). Tout d'un coup la tête tourne à droite; pendant la raideur générale, la face est congestionnée, les yeux fermés, il n'y a pas d'écume. Le tremblement général est suivi de quelques secousses.
b). c). Les deux autres périodes suivent, présentant des caractères sembla-bles aux mômes périodes des attaques précédentes.
1. Ce mouvement, qu'on pourrait mettre sur le compte de la suffocation hysté-rique, n'est autre qu'une attitude passionnelle, reproduisant le moment où, dans une scène d'amour, la malade menaça son amant de se faire mourir en s'étranglant.
D'autres attaques se succèdent, qui ressemblent beaucoup à celles que nous venons de noter.
10 h. 56. —Nouvelle attaque beaucoup plus courte.
10 h. 57. — Nouvelle attaque.
11 h. — Nouvelle attaque. 11 b. 4. — id.
11 h. 8. — id.
Ace moment on met à la malade le compresseur de l'ovaire. Les attaques sont suspendues par le fait de la compression ovarienne.
Dans la série d'attaques qui vient d'être rapportée, on observe une période épileptoïde nettement indiquée, bien que de courte durée. Les deux autres périodes offrent un remarquable développement.
La série suivante offre beaucoup d'analogie avec celle-là, la période épi-leptoïde est encore mieux accusée.
30 septembre 1879. — Dub... a gardé le compresseur toute la nuit, parce qu'elle sentait l'imminence de ses attaques. Ce matin, au moment où nous retirons l'appareil, les attaques commencent aussitôt.
I. — 10 h. 27. a). Tout le corps se raidit et la période épileptoïde se développe, passant successivement parla phase tonique et la phase clonique.
b). Contorsions.
c). Hallucinations. — Attitudes passionnelles: sorte d'extase, le regard toujours fixé en haut, entrecoupée de mouvements de crainte et de terreur.
II. — 10 h. 30. Une nouvelle attaque débute subitement. à). Période épileptoïde semblable à la précédente.
b). Grands sauts, arc de cercle, cris, arc de cercle dans le décubitus laté-ral (fig. 37), arc de cercle renversé (fig. 46).
c). Hallucination. La malade se tient la tête, elle veut fuir. Cette période est très courte.
III. — 10 h. 32. a). La tête tourne à droite et tout le corps se tétanise-dans l'extension; le bras gauche est fléchi, le poing dans le dos. — Les mou-vements cloniques suivent bientôt.
b). Sauts variés, arc de cercle latéral (fig. 37).
c). Hallucination. —Vision affreuse en haut et à droite; la malade veut fuir. Par la pression thoracique nous arrêtons l'attaque et la malade reprend aussitôt connaissance; mais à peine cessons-nous cette manœuvre que l'hal-lucination reparaît à l'instant même, et la troisième période de l'attaque continue comme si de rien n'était. — Elle regarde à côté d'elle dans son lit et, soulevant les draps, semble chercher quelque chose. — De nouveau son regard se dirige en haut, la terreur se peint sur ses traits, elle veut fuir. — Peu à peu la vision paraît devenir moins terrible, sa physionomie revêt une
expression plus calme. Un léger sourire effleure ses lèvres. Mais soudain survient une nouvelle attaque.
IV. — 10 h. 36, a). La tète tourne à droite, quelques mouvements de déglutition se font entendre ; le tétanisme immobilise tout le corps dans l'extension, un brasse trouvant fléchi, le poing dans le dos. Les mouvements cloniques généralisés suivent.
b). Grands sauts, cris, arc de cercle en avant (emprostotonos), les bras et les jambes étendus (fig. 45); d'un bond la malade se jette sur le ven-tre; arc de cercle renversé (fig. 46).
c). L'haljucination apparaît terrible. « Mais non!., non.,. » elle veut. fuir. Elle se tient la gorge de ses deux mains et paraît en proie à une violente suffocation; le visage est congestionné. —¦ Expression décolère, mouvement de défense avec le bras gauche : « Ah bien! non, méchant... » — Elle se soulève; le regard, toujours dirigé en haut, va de droite à gauche; des expressions diverses se peignent sur son visage ; — elle regarde à côté d'elle sur son lit, semble fureter... Arrêt de l'attaque par la compression ovarienne.
V. — 10 h. 43. Nouvelle attaque aussitôt qu'on cesse la compression. a). Première période semblable aux précédentes.
b). Deuxième période. Sauts, cris et contorsions variées.
c). Troisième période. Hallucinations et attitudes passionnelles. Elle est assise sur son lit et regarde attentivement à côté d'elle : « C'est un char-donneret, » dit-elle. Elle cherche à l'attirer en faisant avec sa bouche un bruit particulier. — Tout d'un coup il semble s'envoler. Elle le suit de l'œil dans l'espace : « Il faut lui couper l'aile. » De nouveau elle abaisse ses regards sur son lit. Elle fait avec l'index le geste de prendre l'oiseau sur le doigt. Elle saisit de ses deux mains un coin de son drap, qu'elle caresse. Puis elle chasse l'oiseau de la main, elle souffle dessus : « Envole-toi »; elle souffle encore. Elle persiste à vouloir le faire envoler, mais il paraît qu'il résiste, car son impatience se traduit bientôt par ces mots : « Sale bête ». — « Tiens, il y a des œufs... ils viennent éclore là... Tiens voilà la mère qui vient... Ils ne sont pas si beaux que chez nous, ils n'ont pas de tête rouge. » Elle les chasse du geste. « Tiens, voilà le père, maintenant. » Elle soulève son oreiller, regarde dessous. Elle persiste à souffler, et répète le geste pour éloigner les oiseaux; son expression devient du dégoût, elle crache sur
eux..... « Tu aurais dû m'apporter un serin, au lieu de m'apporter ça... tu
m'apporteras un serin, Arthur... Je n'ai pas de cage pour eux... Embrasse-moi et puis va-t'en... » Elle donne un baiser. Pendant toute cette scène, la malade est complètement insensible à toute excitation du dehors. On peut lui bander les yeux, son hallucination persiste quand même et ses gestes ne perdent rien de leur précision.
VI — 10 heures 54. Nouvelle attaque qui survient aussitôt après le baiser.
a). La tête tourne adroite et la phase épileptoïde se déroule, semblable aux précédentes.
b). Sauts, cris, contorsions : arcs de cercle variés.
c).Attitudes passionnelles.Sorte d'extase. L'expression,d'abord gaie,devient terrible : « Monstre, infâme!., y a pas de danger... mauvais sujet... Je ne t'aime pas, du reste; non je ne t'aime pas... » Elle fait des signes de tête et son regard est dirigé en haut et à droite.
VII — 10 heures 57. Puis elle porte ses mains à sa gorge et une nouvelle attaque survient, qu'on arrête par la compression ovarienne au milieu de la période des contorsions.
On place de nouveau à la malade l'appareil compresseur des ovaires, et l'attaque est suspendue.
On voit en somme que pendant une troisième période fort développée, cette malade cause fort peu. Dans d'aulres attaques nous avons pu saisir des
lambeaux de phrase comme ceux-ci : « Méchant! Brutal.....Ils vont la tuer...
Tas d'assassins !... Voyez le sang qui coule... oh ! lâches...Tas defaquins, de vagabonds !.... »
Une autre fois : « Non ! je ne périrai pas... oh ! là là... » ou bien encore : « J'ai vu bien des choses, c'est trop triste pour le dire; » etc., etc.
quatrième observation
Math... âgée de vingt ans, petite, brune, très solidement constituée, d'un tempérament sanguin et d'une intelligence bornée, est entrée le 30 juin 1879 dans le service de M. Charcot à la Salpêtrière. Elle a eu sa première attaque à douze ans. Elle est hémianesthésique à gauche, ovarienne du même côté, achromatoptique incomplète de l'œil gauche (elle ne voit pas le violet). Elle possède deux zones hystérogènes, l'une sous-mammaire du côté gauche, et l'autre lombaire située sur la ligne médiane. Le bruit du gong la rend immédiatement cataleptique, elle est sensible aux pratiques hypnotiques.
Les atlaques sont précédées pendant une journée ou plusieurs heures des troubles précurseurs habituels. La douleur ovarienne s'exagère et existe surtout à gauche. De ce côté gauche du ventre la malade ressent des «- glouglou ». Puis la sensation douloureuse monte dans la région du cœur, et la gorge devient le siège de la « strangulation ».
Les tempes battent, les oreilles bourdonnent, principalement du côté gauche. « Son œil saute, » elle a des éblouissements, et voit souvent appa-raître à sa gauche une grosse tête affreuse aux cheveux hérissés, aux oreilles énormes et dont les yeux sont « de toutes les couleurs ».
Les attaques se rapportent parfaitement au type décrit, mais chaque pé-riode conserve l'empreinte d'une vive originalité.
La première période est remarquable par son intensité et a déjà été dé-crite plus haut, page 67.
Les grands mouvements et les cris de la deuxième période ont subi chez cette malade une modification singulière. Ils concourent tous à un même but d'imitation. Ils imitent le chemin de fer. J'ai déjà eu l'occasion d'en l'appor-ter quelques exemples (voy. p. 90).
Enfin les attitudes passionnelles, qui correspondent aux diverses halluci-nations, sont très développées, mais s'éloignent de la règle en ce qu'elles présentent quelques-uns des caractères de l'état cataleptique.
Dans les séries d'attaques que nous avons pu observer chez cette malade, nous avons vu la période épileptoïde ne pas se répéter régulièrement à chaque attaque et faire défaut quelquefois.
Voici quelques notes prises pendant les attaques.
25 septembre. Math... a déjà eu, de 8 à 9 heures du matin, une série d'at-taques à la suite de laquelle elle demeure plongée dans un état cataleptique qui dure encore lorsque nous l'observons à 10 h. 5. Elle est dans le décubitus dorsal, les yeux convulsés en haut et à droite, le faciès immobile. Les membres conservent les positions variées qu'on leur communique. Bientôt de petites secousses qui soulèvent les épaules et les bras indiquent l'immi-nence de nouvelles attaques. En effet, tout d'un coup elle s'agite, elle saute sur son lit, imitant avec sa bouche le bruit du chemin de fer; mais ces mou-vements ne durent pas et ne sont qu'esquissés. Les hallucinations surviennent. La physionomie respire la terreur : « Oh! non... » crie-t-elle. Les yeux lan-cent des regards terribles, elle se débat comme pour se soustraire à un danger.
10 h. 14 m. Nouvelle attaque qui débute par la seconde période. La période épileptoïde fait complètement défaut. Retombée dans le décubitus dorsal, la malade commence à faire avec les lèvres quelques « ch... ch » qui d'abord éloignés se précipitent progressivement, c'est par là que débute l'imitation du chemin de fer; bientôt un mouvement rythmé sur le bruit des lèvres gagne les bras et tout le corps. L'agitation augmente au point que le tronc se soulève complètement pour retomber ensuite sur le lit, et la malade pousse des cris aigus et prolongés qui imitent le sifflet de la locomotive.
Troisième période. — Puis elle se place brusquement dans une attitude que rappelle la figure 45. Le tronc est courbé en avant, les jambes étendues et soulevées au-dessus du lit, les bras étendus également et formant angle droit avec le tronc. La face est sans expression. Dans cette position la malade conserve l'immobilité pendant quelques instants. Elle est cataleptique. Les membres se laissent déplacer facilement et conservent la nouvelle attitude qu'on leur communique. Nous verrons cette même attitude cataleptique se reproduire souvent et marquer le début de la troisième période. Ensuite l'hallucination survient. Spontanément la malade prend une attitude d'effroi, qui se rapproche de celle qui est figurée planche III, page 94, et qui a trait à Marc... Sa physionomie devient terrible.
10 h. 16 m. Nouvelle attaque qui débute également par le « chemin de fer » comme la précédente ; mais l'agitation est encore plus grande. Le
richer. Hystéro-cpilepsic. 12
« chemin de fer » est interrompu par une attitude en arc de cercle. Les cris « de sifflet » ne manquent pas.
10 h. 10 m. 30 s. Troisième période. Attitude cataleptique semblable à celle de l'attaque précédente, suivie également d'une attitude de frayeur.
10 h. 17 m. 30 s. Nouvelle attaque qui présente les trois périodes.
Première période très marquée. La malade se raidit en faisant entendre une longue plainte. La bouche est grande ouverte, les yeux fermés convul-sivement, et tout le visage rouge et contracté. Les bras s'élèvent et font le moulinet en passant alternativement devant la figure avant de s'étendre en pronation le long du corps. Le tronc s'incurve en avant et les jambes se fléchissent. Après un court moment d'immobilité tétanique, les mouvements toniques, de plus en plus accentués, agitent tous le corps. Suit la phase de résolution accompagnée d'un stertor peu accusé.
Deuxième période. — 10 h. 18 m. 30 s. « Chemin de fer » avec grands sauts et cris « de sifflet » répétés.
Troisième période. — 10 h. 19 m. 30 s. Attitude de frayeur, son visage respire l'épouvante, elle cherche à fuir. « Ah! non... non... ah! jamais je ne pourrai souffrir ça! » —Puis l'hallucination change. Le visage devient sou-riant, la tète est tournée à gauche, le regard dirigé en haut, les bras sont étendus dans une sorte d'attitude extatique : « Ah ! qu'elle est belle! » dit-elle à mi-voix. — Son regard se dirige à droite et l'hallucination terrible revient : « Oh! oh! jamais, ça n'est pas possible, c'est pas lui, mais non... c'est un autre!... Oh!... j'aurai le dessus. » Elle se tourne et lutte contre son oreil-ler : « Je suis assez forte... je combattrai... Oh! oh!... » Elle se débat vigou-reusement en répétant : « Non, non... L'expression de la figure est terrible.
10 h. 24 m. 15 s. Math... retombe dans le décubitus dorsal, les yeuxfournent en haut et à droite et demeurent convulsés dans cette direction. Une nou-velle attaque commence qui débute par le « chemin de fer». Cette période se reproduit comme précédemment avec les cris aigus et mêlée d'arcs de cercle.
10 h. 25 m. 15 s. Attitude cataleptique déjà signalée. Puis attitude de ter-reur : « Va-t'en... ne reste pas devant mes yeux!... Ah!... ça se passera mal... » — Attitude extatique, l'œil fixe en haut, le tronc renversé en arrière, le visage radieux, les deux bras levés.
10 h. 27 m. 30 s. Nouvelle attaque qui débute comme la précédente par le « chemin de fer » entremêlé de sauts, d'arcs de cercle, et de cris aigus répétés.
Suivent les attitudes passionnelles tour à tour terribles ou gaies.
10 h. 36 m. Nouvelle attaque analogue à la précédente.
Période des grands mouvements et contorsions. Grands sauts. Le « chemin de fer » n'est qu'esquissé. Gris « de sifflet ».
La période des attitudes passionnelles commence par l'attitude catalep-tique déjà signalée.— Puis la malade pousse un ah! d'étonnement : « Tu ne
m'attraperas pas... » Elle se débat, veut se sauver. Bientôt elle se calme, la surprise est peinte sur son visage : « Ah ! ah!... toutes ces couleurs... c'est noir maintenant, qu'est-ce que c'est que ça?... (cris et rires éclatants) c'est gentil... » Elle se débat de nouveau.
10 h. 40 m. Les paupières sont animées d'un fin clignotement, les yeux se convulsent en haut, cachant la pupille sous la paupière supérieure. C'est le début d'une nouvelle attaque qui présente les trois périodes.
Période épileptoïde. La face se contracte, la bouche ouverte fait entendre une plainte prolongée. Les yeux sont fermés. Le tronc s'incurve en arrière, et les membres exécutent les grands mouvements toniques déjà décrits. Les convulsions cloniques qui suivent sont plus fortement accentuées que dans l'attaque précédente qui a présenté également une période épileptoïde.
10 h. 41 m. 30 s. Période des contorsions et des grands mouvements. Imita-tion très complète et très prolongée du « chemin de fer » telle qu'elle a déjà été décrite.
lOh. 43m. 30s. Période des attitudes passionnelles. Cette période commence par l'attitude cataleptique déjà signalée. Ensuite attitude de frayeur. Peu à peu l'expression disparaît de la physionomie qui devient impassible, les yeux sont tournés en haut et à droite. Les membres gardent les positions variées qu'on leur communique. Le phénomène de la suggestion, qui est un des attributs de l'état cataleptique, et que nous étudierons plus loin, ne paraît pas exister ici. La piqûre sur différents points du corps avec une forte épingle ne mo-difie en rien l'attitude cataleptique et ne provoque aucun signe de sensation. Les paupières clignent quand on touche la conjonctive. L'introduction d'une petite pointe de papier dans les narines n'occasionne aucun mouvement. Quelques larmes seulement viennent aux yeux. De petites secousses dans les bras et les épaules indiquent le retour d'une nouvelle attaque.
10 h. 55 m. Attaque sans période épileptoïde. La période des contorsions et grands mouvements se borne à l'imitation habituelle du chemin de fer. Elle est ici très développée et dure 2 minutes et demie.
10 h. 57 m. 30 s. La période des attitudes passionnelles débute par l'at-titude cataleptique signalée.
Attitude qui exprime la colère et le mépris : « Oh!... ça changera... Alors tu oses faire ça devant moi ! Tu ne peux pas aller ailleurs, scélérat, infâme?... Tu ne rougis pas !... Non ça ne se passera pas comme ça... »
H h. 4 m. Attitude de béatitude. Elle tend les bras, le regard est dirigé en haut, le visage est souriant. Peu à peu l'expression devient indifférente, l'attitude se prolonge et reste purement cataleptique. — Même insensibilité que précédemment aux divers excitants. Les pupilles sont moyennement dilatées, plutôt un peu resserrées.
11 h. 14 m. Nouvelle attaque composée seulement de deux périodes comme la précédente.
11 h. 20 m. Nouvelle attaque, id.
H h. 25m. On endort la malade par le chloroforme.
En résumé, chez cette malade la période épileptoïde est très-accusée.
La deuxième période est marquée par une forme de grands mouvements tout à fait insolite et qui n'avait pas été observée jusque-là. Et les attitudes passionnelles de la troisième période ont ceci d'irrégulier, qu'elles revêtent plusieurs des caractères de l'état cataleptique. Nous reviendrons sur ce dernier point au sujet des variétés de l'attaque.
CINQUIÈME OBSERVATION.
ErnesLine Pil..., dix-sept ans, est entrée le 12 avril 1879 dans le service de M. Charcot, à la Salpêtrière. Orpheline, elle a été élevée chez sa tante, avec sa sœur Louise qui, à cause de sa mauvaise conduite, a été obligée de quitter sa famille. La grand'mère a eu des accès nerveux. Réglée à qua-torze ans, notre malade a toujours joui d'une bonne santé; elle est petite, brune, pâle, d'une chétive constitution.
Vers le mois de décembre 1878, elle a rencontré sa sœur chez une autre de ses tantes. L'entrevue aurait été des plus pénibles et l'aurait très vivement impressionnée. De retour au couvent, elle eut, pour la première fois, de petites crises nerveuses. D'abord légères et revenant tous les quinze jours, elles se sont rapprochées et ont augmenté d'intensité, au point qu'au 25 février 1879, ses parents étaient obligés de la reprendre chez eux. Depuis, et jus-qu'à son entrée à la Salpêtrière, elle a eu des crises tous les deux jours envi-ron, et presque toujours à heure fixe, sur les sept heures du matin. Elles duraient en moyenne de une heure à deux.
Lorsque nous l'observons au mois de juillet 1879, Ernestine est hémianes-thésique à gauche. Elle est ovarienne du même côté et possède une zone hystérogène mammaire gauche (voy. p. 37).
Elle ne ressent les prodromes de son attaque que dans les quelques heures qui précèdent. La douleur existe dans la région ovarienne et dans la région cardiaque, mais elle est beaucoup plus vive dans ce dernier point. Le sommet de la tête devient très douloureux; il existe des batte-ments dans les tempes, des sifflements dans les oreilles, surtout du côté gauche. Elle éprouve aussi à la gorge un sentiment de strangulation, et elle voit pendant quelques instants tous les objets colorés en rouge.
Les attaques d'Ernestine se rapprochent de l'hystérie vulgaire ou petite hystérie; elles sont peu variées et présentent les caractères suivants :
Le début en est marqué par une ondulation très accusée des parois abdo-minales, eu même temps que la respiration se précipite, faisant entendre une expiration bruyante, et que la connaissance se perd. Puis la malade se raidit, et aussitôt commencent l'arc de cercle et de grands sauts accompagnés de cris très perçants. Ces sauts consistent en un soulèvement brusque du bas-
sin qui retombe avec violence sur le lit. A cette agitation succède un mo-ment de calme pendant lequel la malade est rigide comme une barre de fer, et la respiration devient stertorcuse. Vers la fin des séries, cette phase sterloreuse avec contracture généralisée se prolonge parfois fort longtemps. Elle peut durer une heure. Réveillée à ce moment de l'attaque, la malade déclare n'avoir aucune conscience de ce qui s'est passé. Si on laisse l'attaque se dérouler, le stertor est suivi parfois d une phase pendant laquelle la ma-lade a des mouvements de frayeur et laisse échapper des exclamations de crainte et des phrases entrecoupées. Elle voit alors de gros rats noirs avec de longues queues et des yeux rouges. Voici une série d'attaques prise dans tous ses détails :
26 septembre 1879. Ernestine Pil... est en attaques depuis 20 minutes.
1 Oh. 2 m. L'attaque commence par des ondulations précipitées de l'abdomen, tour à tour soulevé et déprimé. La respiration devient bruyante et se préci-pite peu à peu. Puis la malade se soulève, exécute trois sauts et pousse deux cris très perçants et prolongés. Enfin elle retombe, le corps courbé en ar-rière, reposant sur le côté droit et les bras fixés derrière le dos. Une con-tracture générale l'immobilise dans cette altitude qu'accompagne un ron-flement stertoreux.
10 h. 3 m. Nouvelle attaque qui débute comme la précédente par l'ondula-tion du ventre et la respiration précipitée. Les bras sont raidis dans l'exten-sion et la pronation. Surviennent trois grands sauts. Arc de cercle non maintenu. Puis ronflement stertoreux dans l'attitude de l'arc de cercle avec décubitus latéral droit, les bras derrière le dos, la tête renversée et tournée à droite.
10 h. 4 m. 40 s. Les bras reviennent se placer le long du corps et restent dans l'extension, les jambes sont demi-fléchies. Ondulation du ventre, la respiration se précipite. Quatre grands sauts. Cris perçants dans l'attitude de l'arc de cercle. Stertor dans la même attitude que précédemment.
10 h. 6 m. 30 s. Ondulationdu ventre, la respiration se précipite. Le corps est dans l'extension,'la tête tourne à gauche, les yeux sont fermés et le visage sans expression.
10 h. 7 m. 20 s. Grands sauts, arc de cercle, cris.
10 h. 7 m. 35 s. Stertor dans la même attitude que précédemment. L'incur-vation du corps en arrière est exagérée.
10 h. 9 m. Le stertor cesse, la malade se tourne à gauche, la respiration se précipite, et les parois abdominales sont animées du même mouvement qui marque le début de chaque attaque.
Suivent les grands sauts avec les cris, puis le stertor qui a lieu toujours dans la même attitude.
Mais la respiration cesse bientôt son ronflement bruyant. La malade ouvre les yeux, regarde à droite, dans son lit; l'effroi se peint sursoit visage. Elle se retire comme devant une vision effrayante: «Oh! j'ai peur. » Elle se cache la tête dans ses bras : « Oh! j'ai peur... ce rat... »
10 h. 13 m. Ondulation du ventre, la respiration se précipite, la malade se place dans l'extension. Grands sauts entremêlés de cris aigus. Stertor.
10 h. 15 m. Ondulation du ventre ; la respiration se précipite. Sauts, cris aigus. Enfin, stertor toujours dans la même attitude de l'arc de cercle avec décubitus latéral. Tout d'un coup elle se retourne : « Oh! là » elle se cache la figure : « un rat!... oh ! les rats ! » Elle est ramassée en boule et regarde fixement sur son lit.
10 h. 17 m. La malade se renverse, la tête tourne à droite, tout le corps est dans l'extension. Ondulation du ventre; la respiration se précipite.
Sauts; la malade conserve l'attitude de l'arc de cercle quelques instants, pendant lesquels elle pousse des cris aigus.
10 h. 20 m. Nouvelle attaque exactement semblable à la précédente; mais plus courte.
Stertor dans la même attitude que précédemment.
10 h. 21 m. 30s. La respiration bruyante se calme peu à peu. Bientôt la tête tourne à droite, et tout le corps également. Ondulation du ventre : respira-tion précipitée. Sauts et cris. Stertor très court. La malade regarde dans son lit : « Oh! les queues de rats... oh! ma tante, les queues de rats! Oh! j'ai peur..., j'ai peur des queues de rats... » Et elle cherche à fuir.
10 h. 24 m. La tête tourne à droite. Ondulation du ventre; respiration précipitée.
Sauts et cris.
Stertor dans la même attitude qu'aux attaques précédentes.
Ensuite elle se lève : « Oh ! les rats !... les rats qui me mangent les pieds, oh! ces queues!... »
10 h. 25 m. 30 s. Le délire cesse, la malade paraît calme dans le décu-bitus dorsal; mais de nouveau la respiration se précipite et le ventre s'agite. Ces mouvements durent plus longtemps que précédemment et se prolon-gent une demi-minute.
10 h. 26 m. Sauts, cris, stertor; au milieu du stertor les bras sont animés de violentes secousses.
10 h. 28 m. La respiration devient calme; mais la contracture géné-rale persiste. — Ernestine est dans le décubitus dorsal, tout le corps dans l'extension, les bras dans l'adduction se croisent sur la ligne médiane, l'avant-bras en pronation, le poing fermé et le poignet fléchi. Les pieds sont en pied botvarus. La tête renversée tourne la face un peu à droite. Les yeux sont fermés, mais se laissent facilement ouvrir et demeurent dans cet état. Les pupilles sont dilatées. — L'attouchement de la conjonctive n'amène aucun mouvement, mais celui de la cornée provoque aussitôt le cligno-tement.
Ernestine conserve cette attitude plus d'une demi-heure sans faire aucun mouvement et sans que la raideur des membres cesse une minute.
11 h m. La respiration se précipite, et une nouvelle attaque survient spontanément, semblable à celles que nous avons déjà consignées.
La compression de l'ovaire gauche ramène aussitôt la connaissance et sus-pend les attaques.
On maintient la compression pendant une demi-heure environ et les attaques ne reparaissent point.
La malade est restée au lit tout le jour et a dormi.
En résumé, nous voyons que chez cette malade la période épileptoïde manque complètement. Les attitudes passionnelles font également défaut. Les phénomènes qui composent ses atta-ques sont presque exclusivement empruntés aux contorsions, cris et grands mouvements de la deuxième période, et au délire avec zoopsie de la quatrième période.
Nous avons eu occasion d'observer une attaque chez cette malade avant son entrée à la Salpêtrière. On verra que si l'at-taque s'est modifiée, ce n'est pas dans le sens que l'imitation aurait pu lui imprimer, car cette malade est dans le même dortoir que Suz... Dub..., Léonore R... et Math..., aux attaques desquelles elle assiste souvent, prêtant parfois son concours aux infirmières qui sont chargées de les maintenir pendant leurs convulsions.
23 mars 1870. La crise commence à 7 heures. Ernestine se cache la tête dans ses couvertures, se tournant de côté et d'autre. La face est rouge, les yeux sont fermés, les paupières se laissent facilement soulever, les pupilles sont très dilatées. —Déjà la malade est insensible à toute excitation extérieure. — Son visage exprime la souffrance, elle pousse de temps à autre de petits cris étouffés. Elle n'est point contracturée, mais ses membres se raidissent par instants.
Insensiblement l'agitation grandit. Bientôt la malade se débat, se roule dans son lit, tire les couvertures, se frappe le visage de ses mains, se cache la face dans les oreillers, porte les mains à son cou, à sa poitrine et princi-palement à sa tête. Elle enfonce ses doigts dans sa bouche, mais sans se mordre ; elle prend les draps et l'oreiller avec les dents, mais sans rien déchirer. Ses jambes se fléchissent et s'étendent brusquement tour .à tour. Ses yeux sont tantôt ouverts, tantôt fermés. Le visage se contracte douloureu-sement, mais sans distorsion des traits. — Elle se plaint continuellement. Ce sont des soupirs et des sanglots étouffés. On y distingue parfois : « Oh ! là, la tète !... »
Tous ces mouvements se succèdent, à peine interrompus par un moment de calme, et malgré leur variété, semblent tous concourir à la même expres-sion, celle d'une personne en proie à une vive douleur ou à de violentes angoisses.
La crise présente le même caractère jusqu'à 7 heures 40 minutes. On remarque à ce moment une sorte de demi-extase. Ernestine sur son séant s'arrête, l'œil fixe, et montre quelque chose avec le doigt. Puis elle se retourne, et l'agitation recommence comme auparavant. Peu à peu l'extase ou plutôt l'« attitude passionnelle » s'accuse davantage. La malade demeure plus longtemps immobile, ses gestes sont plus accusés, on l'entend dire : « C'est elle... la voilà !... » Elle pleure et cherche à échapper à la vision qui l'obsède. Enfin, à huit heures, l'hallucination, qui jusqu'à ce moment ne revenait que par instants, est toujours présente. L'agitation est fort vive, mais elle a changé de caractère. Ernestine se roule, se cache sous les couvertures, mais pour fuir la vue de l'objet sans cesse présent. Elle appelle sa tante, elle crie : « La voilà!... mets-la donc à la porte, je ne veux plus la voir... cache-moi. » De quelque côté qu'elle tourne ses regards, elle la voit; elle est sous la table, au mur, à son côté, dans le lit : « Cache-moi... cache-moi !... dis à Hippolyte qu'il la mette à la porte... elle me prend mes boucles d'oreille. »
A 8 h. 45 m. notre malade reconnaît sa tante et les personnes qui sont au-près d'elle, mais c'est pour leur demander secours contre le fantôme qui la poursuit.
Le délire persiste avec le même caractère jusqu'à 9 h. 40 m. Je comprime légèrement les globes oculaires avec quelque persistance en lui fermant les yeux. Elle voit toujours la vision. Puis tout d'un coup : « Elle est partie, » dit-elle. Elle semble alors se réveiller et ne conserve aucun souvenir de tout ce qui s'est passé. Elle ne se souvient même pas d'avoir appelé sa tante à son secours, de lui avoir parlé avec toutes les apparences du retour à la connaissance, au point de nous en avoir imposé.
Ces derniers détails, cette dernière partie de la crise se rapprochent de l'attaque de somnambulisme.
Après avoir repris ses sens, la malade est courbaturée, elle se plaint de souffrir de la tête, principalement de battements dans la tempe gauche et de sifflements dans l'oreille du même côté. Elle souffre aussi beaucoup au creux épigastrique et au ventre, surtout du côté gauche (elle montre la région ova-rienne). Pendant la crise, une pression même légère au sommet de la tète sous les seins ou au ventre, provoquait un redoublement des cris doulou-reux et de l'agitation.
SIXIÈME OBSERVATION.
Del..., dix-neuf ans, entrée le 10 mai 1879, dans le service de M. Char-cot à la Salpêtrière, est hémianesthésique à gauche et achromatopsique incomplète du même côté. Elle possède une zone hystérogène au niveau du sein gauche. Quelque temps avant d'avoir ses attaques, elle se plaint du ventre, surtout du côté droit, bien que l'hémianesthésie soit à gauche. C'est une exception à la règle, qui place du même côté du corps l'ovarie et l'hémianesthésie. Elle souffre aussi beaucoup de la tête et a l'humeur noire.
Ses attaques s'écartent du type décrit et seront étudiées avec plus de fruit au chapitre des variétés. Elles ne sont guère composées que de phénomènes appartenant à la deuxième période. En voici un exemple :
1er octobre. Attaques. — On la comprime lorsque nous arrivons.
Les attaques commencent aussitôt qu'on enlève la compression et présen-tent les caractères suivants :
Tous les membres se raidissent, la tête se renverse en arrière, la face se congestionne, le cou se gonfle. — Le tronc s'incurve en arrière, et la ma-lade ébauche un arc de cercle, puis retombe brusquement. Elle se tourne alors de côté et d'autre, et agite les bras, les poings fermés. Elle se contor-sionne ainsi pendant quelques instants, et l'on est obligé de la maintenir pour qu'elle ne tombe pas de son lit. Puis elle demeure inerte, la respiration se régularise, les yeux sont toujours fermés, la face sans expression, elle paraît dormir. —• On voit encore de temps à autre quelques contractions dans les membres; puis bientôt l'attaque recommence de la façon que nous avons dite.
La compression ovarienne arrête subitement l'attaque.
Elle a en outre des attaques de sommeil qui se prolongent parfois pendant 36 heures, et dont il sera question plus loin.
SEPTIÈME OBSERVATION.
Rose L..., dix-huit ans, est entrée le 4 septembre 1879 dans le service de M. Charcot à la Salpêtrière. Crises hystéro-épileptiques depuis l'année dernière. Elle est hémianesthésique à gauche. Pas d'achromatopsie. Som-nambulisme provoqué, catalepsie. Douleur ovarienne gauche. L'aura hys-terica part de cette région.
Nous n'avons eu que peu d'occasions d'observer les attaques de cette ma-lade qui a quitté le service le 19 novembre 1879.
Voici cependant le récit de crises dont nous avons été témoin :
1er octobre. Rose L... est en attaque depuis 11 h. moins un quart, nous l'observons à 11 h. 1/4. Les attaques se succèdent pour former une série, et présentent toutes la même physionomie. On peut y distinguer trois phases; nous en notons quelques-unes :
Une attaque est terminée, la malade a repris connaissance, elle demande à boire, et cause avec les personnes qui l'entourent. Son regard devient fixe, elle paraît absorbée, et tout d'un coup :
a). La malade se raidit, la tète tourne à gauche, les yeux sont fermés, la face se congestionne, les dents grincent, la respiration paraît suspendue comme dans le phénomène de l'effort. Aussitôt commence une sorte de lutte, les bras se fléchissent et s'étendent avec force ; le tronc s'incurve en arrière, et la malade se met en arc de cercle, prenant un point d'appui sur la nuque et sur les talons ; l'arc de cercle n'est pas maintenu, il est répété plu-sieurs fois de suite ; il a lieu également dans le décubitus latéral, et la malade, pendant qu'elle est courbée en arc, repose sur le côté gauche. Au milieu de tous ces mouvements, la malade aune tendance à tournera gauche, la tête
tourne au point que la face se cache dans l'oreiller, et tout le corps suit ce mouvement de torsion. Les diverses positions se succèdent sans interruption, et comme au prix de beaucoup d'efforts. Il semble qu'en se débattant ainsi, la malade soulève des montagnes ; la respiration est difficile, et s'exécute avec bruit. Au milieu de cette lutte pénible, on entend la malade prononcer quel-ques exclamations et quelques phrases entrecoupées : « Non !... non !... qu'il s'en aille... Il faut qu'il parte... » Sur trois attaques successives dont nous avons pris la durée, cette phase a duré deux fois 1 minute et une fois 45 secondes.
b). Puis la malade s'arrête immobile, elle ouvre les yeux démesurément, et sou regard conserve une fixité qui persiste tout le temps de celte phase. La physionomie exprime la terreur. Les membres sont plus ou moins raides. La malade conserve cette attitude quelques instants, 20 secondes deux fois, et 30 secondes une fois sur les trois attaques que nous avons notées. Si, pendant cette phase, on provoque le retour de la connaissance par la compression ova-rienne, la malade dit qu'elle voit une série de fantômes blancs passer devant elle. Ils sont couverts de linceuls et ont de grands membres décharnés.
c). Tout d'un coup elle semble revenir d'un songe; elle appelle l'infir-mière qui la garde habituellement, la supplie de ne pas la quitter. Son regard encore effrayé cherche de côté et d'autre. Elle a repris connaissance; elle reconnaît les personnes qni l'entourent, mais, elle est encore obsédée par des hallucinations. Elle voit toujours les fantômes qui passent, mais, de plus, elle est tourmentée par des bêtes de toutes sortes et particulièrement par des poulpes aux grands bras rouges qui s'attachent à ses pieds, et par des ser-pents de toutes les couleurs. Ces hallucinations durent quelques minutes, puis laissent à la malade un répit de durée variable avant le retour d'une nouvelle attaque.
11 est facile de rattacher au type que nous avons décrit les diverses phases de l'attaque que nous venons de rapporter. La période épileptoïde n'y est pas représentée; mais la première phase avec ses mouvements de lutte, ses efforts, ses contorsions en forme d'arc de cercle, représente bien la deuxième période ou période des grands mouvements et des contorsions, pendant laquelle nous avons vu quelquefois exister du délire et des hallucinations. La deuxième phase n'est autre chose qu'une attitude passion-nelle (troisième période de Vattaqué). Enfin la troisième phase présente tous les caractères de la quatrième période, retour in-complet de la connaissance, visions d'animaux, etc.
Les observations que nous venons de rapporter ont toutes été recueillies à la Salpêtrière sur des, malades réunies dans un même
service. Que faut-il penser de l'influence de l'imitation sur la forme extérieure de leurs attaques? Suffit-elle à expliquer les ressemblances que nous avons constatées entre les crises des diverses malades, et ne doit-on voir là qu'une sorte de petite épidémie hystérique revêtant une forme spéciale? Nous sommes loin de contester l'influence de l'imitation sur la production des maladies nerveuses en général et de l'hystérie en particulier; mais dans le cas présent, le rôle qu'elle a pu jouer n'a été qu'un rôle secondaire. Son action n'a pu porter que sur la forme extérieure, sur l'expression phénoménale et non sur la nature même du phé-nomène. Si la réunion de plusieurs malades hystériques dans un même service, dans une même salle, a pu être, à certains mo-ments, une cause d'aggravation de la maladie, les symptômes qui la caractérisent ont suivi, dans leur marche croissante, le pian tracé d'avance par la maladie elle-même, et n'ont pu recevoir de l'influence du milieu extérieur ou de l'organisme malade que des modifications de surface et sans action aucune sur le fond même des accidents.
C'est ce dont il est facile de se convaincre par le simple examen des faits.
« Imiter, dit Briquet, est un des privilèges des femmes; c'est surtout un des privilèges des hystériques. Il suffit qu'une malade ait vu une fois un geste, aperçu un acte qui l'aura frappée, pour qu'involontairement elle l'imite.
» Lorsqu'il y a dans mes salles plusieurs hystériques avec des attaques, c'est toujours celle qui a l'attaque la plus forte qui donne le ton aux autres. Si elle crie beaucoup, les autres jetteront des cris à effrayer. Si elle exécute des mouvements singuliers, toutes les autres auront des convulsions singulières. J'ai eu il y a quelque temps, dans mes salles, une femme qui avait des hurlements et des aboiements; au bout de quelques jours une jeune hystérique placée à peu de distance d'elle, et qui jusque-là avait eu des atta-ques non bruyantes, se mit pendant ses attaques à hurler et à aboyer exactement comme sa voisine *. »
1. Briquet, Traité de l'hystérie, p. 337.
La iaculté d'imiter ne s'exerce donc qu'à l'occasion de manifes-tations singulières plus ou moins propres à frapper l'imagination. Les malades imitent les cris, les gestes bizarres, les mouvements singuliers, les hurlements,les aboiements, etc.
Quant au mode d'arrangement des manifestations multiples qui composent une attaque de grande hystérie, à Tordre dans lequel se succèdent les diverses périodes, à la trame secrète qui relie les uns aux autres tous ces phénomènes variés, ce n'est pas à coup sûr ce qui peut frapper l'esprit des malades et porter à l'imitation.
Or c'est précisément par ce dernier point que toutes nos ma-lades se ressemblent; elles diffèrent plus ou moins par le reste.
Si l'on veut me permettre une comparaison, je dirai que la charpente de l'édifice est partout la même, et que l'ornementa-tion seule diffère.
Nous voyons, par exemple, une période épileptoïde qui, tout en présentant une marche identique, varie dans sa forme extérieure d'une malade à l'autre.
Chez Math..., les grands mouvements de la seconde période revêtent cette forme bizarre et inaccoutumée de l'imitation du chemin de fer. Math... est couchée dans le même dortoir que d'autres hystéro-épileptiques qui, pendant leurs attaques, n'ont jamais rien présenté de semblable.
Enfin les hallucinations de la troisième période se modifient d'une malade à l'autre; chacune en puise le sujet dans les im-pressions de son passé ou dans sa propre imagination. Sur ce point qui parait prêter le plus à l'imitation, nous avons vu nos malades conserver chacune leur originalité.
Les troubles qui composent la quatrième période sont aussi très variables. Bien que les visions de rats noirs ou colorés, de chats et de vipères paraissent être les plus fréquentes, chaque ma-lade conserve ses animaux de prédilection. Gen... voit des cor-beaux, Ler... le diable, Marc... des hannetons, Nanc... des singes, etc.
Enfin, nous pourrions ajouter que, même à la Salpêtrière, il est des hystéro-épileptiques qui présentent des attaques qui s'écartent
du type décrit et ne s'y rattachent qu'à titre de variétés. Lesp... a surtout des attaques épileptoïdes, Ernestine PU... des attaques de grands mouvements et de contracture, Del... des attaques de sommeil.
La conception de la grande attaque hystérique, telle que nous l'avons décrite, est assez vaste pour que l'influence de l'imitation y ait sa place. Loin d'en nier la puissance, nous tenons à faire ressortir son action sur la forme extérieure de certaines parties de l'attaque, et principalement des deux dernières périodes. Nous trouverons là la raison des grandes épidémies convulsives et l'explication du caractère spécial que chacune d'elles a revêtu. Mais nous ne pourrons nous livrer à cette étude avec fruit que lorsque nous aurons passé en revue les nombreuses variétés de la grande attaque hystérique.
il
Observations inédites recueillies en dehors de la Salpêtrière.
Cette deuxième section comprend un certain nombre d'obser-vations inédites comme les précédentes, mais relatives à des ma-lades isolés de la ville ou même de l'étranger, chez lesquels l'in-fluence de l'imitation ne peut être invoquée. Nous n'avons plus affaire ici à des malades réunis dans un même établissement, dans une même salle, témoins souvent forcés des attaques les uns des autres; les sujets de ces observations ont vu leur maladie naître et évoluer sous les climats les plus divers, isolément, et sans aucune relation avec d'autres malades semblablement atteints, offrant au contraire, chacun de leur côté, l'exemple d'une affec-tion rare qui étonne par l'étrangeté et la variété de ses mani-festations. Eh bien! ces raretés pathologiques qui paraissent des exceptions et ne semblent soumises à aucune règle, rentrent toutes dans le même cadre, sont toutes faites sur le même mo-dèle, obéissent, comme toutes les espèces nosologiques, à une même loi qui peut souffrir quelques variétés, mais qui n'en existe pas moins. Nous y retrouvons les grands caractères sur lesquels nous avons basé notre description de la grande attaque hystérique.
PREMIÈRE OBSERVATION1.
Contracture de la jambe gauche. Hemianesthésie du même côté. Légère atrophie des muscles. Anémie. Anorexie. Aménorrhée. Hallucinations. Délire. Attaques convulsives.
Mademoiselle X..., âgée de seize ans, est entrée le 8 juillet 1876 à l'insti-tut hydrothérapique de Passy. Elle est douée d'un tempérament nerveux des plus développés. Réglée à quatorze ans, cette fonction s'est toujours con-venablement accomplie jusque-là. Il y a dix mois, en faisant de la gymnas-tique, au couvent où elle était en pension, elle sentit tout à coup une vio-lente douleur dans le membre inférieur du côté gauche. Cette douleur ne pouvait être causée ni par un coup ni par un effort quelconque ; la malade était en ce moment assise sur l'escarpolette, accomplissant un mouvement ascensionnel. Lorsqu'on la descendit, elle ne pouvait plus marcher. L'arti-culation du genou était le siège d'une violente douleur.
Depuis longtemps déjà avant cet accident, Mlle X... ne se nourrissait pas; elle et plusieurs de ses camarades, pour ne pas gagner d'embonpoint, diminuaient leur alimentation outre mesure. Chez les ascendants, nous trou-vons la grand'mère du côté paternel hystérique, paralysée des membres inférieurs pendant quinze mois. Le père très nerveux, la mère très lympha-tique.
Lorsque la douleur du genou éclata, on fit appel aux secours de la chi-rurgie, on appliqua des vésicatoires. On recourut au rebouteur, qui fil des manipulations. On revint à la médecine, qui employa les pointes de feu au moyen d'un petit cautère.
Rien n'y fit.
On quitta la Bretagne et l'on vint s'installer à Paris.
Pendant six mois les sommités médicales et chirurgicales furent consultées,
M. leDr Labbé, chirurgien traitant, fit appel à ses confrères les plus émi-nents : MM. Gosselin, Yerneuil, Bouchard, Vulpian. Tout ce que pouvaient prescrire ces maîtres expérimentés fut essayé, depuis l'appareil à immobi-liser jusqu'aux pointes de feu. Rien n'arrêtait les progrès de la maladie. C'était ici le cas de répéter les paroles de Brodie : « N'y touchez pas ! »
L'affaiblissement de la malade augmentait de jour en jour. Le défaut d'ali-mentation était chaque jour plus absolu. Au bout de six mois de tentatives infructueuses, le conseil fut donné à la famille par un jeune médecin de ses amis, d'appeler M. Charcot en consultation. — Ce qui fut fait.
Jugeant aussitôt la situation, M. Charcot affirma la nature hystérique de
1. Nous devons cette observation et les suivantes (obs. il, m, iv, v, vi, îx, x, xi) à l'obligeance de M. Pascal, directeur de rétablissement hydrothérapique de Passy; elles ont trait pour la plupart à des malades auxquelles M, le professeur Charcot avait prescrit le traitement hydrothérapique.
la contracture et promit laguérison, si l'on voulait suivre le traitement qu'il incliquait.
La famille se soumit à tout. On sépara la malade de ses proches, et le trai-tement hydrothérapique fut institué.
Notre malade voyait des anges partout, elle leur envoyait des baisers et conversait avec eux. Plusieurs fois par jour elle avait des crises cataleptiques 1 d'abord, puis épileptiformes. La malade est sur son lit, raide comme une barre de fer. La raideur est telle qu'on peut la transporter à la douche sans que les membres ni le corps éprouvent la moindre flexion. Parfois, après quelques minutes de cette raideur, la malade se contracte vivement en arc de cercle, s'appuyant sur les talons et sur la nuque, puis se laisse retomber brusquement en se débattant2. Ces crises étaient combattues par la douche, un peu plus tard par l'enveloppement dans un peignoir trempé d'eau glacée.
La douch : seule était vraiment efficace. Après quinze jours de traitement, Mlle X... piit son parti de la solitude, c'est-à-dire de l'éloignement de ses parents. L'appétit revient, elle passe ses journées au jardin avec sa religieuse et sa femme de chambre. L'action du grand air, de l'hydrothérapie, la dif-férence de milieu intellectuel, la reconstituent rapidement.
A la fin du premier mois, elle est améliorée sous tous les rapports. On lui permet alors de voir sa mère deux heures par jour.
Les crises se sont éloignées, elles sont moins intenses.
A la fin du deuxième mois, elle marche appuyée sur le bras de sa garde, mais le genou gauche est toujours douloureux, la contracture est toujours là, la jambe toujours rigide et légèrement atrophiée. On continue le même trai-tement : on ajoute quelques manipulations sur tout le corps, et spécialement sur le membre contracture. Le 23 septembre, c'est-à-dire deux mois et demi après l'arrivée de MlleX... à l'institut hydrothérapique, elle essaye quelques mouvements de gymnastique.
L'état général est complètement transformé. Les nuits sont bonnes, la malade s'occupe à des travaux d'aiguille, les crises sont rares et la douche n'est plus nécessaire pour les calmer. Cependant elle accuse toujours une grande sensibilité au genou, le plus léger contact lui arrache des cris. M. Charcot prescrit quelques applications électriques (courants continus très légers) sur le membre contracture.
Nous marchons ainsi pendant cinq mois, la malade niant toujours que
1. M. Pascal, sous cette dénomination, n'entend désigner autre chose qu'une raideur tétanique de tout le corps.
2. Plusieurs fois cette malade a eu des crises avec attitudes passionnelles fort nettes, exprimant une terreur profonde. Elle prononçait à ce moment des paroles qui indi-quaient qu'elle voyait le diable ou d'autres objets effrayants. C'est dans cet état de crise qu'elle se trouvait lorsque M. Charcot fut appelé en consultation et la vit pour la première fois. Cette phase de l'attaque s'est atténuée dans la suite et fini par disparaître. (Communication orale de M. Charcot.)
l'articulation du genou pût fonctionner, affirmant toujours qu'elle était très douloureuse, exagérant à coup sûr en cela, et sa mère nous affirmant que de fois à autre, durant le sommeil ou pendant qu'elle est au lit, on a pu voir la jambe ramenée en arrière en demi-flexion.
Un jour, comme Mlle X... se plaignait beaucoup des douleurs que lui occasionnait le courant électrique, et voulant nous rendre compte de sa bonne foi, nous coupâmes le câble métallique, ne laissant qu'un fil de soie pour dissimuler la section.
A l'approche du réophore elle poussa ses cris habituels ; nous lui mon-trâmes alors que ces cris n'avaient rien qui les justifiât. Elle fut un peu con-fuse.
Les époques menstruelles étaient parfaitement rétablies, l'insensibilité du côté gauche s'en allait, nous fîmes alors des applications régulières et quo-tidiennes de la filiforme, principalement sur le côté hémianesthésié. Ces applications devenaient très douloureuses à mesure que la sensibilité reve-nait. Mlle X... prit la résolution d'aller en pèlerinage à une grotte très renom-mée. Elle nous demandait le temps d'aller et de revenir. Une courte appa-rition devait lui suffire.
Elle partit, mais le jour de son arrivée à la grotte, elle ne put se plonger dans la piscine, le flux mensuel s'était déclaré pendant la nuit en chemin de fer.
Elle fut à la messe au bras de son frère, jeune séminariste à Saint-Sul-pice. Et, par un effort violent de sa volonté, elle se mit à genoux. Quarante-huit heures après elle était de retour à Passy.
Elle marchait, la jambe gauche moins souple que l'autre, mais la con-tracture avait cédé.
Nous conseillâmes de continuer le traitement hydrothérapique encore quelques semaines. Et deux jours après la malade reconnaissait combien nous avions raison. Un de ses frères appartenant à l'armée parlait pour l'Al-gérie. La nouvelle de ce départ faillit réagir sur l'articulation fraîchement délivrée. On reprit les douches. La sensibilité de la jambe était revenue. Mais la légère atrophie n'avait en rien été modifiée.
Peu de temps après, Mlle X... rentra chez elle parfaitement guérie.
Nous l'avons revue depuis; elle monte à cheval tous les jours, elle dresse elle-même ses chevaux. Elle déploie une très grande activité et une force musculaire peu commune à son sexe.
Je n'ai rien voulu retrancher à cette intéressante observation, malgré l'étendue des détails étrangers au point de vue spécial qui nous occupe en ce moment. La contracture permanente de la jambe gauche dont la nature a été méconnue par d'éminents pra-ticiens et l'hémianesthésie gauche, jointes au délire avec halluci-nations et à la forme spéciale des attaques, font de ce cas un des
plus beaux exemples qu'on puisse trouver de la forme grave de l'hystérie (hysteria major). Parmi les accidents convulsifs qui composent les crises décrites par M. Pascal, il est facile de dis-tinguer les phénomènes épileptoïdes de la première période, puis les contorsions (arc de cercle) et grands mouvements de la seconde période se succédant dans l'ordre que nous avons indiqué. D'après les renseignements qu'a bien voulu nous donner M. Charcot, des crises avaient existé auparavant, dans lesquelles les attitudes pas-sionnelles étaient nettement accusées.
DEUXIÈME OBSERVATION.
Madame X... arrivait d'Auvergne à Paris le 4 décembre 1871, recom-mandée au docteur Fleury par le docteur Jardet, de Vichy.
A la suite de violents chagrins, domestiques, notre malade avait perdu l'appétit. Quelques temps après survinrent des crises nerveuses, de l'amé-norrhée, et les médecins traitants ordonnèrent une application de sangsues sur la région pubienne. A partir de cette époque les crises devinrent plus violentes et plus régulières. Au début de la crise la malade éprouvait une sensation d'étranglement (boule hystérique), une violente douleur dans la région précordiale; le regard devenait fixe, puis elle tombait, les membres raides. Au bout de trois à quatre minutes, elle se repliait sur elle-même, se débattant pendant quelques instants, puis prenant la position assise, elle se balançait pendant huit à dix minutes. Si l'on intervenait alors par une allu-sion froide, la crise cessait, sinon elle continuait durant une demi-heure ou trois quarts d'heure. Après quoi la malade tombait anéantie, accusant une céphalie très intense. Rien du côté du cœur, ni des organes génitaux.
Les deux premières périodes sont ici facilement reconnaissables. La raideur des membres du début de l'attaque appartient évidem-ment à la période épileptoïde. Parmi les variétés de mouvements qui composent la deuxième période, nous avons insisté sur le ba-lancement de la partie supérieure du corps qui est indiqué ici.
TROISIÈME OBSERVATION.
Au mois de mai 1872, le docteur Rrongniart adressait à l'institut hydro-thérapique de Passy madame X..., de Paris.
Cette malade âgée de trente ans était d'origine espagnole. Réglée à quinze ans, elle avait joui d'une bonne santé, malgré la prédominance marquée du richer. Hjstéro-épilepsie. 13
système nerveux. Déjà mère de trois enfants, elle avait fait une fausse couche vingt-cinq jours avant son arrivée à Passy. Elle avait gardé le lit ou la chambre pendant quinze jours et tout semblait devoir se passer très réguliè-rement, lorsque après une promenade en voiture au bois de Boulogne, une hémorragie utérine se déclara. Tout fut employé, mais inutilement, pour avoir raison de cette hémorragie. C'est alors que le docteur Brongniart se décida pour l'hydrothérapie.
L'état de la malade se compliquait de crises hystéro-épileptiques biquoti-diennes, qui survenaient avec une régularité parfaite à neuf heures du matin et à huit heures du soir. La malade éprouvait un léger malaise, lourdeur de tète, constriction du pharynx. Elle avait le temps de descendre du lit afin de ne pas tomber pendant la crise. Une fois sur le parquet, il y avait quelques secondes de calme, puis quelques mouvements des bras commençaient la grande attaque; ces mouvements étaient suivis bientôt de « l'arc de cercle » et des mouvements du bassin (projection cynique). La crise durait ainsi une heure, deux heures si l'on n'intervenait pas.
La douche avant la crise modifiait celle-ci, elle en abrégeait la durée. Si au début de la crise l'hémorragie reparaissait, les convulsions étaient bien plus tôt terminées.
Notre première idée qui avait été aussi celle du docteur Brongniart, fut qu'il y avait là une grossesse gémellaire; mais un accoucheur appelé par notre ami s'étant prononcé contre cette manière de voir, nous n'insistâmes point.
Le traitement hydrothérapique fut institué, et pendant plusieurs jours l'hémorragie se trouva supprimée; mais au dixième jour elle reparut.
La période épileptoïde ne semble représentée ici que par les grands mouvements des bras qui commençaient la grande attaque; suivaient les phénomènes que nous avons décrits dans la deuxième période : la contorsion (arc de cercle) et les grands mouvements représentés ici par des mouvements de projection du bassin que nous avons eu l'occasion d'observer si fréquemment chez nos ma-lades.
QUATRIÈME OBSERVATION.
Madame X..., de Bar-sur-Aube, est entrée à l'institut hydrothérapique de Passy le 10 août 1873; cette malade présentait tous les dehors d'une bonne santé. D'un tempérament nervoso-sanguin, elle avait été réglée à dix-sept ans. Elle avait trente-sept ans lors de son arrivée à Passy. Elle était veuve et depuis six mois les époques étaient supprimées.
Dès la suppression des règles étaient survenues de violentes attaques d'hystéro-épilepsie. Effrayés de la première crise, les médecins, dans le but
de rappeler les règles, firent appliquer des sangsues à la région pubienne. Cette émission sanguine ne lit que compliquer la situation, les crises se répétèrent et l'anémie se prononça.
Madame X... fut alors adressée à M. Charcot qui conseilla le traitement hydrothérapique.
Chez cette malade le début de l'attaque était marqué par la sensation de boule, une douleur violente du côté de l'utérus, de la raideur des jambes. La malade marchait sur la pointe des pieds jusqu'à ce qu'elle perdît con-naissance. Survenait alors un' peu d'écume à la bouche. Cette première période durait de deux à trois minutes. Ensuite apparaissaient des mouve-ments désordonnnés avec projection du bassin en avant et position en ari-de cercle. Cette attitude de l'arc de cercle était conservée quelquefois pen-dant plusieurs minutes. Puis elle se répétait un grand nombre de fois, alternant avec l'agitation. Les crises duraient environ trois quarts d'heure.
Au deuxième mois du traitement hydrothérapique, les époques étaient revenues et les crises avaient cessé.
Nous retrouvons là l'écume à la bouche au début de l'attaque comme signe épileptoïde, puis, comme dans l'observation précé-dente, les mouvements de projection du bassin et l'attitude de Varc de cercle.
CINQUIÈME OBSERVATION.
Hystéro-épilepsie. Crises nerveuses. Vomissements incoercibles. Ano-rexie. Hallucinations, etc.—MlleX..., âgée de seize ans, venait de Chatou le 4 octobre 1876 à l'institut hydrothérapique dePassy, pour y être traitée de l'affection que nous venons d'indiquer. Cette maladie, avec les crises qui s'y rattachent, remontait à deux ans. Après avoir essayé sans succès de nom-breuses médications, on conduisit la malade à M. le professeur Charcot qui prescrivit l'hydrothérapie.
A son arrivée à Passy, Mlle X... présentait les phénomènes suivants. Vomis-sements continuels, alimentaires si la malade essayait de prendre quelque nourriture, purement glaireux si elle s'abstenait de toucher aux aliments (la malade ne se séparait point de son bol destiné à recevoir les vomissements). A des heures fixes, à 9 heures du soir principalement, l'agitation commençait. La malade voyait des animaux, des chiens et des chats; elle devenait irri-table, et invectivait les personnes de son entourage. La crise débutait par de la raideur dans la partie supérieure du corps principalement. La tête s'en-fonçait légèrement entre les deux épaules, la face un peu de côté, et les lèvres mouillées d'un peu d'écume. Puis les grands mouvements se dessi-naient rapidement. Il fallait alors plusieurs personnes très vigoureuses pour la maintenir dans son lit. Elle n'avait point alors d'hallucinations, mais les mouvements de projection du bassin étaient très accusés. Tantôt la malade
se plaçait en arc de cercle, tantôt elle conservait quelques instants une atti-tude bizarre, les mains passées sous les cuisses et les jambes levées perpen-diculairement. Souvent alors les membres inférieurs exécutaient de grands mouvements.
Des les premières applications d'eau froide, les crises se transformèrent. Les mouvements que nous avons décrits furent supprimés pour faire place à une exaspération et à un emportement sans raison.
Nous voyons dans cette observation les crises présenter nette-ment accusés les phénomènes qui caractérisent la deuxième pé-riode : convulsions violentes qu'il est difficile de maîtriser, mou-vements de projection du bassin; puis attitudes illogiques variées (les jambes en l'air), parmi lesquelles on distingue Yarc de cercle. Le début de l'attaque est marqué par quelques phénomènes épi-leptoïdes avec écume h la bouche. Et la crise était précédée d'une phase d'excitation avec zoopsie, qui rentre dans les troubles intel-lectuels et sensoriels de la période prodromique.
SIXIÈME OBSERVATION.
M. Pascal a publié dans le Mouvement médical 1872, page 203, une obser-vation d'hystérie grave avec aménorrhée, chloro-anémie, alternatives de dyspepsie et de boulimie, état nerveux caractérisé par une nosomanie et une nécrophobie que rien ne peut vaincre, attaques convulsives, etc. La malade, âgée de vingt-cinq ans, était entrée à l'institut hydrothérapique le 6 janvier 1872. Dans cette observation, rédigée plus particulièrement au point de vue de l'action du traitement hydrothérapique qui dans ce cas eut plein succès, il est peu parlé de la forme spéciale des accidents convulsifs. M. Pascal a eu l'obligeance de combler cette lacune en nous remettant la note suivante :
« Le 28 mars, vers quatre heures du matin, nous sommes appelé en toute hâte, madame X...-est en proie à une attaque d'hystérie des plus violentes. Après s'être couchée comme d'habitude, la malade avait senti vers deux heures une violente douleur à la région précordiale et dans la région de l'ovaire gauche. Elle avait pu alors sonner et appeler la maîtresse d'hôtel. A l'arrivée de celle-ci, la malade avait perdu connaissance. On appela aussitôt le docteur Fleury. A notre arrivée, la malade se tordait sur son lit, ramenant sur le bassin les membres inférieurs. Cette position durait de huit à dix secondes; puis s'appuyant sur la nuque et sur les talons, elle prenait la position de l'arc de cercle. Après ces diverses contorsions, la malade repre-nait connaissance à demi. C'est alors qu'elle arrachait ses rideaux avec les dents, redoutait la mort plus que jamais et lançait des imprécations contre une personne de sa famille qu'elle n'aimait point. »
Nous notons dans cette attaque dont le début n'a pu être observé, les grands mouvements et les contorsions de la deuxième période, suivis d'une agitation et d'un délire qui paraissent ren-trer dans les troubles intellectuels qui caractérisent la quatrième période.
SEPTIÈME OBSERVATION.
M. le docteur Bouyer a observé, à Saintes, un exemple fort intéressant de contracture hystérique de la jambe droite, survenue à la suite d'un trauma-tisme (le membre, contrairement à ce que l'on observe d'habitude, était immobilisé dans la flexion, la cuisse fléchie sur le bassin et la jambe sur la cuisse, de telle façon que le talon touchait les fesses). Mlle Anne F..., âgée alors de onze ans, présenta dans la suite les signes les plus variés de la grande hystérie : contracture de l'œsophage qui nécessita pendant sept mois l'usage de la sonde œsophagienne ; attaques convulsives violentes; surdité absolue, ou bien hyperestbésie de l'ouïe telle que le moindre bruit insolite la plongeait dans les crises les plus terribles; perte de la vue, de l'odorat, du toucher; visions, hallucinations... Tous ces accidents disparurent peu à peu. A treize ans, époque vers laquelle les règles s'établirent, la malade ne conservait plus que la contracture de la jambe qui ne céda que bien plus tard, vers l'âge de dix-sept ans. La guérison fut spontanée; la contracture avait duré environ six ans.
Cette malade fut examinée par M. Charcot, et le docteur Bouyer a publié les principaux détails de cette observation dans la Gazette des hôpitaux de 1878 et de 1879.
Au sujet des attaques qui se montrèrent très violentes pendant trois mois, l'auteur est assez bref. On y reconnaît cependant quelques traits de notre description.
« Je n'entrerai pas dans le détail de ce que cette enfant nous a présenté dans les trois mois suivants : contractions toniques et cloniques (première période?), crises qui occupaient autour d'elle dix ou douze personnes; bonds, sauts, contorsions de toutes sortes; perte absolue de l'ouïe; perte absolue de la vue; contractures en arc de cercle sur le dos, sur le côté et le devant du corps. Enfin tout ce que cette cruelle névrose peut offrir d'inouï et d'ex-traordinaire, elle nous l'a présenté pendant ces trois mois. »
Dans quelques notes inédites, remises par M. Bouyer à M. Charcot, nous trouvons quelques nouveaux détails : la distinction et la succession des grands mouvements et des contorsions sont parfaitement indiquées:
« Elle était en proie à des crises de convulsions non précédées d'aura (ou du moins je n'en ai pu saisir), et lorsque commençait une crise il fallait à la hâte jeter sur le parquet cinq ou six matelas sur lesquels elle faisait, pendant une demi-heure, des bonds prodigieux ; dans une autre période, c'était un
autre genre de convulsion; son corps s'arc-boutait sur le sinciput et les talons, et on pouvait ainsi la porter. »
Plus loin l'auteur ajoute que vers la même époque, « les fonctions céré-brales souffrirent aussi, car la jeune fdle racontait des visions et des halluci-nations qui lui fatiguaient l'esprit. y
Quelque incomplètes que soient ces descriptions, elles suffisent pour montrer que chez cette jeune hystérique, dont la maladie s'est développée isolément dans un coin de la province, les attaques offraient de grandes ressemblances avec celles de nos malades de la Salpêtrière.
HUITIÈME [OBSERVATION.
Nous devons à M. Charcot la relation d'un fait qu'il a eu l'oc-casion d'observer, il y a quelques années, dans sa clientèle de ville. Il s'agit d'un cas d'hystérie convulsive développée chez un jeune garçon de douze ans, et qui fut l'occasion d'une singulière méprise de la part du praticien exercé qui lui donnait habituelle-ment ses soins.
«Au mois d'août 1877, on vint me prier de voirie jeune X..., atteint d'une maladie nerveuse que le médecin traitant mettait sur le compte d'une tu-meur cérébrale ou qu'il rattachait pour le moins à l'épilepsie. Le jeune malade avait des crises depuis plusieurs mois, dans lesquelles, à la perte de connaissance, se joignaient des convulsions plus ou moins intenses.
» En arrivantàla demeure du jeuneX..., je trouve à ma rencontre le méde. cin traitant qui m'apprend que le malade est justement clans ses crises et que je pourrai facilement constater que c'est bien de l'épilepsie.
» J'entre, et je vois un enfant qui venait en effet de tomber en état de crise. Pour l'instant il était en attitude d'arc de cercle parfait; tout le corps était incurvé en arrière, et la tête et les pieds reposaient seuls sur le lit. Les yeux ouverts étaient en strabisme convergent. J'appliquai la main sur l'ab-domen de l'enfant et je découvris du côté gauche une plaque d'hyperes-thésie. En pressant sur ce point, le petit malade quitta brusquement l'atti-tude d'arc de cercle et se mit à sauter comme un ver, puis il ne tarda pas à reprendre la position première qu'il conserva pendant sept à huit minutes. On me dit que, dans ses crises, cet arc de cercle était précédé de convulsions épileptiformes, et cela plusieurs fois par jour. Son caractère s'était considéra-blement modifié. Je remarquai dans la chambre où nous nous trouvions et qui était celle que l'enfant occupait habituellement, tout un étalage de jou-joux de fillette, des ménages, un petit salon, des poupées. Comme je deman-
dais à la mère si elle n'avait pas d'autres enfants, elle répondit négative-ment et déclara que son enfant, qui était un vrai garçon auparavant, avait pris des goûts féminins depuis qu'il était malade, et s'était mis à jouer comme une petite fille.
» Il était facile, d'après la forme des convulsions et d'après ces quelques renseignements, de reconnaître qu'il s'agissait ici de phénomènes hystéri-ques et nullement d'épilepsie. Je conseillai de mettre l'enfant entre les mains d'un précepteur, et tout d'abord de l'éloigner de son père et de sa mère, puis de le soumettre pendant trois ou quatre mois au moins aux pra-tiques de l'hydrothérapie méthodique (douches froides brisées matin et soir). J'ajoutai un peu d'exercice gymnastique et du fer à l'intérieur. L'enfant était un peu anémique, d'apparence délicate et féminine. Il n'y avait aucune anomalie des organes génitaux. Au bout de quinze jours les crises devinrent plus rares. Au deuxième mois elles avaient complètement cessé. Enfin la guérison pouvait être regardée comme complète après le troisième mois du traitement. L'hydrothérapie n'en fut pas moins continuée pendant sept à huit mois. Depuis l'enfant n'a plus éprouvé aucun malaise. »
Le traitement fut suivi à l'établissement hydrothérapique du Dr Pascal, auquel nous devons les renseignements qui suivent et qui complètent le récit de M. Charcot.
Le lor octobre 1877, madame X... venait à l'institut hydrothérapique de Passy conduire son fils pour l'y soumettre à la médication hydrothérapique.
Le jeune X... est âgé de douze ans, d'un tempérament lymphatico-nerveux, sa taille est à peine celle des garçons de son âge.
Depuis huit mois, le malade a complètement perdu la faculté du travail. Tout effort d'attention le fatigue, le brise. Il a perdu l'appétit, il est devenu taquin, plein de caprices. Chaque jour il faut le conduire au bazar et satis-faire ses fantaisies.
Le sommeil fait également défaut, l'anémie est profonde. Pour compléter ce tableau, des crises nerveuses, avec pertes de connaissance, sont surve-nues, et avec ces crises une véritable manie de la destruction. Un jour il ouvrira les robinets pour inonder l'appartement. Un autre jour ce sont les tapis du salon qu'il arrosera avec de l'huile.
Et, ceci est à noter, lorsque la chose est faite, il fait chorus avec ceux qui la déplorent, si bien que, sans ses confidences imprudentes, on ne se doute-rait jamais qu'il est l'auteur du larcin.
Pendant cette phase de la maladie, le jeune X... avait des hallucinations, il voyait des animaux, chiens, chats, etc. Il eut même deux accès de som-nambulisme. A deux reprises différentes, après avoir été mis au lit, on le trouva levé, habillé, ayant allumé les bougies.
Les amusements de ses camarades n'ont plus d'attrait pour lui. Ce qui lui plaît ce sont les poupées ; il prend tous les goûts des jeunes filles.
Sur le conseil du médecin de la famille qui croyait à une affection grave du cerveau, on s'en alla passer une saison à la campagne.
Six mois après, nulle amélioration n'était survenue. Les crises conti-nuaient. La famille demanda que le professeur Charcot fût appelé en con-sultation.
Après l'examen du malade, et sur les renseignements qui lui furent don-nés, M. Charcot conclut à une affection purement nerveuse, hystériforme, par-faitement curable par un traitement hydrothérapique bien dirigé.
Le traitement fut donc institué et suivi avec une grande ponctualité pen-dant six mois.
Lorsque les forces furent revenues, on mit le jeune malade à la gymnas-tique; plus tard on lui fit faire de l'équitation, de l'escrime. Le traitement consistait en deux douches par jour.
A l'intérieur : teinture de mars tartarisée, 8 gouttes matin et soir (16 gouttes par jour), vin de Calomboun petit verre avant chaque repas.
Au bout de deux mois on lui donna un précepteur pour le remettre au travail, et à mesure que la santé revenait, les progrès intellectuels étaient aussi plus marqués.
Après six mois de traitement, le jeune X... a grandi, s'est développé, il a gagné en poids 7 kilogrammes, sa famille l'emmène à la campagne.
Au mois de novembre nous le voyons, l'action consécutive du traitement a porté ses fruits, il est méconnaissable, grand, fort, apte aux études qu'il a définitivement reprises, il est maintenant bien plus avancé que ses jeunes contemporains.
Toute trace de l'affection diagnostiquée en premier lieu, affection qui avait rendu si malheureuse toute sa famille, a complètement disparu.
L'existence de l'hystérie chez l'homme est une question qui ne saurait aujourd'hui être révoquée en doute. Des exemples nom-breux et indiscutables en ont été cités ; mais la rareté de ces faits en rend parfois le diagnostic difficile. Au sujet du petit malade dont on vient de lire l'observation, je ferai remarquer de quelle importance a été pour le diagnostic la forme spéciale de la con-vulsion (arc de cercle) qui s'est rencontrée pendant les attaques.
NEUVIÈME OBSERVATION.
Mlle Marie X..., âgée de seize ans, arrivait d'Amiens à l'institut hydrothé-rapique de Passy le 14 mai 1874, pour y être soignée d'une affection hysté-rique qui depuis six mois ne lui permettait pas de quitter le lit.
Cette jeune malade présentait les phénomènes suivants : hémianeslhésie
de toute la partie antérieure du corps, plus prononcée à gauche, pas d'ova-rie; crises hystéro-épileptiformes plusieurs fois par jour; anorexie; douleurs cardiaques très violentes; visions d'animaux, délire vers la fin des crises; somnambulisme. Les crises débutaient invariablement par de la rigidité des membres inférieurs. Cette rigidité gagnait rapidement le cou. Les yeux deve-naient fixes, hagards, un léger mouvement de rotation à gauche était im-primé à la tète, l'écume apparaissait aux lèvres, et la malade tombait comme une masse inerte. Au bout de cinq à six secondes, le mouvement d'arc de cercle se produisait, puis l'agitation des membres, et finalement l'attitude passionnelle. La malade était alors assise sur son lit, avançant les bras, appelant son frère; elle s'agenouillait, joignait les mains; elle parlait à des animaux. Pendant tout le temps elle accusait une violente douleur dans la région du cœur. Si la malade était laissée à elle-même, la crise durait une ou plusieurs heures. Une accalmie survenait alors et deux ou trois fois par jour la crise recommençait.
Le traitement hydrothérapique appliqué à chaque crise triompha de la maladie. La jeune malade s'est mariée depuis et n'a pas eu la moindre re-chute depuis qu'elle a quitté Passy.
Dans cette observation plus complète que les précédentes, nous voyons s'adjoindre aux phénomènes épileptoïdes et aux grands mouvements et contorsions de la deuxième période, les attitudes passionnelles qui caractérisent la troisième période de la grande attaque.
DIXIÈME OBSERVATION.
Hystéro-êpilepsie. Contracture de l'œsophage. Crises périodiques revenant tous les soirs de 5 à 7 heures et de 9 à 5 heures du matin.
Mlle X... est entrée le 7 avril 4878 à l'institut hydrothérapique de Passy, sur les conseils de M. Charcot, appelé en consultation par le docteur Pain. La malade arrive d'Etain (Meuse), elle est âgée de dix-sept ans. De-puis plusieurs années elle a fourni pour ses études et ses examens une somme de travail au-dessus de ses forces. Elle est profondément anémique ; depuis plusieurs mois les époques marquent à peine. Ne pouvant avaler librement quoi que ce soit, on a eu recours aux irrigateurs pour la nourrir.
Dès son arrivée à Passy nous prévenons les deux religieuses placées au-près d'elle par sa mère, que l'état de crise se prolongeant pendant huit heures, il faut se mettre en mesure de les combattre : 1° par les applications de glace sur les endroits désignés; 2° par l'enveloppement dans le drap mouillé, fréquemment renouvelé; 3° par l'introduction de lait dans l'es-tomac si la crise avait une accalmie.
A ces précautions nous ajoutons celle de placer la malade sur un ma-telas par terre, afin que, dans ses contorsions, lorsqu'à la forme cataleptique (première période) succédera le désordre des mouvements (deuxième pé-riode) et la forme passionnelle (troisième période) de la crise, la malade ne puisse ni s'échapper, ni se blesser. Car il faut noter que la crise commen-çait toujours par un envahissement brusque, la malade tombait comme fou-droyée. Cet état durait une ou deux minutes, puis la phase hystéro-épilep-tique survenait, l'agitation grandissait, la malade prenant appui sur les talons et sur la tête ; il était nécessaire de l'envelopper pour pouvoir la contenir. Des cris aigus accompagnaient cette phase de la crise. A cette agitation extrême succédaient les attitudes de la prière, pendant lesquelles la malade lève les yeux au ciel et croise les bras, jusqu'à ce qu'un mouvement convulsif du bassin la ramène à la phase précédente ou au réveil, ce qui arrive le plus souvent.
La première crise qui éclata à cinq heures du soir, le jour de l'arrivée de la malade, résista à tous les moyens employés pour l'arrêter. La douche, les courants continus, les courants induits n'apportèrent aucune modification. Le docteur Debove, qui se trouvait présent, essaya la compression ovarienne, mais sans résultat. On se contenta d'employer alors les applications de glace et l'enveloppement. Vers minuit la malade revint à elle. Nous pûmes alors lui faire prendre un verre de tisane amère pour calmer sa soif et deux bols de lait pour la nourrir, mais force nous fut de nous servir pour cela de la sonde œsophagienne et de la poire en caoutchouc. Renouvellement du drap mouillé. Vers deux heures nouvelle intermittence, nouvelle introduc-tion de lait dans l'estomac.
Le lendemain, mêmes prescriptions et trois douches légères. Potages au tapioca, jus de viande et lait. La nuit suivante fut plus agitée encore que la première. La malade ne reprit pas connaissance une seule fois.
Nous continuâmes le même traitement pendant huit jours encore, profitant la nuit de toutes les intermittences de la crise pour alimenter la malade.
Nous entrions dans la période des règles. Effectivement le neuvième jour elles se montrèrent, et le calme se rétablit au sein de cet organisme si pro-fondément troublé. Mlle X... quitte l'établissement. Un mois après nous revîmes la malade dans le cabinet de M. le professeur Charcot, les crises n'avaient pas reparu et la déglutition se faisait très bien.
Cette observation si intéressante, en outre des accidents de con-tracture de l'œsophage, par la violence et la durée des crises, ne l'est pas moins par la forme que revêtaient les accidents convulsifs et qui ne saurait se rapprocher davantage de la description que nous avons donnée.
Nous y trouvons en effet : \a période épileptoïde avec son début
Drusque, le tétanisme et la durée de une à deux minutes; la deuxième période avec la tendance à l'arc de cercle, la violence des grands mouvements et les cris; enfin la troisième période avec l'attitude passionnelle de la prière ou de l'extase, que nous avons observée plusieurs fois chez Gen...
ONZIÈME OBSERVATION 1.
Madame X... est âgée de vingt-sept ans; elle a été mariée à vingt et un ans; la santé a été bonne jusqu'en 1866, elle a été réglée à quinze ans. Elle est d'un tempérament nerveux très prononcé. Depuis l'âge de onze ans, elle a toujours eu des pertes blanches. En 1871 elle contracta les fièvres palu-déennes qui durèrent pendant dix huit mois et délabrèrent un peu sa consti-tution. En 1868, après huit mois de mariage, retard de six semaines dans les règles, hémorragie utérine, fausse couche probable. État nerveux de plus en plus prononcé, puis crises nerveuses avec perte de connaissance. Pen-dant quatre ans ces crises n'ont pas été trop fréquentes et ne se sont repro-duites que cinq fois. A partir du mois d'août 1873, les crises se succédèrent avec rapidité. En moins de cinq semaines elle en eut vingt-cinq ou vingt-sept, aussi violentes les unes que les autres, elle passait de six à sept heures sans connaissance. L'estomac ne supportait plus rien, une cuillerée à café de bouillon de poulet suffisait pour amener, au bout d'une demi-heure, une crise de plusieurs heures. Le refus absolu de toute nourriture parut à madame X... la solution la plus rapide pour sortir de cet état intolérable : aussi pendant quinze jours elle ne fut nourrie que de petits glaçons roulés dans du sucre.
Une consultation de médecins eut lieu; leur opinion fut qu'il fallait sou-tenir la malade au moyen du malaga et de la viande crue. Les aliments liquides étaient plus difficilement supportés que les aliments solides, mais les uns et les autres amenaient des vomissements. A cette époque les règles se supprimèrent presque complètement, et survinrent alors des vo-missements de sang supplémentaires.
On recourt à l'hydrothérapie après avoir essayé des différents emména-gogues.
La malade prend dix-huit douches en pluie. La leucorrhée augmente, les crises nerveuses aussi, la vue se trouble, l'œil gauche ne perçoit plus les couleurs.
« On combat toujours les crachements de sang par les sangsues appli-quées après chaque époque.
1. Cette observation a déjà été publiée dans le Moniteur de la santé, n° 2, mars 1874. Nous n'en donnons ici qu'un résumé, accompagné de détails nouveaux que nous a donnés M. Pascal sur la forme des attaques convulsives.
» Les forces de la malade n'ont pas diminué, en proportion de la vio-lence des crises, dont l'une a duré une journée entière. Après cette crise et durant quelques moments, madame x... n'y voyait plus du tout, quoique ayant les yeux tout grands ouverts, en plein jour. »
Tel est le résumé du journal tenu par la mère de la malade jusqu'au moment où, suivant la prescription de M. Charcot, celle-ci se décide à se faire soigner à l'institut hydrothérapique de Passy.
A son entrée (mai 1873), l'état de la malade peut se résumer ainsi : ap-pétit nul; vomissements alimentaires; vomissements de sang supplémen-taires; aménorrhée; pertes blanches; rien de particulier du côté des organes génitaux; parésie de tout le côté gauche, ovarie à gauche, amblyopie et achromatopsie de l'œil gauche; le sommeil fait totalement défaut et les crises avec perte de connaissance continuent chaque jour avec une régula-rité désespérante.
Sous l'influence du traitement hydrothérapique (deux fois par jour : douche générale en éventail, de 5 à 10 secondes d'abord, de 30 secondes plus tard; douche plantaire, douche hypogastrique et douche filiforme sur le côté gauche, et principalement sur la région ovarique; suppression ab-solue de la douche en pluie), l'appétit s'améliore un peu, mais tes crises continuent; elles ont lieu le soir vers sept heures.
Lorsque la crise se déclare avant qu'on ait-eu le temps de placer la ma-lade sous la douche, nous recourons à l'électricité pour la sortir de cet état. L'application est heureuse; tout d'abord, par le choc électrique au moyen de l'appareil Gaiffe, la crise est interrompue.
Les crises se ressemblent toutes et offrent les caractères suivants.
Elles ont comme accident initial, tantôt — et le plus souvent — de vio-lentes contractions utérines, suivies bientôt d'une douleur intense de l'ovaire gauche, douleur qui va s'irradiant vers la hanche; tantôt une dou-leur dans là région épigastrique, la région précordiale et dans la tête. La malade, sentant l'invasion du mal, essaye de lutter, disant : « Non, je ne veux pas être malade. » Puis l'attaque débute brusquement par la perte de connaissance et une raideur tétanique de tout le corps, qui dure de cinq à dix minutes, la tête se tourne de côté. — A cette immobilité succède une agitation extrême accompagnée de cris perçants, il y a des soubresauts vio-lents, la malade rejette la tête en arrière, les mains se crispent. Les bras et les jambes s'agitent en Pair et sont animés de mouvements si violents que la femme de chambre ne parvient à maîtriser la malade qu'en s'asseyant sur ses genoux. —Ensuite surviennent des attitudes de frayeur, le faciès devient horrible, la face est rouge et les yeux injectés.
Enfin la malade retombe dans l'immobilité tétanique qui inaugure une nouvelle crise. — Les attaques se succèdent ainsi pendant sept à huit heures. Tant que dure la crise, la malade est complètement insensible aux accidents extérieurs. Le choc électrique ou la douche ont seuls le pouvoir d'enrayer les convulsions et de ramener la connaissance. L'insensibilité cutanée per-siste encore lorsque la malade est revenue à elle-même. Les contractures
de la main gauche ne cèdent qu'assez longtemps (une heure) après que la crise est finie.
La crise la plus effrayante que j'aie observée eut lieu le 8 juillet, par une soirée très chaude. M. X..., son mari, était venu la voir. A peine couchée, la douleur ovarique se fait sentir, puis la douleur précordiale et la douleur céphalique, suivies du claquement de dents, précurseurs de la crise; enfin la rigidité complète survient. Tout cela en moins de temps qu'il n'en faut pour raconter le fait. M. X... d'accourir à l'institut hydrothérapique. Aussi-tôt que l'électricité eut quelque peu rendu à la malade la liberté de ses mou-vements, on la fit sortir du lit. Je demandai de l'eau très froide, et celle d'un puits qui se trouve dans la maison fut indiquée par la malade elle-même. On put alors faire une friction générale qui mit fin à cet état. Cette fois la malade était en proie à des accès de suffocation bien faits pour alarmer ceux qui ne connaissent point ces maladies, et pour leur faire prendre la lancette.
Au bout de deux mois de traitement hydrothérapique suivi assidûment, on vit tous les symptômes s'amender. La santé générale était bonne. Les grandes attaques avaient disparu. Il ne restait plus, comme au début de la maladie, que de violentes contractions utérines, déterminant encore des malaises, mais n'entraînant plus la perte de connaissance, ni la même rigidité. Ces crises, d'ailleurs, étaient de peu de durée.
Bien que le col utérin ne présentât rien d'anormal, m'inspirant de l'en-seignement de Fleury, je fis alors sur le col même quelques petites cautéri-sations ponctuées au fer rouge. Dès la première cautérisation les crises furent supprimées, les crampes utérines disparurent presque complètement. Une seconde cautérisation pratiquée trois semaines après la première, mettait fin à cet état de souffrances et d'angoisses dans lequel madame X... vivait de-puis si longtemps. Le 8 novembre, madame X... quittait l'institut hydrothé-rapique. La guérison s'est maintenue jusqu'en mars 1874. Les vomissements supplémentaires reparurent. Elle eut de nouvelles crises que nous n'avons pas été à même d'observer.
Cette malade arrivait de Bourges pour consulter à Paris et se faire traiter à Passy. La longue série d'accidents qui marquent sa maladie appartiennent à l'hystérie grave, et les attaques con-vulsives ont présenté les caractères que nous avons décrits : phé-nomènes épileptoïdes au début, — puis grands mouvements et contorsions (arc de cercle); — en troisième lieu, attitudes de frayeur. — Les attaques ainsi composées se reproduisaient par séries d'une durée fort longue. Enfin à la suite des attaques on a observé quelques-uns des troubles qui rentrent dans la quatrième période : anesthésie, contracture de la main gauche, amaurose passagère, etc.
DOUZIÈME OBSERVATION.
Cette observation m'a été communiquée par M. Weill, externe des hôpitaux, qui l'a recueillie en ville. Les quatre périodes de l'at-taque y sont parfaitement indiquées. L'hystérie s'est développée sous l'influence de vives émotions, lorsque la malade habitait une ville du Midi. Elle habite aujourd'hui Paris, et les crises ont conservé le même caractère qu'au début de l'affection.
Mademoiselle X..., âgée de vingt-cinq ans, a toujours joui d'une bonne santé jusqu'à l'âge de dix-neuf ans. — Sa mère et sa grand'mère sont toutes deux mortes tuberculeuses à l'âge de trente ans. Son père est mort fou dans une maison de santé, à la suite de violents chagrins domestiques.
Vers l'âge de dix-neuf ans, à la suite de vives émotions, est survenue la première attaque d'hystérie. — Ceci eut lieu dans le Midi —. Les attaques, qui se succédaient d'abord à de longs intervalles, reviennent aujourd'hui à peu près tous les mois, de préférence au moment de la menstruation; mais elles ont toujours eu le même caractère. La malade habite maintenant Paris.
Ceux qui entourent habituellement la malade ont remarqué chez elle, dès le matin qui précède les crises, une agitation et une inquiétude extrêmes. Elle ne peut rester en place et s'irrite d'un rien ; tout, jusqu'à la présence de son enfant, lui est à charge. Puis l'attaque éclate brusquement.
La tête se tourne à droite sur l'oreiller. Les yeux roulent dans l'orbite et se dirigent du même côté et en haut. En même temps le tronc décrit un léger arc de cercle dont laconcavité répond à la gauche de la malade. Les membres sont dans l'extension forcée, l'avant-bras en pronation. Cette période est caractérisée uniquement par des mouvements toniques. La durée en est à peine d'une minute.
A cette première phase de l'attaque succède, sans transition aucune, une nouvelle période pendant laquelle la malade est agitée de violents mouve-ments du tronc et des membres. Le corps est alternativement projeté en avant et en arrière, et chaque fois la tête retombe violemment sur l'oreiller. La malade est complètement étrangère à tout ce qui se passe autour d'elle. Puis, comme épuisée par les efforts qu'elle vient de faire, elle retombe cou-chée sur le dos et respire largement. La résolution musculaire est com-plète.
A cet entr'acte succède une scène dramatique jouée par la malade et des personnages invisibles. Ce sont des hommes noirs qui veulent l'enchaîner, comme ils ont déjà enchaîné son père. Elle les apostrophe, lutte contre eux; sa figure exprime tantôt l'effroi, tantôt la colère.
Le tableau change subitement : le drame fait place à la comédie. C'est au tour d'un musicien aux cheveux bruns à entrer en scène. Il joue de la gui-
tare, tout en se livrant à une pantomime assurément fort comique, à en juger du moins par les éclats de rire qui saluent sa présence.
C'est là que le cycle est complet. Une nouvelle attaque recommence, sem-blable à la première. Les trois étapes successives que nous venons de par-courir, nous allons les parcourir de nouveau, avec les mêmes incidents et les mêmes épisodes.
Plaçons ici une remarque intéressante. Si l'on vient à comprimer la région ovarienne, on ne produit, à quelque moment d'ailleurs que l'on opère, qu'une série non interrompue d'éclats de rire convulsifs qui ne cessent qu'au mo-ment où la compression cesse elle-même.
Les attaques se succèdent ainsi pendant un temps qui varie d'une heure et demie à deux heures.
Les attaques sont suivies ordinairement d'un délire non incohérent. La malade retrace avec une grande richesse d'expressions deux grandes scènes de son enfance, scènes très-dramatiques et qui ont fait une profonde im-pression sur elle. Pendant son délire, elle voit les assistants; mais elle ne les reconnaît pas et les prend pour les personnages qui ont joué un rôle dans les scènes qu'elle retrace. Elle voit également l'es objets teints en rouge. Elle demande de l'eau, on lui en apporte. Elle n'en veut pas : « C'est du vin, dit-elle; je vous demande de l'eau, l'eau n'est pas rouge. » On lui apporte un bain de pieds sinapisé. Elle s'écrie qu'elle ne veut pas prendre un bain de sang.
Elle reconnaît peu à peu les assistants, et la crise se termine par d'abon-dantes larmes.
TREIZIÈME OBSERVATION.
J'ai eu l'occasion d'observer au mois de juillet 1879, avec M. le Dr Lepère, une jeune fille qui présentait à un haut degré la plupart des signes de la grande hystérie et dont les attaques ont offert, à un moment donné, tous les caractères des diverses périodes que nous avons décrites. Il n'est pas sans intérêt de faire observer que cette malade arrivait du Brésil et n'avait eu, par conséquent, aucune relation avec les hystéro-épileptiques de la Salpêtrière, dont on eût dit cependant qu'elle eût pris à tâche de copier les attaques.
Voici quelques notes que nous devons à l'obligeance de M. le Dr Lepère.
Mademoiselle de B..., de Rio de Janeiro, âgée de vingt-deux ans, a tou-jours été d'une nature impressionnable, s'emportant facilement. A dix-neuf ans, elle aurait voulu se marier avec un jeune homme qui n'avait pour elle
que de l'indifférence. Elle en conçut une profonde tristesse; elle se montra encore plus irascible que par le passé; il survint de l'anémie. On l'amène en Europe au mois d'avril 1878. Je constate un bruit de souffle anémique, une forte décoloration des tissus, et une hyperesthésie générale assez prononcée. La pression sur l'ovaire droit est très douloureuse. Les règles se montrent très régulièrement, mais le sang est pâle et elles s'accompagnent d'une exa-cerbation de tous les phénomènes. Un vésicatoire appliqué sur le côté droit du ventre diminue l'hyperesthésie ovarienne; traitement ferrugineux et hydrothérapique qui fut irrégulièrement suivi.
Au mois d'août, étant à Luchon, survient la première crise que l'on prend pour une crise néphrétique. — Les règles vinrent avec quelques jours de retard, s'accompagnant de douleurs fort vives pendant une durée de 8 à 10 jours. Au mois de novembre 1878, quatre à cinq jours avant les règles, crise hystérique simple (boule hystérique, cris, grands mouvements des membres). Les mois suivants, les mêmes phénomènes se reproduisent, mais en augmentant de gravité et en se rapprochant de plus en plus des grandes crises. Vers la fin de janvier 1879, la grande attaque est complète : position en cerceau, visions, extase, bras en croix, contractures d'un côté, le plus souvent à gauche, hyperesthésie considérable. Traitement hydrothérapique énergique suivi d'amélioration. On n'observe plus pendant deux mois encore que de légères crises. Pendant un séjour à Vichy, au mois de juin 1879, nécessité par la santé du père, l'état, de notre malade est satisfaisant ; un seul accident survient: pendant 36 heures, mademoiselle de B... demeure hémiplégique et aphasique, mais guérit subitement et complètement au point de pouvoir aller au théâtre le soir même. De retour à Paris au mois de juillet, les grandes crises reparaissent avec la violence et les accidents variés qu'elles avaient déjà présentés. Puis la malade demeure 29 jours contracturée de tout le côté droit. La contracture est douloureuse et s'ac-compagne d'une vive hyperesthésie cutanée. Insuccès de l'aimant et des métaux. Le 29e jour je donne le chloroforme qui amène une détente, mais la contracture reparaît aussitôt que cesse l'influence de l'agent anesthésique. Je pousse l'inhalation plus loin et je provoque une crise simple à la suite de laquelle toute contracture disparaît. Au bout de huit jours la malade pou-vait sortir. Mademoiselle de B... est partie pour le Brésil le 20 septembre, sans avoir eu de nouvelle attaque. J'ai reçu de ses nouvelles de Rio le 15 octobre; son état de santé continuait à être assez bon.
A cette note fort intéressante du Dr Lepère, dans laquelle se trouvent consignés les caractères des grandes attaques que la malade a présentées, je joindrai le récit d'une crise légère et isolée dont j'ai été moi-même témoin, et qui offrait, bien que peu déve-loppées, les diverses périodes facilement reconnaissables.
24 juillet 1879. — Mademoiselle X... est confinée au lit depuis une quin-zaine de jours par une contracture qui a envahi le bras et la jambe gauches. La main repose sur l'épigastre, les doigts fermés, le dos de la main tourné en avant, le coude rapproché du tronc. Une vive hyperesthésie cutanée existe dans tout le côté gauche, mais principalement aux membres contractures. On ne peut toucher même légèrement au bras contracture sans que la malade pousse des cris. Elle ressent en outre, dans tout le côté atteint, une douleur continue ; des élancements très vifs se font sentir dans l'épaule presque à chaque minute, et des tiraillements douloureux se montrent dans le cou du côté gauche. Enfin la malade, sans cesse tourmentée, se plaint continuelle-ment.
La nuit a été mauvaise. La malade n'a pas pu fermer l'œil à partir de minuit. Elle a entendu les cloches. C'était, dans sa pensée, le carillon de Vichy, où elle a passé un mois tout dernièrement, demeurant tout près d'une église. Elle voyait par instants de petits animaux, des insectes du Brésil gros comme de petits hannetons et de couleur fort vive, grimper le long d'un mur, courant en divers sens. Cette vision se produisait du côté droit de la malade. (La douleur ovarienne était à droite autrefois; depuis que la contracture a envahi le côté gauche, l'ovarie existe des deux côtés, mais avec une prédo-minance marquée à gauche.)
Depuis ce matin les douleurs du côté contracture ont été plus vives qu'à l'ordinaire. La malade s'est plainte en outre de bourdonnements dans les oreilles et de battements dans les tempes, de nausées avec suffocation hysté-rique (sensation de boule) et douleur ovarienne gauche très vive.
A 4 h. 45 minutes nous essayons, par l'application d'un aimant près de l'avant-bras droit, de modifier la contracture qui existe à gauche.
A 5 heures, la malade semble s'assoupir, elle est prise d'étouffements et l'attaque éclate.
Le bras droit quitte l'aimant, se contracture dans l'extension, le poing fermé, l'avant-bras en supination, le poignet fléchi; la tête s'incline à droite, les yeux grands ouverts, les pupilles dirigées en haut et à droite; tout le tronc s'incurve vers la droite. Le bras droit exécute lentement et à plusieurs reprises une sorte de grand moulinet, tantôt en demeurant dans l'extension complète, tantôt en se fléchissant et en s'étendant tour à tour. Pendant ce temps, les membres à gauche demeurent contractures dans la situation qu'ils occupaient avant la crise; le faciès est immobile, les dents grincent forte-ment. Cette phase, qui doit être considérée comme une période épileptoïde composée uniquement des grands mouvements toniques du début avec pro-longation du tétanisme, dure environ cinq minutes. Puis il se produit un relâchement musculaire incomplet, car le côté gauche demeure toujours contracture. La tête exécute un mouvement de rotation rapide, en même temps que la bouche s'ouvre et se ferme. Ce mouvement représente la seconde période (période des grands mouvements).
En effet, suivent des hallucinations. La physionomie prend tour à tour une expression gaie ou triste. Il n'existe pas d'attitudes passionnelles à propre-
richer. — Hystéro-épilepsie. • 14
ment parler, car la malade est toujours maintenue dans le décubitus dorsal par la contracture du côté gauche ; mais l'expression de la physionomie indique clairement la présence d'hallucinations tantôt gaies, tantôt tristes.
Il y a un quart d'heure que la crise est commencée, lorsque semble surve-nir une seconde attaque : la physionomie perd toute expression, le bras droit se raidit, la tête se penche à droite, les yeux se convulsent en haut et à droite ; le tronc s'incurve à droite ; le bras droit exécute des mouvements de moulinet. Puis tout d'un coup la malade se dresse sur son séant et se renverse brusquement en étendant les deux bras; pour la première fois, le bras gauche contracture change de position. Mais au bout de peu d'in-stants, le bras gauche reprend sa position habituelle, la malade porte sa main droite à la tète, puis à l'épaule ; elle se plaint. La connaissance est revenue ; la crise est terminée. Elle éprouve des douleurs très vives dans l'épaule gauche; les douleurs se calment peu à peu. Elle ne ressent plus la strangu-lation hystérique avec sensation de boule, et les sifflements d'oreille sont moins intenses.
Je n'insisterai pas ici sur les caractères si accusés et si sem-blables à notre description qu'ont présentés les attaques de cette jeune Brésilienne. Bien n'y manque et l'ordre de succession des différents phénomènes est toujours le même. Les signes prodro-miques de l'accès sont si conformes à ceux que nous avons observés chez nos malades, qu'en l'entendant décrire ses diverses sensations, il nous semblait entendre une hystéro-épileptique de la Salpêtrière.
QUATORZIÈME OBSERVATION.
M. le docteur Galmels, de Carmaux (Tarn), a eu l'occasion d'ob-server loin de Paris et de la Salpêtrière, dans la ville même où il exerce, un exemple de grande hystérie, avec attaques convulsives bien remarquables au point de vue de la régularité des diverses manifestations. Nous devons à son obligeance le récit détaillé de ce fait si intéressant.
Mademoiselle R..., âgée de vingt-sept ans, présente extérieurement tous les symptômes d'une santé florissante. En dehors de ses attaques, elle ne se plaint que de quelques crampes d'estomac, et accuse tous les mois des douleurs de reins et des coliques qui précèdent de quelques jours une menstruation régulière, mais peu abondante, pénible et difficile à s'établir. Un de ses oncles est mort subitement pendant la nuit; il était depuis longtemps épileptique. C'est le seul des antécédents éloignés qui puisse servir à son histoire.
Comme antécédents personnels, elle affirme n'avoir jamais été malade jus-qu'en 1875, époque où elle fut débarrassée d'un ténia par une seule prise de kousso. Je n'ai pu savoir si la tête a été rendue. Dès la guérison survinrent des attaques dont la durée et la fréquence allèrent toujours croissant jus-qu'en février 1879. Quelques calmants pendant les attaques et immédiate-ment après constituèrent tout le traitement. De l'aveu de la malade, ces atta-ques étaient tantôt courtes et sans perte de connaissance, se répétant presque tous les jours; tantôt longues, intenses, nécessitant l'intervention de plusieurs personnes et se répétant trois ou quatre fois par mois. Mademoiselle R... est atteinte d'une surdité acquise, antérieure à son affection; elle n'a jamais eu peur ni éprouvé de fortes émotions. Elle n'a pas non plus désiré le mariage; pas d'hémianesthésie ni (l'hyperesthésie cutanée. Très grande sen-sibilité des ovaires à droite surtout.
Chaque fois qu'elle est malade, elle affirme que la douleur part du ventre, s'irradie à l'estomac, monte au cou, et de là gagne la tête en produisant les phénomènes que nous allons exposer.
D'après ces données, il me fut facile de conclure à l'existence de deux sortes d'attaques : 1" incomplètes; 2° complètes.
Les premières ressemblent aux symptômes prodromiques de la grande attaque à'hysteria major. Il n'y a pas perte de connaissance, mais la malade est en proie à une surexcitation nerveuse qui la rend très irascible. Elle a des contractures, des pandiculations, des envies de pleurer; elle pleure même, mais rarement. Les larmes presque toujours mettent fin à cet état.
Est-elle dans l'imminence d'une grande attaque, les symptômes précédents acquièrent une plus grande intensité; elle souffre dans la région ovarienne, n'a aucune aptitude au travail, ne peut rester un moment en place, elle est triste, mélancolique, se plaint de palpitations, entend dans l'oreille des siffle-ments très aigus, comme ceux d'une locomotive. U lui semble qu'on lui en-fonce un clou dans la tête. Le cou est augmenté de volume, le ventre se gonfle et la poitrine se dilate. Arrive enfin la perte de connaissance, la ma-lade se renverse et la période épileptoïde commence. — Cet état a duré de quelques heures à une demi-journée. — La famille attend toujours ce mo-ment pour solliciter mes soins.
Je la trouve quelquefois sous le coup d'une tétanisation musculaire géné-ralisée avec contracture des quatre membres. La langue est dans un état de protrusion et de déviation forcée à droite comme les muscles de la région buccale et semblant correspondre avec l'excès de sensibilité de l'ovaire droit.
D'autres fois la phase clonique prédomine; c'est le membre inférieur droit qui en fait presque exclusivement les frais ; il décrit des oscillations très marquées et très brusques. La jambe et la cuisse contracturées se fléchissent sur le bassin et tout le membre retombe en cadence sur le talon. — La figure est grimaçante toujours adroite; les muscles du même côté s'agitent con-vulsivement, les yeux roulent dans leur orbite et les paupières ne s'entr'ou-vrent que pour laisser voir un strabisme tantôt convergent, tantôt divergent. La face est congestionnée, le cou gonflé, la poitrine dilatée comme dans les
grands mouvements d'inspiration. Le tympanisme abdominal ne fait jamais défaut.
Je fais la compression ovarienne, et immédiatement, ou au bout de quel-ques secondes, suivant le degré de résistance des muscles abdominaux, mademoiselle R... fait un violent mouvement d'expiration suivi brusquement d'une inspiration aiguë et sifflante.
La respiration a d'autant plus de difficultés à s'établir que les inspirations exagérées se répètent plus souvent. Le hoquet survient fréquemment à cette période, et avec lui les traits de la physionomie prennent une autre expres-sion. Ce spasme viscéral diminue toutefois les chances que j'ai d'enrayer l'attaque. Les borborygmes ne sont pas rares.
La compression ovarienne produit deux effets différents : tantôt elle amène la résolution musculaire et un sommeil apparent. La respiration de-venant un peu plus libre semble faire espérer une solution prochaine. Si je cesse de comprimer les ovaires, bientôt cet état léthargique est interrompu par des secousses du membre supérieur et de la moitié de la face. D'autres fois elle pousse un cri de terreur, et les quatre membres, contractures subite-ment, sont projetés en avant comme pour conjurer un péril imminent. C'est la deuxième période qui commence.
Un second effet de la compression dans les séries d'attaques, c'est le pas-sage subit à la période des contorsions, sans passer par la phase de résolu-tion qui reste inaperçue.
Quelle que soit la transition, mademoiselle R... entre alors dans une fureur indescriptible. La tête s'agite dans tous les sens. Les yeux sont convulsés et ne laissent voir que la sclérotique, les sourcils sont contractés, la langue est projetée en dehors de la bouche et retirée alternativement. Dans sa colère elle cherche à se déchirer la poitrine, le cou, essaye de mordre les voisins auxquels elle distribue des coups de poing; elle déroule ses cheveux et en porte une forte mèche à la bouche après avoir tenté de les arracher, elle se tire les oreilles et se pince très fortement les téguments. Les bras prennent des directions variées. Tantôt ils sont contournés en arrière, le droit surtout; tantôt ce dernier décrit en avant des tours de spire, et, la main dans la flexion forcée, le coude au corps, la malade porte à la bouche les doigts que le hasard ou la rapidité du mouvement lui permet d'y introduire. L'index, le pouce et le médius sont dans l'extension et l'écartement complets, l'annu-laire et le petit doigt dans la flexion et contractures. La rage semble alors portée à son comble. Elle déchire ou casse tous les objets qui lui tombent sous la main. Elle cherche à déboutonner son corsage et le déchire; elle introduit deux doigts dans la ceinture de son jupon et il est mis en lam-beaux. Les jambes sont dans la demi-flexion sur la cuisse, et le bassin subit des oscillations régulières de bas en haut. Mademoiselle R... ne quitte cette attitude que pour décrire une courbe dans laquelle le corps ne repose que sur la tête et les pieds (attitude en arc de cercle). Ce dernier mouvement se fait avec un tel déploiement de force et le tympanisme est si grand, que, malgré l'avantage de ma position sur la malade qui est couchée à terre sur un
matelas, mes forces sont quelquefois insuffisantes pour en empêcher la pro-duction ou la continuation. Quand elle est vaincue par la compression, la tête et le tronc se soulèvent, et retombent sur l'oreiller et forment un angle droit avec les membres inférieurs. Mon intervention alors devient impos-sible jusqu'à ce que je la fasse maintenir de force.
Au milieu de tout ce désordre la malade pousse deux sortes de cris : des cris d'effroi et des cris de douleur sous la pression ovarienne. — La voix est entrecoupée de sanglots. « Aie! — vous me fai...tes du mal. — Laissez-moi... m'en aller... je veux mourir, etc.. » elle ne veut pas surtout qu'on maîtrise ses mouvements. Elle proteste en faveur de ses bonnes intentions : « Je ne suis pas mé...chante... je ne veux pas vous faire du mal... Vous êtes des bourreaux... ; Tout à coup survient une brusque inspiration coïncidant avec une secousse comme électrique de tout le corps, et les contorsions se reproduisent jusqu'à ce que le calme se rétablisse et que les effusions re-commencent. Elle appelle son père, sa mère, essaye de pleurer ou pleure réel-lement, et vient alors la troisième période qui ne dure pas longtemps. — Les yeux se ferment, les traits prennent une expression de bonheur, les globes oculaires se relèvent sous l'arcade sourcilière, mais non pas convulsivement ; elle pousse des « ah! » de satisfaction qui ont la durée quelquefois d'un point d'orgue. — Deux fois et à des dates différentes, étendant les bras comme dans l'attitude du crucifiement, j'ai vu la bouche s'ouvrir et se refermer alternativement de manière à simuler l'agonie, ce qui inspira des craintes à sa famille que je me hâtai de rassurer. — Deux autres fois elle a poussé des éclats de rire. Dans toutes les autres séries d'attaques la figure de la malade revêt le masque de la tristesse. On dirait qu'elle est en proie à un affreux cauchemar. Les soldats et la mort font le principal objet de ces hallucinations. Tant que dure cette période elle ne peut pas supporter la lumière. Des contractures des muscles postérieurs du cou lui arrachent des plaintes.
Enfin la malade revient au monde réel et répond aux questions qu'on lui pose; mais ce n'est pas pour longtemps. La famille ne s'y trompe plus. Elle fixe quelque objet. Un brin de duvet sur sa manche, un tampon du matelas, un bouton attirent son attention. Une mouche lui fait peur. Elle enfonce dès lors la tête entre les épaules et se pelotonne d'effroi.
Après une série d'attaques, lorsque l'accès touche à sa fin, j'en suis averti par un symptôme qui ne s'est démenti jamais. C'est le réveil du sentiment de la pudeur. Elle rajuste rapidement son corsage et toute honteuse elle se hâte de réparer le désordre de ses vêtements et de sa chevelure. — Le regard perd de sa fixité, les contractures partielles cessent, les réponses ne sont plus évasives, le sourire apparaît sur ses lèvres, et les mouches ne lui inspirent plus de crainte. La fin de ces attaques est marquée par un senti-ment de fatigue; elle se sent brisée et se plaint amèrement de la douleur consécutive à la pression. Celte douleur dure toujours 4-8 heures au moins.
Comme complément de la description précédente, je dois ajouter que depuis le mois de mai, chaque fois que j'ai été appelé auprès de ma cliente
je l'ai toujours trouvée dans un état de contracture et de tétanisation géné-rales, la tête entre les genoux et l'ensemble du corps dans une attitude semblable à celle du fœtus dans la cavité utérine. Dans chacun de ces cas, au nombre de cinq (et ce sont les derniers), dès la compression ovarienne s'est développée la période des contorsions et des grands mouvements. Je puis sans hésiter la caractériser de variété démoniaque. C'est une forte note de plus ajoutée à la deuxième période que j'ai déjà dépeinte. Les trois der-nières séries d'attaques surtout ont été effrayantes comme cris, comme fureur; c'était une vraie rage.
Voici le tableau de ses attaques accès depuis le mois de février 1870 :
20 février 1 h. 1/2
26 — 2di.
19 mars 1 h.
26 — 1 h.
30 — 2 h.
28 avril 1 h.
29 — (deux crises)
^ te 3 h.
2° 2 h.
30 — (deux crises)
/jre 1 h. 1/2
2e 1/2 h.
9 mai 2 h.
17 — 1 h. 1/2
21 juin 2 h.
29 juillet 2 h.
Le chiffre d'heures mis en regard de chaque date représente le temps que j'ai passé auprès de ma patiente et la durée de la compression. Cette der-nière a été, dans certains cas surtout, extrêmement fatigante. Mes forces et ma volonté auraient été impuissantes, si je n'avais eu pour me reposer les rares moments qui séparaient chaque fraction de la série d'attaques.
Avant de devenir ma cliente, mademoiselle R... avait, presque tous les jours, une attaque incomplète de plus ou moins longue durée, et, trois fois par mois en moyenne, des séries d'attaque qui se prolongeaient pendant cinq, six et dix heures.
Depuis le mois de février, j'ai assisté moi-même à toutes les grandes mani-festations de cette névrose, et puis affirmer que chez mademoiselle R.,. il n'y a pas à soupçonner la moindre trace de simulation. Cette jeune personne a reçu une éducation et une instruction convenables; elle est choyée de sa famille et ne se voit refuser aucune satisfaction. En dehors de ses attaques, elle a un caractère très jovial et se trouve tout heureuse en ce moment, car depuis le 29 juillet dernier] elle n'a pas eu d'attaque complète ni incomplète.
Quant aux faits recueillis et consignés dans mon observation, je les donne comme absolument empreints de la plus scrupuleuse exactitude et exempts de toute exagération ou complaisance.
Mademoiselle R...,que j'ai vue aujourd'hui même, m'a affirmé qu'elle était au mieux, et que sa menstruation, qui ne s'est jamais établie sans douleur, s'est opérée la semaine dernière sans lui occasionner la moindre indisposi-tion. Je dirai, en terminant, que ses plus fortes crises ont toujours coïncidé avec l'écoulement difficile des règles.
Traitement. — J'ai successivement administré à l'intérieur le bromure de potassium et le bromure de camphre, et concurremment les préparations de fer solubles, telles que les lartrates, les citrates, sans résultat.
Pendant les accès, j'ai fait alternativement des inhalations d'éther, de chloroforme, de nitrite d'amyle, sans arrêter plus rapidement les accès. Ce dernier surtout, dès les premières inspirations, provoquait des vomissements chez la malade, et chez moi une forte irritation des bronches, à tel point que j'ai renoncé à l'administrer après plusieurs essais.
Le 28 avril, j'ai appliqué sur le bras droit un aimant en fer à cheval, ma malade s'est endormie, l'accès n'était pas des plus violents; j'ai fait la même tentative les 29 et 30 du même mois, sans aucun effet. L'aimant était très faible.
Séduit par les expériences de métallothérapie, j'ai placé successivement sur les deux avant-bras un disque de cuivre, de zinc, une pièce de 5 francs et un louis de 20 francs. Le cuivre ne produisit pas plus d'effet d'un côté que de l'autre. L'argent fut aussi indifféremment supporté. Le zinc, insen-sible à gauche, détermina à droite quelques secousses musculaires et une légère tendance au sommeil. Les effets de l'or furent plus actifs. Supportée à gauche, la pièce de 20 francs provoqua à droite des bâillements, des pan-diculations, du malaise, de l'irascibilité, quelques secousses musculaires, et finalement une tendance invincible au sommeil.
Un louis de 100 francs ne put être supporté tant il accentua les effets pré-cédents. Dans quelques minutes, la patiente demanda à être débarrassée, sous peine d'avoir une attaque.
J'ai songé immédiatement au chlorure d'or que j'ai donné en solution à raison de 3 milligrammes par jour, et conseillé un bracelet et un médaillon du même métal. Le traitement a été vaillamment supporté sans indisposer la muqueuse stomacale, et depuis le 29 juillet, mademoiselle R... n'a pas eu (elle me l'affirmait encore ce matin) la moindre trace d'indisposition.
Depuis plus de deux mois elle ne veut plus prendre de médicaments, et a cessé l'usage du drap mouillé et les douches en pluie que je lui faisais don-ner au moyen d'un grand seau à soupape suspendu au plancher.
Je n'ai pas employé l'électricité.
Dr Calmels.
Carmeaux, 21 novembre 1879.
QUINZIÈME OBSERVATION.
Cette observation et les suivantes sont dues à l'obligeance du Dr Thermes. Au courant des travaux antérieurs de M. Charcot et de nos études actuelles, M. Thermes a pu recueillir ces faits inté-ressants avec un soin et une entente du sujet qui rendent inu-tile tout commentaire.
Hystérie. Hémianesthésie gauche. Ovarie gauche. Dyschromatopsie, Parésie des extrémités. Contractures passagères des membres, etc.
Mademoiselle X., âgée de quinze ans et demi, grande et vigoureuse, née à Moscou (Russie), est atteinte d'hystérie à forme convulsive. Voici ce que nous avons constaté :
Une demi-heure et parfois immédiatement avant l'attaque, apparaît Y aura hystérique : ovarie gauche, douleur s'irradiant vers l'épigastre, accélération des battements du cœur, sensation de constriction à la gorge, sifflements dans l'oreille gauche, battements dans la tête, puis perte de connaissance. La ma-lade n'entend plus, ne sent plus, ne voit plus, ne parle plus.
Après un temps variant entre trois et cinq minutes, commence l'attaque.
1° L'inspiration devient légèrement sifflante, la face est quelque peu co-lorée, après avoir été pâle; il y a immobilisation du corps et des mem-bres.
Les paupières sont fermées; les yeux sont en strabisme interne. Il n'y a pas protrusion de la langue. Légère salive à la bouche. Phase tonique.
Bientôt apparaît îa phase clonique. Les paupières battent légèrement, puis énergiquement; la face, portée entièrement à gauche, est animée de petits mouvements rapides, brusques, saccadés, et la figure devient grima-çante. Ces oscillations d'abord brèves et comme hachées s'accentuent, s'é-tendent aux membres supérieurs et inférieurs et gagnent toutes les régions du corps. Phase clonique.
Après deux ou trois minutes, ces secousses ne tardent pas à diminuer, puis à cesser, et la phase de résolution se montre. Les muscles se relâ-chent, la face redevient pâle, la respiration reste un peu bruyante, sans être stertoreuse.
2° Après un calme de une à deux minutes, quelquefois trois, commence la période des contorsions et des grands mouvements.
Les mains et les pieds sont fortement fléchis, portés en dedans, les doigts sont crispés, tordus ou dans l'extension complète; les orteils sont tantôt dans l'extension, tantôt dans la flexion; les avant-bras se fléchissent sur les bras, soit en supination, soit en pronation ; les bras exécutent des mouvements de rotation en dedans et en dehors autour de l'épaule ; les jambes sont forte-ment fléchies sur les cuisses, celles-ci sur le bassin, ou bien les extrémités
inférieures se mettent dans une extension forcée ; les mâchoires se resserrent, les dents claquent ou grincent, la face grimace.
Puis ont lieu les grands mouvements ou la phase de clownisme. Tantôt c'est la tête qui est baissée jusqu'au niveau des genoux et renversée brus-quement en arrière, tandis que les pieds, les jambes et les cuisses se re-courbent et sont lancés en arrière, puis fortement projetés en avant; tantôt c'est le corps qui, vigoureusement soulevé dans son milieu et recourbé en arc de cercle, ne porte que sur le sommet de la tête; parfois c'est le buste que l'on voit projeté, soit en avant, soit en arrière; et ces différents mouvements s'accompagnent de petits cris aigus, stridents et brefs.
Parfois enfin c'est une sauterie cadencée, allant graduellement crescendo et se terminant par un frappement énergique des pieds sur le sol.
Dans cette phase, le délire est généralement commencé, mais il arrive ce-pendant que la malade a parfois conscience de ses actes et de ses mouve-ments, qu'elle ne peut dominer que momentanément, auquel cas sa crise s'accentue et ces grands mouvements ne sont que plus accusés.
3° La période d'attitudes passionnelles manque souvent ; quand elle se présente elle revêt un léger caractère erotique, mais elle n'est qu'esquissée.
4° Lorsque la connaissance revient, que la malade a plus ou moins con-science du sentiment du inonde réel, elle a des hallucinations de la vue et de l'ouïe. Elle entend des voix d'hommes,'ceux-ci sont vêtus de rouge et sem-blent grimper le long des arbres pour pénétrer dans la chambre. Elle voit encore des souris grises qui s'approchent de son lit, et les entend chanter. Cette zoopsie est presque constante. Il n'y a ni pleurs ni rires; il existe une certaine mélancolie.
Cette attaque durait un quart d'heure à vingt-cinq minutes, selon que la compression ovarienne était faite ou non; elle laissait après elle des contrac-tures partielles des membres ou une parésie très marquée.
Il n'y a pas eu immixtion de phénomènes étrangers (somnambulisme, ex-tase, catalepsie); mais parfois, et indépendamment de toute crise, il y a eu de la catalepsie provoquée par le regard fixé sur la lumière d'une bougie.
SEIZIÈME OBSERVATION.
Hystérie. Hyperesthésie ovarienne gauche. Parésie des membres supé-rieurs et inférieurs. Contracture passagère des pieds. Hémianesthésie gauche. Dyschromalopsie gauche. Aphonie incomplète et passagère, etc.
Mademoiselle X., âgée de quinze ans, née aux États-Unis de Colombie (Ve-nezuela, Amérique méridionale), est atteinte d'hystérie à forme convulsive. Jeune fille forte, bien développée, bonne santé habituelle.
Prodromes de l'attaque : malaise, anorexie, quelquefois vomissements.
Avant l'attaque, aura hystérique : douleur partant du côté gauche de la vulve. Puis les irradiations ascendantes s'accusent.
L'épigastre devient sensible et la malade y éprouve comme un serrement; les battements cardiaques s'accélèrent; une sensation de globe ou de boule est ressentie à la gorge ; les oreilles, et principalement l'oreille gauche, bour-donnent; la vue s'obscurcit à droite, à gauche il y a achromatopsie com-plète; la tempe gauche bat douloureusement, l'on dirait qu'elle reçoit des coups de marteau. Puis, tout à coup, la jeune fdle pâlit, incline la tête à gauche et perd connaissance. L'attaque est commencée :
1° Il existe une raideur semi-tétanique du tronc et des membres. La face reste pâle, elle n'est ni tuméfiée, ni violacée ; il n'y a point d'écume à la bouche, les mâchoires sont serrées. Les paupières sont fermées; si on les écarte, on trouve les yeux fortement portés en strabisme divergent, les con-jonctives légèrement hyperesthésiées.
Bientôt, à cette phase tonique succède une phase clonique. Les pau-pières battent légèrement, les muscles de la face sont animés de petits mou-vements rapides et saccadés, le corps est agité de faibles secousses, com-mençant par les membres supérieurs, puis inférieurs, et se généralisant dans toutes les parties du corps.
Mais les muscles ne tardent pas à se relâcher, et après cette phase de réso-lution, qui dure de deux à trois minutes, la malade, sans coma, sans respi-ration stertoreu.se, entre dans la période de contorsions et de grands mou-vements.
2° Les membres supérieurs sont pris de mouvements lents : le bras est porté tantôt en avant et en dehors, tantôt en arrière; puis c'est l'avant-bras qui est fléchi sur le bras ou au contraire étendu; c'est la main qui est fléchie sur l'avant-bras, s'incline en dedans, de l'adduction passe à l'abduction et de la pronation à la supination; enfin, ce sont les doigts, dont les phalanges sont fléchies les unes sur les autres, celles-ci sur les métacarpiens, la seconde rangée du carpe sur la première, le poignet sur l'avant-bras; ce sont encore les doigts, dont les uns sont dans la flexion, tandis que les autres restent dans l'extension : toutes ces attitudes variant à l'infini, tous ces mouvements s'exé-cutant avec une certaine rapidité, sans être toutefois précipités.
Au tronc, ce sont des mouvements plus étendus de flexion et d'extension, quelquefois de torsion, sans être désordonnés.
Quant aux membres inférieurs, on voit la cuisse fléchie sur le bassin et la jambe sur la cuisse, parfois tout le membre est étendu; les orteils sont fléchis, ou encore le pied prend l'attitude de Yéquin varus.
Durant ce temps les paupières battent, mais laissent les yeux fermés; ceux-ci, lorsque l'on examine, sont animés de mouvements saccadés et res-tent en strabisme convergent; le visage est moins pâle, mais à peine coloré, il y a des tressaillements des muscles élévateurs de la mâchoire. C'est la phase des contorsions.
Elle dure à peine deux ou trois minutes, et voici qu'apparaissent les grands mouvements.
Les membres sont agités de mouvements rythmiques, mais rapides et à grandes oscillations; les doigts sont écartés et rappellent le geste de tejetta-
tura. Le corps se courbe et se recourbe en arc de cercle, le bassin est for-tement projeté en avant, les paupières sont tour à tour fermées et ouvertes, et laissent entrevoir des yeux hagards et injectés, le visage grimace parfois et la face se colore.
3° Mais la scène change et les attitudes passionnelles apparaissent.
Tantôt debout, dans la pose du gladiateur antique, elle semble attendre ré-solument un ennemi; tantôt, au contraire, elle s'élance sur lui, l'attaque, le frappe et cherche à le terrasser ; puis elle s'arrête, le regard plein de colère et de vengeance ou de satisfaction; parfois elle se couche comme fatiguée, mais bientôt elle se relève rapidement, et la lutte recommence quatre, cinq fois de suite, jusqu'à ce que l'ennemi soit vaincu. Ici, c'est un matelas qu'elle frappe, qu'elle plie, replie, sur lequel elle s'élance, qu'elle piétine avec courroux, el finit par lancer violemment dans l'espace.
4° Enfin ces mouvements, ces attitudes passionnées, ces poses plastiques représentant exactement les idées qui assiègent l'esprit de la malade, cessent; la malade se laisse tomber sur son lit, comme accablée; elle ferme alors les yeux, gémit, se plaint quelquefois et pleure; ou bien elle se lève en sursaut, sejette de côté comme si elle avait vu quelque chose qui l'eût effrayée. En effet, ce sont des hallucinations qui se présentent, c'est la pé-riode de délire post-hystérique, la période des hallucinations; la malade a de la zoopsie, elle voit des animaux, des perroquets, et principalement des singes, toujours du même côté, à gauche.
Toutes ces périodes durent un quart d'heure à vingt minutes. Elles se succèdent et se renouvellent parfois de façon à amener un état de mal hys-térique. Dans ce cas, elles laissent après elles et momentanément les phéno-mènes suivants :
La malade ne voit pas, elle ne parle pas, elle n'entend pas ; il lui est im-possible de se lever, il y a contracture des extrémités inférieures, ou bien, si elle se lève, elle marche avec peine et à l'aide de deux personnes ; il y a parésie des extrémités inférieures. Après un temps variable, une demi-heure à une heure, la malade commence à voir les objets et les personnes; mais il y a du côté gauche de l'amblyopie, de la dyschromatopsie, presque de l'a-chromatopsie, puis l'ouïe revient; enfin c'est au tour de la voix et de la pa-role. Celle-ci est d'abord lente et difficile, mais bientôt les mots sont nette-ment articulés; seulement la malade ne parle plus qu'anglais, elle ne peut prononcer un seul mot d'espagnol ni de français. Enfin la mémoire revient complètement, la malade reparle les trois langues et reprend son état habi-tuel.
DIX-SEPTIÈME OBSERVATION.
Hystérie. Légère ovarie droite. Attaque convulsive. '
Mademoiselle X..., âgée de 16 ans, grêle, de taille moyenne, lymphatique, née à Constantinople (Turquie), est atteinte depuis deux mois et demi d'hys-térie à forme convulsive.
Certains phénomènes prodromiques (malaise, vertige, mélancolie) an-noncent l'attaque.
Un peu avant l'attaque apparaît Y aura; pas de douleur ovarienne propre-ment dite; sensation de constriction à l'épigastre, de boule serrant le cou, bourdonnements dans les oreilles, obnubilation de la vue, battements dans la tête analogues à de petits coups de marteau. Puis, perte de connaissance.
1° Immobilité tétanique du corps, pâleur de la face, paupières fermées. Respiration courte, lente, inspiration sifflante. Très légère salivation. Quel-ques mouvements légers apparaissent sur la face et dans les membres.
A cette phase tonique succède une phase nettement clonique. Les mouve-ments saccadés et courts animent les muscles de la face, les mouvements de circumduction des membres supérieurs se dessinent. Le corps est parfois agité de secousses régulières mais rapides, parfois au contraire il existe de petites oscillations brèves et saccadées. Celles-ci cessent bientôt et la malade tombe dans la résolution et le calme.
2° Cet entr'acte est suivi d'une période de convulsions et de grands mou-vements. Ce sont des arcs de cercle, de grandes salutations, des oscillations rapides et étendues d'une partie du tronc et des membres inférieurs.
3° Ces mouvements, accompagnés de délire, sont suivis d'attitudes passion-nelles; il y a des gestes d'effroi, certaines poses plastiques, des paroles entre-coupées et indiquant la lutte et l'effroi. Parfois, il n'y a qu'une esquisse de cette période, et même elle manque assez souvent.
4° Le délire post-hystérique se traduit par des hallucinations de la vue et principalement de l'ouïe. La malade paraît endormie, mais tout à coup elle se met brusquement sursoit séant, regarde effarée et prête l'oreille. Elle a vu des personnages imaginaires, elle a entendu des cris d'animaux, mais elle ne les désigne pas. Enfin la scène finit par des pleurs plus ou moins abon-dants, et le reste de la soirée se passe dans une attitude indiquant de la mélancolie.
DIX-HUITIÈME OBSERVATfON.
Hystérie. Chorée rythmique. Hémianesthésie gauche. Dyschromatopsie chez un jeune garçon. Attaque convulsive.
M. X..., âgé de onze ans, né à New-York (États-Unis), présente les sym-ptômes suivants :
Avant l'attaque se montre l'aura .hystérique, consistant en : douleur au pli de l'aine gauche (le petit malade est monorchide droit, le testicule gauche est encore dans le canal inguinal), épigastralgie, constriction à la gorge, sif-flements dans les oreilles, obnubilation de la vue, battements dans la tête, puis perte de connaissance.
1° La période qui suit cet état est caractérisée par de la raideur du corps, de la rougeur de la face, de la fixité du regard; les pupilles sont dilatées, les conjonctives hyperhémiées.
Ensuite apparaissent des mouvements rapides et grimaçants de la face, des oscillations des membres supérieurs et inférieurs et gagnant tout le corps.
Ces mouvements cloniques sont suivis de la résolution et du relâchement des muscles.
2° Après une à deux minutes de calme, le petit malade grimace, contourne ses membres, crispe ses doigts, puis il s'agite, jette les jambes à droite et à gauche, projette fortement son corps en avant, le recourbe en arc de cercle, ou bien, si on le laisse dans le jardin, il court à droite et à gauche en faisant des cercles concentriques et en poussant des cris stridents et prolongés. Ces contorsions suivies de grands mouvements ne tardent pas à disparaître.
3° Les attitudes passionnelles se montrent. Tantôt ce sont des poses comme pour lutter ou se défendre, tantôt c'est celle d'un prédicateur; mais elles durent à peine et la période de délire et des hallucinations commence.
¦4° Le petit malade ne voit pas d'animaux, mais il entend des bruits de pas, et voit des soldats jouant de la musique. D'autres fois ce sont les tam-bours qui battent aux champs. Mais le délire s'accentue, le jeune X... se met à prêcher, à pérorer. Puis tout rentre dans l'ordre, et le malade n'a plus ' qu'un vague souvenir de ce qui vient de se passer.
DIX-NEUVIÈME OBSERVATION.
Hystéro-épilepsie. Hémianesthésie et achromatopsie gauches, etc.
Mademoiselle J...,âgée de dix-huit ans, d'un tempérament lymphatico-ner-veux, a été réglée à quatorze ans et a eu habituellement une bonne santé.
En 1875, à la suite de légères émotions, elle se plaignit de gastralgie, et l'on constata en outre de la dysménorrhée ; puis apparurent quelques manifes-tations hystériformes : susceptibilité de caractère, pleurs faciles, émotivité, etc.
Une médication assez variée et le séjour à la campagne parurent améliorer la malade; mais bientôt les symptômes nerveux s'accentuèrent, l'articulation coxo-fémorale gauche présenta de la gêne des mouvements, de la raideur, de la douleur; l'irritabilité nerveuse ne fit qu'augmenter; puis, un jour, il y eut syncope et attaque convulsive.
Il s'agissait donc d'une hystérie avec pseudo-arthropathie coxo-fémorale gauche, et voici ce que l'examen de la malade nous révèle (mai 1877) :
L'articulation coxo-fémorale gauche est le siège de contractions muscu-laires douloureuses; la douleur siège au niveau de l'article^y a son maximum d'intensité, et entraîne par suite une immobilité relative, mais pas de dévia-tion. Il n'y a pas d'arthrite ni de périarthrite ; c'est une pseudo-arthropathie d'origine nerveuse, une coxalgie hystérique, selon la dénomination de Robert, de M. le professeur Verneuil; c'est l'hyperesthésie articulaire de Brodie (hy-perhémie vaso-motrice des articulations).
A la région abdominale gauche, aux limites extrêmes de la région hypo-
gastrique et un peu au-dessus du détroit supérieur, il y a hyperesthésie, et cette douleur qu'il faut rechercher par la pression est limitée à l'ovaire (ovaralgie); car partout, dans la zone correspondante et voisine, il y a anes-thésie. Celle-ci existe sur la moitié du corps (hémianesthésie), sauf dans cer-tains points de l'articulation coxo-fémoralë, où, nous l'avons dit, se trouve un îlot dont la sensibilité est exagérée (hyperesthésie). Il y a cependant des jours où cette région est insensible comme le reste du côté gauche. Celte anesthésié est complète, sensorielle et sensitive ; en effet, rien n'est apprécié par la malade, ni la douleur (analgésie), ni le chatouillement (anesthésié au contact), ni la température (thermo-anesthésie). Le nerf olfactif gauche ne perçoit pas les odeurs (anosmie) ; l'ouïe du même côté est affaiblie (liypo-cousie ou hypocophose); la vision est diminuéedans l'œil gauche (amblyo-pie) et il y a également achromatopsie, c'est-à-dire rétrécissement concen-trique du champ visuel pour les couleurs.
L'hémianesthésie coïncide avec une pâleur relative de la peau et un abais-sement de la température du côté correspondant; 31°,7 à gauche, 34°,8 à droite.
De plus, des troubles fonctionnels s'ajoutent à ces phénomènes. Tantôt il y a des vomissements, tantôt de la diarrhée; parfois, c'est une hémoptysie légère coïncidant avec de la dysménorrhée et quelquefois avec de l'aménorrhée (règles déviées), ou bien il y de l'ischurie; enfin c'est de temps à [autre une salivation abondante ou encore une sécrétion exagérée s'écoulantde la narine gauche, troubles évidents de l'innervation vaso-motrice.
A ces différents troubles prodromiques s'ajoutent avant l'attaque les phénomènes de Yaura hysterica. La malade éprouve une sensation dou-loureuse, mais complexe, s'irradiant vers l'épigastre, le cœur, le cou, l'oreille gauche, la région temporale et l'œil du même côté. Faisons-nous analyser ces sensations subjectives, nous apprenons qu'elles sont caracté-risées à l'ovaire par de la douleur, à l'épigastre par des nausées, au cœur par des palpitations, au cou'par une constriction et par la notion d'un globe, à l'oreille par un bruit de sifflet, à la tempe par des coups de marteau, à l'œil par une obnubilation de la vue.
Ce sont, on le voit, les irradiations constituant les différents nœuds de Yaura.
Puis commence l'attaque spontanée hystéro-épileptique : A. Période épileptoïde.
Tout d'un coup, et sans cri, la jeune fdle tombe sans connaissance, fait quelques mouvements remplacés par une raideur et une immobilité tétaniques (phase tonique).
Si l'on analyse ces deux phases toniques, l'on voit dans celle accompagnée de mouvements les phénomènes suivants :
La tête raide, renversée en arrière et par côté, fait saillir le cou gonflé. La face, tout d'abord pâle, se congestionne légèrement, le front est plissé; les paupières battent par petits mouvements saccadés; relevées, elles laissent en-
trevoir les yeux en strabisme convergent; les pupilles sont dilatées, les con-jonctives sont byperhémiées, le nez est ridé et pincé, les mâchoires sont assez fortement serrées, la bouche â peine entr'ouverte laisse passer une salive spumeuse. La physionomie est grimaçante dans son ensemble.
La respiration est ralentie, l'abdomen est soulevé, et ce soulèvement coïn-cide avec de profondes inspirations, puis cette inspiration s'entend à peine et s'arrête.
Les membres ont de véritables convulsions toniques : ce sont de grands mouvements de circumduction, ayant lieu des deux côtés, faisant tour à tour fléchir et étendre les bras et les jambes.
Après les convulsions toniques apparaît le tétanisme. La malade est dans l'extension et le décubitus dorsal, on peut presque la soulever tout d'une pièce. La tête est toujours renversée en arrière, le cou plus gonflé, la face plus congestionnée, sans être cyanosée, avec les traits contractures ; une écume plus abondante baigne les lèvres.
Les membres sont dans l'extension, le poing est fermé, les pieds sont en varus équin.
Cette immobilité tétanique se résout rapidement et fait place à la phase clonique.
De petites trépidations envahissent le corps immobile, de brèves oscilla-tions s'élargissent et font place à des secousses assez accentuées qui agitent les membres, la face, la tête et prédominent à gauche. Puis ce corps, ou cette moitié de corps, comme électrisé, rentre dans le calme ; il y a graduel-lement résolution musculaire, et ces deux phases n'ont duré qu'environ deux minutes et demie.
Dans cette phase de résolution, la malade est couchée sur le clos, la tête est fléchie sur le côté gauche, le visage a perdu de sa coloration, les yeux res-tent fermés, la bouche légèrement entr'ouverte laisse échapper de la salive, et l'on entend respirer bruyamment la malade.
B. Période des contorsions et des grands mouvements.
Après un moment de calme de deux à trois minutes, et comme si la ma-lade économisait ses forces pour mieux les dépenser tout entières, l'on voit tout d'un coup ce corps immobile se contorsionner, puis se courber en arc de cercle, le ventre météorisé au sommet et les pieds et la tête aux extrémités de l'arc et comme points d'appui. La face asymétrique est surtout grimaçante, les yeux sont ouverts et fixes, les sourcils froncés, la bouche légèrement ou-verte laisse voir la pointe de la langue; il n'y a pas d'écume. C'est plutôt la contorsion grimaçante des clowns que l'image des possédés.
Cette attitude illogique (Charcot) dure trois à quatre minutes ; elle se modifie parfois; puis, sans transition, cette phase de contorsion fait place à celle des grands mouvements. Tout d'un coup, un cri strident est poussé, la tête qui portait sur le lit, par un mouvement rapide, vient re-trouver les genoux; puis se rejetant violemment en arrière et servant cette
ibis de point d'appui, la malade, arc-boutée des pieds et de la tête, lance son corps dans l'espace, formant ainsi un arc de cercle à convexité abdominale; puis elle rejette violemment sur le matelas les jambes rapprochées, et recom-mence cet exercice de clownisme avec une rapidité et une furia étonnantes. Parfois, c'est la tête et un seul pied qui s'arc-boutent, tandis que le corps forme un arc à concavité antérieure et que l'autre jambe s'élève, le pied tendu montrant l'espace.
Durant cette période, la perte de connaissance ne paraît pas complète; il nous a même été donné de constater, une fois ou deux, par les réponses de la malade, que celle-ci n'avait point perdu toute notion du monde exté-rieur. Mais peut-être y avait-il alors de l'hallucination.
C. Période des attitudes passionnelles. La malade estencore en mouvement et en contorsion quand on voit, sa physionomie changer d'expression, tour à tour son visage exprime une douce gaieté ou la tristesse; ces hallucinations gaies et tristes se succèdent, s'entremêlent et correspondent, ainsi que l'apprend plus tard la malade, à certains faits de sa vie. Toute cette phase disparaît par la compression de l'ovaire ou bien par l'administration d'une douche. Mais il n'y a pas seulement chez cette malade des hallucinations gaies et tristes : celles-ci s'accompagnent d'attitudes, déposes plastiques (Charcot) qui varient selon que la physionomie peint la tristesse ou reflète la gaieté. Ainsi tantôt elle est agenouillée, les mains jointes, dans l'attitude de la prière; tantôt assise, les jambes étendues, la tête penchée et les bras croisés, elle semble révéler une tristesse réfléchie.
D. Période de délire. La malade a repris ses sens, mais incomplètement, et la phase d'hallucination a laissé une empreinte délirante qui ne s'efface que graduellement en présentant des marques rappelant celles du début.
C'est un délire calme accompagné d'hallucinations; délire religieuxpendant lequel des voix d'anges se font entendre l'appelant au ciel. Alors la malade paraît en extase et chante des cantiques. Puis apparaît le délire triste et mé-lancolique. Elles se plaint de ses parents et voit des hommes rouges qui la saisissent du côté gauche et l'emportent en enfer. Alors elle pousse un cri, gémit et pleure. Et l'attaque est terminée, après une durée moyenne de vingt-cinq minutes.
La malade est revenue à elle, elle a recouvré entièrement la connaissance, mais ce n'est que graduellement qu'elle reconnaît les personnes qui l'entou-rent; de plus, il reste une contracture partielle du pied gauche (varus équin), avec parésie des extrémités inférieures. Cela dure parfois quatre à cinq heures, d'autres fois, un mouvement convulsif du bassin se dessine tout d'un coup immédiatement après cette période de délire; c'est l'annonce, le début d'une attaque semblable à la première et bientôt suivie d'une autre. Elle est alors en état de mal hystéro-épileptique.
VINGTIÈME OBSERVATION.
Hystéro-épilepsie. Prédominance de l'attaque épileptoïde.
Madame X..., âgée de quarante et un ans, est atteinte depuis cinq ans d'hystéro-épilepsie. Quelques troubles des fonctions digestives (gastralgie) et de la motilité (parésie des membres inférieurs) préludent; mais le prodrome le plus immédiat consiste en une ovarie gauche, aura s'irradiant peu à peu à l'épigastre, au cœur, au cou, à la tempe, ou aux oreilles et à l'œil gauche. La douleur ovarienne s'exaspère, et spontanément, par les seuls progrès de ce flot montant, la malade perd connaissance. L'attaque commence (dé-cembre 1878) :
Première période. — La malade reste dans la position où elle a été-surprise par l'attaque; elle est en général clans l'extension, la tête renversée en arrière. Le corps est tendu et rigide. Les paupières sont closes, et quand on les ouvre, l'on voit les yeux en strabisme convergent et convulsés en haut. La respiration est régulière, mais faible. (Phase tonique.)
Mais bientôt le tétanisme disparaît, les membres et plus spécialement le côté gauche sont pris de trépidations, d'oscillations courtes et rapides, la tête s'agite également; la face reste légèrement congestionnée, elle est animée de brèves contractions, de légères secousses se succédant pour ainsi dire sans interruption; les paupières et les yeux participent à ces mouvements convulsifs; la bouche est agitée d'une série de petites secousses qui la font s'ouvrir et se fermer tour à tour, et la salive apparaît sous forme de petites bulles qui éclatent ou se résolvent en écume plus ou moins abondante.
La respiration faible devient plus bruyante, l'expiration est saccadée, et l'inspiration quelque peu sifflante; il y a des mouvements rapides de déglu-tition et le ventre météorisé est agité de secousses et de saccades. (Phase clonique.)
Ces convulsions cloniques de tout le corps cessent peu à peu, tout en apparaissant de temps â autre, comme si la malade recevait une décharge électrique; enfin, après s'être éloignées, elles font place à une période de calme et de relâchement musculaire.
Dans cette phase de résolution musculaire, la tête s'est affaissée, appuyée sur l'épaule gauche, le visage calme est rouge et légèrement tuméfié, les paupières sont baissées, les mâchoires sont desserrées, les lèvres un peu entr'ouvertes laissant échapper un peu de salive que l'expiration régulière mais bruyante chasse en grosses bulles. Les bras sont rapprochés du corps et se laissent soulever pour retomber lourdement quand on les abandonne; il en est de même des extrémités inférieures. La malade est donc en décubitus dorsal et semble dormir; elle est en résolution complète, sans contracture.
Deuxième période. —Elle est souvent nette, mais simplement ébauchée. richer. — Hystéro-épilepsie. 15
Ce sont des attitudes illogiques ou contorsions portant principalement sur les extrémités qui se tournent, se retournent, se contournent ; les bras et les avant-bras formant des arcs de cercle, les poignets fléchis ou étendus ; la figure est légèrement grimaçante. Il n'y a pas de grands mouvements, de clownisme.
Troisième période. — Celle-ci n'est encore qu'esquissée. On peut saisir des attitudes passionnelles indiquant la crainte et des hallucinations de la vue que la malade fait connaître après l'attaque.
La malade, durant cette phase, reste insensible aux excitations exté-rieures, mais si nous comprimons l'ovaire gauche elle revient à elle ; la douche la réveille aussi, mais pas toujours. Enfin, si on lui applique une plaque de zinc, métal auquel elle est sensible, ou si on place à distance du bras un aimant, elle est reprise de mouvements rappelant ceux de la pre-mière période (phase clonique) et son attaque semble troublée dans ses phases.
Quatrième période. — La malade porte la main à la région ovarienne gauche, elle se frotte ensuite les yeux, passe les mains sur le visage, pousse une série de soupirs et ouvre les yeux. La connaissance est revenue, parfois complètement, mais le plus souvent en partie seulement. Il existe encore des hallucinations, surtout la nuit; la malade voit passer à côté d'elle ou se tenir à sa gauche des hommes noirs, mais et plus spécialement un homme noir; parfois, elle s'imagine accomplir l'acte vénérien, et alors elle perd un mucus vaginal assez abondant. La connaissance revient alors et la malade reste un peu brisée, parfois anéantie avec parésie très marquée des extrémités inférieures.
«
VINGT ET UNIÈME OBSERVATION.
Hystéro-épilepsie. Prédominance de l'attaque démoniaque.
Mademoiselle X..., âgée de vingt ans, à la suite de vives émotions, est prise, souvent sans motifs, d'envies de pleurer ou de rires inextinguibles. Elle éprouve une sensation de constriction et d'étranglement à la gorge, et une toux rauque, sèche, rapide et incessante la tourmente et la fatigue.
C'est là souvent le prélude de l'attaque (janvier 1878).
Première période. — Celle-ci s'annonce par des mouvements exagérés de contorsion des extrémités supérieures et inférieures et du corps. La face alors devient rouge, turgescente, les yeux sont saillants, mais on ne voit que la conjonctive oculaire hyperhémiée; la bouche est béante et laisse échapper une légère écume, la langue est sortie, et toute cette figure grimace en même temps que tout le corps se contourne et se tortille. C'est la période épileptoïde avec les grands mouvements toniques. Ces mouve-
ments sont parfois brusquement surpris par du tétanisme ou bien se mo-difient en un tremblement de tout l'être ou d'une partie du corps, c'est le clonisme. De repos, de résolution musculaire, il n'y en a point.
Ajoutez a cela des bruits pharyngiens et une respiration bruyante, sifflante, et vous aurez, à très peu près, le tableau de la première scène.
Deuxième période. —C'est celle-là qui prédomine, c'est l'attaque démo-niaque ou celle des contorsions. Tout d'un coup, des cris épouvantables, des hurlements se font entendre; le corps animé jusqu'ici de mouvements de contorsion, ou dans la raideur de l'immobilité tétanique, exécute des mou-vements étranges : les extrémités inférieures se croisent et se décroisent, les bras sont contournés et comme tordus, les poignets sont fléchis, les doigts sont, les uns étendus, les autres fléchis, le corps se courbe et se recourbe en arc de cercle ou se plisse et se tortille, la tête est rejetée à droite ou à gauche, ou, fortement tendue en arrière, fait saillir un cou gonflé; le visage peint tantôt l'effroi, tantôt la colère,quelquefois la rage]; il est turgescent, violacé; les yeux s'ouvrent largement, demeurent fixes ou roulent dans l'orbite, ne montrant le plus souvent que le blanc de la sclérotique ; les lèvres s'écartent, sont tiraillées en sens divers et laissent apparaître une langue pendante et tuméfiée.
L'effroi domine-t-il, alors la tête est légèrement inclinée sur le cou et le thorax, les deux mains crispées étreignent vigoureusement les yeux et le front, et laissent parfois entrevoir un visage contracté et des yeux hagards ; le corps est comme ramassé sur lui-même, les jambes et les cuisses rappro-chées du tronc ; ou bien la malade est placée sur un côté et comme tordue sur elle-même, ou encore couchée sur le ventre, les jambes rapprochées de l'abdomen, les deux mains se cachant la figure.
Est-ce la colère qui l'emporte, elle s'élance sur l'obstacle, cherche à s'en emparer, à l'étreindre, à le mordre; souvent c'est elle qui devient sa propre victime, elle s'arrache les cheveux, se déchire le visage ou la poitrine, lacère ses vêtements, et pendant ce triste spectacle, accentue et accompagne cette scène affreuse en poussant des cris de douleur et de rage.
La malade a perdu complètement connaissance.
Troisième période. — Il n'y a pas d'attitudes passionnelles ni de poses plastiques; c'est à peine si parfois l'on saisit quelques grimaces qui semblent adressées à un être imaginaire. Les membres sont contractures.
Quatrième période. — Cette contracture, accompagnée de crampes dou-loureuses, fait revenir la malade à elle; celle-ci pousse des cris de douleur, pleure et demande à tous ceux qui l'entourent de la soulager au plus tôt.
VINGT-DEUXIÈME OBSERVATION.
Hystéro-épilepsie avec prédominance de l'attaque de délire.
Mademoiselle X..., âgée de quinze ans, sans motifs sérieux, devient inquiète, jalouse et tyrannique; elle renverse et brise les objets à sa portée, a peur de ce qui l'entoure et surtout des allumettes, et voit des objets lumineux passer devant ses yeux. A ces troubles psychiques et à ces hallucinations de la vue s'ajoutent de l'inappétence et une légère suffocation hystérique, des palpi-tations cardiaques et de l'amyosthénie. Il n'y a pas de contractures; l'on constate de Yanalgésie, ni achromatopsie, ni amblyopie.
Après quelques phénomènes d'aurahysterica, il survient surtout des dou-leurs à la tête, à la nuque, puis la jeune fille perd connaissance (avril 1879).
A. Période épileptoïde. — Le corps se raidit brusquement, le visage pâle indique une apparence de calme plutôt que de souffrance, les mâchoires sont serrées, la bouche très légèrement entrouverte laisse apparaître un peu d'écume. A cette immobilité tétanique succèdent des mouvements des pau-pières, des trépidations des membres et quelques faibles secousses du corps. La respiration arrêtée reprend, mais avec une certaine gêne. Puis le calme se fait et les muscles se relâchent.
B. Période des contorsions et des grands mouvements. — Elle est à peine esquissée.
G. Période des attitudes passionnelles. — Après et même au milieu de quelques rares mouvements, ébauches de la deuxième période, la jeune ma-lade prend une attitude et une physionomie indiquant que des sentiments passionnés l'animent; elle fait même certains gestes et prononce certaines paroles qui dénotent l'exaltation des sens, pure création d'une imagination ardente et exaltée.
D. Période de délire. — C'est la dominante chez cette jeune malade qui, la connaissance revenue, mais seulement partiellement, reste sous le coup d'un délire entremêlé d'hallucinations. Ce sont des accès de manie : elle crie, pince, bat sa mère ; sur elle, ce sont des tentatives de suicide; elle veut se jeter par la fenêtre ou bien elle veut se crever les yeux avec des ciseaux ou des aiguilles. Ces accès s'accompagnent de surexcitation nymphomaniaque ou bien d'actes extravagants. Ainsi, la jeune fille se met à son balcon et fait des signes inconvenants aux passants (hommes et surtout jeunes gens). C'est un délire relativement calme avec tendance marquée à l'obscénité. Quelques accès de pleurs le terminent habituellement.
En résumé, sur ces vingt-deux observations de grande hystérie que nous sommes parvenu à recueillir en dehors de la Salpêtrière, nous trouvons sept observations dans lesquelles les attaques n'ont présenté qu'un certain nombre des traits (période épileptoïde, pé-riode des contorsions et grands mouvements) de notre description de la grande attaque. Dans les quinze autres rien ne manque au tableau et toutes nos diverses périodes, depuis les phénomènes épileptoïdes jusqu'aux attitudes passionnelles et au délire, s'y trouvent consignées fort clairement, parfois même avec une abon-dance de détails qui ne permet aucun doute. La plupart de ces malades après avoir épuisé les ressources médicales de leur propre pays, viennent à Paris chercher un remède à leurs maux. Les uns arrivent de la province : de Bretagne (obs. i), d'Auvergne (obs. n),de Bar-sur-Aube (obs. îv), de Ghatou (obs. v), de Saintes (obs. vu), d'Amiens (obs. ix), d'Etain (Meuse) (obs. x), de Bourges (obs. xi), de Marseille (obs. xn). La malade qui fait le sujet de l'observation xiv n'est jamais venue à Paris, et c'est à Garmaux (Tarn) que l'hystérie a pris naissance et que les grandes attaques ont été observées. D'autres sont d'origine étrangère, ils arrivent des contrées les plus éloignées et les plus diverses, de Colombie (obs. xvi), de Russie^(Moscou) (obs. xv), de Turquie (Gonstantinople) (obs.xvn), du Brésil (Rio de Janeiro) (obs. xm), enfin de l'Amé-rique du Nord (New-York) (obs. xvm).
Il nous semble donc acquis que la grande attaque hystérique, telle que nous l'avons décrite, n'a rien de spécial à la Salpêtrière, et que la grande hystérie est partout la même, qu'elle prenne naissance en France ou se développe à l'étranger.
III
Observations puisées dans les annales de la science.
Cette troisième section comprend un certain nombre d'observa-tions d'hystérie grave ou d'hystéro-épilepsie, puisées dans les au-teurs anciens ou modernes. Nous espérons montrer par ces quel-ques exemples que la grande hystérie ne saurait avoir changé avec
le temps. Les faits restent ce qu'ils ont toujours été. L'interpré-tation des faits seule change. Les anciens auteurs ont eu sous les yeux des cas d'hystérie semblables à ceux que nous avons obser-vés. Pour nous laisser des descriptions complètes, il ne leur a manqué que la lumineuse synthèse qui nous a servi de guide. C'est ce qu'il est facile de constater par Texamen de quelques-unes de leurs observations dans lesquelles, malgré une certaine confu-sion, on peut retrouver les grands traits de notre description.
Nous n'avons voulu consigner ici que les faits qui nous ont paru les plus complets. On comprendra qu'ils soient assez rares, soit en raison du peu de fréquence de l'hystérie grave elle-même, soit en raison de l'insuffisance des relations qui en ont été l'objet.
PREMIÈRE OBSERVATION l.
L'observation que je vais décrire a été faite, il y a sept ans, sur une jeune personne qui avoit alors dix-neuf ans. Une complexion délicate, une vie sé-dentaire, une sensibilité vive, des émotions fréquentes, ressenties pendant le temps de la Terreur, l'état de virginité, la vue d'une de ses amies attaquée de la même maladie, furent les causes nombreuses qui favorisèrent chez elle le développement de l'hystérie. Voici comment elle débuta. La jeune per-sonne, qui avoit toujours été bien réglée dès l'âge de treize à quatorze ans, étoit sortie, lors de sa dernière menstruation, pendant un jour de pluie, elle s'étoit même échauffée en dansant. Les règles cessèrent plutôt qu'à l'or-dinaire.
Quelques jours après, première attaque d'une sorte de syncope, avec pâ-leur du visage, perte de connoissance sans gonflements de la poitrine ou du cou, sans spasme ni convulsions : elle dura^environ dix minutes; mêmes attaques pendant les huit jours suivants, toutes les fois que la malade avoit mangé ou qu'elle vouloit se tenir debout : leur durée n'étoit jamais que de quelques minutes. La malade rendit, dans cet intervalle, beaucoup de vents par haut et par bas ; elle fut soulagée plusieurs fois par douze gouttes de liqueur anodyne d'Hoffmann, avec huit gouttes de laudanum liquide, qu'on lui faisoit avaler sur un morceau de sucre.
Après quinze jours de tranquillité, nouveaux accidents, décidés cette fois par un verre de vin de Champagne. Immédiatement après l'avoir bu, spasme général, perte de connoissance, gonflement du ventre, delà poitrine et du cou, au point qu'on fut obligé de lui couper les liens de ses habits ; visage très coloré, pouls presque insensible à l'artère radiale, battements très forts
1. Duvernoy, Dissertation sur l'hystérie, Th. Paris an IX, obs. 17
des carotides, grande gêne de la respiration, mouvements convulsifs de temps en temps, agitation, délire. Quelques gouttes d'eau fraîche, lancées sur la figure, ne firent que l'irriter, sans accélérer la fin de l'accès : il dura trois heures.
Des accès de même nature se renouvelèrent dès lors, plus ou moins fré-quemment pendant environ trois mois. Voici la série des symptômes qu'ils présentoientordinairement : sentiment d'une boule qui rouloit dans le bas-ventre, montoit de l'estomac le long de l'œsophage jusqu'au cou, et pro-duisoit de la difficulté dans la respiration ; gonflement considérable du ven-tre et du thorax, roideur des extrémités, mouvements convulsifs au moin-dre attouchement. Lorsqu'on lui mettoit quelque corps dans la main, elle le saisissoit avec force : un bruit soudain la faisoit tressaillir ; quelquefois elle entendoit ce que l'on disoit autour d'elle. Lorsque la suffocation étoit très grande, elle se frappoit la poitrine comme pour exprimer sa peine. Ces accès se répétoient deux, trois, quatre, jusqu'à six fois dans un jour; leur durée varioit depuis un demi-quart d'heure jusqu'à trois heures et plus : ceux qui paroissoient spontanément, sans avoir été précédés d'aucune sensation extérieure ou affection de l'âme, étoient les plus'longs. La vue inattendue d'une de ses connoissances, un aliment dont le goût ne lui plai-soit pas, une odeur désagréable ; en général toutes les impressions de cette nature, excitoient aussi de semblables accès, qu'on pourroit appeler acci-dentels : ils étoient les moins longs.
Je les ai fait cesser assez souvent en pressant sur les carotides; ils reparois-soient un instant après, surtout lorsqu'ils s'étoient manifestés spontanément. S'ils étoient sur le point de se terminer, le pouls de l'avant-bras se rétablis-soit par degré, les battements des carotides diminuoient en force et en fré-quence.
Apparition des règles au temps ordinaire, mais moins abondantes; exa-cerbation des symptômes à leur approche ; diminution des accès dès qu'elles eurent cessé ; mêmes phénomènes à chaque menstruation. .
Après que cette maladie eut duré quelque temps, susceptibilité extrême ; dispositions à la mélancolie ; émotions vives, par des causes morales ou physiques, auxquelles la malade auroit été peu sensible dans l'état de santé. Trois ou quatre fois les premières donnèrent lieu à des accès hystériques, avec délire, qui se prolongeaient cinq heures entières.
Le traitement que l'on a suivi pendant les trois mois que cette maladie s'est manifestée avec le plusjde violence (c'étoit pendant l'hiver de l'an III) a presque entièrement consisté dans les moyens que fournit l'hygiène. Traiter avec soin toutes les causes qui pouvoient décider les accès; dissiper la ma-lade autant que possible; lui faire faire des promenades fréquentes, malgré le froid violent, pourvu seulement que le temps ne fût pas humide, tels sont les moyens qui ont contribué le plus à diminuer ses accès et à les faires dis-paroître insensiblement.
Elle a été saignée une seule fois du pied pendant le premier mois de sa
maladie; les accès prirent un peu moins d'intensité, mais ils subsistèrent avec la même fréquence.
A l'époque de la menstruation, elle buvoit une tasse d'infusion de mélisse, à laquelle onajoutoit une cuillerée d'eau de fleurs d'orange.
C'est vers le retour de la belle saison que les accès sont devenus bien moins fréquents ; la malade n'en eut plus que très rarement durant le prin-temps et l'été ; sa constitution se raffermit par l'exercice ; son estomac qui étoit très faible se rétablit par le régime ; enfin le soin que l'on prit de lui éviter tout chagrin, toute sensation désagréable, la rendit moins excitable.
Au milieu des détails un peu confus de cette observation re-cueillie au commencement du siècle, nous voyons les attaques convulsives se composer d'un certain nombre de phénomènes qu'il est possible de ranger en trois catégories correspondant aux pé-riodes que nous avons décrites :
Au débuL/sentiment d'une boule qui remontait du-bas-ventre au cou, spasme général, perte de connaissance,raideur des extrémités.
Puis, mouvements convulsifs, agitation, coups sur la poitrine, etc.
Enfin délire.
DEUXIÈME OBSERVATION1.
Mademoiselle N..., âgée de 22 ans, d'une haute stature, d'un tempéra-ment où le système lymphatique semble dominer, jouissant malgré cela d'une force musculaire très considérable, commença à être réglée à 14 ans. Dans le courant du mois de prairial de l'an II, elle prit la gale d'une domesti-que... on la lui guérit par l'usage extérieur de l'ellébore.
Peu de temps après, l'écoulement menstruel qui avoit toujours été régu-lier, depuis le moment de la première menstruation, fluoit, mais imparfai-tement, sans qu'aucune cause apparente en eût dérangé la nlarche.
A cette époque, attaque inopinée d'un violent accès d'hystérie, anxiété extrême, sentiment de suffocation, perte de connoissance, spasme géné-ral des muscles soumis à la volonté; mouvemens convulsifs, si violens, qu'il falloit plusieurs personnes pour empêcher la malade de se nuire ; yeux ouverts, étincelans, ne distinguant aucun objet ; face gonflée, d'un rouge violet ; abdomen, poitrine, cou tuméfiés, pouls dur, irrégulier à l'artère ra-diale; battemens des carotides extrêmement forts; durée de cet accès de-puis huit heures du soir jusqu'à onze heures. Il cessa immédiatement après l'application de huit sangsues aux jugulaires. Un grand accablement lui succéda. On prescrivit un régime débilitant, et le lendemain on fit appliquer
I. Duvernoy, loc. cit., obs. 16.
des sangsues aux cuisses. Ce jour-là, les mêmes accidens reparurent à huit heures du soir; il furent combattus par les mêmes moyens, auxquels on ajouta une forte saignée du pied. Renouvellement des accès pendant plusieurs jours à la même heure. On prescrivit successivement dans leur intervalle l'eau de fleurs d'orange, de tilleul, le laudanum, le sirop de diacode.
Bientôt ils devinrent moins violens, mais plus fréquens ; ils survenoient particulièrement après le repas. La saignée et les doux purgatifs qui sem-bloient, dans les commencemens, diminuer leur nombre avec leur intensité, eurent ensuite un effet nuisible en favorisant leur retour.
On a fait prendre à la malade, pendant quelque temps, presque tous les mois, trois onces de sulfate de soude : cette médecine ne lui procuroit que huit à dix selles. On l'a saignée plus de dix fois, plusieurs fois on lui a fait des saignées de dix-huit onces. Les toniques, qui ne convenoient pas dans les commencemens, sont devenus ensuite très avantageux, surtout la valériane et le quinquina. Les accès sont presque nuls pendant leur usage.
L'écoulement menstruel est devenu plus abondant dès le principe, seule-ment l'éruption en est plus difficile, et dans le fort de la maladie elle étoit précédée d'accès plus fréquens qu'à l'ordinaire.
La musique a fait différentes impressions sur la malade pendant les accès. Le clavecin en a toujours redoublé la violence. Le flageolet et le chant au contraire les terminoient à l'instant même, et constamment par un éclat de rire, qui ne cessoit que longtemps après que l'instrument, ou la voix, ne se faisoit plus entendre.
On décidoit aussi la fin des accès en comprimant avec les doigts les ar-tères carotides; la compression des jugulaires en augmentoit singulièrement la violence. Un mouvement de giration, imprimé aubras ou à la jambe, ren-doit bientôt à tout le corps sa souplesse naturelle, et l'accès cessoit aussitôt.
Toutes les fois que l'on se servoit de ces différens moyens, un nouvel accès, plus violent que le précédent, suivoit immédiatement.
La maladie existe depuis près de sept an s ; les accès sont à présent très rares et ne reviennent que par accident. La gaieté et le contentement sont leur véritable antidote. Les passions tristes, les sensations désagréables, la vue seule et surtout l'odeur de plusieurs substances alimentaires en déci-dent le retour.
Lorsqu'ils commencent, tuméfaction considérable du ventre, sentiment d'une boule gui semble en sortir avec bruit, monte au cou, le gonfle et produit la suffocation et une anxiété extrême, les yeux se ferment, la face reste pâle, la tête s'incline vers l'une ou l'autre épaule; il paroît rarement des mouvemen s convulsifs; les membres conservent, comme dans la catalep-sie, la position qu'on leur donne. Le pouls de l'artère radiale est petit, lent et irrégulier.
La jeune personne a de l'appétit, des forces et de la gaieté.
Il est assez remarquable que dans cette observation, et dans celle qui précède, la maladie soit survenue à la suite de la gale guérie par l'ellébore. Ce traitement fit beaucoup souffrir les deux malades, au point que celle qui
fait le sujet de l'observation xv ne put dormir pendant les trois jours qu'elle y fut soumise. Ses menstrues se supprimèrent immédiatement après ; elles ne reparurent qu'au troisième mois, mais avec tous les symptômes d'une éruption difficile, et même les préludes d'un accès d'hystérie. Il eut lieu dès le lendemain de l'écoulement : ses symptômes redoublèrent par le bain de pieds; lorsqu'il eut cessé, les règles ne couloient plus, la suppression dura six mois, les pâles couleurs* se manifestèrent; et ce n'est que lorsque la menstruation a été rétablie,fque la malade a recouvré la santé. Une nouvelle suppression, à la suite d'une émotion vive, produisit une seconde attaque, etc. Les accès ont constamment pris plus d'intensité vers le temps où l'éruption menstruelle devoit se faire.
Cette dernière circonstance s'est également manifestée dans la maladie décrite au n° 16. Mais la liaison de la menstruation,'avec l'hystérie n'est pas aussi frappante. C'est aussi cependant lors de l'écoulement des règles que le premier accès a paru. Elles couloient imparfaitement Lcians les périodes qui suivirent. Elles devinrent plus abondantes ; seulement leur éruption parois-soit se faire plus difficilement.
Cette observation du même-auteur que la précédente, est un exemple de violents accès hystériques composés seulement de phénomènes appartenant à la première et à la deuxième période.
J'appellerai l'attention sur le début de l'accès marqué par la sensation de la boule hystérique, la pâleur de la face, l'inclinaison de la tête vers l'une ou l'autre épaule, et les phénomènes catalep-tiformesl. Je signalerai également l'influence de la pression caro-tidienne sur l'arrêt des attaques et celle de la musique sur la vio-lence des convulsions.
TROISIÈME OBSERVATION2.
Elisabeth-Pierrette B......, d'une forte constitution, d'un caractère très-turbulent et presque maniaque, naquit de parents sains et aisés. A quelques fièvres intermittentes près, sa santé avait toujours été bonne jusqu'à douze ans, époque du premier accès épileptique, occasionné, dit-elle, par la peur qu'elle eut d'une poupée placée près de son lit. Conduite à la Salpêtrière, elle y fut traitée par les bains, les saignées; elle eut peu d'accès jusqu'à treize ans.
L'écoulement mentruel parut à cette époque, accompagné de beaucoup de maux d'estOxnac; il fut régulier pendant quinze mois, et durant tout ce
1. Nous étudierons plus loin les attaques hystériques compliquées de catalepsie.
2. J.-G.-F. Maisonneuve, Recherches et observations sur l'épilepsie. Th. in-8°. Paris, an XI, p. 173 et suiv.
temps elle n'eut pas un seul accès; elle était déjà retournée chez ses parents depuis quelque temps, quand une suspension de règles de deux mois ra-mena les accès qui vinrent, huit jours consécutifs, cinq à six fois par jour. Cet accident détermina ses parents à la ramener à la Salpêtrière, où elle est depuis deux ans et demi, ayant des accès fréquents, relatifs cependant pour la fréquence et l'intensité à l'état des règles. Dans les premiers mois de sa rentrée, les règles coulant assez exactement, les accès étaient plus rares et plus faibles ; depuis, le retour des menstrues étant moins régulier, les accès sont plus forts et plus nombreux, toujours légers cependant quand les règles coulent.
L'accès arrive tantôt subitement, tantôt après des symptômes précurseurs; étourdissements, agitation, sentiment de strangulation ; puis, chute, perte de connaissance, contraction tétanique des muscles des membres, de la tête qui se penche en arrière, mouvements convulsifs par intervalles, tension de diverses parties; les yeux sont ouverts, fixes et dirigés en dedans vers le front, comme dans l'action de loucher; des tremblements, des agitations, des mouvements violents de tout le corps se succèdent; la respiration est laborieuse et bruyante, le visage rouge, les jugulaires gonflées, peu d'é-cume à la bouche; le pouls est insensible.
Après quelques minutes de cet état, la contraction tétanique cesse, l'agi-tation devient plus grande, la malade frappe sa tête avec force à poings fer-més, veut s'en aller, et est dans une sorte de délire, elle demande sa mère, se plaint, soupire; dès cet instant, la respiration devient plus libre, le visage pâlit, les yeux sont fermés, le pouls fort et lent. Bientôt après, l'accès recommence, etc., etc. Mais tous les accès ne sont pas aussi forts; quel-quefois cependant il se joint aux symptômes ci-dessus décrits une tension partielle de quelques muscles de la face, qui rend le visage hideux ; d'autres fois aussi le col se gonfle, la figure est livide ; la respiration haute et labo-rieuse, avec beaucoup d'écume à la bouche.
Le mal de tête, des étourdissements, une lassitude succèdent aux accès, dont, malgré la variété de phénomènes, la durée ne va guère au delà d'un quart d'heure.
Rangée par Maisonneuve parmi les faits d'épilepsie, cette obser-vation a manifestement trait à l'hystérie épileptiforme. La res-semblance des accidents convulsifs avec ceux que nous avons ob-servés chez nos malades est frappante. La période épileptoïde existe avec la contraction tétanique de la phase tonique et les tremblements, les agitations, etc., de la phase clonique.
Puis l'agitation devient plus grande (2e période) et survient un délire pendant lequel la malade appelle sa mère, etc. (3° pé-riode) .
Enfin les accès se répétaient formant ainsi des « séries. y
Dans certains accès, quelques phénomènes qui appartiennent à la première et à la deuxième période sont encore plus accusés; comme le gonflement du cou, la lividité de la figure, l'écume à la bouche, et le visage qui devient hideux.
QUATRIÈME OBSERVATION 1.
Sur une attaque d'hystérie portée au plus haut degré, recueillie par le citoyen Séverin Marestant, médecin de l'école de Paris.
Clémentine F..., née à Paris, âgée de 13 ans, cheveux et sourcils blonds, d'une constitution délicate, ayant les seins et les parties génitales peu déve-loppées pour son âge, sensible et très irritable, avait joui d'une bonne santé jusqu'à l'âge de treize ans; seulement elle avait éprouvé de temps en temps quelques rhumes légers et des accès fébriles de vingt-quatre heures. Ce fut à cette époque et sans causes connues comme sans symptômes précurseurs, qu'elle éprouva tout à coup un sentiment de strangulation avec menace de suffocation et des palpitations légères. (Depuis ce moment les palpitations reviennent fréquemment, mais elles sont de peu de durée). Huit jours après, elle éprouva des hoquets continuels pendant deux ou trois heures; ils se répétèrent plusieurs fois à des époques indéterminées et à des intervalles de dix, douze ou quinze jours.
Pour les apaiser un médecin conseilla les bains. La jeune malade en avait pris neuf, lorsqu'elle éprouva une attaque de convulsion très forte, qui revint tous les huit ou dix jours.
Ensuite pendant quatre mois consécutifs elle eut tous les jours des con-vulsions accompagnées de hoquets et de cris effrayants; puis les accès de-vinrent plus rares mais plus forts. Ils furent accompagnés de convulsions de tous les muscles du tronc et des extrémités.
Ces affections spasmodiques ont duré jusqu'au 13 germinal de l'an X, jour où je fus appelé et où je fus témoin d'un accès qui, au rapport des parents, fut le plus long et le plus violent de tous ceux qu'elle avait éprouvés. En effet, il dura depuis huit heures du soir jusqu'à trois heures du matin, avec quelques rémissions momentanées. Les symptômes furent très variés, et on ne peut s'empêcher d'y reconnaître la plupart de ceux qui caractéri-sent l'hystérie, l'épilepsie, la manie et même l'hydrophobie.
L'invasion fut subite et sans symptômes avant-coureurs. La jeune personne tomba tout à coup et resta sans mouvements et sans parole. Il y eut ensuite contraction vive des muscles masséler, grincement de dents, rire apparent et mouvement irrégulier de tous les muscles soumis à Vempire de la vo-lonté. Bientôt après des éclats de rire immodérés se manifestèrent et furent
1. Journal de Corvisart. Vendémiaire an XI (1803. Tome V, pag. 218.)
suivis d'une raideur tétanique des extrémités inférieures, dans laquelle la pointe des pieds était fortement tournée en dedans.
Après quelques instants de rémission, les symptômes devinrent plus vio-lents. Le cœur battait tumultueusement, le pouls était plus fréquent, petit et irrégulier. Les contractions musculaires étaient si fortes, qu'à peine trois ou quatre personnes pouvaient contenir la malade. Elle poussait par in-tervalles des cris aigus; lorsque ses mains étaient libres, elle se meurtrissait violemment; lorsqu'elles étaient retenues, elle cherchait à se frapper la tête contre les objets environnants.Xes courts instants de rémission étaient mar-qués par une grande sensibilité. Elle embrassait sa mère et la caressait ten-drement. Mais à ce calme succédèrent bientôt de nouveaux accès, signalés par des symptômes différents, tels que desgrimaces, des contorsions ridicules, des mouvements convulsifs des doigts des pieds et des mains, le resserre-ment total de l'œsophage, les yeux hagards, la pupille dilatée, tantôt l'im-possibilité d'ouvrir la bouche, tantôt celle de la fermer; enfin la perte entière de la sensibilité et la mort apparente. La respiration n'était plus sen-sible et le pouls avait cessé. Cet état dura une heure, après laquelle toutes les fonctions se ranimèrent insensiblement par l'application de deux sinapismes. Alors les convulsions recommencèrent avec la même violence qu'auparavant. Elles cessèrent enfin, et la jeune personne parut bien calme; seulement elle se plaignait d'un grand picotement aux pieds. Je fis enlever les rubéfiants qu'on y avait placés. Elle éprouvait une fatigue et un malaise général. Elle demanda à boire et à manger; le reste du jour fut assez tranquille.
Le lendemain, nouvelle attaque; elle fut moins forte que celle de la veille: entre beaucoup de symptômes pareils à ceux des accès précédents, j'en ob-servai de nouveaux. Dans les rémissions elle montrait la plus grande in-sensibilité aux caresses de sa mère; quelques instants après elle feignait vouloir l'embrasser, et tâchait de la surprendre pour la mordre .-elleren-dif involontairement beaucoup d'urines et de vents.
Enfin, le 15 germinal au soir, accès nouveau; il devança l'heure de celui du 14, il fut aussi moins long, et fut encore marqué par quelques symptômes nouveaux: l'écume lui vint à la bouche; elle était d'une extravagance extrême, commandant tour à tour l'exercice militaire, et les figures de la danse; tantôt avec une voix douce, tantôt avec un son aigu, d'autres fois rauque ressemblant à un hurlement, mais sans ordre ni justesse. L'ac-cès finit par une horreur pour sa mère, telle qu'elle ne voulait ni la voir ni l'entendre, qu'elle cherchait à la frapper, à la mordre, et lui disait de se retirer, ensuite elle se calma un peu. Alors succéda un raisonnement assez juste et suivi; elle se mit à pleurer, se plaignant de sa mère, de sa cruauté pour elle, qu'elle lui refusait tout, qu'elle était lasse de vivre, qu'elle voulait mourir, qu'elle se jetterait sous le Pont-Neuf. En effet, je m'étais aperçu que pendant les deux derniers accès du 15, elle avait cherché à se nuire, en pressant vivement le conduit aérien dans l'espace triangulaire situé au-dessus du sternum. A force de caresses, et de lui tout promettre, je parvins à apprendre que cette aversion pour sa mère, qu'elle aimait et ca-
ressait si tendrement dans les premiers accès du 13, tenait à ce qu'elle lui avait refusé l'avant-veille une montre en or qu'elle lui avait promise et qu'elle désirait ardemment. Aussitôt je la lui fis donner. Bientôt elle fut aussi calme, aussi douce, aussi caressante qu'auparavant. Pendant les accès, j'a-vais tenté inutilement de lui faire prendre quelques cuillerées d'une potion calmante, et un lavement avec un gros d'assa fœtida dissous dans l'eau. Lors-qu'elle eut obtenu la montre, elle se soumit à tout. Le lavement fut bientôt rendu avec des matières fécales d'une puanteur et d'une odeur de choux pourris insupportable, avec des vents de même nature. J'ordonnai des lave-vements avec une infusion de tilleul, n'osant les rendre purgatifs dans la crainte d'irriter et de nuire. Je continuai la potion calmante, quoique je fusse bien persuadé que l'accès du 16 n'aurait pas eu lieu, la cause existante étant détruite; mais je la dirigeais contre les causes prédisposantes que je crois avoir assez détaillées au commencement de cette observation pour n'en pas faire ici mention.
Je n'ai pas craint de rapporter entièrement cette observation un peu longue, parce que plusieurs accès y sont décrits avec dé-tails et présentent des phénomènes qu'il est facile de rapprocher des diverses périodes que nous avons décrites.
La période épileptoïde est suffisamment indiquée par le début brusque, la contraction vive du muscle masséter, le grincement de dents, etc., enfin l'écume à la bouche.
Les grands mouvements de la deuxième période sont décrits avec leur violence et la fureur qui souvent les accompagne. Les grimaces et les contorsions ridicules sont également signalées.
L'attaque du 15 germinal présenta des phénomènes qu'on n'a-vait pas observés jusque-là et qui paraissent se rapporter aux atti-tudes passionnelles : « elle était d'une extravagance extrême, com-mandant tour à tour les figures de la danse et l'exercice mili-taire, etc. ))
Enfin les sentiments opposés que la malade témoigne à sa mère immédiatement après ses attaques, tantôt l'accablant de caresses, tantôt cherchant à la frapper et à la mordre, me paraissent devoir rentrer dans les troubles mentaux qui caractérisent souvent la quatrième période.
CINQUIÈME OBSERVATION1.
Observation incomplète d'hystérie grave. La malade présenta des symptômes variés, convulsions, syncopes fréquentes, et de plus d'une heure de durée. — Paralysie du bras et de la jambe gauches qui dura six semaines. — Anurie pendant quarante-six jours. Rétention d'urine, nécessité du sondage. — Strangulation hystérique. — Catalepsie qui dura sept jours... etc.
Au sujet des crises l'auteur s'exprime ainsi :
« Les convulsions n'avaient lieu qu'cà l'approche des règles : alors l'esto-mac et le ventre étaient tendus et douloureux; elle se frappait la poitrine avec violence; ses idées n'avaient aucune liaison, et souvent son corps se courbait en arrière, et restait dans cet état tétanique pendant cinq à six minutes; elle faisait ensuite des mouvements semblables à ceux que ferait une femme qui se livrerait aux transports de l'amour...
Je n'ai pas besoin d'insister ici sur les points intéressants de cette courte description des accès, ils sont assez significatifs : contorsion, arc de cercle; puis, vraisemblablement, attitudes passionnelles sous l'influence d'hallucinations erotiques.
SIXIÈME OBSERVATION.
Caillot, dans sa thèse inaugurale (Dissertation sur l'hystérie,! 833) distingue deux degrés dans l'expression symptomatique de l'hysté-rie : 1° hystérie sans perte de connaissance; 2° hystérie avec perte deconnaisance. Dans la description des symptômes du deuxième degré, on retrouve facilement les grands traits de notre descrip-tion : spasme tétanique, écume, violence des grands mouvements, extase, délire, etc. A l'appui de son dire il rapporte june observa-tion fort intéressante, dans laquelle les hallucinations et le délire qui succédaient aux convulsions présentaient les caractères de la troisième et de la quatrième période.
Second degré. — Il est caractérisé par la perte de connaissance et par l'augmentation des symptômes précédents.
1. Dubreuilde St-Martin, Dissertation sur l'hystérie, accompagnée d'une obser-vation singulière sur cette maladie. Th. Paris, 1805, n° 540.
Les facultés intellectuelles sont suspendues, la sensibilité est notablement diminuée, les mouvements convulsifs acquièrent une force prodigieuse;la malade est dans un tel état d'hypersthénie, qu'elle résiste avec avantage aux efforts de plusieurs hommes réunis, quand, quelques minutes aupara-vant, une main seule aurait pu la contenir. Le tronc est porté, tantôt en avant, tantôt en arrière ou sur les côtés; les mâchoires sont prises d'un trismus téta-nique; la salive est parfois écumeuse; la suffocation est imminente; la stran-gulation fait tirer la langue : la peau est rouge et pâle alternativement; les convulsions et le calme y ramènent tour à tour le froid et la chaleur ; la face est vivement colorée, et le cerveau est menacé de congestion : alors peuvent apparaître les symptômes de compression cérébrale. Les auteurs parlent d'un état de syncope ou de coma qui aurait simulé la mort pendant plusieurs jours. Qu'aux yeux de la théorie ce soit plutôt un accident rare qu'une forme hysté-rique, la pratique doit y attacher une sérieuse attention, sous peine de s'ex-poser, comme Vésale, à entendre crier un vivant sous son scalpel. Ilestmoins rare de voir la malade entrer, sur la fin de Vaccès, dans un état voisin de V extase et du magnétisme, ou dans un délire tout particulier, que Vonpeut appeler hystérique. Ce délire consiste dans l'exaltation et l'aberration des fa-cultés intellectuelles : la malade parle et dirige d'abord ses idées avec jus-tesse; puis son imagination se développe, crée les narrations les plus romanesques, et ne voit plus bientôt que fantômes, que spectres mena-çants.
Je crois devoir rapprocher de cette particularité une observation qui m'est propre. Une dame, également recommandable, par les qualités du cœur et de l'esprit, et à qui j'ai eu le plaisir de procurer quelques secours, est at-teinte d'hystérie depuis quelques années. Les accès se renouvellent assez souvent, avec perte de connaissance; ses convulsions sont très intenses, et parfois précédées de cris déchirants. Il y a deux ans, dans l'hiver, elle fut deux fois retardée par l'époque mensuelle, et deux fois le retard fut suivi d'une perte considérable. Appelé dans une de ces dernières circonstances, voici ce que j'observai :
Le flux mensuel était abondant ; la face pâlissait et rougissait tour à tour; la personne ne répondait point aux questions adressées, et ne donnait aucun signe de connaissance; ses bras se raidissaient avec contorsion ; les mâchoires se choquaient l'une contre l'autre; l'accès, annoncé par des cris déchirants, se terminait par des sanglots et des larmes abondantes. Alors la malade re-tombait par degrés dans le calme et l'assoupissement. Après quelques mi-nutes, elle entrait dans un rêve où les aberrations des sens se mêlaient aux idées les plus pittoresques : d'une voix touchante, elle disait ses derniers adieux à sa famille, elle demandait ses enfants pour les embrasser; puis calme et froide devant l'appareil de la mort qu'elle décrivait à la manière de Victor Hugo, elle donnait les ordres de son convoi, trouvait sa bière trop petite, et me serrant la main, j'étais son confesseur.
SEPTIÈME OBSERVATION.
Dans un petit opuscule tendant à prouver que l'hystérie a son siège dans le cerveau, II. Girard rapporte plusieurs observations d'hystérie. Dans l'observation XIIe, malgré peu de précision dans les détails, il est facile de reconnaître que l'attaque dont il est question ne saurait être autre que celle dont nous avons donné la description. Il y est écrit à la date du 20 avril 1838 (la maladie remontait à 1830) :
« 20 avril. Crise violente pendant la nuit, cauchemar; elle croit voir une multitude d'hommes devant son lit, puis un serpent monstrueux; elle pousse des cris rauques, mêlés de pleurs et de mouvements convulsifs; boule hysté-rique, imminence de suffocation, perte de connaissance; elle tombe de son lit, se roule à terre et se frappe violemment la tête ; à la visite, gaieté peinte sur ses traits, joie mêlée de larmes; elle a recouvré la voix, oublie ses dou-leurs à la tête; conte avec intérêt son rêve (il y a cependant de la divaga-tion dans ses idées) et montre avec anxiété son membre inférieur droit ré-tracté, elle ne peut l'étendre ni le remuer; la partie antérieure de la cuisse est le siège de vives douleurs limitées par le genou, un peu plus rouge et plus volumineux qu'à l'état normal.
» La jambe est froide; le ventre ballonné, douloureux à la pression ; colique soif, appétit augmenté. (Potion antispasmodique1). »
HUITIÈME OBSERVATION.
M. Baillarger parle d'un cas d'épilepsie qui nous paraît bien plutôt rentrer dans les faits de grande hystérie.
« J'ai eu, sous ma direction, dit-il, une jeune fille frappée d'épilepsie par suite delà terreur que lui avait causée une rixe sanglante. Chaque fois qu'elle avait son accès, elle reproduisait la scène dont elle avait été témoin ; sa figure prenait ensuite l'expression des extatiques, elle disait voir le ciel ouvert, les anges dans leur gloire, et restait quelque temps dans un état de véritable illumination 2. »
NEUVIÈME OBSERVATION.
Lors de la discussion qui s'éleva en 1858 au sein de la Société
1. Considérations sur les affections nerveuses dites hystériques, par II. Girard (de Lyon). Paris, 1841, p. 55.
2. Ann. médic.-psycholog., 3e série, t. I, p. 531. Paris, 1855.
1ucher. — Hystéro-épilepsie. 10
médico-psychologique sur les névroses extraordinaires, M. Brierre de Boismont donna communication de deux observations fort in-téressantes dans lesquelles on voit s'ajouter aux symptômes de l'hys-térie la mieux confirmée, des crises convulsives d'un caractère in-solite, des hallucinations, du délire, des phénomènes d'extase, et de somnambulisme spontané ou provoqué.
Il nous semble que ces cas peuvent être facilement rapportés à la grande hystérie. D'ailleurs nous verrons plus loin quelle con-nexité existe entre cette névrose et le somnambulisme spontané ou provoqué. Pour l'instant je ne désire attirer l'attention que sur la forme spéciale des crises que présenta l'une de ces malades. On y trouvera de nombreux points de ressemblance avec celles de nos hystéro-épileptiques.
La jeune malade dont il est question fut également observée par Sandras et Cerise. Je ne rapporterai que les passages de l'observa-tion qui ont trait plus particulièrement à notre sujet.
Mademoiselle Caroline a dix-sept ans, elle est d'un tempérament lympha-tique sanguin avec prédominance du système nerveux. Son intelligence est développée et cultivée; elle a de la finesse et une instruction variée; sa tante a eu pendant vingt-cinq ans des accidents nerveux présentant de l'analogie avec ceux de cette jeune demoiselle; sa sœur a été atteinte du même mal pendant deux ans; elle a une cousine qui offre des phénomènes semblables. Cette demoiselle ne connaît pas de cause à laquelle elle puisse rattacher les souffrances qu'elle éprouve. Il y a trois ans elle fut prise d'une douleur dans le trajet du muscle sterno-cléido-masloïdien gauche ; cette douleur d'un ca-ractère intermittent s'est reproduite trois fois aux mêmes époques. A la souffrance de la région mastoïdienne a succédé une toux convulsive qui, après avoir persisté quelque temps, a été remplacée par une aphonie subite. C'est à la suite de ce dernier accident que ce sont montrées les crises dont elle souffre maintenant. Elle en a eu vingt-sept, qui ont été suivies d'une amé-lioration marquée. Au mois de mai de cette année elles sont revenues et ne l'ont plus quittée. Ces crises, au dire des parents et de la malade, sont de deux espèces par rapport à l'intensité. Cette malade a offert une particula-rité que nous avons constatée plusieurs fois chez les femmes hystériques à phénomènes extatiques, cataleptiques, etc. : je veux parler de l'abstinence plus ou moins prolongée. A diverses reprises elle a refusé les aliments, et quelque temps avant son entrée, elle a été trois semaines sans manger, pre-nant à peine quelques cuillerées de potage, et dans les dix derniers jours se contentant de cuillerées d'eau. Malgré la prolongation de ce jeûne, sa
figure et sa c institution ne nous ont pas paru sensiblement altérées.
Dès son entrée dans la maison, mademoiselle G... a présenté les sym-ptômes suivants : à six heures et demie du matin, elle a cessé de parler, s'est couchée sur le côté gauche, en raison de la douleur du cou, en poussant un petit gémissement qui consistait en hou hou répétés. Dans cet état, elle était pelotonnée sur elle-même ; ses yeux fixés ou renversés en haut n'étaient im-pressionnés par l'approche rapide d'aucun corps ; la pupille, de grandeur naturelle, ne se dilatait ni se contractait. Par moments, la malade avait des mouvements convulsifs et bondissait sur son lit. Elle ne répondait pas quand on lui adressait la parole, et ne faisait aucun mouvement lorsqu'on entrait dans sa chambre et qu'elle n'était pas agitée; mais quelque légèrement qu'on la touchât, à l'instant même elle sautait comme si elle avait reçu une dé-charge électrique et jetait des cris rauques, inarticulés. Si l'on continuait à la toucher, elle était prise de convulsions violentes pendant lesquelles elle exécutait les mouvements les plus rapides et les plus variés. Quand elle sor-tait de cet état, ce qui arrivait brusquement, elle souriait, prenait son ou-vrage, un livre, faisait son repas, ne se plaignait d'aucune douleur et ne se rappelait rien de ce qui lui était arrivé. Cette crise, qu'on aurait pu appeler le petit mal, se prolongeait environ trois à quatre heures avec des alternatives de rechute et de retour à l'état normal. Dans l'intervalle de ces crises, elle restait souvent immobile, les yeux fixes, tournés vers le ciel, le sourire sur les lèvres, murmurant des mots inintelligibles ou paraissant plongée dans une sorte de béatitude.
Les crises de l'après-midi, qui commençaient en général vers deux ou trois heures et duraient jusqu'à cinq ou six heures, quelquefois plus, quel-quefois moins, étaient beaucoup plus intenses et avaient une grande analogie avec celles des convulsionnaires de Saint-Médard. Après plusieurs bonds très élevés sur son lit, elle jetait ses jambes en avant sur le bord' du lit, comme si elle eût voulut tâter le terrain, et se précipitait avec la vivacité du singe sur le tapis de son appartement ; là, comme ces joujoux à ressort que la plus légère pression fait sauter dans tous les sens, elle exécutait des bonds prodigieux sur les coudes, sur les genoux, en haut, en arrière, en avant, si prestes, si brusques, qu'on aurait pu être blessé si l'on s'était trouvé en contact avec elle. Dans l'une de ces évolutions, elle se frappa avec une telle violence contre une barre de bois, qu'elle en fut contusionnée; en reprenant sa connaissance, elle n'avait aucun souvenir de l'accident, et se plaignait à peine de la contusion. Pendan^ces agitations convulsives multi-pliées, elle ne se découvrait jamais quoiqu'elle n'eût pour tout vêtement qu'une chemise de toile longue, dont même elle déchirait souvent les extré-mités." Si, pendant ces accès, la porte de sa chambre venait à s'ouvrir, elle cherchait à s'enfuir, en rampant comme une couleuvre. Lorsque ces bonds avaient persisté quelque temps, elle s'accroupissait à la manière des tailleurs, en renversant avec force la tête en arrière pour respirer plus largement. L'inspiration était longue, sifflante et répétée. Par moments, elle s'écriait : Que je souffre! Tantôt elle pleurait, tantôt elle poussait des cris, des gémis-
sements, de véritables hurlements. Quand les mouvements convulsifs s'arrê-taient, elle se parlait à elle-même; le plus ordinairement elle commençait ses discours par des mots grossiers, puis elle se répandait en injures contre les médecins qui Vavaient soignée, leur attribuant tous ses maux, et elle terminait ses imprécations par les mêmes paroles grossières. Parfois ses monologues roulaient sur sa famille, ses souvenirs d'en-fance, ou bien elle se moquait de tout, fie semblait croire à rien.
Les crises avaient lieu soit en présence de sa domestique ou d'autres per-sonnes de la maison, soit pendant qu'elle était seule, ce qui avait souvent lieu d'après nos ordres; maintes fois nous l'avons alors observée à travers une ouverture de sa porte, c'était la même répétition de mouvements convulsifs, de poses extatiques : des mesures de précaution et une surveillance conti-nuelle ont empêché les accidents. Les crises étaient plus ou moins répétées. Un jour nous en avons compté treize ; le plus souvent, la connaissance reve-nait aussitôt l'accès terminé. La jeune malade n'accusait ni douleur, ni fati-gue ; sa figure, très changée dans l'accès, reprenait instantanément son air doux et souriant, et fréquemment elle continuait la conversation au point où elle l'avait laissée. Plus les crises étaient fortes, plus l'appétit était vif; la menstruation se faisait bien.
...A la visite de M. Cerise, mademoiselle C... se trouvait également dans son état normal. Bientôt après, elle eut ses petites extases ; M. Cerise ayant pro-fité de cette disposition pour faire des passes magnétiques, il se produisit sur-le-champ des secousses électriques et une insensibilité complète pour le monde extérieur. Les crises, sous cette influence, devinrent très violentes, la malade bondit de son lit sur le tapis, se roula en tous sens et se leva en l'air plu-sieurs fois, en faisant entendre un sifflement prolongé; tour à tour elle écla-tait en sanglots ou pouffait de rire. Ces symptômes étaient remplacés par la touxcorïvulsive fatigante des hystériques. Après avoir duré une demi-heure, ces accidents cessèrent, et mademoiselle 67... tomba dans une extase qui était une imitation remarquable de la figure séraphique de sainte Thérèse. M. Cerise et moi nous nous regardâmes au même moment, notre pensée avait été la même : quelle impression cette forme plastique ne devait-elle pas produire sur la multitude qui entourait le tombeau du diacre Paris!...
Malgré la forme inusitée qu'ont présentée ici les grands mouve-ments de la seconde période, il est difficile de méconnaître les ana-logies qui résultent des phénomènes de délire ou d'extase par les-quels l'attaque se terminait.
DIXIÈME OBSERVATION 1.
R... (Maria-Annette), vingt-cinq ans, couturière. Pas d'hérédité nerveuse 1. Dunant, de VHystéro-épilepsie, Th. Paris, 1863. Obs. I.
ascendante ou collatérale; la mère cependant a longtemps souffert de l'esto-mac, et le père a eu en 1861 une attaque de paralysie. La malade a eu du rachitisme et n'a marché qu'à quatre ans. Elle a toujours eu un caractère un peu excitable, mais elle n'a présenté de symptômes nerveux qu'à l'âge de dix-sept ans, avant la première apparition des menstrues qui ont toujours été irrégulières avec des suspensions de cinq à huit mois.
La première attaque est survenue à l'âge de dix-sept ans; sa seule cause appréciable est que la malade avait reçu des coups sur la tête. Depuis lors les attaques se sont répétées sans régularité, le plus souvent elles sont hys-téro-épileptiques. Elles sont annoncées un, deux, trois ou quatre jours à l'avance par un redoublement des souffrances habituelles, puis subite-ment la tête se fléchit et la face se tourne vers l'épaule droite sans que la malade puisse s'y opposer. Elle ne perd pas encore connaissance cependant; elle entend tout, mais ne peut parler, sauf dans quelques cas où elle crie : « Ah! je suis malade; » puis elle tombe si elle est debout. Pendant cette première période de l'attaque qui s'accompagne de boule hystérique, de constriction pharyngienne et de contracture des muscles du com, la malade souffre beaucoup jusqu'à ce qu'elle perde connaissance. Celte perte arrive plus vite si, dans sa chute; la malade se heurte contre un meuble ou tombe violemment sur le plancher; avec la perte de connaissance du monde exté-rieur arrive l'attaque convulsive à convulsions larges, étendues, égales ; le tronc se courbe en arc; il y a des spasmes et des gémissements, et la ma-lade porte ses mains au cou et à l'épigastre tout en criant : c Maman, ma-man! » d'une voix qui exprime la souffrance. Rien de ce qui se dit ou fait autour de son lit n'est perçu par elle à ce moment de l'attaque. U y a un, deux ou trois paroxysmes de ce genre, puis l'attaque cesse au bout d'une demi-heure ou une heure, laissant à sa suite de la céphalalgie, de la fatigue et des points douloureux. Dans quelques-uns des paroxysmes de quelques attaques, il y a de la raideur tétanique du tronc et des membres, des grimaces de la face qui devient livide, un peu d'écume à la bouche, c'est la période épileptiforme.
Juin 1861. — Les attaques se sont rapprochées de plus en plus; elles ar-rivent tous les huit, quinze ou vingt jours, et sont suivies quelquefois d'un peu de délire pendant lequel la malade déraisonne légèrement, se croit ail-leurs que là où elle est, ne reconnaitpas les personnes qui l'entourent,a perdu la mémoire et a des idées singulières. Dans l'intervalle des attaques reviennent des accidents hystériques très variés, formant quelquefois de légères attaques sans mélange d'épilepsie ou bien s'y mélangeant.
Nous retrouvons facilement dans cette observation la première période (période épileptoïde) et la deuxième période avec les grands mouvements et la contorsion si commune de Farc de cercle. H est dit de plus que les attaques étaient quelquefois suivies d'une
phase délirante dans laquelle on peut reconnaître les caractères de notre quatrième période.
ONZIÈME OBSERVATION1.
C... (Fanny), âgée de vingt ans. Mère très irritable, morte il y a cinq ans; père bien portant; pas de frère ni sœur.
Convulsions dans la première enfance. A seize ans, n'ayant jamais eu d'attaques de nerfs auparavant, elle assista à la mort de sa mère, et immé-diatement ses règles, qui coulaient, s'arrêtèrent, et elle eut une première attaque qui dura vingt-quatre heures, avec perte de connaissance. La seconde attaque parut un mois après. Les suivantes se rapprochèrent, et, à une cer-taine époque, elles revenaient tous les jours pendant deux mois. La malade, dont l'intelligence est peu active, ne peut donner de renseignements plus détaillés. Elle est petite, maigre, et d'une constitution faible; elle tousse fréquemment, sans présenter de signes de tuberculisation à l'auscultation. Elle louche légèrement; sa parole est lente et un peu embarrassée; elle est très sujette à des palpitations, à des nausées, à des douleurs vagues, surtout avant ses attaques.
Tous les mois environ, elle est malade pendant plusieurs jours de suite. Entre ces périodes, elle a des accès d'épilepsie isolés, mais pas très com-plets. Dans les séries maladives, l'hystérie et l'épilepsie se combinent diver-sement, mais l'hystérie domine presque toujours. La plupart du temps, les attaques se présentent comme suit : après quelques prodromes, tels que ma-laise général, tristesse, douleurs, nausées, vient une attaque hystérique, avec perte apparente de connaissance et des mouvements très étendus. Sans percevoir rien de ce qui se passe autour d'elle, elle parait dominée par le souvenir ouparlavue desamère mourante, car elle crie sans cesse : «Ma-man, maman, réponds-moi !Ah! maman, tu ne me réponds plus. » Puis sur-vient un moment de calme; elle reste couchée sur le côté gauche, les yeux ouverts et fixes, dans une insensibilité et une immobilité complètes. La respi-ration se fait bien, il y a quelques secousses dans le côté droit de la face. Après deux ou trois minutes de ce calme, toutàcoup se montre l'épilepsie; la tête se dévie à droite, la face pâlit, les membres se raidissent et s'agitent plus forte-ment du côté gauche, la figure se convulsé et devient livide, l'écume paraît à la bouche, la perte de connaissance et de sensibilité est absolue; puis la pros-tration sans ronflement et l'hébétude précèdent le retour à la lucidité. L'at-taque est alors finie, ou bien recommencent les phénomènes hystériques, puis les épileptiques, plusieurs fois de suite. Quelquefois elle a des attaques hystériques isolées ou des accès épileptiques isolés. Entre les attaques elle a une anesthésié permanente complète de tout le côté droit. De ce côté, les pi-qûres de la peau ne saignent pas. Jamais ce côté n'est atteint de chorée,
1. Dunant, loc. cit., obs. III.
tandis que du côté gauche les membres sont, après quelques-unes des atta-ques, en état de contracture et agités de secousses rythmiques choréiformes persistant pendant plusieurs jours, jusqu'à ce qu'un accès d'épilepsie vienne y mettre fin...
17 avril. — La chorée a disparu peu à peu et sans attaque sous l'influence des douches froides. Souvent elle est arrêtée par l'application de ventouses scarifiées le long de la colonne vertébrale...
24 octobre. — Hier soir plusieurs malades voisines avaient leurs attaques, chacune avec son cachet propre : l'une, de l'épilepsie précédée d'angine de poitrine; une seconde, un état de mal épileptique (obs. L); une troisième, une attaque d'hystérie; notre malade, qui avait été indisposée toute la journée, eut une attaque avec grandes convulsions hystériques du tronc et des mem-bres. Quoique camisolée, elle se jette en avant, se rejette violemment en ar-rière, en criant comme de coutume : « Maman, ah! maman, réponds-moi. » Les bras sont projetés au loin, la figure est rouge, mais non convulsée, la tète non déviée, il y a insensibilité et perte de la perception pour tout ce qui se fait autour d'elle. Après cinq minutes de cette agitation survient du calme avec de Vextase et quelques secousses clans la face, mais la perte de la con-naissance persiste. Tout à coup la face se dévie à droite, la face grimace, le regard se fixe : c'est un accès d'épilepsie à trois périodes, tonique, clonique et résolutive avec stertor, écume et stupeur.
Cette observation présente au complet tous les éléments de notre description, mais ils sont épars et exposés sans ordre.
L'hystérie chez cette malade s'est déclarée à seize ans, sous l'influence d'une émotion vive, la mort de sa mère. Et c'est cette pensée qui, pendant le délire des grandes attaques, revient sans cesse à son esprit.
La période épileptoïde est fort bien décrite, les mouvements très étendus et l'agitation de la deuxième période sont également indiqués. Enfin le délire avec hallucination: «Maman, réponds-moi! etc., » et Y attitude de V extase dont il est parlé, suffisent à ca-ractériser la troisième période.
DOUZIÈME OBSERVATION i.
B... (Henriette), âgée de vingt-six ans, lingère. Père mort poitrinaire, mère bien portante; sur huit frères et sœurs, trois sont morts poitrinaires, les autres se portent bien...
1. Dunant, loc. cit., obs. IV.
6 décembre. — Ce matin il y a une épidémie d'attaques hystériques et hystéro-épileptiques; cinq malades en ont à la fois. Notre malade a d'abord une attaque hystérique : spasmes, convulsions étendues, les bras s'agitent en tous sens comme chez une personne qui lutte, cris, face vultueuse non convulsée, insensibilité à toute excitation. La malade cherche à mordre, et une mèche de ses cheveux étant entrée dans sa bouche elle les coupe avec ses dents, les mâche et les avale sans qu'on ait pu s'y opposer. Ils provoquent de l'élouffement, des haut-le-corps, et sont enfin rendus mélangés à une écume visqueuse. A ce moment, il se fait une détente générale avec retour incomplet de la connaissance. Puis de nouveau apparaît une crise convulsive instantanée, commençant par de la raideur des membres qui sont contournés et se continuant par d'autres phénomènes épilepti formes : arrêt de la respi-ration, face hideuse, pâle, puis livide, paupières ouvertes et yeux convulsés en strabisme convergent, mâchoire déviée à gauche et fixe, contracture fibril-laire des muscles de la face; perte absolue de connaisance et de sensibilité. Ensuite secousses cloniques rares, puis résolution, pas d'écume, retour rapide à la connaissance. L'accès est passé, mais bientôt reparaissent les accidents hystériques, puis les épileptiques.
On trouve ici réunis les signes de la période épileptoïde et de la période de clownisme, bien que l'ordre de succession paraisse interverti.
TREIZIÈME OBSERVATION l.
D... (Fanny-Dôsirée), âgée de vingt-cinq ans. Père épileptique, mort dans une attaque; grand-père paternel somnambule; un oncle paternel aliéné; une cousine issue de germaine de son père est épileptique et idiote; mère hystéro-épileptique morte il y a dix ans; deux frères, morts aujourd'hui, étaient épileptiques ; deux sœurs sont bien portantes; le seul enfant qu'ait eu la malade est mort à huit jours dans des convulsions qui avaient com-mencé à l'instant de la naissance. D'après les informations qu'a prises M. Moreau, ces renseignements fournis par la malade sont exacts.
La malade a eu des convulsions à l'âge de cinq ans. Depuis lors elle a toujours eu des crises de nerfs, les unes avec conservation, les autres avec perte de la connaissance; jusqu'à l'âge de dix-neuf ans, cela paraît avoir été de l'épilepsie pure (chutes, morsures de la langue) ; à cet âge ont paru de longues attaques avec cris et grandes convulsions. La malade a été traitée par M. Falret, à la Salpêtrière, et par M. Morel, à Saint-Yon. Pendant le travail de l'accouchement (août 1860), elle eut des[convulsions que l'on ap-pela de l'éclampsie. Avant sa couche elle avait passé dix-huit mois bien por-
1. Dunant, loc. cit., obs. V.
tante au sortir de Saint-Yon ; mais depuis lors les attaques sont revenues comme auparavant.
12 avril 1861. — Peu de jours après son entrée dans le service, elle a une forte attaque convulsive qui dure plusieurs heures et qui laisse après elle, dans les membres du côté gauche, de la contracture, suivie le lende-main de paralysie avec anesthésie.
14 avril. — On constate de la contracture de la face; la mâchoire infé-rieure, entraînée en arrière, est maintenue fixe dans cette position, la lèvre inférieure contracturée s'enfonce horizontalement dans la bouche, les élé-vateurs des ailes du nez et de la lèvre sont également contractures.
16 avril. — La contracture de la face a fait place à des contractions cho-réiformes qui occasionnent des grimaces continuelles.
26 avril. —Hier soir ily a eu une attaque convulsive complexe, pendant laquelle la malade, insensible à toute excitation externe, parlaitàhaute voix, de noyée, de pendue, et enfin de cadavre étendu sur une table; sa figure exprimait la terreur. Ce matin elle se souvient d'avoir eu comme un mau-vais rêve et de s'être vue elle-même noyée, pendue et disséquée. Elle rap-porte ces hallucinations à une impression très vive de frayeur qu'elle eut à son arrivée à Paris en visitant la Morgue.
7 mai. — La malade a eu du délire plusieurs fois; ce matin ce sont des contractions de la face. Elle prend de la belladone depuis quinze jours (pilules de Bretonneau). L'hypnotisme provoque le sommeil, la cessation des grimaces et fait naître le délire. L'éther en inhalations procure un sommeil paisible avec cessation des contractures.
31 mai. — Les hallucinations variées et passagères de la vue et de l'ouïe, les attaques hystériformes, les accès d'épilepsie, la contracture ou les con-vulsions de la face alternent entre elles d'un jour à l'autre. Les hallucina-tions laissent souvent après elles une grande tristesse. Aujourd'hui la malade est très susceptible et irritable.
8 juin. — Agitation, préoccupation, impossibilité de fixer l'attention sur quoi que ce soit.
23 juin. — H y a une extrême mobilité dans tous les phénomènes. Avant-hier c'étaient des hallucinations, hier une sorte d'anéantissement de la pensée, et le soir un violent accès d'épilepsie, à la suite duquel l'agitation a été si grande qu'on a dû employer la camisole de force. Ce matin, accès complexe hystéro-épileptiforme dont voici le tableau. Après quelques mou-vements convulsifs de la face, les traits se tirent, le maxillaire inférieur se retire en arrière, la lèvre inférieure se repliant sur les dents. Les yeux, très mobiles d'abord, se fixent, les paupières se ferment à demi, il y a du stra-bisme convergent. Au bout de quelques minutes, la tête se meut très rapide-ment par un mouvement de rotation alternative à droite et à gauche. La malade pousse des gémissements, de petits cris plaintifs, mais ne peut parler. La face rougit, le corps se raidit, les bras sont contractures et très fortement fléchis, les pouces sont plies et serrés par les autres doigts. II n'y a pas de grands mouvements, mais la malade s'arc-bouté de la tête et des
pieds sur son lit, dont elle fait plier les barreaux de ferjpar un violent effor d'extension. Pendant tout ce temps elle grince des dents. Tout à coup la ré-solution arrive, les yeux se rouvrent et restent fixes, le regard est sans expres-sion. Après un instant de repos, la malade s'agite et l'accès recommence sans que l'écume paraisse jamais à la bouche. Après ces accès, elle s'agite et déchire tout ce qui lui tombe sous la main. Ce matin elle a des halluci-nations et répond à un être invisible qui paraît la tourmenter. Toutes les questions qu'on lui adresse restent sans réponse, elle ne les a pas perçues.
26 juin. — Hier soir un accès franc d'épilepsie avec écume à la bouche.
1er juillet. — Hier la malade déchirait ses vêtements, elle ne peut dire pourquoi, c'est quelque chose de plus fort qu'elle qui l'y pousse, quoiqu'elle cherche à résister. Ce matin elle a une crise convulsive avec cris et grande agitation et se terminant par un accès d'épilepsie avec ronflement et écume à la bouche.
4 juillet. — L'agitation est constante et extrême; la malade veut se tuer; elle menace, crie et mord; on a dû la descendre au quartier de force. Hier elle a eu trois accès convulsifs.
Décembre 1861. — L'état de cette malade a peu changé. Les phénomènes morbides ont toujours une extrême mobilité, que l'emploi du hachisch, pen-dant deux mois, n'a fait que rendre plus appréciables.
Que nous ayons affaire ici à un cas d'hystérc-épilepsie véritable en ce sens que l'hystérie existait!1 à associée à l'épilepsie vraie ; que la malade ait été d'abord épileptique, puis, l'hystérie survenant, qu'elle ait continué à avoir de temps à autre, en dehors de ses attaques où l'hystérie prédominait, des attaques de véritable épi-lepsie, c'est fort possible, et ses nombreux antécédents hérédi-taires lui en donnent bien le droit. Mais il n'en est pas moins vrai que dans les attaques où les symptômes des deux névroses parais-saient se mêler, on retrouve facilement les caractères de la grande attaque hystérique, telle que nous l'avons décrite avec ses di-verses périodes.
Cette analogie estfortintéressante à constater dans ce cas, car, contrairement à l'opinion de l'auteur, il est fort probable, sinon certain, qu'il en était de cette malade comme de celles que nous avons observées; et que, dans les attaques mixtes, l'épilepsie n'était quedans laforme, la nature même des accidents ne relevant que de l'hystérie, mais de la forme grave de l'hystérie, ou grande hystérie.
J'ai rapporté tout au long cette observation, car, en outre des attaques, il est, entre les phénomènes morbides variés qu'a pré-sentés la malade et ceux que nous avons nous-même observés, de nombreux points de rapprochement : contractures partielles, paralysies partielles avec anesthésie, contractions choréiformes, hallucinations variées et passagères de la vue et de l'ouïe, agita-tation, tristesse, impossibilité de fixer l'attention, sommeil par l'hypnotisme, etc.
QUATORZIÈME OBSERVATION1.
T... (Louise), âgée de trente-six ans. Réglée à vingt et un ans, cette malade a une forte constitution, mais elle éprouvait avant le début de sa maladie de fréquentes pertes de connaissance (probablement des vertiges épileptiques comme ceux qu'elle a encore). Elle ne peut fournir d'autres renseignements, parce que sa mémoire s'est affaiblie beaucoup; elle paraît avoir été intelligente. La première attaque convulsive survint vers vingt-deux-ans, un mois après avoir été fortement impressionnée par la mort de son frère qui s'était brûlé la cervelle. Al'âge de sept ans, elle avait eu déjà une peur très vive en voyant sa mère assassinée.
Sur l'observation prise à l'époque de son entrée dans l'asile, nous ne voyons mentionnées que les grandes attaques hystériques. Elle a cependant, d'après le rapport des dames surveillantes, des filles de service et de toutes les malades voisines, des étourdissements fréquents, qui se passent de la manière suivante. Si la malade n'est pas debout, elle se lève sans laisser tomber ce qu'elle tient à la main; elle perd connaissance, ne répond plus aux questions qu'on lui adresse; son teint devient blême, ses yeux s'enfon-cent, son expression est celle d'une idiote; puis au bout de une'ou deux minutes, l'intelligence renaît rapidement.
Les attaques que nous avons vues plusieurs fois appartiennent à l'hystérie. Elles surviennent de préférence, mais non exclusivement, au moment des règles. La malade sent venir ses attaques et demande à être camisolée. Pendant les jours qui précèdent, il y a de l'insomnie; le caractère est irri-table et mobile. Plus lard apparaissent la boule, la dysphagie, les spasmes du larynx et enfin les convulsions étendues et très fortes du tronc et des membres. La respiration est gênée; le cou grossit, la face est rouge, les yeux sortent de leur orbite. Des cris violents témoignent que quelque chose se passe dans l'intelligence de la malade qui semble assistera la mort de sa mère, car elle s'écrie : «.Je vois des assassins; étanchez ce sang. » Ces exclamations sont accompagnées de gestes d'effroi et une expression d'hor-
reur se peint sur sonvisage qui est bouleversé. Après celte forte crise, tantôt la malade revient à elle définitivement, ou jusqu'à un nouveau paroxysme; tantôt il reste de la contracture et des secousses peu étendues dans les mem-bres, de la raideur du cou, de l'écume à la bouche, puis la résolution arrive et la malade reprend connaissance ; il lui semble qu'elle a fait un mau-vais rêve.
Les attaques rapportées clans cette observation présentent de grandes analogies avec notre description. On y retrouve sans peine les diverses périodes. La malade voit du sang pendant la période des hallucinations.
Nous savons que le vertige épileptoïde, comme nous le démon-trerons plus loin quand nous traiterons des variétés de l'attaque, appartient aussi à la grande hystérie. Il n'est donc pas nécessaire de faire intervenir ici l'épilepsie, et cette malade peut bien n'être qu'une hystéro-épileptique sans épilepsie, comme nos malades.
QUINZIÈME OBSERVATION1.
La jeune Marie B. est le plus souvent avertie de son attaque. Tantôt, dit-elle, un fard lui monte de l'estomac à la gorge et l'étoutfe; souvent aussi sa tête lui semble en feu, et elle tombe en poussant un cri. Parfois elle est prise d'un tremblement nerveux général, sensation de froid dans le dos, ou bien elle se prend à porter un regard fixe sur un point, rien ne peut l'en distraire, déjà elle ne s'appartient plus. Les yeux bientôt se ferment, sa face bleuit, ses dents sont serrées et ses pouces fortement rentrés, tout son corps se raidit comme une barre de fer. Ses yeux, ordinairement fermés, s'entr'ou-vrent quelquefois, roulent lentement d'un angle à l'autre, ou bien restent immobiles et plongés dans le ravissement extatique; souvent aussi ses yeux sont tellement naturels, qu'ils semblent vous parler, on est tenté de croire qu'elle voit; une bougie allumée et approchée delà pupille ne produit aucun réflexe. Le pouls est assez fréquent, les battements du cœur tumultueux, la respiration à peine sensible. Pendant tout ce temps, elle est étrangère à tout ce qui l'entoure. Cet état cesse et tous les membres sont pris d'un trem-blement général,alors arrivent les contractions cloniques; la malade s'êgra-tigne la figure, se tire les cheveux; projection obscénique du bassin; les convulsions sont telles qu'il faut quelque fois la camisole de force .Puis toute cette agitation disparaît, la malade a-un abandon général de tout le corps. Elle dit étouffer, et demande le chloroforme, dont elle est très friande; si on le lui donne, il la plonge dans un ravissement pendant lequel elle fait tout
1. Baillif, du Sommeil magnétique dans l'hystérie. Th. Strasbourg, 1868, p. 46.
haut les rêves les plus extravagants, sa physionomie respire le bonheur et la volupté. Alors ou l'attaque cesse, ou bien elle continue en changeant de forme; elle est prise tout à coup d'un fou rire, de ce rire saccadé propre aux hystériques; viennent ensuite des phénomènes cérébraux d'un tout autre ordre. La malade, les yeux fermés bien entendu, a des hallucinations de la vue; autant elle paraissait heureuse tout à l'heure, autant maintenant elle est triste et découragée; elle vous prie instamment de renvoyer une femme qui est à son lit, avec un petitchien noir quiveutla mordre;cette femme est invariablement vêtue de noir et a les yeux bleus. Parfois c'est sa petite sœur, morte depuis quinze ans, qui vient, dit-elle, l'ennuyer. Dans cet état, elle a bien conscience de ce que vous lui dites; mais elle vous ré-pond comme si vous étiez un membre de sa famille. Tel jour, elle se croit marquise, duchesse ou reine, donne des ordres en conséquence. Nous insis-tons sur cette particularité, parce que nous la verrons paraître dans le som-meil provoqué.
Enfin elle revient de plus en plus à elle, reconnaît les personnes qui l'en-tourent, vous répond, mais ne peut ouvrir les yeux, ou si elle les ouvre, c'est sans en avoir conscience, et cependant elle cause avec vous, vous prie de la détacher, etc. ; elle a recouvré l'esprit sans avoir repris ses sens. Cet état dure plus ou moins longtemps, puis des larmes abondantes viennent clore la scène ; aussitôt après avoir pleuré, elle ouvre les yeux, voit et est très étonnée de vous trouver à côté d'elle. Souvent elle demeure un certain temps sur son séant, regardant de tous côtés pour se rappeler où elle est; sa physionomie exprime l'étonnement et la crainte. Elle ne garde aucun sou-venir de ces divers états, qui durent quelquefois trois heures et plus. Une chose nous a vivement frappé, la facilité avec laquelle la mémoire se perd ; nous aurons occasion de revenir sur ce sujet; ajoutons cependant que nous avons maintes fois excité l'hilarité de cette jeune fille en lui racontant, dans l'état qui précède le réveil complet, la fable de l'âne et du petit chien. A chaque fois elle riait d'aussi bon cœur, à peu près aux mêmes passages, il lui semblait toujours les entendre pour la première fois; à la vingtième, la chose n'avait rien perdu de son sel. Éveillée, elle ne connaissait même pas la fable de nom...
Dans cette observation, l'attaque débute par des phénomènes épileptiformes non douteux, mais la période épileptoïde n'est pas complète, la phase tonique prédomine. L'agitation violente qui suit rentre clairement dans la deuxième période. Enfin le chloro-forme suscite des hallucinations et un délire qui présentent quel-ques caractères de la troisième et de la quatrième période. Nous verrons plus loin que les inhalations d'éther ou de chloroforme occasionnent chez nos malades une variété de la grande attaque
qui se trouve alors réduite aux attitudes passionnelles et aux hal-lucinations de la troisième période. Nous signalerons cependant ici une différence. Dans la règle, le souvenir des hallucinations de la troisième période persiste après l'attaque, tandis que la malade de M. Baillif ne garde la mémoire ni de son délire ni de ses visions. .Ce qui est un point de ressemblance avec ce qui se passe dans le somnambulisme. Cette malade, d'ailleurs, pendant le sommeil provoqué, présentait les mêmes troubles cérébraux. Nous revien-drons plus loin sur ces cas de sommeil ou de somnambulisme provoqué.
SEIZIÈME OBSERVATION1.
Tout d'abord, notre malade est parfois (pas toujours) prise de contrac-tures douloureuses dans les mains; puis elle tombe, sans cri, dans un coma profond, n'étant prévenue du moment où elle va perdre connaissance que par des contractures, lorsqu'elle en a. Ce coma, variable dans sa durée, constitue quelquefois toute l'attaque. Elle semble alors dormir d'un sommeil profond, sommeil avec ronflement stertoreux, grave, et raideur de tout le corps. Le tout s'accompagne, tantôt d'une pâleur livide, lorsqu'il doit durer longtemps, tantôt, le plus souvent, d'une rougeur intense, la face devient vultueuse, les yeux sont fermés et convulsés en bas. Bien rarement elle les ouvre; elle est alors affectée d'un strabisme divergent. Bientôt, après qu'elle a tiré plusieurs fois la langue, ses bras se raidissent et se portent énergique-ment le long du tronc; les pouces sont fortement rentrés, et le corps tout entier ne tarde pas à être pris de contractions toniques; par moments, la tête seule et les talons sont appuyés sur le lit, le sternum lentement et forte-ment projeté en avant. Un hoquet accompagne souvent cet état tétanique. La respiration semble abolie, la malade paraît étouffer, et porte par des mouve-ments brusques et rapides une main à la gorge, qu'elle laboure énergique-ment; un corps dont elle veut se débarrasser semble lui étreindre le larynx. La face, pendant cet état qui dure de soixante à quatre-vingts secondes, est fortement agitée; la respiration n'est plus perceptible, le pouls est fréquent, les battements du cœur tumultueux. Puis, la malade se rapproche de la franche attaque a" hystérie, s'arrache les cheveux, fait des bonds qui la jette-raient hors du lit si on ne la retenait; ses membres sont agités de convul-sions cloniques ; elle continue à porter la main à sa gorge, qu'elle déchire. Si, en ce moment, on examine l'abdomen, on le voit énormément distendu par les gaz, d'une dureté extrême. C'est généralement pendant qu'il est con-
1. Raillif, loc. cit., p. 30.
sidérablement distendu, que les contractions toniques ou cloniques sont le plus violentes. Ne serait-ce pas parce que le diaphragme, fortement repoussé par les gaz de l'intestin, ne peut plus du tout agir dans l'inspiration et vient ajouter un élément de plus à la gène de la respiration ?
Pendant cette seconde phase de l'attaque, la face est moins rouge, la res-piration est toujours très lente, le pouls fréquent et les battements tumul-tueux. Ensuite, la malade retombe dans le coma, sorte de trêve, répit donné à l'organisme. Assez souvent ce coma est suivi d'un grincement de dents, grincement rapide et énergique, que l'on rencontre d'une façon intermittente pendant toutes les périodes de l'attaque. Inutile d'ajouter que toutes les sensibilités sont abolies. Il faut en excepter une, la sensibilité à la région ovarique ; nous y reviendrons dans un instant.
Cet état, avec une alternative de coma et de contractions cloniques et toniques, dure en moyenne trois heures, lorsque la malade est abandonnée à elle-même. Après quoi, sans encore pouvoir ouvrir les yeux, elle reprend lentement connaissance. Sa sensibilité revient peu à peu, ses contractions disparaissent, mais lentement. Ni les pleurs, ni les rires, si fréquents à la suite de l'attaque d'hystérie. Une chose digne de remarque, c'est que la malade ne reprend la mémoire que du moment où elle ouvre les yeux ; depuis un temps assez long déjà, elle a reconnu les personnes qui l'entourent, ré-pondant par signes de tête aux questions qu'on lui adresse, et cependant, au moment seulement où elle ouvre les yeux, elle semble se réveiller, et est surprise de vous trouver à ses côtés... Cette forme d'hystérie a-t-elle aussi son point de départ dans l'ovaire, comme l'a le premier pensé notre vénéré maître, le savant professeur Schiitzenberger? En effet, nous avons souvent eu l'occasion devoir M. Schiitzenberger provoquer des attaques en pratiquant une pression sur la région ovarique. Ici, tout au contraire, une pression sur la région ovarique arrête l'attaque. Si, au début de l'attaque, on exerce une région énergique, on fait avorter l'attaque; si déjà elle dure depuis un certain temps, on obtient encore le même résultat, mais il faut une action plus énergique et plus prolongée. Ce moyen nous a toujours réussi chez cette malade, et elle n'a jamais repris son attaque.
Voici ce qui se passe : la malade, tout d'abord, revient peu à peu à elle, elle semble beaucoup souffrir de la gêne de la respiration; elle fait des efforts pour retirer votre main, et répond par signes à vos questions. Puis, on la voit prendre une ou plusieurs larges inspirations, et enfin une dernière énorme, semblable à celle d'une personne qui pousserait un profond soupir. Alors tout est fini; elle ouvre aussitôt les yeux...
Les attaques ne se composent ici que des deux premières pé-riodes, qui présentent leurs principaux caractères nettement tranchés et se succédant comme il convient. De plus, la pression ovarienne arrêtait les attaques ; il existait même d'autres points hystérogènes.
DIX-SEPTIÈME OBSERVATION1.
... Ses membres étaient dans la résolution laplus complète. Une mousse lé-gère et finement aérée apparaissait àses lèvres, et elle l'expulsait par des efforts d'expuition. Cet état, qui se prolongea pendant dix minutes environ, fut suivi d'une nouvelle période de phénomènes tout. différents. La mousse avait cessé, mais tout le corps fut pris de convulsions violentes, de secousses pro-longées et saccadées que je remarquai être localisées dans tout le membre inférieur droit (c'était le côté contracture depuis l'enfance) et dans le bras du même côté. Ce bras, fortement porté en arrière et fléchi, se tordait avec une violence extrême, au point de faire craindre une luxation de l'épaule, où l'on entendait se produire des craquements. La jambe était fléchie com-plètement sur la cuisse et le pied sur la jambe; mais ces mouvements de flexion étaient tellement exagérés qu'il faut les avoir vus pour pouvoir s'en rendre exactement compte. Les globes oculaires étaient convulsés en haut, au point que l'on pouvait à peine voir le grand cercle de l'iris, caché presque complètement sous l'arcade orbitaire supérieure. Ces phénomènes étaient à peine marqués de l'autre côté du corps.
Mon impression première fut,je dois V avouer, que j'avais devant les yeux une attaque d'épilepsie; mais bientôt le tableau changea; les mouvements de torsion des membres supérieur et inférieur droits furent remplacés par des se-cousses générales de tout le corps, des projections violentes du bassin, pro-jections qui allèrent ensuite en s'affaiblissant, et qui finirent à être ryth-mées en cadence avec un ronchus sonore; peu à peu ces projections, que je con-sidère comme étant le type de ce qu'on a appelé l'hystérie libidineuse, cessèrent. La malade porta les mains à sa gorge; il semblait qu'elle étranglât et qu'elle voulût se débarrasser d'un objet qui pesait sur son larynx. Il y avait déjà une demi-heure que j'assistais à ces différentes phases de l'attaque, quand ma-demoiselle S... se mit à pleurer, sans toutefois recouvrer connaissance; ses gémissements, entrecoupés par quelques secousses violentes de tout le corps, furent enfin remplacés par une hallucination qui dura à peine quel-ques minutes. La malade, ouvrant les yeux démesurément, se jeta dans la ruelle de son lit comme sous l'empire d'une vision épouvantable : « Retirez cette fosse, disait-elle, retirez-la... ma mère... » puis ce fut tout. Quelques instants après, elle se réveillait, ne conservant aucun souvenir de ce qui ve-nait de se passer, mais ayant un violent mal de tête et une grande courba-ture. Je me retirai et elle se leva immédiatement pour satisfaire à un pres-sant besoin d'uriner. Jamais, depuis que ses attaques existaient, il n'était ar rivé à la malade d'uriner au lit.
Les prodromes de l'accès consistaient en bâillements qui devenaient de plus en plus fréquents, à mesure que l'heure critique approchait. Dans la journée,
1. Billet, Contribution à l'étude des névroses extraordinaires, Paris 1874, p. 20.
la malade se sentait prise d'en ennui indéfinissable, et il lui arrivait d'avoir des absences qui duraient quelques secondes, mais sans éblouissements ni tintements d'oreilles.
On ne saurait trouver une description d'attaques pins conforme à celle que nous avons donnée. Dans la suite, la phase des halluci-nations s'est modifiée. Elle s'est étendue en durée et des phéno-mènes somnambuliques et cataleptiques s'y sont surajoutés. Les deux premières périodes ont toujours conservé les mêmes carac-tères. Nous reviendrons plus loin sur cette intéressante observa-tion, au sujet des variétés somnambuliques de l'attaque d'hys-téro-épilepsie.
QUELQUES AUTEURS ÉTRANGERS.
Les auteurs étrangers qui ont écrit depuis peu sur la matière, édifiés par les travaux de M. le professeur Charcot, ne s'éloignent pas de notre description. La grande hystérie chez eux ne diffère donc pas essentiellement de ce qu'elle est chez nous. C'est ce que, d'ailleurs, nous ont déjà appris les observations de M. le docteur Thermes rapportées dans le paragraphe précédent.
Hammond, dans son Traité des maladies du système nerveux, re-produit dans l'article hystéro-épilepsie la plupart des figures qui se trouvent dans les Leçons de M. Charcot concernant le même sujet.
La description qu'il donne des attaques est incomplète. Il est possible cependant d'y retrouver bien des traits de notre descrip-tion.
« Une attaque d'hystéro-épilepsie, dit-il, est caractérisée par des convul-sions qui ressemblent plus ou moins à celles de l'épilepsie.
« Habituellement il y a en premier lieu un spasme tétaniforme bien mar-qué, d'autres fois peu intense et parfois même nul. Ensuite viennent des convulsions cloniques pendant lesquelles le malade a de l'écume à la bouche et une émission involontaire ou des morsures à la langue, quoique ces phé-nomènes, surtout le dernier, soient rares. La perte de connaissance existe pendant ce stade.
richer. — Hystéro-épilepsie. 17
« Puis il survient une série remarquable de mouvements pendant lesquels le malade recouvre les sens, au point qu'il peut répondre aux questions qu'on lui adresse; mais il ne conserve pas le souvenir de ce qui s'est passé anté-rieurement. Ces mouvements sont apparemment volontaires et consistent dans les contorsions les plus étranges des muscles de la face, du cou, du tronc et des extrémités, de sorte que les gens superstitieux peuvent bien imaginer l'existence d'un agent diabolique intérieur ou extérieur.
« Pendant cette partie de l'attaque, le malade déchire avec ses mains et avec ses dents tout ce qu'il peut atteindre, et il prononce des sons étranges ou des mots inarticulés qui sont apparemment en relation avec les idées qui traversent son esprit. Enfin l'élément purement hystérique cesse de préva-loir et le malade pleure et rit tour à tour et finit peu à peu par se rendre compte de ce qui se passe autour de lui.
« Pendant toute la durée de l'attaque le visage est rouge, les pupilles modérément contractées, le pouls est accéléré, la transpiration abondante et la respiration fréquente et irrégulière... »
L'auteur signale ensuite quelques modalités de l'attaque sur les-quelles nous reviendrons plus loin. Il y est parlé de convulsions consistant en « une série de mouvements rapides » ; de spasme opis-thotonique, « la tête et les talons seuls touchent le lit » ; (Yaura distincte partant de l'ovaire gauche. Enfin l'influence de la com-pression ovarienne sur l'arrêt des convulsions est également in-diquée.
Le Dr Leidesdorf de Vienne, dans la description qu'il donne des accès d'hystéro-épilepsie, cite les paroles mêmes de M. Charcot, dont il approuve complètement la description *.
En Italie, Sepilli etMaragliano ont observé récemment des atta-ques d'hystéro-épilepsie qui offrent avec les nôtres de nombreux points de rapprochement :
«... Les attaques, souvent au nombre de 40 à 70 dans un jour, commen-cent le plus souvent par de petites secousses de la partie gauche du corps, qui bientôt s'étendent à l'autre côté. Elles sont accompagnées d'un cri su-bit; puis survient une contracture des membres en flexion, ainsi que du trismus. Écume à la bouche, arrêt de la respiration, battements du cœur forts et rapides; les yeux se dévient à gauche, la tête se tourne aussi de ce côté. Puis survient un collapsus musculaire complet et une respiration ster-
1. Trattato délie mallettîe mentali del dott. Massimiliano Leidesdorf di Vienna. Edizionne originale italiana 1878, p. 495.
toreuse et profonde. Les attaques ne sont pas toujours aussi complètes ni aussi régulières, parfois elles avortent, parfois elles sont d'une autre sorte; par exemple le corps se dresse dans le lit et s'incline en avant, tandis que la tête est projetée en arrière et que les membres font des mouvements in-coordonnés. Pendant ces attaques on observe une sorte de délire de paroles et d'action, sans que cependant il semble y avoir une suppression complète de la conscience. L'étal comateux n'a été observé qu'une fois, en général les attaques étaient suivies d'une légère dépression et d'apathie qui disparais-saient en vingt-quatre heures1... »
Les deux observations qui suivent ont été recueillies en Ecosse par M. le docteur Inglis, assistant à l'asile d'Edimbourg. Je n'en consigne ici que les passages qui nous intéressent plus particulière-ment, et je les emprunte à l'analyse qu'a donnée le docteur Vigou-roux du travail du médecin écossais (Progrès médical, n° 3, 1879).
En dehors des phénomènes de somnambulisme et de catalepsie qui viennent compliquer la situation, et dont nous traiterons plus loin au chapitre des variétés de l'attaque, il est facile de constater que les attaques de ces malades ont présenté la plupart des carac-tères sur lesquels nous avons déjà tant insisté.
Obs. I.M. M., dix-sept ans, entrée le 18 juillet 1878. Après un accès de co-lère, elle avait tenté de se précipiter d'un quatrième étage. Transportée au Royal Edinburgh Asylum, elle y resta pendant dix-huit heures dans une sorte d'extase. Elle revint ensuite complètement à elle, mais ne se souvenait de rien de ce qui était arrivé. On ne trouva pas chez elle de prédisposition héréditaire à l'aliénation ou à d'autres névroses, mais elle avait été chloro-tique et était très nerveuse. C'était sa première attaque. Deux jours après son entrée, on la vit s'endormir pendant qu'elle prenait son repas, au moment où elle portait sa main à la bouche, et plus tard, étant occupée à laver, elle fut trouvée profondément endormie près d'une cuve. On ne put pas la ré-veiller en la secouant fortement, en lui plaçant de l'ammoniaque sous le nez ou en la piquant. Outre ces attaques, il lui arrivait souvent de marcher dans cet état de sommeil, avec les yeux ouverts. Une fois, elle tomba, mais sans convulsions. Elle essayait de résister à ce sommeil, mais en vain. Cette jeune fdle est d'une intelligence ordinaire et d'un caractère timide et sensible. Elle désirait vivement être guérie de ses attaques. Elle ne présentait à aucun degré ce besoin morbide de sympathie et cette exagération de personnalité,
1. G. Sepilli et Maragliano, Contribution à l'étude de l'hystéro-épilepsie. (Ri-vista sperim. di fren. IV. II et 111, p. 345.) Analysé par Salomon de Hambourg dans le Centralblatt fur Nervenheillcunde, etc., n° du 1er mars 1879.
si caractéristique de la « fashionable hysteria », non plus que l'irritabilité querelleuse habituellement notée en pareil cas.
La nuit, elle dormait, mais se plaignait de faire des rêves horribles, et par-lait beaucoup en dormant. Elle accusait souvent une douleur dans l'abdo-men.
Voici maintenant une nouvelle phase. La malade accusait un élancement douloureux dans la région iliaque gauche (aura ovarienne) et une sensation de tension de l'abdomen. La face devenait pâle et déviée; il y avait perte rapide de conscience et chute. On observait alors de légères convulsions clo-niques du côté gauche de la face, du bras et de la jambe gauches, tandis que le côté droit était pris de raideur tétanique. La sensibilité générale et l'exci-tabilité réflexe étaient abolies ; les pupilles dilatées ne réagissaient pas à la lumière, pouls 120; température 99° Fahrenheit. L'attaque, par conséquent, ne différait en rien d'une véritable attaque d'épilepsie. La cyanose n'était pas aussi prononcée que dans une très forte attaque d'épilepsie, mais était nettement caractérisée, et il y avait un écoulemeut de salive écumeuse teintée de sang.
Un léger trouble des idées et du vertige succédait à ces attaques, mais il n'y avait pas de stupeur, et si elles étaient moins fortes, la connaissance reve-nait sans transition, et alors la salive qui s'écoulait de la bouche était vis-queuse au lieu d'être écumeuse. Souvent, pas toujours, la malade était avertie de l'approche d'une attaque, et cela constitue un des éléments de diagnostic entre l'épilepsie et l'hystéro-épilepsie ; l'aura dans la première étant généra-lement de plus brève durée. Ces attaques augmentèrent graduellement d'in-tensité et s'acompagnèrent d'une hémiplégie gauche transitoire dont la durée variait, suivant la gravité des accès, de quelques heures à un ou deux jours. Le membre inférieur paralysé n'était pas oscillant, mais traîné comme un appendice inerte, ainsi que cela se voit dans la paralysie hystérique.
Ni la langue, ni la face n'étaient déviées...
Enfin, la malade présente de fortes attaques hystériques convulsives, qui succèdent aux attaques épileptiformes et dans lesquelles la conscience n'est pas entièrement abolie; elles s'accompagnent de contorsions violentes et de contractures hystériques. Dans ces attaques, il y avait fréquemment des cris qui manquaient tout à fait dans celles à forme épileptique.
M. M... a eu souvent des accès dans lesquels elle se mettait tout à coup à courir, les yeux ouverts, évitant les obstacles, et, au sortir de ces attaques, elle était absolument inconsciente de ce qui s'était passé pendant leur durée. On pouvait quelquefois les interrompre en la secouant, en la piquant, en lui faisant flairer du tabac. Dans cet état, ou forme somnambulique, elle voyait l'infirmière qui la soignait, mais ne la reconnaissait pas.
Cet état somnambulique pouvait être produit artificiellement par le pro-cédé employé par Braid pour l'hypnotisme. Il durait peu et se terminait par une explosion de pleurs et de rires hystériques...
Pendant le sommeil, et plus rarement à la suite d'une attaque, les bras s'étendaient en croix, le corps devenait rigide et prenait l'attitude du crucifie-
ment. Jamais il n'y avait extase ou délire, et cette attitude ne paraissait dé-terminée ni par de la religiosité ou de l'émotivité, ni par le désir d'attirer l'attention par une niaise tentative de symbolisme. Après une forte attaque, il n'y avait pas de stupeur, mais du vertige toujours subjectif et sous ce rap-port analogue au vertige épileptique.
Obs. II. G. S..., âgée de dix-huit ans, entrée au Royal Edinburgh Asylum le 28 mai 1878, avec la mention: atteinte de mélancolie avec tendance au sui-cide. Son frère déclare qu'il n'y a pas de prédisposition héréditaire à l'alié-nation, mais que la mère est morte d'une fièvre cérébrale et que la malade a éprouvé une frayeur à l'âge de quinze ans. L'attaque fut provoquée par l'annonce brusque de la mort subite de son père; la malade tomba dans un état de dépression bientôt suivi d'excitation, et se créa la persuasion que son père n'était pas mort, qu'elle le voyait dans la chambre et que son frère était fou. Elle tenta de se suicider en se jetant d'un troisième étage, en pre-nant du poison, et comme on ne pouvait la surveiller qu'imparfaitement chez elle, on dut l'envoyer à l'asile. C'est une fille robuste, de taille moyenne. A son entrée, elle était anémique et se plaignait de palpitations, mais les bruits du cœur étaient normaux. Elle avait eu de l'aménorrhée et de l'irrégularité de la menstruation.
Quelques jours après son entrée son état s'était beaucoup amélioré. La dé-pression et l'inquiétude avaient disparu; elle n'avait plus ni fausses croyances, ni hallucinations, et était tout à fait cohérente et raisonnable. A la période menstruelle qui suivit, les règles firent presque complètement défaut et son état empira; elle avait quotidiennement plusieurs attaques d'hystérie. Une se-maine après, elle fut effrayée à la vue d'une malade agitée et tomba dans une sorte d'extase ou de mort apparente. Cet état cataleptique avec abolition de la conscience, dura trois heures. Les membres présentaient la flexibilitas cerea et gardaient la position qu'on leur donnait. Elle eut plusieurs attaques épileptiformes presque semblables à celles deM.M...,et comme les symptômes avaient la plus grande analogie avec ceux déjà décrits, il suffira d'indiquer leurs traits distinctifs. Des nausées et des vomissements se montraient par-fois pendant l'attaque. Les phénomènes somnambuliques n'étaient pas si marqués que dans le cas précédent, mais les accès hystéro-épileptiques étaient plus graves. On peut les diviser arbitrairement en deux périodes Vépileptique et l'hystérique, Vune suivant l'autre. La première ne différait en rien d'un accès épileptique ordinaire, avec convulsions unilatérales. Il y avait habituellement perte complète de connaissance, la malade tombant et se contusionnant, au lieu de se laisser glisser avec les précautions usuelles chez les hystériques. Elle mordait sa langue, écumait, et l'opisthotonos était très prononcé.
Les attaques hystériques avaient un caractère très tranché et offraient les contorsions les plus bizarres et des contractures. Cette période des atta-ques correspond à ce que M. Charcot appelle phase des grands mouve-ments; elle succédait à la phase épileptique et celle-ci était précédée ou non
d'aura psychique ou sensorielle, de pâleur, de rigidité dans le côté droit et de mouvements convulsifs dans le gauche. Il est très difficile de savoir si la connaissance est entièrement abolie pendant cette phase qui correspond jusqu'à un certain pointa l'ancienne possession démoniaque, mais il est cer-tain que, pendant sa durée, la malade était insensible aux excitants énergi-ques. Elles poussait de grands cris et projetait son corps dans diverses direc-tions. Elle battait le sol avec sa tête et cherchait à s'arracher les cheveux à poignées. Alors les deux côtés du corps présentaient les mouvements convul-sifs et les contractures, tandis que dans la première phase (épileptiforme) le côté gauche en était seul affecté. On n'observe jamais d'attitudes émotion-nelles (phase des attitudes passionnelles de M. Charcot), excepté cependant celle de la frayeur, qui était vivement empreinte sur ses traits et dans ses gestes.
Un spasme ou une paralysie temporaire des cordes vocales suivait souvent l'attaque et causait une aphonie hystérique de quelques minutes. La malade éprouvait une contrariété évidente de ne pouvoir parler, et essayait de le faire. Tout d'un coup, elle faisait un soupir, disait : « C'est cela», et se mettait à parler couramment. D'autres fois, une courte période d'aphasie ataxique sui-vait l'aphonie. L'action réflexe et la sensation étaient abolies pendant l'atta-que et elle supportait les excitations les plus fortes. Elle ne se souvenait pas après de ce qui s'était passé.
Les crises se montraient principalement aux époques menstruelles, et dans une occasion, il y en eut de 20 à 25 dans un jour. Après ces attaques, il y avait pendant quelque temps de la confusion des idées, mais même les plus fortes ne furent jamais suivies de stupeur, d'extase ou d'hallucination. Dans le cours de la maladie, on n'observa jamais, dans ce cas, Xattitude de crucifiement.
Quant au traitement, la compression ovarienne ne paraissait pas abréger les paroxysmes épileptiformes de M.M..., tandis qu'elle arrêtait du coup les attaquesde C. s... Le nitrite d'amyle arrêtait immédiatement les convulsions, mais celles-ci reparaissaient dès que l'administration en était suspendue, et l'attaque était en définitive prolongée1.
Les observations précédentes que de plus longues recherches pourraient aisément multiplier, suffisent cependant pour établir que la grande hystérie a de tout temps et dans tous les pays pré-senté les mêmes caractères. Cette thèse recevra une nouvelle con-firmation de l'étude que nous ferons plus loin des variétés de l'at-taque hystéro-épileptique. L'on sait, en médecine, l'importance qui s'attache à l'étude des variétés souvent si multiples d'un même
1. Observations d'hystéro-épilepsie, par Thomas Inglis. F. R. C. P. Edinburgh médical journal, décembre 1878, p. 527.
type morbide. En matière d'hystérie, il ne saurait en être autre-ment que pour les autres maladies, et nous espérons trouver là la clef de plus d'une énigme. Pour l'instant, il importe de ne pas sortir du domaine médical. Ce n'est qu'en suivant cette marche lente, mais sûre, en allant du simple au composé, en remontant, par degrés insensibles, du fait connu et incontestable au fait contesté et encore entouré d'obscurités, que nous pourrons entreprendre, avec quelque fruit, l'étude des épidémies convulsives, et retrouver là, sous le couvert de dénominations trompeuses et d'interpré-tations erronées, les manifestations multiples de la grande hystérie que nous aurons appris à connaître.
CHAPITRE VIII
PARALLÈLE DE LA GRANDE ATTAQUE HYSTÉRIQUE OU ATTAQUE HYSTÉRO-ÉPILEPTIQUE ET DE L'ATTAQUE D'HYSTÉRIE VULGAIRE.
Après avoir bien défini les caractères de la grande attaque d'hystérie, il est nécessaire de rechercher quelles relations exis-tent entre la grande attaque et l'attaque d'hystérie vulgaire, de l'hystérie que le praticien rencontre journellement. La grande hystérie, avec ses manifestations de prime abord si étranges, n'est-elle pas quelque chose d'absolument distinct de ce que l'on désigne habituellement sous le nom d'hystérie?
J'espère montrer par les rapprochements nombreux qui exis-tent entre notre description et celle que Jes auteurs ont donnée de l'hystérie vulgaire, qu'on ne saurait séparer les deux affections pour en faire deux maladies de nature différente, et que l'hystérie vulgaire, ou petite hystérie, ne doit être considérée que comme une atténuation, ou, si l'on veut, l'état rudimentaire de l'hystéro-épilepsie ou hysteria major.
Nous nous contenterons de passer en revue les principaux au-teurs qui ont écrit sur l'hystérie depuis le commencement du siècle.
Louyer-Villermay décrit une variété d'hystérie qu'il appelle hys-térie épileptiforme, et dans laquelle les symptômes épileptiques ne sont point rapportés à l'épilepsie véritable, mais ne sont consi-dérés que comme une nouvelle manifestation de l'hystérie plus intense.
« Son diagnostic, dit-il en parlant de l'hystérie épileptiforme, son pronostic, ses complications, conversions et terminaisons, en-fin son traitement, sont les mêmes que ceux de l'hystérie ordinaire. »
Cette forme de l'hystérie correspond donc bien àl'hystéro-épilepsieà crises mixtes ou grande hystérie dont nous nous occupons. Dans la description qu'il en donne, Louyer-Villermay n'insiste que sur l'apparence épileptique des attaques, et, pour la séparer de l'épi-lepsie véritable, ne s'appuie que sur des faits étrangers aux accès : symptômes permanents, étiologic, marche de la maladie, termi-naison, etc. C'est donc là ce qu'on pourrait appeler une énuméra-tion incomplète, et nous pouvons dire que, dans son hystérie épi-leptiforme, cet auteur n'a vu que la période épileptoïde de la grande hystérie.
Mais voilà qui est bien fait pour confirmer son opinion et prouver l'identité de nature de la grande et de la petite hystérie. Les traits qui manquent à sa description, c'est-à-dire les phéno-mènes spéciaux qui caractérisent la deuxième et la troisième pé-riode, nous allons les retrouver, sinon dans leur état de complet développement, au moins en germe, dans l'exposé qu'il fait des crises de l'hystérie vulgaire.
Il distingue trois degrés, suivant la violence des symptômes.
1er degré. —Peut se résumer ainsi : boule hystérique, suffocation; quel-ques mouvements convulsifs; battements grands et forts vers la tète; palpi-tations du cœur parfois précipitées et tumultueuses; souvent du trismus. Le ventre se gonfle momentanément, ainsi que la poitrine et le col; le visage rougit et pâlit alternativement; les extrémités se refroidissent.
2e degré. — «. ... L'invasion est presque toujours subite, et dès le prin-cipe, perte ordinairement incomplète des sens et de l'entendement; état de syncope plus ou moins prolongé, mais rarement absolu ; resserrement de l'abdomen plus considérable, palpitations violentes, gonflement extraordinaire delà poitrine, du col et de la figure, qui devient d'un rouge violet, ou reste très pâle; resserrement plus considérable des mâchoires, qui rend la déglu-tition presque impossible; salivation ou écume, rarement très abondante ; constriction douloureuse au larynx, respiration difficile, menaces de suffoca-tion. Le spasme s'étend bientôt à tous les muscles soumis à la volonté; les membres, le tronc, la tête sont agités de mouvements convulsifs, variés, analogues à ceux du tétanos ; tantôt c'est mie sorte d'opislhotonos, d'autres fois c'est un emprosthotonos; ces convulsions se prolongent plus ou moins, puis cessent pour reparaître presque aussitôt; ces alternatives d'agitation et de calme apparent se succèdent un nombre de fois indéterminé. Les malades se frappent la poitrine, se tordent les bras ou se mordent les mains. Dans leur rage innocente, elles cherchent à déchirer, à l'aide de leurs dents, tout
ce qu'elles peuvent saisir, et ne s'épargnent pas elles-mêmes, elles se font par-fois d'assez fortes blessures à la langue, aux mains, etc.
» Quelques hystériques sont, au milieu de leurs accidents convulsifs, dans un état fort remarquable; elles ne voient ni entendent, et cependant elles tiennent des propos sensés, font des observations fines et judicieuses, mais bientôt déraisonnent, voient des fantômes, méconnaissent et tour à tour reconnaissent leurs parents ou leurs amis, etc. »
3e degré. — A la suite des accès convulsifs très violents, sorte de collapsus, mort apparente.
« Dans d'autres cas le 3° degré est caractérisé par un autre ordre de phé-nomènes; une intensité plus grande dans les accidents convulsifs et dans Vexaltation mentale ou le délire des sens, qui avoisine la nympho-manie, avec cette différence essentielle que la nymphomanie est une affe-ction continue, offrant des redoublements, tandis que la névrose utérine est une maladie intermittente, revenant par accès irréguliers, etc.1... »
En résumé, dans le premier degré, nous retrouvons les divers phénomènes de l'aura hysterica; dans le second degré, des signes épileptoïdes évidents, puis l'indication des contorsions et des grands mouvements, et les troubles intellectuels avec les hallucinations qui caractérisent notre troisième et notre quatrième période ; dans le troisième degré, en dehors des cas de collapsus et de mort appa-rente qui doivent être considérés plutôt comme des variétés, il est parfaitement indiqué qu'il existe une intensité, plus grande dans les mouvements convulsifs et dans Y exaltation mentale ou le délire des sens.
Les doctrines de Louyer-Villermay, qui faisait de l'hystérie une maladie dépendant exclusivement de l'utérus, furent, quelques années plus tard, énergiquement combattues par Georget qui met-tait sur le compte des troubles cérébraux toutes les manifestations hystériques.
Les descriptions2 de ce dernier auteur, qui observa longtemps à la Salpêtrière, ont un caractère de précision scientifique qui man-que aux observations de Louyer-Villermay, et se rapprochent beaucoup plus de la vérité. Au point de vue qui nous occupe, elles sont particulièrement intéressantes.
1. Dictionnaire des se. méd., t. XXII.
2. Dict. de méd. en 30 vol., 1837, art. Hystérie.
Les prodromes, qui peuvent exister plusieurs jours à l'avance, sont décrits avec une précision qui ne laisse rien à désirer.
On peut juger du reste de la description par les extraits sui-vants :
« Les malades qui conservent en partie l'usage des fonctions cérébrales souffrent des douleurs horribles dans la tête : il semble aux uns que l'on comprime cette partie sur une enclume ; à d'autres, qu'on la brise à grands coups de marteau ; à quelques-uns, que leur cervelle est en ébullition et en contact avec du feu ou de l'huile bouillante; il en est qui entendent dans le crâne des bruits effroyables, des détonations, des sifflements, etc.
» Presque tous les malades se plaignent ou profèrent un cri particulier qui ressemble souvent au hurlement du loup ou à l'aboiement du chien; la face est vultueuse, rarement convulsée. Généralement, le plus souvent, il n'y a que des serrements de mâchoires, des claquements, des grincements de dents; dans un très petit nombre de cas la face est contournée et violette comme dans l'épilepsie; quelquefois aussi les malades rendent, comme ces derniers, une écume abondante par la bouche. Les veines jugulaires sont extraordinairement gonflées. Les mouvements acquièrent une énergie extraordinaire; le tronc et les membres se fléchissent et se redressent alternativement avec une telle force que, si le malade est libre, il fait des sauts, des bonds, des chutes épouvantables, et que cinq ou six personnes ont peine à le contenir quand une seule suffirait hors le temps de ses attaques. L'abdomen est souvent rétracté etla compression exercée sur les viscères dou-loureuse, d'autres fois il est gonflé extraordinairement.
» Dans un très petit nombre de cas, au lieu des mouvements convulsifs étendus, il ne se manifeste que des raideurs convulsives et des contorsions des membres, qui ne font point changer le malade de place. (Contorsions, attitudes illogiques...) Les mouvements du cœur sont forts, tumultueux, les carotides sont vibrantes, j'ai observé plusieurs malades qui vomissaient fort souvent des flots de sang durant leurs attaques.
» La durée des attaques est ordinairement de plusieurs heures; mais les accidents ne conservent pas toujours la même intensité : toutes les trois, quatre ou cinq minutes, plus ou moins, les cris et les mouvements convul-sifs cessent pour quelques instants, pendant lesquels le malade se plaint, mais ne recouvre point ordinairement la parole. Quelquefois cependant on voit de longues attaques, des attaques qui durent un ou plusieurs jours, qui présentent des intervalles de repos plus grand, pendant lesquels les malades reviennent à eux, boivent et même prennent des aliments...
» Quelquefois, à la suite de leurs attaques ou dans l'intervalle des pa-roxysmes, les malades tombent dans un état de rêvasserie ou de somnam-bulisme. »
La distinction entre les convulsions de la première et celles de
la deuxième période est parfaitement indiquée un peu plus loin.
Après avoir rapporté la division de Louyer-Villermay, Georget ajoute :
« La seule distinction à faire et qui soit bien tranchée, est relative à l'in-tensité des attaques et se tire de l'état des fonctions de l'entendement. Tantôt, en effet, les malades ne perdent point tout à fait connaissance, et tantôt ils la perdent entièrement. Chez les premiers les convulsions sont moins intenses; ce ne sont, pour ainsi dire, que des efforts commandés par la douleur; ce sont les malades eux-mêmes qui donnent cette explication, comparant ce qui arrive dans cette circonstance à l'espèce de raidissement général que l'on oppose machinalement à toute sensation douloureuse, vive et instantanée. Ce qu'il y a de certain, c'est que dans ces attaques ce ne sont, en général, que les muscles employés dans les grands efforts qui sont particu-lièrement mis en mouvement : ce sont les muscles des membres, du tronc, et quelquefois les élévateurs des mâchoires, tandis que les petits muscles de la face sont en repos, n'altèrent point les traits et donnent à la physionomie une simple expression de souffrance; les convulsions consistent en de grands mouvements de flexion et d'extension qui dénotent une suractivité musculaire plutôt qu'un état morbide variable.
» Mais chez les malades qui perdent complètement la connaissance, les convulsions sont ordinairement plus intenses, et se rapprochent davantage de l'attaque épileptique. Quelques-uns ont un côté du corps plus affecté que l'autre, et la face est contournée. C'est dans cette classe que s'observent le plus souvent les malades qui, dans leurs attaques, ont de l'écume à la bouche, la face violette et noire, ceux qui sont en même temps hystériques et épileptiques... »
La distinction des deux premières périodes (période épilep-toïde et période de clownisme) ne saurait être mieux faite. Et leur invasion dans une même attaque est parfaitement indiquée plus loin : ce... Et quelquefois une même attaque présente des pa-roxysmes hystériques et des paroxysme sépileptiques.» .
Foville1 s'applique à exclure de la symptomatologie de l'hys-térie, tout signe épileptique.
« Je ne crois pas, avec beaucoup d'auteurs, que l'attaque hystérique puisse exister encore lorsque, à une perte subite de connaissance, à des convulsions violentes, se trouve jointe la circonstance de la lividité de la face, de l'écoulement d'une bave écumeuse, de convulsions plus prononcées
1. Dict. de méd. et de chir. pratiq., Paris, 1833, art. Hystérie.
d'un côté du corps que de l'autre. Ce sont là pour moi de purs symptômes d'épilepsie, bien distincts de l'affection hystérique, et qu'on ne pourrait confondre avec eux. »
Par contre, les phénomènes de la troisième période sont expres-sément indiqués plus loin dans le cours de la description :
« D'autres fois, au contraire, immobile, l'œil fixe, insensible aux excita-tions extérieures, la malade offre pendant les rémissions de ses attaques, un état singulier d'extase ou de somnambulisme. »
Monnere^au contraire fait une assez large part aux sym-ptômes épileptoïdes, mais il n'est rien, dans sa description, que l'on puisse rapporter à la troisième ou à la quatrième période.
« Peu de temps après l'apparition du globe hystérique et de la contraction spasmodique des muscles du pharynx, la malade pousse un cri aigu ou un son rauque et inarticulé, tombe et perd connaissance. Chez la plupart elle est conservée...
y En même temps, les muscles des différentes parties du tronc se convul-sent; la poitrine, la face et le col se gonflent et deviennent pâles ou très rouges et livides, ce qui est le cas le plus ordinaire chez les personnes ro-bustes et pléthoriques. Le cou, par suite de cette constriction, se tuméfie parfois énormément; les veines, distendues par le sang, font une saillie con-sidérable sous la peau; la face est souvent aussi livide que dans l'épilepsie. Chez un grand nombre de malades, les mouvements convulsifs qui agitent les lèvres et les mâchoires déterminent la sortie d'une salive plus ou moins abondante, comme dans l'épilepsie : ce phénomène est cependant plus rare que dans la dernière affection. Le larynx se serre convulsivement et fait entendre par intervalle quelques sons rauques ou un bruissement sourd pro-voqué par le passage de l'air qui est difficile... »
Suit la description des convulsions qui ont pour caractère dominant la violence et la grande étendue des mouvements. Elles affectent surtout les muscles qui servent à la flexion ou à l'extension des membres. Chez quelques malades la convulsion devient tonique, etc.
Gendrin2 signale comme se rattachant à l'hystérie vulgaire, et comme faisant corps avec les autres manifestations de l'attaque, les paroxysmes d'extase ou de manie.
1. Compendium de médecine, art. Hystérie. 1833.
2. Bulletin de l'Acad. roy. de méd., t. XI, 1845-1846.
« C'est une erreur de rattacher à l'hystérie comme phénomène constant les attaques de spasme suffocant avec sentiment d'ascension de boule hystérique. Il est deux autres formes de l'attaque qui sont très fréquentes et qui coïnci-dent souvent ou alternent avec les suffocations hystériques, ce sont les pa-roxysmes d'extase ou de manie. »
Landouzy1 insiste sur le délire, l'exaltation, les hallucinations... qui peuvent se rencontrer pendant l'attaque d'hystérie.
«Le délire n'est pas rare... pendant les accès d'hystérie. Quand la maladie résulte d'une cause morale, les idées délirantes roulent ordinairement sur tout ce qui se rapporte à cette cause, et peuvent même mettre le médecin sur la voie de circonstances qu'il lui importe de connaître, et qu'on croyait avoir intérêt à lui cacher.
» D'autres fois, c'est un délire furieux, avec envie de battre, de mordre, de se sauver, de se suicider.
»... Les hallucinations, les illusions et la perversion des sens, se remarquent aussi dans un assez grand nombre d'accès. Les unes aperçoivent sans cesse, pendant la crise, l'objet qui a causé leur première frayeur; les autres accu-sent les sensations les plus extraordinaires, se plaignent de cordes qui leur compriment les membres, de bêtes qui leur rongent les os, etc., etc.
» Dans quelques crises, c'est une sorte d'extase ou de somnambulisme ; dans d'autres, une exaltation qui accroît d'une manière subite et élève à un de-gré vraiment extraordinaire les facultés intellectuelles. »
» Selon Cabanis, rien n'est moins rare que de voir les femmes acquérir, dans leur accès de vapeur, une pénétration d'idées qu'elles n'avaient pas na-turellement, et ces avantages, qui ne sont que maladifs, disparaître quand la santé revient2. »
A propos des phénomènes épileptoïdes qui se rencontrent dans l'attaque d'hystérie vulgaire, l'opinion du même auteur est facile à déduire du passage suivant qui a trait au diagnostic de l'hystérie et de l'épilepsie :
« Il semblerait, après ces différences si nombreuses et si précises, qu'il n'est pas de confusion possible entre l'hystérie et l'épilepsie.
» Cette proposition est vraie pour les cas bien déterminés de l'une ou de l'au-tre névrose; mais pour tous les cas moins bien tranchés, et on sait combien ils sont nombreux dans ces affections, la plupart des différences que nous avons signalées cessent d'être appréciables, ou, si elles existent, d'autres phénomènes viennent en diminuer beaucoup la valeur séméiotique.
1. Traité complet de l'hystérie, par Landouzy. — Paris, 1846, p. 83.
2. Musset, Malacl. nerv., p. 281 (cité par Landouzy).
»En dehors de ces cas complexes, il survient encore, par cette irrégularité, par ces variétés, par ces bizarreries qui forment l'essence même de l'hysté-rie, des difficultés que la plupart des signes différentiels tracés plus haut ne peuvent toujours aider à surmonter. Ainsi, outre que les caractères basés sur des différences proportionnelles, c'est-à-dire sur des circonstances de pinson de moins, sont de valeur presque nulle dans les cas douteux, il est, parmi les principaux symptômes différentiels, des phénomènes qui sont loin d'avoir toute la valeur que leur accordent les pathologistes.
» La présence de l'écume, par exemple, ne constitue pas, à mon avis, une différence essentielle entre l'hystérie et l'épilepsie, et c'est à tort que M. Foville la regarde comme tout à fait étrangère à l'hystérie, et comme ca-ractérisant l'épilepsie.
» Sans contredit, s'il y a absence d'écume pendant de longs accès, on peut en induire l'absence d'épilepsie; mais la présence de l'écume n'implique pas nécessairement l'absence de l'hystérie : « J'ai vu des hystériques, dit Georget, mousser comme des épileptiques. » J'ai vu moi-même chez plu-sieurs hystériques une salive écumeuse semblable à celle des épilepti-ques... »
Nous citerons presque en entier la description que Brachet (de Lyon)1 donne de la crise hystérique ordinaire,parce que les phénomènes qui composent notre seconde période y sont décrits fort longuement. Les contorsions et les grands mouvements y sont même clairement désignés; la troisième période est sommai-rement indiquée.
« Symptômes des crises. Nous l'avons dit, nous allons présenter d'abord la crise la plus simple, pour y rattacher ensuite les phénomènes nombreux et variés qui ont été observés par les auteurs : car si nous voulions les offrir à la fois à l'attention du lecteur, nous présenterions une énumération qui n'au-rait point d'ensemble, nous en ferions cette hystérie protée de Sydenham, qui revêt des formes en apparence bien différentes et bien disparates, qu'on ne pourrait réunir ainsi pêle-mêle, sans établir une confusion dans laquelle l'œil le plus exercé aurait de la peine à se reconnaître. Nous parlerons ail-leurs des signes précurseurs ou prodromes d'une crise ou accès parce qu'ils ne sont pas constants. Le plus souvent une crise simple débute d'emblée, im-médiatement après que la cause a agi, ou même sans cause connue, et au moment où on s'y attend le moins, chez les personnes hystériques.
»Un spasme violent se fait sentir dans tout l'abdomen. Il semble partir delà région hypogastrique, et selon Astruc et Vigarous, plus spécialement du côté gauche; d'autres fois il part de tout autre point de cette cavité. Ce spasme est
1. Traité de l'hystérie, par J.-L. Brachet. Lyon, 1847, p. 264 et suiv.
sensible à la vue et au toucher par les mouvements, les duretés et les con-tractions qu'il opère dans tout l'abdomen. Il vient plus ou moins rapide-ment se concentrer dans la région épigastrique. Le plus souvent même il ne se fait sentir au début que dans cette région. Là aussi, l'on sent et l'on voit un mouvement et une contraction ondulatoire irrégulière. De là le spasme, sans abandonner complètement les parties où il a commencé, remonte plus ou moins rapidement le long de l'œsophage, jusqu'au pharynx et au larynx, où il vient occasionner à la fois un gonflement, une tuméfaction manifeste, et des mouvements spasmodiques ou convulsifs continuels et analogues à ceux d'une déglutition pénible...
» En même temps ou presque en même temps les membres commencent à s'agiter convulsivement, le plus souvent, tous à la fois. Quelquefois ce sont les membres supérieurs qui commencent les premiers par une sorte de pan-diculation forte et involontaire, et bientôt les membres inférieurs en font au tant. Alors ils s'agitent par des mouvements cloniques tout à fait irrégu-liers, par des contorsions bizarres et sans but. Les malades les jettent deçà, delà, sans pouvoir ni les diriger, ni les retenir. Il n'y a point non plus d'ensemble dans ces mouvements ; aussi la malade ne peut ni se tenir droite, ni se tenir assise. Il faut qu'elle s'étende, ou bien elle est renversée, soit par défaut de soutien convenable, soit par le mouvement désordonné de ses membres. Ce ne-sont pas seulement les membres qui s'agitent ainsi, le tronc y participe ordinairement, et il se contracte, se plie et se con-tourne dans tous les sens. Les contractions de la poitrine viennent ajouter à la gêne de la respiration, et font quelquefois éprouver la sensation d'un cercle qui en serrerait la base. Il en est de même des contractions de l'abdo-men, qui resserrent cette capacité très irrégulièrement et cependant d'une manière différente que les spasmes intérieurs dont nous avons parlé plus haut; il est toujours bien facile de les distinguer. Quelquefois, après quel-ques instant de constriction, il y a un peu de relâchement et même un peu de ballonnement. La masse des muscles clorso-lombaires n'est pas moins vio-lemment agitée. Elle opère ces contractions partielles et ces torsions brus-ques qui fléchissent quelquefois le tronc en demi-cercle, tantôt dans un sens, tantôt dans Vautre et surtout en arrière. Lorsque toute la machine est ainsi détraquée dans ses agents moteurs, non seulement les mouvements sont irréguliers et insolites, mais ils meuvent le corps dans tous les sens, ils lui font prendre les postures les plus grotesques, gratter les murs, déchirer ce qu'ils peuvent accrocher, ramper par terre. La tête se renverse avec force, et les mains se portent assez ordinairement vers le col, égratignent et frottent comme si elles voulaient enlever quelque chose, et quelquefois elles frap-pent la poitrine avec violence. Si la crise est forte, les mouvements du tronc le font bondir et rouler dans tous les sens avec une violence qui nécessite la force de plusieurs personnes pour pouvoir les contenir. Nous avons vu des femmes assez chétives acquérir alors une force telle que six hommes ne pou-vaient pas les retenir, renverser, en se roulant par terre, les tables et les meubles, et inspirer un véritable effroi aux assistants. Les masséters aussi se
contractent violemment. Ils font grincer les dents avec tant de force, qu'on les a vues se briser, ou déchirer la langue et les lèvres, ou faire aux per-sonnes qui les entourent, des morsures très profondes. Quelquefois les yeux roulent dans leurs orbites ou simulent le strabisme hystérique.
« Ce clonisme ne se soutient pas toujours au même degré d'intensité. Il y a par moment une rémission qui semble être la fin de' la crise, et pendant la-quelle la malade presque toujours reste immobile, frémissant au moindre bruit et au moindre contact, l'œil fixe ou fermé, et quelquefois dans un étal d'extase ou de somnambulisme. Les contractions recommencent bientôt avec la même fureur. Quelquefois cependant cette rémission se prolonge assez longtemps. Le clonisme lui-même présente de nombreuses variétés, non seulement dans son intensité, mais dans ses phénomènes. Tantôt les contractions alternatives} se succèdent avec rapidité et produisent des mouvements continuels. Tantôt la contraction d'un certain nombre de muscles reste permanente pendant quelques minutes, plus ou moins, et produit une raideur tétanique que rien ne peut surmonter. Enfin après une durée d'un quart d'heure, d'une ou de plusieurs heures, la crise cesse brusquement; ou bien les rémissions sont plus longues, les redoublements moins violents, et la crise s'éteint insensiblement. Les malades étendent les bras et les jambes, bâillent et éternuent quelquefois (sternutatio si superve-niat, cito paroxysmum claudit, Horstius), la respiration s'exécute plus librement et souvent des borborygmes ont lieu : obmurmurant intestina....
« Telle est la crise hystérique dans toute sa simplicité, dépouillée de tout phénomène accessoire et de toute complication, telle en un mot qu'il la faut pour caractériser la véritable hystérie....»
Plus loin, l'auteur, sous la rubrique variations, indique les prin-cipales modifications que peuvent éprouver les différents phéno-mènes qu'il vient de décrire dans l'attaque d'hystérie ordinaire, sans qu'au fond leur nature en soit modifiée. Nous retrouvons là quelques traits qui complètent le rapprochement que nous signa-lons entre la grande et la petite hystérie.
Voici qui a trait à la période épileptoïde.
« La gène gutturale, occasionnée par la boule hystérique, est quelquefois si grande que la respiration complètement interceptée, menace d'une suffo-cation imminente, et rend tout le corps raide et immobile, comme tétanique ou cataleptique.
« Les accidents cérébraux se rencontrent le plus fréquemment. Us ont lieu de plusieurs manières: tantôt, et c'est le plus ordinaire de ces accidents, il y a perte de connaissance pendant la violence de l'accès. Cette perte de connaissance est tout à fait cérébrale : elle ne peut pas tenir à une syncope;
jucher. 18
car le cœur bat avec la même régularité. Cette perte de connaissance ne signifie rien par elle-même ; elle n'indique qu'un degré d'intensité de plus.
(.( Les accidents cérébraux donnent lieu à une autre forme d'hystérie : c'est celle qui se caractérise par des phénomènes épileptiques associés aux phénomènes hystériques. La perte de connaissance est presque toujours complète; la raideur convulsive est plus grande, elle est presque tonique. La tête est renversée, la face rouge et tuméfiée ; la langue souvent dépasse les dents, et bientôt l'écume s'écoule abondamment. »
L'auteur croit, dans ces cas, à l'existence simultanée des deux névroses, hystérie et épilepsie, dont les symptômes peuvent se montrer isolés dans des accès bien distincts, ou combinés dans une même attaque. Cependant il a soin d'ajouter que, dans d'au-tres circonstances, il n'y a qu'association de quelques phénomènes épileptiformes sans aucune trace d'épilepsie réelle.
Quant aux troubles intellectuels et sensoriaux qui caractéri-sent la troisième et quatrième période, l'auteur qui les a déjà indiqués sommairement dans la description de l'attaque d'hys-térie ordinaire, y revient en ces termes :
« C'est dans ces influences cérébrales de l'hystérie qu'on a vu quelque-fois des délires plus ou moins graves, des exaltations singulières, bizarres, éloquentes, et même poétiques, de l'imagination, et des hallucinations tantôt de l'intelligence, tantôt des sens. »
Axenfeld1 après avoir décrit comme symptômes de l'attaque hystérique les convulsions qui se rattachent plus particulière-ment à notre deuxième période, ajoute :
« Pendant la durée des convulsions, il n'est pas rare devoir survenir un délire assez semblable à celui de l'ivresse alcoolique ou chloroformique, c'est-à-dire bruyant, très agité, sorte de rêve en rapport avec les pensées qui occupent habituellement la malade ou qui l'ont vivement frappée peu de temps avant l'attaque. Quelquefois ses facultés sont dans un état d'exaltation surprenante : le langage prend une distinction et une élévation inaccoutu-mées, les sens (l'odorat, l'ouïe) présentent une prodigieuse finesse.
Enfin pendant l'attaque, on observe quelquefois des syncopes, des halluci-nations: du somnambulisme, de l'extase, de la catalepsie, du coma et de la léthargie •
I. Pathologie de Rcuin, 1803, loin. IV, pages G12.
Nous terminerons cet exposé critique de l'attaque d'hystérie vulgaire par quelques citations empruntées aux ouvrages des deux auteurs modernes dont l'autorité en matière d'hystérie est justement reconnue, MM. Briquet1 et Bernutz "2. Nous trouverons là une nouvelle confirmation de la thèse que nous soutenons.
Au milieu de la description que M. Briquet donne des convul-sions qui composent l'attaque d'hystérie vulgaire, le passage sui-vant a manifestement trait aux convulsions épileptiformes de la pre-mière période :
' « La face se gonfle... Les mâchoires se serrent l'une contre l'autre, de ma-nière à produire le mâchonnement, le grincement et le claquement des dents. Le cou se gonfle, les muscles de celte partie et ceux delà poitrine se contrac-tent spasmodiquement. Les parois thoraciques ou restent immobiles avec leurs muscles contractés de manière à menacer d'asphyxie (phase tonique), ou se meuvent convulsivement et rapidement comme dans les plus fortes anhélations (phase clonique);les muscles des parois abdominales sont agités des mômes mouvements que ceux de la poitrine. »
M. Bernutz est peut-être plus explicite encore :
« Au moment où le cri hystérique se produit, la suffocation paraît à son summum; il y a une sorte de spasme tonique général, de raidissement quel-quefois tétanique de tout le corps, la figure est vultueuse, injectée... le cou est tuméfié, les carotides battent avec violence, les veines jugulaires sont gonflées, distendues, en même temps que l'abdomen est légèrement météo-risé; enfin l'oppression est considérable, comme s'il y avait menace d'as-phyxie... Ordinairement le temps de l'accès que nous venons de signaler est très court, et des convulsions plus ou moins générales (2° période) suc-cèdent immédiatement à la perte de connaissance. »
Qui ne reconnaîtra là, pour le moins, une ébauche de la période épileptoïde?
La deuxième période semble constituer à elle seule la plusgrande partie de l'attaque d'hystérie vulgaire. Aussi les auteurs la décrivent-ils longuement. Voici la description qu'en donne Briquet :
J. Traité de Vhystérie, 1859.
2. Art. Hystérie. Nouveau dict. de méd, et de chir., 1874.
« Le plus ordinairement, les malades s'agitent, tantôt comme si elles vou-laient échapper à des violences, tantôt comme si elles se débattaient contre une étreinte;... d'autres Pois... les membres supérieurs et inférieurs se meu-vent dans tous les sens; la flexion, l'extension, la rotation, l'adduction, l'ab-duction se succèdent avec la plus grande rapidité. Le corps se meut tantôt comme un ver, tantôt il se contracte dans tous les sens, bondit et s'échappe des mains qui le retiennent. La tête s'agite sur le tronc, en avant, en arrière, de côté... Les mains se portent instinctivement, soit vers le col, qu'elles sai-sissent avec violence, comme pour en arracher un corps qui y causerait une grande gêne, soit vers l'épigastre, que les malades cherchent à déchirer, ou à frappera poings fermés; d'autres fois, elles tentent de s'arracher les cheveux, de se déchirer le visage, comme le feraient des femmes éperdues. La force employée dans ces actes est telle, que plusieurs personnes vigoureuses peu-vent à peine contenir une frêle jeune fille qui, dans ces moments, est ca-pable de ployer ou de briser les tiges de fer d'un lit. »
Briquet a signalé d'ailleurs, lui aussi, les cris de fureur qui ac-compagnent souvent les mouvements désordonnés de cette seconde période :
«Il est cependant un certain nombre d'hystériques dont les cris durent tout le temps de l'attaque, et ces cris sont analogues à ceux que pousserait un opéré qui se laisserait aller à la souffrance, ou à ceux que ferait une per-sonne qui se débattrait contre des violences qu'on exercerait sur elle; ce sont des cris de fureur, de véritables rugissements. »
La description de Bernutz se rapproche beaucoup de celle de Briquet :
« Ces convulsions, qui ont, lorsqu'elles sont types, une physionomie si spéciale, que les personnes étrangères à la médecine, elles-mêmes, les recon-naissent, sont très difficiles à décrire, à cause du désordre qu'elles pré-sentent. Les membres, un instant raidis (première période), se tordent con-vulsivement, se projettent en divers sens, passant rapidement de l'abduction à l'adduction, de l'extension à la flexion, et vice versa, comme dans une sorte de lutte suscitée par la souffrance, et eh particulier par la suffocation à laquelle les malades sont en proie, à laquelle elles semblent vouloir échap-per en portant automatiquement leurs mains à la poitrine et au col, qu'elles se lacèrent parfois dans les efforts insensés qu'elles font pour en ar-racher l'obstacle qui les étouffe. »
La troisième période, ou période des attitudes passionnelles,
n'est pas moins nettement indiquée, dans ces descriptions, que les périodes précédentes. M. Bernutz môme se sert d'un mot qui se rapproche beaucoup de celui employé par M. Charcot, puisqu'il désigne sous le nom d'expressions passionnées les divers mouve-ments auxquels se livre la malade à ce moment de l'attaque :
« Au moment, dit-il, où, après un certain temps de durée, les mouvements convulsifs ont perdu de leur énergie, et où la figure ne présente plus qu'une turgescence modérée, on voit se produire chez un certain nombre d'hysté-riques une phase nouvelle. Leur faciès, jusque-là atone, à peu près comme dans le sommeil, s'anime, devient le siège d'expressions diverses, auxquelles contribuent'celles des yeux, qui jusque-là étaient couverts par les paupières ou animés d'un mouvement de clignotement, et parfois en même temps de nystagmus. On voit chez quelques-unes se produire successivement la mi-mique de toutes les expressions passionnées; de la terreur, qui ouvre ordi-nairement la scène, de la colère, etc., pour se terminer par l'expression de la volupté, qui résulte surtout de l'inclinaison des yeux, portés en haut et en dedans, à moitié cachés sous la paupière supérieure.
» La succession de ces expressions passionnées, auxquelles coopèrent non seulement les contractions des muscles du visage, mais celles des membres et du tronc, qui s'accompagnent parfois de cris qu'arrachent la terreur ou la colère, ou de paroles plus ou moins incohérentes, est plus ou moins complète chez les diverses malades.
» Elle est très souvent limitée à l'expression d'angoisse d'abord et de vo-lupté ensuite, ce qui a puissamment contribué à accréditer l'opinion hippo-cratique, lorsque surtout il y a, en même temps que le spasme cynique des yeux, une propulsion rythmique du bassin, et qu'on constate à la fin de l'accès une sécrétion abondante de mucus vaginal, qui a été signalée par les auteurs anciens. »
En résumé, les attitudes passionnelles sont très-faciles à recon-naître dans cette longue citation. M„ Briquet n'a oas manqué de les remarquer et les passages suivants les désignent assez clairement.
« Les malades présentent une succession de tableaux dans lesquels on peut retrouver l'expression de toutes les passions de l'âme, et celle de toutes les sensations.
» Pendant les convulsions, les malades sont souvent prises d'un délire plus ou moins vif et qui a généralement une manière d'être toute spéciale... Il est toujours bruyant, très-agité, et rarement incohérent. Il a généralement rapport, soit à des scènes auxquelles la malade se croit présente, ou aux-quelles elle se reporte, soit aux pensées qui l'occupent habituellement ou qui
l'ont beaucoup frappée; il faut le considérer comme une sorte de rêve.
» Enfin on voit quelquefois survenir pendant l'attaque... des hallucina-tions... des extases...
» Celles (jeunes filles) chez lesquelles l'hystérie s'est développée à la suite d'une vive frayeur ont toujours des convulsions 1res fortes, pendant lesquelles elles se débattent beaucoup et sont prises d'un délire avec visions de choses effrayantes. Une jeune fille, qui avait eu sa première attaque immédiatement après avoir été violée, voyait toujours, dans les accès, l'homme qui avait at-tenté à son honneur. Elle vociférait après lui et avait des mouvements sem-blables à ceux qu'elle avait faits pour se défendre de lui. »
Enfin, le délire de la quatrième période n'a pas plus échappé à la sagacité de ces observateurs. M. Bernutz s'exprime ainsi :
« Au moment où cette expression s'efface (l'expression passionnée de la période précédente), on voit les yeux s'humidifier, puis les larmes couler en abondance et constituer une véritable crise de sanglots, dans laquelle les
malades recouvrent complètement connaissance..... On voit chez quelques
malades, au lieu d'un accès de larmes, se produire un accès de rire con-vulsif et chez d'autres un accès de demi-délire, dans lequel elles racontent d'une façon incohérente et inintelligible parfois, imagée chez d'autres, un événement dont elles ont été frappées, ou se laissent aller involontairement à des indiscrétions quelquefois très compromettantes pour elles ou pour les autres. »
M. Briquet s'exprime comme il suit :
((Après avoir duré quelque temps, les convulsions cessent... la connais-sance revient, mais à peine est-elle revenue, que les sanglots éclatent... Dans quelques cas, au lieu de pleurs, c'est un rire sans motifs...
» Enfin, chez un petit nombre de malades, il reste un-état de délire et de rêvasserie, pendant lequel les malades font des choses déraisonnables. »
L'on voit par tout ce qui précède, combien il est difficile de po-ser la limite qui séparerait l'hystérie vulgaire, de l'hystéro-épilep-sie à crises combinées ou grande hystérie.
Dans toutes les descriptions que les auteurs nous ont laissées des attaques de la petite hystérie, nous retrouvons soit épars, soit parfaitement coordonnés, tous les traits du tableau que nous avons tracé de la grande attaque hystérique. Nous les y trouvons tantôt
atténués, comme effacés; tantôt accusés presque aussi vigoureuse-ment.
Il est donc rationnel de ne voir dans ces deux formes de l'hysté-rie que des degrés différents d'une môme maladie dont les mani-festations variées augmentent à la fois de nombre et d'intensité.
Il suffira de modifier quelques traits au tableau de la grande hystérie, d'atténuer les uns, d'effacer, de supprimer complètement les autres, pour retrouver toutes les variétés possibles des atta-ques de la petite hystérie ou hystérie vulgaire.
Sans parler des phénomènes rangés dans notre seconde pé-riode et qui ne sont manifestement que l'exagération des convul-sions hystériques comme toute le monde les entend, nous avons vu, dans les descriptions des auteurs, que les signes épileptoïdes, aussi bien que les hallucinations et le délire, étaient contenus au moins en germe dans les manifestations de l'attaque d'hystérie vulgaire.
La présence d'hallucinations variées et de délire parmi les symp-tômes de l'attaque d'hystérie n'entraîne pas nécessairement la complication d'aliénation mentale. L'hystéro-épilepsie n'est pas plus une hystérie compliquée de folie qu'une hystérie compliquée d'épilepsie. Ce n'est pas à dire que l'hystérie ne puisse exister avec diverses formes de folie, cle même qu'elle peut se rencontrer chez un individu déjà atteint d'épilepsie; mais ce que nous tenons à faire ressortir, c'est que les troubles intellectuels ou senso-riaux qui font partie de la grande attaque n'appartiennent en au-cune façon à l'aliénation mentale, mais relèvent de l'hystérie elle-même, au même titre que les accidents convulsifs variés qui composent les deux premières périodes.
Les observations d'hallucinations dans l'hystérie ne sont pas rares parmi les auteurs1. Brierre de Boismont fait même remar-ia Lorsqu'on écoute le monologue des hystériques, ditBrierre de Boismont, au milieu des phrases incohérentes que leur arrachent leurs spasmes, on les entend souvent parler ou répondre à des êtres qu'elles aperçoivent ou qui paraissent con-verser avec elles, ou bien elles se plaignent des émanations fétides qu'elles res-pirent, des goûts détestables qu'elles ont dans la bouche.
»..... Oiss. Madame C... est depuis plusieurs années sujetleàdes attaques d'hys-
quer, au sujet des hallucinations des hystériques, qu'il importe de distinguer celles qui appartiennent à l'hystérie, de celles qui dépendent de la folie qui 'souvent complique cette névrose. Il ajoute que les hallucinations peuvent être rattachées à l'hystérie lorsqu'elles se montrent dans les prodromes de l'accès ou pen-dant sa durée et qu'elles cessent avec lui.
térie; à leur approche elle devient timide, craintive, effrayée, puis ses terreurs augmentent à un tel degré, qu'elle appelle partout du secours. Cette peur exagérée lui est causée par des figures atroces qui se montrent pendant l'accès, lui font
force grimaces, et lui disent mille injures, en la menaçant de la frapper.....Sauvage
assure que pendant les paroxysmes, des malades ont vu des spectres affreux.
» ..... Hibbert, dans son ouvrage sur les hallucinations fait observer que chez les
femmes hystériques, lorsque l'excitation sera portée à un haut degré, il pourra se manifester des effets analogues à ceux du gaz protoxyde d'azote, auquel on attribue une influence extraordinaire sur le sang. Cet auteur parle d'une femme dont l'ob-servation est citée par Pestins, qui était toujours avertie de son accès d'hystérie par l'apparition de sa propre image dans un miroir, j (Brierre de Boismont, dos Hal-lucinations, pag. 217 et suiv.)
« Je les ai vues (les hallucinations) le plus souvent pendant l'accès. La dernière hystérique que j'ai suivie voyait des cercueils autour d'elle, au milieu de ses agita-tions » (Mathieu loc. cit. pag. 531).
Michéa dans son livre Du délire des sensations rapporte plusieurs exemples d'hallucinations de nature évidemment hystérique :
« Une femme de quarante ans, douée d'une constitution robuste, éprouve une violente frayeur un jour de llux menstruel. Cette frayeur arrêta tout à coup les rè-gles, et le mois suivant, à la même époque, la personne dont il s'agit eut un accès d'hystérie et des convulsions qui durèrent huit jours. Il se passa ensuite plusieurs années, pendant lesquelles les évacuations menstruelles n'ayant pas lieu, elle était prise, de temps en temps, de convulsions hystériques accompagnées d'hémorragies peu abondantes par les oreilles, par le nez et par la bouche, hémorragies qu'une saignée suspendait et prévenait même quelquefois.
« En novembre 1843, elle commença à voir des fantômes sanglants; il lui sem-blait apercevoir du sang partout où se fixaient ses regards; elle fut de nouveau tour-mentée par de fortes convulsions et par des suffocations, mais elle ne tarda pas à guérir complètement quand on lui eut administré des purgatifs et soustraitde huit à neuf livres de sang (Journal VExpérience, octobre 1844, n° 383).
« Divinis (Marie), domestique, est âgée de vingt-six ans; elle est mariée et a un enfant. Sa constitution est robuste, son tempérament sanguin, son caractère vif et impatient.
» Il y a huit ans, elle fut attaquée, au milieu des champs, par plusieurs hommes qui voulurent attentera sa pudeur; elle fut tellement effrayée et indignée d'un pareil acte de brutalité, qu'elle fut surde-champ atteinte d'attaques de nerfs qui se répétèrent les jours suivants, trois ou quatre fois par semaine; leur durée était de trois quarts d'heure environ.
» D'abord sa vue se trouble, une flamme oscille devant ses yeux, les oreilles lui tintent, un fourmillement se fait sentir dans sa tète, et elle éprouve la sensation d'une barre de fer qui la tient dans les reins, puis il lui semble qu'une espèce de globe part de l'épigastre et monte en dansant et en tremblant jusqu'au gosier; alors elle étouffe, perd connaissance et tombe en convulsion avec écume à la bouche, etc.
Ces considérations confirment pleinement l'opinion déjà sou-tenue par M. Charcot qui ne voit dans Thystéro-épilepsie que le degré le plus intense de l'hystérie *, et non l'hystérie compliquée d'autres névroses. Nous avons trouvé aussi dans cette étude une preuve de plus en faveur de l'excellence de la méthode qui consiste à considérer les grands types avant d'en venir à l'étude des formes frustes et atténuées, car il est incontestable que la description de l'attaque d'hystérie vulgaire s'éclaire singulièrement lorsqu'on la considère à la lumière des notions fournies par l'étude de la grande hystérie.
(Macario Mém. sur laparalys. hystérique. Annal, méd. psych., janv. 1844 p. 68). «Jeannot (Virginie), lingère, est âgée del7ans;son tempérament est sanguin,sa
constitution forte et robuste, sa menstruation irrégulière..... Un soir, vers dix
ou onze heures, un jeune homme s'offrit à sa vue, au milieu d'une campagne, cou-vert d'un linceul ; saisie d'effroi et de terreur, elle crut voir un fantôme, et immé-diatement elle tomba en convulsions. Ce premier accès dura pendant quarante huit heures, pendant lesquelles elle s'écriait à chaque instant : il est près de moi il veut me saisir. Les jours suivants, les attaques se renouvelèrent jusqu'à dix-sept fois par jour. Voici comment elles débutent : d'abord elle est saisie d'un tremblement dans le ventre, qui dure d'un quart d'heure à une demi-heure environ; elle est ensuite prise de palpitations très fortes et très violentes, et enfin une espèce de boule se détache de l'épigastre, monte en oscillant jusqu'à la gorge; alors elle étouffe, elle éprouve des éblouissements, le fantôme parait aussitôt à ses regards effrayés, elle pousse un cri de désespoir, perd connaissance et tombe en convul-sions avec écume à la bouche; et l'accès dure, terme moyen, une demi-heure {Ibid., p. 72).
» Lallemand (Sydonie) est entrée dans le service de M.Piorry, le 6 juin 1843. Elle est âgée de dix-sept ans, et est née à Saint-Ouen (Vosges). Sa mère, femme très nerveuse, la contrariait souvent, et elle tient de sa mère, car elle est très im-pressionnable, colère, impatiente. Ses règles ont toujours été très peu abondantes.
» 11 y a un an, en traversant un soir un appartement, une de ses amies s'offrit à sa vue couverte d'un linceul, dans le dessein de lui faire peur, car elle se vantait sou-vent de ne rien craindre. C'était l'époque de ses règles. Elle en fut si effrayée, qu'elle perdit connaissance et eut son premier accès d'hystérie. Cette jeune fille présente ceci de remarquable, que ses attaques sont d'abord précédées de frisson, sa figure est inondée d'une sueur froide et glacée, elle éprouve la sensation d'une boule qui a son point de départ à l'épigastre et monte jusqu'au gosier; alors elle étouffe aperçoit le fantôme et tombe dans une espèce d'évanouissement tel qu'on la croirait plongée dans un sommeil paisible; puis, quelques convulsions se déclarent, et l'éva-nouissement se prolonge encore une demi-heure ou une heure.
» Après l'attaque elle reste quelque temps sans pouvoir parler, et ne peut, malgré tous les efforts, parvenir à délier sa langue. (Ibid., p. 77.) »
I. Cette opinion s'appuie non seulement sur la similitude des manifestations symptomatiques mais aussi sur des analogies de marche, de pronostic et de trai-tement.
DEUXIÈME PARTIE
DES PRINCIPALES VARIÉTÉS DE LA GRANDE ATTAQUE HYSTÉRIQUE
Lorsque, par l'élude attentive d'un nombre considérable de faits en apparence fort dissemblables, l'observateur est arrivé à décou-vrir une règle, une loi au milieu de ce qui semblait un chaos, il lui est nécessaire de revenir sur ses pas pour étudier à la lumière des notions acquises le grand nombre de faits incomplets et obscurs, jusque-là négligés à dessein.
L'étude des variétés de l'attaque hystéro-épileptique nous paraît être la partie la plus intéressante de notre tâche et celle qui pré-sente peut-être le plus haut intérêt pratique. Si l'attaque complète se rencontre rarement, le praticien se trouve chaque jour aux prises avec les nombreuses variétés qui en dérivent. Nous avons déjà fait ressortir les affinités qui existent entre la grande hystérie etl'hysté-rie vulgaire. En montrant de quelles modifications est susceptible la grande attaque d'hystéro-épilepsie, nous espérons donner la clef de phénomènes difficiles à comprendre, et relier à la grande névrose nombre de faits pathologiques qui ont paru isolés et dont le lien qui les rattache à la grande hystérie, n'a pas été jusqu'ici suffisamment précisé. 11 est inutile d'insister sur les règles pratiques qui décou-lent nécessairement de cette conception de l'hystérie, sur laquelle M. Charcot a appelé depuis longtemps l'attention. L'intérêt histo-rique de ces recherches n'est pas moins grand; elles sont destinées, nous n'en doutons pas, à éclairer d'un nouveau jour les faits étranges ou en apparence merveilleux qui composent les grandes épidémies
convulsives du Moyen Age, ou même d'époques plus rapprochées de nous.
Bernutz avait déjà parfaitement indiqué les transformations que peut subir l'attaque d'hystérie, dans un passage que je cilerai tout au long :
« J'ai insisté, dit-il, un peu longuement sur les expressions pas-sionnées, qui se produisent dans la seconde phase de la période con-vulsive de l'accès hystérique, parce qu'en rapprochant les unes des autres les crises de larmes, qui existent seules dans la forme vul-gaire, des mimiques plus ou moins complexes que nous venons de signaler, on arrive à se convaincre que, même dans les cas les plus simples, existe, pendant la perte de connaissance hystérique, un trouble cérébral, un semi-délire, dont ces manifestations des pas-sions mimées ou parlées sont symptomatiques. Il n'y a pour ainsi direqu'un'pas de ces rêves, tantôt mimés seulement, tantôt parlés, qu'on observe à la fin de l'accès convulsifde la forme vulgaire, pour arriver aux accès plus ou moins prolongés soit de véritable délire, soit de somnambulisme, soit d'extase, soit enfin de catalepsie, qu'on voit succéder à une phase convulsive, qui, dans ces cas, a le plus souvent une durée beaucoup moindre que dans la forme vulgaire. La brièveté excessive de la période convulsive, qu'on observe dans quelques-uns de ces cas, permet de comprendre un certain nombre des formes anormales de l'hystérie, dans lesquelles l'attaque est on peut dire, uniquement constituée par un accès sôit de délire de paroles, ou d'action, qui est plus particulière aux enfants, soit par un accès de somnambulisme ou d'extase, ou enfin de catalepsie, par suite de l'insignifiance et même parfois de l'absence complète de phénomènes spasmodiques au moment où survient la perte de connaissance1 ».
M. Charcot admet que l'attaque d'hystéro-épilepsie peut se modifier suivant deux modes principaux : 1° par extension ou pré-dominance d'une période aux dépens des autres, lesquelles s'atté-
1. Nouveau dictionnaire de médesine et de chirurgie, art. Hystérie. — Paris, 1874, t. XVIII, p. 221.
nuent ou même s'effacent; ainsi se produisent : a, Xattaque épilep-toïde; b, Y attaque démoniaque ; c, Y attaque d'extase; d, Y attaque de délire1; 2° par immixtion d'éléments étrangers à la constitution fon-damentale de l'attaque, tels que le somnambulisme,la léthargie et la catalepsie, par exemple. Nous étudierons successivement chacune de ces variétés.
1. La grande attaque se compose de quatre périodes qui peuvent se combiner et se grouper différemment : en prenant d'abord chacune des périodes isolémenl puis deux à deux, puis trois à trois. Ou verra si l'on veut faire le calcul que sans interversion des périodes, le nombre des combinaisons possibles est de quatorze.
A ces variétés qui ne reposent que sur le nombre et le groupement varié des périodes, viennent se joindre celles infiniment plus nombreuses qui peuvent ré-sulter de modifications survenues dans les phénomènes mômes qui composent les diverses périodes. Il est donc complètement impossible de remplir, dans la des-cription des variétés de l'attaque, le cadre immense ainsi tracé. Nous nous bornons à exposer les principales variétés que nous avons pu nous-mème ob-server et nous les rangeons sous les quatre grands chefs ci-dessus énoncés.
CHAPITRE PREMÎEll
VARIÉTÉ PAR MODIFICATION DE LA PREMIÈRE PÉRIODE. ATTAQUES ÉPILEPTOÏDES
Les auteurs qui ont décrit l'attaque d'hystéro-épilepsie se sont contentés d'exposer les phénomènes qui composent notre première période. Témoin la description qu'en donne Briquet.
(( Attaques tantôt soudaines, tantôt précédées de malaises tels qu'une céphalalgie violente, de l'agitation, de l'oppression à l'épi-gastre, une sensation de globe montant de l'épigastre au cou; puis survient la perte complète de connaissance avec dyspnée extrême, face livide et tuméfiée, écume à la bouche, distorsion des yeux, respiration stertoreuse, mélange de raideurs tétaniques et de convulsions cloniques; puis à la fin coma ou sanglots et pleurs, et enfin brisement des membres pendant plusieurs heures. »
C'est là une description qui ne saurait convenir qu'à une partie seulement de l'attaque hystéro-épileptique, à la période épilep-toïde, et encore est-elle bien incomplète comme on pourra s'en convaincre parla suite.
J'ai déjà signalé plus haut (page 69) quelques-unes des modi-fications dont est susceptible la période épileptoïde, dans le cours d'une grande attaque dont les diverses périodes évoluent régulièrement. Il est ici question des cas dans lesquels l'efface-ment ou même la suppression complète des trois dernières périodes laissent à la première un rôle exclusif ou pour le moins prédomi-iianl.
Lu, période épileptoïde est alors régulière et complète, ou peut, elle-même, subir quelques modifications. Elle peut être réduite à un de ses éléments de façon h constituer des attaques épilep-toïdes incomplètes ; ou bien la prédominance marquée d'une de ses phases peut changer considérablement sa physionomie ordi-naire. Enfin il peut s'y adjoindre quelques éléments habituelle-ment étrangers à la période épileptoïde et appartenant aux autres périodes de l'attaque.
En outre des modifications qui portent sur les éléments mêmes de la période épileptoïde, la façon dont cette période se répète pour produire les attaques épileptoïdes est encore susceptible de variété. — Elle apparaît isolément à la façon des attaques d'épilepsie vraie; ou bien elle se reproduit un grand nombre de fois de suite, ne laissant au sujet aucun instant de répit, comme cela a lieu dans Vétat de mal épileptiqiie. Par analogie la variété d'attaque hystéro-épileptique, ainsi produite, mérite le nom (ïétat fk mal épileptoïde, qu'il ne faut pas confondre avec ce que nous avons déjà Sippelé état de mal hystéro-épileptigve. Celle dernière dénomination s'applique aux séries d'attaques composées de leurs quatre périodes. Entre ces deux extrêmes, l'attaque épileptoïde isolée et Tétat de mal épileptoïde, il existe des degrés intermé-diaires. Ainsi l'on voit les attaques, au lieu de se suivre sans inter-ruption, ne se succéder qu'à des intervalles plus ou moins longs, un quart d'heure, une demi-lieure, une heure..., ou bien ce sont de petites séries de deux, trois ou quatre attaques, qui se répètent à des intervalles éloignés, etc..
L'on conçoit d'après ce qui précède que les variétés épileptoïdes de la grande attaque hystéro-épileptique puissent se multiplier h l'infini. Nous nous contenterons d'étudier les suivantes :
a. État de mal épileptoïde ;
b. Accès épileptoïdes incomplets ;
c. Attaque de spasme viscéral ;
d. Attaque épileptoïde avec contracture généralisée et perma-nente.
§ 1. — ÉTAT DE MAL ÉPILEPTOÏnE
Il n'est pas rare de voir l'attaque hystéro-épileptiquc se borner à sa première période. La période épileptoïde évolue comme nous l'avons dit : phase tonique, phase clonique, puis résolution et som-meil stertoreux; mais les « grands mouvements ))ne suivent pas, et, au milieu du sommeil, survient la phase tonique qui est le début d'un nouvel accès. On se trouve alors en présence d'un état de mal parfaitement semblable, du moins en apparence, à l'état de mal épileptique, et que nous avons désigné déjà sous le nom d'état de mal épileptoïde. Les accès se suivent sans interruption; la malade est dans un coma qui se prolonge, et la gravité apparente des accidents pourrait en imposer au médecin, si des signes diagnos-tiques certains, dont nous parlerons dans un instant, ne révé-laient leur nature éminemment hystérique.
L'état de mal épileptoïde peut se prolonger pendant fort long-temps et se composer d'un nombre considérable de crises. M. Gharcot parle d'une malade dont Vétat de mal a persisté pendant plus de deux mois, et, par moments, les accidents ont été portes au plus haut degré d'intensité. « Ainsi le 22 janvier, entre autres, les convulsions épileptiformes se sont succédées sans interruption depuis neuf heures de matin jusqu'à huit heures du soir : de huit à neuf heures, il y a eu un temps de repos, puis les attaques ont repris comme de plus belle sans le moindre retour à la lucidité, et ont persisté à peu près pendant le môme espace de temps. On peut, d'une manière approximative, évaluer sans exagération le chiffre des attaques épileptiformes qu'elle a éprouvées à cette époque, dans l'espace d'un jour, à 150 ou 200 environ. »
Sans avoir rencontré un cas aussi accentué, nous avons vu souvent l'état de mal épileptoïde se prolonger 4 ou 5 heures, et les séries composées de 50 à 60 attaques épileptiformes ne sont pas rares. Gen... surtout nous en a présenté de fréquents exemples.
L'innocuité de la persistance d'un tel état est, pour qui con-naît la gravité habituelle de l'état de mal épileptique, un des contrastes les plus h-appants qui puissent exister entre l'hystéro-épilepsie et l'épilepsie vraie. Au sujet de la malade citée plus haut, M. Gharcot insiste sur ce point avec beaucoup de raison.
«... Jamais pendant cette longue période convulsive la tempéra-ture rectale ne s'est, chez Go..., sensiblement modifiée; elle a été en moyenne de 37%8 ; elle ne s'est élevée jusqu'à 38",5 que d'une façon tout à fait exceptionnelle et transitoire. Je dois ajouter que jamais, pendant ce temps, l'état général ne nous a inspiré la moindre inquiétude, malgré l'alimentation insuffisante et l'énorme dépense de force musculaire qui a dû se faire. La situation men-tale, d'unautre côté, n'était pas, tant s'en faut, aussi profondément modifiée que cela eût eu lieu nécessairement, s'il se fût agi de la vraie épilepsie; à aucune époque, il n'y a eu d'évacuations invo-lon!aires d'urines ou de matières fécales.
) Dans les courts répits que ses attaques lui laissaient, la ma-lade se levait pour satisfaire ses besoins. Dans ces intervalles aussi, d'ailleurs très courts, la nature hystérique du mal, surtout dans les premières semaines, reparaissait dans tout son jour. Une fleur dans les cheveux, des frisures bizarres, un vieux morceau de mi-roir, placé sur la planchette du lit, témoignaient suffisamment des occupations favorites de cette femme dans les temps de répit. »
La compression ovarienne et l'excitation des zones hystérogènes conservent, pendant l'état de mal épileptoïde, les propriétés d'arrêt dont nous avons parlé. Et l'on peut voir, sous une action aussi simple, s'évanouir comme par enchantement des phéno-mènes d'une violence telle que rien ne semblait devoir les arrêter, et la connaissance revient tout d'un coup au milieu d'un état dont la gravité paraissait au-dessus de toutes les ressources de l'art. Malheureusement rien de semblable ne se produit dans l'état de mal véritablement épileptique.
Sans avoir recours à ces divers moyens, ou encore aux interver-sions électriques qui produisent le même effet, un observateur expérimenté pourra le plus souvent, à quelcpjes signes qui pour
RICllER 19
tout autre se perdent dans le tumulte des convulsions, arriver à un diagnostic également certain.
Dans la phase tonique, le gonflement du cou, la diversité des at-titudes, la prolongation du tétanisme; dans la phase clonique, les mouvements bruyants de déglutition, les ondulations du ventre avec borborygmes sonores; dans la phase de résolution, la persistance du frémissement des paupières, ou de la contracture générale ou partielle, sont autant de signes en faveur de l'hystérie.
Entre deux accès, on voit parfois la malade se mettre en arc de cercle et y demeurer un temps fort appréciable, quelquefois plu-sieurs minutes; c'est une ébauche de la deuxième période. Ou bien, au sortir du sommeil, la malade prend une attitude déterminée, elle demeure quelques instants dans une sorte d'extase; c'est un fragment de la troisième période, qui vient en quelque sorte mettre le cachet de la véritable nature de la maladie à côté d'appa-rences qui pourraient induire en erreur. Dans ces cas, il n'y a pas à s'y tromper, et le médecin peut pratiquer la compression ova-rienne avec certitude de succès ^
Mais le signe diagnostic le plus important entre l'état de mal épileptoïde et l'état de mal épileptique, réside dans la marche de la température. Nous en avons déjà dit un mot au sujet de l'état de mal hystéro-épileptique. Il résulte des recherches de MM. Gharcot et Bourneville que lorsqu'il s'agit d'épilepsie vraie la température ne tarde pas à s'élever à 40° et plus, en même temps que l'état général s'aggrave, tandis que si c'est l'hystéro-épilepsie, on pour mieux dire, l'hystérie qui est en jeu, la tempé-rature s'élève peu au-dessus de la normale malgré l'apparente gravité des phénomènes épileptiformes qui dominent la scène.
Les attaques dont la réunion constitue l'état de mal épileptoïde,
I. Au contraire, dans d'aulres variétés de l'attaque Iiystéro-cpileptique, la pliase épileptoïde est réduite à sa plus simple expression; rarement cependant elle fait complètement défaut; il persiste presque toujours ua symptôme épilep-toïde, si petit soit-il, qui à son tour devient comme le sceau de la maladie et montre la nature liystéro-épileptique d'accidents bizarres et extraordinaires, qu'une imagination facile n'a pas manqué de mettre en maintes circonstances sur le compte du surnaturel.
peuvent subir quelques modifications dans les éléments mêmes qui les composent, et que nous avons classés en trois phases : phase tonique, phase clonique, phase de résolution. Il n'est pas rare de voir la phase tonique prédominer. En voici quelques exemples :
Nous avons eu l'occasion d'observer, le 4 février 1878, Bescli..., Iiystcro-épileptique du service de M. Delasiauvc, au milieu d'un état de mal épilep-toïde. Les aUaques se succèdent sans interruption, et dans chacune d'elles on peut distinguer deux phases.
phase. — Débute au milieu de la résolution qui termine l'atlaquc pré-cédente, par un petit treni!)lonìeiìl de tout le corps. I^a respiration devient saccadée et se précipite. Des mouvcnients de déglutition se produisent. Les yeux se convulsent; les paupières, médiocrement ouvertes, ne laissent voir que le blanc de la sclérotique, et les pupilles se cachent en haut et à droite sous la paupière supérieure.
Tous tes traits de la face se contractent, le front se plisse, les lèvres, tirées en dehors, s'appliquent sur les arcades dentaires un peu écartées, et la langue, légèrement incurvée et la pointe dirigée en haut, sort de la bouche. Les membres se raidissent, les bras sont étendus ou fléchis diversement, l'avant-bras est presque toujours en pronation forcée, le poing fermé et le poignet fléchi.
l^eu à peu la tête quitte l'oreiller, et la face tourne du côté gauche, le tronc se soulève un peu et suit également ce mouvement de torsion qui ne se produit que par degrés et comme par saccades. Au fur et à mesure qu'il s'accomplit, le tétanisme augmente d'intensité, la langue fait saillie davan-tage, jusqu'à ce que la détente s'opère tout d'un coup. Cette phase de téta-nisme a duré en tout une minute.
2^ phase. — Suit alors une phase de résolution. Le corps retombe inerte sur le côté droit, les yeux se ferment, la res[»iration devient stertoreuso. La langue, large et flasque, ne rentre pas complètement dans la bouche. Son extrémité, élargie, est maintenue dehors par les arcades dentaires qui se sont rapprochées. Tous les membres sont en résolution.
Celte phase de relâchement musculaire a une diu'ée égale à la phase pré-cédente. Quelquefois elle se prolonge un peu plus longtemps. I^a malade pousse alors quelques plaintes et semble reprendre connaissance, mais la phase tonique recommence bientôt avec les caractères que nous avons décrits.
En outre de la prédominance du tétanisme et de sa marche progressive, le fait que nous venons de rapporter est remarquable par la saillie de la langue. La prolusión de la langue existe égale-ment au milieu des contorsions de la deuxième période et nous la retrouverons lors de la description de l'attaque démoniaque.
Les observations suivantes que nous empruntons à l'ouvrage de Hammond sur les Maladies du système nerveux^, ont également trait à la variété de l'état de mal épileptoïde par prédominance du tétanisme.
« Quelquefois, dit Hammond après avoir décrit l'attaque épileptoïde régu-lière, le spasme tétanique fait défaut; d'autres fois le spasme peut constituer le pliénomène le plus saillant de la période convulsive. Ainsi chez une dame que j'ai soignée dernièrement, le paroxysme commença par un opisthotonos qui disparut immédiatement pour se reproduire à nouveau et cesser ensuite; et ces alternatives d'augmenl et de déclin persistèrent pendant une demi-heure.
» ... Une malade que je soigne maintenant a des attaques quotidiennes, tou-jours à peu près à la même heure (vers trois heures de l'après-midi), qui sont plus manifestement tétaniformes au début que toutes celles que j'ai ob-servées. Elles consistent en une série de spasmes opisthotoniques, pendant lesquels le corps est extrêmement raide. La convulsion pourtant n'est pas semblable à celles que je viens de décrire et se développe lentement. Le corps étendu dans toute sa longueur devient graduellement raide, les jambes sont légèrement écartées, les bras i-ressés fortement contre les faces latérales de la poitrine, les mâchoires sont fermement serrées et le regard est fixe.
» La respiration semble entièrement suspendue et le cœur bat rapidement, quelquefois 160 par minute. Ensuite le corps se courbe lentement, de sorte que la tête et les talons seuls touchent le lit; et il est si raide et si fortement incurvé en arrière, que les efforts les plus énergiques ne peuvent parvenir à vaincre la tonicité des muscles. Une minute après le commencement de la raideur, le spasme cesse subitement et l'attaque se termine par une inspira-tion longue, pour recommencer de nouveau au bout de quelques minutes et dans le même ordre que précédemment...
» Dans ce cas il y a une aura distincte partant de l'ovaire gauche, et une forte compression exercée sur cet organe suffit généralement, mais pas tou-jours, à couper court aux accidents. »
Ce dernier exemple est fort intéressant à cause de la position d'arc de cercle que le tétanisme en s'accusant imprimait à la ma-lade. Si l'on se souvient de ce que nous avons dit plus haut au sujet des signes différentiels des attitudes tétaniques de la première période et des attitudes illogiques de la seconde, on constatera sans peine qu'ici l'arc de cercle décrit pai- Hammond relève de la période épileptoïde et non de celle des contorsions. Mais l'appré-
t. Traduction du D'' F. lahadic-Lagrave. Paris 1879. p. 910 et suiv.
jialion est encore rendue plus facile par l'examen d'inie figure que l'auteur a jomte à sa description. Sur ce dessin on remarque un signe d'apparence tout épilcptiquc et que nous avons déjà relevé sm^ le soldat de Ch. Bell (fig. 38). Ce signe consiste dans la situation des membres inférieurs qui sont en extension complète, et dans la position du pied qui, maintenu à angle droit sur la jambe, ne repose sur le lit que par le talon.
§ 2. — ACCÈS ÉPILEPTOÏDES INCOMPLETS
Cette variété ressemble beaucoup au vertige épileptique qui s'ac-compagne de quelques contractions musculaires rapides et locali-sées à certains groupes de muscles. C'est ce que Ilerpin a fort bien décrit parmi les accès incomplets d'épilepsie, sous le nom de com-motions épileptiques.
« C'est, dit-il, une secousse qui ébranle tout le corps, comme le ferait une commotion électrique... Les effets immédiats de cette commotion, dont la durée, disent quelques épileptiques, est celte d'un éclair, sont assez variés. Le plus souvent tes mains s'ouvrent et laissent échapper ce qu'elles tiennent.. , L'effetle plus fréquent sur l'attitude est d'incliner le tronc en avant, de sou-lever le bras et de fléchir les jambes ; cependant le tronc peut s'infléchir en arrière.
)) La secousse que nous venons de décrire comme générale peut être par-tielle, se borner aux deux bras, à un seul, à une main, à un doigt, à la tète seule, à la partie supérieure du corps, sans que les jambes y participent.
» Le |)lus souvent il n'y a pas de chute, mais certains malades tombent presque toujours...
» ... La contraction musculaire subite,généralisée ou partielle, avec ses
suites imnukliates, n'est pas le seul phénomène qui constitue la commotion.....
sept patients nous ont affirmé (pie, pendant la commotion, même bornée à la partie supérieure du corps, ils avaient la vue perdue ou tout au moins trou-blée..... Six autres malades mentionnaient un trouble de l'intelligence qu'ils
qualifiaient pour la plupart d'étourdissement, et que les autres appelaient
vertige ou trouble de l'esprit.....Plusieurs signalaient nettement une absence,
une lacune dans le sentiment de l'existence.....
» Enfin il est des patients qui, suivant la force de la secousse, perdent ou ne perdent pas connaissance.
» Chez cinq malades la commotion était presque toujours accompagnée (lu cri épileptique, mais moins prolongé qu'aux attaques.....
» ... Nous avons observé quatre patients qui, immédiatement après la commo-tion, avaient une dyspnée plus ou moins intense ; chez deux seulement de ces malades, la secousse s'accompagnait du cri. Deux épileptiques, dans la même circonstance, se plaignaient un moment, l'un d'une constriction douloureuse de l'estomac, l'autre de nausées. Une petite fille signalait une vive douleur précordiale accompagnée de palpitations. La commotion, dans son cours d'un instant, offre donc, ou peut olfrir les trois ordres essentiels de symp-tômes d'une attaque d'épilepsie : les convulsions externes, les spasmes vis-céraux, les perturbations sensoriales et intellectuelles.
» ..... Il n'est pas rare que la commotion se répète par séries : il peut n'y
en avoir que deux ou trois ainsi rapprochées, leur nombre peut être très considérable, de quarante par exemple en cinq minutes.
» ..... Dans le degré le plus fort (de la commotion épileptique) tout est si-multané : chute, cri, convulsion générale, cécité, perte de connaissance, spasme môme, et le tout n'a que la durée d'un éclaira »
J'ai rapporté presque en entier la description d'Herpin, parce qu'elle convient parfaitement à ce qu'on pourrait appeler chez les hystéro-épileptiques la commotion épileptoïde.
Mais pai^fois il s'y ajoute quelques signes plus particulièrement hystériques, comme quelques phénomènes de l'aura : ovarie, stran-gulation, palpitations, sifflements d'oreilles, battements dans la tempe; le gonflement du cou, latympanite, les borborygmes,etc....
Voici, par exemple, la description de secousses observées sur Gl...
2C)mars1878. —Depuis septheuresdu matin, GI... estprise desecousses((ui surviennent toutes les deux ou trois minutes. Elle a des sifflements d'oreilles, et entend des bruits de cloches dont l'intensité augmente au moment où vont venir les secousses; en même temps, elle é[)rouve un tiraillement dans les yeux, et sa langue se retourne, la pointe en haut, l^a parole est coupée net.
Puis quelques contractions apparaissent dans la face et les membres du côté droit seulement. Le bras s'étend et se met en pronation, le poignet fléchi; les doigts se ferment et le pouce se place dans le creux de la main, la phalan-gette entre le troisième et le quatrième doigt. La jambe se contracture dans l'extension, le pied se place dans la position du pied bot équin.
Les membres ainsi contractés sont animés de petits mouvements cloniques. La respiration saccadée se précipite et la paroi abdominale, alternativement soulevée et déprimée, agite les intestins, qui font entendre un bruit analogue à celui que produirait un liquide violemment agité dans un vase à parois so-nores. Mais bientôt tous les accidents cessent, après n'avoir duré que quel-
!. Des accès incomplets d'épilepsie par Tti. Herpin. l^aris, 1807. p. 1G2 et suiv.
ques secondes, une minute au plus. Ces petits accès se répètent toutes les trois ou quatre minutes.
Le lien qui réunit la commotion épileptoïde à l'accès épileptoïde complet, et qui fait de celle-là l'ébauche, ou, si l'on veut, le rudi-ment de celui-ci, est facile à saisir, et les observations qui suivent en fournissent aisément la preuve.
23marsl878. — A la visite du matin, Gen... est au lit, elle estde fort mau-vaise humeur, et répond par des injures aux paroles qu'on lui adresse. Elle est contracturéc du bras gauche dans une demi-flexion et de la jambe droite dans l'extension. De temps à autre, elle est prise de secousses partielles, soit dans les membres, soit dans les muscles de la face. Parfois les secousses de-viennent générales, la malade perd connaissance un instant, et il se produit comme une ébauche de la période épileptoïde.
Dans la journée Gen... a plusieurs accès épileptoïdes complets. Elle est en proie à une grande agitation.
A 5 heures du soir, voici ce que nous constatons. Gen... est au lit, elle a le côté gauche contracture; mais la contracture est instable, elle quitte le bras pour reparaître à la jambe, et vice versa; elle envahit même transitoirement les membres du côté droit. Des secousses généralisées se produisent avec une soudaineté et une violence extraordinaires. Tout d'un coup les quatre membres sont projetés en avant comme sous l'action d'une violente décharge électrique; des convulsions toniques animent les muscles du visage; la ma-lade perd un instant connaissance. Il suffit d'un frottement sur le point hys-térogène dorsal que Gen... possède entre les deux épaules pour compléter le tableau et transformer ces menaces d'épilepsie en une véritable attaque épileptiformc composée des trois phases ordinaires.
27 mars 1878. — Lorsque nous voyons Gen... à la visite du matin, elle est contracturéc de la jambe droite seulement, le pied est en varus équin. Peu à peu les trois autres membres se raidissent et bientôt la contracture est devenue générale. Quand on la découvre, on provoque dans les membres contractures quelques secousses de peu d'amplitude. Il survient par instant un petit tremblement de tout le corps qui dure peu.
La compression ovarienne fait cesser la contracture au bout de quelques instants, mais, aussitôt qu'on cesse de la maintenir, il se produit une brusque secousse qui agite tous les membres, les traits de la face se plissent, la parole est brusquement interrompue et la malade perd le fil de la conversation. Bientôt la contracture reparaît. La même manœuvre, consistant en une com-pression ovarienne brusquement interrompue, répétée un certain nombre de fois, ne tarde pas à taire éclater une attaque épileptoïde complète avec écume et stertor prolongé.
Mais en abandonnant les choses à elles-mêmes et sans en hâter la conclusion par des moyens artificiels, la nature se charge de nous faire toucher du doigt les relations que nous cher-chons à établir ici entre les vertiges, les secousses, les commo-tions, et l'attaque épileptoïde. Chez une même malade on observe souvent, pendant la période prodromique, de petits accès épilep-toides fort incomplets, ressemblant tout d'abord à de simples ver-tiges, mais qui se répètent, en augmentant peu à peu d'intensité et en se complétant, jusqu'à ce qu'enfin, après avoir passé par les degrés intermédiaires de « commotions » variées, ils se transfor-ment en véritables accès épileptoïdes qui évoluent avec tous les caractères que nous leur avons assignés. Nous en rapporterons un peu plus loin un exemple recueilli sur Gen...
§ 3. — ATTAQUE DE SPASME VISCÉRAL
La prédominance du spasme viscéral et son retour fréquent peu-vent donner lieu à une sorte d'état de mal épileptoïde, fort grave en apparence, comme j'ai eu foccasion de l'observer chez Bar...
Le 26 juin 1878, B... a eu toute l'après-midi des attaques liystéro-épilep-tiques avec les caractères qu'elles revêtent d'habitude chez elle. Mais à huit heures du soir elle est pi'ise d'accidents bizarres et inaccoutumés, qui effrayent les infirmières, et pour lesquels on vient me chercher.
Je la trouve dans fétat suivant : coma complet, résolution de tous les membres dans le décubitus dorsal, la tête un peu inclinée de côté. Toutes les deux ou trois inspirations, elle est prise d'une sorte de hoquet ou plutôt de spasme nauséeux. La poitrine se soulève comme dans l'acte du vomisse-ment, les muscles du cou se contractent et la salive vient à la bouche. Elle a constamment l'écume aux lèvres, la bouche serrée exprime le dégoût, les paupières sont abaissées et animées de petils frémissements. Les globes oculaires sont convulsés en haut. La pupille, moyennement dilatée, est sen-sible à la lumière.
Cet état se prolonge, aucune excitation ne peut la faire sortir de cet anéan-tissement, et la respiration, à chaque instant entrecoupée par les spasmes, se fait d'une façon tellement irrégulière, que la vie de la malade semble en danger.
La température rectale est de 38% 5, le pouls est régulier et ne paraît pas augmenté de fréquence.
Mais la compression de l'ovaire droit nous montre de suite que cet état alarmant n'a d'épileptique que le dehors, et qu'il ne relève, comme les autres accidents, que de l'hystérie.
En etfet, presque aussitôt la malade ouvre les yeux, semble revenir à elle, mais elle ne parle pas encore. On prolonge la compression, et la connaissance ne tarde pas à reparaître entièrement. B... accuse alors un état nauséeux extrêmement pénible. Malgré la compression, le spasme, quoique moins fré-quent, reparaît toujours. On se décide à neuf heures et demie à donner un peu de chloroforme, et en peu d'instants tous les accidents convulsifs cessent.
Cet exemple suffît pour montrer tout l'intérêt pratique qui s'at-tache à la distinction, que depuis longtemps M. Charcot cherche à établir, entre l'épilepsie et l'hystéro-épilepsie. — Sous des appa-rences d'une gravité tout épileptique se cachait la bénignité ha-bituelle des accidents hystéro-épileptiques. Il importe donc au médecin d'être instruit de ces faits, s'il ne veut pas voir ses pré-visions démenties et laisser au hasard les règles de sa conduite.
§ k. — ATTAQUE ÉPILEPTOÏDE AVEC CONTRACTURE GÉNÉRALISÉE ET PERMANENTE.
A. — Il n'est pas rare, sur un état de conti\acture permanente et généralisée, de voir se greffer de petits accès incomplets d'épi-lepsie, semblables à ceux que nous avons décrits plus haut, à la suite d'IIerpin, sous le nom de commotions épileptoïdes, ou bien de véritables attaques épileptiformes avec leurs diverses phases complètement développées.
Je pourrais citer un assez gi^and nombre d'exemples de cet ensemble symptomatique d'une physionomie bien spéciale, je dirai même bien hystérique; mais il suffira d'en rapporter quelques-uns.
Les détails suivants observés chez Gen... sont intéressants,parce que l'intensité progressive des accès montre la connexion qui existe entre les commotions épileptoïdes les plus légères et la phase épileptoïde complète, dont ils ne sont qu'une ébauche ou un abrégé.
4 juillet. — Gen... a eu dans la nuit trente-cinq accès, à la suite desquels elle demeure contraclurée.
A trois heures de l'après-midi nous la trouvons au lit et contraclurée ainsi qu'il suit :
Les deux jambes et le bras gauche sont dans l'extension, le bras droit
FiG. S7. — Contractures généralisées.
fléchi et la main crispée reposent sur l'abdomen. La tête est libre, la face très paie.
Presque constamment la main droite est animée de petits frémissements, et de légères contractions se montrent dans la face, surtout du côté droit.
Toutes les trois ou quatre minutes surviennent de petits accès ainsi carac-térisés :
a. La douleur ovarienne, qui est permanente et double, tout en étant plus
Fie. 88. — Contractions partielles de la face dans le vertige épileptoïde.
intense à droite, s'exaspère. L'oppression thoracique suit immédiatement avec sensation dé strangulation. Pas de palpitations. La face se dirige légè-
rement en haut, les paupières battent, les yeux sont demi-fermés, les globes oculaires eux-mêmes sont animés de petites oscillations, la pupille est plutôt rétrécie, dirigée un peu en haut et à droite. Les traits grimacent, de petites contractions parcourent la face, elles sont plus fréquentes et plus marquées dans la moitié droite. L'aile du nez se relève, entraînant la lèvre supérieure.
FiG. 81). — Léger accès épileptoïdc.
Le bras droit se soulève un peu et est animé de courtes oscillations. Les jambes tremblent légèrement, mais principalement la jambe droite.
Puis il se produit une ou deux inspirations bruyantes (ébauche de stertor). Et tout mouvement cesse après une durée de trente à quarante secondes au plus.
Gen... dit n'avoir pas perdu connaissance. Elle appelle cela «. ses spasmes ou ses vertiges » =
b. Dans un accès un peu plus intense la face se tourne à gauche, les yeux sont convulsés en bas et à gauche. G... est agitée plus violemment. Légère cyanose. Des secousses soulèvent les deux bras et aussi les deux jambes. Mouvements de déglutition bruyants. Piespiration pénible et bruyante. Durée de l'accès : deux minutes. Elle a perdu connaissance.
c. Quelques instants après, l'accès débute par un tremblement général, puis quatre à cinq grandes secousses agitent tout le corps. Le tronc est sou-levé, les épaules se rapprochent en avant, la tête est tournée complètement à gauche.
La face, cyanosée, est le siège de contractions intenses, les paupières battent, les yeux, convulsés en haut et à gauche, cachent sous la paupière su-périeure leur pupille, qui ne paraît pas dilatée. L'écume vient aux lèvres. Les bras sont soulevés et animés de mouvements cloniques, ainsi que les membres inférieurs.
La respiration est suspendue; quelques hoquets; puis résolution incom-plète et véritable stertor.
Durée générale, y compris le stertor, trois à quatre minutes.
En se réveillant elle appelle : « Bot! Bot !'» comme dans le délire qui suit ses grandes attaques. d. Enfin les accès se reproduisent avec ce même caractère d'intensité. Ils
FiG. 90. — Accès épileptoïdc plus accusé.
sont séparés par des moments de calme plus ou moins longs, pendant les-quels la contracture générale persiste. De quatre heures à six heures et demie, la surveillante a compté douze accès.
Nous voyons ici l'accès épileptoïdc complet évoluer sans modi-fier en aucune façon la contracture. — L'attitude des membres contractures est toujours la même avant comme après l'accès. Et, pendant la période de stertor, la résolution musculaire ne se pro-duit pas. — Cette persistance de la contracture, même pendant la phase de résolution, ne se rencontre guère dans l'état de mal de l'épilepsie vraie.
Dans l'observation qui suit et qui a trait à une malade hystéro-épileptique du service de M. Delasiauve, nous retrouvons sous une forme un peu différente la même série de phénomènes.
17 nov, 1878. — U y a une heure et demie que Besch..., est contracturée et qu'elle a des attaques épileptiformes, lorsqu'on vient me chercher.
Besch..., est dans le décubitus dorsal, la tête repose à droite sur l'oreiller, les yeux sont fermés, et les lèvres rapprochées laissent passer l'extrémité de la langue épaisse et élargie. Il est impossible d'écarter les maxillaires et de
t. C'est la première syllabe du nom de la surveillante du service.
faire rentrer la langue dans la bouche. Les bras sont contractures, le gauche dans l'extension, le droit demi-fléchi. L'avant-bras est eu pronation forcée et le poignet dans la flexion. Les membres inférieurs sont demi-tléchis et croisés, la jambe droite par-dessus la jambe gauche.
Par instants, survient une attaque épileptoïde qui présente les caractères suivants :
La tète se raidit et se tourne à gauche, les yeux se convulsent en haut et à droite, le front se ride, tous les traits se contractent. Les commissures des lèvres sont tirées en dehors, la pointe de la langue s'effde et se relève, en même temps que l'inspiration devient bruyante et saccadée.
Les,bras s'élèvent et sont animés, ainsi que la tèle, de courtes oscillations qui s'accusent davantage au fur et à mesure que le mouvement de torsion vers la gauche est plus prononcé.
Puis, au bout d'une minute environ, la tète retombe sur l'oreiller, et la malade se retrouve dans l'altitude de contracture généralisée qu'elle avait au moment où l'accès a commencé.
Pendant ces intervalles de repos relatif, elle fait quelques signes de tète, émet quelques sons inarticulés ((ui peuvent faire croire à la présence d'hal-lucinations. Malgré les apparences contraires, elle n'a pas complètement [lertlu connaissance. Lorsque je demande le chloroforme elle fait des signes non douteux de mécontentements, et elle résiste aux tentatives que je fais pour la soumettre aux inhalations.
Avec un peu d'insistance, je parviens cependant à l'endormir. La con-tracture cesse, la langue rentre dans la bouche et tous les membres tombent en complète résolution.
B. — La conti^acture générale s'accompagne parfois de perte de connaissance et d'un sommeil léthargique qui peut se prolon-ger plusieurs heures.
La malade est contracturée le plus souvent dans l'extension, la tête renversée en arrière. Tout son corps est rigide comme une barre de fer. Les paupières sont femnées et les globes oculaires convulsés en haut. La respiration s'exécute régulièrement, mais très faiblement.
Ce qui semblerait permettre de rattacher cet état à la période épileptoïde, c'est, outre le tétanisme généralisé, la persistance presque constante d'un petit frémissement des paupières, qui rap-pelle les mouvements cloniques, et l'apparition de temps à autre de quelques secousses généralisées ou partielles, semblables à celles que nous venons de décrire sous le nom d'accès incomplets.
Mais l'on peut également se demander si l'on n'est pas ici en présence d'une attaque léthargique accompagnée de contracture générale, comme il arrive parfois, et de quelques symptômes épi-leptoïdes. Nous traiterons plus loin de cette variété d'attaque hys-téro-épileptique.
ATTAQUE DEMONIAQUE
A.Delahaje et E, Lccrosnipr.
GHA'PJTRE II
VRIÉTÉS PAR MODIFICATION DE LA DEUXIÈME PÉRIODE. — 1°AT-TAQUE DE CONTORSION OU ATTAQUE DÉMONIAQUE; — 2° AT-TAQUE DE GRANDS MOUVEMENTS OU ATTAQUE DE CLOWNISME.
1. — ATTAQUE DE CONTORSION OU ATTAQUE DÉMONIAQUE.
De la description des phénomènes musculaires de la deuxième période, grands mouvements et contorsions, il n'y a qu'un pas à faire pour arriver aux peintures afFreuses des convulsions des pos-sédés. Or l'attaque hystéro-épiîeptique peut, dans certains cas, se trouver réduite à peu près exclusivement à la deuxième période, dont les symptômes se trouvent alors portés à leur plus haut degré de développement.
Supposez une seconde période dans laquelle tous les phéno-mènes les plus étranges, qui constituent ce que nous avons appelé le clownisme, se multiplient comme à plaisir. Joignez-y la fureur, les cris, la rage, les mouvements désordonnés que j'ai décrits éga-lement parmi les signes de cette même seconde période. Prenez en outre tout ce qui, dans les autres périodes de l'attaque, pré-sente un dehors plus ou moins extraordinaire, ou est marqué par la prédominance de l'élément douloureux, comme les contractures généralisées de la fin, ou quelques hallucinations horribles de la troisième période. Et vous aurez ainsi constitué une variété de l'attaque bien faite pour inspirer, suivant les temps, la crainte, l'horreur ou la commisération. Eh bien, ce n'est point là un type de fantaisie. Ces sortes d'attaques se rencontrent dans la réalité. Nous avons pu nous-même en observer des exemples. Ce sont
elles que Marc... et Ler... appellent leurs lortlllemcnls et que M. Charcot a qualifiées de démoniaques.
Première Période. — Dans ces sortes d'attaques, la période épilep toïde est toujours facilement reconnaissable. Elle n'évolue pas ré gulièrement, elle est modifiée par la prédominance de la contrac-
FlG. 91. — Contorsion. Attaque démoniaque.
ture, ou amoindrie par la suppression de quelqu'une de ses phases. Mais les phénomènes épileptoïdes sont'assez nettement ca-ractérisés, pour qu'il soit impossible de les méconnaître.
Le plus souvent la période épileploïde est représentée ainsi qu'il suit. Les grands mouvements toniques du début sont exagérés, les bras, les jambes et tout le corps se contournent étrangement. La respiration est suspendue, la gorge gonflée; la face, conges-tionnée et bonifie, est afl'reusement grimaçante, les yeux con-vulsés ne laissent voir que le blanc de la sclérotique; la bouche est ouverte et la langue sortie. Le tétanisme survient dans les atti-tudes les plus bizarres, et le cloiunisme est marqué par le battement des paupières, l'ondulation du ventre et un tremblement partiel,
limité à un côté du corps ou généralisé. La respiration reprend pé-
iùG. 'J'J. — Coutursion. Attaque démoniaque.
uiblement, elle est silllante et entrecoupée de hoquets. Il y a des bruits pharyngiens, des mouvements de déglutition bruyants. L'é-cume apparaît certaines fois.
Quelques inspirations ronflantes représentent le stertor, mais la résolution musculaire ne survient pas, les membres demeurent con-tractures en diverses situations, et la phase épileptoïde semble se confondre avec la période des contorsions qui la suit.
Deuxième Période. — Les contorsions sont ici dans leur plus large développement. Les figures représentées (Fig. 91, 92,93, 94 et 95) en donnent une idée. Les membres contractures dans l'exten-sion s'élèvent perpendiculairement au lit, ils s'entrecroisent souvent par une adduction forcée; les jambes, parfois fléchies, se croisent diversement; les bras se contournent et se placent derrière le dos; les mains ont une attitude à peu près constante, le poignet est fléchi fortement, les trois premiers doigts, pouce, index et médius, étendus et écartés, les deux derniers fléchis. Enfin tout le^ corps se conlorsionne d'une façon qui échappe à toute description. La face revêt alors le masque de l'efìroi ou de la colère : les yeux dé-
lUClIKR. • 20
ViG. 93 — Contorsion. Attaque démoniaque.
mesurément ouverts, la boui^he tiraillée en divers sens ou bien ou-verte, la langue pendante.
Les grands mouvements s'exécutent avec une violencee (Trayante*. La mialade cherche à se mordre et à se déchirer la figure ou la poitrine, elle s'arrache les cheveux, se frappe violemment, pousse d'affreux cris de douleur ou des hurlements de bête féroce. Elle se démène comme une forcenée; Ler..., dans ces attaques, ne peut conserver aucun vêtement, et a bientôt mis tout en pièces. Elle se donne avec le poing des coups si violents, qu'on est obligé d'inter-poser un coussin pour amortir le choc; elle secoue la tête, cherche à mordre, saisit une compresse qu'on lui présente et l'agite vio-lemment avec de sourds grognements de rage.
Troisième Période. — Les attitudes passionnelles n'existent pas à proprement parler. L'hallucination peut survenir, mais la contrac-
1. Pour Sonner une idée de la violence de ces grands mouvements, nous avons essayé, dans une planche au fraii (p. oii) de représenter l'aspect du lit de Ler.... lors de ses grandes attaques el le nombre des aides nécessaires pour la maintenir.
t.ijrf,q'ii persiste souvent, gêno les mouvements de la malade. On la voit sourire, appeler un être imaginaire ou lui l'aire la grimace, lui
Fig. 9i. — Contorsion. Attaque démoniaque.
FiG. 95. — Contorsion. Attaque démoniaque.
(^"acherau visage, pendant que ses membres sont diversement iin-
mobilisés par la cootraction musculaire. Mais cette phase est courte eo général et manque parfois complètement.
Quatrième Période. — Alors la malade revient à elle, mais la contracture ne disparaît pas; des crampes coutournent ses membres et lui arrachent des cris de douleur déchirants; elle supplie les as-sistants de la soulager.
En résumé, on voit que ces sortes d'attaques sont particulière-ment caractérisées par la prédominance de la contracture doulou-reuse, par le développement des attitudes illogiques ou contorsions, qui leur donne l'aspect effrayant des anciens possédés; enfin par la persistance de la douleur, dont l'acuité ramène promptement la connaissance et, en arrachant des cris affreux à la malade, im-prime à toute l'attaque un cachet de souffrance tellement horrible que les assistants, même les plus habitués, ne peuvent se défendre d'une pénible émotion.
Marc... etLer... distinguent fort bien elles-mêmes les attaques qu'elles nommentleurs tortillements des autres, qui sont \Q?grandes attaques. Elles peuvent prévoir même, d'après l'intensité des phé-noinènesde l'aura, le genre d'attaque qu'elles vont avoir. Elles pré-fèrent de beaucoup les grandes attaques aux tortillements : dans les premières,elles perdent complètement connaissance; tandis que dans les secondes, elles disent ne perdre connaissance que par in-stants (pendant la période épileptoïde), et se plaignent de souffrir les tourments les plus affreux qu'on puisse imaginer K
La description qui précède s'applique surtout aux deux malades que nous avons eues sous les yeux, elle est en quelque sorte le résumé des observations prises à leur lit, et peut être considérée comme l'expression la plus complète de la variété de la grande attaque que nous étudions ici.
1. L'observation du D'" Thermes, rapportée plus haut (p. 226, 21'= obs.), est un exemple fort complet d'attaque démoniaque et se rapproche absolument des tor-tillements de Marc... ou de Ler... On y trouvera sans peine tous les points sur l(îs(|uels nous avons insisté : dans la période épileptoïde, prédominance des graiids mouvements toniques; dans la seconde période, prédominance de la con-torsion, de la rage; peu d'altitudes passionnelles; enfin quatrième période mar-quée par les contractures généralisées et douloureuses.
Mais l'attaque de contorsion n'existe pas toujours avec ce degré de violence qui lui a mérité le nom d'attaque démoniaque. Les traits en peuvent être atténués.
L'observation suivante empruntée au Journal de Corvisa,rt est un exemple d'hystérie dans lequel les manifestations variées qui composent les attaques se rapportent à notre deuxième période. La prédominance de la contorsion (attitude illogique) y est fort remarquable.
« Mademoiselle***,âgée de trente-deux ans, d'un tempéramentéminemment nerveux, était attaquée d'hystérie depuis plusieurs années. Elle en éprouvait des accès par intervalles, et surtout à l'approche de ses règles, qui d'ailleurs revenaient périodiquement tous les quinze jours, coulaient en assez grande quantité, et duraient chaque fois quatre, cinq ou six jours. Des contrariétés ont rendu ces attaques très fréquentes et presque journalières. A dater du 13 février 1807, jusqu'au 15 mai de la même année, où elles ont beaucoup diminué, elles étaient marquées par des symptômes extrêmement variés et que je vais décrire. La malade était prise de convulsion de tous les membres et des muscles du cou, de la bouche, des yeux, enfin de la langue (qui tantôt se retirait, tantôt s'allongeait, ou exécutait alternativement des mouvements en avant et en arrière). Quelquefois ses paupières se contrac-taient aussi d'une manière spasmodique, et devenaient très douloureuses; ou bien la malade éprouvait un resserrement de poitrine, du gonflement et de la tension vers le bas-ventre, qui devenait dur comme une planche; une grande sensibilité à la région hypogastrique, un sentiment de sulTucation, des hoquets, des borborygmes, et une sorte de ballottement du ventre, de bas en haut, ou de haut en bas, comme si on l'eût agité fortement. Ce ballot-tement durait quelquefois pendant quatre ou cinq minutes de suite, et était accompagné et suivi de grandes douleurs, et d'une sensation vive de chaleur dans cette partie; souvent il n'avait lieu que d'un seul côté. La poitrine se rapprochait des hanches, et la dernière côte de la crête de l'os des îles, de manière à n'en être séparée que de l'intervalle de deux doigts. La malade restait dans celte position pendant une demi-heure, ayant les jambes pliées et si fortement appliquées contre les cuisses, qu'on ne pouvait les en écarter; quelquefois le corps restait raide comme une barre. Dans d'autres accès il y avait des étouffements, perte de la parole ou loquacité. La malade était tantôt gaie, tantôt triste. Ordinairement elle mangeait peu. Quelquefois elle se montrait d'une voracité extraordinaire, dévorant en un seul instant une livre de pain, ou buvant d'un seul trait une pinte d'eau ou de lait. Elle était habituellement très resserrée ; et ses urines, quelquefois rares, d'autres fois abondantes, étaient toujours claires et limpides comme de l'eau.
Durant trois mois, elle a eu tous les jours pendant deux, trois, quelque-
fois quatre heures, des aiiaques dans lesquelles j'ai observé tous ces sym-ptômes divers. La iuiit elle était ordiuaireineiif tranquille, dormait un peu et n'avait presque jamais d'aeccs. Ces accès variaient sans cesse; aucun ne ?,e ressemblait paifaiiemeiit. Souvent d'inie iiiiiiiite à l'autre il survenait des cli-^ngemenîs coinidérables. A l'étounVment succédait quelquefois une irri-taliun générale de la telò, puis une exaltation des idées Tort remarquable^ »
§ 2. — AT T A II ij E 1) E G R A N D S MO L' \ E M K N T S OU AT T A Q U E DE CLOWN ISME.
Dans l'attaque démoniaque, que je viens d'essayer de dé-crire, la deuxième période, qui en fait presque tous les frais, se trouve surtout représentée par un de ses éléments, les altitudes illogi lues ou conforsions. Les grands mouvements n' occupent qu'un rang secondaire. Par contre, il existe une auti^e variété de l'attaque hysléro-épileplique également créée aux dépens de la deuxième période, mais composée surtout de la phase des grands mouvements. Cette variété constitue en génétTil ces sortes d'at-taques mixtes qu'on ne saurait rapporter ni à l'hystéro-épiiepsie ni à la petite hystérie ou hystérie vulgaire. En effet, la période épi-leptoïde y est peu ou poini représentée, et toute la crise consiste en mouvements, souvent dîme violence extrême, s'exécutant sui-vant un certain rythme ou dans le désordre le plus complet. Il s'y joint des cris, des pi'opensions à mordre et à déchirer, et parfois l'accès devient furieux. D'autres fois, l'attaque de gi^ands mouve-ments n'a tien d'effrayant et se compose presque exclusivement de salutations, de sauts et de culbutes varices, qui rappellent les exer-cices des acrobates, et justifient le nom cVattaqucs de clownisme qu'on peut leur donner.
Plusieurs fois nous avons obsei^é ces sortes d'attaques chez Gen... La péiiode é[iileptoïde était réduite à quelques convulsions partielles de la face; puis les grandes salutations, les cris, quelques mouvements désordonnés, interrompus quelquefois par un arc de cercle de courte dm^îc, composaient tout le reste de l'accès. Les accès étaient séparés par une sorte de sommeil, pendant lequel de
t. Claye, de Chartres, Journal de Corvisart, tome XV, n. 416.
VIOLENCE DES «GRANDS MOUVEMENTS»
ADelaliaye et E,Lecrosnier,
légers signes de tète, quelques mouvements des lèvres, semblaient révéler la présence d'une liailncinalion. Au milieu de ce calme, quelques mouvemenls convulsifs de la face indiquaient le retour de l'agitation.
Pendant cette variété d'attaque, la perte de connaissance n'est pas complète. Quelques malades ont môme pleinement con-science de leur état, cl, au sortir de l'accès, affirment n'avoir pu, malgré tous leurs efforts, maîtriser leur agitation. Quand elles ont pu y arriver pendant quelques instants, elles n'ont abouti qu'à provoquer bientôt une crise plus violenie.
Les exemples de celte variété de la grande attaque ne sont pas . rares, puisqu'on peut y rr.ttacher la plupart des cas un peu in-tenses de l'hvstérie vidi'aire.
J'en rapporterai quelques observations.
L'année dernière un docteur d(3 province écrivait à M. Charcot au sujet d'unejeune malade dont les violentes attaques convulsives lui faisaient redouter l'existence simuliance de l'hystérie et de l'épi-lepsie. Nous trouverons dans le récit du D'" X... un exemple d'hys-térie intense, ou d'hystéro-épilepsie (suivant le sens restreint (jue nous attribuons ici à cette dénomination) dans laquelle les attaques se sont principalement bornées aux phénomènes de la deuxième période.
Mademoiselle X est âgée de 16 ans. Eiîe est née à La Havane de père fran-çais et de mère espagnole. Le père et la mère sont morts depuis deux ans. Le père est mon à l'àge de cinrjuante-dcux ans de la fièvre jaune ou d'un ictère grave. J'ignore la cause de ia mort Je l:i mère.
La malade a été réglée à treize ans. Dès l'àge do onze ans, ses seins étaient d\jà développés. Aujourd'hui elle a l:i t:uile et l'aspect d'une jeune fille de vingt ans. Depuis l'étabhssement des règles, celles-ci n'ont janiais fait défaut ; elles apparaissent tous les vingt-six jours, elles durend. trois jours, le sang est bien coloré. Elles se sont établies pendant la traversée, à la suite de coliques très vives. Depuis elles ne sont pas trop douloureuses.
Depuis l'àge de huit ans, cetti; enfant est sujette à des altaqucs nerveuses. Quel caractère avaient elles à La Havane? je ne saurais le dire, elles ne de-vaient guère différer de ce qu'elles sont aujourd'hui; je vais essayer de les dépeindre.
La malade sent l'approclie des attaques; elle en est prévenue par une sensation de constriction au niveau de l'estomac, suivie immédiatement de celle d'une boule qui vient comprimer la gorge. Cette sensation se renouvelle plusieurs fois, la face devient congestionnée et la malade tombe suffoquée, les poings serrés, le pouce en dessus; les muscles des membres et du tronc sont raidis, tantôt dans un état tétanique, tantôt dans un état clownique, se traduisant par des coups de pied, des coups de poing, des mouvements du bassin en avant, et nécessitant de la placer dans une chambre capitonnée. Les pupilles sont dilatées, les yeux ne sont pas convulsés en haut. Les pu-pilles sont insensibles à l'action de la lumière. Les piqûres d'épingles sur diverses régions du corps ne sont pas senties. Pendant tout le temps de l'at-taque le pouls est très calme.
Lorsque l'attaque est terminée la malade ne se souvient de rien. La main gauche reste quelquefois fermée pendant huit, quinze ou vingt jours.
Il y a deux mois, les deux mains sont restées fermées pour la première fois, aujourd'hui elles sont libres. Les atia(|ues ne sont jamais suivies de fièvre, elles laissent après elles à peine un petit malaisB.
L'intelligence est assez vive, le caractère est très doux. Depuis deux ans qu'elle est en France, elle parle bien la langue française, et elle est devenue assez forte en musique. Les attaques ne semblent pas coïncider avec l'apparition ou la cessation des règles. La malade est restée une fois cinq mois sans rien ressentir.
Les parties génitales ne présentent rien d'anormal. Il n'y a pas de vers intestinaux.
Ilammond'î^ rapporte un cas d'hystéro-épilepsie dans lequel les convulsions consistaient en mouvements de tout le corps absolu-ment semblables à ceux que nous avons observés souvent chez nos malades et particulièrement chez Ler... Nous les avons re-présentés fig. 50.
Les accidents variés consignés dans l'observation suivante et que le D'Kennedy rapproche de la danse de Saint-Guy, relèvent évidemment de la grande hystérie, et les manifestations diverses dont se composaient les attaques deviennent un exemple foii
J. « Chez une femme que j'ai vue il y a plusieurs années à l'hôpital de Pensyl-vanie, dnns le service du docteur Pepper, les convulsions consistèrent en une série de mouvements rapides, produits pendant que la malade était au lit, le dos en extension forcée comme dans l'opisthotonos; la tête et les talons seuls tou-chaient le plan du lit; puis, quand les muscles se relâchaient subitement, les fesses retombaient avec force sur le lit. Ces contractions se répétèrent avec ra-pidité et sans interruption pendant une heure ou plus, et elles furent suivies d'une période de détente pendant laquelle la malade riait et pleurait alternati-vement. » {Loc. cit. p. 911.)
remarquable de l'extension et de la variété dont sont susceptibles les « grands mouvements » de la deuxième période.
A. M., jeune personne de treize ans, de forte constitution et ordinaire-ment bien portante, fut prise, le 10 juin 1830, de quelques accidents nerveux analogues aux symptômes de la danse de Saint-Guy. Deux semaines auparavant, elle avait un peu de constipation et se plaignait de céphalalgie frontale. Les accidents nerveux débutaient soudainement, commençant par un aura qui remontait des orteils jusqu'à l'abdomen : il y avait un, deux ou trois spasmes de hoquet, puis un balancement latéral de la tète et du cou; dans ce premier temps, le corps était penché, la partie antérieure des cuisses relevée vers l'abiiomen, le front incliné sur la face postérieure de l'avant-bras droit, qui était maintenu au poignet par la main gauche. Après être restée pendant quelque temps dans cette position, tout à fait insensible aux agents extérieurs, ne se réveillant ni aux cris poussés au-tour d'elle, ni aux pincements, ni aux secousses les plus fortes, elle s'agitait dans toutes les directions, se pelotonnait, souvent se mettait la tète en bas, les pieds en l'air et appuyée contre le mur. La figure était alors rouge, gonflée, anxieuse. La respiration s'arrêtait un instant; puis c'étaient des soupirs bruyants et saccadés. Tantôt elle se renversait en arrière, ou, flé-chissant fortement la jambe, elle faisait toucher ses talons aux protubérances ischiatiques; d'autres fois, elle se baissait tout à fait, ou battait le tambour sur son oreiller avec une inconcevable rapidité; elle dansait sur les genoux, agitant les mains comme une folle. Le plus souvent elle avait l'air colère, quelquefois désappointé et comme dans le désespoir. Trois fois, pendant une attaque, elle tourna rapidement sur ses genoux ; puis elle saisit avec les mains le bord de son lit, comme pour en détacher un morceau, et ne pou-vant y réussir, elle le mordit avec ses dents.
Tels étaient les principaux phénomènes de cette étrange affection. Du reste, l'accès fini, la malade n'avait plus conscience de ce qui s'était passé. Les attaques étaient au nombre de quatorze à quinze; elles com-mençaient avec assez de régularité vers huit heures du matin, et revenaient à des intervalles plus ou moins courts jusqu'à dix ou onze heures du soir. Il n'y en avait point pendant la nuit. La durée d'un accès variait de vingt mi-nutes à une demi-heure, et, dans les derniers temps, d'une heure à une heure et demie, quelquefois deux heures'.
La violence des « grands mouvements » dans l'observatlGn sui-vante, ne le cède en rien à ce que nous avons nous mêmes observé.
l- D"' Kennedy. Edinburgh, med., and surg. journal, judlet ti^38; Arch. gén. de med., 'ò^ série, t. iv, p. 'iiÒ. Cité par Landoazv. Traité complet de lliiistérie. Taris 1846, p. 53. t .t
Il s'y joint des accès de rage terrible, des envies de mordre, de dévorer.-.. Ces phénomènes qui sont ceux ôc la seconde péiiode, composent d'abord, à eux seuls, les ott.iques dont la dui^ée'cst de quinze à vingt heures. Lorsque la maladie diminue d'intensité, ces mouvements convulsifs qui ne diu^enl plus qu'une heure ou deux, sont suivis de rêves et d'une phase de délire...
Mademoiselle de Serrière, de Sarre-louis, âgée de dix-sept ans, d'un tempéi-ament sanguin, vivo et robuste, eut, dans le courini, de no-vembre 17i)4-, à La suite d'une longue syncope, après une sa'gaée au bras, im accès de vapeur si cofisiiicrable, qu'il fut suivi, à Tinstant, d'une para-lysie complète depuis La ceinture jusqu'en bas. Les remèdes usités en pa-reil cas ayant été sans effet, on Leuvoya aux eaux de Bourbonne le 23 jinvier suivant; elle logea clipz moi.
Elle n'eut, depuis son premier accident jusqu'à ce jour, aucun accès va-poreux.
Sa paralysie était à un si haut degré, qu'elle était insensible à une épingle enfoncéiî profouilément dans sesjimhes et ses cuisses.
Deux jours après son arrivée, elle l'ut mise à l'usage des eaux eu boisson : le troi.^ième jour qu'elle en but, «lie eut, sur le soir, un serrement à la gorge, qui fut aussitôt suivi de perte de connaissance, accompagnée, tantôt de ho-queis très violenis, tantôt de ci'is très aigus et perçants, cniiu de mouve-ineuls convulsifs si terribles, que quatie honiiues eurent peine à la contenir sur son lit : cet accid^;nt dura quinze heures.
Depuis ce jour, qui était le 28 janvier, les mêmes symptômes reparurent tous les deux ou trois jours, avec la môme violence, la malade éprouvant de plus, dans les muscles de la respira ion et du bas-ventre, q lelqiiel'ois les plus rudes secousses. Dans ces instants le diaphragme se levai! et s'abaissait avec une telle vitesse, que la poitrine imitait très bien alors le mouvement d'une vague fortement agitée par la tempête. Uae autre fois, elle ouvrait de grands ytmx, fixait quelqu'un, et tout à coup se précipitait dessus comme pour le dévorer. Si, en cherchant à l'éviter, quelques-uns de ses vêlements lui tombaient sous la main, elle ne les quittait pas qu'elle n'eût emporté la pièce. Celle triste et cruelle siluation durait des dix-Imil, vingt heures, pentlant lesquelles elle aval! quebpies courts momenis de rémission, et revint à peu près dans le même ordre jusqu'au 12 de mars.
De[)uis cette époque jusqu'au 15 avril, les accidents s'éloignèrent, furent moins longs, et ne revinrent que tous les cin(|, six ou huit jours. Leurs commencements étaient alors en tout semblables aux autres; mais une beuî'e ou deux après, les mouvements convulsifs cessaient comme par en-chantement, et étaient suivis de rêves, dans lesquels elle racontait toutes
ses aiTaircs particulières et domestiques, et tout ce qu'elle avait vu ou en-tendu les jours précétlenls*.
En oulrc des convulsions variées qui composent ordinairement la deuxième période (mouvements iTthinés des membres, soulève-ments en arc de cercle,...) une malade dont l'observai ion a été rapportée par Motlard exécutait des mouvements d'une agilité et d'une adresse surprenantes, qui rappellent ce qui se passe parfois chez les somnambules. L'attaque débutait par une phase d'as-soupissoînentaveci^aideur de tout le corps et grincement des dents, qui rcpiTsetile la période épileptoïde.
Toute la série de ces accirlents bizarres pouvait cire provoquée ou arrêtée par de légères frictions à l'épigastre.
... Au milieu d'une conversation animée, d'un amusement, livrée à un travail ou même immobile spectatrice de ce qui se passe auiour d'elle, celte jeune fille, âgée de douze ans, commence à bâiller; son aspect prend une teinie particulière; elle soupire, chancelle, perd ses forces, ne sait |)lus ce qu'(dle veut, C(; qu'elle fait; accuse des douleurs aux jambes, à la nuque, enfin à l'épigastre; agite son bras droit sur sa lète, comme u:i p3til!on fai-sant chiquer son fouet. Elle délire, et, si elle a mangé de[)uis |teu, il lui sur-vient (les nausées, des vomissements de mucosités d'abord, ensuite de matières plus ou moins digérées. Elle vacille, tombe, s'assoupit et cherche a se relever, puis retombe encore et s'assoupit de nouveau, tend ses membres qui deviennent d'une raideur tétanique, grince les dents, pousse un soupir et se lève avec vivacité, s'agite en tous sens; ses forces et sa dexiérilé de-viennent prodigieuses en s'agittnt. Elle court, s'élance, bondit, saute, monte, grimpe, di'scend avec une surprenante adresse, une élonuante agi-lité; elle dtne sur une table, sur un bâton pl.icé transversalement, sur le dossier d'iinc chaise, sur les épaules, sur la tète d'un iioiume, et ne [lerd pres-que jimais ré(iuilibrc. Le pouls bat 130, son œil est fixe, le regard fa-rouche, la pupille dilatée. Elle ne connaît personne, n'ententi plus rien, elle voit, mais n'observe pas; elle est insensible aux piqûres, au feu même; elle frappe, se lieurle et ne se pl dut pas. Elle a souvent soif et crie : « A boire, sœur; » elle saisit la coupe, boit il'une matière convulsivo, et semblable à l'hydrophobe, elle rejette ce'te coupe avec horreur. Elle se repose quelques minutes et recommence, puis elle caresse, rit, aboie, se mord et recom-mence encore. Quebpiclbis elle se jette à terre, frappe alternativement des bras et des jambes; son corps s'arque tantôt devant, tantôt derrière; d'autres
1. Gliovalier, Journal de médecine, auUiTO, t. xxxiii, p. 30.Cité par Landouzy, loc. cit. p. (iO.
fois ces mouvements ne se font que d'un côte, l'autre semblant paralysé. Le mal cède graduellement, elle tombe affaiblie, mais ne sue pas, malgré ce travail et l'extrême chaleur de l'étable; elle soupire, étend les bras, de-mande à boire, à se coucher. Son sommeil est troublé par intervalles, il lui semble, dit-elle, « avoir au gosier un corps qu'elle no peut avaler; » elle est agitée par des soubresauts, des mouvements convulsifs qui se calment, et après une heure tout est fini. Le pouls bat 120; à son réveil elle éprouve un peu de fatigue qui disparaît bientôt pour faire place à la parfaite trauquil-lité de ses sens. Ses attaques sont irrégulières : tantôt deux fois par jour, tantôt une, et c'est l'ordinaire; quelquefois les accès ne reviennent que tous les jours; d'autres fois ils laissent un intervalle de huit jours, sans que rien puisse expliquer ces irrégularités. La durée moyenne des accès est d'une heure. Mais, ce qui m'a le plus surpris, c'est de pouvoir lui faire venir l'attaque et de la faire disparaître à volonté. De légères frictions pratiquées sur l'épigastre, pendant une ou deux minutes. suffisaient pour l'endormir pendant deux ou tiois autres minutes, et tout se suivait comme il a été dit. Les mômes frictions, exercées pendant trois ou quatre minutes, le lui faisaient cesser; alors, ce que j'appellerai sa convalescence, était plus pénible, plus longue. Elle se portait bien, mangeait de bon appétit et ne se plaignait que d'une douleur légère à la nuque, suivie de rots qui la soulageaienU...
Sous le titre de chlorose compliquée d'accidents nerveux des plus curieux, le Dagron a publié dans les Annales médico-psycholo-giques de janvier 1844, une observation fort intéressante qui nous paraît devoir être classée parmi les faits de grande hystérie, avec attaques se rapportant à la variété dont il s'agit ici. Voici un ré-sumé de cette longue observation :
Louise Alonier, âgée de dix-sept ans, taille élevée, cheveux noirs, sys-tème musculaire développé ; intelligence précoce.
A l'âge de treize ans, pour la première fois (mai 1838), elle donna quel-ques signes d'hallucinations; entre autres, elle revint un jour du champ, où elle était occupée à garder les moutons, en poussant des cris et pleurant avec toute l'expression d'une grande frayeur, hiterrogée par sa mère, elle répondit qu'elle avait vu le fou et qu'il l'avait poursuivie. A quelques jours de là, elle fut prise, pendant le repas, d'un rire inextinguible accompeagné d'une expression bizarre dont les parents furent alarmés.
Peu de temps après, elle rentre précipitamment de la fête d'un village voisin, tout en larmes et disant : on m'a ensorcelée, mes sœurs sont perdues. Le lendemain à cinq heures du matin elle était prise de convul-sions étranges. On était au deuxième dimanche de mai 1838.
1. Moltard, Gazette méd. de Paris, année 1836, p. 762. Cité par Landouzy, loc. cit. p. 57.
Ces crises se répélèrent régulièrement pendant huit jours, cinq ou six Cois par jour en commençant bien régulièrement à cinq heures du malin.
A partir de ce jour, la malade cosse tout travail. Mélancolie profonde. Horreur très grande pour tout ce qui a trait à la religion ; la vue d'un prêtre lui cause une impression terrible. Un prêtre qui venait fréquemment dans la maison ayant mis son chapeau sur son cotfre, elle en sort tous ses habits et ne veut plus les y metire. Première apparition des règles sans changement notable.
Après un an passé dans cet état de stupeur, le deuxième dimanche de mai 1839 voit reparaître les attaques avec les mêmes caractères que l'année précédente, cessant au bout de huit jours pour se montrer de nouveau au deuxième dimanche de mai 1840, où ils suivirent encore la même marche. La santé s'altère. La malade devient d'une faiblesse extrême. En mai 18il les choses se passent comme précédemment.
En 18i2, M. Lenepveu, médecin à la Châtaigneraie (Vendée), assistait un accès. Voici ce qu'il dit : « La première crise avait toujours lieu très exactement à la même heure. La malade perd subitement connaissance; elle tombe sur le dos, et, dans cette position, tantôt elle repose dans une im-mobilité absolue sur la nuque et sur les talons, le corps étant raide e. arqué à la région des reins; tantôt elle exécute des mouvements alternatifs d'élévation etd'abaissementdu bassin, puis elle se relève précipitamment, et elle se met à faire le tour de sa chambre en marchant sur les pieds et sur la tête, le corps étant penché suivant sa face antérieure; elle semble éviter d'une manière instinctive les obstacles qu'elle rencontre dans cette marche irrégulière. Elle cesse cet exercice pour se relever et sauter perpendicu-lairement et à la même place pendant cinq à six minutes. Elle répète ces diveis mouvements très régulièrement à chaque accès, et pousse pendant ces divers exercices des cris plaintifs exprimant la douleur. Le visage est pâle et contracté, le pouls petit et serré ; les sens sont insensibles, et la plus scrupuleuse attention n'a pu me laisser supposer qu'il y eût rien de simulé. La crise cesse subitement; la malade répond alors aux questions (pii lui sont adressées, et dit ne pas avoir conscience de ce qui vient de se passer; elle éprouve bien un peu d'anhélation, mais qui n'est point en rapport avec la violence de l'exercice auquel elle vient de se livrer, et durant lequel il faut plusieurs personnes pour la contenir. »
Peiidanl cette aiinée 1842 les crises se manifestèrent tous les mois pen-dant huit jours.
En 1843 (27 juillet), l'état s'aggravant de plus en plus, elle entre à l'hos-pice des aliénés de Fontenay (Vendée).
Les crises continuent avec les mêmes caractères et résistent à une médi-cation antispasmodicjue des plus puissantes. Son aversion pour les prêtres persiste. Elle ne peut souffrir les religieuses de l'hospice. Elle est dans un état de faiblesse extrême. On constate les signes d'un état chlorotique très accusé.
Mais, sous rinducrice d'un t'ailcment ferrugineux les accidents s'atncndent peu à peu et funsscnt par disparaître complèteuieul vers la fin de la uième année.
Son aversion pour les prêtres diminue. Si elle a si grand peur de ces gens là, » c'est qii'un |)réire (pi'elle d-'^signclui am'in|ué gravement lors de sa prt niière communion. Elle se pl lît dans la société des religieuses.
A sa sortie de l'établissement, 7 octobre 1813, la malade est grasse, forte, colorée, les règles sont plus atiomlanîes, il îfy a plus de bruit de souille au cœur ni dans les artères. La raison est intacte; elle n'a rien oublié de ce qu'elle a ap()ris étant eid'aut; sa haine pour le prêtre iju'elle désigne n'est plus aussi Ibrte ; elle se conlen e, dit-elle, de le mépriser. Les accidents convulsifs n'existent plus.
Les exemples qui précèdent suffisent ])Our montrer les formes nombreuses et variées que peuvent revêtir les « grands mouve-ments » de la deuxième période. En tenant coinpte, en ouire, des synq:)tôines étrangers aux attaques, des circonstances qui otit pré-sidé à l'éciosion de la maladie, du mode d'évolution des phéno-mènes convulsifs, etc., on arrivera le plus souvent à une apprécia-tion plus juste d'une foule d'accidents nerveux bizarres que les auteurs jusqu'ici se sont contentés de ranger, sous des dénomina-tions variées, parmi les curiosités de la science, et qui, étudiés avec plus de soin, trouvent leur place tout naturellement |)arnii les ma-nifestations variées d'une même névrose, la gi^ande hystérie.
Je ne ferai que signaler ici les « attaques de cris », hurlements, aboienienis, raiaidetnents, glapissements, gloussements, grogne-meiits, coassements, etc.. qui évidemment se rappix)chcnt de ce que nous observons dans la seconde période de la grande attaque. On pourrait rapprocher de ces cris d'anituaux, les bruits imitatifs tels que ceux que Math... exécute avec ses dents et ses lèvres et qui imitent le bruit d'une locomotive en marche.
« Ces cris, dit Briquet,ont lieu de temps en temps et à des époques plus ou moins rapprochées, de telle sorte que, chez quelques ma-lades, ils ont lieu atout instant, tandis que chez d'autres, ils ne se produisent qu'une ou deux fois par jour. Quel(]ues femmes ne les ont que de loin en loin, comme elles atiraient une attaque de nerfs; enfin dans quelques cas, ils sont périodiipies. »
GILVPITRE m
variété pau modification de LA troisième période. — attaque d'attitude passionnelle. — attaque d'eXTASE.
Le type de cette variété de l'attaque hystéro-épilepfique est re-produit artificiellement en quelque sorte par les inhalations d'étlier.
Sous l'intluence de la respiration des vapeurs d'éther, la malade Toit appiuaître les halkicinations qui composent habituellement la troisième période de son attaque. Sans passer par la période épi-leploïde et par celle des grands mouvements, elle entre d'emblée dans la troisième période et exécute les poses plastiques qui répon-dent à son hallucination; ce qui montre bien que nous avons afTaire ici à un fragment d'attaque, provoqué seulement par l'éther, c'est que la compression de l'ovaire suspend immédiatement l'hal-lucination et ramène la connaissance, laissant la malade dans un état d'ébriété qui persiste, comme effet direct de l'action de l'éther.
(( Lors des premières expériences tentées sur les inhalations d'éther, M. Laugier ayant fait respirer à une jeune iille de dix-sept ans qu'il devait amputer de la cuisse, un mélange d'air et d'é-ther, cette jeune fille, d'un esprit mystique, tomba dans une véri-table extase. Réveillée après l'opération, elle se plaignait d'être revenue parmi les hommes, et rapporta que pendant son sommeil elle avait vu Dieu et les anges! » (Maury, Revue des Deux Mondes, 1860, t. XXV, p. 696.)
Quand l'attaque se produit spontanément, les attitudes passion-nelles sont, de temps à autre, interrompiics par quelques phéno-mènes épileptoïdes,souventpeu accusés. Marc... nous offre souvent
des exemples de ce genre d'attaque. Les poses plastiques les plus variées durent parfois sans discontinuer pendant une demi-heure; puis une distorsion des traiLs, quelques battements de paupières, un grincement de dents, quelques grands mouvements toniques à peine esquissés, marquent le début d'une nouvelle attaque, et les poses plastiques récommencent aussitôL La seconde phase, grands mouvements et contorsions, n'-existe pas.
L'iniluence de l'éther sur les attitudes passionnelles elles-mêmes est de les prolonger ; chaqueatti tude dure beaucoup plus longtemps ainsi qu'on le remarque dans les attaques complètes qui sur-viennent quelquefois à la suite des inhalations d'éther.
Parmi les observations d'extase que l'on trouve dans les auteurs, un grand nombre présente tous les caractères de Yattilude pas-sionnelle.
Les principaux traits de l'extase sont ainsi tracés par Michéa :
Absorbés dans les objets de leur contemplation, les extatiques sont tantôt silencieux et immobiles, et tantôt ils parlent, ils chan-tent, ils gesticulent, ils prennent des attitudes en rapport avec les idées, les sentiments, les images dont ils subissent l'empire. Plus rarement et exceptionnellement ils se déplacent.
Les sens sont le plus souvent abolis, la sensibihté générale est ordinairement complètement éteinte.
Le visage reste ordinairement coloré, le pouls, toujours percep-tible, est souvent accéléré. La respiration s'efíectue d'une façon normale. IWlbis elle se ralentit un peu. La peau conserve habituel-lement sa chaleur. Parfois cependant les extrémités deviennent l'roides.
Plus la sensibilité générale ou spéciale s'émousse, plus l'idée-image gagne en énergie, plus elle se rapproche de Vhallucination, à laquelle elle finit par aboutir. Les hallucinations sont des plus variées et en rapport avec les idées et la manière de vivre des extatiques.
En sortant de leurs accès, notamment des paroxysmes de l'extase mystique, certains sujets accusent une grande vigueur corporelle, ils continuent à éprouver un contentement, une quiétude d'esprit
indicible et parlent avec ent/iousiasme de toutes les visions déli-cieuses qu'ils ont eues et dont ils regrettent la trop courte durée ^
Tels sont les caractères de l'extase qui autorisent le rapproche-ment que j'établis en ce moment. Mon intention n'est pas de faire ici l'histoire de toutes les extatiques célèbres, et je n'ai point la prétention de les réduire toutes aux mêmes proportions afin de les faire entrer exactement dans le môme cadre. L'extase est le plus souvent un état complexe, fréquemment associé à des phé-nomènes morbides de diverse nature. Les auteurs ont distingué entre l'extase profane, l'extase mystique, l'extase cataleptique, l'extase somnambuiique,... l'extase morbide et l'extase physiolo-gique ^ Je ne conteste point que l'extase ne puisse se trouver en dehors de l'hystérie, de môme que la catalepsie et le somnambu-hsme que nous étudierons plus loin. Ce que je désire faire res-sortir ici c'est qu'il existe une extase hystérique, qui n'est autre chose que l'attitude passionnelle dont nous avons précisé plus haut les caractères, et que cette attitude passionnelle, fragment détaché de la grande attaque hystérique, est comme le fond commun sur lequel viennent se grouper les manifestations variées, bizarres ou extraordinaires qui donnent à un grand nombre de faits d'extase leur caractère merveilleux.
L'extase, d'après l'opinion généralement admise, complique assez souvent l'hystérie. Zimmerman, dans son Traité de Fexpé-rience, parle d'une dame douée de beaucoup de sensibilité et de tendresse, qui éprouva dans sa jeunesse des accidents hystérique's. Quelquefois cette dame cessait de parler; elle se sentait embrasée d'un amour divin, confondu avec un amour mystique, savourant le charme de baisers imaginaires.
1. Michca. N. D. de méd. et de cliir. prat. ArL Extase.
2, Brierre de lioismoiil distingue l'extase physiologique et l'extase morbide Dans la prenùère classe, il range les prophètes, les saints, les philosophes, plu-sieurs personnages illustres, dont les extases n'ont été que le résultat de leui's profondes méditations, l'illumination soudaine de leurs pensées, une intuition extraordinaire. Dans la seconde catégorie rentrent les faits dont il s'agit ici.
Piesse est du même avis.
Par contre, Michéa, Daillarger, Moreau de Tours considèreni, l'extase comme loujouis morbide.
kicher. 21
Il y il longtemps d'ailleurs qu'on a l'ait la remarque que les emmes hystériques ont des visions, des hallucinations à la manière des extatiques ^
(( Les attaques d'extase, dit Briquet, peuvent se produire de deux manières; quelquefois elles sont précédées par les préludes ordi-naires des attaques de spasme ou de convulsions hystériques, de sorte que l'extase n'est qu'un des incidents de l'attaque; d'autres l'ois les malades tombent brusquement en extase sans aucun pro-drome.
•i)..... En somme les hystériques sont susceptibles d'arriver, par
l'excitation des attaques, à un maximum de puissance intellectuelle, comme elles peuvent, dans les convulsions, arrivera un maximum de puissance musculaire. »
Il ne nous sera pas difficile de montrer, par quelques observa-tions, les connexions étroites qui existent entre l'extase et les attitudes passionnelles.
Le plus souvent, lorsque chez nos malades l'attaque hystéro-épileptique se trouve réduite à sa troisième période, les attitudes passionnelles s'y montrent nombreuses et variées. Mais il peut arriver que cette troisième période ne se compose que d'une seule attitude passionnelle, ainsi que nous l'avons parfois ob-servé chez quelques-unes de nos malades et principalement chez Gen... Chez cette dernière malade l'attitude revôiaii alors les traits les plus frappants sous lesquels Oii a coutume de figurer les extatiques.
Une attaque des plus remarquables de ce genre a été recueillie par M. Bourne ville.
Extase. — G... est assise : tantôt la tèle garde une altitude presque naturelle; les yeux sont légèrement dirigés en haut, les mains jointes repo-sent sur le lit; c'est raUitude de la prière: — tantôt, la léte est un peu penchée en arrière; — d'autres fois, enfin, l'altitude est celle que l'on aitribue aux lUtiminées, comme saitile Thérèse, etc.. D;tns ce dernier cas, la tète est rejetèe en arrière, le regard porlé vers le c'el; la physioiu)mie, empreinte d'une grande douceur, exprime une satisfaction idéale; le cou est
1. lirierrc de Moismout, Des hallucinations, p. 308.
gonflé, tendu ; La respiration paraît suspendue; l'immobilité du corps entier est pour ainsi dire absolue. Les mains jointes, reposant sur la partie supé-rieure de la poitrine, complètent la ressemblance avec les représentations des saints que l'art le plus parfait nous a données.
Quelle que soit d'ailleurs l'attitude prise par la malade, elle la conserve durant dix, quinze, vingt minnles et môme davantage. A la fin, aussi, on ob-sérveles mêmes contractions de la face, les mêmes modifications de la phy-sionomie, le même délire erotique (jui succèdent d'oi'dinaire au délire mé-lancolique. Seulement le contrasie, alors, est beaucoup plus frappant. Eu ef-fet, après avoir assisté à cette extase, dans laquelle la malade est en quelque sorte transilgurée, l'observateur, non habitué encore à ces scènes, reste tout stupéfait en voyant ces contorsions hideuses de la face, ceti 3 expression de lu-bricité extrême que nous avons signalées. En pareille circonstance, la ma-lade laisse retomber son corps sur le lit, relève sa chemise, écarte les cuisses; — ou bien, s'adressant à l'un des assistants, elle s'incline brus-quement vers lui, disant : c( Embrasse-moi !... Donne-moi... Tiens, voilà mon... » Et ses gestes accentuent encore la signification de ses paroles \
Je rapprochei^ai des extases de Gen..., les attaques de crucifie-ment de Ler... rapportées par le même auteur.
Crucifiement. —Les attaques dont nous avons parlé jusqu'ici consütuent de véritables altaques démoniaques. Celles que nous allons décrire, et qui sont très rares, ont un caractère tout à fait opposé. Nous les désignerons sous le nom d'attaques de crucifiement. Elles sont précédées d'ordinaire par de l'agitation, un hoquet fatigant et des mouvements de déglutition. Bientôt, la tétese porte en arrière, les bras s'étendent, le tronc se raitlit, les jambes de-viennent rigides. Alors, le crucifiement est complet. Voici les caractères qu'il présente :
D'une façon générale, immobilité complète de la face, du tronc et des membres. La tète est rectiligne, fortement portée en arrière; les paupières sont entr'ouvertes et parfois animées de mouvements convulsifs très rapides; elles laissent voir les globes oculaires, qui sont immobiles, portés en haut et en dedans. Les muscles des mâchoires sont contractures et les arcades den-taires, distantes d'un centimètre l'une de l'autre, ne peuvent être ni rappro-chées, ni écartées.
La face antérieure du cou, arrondie, comme gonflée, est soulevée momen-tanément par de bruyants mouvements de déglutition. Les muscles du cou sont durs, tendus.
Lq?, membres supérieurs, très contractures et étendus perpendiculaire-ment au tronc, sont en croix ; les mains sont fermées et les doigts fléchis sivioletnment sur la paume des mains qu'il est impossible deles allonger.
1. rourneville et llegnard, lac. cit., Observ, Gen..., t. L p. 70.
Le tronc est légèrement incurvé, de telle sorte que sa face postérieure est concave et que le ventre, par conséquent, est un peu projeté en.avant. Les membres inférieurs sont rapprochés, allongés, les orteils sont fléchis, crochus.
En un mot, la rigidité est si accusée qu'on pourrait soulever le corps tout d'une pièce comme une barre de fer.
Ces attaques durent quelquefois six ou sept heures, ha descente de croix s'effectue peu à peu. Les membres qui, pendant l'attaque, étaient pâles, presque froids, deviennent bleuâtres et chauds; les avant-bras se fléchissent, puis s'étendent comme si la malade se détirait. Elle porte les mains à son cou, qu'elle déchirerait si on ne la surveillait. Elle a un hoquet qui se précipite de plus en plus. La tète se fléchit. L... semble se réveiller d'un songe : « Où suis-je? » Elle se soulève, s'assied, se lamente : «J'étais si bien là-haut, dit-elle... C'était si beau! » Enfin, elle se plaint d'être fatiguée, courba-turée.
Lorsqu'on demande à L... de raconter ce qu'elle a vu, sa physionomie revêt une expression de bonheur : « Elle était dans le ciel au milieu d'une lu-mière éblouissante. Partout il y avait de la mousse, des petits saint Jean, des moulons frisés, des diamants qui brillaient, des dessins, des tableaux, des étoiles de toutes les couleurs... Notre-Seigneur a de longs cheveux bouclés, une grande barbe rouge; il est beau, grand, fort, tout en or. La sainte Vierge est dorée. Notre-Seigneur lui a parlé, mais elle ne peut se rappeler ses paroles. Elle n'a pu lui répondre, tant elle était émue. »
Elle gémit et paraît regretter de ne plus avoir ses visions K
L'observation suivante, rapportée par M. Duboisay sous le titre de délire extatique éclatant tout à coup dans le cours d'une gros-sesse à la suite d'une émotion morale, nous paraît rentrer dans les faits que nous étudions en ce moment. Elle peut être considérée comme une attaque d'hystérie dans laquelle les deux dernières périodes ont pris un développement exagéré et insolite, mais tout en conservant leurs principaux caractères.
Ch..., passementière, âgée de vingt-deux ans, est entrée à la Salpètrière le 31 mai 1857.
D'après les renseignements qui nous ont été donnés, cette jeune fille n'avait jamais présenté aucun signe d'aliénation mentale. Elle était laborieuse, intelligente, et jusqu'il y a trois mois, avait toujours mené une conduite par-faitement régulière.
A cette époque, Ch... se laissa séduire par un jeune homme, qui, depuis
j. Bourneville et Regnard, loc. cit., Observ. Ler., t. 1, p. 22.
longtemps, lui faisait la cour. Bientôt elle s'aperçut qu'elle était enceinte; elle en fit part à son amant, mais celui-ci la reçut très brutalement, s'em-porta contre elle, la frappa et liuit par la mettre à la porte, en la prévenant que si jamais elle lui apportait l'enfant, il le jetterait par la fenêtre.
Ch..., (jui depuis longtemps était sujette à des attaques de nerfs, et que son état de grossesse rendait encore plus impressionnable, eut aussitôt mie crise nerveuse très violente, et immédiatement après on vil éclater le dé-lire.
Pendant huit jours encore elle resta chez une amie, mais elle refusait toute espèce d'aliments, ne dormait plus, s'enfuyait sans cesse de la maison. On fut donc forcé de la conduire à l'hospice. Le lendemain de son entrée, cette jeune fille se présente à nous dans l'état suivant :
La figure est altérée, le regard inquiet, tous les membres agités par un tremblement convulsif; la malade, complètement étrangère à ce qui se passe autour d'elle, est plongée dans une sorte d'extase.
Par moments, elle prononce quelques mots entrecoupes : « Adolphe, Adolphe... il a dit qu'il viendrait... ne jette pas l'enfant par la fenêtre... il va venir tantôt... Adolphe... ne le jette pas. » —Elle se lève, s'approche de la fenêtre, regarde au dehors, et, à voir la terreur qui se |)eint sur ses traits, son attitude épouvantée, ses gesles suppliants, on ne peut douter qu'elle n'assiste réellement à la scène de meurtre dont la seule pensée lui a fait perdre la raison. Elle semble même entendre la voix de la personne qu'elle attend, fait quelques pas pour aller à sa rencontre; mais tout à coup elle re-tombe sur elle-même, se met à fondre en larmes, et redit encore en sanglo-tant : « Ne jette pas l'enfant par la fenêtre... Adolphe... il m'a fait bien c'u mal... » Et de sa main elle montre le creux de l'estomac.
En vain clicrclie-t-on à la rappeler à elle-même par les questions les plus pressantes, par des impressions externes même douloureuses; elle est sourde, insensible, aveugle; elle est tout entière absorbée par les souvenirs qui l'ob-sèdent, par le spectacle affreux que son imagination lui représente.
Pendant deux jours, cet état d'agitation extatique se reproduisit d'une ma-nière presque continue; mais dès le troisième jour, un changement notable se manifesta.
Le visage était devenu plus calme, le tremblement convulsif des membres avait diminué, les conceptions délirantes s'étaient affaiblies; la malade reve-nait peu à peu au sentiment de la vie réelle : on pouvait momentanément fixer son attention et obtenir quelques réponses.
Les jours suivants, l'amélioration continua. Ch... se mit d'elle-même à travailler. Elle répondit raisonnablement aux questions qui lui furent adres-sées, parla de sa grossesse et put préciser la date exacte de sa dernière époque menstruelle. Par instants encore elle divaguait, et au mouvement de ses lèvres on pouvait reconnaître qu'elle parlait seule; mais son délire, de-venu intermittent, n'était plus que passager. Enfin toutes les conceptions dé-lirantes se sont dissipées, elle 16 juin 1857, Ch..., paraît complètement gué-
rie; elle esl rcdcvenne calme, laborieuse, pariaitement raisonnable ; il ne lui reste plus qu'un peu de tristesse.
On continue encore pour quelques jours le traitement qui a été prescrit dès le début : du fer réduit, du vin de (|uinquina et des affusions froides.
Cet accès de délire extatique est remarquable par son mode d'invasion et par la forme qu'il a revêtue. Cli... éprouve une très vive émotion, et immé-diatement elle perd la raison. C'est une menace de mort contre son enfant qui a été la cause de sa (blie, et l'impression qu'elle a ressentie se reflète sur toutes les illusions engendrées par l'extase. Ce n'est que dans des cas assez rares que le délire apparaît aussi iustardanément, et surtout qu'il conserve ainsi l'empreinte de la cause qui l'a produit.
A voir, à entendre Cli..., alors que nous n'avions encore aucun renseigne-ment sur son compte, ou pressentait que derrière son délire il y avait quelque événement grave. En observant ses accès d'extase délirante, on se rappelait involontairement la manière dont les auteurs dramatiques ont représenté la folie sur le théâtre, en donnant comme la règle ce qui n'est que l'exception '.
Le D' Sanderet a publié l'observation d'une jeune fdle extatique; tout particulièrement intéressante à notre point de vue. Cette malade âgée de dix-sept ans commença par avoir des crises hys-tériques nettement caractérisées. Au bout d'un mois les attaques convulsives se modifièrent. Il survint des accès de sommeil qui duraient douze heures, et à la suite desquels elle affirmait avoir vu le paradis, puis de véritables attaques d'attitudes passionnelles ainsi qu'on le peut voir par l'intéressant récit que nous a laissé cet auteur.
Dans le village de A^oray (Haute-Saône), à 12 ou 13 kilomètres de Besan-çon, vit une jeune fille, Alexandrine Lanuis, âgée de dix-sept ans, d'un vi-sage sans caractère saillant, l'air simple, doux et bon, et qui, jusqu'aux ac-cidents que je vais indiquer dans leur ordre de succession, n'avait attiré l'attention |)ar aucun côté. Elle appartient à des parents pauvres; elle vivait du travail de ses mains et aidait sa mère dans les soins du ménage. Eu un mot, suivant l'expression du curé, c'était un jeune fille parfaitement insigni-fiante.
x\u mois de février 1850, cette jeune fille fut affectée d'une pleurésie du côté gauche. Traitée et guérie, elle essuya, vers la fin du même mois, une rechute qui exigea de nouveaux soins, et fut suivie bientôt d'accès de fièvre,
t. Annales médico-psychologiques,Vavis 1858, t. IV, p. i28 et suiv.
intermittente d'abord, quotidienne, puis tierce, accès qui cédèrent après une résistance de quinze jours au sulfate de quinine.
Il n'élait pbis question de cetie maladie, lorsqu'au commencement de juin survinrent des attaques de nerfs, des accidents hystériformes, crises qui se répéiaient vingt ou trente fois dans la journée, et ne duraient que quelques minutes. La malade perdait connaissance et se livrait en cet état, à des mouvements désordonnés, qu'à peine plusieurs personnes suf-fisaient à maîtriser. Ces nouveaux phénomènes ne durèrent que quelques jours et disparurent pendant l'emplui des antispasmodiques.
A la fin de juillet commencèrent les extases. Je décrirai bientôt un de ces accès, dans lequel je l'observai. Je n'indi(|u:; en ce moment, que les faits essentiels; chaque accès était régulièrement périodique; elle dormait pen-dant douze heures; la veille était de vingt-quatre heures. Tontes les pré-cautions conseillées par le médecin, mouvements, danses, distractions, repos, efforts musculaires, étaient inutiles; l'atlaque arrivait et se terminait irré-vocablement au moment fixé. Déjà elle disait elle-même quand venait l'accès : je vais partir, et, revenue à elle, elle annonçait qu'elle avait vu le para-dis. Déjà, alors aussi, elle récitait des'prières, psalmodiait des chants pieux, rien au delà.
Au bout de douze jours, ses voyages étaient finis. On avait employé les bains froids.
Les détails qui précèdent ont été fournis par M. .lennin jeune, médecin fort intelligent, qui habite le village de Voray, et qui a donné ses soins, dès le premier jour, à Alexandrine Lanois.
Six semaines après, au mois d'octobre, les attaques avaient reparu, mais l'ordre des phénomènes élait interverti; l'accès était de vingt-quatre heures, la veille de douze lieurcs seulement. C'est alors que, passant dans le village, je fus prié par une jeune dame de visiter cetie fille miraculeuse. Il était près de quatre heures du soir; je devais me bâter, me dit-on, si je voulais voir la malade à l'état de veille, parce que ses accès arrivaient à quatre heures. Je courus; j'entrai dans une chambre étroilc et sombre, encombrée de curieux, lorsqu'on me dit qu'elle venait de partir. Je regardai ma montre, il était quatre heures deux minutes.
Elle était dans son lit, le visage parfaitement calme, l'œil fermé, la pau-pière animée d'un mouvement incessant, tes membres souples et retombant doucement et sans effort, quand on les soulevait; la respiration était égale, régulière; le pouls fréquent.
Ses mains étaient rapprochées et presque jointes sur sa poitrine. Après quelques minutes, elle les unit dans un frottement doux et lent. Elle va chanter, me dit sa mère; et en effet, elle commença un cantique, d'une voix pleine, vibrante, sans elforr, d'une voix qiion ne lui connaissait pas, et quoique son chant conservât les traditions villageoises, il y avait incontes-tablement dans son faire un sentiment assez viL Le cantique achevé, et il fut assez long, Alexandrine reprit son immobilité. La paujDière que je souleva
me montrait l'œil qui fuyait rapidement la lumière; ces tentatives répétées amenèrent des larmes au coin externe de l'œil gauche. A ce moment aussi je la pinçai avec force; elle ne parut rien sentir; je lui enfonçai dans la main une forte épingle : même résultat; Vi7ise7isibilité était complète.
Quelques instants s'écoulèrent. Puis la malade fit des mouvements qui avaient évidemment pour but et qui eurent pour résultat de refouler les cou-vertures au pied du lit. Elle va se lever, me dit sa mère. En e/f'et, avec une force pleine de souplesse, et même de grâce, elle se souleva sans Vaide de ses mains, s'assit d'abord, puis sans déranger un pli de son jupon blanc, elle se dressa dans l'espèce de niclie ou d'encadrement formé par les ri-deaux; sa tête était légèrement inclinée à gauche et en avant; les deux bras pendants s'écartaient du corps ci leur partie inférieure, et les mains étaient renversées, la paume tournée en avant; la jambe gauche était un peu infléctiie et le bassin légèrement incliné.
En cet état, elle offrait très exactement l'altitude d'une image ou d'une statue de l'Immaculée Conception, très répandue dans notre pays, et par-tout, je crois, car elle est classique. Je ne puis donner de son air une idée plus précise qu'en rappelant cette image, et vraiment elle posait avec un naturel parfait. Alexcrndrlne récita alors plusieurs prières; mais au con-traire de son chant, sa parole était rapide, confuse, et je ne pus comprendre ce qu'elle disait.
Je soulevai plusieurs fois, et successivement les deux bras, jusqu'à l'angle droit; ils redescendaient doucement, et par un mouvement égal, continu, plus précis que si la volonté l'avait ménagé, les mains reprenaient leur position. Plusieurs fois j'essayai de rapprocher invariablement l'avant-bras du corps, d'incliner la main en dedans; la statue reparaissait toujours. Enfin, elle se replia sur elle-même, et avec une allure irréprochable, s'étendit dans son lit et reprit son immobilité, pour recommencer quelque temps après les mêmes mouvements.
La malade a paru fatiguée des diverses épreuves que je lui ai fait subir; son front était en sueur, et sa mère s'étonnait, comme d'une circonstance nouvelle, de l'expression de souffrance que portait son visage. Je passai ainsi une heure auprès d'Alexandrine.
La mère qui semblait se soucier peu du miracle, car elle avait besoin du travail de sa fille, l'aînée de sept enfants, me pria do m'en occuper et d'essayer sa guérison. Mais la malade avait annoncé, depuis plusieurs jours, que ces crises cesseraient le samedi (je la voyais le jeudi). Je refusai donc d'inter-venir, promettant mon concours pour le cas où les attaques se continueraient au delà du terme fixé.
Le dimanche, je retournai à Voray, pressé par un sentiment de curiosité que chacun comprendra. Les extases étaient finies; Alexandrine était éveillée-Elle me dit que ses attaques ne reviendraient point de quelque temps, sans me donner un terme. Je la questionnai sur ses voyages au ciel, lui demandant ce qu'elle avait vu... Elle avait vu le bon Dieu qui était tout blanc, disait-
elle; les anges, etc., et le ciel étail d'or et d'argent. Cola fait peu d'Iionneur à sou imagination. Et, en effet, éveillée, cette fille ne me parut que simple, douce, timide, assez bornée, et par conséquent sans artifice^.....
L'extatique de Fontet, dont l'histoire a été rapportée par MM. Maïuiac et Verdalle, doit trouver sa place ici. C'est un exemple d'extase mystique développée chez un sujet et au milieu de circon-stances qui ne permettent aucun doute sur la véritable nature de la maladie. Je ne partage cependant pas complètement l'opinion de MM. Mauriac et Verdalle qui pensent qu'une partie des phéno-mènes observés chez l'extatique de Fontet est simulée et que son extase hebdomadaire se compose d'une succession de crises main-tenues dans un ordre constant par l'influence de la volonté. A l'aide des notions que nous avons acquises sur la grande attaque hystérique, je pense rendre à ce fait extraordinaire sa véritable signification, en rapprochant les attaques d'extase de cette variété spéciale de la grande attaque d'hystérie, composée d'une série d'attitudes passionnelles.
Marie Bergadieu, dite Berguille, est née en 1820 à Loupiac, (tiironde). Mariée cà l'âge de 21 ans. Plusieurs enfants dont un seul vivant, un fils âgé de 16 ans. Elle n'a jamais cessé de se livrer aux rudes travaux des champs. Sa sauté a été relativement bonne. Vers 16 ans, signes d'hystérie. Plus tard hallucinations nocturnes terrifiantes de nature démonopathique. A la suite delà mort de sa fille en 1871 elle eut, pendant plus d'un an, des visions, la nuit, qui lui représentaient sa pauvre fille.
Vers 1873, gastralgie. Vomissements opiniâtres pendant plus de deux mois. Elle est guérie subitement par l'usage de l'eau de Lourdes. Ensuite elle a des visions, voit la sainte Vierge, fait des prédictions sur le retour d'Henri V, etc.
Enfin c'est en 1875 que MM. Mauriac et Verdalle furent témoins de l'accès extatique dont voici la description :
« Berguille reste ainsi tranquille, étendue sur son lit, pendant tout le temps que nous l'examinons. Mais ses yeux deviennent de plus en plus fixes; le regard de plus en plus vague. Elle dirige les yeux en haut sur le bois du lit. En ce moment le pouls a de 68 à 72 pulsations.
» A 1 h. 3 min., commence l'extase. Le pouls est monté à 80. Elle joint les
1. Sanderet. Union médicale, 1851,18 janvier. Annales médico-psychologiques, p. 317.
mains sur le devant de la poitrine; le regard devient tout à fait fixe, les yeux sont grands ouverts; ses lèvres remuent; elle semble murmurer des prières. On remarque de fréquents mouvements de déglutition. Une lumière est approchée de la pupille : elle est très contractile, et un peu di'aiée; les membres sont raides, mais nous remarquons qu'ils se laissent détléchir assez aisément, puis se redrcasent tout d'un coup, comnnî par une délente brusque. La température a sensiblement baissé aux exirémilés; les mains et les pieds sont pâles et froids comme du marbre, tandis que la face et le cou sont chauds et injectés.
» 1 h. G min. Le pouls monte à 8-4. Les yeux semblent fatigués : Hs s'in-jectent et deviennent larmoyants; mais ils sont toujours fixés on haut et lar-gement ouverts. C'est à peine si, de temps en temps, nous remarquons un léger clignement.
» 1 b. 8 min. La malade laisse tomber sa tête sur l'épaule gauche; même état.
)) 1 h. 9 min. Elle se soulève assez maladroilemet, avec une sorte de ba-lancement d'un côté à l'autie et s'agenouille sur son lit : les mains restent jointes, les yeux toujours fixes.
)) Alors commence la Passion ou le chemin de la croix. Jusqu'à 1 h. 47 m. c'est-à-dire pendant les trente-six minutes qui vont suivre, la malade va imiter les diverses scènes de la passion, changeant douze fois de position et faisant ainsi à genoux le tour de son lit, tombant trois fois aux inter-valles voulus, le visage contre terre, et arrivant ainsi à 1 h. 47 m., au point d'où elle est partie. Pendant tout ce temps les yeux restent absolument fixes et grands ouverts. Voici ce que nous observons durant cette période :
)) 1 b. 10 m. Les bras sont saisis d'un trendjlement marqué, analogue à celui qu'on remarque dans les muscles fatigués par des contractions pro-longées. Nous mettons sous le nez de la malade un flacon d'ammoniaque concentré : l'odorat est émoussé, mais pas tout à fait anéanti, car elle semble suspendre sa respiration comme pour éviter uneodeur désagréable : les mouvements de déglutition, si fréj|uents tout à l'heure, s'arrêtent pen-dant l'expérience, et reprennent plus vite aussitôt après; en même temps les yeux sont pris de clignements plus accusés, quoique peu sensibles en somme, et deviennent larmoyants. La pupille est toujours contractile. Cette expérience a été répétée un certain nombre de fois, et a toujours produit le môme résultat négatif.
» Berguille ne répond pas aux questions qu'on lui pose, et semble insen-sible aux bruits extérieurs. Cependant, l'un de nous se glisse derrière elle sans qu'elle s'en aperçoive et pousse un cri très fort, elle tressaille légèrement.
))La peau paraît insensible aux piqûres,aux pincements. Notons cependant que la présence de la famille nous gène beaucoup dans les expériences que nous voudrions faire à ce sujet.
)) 1 h. 40 m. Pouls à 100. Déglutition accélérée.
)) 1. 43 m. Berguille est arrivée au terme de sa course; elle fait sa dernière
station et se trouve dans la même position qu'au début. Los bras tombent deux fois de suite et reprennent leur position première. Nous voulons, à ce momcid, examiner le fond de l'œil à l'aide de l'ophtlialmoscope, mais la ma-lade cliange de position, et cela nous devient impossible.
» 4 11. 47 m Le chemin de la croix est fini : le crucifiement ya commencer.
» Tout d'un coup, la malade se rejette en arrière, se couche sur le dos, étend le bras de chaque côté et demeure immobile. C'est le moment le plus intéressant. Mais citons un fait avant d'aller plus loin : elle se couche aussi maladroitement qu'elle s'est levée, et toujours avec ce mouvement de balan-cement (pie no'is avons déjà fait remarquer.
» Encore une observation : malgré .son apparente insensibilité, elle semble faire grande attention à ce que ses jupes et ses draps soient arrangés d'une façon convenable; elle les dispose avec les mains dans l'ordre le plus ré-gulier : ce ne sont pas de ces mouvements brusques qu'on s'attend avoir. Nous croyons que notre remarque n'est pas sans quelque importance.
» Voici la série des phénomènes que nous observons
» Le pouls est à 112.
n Nous com|)tous 100 respirations par minute. Les muscles du thorax semblent paralysés; ils ne se contractent pas; la poitrine est immobile. Le dia[)hragme fait à lui seul tous les frais de la respiration. On voit le ventre et surtout l'épigastre se soulever et battre avec une rapidité étonnante. L'expi-ration est très bruyante, comme soufflante.
» Les yeux sont fermés et semblent fuir la lumière. Nous soulevons la pau-pière et nous avons de la peine à voir la pupille; l'œil se rejette en haut immédiatement.
» Les membres sont dans l'extension forcée, très raides ; il faut déployer une grande force pour parvenir à les faire ployer. L'extension forcée des orteils amène une courbure très marquée en avant.
)) La température semble remontée : nous disons semble, parce que nous n'avons pas malheureusement de thermomètre pour constater exactement les variations. Mais la peau devient chaude.
» 1 h. 49 m. 84 respirations, 84 pulsations.
» Nous essayons à ce moment de voir où en est la sensibilité cutanée. Elle est absolument abolie. Ni pincements, ni piiiùres ne font tressaillir la ma-lade. Nous lui appliquons sur l'avant-bras gauche les réophores d'un appareil électrique très fort au bisulfate de mercure : les muscles se contractent énergiqiiement ; les extenseurs et les fléchisseurs sont également influencés, mais la patiente ne bouge pas, n'a pas un tressaillement, ce qui prouve à l'évidence, que la sensibilité cutanée et la sensibilité musculaire sont tout à fait anéanties.
« 1 h. 50 m., pouls à 70. La respiration est suspendue pendant 45 s. ' 1 h. 58 m. Même suspension de la respiration.
' 1 h 59 m. La respiration devient saccadée, la (-léglutition très fréquente. » 2 h. Le pouls est tombé à 70, la respiration à 72.
» Nous sommes obligés de parlir à notre grand regret; mais la crise doit durer jusque vers 6 heures; il nous est impossible de demeurer plus long-temps. Nous prions M. G..., qui reste là, de prendre quelques notes et de nous les envoyer. En voici le résumé :
» La crise a duré jusqu'à 6 h. 7 m., et pendant tout ce temps Berguille est restée à peu près dans la même position; elle ne s'est soulevée à peine qu'une ou deux fois. Les yeux sont toujours restés fermés. La respiration a repris peu à peu son Ibnctionnement normal, elle est devenue thoracique.
)¦ Le pouls bat encore 70 pulsations à 3 h. 30., mais il baisse peu à peu à 4 b. 30 m., et n'offre plus que 5G pulsations, puis il se relève et à la fin de la crise il est à 70,
» De temps en temps la malade fait un effort pour se lever ; alors elle remue les bras et entr'ouvre les yeux. Le regard est terne, voilé.
»Vers 5 h., elle commence à parler : elle chante le salve regina. Sa pre-mière parole est celle-ci : « oh! que de tristesse ! » puis viennent des phrases entrecoupées peu intelligibles.
» Pendant ce monologue, Berguille a les yeux grands ouverts : elle les fixe en haut, mais les tourne souvent de côté et d'autre, comme si elle cherchait quelque chose.
» Enfin, à 6 h. 7 m., elle s'assied sur son lit, se tourne du côté de la che-minée qui est chargée de statuettes, d'images, de chapebits, et elle se met à contempler ces objets. A ce moment, parait-il, elle voit la Vierge; ses yeux se remplissent de larmes. Elle prie et parle d'une façon peu intelligente. Au bout de quelques instants elle se recouche, et tout est oublié : Berguille est entrée dans le monde des vivants. On lui présente des gâteaux qu'elle mange et elle parle aux personnes qui l'entourent.
» Une demi-heure après, elle se lève et aussitôt se livre aux vulgaires tra-vaux de la cuisine.
» Le lendemain satnedi, la voyante a repris son train de vie ordinaire, et faisait, dans la matinée, 12 kilomètres à pied pour aller assister à la pre-mière communion d'un de ses neveux^ »
Les exemples qui précèdent suffisent pour faire voir le dévelop-pement que peuvent prendre les attitudes passionnelles de la ti'oi-sième période de la grande attaque hystérique. Je me réserve de revenir plus loin sur certains faits extraordinaires d'extase.
Je renvoie également au chapitre des Yariétés de l'attaque par immixtion de symptômes cataleptiques, l'étude des faits que les auteurs ont désigné du nom d'extases cataleptiques.
1. Étude médicale sur rextatiqne de Fontet, par E. Mauriac et H. Verdalle. Paris 1875, p. 25.
CHAPITRE
IV
VARIÉTÉ PAR MODIFICATION DE LA QUATRIÈME TÉRiODE. ATTAQUE DE DÉLIRE.
Le délire de la quatrième période, avec les caractères variés que nous lui avons assignés, peut acquérir une importance exagérée aux dépens des autres périodes, s'isoler même complètement et constituer ainsi une variété de la grande attaque dont nous allons nous occuper maintenant.
Griesinger décrit sous le nom de folie hystérique aiguë les accès délirants dont nous parlons :
(( Dans la première forme (forme aiguë), ce sont des accès aigus de délire et d'agitation allant quelquefois jusqu'à la manie; elle se développe à la suite des attaques convulsivcs ordinaires de riiystérie; mais dans certains cas ces attaques sont très légères, quelquefois même l'accès de folie semble remplacer l'attaque con-vulsive, qui manque complètement; la même chose s'observe pour Fépilepsie. Ces accès de manie s'observent parfois déjà chez de très jeunes filles; elles crient, elles chantent, battent leurs com-pagnes, leur disent des injures; quelquefois elles ont un délire fu-rieux, elles font des tentatives de suicide, elles ont une surexcita-tion nymphomaniaque, ou bien elles ont un délire religieux ou démoniaque, ou enfin elles se livrent à des actes extravagants, mais encore cohérents \ »
Afin de mieux faire ressortir la nature vraiment hystérique de certaines attaques de délire qui, par l'absence de tout phénomène
1. Griesinger. Trailé des maladies mentales. Traduction du D'- Doumic, p.. 215.
coovulsif paraissent s'éloigner de la grande névrose, j'ai divisé en deux catégories les observations recueillies à ce sujet :
a. Duns la première, les attaques de délire s'accompngnent de phénomènes hystériques qui appartiennent aux autres périodes de l'attiique et dont la présence est comme le sceau de la grande névrose.
h. Dans la seconde, les attaques de délire se montrent indépen-dmument de tout autre phénomène hystérique.
§ 1. — ATTAQUES DE D É E 115 E S ' A C E 0 Al P A G N A N T DE QUEEQUES PHÉ-NOMÈNES APPARTENANT AUX AUTRES PÉRIODES DE l'ATTAQUE
Dans cette catégorie, la véritable nature des accidents ne saurait échapper. On voit se joindre aux troubles cérébraux, soit la stran-gulation avec les phénomènes douloureux de l'aura hysterica, soit une période épilcptoïde, complète ou écourtée, soit quelques grands mouvements ou contorsions do la deuxième période, soit des atti-tudes d'extase qui caractérisent plus particulièrement la troisième période. La variété qui résulle de ces diverses combinaisons ne connaît pour ainsi dire pas de bornes. Toutefois il est des types plus communs, et celui qu'il nous a été donné d'observer le plus souvent chez nos malades, résulte de la réunion des troubles psy-chiques et des phénomènes épileptoïdes de la première période, soit que ceux-ci précèdent l'attaque délirante, ou l'interrompent de temps à autre.
Nous avons rapporté plus haut (page ^28) l'histoire d'unejeune lîile de quinze ans dont les attaques d'hystérie consistaient prin-cipalement en accès délirants précédés d'une phase épileptoïde.
Gen..., après un léger accès épileptoïde, se met souvent à faire des discours d'ordre religieux, sur le ton le plus (emphatique et le plus exalté. Elle déplore son passé, demande pardon à Dieu, excite les autres à la piété et à la pénitence. Elle entre souvent dans un délire de mémoire qui n'en finit pas. Ce délire n'a pas la même fixité que les attitudes passionnelles, il varie plus facile-
ment, et change suivant la disposition d'esprit et les circon-stances présentes au miheu desquelles vit la malade.
Très souvent Marc... a des attaques pendant lesquelles elle ré-pète toutes les chansons de son répertoire, qui parait inépuisable. Elle accompagne de balancements de tete et de mouvements des bras son chant, à peine interrompu de temps en temps par quel-ques phénomènes épileptoïdes.
En voici un exemple :
20 fév. 1878. — Marc... qui se tient debout près du poêle, causant avec la surveillante du service, me regarde h mon arrivée dans la salle avec des veux étianges. Elle ne paraît pas me reconnaître. Puis tout d'un coup, sans mol dire, elle se dirige vers la porte ; on l'arrête ; c'est le début de son attaque.
On s'em|resse de lacouchcr. Elle délire : «Midemoiselle Dut... je souffre, soignez-moi... dans le ventre... j'étouiïc... » Elle cause avec volubilité des internes, des médecins, etc. De temps à autre le délire est interrompu par une petite attaque épileploïde marquée par l'arrêt de la respiration, la turgescence de la face, la convulsion des yeux, le grincement des dents, l'écume à la bouche, les grands mouvements toniques des membres et un court tétanisiue. Le tout ne dure que quelques instants. Le délire au contraire se prolonge, il porte sur soii passé, sur son présent, sur les mé-decins, donnant de chacun d'eux une ajipréciation différente. Elle veut donner son corps au médecin, plutôt que de le vendre, ou de le laisser enterrer. Dans un cimetière, les chiens et les gens y viennent faire des incongruités. «J'aime mieux être dans un bocal, c'est bien plus digne!... » etc.
Après cette dissertation un peu lugubre, ses idées prennent une autre di-rection. Elle chante : « Si j'étais roi de Béotie... etc. », à lafaçon d'une per-sonne ivre. ï^uis : « Ah ! je ris de me voir si belle... etc. »
Ce dernier morceau est interrompu par un accès épileptoïde de courte durée semblable à celui que nous avons déjà indiqué. A peine terminé les cliants reprennent : « Oui c'est moi qu'il a choisie... etc. » Elle se démène tout en chantant, elle fait des gestes, bat la mesure, exécute des fioritures. « Oui c'est moi qui l'a choisi, Ei-iiest!... Te rappelles-tu quand lu me chantais : Ne parle pas, Bose,... );
A ce moment ses membres se contracturent, mais elle ne perd pas connais-sance. Ce sont les crampes généralisées de la quatrième période qui com-mencent à apparaître. Sa voix tremble, elle est interrompue par instants, elle n'en essaye pas moins de continuer ses chants : «Puis... que j'ai... rais... nia... lè... vre... à ta... cou[)i'... en... core... pleine... etc. » Mais elle s'im-patiente : « Oh! je ne peux j imais chanter ce qu'il me chantait. » Tout d'un •^oup elle tourne la fêle à gauche, sa figure prend une expression horrible «le dégoût et de colère : « Vieux B... pourceau!... »
Ce tableau dure peu; elle revient à ses chansons. Les contractures ont cessé, « Si tu veux tous les deux,., etc, » Toute la romance y passe. Elle s'interrompt parfois, ses traits prennent une expression lubrique et elle laisse échapper cette exclamation : Oh! si j'étais garçon.
Les crampes généralisées et douloureuses reparaissent, ramenant Marc,,, au sentiment de la réalité. Elle se plaint : « Oh! là là.,, mademoiselle Bot,., Syd... soulagez-moi,,, »
L'attaque continue ainsi offrant un mélange de contracture, de délire de paroles, de chansons, et de retours momentanés à la raison, jusqu'à 4 heures du soir. Les contractures devenant alors de plus en plus doulou-reuses et persistantes, on soumet la malade aux inhalations de chloroforme.
Gl... à la suite de ses attaques entre dans un délire de paroles qui se prolonge quelquefois. M. Bouimeville.a conservé la relation d'une longue attaque de ce geiu-e, qui n'a pas dui^é moins de deux jours entiei^s. — J'en rapportei^ii quelques extimts, parce qu'ils montrent bien les caractères de ce déîii^e dont le sujet est puisé dans les émotions du passé et les préoccupations du présent ou de l'avenir. Gl... s'entretient tour à tour avec son frère Antonio et avec ses deux amants Emile et Georges.
9 juillet iSll. — L... \ a été tranquille liier et cette nuit; la contracture n'a pas reparu ; mais les attaques ont commencé à 9 heures 1/2. Nous voyons L..., à il heures : elle est dans le décubitus dorsal. Les cheveux sont rejetés en arrière; les paupières s'abaissent et se relèvent; la physionomie exprime le mépris, la colère, L..., se soulève à demi :
(( Et je ne te vaux pas?... Tu n'étais pas digne d'être aimé!... » Elfroi : « Les rats au derrière!... Ils me mordent!... Maman! » Elle rejette brusque-ment les bras, découvrant ainsi les fesses, a Chameau! Pignouf! Vaurien! » Elle reprend sa position primitive : (c Et tu continues? »
Nouvelle attaque; puis le délire reparaît, L..., croise les bras, semble ré-fléchir; puis elle les décroise, sa physionomie exprime la menace :
« Sale bête! Pignouf!... Est-il permis?... » Elle se cache la figure avec les mains, croise les bras, menace de la tête : « il m'en fait faire du mauvais sang!... J'it^ai sitôt que je pourrai... Tu m'envoies des grenouilles. » Elle ouvre la bouche, y introduit la main comme pour en retirer quelque chose : c( Il ose encore! En a-t-il du toupet? Prends garde! (bis) Tu oses venir à la Salpêtrière (bis)... La prochaine fois que tu viendras? (menace)... Pour moi tu ne devrais pas y venir... Iniàme! Lâche!... Tu es un liomme capricieux... Mes parents m'en ont dit... Tu qualifies les vices d'un voyou. »
Repos; les bras sont croisés.
1. Gl... est ici désignée parla première lettre de son nom de baptême.
(c Toi qui aimes tant la fille ! (Allusion à son père) » L... fait des signes de la tête, air de mépris : « De quoi?... Tu es une mère infâme !... Et mon père t'a pardonné!... Tu es une sale femme, tu es une femme mondaine. » (Elle pleure, se couvre le visage avec les mains). « S'il était permis de battre sa mère, je te battrais... si je voulais... Puis, je te dis quelque chose. Tiens, flûte! Sale bête!... Je le dirai à papa... Ant..., il est meilleur que toi, il te jouera des tours... Quand papa l'a souffleté parce qu'il l'avait trouvé avec une fille... Je ne coucherai pas ici ce soir... Sois tranquille... Je lui appren-drai... Je ne le dis pas à d'autres pour ma réputation, sans cela!... Tu te figurais que je voulais rester novice toute ma vie!... Tu sais bien ce qui te pend au nez... S'il t'a fait noire à mes yeux, il n'a fait que son devoir... Maman! Vas-tu finir?... Il me met des rats dans le derrière! »
Effroi, elle se retourne; repos.
« Ton garçon t'en fera des tours aussi... Tu crois que je n'ose pas te re-garder en face?... Tu ne viens pas me voir... Si je ne me sauve pas, c'est pour papa, sans cela je sauterais les murs... J'ai agi comme une innocente, dit papa... Toi, tu m'as donné l'exemple... Je ne comprends pas que tu dises que je tombe du haut mal... Je suis contente de te voir, pour avoir des nouvelles de papa; mais, au bout d'un quart d'heure!... Et tu ne veux pas que je te dise tes vérités... Chaque jour que tu viens, tu pleures... Tu crois que j'irai chez toi?... Flûte!.., La police?... Alors je raconterai tout... Tu as beau t'aniéliorer maintenant, il est trop tard... Tu dis que je gâte le ménage... Je te renie pour ma mère... Ne m'envoie pas des rats!... Des crapauds! Des crapauds! »
L... a peur; elle pleure; demande qu'on retire ces animaux, se débat. Nous comprimons la région ovarienne droite; elle revient à elle, cause natu-rellement; mais après un répit de 3 ou 4 minutes, les paupières palpitent, la malade devient immobile, le regard est fixe; les bras se croisent et sans avoir eu ni période épileptoïdc ni période clonique, elle retombe dans la période du délire; il s'agit donc là d'attaques constituées uniquement par la troisième période et annoncées, comme on le voit, par les modifications, les changements de la face qui surviennent d'habitude au début des attaques complètes.
« Compte sur moi, j'ai ton amitié... Tu m'as dit que tu me guérirais... Moi, je te jure que je n'ai rien dit à la Salpêtrière... Je voudrais bien savoir qui a.pu te le dire?... Une vieille femme?.-. On ne me l'a pas demandé... L'autre, je le dirais bien; toi, non, il n'y a pas de danger. » (Repos) « Qu'est-ce que tu veux, c'est digne d'elle... » L,.. converse avec son amant, le rassure au point de vue de la police, car il paraît inquiet. « Écris toujours à l'adresse que je t'ai donnée... Pour avoir une sortie de la Salpêtrière, je ne l'aurais pas... Des désagréments? » (geste de mépris). Puis elle fait des projets d'éva-sion. « Seulement deux mois sans avoir de crises, et je me tire des pieds. » {Hepos, L .. s'asseoit). « Tu paies de toupet jusqu'ici... Sale bête... Emile tii n'es pas gentil... Oh! sale cochon! Cochon! » (Repos). « Oh! comme il IV CHER. 22
faut se fier aux hommes! » (Elle se débat). « Oh ! des paons ! leurs queues!... Je neveux plus de paons... Oh! Emile, Emile! » {Elle se débat de nouveau; repos). « Je t'en supplie, renvoie cet homme qui a une fille de vingt-deux ans! Comment tu n'en es pas jaloux!... Tu veux encore que j'aille avec lui?... Ça me surprend des choses comme çà?... Tu n'es pas jaloux?... Tu l'es tou-« jours figuré que j'en avais un, rue des Saints-Pères. Tu te figures que j'en ai six à quinze ans... Les paroles s'en vont, les écrits restent... Dans des mo-ments, doux comme un mouton, dans d'autres, furieux comme un lion... »
10 juillet. —L... a bavardé sans cesse depuis hier sans avoir d'attaques, et son bavardage continue encore : c'est un véritable délire de paroles.
« Quand cette chose-là est arrivée, il méritait la prison... Et pour de l'ar-gent!... Ce n'est pas une mère infâme? c'est de la canaille... J'ai fini aussi par croire que mon père était lâche... Un an après... J'ai bien fait... Il fallait bien que je me rattrape, la première fois j'avais tant souffert!... Cochon!... Et tu viendrais dire après cela que maman avait raison! Écoute, tout cela c'est des tourniquets (?), qui n'en valent pas un... Ça ne signifie rien. » (C'est à son frère qu'elle parle). « Mais tu allumes le feu auprès de maman... Emile, ne t'en mêle pas, je t'en supplie... Tu en as assez sur le dos... Ne me démens pas, je te fiche une giffle! »
Elle s'arrête, regarde, soupire. Elle interpelle Emile, présent avec son frère et se disculpe des reproches qu'H lui adresse.
(( Dis-le moi!... Veux-tu me le dire? Pignouf! Il faut que tu sois ignoble. Tu crois donc ce garçon plus que moi... Je te jure que ce garçon n'a jamais mis la main sur moi... Ah! est-ce vrai ou pour me taquiner?... Finis... Et quel jour?... Dis-moi tous les détails... Il m'a embrassé, puis il m'a cha-touillé... je l'ai mis à sa place. »
Nous revoyons la malade dans l'après-midi : elle est toujours en conversa-tion avec ses « Invisibles ». Décubitus dorsal, les paupières sont fermées, L... a la camisole. Puis, la face devient grimaçante; L... se débat violem-ment, dit : (,( C'est impossible! » Repos, se tortille. « Cochon, je te fiche une giffle ! » Repos, les yeux ouverts, fixes, les pupilles dilatées, regard ef-frayé, cris d'effroi. L... se débat. Repos. Elle regarde à gauche, est effrayée de nouveau, se retourne à droite, disant : « Non! non ! C'est une affaire ter-minée, ne m'en parle plus. »
L... se débat : « Sale marchin!... Mon Dieu que tues bêle pour un gar-çon... Pourquoi suis-tu l'exemple de Georges... Ne m'agace pas, je te fiche
une gifflc. (C'est à son frère Ant..., qu'elle s'adresse). Nous sommes entre nous deux, si tu ne me dis pas la vérité! (Menace)... Bis, ou je te fiche une giffie. )) — Repos : « Puis? (Écoute comme si elle enlendail une explica-tion). Et c'est tout? Tu vas me dire la vérité, ou une giffle... (Soulève la lête, menace). Tu entends ce que je te dis, sois franc une fois dans ta vie... Co-chon!... Mais ce sera ton tour bientôt... Maman est lunatique, capricieuse... Et quand elle t'a dit cela, tu ne lui as pas jeté une bouteille à la figure? Tu m'en contes des mensonges... Tu es un lâche... lu as peur de ta sœur, d'une gosse!... Tu ne seras jamais capable d'être soldat... Et tu lui as laissé dire cela! Continue (air et ton impératifs). Dis-le-moi tout de même! (Elle parait écouter attentivement ce que lui raconte son frère). Et puis?... Eh bien ! tant mieux! papa va le savoir, et (die en recevra des camouflets... Tu as les yeux de maman... Je n'en suis pas jalouse, j'ai papa pour moi... Tiens, je vais te donner une giffle! (Elle est en colère et fait le geste). Tu pleures? Va-t-en je te fiche des coups de pieds. . Ma petite sœur.,. Tu pleures! Je voudrais que Georges te voie. Que tu es bête... Je ne te le dirai pas... Tu es trop jeune pour que je te confie des secrets. » (Écoute)
Durant celte longue attaque de délire, la température a suivi les oscilla-tions ci-après : le 9, T.R. 38°; — le 10, matin, 37°,8; soir, 38%4.
On a sondé la malade à 5 heures (10 juillet) et on a retiré une grande quantité d'urine. — La sécrétion vaginale est très abondante, et très fétide.
De 6 à 7 heures du soir, L... a crié et a été très agitée; on a du la fixer dans son lit. A 7 heures, elle est revenue à elle et a demandé k boire ^.
Il n'est pas difficile, après ce que nous avons déjà dit, de rap-porter à sa véritable cause les phénomènes singuliers de délire qu'a présentés le jeune malade dont je dois l'observation à mon excellent ami P. Poirier, interne distingué des hôpitaux. La rareté de l'hystérie chez l'homme pouvait rendre le diagnostic difficile. Mais les caractères du délire furent si tranchés que ce cas ne donna lieu à aucune méprise. Le délire en outre s'accompagnait de phé-nomènes appartenant aux autres périodes de l'attaque (grands mouvements, agitation,arc de cercle).
M... âgé de 18 ans, garçon très robuste, richement musclé, tempéra-ment lympliatico-sanguin, a toujours joui d'une bonne santé. Quelques con-
1. Icon. phot, de la Salp., par Bourneville et Régnard, t. II, p. 140.
vulsions dans l'enfance à l'occasion de vers intestinaux : point de syphilis. Il n'existe dans sa famille aucun antécédent d'affection mentale; sa mère très nerveuse a eu longtemps des migraines d'une extrême violence. Il a trois frères bien portants. M... nie énergiquement s'être jamais livré à aucun acte d'onanisme. Les désirs sexuels ont toujours été très violents chez lui; il a commencé à leur donner satisfaction, il y a environ trois ans.
M... a le regard peu franc, les pommettes très saillantes et les commis-sures des lèvres retroussées, donnant à son visage une expression lubrique qui le fait ressembler au type convenu du satyre. Il adore les femmes et se plaît beaucoup dans leur société; loin d'elles il pense à elles, leur fait des vers. Sa mère nousa raconté que, vers l'âge de dix ans, ses sens étaient déjà éveillés : on le surprit un jour voulant faire violence à la nourrice d'un de ses frères. Cependant, pour tout le monde. M... a toujours été un garçon intelligent, qui raisonne fort bien; on s'accordait seulement à lui recon-naître une expression de figure déplaisante de faune.
Au mois de juillet 187... M. quitte le lycée où il faisait ses humanités non sans succès, pour aller passer les vacances dans sa famille qui habite à l'étranger. Ces deux mois de repos furent employés à un commerce amoureux très suivi. Au mois d'octobre, il reprit le chemin de la France et du lycée; mais, obligé de s'arrêter dans un pays voisin, M... s'y laissa sé-duire parles charmes d'une chanteuse de café-concert, avec laquelle il vécut pendant vingt jours, c'est-à-dire jusqu'au moment où sa famille vint le re-prendre de force pour le faire reconduire au lycée. Il rentra à Paris (1" no-vembre), le moral très affecté de la séparation et souffrant d'une blennor-rhagie de moyenne intensité bien qu'elle fût la première.
Les premiers temps de séjour au lycée (où il était interne) ne furent marqués que par une grande tristesse, qui lui faisait fuir les jeux et la con-versation de ses camarades; sa pensée était ailleurs. Puis le huitième jour (8 novembre), il fut pris subitement d'une crise nerveuse qui dura environ un quart d'heure et se renouvela, les jours suivants, à des heures variables, mais toujours avec les mêmes caractères. On le voyait s'arrêter tout à coup ou dresser la tête, les yeux grands ouverts, faire coup sur coup une série de cinq ou six grandes inspirations par le nez et tomber brusquement à terre sans connaissance et en complète résolution. Après 10, 20 ou 30 minutes, il se relevait et reprenait l'occupatron interrompue par la crise, n'ayant gardé aucun souvenir ni aucune trace de ce qui s'était passé. Nous avons assisté à plusieurs de ces crises, et nous en avons vu deux se terminer par un tremble-ment général très court et très léger, sans grands mouvements ni convulsions; nous n'avons remarqué aucun changement de coloration de la face ; jamais la moindre trace d'écume aux lèvres, ni la plus légère morsure à la langue. La circulation et la respiration demeuraient normales; mais la sensibilité générale était complètement anéantie. A différentes reprises, nous avons tra-versé avec de longues épingles toutes les parties du corps sans que le malade accusât, par un mouvement quelconque, la moindre douleur.
A ce moment (12 novembre) nous avons constaté que cette anesthésie existait également dans les intervalles qui séparaient les crises. Le malade qui nous voyait lui traverser les bras avec des épingles, était fort surpris, car il ne s'était jamais aperçu de cette « qualité ». C'est le mot dont il se servait, car jusque-là son intelligence était demeurée entière; entre les attaques, il allait, venait, vivait de la vie commune.
Les jours suivants, les crises continuèrent et devinrent plus fréquentes et plus longues; M... en avait quatre ou cinq par jour et leur durée moyenne était de quinze minutes. Pendant l'une d'elles, nous nous avisâmes d'essayer la compression des testicules : celle du testicule droit nous parut beaucoup plus douloureusement sentie que celle du gauche. Tandis que tout le reste du corps était insensible, la plus légère pression sur le testicule droit déter-minait de grands mouvements généraux et saccadés, mais ne ramenait point la connaissance. Ces grands mouvements s'arrêtaient subitement au mo-ment précis où cessait la pression. Ce n'était point la sensibilité spéciale à l'organe qui était enjeu, mais bien un état d'byperesthésie analogue à l'hy-peresthésie ovarienne des hystériques ; nous insistons à dessein sur ce point, parce que nous nous en sommes assuré à plusieurs reprises.
A ce moment également, nous avons entendu plusieurs fois le malade se plaindre, après les attaques, d'une sensation de constriction à la gorge; il prenait en nous disant cela, son larynx entre le ponce el l'index pour mieux nous montrer où « ça le serrait ».
Le 10 novembre, M .. fut pris vers quatre heures de l'après-midi, d'une crise qui dura environ trois quarts d'heure : il se releva comme d'ordinaire, et se mit à marcher à grand pas dans la chambre, en demandant « si elle allait venir, pourquoi elle n'était pas encore arrivée, puisque le concert était fini ». Il n'avait plus aucune connaissance réelle du monde extérieur; il se croyait là-bas, dans le café qu'il avait récemment fréquenté, et ceux qui l'en-vironnaient (son père, ses amis et moi qu'on était venu chercher précipi-tamment) étaient le patron, les garçons et les habitués de l'établissement. Nous essayâmes en vain de le rappeler à une notion plus exacte de la situa-tion; mais il nous répondit très raisonnablement et par des raisonnements qui s'enchaînaient fort bien en apparence, que nous étions des imbéciles, qu'il n'était pas à Paris, mais à V... dans le café d'Antonia.
Ce délire, qui dura trois jours entiers, fut interrompu par de fréquentes at-taques : par instants le malade s'agitait, lançait les bras et les jambes au hasard, ou bien se levait sur son lit et s'élançait en avant, les bras ouverts, vers un but imaginaire. Il fallut l'attacher sur son lit.
Pendant ces attaques, nous essayâmes de nouveau la compression des tes-ticules : les grands mouvements redoublèrent, et à deux reprises, le malade se mit en arc de cercle, ne reposant sur le lit que par Vocciput et les talons.
Par moments, le calme revenait; M..., se mettait à fredonner les airs fa-voris d'Antonia; puis subitement il s'arrêtait, tendait la tête, écoutait et l^altait la mesure avec le bras. Il entendait certainement sa chanteuse.
Nous n'avons veillé ce malade que pendant une nuit, et nous n'avons pu relever un ordre défini et toujours le même dans ces manifestations soma-tiques et psychiques.
Il ressemblait en tout aux hystériques femmes en état de mal : délire in-terrompu par des crises. La remarque nous en fut faite par un des assistants, étudiant en médecine, et qui nous ^avait tenu plusieurs fois compagnie pen-dant nos gardes à la Salpêtrière.
Comme il était impossible de garder M..., dans la maison de ses parents en raison des dangers qu'il courait pendant ses attaques (car deux ou trois personnes ne suffisaient pas pour le mainteuirdans son lit), nous résolûmes de le faire entrer à Sainte-Anne.
M. Fcrréol voulut bien venir voir notre malade qu'il trouva dans le délire, et nous délivra un certificat portant comme diagnostic : « délire avec at-taques hystériforraes ».
M..., entra à Sainte-Anne (12 novembre) il fut soigné dans le service de M. Dagonet, qui a eu l'obligeance de nous communiquer son diagnostic : « Ce jeune homme est atteint d'une aiTection fort exceptionnelle, c'est une vé-ritable folie ou plutôt un délire hystérique. Il a été pris d'attaques hystériques violentes, à forme paroxystique et d'un trouble des facultés consécutif. Au-jourd'hui (15 novembre), à part une grande impressionnabilité et une dispo-sition à l'exaltation, il est revenu à la raison. Il est difficile de préciser quelle a été la cause actuelle de ces accidents; il est évident qu'ils étaient préparés par sa disposition erotique. A-t-il fait des excès vénériens, ou s'est-il livré à des actes répétés d'onanisme à ce moment, c'est ce qu'il faudrait savoir ».
M... sortit de Sainte-Anne le 16 novembre, revenu à la raison, mais tou-jours sujet à des crises.
Depuis, l'état mental est resté bon; les crises continuent avec les mêmes caractères qu'autrefois. La blennorrhagie est en voie de guérison.
Nous Lavons encore revu en décembre; même état; les crises se pré-sentent une ou deux fois par jour. Le 15, il est allé en soirée, on faisait de la musique (piano), il a eu coup sur coup trois attaques, et est rentré chez lui plus sombre que jamais. L'anesthésie persiste toujours, totale et complète.
Nous avons interrogé les sensibilités spéciales (œil, nez, ouïe) sans relever aucun trouble.
3 janvier. —Nous avons reçu des nouvelles de M,.., qui est maintenant dans son pays. Depuis une quinzaine, il a moins de crises, le voyage l'a dis-trait; mais il est survenu un nouveau symptôme, témoignant bien à notre avis de la nature hystérique de l'aife-îlion. Depuis huit jours. M..., a de vé-ritables accès de somnambulisme : de jour et de nuit il se lève, se pro-mène dans sa chambre et se croit dans un monde idéal, tantôt il est au lycée et il adresse la parole à ses camarades, tantôt il se trouve transporté sur le boulevard où il rencontre ses amis des deux sexes. Dans ces moments, on a beau l'appeler, chercher à l'attirer à soi, ou l'engagera se remettre au lit, il
n'entend pas, résiste et échappe. Puis subitement il reprend connaissance au bout de 20 ou 30 minutes, et demande en riant ce qu'il a fait depuis une demi-heure.
Les observations d'attaque d'hystérie accompagnées de délire ne sont pas rares dans les auteurs. J'en choisis quelques-unes parmi celles qui m'ont paru le plus dignes d'intérêt.
Obs. L Nous lisons dans Schurigius ^, que la fdle unique de Himpselius, jeune personne pieuse et pudique, âgée de dix-huit ans, avait fréquemment des attaques d'hystérie. Les accès étaient très violents; son corps se cour-bait comme un arc, et elle jetait de si grands cris, que les assistants désespéraient de ses jours. L'intelligence revenait cependant à la fin du paroxysme, elle délirant cependant encore un peu; elle demandait parfois une plume, de l'encre et du papier, et se mettait à écrire des vers sacrés et des hymnes qui ne manquaient pas de justesse et de poésie, qu'elle n'avait pu néanmoins composer dans l'intervalle des accès. Parfois au grand ébahissement des assistants, elle débitait un sermon très éloquent, tant dans sa langue maternelle que dans les autres langues qui auparavant lui étaient inconnues, telles que les langues hébraïque, grecque, latine et française, et ces langues, elle ne les savait plus après le paroxysme.
Obs. II. Ilortense G..., vingt ans, mariée. Entrée à la Salpétrière, le 5 juin 1865.
Elle est dans un état voisin de la stupeur. Son regard est égaré, ses ré-ponses sont vagues et d'une lenteur extrême. Le visage exprime une vive anxiété. La malade ne manifeste cependant par ses paroles aucune idée délirante.
Son père est mort à cinquante ans d'une pneumonie.
Sa mère vit encore et, depuis plusieurs années, est sujette à des attaques de nerfs caractérisées par une constriction de la gorge, des mouvements désordonnés, de l'écume à la bouche, des cris, des larmes, etc. »
L'une de ses sœurs, dix jours après un accouchement, est tombée dans un état maniaque qui a nécessité son envoi à la Salpétrière, où elle est en-core.
G..., a eu un premier enfant à dix-huit ans. Les couches ont été bonnes; cependant, dans le cours de cette première grossesse, elle avait eu les jambes enflées et une légère bouffissure du visage.
L'enfant est bien portant et n'a jamais eu de convulsions.
Le 15 mai dernier, second accouchement qui n'offre rien de particulier. Neuf ou dix jours après, G.... est vivement impressionnée par de violents
t. Spermatologie. cité par E. Mathieu, toc. cit., p. 182.
éclats de tonnerre, et pour la première fois donne quelques signes de trouble intellectuel. On lui applique des sinapismes aux jambes et elle se rétablit, pour retomber presque aussitôt; en sorte que, dans les quarante-huit heures qui suivirent, elle eut trois nouvelles attaques peu caractérisées et sur lesquelles nous ne pouvons obtenir que des renseignements vagues.
Dans Tune de ces attaques, la malade était assise, la tête renversée en arrière, la bouche toute grande ouverte, immobile et dans un état de stupeur apparente. Daw6' une autre, elle eut des mouvements désordonnés, de l'agi-tation, des paroles ininlelligibles, une figure grimaçante, un peu d'écume sur les lèvres.
A la suite de ces attaques, G... présente des troubles de l'intelligence infini-ment mieux caractérisés que précédemment : phrases entrecoupées par des sanglots, hallucinations de la vue et de Vouie; elle se croit entourée de personnes de sa connaissance auxquelles elle adresse la parole, voit des animaux courir dans sa chambre. Elle a des moments de profond abatte-ment, elle parle de mort, etc. Affusions vertébrales, bromure à dose peu élevée (1 à 3 grammes par vingt-quatre heures).
En ce moment, quelques jours après son arrivée, elle est calme, ses ré-ponses sont à peu près raisonnables; elle se sait indisposée; elle se préoc-cupe surtout de ses enfants, elle veut les voir et elle réclame à chaque ins-tant sa sortie, qui lui est accordée le 29 août 1865 ^
Obs. III. J'ai pu observer, pendant plusieurs mois, dans notre maison de santé d'Ivry-sur-Seine, une jeune personne pour laquelle sa famille avait réclamé les soins de notre collègue, M. le docteur Baillarger, et dont le délire franchement névrosique offrait un intérêt particulier.
Mademoiselle X..., âgée de vingt-trois ans,appartenant aune famille dont la santé, tant au physique qu'au moral, ne donnait prise à aucun soupçon d'hérédité, était arrivée jusqu'à l'âge de vingt et un ans sans éprouver le plus léger dérangement dans sa santé. Elle était d'un caractère doux, aimant, très expansif, mais au fond très sérieux. Son éducation avait été extrêmement soignée. Elle n'avait jamais quitté sa famille. Sa mère ne peut supposer que jamais idée d'aucune espèce de jouissance matérielle ait eu accès dans son esprit. Des propositions de mariage lui ayant été faites, sa réponse fut a qu'elle consentirait volontiers, qu'elle serait heureuse même d'avoir un mari, mais à la condition qu'ils habiteraient séparément. Elle ne comprenait pas qu'une femme pût s'abandonner aux caresses d'un homme; l'amour de Dieu ne laissait place dans son âme à aucun autre amour ». A diverses re-prises, mademoiselle X.... avait manifesté un vif désir d'entrer en religion. Il y a deux ans, mademoiselle X.... reçut au bras droit une blessure fort grave qui donna lieu à une perte de sang extrêmement abondante. Au dire des parents, mademoiselle X.... était sur le point de rendre le dernier soupir quand
I. j. Moreau (de Tours), loc. cit.,\}. 50.
l'héinorragie fut arrêtée pai" un médecin qui n'avait pu se rendre que très tard (on était à la campagne) auprès de la malade. La convalescence fut très longue, sans cependant qu'elle eût été traversée par aucun accident. Vers la fin, alors que mademoiselle X.... paraissait complètement remise, des accidents nerveux se manifestèrent, et, depuis lors, ne firent que s'ag-graver. La sensibilité générale était exaltée au point qu'une lumière un peu vive, le plus léger bruit, suffisaient pour faire naître de violentes convulsions, des syncopes, et jetaient parfois la malade dans une immobilité catalep-tique. A ces symptômes se joignirent des vomissements réitérés, incoercibles, qui, ne permettant pas à la malade de garder aucun aliment solide ou li-quide, la plongèrent bientôt dans un état de faiblesse alarmant. Du reste, pas le plus léger trouble intellectuel, pas d'idées fixes, pas d'hallucination.
Sur ces entrefaites, environ cinq mois après l'accident signalé plus haut, mademoiselle X..., est atteinte d'une fièvre muqueuse ou typhoïde peu grave, pendant le cours de laquelle les troubles nerveux semblèrent s'amen-der un peu; ils disparurent tout à fait dans la première quinzaine de la convalescence ; mais ce fut pour faire place à une vive exaltation d'esprit s'accompagnant de cris, de pleurs, d'emportements sans motifs, d'actes de violence, de tentatives de suicide, etc.
Un mois environ s'était écoulé lorsque le* calme se rétablit presque tout à coup. Mademoiselle X.... devint triste, mélancolique, ne voulant parler à personne, refusant toute espèce de nourriture et parlant souvent de mourir.
Depuis deux ans environ, mademoiselle X.... passe ainsi alternativement de l'exaltation à l'abattement. Uaffection hystérique, tout en ayant perdu considérablement de sa gravité, réapparaît néanmoins de temps à autre sous la forme de spasmes de l'œsophage, d^ anxiétés précordiales, de points névralgiques et même de légers mouvements convulsifs des membres. Ces accidents ne se montrent guère qu'un peu avant la période d'agitation: ils en sont comme les signes avant-coureurs, et par leur degré d'intensité on peut, jusqu'à un certain point, prévoir la violence du délire qui leur succédera.
Mademoiselle X..., est restée six ou sept mois dans la maison de santé. Les douches vertébrales, les préparations bromurées, ont fait la base du traitement. Elle est sortie parfaitement guérie K
Obs. IV. — Mademoiselle S..., âgée de quarante-six ans, croit que tous les malheurs qui arrivent dans le monde sont causés par elle. A l'entendre, elle a tous les défauts. Dieu s'est retiré d'elle, l'a abandonnée à Satan. Cette aliénation, qui s'est d'abord montrée sous la forme triste, est maintenant caractérisée par des chants, des récits, des monologues qui sont débités avec une volubilité extrême et de grands éclats de voix. Mademoiselle S..., sent combien tout cela est absurde et peut, ajuste titre, la faire passer pour folle,
L J. Moreau (de Tours) toc cit., p. 4-2.
mais elle obéit aune force irrésistible qui l'entraîne; rien au monde ne pour-rait l'empêcher de s'épancher au dehors. A ces grandes exaltations succèdent de fortes crises hystériques, elle se débat en proie à des convulsions très violentes et très longues. Le spasme a son point de départ dans l'utérus; lors-qu'on place la main sur cette région, les mouvements de la malade deviennent d'une autre nature, et elle dit elle-même que tout se passe dans son ventre. Pendant ces attaques, les figures des assistants se transforment; elle voit des fantômes hideux, le diable lui apparaît; ses idées de possession sont bien plus vives; elle pousse des cris perçants, supplie qu'on la délivre de ces ap-paritions, rit aux éclats, fond en larmes; puis au bout de quelques heures, elle revient à son état habituel ^
Obs. V. Attaques convulsives, avec idées de possession et de multiplicité de la personnalilé, chez une enfant. ¦— Marguerite B..., âgée de onze ans, d'un caractère un peu violent, mais ayant des sentiments chrétiens et pieux, fut prise, le 19 janvier 1829, sans avoir eu aucun malaise, d'attaques convul-sives qui se répétèrent, pendant deux jours, avec de rares et courtes interrup-tions. Tant que les convulsions duraient, l'enfant était sans connaissance, elle roulait ses yeux, faisait des grimaces et exécutait avec ses bras toutes sortes de mouvements bizarres. Le 21 janvier, il se fit entendre à plusieurs reprises autour d'elle une voix qui disait : « On prie bien pour toi! » Aussitôt l'enfant revint à elle; elle était fatiguée, épuisée, mais elle ne savait rien de ce qui s'était passé, et disait seulement qu'elle avait rêvé. — Le 22 janvier, une autre voix basse, qui différait manifestement de la première, commença à se faire entendre aussi. Celte voix parlait presque sans discontinuer tant que la crise durait, c'est-à-dire une demi-heure, un heure et plus; elle n'était que parfois interrompue par la première, qui répétait toujours : « On prie bien pour loi! » Evidemment cette voix voulait représenter une personne dif-férente de celle de la malade, et s'en distinguait exactement en se rendant objective et en parlant de la malade à la troisième personne. Dans ce que disait cette voix, il n'y avait pas de confusion, ni d'incohérence; elle parlait avec une conséquence rigoureuse, répondant d'une manière logique à toutes les questions, ou les rejetant avec un air moqueur. Mais ce qui faisait la ditTé-rence principale de ces discours, c'était leur caractère moral, ou plutôt im-moral; ils exprimaient la vanité, l'arrogance, la raillerie ou la haine contre la vérité, contre Dieu et le Christ. — « Je suis le fils de Dieu, le Sauveur du monde, tu dois m'adorer. » Voilà ce que disait d'abord cette voix, puis elle le répéta souvent : moqueries contre les choses saintes, contre Dieu, le Christ et la Bible ; indignation violente contre ceux qui aiment le bien ; malédictions les plus abominables, une fureur excessive, mille fois répétée, et une rage af-freuse en apercevant quelqu'un occupé à prier ou même joignant simplement les mains. On pouvait considérer tout cela comme les symptômes d'une in-
1. Brierre de Boisraont. lac. cit., p. 219.
fluence clrangère, bien que cette voix ii'eût pas trahi elle-même le nom de celui qui tenait tous ces discours, en se nommant un diable, comme cela arrive souvent. Dès que ce démon se faisait entendre, les traits de la jeune fdie s'altéraient immédiatement d'une manière surprenante, et elle avait alors chaque fois un aspect diabolique, dont on peut se faire une idée en lisant dans la Messiade le tableau du diable offrant une pierre à Jésus.
Le 26 janvier, à 11 heures du matin, c'est-à-dire à l'heure où, d'après son dire, un angelui avait annoncé, plusieurs jours auparavant, qu'elle serait dé-livrée, tous ces phénomènes cessèrent. La dernière chose qu'on entendit, ce fut une voix sortant de la bouche de la malade, et qui disait : « Va-t'en, es-prit immonde, retire-toi de cette enfant! Ne sais-tu pas qu'elle est ce que j'ai de plus cher? » Puis elle revint à elle-même. Le 31 janvier, le même état se reproduisit avec les mêmes symptômes. Mais peu à peu de nouvelles voix s'ajoutèrent à la première, jusqu'à ce que la malade en comptât six, différant entre elles, soit par le timbre, soit par le langage, soit enfin par leurs dis-cours, dont chacune représentait la voix d'une personne distincte, et était annoncée comme telle à la malade par la première voix qu'elle avait si souvent entendue. La violence de la rage, des malédictions, des blasphèmes et des reproches que lui adressaient ces voix atteignit dans cette période de la ma-ladie le degré le plus élevé, et les intervalles de lucidité, dans lesquels du reste la jeune fille ne conservait aucun souvenir de ce qui s'était passé dans le paroxysme (elle priait alors et lisait avec ferveur), ces intervalles, dis-je, furent plus rares et plus courts. Le 9 février, qui, comme le 31 janvier, avait été annoncé à la malade comme un jour de délivrance, mit fin à cet état mi-sérable, et, comme la première fois, ce fut encore à 11 heures du matin, après que la voix eut annoncé à plusieurs reprises son départ, qu'on entendit sortir de la boucln» de la malade ces mots : « Va-t'en, esprit immonde, re-tire-toi de cette enfant; ton règne est fini maintenant! » La jeune fille revint à elle, et depuis lors elle n'a pas eu de rechute. (Kerner, Geschichten Beses-sener. Stuttgard, 1834)
Je ferai remarquer, au sujet de ces deux dernières observations, les analogies qui existent entre la nature des hallucinations, la forme spéciale du délire, qui ont été observées chez ces deux ma-lades, et les caractères particuliers des accès délirants qui ont accompagné la plupart des anciennes épidémies convulsives. Dans les cas dont il s'agit ici, la véritable nature des troubles cérébraux ne saurait être mise en doute.
Si l'on se rappelle que l'attaque d'épilepsie véritable est parfois
L W. Griesinger, toc. cit., p. 287.
suivie d'une phase délirante accompagnée d'hallucinations et qui parfois peut se prolonger assez longtemps, on trouvera, entre ces accès d'épilepsie avec délire et quelques variétés de l'attaque de délire hystérique dont nous venons de parler, une analogie frap-pante qui pourra faire craindre l'erreur. La distinction sera le plus souvent possible d'après les caractères mêmes des troubles céré-braux qui dans l'épilepsie ont, en général, un caractère beaucoup plus concentré, violent, et dangereux par la prédominance des idées fixes avec impulsion au mal. Mais la confusion deviendra impossible, si l'on veut mettre en œuvre les différents procédés (interversions de courants continus, compression ovarienne, exci-tation de zones hyperesthésiques) dont l'influence sur les attaques hystériques a été déjà indiquée, et qui le plus souvent enrayent aussi bien le délire que les mouvements convulsifs.
ji 2. — ATTAQUES DE DÉLIRE n'AYANT AVEC LES ATTAQUES CONVULSIVES AUCUN RAPPORT IMMÉDIAT
L'attaque de délire n'est pas nécessairement accompagnée de phénomènes convulsifs. Elle peut se montrer isolément chez une malade qui présente d'autre part des attaques convulsives, ou qui en a présenté à une époque plus ou moins reculée, ou même qui n'en a jamais eu. Nos malades, chez qui l'hystérie présente à un si haut degré la forme convulsive, nous ont fourni peu d'occasions d'observer les attaques délirantes complètement dégagées de toute convulsion. Cependant nous avons vu, pendant les derniers mois de 1878, Bar... présenter assez souvent des accès d'agitation maniaque, exigeant l'emploi de la camisole. Attachée sur son lit, elle se démenait comme une véritable furie, poussant des cris, interpellant effrontément ceux qui s'approchaient d'elle et leur tenant des propos d'une crudité révoltante et qui contras-taient étrangement avec ses manières et les habitudes réservées dont elle ne se départait jamais dans l'intervalle de ses atta-ques. Ces accès délirants revenaient isolés et complètement distincts des accès convulsifs, dont ils différaient encore par
l'inefficacité des différents procédés qui d'ordinaire enrayaient les convulsions. La compression ovarienne ne pouvait être main-tenue. L'excitation des zones hystérogènes du dos et des aisselles demeurait sans effet. Il était impossible de fixer un instant l'at-tention de la malade, et toutes les pratiques hypnotiques, qui d'ordinaire agissaient si rapidement, restaient, au milieu de cette excitation générale, sans résultat et échouaient complètement.
La jeune Marie B... dont nous avons déjà raconté les attaques (page 232) présentait, en outre de celles-ci, des accès de délire qui ont de grandes analogies avec ce que nous avons observé chez notre malade Bar... Je consignerai ici les passages de son obser-vation qui ont particulièrement trait au genre d'accident qui nous occupe ici.
Mademoiselle Marie B..., gilet.ière, entre à l'hôpital Necker, dans le ser-vice de M. Lasègue, le 7 février. — Elle se plaint d'être souvent, dans la journée, prise de perles de connaissance, accompagnées, lui a-t-on rapporté, de toquades et de gestes les plus extravagants. Parfois elle a simplement des convulsions.
C'est une jeune fdle de 18 ans. Sa mère a eu la même maladie qu'elle. A dix ans, danse de Saint-Guy qui a duré un an. Cette névrose ne l'a quittée que pour être remplacée par un rhumatisme articulaire aigu, qui s'est pro-mené dans toutes les articulations. Elle a été soignée à l'hôpital Sainte-Eu-génie par M. Barth. Elle ne paraît avoir eu ni péricardite ni endocardite. Ce rhumatisme a duré six mois, à la suite desquels notre malade est demeurée bien portante pendant un mois. Puis reprise de la danse de Saint-Guy, mais plus forte. Pendant cette seconde période de dix-huit mois, elle eut des at-taques dans lesquelles elle perdait complètement connaissance. Enfin, à la suite d'un traitement approprié, les attaques diminuèrent en nombre et en intensité, et, depuis l'âge de douze ans, elle s'est à peu près bien portée jusqu'à l'âge de dix-sept ans, époque à laquelle, à la suite de vives con-trariétés, elle retomba malade. Assez mal réglée depuis l'âge de quinze ans, elle a passé par des états de maigreur et d'embonpoint extrêmes. Au mois de juin de l'année 18G6, elle fut prise pendant la nuit d'un délire furieux, frappant tout le monde, s'arrachant les cheveux, ayant les idées les plus incohérentes; cet état dura deux heures. Enfin pendant la journée et les jours suivants, elle eut une vingtaine de ces crises. Tout ce temps entre-mêlé de rémissions, pendant lesquelles la malade était dans son état ordi-naire et n'avait aucun souvenir de ce qu'elle avait fait; il lui semblait avoir dormi. Elle eut ensuite une paraplégie hystérique des membres inférieurs.
qui lui fit garder le lit pendant deux mois. Puis vint une amaurose; sa vue était tellement faible qu'elle ne pouvait marcher qu'accompagnée.
Son médecin, M. Raymond, qui la soigne depuis neuf ans, lui ordonna la campagne. Elle fut envoyée à Suresnes chez des parents. Là elle eul encore le délire. Pendant l'un, elle partit comme un folle, vers quatre heures du soir, alla en courant jusqu'tà Nanterre, où elle fut rejointe par un de ses cousins qui la ramena. En route, voyant qu'elle ne revenait pas à elle, il lui appliqua un vigoureux soufflet, qui eut pour effet de la faire tomber en lé-thargie. Force lui fut de la porter chez lui, où elle ne reprit connaissance que quelques heures après, mais toujours sans garder aucun souvenir de ses actes,
Un matin, à la visite, grand fut notre étonnement de trouver notre ma-lade dans un délire furieux, ouvrant ses deux grands yeux noirs, vous fixant un instant, les roulant avec volubilité comme une personne exaltée, puis tout à coup semblant vous reconnaître, vous prenant pour un parent ou un ami d'enfance, s'entretenant avec vous comme tel.
Elle déliroait ainsi depuis la veille au soir; la nuit, le délire avait été telle-ment violent qu'on avait dû lui mettre la camisole de force.
Nous eûmes l'idée de l'hypnotiser dans cet état. Quelle ne fut pas notre surprise en la voyant au bout de peu de temps s'assoupir, puis passer à l'état hypnotique! A partir de ce moment elle fut comme à l'ordinaire, parfaite-ment raisonnable. Réveillée, une demi-heure après, elle fut étonnée de nous voir. Nous l'avions, disait-elle, endormie sans la réveiller.
Enchanté du résultat, nous nous promettions de recommencer l'expérience si l'occasion se présentait. Nous fûmes nmins heureux. Deux jours après, le soir, pendant que nous étions dans la salle, elle fut prise de ce même délire. Nous voulûmes produire I3 sommeil provoqué; elle s'en défendit énergique-ment, nous demandant, avec des flammes dans les yeux, si notre titre d'é-cuyer de l'impératrice nous autorisait à la toucher. Nous parvînmes cepen-dant à lui appliquer la main sur les yeux, mais sans parvenir à l'endormir. Le lendemain matin, même état. Il avait duré toute la nuit, mais moins violent que la première fois. Nous pûmes alors l'hypnotiser et produire le même résultat que l'avant-veille; même étonnement à son réveil, elle avait dormi; aucune fatigue, après une excitation nerveuse de toute la nuit ^
Les rapports plus ou moios éloignés qu'offrent les accès déli-rants avec l'attaque convulsive et les autres symptômes de l'hys-térie, sont susceptibles de grandes variétés. Je choisirai à titre
i. BaiUif. loc. cit., p. 50.
d'exemple trois observations parmi celles que rapporte le Mo-reau de Tours. Dans la première observation on verra se pro-duire alternativement et les désordres cérébraux et les phéno-mènes convulsifs.
Dans la seconde, c'est cinq ans après les attaques de convul-sions que survient un accès d'un délire manifestement hystérique et qui dure trois jours.
Enfin, dans la dernière observation, les accès de délire se mon-trent tout d'un coup à la suite d'une frayeur, chez une jeune fille de dix-huit ans, jusque-là bien portante, mais qui, dans ses pre-mières années, avait présenté quelques signes d'hystérie. En outre des antécédents hystériques, la nature des causes occasionnelles, les caractères du délire, la guérison subite et instantanée, les réci-dives fréquentes, ne laissent aucun doute sur la nature éminem-ment hystérique des accès délirants de cette malade.
Obs. I. Hortense M..., vingt et un ans. Enfant assisté. Est employée de-puis quatre ans à la Salpêtrière comme fille de service. Elle a été sujette à des attaques d'hystérie, qui paraissent avoir coïncidé avec la première mens truation, à l'âge de dix-sept ans. Elle n'en a pas eu depuis plus de deux ans.
Cette fille jouit d'un embonpoint marqué; elle est comme bouffie, le visage est congcsfionné, haut en couleur. La menstruation chez elle est ré-gulière, mais douloureuse et peu abondante.
Le 26 février 1865, pendant le carnaval. M..., étant dans ses règles, et craignant de ne pouvoir assister au bal du mardi gras, mit ses pieds dans un seau d'eau froide. Les menstrues furent supprimées immédiatement. Le jour même, dans la soirée, étouftéments, palpitations, gêne dans la gorge, saignement du nez, douleur fixe dans le côté abdominal gauche, signes d'in-flammafion localisée, s'étendant rapidement dans tout l'abdomen et faisant craindre une péritonite, pouls à 102-106.
Un traitement, dont les émissions sanguines, les bains prolongés, les fric-tions d'onguent gris firent la base, fit disparaître tous ces accidents au bout de vingt-sept à trente jours. Il n'en restait plus trace lorsque la jeune ma-lade fut prise de délire : loquacité, vives inquiétudes paraissant occasionnées par des hallucinations vagues delà vue et de l'ouïe. Abandonnée à elle-même, M.... ne paraissait avoir aucune conscience de son état; cependant, si on l'interrogeait en y mettant beaucoup d'insistance, on en obtenait toujours des réponses justes, mais empreintes d'une profonde mélancolie.
Deux jours après, cet état mental se dissipa brusquement, faisant place à fies accidents névrosiques analogues à ceux que la malade avait ressentis au-
trefois, mais beaucoup moins prononcés, à des oppressions, des serrements de gorge, un agacement général, etc. Yingt-quatre ou trente heures après : disparition presque instantanée de ces accidents et retour du délire, cette fois avec excitation maniaque, cris, pleurs, rires alternatifs...
La malade resta dans le même état, alternativement atteinte de délire et de troubles nerveux, jusqu'au 22 avril, époque où les règles réapparurent sous l'intlnence de douches pubiennes.
Depuis ce moment, la santé s'est maintenue aussi satisfaisante que possible*.
Obs. IL T..., quarante-deux ans. Entrée le 23 mars 1867. Piqueuse de bottines.
Père mort subitement à l'âge de quatre-vingt-deux ans. La mère est morte « de la poitrine » ; elle avait été sujette à des « attaques de nerfs. ».
Pas de maladies graves pendant la jeunesse. Réglée â douze ans, sans ac-cidents. Mariée à vingt-quatre ans, a eu deux enfants qui jouissent de la meilleure santé.
Il y a cinq ans, elle est abandonnée par son m.ari, et peu de temps après, elle est prise « d'attaques de nerfs » qu'elle attribue au chagrin de se voir seule avec ses deux enfants. Ces attaques, au dire des personnes qui la con-naissent, ne se sont pas renouvelées plus de trois ou quatre fois. Elles pré-sentent toutes les mêmes caractères : cris, agitation ; la malade se roule par terre, portant la main à sa gorge, se plaignant qu'on l'étrangle ; au moment où l'accès va finir, elle paraît privée de tout sentiment, fait quelques gri-maces et puis revient à elle ; quelques minutes après, il n'y paraît plus.
Un mois environ avant son admission à la Salpêtrière, F. G..., est prise de terreurs subites, très pénibles, mais passagères. Si on lui demande la cause de ces terreurs, elle dit qu'elle ne la connaît pas, qu'elle n'y comprend rien ; mais, depuis quelques jours, elle manifeste la crainte d'être assassinée. Elle croit avoir entendu un coup de pistolet tiré dessous son lit; elle entre dans une violente colère, crie au secours, se voit entourée d'ennemis, lutte contre quiconque veut l'approcher, veut se précipiter par la fenêtre, se fait une blessure assez grave au poignet en brisant un carreau de vitre, perd beaucoup de sang... On s'empare d'elle et on la conduit à l'hospice.
Trois jours après, le 26, les règles coulent avec abondance. Le matin, à la visite, nous trouvons la malade immobile sur son lit, les yeux fixes, le regard atone, sans raideur dans les extrémités, sans fièvre. Cet état d'où, quoi qu'on fasse, il est impossible de la tirer, se dissipe de lui-même dans la soirée. Elle dit avoir rêvé d'une foule de choses, mais impossible de pré-ciser ses idées ; elle demande à manger, et à partir de ce moment elle entre en convalescence.
Part guérie le 14 avril 1867^.
1. J. Moreau (de Tours), loc. cit., p. 25.
2. J. Moreau (de Tours) loc. cit., p. 48.
Obs. III. S... (Christine), trente ans. Entrée le 24 août 1865.
Père mort à soixante-deux ans, atteint d'une hémiplégie du cote gauche.
Mère, quatre sœurs et deux frères bien portants. Dans ses premières années, S... « se trouvait souvent mal; couchée sur un lit ou même par terre elle s'agitait violemment, serrait les dents, regardait les gens fixement, mais n'avait pas, à proprement parler, de convulsions. »
A l'âge de dix-huit ans, elle est devenue folle de la frayeur que lui causa un incendie, et après avoir éprouvé des accidents nerveux semblables à ceux dont nous venons de parler. Ce premier accès dura deux mois environ. Un second survint deux ans après, sans cause appréciable et dans les mêmes conditions que le premier; puis un troisième à la suite d'une discussion avec sa tante; la durée de ces deux accès fut à peu près la même que celle du premier.
Ces jours passés. S... se trouvant dans un wagon de chemin de fer, seule avec deux hommes, prétend avoir été l'objet de coupables tentatives. C'est à la terreur qu'elle en éprouva qu'on attribue le nouvel accès pour lequel elle a été amenée à la Salpêtrière.
Excitation maniaque franche, parfois assez vive, éclatant brusquement à la suite d'un état de mélancolie consciente ou demi-consciente, sans idées de suicide.
Douches vertébrales, bromure de potassium, vin de quinquina. Guérison presque instantanée. Partie le 4 novembre 1865 K
A côté des cas d'hystérie dans lesquels on voit le désordre psy-chique alterner avec les troubles sonriatiques, les remplacer et peu à peu s'y substituer, on conçoit l'existence d'une forme spéciale d'hystérie non convulsiva consistant en troubles intellectuels d'une nature déterminée et constituant en quelque sorte une véri-table hystérie morale.
Il importe alors de bien connaître les caractères particuliers des désordres cérébraux qui méritent le nom de délire hystérique. Nous en avons déjà longuement parlé au sujet des symptômes de la période prodromique et plus particulièrement de la quatrième période de la grande attaque. Mais afin de préciser davantage et pour servir de résumé et de conclusion à ce que nous avons déjà dit, j'exposerai ici succinctement les caractères spéciaux du délire qui relève directement de la grande hystérie.
Conscience du délire. — Ce caractère a été signalé par M. Moreau
1- J. Moreau (de Tours),/oc. cit. p. 3i.
RICHER. , 23
de Tours qui y a insisté avec raison, cr Le naufrage des facuftés, dit cet auteur, n'est complet que dans des cas exceptionnels et essentiellement transitoires. Que l'on interroge les malades au plus fort de leurs divagations, alors même qu'elles s'abandonnent à toutes sortes d'excentricités, d'extravagances, que toutes leurs pa-roles trahissent le désordre de leur esprit, qu'elles paraissent sub-juguées par des convictions délirantes, des hallucinations de toute nature... La première question qu'on leur adresse semble les re-mettre instantanément dans leur bon sens, les rendre à elles-mêmes. Elles conviennent qu'elles ne savent ce qu'elles disent, qu'il n'y a rien de réel dans leurs visions, etc.; ce qui ne les empêche pas, une fois que vous cessez de leur parler, de tenir en arrêt leur imagination vagabonde, de retomber aussitôt dans l'état d'où vous les avez tirées. » J'ai signalé avec insistance l'état de demi-connais-sance qui accompagne le plus souvent le délire de la quatrième période. Les accès délirants de la période prodromique offrent habituellement ce même caractère. La malade n'est point complè-tement absorbée par l'objet de son délire. Tantôt elle reconnaît parfaitement celui qui lui parle; tantôt elle est le jouet d'il-lusions et commet des erreurs de personnes. En tous cas, toute remontrance est inutile, elle n'écoutera jamais la voix de la rai-son et aucun raisonnement n'est susceptible d'arrêter ses divaga-tions.
Analogie avec les délires toxiques. — Je me réserve d'étudier plus loin dans un chapitre spécial les analogies remarquables qui existent entre le délire hystérique et les délires variés provoqués par l'absorption de l'alcool, de l'absinthe, de l'opium, du has-chisch, etc.. Je ne m'y arrêterai pas ici, et me contente pour l'ins-tant de les signaler.
Analogie avec le somnambulisme. — Les liens qui réunissent parfois l'hystérie au somnambulisme sont si étroits, que l'on voit les accès de délire hystérique revêtir quelques traits de l'état som-nambulique, comme l'insensibilité à tous les agents extérieurs et la perte du souvenir au réveil.
Nous étudierons plus loin cette si intéressante question des rap-
ports qui existent entre l'hystérie et le somnambulisme naturel ou provoqué.
Influence des émotions passées et des préoccupations du moment sur la nature des conceptions délirantes. — Nous avons pris soin de faire ressortir ce caractère important du déhre hystérique. On y trouve la raison de la physionomie spéciale que prirent les accès délirants des grandes épidémies convulsives.
Exaltation de l'intelligence. —• Ce fait qui a été signalé par tous les auteurs, se rapproche de ce qui se passe dans l'état de somnambulisme pendant lequel la malade accomplit des actes avec une adresse qu'elle ne saurait retrouver à l'état de veille, ce Quel-quefois, dit Briquet, la vitalité de l'encéphale est tellement exaltée, que les facultés intellectuelles et les facultés sensoriales prennent une activité surprenante. Ainsi, dans quelques cas, les malades se servent d'un langage plus distingué que celui dont elles usent d'habitude; on en a vu qui faisaient des vers. ))
Mobilité des idées. — La facilité avec laquelle les hystériques dans leurs accès délirants passent d'un sujet à l'autre, du gai au triste, du plaisant au sévère, du comique au pathétique... est vrai-ment surprenante. Les sentiments les plus élevés, les pensées les plus pures exprimées dans le langage le plus choisi font place, tout d'un coup et sans transition, aux instincts lesplusbas,aux penchants les plus révoltants, exprimés dans le langage le moins recherché.
Perversion des idées et des sentiments. — Ceci est fort remar-quable que les hystériques dans leurs accès soient prises souvent de revirements soudains, qui font qu'elles n'ont pas assez d'injures pour ce qu'elles adoraient il n'y a qu'un instant. L'amour devient de la haine, et la chasteté se transforme en lubricité. Nous avons cité ce fait intéressant ^ d'une jeune fdle du meilleur monde et fort bien élevée, qui pendant son délire se mettait à son balcon et adressait aux passants, et particulièrement aux jeunes gens, les gestes elles discours les plus inconvenants. Tous les auteurs en ont rapporté d'analogues.
1. Voy. p. 228.
Idées fixes. — Au milieu de la mobilité extrême qui caracté-rise les troubles psychiques de l'hystérie, l'idée fixe paraît un contre-sens. Pour être d'une rareté relative, rien n'est plus vrai cependant. Je comparerai ce phénomène d'apparence contradic-toire à ce qui se passe du côté de la motilité. Ne voit-on pas au miheu du désordre et de la variété infinie des convulsions, tm membre immobilisé tout d'un coup par ce fait encore inexpliqué de la contracture permanente, et cela pendant un quart d'heure, une heure, des jours entiers et même de longues années? L'idée fixe a sa source le plus souvent dans la croyance à la réalité d'une hallucination. Nous en avons rapporté un cas chez Witt... et Gen... nous offre le plus bel exemple que l'on en puisse trouver. Les sorcières d'autrefois puisaient à cette même source la conviction inébranlable de leur commerce avec Satan.
Automatisme. Absence de spontanéité. — Ce caractère procède d'un désordre spécial de Fintelligence qui consiste en une abolition complète de la volonté, et que nous étudierons plus loin dans son plus haut degré de développement, parmi les phénomènes psychi-ques de l'hypnotisme. On conçoit tout l'intérêt qui existe pour le médecin légiste de connaître cet ordre de faits, puisque l'état céré-bral spécial où se trouve l'hystérique l'abandonne parfois sans défense aux volontés et aux caprices d'autrui, et que sa responsabi-lité morale en est d'autant diminuée.
Impulsions irrésistibles. Simulation. — L'hystérique qui parfois ne peut résister aux suggestions étrangères n'est pas plus maî-tresse des impulsions qui germent dans son propre esprit. Ces impulsions, comme le fait remarquer Marce, n'ont pas le carac-tère violent et dangereux des impulsions des épileptiques ; elles consistent plutôt en une tendance anxieuse et instinctive à com-mettre des actes extravagants.
Je pourrais rappeler ici les scènes d'extravagance qui se pas-sent parfois dans le service des hystéro-épileptiques de la Sal-pêtrière : les projets d'évasion préparés longtemps d'avance et dont on fait grand bruit; les escapades dans les cours voisines dans le simple but d'enfreindre le règlement et de faire courir
après elles, les cachettes dans les endroits les plus inattendus pour se faire chercher; les fuites, la nuit, dans le plus simple des costumes, avec escalades sur les arbres et sur les toits; les tentatives de suicide avec les faveurs roses d'une boîte à bon-bons; les complots pour faire des niches aux camarades, aux surveillantes ou aux médecins, etc., etc. Toute cette série d'actes déraisonnables, dont on trouve le germe dans le fond même du caractère des hystériques, revient comme par accès et de préfé-rence dans les jours qui précèdent ou suivent les grandes atta-ques.
Tous les auteurs se sont plu à insister, comme il convient, sur la tendance incroyable qu'ont les hystériques à simuler. « Un trait commun les (filles hystériques) caractérise, dit Tardieu, c'est la simulation instinctive, le besoin invétéré et incessant de mentir sans intérêt, sans objet, uniquement pour mentir, et cela non seulement en paroles, mais encore en actions, par une sorte de mise en scène où l'imagination joue le principal rôle, enfante les péripéties les plus inconcevables et se porte, parfois, aux extré-mités les plus funestes. »
« Le talent de ces malades, « ditNiemeyer, » pour inventer des états par lesquels elles se promettent de faire sensation, ou d'exci-ter la pitié touche à l'incroyable ». Enfin, l'amour de la notoriété, du merveilleux, du surnaturel est porté chez les hystériques à un degré qui reste au-dessus de tout ce qu'on peut imaginer et de-vient l'unique mobile d'actions étranges dont les motifs ne peuvent être saisis, et qui demeurent des énigmes pour qui ne connaît pas la névrose dont il s'agit.
L'impulsion au suicide se retrouve dans quelques accès de délire hystérique. Elle est rarement suivie d'effet; les tentatives au contraire sont fréquentes, mais elles échouent ordinairement. On pourrait voir là sous une autre forme l'amour de la notoriété dont nous parlions tout à l'heure.
Agitation. — Les accès délirants revêtent parfois la forme de l'agitation maniaque. L'excitation cérébrale est portée au plus haut degré, et atteint toutes les facultés à la fois. Nous en avons
rapporté des exemples dans lesquels il avait été nécessaire de re-courir à la camisole de force.
Stupeur. Mutisme. —La stupeur est plus rare que l'agitation. A l'excitation cérébrale succède parfois une dépression plus ou moins profonde. Au verbiage incessant succède un mutisme que rien ne peut rompre, si ce n'est toutefois la compression ovarienne.
Illusions. Hallucinations. — Les troubles sensoriaux sont des plus accusés chez les hystériques et peuvent affecter tous les sens. Nous en avons déjà assez longuement parlé. Je ne ferai que rap-peler ici la prédominance des visions cïanimaux qui sont un des caractères les plus saillants du délire hystérique, le rôle important que joue la couleur rouge dans les hallucinations. Je rapprocherai de ce fait l'amour ou la répulsion instinctifs que montrent parfois les hystériques pour certaines couleurs.
Érotisme. — Les idées erotiques ont souvent une place impor-tante dans le délire hystérique. Mais elles sont loin d'y jouer le rôle exclusif que les théories anciennes tendaient à leur attribuer. Elles peuvent même faire complètement défaut.
Incohérence des idées. — Au milieu de la violence que présente parfois le délire hystérique on observe de l'incohérence dans les idées. Mais ce trouble psychique ne correspond point à une dimi-nution des fonctions cérébrales, mais plutôt à une suractivité et à un désordre momentané. Nous aurons soin de faire ressortir, au chapitre du diagnostic, ce point capital dans fhistoire de fhystérie, que cette névrose, dont les dehors sont si effrayants et qui paraît jeter dans les fonctions cérébrales un trouble si profond, ne con-duit jamais à la démence, tandis que c'est là le terme presque obligé de faltération de fintelligence qui accompagne l'épilepsie et principalement de cette forme silencieuse caractérisée par les vertiges.
Tels sont les principaux éléments qui, en se combinant diverse-ment, peuvent constituer les accès de délire hystérique. Tous n'ont pas une égale valeur au point de vue du diagnostic. Les uns ne se rencontrent que rarement, tandis que les autres sont, en quelque
sorte, pathogiiomoniques. Et c'est autant sur le mode d'associa-tion de ces symptômes variés, sur les circonstances de leur appa-rition ou de leur disparition que sur leur nature spéciale, qu'un médecin éclairé fondera son appréciation et cherchera à établir les bases d'un bon diagnostic.
CHAPITRE V
HYPNOTISME
CATALEPSIE, LÉTHARGIE ET SOMNAMBULISME HYSTÉRIQUES
PROVOQUÉS
Avant d'entrer dans l'étude des variétés de l'attaque liystéro-épileptique résultant de l'immixtion des phénomènes cataleptiques et somnambuliques, il est utile d'exposer avec quelques détaik, les faits sur lesquels M. Gharcot a récemment attiré l'attention, et qu'il a désignés sous le nom de catalepsie et de somnambulisme hys-tériques provoqués. Certaines hystériques sont en effet susceptibles, sous des influences diverses, d'entrer dans un état de somnambu-lisme ou de catalepsie, dont l'étude est rendue relativement facile par la possibilité de faire naître à volonté le phénomène.
Il a été ainsi permis à M. Charcot et à ses élèves d'étudier sur de nouvelles bases tout un ordre de phénomènes pathologiquefï ou physiologiques qui, depuis les travaux publiés par M. Braid (de Manchester) en 1842, par MM. Azam, Broca, Lasègue, Mesnet, vers 1860, étaient à peu près restés dans l'ombre.
Une connaissance plus nette et plus approfondie des divers états désignés sous le nom de catalepsie et de somnambulisme, permettra une appréciation plus juste des variétés cataleptiques et somnam-buliques de l'attaque d'hystérie et en facilitera singulièrement la description.
Les faits que, depuis Braid, l'on a désignés sous le nom d'hyp-notisme, rentrent pour la plupart dans Fétude que nous entrepre-nons. Mais il faut remarquer que, tandis que les expériences d'hypnotisme ont porté indistinctement sur différents sujets sans
qu'on ait eu assez égard aux dispositions morbides spéciales à chacun d'eux, les malades qui nous ont exclusivement servi dans ce genre de recherches appartiennent à une même catégorie bien limitée et caractérisée par la présence chez toutes d'une même névrose, la grande hystérie. C'est, croyons-nous, dans ce défaut de méthode, qu'il faut chercher la raison de la confusion et des contradictions qui se rencontrent dans les descriptions des diffé-rents auteurs ^
D'un autre côté, l'hypnotisme ne reconnaît pour cause que la fixité du regard, la fatigue de la vue et la convergence des axes visuels dans le strabisme interne, et nous verrons que si cette cause, qui se résume en une impression particulière de l'organe de la vision, entre pour une part dans la production des phéno-mènes que nous allons exposer, elle est loin d'être la seule. Des influences variées s'adressant aux autres sens, tact ou audition par exemple, peuvent donner lieu aux mêmes résultats.
Le mot d'hypnotisme devient donc, et trop va^ue et trop res-treint, pour s'appliquer exactement à tous les phénomènes que nous avons observés. Je le conserve néanmoins parce qu'il est consacré par l'usage, mais en lui donnant une acception plus large
1. Il est rationnel d'admettre que les phénomènes d'hypnotisme qui dépendent toujours d'un trouble du fonctionnement régulier de l'organisme, demandent pour lemuléveloppement une prédisposition spéciale que, d'un accord unanime, les au-tem-s placent dans la diathèse hystérique. En s'adressant aux hystériques les plus hystériques, on devra donc obtenir les phénomènes d'hypnotisme les plus mar-qués. Et de même que l'hystérie se rencontre à un degré moindre chez un grand nombre de femmes et chez quelques hommes, de même l'hypnotisme pourra se re-trouver chez les sujets dont il est question, mais imparfait, et plus ou moins atté-nué. En fait d'hypnotisme comme en fait d'hystérie, nous pensons que rien n'est livré au hasard, et qu'il est possible, sous des dehors variés, de retrouver l'unité d'une loi. Dans des études de ce genre, il est de première importance pour l'obser-vateur de déterminer avec soin les conditions de son expérimentation. On ne sau-rait marcher au hasard, et l'étude préliminaire des dispositions morbides ou phy-siologiques du sujet sur lequel porte l'observation, malgré son importance capitale, a peut-être été trop négligée jusqu'ici. Il est tout naturel que deux obser-vateurs qui se placent sur deux terrains différents, tout en essayant de répéter les mêmes expériences, n'obtiennent pas les mômes résultats. Je tiens donc à bien in-diquer que nos recherches ont porté sur des malades atteintes de grande hystérie, 6t sur celles dont j'ai tout au long rapporté précédemment l'histoire. Et il n'est pas ?douteux que quiconque s'adressera comme nous à la grande hystérie n'arrive aux mêmes résultats.
qui lui permette d'embrasser l'ensemble des différents états ner-veux provoqués dont je vais donner la description.
Cette question confine de très près aux faits du magnétisme animal. Je n'ai point l'intention d'aborder ici un sujet si contro-versé et qui a déjà vu s'élever tant de discussions demeurées stériles. Les partisans et les adversaires comptent dans leurs rangs des noms également recommandables K Je n'ai point, en ce mo-ment, à prendre parti, mais je me rallie à l'opinion de ceux qui pensent que, s'il est de la dignité de la science de se tenir en garde contre la supercherie et la crédulité, il est aussi de son devoir de ne pas rejeter les faits par cela seul qu'ils paraissenî extraordinaires et qu'elle-même demeure impuissante à en four-nir l'explication °.
L'étude qui suit a été particulièrement entreprise dans le but d'éclairer la Symptomatologie de la grande hystérie. Nous avons
1. Voyez VEistoire académique du magnétisme animal par Currlin jeune et Dubois (d'Amiens), Paris ISit. Voyez aussi la discussion sur les névroses extraordinaires dans les Annales de la Société médico-psychologique, 1857 et 1858.
2. Cerise s'exprime ainsi au sujet de fétude du magnétisme animal.
« Il ne s'agit que de discerner ce qui peut être vrai de ce qui est faux. Je ne crois pas qu'il soit bon pour la science de nier ou de dissimuler des faits vrais, par cela seul que en les adoptant, on accrédite l'erreur qu'ils ont peut-être aidée à vivre. Je laisse ce procédé à l'esprit de secte et de parti, qui n'est pas l'esprit de science. S'il m'arrivait d'apercevoir un fait important, je l'observerais, je l'étudierais, j'en contrôlerais l'exactitude, et s'il me paraissait réel, il aurait beau donner de l'autorité à des impostures ou à des erreurs, je ne le repousserais ni ne le dissimu-lerais pas pour cela, convaincu que cette autorité ne peut qu'être apparente, que les esprits vulgaires et superficiels seuls se laissent aller à de pareilles méprises; je n'hésiterais pas à le faire connaître aux hommes compétents et sérieux qu'il pourrait intéresser. Il en résulterait très probablement un bien au lieu d'un mal, car le fait important, une fois mis en évidence, serait enlevé à la doctrine menson-gère à laquelle il donnait crédit et appui pour être amené à sa véritable place.
» H ne faut jamais oublier que la science vraie doit s'emparer de toutes les choses réelles dont se pare la science fausse ; que pour le vrai savant, c'est faire acte d'habileté que d'être sincère et impartial. Quel mal y a-t-il à ce que la science fausse soit dépouillée de quelques parcelles de vérité au profit de la science vraie, et qu'il ne lui reste que le mensonge et l'erreur.
» Telle est ma manière de voir sur les névroses extraordinaires, dans leurs rap-ports avec ce qu'on appelle le magnétisme animal. H y a des faits pathologiques,? mes yeux réels, et sur lesquels les magnétiseurs appuient leurs assertions. Je dégagf ces faits à mesure qu'ils se produisent à mon observation, je les détache de la doc trine qui les dénature et de la pratique qui les exploite, pour leur faire occuper dans la névropathologie, la place qui leur appartient. J'enlève ainsi au charlatan ci qui est du domaine du médecin, et à la fantaisie ce qui est du domaine de la science. » {Annales de la Société médico-psychologique, 1858).
rencontre là un certain nombre de faits qui offrent toutes les apparences des phénomènes dits magnétiques, nous les avons soumis à un examen sévère, et je dois dire que loin de nous laisser entraîner par l'attrait du merveilleux et de l'inconnu, nous avons tout particulièrement recherché, dans ces questions diffi-ciles, le côté terre à terre jusqu'ici trop négligé. Au lieu de nous lancer à la poursuite de l'extraordinaire, comme l'ont fait la plu-part des observateurs qui se sont occupés de la matière, nous avons cru mieux servir la science en cherchant surtout les signes diagnostiques physiques et facilement appréciables des divers états nerveux produits, en nous renfermant d'abord dans l'étude des faits les plus simples et les plus grossiers, en n'abordant qu'en-suite, et avec beaucoup de circonspection, les faits un peu plus complexes, et, j'ajouterai même, en négligeant complètement ceux d'une appréciation beaucoup plus difficile, qui, pour le moment, ne se rattachaient par aucun lien saisissable aux faits déjà connus.
Je ne puis rapporter ici dans tous leurs détails les nombreuses observations qui ont été faites à ce sujet sur nos hystériques. Je les grouperai en un certain nombre de types qui les résumeront toutes, et ne m'arrêterai qu'à celles qui nous intéressent plus par-ticulièrement au point de vue spécial où nous nous plaçons ici.
Pour mettre autant de clarté que possible dans f exposition des faits, je suivrai ce que je pourrais appeler l'ordre chronologique. Dans une première série d'expériences faites en 4878, nous nous attachâmes surtout à étudier les signes pliysiques ou somatiques qui pouvaient caractériser les différents états nerveux que nous avions produits. Ce n'est que plus tard que notre attention se porta sur les phénomènes psychiques d'une appréciation plus délicate.
Cette méthode d'analyse excellente pour la recherche, Test moins pour l'exposition des faits acquis. Elle est longue et expose à des répétitions. D'ailleurs, nous n'avons guère le choix. Nous ne pensons pas que f heure de la synthèse soit encore venue, il reste encore beaucoup à étudier dans cet ordre de choses et le peu que nous avons fait suffit pour nous convaincre que le champ à parcourir est encore immense.
Pour le moment nous nous contenterons d'exposer simplement, les faits en suivant la marche indiquée, et nous essayerons ensuite autant que le permettra l'étendue des notions acquises, d'esquisser, d'après leur mode de groupement naturel, les différents états ner-veux qu'ils servent à caractériser.
PREMIÈRE SÉRIE D'ORSERVATiONS ^
PREMIÈRE ORSERVATION. — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR LA PRODUCTION DE LA CATALEPSIE ET DE LA LÉTHARGIE HYSTÉRIQUES
1° — La malade est placée devant un vif foyer lumineux (lampe Bourbouze, lumière de Drummond, lumière électrique) qu'on la prie de fixer du regard. Au bout d'un temps généralement court (quelques secondes à plusieurs minutes) et parfois d'une façon ins-tantanée, survient l'état cataleptique. La malade est comme fas-cinée, immobile, l'œil grand ouvert fixé sur la lumière, la conjonc-tive injectée et humide. L'anesthésie est complète. Si la malade ^était hémianesthésique, elle devient anesthésique totale. Elle n'est point contracturée, et tous ses membres ont la souplesse de l'état normal ou à peu près (quelquefois ils sont le siège d'une certaine raideur) ; mais ils ont acquis cette propriété singulière de con-server fattitude qu'on leur imprime. C'est bien là ce que tous les auteurs ont décrit sous le nom de catalepsie. Et la malade peut garder pendant longtemps des p^ses qu'elle aurait même peine à prendre quand elle n'est point dans cet état. Toute communication de la malade avec le monde extérieur semble interdite, et elle ne donne aucun signe d'intelligence aux diverses interpellations qu'on peut lui adresser Une particularité fort intéressante est finfluence du geste sur la physionomie. Les traits reflètent l'expression du geste.
t. CeUe première série d'observations date de l'année 1878, et la plupart d'entre elles ont été reproduites publiquement par M. Gharcot à ses conférences cliniques, faites à l'hospice de la Salpètrière en novembre et décembre de la môme année. Elles ont été publiées déjà dans le Progrès médical.
2. Nous verrons plus loin qu'il est des cas de catalepsie provoquée qui s'accom-pagnent de la persistance d'un ou de plusieurs sens.
CATALEPSIE PROVO 0 UEE SU G GESTI 0"N D'après une PKotographie deM^Loreau.
A.Delaliaye et E,Lecrosnier.
Document numérisé par la Bibliothèque universitaire Pierre et Marie Curie - UPMC - Cote : WM 173 RIC
CATALEPSIE PROVOQUEE _ SUGGESTION. D'après une Photographie de IvP" Loreau.
A.Delahave et E.Lecrosnier.
Document numérisé par ia Bibiiotiièque universitaire Pierre et Marie Curie - UPMC - Cote : WM 173 RiC
Une attitude tragique imprime un air dur à la physionomie, le sourcil se contracte (pl. VII). Et si l'on approche les deux mains de la bouche, comme dans l'acte d'envoyer un baiser, le sourire apparaît immédiatement aux lèvres (pl. VI). C'est là un exemple de ce que, dans le langage de Braid, on appelle le phénomène de la suggestion ^ Cet état de catalepsie dure aussi longtemps que l'agent qui Fa provoqué, la lumière, continue à impressionner la rétine.
2°. — Si la lumière disparaît subitement, ou si l'on empêche le rayon lumineux de parvenir à l'œil de la malade en interposant un écran, ou simplement en baissant ses paupières supérieures avec la main, la catalepsie fait place à un nouvel état qui en diffère essentiellement et qui répond à ce que Ton a désigné sous les noms de somnambulisme, sommation provoquée, de sommeil nerveux, somm^eil magnétique,etc...Le mot sommeil est peut-être assez im-proprement employé ici, car nous verrons que cet état, spécial diffère par bien des caractères du véritable sommeil. M. Charcot préfère le désigner, en attendant mieux, sous le nom de léthargie.
La léthargie hystérique, dans ce cas particulier, débute brusque-ment avec la cessation de fimpression lumineuse : si elle était debout, la malade tombe à la renverse, la tête rejetée en arrière, le cou saillant.
Les yeux se ferment, et une inspiration sifflante se fait entendre, accompagnée de quelques mouvements bruyants de déglutition. Ces derniers signes et la chute en arrière rappellent, jusqu'à un cer-tain point, les débuts de f attaque hystéro-épileptique; mais la res-semblance s'arrête là, car les membres et tout le corps, loin de présenter la tétanisation de la période épileptoïde, sont le plus souvent dans la résolution la plus complète.
Un phénomène musculaire fort remarquable se développe im-médiatement, c'est ce que M. Charcot désigne sous le ïioïïkïhyper-excitabilité neuro-musculaire : il suffit d'exciter mécaniquement un muscle au travers de la peau, soit en pressant, soit en frottant, même légèrement, pour provoquer sa contraction, à la façon de ce qui a lieu quand on pratique l'électrisation localisée. La contrac-
1- Voy. à ce propos l'excellent article Hypnotisme du Dictionnaire de médecine 6t de chirurgie pratiques, par M. Mathias Duval.
tion du muscle, sur les membres, persiste après l'excitation, pour peu que celle-ci soit un peu forte et un peu prolongée, et se transforme facilement en contracture permanente; l'excitation d'un nerf provoque la contraction des muscles qu'il innerve. Ainsi, il suffît d'une légère pression faite en avant du lobule de l'oreille, au point où émerge le facial, pour amener la contraction des muscles du même côté de la face; chaque muscle de la face, touché isolé-ment, se contracte isolément; une légère friction sur le slerno-mas-toïdien fait tourner la tête suivant l'action connue de ce muscle, c'est-à-dire que la face est dirigée du côté opposé au muscle excité. L'excitation de l'antagoniste, c'est-à-dire du sterno-mastoïdien de l'autre côté,ramène la tête dans la situation droite et, si l'on insiste, la tourne inversement. Sur un bras l'excitation des fléchisseurs amène la contracture du membre dans la flexion, qui cesse par l'excitation des extenseurs, et inversement. En résumé, tous les muscles sont susceptibles de se contracter ainsi ; et suivant la durée et l'intensité de l'excitation,on obtient à volonté une contrac-tion ou une contracture.
Il existe à ce sujet une petite différence entre les muscles de la face et ceux des membres. A la face, on provoque très facilement la contraction des muscles, mais difficilement la contracture. Il faut insister, et encore ne réussit-on pas chez toutes les malades. Chez Wit..., par exemple, on arrive facilement à contracturer les muscles de la face de façon à imprimer à la physionomie telle ex-pression grimaçante qui persiste.
La résolution n'est pas toujours complète ; chez B.par exemple, souvent la tête conserve un léger degré de roideur. La malade étant assise, le dos renversé sur une chaise, la tête ne retombe pas complètement inerte, elle se maintient à demi renversée ; et si on la tourne à gauche ou à droite, si on la penche en arrière ou en avant, elle conserve la position qu'on vient de lui donner. Par contre, les membres sont le plus souvent dans la résolution la plus absolue.
A ces différents signes se joignent, pour caractériser la léthargie hystérique provoquée, un frémissement constant de la paupière su-
périeure, la convulsion des globes oculaires dans diverses direc-tionsS et la persistance de l'anesthésie totale et absolue.
Tel est ce qu'on pourrait appeler le canis hystérique, ou première phase de la léthargie provoquée.
Mais la malade, jusque-là inerte, peut, sous l'influence de certaines excitations, entrer dans une seconde phase qui se rapproche davan-tage du somnambulisme. Si on l'appelle un peu vivement, elle se lève et se dirige, les yeux toujours fermés, vers l'interpellateur. On peut la faire écrire, coudre, etc. Elle exécute tous ces différents actes, les yeux fermés, à peu près avec autant de précision que dans l'état de veille. Le sens musculaire, suivantla remarque dcM. Azam, semble remplacer la vue. Elle répond parfois aux questions qu'on lui pose avec plus de précision qu'elle ne le saurait faire dans son état normal; il semble que l'intelligence soit plus excitée.
Pendant cette seconde phase de la somniation provoquée, les phé-nomènes musculaires de la première phase persistent au môme de-gré (hyperexcitabilité musculaire, frémissement des paupières, etc.).
Pour faire sortir la malade de cet état, comme de l'état catalep-tique, il suffit de lui souffler sur le visage ou de comprimer les ovaires. Au moment où elle revient à elle, la malade est prise d'un spasme pharyngien qui amène un peu d'écume entre ses lèvres, témoignant ainsi de la connexité qui existe entre ces différents états et l'attaque convulsive vraie. Dans aucun cas nous ne l'avons vue conserverie souvenir de ce qui s'est passé pendant ce sommeil -.
En résumé, on voit que les deux états que nous venons d'étudier sont ainsi caractérisés :
État cataleptique. — L'œil est grand ouvert; anesthésie totale et absolue; aptitude des membres et des diverses parties du corps à conserver la situation qu'on leur imprime; peu ou point de rigidité
1. Tantôt en haut et en dedans, tantôt en bas et en dedans, ou directeracnl en bas. Le phénomène est, on le voit, fort variable.
2. Plusieurs fois nous avons compté le pouls de la malade et nous n'avons trouvé aucune différence sous ce rapport entre la léthargie et la catalepsie. Dans ces deux états le pouls est régulier, il bat de 80 à 100 pulsations à la miuute. La res-piration est faible, irrégulière, suspendue par moments. Il est fort difdcilo de compter le nombre des mouvements respiratoires.
musculaire; impossibilité de faire contracter le muscle par excitation mécanique.
TÉtat léthargique. —Les yeux sont fermés ou demi-clos: fré-missement persistant de la paupière supérieure ; convulsion des globes oculaires ; anesthésie totale et absolue ; hyperexcitabilité mus-culaire : les membres dans la résolution ne conservent plus la situa-tion qu'on leur donne, en dehors de celle que peut leur imprimer la contracture provoquée : canw ou sommet/(première phase), som-nambulisme (deuxième phase.)
Pendant cet état de léthargie hypnotique, l'action des zones hys-térogènes, dont j'ai parlé, page 32, persiste avec cette particularité bien curieuse, que toutes les zones hystérogènes autres que le point ovarien déterminent, suivant l'intensité de l'excitalion, l'éclosion ou l'arrêt de l'attaque, sans que la malade sorte, pour ainsi dire, de l'état hypnotique. La malade n'a absolument conscience de rien ; la pression de la zone hystérogène, qui arrête l'attaque, ne détermine point en même temps le réveil, et laisse la malade dans le même état de sommeil que celui dans lequel elle se trouvait au moment où l'attaque a été provoquée. Le point ovarien fait excep-tion; en même temps que la compression ovarienne arrête l'at-taque, elle ramène du coup la connaissance et fait disparaître le sommeil hypnotique.
L'hyperexcitabilité neuro-musculaire qui accompagne la léthargie hysté-rique provoquée est un fait d'une importance capitale. Ce n'est point ici le lieu de faire de la physiologie et de chercher à résoudre les intéressants problèmes qu'il soulève touchant sa nature et le mécanisme de sa produc-tion. — Au point de vue uniquement syinptomatique auquel nous nous pla-çons en ce moment il fournit, en quelque sorte, suivant l'expression de M. Gharcot, les preuves analomiques de la réalité des états nerveux ainsi provoqués et écarte d'une façon péremptoire, tout soupçon de simulation.
Les expériences variées de mille façons ont donné des résultats absolu-ment conformes aux règles de la plus scrupuleuse anatomie et de 'a plus saine physiologie. Or il est difficile, malgré tout le désir que l'on puisse avoir de faire la part large à l'imitation ou à la simulation, de prêter à nos malades, illettrées pour la plupart, des connaissances si spéciales et si étendues qu'elles deviennent capables de résoudre instantanément des problèmes phy-siologiques qui embarrasseraient plus d'un médecin.
On peut en juger parles quelques expériences que je rapporterai plus loin; répétées d'abord chez une de nos malades, elles se sont ensuite reproduites exactement avec les mêmes caractères chez les autres malades à l'iusu des-quelles, cela va s'en dire, avaient été faites les premières expériences.
La différence qui sépare les muscles et les nerfs de la face, des muscles des membres, s'est toujours trouvée telle que nous l'avions tout d'abord cons-tatée. A la face, l'excitation mécanique des muscles ou des nerfs amène une contraction ; aux membres, l'excitation mécanique des muscles et des nerfs produit la contracture.
L'excitation d'un tronc nerveux fait contracter tous les muscles qu'il innerve.
La contraction du muscle peut être provoquée par l'excitation mécanique directe, ou par l'excitation mécanique des points moteurs reconnus en élec-tro-physiologie, et que l'on dit correspondre à l'entrée des nerfs moteurs dans la substance musculaire.
Les effets obtenus par l'électrisation faradique de ces points moteurs, pen-dant l'état normal, se trouvent reproduits d'une façon identique par l'excita-tation mécanique de ces mêmes points pendant l'état de léthargie provoquée^ avec cette différence toutefois, qu'aux membres la contracture remplace la contraction. Dans ce dernier état, les muscles et les nerfs sont également sensibles à la faradisation ^
Voici quelques-unes des expériences qui ont été le plus souvent répétées.
Au BRAS. — Excitation des muscles. — L'avant-bras est très riche en points moteurs musculaires, dont l'action spéciale et bien limitée a été dé-montrée par la faradisation. Nous avons choisi ceux dont l'action est le plus saisissante.
Ainsi vers l'union du tiers supérieur et des deux tiers inférieurs de la face dorsale de l'avant-bras et à peu près au niveau de la ligne médiane se trouve le point moteur de l'extenseur propre de l'index. Un peu plus bas et plus en dedans,, presque vers le milieu du bord cubital de l'avant-bras, se rencontre également un autre point dont l'action est aussi bien caractéristique, c'est le point moteur de l'extenseur propre du petit doigt. — Hé bien ! En les
1. J'ajouterai que ces expériences, lorsqu'on veut entrer dans l'analyse de l'ac-tion de chaque muscle isolément, sont en somme très délicates et entourées de nombreuses causes d'erreur. Dans certains cas, l'hyperexcitabdité musculaire est telle qu'il sufllt de plus léger attouchement pour provoquer la contracture muscu-laire ; de plus, si l'excitation portée est un peu forte, elle se propage spontanément aux muscles voisins; voilà, on le comprend, autant de causes de confusion. Il faut compter encore avec les réflexes cutanés ou tendineux et avec l'automatisme de 1 habitude lorsque les expériences ont été répétées un grand nombre de fois. Eufm il paraîtrait que dans cet état nerveux certains muscles font exception à la règle. M. Vigoureux, qui a fait quelques recherches à ce sujet, nous a dit n'avoir jamais pu faire contracturer le deltoïde. Malgré toutes ces difficultés, les faits que nous avons observés et qui sont exposés ici n'en sont pas moins positifs, et leur impor-tance n'échappera à personne.
richeu. 24.
cherchant avec l'extrémité mousse d'un crayon, pendant l'état léthargique, nous les avons facilement trouvés chez nos malades et leur excitation souvent répétée a toujours donné les mêmes résultats. Nous avons aussi pu faire con-tracter isolément par le même procédé les radiaux, les muscles du pouce, les cubitaux, etc..
A la main les muscles des éminenos thénar et hypothénar ont pu être excités séparément.
L'excitation du premier interosseux dorsal a toujours amené l'extension de l'index, etc., etc..
Excitation des nerfs. — L'expérimentation a donné ici des résultats fort curieux.
Tandis que chez l'homme sain, l'excitation faradique d'un nerf mixte pro-voque dans tous les muscles qu'il innerve une contraction difficile à analyser, parce qu'elle ne peut être maintenue longtemps à cause de la douleur qui l'accompagne, chez l'hystérique en état de léthargie, l'excitation mécanique des mêmes nerfs détermine, dans les muscles qui en dépendent, une con-traction permanente ou contracture qui place le membre dans une attitude qui est la résultante de l'action simultanée de tous les muscles intéressés.
Ainsi sous l'influence de l'excitation mécanique du nerf cubital en arrière de l'épitrochlée, la main d'une hystérique léthargique prend une attitude caractéristique que l'excitation faradique faite à l'état normal n'a-vait qu'à peine indiquée. La main se trouve immobilisée dans un geste qui rappelle celui de la « bénédiction episcopale. » L'index et le médius restent étendus, pendant que l'annulaire et le petit doigt sont fléchis complètement, et que le pouce dans l'adduction vient appliquer sa phalange contre les deux derniers doigts. Si nous réfléchissons, nous verrons que ce mouvement sin-gulier de la main est produit par les muscles auxquels justement le cubital fournit des filets moteurs. Le nerf cubital envoie des rameaux au muscle cu-bital antérieur et à la moitié interne du fléchisseur profond, aux muscles de l'éminence hypothénar, aux deux lombricaux internes, à l'adducteur du pouce et à tous les muscles interosseux.
Cette intéressante expérience de l'excitation du nerf cubital a donné chez toutes nos malades le même résultat.
L'excitation du nerf médian le long du bord interne du biceps produit la contracture en flexion de tous les segments du membre, avant-bras, main, doigts. Au contraire l'excitation du nerf radial, au sortir de la gouttière de torsion, amène l'extension de ces mêmes parties.
A LA FACE. —Tous les muscles de la face peuvent être excités séparément. Mais, comme je l'ai déjà dit, l'excitation mécanique ne donne lieu ici qu'à la contraction. Si l'excitation a été profonde et prolongée, la contraction pro-duite se maintient quelques instants, mais elle ne se transforme jamais en une contracture comparable à celle des membres.
Nous avons ainsi fait contracter individuellement le frontal, le myrtiforme le triangulaire des lèvres, le carré du menton, etc....
Les rameaux du facial, au sortir de la parotide peuvent être excités sépa-rément et produisent la contraction des muscles soit de l'œil, soit du nez, soit de la bouche.
Chez une de nos malades Witt..., l'excitation des muscles de l'oreille a donné des résultats d'autant plus saisissants que ces muscles échappent sou-vent à l'action de la volonté. En portant une légère excitation mécanique immédiatement en avant du tragus, l'oreille est vivement attirée en haut. On a vraisemblablement excité ainsi le rameau du nerf facial qui en montant vers la région temporale innerve une partie du muscle auriculaire supérieur. En effet en portant l'excitation sur ce muscle lui-même, le même mouvement du pavillon de l'oreille se produit.
DEUXIÈME OBSERVATION. — HÉMILÉTHARGIE ET HÉMICATALEPSIE EXISTANT ' SIMULTANÉMENT CHEZ LE MÊME SUJET.
Nous avons vu, dans l'observation précédente, la catalepsie pro-duite par l'impression lumineuse et suivie de la léthargie par la sup-pression brusque de la lumière. Le retour de la lumière ramène la catalepsie, il suffit de soulever les paupières de la malade léthargique pour faire revenir tous les signes de l'état cataleptique. Dans ce cas la catalepsie et la léthargie se succèdent tour à tour au gré de l'observateur, suivant qu'il maintient ouverts ou fermés les yeux de la malade.
Cette expérience peut être variée de la façon suivante. Supposons la malade plongée dans l'état cataleptique sous l'influence d'une vive lumière. Nous fermons avec la main un seul de ses yeux, l'œil droit par exemple, et aussitôt elle devient léthargique du côté droit seulement, pendant qu'elle demeure cataleptique du côté gauche. C'est-à-dire que les membres et la face du côté droit sont dans la ré-solution, et jouissent seuls del'hyperexcitabilité musculaire caracté-ristique de la léthargie, pendant que les membres du côté gauche seulement ont la propriété de conserver les attitudes qu'on leur com-munique.
La malade est à la fois, on peut le dire, liémiléthargique et hé-micataleptique. L'hémiléthargie ou l'hémicatalepsie peut indiffé-remment occuper l'un ou l'autre côté du corps.
TROISIÈME OBSERVATION. — CONTRACTURE PERMANENTE ARTIFICIELLE.
Les contractures variées que l'état de léthargie permet de don-ner à la malade se résolvent d'elles-mêmes et immédiatement, si on vient à la faire passer directement de la léthargie à l'état normal par les divers procédés: souffle sur le visage, compression ovarienne. Mais si, au lieu de la réveiller, on la rend cataleptique, la contrac-ture persiste tout le temps que dure la catalepsie pour se résoudre au moment où on la plonge de nouveau dans le sommeil. Si l'on provoque le réveil pendant qu'elle est cataleptique et contracturée, la contracture persiste alors indéfiniment et la malade, complète-ment revenue à elle, offre toutes les apparences d'une hystérique atteinte de contracture permanente \ Il n'est alors possible de la débarrasser complètement de la contracture qu'en la plongeant de nouveau dans fétat de somniation"^ .
L'hystérique ainsi affectée de contractures permanentes artifi-cielles, par les procédés que nous venons d'indiquer, est sous le coup d'un état spécial du système musculaire, que l'on pourrait ap-peler la diathèse de contracture; c'est-à-dire que les muscles sont susceptibles de se contracturer sous l'action d'agents très divers, defaimant par exemple, et la contracture ainsi attirée, en quelque sorte, sur un autre point du corps, quitte les muscles qu'elle avait primitivement atteints. Ainsi, supposons notre malade affectée de contracture permanente artificielle du bras droit; si Ton fait agir l'aimant sur le bras gauche, en plaçant ses pôles actifs à peu de distance de la peau, le bras gauche, au bout de peu d'instants, se contracture en même temps que le bras droit retrouve sa sou-plesse normale. Ce procédé de déplacement de la contracture sous
1. Nous avons pu nous assurer depuis ces premières expériences que le retour à la catalepsie n'était pas toujours nécessaire au maintien, après le réveil, de la contracture provoquée. En réveillant directement la malade léthargique, la con-tracture persiste souvent, mais non toujours,
2. Le mot soimiiation est emprunté à Joseph Franlî. M. le Moissenet s'en est servi dans son intéressante étude publiée dans le premier fascicule de la Société médicale des hôpitaux.
l'influence de l'aimant a été utilisé pour la guérison d'une contrac-ture permanente hystérique, survenue spontanément chez une reli-gieuse, la sœur P., dont l'observation a été publiée tout au long dans le Progrès médical \
quatrième observation.
Comme complément de cette étude de la catalepsie produite par l'impression lumineuse, M. Charcot a rappelé h son cours l'expé-rience bien connue, qui consiste à faire tomber un coq ou une poule dans un état assez analogue à la catalepsie de l'homme, en lui plaçant le bec devant une ligne blanche tracée sur le sol. L'ex-périence est reproduite en plaçant un coq devant une lumière de Drummond; survient bientôt un état qui ressemble à la catalepsie, mais qui n'est jamais suivi de léthargie. Ces faits ont déjà été re-connus depuis longtemps par le père Athanase Kirscher, qui pen-sait que la cause de ces phénomènes résidait dans rimaginalion de ranimai. Récemment, en Allemagne, cet état cataleptiforme a été reproduit par divers procédés sur divers animaux, tels que le pi-geon, le lapin, le moineau, le cobaye, la salamandre, récrevisse,par M. Preyer, qui l'attribue à la terreur ou au saisissement. M. Char-cot, sans chercher à donner la raison de ces phénomènes, se con-tente de les rapprocher de ceaxqu'on observe chez les hystériques, indiquant un chapitre de pathologie comparée qui ne serait pas sans intérêt
cinquième observation. '¦— catalepsie et léthargie hystériques produites sous l'influence des vibrations d'UN diapason.
La lumière n'est pas le seul agent qui puisse plonger les hystéro-épileptiques dans les états de catalepsie et de léthargie ; les mêmes
1. Le Progrès médical, 35, 36 et 39, année 1878.
2. L'expérience attribuée à Kirscher, (1646), était déjà connue de Schwenter [Deliciœ physicomathematicœ, Nûmherg, i 636), qui l'avait empruntée à un ou-vrage publié sans nom d'auteur, par un Français. Sur l'état cataleptique chez les animaux, voy., en outre des travaux du D'' Michea, Czermak, Archives de physio-
expériences ont été reproduites sous l'influence des vibrations so-nores. Les malades Gl... etB... sont assises sur la boîte de renforce-ment d'un fort diapason ; ce diapason, en métal de cloche, vibre soixante-quatre fois à la seconde. Il est mis en vibration au moyen d'une tige de bois qui en écarte violemment les branches ou d'un archet qui frotte son extrémité ouverte. Au bout de peu d'instants, les malades entrent en catalepsie, les yeux restent ouverts, elles paraissent absorbées, elles n'ont plus conscience de ce qui se passe autour d'elles, et leurs membres conservent les diverses attitudes qu'on leur imprime ^ Si l'on arrête brusquement les vibrations du diapason, immédiatement se fait entendre le bruit laryngien, les membres tombent dans la résolution, et les malades sont plongées dans la léthargie. — Ici la léthargie possède tous les caractères dé-crits précédemment. Au milieu de l'état léthargique, de nouvelles vibrations du diapason ramènent la catalepsie.
Il semblerait donc que la suppression de l'agent qui a provoqué la catalepsie soit la condition nécessaire de sa disparition pour faire place à la léthargie. Mais il faut que la transition soit brusque, la lumière par exemple éteinte tout d'un coup, ou bien les vibrations du diapason arrêtées soudainement ; si on laisse les vibrations s'é-puiser d'elles-mêmes, la catalepsie persiste.
L'action de l'agent qui a produit la catalepsie peut donc s'épuiser, disparaître, et la catalepsie n'en persister pas moins. En effet, nous voyons la malade sur laquelle on a répété ces diverses expé-riences, demeurer pendant quelque temps, un quart d'heure ou une demi-heure — jusqu'à ce que les distractions, une petite prome-nade au grand air, aient tout fait disparaître, — dans un état de prédisposition tout spécial qui fait qu'elle entre en catalepsie toute seule, sans l'intervention appréciable d'aucun agent extérieur, comme par les seules tendances de son organisme ébranlé.
logie de l'homme et des animaux, Bonn, 1873; Preyer, die Kataplexie und der Thiersehhelltjpnotismus, avec planches, léna, 1878.
1. Nous avons vu que lorsque les malades étaient rendues cataleptiques par la lumière, il suffisait de leur fermer les yeux pour les plonger dans l'état léthar-gique. Dans le cas présent, la même manœuvre ne conduit pas au même résultat. Tant que dure la vibration sonore, l'on peut fermer les yeux de la malade, et la catalepsie n'en persiste pas moins.
SIXIÈME OBSERVATION. — CATALEPSIE ET LÉTHARGIE HYSTÉRIQUES PRODUITES SOUS L'INFLUENCE d'un BRUIT INTENSE ET INATTENDU.
Il était intéressant de rechercher si dans l'expérience précédente la catalepsie et la léthargie hystériques étaient survenues sous l'in-fluence d'une impression auditive ou de l'ébranlement communiqué à tout le corps par la propagation des vibrations de la caisse sonore.
L'observation suivante, sans éliminer l'influence de la vibration communiquée au corps, montre que l'impression auditive suffit pour produire la catalepsie.
28 novembre 1878. —Plusieurs hystériques sont réunies dans une même salle, et pendant que d'un côté l'on cherche à détourner leur attention, de f autre un coup vivement porté sur un gong chi-nois produit le bruit assourdissant que tout le monde connaît. L'émoi est grand, une seule, B..., tombe subitement en catalepsie; elle est immobihsée dans l'attitude de la frayeur, le corps penché en avant et les deux mains levées à hauteur des oreilles. La cata-lepsie paraît plus intense qu'habituellement, ses membres se laissent déplacer et conservent la nouvelle attitude qu'on leur communique, mais ils sont le siège d'une certaine raideur.
En lui fermant les yeux, la léthargie ne survient pas. Mais en répétant les coups sur le gong et en arrêtant subitement les vibra-tions, elle tombe en léthargie; de nouveaux coups de gong la mettent en catalepsie.
On la réveille par la pression ovarienne : elle recouvre ses sens, mais un résultat bien inattendu se produit.— Elle ne reconnaît per-sonne, ne répond en aucune façon aux questions qu'on lui adresse, récite d'une voix monotone, avec des gestes incohérents, une sorte de discours interminable, composé de mots et de membres de plirases sans suite, et n'ayant aucun sens déterminé. En voici un exemple :
« C'est ainsi qu'il a jugé le contraire de se mettre à la portée... C'est ainsi qu'il croit sans cesse, avec les générosités à lui pré-sentes, qu'une personne était seule à remettre les endroits difficdes delà terre... Il était lâche de comprendre cette défiguration per-
sonnelle... Le raisonnement était bien humble, bien pensif à tous ses devoirs... C'est certain, c'est sa manière de vivre... Le redou-table coup de tonnerre fait écrouler les maisons. Le reçu de coup fatal de sa poitrine, une partie du monde qui était entré dans Paris... Il s'était fait mourir pour s'atténuer le complément, car la fm du mois est arrivée capable de dissimuler dans les siècles des siècles... C'était le premier juin, il était rentré dans sa maison, if a fait beaucoup de peine, il avait voulu se venger contre les cou-pables des coupables, il s'était arrangé de manière à défiler les couteaux pour donner des coups de pied... etc. y
Elle est anesthésique totale et n'a plus de zone hystéro-épilep-togène.
Elle s'endort plus difficilement par le regard. Le son, la lumière la cataleptisent; alors on peut lui donner une attaque convulsive ou la plonger dans le sommeil léthargique. Quand elle se réveille, elle sort comme d'un rêve et conserve pendant quelques instants sa raison, l'hémianesthésie et les points hyperesthésiques. Mais bientôt on voit son visage s'assombrir, elle repousse du geste les personnes avec qui elle causait et reprend ses interminables diva-gations, perdant à la fois la raison et les points hyperesthésiques, et devenant anesthésique totale.
Elle demeure dans cet état mental jusqu'au 3 décembre.
Le 1" et le 2 décenribre, elle a des attaques composées d'accès épileptoïdes et de délire avec agitation. Quand on comprime la région ovarienne, elle recouvre la raison avec le calme ; mais, les attaques terminées, elle se trouve dans le même état mental qu'au-paravant.
Enfin, le 3 décembre, à la visite du matin, B... vient au-devant de nous, nous annonçant qu'elle a perdu les points hyperesthé-siques. — Elle a complètement recouvré la raison. On ne peut lui donner une attaque en la pressant entre les deux épaules, comme cela a lieu habituellement chez elle. Mais elle reste hémianesthé-sique. Pendant le sommeil hystérique provoqué par la fixité du re-gard, retour des points hyperesthésiques, qui disparaissent quand elle est réveillée.
On comprendra que, devant un semblable résultat, nous ne nous soyons plus permis de répéter cette expérience chez nos autres malades qu'avec la plus grande réserve. Cependant, le bruit du gong est loin d'exercer un effet toujours aussi désastreux sur l'intelligence.
Gl... est très facilement cataleptisée par ce procédé. L'expé-rience, répétée bien des fois chez elle, n'a jamais eu de consé-quences fâcheuses. Elle est subitement immobilisée dans l'attitude
Fig. 96.
où elle se trouve. Par exemple : la séance terminée, au moment où elle sort de la salle, on donne un coup sur le gong, elle est subitement immobilisée, la jambe levée, le corps penché en avant, comme dans l'action de marcher ; seulement ses mains se sont rapprochées des oreilles, comme pour éviter un bruit as-sourdissant (fig. 96). La physionomie conserve le plus souvent l'ex-pression de l'effroi, les yeux sont ouverts. Si on lui ferme les paupières, survient l'état léthargique et tout le cortège des phéno-mènes décrits dans la première observation. Un nouveau coup sur le gong la rend cataleptique.
Elle ne conserve au réveil aucun souvenir du bruit qui a causé la catalepsie.
Elle se prête assez volontiers à ces expériences, qui n'ont pas l'air de lai sembler trop pénibles. Un jour nous la prions de frap-per elle-même sur le gong (fig. 97). A peine a-t-elle donné le coup sur l'instrument, qu'elle se renverse en arrière, prenant un point d'appui sur le mur près duquel elle se trouve; ses deux bras, te-nant encore les deux parties de l'instrument, s'élèvent presque horizontalement et elle demeure ainsi immobihsée. Au bout de
Fig. 97.
quelques instants, on lui ferme l'œil droit, le bras droit retombe et la main laisse échapper le percuteur; on ferme ensuite l'œil gauche, le bras gauche retombe, et la main laisse échapper le gong. La léthargie est complète.
Cette expérience a été répétée depuis, et le plus souvent avec succès, chez les autres malades hystéro-épileptiques du service de M. Charcot. Lorsque la malade est prévenue et qu'elle voit l'instrument qui fait le bruit, elle peut résister et ne pas tomber en catalepsie ; elle en est quitte pour un tressaille-ment et une vive émotion. Par contre, si le bruit est inopiné, la catalepsie est
CATALEPSIE PROVOQUEE INFLUENCE D'UN BRUIT INTENSE ET INATTENDU D'après une Photographie de Lorea-'a.
A.Delahaye el E. Lecrosnier.
Document numérisé par ia Bibliothèque universitaire Pierre et Marie Curie - UPMC - Cote : WM 173 RiC
produite très facilement. Il nous est arrivé bien des fois, nous servant du gong dans l'intérieur du laboratoire, de rendre cataleptiques, à notre insu, plusieurs de nos bystériques diversement occupées dans la salle voisine ou même dans la cour. Si alors nous nous rendions près d'elles^ nous pouvions à volonté les plonger dans l'état léthargique en leur fermant les yeux et repro-duire toute la série des phénomènes babituels. A une certaine époque l'une de nos malades Dub..., n'était pas icndue cataleptique sous l'influence du bruit du gong, mais était immédiatement prise de son attaque hystéro-épi-leptique ; ce qui lui arriva même un jour pendant qu'elle était montée sur l'escarpolette et se balançait. Le coup de gong qui ne s'adressait point à elle avait été frappé au laboratoire situé non loin de là.
Depuis la première expérience faite sur Bar..., et qui occasionna le singu-lier accident que nous avons rapporté, cette malade demeure complètement indifférente au bruit du gong. Pendant que ses compagnes sont rendues cata-leptiques, elle résiste toujours et n'éprouve tout au plus qu'un léger émoi.
Cette singulière action d'un bruit intense et inattendu sur la catalepsie hystérique donna lieu à plus d'un accident singulier. Un jour de Fête-Dieu plusieurs hystériques qui suivaient la procession sont rendues cataleptiques par la musique militaire qui chaque année vient, dans l'intérieur de l'hospice, prêter son concours à cette solennité. Une autre fois l'une d'elles tombe ca-taleptique en entendant un chien aboyer. Une autre profite d'un jour de sor-tie pour aller au concert au Chàtelet. Trois fois pendant le cours de la séance musicale, elle est rendue cataleptique. La personne qui l'accompagnait en cette circonstance connaissait le moyerx bien simple de faire cesser ce genre de catalepsie ; elle n'avait qu'à lui souffler sur le visage pour la rendre aussi-tôt à la vie commune et au concert.
Nous avons réuni un jour un certain nombre de nos hystéro-épileptiques sous le prétexte de faire tirer leur photographie. Au moment où la plaque toute préparée était dans l'appareil, nous avons, à leur insu, frappé un coup de gong qui les a immédiatement rendues cataleptiques. L'épreuve photo-graphique fut faite alors et l'eau-forte de la pl, VIII en est une reproduction.
septième observation. — catalepsie et léthargie hystériques, produites sous l'influence du regard.
Des etfets absolument semblables à ceux que nous venons d'ex-poser, sont obtenus sans l'intervention d'un foyer lumineux ou des vibrations sonores. — Il suffit de fixer la malade dont le re-gard est dirigé sur celui de l'expérimentateur ^ B... dont la sensi-
1. La fixité du regard de la malade sur un objet quelconque, et surtout lors-^lu'il y a convergence supérieure des axes visuels, conduit au môme résultat.
bilitéà ce genre d'expériences est très grande, tombe presque im-médiatement dans le carus léthargique, précédé de l'inspiration sifflante habituelle. Chez les malades plus longues à endormir par ce moyen, la léthargie semble précédée d'une sorte d'état catalep-tique. Tout ceci s'obtient sans passe aucune, et sans que la personnalité de l'expérimentateur y soit pour quelque chose.
Une fois la malade endormie de cette façon, il suffit de lui ou-vrir les yeux pour la rendre cataleptique ^ ; et l'on peut répéter à volonté, et nous ajoutons sans grande fatigue pour la malade, toute la série des expériences reproduites plus haut.
Dans cette expérience, la malade paraît être plongée d'emblée dans l'état léthargique, sans passer par l'état cataleptique, comme dans les expériences précédentes. Mais si l'on y regarde de près, on verra que l'ordre de succession est toujours le même, et que la catalepsie passe inaperçue. Chez une malade un peu longue à en-dormir par ce procédé, on remarque qu'à un certain moment, le regard devient d'une fixité particulière,la conjonctive est injectée, l'œil larmoyanL Si alors l'expérimentateur s'éloigne graduelle-ment, il pourra parvenir à fixer cette phase qui n'est autre que l'état cataleptique; en effet, la malade, abandonnée à elle-même, ne se réveille pas, elle ne tombe pas non plus dans le sommeil. Son œil demeure toujours grand ouvert, elle est immobile, ses membres conservent l'attitude qu'on leur communique; en un mot, elle est cataleptique.
Nous avons observé chez une de nos malades endormie par ce procédé, quelques détails de la léthargie hystérique qui, tout en différant un peu de la description que nous en avons donnée, n'en rentre pas moins, quant à ses traits principaux, dans l'ordre général. Ainsi la résolution des membres n'est pas complète. Pendant le sommeil léthargique avec hyperexcitabilité muscu-laire, la catalepsie existe à un léger degré dans les membres supé-rieurs, quelquefois dans un seul. Ils sont le siège d'une certaine
1. L'état cataleptique ainsi obtenu présente, en outre des phénomènes déjà dé-crits, un certain nombre de phénomènes d'ordre psychique dont nous parlerons plus loin.
raideur. Mais l'état cataleptique est bien imparfait, car le membre soulevé ne tarde pas à retomber peu à peu et par degrés, suivant la loi de la pesanteur. Il suffit d'ouvrir les yeux à la malade pour la rendre complètement cataleptique et faire cesser l'hyperexcita-bilité musculaire. Les deux états, léthargie et catalepsie, n'en sont pas moins nettement caractérisés. Dans le premier persiste, il est vrai, un certain degré de catalepsie, mais la catalepsie est impar-faite et partielle, elle n'occupe pas tout le corps; il y a de l'hyper-excitabilité musculaire. Dans le second la catalepsie est parfaite et générale; il n'y a plus d'hyperexcitabilité musculaire.
Cette observation nous a conduit à rechercher si, chez les autres malades qui ont une résolution plus complète pendant la lé-thargie, ces phénomènes de catalepsie imparfaite pouvaient être également obtenus. Nous y sommes arrivés facilement chez B... ; mais deux conditions deviennent alors indispensables pour faire conserver au membre la position que l'on désire lui voir garder : ou bien il faut que le membre soit brusqué, ou bien il faut le maintenir quelques instants avant de l'abandonner à lui-même.
HUITIÈME OBSERVATION. — LÉTHARGIE HYSTÉRIQUE PRODUITE SOUS l'iN-FLUENCE de LA PRESSION DES GLOBES OCULAIRES.
La pression des globes oculaires, suivant le procédé employé déjà par M. Lasègue, provoque, chez la plupart de nos malades, un sommeil qui n'est autre que la létiiargie que nous avons déjà lon-guement décrite. Le soulèvement des paupières amène l'état cata-leptique, de la même façon que dans les observations précé-dentes.
NEUVIÈME OBSERVATION. — PRODUCTION d'uNE AUTRE VARIÉTÉ DE LÉTHAR-GIE HYSTÉRIQUE PAR LA PRESSION SUR LE VERTEX. LÉTHARGIE SANS IIYPEREXCITABILITÉ MUSCULAIRE OU SOMNAMBULISME,
En temps ordinaire B... porte sur le sommet de la tête une zone hyperesthésique ; la pression en est fort douloureuse. Lors-
qu'on pratique cette pression, on provoque une sorte de vertige épileptoïde, la malade se renverse, se raidit, quelquefois un peu d'écume vient aux lèvres; puis elle reprend aussitôt connaissance et regarde avec des yeux étonnés. Habituellement, on ne peut, par ce procédé, provoquer les grandes attaques convulsives qui sur-viennent si facilement à la suite du moindre attouchement exercé sur la région dorsale entre les deux épaules.
B... est endormie par le regard. Elle est dans l'état que nous avons appelé léthargie avec hyperexcitabilité musculaire. Si alors on vient à exercer une pression sur le sommet de la tête, on voit survenir une ébauche d'attaque épileptoïde; la malade se ren-verse et se raidit, ses membres dans l'extension se tétanisent, la tête s'étend, et l'écume vient aux lèvres; mais les choses en restent là, et la malade se trouve dans un nouvel état de som-meil avec rigidité souvent générale.
Cette rigidité disparaît facilement par une légère friction sur les membres contractures. La résolution peut être obtenue com-plète, et il n'est plus possible alors de provoquer la contracture, en pressant sur les masses musculaires. L'hyperexcitabilité mus-culaire n'existe plus. En apparence, rien n'est changé à l'état de léthargie hystérique dans lequel la malade se trouvait plongée, il n'y a qu'un instant. Mais le muscle n'est plus excitable, pas plus à la face qu'aux membres, et la résolution qui existe ne peut être modifiée en aucune façon, par les procédés ordinaires.
De plus, si on vient à soulever les paupières de h malade, la catalepsie n'est plus possible, le membre soulevé retombe inerte.
Mais le somnambulisme existe plus parfait que dans la léthargie avec hyperexcitabilité musculaire. En effet, la malade se lève avec plus de vivacité, marche plus facilement, cherche à suivre l'expérimentateur.
Nous avons donc affaire ici à une nouvelle sorte de léthargie et de somnambulisme, différente de celle que nous avons décrite (Obs. I), sous les rapports suivants : F hyperexcitabilité mus-culaire n'existe pas, la catalepsie n'est plus possible par le sou-
lèvement des paupières supérieures et le somnambulisme paraît plus parfait.
Pendant ce deuxième état de sommeil, si l'on vient à exercer une pression sur les globes oculaires, la malade pousse un pro-fond soupir, quelquefois un bruit pharyngien se fait entendre, et il y a retour de l'hyperexcitabilité musculaire. La malade est de nouveau dans le premier sommeil, la léthargie avec hyperexcita-bilité. De sorte que, chose bien curieuse, on peut à volonté, chez notre malade, faire apparaître alternativement, ou la léthargie avec hyperexcitabilité, ou la léthargie sans hyperexcitabilité, suivant qu'on exerce une pression sur les globes oculaires ou sur le sommet de la tête. (Voy. la note de la page 4J9.)
Pendantune attaque convulsive nous avons plusieurs fois ar-rêté subitement les convulsions par la pression sur le sommet de la tête et amené la production de cette seconde sorte de lé-thargie artificielle, qui s'est prolongée longtemps et a amené la fin de la crise.
L'examen des muscles par félectricité faradique est venu con-firmer la différence que nous avons signalée dans fétat musculaire, et qui nous a servi à caractériser età admettre deux sortes de lé-thargie hystérique.
Dans la léthargie avec hyperexcitabilité musculaire, fexcitation faradique portée sur un membre produit infailliblement la con-tracture permanente du muscle; dans la léthargie sans hyperex-citabilité musculaire, l'excitation faradique, quelque forte qu'elle soit, n'a jamais pu mettre le muscle en état de contracture per-manente et n'a jamais produit qu'une contraction.
Cette expérience a été répétée depuis avec succès cliez presque toutes nos malades. Voici en quelques mots les résultats de nos nouvelles re-cherches :
1° Les phénomènes épileptoïdes du début sont plus ou moins accusés sui-vant que la pression du vertex est plus ou moins forte.
2" La production de ce nouvel état de sommeil est d'autant plus facile qu'il a été provoqué plus souvent.
3° Il survient quelquefois spontanément pendant la léthargie hystérique avec hyperexcitabilité.
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4" L'hyperexcitabilité musculaire telle que nous l'avons décrite et observée dans la léthargie hystérique proprement dite, n'existe pas ici. Le massage, la pression laissent le muscle inerte; mais la contracture musculaire peut être provoquée par d'autres procédés plus délicats. (Voy. p. 408, note.)
5» La catalepsie n'est plus possible par le simple soulèvement des pau-pières, mais si en même temps l'on provoque une hallucination, ainsi que nous le verrons plus loin (page 402), cette hallucination est suivie soit du réveil spontané, soit du retour de l'état cataleptique.
6" Ce nouvel état nerveux s'accompagne parfois de phénomènes psychiques particuliers (hallucinations provoquées) et d'un état d'hyperesthésie spéciale qui permettent de le rapprocher de ce qu'on a appelé le sommeil magné-tique ^ (Voy. obs. IV et V de lalP série.)
DEUXIÈME SÉRIE D'OBSERVATIONS
Dans cette seconde série d'observations ^, nous avons plus par-ticulièrement porté notre attention sur les phénomènes psychi-ques qui accompagnent les divers états nerveux dont jusque-là nous avions étudié surtout les phénomènes somatiques. Nous
1. J'attire l'attention sur l'état nerveux spécial dont il est question ici et qui est obtenu avec des moyens absolument exempts de mystère, par ce qu'il offre les plus grandes analogies avec le sommeil qu'obtiennent les magnétiseurs par des maooeuvres dont l'action nous échappe. J'ai eu, un jour, la preuve en quelque sorte expérimentale du rapprochement que je fais ici. Un amateur de magnétisme exercé dans les pratiques destinées à procurer le sommeil magnétique, endormit devant nous plusieurs de nos malades. II fit des passes, les regarda fixement en leur tenant les mains, appliqua la main au creux de leur estomac, etc. Nos malades au bout de peu d'instants perdirent connaissance et tombèrent en résolution, les yeux fermés; elles dormaient. Contrairement à ce qui se passait dans nos expériences, l'invasion du sommeil avait été progressive, sans la moindre secousse, sans le plus petit signe épileptoïde. On examine alors l'état de la contractililé musculaire, les muscles ne répondent pas à l'excitation mécanique, le phénomène décrit sous le nom d'hyperexcitabilité neuro-musculaire n'existe pas. L'insensibilité aux piqûres est absolue et générale. Les malades répondent aux questions, m.archent, écrivent, etc., en un mot accomplissent certains actes de somnambulisme.
Nos malades nous ont paru alors dans le même état que celui que nous pou-vions provoquer par la pression du vertex, et ce qui nous confirma encore dans cette opinion c'est que nous pûmes par la pression oculaire faire reparaître l'hyper-excitabilité neuro-musculaire, absoluiïient comme lorsque les malades avaient été endormies par nos procédés, La diiférencc n'existait donc plus que dans les phénomènes du début.
2. Ces nouvelles recherches ont été entreprises, comme les précédentes, dans le laboratoire clmique de M. Charcot à la Salpêtrière.
J'y ai été aidé par le précieux concours de mon ami, M. Ballet, interne, et des élèves du service.
trouverons là un certain nombre de faits qui me paraissent de nature à aider à la compréhension de la grande attaque hysté-rique et de quelques-unes de ses variétés.
PREMUiRE OBSERVATION. — ÉTAT DES SENS PENDANT la CATALEPSIE HYSTÉRIQUE PROVOQUÉE. ACTIONS INCONSCIENTES. AUTOMATISME.
La malade est endormie par la convergence des rayons visuels en strabisme interne et supérieur. Elle tombe dans cet état connu sous le nom de léthargie avec hyperexcitabilité neuro-musculaire. Les membres sont en résolution et l'excitation mécanique même légère des muscles ou des nerfs amène la contracture des mus-cles sur lesquels on agit directement ou de ceux qui sont innervés par le nerf excité.
En soulevant les paupières supérieures les yeux restent ouverts les muscles ne sont plus hyperexcitables, mais les membres ont acquis la propriété de conserver les attitudes communiquées, la malade est dans l'état cataleptique.
Je résumerai les caractères déjà connus de cet état.
Insensibilité générale à la piqûre. Fixité du regard. Les yeux sont ouverts.
Immobilité. Passivité. La malade conserve fort longtemps les attitudes les plus étranges qu'on lui communique. Mais l'impassi-bilité et l'indifférence aux divers excitants n'existent plus ici comme dans la catalepsie produite par une vive lumière dont nous avons déjà parlé.
Il peut se développer alors, sous des influences variées, toute une série de phénomènes psychiques plus ou moins inconscients et que nous allons exposer tout au long.
Nous avQns déjà vu qu'une attitude expressive quelconque se réfléchissait immédiatement sur la physionomie dont les traits se mettaient en harmonie avec le sentiment ainsi mimé. La figure devient radieuse, si l'on rapproche les doigts de la bouche comme dans l'acte d'envoyer un baiser, elle s'assombrit au contraire, si
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l'on étend les bras, les poings fermés, dans un geste plus ou moins dramatique. (Pl. VI et pl. YII.)
Mais là ne s'arrêtent point ces curieux phénomènes de sugges-tion. Si l'anesthésic cutanée est complète, les sens sont conservés à un certain degré et demeurent comme une voie ouverte par la-quelle il est possible d'impressionner d'une façon variable la malade.
L'œil est fixe et semble ne rien voir. En effet, il ne quitte pas de lui-même le point imaginaire auquel il semble attaché. Mais si l'on vient à placer, dans l'axe du rayon visuel et à peu de distance des yeux, un objet que l'on fait légèrement osciher, on voit bientôt le regard se porter sur lui, s'y fixer au point d'en suivre tous les mouvements. Le reste du corps peut demeurer catalep-tique, mais les yeux tournent en tous sens au gré de l'expérimen-tateur et, le plus souvent, la tête suit le mouvement. Lorsque le regard est dirigé en haut, l'expression devient riante, et l'on y voit quelquefois les signes d'une hallucination gaie; lorsqu'au con-traire le regard est maintenu en bas, l'expression est sombre, et l'on surprend parfois les indices d'une hallucination terrible. Sous l'influence de l'hallucination ainsi provoquée, l'état cataleptique peut cesser complètement, la malade marche et suit l'objet sur lequel son regard est lixé, elle prend des attitudes en rapport avec l'hallucination que peuvent lui suggérer et la direction dans laquelle se trouve l'objet et les différents mouvements qu'on lui fait subir K
Mais lorsque l'objet fixé est soustrait rapidement aux regards de la malade, l'œil reprend aussitôt sa fixité première et l'état cata-leptique général revient avec tous les caractères que nous avons indiqués.
Pas plus que la vue, l'ouïe n'est complètement abolie. Un coup de gong peut modifier l'attitude cataleptique. Et la musique im-pressionne profondément la malade au point de lui faire prendre toutes les attitudes en rapport avec les sentiments variés qu'elle
l.En faisant, en quelque sorte, voltiger l'objet que l'on maintient en l'air,la malade a parfois l'hallucination d'un oiseau, qu'elle cherche à attraper. Au contraire en main-tenant l'objet à terre et en imitant avec lui le mouvement de reptation, son imagi-nation voit un serpent dont elle essaye de fuir les approches.
exprime. Lorsque la musique cesse, la catalepsie revient aussitôt avec toute son intensité. Nous verrons plus loin que la malade entend aussi la voix.
Lorsque l'attention du sujet cataleptique est attirée \ il devient susceptible d'exécuter une série d'actes inconscients qui se pro-duisent à la manière des réflexes, d'une façon en quelque sorte fatale, à la suite de l'excitation des différents sens.
A. La malade cataleptique, dont l'œil est en état de percevoir les mouvements de l'expérimentateur placé en face d'elle, les re-produit exactement. Il y a quelquefois au commencement un peu d'hésitation, mais il suffit de répéter le mouvement une ou deux fois, pour voir la malade, transformée en un véritable automate, reproduire avec précision tous les mouvements dont l'image vient impressionner sa rétine. La malade se comporte à la façon de l'image de l'observateur réfléchie dans une glace. Cette compa-raison est d'autant plus vraie, que le plus souvent aux mouve-ments des membres gauches de fexpérimentateur correspondent des mouvements semblables, mais exécutés par les membres droits de la malade. Par exemple si l'expérimentateur lève le bras droit, la malade lèvera le bras gauche, de même pour la jambe et si l'expérimentateur se penche à droite, la malade se penchera à gauche. En un mot, la malade est une véritable image de miroir, mais d'un miroir qui réfléchit le mouvement avec un retard fort appréciable, retard occasionné par le temps que met à parcourir Faction nerveuse, comme dans tout acte réflexe, le double chemin qui de la rétine impressionnée va d'abord au cen-tre nerveux par la voie des nerfs de sensibilité, puis du centre nerveux aux organes du mouvement par la voie des nerfs mo-teurs. On peut faire exécuter ainsi à la malade les mouvements les plus variés non seulement des bras et des jambes, mais de la face et de tout le tronc, comme ouvrir et fermer la bouche, tirer
1. Je me sers d'un mot qui ne devrait pas figurer ici puisqu'il s'agit d'actes incon-scients. Faute d'un mot propre qui n'existe pas, il rend assez bien ma pensée, étant admis qu'il ne s'applique qu'à une apparence.
la langue, frapper des mains, frapper des pieds, s'abaisser, s'ac-croupir, s'agenouüler, se relever, sauter, se déplacer même, marcher, etc..
Les mouvements qui sont accompagnés d'un bruit caractéris-tique n'ont pas besoin d'être vus pour être représentés, il suffit que le bruit soit entendu. Ainsi l'observateur placé derrière la malade frappe-t-il des mains, celle-ci frappe aussi des mains, frappe-t-il du pied, celle-ci frappe aussi du pied ; de même pour le petit bruit fait avec les ongles, la malade cherche à le reproduire par un mouvement analogue des doigts. Mais ces mouvements ont alors moins de précision, ils ne sont pas exécutes parle membre cor-respondant; à un saut complet la malade peut répondre en levant un seul pied, etc.. K
Nous n'avons jamais pu la faire rire ou se moucher, en riant aux éclats derrière son dos ou en se mouchant avec bruit. Les mouvements silencieux laissent la malade complètement impas-sible.
Aussitôt que la malade n'est plus en mouvement, elle retombe dans l'état cataleptique qui persiste jusqu'à ce qu'une nouvelle excitation sensorielle vienne l'en tirer.
B. Le sens musculaire apporte au centre nerveux la notion de la position exacte des membres. Il peut être également la source de mouvements automatiques parfaitement coordonnés qui exécu-tent l'action dont la position des membres est l'image. Par exem-ple, dans l'angle d'une pièce, la malade est placée un pied sur les barreaux d'une chaise, et les deux mains saisissant les plis d'un rideau comme dans l'acte de grimper, à peine cette attitude est-
1. Ce genre d'automatisme a été indiqué l'écemment par le professeur Heidenliain, de Rreslau, qui l'a observé sur des sujets hypnotisés. (Der sogenannte thierische Magnetismus. Physiolosische beobachtunhen, Von Dr. Rudolf Ileidenhain ; Leipzig, 1880).
L'origine de ce mémoire est due aux séances d'un magnétiseur, M. Hensen qui en ce moment fait beaucoup de bruit de l'autre côté du Rhin. D'autres savants d'Al-lemagne, Gnitzer, Gscheidien, Diermer, Berger, etc., ont suivi Heidenhain dans cette tentative d'examen scientifique des faits du magnétisme animal. (Voyez Thie-rische Magnetismus und Hypnotismus Separatabdruck aus der « Deutschen medi-cinischen Wochenschrift » n" 8, 1880 Herausgegeben von Dr. P. Börner).
elle communiquée que la malade en un clin d'œil a escaladé la chaise et qu'on a grand peine à la retenir et à lui faire lâcher le rideau auquel elle se tient suspendue. La première fois que cette expérience fut tentée chez notre malade B.... nul ne savait au juste quel résultat l'on pouvait attendre, et le mouvement se pro-duisit avec tant de rapidité qu'il dépassa les prévisions de tous les assistants. La môme expérience fut répétée avec succès chez plu-sieurs de nos malades, mais non chez toutes. L'une d'elles, Léonore Rob... n'en cède en rien à Bar... pour la vivacité et la précision du mouvement, mais l'impression persiste plus longtemps. Tandis que Bar... à peine redescendue à terre, redevient aussitôt catalep-tique comme auparavant, Léonore Rob... cherche à recommencer l'escalade, il faut lutter avec elle pour l'en empêcher, et ce n'est qu'au bout de quelques instants qu'elle redevient cataleptique. La malade est placée à terre « à quatre pattes y une main en avant de l'autre, aussitôt le mouvement suit et dans cette posture la malade marche avec rapidité, passe sous les tables... jusqu'à ce qu'on l'arrête et, une fois redressée, elle redevienne catalep-tique. Léonore Rob..., à peine relevée, se précipite à terre et re-commence sa marche de quadrupède. Il faut la maintenir quel-ques instants pour que, l'impression s'effaçant, l'état cataleptique général reparaisse.
Si l'on place les membres de la malade dans l'attitude du dé-but de l'attaque, c'est-à-dire, les bras rapprochés du tronc, les poignets fléchis, le poing fermé et l'avant-bras en pronation forcée, ainsi qu'il est représenté sur la planche II, page 41. on voit, au bout de peu d'instants, les membres se raidir davantage, la tête tourner un peu de côté, la respiration précipitée s'arrêter tout d'un coup, et l'attaque hystéro-épileptique commence par la période épilep-toïde, puis se déroulerait tout entière, si l'on ne prenait soin de l'arrêter par la compression de l'ovaire.
On peut rapprocher de ces phénomènes d'automatisme provo-qués par une attitude communiquée, ceux qui consistent dans l'a-chèvement spontané d'un mouvement dont le début a été provo-qué par l'observateur. Ainsi en rapprochant les deux mains de la
malade comme pom^ les croiser, les doigts, à peine engagés, achè-vent d'eux-mêmes le mouvement et se croisent complètement. En rapprochant du nez une des mains de la malade de façon que la base du nez se trouve saisie entre l'index et le pouce, la malade se mouche, etc.. Tous ces faits sont de même ordre, et les expé-riences peuvent être variées de bien des façons.
G. Voici en dernier lieu une autre série de phénomènes d'au-tomatisme plus compliqués, parce que leur production exige la la mise en œuvre inconsciente de la mémoire et du souvenir. Ces faits se rapprochent beaucoup d'un cas publié par M. Mesnet sous la dénomination d'automatisme de la mémoire et du sou-venir 1.
Si l'on place entre les mains de la malade cataleptique un objet quelconque dont l'usage estconnud'elle, on la voit, presque aussitôt, sortir de son état cataleptique pour se livrer, en quelque sorte fa-talement, à l'acte pour lequel l'objet est destiné. Chez les malades qui sont susceptibles de ce mode d'automatisme (car elles ne le sont pas toutes) l'expérience a été variée de mille manières et a toujours donné les mêmes résultats. On met successivement entre les mains de la malade un chapeau, elle le tourne entre ses mains et le place bientôt sur sa tête; un pardessus, aussitôt elle s'en revêt et le boutonne avec soin; un verre, elle boit; un balai, aussi-tôt elle balaye; des pincettes, aussitôt elle s'approche du feu, retire les bûches du foyer, les y remet, etc.; un parapluie, elle l'ouvre aussitôt et paraît sentir l'orage, car elle frissonne, etc..
Vient-on brusquement à retirer l'instrument des mains de la malade, elle redevient aussitôt cataleptique. Si au contraire on abandonne la malade à elle-même, le mouvement se prolonge jusqu'à ce qu'au bout de quelques instants, il se ralentisse de lui-même, et finisse par s'arrêter complètement. La malade est alors spontanément redevenue cataleptique, l'objet lui tombe des mains.
1. De lautomatisme de la mémoire et du souvenir dans le somnambulisme pa-thologique, par le D' E. Mesnet, Paris, 1874,
Yoici le récit de quelques expériences :
On place sur une table un pot à eau, une cuvette et du savon, aussitôt que son regard est attiré sur ces objets ou que sa main touche l'un d'eux, la ma-lade avec une spontanéitéapparente verse l'eau dans la cuvette, prend le savon et se lave les mains, elle le fait avec un soin minutieux. Pendant qu'elle tourne ainsi le savon entre ses mains, si l'on vient à abaisser la paupière d'un seul œil, de l'œil droit, par exemple, tout le côté droit du corps devient léthargique, la main droite, s'arrête aussitôt, mais chose singulière la main gauche seule n'en continue pas moins le mouvement. En soulevant de nouveau la paupière, les deux mains reprennent aussitôt leur action de la même façon qu'aupa-ravant, La même chose se produit aussi bien du côté gauche. Si l'on aban-donne la malade à elle-même le mouvement se prolonge, puis enfin elle redevient cataleptique, les mains dans l'eau. Mais si l'on vient à lui présenter un essuie-mains, de suite elle le saisit, et s'essuie les mains avec la môme per-sistance qu'elle mettait tout à l'heure à se les laver. Ses mouvements sont fort précis et ne diffèrent en aucune façon de ceux pour lesquels la malade à l'état de veille déploie toute son intelligence. Ils semblent même plus par-faits et mieux adaptés au but. La distraction ne vient point les gêner ou les interrompre. L'occlusion d'un œil produit toujours le même effet qui est d'immobiliser le côté correspondant du corps, pendant que l'autre côté con-tinue l'action qui n'est complètement interrompue ciue par l'occlusion des deux yeux. La malade est alors rendue complètement léthargique.
On met entre les mains delà malade, toujours pendant l'état cataleptique, du tabac et du papier à cigarette. Aussitôt elle'se met en devoir défaire une cigarette, elle s'y prend fort maladroitement, et avec beaucoup de peine elle arrive à faire une espèce de petit paquet qui laisse passer le tabac par les deux bouts. Alors on lui présente une boîte d'allumettes, elle l'ouvre, en prend une, l'allume en frottant sur la boite, mais elle se brûlerait, si l'on n'avait soin aussitôt de l'éteindre, car ses doigts sont tout proches de l'extré-mité qui flambe et elle ne les retire pas. Elle est dans cet état complètement anesthésique. Enfin nous lui mettons dans la main une allumette que nous venons d'allumer nous-même, elle allume alors sa cigarette, et se met en devoir de la fumer, mais d'une façon automatique, l'ôtant de ses lèvres et l'y remettant, rejeltantla fumée à intervalles presque égaux, à la manière des gens qui ne savent pas. Cette expérience montre que, dans cet état d'automa-tisme, la malade vit bien sur son propre fond. Elle use des ressources que lui ont acquis l'expérience et l'habitude, mais elle n'apprend rien de ce qu'elle ne sait pas.
Au lieu de tabac, nous mettons entre les mains delà malade la petite boîte qui renferme son travail au crochet, aussitôt elle ouvre la boîte, prend son ou-vrage et travaille avec une adresse remarquable, débrouillant les fils, comptant les points, etc. Si une main étrangère défait les derniers points en tirant sur le fd, elle les refait toujours de la même façon, à la manière d'une machine et
sans manifester le moindre signe de mécontentement. Fait singulier, si l'on vient à fermer un de ses yeux, la main correspondante s'arrête, le bras re-tombe inerte, les muscles sont en état d'hyperexcitabililé musculaire, mais l'autre main cherche à continuer seule une œuvre désormais impossible; l'au-tomate ne s'arrête pas, le rouage continue à marcher d'un seul côté, mais il modifie son mouvement dans le but de le rendre réellement efficace. La malade n'a selon toute vraisemblance conscience de rien; son moi est ab-sent. Cependant dans les mouvements qu'exécute une seule main pendant que l'autre est immobilisée, il semble y avoir une part d'intelligence. Cette main qui à elle seule ne peut venir à bout de faire le point pour lequel les deux mains sont nécessaires, semble chercher, en prenant appui sur les genoux ou sur la poitrine, à suppléer au défaut de la main qui manque et modifie ainsi sa manœuvre habituelle pour arriver au but cherché. D'ailleurs la malade n'oppose aucune résistance à celui qui lui enlève son ouvrage des mains, et elle redevient aussitôt cataleptique.
Lorsque l'action est limitée, le sujet, après l'avoir accomplie, s'arrête et retombe dans la catalepsie ou bien recommence indéfiniment la même action, détruisant ce qu'il vient de faire pour le refaire encore. On met entre les mains de Bar... une sorte de sandale, qui sert aux expériences graphiques, et munie de nombreuses courroies. Aussitôt B... se baisse, ôte son soulier, place son pied avec soin sur la semelle de la sandale et en attache toutes les courroies sans aucune hésitation, les saisissant dans l'ordre Tune après l'autre. L'extrémité des courroies est passée minutieusement dans les boucles, et elle ne laisse pas de les serrer fortement. A peine sa chaussure est-elle complètement attachée que, reprenant son travail à rebours, elle détache une à une les courroies en commençant par la dernière qu'elle vient de boucler. Puis une fois le pied libre, sans prendre même un instant de répit, elle recommence à l'emprisonner de nouveau dans les courroies, répète absolu-ment les mêmes mouvements qu'elle a faits la première fois. Nous la laissons ainsi refaire et défaire son œuvre jusqu'à six fois, et toujours ses mouvements se sont succédé avec la même précision et la même mesure. Si nous essayons d'interrompre son ouvrage en retenant une des courroies, elle n'insiste pas, et passe immédiatement à la courroie suivante. Si au fur et à mesure qu'elle les attache, nous les détachons aussitôt, à peine a-t-elle terminé son ouvrage qu'elle le trouve détruit. Elle n'a donc plus à le défaire elle-même. Pas la moindre hésitation ne se traduit dans ses mouvements, elle saisit la pre-mière courroie et recoinmence son œuvre.
En abaissant avec le doigt une de ses paupières supérieures et en main-tenant l'œil fermé, le bras correspondant s'arrête (il est dans la résolution et ses muscles sont hyperexcitables) ; mais l'autre main poursuit le travail et bien qu'avec plus de peine, arrive au mêiue résultat. Le phénomène se pro-duit également pour le côté droit et pour le côté gauche.
Si l'on interpose une feuille de carton entre ses mains qui travaillent et ses yeux, elle demeure impassible, et n'interrompt pas son action qui se
poursuit avec la même monotonie, mais plus hésitante et avec moins de pré-cision.
Une expérience du môme genre que la précédente consiste à mettre dans les mains de B... une bande de toile roulée. Elle la saisit de la main gauche et exécute autour de la main et du bras droit un bandage assez correct. Elle a eu soin de relever sa manche droite. Le bandage fini, elle l'arrête en en-fonçant l'extrémité de la bande sous les derniers tours de spire. Mais à peine le tout est-il ainsi bien terminé, qu'elle se met en devoir de défaire son ouvrage, elle déroule la bande et dégage successivement le bras, puis la main. Puis elle saisit la bande par l'extrémité et la roule minutieusement, la remettant ainsi dans l'état où elle était lorsque nous la lui avons donnée. Ceci fait, elle commence de nouveau l'application de son bandage de la même façon qu'elle l'a exécutée une première fois. Si pendant que, de la main gauche, elle tourne la bande autour de son bras droit, on vient à fermer son œil gauche, le bras gauche est immobilisé et garde la bande dans la main, mais le bras droit persiste à se mouvoir et par des mouvements de circum-duction cherche à enrouler la bande autour de lui. Si c'est l'œil droit qui est maintenu fermé, le bras droit, rendu complètement immobile, reste collé au tronc et entrave par son inertie l'action du bras gauche qui continue son œuvre.
On place entre les mains de B... un livre ouvert en attirant son regard sur Tune des lignes. Aussitôt elle lit à l'endroit indiqué et n,e s'arrête qu'à la fin de la page. Pendant la lecture, l'état cataleptique a cessé, car si l'on cherche à soulever un de ses bras qui soutiennent le livre, elle résiste, ou si l'on réussit à le déplacer, il reprend aussitôt qu'on l'abandonne sa position. Mais la page terminée, elle redevient cataleptique. Les expériences d'hérai-léthargie dans cette circonstance s'accordent parfaitement avec l'opinion qui place dans le cerveau gauche le siège de la parole. Au milieu de sa lecture l'occlusion de l'œil droit (et par l'entrecroisement des nerfs optiques c'est le cerveau gauche qui est impressionné) l'arrête court au milieu d'un mot, au milieu d'une phrase. Elle reprend aussitôt que l'œil droit est ouvert de nouveau achevant !e mot ou la phrase interrompus. L'expérience répétée un grand nombre de fois a toujours donné le même résultat. Si au contraire, c'est l'œil gauche qui est fermé, B... continue sa lecture. Il est vrai qu'elle est devenue plus difficile, elle hésite, approche le livre de son œil, s'arrête en disant : « Je ne vois plus ». Ceci s'explique par ce qu'elle est amblyo-pique et achromatopsique de l'œil droit et que cet état persiste pendant la catalepsie comme nous en fournirons d'autres preuves plus loin. Pour le moment, malgré l'imperfection de la vision de l'œil droit, les tentatives que fait B... pour lire pendant que l'œil gauche est fermé, l'exclamation qu'elle laisse échapper, suffisent pour prouver que l'occlusion de l'œil gauche qui agit sur le cerveau droit n'entrave en aucune façon la parole, pendant que l'occlusion de l'œil droit qui agit sur le cerveau gauche l'arrête instantanément.
Nous avons vu dans quelques expériences précédentes que la malade
n'opposait aucune résistance aux obstacles variés que l'on pouvait lui sus-citer, que loin de chercher à les vaincre elle s'arrêtait court, mais aussi qu'elle continuait son œuvre avec persistance, tant que celle-ci était encore possible, et qu'elle ne s'arrêtait complètement que devant une impossibilité absolue. Le même phénomène de la poursuite fatale et inconsciente d'une action, pendant cet état d'automatisme, peut être constaté ici et s'est pré-senté à nous d'une façon tout à fait inattendue. Nous présentons à Bar... le livre toujours ouvert, mais renversé, pensant qu'elle arrêtera sa lecture ou tout au moins retournera le livre pour replacer les caractères dans leur vrai sens. Mais rien de ce que nous attendions n'arrive. Bar... n'est pas plus en état de retourner le livre, qu'elle peut écarter une feuille de papier qui lui cache quelques lignes, (dans ce dernier cas elle saute sans s'arrêter les lignes ou les mots qui sont cachés, et la lecture continue) ; ici les carac-tères sont sous ses yeux, et leur renversement constitue un obstacle qu'elle ne cherche pas à surmonter, quelque facile que cela puisse être en retour-nant le livre; mais la lecture est encore possible, et elle lit à l'envers presque couramment. Elle ne s'arrête qu'aux mots difficiles et qu'elle ne connaît pas. D'ailleurs sa lecture est complètement inintelligente. Cette expérience est d'autant plus curieuse que Bar... est illettrée.
En plaçant entre les mains de B... un porte-plume, elle s'assied à la table où nous avons préparé une feuille de papier et elle se met à écrire. Elle écrit son nom correctement, puis s'arrête, elle est redevenue cataleptique.
Nous lui mettons entre les mains une des grandes épingles qui servent habituellement à l'exploration de la sensibilité. Aussitôt qu'elle l'a reconnue, qu'elle la saisisse de la main droite ou de la main gauche, elle s'en per-fore la main du côté opposé avec une brutalité telle, que nous sommes obligés d'intervenir et de la lui ôter.
On lui donne le petit marteau qui sert à la percussion des tendons dans la recherche des réflexes tendineux, et, d'un mouvement automatique, elle s'en frappe le poignet.
Dans ces cas le souvenir joue un grand rôle et dirige complètement l'au-tomatisme. Elle se sert de ces instruments comme elle a vu s'en servir, mais elle le fait maladroitement parce qu'elle n'en a point l'habitude.
deuxième observation. — hallucinations provoquées
pendant l'État cataleptique.
Pendant l'état cataleptique, la persistance de l'ouïe permet à l'observateur d'impressionner le sujet non seulement par des bruits variés, mais encore par des paroles dont la signification peut faire naître les hallucinations les plus diverses.
Ces hallucinations provoquées donnent lieu à de véritables
scènes mimées et parlées, qui ressemblent beaucoup à ce qui se passe pendant la troisième période de la grande attaque, avec cette différence toutefois que, pendant l'attaque, la malade est complètement insensible à toute excitation venue du dehors, et que l'hallucination survenue spontanément- suit une marche fatale qu'il n'est pas en notre pouvoir de modifier ; tandis que dans les expériences dont il s'agit, si l'insensibilité aux piqûres est égale-ment complète, les sens ne sont pas totalement abolis, et l'hallu-cination provoquée est sous la dépendance de l'observateur qui la dirige à son gré. Une fois dans cet état hallucinatoire, le sujet ne répond aux questions qu'on lui adresse que si elles ont quelque relation avec les idées dans lesquelles se meut son hallucination. Il est, en quelque sorte, spécialisé dans un cercle restreint d'idées dont son hallucination forme comme le centre, et il demeure com-plètement inaccessible à toute suggestion qui ne s'y rattache pas plus ou moins directement.
Mais en entrant dans l'ordre d'idées qui le dominent actuelle-ment, l'observateur devient maître absolu de son imagination, qu'il conduit oû bon lui semble et jusque dans le domaine de l'invraisemblable et de l'absurde. D'ailleurs l'observateur conserve toujours le pouvoir de faire, quand il le veut, disparaître toute hallucination. Du moment oû se produit l'hallucination, l'état ca-taleptique cesse et la malade peut exécuter tous les mouvements en rapport avec son hallucination ; mais aussitôt que l'hallucina-tion disparaît, soit spontanément, soit chassée par la parole de l'observateur, l'état cataleptique revient immobilisant le sujet dans l'attitude qu'il avait au moment oû l'image a disparu de son esprit.
Pendant que B..., est en état cataleptique, on attire son regard et, le dirigeant à terre, on lui dit qu'elle est dans un jardin rempli de fleurs. Aussitôt l'état cataleptique cesse, elle fait un geste de surprise, sa physionomie s'anime ; « qu'elles sont belles ! » dit-elle, et, se baissant, elle cueille les fleurs, en fait un bouquet, en attache à son corsage, etc.....
Pendant qu'elle se livre à sa cueillette imaginaire, on lui fait
remarquer qu'une grosse limace se trouve sur la fleur qu'elle tient à la main. Elle regarde... L'admiration fait aussitôt place au dégoût, elle rejette la fleur et s'essuie avec persistance la main à son tablier.
L'hallucination peut indifféremment intéresser tous les sens, soit simultanément, soit séparément.
Lorsque après avoir provoqué une hallucination, on abandonne la malade à ses propres ressources, celle-ci, suivant la richesse de son imagination y reste confmée, ou lui fait subir des développe-ments plus ou moins étendus. Par l'association des idées le cercle dans lequel se meut l'activité cérébrale, une fois mise en jeu par la suggestion étrangère, peut s'élargir spontanément et sans nou-velle intervention de la part de l'observateur.
Si l'on montre un blessé à Bar... on la voit prendre un air de commisération, se baisser, s'agenouiller, et faire le geste de rouler une bande autour d'un membre malade.
La vue d'une troupe de petits enfants lui inspire les sentiments les plus tendres, elle se mêle en quelque sorte à leurs jeux, les prend tour à tour dans ses bras et les embrasse ; elle les décrit avec des cheveux blonds ou noirs et des yeux bleus. Elle les trouve tous fort gentils. Une autre de nos malades, au contraire, lorsqu'on lui suggère cette hallucination, prend un air de mécon-tentement, éloigne les enfants de la main, en disant que leur jeux l'agacent, et que le bruit qu'ils font lui cassent les oreilles.
On dit à Bar..., que M. Charcot est près d'elle. Elle le voit, en effet, s'avance vers l'hallucination, et après lui avoir souhaité le bonjour comme elle fait d'habitude, lui tient des discours en rapport avec la préoccupation habituelle de son esprit. Elle lui réclame sa sortie. Depuis quelque temps c'est la demande qu'elle ne cesse d'adresser à M. Charcot.
Il suffît de dire à Bar... ce Écoute la musique » pour qu'aussi-tôt le concert imaginaire se fasse entendre. Bar..., paraît fort satisfaite, elle est attentive, bat la mesure de la tête et de la main. Le souvenir lui apporte la matière de l'hallucination; un jour c'est « Mignon », une autre fois (c la Favorite. »
La vue de serpents ou du diable provoque toujours le plus vif effroi. La nialade se sauve poussant des cris de terreur, et cher-che à se débarrasser d'étreintes imaginaires. B]lle lance parfois des injures et des malédictions.
Au contraire si l'on montre à la malade le paradis entrouvert sur sa tête, la sainte Vierge, les anges et les saints... alors son admira-tion ne connaît pas de bornes, sa physionomie rayonne, elle joint les mains, se jette à genoux et toute son attitude rappelle celle des extatiques. Elle laisse échapper des exclamations de joie et d'admiration, et murmure des prières. En la questionnant sur ce qu'elle voit, on peut lui faire décrire sa vision en détail, les vête-ments des personnages célestes, etc., etc. Naturellement chaque malade se crée son paradis en rapport avec son degré d'instruc-tion et la richesse de son imagination. D'ailleurs on peut le lui faire voir tel que l'observateur le désire, elle suit avec beaucoup d'intérêt la description qu'onlui en donne, et transforme immédia-tement en une série d'images le simple récit qu'on lui en fait; son aveugle créduhté ne s'arrête point devant les invraisemblances ^
D'ordinaire l'hallucination provoquée disparaît avec la même
1. Ces scènes ainsi provoquées sous l'empire d'une hallucination varient, comme je l'ai déjà dit, d'une malade à l'autre et suivent, dans leurs développements, la ri-chesse d'imagination dont est doué le sujet. Ainsi Suzanne N..., dans ces circons-tances, est beaucoup plus variée que Bar..., et y met davantage de son propre fonds. Une première hallucination suggérée est l'occasion d'une longue scène qui, sans s'écarter, en quelque sorte, du thème imposé, se déroule en une série de développe-ments qui n'ont d'autre source que l'imagination du sujet lui-même.
Nous avons déjà vu, d'ailleurs, que dans la troisième période de l'attaque hystéro-épileptique de cette malade les sujets de pure imagination avaient une large part.
C'est ainsi qu'en la faisant assister au coriège d'une reine, elle le décrit avec dé-tails, y met de la musique, des soldats, etc., et signale même des incidents plus ou moins singuliers, un soldat lui fait la grimace, etc..
La scène de la vision du paradis est vraiment remarquable par la mimique expressive à laquelle elle se livre et les descriptions qu'elle fait.
Léonore fl... traduit les hallucinations qu'on lui suggère par une série d'attitudes longtemps soutenues et saisissantes par l'énergie avec laquelle elles expriment son sentiment. Mais elle parle fort peu. La ressemblance avec les attitudes passionnelles de la grande attaque est frappante. Devant les anges, elle joint les mains, se met à genoux et, le visage radieux, demeure dans une muette contemplation.
Devant le diable, elle se redresse tout à coup, la rage au visage, dans une pose superbe de colère et de défi. Puis au bout de quelques instants, elle pousse un cri perçant et se sauve à l'autre extrémité de la chambre. Chez cette malade, il faut insister plus que d'habitude pour chasser l'hallucination, et l'on a quelque peine à rompre le charme.
facilité et par le même procédé qu'elle a été suggérée. Il suffit de dire à la malade, que tout a disparu, qu'il n'y a plus rien, ou quelque chose d'analogue, pour qu'aussitôt toute expression dis-paraisse de la physionomie et pour que le corps reprenant son attitude immobile présente de nouveau tous les caractères de la catalepsie. C'est ainsi, qu'au gré de l'expérimentateur, on voit se succéder et se remplacer tour à tour l'hallucination avec l'attitude ou le mouvement qui la traduit, et l'état cataleptique avec absence complète d'impression psychique.
Un point important à signaler ici, c'est que la personnalité de l'observateur n'est absolument pour rien dans la naissance ou la disparition de ces singuliers phénomènes. La malade absolument passive est impressionnée de la même façon par la parole de qui que ce soit. Née à la voix d'un observateur, l'hallucination peut continuer et se modifier sous l'influence d'un autre, ehepeut dispa-raître au commandement d'un troisième. L'influence spéciale d'un seul individu dont il existe des exemples et que nous avons nous-même rencontrée sous une certaine forme dans l'état de somnambulisme sans hyperexcitabilité musculaire (voy. pag. 407), n'existe pas ici.
Abandonnée à elle-même, l'hallucination provoquée finit par s'effacer par degrés et disparaît spontanément laissant toujours la malade en état cataleptique.
Pendant que la malade dominée par une hallucination se livre à une mimique pleine d'expression, l'occlusion d'un de ses yeux immobilise le côté correspondant du corps, dont les muscles de-viennent hyperexcitables (la malade est hémiléthargique de ce côté) ; mais l'hallucination persiste au même degré, et les mouve-ments en rapport avec elle ne se passent plus que d'un seul côté, du côté qui correspond à l'œil demeuré ouvert. Si c'est l'œil gau-che qui est fermé, la malade n'interrompt pas son discours et répond aux questions qu'on lui adresse, mais si c'est l'œil droit, la parole est supprimée à l'instant même ^
1. En poussant l'analyse un peu plus loin, on constate que les hallucinations co-lorées ne sont possibles que pour l'oeil qui n'est pas achromatopsique. Bar..., à l'état de veille est achromatopsique de l'oeil droit.
Au point de vue du réveil provoqué, pendant l'état cataleptique, et pendant cet autre état nerveux que l'on peut appeler l'état hal-lucinatoire, une différence existe. Dans l'état cataleptique simple, un souffle léger sur le visage suffit pour faire complètement revenir à elle la malade et ramener la connaissance ; quand il y a halluci-nation le souffle sur le visage demeure complètement inefficace, il faut avoir recours a des moyens plus puissants pour réveiller la malade, à la compression ovarienne par exemple.
Le pouvoir que l'observateur possède sur l'ori^^anisation du sujet mis en cet état nerveux spécial peut aller encore plus loin et dépasser les limites de
En lui maintenant l'œil gauche fermé, nous lui faisons ,voir une troupe d'oiseaux. A nos questions sur la couleur de leur plumage elle répond qu'ils sont tous blancs ou gris. Si nous insistons en lui affirmant qu''dle se trompe, que les uns sont bleus, les autres rouges ou jaunes, etc.. elle nous soutient qu'elle ne voit que des oiseaux blancs ou gris. Mais les choses changent, si à ce moment nous lui ouvrons l'œil gauche, que l'œil droit soit fermé ou non; aussitôt elle s'extasie sur la variété et l'éclat de leur plumage où. toutes les couleurs se trouvent réunies.
Cette expérience a été variée de bien des façons. L'œil gauche fermé, nous lui montrons Arlequin, et elle le dépeint tout couvert de petits carreaux gris, blancs ou noirs, Polichinelle est également vêtu de blanc et de gris : « C'est original, ajoute-t-elle, mais ce n'est pas beau. » Nous ouvrons l'œil droit et aussitôt la notion des couleurs reparaît, et Arlequin et Pohchinelle lui apparaissent bariolés comme on a coutume de les représenter.
Il arrive même parfois que les sens qui sont complètement abolis à l'état normal, ne sont pas, dans l'état cataleptique susceptibles d'hallucinations. Ainsi Léonore Rob..., qui est hémianesthésique à gauche, avec achroraatopsie partielle et perte absolue de l'odorat, de l'ouïe, du gotit et du tact du môme côté, conserve pendant la catalepsie ce même état des sens, et voici ce que nous avons pu constater, au sujet des hallucinations provoquées.
De l'œil gauche elle ne voit pas sur une robe imaginaire les rayures violettes dont elle admire la vivacité de teinte de l'œil droit.
De l'oreille droite elle reconnaît parfaitement le tic-tac d'une montre qu'elle n'en-tend pas à gauche. Aussi, pour l'oreille droite, la montre se transforme-t-elle très facilement en une boîte à musique qui joue la Marseillaise, pendant que, pour l'oreille gauche la môme hallucination n'est pas possible. Elle écoute, sur les instances de celui qui parle, mais n'entend rien.
De la main droite elle reconnaît un objet ({uelconque à sa forme, pendant qu'elle ne peut y parvenir de la main gauche. (On a eu soin de placer un écran entre ses yeux et ses mains). De la main droite elle prend une montre pour un couteau, elle a peur de se couper; tandis que de la main gauche l'illusion ne se produit pas.
Les mêmes phénomènes d'hallucinations localisées aux sens qui ont conservé une partie au moins de leur fonctionnement normal, se retrouvent chez Bar...
Je ne veux point poser ici une règle générale, et faire de la persistance des sens une condition obligée de la production des hallucinations. Nous verrons plus loin les hallucinations intéresser aussi bien les sens complètement abolis que ceux qui ont persisté. Je me borne à signaler une particularité curieuse que nous avons ren-contrée, pendant l'état cataleptique, chez deux de nos malades.
l'hallucination. On peut provoquer chez lui des sensalions internes et faire naître des mouvements qui en temps ordinaire sont en dehors du domaine de la volonté.
Nous asseyons B... à une table, que nous lui disons être richement servie. Nous l'engageons à boire des vins délicieux. Elle fait le geste de verser du vin dans un verre et de porter ce dernier à ses lèvres. Elle trouve le vin exquis. Nous l'exhortons à boire encore : « J'ai peur de me faire mal » dit-elle. Nous la rassurons et les rasades se suivent. Bientôt nous lui disons qu'elle est grise. En effet, elle se lève inquiète et chancelle, elle marche comme une femme ivre, et porte la main à son estomac avec un air de souffrance. Il nous est possible de provoquer alors de véritables nausées, en lui disant qu'elle a mal au cœur et qu'elle vomit. Elle paraît même tellement souffrir que nous n'osons prolonger cette scène. 11 suffit alors de lui affirmer qu'elle est guérie, qu'elle n'a plus rien, pour faire tout cesser à l'instant. Mais elle est aussitôt redevenue cataleptique.
Nous disons à Bar... qu'elle est sur le haut d'une tour. Elle en paraît fort contente, elle regarde en bas, décrit le panorama de la ville qui se déroule à ses pieds, etc.. On lui demande si elle n'a pas peur. Elle répond non. Mais nous lui faisons remarquer que la balustrade manque, que son pied est tout près du bord et qu'elle va avoir le vertige. Alors elle commence à se trou-bler, regarde autour d'elle avec inquiétude. Et il suffit alors de lui affir-mer qu'elle a le vertige, pour qu'aussitôt elle se couvre les yeux avec le bras et se laisse tomber à la renverse. Nous la recevons dans nos bras ; elle est redevenue cataleptique.
Nous essayons de pousser encore l'expérience plus loin, nous avons déjà vu que, pendant cet état cataleptique, il suffit de placer les bras de la malade dans l'attitude du début de l'attaque pour que celle-ci suive aussitôt. Mainte-nant nous entreprenons de lui affirmer simplement qu'elle a son attaque. Il y a un moment de stupeur et d'hésitation, mais, au bout de quelques secondes, une véritable attaque hystéro-épileptique se déclare, que nous arrêtons par la compression ovarienne. Cette expérience répétée bien des fois a toujours donné les mêmes résultats.
Cette malade pendant l'état de veille ne peut par sa seule volonté provo-quer une attaque, mais l'expérience que nous venons de raconter n'en montre pas moins toute l'influence que, dans certaines conditions, une simple impression psychique peut exercer sur des phénomènes purement somatiques. Car ici il y a bien impression psychique ; un bruit quelconque aux oreilles, des paroles qui ont un autre sens, la même phrase en langue étrangère n'ont, en aucune façon, la vertu de déterminer l'attaque. Il faut que les mots aient un sens et que ce sens soit compris de la malade. Alors l'im-pression psychique existe et si les mots signifient qu'elle doit avoir son attaque, immédiatement l'attaque a lieu.
troisieme observation. — des differents degrés
de l'État cataleptique
Les phénomènes d'automatisme et d'hallucination provoquée que je viens de décrire n'accompagnent pas toujours l'état cata-leptique. Il est des malades chez lesquelles l'état cataleptique se borne aux phénomènes indiqués dans l'observation première. Quel que soit le procédé qui l'ait fait naître, qu'elle ait été provo-quée par la lumière, par un bruit intense et inattendu ou qu'elle succède à la léthargie, la catalepsie ne peut être modifiée et la malade demeure insensible à la plupart des excitants venus du dehors. Le phénomène de la suggestion par l'attitude communi-quée au sujet existe quelquefois. En approchant les doigts de la bouche comme dans l'acte d'envoyer un baiser, un sourire vient aux lèvres. Le regard toujours fixe peut être également attiré par le doigt et dirigé ensuite dans une direction quelconque au gré de l'observateur. Un nouveau bruit très intense comme un coup de tam-tam peut modifier l'attitude cataleptique. Mais là se borne l'action de l'observateur sur la malade ainsi cataleptique. Il a beau chercher à provoquer les autres phénomènes dont j'ai parlé, soit en exécutant des mouvements sous ses regards, soit en lui plaçant divers objets entre les mains, soit en lui adressant de vives appel-lations, la malade ne bouge pas plus qu'une statue, et l'état cata-leptique persiste toujours au même degré. Wit... Dub... et Gl... rentrent dans cette catégorie.
Une autre malade,Rob..., tient en quelque sorte le milieu entre les malades qui précèdent et celles chez lesquelles nous avons étudié la longue série des phénomènes que j'ai décrits dans les observations précédentes. Il est possible de provoquer chez elle les hallucinations les plus variées, et, suivant la règle, le trouble psychique alterne avec le trouble musculaire, l'hallucination avec l'état cataleptique. Certains faits d'automatisme qui prennent leur source dans une attitude communiquée, se produisent, comme le sourire en approchant ses mains de ses lèvres, le grimper en
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plaçant ses membres dans l'attitude du grimper, la marche à quatre pattes, etc.. Mais l'automatisme provoqué par un objet placé entre ses mains n'a pas lieu. Elle le tourne en tous sens et montre, par la mimique à laquelle elle se livre, qu'elle a perdu la notion de l'objet lui-même et, à plus forte raison, de l'usage auquel il est destiné K Ce genre d'automatisme ne peut donc exister.
Enfin chez les malades Bar... et Suz. N..., qui nous ont présenté dans leur plus complet développement l'automatisme et les halluci-nations provoquées, l'état cataleptique n'est pas toujours apte à la production de ces phénomènes ; quand il est provoqué par une lu-mière intense ou par un coup de gong, il se borne aux phéno-mènes observés chez Witt..., Dub... et Gl... Il est nécessaire pour que les faits d'automatisme et d'hallucination provoquée soient possibles que l'état cataleptique succède à la léthargie ^.
1. Lorsqu'on lui met une paire de pincettes entre les mains, elle demeure inter-dite, retourne l'objet en tous sens, le tâte par tous les bouts, l'approche même de son nez pour le sentir, et finalement en semble fort embarrassée. Si on lui demande ce qu'elle tient entre les mains, elle renouvelle ses investigations, puis désappointée fait un haussement d'épaule et répond qu'elle ne sait pas. Enfin elle rejette les pincettes.
La même scène se renouvelle avec un parapluie.
La mimique devant un pot à eau est fort curieuse. Elle examine soigneusement chaque objet, la cuvette, le pot à eau, le savon. Elle tourne et retourne le savon dans ses mains, passe la langue dessus, sans arriver à découvrir ce que c'est. Avec beaucoup de précautions, elle touche l'eau du bout du doigt. On lui indique les objets par leurs noms et on lui dit de se laver les mains. Elle verse alors l'eau dans la cuvette; mais elle est distraite et ne se lave pas les mains.
2. Bar..., sur laquelle toutes les expériences d'automatisme rapportées plus haut ont été reproduites pendant l'état cataleptique succédant à l'état léthargique occa-sionné par la convergence des axes visuels, peut être rendue cataleptique par plusieurs autres procédés :
a) . Par une lumière intense comme il est rapporté (observation ï, pag. 364).
b) . Par le gong (observation VI, pag. 374) Depuis le jour oîa Bar..., fut rendue cataleptique pour la première fois par ce moyen qui occasionna en môme temps le singulier trouble mental dont nous avons parlé, elle demeure complètement indif-férente aux coups du gong même répétés et inattendus.
c) . Si le gong demeure actaellenient sans effet, la pression sur le conduit auditif externe du côté gauche seulement (la malade est anesthésique à droite) amène, au bout de peu d'instants, la catalepsie générale.
Dans l'état cataleptique ainsi produit sur Bar..., la suggestion par l'attitude est en-core possible, l'œil peut encore suivre le doigt, mais là se bornent les phénomènes d'automatisme ou de suggestion, si développés lorsque la catalepsie est produite autrement, et la malade demeure indifférente à tout autre mode d'excitation.
La même chose a lieu chez Suzanne N...
quatrième observation. — des hallucinations provoquées pendant l'État de léthargie ou de somnambulisme, état des sens
Des hallucinations peuvent être également provoquées pendant l'état de somnambulisme. Elles diffèrent de celles dont nous venons de parler et qui se produisent dans fétat cataleptique, en ce qu'elles sont moins fatales, la mimique n'y est pas aussi expres-sive, la malade raisonne son hallucination tout en y apportant, il est vrai, la plus entière croyance. Dans quelques cas les halluci-nations de la vue ne sont pas possibles (les malades ont dans cet état les yeux fermés) pendant que tous les autres sens peuvent subir fhallucination. Dans cet état l'automatisme si saisissant de l'état cataleptique n'existe pas, ou il existe dans des liantes restreintes; la malade raisonne son action et peut s'y refuser.
Le plus souvent les hallucinations provoquées ne se produisent que lorsque l'hyperexcitabilité neuro-musculaire n'existe pas.
En voici deux exemples qui serviront également à montrer l'état des sens pendant fétat de somnambulisme.
Suzanne N... — Dans fétat de léthargie avec hyperexcitabilité neuro-musculaire, les sens, à f exception de la vue (les paupières sont fermées) et du goût, sont conservés du côté non hémianesthésique à l'état de veille.
L'anesthésie à la piqûre est complète. La malade répond aux questions qu'on lui adresse et peut rendre compte de ses sensations. On constate ainsi que le tact est conservé à droite et aboli à gauche. De la main droite elle reconnaît parfaitement un flacon par le toucher seul ^ ; ce qui est impossible de la main gauche. De même, l'ouïe est conservée à droite, et elle entend et reconnaît parfaitement de ce côté le tic-tac d'une montre. De l'oreille gauche elle n'entend rien. Le goût et l'odorat explorés avec la poudre de coloquinte et l'éther ne donnent lieu à aucune sensation.
11 n'est pas possible dans cet état de provoquer ni illusions ni hallucina-tions d'aucune sorte.
Mais les choses changent si l'on vient en exerçant une courte friction sur le sommet de la tête, à faire disparaître l'hyperexcitabilité musculaire. A ce moment la malade éprouve un tressaillement, général, quelquefois il y a quelques mouvements de déglutition et sous des apparences qui paraissent
1. On a pris soin de placer un écran entre sa main et sa figure, bien que ses yeux soient fermés.
semblables, est survenu un nouvel état nerveux qui par ses caractères diffère beaucoup du précédent.
Nous l'avons dit, l'hyperexcitabilité musculaire n'existe plus. L'anestliésie totale à la douleur persiste. La parole est conservée, et, de même que dans l'état précédent, la malade peut communiquer ses impressions. Les sens sont dans le même état que dans la léthargie avec hyperexcitabilité. La vue (les yeux sont toujours fermés), le goût totalement abolis, le tact, l'ouïe et l'odorat persistant du côté dioit.
Mais tandis que tout à l'heure, la malade rectifiait toute idée ou sensa-tion fausse que nous cherchions à lui imposer, maintenant les illusions et les hallucinations de toutes sortes sont possibles, à l'exception toutefois de celles de la vue. La malade les subit fatalement.
a) . Elle reconnaît par le tact la forme d'un objet, et déclare sans se trom-per que c'est une boîte, un flacon, etc. Cependant si, en lui mettant le flacon entre les mains, on lui affirme que c'est un couteau, elle en convient de suite, paraît reconnaître l'instrument au toucher, a peur de se couper, essaye de le fermer, etc. En lui disant que c'est une râpe, l'illusion nou--velle est aussitôt acceptée. Elle passe la main dessus et déclare en sentir les aspérités.
b) . Elle reconnaît l'odeur de l'éther, mais il suffit de lui dire que c'est du musc pour qu'elle trouve que « ça sent en effet très fort » et, comme elle aime beaucoup l'odeur du musc, qu'elle veuille en répandre sur ses habits.
c) . En faisant résonner doucement le tam-tam à ses oreilles, elle recon-naît comme un bruit de cloches. Ce bruit se transforme, à la volonté de l'observateur, en un concert qui exécute les airs les plus variés. Lorsqu'on lui dit que ce sont les roulements de tambour d'un régiment qui passe, elle affirme en outre entendre le piétinement des chevaux. Mais elle a beau faire effort pour distinguer les soldats dont elle entend le bruit, elle ne peut rien voir.
d) . La poudre de coloquinte n'a pour elle, dans cet élat, qu'un goût désa-gréable de terre, qui ne lui paraît pas très mauvais. Un mot suffit pour qu'eUe y trouve le goût de la confiture de groseille.
c). Mais elle affirme ne voir absolument rien, et les illusions de la vue ne sont pas possibles.
De même que les illusions dont je viens de parler, les hallucinations de tous les sens, à l'exception toujours de celui de la vue, sont facilement pro-voquées.
Tour à tour, à la voix de l'observateur, elle reçoit des coups imaginaires, sent l'impression d'un vent froid qui n'existe pas, trouve qu'on la chatouille lorsque personne ne la touche, — elle entend la musique au milieu du plus profond silence — elle respire l'odeur de l'encens, que rien autour d'elle ne peut lui rappeler — elle a dans la bouche un fort goût d'absinthe, qui lui brûle même la gorge, quand elle n'a absolument rien pris.
Toutes ces illusions et hallucinations apparaissent ou disparaissent au
gré de l'observateur, sans changer en rien l'état de la sensibilité ou de la motilité.
Pendant tout ce temps les yeux de la malade demeurent clos. Si l'on vient à soulever ses paupières, les mêmes hallucinations peuvent être provoquées et de plus celles de la vue que tout à l'heure il était absolument impossible de susciter, mais Suzanne est alors dans l'état de suggestion dont nous avons parlé dans les expériences précédentes, car, l'hallucination une fois pariie, elle retombe aussitôt dans l'état catalopticjue, et les phénomènes d'automatisme dont il a été question se développent facilement.
Gl... pendant l'état de léthargie provoquée parla fixité du regard présente tous les signes de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire. La sensibilité à la piqûre est abolie aussi bien à la peau qu'aux muqueuses. Mais l'état des sens reste à peu près le même qu'à l'état de veille. (Gl. est hémianesthé-sique droite). Elle rend parfaitement compte de ses sensations et Thalluci-nation provoquée n'est pas possible. Elle accomplit cependant certains actes de somnambulisme, elle écrit, travaille, etc.
Par la friction sur le sommet de la tête on fait disparaître lliyperexcita-bilité musculaire, et le nouvel état nerveux ainsi produit se révèle par de nouveaux signes. L'état des sens demeure le même que précédemment et la malade rend aussi bien compte de ses sensations, mais elle n'est plus à même de se défendre des fausses perceptions qu'on lui suggère, et elle accepte toutes les hallucinations aussi bien celles de la vue que des autres sens. Les yeux sont toujours fermés au moins en apparence. (Nous avons vu que dans cet état, chez Suz,.., les hallucinations de la vue n'étaient pas pos-sibles.)
On provoque ainsi chez Gl... les hallucinations les plus variées.
Elle mord à belles dents dans une pelote qu'on lui dit être un gâteau.
Elle boit du rhum qui n'est, que de l'eau pure.
Elle entend la musique militaire et voit le régiment qui passe.
Elle monte sur la tour Saint-Jacques, a le vertige.
Elle voit toutes sortes d'animaux, des chats, des chevaux, des éléphants; le tout, au gré de l'expérimentateur.
A son réveil, elle a.un vague souvenir de tout ce qu'on lui a fait voir. C'est comme un rêve qu'un trop brusque réveil aurait effacé.
Pendant cet état hallucinatoire, si l'on soulève les paupières de la malade, l'hallucination continue; mais, contrairement à ce qui se passe chez Suz.., au lieu d'être remplacée bientôt par l'état cataleptique, l'hallucination au bout de peu d'instants est suivie du réveil spontané. Je dois ajouter que Gl... contrairement à Suzanne présente un état cataleptique absolument rebelle à toute hallucination provoquée.
Les illusions et les hallucinations provoquées, ou simplement sug-gérées pendant cet état de somnambulisme, persistent quelquefois
pendant un certain temps après le réveil de la malade, se rappro-chant en cela de la contracture qui survit à l'état léthargique pen-dant lequel elle a été provoquée. L'état dans lequel se trouvent alors les malades se rapproche beaucoup de ce qui a lieu dans la quatrième période de la grande attaque. Il existe là comme une période de transition pendant laquelle l'hallucination et la perception exacte, la raison et l'erreur, se confondent.
CINQUIÈME OBSERVATION. — DE QUELQUES AUTRES CARACTÈRES DU SOMNAMBULISME SANS IIYPEREXCITABILITÉ MUSCULAIRE
Cet état de somnambuhsme provoqué offre les plus grandes analogies, ainsi que je l'ai déjà dit, avec le sommeil magnétique. Il peut être obtenu, comme on l'a vu, sans passe aucune et surtout sans action spéciale de la volonté ou de la personnalité de l'obser-vateur. Il ne saurait y avoir rien de mystérieux dans son mode de production, et je me suis attaché à faire ressortir les procédés physiques parfaitement appréciables au moyen desquels il peut être produit II n'en est pas moins accompagné parfois d'un cer-tain nombre de phénomènes plus ou moins extraordinaires qui permettent d'entrevoir les ressources que peut offrir cet état ner-veux spécial, au point de vue du merveilleux, s'il est entre les mains d'enthousiastes aveugles ou d'habiles exploiteurs. On s'en étonnera moins peut-être, si l'on songe que le somnambulisme spontané revêt quelquefois des apparences tout aussi extraordi-naires. Je n'entreprendrai pas ici l'exposé de ces faits dont l'étude ne saurait être abordée qu'avec beaucoup de circonspection et qui nous éloignerait du but spécial que nous poursuivons ici.
Je me contenterai d'en indiquer quelques-uns.
J'ai déjà dit que la malade conservait une certaine conscience d'elle-même, qu'elle pouvait refuser d'accompHr certains actes commandés bien que, le plus souvent, elle soit complètement livrée
la discrétion de l'observateur. Les hallucinations sur lesquelles
¦ insisté dans l'observation précédente ne sont pas toujours pos-
sibles et notre malade B..., dont l'état cataleptique est si riche en troubles psychiques variés, en est un exemple.
La malade répond avec beaucoup de sens aux questions qu'on lui pose, l'intelligence paraît même plus éveillée qu'à l'état nor-mal. Nous ne lui avons cependant jamais vu dépasser les limites naturelles. La malade écrit, travaille, marche avec aisance et sans se heurter aux accidents de terrain ou aux meubles, bien que ses yeux paraissent fermés. Nous avons même pu nous assurer que, malgré l'occlusion apparente des paupières, la vue était conservée dans une certaine mesure. B... lit dans un livre, et sait très bien le remettre en son vrai sens quand on le lui présente renversé. Sa lecture s'arrête quand on interpose une feuille de carton entre les yeux et le livre. Witt..., reconnaît les personnes qui sont près d'elle, et va chercher les objets dont on lui indique la place.
Enfin je signalerai un état spécial d'attraction de la malade pour certaines personnes et qui paraît résider dans une hyperes-thésie du tact. Ce fait signalé dans plusieurs attaques de somnam-bulisme hystérique spontané, s'est montré dans nos expériences avec beaucoup de netteté.
Bar... dans l'état de somnambulisme sans hyperexcitabilité musculaire présente une sorte d'attraction pour l'observateur qui, en pressant avec le doigt sur le sommet de sa tête, l'a plongée dans cet état. S'il s'éloigne, elle devient inquiète, se met à geindre, le recherche, le suit, et ne trouve de repos qu'après l'avoir rejoint. Elle se contente alors de se maintenir près de lui immobile, mais le même manège recommence s'il vient à s'éloigner de nouveau. J'ai toujours vu le même phénomène se produire quel que soit celui qui ait touché son point magnétique. Si l'attouchement de ce point a été fait par l'intermédiaire d'un objet quelconque, le même état nerveux de somnambulisme sans hyperexcitabilité ne s'en produit pas moins, mais l'état spécial d'attraction, dont je parle, n'existe pas; la malade demeure im-passible. Cependant ce curieux phénomène ne demande qu'une occasion pour se développer, et il se produit immédiatement en faveur de celui qui, le premier, quel qu'il soit, touche la malade et particulièrement les parties nues de son corps, comme les mains.
C'est alors que nous avons pu varier l'expérience d'une façon bien cu-rieuse et qui prouve bien que cette influence n'a rien de mystérieux, et qu'elle réside tout entière dans une modification particulière du tact qui s'opère en dehors de la conscience de la malade.
Pendant ({uc la malade est plongée dans le somnambulisme par la fric-tion du vertex au moyen d'un objet quelconque, deux observateurs se pré-sentent qui, sans résistance aucune de sa part, s'emparent chacun d'une de ses mains. Que va-t-il se passer? Bientôt la malade, de ses deux mains, presse celles de chacun des observateurs et ne veut pas les abandonner. L'état spécial d'attraction existe à la fois pour les deux. Mais la malade se trouve en quelque sorte divisée par moitié. Chaque observateur ne possède la sympathie que d'une moitié de la malade et celle-ci oppose la même résis-tance à l'observateur de gauche en possession de la main gauche lorsqu'il veut saisir la main droite, qu'à l'observateur de droite lorsqu'il veut saisir la main gauche. Je ne chercherai point l'explication de cette singulière influence d'un contact étranger. Je me borne à signaler ce fait comme un fait d'observation régulièrement observé
DESCRIPTION DES DIFFÉRENTS ÉTATS NERVEUX PROVOQUÉS.
Après avoir rapporté les résultats de nos expériences chez les hystéro-épileptiques, j'essayerai, quelque incomplets qu'ils soient, de donner une vue d'ensemble de tous les phénomènes observés en les classant par groupes naturels. Je n'ai point la prétention d'é-tablir une classification définitive, trop de faits encore nous échap-pent. Mais, au miheu de ce dédale immense, il est important de poser quelques jalons, et d'apporter quelques conclusions, fussent-elles provisoires. Elles pourront servir d'objectif aux observa-teurs qui se livreront à ce genre de recherches ; pour nous elles auront au moins le mérite d'un résumé. Quoi qu'il en soit, il nous semble que le chemin que nous avons suivi dans ces recherches, est celui qui doit conduire dans un temps plus ou moins éloigné à la solution de ces difficiles problèmes.
Je distinguerai quatre états nerveux particuliers dont je résu-merai le mode de production et les caractères :
1. Le même phénomène d'action élective se produit au sujet de la contracture provoquée dans cet état. L'observateur dont le contact est supporté par la malade peut à son gré, par l'excitation légère de la peau, provoquer des contractures in-tenses qu'il détruit aussi facilement, mais qu'un autre ne peut vaincre quelque effort qu'd déploie. Je m'arrête ici. Une foule d'autres faits plus ou moins surprenants n'ont aucun rapport direct avec le but que je poursuis en ce moment. Ils sont d'ail-leurs d'une constatation plus délicate, d'une appréciation plus difficile. Nous croyons qu'il ne faut les admettre qu'avec la plus grande réserve et je n'en parlerai pas ici.
4° État cataleptique; 2" État de suggestion ;
3" État de léthargie proprement dite, ou léthargie avec hyper-rexcitabilité musculaire ;
4" État de léthargie sans hyperexcitabilité musculaire, ou état de somnambulisme.
§ 1. — CATALEPSIE HYSTÉRIQUE PROVOQUÉE.
A. Mode de production.—Nous avons vu la catalepsie survenir sous l'influence d'une vive lumière (Obs. I, pag. 362), des vibra-tions du diapason (Obs. V, pag. 373), ou du bruit du gong (Obs. VI, p. 374). La fixité du regard (Obs. VII, pag. 379), la concen-tation de f attention, l'imagination, une impression morale même peuvent, chez une hystérique, provoquer la catalepsie. Toutes les pratiques usitées dans f hypnotisme peuvent faire naître l'état cata-leptique; nous voyons en effet la catalepsie signalée comme le phénomène le plus fréquent de fétat hypnotique : « Il est, dit Mathias Duval, le premier qui se produise. »
Enfin, dans le cours de nos expériences, nous avons vu l'état cataleptique remplacer immédiatement fétat léthargique avec hyperexcitabilité, par le simple soulèvement des paupières supé-rieures. La catalepsie peut même n'affecter qu'un seul côte du corps, si un seul œil est maintenu ouvert (Obs. II, p. 371).
Dans ce cas, nous avons lieu de penser que l'état cataleptique produit est sous la dépendance d'une impression particulière de la lumière du jour sur la rétine, et se rapproche en cela de la cata-lepsie survenant pendant fétat de veille, mais sous l'influence d'une lumière très vive (le soleil, l'étincelle électrique, etc.) ^
D'après Spring (cité par Duval), on pourrait s'assurer que par-fois, dans l'inhalation de l'éther et du chloroforme, des phéno-mènes cataleptiques partiels se montrent passagèrement avant que
1. En effet, dans l'obscurité complète, la catalepsie par soulèvement des paupières pendant l'état léthargique, n'est plus possible. Lorsqu'on soulève les bras, ils re-tombent inertes et les paupières à peine soulevées tendent à se fermer seules. Si l'on fait apparaître un peu de jour, toujours en maintenant les paupières soulevées,
la narcose soit complète. Chez Wit..., nous avons vu parfois les inhalations d'éther provoquer un état cataleptique parfait, qui se transformait immédiatement en léthargie par la pression sur les globes oculaires. Une sorte de catalepsie passagère, toujours d'a-près la remarque de Spring, survient, même dans l'état de santé, à la suite d'une émotion profonde. On voit des personnes, saisies subitement d'horreur ou d'effroi, s'arrêter immobiles comme une statue, raides et privées de sentiment, les bras levés ou étendus, dans des poses expressives.
Il est intéressant de rapprocher de la catalepsie produite par les coups portés sur le gong, les effets cataleptiques occasionnés par les coups de tonnerre. Doit-on y voir l'influence du bruit, de l'émo-tion, ou de l'ébranlement occasionné par le choc en retour ^?
les membres retombent plus lentement, jusqu'à ce que l'intensité de la lumière augmentant peu à peu, l'état cataleptique des membres s'accuse par degrés et s'af-firme complètement lorsque la dose de lumière est suffisante.
Cette dose varie suivant les sujets. 11 faut moins de lumière pour rendre cata-leptiques Suzanne et Witt... que pour Rar... Dans un cabinet noir éclairé faiblement par des verres jaunes, lîar..., n'est plus rendue cataleptique alors que Witt... et Suzanne le sont parfaitement.
Peut-être les rayons colorés ont-ils une action différente? Nous n'avons pas fait d'autres expériences avec la lumière colorée.
Lorsque pendant l'état cataleptique ainsi obtenu, la lumière est supprimée gra-duellement, la léthargie revient aussi par degrés. Lorsque an contraire la suppres-sion de la lumière est brusque, l'invasion de la léthargie est instantanée et la malade tombe à la renverse.
1. « Vieussens rapporte l'histoire fort curieuse d'un coup de foudre dont il fut témoin oculaire, au Vigan, en bas Languedoc, et qui produisit des effets cataleptiques fort singuliers :
D Deux hommes, deux enfants, deux bœufs et un chien furent frappés du même coup : les deux bœufs et le chien furent tués, ainsi que les deux hommes; quant aux deux enfants, on leur administra quelques soins et ds revinrent à la vie. Vieus-sens s'étant approché des deux hommes pour leur porter secours, reconnut qu'ils étaient morts, mais il remarqua que « leurs meml3res étaient roides et dans la même position oîi ils étaient avant qu'ils fussent frappés de la foudre; leurs bras restaient dans la même situation qu'on leur donnait quand on les remuait, de sorte qu'ils auraient ressemblé parfaitement à des hommes saisis d'une catalepsie parfaite, s'ils n'avaient été privés entièrement de la respiration et du pouls. »
» On trouve dans Cardan l'histoire de huit moissonneurs qui, ayant été frappés par la foudre pendant qu'ils prenaient leur repas sous un arbre, conservèrent tous l'attitude qu'ils avaient au moment de la mort. La plupart des auteurs qui ont cité Cardan, et particulièrement Schdling, considèrent ce fait comme un exemple de catalepsie produite par la foudre; mais j'avoue que, sans révoquer en doute l'authenticité de la relation de Cardan, je n'étais pas très convaincu de l'analogie de cet état de rigidité des moissonneurs avec la catalepsie, avant de connaître le fait rapporté par Vieussens. L'expérience de cet illustre observateur, faite sur les
Puel j-apporte l'observation de deux domestiques frappées de ca-talepsie le même jour, à la même heure, aux deux extrémités de la ville, pendant un orage et au moment où venait d'éclater un violent coup de tonnerre. Chez toutes deux, il y avait perte de la voix et de la parole, et les autres symptômes musculaires caracté-ristiques de la catalepsie existaient sans qu'il y eût perte de con-naissance. Enfin ehes furent guéries l'une et l'autre dès le lende-main. La première était une jeune fille et l'autre était âgée de trente à quarante ans.
B. Caractères. — Ils ne diffèrent pas de ceux que l'on as-signe généralement à la catalepsie spontanée. L'abolition ou la suspension des fonctions sensoriales est apparente, sinon réelle.
Nous avons pu constater, dans un certain nombre de cas, la persistance partielle des sens (Obs. I, II, III, 2' série) ^ Au sortir de
membres peu de temps après la mort, démontre incontestablement cette analogie et nous force à admettre daus la science l'histoire des huit moissonneurs.
» M. Boudin, dans son excellent travail sur la foudre (Ann. d'h/g. et de niéd. lég., 1854 et i(S55, "2" sér., t. II et lil), a publié un grand nombre de faits rpii mettent désormais hors de doute la réalité des phénomènes cataleptiques produits par l'ac-tion de la foudre.
» L'abbé Thomas, âgé de soixante-dix ans, fut frappé d'un coup de foudre, au mois de juin 1851, pendant qu'il célébrait la messe à Montmorillon (Vienne); on le rap-porta à sa demeure dans un état de catalepsie complète^, et il ne recouvra connais-sance qu'au bout de plusieurs heures. Il mourut peu de temps après, sans être revenu à la santé {loc. cit., i. lll, p. 260). M. Boudin cite, en outre, plusieurs cas de personnes qu'on trouva (fans la situation qu'elles avaient au moment de la nmrt : en voici deux très remarquables. La femme d'un vigneron de Nancy fut foudroyée au moment oh elle cueillait un coquelicot, et l'on trouva son cadavre debout, seule-ment un peu penché, avec une fleur dans la main. Un prêtre fut tué par la foudre pendant qu'il était à cheval, mais l'animal continua sa roule et rapporta le corps im-mobile de son maître, à la maison, à deux lieues de distance (loc. cit., t. 11, p. 417).
» Les mêmes phénomènes ont été observés chez les animaux. Le 11 juillet 1819, la foudre tomba sur une église, et tous les chiens qui s'y trouvaient furent frappés de mort en conservant l'attitude qu'ils avaient auparavant (t. III, p. 200). Le 22 janvier 18i9, une chèvre fut frappée de la foudre aux environs de Clermont : on la trouva debout, sur les pattes de derrière, ayant à la bouche une branche de verdure. » De la Catalepsie, par T. Puel, 185C, p. 504).
1- « Dans la plupart des cas, dit Puel, l'abolition ou la suspension des fonctions sensoriales est apparente sinon réelle : mais, dans un certain nombre de cas, il y a persistance de l'état normal des sens. » [loc. cit.)
Cerise rapporte un fait bien curieux qui montre que la catalepsie ne s'accompagne pas toujours d'une abolition complète des fonctions cérébrales.
H s'agit d'un malade d'une forte constitution, d'un tempéramentlymphatico-bibeux, atteint de catalepsie depuis trois ans. Ce malade fut observé à l'asile d'aliénés de Rome, oi:i il était depuis dix-huit mois.
l'accès, la malade perd complètement le souvenir de ce qui s'est passé.
La catalepsie n'atteint que les muscles de la vie de relation ; ceux de la vie organique en sont exempts. Tout le corps possède la propriété de conserver, souvent pendant un temps relativement long, les positions les plus étranges qu'on lui communique. La ré-solution musculaire peut être complète et les membres conservent une grande souplesse. On les meut avec la plus grande facilité, ils obéissent de suite aux diverses impulsions et paraissent d'une légèreté extrême.
Mais il peut exister un degré variable de rigidité musculaire, qui a fait comparer par les auteurs la sensation que l'on éprouve, en déplaçant les membres cataleptiques, à celle que donne la flexibi-lité de la cire.
L'intensité de l'état cataleptique semble en rapport avec la rai-deur des muscles, si nous nous en rapportons à ce que nous avons observé sur B... qui, habituellement souple dans la catalepsie provoquée par le regard, présenta une raideur très manifeste quand la catalepsie fut occasionnée par un violent coup de gong.
L'œil est le plus souvent ouvert, et les paupières ne sont pas animées du clignotement qui se rencontre dans la léthargie hysté-rique ; pas de convulsion des globes oculaires; quelquefois il y a du trismus.
Il conserve très longtemps les mouvements imprimés; on ne sait s'il veille ou s'il dort, dit Cerise. Cependant il n'est pas insensible à la parole, lorsqu'elle lui est adressée avec une grande énergie par l'infirmier qui lui donne des soins habituels. Si c'est une autre personne qui lui parle le résultat est nul. Lorsque l'infirmier l'in-vite à haute voix à ouvrir la bouche pour manger, il lui obéit et accomplit les mouvements de la déglutition quand les aliments ont été introduits dans sa bouche. De même pour ses autres besoins physiques.
Ce rapport établi entre le malade et son infirmier, ajoute cet observateur, rappelle celui qui s'est établi entre Marie de Mœrl, une des extatiques du Tyrol, et son con-fesseur. Il démontre, d'une part, que la catalepsie comme l'extase peuvent se com-pliquer d'une troisième névrose ayant quelque analogie avec le somnambulisme, et que cet état étant donné, des rapports peuvent s'établir avec certaines personnes, en dehors de toute intervention magnétique de la part de celles-ci.
Les yeux étaient grands ouverts, la pupille très dilatée, il n'y avait pas de clignote-ment. {Ann. méd. psych., 1858, p. 222).
Je rapporterai plus loin quelques faits de sensibilité élective qui ont quelques ana-logies avec l'observation qu'on vient de hre.
L'hyperexcitabilité musculaire, qui est également un des signes de la léthargie hystérique, n'existe pas ici. Il est impossible de provoquer par une excitation mécanique la contraction ou la contracture permanente du muscle. La friction ou le massage sur le membre cataleptique n'amène aucune modification dans l'attitude provoquée. Cependant, le muscle conserve la propriété de proportionner le degré de sa contraction à l'effort qu'il doit vaincre. Ainsi le bras étendu perpendiculairement au corps gar-dera la même position, malgré le poids dont on peut charger la main.
Enfin, un des caractères qui n'est pas le moins intéressant est le phénomène de la suggestion (Obs. 1,1'" série).
Tels sont les signes de cet état qui nous paraît présenter les ca-ractères de la catalepsie, à ce point qu'il mérite seul d'en conserver le nom. Nous le distinguerons du second état que l'on pourrait di^^eier cataleptiforme, qui accompagne souvent la léthargie hysté-rique et que les auteurs ont toujours confondu avec le premier. Nous donnerons les signes différentiels de ces deux états, qui, tout en présentant une certaine analogie par le dehors, nous paraissent de nature différente quant au fond. (Voy. pag. 422.)
La catalepsie cesse par le retour à fétat normal ou par le passage à fétat léthargique.
Une excitation légère suffit pour réveiller la malade : souffle sur le visage, pression ovarienne, etc.
La pression sur les globes oculaires, comme la suspension brusque de l'agent qui a produit la catalepsie (Obs. I, V, VI, 1'" série) amène la production de la léthargie avec hyperexci-tabilité musculaire \
1. L'état cataleptique est signalé par Azam comme un des phénomènes les plus constants de l'état hypnotique. « Il peut exister, dit-il, avec l'anesthésie comme avec l'hyperesthésie... Il est le premier (phénomène) qui se produise et peut se montrer avant môme l'anesthésie. »
Enfin nouveau rapprochement avec l'état cataleptique que nous avons décrit : « J'ai reconnu maintes fois, ajoute le même auteur, qu'en frictionnant un œil on fait cesser la catalepsie de la moitié correspondante du corps... »
§ 2. — AUTOMATISME. HALLUCINATIONS PROVOQUÉES. ÉTAT DE SUGGESTION
Je rapproche de la catalepsie cet état singulier dans lequel la malade sous l'empire d'hallucinations provoquées se livre à une mimique très expressive, ou bien sous l'influence d'une excitation spéciale des sens accomplit automatiquement certains actes. Cet état que pour plus de concision je désignerai sous le nom d'état de suggestion, — parce que la malade ne s'appartient pas et, dans un cas comme dans l'autre, obéit fatalement à une impulsion étrangère — offre ceci de remarquable qu'il peut être provoqué pendant l'état cataleptique et qu'il alterne avec lui. Il se produit là une sorte de balancement qui fait que la malade, sortie de l'état cataleptique pour entrer en état de suggestion, retombe na-turellement et fatalement dans le premier état, aussitôt que l'in-fluence qui a fait naître le seconda disparu, soit spontanément, soit sous l'action de l'expérimentateur.
L'état cataleptique et l'état de suggestion qui se remplacent réciproquement chez une même malade offrent encore entre eux le rapprochement suivant. Dans les deux cas, l'occlusion d'un seul œil occasionne l'hémiléthargie avec hyperexcitabilité musculaire dans le côté du corps correspondant ^
1. Les connexions si étroites qui existent entre l'état cataleptique et l'état hallu-cinatoire sont encore révélées par le fait suivant :
Dub..., présente l'état cataleptique simple, celui qui répond à l'obs. I, l''" série, c'est-à-dire que l'automatisme et les hallucinations provoquées n'y sont pas possibles. Et cependant on retrouve les liens qui unissent l'état cataleptique à l'hallucination pi'Ovoquée dans l'expérience suivante :
Plongée dans le sommeil sans hyperexcitabilité, les oulèvement des paupières ne ramène plus l'état cataleptique comme cela a lieu pour le sommeil avec hyper-excitabilité. Dans ces deux sommeils toutes les hallucinations peuvent être provo-quées à l'exception de celles de la vue. Ces dernières hallucinations deviennent possibles du moment oîi l'on soulève les paupières de la malade. Mais c'est ici que se produit le fait sur lequel j'attire l'attention et que nous avons toujours vu survenir infadliblement.
Abandonnée à elle-même l'hallucination de la vue ne dure pas longtemps, elle s'évanouit bientôt spontanément et laisse la malade dans un état cataleptique pro-fond, indifférent à toute tentative d'hallucination provoquée. En résumé, nous voyons ici l'état cataleptique avoir besoin pour se produire de la modification qu'imprime au cerveau l'hallucination provoquée de la vue.
A. Mode de production. — L'état de suggestion succède à l'état de catalepsie remplissant certaines conditions particulières (per-sistance au moins partielle des sens).
Lorsque l'état cataleptique est apte au développement de ces phénomènes de suggestion (automatisme, hallucinations provo-quées) une excitation sensorielle légère suffit pour les produire en même temps qu'elle fait cesser la catalepsie et peut aussi faci-lement y mettre fm par le retour de l'état cataleptique.
B. Caractères. — Je ne rapporterai pas ici les faits sur les-quels je me suis déjà longuement étendu ^
J'en résumerai ainsi les principaux caractères :
1° Anesthésie totale à la douleur de la peau et des muqueuses.
T L'œil est ouvert, le regard a perdu sa fixité. L'état catalep-tique n'existe pas et la malade conserve la liberté complète de ses mouvements.
3° Conservation partielle des sens qui le plus souvent demeurent
1. Des faits analogues ont été observés pour la première fois par Rraid ; Azam les a retrouvés en partie dans le cours de ses expériences sur l'hypnotisme.
« Si, dit-il, pendant la période de catalepsie, je place les bras de mademoiselle X..., dans la position de la prière et les y laisse pendant un certain temps, elle répond qu'elle ne pense qu'à prier, qu'elle se croit dans une cérémonie religieuse ; la tête penchée en avant, les bras fléchis, elle sent son esprit envahi par toute une série d'idées d'humilité, de contrition ; la tète haute, ce sont des idées d'orgueil ; en un mot, je suis témoin des principaux phénomènes de suggestion racontés par Braid et attestés dans l'Encyclopédie de Todd par l'éminent physiologiste Carpenter. »
Le même auteur ajoute plus loin :
« La plus importante et la plus curieuse des découvertes de Braid, dit M. Carpen-ter dans l'article Sleep de l'Encyclopédie de Todd, est la démonstration qu'il a faite du principe de la suggestion. Par suggestion, Braid entend ceci : un sujet, dans l'état cataleptique, est placé dans une position donnée exprimant l'orgueil, l'humilité, la colère, etc., immédiatement ses idées seront portées versées sentiments, et cela avec une grande force; son visage l'exprimera vivement ainsi que ses paroles, M. Carpenter s'est convaincu de la vérité du fait; je l'ai étudié avec le plus grand soin, et je puis ajouter mon témoignage à celui de l'éminent physiologiste.
» Bien plus, l'idée d'une action limitée peut être suggérée ; ainsi les mains placées dans la position de grimper, de combattre, de lever un fardeau, de tirer à soi, l'idée de ces actions vient innnédiatement et avec force; bien mieux, les deux bras étant placés dans la position de porter deux seaux, j'ai vu une personne hypnotisée exprimer une grande fatigue du poids qu'elle disait porter.....
» Les sensations extérieures ont sur les hypnotisés un très grand pouvoir; ainsi la musique provoque la danse d'une manière irrésistible; une musique douce fait verser d'abondantes larmes. Je n'ai pas eu occasion de vérifier ces assertions. » {Note sur le sommeil nerveux ou hypnotisme, par le D'' Azam (de Bordeaux) dans l«s Arch. gén. de méd., janv. 1860.)
ce qu'ils sont à l'état normal et permet à l'observateur d'impres-sionner la malade de diverses façons.
4° Actions inconscientes. Automatisme. Hallucinations provo-quées.
5° Les sens n'exercent leur action que dans un champ restreint immédiatement en rapport avec le but poursuivi par l'acte auto-matique, ou avec l'hallucination qui domine la malade.
Je ferai remarquer ici les analogies nombreuses qui existent entre les faits expérimentaux que nous avons provoqués et cer-tains détails des attaques de somnambulisme naturel. Dans les deux cas les sens persistent à un certain degré, mais exclusive-ment bornés au cercle restreint dans lequel s'exerce l'activité de la malade. Pendant qu'elle se livre à un acte d'automate ou subit l'empire d'une hallucination provoquée, elle demeure inaccessible à tout bruit venu du dehors, elle reste sourde à toute interpel-lation, mais elle répond immédiatement aux questions que vous lui adressez même à voix modérée, pourvu que celles-ci se ratta-chent par un hen quelconque à l'action qu'elle accomplit ou au sujet de l'hallucination qui la domine.
6" La mimique à laquelle se livre le sujet sous l'empire de l'hallu-cination provoquée offre la plus grande ressemblance avec les at-titudes passionnelles de la troisième période de la grande attaque hystérique, avec cette différence toutefois que, dans cette dernière circonstance, la série des hallucinations suit son cours fatal qu'aucune excitation venue du dehors ne saurait modifier. Nous avons vu quelquefois une scène provoquée pendant l'état de suggestion dont il est question ici, se reproduire spontanément dans le cours d'une grande attaque au milieu de la troisième période. Un nouveau point de rapprochement consiste dans le souvenir vague que la malade conserve parfois des hahucinations provoquées.
T Pendant l'état de suggestion le réveil n'est pas aussi facile-ment obtenu que pendant l'état cataleptique. Le simple souffle sur le visage ne suffit plus. Il faut la pression ovarienne qui immé-diatement ramène la connaissance.
§ 3. — LÉTIIAIIGIE IIYSTÉIUQUE PROVOQUÉE S ' ACC 0 M P A G N A N T D'IIYPEREXCIT AUILITÉ MUSCULAIRE.
A. Mode de production. — Ij'état léthargique succède le plus sou-vent à Tétat cataleptique; il est amené par la suppression brusque de l'agent (lumière, vibrations sonores) sous l'influence duquel s'est produite la catalepsie.
Pendant l'état cataleptique, quel qu'ait été son mode de produc-tion, l'abaissement de la paupière supérieure fait le plus souvent tomber la malade en léthargie.
Enfin, la pression sur les globes oculaires peut chez certaines hystériques produire directement la léthargie. La fixité du regard, les pratiques hypnotiques, conduisent au môme résultat, mais par-fois en faisant passer la malade par un état cataleptique de peu de durée, quoique fort appréciable.
Toutes les hystériques ne sont'pas également susceptibles de de-venir léthargiques ou cataleptiques sous l'influence des procédés indiqués.
(( Les hystériques envisagées au point de vue de la prédisposi-tion à la catalepsie, dit Lasègue, peuvent se diviser en deux classes : les unes excitables, mobiles, spasmodiques même dans f in-tervalle des accès, moralement irritables et impulsives; les autres calmes, somnolentes, demi-torpidcs, réagissant peu, plus promptes à pleurer qu'à s'irriter. Les malades de cette seconde classe doivent être choisies pour cette recherche spéciale K »
Le même auteur dit un peu plus haut que la catalepsie ainsi caractérisée ne survient que chez les femmes en pleine évolution hystérique.
Caractères.— Lasègue décrit ainsi l'invasion du sommeil hystérique provoqué par la pression oculaire :
(( Lorsque, chez une hystérique du type que je viens d'indiquer, on applique la main sur les yeux ou qu'on ferme les paupières, par
1. Lasègue, Archives gén. de médecine, 1865.
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n'importe quel procédé, la malade éprouve une sensation d'engour-dissement toute particulière. Elle répond aux questions, elle exécute, quand elle n'est pas ataxique, les mouvements qu'on lui prescrit, mais avec une paresse croissante. Peu à peu la respiration se fait avec plus d'efforts, les parois de la poitrine se soulèvent da-vantage, les globes oculaires sont convulsés en haut, la malade cesse de répondre et elle s'endort d'un sommeil profond, iden-tique au sommeil naturel, avec cette différence qu'elle reste plus insensible aux bruits du dehors : on a beau l'appeler à haute voix, frapper vivement et près de son oreille sur un objet sonore, elle continue à dormir avec une placidité qui exclut toute possibilité de simulation, etc..
)) Si rapide qu'ait été le sommeil produit par la simple occlusion des yeux, il n'a lien qu'au bout de quelques minutes, plus ou moins vite, suivant la constitution nerveuse de la patiente K »
Au début de ce sommeil nous avons presque toujours observé chez nos malades, quel que soit le procédé employé pour le pro-duire, quelques phénomènes épileptoïdes : légère raideur des membres, mouvements de déglutition, bruit pharyngien, inspira-tion sifflante, écume à la bouche.
Les caractères de la léthargie ainsi obtenue sont les suivants :
1° Lisensibilité complète de la peau et des muqueuses '\
1. Lasègue, loc. cit., p. 493.
2. Celle anesthésie a été signalée par la plupart des auteurs qui se sont occu-pés de la question de l'hypnotisme. Les premiers observateurs avaient fondé sur elle, au point de vue de la médecine opératoire des espérances qui furent bientôt déçues, à cause de finconstance avec laquelle elle se produisait. Pour nous, nous avons toujours rencontré chez nos hystériques l'anesthésie complète . et absolue, nous l'avons toujours vue survenir d'une façon constante, ce que l'on doit attribuer peut-être à la diathèse hystérique, en dehors de laquelle nous n'avons pas expéri-menté.
Des malades en proie a de vives douleurs ont pu bénéficier de cette anesthésie artificielle.
D'après Demarquay et Giraud-Teulon « des douleurs utérines très vives qui tourmentaient les malades jour et nuit, des névralgies qui avaient résisté à l'opium se sont vues enrayées, suspendues pendant cet état particulier de leur système nerveux (l'hypnotisme) et pendant de longues heures après. » {Recherches sur l'hypnotisme, Paris, 1860.)
« Chez une femme hystérique, dit Ch. Richet, que j'ai endormie plusieurs fois à l'hôpital Reaujon, dans le service de mon savant maître, M. le professeur Le Fort, j'ai pu observer un phénomène assez remarquable. Elle avait une affection
2" Les sens persistent parfois à un certain degré (le plus sou-vent ceux du côté hémianesthétique à l'état de veille demeurent complètement abolis) et permettent à la malade d'accomplir cer-tains actes de somnambulisme.
L'hyperesthésic que nous n'avons que rarement observée chez nos malades se rencontre de préférence lorsque l'hyperexcitabilitô neuro-musculaire n'existe pas.
3° Il en est de même des hallucinations provoquées qui le plus souvent ne sont pas possibles tant que l'hyperexcitabilité muscu-laire subsiste, ce qui ne veut pas dire que le sommeil sans hyper-excitabilité musculaire soit toujours susceptible d'hallucitations provoquées, comme nous le verrons plus loin.
4" Les yeux sont fermés ou à peu près, les globes oculaires convulsés.
5° Frémissement constant des paupières supérieures.
6" Résolution musculaire le plus souvent. Quelquefois légère rai-deur des membres. Contractures partielles. La contracture cède à la friction. Parfois un certain degré de catalepsie incomplète et partielle (Obs. VII, 1'' série), qui cède à la friction (état cataleptiforme).
T Toujours hyperexcitabilité musculaire (Obs. I, 1'" série). Pos-sibilité par l'excitation mécanique de provoquer la contracture du muscle, laquelle disparaît par la friction ou l'excitation des mus-cles antagonistes.
8' Possibilité par le soulèvement de la paupière supérieure de provoquer de suite une catalepsie parfaite d'une moitié du corps ou des deux côtés, suivant qu'on soulève une seule paupière ou les deux.
La plupart des cas rapportés dans les auteurs sous le nom de som-nambulisme hystérique, sommeil hystérique, sommeil hypnotique,
uiérine grave, une liématocèle probablement, et depuis six mois ne quittait pas son lit. Dès qu'elle était endormie, elle pouvait se lever, marcher, balayer la salle, et grimpait les escaliers avec une agilité surprenante. Mais lorsqu'elle était réveil-lée, on n'aurait pu^obtenir d'elle qu'elle se levât pour qu'on fit son lit. » (Du som-nambulisme provoqué, dans le Journal de fanal, et de la pJtys. de M. Ch. liohin. Judlet, 1875[-)
Je rapporterai plus loin l'histoire d'une hystérique rapportée par Landouzy et dont tes violents accès de douleur intestinale (jui avaient i-ésisté à l'emploi de la morphine, étaient calmés par la production d'un état léîhargi({ac provoqué par l'approche d'un aimant et par l'occlusion des paupières (p. iij;}).
somnialion (Franck), nous semblent répondre à ce que nous venons de décrire sous le nom vague, faute de mieux, de léthargie hys-térique provorjuée, s'accompagnant d"hyperexcitabilité musculaire.
Je fais de l'hyperexcitabilité musculaire un signe obligé de cette variété de sommeil, pour le distinguer de cet autre sommeil où l'hyperexcitabilité ne se rencontre pas
L'hyperexcitabilité musculaire, sans être expressément signalée, a été entrevue dans le sommeil hypnotique : les bras étant dans la résolution, on prie la malade de serrer un objet quelconque, un
1. Cette distinction un peu arbitraire, si l'on veut, ne s'appuie pas sur cet unique caractère et trouve sa raison d'être dans l'ensemble des phénomène.s qui caracté-risent chacun de ces deux états nerveux. On verra au paragraphe suivant que si ces deux états de somniation ont des signes communs, ils diltèrent assez dans leur mode de production et dans leurs principaux caractères pour constituer chacun une espèce à part et n'être pas confondus. D'un mot, on pourrait dire que le premier répond au sommeil hypnotique et le second au sommeil dit magnétique. Parmi les signes qui peuvent servir à les différencier, l'hyperexcitabilité neuro-mus-culaire m'a paru un des plus constants. La distinction est facile à établir et saisis-sante chez les malades qui présentent les deux états. L'expérience suivante vient à l'appui de cette manière de voir. De même que la léthargie avec hyperexcitabilité et la catalepsie peuvent se montrer sinmltanément chez un même sujet occupant chacune un coté du corps (voy. obs. pag. 371), de même la léthargie avec hyperex-citabilité et la léthargie sans hyperexcitabilité peuvent se partager la n)ême malade et se montrer chacune dans une moitié du corps avec leurs principaux caractères.
Par exemple, Rar... est rendue, par la pression du verlex, léthargique sans hyperexcitabilité (voy. obs. p. 381). La pression sur les deux yeux peut modifier son état et faire reparaître l'hyperexcitabilité. La pression sur un seul œil ne fait revenir l'hyperexcitabilité que d'un seul côté du corps, du côté correspondant à l'œil pressé. Voici donc notre malade léthargique possédant l'hyperexcitabilité d'un côté du corps, pendant que de l'autre l'hyperexcitabilité n'existe en aucune façon. Mais la différence des doux états nerveux qui se partagent alors la malade ne consiste pas seulementdaiis cciii- seule modification musculaire, d'autres signes y sont également, comme on peut le voir par ce qui suit. Nous savons que dans l'état léthargique avec hyperexcitabilité, ou premier sommeil, Car... est fort mauvaise somnambule, elle ne parle pas, elle est comme engourdie; elle entend cependant, car en l'interpellant très vivement on parvient à la faire marcher, niais elle ne fait que quelques pas et encore diflicilenient. .Vu contrain; dans la léthargie sans hyperexcitabdité ou deuxième sommeil, elle répond très facilement aux diverses questions et accomplit avec prestesse et précision les différents actes qu'on lui commande. Nous savons en outre que, chez cette malade, le siège de la parole, suivant la règle habituelle, est dans le cerveau gauche (voy. p. 303) Voici maintenant l'expérience qui a été faite :
Pendant que Rar... est plongée dans cet état que j'appelle pour plus de concision le deuxième sommeil, la pression sur l'œil gauche ramène l'hyperexci-tabilité dans tout le côté gauche du corps, mais c'est le cerveau droit qui a été impressionné. Donc en môme temps que le côté gauche du corps, le cerveau droit est revenu au premier tommeil. En elfet, si ce cliangemenl survenu dans son état
dynamomètre, par exemple ; si alors on malaxe les muscles avec les mains, on les sent se raidir, acquérir la dureté du bois, et le sujet peut développer ainsi une force extraordinaire et sans accuser la moindre fatigue (x\zam).
La manière de faire cesser ces troubles de mouvements, ajoute M. Duval, n'est pas moins remarquable que la manière de les pro-duire : une légère friction sur les muscles amène aussitôt leur réso-lution \
Le clignotement des paupières est signalé dans de nombreuses observations de sommeil hystérique et de catalepsie. Dans ces derniers cas rangés par les auteurs parmi les attaques catalepti-ques, l'état du muscle ne peut-il être rapproché de cette variété de catalepsie partielle et imparfaite qui accompagne parfois la léthargie et que nous proposons de désigner sous le nom d'état cataleptiforme.
Cet état cataleptiforme, qu'il n'est pas rare de voir accompagner
empêche Bar... de marcher, son discours n'est point interrompu et elle répond, avec la même facilité que tout à l'heure, aux questions qu'on lui adresse. Tout autre chose a lieu si l'on agit sur l'œil droit. Et en effet, en même temps que le côté droit du corps, c'est le cerveau gauche qui retourne au premier sommeil. En ce cas, bien que tout le côté gauche et avec lui le cerveau droit, dorme du deu-xième sommeil. Bar., est arrêtée net dans son discours; on ne peut plus lui arra-cher une seule réponse, elle retombe dans son inertie.
1. Le passage suivant, extrait du Mémoire d'Azam, signale des faits qui se ratta-chent évidemment au phénomène que nous avons décrit sous le nom d'hyperexci-tabilité musculaire :
« Un soufffe d'air, une friction, font cesser la catalepsie sur un membre, sur un doigt; cet état revient en replaçant doucement le membre à sa place. Si, pendant la résolution, je t'invite à me serrer la main, et si, en même temps, je malaxe les muscles de l'avant-bras, ceux-ci se contractent, durcissent, et la force développée est au moins d'un tiers plus considérable qu'à l'état ordinaire. » (p. 5).
Nous avons vu comment les contractures hystériques artificielles cédaient aux frictions exercées pendant le sommeil provoqué (Obs. III, 1" série). Nous trouvons dans Baillif un fait analogue.
« Le 3 février nous trouvâmes notre malade, tes mains et les doigts douloureu-sement contractures; depuis déjà 20 minutes, elle était dans cet état si souvent pré-curseur d'une attaque. Nous la considérions comme inévitable; cependant nous crûmes bien faire en l'hypnotisant, ce qui n'offrit aucune difficulté ; au bout de quelques minutes, le sommeil provoqué était obtenu, et cependant les contractures persistaient. Nous lui prîmes alors les deux mains et fîmes de violents efforts de contraction des muscles de l'épaule et du bras, tout en lui pressant très légère-ment les mains, très douloureuses comme nous le savions ; bientôt ses mairs revin-rent à leur état ordinaire et la malade, à son réveil, fut fort étonnée de voir ses extrémités libres. » (loc. cit., p. 36.)
la léthargie, nous semble sous la dépendance de cette propriété spéciale du muscle que nous désignons sous le nom d'hyperexcita-bilité musculaire, ou, pour mieux dire, il en est, en quelque sorte, une nouvelle manifestation. Lorsqu'on soulève un peu brusque-ment le membre d'une malade dont les muscles sont en état d'hy-perexcitabilité, ou bien, qu'après avoir soulevé le membre, on msiste un peu en le maintenant dans la même position avant de l'abandonner à lui-même, il garde la situation qu'on vient de lui communiquer. Mais que s'est-il passé? Les muscles dans cette manœuvre ont été excités, et en vertu de la propriété dont ils sont doués, ils se sont contractures. Le membre qui paraît catalep-tique est un membre contracture. En effet, si l'on veut ensuite dé-placer le membre, on éprouve une certaine résistance, évidemment due à la contracture musculaire.
Nous atons dit que la léthargie s'accompagnait parfois d'un cer-tain degré de raideur généralisée. Il est facile de comprendre que lorsque cette rigidité générale existe, ces phénomènes catalepti-formes soient plus accusés. Mais ils n'en restent pas moins soumis aux mêmes lois. Et pour préciser davantage, d'un côté, les carac-tères de la véritable catalepsie décrite plus haut, et de f autre, ceux de f état cataleptiforme, il nous est facile de les consigner dans un même tableau ;
CATALEPSIE
— Yeux ouverts. — Pas de convulsion des globes oculaires.
— Pas de frémissement des pau-pières.
— Élat cataleptique général.
— Souplesse et légèreté des membres.
— Le membre garde aussitôt la po-sition communiquée.
— Le membre conserve indéfiniment la position communiquée.
— La friction et le massage ne mo-difient en aucune façon la position com-muniquée au membre.
ÉTAT CATALEPTJFOUME
ue la léthargie
— Yeux fermés. ~ Convulsion des globes oculaires.
— Frémissement constant des pau-pières.
— État cataleptique partiel.
— Le plus souvent une certaine rigi-dité des membres — Le membre est toujours lourd à soulevé r.
— Il faut le plus souvent insister et maintenir quelques secondes au moins le membre avant de l'abandonner.
— Le plus souvent, le membre re-tombe bientôt.
— La friction et le massage amènent toujours la résolution du membre qui retombe inerte.
Cette distinction nous parait importante et rend facilement compte de la confusion qui règne dans les observations de cata-lepsie des auteurs et de la multiplicité, en même temps que de la disparité des phénomènes qui s'y trouvent signalés
Elle peut expliquer peut-être les résultats obtenus par M. La-sèguc sur certaines hystériques parla pression des globes oculan^es. En effet, la catalepsie qu'il produit par ce procédé est générale ou partielle, complète ou incomplète, passagère ou durable. De plus, les membres sont le siège d'une certaine raideur, ils ont la flexibilité de la cire, tandis que la catalepsie que nous produi-sons par le soulèvement de la paupière supérieure ne s'accom-pagne jamais de raideur. Enfm, il dit qu'il est des cataleptiques n'ayant que le sommeil, et, bien qu'il ne soit pas question d'hyper-excitabilité musculaire, ce sommeil ne saurait être autre chose que la léthargie dont nous avons donné les caractères.
§ i. — LÉTHARGIE HYSTÉRIQUE PROVOQUÉE NE S ' A G G 0 m P A G N a N T PAS D'HYPEREXCITABILITÉ musculaire OU SOMNAMBULISME IIVSTÉ-,KIQUE.
A. Mode de production. — Nous avons pu provoquer cet état d'une façon sûre et constante chez la plupart de nos malades par la friction ou simplement la pression sur le vertex pendant l'état de léthargie avec hyperexcitabilité musculaire.
Nous avons vu quelquefois cette variété de léthargie survenir chez nos malades, complètement en dehors de notre action; elle se produisait sans causes appréciables pendant que la malade était plongée dans la léthargie avec hyperexcitabilité ; l'une succédait
1. H me semble que ce genre de catalepsie imparfaite signalée par vVzam, dans les lignes suivantes, peut bien être mise sur le compte de l'hyperexcitabilité.
« Il est des sujets, dit-il, chez lesquels la catalepsie ne paraît pas s'établir d'em-blée, c'est-à-dire que les membres ne gardent pas immédiatement les positions données; il faut alors les prier, si du moins ils entendent, de faire un|)elit effort pour garder la position, et l'on voit cet effort devenir en ({uelque sorte constant et l'état cataleptique du membre élevé se produire. C'est dans liraid ({ue j'ai pris l'in-dication de cette expérience... Il arrive souvent que l'état cataleptiiiue ne peut être produit que dans les membres supérieurs. » (Azam,/oc. cil. p. 14).
h l'autre et la remplaçait spontanément, comme par les progrès de l'état pathologique spécial que l'on avait provoqué.
Les m'anœuvres habituelles des magnétiseurs ont pour effet de produire cet état de somnambulisme hystérique immédiatement sans faire passer la malade par les différents états nerveux dont nous avons parlé.
Les caractères de cette variété de la léthargie hystérique sont les suivants :
1° Lorsque le début est brusque, occasionné par la pression du vertex, il est accompagné, comme dans la léthargie proprement dite, de quelques phénomènes épileptoïdes. Si, au contraire, l'inva-sion de cette variété de sommeil s'opère graduellement sous Fin-fluence d'une excitation quelconque faible et répétée, le début passe inaperçu et n'est marqué par aucun signe extérieur.
2° Même insensibilité à la douleur de la peau et des muqueuses que dans la léthargie avec hyperexcitabilité.
3° Les yeux sont habituellement fermés, ils peuvent être en-tr'ouverls. Il n'y a pas de clignotement des paupières.
4° Les sens persistent à un certain degré, y compris celui de la vue (même lorsque les yeux paraissent complètement fermés) et permettent à l'observateur d'impressionner diversement la ma-lade ^
5" Les faits d'hyperesthésie des sens, ainsi que les auteurs en ont rapporté des exemples, ont été rares. Néanmoins nous avons très
1. « L'hyperesthésie hypnotique, dit Azam, porte sur tous les sens, sauf celui de la vue, mais surtout sur le sens de la température et sur le sens musculaire, dont elle démontre l'existence d'une manière irréfragable. (Loc cit., p. 10).
« Pendant la période d'anesthésie survient celle d'hyperesthésie; je m'aperçois de son invasion par ceci : mademoiselle X... se rejette la tête en arrière, son visage exprime la douleur. Interrogée, elle répond que l'odeur du tabac que je porte sur moi lui est insupportable. Le bruit de ma voix ou de celle des assistants, celui de la rue, le moindre son enfin, paraît affecter cruellement la sensibilité de l'ouïe; un contact ordinaire amène une certaine douleur, puis deux doigts placés, l'un sur la tête, l'autre sur la main, amènent comme une forte commotion très douloureuse; ma montre est entendue à une distance de 8 à 9 mètres, ainsi qu'une conversation à voix très basse.
Une main nue est-elle placée à 40 centimètres derrière son dos, mademoiselle X... se penche en avint et se plaint de la chaleur qu'elle éprouve ; de même pour un objet froid et à n?êmo distance. (Azam, loc. cit., pag. 5.)
nettement constaté une tiyperesthésie particulière du tact qui se traduit par un état d'attraction spécial pour les personnes, se produisant, ainsi que nous l'avons montré, en dehors de la volonté de l'observateur et de la conscience de la malade; fait absolu-ment d'ordre somatique dans lequel les influences morales n'ont rien à voir.
6" Résolution musculaire. — 11 existe parfois, au début, de la rigidité musculaire qui disparaît facilement par le massage ou les frictions.
7" L'hyperexcitabilité musculaire n'existe pas. Il est impossible de provoquer la contracture du muscle, par la pression ou le massage. Mais il existe un ordre de contractures d'une autre na-ture qui se rattachent à l'état d'hyperesthésie spéciale dont j'ai parlé, qui ne se produit que sous les plus légères excitations, et dans les mêmes circonstances que celles dans lesquelles se déve-loppent la sensibilité cutanée spéciale.
8° Pas de transformation possible en catalepsie par la simple ouverture des yeux.
9° Somnambulisme très marqué; il semble plus parfait que dans la léthargie avec hyperexcitabilité musculaire. La malade répond mieux aux questions \ accomplit les actes qu'on lui com-mande avec plus de sûreté et de précision. L'intelligence est [plus éveillée, et, servie par des sens dont la sensibilité est parfois ^exaltée, elle accomplit alors des actions qui semblent tenir du prodige.
10" L'automatisme avec les caractères si précis que nous lui avons trouvés (p. 384 et suiv.) ne se rencontre pas ici. S'il existe, c'est dans des hmites restreintes et se bornant aune sorte d'obéis-sance passive aux injonctions de l'observateur. C'est ce genre d'au-tomatisme que signale Ch. Richet.
« Le fait, dit-il, le plus singulier peut-être et en même temps un des plus constamment observés, c'est Vautomatisme des sujets 'endormis. Malgré la surexcitation de leur intellect et la vivacité
1. Souvent alors la voix est plus faible qua l'état naturel et comme voilée. Cette remarque avait été faite déjà par Azam.
de leurs sentiments affectifs, ils sont soumis à la volonté des per-sonnes qui les entourent : on peut les forcer à se lever, à chanter, à se tenir debout, à tirer la langue, à joindre les mains, etc. Mon ami R..., lorsqu'il était endormi, faisait absolument tout ce que je lui commandais. Je lui ai fait quinze fois de suite prendre un morceau de craie et le jeter à terre, et le ramasser sans qu'il son-geât à résister ; c'était un automate, et il sem.blait qu'il ne put pas s'opposer à l'ordre que je lui intimais. D'autres ibis, il s'établit une véritable résistance... )) {Loc. cit.)
Il y a loin de là aux actes d'automatisme dont nous avons parlé plus haut et qui succèdent avec la fatalité d'un réflexe aux im-pressions sensorielles variées.
La différence qui existe, sous ce rapport, entre ce que nous avons appelé état de suggestion et l'état de somnambulisme dont il s'agit ici, apparaît d'une façon saisissante chez les malades sus-ceptibles de présenter successivement les deux états. Quelques exemples feront bien comprendre.
Pendant que Bar... se lave les mains automatiquement, comme dans l'expérience rapportée (p. 390) si l'on vient à presser sur le Vertex, aussitôt ses yeux se ferment, d'automate elle devient som-nambule et s'arrête. « Qu'est-cequejefais-là,dit-e]le avec stupéfac-tion, je n'ai pas besoin de me laveries mains. » Mais, chose singu-lière ! il suffit de soulever ses paupières pour que l'automatisme revienne avec toute sa fatalité, et Bar..., sans faire la moindre observation, recommence son éternel lavement de mains. Si alors on empêche son action en lui tenant les mains ou en retirant les objets dont elle se sert, elle redevient aussitôt cataleptique, ainsi que je l'ai dit.
Pendant l'état de somnambuhsme, Bar..., accomplit sur l'ordre, certains actes, mais elle se refuse à d'autres. Le plus souvent elle ne veut pas lire, bien que nous nous soyons assurés, par d'autres moyens, qu'elle y voit malgré l'occlusion apparente des paupières. Mais si f on vient alors à soulever ses paupières, elle retombe dans l'automatisme que nous avons dit, et lit aussitôt pour ne s'ar-rêter que devant un obstacle insurmontable. Auquel cas, elle re-
devient cataleptique comme toujours en pareille circonstance K 11° Les illusions et hallucinations de tous les sens peuvent être facilement provoquées, mais non pas toujours. J'en ai rapporté plus haut (p. 403) deux exemples. On en trouve un assez grand nombre dans les auteurs -.
12" Possibilité par la pression oculaire de faire reparaître la lé-thargie avec hyperexcitabilité accompagnée de tous ses caractères.
Cette longue digression, sur les différents états nerveux qu'il est possible de provoquer chez les hystériques, a été entreprise prin-cipalement dans le but de faciliter l'étude de quelques variétés de la grande attaque hystérique. Nous chercherons dans les chapitres suivants à utiliser les notions acquises.
1. La différence entre l'état de suggestion et l'état de somnambulisme se fait encore bien sentir dans l'exemple suivant.
En plaçant les mains de Par..., pendant qu'elle est en état de somnambulisme, dans l'attitude de la prière, celle-ci s'impose à son esprit. Aux questions elle répond qu'elle prie la Sainte Vierge, mais qu'elle ne la voit pas. Tant que les mains demeu-rent dans la même position, elle continue sa prière, et ne dissimule pas son mécon-tentement si l'on cherche à l'en distraire. En déplaçant les mains, la prière cesse aussitôt. Toute fatale qu'elle est, la prière dans ce cas est en quelque sorte rai-sonnée puisque la malade résiste aux distractions et est capable de soutenir une discussion avec celui qui vient l'interrompre. De plus elle n'est pas accompagnée d'hallucination.
Mais les choses changent si, pendant que Par... prie ainsi, on vient à soulever ses paupières. Aussitôt l'hallucination apparaît. Son visage s'illumine, elle se met à genoux, profère des paroles d'admiration, et, si on lui en demande la raison, elle répond qu'elle voit la sainte Vierge; elle décrit son costume et les anges qui l'en-vironnent. Mais elle ne répond en aucune façon aux questions étrangères à son hallucination. Elle ne soutient aucune discussion. En un mot, elle est fascinée et n'a de paroles que pour dépeindre ce qu'elle voit. Sans aucune résistance de la part de la malade, l'observateur, par la parole seule, peut faire disparaître l'hallu-cination. En résumé, la malade par le simple soulèvement des paupières est passée de l'état de somnambulisme dans l'état de suggestion dont nous avons parlé, et la même action continuée pendant les deux états, emprunte à chacun d'eux des carac-tères particuliers.
2. «Mon ami F..., dit Ch. Richet, était séparé de sa mère depuis longtemps; lorsqu'il fut endormi je lui proposai de lui faire voir sa mère; il accepta aussitôt : « je la vois, je la vois, me dit-d; elle travaille, elle pense à moi », et U se mit à verser des larmes de joie : tout d'un coup sa joie se changea en tristesse. « Hélas! dit-d, elle ne peut pas me voir », et d s'agitait, désespéré.
On peut remplacer ces conceptions plus ou moins raisonnables par des voyages véritablement fantastiques; je l'ai essayé souvent, et c'est toujours avec étonnement que j'ai constaté la vivacité d'impressions des sujets endormis. Ainsi je disais à mon ami F... « viens avec moi, nous allons partir en ballon; nous montons, nous "Montons, nous sommes dans la lune », et il voyait tout cela. Quelquefois, qua,ud
La catalepsie, la léthargie et le somnambulisme peuvent surve-nir spontanément chez les hystériques, sans montrer aucune rela-tion apparente avec l'attaque convulsive. Mais il peut se faire que ces phénomènes habituellement étrangers à l'attaque, viennent s'y surajouter et constituer ainsi des variétés de l'attaque hystéro-épileptique que nous allons étudier maintenant.
on interroge un aliéné et quand on abonde dans sa manie, on est surpris de la confiance qu'il apporte aux absurdités qu'on lui dit. J'éprouvais une surprise sem-blable en interrogeant F... « Quelle est donc cette grosse boule qui est au-dessous de nous? » disait-il. C'était la terre que son imagination lui représentait (peut-être sa mémoire lui rappelait-elle le voyage de J. Verncj. II voyait des bêtes fantas tiques, et comme je voulais les ramener sur la terre : « Tu es toujours comme cela, me disait-il, tu ne sais seulement pas comment nous ferons pour redescendre et tu veux te charger de ces gros animaux-là ». Il disait cela très sérieusement et se fâchait : « Prendsdes si tu veux, répétait-il, moi je ne veux pas m'en embarras-ser ». Néanmoins, il se rendait compte de l'étrangeté de ces visions. « Il y aurait un bien beau récit de voyage à faire, ajoutait-il ; mais par malheur on ne nous croira pas. » Ce qui l'empêchait de douter, c'est qu'il voyait réellement : tout comme un halluciné ne peut mettre en doute les objets qu'il voit devant lui. Quelle que soit l'absurdité d'une vision, elle est là, et tous les efforts de la raison ne peuvent détruire cette image intra-cérébrale. » {Loc. cit., p. 355.)
L'hallucination provoquée que nous venons d'étudier, peut être quelquefois spontanée pendant le sommeil artificiel. Raillif en cite un exemple :
« Pendant le sommeü artificiel, elle a assez souvent des hallucinations; il n'est pas rare de l'entendre vous dire : « Retirez-donc cette femme et ce chien, personne ne m'en débarrassera donc! » Toujours la même femme aux yeux bleus et son petit chien noir, la même hallucination que pendant les attaques.
» Mais le phénomène le plus singulier présenté par notre malade est le suivant : Pendant un espace de tem|îs variable de cinq à dix minutes, elle a des absences; elle secroit marquise, duchesse ou baronne, commande àses larbins, comme elle les ap-pelle, fait amener sa voiture, aies cheveux poudrés et met des gants; sa pantomime à l'appui est fort amusante... etc... Jamais d'hallucination de l'ouïe. Parfois cette absence était précédée d'une attaque. D'autres fois, elle s'arrête court; tout est fini. Elle demande s'il n'y a personne près d'elle, et sur notre réponse que nous sommes là, elle nous dit: « Tiens, pourquoi vous êtes-vous absentés? » Elle n'a conservé aucun souvenir. » (Baillif., loc. cit., p. 49.)
CHAPITRE VII
YAUIÉTÉS PAR IMMIXTION DE PHÉNOMÈNES LÉTHARGIQUES. ATTAQUE DE LÉTHARGIE.
Briquet décrit dans un môme paragraphe, les attaques de som-meil, de coma et de léthargie, parce qu'elles ne lui paraissent être que des degrés de la même modification pathologique. L'étude que nous avons faite de la léthargie hystérique provoquée nous con-duit à comprendre sous le nom attaques de léthargie les variétés suivantes :
1° Attaque de léthargie simple (attaque de sommeil, attaque de léthargie des auteurs). 2° Attaque de léthargie avec mort apparente. 3" Attaque de léthargie compliquée :
a. De contractures partielles ou générahsées. — L'attaque de coma, décrite par Briquet, nous paraît rentrer dans ce cadre. h. De l'état cataleptiforme.
Î5 I. — ATTAQUE DE LÉTHARGIE SIMPLE.
Sur le nombre considérable d'hystériques que Briquet a été à même d'observer, cet auteur n'a rencontré que trois cas d'hystérie avec des attaques consistant eu un véritable sommeil.
« Dans ces trois cas, dont les causes ne présentaient rien de spé-cial, l'attaque débutait constamment par une vive rougeur qui pa-raissait brusquement à la face, par un serrement des mâchoires, et par un raidissement momentané des membres, troubles qui ces-
saient aussitôt. Chez une de ces femmes, l'attaque commençait toujours par de la constriction à l'épigastre, puis venait une sen-sation de globe qui de l'épigastre montait à la gorge, et, enfin, ar-rivait à la strangulation. » (Briquet.)
Dans tous ces cas, les malades s'endormaient très rapidement. Elles avaient un véritable sommeil, leur face n'offrait rien de parti-culier, leur respiration était normale, le pouls était à soixante, la peau était fraîche, et les membres étaient en résolution.
Nous avons eu occasion d'observer sur Gl.... une attaque de som-meil léthargique qui a duré vingt-quatre heures.
Après avoir répété sur elle les diverses expériences dont il a été question, elle tomba un jour dans un sommeil qui dura jusqu'au lendemain matin et dontil fut impossible de lafaire sortir, quels qu'aient été les excitants employés, mécaniques ou électriques. Elle était dans le décubitus dorsal, la face colorée, les membres dans la résolution la plus complète, les paupières fermées et clignotantes et les globes oculaires convulsés en bas avec tendance au stra-bisme interne. La respiration était très faible et irrégulière : Respirât 11. Pouls 100. — Tempérât. 37,8. Les muscles avaient perdu la propriété spé-ciale désignée sous le nom dliijperexcitabilité.—L'excitation des points hystéro-épileptogènes ne provoquait aucune crise. La compression des ovaires demeurait également sans résultat. Nous étions évidemment en pré-sence d'un sommeil d'un autre genre que celui que nous avons étudié dans notre première expérience. II en différait encore par ceci, que la malade, une l'ois revenue à elle, avait conscience d'avoir dormi longtemps, et pouvait raconter, dans ses moindres détails, un long rêve qu'elle avait eu.
J. Moreau, dans son livre de la Folie névropathique, rapporte f observation d'une hystérique qui, pendant les attaques de sommeil, était tourmentée par un délire dont elle conservait le souvenir.
« La malade est tourmentée par un singulier besoin de dormir. Durant ses (( assoupissements », il lui semblait qu'un certain individu de sa connaissance prenait sur elle plus d'empire qu'elle n'eût voulu, et se comportait vis-à-vis d'elle de la façon la plus inconvenante : paroles obscènes, attouchements lascifs, etc.. La nuit, elle a des cauchemars, elle se voit entourée de ser-pents qui veulent la dévorer, de grosses écrevisses qui courent sur son lit, sur ses bras, sur sa poitrine; elle se réveille en sursaut, couverte de sueur et appelant au secours ^ »
1. Traité pratique de la folio névropathique, par le D'' J. Moreau. Paris, 1869, p. 37.
Del... dont j'ai déjà rapporté, page 184, les attaques convul-sives se rapprochant de celles de l'hystérie vulgaire, est prise, en outre, de temps à autre, d'attaques de sommeil dont voici quelques exemples :
20 juin. — A cinq heures et demie du soir, série d'attaques convulsives ordinaires qui se succèdent au nombre de cinq. A dix heures, attaque de sommeil qui dure jusqu'au 22 juin à dix heures du matin. Pendant cette longue attaque de sommeil, Del... a uriné au lit. On l'a changée de linge sans qu'elle se réveillât.
7 juillet. — Quatre attaques convulsives.
8 juillet. — Attaque de sommeil de six heures du soir jusqu'au lendemain matin dix heures.
il juillet. — Attaque de sommeil de six heures du matin jusqu'à quatre heures du soir.
3 août, — Attaque de sommeil qui a duré de dix heures du soir jusqu'au 5 août dix heures du matin. La malade n'a pas uriné au lit.
30 août, — Del... est prise d'une attaque de sommeil depuis trente-huit heures environ. Elle aurait eu quelques convulsions arrêtées par la com-pression ovarienne exercée sur elle par une de ses compagnes, puis elle serait tombée dans le sommeil.
Ce matin l'attaque de sommeil dure encore. C'est un sommeil que les excitations les plus variées ne peuvent rompre. On a beau l'appeler, lui crier dans les oreilles, la secouer vivement, la piquer avec de fortes épingles, elle dort toujours. Le décubitus est indifférent, la résolution musculaire est complète; quand on la soulève, Del... retombe comme une masse inerte sur son lit, et garde la position que le hasard lui donne. Cependant elle n'est pas complètement passive, et parfois elle change de position spontanément,
L'hyperexcitabilité musculaire que nous avons décrite plus haut (p. 365). n'existe pas. Les paupières supérieures abaissées sont animées d'un petit tremblement non permanent, mais toujours provoque, lorsqu'on essaye de les soulever. Elles résistent au mouvement qu'on cherche à leur imprimer et le globe oculaire ne se laisse pas découvrir.
Pendant ce sommeil, elle a des rêves, des cauchemars, elle cherche à fuir en se tournant de côté et d'autre dans son lit et en se cachant la figure dans ses oreillers. Ses rêves sont de deux sortes. Les uns terribles : elle voit des bêtes qui lui piquent les jambes, elle crie : « Maman Beaufils! à mon secours, chassez toutes ces bêtes. » Les autres plus gais : elle se promène avec le fils de son ancien patron, il avait nom Adolphe. Elle se souvient fort bien de tout ceci, quand elle est réveillée. La compression ovarienne fait cesser com-plètement le sommeil. Questionnée sur ses rêves, la malade n'est pas, ce matin, disposée à répondre.
L'attouchement du sternum, au niveau de la première pièce et sur la ligne
médiane provoque une attaque. La malade possède, en outre, deux autres points hystérogènes symétriques situés sous les seins et un peu en dehors. L'attaque provoquée offre le caractères suivants :
Tétanisme de tout le corps : la tête se renverse en arrière, se conges-tionne; les traits sont contractures. Les bras s'élèvent et se fléchissent, les jambes sont raidies dans l'extension, le tronc se creuse en arrière. Telle est la phase tonique qui, à elle seule, paraît représenter la période épilep-toïde. Puis l'arc de cercle s'accuse, la malade s'agite en tous sens, se con-torsionne (deuxième période) et bientôt retombe inerte; elle est reprise de son sommeil. Le sommeil vient donc ici au lieu et place de la troisième période avec laquelle les rêves et le souvenir qu'elle en conserve ne laissent pas de lui créer de nombreux points de ressemblance.
3 septembre. — Del... s'endort tout d'un coup sur le lit d'une voisine à sept heures du soir; le sommeil dure jusqu'à cinq heures du matin. Mélan-colie jusqu'à dix heures. Elle ne peut plus parler. Une séance d'electrisation lui rend la parole et la gaieté. Le sommeil la reprend à deux heures.
23 septembre. — S'endort, sur un banc, dans la cour, de dix heures du matin jusqu'à trois heures de l'après-midi.
25 septembre. — Del... dort depuis hier matin neuf heures.
Ce matin elle est dans la résolution la plus complète, la face est colorée, les yeux fermés, les paupières légèrement clignotantes, la respiration calme et régulière, le pouls à 90. Elle tourne dans son lit, mais reste le plus sou-vent couchée sur le côté gauche, la face contre l'oreiller. Par instants elle pleure, marmotte entre ses dents des paroles inintelligibles, pousse quelques cris inarticulés.
Elle demeure à peu près indifférente aux diverses excitations : piqûres, respiration d'atnmoniaque, poudre de coloquinte sur la langue. Cependant elle se retire quand on présente l'ammoniaque sous la main droite. Et quel-ques instants après l'application de la poudre de coloquinte sur la langue, elle se met à crachoter.
Réveillée par la compression ovarienne, elle se plaint aussitôt du goût amer qu'elle a dans la bouche. Elle sent les piqûres qu'on lui a faites au bras droit et à la tempe droite, mais nullement celles du côté gauche.
Elle ne veut ni boire ni manger, disant qu'elle n'a pas faim.
Elle dit avoir rêvé des choses agréables.
Bientôt ses yeux deviennent fixes, puis tout d'un coup ses paupières se ferment, elle dort. Il ne s'est pas produit le moindre signe épileptoïde.
Réveillée une deuxième fois par le même procédé, elle ne se rendort plus. Elle se lève, va aux cabinets, et se met à prendre la nourriture qu'on lui propose.
Je rapprocherai des attaques de sommeil spontané, l'intéres-sante relation d'un cas de léthargie provoquée par l'application
d'un aimant, publiée récemment par le Landonzy dans le Pro-grès Médical.
Il s'agit d'une malade entrée dans le service de M. le professeur Hardy, à la Charité, pour des accidents d'hysteria major, contrac-tures, paralysie, hémianesthésie, choree saltatoire... Au moment où fut faite la première application d'aimant, cette malade ne pré-sentait plus d'autres manifestations hystériques, qu'une humeur un peu fantasque, des sensations pénibles (clou, boule), et des accès de météorisme considérable provoquant des douleurs abdo-minales très vives.
Voici ce qu'observa le D' Landouzy :
« C'est le deux janvier que nous soumîmes, pour la première fois, la ina-lade à l'épreuve de l'aimant; nous avouons, que, en commençant l'expé-rience, nous nous attendions (au cas où nous obtiendrions un résultat) à toute autre chose qu'à ce qui s'est produit : nous nous demandions, si nous ne parviendrions pas à faire disparaître ou à diminuer le météorisme dou-loureux, nous nous disions, que, au pis aller, nous ferions, peut-être, réap-paraître l'une quelconque des manifestations antérieures, mais, nous étions tellement loin de présager ce qui allait survenir que, si quelqu'un nous l'avait annoncé, nous aurions tenu fort peu de compte de son dire : nous consignons ces réflexions à l'égard de ceux qui, voulant voir dans les faits, de l'ordre de celui que nous rapportons, astuce de la part des malades et simplicité de la part des observateurs, seront obligés de convenir que notre hystérique a été plus malicieuse encore que les plus malignes d'entre ses pareilles, puisqu'elle a choisi pour thème de ses artifices un ordre de phé-nomènes inédits et qu'elle a inventé de toutes pièces un rôle qui lui fait honneur, rôle qu'elle a créé et qu'elle tient, en dehors de toutes les prévi-sions, de tous les calculs des personnes qui l'observent et qui, comme on vale voir, ont mis tout en œuvre pour déjouer toute supercherie.
» Le 2 janvier 1879, voulant soumettre notre hystérique (L... Marie, 23 ans) à l'épreuve de l'aimant, sans qu'elle sût ce qui allait lui être fait, nous commençâmes par bander les yeux de la malade qui reposait, au lit, dans le décubitus horizontal; comme, à ce moment, L... se plaignait de douleur dans le ventre distendu par un météorisme considérable, nous mîmes les pôles de l'aimant immédiatement eu contact avec les parois abdo-minales, au niveau de la région ombilicale. L... (qui ignorait et ce qu'on faisait et ce qu'on cherchait), n'accusa d'autre sensation que celle du froid exactement perçue dans les points de contact. Les choses étant ainsi dispo-sées nous causâmes avec la malade, espérant, eu détournant son attention, lui faire oublier la sensation du froid qu'elle avait accusée au moment
RICUEH, 28
même de La pose de l'aimant : deux minutes environ après le début de l'ex-périence, nous surprîmes (c'est là un détail dont on verra tout à l'heure toute l'importance) dans le poignet droit et dans la commissure labiale droite, de petits mouvements coiivulsifs; au môme instant, la parole de la malade (ne ressentant rien de particulier, elle continuait à répondre à nos questions), se ralentit et s'alourdit comme le fait la conversation d'une per-sonne qui tombe de sommeil, puis la malade se tut; c'est alors que nous eûmes beau élever la voix, solliciter son attention en lui prenant la main, en lui secouant le bras, en la pinçant, en la piquant même fortement, rien n'y fit, la malade semblait plongée dans un sommeil profond avec anesthésie générale et résolution musculaire. Voyant durer cet état qui ressemblait (n'était l'anesthésie absolue) à un sommeil naturel, nous retirâmes l'aimant : au bout de six secondes, nous surprîmes dans le poignet droit et dans la com-missure labiale droite de petits mouvements cloniques exactement semblables comme siège, comme étendue et comme intensité, à ceux que nous avions constatés avant que la malade fût endormie, puis la malade (dont on avait débandé les yeux) ouvrit les paupières et sembla sortir d'un sommeil pro-fond, ne se rappelant qu'une chose : c'est qu'on lui avait mis, sur le ventre, quelque chose de froid qu'elle ne sentait plus : à ce moment, non seulement la malade sentit très exactement qu'elle n'avait plus rien sur le ventre, mais encore, porta les yeux et la main sur la face interne des avant-bras sur les-quels on avait, partransfixion, fait des piqûres qui devenaient le siège d'un peu d'urticaire; de fait, la sensibilité était revenue sur toute la surface du corps.
7) Cette première observation terminée, nous remîmes la malade en expé-rience, mais, cette fois en bandant simplement les yeux : les choses restant ainsi pendant dix minutes sans que rien survint, ni sommeil ni anesthésie, nous mîmes (toujours sans rien faire savoir àia malade) les pôles de l'aimant en contact avec la face antérieure de l'avant-bras gauche; une minute après, environ, se reproduisit exactement ce que nous avions constaté lors de la première aimantation, c'est-à-dire de légers mouvements cloniques dans le poignet et dans la commissure labiale du côté droit, puis la malade deve-nant insensible à tous nos moyens d'excitation sembla dormir profondément, la respiration et la circulation restant ce qu'elles étaient avant l'expérience : il suffit d'enlever l'aimant pour que, au bout de six à huit secondes, la ma-lade (dont on n'avait pas cette fois débandé les yeux) se réveillât après avoir présenteles petits mouvements cloniques dont il a déjà été parlé et demanda si on n'allait pas bientôt retirer son bandeau. Le bandeau fut retiré, et nous y prenant de telle manière que la malade ne pût savoir ce qu'on lui mettait sur le ventre, nous remîmes l'ainiaiit en contact avec les parois abdominales, la m¿ilade accusa iñimédialement une sensaliou de froid et de pesanteur aux points touchés par les pôles, puis resta ainsi plus d'un quart d'heure, sans que rien survînt; c'est alors que, tout en caus.mt avec L... nous maintînmes fermées les paupières avec lesdoigls : deux minutes ne s'étaient pas écoulées que la malade retomba de la même manière, dans un état de sommeil com-
plet avec anesthésie générale. Cette fois, au lieu de retirer l'aimant, on le laisse en place et on se contente d'ouvrir les yeux de la malade qui, immé-diatement, revint complètement à elle, dit n'avoir rien éprouvé, rien rêvé pendant son sommeil, mais sentir parfaitement qu'elle avait, sur le ventre, quelque chose de lourd et de froid.
» Plus de dix fois, les jours suivants, à intervalles plus ou moins éloignés les mêmes manœuvres furent répétées de la même façon, soit devant M. Hardy, soit devant les élèves de la clinique, toujours le sommeil avec anesthésie, véritable état léthargique, se produisit dans les mêmes conditions (application de l'aimant sur un point quelconque du corps, la malade ayant les yeux fermés ou couverts) ; toujours la malade revint à elle et recouvrait la sensibilité dès que, les yeux restant fermés, on retirait l'aimant, ou que, l'aimant restant en contact avec les téguments, on rouvrait les yeux.
» Nombre de fois, afin de nous mettre en garde contre les erreurs volon-taires ou involontaires, nous avons tout mis en œuvre pour dépister la ma-lade et éviter toute supercherie : tantôt, à l'insu de la malade, nous avons remplacé l'aimant par un morceau de fer doux, tantôt nous avons mis en contact avec la peau le bout de l'aimant opposé aux pôles, tantôt nous avons fixé sur l'avant-bras un morceau de fer qui, par sa forme et son volume, devait rappeler la sensation de contact de l'aimant ; dans ces conditions, jamais l'état léthargique n'est survenu et, toujours, il a suffi de la substi-tution de l'aimant au fer pour plonger la malade dans le sommeil »
Ce fait est fort remarquable parce qu'il montre la production artificielle d'une attaque de sommeil semblable à celles qui sur-viennent spontanément. Les principaux caractères en peuvent être ainsi résumés.
Deux conditions étaient également nécessaires pour la produc-tion de la léthargie : Fapplication d'un aimant sur un point quel-conque du corps, et l'occlusion des paupières. De même la suppression d'une de ces deux conditions faisait aussitôt cesser la léthargie : en retirant l'aimant ou en ouvrant les yeux de la malade, le réveil était presque instantané.
Le sommeil survenait au boutdedeux minutes environ, toujours précédé dans le poignet droit et dans la commissure labiale droite de petits mouvements convulsifs, le réveil était précédé des mêmes mouvements convulsifs.
Pendant l'état léthargique la résolution musculaire était com-
1. Landouzy, Prog. méd. 25 janv. 1879. p. 01.
plète et l'anesthésie totale et absolue. Il ne s'accompagnait pas de rêves, ou du moins la perte de la mémoire était complète au réveil. Il procurait un grand soulagement à la malade tourmentée par de vives douleurs abdominales. Enfin il était suivi d'une sensation de refroidissement et d'un léger frisson nerveux. Cette sensation de froid à la suite des séances d'hypnotisme a été accusée presque constamment par les malades sur lesquelles nous avons expéri-menté.
En résumé, les attaques de sommeil hystérique sont souvent précédées de phénomènes convulsifs, pouvant être rapportés aux deux premières périodes de la grande attaque.
Elles ont, avec la léthargie hystérique provoquée, des analogies qu'on ne saurait méconnaître.
Nous avons vu que, dans la léthargie provoquée, la malade, au moment où survient le sommeil, présente quelques signes épilep-toïdes, inspiration sifflante, mouvement de déglutition, écume, quelquefois raideur passagère des membres. Des phénomènes semblables inaugurent, d'après Briquet, les attaques de sommeil.
§2. — ATTAQUES DE LÉTHARGIE AVEC MORT APPARENTE
Je ne m'étendrai pas longuement sur les attaques de léthargie avec état de mort apparente. Ces faits ont de tout temps fixé au plus haut point f attention des observateurs. L'erreur d'un homme qui a laissé un grand nom en médecine, André Vésale, était bien faite pour rendre cette question tristement célèbre.
Je me contenterai de rapporter ici une observation remarquable de Pfendler, dans laquelle les accès de léthargie avaient été pré-cédés de phénomènes hystériques variés. La persistance de l'ouïe, pendant l'accès de léthargie le plus profond qui faillit même donner lieu à une terrible méprise, doit être rapprochée de ce que nous avons observé chez nos hystériques qui, pendant l'état de léthargie
Drpvoquée, conservent, au milieu de toutes les apparences du som-meil, et malgré l'anesthésie générale la plus complète, l'usage d'un ou de plusieurs sens.
Mademoiselle J. M..., âgée de quinze ans, réglée à quatorze ans, d'une santé parfaite, n'avait jamais éprouvé de maladies graves ; son père et ses trois enfants n'avaient jamais eu de maladies nerveuses. La malade était forte, bien faite, tempérament sanguin; très blanche, et des couleurs fraîches et ver-meilles. On soupçonna qu'elle s'était livrée à la masturbation, le clitoris était d'une longueur très prononcée. Le 13 décembre 1820, quatre mois après que les règles se sont formées, la malade a ressenti une céphalalgie intense, une grande sensibilité et irritabilité, peu de sommeil, convulsions générales, sans écume à la bouche; la force musculaire était augmentée d'une manière étonnante : cinq ou six hommes ne pouvaient la retenir.
Cet état dura trois semaines, après lesquelles la chorée se déclara; après lachorée, la catalepsie et un véritable tétanos, avec forte raideur musculaire, trismus et impossibilité de la déglutition; après le tétanos, un rire nerveux et un hoquet, puis des palpitations qui ont terminé avec des convulsions; ensuite la léthargie s'est déclarée : elle a duré trois ou quatre jours, et s'est répétée dix à douze fois. Toutes les médications ont été essayées, telles que la valériane, moschus, castoréum, assa-fœtida, camphre, protochlorure de mercure 70 grains, et acide hydrocyanique 30 grains, dans un espace de quinze jours, cyanure de zinc, strychnine, etc., sans obtenir aucune amélio-ration. Dans une dernière consultation, donnée par les premiers médecins de Vienne, tels que MM. Pierre Frank, Malfatti, plus tard médecin du duc de Pieichstadt, Slandenhelmer, médecin de l'empereur, Capellini et Schœf-fer, on déclara que la malade, étant épuisée du côté de ses forces, ne laissait aucun espoir, et qu'après l'emploi inutile de tous les médicaments usités, la maladie, dont le siège était reconnu dans la moelle épinière et le système ganglionnaire, étant trop avancée, elle n'aurait que deux ou trois jours à vivre. En effet, le soir suivant, comme j'étais auprès de son lit, elle fait un mouvement, se relève, se jette sur moi comme pour m'embrasser, et retombe ensuite comme frappée par la mort. Pendant quatre heures je ne pouvais observer aucun souffle d'existence, et je fis avec MM. Frank et Schœffer Ions les essais possibles pour exciter en elle une étincelle de vie : ni miroir, ni plume brûlée, ni ammoniaque, ni piqûres, ne purent nous donner aucun signe de sensibilité : le galvanisme fut employé sans que la malade montrât quelque contractilité ; M. Frank même la jugea morte, mais en conseillant toutefois delà laisser dans le lit. Pendant 28 heures, aucun changement; on croyait sentir déjà un peu l'odeur de la putréfaction ; la cloche des morts était sonnée; ses amies venaient de l'habiller en blanc et de la coiff"er de couronnes de fleurs, tout se disposait autour d'elle pour l'enterrement. Pour me convaincre des progrès de la putréfaction, je reviens auprès de made-moiselle M..; mais elle n'était pas plus avancée qu'auparavant; au contraire.
quel fut mon ctonnement lorsque je crus apercevoir un faible mouvement de respiration! Je l'observai de nouveau, et je vis que je ne m'étais pas trompé. Je pratiquai de suite des frictions, des irritants, et après une heure et demie, la respiration augmente, la malade ouvre les yeux, et, frappée par l'appareil de la mort, elle revient à la connaissance et me dit en riant : « Je suis trop jeune pour mourir. » On la transporta de suite dans un autre appartement, où elle l'ut bientôt prise d'un sommeil qui dura dix heures. La convalescence marcha assez vite par l'emploi des bains aromatiques et des toniques, et la malade, dont le système nerveux était débarrassé entièrement de son état morbide, parut aussi fraîche et aussi bien portante qu'auparavant. Pendant son état léthargique, où toutes les fonctions paraissaient suspendues, les forces se concentrèrent sur l'ou'ie, puisqu'elle entendit et eut connaissance de tout ce qui se disait auprès d'elle, et me cita ensuite les mots latins de M. Frank; sa plus affreuse position était d'entendre les préparatifs de mort sans pouvoir sortir de son état'.
Au point de vue spécial qui nous occupe, les phénomènes hys-tériques variés, qui souvent précèdent l'invasion des accès de léthargie, méritent d'attirer notre attention. Biiquet dans les huit cas de vôi^table léthargie qu'il lui a été donné d'observer, signale un début au moins épileptoïde.
(( Le début de la léthargie, dit-il, avait toujours été précédé de convulsions ou de contt^action tonique des muscles, dont la durée avait été variable. — Chez plusieurs, ces convulsions s'étaient bornées à du trismus et à un peu de raideur des membres. — Chez d'autres il y avait eu une attaque convulsive complète, et chez une d'entre elles, cette attaque avait dtiré cinq heures, d
La dui^ée de la léthargie a été, chez ces malades, de deux à huit jours.
Il ré.suUerait de ceci que l'attaque de véritable léthargie, comme l'attaque de sommeil, est habituellement précédée de phénomènes convulsii^, tantôt réduits à quelques signes épileptoïdes, tantôt plus étendus. Ce sei\ait donc à la suite de la première période de la grande attaque ou apt^ès la seconde que l'attaque de léthai^gie
surviendrait.
1. George-Fr. Pfendlcr de Vienne — Thèse. Quelques observations pour servir Vhistoire do la léthargie. — Paris, 1833, p. H.
I 3. — ATTAQUES DE LÉTHARGIE COMPLIQUÉE DE CONTRACTURES GÉNÉRALES OU PARTIELLES ET DE PHÉNOMÈNES É P ILE P T 0 I D E S.
Je rangerai sous ce chef plusieurs observations dans lesquelles, aux principaux phénomènes qui caractérisent l'état léthargique avec hyperexcitabilité musculaire^ tel qu'il a été décrit, se sura-joutent des contractures générales ou partielles persistantes ^ et des phénomènes épileptoïdes plus accusés.
Les attaques de coma décrites par Briquet rentreraient dans cette catégorie. « L'attaque de coma, dit-il, s'accompagne toujours de phénomènes convulsifs ordinairement toniques dans la face et dans les membres; il existe des signes manifestes de congestion céré-brale, qui sont rendus évidents par l'état des yeux, par la coloi^ation de la face, par la gêne de la respiration et par la dureté du pouls. »
J'ai pu récemment observer à l'Institut hydrothérapique de Passy, une jeune femme hystérique dont les attaques, au point de vue qui nous occupe, présentent le plus haut intérêt ' Voici la description d'un accès :
Début brusque. Pendant qu'elle cause, la malade sent un besoin irrésis-tible de dormir, avec pesanteur de tête, ses paupières se ferment malgré elle. Elle bâille, et s'endort subitement.
Au lit, la malade est dans le décubilus dorsal, le tronc un peu incurvé sur le côté droit, la tête penchée sur l'épaule droite et la face tournée du même côté, les traits sont immobiles et non contorsionnés, les paupières baissées et animées d'un frémissement très léger, mais continuel. Lorsqu'on les soulève, elles résistent, et l'on voit à peine la pupille convulsée en haut et tournée à droite.La bouche est fermée avec force, et il est impossibledel'ouvriren pres-sant sur le menton. Entouchantle front, le muscle frontal se contracte. En com-primant avec un peu d'insistance sur le trajet du nerf facial au sortir du trou stylo-mastoïdien, on provoque une contraction de tous les muscles de la face du même côté : le front, les paupières se plissent, l'aile du nez se contracte, et la commissure labiale se tire en dehors. L'expérience répétée des deux côtés et plusieurs fois de suite, réussit également bien. C'est le phénomène
1. On se souvient que les contractures de l'état léthargique provoqué se ré-solvent par le massage ou la friction.
de l'hyperexcitabilité musculaire, mais obtenu un peu plus difficilement que dans la léthargie hystérique provoquée, où la résolution, qui est complète, facilite vraisemblablement la production du phénomène. Les muscles du cou sont contractures et la tète est immobilisée dans la situation que nous avons décrite. Les membres supérieurs sont étendus, un peu écartés du tronc ; ils sont rigides, dans une demi-pronation, le poing est fermé avec force, le pouce tantôt en dehors, tantôt dans la paume de la main. Quand on essaye de les soulever, contracture s'exagère, ai fon n'y arrive qu'avec peine. Ils ne conservent point la position dans laquelle on les a mis et retombent brus-quement sur le lit. Les jambes sont contracturées dans f extension, rapprochées l'une de l'autre, les pieds en pied bot équin.
Perte de connaissance. —Anesthésie. On peut lui transpercer les bras sans provoquer un mouvement. La contracture des membres cède un instant sous l'influence du massage, mais incomplètement, et revient aussitôt.
La malade n'est pas complètementimmobile dans la situation que nous venons de décrire, elle tend toujours à se déplacer vers la droite, la tête tourne par-fois, revient à droite ou se fixe à gauche. Elle respire paisiblement, mais l'ex-piration ressemble souvent à une plainte. Elle prononce quelques mots; le plus souvent elle dit : « Non! non! » Elle prononce parfois le nom de son mari: a Guillaume».Son mari a essayé parfois de lui répondre et de lui parler, mais elle est toujours demeurée insensible à ses interpellations. Elle pleure souvent et rit parfois presque aux éclats. Les mots et les phrases entre-coupées qui lui échappent permettent quelquefois de reconstituer une scène rappelant ce qui fa impressionnée pendant la veille. Par exemple, son mari raconte qu'un jour, après avoir montré du dégoût pour son enfant qu'elle adore habituellement, elle avait eu des idées de suicide qu'elle avait refoulées, et qu'elle n'avoua qu'après s'être trahie, pendant l'accès qui suivit, par des paroles comme celles-ci : « Mon enfant... emmenez-le... je ne veux pas le voir... des allumettes... je veux mourir, etc.. »
Elle est prise, de temps à autre, de légers tressaillements dans les membres supérieurs, rappelant les accès incomplets d'épilepsie. Elle a sur le som-met de la tête et entre les deux épaules une zone d'hyperesthésie, dont l'at-touchement provoque une contraction douloureuse du visage, des plaintes et des tressaillements dans les membres supérieurs. En insistant un peu, fon n'obtient rien de plus. La pression des ovaires ne produit aucun résultat; la pression sur les globes oculaires également.
Quand elle se réveille, elle se frotte un peu les yeux, et reprend très rapi-dement ses sens. Elle ne se souvient de rien, et n'a pas conscience du temps écoulé.
Dans l'intervalle des accès, il n'y a pas d'ovarie, pas d'anesthésie, les points d'hyperesthésie persistent. Elle supporte courageusement la douche. L'action de celle-ci sur la zone hyperesthésiée, entre les deux épaules, n'a jamais provoqué d'accès, ce qui arrive aux malades qui portent en ce point une zone hystérogène.
La femme de chambre raconte que la malade a eu quelques crises de nerfs. Elle a assisté à la plus violente : la malade se plaignait au début de maux de tête épouvantables. Elle s'agitait, on ne pouvait la contenir; elle levait les jambes, étendait brusquement les bras, cherchait à s'arracher les cheveux et frappait de la tête l'oreiller. La crise se termina au bout d'un quart d'heure par un sommeil analogue à celui que nous avons observé.
La malade arrive de Vienne. Elle a vingt-cinq ans, et est mariée depuis cinq ans. Quand elle était jeune lille, elle avait de l'anorexie et de fréquents vomissements. Elle eut même une fois une attaque analogue à celles qu'elle présente aujourd'hui.
Depuis son mariage, les vomissements ont été plus fréquents, et les accès de sommeil sont revenus chaque année, pendant l'espace de quelques se-maines à un mois, se reproduisant chaque jour, le soir principalement, et durant plusieurs heures. Une seule année, les mêmes accidents ne parurent pas; elle était enceinte.
Depuis, les accidents se sont aggravés, si bien que cette année elle ne pouvait garder aucune nourriture, et les accès de sommeil commençant dès le matin duraient parfois toute la journée; dans l'intervalle, elle est faible, triste et morose.
A quelle variété d'attaque hystéro-épileptique avons-nous affaire ici? Devons-nous la considérer comme une variété épileptoïde avec tétanisme prédominant et persistance d'un délire? Mais les manifestations épileptiques sont habituellement de courte durée et la perte de connaissance absolue est la règle. Ne devons-nous pas plutôt voir là une variété d'attaque léthar-gique avec contractui'e généralisée et persistance de quelques phénomènes épileptoïdes? L'oubli complet au réveil, la présence d'un délire ou d'une rêvasserie, l'existence de l'hyperexcitabilité musculaire, la durée de l'accès, son retour périodique, sont autant de signes en faveur de cette dernière opinion.
Voici la relation d'un cas d'accès de raideur tétanique généra-lisée avec perte de connaissance qui, par la présence de l'hyper-excitabilité des muscles de la face,, se rapproche des faits que je viens de rapporter. L'hyperexcitabilité musculaire présentait ceci de particulier qu'elle n'existait que d'un seul côté, du côté droit. La malade était hémianesthésique à gauche. Cette observation a été adressée récemment à M. le professeur Gharcot par le D' Alexandre de Livry (Belgique).
première lettre
Monsieur le professeur,
Je prends la liberté de vous adresser quelques mots relativement à la situation singulière dans laquelle se trouve une de mes malades atteinte d'hystérie grave.
Depuis environ un mois, elle entre tous les jours au matin dans un accès de raideur tétanique générale, avec perte de connaissance, qui dure jusqu'au soir et recommence invariablement de la même manière le lendemain.
Pour vous faire une idée nette de cet accès. Monsieur, figurez-vous une hystérique en proie à une convulsion violente et supposez que, juste au mo-ment où elle se raidit en. étendant les membres, elle soit immobilisée dans cette position, et qu'elle demeure ainsi pendant douze heures; voilà l'image exacte de la situation.
De prime abord, je croyais à un état cataleptique; mais si l'on prend un des deux bras étendus le long du corps et si, par un effort soutenu, on flé-chit le coude à angle droit, quelque temps qu'on le tienne dans cette position, quand on l'abandonne, le membre s'étend de nouveau et reprend la position qu'il yvait d'abord.
Ce n'est donc pas de la catalepsie ordinaire et j'éprouve quelques difficultés à caractériser ce symptôme que je n'ai point encore rencontré et dont je n'ai lu aucune description dans les ouvrages qui sont à ma portée.......
deuxième lettre
Monsieur le professeur.
Je viens de revoir ma malade, à mon entrée elle était assise sur son lit, se tenant la tête dans les deux mains et se plaignant, en poussant les hauts cris, d'une douleur atroce dans toute la région de la voûte crânienne et dans les deux tempes, depuis plus d'un mois cette douleur lui est habituelle et existe plusieurs heures par jour, dans les moments où la malade n'est pas en proie à son accès tétanique.
Mon arrivée, qui est toujours fortement désirée, calma la malade; elle se mit à causer et à répondre à toutes les questions. Elle se plaint d'un four-millement et d'un engourdissement dans tout le côté gauche. Je constate, en outre, qu'il y a hémianesthésie de tout le côté gauche. Il existe de grandes douleurs dans les régions ovariennes, des douleurs en urinant, et une pho-tophobie des deux yeux tellement intense que depuis un mois la malade n'a pu ouvrir les yeux.
Pendant que je Pexamine, je remarque que tout à coup la main et le pied gauche se mettent dans une extension forcée, je l'engage à fermer la main : « Tout à l'heure, me dit-elle, cela va se passer. » Et en effet au bout de dix à quinze secondes la contracture cesse et la malade se sert de la main et du pied gauches. Une minute après, le même phénomène de contracture se reproduit, dure quinze secondes et se passe pour recommencer ainsi cinq ou six fois, la malade étant toujours en pleine connaissance.
Les parents me font observer que depuis quatre ou cinq jours, ils se sont aperçus que ces raideurs momentanées dans le côté gauche, ne manquent jamais de se produire chaque fois que la malade va passer dans un de ses grands accès de raideur général.
En effet, sur le champ, je la vis se coucher tout doucement sur son oreiller, s'étendre, ramener les bras le long du corps et se raidir : elle était dans son accès.
Je fis la compression du nerf facial gauche, compression tantôt brusque et profonde, tantôt prolongée et énergique ; j'excitai par la même pression tous les muscles de la face du côté gauche, rien ne bougea. C'est comme si j'eusse appuyé sur une statue de marbre. Mais ce fut bien autre chose quand je passai à l'excitation du facial droit. Je n'eus pas plus tôt mis le doigt sur son trajet, que tous les muscles de la face et surtout les orbiculaires de l'œil droit et de la bouche se contractèrent de manière à donner atout ce côté de la face une expression de sourire toute particulière.
Comme je prolongeais l'excitation du facial droit en maintenant fortement la pression du doigt, pour voir si je n'arriverais pas à une contracture per-manente, je vis la malade tourner plusieurs fois la tête de ce côté et chercher à se soustraire, en se plaignant, à cette compression qui paraissait lui être douloureuse; j'insistai, elle fit quelques mouvements des bras qu'elle ramena au-dessus de sa tête et s'éveilla tout doucement comme une personne qui sort difficilement d'un sommeil ordinaire. Je lui parlai, elle me répondit qu'elle me reconnaissait, que j'étais près d'elle depuis quelque temps et me raconta toute la série d'expériences que j'avais faites sur elle avant son sommeil té-tanique.
Je causai deux ou trois minutes avec elle, et je vis reparaître plusieurs fois les contractures passagères des deux membres gauches. Comme la malade se plaignait beaucoup de sa douleur de tête, je lui ordonnai de se coucher et elle ne fut pas plus tôt étendue sur son oreiller que j'avais un deuxième accès de contracture générale tétanique sous les yeux.
Pendant ce deuxième accès, je lui ouvris fortement les yeux dirigés du côté de la lumière, pour voir si je n'obtiendrais pas l'état cataleptique; mais la contracture tétanique resta ce qu'elle était. En outre, je ne vis pas les yeux fuir la lumière et les pupilles n'étaient ni élargies, ni contractées.
Pendant l'accès de contracture, la raideur est générale, il y a du tris-fflus, et le cou est fortement rejeté en arrière, maintenu par la contracture de tous les muscles ceryico-dorsaux. A son réveil, la malade accuse, en outre
de ses douleurs de tête, des points douloureux le long de l'épine dorsale et tout autour du tronc; et elle se frotte constamment ces parties surtout du côté gauche. Elle mange peu, conserve son embonpoint, n'a pas de fièvre; il y a eu quelquefois de l'anurie pendant plusieurs jours et un retard prolongé dans les règles. Elle accuse constamment la sensation d'une boule qui part deFépigastre et remonte au cou y déterminant le sentiment de strangula-tion.....................................
J'ai eu l'occasion d'observer à l'Institut hydrothérapique de Passy, grâce à l'obligeance de M. Pascal, un second cas d'hystérie bien singulier dans lequel l'attaque composée de convulsions et de délire était arrêtée par la production du sommeil hystérique sous l'influence de la pression oculaire. Mais, chose singulière ! une seule personne était douée de ce pouvoir sur la malade, l'attouchement de tout autre provoquait infailliblement un redoublement de la crise. Ce fait paraissait si extraordinaire que l'on parlait de simu-ktion. La présence de l'hyperexcitabilité musculaire pendant le sommeil ainsi provoqué vint lever tous les doutes et éloigner tout soupçon de supercherie.
Mademoiselle X..., âgée de dix-neuf ans, d'origine italienne, est atteinte de-puis deux ans environ d'hystérie convulsive. Les attaques,qui se renouvellent presque chaque jour et durent plusieurs heures si l'on n'intervient pas, ne peuvent être arrêtées que par un seul moyen, la pression oculaire et frontale, et encore ce moyen ne réussit-il qu'entre les mains d'une seule personne, du médecin ordinaire de la famille.
Je puis observer cette jeune malade le jour même de son arrivée à Passy, 6 mars 1879. Elle est accompagnée de ses parents et de son médecin.
Je vois la malade à 9 heures du soir, la crise dure depuis 6 heures, et rien n'a pu l'enrayer. M. Pascal a attendu jusqu'à ce moment avant d'avoir re-cours au sommeil hystérique provoqué par le médecin.
La malade est à genoux sur son lit, accroupie, la face entre les mains, poussant des gémissements et lançant, en langue italienne, des malédictions contre ceux qui l'ont amenée ici. Parfois elle récite des morceaux de littéra-ture et de poésie italiennes. Une sorte de chorée rythmique soulève ses épaules par un mouvement brusque et composé de plusieurs soubresauts, la tête se renverse par instants, la respiration est prise de spasmes, une toux nerveuse et opiniâtre semble chercher à expulser le corps étranger qui pro-duirait la suffocation. Au milieu de tout ceci, la parole est entrecoupée par instants, mais la série des lamentations n'est point interrompue. La pression
des ovaires, la pression sous les deux seins, ou sur le sommet de la tête provoque une exacerbation de la crise que nous ne parvenons pas à enrayer.
Devant notre insuccès, nous prions le tuédecin d'endormir la malade par son procédé habituel. Il place alors la main sur les yeux et sur le front de la malade qui ne résiste pas. Au contraire, le calme se fait peu à peu et bientôt la malade semble plongée dans un profond sommeil. La résolution est com-plète, le visage est calme, les paupières abaissées frémissent légèrement. Nous recherchons alors si l'hyperexcitabilité musculaire existe, comme dans les expériences de léthargie hystérique provoquée que nous avons rapportées précédemment. Si nous ne la trouvons pas aussi développée que chez nos malades, elle n'en existe pas moins manifestement ici. En effet en exerçant une pression immédiatement au-dessous du lobule de l'oreille pour atteindre le facial, on provoque des mouvements dans le côté correspondant de la face, et principalement dans la commissure labiale qui s'abaisse et se tire en dehors Touchés isolément, les différents muscles de la face se contractent, mais il semble, en outre, que l'excitation se propage, et souvent la contraction se pro-duit en même temps dans les muscles voisins de ceux qui ont été touchés. Aux membres supérieurs, la pression sur la partie antérieure de l'avant-bras, amène une contracture manifeste de la main dans la flexion. Mais la contrac-ture ne persiste pas; au bout de peu d'instants elle se résout d'elle-même. La friction des sterno-mastoïdiens ne produit pas d'action bien nette.
Tous ces efl'ets d'hyperexcitabilité musculaire sont produits par la simple excitation mécanique faite avec l'extrémité du doigt. Que ce soit le médecin ordinaire qui opère ou toute autre personne, l'effet est le même. La même chose se produit également, si l'on emploie l'extrémité d'une petite baguette de bois.
Pendant que la malade est dans cet état, j'essaye, mais sans résultat aucun, de provoquer le réveil en soufflant sur le visage. En plaçant ma main sur le front et les yeux de la malade pour essayer la pression oculaire, je ramène la crise convulsive qu'il m'est impossible de faire cesser. Par le même procédé le médecin ordinaire provoque le sommeil hystérique comme il l'a déjà fait une première fois. Il souffle alors sur le visage de la malade qui tout d'un €oup se réveille souriante et ne se souvient nullement de tout ce qui s'est passé.
Les investigations auxquelles nous nous étions livrés pendant la crise (jui venait d'avoir lieu, prouvaient bien que, quelque extraordinaire que puisse paraître la spécificité en quelque sorte du moyen employé pour le provoquer, le sommeil hystérique qui chez ceHe jeune fille mettait ainsi fin aux attaques convulsives, n'avait rien de simulé. On pouvait donc espérer, par l'emploi d'un traitement rationnel, la guérison d'accidents morbides qui existaient bien réellement. En efl'et la guérison fut plus prompte qu'on n'osait Pespérer. Après trois jours de l'usage de l'hydrothérapie méthodique les crises avaient complètement disparu et le pouvoir quasi mystérieux du médecin s'évanouis-sait avec elles. Mais il fallut bien encore plusieurs mois pour achever la gué-
rison. Pendant qnelque temps encore, la moindre émotion rendait imminent le retour des crises.
J'insiste en terminant sur la valeur diagnostique que peut ac-quérir, dans certains cas difficiles la présence du phénomène de l'hyperexcitabilité neuro-musculaii^e.Dans bien des cas analogues à ceux que j'ai rapportés, ce symptôme a dû passer inaperçu, car il est de ceux qui ne se révèlent pas par eux-mêmes et demandent à être recherchés. Le médecin prévenu trouvera là, pour élucider ces questions souvent si embarrassantes, une ressource nouvelle dont il ne doit pas se priver.
§ 4. — LÉTHARGIE COMPLIQUÉE DE PHÉNOMÈNES CATALEPTIFORMES
Beaucoup de faits rapportés par les auteurs sous le,nom de ca-talepsie, nous paraissent bien plutôt devoir être considérés comme des cas de léthargie avec phénomènes cataleptiformes.
Ces faits sont ceux dans lesquels la malade présente l'attitude du sommeil. Les yeux sont fermés, les paupières clignotantes. Souvent, contracture partielle ou rigidité générale. Le membre garde peu la position dans laquelle on le place, ou bien on est obligé de le maintenir quelques instants avant de l'abandonner à lui-même. La catalepsie est souvent partielle. Enfin, les frictions amènent la résolution musculaire.
Tous ces signes éloignent l'idée de véritable catalepsie, et plai-dent en faveur de la léthargie. Quelques observations de M. La-sègue, sous le nom de Catalepsie partielle et passagère, me parais-sent pouvoir rentrer dans ce cadre.
N'oublions pas que M. Lasègue produisait cette variété de cata-lepsie chez ses malades, en pressant sur les globes oculaires.
Favrot rapporte une observation où ces caractères de cata-lepsie imparfaite sont bien indiqués \
J. t'avrot, Thèse, 1844. Delà catalepsie, de l'extase et de l'hystérie.
Virginie-Thérèse, vingt-trois ans, fille naturelle, née à Chartres. Tempé-rament lymphatique sanguin, réglée à treize ans, et régulièrement jusqu'à dix-huit ans.
En 1838, première attaque d'hystérie.
Huit mois après, deuxième attaque, dans l'intervalle céphalalgie, vomisse-ments, météorisme et étourdissement. Règles irrégulières et peu abondantes.
Quatorze mois entre la deuxième et la troisième attaque. Règles très-irrégulières.
Au mois d'avril et de mai, celles-ci (les attaques) reparurent beaucoup plus fréquemment ; la malade passait rarement un jour sans en avoir, et c'était ordinairement entre cinq et six heures du soir.
Au mois de juin, la malade vient à Paris, Hôtel-Dieu, service de M. Le-groux. Les symptômes sont des vomissements et du météorisme fréquents, mais point d'attaques d'hystérie.
Au bout de six semaines, elle sort de fHôtel-Dieu; nouvelles attaques.
Quand elle rentre à l'Hôtel-Dieu, service de M. Rostan, on observe les symptômes suivants :
Insomnie, éblouissements, fourmillements dans bras et jambes. Sentiment d'étouffement et de strangulation quand elle mange. Le ventre se ballon-nait, était très douloureux à la pression. Constipation habituelle. Mangeait peu, et vomissait presque tous les aliments qu'elle essayait de prendre les premiers jours.
Quinze jours après son entrée, première attaque; elle fut convulsive, se répéta assez fréquemment pendant l'espace de deux jours, mais chacun des accès était de peu de durée, et séparé du suivant par une espèce de sommeil léthargique.
Hoquet, ballonnement du ventre, et surtout vomissements qui devinrent très fréquents.
Vers mois de juin, les vomissements ont complètement disparu (sous-nitrate de bismuth, vésicatoires à partie inférieure des jambes) et sont remplacés par des attaques qui, généralement, se renouvelaient plusieurs fois. Voici ce que nous avons observé au sujet de ces dernières : La malade est ordinairement avertie de l'invasion prochaine d'un accès par un trouble particulier dans la vue, et surtout par la sensation de mouvements très rapides dans les globes oculaires. Quelquefois aussi elle est prise de céphalalgie, d. éblouissements, de douleurs dans les membres qui se font sentir exclusivement dans, le coude, et se rapprochent ainsi de certaines formes de l'aura epileptica. Ordinairement elle peut gagner son lit; mais souvent aussi, cela lui est rendu impossible par une faiblesse des membres inférieurs qui la prend subitement, et ne lui laisse que tout juste assez de temps et de force pour se coucher à terre et se garantir ainsi d'une chute violente.
Chose étrange ! si l'on se trouve auprès d'elle quand elle est prise de ces symptômes précurseurs, et que l'on fixe son attention par des questions
pressantes, on peut retarder l'invasion de l'attaque, mais non sans qu'elle éprouve un malaise très considérable, qui lui fait aspirer au moment où elle pourra y céder. Et, en effet, eUe perd connaissance aussitôt que l'on s'éloigne d'elle. Dans ses attaques, il y a constamment perte complète de la sensibi-lité, de l'intelligence, des mouvements volontaires, et abolition des sens. Les paupières sont habituellement fermées, la figure n'est pas décomposée; le décubitus est le plus souvent dorsal. A cela se bornent quelquefois tous les symptômes.
Cet état ressemble alors à un véritable sommeil; et si pendant ce som-meil, on imprime à la main, à l'avant-bras, ou au membre supérieur tout en-tier, un mouvement, et qu'ensuite, apm l'avoir soutenu pendant'^d se-cowrfes, on l'abandonne à lui-même, il conserve cette position pendant un temps beaucoup plus long que ne le pourrait supporter une personne très ro-buste, après lequel il retombe de lui-même, tantôt brusquement, tantôt len-tement, et comme si les muscles ne cédaient qu'en résistant à une force su-périeure. Lps bras seuls sont susceptibles de ces mouvements cataleptiques, que nous avons en vain essayé deprovoquer aux membres inférieurs, au tronc et à la tête. Toutes les fois que la malade est calme et dans le sommeil extatique que nous venons de signaler, on peut reproduire ces mouvements cataleptiques.
Cet état de sommeil n'est pas le seul qu'elle présente dans les accès. Sou-vent cette tranquillité est interrompue par des mouvements de pandiculatioa, des bâillements, comme si elle allait sortir de son sommeil, et la plupart du temps cela n'a pas lieu.
D'autres fois elle porte la main à son cou, comme si elle voulait en dis-traire un corps qui la gêne ou qui l'étrangle. Un peu plus tard, elle exécute des mouvements fréquemment répétés et bruyants de déglutition.
A d'autres moments, c'est un hoquet plus ou moins prolongé; ce sont des éructations; et, que tous les mouvements précédents aient lieu ou non, il n'est pas rare de trouver le ventre considérablement ballonné.
Puis elle se plaint, fait entendre un cri particulier qui rappelle le gloussement de la poule, et sa figure restant calme, une salive abondante et écumeuse est rejetée de sa bouche et vient couvrir les commissures de l'un ou de l'autre côté de la face.
Toutefois, il est rare qu'une attaque se termine sans qu'il y ait eu quel-ques mouvements convulsifs. Le plus souvent ceux-ci sont cloniques, vérita-blement hystérif ormes, excentriques, et peuvent être assez forts pour que plusieurs personnes aient peine à contenir la malade, qui, dans beaucoup d'attaques moins violentes, peut être impunément abandonnée à elle-même sans craindre qu'elle tombe de son lit. Ces accès peuvent même se réduire à une simple agitation qui ne mérite pas le nom de convulsion.
Nous avons vu aussi la malade à terre se transporter d'une partie de la salle à l'autre par des mouvements réguliers de reptation latérale.
D'autres fois, les mouvements convulsifs sont plutôt toniques, tantôt
bornés à la contracture d'un ou de plusieurs membres, tantôt étendus atout le système musculaire, et en quelque sorte concentriques ou tétaniques. Cest ainsi que, quelquefois, la tête et les talons servant d'appui, le tronc ou Vun des côtés prend la forme d'un arc dont la partie antérieure forme la courbure.
Les phénomènes que nous venons de décrire se combinent de différentes manières, et composent ainsi des attaques plus ou moins variées. » (P. 44,45 et 46.)
Ni fatigue, ni propension au sommeil, ni souvenirs.
Attaques de plus en plus fréquentes, 5 ou 6 en vingt-quatre heures. Au mois d'août elle passe à la Salpôtrière, d'où elle sort pour retourner à Orléans.
Là son état s'améliore. Au bout de quelque temps, les phénomènes de ca-talepsie partielle sont complètement disparus; les attaques d'hystérie même sont moins fréquentes, présentant toujours cependant les singuliers phéno-mènes qui ont été décrits.
Le moral s'est singulièrement amélioré. Les soupçons d'idiotie sontcom-plètement dissipés. Elle est très gaie, très douce, et est même employée, pour le service de l'hôpital, dans une salle de couture.
Nous voyons que pendant son attaque la malade présentait Fap-pai^ence du sommeil, elle avait les yeux fermés. La catalepsie n'exis-tait qu'aux membres supérieurs. Il y est dit expressément que le membre était soutenu quelques secondes avant d'être abandonné à lui-même.
L'attaque était précédée d'aura céphalique et s'accompagnait de signes épileptoïdes et d'arc de cercle.
Bourdin dans son Traité de la catalepsie rd.pporle l'observation suivante^ .___
Observation. — (Sauvages, Nosologie méthodique, t. V, in-12.) Au mois de juillet 1757, une fdle de huit ans qui était à l'Hôpital Général, eut plu-sieurs accès de catalepsie; lorsque je lavis, elle se plaignit de maux d'esto-mac, de douleurs vagues dans le bas-ventre; elle sentait une espèce de corps qui lui remontait vers l'œsophage. Je lui ordonnai dix grains de mercure doux (protochlorure de mercure), et elle ne les eut pas plutôt pris, qu'elle tomba dans un état de catalepsie qui dura douze heures. Je fus la voir le len-demain, et je la trouvai qui pleurait les yeux fermés. Je vo'dus lui relever la paupière, mais je sentis une résistance accoiu'^a.'^aèe d'un clignotement con-tinuel. Elle avait les mâchoires collées; ses bras et ses jambes restaient dans
1. Bourdin. Traité de la catalepsie, 1841.
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Ja position où je les mettais, mais ils conservaient quelque peu de mouve-ment et ne restaient pas longtemps dans la posture que je leur avais fait prendre; elle n'avait d'ailleurs ni sentiment ni mouvement, et ne répondait à aucune des questions que je lui faisais. On lui donna une seconde dose de mercure doux; elle guérit, et s'est toujours bien portée depuis.
Là encore la catalepsie est bien imparfaite, les yeux étaient fer-més et les paupières animées d'un clignotement continuel.
L'observation si intéressante dans laquelle Puel rapporte com-ment, à l'aide de frictions, il amenait la résolution des membres cataleptiques nous paraîtun bel exemple de léthargie dans laquelle la rigidité musculaire suivait la loi de l'hyperexcitabilité.
Nous voyons, en effet, que la malade avait les yeux fermés et que la catalepsie s'accompagnait de raideur généralisée. Si on la tou-chait, les muscles se contracturaient avec plus de violence, et ce-pendant la contracture cessait sous l'influence des frictions.
Voici un résumé de cette longue observation :
PuEL^ — Observation CL. — Catalepsie compliquée de somnambulisme. Madame D.; quarante-cinq ans; née en 1810; éducation distinguée; vio-lents chagrins de famille à vingt-cinq ans. A cette époque remontent les pre-miers symptômes de la maladie : spasmes nerveux, boule hystérique, vomis-sements; gastralgie suraiguë qui persiste pendant toute la durée de la maladie, convulsions hystériques presque tous les jours en 1839; 18 sep-tembre 1852, premier accès de catalepsie.
La catalepsie revient tous les jours, d'une façon périodique, à la même heuxe et se produit ainsi :
Vers 4 ou 5 heures, la région de l'estomac est tellement sensible que le moindre bruit extérieur y retentit douloureusement; bientôt après les mus-cles du cou se raidissent, la tête s'incline sur l'épaule gauche, en même temps que celle-ci se relève fortement, et le bras du même côté se rapproche du corps ; un peu plus tard, on voit se contracter successivement les massé-ters, les muscles du tronc et des membres, enfin, les orbiculaires des pau-pières; en sorte que, au bout de quelques heures, tous les muscles du corps se trouvent dans un état complet de raideur, et la violence des douleurs sem-ble s'accroître en raison du nombre des muscles contractés. En même temps, les idées de la malade s'obscurcissent de plus en plus, et sa vue se trouble; ses paupières se contractent involontairement, et elle éprouve une grande
1. Mémoires de Vacadémie de médecine, tome XX, 1856, p 409.
difficulté à les tenir écartées : enfin il vient, un moment où les paupières se ferment pour ne plus se rouvrir, et c'est alors qu'elle perd connaissance.
Le son le plus léger faisait éprouver à la malade plongée dans cet état une sorte de secousse électrique; ses muscles se contractaient arecplus de vio-lence lorsqu'on la touchait môme légèrement, et si ce contact était prolongé, des cris étouffés s'échappaient péniblement de sa poitrine, en même temps qu'elle faisait des mouvements de déplacement, comme pour fuir une impres-sion pénible.
Aptitude de tout le corps à conserver une attitude communiquée. Durée de l'accès de 1 heure à 3 heures. Quand la malade revenait à elle et recou-vrait son intelligence, les contractions musculaires persistaient encore pen-dant quelque temps.
Puel fut amené fortuitement à découvrir un moyen de faire cesser cet état de contracture et de catalepsie.
La friction sur un muscle, quel qu'il fût, en amenait la résolution. — Il suffisait de frictionner tous les muscles du corps pour amener une résolution générale; enfin, en touchant légèrement les paupières, on faisait cesser la contraction des muscles orbiculaires, et la malade,jusque-là privée de senti-ment, ouvrait les yeux et recouvrait instantanément connaissance.
l^iel pouvait également relâcher les muscles orbiculaires des paupières sans faire cesser les contractions des autres muscles. En un mot, il restituait à la malade la plénitude de son intelligence sans lui rendre la liberté de ses mouvements.
Je trouve noté que les crises provenaient souvent sous l'influence des bruits intérieurs qui retentissaient si violemment au creux de l'estomac.
Les douches donnaient infailliblement naissance à un accès cataleptifjue.
Malgré cela, amélioration considérable de la santé de madame D.
On est obligé, pour des raisons extramédicalcs, de suspendre les douches. — Les frictions sont remplacées par des applications de compresses d'eau froide de dix en dix minutes autour du cou, qui amènent également la réso-lution musculaire, quoique d'une façon plus lente.
Madame D. finit par guérir complètement.
Le D' Henrot de Reims a publié une observation dans laquelle les phénomènes de catalepsie étaient évidemment sous la dépen-dance d'un état d'hyperexcitabihté musculaire. Les analogies avec ce que nous avons décrit sous le nom d'hyperexcitabilité neuro-musculaire sont nombreuses.
.....Il s'agit d'une jeune fille do dix-huit ans, hystérique, qui eut un accès
de somnambulisme, avec les phénomènes cataleptiques suivants : il suffisait de lui élever un pied ou une main pour déterminer immédiatement des con-
tractions tétaniques violentes, remontant des extrémités vers le tronc et ame-nant un tel sentiment d'anxiété, qu'il fallait abaisser le membre pour éviter la contracture tétanique des muscles de la poitrine.
c( Les muscles une fois mis en état d'activité par le contact de la main, continuaient à se contracter avec énergie; ainsi en soulevant le membre su-périeur et en le plaçant dans une position très pénible, les muscles de l'épaule et du bras, par une suite de contractions tétaniques tellement violentes qu'on les voyait se dessiner sous la peau, maintenaient le bras dans la position que je lui avais donnée. Cette situation devenait si douloureuse, que je dus au bout de quelques secondes faire retomber le bras sur le lit, »
La malade n'eut que ce seul accès, elle guérit; j'eus occasion de la voir, il y a deux ou trois ans, elle était bien portante, elle n'avait pas eu de nouvelle crise. Chez elle, le système musculaire était très différemment impressionné selon le pouvoir magnétique de telle ou telle personne, ainsi un de ses oncles, parle simple contact de la main, arrêtait instantanément une attaque clonique d'hystérie avec mouvements désordonnés des membres, et nous par le simple contact de la main, ou même du bout du doigt, nous déterminions des contrac-tions tétaniques qui en quelques instants remontaient jusqu'au tronc, et pro-duisaient un sentiment d'anxiété et des douleurs extrêmement pénibles. L'ef-fet magnétique pouvait se localiser à un groupe musculaire, ou même à un seul muscle, si on réduisait le contact au bout du doigt; nous avons pu ainsi contracturer l'adducteur du petit doigt, un masseter, un élévateur de l'aile du nez, un orbiculaire, etc., nous n'avons eu que cette seule fois l'occasion de constater par nous-mêmes des phénomènes magnétiques; il est certain que le contact le plus léger d'une partie quelconque des téguments de la ma-lade, avec quelques millimètres de la peau du bout de mon doigt, non isolée par un gant, déterminait des phénomènes absolument semblables à ceux qu'aurait produits une machine d'induction puissante; ils différaient cepen-dant des phénomènes électriques, car tandis que ceux-ci cessent aussitôt que l'application des pôles cesse elle-même, les phénomènes magnétiques après avoir déterminé de la contracture musculaire, et avoir catalepsie le membre touché, augmentaient après la cessation de tout contact; le smuscles tétanisés par le contact devenaient eux-mêmes les agents excitateurs d'autres groupes musculaires; l'action au lieu de s'épuiser augmentait.
Il est difficile de croire à la réalité de ces phénomènes bizarres quand on ne les a pas contrôlés par soi-même, cependant la description toute scientifique que je viens d'en donner, ne permet pas le doute, il est inutile de dire que la simulation de contractures localisées non seulement dans un groupe muscu-laire, mais dans un muscle, est absolument impossible.
Au point de vue du phénomène catalepsie, nous voulons faire remarquer ici, qu'il était réduit à l'aptitude que le membre déplacé avait de conserver la position qu'on lui avait artificiellement imposée : la passivité musculaire était remplacée par des contractions tétaniques, par une véritable contracture qui durait autant que le déplacement du membre; aussi les masses musculaires
au lieu d'être molles, étaient-elles dures ; les membres au lieu d'avoir la consis-tance de la cire avaient la résistance du bois K
Nous pensons par ces quelques observations, que nous aurions pu facilement multiplier, avoir montré que les récits des auteurs sont d'accord avec les faits que nous avons observés et que la distinction établie entre la catalepsie véritable et ïétat catalep-tiforme de la léthargie, peut jeter quelque lumière dans ces-questions encore si obscures.
i. Henri Henrot, Notes de Clinique médicale. Année 1878. Reims, p. 20.
CHAPITRE VI
variétés par immixtion de phénomènes cataleptiques. attaque de catalepsie.
L'hystérie et la catalepsie sont-elles deux névroses distinctes? Bourdin et M. Briquet n'hésitent pas à répondre par l'affirmative, et ils appuient leur opinion sur le fait de la plus grande fréquence de la catalepsie chez f homme, pendant que l'hystérie ne se rencontre guère que chez la femme. M. Briquet donne des chifïres. Il admet toutefois que ces deux affections n'en ont pas moins entre elles une certaine affinité.
Puel voit également dans la catalepsie et dans fhystérie deux maladies complètement distinctes, qui peuvent se compliquer quel-quefois, mais qui ne se confondent jamais.
Quelques auteurs au contraire ont pensé que non seulement l'hystérie était une complication de la catalepsie, mais que ces deux affections ne formaient qu'une seule et même maladie ayant deux manières d'être, deux formes symptomatiques. Georget ^ par-tageait cette opinion et s'autorisait du témoignage de Lieutaud,qui avait eu cette idée avant lui.
M. Lasègue, contre l'argument de M. Briquet, fait remarquer que la catalepsie longue, à accès illimités, ne s'observe que chez les hystériques. « Cette loi absolue, dit-il, qui n'a jusqu'ici souffert au-cune contradiction, a été signalée sans qu'on songeât àprofiter des enseignements qu'elle renferme. »
1. « Nous pensons que la catalepsie et l'hystérie ont le même siège, sont pro-duites par le même genre de causes, nécessitent le même ordre de traitement, que les différences qu'elles présentent ne sont que dans leurs formes. »
(Georget, Dict. de Méd.)
M. Espanet ajoute que la ténacité du mal, de un à huit ans, se voit chez les femmes seules.
Enfin, la facilité de production des phénomènes cataleptiques chez les hystériques est une preuve de plus, en faveur des liens de parenté qui existent entre les deux névroses.
En résumé, la question nous semble devoir être difficilement ré-solue d'une façon péremptoire.
(c Les faits, dit Falret ^ dans son Mémoire sur la catalepsie, sont le plus souvent disparates, ne se ressemblent en quelque sorte que par un seul point, la raideur cataleptique, et diffèrent les uns des autres par l'ensemble de leurs symptômes et parleur marche. On se trouve ainsi en présence d'un symptôme et non d'une maladie. L'état cataleptique se produit, en effet, dans des conditions très diverses; on le voit fréquemment accompagner les attaques d'hystérie et figurer dans cette maladie à titre de complication; il survient de temps en temps chez les aliénés, chez les maniaques, aussi bien que chez les mélancoliques, etc.
)) Elle peut exister avec ou sans perte de connaissance ; elle est quelquefois le symptôme précurseur d'une maladie plus grave, telle que l'apoplexie ou l'épilepsie, ainsi qu'il en existe des exemples dans la science ; enfin elle est très souvent compliquée d'extase ou de somnambulisme, c'est-à-dire qu'au lieu d'être accompagnée de la suspension des facultés intellectuelles, elle coïncide avec une grande activité intérieure de ces facultés. »
La catalepsie essentielle, dégagée de tout élément étranger, est donc pour le moins fort rare.
Quoi qu'il en soit, il ne nous paraît pas indispensable pour la compréhension du plus grand nombre des faits de croire à une identité de nature entre la catalepsie et l'hystérie.
Il nous suffit de savoir que le symptôme cataleptique se ren-contre dans un grand nombre d'affections nerveuses diverses ; le cerveau impressionné d'une certaine façon peut donner lieu à des
1. Falret, De la catalepsie, Archives cjén. de médecine, 1857; 5° série, t. X, p. 206.
signes cataleptiques, sans que pour cela il soit nécessaire de faire intervenir la névrose catalepsie, de même que les accidents épilep-tiformes existent en dehors de Fépilepsie vraie. Et, bien que la chose soit loin d'avoir le même intérêt pratique, et que la preuve n'en puisse être aussi solidement établie, il nous semble rationnel d'admettre l'hystéro-catalepsie sans catalepsie vraie, de même que nous avons prouvé que, dans l'hystéro-épilepsie, il n'y a rien de l'épilepsie véritable.
Je ferai la même remarque au sujet du somnambulisme hys-térique.
Les attaques de catalepsie hystérique sont le plus souvent pré-cédées de prodromes semblables- à ceux de l'attaque d'hystérie : épigastralgie, globe montant à la gorge, palpitations, sifflements dans les oreilles, douleurs de tête, etc.
D'après Bourdin \ « les accès d'hystérie se combinent avec les accès cataleptiques de deux manières : ou bien l'attaque générale débute par des mouvements convulsifs qui sont remplacés immé-diatement par une immobilité absolue, ou bien la rigidité catalep-tique se montre la première pour faire place aux accidents hysté-riques. »
Espanet ajoute un troisième mode de combinaison : les attaques convulsives et de rigidité alternent et se confondent, une moitié du corps étant en catalepsie, l'autre moitié pouvant se livrer à des mouvements désoi^donnés.
Nos observations d'héinicatalepsie et d'hémiléthargie provo-quées chez un même sujet (Obs. II, p. 371) facUitent la compré-hension de ce dernier mode de combinaison qui de prime abord peut paraître étrange.
Nous étudierons successivement les cas dans lesquels :
a) La catalepsie complique les attitudes passionnelles de la troi-sième période de l'attaque hystéro-épileptique ;
b) Les accès de catalepsie sont accompagnés de phénomènes
1. Bourdin, Traité de la catalepsie, p. 71.
appartenant aux diverses périodes de l'attaque hystéro-épileptique ;
c) La catalepsie apparaît sous forme d'accès distincts chez une malade qui, d'autre part, a des attaques convulsives ou simple-ment d'autres signes d'hystérie.
a) LA CATALErSIE COMPLIQUE LES ATTITUDES PASSIONNELLES
Les affinités qui existent entre l'hallucination et l'état catalep-tique des muscles ont été mises en lumière plus haut dans l'étude que nous avons faite de la catalepsie hystérique provoquée. Nous avons vu ces deux états nerveux si différents s'équivaloir en quel-que sorte et se remplacer mutuellement. Dans l'attaque d'hystéro-épilepsie nous avons eu l'occasion d'observer un mélange de ces deux phénomènes qui semblent s'exclure et nous avons vu, pen-dant les attitudes passionnelles, les membres de la malade présenter tous les caractères de l'état cataleptique.
Math... dont nous avons déjà parlé offre ce singulier mélange.
Math. (10 juillet 1879). A des attaques convulsives depuis le matin. Au moment de la visite, elle est dans un état cataleptique qui dure depuis une heure environ. Nous la trouvons étendue sur le dos, le visage impassible,, les yeux ouverts, les pupilles dirigées en haut. Les membres gardent les diverses attitudes qu'on leur communique.
L'insensibilité à la piqûre est complète dans tout le côté gauche. Au côté droit, elle fait à chaque piqûre un léger mouvement qui indique que la sensibilité n'est pas complètement abolie de ce côté. La conjonctive est sen-sible à droite, insensible à gauche. En plaçant le doigt près de la pupille et bien en face, l'œil droit au bout de peu d'instants suit les divers mouve-ments du doigt, en haut, en bas, à droite ou à gauche. L'œil gauche au contraire demeure toujours immobile. L'expérience est répétée plusieurs fois sur chacun des deux yeux en maintenant l'autre fermé et a toujours donné le même résultat. Quand les deux yeux sont ouverts on voit que l'œil gauche suit tous les mouvements de l'œil droit. — Le flacon d'ammoniaque est senti à droite. La poudre de coloquinte est sentie sur la moitié droite de la langue. En lui parlant fortement à l'oreille gauche, Math... demeure tou-jours impassible; à l'oreille droite, au contraire, elle fait de très légers signes d'intelligence qui indiquent que la connaissance persiste à un certain degré. « Entendez-vous? » — Elle fait un léger signe affirmatif. « Pouvez-vous remuer? » — Léger signe négatif. « Soulfrez-vous? » — Léger signe
affirmatif. « Où souffrez-vous? » — Elle abaisse péniblement son bras droit en le dirigeant vers le ventre. « Remuez les membres? » — Elle fait faire quelques mouvements pénibles à son bras et à sa jambe droite. Ces deux membres gardent cependant les attitudes cataleptiques aussi bien que ceux de l'autre côté, et sans qu'il s'agisse ici de ce que Henrot a appelé la cata-lepsie synergique. On lui lève les deux jambes en l'air. « Savez-vous où sont vos jambes? » — Elle élève légèrement les épaules en signe de doute. L'oc-clusion des yeux ne modifie en rien l'état cataleptique.
Nous la laissons quelques instants les deux bras et les deux jambes levés perpendiculairement au lit, pour voir si elle maintiendra longtemps cette situation. Rientôt ses membres se raidissent, et il éclate une attaque bien curieuse à observer à cause de la physionomie spéciale de la 3° période.
Description de l'attaque.
Première période. — Début par les grands mouvements cloniques des membres, accompagnés de petits cris entrecoupés, et d'une convulsion des muscles de la face qui rappelle le pleurer à chaudes larmes; congestion de la face; les bras s'élèvent et se contournent en s'abaissant; les jambes se fléchissent et s'étendent; le tronc s'incurve en divers sens. Tantôt la malade se trouve ramassée en boule, tantôt elle se tourne sur le ventre et dem.eure dans l'extension forcée. Le tétanisme se passe dans une de ces attitudes que la malade garde immobile pendant un temps fort appréciable et qui sont marquées par une contracture extrême et généralisée, par la conges-tion extrême de la face, et la suspension de la respiration; il n'y a pas d'écume.
Suivent bientôt les mouvements cloniques qui s'exécutent dans tous les membres; d'abord de peu d'amplitude, ils augmentent peu à peu d'étendue pour se terminer par des secousses.
La résolution musculaire arrive, il n'y a pas à proprement parler de ster-tor. Ce calme dure fort peu de temps.
Deuxième période. — Contorsions. Arc de cercle. Grands mouvements. Imitation du chemin de fer et cris (déjà décrits p. 90). Réveillée pendant cette deuxième période, elle n'a conscience de rien. Et cependant il semble que ses mouvements soient une imitation voulue du chemin de fer. — Les mouvements se passent surtout du côté droit, où ils ont beaucoup plus d'étendue.
Troisième période. — Puis Math... demeure immobile, le visage souriant, les bras diversement placés, assise sur son lit ou couchée. Elle est dans un état cataleptique semblable à celui décrit au début. On la réveille brusque-ment. Elle paraît désappointée, « oh! c'était si joli!... » dit-elle. Elle voyait un château magnifique avec des couleurs, des boules brillantes, des fleurs superbes, et habité par une foule d'hommes en habit de soie et de toutes sortes de couleurs. Dans une autre attaque de la môme série, elle voyait le ciel! les anges, bleus, rouges, blancs! des boules brillantes! des étoiles!..-Une autre fois, son visage exprimait la terreur et le dégoût. — On la ré-
veille alors, et elle s'écrie : « Oh ! tant mieux! vous avez bien fait. » Elle était en enfer, voyait le diable et des boules de feu.
Une autre fois encore, elle voyait des oiseaux de toutes les couleurs, des fleurs splendides... A peine réveillée, on lui demande si elle les voit encore : elle regarde au plafond : «Oui, elles sont encore là! mais elles pâlissent... Je ne les vois plus. »
Pendant cette troisième période, la persistance partielle des sens lui per-met de répondre aux questions qu'on lui adresse et elle peut ainsi raconter la vision qui occupe son esprit. Dans les instants où son visage paraît im-passible, ce qui arrive parfois, elle dit très bien qu'elle ne voit rien. C'est alors l'état cataleptique sans hallucination.
L'on voit combien la troisième période de l'attaque offre ici de ressem-blances avec les expériences d'hallucinations provoquées que nous avons rapportées plus haut. L'état de la malade est certainement le même, et la seule différence réside dans la cause de l'hallucination, qui, provoquée d'un côté, se produit spontanément de l'autre.
Le bruit du gong demeure sans effet pendant les deux premières périodes de l'attaque, pendant la troisième, il modifie l'attitude cataleptique.
L'occlusion des yeux ne modifie en rien l'attitude cataleptique. Mais j'ajouterai que la même chose existe dans la catalepsie provoquée chez cette malade, qui s'éloigne par là du type que nous avons décrit.
En résumé, nous voyons ici l'attitude passionnelle remplacée par une atti-tude cataleptique avec hallucination gaie ou triste, sans perte complète de connaissance, avec persistance partielle des sens, et sans transformation possible en léthargie.
17 juillet. — Math... a eu des attaques cette nuit. Depuis ce matin, elle
est prise de secousses des membres et du ventre. Pendant que nous sommes près d'elle, les secousses se précipitent et les attaques surviennent :
1° Période épileptoide. Les grands mouvements de circumduction de la phase tonique sont très marqués.
2° Période des grands mouvements. Imitation du chemin de fer déjà dé-crue.
3" Attitudes passionnelles compliquées de catalepsie. Les attitudes gaies ou tristes se succèdent tour à tour. L'insensibilité à la piqûre est générale et complète. La sensibilité spéciale persiste à un certain degré, à droite; de l'œil droit, le regard suit le doigt. La malade se relire sous l'influence du flacon d'ammoniaque placé sous la narine droite.
Une fois réveillée par la pression ovarienne, la malade est plongée par la fixité du regard dans un sommeil dont voici les caractères :
Que les yeux soient ouverts ou fermés les signes ne changent pas.
11 existe un état cataleptique de tous les muscles que la friction ne fait point cesser. La malade conserve pendant longtemps des attitudes pénibles à garder.
L'anesthésie est générale et complète, elle intéresse la sensibilité générale aussi bien que tous les sens. L'œil droit ne suit plus le doigt. Et la malade ne se retire plus lorsqu'on approche le flacon d'ammoniaque de ses narines.
L'hyperexcitabilité musculaire existe. — On contracture par la pression les muscles des bras. A la face on contracture les masséters. Les autres muscles de la face sont peu excitables. Ces contractures provoquées cèdent à la friction.
Frémissement continu des paupières.
Les caractères de l'état cataleptique qui accompagne les attitudes pas-sionnelles se sont un peu modifiés par la suite. Il est devenu en quelque sorte plus profond. Sans que les apparences en soient changées, je trouve noté, à la date du 16 octobre, que les sens étaient complètement abolis, et le bruit violent du gong ne modifiait plus l'attitude cataleptique.
16 octobre 79.— Les grandes attaques que nous observons, ce matin, chez Math... présentent les particularités suivantes :
La période épileploïde n'est pas constante. L'attaque débute parfois par les phénomènes de la,2" période. Quand elle existe, la période épileptoïde revêt les caractères consignés plus haut.
La deuxième période se reproduit toujours semblable à celles que nous avons observées. C'est le « chemin de fer ».
La troisième période ou période des attitudes passioniielles est fort longue. Deux hallucinations se reproduisent presque invariablement, l'une terrible, l'autre agréable. Dans l'ordre triste, elle voit une grosse tête avec des cornes et de gros yeux. Dans l'ordre gai, elle prend une attitude qui se rapproche de l'extase, et on l'entend dire d'une voix pleine d'admiration: c( Ah! qu'elle est belle! »
Dans ces diverses altitudes nous constatons les caractères suivants :
Aptitude des membres et de tout le corps à conserver les positions com-muniquées (catalepsie). La catalepsie s'accompagne de raideur manifeste. Les yeux sont toujours ouverts, pas de clignotement des paupières. (Dans , des observations précédentes, nous n'avons aucunement modifié cet état en abaissant les paupières et en maintenant, quelques instants, les yeux fermés). Par la friction des muscles, les attitudes cataleptiques ne varient pas.
Il n'y a pas ú'hyper excitabilité musculaire, c'est-à-dire que l'excitation mécanique n'amène pas la contracture permanente du muscle sur lequel elle est portée.
L'anesthésie cutanée est totale.
La conjonctive oculaire conserve un peu de sensibilité. Quand on la touche du bout du doigt, les paupières clignent et se ferment. La vue paraît perdue.
Un flacon d'ammoniaque placé sous l'une ou l'autre narine ne modifie en aucune façon l'attitude de la malade. Cependant les yeux se remplissent de larmes.
Un bruit violent du goug demeure sans résultat. Sous l'influence de ce bruit la malade, quand elle a sa connaissance, tombe en catalepsie. La pression ovarienne la réveille.
Favrot rapporte un cas de catalepsie qui mérite d'être rappro-ché de l'observation précédente, et qui, avec beaucoup plus de raison, pourrait être considéré comme une hystérie dans laquelle les attitudes passionnelles de l'attaque se compliquaient de cata-lepsie.
Hélène Renault, de Saint-Malo, âgée de dix-sept ans, et Olive, sa sœur, furent attaquées, l'une le 11 mars dernier, l'autre le 15 du même mois, d'une affection hystérique causée parla suppression de leurs règles. L'aînée n'eut que cinq ou six accès consécutifs, et fut bientôt radicalement guérie, grâce aux emménagognes et aux hystériques que je lui fis prendre, et qui lui rendirent ses menstrues. La cadette ne fut pas si heureuse, les remèdes qui rétablirent sa sœur ne firent qu'irriter son mal. Après dix ou douze accès, qui ne furent qu'hystériques, elle tomba dans une parfaite catalepsie, symp-tôme de vapeurs, métamorphose nouvelle, dont aucun auteur, que je sache, n'a fait mention. Les doigts, les phalanges des doigts, le poignet, l'avant-bras, le bras, les yeux, la tête, tout restait immobile dans la situation où l'on s'avisait de les mettre; en un mot, ce spectacle était si effrayant, que la mère de la malade fut prise d'un violent accès hystérique la première fois qu'elle vit sa fille en cet état. Outre ces accidents communs aux catalep-tiques, l'odorat de celle-ci avait un sentiment exquis; quelque odeur spiri-tueuse un peu forte qu'on approchât à 1 ou 2 pieds de sa narine droite, elle se jetait du côté gauche; si on l'approchait de la narine gauche, elle se re-tournait avec force du côté droit; si on ôtait la main avec laquelle elle tenait fortement son nez, elle y portait l'autre avec une vitesse incroyable ; si l'on ôtait encore celle-ci, la première, qui était restée suspendue, ne semblait l'être que pour défendre plus promptement cet organe, ennemi déclaré de toute sorte d'odeurs fortes, et principalement de l'esprit volatil d'ammo-niaque, qu'elle sentait à plus de 10 pieds de distance de son lit. Lorsqu'on l'approchait d'elle un peu plus près, elle se couvrait le visage de son drap et se cachait sous la couverture, par je ne sais quel instinct ou perception qui la servait sans le consentement de sa volonté : on n'avait même qu'à prononcer le nom de cet esprit, la voilà sur ses gardes, comme ces fous que certains mots mettent sur leur folie. Enfin, si l'on venait, armé d'une plume trempée dans cet esprit, pour violenter son nez et la faire ainsi revenir, la voilà qui poussait des cris affreux sans les entendre, il lui prenait des con-vulsions violentes, des transports de colère et de rage; trois hommes ne
pouvaient alors la tenir, elle qui, avant l'accès, avait à peine la force de parler.
Notre malade eut, pendant l'espace de deux mois, plus de vingt accès de catalepsie, que j'appelle hystérique, parce que, en effet, elle succédait tou-jours à Vaffection hystérique. A mesure que son oppression diminuait, ses yeux paraissaient plus fixes; en même temps qu'elle cessait, il lui prenait ordinairement un petit vertige ténébreux qui la faisait doucement tomber sur son oreiller. Quelquefois, cependant, sa catalepsie était accompagnée de sa suffocation utérine, à laquelle on voyait souvent succéder de violentes convulsions, et un délire bien plus spirituel que l'état sain. Il arrivait aussi, de temps en temps, qu'elle rêvait durant son accès de catalepsie ; il était alors assez plaisant de voir cette jeune fille assise dans son lit, le tronc immobile, la tête penchée, les yeux tournés de tous les côtés qu'on avisait de les tour-ner, les bras fléchis et suspendus, sourire également avant de parler, comme une statue à ressort susceptible de toute sorte de mouvements. Après chaque accès, elle jouissait d'une apyrexie semblable à celle des fièvres intermittentes, et se portait si bien qu'elle se flattait toujours de ne pas re-tomber. Cependant la moindre frayeur, une mauvaise nouvelle, le plus petit sujet de mélancolie ou de colère, la moindre odeur puante et hysté-rique, telle que celle du castoréum ou de la rue, réveillaient ce genre de mal, et même en accéléraient le paroxysme.
Après tous ces accès de catalepsie hystérique, la malade eut, pendant près de deux mois, un heureux intervalle, que le lait de chèvre, l'air de la cam-pagne et principalement l'exercice, lui procurèrent : mais elle fut à peine de retour en ville que la catalepsie reparut, sans être, comme auparavant, précédée de l'affection hystérique. Elle commençait toujours par tomber en faiblesse, quelquefois en syncope ; lorsque dans cet état, on s'avisait de la piquer pour la faire revenir ou de lui faire sentir quelque odeur puante, elle devenait cataleptique; mais, pour l'ordinaire, de la moitié du corps seule-ment. On l'a vue tomber d'elle-même dans cette demi-catalepsie, qui était plus ou moins parfaite: enfin, ce mal, qui change de face comme un Prêtée, prit une nouvelle face bien plus dangereuse que les précédentes, je parle de l'apoplexie. Le premier accès dura trois jours entiers, avec des convulsions si violentes de la mâchoire inférieure, qu'on ne pouvait rien lui faire avaler; elle n'a eu, depuis le mois d'août, que deux légères attaques de cette apoplexie cataleptique ^
1. Œuvres de Tissot, par Halle, t. 11, p. 30, (cité par Favrot, Ilièse. De la cata-lepsie, de l'extase et de lliystérie. Paris, 1844, p. 40.)
extase cataleptique
L'étude des cas qui précèdent nous conduit tout naturellement à l'examen des faits décrits par les auteurs sous le nom d'extases cataleptiques.
Nous trouvons là réunis, comme dans les observations que nous venons de rapporter, et la plupart des caractères de l'attitude passionnelle, et les attributs de l'état cataleptique.
L'attitude est expressive et il existe des hallucinations dont la malade conserve le souvenir.
(( La plupart des personnes, dit Brierre de Boismont, qui ont éprouvé des extases cataleptiques, lorsque l'accès est passé, racontent les joies ineffables qu'elles ont goûtées, les fantômes effrayants qu'elles ont contemplés, les visions divines, les unions angéhques dont elles ont été les témoins ^. »
De plus les membres sont le siège d'un état cataleptique dont l'intensité varie. Au premier degré, les membres sont souples et conservent les attitudes variées qu'on leur communique. A un degré un peu plus intense, les membres, tout en étant susceptibles d'être déplacés, sont affectés d'une raideur plus ou moins accusée. Enfin, dans certains cas qu'il est rationnel de considérer comme le degré le plus intense de l'état cataleptique, la raideur est telle que le déplacement des membres n'est plus possible. J'ajouterai que l'aptitude des membres à conserver les attitudes communiquées est un symptôme qui doit être cherché, et que, dans la plupart des observations d'extase cataleptique, les auteurs se sont contentés de signaler l'immobilité de tout le corps dans une attitude donnée.
Je citerai, comme exemple, les quelques observations suivantes.
Obs. I. Une jeune personne de treize ans, qui demeurait dans le village de Saint-Sébastien, près d'Alais, fut affligée, pendant près de deux mois, de la maladie suivante: elle resta assise durant tout ce temps, lejouretla nuit, sans parler et sans donner le moindre signe de vie. Elle mangeait très
1. Brierre de Boismont, loc. cit. (p. 307).
peu, aussi était-elle extrêmement maigre, froide et presque sans pouls. D'une minute à l'autre elle étendait ses bras en forme de croix, et s'écriait en langue vulgaire : Jean, Jean, ouvre-moi les portes du paradis. Elle criait ensuite une minute, posait ses mains sur ses genoux, restait tranquille du-rant deux minutes , après quoi elle recommençait le même manège. Ses bras étaient raides lorsqu'elle les étendait; mais les doigts étaient flexibles et ne conservaient point les positions imprimées. Les paysans du lieu attribuaient cette maladie à un charme
Obs. II. Une jeune fille, d'une piété austère, était prise chaque fois qu'elle assistait à la messe et lors de l'élévation du calice, d'un état d'extase cata-leptiforme ^.
Obs. III. Dans des circonstances plus rares, dit Jaccoud au sujet de la des-cription de l'attaque hystérique, la convulsion fait place à un état d'extase, ou à une syncope, qui se prolonge assez longtemps pour simuler la mort réelle; ces phénomènes surviennent aussi sans convulsions antérieures (Dugès, Brächet), et ils peuvent donner lieu à une redoutable erreur (Vésale); il n'est pas rare que l'extase coïncide avec l'état cataleptique du système mus-culaire ; j'ai observé dans le service de mon regretté maître, Nat. Guillot, une hystérique qui durant un séjour de plusieurs mois à l'hôpital n'a pas présenté une seule attaque convulsive: mais deux ou trois fois la semaine, elle tombait dans un état d'extase avec catalepsie qui se prolongeait au moins pendant quatre heures ; à la suite d'un de ces accès, cette femme mourut subitement, et l'autopsie faite par nous avec le plus grand soin, ne révéla aucune lésion appréciable du système nerveux; Nat. Guillot, me disait avoir observé deux autres cas semblables ^
La reunion de l'extase et de la catalepsie a été si souvent signalée que ce ne peut être là le fait d'une simple coïncidence. M. Delasiauve a déjà tenté de rattacher à un même trouble céré-bral deux états nerveux si opposés en apparence Pour le mo-ment, sans chercher à résoudre le problème physiologique que soulève cette union des hallucinations de l'extase et de l'état
1. Cette malade a été observée par M. Privat en 1758. (Favrot, toc. cit. p. 67).
2. Malade observée par M. Jolly, membre de l'Académie de médecine. (Favrot, toc. cit. p. 67.)
3. Traité de pathologie interne, par S. Jaccoud, Paris 1870, t. p. 406.
4. Ou ne parle guère de l'une qu'on ne parle de l'autre, dit Delasiauve au sujet de l'extase et de la catalepsie, et néanmoins quelle opposition dans les symptômes! D'un côté contraction violente et soutenue des muscles : de l'autre, leur inertie due à la diversion de l'influx nerveuse : ici, ravissement de la pensée dù à uu travidl parfois mysti(|ue et voluptueux : là, perte de connaissance plus ou moins absolue.
Ce contraste pourrait bien, en somme, ne répondre qu'à des degrés divers de la même modilicatiou cérébrale, liés par de nombreux degrés intermédiaires:
cataleptique, nous nous contentons d'apporter à la question quelques éléments nouveaux en rapprochant des faits d'extase cataleptique des auteurs, les observations qui précèdent et les expériences rapportées plus haut, dans lesquelles nous avons vu^ sous l'influence de pratiques hypnotiques variées, l'état catalep-tique et les hallucinations alterner chez un môme sujet.
b) LES ACCÈS DE CATALEPSIE SONT ACCOMPAGNÉS DE PHÉNO-MÈNES APPARTENANT AUX DIVERSES PÉRIODES DE l'ATTAQUE HYSTÉRO-ÉPILEPTIQUE.
Dans le plus grand nombre des cas, l'accès de catalepsie hysté-rique précédée de prodromes analogues à ceux de la grande at-taque est marqué à son début par des signes épileptoïdes.
« En général, dit M. Briquet, après les prodromes, une vive rougeur monte à la figure, une sorte de raideur tétanique par-court tout le corps en un instant; puis il survient un léger trouble dans la respiration qui devient lente et profonde; ces phéno-mènes (qui rappellent la phase épileptoïde) durent une minute au plus et la malade s'endort plus ou moins profondément. »
Nous voyons, dans d'autres cas, les signes de la grande attaque acquérir une plus grande importance. Et il semble que, dans le cours d'une attaque régulière la catalepsie puisse se substituer à une ou à plusieurs des périodes que nous avons décrites et plus particulièrement aux deux dernières, auxquelles elle se rattache par des affinités déjà signalées.
Chez une de nos malades, B...,j'ai observé plusieurs fois un état cataleptique manifeste inaugurer la grande attaque hystéro-épilep-tique. Les yeux grands ouverts fixaient un point dans l'espace, elle
éréthisme léger, résolution des membres et entraînement forcé dans une vague rêverie; éréthisme moyen, élaboration mentale pénible, hallucinations, commen-cement de roideur musculaire; éréthisme extrême, abolition des sens, de l'intelli-gence et rigidité complète. On aurait ainsi l'extase simple, l'extase cataleptique, ou la catelepsie extatique, et la catalepsie. L'observation ne dément point cette distinc-tion qui, quoique hypothétique, jette une vive clarté sur ces cas obscurs, et pour-rait bien avoir pour elicla vérité. {Ann. Sociét. méd. psych. 1858, p. 227.)
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était immobile et ses membres non rigides conservaient les atti-tudes communiquées ; au bout de peu d'instants, quelques se-cousses, d'abord éloignées, se rapprochaient de plus en plus; puis survenait le tétanisme de la période épileptoïde.
Dans la relation d'une attaque d'hystérie compliquée de cata-lepsie, rapportée par M. Mesnet\ on voit la catalepsie survenir à la suite des contorsions de la deuxième période, et remplacer en quelque sorte les attitudes de la troisième période.
L'attaque se termine par quelques convulsions.
Le 15. On observe pour la première fois de la catalepsie ; voici ce qui se passa : Après un violent accès d'hystérie pendant lequel l'énergie des mouve-ments musculaires avait été telle que le corps plié en arc reposait sur le lit par la tête et Vextrémité des^orteils, madame X... retomba sur son Ht dans un état de résolution complète; le pouls était calme, battait 80 fois par minute, la respiration régulière, le visage sans expression, les yeux fermés; le bras droit, qu'on avait pris pour tâter le pouls, resta levé ; je fis alors as-seoir la malade, je soulevai les membres inférieurs, ils conservèrent la posi-tion qu'on leur avait donnée, et madame X..., ne reposant plus que sur les ischions, se maintint dans cette position fatigante sans qu'aucun des muscles du visage se contractât et accusât la moindre douleur. Cet état dura un quart d'heure environ ; il cessa comme il avait commencé, par un grand cri, au-quel succédèrent les mouvements spasmodiques du larynx et du pharynx ; puis, après deux minutes de convulsions pendant lesquelles la malade écartait ses vêtements et semblait vouloir écarter un obstacle qui s'opposait à l'entrée de l'air dans sa poitrine, elle revint complètement à elle, nous parla quel-ques instants, pour retomber encore dans un accès d'hystérie.
Une autre observation fort intéressante, citée par Bourdin^, montre un accès de catalepsie hystérique précédé de prodromes cé-phaliquesfort nets, se terminant par des attitudes qui rappellent les attitudes passionnelles de la troisième période.
Elisabeth Delvigne, âgée de 25 ans, fut attaquée le 6 mai 1709, d'une maladie extraordinaire et surprenante; qui fut regardée comme une cata-lepsie.....
Cette fille est très délicate, assez agréable de visage, mais un peu contre-
1. Études sur le somnambulisme,-psir le Di'Mesnet. (Extrait des Archives générales de médecine, n" de février 1860.)
2. Bourdin, de la Catalepsie, observation XXI, Elisabeth Delvigne, âgée de vingt-cinq ans, attaquée le 26 mai 1709. (Diouis, Dissertation sur la catalepsie, 1718; p. 45.)
faite dans la taille; elle a toujours vécu d'une mauière fort réglée et n'a jamais songé à se marier; elle était d'une piété exemplaire.
Suppression des règles en novembre 1708. A la suite, douleur de tète, mal de gorge, et fluxion de poitrine quelque temps après. Saignée après laquelle elle s'évanouit.
Après être revenue, elle eut des rêveries extraordinaires; elle crut être poursuivie par des voleurs, des bêtes féroces etc. Le délire continua jusqu'au dimanche, jour où elle eut un accès de catalepsie pour la première fois.
Les cinq premiers accès passèrent inaperçus mais, au sixième accès, l'ayant vue les yeux ouverts et fixes, ne parlant point, étant sans mouvement et sans sentiment, on la crut morte. Elle ne revint qu'à cinq heures du soir qui était l'heure réglée où finissait l'accès.
Le lendemain on fut attentif à examiner comment les choses se passaient.
« Quelques minutes avant une heure après-midi, elle se frotta le front avec sa main, et, peu de temps après, elle tomba dans l'accès qui dura jusqu'à cinq heures. Un moment avant qu'il finit, elle passa plusieurs fois sa main sur son front, ce qu'elle faisait dans tous les accès, de sorte que quand elle portait sa main à son front, c'étaient les signaux du commencement et de la fin de chaque accès.
» Quand elle fut hors de l'accès, on lui demanda pourquoi elle se touchait le front pour le frotter dans le temps que l'accès approchait, elle répondit qu'il lui semblait qu'il lui passait une rivière dans la tête et qu'elle y en-tendait un bruissement qui l'obligeait d'y porter la main.
)) Tous les jours l'accès commençait à une heure et finissait à cinq. Lors-qu'elle y était, elle avait les yeux fixes, les paupières ouvertes et immobiles, elle ne faisait aucun mouvement que ceux qu'on lui faisait faire; toutes les parties de son corps étaient insensibles, on la pinçait, on lui fourrait des épin-gles et des aiguilles dans les bras et les jambes, sans qu'elle donnât aucun signe de douleur; il n'y avait que le pouls qui, en continuant ses battements ordinaires, faisait voir qu'elle n'était pas morte.
» Si on lui ployait un doigt ou plusieurs, ils restaient dans l'état où on les mettait; si on les tendait, c'était la même chose. Mais ce qui a été le plus grand sujet d'admiration et d'étonnement, c'est la légèreté que l'on trouvait dans toutes les parties de son corps lorsqu'on la soulevait; en lui élevant un bras, il paraissait léger comme une plume, et il demeurait dans la situation où on l'avait mis ; si on soulevait l'autre, il y demeuraitaussi. Quand on la levait sur son séant, elle y demeurait; quand on ne la levait qu'à demi, elle y de-meurait aussi; enfin on la remuait avec une légèreté et une facilité étonnantes.
» On laleva en chemise, elle demeura debout; on lui souleva un pied, elle resta droite sur l'autre; on la pencha de tous côtés, et elle demeura toujours dans la position qu'on lui imprimait.
» A la fin de ses accès, elle semblait écrire avec son doigt sur la couver-ture le nom de Dieu, ou bien elle prenait les bords de son drap, les portait à son menton, comme si elle eût reçu la sainte communion. Tantôt enfin
elle faisait un cercle sur sa tête comme si on eût dû la couronner. Tous ces signes faisaient dire au peuple que c'était une sainte, et que tout ce qui se passait ne pouvait se faire sans miracle, »
Dans la crise elle avait les dents tellement serrées qu'on ne pouvait pas les ouvrir; lorsqu'elle en était sortie, on avait de la peine à lui faire prendre de la nourriture, elle avalait avec difficulté.
Elle était trois à quatre jours sans uriner; on a même été obligé de la sonder.
On observait quelquefois, à la fin de son accès un télanos.
Après huit mois de suppression, les règles revinrent en telle abondance que son matelas en fut traversé. Elle vomit aussi beaucoup de sang, et ne s'en trouva pas plus faible.
Le lendemain l'accès revint à la même heure; mais sa durée fut moitié moindre et ce fut le dernier.
Dans l'observation suivante empruntée à Rosenthal, la cata-lepsie précédait les hallucinations et le délire caractéristiques des deux dernières périodes de l'attaque.
Une jeune fille nerveuse de 19 ans, ayant éprouvé une vive frayeur, est prise bientôt après des crampes générales intenses, se reproduisant d'abord plusieurs fois par jour, puis régulièrement toutes les deux nuits presque à la même heure. Les prodromes de l'attaque consistaient en palpitations car-diaques, oppression, hoquet; celui-ci, quand on n'intervenait pas, durait plusieurs heures ; une demi-heure environ avant le début de l'attaque sur-venait de l'engourdissement des doigts et des orteils. En examinant la ma-lade peu de temps après l'attaque, on constatait une anesthésie et une anal-gésie complètes de toute la surface du corps et de tous les organes, avec abolition de l'ouïe et de l'odorat.
Si l'on pratiquait une injection sous-cutanée de 0^',03 de morphine dès l'apparition du hoquet, il s'arrêtait; 10 ou 15 minutes plus tard survenaient de la perte de connaissance, des convulsions épileptiformes, souvent entre-coupées de hoquets, et se terminant par un état cataleptique ( avec flexi-bilité cireuse très marquée). Ces attaques aboutissaient (mais pas chaque fois) à un délire tout particulier, pendant lequel la malade, les yeux fermés, causait avec son père qu'elle avait perdu depuis plusieurs mois (souvent elle prenait ma main pour celle de son père), elle lui racontait (en citant les noms, les dates et les chiffres), et quelquefois sur un ton ironique, les évé-nements survenus depuis lors dans la famille. De temps en temps ces rêves bizarres, cette seconde vie étaient interrompue par des scènes pénibles; la malade poussait des cris désespérés, se voyant au milieu d'un incendie, ou bien elle se voyait entourée d'ennemis. Vers la fin de l'attaque survenaient du hoquet et de légères secousses, puis la malade se réveillait, et montrait un grand embarras quand on lui'répétait tout ce qu'elle venait de dire.
L'anesthésie et l'analgésie persistaient pendant une demi-journée ou un jour après l'attaque; quand elle ne suivait pas ses mouvements du regard, ou quand elle avait les yeux fermés, comme il lui arrivait souvent par suite d'un spasme des deux orbiculaircs, la maladie était condamnée à im repos absolu; elle ne pouvait exécuter les mouvements qu'elle désirait, que lorsqu'elle était en état de diriger ses yeux vers ses membres. A la suite de fortes attaques, la flexibilité cireuse persistait encore après le retour de la motilité
Favrot d'après Tissot, rapporte une observation qui mérite d'être consignée ici. Bien que la malade qui en fait le sujet n'ai pas présenté d'autres signes d'hystérie (du moins il n'en est pas parlé), les accidents singuliers qu'on observa paraissent se rattacher à la grande névrose. L'accès de catalepsie préparé par les émotions et les tortures morales de la malade, fut suivi d'un accès de délire qui présenta tous les caractères du délire hystérique. On y retrouve les vives préoccupations qui ont agité son esprit. Et, au milieu de l'exubérance de son discours, chaque menace d'attaque vient rompre la suite de ses idées. Nous avons fréquemment observé ce dernier fait chez notre malade Gen... dont les attaques sont pai^fois suivies d'une longue période délirante.
Pendant le carême de 1737, une dame âgée de quarante-cinq ans vint de Vesoul à Besançon pour y solliciter un procès de la dernière conséquence pour elle, et qui, si elle l'eût perdu, eût mis le comble à des malheurs très sensibles qu'elle avait déjà essuyés. Agitée de la plus vive inquiétude, elle ne sortait point ou de chez ceux à qui elle avait affaire, ou des églises pour mettre le ciel dans ses intérêts ; on l'y voyait quelquefois allant se prosterner devant tous les autels l'un après l'autre, d'une manière à sb faire remar-quer de tous les assistants. Elle dormait peu et ne mangeait point, soit parce qu'elle avait perdu Pappétit, soit parce qu'elle se dérobait à elle-même sa subsistance pour faire plus d'aumônes qui lui obtinssent un bon succès.
Elle apprit cependant que l'air du barreau ne lui était pas favorable, et la veille du jour qu'elle devait être jugée, elle tomba vers les cinq heures du soir, dans un état que Ton prit pour une apoplexie, et l'on alla en toute hâte chercher M. Attalin, professeur de médecine à Besançon, qui accourut avec M. Le Yacher, chirurgien des hôpitaux de cette ville, correspondant de 1 Académie. Ils trouvèrent la dame assise dans un fauteuil, immobile, les
1- Traité clinique des maladies du système nerveux par M. Rosenthal, Traduc-hon du D' Lukanski, Paris, 1878, p. 517.
yeux fixés eu haut et brillants, les paupières ouvertes et sans mouvement, les bras élevés et les mains jointes, comme si elle eût été en extase : son visage auparavant triste et pâle, était plus fleuri, plus gai, plus gracieux qu'à l'ordinaire : elle avait la respiration Jibre et égale, les muscles du bas-ventre jouaient avec facilité ; son pouls était doux, lent et assez rempli, le même à peu près qu'aux personnes qui dorment tranquillement; ses membres étaient souples, légers, et se laissaient manier en tel sens qu'on voulait, sans faire aucune résistance ; mais, et c'était cela qui caractérisait son mal, ils n'étaient que trop obéissants, ils ne sortaient point de la posi-tion où on les avait mis. On lui abaissait le menton, sa bouche s'ent'rouvrait et restait ouverte; on lui levait un bras, ensuite l'autre, ils ne retombaient point; on les lu tournait en arrière, et on les élevait si haut que l'homme le plus fort ne les eût pas tenus longtemps dans cette attitude; ils y res-taient de même tant qu'on les y laissait. On la mit debout pour faire sur ses jambes les mêmes épreuves, et pour donner aux jambes et aux bras en même temps des attitudes différentes à soutenir; et il est aisé de juger que, non seulement l'envie de connaître et d'approfondir le mal, mais encore une certaine curiosité pour un pareil spectacle, firent imaginer tout ce qu'il y avait de plus bizarre ; la malade fut toujours comme une cire molle qui prend successivement toutes les figures que l'on veut et s'en tiendra éter-nellement à la dernière. M. Attalin dit qu'il croit qu'elle se fut tenue la tête en bas et les pieds en haut. Ce qui est très surprenant, c'est que son corps, quoiqu'on l'inclinât en différentes façons, conservait toujours et constamment un parfait équilibre. Il semblait que la statue de cire se collait par les pieds à ce qui la portait, pour l'empêcher de tomber. Elle paraissait insensible, on la secouait, on la pinçait, on la tourmentait, on lui mettait sous les pieds un réchaud de feu, on lui criait même aux oreilles qu'elle gagnerait son procès; nul signe de vie. C'était une catalepsie parfaite.
M. Attalin fit venir M. Charles, professeur en médecine; la dame fut saignée du pied par M. Le Vacher; ces messieurs allèrent souper et revinrent bien vite à leur malade. Ils la trouvèrent revenue de son accident, qui avait duré trois ou quatre heures, et elle les étonna beaucoup par un discours assez long, bien prononcé, bien lié, où elle taisait une histoire pathétique de ses malheurs, et racontaittous les détails desonprocès;letoutaccompagné de réflexions morales qui naissaient du sujet, et de prières à Dieu qu'elle n'avait point prises dans les heures, mais qu'elle composait sur-le-champ.
On commença par la rassurer autant que l'on put aux dépens môme de la vérité sur ce fatal procès, qui avait causé tant de ravages dans son âme; ensuite on l'interrogea soigneusement sur tout ce qui s'était passé en elle pendant son accès.
Elle ne voyait rien ; quelquefois seulement elle entendait, et même si bien, qu'elle reconnut plusieurs personnes à la voix. Elle ne se souvenait point d'avoir été saignée, mais elle s'en douta quand elle vit la ligature du pied. Le réchaud de feu, qui aurait dû lui faire une impression plus sen-
sible qu'une voix, ne lui en avait fait aucune. Quoiqu'elle eût été fort tour-mentée, il ne lui restait point de douleur, ni même de lassitude.
Pendant qu'on s'entretenait avec elle, on s'apercevait que, de temps eu temps, elle interrompait son discours; elle en commençait un autre, quoiqu'on lui fit souvenir de quoi il avait été question et à quel point elle en était de-meurée; et cela arrivait toutes les fois qu'une petite menace d'accès avait interrompu son discours. L'idée de ce (pi'elle avait encore à dire périssait absolument, et il s'en présentait à elle une autre qu'elle n'était pas maîtresse de refuser.
Au bout d'une heure, l'accès revint dans toute sa force ; les accidents cataleptiques furent les mêmes ou peut-être même plus intenses que la pre-mière fois. Quand ils furent finis, la malade, assise dans son fauteuil, se mit à parler pendant une bonne heure et demie sur le ton et dans le style que l'on connaissait déjà; mais enfin les discours sensés se changèrent en extra-vagances, accompagnées de hurlements affreux, et elle fut attaquée d'une frénésie violente, dont la catalepsie n'avait été que le prélude.
Tous les remèdes que les habiles gens qui la traitaient purent employer pendant trois à quatre jours qu'elle passa encore à Besançon furent inutiles: on la renveya chez elle à Yesoul, et, ce ([ui ne surprendra peut-être pas moins que cette maladie, elle est maintenant à Yesoul, en bonne santé, sans avoir eu aucune récidive. Yicndra-t-il un temps où ces sortes de phéno-mènes s'expliqueront ^ ?
L'histoire de la cataleptique de Cochin est remarquable non seulement par la longueur des accès, mais encore, au point de vue plus spécial qui nous occupe ici, par les phénomènes de délire et les hallucinations qui parfois les terminaient.
Voici quelques extraits de cette longue observation.
Cystite cantharidienne. — Rétention d'urine. —Pelvi-péritonite chro-nique. — Suppression des règles. — Phénomènes nerveux hystériformes {anurie, vomissements incoercibles, catalepsie.) (Obs. recueillie par MM. Seuvres, Léger et P. Berdinel.)
Lecomte (Marie-Élisabetli) âgée de 25 ans, domestique; entrée le 29 mai 1873, à l'hôpital Cochiu, salle Saint-Jacques, lit n» 7.
... Au mois de janvier 1874^ on découvre une hémianesthésie gauche des plus manifeste. La vision est plus faible de ce côté.
... En janvier 1875, en outre de l'anesthésie, l'état hystérique de Marie Lecomte se traduisait par une grande bizarrerie de caractère, des névralgies diffuses, des sensations d'étouffement qui prenaient les caractères de la boule hystérique.
1. Œuvres de Tissot, par Italie, t. II, p. 10, cité par Favrot, ¿oc.cíí., p. 30.
Dans les mois suivants se montre l'anurie; et les vomissements, qui avaient déjà paru l'année précédente, redoublent et deviennent quotidiens.
Le 6 avril. — Cette nuit, les règles se sont montrées un peu, et se sont, sans cause appréciable, arrêtées presque aussitôt. A quatre heures du matin, la malade tombe dans un profond sommeil. Dans le décubitus dorsal, la bouche entr'ouverte, la figure calme et presque souriante, la respiration tranquille, régulière et silencieuse, les membres dans la résolution complète, tel est l'état dans lequel on la trouve à la visite du matin. Une forte excita-tion semble la réveiller; elle ouvre les yeux, mais elle ne paraît point voir et les yeux sont fixes; elle ne peut parler, mais elle répond aux questions qu'on lui adresse par un léger mouvement de tête. L'anesthésie est absolue ; le pouls est calme et régulier...
Le 7. Somnolence. Parle peu, mais raisonnablement. Anesthésie.
Le 8. Assoupissement. On ne parvient pas à réveiller la malade. Le soir les membres ont une raideur presque tétanique ; ils gardent la position où on les met.
Le 9. La malade n'a pas remué de la nuit : la catelepsie est parfaite. Les yeux sont ouverts, fixes; les paupières immobiles; les pupilles normalement dilatées et normalement mobiles. Anesthésie absolue de la peau et des mu-queuses. L'attouchement de la conjonctive et de la cornée, la titillation de l'épiglotte et de l'entrée du larynx ne sont pas perçus et ne déterminent point de réflexes. Les membres immobiles ont une raideur quasi cadavé-rique : on ne peut ni les étendre, ni les fléchir qu'avec effort, et ils restent indéfiniment et sans trembler dans la position où on les place, quelque fati-gante qu'elle puisse être. Dans les membres inférieurs la raideur est à son comble, et il est impossible, malgré tous nos efforts, de fléchir les jambes sur les cuisses.
A quatre heures du soir, et sans cause appréciable, elle se réveille brus-quement et en criant. Des larmes et des pandiculations accompagnent ce changement, ainsi que l'émission involontaire et spontanée d'une grande quantité d'urine. La voix est forte est bien timbrée, mais la conversation est incohérente. La malade ne sait ni où elle est, ni à quel moment de la journée on se trouve. Elle répond cependand d'une manière exacte et brève aux questions qu'on lui adresse sur ses besoins. Elle menace surtout une personne invisible avec laquelle elle est en conversation, se plaignant d'être agacée par elle, la suppliant de la laisser en repos, car elle est très fatiguée. Elle lui demande de la laisser se coucher, et lui reproche de lui faire mal. La malade rêvait. Pendant cette scène, les membres conservent la même raideur et la même insensibilité ; la tête seule est animée de quelques mou-vements, tiinsi que les yeux et les paupières; le faciès exprime tour à tour Ja peur, la menace et la fatigue; par moments, au milieu de ses plaintes, elle parle en riant et en plaisantant à son persécuteur invisible, qui paraît être une de ses compagnes de la ferme. Pendant cette période, on peut lui faire prendre un peu de lait, qu'elle ne vomit point. En ce moment, on exa-
mine le ventre et on est fort surpris de le trouver aplati, presque excavé, sonore dans tous ses points. La tuméfaction qui existait dans le flanc gauclie a complètement disparu, et l'abdomen, dans tous ses points, est d'une sou-plesse remarquable. Cet état de loquacité et de demi-catalepsie, rappelant le somnambulisme, dure une partie de la nuit sans autre phénomène remar-quable.
Le 10, à cinq heures du matin, tout s'apaise, et on retrouve la malade dans un état de catalepsie absolue comme la veille. Cet état persiste pendant tout le jour. La malade est soumise à des expériences variées et répétées en présence des docteurs Magnan, Bourneville, Bucquoy, et Desprès, chef du service.
Le 12, à la visite du matin, la raideur des membres a disparu, et les bras gardent à peine une minute les positions où on les met. — Le ventre est aplati et d'une extrême souplesse : M. Després remarque qu'en le dé-primant fortement avec la main, la paroi abdominale ne revient pas sur elle-même, et les muscles de la région, participant à l'état cataleptique, gardent l'empreinte de la main, — Il n'y a pas d'agitation. La malade ne cesse de demander à boire et de dire que quelque chose la brûle; mais elle n'a pas sa connaissance. — La déglutition est impossible. — L'anesthésie persiste. — Les paupières sont mobiles, mais comme alourdies. Pouls, 08. Temp. axil., 37% 9
A 10 h., le calme et la raideur reprennent le dessus, et, à 10 h. 20, M. le D'' Bucquoy a pu mettre la m.alade, le tronc faisant un angle avec le le bassin, les jambes relevées, le menton s'appuyant sur le sternum, tout le corps n'appuyant sur le lit que par le sacrum. Elle est restée dans cette pose diflicile sept à huit minutes, et puis est retombée peu à peu.
La journée se passe dans un calme relatif, à peine coupé par quelques plaintes inarticulées et quelques mouvements peu étendus.—La raideur et la stabilité ont été contatées à plusieurs reprises.
A A h., quelques pandiculations ; puis la malade se réveille en pleurant. Elle se met aussitôt à parler d'une voix forte, se plaignant d'un violent senti-ment de brûlure. Presque assise dans son lit, les yeux fixes et grands ouverts, elle décrit une flamme rouge qui la brûle, qui l'entoure, ([ui lui entre dans le corps, dont la fumée l'étouffé. Dans celte pose extatique, elle appelle à son secours la sœur du service, ses compagnes, les élèves de l'hôpital, de-mande où elle est, ce que signifie ce feu, demandant qu'on l'eu délivre. Mais elle n'a pas sa connaissance. Bientôt l'exaltation devient déplus en plus vive; les plaintes et l'agitation redoublent.—Au milieu de sa loquacité, elle allie raisonnablement quelques idées, fait quelques réflexions justes en rapport avec son hallucination; mais elle ne reconnaît personne, — Elle demandée grands cris de l'eau, de la glace pour éteindre ce feu imaginaire. Quelquefois elle semble faire, pour parler, des efforts infructueux, et ses lèvres s'agitent en silence. — De temps en temps, les muscles du côté droit de la face et du cou se contractent convulsivement, et cette convulsion paraît
si douloureuse, qu'elle arrête la malade au milieu de ses phrases. — Elle a une extrême avidité pour l'eau, qui lui semble amortir ce feu dont elle est dévorée. — On est obligé de lui tenir les mains, qu'elle porte avec rage à ses yeux pour en arracher un voile. — L'ouïe est d'une finesse remar-quable : elle reconnaît et dénomme exactement tous les bruits de la salle, qui lui sont familiers; par moments môme, elle semble reconnaître les personnes qui l'entourent et qu'elle regarde avec une fixité cfTrayante. En entrant dans son idée de brûlure, de flamme, on peut échanger avec elle quelques lambeaux de conversation suivie ; mais elle se fatigue vite dans ce cas, et semble faire de pénibles efforts pour rassembler ses idées et les exprimer.
Vers 6 h., cette agitation se calme peu à peu. Elle ne parle plus qu'avec peine.
A 8 h., elle est retombée dans sa catalepsie absolue, que troublent seuls quelques mouvements et quelques plaintes inarticulées. — Pendant toute la durée de cette crise, elle n'a rien pu avaler. L'anesihésie n'a pas cessé un seul instant d'être absolue. La raideur et l'état cataleptique des muscles, bien que fortement diminués d'une manière générale, ont varié d'intensité de minute en minute. — Elle a uriné deux fois sous elle.
Le 13. La nuit s'est passée dans le même état. Au matin hallucinations, demi-connaissance.
A quatre heures, la connaissance est revenue complète. La malade se rend compte qu'elle a dormi longtemps, mais ne se souvient de rien.
Le 14. Somnolence. A 4 heures la catalepsie est absolue.
Le 15. La catalepsie persiste. A deux reprises un peu d'agitation; quelques paroles incohérentes.
Le 10. Au matin la malade a paru se réveiller. La somnolence persiste. Anesthésie sans catalepsie.
Le 17. Pas de retour de la connaissance. Plaintes. Le soir un peu de raideur des membres, pas de stabilité :
Le 18. La somnolence persiste sans connaissance. Le soir retour de la ca-talepsie parfaite.
Le 19. Demi-somnolence. La malade a sa connaissance, mais parle peu et avec difficulté. — Amblyopie. — Anesthésie sans catalepsie.
Le 20. La somnolence qui persiste n'exclut pas la netteté des idées.
Le 21. Encore un peu de somnolence. Mais la vue s'éclaircit, la sensibilité commence à apparaître.
Le 22. id.
Le 23. La malade est complètement réveillée. Les idées sont nettes, mais elle n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé depuis le début de son attaque.
Le 24. La malade est presque revenue à l'état normal.
Le 1" mai. La malade ne se ressent plus des suites de son accès, et tous les phénomènes morbides ({u'elle présentait avant ont complètement disparu ^
1. liijstérie et catalepsie par Rerdinel, Paris 1875.
J'arrête ici ces citations peut-être déjà trop longues ; mais il était important de mettre vivement en lumière cette réunion dans une mêmeattaqucde lacatalepsieet des phénomènes diversde la grande attaque hystérique. Ces derniers symptômes, pour secondaires qu'ils paraissent parfois, ne doivent jamais passer inaperçus, car ils suffisent, à eux seuls, pour donner à des faits d'un diagnostic souvent embarrassant leur signification véritable.
C) LA CATALEPSIE APPARAIT SOUS FORME d'aGCÈS ISOLÉS CHEZ DES MALADES QUI ONT ÉGALEMENT DES ATTAQUES CONVULSIVES ou PRÉSENTENT SEULEMENT d'AUTRES SYMPTOMES HYSTÉ-RIQUES.
L'attaque de catalepsie peut se montrer sans mélange d'autres phénomènes appartenant aux diverses périodes de l'attaque, et alter-ner chez une même malade, soit avec des attaques convulsives com-plètes, soit avec des attaques incomplètes, des attaques épilep-toïdes, des attaques de grands mouvements, des attaques d'extase, des attaques de délire, de somnambulisme, etc. Dans ces cas, la nature des accès cataleptiques est facilement reconnue.
Mais il existe des circonstances dans lesquelles le diagnostic est entouré de plus grandes difficultés. La malade n'a pas d'autres sortes d'attaques que les attaques de catalepsie; mais la nature même de ces attaques, les symptômes qu'on observe dans l'inter-valle permettent non moins sûrement de les rattacher à la grande hystérie.
J'en citerai, comme exemple, fobservation dont le D' Pau de Saint-Martin fit le sujet 5e sa thèse inaugurale en 1869, et qu'il désigne sous le titre de catalepsie compliquée.
En dehors des accès de catalepsie, la malade n'avait jamais pré-senté aucune attaque convulsive, et l'auteur, au chapitre du dia-gnostic, prend soin d'éliminer l'hystérie. Le symptôme qui le frappe le plus, c'est la catalepsie; aussi considère-t-il tous les accidents variés qui se sont produits en même temps, comme des compli-
cations étrangères, exubérantes si l'on veut, et les rattache-t-il à un même fond qui est la catalepsie.
Il n'est pas nécessaire cependant d'y regarder de très près pour trouver dans cette observation une forme spéciale de la grande hystérie. Si, à notre avis, fauteur s'est mépris sur finterprétation des phénomènes qu'il a eus sous les yeux, il a du moins le mérite d'avoir bien observé et consciencieusement décrit.
Je n'entreprendrai pas de donner ici un exposé complet de cette longue observation toute remplie de faits intéressants. A f appui de mon opinion, je relèverai les détails suivants.
Il existait dans tout le côté droit du corps une anesthésie très profonde, allant jusqu'à la perte du sens musculaire. La vue du même côté était affaiblie, les accès étaient précédés d'une vive douleur à l'épigastre et dans f hypochondre droit.
Du même côté du corps, il y avait de l'amyosthémie, puis une paralysie presque complète.
Au sortir des accès, quelquefois pendant plusieurs heures, la malade demeurait muette, sourde, aveugle, complètement para-lysée à droite.
Enfin, la malade soumise aux pratiques de f hypnotisme eut des accès de catalepsie provoquée dans lesquels nous retrouverons quelques-uns des faits sur lesquels nous avons insisté plus haut.
Quelques extraits montreront les analogies dont nous parlons et seront une preuve de plus en faveur de la thèse que nous sou-tenons.
Sous finfluence de manœuvres spéciales, la malade pouvait être rendue, au même moment, léthargique d'un côté et catalep-tique de f autre.
14 février. Pendant l'accès provoqué à 1 heure, nous constatons que les frictions humides ou sèches amènent de suite, au moins pour le côté gauche, la résolution des muscles et l'état physiologique des parties; les résultats sont les mêmes, quels que soient le sens des frictions et la manière dont elles sont faites. Comme pour le galvanisme, tous les muscles obéissent à l'action spéciale de ces frictions faites pendant l'hypnotisme, avec cette différence qu'ils conservent entre eux une plus grande indépendance. Ainsi tandis que l'électricité appliquée au niveau du plexus droit, provoquait des
mouvements dans tout ce membre et même à la longue dans le membre opposé, les parties frictionnées retournaient seules à l'état physiologique, les autres restaient cataleptiques ; si par exemple, nous soulevions le membre supérieur pour frictionner seulement la main et l'avant-bras, ceux-ci retom-baient inertes, tandis que le bras restait dans l'attitude où nous l'avions placé. Même indépendance du pied vis-à-vis de la jambe, de la main vis-à-vis du bras. Nous avons pu voir aussi que sans frictions, le côté gauche ces-sait d'être cataleptique au bout de vingt à vingt-cinq minutes, et comme à ce moment le droit l'était encore, nous avons pu répéter souvent cette singu-lière expérience, d'après laquelle la main droite une fois frictionnée, et les deux membres supérieurs placés à la fois dans la même position, le côté gauche retombait aussitôt, le droit restant immobile à l'exception de la main qui était comme appendue àl'extrémité de cette sorte de levier. Acinq heures réveil spontané sans phénomènes nouveaux.
15fév, Le soir, à quatre heures, accès provoqué: l'indépendance des deux parties du corps est encore plus marquée que la veille; au bout de vingt mi-nutes et tandis que le droit reste encore cataleptique, tout le côté gauche dort, pour ainsi dire, physiologiquement.....(pag. 25).
Ces phénomènes d'hémiléthargie et d'hémicatalepsie n'étaient possibles que pendant l'accès cataleptique provoqué.
Quant aux rapports qui relient ensemble les frictions et l'état catalep-tique du muscle, les résultats ont varié sensiblement suivant le mode d'inva-sion de l'accès. Était-il spontané, la résolution musculaire n'a jamais été obtenue, avec quelque soin que les frictions fussent faites et si longtemps qu'on les prolongeât; au contraire la malade était-elle sous l'influence de l'hypnotisme, chaque muscle cédait à la friction, se résolvait pour ainsi dire, et, après un temps chaque jour plus court, tout le corps dormait de ce som-meil quasi physiologique sur lequel nous sommes revenus si souvent... (pag. 47).
Pendant l'état cataleptique provoqué. Bar... nous a présenté des phénomènes absolument semblables à ceux qui sont consignés dans le passage suivant :
Le système musculaire s'est toujours montré tel que l'avaient décrit Ie premiers observateurs, c'est-à-dire dans une sorte d'inertie indifférente, qui, tout en empêchant le sujet de modifier lui-même ses attitudes, se prêtail cependant à tous les mouvements qui lui étaient communiqués par une maii étrangère; ces nouvelles positions étaient du reste conservées pendant de.^ beures entières sans qu'il en parût résulter, au moins immédiatement, une fatigue apparente.....(p. 45).
Une pression, si minime qu'elle fût, amenait, quoique après un temps plus long, les mêmes effets qu'un effort brusque et rapide, si bien que les mou-vements avaient plutôt besoin d'être indiqués que communiqués et que les muscles, comme en équilibre stable, cédaient au moindre choc qui les déran-geait de leur première position. Agissait-on sur les extenseurs toujours d'une façon continue, la force fléchissante l'emportait aussitôt, et le mouvement se produisait dans le sens que nous venons d'indiquer; au contraire, que cette même force vînt à diminuer la puissance nécessaire aux fléchisseurs pour maintenir leur position, les extenseurs l'emportaient et l'avant-bras s'abais-sait. Des expériences analogues, entreprises sur d'autres parties du corps, et partout où nous avons pu trouver des groupes de muscles nettement limi-tés nous ont conduit à des résultats identiques ; ainsi, la jambe fléchie sur la cuisse, la pression des muscles gastro-cnémiens amenait son extension; inversement, la flexion suivait immédiatement une pression exercée au niveau des extenseurs... (p. 46).
Enfin, bien que d'une façon éloignée, voici qui paraît avoir quelques analogies avec f hyperexcitabilité musculaire.
Les membres, même dans leur état morbide (l'état cataleptique) obéis-saient encore à quelques excitants, ainsi le galvanisme et les agents méca-niques. A toute époque nous avons constaté l'action de l'électricité sur le
système musculaire.....Comme moyens mécaniques, nous avons vu souvent
qu'un choc brusque produit en un point quelconque du système musculaire, sans produire, il est vrai, des mouvements étendus, était toujours suivi d'une tuméfaction des parties atteintes et comme d'une contraction localisée. Les piqûres, brûlures et autres excitations du même genre n'ont jamais produit aucun effet, (p. 47).
L'hypnotisme produisit dans ce cas les plus heureux résultats. Pendant les accès provoqués, les frictions sur la tête et les mem-bres faisaient disparaître les accidents (paralysie, surdité, cécité, mutité) qui succédaient toujours aux accès spontanés. Et M. Pau de Saint-Martin n'hésite pas à déclarer que, dans le cas spécial, l'hypnotisme et les frictions ont, dans un temps très limité, pro-voqué la guérison, au moins momentanée, d'une maladie qui n'a-vait fait qu'empirer depuis deux années consécutives, et dont le terme, d'après les signes antérieurs, paraissait plutôt éloigné, qu'immédiat.
CHAPITRE VIII
VARIÉTÉS PAR IMMIXTION DE PHÉNOMÈNES S OMNAMB U L I Q U E S. ATTAQUE DE SOMNAMBULISME.
Le somnambulisme naturel dont il s'agit ici est celui dont M. Mesnet a donné les caractères dans son étude sur le somnam-bulisme (in Arch. méd. 1860) et qu'il distingue nettement de ce qu'il appelle lenoctainbulisme. Le noctambulisme est le rêve mimé, parlé ; il ne sort pas des limites physiologiques. Le somnambulisme appartient toujours à un état pathologique et se rattache aux né-vroses par ses caractères et son expression symptomatique. L'anes-thésie est complète sur toute la surface du corps, peau et mu-queuse; la sensibihté générale est abolie pour les organes des sens, et cependant les sens, envisagés comme organes de sensations spéciales, peuvent conserver un certain degré d'activité, dans une direction spéciale; Poubli le plus complet accompagne le réveil.
L'état décrit par Frank, sous le nom de sommation spontanée, par opposition à la sommation artificiehe, dans laquelle il fait ren-trer tous les cas de sommeil magnétique, ne nous paraît autre que le somnambuhsme naturel, avec cette différence qu'il est précédé de prodromes, de phénomènes convulsifs ou cataleptiques et qu'il sur-vient toujours au milieu de la veille; autant de signes qui le rap-prochent du somnambulisme hystérique.
c( Celle-ci \ dit-il en parlant de la somniation spontanée, se
1- J. Frank, ctiap. xiii du Traité des maladies nerveuses, cité par Moisscnet.
montre au milieu de la veille, soit instantanément, soit après quelques prodromes : la tristesse, une douleur de tête, des lipo-thymies; divers mouvements convulsifs, surtout des yeux; delà catalepsie ou de la danse de Saint-Guy. Bientôt le malade présente ? plus ou moins l'image d'une personne prise de sommeil. En effet, s'il n'a pas les yeux toujours fermés, au moins sont-ils insensibles. Le pouls est souvent sain, ou il est plus lent qu'à l'état normal, et la chaleur du corps est naturelle; la respiration est à peine per-ceptible, et lorsque l'accès est passé, les malades reviennent à eux comme sortant d'un sommeil ; d'autres fois ils marchent comme des somnambules, mais pendant le jour, et font même des voyages, rendent des oracles; sans qu'ils conservent pour célale moindre souvenir de ce qu'ils ont fait. »
Quelles sont les relations qui existent entre le somnambulisme artificiel et le somnambulisme naturel? Le somnambulisme artificiel, dit Maury, n'est qu'une forme plus développée et spé-ciale du somnambulisme naturel.
Les études auxquelles nous nous sommes livré et que nous avons rapportées plus haut, sur le somnambulisme hystérique provoqué, confirment pleinement cette opinion. Il est possible de retrouver dans le somnambulisme spontané la plupart des faits plus ou moins étranges que nous avons pu, chez nos hystériques, provoquer arti-ficiellement. Aussi croyons-nous que nos recherches expérimen-tales sont destinées à éclairer l'histoire du somnambulisme spon-tané et particulièrement de cette forme du somnambulisme qui se trouve si intimement liée à la grande névrose hystérique.
Si le somnambulisme dégagé de tout élément étranger cons-titue une névrose distincte, il n'en devient pas moins quelquefois l'expression symptomatique d'une autre névrose (hystérie ou épi-lepsie, par exemple), aux autres signes de laquelle il se trouve plus ou moins mêlé.
Herpin signale le somnambulisme dans les accès incomplets d'épilepsie. Il se produit après le vertige épileptique, à ce moment qu'il désigne sous le nom de période de retour. Nous avons eu oc-casion d'en observer un exemple chez un jeune garçon de treize ans.
Les femmes hystériques sont, de toutes, les plus sujettes à cette perturbation nerveuse. La facilité avec laquelle on produit chez la plupart d'entre elles le somnambulisme artificiel le prouve sura-bondamment, et ce fait est connu depuis longtemps, à savoir que la plupart des somnambules dites magnétiques sont hystériques. Il n'est donc pas surprenant de voir le somnambulisme survenir spontanément chez les hystériques et se mêler plus ou moins aux attaques convulsives.
§ 1. — ATTAQUE DE SOMNAMBULISME.
Quel est le mode de combinaison du somnambulisme hystérique avec les convulsions, et à quel moment de l'attaque survient-il?
Nous étudierons successivement les cas dans lesquels :
a) Le somnambulisme apparaît mêlé aux attitudes passionnelles de la grande-attaque hystérique, ou les remplace complètement;
h) Le somnambulisme n'est accompagné que de quelques-uns des phénomènes appartenant aux diverses périodes de la grande attaque hystérique;
c) Le somnambulisme apparaît sous forme d'accès distincts chez une malade qui, d'autre part, a des attaques convulsives ou sim-plement d'autres signes d'hystérie.
a) le somnambulisme apparait mêlé aux attitudes passion-nelles de la grande attaque hystérique, ou les remplace complètement
M. Mesnet ^ a publié une observation remarquable de som-nambulisme hystérique qui montre bien les connexions étroites qui rattachent le somnambulisme aux attitudes passionnelles de la troisième période de l'attaque.
Les accès d'hystérie étaient compliqués d'extase, de catalepsie
^'Études sur le somnambulisme. parE. Mesnet, I8G0, p. ii.
RICHER. 31
et de somnambulisme. M. Mesnet fait remarquer que l'extase, la catalepsie et le somnambulisme n'ont appartenu qu'à l'une des phases de la maladie; nés dans la période occasionnelle de l'hys-térie, ils ont grandi avec elle, et déjà ils avaient disparu que l'a-nesthésie et la convulsion existaient encore.
L'extase, la catalepsie et le somnambulisme se reproduisent tou-. jours à la suite de violentes convulsions hystériques sans transi-' tion, et, par là même, paraissent remplacer la troisième période des attitudes passionnelles. L'extase décrite ici répond évidem-ment à ce que nous avons désigné sous le nom d'attitudes passion-nelles, et M. Mesnet dit que l'extase, comme la catalepsie, s'est montrée tellement unie aux accès de somnambulisme qu'il serait impossible de l'en séparer.
Madame X. âgée de 30 ans, fut prise au mois de mai 1855, sans cause appréciable d'accidents convulsifs présentant tous les caractères des accès d'hystérie.
Au mois d'octobre, les accès étaient très fréquents. Il fut relevé, du 11 au 31 octobre, 927 accès d'hystérie, en moyenne, 46 en vingt-quatre heures. Ce «hilîre va en décroissant jusqu'au mois d'avril où on n'en trouve plus qu'un par jour, et enfin, dans les derniers jours d'avril, ils avaient disparu com-plètement.
Les convulsions étaient très violentes. Je ne relèverai, dans cette longue observation, que les faits qui nous intéressent particulièrement.
L'exploration de la sensibilité faite avec soin permit de constater qu'elle était complètement abolie dans les membres inférieurs^, très obtuse dans les supérieurs, excepté à gauche, au niveau de l'acromion. La face était insen-sible ; le cou, les parties antérieures du tronc, les gouttières vertébrales, étaient aussi privées de sensibilité; un seul point très limité, situé entre les cinquièmeet sixième côtes gauches, était extrêmement sensible. (Peut-être ce point très sensible n'était-il autre qu'un point hystérogène, semblable à ceux que j'ai signalés plus haut. La région indiquée répond au siège le plus habituel des points hystérogènes comme on peut le voir sur la figure 9, et d'autre part, nous savons que les points hystérogènes échappent facilement à l'investigation de l'observateur, parce que la sensation éprouvée par la malade, lors de leur attouchement, est si pénible qu'elle essaye toujours de s'y soustraire.)
La sensibilité était abolie sur les muqueuses de tous les organes des sens.
Le 15 octobre, on observe pour la première fois de la catalepsie à la suite d'un violent accès d'hystérie. J'ai rapporté cet accès plus haut au chapitre de la catalepsie (p. 466).
Les convulsions hystériques et la catalepsie continuent à s'entremêler.
Il semble y avoir un peu d'amélioration vers la fin de décembre, mais la malade est de plus en plus plongée dans une inertie morale et physique, d'où rien ne peut la faire sortir.
C'est à cette époque que surviennent les phénomènes de somnambulisme.
« Somnambulisme du 29 décembre, à trois heures, madame X... est prise de convulsions d'une grande violence, puis elle se lève, s'habille, fait sa toi-lette seule, sans aide, déplace les meubles qui s'opposent à son passage, sans jamais les heurter: autant elle était insouciante et peu active dans la journée, autant elle met de vivacité à accomplir les actes les plus variés. Nous la voyons se promener dans son appartement, ouvrir les portes, descendre au jardin, sauter sur les bancs avec agilité, courir..,, et tout cela, fait beaucoup mieux que pendant la veille, puisqu'il lui fallait alors un bras pour la soutenir. La démarche était assurée ; le regard d'une fixité remarquable, la pupille très dilatée, pas de clignotement; le pouls calme, régulier; la sensibilité complè-tement abolie. Pas de réponse ni d'attention aux questions qu'on lui adresse, et cependant elle nous voit, mais sans nous reconnaître ; nous ne sommes pour elle que des obstacles matériels, qu'elle tourne quand nous nous met-tons devant elle pour lui barrer le passage. A cinq heures moins dix minutes, madame X... quitte le jardin, remonte dans sa chambre, se hâte de se dé-shabiller, de se mettre au lit, comme si elle avait le pressentiment que la crise allait cesser, et, à peine couchée, elle est prise d'un accès d'hystérie aussi violent que le précédent. Elle se réveille, s'asseoit sur son lit, s'étonne de voir la domestique levée, de nous trouver près d'elle, et nous en demande la cause : elle ignore complètement ce qui vient de se passer. Dans la journée, elle s'aperçoit de la disparition d'objets dont elle s'était servie la nuit; elle s'en plaint hautement, et, soupçonnant la fidélité de sa domestique, nous prie de la renvoyer pour lui en donner une autre. L'oubli était donc complet, »
Le 30. Les mêmes phénomènes se, répètent exactement semblables à ceux de la nuit précédente.
(( Somnambulisme des 31 décembre et 1" janvier. La scène fut bien diffé-rente : à trois heures du matin, la convulsion hystérique apparut beaucoup plus violente encore, et fut suivie sans transition de catalepsie, puis d'extase. L'hallucination de l'extase devait être effrayante, à en juger par l'expression delà malade et l'attitude qu'elle nous présentait; elle était assise sur soe lit, les yeux fixes, largement ouverts, les bras étendus, paraissant suivre toutes les péripéties d'un drame qui se déroulait sous ses yeux; puis brus-quement elle se jeta en avant, en s'écriant : « Laissez-les-moi ! laissez-les-moi!,.. Ne les faites pas mourir!... Ces affreuses bêtes vont les dévorer! » Et elle poussa un cri déchirant. C'est alors qu'elle se leva, s'habilla comme les nuits précédentes, à cela près qu'elle agissait avec une activité plus grande. Aussitôt sa toilette terminée, elle court à sa fenêtre, saute sur l'appui de sa croisée, essaye de se précipiter ; la persienno fermée l'arrête, elle la secoue violemment, essaye de la disjoindre; elle se précipite dans la chambre, et
tombe sur le parquet sans se réveiller. Elle monte sur les chaises, sur la commode, se précipite encore; ses traits contractés, ses gestes violents, té-moignent du mécontentement que lui cause notre intervention, mais elle ne nous reconnaît pas, et ne prononce aucune parole. L'un de nous passe dans la pièce voisine, ferme d'un tour de clef la porte de l'appartement, dans la crainte qu'elle veuille sortir; elle accourt aussitôt, veut s'emparer de la clef, et lutte avec celui de nous qui l'avait en sa possession. Nous éteignons la lumière; elle va aussitôt à sa table de nuit, prend une boîte d'allumettes, et rallume la lampe.
» A cinq heures, elle se déshabille, se couche, et est prise d'un accès d'hys-térie : nous avions eu le soin d'enlever la pendule qui était sur la cheminée, pour que rien ne lui fît connaître l'heure. »
Les 3 et4janvieraccès de somnambulisme fort remarquables pendant les-quels la malade avec une persistance et une fixité d'idées étonnantes se livre à deux nouvelles tentatives de suicide par la pendaison et l'empoisonnement. Aucun souvenir au réveil.
Le somnambulisme du 4 janvier commence ainsi. «A trois heures, ma-dame X... est prise de convulsion hystérique, d'extase avec hallucination, et entre dans le somnambulisme en s'écriant : « La mer va les engloutir... » Elle se lève, s'habille, etc..
» Journée du ù janvier. A midi, le beau-frère de madame X... vient la voir; elle l'aperçoit de loin, et est prise aussitôt d'un violent accès d'hystérie. Cet accès dure dix minutes, est suivi d'une période de catalepsie d'environ dix minutes aussi; puis survient un second accès d'hystérie de cinq minutes qui se termine par un cri, au milieu duquel nous entendons ces mots répétés plusieurs fois : « Emmenez-moi! je veux voir mes enfants!... » Madame X... revient à elle ; on essaye de la calmer en lui parlant de son état, lui disant qu'elle a besoin de soins; elle nous comprend à peine. Il était alors midi et demi; son beau-frère la quitta, et, à partir de ce moment, nous restâmes près d'elle jusqu'à six heures du soir.
))Elle n'eut plus alors de répit; nous vîmes tour à tour se succéder l'hys-térie, la catalepsie, l'extase, le somnambulisme et ces névroses se mêler l'une à l'autre.
y A peine son beau-frère l'eut-il quittée qu'un nouvel accès d'hystérie éclata avec une intensité extrême; madame X... eut des mouvements con-vulsifs d'une telle énergie que, la tête renversée en arrière, reposant sur le sol, les pieds appuyés par Vextrémité des orteils seulement, l'arc formé par la colonne vertébrale était distant du sol, dans le point le plus élevé, d'au moins 50 centimètres.
» Nous profilâmes d'une période de catalepsie pour déshabiller la malade et la mettre au lit; nous avions constaté son état cataleptique en la mettant en équilibre sur les ischions, les bras levés en l'air, et les membres inférieurs soulevés pareillement. Elle resta environ dix minutes dans cette position, ne touchant le sol que par une surface à peine égale à la paume des deux
inaiiis; le pouls était calme, régulier, battait 90 fois par minute; puis nous vîmes sa physionomie changer d'expression, la respiration devenir plus fré-quente et plus bruyante, les yeux s'entr'ouvrir et se diriger vers un point de la chambre qu'ils ne quittèrent plus. Nous suivions attentivement toutes les nuances de la pensée de madame X... ; elle avait bien évidemment une hal-lucination de la vue : son visage exprimait le plaisir, le bonheur; elle éten-dit les bras, se souleva lentement, s'assit sur son lit, avança le corps et les bras dans la direction de son regard, et resta quelques secondes ainsi dans une véritable extase ; tout à coup elle ferma violemment les bras sur sa poi-trine, on eût dit qu'elle y pressait quelqu'un ; puis elle poussa un cri affreux et dit : « Ne me les enlevez pas, mes enfants, mes chers enfants, laissez-les moi!... » Un nouvel accès d'hystérie survint, aussi violent que le précédent, et quand il fut terminé, madame X... passa la main sur son front et nous dit : « Où sont-ils? Pourquoi me les enlever?... » En vain nous essayâmes de la rassurer; nous lui dîmes qu'elle avait fait un rêve, et qu'elle avait pris pour une réalité ce qui n'avait existé que dans son imagination. Pùen ne put la convaincre; elle eut tout aussitôt une nouvelle convulsion, suivie de cata-lepsie, puis d'extase ; c'était un spectacle émouvant de voir les impressions se traduire sur sa physionomie, le geste ajoutait encore son impression à celle du visage; ses enfants étaient toujours bien là devant elle; un moment elle crut les saisir, ses mains se fermèrent contractées; elle luttait contre une force plus grande que la sienne qui cherchait à les lui arracher; nous la voyions résister avec une incroyable énergie, et, comme vaincue par une puissance plus grande que la sienne contre laquelle ses efforts se bri-saient, elle poussa un cri de douleur affreux, et de l'extase tomba dans un accès d'hystérie, au milieu duquel elle prononçait ces mots : « C'est par trop cruel de me les enlever ! je vous en prie, laissez-les-moi ! »
» Elle ne revint pas à elle, et sembla vouloir sortir de son lit. Nous la lais-sâmes faire; elle s'habilla précipitamment, et, sans dire un mol, le regard fixe, sans expression, elle se dirigea vers la porte et descendit dans le jardin..... »
Du 7 au 15 janvier, l'intensité des phénomènes somnambuliques diminua.
« A dater de ce jour (14 janvier) le somnambulisme ne reparut plus; seu-lement il y eut pendant cinq ou six nuits encore une période d'excitation, pendant laquelle la malade s'entretenait avec sa fille aînée, faisant à la fois les demandes et les réponses. Cet état durait de trois à cinq heures, et répon-dait exactement aux périodes de somnambulisme. »
Plus tard les convulsions hystériques elles-mêmes diminuent, elles sont remplacées peu à peu par des douleurs épigastriques, et du 15 janvier au 1" février on n'observe plus que quelques mouvements convulsifs, avec con-servation complète de l'intelligence.
Surviennent ensuite des vomissements nerveux.
Au mois de mai, madame X. était guérie.
On ne saurait méconnaître ici le lien qui réunit le somnam-
bulisme aux attitudes passionnelles. A la suite d'une attitude passionnelle avec hallucination, la malade devient somnambule sans transition. Il semble qne le second état dérive naturelle-ment du premier. L'hallucination qui préside à l'une, l'idée fixe qui dirige l'autre, prennent naissance à la même source. C'est e même état psychique transformé suivant la nature de la manifestation morbide. Dans l'attitude passionnelle, la malade voit ses enfants, ils vont périr et l'appellent à son secours. Dans le somnambulisme, c'est la préoccupation de l'éloignement de ses enfants, le désir de les revoir, l'affection qu'elle a pour eux, qui dirige tous ses actes. La maladie reproduit l'état mental de la ma-lade dans l'intervalle de ses crises, comme nous avons vu, dans la description que nous avons faite, les attitudes passionnelles em-prunter leur sujet aux scènes de la vie réelle. Quitter la maison et revoir ses enfants sont l'objet de tous ses vœux, de tous ses dé-sirs : (( Mes enfants m'attendent, nous disait-elle souvent, ils me demandent, ils ont' besoin de moi. »
Malgré les analogies que nous faisons ressortir entre l'attitude passionnelle et le somnambulisme de la malade de M. Mesnet, les deux états n'en conservaient pas moins leurs attributs différents. Si dans l'attitude passionnelle il y avait hallucination, dans le somnambulisme la vision n'existait plus, et la malade, livrée à elle-même, suivait le cours de son idée fixe. Dans le somnambulisme, existait la persistance des facultés et des sens ,mais dans un cercle restreint, toujours en rapport avec l'idée dominante et exclusive-ment limité à son étendue. Enfin, si la malade, après la crise, se souvenait d'avoir vu ses enfants et de les avoir entendus l'appeler, elle ne conservait aucun souvenir des actes auxquels elle se livrait pendant les accès de somnambulisme.
J'ai déjà rapporté, page 256, les détails d'une attaque d'hystérie observée par leD' Billet, et composée des trois premières périodes. La même malade vit, dans la suite, ses attaques se modifier un peu. La période des hallucinations présenta plusieurs des caractères de la catalepsie et du somnambulisme.
La persistance des deux premières périodes, qui se montrèrent toujours bien distinctes, rend cette observation fort intéressante, et ne permet pas le moindre doute sur la nature des accidents nerveux, si bizarres qu'ils aient été.
Cette jeune malade, âgée de 17 ans, offrait tous les attributs du tempérament hystérique. Vive intelligence, exaltations des senti-ments, anémie, aménorrhée, dégoût des aliments (elle ne vit que de crudités et de vinaigre) et de plus anesthésie profonde de la peau, perte de la sensibilité tactile, thermique et musculaire, anesthésie complète de l'odorat et du gotit.
Voici quelques extraits bien propres à montrer tout l'intérêt de cette observation.
A 10 11. 1/2 du soir, 13 juillet, la crise arriva comme les jours précédents, avançant d'une heure sur la veille.
Je rapporterai d'une façon abrégée, pour ne point me répéter dans des détails, toutes les phases par lesquelles passait la malade. La première partie de l'attaque différa peu sensiblement de ce que j'avais observé la veille, mais arrivée à la période des hallucinations, la scène changea beaucoup. Mademoiselle S..., après les pleurs que terminaient les convulsions, ouvrit les yeux; il était minuit. L'épouvante la plus grande était peinte dans son regard, ses pupilles étaient fixes et extrêmement dilatées; toute sa face con-tractée respirait la terreur. Elle se dressa lentement sur son séant, regar-dant un point de la chambre, comme si elle y apercevait quelque chose de terrifiant. D'un mouvement rapide, elle se dressa, les bras portés en arrière, la poitrine haletante, et elle recula d'un pas saccadé que je ne puis mieux comparer qu'à celui que prend la tragédienne dans la scène de somnambu-lisme de la tragédie de Macbeth. C'était effroyablement beau ! Elle recula ainsi jusqu'au mur, et, fuyant toujours avec la même terreur jusqu'à un angle de la chambre, elle s'arrêta. A ce moment la physionomie de l'épouvante était poussée chez elle au suprême degré. Je m'approchai d'elle et la pris par les bras, et soudain, ses yeux se fermèrent, sa figure redevint calme et reprit l'immobilité qu'elle avait dans le somnambulisme. Ses bras retombèrent le long de sa poitrine, et je la ramenai ainsi sur son lit que j'avais fait mettre à terre. L'état cataleptique existait dans toute sa force, je lui faisais prendre les poses les plus fantastiques, et les plus difficiles à concilier avec les lois de la statique, sans qu'elle bronchât le moins du monde ou qu'elle en parût fatiguée. Elle répétait d'elle-même, exactement, les poses que, dans la jour-née, M. le docteur M... lui avait fait prendre. A peine sur son lit, et comme je ne la touchais plus, son hallucination reparut, il en fut ainsi jusqu'à qua-tre heures du matin. A deux heures je me trouvai dans un tel état de fatigue
ou d'épuisement nerveux que je me relirai, la laissant entre les mains de sa bonne et d'une dame venue complaisamment. J'ignorais encore que, par le simple contact, on pouvait prévenir le retour des hallucinations. Je ne con-nus cette particularité que lorsque, le lendemain, sur le conseil de M. le docteur M... je fus allé voir M. le docteur Puel qui voulut bien m'éclairer de son expérience, et me promettre de venir lesoir assister àlacrise dont jelui avais esquissé les différentes phases.
14 juillet. — 9 h. 1/4 du soir — A l'instant où j'arrive, lamalade vient de perdre connaissance. Elle a les membres en résolution, les dents serrées ; les pupilles dilatées sont à demi cachées par la paupière supérieure ; les globes oculaires légèrement convulsés, une mousse finement aérée et épaisse s'échappe des commissures labiales.
9 h. 20. — Quelques contractions des muscles de la face et des membres apparaissent. Ces contractions vont toujours en augmentant.
9 h. 30. — La malade s'appuie sur les pieds, tandis que sa tête, complè-tement fléchie en arrière, repose par la face sur les oreillers, au risque d'asphyxier; tout le corps forme un demi-cercle rigide (opisthotonos). Au bout d'une à deux minutes, cette contracture exagérée cesse pour recom-mencer aussitôt, il en est ainsi jusqu'à 9 h. 40 minutes.
9 h. 40 minutes. — Alors nouvelles convulsions, surtout du côté droit du corps, spasmes violents de la glotte, anxiété extrême; la respiration devient tellement difficile qu'il semble que l'axphyxie va se produire; de ses deux mains la malad3 se presse les seins, s'étreint le cou et semble vouloir en enlever un poids qui l'étrangle.
A 10 heures, projections du bassin avec plaintes prolongées, Inrmes, puis apparition de l'état cataleptique et d'un sommeil que j'appellerai patholo-gique, car ce n'est pas encore le somnambulisme véritable. Jusqu'à ce mo-ment je n'ai pu entrer en communication avec la malade. Si je la touche, je ne produis ni secousse ni tressaillement; si je lui parle, elle ne répond pas ; tous les sens paraissent abolis.
10 h. 15 minutes. —La scène change, la sensibilité est exquise. La ma-lade se parle à elle-même très distinctement, exprimant ses plus secrètes pensées. Dans la journée, je lui avais prêté une brochure que j'avais publiée sur les événements de la dernière guerre. Elle en fait la critique ;;issez lon-guement, blâmant tel passage qu'elle cite ou approuvant tel autre. Si tandis qu'elle parle, je la touche, elle se tait, même au milieu d'un mot, et peut répondre aux questions que je lui pose, mais avec une nouvelle intonation de voix et une contrainte manifeste. A toute question posée par une autre personne, elle ne répond pas, à moins que je ne le lui commande, et ne l'ji mette la main dans celle de l'interlocuteur. Si je l'entretiens pendant quel-ques minutes de choses complètement étrangères à son monologue com-mencé et que, subitement, je cesse de la toucher, elle reprend sa phrase, ou le mot interrompu, là où elle a étéarrêtée. Commeje l'ai dit, son intonation de voix est tout à fait différente dans les deux cas. Quand elle se parle à elle-
même, elle le fait avec une volubilité très grande et une mimique pbysiono-mique toute particulière et les yeux fermés, tandis que, lorsqu'on l'inter-roge, sa figure est impassible, quelle que soit la conversation que l'on ait avec elle; elle parle lentement et comme si elle cherchait ses réponses qui sont toujours laconiques. On ne peut entrer en communication avec elle qu'en la touchant.
Son monologue est interrompu par l'arrivée de l'hallucination terrifiante. Mademoiselle S... se dresse lentement sur son séant, avec l'apparence de l'épouvante, comme dans la scène de la nuit précédente. Sa poitrine est haletante, sa démarche saccadée, sa figure rouge, ses yeux hagards aux pu-pilles fixes et extrêmement dilatées. A ce moment, elle est debout près de son lit. M. le docteur Puel, qui vient d'arriver, lui fait deux ou trois passes descendantes au-devant de la figure et le long du corps, son hallucination disparaît et elle ferme les yeux; il s'éloigne d'elle de huit à dix pas, et, par la volonté et le geste, il l'appelle à lui; elle demeure immobile. Me substi-tuant alors à mon confrère, qui m'a fait signe de prendre sa place, je répète sa mimique; innnédiatement la malade vient à moi et ne s'arrête qu'à ma poitrine; du doigt jelui indique son lit, je puis même me dispenser de faire ce geste : elle se dirige aussitôt de ce côté et se recouche lentement. Uu détail assez curieux est que, si je suspends le geste que je fais derrière elle, en même temps qu'elle se baisse pour se coucher, elle reste dans cette posi-tion jusqu'à ce que j'achève le geste commencé. Cette scène que je viens de raconter, peut se reproduire indéfiniment, ou du moins tant que la malade est dans l'état somnambulique actuel.
Dans ce sommeil, le toucher, le goût et l'odorat, qui dans l'état de veille sont tout à fait absents, paraissent intacts et peut-être même exagérés. En effet, si l'on touche un point quelconque du corps, les muscles de cette région se contractent vivement comme sous l'action d'un électro-aimant. Si, d'une seule main, on tient un de ses bras, la contraction est moitié moindre que si on le tient des deux mains. Le contact se prolongeant, la contraction cesse d'avoir lieu et se trouve remplacée par des fourmillements. Les trois sens disparaissent toujours et entièrement au réveil de la malade.
Interrogée, elle me répond qu'elle se réveillera d'elle-même à deux heures. Ace moment, je me retire dans la pièce voisine, afin de lui laisser ignorer ma présence. Elle se réveille, recouvre complètement connaissance, se plaint d'un violent mal de tête et demande à boire. Au bout da-20 minutes, elle se rendort.
2 h. 1/2. — Début d'une nouvelle attaque qui est exactement la même' ^ïue la précédente, sauf que les différentes phases sont beaucoup plus courtes. A l'instant où je puis l'interroger, elle me répond que sa crise finira à quatre heures, et qu'il faut que je la réveille à ce moment; c'est ce que fe fais en effet et elle est fort étonnée de me trouver à ses côtés.
16 juillet, 9 h. 40 minutes. — Retard de 20 minutes sur la veille. Mousse légère aux lèvres. Calme jusqu'à 9 h, 45 minutes. Pouls à 84.
9 h. 45 minutes. — La malade se croise les bras derrière le dos. Pouls à 96.
9 h. 55 minutes. — Les bras et les jambes sont secoués violemment, comme par des décharges électriques ; tête fortement défléchie. La malade se dresse avec force, et chaque fois qu'elle retombe, ses membres sont en résolution.
10 h. 10 minutes. — Projections du bassin en avant (hystérie libidineuse). La mousse disparait de la bouche, les membres sont en complète résolution.
10 h. 13 minutes. — Respiration difficile, rfdes étranglés, projections du bassin, pouls à 80,
10 h. 16 minutes. — Les râles deviennent de plus en plus étranglés, les mains portées à la gorge; la malade se dresse en se soutenant sur les mains comme pour aspirer l'air qui lui manque.
10 h. 29 minutes. —Pleurs, sanglots, quelques secousses; les membres tombent en résolution.
10 h. 35 minutes. — Les yeux s'ouvrent. Somnambulisme avec monologue et état cataleptique.
Interrogée sur l'objet de ses hallucinations, la malade me répond qu'elle voit sa mère morte depuis quelques années, dans l'état où elle est en ce moment; elle se voit saisir par le cadavre qui l'attire à elle. Elle avait cette même vision quand, pour la première fois, j'ai assisté à son attaque; elle criait alors : « Retirez cette fosse, retirez-la... » Si je la touche pendant l'hallucination, dit-elle, l'image terrifiante s'efface, et, à mesure que je di-minue le contact, ses contours apparaissent peu à peu jusqu'à ce que l'hal-lucination arrive nette et animée. Par suite de ce fait, il faut, pendant la période des hallucinations, que je la tienne, ou la touche de la main, pour qu'elle en soit délivrée.
Lorsqu'elle est touchée par des mains étrangères le résultat varie selon la main qui la touche.
Elle dit qu'elle commencera kgw.nrphysiquement et moralementensniie.
Réveil à deux heures.
2 h. 10 minutes. — Nouvelle crise identique à la précédente, et qui se termine à 3 h. 8 minutes par du somnambulisme. Réveil à 3 h. 40 minutes.
17 juillet, 9 h. 30 minutes. —Début de l'accès, mousse aux lèvres. 10 heures. —Fin des convulsions, projections rhythmées du bassin. 10 h. 5 minutes. — Ronchus plaintifs.
10 h. 20 minutes. — Pleurs et sanglots, quelques secousses. Apparition d'un mouvement cadencé des pouces qui aura lieu dorénavant à chaque crise, jusqu'à la dernière.
10 h. 40 minutes. — Somnambulisme avec monologue et état cataleptique.
11 h. 25 minutes. — Hallucinations.
1 h. 25 minutes. — Les globes oculaires roulent sous les paupières : ceci .précède toujours le réveil de quelques minutes.
2 h. 25 minutes. — Début de la seconde crise qui se termine à 3 h. 35 minutes.
28 juillet. — Début de l'accès 12 h. 15 minutes. Nous allons en donner le détail, afin de faire voir que les différentes phases des accès qui se sont succédé sont identiquement les mêmes qu'au com-mencement du mois, sauf les hallucinations qui ont disparu récemment.
12 h. 15 minutes. — Mousse aux lèvres.
12 h. 18 minutes. — Croisement des bras derrière le dos, la tête est for-tement appuyée par la face dans les oreillers.
12 h. 19 minutes. — Projections du bassin, la malade se soulève et re-tombe plusieurs fois.
12 h. 20 minutes. — Violentes secousses, râles plaintifs.
12 h. 22 minutes. — Projections rhythmées du bassin.
12 h. 24' minutes. — Secousses violentes des membres inférieurs, en cadence avec la respiration.
12 h. 25 minutes. — Les bras sont retournés et placés derrière le dos, plaintes et secousses.
12 h. 26 minutes. — Position des mains à la gorge, râles étranglés,
13 h. 26 minutes 1/2. — Les bras se tordent et se détordent, violentes secousses de tout le corps.
12 h. 28 minutes. — Pleurs et sanglots.
12 h. 30 minutes. — Mouvement des pouces en cadence avec la respira-tion plaintive.
12 h. 31 minutes. — Secousses ; elle ouvre les yeux, se soulève faiblement. 12 h. 32 minutes. — Somnambulisme; elle parle. Réveil à 1 heure
Dans l'observation suivante empruntée à la thèse du D' Dunant, nous timvons également des attaques composées de deux phases distinctes.
Dans la première, les convulsions tantôt épileptiques, tantôt hys-tériques, répondent parfaitement à nos deux premières périodes. Dans la seconde apparaît le délire somnambulique qui tient la place de la période des attitudes passionnelles. Après l'accès, la malade ne conservait aucun souvenir de tout ce qui s'était passé.
L... (Alexandrine-Maria), âgée de vingt-deux ans, brocheuse. Le père, deux sœurs et un frère se portent bien; la mère a un caractère très vif et emporté; un second frère paraît atteint d'une maladie du cœur. La malade, dans son enfance, a toujours souffert de céphalalgie ; elle a eu des éruptions
1. Billet,/oc. dï. p. 47.
cutanées prurigineuses pour lesquelles elle a été traitée à l'hôpital des En-fants par les sulfureux et les amers.....A dix-sept ans, les règles parurent;
elles ont toujours été difficiles et irrégulières. Pendant la première époque menstruelle, la malade dit avoir eu peur et être tombée immédiatement dans un état d'hystéricisme, et le lendemain dans sa première attaque de nerfs. Elle avait pleuré toute la journée, et c'est le soir qu'elle tomba subi-tement sans connaissance. Cette première attaque paraît avoir duré plusieurs jours; les suivantes se répétèrent tous les huit jours environ, jusqu'à vingt et un ans.....
26 janvier 1861.—Les règles reparaissent et font éclater une violente attaque d'hystérie qui dure douze heures : la malade affirme que c'est la première depuis six mois. Voici quels sont les symptômes : malaise, palpita-tions, boule, perte apparente de la connaissance et des sensibilités, cris : «Ma-man ! » maman ! y convulsions très fortes et très étendues des bras, du tronc et de la tête; spasme pharyngien ; pouces en abduction et étendus; pas d'écume; rémission; nouveau paroxysme et terminaison par des rires et un sommeil réparateur; émission d'urine abondante au réveil. La malade ne ^ peut dire ce qui s'est passé pendant son attaque, mais elle a conscience d'avoir été malade.....
19 février. — A cinq heures du soir, attaque d'hystérie qui dure une heure et qui est suivie de pleurs, puis d'hilarité et enfin de délire somnam-bulique. Un contentement extrême est peint sur la figure de la malade; ses yeux sont ouverts, mais elle paraît ne rien distinguer de ce qui l'entoure, elle ne répond pas aux questions et ne les entend pas; toute l'étendue de sa peau est anesthésiée, son pouls est calme, elle rit et s'écrie: « Ah! queje suis contente! » Elle parle des fleurs du jardin du Luxembourg, et chante des chansonnettes qu'elle a chantées autrefois dans ce jardin en faisant des rondes avec ses amies de pension. Les inhalations d'éther lui font reprendre connaissance très rapidement en arrêtant le délire. La malade croit alo3*s avoir dormi et veut dormir encore; elle demande à boire, elle est gaie eS reconnaît toutes les personnes qui l'entourent; elle répond très bien aux questions, mais elle n'a aucun souvenir de ce qui vient de se passer et n'a rêvé à rien. Après cinq minutes de lucidité vient une attaque que suspendent les inhalations d'éther, et la malade reprend enfin pleine possession d'elle-même. Elle éprouve quelques nausées et un peu de céphalalgie, ce qui peut être attribué à l'éther qu'elle a respiré. Elle ne conserve aucun souvenir de ce qui lui est arrivé depuis le début de l'attaque.
28 février. — La malade a passé ces sept derniers jours dans un état de délire léger entrecoupé de temps en temps par des attaques. Hier elle en est sortie conservant seulement de la gastralgie.....
9 mai. — Hier est survenu du délire somnambulique. La malade raisonne, mais d'une façon bizarre et qui ne lui est pas habituelle ; elle prend une chaise percée pour une marmite; elle n'a pas dormi pendant la nuit, mais elle s'est tenue tranquille pour ne pas troubler le sommeil des autre
malades. L'anestliésie est complète au point qu'une urtication qui donne naissance à des papules énormes et d'un rouge intense ne procure à la ma-lade qu'une très légère sensation de chatouillement.
Il mai. — Même état ; la peau est froide, d'un blanc mat, complètement exsangue; la malade est plongée dans une indifférence et dans une inertie désespérantes. Le soir une attaque met fin à cet état, et au réveil il ne reste aucun souvenir sur les événements des trois derniers jours. On a beau rap-peler à la malade ses actes et ses paroles, elle ne peut croire ce qu'on lu dit et en demeure très affectée.....
11 juillet. — Ce malin elle avait été soumise au drap mouillé. Une heure après, subitement elle a jeté un cri, puis il y a eu contraction de tous les muscles extenseurs; les yeux étaient convulsés en haut, la tête fortement renversée en arrière, la face rouge, absolument comme dans un accès d'épilepsie. Jamais nous n'avions observé ces phénomènes. Us ont duré une minute/, puis, une attaque hystériforme, sans écume à la bouche, est sur-venue.
9 septembre. — Depuis deux mois il n'y a eu d'accidents que de loin en loin. Aujourd'hui il y a des douleurs dans le membre inférieur gauche. L'é-thérisation ne réussit pas aies calmer, non plus que l'électricité qui déter-mine des spasmes du larynx. La voix s'éteint, le pouls baisse, la malade semble à l'agonie et accuse un froid glacial dans les jambes dont la tempé-rature n'a cependant pas varié. Toute la journée elle paraît épuisée et de-meure plongée dans un état extatique. Le soir survient une attaque d'hys-térie semblable à toutes les autres, mais après le paroxysme, et avant le retour de la connaissance il s'y mêle des accès épileptiques. Les grandes convulsions ayant cessé, les membres supérieurs restent étendus et rigides, les pouces sont fléchis dans la paume de la main, les autres doigts sont étendus ou fléchis. La tête se dévie à droite, la face ne grimace pas. Il y a des secousses dans les bras à la fin de chaque expiration, qui est bruyante et qui amène de l'écume à la bouche. La perte de la connaissance est totale, les pupilles sont égales, l'insensibilité est absolue et universelle. Au bout d'une minute, résolution et coma. Puis, au réveil, les yeux s'ouvrent, mais la malade ne dit rien ; elle paraît ne rien voir et cherche à rassembler ses idées ; une expression d'étonnement se peint sur sa figure. Ces accès se répètent plusieurs fois de suite à de très courts intervalles, et sans que la malade ait le temps de reprendre complètement connaissance; elle dit seulement après quelques-uns d'entre eux, et dans un état de demi-lucidité : « Allons tra-vailler, je veux repasser le linge. » Les questions les plus variées, les exci-tants de toute nature restent sans réponse et sans effet. Le chloroforme en inhalations, la compression de l'épigastre, enrayent ou retardent quelques accès qui font alors place k de l'extase. Le pinceau électrique fait cesser celte extase et, pendant un instant, la connaissance renaît, on obtient même quelques réponses de la malade, mais l'extase recommence bientôt et dure jusqu'à minuit.
25 octobre. — Pendant un mois la santé a été assez bonne. Hier soir une attaque hystérique, survenue sans cause appréciable, a été suivie de som-nambulisme, après lequel tout à coup s'est montré un accès produisant fixité du regard, pâleur de la face, contracture, raideur des membres, puis con-vulsions cloniques, courtes et égales, écume à la bouche, ronflement, puis résolution et retour au somnambulisme avec anesthésie complète et géné-rale.....
En résumé, il ressort des observations précédentes, que le som-nambulisme hystérique présente avec la troisième période de la grande attaque, des affinités qu'on ne saurait méconnaître, et qu'il se montre de préférence mêlé aux attitudes passionnelles de la troisième période, ou les remplaçant dans le cours d'une attaque.
b) le somnambulisme n'EST accompagné que de quelques-uns des phénomènes appartenant aux quatre périodes de l'attaque.
Deux observations recueilhes dans la clientèle de ville de M. Charcot, montrent l'accès de somnambulisme hystérique, pré-cédé, dans l'une, de crises épileptiformes, et, dans l'autre, qui a trait à un jeune garçon, de crises convulsives avec sanglots et pleurs.
I.—Voici les quelques renseignements du docteur Hillairet,au sujet d'un jeune malade, qu'il adresse à M. Charcot.
« Je vous adresse le jeune élève du lycéeX..., sujet, depuis quelque temps, des crises nerveuses hystériques. Samedi dernier, à cinq heures du soir, il a até pris de convulsions avec rires et pleurs. Cet état était accompagné d'une hyperesthésie extraordinaire, à tel point que le moindre frôlement, même sur les vêtements, provoquait aussitôt une secousse générale dans tous les membres et il a été suivi par une scène de somnambulisme qui a duré trois quarts d'heure environ. Pendant cette nouvelle phase, notre jeune homme se promenait les yeux fermés, parlait et faisait des calculs sans lumière aucune. L'hyperesthésie a persisté tout le temps, et il n'était pas possible de l'effleurer sans provoquer un tressaillement violent. Tout cela s'est terminé par une détente générale, et le malade a ouvert les yeux dans son état habituel, sans fatigue aucune. 11 paraît qu'il a eu plusieurs crises de ce genre déjà, et dont la durée a été beaucoup plus longue. L'an dernier, l'une d'elle a duré un jour et une nuit. »
Une note jointe à la lettre de M. Ilillairet ajoute ces quelques renseigne-ments :
Agé de vingt ans, atteint depuis un an et demi d'accidents hystériformes, avec somnambulisme. Les accès sont le plus souvent causés par une fatigue excessive ou un chagrin.
Pendant l'accès de somnambulisme arrivé en novembre, il a écrit une lettre, fait un repas, joué aux dames.....
Il ne conserve aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant l'accès.
II. — Mademoiselle X.... Crises de somnambulisme hystérique précédées d'accès épileptiformes.
Arrivée de La Havane, à Paris depuis cinq ans, âgée de vingt ans, pâle, laide, petite, un peu boulotte et lymphathique.
Elle demeure depuis cette époque avec sa belle-sœur et sa mère. Lors de son arrivée à Paris, elle apprit que son frère venait d'y mourir ; elle en fut vivement frappée, et c'est à partir de cette époque qu'ont commencé les accidents qu'elle éprouve encore aujourd'hui, à savoir : somnambulisme spontané et crises hystériques épileptoïdes peu accentuées, esquissées.
Elle s'endort tout à coup, sans autre prodrome qu'une douleur sincipitale ; elle s'endort les yeux ouverts, marche, s'agite, parle. l\ n'y a pas de chute au début de l'accès. L'état peut durer plusieurs heures, une journée entière, quelquefois on la couche daus cet état.
La nuit, elle se relève souvent dans le même état, se promène dans l'ap-partement. Toujours en pareil cas elle cherche sa tante, et s'irrite beaucoup quand elle ne la trouve pas; elle a au contraire de la répulsion pour sa mère. On n'a pas encore trouvé moyen de la réveiller à coup sûr. Dans ces derniers temps, les accès se sont un peu éloignés; mais il s'y est adjoint * de l'excitation, des tentatives de suicide, elle a menacé de se jeter par la fenêtre.
Elle ne conserve aucun souvenir de ce qui s'est passé.
La plupart des attaques de somnambulisme débutent d'emblée ; d'autres fois, elles sont précédées de crises épileptoïdes avec tétanisme des bras, gon-flement du cou, perte de conscience, après quoi le somnambulisme com-mence.
H paraît qu'autrefois, à l'origine, les crises épileptoïdes ont été plus vio-lentes et plus nombreuses, s'entremêlant avec les crises de somnambulisme, sans qu'on ait pu préciser le mode de cette combinaison.
On ne s'aperçoit de la somniation que parla fixité du regard et les modi-fications dans l'attitude. On n'a pu me dire s'il y avait palpitation des pau-pières.
La malade montre.très nettement une douleur ovarienne gauche. Il n'y a pas d'anesthésie nette de ce coté. Elle est assez bien réglée. Les accès sur-
viennent surtout à l'époque des règles. Elle reste donc aujourd'hui quelque-fois trois semaines sans accès.
Les nuits sont agitées par des rêves pénibles, des cauchemars, vue de vo-leurs, etc..
Elle a cru pendant longtemps que quelqu'un lui tirait la robe par derrière.
Cette jeune fille est manifestement hystérique.
L'ovarie, les hallucinations du jour, les cauchemars de la nuit, et les crises convulsives épileptiformes, même en l'absence de symptômes d'anesthésie ou d'hyperesthésie, indiquent suffisamment que la névrose dont est atteinte la malade, ne saurait être autre que l'hystérie.
Les accès de somnambulisme ont été précédés parfois de crises épileptoïdes. Nous avons affaire ici à une hystérie qui compte au nombre de ses manifestations le somnambuhsme.
Le D' Lunier a rapporté dans les Annales de la Société méd. psych. une observation dans laquelle les crises de somnambulisme se terminaient par des convulsions hystériques épileptiformes ^
Lise T..., tempérament lympho-nerveux, née de parents phtisiques, d'une santé d'ailleurs fort délicate, n'avait que de rares et faibles accès d'hystérie, lorsque, à l'âge de quatorze ans, elle fut atteinte d'une névrose caractérisée par des accès de somnambulisme qui se terminaient eux-mêmes par des con-vulsions hystériques ou épileptiformes. Ces accès revenaient presque tous les mois et plusieurs jours consécutifs, immédiatement après la menstrua-tion, qui était d'ailleurs régulière mais insuffisante.
Des expériences intempestives, tentées dans le but de magnétiser Lise, paraissent avoir déterminé les crises de somnambulisme.
Cette jeune personne fut magnétisée dans la suite par M. Lunier et devint en peu de temps un sujet remarquable.
Dans une observation pubhéeparM. Moissenet sous le titre d'Ob-servation de sommation spontanée avec convulsions hystériformes^, le début des scènes de somnambulisme était brusque. Mais
1. Ami. méd. psych. 1858, p. 231.
2. xictes de la Société médicale des hôpitaux de Paris. Deuxième fascicule, p. 223.
le retour à l'état normal spontané ou provoqué était toujours si-gnalé par des convulsions cloniques, générales ou partielles, des pleurs et des sanglots. La malade était une jeune fille américaine de l'âge de neuf ans. Les attaques changèrent de caractère à la suite de l'apparition des règles qui, chose extraordinaire dans nos climats, survinrent à l'âge de dix ans. Elles devinrent alors uni-quement convulsives; on y retrouve signalée la phase épileptoïde avec prédominance marquée du tétanisme; la malade se plaçait ensuite en arc de cercle.
Voici un résumé de cette observation :
Mademoiselle X..., américaine, a quitté les Grandes Antilles à l'âge de huit ans, vers la fm de l'année 1849, pour venir habiter Paris avec toute sa famille. Enfant gâtée, capricieuse, emportée.
En juin 1850, maladie du grand-père qui meurt le 9 juillet. Sa petite fille l'aimait passionnément.
Du 1'='' au 25 juillet, fièvre typhoïde de l'enfant.
Janvier, février 1851. —Premiers symptômes nerveux.—Modification du caractère, tristesse, dégoût du travail et des amusements. Il semble que quel-ques accès de catalepsie soient passés inaperçus, car il est dit qu'elle restait souvent immobile, sans mot dire, les yeux fixes, et puis sortait de cet état d'extase pour pleurer. Le plus souvent elle demeurait étrangère aux conver-sations qui avaient lieu devant elle, ou n'y prenant part qu'accidentellement et brusquement, comme si elle sortait d'un rêve.
Alors survJpQnent les attaques de somniation (avril) :
« Quatre, cinq ou six fois par semaine en plein jour et jamais pendant la nuit, à jeun comme après les repas, toujours à la maison jamais dans la rue, l'enfant était prise d'un besoin irrésistible de dormir, fermait les yeux e
perdait complètement l'usage de ses sens.....Le plus souvent le sommeil
continuait quoi qu'on fit. Et l'enfant rêvait tout haut de son grand-père qu'elle aimait tant; puis plus tard de sa tante, dont le souvenir, pendant la veille, était toujours plus ou moins uni à celui de son grand-père. Le retour à l'état normal, spontané ou provoqué, était toujours signalé par des convul-sions cloniques, générales ou partielles, des pleurs et des sanglots. »
A la date du 27 mai une de ces attaques est décrite tout au long.
Véritable scène de somnambulisme. La malade après s'être endormie, ouvre les yeux, se lève, marche, poursuit une hallucination.., etc.. Insen-sibilité absolue.
Au 15 juillet. Amélioration par un traitement ferrugineux, les attaques cessent pour faire place à une toux convulsive qui résiste à tout traitement. mcHER. - 32
16 août. — Retour des accès de somniation semblables à ceux du com-mencement de la maladie.
25 août. —^ Apparition des règles à l'âge de 10 ans. La maladie change de caractère, et les attaques deviennent plus franchement hystéro-épileptiques.
« Le 4 septembre, ie père vient me dire que la veille à 4 heures du soir, après quelques instants d'un silence obstiné, pendant lequel sa ligure expri-mait la tristesse la plus sombre, la jeune fille s'était mise à courir dans l'appartement, en proie à une agitation convulsive générale, heurtant et frappant tout ce qu'elle rencontrait, meubles et personnes. Puis, tout à coup, elle était tombée sur le carreau sans connaissance et dans un état de rigidité inflexible, les membres supérieurs et les inférieurs étendus horizontalement, de manière à former un grand X ayant le tronc pour centre. Enfin le tronc s'était recourbé jusqu'à n'avoir d'autre point d'ap-pui sur le sol que l'occiput et les talons. Des inhalations ammoniacales lui avaient doané à deux reprises comme des secousses électriques, après les-quelles elle était tombée dans un assoupissement profond. Enfin un quart d'heure après le début de cette attaque, une troisième inhalation d'ammo-niaque avait déterminé un réveil définitif; puis elle était restée pendant quelques minutes dans un abattement pénible et exprimant par gestes qu'elle avait des étourdissements et une douleur vive à la tempe gauche. Enfin elle avait repris l'usage de la parole pour dire qu'elle venait de voir ses parents d'Amérique et pour annoncer la mort d'une tante dont, peu de temps auparavant, on avait appris la maladie. Je me hâte de dire que cette prédiction ne s'est point réalisée. »
Il est facile de trouver là les principaux traits de notre description de l'attaque hystéro-épileptique : mutisme et agitation des prodromes ; phase épileptique marquée par la prédominance du tétanisme; arc de cercle; des inhalations ammoniacales arrêtent ici l'attaque. Mais à son réveil la malade se plaint d'étourdissement et de douleur vive à la tempe gauche.
Enfin la A'^ période est nettement marquée par ce besoin de prédiction qu'on retrouve si souvent chez les hystériques.
Pendant plusieurs jours les attaques se reproduisent de la même façon. M. Moissenet en complète ainsi la description :
« L'incurvation du tronc, comme l'extension des membres, augmente par secousses successives. A mesure que l'occiput se rapproche de la colonne vertébrale, la face devient livide ; les traits contractés expriment la douleur, d'abord les yeux sont fermés et la saillie de la cornée sous les paupières permet de suivre les mouvements de rotation convulsive du globe de l'œil; puis les paupières, brusquement écartées, laissent à découvert l'œil au regard fixe et hébété, à pupille dilatée et immobile. La vue, l'ouïe, la sensibilité paraissent abolies. »
Enfin la reprise du traitement ferrugineux, l'intimidation par menace de séquestration, éloignent les accès, qui ont disparu en septembre. Au moment du départ pour l'Amérique, mi-octobre, la guérison s'était maintenue.
Je rapporterai pour terminer une observation publiée par M. Ghambard dans la Revice mensuelle. Ce fait, intéressant à plus d'un titre, servira de transition entre les faits dont il s'agit ici et ceux que j'ai rangés dans la catégorie suivante.
La malade avait deux sortes d'accès de somnambulisme : les uns simples, les autres complexes précédés de phénomènes hysté-riques.
Les accès simples étaient tantôt spontanés, tantôt provoqués. Dans les deux cas ils présentaient les mêmes caractères.
Enfin je désire rapprocher les hallucinations provoquées pendant l'état de somnambulisme, chez la malade de M. Ghambard, de ce que nous avons observé chez nos hystériques de la Salpêtrière et décrit plus haut sous le nom d'état de suggestion.
Les accès de condition seconde peuvent se présenter sous deux formes : 1 dans l'une, la malade ressemble à une personne plongée dans un sommeil calme : c'est la forme simple; dans l'autre, on peut observer différents troubles du système nerveux et du délire spécial : c'est la forme complexe. Nous décrirons d'abord la première.
1" Accès simple. — Que l'accès se produise seul ou soit provoqué par l'un quelconque des moyens que nous énumérerons plus loin, le passage de l'état normal à l'état de somniation se fait avec une grande rapidité, et une cer-taine attention est nécessaire pour en bien saisir toutes les phases.
Cherche-t-on à provoquer l'accès, par exemple, en comprimant l'un des ovaires, on voit, au bout de quelques instants, un léger frémissement, puis un clignotement rapide animer les paupières supérieures ; les globes ocu-laires subissent un mouvement de circumduction qui porte les pupilles suc-cessivement en haut, puis en haut et en dedans; les yeux se ferment, les bras retombent inertes, et le sommeil s'établit habituellement après quelques mouvements de déglutition.
La malade, interrogée sur ce qu'elle éprouve depuis le momentoù on com-mence la compression de l'ovaire jusqu'à celui où elle perd connaissance, indique une boule qui remonte de la région ovarienne comprimée à l'épi-gastre et de là au cou, où elle détermine une sensation de strangulation. Les souvenirs ne peuvent aller plus loin, car, à en momenl précis, à la con-dition normale succède la condition seconde, dont elle ne doit conserver aucun souvenir.
Dans cet état, Armandine II... semble dormir, mais elle entend tout ce qui se passe autour d'elle, et, en la pressant un peu, on peut soutenir avec elle une conversation. Ses réponses sont seulement plus lentes, plus traî-nantes qu'à l'état de veille, et elle a si peu la notion de l'état dans lequel
elle se trouve qu'elle repousse alors énergiquement toute ofTre de l'endormir. Elle a cru pendant longtemps que l'occlusion des yeux était le seul moyen que nous eussions à notre disposition pour atteindre ce résultat, et, desque nous faisions mine de lui toucher les paupières après l'avoir endormie par un autre moyen, elle s'y refusait vivement et protégeait de son mieux ses yeux contre nos tentatives. D'autre part, à l'état de veille, elle se laissait hypnotiser sans aucune défiance par tout autre procédé que par celui de l'occlusion des yeux.
Le pouls et la respiration sont réguliers, les membres soulevés retombent doucement, et nous n'avons pu par aucun moyen, ni par l'ouverture des pau-pières, ni par aucun des procédés classiques, provoquer de catalepsie géné-rale ou partielle. Les mouvements volontaires ont conservé toute leur intégrité. Armandine H... se retourne dans son lit comme une personne qui rêve; la sensibilité, quelquefois abolie, est toujours très émoussée; on peut pincer fortement la malade, serrer un pli de sa peau sans déterminer de plaintes ni de mouvements de défense.
Le retour à l'état normal se fait soit spontanément au bout d'un temps qui varie de quelques minutes à plusieurs heures, soit sous l'influence d'exci-tations variées : ouverture des paupières, insufflations sur les yeux, fric-tions des paupières, excitations douloureuses de la peau sans qu'il soit possible toutefois de réveiller la malade aussi sûrement et aussi prompte-ment qu'il avait été possible de l'endormir. L'état de condition seconde cesse aussi brusquement et d'une manière aussi inattendue qu'il s'était établi ; notre sujet ouvre lentement les yeux et se remet à parler et à agir comme si rien ne lui était arrivé.
A la suite de ces accès, qu'ils soient spontanés ou provoqués, Arman-dine H... est grognon, triste, se plaint vivement de douleurs dans la tête, dans les membres, se cache sous ses couvertures ; elle sent, dit-elle, la boule redescendre du cou au bas-ventre, en suivant le même chemin qu'au moment de son ascension : pour elle d'ailleurs, le temps qui sépare ces deux voyages, dont l'un marque le début et l'autre la fin delà somniation, est tout à fait inappréciable. En résumé, ces accès sont suivis d'une certaine fatigue: aussi cette jeune fille, bien que très douce et très complaisante, montre-t-elle peu de goût pour nos expériences et, dès qu'elle nous voit, protège-t-elle ses yeux, si elle est couchée,et sesauve-t-elle,si elle est levée, jusqu'au moment de notre départ : elle paraît fort peu disposée, à l'inverse de beau-coup de sujets de son espèce, à exploiter son cas pour attirer sur elle l'at-tention et l'intérêt.
Revenue à la vie normale, elle ne conserve aucun souvenir ni des expé-riences auxquelles elle a été soumise, ni de ce qu'elle a dit et fait, ni du temps écoulé pendant la durée de la condition seconde. Cet oubli s'étend même aux faits qui ont précédé de peu le début de celle-ci, et si, par exemple, nous avons soin de l'endormir dès notre arrivée, elle se montre fort étonnée, en ouvrant les yeux, de nous trouver à son côté. Mais, tandis que cette am-
nésie n'est ni complète ni définitive et disparaît assez rapidement, celle qui a pour objet la période de somniation est complète, absolue, et semblable à celle qui caractérise l'accès épileptique : tantôt, en effet, notre malade est très surprise de ne plus retrouver son vin qu'elle a bu pendant l'accès et accuse vivement ses voisines de le lui avoir dérobé; tantôt elle est toute stu-péfaite de se trouver assise sur une chaise, à une grande distance de son lit.
2° Accès complexes. — Phénomènes hystériformes. Délire somnambu-lique.
L'accès dont nous venons de retracer les différentes phases peut débuter par une série de phénomènes qui rappellent le début d'une attaque d'hys-térie : spasmes toniques et contorsions des membres, sensation de strangu-lation que la malade exprime en portant la main à son cou et en disant à plu-sieurs reprises : « J'étouffe! », face vultueuse, respiration profonde et précipitée. Cette ébauche d'attaque hystérique précède surtout les accès somnambuliques qui reconnaissent pour cause une émotion, une frayeur telle qu'elle en ressentit à plusieurs reprises par le fait de malades aliénées et agitées qui occupaient la même salle.
Les phénomènes du même ordre se sont encore montrés chez Arman-dine H... dans le cours de l'accès. Souvent elle donnait des signes de terreur ou de joie, sa figure exprimait la souffrance ou la gaieté, elle riait ou versait des larmes et traduisait ainsi des états psychiques divers qui pouvaient se manifester spontanément sous la forme d'un délire spécial dont nous devons maintenant nous occuper ou qu'un interrogatoire bien dirigé pouvait mettre en lumière. Nous ne saurions mieux donner une idée de ce délire et de la manière d'en provoquer les manifestations qu'en relatant un de ces accès choisi parmi les plus complets que nous ayons pu observer chez notre ma-lade.
Armandine H... était endormie depuis quelques instants, selon l'expres-sion impropre et consacrée par l'usage ; nous lui suggérons l'idée de sa mère, et nous voyons de cette suggestion se dérouler toute une scène psychologique dont nous essaierons de donner une idée ^
Elle voit sa mère et décrit son ajustement : elle saisit un couteau pour s'en frapper (à ce moment, la physionomie de notre malade exprime la ter-reur et la souffrance et elle se met à pleurer). Sa mère lui fait peur, elle la croit prête à se jeter sur elle, craint qu'elle n'ait contre elle de la « rancune » et ne veuille l'empoisonner.
Elle voit ensuite son père qui se jette sur sa mère pour l'empêcher de se tuer et décrit également son costume. La scène alors se complique : elle voit
1. Ces phénomènes sont de même ordre que ceux que j'ai rapportés plus haut sous la dénomination d'hallucination provoquée pendant l'état de somnambulisme. J'ai insisté sur ce fait que la malade pouvait se maintenir dans les limites de la suggestion, mais aussi qu'on vertu de l'associalion des idées et suivant la richesse de son imagination ou la vivacité de sa mémoire, elle pouvait faire subir au thème imposé des développements plus ou moins étendus.
la chambre où se joue le drame qu'elle décrit, les meubles, les objets qu'elle renferme qui luisent familiers.
D'autres tableaux de plus en plus complexes et dont les auteurs sont de plus en plus nombreux, se succèdent alors: la porte de la chambre s'ouvre, et avec un rayon de soleil sa sœur entre en disant : « me v'ià ». Armandine lui cnerche querelle pour avoir omis de s'acquitter d'une commission; les deux sœurs se ( chamaillent » et échangent déjà « des gifles », lorsqu'un cousin qui paraît jouer un certain rôle dans le cœur de notre malade les sépare et lui donne raison. Celle-ci de s'écrier alors avec un air de vanité naïve : « Je lui dis qu'il ne faut pas qu'elle me mène, et mon cousin me donne raison. »
Mettant alors notre jeune fille sur l'emploi de la journée précédente, nous obtenons d'elle le récit circonstancié des visites qu'elle a reçues et de celle d'un de nos amis et des tentatives infructueuses qu'il a faites pour l'endormir : elle nous raconte encore comment, dès qu'elle nous vil venir pour notre visite du soir, elle se cacha et épia notre départ pour regagner son lit.
Elle repousse notre proposition de se lever et de faire un tour dans la salle en déclarant avec un air de satisfaction visible qu'elle est «' trop bien dans son lit pour en sortir » ; elle s'oppose également à ce que nous l'endor-mions, en déclarant que cela lui fait mal à la tête et lui donne des crampes d'estomac. Elle nous raconte enfin dans les mêmes termes que pendant l'état normal les sensations qui, chez elle, précèdent le sommeil et suivent le réveil, sans omettre les migrations de la boule qui monte du ventre au cou dans le premier cas et dans le second regagne son point de départ.
Dans une autre expérience, nous avions endormi la malade en faisant bril-ler à ses yeux la lumière d'un ruban de magnésium. A peine le sommeil était-il obtenu qu'elle se plaignait de douleurs dans les membres et se livrait tour à tour au rire et aux larmes. — Elle se souvenait parfaitement d'avoir vu une flamme éclatanle; quelques minutes après, elle voit une lumière éblouis-sante rouge, et cette vision reparaît à plusieurs reprises avec une intensité et une durée décroissantes
C). LE SOMNAMBULISME APPARAIT SOUS FORME D'ACCÈS DISTINCTS CHEZ UNE MALADE QUI d'AUTRE PART A DES ATTAQUES CONVUL-SIVES OU SIMPLEMENT d'AUTRES SIGNES d'hYSTÉRIE.
Presque toutes les malades dont les accès d'hystérie sont en-tremêlés de phénomènes somnambuliques présentent des accès de somnambulisme isolés.
i. Revue mensuelle de médecine et de chirurgie, n° 4. —10 avril 1879, 276. — Cas d'hystérie avec somnambulisme par E. Chambard.
Briquet rapporte le cas d'une jeune fdle hystérique qui avait tous les jours deux attaques d'hystérie : l'une à midi, qui était une attaque hystérique convulsive ordinaire, de moyenne intensité et d'une durée d'un quart d'heure ; l'autre, qui avait lieu régulièrement tous les soirs entre six et sept heures, était une attaque de som-nambulisme. Elle se levait, allait regarder à une fenêtre voisine avec une attention que rien ne pouvait distraire, car elle n'enten-dait rien de ce qu'on lui disait, et paraissait ne pas voir autre chose que ce qu'elle regardait. Si on l'éveillait en la secouant un peu dans cette position, elle tombait raide à bas de sa chaise, jetait un grand cri, et avait une petite attaque convulsive. Au dé-but de son premier sommeil, il y avait un léger raidissement du corps et un moment de coloration rouge à la figure.
L'observation suivante due à M. Lasègue, et rapportée dans la thèse de M. Espanet, nous montre, chez une jeune fille de 18 ans, l'hystérie, préparée depuis deux ans par l'impression vive d'une grande frayeur,se manifestantsubitement à la suite d'une violente émotion, par des attaques convulsives.
Puis les attaques changent de forme, et surviennent des atta-ques de sommeil dans lesquelles nous trouvons comme symptôme prédominant cette singulière hypéresthésie élective du tact que j'ai signalée dans le cours de nos expériences sur le somnam-bulisme provoqué (voir pag. 407) et dont l'observation déjà rap-portée pag. 444 renferme un intéressant exemple.
« Mademoiselle X... a dix-huit ans. A l'âge de seize ans, elle est vivement impressionnée par la nourrice qui l'avait élevée, laquelle est prise d'un accès de manie aiguë dans la nuit. L'enfant, terrifiée, reste pendant deux ans sous l'influence d'une frayeur persévérante : elle croit toujours voir sa nour-rice en délire au chevet de son lit, s'endort difticilement, et est prise pen-dant la journée d'accès de terreur, toujours portant sur la même vision. La plasticité de l'idéation est à son comble chez elle.
» A la fin de IST^, cette jeune fille, q;ii habitait un pays colonial, est ap-pelée en toute hâte avec sa mère à Paris, à cause de la maladie d'un de ses oncles. Le voyage, accompli aussi rapidement que possible, est plein d'in-quiétudes. A leur arrivée à Paris, elles descendent à la maison de leur pa-rent, se précipitent dans sa chambre et le trouvent venant d'expirer dans
son lit. — La jeune fille est prise d'une attaque d'hystérie violente et pro-longée.
» A partir de ce jour, l'insomnie est remplacée par des accès brusques et subits de sommeil. En parlant, en mangeant, en faisant de la musique, elle tombe tout à coup dans un sommeil profond dont il est difficile de la sortir, et qui se prolonge, soit pendant un court espace de temps, soit pendant plus de dix et douze heures. Pendant ce sommeil, les yeux sont convulsés, ren-versés en arrière. La sensibilité intacte pendant la veille se trouve an-nulée.
y Le soir, l'enfant s'endort aussi brusquement; mais le sommeil prend un caractère d'agitation tout particulier. Elle se remue, se tord dans son lit, jette ses couvertures, crie, pleure, chante. Peu à peu cette excitation noc-turne se passe, et elle se présente aujourd'hui dans les conditions suivantes :
» Une des parentes de l'enfant,qui,pendant le jour,n'a sur elle qu'une au-torité douteuse, est la seule personne avec laquelle elle consente à rester en communication. Elle ne s'endort qu'à la condition de lui tenir la main. Si cette parente lui parle, même à voix très basse, elle répond immédiate-ment à toutes ses questions. Toute autre personne, criant même à ses oreilles, n'obtient pas de réponse, et n'éveille même pas la plus légère ap-parence de perception auditive. C'est ce qu'on peut appeler do Vaudition élective.
)• Lorsque sa parente applique son doigt, sa main sur une partie quelconque de son corps, l'enfant se laisse faire et semble éprouver une sensation agréable. Lorsqu'au contraire le contact est fait par une personne quel-conque autre que la parente, par sa mère même, l'enfant est prise d'une convulsion qui lui fait pousser un cri aigu et se rejeter au loin. M. La-sègue essaye de substituer un doigt dans les quatre doigts que la tante ap-plique sur le bras de l'enfant; immédiatement la convulsion commence; elle cesse dès qu'il l'enlève et recommence aussitôt qu'il le replace. L'enfant, du reste, est tournée du côté du mur et a les yeux fermés.
» Un incident, dont fut particulièrement témoin M. Lasègue, est celui-ci. Pendant que sa mère est seule près de son lit, et que les autres personnes sont à côté dans une chambre, mademoiselle X... veut se lever : la mère la reçoit dans ses bras. Immédiatement accès convulsif terrible de grande hystérie à ce contact.
)¦ Au point de vue des mouvements, elle se lève en dormant, se promène, va jouer du piano; mais elle exécute maladroitement ces mouvements, lève le couvercle de l'instrument avec difficulté, et s'est heurtée contre les meubles pour s'y rendre.
y En outre, dans la nuit, livrée à elle-même, sans excitation extatique, elle est presque constamment poursuivie par l'image delà mort; alors elle se précipite vers la fenêtre et se jetterait en bas, si on ne l'arrêtait.
y Cet état dure depuis novembre dernier, et ne s'est pas sensiblement amé-lioré, aujourd'hui 25 juin 1875.
» Comme antécédents de famille, cette jeune fdle a deux oncles épileptiques et deux frères morts de méningite. Elle-même, vers l'âge de onze ans, a présenté des troubles cérébraux qui lui ont fait perdre la vue d'un côté »
La malade qui fait le sujet de l'observation suivante n'a ja-mais eu d'attaques convulsives, mais l'hystérie est décelée par les accidents les plus variés. 11 existait, en outre, des attaques de catalepsie, et des accès de sommeil artificiels pouvaient être pro-voqués, qui ont présenté avec ce que nous avons vu chez nos hys-tériques de grandes analogies.
Hôpital de la Pitié. — Service de M. Lasègue. Saint-Charles. — Emilie, vingt-cinq ans. Je passesous silence le commencement de l'observation où il est question de vomissements, de paralysie du membre inférieur droit, avec anesthésie, tympanite, hématémèse, hypéresthésie de la région ova-rienne, etc.; pas d'attaques convulsives.
Depuis sa seconde entrée à la Pitié, il s'est ajouté à l'état ordinaire des at-taques de catalepsie qui la surprennent de temps en temps dans son lit.
Ces attaques varient d'intensité et de durée, et se montrent à des inter-valles encore éloignés. C'est une contrariété qui a amené la première crise, et c'est la même cause qui les reproduit depuis. Les crises durent depuis quelques minutes, jusqu'à un jour entier et plus.
Les essais de sommeil artificiel tentés chez elle ont complètement réussi; par la fixité du regard, on y arrive très bien; mais la malade ne veut plus s'y soumettre. L'occlusion des paupières produit le même résultat.
«Ce jour-là, 19 mars, pendant que j'étais en train d'interroger la malade, deux élèves de service se sont approchés de son lit, et, sans la prévenir, l'un d'eux lui a fermé les yeux avec la main. La malade a essayé de lutter quel-que peu; mais au bout de quinze secondes tout au plus, ses bras se sont raidis de chaque côté du tronc, le visage, qui exprimait la plus vive con-trariété de cette agression intempestive, est devenu d'une placidité remar-quable. Je lui ai pris les deux mains, à ce moment-là, et j'ai senti quelques secousses et un léger tremblement qui n'ont été que passagers.
» Elle paraissait endormie du sommeil naturel; coloration ordinaire du vi-sage, respiration calme, pouls normal. Si on essaye de lui relever les pau-pières, on trouve les yeux convulsés en haut et en dedans ; mais les pau-pières retombent dès qu'on les lâche. Les mâchoires sont convulsivement serrées, et on ne peut les entr'ouvrir. Les lèvres, que l'on écarte, reprennent leur première position.
1. Hystéricisme et hrjstérie, du sommeil hystérique en particulier, par Fernand Espanet, 1875, p. 33.
» Les deux bras, pris par le poignet, sont relevés sans grands efforts, à angle aigu, au-dessus de la poitrine : ils oscillent légèrement au moment où on les abandonne, mais ils conservent la position donnée. L'avant-bras gauche est fléchi sur le bras et le membre conserve la position coudée. En exécutant ces divers mouvements, on se rend parfaitement compte de la justesse de la comparaison de M. Lasègue qui a rapproché la résistance des articulations des cataleptiques de celle des mannequins des peintres.
» Pendant ces expériences, un des élèves a entr'ouvert les paupières de la patiente et s'est mis à souffler violemment sur le globe oculaire. Eu trois ou quatre insufflations, la malade a été réveillée. Elle a commencé par se frotter les yeux, comme quelqu'un qui se réveille, et aussitôt sa figure a repris un air de dépit de ce qu'on venait de l'endormir. Le sommeil n'avait été pro-longé que de dix minutes. La malade a voulu parler; mais la contrainte à la-quelle elle venait d'être soumise, a déterminé un vomissement de quelques gorgées de sang. Après quoi, elle s'est cachée sous ses couvertures, en proie à une agitation nerveuse qu'elle présente d'autres fois, mais qui ne va ja-mais chez elle jusqu'à l'attaque hystérique.
» On l'a endormie déjà bien des fois par la fixité du regard et même par des passes. Elle répond alors à son opérateur et soutient la conversation. La malade connaît ce détail et m'a dit: « Je sais que je suis lucide. » Du reste, il y a perte complète du souvenir, au réveil, de tout ce qu'elle a fait ou a dit pendant son sommeil. C'est du moins la malade qui l'affirme.
» Aujourd'hui, 15 juillet 1875, Emilie J. est toujours à peu près dans le même état. L'attaque cataleptique n'a reparu qu'une fois depuis le 19 mars. La santé générale n'a changé ni en mieux ni en plus mal. La malade compte bien aller passer quelque temps dans sa famille. »
Je ne veux point multiplier les observations et n'ai point la prétention de signaler toutes les modalités du somnambulisme hystérique. Je pense cependant, par le récit de nos expériences sur le somnambulisme provoqué et par d'assez nombreux exem-ples de somnambulisme hystérique spontané, avoir mis en relief les principaux caractères à l'aide desquels il serait possible, chez une malade dont l'hystérie ne se traduirait que par les attaques de somnambulisme, de reconnaître la véritable nature des acci-dents.
§ 2. — attaque compliquée de somnambulisme et de catalepsie.
Le somnambulisme et la catalepsie surviennent parfois isolé-ment chez une même malade, constituant chacun des accès d'un genre différent. Mais ils peuvent aussi se montrer réunis dans une même attaque, se succédant l'un à l'autre sans que la malade re-prenne connaissance.
On conçoit facilement la possibilité de cette combinaison si l'on se rappelle les connexions qui existent entre notre première variété de léthargie et la catalepsie. La malade peut être rendue instantanément cataleptique par le soulèvement des paupières Pendant qu'elle exécute un acte quelconque de somnambulisme^ il suffit de soulever ses paupières pour l'immobiliser et la rendre immédiatement cataleptique^. Il n'est donc pas étonnant qu'une certaine variété de somnambulisme, sous l'influence d'une cause extérieure accidentelle, ou d'une nouvelle impression morbide, se modifie et se transforme en catalepsie. Briquet dit que les attaques de catalepsie se transforment parfois en léthargie. L'observation suivante, empruntée à Bourdin, nous paraît être un exemple de somnambulisme succédant à la catalepsie dans une même at-taque.
Observation, concernant une fille cataleptique et somnambule en même temps, par Sauvage de la Croix (Mém. de l'Ac. des se, 1742, p. 409).
Mademoiselle V***,âgée de vingt ans. Plusieurs attaques de catalepsie pure. « Mais dans le mois d'avril et de mai de la même année 1737, elle eut plus de cinquante attaques d'une autre maladie, dans lesquelles on distinguait trois temps; le commencement et la fin étaient des catalepsies parfaites, telles que nous les avons vues ci-devant, et l'intervalle, qui durait quelquefois un jour entier ou du matin au soir, était rempli par la maladie que les filles de la maison appelaient Vaccident vif, donnant le nom à'accident mort à la catalepsie.
» Le 5 avril 1737, visitant l'hôpital à dix heures du matin, je trouvai la I. Un bruit,un coup de lam tam produisent le même effet. (Voy. p. 360 et suiv.)
malade au lit; la faiblesse et le mal de tête l'y retenaient; l'attaque de cata-lepsie venait de la prendre, et la quitta en cinq à six minutes, ce que l'on connut parce qu'elle bâilla, se leva sur son séant et se disposa à la scène suivante, que les filles de ce quartier avaient déjà observée plusieurs fois. Elle se mit à parler avec une vivacité et un esprit qu'on ne lui voyait ja-mais tiors cel état; elle changeait quelquefois de propos, et semblait parler à plusieurs de ses amies qui s'assemblaient autour de son lit; ce qu'elle di-sait avait quelque suite avec ce qu'elle avait dit dans son attaque du jour pré-cédent, où, ayant rapporté mot pour mot une instruction en forme de caté-chisme qu'elle avait entendue la veille, elle en fit des applications morales et religieuses à des personnes de la maison qu'elle avait soin de désigner sous des noms inventés, accompagnant le tout de gestes et de mouvements des yeux, qu'elle avait ouverts, enfin avec toutes les circonstances des actions faites dans la veille, et cependant elle était fort endormie. »
)) Veux ouverts. On recherche s'il y a feinte par différents procédés (bougie approchée très près du globe de l'œil, soufflets au visage, grand cri poussé dans son oreille et d'une façon soudaine, sel ammoniac sur la langue, cha-touillement de la cornée avec barbe d'une plume, tabac d'Espagne insufflé dans le nez, piqûres d'épingle, etc.). Elle reste insensible à toutes ces irritations.
» Pendant ces entrefaites, comme elle parlait d'un ton plus animé et plus gai, on nous annonça que la scène se terminerait bientôt par des chansons et des sauts, comme c'était son usage. En effet, peu de temps après, elle chanta, fit des éclats de rire et des efforts pour se tirer du lit, ce qu'elle fit en sautant et poussant des cris de joie. Je m'attendais à la voir heurter contre les lits voisins, mais elle enfila sa ruelle et tourna à propos, évitant les chaises, les tabourets, et, ayant fait un tour dans la salle, elle enfila de nouveau sa ruelle sans tâtonner, se mit au lit, se couvrit, et peu de temps après elle fut cataleptique. Dans moins d'un quart d'heure que la catalepsie dura, celle fille revint comme d'un profond sommeil, et, connaissant à l'air des assistants qu'elle avait eu ses accidents, elle fut extrêmement confuse et pleura le reste de la journée, ne sachant d'ailleurs rien de ce qu'elle avait fait en cet état.
».....Jusqu'au 10 février je la perdis de vue, la croyant guérie; cepen-dant elle ne l'est point : elle a chaque hiver de nouvelles attaques de cet acci-dent vif, avec cette différence que la catalepsie ne les précède pas toujours, et que la privation de sentiment n'est pas si parfaite; car un jour dans son attaque on la trouva qui parlait à son image qu'elle voyait dans l'eau ; et aux dernières fêtes de Noël, durant une attaque, elle distinguait confusément une personne à ses côtés;'elle s'en souvient même, et dit que le long usage du Mars a produit ce changement. » (1\ 04 et suiv., Traitéde la catalepsie.)
Les connexions étroites qui relient le somnambulisme à la catalepsie et font, comme je l'ai montré dans nos expériences,
de celle-ci le précurseur et, dans certains cas même, la condition première de celui-là, se trouvent parfaitement signalées dans une observation d'Alibert rapportée par Favrot ^.
Pendant l'accès cataleptique, la malade âgée de 14 ans était très facilement plongée dans le sommeil par les procédés du ma-gnétisme, ce qui ne s'obtenait que d'une façon inconstante et plus difficilement dans l'intervalle des accès.
Une légère excitation du nerf olfactif produisit le même résultat. A deux reprises on plaça sous ses narines un flacon d'o-deurs suaves, pendant l'attaque de catalepsie et l'on obtint sur-le-champ la cessation de cette dernière et le sommeil.
Pendantle sommeil elle répondait aux questions qui lui étaient adressées. Mais il n'est rapporté à ce sujet aucun fait extraordi-naire. Elle ne prévoyait assez justement que le retour des pro-chaines attaques. Aucun souvenir au réveil.
Plus tard après l'établissement de la première menstruation, les attaques se compliquèrent d'hystérie. On observa également l'a-phonie, le délire, le tremblement, les convulsions violentes, et même le somnambulisme naturel.
i. Thérapeiithique d'Alibert, t. II, p. 503. Observation recueillie par le D' Bou-vier, cité par Favrot, loc. cit. p. 58.
CHAPITRE IX
analogies entre le délire de la grande hystérie et les TROUBLES cérébraux occasionnés par l'abSORP-tion de diverses substances toxiques
Il existe entre les troubles intellectuels et sensoriaux de la grande hystérie et les effets produits sur l'intelligence par l'absorption de diverses substances toxiques des analogies vraiment saisissantes. Je n'ai pas dessein de forcer le raisonnement et de conclure des ressemblances extérieures à une identité de nature. D'ailleurs, à côté des points de rapprochement on verra s'accuser les contrastes et les oppositions.
Bien que nous nous trouvions ainsi un peu entraîné hors du champ limité de nos études, j'espère que ce ne sera point là un travail inutile. Cette digression nous fournira les éléments d'une appréciation mieux éclairée. Si le mécanisme intime des troubles mentaux de la grande hystérie nous échappe, du moins ils ne nous apparaîtront plus comme un fait isolé et sans analogues dans l'his-toire des désordres de l'intelligence, et nous les verrons se rappro-cher par des analogies indiscutables du grand groupe des névro-ses psychiques artificielles.
Nous passerons en revue successivement l'action de l'alcool, de l'absinthe, de l'opium et du hachisch
1. Je ne parlerai pas ici des effets du protoxyde d'azote, qui d'après la relation qu'en a laissée sir Humphry Davy, offrent de grandes analogies avec ceux du hachisch, non plus que des effets produits par la belladone, le datura stramo-nium et diverses substances narcotiques, dont l'action se rapproche beaucoup de celle de l'opium.
§ 1. — action de l'alcool
L'accès de délire alcoolique offre de grandes analogies avec le délire qui termine la grande attaque d'hystérie. En voici les prin-cipaux caractères tracés d'après les travaux du docteur Magnan.
1° Les phénomènes intellectuels consistent surtout en troubles hallucinatoires, le plus souvent de nature pénible, quelquefois cependant de nature gaie. Nous avons vu dans le délire hystéri-que les scènes terribles alterner avec les scènes agréables, celles-là l'emportant en fréquence et en durée sur celles-ci. Ici le côté som-bre du tableau paraît s'accuser encore davantage et les impres-sions de terreur dominent la situation. On peut cependant citer des exemples d'hallucinations agréables. « Quelques malades... entendent des musiques, des voix mélodieuses; ils voient des pay-sages, des tableaux qui les charment; l'un d'eux prétendait sentir les parfums les plus exquis. Un ancien militaire qui avait inities campagnes de Crimée et du Mexique, et qui avait passé plusieurs années en Algérie, voyait, dans son accès de délire alcoolique des forêts magnifiques, avec des arbres immenses; des groupes de jeunes filles, chantant, dansant, traversant des bosquets de fleurs éclairés par des lumières de mille couleurs..., mais epcore, quelques instants après, le tableau s'assombrissait, et les lions, les hyènes elles serpents remplaçaient les fleurs et les danseuses ^ »
2° Un autre caractère des conceptions délirantes et des per-ceptions illusoires des alcooliques, c'est leur mobilité. Hommes, choses ou animaux, tout ce qui fait l'objet des hallucinations se meut et se déplace. Les hallucinations gaies succèdent aux hallu-cinations tristes et réciproquement.
3° Ces hallucinations qui varient à l'infini reflètent souvent l'objet soit des occupations, journalières, soit des préoccupations dominantes du moment. Le sujet en est complètement imaginaire ou bien il reproduit les vives émotions du passé.
1. Magnan, de VAlcoolisme, des diverses formes du délire alcoolique, et de leur traitement. Paris, 1874, p. 37.
4° Enfin nous signalons la fréquence des visions d'animaux, rats, chats, araignées, insectes, bêtes fabuleuses, etc.....
Brierrede Boismont sur 21 cas de delirium tremens, dont trois seulement ont été graves, a rencontré 20 malades qui voyaient des chats, des chiens, des souris, des moutons, des singes, des serpents, etc., qui couraient sur les draps, le lit, les murailles. Les représentations d'animaux étaient seules ou associées à des figures d'hommes, d'un aspect désagréable, souvent vêtus de noir, qui faisaient des grimaces ou proféraient des menaces, montaient rapidement le long des murs, des tuyaux de poêle, des cheminées et disparaissaient par les ouvertures ou passaient à travers les mu-railles. Ces apparitions avaient lieu à chaque instant; elles duraient un, deux ou trois jours, quelquefois plus longtemps et cessaient en môme temps que se produisait l'amélioration de la santé ^
Parmi les observations que cite le docteur Magnan on trouve des exemples bien remarquables où les analogies que j'indique ici sont faciles à apprécier ^.
Un ancien militaire, âgé de 42 ans, qui a contracté en Afrique l'habitude de boire et que son métier de gaveur aux Halles met à môme de satisfaire son goût pour la boisson, est bientôt pris d'accidents alcooliques aigus pour lesquels il est envoyé à Sainte-Anne.
Il buvait habituellement du vin, quelquefois de l'eau-de-vie, rarement des liqueurs.
c( ...A son entrée, le 18 avril, il est sans cesse en mouvement, déplace tout autour de lui, cherche dans les coins, regarde derrière les portes, ramasse à terre des objets imaginaires qu'il secoue et rejette aussitôt, appuie et frotte le pied sur le sol comme pour écraser des insectes, passe la main devant sa figure et souffle pour repousser des fils, des poils, des cheveux, porte vi-vement la main sur la cuisse et, ramenant son pantalon, il serre avec force pour écraser, dit-il, une grosse araignée noire, qui se glisse entre la peau et le pantalon. Il regarde à travers la fenêtre, c'est, dit-il, la bande de la place Maubert déguisée en ours, avec des fla-fla; il y a une cavalcade avec des lions, des pantiières qui regardent et font des grimaces, il y a de petits enfants déguisés en chiens et en cliats, il aperçoit Ëmélie, puis des liommes qui le menacent... Il se baisse tout effrayé, ils le visent, dit-il, avec leurs fusils, ils veulent le tuer parce qu'il leur a pris la fille. Il ré-
1. Brierre de Boismont, des Hallucinations, \). ìli.
2. Magnan, lac. cit. Oh. II, p. 49.
pond à des camarades, il les appelle, il entend des disputes, il veut y courir.
» On parvient avec peine à fixer son attention ; ses mains, ses pieds sont sans cesse en mouvement pour saisir ou repousser des animaux, des objets de toute sorte.
» Le visage est couvert de sueur, la peau est modérément chaude, la tem-pérature donne 38" 2, le pouls est large et dépressible (80 pulsations), la langue est humide.
» Tremblement marqué des mains, un peu moins accusé des jambes, frémissements des muscles delà face, surtout en parlant...
» Le malade reste levé pendant presque toute la nuit, parlant, discutant, cherchant de tous les côtés; il aperçoit des sergents de ville, des hommes armés; il voit des pigeons qu'il cherche à saisir; il poursuit des rats, des chats; harassé de fatigue, il se couche sur le lit vers deux heures du matin et dort pendant deux heures; puis il se lève et recommence la mimique de la veille.
» Le 19, à la visite du matin, il ramasse des pièces de monnaie à terre, frotte la table; puis, rapprochant sa main gauche des genoux qu'il réunit et soulève légèrement, il tient, dit-il, le pigeon et s'efforce avec la main droite de lui faire avaler le grain; il se croit à la Halle et interpelle une foule de personnes. Il aperçoit ensuite des hommes habillés en sauvages qui défilent sur une corde.
» En lui parlant vivement, on parvient à fixer son attention : il a, dit-il, mal à la tète, des picotements sur toute la peau, des crampes dans les jambes.
« Il se dit être empoisonné, ça le travaille dans le corps, le médecin de l'Hôtel-Dieu lui a fait prendre, dit-il, le poison de La Pommerais, la digitale.
5) Le tremblement des mains est moins considérable. Pouls large 80, T. R. 37 8.
» 21. M... Pierre a dormi une partie de la nuit; il a vu des pigeons dans sa chambre, des oiseaux morts avec un long bec, des rats ; il y en avait au moins deux cents sous le lit qui mangeaient ses provisions. Dans lajournée, il entend par moments la voix de ses camarades ; quelquefois aussi des menaces ou des injures.
» Le tremblement des mains a diminué. T. R. 37° 6. Pouls régulier, 76 pulsations.
» 23. Les troubles hallucinatoires ont presque entièrement disparu le jour, ils se montrent encore pendant la nuit.
» M... parle volontiers des hallucinations qu'il a éprouvées, mais il croit encore pendant quelques jours à la réalité de quelques-unes d'entre elles. »
L'observation suivante n'offre pas un moindre intérêt.
ftICHEK. . (33
G. Jean*, 27 ans, ancien soldat, est né d'un père mélancolique, adonné aux excès de boisson, et qui s'est empoisonné...
Depuis son enfance, il a des rêves, des cauchemars pendant la nuit; il a toujours été sombre, triste, impressionnable, et il a contracté de bonne heure l'habitude de boire.
En 1870, après des excès plus fréquents, il perd le sommeil, est agité par des hallucinations ; il s'imagine qu'on lui en veut ; etc.
*jDe retour à Paris, il reprend son ancienne profession de coupeur de poils, et continue ses excès de boisson. Il devient inquiet; à l'atelier il vit à l'écart, se croit en butte aux quolibets et aux raiHeries de ses camarades; des indi-dividus s'introduisent chez lui, le suivent, le surveillent. Pour échapper à ses ennemis, il sort, va dans la campagne; il entend des cascades mugir autour de lui; il aperçoit un chalet illuminé, des panoramas ; il entend des chants, de la musique, il voit des lanternes rouges qui se balancent suspendues aux arbres. Il marche vite, il fuit; toutes ces fantasmagories dit-il, le suivent; il voit des croix, des ombres, des étincelles; s'il s'avance, tout s'éloigne; s'il recule, ça s'approche; par moment tout disparaît. » Il entendait, dit-il, des voix qui le poussaient à se tuer; le bruit de l'eau et des cascades, c'était pour me narguer ; ça voulait dire que j'étais un lâche que je n avais pas le courage de me jeter à l'eau. Bans le chalet où, l'on faisait la musique, et où l'on dansait la nuit, je le voyais bien, c'était un tas de gens qui désiraient ma perte, se moquaient de moi et chercliaienl à m'assassiner. » ^
Il est inutile de faire ressortir ici les ressemblances de ce délire avec ce que nous avons observé chez les hystériques ^.
§ 2. — action de l'absinthe i. expérimentation sur les animaux
L'action de l'absinthe sur les animaux est fort intéressante au point de vue qui nous occupe, et les rapprochements entre les phénomènes que cette substance détermine et les manifestations
\. Magnan, loc. cit. p. 75.
2. Au point de vue spécial oi^i nous nous plaçons, on lira également avec beau-coup d'intérêt robservation IV, page 55 du même ouvrage du D"' Magnan. Il s'agit d'une femme âgée de 45 ans. Les troubles hallucinatoires parfaitement décrits in-téressaient tous les sens.
variées de la grande attaque hystérique sont nombreux et faciles à établir. Au délire avec hallucinations, assez semblable à celui de l'alcoolisme, s'ajoutent des troubles musculaires plus accusés, con-sistant en des secousses musculaires et des accidents convulsifs généralisés, qui présentent tous les caractères d'une attaque depi-lepsie.
Voici le récit de quelques expériences :
Hallucinations et attaques épileptiques chez un chien sous Vinfluence de Vessence d'absinthe^. Gtiez un chien du poids de 14 kilogrammes, dans l'estomac duquel nous injectons 5 grammes d'essence d'absinthe à neuf heures un quart du matin, nous voyons une première attaque d'épilepsieà neuf heures trois quarts; dix minutes après, une deuxième attaque se pro-duit suivie d'une légère hébétude; revenu bientôtà lui, l'animal reste cares-sant, répond àl'appel, marche,court facilement. Tout àcoup et sans aucune provocation, il se dresse sur ses pattes, le poil hérissé, l'aspect courroucé, les yeux injectés et brillants; il fixe le regard vers un mur complètement nu et dont rien ne peut attirer son attention; fléchi sur les pattes de devant, le cou tendu, prêt à s'élancer, il avance et recule successivement, il aboie avec rage et se livre à un combat furieux; entrechoquant les mâchoires, faisant des mouvements brusques comme pour saisir l'ennemi, il secoue ensuite latéralement la tête, serrant les dents comme pour déchirer une proie. Peu à peu, il se calme, regarde encore plusieurs fois, en grognant, vers la même direction, puis il se rassure complètement.
Hallucinations et attaques épileptiques chez un chien sous l'influence de l'essence d'absinthe^.
On fait à un jeune bouledogue une injection de 4 grammes d'essence d'absinthe dans l'estomac. Il était neuf heures et demie du matin. On prend immédiatement la température rectale; elle est de 39°8.
Au bout détruis à quatre minutes, l'animal paraît inquiet, agité; il gémit, se plaint un peu. La respiration devient fréquente, la bouche est baveuse. Au bout de vingt minutes, on remarque quelques secousses très légères, ou plutôt un tremblement musculaire, aux oreilles, à la nuque. Il manifeste une grande susceptibilité nerveuse, il tressaute au moindre bruit, en don-nant des signes de frayeur.
Afin d'obtenir un effet très rapide, un quart d'heure après, on injecte de nouveau 3 grammes d'essence d'absinthe dans l'estomac; on attend dix mi-
1- Magnan, loc. cit. page 28.
2. Magnan, loc. cit. p. 29. (Emprunté à la Thèse de M. Challand, p. 13, expé-rience faite à l'Hôtel-Dieu à la clinique de M. le professeur Béhier.j
nutes, el, comme l'animal n'a encore que de petites secousses, on injecte dans la veine crurale la dose énorme de U'^bO d'essence d'absinthe.
Cinq minutes après, il a un mouvement de recul brusque, accompagné de mouvements convulsifs légers de la tête et du tronc, puis il tombe brusque-ment sur le côté. Tous ses membres sont raides, tendus convulsivement, les mâchoires sont fortement serrées, le corps est comme soulevé au milieu, les convulsions toniques durent de quinze à vingt secondes, et sont suivies de convulsions cloniques très prolongées. L'animal est toujours couché sur le côté, mais non plus soulevé, les membres sont agités de fortes secousses qui les font aller en avant et en arrière avec rapidité. La respiration devient haletante, stertoreuse; il a des claquements de dents.
Une bave mousseuse très abondante s'écoule des lèvres. La température rectale est de 39°8.
Il a également pendant les convulsions une évacuation d'urine et de ma-tières fécales. Les convulsions cloniques persistent pendant deux minutes et demie à trois minutes, et cessent ensuite pendant un court espace de temps (cinq minutes environ), il n'a plus que la respiration très haletante, ster-toreuse, avec écoulement de bave épaisse, spumeuse. Puis une nouvelle at-taque recommence, elle est très violente et suivie à très court intervalle, d'une autre attaque également très intense. Les deux crises sont tout à fait semblable^ à la première, elles sont suivies d'une série d'autres attaques qui sont tellement rapprochées qu'elles deviennent subintrantes. Dans celles-ci les convulsions toniques sont beaucoup moins fortes et remplacées immé-diatement par des convulsions cloniques. Les yeux sont injectés, les pupilles très dilatées. De temps en temps, émission û'une petite quantité d'urine T. R. 39°8.
Depuis la première attaque, il s'est écoulé environ une demi-heure. Peu à qeu les convulsions cessent et on voit apparaître les petites convulsions du début. L'animal paraît revenir un peu à lui. Il a toujours les pupilles dilatées, les yeux hagards, il regarde toujours dans une certaine direction, il veut rboyer, mais ne peut faire entendre que quelques sons sourds.
Puis il cherche à se redresser, il ne peut d'abord y parvenir, mais à mesure qu'il paraît reprendre connaissance, on voit se manifester d'autres phénomènes. Il a des hallucinations très nettes, il aboie tout à coup avec fureur, bien qu'on ne le touche pas et qu'on ne l'excite pas, il grogne continuellement en cher-chant à mordre un être imaginaire; ses mâchoires s'entre-choquent dans le vide. Si on place des objets devant lui, il cherche à les mordre, mais sans pouvoir y parvenir. Il finit par se redresser tout à fait; mais ses hallucina-tions ne cessent pas; dès qu'on fait un peu de bruit dans la salle; il mani-feste une vive fureur et veut s'élancer d'un côté ou de l'autre.
Un peu plus tard encore (onze heures et demie) les hallucinations deviennent plus fréquentes, mais la perception dans l'intervalle est plus nette, il se tourne quand on l'appelle, cependant il est encore faible sur les jambes, le regard est vague.
Í
L'animal est revenu complètementà lui dans la journée; il n'a gardé qu'un peu dégonflement dans la cuisse, du côté où l'injection dans la veine cru-rale avait été faite.
Le 3 juillet, c'est-à-dire, quatre jours après il n'avait plus d'accidents, mais plus tard, il a eu du côté de la poitrine des accidents d'un autre ordre (infarctus, embolies d'essence dans les capillaires du poumon, apoplexie pulmonaire, etc.).
il action de l'absinthe CHEZ L'hOMME
L'absinthe produit chez l'homme des accidents semblables à ceux que l'expérimentation a révélé chez les animaux : vertiges, se-cousses musculaires, accès épileptiformes, délire, hallucinations... Mais l'action est moins brusque et les effets en partie masqués par l'action de l'alcool qui se trouve mélangé à la liqueur d'absinthe, ou que le malade a pris en môme temps sous forme de vin ou d'eau-de-vie.
Nous nous bornerons aux quelques observations suivantes, em-pruntées au travail du D' Magnan, et dans lesquelles les accidents convulsifs épileptiformes et les troubles intellectuels sont nette-ment caractérisés.
Cl... Louis, âgé de 32 ans, épicier marchand de vins, entre à Bicêtre le 31 octobre 1863.
Il est d'une bonne constitution, d'un tempérament très lymphatico-ner-veux, d'une santé excellente, d'un caractère doux et uniforme jusqu'au com-mencement de 1872, époque à laquelle, changeant de métier, il cesse d'être pâtissier pour devenir épicier marchand de vins.....
A partir du mois de février 1862, Cl..., pour faire marcher son commerce et pour attirer les clients, se fait un devoir de boire avec eux, et, chaque jour, il prend en assez grande quantité du vin, de la bière et de l'eau-de-vie ; de temps à autre quelques verres d'absinthe. Ce genre de vie dure à peine depuis trois mois que Cl..., adéjà perdu l'appétit, dort mal, devient irritable. « Il se lance alors dans l'absinthe, » suivant son expression, a pour se donner du ton, » et il fait l'aveu d'en avoir bu de quatre à six verres par jour; mais sa femme prétend qu'il en prenait souvent en cachette. Cette habitude une fois contractée, les conseils des amis, les prières de la femme n'empêchent point Cl... de prendre des absinthes, il se trouve mieux après les avoir bues, et quelque chose lui manque, dit-il, quand, par hasard, il n'a pas fait ses li-
bâtions ordinaires. Avec ce régime, la santé continue à s'altérer; l'appétit, presque nul, devient capricieux; les digestions pénibles; des vomituritions, quelquefois des vomissements de mucosités aigres, se montrent le matin ; il survient des défaillances qui le forcent par moments à s'arrêter et même à s'asseoir, et du tremblement dans les mains, plus marqué le matin, un neu moindre après les repas.
Ces phénomènes persistent pendant l'année 18G2, ils augmentent avec les xcès, diminuent un peu quand le malade, trop fatigué, obligé de garder le lit, s'affranchit pour quelque temps de sa déplorable habitude. Mais au com-mencement de 1863, Cl..., dont la santé est très altérée, « pour se donner des forces » a recours, plus fréquemment encore que d'habitude, à la liqueur d'absinthe. Bientôt des accidents nouveaux surviennent; il est pris subitement d'une crise convulsive à l'église, pendant les cérémo-nies d'un enterrement; il tombe tout à coup, perd connaissance, agite les bras et les jambes ; la face devient grimaçante ; de l'écume se montre à la boucfie, et la langue est mordue; Après quelques minutes. Cl..., revient à lui, conserve un air hébété tout le jour, et reprend, le lende-main, sa physionomie habituelle. A partir de ce moment, les défail-lances se montrent plus fréquemment, mais toujours sans perte de con-naissance. La santé devient plus mauvaise, et, vers le 15 octobre, à la suite de nouveaux excès de boissons, parmi lesquels la liqueur d'absinthe joue encore le principal rôle, il survient, pendant qu'il monte un escalier, une deuxième crise semblable à la première, avec perte de connaissance, convulsions, écume à la bouche, et morsure à la langue. La chute détermine plusieurs contusions sur différentes parties du corps et une plaie à la région orbitaire. Il reste de la fatigue et de l'hébétude pendant deux jours, puis Cl..., se remet à boire, et il est amené à Bicêtre, le 30 octobre.
Il reste agité et crie toute la nuit. Le matin, à la visite, on le trouve dans le lit, où il est maintenu par la camisole; il est pâle, bouffi; il a le teint plombé, le visage couvert de sueur, les yeux brillants, les pupilles dilatées, égales; la langue blanche, profondément déchirée des deux côtés sur les bords; le ventre dur, avec de la constipation; les urines sont rougeàtres; traitées par l'acide nitrique et par la chaleur, elles donnent un dépôt albu-mineux de la moitié environ du tube. La sensibilité est exaltée partout au simple contact et au pincement; il a un tremblement considérable des bras et des jambes, des lèvres et de la langue, surtout quand celle-ci est tirée hors de la bouche; la voix est faible, la parole hésitante et tremblante. Il s'a-gite, soulève la tête, regarde de tout côté, cfiange de conversation à cliaque instant, est incoliérent, n'a pas conscience du lieu où, il se trouve, se croit dans la rue, chez lui, dans son magasin ; il croit voir sa femme et ses en-fants, leur parle, les engage ci fuir, à échapper au danger, se détourne, voit au pied du lit des rats, une araignée, voit des flammes, a peur, crie. H passe la journée au milieu de ces angoisses. On lui prescrit un grand bain de deux heures; une potion avec 30 gouttes de laudanum.
l""" novembre. Pas de repos pendant la nuit précédente. Les hallucina-tions persistent; le matin, il voit le visage de sa tille couvert d'ordures
L.... Auguste, 36 ans, charcutier, dont le père était ivrogne, a joui d'une bonne santé pendant son enfance; à 18 ans, il commence à boire, et il arrive rapidement à prendre du vin, de l'eau-de-vie et des liqueurs de toute sorte. Il perd l'appétit et le sommeil, et se voit obligé à plusieurs re-prises de s'aliter quelques jours. Depuis quatre ou cinq ans, il a chaque matin des vomituritions pituiteuses, et fréquemment des douleurs et des pincements à l'estomac ; pour guérir il augmente la dose de vin blanc et d'absinthe. Depuis trois ans, il éprouve des maux de tête, des étourdisse-ments, des douleurs dans les bras et les jambes, une faiblesse dans les membres inférieurs qui le force plusieurs fois à s'asseoir. Depuis un an, il tremble, il fait moins bien son travail ; il est sombre, préoccupé, se plaint d'être agité la nuit et de ne pas dormir; dans la conversation, il paraît par moment distrait, comme s'il songeait à autre chose, et il a l'air parfois de chercher quelqu'un.
Depuis quelques mois, il était irritable, se mettait fréquemment en colère et buvait avec fureur. Dans les derniers temps, il ne mangeait' presque plus, recherchant des aliments vinaigrés et fortement épicés. Il paraît avoir été frappé, en 1870, d'une attaque convulsive pendant qu'il était de garde aux remparts ; à cette époque, il avait parfois des secousses brusques dans les bras et dans les jambes. Le 29 juin, il se montre inquiet, préoccupé, prétend qu'on lui en veut, que des voleurs cherchent à le dévaliser; et, dans la journée, on l'a vu descendant sa malle et divers objets à la cave pour les mettre en sûreté. Le 30, il perd connaissance dans la boutique, tombe à terre, se débat, se mord la langue, écume, urine dans le pantalon. Le soir, les frayeurs sont incessantes, il voit du monde sur les toits, aperçoit des fusils braqués sur lui, il se voit entouré d'un essaim de mouches qui bour-donnent autour de sa tête, pénètrent dans les yeux, les oreilles, le nez et la bouche; ses crachats sont remplis de pelotons d'insectes. La nuit est mauvaise, le lendemain, l'agitation continue et le malade arrive à l'Asile le 3 juillet. A son entrée, les hallucinations sont incessantes, il parle, crie, est sans cesse en mouvement. La nuit se passe sans sommeil.
Le 4, à la visite, les hallucinations persistent avec la même intensité; L... ramasse des objets sur ses vêtements, marche avec précaution pour ne pas renverser des vases qu'il voit à terre, secoue des torchons qui sont couverts d'ordures; répond aux clients, parle à son patron, se cache et veut fuir pour éviter les balles. Tremblement de tout le corps, frémisse-ment des muscles delà face;yeux injectés^...
1. Le D"". V. Magnan, toc. cit. p. 87.
2. D^ V. Mcagnan, loc. cit. p. 116.
§ 3. — action de l'opium
Aux visions pleines d'enchantements que procure l'usage de l'opium, viennent se mêler au bout d'un certain temps les sensa-tions les plus pénibles et les apparitions les plus efîrayantes. Ce double caractère du délire est parfaitement indiqué dans le livre d'un mangeur d'opium célèbre, l'anglais Thomas de Quincey. On y trouve aussi l'influence du souvenir sur la nature des hallucinations.
« L'auteur, rapporte M. Brierre de Boismont, esprit féminin, sub-til et cultivé, réglant les doses de narcotique et les séparant pru-demment par uninvertalle de quelques jours n'en éprouva pendant longtemps que des sensations voluptueuses... Huit années s'étaient écoulées dans ces ravissements qui plongeaient le mangeur d'o-pium dans des jouissances sans fm. La scène allait s'assombrir. Le besoin de ses rêves lui avait fait successivement élever la dose d'opium à 320 grains, c'est-à-dire à 18000 gouttes de laudanum. La seconde période, celle des tortures était commencée. »
Je me contenterai, pour donner une idée des hallucinations ter-ribles qui vinrent assaillir ce malheureux, de rapporter les passages suivants de son livre .•
« Avec le pouvoir de s'agrandir et de se multiplier, l'architecture s'intro-duisit dans mes songes. Dans les derniers temps de ma maladie surtout, je voyais des cités, des palais que l'œil ne trouva jamais que dans les nuages. —A mon architecture succédèrent des rêves de lacs, d'étendues immenses d'eau. — Je souffris horriblement de la tête pendant deux mois. Les eaux changèrent de caractère; ce furent maintenant des mers et des océans. Il se fit encore un changement plus terrible, qui me promettait de longs tourments, et qui ne me quitta, en effet, qu'à la fin de ma maladie. Jusqu'alors, le visage de l'homme s'était mêlé à mes songes, sans aucun pouvoir spécial de m'effrayer ; mais ce que j'appellerai la tyrannie de la face humaine vint à se découvrir. Ce fut sur les flots soulevés do l'océan qu'elle commença à se montrer; la mer était comme pavée d'innombrables figures, tournées vers le ciel, pleurant, désolées, furieuses, se levant à la surface par milliers, par myriades, par générations, par siècles. Mon agitation devint infinie, et mon esprit bondit et roula comme les lames de l'océan; c'était la réminiscence de mes vaga-bondages perplexes, au sein de l'immense Londres.....
» J'avais vu dans ma jeunesse un cadavre étendu sur une table de dissec-tion, celte ancienne impression donna lieu à un rêve que j'avais assez fré-quemment.
» Il me semblait que j'étais couché et que je m'étais éveillé dans la nuit. En posant la main à terre pour relever mon oreiller, je sentais quelque chose qui cédait, lorsque j'appuyais dessus : c'était un cadavre étendu cà côté de moi. Cependant je n'en étais ni effrayé ni même étonné. Je le prenais dans mes bras, et je l'euaportais dans la chambre voisine, en me disant : Il va être là couché par terre; il est impossible qu'il entre si j'ôte la clef de ma chambre.
» Là-dessus, je me rendormais; quelque moments après, j'étais encore ré-veillé : c'était par le bruit de ma porte qu'on ouvrait; et cette idée qu'on ouvrait ma porte, quoique j'en eusse pris la clef sur moi, me faisait un mal affreux. Alors je voyais entrer le môme cadavre que tout à l'heure j'avais trouvé par terre. Sa démarche était singulière, on aurait dit un homme à qui l'on aurait ôté les os, sans lui ôter les muscles, et qui essayant de se soutenir sur ses membres pliants et lâches, tomberait à chaque pas. Pourtant il arrivait jusqu'à mon lit sans parler, et se couchait sur moi; c'était alors une sensation effroyable, un cauchemar dont rien ne saurait approcher; car, outre le poids de sa masse informe et dégoûtante, je sentais une odeur pestilentielle s'exhaler des baisers dont il me couvrait. D'autres fois le ca-davre venait lire par dessus mon épaule dans le livre que je tenais à la main, et ses poils dégoûtants m'effleuraient le cou et le visage.
» Qu'on juge de la terreur que doit inspirer une vision pareille : je restais immobile dans la position où je me trouvais n'osant pas tourner la page, et les yeux fixés dans la glace sur la terrible apparition. Une sueur froide cou-lait sur tout mon corps ; puis la porte s'ouvrait, et je voyais derrière moi (dans la glace encore) entrer une procession sinistre; c'étaient des squelettes horribles, portant d'une main leurs têtes, et de l'autre de longs cierges, qui, à la lueur d'un feu rouge et tremblant, jetaient une lumière terne et bleuâtre, comme celle des rayons de la lune. Ils se promenaient en rond dans ma chambre, qui de très chaude qu'elle était auparavant, devenait glacée, et quelques-uns venaient se baisser au foyer noir et triste, en réchauffant leurs mains longues et livides, et en se tournant vers moi pour me dire : « Il fait froid'. »
§ i. — ACTION DU HACHISCH
Les eflfets de l'intoxication par le hachisch ont été étudiés et ana-lysés avec soin par le Moreau (de Tours). Cet auteur, dans son
1. Cité par Brierre de Boismont, des Hallucinations, p. 187 et suiv.
remarquable ouvrage, a fait une ingénieuse application, des don-nées expérimentales obtenues sur lui-même, à l'étude de la patho-génie des divers troubles mentaux qui composent l'aliénation.
La plupart des phénomènes étudiés par M. Moreause retrouvent à divers titres, dans l'histoire de l'hystérie. Il me suffira de les énoncer, tels qu'ils ont été classés par cet auteur. Ils sont au nombre de huit.
1" Sentiment de bonheur.
2° Dissociation des idées ou affaiblissement du pouvoir de diri-ger les pensées.
3° Erreur sur le temps ou l'espace.
4° Développement de la sensibilité de l'ouïe.
Soldées fixes et conceptions délirantes.
6° Lésion des affections, comme la défiance ou le retour des sentiments passés à l'état de souvenir.
T Impulsions irrésistibles.
8° Enfin les illusions et les hallucinations.
Le point sur lequel je désire insister est l'analogie frappante de l'accès délirant occasionné par le hachisch avec la variété spéciale de la grande attaque hystérique décrite sous le nom d'attaque de délire.
Il semble que dans les accès délirants du hachisch lesphénomè-nes de la troisième période de la grande attaque et ceux de la qua-trième soient mélangés. Contrairement à ce qui se passe pendant la troisième période, mais semblablement à ce qui a lieu pendant la quatrième, la persistance de la conscience, à un degré variable, en est un des principaux caractères. Les hallucinations gaies et agréables sont incontestablement plus fréquentes dans les rêves du mangeur de hachisch que dans le délire hystérique, sans que pour cela les hallucinations pénibles fassent complètement défaut.
Mais on retrouvera, dans les deux cas, la même mobilité dans la succession des idées et des hallucinations, la même vivacité d'in-terprétation pour les gestes et les attitudes, la même action de l'i-magination du sujet sur la variété et la richesse de son délire, la même influence des occupations et des préoccupations journa-
lières sur la nature des conceptions délirantes, la même repro-duction des scènes passées dont la mémoire a conservé une vive empreinte, les mêmes visions de feux colorés, d'animaux variés, fabuleux et autres, de jardins, de perspectives éblouissantes, les tintements d'oreille, les bruits de cloches, etc., etc.
Tous ces traits sont consignés dans l'observation suivante rap-portée par le D' Moreau de Tours, qui fait remarquer qu'il s'est borné à transcrire, mot pour mot, les notes qui lui ont été remises par la personne qui en fait le sujet, oc On remarquera, ajoute-t-il, un certain désordre de rédaction que je n'ai pas voulu corriger; elles ont été écrites peu après l'accès, dont elles se ressentent en-core un peu. ))
Jeudis décembre... J'avais pris du hachisch, j'en connaissais les effets, non par expérience, mais par ce qu'une personne qui avait visité l'Orient m'en avait dit, et j'attendais, tranquille, l'heureux délire qui devait s'em-parer de moi. Je me mis à table, je ne dirai pas, comme quelques personnes, après avoir savouré cette pâle délicieuse, car elle me parut détestable, mais après l'avoir avalée avec quelques efforts. En mangeant des huîtres, il me prit un accès de fou rire qui se calma bientôt lorsque je reportai mon at-tention sur deux autres personnes qui, comme moi, avaient voulu goûter de la substance orientale, et qui voyaient déjà une tête de lion dans leur as-siette. Je fus assez calme jusqu'à la fm du dîner; alors je pris une cuillère et me mis en garde, contre un compotier de fruits confits avec lequel je me supposais un duel, et je quittai la salle à manger en éclatant de rire. Bien-tôt j'éprouvai le besoin d'entendre, de faire de la musique; je me mis au piano, et je commençai à jouer un air du Domino noir; je m'interrompis au bout de quelques mesures, car un spectacle vraiment diabolique s'offrit à mes yeux : Je crus voir le portrait de mon frère, qui était au-dessus du piano, s'animer et me présenter une queue fourchue, toute noire, et ter-minée par trois lanternes, une rouge, une verte et une blanche. Cette appa-rition se présenta plusieurs fois à mon esprit dans le courant de la soirée. J'étais assise sur un canapé : « Pourquoi, m'écriai-je tout à coup, me clouez-vous les membres? Je sens que je deviens de plomb. Ah! comme je suis lourde! » On me prit les mains pour me faire lever, et je tombai lourde-ment par terre; je me prosternai à la manière des musulmans, en disant : Mon père, je m'accuse, etc., comme si je commençais une confession. On me releva, et il se fit en moi un changement subit. Je pris une chaufferette pour danser la polka; j'imitai par le geste et la voix quelques acteurs, et en-tre autres Ravel et Grasset, que j'avais vus, peu de jours auparavant dans l'Etourneau. Du théâtre, ma pensée me transporta au bal de l'opéra; le
monde, le bruit, les lumières, m'exaltèrent au plus haut point; après mille discours incohérents, en gesticulant, criant comme tous les masques que je croyais voir, je me dirigeai vers la porte d'une chambre voisine qui n'était pas éclairée.
Alors il se passa en moi quelque chose d'affreux : j'étouffais, je suffoquais, je tombais dans un puits immense, sans lin, le.puits de Bicêtre. Gomme un noyé qui cherche son salut dans un faible roseau qu'il voit lui échapper, de même je voulais m'attacher aux pierres qui entouraient le puits; mais elles tombaient avec moi dans cet abîme sans fond. Cette sensation fut pénible; mais elle dura peu; car je criai : Je tombe dans un puits, et l'on me ramena dans la pièce que j'avais quittée. Ma première parole fut celle-ci : suis-je sotte! je prends cela pour un puits, et je suis au bal de l'opéra. Je me heurtai contre un tabouret; il me sembla que c'était un masque ({ui, cou-ché par terre, dansait d'une façon inconvenante, et je priai un sergent de ville de l'arrêter. Je demandai à boire; on fit chercher un citron pour faire de la limonade, et je recommandai à la bonne de ne pas le prendre aussi jaune que sa figure, qui me paraissait couleur orange.
Je passai subitement mes mains dans mes cheveux; je sentais des mil-lions d'insectes me dévorer la tête; j'envoyai chercher mon accoucheur, qui était en ce moment près de madame B***, pour délivrer la femelle d'un de ces insectes qui était en mal d'enfant et avait choisi pour lit de douleur le troisième cheveu à gauche de mon front : après un travail pénible, l'animal mit au monde sept petites créatures. Je parlai de personnes que je n'avais pas vues depuis plusieurs années, je me rappelai un dîner où j'assistai, il y a cinq ans, en Champagne; je voyais les personnes : le général X*** servait un poisson entouré de fleurs; il avait à sa gauche mademoiselle K***; ils étaient devant mes yeux, et, chose inouïe, je sentais que j'étais chez moi, que tout ce que je voyais s'était passé dans un temps éloigné; cependant ils me paraissaient là. Qu'éprouvais-je donc?
Mais ce fut un bonheur enivrant, un délire que le cœur d'une mère peut seul comprendre, lorsque je vis mon enfant, mon bien-aimé fils dans un ciel bleu et argent. 11 avait des ailes blanches bordées de rose; il me souriait et me montrait deux jolies dents blanches dont je guettais la naissance avec tant de sollicitude; il était environné de beaucoup d'enfants qui comme lui avaient des ailes et voltigeaient dans ce beau ciel bleu; mais mon fils était le plus beau; certes, il n'y eut jamais une plus pure ivresse; il me souriait et tendait ses petits bras comme pour m'appeler à lui. Cependant cette douce vision s'évanouit comme les autres, et je tombai du haut du ciel que le hachisch m'avait fait entrevoir dans le pays des lanternes. C'était un pays où les hommes, les maisons, les arbres, les rues étaient des lanternes exac-tement pareilles aux verres de couleur qui éclairaient les Champs-Elysées le 20 juillet dernier. Cela me rappelait aussi le ballet de Chao-Kang que j'avais vu au théâtre nautique, étant enfant. Ces lanternes marchaient, dansaient, s'agitaient sans cesse, et au milieu apparaissaient plus brillantes que les
autres les trois lanternes qui terminaient la prétendue queue de mon frère ; je voyais surtout une lumière qui dansait sans cesse devant mes yeux (elle était causée par la flamme du charbon déterre qui brûlait dans la cheminée). On couvrit le feu avec de la cendre. Oh! dis-je, vous voulez éteindre ma lanterne, mais elle va revenir. En eff'et la flamme vacilla de nouveau, et je vis danser ma lumière, qui devint verte, de blanche qu'elle était.
Mes yeux étaient toujours fermés par une sorte de contraction nerveuse ; ils me cuisaient beaucoup; j'en cherchai la cause, et je ne tardai pas à découvrir que mon domestique m'avait ciré les yeux avec de l'encaustique, et qu'il me les frottait avec une brosse; c'était un motif plus que suffisant pour expliquer le malaise que j'éprouvais à cet endroit.
Je buvais un verre de limonade, puis tout à coup je ne saurais dire à pro-pos de quoi l'imagination, ma gracieuse fée, me transporta en pleine Seine aux bains Ouarnier. Je voulus nager et j'éprouvai encore un moment de cruelle émotion en me sentant enfoncer sous l'eau; plus je voulais crier, plus j'avalais de l'eau, lorsqu'une amie vint! à mon secours et me ramena à la surface ; j'entrevois par les toiles du bain mon frère, qui se promenait sur le pont des Arts.
Vingt fois je fus sur le point de commettre des indiscrétions; mais je m'ar-rêtais en disant : — J'allais parler, mais il faut que je me taise. — Je ne puis décrire les mille idées fantastiques qui traversèrent mon cerveau pen-dant trois heures que je fus sous l'influence du hachisch; elles pai'aîtraient trop bizarres pour qu'on les croie sincères; les personnes présentes doutaient parfois, et me demandaient si je ne me jouais pas d'elles; car j'avais ma raison au milieu de cette étrange foUe. Mes cris, mes chants réveillèrent mon enfant, qui dormait sur les genoux de ma mère. Sa petite voix, que j'entendis pleu-rer, me rappela à moi-même, et je m'approchai de lui; je l'embrassai comme si j'eusse été dans mon état naturel. Craignant quelque crise, on m'éloignade lui, et je dis alors qu'il ne m'appartenait pas, que c'était l'enfant d'une dame que je connais, qui n'en a pas, et qui me l'envie toujours. Puis, j'allais faire des visites; je causais, je faisais les demandes et les réponses; j'allais au café, je demandais une glace, je trouvais que les garçons avaient l'air bête, etc. Après bien des promenades, dans lesquelles j'avais rencontré M. tel ou tel, dont le nez s'allongeait démesurément,.quoiqu'il fût déjà raisonna-blement grand, j'entrai chez moi en disant : Oh ! voyez donc ce gros rat qui court sur la tête de B***. Au même instant, le rat se gonfle et devient aussi énorme que le rat qui figure dans la féerie des sept châteaux du diable. Je le voyais, j'aurais juré que ce rat se promenait sur la tête où je l'avais si sin-gulièrement placé, et je regardais le bonnet d'une dame présente; je savais qu'elle était là réellement, tandis que B*** n'était qu'un être imaginaire; mais cependant je puis affirmer que je l'ai vu*.
i. Du Hachisch et de Valiénation mentale, par J. Moreau (de Tours). Paris, 18-45 p. U.
On lira avec intérêt, dans le même ouvrage, le compte rendu ^ que fit Théophile Gautier des principaux épisodes d'une fantasia à laquelle il avait pris part, (c Le hachisch, dit M. Moreau, ne pouvait trouver un plus digne interprète que la poétique imagination de M. Gautier; ses effets ne pouvaient être peints avec des couleurs plus brillantes, et j'oserai dire plus locales. Est-il besoin d'ajouter que l'éclat du style, et peut-être aussi un peu d'exagération dans la forme, ne doivent nullement mettre en défiance contre la véra-cité de l'écrivain, qui en définitive, ne fait qu'exprimer des sensa-tions familières à ceux qui ont quelque expérience du hachisch? ) Je rappellerai ici ce point, sur lequel j'ai déjà tant insisté, de l'in-fluence de l'imagination du sujet sur la forme de son délire. Pour le hachisch, comme pour l'hystérie, il est tout naturel que les ef-fets délirants qui surviennent sous leur influence, diffèrent suivant l'exceflence et la perfection de l'instrument qu'ils mettent en jeu.
1. Ce compte rendu avait d'abord été publié dans le journal la Presse du 10 juillet 1843.
TROISIÈME PARTIE
ÉTUDE CLINIQUE DE QUELQUES POINTS RELATIFS AUX SYMPTOMES PERMANENTS DE L'HYSTÉRO-EPILEPSIE OU GRANDE HYSTÉRIE.
En outre des attaques et de leurs nombreuses variétés, la grande hystérie compte, au nombre de ses manifestations, toute une série de phénomènes variés qui par leur longue durée et leur persis-tance dans l'intervalle des crises méritent le nom de symptômes permanents. Ils consistent en des troubles divers de la sensibilité (anesthésie,hyperesthésie...), delà motilité (paralysie, contracture, choree vulgaire, choree rhytmique...), des sécrétions (anurie, vomissements, hématidrose...), de la nutrition (abstinence pro-longée...), de là circulation (rougeurs, urticaire provoquée, stig-mates...) etc., etc.
La plupart de ces symptômes sont aujourd'hui bien connus, et je n'ai point l'intention d'en faire ici l'histoire complète et dé-taillée.
Dans cette longue question de la Symptomatologie de la grande hystérie, je ne désire que relever quelques points particuliers sur lesquels a porté notre observation.
Je diviserai ce que j'ai à dire en deux chapitres; dans l'un je rangerai ce qui a trait aux troubles de la sensibilité, et dans l'autre ce qui se rapporte aux troubles de la motilité.
CHAPITRE PREMIER
QUELQUES FAITS RELATIFS A l'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE
Uanesthésiehysténqiie,hien connue depuis les travaux de Piorry, Macario, Gendrin, Gharcot, etc., ne manque presque jamais dans les cas d'hystérie un peu intense. Dans la grande hystérie elle est de règle, de telle façon que son intensité ou son extension paraît en rapport avec la gravité de l'affection.
L'anesthésie peut être distribuée à la surface du corps assez ir-irrégulièrement, elle peut être circonscrite à un point du tronc, à un membre, ou bien le plus souvent, dans les cas d'hystérie grave, elle occupe toute une moitié du corps (hémianeslhésie) ou s'étend à la totahté de l'enveloppe cutanée.
L'anesthésie hystérique peut porter également sur les organes des sens plus ou moins profondément atteints. Le plus souvent l'a-nesthésie sensorielle accompagne l'anesthésie sensitive; mais, de même qu'il existe des cas dans lesquels une anesthésie cutanée profonde ne s'accompagne d'aucun trouble du côté des organes des sens, de même on a vu des exemples d'anesthésie sensorielle prononcée ne s'accompagner que d'un léger affaiblissement de la sensibilité générale.
L'anesthésie sensitive en effet peut exister à des degrés très dif-férents, depuis une diminution légère de la sensibilité jusqu'à sa disparition complète. On désigne habituellement sous le nom d'a-nalgésie un premier degré de perte de la sensibilité, dans lequel la sensation au pincement ou à la piqûre, tout en étant encore perçue, cesse d'être douloureuse.
Llnesthésie sensitive n'est point limitée à l'enveloppe cutanée, (peau et membranes muqueuses) on la voit parfois gagner les parties profondes et s'étendre jusqu'aux muscles et aux os. Les yeux fermés, la malade perd la notion de la position de ses membres, et, si elle est debout, n'est plus capable de conserver son équilibre.
Lorsque l'anesthésie est complète, les membres peuvent être transfixés par une épingle de grosse dimension, sans que la ma-lade ressente la moindre douleur, sans même qu'elle s'en aper-çoive si son attention est attirée ailleurs, ou si elle a les yeux bandés. Les parties anesthésiées ont une température un peu moindre que les parties saines; ce qui a conduit quelques obser-vateurs à établir entre la constrictiondes capillaires et l'anesthésie une relation de cause à effet. De plus les piqûres du côté anes-thésié ne donnent que peu ou point de sang. Mais les faits eux-mêmes plaident contre la théorie qui ferait dépendre l'anesthésie d'une action vaso-motrice, car dans bien des expériences faites au laboratoire de la Salpêtrière au sujet du retour de la sensibilité sous l'influence d'agents divers, nous avons vu la coloration du membre ne suivre en aucune façon la marche de la sensibilité.
Quel que soit le degré de l'anesthésie, les malades en sont rare-ment gênés. Beaucoup sont anesthésiques sans le savoir. C'est un signe qui demande à être cherché et sur lequel les premiers inté-ressés eux-mêmes attirent rarement l'attention du médecin.
Au point de vue de la distribution de l'anesthésie hystérique, une des formes les plus fréquentes dans l'hystérie grave et des plus intéressantes à cause de ses ressemblances avec l'anesthésie cérébrale de cause organique, est l'hémianesthésie, sur laquelle M. Ghardot a particulièrement attiré l'attention.
J'en indiquerai ici les principaux caractères.
Dans Vhémianesthésie hystérique un plan passant par la ligne médiane du corps étabUt la limite de l'insensibilité, qui déborde cependant un peu en avant le sternum et en arrière la ligne des apophyses épineuses. La tête, les membres, le tronc d'un seul côté sont simultanément atteints. Tous les modes de la sensibilité
RICHER. 34
commune sont affectés : sensibilité au tact, à la douleur, à la température.
Les organes des sens sont également intéressés du même côté, et l'anesthésie porte à la fois sur tous les sens, sur la vue et l'o-dorat dont les nerfs prennent naissance dans le cerveau lui-même, aussi bien que sur l'ouïe et le goût, dont les nerfs sont d'origine bulbaire.
L'hémianesthésie hystérique s'accompagne toujours d'un affai-blissement assez marqué de la force musculaire du même côté; ce dont il est facile de se rendre compte par l'emploi du dynamo-mètre. Ces deux phénomènes, parésie et anesthésie, semblent liés l'un à l'autre et M. Burq a montré, dans ses expériences métal-loscopiques, que le plus souvent ils disparaissaient ou réappa-raissaient à la fois dans une même région du corps.
L'hémianesthésie hystérique siège, le plus souvent, du même côté que l'hyperesthésie ovarienne, c'est-à-dire, du côté gauche. Il y a cependant quelques exceptions à cette règle posée par M. Charcot. M. Bourneville en cite un exemple : chez Besch... l'anesthésie existe à droite et l'hyperesthésie ovarienne, avec tous ses caractères les plus tranchés, siège à gauche. M. Charcot en a rencontré quelques cas dans sa clientèle de ville (communica-tion orale).
Sur 34 cas étudiés au point de vue spécial du siège de l'insen-sibilité, le D' Bourneville a observé que l'hémianesthésie avait en-vahi primitivement le côté gauche 23 fois et le côté droit 11 fois.
Souvent l'anesthésie après avoir été circonscrite plus ou moins longtemps à une moitié du corps gagne tout ou partie de l'autre moitié et se généralise. D'ordinaire,-en pareille circonstance, l'a-nesthésie est plus accusée sur la moitié du corps frappée la pre-mière d'insensibilité.
Parmi les troubles de la sensibilité spéciale, les altérations de l'organe de la vision méritent une mention à part.
Achroniatopsie. Il y a quelque temps déjà que M. Galezowskia montré que l'amblyopie des hystériques hémianesthésiques s'ac-
compagne habituellement d'achromatopsie générale ou partielle ; je rappellerai d'après quelles lois, suivant les recherches de M. Landolt, s'opère cette perversion du sens de la vue.
Chez un sujet normal toutes les parties du champ visuel ne sont pas également aptes à percevoir les diverses couleurs. Il est, en d'autres termes, des couleurs pour lesquelles le champ visuel est physiologiquement plus étendu que pour d'autres et, suivant M. Landolt, ces différences se reproduisent chez tous les sujets suivant la même règle pour chaque couleur. Ainsi c'est pour le bleu que le champ visuel est le plus étendu : viennent ensuite le jaune, puis l'orangé, le rouge, le vert; enfm le violet n'est perçu que par les parties les plus centrales du champ visuel.
M. Charcot a reconnu qu'il y avait de nombreuses exceptions à la règle posée par M. Landolt. Nous avons pu constater en effet que, chez un grand nombre de malades, c'est pour le rouge que le champ visuel est le plus étendu; puis viennent, dans un ordre invariable, le jaune, le bleu, le vert, et enfm le violet. ^
Dans l'amblyopie hystérique ces caractères de l'état normal se modifient dans ce sens, que les divers cercles qui correspondent, dans l'exploration, aux limites de la vision pour chaque couleur, tendent à se rétrécir concentriquement d'une façon plus ou moins accentuée, suivant le degré de la maladie, mais conformément à la loi reconnue pour l'état normal. S'il s'agit d'une malade chez laquelle le rouge est, dans l'état normal, la couleur dont le champ offre le plus d'étendue, ainsi que nous l'avons le plus souvent ob-servé, les choses se passeront ainsi qu'il suit : le cercle du violet se rétrécit jusqu'à devenir nul et la malade, distinguant toutes les couleurs, sera incapable de reconnaître le violet. Puis la maladie progressant, le vert, le bleu, le jaune et enfin le rouge disparaîtront successivement.
Au degré le plus élevé de l'achromatopsie hystérique toutes les couleurs cessent d'être perçues, la notion de la forme et des plans
1. Cet examen de la vision des couleurs a été fait, chez nos hystériques, non seulement avec des papiers colorés, mais avec les véritables couleurs spectrales au moyen de tubes remplis de poudres phosphorescentes de diverse nature.
étant conservée, et alors les objets n'apparaissent plus en quelque sorte à la malade que sous l'aspect où ils se présentent dans une peinture en grisaille.
Cette forme de l'achromatopsie diffère du daltonisme avec le-quel on la confond trop souvent, en ce que le daltonien fait erreur en prenant une couleur pour une autre, le vert pour le rouge par exemple, tandis que l'hystérique achromatopsique perd complète-ment la notion des couleurs, elle voit les objets colorés, en (c blanc )) ou en «gris, » mais il n'y ajamáis chez elle perception erronée des couleurs.
On peut tirer de ces faits d'achromatopsie partielle une conclu-sion fort intéressante au point de vue de là pratique.
Dans le diagnostic de l'achromatopsie hystérique le degré de l'af-fection est en relation directe avec le nombre des couleurs dont la notion est perdue. Et comme les couleurs disparaissent toujours dans un ordre connu, c'est-à-dire du centre à la périphérie, la perte du violet, qui est la couleur la plus centrale, est le degré le plus léger de ce trouble fonctionnel.
Une hystérique qui ne distingue pas le violet est, dans la règle, une hystérique déjà atteinte d'anesthésie. Ce trouble de la sensibi-lité oculaire peut, dans certains cas, exister indépendamment de toute autre altération de la sensibilité générale ou spéciale; l'on conçoit qu'il faille le rechercher avec soin pour le découvrir. Ilpeut devenir alors d'une ressource précieuse pour le diagnostic.
L'anesthésie hystérique subit spontanément certaines variations d'intensité. Avant comme après les attaques, elle s'accuse davan-tage. Sa disparition est un phénomène du plus heureux augure Cette mobilité des troubles de la sensibilité pouvait faire prévoii la facilité avec laquelle certains agents extérieurs l'influencent, ainsi qu'il a été découvert dans ces derniers temps.
Je dois entrer ici dans quelques détails sur la nature de ces agents particuliers, que l'on a désignés sous le nom d'agents a3sthé-siogènes, et sur leur mode d'action dans l'anesthésie hystérique-
AGENTS ^STHÉSIO GÈNES
Nous touchons ici à un ordre de faits que, depuis M. Burq,l'on désigne habituellement sous le terme générique de métallo-scopie ^ Cette dénomination qui sert à désigner un groupe de phé-nomènes parfaitement définis et représente tout un système, ne convient plus pour l'ensemble des faits qui, depuis les rapports de la Commission de la Société de Biologie au sujet de la découverte de M. Burq, ont pris une plus grande extension et se sont singuliè-rement éloignés du point de départ primitif Quoi qu'il en soit de la réalité des théories soutenues par M. Burq, les faits sur lesquels il a le mérite d'avoir attiré l'attention ont été l'origine d'une série de recherches fécondes en découvertes imprévues.
Au point de vue spécial où nous nous plaçons ici, qui est celui de la Symptomatologie de l'hystérie, nous trouverons là tout un ensemble de faits nouveaux et intéressants que nous allons rapi-dement passer en revue.
La plupart des symptômes permanents del'hystéro-épilepsie sont susceptibles d'être diversement modifiés par un certain nombre d'agents physiques agissant à la surface du corps.
Les agents i3esthésiogènes,dont on parle beaucoup aujourd'hui, rentrent dans cette catégorie, mais il y aurait lieu de les désigner par un terme d'une compréhension plus vaste. Ces mêmes agents, en effet, qui ramènent la sensibilité, peuvent dans des circon-stances spéciales produire l'anesthésie : de plus, ils ne se bornent pas à agir sur la sensibilité, mais ils intéressent également — parfois au même moment, d'autres fois séparément, ~ la motilité, la température, la circulation capillaire, etc.
La liste de ces agents, que l'on pourrait appeler modificateurs nerveux périphériques, est déjà longue. Après les applications mé-talliques de Burq et les injections sous-cutanées de sels métalliques
I • Il n'est pas question ici de la métallothérapie, dont je dirai un mot au chapitre iu traitement.
du même auteur, on remarqua bientôt que les applications élec-triques variées étaient douées de propriétés analogues.
Dès le début des expériences de la Commission, des recherches délicates entreprises par M. P. Regnard ont montré que des cou-rants galvaniques très faibles avaient la même action physiolo-gique que les métaux. Il fut constaté, à l'aide d'un galvanomètre fort sensible, que les applications métalliques déterminaient un courant dont l'intensité variait suivant le métal appliqué et aussi suivant les sujets pour un même métal. Les courants de même intensité que ceux qui étaient développés par une application mé-tallique donnée, déterminaient les mêmes effets que celle-ci. M. Regnard a constaté en outre qu'en répétant l'expérience à diverses reprises avec des courants de plus en plus forts (mais toujours inférieurs à celui d'un Daniell), on rencontre alternative-ment des degrés où sont produits les effets du métal, et d'autres où ils ne le sont pas. Au delà d'un certain degré (un Danièll) les cou-rants de toute intensité produisent généralement les effets des applications métalliques.
D'autres actions électriques produisant les mêmes effets que les métaux ont été constatées par M. Vigouroux. Une lame de platine, après qu'elle a été traversée pendant quelques minutes par un courant très faible, agit à la façon des courants électriques; un pôle de un ou plusieurs éléments, l'autre pôle restant isolé, a la même propriété. Les piles sèches de Zamboni sont très commodes pour cette expérience* .
Les courants induits portés sur un point limité du tégument ont, entre les mains de M. Vulpian, ramené la sensibilité dans certains cas d'anesthésie d'origine cérébrale.
M. Vigouroux considère Y électricité statique comme l'agent sesthésiogène le plus puissant, résumant l'action de tous les autres agents de même ordre et moins passible qu'eux des variations in-dividuelles.
Les barreaux aimantés produisent sûrement et énergiquement
1. Cette expérience est antérieure de quelques années aux recherches actuelles Elle date de 1875.
les effets des applications métalliques. Ils agissent à distance. L'approche d'un pôle suffit. La ligne neutre est sans action.
Les électro-aimants et les solénoïdes agissent exactement comme les barreaux aimantés.
Les vibrations des corps sonores agissent comme les métaux.
M. Thermes a démontré l'action de la glace et de reau froide sur l'hémianesthésie, la contracture partielle et l'achromatopsie, •action analogue à celle des métaux chez les hystériques.
Il obtint les mêmes effets avec l'eau chaude (de 40° à 50°).
Tels sont les principaux agents sesthésiogènes dont l'action a été le plus souvent expérimentée ; mais je n'ai pas la prétention d'en clore ici la liste, que chaque jour de nouvelles recherches tendent à rendre plus longue. Je signalerai l'action sesthésiogène des sina-pismes (Westphal, Schiffers), des vésicatoires (Grasset), du jabo-randi (Grasset), des eaux minérales (Baréty), de divers corps mi-néraux tels que le bisulfure de 1er, le sesquisulfure d'antimoine, le graphite, le fluorure de calcium, etc.. (Parona), etc., etc.
l'anesthésie hystérique peut DISJ'araitre momentanément tou-tefois sous l'influence des agents dits s ï h é S10 G èn e s. — expérience fondamentale de m. burq*.
Supposons une malade hémianesthésique. On a fait, sans modi-fier en rien Tanesthésie, l'application successive de plusieurs mé-taux; on arrive enfin à celui auquel la malade est sensible — c'est l'or par exemple — deux ou trois pièces de vingt francs (une suffi-rait) sont appliquées sur un point quelconque de la moitié du corps quia perdu sa sensibihté —• supposons que ce soit l'avant-bras — au bout de quelques minutes, le malade éprouve de la lour-deur dans le membre, des fourmillements ; si alors on fait des pi-qûres d'épingles dans le voisinage immédiat de la pièce (les yeux delà malade étant fermés soigneusement), ces piqûres donnent
1. Dans l'exposé des faits suivants, je mettrai à contribution l'excellent compte rendu qu'en a donné le D'' Vigouroux dans VAnnée médicale de 1879. Le récit de cette première expérience lui est emprunté iiUégralement.
lieu à de la douleur; mais si on les fait à quelques centimètres, elles ne sont pas plus perçues qu'auparavant. Un peu plus tard cette zone de sensibilité s'est étendue, et dans les cas extrêmes, il peut arriver que tout le côtéanesthésié recouvre momentanément la sen-sibilité; nous disons momentanément, car, en prolongant l'expé-rience, on voit l'anesthésie reparaître en commençant par les parties qui lui étaient devenues sensibles les dernières (anesthésie de retour, de Burq), après quoi la malade se retrouve dans son état primitif. La durée totale de l'expérience, comprenant la dis-parition de l'anesthésie et son rétablissement, varie dans d'aussi grandes proportions que l'étendue de la surface cutanée qu'elle inté-resse : depuis une demi-minute jusqu'à trois quarts d'heure et plus.
En outre, il y a des phénomènes concomitants des plus remar-quables : les piqûres d'exploration qui, au début de l'expérience restaient exsangues, ne tardent pas à laisser suinter des goutte-lettes de sang ; et même sans faire de piqûre on constate, à la simple inspection de la peau, une augmentation évidente de la vas-cularisation du derme. La température suit la même marche, et la colonne mercurielle d'un thermomètre tenu dans la main s'élève à mesure que la sensibilité reparaît, et peut monter de plusieurs degrés. Ce n'est pas tout : M. Burq constate, au moyen d'un dyna-momètre très commode de son invention, que la force musculaire a reçu un accroissement notable, et qu'au lieu de la parésie ha-bituelle en pareil cas, la pression de la main indique une force en rapport avec le développement musculaire de la malade. L'aug-mentation peut être et est souvent de trente kilogrammes.
DANS L'iIÉMIANESTHÉSIE LA DISPARITION DE L'ANESTHÉSIE EST LIÉE AU PHÉNOMÈNE DU TRANSFERT.
Ce phénomène inattendu fut constaté par la Commission de la Société de Biologie à l'occasion d'un fait remarqué par M. Celle dans la mensuration qu'il faisait de la distance de l'audition dis-tincte pendant l'application des métaux. Voici en quoi il consiste : la disparition de l'anesthésie sensorielle ou sensitive dans un point
du corps des hémianesthésiques, sous l'influence de l'application métallique, est liée à la disparition simultanée de l'une ou l'autre espèce de sensibilité, dans une étendue égale de la région symé-trique de l'autre côté de la ligne médiane.
oscillations consécutives
Indiqué pour la première fois par M. le professeur Charcot dans ses conférences cliniques de 1878 à l'hospice de la Salpêtrière, ce singulier phénomène est, en quelque sorte, la continuation et la répétition du transfert. Supposons une malade hémianesthésique à gauche. Sous l'influence d'apphcations métalliques ou autres, la sensibihté est revenue dans tout le côté gauche, et en vertu de la loi du transfert, tout le côté droit est devenu insensible. Au bout de quelques instants l'anesthésie revient au côté gauche, laissant le côté droit recouvrer sa sensibilité, et rétablissant en somme les chosesdanslemême état qu'avant l'expérience. Mais il arrive souvent que le phénomène ne s'arrête point là. On peut alors constater que ce transfert d'un côté à l'autre du corps recommence en quelque sorte spontanément, sans nouvelle application métallique, et se répète un certain nombre de fois de suite. C'est à ce phénomène, qui peut se prolonger plusieurs heures, à la suite d'une seule application de quelques minutes, que M. Charcot a donné le nom d'oscillations consécutives ^
1. Depuis que M. Charcot a fait connaître ce fait des oscillations consécutives dans les cas d'héniianesthésie,un auteur allemand, le Di^Th. Rumpf (de Dusseldorf) a publié le résultat d'expériences fort intéressantes, dans lesqueUes les oscillations de la sensibihté d'un côté à l'autre du corps ont été observées sur des personnes saines. Ce n'est plus de la pathologie, c'est de la physiologie. Seulement, ces os-cillations physiologiques ne se produisent pas, comme dans nos cas, entre l'anes-thésie complète d'un côté et la sensibilité d'un autre côté. C'est un phénomène plus délicat et plus minutieux à observer. Il ne s'agit que de différences de degrés dans la sensibilité.
^Si la sensibilité augmente d'un côté, elle diminue au même moment de l'autre côté. C'est bien au fond le même phénomène que celui qu'a décrit M. Charcot. Il n'en diffère que par une question d'intensité.
Voici le récit des expériences instituées par cet auteur : Sur deux points symé-triques des avant-bras on mesura la sensibilité avec le compas. On constata qu'à
Comme le transfert, les oscillations consécutives sont soumises à quelques exceptions. Elles ne sont point constantes et peuvent faire défaut.
Dans certains cas les oscillations surviennent avec une régularité qui ne se dément pas; la sensibilité ne quitte un des côtés du corps que pour envahir l'autre.
Chez d'autres malades, le phénomène est moins régulier, la
un écartement de 3 centimètres 2 dixièmes, les deux pointes étaient perçues sépa-rément de la façon la plus nette, tandis qu'à un écartement immédiatement inférieur les deux pointes donnaient une sensation unique On fit alors, sur le point exploré de l'avant-bras gauche, une application d'essence de moutarde. L'exploration de la sensibilité faite aussitôt, montra qu'à gauche, les deux pointes étaient perçues séparément à des distances de 2 centimètres 5 dixièmes et de 2 centimètres 3 dixièmes, tandis que du côté opposé les deux pointes donnaient la sensation d'une seule pointe à des distances de 3 centimètres 7 dixièmes et de 4 centimètres.
Mais en poursuivant l'expérience, on remarqua bientôt un changement en sens inverse, c'est-à-dire que la double sensation avait lieu à droite, l'écartement des pointes étant de 2 centimètres i dixièmes, tandis qu'à gauche il n'y avait plus qu'une sensation unique pour les deux pointes distantes de 3 centimètres 8 dixièmes.
Mais cette augmentation de la sensibilité du côté droit ne fut également que passagère, et fit place à une diminution telle que les deux pointes étaient de nou-veau perçues comme une seule à une distance de 4 centimètres, tandis que du côté opposé elles étaient senties distinctement à 2 centimètres et 5 dixièmes. Ces oscü-lations se répétèrent pendant quelques minutes, et toujours il fut constaté que pen-dant que la sensibilité augmentait d'un côté, elle diminuait de l'autre. Peu à peu les différences de la sensibilité de l'un et de l'autre côté diminuèrent et bientôt l'équilibre normal se rétablit.
L'expérience a été répétée sur un grand nombre de sujets et toujours avec le même résultat. L'augmentation de la sensibilité d'un côté correspondait toujours à une diminution de la sensibilité de l'autre côté, et le retour à l'état normal s'ef-fectuait toujours par l'intermédiaire d'une série d'oscillations entre l'élévation et la diminution de la sensibilité. En général, un côté gagnait exactement ce que l'autre perdait.
Ces phénomènes ne se sont présentés un peu différemment qu'à la suite d'ap-plications plus fortes d'essence de moutarde. 11 y avait alors, aussitôt l'application faite, diminution de la sensibilité sur le point de l'application, et en même temps augmentation du côté opposé. Du reste, la marche ultérieure des phénomènes était la môme, si ce n'est que les oscillations successives duraient un peu plus longtemps. (Ces notes sont extraites d'un article du Berliner Klinische Wochenschrift, 1879, n° 36, et qui a pour litre : lieber den Transfert. Vortrag gehalten am 17 Mai auf den Vierten Wanderversammlung Südwest-deutscher Neurologen und Irren-ärzte, von d'' Th. Rumpf, in Dusseldorf.)
Ces expériences de Rumpf sont fort intéressantes, mais n'ont rien qui doive étonner. Après les observations faites sur les hystéro-épileptiques, l'on pouvait prévoir qu'à l'état physiologique il devait exister quelque chose d'analogue. Qui n'est pas persuadé aujourd'hui que la maladie ne crée rien et que les phénomènes morbides ne sont que des modifications des fonctions physiologiques? Ôr l'bystéro-épilepsie n'échappe pas plus qu'une autre maladie aux lois qui régissent la patho-logie tout entière.
sensibilité oscille bien d'un côté à l'autre du corps, mais, de temps à autre, il y a comme des interruptions, pendant lesquelles la malade demeure complètement anesthésique sur toute l'étendue du corps ou complètement sensible.
Enfin l'irrégularité peut être plus grande.
J'ai publié récemment dans le Progrès médical (N"' 46 et 47, année 1879) le résultat de recherches entreprises à ce sujet. On trouvera là un certain nombre d'observations détaillées dans les-quelles la marche de la sensibilité sous l'influence des applications aimantées a été notée avec soin. Je me contenterai de rapporter ici les conclusions auxquelles je suis arrivé.
I. — Dans les expériences dites métalloscopiques, le phéno-mène du transfert est souvent suivi, sinon toujours, d'une série d'oscillations.
II. — Ces oscillations ne sont, à proprement parler, que la ré-pétition du phénomène du transfert.
III. — Les oscillations se produisent de la même façon, que l'action de l'agent aisthésiogène soit supprimée ou maintenue.
IV. — Les oscillations existent aussi bien pour la sensibilité spéciale que pour la sensibilité générale.
V. — La rapidité, la durée, le nombre des oscillations varient d'une malade à l'autre. Elles varient même chez une même malade, sous certaines influences, dont la mieux connue est l'imminence des attaques.
VI. — La durée des oscillations est fort variable. Nous avons ob-servé des oscillations de quelques secondes, et d'autres de vingt mi-nutes. Mais il peut en exister d'une durée plus longue. On peut dire, d'une manière générale, que les oscillations sont d'autant plus courtes et plus répétées qu'elles se produisent plus facilement.
VII. — Lorsque les oscillations sont terminées, la malade de-meure, au point de vue de la sensibilité, dans un état de stabilité relative qui peut durer plusieurs heures, mais qui varie.
Nous en avons observé trois variétés : 1" La malade recouvre pour quelque temps la sensibilité totale ; 2" la malade demeure en état de transfert, c'est-à-dire que si elle était hémianesthésique
gauche, avant l'expérience, elle devient pour quelques instants hé-mianesthésique droite ; peut-être ne doit-on voir dans cet état qu'une oscillation qui se prolonge et dont la fin n'a pas été ob-servée; 3° enfin, la malade se retrouve dans le même état qu'avant l'expérience.
VIII. — Le transfert et les oscillations consécutives, qui pa-raissent être la règle pour les hémianesthésies hystériques, ne sont que l'exception pour les hémianesthésies organiques et toxiques.
IX. — Au point de vue pratique, nous ne saurions trop attirer l'attention des observateurs sur l'existence des oscillations consé-cutives. Lorsqu'une malade a été soumise à l'action d'un agent aesthésiogène, il importe de ne pas recommencer sur elle une nou-velle expérience avant de lui avoir laissé le temps de recouvrer son équiliLire normal et de s'en être parfaitement assuré.
ACTION DES AGENTS ^ S T H É S I 0 G È N E S SUR L ' A CH R 0 M AT 0 P S 1 E HYSTÉRIQUE
Les agents aesthésiogènes agissent sur la sensibilité spéciale de la même façon que sur la sensibilité générale. Sous leur influence les organes des sens anesthésiques recouvrent leurs fonctions, et, s'il s'agit de malades hémianesthésiques, le phénomène du transfert et des oscillations consécutives se produit avec des carac-tères identiques.
Les modifications qui surviennent alors dans un œil achroma-topsique, sont particuUèrement intéressantes à étudier, parce qu'elles confirment ce que nous avons dit plus haut sur les varia-tions de l'étendue du champ visuel pour les différentes couleurs et sur l'ordre de leur disparition successive dans l'achromatopsie partielle.
C'est pourquoi j'en dirai ici quelques mots. Les résultats des recherches que nous avons entreprises à ce sujet au laboratoire de M. Charcot ont été déjà consignés dans le Progrès médical (loc. cil).
Nos expériences ont été faites à l'aide d'aimants artificiels. Voici ce que nous avons observé :
Un barreau aimanté est maintenu approché par un de ses pôles de la tempe d'un sujet atteint d'hémianesthésie générale et senso-rielle, du côté de l'œil achromatopsique, à une distance de un à deux centimètres. Au bout d'un temps qui varie de quelques se-condes à quinze ou vingt minutes au plus, on peut suivre pas à pas la réapparition successive des couleurs dans cet œil, précisé-ment suivant l'ordre indiqué par le degré d'étendue du champ vi-suel pour chacune d'elle. Ainsi l'on voit apparaître d'abord la couleur dont le champ offre le plus d'étendue, c'est le plus souvent le rouge : puis c'est le tour du jaune, du bleu, du vert, et enfin du violet, qui possède le champ visuel le plus rétréci.
En même temps que l'œil d'abord achromatopsique recouvre la notion des couleurs, on constate que celles-ci disparaissent dans fautre œil (phénomène du transfert), et précisément dans un ordre inverse.
C'est la notion du violet qui est perdue la première, puis celle du vert, du bleu, du jaune et enfin du rouge. De telle sorte que si l'on veut, suivant l'étendue du champ visuel, appeler centrales les couleurs dont le champ visuel est le plus restreint, et périphé-riques celles dont le champ visuel a le plus d'étendue, on pourra dire que les couleurs disparaissent en allant du centre à la péri-phérie, et qu'elles réapparaissent dans l'ordre inverse, qui est de la périphérie au centre ^.
Mais une fois le transfert obtenu, et la vision des couleurs re-venue dans l'œil achromatopsique en même temps qu'elle disparaît
1. Chez toutes nos malades nous avons observé, au sujet du retour et de la dis-parition de la notion des couleurs, un détail qui ne manque pas d'intérêt. Lors-qu'une malade examine avec attention un papier coloré qu'elle voit blanc ou gris, grâce à son achromatopsie, au moment où le retour de la notion de la couleur s'ef-fectue, elle n'aperçoit pas la teinte sur toute la surface du papier, mais seulement aux angles et sur les bords. Peu à peu la teinte gagne de la périphérie au centre, et bientôt le papier paraît uniformément coloré, comme il l'est en réalité. Au con-traire, lorsqu'une couleur doit se perdre, la malade aperçoit un petit cercle gris ou ])lanc au milieu du papier coloré. Peu à peu le cercle incolore augmente d'é-tendue, et toute la surface du papier a bientôt perdu sa couleur, qui a ainsi disparu du centre à la périphérie.
de l'œil sain, l'expérience n'est point terminée et commencent alors les oscillations consécutives.
Que l'aimant soit maintenu ou non dans la situation première, bientôt la notion des diverses couleurs disparaît de nouveau suc-cessivement, suivant l'ordre indiqué en commençant par le violet et en finissant par le rouge, dans l'œil primitivement affecté ; et re-paraît suivant l'ordre inverse dansi'œil primitivement sain.
La malade est revenue au point de départ, elle est dans l'état où elle se trouvait au début de l'expérience, mais elle n'y demeure point. La même série de phénomènes se reproduit un certain nombre de fois de suite, la notion des couleurs oscillant ainsi d'un œil à l'autre, apparaissant tour à tour dans l'un, pour disparaître dans l'autre. Après cette succession d'oscillations, le résultat final varie. La malade se retrouve dans le même état qu'avant l'expé-rience, ou bien pendant plusieurs heures elle possède la vision des couleurs du seul œil primitivement achromatopsique, ou même des deux yeux à la fois. Après quoi tout rentre dans l'ordre initial.
Je rapporterai à titre d'exemple une des observations déjà publiées dans le Progrès médical.
Obs. I. (Charcot et Richer). — Maria X.., hystéro-épileptique, hémianes-thésique agauche, et achromatopsique du même côté. L'achromatopsie n'est pas complète, la malade a conservé la notion du rouge. Elle distingue donc la couleur rouge des deux yeux, mais de l'œil gauche elle ne distingue ni le jaune, et, suivant la règle, ni le bleu, ni le vert, ni le violet.
3 novembre 1878. Un des pôles d'un aimant artificiel est placé en regard de la tempe gauche, à un centimètre environ de la peau, l'œil droit est main-tenu fermé avec la main, et l'on observe ce qui se passe, du côté de l'œil gauche, sous le rapport de la vision des couleurs. Nous avons dit qu'elle ne distinguait de cet œil que le rouge ; en effet, toutes les autres couleurs qui lui sont présentées ne lui apparaissent que comme du « blanc » ou du « gris ». — En faisant passer successivement devant son regard des papiers de diverses couleurs, on constate qu'au bout de la troisième minute de Vap-plication elle distingue le jaune. Puis la vision des autres couleurs reparaît dans l'ordre suivant (voy. Fig. 08 et 99) :
A 3 m. 30 s. vision du bleu.
A 5 m. vision du vert.
A 6 m. 30 s. vision du violet.
A ce moment, elle possède donc de l'œil gauche la vision de toutes les
couleurs ; mais, par suite du phénomène du transfert, La maLade n'en dis-tingue plus aucune de l'œil droit, à l'exception toutefois de la couleur rouge, qui comme nous l'avons vu, existait dans l'œil achromatopsique et qui par suite n'a pas été transférée. L'on continue à observer ce qui se passe dans l'œil gauche primitivement achromatopsique et qui vient de recouvrer, sous Tin-fluence de l'aimant, la vision des couleurs.
Bientôt, malgré le maintien de l'aimant, les couleurs cessent d'être per-çues l'une après l'autre et précisément dans un ordre inverse à celui dans lequel elles avaient été recouvrées. Ainsi :
A 9 m. 10 s. la notion du violet disparait.
A 9 m. 20 s. celle du vert.
A 9 m. 30 s. celle du bleu.
A 9 m. 40 s. celle du jaune.
La notion du rouge persiste. Voici la malade revenue à l'état premier ; mais les choses n'en restent pas là, et les oscillations continuent ainsi qu'il suit :
2" oscillation. — (On ne prend note que des phénomènes qui se passent dans l'œil gauche. L'œil droit est toujours maintenu fermé.)
A 11 m. 40 s. retour du jaune. A 12 m. retour du bleu. A 12 m. 35 s. retour du vert. A 13 m. 15 s. retour du violet. A 14 m. 40 s. disparition du violet. A 14 m. 45 s. disparition du vert. A15 m. disparition du bleu. A 15 m. 25 s. disparition du jaune.
La vision du rouge persiste.
3'' oscillation. — A 17 m. 10 s. retour du jaune. A 18 m. retour du bleu. A 18 m. 40 s. retour du vert. A 19 m. 25 s. retour du violet. A 20 m. 50 s. disparition du violet. A 21 m. disparition du vert. A 21 m. 20 s. disparition du bleu. A 21 m. 40 s. disparition du jaune. Le rouge persiste.
4' oscillation. —A 24 m. 25 s. retour du jaune. A 24 m. 50 s. retour du bleu. A 25 m. .30 s, retour du vert. A 25 m. 55 s. retour du violet. A tl m. 15 s. disparition du violet. A 27 m. 20 s. disparition du vert. A 27 m. 50 s. disparition du bleu. A 28 m. disparition du jaune. Le rouge persiste.
5*^ oscillation. — A 30 m. 45 s. retour du jaune. A 31 m. 20 s. retour du bleu. A 31 m. 30 s. retour du vert. A 32 m. retour du violet. A 33 m. 5 s. disparition du violet. A 33 m. 15 s. disparition du vert. A 33 m. 35 s. dispa-rition du bleu. A 34 m. disparition du jaune. Le rouge persiste,
6° oscillation. — A 36 m. 10 s. retour du jaune. A, 36 m. 35 s. retour du bleu. A 37 m. 10 s. retour du vert. A 37 m. 30 s. retour du violet. A 38 m. 20 s. disparition du bleu. A 38 m. 40 s. disparition du violet. Le rouge persiste.
7' oscillation.— A 40 m. 10 s. retour du jaune. A 40 m. 40 s. retour du bleu. A 40 m. 50 s. retour du vert. A 41 m. 10 s. retour du violet. A 43 m. 15 s. disparition du violet. A 43 m. 35 s. disparition du vert. A 43 m. 50 s. disparition du bleu. A 44 m. disparition du jaune. Le rouge persiste.
8° oscillalion. — A 51 m. 30 s. retour du jaune. A 52 m. 15 s. retour du
FiG. 98. — Rcpre'sentalion grapliique de l'observation page 5'r2. Les couleurs sont figurées ainsi qu'il suit : le rouge par des lignes verticales ; le jaune par un pointillé le bleu par dos lignes transversales ; le vert\m des lignes obliques de gauclio à droite; enfin le violet par des lignes obliques do droite à gauche.
Fig. 99. — Suite do la figuro 98.
bleu. A 53 m. retour du vert. A 53 m. 15 s. retour du violet. A 54 m. 20 s. disparition du violet. 54 m. 30 s. disparition du vert. A 54 m. 50 s. dispa-rition du bleu. A 55 m. disparition du jaune. 56 m. 10 s. disparition du rouge. A ce moment pendant trois minutes, c'est-à-dire jusqu'à la prochaine oscillation, la malade est anesthésique totale, et achromatopsique des deux yeux. Mais bientôt les couleurs reparaissent dans l'œil gauche.
9'= oscillation. — A 60 m. 25 s. retour du rouge. A 61 m. 35 s. retour du jaune. A 62 m. 20 s. retour du bleu. A 62 m. 50 s. retour du vert. A 63 m. 10 s. retour du violet. A 65 m. 10 s. disparition du violet. A 65 m. 30 s. disparition du vert. A 66 m. disparition du bleu. A 66 m. 25 s. disparition du jaune. Le rouge persiste.
10"= oscillation. — Retour définitif des couleurs. Fin de l'expérience.—A 67 m. 45 s. retour du jaune. A 68 m. 15 s. retour du bleu. A 68 m. 40 s. re-tour du vert. A 68 m. 50 s. retour du violet.
La vision des couleurs existe aussi pour l'œil droit. Cette fois il n'y a pas eu de transfert. La malade distingue parfaitement toutes les couleurs des deux yeux, et la sensibilité cutanée s'est généralisée. Elle n'est plus ni anesthésique ni achromatopsique. Cet état durait encore 45 minutes après la fm de cette expérience. Mais la malade observée trois heures après fut retrouvée hémianesthésique et achromatopsique comme auparavant.
Dans l'expérience qui vient d'être rapportée, l'aimant a été maintenu appliqué près de la tempe pendant tout le temps qu'elle a duré. Dans une autre observation l'aimant a été retiré aussitôt après le retour des couleurs,, et les oscillations se sont produites de la même façon.
Afin de rendre plus saisissables les résultats de nos expériences, nous avons essayé d'établir une sorte de graphique de ces oscil-lations consécutives, relativement à la notion des coideurs. Les Fig. 98 et 99 ensontun exemple, et se rapportent à l'observation qui précède.
Sur une feuille divisée en minutes par des lignes verticales, nous avons noté avec soin sur des lignes horizontales le moment d'apparition et de disparition de chacune des couleurs.
Nous avons ainsi obtenu des tracés composés d'une série d'on-dulations, dont chacune correspond à une oscillation de la sen-sibilité. Il a été ainsi facile de constater que, suivant les malades, le phénomène commence à se produire plus ou moins tôt et que les oscillations sont également plus ou moins longues (les oscil-lations paraissent d'autant plus rapides qu'elles se produisent plus facilement) ; que chez une même malade les oscillations ne
sont pas d'égale longueur et qu'elles ne sont pas séparées non plus par des intervalles égaux; que les couleurs apparaissent toujours dans le même ordre, et disparaissent dans l'ordre pré-cisément inverse ; que la disparition des couleurs se fait plus rapidement que leur réapparition ; enfin, que le nombre des oscillations varie. Dans quelques expériences elles ont été au nombre de 10 à 12 ; mais nous les avons vues se multiplier bien davantage, comme le prouvent nos autres observations publiées dans le Progrès.
le retour de la sensibilité ordinairement momentané peut être rendu définitif
Quel que soit l'agent œsthésiogène sous l'influence duquel le re-tour de la sensibilité se soit effectué, il suffit, pour immobiliser le phénomène et rendre persistant ce retour de la sensibilité, de maintenir en contact avec la peau redevenue sensible une plaque de métal neutre, c'est-à-dire incapable de produire, dans l'espèce, les phénomènes métalloscopiques (Vigouroux).
Le même fait a lieu pour l'anesthésie provoquée dont nous par-lerons dans un instant. Le métal neutre immobilise en quelque sorte l'état de l'innervation qui existait dans la partie au moment de son apphcation et le rend durable.
anesthesie provoquée, valeur DIAGNOSTiaUE et pronostique
Les métaux n'agissent pas seulement sur les parties anesthésiées : par exemple, on fait l'application sur le côté sain, on voit se pro-duire l'anesthésie au lieu de l'application, et la sensibilité revient en même temps au point symétrique, du côté opposé primitive-ment anesthésique. On arrive ainsi au même résultat que dans l'expérience primitive du transfert, avec cette différence qu'on 1'
obtenu en commençant par produire directement l'anesthésie. De môme que le phénomène du transfert, les oscillations consécutives se présentent de la même façon que dans les expériences directes. Les organes des sens, la température et la force musculaire sont intéressés en même temps que la sensibilité générale et de la même façon que précédemment.
Chez une malade qui ne présente pas actuellement d'anesthésie, mais chez laquelle la diathèse hystérique existe en quelque sorte à l'état latent, l'anesthésie provoquée peut être obtenue par les diverses applications et présente alors une valeur diagnostique et pronostique que les travaux de la Commission ont justement mise en lumière.
Cette anesthésie, désignée également sous le nom d'anesthésie métallique ou port-métallique, débute simultanément sur les quatre membres par autant de points symétriques dont l'un est occupé par l'application, puis elle ne tarde pas à se généraliser. Mais aus-sitôt que l'on cesse l'apphcation, on voit réapparaître la sensibilité normale dans toutes les parties du corps et cela dans un ordre inverse à celui de l'envahissement de l'anesthésie provoquée.
M. Charcot a fait remarquer que la facilité avec laquelle se pro-duisait l'anesthésie provoquée diminuait chez les malades à mesure que s'affaiblissait chez elles la diathèse hystérique. Il voit donc là un moyen de s'assurer de cette diathèse chez une hystérique qui ne présenterait pas trace d'anesthésie, et aussi de constater la so-lidité de la guérison chez une hystérique, autrefois anesthésique, à laquelle un traitement convenablement conduit aurait rendu toute sa sensibilité.
l'IMPRES SIONNABILITÉ AUX AGENTS .«STIIÉSIOGÈNES EST SUSCEPTIBLE DE QUELQUES VARIATIONS
Il faut savoir que les hystériques deviennent en général réfrac-taires aux diverses applications dans les heures qui précèdent ou suivent une crise. La signification de ce fait est si constante, qu'il
peut servir, en dehors de tout autre symptôme, à annoncer avec certitude qu'une hystérique va être malade ou vient de l'être. Dans l'intervalle des crises le même fait peut se présenter sous l'influence de causes plus difficilement appréciables, d'émotions vives par exemple.
Chez une même malade la sensibilité métallique ne change pas d'ordinaire; on a vu cependant des malades, au bout d'un certain temps de traitement, cesser d'être impressionnables à leur métal habituel, pour devenir sensibles à un autre métal jusque-là demeuré inactif.
L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE EST d'ORIGINE CÉRÉBRALE
Cette proposition s'appuie sur un certain nombre de faits que je vais exposer sommairement.
a) L'hémianesthésie hystérique, au point de vue de la Sympto-matologie ne diffère nullement des hémianesthésies cérébrales par lésion de la partie la plus postérieure du pied de la couronne rayonnante, qui, en ce point, contient certainement les fibres sensitives destinées à une moitié du corps, même celles des sens (Charcot, Raymond).
Dans les deux cas, les organes des sens qui siègent du même côté quel'anesthésie cutanée sont tous atteints, ce qui n'a pas lieu dans l'hémianesthésie d'origine pédonculaire qui laisse intacts la vue et l'odorat.
Je ne ferai que rappeler ici que, dans les cas d'anesthésie due à à une lésion organique cérébrale ou à une intoxication chronique (saturnisme, alcooHsme...), les agents œsthésiogènes ramènent la sensibilité delà même façon que dans les anesthésies hystériques. La différence consiste en ceci que dans les hémianesthésies orga-niques le phénomène du transfert n'a pas lieu généralement et que la sensibilité, une fois ramenée sous l'influence de l'agent œsthésiogène, persiste souvent fort longtemps (plusieurs années); quelquefois la guérison peut être considérée comme définitive.
b) L'influence des agents œsthésiogènes et le mode du retour de la sensibilité sous leur action plaident en faveur de l'origine cé-rébrale de l'anesthésie hystérique. Je rappellerai l'éclosion simul-tanée des phénomènes de sensibilité sur plusieurs points symétri-ques de la surface du corps* (Vigoureux), le singulier phénomène du transfert et les oscillations consécutives.
L'observation suivante, due à M. Dumontpallier, possède à cet égard une importance décisive. Un métal neutre n'entrave l'effet d'un métal actif que si l'application de celui-là est faite entre celui-ci et le centre cérébro-spinal. Cette action d'arrêt n'a plus lieu si l'obstacle apporté par le métal neutre est placé au-delà, c'est-à-dire entre le métal actif et l'extrémité du membre.
c) Des expériences entreprises par notre excellent ami, le D' Regnard, sur la recomposition de la lumière blanche et sur le contraste des couleurs, prouvent que l'achromatopsie hystérique ne siège pas dans l'organe de la vision, mais bien dans les centres cérébraux eux-mêmes^
Première expérience. — Nous plaçons devant une de nos malades un dis-que composé de secteurs verts et rouges complémentaires. La malade est achromatopsique partielle, elle a perdu la notion du vert, mais elle distin-gue fort bien la couleur rouge. Elle déclare donc que le disque est rouge et blanc. On fait tourner rapidement ce disque. Pour un œil normal les parties vertes et rouges se confondent en vertu du mouvement de rotation et recon-stituent la lumière blanche; le disque apparaît blanc. Mais l'achromatopsique, qui déclare tout d'abord que le vert est blanc,devrait avoir la sensation, lors-que le disque tourne, de la couleur rouge mêlée de blanc, c'est-à-dire du rouge clair. Et cependant il n'en est rien. De même qu'une personne qui distingue parfaitement les couleurs, notre hystérique déclare que le disque mis en mouvement devient blanc. Les rayons verts qu'elle ne voit pas s'a-joutent donc aux rayons rouges qu'elle perçoit pour reconstituer la lumière blanche, aussi bien pour elle que pour nous. — Nous faisons la contre-épreuve en faisant tourner à côté du disque rouge et vert un disque rouge et blanc. La malade affirme que ce dernier est rose, tandis que le premier est blanc, et cependant, au repos, les deux disques, en vertu de son achroma-topsie lui paraissent exactement semblables.
1. Voyez la note de la page 009.
2. Ces expériences ont été l'objet d'une communication à la Société de Biologie le 6 janvier 1878.
Deuxième expérience. — Nous prenons un disque blanc sur lequel sont collés des secteurs verts très étroits, interrompus en un point. Un pareil dis-que, en tournant, donne aux points d'interruption une ligne rose intense (purement subjective) par contraste simultané. Quand on présente ce dis-que à la malade, elle le déclare tout blanc; mais, à peine est-il en mouve-ment, que la malade accuse la présence de la raie rose subjective. Le vert qu'elle ne voit pas lui donne néanmoins la sensation d'une couleur complé-mentaire qu'elle peut percevoir.
Ces expériences semblent infirmer la théorie de Yung. Si vrai-ment l'achromatopsie pour le vert tenait à la paralysie des bâton-nets destinés à voir cette couleur, on ne comprendrait pas que l'addition de rayons rouges amenât la reconstitution du blanc. Il nous semble que le siège de l'erreur doit être reculé jusqu'au centre perceptif lui-même. Lorsque la vibration qui, pour les yeux sains, détermine la sensation du vert, arrive à ce centre, elle n'est pas jugée, mais elle a néanmoins une action, puisque ajoutée à la vibration rouge complémentaire elle reconstitue la lumière blanche.
CHAPITRE II
QUELQUES FAITS RELATIFS AUX TROUBLES DE LA MOTILITK § I, — PARALYSIE HYSTÉRIQUE
Parmi les troubles de la motilité qu'on a coutume d'observer chez les hystériques il en est un qui accompagne constamment l'anesthésie et se traduit par un affaiblissement marqué de la force musculaire des membres anesthésiés (amyosthénie de Burq). Cet état peut être considéré comme le premier degré de la paralysie hystérique.
La paralysie hystérique succède parfois aux attaques convul-sives, et fait en quelque sorte partie de la quatrième période ; mais elle se montre également, à titre de symptôme permanent, dans l'intervalle des attaques.
La paralysie peut intéresser les différents muscles du tronc et des membres. D'après Briquet et Landouzy dont les statistiques concordent, on voit : a) que l'affaiblissement des muscles de l'un des côtés du corps, l'hémiplégie hystérique est extrêmement com-mune, puisqu'on la trouve chez la sixième partie des hystériques; b) qu'elle est trois fois plus fréquente à gauche qu'à droite ; c) que la paralysie est cinq fois plus fréquente aux membres inférieurs qu'aux membres supérieurs; d) qu'enfin elle attaque très rarement les muscles de la face.
La paralysie peut en outre atteindre les muscles constricteurs du pharynx et de l'œsophage, les muscles du larynx, de la vessie et du rectum.
Le début de la paralysie hystérique est brusque ou graduel. Les muscles conservent leur excitabilité électrique.
Les membres atteints de parésie ou de paralysie hystériques sont également le siège de phénomènes spasmodiques (exagéra-tion des réflexes tendineux, trépidation provoquée) sur lesquels je me propose d'insister. Ils relient la paralysie hystérique à un état musculaire tout opposé dont ils sont en quelque sorte les précurseurs, je veux parler de la contracture permanente.
ANALOGIES ENTRE L ' II É M I P l É G l E HYSTÉRIQUE ET l'HÉMIPLÉGIE PAR LÉSION CÉRÉBRALE. — l'HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE RENTRE DANS LA CLASSE DES HÉMIPLÉGIES AVEC CONTRACTURE LATENTE.
Les nombreuses formes cliniques que peut revêtir l'hémiplégie permanente de cause cérébrale ont été ramenées par Tood, Du-chenne de Boulogne et Bouchard à deux grands types nettement définis par l'absence ou la présence d'un symptôme important et facilement appréciable, la contracture permanente. Ainsi, d'après ces auteurs, il convient de ranger dans la première classe tous les cas dans lesquels la contracture fait défaut (hémiplégies per-manentes flaccides) ; et dans une seconde classe doivent être réu-nies toutes les formes très variées de la contracture permanente unilatérale.
Notre excellent ami E. Brissaud, dans un récent travail sur la matière*, fait judicieusement observer que cette division dichoto-mique peut paraître arbitraire, attendu qu'il existe entre les cas de contracture forcée et les cas où la contracture est infiniment légère des différences si prononcées et des transitions si insensi-bles que le nombre des catégories devrait être proportionnel à celui des variétés cliniques.
En s'appuyant sur l'ensemble des signes qui servent à caracté-
1. Recherches sur la contracture permanente des hémiplégiques. Thèse de Paris, 1880.
riser l'état de contracture, et parmi lesquels il convient déranger l'exagération des réflexes tendineux et la trépidation spinale, E. Brissaud, jusqu'à plus ample informé, croit devoir rejeter la division des auteurs, et à la catégorie des hémiplégies flaccides de l'ancienne classification, il substitue celle des hémiplégies avec contracture latente.
Il base son opinion sur la rareté reconnue par les auteurs de l'hémiplégie flaccide (Bouchard sur 32 cas ne l'a rencontrée qu'une seule fois), et sur des recherches personnelles qui lui ont permis de constater que, sur un nombre de 60 hémiplégiques prises au hasard dans les différents services de la Salpêtrière, il n'exis-tait pas une seule malade qui ne présentât, sinon l'ensemble, au moins certains des signes les plus caractérisés de l'état de contrac-ture; et parmi ces signes les plus précieux sont ceux que nous avons déjà signalés : l'exagération des réflexes tendineux et la tré-pidation spinale.
Il ne nous appartient pas de faire ici une étude détaillée des réflexes lendineux,sur lesquels Westphal a le premier attiré l'atten-tion au point de vue de la valeur sémiologique qu'ils peuvent ac-quérir dans les maladies du système nerveux. Le phénomène de la trépidation provoquée, qui est de même ordre, avait été bien auparavant signalé à l'attention des cliniciens par M. Char-cot. Ces deux signes ont une même signification, mais sont d'une inégale valeur. Fréquemment tous deux s'observent à la fois sur un même membre placé dans des conditions patholo-giques spéciales, mais l'exagération du réflexe rotulien apparaît habituellement à une époque moins avancée de la maladie et alors que la trépidation du membre ne peut pas encore être provoquée. D'un autre côté, « le phénomène du genou » existe à un certain degré à l'état normal, c'est un fait d'ordre physiologique, et son exagération seule ou sa disparition complète, relèvent d'un état pathologique. Il est donc d'une appréciation plus délicate, d'une constatation plus difficile que le phénomène de la trépidation provoquée qui est toujours pathologique. Il en résulte que si le premier l'emporte en valeur pronostique sur le second par son
apparition précoce, il ne l'égale point en certitude diagnostique, puisque ce dernier ne s'observe jamais à l'état sain.
L'hémiplégie hystérique rentre dans cette dernière catégorie désignée par Brissaud sous le nom d'hémiplégie avec contracture latente. Nous trouvons là une nouvelle confirmation de cette opi-nion professée par M. Charcot, qu'il n'y a pas un phénomène dans l'hystérie qui ne se retrouve dans les cas d'affections organiques du système nerveux.
Chez nos hystériques, l'étude de la contractilité musculaire nous a montré que les membres atteints, à un degré variable, de parésie présentent, en outre d'une faiblesse musculaire constatée par le dy-namonètre, une disposition particulière à la contracture perma-nente, révélée par les phénomènes spéciaux que nousvenons de si-gnaler chez les hémiplégiques par lésion organique du cerveau.
Le plus souvent, ainsi que nous l'avons déjà vu plus haut, la faiblesse musculaire intéresse tout un côté du corps et précisé-ment le côté déjà atteint d'hémianesthésie ; dans ce cas il-est fa-cile de constater que le réflexe rotulien est exagéré de ce même côté ; au membre supérieur la percussion du tendon du triceps brachial, et des tendons des muscles antérieurs de l'avant-bras occasionnent dans les muscles une contraction réflexe exagérée. Dans les cas d'hémiparésie cette exploration est rendue relative-ment facile par la comparaison possible avec le côté sain. Mais les mêmes phénomènes s'observent aussi bien dans les cas où l'aflaiblissement musculaire affecte la forme paraplégique ou lorsqu'il est généralisé, comme il arrive souvent dans les cas d'hémianesthésie double.
L'exagération des réflexes tendineux est donc un phénomène fréquent dans l'hystérie. La trépidation spontanée s'observe plus rarement, nous avons pu cependant la constater nous-même en plusieurs circonstances, mais surtout avant ou après les attaques convulsivos au moment où il se produit une aggravation momen-tanée des symptômes permanents. On comprendra facilement pourquoi, si l'on se souvient que, bien que l'exagération des ré-flexes tendineux et la trépidation spontanée soient symptoma-
tiques d'un même état morbide, celle-ci révèle un degré assez avancé d'une affection dont les débuts sont accusés par celle-là.
Un nouveau rapprochement entre l'hystérie et les lésions céré-brales organiques existe dans le retentissement que les symptômes unilatéraux ont leplus souvent sur le côtérelativementsain. M.Dé-jerine a le premier signalé, dans les cas d'hémiplégie de cause cérébrale, la répercussion de certains phénomènes spasmodiques du côté paralysé sur le côté non paralysé, et en particulier la tré-pidation spinale. M. Brissaud,de son côté, a souvent constaté que la percussion du tendon rotulien chez les hémiplégiques pro-duisait, en même temps que le réffexe cherché, un léger soubre-saut de la jambe du côté opposé. Nous-même avons eu l'occasion d'observer les mêmes phénomènes plus d'une fois dans le cours de notre année d'internat à laSalpêtrière.
Quelque chose d'analogue s'observe chez les hystériques hémi-anesthésiques. Si les membres du côté hémianesthésique présen-tent à un assez haut degré les caractères des hémiparésies avec contracture latente, l'étude graphique de la contraction muscu-laire permet de constater que, du côté sain, celle-ci n'a pas tous les caractères de l'état normal.
La percussion du tendon rotulien détermine souvent un mou-vement analogue dans la jambe du côté opposé. Chez une de nos malades dont nous avons déjà souvent parlé, Alphonsine Bar..., qui est hémianesthésique gauche et hémiparétique du même côté, la percussion du tendon rotulien gauche retentit jusque sur le membre supérieur du côté opposé. Ainsi, lorsqu'on percute le tendon rotulien du côté gauche, on voit non-seulement le membre inférieur droit être animé d'un mouvement analogue au membre inférieur gauche, mais le bras droit lui-même, avec un retard ap-préciable, est animé d'une secousse correspondante. Par degrés insensibles, ce retentissement des symptômes du côté affecté sur le côté sain nous conduit aux cas dans lesquels les deux côtés du corps sont atteints ; il est en effet bien curieux de constater alors qu'un des côtés du corps est le plus souvent plus profondément lésé que l'autre.
§2. — contracture p e r m a n e i^t e
La contracture permanente hystérique a été, de la part de MM. Charcot, Bourneville et Voulct^ , l'objet d'une étude appro-fondie qui nous dispense d'entrer ici dans tous les détails de sa Symptomatologie.
Dans ses rapports avec l'attaque hystéro-épileptique régulière, la contracture se rencontre dans la première période (période épileptoïde), dans la seconde période (contorsions), et parfois aussi dans la quatrième période. La contracture hystérique estalorsgé-nérale et transitoire. Parmi les variétés de la grande attaque, nous avons vu qu'il en est dans lesquelles la contracture géné-ralisée joue un rôle prédominant.
Après l'attaque convulsive ordinaire la contracture partielle qui subsiste quelquefois est transitoire ou permanente.
La contracture hystérique permanente, dont il s'agit spéciale-ment ici, présente avec l'attaque convulsive des relations étroites, puisqu'elle y prend souvent naissance. Elle peut cependant survenir spontanément dans l'intervalle des attaques, et sans affecter avec elles aucun rapport immédiat. Bien mieux, et j'insiste particuliè-rement sur ce point, la contracture permanente est un symptôme de Vhjstérie non convulsive,Q,''Qsi-'à-à\Ye, qui ne présente pas au nom-bre de ses symptômes les attaques de convulsion même atténuées. On la rencontre souvent chez les enfants comme première mani-festation d'une hystérie qui s'en tiendra toujours aux symptômes locaux variés (contractures, paralysies, choree rhythmique, etc.), ou qui, prenant de l'extension en même temps que le petit malade grandira, deviendra générale et, en outre des symptômes perma-nents, comptera au nombre de ses manifestations la grande attaque hystérique elle-même ou ses diverses variétés.
D'après Bourneville etVoulet, la contracture partielle intéresse
1. De la contracture hystérique permanente, Paris 1872.
plus particulièrement : a ) une moitié de la face ; les muscles de l'œil ne sont point épargnés, d'où résultent des troubles de l'ac-commodation ; — h) les muscles de la mâchoire (trismus) ; — c) la langue et quelquefois en outre le voile du palais et l'œsophage; — d) les muscles d'un côté du cou (le torticolis hystérique est une des plus fréquentes manifestations de l'hystérie infantile); —é) les muscles de la vie de relation : le canal cholédoque, d'où l'ic-tère ; le sphincter vesical, d'où la rétention d'urine et la néces-sité du sondage; — f) enfin les membres.
La contracture des membres revêt la forme hémiplégique ou paraplégique. La paraplégie est cervicale ou lombaire. Enfin un seul membre peut être atteint.
La contracture permanente hystérique s'accompagne toujours d'un trouble dans l'état de la sensibilité. Le plus souvent, le membre contracture est en même temps frappé d'anesthésie. Nous verrons que, chez les hystériques hémianesthésiques, la con-tracture permanente se localise de préférence au côté du corps anesthésié.
D'autres fois cependant la contracture s'accompagne d'une hyperesthésie intense de la peau. Nous en avons vu un exemple fort intéressant plus haut (page 207) dans lequel les applications aimantées étaient demeurées sans résultat.
En outre de la brusquerie fréquente de son début, un des ca-ractères les plus saillants de la contracture hystérique perma-nente réside dans le degré de son intensité. Le membre atteint est d'une rigidité extrême, les muscles s'y dessinent en saillies vi-goureuses et les efforts les plus énergiques n'arrivent pas à en modifier la situation. La contracture persiste pendant le sommeil et ne cède, momentanément toutefois, qu'à une chloroformisa-tion poussée assez loin.
Sa durée est illimitée. Elle peut se prolonger, sans rémission aucune, pendant des mois et des années. Mais sa longue durée ne change en rien son mode de terminaison.
M. Charcot a insisté dans ses leçons sur la façon subite dont elle cesse quelquefois — sous des influences morales vives ou sans
cause appréciable — laissant le membre dans un état d'intégrité fonctionnelle parfait, quelle qu'ait été la durée de son immobi-lisation.
Sans préjudice des variétés que peut offrir la pratique de cha-que jour, la contracture hystérique permanente donne auxmem-bres une attitude de prédilection que nous allons brièvement in-diquer. Au membre supérieur c'est la flexion qui prédomine, au membre inférieur c'est l'extension.
Le membre inférieur est dans l'adduction et l'extension, les muscles de la cuisse saillants,la rotule immobilisée. Le pied pré-sente une attitude caractéristique (pied-bot hystérique ) : le talon est élevé, le tendon d'Achille saillant et tendu, la face dorsale du pied renversée en dehors, sa face plantaire excavée regarde en dedans et en arrière, la malléole externe devient très proéminente. La pointe du pied est fortement abaissée et les orteils sont fléchis.
Chez une malade, dont l'histoire a été rapportée plus haut (page 197), l'attitude du membre inférieur faisait exception à la règle. Il était dans la flexion forcée.
Quelquefois la contracture est limitée au pied.
La contracture permanente limitée au membre supérieur est un fait rare. Bourneville et Voulet n'en ont pas rencontré un seul cas bien constaté. Le fait existe cependant, car nous avons eu l'occa-sion d'en observer à la Salpêtrière, au moins un cas bien caracté-risé. Associée à la contracture du membre inférieur du même côté, la contracture du membre supérieur estbeaucoupplus fréquente, t Le bras est dans l'adduction, appliqué contre le thorax, l'avant-bras en supination et demi-fléchi sur le bras, la main fléchie sur le poignet, les doits fléchis également et le pouce recourbé dans la paume de la main. L'intensité delacontracture esttelle que l'on est obligé de glisser dans le creux de la main de la charpie ou un rouleau de bande pour empêcher les ongles d'entamer la peau.
Les récentes recherches entreprises au laboratoire de la Salpê-trière nous ont permis d'étudier quelques points de l'histoire de la contracture hystérique, sur lesquels je vais insister plus parti-cuhèrement.
LA CONTRACTURE LATENTE DE l'hÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE PEUT ÊTRE MISE EN ÉVIDENCE PAR PLUSIEURS PROCÉDÉS
Nous avons vu que, chez les hystériques, les membres atteints de parésie étaient en imminence de contracture.
Cette conclusion découle naturellement des analogies qui existent entre les hémiparésies hystériques et les hémiplégies par lésion cérébrale, dans lesquelles la signification des réflexes tendineux et de la trépidation spinale est généralement reconnue. Mais l'hystérie qui ne fait qu'emprunter ses symptômes aux affec-tions organiques du système nerveux, offre ceci de particulier qu'ils s'y trouvent en quelque sorte exagérés et peuvent y être l'objet d'une étude plus facile. Dans l'espèce, l'état de contrac-ture latente révélé par l'exagération des réflexes tendineux, est encore confirmé par la facilité avec laquelle la contracture elle-même apparaît dans les membres parésiés sous l'influence de causes variées.
L'excitation mécanique portée sur les muscles de la région antérieure de l'avant-bras par exemple, au moyen des branches d'un diapason mises en vibration et promenées sur la peau de la région, produit dans les muscles une contraction qui se traduit par un mouvement des doigts et qui ne tarde pas à se trans-former en une véritable contracture qui immobilise la main dans la flexion. Cette contracture ainsi obtenue est extrêmement intense et résiste aux efforts les plus vigoureux. La même exci-tation portée sur les muscles antagonistes arrive facilement à la vaincre et la fait complètement disparaître. La même expérience a été tentée une seule fois en notre présence sur une malade hémiplégique par lésion cérébrale avec contracture latente du service de M. Charcot. Nous avons vu alors l'excitation vibra-toire produire une contraction manifeste dans les muscles au niveau desquels elle était portée, mais la contracture n'a pas été obtenue. Ces expériences demanderaient à être généralisées.
Cette contracture obtenue sous l'influence du diapason pré-sente tous les caractères de la contracture hystérique perma-nente ; ellenecesse point spontanément, et, dans les cas que nous avons eus sous les yeux, elle paraissait devoir persister si nous ne l'avions pas détruite par l'excitation des muscles antagonistes. C'est particulièrement du côté hémianesthésique que s'observent ces phénomènes de contracture provoquée. Mais ils peuvent se produire, bien que plus difficilement, du côté opposé; ce qui se comprend aisément puisque le côté sain chez une hystérique hémianesthésique ne jouit que d'une immunité relative et est toujours plus ou moins atteint par contre coup.
Il en est de même des autres variétés de contracture provo-quée. Les vibrations du diapason qui produisent la contracture, ainsi que je viens de le dire, n'agissent qu'en vertu d'une excita-tion mécanique spéciale. Mais des excitations mécaniques d'une autre sorte produisent le même effet. Ainsi des tractions un peu vives opérées sur un membre parésie, le bras par exemple, peuvent, dans certains cas, l'immobiliser dans un état de con-tracture permanente en extension forcée. Les muscles du tronc, du cou, de la face même peuvent être contractures d'une façon analogue. Il suffit d'opposer une résistance à un mouvement volontaire de la malade pour amener la contracture des mus-cles mis en jeu pour opérer ce mouvement. MM. Ch. Richet et Brissaud ont fait quelques recherches au laboratoire de la Salpê-trière sur cette variété de la contracture provoquée K
Un effort musculaire un peu violent des malades elles-mêmes conduit au même résultat. Dans les exercices gymnastiques auxquels elles se livrent, il leur arrive parfois, à la suite d'un mouvement un peu forcé, de voir un de leurs membres atteint d'une contracture dont elles ne parviennent que difficilement à se débarrasser.
Les excitations de Vélectricité faradique peuvent avoir l'in-fluence la plus fâcheuse sur les muscles paralysés et en imminence de contracture. Le fait est connu depuis longtemps pour ce qui
1. Progrès médical, n'^ 23 et 24, 1880.
RICHER. 36
est des liémiplégies de cause cérébrale, etDuchenne de Boulogne trouve dans le plus léger degré de contracture des membres paralysés, une contre-indication formelle de l'emploi de la fara-disation. l\ cite le cas fort intéressant d'un étudiant en médecine qui, atteint d'hémiplégie avec contracture légère du membre supérieur, vit sous l'influence de l'emploi intempestif de l'élec-tricité faradique la contracture envahir'en quelques instants tout le côté malade. Il survint même des convulsions générales et pendant plusieurs jours sa vie fut en danger. Les contractures douloureuses et comme tétaniques persistèrent plusieurs se-maines.
L'action de la faradisation est la même sur les membres paré-siés des hystériques. M. Brissaud l'a également constaté dans le cours des recherches spéciales qu'il a faites à ce sujet. Une fara-disation, même légère, déterminait constamment une contracture permanente du membre électrisé. En augmentant l'intensité du courant et le nombre des interruptions, on pouvait provoquer la généralisation de cette contracture, non seulement dans le côté malade, mais jusque dans le côté sain.
Les applications aimantées peuvent, dans des circonstances spéciales, conduire au même résultat. C'est ce que nous avons eu particulièrement l'occasion d'observer chez une de nos malades dont nous avons peu parlé jusqu'ici, mais dont l'histoire est rapportée tout au long dans Ylconographie photographique de la Salpêtrière, tom. II, pag. 93. Wand..., à la suite d'une attaque convulsive d'hystéro-épilepsie qui a duré trois jours, demeure paralysée de la jambe gauche. La paralysie est flasque et la malade traîne en marchant un membre complètement inerte, mais le réflexe rotulien est exagéré et la trépidation de tout le membre facilement obtenue en relevant la pointe du pied. Les mêmes phénomènes spasmodiques sont également obtenus sur la jambe droite, mais à un degré beaucoup moindre. L'anesthésie cutanée est complète et totale. Le sens musculaire est aboli dans le membre paralysé; les yeux fermés, Wand... perd complètement la notion de sa position; il en est de même, bien qu'à un degré
moindre pour le bras du môme côté. L'achromatopsie partielle existe pour l'œil gauche qui n'a conservé que la vision d'une seule couleur, le rouge. L'œil droit distingue parfaitement toutes les couleurs.
Dans ce cas, nous avons pu constater que les applications ai-mantées amenaient infailliblement la contracture musculaire, lorsqu'elles portaient sur le membre paralysé qui prenait alors l'attitude du pied-bot équin. Rien de semblable ne se produisait lorsque l'aimant était appliqué sur la jambe droite.
Mais ce qui est encore plus digne d'intérêt, c'est que la même aptitude des muscles à la contracture provoquée par l'aimant s'étendait à tout le côté gauche ; le bras gauche, le cou du même côté pouvaient être contractures sous la même influence; tandis que, du côté droit, les mêmes manœuvres demeuraient com-plètement sans résultat. Le massage avait d'ordinaire facile-ment raison de ces contractures provoquées.
DE LA CONTRACTURE TRAUMATIQUE.
Les faits qui précèdent nous conduisent tout naturellement à l'étude des cas dans lesquels on a vu la contracture se déve-lopper à la suite d'un traumatisme ; et cet état de contracture latente, dont il vient d'être question, rend parfaitement compte de la facilité avec laquelle la contracture elle-même apparaît sous l'influence d'une cause traumatique même légère. On comprend pour la même raison l'inefficacité et même le danger, dans les cas de contracture hystérique,du traitement chirurgical dont les diverses pratiques ne sauraient que tendre à l'aggravation du mal, en sollicitant, par des excitations multiples et variées, les dispositions morbides spéciales des muscles.
Je rappellerai ici les nombreuses variétés de contracture suc-cédant, par voix réflexe, à des lésions variées des os ou des parties molles et que l'on a désignées sous le nom de contractures réflexes.
Il me suffira de citer les contractures qui accompagnent sou-vent les lésions articulaires (arthrites, tumeurs blanches),et de-viennent une des causes de la déformation permanente du membre ; Duchenne de Boulogne en a décrit une variété sous le nom de contracture réflexe ascendante par traumatisme arti-culaire. Les contusions des parties molles ont pu également dé-terminer la contracture des muscles au voisinage desquels elles avaient porté. E. Brissaud en cite trois exemples dus à notre ami P. Segond.
Si dans les cas qui précèdent le traumatisme a pu provoquer et entretenir la contracture musculaire chez des sujets qui n'y étaient en aucune façon prédisposés, avec quelle facilité la con-tracture ne se développera-t-elle pas lorsque la même cause agira sur des membres placés, de par l'hémiplégie cérébrale, dans des conditions éminemment favorables à son développement? C'est en effet ce qui a lieu. Il n'est pas rare, à la Salpêtrière où le nombre des hémiplégiques de cause cérébrale est considérable, de voir, chez une de ces malades qui jusque-là n'avait présenté que peu ou point de raideur dans les membres paralysés, la con-tracture, à la suite d'une chute ou d'une contusion, se montrer eu un point du corps et même se généraliser à tout le côté malade.
M. Terrier en a rapporté un intéressant exemple dans la Revue Mensuelle de iS19. "SI. Brissaud en consigne un cas dans sa thèse \
L'hystérie ne fait point exception à la règle qui régit les affec-tions organiques du système nerveux.
L'influence du traumatisme sur le développement de diverses manifestations hystériques a été mise en lumière pour la première fois par Brodie,au sujet de ce qu'il désigne sous le nom à'hystérie locale -. M. Charcot a consacré au même sujet une leçon publiée dans le Progrès Médical du 4 mai 4878, dans laquelle il confirme,
\. Rrissaud, loc. cit. pag. 192, obs. XVI. Hémiplégie droite. Aphasie. Chute et contusion de la jambe droite, suivies de contracture douloureuse du membre pa-ralysé.
2. Il n'est pas rare, dit Rrodie (pag. 57), de voir, par exemple, une jeune femme, dont a été piqué ou pincé le bras, se plaindre, peu après le petit accident, d'une douleur qui, des doigts, s'étend par en liaut sur la main et l'avant-bras. La douleur
par des observations tirées de la pratique, les remarques de l'au-teur anglais.
Suivant M. Gharcot, ce que l'on connaît, quant à présent, de plus important au sujet de Vhystéric locale tramiatigue, peut se résumer dans les propositions suivantes :
(( Une hyperesthésie cutanée plus ou moins exquise, des dou-leurs plus profondes, localisées sur le trajet des troncs nerveux, ou paraissant quelquefois siéger plus spécialement dans une ou plusieurs articulations, une contracture permanente plus ou moins accentuée, tels sont les phénomènes qui se produisent immédiate-ment après ou peu après l'application de la cause traumatique. Ces symptômes restent plus ou moins limités à la région où celle-ci s'est exercée; ils s'étendent rapidement aux régions voisines et peuvent même occuper toute l'étendue d'un membre. Une fois établis, ils persistent fréquemment tels quels, sans modification appréciable, avec une ténacité désespérante, pendant plusieurs semaines, plusieurs mois, voire plusieurs années. La moindre pression, le moindre frôlement, le moindre mouvement provoqué exaspèrent les douleurs et la contracture... Il arrive, en général, que l'hyperesthésie et les douleurs font place, tôt ou tard, à une anesthésie plus ou moins absolue; cependant la contracture mus-culaire persiste encore néanmoins au même degré que par le passé. Elle peut, toutefois, être à son tour remplacée par une pa-résie ou même une paralysie avec résolution des muscles.
)) Ces accidents, développés à l'occasion d'une action méca-nique, sont le plus souvent la première révélation de la diathèse hystérique jusque-là restée latente; et, généralement, ils en con-stituent pendant longtemps l'unique symptôme, en ce sens qu'ils subsistent à l'état d'isolement, sans adjonction d'autres phéno-mènes nerveux. A ce double point de vue, on doit les considérer
sera probablement compliquée d'une action convulsive des muscles du bras ou encore d'une contraction continue des muscles fléchisseurs ou de la partie antérieure du bras, de telle sorte que l'avant-bras sera tenu courbé, d'une façon permanente, au moins tant que la malade restera éveillée, car le spasme est généralement relâ-ché pendant le sommeil... {Lectures illustratives of certain local nervous affec-tions. London 1837).
commfe les équivalents de ces accidents névropathiques locaux de même ordre, mais développés cette fois spontanément, qui sont un des attributs les plus singuliers de Vhystérie infantile... »
On voit que dans Vhystérie locale traumatique la contracture permanente joue un grand rôle, et les détails dans lesquels nous sommes entré, au sujet de cette disposition nerveuse spéciale qui met les membres d'une hystérique ou d'une hémiplégique céré-brale en imminence de contracture, nous permet d'en saisir le mécanisme et d'en mieux apprécier la signification.
On comprendra facilement les résultats déplorables d'un traite-ment maladroit ou intempestif ce L'observation démontre, en effet, dit M. Charcot, que, dans l'espèce, les applications de vésicatoires ou de cautères, la galvanisation et la faradisation, fimmobilisation prolongée, les tentatives de réduction en tout genre, les sections de nerfs et détendons, exaspèrent toujours le mal et sont quelque-fois suivis des plus fâcheux effets. »
INFLUENCE DE l'AIMANT SUR LA CONTRACTURE PERMANENTE ARTIFICIELLE. — TRANSFERT DE LA CONTRACTURE.
J'ai indiqué plus haut (p. 371) comment il était possible, chez les hystériques soumises aux pratiques variées de l'hypnotisation, de provoquer une contracture artificielle qui présente tous les caractères de la contracture permanente. L'hypnotisme peut donc rentrer dans les causes occasionnelles de la contracture hystérique à côté de celles dont nous avons déjà parlé.
Je désire faire ressortir ici l'influence des applications aimantées sur le déplacement de la contracture hystérique. La facilité avec laquelle il est possible de provoquer la contracture chez les hysté-riques nous a permis de répéter l'expérience un grand nombre de fois, et toujours nous avons obtenu les mêmes résultats. L'aimant appliqué sur un membre contracture artificiellement a toujours eu pour effet d'augmenter le degré de la contracture; mais ap-
pliquc du côté opposé du corps, sur la région symétrique à celle qui était occupée par la contracture, il s'est produit un efTet inat-tendu, et qui s'est répété avec les mêmes caractères toutes les fois que nous l'avons cherché. Supposons que la contracture artifi-cielle porte sur l'avant-bras droit, le poing est fermé, le poignet fléchi. L'aimant est appliqué sur l'avant-bras gauche qui présente tous les caractères de l'état normal. On voit au bout de dix mi-nutes à un quart-d'heure environ, la main gauche se fermer légè-rement. Si l'on cherche à l'étendre on constate un peu de roideur musculaire. En même temps la contracture du bras droit paraît moins intense. Peu à peu les mêmes phénomènes s'accusent da-vantage, et bientôt la contracture du membre droit cède complè-tement, pendant que la roideur du membre gauche s'est exagérée au point de devenir une véritable contracture analogue à celle qui existait d'abord du côté opposé. En un mot il s'est opéré, sous l'influence de l'aimant un véritable déplacement de la contracture qui a passé d'une région du corps à la région symétrique du côté opposé.
Si maintenant l'on vient à appliquer l'aimant au bras droit, le même phénomène que l'on a désigné, par analogie avec ce qui se passe pour la sensibilité, sous le nom de transfert de la contrac-ture, se reproduit exactement de la même façon et la contracture revient au bras droit en même temps qu'elle quitte le bras gauche. Et ainsi de suite, l'expérience peut être répétée un grand nombre de fois.
En résumé, l'aimant, dans ces cas, ne résout la contracture d'une partie qu'à la condition d'en provoquer une autre analogue dans une autre partie du corps. Il déplace la contracture, mais ne la détruit pas. Pour faire disparaître complètement la contracture artificielle il faut avoir recours à d'autres procédés sur lesquels je ne reviendrai pas ici.
LA CONTRACTURE HYSTÉRIQUE EST DUE A UNE MODIFICATION SPÉCIALE DYNAMIQUE DES CENTRES MÉDULLAIRES.
Nous avons vu que le siège anatomique de l'anesthésie hysté-rique ne résidait pas dans les extrémités nerveuses, mais qu'il devait être placé dans les centres, dans le cerveau lui-même, vraisembla-blement au même point que les recherches anatomo-pathologiques récentes ont assigné aux lésions organiques qui tiennent sous leur dépendance l'hémianesthésie cérébrale. Dans l'hystérie, la lésion d'une nature inconnue ne laisse après la vie aucune trace qui per-mette de la constater de visu et nous en sommes réduits à la con-sidérer comme unemodification dynamique.
Il en est de même de la contracture hystérique, dont la cause ne saurait résider dans le muscle lui-même et dont il faut rechercher la raison dans un trouble dynamique spécial des centres médul-laires.
Qu'est-ce donc que la contracture permanente? et quelle défi-nition physiologique peut-on donner de ce phénomène, éminem-ment paradoxal, d'une activité musculaire qui, sans aucun repos appréciable, persiste souvent fort longtemps?
M. Gharcot, dans ses Conférences cliniques de 1879, a montré qu'il existait dans la physiologie un fait qui est le paradigme de la contracture, c'est le tonus musculaire. Les muscles môme au repos sont dans un certain état d'activité que l'on a désigné sous ce nom. Les expériences de Cl. Bernard ont montré que la tonicité mus-culaire était un phénomène réflexe ; il existe également de nom-breuses raisons pour établir que la contracture est un fait de même ordre. Je me contenterai d'en énumérer quelques-unes.
a) La percussion du tendon rotulien, qui provoque ordinairement une contraction réflexe passagère dans les muscles du membre, amène parfois un commencement de contracture. (Voir la Thèse de Brissaud, p. 108).
b) L'action de la strychnine porte sur la substance grise de la moelle et non sur les muscles ; or on a vu dans les cas de paralysie spasmodique la contracture musculaire succéder à son emploi.
c) Nous avons vu une faradisation intempestive faire naître la contracture sur des membres prédisposés.
d) L'action reconnue du traumatisme sur le développement des contractures plaide dans le même sens.
é) Je rappellerai les faits, dont nous avons parlé plus haut, de contracture provoquée sur les hystériques.
Il semble donc que nous soyons en droit de conclure que la contracture n'est qu'une exagération de la tonicité musculaire, et par suite doit trouver sa cause immédiate et son siège anato-mique dans le même point de la moelle, là où se trouve le centre de réflexion de l'arc réflexe.
Comment comprendre autrement la production des contrac-tures artificielles dont nous avons parlé et qui toutes sont évidem-ment de nature réflexe? Comment expliquer ces phénomènes de déplacement de la contracture sous l'influence de l'aimant?
D'ailleurs cette origine centrale de la contracture n'est point un fait isolé ne s'appliquant qu'aux cas de contracture hystérique. Notre ami E. Brissaud assigne le même siège médullaire aux contractures secondaires de l'hémiplégie d'origine cérébrale. D'après lui, la dé-génération scléreuse du faisceau pyramidal ne saurait être la cause efficiente de la contracture permanente; cette cause immédiate doit être recherchée dans une hyperactivité spéciale des cellules motrices de la moelle, hyperactivité entretenue par le processus irritatif du faisceau scléreux lui-même dont elles sont l'aboutissant. Aussi une des circonstances nécessaires à la production et au maintien de la contracture réside dans l'état d'intégrité organique des cellules motrices de la moelle. Lorsque, par l'envahissement du processus inflammatoire, celles-ci sont altérées dans leur struc-ture, la contracture musculaire cesse, pour être remplacée par l'atrophie musculaire, conséquence inévitable de leur destruction.
« La condition nécessaire des contractures de ce genre, dit Brissaud, est l'état d'opportunité spasmodique engendré par l'hy-
perexcitabilité des centres médullaires. Qu'on ait affaire à un des cas de dégénération secondaire matériellement appréciable, ou qu'il s'agisse d'une exaltation de la réflectivité propre à une dispo-sition morbide, indéfinissable parl'anatomie pathologique, comme dans l'hystérie, peu importe. L'essentiel est que les centres soient sous le coup d'un processus irritatif constant, soit mécanique, soit dynamique. »
§ 3. — DE LA CIIORÉE RHYTHMIQUE HYSTÉRIQUE
Je ne m'étendrai pas longuement sur cette variété de chorée qui mérite à plus d'un titre d'être séparée de la chorée vulgaire.
M. Gharcot y a consacré une de ses Gonférences cliniques de l'année 4878. MM. Sée, Trousseau, Briquet, Puccinotti, etc., en avaient auparavant rapporté d'intéressants exemples.
Cette variété de chorée, ainsi que son nom l'indique, diffère de la chorée vulgaire en ce que les mouvements involontaires, au lieu d'être complètement incoordonnés, sont systématisés dans un certain ordre, de façon à produire, dans les parties du corps qu'elle affecte, un mouvement déterminé qui se répète toujours avec les mêmes caractères. Elle a reçu différents noms, suivant la forme ou le but apparent de ces mouvements systématiques; on l'a ainsi appelée malléatoire, rotatoire, saltatoire; le sens de ces dénominations indique assez la forme des mouvements.
Ges mouvements coordonnés qui donnent à cette affection, ou plutôt à cet accident de la grande hystérie, une physionomie si inattendue et si singulière ne sont point des phénomènes insolites et sans analogues dans la symptomatologie de l'hystérie. Ils ont avec les mouvements rhythmés de la seconde période de la grande attaque des analogies tellement frappantes, qu'il semble rationnel de considérer la chorée rhythmique hystérique comme une at-taque convulsive, modifiée et réduite à un seul de ses éléments. Mais il ne faut pas oublier que la longue durée de ces accidents, leur localisation étroite, l'intégrité des facultés intellectuelles qui
les accompagne ordinairement, ne permettent pas de les classer parmi les attaques convulsives proprement dites, dont la nature est essentiellement intermittente, paroxystique et tendant à l'enva-hissement des muscles de tout le corps ; les mêmes raisons, au con-traire, autorisent à les ranger à côté des troubles variés de la con-tractilité musculaire (paralysies, contractures) qui se rencontrent fréquemment chez les hystériques en dehors des attaques.
Lachorée rhythmique peut même se montrer dans les cas d'hys-térie non convulsive. Au même titre que la contracture, elle est une des manifestations de l'hystérie locale, et il n'est pas rare de l'observer chez les jeunes garçons.
Je me contenterai de rapporter ici, à titre d'exemple, un cas de chorée rhythmique observé en 1878 chez une des malades, dont nous avons bien des fois parlé dans le cours de ce travail, Louise Gl..., et qui fut l'occasion delà leçon que M. Charcot fit sur ce su-jet.
Les mouvements rhythmés occupaient la face, le tronc et les membres exclusivement du côté droit. Ils persistaient invariable-ment toute la journée, cessaient pendant le sommeil, pour repa-raître le matin aussitôt le réveil. La compression méthodique de la région ovarienne droite amenait une suspension momentanée des mouvements, qui finirent par disparaître complètement sous l'in-fluence des inhalations de nitrite d'amyle une ou deux fois par jour pendant trois ou quatre jours. Cet accident choréique avait duré quinze jours.
Les mouvements consistaient en une sorte de salutation dont voici la description d'après le docteur Bourneville ^ :
La tête et le tronc se portent en arrière et vont toucher le lit et l'oreiller; en même temps : 1° le bras se colle au tronc ; l'avant-bras,qui était allongé, se fléchit; la main, qui était en supination, se met en pronation, se fléchit, et vient toucher l'épaule ; — 2° le membre inférieur qui était allongé, se fléchit, la cuisse sur le bassin, et la plante du pied tout entière frotte sur le lit. (Fig. 100)»
Ceci constitue, pour ainsi dire, un premier temps. Alors, on
1. Iconographie phot. de la Salp., t. Il, p. 155.
note des grimaces limitées à la moitié droite de la face; les pau-pières droites se ferment, les muscles du cou, à droite, se convul-sent; X... se plaint de tiraillements dans la tempe droite et dans
Fig. 100.
la moitié correspondante du cou. Après un court arrêt survient un second temps.
La tête se fléchit, le menton venant s'appliquer sur la région
Fig. m.
sternale; le tronc s'incline en avant, est vertical, puis s'infléchit de telle façon que le front arrive à quelques centimètres des ge-noux. Simultanément le bras et la jambe, du côté droit, s'allon-gent; le bras et la jambe du côté gauche demeurent tranquilles, (Fig. 101). La figure 102 donne une idée générale des deux temps.
Ce fait montre d'une façon indiscutable que la chorée rhythmi-que doit être rangée parmi les manifestations de la grande hysté-
rie. Il serait facile d'apporter à l'appui de cette opinion un certain nombre d'observations puisées dans les auteurs. Mais on ne sau-rait conclure de là que toutes les chorées rhytlimiques soient de nature hystérique, de même qu'il estbien prouvé que toutes les cho-rées qui relèvent de l'hystérie ne sont pas, par cela même, systé-
Fig. 10-2.
matisées. On peut voir chez une hystérique les troubles du mou-vement revêtir la forme delà chorée vulgaire,ainsi que nous avons pu en observer un exemple chez une de nos malades que, par con-traste, M. Gharcot cite dans sa leçon.
QUATRIÈME PARTIE
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LE DIAGNOSTIC, LE PRONOSTIC ET LE TRAITEMENT DE LA GRANDE HYSTERIE
CHAPITRE PREMIER
DIAGNOSTIC ET PRONOSTIC
Ce chapitre sera divisé en deux parties.
Dans la première, j'indiquerai les raisons qui plaident en faveur de la réalité des faits énoncés précédemment, en mettant l'ob-servateur à l'abri d'une cause d'erreur sérieuse en matière d'hys-térie, de la simulation. J'aurai principalement en vue les expé-riences touchant l'action des agents dits aesthésiogènes, et celles qui ont été rapportées plus haut au chapitre de l'hypnotisme. J'ajouterai quelques mots au sujet de 1' « attention expectant » des auteurs anglais.
Dans la seconde partie je traiterai spécialement du diagnostic différentiel de l'hystéro-épilepsie et de l'épibpsie véritable.
FAITS destinés a aietthe l ' 0 l! s eu v a T e u u A l'ABP.1 de la simulation
A. EN CE QUI CONCERNE L'ANESTHÉSIE HYSTÉUIQUE ET L'INFLUENCE QU'EXERCENT SUR ELLE LES AGENTS DITS ^STHÉS? 0 GÉNES
L'existence de Tanesthésie hystérique est suffisamment démon-trée pour qu'il soit inutile d'y insister. Mais peut-elle être simulée? Le cas n'est certainement pas invraisemblable, nous pensons tou-tefois qu'un observateur attentif ne peut pas s'y laisser tromper. Nous nous sommes habituellement servis, dans nos explorations, de très fortes épingles, avec lesquelles la main tout entière, ou d'épais plis cutanés étaient traversés de part en part. Un tel sup-phce répété aussi souvent que nous l'avons fait chez nos malades exige pour le supporter sans sourciller une force de résistance à la douleur que nous nous refusons complètement à admettre chez les sujets soumis à nos expériences. 11 suffit d'avoir assisté une seule Ibis aux explorations de ce genre pour être convaincu de la réalité de l'anesthésie. Je n'ajouterai qu'un mot, mais qui me paraît décisif. Si, par un rare degré d'énergie, la volonté peut réprimer le réflexe à la douleur, quand celle-ci est prévue ; jamais ce mou-vement tout instinctif ne fait défaut, lorsque l'agression est brus-que et inattendue. Or je n'ai pas besoin d'ajouter que cette dernière condition est facilement réalisable en bandant les yeux de la ma-lade, ou en faisant porter le traumatisme sur les parties du corps, par derrière par exemple, placées hors de sa vue et pendant que son attention est attirée ailleurs. Dans le cours de nos expé-riences, ces précautions n'ont jamais été négligées.
Les résultats des expériences entreprises sur les hystériques anesthésiques au moyen des agents dits a3sthésiogènes ont ren-contré plus d'un incrédule.
Nous puiserons les éléments de notre conviction à deux sources :
IVDans les conditions de l'expérience elle-même; 2° Dans les expériences de contrôle.
l°Les effets obtenus par l'application des divers agents œsthé-siogènes sont assez complexes pour laisser peu de place à la fantai-sie. Le mode de retour de la sensibilité, le transfert, les oscillations consécutives, l'anesthésie provoquée, le retour ou la disparition de la vision des couleurs suivant un ordre invariable dans l'achroma-topsie, etc., sont autant de faits d'une intelligence assez difficile, que les malades ne peuvent connaître et par conséquent simuler.
Or ces divers résultats ne sont pas des faits isolés. Ils ont été observés sur un grand nombre de malades, aussi bien dans les hô-pitaux que dans la clientèle privée et constatés par de nombreux observateurs.
Je n'insisterai que sur la preuve tirée de l'achromatopsie, et de l'action qu'exercent sur elle les agents aesthésiogènes. Les couleurs apparaissent ou disparaissent dans l'œil achromatopsique, suivant un certain ordre, toujours le môme et bien fait pour donner à l'ob-servateur toutes les garanties de bonne foi désirables de la part de la malade .En effet, il ne répond à rien de connu dans ce genre et diffère essentiellement de l'ordre des couleurs du spectre solaire. Comment donc le sujet qui n'est pas averti pourrait-il en avoir connaissance ? Or jamais les malades que nous avons soumises à nos expériences ne se sont trompées dans l'énumération des couleurs dont la vision disparaissait ou réapparaissait dans l'ordre connu (voy. p. 541). Et quelque insistance que l'on ait employée pour les mettre en défaut, en modifiant de mille façons l'ordre des papiers colorés qu'on leur présentait, jamais elles n'ont désigné une couleur différente de celle que, d'après la loi, elles devaient reconnaître.
Cette loi, qui peut s'énoncer en deux mots : les couleurs dispa-raissent par le centre et réapparaissent par la périphérie.^ devient en quelque sorte un moyen de contrôle de la véracité des hysté-riques qui, sous peine d'être accusées de simulation, ne sauraient manquer à cette double règle : a) une malade qui ne voit pas le rouge ou le bleu, suivant les cas, ne saurait distinguer aucune des autres couleurs; h) une malade qui voit le violet doit distin-guer toutes les autres couleurs.
RICHE1Ì. 37
Je ferai ici une autre remarque qui a bien sa valeur au point de vue du diagnostic. Elle est tirée des différences qui existent entre le daltonisme et l'achromatopsie hystérique (voy. p. 532).
On peut poser en règle générale qu'une hystérique, qui, à l'instar des daltoniens, fait erreur sur la couleur, prend du rouge pour du vert, par exemple, est une hystérique qui trompe. Dans l'achromatopsie hystérique, en effet, il n'y a pas perception er-ronée des couleurs, il y a défaut de perception. La malade, au heu et place des couleurs, ne doit voir que blanc, gris ou noir, suivant la valeur des tons.
2" Expériences de contrôle. Je rappellerai ici que, dans le cours des recherches faites à la Salpôtrière, rien n'a été négligé pour se mettre à l'abri de l'erreur et de la supercherie.
Les expériences ont été répétées un grand nombre de fois et variées de mille façons.
Après avoir soigneusement bandé les yeux de la malade, des plaques de différents métaux, ou même d'autre substance, étaient appliquées successivement sans que rien pût révéler leur nature au sujet mis en expérience.
Les courants électriques des solénoïdes ou des électro-aimants pouvaient être suspendus ou rétablis à volonté, à l'aide d'un com-mutateur placé, par un excès de précaution, dans une pièce voi-sine. Les piles sèches de Zamboni étaient imitées par de petits rouleaux de bois d'égal volume et recouverts d'un papier exacte-ment semblable.
Les aimants en forme de fer à cheval étaient successivement présentés par les pôles ou par la ligne neutre. De faux aimants de même forme ont été construits avec des substances non ma-gnétiques, du cuivre, du zinc, du bois. Les véritables et les faux aimants étaient recouverts d'une môme couche de peinture afin de compléter la ressemblance; et, sans prévenir le sujet, on se servait à tour de rôle des uns et des autres. L'on se souvient que les applications aimantées se font à distance, de sorte que le toucher ne pouvait devenir une source de renseignement. Eh bien, quel-que multipliées qu'aiert été les tentatives faites pour tromper la
malade, jamais nous n'avons vu l'action des agents œstliésiogènes faire défaut ou se manifester en dehors des conditions expérimen-tales reconnues nécessaires.
B. — EN CE QUI CONCERNE LES EXPÉRIENCES D'HYPNOTISME
Je ne reviendrai pas ici sur la description des différents états nerveux provoqués dont j'ai longuement parlé plus haut; je désire simplement mettre en lumière la valeur diagnostique de certains des symptômes qui les caractérisent et dont la constatation régu-lière éloigne d'une façon absolue tout soupçon de simulation.
a) Uanesthésie générale peut, à ce point de vue, acquérir une importance capitale chez les malades qui sont, à l'état normal, anesthésiques partielles (hémianesthésiques).
b) hltyperexcitabilité neuro-musculaire qui permet de faire contracter les muscles, soit par l'excitation directe, soit par l'exci-tation des rameaux nerveux qui les innervent, ne saurait être l'ob-jet de la simulation de la part de sujets qui ne peuvent connaître l'anatomie et la physiologie des muscles, encore moins la distri-bution des nerfs et leurs propriétés physiologiques.
c) \Jattitude cataleptique ne saurait être gardée par un homme à l'état normal au-delà d'une durée facilement appré-ciable et que les malades en expérience dépassent de beaucoup.
d) . L'influen",e de la lumière sur la catalepsie qui, par la simple occlusion des paupières, se transforme en état léthargique avec hyperexcitabilité musculaire, l'existence simultanée, possible chez un même sujet, de Vhémiléthargie d'un côté du corps et de Y hémicatalepsie de l'autre, suivant l'état d'ouverture ou d'occlu-sion des yeux (voy. p. 371), sont autant de faits inattendus qu'une malade ne saurait imaginer.
é) L'influence de l'état cataleptique, provoqué à droite par l'ac-tion de la lumière, sur l'œil du même côté et la suppression des fonctions du lobe gauche du cerveau — fonction du langage par exemple — qui en résulte, sont des faits que ne peuvent inventer
des malades dont les connaissances physiologiques ne sauraient aller jusqu'aux localisations cérébrales (voy. p. 393).
f) La façon dont les phénomènes d'hallucination provoquée, d'automatisme, de catalepsie, et de léthargie avec hyperexcitabilité se succèdent et se remplacent sous l'influence de causes connues et toujours les mêmes; la façon, dont chacun de ces différents états nerveux est susceptible de se limiter à une moitié du corps, pen-dant que l'autre moitié peut être occupée successivement par les autres, voilà autant de moyens de contrôle infaillibles qui auraient promptement raison de la plus habile simulatrice.
g) Enfin dans le simple examen de ces différents phénomènes nerveux, qui se reproduisent toujours dans des circonstances iden-tiques et avec les mômes caractères, un observateur attentif saura trouver des éléments de certitude suffisants pour le mettre en garde contre la supercherie de malades qui ne sauraient avoir d'autre règle que la fantaisie et le caprice.
De r « expectant attention ».
Quelques auteurs anglais ont voulu trouver l'explication des résultats obtenus avec les agents dits icsthésiogènes dans une action spéciale du moral sur le physique, qu'ils désignent sous le nom d'« expectant attention ».
Voici ce que dit M. Garpenter (British médical Journal, n" 937):
(( L'attention fixée avec force et persistance sur une partie affecte soit sa circulation, soit son innervation, soit les deux à la fois. Naturellement, les effets de l'attention sont beaucoup plus marqués lorsqu'il s'y ajoute la prévision expresse de quelque résultat déterminé. Le système vaso-moteur est la voie probable de cette influence. »
Plus loin il ajoute que, dans les récentes observations cHniques de M. Gharcot et dtins le compte rendu qu'en a donné M. Gamgee, cette puissante cause d'erreur est presque entièrement ignorée. Il ne comprend pas qu'on ait cru si facilement à l'action des aimants
et des solénoïdes sur la catégorie des malades sur laquelle on expérimentait, sans prendre les précautions que l'expérience a prouvé être nécessaires pour éliminer l'influence de Yexpccta-tion, etc..
La même opinion est soutenue par Horation Donkin, dans le British médical Journal du 26 octobre 1878, et M. Jennings, dans une thèse récente, s'est fait le champion des mêmes idées.
11 nous semble qu'il suffit de lire attentivement le récit des diverses expériences dont il s'agit et les résultats obtenus pour faire justice de cette objection.
L'attention expectante, dont l'action réelle dans certains cas ne saurait être niée, obéit à des lois qui sont encore entourées de mystère. Cette influence du moral sur le physique se retrouve à chaque pas en médecine, sans que l'on soit tenté de lui attribuer, dans la production des phénomènes, une part plus grande qu'il ne convient. Et comme le fait si judicieusement observer M. H. Tuke, quand on a bien établi qu'une pilule de mie de pain provoque dans certains cas une purgation, est-il démontré pour cela que l'aloès et le sulfate de magnésie ne sont pas des purgatifs ?
Au point de vue spécial qui nous occupe en ce moment, l'atten-tion expectante ne saurait être invoquéecommela cause unique et constante des phénomènes observés, bien que, dans certaines circon-stances, elle soit peut-être susceptible d'occasionner quelque chose d'analogue. Pour renverser un raisonnement qui, s'appuyant sur des faits nombreux, attribue à un certain groupe de phénomènes une cause déterminée, il ne suffit pas de dire qiiil serait possible que ces phénomènes relevassent d'une autre cause, il faut prouver qu'ils relèvent effectivement de cette autre cause. Dans le cas actuel, il appartient aux partisans de l'attention expectante de la montrera l'œuvre, et, avant de l'invoquer contre nous, il leur faut, par ce moyen, reproduire avec la même constance et la même précision toute la série des phénomènes dont il est question.
L'influence des émotions vives sur le développement, la marche ou la guérison subite des diverses manifestations de la grande hystérie, montre qu'ici, plus qu'ailleurs, cette action morale spé-
ciale, que les Anglais désignent sous le nom d'« cxpectant atten-tion », joue un rôle qu'on ne saurait méconnaître, mais dont il faut se garder d'exagérer l'importance. Sous peine de tout em-brouiller, il faut laisser chaque chose à sa place. Et si 1' « ex-pectant attention » existe dans l'hystérie, ce n'est pas là où les auteurs anglais ont voulu la trouver.
L'objection de \attention expectante ne serait pas renversée par le raisonnement, qu'elle ne tiendrait pas devant les faits eux-mêmes. Les malades n'ont jamais été averties du résultat cherché, qui, dans bien des cas, s'est produit contre l'attente de l'observateur lui-même. 11 suffit de dire toutes les tentatives faites pour dérouter la malade, et de rappeler les nombreuses expériences de contrôle, pour prouver que cette objection ne pouvait venir que de la part de gens qui n'avaient pas vu les choses par eux-mêmes et qui n'en avaient pris qu'une connais-sance incomplète.
§ 2. — DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DE L ' H Y S T É R 0 - É P Il E P rIE ET DE l'ÉPILEPSIE VÉRITABLE
J'ai déjà insisté bien des fois sur la séparation complète qu'il convient d'établir entre l'hystéro-épilepsie à crises combinées ou grande hystérie et l'épilepsie véritable. Dans un chapitre spécial, j'ai essayé de montrer les affinités étroiles qui rattachent la grande hystérie à l'hystérie vulgaire, et nous sommes arrivés à cette conclusion que, malgré des signes d'apparence épileptique, il n'y avait pas lieu de séparer la grande hystérie des cas d'hys-térie vulgaire; que, sous des dehors variés, ces deux affections ne sauraient diiTérer de nature et qu'il n'y avait entre elles qu'une différence de degré, l'hystérie vulgaire ou petite hystérie n'étant que l'état rudimentaire de l'hystéro-épilepsie ou grande hystérie.
Ce que j'entreprends ici n'est en quelque sorte que la contre-partie de cette démonstration ; il s'agit de montrer par quels ca-radores décisifs l'hystéro-épilepsie se distingue nettement de l'épilepsie véritable.
Je ne rappellerai pas ici tous les signes sur lesquels insistent avec raison la généralité des auteurs au sujet du diagnostic différentiel de l'hystérie vulgaire et de l'épilcpsie. En réalité la difficulté n'existe pas là. En dehors des attaques, les autres symptômes de la maladie forment un ensemble suffisamment caractéristique pour qu'un médecin un peu expérimenté ne puisse confondre un malade hystérique avec un malade épilep-tique.
Mais l'embarras devient réel lorsqu'il s'agit de certaines formes de l'hystéro-épilepsie, dont une partie des symptômes présentent toute l'apparence de la véritable épilepsie. Le nom lui-même indique que les auteurs ont entendu désigner par là un état mixte tenant à la fois des deux névroses, une sorte de mélange ou de combinaison formée partie d'hystérie et partie d'épilepsie. C'est le cas de rappeler que les auteurs ont distingué deux formes d'hystéro-épilepsie. L'une, hystéro-épilepsie à crises distinctes, dans laquelle les symptômes de l'hystérie et de l'épilepsie appa-raissent d'une façon complètement indépendante les uns des autres et dans des attaques parfaitement distinctes; l'autre, hystéro-épilepsie à crises combinées, dans laquelle les symptômes hystériques et épileptiques se montrent mélangés dans une même attaque. La première indique, chez un même sujet, l'existence si-multanée des deux névroses, sans qu'il soit nécessaire de créer une nouvelle espèce morbide, formée d'un mélange des deux autres. La seconde, dont il s'agit spécialement dans cet ouvrage — ainsi que j'ai eu soin de le bien préciser dès le début, — appar-tient complètement à l'hystérie, malgré l'apparence trompeuse de quelques-uns de ses symptômes, et je vais exposer ici som-mairement les signes diagnostiques sur lesquels se base la dis-tinction de l'hystéro-épilepsie à crises combinées et de l'épilepsie véritable. J'ai déjà eu l'occasion, au sujet de l'attaque épileptoïde d'en indiquer quelques-uns.
a) Action cVarrêt de la compression ovarienne, des interver-sions électriques, et de l'excitation des zones hystérogènes. — Je ne reviendrai pas ici sur ce qui a été dit de la compression
ovarienne et des zones hystérogènes (pag. 28 et 32) et il sera parlé plus spécialement des courants continus et des interversions de courant au chapitre du traitement. Il suffit pour le moment de faire remarquer que, chez les nombreuses malades épileptiques qui composent le service de M. Gharcot, nous n'avons rien observé de semblable, et que dans les auteurs qui ont traité spécialement de l'épilepsie, nous n'avons rien vu qui s'en rapproche.
b) Marche de la température dans l'état de mal épileptique et dans l'état de mal hystéro-épileptique. — Ce point, d'une impor-tance capitale, a été signalé par MM. Charcot et Bourneville. Je ne ferai que rappeler ici que les températures élevées (40° et plus) appartiennent à l'état de mal épileptique seul, et que, dans l'état de mal hystéro-épileptique, quelles que soient la fréquence des accès et la gravité apparente des symptômes, la température se main-tient près de la normale et ne dépasse guère 38° que dans des circonstances exceptionnelles.
c) Mode d'action du bromure de potassium. — Nous trouvons dans la différence d'action d'un médicament fréquemment employé dans les deux affections une preuve de plus en faveur de l'opi-nion que nous défendons, touchant la nature distincte de l'hystéro-épilepsie ou grande hystérie. Naturam^ morboriun curationes ostendimt. Le bromure de potassium, dont l'effet salutaire sur les accidents épileptiques n'a plus besoin d'être démontré, demeure sans efficacité dans l'hystéro-épilepsie. Malgré la vogue de ce médicament, je ne sache pas que l'on ait obtenu dans les cas d'hystérie quelques succès vraiment sérieux, même par un usage prolongé.
d) Pronostic. — Malgré les accidents si variés et parfois d'ap-parence si grave qui composent la Symptomatologie de la grande hystérie, la santé générale des malades ne paraît pas souffrir. La grande attaque, les longues séries elles-mêmes ne laissent le plus souvent après elles qu'un état de lassitude insignifiant, nulle-ment en rapport avec l'énorme dépense musculaire qui s'est faite. La durée de l'affection peut être fort longue, elle peut commencer avant l'époque de la menstruation et se prolonger bien après la
ménopause. Quoi qu'il en soit — à part quelques exceptions dues le plus souvent aux entraves apportées à l'accomplissement régulier d'une fonction importante, la nutrition, par exemple — la constitution n'est point profondément affectée et, sous le rap-port des forces physiques, les malades sont au dernier jour comme au premier. Il en est de môme de l'état mental qui demeure toujours le même, et, à part la façon d'être bizarre bien connue qui relève du tempérament hystérique, ne subil aucune altération notable.
Le pronostic de l'hystéro-épilepsie n'a donc point la gravité de celui de l'épilepsie véritable. Et là s'accuse encore la séparation si importante que nous cherchons à établir.
L'épileptique, en effet, n'a devant elle que l'avenir le plus triste, qui, à échéance plus ou moins éloignée, l'attend presque fata-lement : c'est le dépérissement physique et la démence. ^
Tous les auteurs qui ont traité de l'épilepsie ont insisté sur les troubles intellectuels permanents qui se développent à la longue chez les épileptiques.
(( Sur 339 épileptiques, dit Esquirol, 12 sont monomaniaques {délire partiel), 30 sont maniaques; parmi elles quelques-unes ont du penchant au suicide et ont fait plusieurs tentatives pour se détruire ; 34 sont furieuses ; chez 3, la fureur n'éclate qu'après l'accès; 145 sont en démence; 8 sont idiotes, l'une d'elles n'est épileptique que depuis sept ou huit mois et n'a eu que cinq accès; 50 sont habituellement raisonnables, mais elles ont des absences de mémoire plus ou moins fréquentes, ou bien des idées exaltées; quelques-unes ont un délire fugace; toutes ont de la tendance vers la démence; 60 n'ont aucune aberration de l'intelligence, mais elles sont d'une grande susceptibilité, irascibles, entêtées, difficiles à vivre, capricieuses, bizarres; toutes ont quelque chose de singulier dans le caractère.
)) Donc, 209 de nos 339 épileptiques, c'est-à-dire les 4/5, sont plus ou moins aliénées; un cinquième seulement conserve l'usage de la raison, et quelle raison* ! » 1. Esquirol, Des maladies mentales, i. 1, p. 285,
« La démence, ajoute Morel, après avoir cité les lignes qu'on vient de lire, et dans tous les cas l'affaiblissement progressif des facultés, sont la terminaison nécessaire de l'épilepsie. Les cas de conservation intacte de l'intelligence sont l'exception; on ne pourrait en citer que bien peu d'exemples »
Au point de vue de l'état mental, Reynolds admet quatre classes d'épileptiques :
i" Il n'existe aucune déviation de l'état mental.
2° On remarque un peu d'affaiblissement de la mémoire pour les choses récentes et sans importance.
3" En outre, il y a défaut d'intelligence et compréhension difficile.
4" Les malades sont stupides, paresseux, indifférents. Ils doi-vent être gardés.
i. ^ovcl, Traité des maladies mentales, page 694..
Morel rappelle en note qu'Esquirol, au sujet de l'observation du nommé Joseph D..., qui, malgré la longue durée de la maladie et la fréquence des accès, avait conservé toute l'intégrité de son intelligence, dit : « Il y a sans doute fort peu d'exemples d'une maladie aussi longue, d'accès aussi nombreux, et dans les-quels l'intelligence se soit conservée comme chez Joseph B... Pour moi c'est le seul que je connaisse et j'ai vu plus de 600 épileptiques. »
« J'en puis dire autant qu'Esquirol, sous ce rapport, ajoute Morel; la conserva-tion intégrale de l'intelligence et des sentiments avec des attaques fréquentes d'é-pilcpsie est chose des plus rares. L'exemple le plus frappant que je puisse citer est celui de cette hystéro-épileptique dont j'ai donné l'observation, page 379 et suiv. )) Or il est bien curieux pour nous de remarquer que l'histoire de cette malade offre les plus grandes analogies avec celle des hystéro-épileptiques dont nous avons parlé dans le cours de ce travail et que ce cas paraît se rattacher à la grande hystérie. Je n'en veux pour preuve que ces quelques lignes qui terminent
l'observation du Morel. « ..... L'observation complète de cette malade serait
l'histoire la plus intime, la plus vraie, et la plus instructive de tout ce que l'on a rapporté de plus ou moins merveilleux sur le magnétisme, les pressentiments, la seconde vue, surtout ce que l'on sait de plus positif en pathologie du système ner-veux, à propos des phénomènes de l'état auesthésique et hyperestliésique, de l'extase, de la catalepsie et de la mort apparente. Madame X... porte sur le corps les traces des brûlures profondes qui lui ont été faites dans ces situations extrêmes où l'on ne pouvait affirmer si elle avait cessé de vivre, et les consultations de célèbres médecins indiquent des diagnostics différents selon qu'ils ont été appelés à l'examiner danstelle ou telle période de sa maladie. Elle a été tour à tour trai-tée comme hystérique, épileplique, extatique, cataleptique. Elle a passé pour ma-niaque avec prédominance d'idées suicides, homicides, erotiques. L'hypochondrie a aussi été invoquée, ainsi que tous les états névropathiques en rapport avec l'a-nesthésie, l'hypcresthésie, les convulsions, les rétrocessions, antéversions de l'u-térus et dans les accidents nerveux éprouvés par ces sortes de malades. On a été jusqu'à supposer, sinon une simulation absolue, au moins une exagération dans certains phénomènes chez les femmes nerveuses. »
Les classes 2, 3, 4, forment les 2/3 des cas. Dans ces 2/3 des cas l'intelligence souffre, elle souffre considérablement dans 4/7 des cas. Elle souffre surtout chez les femmes.
Les causes qui agissent avec le plus de sûreté dans le sens de l'affaiblissement des facultés intellectuelles résident dans la fré-quence et principalement dans la nature des paroxysmes.
La dépravation intellectuelle, dit Foville, arrive plus constam-ment et plus vite chez les malades affectés de vertige, ou petit mal, que chez ceux qui n'ont que des convulsions violentes, ou grand mal.
Morel partage la môme opinion. Reynolds dit que lorsqu'il y a petit mal, l'esprit est plus fréquemment affecté et altéré grave-ment que lorsque le petit mal fait défaut.
Comment se fait-il, dit Esquirol, que les vertiges, dont la durée est si courte, dont les convulsions sont à peine apercevables, aient une action plus funeste sur le cerveau que les accès complets d'épilepsie, dont les convulsions sont plus violentes et plus durables?
Peu à peu la mémoire s'affaiblit, l'attention perd de sa fixité, la démence va croissant et se traduit bientôt par l'absence com-plète du jugement, de la réflexion. Les actes deviennent automa-tiques. Les malades sont apathiques. Presque toutes ont un tic, une manie, une habitude. Elles affectent certaines attitudes, font certaines grimaces. Telle malade^ se promène dans les cours avec l'air réfléchi d'un philosophe, tenant en main une liasse de petits papiers soigneusement plies qu'elle récolte dans tous les coins. Quand on lui adresse la parole, sa physionomie s'épanouit et à toutes les questions elle répond par un éternel : « Dieu vous
1. Vitton, âgée de /iS ans, entrée à l'hospice de la Salpêlrière en 1860; premier accès d'épilepsie à 15 ans ij"!. Elle était fort intelligente et habile dans son métier de fleuriste; à 29 ans l'intelligence avait déjà baissé. Elle a eu de nombreux accès d'épilepsie, mais de plus nombreux vertiges, jusqu'à deux ou trois par jours. Au-jourd'hui elle est gâteuse, et atteinte d'une démence très prononcée. A la mono-manie des petits morceaux de papier, elle joint celle des petits morceaux de sucre qu'elle conserve jusqu'à ce qu'elle en ait beaucoup et qu'elle mange ensuite en une fois.
bénisse!... » Telle autre ^ au contraire semble toujours en colère; accroupie dans l'angle d'une cour ou dans l'encoignure d'une salle, elle tourne le dos à tout le monde, marmotte entre ses dents de sourdes et inintelligibles menaces, qui éclatent tout d'un coup en un grossier juron à chaque interpellation qu'on lui adresse. Une troisième - se précipite aux genoux de tout nouvel arrivant, fait le signe de la croix et commence une sorte de discours rempli d'incohérences au milieu duquel percent des tendances lubriques. Une quatrième, à peine âgée de vingt ans, ne quitte plus son fauteuil ; ses membres sont constamment agités de secousses épi-leptiques; elle est prise à chaque instant de vertiges; elle peut à peine parler, elle a tout oublié, jusqu'à son nom ^, etc., etc. Chaque malade revêt ainsi une physionomie spéciale et constitue une véritable individualité morbide. Le lien commun est l'affai-blissement intellectuel, puis la démence.
Pendant longtemps les fonctions organiques s'accomplissent normalement. A la dernière période, les malades sont gâteuses, ne quittent plus leur fauteuil et vivent d'une vie purement végé-tative. Toute trace d'intelligence a disparu. Le service de M. Char-cot à la Salpêtrière renferme un certain nombre de types de démence épileptique véritablement saisissants. Us font contraste avec les vieilles hystéro-épileptiques du même service, celles que
1. Perdrix, 44 ans, a des accès depuis son enfance. L'intelligence a été moyenne jusqu'à 12 ans, puis a baissé progressivement, mais surtout depuis l'âge de 34 ans. Elle a des accès et des étourdisseraents. Les accès sont plus fréquents. Aujourd'hui elle est gâteuse; démence avancée.
2. Hermen (Sophie), 49 ans. Est à la Salpêtrière depuis l'âge de 19 ans. L'intelligence est congénitalement faible. A 19 ans elle était sous le rapport
intellectuel, semblable à un enfant de 12 ou 13 ans. L'intelligence a considérable-ment baissé depuis l'âge de 29 ans. Convulsions de la première enfance ; a eu depuis des vertiges et des accès. Aujourd'hui la mémoire est très affaiblie, le dis-cours incohérent. Elle n'est pas gâteuse.
3. Sabatin, morte dans le service de M. Charcot au mois de juin dernier, à l'âge de 20 ans. Bonne santé et intelligence développée jusqu'à l'âge de 16 ans. A 15 ans 1/2 elle est prise d'étourdissements tous les deux ou trois jours. Premier accès convulsif à 16 ans 1/2. Les accès deviennent presque quotidiens à partir de mars 1877. Les étourdissements deviennent de plus en plus fréquents. Elle est prise de secousses de tous les membres. La démence fait de rapides progrès.
Un de ses frères est devenu épileptique à 12 ans, et atteint de démence rapide, il est mort à 18 ans 1/2 à Bicêtre. Nous pourrions facilement multiplier ces exemples.
M. Charcot appelle les vétérans de l'hystéro-épilepsie. Deux d'entre elles,Ler... et Etch..., sont bien connues pour l'ancienneté de leur affection et la variété des manifestations morbides. Leur histoire a été publiée tout au long par le D"" Bourneville dans diverses publications.
Ler... a cinquante-six ans. Elle est depuis trente-deux ans à la Salpêtrière. L'affection a débuté chez elle à la suite de vives frayeurs avant l'époque de la menstruation. J'ai parlé plus haut de la violence de ses attaques convulsives qui revêtent le caractère démoniaque. Elle a cessé d'etre réglée à quarante-cinq ans et cependant les accidents hystéro-épileptiques ont persisté, bien qu'atténués. Aujourd'hui les accidents convulsifs sont rares, mais elle est encore complètement hémianesthésique à droite. Après toute une vie remplie pour ainsi dire par les accidents hystéro-épileptiques les plus violents et les plus variés, son intelligence n'a subi aujourd'hui aucune altération.
Etch,.., âgée de cinquante ans, est entrée à la Salpêtrière en 1869. La première attaque convulsive a eu lieu à l'âge de vingt-cinq ans. Depuis, les manifestations de l'hystéro-épilepsie ont revêtu les formes les plus variées (attaques convulsives, ischurie, contracture permanente, dysphagie, crises névralgiques, etc.). Tous ces accidents ont cessé presque subitement en 1875. Et aujourd'hui cette malade peut être considérée comme guérie. Chez Etch..., comme chez Ler..., malgré la longue jlurée de l'af-fection, l'état intellectuel n'a pas varié.
CHAPITRE II
traitement
§ 1. — TRAITEMENT DES ATTAQUES A. — INHALATIONS MÉDICAMENTEUSES
Je ne m'arrêterai pas longuement sur les divers médicaments employés pour arrêter les attaques.
^ Les inhalations de chloroforme, les inhalations d'éther quel-quefois, les injections sous-cutanées Ao. chlorhydrate de morphine, font cesser les convulsions, amènent la résolution, et plongent la malade dans un sommeil suivi souvent d'un délire spécial .
Les inhalations de nitrite d'amyle, depuis les premières re-cherches faites par Richardson, en 1865, ont été beaucoup em-ployées dans répuepsie,dans l'hystéro-épilepsie et dans l'hystérie, principalement en Amérique et en Angleterre. A la Salpêtrière, le Bourneville a étudié sur une assez vaste échelle l'action de ce médicament. Les résultats de ses consciencieuses recherches ont été consignés dans ses Recherches cliniques et thérapeu-tiques sur Vépilepsie et l'hystérie. Les convulsions sont immé-diatement enrayées; et de plus, l'usage de ce médicament aurait l'avantage de dimmuer le nombre des accès
B. — GLACE
Les applications de glace sur la région ovarienne,.sont impra-ticables pendant la durée de l'attaque, mais employées pendant les
1. Nous avons vu comment les inhalations d'éther provoquaient le plus souvent les crises d'altitudes passionnelles et même la catalepsie. Parfois l'accès complet se développe.
prodromes, elles en atténuent l'intensité, et éloignent ou même écartent complètement les convulsions. La glace agit surtout sur les spasmes viscéraux (hoquets, secousses du ventre, etc..) qui, dans l'intervalle des attaques, tourmentent les hystériques.
G. — COURANTS CONTINUS
Pendant mon année d'internat dans le service de M. Charcot, il a été fait un usage fréquent des courants continus. Les pre-mières recherches à ce sujet ont été consignées dans la thèse d'a-grégation de M..le D' Tessier \.
Depuis, les expériences se sont multipliées et nous avons donné les résultat"^ de nos recherches dans un travail entrepris en com-mun avec notre collègue et ami Régnard ^.
Nous avons toujours procédé de la manière suivante : la malade étant en attaque, nous appliquions, au moyen de bandes, l'un des rhéophores d'une pile de Trouvé sur son front ; l'autre rhéophore était placé en un point quelconque du corps.
Dans ces conditions, si l'on faisait passer, dans n'importe quel sens, le courant de 10 à 15 éléments, on voyait l'attaque s'arrêter; le délire loquace, qui caractérise quelquefois la 4" période, surve-nait et durait jusqu'à ce qu'une crise incomplète revînt : puis assez rapidement les attaques cessaient complètement.
Geneviève B... nous a fourni maintes fois un exemple frappant de cette sédation obtenue par le courant continu. Cette malade peut avoir jusqu'à trente attaques en une heure. Sous le courant elle en a deux ou trois, incomplètes, sans « grands mouvements )). Mais il suffit d'interrompre le courant, ne fut-ce qu'une seconde, pourvoir les accès reprendre avec toute leur violence. C'est là une contre-épreuve qui nous montre que c'est bien au passage de l'é-lectricité qu'est due la cessation des attaques.
1. De la valeur thérapeiUique des courants continus, par le D'' J.-L.Teissier, Paris, 1878, p. 61.
2. Reme mensuelle, t. Il, septembre 1878.
Une autre malade, Alphonsine Ba...,nousa donné des résultats identiques. Dans plusieurs séries d'attaques, nous avons vu les accès s'arrêter sous l'influence du courant. Une numération, in-complète probablement, a môme pu être faite un jour, et nous avons vu qu'il y avait 12 fois moins d'accès dans une période où passait le courant que pendant un temps égal où la malade était laissée à elle-même.
Sur toutes nos malades, nous avons eu des résultats analogues.
Il nous reste donc ce fait : si le passage du courant n'arrête pas complètement l'hystéro-épilepsie, il en modifie les accès et devient un palliatif utile dans l'état de mal hystéro-épileptique.
Mais voici une manière d'appliquer l'électricité qui donne lieu à des effets plus surprenants.
Les électrodes étant disposés comme nous l'avons dit plus haut, nous attendons qu'une attaque se produise, puis, d'un coup, nous intervertissons le courant au moyen du commutateur. L'attaque s'arrête tout net. La malade se réveille comme étonnée, porte la main à sa tête et reprend complètement connaissance.
Dans les cas les plus résistants, il faut deux ou trois interver-sions pour amener ce résultat. En général, il faut employer qua-rante à cinquante éléments.
Plusieurs malades, Louise G..., Gélina M... et Witt... nous ont très souvent donné ces résultats.
Dans des cas moins heureux, l'attaque avorte, mais la connais-sance ne revient pas, et la malade passe directement dans une sorte d'état comateux, où elle demeure jusqu'à ce que survienne une at-taque nouvelle, qu'une nouvelle inversion arrête, et ainsi de suite.
Nous ne saurions nous rendre bien compte de la manière dont agit le courant constant quand il diminue les attaques et quaiui il les arrête.
Pour ce qui est des inversions, il nous semble qu'il faut attribuer leurefîeihVexcitation profonde et peut-être centrale qu'amène une aussi violente rupture d'équilibre que celle qui résulte du change-ment subit de sens dans le courant de quarante éléments de pile.
Nous pouvons donc formuler les deux conclusions suivantes :
1" Les secousses provoquées par l'interversion brusque d'un courant continu fort (30, 40 et 80 éléments de l'appareil Trouvé) amènent presque toujours l'arrêt immédiat des phénomènes con-vulsifs, mais n'empêchent pas leur retour;
2" L'application soutenue d'un courant faible (5 à 10 éléments de l'appareil Trouvé) n'arrête pas l'attaque, mais elle en atténue la violence, et pendant un étal de mal éloigne le retour des accès.
Les pôles sont appliqués l'un à la tête, au front, par exemple, l'autre à une jambe ou à la région ovarienne. Le sens du courant n'a pas d'action spéciale.
d. — compression de l'ovaire
La compression de l'ovaire du côté où siège l'ovarie amène d'or-dinaire l'arrêt immédiat des convulsions. Ce procédé employé au-trefois, mais complètement oublié depuis longtemps, a été remis en honneur par M. Charcot, qui s'exprime ainsi dans ses Leçons sur les maladies du système nerveux :
(( La meilleure condition pour une démonstration parfaite des ef-fets de la compression ovarienne, en pareil cas, est que la malade soit étendue horizontalement sur le sol, ou, si cela est possible, sur un matelas, dans le décubitus dorsal.
» Le médecin, alors, ayant un genou enterre, plonge le poing fermé dans celle des fosses iliaques que l'observation antérieure lui aura démontré être le siège habituel de la douleur ovarienne.
» Tout d'abord, il lui faut faire appel à toute sa force afin de vamcre la rigidité des muscles de l'abdomen. Mais dès que celle-ci est une fois vaincue, la main perçoit la résistance offerte par le détroit supérieur du bassin, la scène change, et la résolution des phénomènes convulsifs commence à se produire.
)) Des mouvements de déglutition plus ou moins nombreux,et par-fois très bruyants, ne tardent guère à se manifester; la conscience alors presque aussitôt se réveille, et, à cet instant, tantôt la ma-lade gémit et pleure, criant qu'on lui fait mal, — tel est le cas de Marc... —, tantôt, au contraire, elle accuse un soulagement, dont
richer. 38
Fig. 103. — ïlUCES PRIS SUR Gen..., pour montrer l'efl'et de la compression de l'ovaire. — N° 1 T. Début de l'attaque. ïétanisation brusque. C. Détente amenée par la com-pression ovarienne. On cesse la compression au 2« T'. — Le létanismc reparaît aussitôt. C. Nouvollo compression. — N" 2. C. CoJiipre.ssion do l'ovaire. — jS'° 3. Tétaiiisnio prolongé. C MouveniRiits cloniques ; pas de compression ovariepne. Le tambour niyographique a été appliqué sur l'avanl-bras,
elle témoigne sa reconnaissance : — « Ah! c'est bien! cela fait du bien! », s'écrie toujours, en pareille circonstance, la nommée Gen....
)) Tant que dure la compression ovarienne, l'attaque est éloignée, pour paraître aussitôt que cesse la compression. On peut ainsi, en suspendant un moment la compression pour la reprendre, arrêter l'accès, ou le laisser se reproduire en quelque sorte autant de fois que l'on veut. »
Nous avons voulu soumettre à la méthode graphique ce singu-lier phénomène. On trouve le résultat auquel nous sommes arrivés sur lafig. 103.
Une attaque commence en T, la période tonique se développe. On produit brusquement la compression en G et les muscles se re-lâchent immédiatement. On cesse la compression en T^ , le retour de la tétanisation a lieu aussitôt, pour cesser de nouveau en G'^, au moment où l'on exerce une nouvelle compression.
Gette possibilité de supprimer complètement les accès, tant que la compression ovarienne est maintenue, a conduit notre collègue et ami Poirier à imaginer un appareil compresseur destiné à rem-placer la main, et qui permît de reconnaître : a si la compression prolongée continuerait d'être efficace; h si l'état de mal hystéro-épileptique céderait devant cette compression prolongée, ou si sa durée en serait seulement abrégée; c si enfin les malades pourraient supporter cette compression sans inconvénient.
Nous empruntons la description de son appareil et les résultats qu'il a obtenus à l'article qu'il a publié dans le Progrès médical (n° 25,1878).
« Compresseur des ovaires (fig. 104). — L'appareil se compose d'une gouttière matelassée, destinée à recevoir le bassin, soutenue et embrassée par une lame métallique, dont les extrémités percées d'un trou vertical reçoivent les deux bouts d'un arc de cercle cylin-drique qui passe au-dessus du ventre. — Sur cet arc de cercle chemine une bague à vis supportant une tige métallique arrondie. — Sur cette tige, seconde bague supportant la grande vis de pression.
)) Les deux bagues pouvant être fixées par une vis sur un point quelconque de la tige cylindrique qui les supporte, il s'ensuit que
FiG. lOi.
l'on peut diriger l'axe de la grande vis de pression dans telle direc-tion que l'on voudra, et la maintenir immuable dans cette direc-tion.
)) A l'extrémité de la grande vis de pression est vissée une pelote compressive en liège et à pression continue au moyen d'un ressort à spirale; la pelote est cylindro-conique ou en forme de fer à cheval, suivant que l'on se propose de comprimer un seul ou les deux ovaires, (fig. 404, B, C.)
» Deux coins de bois, pouvant entrer plus ou moins profondément entre la gouttière et la lame métallique qui la supporte, per-mettent de conformer les dimensions de la gouttière à celle des bassins différents ; deux courroies à boucle achèvent de fixer l'ap-pareil.
» Pour appliquer le compresseur, on passe la gouttière sous la malade, et on l'adapte au bassin (son bord inférieur s'appuie de chaque côté sur la saillie du grand trochanter). On engage ensuite
les deux extrémités de l'arc rhétallique dans les trous de la lame et on les fixe plus ou moins profondément à l'aide de vis, suivant que le ventre de la malade est plus ou moins gros. Ceci fait et les vis des bagues étant plus ou moins desserrées, on cherche l'ovaire de la main gauche, tandis que la droite approche la grande vis et la place dans une direction telle que la pelote qui la termine vienne remplacer la main qui comprime. Il ne reste plus alors qu'à serrer les deux vis pour garder cette direction et à tourner la grande vis de pression jusqu'à ce que la pelote compressive soit venue rempla-cer la main qui lui cède peu à peu la place.
» Cet appareil a été expérimenté à la Salpetrière dans le service de M. Charcot, sous Finspiration duquel il a été créé. Voici les ré-sultats obtenus :
) Observation I. — Gl..., hystéro-épileptique, 23 août, 1878. En attaque depuis le malin; on établit la compression à 3 h. de Taprès-midi, et on ne la lève qu'à 10 h. du soir. Pendant ce lemps la malade a mangé et dormi. A 10 h. on enlève l'appareil, les attaques reprennent ; légère inhalation de chlo-roforme et tout est fini pour ce jour-là. La malade n'accuse aucune douleur abdominale.
» Depuis, l'appareil a été appliqué un grand nombre de fois sur celle même malade, toujours avec le même succès; quelquefois même l'application de l'appareil compresseur pendant plusieurs heures, a suffi pour produire la cessation momentanée de l'état de mal, sans qu'on ait été obligé de recourir à un agent anesthésique.
» Observation II. — Wilt..., hystéro-épileptique. L'appareil compresseur a été appliqué souvent sur celle malade, pendant 12, 24 el même 48 heures, pour interrompre un état de mal. Jamais les attaques ne se sont présentées pendant la durée de la compression; Toujours, quand on cessait la compres-sion, les attaques reparaissaient, mais il suflisail toujours aussi d'une légère inhalation de chloroforme ou d'éther pour les faire cesser complètetnent; tandis qu'il faut revenir plusieurs fois à ces inhalations avant de voir cesser les attaques, quand on n'a pas recours au compresseur.
)) Observation 111. — Ba..., hystéro-épileptique. Sur cette malade l'appa-reil a été appliqué très souvent, soit pour interrompre une série d'attaques, soit pour prévenir les attaques. La malade, prévenue par les prodromes qui annoncent les crises, demandait le compresseur qu'une fille de service lui appliquait; elle le gardait pendant une heure ou deux, puis l'enlevait elle-même quand elle sentait que les menaces de mal étaient dissipées. Chez elle aussi, la compression a interrompu complètement et pour plusieurs jours une série d'allaques qui venait de commencer; cela à différentes reprises. La
compression réussit également bien contre le délire qui succède chez elle à l'attaque et on peut graduer le retour à l'état de raison en établissant gra-duellement la compression.
)) Les malades manœuvrent elles-mêmes l'appareil, augmentent ou diminuent la compression, suivant qu'elles se sentent plus ou moins menacées. De plus, elles peuvent se tourner dans leur lit, se coucher sur le côté, se soulever pour qu'on les change, manger, dormir. Cette compression est, d'ailleurs, absolument indolore; après 48 heures d'application, on constate seulement un peu de rougeur de la peau, mais pas la moindre douleur soit superficielle, soit profonde.
» Il n'est pas besoin de surveiller la malade, l'appareil n'offrant aucun danger, même s'il vient à se déranger, puisque la pelote est vissée à l'extrémité de la grande vis de pression.
» Signalons encore la disparition des points hystérogènes,. qui cessent d'exister pendant que la malade subit la compression et qui reparaissent aussitôt l'appareil enlevé. »
Toutes les malades ne sont pas également sensibles à la com-pression ovarienne. Chez quelques-unes, la compression est aisée et ne demande que peu de force; chez d'autres, la résistance des parois abdominales est un obstacle fort difficile à surmonter. Enfin il est des cas rares où la compression ovarienne échoue complète-ment.
La compression de l'ovaire, qui arrête les attaques, peut, en de-hors des crises, déterminer la production des phénomènes dou-loureux de l'aura et même parfois provoquer l'accès complet.
L'ovaire se rapproche par là des autres points hyperesthésiés qui peuvent exister sur le coips, entre les deux épaules par exemple, ou au point d'émergence des nerfs intercostaux. En effet, de même qu'une première excitation de ces zones d'hyperesthésie provoque les convulsions, une nouvelle excitation peut les arrêter.
L'importance des fonctions de l'ovaire exphque la fréquence de l'hyperesthésie dont il est le siège, et les effets si accusés de sa com-pression. Ce qui légitime, pour l'hyperesthésie ovarienne, une mention spéciale parmi les zones hyperesthésiées.
e. —
influence de la musique sur les attaques
Les expériences dont nous avons parlé plus haut montrent l'influence des vibrations sonores (diapason, gong) sur les diverses manifestations de l'hystérie. Chez quelques-unes de nos malades, nous avons vu survenir sous cette influence l'attaque de catalepsie, voire même la grande attaque. Chez toutes, un bruit violent -détermine un trouble, une émotion profonde, sorte de crise hysté-rique au début avec obnubilation de l'intelligence et quelques mouvements convulsifs dans les bras.
Depuis la plus haute antiquité et chez tous les peuples, l'in-fluence de la musique sur l'organisation a été reconnue, servant tour à tour pour calmer ou pour exciter les passions.
La médecine a également utilisé la musique. Cœlius Aurelianus rapporte de Pythagore qu'il traitait les maladies par la musique. Le m.ême auteur dit qu'en chantant sur certaines parties doulou-reuses, elles éprouvent une sorte de tressaillement à la suite duquel les douleurs se dissipent (Lib. V, cap. i) \
Et il n'est pas surprenant de voir de tous temps les médecins rechercher dans la musique un moyen de calmer la surexcitation nerveuse et d'atténuer la violence des convulsions.
Mesmer avait reconnu les effets de la musique sur le système nerveux, et il s'en servait comme d'un puissant auxiliaire de son baquet. 11 est à remarquer qu'il employait un instrument de musique d'un effet bien puissant sur les nerfs, c'était l'harmonica l
Duvernoy constate chez un malade que les accès d'hystérie soïit diversement modifiés par la musique :
(( Le clavecin, dit-il, en redoublait la violence, le flageolet au contraire et le chant les terminaient à l'instant même et constam-ment par un éclat de rire qui ne cessait que longtemps après que l'instrument ou la voix ne se faisait plus entendre. y
1. Il est intéressant de rapprocher ce dernier fait, de la production locale de l'insensibilité chez une hystérique au point de contact avec mi diapason mis en vibration (voy. Vigoureux. Progrès médical, 1878).
2. Le P. Kircher, avant Mesmer, avait regardé la musique comme magnétique {Mathieu, p. 59i).
(( Je tiens, dit Mathieu, d'une dame parfaitement digne de foi, dont Larrey était le médecin, qu'un jour, ce dernier, appelé près de la femme d'un général tombée en léthargie, installa un orchestre militaire dans la chambre de la malade, en comman-dant qu'on exécutât les marches les plus Druyantes de l'empire, ce qui donna promptement un heureux résultat. » (Mathieu, loc. cit., p. 595.)
Bourdois,. voyant une harpe dans la chambre d'une malade qui ne donnait aucun signe de vie, conçut l'idée de faire venir quel-qu'un qui se servît de cet instrument. Le pouls reparut et peu à peu la malade sembla sortir d'un profond Fommeil; enfin elle alla de mieux en mieux et guérit.
Un bruit violent et inattendu produit parfois des effets analogues. Dans \Histoire de VAcadémie roijale des sciences, année 1752, p. 73, on lit qu'un garçon apothicaire, se trouvant à côté d'une demoiselle en proie à une attaque de passion hystérique, tira un coup de pistolet qui à l'instant dissipa tous les accidents.
Chez nos malades l'essai des vibrations sonores du tam-tam a toujours été sans résultat pendant les grandes attaques, même chez celles que le tam-tam impressionnait le plus en dehors des crises. Ceci prouve que l'anesthésie générale qui survient à ce moment et dure tout le temps de l'accès s'étend à la sensibilité spéciale. Nous savons que les inhalations d'ammoniaque, la colo-quinte placée sur la langue, l'occlusion des yeux ne troublent pas plus que les coups de tam-tam l'évolution d'une grande attaque d'hystéro-épilepsie, à quelque période que se fasse l'expéri-mentation.
Il est donc rationnel de penser que l'influence de la musique sur les accès d'hystérie se borne aux accès convulsifs sans perte de connaissance, et aux variétés de l'attaque dans lesquelles la sensibilité spéciale persiste quelquefois, comme dans la catalepsie, la léthargie et le somnambulisme.
§ 1. — TUAITEMENT DE LA GRANDE IIYSTÉUIE
C'est ici que se montre tout l'intérêt pratique de la distinction que, dans tout le cours de ce travail, nous avons cherché à établir entre l'hystéro-épilepsie ou grande hystérie et l'épilepsie véritable.
Nous avons vu, en traitant du pronostic, quel abîme séparait ces deux névroses. Il ne faut pas s'en laisser imposer par les dehors effrayants que revêtent parfois les accidents de la grande hystérie, et les exemples de guérison n'en sont pas rares.
La grande hystérie guérit parfois spontanément, soit en s'atté-nuant graduellement et avec les progrès de 1 âge, soit au contraire brusquement à la suite d'une violente impression morale ou sous l'influence de causes inconnues.
Ler... et Etch... sont des exemples de ce double mode de ter-minaison. Ler... a vu, avec l'âge, les manifestations hystéro-épilep-tiques diminuer d'intensité par degrés. Elle n'est pas encore com-plètement guérie actuellement; il est vrai qu'il y a deux ans qu'elle n'a pas eu d'accidents convulsifs, mais l'hémianesthésie per-siste, marque toujours certaine de la présence de la diathèse.
Etch..., au contraire,a vu, sous l'influence d'une vive impression, morale, les accidents hystéro-épdeptiques disparaître presque tout d'un coup. Elle paraît aujourd'hui complètement guérie.
Mais l'hystéro-épilepsie, malgré ces exemples de terminaison heureuse, ne doit pas être abandonnée aux efforts de la nature. En face d'une affection d'une durée aussi longue, le médecin ne sau-rait demeurer inactif. Il peut faire beaucoup pour la guérison, ainsi que le prouve la pratique journahère de M. Charcot.
a. Hydrothérapie méthodique. — L'éminent professeur a exposé, dans ses conférences cliniques de la Salpêtrière de 1878, le mode de traitement qui, en pareille circonstance, a toujours rendu les plus grands services. Je l'indiquerai ici en quelques mots.
Il consiste en deux points également importants et qui s'adres-sent l'un à la constitution physique du sujet, l'autre au moral.
TRAlTEMEiNT.
1° Isoler le malade. Le sepdrer ue son entourage habituel, des parents surtout, dont la sollicitude inquiète entretient souvent les accidents qu'ils cherchent à combattre. L'enlever du milieu qui a vu naître et se développer la maladie. Ce premier point peut être obtenu facilement en envoyant le malade dans un établissement d'hydrothérapie spécial où pourra s'effectuer également la seconde partie du traitement.
2° Le second point du traitement consiste en effet dans l'appli-cation méthodique de l'hydrothérapie. Je n'entrerai pas ici dans le détail des pratiques spéciales qui constituent le traitement hydro-thérapique. Il demande à être dirigé par une main sûre et expé-rimentée. Un certain nombre des malades dont j'ai cité les observations ont dû leur guérison au traitement hydrothérapique conduit, soit par M. Pascal, soit par le docteur Thermes, dans les établissements spéciaux qu'ils dirigent.
b. Métallothérapie. — Je ne puis passer sous silence le mode de traitement spécial désigné sous le nom de métallothérapie, dont rinventeur,M. Burq,vantel'excellence, et que la Commission delà Société de Biologie, dans son second rapport, apprécie favorable-ment, sans se départir d'une prudente réserve.
Une des malades dont nous avons rapporté l'histoire plus haut a dû sa guérison au traitement par Y or (voy. p. 210).
Voici en deux mots en quoi consiste ce mode de traitement : Après avoir déterminé par une série d'essais le métal auquel la malade est sensible (métalloscopie, voy. p. 535), on a la presque certitude en administrant ce métal à l'intérieur, soit à l'état de poudre (comme le fer réduit), soit à l'état d'oxyde ou de sel, d'ob-tenir des effets curatifs. C'est ce que M. Burq désigne sous le nom de métallothérapie interne. La métallothérapie externe du même auteur consiste dans l'emploi répété et exclusif des apphcations métalloscopiques.
c. Aimantation. Électricité statique.— On a vu plus haut com ment la découverte de M. Burq avait été l'occasion de recherche nombreuses, qui avaient eu pour résultat de démontrer que le
AIMANTATION.
plaques métalliques n'étaient douées d'aucune propriété spéci-fique et que les mêmes résultats pouvaient être obtenus avec un certain nombre d'agents physiques variés, auxquels on a con-servé le nom d'agents œsthésiogènes, tout imparfaite que soit cette dénomination. Nous avons énuméré les courants faibles, les vibrations du diapason, les aimants, l'électricité statique, etc.
Ces recherches ont aussitôt permis d'entrevoir les ressources ]ue pouvait offrir, au point de vue thérapeutique, femploi de ces agents que l'expérience démontrait comme de puissants modifi-cateurs nerveux. D'ailleurs, la métallothérapie externe du doc-teur Burq était déjà un pas fait dans cette direction; mais il y avait lieu de songer à une métallothérapie externe sans métaux pour ainsi dire, au moyen de ces nouveaux agents qui n'avaient pas à compter avec l'idiosyncrasie métallique, et dont l'action, par cela même beaucoup plus générale, était, d'autre part, reconnue comme beaucoup plus puissante.
Le traitement et la guérison de la sœur P.. atteinte de contrac-ture hystérique du bras gauche, par des applications répétées d'aimant, fut une première tentative dans ce sens (Charcot et Vi-goureux). Cette médication reposait sur la propriété de transfert ou de déplacement de la contracture sous l'influence de l'aimant (voy. p. 566) et les applications étaient faites sur le bras sain \
M. Debove, par \es applications prolongées elles applications bilatérales prolongées de l'aimant, a obtenu des succès dans les hémianesthésies et les hémiplégies qui s'accompagnent d'anes-thésie cutanée, que ces troubles nerveux dépendent de l'hystérie, de l'alcoolisme, du saturnisme, ou de lésions cérébrales variées .
Antérieurement à ces essais, le D"" Carlo Maggiorani,professeur à l'université de Rome, dans deux ouvrages, dont le premier ^ parut
1. Progrès médical, 35, 36 et 39, année 'J878.
2. Uebove, Note sur l'hémiplégie saturnine et son traitement par Vapplicaiion i'un aimant {Soc. méd. des hôp., 24 janv. 1879). — RecliercJies sur les hémianes-thésies accompagnées d'hémiplégie motrice, d'hémicJiorée, de contracture, et sur leur curabilitépar les agents œstliésiogènes (Soc. méd. des hôp., oct. et nov. 1879).
Note sur l'emploi des aimants dans les hémianesthésies liées à une affection cérébrale ou à Vhytérie {Progrès médical, 1879, n° 50).
3. La magnete e i nervosi.
TRAlTEMEiNT,
à Milan en 1869 et l'autre ^ quelques années plus tard, avait étudié l'action physiologique de l'aimant et posé les premières règles de son emploi thérapeutique. '
Les aimants ont ce grand avantage qu'ils sont d'un mode d'em-ploi facile et d'une action plus constante et plus générale que les métaux.
Bien que les applications thérapeutiques de l'aimant ne soient pas encore soumises à des règles générales et précises, on ne sau-rait méconnaître les réels services que la médication magnétique est appelée à rendre dans le traitement des affections nerveuses en général et de l'hystérie en particulier ^.
Mais il est encore un autre agent physique qui paraît surpasser les aimants par la sûreté et la puissance de son action sur les phé-nomènes nerveux. C'est l'électricité statique que l'on doit à M. Vi-goureux d'avoir mis au rang des agents aîsthésiogènes. Dans le cours de ses recherches sur l'action des plaques métalliques, le doc-teur R. Vigoureux fut conduit à accorder àla tension électrique des métaux une importance capitale dans la production des phéno-mènes dits métalloscopiques. 11 eut alors l'idée de s'adresser à l'é-lectricité elle-même, non plus à l'état de courant, comme on a cou-tume de l'employer habituellement, mais à l'état de tension. Les résultats confirmèrent ses prévisions.
Depuis, des recherches nombreuses entreprises dans cette direc-tion au laboratoire clinique de M. Charcot, à la Salpêtrière, où M. Vigoureux est spécialement chargé de félectrothérapie, ont permis de constater l'action de l'électricité statique sur les phéno-mènes nerveux variés et ont conduit à cette conclusion, qu'elle ré-sume, à un plus haut degré de puissance, tous les effets des pla-ques métalliques et des agents œsthésiogènes en général.
D'ailleurs, ce n'estpas la première fois que l'on cherche à appli-quer l'électricité statique au traitement des maladies.
1. Suggio di una storia fisiologica délia magnete.
2. Voy. Aigre, Etude clinique sur la mctalloscopie et la métallotliérapie externe dans l'anesthésie.Varh, 1879.
Macqret, De Vaimantation au point de vue médical et en particulier dans anesthésies. Paris,1880.
Des observateurs distingués du siècle dernier ont fait dans ce sens de sérieuses tentatives, et je me contenterai de signaler les re-marquables mémoires publiées par Mauduyt dans les Mémoires de la Société royale de Médecine. Mais l'imperfection des instruments d'un côté, le défaut de notions assez précises en névropathologie de l'autre, arrêtèrent les progrès d'une médication que la découverte iu galvanisme ruina bientôt complètement.
C'est donc sur de nouvelles bases scientifiques que M. Vigouroux s'est fait le restaurateur de la médication électro-statique, absolu-ment abandonnée aujourd'hui par les hommes de science.
Nous devons à son obligeance la note suivante, dans laquelle on trouvera résumées les premières indications de ce mode de traite-ment qui attend encore du temps et de l'expérience une sanction définitive, mais qui, par ses premiers résultats, d'accord avecles inductions légitimes du raisonnement, paraît devoir occuper dans la thérapeutique des affections nerveuses une place importante.
C'est au point de vue spécial du traitement de l'hystérie que cette note a été rédigée.
Note du docteur Romain Vigouroux. Le mode d'emploi de l'électricité statique dans le traitement de l'hysté-rie est, au point de vue des procédés opératoires, le même que pour les au-tres maladies.
Le malade placé (ordinairement, mais non toujours) sur un tabouret iso-lant est mis en rapport avec le conducteur d'une machine électrique, dont il prend la charge incessamment renouvelée. Les différences dans les pro-cédés d'électrisation proviennent de la manière dont cette charge lui est soustraite.
1° Ou bien le malade est abandonné à lui-même et il perd continuelle-ment par les cheveux, les poils, les ongles, les vêtements, en un mot toutes les saillies qu'il présente une partie de l'électricité que lui envoie la ma-chine : ce qui a lieu en vertu du fait bien connu sous le nom de pouvoir des pointes. C'est là ce qui constitue le bain électrique proprement dit (ce n'est que par une analogie éloignée qu'on a donné ce nom à d'autres procédés dans lesquels c'est le liquide d'un bain ordinaire qui est censé électrisé). Dans le bain électrique, le patient, bien que traversé par un flux continuel d'élec-tricité, est le siège d'une tension électrique à peu près constante, l'équilibre se faisant entre la quantité d'électricité qu'il reçoit et celle qu'il perd.
2° Ou bien l'opérateur fait varier cette tension en enlevant la charge élec-trique du patient, ce qui se fait en le mettant plus ou moins complètement
en communication avec le pôle de la machine opposé au conducteur, ou ce qui revient au môme avec le sol. Voici les principales manières d'arriver à ce résultat.
a. Vent électrique. — Une pointe métallique, communiquant avec le sol au moyen d'une chaînette, est approchée du patient à une distance variable suivant la tension de la machine (en général 20 ou 30 centimètres). La pointe est éleclrisée par influence ou pour mieux dire par induction et se charge d'une électricité de signe contraire k celle du patient. La forme aiguë de l'instrument ne permettant pas à l'électricité de s'accumuler, celle-ci s'é-coule et va neutraliser celle du patient. Eile entraîne en même temps l'air qui va frapper la partie du corps en regard de la poinie en produisant la sensation d'un vent frais.
h. Aigrette. — Si la pointe métallique est approchée de quelques centi-mètres seulement, la décharge se fait partie directement, partie par l'inter-médiaire de l'air. On voit dans le demi-jour ou mieux dans l'obscurité un cône lumineux, strié dans sa longueur de lignes plus vives, s'élancer de la pointe et s'appuyer par sa base sur le patient en figurant un pinceau ou une aigrette. La sensation est celle d'un picotement plus ou moins vif.
Ces deux procédés se touchent par une limite insensible.
c. Étincelle. — Si la pointe est mousse ou si on lui substitue une boule, on peut approcher l'instrument du malade sans provoquer de vent appré-ciable; mais, aune certaine distance,d'autant plus grande que la tension est plus considérable, la neutralisation se fait brusquement par une étincelle bruyante. La sensation est celle d'une piqûre et d'un choc. Les muscles sous-jacents donnent une secousse comme par le choc d'un appareil d'induc-tion.
Nous ne parlons pas de la commotion, autre forme de décharge brusque. Elle se donnait autrefois au moyen de bouteilles de Leyde dont les arma-tures étaient mises en contact avec deux points du malade plus ou moins distants l'un de l'autre. Ce procédé avait sa raison d'être à une époque où les machines étaient loin d'avoir la puissance qu'elles possèdent aujour-d'hui.
Les instruments en forme de pointe, de boule, etc., que l'opérateur appro-che du patient pour provoquer la décharge électrique portent le nom géné-rique A'excitateurs. Ils ne sont pas nécessairement de métal. On en con-struit aussi en bois dans le dessein d'obtenir des effets plus atténués. Ici encore la qualité du bois doit être prise en considération, le bois résineux, comme le buis, ayant une action plus douce que le peuplier, par exemple. Il est bon d'avoir à sa disposition une collection variée d'excitateurs. Mais ce n'est pas seulement la matière qui varie, c'est encore la forme. Ainsi on a fait des excitateurs adaptés à l'électrisalion de l'oreille, de l'œil, à l'exci-tation musculaire, etc. On peut lire la description de cet arsenal dans le beau mémoire de Mauduyt {Mémoires de la Société royale de Médecine. 1778).
Pour tous les procédés et pour les accessoires que nous venons d'énumé-rer nous avons suivi fidèlement nos devanciers. La seule modification que nous ayons jugée opportune a trait à la manière de faire communiquer le patient avecle conducteur ou le cylindre de la machine. Cette communica-tion se faisait autrefois au moyen d'une tige dont le malade tenait l'extré-mité dans la main. 11 y avait à cela plusieurs inconvénients. D'abord le con-tact prolongé d'une surface oxydable avec une main le plus souvent humide, la transmission plus directe des trépidations de la machine, le contre-coup des étincelles, enfin une fatigue inutile. Nous faisons simplement reposer l'extrémité de la tige conductrice sur le tabouret, de cette façon le malade est tout à fait passif et la séance peut être prolongée sans gêne pour lui.
Quant à la source électrique, c'est-à-dire la machine, nous avons dû in-nover un peu plus. Nous avons commencé par employer la machine Carré qui est une machine d'induction statique, car l'ancienne machine à frottement, est manifestement trop imparfaite. Puis, après d'assez longs tâtonnements, nous nous sommes arrêtés au modèle dont voici une indication succincte : qu'on sereprésente une machine Carré dont les deux plateaux, au lieu d'avoir leurs axes l'un au-dessus de l'autre, les ont dans un même plan horizontal ; entre les deux plateaux mobiles se trouve un plateau inducteur semblable à ceux de la machine de Holtz. Telle est la partie essentielle, qui est renfermée dans une cage de verre. De cette cage sortent latéralement les deux conduc-teurs correspondant aux deux peignes qui recueillent les électricités de si-gne contraire. — Supérieurement est fixé un cylindre collecteur qui, au moyen de tiges à frottement, est mis à volonté en rapport avec la boule de l'un ou l'autre peigne. Enfin un condensateur analogue à celui de la ma-chine de Holtz est suspendu aux pôles latéraux et la Communication des bou-teilles peut être rompue ou établie sans les changer de place.
D'après cette rapide énumération on comprend de suite quels avantages offre ce système. D'abord l'air de la cage pouvant être desséché, la machine fonctionne par tous les temps, condition indispensable pour l'usage médical. En outre par le simple glissement d'une pièce on recueille à volonté l'élec-tricité positive ou négative. On peut de même modifier la qualité de la charge en faisant prédominer la tension ou la quantité ou en augmentant les deux à la fois par l'usage isolé du collecteur, du condensateur ou leur emploi si-multané. La machine ainsi construite en vue de l'usage thérapeutique se prête donc à des comparaisons et à des recherches impossibles avec les ma-chines ordinaires. On la complète en y ajoutant un électromètre de la con-struction la plus simple, ce qui permet de faire des observations comparables entre elles.
Reste à traiter une question, celle de la force motrice nécessaire pour la rotation. A priori l'ancienne méthode, de tourner la manivelle à la main, devait être écartée. Avec elle, pas de longues séances possibles et surtout pas de traitement simultané comme on doit le faire dans les hôpitaux. C'est là un point sur lequel nous aurons à revenir dans une autre occasion, comme
d'ailleurs sur la plupart de ceux indiqués dans cette note. Nous avons donc employé, avec les meilleurs résultats, des moteurs mécaniques, d'abord de petits moteurs à gaz système Bischop. Un moteur de la force nominale de 5 kilogrammètres suffit pour une machine. Dans une installation plus récente un moteur à gaz d'un cheval (système Otto) donne le mouvement à quatre machines à la fois.
Voilà, très imparfaitement résumés, les renseignements techniques les plus importants sur l'emploi médical de l'électricité statique. Voyons les ré-sultats cliniques.
Nous avons depuis quatre ans environ acquis des preuves multipliées de la valeur thérapeutique de cet agent dans beaucoup d'affections communes, justiciables ou non des autres formes d'électricité. Pour ne parler que de l'hystérie, le fait que nous avons dès le principe mis en lumière, à savoir que l'électricité statique est le plus énergique des œsthésiogènes, ce fait, disons-nous, désignait à priori l'électricité statique comme moyen de traitement de l'hystérie. Or les observations que nous avons pu faire à la Salpêtrière etau dehors, grâce à l'appui bienveillant de M. le professeur Charcot, confirment très explicitement cette vue.
Le traitement de l'hystérie consiste essentiellement dans le traitement de ses diverses manifestations. Nous allons donc énumérer brièvement les sym-ptômes les plus importants ou les plus communs en indiquant pour chacun d'eux le procédé d'électrisation qui nous a paru le plus efficace.
1" Anesthésie cutanée et sensorielle. — La perte de la sensibilité, dans ces divers degrés est un des symptômes les plus communs et les plus impor-tants de l'hystérie; de l'existence et de la fixité de l'anesthésie semblent dé-pendre, en général, les manifestations et la ténacité de la diathèse.
Prenons une malade affectée d'hémianesthésie et soumettons-la au bain électrique. Voici ce qui se passe le plus habituellement : après quelques mi-nutes la distribution de la sensibilité se modifie spontanément et si on l'in-terroge de temps à autre, soit en tirant de la malade de petites étincelles, soit en lui faisant des piqûres d'épingle, on constate qu'il s'opère un trans-fert. L'hémianesthésie change de côté, de même que la parésie musculaire et les autres modifications accessoires de circulation et de température qui accompagnent l'anesthésie. L'achromatopsie est transférée en même temps, ainsi que l'on s'en assure en présentant à la malade des papiers colorés qu'on lui fait regarder d'un seul œil. Et l'on voit que le retour de la perception des couleurs se fait suivant l'ordre connu, inverse de celui de leur disparition dans l'autre œil (voy. p. 541).
Quelques minutes plus tard celte hémianesthésie acquise a disparu, mais sans compensation celte fois, et la sensibilité générale et spéciale est normale partout. La malade peut alors quitter le tabouret.
Telle est la marche des phénomènes dans ce qu'on peut appeler le cas type. Mais il y a de nombreuses variétés.
Ainsi l'aneslhésie peut être plus tenace et, pour déterminer le commence-cément de l'évolution qui vient d'être décrite, il faut employer le vent élec-trique ou même l'aigrette ou les étincelles dirigées pendant quelque temps sur le même point. Nous avons trouvé que dans ces cas il y avait avantage à diriger le vent électrique sur un point quelconque du côté sain. On produit ainsi une anesthésie qui par transfert ou pour mieux dire par compensation ramène la sensibilité dans une région symétriquement placée de l'autre moitié du corps. Rappelons à ce propos une particularité négligée jusqu'à présent par les observateurs : toute action sesthésiogénique locale est accom-pagnée d'une autre éloignée sur deux points à la fois : l'un symétrique que nous venons d'indiquer, l'autre dans la même moitié du corps sur une région que l'on peut qualifier d'analogue. Exemple : chez une hémianesthésique une plaque d'anesthésie est produite soit directement soit par transfert sur la région dorsale de l'avant-bras ; il s'en montre une semblable sur la face antéro-externe de la jambe du même côté. On voit donc que toute action sesthésiogénique locale est en réalité quadruple. En analysant le phénomène d'après les lois connues on trouverait facilement dans quels cas ces actions sont de même signe et dans quels cas de signe contraire
Ce serait sortir de notre sujet que d'insister sur cette particularité ; mais il fallait la rappeler ici avec plus d'insistance que nous ne l'avons fait ail-leurs; en effet, outre l'intérêt physiologique du fait, on en peut déduire des applications thérapeutiques importantes.
Revenons à notre anesthésie tenace : on peut se contenter du simple bain électrique mais en employant une machine très forte et en prolongeant la séance au delà d'une heure. On comprend ici l'utilité des moteurs méca-niques. Ces longues séances sont analogues aux applications prolongées
1. On peut sous forme de tableau résumer ainsi les différents effets d'une action aesthésiogénique locale, suivant l'état de la sensibiHté.
1° Simple diathèse hystérique sans anesthésie présente. Production de l'anes-thésie (anesthésie provoquée, voy. pag. 5-i7) au point de l'appHcation et en suppo-sant celle-ci faite sur l'avant-bras, eclosión simultanée de plaques insensibles sur la région symétrique de l'autre avant-bras et sur les parties analogues des mem-bres inférieurs. Tendance de ces plaques à s'étendre et à se réunir suivant une marche déterminée ; dans ce cas l'action éesthésiogénique est de même signe des deux côtés du corps.
2" AnestJiésie générale. Marche du phénomène identique à celle du cas précé-dent avec cette différence que les plaques anesthésiées sont remplacées par des plaques sensibles. Là encore l'action est de même signe des deux côtés du corps, mais de signes différents que dans l'expérience précédente. En un mot la réappa-rition de la sensibilité se généralise en suivant exactement la marche indiquée pour la production de l'anesthésie provoquée générale.
3» Hémianesthésie. A. L'application est faite sur le côté sain. Même série de phénomènes que dans le n" 1 avec cette différence que l'action n'est pas de mêni signe dans les deux côtés du corps. Ainsi aux plaques d'anesthésie qui apparais sent du côté de l'application, correspondent des plaques de sensibilité dans les régions symétriques du côté insensible.
B. L'appHcation est faite sur le côté malade. Même marche du phénomène. Action
richer. 39
d'aimant que M. Debovea vu réussir là où une application de quelques quarts d'heure était inefficace. En général nous préférons l'action douce et pro-longée du vent ou du bain électrique à celle plus forte de l'étincelle qu'on pourrait supposer n'intervenir que comme rubéfiant.
Si l'anesthésie est totale, le procédé est exactement le même. Le côté le moins affecté redevient sensible le premier et est suivi par l'autre, généra-lement sans transfert ni oscillations.
L'anesthésie partielle d'un membre par exemple est ordinairement plus tenace, surtout lorsqu'elle accompagne une paralysie ou une contracture. Il se présente souvent dans ce cas une particularité utile à connaître, l'action électrique, au lieu de supprimer l'anesthésie, commence par en augmenter l'étendue et ce n'est que lorsque après une ou plusieurs séances, la malade a acquis une hémianesthésie régulière que celle-ci évolue et disparaît sui-vant la marche décrite plus haut. C'est un des aspects de l'action œsthésio-génique utilisée pour le diagnostic dont nous parlerons plus loin. Quand cette anesthésie limitée est concomitante d'une paralysie ou d'une contrac-ture, elle est beaucoup plus fixe et bien que fondue dans l'hémiancsthésie acquise dont il vient d'être question,elle ne participe pas à son transfert, au moins dans les premières séances d'électrisation.
Restent à indiquer les variétés que peut présenter l'anesthésie au point de vue de sa mobilité. Ainsi qu'il vient d'être dit, elle est d'autant plus tenace qu'elle s'éloigne de la forme hémianesthésique régulière. Souvent ce n'est qu'après plusieurs séances que cette mobilité se prononce. Nous observions récemment une anesthésie totale qui semblait résister à l'électrisation pro-longée. Mais un examen plus minutieux fit constater que l'achromatopsie qui existait à un degré inégal des deux côtés, disparaissait à chaque séance et cela sans que la peau du pourtour de l'œil redevînt sensible. Fait abso-lument exceptionnel.
Un autre fait très fréquent et facile à constater est l'existence propre delà sensibilité cutanée électrique. On voit des sujets percevoir le moindre vent électrique et demeurer parfaitement insensibles à toute autre excitation. Quelquefois le réveil de cette sensibilité électro-culanée sur toute la surface du corps est le seul résultat persistant que donnent les premières séances dans l'anesthésie totale.
de signe différent des deux côtés du corps. Seulement ici c'est le retour de la sensibilité qui est le phénomène primitif et c'est l'anesthésie qui est produite dans les points symétriques. C'est à ce cas que l'on a donné le nom de transfert.
De la marche du phénomène dans ces deux derniers exemples résulte la trans-position de l'hémiancsthésie. Si l'application est locale, cette transposition peutse répéter plusieurs fois (oscillations). Si elle est générale comme dans le bain élec-trique ou le grand diapason, la sensibilité le plus souvent se généralise après une première oscillation.
Il résulte de ce qui précède que le transfert n'est qu'un cas particulier d'un fait général que l'on pourrait appeler transmission d'une action locale aux parties homologues cl iuuilogues, l'action ainsi transmise ayant, de môme que l'action ocale, pour résultat de produire l'état inverse de celui qui existait dans la partie.
Les différences individuelles ne sont pas moins marquées en ce qui re-garde la durée des résultats obtenus et le transfert. C'est surtout, mais nen exclusivement, dans l'anesthésie partielle que l'on voit manquer le transfert, ou bien la zone redevenue sensible, s'accroître peu à peu à chaque séance, sans diminuer notablement dans les intervalles. Chez un jeune homme fran-chement hystérique nous avons vu l'anesthésie totale disparaître graduelle-ment et uniformément. L'amblyopie a persisté quelques temps après le retour de la sensibilité générale.
Dans la marche régulière des phénomènes, celle que l'on observe dans les formes les mieux caractérisées de la grande hystérie, la sensibilité récupérée persiste pendant un temps très variable, de quelques minutes à plusieurs jours. Dans ce dernier cas elle disparaît peu à peu ou cesse brusquement à l'approche d'une attaque.
Nous avons fait c onnaître, il y a deux ans, un moyen (application de plaques métalliques neutres) d'augmenter de beaucoup, indéfiniment dans quelques cas, la durée de cette persistance. C'est là une méthode thérapeutique qui mériterait d'être plus employée. Quoi qu'il en soit, la répétition des séances augmente progressivement la stabilité des résultats.
Il arrive parfois que l'on est étonné de ne pas obtenir chez une malade la restitution de la sensibilité qui les jours précédents se faisait rapidement. C'est un indice certain d'attaque très prochaine et souvent, c'est le seul, les signes prémonitoires familiers à la malade n'ayant pas encore paru.
Les effets généraux de l'électrisation sont d'ailleurs chez les hystériques les mêmes que chez les autres malades. Tantôt ils sont d'abord à peine marqués, tantôt dès la première séance, se manifeste une sensation d'allége-ment et de bien-être, l'appétit est augmenté, les dispositions morales meil-leures, la nuit plus calme. Il y a surtout un phénomène digne d'être men-tionné parce qu'il est très général et se rencontre dans des cas où une affec-tion organique (le tabes par exemple) ne ferait pas supposer une mobilité nerveuse si marquée. C'est une augmentation d'activité des fonctions senso-rielles; le malade déclare qu'il voit et entend mieux (divers cas d'atrophie des nerfs optique et auditif) à la fin de chaque séance.
Enfin et c'est la conclusion la plus importante de ce qui précède, à mesure que la sensibilité et les fonctions organiques s'améliorent, les attaques ou les autres manifestations de l'hystérie s'atténuent et finissent par disparaître. En un mot dans les cas réguliers on peut dire que traiter l'anesthésie, c'est traiter la maladie elle-même. Nous ne voulons pourtant pas affirmer que ce traitement suffise en l'absence de toute précaution hygiénique et de toute discipline. C'est même l'influence de l'exemple et du milieu qui le rend difficilement applicable dans les hôpitaux. Aussi ce serait exagérer la portée de notre expérience personnelle que donner à entendre que nous avons guéri et mis à l'abri de toute rechute un grand nombre d'hystériques. Nous avons seulement constaté chez huit hystéro-épileptiques du service de M. Charcot, l'influence du maintien de la sensibilité sur l'éloignement des
attaques et cela dans des séries d'expériences répétées à divers intervalles. Cliez deux seulement nous avons continué le traitement jusqu'à la disparition définitive des crises. Quant à notre pratique de la ville, elle a porté surtout sur les accidents locaux de l'hystérie et sur ce point nous pouvons être plus affirmatif.
Paralysies. Contractures. —Si ces accidents coexistent avecdes attaques ils rentrent dans les catégories précédentes. S'ils sont isolés on leur appli-quera le traitement de l'anesthésie partielle, qui les accompagne du reste le plus souvent. Par conséquent on pourra agir sur la partie saine pour y pro-voquer une affection similaire et déplacer en une fois ou graduellement le phénomène morbide. Le mécanisme étant absolument le même que pour l'anesthésie simple nous ne répéterons pas ce qui a été dit plus haut. (Voy. l'observation de la sœur P... dans le Progrès médical n°^35, 36, 39. 1 878).
Nous avons vu plusieurs cas de ce genre et le dernier chez un homme.
Il nous a paru que l'afTectiou est plus tenace lorsqu'elle n'est pas liée à la grande hystérie. Nous avons vu aussi que la méthode indirecte de déplace-ment est plus sûre. Dans les cas de contracture, l'excitation, à l'aide d'étin-celles, des tendons antagonistes a toujours favorisé la résolution d'une façon manifeste. Mais celle-ci n'a jamais été définitive qu'après la disparition de l'anesthésie.
A propos de ce transfert des contractures, rappelons un passage de l'abbé Sans, un électricien du siècle dernier qui rapporte avoir montré ce phéno-mène à une société savante *.
Toux hystérique, chorée hystérique, blépharospasme. — Ces accidents guérissent très bien par l'électrisation statique, mais plus facilement quand il y a anesthésie que dans le cas contraire. Nous n'avons échoué qu'une fois dans un cas de chorée, au début de nos recherches et fort vraisemblable-ment pour avoir négligé les précautions dont il nous reste à parler.
Délire hystérique (démence). — Nous l'avons vu chez deux malades cesser après plusieurs jours de durée par le bain électrique.
Hyperesthésie. —Le vent électrique suffit quelquefois pour en avoir raison, Mais le résultat est plus facile à obtenir lorsqu'il existe en même temps de l'anesthésie. C'est alors cette dernière qu'il faut modifier.
Amaurose hystérique double. — Nous avons observé tout récemment avec M. le professeur Charcot un cas de guérison rapide de cette affection rare.
Électricité statique comme moyen de diagnostic. — M. Charcot a au-trefois signalé la possibilité de produire l'anesthésie par les sesthésiogènes, comme un signe diagnostic précieux de l'hystérie dans les cas douteux. L'électricité statique se prêle parfaitement à ce genre d'épreuve. Nous avons vu plusieurs femmes, affectées de névropathies indécises, mais sans troubles dte la sensibilité, acquérir, après une ou plusieurs séances, une hémia-
i. Le passage est cité par Mauduyt, mais l'ouvrage de l'ahbé Sans n'est pas à la LibHothèque de l'Ecole.
sie nettement caractérisée avec ovarie du même côté, etc. II semble que l'agent aîsthésiogène accélère l'évolution naturelle de la maladie et par suite sa terminaison. (L'anesthésie provoquée s'observe aussi chez l'homme.)
,En résumé les procédés d'électrisation statique peu variés de forme s'a-daptent cependant à l'immense variété des cas individuels. On peut mèm^ dire que c'est cette simplicité qui fait toute la difficulté, si difficulté il y a. En effet nous voyons deux ou trois procédés toujours les mêmes en appa-rence, mais susceptibles de se prêter à des nuances infinies et impossibles à décrire. Le premier point est d'avoir de bons appareils; le second est de savoir résister au désir d'arriver immédiatement à un résultat. Il faut recon-naître la susceptibilité du malade et mesurer en conséquence l'action élec-trique, ce qui ne peut se faire que par un tâtonnement prudent. Les idiosyn-crasies varient sous ce rapport dans les limites les plus surprenantes. Tel malade est influencé par le seul voisinage de la machine chargée et serait excité outre mesure après un bain électrique de quelques minutes seulement. Un autre supporte dès la première fois les plus fortes commotions. L'aspect extérieur du sujet ne fournit aucune donnée à cet égard. Il faut se résoudre à aller lentement, dût-on perdre les premières séances. Avec ces précautions on reconnaîtra bientôt que l'électricité statique peut à volonté être l'excitant par excellence ou le plus efficace des sédatifs, contrairement à l'opinion vul-gaire qui est encore celle de beaucoup de médecins. Nous ne saurions trop recommander aussi, et cela, principalement mais non excluvivement, en vue de la rigueur méthodique, de ne pas faire suivre en même temps un autre traitement soit interne soit externe. L'observation la moins compliquée est déjà assez difficile.
APPENDICE
notes historiques
Nous avons cherché à établir, dans le cours de cet ouvrage, que la grande hystérie formait une entité morbide parfaitement caractérisée, se confondant avec une des formes de l'hystéro-épilepsie des auteurs, se rattachant par des liens étroits à l'hystérie vulgaire dont elle est comme l'expression la plus haute et essentiellement distincte de l'épilepsie vraie. Mais, si la des-cription que nous en avons faite en suivant la voie tracée par M. Charcot paraît s'éloigner, par certains côtés, du type jusqu'ici classique de l'hystérie, il ne faudrait pas en conclure que nous sommes aujourd'hui en présence d'une affection inconnue des siècles passés et n'ayant reçu que de nos jours le développement et la forme spéciale sur lesquels nous avons insisté.
Notre travail ne serait pas complet si nous ne recherchions dans les temps anciens les traces méconnues de la grande hystérie. Nous les retrouverons dans l'histoire de ces grandes épidémies convulsives qui ont désolé le moyen âge et, qui tour à tour regardées par le peuple comme des châtiments de la co-lère divine, ou des marques de la faveur céleste, étaient attribuées, suivant la circonstance, à l'influence diabolique ou à l'Esprit-Saint. Ce n'est pas un des moindres mérites de cette conception nouvelle de l'hystérie que de trouver sa justification dans l'étude du passé et de rattacher, par un lien commun, un certain nombre de faits en apparence disparates, dont elle permet, par une suite de rapprochements légitimes, de saisir la véritable signification. Des auteurs autorisés ont déjà entrepris, sur quelques points, ces études de médecine rétrospective, je citerai CalmeiP, Littré^, Valentiner^ et Charcot*.
Nous avons vu (par l'histoire de nos malades) quelle influence jouent, dans l'étiologie de la grande hystérie, les émotions vives qui, dans certains cas, suffisent à déterminer la forme des principaux accidents. Quoi d'éton-
1. De la folie considérée au point de vue ^pathologique, philosophique, historique et ju-diciaire. Paris 1845.
2. Un fragment de médecine rétrospective. In La philosophie positive, Revue, n" 1. IbbJ.
3. Des rapports entre Vhystérie et les affections convulsions épidémiques liées à la folie religieuse, comme la possession, les manifestations des convulsionnaires, etc. Trad, de l'allemand par Teinturier.in le Mouvement medical. 1872.
4. In Leç. sur les mal. du sgst. nerv.
nant alors que l'excitation religieuse ait provoqué, à certaines périodes d'exaltation, ces effets de réaction sur le système nerveux qui, en dernière analyse, donnent naissance à la grande hystérie !
En outre des circonstances étiologiques, les analogies que nous signalons ici entre les anciennes épidémies convulsives et la grande hystérie que nous observons de nos jours à l'état sporadique, se fondent sur la contagion ner-veuse aujourd'hui parfaitement démontrée des accidents hystériques, et sur la similitude des manifestations symptomatiques.
C'est sur ce dernier point seulement que nous nous proposons d'insister et les faits sur lesquels, nous désirons, à ce sujet, attirer l'attention seront répartis sous quatre chefs principaux :
1° La chorée épidémique du moyen âge;
2" Les épidémies de possession démoniaque;
3" Les convulsionnaires ;
A° Les extatiques.
Mon dessein n'est point d'entreprendre une étude critique complète de tous les faits dont il est question. Lepointdevue auquelnous nous placerons est essentiellement restreint. Il ne s'agit point de fournir l'explication de tous les phénomènes observés, en faisant intervenir, en même temps que les diverses névroses, soit l'aliénation mentale, soit le magnétisme, soit la su-percherie, etc.; encore moins s'agit-il d'entrer dans la discussion de la cause surnaturelle attribuée par quelques auteurs à tous ces accidents.
Je n'ai d'autre intention que de réunir ici dans cet appendice, un certain nombre de citations puisées, pour la plupart, dans les auteurs contemporains des faits dont il s'agit, aussi bien parmi les partisans que parmi les adver-saires du surnaturalisme, et qui, placées ainsi en regard de nos études sur la grande hystérie, mettront en valeur deux points qui sont comme les deux faces d'une même proposition : a) l'existence dans les temps anciens de la grande hystérie avec les principaux caractères que nous lui avons assignés ; b) la part qui, dans un certain nombre de faits anciens d'une appréciation difficile, doit être faite à la grande hystérie.
Je serai aussi sobre de réflexions que possible, désirant laisser aux faits eux-mêmes toute leur valeur.
PREMIÈRE SECTION
chorée épidémique du moyen age. — chorea maj or.
La chorée épidémique du moyen âge, qui diffère à tant de titres de la chorée vulgaire d'aujourd'hui, si bien qu'on ne saurait reconnaître dans ces deux affections les degrés différents d'une même maladie, nous parait devoir être considérée comme une des manifestations de la grande hystérie. Il nous
semble que, sans forcer les analogies, u nous sera laciie de trouver là le même cortège de symptômes principaux. La grande attaque s'y retrouve avec la succession de ses différentes périodes. Nous avons vu plus haut quelles variétés de formes pouvaient revêtir les agitations et les « grands mouvements » de la deuxième période ^ Dans les possessions c'est la « con-torsion » qui domine. Ici ce sont les « grands mouvements » qui prennent une extension telle qu'ils ont, en quelque sorte, relégué dans l'ombre les autres symptômes de la maladie et lui ont mérité le nom qu'elle porte. Au milieu d'un désordre généralement assez grand, ils ont conservé quelques traits du rhytme qui est le propre d'une partie de ces (c grands mouve-ments » et, sous des influences qu'il nous est difficile d'apprécier exactement aujourd'hui, mais dont nous pouvons aisément concevoir le mode d'action, ils ont revêtu les caractères d'une danse plus ou moins effrénée.
La chorée rhytmique, dont nous avons dit quelques mots plus haut et qui ne saurait être confondue avec la chorée vulgaire, doit être rangée, dans certains cas, parmi les manifestations de la grande hystérie. Elle devient une preuve de plus en faveur de notre manière de voir et nous montre qu'il n'y a rien d'irrationnel à rapporter à la grande hystérie les mouvements rhytmés de la dansomanie.
I. chorée épidémiqueen allemagne et dans les pays-bas. — danse de saint-jean.
danse de saint-guy.
Dans la description suivante que donne Hecker^ delà danse de Saint-Jean je ferai ressortir : la présence d'hallucinations qui rappellent celles de la troisième période de la grande attaque; les contorsions qui se trouvaient mêlées à la danse; les convulsions à forme épileptique qui inauguraient parfois les accès; enfin l'influence de la compression de l'abdomen sur l'ar-rêt ou tout au moins l'atténuation de ces accidents variés.
« Déjà, en 1374, on avait vu, à Aix-la-Chapelle, arriver de l'Allemagne des troupes d'hommes et de femmes, qui, réunis par un délire commun, offraient au peuple, dans les rues et dans les églises cet étrange spectacle. Se tenant par la main, et emportés par leurs sens, dont ils n'étaient plus maîtres, ils dansaient des heures entières, et prolongeaient ce spectacle, sans être intimidés par les assistants, jusqu'à ce qu'épuisés ils tombassent à terre. Puis ils se plaignaient d'une grande angoisse, et gémissaient comme s'ils eussent senti l'approche de la mort, jusqu'à ce qu'on leur eût serré le ventre avec des linges; après quoi ils revenaient à eux-mêmes et se trouvaient momentanément délivrés de leur mal. C'était dans le but d'agir contre la tympanite qui se déclarait après leur accès, que l'on avait recours à celte manoeuvre; souvent on s'y prenait plus simplement encore, en leur donnant des coups de poings et depieds dans le bas ventre. Pendant leur danse, ils avaient des apparitions ils ne voyaient ni entendaient, et leur imagination leur faisait voir
t. Voy. p. 83 et p. 310.
2. Mémoires sur la chorée du moyen âge traduit de l'allemand, par M. Ford. Dubois. (Annales d'hygiène et de médecine légale. 183i, t. XII, p. 313.)
des esprits dont ils prononçaient ou piuioi nuriaieiu les iiuras. Plus tard on en vit parmi eux assurer qu'ils s'étaient crus plongés dans un ruisseau de sang et que c'était pour cela qu'ils sautaient si haut. D'autres voyaient dans leur extase, le ciel ouvert, la Vierge et le Sauveur sur son trône, selon les nuances variées que la croyance du temps imprimait à leur imagination fantastique.
» Dans les cas où la maladie était complètement développée, les accès commen-çaient par des convulsions épileptiques. Les malades tombaient à terre, haletants, sans connaissance, l'écume leur sortait de la bouche, puis ds se levaient en sursaut et commençaient leur dame accompagnée de hideuses contorsions.
» Il ne fallut que quelques mois pour propager ce fléau d'Aixda-Ghapelle, où il se montra en judlet, jusque dans les Pays-Bas. A Liège, Utrecht, Langres et beaucoup d'autres villes delà Belgique, ces danseurs frénétiques parurent avec des couronnes sur la tête, et le ventre entouré de linges, afin de pouvoir trouver sans délais du soulagement, dès que la tympanite succédait à la frénésie. On leur serrait facile-ment le ventre en tordant le linge, au moyen d'un bâton qu'on y passait; cepen-dant un grand nombre préférait les coups de poings et les coups de pieds, et pour cette opération il ne manquait pas de gens de bonne volonté, car dans les Heux où se passaient de pareilles scènes, le peuple se rassemblait en foule pour repaître ses regards avides de cet affreux spectacle. »
Pendant leurs accès les malheureux danseurs se livraient à des violences, envers eux-mêmes ou envers les autres, que nous avons fréquemment ob-servées pendant les accès de grande hystérie.
« Ils déchiraient souvent leurs vêtements ou se livraient à d'autres excès; aussi, ceux qui en avaient les moyens, se faisaient accompagner par des surveillants qui les empêchaient de se faire du mal à eux-mêmes ou d'en faire aux autres. »
Partout cette maladie répandit l'effroi et fut bientôt mise sur le compte du diable. Les prêtres eurent recours aux exorcismos. Souvent les malades réunis en troupes vomissaient des imprécations contre eux et voulaient les mettre à mort.
Aux accidents convulsifs nous voyons s'adjoindre les longues périodes délirantes.
En dehors de leurs convulsions les possédés faisaient des discours et pro-féraient des menaces. « Dans un état qui tenait du sommeil magnétique », ils déclaraient que si on ne se hâtait de chasser les démons, ceux-ci passe-raient dans le corps des grands et des princes, et par leur moyen anéanti-rait le clergé.
L'érotomanie avait également sa part dans ce délire.
A Metz où l'on rapporte que 1000 danseurs remplissaient les rues :
«... Des jeunes gens des deux sexes s'enfuyaient de chez leurs parents, et des domestiques de chez leurs maîtres, pour sucer avec avidité le venin de la conta-gion et se repaître du spectacle des danseurs. On vit plus d'une centaine de jeunes fdles se démener comme des frénétiques dans les lieux saints ou profanes, et montrer bientôt quede flamme avait été éteinte en elles... »
Les danseurs, après leurs violents accès, éprouvaient le soulagement et le
sentiment de bien-être qu'il n'est pas rare d'observer après les grandes attaques hystériques.
La musique saisissait fortement les malades; elle excitait et augmentait leurs accès. Aussi les magistrats payaient-ils des musiciens pour faire passer plus vite les accès.
Nous retrouverons dans le tarentisme d'Italie, qui offre tant d'analogies avec la grande chorée d'Allemagne, cette influence si remarquable de la musique sur la violence des accès.
« Il est au reste prouvé, dit Heclver, par un grand nombre de relations, que la musique a singulièrement contribué à prolonger l'existence de la danse de Saint-Guy; que de plus elle déterminait l'apparition des accès, en augmentait l'intensité, et peut-être aussi tendait ensuite à les affaiblir. Déjà, au xn" siècle, les troupes de danseurs étaient accompagnées de musiciens qui excitaient leur ivresse; et il est probable que les airs trop animés et les sons perçants des flûtes et des trom-pettes augmentaient jusqu'à la furie l'extase, peut-être sans cela bénigne, de bien des malades. Dans les temps ultérieurs, le but principal qu'on se proposait en faisant de la musique, était aussi de rompre la racine du mal lui-même par la violence des accès. »
En dehors des accidents convulsifs terribles qu'ils présentaient, les dan-seurs jouissaient d'un état mental dont le trait saillant était la bizarrerie.
Ils avaient une aversion maladive pour les souliers pointus, si bien qu'un édit parut défendant de porter d'autres souliers que ceux à pointes obtuses. Ceci montre jusqu'à quel point cette étrange maladie avait inspiré la terreur.
Les couleurs étaient, de la part de ces exaltés,l'occasion des sentiments les plus divers. Le rapprochement est intéressant à établir ici, si nous songeons quel rôle jouent les couleurs dans les hallucinations des hystériques et com-ment ces sortes de malades subissent, en maintes occasions, une fascination ou une répulsion tout instinctives pour certaines couleurs.
Les danseurs d'Allemagne ne pouvaient supporter la couleur rouge, dont l'influence, dit Hecker, sur les nerfs attaqués nous montre une analogie singulière entre ces maladies convulsives et l'état des animaux furieux, mais qui, chez ces frénétiques, était probablement aussi en rapport avec les images de leur extase. Il y en avait aussi qui ne pouvaient supporter l'aspect de personnes en pleurs.
Les accès étaient parfois précédés de prodromes plus ou moins éloignés qui se rapprochent beaucoup des prodromes de la grande attaque d'hystérie.
Vers la fin de l'épidémie, du temps de Schenck, des malades n'étaient saisis de leurs accès qu'une fois dans l'année et cela au moment de la fête de Saint-Jean.
« Pendant tout le mois de juin, avant la fête du saint, ils sentaient une angoisse et une inquiétude insurmontables; ils étaient tristes, craintifs, erraient sans cesse poussés par des douleurs vagues qui commençaient tout à coup dans différentes parties du corps, et attendaient impatiemment la veille du jour de Saint-Jean, persuadés que la danse autour des autels de ce saint ou de saint Guy (car dans le Brisgau on attendait des secours de tous les deux), les délivrerait de leurs tour-
ments. Leurs espérances se réalisaient en effet, car après avoir dansé et crié pen-dant trois heures et satisfait ainsi à leur besoin irrésistible, ils étaient quittes pour le reste de l'année. »
Le plus grand nombre des gens atteints faisaient partie de la classe pauvre.
Dans les causes de ces maladies Hecker range : la misère occasionnée par la peste noire, la tension extraordinaire des esprits à cette époque tour-mentée de l'histoire, la croyance au merveilleux et la crainte superstitieuse des esprits.
Paracelse distinguait trois espèces de chorée d'après les symptômes : la première avait sa source dans l'imagination (Chorea imaginativa), elle fut selon lui la maladie primitive; la seconde espèce dépendait de désirs sen-suels avec enchaînement de la volonté (Chorea lasciva); enfin la troisième provenait de ce qu'il appelle les causes corporelles (Chorea naturalis coacta). Cette dernière était la forme la plus bénigne.
Après avoir commencé à Aix-la-Chapelle l'épidémie s'étendit à Liège, Utrecht, Cologne et Metz.
L'an 1418, Strasbourg fut visité par le fléau de la danse (tansplage). Les symptômes étaient les mêmes qu'en Belgique et dans les provinces rhé-nanes.
Pendant longtemps ce terrible fléau jeta l'épouvante parmi les populations d'Allemagne et des Pays-Bas. La médecine, malgré les nombreux remèdes conseillés par Paracelse, était à peu près réduite à l'impuissance par la croyance du peuple aune influence surnaturelle. Ces fanatiques se rendaient en pèlerinage, pour y chercher leur guérison, à la chapelle de Saint-Guy, à Dresselhausen, dîins le district d'Ulm, en Souabe.
Comme dans tous les malheurs publics, la fourberie s'en mêla et mit le comble à la confusion. Des bandes de mendiants plongés dans le vice et dans la misère profitèrent de cette maladie pour persister dans leur vaga-bondage. Ils imitaient les gestes et les convulsions des malades, et répan-daient la contagion en parcourant le pays pour chercher des aventures.
Aussi l'épidémie ne s'éteignit-elle que lentement et persista jusqu'au XVI® siècle.
II. TARENTISME
Le tarentisme d'Italie qui sévit vers la même époque, et dont on attribuait les accidents bizarres à la morsure d'une araignée venimeuse, la tarentule, n'est qu'une variété de la grande chorée qui présente les plus grandes ana-logies avec la danse de Saint-Guy.
Parmi les malades :
« Les uns éprouvaient une altération sensible de leur faculté visuelle et de leur faculté auditive; d'autres perdaient l'usage de la parole, et tous restaient insea-
sibles aux moyens d'excitation ordinaires. La flûte et la guitare pouvaient leur procurer du soulagement; alors, comme réveillés peu à peu d'un sommed magique, ils ouvraient les yeux, se mouvaient d'abord lentement et en mesure, puis, celle-ci devenant plus rapide, ils étaient entraînés à une danse passionnée. » (Hecker loc. cit.)
On voit qu'ici l'accès de danse se développe sous l'influence de la mu-sique. Il nous est impossible de ne pas rapprocher ces faits de ce que nous avons vu se produire chez nos malades, dans cet état d'automatisme hypno-tique dont nous avons parlé plus haut. La musique était alors la maîtresse absolue de leur organisation; suivant le mode de la mesure ou l'expression du morceau, nos malades ^^ivraient inconsciemment à une mimique variée; rien de plus facile ^PP^c leur faire exécuter les mouvements de la danse... Mais aussitôt que la musique cessait, elles retombaient dans leur torpeur. La même chose avait lieu au temps du tarentisme.
« Au dire d'Alexandre dès que les clarinettes et les timbales cessaient de se faire entendre, ce qui devait arriver souvent puisque les danseurs fatiguaient les plus robustes musiciens, les malades s'arrêtaient tout à coup, et tombaient à terre dans un nouvel accès de mélancolie et d'épuisement, dont il n'y avait moyen de les tirer qu'en leur faisant recommencer la danse... » (Hecker, loc. cit.)
Je rappellerai ici que les malades avaient une prédilection marquée pour les armes brillantes dont ils s'emparaient et qu'ils brandissaient pendant leurs accès. En général, l'influence de l'éclat des métaux sur les sens des malades fut très souvent observée.
La vue de l'eau et de la mer leur produisait des impressions analogues. Les personnes attaquées du tarentisme avaient une véritable passion pour la mer.
« Elles étaient attirée par la surface immense et azurée de la mer, et demeu-raient abîmées en la contemplant. Chez quelques-uns cette passion inexplicable atteignait un si haut degré, qu'ils se précipitaient avec une aveugle furie dans les flots, comme des danseurs de Saint-Guy dans les torrents. Cet état... se traduisait chez d'autres malades par la jouissance que leur causait la vue des verres remplis d'eau limpide. Pendant la danse ils portaient en main des verres pleins d'eau et faisaient des gestes bizarres; d'autres aimaient qu'on leur mît, au mdieu de la place où la danse avait lieu, de grands vases remplis d'eau, entourés de roseaux et d'autres plantes aquatiques, oîi ils plongeaient la tête et les bras avec une grande volupté. » {Ibid. loc. cit.)
Là se révèle bien l'extravagance hystérique, et aussi dans ce qui suit :
« D'autres se roulaient dans des monceaux de terre, et s'y faisaient enterrer jusqu'au cou, ce qui leur procurait quelque soulagement. Enfin on pourrait parler d'autres phénomènes qui, par leur infinie variété, révèlent tous un état d'excita-tion nerveuse contre nature. » (Ibid. loc. cit.)
Nous retrouvons ici cette influence curieuse des couleurs sur les senti-
meiits des malades. En Allemagne les danseurs ne pouvaient supporter la» vue de la couleur rouge.
En Italie, cette sympathie ou cette aversion pour les couleurs était va-riable. On vit même des tarentés ne point se lasser d'admirer la couleur rouge, d'autres s'extasiaient devant le vert.
« Et des témoins oculaires, dit Hecker, nous représentent cette passion pour les couleurs si vive, si profonde, qu'ils ne peuvent trouver de termes pour exprimer leur surprise lorsqu'un malade découvrait quelques-unes de ces couleurs qui lui étaient chères. II se jetait avec'impétuosité sur l'objet coloré, le dévorait avide-ment des yeux, le baisait^ l'approchait de son cœur et le comblait de toute sorte de caresses; passant ensuite peu à peu à des sentiments plus doux, il prenait un air languissant comme un amant, et il embras^Étovec le plus grand transport, et les larmes aux yeux, l'étoffe qui était devant loUPmrae s'il eût voulu se plonger dans la plus enivrante volupté. »
A la vue des couleurs qui leur étaient odieuses, les malades entraient dans une fureur inexprimable.
« Matthioli dépeint les accidents causés par la morsure de la tarentule, comme étant de nature très diverse. Quelques malades étaient pris d'accès de joie, ils restaient longtemps éveillés, ils riaient, chantaient, dansaient, et présentaient une exaltation remarquable de la sensibihté; d'autres, au contraire, tombaient dans un état de torpeur. La plupart étaient fatigués par des nausées et des vomissements; d'autres avaient un tremblement continuel; on en vit même assez souvent tomber dans des accès de fureur. A tout cela se joignait la mélancolie ordinaire à cette maladie... y (Hecker, loc. cit.)
« On voyait fréquemment des malades perdre la voix, d'autres devenir aveugles pendant quelque temps, d'autres avoir des élourdissements, ou bien tomber dans un état complet de folie accompagnée d'insomnie opiniâtre, ou bien verser souvent des larmes sans cause extérieure apparente. Beaucoup de malades se trouvaient soulagés en se faisant balancer et berner; d'autres demandaient qu'on les frappât rudement sur la plante des pieds, de manière à déterminer de la douleur, autre-ment ils se frappaient eux-mêmes non point par jonglerie, mais bien pour apaiser le sentiment de chatouillement violent qu'ils éprouvaient dans tous leurs nerfs. On en vit aussi quelques-uns, comme chez les danseurs de Saint-Guy, dont
l'abdomen se gonflait d'une manière considérable.....Ces malheureux tombaient
dans une mélancolie profonde qui leur faisait rechercher le son lugubre des cloches funèbres et le séjour des cimetières et des tombeaux... » (Ibid. loc. cit.)
DEUXIÈME SECTION
épidémies de possession démoniaque
Toutes les épidémies de possession démoniaque se ressemblent. Chez toutes, il noi^N est facile de trouver des faits qui plaident en faveur de la
thèse que nous soutenons. Mais il nous suffira de choisir quelques exemples et nous les prendrons parmi les épidémies de possession démoniaque qui eurent le plus de retentissement.
C'est ainsi que nous étudierons successivement la possession dite des non-nains vers le milieu dii^x^i^ siècle, puis, au xyii" siècle, la possession des Ursulines d'Aix, cell||i!les Ursulii^s.tleLoudun, celle des filles de Sainte-Elisa-beth à Louviers. Enfin sans nous arrêter aux épidémies de possession du xviii" siècle qui eurent moins d'éclat, nous rapprocherons des possessions célèbres dont il vient d'être question, deux histoires modernes, deux faits d'épidémie de possession démoniaque en plein xix^ siècle, l'épidémie de Morzines en 1860 et celle de Verzeguis en 1878.
POSSÉDÉES D'ALLEMAGNE, 1550-1560
Vers le milieu du xvi*' siècle, on vit éclater dans une foule d'endroits, dans le Brandebourg, en Hollande, en Italie et particulièrement dans les monastères d'Allemagne, une affection convulsive épidémique souvent dé-signée dans les anciens livres sous le nom de possession des nonnains.
Bien que très incomplètes, les relations qui nous en sont parvenues per-mettent cependant de retrouver un certain nombre de caractères, d'où res-sort clairement la place importante occupée par la grande hystérie dans cette affection qui causa un si grand étonnement parmi ceux qui en furent témoins.
J'emprnnterai la plupart des détails suivants au remarquable ouvrage de M. Calmeil.
Le début de l'affection était marqué par des hallucinations auxquelles s'associaient plus tard des troubles variés de la motilité (soubresauts, se-cousses, contracture de l'œsophage, attaques convulsives) et de la sensibilité (anesthésie, hyperesthésie).
Au sujet de ce qui advint aux nonnains de Brigitte en leur couvent près de Xante, voici ce que rapporte S. Goulard, dans ses Histoires admirables et mémorables.
« Maintenant elles tressaillaient ou bêlaient comme brebis, ou faisaient des cris horribles. Quelquefois elles étaient poussées liors de leurs cJiaires, au temple ou à la Wîesse; on leur, arrachait le voile de dessus la teste : et quelquefois leur gavioii (gosier) était tellement étouppé (fermé) qu'impossible leur était d'avaler aucune viande. Cette étrange calamité dura l'espace de dix ans, en quelques-unes. Et disait-on qu'une jeune nonnain éprise de l'amour d'un jeune homme en était cause, pour ce que ses parents le lui avaient refusé en mariage, et que le diable prenant la forme de ce jeune homme s'était montré à elle en ses plus ardentes chaleurs, et lui avait conseillé de se rendre nonnain, comme elle fit incontinent. Enfermée au couvent, elle devint comme furieuse et montra à chacun des horribles et étranges spectacles. Ce mal se glissa comme une peste en plusieurs autresnon-nains. Cette première séquestrée s'abandonna à celui qui la gardait et en eut deux enfants.
» J'ai entendu dire que le diable tourmenta pendant quelques années les non-nains de Hessimont, à Nieumège. Un jouril entra par un tourbillon en leur dortoir, où il commença un jeu de luth et de harpe si mélodieux que les pieds frétdlaient aux nonnains pour danser... Puis il prit la forme d'un chien, se lançant au lit d'une soupçonnée coupable du péché qu'ils nomment muet.
» En un autre couvent près de Cologne, environ l'an 1160, le diable se pourme-nait en guise de chien, et se cachant sous la r^be des nouons, y faisait des tours honteux et sales.
» Autant en faisait-il à Hensberg, en le duché de Clèves, sous la figure de chat^.... »
On voit que les formes d'animaux n'étaient pas rares parmi les hallucina-tions de ces possédées.
Il en était à peu près de même des religieuses de Kintrop.
« Toutes les démoniaques de Kintorp, dit Calmeil, accusaient à la plante des pieds une sensation de brûlure comparable à celle qui aurait été produite parle contact xle l'eau bouillante sur ces parties. Les plus jeunes sœurs, dont la loquacité était le plus exubérante, et qui étaient surtout frappées de l'idée que la cuisinière du couvent s'entendait avec le diable pour produire les vexations auxquelles elles se voyaient en proie, prétendaient apercevoir autour d'elles des diables cachés sous la forme de chattes, des ombres qui les assiégeaient sous les traits de la cuisinière, sous les traits delà mère et du frère de cette malheureuse fille^. »
Au couvent de Nazareth à Cologne nous retrouvons l'hallucination géné-sique nocturne.
« Une jeune nonne nommée Gertrude, cloîtrée depuis sa quatorzième année, passait pour avoir inoculé l'hystérie et la nymphomanie à ses compagnes. Gertrude croyait partager sa couche avec un incube; bien qu'elle eût soin de placer à ses côtés une étole consacrée pour éloigner cet esprit charnel de sa personne, d lui arrivait de s'abandonner pendant la nuit à des mouvements animés qui effrayaient les moinesses.
« Une religieuse couchée dans un lit voisin de celui de Gertrude tomba la pre-mière dans des attaques de convulsions : à la suite des paroxysmes, sa raison parut égarée et on l'entendait délirer sur les matières qui ont trait à la damna-tion. Bientôt les convulsions et les idées déraisonnables purent être notées sur la plupart des nonnes du couvent^. »
L'anesthésie est signalée chez les moinesses de Kintrop, qui, dans leur exaltation, s'obstinaient à se frapper, se faisaient des ecchymoses, des mor-sures, et tout cela sans donner aucun signe de douleur.
L'une d'entre elles, Anne Langon, qui avait été atteinte des premières, souffrait dans Vhypocondre gauche.
Tous ces accidents, les uns effroyables, les autres grotesques qui, après s'être montrés chez une des religieuses du couvent, s'étendaient tout d'un
1. Histoires admirables et mémorables, etc. par S. Goulard, t. I, Paris, 1600 (cité par L.-F. Calmeil, De la Folie, Paris, 1845, t. I, p. 268).
2. Calmeil, loc. cit., t. I, p. 260.
3. Calmeil, loc. cit., t. t. p. 263.
coup avec la rapidité d'une traînée de poudre et gagnaient bientôt ses com-pagnes affolées, étaient mis tout naturellement sur le compte du démon. Les religieuses tourmentées ne tardaient pas à se croire effectivement pos-sédées de l'esprit malin, et cette croyance entretenue par la nature de leurs hallucinations les poussait à faire retomber sur la tête de quelque malheu-reuse réputée sorcière, la responsabilité de tous leurs maux*.
Les troubles psychiques que présentaient les possédées ont les plus grandes analogies avec ceux que nous avons pu observer chez nos malades hystériques. En outre des hallucinations et des idées fixes qui en étaient la conséquence, nous retrouvons là, les impulsions irrésistibles, l'inaptitude au travail et aux occupations sérieuses, la tendance aux extravagances, etc.
« Les fdles de Kintrop n'exerçaient pins aucun empire sur leur volonté. Il leur arrivait de se mordre, de frapper et de mordre leurs compagnes, de faire des efforts pour se jeter sur les étrangers qu'elles auraient voulu blesser. On les sur-prenait à se porter les unes les autres, à se précipiter contre le sol et à faire cent autres actions non moins déraisonnables 2..»
S. Goulard nous rapporte sur Anne Langen les détails suivants :
« Si Anne parlait en ses accès, cela semblait se faire par le moyen de quel qu'autre qui tirait et repoussait son vent. Elle s'entendait bien parler, mais les paroles finies, elle ne se ressouvenait nullement de ce qu'elle avait dit, si ce n'était qu'on lui répétât, car alors elle se remémorait les avoir prononcées; mais la honte faisait qu'elle aimait mieux se taire. Si quelquefois elle se mettait en oraison, soudain elle était troublée par le malin esprit, tellement qu'elle ne pou-vait, comme elle eût voulu, attentivement poursuivre son propos ni mouvoir sa langue. Mais s'il advenait qu'elle murmurât sans y penser, les prières ou heures vulgairement nommées canoniques, tant s'en faut alors qu'elle se sentît empêchée que même elle sentait allégement.
» Au reste, elle demeura toute hébétée, destituée de sens, de discrétion et de jugement, si qu'elle ne put oncques penser attentivement â quelque chose que ce fût. S'il advenait que quelque homme de bien, dévot et craignant Dieu,parlât â elle, lors il semblait que le diable l'en punit. Au contraire, si les autres femmes devi-saient avec elle de menues affaires et de choses de néant, elle y prenait plaisir et en était allégée. Depuis aussi, lorsqu'on Fexorcisait, elle jeta grande quantité de sang par la bouche, sans que pour l'heure il lui en advint autre maP. »
Les attaques convulsives débutaient parfois par une phase d'immobilité qui rappelle la phase tonique de la période épileptoïde.
1. AUvertet les religieuses accusèrent une pauvre matrone du voisinage,qui fut arrêtée et jetée en prison en même temps que sept autres femmes soupçonnées comme elle de rendre un culte au démon. La mallieureuse sage-femme mourut au sortir de la question qu'on lui avait appliquée pour lui extorquer l'aveu d'un crime qu'elle persistait à nier.
La religieuse soupçonnée d'avoir ensorcelé les filles de Sainte-Brigitte fut enfermée dans les prisons de réglise.
La possession de Kintrop fit deux victimes. La cuisinière du couvent nommée Elise Käme, épileptique elle-même et à moitié folle fut condamnée aux flammes. Sa mère dut se résigner au même sort.
2. Calmeil, loc. cit., t. I, p. 258.
3. S. Goulard, cité par Calmeil, loc. cit. t. I, p. 270.
RICHER. 40
Les principaux caractères des convulsions sont indiqués dans les passages suivants :
« Dans des instants où elles (les nonnes d'Uvertet) paraissaient jouir d'un calme parfait, il leur arrivait de tomber à la renverse, d'être privées de l'usage de la pa-role, de demeurer étendues sur le sol comme si elles eussent complètement perdu connaissance. Mais parfois elles sortaient subitement de cette immobiïité momen-tanée, elimprimaient à leurs contractions musculaires un degré d'énergie tel que les assistants ne parvenaient qu'à grand'peine à contenir leurs mouvements,et que, elles s'élevaient et retombaient par bonds d'une manière effrayante. Quelques minutes de repos suffisaient pour leur faire oublier le sentiment de fatigue occa-sionné par la violence de ces secousses nerveuses ^. »
« Nous pouvons ici rapporter les convulsions monstrueuses et innombrables avenues aux nonnains du couvent de Kintorp, en la comté de la Marche, près Hammone. Un peu devant leur accès, et durant icelui, elles poussaient de leur bouche une puante haleine qui continuait parfois quelques heures. En leur mal, aucunes ne laissaient d'avoir l'entendement sain, de ouïr et de reconnaître ceux qui étaient autour d'elles, encore qu'à cause des convulsions de la langue et des parties servant à la respiration, elles ne pussent parler durant l'accès. Or, étaient les unes plus tourmentées que les autres et quelques-unes moins. Mais ceci leur était si commun qu'aussitôt que l'une était tourmentée, au seul bruit, les autres séparées en diverses chambres étaient tourmentées aussi^. »
».....Et encore que toutes fussent ainsi étrangement affligées, si n'en perdè-
rent-elles point l'appétit et ne laissèrent de prendre nourriture. Le diable parlait souventes fois par la bouche des jeunes, lesquelles avaient l'esprit troublé, aux-quelles aussi il se présentait en forme de chat noir et sous la figure d'Else Kamense, ou sous celle de sa mère, ou bien ceUe de son frère, tellement que toutes pen-saient mais faussement, que ces personnes fussent cause de tels tourments 3. »
» .....On peut mettre en ce rang une autrenonnain du couvent de Bois-le-Duc,
près temple de Saint-Jean-Baptiste, nommée Jerdith, laquelle j'ai vu tourmentée du diable par étranges convulsions, car d lui serrait la gorge tellement qu'elle ne
pouvait avaler..... Et lui tenait aussi la langue parfois en telle sorte qu'ill'empêchait
de parler. D'autrefois je lui ai ouï proférer des propos ridicules et horribles'^. »
Voici maintenant qui pourrait être mis sur le compte des hallucinations erotiques qui font partie de la troisième période de la grande attaque hys-térique. La description suivante nous rappelle les attitudes passionnelles qu'il n'est pas rare d'observer sous l'empire de semblables hallucinations (Voy. p. 94). Nouveau point de rapprochement : le souvenir des halluci-nations persiste après l'attaque.
« Les nonnains du couvent de Nazareth à Cologne furent presque tourmentées comme celles de Kintrop. Ayant été par long espace de temps tempêtées en diverses sortes par le diable, elles le furent encore plus horriblement l'an 1564, car elles
1. Calmeil, loc. cit. t. i, p. 255.
2. S. Goulard, loc. cit. (cité par Calmeil, loc. cit., 1.1, p. 269).
3. S. Goulard, loc. cit. (cité par Calmeil, loc. cit. p. 271). •4. S. Goulard, loc. cit. (cité par Calmeil, loc. cit. p. 273).
étaient couchées par terre et rebrassées comme pour avoir compagnie d'homme, durant laquelle indignité leurs yeux demeuraient clos, qu'elles ouvraient après honteusement, et comme si elles eussent enduré quelque griève peine ^ »
Enfin la guérison d'accidents si graves fut constatée chez une des moi-nesses de Kintrop parmi les plus gravement atteintes. Elle survint en quelque sorte spontanément, en dehors de l'influence des exorcismes, par le simple éloigneraent du théâtre de la possession et le séjour dans sa fa-mille.
« Anne s'étant résolue âne plus retourner au couvent duquel ses parents l'avaient retirée, mais de servir Dieu dévotement.... cette calamité la laissa. Toutefois, si elle recevait seulement des lettres de l'abbesse, elle sentait un frémissement par tout son corps, comme si, de bref, elle eût dû retomber en ce premier état. » (Gou-lard, loc. cit.)
L'heureuse influence du changement de milieu et de l'isolement sur les malades atteintes de grande hystérie n'a pas changé. De nos jours encore nous savons que ces mesures constituent l'un des adjuvants les plus utiles du traitement.
POSSESSION DES FILLES DE SAINTE-URSULE A AIX, 1609-1611
Vers la fin de l'année 1609, les religieuses de Sainte-Ursule devinrent la proie des esprits déchus. Deux d'entre elles, Madeleine de Mandol, fille du sieur de la Pallud, gentilhomme provençal, et Louise Capeau, d'origine ro-turière, accusèrent le prêtre Gauffridi de les avoir ensorcelées, le désignant comme le prince des magiciens d'Espagne, de France, d'Angleterre et de Turquie. Le procès, au milieu des péripéties les plus émouvantes fut con-duit par l'inquisiteur Michaelis et jugé par le parlement de Provence. Il eut le bûcher pour dénouement. Le 30 avril 1611, Louis Gauffridi, prêtre bé-néficié en l'Eglise des Acoules, de Marseille, fut brûlé vif, à Aix, sur la place dite des Prêcheurs et ses cendres non encore refroidies lancées au vent.
Nous trouvons dans les écrits de Michaelis de curieux détails concernant l'une des tristes héroïnes de ce sombre drame, la jeune Madeleine de Mandol, et qui sont destinés à jeter quelque lumière sur la nature des accidents morbides qui ont fait croire à la possession.
Ici, comme ailleurs, c'est la grande hystérie qui est en cause.
Les hallucinations, les mouvements impulsifs, l'horreur pour la confes-sion, les tendances au suicide, les accès de fureur et de désespoir, les con-vulsions rhytmées, l'influence de l'imitation sur le développement des con-vulsions sont exprimés dans le récit suivant.
1. S. Goulard, loQ. cit. (cité par Calraeil, loc. cit. p. 272).
« Le 10 mars, Magdaleine nous récita que la nuit précédente, sur la minuit, elle se pourmenant par la chambre, ne pouvant reposer, elle se trouva visiblement environnée de diables, la persuadant de se retourner à Aix, et elle refusant, lui
dirent : si elle ne savait pas bien que le jour du mercredi..... elle et les autres
avaient baidé la moitié de leur cœur au diable, et l'autre moitié au prince des ma-giciens, et de même du corps?
s Le 21, Magdaleine a eu sept fois la torture, cruellement, ou en la chapelle ou en la chambre, mais au souper elle fut en repos... Néanmoins... après le souper vint Lévialhan disant : Belzebud n'a point été ici ni moi... mademoiselle vous n'avez point été caressée par la torture.., il vous la faut bien bailler maintenant; et quant et quant quatre diables qu'elle voyait visiblement lui baillèrent la torture si cruellement, bien trois quarts d'heure, que trois hommes qui la retenaient étaient tout en sueur et n'en pouvaient plus...
)) La nuit suivante.....les diables, par force, lui faisaient prendre la route pour
la faire sortir de la chambre où étaient ceux qui la gardaient. Le père F. Bdlet, s'en prenant garde, la lit retourner ; mais après, s'étant endormi, ds la voulaient enlever par la cheminée, et on la trouva ayant la tête contre la muraille de la dite cheminée, comme si on l'enlevait; mais ds furent empêchés.....
» Le lundi saint, au matin, Magdaleine fut fort tentée de ne se vouloir confesser à son propre confesseur, le père F. Billet, et dura cette tentation depuis le matin jusqu'à onze heures.....
» A cette heure le possédé susdit de Marseille étant ramené à la chapelle, les diables de Magdaleine se prirent si fort à mugir, qu'on fut contraint de le sortir de la chapelle... Est à noter qu'avons expérimenté que les diables qui sont en di-vers corps ne peuvent souffrir d'être ensemble; ils grondent l'un contre l'autre, etc., semblent se vouloir entremanger comme loup et pourceaux. A cette occasion d fallut séparer Magdaleine de Loyse Capeau, ce qui procède de leur superbe envie.....
)) L'après-dîner, Belzebud fit prendre un couteau à Magdaleine, et lui mettant dans le sein, la voulait tuer de sa propre main. Le couteau ôté, mettant la main au gosier, la voulait étrangler, mais on l'empêcha.
» A deux heures après-midi, Belzebud criait si hideusement que le père Mi-chaelis, avec son compagnon, étant logés de l'autre côté de l'archevêché, assez loin, y accoururent, et, adjuré par ledit père pourquoi il criait tant, répondit : J'enrage !
» Le mardi saint au matin, le diable Carreau, qui fait état d'endurcir les cœurs, empêcha Magdaleine de se vouloir confesser, et faUut batadler contre lui jusqu'à douze heures.
» Le jour de Pâques, à la sainte messe, Belzebud se tourmentait étrangement, se jetant par terre et voulant sortir de la chapelle; enfin il sortit.
» L'après-dîner, les chantres et musiciens de Saint-Sauveur étant venus pour soulager la fille, et chantant un motet en musique, le diable se tourmenta et tour-mentait la fide avec grande violence... Lui commandant le père Romillonà la colla-lion, de goûter du pain par obéissance et par dépit du diable, soudain lui badlè-rent la torture comme auparavant quand elle voulait goûter du poisson ou du vin, lui renversant les bras et les jambes et l'haussant en haut.
» Les susdits tourments ont toujours continué à dîner et à souper de plus fort; dont la fille criait si haut qu'on entendait la voix de bien loin, et épouvantait ceux qui l'entendaient, Belzebud la vexant aussi à l'intérieur de grandes tentations de désespoir, lui disant qu'elle n'avait jamais fait une entière confession..., l'incitant à se précipiter de la fenêtre quand elle y était; ou de se frapper d'un couteau quand elle était seule. La nuit précédente, la voulut faire brûler, et elle ne con-sentant point, la jeta contre le feu, et fut trouvée tout assoupie, la tête touchant presque le feu!
» Le père Romillon fut d'avis de faire tondre Magdaleine... De quoi Belzebud, extrêment fâché, la tourmenta grièvement durant l'exorcisme et fort longtemps, lui faisant courber la tête par un continuel mouvement jusques à terre, tantôt devant, tantôt derrière, et donna souvent des coups de poings au front en disant : Je t'enseignerai bien de couper tes cheveux^... »
« Le 26 février, Asmodée, prince de la luxure, commença d'agiter Magdaleine, faisant faire des mouvements déshonnêtes, comme il avait fait plusieurs fois â la Sainte-Baume, pour l'amener à une honte... Lors... les médecins et chirurgiens lui commandèrent de cheminer, puis de s'asseoir et s'efforcer de réprimer ces mouve-ments. Elle, étant en bon sens, répondit qu'elle ne pouvait en nulle façon; ni eux-mêmes aussi ne la pouvant tenir, delà ils conclurent que naturellement cela -ne pouvait être... Cet impur démon sortait toujours par les parties Iionteuses, dont lui entrant et sortant, Magdaleine en avait honte^... »
On voit par ce qui précède que les hallucinations génésiques ne faisaient point défaut.
Dans les passages suivants il est facile de retrouver les symptômes de la deuxième période de la grande attaque hystérique, avec les contorsions étranges et les «grands mouvements». Dans l'intervalle des attaques, on peut relever la contracture de l'œsophage, des troubles variés de la motilité, secousses, soubresauts, et jusqu'aux mouvements de la chorée rhytmique.
« l^*" de février 1611 (c'est MichaëUs qui parle), à l'exorcisme, Belzebud conti-nuait â tourmenter Magdaleine, la jetant à terre sur son ventre, puis en arriére, vers le dos, avec violence, puis jusqu'à trois et quatre fois la prenait au gosier pour l'étrangler.
D Le 9 de mars... fut jeté un charme nouveau à Magdaleine pour l'empêcher de manger ni chair, ni poisson, ni oeufs, ni boire de vin, pour la dégoiîter et faire mourir de faim, ou au moins la faire rétracter de sa déposition contre le magicien. En effet, aussitôt qu'elle voulait goûter, par obéissance, la moindre portion des choses susdites, tout aussitôt le diable la tirait de la table et lui baillait horrible-ment la question, renversant les bras et les jambes, faisant cliquer les os, et rendant tous les doigts crochus ; et durait cela quelquefois demi-heure, quelque-fois un quart d'heure, autrefois une heure.....
s Le 9 avril.....les diables tourmentèrent Magdaleine plus que de coutume..
car au dîner lui donnèrent au commencement la torture environ demi-heure et autant âla fin du dîner; et au milieu la tourmentèrent toujours par continuels mouvements de la tête jusqu'à terre ; et au souper lui donnèrent la même torture durant une heure, lui tournant les bras et les jambes et puis tout le corps, faisant cliquer les os et bouleversant toutes les entrailles, au rapport de la fille : aussi
entendait-on le bruit du mouvement.....La torture finie, l'assoupirent tellement
qu'elle semblait morte. Retournant à soi et voulant recommencer â souper, par obéissance, lui causèrent des mouvements de la tête jusqu'à terre, continuellement comme auparavant : ce qu'ils faisaient aussi aux deux exorcismes du jour, faisant mouvoir la tête jusqu'à terre, devant, et sur le dos, ayant le visage rouge comme flamme de feu.
3» Le 10 avril, Belzebud se tourmentait, hurlant horriblement aux exorcismes.
Le 19 avril.....le diable continua une nouvelle façon de la tourmenter, faisant
sauter Magdaleine qui était à genoux, si qu'elle rompit l'escabeau qui était sous, nonobstant qu'on lui eût mis deux manteaux par dessous.....Le soir, â souper,
1. Micliaëlis (cité par Calmeil, loc. cit., p. 494).
2. Michaëlis (cité par Calmeil, loc. cit. p. 493).
Magdaleine eut quatre fois la torture violente. Le diable adjuré et commandé de la laisser manger, elle recevait les morceaux promptement et avidement comme un ciiien enragé, engloutissant et ne mangeant point la viande, et rotant incessam-ment'.....»
A côté des attaques de « grands mouvements » nous trouvons signalées des attaques de léthargie avec contracture généralisée.
« Le 20 janvier, Magdaleine se confessant le matin en la chambre, Beizebud criait quelquefois, interrompant la confession, et, à l'absolution, ne voulant per-mettre qu'on la lui donnât, criant hautement qu'il aimerait mieux être en enfer, et que cette absolution le brûlait plus que le feu d'enfer. Les jours précédents aussi, disait qu'il aimerait mieux entrer en enfer que d'entrer dans l'ég'ise delà Baume principalement dans le heu de la pénitence où les sorciers ne pouvaient jeter leurs charmes ou maléfices. Or, en effet, arriva sur le soir quand on avait coutume de faire venir Magdaleine à la Sainte-Baume, pour l'exorciser, qu'on la trouva toute raide comme une statue de marbre et toute endormie, si qu'il la fallut porter à quatre dans l'église où ede fut fort longtemps sur le marche-pied du maître-autel, et ne pût-on la faire revenir à soi jusqu'à ce qu'on la portât dedans la sainte pénitence, Ini appliquant sur la face le saint ciboire.
)) Le 2 avrd, Magdaleine balUant la chambre par humilité et obéissance, le diable grondaitet criait fort. Après, lepère confesseur la voulant confesser, Beizebud l'assoupit et la rendit immobile comme une colonne d'airain. Après plusieurs exor-cismes, prières et peines imposées (à ce diable) elle se remit et Beizebud sortit. Le 4. de février, les assistants qui l'avaient veillée toute la nuit ont témoigné qu'elle était immobile et comme assoupie, ne pouvant dire un seul mot'^. »
POSSESSION DES URSULINES DE LOCDUN, 1632-1639
La possession d'Aix fut comme le prélude d'un drame bâti sur le même modèle qui, quelques années plus tard, eut Loudun pour théâtre, et dont le retentissement fut plus considérable à cause des intrigues multiples qui s'y nouèrent et des personnages historiques qui s'y trouvèrent mêlés.
La trame est la même.
Des signes de possession démoniaque apparaissent dans un couvent d'Ur-sulines. Les religieuses font retomber sur un prêtre de la ville, Urbain Grandier, l'accusation de les avoir maléficiées. Un tribunal spécial recueille leurs dépositions, cherche à établir contre Urbain Grandier les preuves de sorcellerie et condamne le malheureux prêtre au bûcher.
Tel est en deux mots, le résumé de ce qui s'est passé à Loudun vers 1632-1634.
Peu de faits dans l'histoire ont donné lieu à des interprétations plus pas-sionnées et ont été dénaturés avec plus d'acharnement par l'esprit départi. Je renvoie les lecteurs désireux de connaître le côté historique de cette affaire, au remarquable livre que vient de publier M. Légué s.
1. Michaëlis (cité par Calmeil, loc. cit. p. 491).
2. Michaëlis (citépar Calmeil, loc. cit., p. 493).
3. Gabriel Légué, Urbain Grandier et les possédées de Loudun, Ludovic Bascliet. Paris, MDCCCLXXX.
Pour nous, nous bornant exclusivement au point de vue médical, nous nous contenterons de consigner ici un certain nombre d'extraits, puisés pour la plupart dans les auteurs du temps et indistinctement parmi les défenseurs ou les adversaires de la possession. De cet ensemble de faits, ressortira la part considérable qui, dans ces événements de Loudun consi-dérés par quelques-uns comme surnaturels, doit être faite à une maladie inconnue alors, à la névrose que nous avons étudiée particulièrement et qui s'appelle la grande hystérie.
Pilel de la Ménardière nous a laissé une très curieuse liste des religieuses et des séculières qui furent possédées ou maléficiées. Il indique avec pré-cision la place occupée par les démons. Ces filles, en effet, ressentaient en différents points du corps et principalement au creux de l'estomac, dans la région précordiale, aux côtés de la poitrine et dans la tête, au front ou à la tempe, des sensations douloureuses d'une nature particulière, qu'elles attri-buaient à la présence des démons dans ces différentes parties.
Il est difficile de méconnaître les analogies qui existent entre ces phéno-mènes douloureux et ceux qui font partie de Yaura hysterica, et il n'est pas moins curieux de comparer, d'après le schéma que nous avons repré-senté fig. 9 et 10, les régions du corps occupées de préférence par les zones hystérogènes, aux endroits où, d'après le dire de cet auteur, les diables avaient élu domicile.
Liste des religieuses possédées ou maléficiées.
« Sœur Jeanne des Anges supérieure est possédée par sept diables dont trois furent chassés le samedi 20 mai 16^4... Les quatre autres sont Léviathan qui a sa résidence au milieu du front, Béhérit, sa résidence en l'estomac, Balaam, à la 2"^ côte du côté droit, Isaacaron a sa résidence sous la dernière côte du côté droit.
» Sœur Louise de Barbeziers de la maison de Nogeret a deux démons, Fazaz des Dominations qui a sa résidence au-dessous du cœur, et le second, Caron des Ver-tus, qui a sa résidence au milieu du front.
» Sœur Jeanne, sa sœur, n'a qu'un démon nommé Cerbère des Principautés, qui a sa résidence au-dessous du cœur.
» Sœur Agnès (Anna de la Motte-Baracé) a quatre démons, Asmodée des Trônes qui a sa résidence au-dessous du cœur, le deuxième Béhérit des Trônes en l'ori-fice de l'estomac, le troisième Achaos des Archanges à la tempe gauche, et enfin Achaph des Puissances au miheu du front.
» Sœur Claire de Sazilli a huit démons : le premier Zabulón des Trônes au milieu du front; le deuxième Nephthah des Trônes au bras droit; le troisième est un diable nommé sans fin, autrement Grandier des Dominations, qui a sa résidence à la 2= côte du côté droit ; le quatrième Elimini des Vertus, au côté de l'estomac ; le cinquième est l'ennemi de la Vierge des Chérubins, il a sa résidence au-dessous du col ; le sixième Pollution des Chérubins a sa résidence au-dessous du cœur ; le septième Verrine des Trônes a sa résidence à la tempe gauche; le huitième Concu-piscence des Chérubins à la tempe droite.
» Les autres religieuses, quoique possédées, n'ont pu dire le lieudelaréidence des démons.
Religieuses maléficiées.
« Sœur Séraphine a un maléfice en l'estomac qui est une goutte d'eau gardée et conservée par Baruch, et en son absence, par Carreau.
« Sœur Anne Escoubleau a pour maléfice une feuille de Vinette gardée dans son estomac par Elymi. Sa sœur a un maléfice d'une prune de damas violet aussi gardée par Elymi dans son estomac.
Séculières possédées.
« Elisabeth Blanchart a six démons. Le premier Astaroth qui est des Anges, a sa résidence sous l'aisselle droite, le deuxième Béelzébuth des Archanges réside sous l'aisselle opposée ; le troisième Charbon d'Impureté réside sur la hanche gauche ; le quatrième Lion d'enfer des Archanges réside sous le nombril; le cinquième Péron des Chérubins, sous le cœur; et le sixième Maron Chérubin reside sous la mamelle gauche.
« Françoise Fdlâtreau, quatre démons : Sonndlon des Trônes qui réside dans le cerveau à la partie antérieure ; Jabel des Archanges qui va et vient par toutes les parties du corps ; Buffetison des Puissances; au-dessous du nombril; Queue de chien des Archanges en l'estomac.
Séculières maléficiées.
« Madeleine Béliard a trois feudies de rose gardées sur l'estomac.
« Marthe Thibault a une goutte d'eau gardée dans l'estomac par Behémot. ))^
La supérieure du couvent, madame de Belciel, (en religion sœur Jeanne des Anges) devait avoir dans cette possession le principal rôle. Ses antécé-dents qu'il serait trop long de rapporter ici, mais qu'elle a pris soin de con-signer elle-même dans ses mémoires manuscrits, actuellement conservés k la bibliothèque de Tours, dénotent une femme ambitieuse servie par une vive intelligence doublée d'un tempérament éminemment hystérique 2.
C'est par elle que commencèrent les hallucinations. La première elle reçut, la nuit, la visite du fantôme d'Urbain Grandier. Nous trouvons l'éro-tisme joint à cette apparition.
« Durant la nuit, reposant sur son petit mais très-chaste grabat, la mère prieure aperçut un fantôme environné d'une telle qu'elle lumière rougeâtre assez claire pour lui faire connaître celui qui se présentait à ses yeux, mais en quelque façon obscure pour lui pouvoir donner de l'effroi. Ce spectre s'approche d'elle, elle reconnut à l'abord que c'était l'ombre de leur défunt confesseur qui lui dit : « Ma fille, n'ayez point peur, je suis votre défunt père qui vient vous visiter. Hélas, mon père, lui dit cette pauvre fille, que venez vous faire ici ? En quel état étes-vous ?
1. Pilet de la Ménardière, La démonomanie de Loudun. La Flèche, G. Griveau 1634, in-8» (cité par D'' G. Légué. Documents pour servir à l'histoire médicale des possédées de Loudun. Paris, 1874, p. 68.)
2. Voy. Gabriel Légué, Urbain Grandier, p. 43.
Désirez-vous quelques prières ou auLrc chose de nous? Le spectre répond, ne vous mettez point en peine de moi, je suis en tel état que désormais je n'ai pas besoin d'assistance de vos oraisons. Je viens ici pour vous consoler et enseigner beaucoup de choses que je n'ai pas eu le loisir de vous apprendre durant mon séjour en ce monde. J'ai des secrets à vous déclarer qui peuvent servir de règlement à vos actions.
» Le lendemain le fantôme reparut,
)) Et comme résolument elle persistait dans le dessein sans le su et l'aveu de son confesseur, elle s'aperçut soudain d'un changement étrange en la personne qui parlait à elle. Ce n'était plus la personne de son père confesseur défunt, mais le visage et la ressemblance d'Urbain Grandier, qui changeant de propos aussi bien que de figure lui parla d'amourettes, la sollicita par des caresses aussi insolentes qu'impudiques et la pressa de lui accorder ce qui n'était plus à sa liberté et que par ses vœux elle avait consacré à son saint époux. Aussitôt elle se débat, personne ne l'assiste, elle se tourmente, rien ne la console elle appelle nul ne répond elle crie, personne ne vient, elle tremble, elle sue, elle invoque le saint nom de Jésus K d
Le 3 octobre 1631 fut rédigé le procès verbal suivant qui prouve que les hallucinations ne tardèrent pas à se communiquer aux autres religieuses.
(( Au nom de la très sainte et suradmirable trinile Père, Fils et Saint-Esprit, nous soussignés étant assemblé dans le monastère des dites religieuses sur leur mandement et à leurs prières, elles nous ont fait entendre que,dès la nuit des 21 et 22 septembre dernier, elles auraient été obsédées jusqu'à ce jour, troisième de ce mois, des malins esprits l'un desquels apparut la nuit depuis une heure jusques à quatre à sœur Marthe en forme d'un homme ecclésiastique revêtu d'un grand manteau et soutane, tenant un livre couvert de parchemin blanc en la main et lui tenant ouvert lui montra deux images et après lui avoir tenu plusieurs discours sur le dit livre la voulut forcer de le prendre. Ce que refusant disant que jamais elle ne recevrait de livres que de sa supérieure, le dit spectre se tut et demeura quel-que temps pleurant au pied de son lit. Enfin la dite fille épouvantée et le dit spectre lui commençant à dire qu'il était en grande peine, qu'il ne pouvait prier Dieu et qu'elle priât Dieu pour lui; icelle présumant que ce fut l'àrae peut-être de quel-qu'un en purgatoire, dit qu'elle en avertirait sa supérieure et cependant ne pouvant plus supporter la présence du dit spectre, elle appelle une fille pensionnaire qui était en un autre lit proche du sien ; se lèvent toutes deux et en même temps elle ne voit plus rien sinon qu'étant à genoux, une heure durant, elles entendirent une voix de leur côté se plaignant.
« En outre elles nous ont dit que tout le reste du dit mois, il ne s'était passé aucune nuit qu'elles n'eussent reçu de grands troubles, ravages et terreurs et même sans rien voir elles entendaient les unes ou les autres, recevaient des coups de poing, les autres des soufflets, les autres se sentaient excitées à des rires immo-dérés et involontaires.
« Signé : Barré, Mignon, Eusède de Saint-Michel, Pierre-Thomas de Saint-Charles 2. »
Ces premiers symptômes de perturbation nerveuse se montraient au mo-ment oii la petite ville de Loudun retentissait du bruit des scandales et des procès d'Urbain Grandier. Cet homme, d'un extérieur séduisant, exerçait sur la partie féminine de la population une fascination dont peut donner une idée la déposition suivante extraite des preuves du procès.
t. Mercure François, t. XX, cité par le D"'G. Lègue, Documents, etc., p. 42. 2. Dr Gabriel Lègue, Documents,..,^. 12.
Trois femmes de la ville, oubliant la réserve de leur sexe, eurent l'impudence de venir déposer : « la première qu'après avoir reçu la communion de l'accusé, il la regarda fixement pendant cette action, elle fut incontinent surprise d'un violent amour pour lui, qui commença par un petit frisson par tous ses membres. L'autre dit qu'ayant été arrêtée par lui dans la rue, il lui serra la main, et qu'incontinent elle fut aussi prise d'une forte passion pour lui. L'autre dit que pour l'avoir vu à la porte des Carmes où il entrait en procession, elle éprouva des mouvements déré-glés dans son âme et dans son corps, ces personnes étant d'ailleurs fort vertueuses et en très bonne réputation ^ ».
La réputation du beau curé de Saint-Pierre franchissant les grilles du couvent, ne tarda pas à bouleverser l'imagination des religieuses au point qu'il devint le sujet de leurs hallucinations. Alors on vit se produire chez les UrsuHnes ce curieux phénomène de l'hallucination génésique nocturne avec croyance à sa réalité, dont nou s avons rapporté plus haut un si remar-quable exemple chez notre malade Gen... (Page 14).
L'hallucination de la mère prieure se répéta presque toutes les nuits; puis la contagion s'étendit et la plupart des religieuses, ainsi que quelques filles séculières également tourmentées par les esprits malins, s'imaginèrent recevoir la visite nocturne d'Urbain Grandier et avoir cohabitation charnelle avec lui. Leurs sens étaient abusés au point que les accusations lancées contre le malheureux prêtre portaient l'accent de la sincérité la plus grande et bien faite pour entraîner la conviction de juges non prévenus. L'histoire de notre malade Gen... peut nous permettre de nous rendre un compte exact de la ténacité d'une idée fixe, née ainsi de la croyance à la réalité d'une hallu-nation. De la part de telles malades, les accusations, quelque fausses qu'elles soient, ne sont point mensonges. Le seul coupable est la maladie.
« Il est seulement à remarquer, lisons-nous dans l'extrait des preuves du procès, que toutes ces religieuses tant libres que cloîtrées ont eu un amour fort déréglé pour l'accusé; la mère prieure en fut tellement troublée qu'elle ne parlait plus que de Grandier, qu'elle disait être l'objet de toutes ses affections et lequel, ainsi que toutes les autres rebgieuses, elle a vu souvent approcher de son lit, comme elle lui a déclaré lorsqu'eUe a été confrontée avec lui, lui ayant soutenu, comme sept ou huit autres, que c'était lui-même qui s'était souvent présenté à elle ; où il ne faut pas oublier que toutes ces religieuses, en rendant leurs dépositions, à la pronon-ciation du nom de Grandier, étaient surprises de troubles et de convulsions et à la confrontation où les médecins ont été présents pour reconnaître ce qui se passerait de remarquable, elles ont été violemment agitées, aussi bien que toutes les autres séculières qui se disaient aussi passionnées d'amour pour lui ^ .»
Il est bien curieux de constater que les raisons qu'on invoque ici à l'appui de la sincérité des dépositions des religieuses contre Grandier, sont juste-ment les mêmes que notre malade Gen... invoque dans un but semblable. « La preuve, nous dit Gen..., que les visites nocturnes de M. X... sont bien réelles, c'est qu'aussitôt que je le vois dans la journée je deviens pâle et suis
1. Extrait des preuves de Laubardemont (cité par D' G. Légué, loc, cit. p. 71).
2. Cité par D'^G. Légué, Documents, etc., p. 70.
prise de tremblement. Tout le monde peut dire l'émotion que sa seule vue me cause ». Nous en avons été plus d'une fois témoin; il est certain que la pâleur et l'émotion de Gen... ne sont point en cette circonstance, choses feintes.
En ce qui concerne les religieuses deLoudun, l'histoire de leurs relations nocturnes avec Urbain Grandier rentre bien certainement dans la catégorie des hallucinations du genre de celles de notre malade Gen... et devient par cela même un des signes les plus intéressants de l'affection nerveuse dont elles étaient atteintes.
Si le passé de l'accusé permettait de conserver encore quelques doutes sur la réalité de ces entrevues nocturnes, il suffira pour les lever définiti-vement de rapporter les circonstances qui accompagnèrent la confrontation qui, au cours du procès, fut faite de Grandier et des Ursulines.
Le 14 avril, dit G. Légué, il (Laubardemont) se disposa à confronter les reUgieuses avec faccusé Grandier qui n'ayant jamais eu de relations avec elles, offrit alors au commissaire un moyen infaillible de prouver son innocence. Il lui adressa une tou-chante supphque dans laquelle il lui proposait l'exemple de saint Athanase : « ce « grand évêque accusé au concile de Tyrpar une femme impudique qui ne l'avait ja-« mais vu, s'avisa d'un stratagème qui prouva son entière innocence. Lorsque cette « femme entra dans l'assemblée pour former publiquement son accusation, un « prêtre nommé Timothée se présenta à elle et lui parla comme s'il eut été Atha-« nase. Elle le crut aussi et par ce moyen elle manifesta la fausseté de son alléga-« tion. »
» Mais Laubardemont n'était pas homme â affronter de semblables épreuves; il ne tint aucun compte des légitimes réclamations de Grandier et le mit en présence des religieuses. Celles-ci prévenues de cette confrontation; n'hésitèrent pas â décla-rer qu'il était bien l'homme qui venait chaque nuit les visiter en leur couvent et les solliciter au mal. Le curé demanda â la sœur Claire comment elle le reconnaissait puisqu'elle ne favait jamais vu que la nuit. « A quoi la sœur a répondu qu'elle le « reconnut â la ressemblance qu'on lui avait faite de sa personne. Ledit Gran-« dier lui ayant demandé de quelle façon on lui avait dépeint sa personne, elle lui € répondit qu'on lui avait dit qu'il était un grand homme, ayant le poil noir, la « barbe pointue, un grand visage, un grand nez. Ledit Grandier répliqua que ce « n'était pas lâ les qualités par lesquehes il était reconnaissable parce qu'elles étaient « communes à beaucoup de monde. A quoi la sœur fit cette réponse, qu'elle lecon-« naissait à l'affection qu'elle avait pour lui et que ainsi il paraît bien que cela « n'était pas naturel. ^ »
D'ailleurs, l'exaltation du sens génital était portée à un haut degré chez un certain nombre des possédées.
« Chez trois religieuses surtout, la supérieure, la sœur Claire de Sazilly et la sœur Agnès, qu'on appelait le beau petit diable à cause de sa remarquable beauté, la fureur des sens semble avoir atteint son apogée. Ces vierges folles scandalisaient tous les assistants par leur impudicité, et parlaient, pour nous
1. Manuscrit de la bibliothèque de Tours. Abrégé des confrontations faites par devant Mgr. Laubardemont, etc., (cité par G. Légué. Urbain Grandier et les possédées de Loudun, Paris, 1880, p. 206.)
servir de la pittoresque expression de Michelet, couramment les langues de Sodome.
« Madame de Sazilly, parente de Richelieu, en était arrivée à un tel point d'éré-thisme vénérien « qu'un jour (raconte l'extrait des preuves publié par le lieutenant général de Ghinon) ede fut si fort tentée de coucher avec son grand ami, qu'elle disait être ledit Grandier, que s'ctant approchée pour recevoir la communion, elle se leva soudain et remonta dans sa chambre, où, ayant été suivie par quelqu'une de ses sœurs, elle fut vue avec un crucifix dans les mains dont ede se préparaît de contenter son mauvais désir l'ayant déjà fourré sous sa juppe à cet effet »
Le délire provoqué par les exorcisraes ne manquait pas de se ressentir de ces tendances obscènes. Grandier était détenu en prison depuis quelque temps lorsque :
« Le dernier jour du même mois de juin (1834), une des possédées qu'on exorcisait dans l'église de Notre-Dame du château, fut assez effrontée pour dire que Grandier avait envoyé à plusieurs demoiselles, pour leur faire concevoir des mons-tres, une chose que la pudeur ne permet pas de nommer, et qu'elle-même nomma alors hardiment. L'exorciste présupposant que le diable avait dit la vérité, et sans lui objecter que le prétendu magicien était trop bien gardé pour pouvoir entreprendre rien de semblable, ni qu'on ne concevait pas quel avantage il aurait pu en recevoir, surtout dans son état présent, il se contenta de lui demander pourquoi l'effet ne s'en était point ensuivi, à quoi la fille ne répondit que par un torrent de paroles impures, sales, déshonnêtes, qui ne faisaient aucun discours lié, et par des blas-phèmes inouïs, ce qui faisait honte même aux oreilles les moins chastes, et faisait frémir les gens qui avaient le moins de piété. ^ »
« La raison se révolte, dit G. Légué, au récit des extravagances débitées pen-dant les longs mois que dura cette étrange procédure. Il faut lire tous ces volumi-neux procès-verbaux, la plupart écrits de la main de Laubardemont, pour croire à la réahté de pareds actes.
Tout ce que l'imagination la plus déréglée peut inventer aurait peine à approcher de la vérité. On comprend que nous nous refusions à relater ici les actes cyniques et les propos obscènes tenus chaque jour par ces religieuses. C'était pourtant à ces orgies de fureurs sensueUes et de cris impudiques que l'on conviait les jeunes fdles de la ville. Jamais leur pudeur ne fut mise à une plus rude épreuve, car les diables ne se gênaient pas pour les interpeller en public les appelant « mes mignonnes damoiselles » et déclarant bien haut qu'il n'y avait pas de pays où la « chasteté estait aussy bas que chez les damoiseUes de Loudun »
La versatilité du caractère hystérique se révèle bien dans les rétractations que de temps à autre faisaient les religieuses possédées.
On n'est pas peu surpris de trouver parmi les preuves du procès, le fait suivant :
« Or outre tous les accidents dont les bonnes religieuses ont été travaillées, je n'en trouve point de plus étranges, que ce qui est arrivé à la mère prieure, et à la sœur Claire de SaziUi. La première, le lendemain après avoir rendu sa déposition, lors-que le sieur de Laubardemont recevait celle d'une autre rehgieuse, se mil en che-
1. G. Légué, loc. cit., p. 312.
2. Histoire des Diables de Loudun, Amsterdam, 1740, p. 129.
3. Procès-verbaux de Laubardemont; manuscrits 7619.
mise, nue tête, avec une corde au cou, et un cierge à la main, et demeura en cet état l'espace de deux heures, au mdieu de la cour, où il pleuvait en abondance ; et lorsque la porte du parloir fut ouverte, elle s'y jeta et se mit à genoux devant le sieur de Laubardemont, lui déclarant qu'elle venait pour satisfaire à l'offense qu'elle avait commise en accusant l'innocent Grandier; puis s'étant retirée elle attacha la corde à un arbre dans le jardin où elle se fût étranglée, sans que les autres sœurs y accoururent ^ »
Les autres religieuses et particulièrement la sœur Glaire et la sœur Agnès firent à plusieurs reprises de semblables rétractations.
c( ..... Le lendemain 3 de juillet..... elle (la sœur Claire) déclara pubhquement
dans l'église du château, où on l'avait menée pour l'exorciser, que tout ce qu'elle avait dit depuis quinze jours, n'était que de pures calomnies et des impostures; qu'elle n'avait rien fait que par Tordre du Récollet, de Mignon et des Carmes; et que si on la séquestrait, il se trouverait que toutes ces choses n'étaient que feintes et que malices. Elle lit encore les mêmes déclarations deux jours après, savoir le 7 du mois ; et elle passa si avant cette dernière fois, qu'elle sortit de l'église où on l'exorcisait, et voulut s'enfuir; mais Demorans courut après elle, et l'arrêta. La sœur Agnès enhardie par cet exemple, dit plusieurs fois les mêmes choses, priant avec des larmes ceux qui assistaient aux exorcismes, de vouloir la tirer de l'horrible
captivité, sous le poids de laquelle elle gémissait..... Ces deux misérables fdles ne
voyant aucune espérance de secours, dirent enfin qu'elles se préparaient à être extraordinairement maltraitées â la maison, pour avoir révélé un secret si impor-tant; mais qu'elles étaient bourrelées par leurs consciences, et forcées â parler pour leur décharge, et pour donner gloire à Dieu et à la vérité, quoi qu'il en piit arriver. La Nogeret protesta aussi un jour qu'elle avait accusé un innocent, et qu'elle en demandait pardon â Dieu, et se tournant tantôt du côté de l'évêque, tan-tôt du côté de Laubardemont, elle leur déclarait, qu'elle se 'sentait obligée â faire cette confession pour la décharge de sa conscience. Ce dernier n'en fit que rire et l'évêque et les exorcistes soutinrent que le diable usait de cet artifice, pour entre-tenir les gens dans l'incrudité ^ ».
« Le personnage de Démoniaque, dit plus loin le même auteur, les fatiguait, et dans les accès de leur mauvaise humeur elles firent souvent, depuis la mort de Grandier, les déclarations qu'ehes avaient déjà faites pendant qu'il vivait encore. De plus la sœur Agnès étant un jour exorcisée en présence d'un médecin de Châ-teaugonlier.....s'écria; Qu'elle n'était point un Démoniaque, qu'il y avait long-temps qu'on la tourmentait en particulier, pour l'obliger à faire toutes les ctioses quelle faisait en public : que si Dieu ne l'eût soutenue, elle se serait désespérée, et qu'elle était bien malheureuse d'être entre les mains de ces gens-là. Les lar-mes dont elle accompagna ce discours, en tirèrent des yeux de la plupart des assis-tants, qui ne croyaient pas que ce fut le diable qui parlât ainsi par ruse, et seu-lement pour faire dépit aux exorcistes.
« La sœur Glaire étant exorcisée en présence d'un avocat de Saumur et de plu-sieurs autres personnes, fut brûlée par un fil soufré, dont son exorciste se servait pour enfumer l'un de ses démons. Lorsqu'elle sentit de la douleur, elle se retira brusquement des mains de l'exorciste, déplorant sa condition, et déclamant contre la tyrannie de ceux qui la contraignaient de feindre qu'elle était possédée ; et elle pria Dieu ardemment de la tirer de la misère où elle se trouvait. Le démon qui possède cette fille est extrêmement rusé, dit alors l'exorciste, et le Dieu qu'il in-
1. Histoire des Diables, p. 181.
2. Histoire des Diables, p. 131.
voqm est Lucifer. Cela est faux, répliqua-t-eWe, j'invoque le vrai Dieu, créateur du ciel et de la terre.
Ensuite étant transportée de colère, elle sortit de l'église, en protestant qu'elle n'y rentrerait jamais; mais elle fut suivie [par une dame de qualité, qui étant sa parente, adoucit sonesprd, et la ramena au couvent, n'ayant pu l'obliger de retour-ner au lieu où se faisaient les exorcismes. II arriva encore diverses fois que ces deux mêmes fdies, ou tantôt l'une, tantôt l'autre des autres possédées, dirent pu-bliquement que leurs exorcistes étaient des hommes méchants, des hypocrites, des fourbes, des gens pires que les diables ; qu'ds les avaient forcées d'accuser et de faire mourir un homme innocent, qu'elles priaient la justice et tous les assistants de se souvenir de leurs déclarations. Mais leurs plaintes étaient toujours éludées par le moyen facde et ordinaire, que c'étaient là des ruses des diables irrités contre les exorcistes i. »
Ces accusations lancées contre les exorcistes n'ont pas la portée que leur attribue le protestant Aubin, qui cherche à prouver, dans tout son livre, que l'affaire de Loudun ne fut qu'une longue comédie habilement exécutée. Pour nous, nous ne saurions accorder plus de créance à ces dires qu'aux premières accusations lancées contre Grandier. La maladie de ces femmes n'était que trop réelle. Ces revirements soudains n'en sont qu'une nouvelle preuve. Que de fois nous avons été à même d'observer des faits analogues chez nos hys-tériques! Le besoin de se singulariser, les pousse jusqu'à se vanter d'induire en erreur tout le monde et jusqu'aux médecins qui les observent. Gen... entre autres, nous a affirmé bien des fois qu'elle n'était aucunement ma-lade, que cette opinion avait été répandue par M. X... dans le seul but de se débarrasser d'elle en la faisant enfermer à La Salpêtrière et que tous les signes que nous avions constatés chez elle, les attaques, l'anesthésie, les contractures et le reste, n'étaient que le résultat d'une simulation bien entendue. Si nous lui demandions alors quel intérêt elle pouvait avoir à simuler une maladie qui était en somme la seule cause de son internement, elle ne répliquait pas; la contradiction de ses paroles ne paraissait pas l'em-barrasser.
Tous les détails que nous venons de donner sur les désordres mentaux des religieuses possédées n'occupent en somme qu'un rang secondaire dans l'histoire de la possession. Les pretives de la réalité de la présence de diables dans le corps des religieuses n'étaient point là. Tout au plus dans ce que nous avons rapporté trouvait-on les marques de l'obsession. Le grand fait où l'on puisait tous les éléments de certitude était l'exorcisme. Les prêtres revêtus de pouvoirs spéciaux conjuraient le démon et le faisaient parler. Le but de l'exorcisme était triple : 1° provoquer les marques de la présence des diables dans le corps des dites possédées ; 2° faire connaître le sorcier auteur de tout le mal (ou sait quel sort l'attendait); 3° faire dé-couvrir et rendre les pactes, les charmes, les cédules, etc.. qui par leur merveilleuse puissance entretenaient la possession en s'opposant à l'expul-sion définitive des démons.
1. Histoire des Diables, p. 316.
Les extraits suivants donneront une idée des scènes auxquelles donnaient lieu les exorcismes.
Il est bien difficile de n'y pas reconnaître les grands traits de l'attaque convulsive de la grande hystérie avec quelques-unes de ses variétés, comme les attaques de délire, de léthargie, de catalepsie même et de somnambu-lisme.
Nous connaissons l'influence de l'imagination et des émotions en général sur le développement des accès d'hystérie.
Chez nos possédées qui puisaient dans leur confiance en leurs directeurs spirituels^ et aussi dans les hallucinations dont elles n'étaient que trop fréquemment les victimes, la conviction de la réalité de leur affreux état, on comprend l'impression que devaient faire la seule vue d'un objet reli-gieux, les pratiques de dévotion auxquelles on les contraignait et surlout les cérémonies de l'exorcisme.
A Loudun, dit Calmeil, le trouble des facultés intellectuelles et affectives, les actes de déraison, les phénomènes musculaires s'observaient surtout pendant et au moment de la communion. Presque toujours l'arrivée d'un exorciste suffisait pour bouleverser de nouveau le système nerveux de ces infortunées. A peine Satan était-il conjuré que l'on n'entendait plus que blasphèmes et imprécations.
C'est donc avec raison qu'un témoin oculaire a pu écrire « que les accès, les retours et les redoublements ne sont aucunement réglés ; que les exorcistes les y font tomber à telles heures et aussi souvent qu'il leur plaît et quand quelqu'un les en prie pour se détromper, qu'ils les font pleurer quand ils veulent, en comman-dant au démon qu'il aie de venir adorer le Saint-Sacrement à genoux, avec trem-blement de tout le corps, grincements de dents, etc ^. »
Le rôle de l'imagination dans les pratiques de l'exorcisme est mis en lumière par le récit suivant que nous empruntons à G. Légué :
Comme tant d'autres, ce gentilhomme ^ s'était rendu à Loudun pour y voir les possédées. Après avoir examiné très-attentivement les convulsions des reli-gieuses, il déclara au capucin Tranquille qu'il était convaincu de la réalité de la possession; puis, lui présentant une boîte, il ajouta que cet objet, qui venait de ses ancêtres, contenait des reliques d'une authenticité incontestable, mais fjue sa vénération serait bien plus grande si le démon voulait en rendre témoignage* L'exorciste s'empressa de répondre qu'U était impossible de soumettre le diable à une épreuve moins équivoque et saisissant la boîte Fapplique aussitôt sur la tête de M""^ deBelciel qu'on avait amenée pour l'exorcisme.
A peine les prétendues reliques eurent-elles touché le front de la possédée « que la voilà qui pousse des hurlements épouvantables et paraît agitée des convulsions les plus violentes *. »
1. « Et ne voyez-vous pas, disait à Barré, un des exorcistes, le cardinal de Lyon, que quand môme ces fdles ne seraient pas effectivement possédées,elles croiraient l'être sur votre parole, tant à cause de leur mélancolie, qu'à cause de la bonne opinion qu'elles ont de vous » cité par le D" Légué, loc. cit. p. 12.
2. Lettre de N... à ses amis sur ce qui s'est passé à Loudun (ne se trouve qu'à la BibUo-thèque nationale) cité par le Légué, loc. cit., p. 40.
3. Timoléonde Daillon, comte du Lude, mort en 1644.
4. Levassor. Histoire de Louis Xllt, livre XXXVI. Cet historien vint passer une aimée à
Une fois la boîte enlevée, le calme revint comme par enchantement. Ravi de cet éclatant témoignage, l'exorciste ne put s'empêcher de dire à M. du Lude : « Je ne crois pas, monsieur, que vous doutiez maintenant de la vérité de vos reliques. » « Non plus que de celle de la possession, » reprit gravement le comte.
« — De grâce, monsieur, permettez-nous de voir un aussi précieux trésor.
« — Très volontiers, mon père, repartit le comte.
« On ouvre la boîte en présence d'un grand nombre de gens invités, et il ne s'y trouve que de la plume et du poil ^ »
« - Ah ! monsieur, vous vous moquez de nous, repartit piteusement l'excellent père.
« — Oui, monsieur, comme vous vous moquez de Dieu et des hommes. »
D'après l'extrait suivant d'un écrivain de l'époque dont le témoignage a d'autant plus d'importance qu'il passait pour un fervent catholique, les at-taques étaient parfois provoquées par une action portée sur un point du corps, sur la tête, par exemple. Il ressort également du même passage que les convulsions une fois développées, se succédaient dans un certain ordre parfaitement connu des exorcistes et se répétaient ainsi plusieurs fois de suite, à la façon de ce qui se passe dans les grandes séries d'attaques hys-tériques.
« Pendant que le frère lit la formule des adjurations contenues dans le formu-laire de l'église le maître exorciste conjure le diable de monter aux parties supé-rieures et de se montrer par quelque couleur au visage en répétant beaucoup de fois ces paroles : Ascende ad partes superiores, et quand ces pauvres créatures ne se mettent pas sitôt en fougue il leur hoche parfois la tête bien rudement et les met-taat sur son giron il leur presse le saint ciboire sur le front jusqu'à ce que l'émo-tion ordinaire les prenne. Alors sachant bien par une longue expérience Vordre et la suite de ces étranges accidents, un peu devant que la concussion du corps entier commence il dit contremisce toto corpore et puis après, la concussion des bras etdes mains succédant, il dit co?ifrc»iîsce capite et manibus et icelui, finissant par une secousse de la tête seule, il dit contremisce saltem capite. Mais quand l'assoupissement et la faiblesse sont toutes prêtes à les prendre et jeter par terre il dit procide in terram et l'assoupissement étant fini quand elles commencent à se relever il dit érige corpus de terra et ainsi de suite. Tellement qu'il semble aux ignorants que le diable lui obéit absolument en tout ce qu'd lui commande... Alors l'exorciste fait jaser ses prétendus démons et par la force d'exorcisme et la vertu du saint sacrement les oblige à dire yérité sur tout ce qu'il leur demande et par cette déposition M. le commissaire dresse des procès-verbaux ^ »
Les attaques de convulsion des religieuses n'attendaient pas toujours pour éclater d'être directement excitées par la vertu des exorcismes. D'ailleurs, au dire des exorcistes, la convulsion était la marque de la présence du démon qui contraint par le pouvoir de leur parole, signalait ainsi son ar-rivée dans le corps de la possédée. Ce n'est qu'ensuite, dans une période
Loudun et fut témoin de l'aventure du comte du Lude (cité par G. Légué. Grandier, etc..-, p.287j.
1. Manuscrit de Jacques Boutreux, sieur d'Etiau. Collection Dupuy (cité par G. Lègue, loc. cit. p. 211).
qui présente tous les caractères du délire semi-lucide de la grande hystérie, que l'on interrogeait le diable et qu'on cherchait à le faire parler.
Les extraits suivants des procès-verbaux du bailly de Loudun montreront comment les choses se passaient dans les premiers temps de la possession.
« Aujourd'hui mercredi, vingt-quatre de novembre mil-six-cent-trente-deux, nous, Guillaume de Cerisay, écuyer, sieur de Guérinière, bailli, juge ordinaire et prési-dial de Loudun, et les officiers soussignés, nous sommes transportés au couvent des religieuses Ursulines de cette ville de Loudun sur les huit à neuf heures du matin, étant assisté des commis de notre greffier soussigné, et ayant au préalable tait avertir maîtres Daniel Roger, Vincent de Fos, Gaspard Joubert et Mathieu Fanton, docteurs en médecine, de se trouver audit lieu, où ils seraient venus peu de temps après nous, et leur aurions enjoint de voir et considérer attentivement les reli-gieuses qui leur seraient montrées, afin de connaître s'il y a cause naturelle ou surnaturelle en leur mal; ce qu'ils ont promis faire et remis à recevoir leur ser-ment lors de leur rapport. Ce fait, sommes entrés dans le chœur où ont accou-tumé de chanter les rehgieuses, qui est séparé de l'autel par une muraille et grille, dans lequel lieu y avait deux couchettes avec matelas et couvertes. La supérieure dudit couvent a été apportée audit lieu et mise sur une couchette vis-à-vis de la grille. M. Pierre Barré, prêtre, a parlé quelque peu de temps à ladite supérieure, puis a célébré la messe audit autel. Pendant la messe a eu ladite supérieure plu-sieurs grandes convulsions, avait les bras tournés et les mains aussi, et les doigts demi-fermés, tirait la langue hors de la bouche, avait les joues fort enflées, il ne paraissait des yeux quasi que le blanc ; a été assistée durant cela d'aucuns prêtres, rehgieux et religieuses et y avait grand nombre de personnes tant audit chœur qu'en la partie de l'église qui est proche de l'autel. Après que ledit Barré a eu célébré la messe, est venu pour la communier et exorciser. Avant la communion, ledit Barré ayant le saint-sacrement en la main a dit : Adora Deum tuum, créa-lorem tiiuni; et plusieurs autres semblables paroles. Ladite supérieure pressée a dit : Adoro te. Lors l'exorciste : Quem adoras? par quelquefois, et ladite comme forcée a répondu : Jésus Christus. Sur quoi, M. Daniel Drouyn, assesseur à la pré-vôté, a dit assez haut: «Voilà un diable qui n'est pas congru. » Lors l'exorciste chan-geant la phrase a dit : Qui est iste quem adoras? El elle a répondu : Jesu Christe. Lors quelques-uns ont dit : Voilà de mauvais latin, et l'exorciste a répliqué : elle a dit : Adoro te, Jesu-Christe. Depuis ladite supérieure sur quelques autres inter-rogatoires faits par ledit Barré a dit en parlant de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Est substantia Patris, et Barré a dit : « Messieurs, le diable est grand théologien.» Barré a aussi demandé comment s'appelait le démon qui était là. Et la supérieure avec convulsions et résistances l'a enfin nommé Asmodée. Puis il lui a demandé com-bien ils étaient de démons. Et elle a répondu: Sex. Nous aurions dit audit Barré qu'il enquit Asmodée combien il avait là de compagnons, et il a dit : Quinque. L'a-vons requis que le prétendu démon eût à le dire en grec. Et ledit Barré l'en a adjuré par plusieurs fois ; mais la supérieure n'a rien répondu. Etant revenue de ses convulsions, avons dit audit Barré qu'il l'interrogeât si elle se souvenait de ce qui s'était passé dans ses convulsions. Et lui ayant demandé, a dit ne se souvenir d'aucune chose. Avons répliqué qu'd semblait néanmoins qu'elle se devait souvenir de ce qui se passait à l'entrée et au commencement de ses dites convulsions, pour ce que par le rituel l'exorciste est averti de demander les mouvements de l'esprit et du corps de la possédée dans l'instant de ses convulsions. Et lors elle a répondu qu'elle avait envie de blasphémer.
» L'on a fait après venir une petite fille religieuse qui s'est éclatée de rire en entrant dans le chœur,et a dit par plusieurs fois : « Grandier,Grandier. » Puis a dit: «Vous ne faites tous rien qui vadle.» Ledit Barré lui a voulu donner à communier
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mais elle continuant ses ris et ne la jugeant pas assez préparée, ne lui aurait donné la sainte communion ^. Puis l'on a fait venir la sœur laye mentionnée en nos procès-verbaux précédents, que l'on nous a dit s'appeler sœur Claire, et ains qu'elle entrait audit chœur a fait comme un hennissement. Et étant mise sur l'autre couchette aurait dit en riant : « Grandier, Grandier, il en faut acheter au marché. » Ledit Barré s'est approché pour l'exorciser, et elle a fait action de la bouche comme si elle eût voulu crachoter, a haussé le nez plusieurs fois, ce semblait par mépris et dérision, a fait des mouvements lascifs, réitéré plusieurs fois une parole sale. Etant après conjurée par ledit Barré de dire le nom du démon qui la possédait, a dit : « Grandier ; » et pressée davantage a nommé le démon Ehmi ; a été interrogée par l'exorciste quel nombre de démons il y avait dans son corps, n'a rien répondu. Puis interrogée : Quo paclo ingressus esset dœmon? a dit : Duplex. Avons vu que ladite sœur laye ayant été piquée fortuitement au bras durant ses grandes convulsions, elle aurad dit : « Otez-moi cette épingle, elle me pique. » Ladite sœur laye revenue à soi, et ledit Barré s'étant retiré auprès d'elle, M. Daniel Drouyn lui aurait demandé si elle se souvenait de ce qui s'était passé durant ses convulsions, a dit qu'oui, et que ledit Barré lui avait fait beaucoup de mal. La minute originale est signée :
De Cerisay, Chauvet, lieutenant-civil, Charles Chauvet, Aubry, Daniel Drouyn Thibault, commis-greffier.
« Et ledit jour sur les deux heures de relevée sommes retournés audit couvent, » A eu ladite supérieure encore plusieurs grandes convulsions comme à la ma-tinée de ce jour; en l'une d'icelles ses pieds paraissaient crochus. Lui a ledit Barré fait plusieurs exorcismos et adjurations et a fait ét fait faire beaucoup de prières, lui a demandé le nombre des démons qui étaient dans son corps et leurs noms. L'un d'iceux après beaucoup d'insistance et d'abjurations réitérées a été nommé Achaos...
Signé : Cr. Cerisay de La Guerinière, Louis Chauvet, etc.
» 25 novembre 1632. Le lendemain xxv° desdits mois et an, nous bailli et juge susdit, nous sommes de rechef transportés au couvent des Ursulines sur les huit à neuf heures du matin, et y sommes entrés, accompagnés des officiers soussignés et du commis de notre greffier. Nous a ledit Barré dit qu'il ferait les exorcismos dans le chœur ; lui avons remontré qu'il serait bon qu'd n'y eiît que la supérieure afin de faire les choses avec plus d'attention et moins de divertissement; à quoi il s'est accordé. Ce fait s'est en allé célébrer sa messe en la chapelle dudit lieu, que nous avons entendue étant au chœur dans lequel ladite supérieure a été apportée et mise sur la couchette où elle était le jour précédent à la matinée, en même situation le rideau de la grille ouvert et tiré ; pendant la messe ladite supérieure aurait eu plusieurs grandes violentes et étranges convulsions, et semblables à cedes du jour précédent. Durant l'une d'iceUeselles aurait du : « Grandier,mauvais prêtre » sans être interrogée ni exorcisée. Après que ledit Barré a eu célébré la messe est venu dans le chœur revêtu de ses habits sacerdotaux, et ayant le saint ciboire en la main, et a protesté que son action était pure, pleine d'intégrité. Ce fait ledit Barré s'est approché pour donner la communion à ladite supérieure, la-quelle a eu beaucoup de convulsions, et eu des mouvements très violents, s'est efforcée de prendre le saint ciboire pour le tirer et arracher des mains dudit Barré; néanmoins a enfin communié avec grande difficulté, s'est essayée comme au jour précédent de rejeter la sainte hostie, a tiré la langue sur laquelle elle était,
1. C'est bien là l'état d'une hystérique dans cette période d'excitation délirante qui suit ou précède les attaques.
laquelle ledit Barré a repoussée avec les doigts, fait défense au démon de Ib faire vomir, a pris trois fois de l'eau sur ce qu'elle disait avoir l'hostie au palais: puis à lu gorge. Peu avant la communion, ainsi que Barré lui faisait dire , mon Dieu, je vous donne mon âme, prenez-en possession; elle n'avait aucune difficulté à le prononcer, « mais quand elle voulait dire : Prenez possession de mon corps, il semblait qu'elle était empêchée ; et qu'elle avait de grandes convul-sions, et cela est arrivé par diverses fois. Dans les exorcismos. Barré a demandé au prétendu démon : Per quocl pacíum ingressiis es cor¡)uslmjus puellœ?Et elle a répondu : Aqua. Avons requis le dit Barré que le démon dit le mot d'aqua en langue écossaise, afin que nous et les assistants puissions reconnaître qu'il n'y avait aucune suggestion; et avions choisi cette languepour ce que le principal du collège de cette ville à ce présent, et qui était fort proche d'elle, est écossais ; à quoi ledit Barré s'est accordé, disant qu'il lui ferait dire si Dieu le voulait; puis il lui a fait plu-sieurs et réitérés commandements de répondre et dire ledit mot en écossais; ce que ladite supérieure n'aurait fait, ains aurait dit par deux ou trois fois : Nimia curiositas.Püis aurait dit : Deus non volo. Et ayant été incontinent dit par quel-ques-uns de la compagnie que c'était parlé incongruement, et le démon exorcisé et adjuré de la part de Dieu de parler congruement, aurait encore répété lesdites paroles : Deus non volo ; et aurait ledit Barré dit que véritablement il semblait qu'il y eût en cela de la curiosité. A quoi aurions répliqué que nous n'avions autre dessein ni curiosité que de parvenir à la connaissance de la vérité... Pen-dant tout ce temps a eu plusieurs convulsions, et à l'une d'icelles s'est levée sur sa couche, sa tête étant soutenue par une religieuse, son corps aussi par quelcjues-uns qui étaient les plus près de sa personne, a élevé son bras vers la poutre ou soUve et ne touchait, ainsi qu'aucuns nous ont certifié, que d'un pied à sadite couche. Ce qu'avons trouvé de plus étrange en ses plus grandes convulsions, est qu'après iceiles elle ne paraissait guère plus haute en couleur ni plus émue. Les grandes convulsions étant passées, elle aurait dit d'elle-même par deux fois : Iniquitas justiiiœ, et une troisième fois a dit : Contra iniquitas justitiœ. Ce fait nous nous sommes retirés. Signé : De Cerisay, Chauvet, lieutenant civil, Charles Chauvet, Aubry, Daniel Drouyn, Thibault commis-greffier ^. »
Ces convulsions qui marquaient le début des exorcismes n'étaient pas toujours faciles à provoquer. Et l'un des exorcistes connaissait bien à ce sujet l'influence de l'imitation.
«... Après qu'ils ont été partis, a ledit Ban é fait plusieurs exorcismes pour faire entrer ladite supérieure en convulsion et faire parler son prétendu démon. Et pour cet effet ont été chantés des hymnes sans qu'elle aye entré en aucune con-vulsion durant demi-heure ou environ qu'avons encore demeuré là, ains est tou-jours demeurée tout étonnée et éperdue, depuis qu'avons contredit et argué de faux sa réponse ci-dessus.
Ledit Barré a proposé de faire apporter audit chœur la sœur laye, afin que l'un des démons put exciter l'autre ainsi qu'il disait 2.,. »
Chez une même malade les convulsions suivant la forme qu'elles revê-taient étaient attribuées à un diable différent.
Les exorcismes dont suit le récit avaient lieu environ un an après la mort de Grandier. Parmi les contorsions variées que le diable imprimait au corps
1. Legué. Documents etc., p. 44 et suiv.
2. Procès-verbaux du baillij (cité par D' Legué. Documents..., p. 57).
des possédées, on trouve expressément signalé Varc de cercle si fréquent chez nos hystériques.
«... Monsieur, frère unique du roi, se rendit à Loudun pour voir les merveilles de cette fameuse possession, qid faisait tant de bruit dans le royaume et au dehors. L'auteur de la relation imprimée à Poitiers rapporte : « que Monsieur arriva à » Loudun le 9 de mai 1635 : que son altesse se transporta aussitôt au couvent des » Ursulines où étant à la grille, et s'informant à elles-mêmes de leur état, la sœur » Agnès parut un peu troublée, fit quelques frémissements, qui marquaient la pré-î sence du premier des quatre démons qvu la possédaient, nommé Asmodée : qu'on » fut d'avis de l'exorciser sur l'heure, et qu'Asmodée ne tarda guère à faire pa-» raître sa plus haute rage, secouant diverses fois la fille en avant et en arriére, » et la faisant battre comme un marteau avec une si grande vitesse, que les dents » lui en craquaient, et que son gosier rendait un bruit forcé : qu'entre ces agitations » son visage devint tout à fait méconnaissable, son regard furieux, sa langue pro-ï digieusement grosse, longue et pendante en bas hors la bouche, livide et sèche » à tel point, que le défaut d'humeur la faisait paraître toute velue, sans être )) cependant aucunement pressée des dents, et la respiration était toujours égale ; » que Béhérit, qui est un autre démon, fit un second visage riant et agréable, qui s fut encore diversement changé par deux autres démous, Acaph, et Achaos qui se » reproduisirent l'un après l'autre : que commandement ayant été fait à Asmodée » de demeurer ferme, et aux autres de se retirer, le premier visage revint : que y le démon étant adjuré d'adorer le sacrement, dit d'abord, qu'il voulait lui-même » êt7'e adoré; mais qu'enfin il obéit, prosternant son corps en terre : qu'après di-» verses autres contenances, la sœur Agnès porta un pied par le derrière de la y tête jusques au front, en sorte que les orteils touchaient quasi le nez : que l'exor-» ciste lui ayant commandé de baiser le ciboire, et de dire qui était celui qu'ede » avait adoré, le démon, après avoir fait beaucoup de difficulté, obéit au premier » de ces commandements, mais qu'il refusa d'obéir au second, et que mettant la » main sur le ciboire, h jura : Par le Dieu que voilà, je ne le dirai pas : que comme » le père insistait, lui ordonnant absolument de le dire, le diable répliqua comme » en se moquant : Ne vois-tu pas que je viens de le dire? Qu'alors il se retira et » que la fille revint à soi, et dit à Monsieur qu'elle se ressouvenait de certaines » choses qui s'étaient faites, mais non pas de toutes, et qu'elle avait ouï les ré-» penses qui étaient sorties de sa bouche, comme si un autre les eût proférées : » que son bras ayant été touché par un médecin et lui chirurgien de Monsieur, son » pouls fut trouvé égal après tant de secousses et d'agitations violentes. »
» Le jour suivant. Monsieur alla à Sainte-Croix, où l'on conduit Elisabeth Blan-chard, pour la faire communier en sa présence. La relation de ce jour-là porte : « Que l'un des six démons qui la possédaient, nommé Astarot, parut incontinent, » et la troubla; que son exorciste ayant commandé à ce démon d'approcher de la » fille, elle tomba dans une convulsion générale de tout son corps : que sa face » changea de forme et de couleur, paraissant livide et fort enflée, et la langue » sortarU toute hors de la bouche, fort chargée, et d'une longueur, épaisseur et 2 grosseur tout à fait extraordinaire : qu'en cet état elle alla se roulant et serpentant » jusques aux pieds du prêtre, qui lui mit le saint sacrement sur les lèvres, com-» mandant au démon d'empêcher que les espèces ne s'humectassent en aucune façon y et lui défendant de commettre, ou de souffrir qu'aucun de ses compagnons î commit quelque irrévérence contre cet adorable mystère : que la fille fut incon-» tinent jetée sur le carreau, où le diable exerça sur son corps de grandes vio-¦» lences, et donna des marques horribles de sa rage : qu'd la renversa trois fois » en arrière, en forme d'arc, en sorte qu'elle ne touchait au pavé que de la » pointe des pieds et du bout du nez, et qu'il semblait qu'elle voulait faire toucher » la sainte hostie à la terre, l'en approchant quasi à l'épaisseur d'une feuille de
» papier : mais que l'exorciste réitérant ses premières défenses l'en empêcha tou-» jours : que le démon se relevant soufflait contre la sainte hostie, laquelle on voyait 5) sur les lèvres de la possédée, agitée comme une feuille d'arbre quand un vent î impétueux donne dedans, et passant diverses fois d'une lèvre à Tautre : que Bel-j zébud ayant eu commandement de monter au visage, on vit un battement de la » gorge qui l'enfla extraordinairement, et la rendit dure comme du bois : queMon-» sieur ayant désiré de voir paraître tous les diables qui possédaient cette fdle, î l'exorciste les fit venir au visage les uns après les autres, tous le rendant fort » hideux, mais chacun faisant sa difformité différente : que quand on eut com-» mandé à Astarot de paraître, on remarqua au-dessus de l'aisselle gauche une » grosse tumeur, avec un battement précipité, qui fut admiré de tous les assistants 2) et même du médecin de son altesse : que le démon s'étant retiré de cet endroit î là par le commandement de l'exorciste, il alla la saisir au visage, et laissa tomber i l'hostie sur la patène, oîi elle fut vue toute sèche, sans qu'on pût remarquer 2) l'endroit par lequel elle avait adhéré aux lèvres, lesquelles le démon avait aussi » tellement desséchées, qu'elles se pelaient, et que la peau paraissait toute blanche » et soulevée i
On voit en somme que « la contorsion » telle que nous l'avons décrite à la deuxième période de la grande attaque hystérique (voy. p. 73 et p. 303 jouait un grand rôle dans les scènes d'exorcisme. L'exemple suivant est encore fort remarquable à ce point de vue.
(L'auteur de la relation dit) «... que la mère Prieure étant venue sur les rangs, le démon Balaam parut d'abord; mais qu'aussitôt il fit place à Isaacarum par le commandement du père Surin son exorciste : que ce dernier adora le sacrement comme les autres, en donnant des marques d'un horrible désespoir : La rage, dit-il, que j'ai de l'avoir perdu librement m'ôte la liberté de l'adorer : mais que le père répétant le commandement qu'il lui avait fait, il mit le corps de la prieure dans une effroyable convulsion, tirant une langue horriblement difforme, noirâtre et boutonnée, ou grenée comme le maroquin, sans être pressée des dents, et sèche comme s'il n'y avait jamais eu d'humeur, et la respiration n'étant nullement forcée : qu'on remarqua, entre autres postures, une telle extension de jambes, qu'il y avait sept pieds de longueur d'un pied à l'autre, la fille n'en ayant que quatre en hau-teur : qu'après cela le démon alla sejeter le ventre à terre aux pieds du père, qui tenait le saint sacrement en main, et qu'ayant le corps et les bras en forme de croix, il tourna premièrement la paume des deux mains en haut, puis acheva le tour entier, en sorte que la paume de chaque main touchait le carreau, et qu'il rap-porta les mains ainsi tournées, en les joignant sur le bout de l'épine du dos, et qu'aussitôt il y porta les deux pieds joints aussi, en sorte que les deux paumes des mains touchaient les deux côtés du dehors de la plante des pieds : qu'elle demeura en cette posture assez longtemps, avec des tremblements étranges, ne touchant la terre que du ventre : que s'étant relevée il fut commandé encore une fois au démon de s'approcher du saint sacrement, et de montrer par son visage l'opposition qu'il y a entre Jésus-Christ et lui : que sur cela témoignant une rage qu'on ne peut concevoir si on ne l'a vue : Ah ! dit-il en criant, il est impossible de la montrer, il y a trop grande distance de l'un à l'autre : qu'étant enquis quelle était cette distance? // est, dit-il, l'abrégé de toute bonté et moi de tout mallieur : qu'ayant proféré ces paroles, il devint encore plus forcené, et témoigna une grande l'âge, de ce qu'il avait dit, se mordant aux bras, et contournant horriblement tous
1. Histoire des Diables, p. 226.
les membres : que l'agitation cessa peu après, et que la fille revint entièrement à elle, n'ayant le pouls pas plus ému, que s'il ne se fût rien passé d'extraordinaire. Mais que presqu'au même temps que le père Surin parlait à Monsieur, et qu'il allait finir l'exorcisme, d sentit les attaques d'Isaacarum, qui le renversa deux fois et lui remua les bras et les jambes avec des frémissements et des tremblements : que le démon forcé de se retirer par le saint sacrement qu'on lui appliquait, rentra tout à coup dans la prieure, qui était à deux pas de là, parlant à un des gens de Monsieur, et dans un moment lui fit un visage horrible et furieux, et uu'au même temps l'exorciste s'étant de nouveau relevé, alla combattre Isaacarum, auquel le père Tranquille demanda d'oîi lui venait cette audace de vexer le Père ; d répondit en furie s'adressant au père Surin même. C'est pour me venger de toi; qu'alors ayant reçu commandement de se retirer, et de laisser la prieure libre, il obéit, et qu'on mit ainsi fin à l'exorcisme. ^ »
Nous venons de voir le P. Surin ressentir les atteintes du démon. C'était là les premiers signes d'une affection mentale à laquelle le malheureux exorciste devait succomber ^.
La catalepsie nous paraît parfaitement décrite dans les extraits qui sui-vent. Nous avons vu comment les attaques de catalepsie étaient facilement provoquées chez les hystériques. (Voy. p. 364 et suiv.)
L'auteur de la relation dit « que Monsieur étant venu aux Ursulines l'après-dînée de ce même jour, on exorcisa cette religieuse (sœur Claire de Sazilli) en sa présence : que le démon, l'ennemi de la vierge, parut selon le commandement que lui en fit le père Élizée, capucin, son exorciste ordinaire, qu'il l'assoupit et la rendit souple et maniable comme une lame de plomb : que f exorciste loi pha en-suite le corps en diverses façons en arrière et en avant, et des deux côtés, en sorte qu'ede touchait presque la terre de la tête, le démon la retenait dans la posture oii elle avait été mise, jusqu'à ce qu'on la cJiangeât, n'ayant, durant ce temps, qui fut assez long, aucune respiration par la bouche, mais seulement un petit souffle par le nez : qu'ede était presque insensible, puisque le père lui prit la peau du bras et la perça d^outre en outre avec une épingle, sans qu'il en sortit du sang, ou que la fille en fît paraître aucun sentiment : que Sabulon parut ensuite, qui la roula par la chapelle, et lui fit faire diverses contorsions et trem-blements : qu'il porta cinq ou six fois son pied gauche par-dessus Fépaule à la joue, tenant cependant la jambe embrassée du même côté : que durant toutes ces agitadons, son visage fut fort difforme et hideux; sa langue grosse, livide et pen-
1. Histoire des Diables, p. 232.
2. Le père Surin ne fut pas la seule victime des troubles cérébraux suscités par les scènes horribles qui se déroulèrent à Loudun. Parmi les acteurs de ce sombre drame qui payèrent de leur vie ou de leur raison leur immixtion dans cette affaire, il faut citer, en outre du père Surin, le père Lactaiice et le père Tranquille, deux autres exorcistes qui moururent en proie au délire de la démonopathie ; le père Lucas fut atteint de démono-manie en assistant à la mort du père Tranquille ; le chirurgien Maunouri qui, en sa qualité de chirurgien expert, avait recherché les marques diaboliques sur lés membres et le corps du curéde Loudun et, danscctte opération, avait montré une dureté de cœur peu commune, mourut en proie à un violent délire pendant lequel il était poursuivi par le spectre de Grandier. Enfin, le lieutenant civil Chauvct, qui avait montré par ses démarches et son opposition à certaines procédures qu'il partageait l'incrédulité du bailli de Cerisay au sujet de la possession des religieuses, n'eut pas assez de force morale pour résister à la frayeur que lui causa l'accusation de magie lancée contre lui par une des possédées. Il fut réduit dans un tel état, « que depuis on ne l'a jamais vu rétabli dans son bon sens ».
dantc jusqu'au menton et nullement pressée des dents : que la respiration fut égale, les yeux immobiles, toujours ouverts sans cligner : qu'il lui fit après cela une extension de jambes en travers qui fut telle, qu'elle touchait du périnée contre terre : que pendant qu'elle était dans cette posture, l'exorciste lui fit tenir le tronc du corps droit et joindre les mains; que Sabulon, conjuré d'adorer le saint-sacre-ment, fit quelque résistance ; mais qu'étant pressé, il se traîna le corps tout courbé, les mains un peu distantes l'une de l'autre sans se joindre, le visage à demi tourné et peint en image de l'enfer, et alla baiser le pied du saint ciboire que l'exorciste tenait en main, témoignant par ses gestes, ses tremblements, ses cris et ses larmes, de l'horreur, de la révérence et du désespoir : que l'exorciste lui ayan demandé ce qu'il avait adoré, il dit, après quelques refus : C'est celui qui a ét mis en croix... ^ »
Plusieurs malades présentaient par instants les signes de l'extase et de la cata-lepsie. On lit dans l'ouvrage de la Ménarday : « Un autre jour elles se distin-guaient par leur souplesse... Dans leurs assoupissements elles devenaient souples et maniables comme une lame de plomb, en sorte qu'on leur pliait le corps en tous sens, en devant, en arrière, sur les côtés jusqu'à ce que la tête touchât par terre; et elles restaient dans la pose oii on les laissait jusqu'à ce qu'on changeât leurs attitudes ^. »
Nous avons étudié plus haut les principales circonstances qui influaient sur la nature du délire hystérique. Nous avons vu qu'il empruntait, ses principaux caractères au genre de vie de la malade, à ses préoccupations habituelles.
A Loudun, les diables aiment faire de longues dissertations sur les sacre-ments, sur la grâce, sur le péché, etc.. Ces accès délirants étaient le plus souvent entretenus par les questions que le prêtre adressait alors au démon, ne dédaignant pas d'entrer quelquefois en controverse théologique avec lui.
Je n'insist-erai pas sur les caractères bien hystériques de l'accès délirant dont voici le récit.
« L'exorciste interrogeait souvent [saacarum : il lui commande de dire par quels artifices il débauchait les hommes du service de Dieu. 11 ne plut pas alors au diable de répondre à cette question, il aima mieux exagérer les raisons pourquoi il était rempli de rage contre Dieu et contre les hommes. Ces raisons étaient, que Dieu n'a pas également traité les Itommes et les anges après leur clmte; qu'il fai-sait des grâces aux hommes, dont la plupart abusaient, et qu'il les refusait aux démons qui n'en auraient pas abusé de même; et que cependant il les obligeait d'adorer la nature humaine en son Fils. Le père lui demande ensuite quelle était la meilleure voie par laquelle la créature qui s'est égarée de Dieu peut retourner à lui, et dont il se servirait si elle était en sa puissance. C'est l'amour de Dieu, répliqua Isaacarum, et si j'avais la liberté comme l'homme, j'emploierais toutes mes forces par la vertu de cet amour, à produire des œuvres pour lui satisfaire. Cette doctrine d'un diable qui autorisait le franc-arbitre et les satis-factions humaines, commença ce jour-là â devenir suspecte à de fort bons catho-hques, â cause du canal par lequel elle passait.
»... L'exorciste passa ensuite â une autre question, savoir : Quel est le plus fort de tous les liens qui tiennent l'homme attacJté à la créature? A quoi il fut
1. Histoire des Diables, p. 231. ,
2. Cité par L. F. Calineil, loc. cit., t. Il, p. 11.
répondu, après quelque résistance, que c'est le plaisir des sens précédé par l'oubli de Dieu, et que les soucis de la vie, les craintes et la peine qu'on a à se captiver, sont les moyens dont les dém.ons se servent pour produire cet oubli dans l'esprit des hommes.
Le démon continuant à découvrir les artifices infernaux, et à fournir lui-même des raisons pour les détruire, ce qui était proprement diviser son royaume, et le mettre en état de ne plus subsister, selon que parle l'Évangile, d dit qu'il per-dait beaucoup de gens par la lubricité : qu'il avait acquis beaucoup de crédit auprès de Lucifer, par la chute de Macaire le jeune, en le visitant dans son désert, et l'attrapant par le moyen du soulier d'une femme, et d'un mouchoir parfumé, lequel il mit en son cliemin : qu'il fit croître pendant trois jours le goût du péché par ce mouchoir parfumé, lequel il voyait et sentait souvent; mais qu'il se releva, et fit par pénitence une fosse, où il s'ente) ra jusqu'au cou, ne lui restant que la tête au dehors pour regarder le Ciel. Le diable ajouta : (.{w'Alumetle, autre démon dont Elisabeth de la Croix était possédée, attrapa Mar-tinien à peu près de la même manière par une courtisane qu'il lui envoya. Il fut aussi interrogé s'il y avait en enfer des personnes qui eussent fort goûté l'amour divin sur terre. Il répondit qu'il y en avait quelques-uns qui avaient goûté cet amour en perfection, mais qu'il y en avait fort peu : que ces sortes de gens ne pouvaient être surpris, et ne tombaient que par une secrète vanité; et que leur tourment procédait du souvenir des faveurs de Dieu. Ces questions furent encore beaucoup étendues, et à la fin Isaacarum parut enragé, faisant des hurlements effroyables, et de grands eiforts pour frapper l'exorciste, parce, disait-il, qu'il le contraignait de parler au profit des hommes, au lieu qu'il ne désirait que de détruire les œuvres de Dieu, et de s'anéantir soi-même, se repentant d'être venu dans un corps, où. il servait au conseil de Dieu contre sa volonté : qu'il y avait longtemps qu'il travaillait au inonde, quoique Béhémot y eût encore plus long-temps travaillé, et qu'il eût été employé dès le commencement contre Job, lequel il n'avait pas simplement vexé dans son corps, mais qu'il avait aussi obsédé son âme, et que c'est de Ici que sont procédêes ces paroles, qui semblent approcher du désespoir, et qui ont donné tant de peines aux interprètes, et que c'est aussi par cette raison qu'il ne pécha point, en tout ce qu'il dit. Ce discours fut fort applaudi de tous les exorcistes qui étaient présents, quoique pour confondre de mensonge celui qui le faisait, il n'eût fallu que rapporter les paroles mêmes de Job, qui disait : J'ai horreur d'avoir ainsi parlé, et je m'en repens sur le sac et la cendre. Paroles qui marquaient son péché et le sentiment qu'il en avait, sur ce que Dieu l'en avait repris.
» Mais voici une nouvelle découverte que fit Isaacarum qui aimait toujours à haranguer longtemps. Il dit, qu'avant l'hicarnation, les diables ne possédaient pas les hommes comme ils les ont possédés depuis : qu'à la vérité ils n'avaient pas connu pendant la vie de Jésus-Christ la m.anière de l'union du Verbe à l'homme pour s'y conformer : qu'ils ne connurent pas même la divinité du Fils ni comment la maternité de Marie pouvait être jointe avec la virginité : que quand Lucifer tenta Jésus-Christ au désert, son dessein était de pénétrer dans ce secret; mais que ces paroles :Tu ne tenteras point le seigneur ton Dieu, le lais-sèrent dans l'aveuglement sur ce mystère; que depuis la mort de Jésus-Christ les diables ont tâché de l'imiter, et de s'incarner en quelque sorte, possédant plu-sieurs personnes par un mélange fort subtil dont on ne s'apercevait pas, et que les magiciens étaient ceux qui les servaient le plus dans ce dessein. Toutes ces choses ayant été proférées par la bouche de la supérieure, le père Surin après que le démon se fut retiré, lui demanda si elle se souvenait bien de tout ce qu'elle avait dit pendant deux heures, à quoi elle répondit que non^. »
1. Histoire des Diables, p. 293.
Mais le délire n'avait pas toujours cette apparence de calme et de raison. La fureur et la rage arrivaient parfois à la dernière limite du paroxysme. On était obligé de lier les énergumènes.
«... Le jour des Rois qui était le troisième de cette neuvaine, lorsque la possédée voulut chanter l'office de ce jour-là, ils (les diables) la troublèrent ; ils rendirent son visage bleuâtre, et firent arrêter fixement ses yeux sur une image de la Vierge. 11 était déjà tard, mais le père Surin prit résolution d'exorciser puissamment, et de faire adorer avec effroi au démon, celui devant lequel les mages s'étaient proster-nés. Pour cet effet, il fit passer fEnerguméne du couvent dans la chapelle, oîi elle prononça quantité de blasphèmes, voulant frapper les assistants, et faisant de grands efforts pour outrager le père même, qui la conduisit pourtant enfin dou-cement à l'autel, où il la fit lier sur un banc, et après quelques oraisons, il ordonna à Isaacarum, qui paraissait pour Béhémot et qui fut pris pour lui, de se prosterner en terre avec signe de révérence et de sujétion, pour honorer l'enfant Jésus-Christ, adoré autrefois par les mages; ce que le démon refusa de faire en blasphémant horriblement. Alors l'exorciste chanta le Magnificat,etc., et lorsqu'il vint à ces dernières paroles : Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, cette impie religieuse, dont le cœur était véritablement rempli du démon, s'écria : Maudit soit le P... maudit soit le... maudit soit le... et maudit soit Marie et toute la cour céleste. Le prétendu diable redoubla encore ses malédictions contre Marie, à l'occasion de ÏAve maris Stella, etc., qui fut aussi chanté et dit : Qu'il ne craignait ni Dieu, ni Marie, et qu'il les défiait de Voter du corps qu'il occupait. On lui demanda, pourquoi il défiait un Dieu qui est tout-puissant. Je le fais par rage, répliqua-t-il, et désormais ni moi, ni mon compagnon ne ferons plus autre chose : phis nous allons en avant, plus nous concevons de Jiaine contre Dieu, parce que nous voyons qu'il est bien servi, et que par là on se fortifie contre nous. Alors il recommença ses malédictions,... Isaacarum n'était pas traitable; il refusa d'obéir, disant qu'il aimerait mieux avoir mangé l'exorciste même, et le Gloriosa, etc., qui fut chanté sur-le-champ, ne servit qu'à lui faire proférer de nouveaux blasphèmes contre la Vierge. Il fut encore fait de nouvelles instances, pour obliger Béhémot de faire amende honorable à Jésus-Christ, et Isaacarum à sa sainte Mère, pendant lesquelles la supérieure ayant eu de grandes convulsions, fut déliée, parce qu'on s'imagina que le démon voulait obéir : mais Isaacarum se laissant tomber à terre s'écria : Maudite soit Marie, et maudit soit le... qu'elle a porté. L'exorciste lui commanda à l'instant de faire satisfaction à la Vierge de ces horribles paroles, en se vautrant sur la terre en forme de serpent, de qui elle avait écrasé la tète, et en léchant le pavé de la chapelle en trois endroits, et de demander pardon en termes exprès devant l'image qui était dans ce lieu-lâ. Mais il y eut encore refus d'obéir pour ce coup, jusqu'à ce qu'on vint à continuer le chant des hymnes. Alors le diable commença à se tordre, et en se vautrant et se roulant, il conduisit son corps jusques au bout de la chapelle, où il lira une grosse langue bien noire, et lécha le pavé avec des trémoussements, des hurlements, et des con-torsions à faire horreur. Il fit encore la joême chose auprès de l'autel, après quoi d se releva de terre, et demeura à genoux avec un visage plein de fierté, faisant mine de ne vouloir pas passer outre. Mais l'exorciste avec le sacrement en main, lui ayant commandé de satisfaire de paroles, ce visage changea et devint hideux, et la tête se pliant en arrière, on entendit prononcer d'une voix forte et précipitée, qui était tirée du fond de la poitrine : Reine du ciel et de la terre, je demande pardon à votre majesté des blasphèmes que j'ai dits contre cotre nom^. »
i. Histoire des Diables, 'H.'Jl.
Il faut lire la scène de l'exorcisme du 23 juin 1034, pendant lequel Gran-dier fut confronté avec les religieuses, pour se faire une juste idée du degré de violence qu'atteignaient parfois ces scènes de fureur.
Je terminerai ici les citations que je désire faire au sujet de la possession de Loudun. Je n'ai tenu à relever que les phénomènes qui portaient d'une façon indiscutable le cachet de la grande névrose. J'ai négligé à dessein tous les faits sur lesquels plane le soupçon de simulation ou de supercherie. II nous suffit de savoir que dans la grande hystérie, dont l'existence chez les religieuses de Loudun parait établie par un ensemble de faits assez impo-sant, la tendance à la simulation, soutenue par l'amour de la notoriété et les autres qualités du tempérament hystérique, joue un rôle universellement reconnu et éveille par cela même les plus légitimes défiances.
possession de louyiers, IGtó
La possession de Louviers, qui éclata peu après celle de Loudun, présente avec celle-ci de grandes analogies. D'un côté des religieuses possédées des esprits malins, d'un autre des sorciers (ici au nombre de trois) accusés d'avoir ensorcelé le couvent, et comme conclusion le bûcher pour un mal-heureux prêtre et la prison perpétuelle pour l'une des religieuses K
Au point de vue médical nous retrouvons les mêmes symptômes avec une prédominance marquée des hallucinations et des accès délirants.
Je relèverai dans les écrits des auteurs du temps un certain nombre de
1. Les premiers signes de possession se déclarèrent enlGl2 parmi les religieuses du monas-tère de Saint-Louis, à Louviers peu de temps après sa fondation. Pendant six ans les religieuses possédées,au nombre de 18, furent exorcisées dans le but de découvrir les sorciers, auteurs de la possession. Les démons désignèrent le père Picard, directeur spirituel de la communauté, Thomas Boullé, curé au Ménil-Jourdain et l'une des religieuses, Madeleine Bavent, qui, tout en accusant les deux prêtres, s'avoua coupable des plus grands crimes de dénionia-lité. Kn 1647, un arrêt du parlement de Rouen condamna au supplice du feu Thomas Boullé accouplé au cadavre de Picard qui était mort en'l643 « ... Ordonne, dit l'arrêt, que le corps du dit Picard et le dit Boullé, seront, ce jourd'hui, délivrés à l'exécuteur des sen-tences criminelles pour être traînés sur des claies par les rues et lieux publics de cette ville, etétant le dit Boullé devant la principale porte de l'église cathédrale... faire amende hono-rable, tête, pieds nus et en chemise, ayant la corde au cou... ce fait, être traîné en la place du vieil marché, et là y être le dit Boullé brûlé vif, et le corps du dit Picard mis au feu, jusqu'à ce que les dits corps soient réduits en cendres, lesquelles seront jetées au vent... » *
Le jugement de Madeleine Bavent fut différé. Le 15 mars 1043 cette malheureuse avait été « déclarée indigne de porter à l'avenir le nom et la qualité de religieuse, condamnée à être dépouillée du saint voile et revêtue d'habits séculiers; condamnée à être confinée à perpétuité tant qu'il plairaità Dieu de prolonger ses jours dans la basse-fosse ou dans l'un des cachots de l'officialité; à jeûner au pain et à l'eau, les mercredi, vendredi et sa-medi de chaque semaine ». {Extrait de la sentence du parlement de Rouen, cité par Cal-meil, loe. cit., p. 120.)
Les autres religieuses furent dispersées et transférées soit chez leurs parents, soit dans d'autres établissements religieux.
faits qu'il est intéressant de rapprocher de ce que nous avons observé sur nos hystériques.
Les hallucinations des religieuses possédées sont extrêmement remar-quables. Les extraits suivants empruntes au livre du capucin Bosroger et cités par Calmeil en sont des exemples qui nous permettent d'msister sur les caractères suivants : Ces hallucinations marquaient le début de l'affeclion. Ce n'était pas encore la possession, c'était l'obsession. Elles se montraient le plus souvent dans le silence et la solitude de la nuil. Elles intéressaient tous les sens. Elles consistaient en visions lumineuses, flambeaux, boules de feu, soleil,., en apparitions d'animaux fantastiques, ou de personnages imaginaires. Parfois la vision poursuivait la malheureuse hallucinée jusque dans le jour, pendant les différents exercices, à la chapelle, etc.. L'appari-tion revêtait souvent les traits de personnes connues qui entraient pour une part dans les relations journalières de la malade. Ces hallucinations reflé-taient les occupations ordinaires des religieuses. Il y était question de devoirs religieux, de blasphèmes, d'impiétés, de séductions, etc.. Les scènes lascives, les visions impures ne faisaient pas défaut... Enfin, ces troubles cérébraux s'accompagnaient parfois de mouvements convulsifs, de contractures, de secousses de tout le corps, de chutes, de perte des sens, etc..
On lit dans la notice qui traite des événements de Louviers : « La sœur Barbe de Saint-Michel a vu plusieurs fois la nuit en sa cellule grand nombre de chandelles allumées... La même sœur était... tellement tourmentée, qu'elle ne pouvait faire trois pas qu'on ne lui vît plier avec violence les genoux jusqu'à terre, et puis elle tombait... Je passe sous silence les flambeaux allumés contre la grille de l'église au temps des communions de cette religieuse... Je laisse à part tous ces hommes et ces fantômes qui paraissaient, la persécutaient, et après lui avoir donné beaucoup d'inquiétude et de peine, prenaient la fuite par les cheminées.
» La sœur Marie de Saint-Nicolas aperçut deux formes -effroyables, l'une repré-sentait un vieil homme avec une grande barbe, lequel ressemblait... (au feu curé Picard); ce fantôme, qu'elle aperçut à quatre heures du matin, environ le soleil levant, s'assit sur les pieds de sa couche, et lui dit d'un ton d'homme désespéré : Je viens devoir Madeleine... et la sœur du Saint-Sacrement. Ah! que Madeleine est méchante! elle est entièrement à nous, etc.
» L'autre forme était seulement comme une tête fort grosse et fort noire que cette fdle envisagea en plein jour... Cette tête la regarda longtemps et lui causa une grande frayeur. Elle ne laissa pourtant pas de la considérer attentivement jusqu'à ce qu'elle remarqua que cette tète commençait à descendre de la fenêtre, car pour lors elle fut saisie de peur et se retira...
»... Les diverses apparitions faites à la sœur Anne de la Nativité... commencè-rent dès l'année 1642.
» C'est une chose étonnante comme quoi ce maudit ennemi se montrait presque à tous moments à cette pauvre fdle en de terribles et affreuses figures, comme quoi en cet état il se tenait toute la nuit dans sa cellule, immobile devant elle, comme il marchait le premier partout où elle voulait aller, même dans le chœur où il faisait toutes sortes de bouffonneries pour la divertir, et qu'elle n'avait point de peur alors ; elle n'en fut saisie que quand elle eût déclaré cette vision à sa
mère-maîlresse. Le diable commença à la menacer qu'il la tourmenterait avec plus de violence, lui disant qu'elle serait à eux, à la fin, et qu'elle ne pourrait résister à tout ce qu'ils lui feraient, lui et ses compagnons, puisqu'elle avait dit leur secret à la chienne de mère... Ces menaces durèrent une nuit entière, après laquelle cette affligée rendit compte de tout à sa maîtresse, qui fit ce qu'elle put pour la consoler et lui commanda de faire un mépris absolu de toutes ces illusions sans raisonner ni parler avec le diable...
» Lorsqu'on chantait au chœur l'office divin, et qu'on célébrait la sainte Messe, il représentait à ses yeux des horreurs abominables et se montrait en forme d'une affreuse bête qui ouvrait la gueule pour l'engloutir, à cause qu'elle ne voulait regarder de telles sottises, résistant courageusement. H la frappait rude-ment et la tourmentait à tout moment; et la faisait choir rudement sur les mon-tées ou autres lieux, et souvent il lui montrait des spectres ou des figures d'hommes ou de femmes qui dansaient nus avec une grande effronterie et impu-dence qui lui donnaient de l'horreur...
» Un jour... pendant la sainte Messe... un crucifix se montra à elle, qui lui dit : «Ma fille, mon épouse, ma bien-aimée,je viens à vous pour vous délivrer de votre affliction, etc.. »11 détacha ses bras de la croix et s'approcha d'elle pour l'em-brasser, mais elle se retira, se souvenant de l'enseignement qu'on lui avait donné, de n'écouter ni de répondre à rien... Cette forme conünua à l'exhorter qu'elle ne méprisât point ses grâces, etc.. Elle rendit compte de tout ceci à la mère, toute-fois avec grand'pcine. 11 lui semblait qu'on lui était les idées de la mémoire...
» Le même jour, sur le soir, la même forme du crucifix lui dit, avec des paroles amoureuses : « Ma chère fille, mon épouse,donne-moi ton cœur, etc.. » Alors elle fit un mépris, même extérieur, et cracha contre le fantôme, et aussitôt il disparut. Après cela elle fut saisie d'une grande tristesse, par la crainte qu'elle avait d'avoir mal fait. Toute la nuit ensuite elle fut beaucoup tourmentée par des visions dés-honnêtes qui la sollicitaient au mal avec des formes humaines impudiques. Elle dit le matin qu'elle n'avait pas fermé l'œil et qu'elle était si lasse qu'elle n'en pouvait plus, et que Dieu lui avait fait la grâce de combattre toute la nuit.
» Cette fille prit ensuite la résolution de faire une neuvaine à la très sainte Vierge pour se mettre sous sa protection, afin d'avoir plus de force pour se maintenir contre les tentations du diable. La première fois qu'elle alla à la chapelle et qu'elle commença sa prière en s'humiliant... il se présenta devant elle un soled si beau et si ravissant qu'elle assure n'avoir jamais rien aperçu sur la terre de plus charmant... Elle entendit une voix qui sortit de cette lumière... Quelques nuits après, le diable lui proposa de sales représentations, et elle souffrait beau-coup en une si fâcheuse occasion, lorsque ce soleil éclatant vint incontinent combattre pour elle, et chasser le tentateur impudique, en proférant ces douces flatteries : « Ma fille, mon épouse, je viens pour vous défendre, etc.. »
»... Souvent le diable prenait la forme de quelques religieuses qui disaient à sœur Anne du mal du père confesseur et de ses supérieures, avec des paroles trompeuses, les louant d'une façon et les blâmant de l'autre. Une fois, elle croyait parler à sa mère-maîtresse, l'étant allée trouver en sa cellule oi'i elle semblait être assise en sa chaire, et où elle commença de tancer ladite sœur, lui repro-chant, avec un visage rigoureux, qu'elle était bien infidèle à Dieu et qu'elle en recevrait le châtiment... Lorsqu'on même temps elle fut inspirée et portée tout ensemble à s'enfuir, et elle courut fort promptement au noviciat, où étant, elle fut bien étonnée d'y voir la mère-maîtresse, à qui elle venait de parler dans sa cellule, et lui dit donc son étonnement, et la mère l'assura qu'elle était toujours restée là, et lui fit confirmer par les sœurs présentes, lui prouvant ainsi que c'était une illusion, et qu'elle ne crût point une autre fois la voir si elle ne lui faisait le signe de la croix avant de lui parler.
» Durant les jeûnes, elle apercevait devant ede les viandes les plus exquises.
et des formes humaines qui l'excitaient à manger, et partout où elle allait, elle sentait l'odeur des viandes. Son appétit en était fort excité jusqu'à ce qu'elle l'eiit dit au père confesseur et à sa mère, car elle se sentit alors plus forte pour mépriser celte tentation... Sœur Anne eut encore la vision d'un ange d'une beauté disait-elle, admirable, qui l'assura être envoyé de Dieu pour lui enseigner la per-fection, parce que Dieu la voulait gouverner immédiatement par lui ou par ses anges, que pour cela il était député... Il se vanta d'être un séraphin, etc..
» Le lendemain, la nuit, elle vit la mèmt; apparition qui l'entretint de la vie illuminative, etc..
» Après tant d'illusions, et d'apparitions de crucifix, de soleil, d'ange de lumière, il ne restait plus rien, sinon que ce serpent se déguisât en la forme de Marie. Une nuit donc, cette tille aperçut un fantôme d'une beauté admirable qui lui dit : i Ma fille, n'aie point peur, je suis Marie, mère de miséricorde, j'ai prié mon fils de surseoir encore un peu de temps les effets de sa justice; c'est pourquoi, ma chère fdle, je viens vous avertir que vous avez fait de grandes fautes, d'avoir refusé tant de fois les grâces de mon cher fds, etc.. » Enfin cette forme lui dit qu'elle ne s'éton-nât pas, désormais, quand elle serait tourmentée des diables, jusqu'à être possé-dée, et que ce serait par sa faute, et puis elle disparut.
» Mais l'obsédée eut bien de la peine à dire cela à sa mère-maîtresse; elle avait comme l'esprit perdu. Quand elle pensait dire une parole, elle entendait sensiblement que l'on se dépitait auprès d'elle, à cause qu'elle disait cela. Elle ne laissa pourtant pas de se soumettre à l'avis de ses stipérieures ; elle fut retirée de sa cellule et mise dans une chambre avec deux religieuses couchées à ses côtés, pour l'assister et voir ce qui se passerait, et aussi pour la grande peur qu'elle avait. Il y avait une lampe toujours allumée pour la nuit, mais on la soufflait fort souvent, etc.. Ce procédé fut bientôt suivi d'un autre, savoir des fortes convul-sions, suspensions et raideurs qui la faisaient souffrir incroyablement. Cette pauvre créature a plusieurs fois été trouvée par sa maîtresse couchée contre terre, raide comme un bâton. Durant l'office divin, on lui faisait jeter le livre qu'elle tenait assez loin d'elle, cans lui voir remuer les bras, ce qui arrivait sou-vent quatre ou cinq fois pendant un seul office. Çt durant l'oraison, on la poussait fort rudement pour la faire choir sur le nez; et d'autres fois, elle avait les sens extérieurs aliénés ^ »
« La pauvre sœur Marie du Saint-Esprit ayant fait, dix jours avant Noël, avec grande dévotion, une retraite intérieure, et étant, le propre jour de la fête, devant le Saint-Sacrement exposé depuis midi jusqu'à une heure, tâclia pendant ce temps-là, de faire une revue de toute sa vie passée... Voici que sur cela, elle fit une nouvelle donation de tout soi-même à son Seigneur, et renouvela ses vœux; ce qui dura jusqu'à une heure. Mais en même temps, ô providence divine, cette fille tomba dans des horreurs d'esprit, fureur et plusieurs idées de blasphème contre Dieu. Elle ne sut ni n'osa plus regarderie soleil dans lequel était l'adorable sacre-ment, parce qu'elle y voyait des choses que l'aspect humain ne peut souffrir. Voilà la première heure de son affliction, et la première invasion de l'esprit pos-sédant.
» La nuit suivante, ladite sœur couchée en sa cellule sentit une pesanteur qui se posa par trois fois sur sa tête; après quoi elle demeura toute interdite des sens et ne put parler ni remuer; ayant seulement la vue et l'esprit libres; et demeura environ une heure comme cela; puis lui apparurent deux formes de diables, l'un, grand comme un homme, qui s'assit dans la chaise, et l'autre n'ayant qu'une coudée de hauteur, qui se mit sur l'estomac de l'illudée, ainsi qu'un singe a cou-
1. La piété affligée, ou Discours historique et théologique de la possession des religieuses dites de Sainte-Elisabeth ci bouviers, par Esprit de Bosrogcr, capucin. Rouen, 1752, édit. in-12, cil. X de la page 127 i 140 (cité par Galnieil, loc. cit., t. il, p. 85.).
tumc de s'asseoir, tout en monceau, et qui pour être pciit n'était pas moins épou-vantable à regarder.
î Les voilà tous deux qui se mettent à parler de la maison de Louviers, et comme toutes les religieuses étaient à eux, et la dite sœur aussi, et pour marquer leur présence, lui interdisaient tous les sens, et elle n'avait pas le pouvoir de dire : Verbum caro factum est... et... ce petit diable qui était sur elle ne faisait que crier : « Dis-donc ton Verbum... » cependant qu'il lui tenait la main droite sur le cœur avec sa griffe. Quand ils eurent ainsi causé de plusieurs choses contre Dieu, et sollicité cette fdle de se donner à eux, ils disparurent, comme s'élançant en haut, en se riant et gaussant, et faisant en l'air des cris épouvantables.
» Une autre nuit, cette affligée ne pouvant dormir ét^ant sur sa couche, environ les dix heures entendit la cellule voisine s'ouvrir et se fermer, et incontinent mar-cher vers la sienne (juc l'on ouvrit, et vit comme un homme qui entra seul, et ferma la porte sur lui; alors elle voulut crier, mais tout pouvoir lui en fut inter-dit. De quoi ayant été avertir la mère-maitresse, elle consola l'affligée, la vint faire coucher elle-même, et jeta de l'eau bénite par toute la cellule. Voilà qu'une heure après qu'elle fut retirée, le diable, en forme de mère-maîtresse, alla trouver la fdle qu'il entretint. Mais quand il vint à dire qu'il fallait renoncer à Dieu, pour adhérer au diable... et que ce serait une chose bien agréable à la majesté divine, cette pauvre fdle se scandalisa de cette religieuse déguisée, s'effraya, et répartit hardiment qu'elle ne commettrait jamais un crime si énorme et si manifeste.
:.) La forme qui paraissait l'appeler plusieurs fois inobédiente et attachée à son sens, et voyant que la fille demeurait ferme, elle s'en alla comme par dépit, et lui donna un grand soufflet, en la laissant dans une bien mauvaise opinion de la mère-maîtresse, dont elle fut détrompée le lendemain entièrement par la mère, qui l'avisa de se donner garde, une autre fois, de ces transformations'. »
» La sœ'ur Marie du Saint-Sacrement a consacré près d'un demi-volume à la pein-ture de ses souffrances; voici ce qu'elle-même raconte dans ses principaux pas-sages :
« Le 27 ou le 28 février de l'année 1642, travadiée que j'étais d'affliction, je com-mençai de m'assoupir sur les onze heures et demie. Lorsqu'on sonnait matines, je dormais, mais bientôt après je m'évedlai. On me tourmente, je crie ; hélas ! j'avais un peu de repos, il s'en fallait bien étonner... On ouvre notre porte fort douce-ment; je regarde, j'avise la forme d'un prêtre qui avait sa robe de chambre. Je m'effraye, et j'appelle hautement Dieu à mon aide : sur quoi ce fantôme changea de forme et ouvrit une grande gueule pour me dévorer, en criant et hurlant : « Ça, ça, tu es à moi; nous verrons qui aura plus de force de nous deux... « Je dis trois fois : 0 mon Dieu! miséricorde! secours!... Et le spectre jeta à l'instant du feu et des flammes partout,hurlant terriblement : «Tu as beau faire,tu ne m'échapperas pas ou je cesserai d'être... » Enfin je fus tellement battue de toutes parts, que je ne savais plus de quel côté me tourner...
» Une nuit, étant couchée, lorsque chacun reposait, un jeune homme parut tout nu dans notre cellule. Je faisais des signes de croix, je disais : Verbum, caro /ac-^Mm esi, je jetais de l'eau bénite,.,, mais cet impudent se moquait. Il voulut me tourmenter; j'eus recours à Dieu, disant tout haut : Mon Dieu, je n'en puis plus, donnez-moi de la force !
» Puis je m'élance, croyant que ce fût un spectre, et le pris fortement. Quand j'aperçus que ce n'était pas un fantôme, mais véritablement un sorcier, je fus saisie de grande frayeur et criai de toute ma force. La mère de l'Assomption me de-mandait ce que c'était. Je ne lui répondis point, je ne faisais que crier. II ouvrit notre porte, et s'en ada par une cheminée qui était en notre cellule. Il me traînait avec lui,parce que je le tenais, et ne voulais point quitter; de sorte qu'il m'en-
1. Bosrogcr, loc. cit., édit. in-12, ch. X de la page 141 à 145 (cité par Calmeli,/oc, cit.)-
leva bien deux pieds de terre... et j'eus peur d'être enlevée hors de notre couvent. Je quittai ma prise et retombai dans notre chambre, où l'on me trouva la main pleine et gâtée de la graisse dont ce sorcier s'était frotté. Elle était très puante et noire tirant sur le rouge. On m'essuya les mains avec un linge blanc qu'on jeta tout aussitôt dans le feu... »
)) Un ange de lumière, dont il sera parlé bientôt fort souvent, me jure, me per-suade, m'avise que le confesseur (du couvent) est vrai magicien, et qu'il est amou-reux de moi, et qu'en bref il me doit découvrir sa flamme. Enfin ce pipeur en vient aux transformations; il se travestit comme lui de geste, d'habit et de paroles; il donne les mêmes enseignements et consolations, se fait tout pareil â notre père: et en prend immédiatement la forme, laquelle, un jour bien matin, entra dans notre cellule, et commença â me déclarer sa passion par ces mots : « Qu'as-tu, ma fdie? Je vois bien que tu es incommodée. » Il me dit que depuis longtemps il souf-frait une passion d'amour pour moi, et qu'd n'avait jamais osé me la découvrir, mais que, puisque l'occasion se présentait si â propos, il se déclarait. Il me rap-porta plusieurs choses qu'il disait être dans la Sainte Écriture, pour me faire voir qu'il n'y avait point de péché à m'aimer; puis il me tint des discours fort amou-reux; alors je demeurai fort interdite d'étonnement et ne savais que dire. Néan-moins j'ai pensé qu'il n'était pas temps de se taire; je m'écriai fort haut : Ah! mon Dieu, â qui se fiera-t-on? Quoi! Étes-vous si misérable que de me tenir ces propos, et d'avoir ces méchantes pensées-lâ? Il repart : «Ne fais point de bruit, parlons d'autre chose, je m'en vais quérir la communion... » Non, non, lui dis-je; je ne communierai point de votre main, après le discours que vous me venez de tenir...
» Un peu après, quandnotre père confesseur m'envoya quérir tout de bon, je n'y voulais point aller, car je pensais que c'était un méchant homme qui me voulait induire au mal, â cause cle ce qui s'était passé touchant l'apparition que j'avais eue de lui. Je fus pourtant tellement importunée, que j'allai au parloir, là où le père confesseur me lit voir clairement que c'était le diable qui m'avait illu-dée et non lui; mais Dieu permit une chose après, qui me fit bien connaître le reste.
«..... Un jour, sur les trois heures après midi, notre père m'envoya quérir au
parloir; j'y fus aussitôt, et lui, demeura dans la cour pour parler à un religieux qui prêchait l'octave du Saint Sacrement à Notre-Dame. Cependant, le diable prit sa forme que je trouvais au parloir, lequel m'entretint comme notre père environ une demi-heure. Je lui disais tous mes sentiments avec grande liberté ; il me fai-sait faire des promesses de fidélité, d'obéissance et de soumission â toutes ses vo-lontés; mais à cause de la crainte que j'avais d'être surprise, je disais toujours : Oui, mon père, je vous promets cela en tant que ce sera la volonté de Dieu. Mais comme je lui disais les soupçons que j'avais eus de lui, notre père entra au parloir, et aussitôt ce diable passa par la grille, et me frappa, me renversant par terre et disparut. Cela me fit connaître la vérité et m'ôta les soupçons que je m'étais for-més, dans l'esprit, de notre père confesseur.....
» Vrai Dieu ! à quel point cet esprit de séduction mena ses illusions ! Jusque-là, chose étonnante, qu'il me promit de me faire voir, dans les saintes hosties, les marques de la magie du confesseur et le fit selon sa promesse.
» Un jour donc, m'ayant apparu en ange de lumière, il me tint ce discours : « Je t'avais tant de fois avertie de prendre garde. Tu te confiesen un misérable qui, sous prétexte de dévotion et de soulager tes peines, te veut attirer à un sale et vilain amour. Ah! le dissimulé confesseur! il n'ose te découvrir sa folle et méchante pas-sion, car il ne sera pas bien reçu; mais il se sert de son art magique pour empêcher le bien de son âme, et toutes les fois qu'il te donne la communion, il te donne un charme d'amour très sale; considère l'hostie qu'il te donne, et tu verras qu'elle est écrite en rouge par dessous ; c'est lui, n'en doute plus, qui, par sa magie, te
donne horreur du saint sacrement, et te procure toutes les pensées qui t'affligent_____
Ah! l'impie et abominable hypocrite, qui t'a pervertie et perdue par le charme et l'artifice de son art magique ! »
» Ainsi, demi-persuadée, et incroyablement embarrassée, je m'en allai au parloir voir notre père, à qui je celai le discours de l'hostie marquée: je voulais voir si cela était vrai; je me présentai pour communier, comme les autres religieuses, pensant le surprendre, et j'aperçus à la sainte hostie tout ce que l'ange m'avait dit. Cela m'étonna fort, je ne voulus pas la recevoir quoi que l'on pût dire.
» Après la messe, je fus au confessionnal trouver notre père; je lui racontai tout ce que cet ange m'en avait dit. Il demeura tout étonné, et ne savait que me dire sinon qu'il me réphqua : « Ma fille,vous savez qui je suis et qui sont mes parents; je vous laisse à penser quel sujet j'aurais eu qui m'aurait pu induire à être si lïiisérable. » Vous connaissez ma vie, ai-je jamais donné mauvais exemple? Il ap-porta d'autres raisons qui me firent croire le contraire de cette illusion diabolique, puis il me dit : Venez communier, je vous montrerai toutes les hosties l'une après l'autre et je vous donnerai celle que vous voudrez; ï ce qui fut fait, et je commu-niai, fort paisiblement et avec grande satisfaction
t Une autrefois, comme j'étais au chœur pour communier, je vis le diable en forme fort horrible qui me cUt : « J'ai commandement exprès de ton père confesseur de me mettre dans l'hostie qu'il te doit donner, afin de posséder ton cœur et le ré-duire entièrement à ma volonté, car je suis son dieu et je serai aussi le tien, et pour marque que ce que je dis est vrai, je serai à une partie de l'hostie, et celte partie te paraîtra infailliblement noire. » Cela arriva comme il avait dit, et notre père eut bien de la peine à me communier, il me montra bien vingt hosties, et toutes me paraissaient à moitié noires. A la fin, je produis des actes de confiance et d'amour de Dieu, puis je communiai; il me prit un tremblement fort grand, qui me dura bien une demi-heure, puis je demeurai libre et en repos. »
« Un jour, ajoute quelque part Borsoger, ce faux ange lui fit voir un grand et horrible fantôme, une autre fois un gros et vilain diable de forme terrible, de même qu'un homme qui avait la tête d'un éléphant, dont la trompe était de feu, qu'il élançait avec une puanteur intolérable,et ce monstre rugissant comme un lion criait à la fille : Ça, ça, tu es à moi, l'ange du Seigneur t'a abandonnée et m'a commandé de l'engloutir... Une nuit après, le diable, en la même figure, vint à elle hurlant, volant et disant: «Voici l'heure venue... » Tantôt d lui apparut ea une bê:e... beaucoup plus grande qu'un cheval qui jetait feu et flammes parla gueule, volant, rugissant et criant : « C'est à ce coup que je te réduirai en poudre, car lu es à moi ; » et tantôt dans un furieux éclat de tonnerre qui ébranla toute la maison et qui fut suivi d'une foudre et d'un tourbillon de feu qui entra par la fenêtre et remplit toute la cellule de cette affligée, la renversant par terre avec un terrible effroi sans la blesser. Enfin c'étaient bien les plus furieux cris et hurle-ments en l'air que jamais ait pu supporter créature humaine i. »
La perversion des sentiments, la perte de toute pudeur et de toute di-gnité morale, que nous avons signalées plus haut comme des caractères fréquents du délire hystérique, faisaient la stupéfaction des contemporains de la possession. On ne pouvait croire, sans faire intervenir une influence diabolique, tant de bassesse et tant de noirceur susceptible d'entrer dans l'âme de jeunes femmes de bonne éducation, vouées par goût à la vie reli-gieuse et pour la plupart appartenant par leur famille au meilleur monde. Aussi les exorcistes puisaient-ils là des preuves en faveur de la possession.
1. Bosroger, loc. cit. édit. in-12. p. 145 et suivantes (cité par Calmeil, loc. cit.).
«..... Il y a environ quinze filles religieuses clans le couveot de Louviers, dit un
des défenseurs de la possession, qui se disent depuis sept ou huit mois grande-ment travaillées des démons, intérieurement, et de la vie et mœurs desquelles toutes les autres religieuses du même couvent, non travaillées, rendent de grands témoignages de sagesse, d'ingénuité, et de piété. Et jusquedà même que, dans la confrontation que l'on a faite d'elles avec une autre fille, qui a demeuré depuis plu-sieurs mois avec elles, dans le même couvent, et qui a été par elles accusée de magie, et de les avoir maléficiées, cette prétendue magicienne n'a rien eu à leur reprocher, mais au contraire les a toutes reconnues pour très dignes religieuses, comme il se voit encore à présent dans le procès qui en a été fait; et telles qu'aussi elles paraissent encore maintenant durant leurs intervalles à tous ceux qui les considèrent, et particulièrement à ceux qui gouvernent leurs conscieoces, et en-tr'autres à ces messieurs ecclésiastiques sus-nommés, envoyés par Sa Majesté, qui joignirent à leur examen extérieur, celui de l'intérieur de toutes ces filles, en les confessant durant tout le temps qu'ils furent à Louviers, selon la prière que leur en fit Mgr l'évêque d'Évieux. Le second fait est : que ces quinze filles témoi-gnent maintenant, dans le temps de leur communion, une horreur étrange du saint sacrement, lui font la grimace, lui tirent la langue, crachent contre lui, et le blasphèment avec une apparente impiété extrême. Le troisième est: qu'elles blas-phèment et renient Dieu plus de cent fois le jour, avec une audace et impudence incroyables.
» ..... Parmi ces quinze filles, il y en a trois des plus célèbres, que l'on exorcise
contumièrement, et qui durant les exorcismes font voir aux personnes qui con-naissent le naturel des démons par la lecture des écritures saintes, un naturel tout pareil à celui-là, par mille ruses, fourberies, mensonges, hypocrisies, inquié-tudes continuelles, rages et fureurs étranges.....^ »
La scène suivante, racontée par un auteur égaletneiit convaincu de la réa-lité de la possession est bien marquée au coin de l'extravagance hystérique :
« Pensant partir ce matin j'eus la pensée de célébrer la sainte messe à la cha-pelle de Lorette, où une parde des possédées vinrent l'entendre. Pendant laquelle elles ne firent que se plaindre et maudire cehd qui m'avait donné l'inspiration de la dire. « De quoi l'es-tu avisé, chien, criaient-elles tout haut, nous pensions bien que tut'en irais sans dire la messe, en cette chienne de chapelle, qui nousfait enrager.» Elles venaient me tirailler parle bas de mon aube, par la chasuble ; disaient : « 11 n'y a pas moyen de le faire rire ce chien, il est trop attentif à ce qu'il fait » ; proférant les paroles sacramentelles criaient : « Ces chiennes de paroles nous font enrager, dis-en d'autres. » Deux ou trois passèrent derrière l'autel, et me regardaient en face, car la séparation n'est que d'un châssis, en sorte qu'on voit à travers, elles faisaient mille singeries et s'avisaient de mille exti-avagances. Pour vous avouer franche-ment. Madame^, j'eus bien de la peine à m'empêcher de rire, et je ne pus si bien faire, qu'après la sainte communion (continuant leur artifice, disant, il est de belle humeur, et d'une nature riante, il rira, et riaient les premières) qu'elles n'eussent quelque prise sur moi, car j'eus beaucoup de peine à achever la messe, ayant devant et derrière ces démons qui me tentaient, en sorte que je n'osais me tourner pour ne pas commettre par faiblesse quelque indécence. Enfin, la messe achevée, je voulus faire une pénitence publique des distractions que j'avais eues, et des fra-gilités où j'étais tombé par leur industrie, je m'en confessai publiquement à M. le
1. La deffense de la vérité touchant la possession des Religieuses de Louviers, par M. Jean Le Breton, théologien. — A Evreux, de l'impriiacrie episcopale de Nicolas tlaniilton, M.DC.XL.III, in 4» de 27 pages. (Réimpression de 1879. Rouen, p. 9 et 7.)
2. Ce récit est adressé à la reine.
uicuer. 42
pénitencier ; j'en fis aussi la pénitence publique, après laquelle je m'adressai à tous ces démons, leur commandai de venir satisfaire à Dieu de leur insolence, et de la mauvaise édification dont ils avaient été cause, ce qu'ils refusèrent de faire l'espace d'une demi-heure, disant que c'était leur propre de tenter les hommes, qu'ils avaient pouvoir sur les sens, et qu'ils n'avaient fait que ce qu'ils avaient dû; nonobstant je les pressai de rechef, et par la présence du Corps et Sang précieux de Jésus, ds vinrent fondre à mes pieds, se prosternèrent en terre, la baisèrent par commandement, et demandèrent pardon. ^ »
Le prêtre qui se trouvait ainsi en but aux taquineries des démons avait bien quelques droits à leur attention. Il était le successeur du P. Bernard, ancien directeur spirituel des religieuses, mort en odeur de sainteté. M. Le Gauffre (c'était son nom) fut envoyé à Louviers par la reine régente pour prendre connaissance des événements qui s'y passaient. Il a laissé de son voyage une relation fort curieuse à lire aujourd'hui, adressée à Sa Majesté, et dans laquelle il raconte, jour par jour, tout ce qui lui est arrivé avec une ingénuité qui met sa bonne foi au-dessus de tout soupçon.
Je consignerai ici le récit de sa première entrevue avec les religieuses. On y trouve une scène remarquable de délire hystérique.
A son arrivée au monastère, M. le Gauffre trouva porte close. Les ordres de monseigneur l'évêque d'Évreux défendaient expressément d'y laisser entrer personne.
(( Néanmoins il (M. le pénitencier) s'avisa d'envoyer promptement à niondit sei-gaeur d'blvreux lui demander permission. Cependant ne croyant pas contrevenir à ses ordres, l'après-dinée d me conduisit à une petite grille où il fit venir la mère supérieure avec sœur Marie du Saint-Sacrement possédée du démon Putifar. Mon-ieur le pénitencier lui demanda si elle était paisible, elle répondit qu'oui. En même temps je lui présentai une image de la sainte Vierge, où était l'oraison du Memorare, qu'elle refusa avec mépris, et témoigna y avoir une grande aversion, car passant les bras au travers de la grille pour la déchirer, ce démon commença à l'agiter extraordinairement, disant : « Je n'ai que faire de ces bigoteries-là, moi, je ne me soucie point de cela, ce sont des niaiseries de ces petits hommes », et rouillant les yeux et tirant une langue noire comme de l'encre, s'adressa à moi, et me dit : « Tu eusses bien mieux fait, chien de prêtre, de demeurer à convertir les petits hommes, que de venir ici nous tourmenter » ; et faisant des gestes effroyables, voulait s'enfuir, mais fut retenu par mondit sieur le pénitencier qui lui commanda de demeurer; elle lui dit : « Laisse-moi aller, chien de pénitencier, je ne saurais plus de-meurer auprès de ces bigots-là, je ne les saurais souffrir » ; et en se débattant étran-gement, mettait les pieds contre la grille, se renversait sur le dos, la tête en bas, sans toutefois découvrir la fille, puis retournant la tête s'approchait de ladite grdie, ouvrant la bouche démesurément, la mordait et la serrait de telle façon qu'on ne pouvait la détacher; je commençai à le mépriser, l'appelant infâme, mot qui le fit enrager, car aussitôt il répartit : « Qui nous a amené ici ce chien de prêtre, ce chien de successeur du pére Bernard, c'est un chien que nous n'avons point voulu ; tu
1, Récit véritable de ce qui s'est fait et passé aux exoreismes de plusieurs religieuses de ta ville de Louviers, en présence de Monsieur le pénitencier d'Evreux et de M Je Gauffre. — A Paris, chez Gervais Alliot, au palais, près la chapelle Saint-Michel, M^DC.XLII) avec per-mission, in-12 de 107 pages. (Réimpression de 1879 Rouen, p. 24)
eusses bien mieux fait, chieu, de demeurer enta première condition que Dieu t'avait donnée, sans changer ta vie comme tu as fait; que tu es niais de t'occuper à toutes ces bigoteries, qu'avais-tu à faire de venir ici, quel dessein as-tu, chien de prêtre ? » Je lui répondis : « J'y suis venu pour apprendre de toi l'humilité en voyant ta su-perbe. » Le démon repartit : « 0 que ces petits hommes sont ignorants! ô qu'ils sont niais ! ds pensent en faisant des bigoteries s'humdier, mais ds sont bien trompés, car n'étant que boue et poussière, oîi peuvent-ils se mettre plus bas ? mais moi qui ne suis point d'une nature si ravalée, je veux être grand. » En même temps arriva la sœur Anne de la Nativité, possédée du démon Léviatam, avec un visage furieux, jurant et disant plusieurs saletés, s'adressant à moi : « Oui t'a fait venir ici, chieu de prêtre, si je te tenais je t'apprendrais à nous venir tourmenter, » et s'approchant de la grille s'efforçait de la rompre, grinçant les dents, et passant les mains au travers, me voulait frapper, et disait: «Qui t'a fait venir?» Je lui dis d'un ton de voix assez méprisant : « Va infâme démon, tu souffriras à jamais les peines éternelles de ton orgued. » Leviatam ne pouvant souffrir ce discours, s'enfuit, et dit en criant : « .Je ne saurais écouter ce chien-là, c'est le successeur du père Bernard, ce chien qui nous fait tant de peines. » Entre ensuite la sœur Marie du Saint-Esprit, possédée du démon Dagon, avec des gestes superbes, une teste éventé, les bras ouverts, et une démarche présomptueuse, me disant : « Bonjour, mon-sieur le Gauffre, je ne te saurais voir ni souffrir, » et en se retirant criait : « C'est monsieur le Gauff're. » Putifar voulait se retirer aussi, mais M. le pénitencier le retint avec deux doigts par la ceinture, d se débattait étrangement, tirant la langue ; et se renversant sur le dos, disait : « Voici une malheureuse maison, on n'y voit que des bigots, voilà quatre bons chiens de bigots, qui nous a fait venir ces bigots ». Et étant tombé par terre, criait d'une voix etTroyable : « Haye, baye, liaye, que ces bigots-là me font souffrir, » frappant des pieds et des mains contre terre, faisant un bruit épouvantable ; et en se relevant un peu la tête, disait : « Je résisterai à celui d'en haut, je veux être grand moi, je ne ferai rien volontairement, je suis gaillard, je me rebellerai. » Je lui dis : « 0 infâme! tu sentiras bientôt la peine de ta rébellion.» Au môme temps il retomba, et d'une voix lamentable disait : « Haye, baye, baye. » On le laissa en cet état pour aller faire l'exorcisme, où je n'entrai pas ce jourdà, ni le suivant, parce que la permission de Mgr l'évêque d'Evreux n'était pas encore arrivée *. »
J'ajouterai aux citations qui précèdent le récit de ce que les médecins de Rouen, à la prière de messieurs les Commissaires députés par le roi sur ce sujet, ont « reconnu et vu aux religieuses de Louviers ». On soumet à leur examen cinq des fdles prétendues possédées.
Les deux premières qui paraissent d'abord absoluutent saines d'esprit et de corps tombent en attaque pentlant l'examen médical. Il semble que l'on puisse attribuer les attaques de la troisième à l'attouchement d'un point hys-térogène. Enfin des deux autres qui, au moment de l'examen, étaient déjà sous le coup d'une excitation cérébrale présentant tous les caractères du délire hystérique, l'une offre un bel exemple d'attaque de contorsion avec attitude de Varc de cercle, et l'autre se livre à une série d'extravagances qui portent bien le cachet de la grande névrose.
« ... Hs (les médecins) arrivèrent à Louviers le premier jour de septembre à trois heures après midi, et entrèrent aussitôt dans le monastère de Saint-Louis
1. Récit véritable de ce qui s'est fait et passé....., etc. (Réimpression de 1879. Rouen,
p. 2 et 3.)
où les attendaient MM. les Illustrissimes Archevêque de Toulouse et l'Evêque d'Evreux, les sieurs de Morangis et de Montchal Conseillers d'Etat et Maîtres des Requêtes, MM. Charton, Docteur de Sorbonne et Pénitencier de Notre-Dame de Paris, Martineau, Chanoine de ladite Eglise et Docteur en Théologie, Billard, Curé de Vernon, deux pères jésuites le révérend père Ragon, Recteur de Rouen et le père Pigneran, deux capucins, le révérend père Esprit du Boscroger, gardien du couvent de Rouen, et le père Ignace et beaucoup d'autres ecclésiastiques séculiers, tous gens d'honneur, de probité et de suffisance ^
» On leur fit voir cinq religieuses l'une après f autre et à loisir, trois desquelles semblaient être hors de leurs accès et de toute sorte d'agitation, et les autres non entièrement libres et maîtresses de soi; ils considérèrent ces trois premières sépa-rément pour prendre une plus exacte connaissance de leur constitution et de l'état présent de leur santé et trouvèrent à toutes la façon et le geste modeste, l'esprit tranqudle, le discours bon et raisonnable, et après avoir vu leur visage, les yeux, la langue, l'habitude, touché le pouls et pris garde soigneusement à tous les signes qui servent à reconnaître la santé et les maladies, et y mettre les diffé-rences nécessaires, firent dès lors un jugement certain qu'ils ne reconnaissaient en aucune d'elles aucun signe d'indisposition naturelle pour légère et peu consi-dérable qu'elle peut être : mais cette « bonace » ne dura pas longtemps car bientôt après deux d'entr'elles commencèrent à changer de visage, tourner les yeux, sou-pirer, faire des grimaces, ensuite dire des injures, des saletés, des blasphèmes, puis des airs et des chansons, se jeter par terre, se battre la tête avec telle vio-lence qu'elle eût été capable de faire fente et contrefente, tomber en convulsion et y faire des mouvements, les uns d'une sorte, les autres d'une autre, et tous étranges et peu ordinaires, elles furent chacune d'elles un grand quart d'heure en toutes ces agitations, où les unes semblaient assez émues en f attouchemene de leur pouls, les autres peu, et toutes moins qu'elles ne devaient être raisonna-blement après de si grands efforts, et sitôt que par la force des exorcismes, des prières, des reliques des saints et des autres remèdes (dont ces messieurs se ser-virent en cette occurrence) elles furent délivrées de cette vexation, elles parurent gaies, saines, vigoureuses sans ressentiment de lassitude, sans perdre d'appétit sans faire paraître aucune marque de faiblesse ou d'altération, ce que les méde-cins observèrent avec admiration.
)) Pendant le temps comme la troisième, qui était sœur Louise de Pinterville pos-sédée par Arphaxat, parlait encore raisonnablement et avec toute modestie aux médecins en présence de monsieur d'Evreux, ledit sieur Evêque lui ayant fait le signe de la croix en derrière, sur l'épaule droite sans qu'elle pût ni le voir ni s'en apercevoir ^, elle commença à « rouiller » les yeux, devenir furieuse, dire quantité d'exécrations et faire les mêmes ou peu dissemblables actions qu'avaient fait les autres, ce qui fut soigneusement remarqué.
» Pour les deux autres, qui étaient presque toujours travaillées du mauvais esprit quoique inégalement et par vicissitudes différentes, et qui pour lors étaient encore en quelque sorte agitées parlant sans cesse, et par extravagance, d'abord qu'elles entrèrent dans le réfectoire où étaient les médecins qu'elles n'avaient jamais vus ni connus, l'une d'elles commença à leur dire : « Te voilà l'Emperiere et toi Maignart vous êtes d'habiles gens ma foi de venir pour guérir les diables, vous y gagnerez beaucoup, vous n'êtes pas assez savants pour cela, nargue pour vous et pour votre médecine. » Eux sans s'étonner de cette boutade l'envisagèrent très soigneusement (c'était sœur Barbe de Saint-Michel possédée par Ansitif, Idle puissante, ramassée, bien colorée, de bonne habitude, grosse et grasse) et reconnurent par tous les
1. Cette éminiération montre assez à quelle épreuve était soumise l'imagination de ces pauvres filles.
2. Ne pourrait-on voir là l'action de l'attouchcmeiit d'un point liystérogène ?
signes qu'ils y purent remarquer, qu'il n'y avait en elle aucune apparence de ma-ladie ordinaire, considéré même qu'étant travaillée depuis un long temps et pres-que sans intervalle, il ne serait pas possible qu'on ne lui vît quelque accident de jaunisse, de pâleur, d'exténuation, de faiblesse et d'autres semblables etfets d'un mal violent comme le sien, car au même instant ou peu après elle tomba dans des con-vulsions violentes, et peu communes, portant tout le corps élevé on voûte et en arcade sur le derrière de la tête et sur l'extrémité des talons, les bras tendus en l'air et les extrémités des doigts, des mains et des pieds recourbées les unes en dedans comme un cranapon, les autres en derrière contre la nature de cette articu-lation. Et ce qui semble de plus admirable, ce fut qu'en celte posture elle ne laissa pas de rouler sur le plancher, parler, crier, jetant en outre par les parties infé-rieures toute sorte d'excréments tant inutdes que nécessaires, et quelque temps après comme ces efforts furent modérés et relâchés, elle se releva en un moment, et parut comme devant saine et gaillarde, mais pourtant toujours l'esprit un peu en « escharpe ».
» La dernière, qui était sœur Marie du Saint-Esprit prétendue possédée par Dagon, grande fdle et de belle taide un peu plus maigre, mais sans mauvais teint ni au-cune sorte de maladie, entra dans le mêmeréfecloire devant ces messieurs le visa^-e droit sans arrêter ses yeux, et les tournant d'un côté ou d'un autre, chantant, sautant et frappant doucement, qui l'un qui l'autre, et ensuite en se pourmenant toujours, parla en termes très élégants et signiticatifs du contentement qu'd avait (parlant en la personne du diable) de sa condition et de l'excellence de sa nature, qu'd était ange d'une hiérarchie très élevée, qn'd était prince, qu'il commandait et disposait de la plus grande partie du monde, que ses connaissances étaient grandes, sublimes et profondes, et surtout qu'il avait l'honneur et la gloire défaire la guerre à Dieu et qu'il l'a lui ferait jusques â l'éternité, et disait tout cela en marchant avec une contenance arrogante, et le geste semblable; ensuite il com-mença à entrer en furie et proférer quantité de blasphèmes, puis se prit à parler de sa petite Madeleine, sa bonne amie, sa mignonne et sa première maîtresse, et de là se lança dans un panneau de vitre la tête la première sans sauter et faire aucun effort et y passa tout le corps se tenant à une barre de fer qui faisait le milieu, et comme elle voulut repasser de l'autre côté de la vitre, on lui dt comman-dement en langage latin, ut in nomine Jesu rediret non per aliam sedper eamdem viani, ce qu'après avoir longuement contesté et dit qu'elle n'y rentrerait pas, elle le lit pourtant et rentra par le même passage, el aussitôt qu'elle fut revenue les médecins l'ayant considérée, touché le pouls et fait tirer la langue, ce qu'elle permit en raillant, et parlant d'autre chose, ils ne lui trouvèrent ni émotion telle qu'ils auraient cru devoir être, ni autre disposition conforme à la violence de tout ce qu'elle avait fait etdd; et sortit de cette sorte contant toujours quelque baga-telle et la compagnie se séparai... »
Les exorcismes se faisaient le plus souvent en commun, et l'imitation jouait alors un grand rôle dans la production des attaques convulsives. D'ailleurs les diables s'excitaient les uns les autres, soit par des menaces, soit par des paroles de forfanterie.
« Dagon, qui possédait la mère du Saint-Esprit, enrageant un jour, s'écria: « J'ai
1. Traité des marques des possédées et preuve de la véritable possession des religieuses de bouviers,par P. M. Esc. D. en il/. — A Rouen, chez Charles Osraont, en la grand'rue des Carmes,M.DC.XLIII., petit in-4 de lV-94 pages. (Attribué à Simon Piètre, sous les initiales de son beau-père, P. Marescot,écuyer, docteur en médecine.) (Réimpression de 1879. Rouen, p. 29 et suiv.)
tout perdu, cette chienne est plus forte que jamais,» et par grande fureur il la jeta par terre, lui fit mille contorsions et agitations, sur quoi, accourant comme les autres, pour la tenir, la sœur Marie de Jésus, possédée par Accaron, mais alors pleinement libre de son démon, Dagon cria à cette fille : « Si tu me tiens davantage et situ ne me laisses, diantre, j'appellerai Accaron...» Et comme... la fille ne voulut pas quitter cette action de charité, Dagon appela Accaron, et aussitôt la sœur de Jésus fut agitée et roulée furieusement par terre comme l'autre,..
» Unjourque les démons avaient eu de rudes commandements... Dagon qui avait rendu Madeleine Bavent magicienne... monta en une haute furie dans la chapelle de Lorette, produisant plusieurs blasphèmes, faisant plusieurs résistances et don-nant d'horriljles tourments et contorsions à la fille, jurant et protestant que jamais il n'obéirait... La sa:iur Marie de Jésus, se confessant librement alors, Accaron vint la posséder à l'instant, et avec ses hauts et puissants discours il encouragea Dagon et le piqua l'honneur sur sa force »
Les exemples de cette sorte seraient faciles à multiplier, le récit des exor-cismes en est rempli.
Aussi sous l'influence d'une semblable excitation, pour peu que les dia-bles fussent bien disposés, la chapelle devenait-elle le théâtre de scènes épouvantables qu'aujourd'hui nous avons peine à nous représenter.
« Le lendemain six heures du matin chacun se rassembla pour faire confesser et communier non seulement les cinq fdles dont il a été parlé, mais douze ou treize autres prétendues obsédées ou possédées du mauvais esprit; là il est certain que dans la chapefle on vit d'étranges choses, car ce ne furent qu'horribles exécrables blasphèmes contre Dieu et contre la Vierge, et particulièrement contre le saint sacrement, que chansons lascives, mouvements étranges de toute sorte de nature, convulsions, concussions, battements des pieds et des mains, cris, hurlements, exclamations, ris démesurés : bref, un tintamarre et une tefle confusion qu'on ne peut s'en imaginer de plus grande, chacune d'elles jouant son personnage et un rôle particulier sans connaissance et sans respect dans ce saint lieu où parmi tant et tel désordre, on ne laissa pas de dire la messe continueflement jusqu'à midi.
» Ce qui se passa de plus remarquable et qui fut observé par les médecins, fut que ladite sœur Barbe de Saint-Michel, dont nous avons déjà parlé, se battit la tête l'espace d'un quart d'heure entre deux chaires du chœur avec telle force et telle violence que probablement on eût cru qu'elle l'eût eue toute cassée, mais il se trouva puis après qu'elle ne s'était fait aucun mal.
» Sœur Marie du Saint-Esprit fit aussi quantité de choses exti^avagantes pour éviter la confession, et de la même sorte qu'elle avait fait au réfectoire le jour précédent, elle prit sans s'efforcer ni sauter, comme d'elle-même, et par une agilité extrême, la barre de fer de la vitre du chœur, élevée de quatre pieds au moins au-dessus d'elle, et passa dans le jardin par le panneau de ladite vitre, puis s'y relança deux ou trois'fois, et rentra enfin par la porte de la chapelle. Toutes les deux eurent de grandes répugnances, et ce ne fut pas sans contrainte qu'efles furent obligées à se confesser, etdavantage à communier, allant etvenant sans arrêt et crachant au nez du prêtre, disant en outre mille blasphèmes, imprécations, in-jures, faisant la mine, et se voulant atout moment jeter sur la sainte hostie.
» Et ce que nous disons de ces deux-ci nous le pouvons attester semblable et véritable de toutes les autres qui firent des peines extrêmes à tous les prêtres,
1. i^osroger, loc.cit., édit. in-12, p. 252 (cité par (lalmeil, loc. cit.. t. ii, p. lli).
pour recevoir l'un et l'autre de ces sacrements, toute l'assistance ne remarquant en elles aucunes différences, que du plus ou du moins en toutes ces dépravations et actions déréglées*. »
Nous avons décrit sous le nom d'attaque démoniaque une variété de la grande attaque hystérique qui prend sa source dans un développement inso-litedeladeuxièmepériode (grands mouvements et contorsions) (voy.p. 303).
On ne saurait en trouver une plus fidèle peinture que celle qu'en fait le capucin Esprit de Bosroger dans les passages suivants.
A côté de la violence inouïe des grands mouvements, nous retrouverons l'étrangeté et la variété infinie des contorsions parmi lesquelles Yarc de cercle ne manque pas d'être signalé.
« 0 bon Dieu! quels étonnants mouvements, quelles étranges contorsions, quels furieux roulements, tantôt en boule, tantôt en d'épouvantables figures! Quelles fréquentes et rudes convulsions en de si délicates créatures, et avec tant de réité-rations et de renforcement! L'on m'aura beaucoiqi persuadé je vous assure, quand je croirai que les hommes sensés et judicieux feront passer toutes ces convulsions pour maladie, et tous ces étranges mouvements et roulements pour gentillesses de bateleurs. Mais ce qui démonstrativement convainc tout esprit humain, et qui est entièrement sans réplique, et ce que hautement ont avoué tous les fameux médecins est ceci qu'd est du tout impossible que des convulsions, et de si terribles, arrivent naturrellement par maladie, durent si longtemps, reprennent si fréquemment et qu'elles soient sans lassitude après qu'elles sont passées, et qu'enfin elles ne dé-truisent pas le sujet... Et cependant nous voyons que ces filles sont saines, bien que depuis quatre ans elles aient souffert des convulsions de nuit et de jour et que trois ou quatre heures, pendant l'exorcisme, deux ans durant, elles aient subsisté en ces rages, contorsions, hurlements, cris et contentions de voix, et que d'autres fois, outre cela, elles aient ressenti le propre mouvement de leur démon trois ou quatre fois par jour ^. »
... « Les plus substils de ce temps, dit aideurs Bosroger,se trouveront, je m'as-sure,bien embarrassés eu leur discernement lorsque mdie personnesleur auront fait savoir qu'ordinairement les démons, après leurs contorsions et agitations, mettent ces filles ainsi tourmentées en arc de cercle, ce qu'ils pratiquent en leur appro-chant la tête en arrière contre les talons, et les faisant porter sur la face et sur la bouche, les bras raidement étendus, tellement que les reins s'arrondissent comme le dessous d'un arc. Ce qui arrive presque ci toutes, et très souvent, ce que nous avons vu plus particulièrement et plus parfaitement en la sœur de Saint-Laurent, traitée et pliée de la sorte par son démon Béhémot, laquede parfois est demeurée en arc accompli pendant une tieure, en deux ou trois reprises.
» Et non moins en la sœur du Sauveur, que possède Asmodée, qui parmi cent étrangers mouvements corporels s'est trouvée bien souvent toute pliée en arc par-fait, la tête contre les pieds jusque sur la bouche, et le ventre élevé en arcade, et y demeurer plusieurs fois des quarts et des demi-heures; voire et se jeter en cet état de toute sa hauteur et tout d'un coup. Une fois particulièrement en la présence de feu... l'évêque, nous vîmes cette pauvre fide, après une furieuse agitation de son démon... être debout, les reins plies en deux si fortement que l;i tète et le visage lui pendaient en arrière jusqu'au dessous de la moitié des jambes et assez proche
1. Traité des marques des possédés, etc., toc. cit., p. 32 et 33. • 2. Bosrog-er, loc. cit., (p. 233, cite par Calmeil, loc.cit., t. II, 109).
des talons, paraissant... de même qu'un mouchoir porté sur le doigt dont les deux extrémités seraient pendantes... chacune de leur côté.
)) ... La sœur Louise de l'Ascension, possédée par Orphaxat..., comme savent plusieurs, a été travaillée presque tous les jours, environ l'espace d'un an, des plus horribles contorsions et convulsions, et des plus furieux mouvements, de toutes sortes de renversement d'yeux, suspension des sens et de mille autres tour-ments, souvent deux ou trois heures par jour, pendant le temps de la confession et de la communion, de quoi la rage de son démon n'étant nullement assouvie, il l'a diverses fois mise en une posture étonnante, car il ne la faisait porter sur la terre que sur le flanc du côté gauche ou sur un côté du ventre de la largeur seulement de quatre pouces, et tout le reste du corps était en l'air, les deux bras étendus et courbés en arrière de bas en haut... la tête toute renversée sur le dos presque jus-qu'aux reins, comme l'on dépeint les sirènes, les pieds et lesjambes renversés tout de môme en arrière et proches delà tête, sans que les genoux ni les cuisses, ni le ventre, ni l'estomac, ni aucune partie du corps, touchassent la terre, sinon le flanc gauche^
» Ilanlond, possédant la sœur Marie de Saint-Nicolas... voulant empêcher la fdle de se confesser au père Esprit, commença de la saisir avec violence et lui donner force contorsions et agitations. Il résiste fortement, il blasphème, il essaye, de retirer la fille, il la veut jeter par dessus un banc, lui plie la tête au dedans du chœur et la descend contrele plancher sans le toucher. Une fille vient pour lui sou-tenir la tête, la possédée est retenue seulement pour la décence par le petit bord de son habit, et ainsi elle ne se tient plus surlebanc quede la moitié des jambes...
»Dagon opérant sur la mère du Saint-Esprit plia une fois le corps de cette fide en trois plis, comme quand un gros serpent s'entortille la tête, et lui tourna tout le corps et l'estomac v(îrs le côté, comme une colonne torse, tordant lesjambes d'une autre forme de contorsion, et la tête repassant et retortillée par dessous les ais-selles, et se relevant beaucoup, ainsi que celle d'un serpent qui se lie comme en un peloton.
» Monseigneur l'archevêque de Toulouse entretenant la sœur du Sauveur, en présence de messieurs les assistants et du père Esprit, de choses de dévotion, et elle à genoux lui racontant se qui se passait en son intérieur, fort paisiblement, sans agitation, son démon, appelé Asmodée, vint inopinément en rage, se saisit de la fille, et la laissant appuyée seulement sur le talon du pied droit, il lui courbe tout le corps, et lui plie les reins, lui approchant la tête contre les talons, en arrière, à deux doigts proche de terre, sans que la tête y touchât aucunement, les bras raidement étendus de toute leur force, les épaules, ni le dos, ni aucune partie du corps ne touchant à terre... le pied gauche en l'air, haut, élevé... de sorte que tout ce corps demeura ainsi plié... quelque espace de temps, et en cet état le démon vomit force blasphèmes par la bouche de la fille »
Un autre auteur dépeint ainsi les convulsions.
« ... Durant ces fureurs et ces rages elles font d'étranges convulsions et contor-sions de leurs corps, et entre autres se courbent en arrière, en forme d'arc, sans y employer leurs mains, et en sorte que tout le corps est appuyé sur leur front autant ou plus que sur leurs pieds, et tout le reste est en l'air, et demeurent longtemps en cette posture, et la réitèrent sept ou iiuit fois : et après tous ces efforts (et raille autres, continués quelquefois quatre heures durant, principalement dans les exorcismos, et durant les plus chaudes après-dinées des jours caniculaires
1. Voy. la fi g'. 4G, dont l'attitude de la possédée ci-dessus décrite, n'est en somme que l'exagération.
2. IJosrogor, loc. cit., liv. II, ch. I, (cité parCalmeil, loc. cit. t. II, p. 110 et suiv.).
se sont au sortir de là trouvées aussi saines, aussi fraîches, aussi tempérées, et le pouls aussi haut et aussi égal, que si rien ne leur fut arrivé K »
A côté des attaques de convulsion on observe des attaques de délire, soit que celles-ci succèdent à celles-là, soit qu'elles se montrent indépendam-ment les unes des autres.
1. La défense de la vérité touchant la possession, etc., loc. cit., p. 8.
Dans la possession d'Auxonne qui suivit de dix années celles de Louviers, Varc de cercle et les grands mouvements sont ainsi décrits :
« Elles (les possédées) ont de grandes agitations de corps, qui ne se peuvent bien conce-voir que par ceux qui en sont témoins. Elles se donnent de grands coups de tête contre les murs et le pavé, de manière à faire frémir les assistants, et cela sans témoigner aucune douleur et sans qu'il paraisse ni sang, ni contusion.
» L'état du corps dans une posture extrêmement violente, se tenant droite sur les ge-noux pendant que la téke est renversée en arrière, à un pied environ du sol, de sorte que le corps a l'air d'être rompu, et rester dans cette posture sans branler.
» Les renversements de la tête en arnere jusque contre terre avec une promptitude mer-veilleuse, quelquefois jusqu'à trente ou quarante fois de suite devant et derrière, la fille demeurant à genoux et les bras croisés sur l'estomac, quelquefois, et dans le même état, la tête renversée tournant à l'entour du corps, et faisant comme un demi-cercle avec des efforts apparemment insupportables à la nature.
» Les convulsions horribles et universelles par tous les membres, accompagnées de hur-lements et de cris; quelquefois la frayeur sur le visage à la vue de certains fantômes ou spectres dont elles se disaient être menacées.
» Dans un changement si extraordinaire, et des traits si différents de leur nature, qu'elles imprimeraient la crainte dans l'âme des assistants, quelquefois avec une abon-dance de larmes que l'on ne pouvait arrêter, accompagnées de plaintes et de cris aigus; d'autres fois, la bouche extraordinairement ouverte, les yeux égarés et les prunelles ren-versées au point qu'il n'y paraissait plus que le blanc, tout le reste demeurant caché sous les paupières, mais retournant à leur naturel au simple commandement de l'exorciste assisté du signe de la croix.
» On les a vues renversées en arrière, en sorte que, touchant le pavé seulement du haut de la tète et de la plante des pieds, tout le reste demeurait en l'air tenu comme une table. EUes marchaient dans cet état sans le secours des mains, n {Manuscrit anonyme de la bibliothèque de l'Arsenal, cité par E. Mathieu, loc. ci/, p. 214.)
Dans un autre écrit touchant les mêmes possédées, il est dit « que parmi les mouve-ments et postures violentes dont elles sont agitées pendant l'exorcisme, quelques-unes ont paru si extraordinaires, qu'elles ont été jugées passer non-seulement le pouvoir d'une fille, mais encore les forces de la nature : que la sœur Borthon, dite de Saint-François, commandée d'adorer le saint sacrement, s'est prosternée touchant la terre de la pointe de l'estomac, la tête, les pieds, les mains aussi bien que le reste du corps portés en l'air; que la sœur de la Résurrection a fait la même chose; qu'elle y a paru quelquefois pros-ternée tout le corps plié comme un cercle, en sorte que la plante de ses pieds venait lui toucher au front: que les nommées Constance et Denise ont été vues quelquefois renversées contre terre, qu'elles touchaient seulement du sommet de la tète et de la plante des pieds, tout le reste du corps en l'air et marcher en cet état, que toutes ou presque toutes demeu-rant à genoux et les bras croisés sur l'estomac, se sont courbées en arrière, de sorte que le haut de la tête allait joindre la plante des pieds, la bouche venait baiser la terre et for-mer de la langue un signe de croix sur le pavé : que quelques-unes, entr'autres la sœur Catherine, dans l'exorcisme avait paru la tête renversée, les yeux ouverts, en sorte que la prunelle s'étant retirée absolument sous la paupière supérieure, on ne voyait que le blanc des yeux, perdant apparemment l'usage de la vue en ce moment, ce qui était effroyable à voir. » {Extrait du jugement de Nosseigneurs les archevêques, évèques, docteurs de Sor-bonne, et autres savants députés par le roi sur la prétendue possession des filles d'Auxonne.)
Près d'un siècle plus tard dans la paroisse de Landes, près de Rayeux, des filles pos-sédées présentaient de semblables agitations et se mettaient aussi en arc de cercle.
11 est dit dans la relation des faits qui concernent les filles de Bayeux : « Elles aboient
Le Gauffre rapporte l'exemple suivant :
« Arphaxat, qui par sa confession est le démon de la snporhc, empochait la fdle de communier, je le pris par les reliques du père Bernard, et a dit ceci en pré-sence du saint sacrement, d'un air et d'un geste superbe: « Ha! grand Dieu, tu me forces à m'humilier contre ma nature, je t'ai outragé par mes blasphèmes, ce m'est un déplaisir sensible qu'en présence de ces petits hommes je sois obligé à me ré-tracter, moi qui les induis tous à la superbe. C'est moi qui fomente les hérésies, qui donne du mépris de la religion, qui fais croire à ces huguenots qu'ils ont raison, qui sème les scrupules et les mescréances aux catholiques, qui enfle les cœurs de superbe, qui remplis l'Eglise de profanations : car il est vrai qu'il n'y a pas cent autels en France oîi l'on ne profane le corps de Jésus. » Et s'adressant à Monsieur l'abbé de Chandenier: «Ecoute, abbé, Dieu me force pour ton édification, toi qui es le dernier venu, à dire que ces petits bénéficiers se couvrent d'un grand manteau et du prétexte de servir Dieu, mais c'est pour avoir des bénéfices, ce sont nos amis : Dieu a permis que nous soyons en cette maison pour sa sanctification et pour l'in-struction des peuples; et quoique fon croie que les diables ne disent jamais que mensonges, il est vrai qu'ds ne disent rien que pour tromper et séduire les âmes : mais quand ils sont forcés de la part de Dieu, ils disent vérité : oui ils disent vérité. Il est venu ici de petits cadets de Paris par curiosité, mais ils n'ont rien vu ; nous eussions bien voulu qu'on eût laissé entrer tout le monde, ce nous eût été un divertissement et entretien; si Dieu nous donnait la liberté nous obsé-derions ces petits esprits qui sont venus ici pour se rire : il n'y a point à rire. » S'adressant â moi qui le pressais : « 0 que si tu voyais ce Dieu comme je le vois! et que si tu voyais ce Dieu dans sa justice, comloien tu fadorerais! Ces petits hommes ne le connaissent pas, il leur fait plus de grâces qu'ils ne méritent (il est tout prêt encore â mourir pour eux, et à ne rien faire pour nous : il enrageait et écumait disant cela). Oui on ne le respecte pas : car encore qu'il se soit humihé, c'est en cela que sa grandeur paraît, je le dis â ma confusion : une petite imper-fection arrivée dans les exorcismes et â une communion fortifie un diable pour six semaines. » Enfin pressé par les prières du père Bernard et de saint François i\ s'est humilié, a laissé la fille, qui a communié paisiblement, a entendu la messe, où elle a dit plusieurs choses dévotes^. y
Bosroger rapporte le trait que voici : « Le jour de la Pentecôte le même Dagon, continuant â posséder cette sœur, fut quatre bonnes heures dans la plus grande rébellion qu'on puisse imaginer, pour empêcher la fille de communier, et, pen-dant tout ce temps-lâ, il fit souffrir à la fille d'étranges contorsions, la jeta par terre plusieurs fois, lui fit faire cent bonds, cent courses autour de l'église; la fit pousser, choquer et renverser le monde, s'élancer et sauter sur les autels, tâcher â tout rompre, dire cent paroles d'insolence, demander à tout le peuple des ado-rations, mépriser Dieu avec d^s bravades et des rages inouïes, défier sa grandeur et sa puissance. Enfin, il lui fit dire cent blasphèmes horribles, le refrain ordi-naire du démon. Pendant cette rage, les exorcistes, voyant ce Dagon sur le grand autel demandant avec insolence qu'on fadorât, l'interpellèrent par des prières.
comme des chiens, mais une d'entre elles le fait avec tant de force et ressemblance aux plus gros chiens, qu'on aurait de la peine à distinguer ses aboiements des leurs, si on n'en était pas témoin ou qu'elle soit pour lors souvent tombée en syncope (dans le somnambu-lisme), le corps renversé en arrière et en arc; et que les médecins qui en ont été témoins ont regardé comme une chose extraordinaire, et qui le paraît en effet, d'autant plus que leur corps est pour lors dans une contrainte extrême et qu'elles sont privées de tout usage de la raison et des sens. » {Le pour et contre de la possession des filles de la paroisse de Landes, diocèse de Barjeux. m.dcg.xxxviii, p. 30.)
1. Récit véritable de ce qui s'est fait, etc. toc. cit. p. 18 et 19.
Comme si ce démon eût été frappé d'un coup de foudre, il tomba par terre jusque contre le balustre, sur la face, à plus de quatre ou cinq pas de l'autel K »
La scène suivante se rapproche du somnambulisme,
« Le même Dagon fit grimper cette soîur par le moyen de quelques vieux bois, sur une muraille de dix pieds de hauteur, et l'ayant menée sur ladite muraille en un lieu où il n'y avait plus moyen de descendre, n'y ayant ni échelle ni autres choses pour cela; après que longtemps plusieurs fdles eurent prié la possédée de s'avancer sur le mur vers un lieu où elle pourrait revenir à elles sans péril, et qu'un exorciste qui étad accouru lui en eut fait commandement, et pour mieux forcer le démon eut aussi commencé à genoux à dire le chapelet, Dagon s'écria en grande furie : «Diantre, si tu ne cesses le chapelet, je te jetterai cette chienne à bas ; » et aussitôt, lui laissant voir le perd où elle était, il lui en donna un grand effroi et la fit tomber du haut de cette muraille sur des pierres et des tudes qui étaient là; et cependant elle fut tellement préservée qu'elle n'eut aucune lésion ni bles-sure en tout son corps, mais seulement pour quelque temps uu peu d'effroi et d'étourdissement ^. »
Un des buts des exorcismes était de faire parler le diable, afin d'obtenir de lui la révélation des (( charmes » apportés par lui et qui, cachés dans diffé-rents endroits du couvent, entretenaient, croyait-on, la possession. Mais les diables n'étaient pas toujours disposés à répondre, ou bien ils se livraient à d'interminables divagations.
Les exorcistes échouaient parfois dans leurs tentatives, et ne pouvaient vaincre ce que nous appelons aujourd'hui le mutisme hystérique.
« Ensuite, dit le Gauffre, fut amenée la sœur Anne de la Nativité possédée du démon Léviatam, qui ne voulut point répondre, quelques conjurations qu'on lui put faire, disant : « Je ne répondrai point à ces chiens de prêtres, je veux avoir des évoques, moi, je ne dirai mot si je ne vois des évoques; » et ne voulut jamais ré-pondre, l'ayant abandonnée il s'enfuit chantant et sautant d'aise^. »
Par contre, il arrivait parfois que, sans être interrogés, les diables forçaient les exorcistes à les écouter, prétendant leur révéler les choses les plus importantes :
« Après cet exorcisme, Grongat qui avait déclaré avoir encore quelque chose à me dire (c'est le môme auteur qui parle), me suivit jusques auprès du grand autel, se plaignant qu'il m'attendait il y avait longtemps; qu'il était sorti six fois, et avait été forcé de revenir me parler pour me dire les volontés de Mariette ; je le conjurai de dépêcher promptement, parce que je faisais état de partir ce jour-là; il commença en cette sorte : « Ecoute, je le déclare que la sainte Vierge qui t'a con-duit ici n'est pas encore satisfaite de ce que tu y as fait, mais qu'elle attend que tu y reviennes pour voir terminer cette affaire, elle veut que tu sois confesseur,
1. Bosrogcr, loc. cit.. édit. in-12, p. 2iG (cité par Calmeil, loc. cit., t. II. p. 105).
2. Rosrogcr, loc. cit., p. 242-243 (cité par Calmcil, loc. cit. p. 107).
3. Récit véritable de ce qui s'est passé, etc. loc, cit. p. 7,
afin que sachant l'intérieur de ces filles et leur innocence lorsqu'elles seront dé-livrées par son moyen, toi, qui es personne publique, tu la puisses publier et faire connaître à tout le monde : oui, je te dis qu'elle veut que tu sois confesseur. » Comme je faisais semblant de ne pas concevoir ce discours, j'appelai M. le Péni-tencier pour yêtre présent, et dis à ce démon : « Va, tu ne sais ce que tu veux dire je ne comprends pas cela; si tu as à me faire savoir quelque chose parle plus clai-rement, » et lui tournais le dos par forme de mépris, et à dessein de m'en aller promptement. Ce démon (chose admirable, au lieu qu'il faut presser les autres de parler, nous forçait à l'entendre, comme étant expressément chargé de me dire ceci) commença d'une voix claire et nette : «Je te dis encore un coup de la part de la Vierge, qu'elle veut que tu reviennes en cette maison pour confesser ces reli-gieuses, afin que tu saches et apprennes voyant le fond de leur âme, que ce n'a pas été par leur faute et par punition que nous avons été envoyés ici; je lui répli-quai que je n'en croyais rien, parce que je n'étais pas capable de confesser ne l'ayant jamais fait, et même le père Bernard ne s'en étant pas mêlé de son vivant; il me répondit, ne te mets pas en peine, la sainte Vierge te donnera toutes les con-ditions nécessaires pour cela; je le jure sur le saint sacrement de l'autel, et sur tous les attributs divins; je ne t'en dis pas davantage, va-t'en maintenant, tu ap-prendras sur le tombeau de ton père Bernard tout ce que tu dois faire pour cette maison ^ »
En outre des attaques de délire, nous trouvons signalés en divers passages les accès de léthargie, de catalepsie et d'extase. L'attaque de léthargie est ainsi décrite par Le Breton :
« ... Il y en a parmi elles qui se pâment et s'évanouissent durant les exorcismes comme â leur gré, et en telle sorte que leur pâmoison commence lorsqu'elles ont le visage le plus enflammé, et le pouls le plus fort; et durant cet évanouissement qui dure quelquefois demi-heure et plus, l'on ne peut remarquer ni de l'œil, ni de la main, aucune respiration en elles. Et elles reviennent de cet évanouissement sans que l'on y emploie aucun remède, et d'une façon encore plus merveilleuse que n'en a été l'entrée; car c'est enremuant premièrement l'orteil, et puis le pied, et puis la jambe, et puis la cuisse, et puis le ventre, et puis la poitrine, et puis la gorge ; mais ces trois derniers, par un grand mouvement de dUatation ; et tous ces sept mouvements produits et entresuivis en aussi peu de temps, que l'on en met-trait à réciter l'Ave Maria; le visage demeurant cependant toujours apparemment interdit de tout ses sens, lesquels enfin il reprend tout à coup en grimaçant et hurlant, et la religieuse retournant en même temps, ses violentes agitations, et contorsions précédentes ^. »
Dans l'exemple suivant il y avait conservation partielle des sens :
« Le diable Gonsang (c'est Bosroger qui parle) mit une fois la sœur de saint Au-gustin en une horrible suspension de tous ses sens, par l'espace de six heures; sur quoi, après plusieurs prières, un des assistants de monseigneur l'évêque d'Evreux et le père Esprit commandèrent à ce démon de la part de Dieu de laisser â la fille l'ouïe hbre... et qu'ehe leur en donnât un signe en leur serrant la main. H fut donc forcé d'obéir â l'uistant... Ils lui dirent qu'au fond de son cœur elle consentît... à
1. Récit véritable, etc., loc. cit., p. 33 et 34,
2. La défense de la vérité touchant ta possession, etc.. loc. cit., p. 8.
un vœu qu'ils allaient faire pour elle. Elle donc consentit aussitôt et leur en donna le signe en leur serrant la main, et à l'instant le démon cessa cette furieuse sus-pension des sens, sur les cinq ou six heures du soir, et jura qu'il pensait la pro-longer jusqu'à minuit, mais que le vœu avait rompu cette impression K »
Le passage suivant a bien trait à une véritable attaque de contracture géné-ralisée :
«... Cependant celle qui avait deux diables en son corps tomba toute roide sur le plancher, les bras et les pieds étendus, les extrémités des uns et des autres re-tirés, rentrés et recourbés en dedans, sans connaissance et sans sentiment, le pouls fort et puissant, la face colorée, les yeux fermés, et les médecins disaient que c'était une égale convulsion et distension de toutes les parties du corps, qu'ils ap-pelaient tetanus où toutes les fibres des muscles et leurs « apaneuuroses » ou in-sertions de nerfs sont également retirées et tendues et partant immobdes ^. »
Dans d'autres accès d'assoupissement la résolution musculaire est expres-sément signalée.
« Putifar répondit : « Ha, chien de Dagon, je suis pire que toi, laisse-moi, chien : » Et au même temps entra dans un assoupissement étrange, les yeux fermés, le corps sans aucun mouvement et comme sans vie : on lui remuait les bras comme si c'etît été de la laine, et demeura ainsi une heure ou plus 'K »
Dans un autre exorcisme rapporté par le même auteur, on retrouve le même état décrit avec les mêmes expressions.
«... Elle (la religieuse possédée par le démon Cismond) était par terre dans un assoupissement étrange; ayant les yeux fermés sans aucun mouvement, on lui re-muait les bras et les jambes comme si c'eût été de la laine, et n'en pouvait-on tirer aucun mot. Le diable la retenait en cet état pour empêcher sa confession »
Enfin l'attitude extatique est signalée à diverses reprises.
Pendant l'exorcisme du dimanche de la fête de saint François il est dit : «... Puis n'a plus dit mot (en parlant du diable Putifar) et la fille est de-meurée comme en extase, la tête panchée toute plate... et avait le visage fort agréable... »
L'exorcisme du 19 mars 1645, pendant lequel Léviatam a été exorcisé par M. le pénitencier d'Evreux, s'est terminé par une attitude extatique. «.. Après l'exorcisme fait, la fille est tombée en extase, les mains élevées en haut; et' l'on dit le Magnificat, durant quoi, la fille est revenue comme d'un profond sommeil . »
1. Bosrogcr, loc. cit., p. 264. édit. in-4ocité par Calmeil, loe. cit., p.
2. Traité des marques des possédées, toc cit. p. 34.
3. Récit véritable sur ce qui s'est fait, etc., p. 15.
4. Ibid., p. 4.
5. Le Gauffre, loc. cit., p. 23.
Q. Pièces détacliées extraites du manuscrit IL F., n" 34, de la bibliothèque Sainte-Gène^ viève. (Réimpression, Rouen, 1879, p. 35.)
HYSÏÉKO-DÉjyONOl'ATHIE t)E MORZINES, 1861
Morzines^ est une pauvre commune du département de la Haute-Savoie, Population de 2000 âmes. Des communications fort difficiles laissent ce pays perdu au milieu des montagnes dans un isolement à peu près com-plet, dont les habitants ont beaucoup à souffrir au physique comme au moral. Ils sont tous pauvres et se nourrissent mal. La constitution prédominante est lymphatico-nerveuse. L'hystérie est très commune, comme dans toute la Sa-voie, et l'aliénation fréquente. D'une intelligence bornée, fort peu déve-loppée par l'instruction (c'est à peine si un dixième de la population sait lire et écrire) les habitants sont d'ailleurs doux et honnêtes. Ils sont d'une grande piété, mêlée d'une foule de croyances absurdes. Très portés vers le mer-veilleux, ils aiment les contes des siècles passés et les histoires fantastiques.
Vers le mois de mars 1857, des accidents d'apparences extraordinaires, chez deux petites filles très pieuses et intelligentes, marquent le début de l'épidémie. Ils sont attribués à l'influence du démon et placés au-dessus des remèdes naturels.
Dans l'histoire de ces premières malades, il est facile de reconnaître les signes de la grande hystérie.
Perronne T..., âgée de dix ans, devait faire prochainement sa première com-inmiion, elle ne parlait que de son bonheur; un jour, en sortant de l'église, où ehe venait de se confesser, c'était le 14 mars 1857, elle vit retirer de la rivière une petite fille qui avait failli se noyer. (Quelques heures après elle tombe comme morte; on la rapporte chez elle et cet état dure plusieurs heures.
Elle éprouva quelques jours après les mêmes accidents, qui se répétèrent de temps en temps dans la suite.
Vers le commencement de mai, Marie X..., du même âge que Perronne T... étant allée garder les chèvres avec elle, cefle-ci tomba de son mal ordinaire. Marie tomba dans le même état. On les trouva étendues par terre serrées l'une contre f autre, et on les transporta sans qu'elles parussent s'en apercevoir.
Après une heure environ, Marie se réveilla, demanda du pain, mais elle ne put manger.
Le lendemain elles retournèrent toutes deux faire paître les chèvres et furent encore prises du même accident.
A f«artir de cette époque, le mal les prit toutes deux cinq à six fois par jour, mais ce ne fut plus de la même manière.
Il Kurvint des hallucinations, et les crises semblèrent un lambeau de la grande attaqae hystérique, détaché de la période des attitudes passionnelles. Le souvenir des hallucinations persistait après la crise, et des visions d'animaux (serpents) en marquaient la fin.
« Elles restaient immobiles, dit le père de Marie, tournaient les yeux vers le ciel, puis tendaient les bras en haut ; avaient l'air de recevoir quelque chose, faisaient les mouvements de quelqu'un qui ouvre et ht une lettre : cette prétendue
1. J'emprunte tous les détails qui suivent à la Relation sur une épidémie d'hystéro-démonopathie, en 1861, du Dr Constans. Paris, 1863.
lettre paraissait leur faire tantôt un grand plaisii-, tantôt leur inspirer un profond dégoiit. Après cela edes faisaient comme si elles repliaient le papier et le i-endaient au messager invisible qui l'avait apporté. Bientôt après,revenant à elles, edes racon-taient qu'elles avaient reçu une lettre de la sainte Vierge qui leur disait des choses bien aimables; que,sur son invitation, elles avaient été dans le paradis, que c'était bien beau. Quand la lettre avait déplu, edes disaient qu'elle venait de l'enfer. Ma fdle (Marie) manquait rarement dans ces occasions de dire qu'elle avait des ser-pents sur son chapeau, ce qui lui causait une grande frayeur, et elle demandait vivement qu'on l'en délivrixt.
» Peu à peu les crises changèrent encore de forme; les enfants se mirent à ges-ticuler, à tourner rapidement leurs mains l'une autour de l'autre, à parler, crier, jurer et à faire toutes sortes de contorsions.
» Toutes deux commencèrent à faire des prédictions.
» Perronne disait que mes deux autres fdlcs auraient la même maladie dans trois semaines.
» Ma fille dit à son tour que le père de Perronne l'aurait aussi, et qu'il en mourrait. »
Une sœur de iMarie, âgée de neuf ans, est prise au mdieu de mai. Quand les crises la prenaient elle criait, ses yeux tournaient sans cesse, ede se sauvait de la maison et allait grimper sur les arbres. Elle fut guérie par intimidation, son père la menaçant à dessein de la tuer.
Une autre sœur (l'aînée), Julienne âgée de quinze ans, devint malade vers la fin du même mois de mai.
« Unjour, dit le père, étant dehors elle sentit une grande douleur à la cuisse droite au-dessus du genou; en y regardant, elle vit qu'ede avait une énorme plaie en tra-vers de la cuisse. Elle eut ensuite une crise très violente et continua d'en avoir presque tous les jours; elle avait mal à l'estomac, et disait qu'elle sentait quelque chose qui lui remontait de l'estomac à la gorge et l'étranglait, que c'étaient des diables, qu'elle en avait sept, et ede disait leurs noms. »
Gedes-ci et la cadette ont guéri sans cause connue.
T... (Joseph), âgé de douze ans, intelligent, d'une bonne santé, frère des ma-lades précédentes, est tombé malade au commencement de juin.
Voyant un jour ses trois sœurs en crise, il devint tout à coup comme égaré, s'empara d'un bâton et s'en alla au ndlieu du ruisseau voisin; il y resta au moins un quart d'heure à battre l'eau et à retourner les cailloux; d se laissa ramener sans la moindre résistance.
Plus tard, c'était en revenant de l'enterrement de son père, il monta sur un énorme sapin, sur lequel personne n'aurait pu monter; arrivé à la cime, d en cassa l'extrémité la plus déliée, la flèche, et se plaça la tête en bas sur le sommet en chantant et gesticulant.
En huit mois, vingt-sept personnes furent atteintes; les jeunes fdles four-nirent toujours le plus fort contingent.
Dans les maisons oii il y avait plusieurs filles ou femmes, il était rare, si l'une devenait malade, que les autres ou quelqu'une d'entre elles ne le devînt pas aussi.
Les unes tombèrent malades tout â coup, disent-eUes ; les auti-es, ce fut le plus grand nombre, éprouvèrent des malaises prodromiques, tels que maux d'es-tomac, inappétence, surtout pour leurs aliments habituels, une grande répugnance pour le travail, pour la prière, pour se rendre à l'Eglise.
Les crises ne débutèrent plus, comme chez les deux premiers enfants, par un état extatique; mais, comme eWes,plusieurs eurent des Iiallucinations et enfin des convulsions; toutes éprouvèrent la sensation d'un corps qui, s'agitant dans leur estomac, remontait à la gorge et les étouffait, les étranglait : pour elles, c'était un ou plusieurs diables.
En général, toutes attribuent le mal à un maléfice de tel ou tel individu qu'elles accusent de sorcellerie. L'hallucination entretient cette conviction.
La nommée B..., âgée de trente-deux ans, aperçoit subitement devant elle un inconnu qui n'existe que dans son imagination déjà malade et dont elle a peur.
La fille B... (Jeanne), seize ans, entend une voix qui part de son estomac, qui lui crie que Champlanaz (un prétendu sorcier) lui a donné le mal, et qui dit : « La fille ne mangera pas, ne priera pas... » Et elle ne peut plus ni prier ni manger.
B... (Françoise), âgée de dix-huit ans, voit un individu qui la regarde par un trou qui existe dans une porte; dés qu'elle fixe ses yeux sur lui, il se transforme en oiseau et s'envole.
D'autres n'ont eu des crises que parce qu'elles voyaient passer tous les soirs, devant chez elles, ou qu'elles ont rencontré sur leur chemin, un gros allien noir qui, d'après ce qui se disait, n'était que Champlanaz métamorphosé.
Nous voyons qu'ici, comme à Loudun et à Louviers, les hallucinations marquent le début de l'affection.
Les exorcismes furent bientôt réclamés par la population elle-même, comme étant les seuls remèdes capables d'arrêter le mal. 11 faut rendre ici justice à l'autorité ecclésiastique, représentée par Mgr Rendu, alors évêque d'Annecy, qui malgré de pressantes sollicitations s'y refusa constamment, ne voyant dans les soi-disant possédées que ce qu'elles étaient, de pauvres malades.
A Loudun, le cardinal de Lyon avait dit au curé de Ghinon, le fougueux exorciste des Ursulines : « Ne voyez-vous pas que, quand bien même ces tilles ne seraient pas possédées, elles croiraient l'être sur votre parole. »
Malgré cette sage et prudente réserve, des exorcismes ont été pratiqués d'abord en particulier et dans les maisons des affligées ; mais il fut bientôt décidé qu'on les rendrait généraux et publics.
L'effet fut tel que l'on pouvait l'attendre.
« Au jour convenu, dit M. Constans, toute la commune étant réunie dans l'église, on commence la cérémonie; mais aussitôt un affreux bouleversement se produit, on ne voit plus que convulsions sur tous les points, on n'entend plus que des cris, des jurements, des coups frappés sur les bancs, des invectives et des menaces adressées aux exorcistes.
» A en juger par ce que disent les témoins, ce fut une véritable répétition des scènes de Sainte-Croix de Loudun ; mais comme on n'avait pas les mêmes moyens à sa disposition, il fallut renoncer à ces grandes solennités dont on avait tant espéré, et revenir aux exorcismes individuels, qui furent continués pendant un an ou dix-huit mois, jusqu'au moment où fautorité civile les défendit à son tour. »
II faut dater de cette époque l'extension rapide de la maladie. L'exaspéra-tion contre les prétendus sorciers, auteurs du mal, croissait dans la même proportion. L'un d'eux poursuivi par une bande furieuse de trente à qua-rante personnes armées de fourcbes, de haches, de bâtons, ne dut son salut qu'à une fuite aussi rapide que périlleuse; et nous retrouvons dans les lignes suivantes du docteur Constans comme un écho des siècles passés :
« Tous les jours, des gens honnêtes, d'ailleurs, des conseillers municipaux qui m'accompagnaient dans mes courses pour me guider et m'indiquer les malades qui, le plus souvent, se cachaient ou dissimulaient leur état, m'exprimaient leurs regrets de me voir inutilement m'exposer à tant de fatigues; car tant que l'on ne couperait pas le cou à Jean Berger {l'un des prétendus sorciers), et qu'on n'en brûlerait pas deux ou trois sur la place, la maladie ne finirait pas. »
M. Constans porte à 64 le chiffre des convulsionnaires qu'il a pu observer. On comptait 120 malades connues depuis l'origine de la maladie. •
Quelques-unes étaient hystériques avant l'épidémie.
Je vais rapporter ici presque en entier la description que le docteur Cons-tans donne de l'épidémie de Morzines, parce qu'on y trouvera les plus grandes analogies, d'un côté, avec la description que nous avons donnée de la grande hystérie et, de l'autre, avec les anciennes possessions démonia-ques. Entre les possessions d'autrefois et la grande hystérie d'aujourd'hui, l'épidémie de Morzines est comme un état intermédiaire qui facilite les rap-prochements.
Parmi les malades, les unes ont un aspect maladif, sont maigres, nonchalantes, peuvent à peine faire quelques mouvements, ou bien sont d'une agitation excessive et mal réglées.
Les autres, au contraire, ont toutes les apparences d3 la meilleure santé; la menstruation est régulière, et leur teint témoigne généralement de leur véracité sur ce point.
Mais leur caractère est changé ;tout ce qui tenait le plus de place dans leurs affec-tions et leurs sentiments, parents, enfants, amis, religion, ne sont plus très sou-vent que des objets d'indifférence, ou des causes d'irritation ou d'ennui.
Toutes sont d'une impressionnabilité extrême. Autrefois laborieuses, elles ne peuvent se fixer à aucun travail; à peine ont-elles commencé un ouvrage, qu'elles le quittent pour un autre, que bientôt elles abandonnent également.
Fantasques et capricieuses dans leurs goûls et leurs appétits, elles restent quelquefois plusieurs jours sans manger. La dyspepsie est générale. Elles abusent du café noir.
Une fois établies, les crises se renouvellent sans aucune régularité une ou pluV sieurs fois par jour, et durent plus ou moins sous l'influence des moindres causes.
L'aspect d'un étranger, un mot qui déplaît, la vue ou l'audition de ce qui rap-pelle la religion 1, une pensée toute spontanée ou provoquée par une douleur gas-tralgique, de simples borborygmes déterminent tour à tour l'état convulsiL
l. Voici, au sujet de la vertu qu'ont les objets sacrés de provoquer les convulsions, un fait qui se rapproche beaucoup de l'histoire que nous avons rapportée plus haut au sujet des possédées de Loudun, p. 639.
« La femme du Tavernier, se trouvant à Morzines, proposa à une malade de la tou-cher avec une relique d'une grande vertu qui lui avait été apportée de Rome et qui pour-richer. 43
Quelques malades cherchent à cacher leur situation, mais la plupart aiment à se donner en spectacle.
« Au commencement de l'épidémie, quand c'était principalement sur des jeunes enfants qu'elle sévissait, on a vu des phénomènes d'extase, de catalepsie et de somnambulisme ; depuis et chez toutes les malades que j'ai visitées, les accidents iie sont que convulsifs et les mêmes à peu près chez toutes, ils ne varient que par leur volume ou leur durée et le plus ou moins de loquacité des malades...
» Au miheu du calme le plus complet, rarement la nuit, surviennent tout à coup des bâillements, des pendiculations, quelques tressaillements, de petits mouve-ments saccadés et d'aspect choréique dans les bras ; peu â peu et dans un très court espace de temps, comme par l'effet de décharges successives, ces mouve-ments deviennent plus rapides, ensuite plus amples, et ne paraissent bientôt plus qu'une exagération des mouvements physiologiques; la pupille se dilate et se resserre tour à tour, et les yeux participent aux mouvements généraux.
A ce moment, les malades dont l'aspect avait d'abord paru exprimer la frayeur entrent dans un état de fureur qui va toujours croissant, comme si l'idée qui les domine produisait deux effets presque simultanés : de la dépression et de l'excita-tion tout aussitôt.
» Elles frappent sur les meubles avec force et vivacité, commencent â parler ou plutôt à vociférer; ce qu'elles disent toutes à peu près, quand on ne les surexcite
pas par des questions, se réduit â ces mots indéfiniment répétés : « S..... nom!:
S... ch...gne! S... rouge! » (EUesappellent rouges ceux â la piété desquels elles ne croient pas); quelques-unes ajoutent des jurements.
» Si près d'elles ne se trouve aucun spectateur étranger, s il ne leur est pas fait de questions, elles répètent sans cesse la même chose, sans rien ajouter; si c'est le contraire, elles répondent â ce que dit le spectateur et même aux pensées qu'elles lui prêtent, aux objections qu'elles prévoient, mais sans s'écarter de leur idée dominante,en y rapportant tout ce qu'elles disent. Ainsi, c'est souvent : « Ah! tu crois, b... d'incrédule, que nous sommes des folles, que nous n'avons qu'un mal d'imagination! Nous sommes des damnées, s... n... de D...! nous sommes des diables de l'enfer! » Et comme c'est toujours un diable qui parle par leur bouche, le prétendu diable raconte quelquefois ce qu'il faisait autrefois sur la terre, ce qu'il a fait depuis en enfer, etc, etc....
» A mesure qu'elles parlent, toujours avec la même véhémence, toute leur phy-sionomie n'a d'autre caractère que celui de la fureur. Quelquefois le cou se gonfle, la face s'injecte; chez d'autres, elle pâlit, tout comme il arrive aux personnes ordinaires, qui selon leur constitution, rougissent ou pâlissent pendant un violent accès de colère; les lèvres sont souvent souillées de salive; ce qui a fait dire que les malades écumaient.
» Les mouvements, bornés d'abord aux parties supérieures, gagnent succes-sivement le tronc et les membres inférieurs; la respiration devient haletante, les malades redoublent de fureur, deviennent agressives, déplacent les meubles, et lancent chaises, tabourets, tout ce qui leur tombe sous la main, sur les as-sistants; se précipitent sur eux pour les frapper, aussi bien leurs parents que les étrangers; se jettent â terre, toujours continuant les mêmes cris; se roulent, frappent les mains sur le sol, se frappent elles-mêmes sur la poitrine, lé ventre, sur la partie antérieure du cou, et cherchent â arracher quelque chose qui semble les gêner en ce point. Elles se tournent et se retournent d'un bond; j'en ai vu deux qui, se relevant comme par la détente d'un ressort, se renversaient en ar-
rait la guérir; la malade ayant accepté, cette dame lui posa sa montre sur le front (c'était lu prétendue rjîiquej, et à linstant môme une crise des plus violentes se manifesta. » (Constans, loi. oit, p. 92.)
Hère, de telle façon que leur tête reposait sur le sol en même temps que leurs pieds.
» Cette crise dure plus ou moins, 10, 20 minutes, une demi-heure, selon la cause qui l'a provoquée. Si c'est la présence d'un étranger, d'un prêtre surtout, d est très rare qu'elle finisse avant que la personne se soit éloignée : dans ce cas, les mouvements convulsifs ne sont cependant pas continus; après avoir été très violents, ils s'affaiblissent, et s'arrêtent pour recommencer immédiatement, comme silaforce nerveuse épuisée prenait un moment de repos pour se réparer.
» Après le grand désordre, les mouvements deviennent peu à peu moins ra-pides, quelques gaz s'échappent par la bouche, et la crise est finie. La malade regarde autour d'elle d'un air un peu étonné, arrange ses cheveux, ramasse et replace son bonnet, boit quelques gorgées d'eau, et reprend son ouvrage, si elle en tenait un quand la crise a commencé; presque toutes disent n'éprouver au-cune lassitude et ne pas se souvenir de ce qu'elles ont dit ou fait.
» Cette dernière assertion n'est pas toujours sincère. » (Gonstans,/oc. cit., p. 48 et suiv.)
On voit par cette description que les accès des possédées de Morzines étaient presque exclusivement formés aux dépens des phénomènes variés (grands mouvements et contorsions) de la deuxième période de la grande tttaque, auxquels venait parfois s'adjoindre le délire de la quatrième pé-riode.
Contrairement à ce que nous avons vu dans les possessions de Loudun )u de Louviers, aucune idée erotique ne se mêle ou ne paraît s'ajouter à 'idée démoniaque.
» Aucune ne dit le moindre mot ou ne fait le moindre geste obscène; dans leurs mouvements les plus désordonnés, jamais elles ne se découvrent, et si leurs vêtements se relèvent un peu quand elles se roulent à terre, il est très rare qu'elles ne les rabattent presqu'aussitôt.
» Il ne paraît donc point qu'il y ait ici lésion de la sensibilité génitale; aussi il a'a jamais été question d'incubes, de succubes ou de scènes du sabbat.» (Constans, 'oc. cit., p. 55.)
A côté de la crise qui vient d'être décrite et qui est la plus commune, il 3xiste quelques variétés, parmi lesquelles je relèverai les suivantes.
« L'une, la nommée Br... (Jeanne), quarante-huit ans, non mariée, très vieille hystérique, sent des bêtes qui ne sont autres que des diables qui lui courent sur a figure et la piquent.
» Une autre, la femme B... (Nicolas), âgée de trente-huit ans, malade depuis rois ans, aboie pendant ses crises, elle attribue sa maladie à un verre de vin (u'elle a'\m en compagnie d'un de ceux qui donnent le mal. Pendant et hors des rises, elle a de fréquents vomissements qu'ede prétend avoir toujours eus lepuis qu'elle est malade, et bien qu'elle ne boive pas de vin habituellement, ses oraissements le sentent et en contiennent toujours; ede le reconnaît bien au oût et à l'odeur : c'est toujours le même vin qu'elle a bu ,il y a trois ans et que es diables (elle en a sept) renouvedent sans cesse.
» G... (Jeanne), âgée de trente-sept ans, non mariée, est celle dont les crises ifférent le plus. Elle n'a point de ces mouvements cloniques généraux qui se oient chez toutes les autres, et elle ne parle presque jamais. Dés qu'elle sejjt eiiir sa crise, ede va s'asseoir, et se met à balancer la tête d'arrière en avant; les
mouvements lents et peu étendus d'abord, vont toujours s'accélérant, et finissent par faire parcourir à la tête, avec une incroyable rapidité, un arc de cercle de plus en plus étendu, jusqu'à ce qu'elle vienne alternativement et régulièrement frapper le dos et la poitrine. Par intervalles, le mouvement s'arrête un instant et les muscles contractés maintiennent la tête fixe dans la position oîi elle se trouvait au moment du temps d'arrêt, sans qu'il soit possible, même avec des efforts, de la redresser ou de la fléchir. »
Une autre, dans les derniers temps de ses crises « ne pouvait se tenir sur ses jambes, ni à peine remuer les bras; j'ai essayé (c'est le père qui parle) plusieurs fois de la mettre debout, mais elle ne se sentait pas, et tombait dès que je ne la tenais plus. » {Ibid., p. 56.)
Chez les possédées de Morzines l'état de la sensibilité était à peu près nor-mal dans l'intervalle des crises; mais, pendant l'accès, l'anesthésie ne faisait jamais défaut. Elle offrait ceci de particulier qu'elle n'existait que sur les parties du corps qui étaient en convulsion. Si la convulsion était générale, l'aneslhésie l'était de même. Mais chez les malades, par exemple, dont l'agi-tation était bornée aux parties supérieures, la piqûre était vivement sentie aux jambes, tandis qu'elle ne l'était point aux bras, dans le dos.
« La muqueuse nasale, les lèvres, conservent leur sensibilité; la barbe d'une plume promenée sur ces parties, l'ammoniaque, produisaient toujours leur effet ordinaire; le chloroforme était lui-même vivement repoussé, et je n'ai jamais pu obtenir la cessation d'une crise par son usage : il est vrai que je n'ai jamais pu l'employer très convenablement et que la crainte de quelque accident m'a toujours arrêté dans mes essais.
» Les organes des sens, l'ouïe, la vue, loin de perdre de leur activité, paraissent quelquefois acquérir une finesse, une impressionnabilité inaccoutumée, souvent remarquée d'ailleurs chez les hystériques en général.
» Le goiàt et l'odorat m'ont paru à leur état normal; deux ou trois malades seu-lement font exception. » {Ibid., p. 65 et 66.)
L'épidémie ne se termina qu'en 1862, parla dispersion des malades et leur internement dans des asiles d'abénés.
Plusieurs des prétendues possédées furent guéries par intimidation.
J'ai déjà cité la jeune PI... qui fut guérie par les menaces de son père. Il enfui ainsi de plusieurs autres, notamment de Julienne L...; son père, la saisissant par les cheveux et brandissant une hache, dit qu'il allait lui couper le cou, si sa crise ne finissait pas à l'instant, et si elle devait en avoir d'au-tres. La crise finit et ne se renouvela pas.
Un autre homme, qui venait de chauffer son four,feignit d'y jeter sa fille; laguérison fut instantanée et radicale.
Le sieur M... guérit sa fdle une première fois, en lui promettant un habil-lement neuf; une autre fois, en la menaçant de l'enchaîner dans sa cave.
Je ne dirai que quelques mots de l'épidémie d'hystéro-démonopathie qui tout récemment (en 1878) vient d'éclater à Verzegnis, dans le Frioul (Italie), et qui a été étudiée avec soin par les docteurs Chiap et Franzolini ^
i. L'épidemia diistero-demo^iopatie in Verzegnis, Reggio neU'Emilia, 1879, in-8°.
Entre l'épidémie de Verzegnis et celle de Morzines, l'analogie est la plus frappante. Mêmes conditions topographiqiies, hygiéniques, morales et so-ciales, sauf qu'à Morzines elles étaient encore plus mauvaises.
La seule différence qui existe est dans la forme des accès. A Morzines il y avait prédominance des convulsions, à Verzegnis les attaques étaient plus particulièrement délirantes; mais, dans les deux cas, le délire était absolu-ment de même nature.
A Verzegnis l'épidémie débuta en janvier 1878, deux mois après les émo-tions d'une retraite prêchée avec grande pompe par un père jésuite.
La première malade, jeune fdle de vingt-six ans, présentait depuis huit ans des signes d'hystérie : boule, gastralgie, etc., auxquels se joignirent des convulsions qui bientôt firent croire a la possibilité d'une obsession diaboli-que. On lui fit subir alors l'exorcisme a.vi pardon de Clauzetto, lieu de pèle-rinage célèbre, et cette cérémonie décida définitivement de la forme de la maladie. Les accès de convulsions devinrent de véritables crises démoniaques avec rage, fureur, blasphèmes et délire spécial.
Alors le son des cloches provoqua surtout les accès, il en était de même de la visite d'un prêtre, de la vue des objets sacrés, etc.
Pendant sept mois, cette malade fut l'unique possédée; mais, en juillet 1878, plusieurs autres femmes furent atteintes de convulsions.
Comme à Morzines, l'épidémie fit de rapides progrès à la suite d'une céré-monie religieuse célébrée avec pompe en l'église paroissiale de Verzegnis et à laquelle on fit assister toutes les malades.
Un curieux rapprochement à établir entre ces deux épidémies consiste dans l'absence de délire erotique.
L'épidémie de Verzegnis fut attaquée dès la première année par les moyens d'isolement et de séquestration qui avaient réussi à Morzines. Sur le rap-port du docteur Franzolini, le pays fut occupé par les carabiniers royaux, et les malades les plus gravement atteints furent transportés à l'hôpital d'Udine.
L'épidémie s'arrêta, mais n'était pas encore complètement éteinte lorsque le docteur Franzolini publia sa relation.
TROISIÈME SECTION
conv ulsionnaires
Les épidémies convulsives dans lesquelles on a voulu voir l'influence d'un principe surnaturel n'ont pas toujours été attribuées à l'action du démon. En plusieurs circonstances, elles furent mises sur le compte de l'intervention divine elle-même. Les sectes religieuses qui en étaient les victimes les con-
sidéraient alors comme une faveur spéciale de la divinité et en tiraient des preuves à l'appui de la doctrine qu'elles cherchaient à faire prévaloir.
Cette différence d'interprétation ne pouvait manquer d'amener dans la forme extérieure des accidents quelques modifications en rapport avec la croyance généralement acceptée. Mais il est bien curieux de mettre en lumière les traits communs qui relient entre elles toutes les épidémies convulsives, quelle que soit leur cause supposée; d'ailleurs les avis étaient souvent par-tagés et lorsqu'un parti prônait l'action divine, les adversaires ne man-quaient pas d'accumuler preuve sur preuve pour démontrer au contraire l'in-fluence du démon.
Au point de vue spécial de la grande hystérie dont le rôle en tous ces évé-nements a été considérable, nous pouvons dire, d'une façon générale, — et en cela nous sommes d'accord avec les lois que nous avons essayé de faire ressortir dans le cours de ces études — que les similitudes appartiennent plus particulièrement aux phénomènes qui caractérisent la première et la deuxième période de la grande attaque (période épilepto'ide et période des contorsions et grands mouvements), pendant que les différences existent surtout dans les modifications que peuvent, suivant les circonstances, subir la troisième et la quatrième période, c'est-à-dire les phénomènes d'halluci-nation et de délire.
convulsionnaires be saint-médard, 1731
Les événements qui se rattachent à l'histoire des conviilsionnaires de Saint-Médard peuvent se diviser en trois époques.
i^'^ époque. —François de Paris, diacre de l'Eglise de Paris, défenseur des doctrines jansénistes, meurt en odeur de sainteté et est enterré le 2 mai 1727 dans le petit cimetière de Saint-Médard. Bientôt des miracles * s'opè-rent sur sa tombe et aux yeux des appelans décident en faveur de la doctrine Janséniste. Ces miracles soulevèrent l'incrédulité générale qui se(( déchaîna, dit un auteur du temps, dès le commencement, de vive voix, et par un grand nombre d'écrits de toute espèce, sérieux, raisonnes, satiriques, burlesques, comiques. Les miracles du saint Janséniste furent condamnés par des mande-ments, anathématisés en chaire et joués sur le théâtre... En un mot, jusqu'à présent la légende des miracles de l'abbé de Paris n'a trouvé de crédit que dans le parti Janséniste, malgré toutes les démonstrations que les convtil-sionnaires et leurs défenseurs ont donné de leur authenticité 2. » Pendant cette première période il n'est aucunement question de convulsions.
2" époque. — Jusque vers la fin d'août 1731, les miracles des guérisons
1. Le premier miracle est du mois de septembre 1727.
2. Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde. Bernard Picart, t. IV, p. 182. Amsterdam, 1636.
s'étaient faits au cimetière de Saint-Médard avec assez de simplicité. Les ma-lades faisaient des neuvaines et imploraient l'intercession du saint Diacre en s'étendant sur son tombeau et en baisant même la terre qui l'environnait. Mais dans le mois d'août 1731, les convulsions apparaissent, et suivant l'ex-pression des fervents ( Dieu cbangea ses voyes et celles dont il se servit alors pour la guérison des malades fut de les faire passer par des douleurs très vives et des convulsions très extraordinaires et très violentes. » Dans les récits qui ont été laissés de ces miracles et des convulsions qui les accom-pagnaient, il est aisé de reconnaître le rôle important que jouait la grande hystérie. Mais l'épidémie n'existait pas encore avec les caractères qu'elle devait revêtir plus tard. Peu à peu, les convulsions devinrent plus fréquentes, et la foule des convulsionnaires si considérable, que la cour s'émut des con-séquences qui pouvaient résulter de semblables désordres. On publia le 27 janvier 1732, une ordonnance du roi pour fermer la porte du petit cime-tière de la paroisse de Saint-Médard... avec défense de rouvrir sinon pour cause d'inhumation. En même temps, on fit enlever et conduire à la Bas-tille, à Bicêtre, dans beaucoup d'autres lieux de dépôt, les convulsionnaires les plus renommés.
3*^ époque. — C'est alors que l'épidémie est définitivement constituée. Les moyens de répression n'ont été pour les convulsionnaires qu'une excita-tion nouvelle. « A peine eut-on interdit l'entrée du saint lieu que Dieu paraissait avoir choisi pour y opérer ses prodiges, dit Carré de Montgeron, qu'il les multiplia plus que jamais. Un peu de terre recueillie auprès de l'illustre tombeau fit éclater les plus merveilleuses guérisons dans tous les quartiers de Paris et jusque dans les provinces. Des convulsions bien plus surprenantes que toutes celles qui avaient paru jusqu'alors prirent tout à coup une multitude de personnes. »
Aux convulsions, on vit alors se joindre les prédictions, les discours, les exhortations, les prières, les descriptions pathétiques, la prétention d'opérer des miracles et de parler des langues inusitées, les impulsions aux actes extravagants, enfin les différents phénomènes du délire hystérique et de l'extase, joints aux manifestations variées de la monomanie religieuse ^
Poursuivis par l'autorité royale, les convulsionnaires tinrent des réunions clandestines, et l'épidémie ne s'éteignit que lentement; elle n'avait pas com-plètement cessé en 1741.
Le curieux livre de Carré de Montgeron dans lequel il expose avec tant de soin l'histoire de la maladie et de la guérison de quelques-uns des miracu-
1. « Dès qu'on commença à persécuter les convulsionnaires, les convulsions se multi-plièrent plus que jamais, elles prirent de tous côtés à un grand nombre de personnes qui n'avaient point de maladie, et Dieu les accompagna de diiïérents dons et les illustra par quantité de prodiges. Entr'autres il ouvrit la bouche à une multitude d'enfants et de per-sonnes simples et ignorantes : il leur fil faire journellement des discours d'une grande beauté, il leur fit développer le poison renfermé dans la bulle, déplorer les maux de l'Église,annoncer que sa jeunesse serait bientôt renouvelée comme celle de l'aigle parla ve-nue du prophète Elle et faire plusieurs autres prodiges. » (Carré de Montgeron, loc. cit., 1.1, -3e partie. Idées des mouvemenis convulsifs. p. 4.)
lés, devient pour nous comme un recueil d'observations médicales qui, par la précision des détails, nous permet de reconnaître la véritable nature des accidents morbides dont il est parlé.
J'en citerai quelques exemples dans lesquels la présence de l'hystérie ne saurait être révoquée en doute.
En 1726, Marguerite Françoise Duchêne\ alors âgée de vingt et un ans, reçoit sur la tête une planche garnie de fer. Demeure deux heures évanouie.
Le 4 octobre 1727, elle tombe du haut en bas d'un escalier. Cette chute est suivie d'un vomissement de sang.
En mai 1728, deuxième chute. « Étant montée pour détendre la toile cirée qui sert de couverture à l'échoppe oîi elle étale... le pied lui glisse, elle tombe sur l'appui de sa boutique..., ce qui la fait évanouir. Revenue â elle-même... elle re-monte pour continuer à défaire la toile... elle retombe une seconde fois..., elle rend aussitôt le sang par la bouche avec une affreuse abondance ; et un moment après, elle demeure plus d'une heure en syncope. » La médecine ne lui apporte comme soulagement que le bénéfice de 26 saignées! On observe alors des assoupis-sements léthargiques, des étouffements, des accès de toux acre suivis de vomis-sements de sang et l'impossibUité de prendre aucune nourriture.
Quinze jours après, troisième chute dans des circonstances analogues â la pré-cédente, â la suite de laquelle son état s'aggrave.
Vers Pâques 1730, un médecin qui entreprend de la guérir, va jusqu'à lui faire quatre saignées en 24 heures. L'effet d'un tel traitement se fait bientôt sentir, elle est en peu de temps réduite à la dernière extrémité ; les vomissements de sang con-tinuent, elle ne peut rien prendre. On essaie de lui faire prendre du bouillon en lave-ment; «mais ce moyencomme tous les autres ne tarde pas âdevenir impraticable.»
Les tentatives pour lui faire prendre quelque nourriture avaient pour effet « de la jeter dans des mouvements convulsifs si violents qu'on avait bien de la peine à la tenir, et ces agitations ne cessaient que par un vomissement de sang clair tirant sur le violet, et extrêmement écumeux. »
IjC même état se prolonge.
"En 1731, apparaissent « des attaques d'apoplexie qui revenaient réguhèrement tous les mois et quelquefois plus souvent et dans lesquelles elle paraissait goûter à longs traits toutes les horreurs de la mort sans cependant pouvoir mourir. »
Malgré ces symptômes alarmants, il y avait des intervalles de 7 à 8 jours pendant lesquels la malade semblait reprendre un peu de force et pouvait même se lever.
Un jour pendant que ceux qui l'assistaient s'attendaient d'un moment â l'autre à la voir trépasser; « tout à coup revenant comme d'un profond sommed et repre-nant un peu ses esprits, elle dit d'une voix faible et entrecoupée : je suis bien basse, mais je n'en mourrai point. Ayant prononcé ces mots, elle retombe en agonie, et malgré cela, le matin elle revient à elle, et a même assez de force pour se lever et pour sortir. »
Vers le mois de mai « attaque d'apoplexie dont les symptômes sont si terribles qu'elle semble expirer à chaque instant », suivie d'une léthargie de 7 â 8 jours.
L'œdème des membres qui existait depuis quelque temps déjà, se prononce du côté gauche... « dès lors il ne reste plus ni mouvement, ni sentiment dans le bras de ce côté (gauche) : dès lors, une insensibilité entière dans la jambe, dont elle ne peut presque se servir, dès lors une extinction de voix presque totale; dès lors enfin ce n'est plus qu'un enchaînement de faiblesses léthargiques qui se suc--cèdent sans cesse, pendant lesquelles elle reste quelquefois des dix jours de suite aveugle, sourde et muette. »
1. Carré de Montgeron, lac. cil., t. I.
Vers la fin de mai, l'ouïe et la vue lui furent rendues; « mais il n'en fut pas de même de la voix qui resta presqu'entiêrement éteinte jusqu'à sa guérison. » En juin, mêmes accidents.
Accès de léthargie du 8 au 14 juillet à la suite duquel elle se rend au salut à l'église des Cordeliers. « Dans le moment de la bénédiction, Dieu lui fait con-naître sa volonté : elle entend intérieurement une voix qui lui commande de se faire conduire au tombeau de M. de Paris, et qui l'assure que, par l'intercession de ce saint diacre, elle sera guérie. » Elle tombe ensuite en attaque, on est obligé de la rapporter chez sa mère.
Le 15 juillet nouvelle attaque à la suite d'un « prodigieux » vomissement de sang.
Le 16 juillet, la malade se fait porter au tombeau du diacre Paris, elle y est prise de violentes convulsions. La même scène se répète cinq jours de suite, puis elle est complètement guérie. Chacun des accidents dont elle souffrait a cédé successivement à la suite de chacune des attaques convulsivos qui ont eu lieu sur le tombeau.
Les détails circonstanciés dans lesquels entre Carré de Montgeron,au sujet des divers symptômes de la maladie et relativement aux accidents convulsifs dont fut saisie la malade au cimetière Saint-Médard, nous permettent de préciser les prin-cipaux caractères des accès léthargiques et des attaques de convulsion.
Il est facile d'y reconnaître les traits de diverses variétés d'attaques hystériques.
Les attaques de léthargie étaient précédées d'une phase épileptoïde bien mar-quée et qualifiée, dans le récit de Montgeron, du nom d'apoplexie. Elles étaient de plus accompagnées de quelques phénomènes épileptoïdes qui se montraient de temps à autre pendant tout le temps de leur durée.
« La mère de la malade nous décrit plusieurs de ses attaques. 11 y avait déjà plus de six niois, dit-elle, que tous les quinze ou vingt jours elle tombait dans des attaques d'apoplexie... Dans le mois de juin, elle en eut plusieurs et fut la plus grande partie de ce mois en léthargie : des voisins vinrent plusieurs fois dans ce mois pour Pensevelir; mais les deux plus violentes attaques qu'elle essuya furent le 8 et le 15 juillet, veille de sa guérison. Lors de ces attaques, son visage devenait violet, sa gorge s'enflait, sa langue s'épaississait, sa boiiclie tournait, ses lèvres devenaient bleuâtres, et le sang lui sortait par les ongles de la main gauche et l'angle des deux yeux; après quoi elle restait souvent plusieurs jours dans une faiblesse léthargique pendant laquede elle paraissait morte, n'ayant aucun sentiment et ne faisant aucun mouvement que quelques tressaillements de temps en temps que lui donnait son frisson, dans le temps qu'il prenait, ayant les yeux fermés, le nez ridé et retiré vers le front, et le visage et les lèvres d'une pâleur verdâtre, et quelquefois après ses faiblesses elle restait encore plusieurs jours aveugle, sourde et muette. On lui a souvent pendant ces faiblesses léthar-giques jeté le drap sur le visage, la croyant morte. »
Le 16 juidet au moment du départ pour le tombeau du Bienheureux, Marguerite Duchesne est prise d'une attaque qui se termine par des vomissements de sang et qui offre plusieurs traits de l'attaque épileptoïde.
« Le 16 juiUet, jour du départ, il arriva un événement..... Tout d'un coup ma
fille devint d'une pâleur mortelle, une sueur froide luicouvritle visage, sa gorge enfla prodigieusement, sa langue sortit de sa bouche de quatre pouces de long toute violette, elle parut souffrir les plus vives douleurs, ses bras se raidirent, et elle fit de violents efforts qui aboutirent à lui faire vomir une espèce de sang
extrêmement liquide et mêlé d'eau..... Pendant ces vomissements qui durèrent
près d'une demi-heure, son visage, qui d'abord avait été si pâle, devint d'un violet plombé, et ses lèvres, qui d'abord étaient éteintes, s'enflèrent et prirent une couleur encore plus foncée que son visage; mais aussitôt que ce vomissement eut cessé, ma fille reprit un peu ses esprits et sa force. »
Dans les convulsions qui se déclarent le même jour, pendant qu'elle est placée
sur le marbre même du tombeau on peut retrouver les signes des deux premières périodes de l'attaque de grande hystérie.
« Sur le champ, la tombe se vuide, on la met dessus..... à peine un quart
d'heure de silence et de calme a succédé à ses premières émotions, que les yeux égarés de la mourante tombent dans les ténèbres de la nuit, la pâleur se répand sur son visage, Vinflexibilité s?à?,\i?,c^ mernbres, le froid s'empare de son corps.....
» Bientôt..-, tous les membres paralytiques de notre agonisante s'agitent avec tant de violence qu'on a peine â les retenir. On entend crac£uer ses os ; une agi-tation effroyable remue son estomac sa poitrine et ses entrailles avec un bruit tout à fait extraordinaire : sa bouche, d'où il ne pouvait depuis longtemps sortir un son, pousse des cris aigus et lamentables, qui percent le cœur des assistants.»
La seconde période est indiquée encore avec plus force un peu plus loin :
«.....Apeine eut-elle resté un quart d'heure sur le tombeau..., il lui prit tout d'un
coup des agitations d'une violence si extrême que plusieurs personnes avaient de
la peine â la retenir.....; dans ce moment... son visage devint d'un violet noir, il
enfla par bosses et se retira vers le front, sa bouche se tourna, ses yeux parurent tout égarés, tous ses membres se raidirent d'une force épouvantable ; tout son corps et même son bras et sa jambe paralytiques s'agitèrent avec tant de violence qu'on ne pouvait la retenir. On entendit craquer ses os avec un bruit qui étonnait tout le monde et l'on voyait que sa poitrine, son estomac et toutes ses entrailles faisaient un bruit extraordinaire et étaient dans une agitation effroyable. Elle, c[ui auparavant ne pouvait faire entendre ses paroles, se mit â jeter des cris épouvantables et l'on vit un air de souffrance peint sur son visage et dans tous ses mouvements, qui me faisaient une peine extrême; mais, au surplus, il était évident qu'elle n'avait pas de connaissance..... Après ces agitations notre ago-nisante resta sans mouvements pendant près d'une heure ayant tout l'air d'une personne morte; mais elle reprit ensuite ses esprits... »
Ce jour lâ elle fut guérie de ses vomissements de sang, et de retour chez elle put manger.
Une autre attaque semblable aux précédentes a lieu dans les mêmes circon-stances (sur le tombeau) le 17 juillet.Elle est décrite â peu près dans les mêmes termes.
« .... Elle faisait des cris si affreux que plusieurs personnes disaient qu'elle
tombait du haut mal et d'autres qu'elle était possédée..... à la vérité, elle était
épouvantable..... Après qu'elle eut été une demi-heure sur le tombeau on la
porta dans le grand cimetière où elle resta encore assez longtemps sans connais-sance et ensuite elle revint â elle comme si elle sortait d'un songe. »
A la suite des convulsions de ce jour elle recouvra la voix.
Les jours suivants les convulsions se répétèrent avec les mêmes caractères; le 18 elle fut guérie d'une violente douleur au côté gauche dont elle souffrait depuis le début de sa maladie. « Effectivement, dit Jean-Baptiste Duchêne, le soir on ôta la chaise et les oreUlersavec lesquels elle se tenait assise dans sonlit depuis plus de quatre ans, et elle se trouva en état découcher dans son lit comme une autre personne. »
Le 19 juillet l'œdème disparut.
Enfin le 20 juillet, guérit la paralysie du côté gauche,
« La dame Cornet nous apprend que le 20 juillet, elle et son mari qui étaient ravis d'admiration de voir les miracles que Dieu opérait tous les jours sur la de-moiselle Duchêne, résolurent de ne plus la quitter tant qu'elle irait â Saint-Mé-dard, et de l'accompagner tant en allant qu'en revenant; que ce jour lâ, sa mère et la dame Cornet furent encore plus de deux heures en chemin pour la conduire jusqu'à Saint-Médard, parce qu'elle ne pouvait encore se soutenir sur son pied gauclie, ni le lever de terre, et qu'elle le laissait traîner sur le pavé après elle. »
« Lorsqu'elle fut ce jour là sur le tombeau, dit la mère, son bras et sa jambe
gauches s'agitèrent avec plus de force que jamais. Onvoyaitles nerfs et les veines remuer sous la peau avec une agitation prodigieuse ; et on entendait craquer ses os et ses nerfs avec un si grand bruit, el ses mouvements étaient si violents que les personnes qui la tenaient ne pouvaient arrêter la force des secousses qu'elle donnait avec ce bras et cette jambe. »
Nous apprenons plus loin cet autre détail intéressant que depuis la première chute, c'est-à-dire depuis l'époque ou se sont montrés les vomissements de sang, les règles avaient été complètement supprimées.
Je pense qu'il est inutile d'insister davantage sur le cas de Marguerite Duchêne; en voilà assez pour montrer qu'il s'agissait ici d'un cas d'hystérie grave dont les manifestations variées ont disparu successivement sous Tin-fluence d'une vive impression morale et à la suite d'attaques convulsives net-tement caractérisées.
Le cas de la demoiselle Hardouini n'est pas moins probant. Il montre que les attaques se succédaient quelquefois par séries.
(S Je fus transportée dans le cimetière et sur la tombe de M. de Paris, oîi je restai environ une demi-heure; trois hommes m'y posèrent. Pendant que j'y fus j'éprouvai des douleurs affreuses et des mouvements si violents que les assistants
crurent que je tombais du haut mal..... (Elle est tombée, dit un des assistants,
en des convulsions qui lui causaient un tremblement et un raidissement dans les bras et dans les jambes.) Je fus retirée de dessus le tombeau sans aucun soula-gement sensible pour la première fois. Je fis signe qu'on me transportât dans fé-glise. Dès que j'y fus la violence des mouvements recommença, cependant l'usage
de ma langue me fut rendu..... Une personne voulut qu'on me reportât sur le
tombeau; il me reprit des convulsions encore plus violentes qu'auparavant, mais eUes furent suivies, sur le tombeau même, de repos et d'une tranqudité bien grande. »
Cette demoiselle Hardouin était « affligée de paralysie sur les jambes ¦depuis six ans, et depuis deux sur le reste du côté gauche; et enfin percluse de tout le corps excepté de la main droite; attaquée depuis plusieurs années de fréquentes apoplexies, dont les rechutes périodiques accéléraient sans cesse le progrès de la paralysie; privée de l'usage de la parole. » Elle fut guérie sur le tombeau de M, de Paris, le 2 août 1731.
La demoiselle Fourcroy, qui fut guérie d'une contracture du pied gauche, fut prise de convulsions dans les circonstances suivantes qu'elle rapporte elle-même :
« .....Vers le milieu de décembre 1731, dit la fille Fourcroy ^, je voulus me
faire conduire au tombeau de Paris pour y faire mon acdon de grâce. Etant entrée dans le cimetière de Saint-Médard... je fus frappée d'épouvante des cris de dou-leur et des espèces de hurlements que j'entendis faire à des convulsionnaires dans le cimetière et sous le charnier, et je pensai m'en aller sans approcher de la
1. Carré de Montgeron, La vérité des miracles, etc., in-i», 1737, t. I.
2. Ibid., t. II.
tombe du diacre; mais la personne qui m'accompagnait m'ayant encouragée, je fus m'asseoir dessus... Après y avoir resté environ un quart d'heure en prière, il me prit des mouvements qui firent dire à tous ceux qui étaient auprès de moi que les convulsions m'allaient prendre. A ce mot de convulsion me rappelant les cris que j'avais entendus sous le charnier, en arrivant, je fus saisie de crainte et si vive-ment que je donnai de l'argent au suisse pour me faire passage et retirer; et cette appréhension d'avoir des mouvements convulsifs me donna des forces qui ne m'é-taient pas ordinaires pour sortir au plus vite du cimetière..... Néanmoins, le
20 mars 1732, au soir, me sentant prête à rendre l'âme, la peur de la mort que je voyais si proche l'emporta enfin sur la crainte des convulsions, et je priai qu'on m'allât chercher de la terre du tombeau de M. Paris, pour en mettre dans le vin dont, de temps en temps, l'on me faisait avaler quelques gouttes. Le 21 â midi l'on me fit prendre du vin on l'on avait mis de la terre et je me mis en prière pour commencer une neuvaine. Presque dans le moment il me prit un grand frisson et peu après une grande agitation dans tous les membres, qui me faisait élancer tout le corps en l'air et me donnait une force que je ne m'étais jamais sentie, si bien que plusieurs personnes réunies avaient de la peine â me contenir. Dans le cours de ces mouvements violents qui étaient de véritables convulsions, je perdis con-naissance. Aussitôt qu'ils furent passés et que j'eus repris mes sens, je me sentis une tranquillité et une paix intérieure que je n'avais jamais éprouvées et que j'au-rais bien de la peine à décrire, quoique je l'aie ressentie très souvent depuis à la suite de mes convulsions. »
La nature hystérique de semblables attaques convulsives ne saurait échapper. Les grands mouvements de la deuxième période en font les frais. Nous trouvons dans la suite de l'histoire de cette malade de nouveaux détails intéressants au sujet de la forme des convulsions. On peut reconnaître après la phase épileptoïde la description des grands mouvements rhythmiques.
Dans un rapport fait, le 2 avril 1732, par le sieur de Manteville, ancien démonstrateur en anatomie et prévostdes chirurgiens, on lit ce qui suit :
«... Nous certifions d'abondant qu'en notre présence la demoiselle Fourcroy ci-dessus nommée a été considérablement agitée de mouvements convulsifs qui ont commencé par des bâillements et un tremblement universel : ses yeux se sont tournés en sorte que l'on en voyait que le blanc, les muscles oblique et releveur des yeux étant en contraction : le corps s'est agité avec violence, se pliant et se repliant dans tous les sens aussi bien que les extrémités, se roulant de toutes les façons sur le lit, sur lequel elle ne pouvait qu'avec beaucoup de peine être rete-nue par trois ou quatre personnes assez fortes. Pendant quelques intervalles la jambe gauctie et les deux bras ont frappé violemment et avec précipitation sur le lit oii elle était étendue. Tous ces mouvements différents ont duré environ un bon quart d'heure, pendant lequel temps elle nous a paru sans connaissance : puis ladite demoiselle Fourcroy est l'entrée subitement dans le repos et dans son état naturel. Environ un demi quart heure après, elle est retombée en notre présence dans les mêmes mouvements convulsifs qui nous ont été annoncés par un pouls convulsif et qui a totalement manqué un instant avant d'y retomber. Ces dernières agitations ont duré environ autant de temps que les premières; U ne nous a pas été possible de toucher le pouls pendant ces grands mouvements. Après qu'ils ont été passés, il s'est élevé et est devenu bien plus fréquent avec un grand batte-ment de cœur.....»
Cette malade était atteinte depuis quinze mois d'une affection du pied
gauche que Carré de Montgeron caractérise ainsi : « une ankylose, dont l'humeur corrosive et brûlante avait depuis plus d'un an racorni, retiré et desséché le tendon d'AchUle du pied gauche : avait fait remonter le talon beaucoup plus haut qu'il ne devait être ; avait renversé le pied quasi sens dessus dessous : en avait gonflé et contourné les os : et en cet état les avait soudés à ceux de la jambe, ce qui rendait ce pied d'une difl'ormité hideuse, et en avait fait perdre l'usage à la demoiselle Fourcroy. »
Cinq chirurgiens alors célèbres appelés en consultation ne comprirent rien à cette singulière affection, et déclarèrent que le pied était atteint d'une ankylose absolument incurable.
Il ne nous paraît pas difficile aujourd'hui d'établir un diagnostic rétro-spectif exact. Les descriptions du mal sont complétées par un dessin qui en dit plus que tout le reste, et auquel il est impossible de ne pas reconnaître le pied-bot hystérique.
La demoiselle Fourcroy était donc atteinte d'une contracture hystérique du pied gauche.
La demoiselle Fourcroy (dit la demoiselle Lamaque) avait le pied gauche anky-lose, sens dessus dessous... Je l'examinai avec d'autant plus d'attention que, comme sa jambe gauche s'agitait avec une extrême force dans les convulsion qui lui prenaient tous les jours, cela lui faisait espérer que Dieu la guérirait de l'incom-modité qu'elle avait à ce pied. J'ai été plusieurs fois témoin de ses convulsions : elles commençaient par ^p tremblement universel dans tout son corps : après quoi elle était involontairement dans de si violentes agitations, que quatre personnes avaient bien de la peine à la i-etenir. Dans ces agitations, elle cognait sa jambe gauche avec tant de force qu'elle aurait dù naturellement se la casser plusieurs fois. »
La contracture guérit subitement pendant une attaque.
Le 14 avril, vers les sept heures du soir (ajoute la demoiselle de Lamaque) la demoiselle Fourcroy étant dans le fort de sa convulsion et paraissant évidemment sans connaissance se déchaussa... pritson pied gauche... delà main droite... et se mit à le remuer... Aussitôt ce pied, qui avait été si longtemps immobde, s'agita de droite à gauche, et de gauche à droite avec une rapidité tout à fait extraordinaire et qu'il ne serait pas possible à qui que ce soit d'imiter.
La feiTime Geoffroy, en outre des grands accès pendant lesquels elle per-dait connaissance, éprouvait parfois des accidents convulsifs qui se rappro-chent des soubresauts, des secousses dont nous avons parlé et même de la chorée rbythmique.
La femme Geoffroy, cherchant à exprimer ce qui se passait en elle pendant ses accès hystériques, affirmait que toujours ses convulsions commençaient au tom-beau de Paris, par un engourdissement des nerfs, suivi par un tremblement de tous les membres. « Les mouvements convulsifs que j'ai eus, sans perdre con-naissance, raconte cette malade, m'obligeaient à battre des pieds la terre, les carreaux ou le marbre du tombeau. Je n'aurais pas pu empêcher ces mouvements.
Quelquefois, la tète me branlait et tournait assez longtemps; quelquefois mes bras se raidissaient avec une extrême force. D'autres fois, je les agitais de tous côtés, et souvent mon corps se tournait et retournait comme sur un pivot... Les personnes qui me tenaient étaient obligées de suivre les mouvements de la con-vulsion... Les douleurs que je souffrais étaient au delà de ce que je puis expri-mer; elles me faisaient crier tantôt d'une voix aiguë, tantôt d'une voix plaintive... II est arrivé quelquefois, la tombe étant couverte de malades lorsque je m'y pré-sentais et n'y pouvant trouver place, qu'on m'a mise dessous, en me tenant par le milieu du corps avec une ceinture. Comme j'étais alors très gênée et dans un lieu trop étroit pour qu'on pût suivre le mouvement de mes convulsions, je souf-frais plus qu'à l'ordinaire parce que mes genoux battaient le dessous du marbre avec violence... Les mêmes mouvements se passaient à la maison avec cette dif-férence qu'ils n'étaient pas si intenses. Lorsque j'étais seule dans ma chambre, je me couchais par terre et je m'éloignais du feu, de crainte d'accidents, aussitôt que je sentais l'engourdissement qui précédait les convulsions, et c'est ainsi que souvent je les ai éprouvées seule, sans le secours de personne...
» L'on m'a assuré que dans le cours de l'accès où je perdais connaissance, mes yeux se renversaient, et que tous les mouvements dont j'ai parlé ci-dessus avaient beaucoup plus de violence. Je sentais toujours quelque soulagement après les con-vulsions et ce soulagement était d'autant plus grand que les secousses avaient été plus marquées^. »
Les attaques pendant lesquelles la connaissance étaient conservée s'ac-compagnaient parfois, de douleurs affreuses semblables à celles que j'ai signalées en particulier chez Ler..., Marc..., et Gen....
» Le jour de la Saint-Marcel, dit la fdle Bridan, jecrus devoir faire effort pour ap-procher du tombeau, ce que je n'avais pu faire depuis ma première neuvaine, à cause de la grande foule. Je me penchai la tête sur la tombe pendant un quart d'heure pour y faire ma prière... Dans le moment, le tremblement me prit, je ne pus me relever; on fut obligé de me prendre à deux sous les bras, pour m'as-seoir sur une chaise où je perdis la connaissance. Revenue à moi-même, il me prit des convulsions si terribles qu'il fallut trois ou quatre personnes pour me
tenir..... J'ai continué pendant vingt-deux jours à me mettre tous les jours sur la
tombe, et chaque fois j'éprouvais les mêmes convulsions que la première, souvent même plus grandes et en plus grand nombre. Dans le fort de la convulsion, je perdais la connaissance qui me revenait après la convulsion passée. Je les ai éprouvées aussi à la maison toutes les fois que je buvais de l'eau où l'on avait dé-trempé la terre du tombeau de M. Paris, avec cette différence qu'elles n'étaient pas si violentes, qu'elles ne me faisaient pas perdre la connaissance... 4^prouvais de grandes douleurs lorsqu'elles me laissaient la connaissance; mais presqu'aus-sitôt que ces convulsions étaient cessées, mes douleurs cessaient aussi... Tantôt il me semblaitqu'on me déchiraitlesjambes, d'autres fois qu'on m'ouvrait la tête, il me semblait quelquefois qu'on me tirait les bras à quatre clievaux...^ ».
Dans les faits que nous avons rapportés jusqu'ici, nous avons pu constater que les attaques convulsives empruntaient toutes leurs manifestations à la première période et principalement à la deuxième période de la grande attaque hystérique telle que nous l'avons décrite.
1. Carré de Montgeron, t. III, p. 57 (cité par L. F. Calmeil, loc. cit., t. II, p. 319j.
2. Lataste, Leiti-es théologiques, etc., t, II, p. J272, (cite par Calmeil, loc. cit., t. II, p. 320).
Avec l'extension de l'épidémie on vit s'adjoindre aux attaques de convul-sion les phénomènes hallucinatoires et délirants de la troisième et de la qua-trième période de la grande attaque.
J'emprunte à Calmeil^ le récit abrégé de l'observation suivante; on y trouvera jointes à des convulsions d'une violence extrême des phases de-délire furieux ou obscène, des accès d'extase et de léthargie avec trismus, une vive excitation génésique, des hallucinations nocturnes, etc. Cette obser-vation est également remarquable par les secousses partielles ou générales qui marquent le début des accidents, et par la longueur de l'état de mal, qui ne dura pas moins de quatre jours.
Le 20 de septembre 1734, la veuve Thévenet, espérant se débarrasser d'une surdité incomplète, ^e décida à boire et but de l'eau tenant en suspension quelques molécules terreuses provenant de la fosse de Paris; le même jour elle se servit, pour humecter son oredle, d'un hnge imprégné de cette même eau, et commença une neuvaine en f honneur du feu diacre.
Le 21 de septembre, elle se sentit frappée de terreur à la vue de trois livres de prières qui lui furent apportés par une convulsionnaire.
Le 29, elle entreprend une seconde neuvaine en invoquant Paris ; les nuits sui-vantes, elle se sent agitée, émue, en proie à un saisissement et à une frayeur extraordinaires.
Le 1"' octobre les dispositions nervecises sont plus inquiétantes; des tremble-ments se joignent à l'anxiété morale; la malade annonce qu'il se passe en elle des choses qui lui semblent tout à fait étranges.
Le 2 octobre, pendant une messe à laquelle elle assiste, elle perçoit dans toute son organisation une perturbation indéfinissable quifoblige à sortir dans le jar-din où sa tête commence à être secouée sans la participation de sa volonté. Aus-sitôt qu'on fa ramenée dans son appartement, elle se met à faire inalgré elle des violents mouvements des bras, des jambes, de toutes les parties qui sont suscep-tibles de mobilité, et se porte de rudes coups de poing sur les cuisses. Une femme qui cherche à la contenir est tellement impressionnée à la vue de ce spectacle qu'elle éprouve pour son compte un long frisson nerveux. Un frère de la veuve Thévenet, chanoine à Corbeil,s'épuise en efforts superflus pour empêcher sasœurdese frapper;la figure de la malade devient vultueuse, ses yeux setournent, elle répète qu'elle a le bonheur d'être convulsionnaire, qu'd faut remercier Dieu de cette faveur, et les coups qu'elle se porte se succèdent avec rapidité.
Dans certains moments, elle fait des sauts violents, comme pour s'élever jus-qu'au plafond; le désordre de ses vêtements prouve qu'ede méconnaît tous les sentiments de la pudeur; les mots qu'elle prononce avec rapidité sont inintelli-gibles et n'appartiennent à aucune langue connue.
On tente de lui faire prendre quelques aliments; elle cède au besoin de parler, de s'agiter, fait mille contorsions ridicules, interpelle d'une manière familière ses voisins et ses proches, leur frappe sur les membres, les regarde d'un air égaré, recommence à leur porter de légers coups, et continue ,à donner tous les signes d'une exaltation cérébrale alarmante.
On se décide à la faire mettre dans son lit; elle se prend à réciter des prières qui sont très en renom parmi les convulsionnaires de Saint-Médard, et tooibe dans ues attaques convulsives qui font croire à ses familiers qu'elle s'élève en Pair tout d'un bond avec ses couvertures.
1. Loc. cit.,L II, p. 324 cl suiv.
Sur les cinq heures du même soir, Manon, convulsionnaire servante des con-vulsionnaires Girard et Plessel, arriva chez la demoiselle Thévenet, et elles s'em-brassèrent avec de grands cris de joie... Manon se mettant à genoux, récita une oraison à Paris... pendant lequel temps la dame Thévenet devint encore plus furieuse; elle sortit du lit et se mit à sauter s'éievant à peu près jusqu'à la hau-teur du plancher. Apres quoi, elle fit des convulsions de tête et des bras; et ses mamelles, sortant de son corps tournaient d'elles-mêmes et s'entortillaient comme si quelqu'un les eiit tordues avec la main ; ce qui était accompagné de mouve-ments indécents qui lui faisaient dire qu'elle souffrait des douleurs plus aiguës que si elle mettait un enfant au monde
La convulsionnaire Plessel, ayant réclamé la faveur de passer la nuit auprès de la veuve Thévenet, ces deux filles passèrent toute la soirée à parler, à sauter, à prêcher, à faire des actes de la dernière indécence.
Vers une heure après minuit, la servante entendant toujours des hurlements dans la chambre des convulsionnaires, se leva, alla au jardin, monta sur une élé-vation d'où l'on aperçoit aisément ce qui se passe dans la chambre. Les volets étant ouverts et la fenêtre n'étant point couverte du rideau, elles les vit toutes deux nues et sans chemise, qui riaient et jetaient leurs bonnets de côté et d'autre2... »
Le 3 octobre, à sept heures du matin, lorsqu'on entra dans l'appartement de la veuve Thévenet, « on la trouva dans ses agitations ordinaires, faisant toutes sortes de mouvements indécents, disant qu'il n'y avait aucune partie de son corps qui ne fût agitée : tantôt c'était les mamelles, tantôt les yeux, tantôt la bouche; disant qu'elle avait encore ailleurs ces mêmes agitations; ce qu'elle marquait par des mouvements extérieurs qu'elle faisait et qui causaient de l'horreur... Cela ne vient point de moi, ajoutait-elle, je ne suis point maîtresse de ce que je fais et de ce que je sens. De temps en temps, elle prenait la main de la Charpentier pour lui faire voir la force de son bras, dont l'agitation était si extraordinaire que cette femme ne pouvait l'arrêter 3. »
Pendant le cours de cette môme matinée, « elle continua ses contorsions et ses mouvements, frappant toujours avec ses mains sur ses mamelles et les paities secrètes de son corps, en disant qu'd fallait mortifier la chair... Pendant toute cette journée, elle sentit en elle-même de grands feux et elle but beaucoup. EHe s'écriait même quelquefois avec force qu'elle brûlait au dedans, et les demoiselles Plessel et Bernard répondaient d'abord que c'était l'amour de Dieu qui la bril-lait.... »
Pendant la nuit du 3 au 4 octobre, l'on crut que la veuve Thévenet allait expirer. Pendant près de quatre heures, elle resta sans mouvement, les dents serrées, le visage'etles mains glacés, sans qu'on piit distinguer le souffle respiratoire; au sortir de cette extase, elle éprouva des mouvements convulsifs.
Le 4 octobre, craignant elle-même une fin prochaine, elle supplia le chanoine Mariette, son frère, de la confesser pendant qu'on irait chercher son confesseur habituel. A peine eut-elle commencé à accuser ses péchés, que les convulsions devinrent plus intenses, qu'elle perdit l'usage de la parole et qu'on crut qu'elle avait cessé d'exister. En revenant à la connaissance, elle s'écria qu'elle était une bien-heureuse, une convulsionnaire, une prédestinée! Son directeur de conscience, qui avait eu le temps d'arriver auprès d'elle, lui adressa quelques paroles pieuses. « Elle entra dans des agitations si horribles qu'il en fut effrayé. 11 la vit se donner des coups de poings sur les diff'érentes parties du corps, même sur les plus secrètes,
1. Dom Latastc, Lettres théologiques,etc., t. I, p. 6i9.
2. Ibid.
3. Dom Lataste, t. I, p. 651.
4. Ibid. p. 652.
et sauter de son lit de plus de trois pieds de haut. » Le prêtre ayant dit à dessein que c'étaient là des mystères de Satan, la veuve Thévenet tomba dans les attaques convulsives les plus terribles. On vit aussitôt une autre convulsionnaire, qui se trouvait présente, branler la tête, les mains, les jambes et tout le corps, comme si ces parties eussent appartenu à un pantin...
Vers le milieu du jour, la veuve Thévenet présenta tous les signes de l'extase; pendant ce nouvel état, elle récite les propositions du livre de Quesnel, et disserte sur la grâce triomphante qui fermente dans son cœur. Le soir, elle consent à remettre à son frère un manuel de piété dont la lecture provoque aussitôt le retour des paroxysmes convulsifs, et la nuit du 4. au 5 est exempte d'agitation.
Le mardi, 5 octobre, dès le matin, le chanoine Mariette, son frère, lui ayant fait des représentations sur l'état affreux dans lequel elle était depuis plusieurs jours, elle se rendit totalement, et ne demanda plus que son confesseur ordinaire, disant qu'autant elle l'avait eu en horreur, autant elle désirait le voir. Il vint; dès qu'il fut présent, elle remit à son frère le portrait du diacre Paris, deux paquets de terre de son tombeau, un morceau de bois de son lit, qu'on jeia au feu; puis elle fit profession de foi à l'église catholique... et ede n'éprouva plus ni agitation, ni mouvements, ne conservant qu'un esprit sain*.
La nuit du 5 au 6 octobre fut marquée par la persistance de l'insomnie ; la ma-lade, tourmentée par des scrupules religieux, obligea sa garde à prier pour elle, et elle lut elle-même plusieurs pages de ses livres pieux. Vers les cinq heures du matin, elle donna des signes de frayeur, se fit asperger d'eau bénite, et éprouva une résistance difficde à vaincre, quand ede tenta de sortir de sa chambre pour se rendre à l'église où son frère devait célébrer une messe en l'honneur de sa gué-rison.
Un sentiment de répulsion terrible enchaîna encore sa volonté quand elle cher-cha à franchir le seud du saint lieu où eUe était attendue; il fallut recourir à des aspersions d'eau bénite pour soutenir son courage. Pendant la messe, elle éprouva de la transpiration et des transes mêlées de terreur. On chercha à la faire monter au tombeau d'un saint personnage très vénéré des fidèles; elle se sentit repoussée en mettant le pied sur les marches de l'escalier; à peine avait-elle fait quelques pas en avant, qu'elle rétrogradait en arrière. Enfin elle rentra dans ses habitudes de raison, ne conservant qu'une grande confusion de ce qui lui était arrivé, crai-gnant beaucoup de retomber dans le même malheur, et redoutant beaucoup aussi le retour d'une vision qui l'avait assiégée pendant la nuit du 3 au 4 octobre. Pen-dant cette terrible nuit, elle avait eu sous les yeux le spectacle d'un cadavre décharné, dont les regards semblaient ardents comme le feu et qui vomissait par la boucJie une flamme étincelante... ^
Carré de Montgeron, qui a étudié de fort près les convulsionnaires, a soin de nous faire remarquer que les accès de convulsion, tout effrayants qu'ils étaient au dehors, ne laissaient pas d'apporter parfois quelque consolation intérieure aux personnes qui en étaient atteintes.
Après avoir dit que les convulsions avaient au premier abord un extérieur bien ed'rayant, il ajoute :
c Tous ceux qui ont considéré de plus près ce qui se passait pour lors dans la plupart des convulsionnaires, ont aperçu qu'une paix intérieure ravissait leur cœur dans le secret, lors même que les plus violentes agitations trouldaient leurs sens,
1. d(iu Lataste, t. I, p. C55. "1. Ibid., p. Gi7 et buivaultis
niciiEK. . 44
c( que leur âme était souvent remplie d'un contentement inexprimable, au milieu des expressions et des marques de la plus vive douleur, que leurs cris et les mou-vements de leurs corps représentaient. •»
Ne pourrait-on mettre cette paix intérieure sur le compte des hallucina-tions (/aies qui, mêlées aux hallucinations tristes, caractérisent la troisième période de la grande attaque?
Mais les attitudes passionnelles, ainsi que le délire qui caractérise la qua-trième période de la grande attaque, se montraient de préférence sous forme d'accès isolés dans lesquels les mouvements convulsifs n'avaient plus qu'une place secondaire.
Ces sortes d'accès étaient désignés sous le nom de représentations.
Après avoir rapporté les « discours admirables et très pathétiques, qui, prononcés avec une onction pleine de force, ébranlent les esprits et touchent tellement les cœurs les plus durs qu'ils en fondent la glace », Carré de Moulgeroîi ajoute :
Non seulement de jeunes convulsionnaires prononcent de tels discours avec dignité, mais ils représentent de la manière la plus vive et la plus frappante sur leurs visaçies, par {eurs gestes et toute leur attitude, les ditïérents sentiments qui soid contenus dans leurs discours... Souvent, après de pareils discours, le convul-sionnaire devient lui-môme le portrait vivant de la passion de Jésus-fdirisî. Il tient ses bras en croix d'une manière immobile, pendant tout le temps que dure cette représentation, et toute l'attitude de son corps prend celle d'un crucifix.
Une douleur vive et tendre, supportée avec la patience la plus héroïque et la résignation la plus parfaite, se peint avec les traits les plus caractérisés sur son visage devenu plombé, dans ses yeux mourants, et dans les tressaillements de son corps.
Après être resté longtemps dans cet état, la pâleur de la mort couvre entière-ment son visage; la couleur de ses lèvres desséchées devient noirâtre ; ses yeux à demi fermés paraissent tout à fait éteints ; sa tête, ne pouvant plus se soutenir, tondje sur sa poitrin!\ et j'en ai même vu une, dont la langue s'était si fort retirée dans le gosier, qu'on :;'en apercevait plus aucune partie dans sa bouclie, qui était restée entr'ouverte...
Au reste, le surnat;:rel est bien plus marqué et plus frappant dans les tableaux vivants, qu'ils metleid sous nos yeux, des supplices que doivent endurer plusieurs des disciples du prophète (Elle), tableaux qui ne sont guère moins propres à édifier noire piété, que ceux des souffrances de notre divin modèle ^
Les convulsionnaires avaient également des extases ainsi décrites :
« Dans ces exlases, colles du moins nui sont marquées aux traits les plus propres à faire juger du principe qui les produit, les convulsionnaires sont frappés tout à coup par l'aspect imprévu de quelque objet dont la vue les ravit ordinairement de joie. Ils dardent avec avidité leurs regards et leurs mains en haut ; ils s'élancent vers le ciel, ils serai)lent vouloir y voler. A les voir absorbés ensuite dans une contemplation profonde, on dirait qu'ils admirent les beautés célestes. Leur visage est animé d'un feu vif et brillant, et leurs yeux, qu'on ne peut leur faire fermer
1. Carré de Montgeroii, loc. cit., t. II, Idée de Vétat des convulsionnaires, p. 29.
(ant que dure l'oxlase, deiueurenl. toujours immobiles, ouverts et fixés sur ce qui les occupe. Ils sont eu quel(|ue sorte transfigurés ; ils paraissent tout autres. Ceux mêmes qui en dehors de cet état ont quelque chose en eux de bas et de rebutant, changent si fort, qu'à peine sont-ils reconnaissables ; mais leur éclat alors n'a rien qui n'édide, rien qui n'inspire de la piété, rien qui ne porte à Dieu. Cet état sur-naturel représente vivement, dans la personne qui y est, une âme dégagée de tout ce qui n'est que terrestre et passager, une âme qui n'aspire qu'au bonheur suprême, une âme qu'on dirait en jouir déjà.
» C'est assez souvent pendant ces extases que plusieurs convulsionnaires font leurs plus beaux discours et leurs principales prédictions, qu'ils parlent des langues étrangères, c{u'ils découvrent les secrets des coeurs, et même qu'ils font quelque-fois une partie de leurs représentations K »
«... j'ai déjà observé que c'est dans le plus fort de leurs extases, que plusieurs convulsionnaires font ces discours en langue inconnue ou étrangère. Je dois ajouter qu'ils n'en comprennent eux-mêmes le sens que dans l'instant et à mesure qu'ils les prononcent, et qu'ils ne s'en ressouviennent plus, du moins que d'une manière générale, aussitôt que leurs discours sont finis.
» Aussi la seule preuve que nous ayons qu'ils les entendent lorsqu'ils les pro-noncent, c'est que souvent ils expriment de la manière la plus vive tous les difiè-rents sentiments contenus dans ces discours, non seidemeat par leurs gestes, mais même par l'attitude que prend leur corps, et par l'air de leur visage, sur lequel ces différents sentiments se peignent tour à tour par les traits et les caractères les plus frappants, en sorte qu'on est en élat de pénétrer jusqu'à certain point, quels sont les sentiments qui les résument, et qu'd a été facile à ceux qui ont examiné avec attention tous leurs divers mouvements ou leurs différents gestes, d'y recon-naître que la plupart de ces discours sont des prédictions détaillées de la venue du prophète Elle, des supplices qu'on lui fera souffrir ainsi qu'à ses disciples, de la conversion des Juifs, et enfin de l'établissement de la religion par toute la terre. 11 n'a fallu, pour découvrir que ces discours en langue inconnue étaient la plupart des prophéties de ces grands événements, que confronter les différentes impres-sions qu'on a vues sur le visage des convulsionnaires en faisant leurs discours, et les gestes dont ils les ont accompagnés, avec des impressions semblables et des mouvements pareils qu'on avait remarqués en euxlorsqu'ds prononçaient des dis-cours français, oîi ils avaient énoncé les mêmes événements, ce qui a été confirmé par la déclaration de plusieurs convulsionnaires, qui après leurs discours se sont ressouvenus en général, qu'ils y avaient parlé de la venue du saint prophète, et de ce qui en sera la suite ^. »
Cependant, dit Calmeil, plusieurs inspirés improvisaient sans présenter les signes du raptus extatique; l'explosion d'une simple crise hystérique suffisait pour les jeter tout à coup dans une sorte d'accès d'exaltation intellectuelle dont l'entraîne-ment les contraignait à donner cours à leurs idées. Dans ces moments, la surexci-tation des centres nerveux encéphaliques portait les théomanes à enfler leurs discours d'un flux d'expressions, d'une foule de figures, d'images, qui ne lais-saient pas de produire une vive impression sur la populace qui suivait les convul-sionnaires à la piste. « En convulsion, leur âme est bien plus dégagée des sens que dans l'état naturel... Il est de notoriété publique que les convulsion-naires, en général, ont beaucoup plus d'esprit, de pénétration et d'intelligence lorsqu'ils sont en convulsion que dans leur état ordinaire. On voit jusqu'à des filles extrêmement timides, dont le fond n'est qu'ignorance, stupidité, basse naissance, qui, dès qu'elles sont en convulsion, parlent néanmoins très exacte
1. Carre de Montgeroa, loc. cit., Paris, 17-il, t. II, deux. part. Idée de l'état des con-vulsionnaires, p. 48.
2. Carré de Montgeroa, loc. cit., p. 54.
meut, avec feu, élégance et grandeur de la corruption de l'homme par le péché originel, etc. On pourrait rapporter une multitude de faits qui prouvent invinci-blement que le fait ordinaire de la convulsion est de donner à l'âme plus de lu-mière et d'activité, plus de facilité âconcevoir les choses même les plus élevées... Line jeune enfant, hors de convulsion, était d'abord si timide et si farouche, qu'on ne pouvait tirer d'elle une seule parole, et qu'elle paraissait presque imbécile. Cependant, aussitôt qu'ehe était en convulsion, elle répondait à tout avec tant de justesse, elle semblait avoir tant de pénétration, qu'on l'eût prise pour une per-sonne qui aurait eu de grands talents naturels et l'éducation la plus parfaite... * »
Les discours des convulsionnaires n'étaient pas toujours aussi édifiants. Montgeron dit très bien qu'il y a du mélange dans les discours des con-vulsionnaires :
« Que le lecteur ne m'impute pas néanmoins d'approuver sans exception tous les discours des convulsionnaires. Je pense, il est vrai, qu'il y en a eu beaucoup, surtout dans les premiers temps, dont l'esprit a été éclairé par une lumière sur-naturehe qui leur découvrait de fort grandes vérités. Mais aussi suis-je bien per-suadé que quelques-uns de leurs discours, principalement de ceux qui ont été faits dans les derniers temps, n'ont été, du moins pour parue, que la production d'une imagination éctiauffee. Au surplus, il est évident que ceux des Augustinistes et des Vaillantistes, faits pour autoriser leurs erreurs, n'ont pu être que l'effet de l'égarement de leur propre esprit, ou de la suggestion du démon ^. »
La part de l'extravagance et de la lubricité ne manquait pas dans cette période déhrante, ainsi qu'on peut le voir par les extraits suivants que j'em-prunte à Caimeil :
« Une convulsionnaire du premier rang tient de très beaux discours dans une langue inconnue ; en même temps elle est placée dans une attitude que je vais décrire : le corps est plié en deux, en forme d'arc, â la renverse, la tête et le front touchant la terre comme pour aller chercher les talons... La même dit la messe d'un bout â l'autre avec une sorte de dignité; c'est toujours dans sa langue inconnue; mais comment se fait la cérémonie? La personne est étendue par terre sur le dos, s'agitant quelquefois si fortement, qu'd faut qu'une personne soit â ses pieds pour veiller et prévenir toute indécence et pour tenir ses vêtements... ^ »
« Une convulsionnaire récite le De profundis en français avec une piété affec-tueuse qui édifie ; mais, avant que de le réciter, elle veut qu'on lui mette la tête en bas, les pieds en haut, le corps en l'air. Après avoir récité, avec une démonstration singulière de piété cette prière, elle veut qu'on lui fasse faire une culbute toute eu l'air, et s'embarrasse peu si ce sont des hommes qui lui font faire cette opéra-tion fort mal séante par elle-même. Enfin, elle dit hautement, prononce et déclare gravement que ce qu'elle vient de faire est un mystère sérieux qui représente que tout est renversé dans l'église'\ »
Une convulsionnaire nommée ['Invisible, chantait les louanges de Dieu en faisant la culbute... Poncet a vu une convulsionnaire qui faisait ses prières en tirant la langue comme une possédée, et dont le visage était décomposé par d'horribles contorsions... Il en a vu une autre dont l'exaltation semblait venir du désespoir,
1. Carré de Montgeron, loc. cit., t. Il, p. 18, 19, cité par Galincil, loc. cit., t. Il, 047.
2. Carré de Montgcron, loc. cit.
',]. Carré de Montgeron, loc. cit. t. II, p. 25, 55. i. Avis aux fidèles sur te mélange, etc., n» 4.
qui élail, poiiée par la convulsion à se déchirer le visage avec les ongles et à se jeter par la fenêtre. Rien n'était plus criant, selon l'expression de Lataste, que la manière dont certaines convulsionnaires demandaient à Dieu des miracles. « Tan-tôt, en effet, d'après cet ecclésiastique, elles priaient Dieu en se faisant la barbe, pour imiter, disaient-elles, un saint; en mangeant de la soupe à vide,par la même raison; en faisant mille autres véritables folies dignes des petites maisons; tantôt en se faisant serrer le cou jusqu'à tirer la langue bien longue; en se faisant pendre à un clou à crochet, la corde au cou; en se faisant frapper sur le dos et sur le ventre jusqu'à lasser les spectateurs ; en se livrant à des hommes qui les pressent, qui les secouent, qui les balancent; tantôt en se faisant tirailler les bras, les jambes, le sein, en se renversant la tête en bas, les jambes en l'air, et en donnant mille autres signes d'indécence en présence non seulement des personnes de leur sexe, mais d'hommes, môme laïques, religieux, ecclésiastiques »
« Comment priait-on à Saint-Médard? s'écrie encore don Lataste; on y voyait et j'y ai vu des hommes qui priaient pour leur santé... en secouant rudement la tête, en frappant des mains, en ruant des jambes, en se tourmentant comme de vrais démoniaques. On y voyait, et j'y ai vu des femmes qui sollicitaient leur miracu-leuse guérison, les unes en courant comme des folles ou comme des possédées; d'autres, assises sur les genoux des hommes, ou tout étendues sur le tombeau de Paris, situations qui déconcertaient souvent la modestie des spectateurs... D'autres enfin, jeunes et bien faites, debout dans les charniers ou sur le tombeau, qui. après avoir fait entre les mains des hommes qui les tenaient par le milieu du corps, de violentes pirouettes, se reposaient de temps en temps de cette fatigue sur le visage de ces gardiens charitables... Faire des folies, commettre des indé-cences hors le temps même de la prière, c'est irriter Dieu, c'est l'offenser griève-ment, et il sera louable de le faire pendant qu'on le prie!... Où en sommes-nous? Que va devenir la religion 2?... »
L'attitude, la tenue des improvisateurs, n'étaient pas non plus toujours fort édi-fiantes aux yeux des personnes raisonnables... Un frère restait étendu par terre en débitant ses plus sublimes sermons; de temps à autre il élevait ses pieds qu'il posait sur le chef d'un autre convulsionnaire. « Les docteurs consultants font re-marquer que c'est dans le moment même que les convulsionnaires font de beaux discours, des prières touchantes, des représentations édifiantes, qu'elles se prêtent à des culbutes indécentes, à des attitudes fort malhonnêtes qui ne sont que les expressions sensibles et les images naturelles des sentiments mêmes que les pa-roles annoncent 'K »
Ce délire revêtait parfois les caractères de l'état d'enfance que les Appe-lants considéraient comme une faveur du ciel toute spéciale.
« On voit, dit Montgeron, un air enfantin se répandre tout à coup sur leurs vi-sages, dans leurs gestes, dans le ton de leur voix, dans l'altitude de leur corps, dans toutes leurs façons d'agir ; et ipioique l'instinct de leur convulsion leur fasse faire alors des raisonnements à la manière des enfants, par rapport aux termes dont ils se servent, et à la façon simple, innocente et timide avec laquelle ils énoncent leurs pensées, néanmoins cet instinct leur fait souvent dire tout bonnement des vé-rités très fortes, très hardies, très frajqiantes et fort instructives sur tout ce qui se passe aujourd'hui dans l'Eglise, et même parmi les Appelants*. »
t. Dom hâtante, Lettres théologiques, etc., t. II, p. 298, cit. I, p. III.
2. 1)0ni Lataste, ouvrage cité, t. I, p. llOetllI.
3. Ibid., t. II, p. 929, 930, cité par Calmeil, loc cil., t. II, p. XA). i. Carré de Montgeron,/oc. cit.; \). 88.
Plusieurs convulsionnaires avaient des attaques de léthargie avec contrac-ture, ainsi qu'il ressort du passage suivant de Carré de Montgeron :
Quelques convulsionnaires sont restés deux ou même trois jours de suhe les yeux ouverts sans aucun mouvement, ayant le visage très pâle, tout le corps in-sensible, immobile et raide comme celui d'un mort, qui pendant ce temps-là ne donnaient aucun signe de vie qu'une respiration très faible et presque imperceptible. Biais la plupart des convulsionnaires n'ont pas eu ces sortes d'extases d'une ma-nièi'e si forte; plusieurs, quoiqu'ils restassent immobiles pendant plus d'un jour, n'ont pas continuellement cessé de voir ni d'entendre et n'ont pas perdu entière-ment foute sensibilité, et quoique leurs membres devinssent fort raides dans cer-tains moments, quelquefois, peu après, ils ne l'étaient presque plus, ou point du tout 1.
Diverses pratiques usitées chez les convulsionnaires de Saint-Médard et désignées sous le nom de secours, avaient pour but, au dire dos partisans de VOEuvre des convulsions, d'apporter du soulagement au milieu des angoisses de la convulsion, et en second lieu, de faire éclater la protection divine, en montrant « que Dieu met, de temps en temps, une force prodi-gieuse dans les membres de certains convulsionnaires, et jusque dans les fibres les plus tendres, les plus faibles et les plus délicates, et que cette force est ordinairement supérieure à celle des coups les plus violents 2. »
Il y avait les petits et les grands secours. Les petits secours consistaient en attouchements, pressions, coups modérés sur diverses parties du corps, et il paraît que la satisfaction des instincts lubriques y entrait pour une bonne part.
L'aveu suivant du grand défenseur des convulsionnaires, Carré de Mont-geron, est assez significatif :
Mais afin qu'on n'abuse pas des vérités que je vais établir et qu'on ne m'im-pute point de vouloir autoriser les choses reprehensibles qui ont pu se glisser dans la prestation de certains secours, je crois devoir commencer par rendre compte des règles de conduite que j'ai vues observer à cet égard par les personnes dont je me fais gloire de suivre les sentiments.
A l'égard de petits secours dont quelques-uns ont paru avoir quelque indécence, ou quelque danger pour les mœurs, non seulement les personnes dont j'adopte les avis, mais même tous ceux qui ont un zèle éclairé, conviennent qu'on ne doit ac-corder aux convulsionnaires aucun de ceux qui portent réellement au péché. Il ne s'agit à ce sujet que de bien faire l'application de cette règle, sans outrer d'une part, et, d'autre part, sans éluder les conséquences qui en résultent.
Par exemple, il serait injuste d'en conclure qu'il faille supprimer tous les petits secours, sous prétexte que certains convulsionnaires en ont exige quelques-uns qu'on n'aurait pas dù leur rendre
— A l'égard des secours qui par eux-mêmes sont propres à exciter la concu-piscence, soit dans les convulsionnaires, soit dans ceux (pii leur rendent service, j';ii déjà dii que les personnes doiitje parie sont d'avis, ainsi que quantité d'autres,
1. Carré de Montgeron, loc. cit., p. 87. Í2. Cai-ré de Montgeron.
IJ. Carré de Mont-geron, loc. cil., t. II, i-- partie, p. ¡lo.
qu'il faut absolument les refuser, et j'avoue qu'on n'a pas toujours bien exacte-ment suivi cette règle, et qu'on a quelquefois accordé à quelques convulsion-naires,par trop de simplicité et trop de confiance en leurs prétendus instincts, certains secours, qu'il eût été plus prudent de ne leur pas donner K
..... Les convulsionnaires devraient continuellement réfléchir, que si le démon
rôde sans cesse autour de nous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer, une troupe de ces esprits de ténèbres brûlent encore d'un désir bien plus ardent de tendre de façon ou d'autre des pièges à leur simplicité, et de les faire tomber dans quelque faute; elles ne sauraient donc trop se défier de leurs ruses. Ainsi ces implacables ennemis du salut des hommes,... ont-ds employé tous leurs efforts pour faire décrier des secours si salutaires pour les corps etpour les âmes; ils n'en ont pu trouver de meilleur moyen que d'exciter quelques convulsionnaires à demander de petits secours d'une espèce, qui sans qu'elles y fissent réflexion, étaient quelquefois capables de blesser d'une certaine manière la modestie, ou de mettre la pudeur en danger^.
Au sujet de ces secours, voici maintenant comment s'exprime un anticon-vulsionniste convaincu, qui étudie la question au point de vue physiologique, l'auteur du Naturalisme des convulsions :
.....Mais encore, le naturalisme des convulsions est-il obscurément montré
dans ces coups que les convulsionnaires se font donner sur le dos et sur les reins à poings fermés et par des hommes? On ne veut pas certainement les croire ca-pables de s'en promettre les mauvais et honteux effets que la médecine y connaît, et que l'usage n'a que trop fait connaître ; mais on sait la pratique de quelques femmes romaines quand elles étaient stériles, c'était de se faire battre sur les reins à coups de main. Les Moscovites et les Perses ne sont-ils pas encore dans un usage aussi impertinent, qui est que les femmes exigent de leurs maris d'être battues, pour s'en faire aimer et devenir leurs aimables.
.....Après toutes ces réflexions, est-il possible de ne se point alarmer pour des
filles chrétiennes, qui se familiarisent à des coups de poing qu'elles se font donner sur le dos et sur les reins par des hommes, et cela avec une prédilection si honteusement marquée, qu'elles déclarent que d'autres mains leur sont moins secourables. Cependant est-il moins raisonnable de craindre que les penchants étant mutuels et si naturellement établis entre les deux sexes, l'iniagination des fdles ne se trouve réveillée sous de tels yeux et par de tedes mains? Mais quand bienmêrae l'imagination tiendrait bon contre des occasions à tentations si natu-reUes, n'est-il rien à, craindre de ces furieux coups, si énormément multipliés, que des hommes, souvent jeunes (car il ne paraît point que les filles convulsion-naires les appréhendent), donnent sur les endroits d'où le sang et les esprits peuvent recevoir plus de force, de mouvement et d'impétuosité? Car tels sont le dos et les reins.
... On doute qu'elle (la Médecine) trouve ce divin et ce surnaturel dans ces basses puérdités que disent ou font les Ailes convulsionnaires, daris ces jeux d'enfants, de se faire branddler dans des draps,où comme dans des branles on les agite adroite."t à gauche. Quelle idée de mollesse n'apcrçoit-on point dans celte situation d'une fille qui donne son corps à remuersous les yeux et entre les mains de plusieurs hommes? Que si l'on pouvait donner à cette pratique inouïe une idée moins déplaisante, du moins tout y [)araîtrait-il autant naturel que l'était un certain exercice de corps pratiqué anciennement, mais rarement, dans la gymnastique, lequel était de se
1. Carré de Montgeron, loc.cit., t. II, impartie, p. o3-3k
2. Caire de Montgeron, loc. cti. t. II , 4e partie, p. 35.
donner des branles sur des espèces de brandilloires. Mais elles n'en sont pas à ce point de raison dans leur fantaisie convulsionnaire, car elles portent la har-diesse dans ces jeux indécents et déshonorants pour des personnes du sexe, jusqu'à se faire berner dans ces draps par six ou huit Berneurs, qui en tiennent les coins et qui, comme de pieux laquais (car c'est un jeu de laquais que les bernemcnU) saboulent le corps d'une fdle qui devrait être regardé comme celui d'une fdle chré-tienne. Mais leur contenance dans cet, indigne exercice ressemble-t-elle à la mo-deslie et au silence d'une vierge? Ne les y voit-on point grâcieuser des assistants de leurs amis, d'oeillades ou de paroles obligeantes. Mais d'ailleurs, les bras des Berneurs agitant trop rudement le corps de la convulsionnaire, la renversant un peu trop et la faisant tomber de devant en arrière, à quelle indécence ne serait-elle point exposée, si quelque main (peut-être d'hommes) ne s'avançait soudaine-ment pour abaisser les jupes de la Bernée * ?
Les grands secours, appelés aussi secours meurtriers, et particulière-ment appliqués dans le but de faire ressortir l'influence surnaturelle, con-sistaient en violences atroces exercées sur les convulsionnaires, soit à l'aide de grosses bûches, de barres de fer, de marteaux, d'énormes pierres, qui servaient à porter des coups énergiques et répétés, soit à l'aide d'instruments piquants, d'épingles, de clous très longs, d'épées, avec lesquels on trans-fixait les chairs des malheureuses qu'on soumettait à ces terribles épreuves.
On vit ainsi se renouveler des'scènesdont l'horreur ne peut être comparée qu'aux cruautés que les Fakirs de l'Inde, aveuglés par les suggestions du délire religieux, exercent sur leur propre personne.
Chez les convulsionnaires de Saint-Médard, qui pour la plupart présen-taient les signes de l'hystérie la mieux confirmée, je mettrai en valeur deux points qui ressortent naturellement de l'emploi des secours et viennent confirmer notre manière de voir. Le premier réside dans la présence de l'anesthésie hystérique qui devait aider singulièrement les patientes à sup-porter les épreuves en apparence les plus douloureuses. Il est à remarquer que les piqûres ne rendaient pas de sang habituellement. Le second point consiste dans la part qui, dans le soulagement apporté par les secours, doit être attribuée à la compression ovarienne. La plupart des secours en efl'et consistaient en manœuvres ayant pour but de déterminer une forte compres-sion de l'abdomen, ou de le frapper violemment à l'aide d'un instrument quelconque, mais à l'extrémité large et mousse.
« Des personnes jeunes et sans coiffure se heurtent avec violence la tête contre les murs, même contre le marbre; elles se font tirer les quatre membres par des hommes très forts et quelquefois écarteler, donner des coups qui pourraient abattre les plus robustes, et en si grand nombre qu'on en est effrayé; car je connais une personne qui en a compté jusqu'à quatre mille dans une séance; c'est avec le poing et avec le plat de la main sur le dos et sur le ventre qu'on les leur donne. On emploie en quelques occasions de gros bâtons et des bûches; on leur frappe les reins et les os des jambes pour les redresser, dit-on, par ce moyen. 11 ne paraît pas que cela les redresse beaucoup, mais ils en sont soulagés, au moins n'en sont-
1. Hecquet, Le naturalisme des convulsions dans les maladies de répidémie convulsion-naire. MDCCXXXItt, p. 69 et suiv.
ils pas brisés. On les presse de lous les efforts de plusieurs hommes sur l'estomac, on leur marche sur le cou, sur les yeux, sur la gorge, sur le ventre, on s'y assied, on leur arrache le sein.... Quelques-uns s'enfoncent des épingles dans la tête sans aucun mal, et paraissent avoir le dessein de se précipiter par la fenêtre, ce qu'on ne permet pas. Tel convulsionnaire a poussé le zèle jusqu'à se pendre à un clou à crochet, à vouloir être crucifié; la croix, les clous, la lance, tout était préparé » Quelques convulsionnaires allaient jusqu'à se faire étendre et lier avec des cordes, sur des croix de bois, qu'elles faisaient ensuite dresser et restaient plus ou moins longtemps dans l'attitude du Christ mourant 2. Plusieurs d'entre elles, as-sure-t-on, se firent traverser les pieds et les mains par d'immenses clous de fer, qui allaient ensuite se fixer dans les branches et dans farbre de la croix, et pen-dant ce martyre, trouvèrent la résignation nécessaire pour admonester les assis-tants. D'autres se faisaient percer la langue et larder les chairs avec des épées... Ces tableaux, disait-on, faisaient ressortir la laideur dupéclié, qui n'avait pu être expié que par la souffrance d'une chair divine
La relation qu'un observateur de sang-froid nous a laissée du crucifiement de deux convulsionnaires, montre, par les précautions dont on entourait ces épreuves, que tout n'était pas laissé au secours d'en haut. Malgré ces quelques atténuations la scène n'en était pas moins effrayante, et la Gon-damine, tout en éliminant toute action surnaturelle, ne peut s'empêcher de rendre hommage à la constance et au courage que le fanatisme peut inspirer. Pour nous, notre étonnement sera moindre, si nous songeons à l'anesthésie profonde qui est un des symptômes les plus fréquents de la diathèse hysté-rique.
Jeme contenterai de rapporter ici la scène du crucifiement de sœur Fran-çoise.
Crucifiement de Françoise. — A sept heures, Françoise s'étend sur une croix de bois de deux pouces d'épaisseur et d'environ six pieds et demi de long, posée à plate terre; on l'attache à la croix avec des lisières à ceintures, au-dessous des genoux et vers la cheville du pied; on lui lave la main gauche avec un petit linge trempé dans l'eau qu'on dit être de saint Paris. J'observe que les cicatrices de ses mains, qui m'avaient paru récentes au mois d'octobre dernier, sont aujourd'hui bien fermées; on essuie la main gauche après l'avoir humectée et touchée avec une petite croix de saint Paris, et le père directeur enfonce en quatre ou cinq coups de marteau un clou de fer carré, de deux pouces et demi de long, au miheu de la paume de la main, entre les deux os du métacarpe qui répondent aux pha-langes du troisième et quatrième doigt. Le clou entre de plusieurs lignes dans le bois, ce que j'ai vérifié depuis en sondant la profondeur du trou.
Après un intervalle de deux minutes, le même prêtre cloue de la même ma-nière la main droite, qu'on mouille ensuite avec la môme eau. Françoise paraît souffrir beaucoup, surtout de la main droite; mais sans faire un soupir ni aucun gémissement; elle s'agite et la douleur est peinte sur son visage. On lui passe plu-sieurs livres et une petite planche sous le bras pour le lui soutenir à différents en-droits et aussi la tête; on lui met un manchon sous le dos. Cependant tous les
1. De I..an, Dissertation théologique sur les convulsions, p. 70, 71. — Dom Latasie, t. 11, ]). 787, cité par Calmeil, loc. cit., t. II, p. 373.
2. Dom Lalastn, t. II, p. 871.
3. Dulaure,//isi. de Paris, t. Vît, p. 436.
inities à ces mystères prétendent que ces victimes ne souffrent pcas, et qu'elles sont môme soulagées par les tourments qu'elles endurent.
On travaille longtemps à déclouer le marchepied de la croix pour le rappro-cher, afin que les pieds puissent l'atteindre et y porter à plat. A sept heures et demie on cloue les deux pieds de Françoise sur le marchepied rapproché avec des clous carrés de plus de trois pouces de long; ce marchepied est soutenu par des consoles; il ne coule pas de sang des blessures faites aux mains, mais seulement d'un des pieds et en petite quantité; les clous bouchent les plaies.
A sept heures trois quarts, on soulève la tète de la croix à trois ou quatre pieds de hauteur; quatre personnes la soulèvent ainsi pendant quelque temps; on la baisse ensuite et l'on appuie le haut de la croix sur le siège d'une chaise, le pied de la croix restant à terre.
A sept heures cinquante-cinq minutes, on élève la tête de la croix plus haut, en l'appuyant contre le mur à la hauteur de quatre pieds ou quatre pieds et demi au plus.
La jeune soeur Marie entre en convulsions. Je séparerai les articles qui la regardent.
A huit heures un quart, on retourne la croix de Françoise de haut en bas, et on l'incline en appuyant le pied contre la muraille, de la hauteur de trois pieds seulement, la tête de la croix posant sur le plancher. En cet état, on lit la passion de l'évangile saint Jean au lieu de psaumes que l'on avait récités jusqu'alors. Cette situation a duré un quart d'heure. On m'avait dit qu'on poserait la croix debout, la fête en bas, mais on ne passa pas la mesure dont je viens de parler.
A huit heures et demie, on couche la croix à plat, on délie les sangles et les bandes des lisières dont le corps de Françoise était serré dans la précédente situa-tion, apparemment pour que le poids de son corps ne portât pas sur les clous qui attachaient ses bras. On lui soutient la tête et le dos avec des livres. Tous ces changements se font à mesure qu'elle les demande. On lui ceint le front avec une chaîne de fil de fer fort délié, qui a des pointes, ce qui fait l'effet d'une couronne d'épines. Je la vois parler avec action, on m'a dit qu'elle déclamait en langage figuré sur les maux dont l'Église est affligée et sur les dispositions des spectateurs, dont plusieurs fermaient, disait-elle, les yeux à la lumière, et dont les autres ne les ouvraient qu'à demi.
A huit heures trois quarts, elle fait relever sa croix, la tête appuyée contre le mur à peu près de quatre pieds ou quatre pieds et demi. En cet état, elle présente sa poitrine à douze épées nues; on les appuie au-dessus de sa ceinture toutes à la même hauteur; j'en vis plusieurs plier, entre antres celle de M. Latour-Dupin, qui m'en fait tâter la pointe très aigué. Je n'ai pas voulu être un de ceux qui présen-taient les épées. Françoise dit à l'un d'eux, de qui je tiens ce fait : « Mais laissez donc, vous allez trop fort. Ne voyez-vous pas que je n'ai pas de main? »
Ordinairement, quand on fait cette épreuve, la patiente place elle-même la pointe de l'épée, la tient entre la main, et peut soutenir une partie de l'effort, ce qu'elle ne pouvait, ayant la main attachée. On ouvre la robe de Françoise sur sa, poitrine. Outre sa robe de coutd fort plissée et son casaquin intérieur que je n'ai pas manié, il y avait un mouchoir en plusieurs doubles sur le creux de l'estomac. Je tâte plus bas ; j'y trouve une espèce de chaîne de fil de fer connne sa couronne, qu'on dit être un instrument de pénitence; on venait de lui ôter par ses poches une ceinture large de trois doigts d'un tissu fort serré de crin en partie, fort sem-blable à une sangle de crochetour, autre instrument, dit-on, de morlificadon. Cette sangle est assez simple, mais épaisse; je ne sais s'il n'y avait rien au dedans, ou si le tissu tout de crin suffit pour faire plier une lame.
Pendant que je me suis éloigné de Françoise, on m'a dit qu'elle avait appelé le directeur en disant : « Père Timothée, je souffre, je n'en puis plus; frottez-moi la main. »11 a promené doucement et lentement autour du clou de la main droite.
Depuis neuf lieures un quart jusqu'à dix heures, pendant près de trois quarts d'heure, j'ai presque perdu de vue Françoise, portant toute mon attention à Marie. Mais j'achèverai de suite ce qui regarde Françoise.
A neuf heures vingt minutes, elle fait reposer sa croix à plate terre; à neuf heures quarante minutes, elle la fait relever contre le mur; à dix heures, on couche Françoise attachée à sa croix; on lui óteles clous des mains, on les arrache avec une tenaille; la douleur lui fait grincer des dents, elle tressaille sans jeter de cris! Les clous dont on s'était s;;rvi jusqu'ici pour cette opération, étaient très aigus, ronds, lisses et déliés. Aujourd'hui, pour la première fois, c'étaient des clous carrés ordinaires. J'en demande un que je conserve; les mains, surtout la droite, saignant beaucoup, on les lave avec de l'eau pure. Elle embrasse Marie, sa prosélyte, qui venait d'être détachée de la croix où elle a resté moins d'une demi-heure.
A dix heures douze minutes, on élève la croix de Françoise, dont les pieds étaient encore cloués, on l'appuie contre la muraille, plus haut qu'elle ne l'avait encore été et presque debout. J'ai déjà dit que les bras étaient détachés, les pieds poi'taient à plat sur le marchepied. On me donna à examiner une lame de couteau ou de poignard tranchante des deux côtés, qu'on emmanche dans un bâton, long de deux ou trois pieds, ce qui forme une petite lance, destinée à faire à la poitrine une blessure au côté par laquelle le directeur m'a dit qu'elle perdait quelquefois deux pintes de sang. On découd sa cheînise, on lui découvre la chair du côté gauche vers la quatrième côte, elle montre du doigt où il faut faire la plaie, elle frotte l'endroit découvert avec la petite croix du bienheureux Paris, présente elle-même la pointe de la lame en tâtonnant en plusieurs endroits. Il est dix heures vingt-cinq minutes. Le prêtre enfonce un peu la pointe de la lame que Françoise gou-verne et tient empoignée; ehe dit amen. Le prêtre relire la lame. Je juge par la. marc[ue de sang, qu'elle est entrée de deux lignes et demie, près de trois lignes; la plaie est moins longue que celle d'une saignée, il ne sort pas de sang.
Deux minutes après, Françoise den)ande à boire, on lui donne du vinaigre avec des cendres, qu'elle avale après bien des signes de croix.
A dix heures trente-cinq minutes, on la recouche avec sa croix; il y avait plus de trois heures et demie qu'elle y avait été attachée. On a beaucoup de peine à arracher les clous des pieds avec une tenaille. Nous sommes deux à aider le prêtre. M. de Latour-Dupin demande un des clous, il entrait dans le bois de plus de cinq lignes. Françoise éprouve les mêmes symptômes de douleur que lorsqu'on lui a décloué les mains. ^
Ces terribles épreuves n'avaient d'autre but que de convertir les incré-dules en faisant éclater la puissance divine et de réchauffer la foi des fidèles en leur représentant d'édifiants spectacles.
Mais il en était d'autres qui, sous de brutales apparences, pouvaient con-tribuer pour une part au soulagement de ces infortunées.
Nous avons étudié l'heureux elfet de la compression ovarienne sur les accidents hystériques.
Les violents coups que les convulsionnaires se faisaientadminislrer au fort de leurs crises, portaient le plus souvent sur le ventre. Les piétinements auxquels on les soumettait s'exerçaient aussi sur le ventre, et c'est sur le même point du corps que devait porter le principal effori de Tépreuve de la planche; les auteurs du temps ont soin de faire remarquer que le ventre
1. La Condamiiie, cilé par L. Figuier, Histoire du merveilleux, i. Í, p. 38o.
était gonflé (météoi'isme). Voici en qnoi consistait cette dernière épreuve : une convulsionnaire couchée sur le dos se couvrait le ventre et la poitrine d'une planche el supportait le poids de toutes les personnes qui voulaient bien monter sur son corps.
Carré de Montgeron insiste sur ce point que les coups portés avec un chenet ou autre lourd instrument ne produisaient un heureux etîet que lors-qu'ils pénétraient profondément jusqu'aux viscères.
Car il (îst très important de remarquer, dit-il, que la force des coups qu'on donne aux convulsionnaires n'est point arrêtée sur la superficie de la peau.
Par exemple, le chenet, lorsque les coups en sont frappés avec beaucoup de violence, s'enfonce si avant dans l'estomac de la convulsionnaire, qu'il parait pénétrer presque jusqu'au dos, et qu'il semide devoir écraser tous les viscères qui se trouvent sous le poids de ses coups : et c'était pour lors que la convulsionnaire s'écriait avec un air de contentement peint sur son visage. « Ha! que cela est bon! Ha ! que cela me fait du bien! Courage, mon frère ! redoublez encore de force,si vous pouvez^ »
revivals, camp-meetikgs américains et irlandais
Nous avons vu se développer en France, sous l'influence religieuse, des épidémies de convulsions parmi lesquelles une des plus remarquables est celle dont nous avons parlé plus haut, qui eut pour berceau le cimetière de Saint-Médard et pour théâtre ensuite Paris et plusieurs villes de province. Les peuples protestants ne sont pas à l'abri de semblables épreuves. L'his-toire des revivais et des camp-meetings d'Angleterre et d'xVraérique est là pour nous l'apprendre.
Les camp-meetings et les revivais sont des assemblées religieuses qui se tiennent en plein air ou dans les églises, et dans lesquelles les ministres des différentes sectes se livrent à des prédications véhémentes dans le but d'en-tretenir la ferveur des fidèles, de raviver la foi des tièdes, de réveiller les indifférents et de convertir les impies. Les prières s'y font en commun, et le plus souvent sont laissées à l'inspiration des fidèles qui suivent, dans leurs improvisations, l'élan de leur enthousiasme. On conçoit que, dans de sem-blables réunions, l'excitation mentale, bientôt portée à sou comble, constitue un milieu propice au développement de la grande hystérie.
Pour donner une idée des proportions que peuvent prendre ces manifesta-tions religieuses, j'emprunte à un écrit du docteur John Chapman sur l'his-toire des revivais chrétiens^, les détails suivants :
1. Carré do Montgeron, loc. cit., t. II, 3« partie, p. 45.
2. Clirisiian revivais : their history and natural liislory, by Jolui Cliapman, M. D. mem-ber of tlie royal College of Physicians. London, George Mauwariiig, 8, king AVilliamstreet, strand MDCCCLX.
Pendatil un revival méthodiste en Gornouailles, guaire 7Wi7/e per-soimes tom-bèrent dans des convulsions.
Un revival américain qui eut lieu vers le milieu de ce siècle a réalisé, selon quelques narrateurs, la conversion d'un quart de million, suivant d'autres, d'un demi-million d'àmes. En 1850, un meeting religieux de chrétiens évangélistes se réunit à Boston, pour traiter de la |)rière quotidienne du matin. L'excitation du peuple était telle et son engouement pour ce genre d'exercices si accusé, que le clergé de Boston décida qu'il fallait choisir entre la création de meeting de prières ou la perte de leurs fidèles.
Vers 1857, une convention d'à peu près deux cents ministres et d'un grand nombre d'hommes de loi se réunit à Pittsbourg. Elle dura trois jours. Un revival religieux eut lieu. On y discuta la question complète des revivais religieux; les obstacles qu'ils peuvent rencontrer, les moyens de les favoriser et d'en assurer le développement furent étudiés avec soin, et la résolution fut prise qu'une adresse serait lue le 1"" janvier 1858, recommandant les moyens pratiques de faire renaître la vraie religion. Cette résolution fut exécutée et ces mesures pratiques répandues avec un remarquable succès.
Une convention semblable eut lieu peu après à Cincinnati, marquée des mêmes péripéties et suivie des mêmes résultats.
Dans rOhio, pendant un revival qui suivit le décès des missionnaires américains et de leurs amis morts dans l'Inde, le peuple, observe le rév. John Angell James, avait été converti par centaines et par milliers.
11 semble, dit le même auteur, que Dieu par le réveil de ferveur dans les États-Unis ait voulu attirer l'attention du monde chrétien tout entier sur l'importance et sur la puissance de la prière.
Le revival irlandais paraît avoir été provoqué par certains prêtres irlandais qui, après avoir visité l'Amérique et y avoir suivi les revivais, revinrent dans leur pays, lisant des écrits sur ces sortes d'assemblées et racontant tout ce qu'ils avaient vu. Ces lectures suivies par une foule nombreuse excitaient le plus vif intérêt. En di-vers endroits de la contrée des meetings religieux s'organisèrent sur le modèle américain, et dans ces réunions le moyen d'adoration le plus populaire était la prière improvisée.
Le plus grand nombre des fervents qui suivaient les revivais appartenait à la classe ignorante. Aussi pour agir puissamment sur l'imagination de cette masse illettrée, les prédicateurs usaient-ils largement des sentiments de crainte et de terreur qu'inspiraient les descriptions de l'enfer. 11 ressort de tous les écrits publiés à ce sujet que la terreur était le grand levier qui servait à effectuer les conversions revivalistes.
Pendant le cours de ces réunions si propices au développement des acci-dents nerveux, il ne manquait pas de se développer chez une partie des assistants, et principalement chez les femmes, toute une série de phéno-mènes physiques et intellectuels qui, par leur caractère extraordinaire, atti-raient vivement l'attention et dans lesquels il ne nous sera pas difficile de reconnaître les marques de la grande hystérie.
A Bristol, il semble que les accidents nerveux aient pris la forme d'at-taques de léthargie.
« Pendant les sermons de Wcsiey, à Bristol, dit le U'' John Chapman, plusieurs tombaient à la renverse, ils étaient comme foudroyés, frappés au cœur par la pa-
rôle de Dieu. On voyait, par vingtaine les liomnn^s (ît les femmes pèle-mèle, joncher le sol, insensibles et semblaljles à des cadavres ^ »
Le revival méthodiste de Gornoiiailles se signala par des convulsions :
(( Lesgens atteints étaient alors si peu préoccupés d'idées terrestres, qu'ds séjour-naient deux et parfois trois nuits dans les chapelles, agités à tout moment de mou-vements spasmodiques et ne prenant aucune nourriture ni aucune boisson. Les symptômes observés étaient d'ordinaire les suivants : une sensation de fatigue et d'oppression, des cris semblables à ceux de l'agonie ou à ceux poussés dans les douleurs de l'enfantement, des convulsions des muscles des paupières, — les yeux fixes et hagards, les muscles du cou, du tronc et des bras innnobiles, — la respi-ration coupée de sanglots, du tremblement avec agitation générale et toutes soi'tes de gestes.étranges. Alors l'épuisement survient, les patients s'évanouissent et res-tent dans un état de torpeur et d'immobilité jusqu'à la fin de l'accès ^. »
Dans les revivais qui eurent lieu au commencement du siècle (1800-1804) dans le Kentucky, le Tennessee, la Caroline, i'illinois, on observa des se-cousses générales ou partielles, des aboiements et des convulsions bizarres, que l'on peut mettre sur le compte des diverses variétés de la chorée rhy-thmique, chorée saltaloire, rolatoire, malléatoire, imitairt les mouvements d'un joueur de violon, etc., etc. Voici le récit qu'en fait le D'' J. Chapman d'après des témoignages authentiques :
« Pendant le grand rcvival presbytérien qui eut lieu au commencement de ce siècle dans le Kentucky et le Tennessee, les sujets paraissaient s'évanouir, et après être restés dans cet état quinze à vingt minutes,étaient pris de convulsions généralisées qui n'avaient pas chez tous une égale intensité. » La chute du début était parfois remplacée par des secousses (jerks) que l'on croit avoir commencé dans l'est du Tennessee.
» Pendant notre sermon, dit le témoin que nous citons, nous avons, après avoir traité de choses agréables d'une voix douce, soudainement changé notre accent et notre langage, pour peindi'e des objets pleins d'horreur et d'épouvante, et tout aussitôt douze à vingt personnes et même davantage se trouvèrent du même coup précipitées à terre en poussant un cri étouffé. Une ou deux fois le bruit qu'elles faisaient en tombant ressemblait à l'aboiement d'un chien. La femme d'un de nos anciens, personne d'une grande piété, fut saisie des mêmes accidents.
)) Le pieux ministre expérimenta sur elle, comme sur ses fidèles. Un jour qu'il raccompagnait à cheval en revenant d'un village où elle était allée « faire un petit achat » (elle était alors parfaitement calme et n'avait point de secousses), il l'en-tretenait familièrement de choses et d'autres, quand il s'avisa de changer soudai-nement la tournure de la conversation et d'aborder des sujets sérieux d'un accent solennel. Le révérend expérimentateur assure « qu'au bout de deux ndnutes à peine, il vit sa compagne soulevée de la selle, donner de la tête en avant au point d'atteindre la moitié du cou du cheval, et cela six ou huit fois à la minute. » Les secousses étaient souvent limitées au bras, mais c parfois la tète violemment agitée se penchait en avant pour se rejeter en arrière avec une; vitesse qu'il eût été im-possible d'imiter et qui ne laissait pas d'inspirer des craintes sérieuses. » Dans un
1. John Ghapnnui, loc. cit., p. 30.
2. i(J., ibid.
cas au inoins, cette forme de frénésie se termina par la mort. Les secousses « at-teignaient les bons et les mauvais, les jeunes et les vieux ». En d 822-3-4., elles se reproduisirent dant l'État d'illinois. Les femmes jeunes et de basse condition, natives de la Caroline du Nord et du Tennessee, étaient principalement atteintes. Les revivais de 1801-2-3 se firent remarquer par d'autres accidents nerveux que les secousses dont il s'agit. « Une jeune femme, dit notre auteur, tournait comme une toupie pendant environ une heure sans s'arrêter, et faisait au moins cinquante tours à la minute. » D'autres dansaient « d'un mouvement qui ne manquait pas de grâce et de charme, mais d'un pas peu varié ». Une jeune femme dansaitsur son banc pendant viugt à trente minutes. Elle avait les yeux fermés, et ses mouvemeids n'étaient pas exagérés ; puis elle tombait en convulsion. Les uns étaient pris de la manie de sauter, les autres couraient avec une étonnante vitesse; on en voyait imiter les mouvements d'un joueur de violon ; d'autres encore aboyaient comme un chien ^. »
Grégoire, dans son Histoire des sectes religieuses^, donne les dclails suivants sur un camp-meeting méthodiste de 1800. On y trouve signalés les convulsions, les cris, l'écume aux lèvres, le délire, et la part qui, au milieu de tout ce désordre, revenait à la lubricité.
« Une lettre particulière, dit-il, donne des détails authentiques sur un camp-meeting de méthodistes, ou assemblée au milieu des champs, en 1806, pendant quatre ou ciuij jours, dans le comté de la Duchesse (Dutchescounty), État de New-York. Elle commença un lundi, par quelques centaines de personnes. D'un côté, on prêchait, on chantait; de l'autre, on entendait le bruit confus d'enfants, de femmes, d'hommes, qui déployaient leur bagage et dressaient leurs tentes. Bientôt ou vit un assez grand nombre des assistants trembler, entrer en convulsions, s'a-giter comme des forcenés, se rouler, écumer et tomber en poussant des cris aigus et des hurlements. Toutes les folies ont une teinte de ressemblance. Celles-ci se nommeni, en Amérique, l'Œuvre (The work) comme chez les coiivulsionnaires de France. L'Œuvre continuait une partie des nuits.....
L'enthousiasme s'accrut journellement par l'arrivée de nouveaux inspirés, dont le noùdjre s'éleva à quatre mille ; ils se formèrent en groupes de quarante ou cinquante personnes, au milieu desquels des hommes, des femmes surtout, et même des enfants de six à sept ans, retraçaient le spectacle qu'on vient de décrire, et tombaient évanouis. L'auteur de la lettre pense que le chaos de la lourde Babel devait être un modèle d'ordre et d'harmonie comparativement à la confusion et au tapage de ces assemblées. 11 est impossible, dit-il, de s'imaginer à quels excès on s'y livre. Il cite unejeuiie femme qui, dans son extase pieuse, se déshabille, se jette à la rivière et se noie. Une autre est tellement pénétrée de joie d'être régénérée qu'à l'instant elle avorte. Les frères et les sœurs se séparent en s'embrassant de la manière la plus tendre et en pensant que c'est peut-être pour, la dernière fois. Dans ce culte bizarre, non seulement le narrateur ne voit rien d'utile; mais, à côté de ces traits de délire, il découvre l'immoralité des sœurs régénérées, partageant, la nuit, leur asile avec des frères qui ne le sont pas..... Michaud fils, dans son pre-mier voyage, parle comme témoin oculaire de ces rassemblements dans les bois, où l'on se rend de très loin, pour entendre des prédications pendant plusieurs jours de suite. Il est remarquable (jue ces réunions ont lieu surtout dans les États de Kcntucky, Tennessee, Virginie et Carohne du Nord, qui sont des contrées peu morales. »
1. Jotin Cliapman, loc. cit., p. 31.
2. Page 128 (cité par lly[).\ilíi.í\c.. Le merveilleux dans le jansénisme, le magnétisme, ctc . Paris, 1865.)
Le récit que mistress Trollope a laissé d'un revival américain qui eut lieu à Cincinnati vers 1828, met eu lumière quels procédés oratoires les ministres mettaient en œuvre pour émouvoir la foule des lidèles et amener chez plusieurs d'entre eux les marques de l'action divine sur les pécheurs, c'est-à-dire les convulsions. Naturellement les jeunes dlles étaient les pre-mières atteintes.
( Ce fut, dit mistress Trollope, dans la principale des églises presbytérienne!-de Cincinnati que je fus deux fois témoin des hideuses scènes que je vais décrire Chaque jour les ramène avec une parfaite uniformité. Qui connaît l'une de ce^ représentations les connaît toutes. Nous étions au mdieu de l'été; mais le servici auquel on nous avait prié d'assister ne devait pas commencer avant la nuit. Le temple était bien éclairé, et d y avait un concours de monde à n'y pas tenir. Nou^ aperçiimes en entrant trois prêtres debout et rangés côte à côte dans une espèce de tribune, élevée à l'endroit où se trouve ordinairement l'autel; cette tribune, qui ressemblait aux chaires de nos temples, était ornée de draperies cramoisies nous primes place sur un baiïc qui se trouvait près de la balustrade qui l'entou rait. Le prêtre qui était au milieu priait; la prière était d'une extravagante véhé mencc et d'une familiarité d'expression cho(iuante. Après la ])rière, il chanta ui hymne, puis un autre prêtre se mit au milieu et commença à prêcher. 11 déploya dans son sermon une éloquence rare, mais le sujet qu'd avait choisi était affreux, n décrivit avec une excessive minutie les derniers et tristes moments de la vie humaine; ensuite il peignit les changements affreux que le corps subit graduel-lement après la mort, et il arriva au tableau de la décomposition. Tout à coup le ton de son discours, qui jusque-là avait été celui d'une description exacte et simple, changea : il tit entendre une voix aiguë et perçante, et, penchant la tète en avant comme pour fixer ses regards sur un objet qui se trouvait au-dessous de la tribune...., le prédicateur nous fit connaître ce qu'il apercevait dans les profondeurs qui semblaient ouvertes devant lui : c'était, comme on voit, une heu-reuse invention pour frapper les esprits faibles par la description de l'enfer. De toutes les images que peuvent fournir le feu, la flamme, le soufre, le plomb fondu, les fourches rougies faisant palpiter des nerfs, des membres, des chairs, aucune ne fut oubliée par le prédicateur. Il suait à grosses gouttes; ses yeux roulaient avec horreur; ses lèvres étaient couvertes d'écume, et chacun de ses traits respi-rait la profonde terreur qu'il aurait ressentie s'il eût réellement été témoin de la scène qu'il décrivait. Le jeu de l'acteur fut parfait. Enfin il jeta sur ses deux assistants à droite et à gauche un regard languissant où se peignait sa faiblesse; il s'assit et essuya la sueur qui inondait son visage. En ce moment les deux autres prêtres se levèrent et entonnèrent un hymne. Tous les assistants, le visage cou-vert de la pâleur de la mort, étaient frappés de stupeur, et ce ne fut que quelques instants après qu'ils purent unir leurs voix à celles des prêtres. Lorsque les chants eurent cessé, un autre prêtre occupa la place de milieu, et d'une voix douce et pleine d'affection, il demanda aux fidèles si ce qu'avait dit sou frère était arrivé jusqu'à leur cœur, s'ils désiraient éviter l'enfer, qu'd leur avait fait voir. — S'il en est ainsi, venez, continua-t-il en étendant les bras vers les assistants, venez à nous, et nous vous montrerons Jésus, le doux et bien-aimé Jésus, qui vous déli-vrera de fenfer. Mais il faut que vous veniez à lui, vous ne devez pas avoir honte de venir! Cette nuit, vous direz au doux Jésus que vous ne rougissez pas de lui. Nous allons vous ouvrir le chemin. Les bancs destinés aux pécheurs inquiets vont vous être ouverts. Venez donc, venez vous asseoir sur le banc d'anxiété {anxtous
1. Mœurs domestiques des Américains, 1.1, p. 127 (cité par Ilyp. Blani', loo. cit., p. 265).
bench) et nous vous ferons voir Jésus. Venez, venez, venez! On entonna un hymne ; alors un des prêtres fit évacuer un ou deux hancs qui longeaient la balustrade, et il renvoya au fond de l'église ceux ((ui s'y étaient assis. Les chants ayant cessé, un des trois prêtres exhorta encore les assistants à ne point rougir de Jésus, les invita à venir prendre place sur le banc d'anxiété et reposer leurs têtes sur son sein. — Nous allons chanter encore un hymne, continua le prêtre, afin de vous donner tout le temps de vous résoudre. Et les chants recommencèrent, en ce mo-ment, dans toutes les parties du temple ; il se fit un mouvement léger d'abord, mais qui prit par degrés, un caractère phis décidé. Des Jeunes filles se levèrent, s'assi-rent, puis se levèrent de nouveau. Alors les portes des bancs s'ouvrirent, et l'on vit s'avancer en chancelant plusieurs jeunes filles,les mains jointes, la tête penchée sur la poitrine et tremblant de tous leurs membres. Les chants continuaient tou-jours. Ces pauvres créatures approchèrent des bancs, et leurs sanglots et leurs gémissements commencèrent à se faire entendre. Elles s'assirent sur les bancs d'anxiété, l'hymne fut suspendu, et deux prêtres, descendant de la tribune, s'avancèrent, l'un à droite, l'autre à gauche du banc, et murmurèrent des paroles à l'oreille des jeunes filles qui tremblaient toujours. Ces paroles n'arrivaient pas jusqu'à nous ; mais en ce moment, les cris et les sanglots s'accrurent d'une ma-nière horrible. Ces faibles créatures, les traits altérés et couverts de pâleur, tom-bèrent à genoux sur les dalles, et bientôt leur visage alla frapper la terre. Des cris et des gémissements extraordinaires se faisaient entendre, et de temps en temps une voix s'écriait avec des accents convulsifs : — 0 Jésus, Jésus! mon Sauveur! venez à mon secours! Et d'autres choses semblables. Cependant les deux prêtres continuaient à parler bas aux jeunes filles; de temps en temps ils montaient sur les bancs et ils annonçaient à l'auditoire de toute la force de leurs poumons que l'opé-ration du salut s'accomplissait; alors, de toutes les parties de l'église s'élevaient ces cris brefs et perçants : Amen! gloire! amen! pendant que les pénitentes, pres-que étendues sur le pavé, continuaient à recevoir des exhortations murmurées à leur oreille, et de temps en temps des caresses mystiques. 11 faut le dire, plus d'une fois je vis le bras du prêtre passé autour du cou d'une jeune fille. Un grand nombre de ces créatures étaient en proie à d'horribles convulsions, et, quand le tumulte fut parvenu à son plus haut point, le prêtre qui était resté à la tribune entonna un hymne d'une voix forte, comme pour essayer de couvrir les ci'is des pénitentes. C'était un spectable horrible de voir ces pauvres filles, à peine au matin de la vie, frappées de terreur, livrées à d'affreuses convulsions, affaiblies et énervées pour toujours. Je remarquai une de ces faibles créatures, qui ne devait pas avoir plus de quatorze ans, soutenue dans les bras de ses compagnes plus âgées; son visage était couvert de la pâleur de la mort, ses yeux hagards étaient privés de tout sentiment, et des flots d'écume ruisselaient sur son menton et sur sa poitrine. Sur tous ses traits étaient empreintes les apparences d'un idiotisme complet. Un prêtre s'approcha, et, prenant la main délicate de cette convulsion-naire. Jésus est avec elle! Dieu soit béni! dit-il froidement, et il passa.
y ..... Est-il nécessaire de dire que les femmes seules obéirent à l'appel des
prêtres, et vinrent s'asseoir sur les bancs d'anxiété, et que la plus grande partie étaient de très jeunes femmes? La congrégation avait revêtu ce jour-là ses habits de fête, et les dames les plus jolies et les plus élégantes de la ville assistaient à cette indigne cérémonie. »
Ce que raconte le môme auteur touciiant les camp-meelings, n'est pas moins intéressant. Mêmes scènes de terreur, convulsions, contorsions, délire, cris, etc., tout ce qu'il faut pour caractériser la grande hystérie.
« On m'avait dit, raconte mistress Trollope', qu'assister à un camp-meeting
1. Tome I, p. 274 et suivantes.
lUCHIOR, 45
c'était se trouver sur la porte du ciel et le voir ouvert devant soi; on m'avait dit, d'un autre côté, (jue c'était avoir franclii les portes de l'enfer et en contempler
toutes les horreurs : ce double renseignement avait piqué ma curiosité..... Nous
atteignîmes le lieu de la scène à onze heures du soir..... Le terrain qu'on avait
choisi était situé au milieu d'une forêt vierge. C'était une clairière d'environ vingt acres d'étendue qui semblait, au moins en partie, avoir été ménagée pour cette cérémonie. Tour autour et le long des bords de la forêt s'élevaient, pressées les unes contre les autres, des tentes de diverses grandeurs ; derrière ces tentes, un autre cercle était formé par les voitures et les charrettes de toute espèce qui avaient amené les spectateurs; et derrière ces charrettes étaient aUachés les che-vaux qui les avaient traînées.....Quatre échafaudages gigantesques, construits en
forme d'autels, s'élevaient aux quatre coins de l'enceinte..... Sur un des côtés on
voyait une informe estrade préparée pour recevoir les prédicateurs. Il y en avait quinze à la tête de ce meeting. Sauf les courts intervalles réservés pour les repas et les actes de dévotion privée, ils se succédaient sans interruption sur cette estrade, et y prêchaient jour et nuit depuis le mardi jusqu'au samedi. Lorsque nous arrivâmes, les prédicateurs se taisaient; mais de toutes les tentes qui ani-maient la place s'échappaient des sons confus, mélange bizarre de prières, de dé-clamations, de chants et de gémissements.....
»..... Cependant minuit arriva; le son du cor retentit dans le camp, et l'on nous
apprit que c'était le signal qui appelait les fidèles autour de l'estrade. En effet,
nous les vîmes sortir des tentes et accourir de tous les côtés..... Environ deux
mille personnes composaient l'assemblée. Un des prédicateurs commença d'une voix basse et nasillarde. Il débuta, selon l'usage des méthodistes, par s'étendre sur la dépravation profonde de l'homme quand il sort des mains du Créateur, et sur sa parfaite sancdfication quand il a assez longtemps et assez vigoureusement lutté avec le Seigneur pour s'emparer de lui, etc., etc.. Les cris : Amen! amen! Jésus! Jésus ! gloire! gloire! exprimaient à chaque instant l'admiration de l'audi-toire. Mais cette tranquihtô reladve ne fut pas de longue durée. Bientôt le prédi-cateur, poursuivant son discours, leur apprit « que le temps était venu pour les pécheurs inquiets de lutter avec le Seigneur ; que cette lutte devait avoir lieu cette nuit même »; que lui et ses frères « étaient là pour les aider », et qu'il fallait que ceux qui avaient besoin de leur secours s'avançassent dans le pen... Le pen était l'espace qui s'étendait au pied de l'estrade; nous pûmes donc voir et entendre jusqu'aux moindres détails de cette scène étrange. Au mot de pen, la masse d'au-diteurs qui était devant nous recula de manière à laisser un espace libre au pied de l'estrade. Les prédicateurs descendirent et vinrent se placer au milieu de cet espace, chantant un hymne et appelant à eux les pécheurs. Tout en chantant, ils parcouraient le cercle qui les entourait, et par degrés les voix de cette multitude se marièrent à la leur... L'exhortation des prêtres n'avait guère été que la répéti-tion de ce que j'avais entendu au revival; mais l'elïet fut tout différent. Au lieu d'un petit nombre de femmes, je vis plus de cent personnes, presque toutes femmes aussi, s'avancer vers le pen, poussant des gémissements si affreux que je tremble encore d'y penser. Elles semblaient se pousser mutuellement en avant; mais au mot Prions! prononcé par le prêtre, toutes tombèrent à genoux. Cependant elles quittèrent bientôt cette posture pour d'autres qui laissassent plus de liberté aux mouvements convulsifs de leurs membres, et bientôt je n'eus plus sous les yeux qu'une horrible confusion de têtes et de jambes s'agitant pêle-mêle sur le sol. Telle était la violence de ces mouvements que je craignais à chaque instant quelque accident sérieux, mais comment décrire les sons qui sortaient de cet amas confus de créatures humaines? Aucun mot de la langue ne saurait les rendre : hoquets hystériques, sanglots convulsifs, sourds gémissements, cris inarticulés, aigus, rapides, tout se confondait et se distinguait pourtant dans ce bruit affreux. J'étais malade d'horreur. Et comme si la voix ne leur eût pas suffi pour exprimer leur
agitation, le bruit des mains violemment frappées l'une contre l'autre ne tarda pas à s'yjoindre... Beaucoup de ces malheureuses créatures étaient de jeunes et belles fdh^s. Les prêtres circulaient au milieu d'elles, excitant tour à tour et adoucissant leur agonie. J'entendais les mots : « Ma sœur! ma chère sœur! murmurés à l'oreille de ces malheureuses victimes; je voyais des lèvres perfides toucher leur visage, je distinguais les paroles à peine articulées de leurs confessions, et la rou-geur que produisaient sur leurs joues pfdes les consolations à voix basse de leurs bourreaux... Les pénitentes ne s'en tenaient pas toutes aux gémissements inarticu-lés et à la confession à demi voix; les paroles de quelques-unes se détachaient de temps en temps, sur celte basse confuse, en phrases sonores et distinctes; alors le comique le disputait à l'horrible. Les plaintes d'une très jolie fille agenouillée devant nous dans l'attitude de la 3Iadeleine de Canova attirèrent principalement mon attention. Après avoir débité une quantité incroyable de jargon méthodiste, elle fondit en larmes et s'écria : « Anathéme! anathème sur les apostats! Écoute, écoute, ô Jésus! lorsque j'avais quinze ans, ma mère mourut et j'apostasiai. 0 Jésus! j'apostasiai ! Réunis-moi à ma mère, ô Jésus! réunis-moi à ma mère, car je suis fatiguée! 0 John Mitchel! ô John Mitchel ! » Et après avoir sangloté dans ses mains, elle montra de nouveau sa figure charmante, pâle comme la mort : « Ohî quand serai-je assise sur le rivage de l'autre monde avec ma mère! ma mère! ma chère mère! » Qui aurait pu refuser une larme à ce désir passionné de la mort dans une créature si jeune et si belle! Mais le lendemain, avant mon départ, je la vis, la main entrelacée dans la main, et la tête appuyée sur la poitrine d'un homme qu'on aurait pris pour don Juan, renvoyé sur cette terre comme un être d'une trop méchante nature pour vivre avec les démons eux-mêmes. Une autre femme, placée aussi près de nous, ne cessa pas une minute, pendant plus de deux heures que nous fûmes là, d'appeler le Seigneur de toutes les forces de ses poumons. A la fin, elle s'enroua horriblement, et sa figure devint si tendue et si rouge, que nous nous attendions à la rupture de quelque vaisseau. « Je veux m'attacher à Jésus! s'écriait-elle parmi d'autres folies; je veux me cramponner à lui et ne jamais le lâcher; ils auront beau vouloir m'entraîner en enfer, je tiendrai ferme, ferme, ferme! » Le chant des prêtres venait de temps en temps se mêler à cet épouvantable vacarme; mais les mouvements convulsifs des pauvres maniaques n'en devenaient que plus violents. A la fin, les choses en vin-rent à un tel degré de grossièreté, que nous dûmes quitter la partie. Nous rega-gnâmes notre voiture vers trois heures du matin, et passâmes le reste de la nuit à écouter de loin le tumulte toujours croissant du pen, car d nous fut impossible de fermer l'œil. »
Les scènes que nous venons de décrire se reproduisent de nos jours et n'ont rien perdu de leur étrangeté et de leur intensité.
Les revivais irlandais, vers 18G0, qui eurent lieu dans le nord de l'Irlande à Belfast, à Ballymône, à Ballyclare, etc., nous fournissent,au point de vue des rapprochements que nous établissons ici, de bien curieux détails.
A Ballyclare, sur le nombre de personnes atteintes, il faut cotnpter 95 pour 100 appartenant au sexe féminin; et la plupart d'entre elles sont des filles de fabrique soumises aune mauvaise hygiène. Dans la citation suivante que nous empruntons au docteur John Chapman, on remarquera que le début de la crise commençait par une sorte de léthargie avec perte de connaissance rappelant une des variétés delà première période ou période épileptoïde de la grande attaque. Au sortir de là, les convulsionnaires entraient dans une
phase d'hallucination avec exclamations, délire et poses expressives, qui se rapproche en tous points de la troisième période de la grande attaque ou période des attitudes passionnelles. Les visions sont tantôt effrayantes tantôt agréables. L'arc de cercle qui appartient à la période des contorsions y est également signalé. Enfin les crises étaient parfois suivies de mutité do surdité, de cécité, ou de paralysies partielles. Ces accidents étaient pas-sagers.
Voici ce que dit John Ghapman au sujet des troubles physiques observés pendant les récents revivais américains et irlandais :
« Dans la plupart des cas, la personne atteinte est prise d'une violente angoisse morale, elle crie, sanglote, puis tombe dans des convulsions plus ou moins longues et plus ou moins violentes; au sortir de cet état, elle éprouve une prostration phy-sique très marquée et d'assez longue durée. Pendant un service religieux en plein air « la campagne couverte d'hommes et de femmes, retentissait de lamentations et de cris tels, qu'ds rappelaient à l'auteur les descriptions qu'il avait lues des champs de batadle ». La scène suivante avait lieu à Ballyclare : « Qu'on se figure une grande prairie couverte d'un immense concours de personnes affectant les attitudes les plus variées ; les unes priant, pleurant, criant miséricorde ; les autres étendues à terre, se laissant aller au découragement le plus complet, à peine capa-bles de prononcer leurs prières et de deoaander leur pardon. » Lesfdles des moulins (millgirls) paraissent y avoir été prédisposées d'une façon spéciale : un matin « vers deux ou trois heures, environ vingt de ces jeunes fdles sont atteintes coup sur coup: les unes perdent toute apparence de vie; les autres poussent des cris épouvantables demandant merci. » Un bon nombre d'entre elles étaient incapables de marcher et l'on était obligé de les porter pour les ramener chez elles. Sur le nombre des per-sonnes atteintes, 90 pour 100 (on dit même 95) appartiennent au sexe féminin. On trouve parmi elles un certain nombre de filles de fabrique, dont la nourriture se compose ericlusivement de pain et de thé et qui travaillent treize heures par jour. Cèdes dont la constitution est plus délicate et plus épuisée sont plus facilement atteintes. An sortir de leur accès d'abattement et après être restées quelque temps comme privées de tout sentiment, leur physionomie s'illumine et revêt une expres-sion vraiment saisissante. Le cas suivant est un des plus curieux observés sur les revivalistes irlandais : « Une jeune femme couchée à terre, étendue de tout son long, les yeux clos, les mains jointes et élevées, le corps courbé en arrière par un spasme si violent qu'il ressemblait aune voiUe, reposant sur les pieds et la partie postérieure de la tête, resta dans c«tf,e position sans mot dire pendant plusieurs minutes, puis tout d'un coup poussa un cri terrible et s'arracha une poignée de cheveux. Étendant ses mains ouvertes et dans l'attitude du plus violent effroi, elle s'écriait : « Oh! quel affreux abîme! Seigneur Jésus, sauve-moi! etc. » Frémis-sante de terreur et reculant devant quelque horrible vision, e'ie tomba enfin, sans force et sans mouvement, comme morte. »
« Presque toutes les jeunes filles, en ce moment atteintes à Relfort, dit Archdeacon Stopford ont des visions et seraient fort désappointées de n'en point avoir. Elles croiraient que l'oeuvre divine n'est pas complète et prieraient pour retomber dans le môme état. » Ces visions sont naturellement toutes de même ordre. Le Christ apparaît dans sa gloire et comble la pécheresse de faveurs spéciales qui varient suivant les sujets. A l'une il se présenta avec « une robe de gloire » et l'en ayant vêtue, il la conduisit par la main « au trône de Dieu » et prit place à côté d'elle. A une autre, il apparut « entouré d'un glorieux cortège, à la tête d'une longue uite de justes », et levant les mains vers la visionnaire, il lui montra dans leur ntérieur son nom à elle gravé. Quelques-unes tombent en e.xtase et dans cet état
indiquent Je moment de leur retour à l'état normal. On rapporte un cas de clair-voyance. l\ en est qui deviennent muettes; on parle d'une jeune fdle qui pendant trois semaines perdit ainsi l'usage de la parole. D'autres devinrent sourdes et aveugles. « La durée de ces accidents, dit un correspondant d'Archdeacon Stopford n'a point de règle, mais leur apparition et leur disparition étaient, je pense, tou-jours prédites par les malades... l^a perte de l'ouïe et de la visions survenait géné-ralement alors que les sujets étaient déjà privés de la parole et pour peu de temps seulement. » On n'a pas cherché à appuyer ces faits sur de sérieux témoignages. « 11 est vrai que ceux qui étaient présents et les partisans des revivais sont tellement convaincus de la réalité de tous ces phénomènes et de leur nature miraculeuse, qu'ils n'éprouvent aucune hésitation à les affirmer. » Le même observateur vit plu-sieurs exemples de paralysie transitoire, qui intéressait dans un cas les deux mains, dans un autre le bras droit, et dans un troisième tout un côté. Une jeune fdle qu'il connut avait eu 70 attaques et jusqu'à 7 en un jour; elle avait perdu la parole et fiisage de ses membres »
Le petit livre ^ du Piév. SamuelJ. Moore nous donne d'intéressants détails sur le revival de Ballymène dont il fut un des promoteurs.
Dans un paragraphe spécial consacré aux caractères médicaux, on trouve signalé le tremblement de tout le corps, la suffocation, le délire avec déses-poir et prostration; les accès laissaient après eux une faiblesse générale, de f anorexie, et parfois une mutité passagère. Mais le plus curieux est de voir plus loin sous la rubrique « aspects mentaux », le même auteur citer 1' exaltation de la mémoire et de l'imagination pendant l'accès, et se livrer à une description que nous pourrions rapporter fort exactement à la troi-sième période de la grande attaque, avec les attitudes expressives qui la ca-ractérisent et les hallucinations qui appartiennent le plus souvent à deux ordres d'idées différents se remplaçant et se succédant dans une même crise, l'ordre gai et l'ordre triste.
« Les caractères médicaux. — Lorsque la conviction (la conviction du péché, conviction of sin)^ par ses progrès dans f esprit des fidèles, a atteint son apogée, on les voit abattus, devenir incapables de demeurer debout ou assis, et ils s'age-nouillent ou même se couchent. Un grand nombre de pénitents, dans cette ville et ses (mvirons et aussi, je pense, dans tout le Nord oii les revivais ont lieu, sont jetés à terre soudainement, et tombent sans force et sans mouvement comme s'ils avaient été atteints d'un coup de fusil. Quelques-uns font entendre dans leur chute un pro-fond gémissement, d'autres un cri épouvantable ; le plus grand nombre poussent des exclamations suppliantes : « Seigneur Jésus, ayez pitié de mon âme! » Le corps entier s'agite comme une feuille de tremble, une sensation de pesanteur intolérable oppresse la poitrine, la suffocation survient et c'est dans de pressantes prières faites à haute voix que les pécheurs cherchent la délivrance d'un semblable état. D'ordinaire l'angoisse morale et la prostration physique persistent jusqu'à ce que le Christ leur ait apporté quelque consolation. Alors le regard, la voix, les gestes
1. Jotin Chapman, lac. cit., p. 32.
2. The lits tory (iml pionrttienl characterisiics of the présent revival in Ballymena ond Us neiyhboiirhood, Lythcricv. Samuel J. Moore. Ballymena 1859.
3. Une des premières conditions requises chez les pénitents pour voir se produire sur eux les effets que l'on rctlicrcliait dans les revivais, était cette conviction profonde qu'ils iaient de grands pécheurs.
changent soudain; l'expression d'angoisse et de désespoir fait place à une expres-sion de gratitude, de triomphe et d'adoration. On voit à leurs regards, à leurs paroles, à leurs supplications désespérées, à leurs gestes expressifs, qu'ils soutien-nent la grande lutte contre le vieux serpent, ainsi qu'eux-mêmes le déclarent en-suite. La sueur coule sur ces malheureuses victimes, leurs cheveux en sont mouil-lés. Il en est qui passent plusieurs fois par cet affreux état, d'autres ne l'éprouvent qu'une fois. L'appétit est perdu et beaucoup ne prennent aucune nourriture pea-dant plusieurs jours. Ils ne dorment pas, bien qu'ds puissent avoir les yeux clos. Lorsqu'ils sont en partie revenus à leur état normal, ils ne peuvent prendre qu'une quantité de nourriture insuffisante et de là vient, je présume, pour un certain nombre d'entre eux, l'état de faiblesse et d'impuissance qui les met dans une im-possibdité de travailler dont se plaignent leurs parents et leurs maîtres... J'ai vu une personne qui a été entièrement privée de la parole pendant trois heures dans une circonstance, et pendant environ six heures dans une autre. Hier je vis une jeune fdlequi venait d'être muette pendant vingt-quatre heures. Aujourd'hui même j'ai visité une troisième personne qui pendant ces six dernières semaines ne put prononcer un seul mot. H y a de grandes variétés dans ces troubles physiques...
» Les aspects mentaux. — Il n'y a pas seulement une illumination intérieure qui montre le péché sous ses vraies couleurs, la vérité dans sa splendeur et l'erreur dans sa difformité; mais il y a une exaltation de la mémoire et de l'imagination qui élève ces facultés bien au-dessus de leur niveau habituel. Les péchés depuis long-temps oubliés reviennent à l'esprit avec une étonnante vivacité, ainsi que les in-structions, les promesses, et autres passages de la Parole divine qui ont été lus ou entendus dans la jeunesse sans avoir été rappelés depuis, ou bien encore qui après avoir été dans ces dernières années lues d'une façon incomplète, à cause de l'in-suffisance de l'éducation, sont repris et répétés avec une vigueur, une exactitude, une abondance, et une justesse d'interprétadon vraiment remarquables. Citer un dixième même de ces passages remplis de louanges ou de promesses, les réciter dans leurs prières, serait pour les personnes dont il s'agit, d'une impossibilité absolue, lorsqu'elles ne sont pas sous l'action divine, aussi bien la veille de leur accès que deux ou trois jours après. De pauvres et malheureuses créatures, sans instruction, qui auparavant étaient à peine capables de dire le nom du Sauveur des pécheurs, ou quelques mots seulement sur les conditions du salut ou sur les si douces promesses du glorieux Évangile, parlent avec une humble, douce et sainte familiarité de Lui, de son caractère, de ses* promesses. Oh ! comme nous compre-nons maintenant cette parole du Christ à ses disciples : « mon esprit vous dirigera dans tout, et ravivera votre souvenir, quoi que ce soit que je vous aie dit! » Aussi combien sont belles et glorieuses les pensées de la plupart des converties sur le Christ; leurs âmes sont éclairées et entraînées vers lui, aussi pures que radieuses. Une expression ravissante d'amour céleste se peint sur leur figure naturellement calme, et d'ordinaire y répand une douceur, un charme qui dépassent de beaucoup le plus amoureux sourire du plus amoureux visage. Leurs mains sont levées comme pour inviter le Bien-Aimé à venir, ou elles les ramènent énergiquement contre leur cœur. Dans ces moments, le sentiment qui les pénètre, soit qu'elles l'expri-ment ou demeurent silencieuses, est celui-ci : « Oh! mon doux Jésus! Mon bien-aimé est à moi et je suis à lui! dites-moi, vous, sœurs de Jérusalem, est-il un bien-aimé qui égale mon bien-aimé ! » Suivent quelques hymnes d'une expression douce ou le passage favori d'un chant sacré, exprimés d'une façon qui ne laisse rien à désirer et pour les paroles et pour la musique. D'autres, de nature poétique ou versées dans les règles de la poésie, composent des vers pendant leurs visions. De semblables morceaux improvisés, ainsi que j'en ai observé, ont peu de véri-table poésie, mais renferment véritablement un grand r.aiour pour le Christ et des sentiments d'admiration exaltée pour quelques chrétie.- ; favorisés.
Un caractère physique très remarquable, fort développé chez quelques sujets.
partieulièreraeut chez les femmes, et qui sert à rendre sensibles pour ceux qui sont présents les scènes toutes célestes auxquelles les visionnaires prennent part, est le-suivant : Il n'est pas un geste, [)as un mouvement de la tète ou des mains de l'in-spirée qui ne soit un modèle de grâce et de periection, bien que d'ordinaire ce soit une personne sans instruction et naturellement gauche et maladroite. D'oîi vient cela? La puissance transformatrice est dans la vue de Jésus tel qu'il est... Cette vision heureuse est parfois interrompue, sans doute par quelque action perturba-trice, et alors l'altitude exprime le courroux, les mains sont agitées avec violence, comme pour répondre â un personnage importun, et l'on entend les paroles sui-vantes ou autres semblables : « Non, je ne veux pas; je ne veux pas aller avec vous, allez-vous-en, allez-vous-en! » Parfois la lutte avec l'ennemi est affreuse, elle met à l'agonie l'esprit et le corps, et lorsque la délivrance survient, le triomphe a tous les caractères de l'extase.
Le caractère épidémique ou contagieux de cet étrange assemblage de ma-ladies, dit le docteur Chapman en parlant des troubles physiques occasionnés par les revivais, n'est pas douteux.
Ils se propagent au loin avec plus de rapidité que les maladies exanthématiques (petite vérole, rougeole, fièvre scarlatine, etc.); mais ils en diffèrent par ce caractère important. Tandis que les fièvres éruplives récidivent très rarement et qu'une première atteinte crée chez la personne qui en a été victime une sorte d'immunité à leur endroit pour le restant de ses jours, les maladies dont nous nous occupons se répètent habituellement chez la même personne, et le danger qu'elles font courir augmente avec chaque attaque nouvelle. Nous avons dit que les secousses se montrèrent pour la première fois au « meeting sacramentel » dans l'est de Tennessee ; dans le même jour plusieurs centaines de personnes de tout âge et des deux sexes furent prises sans distinction de ces mouvements involon-taires. De là, la maladie « s'étendit rapidement dans toutes les directions ». Elle atteignit non seulement les fidèles pénitents ou ceux dont les sentiments religieux étaient vivement exaltés, mais aussi des incroyants et des impies qui faisaient opposition au mouvement revivaliste. « Les personnes qu'un simple sentiment de curiosité poussait à assister aux réunions où se produisaient les attaques de secousses, se trouvaient souvent saisies du même mal, et de retour chez elles, elles le communiquaient à la population au mdieu de laquelle elles vivaient. » Parfois la moindre émotion provoquait un accès ; plusieurs jeunes femmes avaient des atta-ques à la vue seule d'une personne déjà atteinte. On était tellement convaincu que la maladie était contagieuse, qu'un certain nombre de personnes ne voulut plus assister aux pratiques pubhques du culte. En Irlande, la maladie du revival est regardée comme contagieuse par le vulgaire : « elle la prit et en fut bien malade » dit fun; « qu'a-t-elle? » demande-t-on. « Oh! la maladie du revival » répond-on; « J'ai un frère et deux soeurs, dit un autre, et aucun de nous n'a été atteint » etc.. Une jeune tille, à qui l'on avait adressé des reproches, dit en plaisantant qu'elle assisterait à une assemblée religieuse et qu'elle y prendrait la maladie du revival; et de fait, il en fut ainsi ; elle devint une des clairvoyantes dont nous avons parié. Pendant le revival d'Irlande, de même que dans celui d'Amérique dont il a été question, plusieurs personnes furent saisies des accidents nerveux habituels sans y avoir été prédisposées par les terreurs religieuses ou par cet état mental obligé qui prend sa source dans le sentiment et fhorreur du péché. Il nous est impossible d'établir quelle est la proportion des gens atteints de troubles physiques parmi les assistants aux derniers revivais; mais d'après les différentes recherches faites au sujet du dernier revival irlandais, nous inclinons à porter â 25 pour iOO le
nombre ues gens atteints par la maladie dont il s'agit, ou par une ou plusieurs de ses diverses formes*, d
Enfin, un dernier caraclèrc qui n'est pas sans importance au sujet du rapprochement que nous cherchons à établir ici, est, au milieu de troubles nerveux si variés, la rareté de l'aliénation mentale, « Le dernier et le plus terrible, dit le docteur Cbapman, mais heureusement le plus rare des sym-ptômes que nous avons à signaler est la folie. » Et il en cite quelques exemples . Le nombre relativement restreint de ces faits démontre d'une façon péremptoire que, de même que la grande hystérie, la névrose qui sévissait dans les revivais ne saurait compter au nombre des manifestations ordinaires de l'aliénation mentale.
L'auteur anglais résume ainsi les symptômes observés :
Les symptômes que nous avons énumérés peuvent être résumés ainsi qu'il suit : cris alfreux, chutes à terre, suffocation, oppression, respiration haletante, tremble-ment, douleurs dans certaines parties du corps, convulsions, secousses, sauts, tournoiements, danse, évanouissement, stupeur, insensibilité, catalepsie, extase, visions, clairvoyance, perte temporaire de la parole, de l'ouïe et de la vision, paralysie transitoire de diverses parties du corps, hémiplégie, paraplégie, enfin aliénation mentale. Ainsi que nous l'avons dit, la maladie est épidémique, elle se propage très rapidement par la seule vue des personnes atteintes, enfin elle est suivie généralement d'une grande prostration et d'une faiblesse générale.
En passant en revue tous ces symptômes variés, nous n'éprouvons aucune hési-tation pour désigner la névrose qu'ils caractérisent sous son véritable nom et qui ne saurait être autre (jue l'hystérie.
Notre opinion ne difl'ère point de celle du médecin anglais, mais nous espérons, par ces Éludes sur la grande hystérie, y avoir apporté un nouvel appoint.
EXTASE RELIGIEUSE ÉlMDÉMIQUE QIH RÉGNAIT EN SUÈDE UN 1841 EN 1842.
Vers le commencement de l'année IS^l, s'est manifestée parmi les habi-tants des campagnes des parties centrales de la Suède, une épidémie d'ex-tase religieuse mêlée de convulsions, dont les analogies avec les symptômes do la grande hystérie sont vraiment saisissantes.
J'emprunte les détails suivants au mémoire^ du docteur G. A, Sonden, médecin de l'hôpital des aliénés à Stockholm,
En général, cette forme de maladie singulière et épidémique se distitiguait essentiellement par deux symptômes saillants et remarquables : l'un phy-sique, et consistant en une attaque spasmodique, des contractions involon-
1. Johu Chaptiian, loc. cit., p. 33.
2. Voy. Gaz. méd. Paris, 1843, p. 555.
taires, des contorsions, etc. ; l'antre psychique (mental), consistant en une extase plus ou moins involontaire, pendant laquelle le malade croit voir ou entendre des choses divines, surnaturelles, et est forcé d'en parler, ou, comme on le dit parmi le peuple, de prêcher, bien que l'un et l'autre sym-ptôme varient un peu dans les cas particuliers. Les variations étaient cepen-dant si insignifiantes,qu'on reconnaissait toujours que les symptômes étaient au fond les mêmes.
Le spnsmc consistait essentiellement dans des tressaillements convulsifs, des contorsions hideuses ou, ridiculement défigurantes des muscles du visage, du corps, surtout des extrémités, le plus souvent des épaules, quelquefois des bonds et des sauts souvent si impétueux, que le malade ne pouvait se tenir assis sur une chaise, ni rester dans son lit.
Tout ce (jui affectait d'une manière désagréable l'esprit ou la fantaisie du ma-lade provoquait ou augmentait singulièrement ces contorsions. Un seul mot que le malade regardait comme impie... occasionnait à l'instant ces contorsions. Du reste elles arrivaient à des intervalles irréguUers, la plupart du temps quand des étrangers étonnés se trouvaient présents, sans cela moins souvent, rarement quand le malade était seul, et presque jamais la nuit. Je ne sache pas qu'aucun malade se soit plaint d'avoir ressenti de la douleur, excepté une femme, qui la première fut attaquée de la maladie, cas dont on connaît parfaitement les détads. Quelques-uns éprouvaient bien un peu d'indisposiUon pendant les signes précur-seurs; mais la majeure partie ne ressentait aucun mal pendant les accès; ils sem-blaient au contraire ne s'être jamais mieux portés. Le peuple envisageait le spasme comme un signe infaillible de la présence du Saint-Esprit dans le corps du malade et comme une preuve de la difformité du péché.
Le symptôme psychique est caractérisé par une suspension ou une altération pinson moins complète de l'usage habituel des sens... L'activité de l'imagination se manifeste alors par une loquacité irrésistible et par une manie croissante à vou-loir prêcher la parole de Dieu, par des visions et des prophéties. Cet accès prenait également à des intervalles irréguliers et était le plus souvent précède, accom-pagné et suivi de symptômes de spasme...La plupart des médecins qui ont vu ces paroxysmes les ont assimilés au somnambulisme ou sommeil magnétique, sans qu'aucun d'eux ait cru pouvoir déclarer positivement que lesdits paroxysmes appardennent à cet état. Les discours ou sermons roulaient toujours sur des sujets religieux, ainsi que findique la dénomination devenue populaire de maladie de prédication ; c'étaient des exhortations aux pécheurs à se convertir, des condam-nations lancées contre toute espèce d'immoralité, contre fivrognerie, les jure-ments, etc. ; mais aussi et le plus souvent, les emportements des prédicateurs se dirigeaient contre des plaisirs entièrement innocents, tels que la danse, les jeux, ou contre de simples objets de parure, comme les peignes brillants, les boutons, les pendants d'oreilles, les vêtements rouges et autres futilités ; bien des fois les malades parlaient desvisions qu'ils avaient dans le ciel et aux enfers, des anges, etc. ; ds prédisaient aussi la fin du monde et le jugement dernier, ou le jour de leur propre mort, toujours avec la prétention de faire passer leurs prédictions pour de saintes prophéties, qui toutes cependant avaient le commun défaut de ne pas s'ac-com[)lir... Pendant les ])aroxysmes, les yeux des malades brillaient d'un éclat extraordinaire, mêlé souvent d'égarement, les gestes les plus singuliers accompa-gnaient la déclamation; l'imagination n'était cependant pas toujours échauffée; toutes les fois qu'elle l'était, le débit était d'un pathétique original, soit que le sermon fût modéré, ou comme il arrivait ordinairement, qu'il fiit rempli de malé-dictions ou de menaces de l'enfer.
... Le plus ordinairement le paroxysme se manifestait subitement et prest|ue dans toute son intensité comme par enchantement. Cependant il se montrait parfois des préludes plus ou moins pi'olongés, qui consistaient en une forte sensation d'inquié-tude et de repentir, une oppression ou douleur légère dans la tête et les membres une respiration difficile, peu d'appétit, une souffrance et un feu dans la poitrine, de la disposition à avoir des évanouissements et de légères défaillances, un malaise général, un commencement d'incapacité à mouvoir à volonté la tête, les bras et les jambes, une humeur capricieuse, etc. Le visage rougissait et pâlissait alterna-tivement, l'expression des yeux changeait et devenait ordinairement plus vive. L'irruption de la maladie se manifestait par des spasmes et l'extase mentale men-tionnés.
Il y avait plusieurs degrés dans l'intensité des paroxysmes qui présentaient tou-jours les mêmes caractères. La succession des phénomènes se trouve clairement indiquée dans la description des paroxysmes les plus intenses. Le degré le plus élevé, dit Sonden, serait l'état oii se trouvent les malades après une attaque de convulsion, lorsqu'ils tombent soudain sans connaissance, ou, selon un témoin oculaire, presque comme s'ils avaient le mal caduc, et restent plus ou moins de temps dans un état d'assoupissement ou d'absence des sens; et pendant l'attaque ils sont tantôt parfaitement tranquilles et comme profondément endormis, et tantôt ils continuent â avoir des contorsions, frappent des mains, soupirent, rient, et ainsi de suite; puis ils reprennent l'usage de leurs sens, comme s'ils se réveillaient d'un rêve et racontent alors qu'ils ont eu des visions surnaturelles et débitent des prophéties... ils voyaient le lieu de supplice des condamnés et le repas des élus à la table de Dieu; ils prédisaient la fin du monde, et ainsi de suite.
Le docteur Sonden insiste ensuite sur la distinction qu'il établit entre la maladie en question et les autres maladies mentales. 11 serait tout à fait erroné, dit-il, de considérer les maladies mentales d'autre espèce comme la manie, la mélancolie et la démence, dans lesquelles tombent parfois ces malades, comme des degrés plus élevés de la même maladie. Celle-ci alors a dégénéré de son origine véritable, et est devenue ensuite une autre ma-ladie mentale ordinairement chronique, d'un caractère particulier.
On ne saurait mieux dire en ce qui concerne le pronostic de la grande hystérie.
Ce sont surtout des individus jeunes et des femmes qui ont présenté des exemples de cette maladie : il paraît que, hormis le premier malade, une femme depuis longtemps exclusivement adonnée aux idées et aux pratiques religieuses, la maladie se gagnait toujours par imitation, et ne se montrait guère la nuit ni dans la solitude. Les malades ne présentaient du reste aucun trouble dans leur santé générale et aucune modification des autres fonctions. Au moment où écrivait le docteur Sonden, plusieurs milliers d'individus avaient déjà présenté ces accidents, et l'épidémie, bien qu'elle allât en s'af-faiblissant, n'était point encore éteinte.
Il paraît que l'on eut beaucoup de peine à persuader aux habitants que ces manifestations singulières n'étaient en -aucune façon la conséquence d'une action surnaturelle, mais bien le fait d'une véritable maladie, et que ce qui contribua le plus à convaincre la multitude fut le non-accomplisse-ment de toutes les prophéties que débitaient les exaltés.
Les circonstances dans lesquelles le médecin suédois semble porté à cher-
cher la cause du mal sont: l'iguorance du peuple et l'influence qu'exerçaient sur lui, depuis quelque temps, des sectes religieuses et fanatiques, l'abus général des alcooliques et l'alimentation insuffisante qui était résultée de quelques années de mauvaise récolte.
QUATRIÈME SECTION
extatiques
Nous avons vu l'extase se mêler aux agitations des possédés et des con-vulsionnaires.
Quand elle se montre isolée, elle n'en revêt pas moins des caractères qui nous permettent de relever les analogies qu'elle présente avec une des va-riétés de l'attaque de grande hystérie, formée surtout aux dépens de la période des attitudes passionnelles.
Je me contenterai de citer les trois faits suivants.
L'un, qui appartient au xiif siècle, est un exemple d'extase cataleptique dans lequel l'insensibilité à la douleur pendant l'accès est surabondamment prouvée.
Les deux autres appartiennent au xix^ siècle. Les accès extatiques se com-posent d'une suite d'altitudes passionnelles accompagnées d'hallucinations, et, par suite, offrent les plus grandes analogies avec la troisième période de la grande attaque hystérique.
vie DE DOUCELINE (1274).
En nom de N.-S. commence la vie de bienheiireuse Douceline, mère des dames de Rohaut. Le premier cliapitre est de sa vie en liabit séculier et de son com-mencement, quant à ses parents.
Un homme fut dans la cité de Digne, grand et riche marchand, lequel avait nom Bérenger. Celui-ci eut une femme du nom d'Hugue, qui était de Barjols (Var, arr. de Brignoles), femme de vérité (foi); et tous deux furent bons et droituriers en la loi de N. S. ; ils vivaient justement et saintement dans leur état, et loyalement gar-daient et remplissaient les mandements de Dieu, car avec grande piété et miséri-corde accueillaient les pauvres, et servaient les malades et les gens mal aisés, en leur hôtel, et leur administi'aient de leurs choses (biens) largement avec grande compassion, et en leurs saintes œuvres de piété dépensaient ce que Dieu leur don-nait. Car, selon la garantie du Christ, témoignage de vérité : « De bonne racine sort bon arbre, et tous les fruits en sont bons » ; les parents en effet étaient vrais fidèles); les enfants furent bons, droituriers et saints, qui, parla grande largesse
1. Recueils d'anciens textes bas-latins, provençaux et français, puhïiùi par I^iul Meycr, Paris, F. Veiweg, 1871, p, 142.
de la bonté de Dieu, furent faits de ces bons parents. Car ils vivaient saintement • et ils portèrent pour leur sainteté deux grandes lumières à Notrc-Seigncur, qui resplendirent et la nuit et le jour, c'est à savoir frère Hugues de Digue de révé-rende mémoire, lequel fut frère mineur et en l'ordre de Saint-François moult ardent prédicateur de la vérité de Christ, et fut sa prédication luisante et échauf-fante ainsi comme le soleil, car avec grande mervedle convertissait les gens à servir Dieu et à laisser le monde ; car par clarté de vie et par perfection, aux pé-cheurs comme aux droituriers luirent les deux et furent splendeur de toute sain-teté, et par exemples de vérité resplendirent et allumèrent état de saintfe pénitence. La seconde lumière non moins luisante par sa sainteté de vie fut madame sainte Douceline de Digne, laquelle fut moult douce et digne, parce que Dieu la visita en bénédicdons de douceur. En l'âge d'enfance quand ne savait encoi-e oraisons ni lettres, au temps qu'ils habitaient au château de Barjols, par enseignement de Dieu, elle s'en allait sur les terrasses de Vauberge de son père, et dessus les petites pierres qu'elle trouvait elle se mettait ses genoux nus, et joignait ses mains, et regardait au-dessus dans ie ciel, et ne savait chose {rem, ren, rien) dire; ce n'en était pas moins (m. à m. pas plus) une preuve que Dieu faisait d'elle, du grand exercice d'oraison qu'elle devait avoir; et montrait (la) grâce de contemplation merveilleuse qu'elle devait faire au ciel; car avant qu'elle sût bien parler, faisait signe d'oraison et preuve de contemjdation au ciel, ainsi comme devait droiteraent tendre son cœur purement à Dieu. Plus elle croissait en entendement, plus elle se donnait à prier Dieu et à oraison. Et quand ils la pensaient trouver jouant avec les autres enfants et l'allaient cherchant, ils la trouvaient cachée pour prier Dieu en les plus secrets lieux-de l'hôtel. Elle cherchait volontiers lieux solitaires où ede pût prier, et, le plus qu'elle pouvait, se cachait pour qu elle ne fût vue en oraison.
Chaque jour cette vierge allait de bien en mieux; et ainsi quand elle croissait en âge, elle croissait en vertus et en bonnes coutumes (habitudes). Elle était de grande obéissance au père et à la mère, et volontiers faisait leurs mandements. Quand la mère fut morte, ils se transportèrent à Hyères, et désormais y habitèrent toujours. Le père voulut qu'elle servît les pauvres qu'd avait coutume, par amour de Dieu, de tenir en son hôtel, et les malades, et les mal aisés qu'il trouvait par les rues et les routes, le bonhomme les lui amenait, disant : « Fille, je t'amène et je t'apporte gain. » Elle les recevait allègrement avec grande humilité, obéissant au mandement du père, et les administrait avec grande dévotion, et ne craignait pas de soumettre son corps à tous services dont ils eussent besoin. Celle-ci, par amour du Seigneur, leur lavait les pieds, leur drait la vermine des jambes et de la tête moult souvent, et curait leurs plaies. Plus ils étaient horribles et frappés de graves maladies et de plaies, plus fort elle s'encourageait à les servir, plus fort ede les curait et avec grande charité; quand ds ne pouvaient aller, elle les por-tait... Moult fois elle était suspendue en si grand soulèvement de contemplation qu'ede était ravie par l'espace d'un jour, et sentant en cet état surhumains senti-ments, elle ne connaissait ni ne sentait rien de ce qu'on lui fit autour. Moult fois ceci prouvèrent aucunes personnes par moult preuves qu'ils lui faisaient quand ils la voyaient tant désirée en ce ravissement, si bien qu'ils la tiraient et la se-couaient (soissidavan-suscitabant, secouaient pour éveiller) moult fort; et même ils lui faisaient moult affiictiors (tortures) qui ne la pouvaient mouvoir. Aucunes fois elle se tenait suspendue en haut si bien qu'elle ne se soutenait(sufria-sonffrait, subferebat) à rien, ni touchait de pied en terre, mais seulement des deux orteils majeurs (gros orteils), si bien que tellement fort était élevée en haut en l'air, sou-tenue (suferta, participe de sufria) par la force de ce merveilleux ravissement; si bien qu'entre elle et la terre avait d'espace bien une palme, au point que moult fois, étant en ce ravissement, on lui baisait les soles sous les pieds...
Ainsi une dame qui avait nom Béatrix était venue d'autre terre pour servir Dieu à l'exemple de la sainte mère, et être de son état; et elle affirmait par vérité
qu'elle avait mesuré de ses mains propres l'espace auquel la sainte mère se tenait au-dessus de terre en un ravissement, qu'elle lui avait vu en l'église des Frères lors d'une fête de N. Dame oîi elle avait communié en une chapelle de vSainte-Cécile ; tout son corps était suspendu, si bien que l'un des pieds ne touchait en terre que sur l'espace d'un dour ( j d'un pied), et de l'autre elle ne s'appuyait que du som-met de la pointe du pied ou de l'orteil majeur; et elle resta ainsi depuis l'heure de sa communion, jusqu'au soir, près de compiles. Moult autres personnes virent l'espace qui était entre elle et terre en ce ravissement, et le mesurèrent de leurs propres mains par diverses fois, et souvent il arriva qu'étant en ce ravissement on lui baisait la sole des pieds par grande dévotion, comme est susdit.
De nombreuses manières se prouve la certitude de son vrai ravissement, car aucunes personnes pour le plus fortement prouver, lui plantaient alênes et la piquaient avec aiguille, quoiqu'elle n'en sentît et ne s'en remuât seulement pas. Une fois elle était ravie dans l'église des frères et une personne s'approcha d'elle, car elle doutait de la vérité de ce ravissement; elle tira une greffe {graphium, stylet pour écrire, s'ouvrant et se fermant, tout ouvert il a de 20 â 22 centim.) qu'elle portait elle lui planta méchamment, et onques la sainte mère ne s'en mut ni rien n'en sentit; et trouvait-on après les bleus et les fières piqiîres qu'ils lui avaient faites, tellement que la sainte, quand elle était retournée (revenue â elle), en sen-tait après moult fois grande douleur et grand affligement, jâ soit que (bien que) elle ne s'en plaignît.
La première fois que le roi Charles (d'Anjou, roi de Sicile, frère de Louis IX) la vit ravie, il voulut éprouver si c'était vrai ravissement. Ce fut au temps qu'il était comte de Provence ; et le prouva en cette manière qu'il fît liquéfier grande quan-tité de plomb, et devant lui le fit jeter tout bouillant sur les pieds tout déchaux (déchaussés) et oncques rien n'en sentit; de quoi le Hoi la prit en tel amour qu'il en fit sa commère; mais après, quand elle fut retournée de ce saint ravissement, sentit moult grande douleur aux pieds et si fière angoisse qu'elle ne la put souf-frir, et en fut très malade, si bien qu'elle ne pouvait marcher, quand elle revenait de ces hauts ravissements.
Au temps que le roi Charles était comte de Provence, le.pape, par ordre de Dieu, lui proposa de prendre le royaume de Sicile. Adonc le comte fut en grand pourpensement comme il prendrait cette affaire que tous les rois avaient refusée (m. â m. suranné); et par l'amour et la grande révérence qu'il avait â la sainte, lui demanda conseil; la sainte femme l'encouragea fort, disant que sûrement il prît l'affaire qui lui était présentée par la volonté de Dieu; et ne craignît rien, puisque le Seigneur voudrait faire de lui le champion de son Église ; et qu'il sût pour certain qu'il aurait victoire et lèverait le camp avec l'aide du Seigneur et de la Madone, et du gonfalonier du Christ Monseigneur Saint François. Pour ce con-viendrait qu'd prît soin, après ce que Dieu ferait par lui et en lui, qu'il ne s'en élevât par orgueil, ni fit comme le premier roi du peuple d'Israël, qui en fut méconnaissant; si cela était. Dieu le réprouverait, ainsi qu'il réprouva Saiil du royaume. Adonc le comte prit l'affaire par le conseil de la sainte, se recommanda fort â ses oraisons, et espéra fermement avoir la victoire que la sainte mère lui avait promise. Et advint qu'il gagna le royaume, et eut victoire des ennemis de l'Eglise de Dieu, tout ainsi que la sainte femme le lui avait dit auparavant ; et quand il eut prouvé si manifestement l'esprit de la sainte et la vérité de ses paroles, il eut en elle moult grande dévotion, et l'eut par devant en plus grande révérence. Aussi lui mandait-elle aucunes fois et lui faisait savoir par ses lettres que Dieu se tenait pour mal payé de lui, qu'il était appareillé aucunes fois de le punir; disant qu'en-core avait d'autres verges en son verger avec quoi il le punirait; que. s'il n'y prenait garde, par péché de méconnaissance serait gravement puni, car Dieu mettrait sa lourde main sur lui; et lui mandait moult choses secrètes et absconses, dont le roi s'émerveillait fort comme elle le pouvait savoir. Ainsi lui faisait-elle savoir moult
fois les choses qui lui devaient advenir, avant que cela fût, et en tout il trouvait qu'il advenait comme elle le lui avait dit auparavant ; et enfm il arriva que tout se termina comme elle avait dit; tant qu'il usa de la crainte de Dieu toutes ses affaires aboutirent bien, et Dieu travaillait moult grandes œuvres pour lui; de laquelle chose tant qu'elle vécut, la sainte l'en tenait remembrant (anglais. remember), mandant souvent par lettres comme elle s'émerveillait si fort des grandes choses que Dieu faisait en lui, et elle redoutait moult qu'il n'en fût mé-connaissant, et si cela arrivait, en tout lui prendrait mal, et il perdrait gravement; qu'elle le lui faisait savoir pour certain.
Après un peu de temps, quand la sainte femme fut morte, ne se remembrant (ressouvenant) pas de la crainte de Dieu, comme il le devait, il ne tarda guère à être défait par le roi d'Aragon et son frère, et lui nuit grande guerre et fut en grand travail, si bien que son lils fut pris et mis en grande prison, dont le roi fut tant travaillé et eut tant de douleur que le cœur lui partit et il mourut déshérité et rejeté de son royaume.
marh-: de MœRL. (1384.)
J'emprunterai la relation suivante au remarquable article de Cerise sur le rôle des émotions dans la vie de la femme. En dehors des crises extatiques, Marie de Mœrl avait présenté des signes non douteux d'hystérie. Pendant les extases, les poses expressives se mettaient en harmonie avec les diverses hallucinations qui, suivant les circonstances et les préoccupations du mo-ment, s'imposaient à son esprit. Les analogies qui existent entre ces scènes variées de l'extase et les attitudes passionnelles de la grande attaque hys-térique sont si saisissantes, que celles-là paraissent être l'expression la plus parfaite et la plus élevée de celles-ci; dans ce cas particulier l'extase repro-duit par une mimique expressive les événements les plus tragiques de la pas-sion et jusqu'à l'image même de la mort.
Marie de Moerl est née le 16 octobre 1812, d'une famille noble, mais peu aisée. Elle fut dans son enfance sujette à plusieurs affections graves. A quinze ans, elle perdit sa mère, femme pieuse et distinguée par son intelhgence. Cette perte l'affecta vivement et la fit beaucoup souffrir. A dix-huit ans, elle eut une violente maladie, des crampes, des convulsions, des hémorrliagies, dont elle guérit im-parfaitement^. A dix-neuf ans, son médecin, n'ayant pu lui promettre une gué-rison complète, elle résolut de s'abandonner à la divine Providence, et renonça à tous les secours de l'art. Ede communia souvent. A vingt ans, en 1832, son con-fesseur s'aperçut que quelquefois elle ne répondait pas à ses questions et paraissait hors d'elle. Les personnes qui assistaient la jeune fllle lui apprirent qu'il en était ainsi chaque fois qu'elle recevait la communion. Il se promit de mieux l'observer.
1. Marie de Moerl, dit A. Maury, est attaquée depuis sa jeunesse d'une maladie ner-veuse et d'accès liystériques. En 1833, elle présentait les phénomènes les plus bizarres et les plus maladifs : des clous, des aiguilles, des morceaux de verre qu'elle avalait dans les accès de délire, et à son insu, lui sortaient ensuite par diverses parties du corps. On l'exorcisa et elle fut, dit-on, délivrée de ces apparitions démoniaques.
1,0 jour de la Fête-Dieu, désirant avoir sa journée libre, il lui porta la sainte hosiie de grand matin. Elle fut ravie eu extase à l'instaut même. Le lendemain, à Irois heures de l'après-midi, il alla la voir et la trouva agenouillée dans la position où il l'avait laissée trente-six heures auparavant. Les personnes présentes, habi-tuées d'ailleurs à ce spe(dacle, attestèrent qu'elle était restée dans cette position. 11 entreprit de remédier à cet état qui pouvait devenir habituel. Il fit intervenir, dans ce but, la vertu d'obéissance à laquelle la jeune malade s'était engagée en entrant dans le tiers-ordre de Saint-François. Les extases se répétèrent, accom-pagnées de phénomènes plus ou moins extraordinaires, jusque vers la moitié de l'année 1833. A cette époque, la foule de curieux, appelée par la renommée aux cent voix, vint visiter l'extatique. On porte à quarante mille le nombre des per-sonnes qui vinrent à Kaldern, depuis le mois de juilletjusqu'au mois de septembre. Marie resta pendant tout ce temps en extase. Les visites furent interdites par l'autorité. Le prince évêque de Trente voulut savoir la vérité pour en informer le gouvernement, et il vint sur les lieux. Il déclara que la maladie de Marie ne cons-tituait point par elle-même un état de sainteté, mais aussi que la piété bien reconnue n'était point une maladie. La police, après cette déclaration prudente, suspendit son intervention. Dès l'automne de la même année, son confesseur s'a-perçut que le milieu des mains, où devaient plus tard se montrer les stigmates du crucifiement, se creusaient comme sous la pression d'un corps en demi-relief. En môme temps, cette partie devenait douloureuse, et des crampes s'y manifestaient fréquemment. Le 2 février 1834, à la fête de la Purification, il la vit s'essuyer le milieu des mains avec un linge, effrayée comme un enfant du sang qu'elle y aper-cevait. Ces stigmates se montrèrent bientôt aux pieds et au cœur. Ilsétaient à peu près ronds, s'étendant un peu en longueur, présentant trois ou quatre lignes de diamètre, et fixés de part en part aux deux mains et aux deux pieds. Le jeudi soir et le vendredi, toutes ces plaies laissaient couler par gouttes un sang ordinairement clair. Les autres soirs, elles étaient recouvertes d'une croûte de sang desséché. Marie garda le plus profond silence sur ces faits mervedieux; mais, en 1834, le jour de la Visitation, l'extase s'étant déclarée chez elle pendant une procession, la surprit en présence de plusieurs témoins : elle fut plongée deux fois dans la joie la plus vive, semblable à un ange glorieux, touchant à peine son lit de la pointe des pieds, éclatante comme une rose, les bras étendus en croix ; et tous les assis-tants remarquèrent les stigmates de ses mains. Dès lors, cette merveilleuse parti-cularité ne pouvait plus demeurer secrète.
« La première fois que j'allai la visiter, dit le célèbre professeur Gœrres, je la trouvai dans la position, où elle est la plus grande partie du jour, à genoux à l'extrémité de son lit, et en extase. Les mains, croisées sur sa poitrine, laissaient voir les stigmates; son visage était .tourné un peu en haut du côté de l'église, et ses yeux levés au ciel exprimaient l'absorption la plus profonde, que rien du dehors ne pouvait troubler. Je ne remarquai en elle, pendant des heures entières, aucun mouvement, excepté celui produit par une respiration presque insensible ou par une légère oscillation, et je ne puis comparer son attitude qu'à celle des anges, si nous les voyions devant le trône de Dieu, plongés dans la contemplation de sa splendeur. Aussi ne faut-il pas s'étonner que ce spectacle fasse l'impression la plus saisissante sur tous ceux qui en sont témoins. Les cœurs les plus durs ne peuvent résister à cette vue, et l'étounement, l'émotion et la joie ont fait couler autour d'elle bien des larmes. D'après le rapport du curé et de ceux qui dirigent sa con-science, elle est continuellement occupée depuis quatre ans, dans ses extases, à contempler la vie et la passion de Noire-Seigneur et le saint sacrement de l'autel... L'ensemble de l'image fixée devant son esprit se réflécliit clairement dans la pose et le maintien de son corps, qui prend toujours une part plus ou moins grande au sujet quelle médite. Ainsi on la voit, à Noël, bercer avec une grande joie dans ses bras l'Enfant nouveau-né; le jour de l'Epiphanie, elle adore à genoux
de même que les mages; le jeudi saint, elle assiste aux noces de Gana, à table, appuyée sur le côté, — circonstance qu'elle n'a pu apprendre par les moyens extérieurs, puisque les tableaux d'églises ne reproduisent point cette ancienne attitude; — en un mot, les autres jours, toute sa personne exprime, d'une ma-nière aussi caractérisée la forme du sujet qui l'occupe.
Mais l'objet le plus habituel des méiiitatioiis de l'extatique de Kalderu, c'est la passion de Notre-Seigneur, qui produit en elle l'impression la plus profond e et s'exprime le plus vivement au dehors. C'est surtout dans la semaine sainte, comme on doit le penser, que cette impression pénètre plus avant dans son être et que l'image extérieure en est plus complète. Néanmoins la contemplation de ce mys-tère revient tous les vendredis de l'année et offre ainsi une occasion fréquente d'en observer les merveilleux effets... L'action commence dans la matinée du vendredi. Si l'on en suit la marche, on voit que, de même que certaines personnes pensent en parlant, ou plutôt parlent en pensant, sans avoir la conscience des paroles qu'elles prononcent, de même Marie de Mœrl, médite la Passion en la reprodui-sant, ou plutôt la reproduit en la méditant, sans savoir ce qu'elle fait. D'abord le mouvement quila soulève est doux et régulier; mais à mesure que l'action de-vient plus douloureuse et plus saisissante, l'image dans laquelle elle se réfléchit prend un caractère à la fois plus profond et plus disdnct. Enfin, lorsque l'heure de la mort approche, et que la douleur a pénétré jusqu'au fond de l'être, la mort même ressort de tous les traits de cette femme. Elle est là à genoux sur son lit, les mains croisées contre la poitrine. Autour d'elle règne un morne silence, qu'inter-rompt à peine la respiration des assistants. Vous diriez que le soleil de la vie, désormais voilé pour Marie de Mœrl, descend lentement au-dessous de l'horizon, et qu'à mesure que la lumière s'affaiblit, les ombres de la mort sortant de leurs abîmes montent peu à peu vers elle, enveloppent tous ses membres l'un après l'autre et s'amassent autour de son âme, jusqu'à ce que celle-ci, quand la dernière lueur s'éteint, tombe tout entière dans les ténèbres. Quelque pâle qu'elle soit pen-dant tout ce lugubre drame, vous la voyez pâlir encore successivement, le frisson de la mort parcourt plus fréquemment son corps ; et la vie qui se retire s'obscurcit à chaque instant davantage. Les soupirs, s'échappant avec peine, annoncent que l'oppression augmente; de ses yeux, de plus en plus fixes et immobiles, coulent de grosses larmes qui descendent lentement sur ses joues. Des contractions ner-veuses entr'ouvrent insensiblement sa bouche : comme les éclairs qui préparent l'orage, elles forment des cercles de plus en plus larges, jusqu'à ce qu'elles creu-sent son visage sur toute sa surface ; enfin, elles deviennent si violentes, que de temps à autre elles ébranlent le corps entier. La respiration, déjà si difficile, se change en gémissements pénibles et plaintifs ; une rougeur sombre couvre les joues; la langue épaissie semble être collée au palais desséché, les convulsions redoublent sans cesse plus profondes et plus fortes. Les mains, toujours croisées, qui d'abord s'affaissaient insensiblement, glissent plus vite, les ongles prennent une teinte bleue, et les doigts s'entrelacent convulsivement. Bientôt le râle se fait entendre dans le gosier. L'haleine, plus pressée, se détache avec des efforts infinis de la poitrine, qui semble liée par des cercles de fer; les traits se déforment au point de devenir méconnaissables. La bouche est désormais ouverte dans toute sa largeur, le nez s'amincit et s'effile, les yeux, constamment immobiles, sont près de briser leurs orbites. Il passe encore à de longs intervalles, à travers les organes raidis, quelques soupirs, et l'on dirait que le dernier de tous va s'échapper. Alors le visage s'incline, et la tête, portant tous les signes de la mort, s'affaisse dans un complet épuisement :' c'est une autre figure, pendante, abattue sur la poitrine, et que l'on peut à peine reconnaître. Tout demeure ainsi l'espace d'une minute et demie à peu près. Puis, la tête se relève, les mains remontent vers la poitrine, le visage reprend sa forme et son calme : elle est à genoux, les yeux levés au ciel, tout occupée à offrir à Dieu son action de grâces. Et cette scène se renouvelle chaque
scMTiaine, toujours la même dans ses phases essentielles, mais offrant chaque fois des traits particuliers qui correspondent aux dispositions intérieures de la patiente, ("est ce dont je me suis convaincu plusieurs fois par un examen attentif. Car il n'y a rien de faux, rien d'exagéré dans toute cette représentation mervedieuse, qui coule comme la source du rocher; et si Marie deMœrl mourait en réalité dans de pareilles circonstances, elle ne mourrait pas autrement.
» Quelque absorbée que soit l'Extatique dans ses contemplations, un seul mot de son confesseur ou de toute autre personne en rapport spirituel avec elle suffit pour la rappeler aussitôt à la vie réelle, sans qu'elle passe par un état intermédiaire. II ne lui faut qu'un instant pour se reconnaître et ouvrir les yeux, et alors elle est comme si elle n'avait jamais eu d'extase. L'expression de sa figure devient tout autre; on dirait, un enfant naïf qui a conservé sa candeur et sa simplicité. La pre-mière chose qu'elle fait en reprenant ses sens, lorsqu'elle aperçoit des témoins, c'est de cacher sous la couverture ses mains stigmatisées, comme une petite fille qui a taché ses manchettes avec de l'encre et qui voit venir sa mère. Ensuite, accoutumée cju'elle est à ce concours d'étrangers, elle regarde autour d'elle, et donne à chacun un salut amical. Elle n'est pas à l'aise, quand l'émotion des scènes qui viennent de se passer est encore visible sur la figure des assistants, ou quand on approche d'elle avec une sorte de vénération et de solennité, et elle s'applique, par un enjouement plein d'abandon, à effacer ces émotions profondes. Comme elle garde le silence depuis longtemps, elle cherche à se faire comprendre par des signes ; et quand cela ne suffit pas, semblable à un enfant qui ne saurait pas encore parler, elle regarde son confesseur et le prie avec les yeux de répondre pour elle.
» Ses yeux noirs expriment la joie et l'ingénuité du premier âge. Son regard est si hmpide, qu'on peut par lui pénétrer jusqu'aux dernières profondeurs de son àm.e; et l'on est bientôt convaincu qu'ü n'y a pas, dans tout son être, un seul coin obscur où pût se cachería moindre fraude. II n'y a en elle aucune trace d'humeur sombre ou d'exaltation, point de molle ni fade sentimentalité, et encore moins d'hypocrisie ou d'orgueil; on ne voit dans toute sa personne que l'impression sereine et joyeuse d'une jeunesse conservée dans l'innocence, et qui s'abandonne même volontiers au badinage, par ce que le tact sûr et délicat qu'elle possède sait écarter tout ce qui pourrait paraître inconvenant. Quand elle est avec des amis, elle peut, une fois revenue à elle-même, rester plus longtemps dans cet état; mais on sent qu'il lui faut faire de grands efforts de volonté; car l'extase est devenue sa seconde nature, et la vie des autres hommes est pour elle quelque chose d'artificiel et d'inaccou-tumé. Au milieu d'un entretien, lors même qu'elle semble y prendre plaisir, on voit tout à coup ses yeux se voiler, et dans un instant, sans aucune transition, elle retourne à l'extase. Pendant mon séjour à Kaldern, on l'avait priée d'être la mar-raine d'un enfant nouveau-né que l'on baptisa dans sa chambre. Elle le prit dans ses bras et manifesta le plus vif intérêt à toute la cérémonie; mais dans cet espace de temps, elle retomba plusieurs fois en extase, et il fallut, à diverses reprises, la rappeler au sentiment de la réalité qui s'accomplissait devant elle.
» C'est un spectacle merveilleux, chez Marie de Moerl, que celui du passage de la vie commune à la vie extatique. Couchée sur le dos, elle semble nager dans les ffots d'une onde lumineuse et jette encore sur tout ce qui l'environne un regard joyeux. Tout à coup on la voit plonger doucement dans l'abîme : les vagues jouent un instant autour d'elle, puis elles lui couvrent le visage, et on la suit des yeux descendant dans les profondeurs de l'eau diaphane. Dès lors l'enfant naïf a disparu; et lorsqu'on voit briller, au mdieu de ses traits transfigurés, ses yeux noirs ouverts dans toute leur largeur en lançant tous leurs rayons dans l'infini, sans saisir un objet particulier, on dirait une sibylle, mais pleine de noblesse et de dignité pathé-tique.
» Cependant il ne faut pas croire que ses contemplations et ses exercices de piété l'enlèvent à tous les soins de la famille. De son lit, elle dirige le ménage dont elle
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partageait précédemment la conduite avec une sœur que la mort lui a enlevée. Comme elle jouit, depuis plusieurs années, d'une pension qui lui a été obtenue par des personnes charitables et qu'elle n'a besoin de rien pour elle-même, elle con-sacre cet argent à l'éducation de ses frères et sœurs. Tous les jours, vers deux heures de l'après-midi, son confesseur la rappelle à la vie ordinaire pour qu'elle s'occupe des affaires de la maison. Alors ils confèrent ensemble sur les difficultés qui se présentent, elle pense à tout, prévient les besoins de ceux à qui elle s'inté-resse, et le grand sens pratique qu'elle possède fait que toutes choses autour d'elle sont pratiquement ordonnées »
louise lateau (1868)1.
Parmi les phénomènes extraordinaires qui ont attiré sur Louise Lateau l'attention des médecins, et qui se réduisent à trois principaux : la stigmati-sation, les extases et l'abstinence prolongée, je ne désire insister que sur les crises extatiques, parce qu'elles présentent de grandes analogies avec les extases de Marie de Mœrl, dont il vient d'être question, et, par suite, avec les attitudes passionnelles de la troisième période de la grande attaque d'hys-térie.
Je me contenterai d'extraire du livre du docteur Lefebvre^, pour le con-signer ici, ce qui a trait aux scènes d'extase. Le docteur Lefebvre est un des partisans de l'origine surnaturelle de la maladie de Louise Lateau ; à notre point de vue, son récit ne saurait donc être suspect.
On y trouvera une succession d'attitudes expressives variées correspondant à des hallucinations dont l'extatique conserve après l'accès un vif souvenir. L'état de la motilité varie suivant les dilTérentes phases de l'accès; le plus souvent, il y a liberté entière des mouvements, mais,à certains moments, on observe soit de la catalepsie partielle, soit de la raideur généralisée. Quant à la sensibilité cutanée, elle est perdue pendant tout le cours de l'accès; les fonctions des sens sont également suspendues.
Les extases hebdomadaires ont commencé chez Louise Lateau le vendredi 17 juillet 1868, c'est-à-dire treize semaines après le début de la stigmatisation. L'extase se renouvelle tous les vendredis; elle commence, comme nous l'avons dit, entre huit et neuf heures du matin, et se termine vers six heures du soir, ede s'est prolongée quelquefois jusqu'au delà de sept heures. La durée de l'extase est donc de neuf à douze heures, sans interruption. Louise a eu des ravissements moins longs et d'un autre caractère, à quelques grandes fêtes de l'année, soit chez ede, soit (mais très rarement) à l'église, pendant les offices. Mais comme ces ravisse-
1. œuvres du Cerise. Paris, 1872, t. II, p. 191.
2. Voir l'opuscule du D' Bourneville, sur Louise Lateau ou la stigmatisée belge, Paris, 1875, dans lequel la question des rapprochements à rétablir entre L. Lateau et les hysté-riques est traitée dans son ensemble. Je n'insiste ici «lue sur le point particulier des at-taques d'extase.
3. Louise Lateau de Bois-d'Haine,T^ar le D'' F. Lefebvre, Louvain. Peeters, 1873, 2^édil. 37 et suiv.
meiits passagers ont eu peu de témoins et que je n'ai pu les étudier moi-môme, je ne fais que les mentionner en passant.
L'extase que je vais décrire est celle du vendredi. Elle débute, le plus souvent, pendant le recueillement du silence et de la prière, quelquefois au milieu d'une conversation ou même pendant le travail. J'ai assisté plusieurs fois à la genèse du phénomène dans ces conditions différentes et je puis le décrire dans ses détails.
Lorsque, le vendredi matin, Loinse est abandonnée à elle-même, les plaies des mains et l'écoulement de sang dont elles sont le siège lui rendant le travail presque impossible, elle a l'habitude de prier; j'ai constaté qu'elle se livre alors à la plus simple et, s'il est permis de s'exprimer ainsi, à la plus familière des oraisons : elle récite tout bas le chapelet. Elle est assise sur une chaise ou sur un petit fauteuil de jonc; ses mains saignantes sont jointes sous le linge dans lequel elle les dérobe, l'attitude est recueillie, la figure est calme et sereine, tout à coup les yeux s'arrêtent, fixes, immobiles, tournés vers le ciel : l'extase a commencé.
Comme je l'ai dit, il m'est arrivé plusieurs fois de voir débuter l'extase pendant une conversation. Je transcris mes notes : « 11 est sept heures et demie du matin; j'ouvre une conversation avec la jeune personne, et je m'étudie à l'entretenir des choses les plus indifférentes : je l'interroge sur ses occupations, sur son degré d'instruction, sur sa santé. Elle répond à ces questions d'une manière simple, pré-cise, laconique. Pendant le cours de cet entretien, le regard est calme, l'expression du visage naturelle, sa coloration normale; la peau est fraîche, le pouls bat soi-xante-douze fois par minute. Au bout de quelque temps, la conversation languit, il y a une pause de quelques instants; je veux recommencsr l'entretien; je m'aper-çois que Louise est iinmobde, l'œiï fixé en haut et un peu à droite ; elle est en extase. »
Enfin l'extase se déclare aussi pendant le travail. Je n'ai pas été témoin de ce début. Un vénérable prélat américain, Mgr d'Herbomez, évoque de la Colombie anglaise, ayant été autorisé à voir la jeune personne, se présenta à la petite mai-son, le vendredi 13 août 1809, vers huit heures du matin. Louise travaillait à l'aide d'une machine à coudre. Les stigmates saignaient abondamment aux mains et aux pieds; le sang suintait du front et de la tête, suivant un cercle régulier, et tombait le long des joues, des tempes et du cou; l'instrument de couture en était couvert et la jeune personne faisait évidemment les efforts les plus pénibles pour continuer son travail. Pendant que le prélat l'examinait et l'interrogeait, le bruit de la machine à coudre cessa subitement : Louise était en extase.
L'extase est donc établie. Tâchons de décrire exactement cet état. Pendant la plus grande partie du ravissement, Louise reste assise. Le corps légèrement porté eu avant repose sur le bord de la chaise, dans l'immobdité d'une statue; les mains ensanglantées sont appuyées sur les genoux, cachées dans le Unge qui les enve-loppe; les paupières écartées sont immobiles et les yeux sont portés en haut et un peu â droite. L'expression delà figure de lajeune fille est celle d'une attention pro-fonde, qui l'absorlDerait complètement, on la dirait perdue dans une contemplation lûiniame. La physionomie, comme Tattitude, change souvent. Tantôt les traits s'épanouissent, les yeux s'humectent, un sourire de béatitude entr'ouvre sa bouche ; tantôt les paupières tombent et voilent â demi le regard, le visage se contracte, des larmes coulent lentement sur ses joues; tantôt encore elle pâlit, la physio-nomie reflète une expression de terreur profonde accompagnée souvent de tres-saillements et d'un cri étouffé. Quelquefois le tronc exécute un mouvement de ro-tation lent, et les yeux se meuvent comme pour suivre un cortège invisible. D'autres fois, elle se soulève, s'avance; elle repose sur la pointe des pieds, on la dirait prête â s'échapper ; les mains s'élèvent, se joignent ou restent ouvertes dans la position des orantesdes catacombes; les lèvres s'agitent, elle est comme haletante* le regard s'anime ; cette figure, commune avant l'extase, se transfigure et s'illumine d'une beauté vraiment idéale. Ajoutez â ce spectacle l'appareil des stigmates : le
fronl couronné de son diadème sanglant d'où le sang descend en fdets le long des tempes et des joues, des mains petites et blanches, marquées à leur centre d'une plaie mystérieuse, d'où partent comme des rayons, des traînées de sang; placez en face de cet étrange spectacle des groupes d'hommes et de femmes de toute condi-tion, et parmi lesquels on ne surprend pas une seule figure qui n'exprime une émo-tion respectueuse, et vous aurez une idée des scènes dont nous avons été souvent les témoins à Bois-d'llaine.
Vers une heure et demie, à l'approche de la scène du prosternement, que je vais décrire, assez souvent l'extatique tombe à genoux, les mains jointes, le corps fortement penché en avant; sa tigure prend uu caractère de contemplation de plus en plus profonde. Ede reste dans cette attitude pendant environ une demi-heure, se relève et s'assied. Vers deux heures, la scène change. L'extatique s'incline un peu en avant, se soulève avec un certaine lenteur, puis brusquement, et comme par un mouvement de projection, elle tombe la face contre terre. Dans cette posi-tion, elle est étendue sur le sol, couchée sur la poitrine, la tête reposant sur le bras gauche; les yeux sont fermés; la bouche est entr'ouverte ; les membres inférieurs sont étendus en ligne droite et la robe les recouvre jusqu'au talon. A trois heures, elle fait un mouvement brusque; les membres supérieurs s'étendent transversale-ment en croix, les deux pieds se croisent, le dos du pied droit reposant sur la plante du pied gauche.
.....Elle reste dans cette situation jusque vers cinq heures. A ce moment, elle
se relève comme d'un bond et se met à genoux dans f attitude de l'oraison. Après quelques minutes d'absorption profonde, elle se "rassied.
..... L'extase se prolonge jusque vers six heures ou sept heures. L'attitude,
comme la physionomie, varie encore; elle semble refléter les impressions diverses de l'âme. L'extase se termine par une scène effrayante : les bras tombent le long du corps, la tète s'incline sur la poitrine, les yeux se ferment, le nez s'effile, la face prend une pâleur morte, elle se couvre d'une sueur froide; les mains sont glacées, le pouls est absolument imperceptible, elle râle.
.....Cet état dure de dix â quinze minutes, puis la vie se réveille. La chaleur se
ranime, le pouls se relève, les joues se colorent, mais, pendant quelques minutes encore c'est l'expression indéfinissable de l'extase. Tout à coup, les paupières s'abaissent, les traits se détendent, les yeux se portent doucement d'une personne à l'autre, l'extase est terminée.
..... Quand on suit avec quelque attention les différentes phases du ravissement,
on est bientôt convaincu, que pendant leur durée, l'intelhgence, loin d'être en-dormie, jouit au contraire d'une grande activité. Louise n'a aucune conscience des actes extérieurs qu'elle accomplit, et de ce qui s'est passé autour d'elle, mais elle se rappelle parfaitement ce qui s'est passé dans son esprit.
J'ai interrogé souvent la jeune personne sur ce point. Les souvenirs sont très nets et très précis; mais elle éprouve toujours une vive répugnance à en rendre compte, et peu de personnes en ont reçu la confidence. Toutefois comme on lui avait donné l'ordre de la part de son évêque de répondre à toutes mes questions, elle l'a fait simplement, sobrement, nettement. D'après son récit, quand l'extase commence, elle se trouve plongée dans une qrande et vive lumière; bientôt des figures se dessinent sous ses yeux; les différentes scènes de la Passion passent successivement devant elle : elle les raconte brièvement, mais avec une netteté singulière. Elle voit le Sauveur, dont elle décrit la personne, les vêtements, les plaies, la couronne d'épines, la croix. 11 ne fait aucune attention à ede, ne la re-garde pas, ne lui parle pas. Elle décrit avec la même précision et la même netteté les personnes qui l'entourent; les apôtres, les saintes femmes et les Juifs.
Nous avons maintenant à exposer l'état des différents organes et de leurs fonctions pendant l'extase. Cet état n'est pas tout à fait le même dans les diffé-rentes phases de l'extase.
..... Durant la première période, de huit heures du matin à deux heures après-midi, Louise Lateau est assise, et l'état organique et fonctionnel varie peu : la peau est fraîche, la figure a sa coloration ordinaire; la respiration est régulière, tellement silencieuse et calme qu'il faut une grande attention pour en suivre les mouvements; la circulation se fait comme à l'état de veille : le pouls est régulier, souple, sans aucune tension, battant environ soixante-quinze fois par minute. De temps en temps, les battements de cœur se précipitent ou se ralentis-sent, le visage se couvre d'une rougeur subite ou d'une pâleur mate; ces modifi-cations fonctionnelles sont en rapport avec le jeu de la physionomie, et traduisent évidemment des impressions de fàme.
Il importait d'étudier avec soin, l'état de l'innervation, et spécialement la moti-lité et la sensibilité. Au palper, les muscles de la face, des membres et du tronc n'offrent pas de tension anormale; ils ne sont le siège d'aucune contraction spas-modique; comme nous l'avons déjà dit, Louise est assise sur le bord de sa chaise, le corps légèrement porté en avant, dans fattitude d'une personne absorbée dans une contemplation profonde. Elle n'exécute d'autres mouvements que ceux qui sont en rapport avec les scènes auxquelles elle assiste; ainsi, par moments, comme nous l'avons déjà dit, le tronc s'élève, les mains se joignent ou s'écartent, a bouche s'entr'ouvre par un sourire ou le front se plisse profondément. Quand on imprime des mouvements aux membres, le résultat est variable; tantôt ils conservent la position qu'on leur donne. Ainsi, quand on élève les membres su-périeurs, ils gardent pendant neuf ou dix minutes l'attitude qu'on leur fait prendre, puis ils redescendent peu à peu; il en est de même des membres infé-rieurs. Cependant, si on soulève la jeune personne de sa chaise comme pour la mettre debout, on constate un état général de relâchement musculaire, et elle re-tombe sur le siège, aussitôt qu'on ne la soutient plus. Une particularité qu'd faut noter ici, c'est que pendant le prosternemeut, alors que les bras sont étendus transversalement et que les pieds sont croisés l'un sur Fautre, on éprouve une cer-aine résistance pour les déplacer, et ils reprennent immédiatement leur position première.
.... Les fonctions des sens sont suspendues. Examinons-les tour à tour.
.....Les pupilles sont dilatées ; nous avons déjà dit que les yeux sont largement
ouverts; au début de fextase il persiste encore quelques clignotements légers, incomplets; mais quand elle est arrivée à sa plénitude, les paupières sont tout à fait immobiles, et pendant des heures entières on n'observe pas le moindre cligno-tement. Les yeux, plongés dans le lointain, n'obéissent plus aux excitations ordi-naires; on peut faire passer brusquement un objet devant eux ou en approcher avec rapidité une lumière vive sans provoquer aucun mouvement des paupières ou du globe oculaire lui-même.
..... L'ouïe est suspendue comme la vision, ou du moins l'oreille est insensible
aux provocations ordinaires. Plusieurs fois il est arrivé que l'un des observateurs, placé derrière le sujet, jetait inopinément à ses oreilles un cri perçant, et jamais le plus léger tressaillement n'a indiqué que le nerf auditif en transmît la percep-tion.
La sensibUité générale est presque complètement éteinte pendant l'extase. Je dis presque complètement. Cette réserve est nécessaire : il y a en effet un point du corps oiji la sensibilité persiste à un faible degré, c'est la conjonctive.
Sur tous les autres points du corps, il m'a été impossible de déterminer la moindre manifestation de la sensibihté.
Tel est l'état des fonctions organiques, pendant la première partie de f extase : elles subissent quelques modifications pendant la seconde. Ainsi lorsque l'extatique est prosternée la face contre terre, le pouls devient si petit, si filiforme qu'il est difficilement perceptible. Des personnes qui n'ont pas f habitude de le tàter ont pu soutenir avec une entière bonne foi qu'il disparaissait entièrement. Pour moi, je
l'ai toujours trouvé, mais d'une exiguïté extrême. Il arrive surtout à ce degré d'im-perceptibilité pendant la scène de l'agonie. Le pouls devient très fréquent en même temps qu'd devient faible : autant qu'on peut les compter, ce qui n'est pas facile, les battements sont de cent-viugt à cent-trente par minute. Les mouvements res-piratoires deviennent de plus en plus faibles; pour s'assurer qu'ils persistent encore, il faut une grande attention et souvent on doit s'aider de quelques procédés spé-ciaux d'observaUon.
A mesure que la respiration s'affaiblit ainsi, et que le pouls se réduit à un frémis-sement presque imperceptible, la température de la peau s'abaisse et celle-ci se couvre d'une sueur froide. Comme nous l'avons dit, au bout de dix à douze minutes la réaction se produit; le pouls reprend sa force et sa fréquence normales, la res-piration se relève, la peau revient à sa température habituelle.
La jeune personne rentre sans transition du monde extaticjue dans la vie ordi-naire. Elle n'accuse ni courbature, ni céphalalgie, ni malaise quelconque. Le corps est dispos, la figure sereine, le regard limpide et calme, l'intelligence nette.
Il est inuliie d'insister sur les caractères éminemment hystériques de l'ex-tase de Louise Lateau, telle qu'elle vient d'être décrite. Il suffit, pour s'e;i convaincre, de se reporter aux chapitres dans lesquels il a été traité plus haut de la troisième période de la grande attaque hystérique (p. 94-), de la variété qui résulte de la prédominance marquée de la période des attitudes passion-nelles (attaque d'extase) (p. 319), enfin de la variété ([ui résulte de l'im-mixtion de phénomènes cataleptiques (extase cataleptique) (p. 457 et 463.)
ADDENDUM
note faisant suite aix pages 593 a 598 consacuées a la compression
de l'ovaire
Je dois à l'obligeance de mon excellent collègue et ami G. Ballet de pou-voir donner ici la description d'un nouvel appareil compresseur des ovaires, imaginé par lui dans le cours de la dernière année, et qui possède sur le compresseur Poirier, dont il a été parlé plus haut, l'avantage d'être portatif et de ne point condamner la malade à garder le lit pendant tout le temps de l'application.
(( Le dessin ci-joint reproduit exactement les détails de notre appareil : Un ressort destiné à prendre son point d'appui sur le bord supérieur de
P
Fig. 105. — Ceinture compressive des ovaires.
l'os iliaque, est surmonté d'une plaque de hanche (FF'), qui assujettit la ceinture et empêche que celle-cine « remonte ».
Les deux ressorts latéraux, rembourrés et recouverts de cuir, sont réunis en avant l'un à l'autre par un troisième ressort (D), ressort à coulisse dont les deux bras glissent réciproquement l'un sur l'autre, de façon à adapter les dimensions transversales de l'appareil à celles de la taille de la malade.
» Le ressort à coulisse supporte une ou deux pelotes suivant que la ma-lade est ovarique d'un seul ou des deux côtés. Ghacune de celles-ci est
fixée au moyen d'une vis mobile, facilement maniable et glisse facilement daus une rainure. Elle peut ainsi êire portée, suivant les besoins, plus en dehors ou plus en dedans,
» En r\A', est placée une pièce à coulisse, qui permet d'élever ou d'abais-ser le ressort D, de façon à adapter la pelote à la région ovarienne. De plus, comme la compression ne doit pas toujours être exercée directement d'avant en arrière, mais plus souvent de haut en bas, on a disposé en BB' un mou-vement de rotation qui permet d'incliner plus ou moins la pelote compres-sive. Les dimensions des pelotes à employer (P) sont variables pour chaque malade, suivant que la compression doit être plus ou moins forte.
» La ceinture étant ainsi construite, lorsqu'on veut en faire usage, on fait glisser les pièces G et G' l'une sur l'autre, d'autant plus que les dimensioijs en largeur du bassin sont moindres, on incline plus ou moins la pelote au moyen du mouvement de rotation (BB') et l'on fixe solidement l'appareil à l'aide d'une courroie (E) qui relie l'un à l'autre les deux ressorts latéraux. »
Les résultats obtenus à l'aide de l'appareil précédent ont été les mêmes que ceux qu'avait déjà donnés le compresseur de M. Poirier; tous deux en effet agissent par le même procédé, qui est la compression prolongée de l'ovaire. Mais la ceinture compressive de M. Ballet se recommande plus par-ticulièrement par la facilité de son emploi, qui permet à la malade « qui sent venir ses attaques » de se l'appliquer elle-même, et par la possibilité de la garder sous les vêtements sans gêner la marche et entraver en quoi que ce soit les divers mouvements. C'est ainsi que les malades de la Salpêtrière en usent volontiers et la gardent souvent plusieurs jours de suite sans changer en rien leur manière de vivre. Je pense que, dans la pratique de la ville sur-tout, cette ceinture est destinée à rendre d'incontestables services.
TAP.LE DES MATIÈRES
préface............................................................ vii
introduction..............................-........................
PREMIÈRE PARTIE
de la ciiande attaqle hystérique complète et régulière
Chapitre premier. — Prodromes.................................• • • ^
^ ï. — Troubles psychiques......................................... ^
Hallucinations.................................................. ^
§ 2. — Troubles des fonctions organiques........................... 16
i" Troubles des fonctions digestives................................ ^6
2° Troid)les des sécrétions.......................................
3° Troubles respiratoires.........................................
4" Troubles de la circulation.................................... • i9
§ 3. — Troubles de la motilité.....................................
§ 4. — Troubles de la sensibilité................................... '^f^
.Vura hysterica.................................................. ^~
Zones hystérogènes.............................................. «^^
Chap. II. — Première période. — Période épileptoïde.................. 41
§ 1. — 3Iode de début........................................¦---- ^3
§ 2. — Phase tonique.............................................. 46
a) . — Phase tonique avec mouvements............................ -47
b) . — Phase tonique avec immobilisation.......................... 53
^3. — Phase clonique............................................ 57
§ 4. — Phase de résolution musculaire............................. 59
§ 5. — Durée de la période épileptoïde et de ses diverses phases ...... 62
§ 6. — Quelques observations. Variétés de la période épdeptoïde....... 64
Chap. III. ~ Deuxième période. — Période des contorsions et des grands
mouvements (clovrnisme)......................................... 73
§ 1. — Phase des contorsions ou attitudes illogiques................... 73
§ 2. — Phase des grands mouvements............................... 83
§ 3. — État mental pendant la deuxième période..................... 92
Chap. IV. — Troisième période. — Période des attitudes passionnelles.. 94
CiiAi. V. — Quatrième période. Période de délire................... 125
J. — Délire..................................................... 125
2. — Hallucinations. Zoopsie...................................... 134
^5 3. — Troubles du mouvement.................................... 141
Chap. VI. — Marche. — Durée des attaques. — État de mal hys^éro-
épileptique..................................................... 147
Ghap. VII. — Faits nouveaux à l'appui de la description précédente..... 159
1. — Observations nouvelles recueillies à la Salpêtrière.............. CI160
§ 2. - Observations inédites recueillies en dehors de la Salpêtrière.. . , 189
§ 3. — Observations puisées dans les annales de la science............ 229
Quelques auteurs étrangers...................................... 257
Ghap. VIII. — Parallèle de la grande attaque hystérique ou attaque hys-
téro-épileptique et de l'attaque d'hystérie vulgaire................. 204
DEUXIÈME PARTIE
des principa/.es V a li i e t é s i)e la grande attaque hystérique.
Chai'Itue premier. — Variété par modification de la première période.
Attaques épileptoïdes... ". ........................................ 286
J 1. — État de mai épdeptoïde................ ................ 288
!^ 2. — .\ccès épileptoïdes mcoinplets................................ 293
3. — .Vttaque de spasme viscéral.................................. 296
5^ 4. — Attaque épileptoïde avec contracture généralisée et permanente. . 297
Ghap. II. — Variété par modification de la deuxième période..........
§ 1. — Attaque de contorsion ou attaque démoniaque.................. 303
§ 2. — Attaque de grands mouvements ou attaque de clownisme......... 310
Ghap. III. — Variété par modification de la troisième période. — Attaque d'attitude passionnelle. — Attaque d'extase........................ 319
Ghai'. IV. — Variété par modification de la quatrième période. — At-taque de délire---------- - -.......................................... 333
^ \ . — Attaque de délire s'accompagnant de quelques phénomènes appar-tenant aux autres périodes de la grande attaque..................... 334
§ 2. — Attaque de délire n'ayant avec les attaques convulsives aucun rap-port immédiat................................................... 348
Ghap. V. — Hypnotisme. — Catalepsie, léthargie et somnambulisme hystériques provoqués............................................ 360
P l\ K M I K I\ !•; S É lU E D'ODS E B V A TI 0 N S
Première observation. — Intluencc delà kunière sur la production de
la catalepsie et de la léthargie hystériques....................... •^'''^
Deuxième observation. — Ilémiléthargie et hémicalalepsie existant si-multanément chez le môme sujet................................ «^71
Troisième observation. — Contracture permanente artificielle......... 372
Quatrième observation.......................................... -'''3
Cinquième observation. — Catalepsie et léthargie hystériques produites sous l'influence des vibrations d'un diapason...................... 373
Sixième observation. — Catalepsie et léthargie hystériques produites sous l'influence d'un bruit inattendu.............................. 375
Septième observation. — Catalepsie et léthargie hystériques produites sous l'influence du regard...................................... 379
Huitième observation. — Léthargie hystérique produite sous l'influence de la pression des globes oculaires.............................. 381
Neuvième observation. — Production d'une autre variété de léthargie hystérique par la pression sur le vertex. — Léthargie sans hyperex-citabilité musculaire ou somnambulisme.................,........ 381
lEUXlf;MK SÉHIE 1) ' 0 1! S F. H V A ï Kl \ S
Première observation. — Etat des sens pendant la catalepsie hystérique provoquée. Actions inconscientes. Automatisme................... 385
Deuxième observation. — Iladucinations provoquées pendant l'état ca-taleptique.................................................... 394
Troisième observation. — Des différents degrés de l'état catafeptique.. 401
Quatrième observation. — Des hallucinations provoquées pendant l'état de léthargie ou de somnambulisme. — État des sens.............. 403
Cinquième observation. — De quelques autres caractères du somnam-bulisme sans hyperexcitabilité musculaire........................ 406
DESCIUI'TION DES DIFFÉRENTS ÉTATS \ F, li V E U X P H 0 V 0 Q U E S
§ 1. — Catalepsie hystérique provoquée............................. 409
§ 2. — Automatisme. Hallucinations provoquées. — État de suggesdon. 414 § 3. — Léthargie hystérique provoquée s'accompagnant d'hyperexcitabilité
musculaire.................................................... 417
§ 4. — Léthargie hystérique provoquée ne s'accompagnant pas d'hyper-excitabilité musculaire ou somnandjulisme hystéricpie................ 423
(jIIAP. VI. — Variétés par immixtion de phénomènes léthargiques. — At-taque de léthargie................................................ 429
§ 1. — Attaque de léthargie simple................•................. 429
§ 2. — Attaque de léthargie avec mort apparente.....................' 436
§ 3. — Attaque de léthargie compliquée de contractures générales ou
partielles et de phénomènes épileptoïdes........................... 439
§ 4. — Léthargie compliquée de phénomènes cataleptiformes............446
CiiAP. VII. — Variétés par immixtion de phénomènes cataleptiques. —
Attaque de catalepsie............................................ 456
a). — La catalepsie complique les attitudes passionnelles............ 457
Extase cataleptique............................................ 463
l)). — Les accès de catalepsie sont accompagnés de phénomènes appar-tenant aux diverses périodes de l'attaque hystéro-épileptique........ 465
c). — La catalepsie apparaît sous formes d'accès isolés chez des raiilades qui ont également des attaques convulsives ou présentent seulement
d'autres symptômes hystériques................................. 475
Chap. Vni. — Variétés par immixtion de phénomènes somnambuliques.
Attaque de somnambulisme...................................... 479
,^ ï. — Attaque de somnambulisme................................. 481
a) . — Le somnambulisme apparaît mêlé aux attitudes passionnelles de
la grande attaque hystérique ou les remplace complètement........ 481
b) . — Le somnambulisme n'est accompagné que de quelques-uns des phénomènes appartenant aux quatre périodes de l'attaque.......... 494
c) . — Le somnambulisme apparaît sous forme d'accès distincts chez une malade qui d'autre parta des attaques convulsives ou simplement d'autres signes d'hystérie...................................... 502
§ 2. — Attaques compliquées de somnambulisme et de catalepsie....... 507
Chap. IX. — Analogie entre le délire de la grande hystérie et les troubles cérébraux occasionnés par l'absorption de diverses substances
toxiques......................................................... 510
§ I. — Action de l'alcool.......................................... 511
§ II. — Action de l'absinthe........................................ 514
1. — Expérimentation sur les animaux............................. 514
2. — Action de l'absinthe chez l'homme............................ 517
§ 3. — Action de l'opium.............. ........................... 520
§ 4. — Action du hachisch.......................................... 521
TROISIÈME PARTIE
ÉTUDE CLINIQUE DE QUELQUES POINTS RELATIFS AUX SYMPTOMES PERMA-NENTS DE L'HYSTÉRO-ÉPILEPSIE OU GRANDE HYSTÉRIE
Chapitre premier. — Quelques faits relatifs à l'anesthésie hystérique.. 528
Agents sesthésiogènes.............................................. 533
L'anesthésie hystérique peut disparaître momentanément toutefois sous l'iniluence des agents dit œsthésiogènes. — Expérience fondamen-tale de M. Burq................................................. 535
Oscillations consécutives........................................... 537
Actions des agents œsthésiogènes sur l'achromatopsie hystérique....... 540
Le retour de la sensibilité ordinairement momentané peut être rendu dé-finitif ......................................................... 547
Airesthésie provoquée, valeur diagnostique et pronostique.............. 547
L'impressiounabilité aux agents œsthésiogènes est susceptible de quelques
variations...................................................... 548
L'anesthésie hystérique est d'origine cérébrale........................ 549
Chap. II. — Quelques faits relatifs aux troubles de la motilité.........
§ I. — Paralysie hystérique........................................ 552
Analogies entre l'hémiplégie hystérique et l'hémiplégie par lésion céré-brale.— L'hémiplégie hystérique rentre dans la classe des hémi-plégies avec contracture latente................................ 553
§ 2. -— Contracture permanente................................. .. 557
La contracture latente de l'hémiplégie hystérique peut être mise en évi-dence par plusieurs procédés................................... 5 GO
De la contracture traumatiquc.................................... 563
Influence de l'aimant sur la contracture permanente arlificielle. — Transfert de la contracture.................................... 566
La contracture hystérique est due à une modification spéciale dynamique
des centres méduUaires...............•........................ 568
^3. — De la choree rhythmique hystérique.......................... 570
QUATRIÈME PARTIE
OOELftUES CONSIDÉRATIONS SUR LE DIAGNOSTIC, LE PRONOSTIC ET LE TRAITEMENT DE LA GRANDE HYSTÉRIE
Chapitre premier. — Diagnostic et pronostic......................... 575
§ 1. — Faits destinés à mettre fobservateur à fabri de la simulation....
A. En ce qui concerne l'anesthésie hystérique et l'influence qu'exercent
sur elle les agents dits cesthésiogènes'.......................... 576
B. En ce qui concerne les expériences d'hypnotisme................. 579
De F(( expectant attention v...................................... 580
§ 2. — Diagnostic différentiel de l'hystéro-épilepsie et de ré[)ilepsie véri-table........................................................ 582
a) . —Action d'arrêt de la compression ovarienne, des interversions électriques, et de l'excitation des zones hystérogènes............... 583
b) . Marche de la température dans l'état de mal épileptique et dans l'état de mal hystéro-épileptique................................ 581
c) . Mode d'action du bromure de potassium........................ 58i
d) . Pronostic................................................... 58i
Chap. II. — Traitement ..........................................
§ 1. — Traitement des attaques.......... ......................
A. — Inhalations médicamenteuses................................ 590
B. — Glace..................................................... 590
C. — Courants continus.......................................... 591
D. — Compression de f ovaire.................................... 593
E. — Influence de la musique sur les attaques..................... 599
^ ''I. — Traitement de la grande hystérie.............................
A. — Hydrothérapie méthodique.................................. 601
B. —Métalloihérapie............................................ 002
C. — Aimantation. — Électricité statique........................... 602
Note du docteur Romain Vigoureux.............................. 005
APPENDICE
NOTES HISTORIQUES
Première section. — Choree épidémique du moyen âge. — Chorea major. 616
I. — Choree épidémique en Allemagne et dans les Bays-Bas. — Danse de Saint-Jean. — Danse de Saint-Guv................................. 617
IL — Tarentisnie................................................. G20
Deuxième section. - Épidémies de possession démoniaque.............
Possédées d'Allemagne, 1550-1560.................................. 023
Possession des filles de Saint-Ursule à Aix, 1009-1511................. 627
Possession des Ursulines de Loudun, 1632-1639....................... 630
Possession de Louviers, 1642....................................... 650
Hystéro-démonopathie de Morzines, 1861........................... • • 67U
Hystéro-démonopalhie de Verzegnis, 1878............................ 676
Troisième section. — Convulsionnaires............................... 677
Convulsionnaires de Saint-Médard (1831)............................. 678
Camp-meetings et revivais irlandais et américains..................... 7u0
Extase religieuse épidémique qui régnait eu Suède en 1841 et I8i2..... 712
Quatrième section. — Extatiques...................................
Vie de Douceline (127i)............................................ "i5
Marie de Mœrl (1834)............................................. 718
Louise Lateau (1868)...................................•.......... 72-2
l'IN DK LA TABLE DES M A T 1 È 1, E S
TABLE DES PLANCHES
Pl. I eu regard de la page........................................... ^
Pl. II - - .....................................¦
Pl. 111 — -...........................................
Pl. IV - - ........................................•¦• -'^
Pl. V - - ...........................¦
Pl. V bis - -...........................................
Pl. VI, vii - - ...........................................
Pl. VIll - — ........................................... ^'^
FIN 1)1-; LA TAIÎLi^ 1 K S PLANCHES
ERRATA
l'âge 73, titre du troisième chapitre. — au heu de : Période des grands mouve-ments (c/onisTOe); lisez : Période des contorsions et des grands mouvements (clownisme).
Page 73, ligne 8. — Au lieu de : nom pittoresque de clonisme; lisez :nom pitto-resque de clownisme.
Page 196, ligne 17. —Au lieu de : Mouvement médical, 1872, page 203; lisez : Mouvement médical 1872, page 303.
Page 274, dernière ligne. —Au lieu de : Pathologie de Reuin; lisez : pathologie de Requin.
Page 303, premier mot du titre. — Au lieu de : Vriétés; lisez .• Variétés.
Page 306, hgne 2 de la note. — Au lieu de : (p. 344); lisez (p. 310).
Page 324, ligne 25. — Au lieu de M. Duboisag; lisez : M. üubnsaij.
Page 334, dernière ligne du titre. — Au lieu de : aux autres périodes de l'attaque; lisez : aux autres périodes de la grande attaque.
Page 343, ligne 4. — Au lieu de : les observations d'attaque d'hystérie accom-pagnées de : lisez : les observations d'attaque Jiystérique accompagnée de :
Page 429, — Au lieu de : chapitre VII; lisez : chapitre VI.
Page 441, dernière ligne. — Au Heu de : D' Alexandre de Livry; lisez : D' Alexandre de Sivry
Page 494, ligne 14 et 15. — Au lieu de : aux quatre périodes de l'attaque; lisez : aux quatre périodes de la grande attaque.
PAUIS. — 1.«P,IIMER1Ë EMILE MARTINET, UUE MIGNON, 2.