(1925) Charcot artiste
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(1925) Charcot artiste

CHARCOT ARTISTE

MASSON ET Cie, ÉDITEURS

----MAI ,925-----

CHARCOT ARTISTE

Charcot a sa statue devant la Salpêtrière.

Cette œuvre a des qualités : elle est majestueuse ; on y reconnaît le talent d'un sculpteur de haut mérite, Falguière.

Iyaissera-t-elle à la postérité un souvenir exact de Charcot?

Oui, pour ceux qui n'ont eu de sa personne qu'une impression fugitive. Leur critique ne portera guère que sur des détails accessoires : la position bizarrement contournée du cadavre dont Charcot montre le cerveau, l'exiguïté du socle, la disproportion entre le monument et la porte voisine, etc., — erreurs regrettables évidemment, et qui nuisent à la valeur de l'œuvre. Mais, dira-t-on, la statue du Maître, revêtu de ses insignes, perpétuera sa mémoire. Elle remplit son but. Elle ne manque, après tout, ni de dignité, ni de grandeur (i).

(i) Elle a été inaugurée le 4 décenibre~i898, cinq ans après la mort de Charcot.

Ceux qui ont mieux connu Charcot, ceux surtout qui l'ont fréquenté dans son intimité, expriment cependant une inquiétude : devant cette image de bronze, beaucoup ne se méprendront-ils pas sur la figure et le caractère du personnage?...

Un masque aux traits durs, aux contours anguleux, étrangement asymétrique : est-ce bien là Charcot, tel qu'on peut encore se le rappeler? N'a-t-on pas exagéré les lignes du visage sans en faire ressortir l'expression imposante? Pourquoi faut-il aussi déplorer que des doigts trop grossiers dénaturent le souvenir d'une main à l'élégance vraiment patricienne?

On se demande enfin si la pompe surannée de la robe professorale ne fera pas oublier la grande simplicité de l'homme. Charcot, en effet, à l'hôpital comme à la ville, se montra toujours ennemi des dehors apprêtés. Aurait-il approuvé ce costume officiel?

Cette figure, plus symbolique que réelle, conduit, par un juste retour, à évoquer des souvenirs moins grandioses, mais certainement plus précis. On se rappelle Charcot intime, très simple, cependant très grand, et combien le même homme qui dédaignait l'apparat était profondément épris du décor, dans le sens le plus esthétique de ce mot.

Alors aussi on revoit Charcot artiste.

C'est justice que l'on connaisse les dons naturels qu'il avait pour toutes les choses de l'art. Il ne se montra pas seulement fin connaisseur, critique érudit et avisé ; il mania lui-même le crayon et le pinceau avec une réelle habileté. Plusieurs albums sont remplis de ses dessins personnels. Ils ont aujourd'hui une saveur inattendue.

Son fils, son élève, Jean Charcot, pieux héritier de ces souvenirs, a bien compris qu'ils ne pouvaient rester ignorés. Il a permis d'en faire revivre ici quelques-uns. Il a fait don des principaux, avec

toute la bibliothèque de son père, à cette Salpêtrière dont Charcot fit la gloire et à qui sa vie fut consacrée.

Comme son œuvre de science, l'œuvre iconographique de Charcot ne doit-elle pas être mise en lumière? Assurément oui, car ce n'est pas une des moindres raisons de sa fortune scientifique que d'avoir su mettre au service de ses études médicales le tempérament d'artiste dont il était naturellement doué.

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Charcot, semble-t-il, tenait ses aptitudes artistiques de son père,

qui, dans son métier de carrossier, savait trouver de très ingénieux motifs d'art décoratif. Un souvenir de famille rappelle la précocité de ses dispositions pour le dessin.

Certain jour, le père de Charcot, — comme le laboureur de la fable, — réunit ses enfants :

Vous voilà, leur dit-il, en âge de choisir une profession. Mes ressources ne me permettent pas de vous faire continuer vos études classiques. Je peux faire ce sacrifice pour un seul, mais non pour tous. Et voici ce que j'ai résolu :

Toi, Martin, tu seras carrossier comme moi, et tu prendras plus tard la suite de mes affaires.

« Toi, Emile, tu t'engageras dans l'armée : tu peux y espérer un

brillant avenir. Ton frère Eugène sera marin, puisqu'il aime la vie d'aventures.

Quant à toi, Jean, comme tu as de grandes facilités pour le dessin, si tu le veux, tu seras peintre ; mais, comme aussi tu es bon travailleur, si tu le préfères, tu termineras tes études, et tu seras médecin.

Les trois premiers enfants n'eurent qu'à s'incliner devant la décision paternelle. Mais, au sujet du dernier, la discussion s'engagea : devait-il opter pour la médecine ou pour la peinture ?

Il apparaissait également doué pour l'une ou l'autre carrière. Laborieux et réfléchi, il ne pouvait manquer de mener à bonne fin des études scientifiques. D'autre part, il avait déjà donné des preuves manifestes de son sens artistique. Longtemps, sur cette alternative, la famille discuta. Finalement, l'intéressé décida qu'il préférait la médecine.

L'avenir devait justifier ce choix, au delà de toute prévision.

A dix-sept ans, Charcot dessinait donc. Il reste de lui quelques croquis au crayon, datant de cette époque, où l'on devine, malgré d'inévitables impérities de facture, une tendance évidente à saisir vite et bien les grandes lignes d'un ensemble. Paysages naïfs, mais témoignant déjà d'une sûreté de main peu commune et d'une rare justesse d'observation.

Ces qualités devaient trouver leur application à la médecine. Elles allaient être directement utilisées pour la reproduction des pièces anatomiques, pour fixer le souvenir d'une préparation microscopique, enfin, en clinique, pour faire ressortir telle ou telle anomalie morbide de l'habitus humain.

Envisagé d'une façon générale, le dessin de Charcot est toujours synthétique. C'est même, le plus souvent, un véritable schéma ; mais ce schéma n'a rien d'artificiel, chaque ligne y résumant un faisceau de lignes naturelles. De là l'impression de la vérité, souvent même de la vie.

La faculté de discerner dans un paysage ou sur le corps humain les contours essentiels, de percevoir instantanément un ensemble, d'isoler dans cet ensemble les éléments nécessaires à son expression, — et ceux-ci seulement, au mépris de tous les accessoires, — cette faculté, Charcot la possédait au plus haut degré.

Médecin, il en a donné d'éclatants témoignages.

Dans son œuvre, l'espiit de synthèse est partout : En anatomie pathologique, il voit les grandes divisions, les larges groupements, toute l'harmonie d'un organisme. D'un seul regard, il embrasse l'architecture du lobule hépatique ou pulmonaire. Avec le microscope, il emploie toujours les faibles grossissements : trop de détails nuiraient à la saine perception de l'ensemble.

Synthèse aussi sa conception physiologique du fonctionnement cérébral, synthèse surtout sa systématisation de la moelle, synthèses enfin toutes ses créations cliniques. Les cas particuliers se fusionnent à ses yeux en un type unique, expression vivante d'une entité noso-graphique. Est-ce par principe qu'il laisse de côté les anomalies du type ainsi isolé, pour le mettre plus clairement en valeur, quitte à grouper plus tard autour de ce dernier toute une série de formes et de variétés secondaires? Ce procédé lui est-il seulement inspiré par les exigences de l'enseignement? Certes, pour instruire il n'en existe pas de meilleur.

Mais Charcot, on l'a vu, est, par nature, enclin à la synthèse. Il obéit surtout à un penchant inné, et souvent, dans ses vues d'ensemble, brillent des éclairs de génie.

A vrai dire, certains de ses dessins ne sont pas d'une exécution impeccable. Une critique de leurs incorrections paraîtrait aujourd'hui aussi injuste que déplacée : Charcot n'était pas un dessinateur professionnel . En outre, ses croquis ne devaient être revus que par lui-même ou par son plus proche entourage. Vouloir y relever telle ou telle défectuosité de facture serait aussi absurde que de reprocher à Charcot telle ou telle irrégularité dans les caractères graphiques de son écriture.

Pour lui, visuel incomparable, le dessin n'était qu'un moyen de traduire sa pensée. De même qu'au cours de ses leçons cliniques on le voyait parfois remplacer la parole par la mimique pour exprimer plus clairement une idée, de même il utilisait indifféremment le dessin ou l'écriture pour mieux graver les souvenirs, aussi bien dans son esprit que dans celui de ses auditeurs.

Admirable diversité d'aptitudes à tirer parti de tous les modes d'extériorisation de la pensée !

Reportons-nous au temps où la Salpêtrière resplendissait de l'enseignement de Charcot.

Sa parole était sobre et précise. Jamais, dans son discours, il ne laissait échapper un terme superflu. Iyes mots arrivaient à leur place posément, nettement, avec sécurité. Il écrivait de même, en une langue puissante, sévère, châtiée, riche en images, mais surtout d'une étonnante clarté.

Au verbe, il ajoutait parfois le geste, encore que de mouvements oratoires il se montrât fort ménager. Cependant, comme rien ne lui paraissait négligeable de tout ce qui pouvait pénétrer dans l'esprit par les yeux, il ne parlait jamais d'un malade sans le présenter à son

auditoire, il ne décrivait jamais un symptôme sans le faire, en même temps, constater de visu.

C'était une innovation. Il n'en fallut pas davantage pour qu'on traitât d'exhibitions théâtrales les séances qu'il consacra à l'étude des manifestations convulsives de la grande hystérie. Insinuation erronée, pour ne pas dire malveillante, qui ne trouve d'excuse que dans l'ignorance de ceux qui l'ont lancée. Charcot faisait comparaître à ses leçons cliniques indifféremment tous les malades qui en étaient l'objet. Paralytiques, vertigineux, myopathiques, base-dowiens, myxœdémateux, trembleurs ou neurasthéniques, apparaissaient à tour de rôle pour les besoins de la démonstration. Fallait-il créer une loi d'exception concernant les hystériques?

L'importance que Charcot attachait à l'étude visuelle était telle que, parfois, il n'hésitait pas à se départir de son habituelle réserve, pour donner lui-même le spectacle de la maladie.

Ceux qui l'ont vu alors se souviennent de ces démonstrations animées où le professeur en personne simulait les anomalies corporelles des malades qu'il ne pouvait montrer à l'auditoire : l'asymétrie du visage dans la paratysie faciale, les différentes démarches de l'hémiplégie, la festination et la raideur figée des parkinsoniens, les grimaces des choréiques, les gesticulations des tiqueurs et toutes les variétés du tremblement. Quiconque avait assisté à l'une de ces séances de pathologie en action conservait un souvenir ineffaçable du fait clinique scrupuleusement mimé.

Mais, aux enseignements du geste et de la parole, Charcot préférait encore ceux que l'image peut ajouter d'elle-même. Ht c'est là surtout que l'artiste en lui se révèle.

Qu'il s'agisse d'anatomie pure, d'histologie normale ou pathologique, d'observation clinique ou d'un chapitre de nosographie, tou

jours une page imagée vient illustrer la démonstration de Charcot.

Il ne lui suffit pas de décrire la structure du foie, des poumons, des reins, il faut qu'il en donne aussi le dessin. Aborde-t-il l'étude du cerveau et ses localisations corticales, il n'a de trêve que le jour où il parvient à traduire ses idées sous la forme d'un schéma, — ce fameux schéma qu'ont reproduit tous les ouvrages didactiques.

On conserve le pieux souvenir des longues nuits qu'il consacra à dessiner les figures relatives aux différentes variétés de l'aphasie. Un soir, absorbé par un laborieux effort, il avait machinalement tortillé autour de son index une mèche de ses cheveux, de si inextricable manière qu'il fallut couper toute la mèche pour libérer le doigt. Petite mésaventure qui, sur le moment, le contraria fort, car elle interrompait le travail, mais qui, plus tard, le faisait sourire, quand on la lui rappelait.

Les cours de la Salpêtrière fournirent à Charcot l'occasion d'utiliser de façon magistrale son goût pour les représentations figurées. Le tableau noir et les craies de couleur étaient les accessoires indispensables de ses démonstrations. Kn quelques traits, en quelques hachures, il objectivait l'idée ; et regarder, c'était comprendre.

Avait-il besoin de recourir aux notions fondamentales d'anatomie, il faisait dessiner par ses élèves des planches murales aux traits accentués, aux couleurs vives et frappantes.

Voulait-il exposer, dans une de ces descriptions panoramiques dont il avait le secret, les liens de parenté et les caractères différentiels des maladies systématiques, toutes ces relations devenaient apparentes sur un vaste tableau synoptique que le spectateur embrassait d'un coup d'ceil.

Pour son œuvre, toute d'observation visuelle, comme pour son

enseignement, qui s'adressait de préférence aux yeux, Charcot sut utiliser à merveille les aptitudes de ceux qui l'entouraient.

Ayant remarqué que l'un de ses élèves possédait un tempérament artistique plein de promesses, allié à de rares qualités de travail et de méthode, il employa souvent son concours.

Paul Richer mit ainsi son talent au service de la neuropathologie. Par son crayon, par sa plume, par son burin, il se fit l'illustrateur de la grande névrose, le dessinateur de toutes les difformités corporelles d'origine névropathique. Pour mieux faire saisir les anomalies du corps humain, il entreprit, — tâche considérable, — de décrire et de représenter l'anatomie des formes extérieures de l'homme sain. Mais Paul Richer est aussi sculpteur: et voilà que, pétris de sa main, des masques, des statuettes, reproduisant d'après nature les malformations de la pathologie, sont venus opposer leurs véridiques horreurs à ce canon de la beauté humaine dont l'art et la science étaient déjà dotés par lui.

Là ne se bornent pas les bienfaits de cette collaboration fructueuse.

Un jour, Charcot se trouve en face d'un tableau de Rubens, représentant la Guérison d'une Possédée. Une ressemblance le frappe : cette malheureuse aux cheveux épars, renversée sur le dos, les reins cambrés, le cou saillant, la bouche grimaçante, les yeux convulsés et la langue tirée de travers, n'est-ce pas le portrait réaliste d'une de ses malades de la Salpêtrière? — Si vraiment. Ht il semble que Rubens ait peint, d'après nature, une des phases les plus dramatiques de la grande attaque d'hystérie. Mais ce tableau de Rubens n'est pas seul en son genre. N'y aurait-il pas à moissonner de curieuses observations rétrospectives parmi les monuments figurés du passé? Quelle intéressante collection de documents cliniques en images !

Ainsi pensa Charcot, et, de concert avec Paul Richer, il commença

à rassembler ce mémorable dossier des figurations artistiques inspirées par la pathologie qui s'appelle les Démoniaques, les Malades et les Difformes dans VArt.

Il faudrait des pages et des pages pour dresser le bilan de toutes les innovations que Charcot introduisit à la Salpêtrière, et qui témoignent de sa prédilection pour tout ce qui est capable de parler aux yeux.

C'est la photographie qui, sous l'habile direction d'Albert Londe, devint un précieux adjuvant des recherches et des démonstrations cliniques : photographies de malades, de préparations microscopiques, « instantanés », projections lumineuses, dont la nouveauté et l'heureuse application attirèrent tant de visiteurs, Français ou étrangers.

C'est la « Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière », destinée à répandre dans le monde médical toutes les curiosités neuro-pathologiques passées en revue dans l'année, et au service de laquelle Gilles de la Tourette et Paul Richer ont consacré tant d'efforts scientifiques et artistiques.

C'est le musée de la Salpêtrière, chaque jour enrichi d'une pièce anatomique, d'un moulage, d'une peinture, d'un dessin...

C'est ce cabinet même où Charcot, entouré d'un service laborieux et discipliné, examinait les malades venus de tous les coins de l'univers. Sur les murs, tristes et nus avant son arrivée, peu à peu avaient pris place les reproductions de toutes les trouvailles artistiques relatives à l'hystérie. Et ces documents esthétiques accrochés à la muraille réjouissaient l'œil du maître,- adoucissaient peut-être les inquiétudes des patients, mais à coup sûr donnaient à ce local exigu et modeste une ampleur surprenante, d'où, nécessairement, découlait le respect.

C'est là que, pendant près de vingt ans, défilèrent tant de lamen

tables victimes des infirmités humaines. Charcot en passait lui-même la revue.

Alors, on pouvait apprendre l'art d'observer. Il recommandait de chercher d'abord à saisir les grandes lignes , les gros symptômes . Foin des menus détails, du moins pour le début. Regarder, regarder encore, regarder toujours : c'est ainsi seulement que l'on arrive à voir.

Aussi proclamait-il très haut l'importance qu'il y a pour le médecin à connaître la forme corporelle et la nécessité d'étudier le nu vivant, aussi bien le nu normal que le nu pathologique.

Un grand nombre de malades étaient examinés dans le plus simple appareil. Le regard pénétrant de Charcot s'arrêtait sur les moindres anomalies corporelles ; il en prenait note, réfléchissait, faisait venir un autre sujet, le comparait au précédent, en appelait un troisième, recommençait le lendemain, au besoin les jours suivants, et, de cette observation minutieuse, — visuelle surtout, — résultait souvent une découverte précieuse, parfois même la révélation d'une maladie inconnue jusqu'ici.

L'artiste, qui, chez Charcot, allait de pair avec le médecin, n'était pas étranger à ces trouvailles heureuses.

Ainsi, sous son inspiration, vit-on alors à la Salpêtrière une efflo-rescence artistique qui jetait sur la science un lustre inusité.

Si l'influence qu'ont exercée les qualités artistiques de Charcot sur ses études et sur son enseignement est digne de remarque, l'intérêt est plus grand encore de voir comment il mit en pratique ses dispositions natives pour le dessin.

En plus d'une circonstance, il montra qu'il était en mesure d'em

ployer indifféremment, pour traduire sa pensée, ou bien l'écriture littérale, ou bien une sorte de langage hiéroglyphique.

Dans les lettres qu'il écrivait à sa famille, ou à quelques intimes

amis, il intercalait souvent des croquis à la plume, destinés à remplacer une trop longue description.

Ce jeune Dublinois et sa petite sœur , si piteusement misérables en leurs loques frangées, sont arrivés d'Irlande à la

fin d'une lettre émaillée de nombreux dessins. Mieux qu'une page écrite, ils évoquent la vision des détresses errantes dans les rues populeuses.

Quelquefois même le dessin de Charcot n'était qu'une sorte de calembour iconographique. Témoin une vignette qu'il répéta plusieurs fois en tête de ses lettres, pour indiquer l'adresse de son premier appartement. On y voit un coq qui vient de pondre six œufs marqués d'un A. Traduisez : 6, Avenue du Coq. Plaisanterie graphique à la manière des rébus qui montre une vive tendresse pour l'écriture en images.

A l'époque désastreuse que traversa la France, en 1870-1871, les lettres de Charcot vibrent d'un patriotisme ardent. Alors aussi ses dessins révèlent ses secrètes aspirations. Sur l'un d'eux, on voit le coq d'un clocher de village, la crête couverte d'un bonnet phrygien. « Je pense, lit-on au-dessous, que le coq gaulois est définitivement coiffé d'un petit bonnet significatif.

Et cent autres exemples, remontant à des époques diverses, mais qui, tous, sont des témoignages d'une aptitude singulière à fixer les impressions visuelles par le dessin.

Cette mémoire des yeux , que Charcot avait excellente, lui était d'un grand secours pour composer, à l'occasion, certaines fantaisies artistiques. Ce fut un de ses délassements favoris, une façon pour lui

d'extérioriser ses rêveries, bien qu'à vrai dire il s'abandonnât rarement aux rêves. Son travail absorbait tout son temps, et son imagination contenue par une discipline méthodique ne se permettait que de timides écarts, aussitôt refrénés par un vouloir opiniâtre.

Cependant, tout en poursuivant le cours de ses réflexions, il lui

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arrivait parfois de s'abandonner aux impulsions graphiques qui lui étaient naturelles. Témoin ce danseur de gavotte », esquissé en quelques traits de plume, tandis que, dans le brouhaha des conversations de son entourage, il demeurait, selon son habitude, obstinément silencieux. Alors apparaissaient, presque à son insu, des com-

positions faites de souvenirs inconsciemment évoqués et qui, spontanément, se matérialisaient sous forme d'images plus ou moins précises.

Les plus nombreuses et les plus curieuses datent du temps des examens d'agrégation, où, tout en écoutant d'une oreille attentive les leçons des candidats, Charcot couvrait le papier posé devant lui de rapides esquisses, l'une dans l'autre enchevêtrées : tantôt un paysage, tantôt un personnage, tantôt un dessin d'ornement.

La fantaisie de ces dessins n'en exclut pas les qualités artistiques.

Les paysages sont d'une habileté surprenante. Les lointains surtout y sont adroitement traités. Le ciel, les nuages, les arbres, les champs et les villes se profilant sur l'horizon, ne seraient pas reniés par les aquafortistes de métier. Les premiers plans sont rarement assez poussés. Ht la raison, on la devine : Charcot avait, par excellence, la vision de l'ensemble ; peu lui importait de figurer exactement un caillou, une fleur, un brin d'herbe, pourvu que l'impression générale fût harmonieuse.

Les personnages qu'il dessinait forment une collection extrêmement curieuse de types anciens ou modernes, dans les plus divers accoutrements : figurations mythologiques, historiques, théâtrales, réalistes ; grands seigneurs, moines ou magistrats ; et des militaires surtout, de toutes époques et de tous pays, dont il rehaussait les silhouettes à coups de crayons bleu et rouge. Beaucoup de ces soldats sont d'une fière allure, la plupart costumés comme au temps du Premier Empire. Certains ont été dessinés pour amuser son fils Jean.

L'innovation artistique introduite par Charcot dans son milieu hospitalier, et adaptée aux besoins de son œuvre scientifique, témoigne déjà d'un goût singulier pour l'esthétique.

Ce goût se manifesta, plus brillamment encore, dans sa vie privée, où il put donner libre essor à ses aspirations naturelles.

Par le choix des œuvres d'art dont il lui plut de s'entourer, par le souci qu'il eut de diriger lui-même l'ornementation de son intérieur, par la part personnelle qu'il prit à cette décoration, Charcot n'apparaît pas seulement comme un connaisseur instruit et expérimenté, mais comme un fervent adorateur des plus pures manifestations du beau.

On a, non sans raison, vanté l'aménagement de cet hôtel du boulevard Saint-Germain qui vit l'apogée de sa gloire. Nul cadre n'était plus apte à s'harmoniser avec la personnalité de Charcot. Ce cadre était aussi son œuvre.

Vastes pièces d'une somptuosité sombre, étoffes aux couleurs atténuées par les ans, meubles d'un luxe sobre, aux ors éteints, aux lignes irréprochables, peintures, sculptures et bibelots : tout était disposé pour la plus parfaite harmonie de l'ensemble et la plus complète satisfaction des yeux. Pas une faute, pas un anachronisme ; rien ne choquait ; aucune tache disgracieuse dans ce tableau.

La note dominante était celle de l'art de la Renaissance. Les murs tendus de tapisseries aux tons vieillis, les boiseries répétant des panneaux ou des colonnades aux feuillages élégamment entrelacés, les lustres profilant leurs arabesques de fer rehaussées d'or discrètement lumineux, les vitraux ornés de personnages hiératiques, ou d'antiques armoiries, par où filtrait un jour très pâle, un éclairage d'église, quelque peu mystérieux, ménageant des retraites d'ombre propices au silence et à la méditation.

Dans cet intérieur, qui réalisait encore à dessein une synthèse, — celles de toutes les élégances décoratives, — Charcot se complaisait. Ceux qui restent étrangers aux plaisirs esthétiques n'ont pas compris ce goût ; les envieux même l'en ont blâmé. Erreur et médisance. La vérité, la voici : le luxe, ni le faste, ni le confort moderne, ne touchaient Charcot. Chez lui, aucun désir d'ostentation. Il appréciait

tout simplement le charme d'une demeure harmonieusement parée, sans même songer à sa richesse. Sagesse enviable, dilettantisme très élevé, qualités rares, qui trop souvent sont interprétées à mal.

Son délassement favori était de travailler lui-même à de nouveaux embellissements. Désireux de rester fidèle à sa formule artistique, il observait soigneusement, au cours de ses voyages ou dans ses visites aux musées, les reliques décoratives du passé. Parfois, il en prenait

un croquis rapide ; le plus souvent, il s'en rapportait à la fidélité de sa mémoire visuelle. Mais son choix était toujours dicté par un sûr jugement.

Il coopéra plus directement encore à l'ornementation de son intérieur. Tels carreaux de faïence appliqués aux parois d'une cheminée et qu'on croirait issus d'une des anciennes fabriques de Delft ont été dessinés de sa propre main. Tel émail qui semble avoir été

conservé, par miracle, depuis le xvie siècle, n'est qu'une copie d'un original de l'époque. Charcot lui-même en a fait la reproduction, avec un sens si précis de l'archaïsme des lignes qu'il faut y regarder de bien près pour découvrir l'imitation.

Souvent, il adaptait les souvenirs personnels qu'il avait rapportés de l'étranger à la décoration des objets mobiliers. Que de plats, que d'assiettes ont été transformés par sa main en petits tableaux commé-moratifs !

Il excella surtout dans l'art d'approprier les œuvres des meilleurs maîtres aux motifs d'ornementation.

La façade intérieure de son hôtel était décorée de plaques de faïence aux personnages renouvelés d'Albert Durer. Il avait fait encastrer dans un cabinet du plus pur style de la Renaissance douze émaux sur cuivre dessinés par lui, d'après les célèbres Apôtres du Limousin. N'a-t-il pas enfin tracé lui-même le plan de son jardin, s'inspirant des souvenirs d'horticulture rétrospective que les artistes nous ont laissés dans leurs tableaux?

Pour toute cette œuvre ornementale, qui n'est pas une des moindres garanties des qualités artistiques de Charcot, il rencontra dans son entourage des auxiliaires affectueux et adroits, qu'il sut façonner lui-même au culte des belles choses. Les siens d'abord, puis quelques familiers, artistes ou dilettantes, dont trois des plus experts venaient chaque année d'outre-Manche partager quelque temps sa bienveillante hospitalité.

Sous son inspiration, chacun remplissait sa tâche et apportait sa part à l'œuvre de décoration, sans cesse accrue et améliorée. Charcot donnait l'idée, y ajoutait quelques conseils : l'exécutant n'avait qu'à les suivre. Le travail une fois commencé, il en surveillait la marche, précisait une indication, corrigeait une erreur, et ne se déclarait satisfait que si les moindres détails se trouvaient conformes à son désir esthétique.

Ainsi fut-il le maître d'une sorte d'atelier d'art décoratif, institué par ses soins dans sa propre maison, avec les siens pour praticiens et pour élèves. Toutes les matières y furent travaillées : la terre, le métal, le verre, le bois, le cuir, l'étoffe...

Il en naissait des sculptures en ronde bosse ou des bas-reliefs, des ornements ciselés ou repoussés, des services de table dorés ou

peints, des vitraux, des émaux, des meubles aux panneaux sculptés, gravés et coloriés, des reliures de livres, des coffrets, des sièges, des tables, et toute une profusion de bibelots fantaisistes, imités de l'ancien, cirés, patines, vieillis à dessein, dont le fouillis étrangement composite s'harmonisait encore avec une profusion d'œuvres d'art parfaitement authentiques, — curieux musée de famille où Charcot goûtait ses meilleures joies et qui réalisait son idéal shakspearien : Un peu de trop... »

Au milieu de cette magnificence, Charcot gardait sa froide simplicité. Il apparaissait un peu comme une de ces grandes figures de la Renaissance, également éprises du vrai et du beau. C'était une évocation spontanée : dans son profil, on retrouvait le galbe sévère du Dante. Et, comme les maîtres du xvie siècle, qui souvent délaissaient leurs pinceaux pour s'occuper de sciences abstraites, Charcot trouvait dans l'art une diversion au labeur quotidien du savant.

* ' *

Malgré le charme de son intérieur, Charcot n'hésitait pas à s'en éloigner lorsque l'exigeaient ses devoirs professionnels. Mais il profitait toujours de ses déplacements pour compléter ses connaissances artistiques.

Il fit ainsi de nombreux voyages, et les fit en artiste autant qu'en médecin. De chacun d'eux, il rapportait toujours des souvenirs figurés, beaucoup de photographies, mais surtout des croquis personnels, et ceux-ci sont particulièrement édifiants.

Tout voyage qu'il méditait d'entreprendre était, à l'avance, mûrement étudié.

A la vérité, il ne se préoccupait guère de l'organisation matérielle : d'autres, affectueusement, prenaient ce soin pour lui ; et leur tâche devait être bien faite, encore qu'elle ne fût pas toujours aisée, car il jugeait sévèrement les imprévoyances.

Ennemi des surprises et des impédiments, il aimait à se libérer de tout souci futile. Ainsi débarrassé des vains accessoires, capables de distraire sa contemplation, il s'apprêtait à recueillir des impressions nouvelles.

Cependant, quelque confiance qu'il fût en droit d'avoir en son propre jugement, Charcot ne s'embarquait jamais à la légère. Sur ce qu'il comptait voir, il aimait à s'instruire par des lectures préalables. Et de même qu'il n'abordait une leçon clinique qu'après une longue documentation, de même, en pénétrant dans un pays nouveau, tenait-il à n'y point pérégriner à l'aventure. Aussi la préparation d'un voyage lui coûtait-elle souvent plusieurs journées de travail.

Tels étaient ses devoirs de vacances ».

C'est ainsi qu'avant de consentir à faire cette excursion en Morvan qui devait lui être si tristement fatale (i), Charcot, fidèle à sa méthode, ne voulut partir qu'après s'être savamment renseigné sur les curiosités régionales. Un de ses futurs compagnons (2) se montra désireux de lui épargner cette peine. Sur l'antique monastère de Vézelay, sur ses fondateurs, sur ses bienfaiteurs, sur l'histoire de la basilique, sur les styles de son architecture, etc., et tout spécialement sur son narthex, l'élève ami laissa volontiers transparaître son érudition. Ceci ne suffisait point à Charcot. Il n'en mit que plus de soin à recueillir lui-même sur ce sujet tous les renseignements désirables.

(1) Charcot est mort subitement, la nuit, dans une auberge près du lac des Settons, au CDurs d'un voyage qu'il faisait en compagnie de deux de ses élèves, les professeurs Straus et Debove, et de M. Vallery-Radot, gendre de Pasteur.

(2) T e professeur Debove, qui, plus tard, fut doyen de la Faculté de médecine de Paris.

Se rappelant qu'au musée du Trocadéro il existe un moulage d'une des portes de la nef de Vézelay, il tint à connaître cette reproduction. Et, la veille du départ, revoyant son collègue, Charcot, non sans quelque malice, fit redire à celui-ci tout ce qu'il avait appris du Morvan.

Puis, à son tour, prenant la parole, il montra qu'il pouvait se passer du concours d'un cicérone pour visiter cette province, et en particulier la basilique de Vézelay. Il savait là-dessus tout ce que l'on pouvait savoir. Quant au fameux narthex, il n'ignorait rien de son histoire et connaissait les moindres détails de son architecture, jusqu'à l'existence d'un minuscule diablotin intercalé dans une guirlande de feuilles autour d'un portail intérieur, — ce qui d'ailleurs est parfaitement authentique. — Et l'érudit compagnon comprit que, sur ce chapitre-là, Charcot était encore son maître.

Dans chacun de ses voyages, Charcot emportait un album et des crayons de couleur. Au retour, il avait généralement rempli cet album de croquis prestement silhouettés et coloriés à larges touches. Puis, quand il se permettait une soirée de loisir, il revoyait ses dessins, rehaussait à l'encre noire les contours esquissés au crayon, et écrivait les légendes. Il existe ainsi, de sa main, plusieurs volumes d'impressions en images.

On peut le suivre à travers l'Europe : en Italie, en Espagne, en Irlande, en Hollande, en Russie, et jusque sur la terre d'Afrique, où il a plusieurs fois mis le pied. De chaque pays, on est certain d'entrevoir un coin de paysage ; de chaque ville, une ruelle curieuse, une maison, un jardin, ou quelque détail de mœurs, ou quelque type local : homme, femme, enfants, esquissés en quelques lignes, mais toujours pris sur le vif, d'un réalisme saisissant.

Voyez cette steppe hibernale des environs de Marienburg, avec son moulin à vent solitaire, quelques bouleaux dénudés et un rideau de forêt sombre se profilant sur l'horizon. Toute la mélancolie de cette contrée endormie et déserte est traduite en trois coups de crayon. Chaque élément du paysage reste en soi-même insignifiant, mais l'impression qui se dégage de l'ensemble est à la fois pleine d'ampleur et de vérité. Combien, traversant ce pays monotone,

passeraient près de ce banal moulin sans entrevoir l'harmonie séduisante de sa solitude au milieu d'un décor terne et plat ! A rendre la tristesse et la profondeur de ces paysages linéaires, le Hollandais van Goyen excellait en son temps. Charcot le comptait au nombre de ses maîtres préférés.

Une autre fois, c'est au pays de Galles, par une triste matinée d'août. De la fenêtre de son hôtel, Charcot crayonne une vue de la ville où il s'est arrêté : une rue bordée de maisons irrégulières, aux rez-de-chaussée abrités par des auvents, un clocher qui dresse sa flèche aiguë vers le ciel maussade ; au premier plan, un square funèbre ; au fond, de hautes collines où quelques villages sont perchés. Tout cela en quelques lignes, nettes, fermes, décidées, sans hachures, sans épaisseurs, presque sans ombres. Et cependant, la perspective

est profonde, la rue s'enfonce dans le lointain vers les montagnes encore plus lointaines, et l'on devine, à l'abandon de cette place publique, au coup de vent qui cingle les arbustes,'quel temps morose il faisait ce matin-là.

Cinq ans plus tard, Charcot est en Espagne, à Renteria, en plein

to/fre* «f J*tn- Zuîno CaJrttï .

pays basque : c'est jour de pelota, sur la place de la petite ville. Les joueurs s'escriment à lancer contre un mur des balles guidées par un long gant d'osier. Et le public, entassé sur des gradins improvisés, se passionne pour les coups difficiles. Que de couleur locale dans cette esquisse si simplement indiquée ! Le costume des joueurs est précisé en quatre ou cinq traits minuscules, et la masse des specta

teurs rendue avec un procédé schématique qui donne cependant l'illusion de la vie.

Ht, toujours, ce qui prédomine dans les dessins faits par Charcot,

c'est l'immédiate perception de l'ensemble, l'adroit agencement des détails pour la composition d'un tout sincère et harmonieux.

Nombreux aussi sont les dessins que Charcot fit au cours de ses visites dans les monuments ou les musées de l'Europe. On a vu qu'il recueillait souvent des indications décoratives. Mais, surtout, il fit ainsi lui-même une ample moisson de figurations pathologiques. Tel le fameux mascaron de l'église Santa Maria Formosa, à Venise, qui devait être le point de départ de l'ouvrage sur les Difformes et Malades dans l'Art. Tel un croquis de la Transfiguration de Déodat Delmont, au musée d'Anvers, où se trouve représenté un jeune possédé. Et combien d'exemples analogues !

Cet évêque putréfié, couché sur un sarcophage de pourpre, est une esquisse exécutée, pendant un voyage en Espagne, d'après un tableau de l'hôpital de la Charité, à Séville. Rien n'est plus lugubre

brement expressif que cette image funèbre. Charcot en fut frappé, car il ne dédaignait pas le macabre, lorsqu'il s'y ajoutait une symbole philosophique, comme dans les Danses des Morts des maîtres allemands, comme dans les peintures de Holbein le vieux ou de Hans Baldung.

L,e tableau de l'Espagnol Valdes Leal attira donc son attention., Il en nota les moindres détails sur la page qu'il lui consacra dans son

album. L'horrible représentation des chairs décomposées, où le peintre semble avoir pris plaisir à reproduire toutes les phases de la putréfaction, étonna l'anatomo-pathologiste par son brutal réalisme. Les parasites cadavériques qui viennent festoyer sur la pourriture humaine lui semblèrent mériter une mention. « Quelles sont ces bêtes?... écrivit-il à côté de son croquis, en désignant par des traits de rappel les noirs coléoptères qui montent à l'assaut du cadavre mitre. Il eût été satisfait de connaître leur nom, qui s'harmonise avec ce sujet funèbre : car ce sont des Blaps, très exactement figurés, — Blaps mortisaga : présage de la mort...

Quel intéressant souvenir que ce croquis fait dans un coin obscur de l'hôpital de Séville, tandis qu'au dehors brillait un éclatant

soleil d'août ! Ht quel sujet de méditation : Charcot s'attardant devant ce symbole macabre pour copier la devise : Finis gloria mundi !...

Qui veut, non pas seulement juger, mais comprendre un artiste, doit étudier ses goûts, ses préférences, et même jusqu'aux détails de sa vie. Pour comprendre Charcot artiste, il faut avoir connu Charcot intime. Et quand longtemps on l'a vu de très près, on ne saurait mieux honorer sa mémoire qu'en le montrant tel qu'il fut réellement.

Quelques biographes l'ont représenté comme une sorte de figure hiératique, inaccessible aux frivolités terrestres. D'aucuns même ont laissé entendre que cette manière d'être avait pour but d'impressionner le vulgaire. A leur avis, Charcot se serait volontairement entouré d'une auréole pour se poser en thaumaturge et rehausser d'un mystérieux prestige tous les actes de sa profession.

Sans doute, par son genre de vie, par son éloignement voulu des promiscuités mondaines, par sa gravité coutumière, par la réserve où il se complaisait, par la froideur de son accueil et la sobriété de ses propos, — comme aussi par l'impression inoubliable que laissait la vision, fût-elle instantanée, de cet œil pénétrant creusé dans un masque impénétrable, Charcot, aux yeux d'un observateur superficiel, pouvait à la rigueur passer pour le personnage factice que la malignité publique jugeait ainsi, sans le connaître.

Assurément, il vivait à l'écart : son labeur continuel ne lui permettant que de rarissimes instants de répit. Il n'aimait guère à se mêler au monde, il faisait fi des conversations oiseuses. Il préférait, pour se distraire, lire, tranquillement, une page d'histoire ou de philosophie. Tempus et Hora : il aimait cette devise, accompagnée d'un ours symbolique tenant entre ses pattes un sablier.

Il était grave : son esprit, entraîné de bonne heure vers de studieuses méditations, restait toujours absorbé par la recherche d'un nouveau problème. Il parlait peu : la discipline scientifique lui avait •appris à peser l'exacte valeur des mots.

vSon abord était froid, son bonjour imperceptible, sa main n'avançait qu'à demi et ne répondait guère à l'étreinte : il n'attachait aucun prix aux manifestations de politesse banale. D'ailleurs, Charcot, même à l'apogée de sa gloire, conserva toujours un restant de timidité.

Quant à ce visage où l'on a voulu voir comme un masque de théâtre, volontairement adapté au rôle d'un guérisseur miraculeux, n'est-il pas superflu de rappeler que la nature seule en avait créé tous les traits? Ce masque était à vingt ans ce qu'il fut à soixante, avec des cheveux noirs en plus et quelques rides en moins, mais toujours modelé à l'antique, impassible, un peu énigmatique, impressionnant. Le journalier coup de rasoir qui mettait en valeur son profil césarien, tel fut le seul artifice ajouté à la nature. Encore cette habitude, dont tant d'autres sont coutumiers sans que l'on songe même à en faire la remarque, remontait-elle à une époque où rien ne pouvait faire présager le rôle futur de Charcot.

Ainsi doit-on faire justice d'une conception fantaisiste, née d'une impression trop hâtive, sinon d'un sentiment malintentionné.

Si le physique de Charcot a pu prêter à la méprise, et si, de le voir en passant, on pouvait avoir l'impression d'une physionomie de commande, tous ceux qui l'ont connu dans son intimité savent bien qu'il fallait en juger autrement. Il faut le dire, car telle est la vérité.

vSans jamais se départir de sa réserve mutuelle, Charcot n'était cependant ni trop sévère, ni trop altier.

A ses moments de loisir, au milieu d'un entourage affectueux et

dévoué, il goûtait volontiers les choses plaisantes et ne répugnait pas à y participer. Les facéties des jeunes le déridaient aisément ; parfois même, il y prenait plus d'intérêt qu'il n'eût voulu le laisser paraître, et rien n'était plus comique alors que sa grimace lorsqu'il se sentait envahi par un rire impossible à maîtriser.

Aux représentations de famille qui se donnaient annuellement pour sa fête, la Saint-Martin, il riait d'excellent cœur. Il acceptait de même toutes les plaisanteries que lui faisaient les siens. Avec les amis de sa jeunesse ou avec quelques familiers, il exerçait son ironie ; ses traits frappaient dur, mais juste. Il ne craignait pas de les renouveler. Mais il ne se plaisait guère aux jeux de l'esprit faits de grâces précieuses. Par contre, il aimait la grosse farce. Il citait volontiers de mémoire des passages de Rabelais.

En cela, Charcot restait conforme à lui-même. Il affectionnait en toutes choses la simplicité de la nature.

De là, certaines de ses préférences en littérature ou en art.

On sait de quel culte il honorait Shakspeare, qu'il avait lu, relu et annoté de sa main. La philosophie du dramaturge anglais lui était particulièrement chère, par cela même qu'elle est basée sur une étude attentive de la nature. Dans l'œuvre de Shakspeare, Charcot voyait un modèle d'analyse des sentiments et des passions. Il y retrouvait cette rigoureuse observation de l'espèce humaine qu'il appliquait, lui, à la clinique. Et, chez le comédien, il goûtait le naturalisme sincère des saillies et des bons mots.

Aussi la plaisanterie de Charcot était-elle éminemment shaks-pearienne .

Pareillement, il s'était senti de bonne heure attiré par les chefs-d'œuvre des écoles flamande et hollandaise. Les indéniables qualités d'observation dont firent preuve les artistes des Pays-Bas, comme

CHARCOT ARTISTE. 2

aussi leur souci scrupuleux de représenter exactement la nature, ne pouvaient manquer de séduire Charcot. Ce furent ses maîtres de prédilection.

Possédant une œuvre de Jean Steen, justement réputée, les Noces de Cana, il l'avait fait placer dans son cabinet, pour qu'elle fût toujours présente à son regard. Il ne se lassait pas d'admirer la vérité des attitudes et des expressions, l'heureux groupement des personnages, la sincérité naïve des accessoires et la justesse du coloris. Il y reconnaissait les familiers du peintre, figurants inattendus dans ce tableau d'histoire religieuse. Puis, il faisait ressortir les qualités maîtresses de l'artiste hollandais : sa franchise, son réalisme, sa bonne humeur, sa fine raillerie, sa verve toute rabelaisienne, et combien Jean Steen excellait, avec des modèles vulgaires, à donner aux hommes des leçons de la plus haute moralité.

Et, en vérité, bien des œuvres de Jean Steen semblent être du Shakspeare en images.

Avec son goût de la simplicité naturaliste, Charcot n'appréciait pas volontiers les innovations de l'art moderne. Le compliqué, le recherché, l'apprêté, le laissaient froid, de même que le nuageux, 1' imprécis , le flou .

Il se montrait fort sévère à l'égard de la peinture des symbolistes ou des impressionnistes. Même, il trouvait excessifs les éloges adressés à Corot ; et, ayant eu l'occasion de se dessaisir d'un tableau de ce maître, il le fit sans regret. A aucun prix il n'eût consenti à se séparer de son Jean Steen.

Il n'était pourtant pas insensible au charme de la couleur. Il apprécia vivement un cadeau que lui fit son ami Burty : l'album contenant les croquis et les notes de voyage pris au Maroc par le peintre Delacroix.

Si Charcot avait surtout l'œil exercé au diagnostic visuel, la musique ne le laissait pas indifférent.

Il s'était fait lui-même une éducation musicale assez complète, en suivant assidûment les grands concerts parisiens. Bien longtemps avant que la mode n'ait remis en honneur les œuvres des maîtres anciens, Charcot avait affirmé pour ceux-ci une prédilection inattendue. Gluck surtout l'enchantait, par une simplicité qui n'exclut pas la grandeur, et il aimait à se faire jouer des passages à'Orphée.

Sans réserve, il admirait Beethoven ; il connaissait les thèmes de toutes ses symphonies, avec toutes les variations. Il défendit éner-giquement Bizet, alors qu'on le sifflait encore.

Mais il fut longtemps sans apprécier la musique wagnérienne, dont l'harmonie lui paraissait inutilement compliquée et empreinte d'une obscurité toute germanique. Il n'en avait alors entendu que des fragments. Puis, lorsqu'il vit représenter au théâtre un opéra de Wagner, il en saisit l'ampleur et revint sur son premier jugement. Une vue d'ensemble lui avait permis d'entrevoir la beauté de l'œuvre.

Charcot ne goûtait guère la poésie : le langage rythmé lui paraissait trop artificiel. Hors Shakspeare, qu'il lisait dans le texte anglais et dont il citait souvent des vers, il négligeait les œuvres des poètes ; cependant, il accueillit ceux-ci avec bienveillance : Théodore de Banville, Mistral, Paul Arène, etc., furent ses commensaux pendant longtemps.

Ainsi, d'une façon générale, l'idéal artistique de Charcot était fait de clarté et de simplicité. Et cependant, ce fervent adepte du naturalisme prenait plaisir aux grandes fantaisies imaginatives. Il aimait à lire les Mille et une Nuits. Il s'intéressait vivement aux scènes de sorcellerie de Macbeth. Mais il n'admettait pas de compromis entre

le rêve et la réalité. Sorti du domaine de la fiction absolue, rien ne lui semblait louable qui ne fût inspiré par une scrupuleuse observation de la nature.

Ce sincère regard jeté sur Charcot intime, sur ses goûts et ses prédilections, en faisant mieux connaître l'homme, permettra sans doute de comprendre et d'apprécier plus exactement l'artiste.

Il reste à montrer encore Charcot caricaturiste.

Charcot caricaturiste !...

Charcot, le savant que l'on imaginait à tort grave à l'excès, parcimonieux de son sourire, volontiers indifférent aux gaîtés d'ici-bas, — oui, vraiment ! Charcot ne dédaigna point l'art humoristique, et même il s'y montra plein de verve et d'ingéniosité.

Si, dans ses écrits, il n'eut pas l'occasion d'exercer sa raillerie, du moins voit-on par ses caricatures combien son sens critique était aiguisé. En cela, son aptitude supérieure à saisir du premier coup d'œil les caractères saillants et à les mettre en évidence se manifeste avec éclat.

•Son goût pour la satire en images se révéla précocement.

'Ses premières tentatives ne sont pas les moins intéressantes ; elles font entrevoir un don d'observation vraiment singulier. Les plus curieuses sont assurément celles qui rappellent une visite que Charcot, alors âgé de dix-sept ans, fit au Quartier latin. Plusieurs pages d'album, datées de 1843, semblent avoir été inspirées par la rencontre de ces types d'étudiants immortalisés par les caricaturistes

de l'époque. Spontanément, il en a saisi tous les ridicules, et quelques touches d'aquarelle lui ont suffi pour en composer une pittoresque collection.

On y voit le bohème invétéré, à la chevelure opulente, armé de sa pipe toujours en feu et coiffé d'un béret monumental auquel pend un gland vagabond ; — le dandy sanglé dans un habit de raideur excessive, exhibant un gilet mirifique, cravaté jusqu'aux yeux et porteur d'un éblouissant tromblon . — Et le novice ébahi, arrivant de sa province, avec son parapluie de coton, engoncé dans un paletot de coupe ances-trale, culotté comme un paysan, mais resplendissant de santé, avec sa face rubiconde et ses cheveux taillés courts et droits. On le revoit, d'ailleurs, dégrossi par la capitale, étriqué dans un vêtement trop étroit, essayant d'harmoniser avec les boucles d'une coiffure savante son teint blêmi et ses joues excavées.

A ne considérer que ces souvenirs de jeunesse d'un réalisme si vif, d'une si piquante finesse d'observation, on entrevoit quelles facultés critiques se trouvaient en réserve dans l'esprit de Charcot.

Une fantaisie caricaturale particulièrement édifiante remonte à l'année 1853, alors que Charcot, âgé de vingt-huit ans, venait de terminer son internat et d'être nommé chef de clinique.

Un soir, assisté d'un de ses collègues, docteur frais émoulu comme lui, il résolut d'expérimenter sur lui-même les effets de haschisch

et de noter ses impressions par écrit. Bientôt, sous l'influence du narcotique, un tumulte de visions fantasmagoriques traversent son esprit. Il se met à écrire en caractères de plus en plus étranges et difficiles à démêler. Quel désordre d'idées ! et cependant quel agréable festonnage... Impulsion involontaire et fantasque qui toutefois n'est pas complètement soustraite à la volonté... Tout ce que je touche est environné d'une atmosphère électrique... et cependant... cependant... Puis les mots deviennent illisibles, les jambages des lettres s'allongent démesurément, se tortillent, en zigzags, en volutes, en arabesques, se transforment en dentelures de feuilles, en pétales de fleurs, en motifs architecturaux... Alors, plus d'écriture. La page entière se couvre de dessins : dragons monstrueux, chimères grimaçantes, personnages incohérents qui se superposent et s'enchevêtrent dans un tourbillon fabuleux rappelant les compositions apocalyptiques de van Bosch ou de Jacques Callot.

Dans cette fantaisie outrancière que Charcot aimait à revoir, après bien des années écoulées, apparaissent, hypertrophiées par une volontaire expérience d'intoxication, toutes les aptitudes caricaturales dont il était naturellement doué. On y retrouve aussi l'indice du goût qu'il avait pour le fantastique.

Mais c'est là une page exceptionnelle.

Au demeurant, Charcot cédait volontiers au désir de croquer , en quelques traits de plume, une figure qui l'avait frappé.

Voyez ce portrait qu'il fit de Chevreul pendant une séance de l'Institut. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, il avait schématisé l'auréole de cheveux blancs qui rayonnait autour du crâne du savant séculaire. Et la ressemblance était telle que nul ne pouvait s'y tromper.

Longue serait la liste des personnages célèbres dont Charcot

s'est plu à reproduire les traits, mais toujours en y ajoutant une note de fine critique, en mettant en évidence quelque singularité

du corps ou de l'esprit. Parmi ses collègues, les professeurs Bail et Hardy ont été l'occasion des plus amusantes drôleries. Il fit aussi des caricatures de ses élèves.

Celui qu'on voit ici, chevelu et barbu, attentif à son labeur, fut un des premiers collaborateurs du Maître : mieux qu'un élève, un compagnon de voyage, un ami, qui devint professeur à son tour... C'est Pierret. En voyant le portrait que Charcot avait fait de lui,

il voulut riposter de semblable manière, et renvoya la page avec la mention : « Tournez, s. v. p. Au verso, se trouvait en effet un

profit du « patron , avec un front énorme, un nez démesuré et un menton à l'avenant.

Charcot s'en amusa beaucoup. Car il admettait volontiers la réplique en matière de caricature.

En 1875, un externe du service, — Brissaud, — s'étant permis de faire le portrait de Charcot en cachette, l'interne, — Raymond, — confisqua le dessin et le remit au Maître,... qui le fit encadrer.

Rien n'est en effet plus sincèrement exact que ce croquis en quelques traits de plume sur papier d'hôpital. Il évoque le souvenir d'un spectacle journalier que n'ont pas oublié ceux qui fréquentaient alors la Salpêtrière : Charcot, à l'amphithéâtre, son chapeau sur la tête, un tablier ceint autour de son pardessus, les pieds chaussés de

grosses galoches, examinant un cerveau, immobile, silencieux, au milieu de la vieille salle d'autopsie... Simplicité qui ne manque pas de grandeur.

Voici encore d'autres fantaisies humoristiques de Charcot.

Il y avait, au nombre de ses familiers, un ancien compagnon de

jeunesse, figure falote de vieux naturaliste, papillonnant autour dès-fleurs, en laissant échapper sur un ton doctoral quelques termes barbares de grec ou de latin. Charcot ne lui ménageait ni les pointes ni les épigrammes ; plus d'une fois, il se donna le malin plaisir de le caricaturer.

C'est lui qu'on voit, sous le sobriquet d' Ornithorinque , excur-sionnant dans les montagnes de Suisse, avec un encombrant bagage d'outils, de sacoches, de boîtes et de cartons, un véritable chargement, de mulet. Il avait la douce illusion de se croire à la fois compétent

dans toutes les branches de l'histoire naturelle : géologie, botanique, ¦entomologie. A l'entendre, il savait tout, sans oublier la médecine. Ht Charcot, qui n'était pas tendre à l'égard des faux savants, le

traitait volontiers de singe. Il fit ainsi son portrait. C'est une de ses meilleures caricatures.

Charcot professait d'ailleurs un mépris singulier pour toutes les .singeries humaines.

Cependant, il se montrait pour les bêtes d'une tendresse et d'une indulgence extrêmes. Il fulminait contre les chasseurs, mais il tolérait toutes les fantaisies d'un chien.

A l'exemple de Téniers, qui maintes fois exerça sa satire en peignant des singes occupés à mimer les travaux des hommes, Charcot

¦composa de semblables parodies, et même ne craignit pas de les .appliquer à ses propres collègues.

Car il était déjà professeur à la Faculté lorsqu'il dessina cet Aréopage simiesque, d'une si railleuse drôlerie, et dont peut-être plus d'un figurant n'aurait pas eu le bon esprit de rire. Quelle verve piquante dans ce tribunal de magots ! quelle diversité et quelle sincérité dans les attitudes ! quelle habileté à saisir la note comique et à la traduire avec une mordante ironie ! Bien sot qui s'en fût fâché. D'ailleurs,

Charcot n'en avait cure r ces fantaisies étaient ses délassements ; elles ne devaient amuser que lui-même. Mais elles méritent d'être connues aujourd'hui, ne fût-ce que pour faire entrevoir une des formes les plus curieuses de l'esprit, d'observation dont était doué Charcot.

La plus fameuse assurément de ses compositions satiriques est une caricature d'un cortège de la Faculté.

En tête s'avance le massier ployant sous le faix de son lourd caducée d'argent. Le corps des professeurs le suit, de tailles et de mines diverses : les grands et les petits, les gros et les maigres, les chauves, les rasés, les chevelus, les barbus, ceux qui voient clair et ceux qui portent des lunettes, ceux qui, fièrement, vont en dressant la tête et ceux qui marchent en penchant leur nez vers leur rabat.

Ees nommer? — A quoi bon? Pour qui les a connus, tous sont reconnaissables. Chacun, d'un trait de plume, est caractérisé. Et rien ne saurait mettre mieux en valeur la faculté critique de Charcot que cette théorie professorale où lui-même s'est caricaturé.

Que conclure, sinon que, du premier coup d'œil, il était apte à reconnaître telle ou telle singularité de l'habitus humain?

Or, découvrir une anomalie comique et mettre celle-ci en relief, c'est le principe même de l'art de la caricature. Mais, au comique près, l'art du clinicien n'a-t-il pas pour objet de dépister les anomalies corporelles et de les rendre perceptibles à autrui?

C'est pourquoi il n'est pas trop audacieux de prétendre que les aptitudes caricaturales de Charcot lui ont été quelquefois profitables dans son métier de clinicien.

* * *

Ce rapide coup d'œil jeté sur l'artiste et sur l'homme ne saurait ajouter à une gloire désormais incontestée. S'il a permis de faire entrevoir que, de Charcot médecin Charcot artiste est inséparable, il a rempli son but.

Et qui sait?... Si, d'aventure, en ce lointain conseil de famille qui décida de sa destinée, Charcot eût préféré l'art à la médecine, peut-être eût-il réussi encore à illustrer son nom?...

Henry Meige.

6.OI3. — CORBEIL. IMPRIMERIE CRÉTÉ.