ŒUVRES COMPLÈTES
DE
J. M. CHARCOT
MALADIES INFECTIEUSES AFFECTIONS DE LA PEAU, KYSTES HYDATIQUES ESTOMAC ET RATE, THÉRAPEUTIQUE
TOME VIII
PARIS
AUX BUREAUX \ DU PROGRÈS MÉDICAL
14, rue des Carmes.
LECROSNIER ET BABÉ
LIBBAIRBS-ÉDITEUBS
Place de l'École-de-Médecine.
1889
Tous droits réservés.
AVIS DE L'ÉDITEUR
Le tome VIII des Œuvres complètes de M. Charcot se com-pose de nombreux mémoires, notes ou articles tirés soit des recueils spéciaux, soit des Eléments de pathologie médicale de Requin, soit du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Prenant autant que possible, pour base, la nature du sujet traité, nous les avons groupés en cinq parties : 1° Maladies infectieuses ; — 2° Affections du tégument ex-terne; — 3° Des Kystes hydatiques; — 4° Estomac, rate ; — 5° Thérapeutique.
BOURNE VILLE.
1er juin 1889.
PREMIÈRE PARTIE
Maladies infectieuses.
MALADIES INFECTIEUSES
I.
Variole du fœtus ; — Varioloïde chez la mère ; — Avor-teraient au cinquième mois de la grossesse 1.
Une femme âgée de 23 ans, brune, d'un tempérament où pré-domine évidemment le système nerveux, bien réglée habituelle-ment,portant au bras gauche des cicatrices de légitime vaccine et n'ayant jamais eu la variole, entre, le 25 mars, à l'hôpital de la Charité (salle saint Basile, 10, service de M. Rayer) ; elle se dit enceinte de cinq mois.
Voici les faits que nous croyons devoir noter, dans ses antécé-dents. Etant très jeune, elle a eu des fièvres revenant par accès tous les deux jours; plus tard, à l'âge de 13 ans, elle a été choréi-que, pendant plusieurs mois. Les règles se sont établies difficile-ment; leur apparition a été précédée et suivie de flueurs blanches abondantes; mais enfin, elles sont devenues régulières. Il y a deux ans, une première grossesse se manifeste.
Nul accident ne l'accompagne, si ce n'est quelques douleurs dans les reins et dans le bas-ventre pendant la marche et la sta-tion verticale. L'accouchement se fait d'ailleurs naturellement, à terme, et l'enfant est aujourd'hui bien portant. Il y a cinq mois, signes d'une nouvelle grossesse. Ajoutons que, dans l'intervalle entre la première et la deuxième grossesse, aucun phénomène morbide ne s'est manifesté.
1. Comptes rendus de la Société de biologie, 1851, p. 39. Charcot. Œuvres complètes, t. vin, Maladies infectieuses. 1
Dès le début de la nouvelle grossesse, la malade éprouve une fatigue insolite, de la langueur. En même temps les tissus pâlis-sent; il survient de la céphalalgie, des douleurs dans les reins et dans les aines, surtout pendant la marche. En même temps, un abondant écoulement de flueurs blanches apparaît. Les palpita-tions ne sont pas habituelles, mais il y a de temps à autre des lipothymies. Tout ceci dure pendant les quatre premiers mois de la grossesse.
Il y a trois semaines environ, sans cause connue, le malaise augmente; en même temps des frissons assez intenses, de l'inap-pétence, de la chaleur fébrile se font sentir; puis, à la suite de légères démangeaisons, des boutons apparaissent aux bras, aux poignets, aux cuisses, sur la face. Ces boutons sont tout au plus au nombre de Dix en tout : ce sont, d'après la description de la malade, des papules qui bientôt se couvrent d'une vésicule argen-tine dont l'enveloppe se dessèche bientôt, de manière à former une croûte. Cette croûte, après sa chute, laisse voir, surtout à la face palmaire du poignet droit, deux petites ulcérations superfi-cielles du derme, dont on voit encore très bien les traces aujourd'hui.
D'ailleurs, l'apparition de l'éruption que nous venons de dé-crire a été accompagnée d'une rémission presque complète des phénomènes généraux qui l'ont précédée. L'évolution des pustu-les, depuis l'apparition des papules jusqu'à la chute des croûtes, s'est faite à peu près en cinq jours. Notons que, dans les phéno-mènes prodromiques, nous n'avons à remarquer ni vomissements ni douleurs de reins nouvelles.
C'est à celte époque, pour la première fois, que les mouvements de l'enfant se firent sentir. Assez intenses d'abord, douloureux même pour la mère, ils ne tardèrent pas à devenir très rares, et bien différents, dit-elle, de ce qu'ils s'élaient montrés, lors de la première grossesse. Remarquons toutefois qu'elle assure avoir îenti remuer jusque dans ces derniers temps; mais c'était surtout quand elle changeait de position, et alors une sorte de choc se faisait sentir dans la partie de l'utérus devenue la plus déclive.
Quinze jours après le début de la fièvre éruptive, elle enlre à l'hôpital, où nous la trouvons dans l'état suivant:
La face est très pâle, plombée; les yeux sont enfoncés et en-tourés d'un cercle brun. Etat de langueur extrême; céphalalgie; pas de palpitations; pas d'œdème des membres inférieurs. La ma-lade ne tousse pas; elle assure ne pas tousser habituellement et n'avoir jamais craché de sang. L'auscultation des poumons ne fait, au reste, entendre aucun bruit anormal; souffle doux bien manifeste, au cœur, au premier temps et à la base ; murmure vas-culaire continu dans les vaisseaux du cou.
Douleurs dans les reins et dans le bas-ventre spontanées et provoquées par la pression, par la marche et par la sta-tion.
La langue est rouge, sans enduit, parfois sèche. La peau s'é-chauffe un peu le soir, et il y a, de temps en temps, des frissons erratiques. Le soir aussi le pouls devient généralement assez fré-quent (de 90 à 100 pulsations). Pas de sueurs nocturnes.
Le foie et la rate ont leur volume normal; l'utérus remonte à 1 ou 2 pouces au-dessus de l'ombilic. Jamais l'auscultation de l'utérus n'a pu nous dénoter l'existence soit de souffle placentaire, soit des battements du cœur du fœtus.
En raison de ces symptômes, on administre à la malade 50 centigrammes de sous-carbonate de fer chaque soir; bains sim-ples.
Au bout de cinq ou six jours de ce traitement, la malade se sent beaucoup mieux et pense déjà sortir de l'hôpital.
Ainsi la petite fièvre du soir avait diminué; les douleurs dans les reins et dans le bas-ventre avaient presque entièrement cessé, lorsque, dans la nuifdu 3 au 4 avril, la malade est réveillée tout-à-coup par une violente douleur siégeant au dessus du pubis, douleur suivie presque aussitôt d'un écoulement assez abondant de sang par les parties génitales. Ces douleurs prennent bientôt le caractère de douleurs expultrices, et l'accouchement s'opère à une heure de l'après midi, le 4 avril. L'enfant offre tous les ca-ractères d'un fœtus de 5 mois, et présente, en outre, tous les signes qui dénotent une mort remontant déjà à plusieurs jours au moins. En effet, le tissu cellulaire péricrânien est abondamment infiltré de sérosité rousse; de plus, l'épiderme s'enlève presque partout
avec la plus grande facilité, surtout aux mains et aux pieds. D'ailleurs, pas de fétidité bien remarquai) le.
Le corps de ce fœtus présente çà et là des pustules de divers volumes, dont les unes sont isolées, dont les autres, au contraire, sont réunies en plaques plus ou moins larges. De ces pustules, les unes ont de 6 à 7 millimètres de diamètre; ce sont, il est vrai, les plus volumineuses ; il en est, au contraire, qui ont tout au plus de 1 à 2 millimètres de large; il en est enfin de volumes intermédiai-res. Toutes sont parfaitement arrondies, et font une légère saillie au dessus du niveau de la peau.
La plupart présentent une dépression centrale de l'ombilic ; d'autres présentent, au contraire, une surface entièrement lisse, et cet ombilic n'existe pas plus spécialement soit sur les grandes pustules, soit sur les petites; car il est de très petits boutons qui ont à leur centre une dépression bien nette; il en est de volumi-neux, au contraire, qui n'en présentent pas de traces.
La couleur des pustules est d'un blanc jaunâtre, mat, opaque, qui tranche vivement sur la coloration rouge foncée des tégu-ments. Voici, d'ailleurs, d'une manière générale, comment elles sont disposées à la surface du corps. La région du crâne présente quatre ou cinq pustules, petites, non ombiliquées; trois pustules volumineuses, non ombiliquées, sur la face : l'une en avant du lo-bule de l'oreille droite ; l'autre à la commissure droite des lè-vres; l'autre enfin au-dessous de la lèvre inférieure. La région de la nuque est entièrement couverte par une large plaque composée de pustules, dont les plus périphériques sont encore libres par une partie de leur circonférence, dont les plus centrales sont en-tièrement confondues. De larges fissures sillonnent cette plaque, au fond desquelles le derme est mis à nu, par suite de la chute d'une partie de l'épiderme et de la matière opaque sous-jacente, laquelle est, en ce point, friable et comme caséeuse. Quatre ou cinq pustules de divers volumes, dont quelques-unes sont ombili-quées, à la partie supérieure de la région du dos; quatre petites pustules non ombiliquées sur la fesse gauche; trois pustules non ombiliquées sur la région antérieure de la poitrine.
Les membres inférieurs présentent les boutons les plus volu-
mineux, les mieux caractérisés, les mieux ombiliqués. Ces bou-tons, chose à noter, semblent rassemblés autour des articulations du genou.
C'est ainsi qu'on rencontre trois pustules, dont deux très volumi-neuses et bien ombiliquées, immédiatement au-dessus du genou gauche, à la partie interne et inférieure de la cuisse; quatre pus-tules, dont trois volumineuses et ombiliquées, à la partie supé-rieure du mollet gauche; à droite, une large pustule non ombili-quée à la partie interne et supérieure de la jambe, et plus bas, deux ou trois petits points blancs non ombiliqués. Le membre supérieur droit ne présente qu'une seule pustule, sans ombilic à la partie postérieure et inférieure de l'épaule ; mais le gauche pré-sente au coude une large plaque composée d'au moins huit ou dix pustules, dont la plupart sont encore distinctes et bien ombili-quées. Il en existe,en outre, une autre très grande et sans ombilic, à la partie postérieure de l'avant-bras, au-dessus de l'articulation lu poignet.
Nous avons cherché à nous rendre compte de la composition anatomique de ces pustules. Voici à quoi nous sommes arrivé.
Si l'on enlève l'épiderme de la périphérie de la pustule vers son centre, ce qui est facile, à cause de la macération à laquelle le fœtus a été exposé, on enlève avec lui la matière blanchâtre qui donne au bouton son relief et sa coloration. Alors on voit à la sur-face du derme, mis à nu, une foule de papilles coniques, d'une couleur blanchâtre, hyaline, du centre desquelles part générale-ment un poil. Les portions du derme sur lesquelles sont implan-tées ces papilles présentent aussi une coloration blanche et une légère saillie au dessus du niveau du derme.
En dehors de la lâche blanche formée par ces papilles, qui ne sont évidemment que les follicules pileux anormalement dévelop-pés, d'une part, et le derme infiltré d'une substance particulière, de l'autre, se voit une auréole d'un rouge vif sur laquelle les folli-cules pileux sont encore volumineux, mais beaucoup moins qu'au niveau de la tache.
Enfin, en dehors de l'aréole, le derme présente ses caractères
normaux, et les follicules pileux y ont leur volume ordinaire.
Si l'on fait une coupe verticale de la peau passant par le mi-lieu d'une pustule, et qu'on examine la tranche mince ainsi ob-tenue, par transparence et au microscope, on voit,au niveau de la pustule, le derme plus épais, plus opaque qu'ailleurs, contenant des follicules verticalement disposés et presque juxtaposés, cy-lindriques à leur centre, mais terminés en cul-de-sac à une de leurs extrémités, celle qui correspond à la face profonde du derme. Ces follicules paraissent en outre distendus par un liquide, et l'emportent au moins d'un tiers en volume sur les follicules pi-leux du derme examiné en dehors des pustules. Du centre de cha-que follicule part un poil, qui naît tout près du cul-de-sac termi-nal, traverse la couche anormale sous-épidermique, et enfin l'épi -derme lui-même; et en effet, en examinant à la loupe la surface des pustules, on la voit hérissée d'une foule de petits poils, comme cela a lieu, d'ailleurs, pour le reste de la surface tégumentaire.
Nous avons examiné ensuite l'épiderme et la matière anor-male qu'on enlevait avec lui, et à laquelle la pustule devait la plus grande partie de son relief. Or, dans cette masse, a part les cellules épidermiques à contours bien nets et à noyaux bien dis-tincts, cellules très nombreuses, il est vrai, au niveau de la pustule, nous n'avons rien trouvé de remarquable, si ce n'est une matière amorphe, au sein de laquelle existaient des granulations arrondies, opaques, disposées en groupes ; nous n'avons pas pu déterminer la nature de ces globules, mais nous pouvons affir-mer qu'il ne s'agissait pas là de globules de pus, bien qu'on pût les considérer comme tels, eu égard à leur volume.
Rien, dans la structure des pustules, qui ait pu nous indiquer par quel mécanisme s'était opérée l'ombilication. Le plus souvent la dépression centrale embrassait le sommet de cinq ou six folli-cules pileux qui d'ailleurs ne paraissaient pas plus volumineux ou autrement altérés que ceux qu'on rencontrait dans le reste de la pustule.
L'ouverture du cadavre ayant été faite, nous n'avons rien • trouvé de notable dans les principaux viscères. La muqueuse
buccale, celle du pharynx, ne présentent pas de pustules. Rien de notable dans l'œsophage, l'estomac, l'intestin grêle, le gros in-testin, qui ont été examinés dans toute leur étendue. Foie déco-loré, non congestionné; rate normale. Les poumons sont sains, ainsi que le cœur et le thymus. Une certaine quantité de sérosité sanguinolente dans les plèvres, le péricarde et le péritoine ; mais ceci peut naturellement être attribué au genre de mort du fœtus (5 avril).
II.
Eruption variolique confluente; grossesse de six mois; accouchement prématuré à six mois et demi de la grossesse, longtemps après la convalescence de la mère. — Fœtus présentant de nombreuses pustules varioliques avec ulcération du derme et deux petits ulcères delà membrane muqueuse de l'estomac l.
La nommée Sarah Doolen, âgée de 25 ans, née en Irlande, femme de chambre, entre à l'hôpital de la Charité, le 16 avril 1853, salle Sainte-Anne, n° 19, service de la Clinique.
Cette femme paraît robuste ; elle assure jouir habituellement d'une bonne santé. Elle n'a jamais été vaccinée ; elle assure avoir eu, vers l'âge de 11 ans, le chicken-pox; mais cela paraît peu probable, car, d'après son récit, les pustules auraient alors occupé exclusivement le front et le cuir chevelu, et leur développement n'aurait pas été accompagné de fièvre. Elle n'a jamais été atteinte ni de la rougeole, ni de la scarlatine. Elle n'a été réglée qu'à
18 ans; depuis cette époque, les règles paraissent habituellement d'une manière régulière et durent cinq jours en moyenne.
Sarah Doolen habite la France depuis deux ans et demi; elle devint enceinte, il y a six mois et demi environ. Elle était à cinq mois et demi de sa grossesse, lorsqu'elle fut prise tout à coup de frissons, de courbature, de vomissements. Elle dut s'aliter, le
19 mars dernier, et bientôt une éruption variolique confluente
i. Comptes rendus de la Société de biologie, 1853, p. 8S.
régulière se manifesta. Tout porte à croire que cette affection a été assez grave. La figure a été extrêmement tuméfiée ; les pau-pières ont été complètement closes pendant plusieurs jours, et pendant trois jours, il s'est déclaré de l'aphonie et une grande gêne de la respiration. Vers la fin de la maladie, il s'est mani-festé une salivation abondante. L'affection variolique paraît avoir duré en tout dix-sept jours. L'éruption est apparue au bout de trois jours. La malade assure que pendant son cours, elle n'a jamais éprouvé de délire.
Dix jours après le début, l'enfant, qui avait commencé à re-muer, vers le quatrième mois de la grossesse, se livra à des mou-vements beaucoup plus énergiques que d'habitude ; puis, ces mouvements se ralentirent de jour en jour, et vers le 10 avril, c'est-à-dire vingt-deux jours environ après le début de la variole, ils cessèrent complètement. A cette époque, les pustules étaient, depuis plusieurs jours déjà, en pleine dessication, et la malade commençait à prendre quelques aliments.
La malade entre à l'hôpital de la Charité, le 16 avril, pour y être traitée d'une ophthalmie, reliquat de l'affection variolique et siégeant à l'œil gauche. La face est encore couverte de croûtes épaisses. Mais il n'existe pas la moindre fièvre, et la malade mange d'un bon appétit. L'ulérus remonte à trois travers de doigt environ au-dessus de l'ombilic; il est flasque, et l'on sent, à travers ses parois, des parties du fœtus qui se présentent tou-jours les mêmes aux examens ultérieurs. La malade ne perçoit aucun mouvement de l'enfant ; elle n'éprouve même aucune sensation de choc, lorsqu'elle se couche soit sur le côté droit, soit sur le côté gauche. Elle reconnaît que son ventre est plus plat qu'il ne l'était, avant le début de sa maladie. Elle n'éprouve aucune incommodité; elle digère bien et n'éprouve pas de fièvre le soir. L'auscultation abdominale, répétée à plusieurs reprises, n'a jamais permis d'entendre soit les battements du cœur du fœtus, soit même le souffle placentaire.
Le 4 mai au matin, la malade, qui, jusqu'ici, n'a jamais souffert du ventre, éprouve quelques douleurs dans les reins et dans le bas-ventre. A cette époque déjà, le col utérin est dilaté et permet
facilement l'introduction du doigt. Le 4, pendant la nuit, les dou-leurs deviennent plus vives et plus rapprochées. Le 5 au matin vers dix heures, l'accouchement s'opère spontanément et sans accident; mais à la suite de douleurs assez vives, vingt-quatre jours environ après l'époque présumée de la mort du fœtus. Il s'est écoulé pendant l'accouchement, des eaux teintes en brun roux, mélangées de méconium, mais ne présentant pas de fétidité notable.
Examen du fœtus. — Le fœtus est du sexe mâle et présente 35 c. de long. Il n'exhale pas d'odeur fétide. Mais, en raison de la macération prolongée à laquelle il paraît avoir été soumis, son épiderme s'enlève avec une grande facilité. Toutefois, les altéra-tions qu'il présente ne sont pas telles que nous ne puissions recueillir les détails qui suivent :
Thorax. Les deux plèvres sont remplies de sérosité sanguino-lente. Les poumons sont parfaitement sains; il en est de même du thymus. — Le cœur est sain; ses ventricules vides de sang. — Foie à l'état normal, ainsi que la raie et les reins. — La cavité pêritonéale est remplie d'une sérosité brune. — Les intestins ne présentent, à leur face interne, rien qui soit digne d'être noté; mais nous trouvons à la face interne de l'estomac, dans l'épais-seur de la membrane muqueuse, deux ulcérations du diamètre d'une tête d'épingle et parfaitement arrondies: l'une d'elle siège dans le grand cul-de-sac de l'estomac ; l'autre au voisinage de la région pylorique. — Vœsophage, le pharynx, le larynx, la trachée, ne présentent pas traces de pustules ou d'ulcérations.
Téguments externes. On y rencontre des pustules de diverses grandeurs, d'apect divers, et qui sont groupées de la manière suivante : huit pustules peu volumineuses se rencontrent sur le cuir chevelu, douze à quinze pustules sur la face, dont quatre au pourtour de l'œil droit, six au pourtour des lèvres, au voisi-nage des narines, et deux à la partie antérieure de l'oreille gau-che. Le cou ne présente pas de pustules aux régions antérieure
et postérieure; mais on en voit de- nombreuses et de volumi-neuses sur ses régions latérales, surtout au niveau du pavillon de l'oreille. Elles sont disposées de la manière suivante : groupe arrondi de sept pustules au-dessous de l'oreille droite ; groupe également arrondi de huit pustules, dont deux très volumineuses et les autres petites au-dessous de l'oreille gauche; ces groupes occupent presque toute l'étendue des régions latérales du cou; mais ils sont plus rapprochés du pavillon de l'oreille que du moi-gnon de l'épaule.
Région thoracique antérieure: deux volumineuses pustules symétriquement disposées, au centre des régions pectorales, de chaque côté. Région abdominale antérieure : dix pustules dissé-minées irrégulièrement, dont trois très volumineuses.
Régions thoracique et abdominale postérieures : cinq pustules vo-lumineuses disséminées; une de ces pustules, très large (7 millim. en diamètre), paraît formée par la réunion de plusieurs pustules secondaires, et occupe la partie centrale de la région lombaire. Trois petites pustules existent sur la région antérieure du scro-tum. Cinq grandes pustules sont disséminées sur les fesses. Le membre supérieur gauche présente douze pustules volumineuses, dont deux seulement occupent la face interne du membre.
Membre thoracique droit : quatre petites pustules seulement, dont trois sur le moignon de l'épaule, et une sur la partie externe et supérieure de l'avant-bras.
Membres abdominaux : côté droit, cinq pustules disséminées, dont deux à la partie interne et antérieure. Membre gauche : sept pustules, dont trois forment un groupe qui siège au tiers inférieur de la partie postérieure et externe delà jambe. 11 n'exis-tait pas de pustules aux extrémités supérieures ou inférieures. Les pustules, avant l'ablation de l'épiderme, étaient presque toutes ombiliquées, bien dessinées et d'une couleur d'un blanc mat. En détachant l'épiderme, on enlevait avec lui le disque pseudo-membraneux, et l'on trouvait toujours, dans l'épaisseur du derme, une ulcération arrondie, taillée à pic, plus ou moins profonde et plus ou moins étendue en surface. Les plus grandes de ces ulcérations avaient environ de 4 à 5 millim. de diamètre ;
les plus petites, 1 ou 2 millim. seulement; quelques-unes intéres-saient toute l'épaisseur du derme, et l'on voyait dans leur fond, le tissu graisseux sous-cutané ou même les muscles superficiels ; dans d'autres, le tissu graisseux était séparé de l'ulcération par une fine membrane transparente qui en formait le fond.
Dans la plupart des cas, au voisinage des ulcérations, les folli-cules pileux étaient hypertrophiés. Dans aucune des ulcérations, on n'a remarqué l'existence d'un travail de cicatrisation com-mençant. Mais quelques-unes d'entre elles étaient remplies par une sorte de bourbillon jaunâtre, de consistance caséeuse, moulé sur la cavité de l'ulcère, et s'enlevant toujours avec la plus grande facilité. En règle générale, l'ulcération du derme avait une forme légèrement conique, le fond de l'ulcération étant plus petit que sa surface extérieure.
J'ai l'honneur de rappeler à la Société que, dans une autre circonstance, j'ai eu l'occasion de donner quelques détails sur la structure des pustules varioliques d'un fœtus. (Voir Compte rendu de la Société de biologie, avril 1851, et plus haut, p. 3.)
III.
Note sur l'état des muscles et des nerfs du voile du palais dans un cas d'angine diphthéritique1.
Les études d'ailleurs si remarquables, dont la paralysie diphthérique du voile du palais a été récemment l'objet, lais-sent subsister encore des desiderata assez nombreux. On ignore, par exemple, sur quels éléments, nerfs ou muscles, portent plus particulièrement les altérations, dans cette forme de paralysie ; si ces altérations sont, comme on dit, purement dynamiques, ou si, au contraire, elles se révèlent à l'anato-miste par des modifications de texture. Le fait que nous avons l'honneur de présenter à la Société de biologie pourra contri-buera combler la lacune que nous signalons.
Observation. — Cancer de Vutérm. — Angine diphtéritique. — Symptômes de paralysie du voile du palais. — Nasonnement de la voix. — Déglutition difficile swtout pour les liquides. — Troubles de la prononciation. — Affaiblissement progressif — hémorrhagie utérine, épanchement pleurétique : mort. — Autopsie. — Examen microscopique des fibres musculaires du voile du palais.
La nommée Guillory, âgée de SI ans, passementière, a été admise à l'hospice de la Salpêtrière, salle sainte Marthe, n° 8,
1. En collaboration avec M. Vulpian. Extrait des comptes rendus de la Société de Biologie, 1862, p. 173.
le 1er mars 1862. On constate, lors de son entrée, l'existence d'une ulcération cancéreuse qui déjà a détruit le col utérin et a envahi même une partie du vagin ; les premiers signes de l'affection utérine remontent à un an environ. La malade est très émaciée, profondément anémique.
Le 30 mars, elle accuse de la difficulté à avaler et une douleur vive, siégeant à l'isthme du gosier, s'exagérant à chaque mouve-ment de déglutition. L'amygdale du côté droit, le voile du palais du même côté, la luette, sont recouverts d'une fausse membrane blanche, épaisse, tenace, qu'on peut détacher à l'aide d'une pince, par larges lambeaux, principalement au niveau de la luette qu'elle enveloppe comme un doigt de gant. Il n'y a pas d'engorgement ganglionnaire, il existe fort peu de réaction fébrile. Les fausses membranes sont plusieurs fois enlevées en leur totalité, à l'aide d'une pince, et une cautérisation, à l'aide du nitrate d'argent, est pratiquée chaque fois sur les parties qu'elles recouvraient ; mais plusieurs fois ces fausses membranes se reproduisent.
Le 9 avril, les fausses membranes ne sont plus représentées que par une légère couche grisâtre. La douleur pharyngienne a pres-que complètement disparu ; mais la voix est déjà manifestement nasonnée.
Le 20 avril, le nasonnement a fait de tels progrès que la parole est devenue presque inintelligible ; si la malade essaye de souf-fler, une grande partie de l'air s'échappe par les narines ; la suc-cion s'opère encore sans trop de difficulté. La déglutition des solides est très difficile ; celle des liquides à peu près impossible, ceux-ci sont presque en entier rejetés et passent parles fosses na-sales. Cependant, l'examen direct du voile du palais fait constater que cet organe n'est pas flasque et tombant, seulement, il reste en grande partie immobile, pendant la prononciation des voyelles a, e, et aussi dans les mouvements de déglutition simulée. Toutes les parties du voile du palais ne paraissent pas, d'ailleurs, égale-ment affectées ; ainsi, pendant la prononciation des voyelles a, e, il se produit une contraction assez manifeste des glosso-staphylins. Les palato-staphylins et pharyngo-staphylins manifestent de très légères contractions, sous l'influence de l'excitation électrique.
La sensibilité générale est partout normale ; il n'existe pas dé trace de paralysie des membres; la vue et en général tous les organes des sens sont intacts. Il n'y a pas d'albumine dans les urines.
A partir de ce jour, la faradisation est pratiquée chaque jour par l'application directe des deux pôles de l'appareil sur le voile du palais.
Le 12 mai, il ne s'est produit aucune amélioration dans les symptômes de paralysie du voile du palais. L'alimentation est presque impossible ; la malade s'affaiblit de plus en plus.Le 20 mai, se déclare une hémorragie utérine assez intense. Le 23 mai, sur-vient un point de côté siégeant sous la mamelle droite, et l'on constate dans la plèvre de ce côté l'existence d'un épanchement moyennement abondant.
La malade succombe le 26 mai, à huit heures du matin.
Autopsie. — Ulcération cancéreuse qui a détruit le col de l'utérus et s'est étendue au vagin ; hydronéphrose, par suite d'oblitération de l'un des uretères de droite. Deux verres environ de sérosité citrine sont contenus dans la cavité pleurale droite; des fausses membranes fibrineuses sont appliquées sur la plèvre diaphragma-tique.
Examen du voile du palais. —- Les muscles du voile du palais paraissent, examinés à l'œil nu, plus pâles que dans l'état normal.
Vexamen microscopique des fibres de ces muscles mon-tre que la plupart d'entre elles ont conservé leurs caractères ordinaires ; on voit assez manifestement les stries transver-sales (l'examen n'est fait que vingt-quatre heures après la nécropsie). Mais on trouve çà et là, interposées aux fibres saines, des fibres plus ou moins remplies de fines granula-tions graisseuses. Quelques-unes de ces dernières fibres sont parvenues à l'intérieur d'un grand nombre de ces granula-tions. Les nerfs musculaires du voile du palais présentent des altérations remarquables. Certains filets nerveux sont con-
stitués par des tubes entièrement vides de matière médul-laire ; de distance en distance, on voit sous le névrilème des corps granuleux dont quelques-uns sont elliptiques, pourvus d'un noyau bien distinct, et dont d'autres sont plus allongés èt semblent dépourvus de noyau. Les filets nerveux altérés à ce degré sont rares; la plupart ne sont que partiellement altérés 1 ; ils sont composés de tubes nerveux de deux sortes. Dans les uns, la matière médullaire est complètement intacte ; dans les autres, la matière médullaire est devenue granu-lense. Ces tubes altérés ont conservé encore, jusqu'à un cer-tain point, leur largeur, mais au lieu de la substance médul-laire normale, on y voit des granulations très fines, tantôt juxtaposées dans une assez grande longueur, tantôt formant des agglomérats peu étendus, simulant des corps granuleux. Outre ces granulations enfermées dans les gaines des tubes, il y a un semis de fines granulations graisseuses, soit dans l'intervalle des tubes, soit sous le névrilème commun; enfin, il y a quelquefois sous ce névrilème quelques corps granuleux tout à fait semblables à ceux que l'on trouve, par exemple, dans certains foyers de ramollissement cérébral.
La membrane muqueuse de la face buccale du voile du palais a été trouvée saine ; cependant il y a çà et là quelques fines granulations graisseuses. Quelques-uns des filaments nerveux qui sépanouissent dans cette membrane, ont été examinés et ont paru entièrement sains.
1. Il est possible que les filets nerveux composés de tubes sains entre-mêlés de tubes altérés, soient constitués par des tubes sensitifs (sains) et par des tubes moteurs (altérés).
IV.
De la fièvre typhoïde 1.
ÉT10LOGIE.
A. Spécificité de la fièvre typhoïde. — C'est là un point aujourd'hui unanimement reconnu ; oui, unanimement ; car il n'y a pas à tenir compte des quelques esprits excentriques qui protestent, pas plus que de ceux qui s'inscrivent en faux con-tre l'impossibilité mathématique de la quadrature du cercle. A priori, si l'on médite sur les faits nosologiques, exanthème sui generis, si l'on médite sur les faits, physionomie tout à fait singulière de l'ensemble symptomatique, marche toujours aiguë de la maladie, caractères nécroscopiques d'une nature vraiment à part ; si, de plus, on considère que la maladie est de celles qui, après qu'on les a eues une fois, ne reviennent plus jamais, en règles générales, dans tout le cours de la vie, tout cela suffit déjà pour établir une forte présomption de spé-cificité. A posteriori, les recherches étiologiques aboutissent forcément à conclure de la façon la plus affirmative et la plus tranchée ; car, il n^ a aucune cause manifeste, soit prédispo-
1. Ce travail est extrait, ainsi que quelques-uns de ceux qui vont suivre de la Pathologie médicale de Requin. Comme la première partie du chapitre sur la fièvre typhoïde et le § A de l'étiologie, avaient déjà été rédigées par l'auteur, M. Charcot a dû se borner aie terminer. Les nombres entre parenthèses renvoient aux articles de la Pathologie niéd. de Requin (B.).
Charcot. Œuvres complètes, t. viii, Maladies infectieuses. 2
ganté ou occasionnelle, qui se montre constamment ou exclu-sivement liée au développement de la fièvre typhoïde, hom-mes et femmes, jeunes et vieux, gens de tout tempérament et de tout état, faibles et forts, riches et pauvres, militaires et bourgeois, citadins et campagnards, etc., etc.; tous sont sujets à cette maladie ; le jeune âge et la circonstance d'être un nou-veau-venu dans' une grande ville, voilà bien deux titres écolo-giques sous l'étiquette desquels on a, dans les relevés statistiques, un assez grand nombre de cas à inscrire, et nous lâcherons tout à l'heure de faire comprendre pourquoi; mais, après lout, ni l'une ni l'autre de ces conditions-là n'est abso-lument nécessaire, tant s'en faut; ainsi, force nous est bien d'avouer, et la logique le veut, force nous est bien d'avouer qu'il y a là une condition occulte, ou, autrement dit, spécifique. Maintenant reste à savoir si c'est là une spécificité patholo-gique de premier ou de second ordre, selon la distinction que j'ai adoptée et soumise à l'épreuve de l'argumentation dans ma thèse : De la spécificité. N'y a-t-il là rien autre chose qu'une modalité spécifique de l'économie animale, comme dans le scrofulisme, par exemple, ou dans la goutte? Rien autre chose qu'une modalité inhérente au sang ou aux tissus du ma-lade, et intransmissible à un individu sain, c'est-à-dire, en un mot, une spécificité pathologique de second ordre? Ou bien, au contraire, y a-t-il là une cause spécifique par excellence, un agent morbifique réellement distinct, invisible et intangible, miasme, virus, ou n'importe quoi, comme dans l'intoxication paludéenne, dans l'intoxication variolique, danslamorve, etc.? Que de problèmes à poser ! Quelle matière à controverses ! Voilà où la divergence d'opinion peut exister, je le confesse, entre les bons esprits. Toujours est-il, cependant, que le déve-loppement primitif du typhus, un cas sur la réalité duquel on tombe d'accord. Lesanli-contagionnistes supposent qu'il en est toujours ainsi; les conlagionnistes, les partisans de l'identité
do la fièvre typhoïde et du typhus, admettent seulement que le fait a lieu quelquefois.
B. Transmission contagieuse de la fièvre typhoïde. — Thèse fort controversée et qui n'est pas, il faut le dire, susceptible de démonstration absolue. Les uns ne se font pas scrupule de la trancher résolument par une complète négation : mai?, notons-le bien, c'est en exagérant la valeur logique des faits négatifs ou, pour mieux dire, des faits à l'égard desquels nou manquons de renseignements (comme cela nous arrive tant de fois à Paris, môme pour les sujets atleints de varioles ou de ioute autre affection non moins incontestablement virulente); ;'est en repoussant les meilleures preuves avec un parti-pris •d'anticonlagionisme ultra-pyrrlionien. Les autres croient à la eontagion ; et, tout bien considéré, nous nous rangeons de leur côté.
Il existe des faits nombreux et de tout point irrécusables, qui démontrent comment on peut, très aisément parfois, sui-vre dans les pelites localités, pour ainsi dire pas à pas., de maison en maison, d'un village à un autre, la transmission de ia maladie par contagion. Les documents les plus précieux sur ce sujet ont été présentés par MM. Bretonneau, Gendron, Piedvache et autres auteurs dont les travaux ont été cités et commentés à l'article Bibliographie.
Nous pourrions y ajouter l'intéressante relation d'une épi-démie observée par le docteur Auslin Flint [Résumé de re-cherches cliniques sur la fièvre continue, Paris, 1854) à Norlh Boston, hameau de l'Etat de New-York. Les grands centres de population sont, par contre, peu favorables à ce genre de re-cherches ; il y est fort difficile de remonter à la source du mal et de s'isoler de toutes les chances d'erreur. Peut-être aussi ne retrouve-t-on pas dans les villes, au même degré que dans les campagnes, les conditions nécessaires à la propaga-
Lion des agents spécifiques. Le fait est que c'est à peine si MM. Louis et Chomel ont pu, dans le cours de leur longue pratique, rassembler quelques observations de fièvre typhoïde contractée dans les salles des hôpitaux de Paris où l'on trouve, presque constamment, un plus ou moins grand nombre de dothiénentériques en voie de traitement. Pendant l'épidémie qui a sévi à Paris, en 1833, sur 228 cas existant à l'Hôtel-Dieu, du 1er au 30 janvier, on n'a noté qu'un seul cas déclaré à l'intérieur ; et, sur les 439 cas relevés en février, dans le même hôpital, il n'en est que 10 qui se soient développés dans les salles {Arch. génér. de Méd., t. I, 1853, p. 507). Ces résul-tats paraîtront, sans doute, peu favorables à la doctrine delà contagion, et les médecins anticontagionnistes n'ontpas man-qué de les faire valoir. Mais, on ne doit pas oublier que les salles de nos hôpitaux sont spacieuses, bien tenues, ventilées avec soin ; que les individus qui viennent y chercher un refuge ont peut-être été aulrefois atteints de la maladie, et qu'ils y entrent, pour la plupart, au début ou pendant le cours d'une affection fébrile aiguë ; autant de conditions qui rendent très difficile la transmission de la fièvre typhoïde par voie de con-tagion. Il faut, en effet, pour que cette contagion ait lieu, outre les conditions personnelles d'aptitude sur lesquelles il nous faudra revenir, un séjour prolongé auprès d'un ou de plu-sieurs malades atteints de fièvre typhoïde et, confinés dans un local étroit et mal aéré ; c'est du moins ce qui paraît établi par les belles recherches du docteur Piedvache ; un contact mo-mentané (1724), une courte visite rendue au malade parais-sent ne pas suffire ; il semble aussi très douteux que la conta-gion puisse s'opérer par l'intermédiaire de vêtements, d'objets de literie, ou, enfin, par l'entremise d'un individu non atteint de la maladie.
En somme, en temps ordinaire, car il faut bien faire des réserves pour les cas insolites d'une grande épidémie, le
principe spécifique de la fièvre typhoïde est doué de peu d'énergie ; il est peu volatil; pour qu'il se puisse transmettre de l'individu malade à l'individu sain, il a besoin de subir un certain degré de concentration. Sous ces divers rapports, il cède assurément le pas au virus typhique (1568, B.), et à la plupart des agents contagieux que développent, aune certaine époque de leur cours, les pyrexies incontestablement viru-lentes.
G. Développement primitif de la fièvre typhoïde. — Lors-que la fièvre typhoïde se développe par contagion, l'apparition des cas est successive, elle suit l'ordre des rapports intimes des individus entre eux. Mais il arrive souvent que cette ma-ladie éclate simultanément sur plusieurs points, sous forme épidémique, ou bien encore isolément, sous forme sporadique, sans qu'on puisse, cette fois, malgré les recherches les plus sévères, lui reconnaître une origine contagieuse ; pour expli-quer ces cas-là, il faut bien, de toute nécessité, invoquer son développement primitif.
Reste à savoir si l'encombrement, le séjour prolongé dans une atmosphère viciée par des émanations putrides, les affec-tions tristes de toute espèce, la nostalgie, l'usage d'aliments à demi-putrifiés, les fatigues successives qui rendent l'homme comparable aux animaux surmenés, reste à savoir si toutes ces causes, pour ainsi dire matérielles et palpables, agissant ensemble ou séparément, sont capables, à elles seules, de pro-duire la maladie de toutes pièces ; toujours est-il qu'aux yeux de la plupart des médecins, l'encombrement peut, pour son propre compte, aggraver singulièrement la fièvre typhoïde, la fendre épidémique, ou même, enfin, lui faire revêtir les carac-tères du typhus pestilentiel le plus meurtrier. — On sait que la plus grande partie des cas de fièvre typhoïde observés à Paris, dans les hôpitaux, se montrent chez des individus qui
ont quitté la province depuis peu de temps : sur 92 malades-du service de M. Cliomel, interrogés sur ce point spécial, 64, c'est-à-dire plus des deux tiers, demeuraient à Paris depuis moins de deux ans. Deux de ces malades seulement étaient nés dans la capitale. Comment expliquer ce fait remarquable? Quels sont les agents de cette cause complexe, qu'on désigne sous le nom d'acclimatement et sur laquelle l'attention des médecins est éveillée depuis la publication du Traité de la fièvre enter o-mésentérique? Est-ce la contagion, est-ce, au con-traire, le développement primitif de la maladie qu'il faut sur-tout invoquer ici? C'est ce qu'on ne saurait encore décider aujourd'hui.
D. Conditions personnelles d'aptitude. — Développée soit par contagion, soit primitivement, la fièvre typhoïde attaque de préférence les individus âgés de dix-huit à trente ans. Passé cinquante ans, il est rare qu'on la contracte. On a cependant rapporté un certain nombre d'exemples très authentiques de cette maladie, observés chez des vieillards.
Citons entre autres les suivants : Rayer, dans Bullet. de YAcadémie royale de méd., t. VIII, 1842, p. 37, fièvre typhoïde, chez une femme de cinquante-six ans ; Valleix, Union médicale, 1853, n° 66, chez un homme de 61 ans ; — Lom-bard, Gaz. méclic, 1853, p. 592, chez une femme de soixante-douze ans). Mais ce sont là de rares exceptions. Chez les en-fants, d'après MM. Rilliet et Barthez, elle est fréquente surtout de neuf à quatorze ans ; on la voit moins souvent déjà de qua-tre à neuf ans ; au-dessous de quatre ans, elle devient très rare ; mais elle peut se montrer cependant encore chez de très jeunes enfants, même chez les nouveau-nés, ainsi que le démontrent les deux observations suivies de détails nécros-copiques insérées dans les Archives générales de médecine (3e série, t. IX, 1840) par M. Charcellay. Après les conditions
personnelles relatives à l'âge, notons encore les affections tristes, les excès de tout genre, etc., et faisons remarquer qu'une constitution forte ne nous met pas, tant s'en faut, à l'abri de la fièvre typhoïde.
E. Conditions d'immunité. — Ceux qui, une fois déjà, ont subi la maladie, en sont exempts pour l'avenir. Yoilàune règle qui ne souffre guère d'exceptions : nouveau trait de ressem-blance qu'il faut ajoutera ceux qui relient déjà la dothiénentérie aux affections incontestablement virulentes. On a cependant rapporté quelques exemples, rares il est vrai, de récidives de la fièvre typhoïde. Mais ces récidives-là ont toujours été ren-contrées dans des circonstances particulières et qui méritent bien d'être notées. C'est, en effet, constamment pendant le cours de la convalescence, parfois la mieux établie, mais tou-jours à une époque peu éloignée du terme de la maladie pri-mitive, qu'on a vu, en pareil cas, reparaître tout le cortège des symptômes caractéristiques; la fièvre, la céphalalgie, les épistaxis, les taches rosées, le météorisme, se sont développés successivement dans l'ordre habituel ; et, si cette fièvre typhoïde nouvelle s'est terminée par la mort, on a pu constater, lors de l'autopsie, des altérations intestinales de date toute récente, au milieu d'ulcérations guéries ou en voie de guérison (Gri-solle, Traité de pathologie interne, t. I, 1855, p. 37. — Ril-liet et Barthez, Traité des maladies des enfants, p. 684 et 691, 1853; — et surtout: Thierfelder, Beitrâge zur Lehre von typhus, mArchiv.fùrphys. Heilg, Stuttgart, 15 juin 1855. — On y trouve huit observations de cette sorte de récidive. — On a fait remarquer avec raison que la fièvre typhoïde attaque rarement les enfants ou les adultes, pendant la convalescence d'une autre maladie aiguë, ou pendant le cours d'une affection tébrile, d'une phlegmasie, par exemple.
F. Distribution géographique. — La fièvre typhoïde est ré-pandue dans toute l'Europe. D'après le docteur Richter (Fuchs, Medizinische Géographie, Berlin, 1853, p. 37), les pays bai-gnés par l'océan Atlantique, le Portugal, l'Espagne, la France, l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande, sont ceux où elle sévit avec le plus d'intensité. Elle est moins commune en Italie, en Alle-magne, en Norwège, en Suède, en Danemark; en Piussie elle semble disparaître peu à peu, à mesure qu'on se rap-proche de la frontière asiatique; elle est très commune dans toute l'étendue de l'Amérique du Nord. Dans les autres parties du monde, il n'est peut-être pas un pays où la fièvre typhoïde ne puisse se développer; mais elle ne s'y montre que rare-ment et presque exclusivement chez les Européens non encore acclimatés. (Citons quelques exemples parmi les plus récents et les plus authentiques : la fièvre typhoïde a été rencontrée avec tous les caractères anatomiques et symptomatologiques qui la distinguent, en Algérie (Haspel, Maladies de l'Algérie, t. II, p. 248); en Egypte, au Caire, à Alexandrie (Primer, Die Krankeiten des Orients, Erlangen, 1847; Griesinger, Archiv. fur phijs. Heilk., t. XII, 1853) ; sous les tropiques, même dans l'archipel des îles de la Sonde (Heymann, Krankheiten in den Tropenlandern, Wurzbourg, 1855, etc.). — Suivant M. Bou-din, les localités marécageuses se font remarquer par la rareté de la fièvre typhoïde, mais seulement lorsqu'elles impriment à l'organisme une modification profonde (Boudin, Etudes de géologie médicale, Paris, 1845, p. 23).
DIAGNOSTIC.
a. Sans doute il est des cas, et c'est heureusement le plus grand nombre, où la fièvre typhoïde se présente, dès son dé-but, avec un tel appareil de symptômes caractéristiques, qu'il est, pour ainsi dire, impossible de la méconnaître. Mais il peut
arriver fréquemment aussi qu'il faille suspendre son juge-ment parfois pendant plusieurs jours, et attendre, avant de porter un diagnostic irrévocable, qu'on ait pu recueillir un nombre suffisant d'indices significatifs. Comment reconnaître, en effet, pendant le cours de la première période, qu'il ne s'agit pas tout simplement d'une synoque éphémère, hypé-restliénique ou bilieuse, alors qu'aucun des symptômes véri-tablement propres à la dothiénentérie ne s'est encore décelé ; si la peau n'est pas acre et brûlante; si la céphalalgie, l'in-somnie, la stupeur, la prostration des forces sont peu pronon-cées; si les symptômes abdominaux sont nuls ou presque, nuls; si les épistaxis, les râles typhoïdes, etc., ne se sont pas encore montrés? Les principes qui doivent nous guider, en pareille occurence, ont été développés ailleurs (i694-171'-* À. B. E. — 1722); nous nous bornons ici à signaler la diffi-culté. — Il ne faut pas oublier que les pyrexies virulentes, la variole, la scarlatine, la rougeole, et principalement les for-mes anomales et malignes de ces maladies peuvent parfois, pendant leur période prodromique et en l'absence de certains symptômes (lumbago variolique (1582), bronchite, coryza morbileux (1519), pharyngite scarlatineuse (127), simuler à s'y méprendre, la fièvre typhoïde, c'est ce qui arrive souvent aussi, au début de certaines inflammations, de la méningo-céphalite, par exemple (563-566); cependant les vomisse-ments, la constipation, le délire précoce et bruyant, la para-lysie et les convulsions partielles, le peu d'intensité du mouvement fébrile et autres symptômes plus spécialement propres à cette dernière maladie, servent le plus souvent à la faire reconnaître.
6. La fièvre typhoïde, dont la deuxième et la troisième pé-riode sont marquées surtout par la prédominance des phéno-mènes adynamiques ou mêmes ataxiques, peut encore être
confondue avec les nombreuses affections qui, habituellement s'accompagnent de cet ensemble de symptômes qu'on a dési-gnés sous le nom d'état typhoïde; mais pour comprendre la possibilité de semblables erreurs, il faut supposer une dolliiô-nentérie dépourvue de ses attributs ordinaires (taches lenticu-laires, gonflement de la rate, météorisme, diarrhée, bronchite typhoïde, etc.), ou bien encore l'absence complète de docu-ments relatifs aux premières phases de la maladie et aux cir-constances éliologiques. — Les fièvres paludéennes comateu-ses (1466), rémittentes (1469), pseudo-continues (1494), la fièvre jaune, la peste, sont autant de maladies propres à cer-taines localités, à certains climats. — La fièvre puerpérale typhoïde [il85), la morve aiguë (1554), la phlébite traumali-que, suivie de résorption purulente, se développent dans des circonstances et s'accompagnent de symptômes qui ne per-mettent guère qu'on les méconnaisse. — Dans Ja néphrite avec phénomènes typhoïdes, les régions rénales sont doulou-reuses, au moins à la pression, les urines rares ou supprimées, les symptômes putrides rapidement mortels (668, B. T., et Rayer, Traité des maladies des reins, 1.1, p. 359). —L'explora-tion attentive des organes fera presque toujours découvrir les pneumonies asthéniques, ataxiques (647, y. 3.), latentes; d'ail-leurs, c'est principalement chez les vieillards que les phleg-masies viscérales s'accompagnent de symptômes typhoïdes, et, chez eux, on le sait, la dothiénentérie est très rare. Chez les enfants toutefois, l'entérite secondaire à la scarlatine et à la rougeole peut s'adjoindre, pendant toute la durée de son cours, un ensemble de phénomènes ataxiques les plus graves (Rilliet et Barthez, loc. cit., t. II, p. 695); mais il ne faut pas l'oublier, chez l'enfant comme chez l'adulte, la fièvre typhoïde se montre rarement comme affection deutéropathique 1731. E.). Le choléra pestilentiel (1675), dans sa période de réaction, présente quelques traits de ressemblance avec la do-
thiénentérie, lorsqu'il revêt la forme typhoïde, ce qui s'observe fréquemment, à certaines époques de certaines épidémies; d'autant mieux qu'en pareil cas, des symptômes typhoïdes bien dessinés peuvent succéder à une période algide peu pronon-cée, ou qui même aura passé presque inaperçue. Indiquons ici pour le point de vue spécial qui nous occupe, parmi les symp-tômes les plus caractéristiques de l'affection typhoïde choléri-que : 1° Des urines rares, toujours chargées d'albumine, laissant déposer un sédiment grisâtre qui, à l'examen micros-copique, paraît composé de cellules d'épilhélium rénal et de caillots fibrineux cylindriques complètement transparents ou recouverts de cellules d'épithélium glandulaires, de granula-tions graisseuses. (Frerichs, Die Brick?che Nierenkrankheit, etc. Braunschweig, 1851. On y trouve l'analyse des travaux de Reinhardt et Leubuscher, et du docteur Hamernik) ; 2° Une réaction fébrile relativement modérée, quelle que soit l'inten-sité des phénomènes typhoïdes; 3° Les vomissements mu-queux et bilieux répétés, les selles rares ; 4° L'érythème ru-béiforme cholérique Roseola cholerica de Rayer, 316, J. S.) bien différent des taches lenticulaires rosées de la fièvre ty-phoïde. — Dans la méningite cérébro-spinale épidémique (typhus cérébro-spinal de quelques auteurs), on observe le plus souvent dès le début, des douleurs vives de la nuque, une roideur prononcée des muscles de la région postérieure du cou (Forget, Tourdes (557) et Boudin, Archiv. génér. de méd., t. XIX, 4e série, 1849). La phlébite de la veine porte s'accompagne de violents frissons revenant irrégulièrement, par accès, pendant toute la durée de la maladie, d'un gonfle-ment notable du foie, d'épigaslralgie, de météorisme, avec développement des veines sous-cutanées abdominales, d'une teinte ictérique des téguments (Leudet, Archiv, génér. de méd., 1853, t. I, lrc série, p. 157). — En cas de tuberculisa-fion générale aiguë, lorsque la maladie revêt la forme typhoïde
(825, B.), l'erreur de diagnostic sera le plus souvent très dif-ficile à éviter; principalement s'il n'existe pas quelques indi-ces d'une lésion tuberculeuse du poumon (Leudet, Recherches sur la phthisie aiguë de l'adulte. Thèse de Paris, 1850, p. 35; Gosset, De la tuberculisation générale aiguë de l'adulte, thèse de Paris, 1854, p. 56). — Quant au typhus fever des Anglais, nous verrons bientôt à l'aide de quels caractères on peut le distinguer de notre dothiénentérie. — Les affections qui peu-vent simuler les fièvres typhoïdes et rendre son diagnostic difficile sont tellement nombreuses, que nous n'avons pu qu'indiquer en passant, les principales d'entre elles, nous bor-nant d'ailleurs à renvoyer aux sources où l'on pourra trouver, sur ce sujet important, des détails plus complets.
PRONOSTIC.
Toujours grave, il se peut fort bien qu'une fièvre typhoïde, commencée sous les apparences les plus bénignes, atteigne ensuite, par son développement ultérieur, par l'intervention d'épiphénomènes, d'affections deutéropathiques, le plus haut degré de gravité et se terminer par la mort.
a. Pronostic un peu moins grave, avant qu'après l'âge de quinze ans ; — toujours extrêmement grave après quarante ans. — Les malades d'une constitution forte ne sont pas plus que les gens chétifs à l'abri d'une terminaison fatale.
ê. La mortalité est plus grande, dit-on, parmi les sujetsnon acclimatés; — les travaux excessifs, les fatigues intellec-tuelles, les émotions morales antérieures à la maladie, ou se prolongeant même pendant son cours, doivent être notés parmi les circonstances défavorables; il en est de même du séjour obligé du malade dans un lieu étroit, mal aéré, humide.
y. Signalons comme autant de présages sinistres, les symp-tômes que voici : \° le délire, s'il se montre au début, s'il s'accompagne d'agitation excessive, de mouvements convul-sifs; 2°le coma profond et prolongé ; 3° l'irrégularité, le ra-lentissement ataxique du pouls; 4° le météorisme excessif; 5° la dysphagie ; 6° la carphologie, les soubresauts de tendons très prononcés.
8. Les affections deutéropathiques rendent presque toujours le pronostic très grave. Les eschares d'une étendue insolite, l'hémorragie intestinale, amènent souvent la mort; la pneu-monie (s'il y a matité et souffle bronchiques), la péritonite consécutive à une perforation intestinale, la déterminent pres-que à coup sûr.
s. Certaines épidémies de fièvres typhoïdes se font remar-quer par la bénignité extrême, ou, au contraire, par la ma-lignité singulière delà plupart des cas ; c'est là un fait qu'il ne faut jamais perdre de vue, principalement lorsqu'il s'agit déporter un jugement sur la valeur des méthodes thérapeu-tiques mises en usage.
THÉRAPEUTIQUE.
A défaut d'un agent spécifique capable de vaincre ou seule-ment de modifier l'élément morbifique, il faut bien se conten-ter de rechercher attentivement et de remplir de son mieux les indications rationnelles (114. C. D. E.). Ici, surtout, les périodes de la maladie, la forme qu'elle affecte primitivement ou qu'elle revêt à une époque plus ou moins éloignée de son début, peuvent changer, parfois complètement, ces indica-tions. L'âge, la constitution du sujet sont, évidemment aussi des circonstances dont il faut bien tenir compte dans le choix
des moyens de traitement. Rappelons, enfin, qu'il est des cas d'une bénignité extrême et qui n'exigent guère autre chose que l'application des règles de la thérapeutique diététique (121).
A. Relativement à la prophylactique, rien qui n'ait été dit dans l'article concernant le typhus (1571).
B. Au début et dans le cours de la première période, si la ma-ladie se montre franchement sous la forme hyperstlaénique (1728), on pourra, chez l'adulte, avoir recours aux émissions sanguines générales. Une, ou même, si le sujet est robuste, deux saignées de 300 à 400 grammes suffisent habituellement pour répondre à l'indication antipyrétique (1696). Aller plus loin, ce serait affaiblir inutilement le malade et le mettre dans de mauvaises conditions pour faire face à l'adynamie qui, lors de la deuxième période, se manifeste presque inévitablement, au moins à un certain degré (Louis, Chôme], Grisolle). — Une céphalalgie vive, l'insomnie opiniâtre, le délire loquace avec voix brève, rougeur delà face, injection des conjonctives, l'as-soupissement continu, les douleurs intenses de l'abdomen, sont autant de symptômes qui peuvent engager le médecin à insister sur les émissions sanguines générales, ou indiquer l'emploi des saignées locales (sangsues ou ventouses scarifiées sur l'abdomen, derrière les oreilles), voire même quelquefois, dans le cours de la deuxième période. Passé le dixième jour cependant, ou tout au plus le douzième, on ne trouve, en gé-néral, plus guère d'indication de saigner. Chez les enfants, on peut, d'après les mêmes indications, particulièrement en cas de douleur abdominale vive, de délire bruyant, appliquer quel-ques sangsues surle ventre ou derrière les oreilles, suivant le cas (de 4 à 6 pour les enfants âgés de moins de cinq ans, de 5 à 15 pour les autres). Mais on doit bien veiller ici à ce que
j'écoulement du sang ne soit pas trop abondant, si l'on ne veut pas voir les accidents nerveux s'exaspérer, et la faiblesse s'ac-croître d'une manière inquiétante (Rilliet etBarthez, onvr. cit., t. If, p. 713). —Ce n'est pas seulement pour modérer le mou-vement fébrile, mais bien plutôt pour attaquer la maladie dans son essence et l'enrayer dans sa marche, que M. Bouillaud applique à la fièvre typhoïde sa formule des saignées coup sur coup, formule qu'il modifie suivant la gravité des cas, la force des sujets, et qui ne peut être mise en œuvre qu'au début de la maladie et dans les cas où les phénomènes typhoïdes ne prédominent pas sur les phénomènes inflammatoires. (Voyez, pour plus de détails sur ce sujet : Bouillaud, Nosographîe mé-dicale, t. IIF, art. 3, § V). — Le professeur de la Charité paraît y avoir dit son dernier mot, relativement à sa manière d'em-ployer les antiphlogistiques dans le traitement de l'entéro-mésentérile typhoïde. — Concurremment avec la saignée et pour agir dans le même sens : boissons rafraîchissantes, purgatifs (1696), bains (126 J., etHervieux, De remploi des bains et de leur utilité dans le traitement de la fièvre typhoïde ; in Arch. yen. de méd. t. XVIII, 4e série). Dans la forme bilieuse bien dessinée (1728 B), la saignée n'est sans doute pas aussi dangereuse que le pensait Tissot, mais elle y est généralement moins utile. Les vomitifs et les purgatifs formeront, en pareil cas, au moins dans les premiers temps de la maladie, la base de la médication.
C. Dans la majorité des cas, les symptômes d'adynamie com-mencent à se prononcer vers le milieu de la deuxième pé-riode. D'abord mêlés aux symptômes inflammatoires, ils ne tardent pas, en général, à prédominer complètement, et, vers le déclin de la maladie, ils fournissent le plus souvent l'indi-cation principale. Nous devons alors, comme dit Pringle {Ob-servations sur les maladies des armées, Paris, 1793), «varier
la méthode et regarder, comme la partie la plus essentielle, l'entretien du principe de la vie. »
Les corroborants (vin, quinquina), les stimulants (acétate d'ammoniaque, camphre, etc.), sont appelés, en effet, le plus souvent, à rendre de grands services. Mais rien déplus diffi-cile que de bien préciser les règles de l'administration de ces médicaments. Nous distinguerons deux cas. — Premier cas: La prostration des forces est portée à un degré extrême ; le malade est comme anéanti, il a des défaillances, si on l'oblige à s'asseoir sur son lit ; la face est froide, pâle, les traits sont altérés; la peau des extrémités et parfois aussi, celle des par-ties centrales, présentent une température peu élevée ou même au-dessous du taux normal ; le pouls est faible, fili-forme, lent, très lent, ou, au contraire, accéléré (114, G.) ; le cœur bat faiblement, son impulsion n'est pas perçue par la main appliquée sur la région précordiale, ou bien elle l'est à peine ; les bruits ne s'entendent presque pas, et ils sont com-parables à ceux du cœur d'un fœtus (Stokes, A Treatise on the diseases of the heart, Dublin, 18o3) ; la respiration est difficile, alors même que les bronches ne sont pas obstruées par du mucus; il existe peut être des pétéchies (1727. B. 6). Si un pareil ensemble de symptômes se présente, il n'y a pas à hé-siter ; il faut immédiatement administrer les stimulants (acétate d'ammoniaque, vin de Malaga, de Madère) ; puis, quand le premier danger est passé, il faut donner le quinquina (extrait sec de quinquina, à la dose de 4 à 8 grammes, en potion), et insister sur l'usage du vin (Bordeaux, Bourgogne). L'effet pro-duit par ces médicaments est,, en général, rapide, presque instantané ; c'est même là une sorte de critérium pour recon-naître s'ils sont donnés à propos. La lyphomanie avec ou sans tremblement des mains, l'assoupissement continuel, le mé-léorisme excessif, des selles involontaires, la présence d'une affection deutéropalhique, d'une splénisalion du poumon,
d'une pneumonie, par exemple, voilà autant de circonstances qui, loin de contre-indiquer la médication tonique, doivent en-gager, au contraire, àinsister sur son emploi.
Une indication d'administrer les toniques, aussi pressante que celle que nous avons supposée plus haut, se rencontre assez rarement dans notre fièvre typhoïde,'où M. Louis ne l'a-vait encore observée que dix fois, lors de la publication de la deuxième édition de ses Recherches (Louis, ouvrage cité, p. 473) ; elle se présente plus fréquemment dans le typhus fever des Irlandais, ainsi que nous le verrons dans un prochain chapitre (Corrigan, Lectures'on the nature and treatment of fever. Dublin, 1853, lect. VI). — Deuxième cas: l'adynamie est encore très prononcée ; elle s'accompagne, en partie, des accidents que nous venons de signaler, mais, cette fois, elle se montre à une époque moins avancée de la maladie, et alors que le mouvement fébrile est encore bien marqué : les toni-ques, et plus spécialement le quinquina, sont encore très utiles même dans ce cas-là. (Voyez : Chomel, ouvr. cité, obs. 44 et 51 ; — Louis, ouvr. cité, obs. 47) : mais il faut se montrer ici beaucoup plus réservé dans leur emploi, sous peine de com-promettre la médication.
Il existe, d'ailleurs, entre les deux cas extrêmes que nous avons pris pour exemples, de nombreux intermédiaires dans lesquels la médication corroborante, employée dans une cer-taine mesure, rendra souvent d'immenses services. — Notons parmi les principales contre-indications à l'emploi des toni-ques : 1° une chaleur excessive des téguments ; 2° le délire bruyant avec voix précipitée, rougeur de la face et des con-jonctives, agitation extrême.
D. Il paraît aujourd'hui bien démontré que le sulfate de quinine (à la dose de 15 à 20 décigrammes par jour, dans les cas de gravité médiocre, de 3 à 4 grammes dans les cas graves),
Charcot. Œuvres complètes, t. viii, Maladies infectieuses. 3
administré dans le cours de la fièvre typhoïde, produit un ra-lentissement très notable du pouls et un abaissement de la chaleur cutanée ; il n'aggrave pas les symptômes abdominaux, et, en particulier, il ne produit pas l'entérite. Son emploi ne saurait, toutefois, constituer une méthode absolue de traite-ment, il ne doit pas durer plus de huit ou dix jours ; il paraît convenir surtout aux cas de fièvre intense avec céphalalgie vive, délire, symptômes ataxiques de tout genre, principalement s'il y a des rémissions et des exacerbations bien prononcées ; il serait contre-indiqué s'il y avait prostration des forces, coma profond. Ce médicament est donc une ressource bien précieuse dans ce cas difficile, où la saignée n'étant plus indiquée, les toniques ne le sont cependant pas encore, du huitième au quinzième jour de la maladie par exemple (Boucher de la Ville-Jossy, Thèses de Paris, 1842, n° 26. — Jacquot, Arch. yen. deméd., 1844, t. VI. —Rilliet et Barthez, ouvr. cit., t. II, et surtout Briquet, Traité thérapeutique du quinquina et de ses préparations, Paris, 1853,in-8°, p. 396 et suiv.)
E. Les phénomènes nerveux, tels que l'insomnie opiniâtre, l'agitation, le délire, les soubresauts des tendons sont avantageusement combattus par l'opium, lorsqu'ils se mon-trent au déclin de la fièvre, ou même pendant son cours, pourvu que la réaction ne soit pas très vive. La dose du médi-cament devra, naturellement, varier en raison de l'intensité des accidents nerveux (5 à 10 centigrammes d'extrait thébaï-que, ou même plus, suivant le cas). On peut fort bien l'admi-nistrer en même temps que les toniques, et c'est justement dans les circonstances où ces derniers réussissent qu'il agit le plus efficacement, ainsi le fait remarquer Cullen [First Unes of the practice of physic. Edimburgh, 1816, § 220). L'opium est sans doute beaucoup moins indiqué si l'insomnie, le délire et le cortège des accidents nerveux viennent à prédominer
dans les premiers temps de la fièvre typhoïde, et éclatent au milieu des symptômes de la réaction fébrile la plus intense. Il ne mérite cependant pas encore, en pareille circonstance, la proscription dont quelques auteurs l'ont frappé ; et l'on peut toujours l'employer avec avantage, pourvu qu'on ait eu soin de remplir, au préalable, les indications relatives au mouve-ment fébrile, à la congestion cérébrale, etc. En tous cas, l'opium paraît devoir être préféré à d'autres médicaments, tels que le camphre (en lavement, à la dose de 1 à 2 gram-mes), le musc (dose de 50 centigrammes à 1 gramme en po-tion) médicaments dont il n'exclut d'ailleurs pas l'emploi. (Voyez sur l'administration de l'opium dans les fièvres conti-nues, Sydenhàm : Opéra medica Febris continua, ann. 1661, 62, 63,64, t. I, p. 40. Genevee, 1757. — Cullen, loc. cit., op. cit. — Dans la fièvre typhoïde: Louis, ouvrage cité, t. II. p. 453. — Morand, de Tours, Mémoires et observations clini-ques, 113-117. Tours, 1845. — Grisolle, Traité de pathologie interne. 1855, 1.1, p. 53. — Pour ce qui concerne les enfants ; Rilliet et Barlhez, ouvr. cité, t. II, p. 721.)
F. Thérapeutique diététique. — Application des principes généraux du traitement hygiénique des maladies aiguës (126). Insister spécialement sur les règles relatives au choix du local où le malade doit être placé (126. A). — Repos absolu des fonctions sensitives, intellectuelles et morales (126. B.). — Veiller à l'entretien des objets de literie, principalement s'il y a des selles involontaires ; s'assurer que le malade a uriné ; pratiquer le cathétérisme en cas de besoin (126. I). Rien de plus difficile que de préciser l'époque ou il convient de donner les aliments (126. F.). Il est des cas où il faut les accorder à une époque peu avancée de la maladie ; ce sont, à peu de choses près, ceux qui ont réclamé l'emploi des toniques, et, en particulier, du vin, qu'on peut considérer déjà comme un
aliment précieux (Chomel). — (Dance, Arch. génér. de méde-cine, t. XXIV et XXV, 1830, 4831. — Piorry, Traité de méde-cine pratique, t. II, 4863. — Marrotte, Etude sur l'inanition dans les maladies aiguës, dans Bulletin général de théra-peutique.)
G. Médications empiriques, spécifiques. — %. Médication évacuante. (Beau, De l'emploi des évacuants, etc. Thèse inaug., 1836, n° 263; — Requin, Des purgatifs, thèse de con-cours, 1839, p. 75. D.) L'emploi des médicaments purgatifs et vomitifs jouait anciennement un rôle éminent dans la thé-rapeutique de ces affections fébriles que l'on peut aujourd'hui rapporter aux diverses formes de la fièvre typhoïde. Plusieurs auteurs, et des plus célèbres, ont proclamé l'utilité d'une telle médication, soit seule, soit combinée avec les émissions san-guines. Cependant, depuis l'époque où les théories solidistes remplacèrent dans la pathologie les idées humorales des an-ciens, les évacuants furent moins fréquemment usités, et l'école physiologique vint ensuite en proscrire tout à fait l'emploi. Dès lors, la plupart des médecins, même ceux qui ne pou-vaient compter parmi les partisans delà nouvelle école, furent effrayés de l'idée de porter dans un intestin ulcéré un purga-tif même peu énergique.
Mais, dans ces derniers temps, M. le docteur Delarroque, qui, depuis 1832, avait commencé à employer une médica-tion éméto-cathartique, et surtout cathartique, contre la fièvre typhoïde, est venu, en s'appuyant sur un relevé statistique des nombreux, faits de sa pratique, proclamer que la médication cathartique comptait une plus forte proportion de guérisons que les autres méthodes de traitement, et qu'elle devait être, indistinctement employée, à l'exclusion des émissions san-guines, contre tous les cas de fièvre typhoïde ; ce qui, comme on le voit, constituerait essentiellement une indication empi-
rique. En général, ce médecin commence le traitement par un éméto-cathartique. Puis, il administre chaque jour une bouteille d'eau de Sedlitz ou 80 grammes d'huile de ricin. D'après son exemple, beaucoup de médecins d'hôpitaux, MM. Piédagnel, Prus, Louis (Notice de M. Barth, dans Presse médicale, 1837, p. 5). Andral (Rapport sur le mémoire de M. Delarroque, dans Presse médicale, 1837, p. 529), ont expérimenté la méthode évacuante dans le traitement des fièvres typhoïdes et, dans un rapport lu en 1837 sur ce sujet par M. Andral, à l'Académie de médecine, on trouve l'énoncé des principaux résultats qui furent obtenus à cette époque, soit par ce professeur, soit aussi par plusieurs autres méde-cins. Ainsi M. Andral ayant soumis au traitement de M. De-larroque, 48 malades chez lesquels le diagnostic d'une fièvre typhoïde ne pouvait présenter aucune espèce de doute, perdit néanmoins 8 malades, ce qui porte sa mortalité à 1 sur 6; résultat moins avantageux que celui de M. le docteur Delar-roque qui n'a perdu qu'un dixième de ses malades. Tous ces résultats devaient être regardés comme très satisfaisants, comparativement à ceux que M. Andral observa, par suite de l'emploi de saignées modérées (sur 27 malades 6 succom-bèrent, c'est-à-dire 1 sur 4 1/2,) (mortalité de 1 sur 3). Les expériences comparatives de M. Louis n'accordent, au con-traire, qu'un bien léger avantage à la méthode évacuante : avec cette méthode, il a perdu un peu moins d'un dixième de ses malades (3 sur 31, ou 1 sur 10 1/2), tandis que parle traitement dit symptomatique ou rationnel, sa mortalité a été de 1 sur 9 5/11 (11 sur 104). M. le professeur Grisolle (ou-vrage cité, t. I, p. 50), ayant à son tour appliqué au traite-ment de la lièvre typhoïde la méthode de M. Delarroque, n'avait eu d'abord à déplorer qu'une mortalité d'un septième environ; mais, en 1846 et 1847, il a été moins heureux et il a perdu un sixième à peu près de ses malades. D'ailleurs, dans
6. Médication mercurielle employée dans le but d'arrêter la maladie dans sa marche, de la faire avorter : c'est ainsi que les frictions faites chaque jour sur l'abdomen avec l'onguent mercuriel, combinées avec l'administration, à l'intérieur, du sulfure noir de mercure (dose, 1 gramme, 1 gramme 50 cen-tigrammes), ont été proposées dans la fièvre typhoïde sous le nom de méthode abortive, par M. Serres. Le calomel a été fréquemment employé, principalement en Allemagne, non
l'épidémie meurtrière qui régna à Paris, pendant les mois de juillet et d'août de l'année 1842, la méthode évacuante, ainsi que le même auteur nous l'apprend, n'avait pas compté plus de succès que les autres (mortalité 1 sur 2) MM. Rilliel et Barthez [ouvrage cité, p. 721, t. II) ont trouvé que, chez les enfants, la méthode évacuante n'a pas une influence évidente sur chacun des symptômes pris un à un, ni sur la durée et la terminaison de la maladie envisagée dans son ensemble ; qu'elle peut provoquer l'inflammation des intestins ; qu'elle n'empêche pas le développement des complications, et que peut-être elle les favorise. — Quelques-uns de ces faits sem-blent démontrer que certaines fièvres typhoïdes, soit sporadi-ques, même épidémiques, pourront être plus avantageuse-ment traitées par la médication purgative que par toute autre méthode. Mais cette indication empirique, n'aurait une grande valeur qu'autant que la pathologie nous aurait appris à distin-guer à des signes certains, ou du moins probables, les cas dans lesquels les purgatifs conviennent d'avec ceux qui récla-ment la méthode rationnelle. En attendant, la méthode éva-cuante ne saurait être employée comme système- uniforme et invariable de traitement, en un mot, comme médication empirique et spécifique. On pourra toutefois l'explorer sous forme d'essai, à condilion d'y renoncer si elle n'améliore pas évidemment l'état du malade.
pas autant comme purgatif que comme une sorte de spécifi-que (Taufflieb, Bull, génér. de thérap., t. XIV, février et mars 1851. — Thierfelder, loc. cit.). Nous nous bornons à signaler ces méthodes qui n'ont pas encore suffisamment reçu la sanction de l'expérience.
H. Epiphénomènes. Affections deutéropathiques : Quand il s'agit de remédier aux complications, il faut tenir le plus grand compte des circonstances au milieu desquelles elles se développent, de l'état général du malade. Les indications rela-tives à l'affection locale deutéropathique, doivent, dans la ma-jorité des cas, ne venir qu'en deuxième ligne ; quelques-unes d'entre elles cependant sont tout à fait spéciales, le plus sou-vent pressantes, et réclament, par elles-mêmes, la prompte administration des agents thérapeutiques. — Les épislaxis peuvent être tellement abondantes qu'il faille, au plus vite, pratiquer le tamponnement des fosses nasales. — En cas d'hémorragie intestinale : eau de Rabel en potion (dose 4 à 6 grammes) ; extrait de ratanhia en potion ou en lavement (2 à 8 grammes dans chaque) ; application de glace sur le ventre. — Contre le météorisme : frictions stimulantes sur l'abdomen, glace sur le ventre; introduction par le rectum d'une sonde œsophagienne ; petits vésicatoires volants prome-nés sur l'abdomen, etc. Trop souvent, tous ces moyens échouent devant ce fâcheux épiphénomène. Faudrait-il, en pareil cas, suivant le conseil du docteur Corrigan (loc. cit. ; p. 50), administrer une forte dose d'huile essentielle de térébenthine, mélangée ' avec l'huile de ricin? Si les signes d'une péritonite viennent à se déclarer, maintenir le malade dans une immobilité absolue, le priver de boissons. Adminis-trer immédiatement 10 centigrammes d'extrait d'opium, et continuer ensuite à faire prendre toutes les heures une po-tion contenant 5 centigrammes du même médicament jusqu'à
production du narcotisme thébaïque. Cette médication empi-rique, employée d'abord par les professeurs Graves et Stokes (de Dublin), paraît avoir été en France deux ou trois fois cou-ronnée de succès. — Si la bronchite prédomine, si la poitrine se remplissant de râles humides, la respiration devient diffi-cile, et surtout si les téguments des extrémités prennent une teinte violacée plus ou moins prononcée, administrer l'ipéca-cuanha ou le kermès (à petites doses souvent répétées) ; appli-quer un large vésicatoire sur le devant de la poitrine. Insister particulièrement sur l'emploi des toniques, ou même des sti-mulents. Faire changer, s'il est possible, de temps en temps, la position du malade, afin de prévenir les congestions pas-sives. Mêmes indications à remplir dans l'immense majorité des cas, s'il y a splônisation du poumon, pneumonie. La saignée générale ou locale, la stibiation ne pourraient être indiquées que dans les cas extrêmement rares où une bron-chite intense, une péri-pneumonie viendraient à se manifes-ter à une époque peu éloignée du début de la fièvre typhoïde (Grisolle, Traité de la pneumonie, p. 750, 1841 et 655). — Nous ne devons pas revenir sur les indications relatives aux différentes formes du délire après ce qui en a été dit plus haut (G. D. E.). — Les escharres seront pansées à l'aide du vin aromatique, du styrax, elles seront saupoudrées de poudre de quinquina, etc.
V.
Des affections laryngées dans la fièvre typhoïde 1.
Une observation recueillie tout récemment par M. le docteur E. Baudot, à l'hôpital de Lariboisière, dans le service de M. Hérard, appelle l'attention sur un sujet peu connu en France et pourtant très digne d'intérêt : nous voulons parler des affections laryngées qui accompagnent ou suivent les fièvres typhiques. Dans cette observation {Union médicale, 14 juillet 1859), il s'agit d'une jeune fille qui, se trouvant en pleine convalescence d'une fièvre typhoïde, dont le début remontait à trois mois, fut prise tout à coup de dyspnée.
On remarqua alors une aphonie qui s'était déclarée anté-rieurement, à une époque mal déterminée. Les accès de dyspnée se renouvelèrent; le larynx devint le siège d'une très gênepénible, et un jour la malade rejeta par la bouche, dans un accès de toux, deux petits séquestres osseux, ayant, dit M. Baudot, quelque analogie avec des portions d'arythé-noïdes ossifiés. La phonation se rétablit à peu près complète-ment.
Ce fait est des plus intéressants, mais la nécrose n'est pas la seule forme sous laquelle se manifestent les maladies laryn-gées typhiques, et les accidents qu'elles ont déterminés dans
1. En collaboration avec M. A. Dechambre, extrait de la Gazette hebdo-madaire, 1859, p. 465.
beaucoup de cas ont appelé — trop souvent sans succès — les ressources extrêmes de la thérapeutique, y compris la trachéotomie.
Nous venons de dire que cette catégorie d'affections est peu connue en France, et c'est pourtant à un médecin français, à M. Louis, qu'on en doit la première mention.
Dans son traité de la Gastro-entérite (t. I, p. 411), le célè-bre observateur avait fait remarquer que la fièvre typhoïde se distingue des autres maladies par une « modification profonde imprimée aux tissus membraneux, qui les dispose à l'ulcéra-tion ; en sorte que, sous ce rapport, l'affection typhoïde est aux autres maladies aiguës ce qu'est la phthisie aux maladies chroniques. » Dans le domaine de sa propre pratique, M. Louis avait noté surtout les ulcérations pharyngées, trachéales, stomacales, intestinales (celles-ci occasionnant les coliques secondaires) ; quant aux ulcérations laryngées, il ne les avait rencontré que deux fois sur cinquante sujets *. Ces observa-tions, bien qu'elles aient été confirmées de tout point dans leur sens général, c'est-à-dire en tant qu'établissant l'exis-tence d'une diathèse ulcéreuse dans la phase ultime de la fièvre typhoïde, n'avaient guère rencontré, en France, que de l'indifférence ou de l'opposition, en ce qui concerne spéciale-ment les ulcérations du larynx; surtout on s'était peu préoc-cupé des formes pathologiques autres que l'ulcération. Ainsi, quelques auteurs, comme Valleix,ne signalentmême pas cette dernière lésion au chapitre de la fièvre typhoïde ; d'autres comme Grisolle, se bornent à la mentionner, d'après l'auto-rité de M. Louis. Les auteurs du Compendium (t. YIII, p. 183) écrivent: « Les ulcérations du larynx sont excessivement rares ; nous ne sommes pas bien convaincus qu'il existe quel-
1. A ces diverses ulcérations des membranes muqueuses, il faut joindre celle de la surface interne de la vésicule biliaire ; l'un de nous l'a rencon-trée plusieurs fois chez des sujet qui avaient succombé à une période avancée de la fièvre typhoïde.
que relation de cause à effet entre la fièvre typhoïde et les lésions du larynx. » Et plus loin : « Les ulcérations de l'épi-glotte et du larynx qui ont été trouvées par M. Louis nous paraissent être des complications purement accidentelles. » MM. Barlhez et Rilliel, dans leur Traité des maladies des enfants (t. II, p. 706), rangent aussi l'angine et la laryngite parmi les complications accidentelles de la fièvre typhoïde ; il est vrai de dire que leur assertion s'applique aux pharyngites et laryngites pseudo-membraneuses, qui se présentent, en effet, très rarement dans cette circonstance.
Un seul auteur français paraît avoir accordé une impor-tance réelle à la laryngite typhique ; c'est le regrettable Ses-tier. Il consacre un long paragraphe de son beau Traité de Vangine laryngée œdémateuse (1852) et étudie précisément, et avec un soin particulier, la forme morbide observée par M. Baudot, et qu'il désigne sous le nom de laryngite nécro-sique aiguë. « La fièvre typhoïde, dit-il, esl, en particulier, l'une des causes prédisposantes les plus remarquables de l'angine infiltro-laryngée. En effet, cette angine est survenue vingt-trois fois dans le cours ou pendant la convalescence de la fièvre dont nous parlons (p. 116). » Puis il spécifie les diverses formes observées et leurs proportions respectives. Dans les cinq cas survenus en cours de fièvre typhoïde, le point de départ de l'œdème laryngé a été trois fois une inflammation pseudo-membraneuse de l'arrière-bouche et du larynx, et, pour les deux autres cas, une inflammation gangreneuse du larynx et une tumeur purulente de la gorge. Dans les dix-huit cas survenus pendant la convalescence de la fièvre typhoïde, l'œdème a été occasionné trois fois par une laryn-gite nécrosique. Chez les deux derniers sujets, le point de départ de l'infiltration est resté douteux.
Sestier insiste sur cette « nécrose aiguë et partielle des car-tilages du larynx, du cricoïde surtout; nécrose accompagnée
le plus ordinairement d'abcès et parfois d'ulcérations ayant été la conséquence du travail nécrosique et suppurant des tissus placés au-dessous de la membrane muqueuse ». La nécrose s'est montrée tantôt au commencement, tantôt à une époque avancée de la convalescence. « Il est donc impossi-ble, dit l'auteur en terminant, de méconnaître l'influence toute spéciale de cette fièvre [typhoïde) sur le développement de l'angine laryngée œdémateuse... Les abcès et la nécrose du larynx ne sont... que des expressions locales de la dialhèse purulente, gangreneuse et nécrosique, qui caractérise la fièvre typhoïde... Le larynx, une fois atteint de nécrose, d'ab-cès, d'ulcération, la débilitation profonde des convalescents, l'état subfibrineux de leur sang, sont autant de circonstances qui favorisent l'apparition de l'œdème laryngé. »
Beaucoup de médecins étrangers accordent aujourd'hui une très sérieuse attention au sujet qui nous occupe ; et quel-ques-uns ont constaté si souvent la laryngite typhique, qu'on est forcé de se demander si cette affection est plus commune en Allemagne qu'en France, ou si, — ce qui est plus vrai-semblable, — elle n'acquiert pas, dans des circonstances par-ticulières, une fréquence insolite. A ce dernier point de vue, on peut citer surtout une relation de M. Heschl, de laquelle il résulte que, pendant une épidémie de typhus dont Vienne a été le théâtre en 1853, les affections laryngées concomi-tantes étaient extrêmement rares en ville, tandis que, suivant le rapport du docteur Hassinger, elles étaient, au contraire, très fréquentes, presque constantes parmi les militaires caser-nes au voisinage de Vienne [Ztsch der K. K. Gessellsch, der Aerzte zu Wien, 1853, n°5). Suivant M. Griesinger, la seule xdcération laryngée existe sur un cinquième environ des cadavres d'individus emportés par la fièvre typhoïde ( Wir-choivs Handb, t. II, p. 160). M. Emmet a rencontré 30 fois Y œdème de la glotte sur 1.931 cas de typhus; 23 fois il a été
constaté que cet œdème était lié à des ulcérations du larynx. Malheureusement l'auteur englobe dans son calcul les cas de typhus fever et ceux de fièvre typhoïde. (On œdema glottidis resulting from typhus fever in the American Journal of the Medie. Sciences, juillet 1856). Bornons-nous à ajouter, pour ne pas trop multiplier les citations, que les classiques allemands (Rokitansky, Canstatt, etc.) ne manquent jamais dans l'his-toire de la fièvre typhoïde, de consacrer un chapitre spécial à ce qu'ils nomment le laryngo-typhus secondaire. M. Roki-tansky a d'ailleurs décrit spécialement (Pathol. Anat., 3e Bd. Ie lief., p. 19) une des formes de cette affection, Yulcère laryngé étyphique(typhase larynxgeschwùr).
Cette description figure au chapitre des inflammations laryngées diphtéritiques; mais il importe de bien remarquer que le mot diphthérite n'a pas pour les pathologis les alle-mands le même sens que pour nous. Us désignent, en effet, sous ce nom une sorte d'infiltration des couches superficielles d'une membrane muqueuse par une substance d'un gris jau-nâtre qui se substitue au tissunormal, et le change bientôt en un détritus amorphe, de texture grenue et d'aspect pseudo -membraneux.
Les plaques qui en résultent ne peuvent se détacher sans entraîner dans la membrane une perte de substance, une ulcération, d'où il semble résulter que la diphthérite des Alle-mands est notre fausse diphthérite. Peut-être répond-elle à notre inflammation ulcéro-membraneuse.
Quoi qu'il en soit, en réunissant les travaux déjà publiés sur la matière, tant en France, qu'à l'étranger, et en prenant surtout pour guides Sestier et MM. Griesinger, Rokitansky et Bittrich, on est aujourd'hui en mesure de donner une noso-graphie assez, complète du laryngo-typhus. Il faut d'abord y distinguer deux formes principales : la forme ulcéreuse et la forme nécrosique.
1° L'ulcère laryngé lyphique siège sur la paroi postérieure du larynx. Il intéresse primitivement cette partie de la mem-brane muqueuse qui recouvre les muscles arylhénoïdiens. On observe d'abord une ou plusieurs plaques diphthéritiques (fausse diphthérile), auxquelles succèdent une ou plusieurs ulcérations plus ou moins profondes. Les ulcérations gagnent peu à peu en étendue et en profondeur; les cartilages arythé-noïdes, ou même le cartilage cricoïde, peuvent être ainsi mis à nu, se nécroser et se détacher complètement. Il n'est pas rare non plus de voir des abcès se former sous la membrane muqueuse, à la partie postérieure du larynx. Cette affeclion peut se montrer pendant le cours du deuxième ou du troi-sième septénaire de la fièvre typhoïde ; mais elle appartient le plus communément aux phases ultimes de la maladie, ou même à la convalescence. Elle ne s'annonce souvent par au-cun symptôme ; on observe seulement un peu de raucité de la voix, un peu de toux ; le larynx est quelquefois douloureux à la pression. Mais à côté de ces cas où l'affection peut rester et reste en effet souvent latente, il en est d'autres où elle s'ac-compagne de symptômes graves : c'est quand le larynx est rétréci par suite de la présence d'un abcès sous-muqueux, d'un fragment de cartilage prêt à se détacher, etc. D'autres fois, un œdème des replis arythéno-épiglottiques se déve-loppe. Enfin, il n'est point rare de voir cette affeclion secon-daire revêtir les allures d'une maladie chronique et dégénérer en phthisie laryngée.
2° La laryngite nécrosique, qu'on pourrait appeler d'emblée1, a son point de départ dans l'enveloppe des cartilages du larynx, du cricoïde sur{.oul(pcrichondrilis cricoïdea—Ditlrich, Seslier). La membrane muqueuse n'est pas primitivement
1. Voir, avec Seslier, Dittrich (derichondrilis Saryngea und ihr Verhœlt-?iiss zu anderen Krankheltsprocessen, Prager Vierteljakr., 1850, 3 bd.).
atteinte et les pertes de substance qu'on y rencontre sont con-sécutives à la rupture des parois des abcès sous-muqueux. C'est presque exclusivement pendant la convalescence que se montre cette affection. La déglutition devient difficile, le larynx est sensible à la pression ; la peau qui le recouvre est souvent soulevée en raison de l'œdème ou des abcès qui occupent le tissu péri-laryngé. On observe, delà dyspnée, une toux con-vulsive, de l'aphonie. On perçoit en auscultant le larynx, des bruits sifflants ou ronflants. Il y a habituellement une vive anxiété et des accès de suffocation. Le rétrécissement du larynx dépend alors de la présence d'un abcès sous-muqueux ou d'un fragment de cartilage en partie détaché. La marche de l'affection est en général très rapide. Sestier a recueilli douze cas, dans lesquels l'œdème de la glotte était venu com-pliquer la laryngite nécrosique aiguë.
Aces deux formes d'altérations, il faut joindre la laryngite diphthéritique ou pseudo-membraneuse, qui se présente beaucoup plus rarement, et dont le lien avec la fièvre typhoïde n'est pas aussi manifeste. Alors, en général, les fausses mem-branes se développent d'abord sur le pharynx et l'épiglotle. Elles pénètrent consécutivement dans le larynx et s'étendent parfois jusqu'aux tuyaux bronchiques, dont elles peuvent atteindre les plus fines ramifications. On a vu dans certaines épidémies, cette complication se manifester dès les premières phases de la fièvre typboïde. Ordinairement, des fausses mem-branes existent concurremment surdes muqueuses autres que celles du pharynx et des voies aériennes, principalement sur la muqueuse intestinale. Ce sont probablement des cas de ce genre qu'a observés M. Oulmont, à l'hôpital Saint-Antoine (Voir: Archiv. génér. de méd. et Actes de la Société médicale des hôpitaux, 1855) ; mais la laryngite et la pharyngite pseudo-membraneuses peuvent survenir aussi dans les phases ultimes de la fièvre typhoïde.
Ainsi que nous l'avons dit en commençant, dans des cas où ces diverses affections ont déterminé la suffocation, on a tenté la trachéotomie. Nous ne possédons pas la statistique com-plète de ces cas ; mais nous en avons rassemblé un certain nombre, d'après lesquels on pourra juger des résultats obte-nus. Nous les rangeons sous les noms des auteurs qui les ont publiés.
Demme: 1 cas. Vaste ulcération laryngée; périchondrite très étendue, perforation du pharynx (sic), rétrécissement très marqué de la trachée. Mort pendant l'opération.
Textor : 3 cas. Deux fois la trachée ne fut pas ouverte.
Les trois sujets sont morts.
Hein : 1 cas. Croup bronchique général. Mort.
Oppolzer : 1 cas. Œdème de la glotte. Mort de pneumo-nie quatorze jours après l'opération.
Ebhart et Braun (de Wiesbaden) : 2 cas (il s'agissait proba-blement d'oedème de la glotte survenu pendant la convales cence). — Guérison.
Disntl: 1 cas. Pneumonie à la suite de l'opération. — Gué-rison. (La canule ne fut retirée que quatre mois après.)
Sestier: 3 cas de laryngite nécrosique. — 3 décès.
Emmet : o cas survenus pendant la convalescence. -4 guérisons et 1 décès.
2 cas dans le cours du typhus. — 2 décès.
Il suit de ce relevé que sur 19 opérations, la guérison a été obtenue 7 fois, résultat'qui pourrait être considéré comme très beau s'il était plus général ; mais, nous le répétons, ce ne sont là que des éléments provisoires de statistique. Nous en-gageons ceux que le sujet pourra tenter à consulter un tra-vail que nous n'avons pas en ce moment sous les yeux, et qui traite spécialement de la trachéotomie dans le typhus.
Charcot. Œuvres complètes, t. viii, Maladies infectieuses. \
C'est un article de M. Frey, inséré dans Renie und Pfeuffer Zeitschrift,ll, p. 1. Sestier, frappé du triple insuccès men-tionné plus haut, a émis l'avis que la laryngite nécrosique aiguë une fois constatée, il conviendrait de recourir immédia-tement à la bronchotomie, sans attendre qu'une suffocation prolongée ou répétée ait affaibli le malade.
VI.
Typhus fever des médecins anglais.
Bibliographie. — W, Stokes, Clinical lectures on fever (Medic. Times and Gazette, 1854-1855).'— J. Corrigan. Lectures on the nature and treatmenl of fe-ver, Dublin, 1853. — Gerhard, Mémoire cité (1564). — M. Valleix, Du typhus fever et de la fièvre typhoïde et Angleterre {Archives générales de médecine, 8e série, t. VI, 1839, pp. 120, 265, et Guide du médecin praticien, t. V, p. 5G5). — À.-P. Stewart, Some considérations on the nature and pathology of typhus and typhoïd fever (Edinb. Medic and Surgic. Journal, 1840, t. LIV, p. 289). Analyse par le docteur H. Roger, dans les Archives générales, 1840, 3e série, t. IX. — Ritchie. Practical Remarks on the continued fevers of Great Britain, etc. (Monthly Journal of medic. sciences, octobre 1815, et Archives générales, 1S47, t. XIII, p. 243). — W. Jenner, 1° Typhus fever, typhoïd fever, relapsing fever and febricula, the^diseases confounded under the term continued fever {The Médical Times and Gazette, 1849). — 2° On typhoïd and typhus fevers {Monthly Journal of Medic. sciences, 1849). — 3° On the iden-lity or non identity of the spécifie cause of typhoïd, typhus and relapsing fever; avec une planche qui représente l'éruption du typhus fever aux di-verses époques de son développement (Medic.-chirurg. Transact., London, 2e série, vol. XXXIII). — Les trois mémoires du docteur Jenner ont été tra-duits en français par le docteur Verhaeghe. — De la non-identité du typhus et de la fièvre typhoïde, Bruxelles, 1852, 2 vol. in-8°. — A. Grisolle. Traité de pathologie interne, 6e édition, t. I, p. 59.
le typhus fever et la fièvre typhoïde sont-ils deux mala-dies essentiellement distinctes ?
Cullen pensait qu'il n'existe pas de différences vraiment fondamentales entre les fièvres continues graves, endémiques ou épidémiques de la Grande-Bretagne ; il était disposé à croire que ces fièvres sont toutes produites par une même cause, et qu'elles doivent être, par conséquent, considérées comme des
variétés d'un même genre, qu'il proposait de désigner sous le nom de typhus \ Des différences relatives au degré d'énergie de la cause productrice, aux saisons et aux climats, à la cons-titution des individus, pouvaient toujours, suivant lui, rendre suffisamment compte des formes variées que celte maladie peut revêtir, sans pour cela changer de nature. L'illustre pro-fesseur d'Edimbourg peut être considéré comme ayant le pre-mier, en Angleterre, jeté les fondements de la doctrine de l'identité des fièvres désignées sous les noms de continued fever, nervous fever, etc., doctrine qui, pendant longtemps, a régné sans partage dans toute l'étendue de la Grande-Breta-gne, et qui y est aujourd'hui encore, après avoir subi quelques légères modifications, professée et défendue par des méde-cins d'une habileté incontestée. Suivant le professeur Stokes (de Dublin), par exemple, le typhus peut, suivant les circons-tances où il se développe, revêtir les formes les plus diverses. Deux de ces formes, dérivées du type primitif, doivent ici fixer notre attention. L'une d'elles porte, à peu près indifférem-ment, les noms de maculatcd typhus, petechial typhus, exan-thematic typhus; on l'appelle encore typhus fever. Elle est caractérisée habituellement par l'absence de symptômes abdo-minaux, et par une éruption sui generis composée de taches dites péléchiales, différentes, à plusieurs égards, des taches lenticulaires rosées de la dothiénentérie. Les lésions de l'en-térite folliculeuse y font communément défaut. L'autre, sous le nom d'abdominal typhus, d'ileo-typhus, d'enteritic-fever, correspond, sous tous les rapports, à ce que nous appelons,
1. « Le type le plus commun des fièvres continues, dans le climat que nous habitons, paraît être une combinaison du genre synocha et du genre typhus. C'est pourquoi j'ai admis, dans ma nosographie, un genre mixte sous le nom de synochus. Je pense cependant qu'on ne peut que difficile-ment assigner les limites qui éloignent le synochus du typhus; je suis dis-posé à croire que le synochus est produit par les mêmes causes que le typhus, et qu'il n'en est par conséquent qu'une variété. » (W. Cullen, First Unes of the praclice of physic, Edinburgh, 1816, p. 51.)
nous, la fièvre typhoïde. Celle-ci n'est encore qu'une variété du typhus, qui ne diffère de la précédente par aucun caractère vraiment essentiel. En effet, on peut voir quelquefois,'chez un même individu, les lésions spéciales des plaques de Peyer et des follicules isolés de l'iléon coexister avec l'exanthème pé-téchial, et réciproquement. Ces lésions manquent chez des individus qui, pendant la vie, ont présenté tous les symptômes que l'on considère en général comme propres à caractériser la fièvre typhoïde \ Cette dernière affeclion peut, qui plus est, donner naissance, par transmission contagieuse, au typhus exanlhématique, etle typhus exanthématique peut, à son tour, transmettre la fièvre typhoïde. Enfin, s'il est vrai que l'on puisse voir l'une de ces deux formes du typhus régner, sous forme épidémique, à l'exclusion de l'autre, il est plus commun encore que le typhus fever et la fièvre typhoïde coexistent dans une même constitution épidémique, et y prédominent tour à tour. On voit, en résumé, que, pour le docteur Stokes et ses adhérents, le typhus fever et la fièvre typhoïde sont des affections consanguines. Ce ne sont pas deux maladies absolu-ment distinctes et qu'on puisse opposer l'une à l'autre sous les divers points de vue des causes, des symptômes et des lésions, comme on peut le faire, lorsqu'il s'agit de distinguer la variole des autres fièvres éruptives. Ce sont, si l'on veut, comme les points extrêmes d'une série nosographique non interrompue, que relient entre eux de nombreux intermédiai-res, où les caractères des deux affections viennent pour ainsi dire se fondre, en formant des combinaisons variées. On peut, à la rigueur, en faisant abstraction des cas de transition, par-venir à tracer des tableaux où ces formes d'une même maladie
1. « Dans notre pays (en Irlande), pendant le règne de certaines épidé-mies, nous rencontrons des cas qui se rapportent par tous leurs caractères au typhus, et cependant, dans un certain nombre de cas, on trouve l'ulcé-ration des follicules de l'intestin, tandis que, dans d'autres cas, de la même espèce, ces lésions manquent complètement. • (Stokes, loc. cit., livre VII.)
sont artificiellement représentées comme deux maladies essen-tiellement différentes; mais, c'est alors forcer la nature et méconnaître les analogies les plus légitimes.
Diverses contrées de l'Allemagne et du nord de l'Europe ont vu, dans ces derniers temps, régner simultanément, sous forme épidémique, la fièvre typhoïde et un typhus avec exan-thème pétéchial. On a pu, dans ces pays-là, étudier compara-tivement ces deux affections, et reconnaître qu'elles présen-tent habituellement, dans leurs symptômes et dans leur marche, des différences notables. On a constaté que les lésions intestinales manquent rarement dans la première, tandis qu'elles font généralement défaut dans la seconde. Mais on a vu, par contre, assure-t-on, les deux affections se présenter avec des symptômes tellement identiques, qu'elles ne pou-vaient plus être distinguées l'une de l'autre, et, ce qui serait plus important encore, on les a vues naître l'une de l'autre par voie de contagion. (Magnus Huss, Statistique et traitement du typhus et de la fièvre typhoïde, observations recueillies à l'hôpital Sépharine de Stockholm, Paris, 1855.) Aussi, est-ce une opinion assez généralement répandue en Allemagne que le typhus abdominal (notre fièvre typhoïde) et le typhus exan-thématique ne sont pas deux maladies essentiellement distinc-tes, mais bien deux formes d'une même maladie. (Voy. Roki-tansky, Handbuch der Spec. path. Anat., II band, p. 25. Wien, 1842.)
D'un autrecôlé, la doctrine qui consacre la non-identité du typhus fever et de la fièvre typhoïde compte parmi ses pro-moteurs des médecins du plus grand mérite, et elle semble chaque jour gagner du terrain, tant en France qu'en Angle-terre et en Amérique. M. Gerhard (de Philadelphie) avait déjà, en 1837, cherché à établir que le typhus fever d'Amérique, — qui paraît être en tous points identique au typhus d'Irlande, — et la fièvre typhoïde, diffèrent par des caractères anatomi-
ques et symplomatiqu.es de premier ordre, et que ce sont deux maladies bien différentes. MM. Shatluk (de Boston) et Valleix, en 1839, Stewart, en 1840, Ritchie, en 1847, s'appuyant sur des observations recueillies en Angleterre, sont venus ensuite confirmer les conclusions auxquelles était arrivé M. Gerhard. M. Guéneau de Mussy, témoin de l'épidémie de typhus fever qui a sévi en Irlande, pendant l'année 1847, a été conduit plus tard à admettre que cette maladie diffère complètement de la fièvre typhoïde, mais qu'elle ne saurait être distinguée du typhus des camps (Grisolle, loc. cit., p. 59 et 61). Tout ré-cemment, enfin, M. le docteur Jenner, dans plusieurs travaux importants, qui ont pour base des observations recueillies dans le London fever hospital, a cherché à séparer plus nette-ment encore qu'on ne l'avait fait jusqu'à lui, le typhus fever de la fièvre typhoïde. Il a rassemblé en outre (3e mémoire), un certain nombre de faits qui tendraient à faire admettre que les causes spécifiques des deux affections n'ont entre elles rien de commun, et qu'on ne voit jamais, par exemple, le typhus engendrer par contagion la fièvre typhoïde, ou réci-proquement.
Pour le moment, il est à peu près impossible, ce nous sem -ble, de prendre parti pour l'une ou pour l'autre des opinions contraires qui divisent ainsi les médecins les plus éclairés. Mais nous croyons faire remarquer que la question en litige a élé portée, dans ces derniers temps seulement, sur le terrain où elle peut être débattue avec succès, et où elle trouvera sans doute un jour une solution définitive. Dans les maladies spécifiques, lorsqu'il s'agit d'établir des distinctions nosogra-phiques, les vices anatomiques, et à plus forte raison les per-turbations fonctionnelles, ne sauraient jamais fournir que des caractères de second ordre (67. B. y.) ; c'est la cause qui con-stitue ici le caractère essentiel de la maladie. Et, par exemple, les maladies d'intoxication paludéenne (1450. B.) ne peuvent-
elles pas revêtir les formes symptomatiqu.es les plus diverses? Cependant n'ont-elles pas toutes une communauté de nature, ne sont-elles pas très probablement toutes engendrées par un même poison, ne réclament-elles pas toutes un même agent médicamenteux? pourrait-on, enfin, les isoler complètement, en nosographie, sans une violation évidente de toutes leurs affinités naturelles? Il est permis de faire des réflexions ana-logues à l'égard de la variole, de la rougeole, de la scarlatine. Chacune de ces affections peut, sous certaines influences, per-dre la physionomie qui lui est habituelle, et s'éloigner parfois du type primordial d'où elle dérive, au point de devenir pres-que méconnaissable. Songe-t-on néanmoins à considérer comme autant de maladies distinctes ces variétés presque innombrables qu'engendrent des transformations d'une même maladie, et méconnaît-on leur identité d'origine ? La considé-ration des symptômes, alors même qu'elle conduirait sûre-ment, ce qui n'est pas touioursle cas, à distinguer le typhus fever delà fièvre typhoïde, ne suffirait donc pas à elle seule pour autoriser à séparer définitivement ces deux affections. Le caractère distinctif tiré de la présence ou de l'absence des altérations de l'iléon, bien que plus décisif en apparence, n'a pas lui-même une valeur absolue, s'il est vrai, comme l'ad-mettent bon nombre d'auteurs éminents, qu'on puisse ren-contrer quelquefois la fièvre typhoïde sans exanthème (17, 29, t.), et quelquefois aussi le typhus fever avec ulcération des plaques de Peyer et des follicules isolés *. C'est donc en vain
1. Dans l'épidémie de typhus observée à Reims par M. Landouzy, la transmission contagieuse de la maladie était manifeste. La stupeur était prononcée dès le début ; toute la surface du corps était recouverte d'un exanthème pétéchial qui apparaissait le quatrième ou cinquième jour de l'invasion. Il y avait bien aussi parmi les taches pètéchiales des taches rosées qui disparaissaient sous la pression des doigts ; mais pareille chose a été observée dans la fièvre d'Irlande (1738, D). La convalescence, enlin, était, en général, prompte. Ne sont-ce pas là tous les symptômes réputés caractéristiques du typhus fever? Et cependant, dans les six nécroscopies qui ont été faites, on a trouvé six fois les lésions intestinales qu'on ren-
qu'on opposerait sans cesse, pour prouver leur non-identité de nature, ces deux affections l'une à l'autre, sous le double point de vue des symptômes et des lésions, si l'on ne parvient pas à démontrer qu'elles sont le produit de causes spécifiques essen-tiellement différentes. — Mais si l'on parvient, au contraire, à établir par des faits significatifs que l'agent spécifique du typhus n'engendre jamais la fièvre typhoïde, et vice versa , si l'on fait voir qu'une atteinte de la première de ces affections ne crée pas une immunité contre la seconde, on aura, ce nous s emble, démontré du même coup que ce sont là deux maladies distinctes, et qu'il faul, en nosographie, séparer radicalement, quelque nombreuses que soient d'ailleurs leurs analogies apparentes, tout comme on sépare la rougeole de la scarla-tine. Alors, si l'on venait à rencontrer par la suite les carac-tères anatomiques et symptomatiques propres à chacune des deux maladies réunies sur un même individu, on serait natu-rellement conduit à dire qu'il y a eu complication de deux maladies différentes, et non pas seulement complication des symptômes et des vices anatomiques particuliers à deux formes d'une même maladie.
Quoi qu'il en soit, alors même qu'on démontrerait que la fièvre continue d'Angleterre et la fièvre typhoïde reconnais-sent toutes deux une même cause spécifique, et doivent, par conséquent, être considérées comme faisant partie d'un même genre, il n'en faudrait pas moins les étudier dans deux cha-pitres distincts, à titre d'espèces ou de variétés de ce genre. Les caractères qui distinguent ces affections suffiront toujours pour motiver une pareille distinction nosographique. C'est là un point sur lequel il paraît à peine nécessaire d'insister. Le typhus fever, pour son propre compte, appartient de droit au genre typhus (1564) ; il n'est autre que la fièvre pétéchiale des
contre dans la fièvre typhoïde. (Archives générales de médecine, janvier 1842.)
SYMPTOM ATOLOG1E.
A. Prodrome. Invasion. — L'invasion du typhus fever peut s'opérer lentement, d'une manière insidieuse, et il est souvent difficile de préciser l'époque de son début; mais le plus souvent à la suite d'un prodrome qui n'a rien de particulier, ou encore après un certain temps d'incubation latente, il commence brusquement, quelquefois par un ou plusieurs frissons parfois
anciens ; c'est le typhus exanthématique ou pétéchial de quel-ques modernes. C'est donc en nosographie étiologique, dans l'article consacré à l'histoire du typhus, qu'est marquée la place qu'il doit occuper. — La description qui va être pré-sentée de ces symptômes a dû être empruntée surtout à ceux des médecins anglais qui se sont efforcés de le distinguer nettement de la fièvre typhoïde, et d'en faire une maladie à part. Nous manquons malheureusement de détails suffisants à l'égard de ces formes mixtes qui serviraient, suivant certains auteurs, de transition entre les deux maladies, dont elles fe-raient pressentir déjà l'identité dénature.
SYNONYMIE.
Autrefois fièvre pétéchiale (febris petechialis, morbus cum petechiis).
Aujourd'hui, en Angleterre : fever, petechialtyphus, macu-lated typhus; quelques auteurs appellent encore le typhus fever du nom de famine fever (fièvre de famine) ; mais celte dénomination est très impropre, car la fièvre de famine (1422) paraît mériter de constituer une maladie bien distincte. — En Allemagne : Typhus, exanthematicus, lorsque l'éruption est très prononcée ; Pneumo-Ujphus, lorsqu'il y a prédominance des symptômes bronchiques.
très violents. Dès les premiers jours, on voit ensuite apparaître, dans toute leur intensité, un certain nombre de symptômes qui caractérisent la première période de la maladie.
B. Première période. — Céphalalgie frontale plus ou moins vive, avec vertiges et tintements d'oreille ; insomnie. La pros-tration des forces est immédiatement très prononcée, et les malades sont forcés de garder le lit. En général, la fièvre est, dès le début, assez intense, mais peu résistante. La physiono-mie exprime la stupeur; la face semble recouverte d'une teinte vineuse : les conjonctives sont vivement injectées. La perturbation des fonctions intellectuelles s'annonce d'abord par un certain degré d'embarras, de confusion dans les idées, puis il y a de la somnolence ; la lyphomanie se prononce en-lin beaucoup plus promptement, en général, que cela n'a lieu dans la fièvre typhoïde. La langue se dessèche rapidement et se couvre d'un enduit noirâtre.
Pendant ce temps, les symptômes abdominaux sont à peine accusés, ou môme tout à fait nuls. Le ventre est souple, indo-lent ; il n'y a pas de météorisme, pas de gargouillement ilia-que, pas de diarrhée, à moins qu'elle ne soit provoquée par l'administration d'un purgatif. Il peut arriver que les signes de bronchite latente, qu'on rencontre si souvent dès le début même de la fièvre typhoïde et qui ne contribuent pas peu à faire reconnaître cette dernière maladie pendant le cours de sa première période, fassent ici complètement défaut ; mais il est loin d'en être toujours ainsi, et, dans ces dernières années par exemple, le typhus fever d'Irlande s'est montré, dans la plupart des cas, accompagné dès les premiers jours de symp-tômes bronchiques des plus manifestes (Stokes).
On pourrait en dire autant des épistaxis du début; lors de certaines épidémies, elles ont manqué presque toujours ; d'autres fois, au contraire, on les a observées assez commune-
ment. Un exanthème sut generis, bien plus expéditif que ne l'est l'exanthème papuleux de la lésion typhoïde, apparaît habituellement du quatrième au cinquième jour, quelquefois plus tôt, rarement plus tard. Il constitue, suivant les auteurs, un signe diagnostique de la plus haute importance ; il sera plus bas l'objet d'une étude toute particulière (D.) Il peut arriver, principalement en temps d'épidémie, que la mort sur-vienne dans le cours ou dès le commencement de cette pre-mière période, avant même que l'éruption se soit manifestée. Lorsque le cas est aussi grave, à la suite du frisson initial, pa-raissent les symptômes suivants ; la face est pâle ou livide ; les extrémités sont froides ; la respiration est difficile, irrégu-lière; il y aune anxiété extrême, l'abattement des forces est portée son comble; le pouls est fréquent, petit, serré, inégal ; bientôt il devient formicant, presque insensible, et le malade meurt, sans qu'il se soit présenté aucun indice de réaction.
C. Deuxième période. — a. Apparition de quelques symp-tômes nouveaux, et aggravation de la plupart de ceux qui constituent la première période. Vers le commencement du deuxième septénaire, la céphalalgie s'amende, en général ; mais, en revanche, du dixième au douzième jour (Jenner), la stupeur et la typhomanie se prononcent de plus en plus. La somnolence se change parfois en un coma profond, ou, au contraire (mais ce dernier cas est beaucoup plus rare), le sub-delirium fait place à un délire des plus violents. Surdité; on l'observe ici à peu près aussi souvent que dans la fièvre typhoïde. La prostration des forces est portée à l'extrême ; il y a des soubresauts des tendons et des tremblements des mem-bres ; rétention ou écoulement involontaire des urines. La langue est recouverte d'un enduit d'une coloration très foncée, et paraît comme grillée. — Vers la fin de cette période, il est assez commun d'observer du météorisme et une diarrhée plus
ou moins abondante. Le docteur Jenner a noté l'entéro-hémor-ragie, chez un tiers des malades atteints de fièvre typhoïde, jamais il n'a vu survenir ce grave épiphénomène dans les cas de typhus fever.
g. Les vaisseaux de la conjonctive sont fortement injectés: les pupilles très resserrées. La face présente une coloration livide; il survient quelquefois des épislaxis. Les taches de l'éruption prennent d'abord une teinte violette, puis elles de-viennent presque noires, principalement sur les parties les plus déclives du corps, qui paraissent, en outre, uniformément congestionnées. — En même temps, le pouls est devenu faible, misérable; quelquefois il est très fréquent; d'autres fois, au contraire, il est lent, plus lent même qu'à l'état normal. Le cœur a une impulsion peu énergique, et qui souvent même n'est plus perceptible ; ses bruits ressemblent à ceux d'un fœtus (Stokes). On observe des tendances à la syncope; la tem-pérature des extrémités s'abaisse. —Des escharres se forment, surtout à la région sacro-coccygienne, tout comme dans la fièvre typhoïde (Jenner). On les a vues se produire à l'occiput, aux talons, à la région trochantérienne, à la région des omo-plates, aux parties du dos qui correspondent aux angles des côtes, etc. Si pendant le cours de la première période, l'exa-men de la poitrine a permis de constater l'existence de râles ronflants et sibilants, ils sont remplacés dans la seconde par des râles sous-crépitants etmuqueux; puis, le murmure respi-ratoire s'affaiblit de plus en plus dans les régions qui corres-pondent aux parties les plus déclives des deux poumons, et la percussion fait reconnaître alors qu'il y a dans ces mêmes régions une obscurité du son parfois très marquée. Tous ces symptômes (lividité des téguments, de l'éruption, faiblesse du cœur, splénisation pulmonaire, etc.), sont considérés par les docteurs Stokes et Corrigan, comme placés en grande par-
tie sous la dépendance d'une perturbation profonde survenue dans les fonctions du système circulatoire, et, en particulier, du système des vaisseaux capillaires. Ils s'aggravent encore lors-que la terminaison doit être fatale; et alors que les mouve-ments respiratoires sont devenus de plus en plus lents, les battements du pouls de plus en plus faibles, la mort survient, ordinairement, du douzième au vingtième jour, tantôt pro-gressivement, au milieu d'un coma profond, d'autres fois d'une manière plus ou moins rapide, à la suite de convulsions générales ou.partielles, ou encore d'une syncope.
y. Si la maladie doit, au contraire, se terminer par la guéri-son, l'amélioration se dessine souvent tout à coup. Le malade tombe dans un sommeil profond et tranquille, bien différent du coma, et qui peut durer sans interruption pendant vingt-quatre heures et même plus. A son réveil, le délire a cessé, la teinte livide de la face et l'injection des conjonctives ont dis-paru; les taches de l'exanthème ont pâli, le pouls est devenu moins fréquent et plus résistant; la peau plus douce au tou-cher; la langue est humide sur les bords, bientôt elle se dé-pouille complètement de ses conduits; l'appétit renaît, et le malade regagne rapidement ses forces (Jenner). — L'appari-tion des phénomènes critiques, tels que sueurs profuses, urines abondantes, selles diarrhéiques survenues brusquement, est souvent aussi le signal d'une prompte et heureuse terminaison de la maladie (Gorrigan).
D. De 1 exanthème du typhus fever en particulier (Stewart, Jenner). — Les taches (distinct spots) qui composent cette éruption apparaissent, ainsi que nous l'avons dit, du quatrième au huitième jour. Elles se développent toutes, ou à peu près toutes, dans l'espace de deux ou trois jours, après quoi, il ne s'en forme plus de nouvelles. Il en est qui ne sont pas plus
larges qu'une tête d'épingle, il en est d'autres qui atteignent le diamètre d'un petit pois; elles sont en général nombreu-ses, et recouvrent parfois toute la surface du tronc, de manière à simuler assez exactement l'éruption morbilleuse. On ne les voit cependant presque jamais siéger à la face, et c'est sur les parties les plus déclives du corps qu'elles sont les plus con-fluentes. Il est, par contre, des cas où elles sont en très petit nombre, il en est même où elles font complètement défaut. Ces taches persistent habituellement jusqu'à la terminaison de la maladie; mais elles éprouvent des transformations successi-ves qu'il est important d'étudier, et sur lesquelles les docteurs Stewart et Jenner ont appelé l'attention. — Première phase : Les taches de l'éruption ont d'abord une coloration d'un rose sombre : elles sont très légèrement élevées au-dessus du ni-veau de la peau; elles s'effacent complètement sous la pression du doigt, pour reprendre leurs caractères primitifs aussitôt que la pression cesse. — Deuxième phase {dark, livid, semi-petechial or pseudo-pelechial éruption) : Deux ou trois jours après leur apparition, les taches prennent une coloration plus foncée, livide ; elles pâlissent un peu, mais ne disparaissent plus complètement sous la pression du doigt; elles ne font plus du tout saillie au-dessus du niveau de la peau. Les taches livides peuvent reprendre spontanément leur coloration rouge primitive, pâlir ensuite, puis enfin disparaître sans lais-ser de traces. — Troisième phase (petechial éruption) : Les taches, celles-là principalement qui occupent le pli du coude, la région de l'aine, le dos, éprouvent encore une transforma-tion nouvelle. Elles acquièrent, dans leur partie centrale seu-lement ou bien dans leur étendue, une coloration d'un pour-pre foncé. Elles ne sont plus du tout modifiées par la pression même la plus énergique; elles acquièrent un contour bien limité. Ce sont, en un mot, de véritables pétéchies. MM. Ste-wart et Jenner, qui ont étudié avec tant de soin les taches
péléchiales, ne nous disent pas si, avant de disparaître, elles passent préalablement au jaune. Mais il est probable qu'il n'en est rien, puisque le premier de ces auteurs affirme que le vé-ritable purpura et les vibices se rencontrent très rarement dans le typhus fever. Outre les taches qui viennent d'être dé-crites, M. Jenner en signale d'autres plus pâles, imparfaite-ment dessinées, et se confondant souvent les unes avec les au-tres; on les dirait situées profondément sous l'épiderme (subcuticular rash). L'éruption composée de ces deux espèces de taches donne à la peau un aspect tigré ; elle a été désignée par M. Jenner sous le nom de mulbemj rash (éruption mûrico-lore). Il semblerait, en effet, alors, que le corps des malades a été frotté avec du jus de mûres.
Si l'on compare maintenant les taches de l'exanthème pro-pre au typhus fever avec les taches lenticulaires rosées de la fièvre typhoïde, on remarquera que celles-ci diffèrent de celles-là principalement par les caractères suivants : Les taches lenticulaires de la fièvre typhoïde sont en général en petit nombre ; elles apparaissent du huitième au douzième jour, quelquefois plus tard. Elles sont très distantes les unes des autres, et répandues sur le devant de la poitrine et sur le ven-tre, ainsi qu'au dos et aux lombes ; on les observe rarement sur les bras et les cuisses. Elles sont d'une belle couleur rose, arrondies ; elles sont, pendant tout le temps de leur durée, lé-gèrement élevées au-dessus du niveau de la peau. Elles dispa-raissent toujours sous la pression du doigt, et ne se changent jamais en taches pétéchiales ; elles apparaissent par poussées successives. Chaque tache persiste pendant trois jours environ, puis elle disparaît sans laisser de traces; pendant ce temps, de nouvelles taches continuent à paraître tous les jours ou tous les deux jours, jusqu'à la fin de la maladie (Jenner). — Quoi qu'il en soit, on voit qu'il est assez difficile de distinguer les taches du typhus fever, lorsqu'elles n'ont pas subi la transfor-
mation pétéchiale, d'avec les taches lenticulaires rosées de la fièvre typhoïde. C'est pour cela, peut-être, que quelques au-teurs (W. Sargent, Amer. Journ. of med. sciences, nouv. sé-rie, XIV, 532) ont signalé l'existence assez fréquente de taches lenticulaires rosées, en tout semblables à celles qui caractéri-sent cette dernière maladie, parmi les pétéchies de l'exan-thème typhique.
Des sudamina apparaissent fréquemment, pendant le cours de la deuxième période.
E. Durée de la maladie, convalescence. — En temps d'épi-démie, la marche du typhus fever peut être, ainsi que nous l'avons dit (B.), extrêmement rapide, et le malade peut suc-comber pendant le cours de la première période. En temps or-dinaire, la durée moyenne de la maladie, dans les cas où elle se termine par la mort, est, suivant le docteur Jenner, de qua-torze jours environ. Mais, sous ce rapport, il n'y a rien d'ab-solu, et l'on voit quelquefois la maladie, s'éloignant du type que nous avons pris pour point de départ de notre description, affecter une marche lente et insidieuse, qui rappelle l'allure habituelle de la fièvre typhoïde. Il arrive souvent alors, con-trairement à ce que nous avons vu dans les cas à marche ra-pide, que la convalescence traîne en longueur et dure plu-sieurs semaines ou plusieurs mois. — Parmi les affections deutéropathiques et consécutives, les escharres d'une grande étendue, les parotides, la lymphangite avec production d'ab-cès multiples, et l'œdème douloureux des membres inférieurs, peuvent parfois retarder de beaucoup l'époque de la guéri-son définitive (Corrigan).
DIAGNOSTIC.
Nous avons eu soin de faire ressortir, à l'article Stjmptoma-
tologie, les traits de ressemblance vraiment frappants qui existent entre le typhus fever et la fièvre typhoïde. Indiquons actuellement les caractères à l'aide desquels on pourrait dis-tinguer ces deux maladies. — Dans le typhus fever, l'inva-sion se fait brusquement. La plupart des symptômes (symp-tômes fébriles, prostration des forces, stupeur, typhomanie, etc.), se dessinent rapidement, et acquièrent, dès la première période, une grande intensité. — Nous avons dit, pour n'y plus revenir, en quoi l'éruption du typhus fever diffère de l'exanthème papuleux de la fièvre typhoïde (D. y.). — Les symptômes entéritiques, tels que l'endolorissement, le gar-gouillement de la fosse iliaque droite, qui caractérisent la fièvre typhoïde dans sa période d'augment, n'appartiennent pas au typhus fever. Le météorisme et la diarrhée s'y montrent quelquefois, mais seulement vers la fin de la maladie. — Dans le typhus fever, il arrive assez souvent que les épistaxis du début et les symptômes de bronchite latente fassent com-plètement défaut. La terminaison heureuse a lieu souvent brusquement; elle s'annonce par des phénomènes critiques (Corrigan). La convalescence est rapide. La durée totale de la maladie est moins longue que celle de la fièvre typhoïde. Tels sont les principaux caractères à l'aide desquels on pourra dif-férencier les deux affections, qui pendant longtemps ont été réunies par les auteurs anglais sous le nom de continue d fever. Il faut bien reconnaître toutefois que ces caractères distinctifs n'ont pas une valeur absolue, et que, de l'aveu des praticiens expérimentés de la Grande-Bretagne, il est parfois matérielle-ment impossible de distinguer le typhus fever de la fièvre typhoïde.
PRONOSTIC
En général, la mortalité varie beaucoup suivant les épidé-
Charcot. Œuvres complètes, t. vin, Maladies infectieuses. 5
nécroscop1e.
Vexanthème intestinal, qui forme le principal et le meilleur des caractères anatomiques de la fièvre typhoïde, manque constamment^ au dire de quelques auteurs (Stewart, Jenner), dans le typhus fever; d'autres (Stokes) affirment, au con-traire, qu'on rencontre quelquefois des cas où tous les symp-tômes se rapportent à cette maladie, et où l'on trouve cepen-dant les follicules isolés et les follicules agminés de l'iléon tu-méfiés et ulcérés. C'est là un sujet qui réclame encore, ce nous semble, de nombreuses et consciencieuses recherches. Quoi qu'il en soit, il est bien établi aujourd'hui que la membrane muqueuse gastro-intestinale est complètement exempte d'al-térations, ou tout au plus légèrement congestionnée et ra-mollie par places, chez la majeure partie des individus qui
mies. La maladie se montre souvent beaucoup plus bénigne chez les enfants que chez les adultes, et surtout chez les vieil-lards (Guéneau de Mussy). Parmi les signes défavorables, les auteurs signalent en première ligne les suivants : 1° la fai-blesse extrême du pouls et de l'impulsion du cœur, avec abaissement notable de la température des extrémités ; 2° l'in-jection très marquée des conjonctives, une teinte violacée ré-pandue sur les parties les plus déclives du tronc et sur les ex-trémités des membres ; l'abondance et la coloration foncée des taches de l'exanthème (Stewart, Corrigan) ; c'est, d'ailleurs, en général chez les sujets pauvres et affaiblis parles privations de nourriture que ces derniers symptômes sont surtout extrê-mement prononcés (O'Reardon, Médical report on the fever hospital, Cork-Street. Dublin, 1840, p. 6); 3° les évacuations involontaires ; 4° le délire violent, ou au contraire le coma pro-fond; 5° les symptômes qui se rapportent à la splénisation des poumons (consolidation of the limgs).
succombent au typhus fever. Les ganglions mésentériques sont quelquefois volumineux, très volumineux même, bien que la muqueuse intestinale soit parfaitement intacte (Stewart). La rate présente habituellement une augmentation de volume et un ramollissement plus ou moins prononcé. Les sujets âgés de plus de cinquante ans paraissent seuls faire exception à cette règle (Jenner). La splénisation lobulaire ou lobaire des poumons (consolidation of the lung), avec rougeur et parfois ramollissement de la membrane muqueuse bronchique, a été dans ces derniers temps souvent observée, et bien étudiée par les médecins irlandais (Stokes). Vhépatisationpulmonaire granuleuse a été au contraire très rarement rencontrée par les mêmes auteurs. Le tissu musculaire du cœur est en géné-ral flasque et ramolli à un haut degré (Stokes, Jenner). Vhé-morrhagie dans la cavité de ïarachnoïde a été constatée par le docteur Jenner, chez un huitième des sujets. La rigidité cadavérique paraît être ici plus hâtive et disparaît plus rapide-ment que dans les cas de fièvre typhoïde (Jenner). La peau du tronc et des extrémités, surtout aux parties déclives, est parsemée de taches violacées, derniers vestiges de l'exanthème pétécfiial.
HÉMATOLOGIE.
Le sang de six malades atteints de typhus fever a été, en 1847, soumis à l'analyse par M. Rodier. La densité de ce li-quide était normale ; la quantité de fibrine était normale, ou elle occupait les limites inférieures de l'état physiologique, ou enfin elle était diminuée (Becquerel et Rodier) Traité de chimie pathologique, p. 128, 1854). Le sang, extrait par la saignée, au début de la maladie, ne présente pas de couenne ; les saignées faites à une période avancée présentent en géné-ral un caillot foncé en couleur, mou, diffluent.
ÉTIOLOG1E.
a. L'encombrement, la misère, les privations de nourriture ou l'usage prolongé d'aliments de mauvaise qualité, la dépres-sion morale, sont autant de conditions qui existent à peu près constamment, et souvent à un haut degré, dans toute l'éten-due de l'Irlande et dans certaines contrées de l'Ecosse et de l'Angleterre. Elles peuvent sans doute rendre compte du déve-loppement primitif du typhus qui régnent dans ces pays-là ha-bituellement sous forme sporadique, mais qui s'y montrent souvent aussi sous forme d'épidémies meurtrières.
g. La plupart des médecins de la Grande-Bretagne s'accor-dent à reconnaître la transmission contagieuse du typhus fever comme un fait des mieux démontrés.
y. Le typhus fever attaque à peu près indistinctement tous les âges ; on l'observe fréquemment chez les vieillards. Dans le tiers des cas de typhus fever, qui servent de base au doc-leur Jenner, les individus atteints étaient âgés déplus de cin-quante ans.
S. Le typhus fever ne se montre pas deux fois chez un même individu (Jenner). Suivant le docteur Ritchie, on voit assez souvent la fièvre typhoïde se développer avec tout l'ensemble des caractères qui lui sont propres, chez des sujets convales-cents du typhus fever, et réciproquement le typhus fever le mieux dessiné attaquer des individus qui ont présenté récem-ment tous les symptômes de la fièvre typhoïde. M. Stokes dit avoir rencontré fréquemment des cas du même genre. Suivant le docteur Stokes, la même cause spécifique produit à peu près indifféremment, tantôt le typhus fever, tantôt la fièvre
TOPOGRAPHIE MÉDICALE.
Le typhus fever est répandu dans toute la Grande-Bretagne, mais c'est surtout en Ecosse et en Irlande qu'il exerce le plus de ravages. Il y est endémique, et y règne conjointement avec la fièvre typhoïde. On peut se faire une idée de la proportion dans laquelle se montrent habituellement ces deux affections dans les diverses parties de l'Angleterre, si l'on consulte celles des relations d'épidémies de fièvre continue qui sont accom-pagnées de détails nécroscopiques. Bans les épidémies de Du-blin de 1836-37 et \ 847-48, les lésions de l'entérite follicu-leuse ont été rarement rencontrées (A. Kennedy, (Médical re-port on the fever hospital, Cork-Street, Dublin, et Dublin Quaterly Journ. of med. science, 1849, p. 64). Elles existaient au contraire assez fréquemment dans l'épidémie de 1818 et dans celle de 1825 (Stokes). A Edimbourg, de 132 sujets morts de fièvre continue, et dont l'autopsie a été faite par le docteur Reid, 8 seulement présentaient ces lésions. Pendant l'épidé-mie de 1846-47, elles ont été rencontrées dans 19 cas sur63, par le docteur Bennet (Monthly Journal of medic. and surgic. science. Edinburg, 1848, t. VIII, p. 295). A Londres, la pro-portion des cas où l'autopsie démontre l'existence des lésions des plaques de Peyer et des follicules isolés de l'intestin, est habituellement plus considérable : elle est de 1/3 environ, d'après le docteur Davidson ; d'après le même auteur, elle est
typhoïde. Le docleur Jenner a recueilli un certain nombre de faits qui tendraient, au contraire, à démontrer que la con-tagion du typhus fever n'engendre jamais la fièvre typhoïde, et réciproquement. Quoi qu'il en soit, les études entreprises dans le but de savoir si ces deux affections sont ou ne sont pas le produit d'une même cause spécifique, ne paraissent avoir donné jusqu'à ce jour que des résultats peu décisifs.
de 1/4 seulement à Glascow ; àDublin, elle est plus faible en-core. Le typhus fever règne aussi fort souvent, sous forme de maladie populaire, dans le nord de l'Amérique, où il paraît être fréquemment importé par les émigrants irlandais (Gerhard, toc. cit. — Upham, Records of maculated typhus, or ship fever. New-York, 4852. — Flint, loc. cit. (1731 F.). Dans ces dernières années, diverses contrées de l'Europe, la Silésie, la Bohême, la Suède, certaines parties de l'Italie, de la France et de la Belgique, ont été le théâtre d'épidémies de typhus plus ou moins meurtrières. Partout la maladie s'est présentée avec des caractères qui permettent, ce nous semble, de l'assi-miler complètement au typhus fever des anglais. L'exanthème pétéchial était presque toujours des mieux marqués, et il pas-sait par les diverses phases que nous avons indiquées (p. 61.). Les symptômes abdominaux et les lésions spéciales de l'iléon et des glandes mésentériques manquaient dans la grande ma-jorité des cas. La rate était habituellement volumineuse et ra-mollie. La maladie affectait souvent une marche relativement rapide; elle était transmissiblepar contagion (Finger, Prager viertelj'ahr., Bd. 23, p. 30. Relation d'une épidémie de ty-phus observée dans l'hôpital de Prague pendant les années 1846, 1847 et 1848. —Virchow, Archiv. fùrpatholog. Anat., t. II, 1849. Épidémie de Silésie. — Lasègue, Le typhus en Si-lésie m Archiv. gén. de méd., t. XXIII, p. 301, 4850. — Ma-gnus Huss, ouv. cit., 1736. — F. del Gindice, Statistica me-dica deUospedale di S. Maria délia Pace, per fanno 1852, in Filiatro Sebezio, fascic. 278. Napoli, 1854. — Ch. Schûtzen-berger, Compte rendu de la clinique médicale, etc., in Gazette médicale de Strasbourg, n° 6, p. 191, 1855).
NOTE HISTORIQUE.
Il semble donc que le typhus fever n'est pas une maladie ex-clusivement propre à la Grande-Bretagne ou à l'Amérique du
nord. Ce n'est probablement pas non plus une maladie mo-derne; son histoire ne peut être qu'un fragment détaché de l'histoire générale des typhus (1567). L'appareil symptomati-que qui le distingue se retrouve en entier dans les descriptions quelesépidémiographes des XVIe, XVIIe et XVIII8 siècles nous ont laissés de la fièvre pétéchiale (febris petechialis, morbus cam petechiis, etc.). (Frascator, De morb. contag., lib. II, cap. VI, 1546). — CF. Lœw, De febr. petechiali, anni 1683, etc., in Sydenham, Opéra omnia, t. II, p. 282. — C. Slrack, Obs. med. de morbo cumpetechiis. Carlsruhe, 1746. — M. Sar-cone, Histoire raisonnée des maladies observées à Naples, traduct. par Belloy. Paris 1805, t. II, etc.). Les fièvres pété-chiales observées à Plymouth, par Huxham, principalement pendant les années 1735, 1740, 1741, 1742, 1745, et qui se développaient primitivement sur les pontons, pour delà se ré-pandre dans la ville, doivent, sans doute, en particulier être rat-tachées au typhus fever (Huxham, Observ. de aere et morbis épidémie, in Opéra physico-meclica. Leipsick, 1754). — Des épidémies de typhus qui ont ravagé l'Irlande durant le dernier siècle et le nôtre, les plus célèbres sont celles qui ont régné pendantles années 1725,1731, 1740, 1815, 1818 (Cheyne, Dublin hospital reports, t. I et II, 1825-36,1836-37, 1846-47 ; Report upon the récent épidémie fever in Iréland, in Dublin Quaterly Journal, 1849). Ces épidémies ont sévi habituelle-ment dans les temps de grande disette. La dysenterie, les af-fections scorbutiques, la fièvre à rechute (relapsing fever), sont les maladies qui les ont le plus souvent précédées, accompa-gnées ou suivies. Suivant le docteur Stokes, les ulcérations de l'iléon ont été rencontrées plus fréquemment dans les épidé-mies de 1815-18 et 1826-27 qu'elles ne l'ont été dans les épi-démies subséquentes. Aujourd'hui, suivant le même auteur, c'est habituellement sous forme de pneumo-typhus, que se montre la fièvre continue d'Irlande.
THÉRAPEUTIQUE.
Relativement à la prophylactique : voir, en thérapeutique générale, les indications fournies par les dangers de la conta-gion (112. E.), et dans l'article Typhus (1571), le paragraphe consacré à la thérapeutique de cette affection. Nous avons dit, lorsque nous avons parlé du traitement de la fièvre typhoïde (p. 36.), d'après quelles règles les chefs actuels de l'école de Dublin (Stokes, Corrigan), administraient les toniques et les excitants, dans les cas de typhus fever. Les saignées locales (sangsues derrière les oreilles) peuvent être utiles ici, quand il y a insomnie et délire actif; mais les saignées trouvent très rarement leur application, même au début de la maladie (Cor-rigan). Les purgatifs sont rarement usités dans le typhus fever par les médecins irlandais, au moins comme méthode géné raie de traitement *.
1. Cet article est extrait du tome IV des Eléments de Pathologie médicale de Requin, paru en 1863. — Nous rappelons que dans les différents articles extraits du même ouvrage les nombres entre parenthèse renvoient au même ouvrage.
VII.
L'épidémie de Saint-Pétersbourg-1.
La lumière commence à se faire parmi nous, au sujet de la maladie qui règne actuellement à Saint-Pétersbourg. Les jour-naux politiques ne nous avaient transmis, tout d'abord, que des dires fort contradictoires ; depuis quelques jours, ils nous four-nissent des renseignements moins imparfaits et en général concordants, du moins sur les points essentiels (voy. le Jour-nal des Débats des 7, 8 et 10 avril). Mais, ce qui est plus im-portant, nous recevons par la voie de la presse médicale allemande des documents vraiment scientifiques, et qui nous paraissent de nature à dissiper les doutes concernant le véri-table caractère de la maladie dont il s'agit. Il est permis de reconnaître aujourd'hui que cette maladie n'est pas la peste, ainsi que le bruit en avait couru; elle n'est pas non plus, comme on l'avait dit encore, le typhus exanthématique {ty-phus fever) ; c'est une espèce morbide distincte, ne relevant que d'elle-même, qui naguère a régné épidémiquement en diverses contrées de l'Europe, en Irlande surtout, ainsi qu'en Ecosse, et que les auteurs anglais ont les premiers étudiée et décrite sous le nom de fièvre à rechute {relapsing fever 2).
1. Gaz. hebd., 1865, p. 225.
2. La fièvre à rechute {relapsing fever) a été aussi désignée quelquefois sous le nom de five days fever, seven days fever (fièvre de cinq jours, fièvre de sept jours), mild yellow fever (fièvre jaune bénigne). Elle paraît avoir été
Dans un article communiqué au Berliner klinische Wo-chenschrift, et publié le 26 décembre 1864, M. le professeur Botkin s'était rattaché déjà à cette interprétation de l'épidémie russe 1 ; mais, en raison de leur petit nombre, les observations sur lesquelles il s'appuyait ne pouvaient pas prétendre à fixer l'opinion d'une manière définitive. Depuis lors,les faits se sont singulièrement multipliés de toutes parts. Aussi un médecin attaché à l'un des hôpitaux de Saint-Pétersbourg, M. le docteur Herrmann, a-t-il pu donner dernièrement une description de la fièvre récurrente fondée sur la comparaison de plus de 700 cas 2, et conforme, d'ailleurs, à celle que le professeur Botkin avait produite avant lui.
La relation du docteur Herrmann est, du moins à notre connaissance, le document le plus complet que nous possé-dions, quant à présent, sur l'épidémie de Saint-Pétersbourg; à ce titre, elle nous a paru digne d'être signalée à l'attention des lecteurs de la Gazette hebdomadaire. Nous la reprodui-sons, d'après l'abrégé qui en a été donné par le docteur Leyden dans le Centralblatt fur die medicinischen Wissenschaftev (numéro du 25 mars 1865), l'article original n'étant pas par-venu jusqu'à nous s.
remarquée pour la première fois à Dublin, lors d'une épidémie qui a sévi clans cette ville, en 1739. En 1817 et 1818, elle a régné à Edimbourg, où elle a été décrite par Welsh et Christison. Elle y a reparu ensuite, en 1842 et 1843, et c'est surtout à l'étude qui en a été faite à cette époque, par Macken-zie, Cormack, Craigie et autres, qu'elle doit avoir pris rang clans les cadres nosologiques. Elle s'est montrée à Londres, en 1847, où elle a été soigneu-sement observée et décrite par le docteur Jenner, qui s'est efforcé de la distinguer du typhus fève)' et de la fièvre typhoïde, avec lesquels elle règne de concert (voy. l'art, consacré à l'histoire de cette affection, dans le British and Foreign Medico-chirurgical-Review, (juillet 1801 ). On doit à 51. Tholozan qui l'a observée en Crimée, lors du siège de Sébastopol, une étude intéres-sante sur cette fièvre.
1. Vorlœuftge Mitlheilung ùber die Epidémie der febris recurrens in Peters-burg [Berlin, klinische Wochenschrift, 18*4, n° 53).
2. F. Herrmann.— Die Febris recurrens in St-Pctersburg ; Beobachtungen aus dem Obuchoff'schen Hospitale (Petersburger med. Zeitschrift, 186ï, 1-1-29), travail analysé dans Centralblatt fur medic. Wissenschaften, 24 Mœrz 1863, n° 14.
3. Voici, quant à plus de détails, ce qu'on peut extraire de télégrammes
La fièvre à rechute simple ou de forme bilieuse s'est mon-trée à Saint-Pétersbourg, pour la première fois, pendant l'été de 1864. Les premières observations qui ont été recueillies par M. Herrman,à l'hôpital d'Obuchoff, datent du mois d'août 1864; depuis cette époque, les faits analogues se sont multipliés de toutes parts. La maladie mérite d'autant plus de fixer l'atten-tion des médecins, que, dans sa forme bilieuse, c'est une affection grave et qui fait de nombreuses victimes.
Considérée dans son type d'entier développement, elle est constituée par une série de deux, plus rarement de trois accès fébriles, séparés par une période de rémission très accusée. Le moment où se termine chaque accès est marqué par un brus-que apaisement du mouvement fébrile. Les localisations les plus constantes se font sur la rate qui acquiert des dimensions parfois considérables et sur l'appareil biliaire.
L'invasion est brusque ; elle s'annonce tantôt par un frisson violent qui peut se répéter une deuxième fois, tantôt, et plus souvent, par des frissons erratiques. La céphalalgie, une soif vive, l'anorexie, des vomissements, une prostration plus ou moins profonde se déclarent ensuite. A ces symptômes, il se joint tantôt de la diarrhée, tantôt de la constipation. Un senti-envoyés de Russie aux journaux de France, d'Angleterre et d'Allemagne : d'un rapport adressé au gouvernement anglais par son ambassadeur an-glais à St-Pétersbourg ; d'informations parvenues au gouvernement français et de communications diverses. — L'état sanitaire de Saint-Pétersbourg ne serait pas, en somme, beaucoup plus fâcheux que les autres années à la même époque. Le 15 mars 1864, il y avait dans les hôpitaux 2744 malades; le 15 mars 1865, il y en avait 3812. La mortalité générale s'est élevée un jour à 118 ; mais généralement elle a été de 70 à 80. Quant à la mortalité par fièvre récurrente spécialement, elle a été, dans les hôpitaux, de -25 à 30 par jour ; c'est à peu près R0 pour 100. On fait remonter le début de l'épi-démie, les uns au mois d'août 1864, les autres au mois de novembre. — M. Yworling, médecin du gouvernement à Perm, assure qu'il a vu 40 cas de la maladie épidémique qu'il rapproche d'une affection observée par lui en Amérique, en 1857 et 1858. En Pologne, l'épidémie se serait bornée à quel-ques cas de typhus à Kolo. Nulle part on n'a observé la peste dite de Sibérie, avec bubons. Enfin, lord Napier annonce de Berlin, en date du 5 avril, qu'une maladie inconnue a paru dans la vallée de la Vistulc, et surtout à Elbing. H n'est pas à la connaissance du gouvernement prussien que cette maladie vienne de Saint-Pétersbourg.
ment de brisement des membres, des douleurs musculaires ou articulaires simulant celles du rhumatisme, se manifestent parfois, dès celte période, et persistent ensuite, pendant toutp la durée du cours de la maladie.
Au bout d'environ vingt-quatre heures apparaissent les symptômes de la maladie constituée. La face est rouge, la physionomie s'altère ; fréquemment il se manifeste, dès le troi-sième ou le quatrième jour, une légère teinte iclérique.Cépha-lalgie gravative ; la peau est chaude et sèche ; quelquefois cependant, on observe une certaine tendance à la moiteur. La température s'élève à 39, 40 ou même 41 degrés centigrades, et l'on compte de 20 à 12 inspirations à la minute. Fréquem-ment il y a du météorisme ; le foie est légèrement tuméfié, et à peu près constamment le volume de la rate s'accroît. Soif vive, anorexie complète ; selles habituellement molles, abon-dantes, et d'une coloration jaune clair. L'urine rare présente une réaction fortement acide et contient, de temps à autre, des traces d'albumine ; son poids spécifique est de 1,016, 1,024: dans les rémissions, il descend à 1,007, 1,009. Les douleurs musculaires persistent sans discontinuer ; il y a un sentiment de prostration profonde et une sorte d'apathie. Le pouls, dès le premier jour, bat de 100 à 120 fois par minute, plus tard, il donne jusqu'à 100 ou même 140 pulsations. Jactitation, in-somnie et quelquefois délire. Cet état dure sept jours en moyenne (quatre jours au moins, dix au plus); puis, au mo-ment où tous les symptômes paraissent avoir atteint leur plus grande violence, ils s'amendent ou même disparaissent tout à coup, le plus souvent à la suite de sueurs copieuses ; après quoi survient un sentiment de bien-être. Le malade, faible encore et anémique, paraît cependant entrer en convalescence. Mais ce n'est là toutefois qu'un temps d'arrêt, du moins le plus souvent ; car, en règle générale, de quatre à dix jours après la cessation de ce qu'on pourrait appeler le premier
accès, il survient tout à coup, et sans cause apparente, une rechute dans laquelle tous les symptômes caractéristiques se montrent de nouveau, mais généralement avec une intensité moindre. Ces deux accès constituent habituellement toute la maladie ; on a vu cependant les rechutes se produire une seconde et même une troisième fois.
Dans les cas les plus graves, la mort peut avoir lieu dans le premier accès. Une prostration profonde, l'état hydrémique, l'hydropisie générale, le délire suivi de coma, tels sont les symptômes qui annoncent la terminaison fatale. Les convul-sions n'ont été observées que dans un seul cas.
Telle est la forme simple de la fièvre à rechute ; la forme bilieuse (febris recurrem biliosa, biliôse typhoid) en diffère seulement par la prédominance des symptômes hépatiques. Dès l'origine, on observe des vomissements bilieux presque incessants, l'ictère est plus prononcé; il s'y joint de bonne heure des accidents cérébraux ; un état de collapsus, en môme temps que des hémorragies s'opèrent par diverses voies, et ainsi se trouve reproduit le tableau symptomatique de l'ictère grave. Le pronostic, en pareil cas, est des plus sérieux, mais il ne faut encore désespérer de rien; alors même que le coma persiste depuis plusieurs jours, on peut voir, sous l'influence des moyens irritants, et surtout des affusions froides, la gué-rison survenir. Les cas les plus graves sont ceux dans lesquels le malade rend des selles liquides, noirâtres, et vomit une ma. tière noire, semblable à du marc de café ou du sang moins altéré. La teinte ictérique est alors poussée à l'extrême; le coma et l'état de collapsus (algidité, cyanose des extrémités) sont aussi prononcés que possible, et la terminaison fatale a lieu, 'en général, du dixième au douzième jour de la maladie. Dans la forme bilieuse, l'étude méthodique des symptômes fébriles a donné des résultais qui méritent d'être signalés.
Après la période prodromique, qui, en général, est de courte durée, la température s'élève à 40, 41, ou même 42 degrés centigrades ; dans la matinée, on observe habituellement une rémission marquée par un abaissement d'un demi-degré à 1 degré centigrade. Pendant les intermissions, la tempéra-ture reprend le niveau normal ou même descend plus bas. Le pouls, durant l'accès, oscille entre 100 et 160; dans les inter-missions, il donne seulement de 45 à 72 battements à la mi-nute ; il est presque toujours petit, et sa fréquence s'accroît, sous l'influence des moindres excitations ; jamais il ne s'est montré dicrote. La durée de la période d'intermission varie entre quatre et dix jours.
Maintes fois on a essayé, mais toujours sans succès, de pré-venir par l'administration du sulfate de quinine l'apparition des rechutes.
L'accès se termine en général brusquement, et sa terminai-son est marquée par des phénomènes critiques, le plus sou-vent par des sueurs profuses qui persistent pendant douze, vingt-quatre et même trente-six heures. Dans le même temps, le pouls descend rapidement de 100, 120, à 60 ou 40 pulsa-tions, La température s'abaisse de 1, 5 à 3 ou 4 degrés cen-tigrades ; après cela l'apyrexie est complète. Rarement le retour à l'état normal s'opère lentement, progressivement, par lysis, et cela n'a lieu que dans les cas où il existe quelque complication.
Parmi les symptômes les plus caractéristiques de la fièvre à rechute, il faut citer l'état de collapsus (algidité, cyanose), les douleurs rhumatoïdes et surtout la tuméfaction de la rate ; celle-ci est appréciable dès le deuxième ou le troisième jour de la maladie. La détumescence de l'organe s'opère au con-traire très lentement ; les vomissements de sang, plus ou moins altéré, appartiennent surtout à la forme bilieuse.
La durée totale de la maladie varie de 21, 23 jours à 30, 40 même 32 jours. Elle dépasse, comme on voit, la durée moyenne du typhus. La mortalité a été, pour les faits observés àl'hôpital d'Obuchoff, de 10,77 pour 100. La forme bilieuse est de beaucoup la plus redoutable, surtout lorsqu'elle s'ac-compagne de symptômes urémiques et cholériformes, car alors les malades succombent dans la proportion de 2 sur 3.
Voici l'indication sommaire des faits nécroscopiques les plus importants ; la rate est à peu près toujours (toujours suivant le docteur Herrmann) augmentée de volume ; son poids peut s'élever jusqu'à 3 livres. Le parenchyme splénique est friable, remarquablement granulé ; les corpuscules de Malpighi pré-sent habituellement des dimensions considérables. Le foie est tuméfié comme la ra^e, mais à un degré bien moindre. Les cel-lules hépatiques ont perdu leur transparence et renferment d'abondantes granulations graisseuses. Dans certains cas, sui-vant le docteur Herrmann, on trouve, en outre, au milieu des acini, des dépôts constitués par une matière grasse qui pré-sente ce caractère particulier, qu'elle ne se divise pas sous forme de gouttelettes et qu'elle ne se dissout pas dans l'élher. La vésicule biliaire est distendue par une bile épaisse. Jamais il n'existe d'obstruction dans le trajet du canal cholédoque, mais l'orifice duodénal de ce conduit et la membrane mu-queuse du duodénum elle-même, ainsi que la muqueuse gas-trique, portent habituellement les traces d'une inflammation catarrhale intense, avec accompagnement d'hémorragies ca-pillaires dans certains cas ; dans l'intestin grêle, la membrane muqueuse est aussi parfois injectée, mais, d'ailleurs, on n'y ren-contre aucune altération des glandes de Peyer ou des follicules isolés.
La dégénération graisseuse des cellules épithéliales du rein est chose fréquente. — En général, les centres nerveux, ainsi
que les nerfs périphériques, ne présentent aucune altération appréciable. — Les libres musculaires du cœur sont, au con-traire, souvent le siège de la dégénération granuleuse, et, en même temps, les muscles de la vie animale, ceux des bras et des mollets, en particulier, présentent des traces évidentes de dégénération graisseuse.
En ce qui concerne Yétioiogie, il faut signaler, au premier rang, le caractère contagieux de la maladie : plusieurs méde-cins et plusieurs personnes attachées au service des hôpitaux ont été atteints. En général, on compte peu de victimes dans les classes moyennes, et principalement dans les hautes classes ; elles ont été, au contraire, surtout nombreuses parmi les ouvriers jeunes et vigoureux. L'épidémie s'est développée pendant l'été de 1864 (juin et juillet), elle a continué à sévir pendant l'automne et l'hiver de 1864-65; elle n'est pas encore éteinte aujourd'hui. Parmi les circonstances qui pa-raissent avoir concouru à son développement, il faut citer l'encombrement, l'usage des pommes de terre malades et d'un pain altéré par la présence de l'ergot de seigle. L'abus des boissons spiritueuses prédispose à contracter la maladie.
Suivant le professeur Botkin, il ne se serait présenté aucun cas de typhus ou de fièvre typhoïde dans le service de la cli-nique, depuis le début de l'épidémie.
La fièvre à rechute était, paraît-il, inconnue à Saint-Péters-bourg, avant le développement de l'épidémie actuelle, mais au rapport du docteur Bernstein (d'Odessa), elle aurait régné dans cette dernière ville pendant l'année 1863. [Petersburger Medicinalbote, n° 29, Jahrg. 1864; citation du professeur Botkin.)
A. en juger par la description qui précède, l'identité paraît complète entre la maladie de Saint-Pétersbourg etlerealpsing
fever des auteurs anglais. Les seules différences qu'on pourrait relever seraient toutes fondées sur des caractères de second ordre et telles qu'on doit s'attendre à les rencontrer, lorsqu'il s'agit d'épidémies diverses d'une même maladie. C'est ainsi que la léthalilé plus grande de l'épidémie russe paraît devoir être rapportée surtout à la prôdominence de la forme bilieuse (syndrome ictère grave : — ictère intense, hémorragies gas-tro-intestinales, dégénération graisseuse des éléments cellu-laires du foie et des reins, accidents cérébraux, etc., etc.), qui ne se trouve pour ainsi dire qu'indiquée, dans la plupart des épidémies d'Irrande et d'Ecosse. L'existence concomitante, presque obligatoire, du typhus exanlhématique dans un cas, son absence dans l'autre cas, — si toutefois elle est bien éta-blie, — pourraient encore être citées comme un trait distinclif. Nous regrettons de ne pouvoir, faute d'espace, accorder, pour le moment, à l'étude de cette question tous les développe-ments qu'elle comporte. Qu'il nous soit permis seulement de reproduire ici, à titre de renseignement, une description très succincte du relapsing fever, que nous avons tracée ailleurs (Requin, Eléments de pathologie médicale, t. IV, p. 123 J), d'a-près les documents anglais. Tout imparfaite qu'elle est, cette description permettra cependant, nous l'espérons, de recon-naître, dès à présent, la similitude frappante sur laquelle nous insistons.
« L'invasion est brusque et s'opère le plus souvent par un frisson; puis céphalalgie vive, douleurs musculaires et arti-culaires simulant celles du rhumatisme; fièvre intense; le pouls bat de 100 à 120 fois par minute ; la peau est chaude et sèche ; anorexie, souvent épigastralgie, nausées et vomisse-ments bilieux ; jaclilation, insomnie et quelquefois délire ; absence habituelle de symptômes abdominaux, tels que météo-
*• Voir plus loin, p. 145. Cuarcot. Œuvres complètes, t. vin, Maladies infectieuses. 6
risrae, douleurs iliaques, diarrhée. Assez fréquemment, il se manifeste partiellement, dès le troisième ou le quatrième jour, une coloration légèrement bronzée des téguments, qui bientôt est remplacée par une teinte ictérique générale plus ou moins foncée ; alors les vomissements bilieux deviennent plus fré-quents ; quelquefois même, mais seulement dans les cas les plus graves, en même temps qu'il s'opère des hémorragies par diverses voies, le malade rend des selles liquides, noirâ-tres, et vomit, comme cela se voit dans la fièvre jaune, une matière noire semblable au marc de café. Vers le cinquième, sixième ou septième jour de la maladie, alors que tous les symptômes paraissent avoir atteint leur plus grande violence, ils s'amendent ou même disparaissent tout à coup, le plus souvent à la suite d'une sueur copieuse. La convalescence, qui se déclare ensuite, peut être franche et aboutir en défini-tive à une guérison complète ; mais c'est le cas le plus rare, et en général, (19 fois sur 20) de cinq à huit jours après la cessa-tion de ce qu'on peut appeler le premier accès, il survient une rechute dans laquelle tous les symptômes que nous avons énumérés se montrent de nouveau, tantôt avec plus de vio-lence, tantôt,au contraire, avec une intensité moindre.Ces deux accès constituent habituellement toute la maladie; on a vu cependant la rechute se produire une seconde et même une troisième fois. La fièvre à rechute est rarement mortelle ; on n'a guère vu succomber, dans l'épidémie qui a sévi à Edim-bourg, en 1842-43, que des enfants, des vieillards ou des adultes d'une constitution délabrée. A l'ouverture des corps, on a trouvé le plus souvent la rate volumineuse, la membrane muqueuse de l'intestin injectée ; d'ailleurs, aucune altération des glandes de Peyer ou des follicules isolés. Cette maladie ne paraît avoir été observée, jusqu'à ce jour, qu'en Angleterre, en Ecosse, en Irlande et dans l'Amérique du Nord On a essayé,
1. Suivant M. le professeur Griesinger, elle aurait été observée aussi en
Un nouveau document1 relatif à l'épidémie russe vient d'être communiqué à la Gazette des Hôpitaux (voy. le numéro du jeudi 20 avril 1865), par M. Doubowitski, président de l'Aca-démie médico-chirurgicale de Saint-Pétersbourg.
C'est, paraît-il, la réponse faite officiellement par le gouver-nement russe à une série de questions qui lui avaient été adressées par l'ambassade anglaise. Ce document permet de constater une fois de plus la parfaite analogie qui existe entre l'épidémie actuelle et celles qui, en 1843, puis en 1847, ont sévi dans diverses parties de l'Europe, plus particulièrement en Ecosse et en Irlande.
Dès à présent, la comparaison pourrait être soutenue à tous les points de vue. En ce qui concerne l'appareil des symptô-
Allemagne, lors de l'épidémie de typhus qui a régné en 1847, 1848, dans certaines parties de la Silésie. (Virchow's Uandbuch, bd. II, 2 abth.) i. Ce second article est extrait de la Gazette hebdomadaire, 1865, p. 257.
mais presque toujours sans succès, de prévenir, par l'admi-nistration du sulfate de quinine, l'apparition de la rechute ou des rechutes qui la caractérisent. »
Si nous ne nous trompons, on peut, sans trop de témérité, espérer que Y épidémie russe n'aura, pour nous autres Fran-çais, — en dehors du point de vue humanitaire, — d'autre intérêt qu'un intérêt purement scientifique. Si le relapsing fever avait dû se montrer en France, il l'eût fait vraisembla-blement lors des épidémies qui ont sévi, à plusieurs reprises, chez nos voisins de la Grande-Bretagne. Il n'en est pas moins urgent, ce nous semble, de réunir tous les documents relatifs à cette affection singulière et redoutable, afin que nous ne soyons pas pris à l'improviste, si, par impossible, elle devait, dans un avenir plus ou moins éloigné, arriver jusqu'à nous.
mes et les caractères nécroscopiques, l'exacte ressemblance de la maladie dominante à Saint-Pétersbourg avec le relapsing fever des Anglais a été déjà suffisamment reconnue. On a éga-lement fait ressortir comme il convient que dans l'épidémie russe, tout comme dans les épidémies anglaises, la famine d'abord, puis l'encombrement, sont les deux grandes circons-tances étiologiques qu'il faut invoquer. Le document émané du gouvernement russe permet un nouveau rapprochement : il nous apprend, en effet, que, actuellement, le typhus et la fièvre à rechute simultanément à Saint-Pétersbourg; mais au début de l'épidémie, et jusque dans ces derniers temps, c'est-à-dire pendant les mois de novembre, décembre 1864, janvier, février et mars de la présente année, le nombre des cas de fièvre récurrente l'a emporté de beaucoup sur le nombre des cas de typhus. Aujourd'hui, un rapport inverse semble devoir s'établir; la fièvre récurrente tend à disparaître; le typhus exanthématique et la fièvre typhoïde se multiplient, au con-traire. Or, pareille chose s'est présentée maintes fois, dans les épidémies d'Angleterre, et un auteur qui les a étudiées d'une manière approfondie, a pris soin de relever ce fait, auquel il attache une certaine importance.
« Dans les épidémies mixtes », dit M. Murchison (A Treatise on the continuée Fevers of Great Britain, London, 1862, p. 299), « la proportion relative des cas de typhus et de fièvre » à rechute a varié suivant les temps et suivant les lieux; » mais, en règle générale, la proportion des cas de fièvre à » rechute s'est toujours montrée plus grande au commence-» ment qu'au déclin des épidémies. A mesure que les épidé-» mies ont progressé, le typhus a pris la place de la fièvre à » rechute. »
Cette loi de succession des deux maladies, dans le cours d'une même épidémie, a conduit M. Murchison à des vues, au moins fort ingénieuses, relativement à l'étiologie comparée
du typhus fever et de la fièvre à rechute. Celle-ci, d'après lui, est la fièvre de famine par excellence, tandis que celle-là se-rait, si l'on peut ainsi dire, la maladie de l'encombrement. Quoi qu'il en soit, il y a là une question qui vaut bien la peine d'être discutée, et sur laquelle nous comptons revenir par la suite, si les études qui se poursuivent sans doute, actuellement, au sujet de l'épidémie russe, nous en fournissent l'occasion.
Pour le moment, faute de renseignements suffisamment précis, nous devons nous borner à enregistrer, tels qu'ils se présentent, les documents relatifs à cette épidémie. Nous re-produisons aujourd'hui, à peu près dans son entier, le rapport communiqué par M. Doubowitski. Nous en avons retranché la description symptomatologique et nécroscopique de la fièvre à rechute, parce que cette description nous a paru être de tous points conforme à celle qui a été présentée par M. le docteur Hermann,dans un travail dont la Gazette hebdomadaire a déjà rendu compte. Le document officiel du gouvernement russe contient plus d'une assertion inattendue, notamment en ce qui concerne la contagion ; mais, nous le répétons, notre rôle, en ce moment, n'est pas de le contrôler.
« Première question. — Quels sont les noms, en français et en allemand, par lesquels les médecins des hôpitaux et les professeurs de médecine, à Saint-Pétersbourg, désignent la maladie?
» Réponse. — L'épidémie ne présente à l'observation rien de nouveau, rien d'inconnu à la science; point de forme uni-que, mais bien le genre typhoïde avec diverses modifications connues ; ainsi, fièvre typhoïde, typhus pétéchial, fièvre ty-phoïde bilieuse (biblioses-typhoïd des Allemands), fièvre ré-currente [febris recurrens, recurrendes Eieber des Allemands, relapsing fever des Anglais).
» Le typhus et la fièvre typhoïde sévissent à Saint-Péters-
bourg presque chaque année, en automne, et s'affaiblissent vers le mois de novembre, époque à laquelle un grand nombre d'ouvriers quittent la capitale. Yers le mois de mars et d'avril suivants, époque du grand carême, de la fonte des glaces et de la rentrée des ouvriers nomades dans la capitale, ces fièvres reparaissent, et surtout sans présenter des particularités in-connues à la science médicale.
» Le typhus qui sévit aujourd'hui ne diffère des fièvres dont nous venons de parler que par une plus grande extension et une plus grande intensité des symptômes qui le caractérisent; pourtant, d'autres maladies, qui appartiennent au même genre de maladies typhoïdes, viennent de se montrer pour la pre-mière fois à Saint-Pétersbourg, et le nombre des cas constatés l'a emporté sur celui des fièvres typhoïdes, pendant les mois de novembre, décembre 1864, janvier, février et mars de cette année. Ce sont la fièvre typhoïde bilieuse, et tout particulière-ment la fièvre récurrente.
» Deuxième question. — Est-ce que la maladie était connue auparavant en Russie, soit dans la capitale, soit ailleurs, et, dans ce cas, jusqu'à quel point s'est-elle développée?
» Réponse. — Bien que la fièvre récurrente n'ait jamais été observée à Saint-Pétersbourg, elle l'a pourtant été avant ce jour en Russie dans quelques localités.
» En 4 840, cette maladie sévit très sérieusement à Moscou, sous la forme bilieuse tout particulièrement, où elle fut étudiée par le docteur Govorlivoy, et l'année dernière, elle se montra à Odessa.
» Aujourd'hui, en même temps qu'elle règne dans la capi-tale, elle se montre encore dans plusieurs districts du gouver-nement de Saint-Pétersbourg (Novaïa-Ladoga, Gdow, Peterhof et Tsars-koé-Selo) et sur quelques points du gouvernement de Novgorod, particulièrement sur la ligne ferrée où elle paraît
être apportée de la capitale. Mais c'est surtout le typhus pété-chial qui a sévi dans ce dernier gouvernement, ainsi que dans les gouvernements de Penza, de Tauride et de Kharkow : dans quelques autres gouvernements (Astrakan, Yitebsk, Minsk, Volhynie, Yladimir, Kalouga, Kiew, Koursk et Toula), l'épidémie de la fièvre typhoïde n'a pris qu'un développement peu considérable et ne donne qu'une mortalité peu élevée. A l'exception de l'épidémie de 18i0, à Moscou, à laquelle a succédé la fièvre typhoïde simple,nulle part en Russie,l'épidé-mie de la fièvre récurrente et bilieuse n'a présenté un déve-loppement considérable.
» Troisième question. — Dans l'opinion des meilleures au-torités, est-ce qu'il y a eu des cas dans les hôpitaux de Saint-Pétersbourg, ou ailleurs, où la maladie s'est communiquée par le toucher? (sic).
» Réponse. — La fièvre récurrente, simple et bilieuse, s'est montrée contagieuse, comme le typhus en général.
» Quelques médecins, chirurgiens, infirmiers et gardes-ma-lades ont été atteints de la maladie, dans les salles des hôpi-taux; on ne compte jusqu'à présent que deux cas de mort, parmi les médecins atteints et quelques cas parmi les infirmiers et gardes-malades.
» C'est surtout, comme dans toutes les épidémies, dans les logements des ouvriers, des classes pauvres, que la contagion se propage par l'air vicié et par le contact immédiat des vête-ments.
» Quatrième question. — Que sait-on de l'origine, de la nature et du progrès de la maladie, des symptômes par les-quels elle se déclare, et au meilleur traitement à suivre, pour effectuer une guérison?
» Réponse. — L'origine de cette épidémie peut être at-
tribuée à des conditions mauvaises d'hygiène, d'une part;
» A la consommation de légumes (de choux et de pommes de terre particulièrement), mûris et poussés dans des condi-tions climatériques défavorables, ce qui a produit sur toutes les denrées alimentaires saines un renchérissement considérable;
» A l'usage immodéré de l'eau-de-vie de grain par les ou-vriers et le bas-peuple;
» A une agglomération inaccoutumée d'ouvriers dans la capitale, vers l'automne dernier, ce qui a occasionné un en-combrement considérable dans leurs logements, encombre-ment très nuisible à une bonne hygiène, dans le climat delà Russie surtout.
» A ces causes accidentelles, il convient d'ajouter encore, comme pour toutes les épidémies, les variations atmosphéri-ques si fréquentes, surtout si prononcées sur les bords du golfe de Finlande, et qui produisent ce que les médecins nom-ment gentils morborum epidemicus.
« La fièvre récurrente qui se montra, vers la fin du mois d'août dernier, par cinq ou six cas constatés par jour, s'est pro-gressivement développée ; dès le mois de novembre suivant, on comptait déjà 500 cas de maladie observés dans les hôpi-taux civils ; vers la fin de janvier et au commencement de février, l'épidémie avait atteint son apogée : de sorte qu'à certains jours, on comptait 450 réceptions dans les hôpitaux civils; et si l'on comprend les cas de typhus ordinaires et d'au-tres maladies aiguës, le nombre s'en est élevé jusqu'à 250 et même 300 par jour.
» Nous ferons cependant observer que ce dernier chiffre ne donne pas encore le nombre exact des malades, attendu que, pendant plusieurs jours, le temps nécessaire pour l'installa-tion d'hôpitaux provisoires, un certain nombre de malades sont restés à leur domicile.
» Aujourd'hui, pendant cette dernière semaine, le nombre
de cas de fièvre récurrente a sensiblement diminué, et le typhus pétéchial, la fièvre typhoïde — genre dans lequel se trans-forme aussi la fièvre récurrente à son second paroxysme, — prennent la place de la fièvre récurrente.
» Aujourd'hui donc, le total général des réceptions aux hô-pitaux civils est de 100 à 150 par jour, y compris le typhus pétéchial ou la fièvre typhoïde et les autres maladies aiguës.
» Les hommes sont plus sujets à la maladie que les femmes. Les ouvriers adonnés à la boisson ont été surtout plus parti-culièrement atteints du mal.
» On n'a pas encore trouvé un traitement qui convînt à cha-que cas; le médecin portant son attention sur la fièvre et sur l'état des organes abdominaux réussit le mieux.
» Ce sont toujours les acides minéraux (élixir acide de Haller) et le chlore que l'on emploie de préférence. Les traite-ments symptomatiques et palliatifs, appropriés à des complica-tions locales, trouvent toujours leur indication (ainsi les laxa-tifs, l'huile de ricin, le calomel, les compresses réchauffantes, les opiacées, etc., selon les circonstances). Le sulfate de qui-nine, recommandé par quelques-uns, n'a pas toujours produit de bons effets. Mais son utilité était plutôt reconnue comme moyen palliatif soulageant les sensations de douleur, et comme un remède fortifiant, dans la période de convalescence, où il a été quelquefois employé avec les préparations de fer et la diète nutritive, surtout quand il y avait à combattre une anémie des convalescents. Pour plus de détails, nous renverrons, à l'article du docteur Hermann, contenant la description de celte mala-die, ainsi qu'au compte-rendu anatomico-palhologique du docteur Kùttner, insérés dans les deux premiers cahiers de Samt-Pétersburger medicinische Zeitschrift de cette année.
» Le gouvernement n'a rien négligé pour soulager le sort des malades : ainsi, on compte près de 3,500 lits temporaires. De son côté, le conseil de salubrité de Saint-Pétersbourg, sous
la présidence du gouverneur général, prince Souvorow, a pris toutes les mesures nécessaires pour arrêter, autant que pos-sible, le développement de la maladie. Une caserne d'infante-rie et une manufacture impériale ont été converties en hôpi-taux provisoires en quelques jours.
» Des commissions spéciales ont été nommées pour aller visiter les demeures des ouvriers; le physicat de la capitale a reçu l'ordre d'inspecter les marchés avec le plus grand soin.
» Des règles à suivre, rédigées en langage usuel, courtes et précises, ont été affichées sur toutes les places.
» Une souscription, provoquée par le conseil, pour venir en aide aux malades convalescents par des secours en nature et en argent, a rencontré la plus vive sympathie, dans toutes les classes de la société.
» On peut penser que c'est à ces utiles mesures qu'est due la diminution aussi subite qu'importante que l'on constate au-jourd'hui, dans les cas de maladie.
» Cinquième question. — Quelle a été la proportion entre la population de Saint-Pétersbourg et le nombre journalier de? personnes atteintes de la maladie?
» Réponse. — Si nous admettons le chiffre approximatif de 500.000 habitants, d'après le nombre des cas par jour relatés plus haut, nous avons pour le maximum, pendant quelques semaines seulement du mois de février, 300 cas par jour, fiè-vre récurrente, typhus et autres maladies y comprises : la proportion approximative ressort de ces deux chiffres.
» Nous ajoutons :
» Le nombre des réceptions aux hôpitaux, dans les derniers mois de 186, présentait, sur celui des entrées des mêmes mois de 1863, une augmentation de 30 à 40 pour 100; au mois de janvier 1865, elle surpassait à peu près de 50 pour 100
le nombre des réceptions de janvier 4864, et le nombre des réceptions de février 4863 surpassait celui de 1864 de plus de 400 pour 400.
» Sixième question. — Quelle a été la proportion entre les cas de maladie et celui des morts?
» Réponse. — Ce n'est pas à la fièvre récurrente que l'on doit attribuer le plus grand nombre de cas de mort, mais au typhus pétéchial et à la fièvre typhoïde.
» Ainsi, au début de l'épidémie, la fièvre récurrente don-nait la proportion de (1 : 20) 1 mort sur 20 malades soignés dans les hôpitaux; dans son plus grand développement, elle donnait (1 : 12 et 40) 4 mort sur 42 et 40 malades, et même au-dessous, dans quelques hôpitaux.
» Le typhus pétéchial donnait toujours des proportions beaucoup plus défavorables (1 : 5 et même 1 : 4), I mort sur 5 ou même 4 malades, dans quelques hôpitaux.
» En général, le nombre des morts, pendant les six derniers mois de 4864 et de janvier 4863, a dépassé celui des mêmes mois, en 1863, à peu près de 2,000. La mortalité relative dans les hôpitaux a également beaucoup augmenté, surtout pendant les premiers mois de l'année 1865.
» Si donc, on compare le mois de janvier 1864 au mois de janvier 1865, nous trouvons :
» Pour le premier (1 : 17) 1 mort sur 17 malades traités, et pour le second (1: 4 4) 4 mort sur 11 malades, toutes les mala-dies aiguës et chroniques y comprises.
» Il reste évident que si l'on ne comprend que la maladie fièvre récurrente et typhus, la proportion sera encore plus dé-favorable.
» Septième question. — Quelle a été la plus grande morta-lité, dans un seul jour, à Saint-Pétersbourg?
Réponse. — La mortalité journalière due aux maladies épi-démiques, dans les hôpitaux, typhus et fièvre récurrente, ne s'est pas élevée, au maximum, à plus de 60 par jour, et comme moyenne, elle a été de 25 à 30 par jour.
VIII.
De la peste.
Bibliographie. — Littré. (Rêpert. général, t. XXIV, 1841, art. Peste). — » Les médecins qui se sont occupés de l'histoire de la peste ont générale-» ment, quand ils ont distingué la vraie peste de toutes les maladies quali-» fiées de pestilentielles par les écrivains médicaux ou autres, considéré » cette maladie comme récente, comparativement, et ils en ont fixé la » première irruption parmi les hommes à l'époque de la formidable épi-» demie qui dévasta le monde connu dans le Vie siècle de l'ère chrétienne. » Mais cette opinion ne peut plus se soutenir depuis la publication d'un » fragment de Rufus, conservé dans un livre inédit d'Oribase. On y lit : « Le » bubon dit Rufus, qui, pour des causes manifestes et les premières venues » se développe au cou, aux aisselles et aux cuisses, est avec fièvre ou sans » fièvre. Nécessairement la fièvre qui se joint à un bubon est accompagnée » de frisson ; si rien ne s'y associe, il est aisé de la faire cesser sans dan-» ger... Mais les bubons appelés pestilentiels sont les plus dangereux et les » plus aigus, tels qu'on les voit surtout dans la Lybie, l'Egypte et la Syrie, » et dont a fait mention Denys surnommé Kyrtus. Dioscoride et Posidonius » s'en sont surtout occupés au sujet de la peste qui régna en Lybie. Ils » disent que dans cette peste il y avait une fièvre aiguë, de la douleur, une » tension de tout le corps, du délire, et le développement de bubons volu-» mineux, durs, et qui ne venaient pas à suppuration. Ces bubons se for-» maient non-seulement dans les lieux ordinaires, mais encore aux jarrets » et aux coudes. » {Classicorum auctorum e Vaticanis codicibus, t. IV, cu-» rante A. Maio, in-8°, liomse, 1831, p. 11.) Rufus d'Ephèse, qui nous a con-» serve ces détails, vivait sous Trajan qui régna de 98 à 117 ans après J.-C, » les médecins Denys, Dioscoride et Posidonius lui sont antérieurs. Les » détails dans lesquels entre Rufus, la fièvre, le délire, les bubons dans les » lieux ordinaires, c'est-à-dire aux aines et aux aisselles, la forme épidé-" mique de la maladie, la contrée où elle régnait (Egypte, Syrie et Libye), » tout cela prouve sans réplique qu'il s'agit véritablement de la peste » orientale, de la poste à bubons. Ainsi, il demeure établi que la peste a » régné dès avant le Ier siècle de l'ère chrétienne, et que dès lors, il n'est
* plus possible d'assigner une date à la première apparition de ce fléau,
* qui a affligé l'Egypte dans l'antiquité, comme il l'afflige aujourd'hui (loc.
* p. 44-45) ». — Daremberg, Note sur Vantiquité et l'ewtcmicité de la peste en Orient, et particulièrement en Egypte: (Voir le rapport académique
cité plus bas, pièces et documents, nM, p. 232.). — Papon, ci-devant Histo-riographie de Provence. — De la peste ou époques mémorables de ce fléau et les moyens de s'en préserver, 2 vol. in-8°, Paris, an VIII. — Ilecker, Der sckwarze Tod im vierzehnten Jahrhundert. Berlin, 1832. in-8° (histoire de la peste noire). — llirsch, Die Indische Pest und der sckwarze Tod. Eine histo-rich-pathologische Schizze (dans Virchow, Archiv. fur pathol. Anat., 5e vol., n° 508). L'auteur compare à la grande peste du XIV siècle la fièvre à bubons qui a sévi à plusieurs reprises, de 1817 à 1838, sous forme épidémique, dans diverses contrées de l'indoustan, dans la province de Guzarate en particu-lier, et qui a été désignée par les auteurs anglais sous le nom de Peste de Pati (Pali-Plagné). — Massa, De febre pestilentiali, petechiis, variolis, et apostematibus pestilentialibus, etc., Venise 1540, in-4°. — Mercurialis, De pestilentia lectiones, Venise, 1577, in-4°, Tractatus de masculis pestiferis, etc. Padoue. 1580, in-4°. -- Prosper Alpin, De medicina JEgyptiorum libri IV. Paris, 1645, cap. XIV XVIII. — Forestus, (observationum et curationum me-dicinalium ac chirurgicarum, etc. Rouen, 1653, in-fol.). T. I lib, VI, obs. IX. De peste Detp/iensi admodum famosa, Histoire générale de la peste qui a sévi Delft de 1557 à 1558. — Obs. X à XIV. Symptomatologie et diagnostic. — Dans la scolie de l'observation XI, Forestus distingue nettement deux formes de peste. Dans l'une de ces formes, la fièvre pestilentielle est accompagnée de signes extérieurs, tels que bubons, charbons ou pétéchies (pestilens fe-bris comitata). Dans l'autre, ces signes extérieurs font défaut (pestilens fe-bris incomitata). Obs XVI-XVII. Thérapeutique obs. XVIII-XIX. Observations particulières. — Diemerbrœck, De la peste, libri IV, Amsterdam, 1665, in-4° ^Description de la peste de JNimègue de i63i). — Sydenham, [Opéra medica. Genève, 1737, in-4°). T. I, sect. Il, cap. 2. Febris pestilentialis et pestis anno-rum 1665 1666.— Chicoyneau, Verny et Soulier. - Observations et ré-flexions touchant la nature, les événements et le traitement de la peste de Marseille, Lyon, 1721, in-12. — Deidier, (Consultations et observations médi-cales, Paris 1744.) T. III, p. 253 et suiv. Expériences faites sur des animaux vivants avec la bile des pestiférés ; curieux résultats obtenus de ces expé-riences. — Chirac, Traité des fièvres malignes, etc. Paris, 1742, in-12. — Ghenot, Tractatus de peste, Vienne, 1766. —De Haen, (Ratio medendi, t. VIII, part, XIV, cap. II, III, IV, Paris 1774, in-12). — Samoilowitz, Mémoire sur la peste qui, en 1771, ravagea l'empire de Russie, surtout Moscou la capitale, etc. Paris, Pétersbourg, et Moscou, 1783, in-8°. — Mémoire sur l'inoculation de la peste, etc. Strasbourg et Paris, 1782, in-8. — De Mertens, Traité de la peste, contenant l'histoire de celle qui a régné à Moscou, en 1771. — Vienne, et Strasbourg, en 1784. — p. 64, Comparaison de la peste avec la petite vérole, — Observationes médicœ de febribus putridis, de peste, nonnullisque aliis morbis, Vienne, 1778, in-8. — Desgenettes, Histoire médicale de l'armée d'Orient, Paris, an X, in-8. — Larrey, Relation historique et chirurgicale de l'expédition de l'armée d'Orient en Egypte et en Syrie, Paris, 1803, in-8. — Morea, Storia delta peste di Noja, Naples, 1817, in-8. — Seidlitz, Beitrag zùr Geschichte des Feldzugesin der Tùrkei in den Jahren, 1828 und 9 in medizi-nischer Hinsicht. (Dans Mediz. prak Abhandl. von Deutschen in Russland leb. Aerzten, 1835, t. ï. p. 44.) — Ueber die Pest, welche 1829 in dem russischen Militcïrhospitale zu Adriauopel herrschte, etc. (Ibid, p. 169.) — Schlusswort, etc. (Ibid, p. 203.) — Extrait des ?wtices de M. le docteur Seidlitz, professeur de l'Ecole de Médecine de Saint-Pétersbourg, sur la peste qui a régné dans l'armée )-usse en 1828-29, par M. le docteur U. G. Bussemacker. (Dans le rapport cité plus bas, n° 3, p. 254.) — Lachaise, Note sur la peste observée en Egypte, en 1835 (in Bullet. de l'Acad. roy. de méd. 1836, t. I, p. 354). —
Chollet, Mémoire sur la peste qui a régné épidémique,nent à Constantinople en 1834, et sur sa non-contagion, Paris, 1836, in-8. — Brayer, Neuf minées à Constantinople ; observations sur la topographie de cette capitale... La peste, m causes, etc. Paris 18 )6, 2 vol. in-8. — Gosse, Relation de la peste qui a régné en Grèce en 1827 et en 1828, Paris, 1838, in-8. — Bularcl, De la peste orientale, d'après des matériaux recueillis à Alexandrie, au Caire, à Smyrne et à Constantinople, pendant les années 1833 à 1838, Paris, 1839. — Aubert-Roche, De la peste ou typhus d'Orient ; documents et observations recueillis pendant les années 1834 à 1838 en Egypte, en Arabie, sur la mer Rouge, à Smyrne et à Constantinople, Paris 1843, in-8. — Clot-Bcy, De la peste obser-vée en Egypte, Paris, 1840. — Pruner, (Die Krankheiten des Orient's vom Standpunkte der vergleichenden Nosologie, Erlangen, 1847, in-4) cap. II. p. 387. — Rapport à l'Académie royale de médecine sur la peste et les qua-rantaines, fait au nom d'une commission, par M. le docteur Prus, accompagné de pièces et documents, et suivi de la discussion dans le sein de l'Académie, 1846, in-8. — Pariset, Mémoire sur les causes de la peste et sur les moyens de la détruire, Paris, 1837, in-18. — Muratori, Del governo délia peste e délie manière di guardasene... Trattato diviso in politico, medico ed ecclesias-tico, Modène, 1714. — Frari, Delta peste e délia publica amministrazione sanitaria, Venise, 1840, in-8. — Mead, A discourse on the plague, London, 1744, in-8, — Dissertatio de peste, In R. Mead, Opéra, interpr. A. G. Lorry, Paris, 1751.
DÉFINITION.
Maladie fébrile, endémique dans certaines contrées, pou-vant se montrer sous forme de grande épidémie et se ré-pandre alors dans des pays plus ou moins éloignés de ses foyers habituels, contagieuse à un certain degré, et qui, dans son type d'entier développement, s'accompagne de bubons, de tumeurs charbonneuses, de pétéchies, et revêt, en général, le caractère de pyrexie typhode.
SYNON1MIE.
A. Glades inguinaria, morbas inguinarius. — Grande mo-na (grande peste). — Par ces dénominations et d'autres ne-core, les historiens et les annalistes du Moyen-Age ont implici-tement distingué la peste proprement dite, ou peste à bubons, des autres affections épidémiques qui sévissaient dans le même temps qu'elle, et qui, en raison du nombre des individus
qu'elles enlevaient, constituaient une calamité publique et méritaient ainsi de porter le nom de peste, pris cette fois dans l'acception commune.
B. Bubonia pestis (Schenck, Zacutus, Lusitanus).— Vera pestis (Schenck). — Pestilens febriscomitata ; P.f. incomitata (Forestus), etc. — Ces dénominations prises pour exemple, font voir comment quelques auteurs du XVIe et du XVIIe siè-cle, cherchaient à distinguer la peste des fièvres malignes et pétéchiales pestilentielles avec lesquelles on la confondait ha-bituellement, à cette époque.
C. Pestis, de Sauvages (class. III, ord. 1, Phlegmasiœ exan-thematicœ, gen. i), de Sagar (class. X. Exanthemata, ord. i, Exanthema contagiosa, gen.i), et de Cullen (ord. m, Exan-themata, gen. xxix).
D. Dans la Nosographie philosophique, de Pinel (66) : Fièvres adéno-nerveuses (classe I ; fièvres, ordre vi). Cet ordre com-prend à son tour un seul genre, et ce genre comprend trois espèces : 1° la peste du Levant; 2° la peste avec symptômes gastriques ; 3° la peste avec symptômes inflammatoires.
E. Peste bubonica (quelques médecins italiens). — Beulen-pest (quelques [auteurs allemands) ; peste à bubons, Toutes ces dénominations sont synonymes ; elles désignent la mala-die par un des symptômes qui la caractérisent. —Peste d'O-rient. — Typhus d'Orient (Aubert-Roche).
symptomatolog1e.
A. Les descriptions des loïmographes se rapportent, pour la plupart, à la peste épidémique ; elles présentent souvent entre elles, à cause de cela même, des dissemblances marquées qui
justifient en quelque sorte le surnom de protée qu'on a parfois donné à cette maladie. Cependant, si on a le soin d'élaguer les épiphénomènes et les affections deutéropalhiques qui donnent à chaque épidémie nouvelle un cachet particulier, une physio-nomie à part, on retrouve toujours dans ces descriptions un certain nombre de types fondamentaux, auxquels il est aisé de rattacher ensuite toutes les formes secondaires que peut revê-tir la peste, quelque variées qu'elles puissent paraître. Nous distinguerons trois formes principales, savoir: 1° la peste fou-droyante pestilens febris incomilata, de Foreest; lre classe, de Chicoyneau; pestis interna, de Sauvages ; 6° et 7e classe, de Chenol ; 3e variété, de Clot-Bey). — 2° La peste grave (pestiL feb. comitata, de Foreest ; 2°, 3e, 4e classe, de Chicoyneau ; pestis vulgaris, de Sauvages ; 3e, 4e classe, de Chenot ; 2e va-riété, de Clot-Bey). — 3° La peste bénigne (5° classe, de Chi-coyneau ; pestis benigna, de Sauvages; lr°, 2e classe, de Che-not ; lre variété, de Clot-Bey).
B. Prodrome commun aux diverses formes de la peste. — Pendant le cours des épidémies de peste, un grand nombre d'individus éprouvent soit un simple sentiment de gêne, soit de véritables douleurs dans les régions des aines et des ais-selles, qui présentent en même temps quelquefois une légère tuméfaction due au développement exagéré d'un certain nom-bre de ganglions lymphatiques. Souvent la santé n'est pas, à proprement parler, altérée, et beaucoup de gens ressentent pendant longtemps cette première manifestation de l'influence épidémique, sans être jamais atteints de peste. Chez d'autres, il survient, en outre, du malaise, de l'inappétence, des nau-sées ; la physionomie s'altère visiblement ; il y a des étourdis-sements, de l'abattement, des frissons erratiques ou, au con-traire, bien marqués et revenant par accès, de manière à simuler quelquefois une fièvre intermittente (Chenot, de Mer-
Cjiargot. (Euvres complètes t. vin, Maladies infectieuses. 7
tens). Ces derniers phénomènes, lorsqu'ils se joignent aux premiers, annoncent communément l'apparition prochaine de la peste ; celle-ci, toutefois, ne leur succède pas encore néces-sairement, et ils peuvent disparaître soit par le seul bienfait de la nature, soit par l'intervention de l'art. Il arrive fréquem-ment, d'ailleurs, que la maladie éclate à l'improviste, sans avoir été précédée d'accidents prodromiques.
C. Peste foudroyante (A.). — a. Au début de l'épidémie, et çà et là pendant son cours, l'intoxication pestilentielle est par-fois telle, qu'elle foudroie, pour ainsi dire, les malades, et pré-vient toute réaction de l'organisme. Dans cette forme terrible de la maladie, les pestiférés succombent, le plus souvent, avant que les bubons et les charbons aient pu se manifester ; la peste commence alors brusquement par un frisson violent et unique, ou par une série de frissonnements alternant avec un sentiment de vive chaleur; puis il survient une céphalalgie intense, des vertiges, des bourdonnements d'oreilles ; l'œil est injecté, languissant, terne, le regard comme voilé ; la face est pâle, plombée, parfois cadavéreuse ; la physionomie exprime la stupeur ou l'épouvante ; la parole est embarrassée, la voix sourde ; la langue large, humide, blanchâtre, est tremblotante. La démarche est titubante, comme dans l'ivresse, puis, en rai-son de l'extrême prostration des forces, la station devient tan-tôt impossible. Le malade conserve toute son intelligence et il se sent frappé à mort, ou par moment déjà il délire ; la respi-ration est courte, accélérée, inégale, il y a une anxiété inex-primable. 11 survient, dès l'origine, des nausées, des vomisse-ments bilieux ou muqueux, une soif inextinguible ; plus tard des selles rendues involontairement, parfois sanglantes ; de larges péléchies d'une couleur livide apparaissent quelquefois sur la peau du cou, de la poitrine ou même des membres. Le pestiféré éprouve à l'intérieur une ardeur excessive, et cepen-
dantla température du corps paraît à peu près naturelle, si ce n'est à la région précordiale, où la main du médecin perçoit un sentiment de vive chaleur (Forestus). Le pouls est tantôt à peine accéléré ou même rare, tantôt, au contraire, d'une fré-quence extrême ; il est, en tous cas, petit, inégal, concentré. — Tous ces symptômes effrayants se succèdent avec une ra-pidité singulière, et la lutte entre la vie et la mort n'est jamais de longue durée ; l'anxiété s'accroît encore, le pouls s'affaiblit de plus en plus, le délire fait place à la somnolence ou au coma, et le malade succombe quelques heures, un jour, ou tout au plus deux jours après le début, parfois subitement, sans agonie, ou encore au milieu des convulsions.
i. Dans certains cas, l'intoxication se révèle au médecin, uniquement d'abord par l'altération profonde des traits, la fai-blesse, la lenteur, ou, au contraire, l'extrême fréquence du pouls; les malades conservent pendant plusieurs heures assez de force pour se tenir debout et marcher ; puis, tout à coup, éclatent inopinément les plus graves symptômes : tels que vertiges, prostration extrême des forces, aphonie, tendance à la syncope, coma. Cette forme ataxique par excellence, est toujours des plus graves ; elle se termine habituellement par la mort dans un bref délai (Chenot, p. 76. — Pruner).
Y- Quelquefois, mais rarement, tous les fâcheux symptômes de la peste foudroyante (a.) s'amendent pour faire place aune période de réaction plus ou moins bien dessinée ; des bubons apparaissent dans les lieux ordinaires ; le pouls se relève, la peau devient plus chaude. On peut croire, un instant, que la guérison est encore possible ; mais bientôt la face s'anime et les yeux s'injectent outre mesure, la langue se dessèche et noircit, les bubons s'affaissent ; il survient un délire frénétique ou, au contraire, de la typhomanie, puis du coma : on observe
des convulsions générales, ou bien des soubresauts, des ten-dons, de la carphologie ; le malade, enfin, succombe le plus souvent au milieu d'un état typhoïde des plus prononcés.
D. Peste grave (A..) — œ, Quelquefois il y a des préludes (B); d'autres fois, au contraire, on n'observe pas de phéno-mènes avant-coureurs. L'invasion se fait, en général, comme dans la forme précédente, par un frisson unique et violent ou par des frissons répétés; puis, on observe une chaleur vive de la peau, accompagnée de sécheresse; parfois, cependant, ce qui est toujours de mauvais augure, les extrémités restent froides; le pouls est fréquent, concentré, souvent irrégulier, inégal. Il y a de la prostration, un abattement extrême ; de la céphalalgie, des vertiges, des douleurs lombaires, des dou-leurs contusives des membres. L'œil est injecté, terne, le regard vague, la face vultueuse; à l'insomnie, aux rêves fati-gants succède bientôt un délire habituellement tranquille, plus rarement rccompagné d'agitation ; la bouche estamère, la soif est vive ; la langue, d'abord blanche et humide, se dessèche rapidement et devient noirâtre à son centre. Dès le début, nausées, vomissements, diarrhée plus ou moins abon-dante ; les urines sont rares, quelquefois supprimées, parfois sanguinolentes. — Vers le troisième, le quatrième jour au plus tard encore, les bubons apparaissent aux aines, aux aisselles, quelquefois au cou, rarement au jarret; puis, se dé-veloppent les charbons, alors commence une deuxième pé-riode où va se décider le sort du malade.
6. Dans les cas les plus heureux, l'éruption des bubons est le signal d'un amendement de tous les symptômes ; la fièvre et les phénomènes graves qui l'accompagnaient disparaissent rapidement, et la convalescence s'établit du sixième au hui-tième jour; les bubons entrent en résolution, s'indurent ou
y. D'autres fois, contrairement à ce qui avait lieu dans les cas précédents (S.), l'éruption des bubons et des charbons n'amène dans l'état du malade aucune amélioration. Loin de là : tous les symptômes s'aggravent, l'anxiété est extrême, le délire, devenu continu, fait place au coma, et le malade suc-combe du quatrième au cinquième jour. Ou bien encore, après une courte rémission, la maladie reprend son cours: les bu-bons restent stationnaires ; quelquefois, ils s'affaissent ; d'au-tres fois, ils entrent lentement en suppuration, et fournissent un pu séreux et fétide. Pendant ce temps, l'état typhoïde se prononce de plus en plus, et rappelle, tant il est bien dessiné, ce qu'on voit dans le typhus et dans la dothiénenterie adyna-mique la mieux caractérisée. A la Ihyphomanie se joignent les soubresauts des tendons, la carphologie. La langue se des-sèche et se recouvre d'un enduit noirâtre ; il y a des fuligi nosités des dents et des lèvres; on observe du météorisme. des selles fétides involontaires; la prostration des forces est poussée au dernier point ; le pouls est fréquent, irré-gulier, faible, et sous cette forme, la maladie peut se prolonger parfois pendant dix, douze, quinze jours même à dater de
bien ils suppurent; mais le pus qu'ils fournissent est de bonne nature; il s'écoule aisément au dehors, et la guérison définitive ne se fait pas longtemps attendre. Il peut arriver cependant que l'inflammation des ganglions lymphatiques intérieurs soit devenue le point de départ de collections pu-rulentes profondes; que des charbons nombreux et volumi-neux aient déterminé la formation de larges escharres. En pa-reil cas, il se développe habituellement une sorte de fièvre secondaire plus ou moins vive, qui revêt peu à peu le carac-tère de fièvre hectique ; le dénoûment de la maladie est ainsi de nouveau mis en question, et trop souvent, il est funeste (Àubert-Roche).
l'apparition des bubons; elle peut se terminer par la gué-rison : mais, le plus souvent, elle aboutit à une catastrophe funeste.
E. Peste bénigne. — a, Le malade éprouve une légère horri-pilation : la peau s'échauffe, mais elle est moite; le pouls s'accélère, mais il conserve de la résistance. Il y a de la cépha-lalgie, des vertiges, des nausées, parfois des vomissements, des douleurs lombaires, un sentiment de lassitude plus ou moins prononcé. Mais tous ces accidents cessent ou dimi-nuent d'une manière notable, vers le deuxième ou le troisième jour, époque à laquelle apparaissent des bubons, et quelque-fois des charbons. S'ils se prolongent au-delà de ce terme, ils ne s'adjoignent pas de symptômes fâcheux, et ils disparais-sent enfin successivement, ou encore tout à coup à la suite de quelque manifestation humorale, de sueurs copieuses, par exemple (Chenot).
ê. Il peut arriver, dans cette forme de la peste, que la fièvre soit assez peu marquée pour que les malades se sentent à peine indisposés, et continuent à vaquer à leurs affaires, alors même que leurs bubons sont en pleine suppuration (Chi-coyneau, Chenot, Clot-Bey). Ces cas d'une bénignité extrême s'observent principalement au déclin et à la fin des épidé-mies. La -peste sporadique se montre le plus souvent sous la forme bénigne.
F. a. Cet aperçu de la symptomatologie de la peste, consi-dérée sous ses aspects les plus caractéristiques, fait assez sentir que, dans cette maladie, la fièvre est vraiment le phé-nomène capital ; elle constitue, à elle seule, ainsi que nous l'avons vu (B. C. D.), et l'étude nécroscopique va le démontrer plus pleinement encore, une sorte de période prodromique
o. Ces cas rares, auxquels nous faisions allusion plus haut, et dans lesquels la peste à bubons parcourt toutes les périodes, sans jamais être accompagnée de fièvre, ont été signalés par bon nombre d'auteurs éminents (Diemerbroeck, Sydenham, Chicoyneau) d'une manière plus ou moins explicite; d'autres assurent ne les avoir jamais rencontrés (Chenot, Martin Lange), et font remarquer qu'une fièvre prodromique légère passe quelquefois inaperçue. Ne se pourrait-il pas faire, d'ail-leurs, que ces cas exceptionnels fussent à la peste ce qu'esta la variole une éruption apyrétique de chicken-pox, ce qu'est au typhus des camps, l'exanthème papuleux non précédé de réaction fébrile?
Y. M. Gosse, loc. cit., p. 80, et Valleix, Guide du médecin praticien, t. V, p. 541), a décrit une forme de la peste dans laquelle une éruption de charbon précède l'apparition des phé-nomènes généraux. Ces charbons, qui sont, en pareil cas, le premier indice de la maladie, peuvent naître, dit M. Gosse, sur un point quelconque du tégument externe, mais ils se montrent principalement sur Imparties habituellement décou-vertes, sur les bras, les jambes, le cou ; la fièvre paraît seule-
(53, E.) pendant laquelle, dans les cas très graves, la mort peut survenir avant la production d'aucun vice anatomique apparent. Par le fait môme de cette fièvre prodromique qui paraît ne faire défaut que dans des cas infiniment rares, la peste doit donc être reconnue une affection générale incontes-tablement essentielle. L'éruption des bubons et des tumeurs charbonneuses ou, comme disent quelques auteurs, de l'exan-thème pestilentiel, n'est qu'un phénomène de seconde date; c'est une manifestation caractéristique, il est vrai, mais plus ou moins constante : ce n'est pas la condition fondamentale de la maladie.
ment à l'époque où les escharres étant formées, il se développe à leur pourtour, une inflammation éliminatrice. Parfois, les vaisseaux lymphatiques, et successivement les ganglions du membre où siège la tumeur, s'enflamment et se tuméfient ; la réaction fébrile est alors souvent très intense, et elle peut s'accompagner d'accidents généraux plus ou moins graves. Faut-il rattacher nécessairement cette description à l'histoire de la peste, et ne s'agirait-il pas simplement d'un certain nombre de cas de pustule maligne observés pendant le cours d'une épidémie pestilentielle?
G. Des bubons, des tumeurs charbonneuses, et des pe'téchies en particulier. — «. Les bubons pestilentiels peuvent, à la ri-gueur, se développer dans toutes les régions du corps où il existe des ganglions lymphatiques peu profondément situés ; mais c'est à la partie interne et supérieure de la cuisse, envi-ron à trois travers de doigt au-dessous de l'arcade crurale, ou encore dans le pli de l'aîne, qu'ils se montrent de préférence. On les observe fréquemment aussi dans le creux axillaire ; ils se montrent rarement à la région cervicale, plus rarement en-core dans le creux poplité. Ils se présentent sous forme d'une tumeur ovoïde, lisse ou légèrement bosselée, tantôt avec une teinte rouge, violacée, d'autres fois sans changement de cou-leur de la peau. Souvent ils ne sont pas plus gros qu'un pois, qu'une amande ; mais il peut arriver qu'ils atteignent le vo-lume du poing (de Mertens). Quelquefois indolents, ils sont dans certains cas, le siège de douleurs très vives ; le plus ha-bituellement, ils sont solitaires ; mais on peut les rencontrer au nombre de trois ou quatre chez quelques pestiférés. Les bubons pestilentiels apparaissent, en général, le deuxième ou le troisième jour de la maladie ; ils se développent habituelle-ment avec une grande rapidité, parfois dans l'espace de quel-ques heures. Nous avons vu (G. a. 6. y.) qu'ils se terminent soit
par résolution ou par induration, soit enfin par suppuration.
6. Les charbons pestilentiels, contrairement à ce qu'on voit pour les affections gangreneuses cutanées communi-quées des animaux à l'homme, se développent, en général, sur les parties de la peau habituellement recouvertes par les vêtements; on les a cependant vus, exceptionnellement il est vrai, siéger à la face, sur le cuir chevelu, aux extrémités des membres. Ils apparaissent plus tard que les bubons, et tandis que ceux-ci constituent le signe extérieur le plus constant de la peste, ceux-là peuvent faire défaut à peu près dans la moitié des cas, au moins dans certaines épidémies (Lachèze, Clot-Bey, ouv. cité). Considéré indépendamment des circonstances au milieu desquelles il se développe, le charbon de la peste ne paraît posséder aucun caractère qui lui soit vraiment propre et qui puisse, en particulier, le distin-guer de l'altération locale de la pustule maligne. Comme cette dernière, il commence par une ou plusieurs vésicules surmon-tant une induration lenticulaire ; puis il se forme à l'entour une tumeur érysipélato-phlegmoneuse, dont la partie la plus centrale ne tarde pas à être frappée de gangrène. Enfin, dans les cas heureux, la suppuration s'établit, l'escharre s'élimine et la cicatrisation s'opère. Il faut d'ailleurs distinguer deux es-pèces de charbon pestilentiel, comme on distingue aussi deux espèces de pustule maligne : tantôt, en effet, la gangrène est superficielle, bornée à la peau circonscrite ; tantôt, au con-traire, elle est diffuse, et la mortification s'étend aux parties profondes. L'anthrax pestilentiel de quelques auteurs n'est sans doute qu'un charbon volumineux, suivi de gangrène dif-fuse. (Voy. Clot-Beyef,0/?. «7., p. 34; — Ray, Mal. de la peau, t- H, p. 12; — Nélaton, Pathol. chir., 1.1.)
Y- Les pctéchies ne se montrent, en général, que dans les
cas de peste les plus graves ; leur apparition coïncide assez communément avec celle d'épistaxis, d'hématuries, d'hémop-tysies, de selles sanglantes et autres épiphénomènes, qui semblent indiquer une modification profonde survenue dans la crase du sang. — On peut les voir paraître sur presque toutes les parties du corps, la face exceptée; mais c'est principale-ment sur le cou, sur la poitrine et sur les membres qu'elles se développent; elles ont une coloration pourpre, violette, ou au contraire, presque noire; tantôt elles sont discrètes, d'autres fois elles sont confluentes ; elles sont fréquemment entremêlées d'ecchymoses plus ou moins étendues.
NÉCROSCOPIE.
A. a. Chez les pestiférés qui ont succombé rapidement, la peau est parsemée principalement à la face et au cou, de plaques ecchymotiques plus ou moins étendues ; la rigidité cadavérique est parfois très prononcée (Rigaud).
6. Les ganglions lymphatiques des diverses cavités du corps et ceux du mésentère, en particulier, présentent souvent, alors même qu'il n'existe pas de bubons, une tuméfaction plus ou moins marquée et parfois même un certain degré de ramol-lissement. (Clot-Bey, loc. cit.; — Pruner, loc. cit,; — Perron, dans Rapp. cit.)
Y. La rate est volumineuse, son tissu est mou, diffluent.
S. Les membranes muqueuses de l'estomac et des intestins, des bassinets, des uretères et de la vessie ; les membranes séreuses et en particulier les plèvres, le péricarde, le péri-toine paraissent couvertes d'ecchymoses d'une couleur plus ou moins foncée. Les cavités de l'estomac et des intestins sont parfois remplies de sang liquide ou en partie coagulé.
e. Il y a enfin une plénitude remarquable du système vas-culaire à sang noir.
B. Lorsque la maladie s'est prolongée au-delà de deux ou trois jours : —a. La rigidité cadavérique est peu prononcée, la putréfaction hâtive. — 6. Les ganglions lymphatiques qui forment les bubons et la plupart de ceux qui siègent dans les cavités du corps sont, à divers degrés, volumineux, rouges, ramollis; on y rencontre souvent des points de suppuration; le tissu cellulaire qui les entoure est infiltré de sérosité, de sang ou même de pus. Si le bubon est inguinal, ce sont, à l'in-térieur, les ganglions pelviens et lombaires qui se gonflent surtout et se ramollissent; ce sont, au contraire, les ganglions sous-sternaux, médiaslins et bronchiques qui se tuméfient principalement, lorsque les bubons siègent au cou ou dans le creux de l'aisselle. — y. La rate est ordinairement doublée, triplée de volume et ramollie ; le foie est volumineux et gorgé de sang; les reins sont parfois comme immergés dans du sang, qui s'est épanché dans le tissu cellulaire qui les enve-loppe; ils sont habituellement d'une couleur violet foncé, et présentent à leur surface de larges ecchymoses. — 3. Les ec-chymoses sous-péritonéales sous-pleurales, sous-muqueuses (A.. !,) font assez rarement défaut. Les cavités des plèvres et celle du péritoine, renferment communément une certaine quantité de sérosité sanguinolente. — s. Rien de moins dé-montré que l'existence de ces gangrènes et de ces charbons intérieurs, dont il est question si souvent dans les relations nécroscopiques faites lors de la dernière peste de Marseille.
E.
Pendant l'épidémie qui a sévi en Egypte, en 1834-35, M- le docteur Lachèze (Clot-JBey, ouv. cité), n'a jamais vu les follicules isolés ou agminés de l'intestin grêle présenter d'alté-rations notables. — i\. On sait fort peu de choses relativement
DIAGNOSTIC.
A. Au début des épidémies, il arrive souvent qu'on se mé-prenne sur la véritable nature du mal ; à cette époque, régnent habituellement des maladies populaires (typhus, fièvres pa-ludéennes rémittentes ou pernicieuses), auxquelles on est tenté de rattacher les premiers cas de peste. Ceux-ci ne se présentent pas encore avec leurs sypmptômes les plus carac-téristiques ; les bubons et les charbons se montrent rarement; les cas foudroyants dominent. Cependant, les médecins bien informés apprennent que, depuis quelque temps déjà, bon nombre d'individus subissent l'influence épidémique, éprou-vent des douleurs aux aines ou dans les aisselles, et, s'ils ont autrefois contracté la peste, dans les cicatrices des bubons (Prus, rapp. cité). Ils savent que le fléau sévit dans un pays limitrophe. On trouve, en outre, à l'ouverture des cadavres, dans les cas où la nature de la maladie est restée douteuse, les ganglions lymphatiques profonds à peu près partout tumé-fiés, rouges, friables même; la rate est volumineuse; les membranes muqueuses et séreuses sont persemées de pété-chies, etc. (voir le n° 43). C'est en tenant compte de ces di-verses circonstances, et en les appréciant à leur juste valeur, qu'on serait conduit à proclamer, en temps opportun, l'exis-tence d'une constitution pestilentielle. Bientôt, d'ailleurs, le doute ne sera plus possible, car, devenue maladie dominante, la peste se montrera dans chaque cas, ou peu s'en faut, avec
aux altérations que subit le sang dans la peste; sur les cada-vres, on le trouve, en général, dans un état de dissolution plus ou moins prononcé et plus noir que de coutume ; celui qu'on tire des veines, pendant la vie, aux diverses époques de la maladie, ne se recouvre jamais, dit-on, d'une couenne in-flammatoire (Lachèze, loc. cit.).
B. Analogies entre la peste et les affections charbonneuses. — Il n'est, sans doute, pas hors de propos de faire ressortir ici l'analogie qui existe entre la peste et les affections charbon-neuses considérées chez les animaux et chez l'homme. Chez les bêtes bovines, car c'est là surtout que la ressemblance est frappante, l'épizootie charbonneuse éclate de préférence dans les pays marécageux, après les inondations suivies de grandes chaleurs ; l'encombrement favorise son développement, la contagion miasmatique multiplie ses effets et étend sa sphère d'activité. Tantôt l'animal succombe dans l'espace d'un jour, de quelques heures même, sous le coup d'une fièvre charbon-neuse sans interruption: frissons intenses et répétés: anxiété avec respiration inégale, démarche chancelante et fixité du regard: prostration avec pouls vite, petit, concentré, irrégu-liers ; évacuations séreuses et parfois sanglantes : tels sont les symptômes qui dominent en pareils cas. — D'autres fois, la maladie affecte une marche moins rapide, et il y a plus de chances de guérison. La fièvre est marquée par une chaleur vive, avec pouls large et résistant: l'anxiété est moins pro-noncée que dans le cas précédent. Des bubons apparaissent à l'aine, dans le pli du flanc, au cou, dans les régions sous-glos-siennes et sous-parotidiennes ; des péte'chiesy des tumeurs charbonneuses, avec gangrène circonscrite ou diffuse, se mon-trent sur diverses parties du corps. Ces affections locales, sont considérées comme une éruption critique par bon nom-bre d'auteurs, et leur apparition coïncide, en effet, assez fré-quemment avec un amendement durable de fous les symp-tômes. Mais trop souvent aussi, cet heureux événement n'a pas lieu; la maladie revêt décidément le caractère typhoïde, et l'animal succombe le plus souvent. Alors même que la
un ensemble de symptômes qui ne permettra plus qu'on la méconnaisse.
mort survient dans un laps de temps très court, à la suite d'une attaque de fièvre charbonneuse, foudroyante, par exemple, on trouve, à l'ouverture des cadavres, la rate volu-mineuse et ramollie; le cœur droit et les gros troncs veineux sont gorgés d'un sang noir, comme sirupeux ; les membranes muqueuses et séreuses, sont tachetées de larges ecchymoses ; les ganglions lymphatiques du mésentère, de la région lom-baire, de l'entrée du bassin, ceux des membres, enfin, sont plus gros qu'à l'état normal, souvent ramollis et entouré d'une infiltration séreuse et sanguinolente. Toutes ces lésions sont plus prononcées encore, dans les cas où la maladie a marché moins rapidement. (Delafond, Traité de la maladie de sang des bêtes bovines, Paris, 1848, p. 179; — Heusinger, Die Milzbrand-krankhèiten der Thiere und der Menschen, Er-langen, 1850.) — Si nous comparons ces lésions et ces symp-tômes aux lésions et aux symptômes qui caractérisent la peste, nous reconnaîtrons qu'il existe entre cette maladie et l'affec-tion charbonneuse épizootique, des traits de ressemblance assez nombreux et assez frappants, pour justifier le rapproche-ment que nous avons voulu établir. Mais ce n'est pas tout: communiquée à l'homme par voie de contagion, ou, ainsi que cela paraît avoir lieu quelquefois, développée chez lui primiti-vement, la maladie charbonneuse peut se manifester par des symptômes en tout semblables à ceux que nous venons de décrire ; revêtir, en un mot, la forme de fièvre charbonneuse, accompagnée ou non d'éruption, et, par conséquent, simuler la peste. Dans des lieux et dans des circonstances où l'appari-tion de cette dernière maladie est une éventualité supposable, le diagnostic pourrait certainement présenter, parfois, de sé-rieuses difficultés. Le plus souvent, cependant, il serait fa-cile, en remontant à la source du mal, de reconnaître que le point de départ de tous les accidents, n'est autre que le virus charbonneux transmis par contagion aux hommes qui ont ap-
PRONOSTIC.
De l'aveu de tous les loïmographes, c'est toujours chose fort difficile que de prévoir l'issue d'un cas donné de peste. — Parmi les signes d'heureux augure, on a noté les suivants : apparition des bubons vers le troisième ou quatrième jour, coïncidant avec un amendement marqué de tous les symp-tômes; chaleur douce et moiteur de la peau se montrant dès le début de la maladie, et persistant pendant son cours; un pouls plein et régulier. — On range, au contraire, parmi les signes funestes, les pétéchies larges et nombreuses, l'hématu-rie, les selles, les vomissements sanglants ; l'apparition pré-maturée, l'affaissement brusque des bubons; l'ataxie du pouls, le refroidissement des extrémités, la prostration extrême des forces. — Le pronostic varie, d'ailleurs, en règle générale, suivant les périodes d'une même épidémie. Au début, tous les cas sont graves; vers le milieu, beaucoup de malades guéris-sent; ils guérissent presque tous vers la fin. — La peste spo-radique est presque toujours une maladie bénigne.
ÉTIOLOGIE.
A. Développement primitif de la peste. — a. La peste qui, pendant des siècles, étendit ses ravages sur toute la surface de l'ancien monde, semble aujourd'hui confinée dans les limi-tes de l'empire ottoman. Au nord, elle ne franchit pas le 24°, et au midi, le SLe degré de latitude boréale; à l'est, on ne la
proche les animaux malades, ou qui ont manié leurs dépouil-les. On parviendrait, de la môme manière, à distinguer la pus-tule maligne des cas où la peste se traduit uniquement d'abord, ainsi que l'admettent quelques auteurs, par une affection gangreneuse toute locale de la peau.
voit plus au-delà d'une ligne fictive qui joindrait le fond du golfe Persique à la mer Caspienne; à l'ouest, elle s'arrête aux frontières politiques ou naturelles de l'empire. Presque tous les points habités de ce vaste territoire peuvent la voir régnei sous forme d'épidémies plus ou moins meurtrières ; mais il eu est un certain nombre où elle ne s'éteint peut-être jamais complètement, et où elle paraît trouver les éléments d'une re-production pour ainsi dire incessante. On cite surtout, parmi ces foyers primitifs de la peste, en Afrique, les villes du delta; en Syrie, Alep et la plupart des cités du littoral mari-time ; dans la Turquie d'Asie, sur les côtes, Smyrne principa-lement; à l'intérieur, Erzeroum et les villages voisins que bai-gnent les sources septentrionales de l'Euphrate ; dans la Turquie d'Europe, Constanlinople, et tout à fait au nord, les centres de population disséminés dans les contrées maréca-geuses que parcourt le Danube, depuis Belgrade jusqu'à la mer.
g. Dans ces contrées où la peste prend naissance, l'atmos-phère est chaude et humide, au moins pendant une bonne partie de l'année; le sol est, le plus souvent, bas et maréca-geux, sillonné par des canaux mal entretenus, des rivières fangeuses, ou traversé par des fleuves sujets à des déborde-ments annuels. Dans les villes, on trouve des égoûts infects, des cimetières situés au milieu des quartiers les plus peuplés; les rues, non pavées, sont étroites, sombres, tortueuses, en-combrées d'immondices; les habitations sont mal bâties, mal ventilées, toujours trop resserrées pour les nombreux individus qui y vivent; ceux-ci, le plus souvent, plongés dans une mi-sère profonde, font usage d'une nourriture insuffisante et malsaine. Toutes ces circonstances sont éminemment propres à entretenir, à activer la décomposition des matières animales et végétales, et à accroître les propriétés délétères des produits
de celle décomposition. Elles expliquent ainsi suffisamment l'apparition de ces typhus (1568), et de ces maladies d'intoxi-cation paludéenne (1448), qui, habituellement, précèdent, sui-vent la peste, et, quelquefois, coexistent avec elles ; elles favo-risent probablement aussi le développement et la propagation de la peste elle-même; mais leur étude ne nous apprend rien déplus. La peste, en effet, ainsi que le démontrent tous les points de son histoire pathologique, est un type vraiment à part d'intoxication miasmatique : elle réclame, par conséquent, des causes génératrices toutes spéciales : or, celles que nous avons énumérées plus haut peuvent se rencontrer, à peu près au même degré, dans des pays où on ne la voit jamais naître.
B. Transmission contagieuse de la peste. — %. Pour l'obser-vateur placé dans le lieu même où sévit une maladie épidé-mique, il est, on le conçoit, toujours fort difficile de discerner sûrement les effets de la contagion d'avec ceux qui appartien-nent à l'influence atmosphérique ; en dehors du foyer de l'épidémie, au contraire, le problème est beaucoup plus sim-ple. 11 suffit, en effet, pour le résoudre, de suivre la maladie pas à pas, dans son développement progressif, et de faire voir que l'apparition des cas s'opère dans l'ordre des rapports intimes des individus. Ces remarques s'appliquent parfaite-ment à la peste. Les membres de la commission nommée en 1844, par l'Académie do médecine, pour examiner toutes les questions relatives aux quarantaines, ont eu soin de le faire sentir. « Pour résoudre, dit Prus, organe de cette commis-» sion, complètement et définitivement la queslion delà tran-» smissibilité de la peste par les individus, les vêlements ou » autres objets infectés, c'est loin des contrées où la peste est » endémique, c'est loin des foyers épidémiques que les ob-» servateurs doivent s'appliquer à trouver les éléments de la
Charcot. Œuvres complètes, t. viii, Maladies infectieuses. 8
) solution. Trop longtemps on a cru que c'était en Egypte » en Syrie, en Turquie, qu'on pouvait arriver à des résultats » utiles et durables. Cela n'est vrai que pour les questions » relatives à l'endémicité et à l'épidémicité de la peste. lien » est tout autrement pour la question de la transmissibilité. » C'est en mer, c'est sur les côtes où la peste n'est pas endé-» mique, c'est dans les lazarets d'Europe qu'on peut trouver » des faits concluants, et arriver enfin à la vérité. » (Rapport sur la peste et les quarantaines, p. 133.) Or il est incontes-table que la peste a été souvent portée en Occident, et en par-ticulier à Marseille, sur des vaisseaux partis de différents pays du Levant, dans le temps où ces pays étaient le théâtre de l'épidémie pestilentielle. On a vu, en pareil cas, la maladie éclater à bord, quelques jours après le départ du navire, chez un ou plusieurs individus, qui, bientôt, la transmettaient à d'autres ; ceux-ci, recueillis dans un lazaret européen ont pu la communiquer à leur tour à des chirurgiens quarantenaires, à des gardes de santé. (Rapport cité ; chap. vi, p. 133.)
6. La transmission contagieuse de la peste, devenue na-guère l'objet de vives controverses, semble donc aujourd'hui ne pouvoir plus être révoquée en doute : mais dans quelles limites, suivant quelles lois s'opère-t-elle, tant dans les foyers mêmes de l'épidémie qu'en dehors de ces foyers? La solution de ces questions, on le comprend aisément, peut seule con-duire à établir, sur des bases vraiment scientifiques, la pro-phylactique de la peste. Voici, en peu de mots, comment elle a été donnée dans le remarquable travail qui nous sert ici de guide (Rapport cité; page 199 et suiv.). — La peste grave est partout transmissible par contagion miasmatique ; rien ne prouve qu'elle puisse être transmise par le simple contact ou par inoculation. Cette contagion est d'ailleurs surtout à crain-dre pour ceux qui s'exposent pendant longtemps à l'action des
miasmes pestilentiels, dans un local étroit et mal ventilé; à l'air libre, on peut la braver presque toujours sans danger. Quant à la peste sporadique, il ne paraît pas qu'elle soit ja-mais contagieuse. — Il n'est pas certain que la peste puisse être communiquée par les vêtements qui ont servi aux pestifé-rés; il n'est nullement démontré que des marchandises puis-sent la transporter hors des foyers épidémiques. Loin des pays où règne l'épidémie, la maladie n'a jamais éclaté chez des personnes compromises, après un isolement de huit jours; dans les foyers épidémiques, la durée de l'incubation paraît être, en général, beaucoup plus courte. — Enfin, et c'est là, sans contredit, un des points les plus importants du sujet qui nous occupe, les pestiférés transportés dans un lieu où ne rè-gne pas la peste peuvent bien communiquer la maladie à un certain nombre d'individus; mais il paraît certain que cette peste importée ne pourra pas, en général, prendre assez d'ex-tension pour constituer une calamité publique; elle s'éteindra d'elle-même, le plus souvent, après avoir fait quelques victi-mes, à moins qu'elle ne rencontre dans le climat, l'atmos-phère et chez les habitants des conditions éminemment favo-rables à son développement.
C. Peste épidémique. — %, Les circonstances relatives aux climats, aux diverses saisons de l'année ne paraissent pas avoir eu une influence décisive sur la marche, la durée et l'in-tensité des épidémies de peste qui ont été observées dans les contrées où cette maladie n'est pas endémique. Dans ces con-trées, en effet, le fléau a pu sévir par les températures et sous les latitudes les plus diverses (1754). Il paraît en être autre-mentà l'égard des pays que l'on s'accorde à considérer comme le foyer de la peste ; on y voit les épidémies naître et dispa-raître à des époques de l'année qu'on peut, le plus souvent, déterminer à l'avance, et qui sont toujours les mêmes pour
une même contrée. En Egypte, par exemple, où la peste éclate à peu près tous les huit ou dix ans, aujourd'hui comme au temps de Prosper Alpin, l'épidémie débute soit en novem-bre, soit en mars, et elle s'éteint vers le milieu du mois de juin (Prosper Alpin, Clot-Bey, Aubert-Roche). A Constantino-ple, c'esttoujours pendant les grandes chaleurs de l'été qu'elle commence, c'est-à-dire du 1er au 15 juillet; elle finit ordinai-rement en décembre (Brayer). A Smyrne, les premiers cas se montrent en octobre ou en novembre, et le 15 août est le jour désigné pour rompre les quarantaines.
6. L'étude du sol, celle des dispositions physiques et mo-rales des populations, nous dévoilent un certain nombre de circonstances qui paraissent favorables au développement et à l'extension de la peste. En Egypte, l'épidémie épargne le plus souvent les villes qui, comme le Fayoum et Kosseir, sont bâties sur un sol élevé, sec et aride, ou au voisinage du dé-sert, alors même qu'elles conservent des rapports fréquents avec les pays infectés. Elle frappe surtout les villes du delta, situées sur le Nil, ou entourées de lacs ou de marais : le Caire. Alexandrie, Damiette, par exemple. Venise et Marseille sont, après Constantinople, les deux cités d'Europe qu'elle a le plus souvent visitées, et où elle s'est montrée le plus redoutable. On peut en accuser, au moins en partie, les lagunes de la première, et le port infect de la seconde.
Un sol bas et marécageux, une atmosphère chaude et hu-mide, voilà, en résumé, un concours de circonstances émi-nemment propres à fixer la peste. Il ne faut pas oublier cepen-dant que cette maladie terrible a autrefois ravagé presque indistinctement des villes d'Europe soumises aux influences topographiques et climatériques les plus opposées. Quant aux causes débilitantes, telles que misère, famine, maux de guerre, oubli des règles de l'hygiène publique et privée, elles peu-
vent étendre leur action sur des populations entières, et pré-parer, en quelque sorte, le terrain, dans lequel tous les agents miasmatiques germent et se développent avec une énergie singulière.
y. Quel que soit le pays où on l'observe, la constitution pestilentielle est, en général, précédée par des affections plus ou moins graves, fièvres paludéennes simples ou pernicieuses, typhus, qui jouent, par rapport à elle, le rôle de maladies prodromiques. — En même temps, beaucoup d'individus éprouvent des douleurs dans les aines et dans les aisselles, ou encore dans les cicatrices des bubons, si autrefois déjà ils ont contracté la peste. — Lorsque l'épidémie esta son début, la maladie tue souvent en quelques jours, en quelques heures, avant même que les bubons se soient manifestés (p. \ 02. G.); plus tard, elle parcourt ses périodes assez régulièrement et se montre moins meurtrière; au déclin, la plupart des malades en réchappent. — Pendant le règne de la peste, les affections intercurrentes deviennent fort rares, souvent même elles s'ef-facent complètement. —Tous ces caractères placent la peste au premier rang des maladies épidémiques. Est-ce à dire qu'il faille, à cause de cela même, ainsi que le veulent quelques auteurs, lui refuser la propriété de se transmettre par voie de contagion? Assurément non. «Il ne convient pas d'opposer » les maladies épidémiques aux maladies contagieuses : ces » deux qualifications n'impliquent entre elles ni contradic-
» tion, ni coexistence.....Telle maladie peut être contagieuse
» sans être épidémique ; telle autre, réciproquement, épidé-» mique sans être contagieuse, et telle autre à la fois épi-» démique et contagieuse » (97. B. 2). La peste est un exem-ple frappant du dernier genre.
La transmission contagieuse de la peste, restreinte, comme elle paraît l'être, dans des limites assez étroites (B, ê.) ne sau-
rait expliquer à elle seule le développement, les progrès et les migrations des grandes épidémies pestilentielles. La ma-ladie éclate tout à coup, et simultanément, sur divers points d'un même territoire, d'une même ville ; elle frappe le même jour, à la même heure, des individus qui n'ont pu avoir entre eux aucune communication ; elle se transporte d'une ville à une autre, sans s'arrêter dans les localités intermédiaires; elle se répand, enfin, sur un grand nombre de contrées, après avoir traversé les mers, franchi les chaînes de montagnes, déjoué tous les obstacles qu'on lui a vainement opposés, en suivant dans sa marche, dirigée, à l'origine, de l'orient vers l'occident, un itinéraire qui semble tracé à l'avance. La conta-gion n'est certainement pas l'agent principal de ce grand phénomène, bien qu'elle joue, suivant toute probabilité, un rôle important. Dans les foyers de peste, l'épidémie se déve-loppe, sans doute, par suite de la concentration insolite des miasmes engendrés sur les lieux mêmes ; la migration de ces mêmes miasmes ou de leurs germes, à travers l'atmosphère et sous l'impulsion d'agents inconnus, produit apparemmeni les épidémies mobiles, celles qui se propagent dans les régions les plus éloignées du foyer primitif, malgré toutes les bar-rières qu'on leur oppose.
D. Causes prédisposantes personnelles. — Les nègres pa-raissent avoir une singulière prédisposition à contracter la peste; chez eux, la maladie se montre habituellement très grave, et le plus souvent mortelle. Cela tient sans doute, au moins en partie, aux conditions hygiéniques déplorables au milieu desquelles ils vivent. Les classes les plus miséra-bles viennent en première ligne, sur les tableaux de mortalité dressés par M. Aubert-Roche, lors de l'épidémie qu'il a obser-vée à Alexandrie, en 1835. Sur ces tableaux, les fellahs et les Maltais viennent immédiatement après les nègres ; puis, ce
NOTE HISTORIQUE.
La peste a régné en Egypte, comme elle y règne encore au-jourd'hui, dès avant le premier siècle de l'ère chrétienne. Le fragment de Rufus d'Éphèse, conservé par Oribase, et retrouvé par Angelo Mai (1746), ne peut laisser subsister aucun doute à cet égard. La pratique si originale de l'embaumement des hommes et des animaux, et quelques autres coutumes de l'antique civilisation égyptienne, relatives à l'épuration de l'air et du sol, étaient peut-être des mesures d'hygiène publique, en grande partie dirigées contre ce fléau redoutable. Fran-chissait-il, dans ce temps-là, ses limites habituelles pour se répandre sur l'Europe ? On est porté à le croire, si l'on re-marque qu'il est souvent question, chez les historiens de l'an-tiquité, d'épidémies meurtrières qui, parties d'Egypte, parcou-raient, en les dévastant, tantôt l'Europe et tantôt l'Asie.
sont les Grecs et les Juifs, puis, les Turcs, et en dernier lieu, les Européens. — Aucun âge n'est exempt de la peste ; Je doc-teur Pruner a vu des enfants de trois à six mois succomber à la maladie, en vingt-quatre ou quarante-huit heures, avec des bubons au cou ou à l'aisselle. Mais, en général, les enfants et les vieillards sont moins souvent atteints que les adultes (Au-bert-Roche). — Les individus faibles et cachectiques, ou atteints de maladies chroniques, de phthisie, par exemple, ne sont pas plus que d'autres, épargnés par l'épidémie. — Une pre-mière attaque de peste ne met pas toujours à l'abri des réci-dives (Diemerbroeck, Chenot, Clot-Bey). Quelques sujets ont pu être atteints, dit-on, jusqu'à trois fois, dans le cours d'une même épidémie (Chenot). Suivant le docteur Pruner, les réci-dives n'ont lieu, en général, que dans les cas où, lors de la première attaque, il n'y a eu ni éruption de charbons, ni sup-puration des bubons.
Toutefois, les documents nous manquent pour décider si ces épidémies étaient bien, en réalité, des pestes à bubons. La fameuse peste d'Athènes (429-430 av. J.-G ) est devenue elle-même le point de départ de thèses fort contradictoires, malgré la belle description que Thucydide nous en a laissée, et il est incertain, s'il faut la faire figurer dans un tableau chronologi-que des grandes pesles qui ont envahi l'Europe (Schœnke, De peste Periclis œtate Athen. affligent., Lipsiœ, 1831, p. 23, 32. — Daremberg, loc. cit.). On peut en dire autant de la plu-part des épidémies mentionnées, sous le nom de pestes, par les écrivains d'une époque moins reculée. — La première de ces pesles, dont l'identité ne soit pas contestable, est celle qui fut décrite par Evagrius et par Procope, témoins oculaires. Elle éclata, en Egypte, l'an 341 de notre ère, sous le règne de l'empereur Justinien. Originaire, dit-on, de l'Ethiopie, elle gagna bientôt Péluse, d'où elle se répandit d'un côté vers l'occident, par Alexandrie, et de l'autre vers l'orient, sur la Palestine. Au printemps de l'an 542, elle avait atteint Cons-tantinople, et, l'année d'après, elle frappait successivement laLombardie, laLigurie, les Gaules et enfin l'Espagne. — On la vit ensuite envahir les contrées jusqu'alors respectées par elle, ou se reproduire sur les lieux qu'elle avait déjà rava-gés. Ainsi, en 546, elle parut en Allemagne; en 564, elle éclata de nouveau en Lombardie, à Gênes; en 571, elle était en Auvergne ; en 582, puis en 591, en Touraine ; en 589, à Rome et dans toute l'Italie; en 599, à Marseille, etc., etc. En un mot, pendant plus d'un demi-siècle, cette peste a dé-vasté, presque sans relâche, à peu près toutes les régions du monde alors connu. Les dénominations de Mordus inguina-rius, Clades inguinaria, par lesquelles les historiens et les annalistes du temps l'ont souvent désignée, semblent indi-quer déjà qu'elle fut bien une peste à bubons ; les récils de Procope (De bello Persico, III, c. 22) et d'Evagrius (Hist.ecclés.,
I IV, c. 29), établissent le fait d'une manière irréfragable.
Du vie au xive siècle, la peste sévit maintes fois en Europe, particulièrement en Italie. Les pestes de 1016-1022 furent presque générales. — C'est vers le milieu du xiv° siècle que la fameuse épidémie connue sous le nom de peste noire, éclata en Europe. Où prit-elle naissance? Les historiens d'alors la font venir du Cathay, c'est-à-dire du nord de la Chine. Pour le savant Mead, qui ne voit qu'une fable dans celte tradition, il n'est pas douteux que la peste noire ait eu, comme les pré-cédentes, l'Afrique pour berceau1. Quoi qu'il en soit, il paraît certain qu'elle ravagea d'abord, dans le cours de l'année 1346, l'Egypte, la Turquie, la Grèce, la Syrie et l'Inde; puis, en 1347, elle envahit l'Europe en commençant par la Sicile, Pise, Gênes, etc. En 1348, elle se répandit sur toute l'Italie, à l'exception de Milan et de quelques contrées voisines des Al-pes. La même année, elle franchit ces montagnes, désola la Savoie, la Bourgogne, la Provence, le Dauphiné,le Languedoc; puis, elle passa en Espagne, qu'elle parcourut du nord au midi, dans presque toute son étendue. En 1349, elle gagna l'Angleterre, l'Ecosse, l'Irlande et les Flandres; en 1350, elle parut en Allemagne, en Hongrie, dans le Danemark et en Suède; puis elle revint sur ses pas, ravagea de nouveau la France et l'Italie, et s'éteignit enfin, suivant Papon,l'an 1363. Dans certains lieux, à Florence, par exemple, la peste noire paraît avoir été, dès le début de l'épidémie, caractérisée par des bubons qui survenaient aux aines ou aux aisselles, et par des taches livides qui couvraient toute la surface du corps
1. La fièvre à bubons qui a été récemment observée dans certaines pro-vinces de l'Indoustan, et décrite par les médecins anglais sous le nom de Paliptague, se rapproche de la peste noire par un assez bon nombre de symptômes et en particulier par l'existence fréquente de la toux et des cra-chements de sang. Elle paraît d'ailleurs s'être développée dans les lieux mêmes qu'elle a ravagés. Les remarques que nous empruntons à un travail récent du docteur Hirsch (1746) sembleraient donner gain de cause à la ver-sion qui place en Asie le point de départ du grand fléau du xiv° siècle.
(Boccace, Décaméron). Ailleurs, les bubons et les charbons manquaient, en général, pendant la première période de l'épi-démie; l'hématurie, les selles sanglantes, les épistaxis, §| principalement une toux sèche suivie d'hémoptysie, épiphé-nomènes qu'on trouve quelquefois indiqués dans les relations de quelques pestes d'une époque ultérieure, s'observaient alors dans la majorité des cas. Les malades périssaient très rapidement. (Guy de Chauliac, Chirurgia magna, t. II, c. V.; Chaulin de Yinario, De peste, libr. III). — Dans le xvc siècle, de 1416 à 1450, l'Asie Mineure, la Dalmatie, la Hongrie, l'Ita-talie, l'Allemagne, la Belgique, la France et l'Espagne, furent cruellement ravagées par le fléau. C'est en 1403 que fut créé, à Venise, le premier lazaret contre la peste. — Pendant le cours du xvie siècle, la peste éclata souvent en Europe; elle sévit principalement en Italie, dans le midi de la France, en Allemagne, mais elle n'eut pas, ce semble, d'unité d'action, de mouvement progressif. Elle frappa, pour ainsi dire, sans règle, les contrées les plus distantes. Prosper Alpin nous ap-prend qu'à cette époque, la peste sévissait fréquemment en Egypte et dans tout l'Orient. — Au xvne siècle, la peste par-courut toute l'Europe, et elle y pénétra jusque dans les régions les plus septentrionales. On la vit, dit-on, l'an 1670, en Lapo-nie (Ozanam). Parmi les épidémies les plus mémorables de ce siècle, on cite surtout celle de Nimègue (en 1635) et celles de Londres (en 1636 et 1665). On manque de renseignements positifs sur l'état de l'Egypte pendant cette période. — La peste éclata un grand nombre de fois en Egypte et dans tout l'Orient, pendant le cours du xvme siècle. En Europe, elle parcourut la Pologne, la Russie, l'Allemagne, la Prusse, et sé-vit dans les villes du Nord, telles que Dantzick, Hambourg, Copenhague, Stockholm. Elle ravagea aussi la Provence. Les pestes de Marseille (en 1720), celles de Transylvanie (en 1755-57), de Moscou (en 1770), sont particulièrement célèbres. —
Au xixc siècle, pestes nombreuses en Egypte, en Turquie, en Grèce. La peste à bubons éclata à Noja, petite ville du royaume de Naples, en 1815, à Odessa, en 1837 !»
THÉRAPEUTIQUE.
a. La peste, on peut l'espérer, disparaîtra complètement un jour, devant les progrès incessants de la civilisation. Elle cessera, sans doute, de se reproduire dans les lieux où elle a pris naissance tant de fois déjà, alors qu'on y aura détruit, dans les villes et dans les campagnes, tous les foyers d'infection et mis en vigueur des règlements rigoureux pour y prévenir l'encombrement, y soulager les misères, et y assurer, en un mot, le bien-être des populations. Mais, jusqu'à ce jour, rien ne prouve qu'elle soit à tout jamais éteinte2. Si donc l'épidémie venait à éclater dans une ville, par exemple, il faudrait aussitôt assainir les lieux et disperser les individus, tout en prenant des mesures nécessaires pour éviter la diffusion du mal par voie de contagion. Ainsi, les gens non contaminés devraient abandonner la localité infectée ; ils iraient camper dans un lieu plus ou moins éloigné et où il leur serait interdit de com-muniquer avec les habitants des contrées voisines; les maisons seraient nettoyées, aérées, purifiées; elles resteraient vides pendant un an au moins. Les pestiférés seraient isolés, dissé-minés et placés dans des endroits élevés et bien ventilés. Ces mesures pourraient, sans doute, restreindre l'action du fléau, l'arrêter même parfois dans son mouvement d'expansion. Mais, surtout lorsqu'il y a grande épidémie, les miasmes qui propagent la peste peuvent, à l'instar des miasmes choléri-
1. Extrait du tome IV des Éléments de pathologie médicale de Requin, i863.
2. La conférence sanitaire internationale, dont les travaux ont été publiés a Paris, en 1852, établit qu'aucun cas de peste n'a été observé à Consîanti-nople, depuis 1838, dans le reste de la Turquie d'Europe, depuis 1849, en Asie Mineure et en Syrie, depuis 1843, en Egypte, enfin, depuis 1841.
ques, acquérir le privilège de franchir des distances considé-rables à travers l'atsmosphère, sans rien perdre de leur acti-vité. L'isolement, quelque rigoureusement observé qu'on le suppose, ne saurait être considéré, en pareil cas, que comme un moyen prophylactique d'une importance secondaire et d'une efficacité presque douteuse. On comprend par là ce que se-ront les quarantaines et les cordons sanitaires contre la peste, lorsqu'il sera devenu possible de les établir d'après des don-nées purement scientifiques. (A. Tardieu, Dictionn. d'hygiène publique et de salubrité', t. III, p. 87, p. 267.)
6. On ne connaît pas de remède qui puisse préserver de la peste ; on ne connaît, en outre, aucun médicament spécifique qui puisse atteindre et neutraliser le poison morbide, dès qu'il a pénétré dans l'économie et qu'il y a exercé ses terribles ra-vages. On en serait donc réduit à se guider d'après les indica-tions rationnelles, si l'on se trouvait en présence d'un pestiféré. Les médications antiphlogistiques, stimulantes, évacuantes et d'autres encore qui ont été préconisées tour à tour, ne sau" raient par conséquent être mises en œuvre dans chaque cas indistinctement, à toutes les périodes de la maladie et dans toutes ses formes. Tantôt, par exemple, la prostration des forces sera telle, dès le début, qu'il faudra ranimer le malade à l'aide des cordiaux les plus énergiques ; tantôt, au contraire, la forme hyperthénique se dessinera assez franchement pour qu'il faille avoir recours aux émissions sanguines. Mais il nous paraît pe u utile d'entrer, à ce propos, dans de plus longs déve-loppements, et les règles qui ont été tracées lorsqu'il s'est agi de la thérapeutique des pyrexies typhodes, celles principale-ment qui concernent l'administration des toniques, des stimu-lants et des antiphlogistiques, dans ces pyrexies, devraient, ce nous semble, trouver ici leur application (1696-1732).
Les médecins des siècles passés se sont souvent appliqués à
provoquer l'apparition et la suppuration des bubons. De pa-reilles tentatives sont, ainsi qu'on l'a reconuu de nos jours, au moins inutiles (Aubert-Roche). Les bubons et les charbons pestilentiels ne paraissent pas réclamer d'autres soins que ceux qu'on dirige contre ces mêmes affections, lorsqu'elles apparais-sent dans des maladies autres que la peste.
IX.
Fièvre jaune.
Bibliographie. — Febreyra da Rosa, Trattado da constituiçam peslilencial da Fernambuco, Lisboa, 1694. — « C'est là le premier traité médical sur la fièvre jaune. La maladie décrite par Ferreyra régna à Olinda, en 1684. L'auteur touche, dans son traité, les points principaux qui, dans l'histoire de la fièvre jaune, ont particulièrement éveillé la discussion parmi les médecins. » (E. Littré, article cité). — Sauvages, Sosologia methodka. (class. II, ord. I, gen. VI, Typhus, sp. 7. Typhus icterodes, I, p. 314.) Amsterdam, 1768. — J. Hunter, Observations on the diseases of the army in Jamaïca (p. 2G et 27). London, 1796. — Lind, Essai sur les maladies des Européens dans les pays chauds. — Histoire de la fièvre jaune, donnée par le docteur Bruce, p. 19, t. II. Paris, 1785. — B. Bush, Inquiry into the va-rious sources of the usual forms of summer and autumnal diseases in the United States, etc. Philadelphia, 1805. Account on the bilious rémittent Yellow Fever in Philadelphia, 1793, Philadelphia, 1794. — J. Devèze, Recherches et observations sur les causes et les effets de la maladie épidémique qui a ra-vagé Philadelphie en 1793, Philadelphie, 1794. Traité de la fièvre jaune, Paris, 1820. — Chisholm, Essay on the malignant pestilential fever intro-duced in the West Indian islands from Boulam of the coast of Guinea, as it appeard in 1793 and 1794, Londres, 1795. — G. Galdwell, Med. and phys. Mem. containing a particular inquiry into the origin and nature of the laie pestil. epidemijs of the United States, Philadelphia, 1801. — K.-". Bancroft, A sequel to an essay on the yellow fever principally intended to prove by in-contestable facts and important documents that the fever called Bulam, has no existence as a distinct or a contagions disease. London, 1817. — Dalmas, Recherches historiques et médicales sur la fièvre jaune. Paris, 1805. — 2e édit. Paris, 1822. — J.-E. Arejula, Descripcion de la Febre amarilla en Cadiz, 1800, en Medina Sidonia 1801, en Malaga 1803 et 1804, Madrid, 1804. — G. Tommasini, Ricerche patologiche sulla febbre di Livorno del 1804, sulla febbre gialla americana e suite malattre di genio analogo, Bologne, 1824. — F. Dufour, Histoire de la maladie régnante à Livourne en 1804, Imprimé à Pise, 1804. — G. Palloni, Osservazioni mediche sulla mallatia fébrile-domi-nante in Livorno, per servire d'istruzioni ai signori medici. Florence, 1804. — Parère rnedico sulla malattia fébrile che ha dominato nella citth di Livorno l'anno, 1804. — Pariset, Observations sur la fièvre jaune faites à Cadix en 1819, Paris, 1820. — Bally, François et Pariset, Histoire médicale de la fièvre jaune observée en Espagne en 1821, Paris, 1823. — J.-A. llochoux, Dissertation
sur le typhus amaril ou maladie de Barcelone, improprement appelée fièvre jaune, Paris, 1822. Rapport sur l'origine, les progrès, la propagation par voie de contagion, de la fièvre jaune qui a régné en 1821 à Barcelone, Traduit de l'espagnol par P. Rayer, Paris, 1822. — Documents recueillis par MM. Cher-vin Louis et Trousseau, membres de la commission médicale française en-voyée à Gibraltar pour observer Vépidémie de 1828, et par M. le docteur Barry, médecin des armées anglaises, Paris, I8:i0. — Louis, Recherches sur la fièvre jaune de Gibraltar de 1828 (Dans les Mémoires de la Société médi-cale d'observation de Paris, t. II, 1844). Des caractères anatomiques essentiels de la fièvre jaune. (Dans les Archives gên. de méd., p 68, t. VI, 3e sé-rie 1839). — Chervin, Rapport sur deux mémoires de M. le docteur Rufz, relatifs à la fièvre jaune qui a régné à la Martinique du mois de janvier 1838 au 31 décembre 1840. (Dans les Bulletins de l'Académie royale de médecine, 1842, t. VII, p. 1045). — Fi. Littré, Article Fièvre jaune du Répertoire général des sciences médicales, 1838, t. XVII, p. 271. — Monneret et Fleury, Com-pendium de médecine pratique. (Article Fièvre jaune, t. V, p. 481). — G. Wood, A Treatise on the practice of médiane (t. I, p. 304, Yellow fever). 3° édition, Philadelphia, 1852. — Second rapport sur la quarantaine — fièvre jaune, — présenté par le Conseil général de santé, aux deux chambres du par-lement, par ordre de Sa Majesté, Londres, 1851. — Dutroulau, Fièvre jaime, sa spécificité, cas sporadiques (Archiv. gén. de méd., 5e série, 1853. t. I, p. '29). — II. La Roche, Yellow fever considered in its historical, pathologi-cal, étiological and therapeutical relations, Philadelphia, 1855. — Importante et vaste monographie, où l'on trouve rassemblés tous les documents les plus complets relativement à la fièvre jaune. Nous lui avons fait de nombreux: emprunts. — Dutertre (le père) Histoire générale des Antilles habitées par les Français, 1067-1691. — Labat (le père), Nouveau voyage aux îles d'Amé-rique, t. I, Paris, 1712. — Moreau de Jonnès, Monographie historique et mé-dicale de la fièvre jaune, Paris, 1S20.
DÉFINITION.
La fièvre jaune, pyrexie endémique et épidémique, qui, jusqu'à ce jour, n'a pas dépassé certaines limites géogra-phiques, est remarquable surtout par la succession de trois périodes, dont la première est caractérisée par une réaction fébrile intense, avec injection prononcée des conjonctives et de tout le tégument externe, une rapide prostration des forces, de violentes douleurs épigastriques, lombaires et arthritiques (coup de barre); la deuxième, par une rémission plus ou moins marquée dans tous les symptômes; la troisième, enfin, par l'apparition d'une coloration jaune de la peau et des conjonctives, par des vomissements noirs (vomito prieto, vomito negro), des hémorrhagies qui ont lieu par diverses
voies, et en dernier lieu, l'adjonction fréquente de symptômes typhoïdes.
SYNONYMIE.
a. Typhus icterodes de Sauvages (cl. II, ord. I, gen. IV, 7); de Sager (cl. XII, Febres, ord. I, gen. IV, 7) ; de Cullen (ord. I, sect. II, Febres continuée, gen. V).
6. Fièvre jaune d'Amérique, dans la Nosographie philoso-phique de Pinel (classe I, ord. V, Ataxiques malignes, genre XII, Fièvre ataxique contagieuse, espèce 2e).
y. Mal de Siam. — Fièvre de Bulam ou de Bulama. — Cette dénomination a été assignée par Chisholm à la fièvre jaune pestilentielle qui a ravagé une partie du nouveau monde en 1793, parce qu'il la croyait originaire de l'île de Bulama, île située sur la côte occidentale de l'Afrique, près de l'embouchure du Rio-Grande. L'opinion singulière de Chisholm, embrassée plus tard par le docteur Lym, se trouve réfutée tout au long dans l'ouvrage cité du docteur Bancroft.
S. Vomito negro, Vomito prieto, Fiebre amarilla des Espa-gnols. — Yellow Fever, Blach vomit Fever des Anglais. — La maladie épidémique qui a sévi à Barcelone, en 1821, a été désignée sous le nom de typhus amaril, par Rochoux, qui s'est efforcé de la distinguer de la fièvre jaune des Antilles. Elle n'en diffère cependant par aucun caractère important.
SYMPTOMATOLOGIE.
A. Prodromes. — Les individus qui vont être pris de la fièvre jaune ressentent, pendant les quelques jours qui pré-
cèdent son invasion, des douleurs plus ou moins vives sié-geant à la tête, à Ja région lombaire, dans les membres. Ils ont de l'inappétence, des nausées; leurs yeux sont rouges et brillants; ils éprouvent un sentiment de fatigue plus ou moins prononcé. Ces phénomènes prodromiques peuvent d'ailleurs faire défaut; la maladie éclate, en elfet, assez souvent à l'impro-viste, principalement dans les cas graves.
B. Première période. — L'invasion se fait quelquefois par un frisson unique et violent; mais, en général, ce sont des frissons légers revenant par intervalles et alternant par des bouffées de chaleur qui ouvrent la scène. Un mouvement fébrile, à type continu, mais présentant, vers le soir, des exacerbations souvent assez bien marquées, s'établit ensuite et jusqu'à la fin de la période. Le pouls est régulier, vite, tendu, plein et fort, au moins pendant l'exacerbation, il bat 90 à 100 fois par minute. La peau est brûlante, sèche et fait éprouvera la main qui l'explore une sensation d'âcrelé toute particulière. Elle présente bientôt, surtout à la face, une coloration rouge acajou, plus ou moins foncée, lorsque la réaction fébrile est violente, rosée seulement quand la fièvre est peu marquée. Les yeux sont injectés, brillants, humides, douloureux; les malades y éprouvent une sensation de gra-viers. Le regard rappelle ce qu'on observe dans l'ivresse, et la physionomie exprime la stupeur. — H y a une céphalalgie orbitaire, gravative, intense, mais qui cède rapidement aux premiers moyens de traitement; des douleurs qui siègent aux lombes ou sous les membres inférieurs, et qui, parfois, sont tellement violentes, qu'elles arrachent des cris aux malades. C'est à ces derniers symptômes que la fièvre jaune doit le nom de coup de barre, sous lequel le vulgaire l'a autrefois désignée. La douleur lombaire peut s'irradier vers l'ombilic, le long des cuisses, ou encore, par en haut, le long de la
Charcot. (Euvres complotes, r. vin, Maladies infectieuses. 9
colonne vertébrale jusqu'à la région du cou; la douleur arthritique occupe surtout les genoux, les chevilles, les orteils, les mollets, et s'accompagne quelquefois de contractions invo-lontaires siégeant dans les muscles fléchisseurs de la jambe. — La prostration des forces est, dès le début, le plus souvent très marquée; le malade éprouve un sentiment de débilité générale. En même temps, il est dans un état de jaclitation continuelle et ne sait quelle position prendre dans son lit. — Les accidents gastriques se montrent les premiers. D'abord peu prononcés, ils acquièrent une grande intensité vers la fm du premier ou dans le courant du deuxième jour. La langue, humide, est couverte d'un léger enduit blanchâtre ; elle est un peu rouge à la pointe et sur les bords. La déglutition est souvent difficile. Il y a dès l'origine quelques nausées ; bientôt toutes les boissons ingérées sont aussitôt rejetées; puis il se manifeste des vomissements d'un mucus clair ou d'un liquide vert de mer et d'une saveur très amère. Quelquefois, princi-palement dans les cas légers, c'est de la bile qui est ainsi rendue. Cependant la région de l'estomac est comme disten-due, le malade y éprouve une douleur brûlante qui s'exaspère par la moindre pression, une sensation de constriclion très pénible qui augmente encore l'anxiété et qui prend quelque-fois les caractères delà cardialgie la plus violente. D'ailleurs, il existe une soif ardente et les urines sont rares, d'une colo-ration rouge foncée et sédimenteuses. — Le ventre est habi-tuellement resserré: les selles expulsées naturellement ou provoquées par des lavements, sont en général molles, gri-sâtres, rarement bilieuses. — Le délire et le coma sont des symptômes qu'on observe rarement dans le cours de celte période; une vive anxiété, un sentiment d'effroi, ou, au con-traire une apathie profonde, une certaine confusion dans les idées, tels sont les seuls désordres qui se manifestent dans l'exercice des fonctions cérébrales durant cette première phase
de la maladie qui s'accomplit dans l'espace de deux ou trois jours.
C. Deuxième période. — Elle est signalée par une grande atténuation et parfois une cessation des principaux symptômes qui survient brusquement, vers le troisième ou le quatrième jour. Le pouls tombe soudain et descend à 80, 70. Quelquefois, et c'est là un signe presque toujours funeste, on ne compte même plus que 50, 40, ou même 30 pulsations à la minute. (LaRoche, loc. cit.); la peau devient fraîche ; en même temps les douleurs lombaires et arthritiques disparaissent, les forces reviennent comme par enchantement, la langue se nettoie, l'épi gastralgie, les nausées et les vomissements cessent ; l'es-prit est serein, et le malade, qui éprouve un sentiment de mieux-être, se croit hors de danger. Il se peut faire en réalité que tout se borne là et que la convalescence se déclare à la suite de quelques phénomènes critiques, tels que sueurs pro-fuses, diarrhées bilieuses, etc. Mais, le plus souvent, cette amélioration est illusoire, et l'on voit se manifester bientôt les sinistres avant-coureurs de la troisième période : les dou-leurs épigastriques, la soif, les nausées, les vomissements reparaissent; la respiration devient lente et suspirieuse; la température s'abaisse, le pouls devient très rare; il survient des épistaxis; les conjonctives, la peau du front, puis celle de la face, du cou, commencent à prendre une coloration jaune plus ou moins foncée; les urines, enfin, présentent une teinte brune qu'elles doivent, ainsi qu'on s'en est assuré à l'aide des réactifs, à l'existence d'une certaine quantité du principe colo-rant de la bile (La Roche). — Cette deuxième période de la fièvre jaune dure environ vingt-cinq ou trente heures.
D. Troisième période. —Le pouls devient d'une faiblesse extrême; il fuit sous le doigt, et il faut exercer une forte
pression pour en percevoir les battements. Le plus souvent, il reste lent; d'autres fois, au contraire, il acquiert une fréquence extrême; en tous cas, la peau est froide, quelquefois comme glacée et recouverte d'une sueur gluante. — La jaunisse se prononce de plus en plus; souvent, les malades prennent une coloration orangée, cuivrée, acajou, ou encore comme bronzée. — La langue se sèche à sa partie centrale, elle de-vient quelquefois noire, fendillée et croûteuse. Les vomisse-ments se rapprochent et surviennent toutes les fois que le ma-lade veut changer de position ; ils sont entremêlés de hoquets. Les liquides et les matières rejetés par l'estomac, acquièrent peu à peu une teinte de plus en plus foncée, l'œsophage et la gorge sont souvent cruellement affectés du goût acre et caus-tique qui les accompagne. Bientôt, on voit nager au milieu d'un liquide transparent et visqueux des flocons noirâtres qui ressemblent à du marc de café ou à de la suie délayée dans l'eau. Puis enfin, la matière rendue devient tout à fait noire ; elle peut être mêlée de sang coagulé et contenir des masses fibrineuses décolorées.— Les selles elles-mêmes sont liquides, sanguinolentes, noirâtres ou tout à fait noires, on les a com-parées à de la mélasse ou de la poix, ou encore à de la suie. — Il se manifeste des hémorrhagies passives, sous forme d'épistaxis, de ménorrhagie, d'hématurie, d'hémoptysie même, mais ce dernier cas est assez rare. Les gencives, h membrane muqueuse de la bouche et du pharynx, la conjonc-tive, les ulcères, les surfaces dénudées par un vésicatoire, les piqûres de sangsues, peuvent aussi être le siège d'écoulements sanguins. Des pétéchies apparaissent sur les diverses parties du corps, principalement au cou et sur la poitrine. — Les urines deviennent très rares, elles sont rendues goutte à goutte: il peut même y avoir anurie complète.— Tantôt, l'intelligence reste intacte ; d'autres fois, les malades présen-tent une sorte d'hébétude, de langueur, et leurs idées n'ont
aucune suite; d'autres fois enfin, il y a des rêvasseries alter-nant avec de longs intervalles d'assoupissement, du coma, ou, au contraire, un délire violent. Des soubresauts des tendons, des contractures, des tremblements partiels des mains et de la langue, ont été observés dans un certain nombre de cas. — C'est du cinquième au septième jour qu'a lieu, le plus commu-nément, la terminaison fatale. Si l'issue doit être heureuse, la maladie dure un peu plus longtemps et se prolonge au-delà du huitième ou du onzième jour.
E. Convalescence. —Elle s'établit brusquement, lorsque la maladie s'arrête à la fin de la première période ou au milieu delà seconde; dans le cas contraire, il se peut faire qu'elle traîne en longueur. L'ictère peut persister pendant plusieurs semaines, plusieurs mois même ; il y a pendant longtemps encore des vertiges, de l'insomnie, des nausées, des diarrhées bilieuses.
F. Variétés principales de la fièvre jaune. — a. Telle est la fièvre jaune lorsqu'elle parcourt régulièrement toutes les phases de son développement et qu'elle se présente sous la l'orme qui lui est le plus habituelle; elle se présente avec les mêmes caractères essentiels, en Europe et en Amérique, dans les régions tempérées et sous les tropiques. Mais à titre de pyrexie, et surtout à titre de pyrexie pestilentielle, elle est susceptible d'éprouver dans ses allures et dans sa physio-nomie des modifications profondes et variées, sans rien perdre toutefois de son indépendance nosologique. Delà, des variétés pathologiques qui s'éloignent plus ou moins du type qui a servi de base à notre description et dont le nombre est pres-que indéfini. Toutes ces variétés cependant peuvent rentrer assez naturellement dans les deux genres qui suivent, et dont l'existence est admise par la plupart des épidémiographes
anglais et américains : 1° fièvre jaune inflammatoire, 2°fièvre jaune congestive (J. Wilson). La première est remarquable surtout par l'intensité des phénomènes fébriles de la période initiale ; le pouls est résistant, la peau est chaude et sèche, haute en couleur; les douleurs lombaires et arthritiques sont violentes: il y a indication évidente d'employer les émissions sanguines. — Dans la forme congestive, l'action du poison paraît être, dès l'origine, portée à un tel degré, qu'elle entrave la réaction de l'organisme. Le début peut être alors marqué par des convulsions ou des syncopes. La prostration des forces est immédiatement portée à son comble ; la face est pâle ou d'une teinte livide, l'œil aviné, la respiration haute, inégale et anxieuse. La température du corps est naturelle, si ce n'est à la région précordiale où elle est très élevée, brû-lante. Le pouls est accéléré ou, au contraire, ralenti, mais tou-jours d'une faiblesse extrême; il peut même être filiforme à peine perceptible ou encore tout à fait nul. En pareil cas, la peau froide comme du marbre et recouverte d'une sueur gluante et d'une pâleur cadavéreuse, la voix est brisée comme dans le choléra asiatique, et l'on a sous les yeux un exemple de cette variété de la fièvre jaune que le docteur Gillkresl a appelée variété algide (Rapp, du cons. gêner, de santé d'An-gleterre, p. 145). Lorsque le malade ne se relève pas promp-tement de l'état de col lapsus qui caractérise la forme conges-tive, la mort survient nécessairement dans un bref délai. Dans les cas heureux, il s'opère une réaction salutaire et la maladie reprend son cours; mais, le plus souvent, la réaction reste incomplète, faible, partielle, irrégulière, et elle aboutit à une terminaison funeste.
6. On rencontre dans la fièvre jaune épidémique, comme aussi dans la peste (p. 95), et dans le typhus des cas d'une bénignité extrême qui réclament à peine les secours de l'art;
on y rencontre aussi, et c'est là un autre caractère qui lui est commun avec ces maladies pestilentielles, des cas où l'atteinte profonde de l'organisme ne se révèle par aucun symptôme qui puisse faire pressentir la gravité du mal. Ici, le pouls paraît naturel ou peu s'en faut, la langue est nette, la peau est fraîche ou obscurément chaude dans la région de l'estomac et du foie: l'esprit est libre, les forces sont conservées. Puis, (out à coup, apparaît le vomissement noir et la mort survient inopiné-ment. Le docteur Caldwell a désigné sous le nom de watking cases, expression pittoresque, mais à peu près intraduisible dans notre langue, ces cas insidieux, et dans lesquels on voit des gens frappés à mort se croire à peine malades, et conti-nuer à vaquer à leurs affaires jusqu'aux derniers moments de leur existence.
y. Plusieurs médecins distingués parmi lesquels il faut surtout citer les docteurs Chervin et Gillkrest, se sont efforcés, dans ces derniers temps, de légitimer l'existence d'une forme de la fièvre jaune dans laquelle la maladie se présenterait sous le type rémittent ou même sous le type intermittent le plus pur. Ils ne se proposent rien moins, pour la plupart, se basant sur des considérations étiologiques et symptomalo-logiques, que d'établir qu'il existe entre les fièvres d'intoxica-tion paludéenne et la fièvre jaune des affinités intimes et que celle-ci n'est, pour ainsi dire, que le degré le plus élevé de celles-là. Yoici comment s'exprime, sur ce sujet, l'un des auteurs les plus à même de l'étudier sous toutes ses faces : « la fièvre jaune, dit M. Dutroulau (loc. cit., p. 135), subit évidemment l'influence paludéenne suivant les localités et surtout suivant la saison où on l'observe, soit que l'épidémie se déclare dans la saison des fièvres, soit que sa longue durée lui fasse subir les variations des diverses saisons de l'année. Quand la fièvre jaune sévit pendant l'hivernage et dans toute
sa gravité, il est impossible de lui reconnaître Je moindre rapport avec les fièvres d'accès. Mais, dans quelques épidé-mies et surtout pendant certaines périodes de quelques épi-démies, il est incontestable aussi que l'élément paludéen vient s'ajouter à celui que produit la fièvre jaune. C'est ordinaire-ment au début qu'on observe un ou deux accès de lièvre intermittente bien caractérisée; quelquefois c'est après la fièvre jaune qu'on voit des accès de fièvre simple se déclarer; quelquefois enfin, c'est chez un sujet plongé dans la cachexie paludéenne que la maladie éclate. Mais, dans tous les cas, il est facile de faire la part des deux maladies dont les carac-tères ne peuvent être confondus, et il est évident qu'un élé-ment étiologique particulier, celui de la fièvre jaune, est venu s'ajouter à l'élément paludéen. Si Je diagnostic ne suffisait pas, le traitement viendrait bientôt en fournir la preuve. Le sulfate de quinine, si puissant contre la fièvre d'accès, vient échouer toujours contre les symptômes graves de la fièvre jaune. Je crois, en conséquence, ajoute M. Dulroulau, qu'il n'est pas exact de dire qu'il y a des fièvres jaunes intermit-tentes, Vmsi que je l'ai dit moi-même, dans ma thèse sur l'épi-démie de 1839 à 1841, et qu'il est plus convenable d'exprimer les modifications survenues dans la marche de la maladie en disant qu'elle s'est compliquée de l'élément paludéen. «Nous avons été conduit par une étude attentive des documents les plus importants concernant la fièvre jaune à partager l'opinion si nettement formulée par M. Dutroulau; nous croyons que, dégagée de toute complication, celte maladie se montre cons-tamment, pendant sa première période, sous la forme d'une fièvre continue présentantparfoisdesexacerbalions quisurvien-nent vers le soir; on n'y rencontre pas d'autre intermission que celle qui a lieu lors de la deuxième période, ou période de calme et qui constitue d'ailleurs, comme nous l'avons dit, un de ses traits les plus singuliers et les plus caractéristiques.
NÉCROSCOP1E.
A. Etat anémique du foie avec coloration jaune. — C'est là une altération toute spéciale du foie qu'on rencontre, le plus souvent au moins, chez les individus qui ont succombé à la fièvre jaune, et qui a été considérée par M. Louis, d'après des observations recueillies lors de l'épidémie de Gibraltar de 1828, comme devant constituer le caractère anatomique de cette maladie. L'organe a conservé son volume normal; sa cohésion est généralement augmentée, et il y a habituellement une sécheresse, une aridité marquée de son tissu. Il présente, et c'est là le point important, une coloration jaune très particu-lière : tantôt c'est une teinte beurre frais, paiile, café au lait faible; tantôt une teinte gomme-gutte, jaune rhubarbe ou couleur de moutarde; tantôt enfin une couleur orange et pis-tache. Celte coloration pathologique est quelquefois homogène et uniformément répandue sur toute l'étendue du foie; d'au-tres fois elle existe par places seulement, et la surface de section paraît alors comme marbrée ou semée de taches jaunes, gomme-gutte, oranges ou rouges. Les tons les plus clairs paraissent correspondre aux degrés les plus avancés de l'al-tération. La décoloration est jointe à une anémie du tissu hépatique le plus souvent très prononcée, et d'autant plus remarquable, que les autres organes renferment en général plus de sang que dans l'état ordinaire. — L'altération du foie qui vient d'être décrite était des plus tranchées, dans les cas où la mort était survenue après trois jours et quelques heures de la maladie seulement; ce qui suppose qu'elle avait commencé à exister ou dès le début, ou à une époque extrêmement rap-prochée du début (Louis); M. Dutroulau (Epidémie de fièvre jaune à la Martinique, de février 1839 à juillet 1841, dissert, inaug., n° 52. Paris, 1842) dit ne l'avoir pas vu manquer une
seule fois dans plus de cent autopsies. M. le docteur Catel [Bulletin de 1 Académie royale de médecine, 18 t2, p. 1060) l'a également rencontrée sur cent cinquante sujets morts à la suite de la fièvre jaune qui a régné en 1838. Il paraît certain, toutefois, qu'elle peut faire défaut et qu'elle est assez souvent remplacée par un état de congestion plus ou moins prononcée. On ignore d'ailleurs, aujourd'hui encore, dans quelle relation elle est avec l'ictère de la fièvre jaune; si, par exemple, elle existe constamment, au moins à un certain degré, dans tous les cas où il y a eu jaunisse, ou si, au contraire, elle manque toujours dans les cas où celle-ci ne s'est pas présentée. Quelle est la nature de cette lésion du foie? Est-ce une altération analogue ou identique à celle qu'on rencontre fréquemment dans le même organe, ainsi que nous le dirons ailleurs, chez les individus qui succombent à l'ictère grave de nos climats? Est-elle, comme celle-ci, caractérisée par l'infiltration grais-seuse et la destruction plus ou moins complète des cellules du parenchyme hépatique ? C'est ce qu'on ne saurait décider actuellement, en raison du petit nombre d'observations micros-copiques qui ont été faites pour élucider cette intéressante question (La Roche, loc. cit., t. I) \ — Les voies biliaires ne présentent pas d'altérations constantes. La vésicule du fiel est tantôt pleine d'une bile épaisse et visqueuse, rouge ou noire; tantôt à peu près vide. Quelquefois on y trouve des caillots sanguins ou du sang mêlé à la bile (Louis).
1. Lors de l'épidémie de fièvre jaune qui a sévi à Philadelphie, en 1853 et 1854, le foie des individus qui ont succombé a été fréquemment (une vingtaine de fois) soumis à l'examen microscopique. Dans tous ces cas, sans exception, on a trouvé les caractères de l'état anatomique qu'on a proposé de désigner sous le nom de dégénération graisseuse aiguë du foie. Les cellules sécrétantes, pâles et comme flétries, avaient perdu la netteté de leurs contours; leurs noyaux avaient disparu ; elles renfermaient une quantité plus ou moins considérable de granulations ou même ie globules graisseux. On trouvait, en outre, en grande abondance, des globules de graisse flottant librement dans l'intervalle des cellules. (Hache, Amerk. Journal, etc., p. 121, t. XXVIII, 1854; La Roche, id., t. XXX, 1855.)
B. Coloration jaune des téguments. — Ecchymoses. — a. On trouve sur la plupart des sujets une coloration jaune plus ou moins foncée de la peau, du tissu cellulaire sous-cu-tané, de la sérosité qui s'épanche dans les cavités viscérales. Cette coloration est-elle, comme dans l'ictère vrai, le résultat de la suffusion de la bile, ou plus proprement, de sa matière colorante? On ne saurait douter qu'il en soit ainsi, au moins très fréquemment; on a constaté, en effet, à l'aide des réac-tifs, l'existence du principe coloré de la bile dans le sang, dans l'urine et dans la sérosité des vésicaloires (La Roche). C'est, très vraisemblablement, surtout dans les cas où la teinte jaune est franche et uniformément répandue sur la peau, ainsi que sur les conjonctives, qu'elle peut être considérée comme l'expression d'un ictère par cholémie.
6. Mais lorsque la coloration anormale du tégument externe est disposée par plaques, par bandes et que les conjonctives n'en sont pas primitivement atteintes, ainsi que cela se voit quelquefois; lorsqu'elle occupe les parties du corps les plus déclives, lorsque ce n'est plus la teinte jaune qui domine, mais plutôt une couleur brun-sombre, olive, acajou foncé, bronzée, ou encore violette, ce n'est plus, sans doule, la suf-fusion de la matière colorante de la bile qu'il convient d'invo-quer, au moins d'une manière exclusive, pour se rendre comple des faits, mais bien plutôt soit une stase sanguine ré-sultant de l'atonie, de la paralysie des capillaires, soit encore un véritable épanchement du sang, en dehors des vaisseaux. (Desmoulins, Sur létal anatomique de la peau dans la fièvre jaune, in Journal compl. du Dict. des se. médic., t. XII, p. 15, 1822.) On comprend, d'ailleurs, que l'ictère par cholé-mie puisse se trouver combiné chez un même sujet à la colo-ration morbide que produit la stase sanguine ou l'ecchymose plus ou moins généralisée.
y. On trouve des épanchements du sang sur la nature des-quels il ne peut, cette fois, exister le moindre doute, dans le tissu même de la peau, sous les conjonctives, dans le tissu cellulaire sous-cutané, dans les gaines des muscles, dans l'épaisseur des membranes muqueuses les plus diverses, dans le tissu cellulaire péri-néplirélique, dans le tissu même des organes, dans les poumons, le foie, les reins, par exemple.
C. Matière contenue dans Vestomac et Tintestin. —Altéra lions de la membrane muqueuse gastro-intestinale. — La membrane muqueuse gastro-intestinale ne présente pas d'autres altérations que celles qui se rencontrent dans les sujets qui ont eu des hématémèses ou des entéro-hémorragies sous l'influence d'une cause quelconque ; c'est-à-dire qu'on y trouve des injections arborescentes, des épanchements san-guins sous-muqueux, des imbibitions sanguines, mais d'ail-leurs pas de traces de phlogose. L'estomac et l'intestin renfer-ment quelquefois, soit du sang presque pur, soit encore du sang qui a subi divers degrés d'altération, mais cependant parfaitement reconnaissable. Le plus habituellement, on y trouve une certaine quantité d'une matière tout à fait sem-blable à celle qui a été rendue par les vomissements et les selles dans les derniers temps de la vie. On ne possède malheureusement aucune analyse chimique récente, aucune étude microscopique qui permette de décider positivement quelle est la nature de cette matière. Mais, suivant toutes pro-babilités, ce n'est encore laque du sang profondément altéré,, et l'on partagera difficilement l'opinion de quelques auteur* qui attribuent la matière mélanique de la fièvre jaune, en suivant l'expression de Bally, le mélanhème à la présence d'une grande quantité de bile mêlée aux liquides de l'es-tomac.
D. Etat du sang. — Le sang qu'on lire pendant la vie, chez les individus atteints de fièvre jaune, lors des premières pério-des, présente quelquefois un caillot aussi nettement séparé que dans les cas de pneumonie (La Roche). Mais cela est rare ; le plus souvent il est mou, diffluent, de couleur écarlate.— A une époque avancée de la maladie, il présente toujours une teinte sombre, ou môme noirâtre ; il est comme dissous ou ne se coagule pas ou se coagule très lentement. — Le sérum offre souvent une teinte jaune très marquée, dans les cas où l'ictère ne s'est pas encore manifesté ; traité par l'acide nitri-que, il donne alors lieu à un précipité d'albumine coloré en bleu verdâtre (Dutroulau). — Le sang des cada vres est gé-néralement fluide et noirâtre ; il teint en rouge foncé la paroi interne des veines caves, celle de l'artère pulmonaire et des gros troncs artériels. — Les recherches d'hématologie positive ont donné jusqu'ici des résultats trop peu concluants, pour que nous puissions les mentionner ici.
^.Altérations analomiques diverses. — La rate ne présente le plus souvent aucune altération notable. — Les reins sont gorgés de sang, tantôt la vessie est pleine d'urine, tantôt au contraire elle est parfaitement vide. Sa membrane muqueuse est fréquemment parsemée d'ecchymoses. — A part les sur-fusions sanguines, les ecchymoses qu'on rencontre quelque-fois dans le tissu cellulaire sous-arachnoïdien, il n'y a pas dans la fièvre jaune d'altérations du système cérébro-spinal qui méritent d'être notées. — Le tissu du cœur est quelque-fois pâle, flasque et cédant au plus léger effort ; d'autres fuis il est résistant, ferme comme dans l'état normal. — Les ca-davres des individus qui ont succombé rapidement à la fièvre jaune sont quelquefois pris peu de temps après la mort de mouvements convulsifs plus ou moins étendus ; ceci rappelle ce qu'on observe assez fréquemment sur les sujets morts à la
suite du cloléra asiatique. (H. Brandt, Des phénomènes de contraction musculaire observés chez les individus qui ont succombé à la suite du choléra ou de la fièvre jaune, Th. Paris, 1855.)
TOPOGRAPHIE MÉDICALE.
Le véritable foyer de la fièvre jaune, c'est une région du Nouveau-Monde -comprise entre le 3° et le 33° de latilude bo-réale et qui s'étend de la Barbade à Tampico, de la frontière brésilienne à Charleston. C'est là seulement qu'elle rencontre les éléments d'une reproduction incessante ; en dehors de ces limites, elle n'est plus endémique, et, à mesure qu'on s'avance vers le nord de l'Amérique, ses apparitions, sous forme épidé-mique, sont moins fréquentes, sinon moins meurtrières. — Tout à fait au nord, elle disparaît complètement ; elle a ce-pendant frappé Boston, et même Québec au Canada, par 46° de latitude boréale. Mais c'est là une limite extrême qu'elle n'a atteint qu'une seule fois, en 1805, et qu'elle n'a jamais franchie. Il est à remarquer qu'elle ne s'est jamais répandue fort loin dans l'Amérique méridionale où elle n'a pas dépassé Callao et Fernambouc par 10°, ou approchant, de la latilude australe. Il est, en outre, une particularité dans la répartition géographique de la fièvre jaune sur le continent et dans les îles du Nouveau-Monde qui mérite bien d'être signalée ; c'est que les villes maritimes du golfe du Mexique, de la merdes Antilles, et de l'Océan Atlantique sont frappées de préférence, tandis que les ports de l'océan Pacifique, toutes choses égales d'ailleurs, jouissent d'une immunité d'ailleurs très marquée. — En Europe, on n'a guère observé la fièvre jaune que sur les côtes d'Espagne, à Cadix, à Carthagène, à Séville, à Gibraltar, à Lisbonne ; elle a sévi une fois, en 1804, à Livourne. — En Afrique, on l'a rencontrée au Sénégal, à Sierra Leone. —On
a signalé son existence sur d'autres points du globe, dans les Indes, en Syrie, en Egypte, à Java, etc. ; mais rien ne prouve qu'on ne se soit pas mépris sur l'affection qu'on a rencontrée dans ces diverses contrées : le vomissement noir et l'ictère ne suffisent pas, en effet, ainsi que nous le verrons ailleurs, pour caractériser la fièvre jaune.
ÉT10LOG1E.
a. Si l'on recherche maintenant quelles sont les conditions lopographiques à tous les lieux où paraît la fièvre jaune, on remarque que cette maladie ne sévit guère à une distance un peu éloignée du bord de la mer ; si elle se montre dans l'inté-rieur des terres, c'est au voisinage de l'embouchure des grands fleuves. L'atmosphère maritime semble, pour ainsi dire, né-cessaire à son développement ou à son éclosion. On la voit de préférence dans les contrées basses ou marécageuses ; là où la décomposition des matières animales ou végétales s'opère sur une grande échelle. Elle ne paraît jamais dans un pays situé à plus de 2.000 mètres au-dessus du niveau de la mer.
ê. Les pays où la fièvre jaune est endémique appartiennent aux climats les plus chauds : c'est vers la fin de l'été et au commencement de l'automne, c'est-à-dire pendant l'hivernage qu'elle y est surtout meurtrière. Partout ailleurs elle peut sé-vir par les températures et dans les saisons les plus diverses. On a remarqué cependant qu'elle ne se montre jamais lorsque le thermomètre ne s'élève pas au-dessus de 18° centigrades. C'est presque toujours dans les grands centres de population qu'elle éclate; on l'a cependant vue sévir exclusivement sur la garnison d'un fort, sur l'équipage d'un vaisseau en mer.
y. Les circonstances éliologiques que nous venons de passer
en revue n'ont, on le voit, rien de bien spécial. Celles que nous avons noté en premier lieu (a) président, comme on sait, au développement des maladies d'intoxication paludéenne ; si elles nous font comprendre pourquoi les fièvres intermittentes et rémittentes se montrent si fréquemment en compagnie de la fièvre jaune, elles ne nous dévoilent certainement pas le mystère qui couvre encore l'origine de cette dernière maladie. La fièvre paludéenne est endémique à peu près partout où il y a constamment des eaux stagnantes. Bien qu'elle se développe aussi, le plus souvent, sous l'influence maremmatique, la fièvre jaune ne s'éloigne pas du rivage de la mer et elle se trouve renfermée dans des limites géographiques bien con-nues. Si les marais des Antilles la produisent, pourquoi ceux de l'Asie et de l'Afrique, situés sous les mêmes la-titudes ne l'engendrenl-ils pas? L'agglomération des indivi-dus (y) favorise l'apparition de la fièvre jaune; les fièvres inter-mittentes et rémittentes peuvent sévir dans les contrées les moins habitées : c'est là un nouveau caractère distinctif qui plaide contre l'identité d'origine de deux genres pathologi-ques fort distincts d'ailleurs par tous les autres points de leur histoire.
o. Si les recherches des médecins modernes, si les travaux de Chervin, en particulier, n'ont pas ruiné la doctrine delà transmission contagieuse de la fièvre jaune, ils ont au moins abouti à un résultat important; ils ont établi que la contagion n'est pas l'agent principal de la propagation de cette maladie. Reste à savoir maintenant, si la contagion de la fièvre jaune ne peut pas s'opérer dans de certaines limites, lorsque les circon-stances sont favorables à ce mode de transmission, dans le cas,par exemple, où les individus sains se trouvent longtemps en contact avec les maladies dans un espace étroit et mal aéré. Mais c'est là une question de second ordre, lorsqu'il s'a-
oit de rechercher surtout les causes des envahissements suc-cessifs et des migrations d'une grande peste.
s. Ce n'est pas par le mécanisme de la transmission conta-gieuse que la fièvre jaune a été portée soit du nouveau dans l'ancien monde, soit encore, comme on l'a prétendu (Chisholm, Pyin), de l'ancien monde dans le nouveau. Dès lors, il faut bien admettre, ou qu'elle s'est spontanément développée sous l'influence de causes toutes locales, dans tous les lieux où elle a passé, en Europe comme en Afrique ou en Amérique ; ou en-core que, née dans un point du globe qu'il faut considérer comme son berceau, sur les bords du golfe du Mexique, par exemple, elle s'est ensuite répandue successivement dans toutes les directions, tantôt vers le nord, tantôt vers l'est et le midi, s'abattant exclusivement sur les lieux où se trouvaient réunies les conditions propres à la fixer. Cette dernière hypo-thèse s'accorde mieux que la première avec ce qui nous est enseigné par l'étude chronologique des épidémies de fièvre jaune; elle s'appuie, en outre, sur les analogies qui existent sous ce rapport entre la peste d'Amérique,lapeste orientale et le choléra pestilentiel.
%. Les individus qui ont une fois contracté la fièvre jaune en sont exempts pour l'avenir, c'est une règle qui souffre peu d'exceptions et qui fait contraste avec ce qu'on sait des fièvres paludéennes, dont les récidives sont si fréquentes.
%. Les indigènes qui ne résistent pas plus que d'autres à 1 influence paludéenne, échappent cependant presque toujours à la fièvre jaune dans les pays où elle est endémique et où elle revêt fréquemment la forme épidémique. Aux Antilles, pat-exemple, les étrangers sont presque exclusivement frappés par cette dernière maladie; ils le sont d'autant plus sûrement
Cit.vucoT. Œuvres complètes, r. vin, Maladies infectieuses. 10
qu'ils habitent la colonie depuis un temps plus court et qu'ils viennent de climats plus froids. Cette immunité des popula-tions indigènes dans les Antilles n'est d'ailleurs pas un fait absolu, les adultes et les vieillards en jouissent à un plus haut degré que les enfants. Dans les contrées où la maladie n'est pas endémique, et surtout dans les lieux où elle ne pa-raît que de loin en loin, elle n'épargne personne, pas même les gens du pays ; elle frappe sans distinction d'âge, de sexe ou de race. On a remarqué cependant que les nègres sont moins souvent ou encore moins gravement atteints de la fiè-vre jaune que ne le sont les blancs.
0. Les émotions morales, la fatigue musculaire, l'insolation prolongée, l'exposition au froid, l'abus des boissons alcooli-ques ; telles sont les principales circonstances qui ont été ran-gées par les auteurs parmi les causes occasionnelles généra-les, capables, en temps d'épidémie, de faire éclore la fièvre jaune.
DIAGNOSTIC.
Les fièvres intermittentes pernicieuses, les pseudo-conti-nues, les rémittentes bilieuses se rencontrent partout où règne la fièvre jaune dont il est souvent difficile de les distinguer. Elles ont en effet avec cette dernière maladie d'assez nom-breux traits de ressemblance. La comparaison de celles-ci avec celles-là doit être l'objet principal de ce paragraphe consacré au diagnostic ; mais il ne sera peut-être pas hors de propos d'y faire figurer un certain nombre d'affections dont l'histoire peut être, pour un instant au moins, rapprochée de celle de la fièvre jaune en raison d'analogies incontestables qui ne sau-raient passer inaperçues.
Ce n'est pas en étudiant les symptômes un à un, mais bien
a. On sait qu'il règne encore beaucoup d'obscurité sur presque tous les points de l'histoire des fièvres rémittentes bilieuses des pays chauds (1719, G.); on comprend ainsi qu'il nous soit difficile d'opposer les symptômes de ces fièvres à ceux de la fièvre jaune. Yoici, en peu de mots, comment on trouve ce point de diagnostic établi dans un traité de patho-logie devenu classique dans toute l'étendue des États-Unis d'Amérique (Wood, loc. cit., p. 312, 313). Dans la fièvre
en les envisageant dans leur ensemble, dans leur mode de succession, et en tenant compte des caractères propres qu'ils présentent suivant chaque période, qu'on parvient au diagnos-tic de la fièvre jaune. L'ictère, par exemple, se montre dans les rémittentes bilieuses; la jaunisse et le vomissement noir, dans l'ictère grave ; l'algidilé de la forme congestive se ren-contre dans le choléra asiatique et dans certaines fièvres pernicieuses, etc. — Un des caractères les plus importants de la fièvre jaune peut être tiré de sa marche ; nous voulons parler de ce temps d'arrêt qui se manifeste, à un moment donné du cours de la maladie, dont les symptômes changent alors tout à coup, et se trouve, par suite, divisée en deux accès (première et troisième période), ayant une physionomie bien différente et presque indépendante l'une de l'autre ; mais ce caractère même ne lui est pas essentiellement propre. On le retrouve, par exemple, dans le choléra indien, lorsqu'on y voit, suivant l'ingénieuse remarque de M. Littré {loc. cit., p. 301), la période algide remplacée par une période typhoïde, qui joue, pour ainsi dire, par rapport à la première, le rôle d'une maladie nouvelle ; on le retrouverait aussi dans la fièvre intermittente, lorsqu'elle revêt au second accès, des symp-tômes pernicieux; on le rencontre à un haut degré, ainsi que nous allons le voir plus bas, dans le relapsing fever des An-glais.
jaune, le mouvement fébrile n'existe, à proprement parler, que pendant la première période, c'est-à-dire pendant les deux ou trois premiers jours de la maladie, et il s'y montre, dans la grande majorité des cas, sous le type continu. \\ caractérise, au contraire, toutes les époques de la fièvre bilieuse, mais il se présente constamment alors avec des rémissions ou même des intermissions, qui se manifestent tous les deux jours. — Les évacuations bilieuses sont rares dans la fièvre jaune, elles sont habituelles, et en général très abondantes dans la rémittente bilieuse. On ne rencontre pas dans celte dernière maladie, la coloralion pourpre de la face et des conjontives, qui est un des caractères de la fièvre jaune. — Il y a dans la fièvre rémittente des vomissements d'une matière homogène plus ou moins foncée. Mais cette matière est évidemment de la bile altérée; elle diffère, par conséquent, de celle qui constitue le vomissement noir de la fièvre jaune. — La fièvre jaune, lorsqu'elle exisle sans complication, ne dégénère jamais en intermittente régulière; c'est là, au contraire, une terminaison pour ainsi dire habi-tuelle de la fièvre bilieuse. — On a dit que la fièvre jaune n'était que le plus haut degré de la fièvre bilieuse; il n'en est rien : celle-ci comme celle-là peut se montrer extrêmement meurtrière, sans rien perdre de ses attributs caractéristiques. La fièvre jaune, par contre, peut être aussi bénigne que l'est souvent la bilieuse rémittente. — Lorsqu'on a contracté la fièvre bilieuse pendant l'automne, on est prédisposé à la contracter de nouveau pendant l'automne suivant. 11 est rare, au contraire, que la fièvre jaune atteigne deux fois un même individu. — La lièvre jaune se montre presque exclusivement au voisinage de la mer, sur le rivage des grands cours d'eau ; la fièvre rémittente bilieuse ne reconnaît pas de limites géo-graphiques aussi restreintes ; elle peut régner partout où il y a des marais, à l'intérieur des terres comme sur les côtes de
l'Océan. On ne la voit guère dans les villes, tandis que la fièvre jaune sévit principalement dans les grands centres de popu-lation. — Bans les pays où elle est endémique, la fièvre jaune épargne les indigènes, tandis que la fièvre bilieuse n'y épar-gne personne. — Les lésions anatomiques qu'on rencontre à l'ouverture des corps ne sont pas les mêmes dans les deux-maladies. La rate, par exemple, dans la fièvre rémittente bilieuse, se montre presque toujours volumineuse et ramas-sée ; le foie présente une altération toute spéciale, bien diffé-rente de celle qui est propre à la fièvre jaune, et qui a appelé, dans ces derniers temps seulement, l'attention des médecins américains; il est volumineux, presque toujours ramolli, d'une couleur olive, bronzée, toute particulière (voyez sur les altérations du foie dans la fièvre rémittente bilieuse, Sta-vardson, Americ. Journ. of med. scie?ic, avril 1841, N. S.i, 289 ; Swett, ièid., IX, 29; Anderson, ibid., XI, 315; Stillé, ijbid., p. 323 ; La Roche, loc. cit., t. II;.
6. Les fièvres pernicieuses algides, comateuses, délirantes ou convulsives, lorsqu'elles débutent par des accès de fièvre intermittente simple, ne sauraient guère être confondues avec la fièvre jaune. L'erreur serait possible, pour un instant peut-être, si les symptômes pernicieux venaient à se manifester dès l'origne. Mais l'absence de la douleur lombaire, de l'injec-tion de la face et des conjonctives, de l'ictère, des hémorrhagies multiples, et des pétéchies, du vomissement noir, et de tant d'autres symptômes, qui se montrent toujours, au moins en partie, dans la fièvre jaune, alors même qu'elle revêt une forme anormale, mettrait sur la voie du diagnostic.
7. Il suffira, sans doute, d'esquisser rapidement le tableau symptomatologique du relapsing fever (fièvre à rechute), des médecins anglais, pour faire ressortir les analogies et mon-
Irer les différences qui existent entre cette maladie et la fièvre jaune, à laquelle on Fa comparée *. L'invasion est brusque, et s'opère, le plus souvent, par un frisson; puis, céphalalgie vive, douleurs musculaires et articulaires simulant celles du rhu-matisme; fièvre intense: le pouls bat de 400 à 120 fois par minute ; la peau est chaude et sèche ; anorexie, souvent épi-gastralgie, nausées et vomissements bilieux ; jactitalion, in-somnie et quelquefois délire. Absence habituelle de symp-tômes abdominaux, tels que météorisme, douleurs iliaques, diarrhée. Assez fréquemment, il se manifeste partiellement, dès le troisième ou le quatrième jour, une coloration légère-ment bronzée des téguments, qui, bientôt, est remplacée par une teinte ictérique générale, plus ou moins foncée. Alors les vomissements bilieux deviennent plus fréquents ; quelque-fois même, mais seulement dans les cas les plus graves, en même temps qu'il s'opère des hémorrhagies par diverses membranes muqueuses, le malade rend des selles noirâtres et vomit, comme cela se voit dans la fièvre jaune, une matière noire semblable au marc de café. Vers le cinquième, sixième ou septième jour de la maladie, alors que tous les symptômes paraissent avoir atteint leur plus grande violence, ils s'amen-dent ou même disparaissent tout à coup, le plus souvent, à la suite d'une sueur copieuse. — La convalescence qui se
1. La fièvre à rechute [relapsing fever) a été aussi quelquefois désignée sous les noms de ftve days fever, seven days fever (fièvre de cinq jours, fièvre de sept jours), bilious rémittent fever, mild yellow fever (fièvre jaune bénigne). — Elle paraît avoir été remarquée pour la première fois à Dublin, lors d'une épidémie qui a sévi, en cette ville, en 17:^9. En 1K17 et en 1818, elle a régné à Edimbourg, où elle a été décrite par Welsh et Christison. Elle y a reparu ensuite en 184 i et 1841, et c'est surtout à l'étude qui en a été faite à cette époque par les docteurs Mackensie, Cormack, Graigie et autres, qu'elle doit d'avoir pris rang dans les cadres nosologi-ques. Elle s'est montrée à Londres, en 1817, où elle a été soigneusement observée et décrite par le docteur Jenner, qui s'est efforcé de la distinguer du typhus fever et de la fièvre typhoïde. (Voyez l'article qui a été con-sacré à l'histoire de cette affection dans British and foreign medico-chirur-gical Revieiv, juillet 1851.)
déclare ensuite peut être franche et aboutir, en définitive, à une guérison complète ; mais c'est le plus rare et, en règle générale (19 fois sur 20), de cinq à huit jours après la cessa-lion de ce qu'on peut appeler le premier accès, il survient une rechute, dans laquelle tous les symptômes que nous avons énumérés, se montrent de nouveau, tantôt avec plus de vio-lence, tantôt, au contraire, avec une intensité moindre. Ces deux accès constituent habituellement tous les symptômes de la maladie; on a vu cependant les rechutes se reproduire une seconde et même une troisième fois. — La fièvre à rechute est rarement mortelle ; on n'a guère vu succomber dans l'épi-démie, qui a sévi à Edimbourg, en 1842-43, que des enfants, des vieillards ou des adultes d'une constitution délabrée. — À l'ouverture du corps, on a trouvé, le plus souvent, la rate volumineuse, la membrane muqueuse de l'intestin injectée ; d'ailleurs, aucune altération des glandes de Peyer ou des follicules isolés. — Celte maladie ne paraît avoir été observée jusqu'à ce jour, qu'en Angleterre, en Ecosse, en Irlande et dans l'Amérique du Nord. On a essayé, mais presque toujours sans succès, de prévenir, par l'administration du sulfate de quinine, l'apparition de la rechute ou des rechutes qui la caractérisent.
S. C'est à l'époque où nous étudierons l'affection qui a été décrite sous le nom d'ictère grave, et quelquefois aussi sous celui de fièvre jaune sporadique, que nous aurons à rechercher en quoi elle se rapproche et en quoi elle diffère de la fièvre jaune proprement dite.
pronostic.
Il en est de la fièvre jaune comme de la peste; dans certains cas, c'est une affection très bénigne et qui peut être presque
inaperçue; mais, le plus souvent, Lien qu'il y ait sous ce rapport d'assez grandes différences, suivant les épidémies, c'est une des maladies les plus meurtrières. Ses allures insi-dieuses permettent, d'ailleurs, rarement de porter un pro-nostic assuré; il faut se garder surtout de se laisser tromper par ce moment de calme qui survient habituellement après l'accomplissement de la première période : tel malade chez qui les plus graves accidents ont disparu comme par enchan-tement et qu'on peut croire sauvé est pris tout à coup du fatal vomissement noir et succombe en quelques heures. Ce dernier symptôme annonce presque toujours une mort prochaine. Les déjections noires, les péléchies, une teinte très foncée des téguments, la suppression des urines, le ralentissement très marqué du pouls, l'algidité, la syncope, les mouvements con-vulsifs, sont aussi des signes du plus fâcheux augure. La forme congeslive est en général beaucoup plus grave que la forme inflammatoire. — On doit, suivant M. Dutroulau {loc. cit., p. 449), considérer la complication paludéenne dans la fièvre jaune comme étant toujours fâcheuse, en ce que le plus souvent, dans les cas isolés, endémiques ou sporadiques, elle donne, au début de la maladie, une marche ou une physio-nomie insidieuse qui rendent le traitement incertain et l'issue plus fréquemment funeste. — Parmi les signes favorables, on a noté surtout la prolongation du mouvement fébrile au-delà du temps accoutumé, l'apparition de sueurs, pour peu qu'elles surviennent du quatrième au sixième jour; la disparition de l'épigastralgie, des vomissements et des évacuations bilieuses. La maladie est en général d'autant plus grave qu'elle attaque des individus non acclimatés; chez les jeunes enfants et chez les jeunes gens dont la constitution est épuisée, elle est presque toujours mortelle.
NOTE HISTORIQUE.
Il est impossible de faire remonter l'histoire de la lièvre jaune au-delà du IV0 siècle; c'est à peine si l'on peut ratta-cher avec certitude à ce type pathologique les pestes dont parlent les auteurs qui ont écrit dans les premières années qui suivirent la découverte de Christophe Colomb. On ne sau-rait, à plus forte raison, décider si la fièvre jaune régnait léjà sur quelques points de l'Amérique, antérieurement à la conquête. Quant à ces fièvres très violentes avec teinte jaune de la peau et déjections noires dont il est fait mention dans les écrits hippocratiques, elles se rapportent, suivant M. Liltré (loc. cit., p. 311), à la fièvre rémittente bilieuse des pays chauds qui paraît avoir régné en Grèce et sur les côtes d'Asie dans les temps anciens, comme elle y règne encore aujour-d'hui. Quoi qu'il en soit, il est bien certain que l'ictère et le \omissement noir ne suffisent pas à eux seuls, comme sem-blent l'admettre certains auteurs partisans de l'antiquité de la fièvre jaune, pour caractériser cette maladie. — Les épidé-mies qui ont ravagé les Antilles et l'Amérique du Nord eu 1793, Livourne en 1884, Cadix en 1800, Barcelone en 1821, Gibraltar en 1828, doivent êlre signalées surtout parmi les époques mémorables du fléau américain; elles ont été l'occa-sion de travaux importants dont on est redevable, pour une bonne partie, à la généreuse initiative de médecins français (voyez l'article consacré à la Bibliographie).
SPÉCIFICITÉ DE LA FIÈVRE JAUNE.
La fièvre jaune se présente avec des allures toutes spéciales, une marche toujours aiguë, des symptômes qui, sans lui être exclusivement propres, lui donnent cependant, quand on les
considère dans leur ensemble, une physionomie à part ( 1759); les lésions qu'elle entraîne avec elle ne sont certainement pas le point de départ de tous les phénomènes morbides. Considérée isolément, aucune de ces lésions peut-être n'est vraiment caractéristique; mais réunies sur un même sujet, elles constituent un ensemble d'altérations qui ne se retrouve dans aucune autre maladie. Si la fièvre jaune n'est point con-tagieuse, ce qui d'ailleurs ne nous paraît nullement démon-tré, il n'en est pas moins vrai qu'elle respecte à l'avenir les gens qu'elle a frappés une fois déjà (p. 141); maladie mo-derne, suivant toute apparence (p. 149), elle s'est restreinte jusqu'à ce jour dans des limites géographiques assez précises (p. 142). Cette maladie mérite donc bien, pour toutes ces rai-sons, de prendre rang parmi les maladies spécifiques, et, pour dire notre sentiment sur une question qui a été fort débattue dans ces derniers temps, c'est, il nous semble, forcer toutes les analogies, que de vouloir fondre l'histoire de cette fièvre dans celles des fièvres intermittentes ou des fièvres rémittentes bilieuses des pays chauds.
THÉRAPEUTIQUE.
De l'aveu des médecins qui ont sur ce point le plus d'ex-périence, il n'est pas de médication empirique ou spécifique qui puisse triompher de la fièvre jaune, et c'est à la médecine symptomatique qu'il convient ici d'avoir recours. Les indica-tions rationnelles varient singulièrement suivant l'intensité des cas, la prédominance de certains symptômes, la forme que revêt la maladie, la période à laquelle elle est parvenue. Dans les deux premiers jours; si les signes d'hyposlhénie sont bien marqués et que le sujet soit robuste, on peut employer les émissions sanguines générales ou locales. Elles ne doivent, on le conçoit, jamais être poussées bien loin, puisqu'elles ne
s'adressent pas à l'essence du mal. Affaiblir le sujet, ce serait d'ailleurs le mettre dans de fort mauvaises conditions pour faire face à la période de collapsus. Les boissons acidulées, les bains frais, les affusions froides, les laxatifs, les purgatifs salins, sont aussi des moyens qu'il convient d'employer tant que la maladie en est encore à sa première phase. Dans les périodes ultérieures, il s'agit principalement de soutenir les forces. On administre alors, suivant les indications particu-lières, les toniques ou les stimulants. Le quinquina, le vin, l'eau-de-vie même, sont les médicaments dont on fait surtout usage. On promène à la surface du corps des sinapismes ou des vésicatoires. Il faudrait avoir exclusivement recours à ces derniers agents, si la maladie se présentait dès l'origine sous la forme congestive. L'opium, le camphre, le musc, trouvent leur emploi dans les cas où les accidents nerveux se décla-rent. Lorsque la fièvre jaune se complique de l'élément palu-déen, mais seulement alors, le sulfate de quinine peut se montrer d'une efficacité réelle.
« Il a existé beaucoup d'épidémies de fièvre jaune ; on en trouve la description dans un grand nombre de livres ; mais on n'est pas dispensé pour cela de décrire la dernière.» Ainsi parle M. Magalhaes Coutinho, dans son excellente description de l'épidémie qui vient de régner à Lisbonne (Gaz. hebd., 1850, n° 6, p. 100). Cette remarque, applicable à la plupart des affections épidémiques, l'est surtout à la fièvre jaune, qui a été, comme nous l'avons rappelé tout récemment (1857, p. 803), le sujet de plus d'une description de fantaisie. Il est notamment un point sur lequel de modernes recherches con-cernant les affections hépatiques, faisaient désirer que l'atten-tion se fixât particulièrement; nous voulons parler de l'état pathologique du foie. On sait d'ailleurs que l'anémie de cet organe, avec coloration jaune plus ou moins foncée, dans la fièvre jaune, est généralement considérée, depuis les travaux de M. Louis en 1828, comme le caractère anatomique de la maladie.
Or, M. le docteur Guyon vient de mettre sous les yeux de l'Académie des sciences des peintures représentant les viscè-res abdominaux d'individus morls de fièvre jaune à Lisbonne, et une de ces peintures est destinée à faire ressortir la colora-
1. En collaboration avec M. A. Dechambre. Extrait de la Gazette hebdoma-daire, 1858, p. 114.
Caractères anatomiques et nosologiques de la fièvre jaune et de l'ictère grave '.
tion qui est propre au foie et qui accompagne la dégénération graisseuse de cet organe. Suivant notre honoré confrère, celte dégénéralion, peu explicable en raison de la rapidité du mal, n'aurait pas encore été signalée, et ce serait un nouveau fait acquis à la science par l'épidémie de Lisbonne (Gaz. hebd., 1858, n° 5, p. 79). Cette assertion sera pour nous l'occasion de quelques remarques.
Disons d'abord que, considérée dans ses caractères exté-rieurs, l'altération décrite par M. Louis est à peu près, sinon tout à fait, constante dans la fièvre jaune. M. Dutroulau, dans une épidémie de fièvre jaune à La Martinique, de février 1839 à juillet 1841 (Dissertation inaugurale, n° 52, Paris, 1842), dit ne l'avoir pas vu manquer une seule fois dans plus de cent autopsies. M. le docteur Catel (Bulletin de l'Académie de médecine, 1842, p. 1060) l'a également rencontrée en 1838 sur tous les sujets, au nombre de 150, qui ont été ouverts. En-fin, les faits qui servent de base à la vaste monographie publiée en 1855 à Philadelphie parle docteur R. La Roche (Yellom Fever Considered in its Historical, Pathological, Etiological and Tlier ap eu tic al Relations, 2 vol, in-8) aboutissent à un ré-sultat semblable. M. Guyon n'ignore pas sans doute cette con-firmation invariable, universelle, des observations de M.Louis; mais est-il au courant des recherches qui ont eu pour objet de déterminer la nature spéciale de l'altération hépatique ? C'est ce que ne permet guère de penser l'espèce de prise de date qu'on a vue plus haut, relativement à la dégénération graisseuse du foie. En consultant M. La Roche (loco cilato) et M. Bâche (American Journal, 1854, t. XXVIII, p. 121), qui se sont livrés à des études anatomiques sur ce sujet lors de l'épi-démie qui aravagé Philadelphie (1853), il verrait que, sur tous les foies examinés (une vingtaine), la dégénérescence grais-seuse a été formellement constatée. Les cellules sécrétantes, pâles et comme flétries, avaient perdu la netteté de leurs con-
tours; leurs noyaux avaient disparu. Elles renfermaient des granulations et même des globules graisseux; et, de plus, une grande quantité de ces globules était répandue dans l'inter-valle des cellules.
Les observations de M. Guyon n'en sont pas moins précieu-ses en ce que, d'une part, elles concourent, avec les données de la symptomatologie, à démontrer l'identité de la fièvre jaune sous des latitudes et des climats différents, ainsi que l'établit, d'ailleurs, l'un de nous, dans un article destiné à la suite des Éléments de pathologie interne, de Requin (V. p. 126) ; de l'autre, elles tendent à confirmer la justesse du rapproche-ment qui a été déjà fait entre le typhus ictérodes et l'affection connue sous le nom à'ictère grave. Dans cette dernière maladie, en effet, le foie est également atteint de dégénérescence grais-seuse. Néanmoins, l'altération dont il est le siège diffère en quelques points de celle qui est propre à la fièvre jaune. Ainsi : 1° le foie, dans le typhus ictérodes, conserve son volume nor-mal ; il est atrophié dans l'ictère grave: toutefois, l'atrophie n'est pas constante, et la dénomination $ atrophie jaune aiguë du foie, par laquelle on désigne encore cette espèce d'ictère, est en ce sens vicieuse ; 2° dans la fièvre jaune, le tissu du foie est toujours sec, anémique; dans l'ictère grave, ce carac-tère est moins constant, et le parenchyme hépatique est par-fois humide, comme gorgé de bile ; 3° enfin, et cette diffé-rence est très importante, dans la fièvre jaune, les cellules hépatiques se flétrissent, se remplissent de granulations grais-seuses, mais persistent ; tandis que dans l'ictère grave elles se déchirent et disparaissent.
Ces différences, tout anatomiques, n'impliquent pas sans doute une différence de nature entre les deux maladies ; mais il est indispensable d'en tenir compte, au point de vue de la nosologie, qui ne peut encore, dans l'état actuel de la science, être basée sur la nature intime des maladies.
XI.
Sur la température du rectum dans le choléra asiatique '.
M. Charcot fait connaître les résultats de quelques recher-ches thermomélriques qu'il a entreprises, à l'hospice de la Salpêtrière, pendant le cours de la dernière épidémie, dans le bat de déterminer la température des parties centrales, chez les cholériques, aux diverses époques de la maladie. Le ther-momètre était introduit dans le rectum et il y était maintenu, chaque fois, pendant cinq ou six minutes au moins. Quelque-fois, en outre, on déterminait comparativement la température de l'aisselle et celle de la paume des mains. Ces recherches ont été faites chez sept femmes âgées de G9 à 84 ans, et chez trois autres femmes âgées de 30, 59 et 47 ans. Voici l'analyse très sommaire de ces observations.
1. Mém. de la Société de biologie, 1863, p. 107.
CVS TERMINÉS PAR. LA MORT.
n° l;
n° 2
N° 3
n° 4
A G E
ÉTAT ANTliR'EUR
du sujet.
70 ans, Bien portante habi-tuellement.
fil ans,
Très affaiblie. Di'ata-tions bronchiques et pneumonie chronique.
o3 ans. Amaurosc. Habituelle-ment bien portante.
82 ans, Rien portante anté-rienreme: t.
É l'OQUE
DU DULit
de l'affection cholérique.
24 octobre.
24 octobre.
20 octobre
s novembre.
T. R. Teaipéi'at'i.-e du rectum. T. A. de l'aisselle.
T. M. — de la main.
20 octobre. Etat typhoïde ; aSgidité peu prjnoucé.i.
25 octobre. Cyanose et algidité très pro-noncées.
29 octobre. Algidité peu prononcée.
A'gid.té H'ès prononcée.
ii novembre. Alg d ti peu pronni cée.
Algidité plus prononcée.
7 novembre.
Algilité très prononcée.
8 novembre. Algid:té très prononcée.
M' Observation prlseie n.atin. S. Observation prise le soir.
T. R. M' — 38,2
T. R. M' Cinq heures avant
la mort ........ 40.8
T R. Une heure après la
mort............. 40
T. R. M' — 38,2
T. R. S. — — 38
T. R. M' — - 37.fi
T. R. S. — - 38,4
T. R. M' — — 38
T. R. S. — — 38.4
T. R. M. — — 37,4
D A T E
de la
M O IL T.
I " novembre
2.ï octobre
30 octobre
9 novembre
SUITE DES CAS TERMINÉS PAR LA MOUT.
N° 5
N° 6
n1 7
AGE
état an té! I ïur du sujet.
EPOQUE
DU DÉBUT
del'affection cholérique.
47 ans, Epileptique d'ailleurs bien portante.
84 ans, Femme a ffaiblie ; pas de maladie déterminée.
75 ans, Habituellement bien portante, mais affaiblie
o novemlre.
lOnovembre.
linoverabre.
T. R Température du rectum. T. A. - de l'aisselle. T. M. — de la main.
M' Observation prise le matin S Observation jr'.se le matin.
5 novembre. Cyanose et algidité moyen-nement prononcée.
G novembre. Amélioration, la malade est réchauffée.
7 tovembre.
8 novembre. L'algiJité s'est produite de
nouveau.
8 novembre. Le soir, au sortir d'un bain sinapisé.
T. R. M'
T. H. S T. R. M'
T. R. M' T. R. M'
T. A. T. M.
T. R.
T. A. T. M.
10 novembre. Algidité très prononcée.
T. R. M' T. A.
13 novembre. Algidité très prononcée.
T. R.
— 37,4
37,2 37,4
37,4 37
36,8 27,6 37,8
36,8 28
37,8 36,2
— 36,2
DAT E
de la
M O B T.
8 novembre
lOnovembre
!2novembre
kHAitcoT. Œuvres complètes, t. viii, Maladies infectieuses. 11
CAS TERMINÉS PAR LA GUÉRISON.
N° 8
N» 9
N° 10
AGE
ÉTAT ANTÉRIEUR
du sujet.
78 ans, Habituellement bien portante.
74 ans,
30 ans,
Ilystéro-épilepsie, para-plégie.
ÉPOQUE
du début
de l'affection cholérique.
19 octobre
23 octobre.
o novembre
T. R. Température du rectum. T. A. — de Faisselle. T. M. — de la main.
29 octobre. Etat typhoïde.
7 novembre. Etat typhoïde, subdelirium.
0 novembre. Peau chaude.
29 octobre. Etat typhoïde
6 novembre. Etat typhoïde, peau chaude, subdelirium
5 novembre Algidité et cyanose assez prononcées.
Le soir, algiJité très prononcée.
6 novembre. L'algidité a diminué.
7 novem'ro. La malade est hors de danger.
M' Observation prise le matin. S Observation prise le soir.
T. R. M' — — 37,6
T. R. — — 37,6
T. A. — — 35,8
T. R. — — 38,2
T. R. M* — 3",6
T. R. M' - — 39,6
T. R. M' — 38,4
T. R. S. — — 38,2
T. R. M' — 37,2
T. S. — — 37/i
T. R. M' — 37, i
T. R. S. - — 37,4
A propos de ces observations, M. Charcot présente les re-marques suivantes : Si l'on prend 37°, 2, pour type de l'état physiologique, on remarquera que, dans tous les cas, sauf un seul, le septième et dans toutes les expériences, la chaleur centrale, mesurée par l'introduction du thermomètre dans le rectum, était sensiblement augmentée, ou tout au moins ne descendait pas au-dessous du taux normal. Le chiffre 36° 2, observé dans le cas exceptionnel N° 7, est un chiffre minimum qui peut se rencontrer, bien qu'assez rarement toutefois, chez les vieillards, dans les conditions physiologiques.
On voit, par les observations 3, 4, 6, que des chiffres assez élevés, tels que 37° 8, 38°, 38°, 4 ont été obtenus dans le même temps où les symptômes d'algidité et la cyanose cholériques étaient le plus prononcés. Il est bon de noter que les cas dont il s'agit étaient des plus graves, et se sont rapidement terminés par la mort.
L'observation N° 2 doit être considérée à part. Un chiffre très élevé, 40° 8, a été noté dans une expérience faite cinq heures avant la mort. Une heure après la mort, la température rectale était descendue à 40°. L'examen microscopique a dé-montré qu'il n'existait, chez ce sujet, aucune complication inflammatoire pouvant expliquer l'élévation de la tempéra-ture. Ce fait peut être rapproché de ceux qu'a signalés M. Doyère, lors de l'épidémie de 1854 (Mémoire des savants étrangers à l'Institut). Il démontre, comme ceux-ci, que dans le choléra, — et pareille chose s'observe également dans des affections d'un tout autre ordre, — la température s'élève quelquefois d'une manière très remarquable, aux approches de la terminaison fatale.
Les observations 1, 8, 9 sont relatives à des malades dont la température a été examinée, pendant la période de réaction (réaction typhoïde). L'algidité était à peine prononcée ou même la. peau était chaude. Le chiffre maximum a été 39°, 6
(obs. 9, et, dans ce cas, la maladie s'est terminée par la gué-rison), le chiffre minimum 37°, 6.
Dans les cas 5, 6, 8, la température de l'aisselle et celle du rectum ont été prises comparativement. Celle-ci a été de 37°, 37°, 8 (casN° 5), 37°, 8 (cas N° 6), 37°, 6 (cas N° 8), tandis que les chiffres correspondants fournis par l'examen du rectum étaient 38°, 6, 38°, 8 (différence d'un degré, cas N° 5), 36°, 2 (différence de plus d'un degré, cas N° 6), 33°, 8 (différence de près de 2 degrés, cas N° 8).
Il résulte de tout cela que la thermomélrie rectale doit être, dans ce genre de recherches, préférée de beaucoup à la ther-mométrie de l'aisselle, puisqu'elle accuse plus exactement que celle-ci la température des parties centrales. Plusieurs auteurs avaient remarqué déjà que, dans le choléra, l'examen ther-mométrique du rectum peut fournir une température élevée, alors que chez le même individu, l'examen de l'aisselle donne, au contraire, un chiffre très inférieur au taux normal. Le doc-teur Zimmermann, entre autres, a vu la température du rectum s'élever, pendant l'algidité, à 39°, 2, tandis que la tem-pérature de la bouche était de 33°, 4, et celle de l'aisselle seulement de 32°, 4 (Deutsche Klienick, 1855).
Par suite de la prompte cessation de l'épidémie, à l'hospice de la Salpêtrière, mes recherches ont dû être interrompues avant d'avoir été suffisamment multipliées. Néanmoins les résultats que j'ai obtenus tendent évidemment à confirmer l'opinion émise par plusieurs observateurs, à savoir que, chez les cholériques, dans la période algide, le refroidissement reste superficiel et ne s'étend pas aux parties centrales.
Il n'échappera à personne que d'un autre côté ces résultats fournissent un appui à l'ingénieuse Théorie physiologique du choléra présentée par notre collègue, le docteur Marey, dans un des derniers numéros de la Gazette hebdomadaire.
XII.
Rapport sur diverses communications relatives au
choléra K
J'ai eu à examiner, comme rapporteur, quarante-trois let-tres, notes ou mémoires, adressés à l'Académie et relatifs au traitement du choléra asiatique. J'ai le regret de dire que, dans l'accomplissement de cette tâche, je n'ai pas été plus heureux que ne l'avait été mon confrère, M. Vulpian, dans une circonstance analogue. Mon examen, en effet, ne m'a fourni aucun résultat qui mérite d'être pris en considéra-tion.
La plupart de ces lettres (trente-sept) ont été adressées par des personnes étrangères à la profession médicale et plus généralement aux sciences biologiques. 11 ne faut pas s'éton-ner, par conséquent, qu'elles contiennent presque toujours des naïvetés qui prêteraient à rire si le cas n'était pas aussi sérieux. Il faut d'ailleurs tenir compte des bonnes intentions. Toutes ces lettres, en effet, n'ont pas été dictées par l'amour du lucre ou de la notoriété, car souvent les auteurs ont dis-crètement gardé l'anonyme. Il faut plutôt y voir, en général, pensons-nous, l'un des effets de la manie d'improviser en médecine, travers encore si communément répandu, on le sait,
1. Au nom d'une Commission composée de MM. Gosselin, Vulpian, Maret, Rert. Richet, Pasteur, Boulay ; Charcot, rapporteur.
même parmi les gens éclairés. L'un considère les évacuations cholériques comme représentant un effort de la nature qu'il ne faut pas contrarier et conseille aux malades de boire de grandes quantités d'eau de source; deux autres conseillent l'ingestion d'huile d'olives. Celui-ci préconise la saignée celui-là voudrait que l'on but de l'urine d'enfant, etc.
Les Notes ou Mémoires émanant de médecins ou d'étu-diants en médecine ont nécessairement un tout autre carac-tère. Malheureusement on n'y trouve guère que des théories plus ou moins ingénieuses sur ce que l'on appelle « la nature » du choléra, avec des projets de médication déduits plus ou moins logiquement de ces théories. La sanction expérimentale fait absolument défaut. Les principaux moyens proposés sont les injections hypodermiques, soit de phénate de quinine (?), soit de chlorure de pilocarpine. L'emploi à l'intérieur du sulfate de quinine à haute dose, de l'eau oxygénée, de la limonade sulfurique.
Une note sur l'enchaînement des lésions et les symptômes de choléra asiatique et sur les indications qui en dérivent, pour le traitement préventif et curatif de cette maladie, mérite une place à part, parce qu'elle a été adressée par M. le Dr Duboué (de Pau), auquel on doit la publication de plusieurs travaux importants. L'auteur cherche d'abord à établir, en se fondant sur les résultats obtenus par quelques anatomo-pathologistes, que l'agent cholérique, introduit primitivement par les voies respiratoires, pénètre ensuite dans le système des artères et des capillaires de l'arbre aortique, où il détermine la desqua-mation de l'endothélium vasculaire. L'agent pénètre consécu-tivement dans l'intestin, où il provoque la desquamation de l'épilhélium de la membrane muqueuse. La diarrhée qui se produit, en conséquence, est due à une sorte de filtration du sérum du sang qui se fait à travers la mince couche de cho-rion des villosités intestinales dépouillées de leur épithélium.
En thérapeutique, la conséquence de cette théorie est qu'il n'y a qu'une seule indication pour le traitement préventif individuel et deux indications pour le traitement curalif.
L'indication du traitement préventif consiste à fortifier (sic) à l'avance tout le système endothélial et épilhélial, de façon à leur permettre de résister lorsque l'agent cholérigène viendra à pénétrer dans l'organisme. Cela s'obtiendra en administrant journellement aux personnes exposées à la contagion deux doses de 0 gr. 25 chacune de tannin pur préparé à l'éther.
Pour ce qui est du traitement curalif, la première indica-tion consiste surtout à rétablir la circulation interrompue. Le moyen d'obtenir ce résultat a déjà été employé par un grand nombre de médecins. Il s'agit de pratiquer des injections exlraveineuses abondantes d'un sérum artificiel auquel il conviendra, selon M. Duboué, d'ajouter l gr. par litre de tan-nin à l'éther.
La seconde indication sera remplie en reprenant, dès que la circulation sera rétablie, l'emploi du tannin, à la dose de 3 gr., G gr. et 8 gr. par jour, dans le but de favoriser la régénération des endothéliums et des épithéliums.
Nous nous sommes borné à exposer, sans vouloir entrer dans la critique. Il suffira de remarquer, pensons-nous, qu'une série d'observations cliniques et d'expériences thérapeutiques régulièrement instituées pourraient seules permettre d'attein-dre le but visé par l'institution du prix Bréant 1.
i. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1881, t, XCIX, p. 224.
DEUXIÈME PARTIE
Affections du tégument externe.
AFFECTIONS DU TÉGUMENT EXTERNE
i.
Note sur quelques cas d'affections de la peau, dépendant d'une influence du système nerveux '.
Les observations suivantes méritent à plusieurs égards, l'at-tention des physiologistes :
Obs. I. — Eruption particulière siégeant sur la face dorsale d'une main et des doigts, et probablement consécutive à la lésion des filets nerveux qui se distribuent à ces parties.
Le nommé Rousselot, Charles, journalier, ancien tisserand, âgé de 42 ans, (hôpital de la Pitié, salle Saint-Benjamin, n° 24), paraît d'une assez forte constitution et n'a éprouvé aucune ma-ladie grave jusqu'à l'époque du début de la maladie actuelle. Il ne paraît pas, en particulier, que dans son enfance il ait présenté aucun symptôme d'affection scrofuleuse.
Dans le courant de l'année 1852, à la suite de grandes fatigues, un phlegmon se déclare sur l'avant-bras et nécessite une large incision à la face dorsale du membre. L'année suivante, un nou-
1. Extrait du Journal de la physiologie de l'homme et des animaux, t. IJ, 1859, p. 108.
veau phlegmon siégeant celte fois à l'avant-bras gauche, se dé-clare. La tuméfaction était considérable et s'élcndait à la main aux doigts, cinq larges incisions furent pratiquées dans l'espace de six jours ; elles donnèrent issue à une grande quantité de pus.
Peu de temps après, le malade commence à remarquer que ses forces diminuent dans l'avant-bras et dans la main gauche; la sensibilité y devient d'abord obtuse, puis elle finit par s'y abolir complètement. En même temps, le malade éprouve dans la main, les doigts et l'extrémité supérieure de l'avant-bras, des picote-ments, des fourmillements s'exagérant par moments. Il s'y joint, de temps à autres, des accès douloureux ayant le caractère né-vralgique, les élancements semblent partir d'une cicatrice dont il sera question plus loin, et se répandent dans la main et les doigts, principalement dans le pouce, l'index et le médius. La peau qui recouvre ces parties est aujourd'hui complètement anes-thésiée. A ces phénomènes, se joignent bientôt un certain degré d'atrophie de la main et de l'avant-bras, des déformations de la main, et enfin une éruption particulière.
Voici en quoi consistent les déformations de la main : 11 y a une rétraction des quatre derniers doigts qui sont en demi-flexion et qu'on ne peut fléchir ou étendre que difficilement. Le pouce est déformé dans son articulation mélacarpo-phalangienne; c'est surtout l'extrémité supérieure de la première phalange du pouce qui contribue à celle déformation. Cette phalange parait évidem-ment tuméfiée, surtout au voisinage de son articulation supé-rieure. L'articulation elle-même est privée de la presque totalité de ses mouvements. La flexion ainsi que l'abduction, sont encore jusqu'à un certain point possibles ; mais l'adduction, ainsi que les mouvements d'opposition du pouce avec les autres doigts, sont impossibles. — Les autres doigts, outre la demi-flexion qu'on y observe, ont la phalangette tuméfiée, ce qui donne à leur extré-mité l'aspect d'un marteau ; cette déformation est surtout appa-rente à l'index. — Le premier espace inlerosseux ne présente pas son épaisseur habituelle, les muscles qui entrent dans sa compo-sition sont très manifestement atrophiés; les muscles des autres espaces inlerosseux sont également atrophiés, mais à un degré
moindre; l'avant-bras enfin présente, surtout à sa partie infé-rieure, une diminution de volume uniforme très remarquable.
Sur l'avant-bras. on remarque la trace de cinq cjcatrices ; l'une d'elles, située sur le bord externe et un peu postérieur de l'avant-bras, au niveau du tiers inférieur, mérite une mention spéciale. Elle a une longueur de deux centimètres environ ; elle est formée par un tissu inodulaire de consistance très ferme; elle est rétrac-tée, profonde et très manifestement adhérente aux tissus sous-jacents; elle répond assez exactement au trajet d'une branche importante du nerf radial (branche terminale superficielle ou cutanée de Cruveilhier). Il est probable que cette branche, com-prise dans l'épaisseur du tissu inodulaire, y est comprimée et irritée.
Depuis un an et demi environ, la partie externe de la face dor-sale de la main gauche et la face dorsale de l'index, du médius et de l'annulaire, sont le siège d'une éruption de bulles analogues à celles du pemphigus. — Ces bulles se montrent, le plus souvent, au voisinage d'une jointure ; elles apparaissent successivement, une à une, à des intervalles très inégaux. Une bulle se forme tout à coup, en quelques heures, et acquiert rapidement le volume d'une noisette. Elle est remplie de sérosité transparente qui s'échappe après la rupture spontanée ou artificielle de l'épiderme soulevée ; il reste alors une ulcération superficielle, rouge, qui marche assez vite vers la cicatrisation. L'apparition des bulles n'est pas accompagnée de douleur; elles ne sont jamais entourées d'une auréole inflammatoire; leur évolution complète et la cica-trisation des ulcérations qu'elles laissent après elles, se font dans l'espace de quinze ou vingt jours. Les cicatrices sont superfi-cielles, ovalaires, d'une couleur plus rose que celle de la peau environnante, luisantes, d'un aspect rayonné, très légèrement déprimées. — Il s'est produit, jusqu'à présent, une quinzaine de ces bulles : dix environ ont siégé au voisinage de l'articulation métacarpo-phalangienne de l'index : quatre à la partie postérieure de l'articulation phalangino-phalangettienne du même doigt: une à la partie postérieure de l'articulation métacarpo-phalangienne de l'annulaire, et une enfin, qui, en ce moment, est en voie de
cicatrisation, siégeait au niveau de l'articulation moyenne du médius.
Pendant longtemps, la main et l'avant-bras gauches, ont été seuls alïectés de la manière qui vient d'être indiquée; mais il y a deux ans environ, le malade a commencé à ressentir de la fai-blesse dans la main et dans l'avant-bras du côté droit ; peu à peu, le membre s'est atropine; enfin, il est survenu des engourdisse-ments et des fourmillements, puis de l'insensibilité. Aujourd'hui, il y a anesthésie, atrophie, faiblesse de la main et de l'avant-bras droit. Toutefois, ces phénomènes sont bien moins prononcés qu'à gauche. Enfin, depuis quelque temps, l'anesthésie paraît gagner vers la racine des deux membres, si bien que la peau qui recouvre les mains, les avant-bras et les bras, est devenue à peu près insen. sible dans sa totalité, surtout à gauche.
Ce malade n'a jamais présenté de symptômes autres que ceux que nous venons d'indiquer, qui puissent être rapportés à une affection du système nerveux; les membres inférieurs fonctionnent très bien et la démarche est assurée ; les organes génitaux et uri-naires fonctionnent aussi parfaitement, ainsi que les organes di-gestifs.
Cette observation me semble curieuse à plus d'un titre. En n'envisageant que ce qui se passe à la partie interne de l'avant-bras et dans la main gauche, à savoir: l'anesthésie à peu près complète de la peau, l'atrophie des muscles et leur paralysie, les douleurs assez vives avec fourmillement reve-nant par accès et parlant de celle des cicatrices qui correspond le mieux au trajet d'un nerf et qui rend la peau fortement adhérente aux tissus sous-jacents ; en considérant que l'érup-tion huileuse se fait presque exclusivement sur les parties de la peau qui correspondent aux divisions du nerf qu'on sup-pose comprimé, il me paraît bien évident que l'explication donnée par M. Brown-Séquard (voyez ci-après) est la bonne. Tout cela dépend de l'irritation, de la compression d'une branche du nerf radial comprise dans la cicatrice. — Mais d'où
viennent l'atrophie et l'insensibilité de la partie supérieure de l'avant-bras, du bras et de l'épaule, et surtout d'où viennent l'insensibilité et l'atrophie de tout le membre supérieur droit? Je l'ignore. Je vois, dans Romberg, qu'une lésion de nerf a pu plusieurs fois, devenir le point de départ de névralgies ascen-dantes. Ainsi, une piqûre d'un nerf de la main détermine une névralgie des nerfs du bras et de l'avant-bras, de la face, sous forme de tic douloureux, etc. J'ignore si, dans notre cas, on pourrait proposer une explication analogue pour l'anes-thésie et l'atrophie, observées tant dans le membre droit que dans le gauche. Il faudrait un cas analogue à celui-ci pour le compléter.
On ne peut croire qu'il y ait ici atrophie musculaire progres-sive pure et simple. L'anesthésie est, dans notre cas, un phé-nomène prédominant, ce qui n'a pas lieu, ce me semble, dans ce qu'on appelle l'atrophie progressive. Rien ne peut faire supposer l'existence d'une affeclion du cerveau ou de la moelle.
On sait que la peau des parties, dont les nerfs sont affectés de névralgie, se recouvre quelquefois d'une éruption de vési-cules d'herpès. Les auteurs ont rapporté un assez bon nombre d'exemples de ce genre ; on en trouverait des plus remarqua-bles dans l'article Herpès, du Traité des maladies de la peau, de M. Rayer, dans le Trente de Romberg, sur les maladies du système nerveux, dans le premier volume de la Pathologie rationnelle de Henle, et enfin dans deux mémoires publiés récemment, l'un par M. le docteur Notla, l'autre par M. le docteur Parrot. J'ai moi-même fait recueillir une observation du même genre, dont voici le résumé :
Obs. II. — Herpès zoster survenant dans le cours d'une névralgie sciatique.
Un homme, âgé de quarante-trois ans (hôpital de Lariboisière,
salle Saint-Charles, juillet 1857), a été attaqué à deux reprises, séparées par une année d'intervalle, de névralgie sciatique gau-che très rebelle. Pendant le deuxième accès, quinze ou vingt jours après le début des douleurs, la peau de la jambe et de la partie inférieure de la cuisse gauche a été recouverte de vési-cules d'herpès, disposées par groupes nombreux et confluents. Cette éruption a opéré son évolution en quinze jours à peu près. La névralgie n'a cédé que plusieurs semaines après la disparition des vésicules.
Une éruption analogue à celle décrite dans l'observation précédente a été signalée dans des cas où l'affection doulou-reuse d'un nerf avait pris naissance à la suite d'une lésion traumatique. J'ai vu un fait de ce genre; en voici le résumé:
Obs. III. — Névralgie consécutive à une lésion traumatique et accompagnée d'une éruption de vésicules d'herpès.
Un homme admis dans le service de M. Rayer, en 1851, avait, pendant les affaires de juin 1849, reçu une balle à la partie infé-rieure et postéro-externe de la cuisse. Quelque temps après la guérison de la plaie, surviennent dans la jambe de vives dou-leurs, presque continues, mais s'exaspérant par accès. Ces dou-leurs, qui semblent partir de la cicatrice, se répandent jusque sur le dos du pied et suivent évidemment le trajet des nerfs. Cette névralgie, qui a résisté à tous les moyens employés, s'est accom-pagnée, à plusieurs reprises, pendant le séjour du malade à la Charité, d'une éruption de vésicules d'herpès, disposées par groupes, tout à fait semblables à celles de l'herpès zosterle, sié-geant sur la peau des parties douloureuses.
L'éruption huileuse observée chez le malade de l'observa-tion première, diffère, sans doute, sous quelques rapports, de ces éruptions herpétiques conséculives aux affections doulou-reuses des nerfs. Il serait difficile, toutefois, de méconnaîire l'analogie qui existe entre ces deux ordres de faits, et, dans
M. le docteur Brown-Séquard a fait suivre la Note de M. Charcot de remarques sur le mode dinfluence du système nerveux sur la nutrition, remarques auxquelles M. Charcot a fait allusion plus haut, et que, pour cette raison, nous croyons devoir reproduire.
La pathologie abonde en faits intéressants qui démontrent, de la manière la plus positive, que le système nerveux est capable de produire des altérations extrêmement variées de la nutrition dans les différents organes. Les faits mentionnés par M. Charcot, sont des preuves de plus de l'existence de cette influence. Nous ne leur aurions pas donne place dans ce journal, malgré les deux qualités qu'ils possèdent d'avoir été observés avec soin par un observateur aussi instruit en physiologie qu'en pathologie, et de présenter quelques particularités très importantes, si nous n'avions cru utile de nous en servir, pour établir une distinction capitale entre deux séries de faits, qui sont, chaque jour, confon-dues l'une avec l'autre par un grand nombre de médecins et phy-siologistes. Grâce à cette confusion, ils soutiennent que les actions des divers tissus et organes, de môme que leur nutrition, sont sous la dépendance du système nerveux. Nous allons faire voir combien ils se trompent.
La comparaison des effets de la section à ceux de la compression d'un nerf, montre qu'il y a des différences très considérables entre ces deux cas. Il en est de même à l'égard des centres nerveux.
La science abonde en faits montrant que la section complète d'un nerf n'est pas suivie d'autres altérations dénutrition qu'une atrophie, assez lente à se produire, dans toutes les parties para-Charcot. Œuv. compl., t. vin, 2e part., Affections cutanées. 12
les deux cas, l'éruplion cutanée nous paraît devoir être consi-dérée comme une expression des lésions de nutrition qui surviennent dans les parties auxquelles se distribue le nerf affecté. L'atrophie musculaire et l'hypertrophie osseuse obser-vées chez notre malade, reconnaissent, sans doule aussi, la même origine.
lysées. 11 serait inutile de rapporter ici des exemples de faits si communs. Les expériences sur les animaux montrent aussi la même absence d'altération de nutrition, après la section des nerfs des membres. Nous avons signalé, ailleurs, les causes auxquelles sont dues les gangrènes que Schrœder Van der Kolk et d'autres ont cru pouvoir considérer comme des effets de l'absence d'une action nécessaire à la nutrition, après la section des nerfs d'un membre. Nous avons fait voir que ces altérations ne se produi-sent pas dans les parties paralysées, quand le sol est recouvert de coton, de son ou de foin. (Voy. Comptes-rend, de la Soc. de Biol., vol. I, 1849, p. 136, et mes Exper. Researches, 1853, p. 10.) Si l'on compare les effets de la compression des nerfs à ceux de la section, on voit qu'ils en diffèrent beaucoup. Ainsi, dans un cas rapporté par M. James Paget, et observé par l'un des plus distingués chirurgiens de Londres, M. Hilton, un homme qui avait eu une fracture de l'extrémité inférieure du radius, gué-rie après production d'une quantité d'os considérable, d'os nou-veau, eut le nerf médian comprimé. Son pouce s'ulcéra, ainsi que l'indicateur et le médius. Ces ulcérations résistèrent à plusieurs modes de traitement, et ne se guérirent que lorsqu'on eut ployé le poignet, de telle sorte que, par le relâchement des parties du côté de la paume de la main, la pression sur le nerf eut cessé. Tant que cet état de choses fut continué, tout alla bien à l'égard des ulcères; mais aussitôt après que l'on eut permise l'homme de se servir de sa main, la pression sur le nerf se renouvela, et l'ulcération des parties où il se distribue reparut. (Surgical Patho-logy, etc., by J. Paget, vol. I, p. 43.) Un autre cas, à peu près semblable à celui-là, observé par M. Swan, est rapporté par M. Paget.
Ce sont là des cas d'irritation des nerfs, et les chirurgiens qui ont traité ces malades auraient pu les guérir d'emblée en cou-pant les nerfs irrités.
Notre ami, le docteur Ch. Rouget, nous a rapporté un cas ayant quelque analogie avec les précédents et avec la troisième observation de M. Charcot.
Un cultivateur, en sautant un fossé, reçut la charge de plomb
à lièvre de son fusil, à la face interne du bras gauche, vers la partie moyenne. Au fond de la plaie, qui était large de huit cen-timètres, on apercevait l'artère humérale, la veine basilique dé-chirée et plusieurs nerfs, et surtout le brachial cutané interne, contusionné. La plaie se cicatrisa assez vite, mais environ deux mois et demi ou trois mois après, il survint à la partie posté-rieure et interne de l'avant-bras, une éruption ressemblant à du zona, occupant une surface de quatre à cinq centimètres de dia-mètre, dans une partie de l'avant-bras privée de sensibilité.
Relativement à la moelle épinière, on observe tous les jours des faits qui établissent nettement la distinction entre Yirritation et la cessation d'action. Sir B. Brodie a vu le talon commencer à se gangrener 24 heures après une lésion du rachis: est-il peu de chirurgiens qui n'aient vu des ulcérations, des escharres même, se montrer au sacrum et ailleurs, dans la première semaine après une fracture ou une luxation du rachis. Si l'on compare ces cas à ceux dans lesquels, au contraire, les escharres ne parais-sent que très tard après la lésion du rachis, on voit que, dans les premiers, la moelle épinière est comprimée et, conséquemment, irritée, et qu'elle ne l'est pas dans les seconds. Ainsi donc, ici en-core, ce n'est pas la paralysie, ce n'est pas Y absence d'action du système nerveux qui est cause de l'altération de nutrition, et c'est, au contraire, une action morbide de ce système, par suite de l'irritation qui produit celte altération. J'ai vu, au moins, plu-sieurs centaines d'animaux, survivre des mois entiers, à la sec-tion de la moelle épinière, et ne présenter aucune autre lésion de nutrition dans les parties paralysées qu'une atrophie, en gé-néral, assez lente à se montrer. Dans deux cas, au contraire, où des exostoses se sont formées à l'endroit de la section de la moelle et comprimant le bout inférieur, il y a eu une atrophie considérable en cinq ou six jours et une ulcération gangreneuse du sacrum et de quelques points de la cuisse.
Il faut donc distinguer les effets de l'irritation de la moelle épi-nières et des nerfs, de ceux de la paralysie ou simple cessation d'action de ces parties; en d'autres termes, il faut distinguer les effets de Yaclion morbide, de ceux de Yabsence d'action.
Quant aux altérations de nutrition à une distance plus ou moins grande du point irrité, la pathologie abonde en faits semblables. Ce sont là des faits d'altération de nutrition par action réflexe, et le premier cas de notre ami, M. Charcot, appartient à cette sorte de faits morbides.
II.
Sur un cas de zona du cou avec altération des nerfs du plexus cervical et des ganglions correspondants des racines spinales postérieures 1.
M. Charcot a appelé plusieurs fois l'attention de la Société sur les dépôls cancéreux qui se forment fréquemment dans l'épaisseur du corps des vertèbres, chez les sujets atteints du cancer du sein. Ces dépôts secondaires, dont l'existence, en pareil cas, avait été signalée déjà par M. Cazalis, occupent, comme on sait, le plus communément la région lombaire. Dans les cas où ils déterminent le ramollissement et, par suite, l'affaissement d'un certain nombre de corps vertébraux, il se produit habituellement des symptômes de paraplégie douloureuse, dus principalement à l'irritation ou à la compres-sion que subissent les branches nerveuses lombaires, soit dans la cavité rachidienne, soit au moment où elles traversent les trous de conjugaison. (Voir une communication faite sur ce sujet, par M. Charcot, à la Société médicale des hôpitaux, le 22 mars 1865. — Voir, tome V, p. 308.)
La présente observation est un nouvel exemple de cancer secondaire de la colonne vertébrale, survenu chez une femme atteinte d'un cancer de la glande mammaire ; mais elle diffère
1. En collaboration avec M. Cotard ; Extrait des Mémoires de la Société de biologie, 1865, p. 41.
de celles qui ont été recueillies jusqu'ici par plusieurs particu-larités intéressantes et qui méritent d'être signalées.
En premier lieu, contrairement à ce qui se voit le plus géné-ralement dans les cas de ce genre, l'altération cancéreuse des vertèbres, à peine accusée à la région lombaire, portait spécia-lement sur les vertèbres du cou; plusieurs de celles-ci étaient ramollies, aplaties, écrasées, et à leur niveau la colonne cervi-cale s'était légèrement infléchie vers la droite. Consécutive-ment, les branches nerveuses cervicales du côté droit avaient été irritées et comprimées dans leur trajet à travers les trous de conjugaison et, à l'autopsie, elles ont été trouvées en ces points-là rouges, tuméfiées, évidemment enflammées. Les ganglions intervertébraux présentaient des altérations analo-gues. Pendant la vie, l'irritation des troncs nerveux s'était révélée par d'atroces douleurs occupant le trajet des diverses branches du plexus cervical du côté droit.
On remarquera surtout, en second lieu, l'éruption de zona qui, aune certaine époque, s'est produite dans les régions de la peau auxquelles se distribuent les filets nerveux émanant de ce plexus, évidemment sous l'influence de l'affeclion des nerfs ou des ganglions spinaux.
Observation I. — Cancer du sein. — Douleurs névralgiques de ïépaule droite, de la moitié droite du cou et de la nuque. — Erup-tion de zona sur les régions douloureuses, répondant au rameau du plexus cervical droit. — Pleurésie double : mort. — Autopsie : Noyau cancéreux du sein, des plèvres, des ganglions de l'aisselle droite, des côles répondant au sein droit, du foie, des vertèbres cer-vicales ; — affaissement de la quatrième vertèbre cervicale ; — alté-rations des ganglions spinaux de la région cervicale droite ; — exa-men histologique de ces ganglions.
Il s*agit d'une femme âgée de 78 ans (Elisabeth B...), en-trée à la Salpêtrière, le 16 janvier 1865, avec un cancer non ulcéré du sein droit. Opérée en août, elle entre à l'infirmerie géné-
raie, le 9 octobre delà même année, se plaignant de vives dou-leurs qui occupent l'épaule droite, la moitié droite du cou et de la nuque, la région sus-claviculaire du côté droit. Ces douleurs, qui ont paru pour la première fois dans les premiers jours d'octobre, sont continues, mais présentent des exacerbations pendant les-quelles la malade paraît souffrir atrocement et pousse des cris. La pression réveille les douleurs et les rend très vives, principale-ment lorsqu'elle porle sur les apophyses épineuses des vertèbres cervicales ; la palpation fait percevoir un certain degré d'empâ-tement dans la partie droite du cou, en arrière du muscle sterno-cléido-mastoïdien.
Sur la cicatrice du sein et dans son voisinage, on observe quel-ques tubercules cancéreux, occupant l'épaisseur de la peau et qui se sont développés tout récemment, au dire de la malade. Plu-sieurs ganglions volumineux très durs se rencontrent dans l'ais-selle. Le membre supérieur droit n'est pas tuméfié.
Vers le 15 décembre, une éruption de zona apparaît sur toute la moitié droite du cou, en arrière, en avant, sur les parties latérales ne dépassant pas soit en avant, soit en arrière, la ligne médiane. Les groupes de vésicules herpétiques, parfaitement caractérisés, sont assez uniformément répandus et très rappro-chés sur la nuque et sur la région sus-claviculaire ; quelques-uns se voient disséminés sur le moignon de l'épaule, sur la partie la plus inférieure de la joue et la région mastoïdienne, et enfin sur la région sous-claviculaire même, au-delà du bord supérieur du grand pectoral. On voit que cette éruption occupe toutes les par-ties de la peau auxquelles se distribuent les rameaux du plexus cervical du côté droit.
L'apparition et le parfait développement de l'éruption n'ont amené, d'ailleurs, aucun amendement dans l'intensité des dou-leurs, que des doses élevées d'opium parviennent à peine à atté-nuer. Il se développe enfin une fièvre assez vive, de l'oppression, et l'examen du thorax fait reconnaître la présence d'un double épanchement pleural. Dans les derniers temps de sa vie, la malade tenait sa tête fortement inclinée sur l'épaule droite. La mort a lieu le 26 décembre 1865.
A V autopsie, on trouve de nombreux noyaux cancéreux sié-geant dans l'épaisseur de la cicatrice du sein et de la peau avoisi-nante ; les deux plèvres sont couvertes de tubercules cancéreux d'un petit volume et renferment une certaine quantité de liquide séro-purulent; à droite, les ganglions de l'aisselle ont subi la dégénérescence cancéreuse ; il en est de même des côtes, dans les parties qui correspondent au sein droit. Plusieurs masses cancé-reuses sont disséminées dans le foie.
Les corps des vertèbres ont subi dans diverses régions la dégé-néralion cancéreuse, mais l'altération est surtout prononcée à la région cervicale. Ici la colonne vertébrale paraît tuméfiée, molle, flexible, fortement incurvée du côté droit. En plusieurs points, les corps vertébraux ont la consistance du cartilage et se laissent aisément entamer par le scalpel. Le ramollissement des os n'oc-cupe pas seulement, ainsi que cela a lieu en général, le corps des vertèbres; il s'étend aux lames vertébrales et aussi aux apo-physes verticales épineuses et transversales. La quatrième ver-tèbre cervicale est surtout profondément altérée ; son corps est pour ainsi dire complètement affaissé, surtout dans sa moitié directe, où il n'est plus représenté que par une même lamelle de tissus osseux ramolli : c'est en grande partie à l'affaissement de cette vertèbre qu'est due l'incurvation latérale que présente la colonne vertébrale au cou.
La moelle épinière et les racines des nerfs ont été examinées en place dans le canal rachidien, avec le plus grand soin, surtout à la région cervicale. Les racines, ainsi que la moelle, n'ont présenté aucun changement de coloration ou de consistance ; la moelle ne paraissait pas avoir subi la moindre compression. On s'est assuré plus tard que ces diverses parties ne présentaient aucune altéra-tion appréciable dans la structure, soit à l'œil, soit au mi-croscope.
Les canaux de conjugaison ont ensuite été ouverts à la région cervicale, à droite et à gauche, de manière à permettre l'examen comparatif des nerfs cervicaux encore attachés à la moelle par leurs racines. Voici le résultat de cet examen : tandis que les ra-
cines, tant antérieures que postérieures, ont conservé elles-mêmes, à droite comme à gauche, leur volume et leur coloration normales à droite, les ganglions spinaux, ainsi que les troncs ner-veux formés par la réunion des racines spinales, présentent une légère tuméfaction et une injection vasculaire marquée par une coloration d'un rouge vif. Ces particularités sont surtout remar-quables lorsque l'on compare les ganglions et les nerfs cervicaux du côté droit aux mêmes parties du côte gauche, celles-ci ayant conservé tous les caractères de l'état normal. En dehors des troncs de conjugaison, la coloration rouge des troncs nerveux s'efface peu à peu, et elle n'esl plus guère appréciable sur les filets nerveux émanant du plexus cervical.
L'examen microscopique des ganglions et des troncs nerveux, rouges et tuméfiés, a démontré ce qui suit : dans les ganglions, les cellules nerveuses ne présentaient pas d'altérations apprécia-bles; elles contenaient une grande quantité de granulations pig-mentaires très foncées; mais celles-ci existaient avec les mêmes caractères, et à peu près en même quantité dans les corpuscules ganglionnaires du côté gauche. Le réseau vasculaire des gan-glions était vivement injecté, et l'addition d'acide acétique faisait apparaître dans la trame lamineuse des noyaux plus nonîbreux qu'à l'état normal. Dans les troncs nerveux, le névrilème présen-tait également une injection très prononcée des vaisseaux capil-laires, et sous l'influence de l'acide acétique apparaissent des noyaux très nombreux. Quant aux tubes nerveux, ils avaient conservé tous les caractères de l'état physiologique.
On voit qu'en somme les altérations appréciables portaient exclusivement sur le tissu lamineux des ganglions et des nerfs et consistaient en un injection vive des capillaires qui se répandent, dans ce tissu avec hypergénèse des éléments con-jonctifs. Il y avait donc là une véritable névrite, sans altération concomitante appréciable des corpuscules ganglionnaires et des tubes nerveux. Les circonstances de l'observation ne per-
mettent guère de douter que l'éruption de zona s'était produite sous l'influence de l'altération du tissu nerveux, et qu'en outre celle-ci avait été déterminée par la pression qu'exerçaient sur les ganglions et sur les troncs nerveux, au niveau des trous de conjugaison, les apophyses transverses des verlèbres ramol-lies et affaissées.
L'observation présentée par MM. Charcot et Cotard doit être rapprochée d'un fait publié il y a deux ans par le docteur V. Baerensprung (Beitraege zur kenntniss des Zostes. Arch. f. Anatom. und Physiologie, ïï° 4, 1865, et Canstatt's Jahresb. 1864, t. IV, p. 188) et dont voici la substance :
Obs. IL — Un enfant âgé d'un an et demi succomba à la phthi-sie pulmonaire, peu de temps après avoir souffert d'un zona qui siégeait sur le trajet des sixième, septième et huitième nerfs inter-costaux. M. V. Baerensprung examine avec soin ces nerfs, ainsi que leurs racines et les ganglions intervertébraux correspondants. Les ganglions des cinquième et neuvième racines dorsales étaient sains; ceux des sixième, septième et huitième racines présentaient au contraire des altérations remarquables. Us étaient tuméfiés et vivement injectés, surtout le septième. Le tissu connectif qui en-veloppe les corpuscules ganglionnaires était épaissi, friable, et renfermait des granules pigmenlaires et des noyaux plus nom-breux qu'à l'état normal ; quant aux cellules nerveuses, elles n'offraient aucune altération appréciable. La rougeur et la tumé-faction inflammatoire s'étendaient vers la périphérie jusqu'au lieu d'entre-croisement des racines antérieures et postérieures, et même, dans une certaine étendue, aux deux branches des nerfs spinaux ; mais dans les troncs nerveux, comme dans les gan-glions, les altérations portaient seulement sur les éléments con-jonctifs et consistaient en une injection vasculaire très pronon-cée, avec infiltration de granulations pigmentaires et multiplica-tion des noyaux embryoplasliques. Les tubes nerveux présentant çà et là des varicosités, mais d'ailleurs pas d'autres modifications appréciables dans leur structure. Les racines antérieures et aussi
les racines postérieures, entre les ganglions spinaux et la moelle, n'étaient nullement altérés et contrastaient, par leur coloration pâle, avec les branches nerveuses spinales et les ganglions.
A ne considérer que l'altération des nerfs et l'éruption cutanée qui l'a suivie, il existe, comme on voit, la plus frap-pante analogie entre l'observation qui fait l'objet principal de la présente note et celle qu'a publiée le docteur V. Baeruns-prung. Seulement, dans ce dernier cas, l'affection des nerfs paraît s'être développée spontanément, tandis que, dans le premier, elle s'est produite sous l'influence d'une cause méca-nique, à savoir la compression exercée parles parties osseuses sur les ganglions intervertébraux et sur les branches nerveuses dans leur trajet à travers les trous de conjugaison. Mais dans les deux cas — et c'est là le fait qu'il importe surtout de mettre en lumière, —l'injection vasculaire et l'hypergénèse du tissu lamineux sont restées limitées aux ganglions ainsi qu'aux nerfs spinaux et à leurs divisions principales, sans s'étendre soit aux racines antérieures, soit aux racines postérieures, entre le ganglion et la moelle.
Ces dernières circonstances ont été relevées par M. Bae-rensprung, dans son observation, comme particulièrement dignes de fixer l'attention, et, à ce propos, il a exprimé l'opi-nion que c'est surtout, sinon exclusivement, à l'inflammation des ganglions intervertébraux qu'il faut rapporter, dans les cas de zona consécutifs à une affection des nerfs, le dévelop-pement de l'éruption cutanée. Cette éruption, conformément à 1 hypothèse émise par M. Baerensprung, se produirait sous l'influence de l'irritation subie par les corpuscules ganglion-naires et les tubes nerveux avec lesquels ils sont en connexion directe.
Nos connaissances concernant la structure des ganglions des racines postérieures des nerfs rachidiens et leur mode de con-nexion avec ces nerfs peuvent, jusqu'à un certain point, être
invoquées à l'appui de l'hypothèse soutenue par M. Baerens-prung. Les recherches de M. Stannius, Axmann, Remak. Ecker, Kôlliker, Vulpian, celles plus récentes de M. Baerens-prung lui-même, tendent en effet à démontrer que, chez les mammifères et chez l'homme, les ganglions des racines pos-térieures rachidiennes sont formés à peu près exclusivement de cellules unipolaires ; les tubes nerveux venus de la moelle épinière ne font que traverser le ganglion. Le rameau afférent est constitué en partie par les tubes du rameau afférent pro-venant de la moelle, qui ont traversé le ganglion, et en partie par des tubes émanés des cellules ganglionnaires. « Il y a donc, dit M. Vulpian (Journal de Brown-Séquard, t. V, p. 32, 1862), dans tous les nerfs rachidiens, deux catégories de tubes nerveux : les unssensitifs ou moteurs, qui ont des con-nexions directes avec la moelle épinière ; les autres, moins nombreux, dont l'extrémité centrale se trouve dans les gan-glions spinaux. » Les tubes nerveux émanés des cellules gan-glionnaires et isolés anatomiquement de la moelle épinière, sont-ils, après cela, doués de propriétés spéciales ; sont-ils destinés à constituer, ainsi que le suppose M. Baerensprung, les nerfs trophiques ? On comprendrait facilement, s'il en était ainsi, que l'irritation des cellules ganglionnaires et des tubes nerveux qui en émanent ont pour conséquence presque obligée une altération de nutrition des parties où ces nerfs se répandent, tandis que pareille chose n'aurait pas lieu lorsque l'irritation porte seulement sur les tubes nerveux des racines antérieures ou sur ceux qui constituent les racines posté-rieures entre le ganglion et la moelle. Dans les cas patholo-giques qui nous occupent, l'éruption d'herpès serait l'expres-sion sensible des {roubles nutritifs survenus dans le tégument externe, sous l'influence de l'irritation des corpuscules gan-glionnaires et des tubes nerveux auxquels ils donnent nais-sance.
A ces vues hypothétiques, on peut opposer de sérieuses objections : entre autres, il est incontestable, d'un côté, que, dans certaines circonstances données, la moelle épinière influence, dans une certaine mesure, la nutrition de la peau (voir Brown-Séquard, Journal de physiologie, t. II, p. d 12, 1859) ; d'un autre côté, il est certain que les tubes nerveux qui ne font que traverser les ganglions et qui n'ont pas de communication visible entre les cellules, sont cependant sou-mis, jusqu'à un certain point, à l'influence de ces cellules. Autrement, il serait impossible de se rendre compte des ré-sultats de l'expérience dans laquelle M. Aug. Waller, après avoir coupé la racine postérieure d'un nerf rachidien,entre la moelle épinière et le ganglion, voit la partie de la racine qui tient à la moelle s'altérer, tandis que le segment qui demeure en rapport avec le ganglion, conserve sa structure intacte. (Yulpian, loc. cit., p. 33.)
Mais l'argument le plus décisif sera tiré de l'ordre patholo-gique. Il existe aujourd'hui, dans la science, des faits assez nombreux qui démontrent que des éruptions cutanées, au moins fort analogues au zona, se développent quelquefois sur la peau des extrémités, consécutivement à des altérations de cause mécanique ou traumatique, portant sur la partie périr phérique des nerfs des membres, loin du lieu d'origine de ces nerfs. Or, il est à peine admissible que les ganglions des racines postérieures 'soient affectes en pareil cas. Un des faits dont il s'agit a été publié par M. Charcot dans une Note sur quelques cas d'affection de la peau dépendant dune influence du système nerveux (Journal de Brown-Séquard,
H, p. 111, 1859). (Cette note a été reproduite in extenso à la page 171 du présent volume.)
Des faits analogues au précédent ont été rapportés par MM. Ch. Rouget (Journalde Brown-Séquard, loc. cit., p. 115); Henle (Handbuch der rationnell, Pathologie, t. I, 1846) ; Sa-
muel (Die tropischen Nerven, Leipzig, 1860, p. 148), et par M. Charcot lui-même dans le travail cité plus haut. Tout ré-cemment, M. G. Gehrardt a signalé deux cas d'éruption vési-culeuse du menton survenue à la suite de l'application du cou-rant constant sur le nerf mentonnier, au point où il sort du canal dentaire. (Centralblatt fur die Medic. Wissenschaften, 1866, 27 janvier, n° 4, p. 61.)
On pourrait aisément multiplier ces exemples ; c'en est assez, sans doute, pour établir que les éruptions vésiculaires consécutives aux affections de certains nerfs peuvent se déve-lopper par le seul fait de l'altération de ces nerfs et sans l'in-tervention obligée d'une affection des ganglions des racines postérieures. Mais quelles sont les conditions particulières qui font que certaines affections des nerfs déterminent des érup-tions de la peau, tandis que d'autres affections de ces mêmes nerfs, semblables aux premiers, du moins en apparence, ne sont pas suivies du même résultat? L'ensemble des faits cli-niques et nécroscopiques tend à faire admettre que le coma symptomatique se développe de préférence dans les cas où l'af-fection des troncs nerveux consiste en une véritable névrite ; mais il faut, par contre, reconnaître immédiatement que les cas où une névrite s'accompagne d'une affection de la peau sont relativement peu nombreux. La question, quant à présent, est donc encore enveloppée d'obscurité et appelle de nouvelles études.
III.
A propos d'un cas de canitie survenue très rapidement.
Un correspondant du London Médical Times ayant annoncé qu'il désirait réunir des faits bien constatés de décoloration rapide des cheveux, M. le docteur P. Parry, chirurgien-major à Aldershatt, publia le cas suivant, dont il avait noté par écrit les principales circonstances peu de temps après en avoir été témoin : « Le vendredi 19 février 1859, la colonne du général Franks, qui opérait dans la partie méridionale du royaume d'Oude, eut un engagement, près du village de Chamba, avec un corps de rebelles ; plusieurs prisonniers furent faits aux ennemis: l'un d'eux, un cipaye de l'armée du Bengale, âgé de cinquante-quatre ans environ, fut conduit devant les au-torités pour y subir un interrogatoire. J'eus alors occasion d'observer directement sur cet homme, au moment même où ils se produisirent, les faits dont je vais donner la relation. Le prisonnier parut avoir, pour la première fois, conscience du danger qu'il courait à l'instant où, dépouillé de son uniforme et complètement nu, il se vit entouré de soldats ; il se mit aussitôt à trembler violemment, la terreur et le désespoir se peignirent sur ses traits, et, bien qu'il répondit aux questions qu'on lui adressait, il paraissait véritablement stupéfié par la peur. Or, sous nos yeux mêmes, et dans l'espace d'une demi-heure à peine, ses cheveux, que nous avions vus d'un noir
brillant, grisonnèrent uniformément sur toutes les parties de la tête. Un sergent qui avait fait le prisonnier s'écria tout à coup : « Il tourne au gris » (he is turning gray), et appela ainsi le premier notre attention sur ce singulier phénomène, dont nous pûmes ensuite, ainsi que plusieurs autres personnes, suivre l'accomplissement dans toutes ses phases. La décolora-tion des cheveux s'opéra d'une manière graduelle ; mais elle devint complète et générale dans le court espace de temps qui a été indiqué. »
La science possède, sans doute, un bon nombre de faits qu'on pourrait mettre en parallèle avec celui que nous venons d'emprunter à un journal de médecine publié à Dublin (Dublin Médical Press, numéro du 8 mai 1861, p. 332). Quelques recherches faites à la hâte ont, en effet, bientôt mis sous nos yeux plusieurs de ces cas, dont l'authenticité nous semble difficilement contestable. Nous croyons utile de consigner ici les principaux d'entre eux, non seulement parce qu'ils nous paraissent, en général, assez peu connus, mais encore et surtout parce que des observateurs distingués 1 ont cru, dans ces derniers temps, devoir envelopper d'une même proscrip-tion tous les exemples de canitie presque subite ou rapide, et les reléguer parmi les récits apocryphes et fabuleux.
Voici d'abord un intéressant passage que nous extrayons du Traité des maladies de la peau de Lorry (De morb. cutan. Paris, 1777, p. 602) : « Pleni sunt auctorum lit»ri exemplo-« rum canitiei prae timoré intra brève spalium accersitse. Fa-ce mosa est historia illa ab Hadriano Junio recensita n obi lis « Hispani Didaci, qui, cum ob furtivos amores illicitos, frac-ce taque claustri regii jura, capitali supplicio plectendus esset, « ita canitiem undequaque contraxiL, ut Fernandus rex, mise-
1. Voyez entre autres: Reissner, Beitrœge zur Kenntniss der Haare, etc., Brcslau, 1854, s. 1.6; — et Bœrensprung, Die Hautkrankheiten, Erlangen, 1859, p. 114,
« ricordia motus, ipsi caput remiserit. Simile habet exem-« plumJulius Scaliger ; et in nostra historia viro nobili de « Saint-Vallier cujus in graliam Diana Pictavis ejus filia regios « concubitus passa est, eadem improvisa canities adventasse « Jegitur. At nil mémorandum magis quam quod aulicis « narrabat mternse mémorise, rex noster Henricus IV, se scil-« licet mœrore et metu confectum, in barbam simul atque « capillos manu incubuisse per 24 horas, laniense illius Bar-« tholomœanœ tempore, eoque exacto, hanc et barbœ et « capillorum partem fuisse in canitiem couversam, quam « ostentabat. » La circonstance si remarquable notée dans le récit précédent, d'une canitie partielle survenue rapidement, et limitée aux parties du système pileux soumises, pendant un certain temps, à la pression de la main, reparaît dans le fait qui suit : « îlsignore dAndelot », dit Guerrazi (Isabella Orsini, 3e ediz., Firenze, 1845, p. 128,129), « tenendo la faccia ap-« pogiata alla mano quando gli portarono la notizia del sup-« plicio del suo fratello ordinato dal duca di Alva corne « complice dei conti di Egmont e di Ornes, tutta quelea parie « délia barba e del sopraciglio compressa dalla mano muto « colore, e parve vi fosse caduta sopra farina. »
Dans ce même ouvrage, Guerrazi signale encore deux per-sonnages célèbres à divers titres : Guarini (de Vérone), l'un des restaurateurs des lettres classiques en Italie, et Ludovic Sforza, dit le More, comme ayant été presque subitement frappés de canitie : le premier, au moment où on lui annonça la perte, en mer, de manuscrits grecs qu'il avait, à grand'-peine, rassemblés à Constantinople; le second, dans la nuit même qui suivit le jour où il tomba au pouvoir de Louis XII, son mortel ennemi *.
1. On a souvent dit et répété que Marie-Antoinette avait blanchi complè-tement dans la nuit qui suivit sa condamnation. Cette circonstance n'est signalée ni dans les Révolutions de Paris de Prudhomme, ni dans l'Histoire de Marie-Antoinette, de Montjoye (Paris, 1814). Elle n'est pas mentionnée
Charcot. Œuvr. comp. t. vin, 2' pl. Affections de la peau. 13
— Les faits qui précèdent peuvent avoir été primitivement recueillis par des écrivains étrangers à l'étude des sciences naturelles, et qui, dans leurs récits, ont peut-être cédé à l'at-trait du merveilleux ; il y a làun motif plus ou moins légitime de suspicion qui toutefois ne saurait plus être invoqué à l'é-gard des exemples suivants : Schenk, Uannemann et Pechlin, cités par Yoigtel (Handbuch derpath. anat., Halle, 1804. Bd. I, p. 90), ont rapporté chacun un cas de canitie rapide ou presque subite survenue à la suite d'une terreur profonde. On trouve encore dans le même ouvrage de Yoigtel un fait em-prunté aux Mémoires de la Société de médecine de Londres pour 1792 (t. III) : « Une jeune fille brune, âgée de treize ans, s'aperçut un matin, en se levant, qu'une mèche de ses cheveux avait totalement blanchi pendant la nuit. Au bout de quelques jours, d'autres mèches blanchirent de même, puis d'autres encore. En même temps, la peau des diverses parties du corps, qui jusque-là avait été brune, se décolora peu à peu et prit une teinte rosée. » L'absence d'une émotion vio-lente parmi les circonstances étiologiques et la coïncidence, évidemment fort remarquable, d'une décoloration notable du tégument externe avec la canitie, distinguent notablement ce dernier exemple à la fois de ceux qui précèdent et de ceux qui vont suivre. Bichat (Anatomie générale, t. IV, p. 815) dit avoir connu une personne qui, à la suite d'une nouvelle funeste, blanchit presque entièrement dans l'espace d'une nuit. M. Rayer enfin, dans son Traité des maladies de la peau (t. III, p. 733), rapporte un cas recueilli par M. Cassan, et relatif à une nommée Perat, femme Leclère, qui, citée devant la chambre des pairs pour déposer dans le procès de Louvel,
non plus dans Y'Histoire de la captivité de Louis XVI (Paris, 18'7). MM. Ed-mond et Jules de Concourt {Hisloire'de Marie-Antoinette. Paris, 1858) disent bien que la reine avait les cheveux tout blancs le jour où elle monta sur l'èchafaud (p. 419); mais ils disent également (p. 345) qu'elle avait déjà grisonné à 1 époque de la mort du roi.
en éprouva une révolution si grande que, dans l'espace d'une nuit, ses cheveux blanchirent complètement. Les cas de ca-nitie plus ou moins complète, développée dans l'espace de cinq ou six jours, sont vraisemblablement moins rares que les précédents; Bichat en a cité quatre ou cinq, et le docteur Richler, dans sa pratique, en a observé plusieurs qu'il a com-muniqués récemment à M. J. Moleschott. (Physiolog. Skiz-zenbuch. Giessen, 1861, p. 232.)
Nous ne voyons guère sur quel principe on pourrait s'ap-puyer pour rejeter, ainsi qu'on l'a tenté, loin du domaine scientifique les faits que nous venons de rassembler. Plusieurs d'entre eux, en effet, ont été directement constatés par des observateurs dignes de foi ; les autres proviennent, à la vérité, de sources moins pures; mais, en général, ils ont avec les premiers une conformité parfaite, et cette considéra-tion leur prête incontestablement un caractère de véridicilé qu'ils n'offriraient sans doute point, du moins au même degré, présentés isolément1. Youdra-t-on, après cela, arguer contre
1. Les faits de canitie sont beaucoup plus communs qu'on ne le croirait de prime abord par la lecture des journaux de médecine. On les trouve plutôt dans les livres relatifs aux choses répulées extraordinaires ou dans les journaux politiques. En voici quelques-uns, que nous avons notés au passage :
1° « Plusieurs emprisonnez pour forfaicls, et imaginans perte de leur vie,en une nuict, de noirs ou rousseaux et blonds qu'ils estoyent, comme en Heur d'aage, sont devenus tout blancs comme vieillards. » (Histoires admirables et mémorables de notre temps, Arras, 1604, p. 361.)
2° Un ieune gentil-homme en la court de l'Empereur Charles V, s'estant ammourachc d'vne Damoiselle, lit tant que partie par amour, partie par force, il cueillit la fleur de la virginité d'icelle : ce qu'estant descouuert, pour avoir surtout commis l'acte au logis de l'Empereur, ayant esté em-prisonné, il fut condamné à perdre la teste : dont ayât eu auis le soir que le lendemain termineroit sa vie, cette nnict là luy fut si espouuantable et de tels elfects, que le lendemain, venant à sortir de prison, pour comparoir deuant le siège de iustice, afin d'ouir la sentence de mort, tous le mesco-gnoissoient, et l'Empereur mesme. Car la peur l'auoit tellement changé, qu'en lieu que le iour précédât, il auoit vue couleur vermeille, le poil blôd, les yeux aggreables, tout le traict du visage iaict pour regarder : lors il estoit deuenu comme vn corps déterré, et auoit les cheueux et la barbe blanche, ainsi qu'vn septuagénaire, et semblait plustost à quelque pendu qu'à vn home viuàt. L'Empereur estimant qu'on eust faict quelque fraude,
ces faits de leur singularité même? Mais, suivant la juste remarque de M. Moleschott (loc. cit., p. 2:13), qu'onl-ils de plus étrange que ces exemples bien avérés de perturbations
et que ce fust vn autre criminel supposé en la place du ieune gentil-homme, lequel n'auoit pas atteint l'aage de vingt-huict ans, fit soudain enquérir et rechercher d'où venoit ce merveilleux et subit changement et considérer de près la chose : puis regardant de fort près ce pauvre crimi-nel effrayé, le désir de iuste vêgeance se conuertit en miséricorde : et comme reuenu d'un profond estonnement en sa pensée, luy dict : le te pardonne ton forfaict, et commanda qu'on le laissast aller, adioustant qu'il auoit esté assez chastié des-ia de son forfaict : sans y laisser encores la teste. » (Ibid., p. 535.)
3° « Un autre ieune gentil-homme espagnol, nommé Iacques Osorio, né d'illustre famille, deuenu amoureux d'vne Damoiselle de la Cour, ayant faict quelque complot auec elle, grimpe en vng arbre toufu du iardin du Roy, et s'y cache attendant sa commodité. La dessus vn petit chien sur-uient, lequel par ses abbois, descouure le personnage, que l'on faict des-cendre pour aller en prison, afin de respondre aux despens de sa teste, cette faute tenue capitale en ces lieux pour diuerses raisons. L'arrest de mort donné contre luy l'espouvanta si fort que le lendemain matin estât deuenu tout blàc comme vn vieillard de quatre-vingts ans, on ne le reco-gnoissoit non plus que l'autre. Aussi obtint-il grâce du Roy d'Espagne, ayeul de Charles cinquiesme. » (Ibid., p. 539).
4° « Vn chasseur cherchant au haut de certain rocher des petits d'esper-uier, sentant que la corde dont il s'aydoit pour descendre se rompoit, conceut telle peur, que soudain le poil luy devint tout blanc. » {Ibid., p. 540).
5° Les journaux politiques du 6 novembre 18S5, ont raconté qu'un ouvrier mécanicien de il. Eiffel, nommé Mamesch, ayant été tué, l'annonce de cette nouvelle, à sa femme, âgée de 35 ans, détermina chez celle-ci une impres-sion tellement vive qu'elle s'évanouit. Lorsqu'elle revint à elle, ses cheveux étaient devenus tout blancs.
6° Au mois de mai 1888, les journaux ont donné de longs détails sur un puisatier, Uutilleux, enfoui dans un puits, à Blancheface. Quand, au bout de 13 jours, on a retrouvé le cadavre, on a constaté que les cheveux de Uutilleux, qui étaient grisonnants, étaient devenus d'une blancheur de neige.
7° L'arrière-grand'mère de deux de nos malades de Bicêtre, les enfants Visco..., qui était une belle brune, est devenue toute blanche du soir au lendemain matin, en apprenant que son mari lui était infidèle et, sous pré-lexte d'affaires, venait de Senlis à Paris, pour faire la noce avec des femmes.
On sait aussi qu'il n'est pas rare d'observer des cas de canitie partielle, non plus d'origine émotionnelle, mais de nature héréditaire. « Les Rohan avaient pour signe une touffe de cheveux d'albinos au milieu du front. » {Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1887, p. 428.)
A rapprocher de ces faits les cas de changements périodiques de la che-velure, relatés par C. Reinard (Virchovïs Archiv, 1884, et The Boston med. and. Surg. Journal, 1884, vol. ex, p. 214), et un Cas extraordinaire d'inca-nescence des cils, publié par F. Ponto (Union méd. de la Gironde, 1859, p. 477).
B.
cérébrales plus ou moins profondes, passagères ou dura-bles, développées tout à coup sous l'influence d'un saisisse-ment, d'une émotion violente? Viendra-t-on enfin faire res-sortir qu'il est difficile ou peut-être même impossible d'expliquer les cas de canitie rapide, au point de vue de la physiologie actuelle? Un tel argument serait de peu de poids, car la constatation empirique des faits biologiques, bien qu'elle ne soit qu'un premier pas dans la connaissance scientifique, n'en fournit pas moins, bien évidemment, des notions fonda-mentales et qui peuvent subsister par elles-mêmes. Où en serait-on, par exemple en pathologie, s'il fallait méconnaître les faits dont la raison physiologique nous échappe encore ! D'ailleurs, d'après les travaux les plus récents, les poils pa-raissent doués d'une vitalité bien plus grande qu'on ne l'avait d'abord pensé, et il serait alors moins difficile de concevoir qu'ils puissent participer quelquefois . aux brusques et vio-lentes perturbations de l'organisme.
L'incrédulité qu'ont plusieurs fois rencontrée les exemples de canitie rapide nous suggère une remarque par laquelle nous terminerons : c'est que la véritable rigueur scientifique n'a rien de commun avec ce penchant qui porte certains es-prits à accueillir avec défaveur les observations qui se présen-tent avec un caractère insolite. En pareille matière, le scepti-cisme arbitraire n'est pas moins passible d'une critique sévère que ne l'est la crédulité naïve. Tous deux, en effet, sont éga-lement contraires au progrès ; car si l'une encombre la science de faits et d'opinions sans valeur, l'autre tend à l'ap-pauvrir en repoussant des matériaux qui, à un moment donné, peuvent trouver une application utile K
1. Extrait de la Gazette hebdomadaire, 1861, p. 445.
IV.
Sur un cas de sclérodermie '.
M. Charcot rappelle que récemment, lors de la présentation d'une malade par M. Bail 2, il avait conclu à l'existence d'une
1. Comptes rendus de la Société de biologie, 1871, p. 63. En collaboration avec M. Dufour.
2. Cette présentation a été faite dans la séance du 1* juin (Compte* rendus de la Soc. de biologie, 1811, p. 43). Voici les réflexions faites à ce sujet par M. Charcot :
« Je n'hésite pas un instant, a dit M. Charcot, à faire du cas présent, — le cas de M. Bail, — une sclérodermie, malgré cette limitation rare de l'af-fection aux extrémités supérieures et inférieures. J'ai observé déjà un fait absolument semblable. Ceux qu'a rassemblés Forget, sous le nom de cho-rionitis, s'en rapprochent; et, chez cette malade, je ferai remarquer que les paupières, la bouche, la face, en un mot, présente d'une façon générale un aspect ridé tout particulier, qui indique une tendance à la généralisation de l'affection, plus grande qu'on ne le croirait d'abord, en se bornant à l'examen des extrémités....
Pour ce qui est de la face chez la malade de M. Bail, je persiste à dire qu'elle présente quelque chose de singulier et qui doit frapper tout le monde. Et, en admettant même que la face ne fut point atteinte, on ne de-vrait point rejeter du cadre de la sclérodermie cette affection bornée uni-quement aux extrémités. Ce qu'Alibert a décrit, en effet, sous le nom de momie rhumatismale, n'est pas autre chose; la peau y est également pâle, comme desséchée et collée sur les os. Ce que Forget a décrit sous le nom de chorionitis n'est encore que la sclérodermie, bornée, si j'ai bonne mé-moire, aux extrémités supérieures. On y voit une période aiguë avec rou-geur, douleur, etc., suivie d'une période chronique, avec atrophie et défor-mations diverses. En un mot, dans tous les cas, la peau finit par devenir trop courte.
La malade de M. Bail n'a rien, d'un autre côté, qui rentre dans l'asphyxie des extrémités : on ne voit pas cette pâleur locale des doigts morts, cette anémie sans déformation, puis cette cyanose qui aboutit au sphacèle sec et à la chute des parties sphacélécs. Et si l'on trouve des déformations des doigts se rattachant à l'asphyxie locale, elles tiennent non à des rétracta-tions, mais à des cicatrisations consécutives à la chute des parties morti-
sclérodermie, quoique les mains fussent atrophiées et que la face fût indemne. Un nouveau cas, qu'il vient d'observer avec M. le docteur Dufour, appuie sa manière de voir, car, dans ce dernier cas, les mains présentaient une altération identique avec celle de la malade de M. Bail et la face était atteinte.
Il s'agit d'une femme de 30 ans environ qui fut prise, il y a quelques années, de douleurs dans les cous-de-pieds, que Ton crut de nalure rhumatismale ou goutteuse ; puis d'une sorte d'œdème dur occupant le pied, puis ayant remonté aux genoux. Les mains se sont prises plus lard, sans douleurs, puis la face. Actuellement, les parties où l'altération est le plus avancée ne présentent plus d'œdème. La peau est rigide, sans plis, lisse et dure comme du parchemin, recouvrant les parties sous-ja-centes comme ferait un gant trop étroit. Le masque de la face était sans expression; le nez ressemble à ceux que l'on voit à la suite de lupus exedens, dont la rougeur a disparu. La bouche n'est plus qu'une fente transversale sans lèvres ; la malade a peine à parler ; elle ne peut tirer la langue.
Les articulations des mains sont comme soudées ; les pha-langes paraissent raccourcies ; l'ongle a prodigieusement dis-paru, presque complètement ; les poils sont tombés. Sur beau-coup de points exposés à une pression se voient des cica-trices blanchâtres, suite d'ulcérations survenues à la place d'une bulle pemphigoïde ; ces cicatrices pourraient faire croire à des fistules par lesquelles seraient sortis des fragments d'os. Chez notre malade, il est certain qu'il n'en a pas été ainsi. Il n'y a pas eu issue de fragments d'os. Les os sont atrophiés on ne sait par quelle cause.
fiées. Si nous avons ici des ulcérations, c'est là un fait secondaire, entiè-rement accessoire : la vraie maladie est toujours dans le derme, tandis que dans l'asphyxie des extrémités, elle semble résider dans les artères, si j'en juge par trois ou quatre faits dans lesquels, à ma connaissance, la maladie consistait en une ischémie due à des lésions artérielles, à des artérites des extrémités avec ou sans thromboses. Il était inutile d'invoquer le spasme des capillaires dans ces différents cas.
V.
Erythème produit par l'action de la lumière électrique
Le 14 février dernier, deux chimistes s'étaient réunis pour faire en commun des expériences sur la fusion et la vitrifica-tion de certaines substances par l'action de la pile électrique. Ils firent usage d'une pile de Bunsen, forte de 120 éléments. Les expériences durèrent environ une heure et demie ; mais, dans cet espace de temps, l'action de la pile dut être fréquem-meut interrompu, et celle-ci ne fonctionna pas, en tout, plus de vingt minutes. A la distance à laquelle les expérimenta-teurs se tenaient du foyer (50 centimètres environ), ils ne pouvaient pas être et n'étaient pas, en réalité, sensibles à l'élé-vation de la température. Néanmoins, le soir même et pen-dant toute la nuit qu'ils passèrent sans sommeil, ils éprouvè-rent dans les yeux un sentiment de fatigue très pénible et virent presque continuellement des éclairs et des étincelles colorées. Le lendemain, ils portaient l'un et l'autre à la face un érythème de couleur propre, avec sentiment de gêne et de tension. Chez M. W..., dont le côté droit de la face était seul exposé au foyer lumineux, la rougeur occupait tout ce côté, depuis la racine des cheveux jusqu'au menton, et les étin-celles ne s'étaient montrées que devant l'œil droit. Chez M. M. ., qui s'était tenu la tête baissée et dont la face pro-
i. Comptes rendus de la Société de Biologie, 1858, p. 63.
prement dite avait été protégée contre le foyer par la saillie du front, celui-ci était seul envahi par l'érylhème. Sur l'un comme sur l'autre expérimentateur, l'aspect de la peau, dans les endroits atteints, était exactement celui d'un coup de soleil, une légère desquammation s'établit, au bout de quatre jours, et dura cinq ou six jours en tout.
Cet effet de la lumière électrique est des plus curieux, et la pathologie y trouvera peut-être la raison du coup de soleil proprement dit. Tout le monde sait qu'une température élevée n'est pas une condition nécessaire pour la production de celte dernière affection ; car il y a tels individus qui en sont atteints par un temps frais, et dès les premiers jours du printemps. C'est là un fait analogue avec celui que nous venons de rap-porter. Tous deux concourent à démontrer que, dans le rayon-nement de la lumière, ce ne sont pas les rayons calorifères qui attaquent la peau. Faut-il invoquer l'action des rayons éclai-rants? Non, ou du moins l'intensité de la lumière ne paraît jouer en ceci qu'un rôle secondaire. En effet, dans les expé-riences où M. Foucault est parvenu, en réunissant plusieurs machines de Rhumkorff, à produire des étincelles dont la lon-gueur croît avec le nombre des bobines, où il a pu, au moyen d'un interrupteur à double effet, doubler le nombre de ces étincelles, sans diminuer leur énergie, cet observateur a été atteint de maux de tête, de troubles de la vision très marqués et très tenaces, et d'érythème, bien que la lumière ne fût pas plus intense que celle d'une étoile, qu'on regarde cependant sans fatigue. M. Despretz a constaté que la lumière obtenue avec 100 couples de Bunsen détermine des maux d'yeux, et que celle de 600 couples produit très rapidement l'érythème.
Restent les rayons dits chimiques; c'est cet ordre de rayons qui paraît être l'agent principal, essentiel des accidents. H suffit, en effet, pour préserver les yeux, ainsi que l'a vu plusieurs fois M. Foucault, de faire passer la lumière élec-
trique à travers un verre d'urane, lequel retient une grande partie des rayons chimiques. 11 n'est pas douteux qu'en proté-geant la face à l'aide de ce même verre d'urane, on empêche-rait aussi la production de l'érythème. L'action si rapide et si énergique de la lumière électrique sur le tégument externe et sur la rétine se comprend d'autant mieux que les rayons chi-miques y sont, comme on sait, relativement plus abondants «que dans la lumière solaire.
VI.
Coloration bronzée de la peau dans un cas de phthisie pulmonaire avec albuminurie. — Altération graisseuse des capsules surrénales l.
Observation. — Tubercules pulmonaires. — Albuminurie. — Co-loration bronzée de la peau: ses caractères, sa répartition. — État lichénoide. — Amaigrissement progressif. — Diarrhée chronique. — Mort.
Autopsie : Petit kyste du cerveau. — Tubercules et excavations pulmonaires. — Ulcérations tuberculeuses de Vintestin. — Lésions ¦des reins.—Altérations hislologiques des capsules surrénales et ¦de la peau.
Larnon, âgé de 57 ans, journalier, est entré le 13 septem-bre 1857, à l'hôpital de la Pitié, salle Saint-Raphaël, n° 35. €et homme est dans un état d'amaigrissement, de marasme des plus prononcés; la face est crispée, la peau du visage terreuse; le nez est effilé, froid, violacé. La température de la peau est basse, très basse ; même aux extrémités, le pouls est extrême-ment faible, à peine sensible. La voix est éteinte, l'intelligence du malade est affaiblie ; mais il n'y a pas en réalité perturbation des fonctions intellectuelles. Toujours est-il que nous ne pouvons obtenir de lui que fort peu de renseignements concernant son état antérieur; nous apprenons seulement qu'il est d'une mauvaise santé habituelle et qu'il est beaucoup plus malade depuis une
1. Comptes rendus de la Société de biologie, 1857, p. 146.
quinzaine de jours. Il y a beaucoup de soif, de l'inappétence, de la diarrhée. Les selles sont tout à fait séreuses, au nombre de quatre ou cinq dans les vingt-quatre heures; il y nage des flocons albumineux sous forme de grumeaux ; le malade ne ressent au-cune douleur dont il puisse préciser le siège, si ce n'est au ni-veau delà région rénale gauche, où il éprouve depuis longtemps, dit-il, une douleur sourde.
Le 14 septembre, l'exploration du thorax fait découvrir au sommet du poumon droit les signes physiques en rapport avec l'existence de tubercules pulmonaires; il y a même plusieurs ex-cavations. Les urines, très claires, peu abondantes, traitées par l'acide nitrique, donnent un précipité albumineux assez abondant, La diarrhée persiste, et il s'y mêle un peu de sang sous forme de caillots. L*algidité persiste ; le pouls est à peine sensible.
Le 15 septembre, on constate les particularités suivantes: La peau du malade présente une coloration brune, bronzée, très foncée, plus foncée en certaines parties que ne l'est la coloration de la peau d'un mulâtre. Celte coloration est à peine sensible à la face et aux mains, ce qui fait qu'elle serait passée inaperçue si l'on n'avait eu l'occasion de découvrir le corps du malade. Elle est disposée sous forme de grandes taches dont chacune recouvre toute une région du corps. L'une d'elles enveloppe le cou dan; toute son étendue ; elle est très foncée. La poitrine, mais surtout l'abdomen et le scrotum, sont recouverts d'une grande plaque d'un brun très sombre ; les épaules et les bras, les cuisses surtout, dans leurs parties antérieures et externes, présentent une coloration très sombre ; au contraire les mains et les avant-bras, les pieds et les jambes sont complètement épargnés et présentent une cou-leur normale. La teinte bronzée est très foncée sur la région laté-rale du thorax ; elle l'est moins à la région du dos. Ces plaque; brunes ne se limitent pas par des bords tranchés; elles se fondent au contraire par des gradations insensibles dans la teinte géné-rale des parties voisines. A part cette coloration bronzée si remar-quable, rien à noter sur le tégument externe, si ce n'est un étal lichénoïde léger, mais presque général, qui rend la peau rugueuse et qui oblige le malade à se gratter.
L'état des forces s'amoindrit chaque jour ; la diarrhée persiste quoi qu'on fasse ; les urines sont toujours albumineuses, l'algidité continue, et le malade meurt tout à coup presque sans agonie le 25 septembre 1857. Une gouttelette de sang, tirée d'un des doigts de la main, par une légère piqûre, ayant été examinée au microscope, on n'y a trouvé rien d'anormal, et, en particulier, on n'y a pas constaté l'existence de corpuscules de pigment.
Autopsie. — Cerveau. — On trouve un petit kytse rempli de sé-rosité, siégeant à la corne frontale droite.
Poumons. — Le lobe supérieur droit est farci de tubercules à divers degrés de développement. Il y a là quelques excavations d'un petit volume ; quelques tubercules disséminés au sommet du poumon gauche.— Cœur.— De petit volume, normal d'ailleurs.— Foie. — Petit, sans altération notable — Les épiploons, le mésen-tère et le tissu cellulaire sous-péritonéal par place, contiennent une accumulation de graisse qui contraste avec l'état de maigreur extrême que présente le cadavre. — Intestins. — Tubercules dans la membrane muqueuse de l'iléon. Çà et là quelques ulcérations tuberculeuses. — Rate. — De petit volume, de consistance nor-male, ne présentant pas une coloration plus foncée que cela n'a lieu en général.
/teins. — Ils sont de petit volume et présentent une sur-face inégale, bosselée, lobulée. Lorsqu'ils ont été incisés, on y constate tous les caractères qui distinguent l'altération de Bright (,3e degré). — Les capsules surrénales ont leur volume normal et leur forme habituelle. Elles sont divisées du hile au bord con-vexe ; et, à première vue, leur tissu examiné sur les surfaces de section, n'offre aucun dépôt morbide apparent, et ne montre pas non plus une de ces altérations évidentes de coloration qui accompagnent ordinairement les lésions internes. Cependant, une étude plus attentive fait découvrir quelques modifications. On n'aperçoit pas distinctement la substance médullaire qui paraît avoir pris les mêmes caractères que la substance corticale, et tout le tissu présente une teinte jaunâtre, surtout prononcée en quel-ques points qui s'éloignent un peu de la couleur ordinaire des
capsules surrénales. Mais ces modifications sont, en sommerassez légères pour qu'il soit impossible d'affirmer que les capsules sont altérées.
L'examen microscopique donne, au contraire, des résultats tranchés. Chaque préparation présente une quantité considé-rable de granulations graisseuses, la plupart très petites, dont quelques-unes cependant sont assez grosses. Les éléments propres des capsules sont recouverts de ces granulations et s'aperçoivent avec quelque difficulté. Dans les préparations où l'on réussit à bien isoler les cellules du parenchyme, on voit que ces cellules sont un peu boursouflées, d'une teinte sombre et sont remplies de nombreuses granulations graisseuses. Dans les points les plus jau-nâtres, la graisse se trouve accumulée en bien plus grande quan-tité. Les capsules ont donc subi une altération graisseuse pro-fonde, et ressemblent complètement sous ce rapport au foie gras des phlbisiques. Nous avons fait l'essai de la substance de ces capsules en faisant bouillir une partie de ce qui devait avoir été la substance médullaire avec 5 ou 6 centimètres cubes d'eau dans un tube de verre et en ajoutant ensuite goutte par goutte de la tein-ture d'iode: nous n'avons pas obtenu la coloration rose, un peu vineuse, qui est la réaction caractéristique des capsules surrénales à l'état sain.
Peau. — Les parties colorées de la peau ont été aussi exa-minées au microscope. — Les cellules de la coupe de Malpighi contiennent des granulations pigmentaires foncées et très nom-breuses ; en outre, il y a aussi du pigment dans un grand nombre de points de la couche superficielle du derme. Ces points ont une couleur brunâtre plus ou moins foncée. Le pigment y est en teinte uniforme ou en granulations, et il a pour siège soit des cellules étroites à prolongements multiples, soit des éléments fusiformes allongés qui nous ont paru faire partie des éléments normaux du derme. Le pigment dans le derme ne forme pas une couche con-tinue, mais est réparti sur des points plus ou moins rapprochés, en îlots nombreux, souvent irréguliers, et de dimensions très variables.
Dans un cas de maladie bronzée où la peau avait été examinée
au microscope par l'un de nous (Comptes rendus de la Soc. de Bio-logie, l8ofi, p. 155 '), le pigment se trouvait exclusivement dans la couche muqueuse de l'épiderme.
Nous ne terminerons pas cette observation sans faire deux remarques importantes. La coloration bronzée de la peau a été constatée sur notre malade à un moment où il était tellement affaibli qu'il a été impossible d'obtenir de lui des renseigne-ments précis sur le moment où s'était développée cette colora-tion, dont l'apparition devait remonter à une époque fort éloignée du début de la maladie et qui pouvait être même congénitale. En second lieu, nous devons dire que, quelques jours après la séance de la Société de Biologie où nous avions montré les capsules surrénales de ce malade, nous avons pu faire l'examen des capsules surrénales provenant d'une femme morte de phlegmon diffus des parois abdominales, et que ces capsules offraient une altération graisseuse tout aussi pronon-cée, sans que la malade, qui a pu être longtemps observée à l'hôpital Beaujon, eût jamais présenté la moindre teinte bronzée de la peau.
1. Vulpian, Note sur les réactions propres aux capsules surrénales chez ks reptiles.
VII.
Purpura hemorragica symptomatique1.
M. Charcot fait observer, à l'occasion d'une communication de M. Ilayem, sur deux cas de purpura hcmorrhagica, que le purpura est un symptôme qui peut être lié à des états morbides très différents. D'autres altérations vasculaires que celles indi-quées par M. Hayem peuvent se rencontrer dans certains cas, et à ce propos, on peut citer une observation de Fox, dans laquelle il existait une dégénérescence amyloïde des vaisseaux de la peau. Relativement à l'hémorragie cérébrale, M. Charcot fait remarquer que, lorsque cette lésion se rencontre dans le purpura, elle ne produit que peu ou pas de phénomènes clini-ques et constitue ainsi une trouvaille d'amphithéâtre. C'est ce qui a lieu aussi pour les hémorragies liées à la leucocythémie et signalées par MM. Ranvier et Ollivier. Dans ces divers cas, on ne trouve pas, en effet, de véritables foyers hémorragiques, mais de simples hémorragies capillaires ou des ecchymoses. MM. Charcot et Bouchard ont donc eu raison de dire que la véritable hémorragie cérébrale, telle qu'on la connaît en cli-nique, est toujours liée à la lésion spéciale des artérioles qu'ils ont décrite sous le nom d'anévrismes miliaires.
1. Comptes rendus de la Société de biologie, 1870, p. 26.
VIII.
Sur une observation de M. Gurlt (de Berlin) intitulée : « Ichthyose congénitale chez un veau
M. le président, à l'occasion d'une communication de M. Houel, avait annoncé qu'il existait dans le Magasin de mé-decine vétérinaire de Berlin, une observation de M. Gurlt, ayant trait à un fœtus de veau né à terme, présentant sur la peau des sillons fort analogues à ceux qu'on voyait chez le fœtus humain dont il s'agit. M. le président m'a chargé d'ana-lyser l'article de M. Gurlt, et d'en rendre compte à la Société. Cet article est intitulé : Ichthyose cornée congénitale chez un veau.
Voici ce qu'il m'a paru renfermer de plus intéressant pour le sujet qui nous occupe : 1° le veau atteint d'ichthyose congé-nitale est né vivant et à terme ; mais il est mort au bout de vingt-quatre heures. Il n'a puni se tenir debout, ni prendre le mamelon. Sa mère n'a pas cessé de se bien porter pendant tout le temps de la gestation ; elle avait vêlé, l'année précé-dente, d'un premier veau actuellement bien portant et destiné à l'élevage. Pendant tout le temps, sa nourriture a été fort convenable. Tous les viscères du jeune veau ont été examinés avec le plus grand soin : ils étaient sains.
t- Comptes rendus de la Société de biologie, 1852, p. m.Mogazin fur die 249. Gesammte Thierheilkunde, von D' Gurlt und D* Hertwig, Berlin, 1850, p. Charcot. Œuvres complètes, t. viii, 2° p. Affections de la peau. 14
2° C'est là le premier cas d'iclilyose cornée que M. Gurlt ait eu l'occasion d'observer chez les animaux ; mais il indique que, dans le journal de médecine vétérinaire d'Utrecht (Magazin voor vee-artsenij-kunde s'huck), il existe un cas toutàfait sem-blable. Il en existe, en outre, un second dans la collection de l'École vétérinaire de la même ville. Le cas de M. Gurlt serait donc le troisième qu'on ait observé chez le veau. De plus, le docteur Steinhausen a décrit et représenté, dans sa dissertation soutenue en 1848, un enfant présentant des lésions tout à fait identiques à celles dont le veau peut être atteint. Le corps de cet enfant fait aujourd'hui partie du musée anatomique de l'Université de Berlin. Ce cas d'ichthyose cornée, chez le fœtus humain, n'est d'ailleurs pas le seul qui soit arrivé à la connais-sance de M. Gurlt.
3° L'examen de l'altération des téguments externes du jeune veau fait voir qu'elle consiste surtout : 1° en des sillons et en des fentes de l'épiderme; 2° en l'absence apparente de poils.
Les sillons et les fentes sont disposés dans un certain ordre. Au cou et au tronc, ils affectent une direction verticale et se portent parallèlement, les unes vers la partie antérieure du cou, les autres vers la région abdominale. Ils sont réunis entre eux par des sillons plus ou moins obliquement dirigés. Aux membres antérieurs et aux membres postérieurs surtout, ils se dirigent obliquement d'avant en arrière et de haut en bas. La direction de tous ces sillons rappelle, d'ailleurs, la dis-position normale des plis de la peau des fœtus de veaux sains et encore dépourvus de poils, telle queNuman (d'Utrecht) l'a décrite et représentée. Les crevasses paraissent s'être faites au niveau de ces plis, à une époque plus ou moins récente, ce dont on s'assure en cherchant à rapprocher leurs lèvres l'une de l'autre.
4° L'absence des poils n'est qu'une apparence. Et d'abord, il est des points où ils ont acquis leur développement normal : c'est ce qu'on voit aux lèvres, au voisinage des sabots de devant et de derrière, à la face externe du milieu de la cuisse et de l'articulation du genou. De plus, en examinant avec soin le reste de la peau, surtout avec une loupe, on y rencontre par-tout des poils formant une légère saillie au-dessus du niveau de sa surface externe. L'état morbide de la peau consiste sur-tout en un trop grand développement de l'épiderme, dévelop-pement qui a gêné dans sa marche l'éruption des poils. L'épi-derme est en effet, dans quelques points, d'une épaisseur de 2 lignes, et il paraît composé de plusieurs couches stratifiées. Au fond des sillons et des fentes, le derme n'est pas à nu, mais bien recouvert par une très mince couche épidermique.
5° Le derme lui-même ne présente aucune modification no-table dans sa texture. Les follicules et les bulbes pileux qu'il contient paraissent tout à fait normaux : mais la tige de la plu-part des poils qui en partent est trop courte, et leur pointe ne fait qu'à peine saillie au-dessus de la surface de l'épiderme. Les glandes sébacées qui s'abouchent dans les follicules pileux sont saines, mais d'un très petit volume. Quant aux glandes sudoripares, M. Gurlt n'a pu en reconnaître l'existence, ce qu'il attribue à la macération prolongée qu'a subie la pièce.
6° Enfin, on a fait une analyse chimique comparative (Van Stetten) de l'épiderme épaissi du veau atteint d'ichthyose et de l'épiderme d'un fœtus de veau sain, âgé de 7 à 8 mois. Voici les résultats de cette analyse : sur 1.000 parties de cendres, l'épiderme du fœtus normal a donné 2b'0 parties de phosphate calcaire ; l'épiderme du fœtus atteint d'ichthyose a donné 600 parties du même sel calcaire. L'auteur conclut en attribuant, avec Numan, à la prédominance des matériaux inorganiques,
et spécialement du phosphate de chaux, la plus grande dureté et la plus grande friabilité de l'épiderme du veau atteint de ce qu'il nomme Yichthyose cornée congénitale.
Quoi qu'il en soit de l'interprétation et de la dénomination adoptées par M. Gurlt, il n'en est pas moins constant que son observation s'accompagne, ainsi qu'on l'a vu, de délails im-portants et bien circonstanciés. Il serait donc fort intéressant de répéter, sur une partie de la peau du fœtus présenté par M. Houel, les observations qui ont été faites par M. Gurlt sur celle de son jeune veau, afin de rechercher les analogies ou les différences qui peuvent exister entre les deux cas.
TROISIÈME PARTIE
Des kystes hydatiques.
DES KYSTES HYDATIQUES
I.
Mémoire sur les kystes hydatiques du petit bassin *.
Les kystes hydatiques sont indiqués dans quelques auteurs classiques2 parmi les tumeurs qui peuvent se développer dans le tissu cellulaire du petit bassin. Cependant il n'existe dans la science qu'un assez petit nombre d'exemples de ces kystes ; et encore ces exemples ont-ils peu frappé les observa-teurs, malgré les accidents divers qu'ils ont occasionnés, en gênant dans leurs fonctions les organes au voisinage desquels ils se sont développés. En effet, on les a vu gêner ou empê-cher l'émission de l'urine et des matières fécales, et devenir chez la femme grosse un obstacle à l'accouchement.
Dans quelques cas, ces kystes ont pu arriver à la dernière période de leur évolution, et leur perforation a été suivie de l'évacuation de leur contenu, alors les hydatides qu'ils conte-naient ont été rejetés avec l'urine ou les matières fécales, et ce travail morbide, accompagné de phénomènes plus ou moins graves, s'est tantôt terminé par la mort, tantôt par une gué-rison complète. Presque toujours la nature de la maladie a
t. Mémoires de la Société de biologie, 1852, p. 101.
2. Laugier et Cruveilhier. — Dictionnaire en 30 vol., art. Bassin.
été méconnue ; cependant, lorsqu'une opération a été dirigée contre elle, le résultat a été quelquefois heureux.
Sous le rapport des accidents qu'ils occasionnent et sous celui du diagnostic, les kystes hydatiques, situés ou dévelop-pés dans l'excavation du petit bassin, offrent des particula-rités assez remarquables chez la femme. Je les étudierai donc successivement chez la femme et chez l'homme.
I. — Kystes hydatiques développés dans l'excavation du
petit bassin, chez la femme.
Je commencerai l'exposé des cas de kystes hydatiques situés ou développés dans l'excavation de petit bassin chez la femme, par une description anatomique du cas que j'ai eu l'honneur de présenter à la Société de biologie.
Obs. I. — Sur cette pièce, on voit deux kystes hydatiques, déve-loppés dans le tissu cellulaire sous-péritonéal du petit bassin, entre la face antérieure du rectum et la face postérieure des or-ganes génitaux. Cette pièce a été recueillie sur le cadavre d'une femme conduite pour la dissection à l'amphithéâtre des hôpitaux. Ces deux kystes sont régulièrement sphériques, à peu près d'égal volume ; ils ont de 5 à 6 centimètres chacun de diamètre et adhè-rent entre eux dans une très petite partie de leur circonférence; l'un d'eux, plus volumineux, est faiblement uni en arrière, à la face antérieure du rectum, par du tissu cellulaire très lâche ; il est situé à 6 ou 7 centimètres au-dessus de l'anus, plutôt à droite qu'à gauche de l'axe de l'intestin ; son adhérence avec le second kyste est intime, et on ne peut la détruire sans entamer la paroi fibreuse elle-même. Le second kyste est situé un peu plus bas que son congénère et en avant de lui ; il adhère par sa face antérieure au col de l'utérus dans l'étendue de 2 centimètres environ, et à la partie la plus reculée de la face postérieure du vagin, dans l'é-tendue de 3 à 4 centimètres; l'adhérence avec les organes géni-
taux est très intime et faite au moyen d'un tissu fibreux très dense.
Le kyste postérieur est ouvert dans le rectum, par une ulcéra-tion arrondie, située à 10 ou 12 centimètres au-dessus de l'orifice anal ; cette perforation, pratiquée, par conséquent, dans la partie la plus élevée de la poche hydalique est arrondie, comme taillée à l'emporte-pièce, et présente de 1 centimètre à 1 centimètre et demi de diamètre.
Les deux kystes ne communiquent nullement entre eux au lieu de leur adhérence ; l'intérieur n'offre lui-même aucune com-munication, soit avec le vagin, soit avec l'utérus.
Avant la dissection du tissu cellulaire lamelleux qui envelop-pait de toutes parts ces deux tumeurs et les réunissait en une seule, elles formaient une masse allongée, oblique d'arrière en avant et de haut en bas, et située sous le péritoine qu'elle avait soulevé et dont elle s'était coiffée. Le péritoine, en effet, descen-dant de la face antérieure du rectum, enveloppait les kystes su-périeurement et de chaque côté, puis remontait pour recouvrir la face postérieure du corps de l'utérus. Le cul-de-sac recto-vaginal était donc complètement effacé et rempli par nos tumeurs ; ces dernières d'ailleurs, ne descendaient pas jusqu'au périnée et la plus inférieure en était distante d'au moins 4 centimètres, même dans son point le plus déclive ; c'est donc par en haut et dans le sens antéro-postérieur, que leur développement s'est effectué sur-tout ; en haut, le péritoine est repoussé; en arrière, le rectum est comprimé, aplati, et ses fibres musculaires se développent pour vaincre l'obstacle apporté au cours des matières fécales; en avant l'utérus est appliqué contre le pubis, son col aplati et considéra-blement allongé. L'organe de la gestation subit en outre un dé-placement de totalité qui le porte en haut et en avant ; le vagin, au contraire, est repoussé par en bas, et une tumeur vient faire saillie dans sa cavité, à la partie la plus reculée de sa face posté-rieure, immédiatement en arrière du col utérin.
Tous ces faits auraient pu être certainement constatés pendant la vie, et on pouvait parfaitement les percevoir sur le cadavre parle toucher rectal et le toucher vaginal, surtout en combinant ensemble ces deux modes d'exploration.
La dissection des kystes eux-mêmes nous a démontré que l'un d'eux, le plus voisin du rectum, recevait des vaisseaux artériels assez volumineux (ils étaient injectés à la cire) provenant de plu. sieurs branches des hémorroïdales moyennes qui se détournaient un instant de leur trajet habituel pour les fournir; que l'autre en recevait aussi, dans sa moitié antérieure surtout, lesquelles pro-venaient, les unes des artères vaginales du côté gauche et les autres du tronc même de l'artère utérine du côté droit. Les petites ramifications de ces artères pénétraient, de toute évidence, dans le tissu même de la poche fibreuse.
Rien de ce qui va suivre, qui ne soit commun aux kystes hydati-ques en général ; la membrane propre est épaisse, constituée par un tissu fibreux, résistant, coriace ; sa surface interne est inégale et tapissée çà et là par une matière blanchâtre, friable, assez adhérente cependant à la poche, dans l'intérieur de laquelle elle s'avance, en quelques points, assez loin pour former des cloisons incomplètes (matière tuberculeuse de Kuhn).
En comprimant la tumeur la plus voisine du rectum, laquelle n'était pas vide quand nous la rencontrâmes, il s'échappa par l'orifice anal de ce conduit un liquide séreux, trouble, blanchâtre, puis trois ou quatre hydatides entières du volume d'une noix. Ayant incisé la poche fibreuse, nous trouvâmes dans son inté-rieur, trois ou quatre hydatides entières qui n'en avaient pas été chassées par la compression, et en outre, une très grande mem-brane blanche, généralement opaque, couverte de végétations irrégulières sur ses deux faces, laquelle était repliée sur elle-même. Quand on faisait flotter dans l'eau cette membrane déchi-rée en plusieurs endroits, elle prenait d'elle-même une forme sphérique. Examinée avec soin, on la trouvait composée d'au moins cinq membranes secondaires, transparentes dans certains points, opaques dans d'autres et comme tachetées ; les point; opaques correspondaient à des épaississements et aux végéta-tions quelquefois très saillantes dont nous avons parlé. S'il s'agi1 ici d'un débris d'hydatide, celle-ci, en la supposant pleine, devail être tellement volumineuse, que les autres n'auraient certaine-ment pas pu trouver place entre sa surface exteme_el laJacj in-
terne de la poche d'enveloppe, et avaient dû à une certaine épo-que, être renfermées dans son intérieur (hydatide mère). Nous devons dire toutefois que toutes les hydatides étaient parfaite-ment libres, et ne contractaient aucune adhérence, soit avec la membrane que nous venons de décrire, soit avec le kyste d'en-veloppe.
Le kyste le plus voisin du vagin fut trouvé plein d'une sérosité trouble où nageaient une quinzaine d'hydatides pleines, de divers volumes; deux d'entre elles étaient plus grosses que des noix, les autres variaient de volume, et les plus petites n'étaient pas plus grosses que de très petits pois ; d'ailleurs aucune membrane qui rappelât, soit par ses dimensions, soit par ses autres caractères physiques, celle qu'on a rencontrée dans le premier kyste.
Les hydatides elles-mêmes avaient leur caractère habituel. Les parois les plus volumineuses pouvaient se décomposer en trois membranes au moins, dont la moyenne était la plus épaisse et la plus opaque ; celles des plus petites paraissaient composées de deux feuillets. Le liquide contenu dans l'intérieur des vési-cules ayant été examiné au microscope, nous y rencontrâmes des échinocoques,dont les suçoirs et les crochets étaient fort visibles; on rencontrait aussi ça et là dans le liquide des crochets isolés.
Nous n'avons pu, malheureusement, nous procurer aucun ren-seignement sur les phénomènes qui auraient pu être observés pen-dant la vie de cette femme. Nous avons même à regretter de n'a-voir pu examiner ses autres viscères, le foie, par exemple, afin de rechercher s'il n'y existait pas quelque autre collection d'hyda-tides.
Tout incomplète qu'elle est, cette description montre com-ment des kystes hydatïques ont pu se développer dans le petit bassin, entre le rectum et les organes génitaux, sous le péri-toine qui les unit, refouler ces organes, les déformer, et enfin 1 un d'eux s'ouvrir spontanément dans le rectum.
Quant à l'autre kyste, celui qui était plus en rapport avec le vagin, sa position en dehors du péritoine et la grande épais-
seur de ses parois auraient été, je crois, une garantie suffi, santé contre tout accident redoutable, si on eût pratiqué l'ou-verture pendant la vie.
Je passe à un second exemple très curieux, dans lequel le kyste hydatique, après avoir rendu plusieurs accouchements difficiles, a été guéri après l'incision de ses parois, en plusieurs points, par le vagin.
Dans un mémoire intitulé : Observations sur les tumeurs de ï excavation pelvienne qui peuvent rendre r accouchement difficile, mémoire célèbre dans l'art obstétrical et publié dans les Transactions médico-chirurgicales de Londres pour d 817, Park 1 a rassemblé six cas qui lui sont propres de tumeurs développées dans la cloison recto-vaginale, et qui ont pu gêner l'expulsion du fœtus, ou même indiquer des manœu-vres sérieuses.Sur ces six cas, il en est au moins un qui a trait au sujet qui nous occupe ; il est consigné dans l'obs. n° 2. En voici l'analyse.
Obs. II. — Park fut appelé, avec le docteur Lyon, auprès de Mme S..., primipare, et dont l'accouchement semblait devoir bien-tôt se faire. Au premier examen, il trouva le vagin presque entiè-rement rempli par une tumeur dure, située entre le vagin et le rectum. Ce ne fut qu'avec une certaine difficulté que le doigt put être introduit entre la tumeur et le pubis, et pénétrer jusqu'au col. Park désespérait de voir l'accouchement s'accomplir parles seuls efforts de la nature. Cependant il s'effectua naturellement ; tou-tefois, ce ne fut pas sans un travail long et pénible. Par la suite, MmeS...,eut deux grossesses gémellaires terminées prématuré-ment : la première au quatrième mois, la deuxième à la fin du septième. Les enfants de 7 mois furent expulsés sans accident.
Pendant ces grossesses, la tumeur, en comprimant l'urèthre, occasionnait de temps à autre la rétention de l'urine dans la vessie et nécessitait l'emploi du cathéter, et cependant le toucher ne fai-
i. Park. — O65. on Tumours within the Pelvis.
sait reconnaître aucune modification dans le volume de la tumeur. Un jour, Park, en la refoulant par hasard avec le doigt, déter-mina l'émission des urines. Il instruisit le mari de cette ma-nœuvre, et le cathéter devint, dès lors, inutile. Ce fut là, d'ail-leurs, le seul incident notable de ces grossesses.
Une nouvelle grossesse eut lieu ; le terme arriva. Park fut appelé pour prendre des mesures décisives à l'égard de la tumeur. La dilatation du col était complète, et déjà les membranes s'é-taient rompues. Toute la nuit se passa dans le travail le plus pénible, et cependant rien n'avançait. La tête appuyait sans cesse contre la partie supérieure de l'obstacle, mais sans pouvoir des-cendre le moins du monde dans le bassin.
Alors il fut décidé qu'une incision serait pratiquée. L'instru-ment choisi fut une lancette cachée ou pharyngotome. Park le conduisit sur son doigt jusqu'au point où les enveloppes de la tumeur lui parurent le plus minces et y pratiqua cinq ou six inci-sions très légères et non pénétrantes ; puis, forçant avec le doigt, il pénétra dans une large cavité, qu'il crut remplie par une ma-tière gélatineuse.
Aussitôt, il s'en écoula un liquide séro-sanguinolent entraînant avec lui un certain nombre de fragments membraneux ayant l'apparence de morceaux de tripe (strippings of fripe). Quelques-uns de ces lambeaux atteignaient en dimension le quart d'une feuille de papier ordinaire.
La première douleur qui suivit cette opération évacua complè-tement le contenu de la tumeur. Celles qui suivirent terminèrent bientôt l'accouchement.
Ce ne fut que très lentement que Mme S... se rétablit. Une sup-puration abondante et extrêmement fétide se manifesta ; des dou-leurs de reins assez vives, de la fièvre, une grande prostration, furent les principaux symptômes observés, et ce ne fut qu'au bout de huit ou dix semaines que la malade se rétablit complè-tement.
H est probable que le travail de cicatrisation qui suivit cette opération amena un certain degré de rétrécissement, car, dans l'accouchement qui suivit, alors que le col utérin était complète-
ment dilaté et les membranes rompues, ce ne fut qu'après un tra-vail très pénible de sept ou huit heures de durée que la tête fran-chit le bassin. Un autre accouchement eut encore lieu par la suite : il s'agissait d'une présentation du bras à la fin du hui-tième mois. Park éprouva beaucoup de difficultés à introduire sa main pour aller à la recherche des pieds, et l'obstacle, dit-il, ne résidait certainement pas dans le col utérin.
Quoique le mot hydatides n'ait pas été prononcé par l'au-teur de cette observation, il est impossible de les méconnaître dans sa description. Le siège des kystes qui les renfermait était, suivant toute probabilité, le même que dans l'observa-tion précédente, à moins que ce cas ne fût analogue à celui qui a été relaté par M. Cruveilhier, cas dans lequel l'ovaire, converti en une poche hydatique, était tombé dans le cul-de-sac recto-vaginal (en refoulant, chacun de leur côté, le rectum et le vagin), auquel le kyste adhérait très intimement.
D'ailleurs, au point de vue pratique, la distinction entre ces deux sortes de kystes hydatiques pelviens, les uns développés dans l'ovaire tombé dans l'excavation du petit bassin, les autres développés dans le tissu cellulaire sous-péritonéal du bassin, paraît difficile, sinon impossible, pendant la vie.
Voici un troisième exemple, intéressant surtout au point de vue anatomique, et qui prouve d'ailleurs, avec plusieurs autres observations que je rapporterai plus loin, que les kystes hyda-tiques du bassin sont souvent accompagnés de kystes sembla-bles dans la rate, le foie, et d'autres viscères. Les Bulletins de la Société anatomique de Paris pour 1831 renferment la note suivante :
Obs. III. — M. Barre lit l'observation d'un kyste hydatique d'un volume énorme développé dans le bassin.
L'utérus est appliqué sur sa face antérieure et lui est intime-ment uni. Les trompes et les ovaires sont en grande partie con-
fondus avec les parois du kyste. Le rectum est adhérent à sa par-lie postérieure et gauche. Le kyste contient un nombre immense d'acéphalocystes, dont le volume varie de celui d'un œuf de dinde à celui d'une noisette. Le liquide a l'aspect du pus séreux. Un kyste hydatique semblable, mais beaucoup moins volumineux, existe dans la rate. Aucun détail sur les phénomènes observés pendant la vie.
Ici, le doute qui règne dans l'observation de Park, au sujet du véritable siège du kyste, dans l'ovaire ou dans le tissu cellulaire sous-péritonéal, n'existe pas. En effet, les deux ovaires étaient exempts d'altération.
J'emprunte à M. Roux (Clinique des Hôpitaux, t. II, n° 46), un quatrième exemple du kyste hydatique du bassin, faisant saillie dans le vagin, et traité et guéri par l'incision. L'obser-vation a, d'ailleurs, été consignée tout au long dans l'article Acéphalocyste du Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique et considéré par M. Cruveilhier comme un cas de kyste hydatique d'un des ovaires.
Obs. IV. — Mme B..., âgée de 38 ans, avait eu, huit ans aupara-vant, un accouchement long et pénible. L'accoucheur reconnut la cause de la difficulté dans une tumeur existant au côté gauche du vagin, et ne dissimula pas à la malade l'obstacle qu'elle pourrait apporter à un accouchement ultérieur. Cette tumeur s'accrut, mais, sans déterminer aucune espèce d'accident pendant cinq ans. Mais, pendant les trois années qui suivirent, l'émission des urines et des matières fécales devint difficile, et le mari de la malade était forcé de la sonder trois ou quatre fois par jour. A l'hôpital de la Charité, on constata, en effet, l'existence d'une tumeur dure, située à gauche, s'étendant de la marge du bassin à la grande lèvre.
. H y avait un certain degré d'engourdissement du membre pulvien gauche. M. Roux se décida à pratiquer une opération ; il incisa le vagin dans toute sa hauteur. Cet habile chirurgien
croyait à l'existence d'une tumeur solide ; mais, au premier coup de bistouri, il s'écoula une grande quantité de liquide incolore et un grand nombre d'acéphalocystes de toute grosseur.
On ouvrit l'ouverture, et alors une membrane d'un blanc perlé vint se présenter sur les bords de la plaie. On la saisit avec des pinces, et, en faisant de douces tractions, on la détacha peu à peu, et on finit par l'amener toute entière au dehors.
On remplit la plaie de bourdonnets de charpie. Les jours sui-vants, on fit des injections, et la guérison ne se fit pas attendre.
Ce kyste hydatique s'était-il développé dans le tissu cellu-laire sous-péritonéal ou dans l'ovaire ? Je l'ignore : M. Cruveil-hier incline vers cette opinion, en faveur de laquelle il cite l'observation suivante 1 :
Obs. V. — Une femme âgée de 30 ans, observée par M. Basset, interne à la Pitié, présenta une tumeur de la région hypogas-trique qui faisait aussi saillie par le vagin et le rectum ; la palpa-tion abdominale, le toucher rectal et le toucher vaginal combinés donnèrent pendant la vie une bonne idée de la forme et des rap-ports de la tumeur. Les phénomènes les plus saillants furent la constipation et la difficulté à uriner. Le cathétérisme était sou-vent presque impossible, et il fallait changer la direction de l'ins-trument.
La malade succomba bientôt dans l'état adynamique.
Un des ovaires transformé en kyste hydatique était tombé dans le cul-de-sac recto-vaginal et avait adhéré intimement aux organes voisins; le vagin et le rectum étaient aplatis; la vessie médiatement comprimée et pleine d'urine. Dans l'épiploon gastro-splénique existait aussi un kyste hydatique volumineux, qui s'était probable-ment primitivement développé dans la rate, car son enveloppe ex-térieure se continuait avec la capsule de cet organe. Aux détails anatomiques que nous venons de donner, nous ajouterons que la tumeur, qui descendait presque jusqu'au périnée, avait le volume
1. Cruveilhier, art. Acéphal; — Basset, Soc. anat., 1818.
d'une tête d'adulte ; qu'elle contenait un liquide purulent et de très volumineux hydatides ; que la trompe correspondante com-muniquait probablement avec le kyste lui-même ; et que, suivant toute probabilité, le passage de son contenu dans la cavité uté-rine n'était empêché que par l'aplatissement considérable qu'a-vait subi le col utérin, en même temps qu'il s'était allongé.
Il est évident que si on compare celte observation aux pré-cédentes, la plupart des symptômes tant locaux que généraux, que nous avons rapportés, s'appliquent aussi bien aux kystes extra-péritonéaux hydatiques du petit bassin qu'à ceux qui se développeraient dans l'ovaire abaissé et adhérent dans la ca-vité pelvienne. La seule époque où dételles tumeurs pour-raient être distinguées l'une de l'autre est celle où le kyste hydatique de l'ovaire n'ayant pas encore contracté d'adhé-rences, serait mobile, réductible, éloigné du doigt, suscep-tible de changer de position dans les diverses attitudes impri-mées au malade. Hors ce cas, il est clair que lc}ur histoire symplomatique et que les inductions., thérapeutiques aux-quelles elles pourraient donner lieu se confondent.
Quant à la question de savoir s'il est naturel de considérer comme appartenant à l'ovaire (ainsi que le pense M. Cru-veilhier) une tumeur hydatique irréductible, saillante dans le vagin, ou s'il faut penser plutôt qu'elle s'est développée dans le tissu cellulaire sous-périlonéal, le doute me paraît le partj le plus sage.
L'observation de M. Cruveilhier tendant à démontrer que les kystes hydatiques de l'ovaire peuvent, comme d'ailleurs les autres kystes du même organe, descendre dans le cul-de-sac recto-vaginal, proéminer dans le vagin et, par suite, consti-tuer une tumeur du petit bassin, n'est pas isolée dans la science. On lit, en effet, dans la Revue médicale de 1838, ?u'au rapport de Mme Boivin, une femme malade à la maison royale de santé, en 1826, présentait une tumeur qui remplis-
Charcot. Œuvr. compl. t. vin, 3» partie : Kystes hydatiques. 15
sait tout le ventre et qui remontait jusqu'à la face inférieure du foie, avec lequel elle avait contracté des adhérences. Elle soulevait la paroi postérieure du vagin, ce qui fut constaté par le toucher. M. Paul Dubois en fit l'incision à travers les parois vaginales, et il sortit environ 20 litres d'une matière analogue à de la bouillie par sa consistance. Après la déplétion du kyste, l'utérus, d'élevé qu'il était, redescendit occuper sa place dans le bassin, et l'on sentit qu'il était dans son état naturel. L'amé-lioration qui suivit cette opération ne fut que de courte durée, car la malade mourut un mois après. L'autopsie démontra que la tumeur était due à l'ovaire gauche, qui avait acquis du dé-veloppement, par suite de la disposition dans son intérieur d'une quantité d'hydatides et de beaucoup de matière tuber-culeuse.
En résumé :
PLes kystes hydatiques se rencontrent quelquefois, chez la femme, dans l'excavation du bassin. Parfois les kystes ont leur siège primitif dans un des ovaires, parfois dans le tissu cellu-laire extra-péritonéal ;
2° Ces kystes hydatiques peuvent être simples ou multiples et accompagnés de kystes semblables dans d'autres parties du corps ;
3° Les kystes gênent l'excrétion de l'urine et des matières fécales et peuvent être un obstacle à l'accouchement;
4° La guérison de ces kystes peut être quelquefois la suite de leur ouverture spontanée dans le rectum, ou de leur ouver-ture dans le vagin par l'instrument tranchant ;
5° La sortie d'un ou plusieurs acéphalocystes est, pendant la vie, le signe caractéristique de ces tumeurs. J'ai constaté, dans un cas, que les acéphalocystes contenaient des échinocoques ; on n'a pas recherché ces helminthes dans les autres cas qui ont été publiés.
II. Kystes hydatiques développés, chez l'homme, dans le tissu
CELLULAIRE SOUS-PÉRITONÉAL DU PETIT BASSIN.
John Hunier paraît avoir attaché beaucoup d'importance à une observation de kystes hydatiques développés, chez l'homme, entre le rectum et la vessie, en dehors du péritoine, et il l'a longuement détaillée. Elle a été insérée dans les Transactions de la Société pour Vavancement de la médecine et delà chirurgie (1793). Nous en donnons ici un court ex-trait :
Obs. I. — Thomas Belle, charpentier, homme vigoureux, âgé de 40 ans, mourut subitement, le 16 mars 1786. Il s'était plaint, pendant quatre ou cinq semaines, de difficulté plus ou moins grande d'uriner, qu'il supposait le résultat d'une affection calcu-leuse, mais que les gens qui l'entouraient regardaient comme la suite d'une maladie vénérienne. Il alla consulter un chirurgien, qui constata l'existence d'un phimosis naturel, mais ne rencontra rien de syphilitique. Lors de cet examen, le malade pouvait s'as-seoir sur son lit, et il assurait avoir éprouvé un peu de soulage-ment dans l'afï'eclion des voies urinaires depuis quelques jours. Mais, chose singulière, une heure après, en essayant de se retour-ner, il expira subitement. A l'autopsie, la vessie, très distendue par l'urine, dépassait le pubis de 8 pouces anglais ; après l'avoir vidée, et elle contenait environ 6 pintes d'urine, on découvrait une volumineuse tumeur, située entre son col et le rectum. Cette tu-meur remplissait complètement le bassin et repoussait la vessie en avant et en haut. On l'incisa, et il s'en écoula une grande quantité d'eau mêlée d'un grand nombre d'hydatides de divers volumes. La plus grande de ces hydatides avait environ un pouce et demi en diamètre, et la plus petite surpassait à peine en volume une tête d'épingle ordinaire. La tumeur était d'ailleurs composée en totalité des hydatides et du liquide qui les entourait ; le volume de son contenu pouvait être évalué à une pinte et demie. Il y avait en
outre, au voisinage du col de la vessie, deux ou trois autres tu-meurs renfermant aussi des hydatides et deux corps, du volume d'une fève, adhérant à la vessie et contenant une substance molle, caséeuse.
Entre l'estomacetlarate et au-dessus du pancréas existait une vo-lumineuse tumeur qui adhérait à ces trois organes par du tissu cel-lulaire, surtout à la rate. La rate et la tumeur mesurées ensemble, avaient environ dix pouces anglais de diamètre. Cette dernière était irrégulière, mamelonnée et composée d'un certain nombre de tumeurs plus petites. Le contenu des kystes qui la composaient variait singulièrement : l'un d'eux contenait des hydatides ; une autre renfermait une substance analogue à la colle de poisson un peu ramollie par l'eau ; dans un troisième, on rencontrait un liquide transparent avec de très petites particules granuleuses adhérant faiblement aux parois ; dans un quatrième enfin, on trouvait quelques hydatides, les unes entières, d'autres déchirées. Les sacs d'enveloppe avaient des parois épaisses, très contractiles et chassaient avec force leur contenu quand on les incisait ; ils étaient composés de deux membranes, une externe, la plus forte et la plus épaisse, une interne plus mince, molle, pulpeuse.
Suivent des détails, que nous négligeons, sur l'analomie des hydatides elle-même. Nous ferons remarquer toutefois qu'en examinant au microscope les petites granulations qui nageaient dans le liquide hydatique, Hunter n'a pu y rencontrer ni su-çoirs, ni crochets, et il rappelle à ce propos que Tyson n'a ja-mais pu rencontrer les échinocoques dans les hydatides de l'homme.
Comment concevoir que des hydatides soient venues se loger entre le rectum et la vessie? Pour résoudre cette ques-tion qu'il se propose, Hunter fait remarquer que les hydatides sont beaucoup plus communes dans la rate et dans le foie que dans toute autre partie du corps. N'est-il donc pas naturel de supposer, ajoute-t-il, que, dans le cas actuel, un des kystes de la rate se sera rompu ; que son contenu se sera répandu dans
l'abdomen et accumulé par son propre poids dans le petit bassin ; qu'enfin ces hydatides émigrées se seront multipliées après s'être enveloppées d'un kyste ? Malgré l'autorité de Ilun-ter, il nous semble naturel, pour les raisons que nous avons dites, de supposer que les kystes en question se sont tout sim-plement développés dans le tissu cellulaire sous-péritonéal, et très probablement si le célèbre chirurgien eût eu connaissance des cas qui vont suivre, il n'eût pas jugé nécessaire de créer une semblable hypothèse.
Le Journal de chirurgie de Chrestien Lover (1797, t. I) con-tient une observation analogue à la précédente, recueillie par le professeur Richter.
Ici, le trajet du péritoine par rapport à la tumeur est indiqué avec soin ; mais ce n'est plus entre le rectum et la vessie qu'elle s'est développée, mais bien au-dessus de cet organe. Cette observation fait voir, en outre, comme celle de Hunter et la plupart de celles que nous avons relatées, que les tumeurs hydatiques du petit bassin se montrent généralement chez des individus qui en possèdent dans plusieurs autres parties du corps.
Obs. II.— Il s'agit d'un tailleur, âgé de 50 ans, entré en août 1797, dans un des hôpitaux de Gœttingue. Cet homme était alors porteur d'une tumeur abdominale volumineuse composée de plu-sieurs lobes, obscurément fluctuante. Cette tumeur ne changeait pas de position dans les diverses altitudes qu'on faisait prendre au malade ; cependant, on supposa qu'une certaine quantité de liquide ascitique s'était accumulée dans le péritoine. On crut, en conséquence, avoir affaire à une induration du foie, de l'épiploon ou de quelque autre viscère. L'émission de l'urine resta toujours naturelle, ainsi que la défécation, même dans les derniers temps de la vie. Surviennent la fièvre hectique, le délire fugace, la diarrhée colliquative, la leucophlegmasie, et le malade meurt.
A l'autopsie, on rencontre :
1° Un kyste contenant des hydatides, situé entre le tégument externe et le péritoine, s'étendant de la région précordiale à l'om-bilic. A côté de ce kyste, toujours au-dessus de l'ombilic, mais dans la région du foie, on en trouve un autre du môme volume, toujours sous-péritonéal, rempli d'ailleurs d'une matière épaisse, grisâtre, comme graisseuse, et d'hydatides de divers volumes. La paroi abdominale contenait encore dans son épaisseur un certain nombre d'autres kystes hydatiques plus petits. Les intestins, l'épi-ploon, quand on eût traversé la paroi.de l'abdomen singulière-ment épaissie par ces tumeurs, parurent libres et exempts d'altéra-tion ; il n'y avait pas de liquide dans la grande cavité séreuse.
2° Dans la duplicature de l'enveloppe séreuse de l'estomac, existait un kyste hydatifère volumineux, contenant un certain nombre d'hydatides.
3° Le foie et la rate contenaient des acéphalocystes disséminées dans leur parenchyme.
4° Dans le médiastin antérieur, en avant du péricarde, sié-geait encore un kyste hydatique volumineux.
5° Enfin, et ceci est plus dans notre sujet, on rencontra au voisi nage de la vessie un sac à parois très épaisses, volumineux et bien distendu par son contenu, et, bien qu'au premier coup d'œil on crût avoir affaire à la vessie elle-même distendue par l'urine; une incision ayant été pratiquée dans la tumeur, il s'écoula une grande quantité d'un liquide clair, avec plusieurs hydatides volu-mineux. Le kyste hydatifère était situé sous le péritoine, entre cette membrane et l'extrémité supérieure de la vessie ; on put l'énucléer complètement, et ce n'est qu'alors qu'on aperçut la vessie elle-même1.
Nous avons rapporté la plupart des détails de cette autopsie, parce qu'il nous a paru intéressant de montrer comment ces kystes hydatiques multiples ont affecté de se développer en dehors des membranes séreuses de la poitrine, de l'abdomen
1. Dans une annotation à cette observation, Lodcr assure avoir rencontre un cas tout à fait analogue à celui de Itichter et en conserve les pièces dans son cabinet.
et du bassin. L'un d'eux occupe le médiastin antérieur, un autre l'épiploon gastro-hépatique, d'autres enfin le tissu cel-lulaire sous-péritonéal de la paroi abdominale antérieure ; c'est aussi sous le péritoine que le kyste hydatique du bassin s'était développé. Cette remarque nous semble justifier à son tour l'opinion que nous avons déjà plusieurs fois émise,àpropos des cas douteux, à savoir que le tissu cellulaire sous-péritonéal est le siège de prédilection des hydatides du petit bassin.
Dans l'observation que je vais maintenant analyser et qui a été insérée par M. Lesauvage dans les Bulletins de la Faculté de médecine (1842), on rencontre, comme dans la précédente, des kystes hydatiques multiples répandus dans diverses par-ties du corps. Un de ces kystes a aussi pris place dans le petit bassin, sous le péritoine ; mais c'est entre la face anté-rieure du rectum et la face postérieure de la vessie qu'il s'est développé, comme cela a lieu, d'ailleurs, le plus communément. La description des symptômes observés pendant la vie ne manque pas non plus d'intérêt. L'existence du kyste est mé-connue, malgré les accidents qu'il cause du côté des voies urinaires, malgré la tumeur qu'il forme dans le rectum en le repoussant; cette tumeur du rectum, prise d'abord pour la prostate tuméfiée, est ensuite considérée comme le résultat de la distension de la vessie par l'urine qu'on cherche à éva-cuer par une ponction.
Obs. III. — Un homme de 61 ans ressentit, il y a vingt ans, 'lespremiers symptômes d'une douleur abdominale. En 18H, de Il'ischurie se manifeste, le cathétérisme est difficile, et le chirur-gien est obligé de laisser une sonde à demeure. L'année suivante, - les mêmes phénomènes se reproduisent. Outre la tumeur de l'ab-domen, on constate par le toucher rectal une tumeur lisse, uni-forme, tendue, et qu'on pouvait déprimer un peu à l'aide d'une légère pression ; elle avait été prise précédemment pour un engor-gement de la prostate ; cette fois, on la considère comme due à la
vessie distendue par l'urine; cependant, en introduisant une sonde par l'urèthre jusqu'au col de la vessie, on avait senti un corps lé-gèrement mobile, qui cédait à une faible pression exercée sur la sonde, pour revenir avec une espèce d'élasticité quand on cessait de le presser. Comme la rétention d'urine persistait, on crut de-voir ponctionner la vessie; le rectum fut choisi pour lieu de la ponction, et l'opération fut pratiquée avec un trocart courbe. Il sortit aussitôt par la canule un liquide limpide, incolore, et presque en même temps l'urine coula par la verge avec facilité et a plein canal. Les deux jets de liquide continuent pendant quelque temps; mais celui qui sortait par la canule finit bientôt par être interrompu.
« Dès que l'urine, qui était fortement colorée en brun, eût com-mencé à sortir, je fus frappé, dit M. Lesauvage, de la différence de couleur des deux liquides. Je goûtai et trouvai une différence de saveur; je ne balançai pas à avancer que le trocart avait pé-nétré dans un kyste situé entre le rectum et la vessie. Mon opinion sembla appuyer celle que j'avais émise sur la nature des tumeurs de l'abdomen. » (Il les considérait comme des kystes hydatiques.)
Par la suite, se manifestèrent des phénomènes de péritonite, dont le siège est surtout au-dessus de l'arcade fémorale du côté gauche; il s'y joint une fièvre adynamique, et le malade meurt.
A Vautopsie, on rencontre dans le foie un énorme kyste hyda-tique ; des tumeurs analogues remplissent l'épiploon.
A un pouce du col de la vessie et du côté gauche existait une .uverture qui conduisait dans une cavité qui aurait pu contenir un /erre de liquide. Cette ouverture était de forme ovalaire et avait près d'un pouce de hauteur ; la circonférence était comme frangée dans quelques points, et les portions de frange, qui étaient une continuité de la membrane muqueuse, avaient la couleur noirâtre qu'on remarquait sur cette membrane. Cette ouverture fait d'ail-leurs communiquer la vessie avec une sorte d'arrière-cavité qui s'étend jusqu'au rectum.
Suivent des réflexions dans lesquelles l'auteur suppose qu'un kyste se sera primitivement développé entre la mem-
brane muqueuse et la membrane musculeuse de la vessie ; que ce kyste se sera étendu dans le tissu cellulaire qui unit cet or-gane au rectum ; que, devenu volumineux, il aura appuyé sur le col de la vessie et aura occasionné la rétention d'urine. A l'époque où la ponction fut faite, le kyste ne communiquait pas avec la vessie ; mais la communication entre les deux cavités se fit, par suite de l'altération de la muqueuse, dont on voit les débris autour de l'orifice de communication.
Nous ne croyons pas nécessaire d'ajouter que, suivant nous, c'est primitivement sous le péritoine, dans le tissu cellulaire recto-vésical, que le kyste a pris naissance ; et ce n'est, au contraire, que consécutivement qu'il a fait corps avec la vessie et qu'il s'est ouvert dans sa cavité.
A l'autopsie, on ne trouva pas d'hydatides entières ou déchi-rées dans la tumeur elle-même ; mais l'orifice fait avec le tro-cart avait donné issue, pendant la vie, à des fragments mem-braneux dont la description rappelle les débris d'hydatides.
« D'ailleurs, dit en terminant M. Lesauvage, on connaît plusieurs exemples d'altération de cette espèce, que j'ai déjà rencontrée une fois dans les pavillons de la Faculté. »
Dans l'observation qui précède, le kyste hydatique s'est ou-vert de lui-même dans la vessie ; on l'a ouvert dans le rectum ; dans celle qui va suivre, il s'ouvre spontanément et dans le rectum et dans la vessie. Le malade guérit, à la suite de cette double issue ouverte aux hydatides, et rien ne peut faire sup-poser par la suite qu'il existe des acéphalocystes dans quel-que autre viscère. Cette observation est encore bien inté-ressante sous un autre rapport: la percussion, en effet, pra-tiquée pendant la vie, détermine le frémissement hydatique. C est la première fois que nous voyons le diagnostic posé d'une manière complète, et les kystes hydatiques du bassin reconnus avant leur ouverture artificielle, ou avant l'autopsie cadavé-rique.
Cette observation a été recueillie à la Charité, sous les yeux de M. Rayer, par M. Brun, alors interne du service. (Thèses de Paris, 1834, n°238.)
Obs. IV. — Le nommé Kurt, âgé de 40 ans, cordonnier, d'une bonne constitution et d'un tempérament sanguin et lymphatique, éprouva sans cause connue, en 1828, de la pesanteur dans le bas-ventre, accompagnée parfois de coliques. On reconnut, dans la fosse iliaque gauche, l'existence d'une tumeur grosse comme le poing, indolente à la pression. Les bains, l'onguent mercuriel em-ployés alors ne purent la dissoudre. Les choses en restèrent là jusqu'en 1834 ; à celte époque, Kurth fut pris de fièvre, de soif, d'inappétence, et de douleur à l'endroit de la tumeur, qui jus-qu'alors ne l'avait guère tourmenté. A son entrée à l'hôpital de la Charité, le 7 avril, on constate eii effet, dans la fosse iliaque gauche, l'existence d'une tumeur plus volumineuse que le poing, s'éten-dant jusqu'à l'hypogastre. Elle est arrondie, immobile, fluctuante, un peu douloureuse à la pression. Elle est d'ailleurs séparée net-tement du foie, qui paraît entièrement sain. Quand on percute la tumeur, il semble qu'on frappe sur un ressort élastique, et l'on provoque en même temps une sorte de frémissement ou de colli-sion. L'auscultation et la percussion combinées font entendre un son analogue à celui d'un tambourin.
Le lendemain, à la suite de coliques vives suivies d'un pressant besoin d'aller à la selle, le malade rend alors par l'anus un liquide purulent mêlé de débris hydatiques ; les hydatides entières avaient probablement le volume d'une noix ; peu après cette évacuation, les coliques cessent, la douleur diminue, la tumeur s'affaisse, incomplètement, il est vrai ; des hydatides déchirées sont encore rendues pendant plusieurs jours.
Le malade, complètement soulagé, demande bientôt à sortir de l'hôpital ; à cette époque, chose à noter, la tumeur n'avait pas complètement disparu, malgré les pressions réitérées qu'on avait exercées sur l'abdomen.
Kurth resta un mois hors de l'hôpital sans éprouver aucun acci-dent notable. Mais, au bout de ce temps, la tumeur augmente, re-
prend son premier volume, et devient de nouveau douloureuse. Saignées locales et générales, bains. A cette époque aussi, de la constipation se manifeste, en même temps qu'un phénomène nou-veau, l'ischurie. Du pus et des hydatides sont cependant rendus par le rectum, et le malade est encore une fois soulagé.
La difficulté à rendre les urines avait cessé elle-même, lorsque le 8 avril, une envie soudaine et pressante d'uriner se manifeste. Une urine trouble, blanchâtre, laissant déposer un précipité pu-rulent, est rendue avec difficulté , des gaz sortent en même temps par l'urèthre.
L'ischurie cède au bout de quelques jours sous l'influence d'émissions sanguines locales, et avec elle la douleur à la pression dans la région du kyste, laquelle s'était de nouveau manifestée. Les urines redeviennent normales, les hydatides cessent de repa-raître dans les selles, et le malade sort vers le milieu de juin. Il porte encore dans la fosse iliaque une tumeur, indolente, il est vrai, mais assez volumineuse.
Il n'est donc pas impossible de reconnaître les tumeurs qui nous occupent, non-seulement comme kystes, mais encore comme kystes hydatifères. L'émission des hydatides par le rectum, l'ischurie suivie de l'émission d'urines purulentes et de gaz, sont venus simplement confirmer un diagnostic qui avait été établi à l'avance, à l'aide de la percussion et de l'auscultation combinées ; et, dans cette observation, le fré-missement hydatique déterminé par la percussion était un signe d'autant plus précieux que, ni dans le foie, ni ailleurs, on ne pouvait constater l'existence de kystes analogues à celui qu'on rencontrait dans le bassin, coïncidence qui, par elle seule, serait bien de nature à mettre sur la voie du diagnostic, puisqu'elle paraît être la règle, et la non-coïncidence de l'ex-ception. Il est encore probable que, dans ce cas, il existait au moins deux kystes hydatiques dans le bassin, puisqu'après I évacuation d'un certain nombre d'hydatides et les pressions exercées sur l'abdomen, une tumeur persistait encore dans
cette région. Enfin, nous assistons à une guérison incomplète, mais amenée par un cortège d'accidents assez graves, qu'une opération, excitant l'évacuation naturelle par le rectum des hy-datides, aurait peut-être avantageusement prévenus.
Les Bulletins de la Société anatomique pour 1849 contien-nent une note relative au même sujet. M. Blondeau, interne, présente une pièce dans laquelle on voit une volumineuse tu-meur hydatique remplissant tout le petit bassin. Le rectum comprimé est déjeté à gauche; il en est de même de la ves-sie. Les fibres musculaires de ces deux organes sont hypertro-phiées ; une autre poche hydatique, du volume d'une pomme d'apis, était accolée uu cœcum. Cet homme était sujet à la ré-tention d'urine ; lors de son entrée dans le service de M. Vel-peau, on ne pouvait entrer par l'urèthre les bougies les plus fines. On pratiqua la ponction hypogastrique ; mais le malade mourut. 11 n'est pas dit si d'autres kystes hydatiques existaient ou non dans différents organes.
La coïncidence des kystes hydatiques du bassin avec ceux des organes splanchniques est encore établie dans une note très abrégée qu'on trouve dans le même recueil (Bull, de la Soc.anat., 1845). Il s'agitd'une présentation d'un kyste hyda-tique du foie. Deux kystes hydatiques existaient aussi dans le petit bassin, l'un en arrière et l'autre à droite du rectum. Il n'est fait aucune mention du sexe.
Tels sont les documents que nous avons pu rassembler sur les kystes hydatiques du petit bassin. Us sont insuffisants peut-être pour qu'on puisse baser sur eux une histoire complète de ces tumeurs ; nous demanderons cependant la permission de terminer ce travail par quelques remarques générales qui en seront la conclusion.
REMARQUES GÉNÉRALES.
1° Les kystes hydatiques du petit bassin ne sont pas tout à fait rares; en effet, sur 43 cas de kystes hydatiques déve-loppés dans diverses régions du corps, et relatés dans les Bulle-tins delà Société anatomique (de 1828 à 1849), on trouve trois cas de kystes hydatifôres extra-péritonéaux du petit bas-sin et un cas de kyste hydatique ovarique tombé dans le cul-de-sac recto-vaginal et y adhérant intimement.
Si l'on s'en tient aux observations publiées dans le même recueil, ces tumeurs viennent, par leur fréquence, immédiate-ment après celles de même nature qu'on trouve dans le pa-renchyme du cerveau et dans celui du poumon.
Sur les 12 cas qui font le sujet de ce travail, 6 appartiennent à la femme, 5 à l'homme; dans un cas, le sexe n'a pas été noté ; sur les six exemples où la femme a été atteinte, nous voyons deux fois les hydatides naître primitivement dans l'ovaire ; dans les quatre autres exemples, le tissu cellulaire sous-péritonéal du petit bassin a été le siège primitif du dé-veloppement des acéphalocystes. Les malades dont nous avons raconté l'histoire avaient généralement plus de 30 ans, bien que l'âge n'ait pas toujours été indiqué avec précision.
La cause par laquelle ils ont été affectés de cette maladie est la même qui engendre les hydatides dans d'autres parties du corps ; dans le foie, dans la rate et plus spécialement dans le tissu cellulaire des épiploons, du médiastin, dans celui qui unit le péritoine aux parois abdominales, etc. ; c'est-à-dire qu'elle est jusqu'à présent occulte ; sous l'influence de cette cause, toutefois, les kystes hydatiques se développent le plus simultanément dans diverses parties du corps. Sous ce point ^ vue, les kystes hydatiques du petit bassin rentrent dans la loi commune, c'est-à-dire que généralement on les voit, sur
le même individu, coïncider avec des kystes analogues qui ont pris naissance dans divers organes, ce qu'il est important de noter pour les indications pronostiques auxquelles ils pour-raient donner lieu. Mais il faut remarquer, par contre, que la loi de coïncidence n'est pas absolue, puisque dans trois des cas que nous avons cités, ou bien la coïncidence n'existait pas, ou bien elle ne s'est révélée pendant la vie par aucun symptôme appréciable.
2° C'est dans le tissu cellulaire sous-péritonéal du petit bassin que, suivant nous, les kystes hydatiques de la région pelvienne prennent le plus souvent naissance ; chez l'homme, ils n'ont pas d'autre siège primitif: le plus généralement alors, c'est entre le rectum et le col de la vessie qu'ils se dé-veloppent, en les refoulant chacun de leur côté ; ils peuvent cependant se développer entre le péritoine et la face postéro-antérieure de la vessie (obs. de Richter). Chez la femme, c'est entre le rectum d'une part, le vagin et l'utérus de l'autre, sous le péritoine qui unit la fin de l'intestin aux organes géni-taux, qu'ils naissent et s'accroissent. On conçoit cependant qu'ils siègent dans les ligaments larges (obs. de M. Roux), et alors la tumeur qu'ils déterminent dans le vagin sera située à droite ou à gauche de l'axe de ce conduit.
Mais chez la femme encore, nous voyons l'ovaire transformé en kyste hydatique tomber dans le cul-de-sac recto-vaginal, se développer plutôt du côté du périnée que du côté de l'ab-domen, adhérer aux parties voisines et venir constituer, en définitive, une tumeur du petit bassin. Ce n'est d'ailleurs qu'à la condition d'adhérences solides amenant l'irréductibi-lité de la tumeur, et de son développement vers le périnée plutôt que du côté de l'abdomen, que nous l'admettons dans le champ d'étude que nous nous sommes proposé ; la proé-minence de tumeurs ovariques dans le vagin et dans le rec-
tum est, en effet chose, commune ; et les kystes hydatiques de l'ovaire peuvent, à cet égard, se comporter comme les autres tumeurs de la même glande ; mais tant qu'ils sont mobiles, réductibles, qu'ils changent de place par les diverses attitudes du corps, bien que, par une de leurs extrémités, ils proémi-minent vers le bassin, ils diffèrent assez des véritables tumeurs de cette région pour qu'on les étudie à part.
3° Dans les kystes extra-péritonéaux,on trouve la membrane enveloppante constituée par du tissu fibreux, dense, muni de vaisseaux. Le kyste a rencontré des adhérences toujours assez intimes avec les organes voisins. Le rectum a été comprimé, ses fibres musculaires se sont développées pour lutter contre l'obstacle au cours des matières fécales. L'utérus a été dé-placé en totalité, porté en haut et en avant contre le pubis ; son col, ne participant pas toujours à ce mouvement d'ascen-sion, s'est aplati et allongé. Chez l'homme, la vessie urinaire, directement comprimée au niveau de son col, s'est hypertro-phiée, comme il est de règle en pareil cas.
Quand, chez la femme, les kystes hydatiques, ovariques, ont pris place parmi les tumeurs du petit bassin, des adhé-rences se sont établies entre la tumeur et les parties voisines; le cul-de-sac recto-vaginal a, par suite, cessé de faire partie de la grande cavité péritonéale. Par suite, en même temps que ces tumeurs ont confondu leur histoire symptômatique avec celle des kystes du tronc cellulaire, elles ont été soumises aux mêmes indications chirurgicales.
Dans plusieurs cas, les kystes du petit bassin étaient mul-tiples, et en particulier dans celui qui nous est propre, un des deux kystes s'était ouvert par le rectum, tandis que l'au-tre était resté complètement clos.
4° Tant que ces kystes ne sont pas assez volumineux pour
gêner dans leurs fonctions les organes voisins, aucun phéno-mène particulier ne révèle leur présence. Toutefois, on con-çoit qu'il cause certains accidents plus ou moins graves, alors même que leur volume n'est pas très considérable ; les kystes hydatiques, en effet, sont soumis à une loi d'évolution dont le but est l'élimination des hydatides ; alors, quand l'époque de l'évacuation du contenu est arrivée, époque que rien ne peut faire prévoir, soudain le liquide où nagent les acépha-locytes devient lactescent, purulent, les parois du kyste enve-loppant s'ulcèrent, et les hydalides plus ou moins altérées sont expulsées dans une cavité voisine.
Mais tout cela s'est accompagné de phénomènes locaux et de phénomènes généraux plus ou moins intenses, qui ont souvent appelé pour la première fois l'attention du malade sur une lésion déjà ancienne et dont il n'avait pas soupçonné l'existence. Ce travail spontané, imprévu, est pour ainsi dire l'apanage exclusif des tumeurs hydatiques. Rien de semblable, en effet, ne se rencontre dans les divers kystes hydatiques de la région qui nous occupe.
Quanta la voie par où s'éliminent spontanément les hyda-tides, c'est, chez l'homme, souvent le rectum, quelquefois la vessie. Chose à noter, chez la femme, le rectum leur a donné issue, mais non le vagin. Il est assez probable, cependant, que beaucoup d'hydatides rendues par le vagin ou même par l'utérus provenaient de kystes du bassin.
Nous n'avons pas trouvé d'exemples de kystes hydatiques du petit bassin ouvert dans le péritoine.
5° Les kystes hydatiques du petit bassin constituent, chez la femme, une tumeur lisse, bien arrondie, non mamelonnée, indolente, fluctuante. Cette tumeur occupe la cloison recto-vaginale et fait à peu près également saillie du côté du rec-tum et du côté du vagin ; son développement n'est pas encore
très avancé que déjà les saillies rectale et vaginale sont très prononcées, tandis que la tumeur abdominale est encore très peu de chose. Par le toucher vaginal et par le toucher rectal donc, et surtout par ces deux modes d'exploration combinés, on se rendra compte du volume, de la consistance, de l'im-mobilité ou de la mobilité obscure, ainsi que des autres qua-lités physiques de la tumeur ; si déjà elle s'est élevée du côté de l'abdomen au-dessus du détroit supérieur, la palpation abdominale viendra compléter le diagnostic. La percussion surtout devra être pratiquée avec soin, je dirai plus, avec art.
Puisque les kystes hydatiques du bassin s'accompagnent souvent de kystes analogues dans d'autres organes, il est clair que ces derniers doivent y être recherchés. Or, ici encore, à ce qu'il nous semble, la délimitation graphique des divers organes, du foie, de la rate, etc., pourra être fort utile et même indispensable; car elle seule peut faire connaître, d'une manière précise, leur forme et leur volume, service que la palpation ne pouvait souvent pas rendre. Il est bien en-tendu que nous ne parlons des cas où les tumeurs hydatiques viscérales sont tellement volumineuses que l'inspection seule ou une palpation grossière peuvent les découvrir.
En fait de phénomènes sympathiques, ou de voisinage, rien qui ne puisse être produit à l'avance. Les kystes hyda-tiques du bassin deviennent-ils suffisamment volumineux, on les voit déterminer la constipation, Tischurie, la rétention d'urine. La menstruation ne peut pas manquer d'être gênée, au moins mécaniquement; enfin nous savons comment, à l'é-poque de l'accouchement, une tumeur hydatique a pu gêner très sérieusement l'expulsion naturelle du fœtus. Pesanteur au périnée, douleurs des aines et des lombes, leucophlegmasie, ascite, voilà des phénomènes dont on comprend trop bien l'existence en pareil cas pour que nous y insistions.
Charcot. Œuvr. compl. t. vin, 3e partie : Kystes hydatique*. 16
6° Jusqu'ici, il faut l'avouer, parmi tous ces symptômes, rien ou à peu près rien qui ne fut commun aux kystes hyda-tiques du petit bassin et aux autres tumeurs enkystées de la même région. Nos tumeurs ont cependant quelques signes pathognomoniques ; tels sont, par exemple : 1° le frémisse-ment hydatique ; 2° la multiplicité des kystes sur le même individu ; 3° l'issue des hydatides en nature. Mais, ajoutons-le, chacun de ces phénomènes peut manquer, ou ne s'être pas présenté à l'époque où on observe le malade. Le frémisse-ment hydatique n'a été perçu qu'une fois et l'on sait combien il est rare de le rencontrer sur les tumeurs hydatiques en général. La coïncidence d'autres tumeurs a manqué plusieurs fois; enfin, l'évacuation d'hydatides ou de fragments d'hy-datides ne se montre en général qu'à une époque avancée de la maladie.
Si cependant une tumeur affecte le siège et présente les caractères physiques indiqués plus haut, que d'autres tumeurs analogues existent dans d'autres parties du corps, on a tout lieu de penser qu'il s'agit d'un kyste hydatique, plutôt que de toute autre tumeur; si, soudain, et d'une manière imprévue, cette tumeur devient douloureuse, d'indolente qu'elle était, qu'en même temps un appareil fébrile se manifeste, la con-viction s'établira encore plus solidement ; et enfin tout doute sera levé quand des fragments hydatiques seront rejetés au dehors. Hors cela, il faut bien le dire, le diagnostic différentiel sera difficile à établir.
« On peut, dit M. Baudon (/teu. Méd., 1841, p. 20), distin-guer les abcès des kystes par les symptômes inflammatoires qui précèdent leur formation, par leur sensibilité qui existe dès le début, et parce que la fluctuation y est ordinairement partielle, limitée, tandis que les kystes acquièrent un volume quelquefois considérable sans réaction, et présentent une fluctuation plus évidente, plus uniforme et d'une sensibilité
pins tardive qui, souvent même, ne se montre jamais. Mais quant à distinguer parmi les kystes ceux qui sont hydatiques, séreux, sanguins, etc., je crois que, dans l'état actuel de la science, on ne peut y parvenir, à moins d'employer la ponc-tion exploratrice.
Nous n'avons rien à ajouter après ce que nous avons dit plus haut; cependant, nous ne savons pas trop si la ponction exploratrice serait apte à faire distinguer les kystes hydatiques; ce n'est en effet qu'accidentellement que le liquide obtenu par la ponction de ces derniers sera chargé des éléments qui les caractérisent : je veux parler des échinocoques ou de leurs crochets.
Quant aux tumeurs sanguines du petit bassin, leur étude est aujourd'hui un peu plus avancée qu'à l'époque où écrivait M. Bourdon. Dans une thèse récente, M. le docteur Yiguèsles a étudiées avec soin. Le siège de ces tumeurs est le même que celui de nos kystes hydatiques, et les caractères physiques diffèrent peu dans les deux cas ; mais les phénomènes qui accompagnent la déformation des dépôts sanguins différen-cient assez nettement ces derniers.
Thèse inaugurale, p. 12: «Dans la plupart des observa-tions que nous rapportons, dit M. Viguès, on a observé chez les malades des symptômes précurseurs : du malaise, des troubles menstruels, métrorrhagie ou suppression des règles, douleur dans le bas-ventre : les moindres mouvements sont douloureux.
« Chez quelques-uns on observe un amaigrissement rapide ; la face est pâle, moite, anxieuse, les traits sont altérés ; les chairs deviennent molles et flasques, la peau présente la teinte que l'on remarque après une hémorragie abondante. Ces phénomènes, en rapprochant sous quelques points de vue les tumeurs sanguines des tumeurs phlegmoneuses, les diffé-rencient suffisamment des kystes hydatiques. »
Lors de l'accouchement, le diagnostic devient plus ardu encore, et en même temps, les indications plus pressantes. A cette époque, les tumeurs qui proéminent de la face postérieure du vagin deviennent irréductibles, alors qu'elles pouvaient autrefois se réduire, acquièrent une apparence de fluctuation, etc., etc.; en un mot, la plupart de leurs caractères se modi-fient, il faut bien qu'il en soit ainsi, puisque nous voyons, dans cette circonstance, les accoucheurs mettre en présence, dans leur diagnostic différentiel, les tumeurs les plus dissem-blables ; la hernie périnéale, l'ascite, diverses tumeurs solides, les diverses espèces de kystes de l'ovaire, etc., etc. (Park-Merrimann.)
Cependant, tous recommandent l'opération, car, dans la majorité des cas, si la maladie a été abandonnée à elle-même, elle a eu une issue funeste.
7° On a essayé de détruire les kystes hydatiques par des médicaments internes. II un ter a, dans ce sens, préconisé l'usage du m erure, et la térébenthine aurait eu un certain succès contre les hydatides des reins (Bayle, Bul. thérap.).
Mais aune époque plus ou moins avancée de la maladie, le traitement chirurgical deviendra nécessaire. Il sera même sage, dans bien des cas, d'aller au-devant des accidents, comme cela a été fait avec succès par M. Roux.
Pendant l'accouchement, nous avons vu avec quelle cir-conspection Park avait agi, quoiqu'il connut la malade depuis longtemps et qu'il eût pu se faire une idée sur la nature de sa tumeur. Il croit ne devoir intéresser, dans les premières in-cisions faites avec le pharyngotome, que la muqueuse vagi-nale elle-même, et ce fut par ces incisions qu'il fit pénétrer un doigt avec lequel il paraît avoir déchiré les parois du kyste: c'était explorer et opérer à la fois.
En dehors de l'accouchement, M. Roux ouvrit largement le
kyste, et après l'évacuation des hydatides, le bourra de char-pie ; l'opération eut un plein succès.
C'est encore par la ponction ou l'incision faite par le vagin qu'on devrait opérer les kystes ovariques devenus kystes du petit bassin, par suite d'adhérences intimes. Si l'ovaire tuméfié par un kyste et libre dans la cavité de l'abdomen a pu être ponctionné avec succès par le vagin dans un bon nombre de cas, à plus forte raison doit-on pouvoir tenter l'opération quand on a acquis la conviction de son adhérence avec les parties voisines.
Merriman a ponctionné par le rectum deux kystes séreux qui mettaient obstacle à l'accouchement; mais il reconnaît lui-même qu'il y eut eu avantage à les ouvrir par le vagin. Les avantages de la ponction des abcès de la cloison recto-vaginale par le vagin sont en effet reconnus par tout le monde. Chez l'homme, le rectum, en pareil cas, est la seule voie ou-verte au chirurgien. Disons toutefois que, dans l'observation de M. Lesauvage, la ponction, pratiquée d'abord avec une apparence de succès, n'empêcha pas la tumeur de s'ouvrir ultérieurement dans la vessie.
Les kystes hydatiques portent en eux des êtres vivants, qui doivent mourir pour que l'adhérence des parois de la poche d'enveloppe puisse se faire ; une large émission, en permet-tant l'évacuation complète du contenu de la tumeur, sera donc toujours, quand on croira pouvoir la pratiquer, supérieure aune ponction étroite. Cependant, en cas contraire, les injec-tions irritantes sont probablement appelées à rendre un grand service en tuant les hydatides et en enflammant du même coup les parois du kyste ; et en particulier,dans les tumeurs qui nous occupent, l'anatomie pathologique, en faisant connaître l'épaisseur de la paroi fibreuse qui constitue le kyste d'enve-loppe et l'éloignement du péritoine devra rassurer le praticien, surtout si l'on considère que des kystes de l'ovaire libres dans
la cavité abdominale ont été soumis à la même opération, laquelle a pu être couronnée de succès.
Nous avons parlé des accidents assez graves déterminés par l'inflammation spontanée des kystes hydatiques du petit bassin ; ne conviendrait-il pas, en pareille circonstance, de prévenir ces accidents et de déterminer, par exemple, chez l'homme, l'ouverture de la poche dans le rectum, alors qu'on a à craindre qu'elle ne se fasse plus tard à la fois par le rectum et par la vessie ?
Telles sont les considérations que nous voulions présenter sur les kystes hydatiques du petit bassin. Nous craignons bien que leur valeur ne justifie pas la longueur de ce travail; cependant nous rapporterons, en manière de justification la phrase par laquelle Hunter termine la longue observation que nous avons transcrite : « J'ai rapporté, dit-il, avec beaucoup de détails, toutes les circonstances qui se rattachent à ce cas, parce qu'il est rare d'en rencontrer de semblables, même dans le cours d'une longue pratique. Or, il arrive souvent, en pa-reille circonstance, que les vues suggérées par un cas isolé, restent sans valeur, parce qu'on manque des moyens d'en vérifier la portée. »
Nous avons essayé, comme historien du moins, de remplir la lacune signalée par Hunter.
IL
Kyste hydatifère du foie faisant saillie à la face inférieure du lobe gauche de cet organe, et ouvert à la fois dans le péritoine et dans les voies biliaires. — Obstruction et dilatation considérable du canal cholédoque par des débris d'hydatides 1.
Observation. —Amaigrissement et affaiblissement progressifs. — Oppression. — Hépatalgie. — Ictère. — Diarrhée. — Ouverture du kyste dans le péritoine et les voies biliaires : péritonite suraiguë; mort. — Autopsie : Lésions du péritoine. — Kyste de la face infé-rieure du foie, ouvert dans la cavité péritonéale. — Hydatides obstruant le canal cholédoque, etc.
Le nommé Platz (Christophe), âgé de 47 ans, cuisinier, entre le 20 juillet'1854, salle Saint-Charles, n° 9, hôpital de la Charité.
Ce malade, extrêmement affaibli et très souffrant, lors de son entrée à l'hôpital, peut à peine nous donner quelques ren-seignements sur son état antérieur; nous apprenons seulement de lui qu'il dépérit et qu'il souffre depuis quatre mois envi-ron. Les symptômes qu'il a remarqués pendant cette période de sa maladie sont de l'oppression et une douleur sourde et pro-fonde dans la région du foie. Cette douleur s'étend parfois vers l'épaule droite et vers le flanc droit ; mais elle a toujours été presque continue et ne s'est jamais présentée sous forme d'accès capable de faire croire à l'existence de coliques calculeuses. Il nK
i. Comptes rendus de la Société de biologie, 1854, p. 99.
a jamais de vomissements noirs, et la constipation est l'état habi-tuel.
Il y a trois mois, une jaunisse très marquée est apparue. Au début, cette jaunisse a été accompagnée de vomissements de ma-tières alimentaires ; puis il s'est manifesté de la diarrhée. Elle a disparu au bout de quelques semaines ; puis elle a reparu, il y a une quinzaine de jours. Cette fois, elle a persisté jusqu'à la ter-minaison fatale de la maladie.
Le 19 juillet, Plalz est pris tout à coup de douleurs hépati-ques beaucoup plus vives que d'habitude, et qui se répandent dans toute l'étendue de l'abdomen. Presque aussitôt la physiono-mie est profondément altérée ; la face est grippée, bleuâtre ; les yeux sont enfoncés dans l'orbite; les extrémités sont froides, cyanosées, comme dans la période algide du choléra. Le malade est transporté à la Charité, quelques heures après l'apparition de ces nouveaux symptômes. Nous l'y trouvons dans l'état suivant : ictère extrêmement foncé, presque vert, maigreur générale très prononcée. La face est grippée, violacée, froide. Les extrémités sont également froides et cyanosées. Le pouls est à 110, 120, très fort, très dur, très plein.
Constipation opiniâtre depuis deux jours ; douleur très vive à la pression dans toute la région de l'abdomen, mais bien plus prononcée à droite, sous les fausses côtes, que partout ailleurs. Le ventre n'est pas volumineux ; il est plutôt rétractent les mus-cles droits antérieurs se dessinent fortement sous les téguments. Il rend parla percussion un son obscur. L'état de convulsion où se trouvent continuellement les muscles des parois abdominales rendent la palpation impossible ; mais par la percussion des hy-pochondres, on obtient ce résultat que le bord supérieur du foie ne remonte pas plus haut qu'à l'état normal, et qu'il existe au niveau de la région splénique une matité très étendue et très considérable, qui n'est pas le résultat d'un épanchement pleural, ainsi qu'on s'en assure par l'examen du côté gauche de la poitrine. Les poumons et le cœur paraissent complètement exempts de lésion. Aucun phénomène du côté du cerveau. Les urines ne sont pas albumineuses ; elles sont fortement chargées de la matière
colorante de la bile. La langue est sèche ; la voix est extrême-ment faible. On prescrit les opiacés à haute dose et les lavements laxatifs.
Les jours suivants, les symptômes vont en s'aggravant, et le malade succombe, le 23 juillet, trois jours après son admis-sion,.
Autopsie. — Abdomen. — A l'ouverture de la cavité abdomi-nale, on reconnaît l'existence d'une péritonite générale très in-tense.
Le foie est refoulé directement d'avant en arrière et de dehors en dedans, de telle sorte que les faces supérieures du lobe droit et du lobe gauche présentent, chacune de leur côté, une conca-vité qui regarde en avant ou en dehors. Ces sortes de cavités, ainsi comprises entre la face supérieure du foie et la paroi abdo-minale antérieure, sont remplies par un liquide d'un jaune foncé, ayant tout à fait l'aspect de la bile et tenant en suspension des flocons albuminuriques.
Les circonvolutions de Yintestin sont accolées les unes aux au-tres par des fausses membranes molles, de formation évidemment très récente, et teintes en jaune par de la matière colorante de la bile.
Le grand épiploon présente une coloration d'un rouge vif, et il est comme pelotonné, recoquillé. Une certaine quantité de liquide d'un jaune foncé se rencontre dans les parties les plus déclives de la cavité abdominale, mais il y est peu abondant. Traité par l'acide nitrique, ce liquide présente un dépôt albumi-neux très abondant, mais en même temps il se colore en vert foncé, puis en rouge quand on y ajoute un excès d'acide. A l'examen microscopique, on y rencontre une grande quantité de globules de pus fortement colorés en jaune.
Les intestins, ouverts dans toute leur étendue, ne présentent aucune altération ; ils sont remplis par une matière semi-liquide dune couleur grise sale. Ils ne contiennent rien qui ressemble à des fragments d'hydatides ou à des calculs biliaires.
L'estomac est normal, sa membrane muqueuse un peu injectée. Rate normale.
Le foie, à part l'aplatissement dû à la compression qu'il a subie et les fausses membranes qui le recouvrent, ne présente aucune altération de texture. On le laisse en place, ainsi que l'estomac et le duodénum, et l'on dissèque avec soin les produits biliaires.
Le canal cholédoque est extrêmement volumineux; il paraît distendu par une substance ayant la consistance delà cire. Quand on le comprime, on voit sortir par son orifice duodénal, d'abord une gouttelette de bile verte, puis une sorte de membrane ridée, fortement teinte en vert foncé par la bile, et qui, ainsi que nous le verrons, n'est autre chose qu'une hydatide. Le canal cholédo-que est alors ouvert avec précaution, et on le trouve rempli par un grand nombre de débris d'hydatides baignés dans la bile. Ces fragments s'étendent jusque dans la ramification principale gau-che du canal cholédoque qui est très dilatée. La ramification du côté droit est également fort distendue, mais par de la bile seule-ment.
Le canal cystique est tout à fait aplati par suite de la compres-sion exercée sur lui par le canal cholédoque distendu.
La vésicule biliaire n'est pas plus volumineuse qu'à l'état nor-mal ; elle est pleine d'une bile épaisse, d'un noir vert, beaucoup plus fon cée que celle qui imprègne les hydatides dans le canal cholédoque.
En examinant avec attention la face inférieure du foie, on finit par découvrir, au niveau de l'origine œsophagienne, de la petite courbure de l'estomac, plus près du bord postérieur que du bord antérieur de l'organe hépatique, à 4 ou 5 cent, environ à gauche du canal cholédoque, une cavité hémisphérique, allongée dans le sens transversal, et qui, si elle était complète, pourrait loger un gros œuf de poule. Cette sorte de poche s'ouvre largement dans l'arrière-cavité des épiploons ; cependant on la trouve limitée de ce côté, mais en partie seulement, et d'une manière très incom-plète, par une sorte de membrane blanchâtre, déchiquetée, qui est libre et flottante du côté de l'extrémité gauche du kyste, tandis qu'elle est adhérente à son extrémité droite.
La cavité que nous venons de décrire n'est autre chose qu'un kyste hydatique ; elle est constituée par une membrane propre
brune, dont la surface extérieure adhère intimement au tissu du foie qui la loge, et dont la membrane flottante dont nous avons parlé n'est qu'un débris. La face interne de ce kyste est tapissée par une matière d'apparence caséeuse, teinte de bile. Sa cavité communique largement avec la branche droite de bifurcation du canal cholédoque par deux pertuis ayant environ un centimètre et demi" de long chaque sur un demi-centimètre de large seule-ment ; mais ces orifices sont encore dilatables.
La cavité du kyste ne contient pas de débris d'hydatides ; on n'en a pas rencontré non plus dans le liquide épanché dans l'ab-domen.
Il est hors de doute que les fragments membraneux contenus dans le canal cholédoque sont bien des débris d'hydatides : d'a-bord, quand on les fait flotter dans l'eau, on reconnaît les membranes anhystes, transparentes, et couvertes de granulations qui caractérisent ces sortes de poches ; seulement ici elles sont fortement teintes en vert par la bile. Enfin, l'examen microsco-pique fait reconnaître, au milieu du liquide qui les baigne, l'exis-tence des crochets, qui sont la preuve indubitable de la présence des échinocoques.
Les autres organes n'ont présenté aucune altération.
III.
Note sur un cas de kystes hydatiques multiples
L'observation que nous communiquons à la Société de bio-logie renferme plusieurs faits intéressants, principalement au point de vue de l'anatomie et de la physiologie pathologi-ques. Mais nous nous bornerons à faire ressortir deux de ces faits, à savoir, d'une part, l'existence de cristaux d'hématoï-dine dans l'intérieur des hydatides du foie et d'une matière colorante rouge dans les corpuscules calcaires de quelques échinocoques ; et, d'autre part, l'existence de kystes hydati-ques fort singuliers, appendus au péritoine par un long pé-dicule et dont la constitution anatomique mérite bien de fixer l'attention. Nous ne ferons que mentionner en passant une tumeur hydatique qui siégeait dans le petit bassin, entre le rectum et la vessie ; c'est un exemple à rapprocher de ceux que l'un de nous a rassemblés dans un mémoire lu à la Société en 1852 et à celui que notre collègue, M. le docteur Leudet, a inséré dans nos comptes rendus pour 1856. Voici notre observation :
Observation. — Kystes hydatiques multiples du foie. — Cristaux dhématoïdine dans la cavité même des hydatides et coloration toute particulière des corpuscules calcaires des échinocoques. — Nom-
\. Extrait des Mémoires de la Société de Biologie, 1857, p. 103. — En colla-boration avec M. Davaine.
breux kystes hydatiques situés dans le tissu cellulaire sous-périto-néal et dont quelques-uns, appendus au péritoine par un long pédicule, ne contenaient aucun vestige d'échinocoques. — Kyste hydatique du petit bassin.
Le 9 juin 1856, entre à l'hôpital de Lariboisière, salle Saint-Charles, n° 6, le nommé Taveau, né à Saint-Quentin, âgé de 63 ans, exerçant la profession de tailleur.
Cet homme fait remonter le début de sa maladie au mois de novembre de l'année dernière. A cette époque, il s'aperçut que son ventre grossissait ; en même temps, il remarqua que les déjections étaient plus difficiles et qu'il avait de la constipation, ce qui ne lui était pas habituel. Au mois de janvier dernier, il se manifesta une tuméfaction bien évidente dans l'hypoehondre droit. Jamais, assuré le malade, il n'y a eu d'ictère, ni de douleur dans la région du foie. Lors de son entrée, on constate chez le malade les phénomènes suivants : Amaigrissement assez considérable contrastant avec le développement du ventre. Dans l'abdomen existe une tumeur considérable siégeant principalement dans la région du flanc droit et dont la partie supérieure, qui rappelle par sa forme le bord tranchant du foie, descend jusqu'à deux travers de doigt au-dessous de l'ombilic. Cette tumeur est fluc-tuante ; on n'y perçoit pas de frémissement hydatique. Une ponc-tion exploratrice fut faite, et il sortit un liquide limpide, transpa-rent, incolore, qui se troublait à peine par l'addition d'acide nitrique ou par l'action de la chaleur. M. le docteur Bourdon, qui dirigeait alors le service, se décida à vider la tumeur par Je procédé de Récamier.
La première application du caustique fut faite le 23 juin. Au bout de sept jours, après quatre applications successives, le kyste se vida, et il s'écoula, tant le matin que pendant la nuit du 30 juin, une quantité de liquide qui peut être évaluée à 3 litres environ. Ce liquide contenait des poches hydatiques dont le vo-lume variait depuis celui d'un gros œuf de poule jusqu'à celui d'une tête d'épingle. Le liquide était trouble, d'une couleur jau-nâtre, et contenait en grande abondance de petits grumeaux d'une
matière d'un ronge vif. Ces grumeaux furent recueillis, et l'exa-men microscopique, fait par MM. Senac et Heurtaux, internes de l'hôpital, montra qu'ils contenaient en quantité des cristaux rhomboïdaux d'hématoïdine parfaitement caractérisés.
L'examen des hydatides donna les résultats suivants : 1° toutes les vésicules examinées contenaient des échinocoques ; 2° un cer-tain nombre d'hydatides étaient pourvues d'une membrane fer-tile complète, appliquée dans toute son étendue à la face interne de la membrane acéphalocystique ; dans les autres, la membrane fertile est incomplète et présentait des lambeaux flottants dans le liquide de l'hydatide; 3° des fragments de la membrane fertile placés sous le microscope ont offert les gouttes huileuses ordi-naires et une couche considérable d'éehinocoques. Ces derniers étaient parfaitement reconnaissables à leur corps arrondi,parsemé de granulations, et à leur double couronne cle crochets. Chez plusieurs échinocoques, les ventouses pouvaient être distinguées avec assez de facilité. Mais ce qu'il est important de noter sur-tout, c'est que chez tous les échinocoques, les granulations, qui habituellement sont incolores, présentaient, bien qu'elles ri eussent éprouvé bailleurs, soit dans leur forme, soit dans leurs autres caractères, une modification appréciable, une coloration rouge très intense, tout à fait analogue à celle qui distingue les cristaux d'hé-matoïdine. — 4° Dans quelques-unes des hydatides, on trouvait au-dessous de la membrane acéphalocystique, de petites taches d'un rouge carmin et dans lesquelles on a constaté au microscope l'existence de nombreux cristaux d'hématoïdine ; dans d'autres, la membrane acéphalocystique était par place teinte en jaune plus ou moins foncé ; mais dans ces taches jaunes, on ne distin-guait pas de cristaux. 5° Enfin le liquide des hydatides contenait quelquefois des cristaux de cholestérine.
Du 30 juin au 9 juillet, on ne cessa de voir sortir, chaque jour, par l'orifice du kyste, quelques hydatides, les unes entières, les autres déchirées et vides. Il ne se manifesta, pendant cette période de temps, aucune douleur, et l'état du malade était satisfaisant. Chaque jour il pouvait se lever pendant quelques heures. La tumeur avait diminué de volume, et son bord inférieur était re-
monté à deux travers de doigt au-dessus de l'ombilic. En même temps la région de l'hypochondre droit s'affaissait assez rapide-ment, et il se formait dans la région correspondante, du côté gauche, une tuméfaction fluctuante, très manifeste. Chaque jour on avait soin d'injecter dans le kyste, matin et soir, de grandes quantités d'eau. A deux reprises, on fit des injections avec la teinture d'iode.
Vers le 15 juillet, l'état du malade déclina. Les forces et l'ap-pétit diminuèrent ; l'affaiblissement surtout fît de rapides pro-grès. Un érysipèle se déclara sur les membres inférieurs; cet érysipèle guérit cependant assez promptement, mais il laissa après lui des taches de purpura et il se déclara une sorte de fièvre hectique. L'émaciation devint extrême, et il fut impossible de ramener les forces, malgré l'emploi des toniques. Le malade succomba le 3 août. Pendant les premiers jours de la maladie, le liquide du kyste était devenu tout à fait purulent.
Autopsie faite le 4 août 1856. La plaie extérieure a subi pen-dant les derniers jours de la vie un mouvement ascensionnel assez prononcé pour que la moitié supérieure corresponde actuel-lement à la face externe des dernières fausses côtes. L'ouverture qui est au fond de la plaie est assez grande pour permettre l'in-troduction de l'annulaire ; elle est placée immédiatement au-dessous du bord inférieur de la cage thoracique et dirigée en haut et à droite ; les bords sont en grande partie cicatrisés.
Le thorax ayant été ouvert de haut en bas, on trouve la base du poumon gauche adhérant intimement au diaphragme. De ce côté, la plèvre contient un peu de liquide ; des deux côtés, la plèvre pulmonaire est fixée à la plèvre costale par des adhé-rences assez lâches, mais occupant, la presque totalité de la sur-face externe des poumons.
La base du péricarde adhère très fortement au diaphragme ; sa face interne est couverte de fausses membranes récentes qui lui donnent un aspect chagriné.
Le cœur, peu volumineux, est flasque ; sa surface extérieure
est couverte de fausses membranes, molles et évidemment de for-mation récente. Les valvules du cœur ne présentent pas d'altéra-tion.
Le diaphragme adhère très intimement au foie dans toute son étendue. En cherchant à détacher la face inférieure du péricarde on pénètre dans une cavité à parois inégales et anfractueuses. Cette cavité contient un liquide puriforme où nagent des hyda-tides nombreuses et encore entières. Cette poche est creusée en partie dans l'épaisseur de la face supérieure du lobe gauche du foie, à gauche du ligament suspenseur. Sa paroi supérieure est fermée par le diaphragme.
A droite du ligament suspenseur du foie, la face supérieure et antérieure de cet organe forme la paroi inférieure d'un vaste kyste, dont le diaphragme et les parois abdominales forment la paroi supérieure ; c'est dans cette paroi qu'a été pratiquée l'ou-verture par le caustique. Des adhérences solides sont établies entre les feuillets du péritoine qu'il n'est plus possible de sépa-rer. Ces adhérences existent non-seulement au pourtour de l'ou-verture, mais dans toute l'étendue du kyste. Ici la capsule de Glisson semble avoir augmenté d'épaisseur ; elle a pris, en outre, un aspect granuleux très manifeste ; sa coloration est d'un jaune rougeâtre ; au niveau des points les plus fortement colorés, on a constaté l'existence de cristaux d'hématoïdine. La paroi interne est formée par le ligament suspenseur ; elle ne permet aucune communication entre ce kyste et celui qui occupait la face supé-rieure du lobe gauche du foie. La paroi externe est formée par des adhérences qui s'étendent du diaphragme au foie. Celte paroi est interrompue au niveau de sa partie supérieure. Dans ce point existe un orifice qui communique avec une très vaste ca-vité à parois anfractueuses et creusées aux dépens du lobe gau-che, dont toute l'extrémité droite est détruite à une grande pro-fondeur. Cette cavité est tapissée dans quelques points par les débris de membrane épaisse, dure, incrustée de molécules cal-caires.
Outre ces kystes principaux, on rencontre encore :
1° Une poche hydatique, de moyen volume, qui paraît avoir
pris naissance dans l'épaisseur du lobe de Spiegel qu'elle a détruit en grande partie;
2° Deux tumeurs hydatiques, situées dans Yépiploon gastro-hé-patique, et dont le volume égale celui d'un œuf de poule;
3° Une tumeur hydatique, plus volumineuse que les précédentes, se trouve dans Yépiploon gastro-splénique;
4° De nombreuses tumeurs hydatiques développées à la face inférieure du foie, et dont la moitié environ fait saillie au dehors, tandis que l'autre moitié siège dans l'épaisseur du tissu hépati-que;
5° Des kystes hydatiques en grand nombre, et dont le volume varie depuis celui d'une noix jusqu'à celui d'un pois, sont dissé-minés dans le tissu cellulaire sous-péritonéal ça et là sur le péri-toine pariétal ou le long de l'intestin grêle et du gros intestin. Ces kystes sont pour la plupart pourvus de pédicules plus ou moins allongés et flottent dans la cavité du péritoine. Le pédi-cule de ces kystes flottants atteint souvent plusieurs centimètres de longueur ; deux d'entre eux ont jusqu'à 7 centimètres de long ; leur épaisseur est variable et, dans quelques cas, ne dé-passe pas celle d'un crin de cheval.
Dans l'épaisseur du mésocolon transverse et au voisinage du cœcum, on trouve plusieurs kystes, dont les plus gros atteignent le volume d'un œuf de poule.
Enfin, dans le petit bassin, on trouve une tumeur hydatique, située entre le rectum et la vessie qu'elle a refoulée tout à fait au-dessous du pubis. Cette tumeur a un volume supérieur à celui du poing d'un adulte ; son extrémité inférieure descend un peu plus bas que celle de la vessie. Elle adhère entièrement, d'une Dart, à la face antérieure du rectum, et de l'autre à la face posté-rieure de la vessie. Elle est située très manifestement au-dessous du repli péritonéal qui se porte de la face postérieure de la ves-sie sur le rectum; sur ses côtés rampent les uretères. Celte tumeur contient un liquide d'aspect purulent et mélangé d'une grande quantité d'hydatides brisées.
La rate est volumineuse, très friable et gorgée de sang; elle ne contient pas de kystes.
Charcot. Œuvr. compl. t. vih, 3e partie : Kystes hydatiques. il
Les reins et le pancréas ne présentent pas d'altération.
Les kystes hydatiques situés dans le péritoine, à l'exception des hydatides des kystes pédicules, étaient tous pourvus d'échinoco-ques. Ces kystes ne contenaient pas de cristaux d'hématoïdine, et les granulations des échinocoques ne présentaient pas la colora-tion d'un rouge vif, qui a été mentionnée plus haut à propos des échinocoques contenus dans les kystes hépatiques.
Voici maintenant les quelques remarques que nous avons voulu soumettre à la Société, à propos de cette observation :
1° On sait que l'hématoïdine a été rencontrée dans des tumeurs de nature diverse, dans des tissus plus ou moins modifiés ; elle a été rencontrée aussi plusieurs fois dans des kystes hydatiques ; mais en pareil cas, à notre connaissance du moins, les hydatides étaient toujours situées dans le foie. Dans un kyste adhérent au foie et qui avait subi la transfor-mation athéromateuse, M. Jones trouva des lobules huileux, des lamelles de cholestérine, des membranes d'hydatides, des crochets d'échinocoques et des cristaux d'hématoïdine. Il ne fait aucune mention de l'existence de cristaux semblables dans des kystes hydatiques qui, chez le môme sujet, étaient situés dans d'autres parties de la cavité abdominale (Trans. of the pathol. Society, p. 298, London, 1834). Dans un kyste hydatique du foie également, le docteur Hyde Salter trouva une matière rouge et cristallisée (hématoïdine). Les cristaux se trouvaient non-seulement dans le liquide qui entoure les hydatides, mais encore dans l'intérieur môme de ces vési-cules-(/oc. cit., p. 304). MM. Robin et Mercier ont récem-ment trouvé des cristaux d'hématoïdine dans un kyste hyda-tique du foie. Dans ce cas, les cristaux existaient non-seule-ment dehors, mais aussi dans la cavité même des hydatides; il est vrai que celles-ci s'étaient ouvertes et affaissées (Mém. de la Soc. de Biol., p. 117,1855.)
I] est remarquable que dans le cas dont nous donnons ici la relation, les kystes situés dans le foie fussent les seuls qui continssent des cristaux d'hématoïdine. Cette substance se rencontrerait-elle exclusivement dans les hydatides de certains organes, et en particulier dans celles du foie?
Il peut paraître assez singulier, au premier abord, de ren-contrer l'hématoïdine, cette substance qui, suivant l'opinion généralement reçue, provient d'une métamorphose de la ma-tière colorante de sang, dans la cavité de vésicules hydatiques parfaitement intactes ; et môme pourrions-nous ajouter au sein des échinocoques eux-mêmes, s'il est vrai, comme nous le pensons, que c'est bien à l'hématoïdine qu'il faut rapporter la coloration que présentaient les corpuscules calcaires chez quelques-uns de ces cestoïdes. Ce fait cependant paraîtra moins inattendu, si l'on se rappelle que des cristaux d'héma-toïdine, des granules de pigment, peuvent se rencontrer dans la cavité de cellules parfaitement closes, et qu'on est conduit, d'ailleurs, dans bien des cas au moins, à considérer comme ayant préexisté à la formation de ces granules de pig-ment ou de ces cristaux hématoïdiques qu'elles renferment. (Virchow, Die pathol. pigmente, Arch., I. B., 1847. — Idem, Bd. IV, 1852. — Rokitansky, 1.1, p. 199 et 209.)
2° Un examen ultérieur et attentif des kystes hydatiques pris dans diverses régions, nous a permis de constater qu'il existait des échinocoques ou des débris d'échinocoques dans toutes les tumeurs hydatiques, à l'exception de celles qui pré-sentaient un pédicule. Faut-il admettre que dans ces dernières tumeurs les échinocoques aient existé à une certaine époque et qu'ils aient été par la suite détruits au point de ne plus laisser de vestiges ? Nous ne le croyons pas. En effet, toutes les tumeurs pédiculées où les échinocoques faisaient défaut, renfermaient cependant des membranes hydatiques parfaite-
ment reconnaissables. Or, l'on sait que les crochets des échi-nocoques, dans les tumeurs hydatiques transformées, persis-tent plus longtemps que ne le font les membranes des hyda-tides. 11 faut donc admettre que, dans nos tumeurs pédiculées, les échinocoques ne se sont jamais développés. D'ailleurs, la présence ou l'absence de ces petits helminthes n'indique pas une différence essentielle dans la nature des hydatides ; car on voit quelquefois dans un même kyste, certaines vésicules hydatiques renfermer des échinocoques, tandis que d'autres en sont complètement privées ; et l'on ne peut pas toujours, en pareil cas, invoquer, pour se rendre compte d'une telle dif-férence, l'altération ou l'ancienneté des vésicules. Il n'y a donc pas lieu de considérer les hydatides contenues dans les kystes pédicules comme différant essentiellement des autres, par ce seul fait qu'elles étaient dépourvues d'échinocoques.
L'absence des échinocoques, dans le cas qui nous occupe, s'explique peut-être parla situation même des hydatides dans un kyste suspendu à un long et fort mince pédicule. Un tel kyste ne peut, en effet, recevoir qu'une faible quantité de sang ; et les hydatides s'y trouvent sans doute dans des conditions peu favorables à leur développement. Quoi qu'il en soit, l'organe et le tissu dans lesquels se développe une hydatide, paraissent avoir une influence très réelle sur la génération des échinocoques. Et, pour citer un exemple, on ne rencontre que rarement, et peut-être même jamais, ces cestoïdes dans les hydatides qui se développent au sein du tissu musculaire. Un fait en apparence contraire à cette pro-position, rapporté dernièrement dans la Gazette des hôpitaux, ne l'infirme point cependant, car il est facile de voir, d'après la description que l'on a donnée dans cette observation de l'échinocoque solitaire et gros comme une tête d'épingle, qu'il s'agissait là du corps d'un cysticerque ladrique dont la vésicule aura été prise pour une hydatide.
Les kystes hydatiques pédicules s'observent sans doute rarement, soit chez l'homme, soit chez les animaux. Nous n'en connaissons pas, pour notre compte, d'exemple bien authen-tique en dehors de celui que nous rapportons. Mais l'on a rencontré, sur quelques animaux, des vers appartenant à un autre genre que les hydatides renfermés dans des kystes suspendus par un pédicule ; c'est ainsi que M. Dujardin a observé plusieurs fois déjeunes spiroplères contenus dans de petits kystes pédicules appendus à la surface externe de l'in-testin de la taupe. Hetterér a rencontré également des spirop-tères logés dans des protubérances de la surface de l'estomac du coq (During, Syslema helminthum, t. 11, 217). Tels sont les seuls exemples de kystes vermineux pédicules que nous ayons pu recueillir.
Il n'est pas rare de rencontrer chez le cheval, à la surface du péritoine, de petits corps d'une nature particulière, et sur lesquels MM. Goubaux et Robin ont consigné quelques obser-vations dans nos Comptes re?idus (1856). Ces corps sont, comme on sait, coiffés par le péritoine. Us sont suspendus par un pédicule qui se forme très probablement par l'effet des tiraillements fréquents qu'ils subissent, développés qu'ils sont sur des parties plus ou moins mobiles ou douées de mouvements propres ; peut-être est-il permis d'expliquer par un mécanisme analogue la formation du pédicule dans les kystes hydatiques que nous avons décrits. Or les observations de MM. Goubeaux et Robin ont fait voir que le pédicule des corps péritonéaux du cheval se rompent fréquemment et que, devenus libres, ces corps flottent dans la cavité du péritoine, généralement du reste sans y provoquer d'accidents. Pareille chose pourrait arriver sans doute à des kystes hydatiques, suspendus comme l'étaient quelques-uns des nôtres par des pédicules, longs de plusieurs centimètres, et dont le diamètre ne dépassait pas celui d'un crin de cheval.
Des kystes hydatiques ainsi devenus libres dans le péritoine, par suite de la rupture de leur pédicule ne devraient pas être confondus avec les hydatides qui se développent quelquefois dans les cavités même des membranes séreuses, non plus qu'avec celles qui parviennent assez fréquemment dans ses cavités, par suite de la rupture d'une poche située dans le voisinage. Voici d'ailleurs quelques remarques qui pour-raient prévenir toute confusion : les hydatides libres qui existent soit chez l'homme, soit chez les animaux, dans la cavité des membranes séreuses, et qui paraissent s'y être dé-veloppées primitivement, n'ont jamais été rencontrées, chose d'ailleurs assez singulière, dans la cavité du péritoine ; c'est dans la plèvre, dans la cavité de l'arachnoïde ou dans celles des ventricules cérébraux qu'elles ont été signalées, et les kystes pédicules dont notre observation offre un exemple exceptionnel appartenaient au péritoine. De plus, les hydatides libres des membranes séreuses ne sont pas enveloppées dans un kyste ; elle sont à nu dans la membrane séreuse qui les renferme et qui paraît leur en tenir lieu. Les kystes pédicules, au contraire, devraient conserver, ce nous semble, leur enve-loppe kystique même après la rupture de leur pédicule. Pour ce qui est des hydatides qui parviennenl dans la cavité péri-tonéale par suite de la rupture d'un kyste voisin, on remonte-rait toujours aisément à leur origine, en raison surtout des traces que cette rupture laisse toujours après elle et des dé-sordres graves, bientôt suivis d'une mort rapide, qui signa-lent constamment un pareil accident.
IV.
Hydatides du cerveau et du cœur1.
Observation. — Insuffisance des commémoratifs, en raison de l'affaiblissement intellectuel. — Céphalalgie fréquente. — Parésie du bras droit. — Rhume de cerveau ù'ès tenace. — Vomissements. — Pouls lent. — Hémiplégie progressive du côté droit. —Aggravation des symptômes. —
Autopsie : Kyste hydatique occupant le centre des lobes moyen et postérieur de l'hémisphère cérébral droit. — Kyste hydatique de la paroi du ventricule gauche. — Second kyste sous-endocardique. — Kystes hydatiques de'la rate. — Examen des hydatides.
Le nommé A. P., menuisier, âgé de 37 ans, est entré à l'hôpital de Lariboisière, salle Saint-Henri, n° 22, le 10 juillet 1861. Vu l'état de son intelligence singulièrement affaiblie, cet homme ne peut donner que des renseignements très vagues relativement au développement de sa maladie. Nous pouvons cependant apprendre que, depuis un mois environ, l'intelligence s'était amoindrie, que la mémoire était devenue beaucoup moins nette, qu'il existait un affaiblissement dans le bras droit, une céphalalgie fréquente ou ordinaire, et particulièrement un rhume de cerveau très tenace. Tous ces phénomènes s'étaient aggravés progressivement, et, de-puis trois jours, le malade s'était vu dans l'impossibilité de tra-vailler; alors il s'est décidé à se rendre au Bureau central, d'où il
1. Comptes rendus de la Société de biologie, 1861, p.273. — En collaboration avec M. Davaine.
a été dirigé sur l'hospice de Lariboisière. Le trajet a été effectué à pied. Ces renseignements, obtenus du malade, ont été confirmés et complétés par sa famille.
A son entrée, nous constatons les phénomènes suivants: hébé-tude très prononcée, mémoire évidemment très affaiblie, inappé-tence telle qu'il faut en quelque sorte forcer le malade à prendre les aliments, vomissements de temps à autre, pouls généralement très lent, souvent ne donnant que quarante pulsations par mi-nute, hémiplégie du côté droit, paralysie du mouvement complète au membre supérieur, très incomplète au membre inférieur ; le malade, en effet, peut marcher; mais sa démarche est titubante, et il doit être soutenu pour ne pas tomber après avoir fait quel-ques pas ; la sensibilité est intacte, tant dans les membres supé-rieurs que dans les inférieurs.
Lorsque le malade se décide à parler, on n'observe point d'em-barras à la langue. L'hémiplégie s'est développée progressive-ment ; elle n'a pas été accompagnée de pertes subites de connais-sance, ni d'attaques ou de mouvements épileptiformes. Il n'y a jamais eu de fièvre.
Du 10 au 20, tous les symptômes vont en s'aggravant ; l'hébé-tude et la démence se prononcent de plus en plus. Vers le 15, l'hémiplégie est devenue complète, aussi bien au membre infé-rieur qu'au supérieur, et la station debout est tout à fait impossi-sible. Absence totale, dans les membres paralysés, de contracture et de mouvements spontanés ou provoqués.
Le 21, le malade succombe inopinément, sans phénomènes d'agonie.
Autopsie. — Organes encéphaliques. — Dans l'hémisphère droit du cerveau existe une grande cavité, assez régulièrement sphéri-que, occupant le lobe moyen et principalement le lobe postérieur, et paraissant creusée exclusivement dans la substance cérébrale même. D'un côté, elle est séparée de l'extérieur par une couche de la substance cérébrale ayant à peine 2 millimètres d'épaisseur; d'un autre côté, elle repousse par en bas les parties qui consti-tuent le plancher supérieur du ventricule latéral droit; il n'existe d'ailleurs aucune communication entre cette cavité etcelledu ven-
tricule. La couche optique droite et le corps strié lui correspon-dant sont légèrement comprimés et refoulés vers la ligne mé-diane. Cette grande cavité parait revêtue intérieurement par une fine membrane celluleuse ; elle renferme trois hydatides parfaite-ment sphériques, dont la plus grosse dépasse le volume d'un œuf de poule et la plus petite atteint celle d'un œuf de pigeon. La substance cérébrale, au pourtour de la cavité, n'est point ramol-lie; elle paraîtrait plutôt avoir augmenté de consistance et être comme tassée; elle n'offre aucune injection anormale.
Les méninges sont dans un état d'intégrité parfaite.
Organes thoraciques.— Le cœur paraît être un peu augmenté de volume, principalement dans les parties voisines de la pointe ; on y voit une tumeur hémisphérique d'un faible relief, située dans la paroi postérieure du ventricule gauche. A l'intérieur du cœur, dans la cavité ventriculaire gauche, cette tumeur fait une saillie beaucoup plus considérable ; elle a 4 centimètres et demi de hau-teur et 2 de largeur; elle occupe la base de l'une des colonnes charnues de la valvule mitrale, colonne charnue qui paraît avoir triplé de volume. La tumeur consiste dans un kyste hydatique ayant envahi toute l'épaisseur delà paroi du ventricule gauche. La cavité de ce kyste a 4 centimètres en hauteur et 3 en profon-deur; elle est formée de cinq loges séparées par des cloisons in-complètes. Sa surface interne est lisse et d'un blanc nacré; elle renferme plus de cent hydatides, pour la plupart affaissées et vi-des. La membrane du kyste est très complète, dure et d'une épais-seur très inégale, ayant en certains points jusqu'à i millimètre, en d'autres points étant mince comme de la baudruche; elle est formée d'un tissu fibreux très serré. A la surface extérieure du cœur, le kyste est apparent, à travers une lame du tissu muscu-laire atrophié et décoloré, lame à peine épaisse comme une feuille de papier. A la surface interne du ventricule, il offre deux bosse-lures très saillantes, l'une de la dimension d'une lentille, l'autre plus petite, dont la paroi très amincie ne paraît guère être cons-tituée que par l'endocarde.
A l'intérieur du même ventricule, existe un second kyste hyda-tique tout à fait indépendant du précédent et beaucoup plus pe-
tit. Il a un centimètre et demi dans son plus grand diamètre; il contient douze hydatides vides ayant depuis le volume d'une tête d'épingle jusqu'à celui d'un gros pois (en les supposant pleines). Ce kyste est situé sous l'endocarde, et l'épaisseur de sa paroi ne va pas au-delà de celle d'une feuille de papier. Les poumons sont parfaitement sains.
Organes abdominaux. — La rate, très volumineuse, contient huit ou dix kystes hydatiques [dus ou moins grands, et dont plu-sieurs sont comme appendus à cet organe. Le foie a son volume et sa consistance ordinaires; il ne renferme point d'hydatides; il n'existe point non plus de ces vers vésiculaires dans le tissu cel-lulaire sous-péritonéal ni dans le petit bassin.
Examen des hydatides.— Les hydatides du cerveau ne con-tenaient point d'échinocoques. Ce fait a été constaté par nos propres recherches et par celles de notre ami le docteur Vul-pian, qui a examiné ces vésicules avec beaucoup de soin. Leur surface interne offrait un aspect particulier que nous avons assez souvent rencontré et qui mérite d'être signalé. Cette sur-face était recouverte de nombreuses plaques d'apparence ver-ruqueuse, ovales ou arrondies, opaques et d'un blanc laiteux, dont les plus grandes atteignaient à la dimension d'une pièce de 1 franc; elles étaient constituées par des saillies papillifor-mes agglomérées et parfaitement comparables pour l'aspect à certains groupes de végétations syphilitiques ; leur saillie et leur opacité les rendaient très distinctes sur la membrane hy-datique translucide ; elles occupaient, sur cette membrane, la couche superficielle interne qui se détache des couches sous-jacentes en formant une pellicule très mince qu'on eût pu con-fondre, sauf sa structure, avec une membrane germinale. Nous avons vu dans des hydatides du foie des plaques végé-tantes, tout à fait semblables qui avaient été prises pour des agglomérations d'échinocoques. Ainsi que nous le fit remar-quer notre ami Vulpian, dans les hydatides du cerveau, ces vé-
gétations eussent pu être prises pour les agglomérations des têtes d'un cœnure, si l'on n'eût constaté par le microscope l'absence de ventouses et de crochets.
Ces végétations des hydatides se distinguent des scolex de ténia par d'autres caractères encore : la membrane qui les supporte n'est point, comme celle qui donne naissance aux échinocoques ou aux têtes de cœnure, constituée par un tissu fibrillaire particulier, en un mot, n'est point une mem-brane germinale ; mais elle est constituée par le tissu hydati-que même, et les excroissances papilliformes n'ont nullement la structure des échinocoques ou des têtes de cœnure : elles sout constituées, comme la membrane qui les supporte, par du tissu hydatique, dont on reconnaît au microscope les la-melles stratifiées. Dans celles que nous avons sous les yeux, chacune des saillies papilliformes offre, de la base au sommet, des lamelles superposées à la manière des couches calcaires de l'écaillé de l'huître. Ces couches de tissus hydatiques sont infiltrées à leur bord libre d'un grand nombre de granulations élémentaires insolubles dans l'acide acétique et dans une solu-tion au 100e de potasse caustique. Ce sont ces granulations qui donnent aux plaques verruqueuses leur aspect laiteux et leur opacité.
Nous trouvons dans ces excroissances de la surface interne des hydatides une nouvelle preuve de la vie individuelle de ces vésicules. Ces excroissances ne pouvaient être un produit du kyste, dont elles étaient séparées par toute l'épaisseur de la membrane hydatique, ni un produit de la membrane germi-nale ou des échinocoques qui n'existaient pas ici. Si les vési-cules hydatiques étaient un produit de sécrétion, comme on l'a dit encore tout récemment, elles ne pourraient donner nais-sance à de semblables végétations. Les hydatides, ou acépha-locystes jouissent d'une vie propre ; elles s'accroissent par elles-mêmes ; elles reproduisent des hydatides par bourgeon-
nement ; quelquefois ce bourgeonnement n'est pas régulier et donne lieu à des excroissances de formes très variées. La membrane germinale et les échinocoques n'apparaissent que postérieurement à la naissance de l'hydatide ; ni les uns ni les autres ne peuvent être envisagés comme un produit de sécré-tion ; ils répondent à des phases successives de l'évolution d'un animal.
Les hydatides du cœur, à l'exception de deux ou trois, étaient vides et tassées les unes contre les autres, à la manière des pétales du pavot encore renfermées dans leur calice. Ces hydatides, gonflées par un liquide, auraient eu depuis le vo-lume d'une tête d'épingle jusqu'à celui d'une grosse cerise. Aucune ne contenait d'échinocoques ou de crochets, indices de l'existence antérieure de ces vermicules. Parmi celles qui contenaient encore du liquide, l'une a paru renfermer quelques débris d'une membrane germinale. Toutes ces vésicules, au nombre de plus de cent, n'ont pu exister à la fois pleines de leur liquide, car la poche qui les renfermait eût été énorme ; il faut donc admettre qu'elles se sont développées successive-ment et que les unes s'affaissaient pendant que les autres prenaient de l'accroissement, ce qui fait remonter aune épo-que assez éloignée l'origine du kyste.
Les hydatides de la rate n'ayant point été conservées, par inadvertance, n'ont pu être examinées au microscope.
La présence des hydatides, tout à la fois dans le cerveau et dans le cœur, est un fait unique aujourd'hui. Considérée dans chacun de ces organes séparément, l'existence de ces vers vé-siculaires offrirait encore un fait peu commun; en effet, rela-tivement aux hydatides cérébrales, vingt-deux seulement sont rapportées dans les recueils scientifiques, quinze concernant un kyste hydatique unique et sept des kystes multiples (voyez C.
Davaine, Traité des entozoaires et des maladies vermineuses, p. 651). Ce qui frappe le plus dans l'observation que nous avons rapportée, c'est l'époque à laquelle sont arrivés les premiers accidents cérébraux, par comparaison avec le grand volume de la poche hydatique. Les premiers symptômes ne se rencon-trent qu'à quarante jours après la mort, et, dix jours avant cette terminaison fatale, le malade a fait un long trajet à pied. Doit-on croire que les hydatides étaient de date assez récente et qu'elles avaient pris tout à coup un accroissement rapide ? H est impossible de répondre à cette question ; toutefois, il est bien probable que ces vers vésiculaires étaient contempo-rains de ceux du cœur, et ceux-ci, en considérant leur nom-bre, leur état d'affaissement, et surtout la constitution du kyste, qui était compacte, dure, dataient sans doute de plusieurs années. C'est un nouvel exemple de ces tumeurs à marche très lente, qui laissent intactes les fonctions cérébrales tant qu'elles n'ont pas occasionné d'inflammation ou d'irritation dans leur voisinage. On voit qu'ici le cerveau et les méninges étaient d'une intégrité parfaite. Quant aux symptômes, ils n'ont point différé de ceux qu'on observe ordinairement dans des cas semblables; comme dans ces cas, la marche de la pa-ralysie nous a offert quelque chose de spécial.
Les cas d'hydatides développées dans les parois du cœur sont plus rares encore que ceux du cerveau. M. Griesinger, à propos d'une observation qui lui est propre, dit en avoir re-levé quinze cas dans divers recueils [Arch. fur physiol. Eeil-kunde, 1846) ; mais plusieurs de ces faits concernent évidem-ment des kystes séreux ou des cysticerques. Neuf cas seule-ment nous paraissent authentiques : dans la plupart de ces cas, comme dans le nôtre, on n'avait rien observé pendant la vie qui eût attiré l'attention sur quelque affection. Six fois le kyste a été trouvé intact ; trois fois il s'était ouvert, et l'inva-sion des hydatides dans les cavités du cœur ou dans les vais-
seaux avait déterminé une mort rapide. Il résulte de l'ensem-ble de ces observations et de la nôtre, qu'un kyste hydatique, même volumineux, peut exister longtemps dans le cœur, sans altération notable, des fonctions de cet organe.
QUATRIÈME PARTIE
Estomac. — Rate.
ESTOMAC. - RATE
I.
Cas d'ulcères simples de l'estomac suivis de rétrécisse-ment pylorique et de dilatation stomacale l.
Observation. — Variole à quatorze ans, engorgements ganglion-naires consécutifs, persistants. — Excès de boisson. — Troubles gast?'iques. — Vomissements, amaigrissement. — Douleurs épigas-triques. — Etat du malade à l'entrée à l'hôpital (21 juillet 1854). — Symptômes de tuberculose pulmonaire. — Gonflement et fluctua-tion de l'estomac. — Œdème des jambes. — Diarrhée, vomissements de matières muqueuses. — Aggravation de la tuberculisation pul-monaire. — Mort.
Autopsie : —Parois de l'estomac hypertrophiées ; — Rétrécissement de l'orifice pylorique; — Ulcères simples de l'estomac ; — Ulcération tuberculeuse de l'intestin, des ganglions mésentériques et des poumons.
Le nommé Bitrac (Jean), opticien, âgé de 27 ans, entre à l'hô-pital de la Charité, le 20 juillet 1854, salle Saint-Charles, n° 17.
Il n'est à Paris que depuis 7 ans ; il habitait auparavant la cam-pagne et travaillait aux champs,
Vers l'âge de 14 ans, il eut la variole, et, à la suite de cette ma-ladie, commencèrent à se manifester des engorgements ganglion-naires aux régions sous-maxillaires. Jamais ces engorgements
1. Extrait des Mémoires de la Société de biologie, 1854, p. 117. — En col-laboration avec M. Vulpian.
Charcot. Œuv. compl. t. viii, 4e partie : Estomac. Rate. 18
n'ont entièrement disparu. Il était d'ailleurs robuste, et il n y a que deux ans qu'il a vu ses forces diminuer et son corps s'amai-grir. Sa mère est morte à l'âge de 72 ans ; son père vit encore; ses frères et sœurs se portent bien.
Arrivé à Paris, il y a sept ans, il mena d'abord une vie très ré-gulière ; pendant deux années, il ne fit aucun excès. Il y a cinq ans, il se mit à boire de l'eau-de-vie, d'abord en petite quantité; mais, peu à peu, il en vint à boire jusqu'à près d'un demi-litre par jour. D'ailleurs, il se nourrissait très bien et mangeait de la viande tous les jours. Au bout d'une année, il ressentit pour la première fois, après chaque repas, des renvois acides et une grande aigreur dans le fond de la gorge. Pendant deux ans, ces phénomènes se reproduisirent chaque jour, sans tourmenter assez le malade pour qu'il allât consulter un médecin. Il y a deux ans, il commença à vomir chaque matin, et, d'après lui, il aurait vomi presque toutes les fois des matières alimentaires, et de temps en temps des mucosités aqueuses. Malgré ces vomissements quoti-tidiens, il conservait un bon appétit et il allait régulièrement et facilement à la garde-robe ; cependant il maigrissait et s'affai-blissait progressivement.
Depuis cinq mois, il se trouve plus malade. Il vomit après chaque repas, au bout de deux à cinq heures. Il continue toute-fois à manger avec appétit et assez copieusement. Depuis quatre mois, son ventre gonfle beaucoup dans l'intervalle des repas ; mais il s'affaisse après les vomissements. 11 éprouve, tantôt pendant les repas, tantôt dans leur intervalle, une vive douleur à la région épigastrique, et cette douleur, semblable à celle d'une brûlure par un fer chaud, remonte dans la poitrine jusque dans le cou, en suivant le trajet de l'œsophage. Il n'a jamais vomi ni sang pur, ni matières noires. Ses selles n'ont jamais été sanglantes.
Etat actuel, le 21 juillet. — Tempérament lymphatique ; amai-grissement considérable ; engorgement ganglionnaire assez volu-mineux à la région sous-maxillaire du côté droit. Le malade tousse légèrement depuis environ six semaines ; les crachats sont en partie spumeux et en partie muco-purulents. Ils n'ont jamais
été sanglants. La percussion, pratiquée sur la partie antérieure du thorax donne un son peu obscur au-dessous de la clavicule droite et de la clavicule gauche; en arrière, la matité est plus marquée à droite qu'à gauche, dans la fosse sus-épineuse. En avant, on en-tend la respiration très rude, presque soufflante à la partie supé-rieure du poumon droit ; l'expiration y est très prolongée. De plus, dans les deux temps de la respiration et surtout dans l'ins-piration, on perçoit de nombreux craquements. Mêmes phéno-mènes en arrière et à droite. Les craquements sont beaucoup moins nombreux en avant et en arrière, du côté gauche.
Le cœur ne présente rien d'important à noter.
L'abdomen est manifestement gonflé, surtout à la région de l'estomac. En cet endroit existe une sonorité très grande et très étendue. En remuant vivement l'estomac d'un côté à l'autre, on sent et l'on entend très bien la fluctuation stomacale. Cette fluc-tuation, que le malade sent lui-même, lorsqu'il fait un mouve-ment brusque, disparaît lorsqu'il vomit, pour reparaître après le premier repas qui suit le vomissement. Par la palpation, prati-quée avec soin dans toute la région de l'estomac, on ne découvre aucune tumeur, et les manœuvres qu'on exécute ne déterminent en aucun point de la douleur, ou plutôt n'augmentent pas celle qui existe au moment de l'examen. En effet, le malade éprouve constamment une douleur fixe à l'épigastre, douleur profonde et s'irradiant tout le long du sternum, jusqu'à la partie inférieure du Cou. Cette douleur, modérée après les vomissements, s'exas-père deux ou trois heures après les repas et devient alors très vive.
L'appétit est conservé ; la langue est naturelle. Les vomisse-ments n'ont plus lieu tous les jours, comme dans les premiers temps de la maladie ; ils ne surviennent plus que tous les deux ou trois jours. Dans cet intervalle, les matières s'accumulent dans l'estomac; la digestion les modifie plus ou moins complètement. Elles se mélangent à une grande quantité de mucosités ; puis la plus grande partie de ces matières est rejetée par le vomis-sement.
Le malade va rarement à la garde-robe, sans diarrhée comme aussi sans constipation.
On constate, par la percussion exercée en faisant varier la posi-tion du malade, qu'il y a une petite quantité de liquide accumulé dans la partie inférieure de la cavité abdominale.
Cet état, dans lequel nous trouvons le malade, le 21 juillet, reste à peu près le même pendant toute la durée d'un premier sé-jour à l'hôpital, jusqu'au 10 août.
Le malade avait été soumis au traitement par les inspirations iodées, à cause des signes non douteux de tubercules qu'il présen-tait ; mais, au bout de huit à dix jours, on fut forcé de cesser le traitement. Le malade fut pris de diarrhée qu'on combattit avec l'opium.
Le 10 août, le malade sortit de l'hôpital ; il y rentra le 17 du même mois.
Au moment de sa rentrée, il y avait cinq ou six jours qu'il n'a-vait pas vomi. L'estomac offrait le phénomène de la fluctuation très marquée ; les jambes sont légèrement infiltrées; la toux est devenue plus fréquente et les crachats sont plus abondants, num-mulaires. L'auscultation fait entendre de nombreux craquements et des râles sous-crépitants sous la clavicule droite et dans la fosse sus-épineuse du même côté. A gauche, il y a aussi quelques cra-quements. La sonorité du thorax est diminuée considérablement à droite et en haut.
On constate de nouveau l'absence de tumeur dans la région de l'estomac. La douleur fixe et spontanée épigastrique et sous-ster-nale présente les mêmes caractères que précédemment.
L'ascite n'a ni augmenté ni diminué ; il n'y a pas d'albumine dans l'urine.
Le malade n'ayant pas de diarrhée et de l'appétit ; on lui donne deux portions. On ne lui prescrit que des opiacés pour trai-tement.
Le lendemain de sa rentrée, le malade est pris de diarrhée. On diminue les aliments. (Même traitement.)
Les jours suivants, il continue d'aller deux ou trois fois à la selle en dévoiement. (Bouillons et potages.)
Le 24, vomissement d'une grande quantité de matières muco-
aqueuses. Ce même jour, le malade se plaint d'éprouver de la douleur au niveau des mollets. On trouve aux endroits qu'il in-dique des cordons durs sous-cutanés formés par les veines où le sang s'est coagulé.
A partir de ce jour, le malade ne vomit plus ; il continue à avoir la diarrhée. Perte de l'appétit : le malade ne mange presque plus.
L'estomac ne semble plus aussi dilaté qu'auparavant, et quel-ques soins qu'on y mette, il est impossible de déterminer le phé-nomène de fluctuation stomacale, phénomène qui a été si sensible jusque dans ces derniers temps.
La tuberculisation pulmonaire fait des progrès très rapides. Vers le 10 septembre, la matité du sommet droit a fait place à une sonorité tympanique sensible surtout en avant. On entend sous la clavicule du côté droit, et dans une étendue aussi large que la paume de la main, un souffle caverneux amphorique. Le retentis-sement de la voix et de la toux a aussi le timbre amphorique. Crachats purulents très abondants.
Le malade s'affaiblit de jour en jour; il meurt le 26 septembre, n'ayant pas vomi une seule fois depuis le 24 août, et n'ayant plus offert la fluctuation stomacale depuis cette même époque.
Autopsie le 28 septembre, quarante-huit heures après la mort. — La cavité abdominale contient une petite quantité de sérosité citrine. Il n'y a aucune trace de péritonite récente ou ancienne.
Vestomac n'a pas les dimensions que pouvaient faire supposer les phénomènes observés pendant la vie ; il n'est pas notablement plus grand que dans l'état normal. Il est dirigé transversalement, n'offre à l'extérieur aucune tumeur, aucune lésion quelconque. En l'ouvrant de l'orifice cardiaque vers l'orifice pylorique, le long de la grande courbure, on reconnaît que ses parois sont très hyper-trophiées, et d'autant plus qu'on s'approche davantage du pylore. L'épaississement porte surtout sur la couche celluleuse. L'esto-mac, étalé sur une table, montre sa membrane muqueuse toute plissée ; les plis, extrêmement prononcés, ont leur direction prin-cipale d'un des orifices à l'autre. Cette disposition indique très clairement que l'estomac a été beaucoup plus dilaté qu'il ne l'est
au moment de l'autopsie ; il doit avoir commencé à revenir sur lui-même au moment où le malade a cessé presque complètement de manger et de vomir, c'est-à-dire un mois avant sa mort.
L'orifice pylorique, qu'on a conservé intact, est considéra-blement rétréci ; le bout du petit doigt s'y introduit avec peine.
La membrane muqueuse de l'estomac n'est pas seulement plis-sée ; elle est comme boursoufflée. Il y a dans toute son étendue, et notamment auprès du pylore, une congestion manifeste de cette membrane.
A quatre centimètres du repli pylorique, on voit, dans un en-droit qui correspondait à la grande courbure de l'estomac, deux petites ulcérations ayant de 6 à 8 millimètres de diamètre, placées l'une en avant de l'autre. Le fond de l'une est formé par la tunique cellulaire sous-muqueuse ; on la dirait faite à l'emporte-pièce. Dans l'autre, la membrane muqueuse n'a pas aussi nettement disparu. Le bord de ces ulcérations n'est pas plus congestionné que les parties environnantes; mais il est un peu plus boursouftlé qu'elles.
A 5 millimètres de la valvulve pylorique, existe une autre ulcération allongée d'avant en arrière, suivant le contour de là valvule et ayant 13 millimètres de longueur sur 3 de largeur. Le bord droit de cette ulcération, dont le fond est formé par la tuni-que celluleuse, est décollé jusqu'au niveau de la valvule.
On coupe la valvule de façon à pouvoir la mesurer. Sa largeur, c'est-à-dire la circonférence de l'orifice-pylorique, a 2 centimètres et demi. C'est en ce point que la tunique celluleuse estle plus épaissie.
La membrane muqueuse du duodénum est saine. On trouve en divers points de l'intestin, principalement dans l'iléon, de nom-breuses ulcérations tuberculeuses et plusieurs tubercules sous-muqueux. Ganglions mésentériques tuberculeux.
Les autres organes abdominaux sont exempts d'altération. Le poumon droit est criblé de tubercules en voie de ramollissement. Au sommet existe une très large caverne. Dans le poumon gau-che, il y a aussi des tubercules ramollis ou en voie de ramollisse-ment, mais ils paraissent en moins grand nombre.
Le cœur est sain.
Les faits d'ulcères simples de l'estomac sont déjà nom-breux dans la science. Depuis que M. Cruveilhier a attiré l'at-tention des médecins sur cette maladie à peu près inconnue avant lui, elle a donné lieu à d'importants travaux, surtout en Allemagne, où elle a été étudiée par MM. Rokitansky, Jaksch, Oppolzer et plusieurs autres.
Les recueils périodiques, les Bulletins de la Société anato-mique de Paris, en particulier, en contiennent des exemples en assez grand nombre ; aussi a-t-on déjà cherché plusieurs fois à tracer, à l'aide de ces matériaux, une histoire dogma-tique de cette maladie. Mais les ulcères simples de l'estomac se présentent avec tant de variétés, soit sous le rapport ana-lomique, soit sous le rapport symptomatique, que chaque fait particulier offre presque toujours des circonstances plus ou moins saillantes qui le distinguent des faits précédents et lui donnent un certain intérêt. C'est là ce qui nous a engagé à publier cette observation, dont nous allons faire ressortir quelques détails.
Le sujet de cette observation était un jeune homme qui a ressenti, à l'âge de 23 ans, les premières atteintes de sa mala-die, à la suite d'excès alcooliques répétés chaque jour pendant une année. Plusieurs faits déjà publiés montrent que l'in-fluence des excès alcooliques sur le développement des ul-cères simples de l'estomac n'est pas douteux. Tous les au-teurs qui ont écrit sur l'ulcère simple de l'estomac ont aussi noté la coïncidence fréquente des tubercules pulmonaires que l'on rencontre à peu près dans le tiers des cas ; le malade dont nous avons donné l'histoire était tuberculeux ; mais il n'a commencé à tousser que quatre ans après le début de son affeclion stomacale.
Il est admis généralement que chez les malades atteints d'ulcères simples de l'estomac, la nutrition demeure presque intacte ; notre malade, qui avait été fortement constitué, s'était
beaucoup amaigri; mais il faut remarquer qu'il vomissait tous les jours après chaque repas, et qu'une très petite partie des aliments ingérés devait franchir le pylore.
Le siège de l'ulcère principal, qui se trouvait au pylore, et qui avait produit un rétrécissement très marqué de cet orifice, explique la distension considérable de l'estomac après l'inges-tion des aliments et des boissons. Ces matières s'accumulaient dans l'estomac; une quantité considérable de gaz s'était pro-duite, et alors l'estomac se gonflait de telle sorte que l'on re-connaissait sa forme en examinant la paroi abdominale. C'est alors aussi qu'on percevait surtout la fluctuation stomacale par la succussion abdominale. Au bout de deux ou trois heures, l'orifice pylorique commençait à être franchi avec peine par quelques matières déjà chymifiées ; mais l'ulcère situé près de cet orifice se trouvait soumis à des frottements et des tiraille-ments douloureux; de là augmentation de la gastralgie ; de là peut-être aussi phénomènes réflexes dont le résultat était le vomissement. Après ce vomissement qui suivit régulièrement chaque repas pendant plusieurs mois, l'estomac s'affaissait aussitôt et il devenait impossible de sentir de nouveau la fluc-tuation stomacale. Plus tard, lorsqu'il entra à l'hôpital, le ma-lade ne vomissait plus après chaque repas. Un mois avant sa mort, il cessa de vomir complètement ; il est vrai qu'affaibli parla marche rapide de ses tubercules, parla fièvre, par une diarrhée incessante, il ne mangeait presque plus. Depuis le moment où il a cessé de vomir, on n'a plus senti la fluctuation stomacale, et l'estomac ne s'est plus gonflé comme aupara-vant.
A l'autopsie, ce qui nous a frappés d'abord, c'est de voir l'estomac à peine dilaté, tandis que pendant la vie, il nous avait été facile de constater qu'il avait de grandes dimensions. Mais après l'avoir fendu sur la grande courbure de l'orifice car-
diaque à l'orifice pylorique, nous avons reconnu, par l'épais-seur de ses parois, par l'exagération des plis de sa muqueuse, que l'estomac était revenu sur lui-même. Ce retrait de l'esto-mac s'était assurément fait pendant le dernier mois, lorsque le malade ne mangeait plus et lorsque son estomac avait été ainsi soustrait aux aliments qui l'avaient précédemment dis-tendu. Le même fait a été déjà remarqué par l'un de nous dans un cas de dilatation de l'estomac, suite d'un rétrécissement pylorique. (Voy. Société de biologie, 1851, p. 289.)
La muqueuse de l'estomac était boursouflée et congestion-née. L'ulcère le plus rapproché du pylore, et qui était concen-trique au pourtour de cet orifice, était accompagné d'un décol-lement très prononcé de la muqueuse. C'est là un point qui nous semble digne de remarque, parce qu'il pourrait faire soupçonner que l'altération spéciale qui produit les ulcères simples du tube digestif ne siège pas de prime-abord dans le tissu même de la membrane muqueuse, mais qu'elle serait peut-être dans le réseau vasculaire sous-muqueux.
Les ulcérations des intestins étaient de date bien plus ré-cente que celles de l'estomac. C'est seulement dans les der-niers temps de sa vie que la diarrhée est venue accuser les lésions intestinales. Un intervalle de quatre années entre les premiers phénomènes gastriques et la diarrhée produite par les ulcérations de l'intestin, nous permet de nier que les altéra-tions de l'estomac et celles des intestins soient nées sous la même influence, la diathèse tuberculeuse ; d'ailleurs, nous avons aussi fait déjà remarquer que les premiers signes des tubercules pulmonaires ne se sont manifestés que trois mois avant la mort.
Plusieurs des symptômes ordinaires des ulcères simples de l'estomac ne se sont point montrés chez ce malade; c'est ainsi qu'il n'a jamais vomi de sang pur ou altéré et que ses ma-tières fécales n'ont jamais eu les caractères des selles san-
glantes. La douleur de la région rachidienne, douleur que M. le professeur Cruveilhier regarde comme presque cons-tante, n'a pas été non plus observée.
Malgré l'absence de ces symptômes, nous avions été ame-nés à poser, avec réserve toutefois, le diagnostic : Ulcères simples de l'estomac siégeant près du pylore. Tous les symp-tômes indiquaient un obstacle au pylore ; nous n'avions pu trouver aucune trace de tumeur dans l'abdomen ; bien que la palpation fût facile à pratiquer; le foie et les reins ne sem-blaient pas malades ; l'estomac paraissait le siège d'une dou-leur fixe et continue qu'exaspérait l'ingestion des aliments ; les vomissements se répétaient après le repas; le malade avait fait longtemps des excès alcooliques ; il n'y avait pas dans sa fa-mille d'antécédents qui pussent appuyer l'idée d'un cancer py-lorique ; enfin la langue était naturelle et le pouls, avant que ses tubercules eussent pris une marche rapide, était normal : ce sont là les principales circonstances qui nous avaient dirigés dans notre diagnostic que l'autopsie est venue confirmer.
II.
Vomissements d'une matière présentant une coloration vert-pomme, et contenant de nombreux cristaux de Taurine'.
Observation. — Cancer de l'utérus. — Vomissements abondants de mucosités de couleur vert-pomme. — Diarrhée abjondante. — Cachexie. — Mort. —Autopsie : ulcération cancéreuse du col et du bas-fond de la vessie. — Examen microscopique de la matière verte contenue dans l'estomac. — Algues du froment. — Cristaux de taurine.
La nommée Gochot (Reine), âgée de 36 ans, entre le 10 juillet 1854, salle Saint-Vincent, n° 25, hôpital de la Charité. Elle pré-sente un teint cachectique extrêmement marqué et une maigreur extrême. Depuis un an environ, elle éprouve de vives douleurs lancinantes ou gravatives dans le bas-ventre ; elle a eu plusieurs hémorragies utérines, des pertes blanches, fétides, souvent san-guinolentes. Le toucher permet de constater l'existence d'une tu-méfaction évidemment de nature cancéreuse, et ayant déformé le col de l'utérus et envahi le corps de cet organe, qui est lui-même très dur. On soumet la malade à l'usage de l'opium, à la dose de 0,05 centigrammes par jour.
Le 18 juillet, la malade est prise, sans cause appréciable, de
1. Extrait des comptes rendus de la Société de biologie, 1854, p. 89. En collaboration avec M. Ch. Robin.
vomissements abondants et répétés, formés de mucosités presque transparentes. Pour les combattre, on met en usage l'opium (0,10 centigrammes d'extrait thébaïque), puis l'ipécacuanha à la dose d'un gramme. Mais ces médicaments restent sans succès, les vomissements persistent, mais ils changent de nature, ils devien-nent moins abondants et prennent en même temps une couleur vert-pomme ou vert-de-gris très prononcée et très singulière. Bientôt une diarrhée aqueuse extrêmement abondante se mani-feste, la malade va continuellement sous elle, s'affaiblit graduel-lement et meurt le 22 juillet 1854.
A I'autopsie, on ne trouve pas, dans le tube gastro-intestinal, les lésions caractéristiques du choléra. La membrane muqueuse de l'estomac ne présente ni injection, ni ramollissement. On trouve dans sa cavité, ainsi que dans le duodénum, une grande quantité de matière verte entièrement semblable à celle que la malade avait rejetée par le vomissement la veille de sa mort.
Le foie paraît sain, d'un volume normal ; il est remarquable-ment pâle.
La rate a un volume normal. Malheureusement, les voies bi-liaires n'ont pas été examinées.
A Yutérus, on trouve une vaste ulcération cancéreuse qui a dé-truit le col et gagné le bas-fond de la vessie. — Les autres viscères n'ont rien présenté de remarquable.
Examen microscopique de la matière verte contenue dans l'estomac. — La matière contenue dans l'estomac est d'un vert de bile très tranché ; elle est demi-liquide ou pâteuse, lé-gèrement grenue sous les doigts. Elle se compose : 1° de ma-tière amorphe granuleuse ; 2° de granulations et gouttes d'huile jaunâtre, sans cristaux de corps gras ; 4° il existe en outre dans cette matière une grande quantité à'algue du froment (crypotococcus cerevisiœ, Kiitzinc). Elle forme à elle seule en-viron la moitié de la masse des matières stomacales ; chaque cellule est teinte en vert pâle, jaunâtre, par la matière colo-
rante de la bile, fait qui s'observe très souvent dans le cas où ce parasite s'est développé dans la cavité stomacale (V. Ch. Ro-bin, Histoire naturelle des végétaux parasites. Paris, 1853, in-8°, pl. 13) ; 3° le reste de la masse est composé entière-ment de cristaux, tous à surface un peu rugueuse, bien qu'à arêtes nettement déterminées. Ils sont tous également teintés en brun verdâtre ou jaune sale. La plupart de ces cristaux sont des prismes rectangulaires, en aiguilles ou en lamelles. Les prismes sont terminés par des sommets à quatre ou à six pans ; eux-mêmes sont à quatre ou à six faces. Leurs décrois-sements montrent qu'ils dérivent du prisme rhomboïdal ou rectangulaire droit. Quelques lamelles rectangulaires ou hexa-gonales, avec deux grandes arêtes prédominantes, ont près d'un dixième de millimètre de long. Un certain nombre égale-ment sont remarquables par leur forme régulièrement ou presque régulièrement hexagonale, mais elles sont plus peti-tes que les précédentes. Elles sont moins épaisses et moins régulières que celles de la cystine ; elles ont en effet assez souvent deux côtés plus grands que les quatre autres. Elles réfractent moins fortement la lumière que la cystine. Ces cris-taux ne se dissolvaient pas dans l'alcool anhydre. Ils se dis-solvaient, mais lentement, dans l'eau bouillante. L'acide sul-farique les dissout en se teintant légèrement de brun ; il les laissait déposer à mesure qu'il absorbait Thumidité de l'air, et alors tous prenaient la forme hexagonale, avec des stries parallèles aux arêtes et concentriques autour d'une dépression centrale de la lamelle hexagonale. L'acide nitrique est, de tous les réactifs, celui qui dissolvait le plus facilement ces cristaux, même lorsqu'il était élendu. La forme de ces cristaux et leurs réactions rapprochent ce principe de la taurine, et nul autre corps connu ne représente le même ensemble de caractères. Or, comme il existait des matières biliaires dans l'estomac en grande quantité, et comme le choléate de soude, au contact
de la potasse ou de l'acide chlorydrique, se dédouble en tau-rine qui en retient tout le soufre, et en acides choloïdiquc ou cholalique, il ne serait pas impossible que ces principes, qui n'existent pas normalement dans l'économie, se formassent dans quelques conditions accidentelles au contact du suc gas-trique, entraînant, comme les réactifs précédents, un dédou-blement de choléate de soude ou taurocholate de soude.
III.
Sur un cas de rétrécissement organique de l'anneau py -lorique. — Atrophie du foie
Observation. — Vomissements alimentaires, puis vomissements d'une matière noirâtre. — Contispation. — Amaigrissement. — Epigastralgie. — Gargouillement stomacal. — Œdème des membres inférieurs. — Ascile. — Diarrhée. — Muguet. — Marasme. Mort. Autopsie. — Sérosité abondante dans la cavité abdominale. — Adhérences de la région pylorique de la face inférieure du foie. — Rétrécissement organique du pylore. — Rétrécissements non-orga-niques du côlon transverse, du côlon descendant et de FS iliaque.
Un homme âgé de 54 ans (salle Saint-Michel, n° i, service de M. Rayer, hôpital de la Charité), s'était toujours bien porté et n'avait jamais fait d'excès alcooliques, lorsque, il y a dix-huit mois environ, il commença à éprouver habituellement des vo-missements qui survenaient environ deux heures après le repas du soir. Ces vomissements ne furent d'abord composés que de matières alimentaires nageant dans une quantité variable de mu-cus visqueux ; mais il y a un an, se manifestèrent pour la pre-mière fois des vomissements d'une matière noirâtre, analogues à de la suie, qui se reproduisirent par la suite deux ou trois fois encore avec le même caractère.
Depuis ce temps, les matières rejetées sont toutes composées
d'un mucus visqueux incolore contenant les aliments, tantôt d'une substance ayant une coloration café au lait ou même cho-colat.
Dès le début de la maladie, la constipation est opiniâtre, et le malade ne peut aller à la selle qu'à l'aide de lavements. L'amai-grissement et la perte des forces ne tardent pas à se montrer à un haut degré. De vives douleurs, dont le siège principal est la ré-gion de l'estomac, mais qui s'irradient dans tout l'abdomen, se montrent principalement avant et pendant les vomissements; mais elles ne cessent jamais complètement d'exister et sont exas-pérées par la pression.
L'abdomen est habituellement volumineux ; tantôt il est mat à la percussion dans la plus grande partie de son étendue, et, dans ce cas, la palpation fait reconnaître au niveau de la région de l'estomac un gargouillement stomacal très prononcé, que le ma-lade perçoit d'ailleurs parfaitement quand il s'agite, et qu'on peut alors entendre à distance ; d'autres fois, au contraire, la plus grande partie de l'abdomen est sonore, et alors, le gargouille-ment n'est plus perçu. Le premier phénomène est surtout évident quand les vomissements ne se sont pas montrés depuis deux ou trois jours, et le malade prévoit alors qu'ils vont bientôt se dé-clarer ; le deuxième se montre, au contraire, quand ils viennent d'être abondants. Il existe enfin quelquefois un état de l'abdomen intermédiaire aux précédents; dans ce dernier cas, l'hypochondre gauche est très sonore, ainsi que la partie supérieure de la région épigastrique. La région ombilicale au contraire, ainsi que le flanc gauche, sont mats et résistent au doigt qui percute. Cette matité se limite en bas par une ligne courbe à grand rayon, dont la con-cavité regarde en haut. Supérieurement, la limite de la matité se fait par une ligne horizontale, quand le malade est assis ; plus ou moins oblique, quand il est couché sur un des côtés du corps. Cette zone mate permet de déterminer d'autant mieux la limite inférieure de l'estomac que les intestins sont plus sonores ; quand iis sont, au contraire, remplis de matières et mats eux-mêmes, la palpation fait encore souvent reconnaître à la partie moyenne de l'abdomen une tumeur molle et fluctuante, terminée du côté de
l'ombilic par un bord convexe. Jamais la palpation n'a permis de distinguer l'existence d'une tumeur dure dans l'abdomen.
Malgré la distension habituelle de l'abdomen, le bord supé-rieur du foie ne remonte pas plus haut que cela n'a lieu dans l'é-tat normal; son bord inférieur ne peut être reconnu par la per-cussion, car un son intestinal des plus évidents, occupant la plus grande partie de l'hypochondre droit, démontre qu'une anse d'in-testin, appartenant, selon toute probabilité, au côlon, est inter-posée entre les parois thoraciques et la partie inférieure de la face antérieure du foie.
Le premier de ces faits, c'est-à-dire le siège normal du bord su-périeur du foie, porte à penser que la glande hépatique a dimi-nué de volume ; car l'auscultation et la percussion ne démontrant rien d'anormal dans la cavité pleurale droite, il est clair que le foie, en le supposant d'un volume normal, n'eût pas manqué de remonter dans le thorax, en même temps que le diaphragme, par suite de la distension habituelle des viscères intestinaux et en con-séquence, son bord supérieur se fut rapproché de la clavi-cule.
Les urines n'ont jamais présenté d'altérations, ni en particulier la coloration rouge foncée propre à la cirrhose.
Deux mois environ avant la mort du malade, de l'œdème se manifeste aux membres inférieurs, et bientôt après, il y a ascite. L'épanchement de sérosité dans l'abdomen ne tarde pas à devenir considérable, et, chose à noter, les vomissements cessent alors complètement d'exister ; ils n'ont pas paru une seule fois pendant le dernier mois de la vie.
L'estomac bientôt, on le conçoit, ne peut plus être exploré, et le malade assure ne plus pouvoir produire le gargouillement sto-macal qu'il provoquait autrefois si facilement en s'agitant dans son lit.
La constipation fait bientôt place à une diarrhée habituelle. Le malade, qui prenait encore quelques aliments liquides, les refuse complètement. Les bras, le tronc et la face s'amaigrissent à un degré extrême ; ce qui contraste avec l'état de l'abdomen et des membres inférieurs, qui sont extrêmement distendus par la séro-Charcot. Œuvr. compl. t. vin, 49 partie : Estomac. Rate. 19
site. La langue, qui était restée longtemps naturelle, devient très rouge ; il en est de même des parois buccales, qui se couvrent de plaques blanches de muguet. Bien que les vomissements aient cessé, comme nous l'avons dit, les douleurs épigastriques parais-sent incessantes et sont très violentes.
Tels sont les phénomènes éprouvés par notre malade pendant les trois dernières semaines de sa vie.
La mort arrive le 3 septembre 1851. Le marasme était consi-dérable; le délire ne s'était jamais montré.
En raison de ces faits, le diagnostic avait été établi de la manière suivante :
1° Obstacle au cours des matières ingérées, siégeant à la ré-gion pylorique et consistant probablement en une tumeur car-cinomateuse ; la nature des vomissements conduirait à cette dernière idée, bien qu'on n'ignorât pas les faits assez nom-breux de vomissements bruns en l'absence de tumeurs ou d'ulcérations cancéreuses de l'estomac, et en particulier celui qui a été décrit avec soin par M. Andral (Clinique médicale, t. II, obs. V) ;
2° Ampliation de l'estomac, démontrée par la palpation, la percussion, la succussion, etc. (Piorry, Atlas de percussion, pl. 27, p. 59, et Alios, Procédé opératoire; Duplay, Mémoire sur F ampliation morbide de Cestomac, Arch.gén. de médec, p. 549 et 550, 1833, et Andral, obs. cit.);
3° Diminution du volume du foie, constatée par la percus-sion, qui démontre que le bord supérieur de cet organe ne s'est pas élevé dans le thorax, malgré la distension de l'abdo-men;
4° Obstacle au cours du sang dans le foie, et peut-être aussi
dans la veine cave inférieure, par suite de l'extension de la tu-meur supposée du côté de ce vaisseau. Il n'existait pas, d'ail-leurs, de caractères de la coagulation spontanée du sang dans les veines iliaques, et d'un autre côté, le cœur, de volume normal, ne présentait à l'auscultation autre chose qu'un souf-fle doux au premier temps, maximum à la base.
Le traitement ne pouvait être que palliatif (charbon végétal, opium, etc.).
Autopsie. — L'ouverture de la cavité abdominale donne issue à une grande quantité de sérosité limpide, mais il en reste en-core, après cette opération, une quantité considérable, et ce li-quide recouvre complètement les viscères abdominaux, à l'excep-tion : 1° du côlon ascendant ; 2° d'une partie du côlon transverse, qui remonte, sous forme d'anse, en avant du foie; 3° d'une petite partie de la face antérieure de l'estomac. Ces différents organes surnagent ; tous les autres sont comprimés et comme submergés par le liquide.
L'estomac n'a pas l'étendue qu'on lui avait attribuée pendant la vie; mais il est aplati, replié sur lui-même, comme s'il eut dû céder à la pression exercée par le liquide. Toutefois, la grande courbure arrive à un pouce environ de l'ombilic. La région pylo-rique de ce viscère adhère intimement à la face inférieure du foie par des adhérences qui paraissent de très vieille date ; il en est de même de l'origine de la première partie du duodénum, dans l'étendue d'un pouce environ.
Au niveau du pylore existe un étranglement étroit, analogue à celui qui peut être produit par une mince corde. Disons d'avance que ce rétrécissement est organique, c'est-à-dire que la distension produite à l'intérieur des viscères par les tentatives d'introduc-tion de l'index, dirigée de la cavité stomacale vers le duodénum, ne le font pas cesser à l'endroit du rétrécissement. La tunique péritonéale est d'un blanc opaque et comme froncée. La deuxième et la troisième partie du duodénum occupent leur position habi-tuelle ; leur calibre a notablement diminué. Il en est de même de
l'intestin grêle dans toute son étendue. Le colon ascendant est très volumineux, distendu par des gaz et des liquides; il surna-geait, comme nous l'avons dit, avant l'issue de la sérosité abdo-minale. Mais au moment de devenir côlon transverse, il offre un rétrécissement considérable dans l'étendue de trois pouces envi-ron. Ce rétrécissement n'est pas organique, c'est-à-dire qu'il cède parla dilatation de l'intestin. Au-dessus de ce rétrécissement, on voit une anse de côlon dilaté, pleine de liquide et de gaz, qui se porte en avant de la face antérieure du foie, et de là descend vers l'ombilic pour se porter sous la face postérieure de l'estomac. En ce point, un nouveau rétrécissement se manifeste, lequel occupe la moitié gauche du côlon transverse et tout le côlon descendant. Ce rétrécissement cède par la distension exercée de dedans en de-hors. Uintestin toutefois n'acquiert pas, malgré cette distension artificielle, le même calibre que les parties naturellement dila-tées. Au commencement de l'S iliaque, nouvelle dilatation sous forme d'ampoule, puis nouveau rétrécissement; nouvelle am-poule, située dans la fosse iliaque droite, sous le cœcum, qui est repoussée un peu en haut, et enfin vient le rectum, d'un diamètre à peu près normal.
Nous aurons à nous expliquer plus tard sur la cause de cette série de dilatations et de rétrécissements; disons tout de suite que les parties dilatées renfermaient un semi-liquide jaunâtre, des matières fécales assez bien formées, en un mot. Les parties con-tractées étaient vides, et la muqueuse était simplement recouverte de mucus visqueux.
Les tuniques de l'estomac étaient, d'une matière générale, hy-pertrophiées. La cavité, qui est double de capacité à peu près, renferme un peu de mucus visqueux et quelques matières alimen-taires. La muqueuse est généralement pâle, mais elle offre çà et là un pointillé grisâtre, manifeste surtout et confluent au voisi-nage du pylore. Au niveau du rétrécissement, la muqueuse de-vient brusquement très mince.
La tunique musculeuse est très épaissie (elle a environ 0,002mm 3 en épaisseur). Les fibres qui la constituent sont pâles, mais très apparentes ; elles ne forment pas au niveau du rétrécissement
une sorte d'anneau ou valvule ; au contraire, elles se terminent en s'amincissant.
Le tissu cellulaire sous-muqueux, épaissi dans toute l'étendue des parois stomacales, s'amincit lui-même considérablement, au niveau du rétrécissement.
Avant d'inciser la partie rétrécie, on constate qu'elle admet tout au plus l'extrémité de l'ongle du petit doigt. Un gros tuyau de plume y entre avec frottement. L'incision ayant été pratiquée, le diamètre au niveau du point rétréci est de 2 cent. 1/2 seule-ment. Sur 3 estomacs provenant d'individus morts de diverses maladies, nous avons constaté que le diamètre de l'estomac, au niveau de la valvule pylorique, variait de 5 cent. 1/2 à 6 centi-mètres. L'index passait dans ces cas très facilement à travers l'anneau pylorique.
Au niveau du rétrécissement, la muqueuse, comme nous l'a-vons dit, s'amincit brusquement ; elle conserve ce caractère dans toute l'étendue de la première partie du duodénum; la cellu-leuse était également amincie et un peu froncée ; quant à la mus-culeuse, elle avait complètement disparu, et à peine trouvait-on, au niveau du point rétréci, dans toute l'étendue de la première portion du duodénum, quelques fibres pâles, mélangées de graisse.
Le péritoine avait l'opacité et l'épaisseur que nous avons signa-lées.
La coarctation de Vanneau pylorique n'étant pas due à l'hypertro-phie des tuniques musculeuse ou celluleuse, il fallait en chercher la cause ailleurs. Peut-être avait-il existé autrefois, au niveau de la région du pylore, une ulcération de la membrane muqueuse dont la cicatrice vicieuse pouvait, jusqu'à un certain point, expli-quer le froncement qu'on voit non dans la membrane muqueuse elle-même il est vrai, mais dans la cellule sous-jacente. L'examen delà membrane muqueuse dans sa structure intime pouvait, à ce qu'il nous semble, décider seule la question. Eh bien ! sur le ver-sant stomacal du rétrécissement, une tranche mince, provenant d'une coupe faite perpendiculairement à la surface de la mu-queuse et examinée au microscope, présentait les tubes en cul-
de-sac juxtaposés ; sur le versant duodénal, au contraire, la même opération faisait reconnaître dans la membrane interne de l'in-testin les glandes acineuses de Brunner. La membrane muqueuse était donc représentée là par ses principaux éléments. On ne pou-vait donc pas invoquer comme cause productrice du rétrécisse-ment l'existence d'un tissu cicatriciel.
Ce n'est qu'avec peine que la région pylorique de l'estomac et que le commencement du duodénum ont pu être séparés par la dissection de la face inférieure du foie, à cause des adhérences in-times que nous avons signalées. Les canaux biliaires et pancréati-ques s'ouvraient, comme d'habitude, dans le duodénum et étaient complètement libres.
Le foie avait à peu près la moitié de son volume habituel ; sa coloration était à peu près normale. La trame celluleuse n'y était pas hypertrophiée et il n'y existait pas de déformation. Son tissu était un peu friable, et il était imprégné d'une assez grande quan-tité de sang. L'examen microscopique qui en a été fait par M. Rayer a démontré qu'il y existait beaucoup moins de graisse que dans l'état normal. — Les autres viscères n'ont présenté rien de bien remarquable. Il n'y avait pas de tubercules dans les pou-mons. Le cœur était parfaitement sain. Il n'y avait pas de caillots dans les principales veines des membres inférieurs et de l'abdomen.
Remarques. —Nous ferons, au sujet de l'observation abré-gée que nous venons de relater, les remarques suivantes :
\° Le rétrécissement pylorique dont il est ici question est un fait exceptionnel, à ce qu'il nous a semblé du moins. Dans le remarquable mémoire de M. Duplay, on trouve rassemblé un grand nombre de faits d'ampliation de l'estomac, avec rétrécis-sement du pylore; mais dans tous ces cas, quand il n'existait pas de tumeur cancéreuse, la tunique celluleuse était hyper-trophiée. Dans l'observation qui nous est propre, toutes les tu-niques constituant les parois de l'orifice pylorique sont au con-
traire atrophiées. On trouve bien encore, dans le mémoire de M. Duplay, des cas d'ampliation de l'estomac dans lesquels la tunique musculaire s'était partiellement atrophiée (Obs. I, loc. cit., et Andral, Clin, méd., obs. cit.) ; mais cette atrophie por-tait alors sur une étendue plus ou moins considérable de cette tunique, au voisinage du pylore. Dans notre observation, l'a-trophie commence immédiatement au niveau du rétrécisse-ment, et se retrouve seulement dans la plus grande partie de la première portion du duodénum. D'ailleurs, dans tous ces cas d'ampliation d'estomac, avec atrophie des fibres musculai-res, le diamètre de l'orifice pylorique était resté normal. Il en est de même de l'observation rapportée par M. Duplay, dans laquelle l'ampliation de l'estomac coïncidait avec une adhérence intime de sa région pylorique avec la face inférieure du foie. Sans doute, dans le cas qui nous occupe, comme dans VObs. I du mémoire de M. Duplay, les adhérences qui existaient entre l'estomac, le duodénum et la glande hépatique devaient gê-ner singulièrement le passage des matières de l'estomac dans le duodénum, acte dans lequel les fibres musculaires longitu-dinales du duodénum jouent un si grand rôle (Magendie, Tr. de Physiol., t. II, p. 109) ; et, par suite, l'ampliation de l'esto-mac avait pu se produire, Mais le rétrécissement ne nous sem-ble pas alors suffisamment expliqué, puisque, dans des circonstances à peu près analogues, l'orifice pylorique a pu être rencontré de diamètre normal ou même dilaté.
Il ne nous reste plus, dès lors, si nous voulons absolument une explication, qu'à invoquer le retrait qui succède à l'orga-nisation des fausses membranes; nous admettrons, dès lors, une péritonite antérieure, de très ancienne date, et circons-crite au voisinage du pylore; les adhérences que nous avons signalées entre l'estomac et le duodénum d'un côté et le foie de l'autre, nous autorisent d'ailleurs à faire cette supposition. L'anatomie intime de la membrane muqueuse, au niveau du
pylore, nous a déjà fait rejeter l'idée d'une cicatrice vicieuse due à la réparation d'une ulcération de la membrane mu-queuse dont on aurait pu aussi supposer l'existence. Il est bien reconnu aujourd'hui, à ce que je crois, par les anatomo-pathologistes, que la muqueuse, quand elle se répare, ne récu-père pas tous ses éléments, ses éléments glandulaires surtout. M. Gluge a vu les villosités reparaître plus ou moins com-plètement dans la cicatrisation des ulcères typhoïdes (Gluge, Atlas d'anat. pathol.)] les glandes de Lieberkuhnn ne s'étaient pas reproduites.
2° De Ilaën s'est beaucoup préoccupé des rétrécissements que nous avons nommés ici non organiques, et il en a fait fi-gurer une quinzaine de cas (Ratio Medendi, t. VIT. Paris, 1776, p. 246;. Il ne s'explique pas suffisamment sur la cause anato-mique ou physiologique de ces rétrécissements auxquels il attribue une grande part dans la production des symptômes observés pendant la vie ; il les a rencontrés, d'ailleurs, dans des maladies très diverses et dans lesquelles les viscères intesti-naux ne paraissent pas avoir été autrement intéressés. Pour nous, nous ne faisons que signaler le fait en passant; est-ce un phénomène cadavérique ou un phénomène des derniers temps de la vie? quelle est son importance et sa signification? M. Andral s'est depuis longtemps posé ces questions ; il est porté à penser qu'il est « des malades qui présentent un cer-tain ensemble de symptômes qu'il serait porté à expliquer par une contraction spasmodique, soit durable, soit passagère, d'un tube digestif » (Précis oVanat., path., t. II, p. 121). Copland, d'un autre côté, assigne des phénomènes particuliers au spasme des intestins, et Mays (Outlines of human Patho-logy, London, 1836, p. 351) en rapporte une observation qui pa-raît concluante. Nous n'avons observé chez notre malade aucun phénomène particulier qu'on pût rattacher à ces rétrécisse-ments multiples des intestins.
IV.
Rupture de la rate chez un fœtus *.
Observation. — Une fille de 23 ans, d'une bonne constitution, entre à l'hôpital de la Pitié, le 22 juin 1858, dans le service dont M. le Dr Charcot est chargé par intérim, salle des accouche-ments. Cette fille se dit grosse de huit mois ; elle assure n'avoir jamais été malade, et, en particulier, elle n'aurait jamais eu ni écoulements, ni chancres aux parties, ni taches sur la peau. Elle ne peut donner aucun renseignement valable concernant l'état de santé du père de son enfant.
La grossesse n'a été marquée par aucun incident, si ce n'est qu'il y a un mois, une chute assez violente a eu lieu. La fille X... marchait sur un terrain glissant ; elle fit un faux pas et tomba assez rudement pour qu'il s'en suivît une perte de connaissance; cependant, elle en fut quitte pour une bosse sanguine, assez volu-mineuse, siégeant à la tête, et un sentiment de courbature qui a persisté pendant deux ou trois jours.
Dix jours après ce premier accident, nouvelle chute. Cette fois, ce n'est plus la tête, mais bien le côté droit du corps qui aurait porté. Cette nouvelle chute n'a été immédiatement suivie d'aucun incident fâcheux ; elle n'a pas été très violente et n'a produit ni écorchures ni ecchymoses, ni sentiment de courbature. Il paraî-trait que, à partir de l'époque où la première chute a eu lieu, les
mouvements du fœtus sont devenus habituellement moins énergi-ques qu'ils ne l'étaient auparavant.
Le 24 juin (huitième mois de la grossesse, au dire de la fille X...) se manifestèrent, vers sept heures et demie du matin, les pre-mières douleurs. L'enfant vient par la tête. L'accouchement s'o-père naturellement et se termine à midi, sans avoir nécessité aucune manœuvre.
L'enfant donne à peine quelques signes de vie. On parvient ce-pendant à le ranimer ; mais, au bout d'une demi-heure, il suc-combe. On remarque immédiatement après la naissance qu'il présente sur le flanc gauche et la région supérieure de la cuisse du même côté, une large ecchymose violacée; on remarque aussi que son abdomen est très volumineux.
Autopsie. — Caractères d'un fœtus âgé d'un peu moins de huit mois. Le tégument externe présente de nombreuses bulles de pemphigus. De ces bulles, les unes siègent sur la face, sur la pau-pière supérieure gauche, principalement au pourtour des ailes du nez ; d'autres sont disséminés sur différents points de la surface du corps; mais c'est aux pieds et aux mains qu'elles siègent en plus grand nombre. Quelques-unes de ces bulles se sont crevées et laissent voir à la surface de la peau une petite ulcération; d'autres sont encore remplies d'un liquide qui, sur quelques-unes, a l'as-pect séro-purulent.
L'abdomen est très volumineux ; le cordon est œdématié. On remarque sur la partie latérale gauche de l'abdomen, et se pro-longeant sur la hanche, une large ecchymose de couleur lie de vin. Par la dissection du tégument externe, on s'assure que l'infil-tration sanguine ne pénètre pas, au moins à la hanche, au-delà du tissu cellulaire sous-cutané ; sur l'abdomen, on remarque qu'elle s'étend jusque dans l'épaisseur du muscle grand oblique.
Thorax. Thymus sain. — Poumons uniformément remplis d'air, parfaitement sains. — Le cœur ne présente aucune altération.
Abdomen. — La cavité du péritoine est remplie d'une quantité assez considérable de sang noir, en grande partie coagulé (20 à 25 grammes environ). C'est surtout à gauche, au voisinage de la
rate, que le caillot est surtout volumineux. Une certaine quantité de sang liquide a pénétré dans la tunique vaginale droite où le testicule n'est pas encore descendu.
La rate est volumineuse, de consistance normale. En examinant sa face interne, on y remarque, un peu en avant du hile, une sorte de fente ou fissure dirigée dans le sens du grand axe, et qui pré-sente environ 3 centimètres de long. Cette fente pénètre d'ailleurs assez peu profondément dans l'épaisseur du tissu splénique, qui paraît sain au voisinage. En écartant les bords de cette fente, on voit s'y prolonger et y adhérer les caillots qui remplissaient la partie gauche de l'abdomen.
La membrane péritonéale ne présente sur aucun point de traces d'inflammation.
Le foie est très volumineux. 11 n'est pas altéré, mais manifeste-ment exsangue. — Les reins sont sains.
Le sang dont l'abdomen était rempli, chez ce fœtus, prove-nait de la rate ; cela nous paraît peu contestable. Mais quelle a été la cause de la rupture de la capsule et du parenchyme spléniques, point de départ de l'hémorragie? Si l'on remarque que le tissu de la rate et de sa capsule était parfaitement sain, même au voisinage de la déchirure, et si l'on tient compte, en outre, de l'ecchymose qui existait dans l'épaisseur du tégu-ment externe de l'hypochondre gauche, il semblera naturel d'admettre que c'est à une violence extérieure qu'il convient de rapporter toutes ces lésions. Cette violence, le fœtus n'aurait pu l'éprouver que pendant la vie intra-utérine ou dans le tra-vail même de l'accouchement, puisque, suivant un rapport digne de foi, l'enfant présentait déjà l'ecchymose et la tumé-faction de l'abdomen, au moment de la naissance. Or, nous savons que le fœtus s'est présenté par la tête, et que l'accou-chement a été tàcile et n'a nécessité aucune manœuvre. Pour expliquer les lésions, il ne restait donc plus qu'à invoquer l'une ou l'autre des chutes éprouvées pendant la grossesse, et
dont la fille X... a donné l'histoire. Mais ici se présente une difficulté qui ne nous paraît pas pouvoir être résolue. La pre-mière chute a eu lieu il y a un mois environ, et la deuxième, qui a été peu violente, il y a quinze jours au moins. Si ces chutes ont été la cause de la rupture de la rate et de l'ecchy-mose, celles-ci ont dû suivre immédiatement l'accident.
Dans cette hypothèse, le sang infiltré dans le tissu cellu-laire sous-cutané et le caillot renfermé dans la cavité du péri-toine auraient dû présenter les caractères qui distinguent les épanchements sanguins datant de plus de quinze jours ; or, cela n'existait pas, ainsi qu'on l'a fait remarquer expressément dans l'observation. Ajoutons que la face interne du péritoine ne présentait aucun signe de phlegmasie, aucune trace de for-mation pseudo-membraneuse, comme cela aurait eu lieu pres-que infailliblement, dans le cas où l'épanchement péritonéal aurait remonté à une époque éloignée. Il y a donc entre les circonstances de l'observation et les faits consignés dans la re-lation microscopique un désaccord frappant, et que nous nous bornons à signaler, dans l'impossibilité où nous sommes d'en pénétrer la cause.
V.
Recherches anatomo-pathologiques sur la dyssentérie 1.
Dans la dyssentérie, l'appareil glandulaire du côlon se détache des parties sous-jacentes, par suite d'un travail d'élimination analogue à celui qui se produit au voisinage des eschares. Les follicules clos s'isolent peu à peu et tombent dans la cavité in-testinale, laissant en leur place des cavités plus ou moins pro-fondes ; les follicules de Lieberkuhn restent accolés en nom-bre plus ou moins considérable, et constituent en très grande partie les lambeaux membraneux qui se détachent de la tunique celluleuse, par exfoliation. Ces lambeaux de membrane muqueuse ont été souvent considérés comme des fausses membranes, mais l'examen le plus simple permet d'y recon-naître la structure des glandules en cul-de-sac du côlon. Ces résultats concordent de tout point avec ceux qui ont été expo-sés par le docteur Baly dans ses Gultsonian Lectures, publiées dans la Gazette médicale de Londres, pour 1847. Mais, à l'époque où il poursuivait ses recherches (1850), M. Charcot n'avait pas eu connaissance du travail de M. Baly. (Extrait de YEœposé de titres de M. Charcot, p. 168, Paris, 1883.)
1. Thèse de M. Sacher. — De ta dyssentérie, 18S3.
CINQUIÈME PARTIE
Thérapeutique.
DE I/EXPECTATION EN MÉDECINE
(THÈSE D'AGRÉGATION, 1857 l)
Entreprendre l'histoire de l'expectation en médecine, ce se-rait vouloir passer en revue les divers systèmes qui ont tour à tour dominé les esprits, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, et apprécier l'influence que ces systèmes ont eue sur la prati-que de l'art. Un semblable sujet est, sans contredit, bien fait pour passionner. Mais il eût fallu, rien que pour l'ébaucher, entreprendre des recherches bien plus approfondies que celles auxquelles nous avons dû nous restreindre pour la rédaction de ce travail. Cette étude, en supposant qu'elle ne se fût pas montrée supérieure à nos forces, nous eût conduit à recher-cher d'abord quelles sont les différentes manières dont on a envisagé celte propriété, en vertu de laquelle l'organisme, un moment ébranlé par la maladie, retourne spontanément à cet état d'équilibre qui constitue la santé. C'est en effet l'extension hypothétique qu'ils ont donnée à cette propriété, qui a jeté certains médecins dans un système d'expectation qu'on a stigmatisé en l'appelant une contemplation de la mort. Il est clair que si, par un jeu de l'imagination, on ennoblit la nature médicatrice, que si on la détache du corps, que si l'on en fait un archée, ou encore à l'exemple de Stahl, un des attributs de
1. Thèse de concours pour l'agrégation, présentée et soutenue à la Fa-culté de médecine, le 17 avril 1857.
Charcot. Œuvr. compl. t. vin, 5" partie : Thérapeutique. 20
l'âme, on sera, quoi qu'on fasse, conduit trop souvent à res-pecter les manifestations de sa puissance, et l'on s'abstiendra alors qu'il faudrait agir.
C'est ainsi qu'en s'abandonnant aux aspirations transcen-dantes vers la connaissance de la nature intime des maladies, on aboutit à des hypothèses qui ont sur la pratique le plus fâcheux retentissement. Est-ce à dire qu'il faille rejeter, comme dangereuse et erronée, cette idée de force médica-trice? Non, sans doute. L'observation journalière démontre que l'économie animale se suffit très souvent à elle-même pour réparer les désordres qui lui adviennent et pour se ré-tablir dans l'exercice régulier de ses fonctions ; elle démontre aussi que, dans maintes circonstances, la santé ne se rétablit qu'avec le secours des agents thérapeutiques sagement appli-qués. Or, dans l'un et l'autre cas, n'est-ce pas toujours, en somme, l'organisme qui fait les frais de la guérison? C'est à ce double fait d'observation que répond l'idée de force médi-catrice, sorte d'x algébrique, comme disait Requin, qui repré-sente une ou plusieurs causes inconnues, en vertu desquel-les l'économie tend à revenir de l'état de maladie à l'état de santé *.
En détachant ce qu'ils appelaient la nature de l'organisme, les naturistes ont donc outrepassé les limites de l'observation, et cette vue spéculative qui perce dans le langage du père de la médecine contenait déjà en germe les exagérations dont le stahlianisme s'est rendu coupable. Toutefois, il serait injuste de ne pas reconnaître l'heureuse influence qu'ont eue sur les progrès de l'art les travaux de ces médecins voués, pour ainsi dire, au culte de l'observation pure, et que Bordeu 2 compare
1. Hoffmann avait déjà dit avec raison: « Quisque itaque clarissime pers-piciet, ad motuum aeconomiam, qui vitam et sanitatem tuentur, et morbos etiam depellunt, minime necessarium esse concursum entis cujusdam, quod notitia, perceptione, multo minus quod directione gaudeat. » (Hoff-manni opéra, t. VI, p. 256. )
2. Bordeu, Œuvres complètes, t. II, p. 596, Paris, 1818.
si ingénieusement aux astronomes qui calculent et suivent exactement la marche des mouvements des astres, prédisent et fixent les temps des éclipses et tant d'autres grands phéno-mènes.
C'est de cette école d'observateurs attentifs qu'est sortie la doetrine des crises, et celle des jours critiques, doctrine qui devait avoir, à une certaine époque, tant d'influence sur les déterminations à prendre au lit du malade. L'existence de ces phénomènes qui marquent la terminaison heureuse des mala-dies ne saurait être révoquée en doute, bien que de nos jours et dans nos climats, elle ne puisse être constatée que dans un nombre de cas relativement assez restreints. Mais ce qui sera longtemps encore un sujet de vives controverses, c'est le rôle véritable qu'il faut leur attribuer. Sont-ils cause, sont-ils effet du rétablissement de la santé ? Faut-il les respecter, faut-il les provoquer? Celte doctrine, en supposant même qu'elle doive n'avoir jamais une grande influence sur la pratique, mérite-rait cependant d'être revisée. Les résultats que fournirait une semblable révision, seraient de nature, sans doute, à éclairer la théorie des phénomènes pathologiques, et pourraient servir peut-être d'appui aux distinctions nosographiques. Elle a été entreprise de nos jours par quelques médecins des Écoles de Berlin et de Leipzig. Les faits qui ont été recueillis déjà sur ce sujet promettent une ample moisson de résultats impor-tants.
L'expectation trouve sa raison d'être dans cette observation qui démontre que le plus grand nombre des maladies, au moins des maladies aiguës, peut se terminer spontanément par la guérison. Les remèdes sont inutiles, sinon nuisibles, dans ces affections qui ont une tendance naturelle vers une solution favorable. La médecine agissante devrait, par contre, trouver constamment son application dans celles qui marchent vers une issue funeste. Malheureusement l'art est quelquefois im-
puissant, et il est des affections qui sont au-dessus de ses ressources. Le mieux à faire en pareil cas, c'est de ne point nuire, et la médecine expectante trouve dans cette nouvelle considération une base indirecte. Mais il reste, Dieu merci, an assez grand nombre de maladies qu'on peut invoquer pour témoigner de la puissance de la thérapeutique. C'est là une vérilé qui paraît avoir été reconnue de tout temps ; il ne faut pas croire, par conséquent, que les médecins qui sç sont déclarés partisans de l'expeclation se soient astreints jamais, de parti pris, à une abstention complète. Il semble donc que ces conditions où l'art est inutile, et celles où il est nuisible, étant bien déterminées, il ne devrait plus y avoir de prétexte pour distinguer deux sortes de médecines, l'une agissante et l'autre expectante, à chacune desquelles correspondrait pour ainsi dire une secte particulière. Mais Bordeu insinue, et ce n'est peut-être pas sans raison, qu'on est disposé par nature à embrasser soit l'une, soit l'autre de ces tendances thérapeu-tiques. « Les expectateurs, dit-il, ont toujours fait le pelit nombre parmi les médecins, principalement chez les peuples naturellement vifs, impatients et craintifs. »
En pathologie humaine, l'existence d'une expectation pour ainsi dire expérimentale, et ayant pour but de donner des élé-ments pour la solution de questions attenantes, soit à la pathologie pure, soit à la thérapeutique, ne saurait être érigée en principe. Cependant, dans les affections bénignes, on pour-rait être autorisé à la mettre en œuvre dans des circonstances que nous indiquerons ailleurs : lorsqu'il s'agit, par exemple, d'apprécier la valeur d'un médicament. En médecine vétéri-naire, où rien ne la repousse, cette méthode rationnelle donne journellement les résultats les plus satisfaisants.
Si l'on tient à restreindre, comme nous avons voulu le faire, la question de l'expeclation, en médecine, dans ses véritables
limites, les sources auxquelles on devra puiser seront peu nom-breuses; les livres fourmillent de sentences tirées de divers auteurs anciens, et qui démontrent qu'on faisait autrefois de l'expectation sous un nom différent ; mais nous n'y trouvons qu'un bien petit nombre d'articles où le sujet ait été traité d'une manière directe. C'est dans la satire de Gédéon Har-vey \ publiée en Angleterre, vers la fin du XVIIe siècle, que le terme paraît avoir reçu, pour la première fois, une acception bien déterminée. Cet opuscule fit, dans le temps, beaucoup de bruit. Stahl entreprit de relever les exagérations qu'il con-tenait dans un petit traité ayant pour titre : Ars sanandi cum expectatione \ Outre ces deux ouvrages, on possède de la même époque quelques dissertations sur le même sujet, parmi lesquelles on cite celles de Nebel et de Wedel. En 1776, l'Académie de Dijon proposa, pour sujet d'un prix, la question suivante : Déterminer quelles sont les maladies dans lesquelles la médecine agissante est préférable à Vexpectante, et celle-ci à ïagissante; et à quels signes le médecin reconnaît qu'il doit agir ou rester dans l'inaction, en attendant le moment favora-ble déplacer les remèdes. Des deux Mémoires qui furent jugés dignes de partager le prix, l'un fut composé par Voul-lonne 3, l'autre par Planchon 4 ; un troisième Mémoire, écrit en latin et dû à Jaubert5 fut également remarqué de l'Aca-démie et obtint l'accessit. C'est dans ses Mémoires que le sujet qui nous occupe fut, pour la première fois, traité avec une certaine étendue et dans une direction vraiment pratique. Celui qu'on doit à Planchon, surtout, est plein de faits précis et de préceples nettement formulés. Nous aurons à peu près
1. G. Harvey. — Art of curinq diseases by expeclalion, in-8°, London, 1689. — Ars curandi morbos expectatione. Amstelodami, 1695.
2. G -E. Stahl. — Sileni Alcibiadù, i. e. Ars sanandi cum expectatione op-posita arte curandi nuda expectatione. Paris, U30.
3. Mémoire sur la question proposée, etc. Avignon, 1776.
4. Le Naturisme, etc. Tournay, 1778.
5. Dissertatio medica circa très quœstiones, etc. Avignon, 1778.
épuisé les sources du sujet, si nous signalons les articles Agis-sante [Médecine), et Expectation en médecine, du Dictionnaire des sciences médicales, articles qu'on doit à Pinel ; l'ouvrage de Vitet (de Lyon) 1, la thèse du docteur Meynier 2, et enfin l'article Expectation de M. Littré, dans le Répertoire géné-ral.
Il est nécessaire de bien déterminer ce qu'on doit entendre par expectation, en médecine. « On donne, en médecine, dit M. Littré, le nom expectation à des règles de conduite qui consistent à abandonner le malade aux seules ressources delà nature, sans intervenir dans le cours de l'affection par une mé-dication active, et en se bornant, tout au plus, à éloigner les agents et les circonstances nuisibles. » — Les termes médecine expectante, méthode expectante, sont fort souvent employés avec la signification qui vient d'être donnée, et comme syno-nymes du mot expectation. L'expectation est donc une mé-thode : mais quelles en sont les attributions particulières, les limites précises ; c'est ce qu'il importait d'établir. Voullonne sépare nettement la médecine expectante de la médecine agissante, et les oppose l'une à l'autre. « Nous appellerons, dit-il, médecine agissante, l'application d'un secours quelcon-que capable de produire dans l'état physique du malade un changement un peu notable relativement à la suite des modi-fications que le malade éprouverait sans l'application de ce secours. Au contraire, la médecine est expectante, non-seule-ment quand elle s'abstient de tout secours, mais encore lors-qu'elle n'emploie que des secours incapables de produire un changement un peu notable dans la suite des modifications que le malade éprouverait sans elle 3. » Youllonne ne fait pas ressortir, dans sa définition, la différence qui existe en réalité
1. Médecine expectante, 6 vol. in-8. Lyon, 1803.
2. Essai sur l'expectation. l'aris, 1828.
3. Voullonne, loc. cit., p. 28 et 36.
entre l'expectalion et ce que l'on pourrait appeler l'inactivité ou l'abstention. — Stahl avait cependant eu soin d'établir quels sont les devoirs du médecin expectant, et de montrer que loin de l'autoriser à rester spectateur oisif, ils l'obligent à observer attentivement les opérations de la nature dans l'attente du moment où il pourra devenir nécessaire d'inter-venir. Pinel reproduit la même idée, mais il insiste, en outre, sur l'importance des soins hygiéniques dont il faut environner le malade : « La méthode expectante, dit-il, entendue dans son vrai sens, est loin d'être une contemplation oisive de la mar-che d'une maladie ; il faut, en même temps, que l'on évite de troubler par des manœuvres imprudentes les efforts spontanés de la nature, les seconder heureusement par une sage appli-cation de l'hygiène, en écartant avec soin tout ce qui peut en-traver cette direction favorable J. » — Voici donc, en résumé, quels sont les attributs essentiels de la méthode expectante : 1° S'abstenir de toute médication active, tant qu'il ne se pré-sente pas d'indications qui rendent leur emploi nécessaire, 2° Faire observer scrupuleusement les règles de la diététique.
Après avoir fixé, dans le sens que nous venons d'indiquer, les dénominations de médecine agissante et de méthode d'ex-pectation, Pinel fait la remarque suivante : « Il importe d'évi-ter toute équivoque dans l'usage de ces mots, et de faire voir que la médecine d'observation n'est nullement susceptible de deux manières opposées de diriger les maladies, l'une par des moyens actifs et l'autre en livrant presque entièrement la na-ture à elle-même. Il s'agit donc seulement de faire un juste discernement entre les divers genres de maladies qui peuvent exiger l'une ou l'autre de ces manières, entièrement assorties aux divers caractères des maladies dont on peut être chargé de diriger le traitement. Il est donc manifeste qu'une pareille question ne peut être résolue par des raisonnements abstraits
1. Article cité, p. 252.
et purement métaphysiques, mais d'une manière expérimen-tale, en indiquant avec soin, d'après une classification métho-dique, les genres de maladies qui peuvent être guéries par une simple expectation, et celles qui demandent des se-cours prompts et énergiques pour en prévenir les suites fu-nestes l. »
C'est en effet, nous le croyons, en obéissant d'une manière générale à ces principes, qu'on pourrait arriver à déterminer quelle est la valeur réelle de l'expectation considérée comme méthode de traitement, et quels sont les cas particuliers aux-quels elle est applicable.
Mais, pour atteindre ce but, il ne suffirait pas, ainsi que semble l'admettre Pinel, de suivre uniquement les errements d'une nosographie, quelque parfaite, quelque naturelle qu'on la suppose d'ailleurs, et, passant en revue les différents genres de maladies qui la composent, de déterminer quelles sont celles qui réclament habituellement une prompte intervention de l'art ; quelles sont celles, au contraire, qui se terminent presque toujours d'elles-mêmes, par les seules ressources de la nature. Cette méthode conduirait à des résultats fort in-complets. Le point de vue le plus important, sans contredit, de la question qui nous occupe, ce serait d'examiner succes-sivement les circonstances diverses qui peuvent modifier une même maladie, dans sa forme et dans ses tendances vers la guérison ou vers la mort, et de rechercher quelles sont celles de ces circonstances où il convient de s'abstenir, par opposi-tion à celles où l'action est au contraire nécessaire. C'est ce que nous avons essayé de faire dans les paragraphes qui sui-vent, nous bornant toutefois à indiquer les points les plus saillants, car nous ne pouvions avoir la prétention de tout dire, même sommairement.
i. Dictionn. des sciences médicales, t. XIV, p. 247.
Au premier rang des maladies auxquelles l'expectation peut être applicable comme méthode générale de traitement, nous voudrions placer celles des maladies spécifiques proprement dites1, contagieuses ou non contagieuses, pyrétiques ou apy-rétiques, virulentes ou miasmatiques, dont le remède spécifi-que, en supposant qu'il existe, n'a pas encore été trouvé ; puis viendraient les maladies évidemment douées d'un certain degré de spécificité (spécificité'pathogénique desecondordre, Requin)2, telles que les affections rhumatismales et goutteuses, les ma-ladies dartreuses, etc. ; puis celles des fièvres essentielles, dont la nature spécifique est encore un objet de contestation ; certaines maladies enfin qui se comportent, à plusieurs égards, à la manière des fièvres, comme f'érysipèle snonlané, la grippe, etc. — Ce n'est pas que, dans'j ces affections-là, on ne rencontre fort souvent des indications rationnelles qui con-duisent à agir et à agir efficacement; mais, il faut bien le re-connaître, la thérapeutique, lorsqu'elle n'a pas à,son service un agent spécifique, ne s'adresse pas ici à la-nature même du mal ; elle n'agit que par des voies indirectes. On peut modifier heureusement la maladie dans ses phénomènes extérieurs, mais on ne l'atteint pas dans son essence. Et, en particulier, n'est-ce pas en vain, le plus souvent, qu'on tenterait d'en enrayer la marche, d'en supprimer les périodes ? La médecine agissante, dans ces cas-là, n'est donc pas applicable en prin-cipe, mais seulement dans des circonstances bien limitées. Elle risque souvent, en intervenant mal à propos, de mener à mal une affection qui eût peut-être guéri avec les seules forces de l'organisme. A quoi ont abouti les tentatives de Moublet,
1. En cela nous suivons l'exemple de Stahl : Ars sanandi, p. 13, 14.
2. Requin. — De la spécificité dans les maladies. Thèse de concours, p. 39, 65, 69, 1851.
IL
On pourrait dire que si l'expectation doit former, ainsi que nous le pensons, la base de la thérapeutique dans les maladies spécifiques proprement dites, dont le remède est inconnu, cela tient, en réalité, à l'impuissance de l'art; car si l'on dé-
de la Meltrie, de Chirac, contre la variole? Que fait-on au-jourd'hui contre la scarlatine, contre la rougeole, contre la fièvre typhoïde même, une fois déclarées, lorsque ces maladies sont exemptes de complications, et qu'il ne se présente pas d'indications soit de relever les forces, par exemple, ou inver-sement, de combattre les phénomènes hypersthéniques? N'est-ce pas, au fond, de la médecine expectante? La coqueluche ne parcourt-elle pas toutes ses phases, quoi qu'on fasse? Heu-reusement pour l'humanité, les affections de ce groupe ont, pour la plupart, une tendance naturelle vers une terminai-son favorable. Elles guérissent, dans la majorité des cas, par les seules ressources de la nature. — Mais, par contre, il en est malheureusement d'autres qui ont jusqu'ici toujours abouti aune issue funeste (Rage, Morve aiguë). On peut, en pareil cas, administrer les remèdes sur lesquels on aura pu fonder quelque espoir. Mais il faudra constamment, bien en-tendu, apporter dans ces tentatives toute la modération et toute la prudence que réclame un expériment thérapeutique.
C'est ici le lieu de faire remarquer qu'en raison de leur spécificité même, ces maladies rentrent de plein droit dans le domaine de la médecine prophylactique et de l'hygiène. Pour la plupart elles ne sont pas, si l'on peut ainsi dire, essentiel-lement inhérentes à l'humanité : quelques-unes d'entre elles, inconnues de l'antiquité, semblent avoir perdu déjà beaucoup de leur première vigueur. Peut-être disparaîtront-elles un jour de la surface du globe.
couvrait des agents capables d'atteindre ces maladies dans leur essence, on serait sans doute bientôt conduit par l'expé-rience à les administrer sans retard, hormis, bien entendu, les cas de contre-indications particulières, alors même que l'affection se montrerait douée d'un caractère d'extrême béni-gnité : c'est ainsi qu'on administre le quinquina pour couper court aux accès de fièvre paludéenne exemptes de gravité, et qui tendent naturellement vers une terminaison favorable. A plus forte raison, devrait-on les prescrire si la maladie venait à revêtir une de ces formes graves dont les fièvres intermit-tentes pernicieuses nous offrent des exemples. Mais ces agents nous manquent; et puisque les tentatives inutiles ou dange-reuses de nos devanciers nous ont appris qu'on n'arrête point les maladies spécifiques dans leur évolution pour ainsi dire fatale et nécessaire, nous en sommes donc, pour ces cas-là, réduits à l'expectation. Toutefois, s'il est des circonstances où l'expectation pure peut ou doit constituer l'unique méthode de traitement pendant tout le cours de ces maladies, il en est d'autres où, tout en formant le fonds de la thérapeutique instituée, elle doit, à des moments donnés, lorsqu'il se pré-sente des indications rationnelles, céder le pas aux méthodes actives.
Dans les fièvres éruptives, par exemple, dans les pyrexies bénignes ou typhodes, dans bon nombre des maladies mias-matiques, c'est bien l'expectation qui convient, comme mé-thode générale. Mais les symptômes hypersthéniques du dé-but, mais les phénomènes adynamiques des phases ultimes, et les complications particulières aux diverses époques de ces maladies, réclament, souvent d'une manière impérieuse, l'em-ploi de médications appropriées. De là une méthode mixte, sorte expectation mitigée, essentiellement appropriée à cette classe de maladies et souvent applicable aux maladies qui s'en rapprochent. Le médecin sait ici qu'il ne doit rien brusquer :
dès que, le diagnostic étant fixé, il connaît le caractère de l'affection et soupçonne ses tendances, il peut aussi, jusqu'à un certain point, prédire quelle sera sa durée, annoncer quelles complications seront à redouter pour chaque période, prévoir les accidents qui viendront troubler la convalescence. L'expérience lui a appris que les forces organiques doivent être ménagées, et si, cédant à certaines indications, il juge convenable d'intervenir au début par une médication débili-tante, il ne le fera qu'avec mesure, certain à l'avance qu'en affaiblissant inutilement le malade, il le mettrait dans de mau-vaises conditions pour faire face aux complications possibles et à l'évolution de phénomènes morbides dont l'accomplisse-ment est désormais nécessaire. Aux périodes ultérieures, de nouvelles indications pourront se présenter, mais c'est tou-jours la considération de l'état des forces qui devra dominer. Il faut, en somme, ainsi que le dit Pringle, regarder comme la partie la plus essentielle l'entretien du principe de la vie K Ce que nous disons ici s'applique surtout aux pyrexies typïio-des 2 (typhus, fièvre pétéchiale, fièvre typhoïde, peste, fièvre jaune). Mais on pourrait l'appliquer, d'une manière générale, aux pyrexies franches et aux maladies qui s'en rapprochent, surtout à celles de ces diverses affections qui ont une longue durée. — Pour ce qui est des maladies spécifiques de second ordre (Requin), elles présentent encore un caractère d'indivi-dualité qu'on ne saurait méconnaître. Nos agents médicamen-teux n'agissent sur elles que d'une manière indirecte; on ne les jugule point; elles ont, pour la plupart, dans la constitu-tion même des sujets, de profondes racines. C'est, en général, moins par des remèdes que par la modification lente de l'orga-
1. Pringle, Observ. sur les maladies des armées. Paris, U93.
2. L'expérience a démontré que dans les maladies typhoïdes, le méde-cin devait être sobre d'émissions sanguines, et que l'on obtenait des résul-tats bien plus heureux en abandonnant promptement le traitement anti-phlogistique, qu'en persévérant avec opiniâtreté dans son emploi, (exposi-tion des principes de t'organiçisme, par L. Rostan. Paris, 1846, p. 249.)
nisme, opérée à l'aide des agents hygiéniques, qu'on parvient à les guérir.
III.
« On pourrait, disent MM. Trousseau et Pidoux *, d'une manière très générale, classer assez bien les maladies aiguës, selon l'ordre des indications plus ou moins évidentes qu'elles présentent pour la médication antiphlogistique ; il serait facile de donner ainsi une sorte d'échelle où ces affections seraient rangées d'après leur plus ou moins grande affinité pour la saignée. En tête, se placeraient les phlegmasies et les fièvres inflammatoires par excellence, ou celles dans lesquelles, der-rière les symptômes et les lésions du genre inflammatoire, rien n'annonce soit un principe morbide essentiellement dé-létère, une force désorganisalrice et de nature à attaquer immédiatement la vie, soit même une cause constitutionnelle. » Les manifestations extérieures des phlegmasies, les lésions mêmes qui les caractérisent, semblent être en effet directe-ment attaquables par les agents de la médecine agissante ; et, ce que l'esprit est ainsi porté à admettre à priori, l'observa-tion ne paraît pas l'avoir démenti jusqu'à ce jour. La plupart des médecins modernes sont en effet d'accord sur ce point, qu'il faut en général traiter avec vigueur les phlegmasies lé-gitimes, pour peu qu'elles soient d'une certaine étendue et qu'elles siègent dans un organe important. L'expectation compte ici bien peu de partisans, et les résultats que donnent dans le traitement de la pneumonie les méthodes énergiques sont souvent invoqués pour témoigner de la puissance delà médecine active. Cependant, les succès annoncés par une secte de médecins dont la prétendue thérapeutique n'est autre chose qu'une expectation déguisée, ont engagé quelques praticiens
1. Trousseau et Pidoux, Traité de thérapeutique, t. I, p. 527, 1855.
à user de la méthode expectante proprement dite, dans le traitement de la pneumonie. On choisit d'abord des cas légers, puis on s'enhardit, et l'on en vint aux cas plus graves. Des statistiques assez imposantes ont été publiées, qui ont semblé au premier abord établir non-seulement l'innocuité de cette méthode, mais encore sa supériorité sur celles qui sont géné-ralement adoptées. C'est là une question encore à l'étude, et qui ne peut être résolue que par des observations plus nom-breuses que ne le sont celles que nous possédons aujourd'hui \ La seule conclusion légitime, il nous semble, à laquelle ces observations peuvent conduire pour le moment, c'est que, parmi les pneumonies, ainsi que M. le docteur Marrotte l'a fait remarquer avec justesse, il en est, suivant toute probabi-lité, un certain nombre dont le pronostic est moins grave qu'on ne le pensait, et auxquelles convient la méthode expec-tante. Reste à savoir à quels signes plus ou moins certains ou probables on pourra reconnaître celles de ces affections qu'il convient d'abandonner ainsi aux efforts de la nature 2.
1. Voyez I'Appendice annexé à cette thèse, où l'on donne un résumé des principaux travaux publiés sur ce sujet (p. 45).
2. Ce n'est pas pour la pneumonie seule'que l'on a cherché dans ces der-niers temps à nier l'opportunité d'une médication active. Voici un docu-ment qui, s'il était fondé sur des faits plus nombreux et plus concluants, tendrait à jeter delà défaveur sur la pratique si généralement adoptée dans le traitement de Phémorrhagie cérébrale. M. R.-B. Todd (Clinical lectures on paralysis, etc., London, 1856) tire d'un ouvrage de M. Copeman la statisti-que suivante: sur 155 cas d'apoplexie cérébrale, 129 ont été traités par la saignée, qui n'a pas été pratiquée dans les 26 autres. Or, sur les 129 sujets qui ont été saignés, 51 se sont rétablis et 78 sont morts ; la proportion des guérisons est de 1 sur 2 i/2, celle des morts de 1 sur 1 2/3. Des 26 sujets qui ne furent pas saignés, 18 survécurent et 8 moururent, ce qui établit la proportion des guérisons dans le rapport de 1 sur 1 1/2, et des morts dans celui de 1 sur 3 1/4. 84 sujets furent saignés assez copieusement, et il y eut 28 guérisons et 57 morts, ou 2 morts sur 3 cas. Il convient seulement de re-marquer que très probablement la médecine expectante n'a pas été rigou-reusement suivie dans les cas où la saignée n'a pas été employée, et l'on doit supposer que chez un certain nombre de sujets on aura fait usage d'évacuants, en particulier d'émétique, pratique fort en faveur en Angle-terre en pareille circonstance. D'ailleurs, il est bien probable que, sous le nom d'apoplexie, l'auteur aura bien pu englober plusieurs maladies diffé-rentes.
1Y.
Les affections subordonnées à certaines maladies constitu-tionnelles ou diathésiques demandent à être traitées avec la plus grande circonspection ; elles réclament quelquefois l'ex-pectation la plus pure ; on doit même, dans certains cas, favo-riser leur évolution. De redoutables accidents sont trop sou-vent la conséquence de la suppression imprudente de ces affections. On sait, pour ne citer que quelques exemples, com-bien il est important de respecter les accès de goutte articu-laire, principalement lorsqu'il s'agit de la forme asthénique de la maladie. On trouverait au besoin, dans les monographies de Musgrave, Scudamore, Barthez, R. Todd, Gairdner et quel-ques autres, des observations détaillées, bien propres à met-tre dans tout son jour la valeur de ce précepte. Des cardialgies violentes, des palpitations du cœur suivies de lipothymies in-quiétantes, des accidents cérébraux redoutables, sont, le plus souvent, en pareil cas, la suite d'une intervention intempes-tive \ Les théories humorales qui dominaient les praticiens du siècle passé les ont conduits peut-être à exagérer le nombre de ces affections, qu'il faut respecter ou même entretenir; il n'en est pas moins vrai qu'on rencontre souvent, dans la pra-tique, des faits qui démontrent que si la théorie était vicieuse, les faits sur lesquels elle repose avaient été souvent bien ob-servés. Cette proposition est surtout vraie relativement aux affections dartreuses. Je pourrais m'appuyer d'un bon nombre de citations; je me contenterai d'extraire d'un ouvrage qui fait autorité en pareille matière 2 le passage suivant: « Un jeune portefaix, que je venais, dit M. Rayer, de guérir à l'hôpital de
1. Voir surtout : Scudamore, « A treatise on the nature and cure of gout and gravel. » London, 18^3, p. 503, observ. de 1 à 10. — R.-B. Todd, » Cli-nical lectures on certain diseases of the urinary organs. » London, 1857, passim.
2. Rayer, Traité des maladies de la peau, t. i, p. 45, 1835.
la Charité d'un eczéma des jambes, fut pris, presque immédia-tement après sa sortie, d'une pleurésie, pour laquelle il vint de nouveau réclamer mes soins et dont il guérit sans retour de l'éruption. J'ai vu une bronchite suivre la guérison d'un rupia, chez un individu scrofuleux, et j'ai recueilli quel-ques exemples analogues d'inflammations pulmonaires à la suite de guérisons méthodiques d'eczémas, de lichens et de psoriasis. »
La question de savoir s'il faut respecter les gourmes, ou au contraire les combattre, est encore un sujet de controverse dont la solution doit être donnée, ce nous semble, par le diagnostic étiologique. 11 s'agit, en effet, de savoir si la gourme est une affection purement superficielle, ou si au contraire elle est l'expression d'une maladie dialhésique, de la scrofule, par exemple. Dans le premier cas, elle pourra sans doute être guérie sans inconvénient ; dans l'autre, elle devra être respec-tée, tant qu'on ne sera pas parvenu à modifier la constitution par une médication convenable — Les études micrographi-ques entreprises par les modernes ont rendu un véritable service à la thérapeutique des affections cutanées, en démon-trant la nature parasitaire d'un bon nombre de ces affections ; aujourd'hui la teigne faveuse, la teigne tonsurante, la gale, sont des maladies dont on peut, le plus souvent, entrepren-dre sans arrière-pensées et obtenir, sans danger pour le ma-lade, la cure définitive 2.
V.
Il est des maladies qui, par suite de leur longue durée, ont pour ainsi dire acquis droit de domicile dans l'économie. On peut avancer, en thèse générale, qu'il serait dangereux de les
1. Bazin, Cours de séméiotique cutatiée, p. 89, 1855.
2. ld., Recherches sur la nature et le traitement des teignes, p. 78, 1853.
guérir. Raymond 1 en a fait le sujet d'un livre intéressant, mais où l'auteur montre, malheureusement trop souvent, peu d'esprit critique. M. Michel Lévy a consacré à leur étude un des chapitres les plus remarquables de son Traité d'hygiène 2. « Nous les appelons, dit-il, habitudes morbides, parce qu'elles constituent des dispositions acquises à l'organisme qui s'y accommode par une sorte de tolérance. Invétérées par une longue suite d'années supplémentaires d'une fonction qui s'est éteinte, ou qui est devenue insuffisante, elles peuvent devenir une condition nécessaire de l'équilibre fonctionnel, et doivent alors être respectées. » Il serait facile de puiser aux sources les plus respectables un nombre assez imposant d'observations qui démontrent qu'en effet les maladies et les indispositions habituelles appartiennent à la médecine expectante ; mais nous devons nous borner ici à choisir quelques exemples parmi les plus authentiques. « Une femme d'environ cinquante ans, dit M. Rostan 3, portait un ulcère chronique à la jambe droite; elle était d'ailleurs convalescente d'une légère irrita-tion gastrique, lorsqu'elle me demanda à sortir pour affaires pressantes. Elle se fatigua beaucoup, et revint le soir à l'infir-merie dans un grand état de malaise. Le lendemain à la visite, elle me présenta tous les signes locaux et généraux d'une pleurésie des plus intenses. Je voulus voir l'ulcère que je trouvai complètement desséché. J'ordonnai un traitement actif, pour combattre d'abord les phénomènes les plus graves, me proposant d'employer promptement les révulsifs indiqués; mais la nature prévint mon intention, la suppuration avait re-paru, et la pleurésie s'était dissipée. » Les faits de ce genre ne sont pas extrêmement rares, et j'ai vu pour mon propre
1. Raymond, Traité des maladies qu'il est dangereux de guérir, Paris, 1816.
2. Michel Lévy, Traité d'hygiène publique et privée, 3e édit., p. 170, Paris, 1857.
3. Rostan, Exposition des principes de l'organisme, 2e édit., p. 215, Paris, 1846.
Charcot. CEuvr. compl. t. viii, 5» partie : Thérapeutique. 21
compte, chez un de mes parents, sexagénaire, une hémoptysie abondante succéder immédiatement à la guérison d'un ulcère variqueux siégeant à la partie interne de la jambe droite, gué-rison que j'avais obtenue à grand'peine et dont je me félici-tais, mais qui faillit m'inspirer d'amers regrets. C'est chez les vieillards surtout que l'on rencontre ces maladies, devenues infirmités habituelles, et dont il serait dangereux de provoquer la suppression. « Chez les vieillards, dit M. Rayer *, les in-flammations chroniques de la peau, indépendantes des causes externes, doivent être souvent respectées, quelquefois modé-rées, rarement guéries. » Mondière 2 a rapporté des faits qui démontrent que les transpirations partielles, limitées par exemple aux pieds ou aux aisselles, ne doivent pas être com-battues, et à plus forte raison supprimées, principalement lorsqu'elles sont fétides. Le vomissement habituel, certaines diarrhées, certaines épistaxis, le plus grand nombre des hémorrhoïdes 3, pourraient encore être cités comme exemples de ces affections qu'il est dangereux de guérir, ou dont il faut se garder tout au moins de déterminer la brusque dispa-rition.
YI.
Les maladies de prédisposition, héréditaires, celles que Portai appelait maladies de famille, ne sont guère susceptibles d'être heureusement modifiées par l'emploi des agents de la médecine agissante. Ce n'est pas sans raison que "Raymond s'écrie, en parlant de la goutte héréditaire : « Comment guérir un vice local héréditaire ? Comment effacer une mauvaise disposition dans les viscères et dans les articulations, née avec
1. Loc. cit., t. I, p. 40.
2. Mondière, Mémoire sur la sueur habituelle des pieds (journal l'Expé-rience, t. I, p. 482).
3. M. Lévy, loc. cit., p. 189 et s.
nous? Ce serait vouloir redresser un boiteux, ou aplanir le dos d'un bossu. » L'épilepsie vraie, l'hystérie héréditaire, l'état nerveux (névropathie protéiforme), le plus grand nombre des maladies comprises sous le nom générique d'aliénation men-tale, doivent rentrer dans cette catégorie. C'est à propos de ces affections-là surtout qu'il serait juste de dire : « L'avenir de la médecine, et par conséquent son véritable progrès, doi-vent être bien plutôt considérés dans l'atténuation du nombre, de la violence, de la spécificité des maladies, par le déploie-ment de la santé générale et la réparation directe de la nature au moyen des conquêtes de l'hygiène publique et privée, de la diffusion de la moralité, des lumières et de l'aisance, que cherchés dans la guérison de la maladie une fois formée 1. » Cette remarque est en grande partie applicable aux cachexies endémiques, telles que la lèpre ou spedalsked, le crétinisme, la pellagre, etc. — Il est donc des maladies incurables, et malheureusement le nombre en est grand. Les imprudentes tentatives d'un médecin impatient qui s'obstinerait à les combattre par des remèdes énergiques, auraient pour résultat presque certain d'abréger la vie du malade. Le mieux en pa-reil cas est de se conformer au précepte de Baglivis. Prolonger la vie, diminuer les souffrances, tel est, en effet, alors le seul but de l'art.
VIL
Certaines maladies paraissent jusqu'à un certain point liées aux révolutions des âges, à l'accomplissement des grands
1. Pidoux, Introduction au Traité de thérapeutique, t. I, p. 84. 1843.
2. « Si vero fuerit incurabilis (morbus), usu remediorum vires acquiret, eegrotumque conjiciet in discrimen. Incongruis enim remediis, digestionis facultas extenuabitur et comparabilur in dies novus morbi fomes ad œgri detrimentum. » (Baglivi, Opéra omnia, p. 250. Lyon, 1745.)— Vid. Plan-chon, loc. cit., p. 84. — Jaubert, Dissert, citée, p. 9.
phénomènes physiologiques. Le plus souvent elles guérissent d'elles-mêmes, lorsque ces révolutions et ces phénomènes ont accompli leurs phases nécessaires. De ce nombre sont, par exemple, les exanthèmes, les eczémas de la dentition, l'ané-mie de la grossesse, les éruptions cutanées de la première menstruation et de l'âge critique. Ces mêmes révolutions pa-raissent avoir, quelquefois au moins, une influence curatrice évidente sur les maladies préexistantes. C'est ce qui a fait dire à Bordeu que l'on peut regarder la puberté comme la crise de l'enfance et de ses infirmités: chaque révolution d'âge lui pa-raissait susceptible d'amener ou de favoriser un mouvement critique. Il faut, dans ces cas-là, chercher à bien distinguer ce qui appartient à la nature et ce qui appartient à l'art, afin de ne pas intervenir à contre-temps. C'est ici bien plutôt l'habile application des modificateurs hygiéniques que l'em-ploi des remèdes pharmaceutiques qui doit être la base du traitement.
VIII.
Il peut arriver que les maladies intercurrentes aient sur les maladies préexistantes l'influence la plus heureuse. La portée de cette observation a, sans aucun doute, été fort exagérée par quelques anciens auteurs, ainsi que Werlhoff l'a fait re-marquer avec raison dans celui de ses opuscules qui a pour titre: De limitanda febris laude1. On sait aujourd'hui, par exemple, que la fièvre quarte ne guérit point l'épilepsie ; mais on sait aussi que certaines affections aiguës peuvent amender ou même guérir des maladies de longue durée : c'est ainsi qu'on a vu plusieurs maladies de la peau guéries par un érysi-pèle2 ; l'état fébrile provoqué par les causes les plus diverses
1. P.-G. Werlhoff, Opéra omnia, édit, J. Wichmann, t. II, p. 391.
2. Sabatier, Propos, sur l'érysipèle, in-4, Paris, 1831.
IX.
Il y a des maladies qui, lorsqu'elles sont franches et légiti-mes, tendent habituellement vers la guérison : elles ne récla-ment alors aucune thérapeutique active, et peuvent souvent être abandonnées à elles-mêmes. Mais c'est souvent aussi chose fort difficile que de prédire, au début d'une affection, quelle sera exactement, soit sa durée, soit encore sa gravité, lorsqu'on l'abandonne ainsi à elle-même. M. le professeur Velpeau a eu soin de le faire remarquer, à propos de l'érysi-pèle : celui qui était fixe devient ambulant, celui qui était am-bulant s'arrête et devient fixe. Le plus léger en apparence sera peut-être fort grave, et celui qui s'annonce d'abord d'une manière effrayante peut se terminer le plus heureusement3. Cependant, dans un certain nombre de cas, cette tendance peut être assez exactement appréciée, et elle peut devenir le point de départ d'une expectation raisonnée. —La fièvre in-termittente vulgaire, par exemple, dans notre climat de Paris, finit, même sans le secours d'aucune médication, par s'étein-dre naturellement au bout de plusieurs accès, dont le nom-bre, contrairement à l'opinion des anciens, ne saurait être
1. Trousseau Lettre à M. Bretonneau sur la coqueluche [(Journ. de méde-cine, t. i, p. 8. 1843).
2. Jaubert Dissert, citée, p. 21.
3. Velpeau Généralités sur la chirurgie clinique, p. 21, 1840.
diminuer considérablement les quintes de la coqueluche, et quelquefois même les faire cesser complètement l, etc. Le nombre des maladies médicatrices n'est certainement pas très grand, mais leur existence ne saurait être révoquée en doute. Et il se peut faire qu'on ait quelquefois à mettre en pratique le précepte de Jaubert : Quotiescumque morbus su-perveniens altero graviori libérât, hune sanare velle impra-dens et periculosum est *.
fixé à l'avance. Quoi qu'il en soit, cette solution spontanée de la fièvre intermittente vulgaire s'opère, le plus souvent, sans laisser après elle d'autre reliquat qu'un léger état anémique l. C'est ce qui résulte en particulier des recherches entreprises par Pinel sur l'évolution des fièvres tierces abandonnées en partie à elles-mêmes 2. Elles se terminaient au bout de quatre ou six accès en moyenne ; les rechutes étaient rares, et l'on n'observait jamais ni obstructions de la rate, ni hydropisies consécutives. Il n'y aurait donc, à la rigueur, pas grand in-convénient à ne pas intervenir dans un cas de fièvre intermit-tente vulgaire, pourvu qu'on fût placé dans les conditions bien déterminées dans lesquelles les recherches, dont il s'agit, ont été entreprises. Mais le médecin ne peut guère, à moins de bonnes raisons, s'abstenir d'administrer le fébrifuge le plus tôt possible ; car il n'est plus de règle aujourd'hui, à moins de complications viscérales, de relarder son emploi, et de laisser la maladie livrée à elle-même pendant quelque temps, ainsi que le voulaient Hippocrate, Boerhaave et Van Swiéten.
Une opinion qui pousse beaucoup de médecins à diriger contre les affections aiguës une thérapeutique très active, c'est que ces affections acquièrent une tendance prononcée à pas-ser à l'état chronique, lorsqu'on les abandonne à elles-mêmes, ou qu'on les traite peu énergiquement. Cette opinion est évi-demment quelque peu exagérée. Combien, par exemple, est rare la pneumonie chronique, et combien de fois n'arrive-t-il
1. II n'en serait plus de même dans certains lieux où la fièvre intermit-tente est endémique. « Lorsqu'on abandonne à elles-mêmes, dit le profes-seur Griesinger de Tubingue, les fièvres intermittentes de notre pays, même les plus légères, elles perdent leur rhythme, deviennent erratiques, et ne sont bientôt plus représentées que par une augmentation de chaleur appréciable au thermomètre. L'hypertrophie de la rate et l'état cachectique en sont la conséquence. » (Griesinger, Infekfionskrankheiten, in Virchow's Handb,, B. II, A. 2, p. 34, 1857.)
2. Pinel, Méd. clin., p. 459, 1815. — Il administrait d'abord une boisson émétisée, et se bornait ensuite à l'emploi de quelque substance amère dans une infusion aqueuse.
pas cependant que les pneumonies aiguës soient abandonnées à elles-mêmes, ou traitées par des moyens qui équivalent à peu près à une expectation pure ! N'en est-il pas souvent de même du rhumatisme articulaire le plus intense? Il serait peut-être plus vrai de dire que la tendance à la chronicité des maladies est en raison inverse de leur acuité primitive. Celles des maladies chroniques qui sont le plus remarquables par leur longue durée et leur ténacité sont les affections qui débu-tent lentement, sourdement, progressivement; on pourrait, à l'exemple de quelques auteurs (Laënnec, Landré-Beauvais, Poilroux), les désigner sous le nom de maladies chroniques primitives ou primitivement chroniques, pour les distinguer de celles qui ne deviennent chroniques qu'après avoir passé par un état aigu. Celles-ci, faut-il ajouter encore, revêtent la chronicité, non pas tant, peut-être, parce qu'elles ont été mal traitées, que parce qu'elles ont rencontré dans la constitution des sujets qu'elles ont atteints, des conditions particulière-ment propres à les fixer. Il nous semble, d'après cela, que si l'on se détermine à instituer une thérapeutique très active dans le cours d'une affection du genre de celles auxquelles nous faisons allusion ici, d'une pneumonie aiguë franche et primitive, par exemple, ce ne devra pas être dans la crainte presque chimérique de la voir passer à l'état chronique, mais pour d'autres motifs véritablement fondés sur l'expé-rience.
X.
Toute médecine rationnelle, dit M. le professeur Rostan, est fondée sur le diagnostic 1 ; il ne peut en exister d'autres ; les erreurs du diagnostic sont des plus funestes, ce sont celles qui font les plus nombreuses victimes. Malheureusement,
quelle que soit la puissance des moyens d'investigation dont nous disposons aujourd'hui, il y a encore, dans l'état actuel de la science, et il y aura probablement toujours, un trop grand nombre de cas où le diagnostic restera nécessairement incertain. Cela est surtout vrai pour les maladies épidémiques, où la connaissance non-seulement du genre, mais encore du caractère de l'affection, est souvent si difficile à apprécier, et cependant si importante à connaître lorsqu'il s'agit d'instituer le traitement. « L'art de connaître une maladie naissante, dit Sarcone, n'est que trop semblable à celui de savoir reconnaître les plantes; quand celles-ci ont pris de l'accroissement et sont devenues adultes, elles se manifestent d'elles-mêmes, et es moins experts peuvent facilement les reconnaître ; mais quand elles ne font que de naître, et qu'elles sont à peine sor-ties de leur enveloppe, il n'y a, disait Galien, qu'un habile herboriste qui puisse alors les distinguer l. » Cette obscurité, qui couvre le diagnostic au début des maladies épidémiques, réclame en général une sage expectation. Se trop hâter, en pareil cas, est une pratique dangereuse. Les épidémies ca-tarrhales observées pendant le cours des XVIIe et XVIIIe siè-cles, en sont un exemple frappant. Les saignées, qui parais-saient d'abord indiquées par les symptômes, étaient souvent dangereuses, et bientôt l'on apprit, par une fâcheuse expé-rience, à s'en abstenir 2. C'est sans doute ici le lieu de rappe-ler l'aphorisme de Stoll : « Febre nondum determinata, abusu remediorum Iwroïcorum abstineto : utere methodo sohim indi-recta, generali, adversus symptomata generalia, eminentiora febris incognitas 3. »
1. Sarcone, Hist. raisonnée des maladies obsei^vées à Naples, t. II, p-106, 1805.
2. Saillant, Tableau des épidémies catarrhales, Paris, 1780.
3. M. Stoll, Aphor,, 832.
(1 peut, entre autres cas particuliers, se rencontrer dans le cours d'une même maladie, aiguë ou chronique, alors même qu'elle se montre avec des symptômes plus ou moins sérieux, des moments donnés où il ne se présente aucune indication d'agir, et où l'expectation doit trouver son application ; c'est ce que nous observons tous les jours, dans le cours de certaines fièvres typhoïdes, alors que les signes d'hypersthénie du début ont été combattus par une médication appropriée, et que cet ensemble de symptômes qui annonce qu'il y a lieu d'adminis-trer les toniques ne s'est pas encore manifestement prononcé. Un autre cas est celui où il y a coexistence d'indications qui se contrarient, comme on le voit dans certaines pneumonies à tendance adynamique. Il arrive fréquemment alors que le mé-decin hésite entre l'indication qni plaide en faveur des émis-sions sanguines, et la contre-indication fournie par les symp-tômes d'adynamie. « Au lit des malades, en présence des cas particuliers où les indications se croisent et s'entrecroisent si souvent, c'est à la sagacité du praticien, du praticien qui s'est formé en lisant et aussi en observant, à faire la part aux unes et aux autres, dans une appréciation exacte de toutes ces cir-constances individuelles, et à discerner les indications certai-nes, qu'il est tenu de suivre sans hésitation et avec persévé-rance, les indications probables, auxquelles il est en droit de se confier, à moins de contre-indications prépondérantes, enfin même les indications problématiques, qui lui permettent des tentatives, mais jamais hors des limites d'une sage pru-dence \ »
1. Requin, toc. cit., p. 247.
Les conditions personnelles des malades, telles que l'âge, le tempérament, la constitution, le sexe, la profession, le régime habituel, peuvent fournir des indications de s'abstenir d'une médication énergique. On a remarqué que les maladies des en-fants , considérées d'une manière générale, réclament des moyens plus simples et moins multipliés que celles des adul-tes. « A une époque peu éloignée de celle où nous vivons, dit. M. Chomel1, des trois médecins placés à la tête de l'hôpital des Enfants malades de Paris, deux avaient ce qu'on nomme une pratique active ; le troisième, c'était Baudelocque, se bor-nait presque aux moyens hygiéniques. D'après les résumés an-nuels publiés par l'administration, la mortalité relative s'éle-vait constamment à un chiffre moindre dans les salles dont il était chargé. » MM. Rilliet et Barthez déposent dans le même sens2 : « Nous croyons, disent-ils, avec Hencke et Hufeland, que si jamais on doit préférer une médecine expectante et pas-sive, c'est dans bon nombre des maladies de l'enfance... Ce sont les enfants les plus jeunes qui supportent le moins bien la médecine active, et chez lesquels les soins hygiéniques et les petits moyens sont suffisants dans bien des circonstances. Ainsi, plus l'enfant est jeune, plus la médecine expectante est applicable.» Les vieillards, les gens faibles et cachectiques s'ac-commodent en général fort mal d'une thérapeutique active.— Tissot, dans son Traité de la santé des gens de lettres et des valétudinaires*, fait remarquer qu'il faut être très réservé sur les saignées quand les savants sont atteints de maladies aiguës. — Certaines conditions physiologiques doivent égale-ment être prises en sérieuse considération lorsqu'il s'agit d'ad-ministrer certains agents thérapeutiques ; c'est ainsi, qu'en
1. Eléments de pathologie générale, p. 600, 1856.
2. Traité des maladies des enfants, t. I, p. 60, 1855.
3. Traité sur différents objets de médecine, t. Il, 1749.
règle générale, on doit, chez une femme grosse, s'interdire la médication purgative, ou du moins ne l'employer qu'avec une certaine réserve, même dans les cas où elle est indiquée par la nature même de la maladie. Une femme qui a ses règles ne doit pas être saignée, à moins d'une indication urgente, etc1.
XIII.
Laissant de côté l'antique système des jours critiques, dont personne ne se préoccupe plus guère aujourd'hui, et qu'on re-lègue volontiers au nombre des chimères, on peut se demander quelle interprétation il est permis de donner, dans l'état actuel de la science, aux phénomènes critiques ; de rechercher si ces phénomènes doivent être considérés comme un objet de pure curiosité scientifique, ou s'il faut, au contraire, à l'exemple de la plupart des médecins qui nous ont précédés, les prendre en sérieuse considération pour la direction du traitement. Remar-quons, au préalable, qu'il est un fait constant et bien de na-ture à amoindrir la portée des questions que peut soulever l'étude de ces phénomènes : c'est qu'ils sont d'une observation peu commune, et presque exclusivement propres à un petit nombre de maladies. — L'espèce humaine, disaient les an-ciens humoristes, est sujette à des maux variés dont l'origine est due en partie à diverses fermentations, ou même à la pu-tréfaction des humeurs qui ont séjourné dans le corps au delà d'un temps convenable, parce qu'il y a eu impuissance d'ac-complir leur assimilation ou leur excrétion, à cause de leur mauvaise qualité. La nature s'est réservé une méthode, un enchaînement de symptômes, afin de pouvoir éliminer la ma-tière peccante et étrangère, qui autrement, dissoudrait l'arran-gement de toute la machine2. La coction fait subir à cette ma-
1. Requin, loc. cit., p. 242.
2- Syuenham, Obs. mëd., sect. 1, cap. i. De morbis acutis in génère.
tière une élaboration particulière qui la rend apte à être assi-milée ou éliminée ; puis, le temps de l'élimination arrive : elle se fait lentement, d'une manière presque insensible: on dit alors qu'il y a lysis; ou, au contraire, elle se fait avec éclat, s'accompagne d'une brusque exaspération des symptômes: on dit alors qu'il y a crise. Les évacuations critiques qui sur-viennent sont imprégnées de la matière pecca?ite, dont l'écono-mie se trouve ainsi débarrassée. — Telle est, en résumé, la théorie qui expliquait aux yeux des humoristes les phénomènes que l'on observe au déclin des maladies. On s'est beaucoup égayé sur le compte de ce système ; nous n'avons pas la pré-tention de le faire revivre ; mais ne renferme-t-il pas cependant un fond de vérité ? Pendant le cours d'une maladie aiguë fé-brile, la désassimilation, ou, pour nous servir d'une expression germanique, la métamorphose régressive des tissus se fait d'une manière active, tumultueuse même ; cependant, les ex-crétions s'opèrent mal, ou ne s'opèrent pas ; les produits qu'elles devaient éliminer sont retenus et s'accumulent dans le sang dont la contamination provient ainsi d'une double origine. Cet état, jusqu'à un certain point compatible avec l'accomplisse-ment des phénomènes morbides, doit cesser lors du rétablisse-ment des fonctions normales : dès lors, réliminalion se î'ail par l'un ou par l'autre des procédés admis par les anciens. N'est-ce pas là une théorie jusqu'à un certain point avouable et conforme à ce que nous enseigne la physiologie la plus avan-cée? Mais n'abordons pas, à notre tour, le champ des hypothè-ses, que nous avons jusqu'ici soigneusement évitées. Ce que nous voulons dire, c'est qu'en partant de cette vue, on pourrait peut-être arriver à une interprétation vraiment scientifique d'un bon nombre de ces phénomènes, qu'on désigne sous le nom de critiques, et qui ont tant préoccupé nos aïeux. Et, en parti-culier, l'étude chimique des évacuations, comparée à celle du sang, à l'époque des crises et aux différents temps de la mala-
die, serait, nous n'en doutons pas, de nature à jeter le plus grand jour sur une question aussi débattue. Quoiqu'il en soit, malgré l'ignorance où nous sommes du véritable rôle de ces évacuations, nous n'hésiterions pas à les respecter, et peut-être même, dans certaines circonstances, aies provoquer, nous con-formantencelaauxpréceptesdesanciensobservateurs, préceptes dont l'inanité est loin de nous être parfaitement démontrée.
Le médecin expectateur peut être appelé à devenir témoin de cet accroissement singulier des symptômes qui annoncent quelquefois la prochaine apparition des phénomènes critiques, et qui avaient si vivement frappé les anciens médecins livrés à la pratique de l'expectation. Quelle serait la conduite à tenir en pareil cas? « De ce que tous les observateurs des crises ont re-marqué qu'à un certain état de la maladie, il n'y a souvent exaspération des symptômes que parce qu'une crise se prépare, il résulte qu'on ne devra point s'effrayer excessivement de cette exaspération, qu'on ne devra pas se jeter trop vite, et sans de suffisantes raisons d'expérience antérieure, dans un système de médecine active, pertubatrice et désespérée1.»
L'expectation peut être considérée comme un moyen d'ap-précier la valeur des agents thérapeutiques. Ce n'est pas ici le lieu de faire une exposition des lois et des procédés de l'expé-rience thérapeutique en général. Les principaux buts que cette expérimentation peut se proposer me paraissent pouvoir se rattachera trois chefs principaux.
1° On cherche à apprécier, plus rigoureusement qu'on ne l'a fait, l'action des moyens thérapeutiques généralement em-ployés ; à déterminer les conditions spéciales dans lesquelles chacun d'eux est plus particulièrement indiqué, et la mesure dans laquelle il convient d'en user2. »
1. Gouraud, Thèse pour l'agrégation en médecine, Paris, 1835.
2. Ghomel, Êlêm. de path. gén., h6 éd , p. 578.
2° On fait l'essai de moyens nouveaux, soit contre des mala-dies dont la guérison s'obtient d'ailleurs par d'autres médica-tions, soit contre des maladies qui ont résisté jusque-là à toutes les méthodes curatives mises précédemment en usage.
' 3° Enfin, on abandonne la maladie à elle-même ; en d'au-tres termes, on fait de l'expectation.
C'est là même, si l'expectation pouvait toujours être per-mise, la base qui devrait servir de soutien à toutes les autres expérimentations , car on parviendrait seulement ainsi à savoir quelles sont les maladies qui peuvent guérir spontanément ; en second lieu, on arriverait à connaître exactement la durée et l'intensité des maladies traitées par la médecine expectante ; et l'on pourrait alors juger de l'efficacité de la médecine agissante dans le traitement des maladies, et, dans une maladie quel-conque, de la supériorité de telle ou telle médication sur les autres. « Il ne suffit pas, dit M. Louis, pour apprécier d'une manière rigoureuse l'effet, quel qu'il soit, d'un agent thérapeu-tique, d'estimer l'effet immédiat de cet agent, ce qui n'est pas aussi facile qu'on pourrait se l'imaginer au premier abord ; il faut surtout indiquer le résultat de son action relativement à la mortalité, à la marche lente ou rapide delà maladie ; et, pour atteindre ce but, il est nécessaire de comparer entre eux un assez grand nombre de cas d'une même affection au même de-gré, les uns relatifs à des sujets dont la maladie aura été aban-donnée à elle-même, les autres à des individus auxquels tels ou tels médicaments auront été administrés »
Cette méthode d'expérimentation ne peut pas évidemment être appliquée à tous les cas de maladie. Plusieurs maladies ré-clament impérieusement les secours de l'art ; ici, l'expectation est interdite au médecin ; mais il n'en est pas de même dans plusieurs affections légères qui ne mettent pas la vie en dan-
1. Recherches sur la fièvre typhoïde, t. II, p. 379.
ger; contre ces affections, on emploie tous les jours différents agents thérapeutiques qui peuvent tous invoquer en leur fa-veur un certain nombre de succès. Il serait à souhaiter que des relevés très nombreux, et faits sans le moindre parti pris, vins-sent établir la marche naturelle, la durée et les différentes cir-constances de ces maladies. Dans les cas, je le répète, où les affections sont graves, ou bien lorsqu'on connaît des moyens à l'aide desquels on obtient leur guérison à coup sûr, il faut agir. Dans quelques-uns de ces cas, on a cependant été con-duit à employer la méthode expectante.
C'est ainsi que, dans la pneumonie, maladie réputée pour très grave, quelques médecins, réfléchissant aux heureux ré-sultats d'un grand nombre de méthodes différentes, et voyant que les statistiques avancées par certains médecins, dont la thérapeutique n'est pas autre chose que de l'expectation sous un autre nom, ne s'éloignaient pas de celles que fournit la médecine agissante, furent amenés à essayer l'expectation pure, et ont ainsi rendu un véritable service à la science1.
Par des considérations analogues, on a été entraîné à user de l'expectation dans les fièvres éruptives, les pyrexies contagieu-ses, et à faire ainsi justice de tous les agents vantés tour à tour, et tour à tour répudiés, dans le traitement de ces affections.
De même, certains médecins ont pensé qu'il serait utile d'es-sayer la méthode expectante, en présence des maladies contre lesquelles on connaît cependant des remèdes certains. La fiè-vre intermittente est certainement le triomphe de la médecine agissante : cette maladie spécifique a trouvé son remède spé-cifique, et le quinquina est, de l'aveu général, un des médi-caments sur l'efficacité desquels on peut le plus compter. — Et pourtant, que de succédanés du quinquina n'a-t-on pas vu proposer? Chacun de ces nouveaux moyens s'appuie sur un nombre imposant d'observations suivies de guérison. L'expé-
rimentation par l'expectation a fait voir que la fièvre intermit-tente d'origine paludéenne peut se guérir naturellement, ré-sultat remarquable auquel devait du reste conduire la simple réflexion. « Pour en reconnaître la vérité, dit Requin, il suffit, ce me semble, de jeter un coup d'œil sur les écrits de pyrétolo-gie antérieurs à la découverte du quinquina; et, assurément, dans ces archives de la science, la sagacité la plus commune discerne le plus aisément du monde, sous les services appa-rents de tant et tant de remèdes divers, le vrai rôle, le grand rôle de la nature médiatrice1.» Le même auteur cite, à l'appui de ces réflexions, les expériences de M. Chomel sur la poudre de houx2, les siennes propres sur la salicine3, et celles de Pi-nel*. Il n'est évidemment question ici que de la fièvre intermit-tente simple, vulgaire; une expérimentation bien involontaire a montré les dangers de l'expectation, dès qu'il s'agit de la fiè-vre intermittente pernicieuse.
Dans les essais que l'on tente par l'expectation, dans les ré-sultats qu'on obtient, il faut toujours faire la part de certaines circonstances que l'on serait tenté de regarder comme indiffé-rentes et comme laissant, par conséquent, à la méthode expec-tante toute sa pureté, tandis que quelquefois elles ont eu une influence active sur la guérison. Pour n'en donner qu'un exemple, je citerai les effets du changement de pays et de cli-mat sur certaines affections, sur la dyssentérie, sur la fièvre in-termittente elle-même.
CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS.
L'expectation n'est pas l'inactivité ou l'abstention absolue, c'est une méthode raisonnée qui a ses attributions particulières.
1. Requin, Êlém depath. méd., t. III, p. 283.
2. Êlém de path. gén., p. 577.
3. Loc. cit , t. III, p. 289 et s.
4. Médecine clinique, 3e éd., p. 458 et s.
S'il est des médecins toujours disposés à agir, il en est d'autres qui sont, au contraire, enclins à la temporisation ; cela est dans la nature des choses. Mais il n'y a pas deux espèces de médecine, l'une nécessairement agissante, l'autre toujours expectante. L'art est un, et il a pour bases l'observation, l'ex-périence et le raisonnement l.
L'expectation s'applique, d'une manière générale, aux ma-ladies et aux circonstances des maladies où les méthodes ac-tives seraient inutiles, impuissantes ou nuisibles.
11 est des cas où l'expeclation pure peut constituer, pendant tout le cours d'une même maladie, l'unique méthode de trai-tement; mais il en est d'autres, et le nombre en est grand, où, tout en formant la base de la thérapeutique instituée, elle doit, à des moments donnés, céder le pas aux méthodes ac-tives. — De là une méthode mixte, sorte à!expectation miti-gée, laquelle s'applique, en définitive, peut-être au plus grand nombre des maladies aiguës qui rentrent véritablement dans le domaine de la pathologie interne.
Dans les maladies douées d'un haut degré de spécificité et qui ne reconnaissent pas de remède spécifique, l'expectation doit, le plus souvent, constituer la base du traitement.
Il est des maladies d'une bénignité extrême, il en est d'in-curables ; il y a des maladies médicatrices, et des maladies qu'il est dangereux de guérir. L'expectation convient, en gé-néral, dans tous ces cas.
L'expectation pure, ou l'emploi de moyens simplement pal-liatifs, conviennent le plus souvent lorsque le genre de la ma-
1. « L'osservazione razionalee quella, che deve decidere, si occorra essere attivi o passivi nel trattamento délie malattie, altrimenti l'aspettazione non sarebbe che l'efTetto délia stupidezza, e l'attività si risolverebbe in una tur-bulenta rudacia. » (Brera, Prolegomeni clinici. Padova, 1833, p. 801). — Op-tima medicina interdum est medicinam non facere. (Hippocrates, De arti-culis, 1, 6). — Periti est medici quandoque nihil agere atque alio tempore efficacissimaadhibere remédia. (Sydenham, cap. VI, sec. y, p. 158, Op. omn., t. h 1157.)
Charcot. Œuvr. compl. t. viii, 5e partie : Thérapeutique. 22
ladie n'a pu être déterminé. Cette même méthode trouve sou-vent son application dans les cas où il y a coexistence d'indi-cations contraires i,
L'expectation pourrait, dans quelques circonstances, servir d'expériment, et permettre, par exemple, d'apprécier la va-leur d'un agent médicamenteux; elle pourrait également per-mettre d'étudier avec précision l'évolution naturelle des ma-ladies.
RÉSUMÉ DES PRINCIPAUX TRAVAUX RELATIFS AU TRAITEMENT DE LA PNEUMONIE, PAR L'EXPECTATION PURE.
L'opinion qui a semblé prévaloir pendant longtemps, au su-jet delà pneumonie, c'est que c'est une affection d'une grande gravité et qui réclame nécessairement un traitement énergi-que. Cette opinion se trouve dans les traités les plus récents, et le passage suivant du Guide du médecin praticien, de Yal-leix, a été invoqué par les sectateurs d'Hahnemann pour faire ressortir les succès de leur thérapeutique. «La gravité incon-testable de la pneumonie, sous quelque forme que cette mala-die se présente, suffit pour nous convaincre de l'importance extrême de son traitement. Il est bien peu de médecins qui croient pouvoir se passer d'une médication très active et qui aient le courage de faire de la médecine d'expectation, en présence de symptômes aussi alarmants 2.» Valleix a d'ailleurs bien modifié son opinion, non pas dans son livre, où elle se
1. « Indicatione incerta, maneas in generalibus, — nunquam aliquid magni facias, ex mera hypothesi aut opinione. Ilâc methodo plurimum fit boni : magni momenti est non nocere, neque admittere ut adstantes aegro noceant, aut œger sibi. Subinde solum licet hâc negativà medicationeuti. » (Stoll. Aphor., 83.', 833.) Neque pudet fateri, me non semel in curandis fe-bribus, ubi nondum constaret quid mihi agendum esset, nihil prorsus egendo et mihi et œgro consuluisse optime : dum enim morbo invigilarem, quo eum opportunius confodere valerem, febris vel sponte sua sensim eva-nuit, vel in eum se typum redegit, ut lam mihi innotesceret quibus armis esset debellanda. (Sydenham, loc. cit., sect. v, cap. VI, p. 158.)
2. Guide du méd. prat.,t. i, p. 435 et s., 2e édit., Paris, 1850.
trouve reproduite textuellement, dans l'édition de 1853, t. I, p. 447, mais dans les articles qu'il a publiés dans le journal f'Union médicale, en 1850; nous allons y revenir.
On pourrait d'abord, peut-être, en dehors de toute étude directe, concevoir des doutes sur la gravité absolue de la pneumonie, en voyant le nombre de médications qui ont tour à tour été préconisées comme héroïques dans le traitement de cette affection; toutes peuvent montrer leur liste de succès. De là à entrevoir la possibilité de guérir certaines pneumo-nies sans employer de remèdes énergiques, voire même par l'expectation pure, il n'y a qu'un pas. C'est dans ce sens que Valleix paraît modifier son opinion, lorsqu'il examine dans les articles de Y Union médicale les recherches de M. Tessier sur la pneumonie : « C'est une erreur grossière que de croire à la gravité de la pneumonie en général : c'est une mauvaise réputation qu'on lui a faite, bien plus mauvaise assurément qu'elle ne le mérite. » Et ailleurs : « Elle (la pneumonie) a une tendance naturelle à la guérison, etc. » Voilà assurément un changement radical : faut-il voir dans la première opinion émise par Valleix un simple énoncé de ce qui se répète par tradition sur la pneumonie; et dans la seconde, l'expression de l'expérience propre de l'auteur?
Consultons M. le professeur Grisolle, dont l'autorité sur une semblable matière est incontestable, et nous le verrons, partisan d'un traitement actif, ne point exagérer la gravité du pronostic de la pneumonie ; rien ne lui paraît démontrer pé-remptoirement que la pneumonie, abandonnée à elle-même, ne puisse pas se terminer heureusement. « L'histoire du passé, dit-il, nous apprend que les saignées excessives, comme l'ex-pectation, n'ont pas produit des succès tellement nombreux, que l'une ou l'autre de ces méthodes ait dû être acceptée d'une manière exclusive par tout le monde. » (Traité prat. de la pneumonie, 1841, p. 558.)
(( On ne peut contester, dit-il un peu plus loin, que, pour apprécier d'une manière tout à fait rigoureuse la valeur des diverses méthodes thérapeutiques qu'on a préconisées contre les pneumonies, il serait indispensable qu'on connût exacte-ment quelles sont la marche, la durée et la terminaison la plus fréquente de cette même affection, lorsqu'on n'emploie contre elle qu'une médecine purement expectante ; mais le terme de comparaison nous manque. » (Ibid., p. 559 et 560.) Il rapporte ensuite que « Biett 1 avait pendant une année en-tière traité les pneumonies qui arrivaient dans les salles par les boissons émollientes et les cataplasmes, et il paraît que sa mortalité fut très peu considérable ; on sait aussi, dit-il, que de nos jours encore, M. Magendie n'emploie guère d'autre traitement contre les inflammations pulmonaires. » M. le pro-fesseur Grisolle, après avoir montré l'insuffisance de ces don-nées, avoue qu'il n'a pas osé se livrer lui-même à l'expéri-mentation sur une grande échelle. Il s'est borné à traiter par la méthode expectante onze cas de pneumonie d'apparence bénigne : le traitement se composa du traitement au lit, de la diète, de l'usage de quelques boissons pectorales ; il y joi-gnait parfois l'administration d'un laxatif doux, tel que l'huile de ricin. Comparativement, il traita activement treize sujets atteints de pneumonies également bénignes. L'analyse atten-tive de ces deux séries de faits terminés tous par la guérison conduit M. Grisolle à établir qu'en définitive, dans la première série, la maladie a eu une durée assez longue eu égard au peu de gravité des symptômes généraux et locaux ; la seconde sé-rie montre une rapidité plus grande dans la disparition des symptômes locaux et généraux et dans la résolution de l'en-gorgement inflammatoire. Là se sont bornés, en résumé, les
1. Pinel avait déjà rapporté un exemple frappant de l'application qu'on pouvait faire de la méthode expectante au traitement de la pneumonie. (Dictionn. des sciences méd., t. XIV, p. 251.)
essais de M. Grisolle, et il se garde bien d'en tirer des con-clusions absolues contre la médecine expectante. Ce que M. Grisolle ma pas tenté, d'autres médecins l'ont fait.
Quelques efforts qu'ils déploient pour s'en défendre, les médecins voués à la doctrine homœopalhique, lorsqu'ils res-tent fidèles à leurs principes, ne font rien autre chose que de la médecine expectante déguisée. Les résultats qu'ils obtien-nent dans leur pratique peuvent donc, jusqu'à un certain point, être invoqués dans la discussion de la question qui nous oc-cupe. Dans un mémoire 1 où M. Timbart cherche à soutenir les conclusions avancées par M. Tessier en faveur du traite-ment de la pneumonie parles doses infinitésimales, on trouve les chiffres suivants: sur 40 cas, 3 cas de mort seulement. Ce serait là assurément un résultat remarquable et bien propre à fixer l'attention sur la valeur de la méthode expectante dans le traitement delà pneumonie. Ces résultats (3 sur 40 ou 1/13) comparés à ceux qui ont été obtenus par d'autres auteurs, par M. Louis et en particulier par M. Grisolle (mortalité de 1/8), ont naturellement été invoqués à l'appui de la méthode qu'on voulait faire prévaloir. Mais cette même méthode s'est mon-trée moins heureuse dans une autre série de faits. C'est ainsi que sur 50 cas de pneumonie, dont M. Grandmottet a été té-moin, la mortalité a été de 1/8. (Sur le traitement de la pneumonie, Paris, 1852, p. 28.) Ce qui concorde avec le résul-tat produit par M. Grisolle.
Quoi qu'il en soit, il ressortirait de ces données que la mé-thode expectante ne perd pas plus de malades affectés de pneumonie que la médecine active, conclusion bien intéres-sante et qui trouverait un appui dans les statistiques faites par M. Dieth sur une grande échelle. Ce médecin, qui avait déjà publié quelques-uns des résultats qu'il avait obtenus,[en 1849
(Der Adcrlass in der Lnngenentzùndung. Wien, 1849), a fait paraître un travail basé sur des documents plus étendus dans le Wien.Medic. Woch. Schr., 1852. De 1847 à 1850, 750 pneumoniques ont été traités sans qu'on ait pratiqué une seule saignée. Sur ce nombre, 681 sujets ont guéri, savoir: 384 hommes et 297 femmes, 69 sont morts, 28 hommes et 41 fem-mes. La mortalité a donc été d'un peu moins^d'un onzième. Ici l'expectation triompherait assurément, si l'on pouvait com-parer une statistique aussi étendue aux statistiques restreintes publiées par les partisans de la médecine active.
De ces faits, il paraît résulter que la pneumonie abandon-née à elle-même ne tend pas nécessairement à une terminai-son funeste : loin de là, sa marche naturelle paraîtrait la diri-ger, en général, vers la guérison. La méthode expectante a donc dans ces faits sa raison d'être, sa logique. Est-ce à dire qu'il faille, à cause de cela, lui reconnaître une supériorité inattaquable? La conviction ne saurait être entière à cet égard ; car si M. Dieth affirme que, dans les cas où l'on s'abs-tient de saignées, le rétablissement est plus prompt ; s'il pré-tend que la saignée, loin d'arrêter l'hépatisalion, ou d'en rac-courcir la durée, en favorise l'extension, qu'elle détermine la coagulation de la fibrine dans le cœur, dans les vaisseaux, qu'elle ralentit la résorption, amène plus rapidement la pé-riode de fonte purulente, résultats qui ne nous paraissent rien moins que définitivement établis ; il convient lui-même que, dans la pneumonie abandonnée à l'expectation, l'oppression est souvent portée à un degré vraiment intolérable. D'autre part, M. Grisolle, comme nous l'avons déjà vu, a reconnu que les moyens actifs suppriment plusieurs phénomènes locaux, surtout la douleur, ou du moins en abrègent beaucoup la durée.
Des résultats importants sur le sujet qui nous occupe ont été obtenus par les auteurs suivants:
M. Viglaa fait, en 1852, à la Société des hôpitaux, un rap-port sur un mémoire de M. Laboulbène, contenant cinq observations de pneumonie aiguë traitées avec succès par le régime.
M. Ruehle (Gûnsb. Zeits., t. III, p. 5, 1852), cité par la Gazette hebdom. (août 1855), a vanté les avantages de l'ex-pectation, et M. Thierfelder a recueilli de nombreux maté-riaux qui tendent pour le moins à rassurer contre les dangers de la temporisation.
Dans le même numéro de la Gazette hebdom., nous trouvons l'analyse de deux mémoires qui sont faits à peu près dans le même sens. Dans l'un, le docteur J.-T. Metcalfe (New-York Med. Times, mai 1855) rapporte onze observations de pneu-monies traitées par l'expectation, et conclut à l'inutilité d'une thérapeutique active. Dans l'autre, le docteur C.-H.-F. Routh expose des idées qui se rapprochent beaucoup de celles de M. Dieth ; mais son mémoire est surtout dirigé contre l'emploi de la saignée, et il ne met pas en pratique l'expectation simple.
Nous citerons encore comme favorables au traitement de la pneumonie par l'expectation, des données fournies par M. Nie-meyer (de Greisswald, in Journ. de Prague, 1855, tome XII, et Schmidt's Jahr., 1856, t. LXXXIX) et Schmidt (Journ. des Pays-Bas, 1854, et Schmidt's Jahr., 1856, t. LXXXIX). Ce dernier même rapporte ce résultat singulier, que sur 52 cas de pneumonie observés par lui, et dont 12 se seraient termi-nés par la mort, la saignée ne fut employée précisément que dans ces 12 cas.
A ce qu'il nous semble, ce n'est pas par une statistique faite sur tous les cas de pneumonie, traités indistinctement par une même méthode, que la question peut être jugée. Il fau-drait commencer par établir des catégories, et se poser en-suite le problème sous cette nouvelle forme : Y a-t-il des
pneumonies qu'il est avantageux de traiter par l'expectation? Y en a-t-il, au contraire, qui exigent l'emploi d'une médication active et énergique?Il faut le dire : les documents nécessaires pour arriver à une solution sont peu nombreux ; mais ils ont semblé de nature à permettre l'affirmative, au moins sur l'un des deux points. Il y aurait donc des pneumonies que l'on peut traiter par l'expectation ; il ne s'agirait plus que de les reconnaître : ce serait là pour ainsi dire une question de dia-gnostic. M. Marrotte, dans un mémoire inséré dans les Archi-ves générales de médecine (De la fièvre synoque péripneumo-nique, juillet et août 1855), rapporte dix observations, dont sept lui sont personnelles et trois empruntées à la pratique de M. ïeissier. Dans ces dix cas, l'expeclation a été mise en usage, et tous ont guéri, quoique dans quelques-uns la pneu-monie eût une assez grande étendue. —Ces pneumonies, en-visagées par M. Marrotte sous un nouveau point de vue, ont été jusqu'à présent, et sont bien certainement encore mainte-nant, inscrites sur le même catalogue que les autres : elles comptent dans la statistique, soit de la médecine expectante, soit de la médecine agissante. Dans l'opinion de M. Marrotte, elles devraient être considérées à part, sous tous les rapports, et en particulier sous celui du traitement à employer. « L'in-flammation du poumon participant de la nature bénigne de la maladie (la fièvre synoque), c'est-à-dire atteignant bien rare-ment les limites extrêmes du second degré et jamais le troi-sième ; occupant, en général, une étendue limitée ; étant d'une solution facile: l'expectation est permise dans cette es-pèce pathologique. L'expérience, plus puissante que le raison-nement, me l'a surabondamment prouvé. J'irai presque jus-qu'à dire qu'elle y est commandée. » Yoici un autre document d'une grande importance :
Ayant appris que M. le docteur Legendre, médecin de l'hô-pital Sainte-Eugénie, se livrait à des études propres à^éter-
miner quelle est la valeur de l'expectation dans le traitement de la pneumonie franche chez les enfants, j'ai été deman-der quelques renseignements à ce médecin sur les faits qu'il avait observés. Voici la note que je dois à son obli-geance :
« Depuis le mois de mars 1856 jusqu'à ce moment, mars 1837, j'ai soumis à l'expectation tous les enfants atteints de pneumonie franche, légitime, qui sont entrés dans mon ser-vice ; ce nombre s'élève à 12 et porte sur des enfants de trois à treize ans, moyenne sept ans et demi. J'ai soumis également à l'expectation deux cas que j'ai observés en ville, l'un chez un enfant de onze ans et demi, l'autre chez un adulte de trente-huit ans. Je n'ai pas choisi les cas, j'ai appliqué l'expectation aussi bien aux cas légers qu'aux cas graves, dont j'ai observé cinq exemples. Le seul soin que j'ai pris, mais il est de la plus haute importance, a été de ne soumettre à l'expectation que des enfants atteints de pneumonie franche, c'est-à-dire débutant brusquement, au milieu d'une bonne santé, par un frisson, souvent des vomissements, du point de côté, de la fièvre, de la toux, de l'oppression, des crachats rouilles, quand les enfants étaient assez intelligents et assez âgés pour pouvoir cracher, et caractérisée physiquement par du râle crépitant, bientôt suivi de souffle tubaire et par de la matité. Tous les malades, sans exception aucune, ont guéri, la période de dé-clin s'étant manifestée en moyenne le septième jour, et la disparition complète des signes physiques ayant eu lieu en moyenne le onzième jour et une fraction (3/10). Dans plu-sieurs de ces cas, la période de déclin était annoncée ou au moins s'accompagnait de phénomènes qu'on appellera criti-ques si l'on veut, et qui consistaient en selles diarrhéiques, sueurs profuses, épistaxis ou groupes d'herpès labialis. Cette période de déclin se manifestait le plus souvent brusque-ment; ainsi, bon nombre de malades, que j'avais laissés la
veille dans un état des plus inquiétants, offraient le lende-main une amélioration des plus remarquables et dont ils avaient eux-mêmes conscience; ainsi, souvent les enfants nous disaient qu'ils n'étaient plus malades, et demandaient à manger. Comme traitement, mon seul soin a été de mettre les enfants dans les meilleures conditions possibles pour gué-rir par les seules forces de la nature. Ainsi je faisais tenir les enfants chaudement au lit et je leur faisais donner de la mauve sucrée chaude ; tous les jours un looch blanc de 120 gram-mes, additionné de 8 grammes de sirop diacode, était pres-crit, ainsi qu'un cataplasme laudanisé quand le point de côté était trop violent. De saignée, sangsues, émétique, ipéca-cuanha, vésicatoire, purgation, il n'en fut employé dans au-cun de ces 14 cas. Ces faits si intéressants ont eu pour té-moins les élèves de mon service, et, comme moi, ils ont pu apprécier la puissance médicatrice de la nature dans une ma-ladie qui passe généralement pour réclamer d'une manière impérieuse une médication active et énergique. »
Quelle est la conclusion générale à tirer des faits contenus dans ce résumé ? Faut-il proclamer la supériorité de la mé-thode expectante appliquée au traitement de la pneumonie? Ce serait, selon nous, franchir à tort les bornes d'une sage ré-serve. Il n'y a de prouvé jusqu'ici qu'une seule proposition, à savoir que la pneumonie guérit souvent sans médication ac-tive ; mais il y a en même temps des questions soulevées, et qui ne paraissent pas encore définitivement résolues. Nous l'avons déjà dit, il s'agit de savoir s'il y a lieu de faire pour la pneumonie des catégories distinctes de cas qui guérissent par l'expectation, et de cas qui exigent l'intervention active de l'art; si ces catégories sont différentes au point de vue noso-graphique et fournissent en même temps des indications thé-rapeutiques différentes; ou bien, si c'est dans l'intensité plus
ou moins grande de l'affection, dans la forme qu'elle revêt, dans l'influence de la constitution médicale, ou enfin dans les conditions personnelles des malades, telles que l'âge, le sexe, etc., qu'il faut chercher la raison des divers résultats ob-tenus?
II.
Sur l'Anaphrodisie produite par l'usage prolongé des préparations arsenicales 1.
Les préventions injustes qui naguère faisaient redouter ou-tremesure l'emploi prolongé des préparations arsenicales dans le traitement de certaines affections chroniques, se sont au-jourd'hui en partie évanouies à la lumière des faits rigoureu-sement observés, et il semble même qu'elles aient fait place, dans quelques esprits, à un optimisme qui n'est sans doute pas exempt de dangers. En effet, s'il est vrai, comme l'ont af-firmé bon nombre d'auteurs, que l'administration méthodique de l'arsenic puisse être, le plus souvent, longtemps soutenue, sans qu'il en résulte pour le malade aucun inconvénient sé-rieux, il est vrai également que dans un certain nombre de cas, on peut voir se produire, sous l'influence de cette médica-tion, des accidents plus ou moins graves. Ces accidents, pour la plupart, ont été, dans ces derniers temps, indiqués et dé-crits comme il convient; l'un d'eux cependant a été, je pense, à peine remarqué, bien qu'il mérite à tous égards d'être connu, et c'est pourquoi j'ai cru utile de fixer sur lui l'attention, je veux parler de Y anaphrodisie arsenicale.
Mon maître, M. Rayer, est, du moins à ma connaissance, le seul auteur qui l'ait signalé d'une manière expresse, et
voici dans quels termes il s'exprime à ce sujet, dans l'article Arsenic du Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques (t. Itl, p. 373, §XIV, 1829).
« Indépendamment, dit-il, des altérations que les prépara-tions arsenicales peuvent déterminer dans les organes diges-tifs, et que peuvent faire prévoir la connaissance de leurs ope-rative effects, indépendamment des tremblements et des paralysies des membres, observés par plusieurs auteurs, le fait suivant et deux faits analogues dont j'ai eu connaissance, tendent à établir qu'elles peuvent déterminer quelquefois une véritable paralysie des parties génitales. J'ai soigné, à l'hôpi-tal de la Charité, de la lèpre et d'une entérite chronique, un compositeur en imprimerie, âgé de vingt-trois ans, jouissant habituellement d'une bonne santé, quoique d'une constitution assez faible, atteint depuis cinq ans d'une lèpre vulgaire, qui, d'abord bornée aux coudes et aux genoux, s'étendit ensuite, les années suivantes, à toutes les autres parties du corps. Les deux premières années, elle fut combattue par les bains sim-ples, les bains sulfureux et d'autres préparations de soufre. La troisième année, il fit divers remèdes, et fut enfin soumis à l'action de la solution de Fowler, qu'il prit progressivement depuis 5 jusqu'à 20 gouttes, pendant trois mois. Peu de temps après avoir fait usage de ce remède, il éprouva des douleurs à l'estomac, les digestions devinrent pénibles, il perdit ses for-ces, fut pris d'une diarrhée assez abondante, et les organes de la génération furent frappés dune véritable paralysie. Elle a persisté depuis dix-huit mois, et il m'assure aujourd'hui que la diarrhée est r ppelée par le plus léger écart de régime. »
Il m'a été donné de recueillir deux faits qui viennent à l'ap-pui des observations de mon savant maître ; je crois devoir en reproduire les principaux détails :
Obs. I. — M. X..., un de mes anciens condisciples, atteint de-
puis l'âge de quinze ans d'un psoriasis à plaques confluentes et étendu à presque toute la surface du corps, commença,vers le mi-lieu de l'année 1849, étant alors âgé de vingt-sept ans, à faire un usage habituel des préparations arsenicales. A partir de cette époque jusqu'au commencement de 1852, il nu négligea jamais de se soumettre, chaque année, à cette médication pendant deux ou trois mois à peu près sans interruption, en élevant progressi-vement les doses. A plusieurs reprises même, la cure arsenicale fut répétée deux fois et plus dans le courant d'une même année. Toujours à la suite de ces cures, l'affection cutanée s'amendait ; les plaques pâlissaient ou même disparaissaient en partie, mais, constamment aussi, au bout de quelques semaines ou au plus de quelques mois, elles se reproduisaient et reprenaient bientôt leur ancien caractère. L'accoutumance, à la longue, était devenue telle chez M.X..., qu'il avait pu maintes fois, assurait-il, élever les doses jusqu'à prendre 5 centigrammes d'acide arsénieux dans les vingt-quatre heures, sans interruption pendant plusieurs se-maines. Les seuls accidents un peu intenses qu'il éprouvait en pareil cas, consistaient en un ptyalisme abondant et en troubles gastro-intestinaux, bientôt conjurés d'ailleurs par la suspension momentanée de la médication. L'usage aussi prolongé des pré-parations arsenicales n'avait pas encore ébranlé sensiblement la constitution originairement vigoureuse de M. X..., lorsqu'il vint me consulter pour la première fois vers la fin de Tannée 1851. Toutes les fonctions s'exécutaient alors régulièrement ; seulement, le tégument externe avait pris chez lui, depuis plus d'un an, une teinte indélébile d'un brun sale, principalement marquée sur les points qui restent habituellement à l'abri du contact de la lumière.
En avril 1852, M. X... vint me trouver de nouveau pour m'en-tretenir d'un symptôme qu'il éprouvait depuis trois mois environ, qui l'affligeait beaucoup et qui même avait fait naître chez lui un état de profonde mélancolie. Les fonctions génésiques, qui autre-fois s'exerçaient très énergiquement, avaient subi une atteinte sé-rieuse; les érections étaient devenues rares, imparfaites, de ma-nière à rendre le coït à peu près impossible, ou tout au moins presque toujours incomplet. Les organes génitaux externes
avaient conservé, cependant, toutes les apparences de l'état nor-mal. J'avais alors connaissance des observations de M. Rayer que j'ai relatées plus haut, et je crus devoir attribuer l'état d'anaphro-disie où se trouvait mon collègue à l'abus qu'il avait fait de l'ar-s-enic. Je lui donnai le conseil de s'abstenir complètement, au moins pendant un espace de temps assez long, de l'usage de ce médicament. Il se conforma à ma prescription et recouvra pro-gressivement — mais seulement après quatre ou cinq mois d'ob-servance, — l'énergie première de ses fonctions sexuelles.
Obs. II. — M.-J. N..., employé, âgé de trente-cinq ans, avait été admis, le 24 mars 1860, à l'hôpital Saint-Louis, pavillon Ga-brielle, lit n°17, dans le service de mon excellent collègue M. le docteur Hillairet, que je remplaçais alors par intérim. M. N... avait été atteint une première fois de psoriasis vers l'âge de seize ans; mais à cette époque les plaques, bien qu'elles fussent assez larges et répandues à peu près sur toute la surface du corps, avaient disparu complètement à la suite d'un traitement qui n'a-vait pas duré plus de trois mois et qui avait consisté, au dire du malade, en onctions faites sur les plaques à l'aide d'une pom-made mercurielle. L'affection cutanée se reproduisit cinq ou six ans après dans toute son intensité première. Ce fut alors que M. N... eut, pour la première fois, recours à l'arsenic. A partir de cette époque et pendant une période de près de dix années, il se soumit ainsi qu'il suit à la médication arsenicale : il prenait pendant trois ou quatre mois, sans interruption, des pilules à"a?'séniate de potasse (?) dont il portait progressivement le nom-bre jusqu'à douze ou quinze par jour ; après quoi, il suspendait la médication pendant quatre ou cinq mois, pour la reprendre en-suite de nouveau suivant le même mode. Sous l'influence du mé-dicament, les plaques de psoriasis s'effaçaient et disparaissaient même parfois pour un temps. Mais la plupart d'entre elles se re-produisaient par la suite, peu à peu, avec les mêmes caractères qu'auparavant.
Vers la fin de cette période de dix années, Jean avait acquis, principalement au voisinage des plaques persistantes ou en la
place même de celles qui avaient disparu, une coloration noirâ-tre, analogue à celle dont il a été question dans l'observation pré-cédente. En 1855, les pilules d'arséniate de potasse furent échan-gées contre la solution de Fowler : M. N... fît pendant plus de deux ans un usage presque incessant de cette solution, qu'il por-tait fréquemment à des doses fort élevées, et qu'il supportait ce-pendant, paraît-il, sans en éprouver d'inconvénients notables.
Vers le milieu de 1858, toutefois, il remarqua que depuis quel-que temps l'énergie des fonctions sexuelles s'était chez lui consi-dérablement amoindrie ; fortuitement, il arriva qu'il suspendit définitivement vers la même époque, pendant une année, l'emploi de la solution de Fowler ; néanmoins, les organes génitaux tom-bèrent dans un état d'inertie complète ; c'est au point que M. N..., qui auparavant recherchait le coït deux ou trois fois par semaine resta, assure-t-il, pendant près d'un an, sans éprouver la moin-dre érection. Par suite, vraisemblablement, de la suspension pro-longée de la médication arsenicale, l'anaphrodisie disparut peu à peu; mais en même temps l'affection cutanée reprit une grande intensité. En mai 1859, M. N... se détermina à faire usage encore une fois de la solution de Fowler, qu'il prit pendant cinq mois consécutifs presque sans interruption. L'état d'anaphrodisie se reproduisit bientôt comme par le passé ; il avait persisté depuis et persistait encore le 28 mai 1860, époque à laquelle nous avons perdu de vue le malade.
L'existence d'un affaiblissement plus ou moins prononcé et plus ou moins durable des fonctions sexuelles se produisant, chez l'homme, sous l'influence de l'emploi prolongé des pré-parations arsenicales, nous paraît établie suffisamment par tout ce qui précède, et il n'est point nécessaire, ce nous sem-ble, d'entrer à ce propos dans une discussion en règle. Nous voyons, en effet, dans nos observations, cette sorte de paraly-sie des organes génitaux se déclarer pendant le cours de la médication, chez des sujets dans la force de l'âge, vigoureux, bien constitués, sans qu'il soit possible de reconnaître, en de-
hors de l'action prolongée du médicament, aucune circons-tance capable d'expliquer le développement d'un pareil acci-dent. Dans nos deux cas, l'anaphrodisie a disparu plusieurs mois après la cessation du traitement, mais dans un de ces cas, elle s'est bientôt reproduite, à la suite de l'administration de nouvelles doses d'arsenic, et ainsi, l'influence spéciale de cet agent est devenue des plus manifestes.
En raison de leur très petit nombre, les observations que nous avons rapportées ne nous permettent guère d'aller au-delà de l'énoncé pur et simple du fait sur lequel nous appelons l'attention ; elles font voir toutefois que l'inertie des organes génitaux, déterminée par la médication arsenicale, peut exis-ter à un très haut degré, se montrer même, pour ainsi dire, absolue ; qu'elle peut, en outre, persister pendant un temps fort long, peut-être même indéfiniment après la suspension du remède : ce serait donc là, en définitive, un accident fort sé-rieux, fort à redouter, s'il devait se produire toujours avec le caractère d'intensité qu'il a présenté jusqu'ici ; mais, par con-tre, c'est là très vraisemblablement un accident fort rare. En effet, on ne le trouve mentionné, — à une exception près, — par aucun des auteurs qui ont étudié avec le plus de soin l'emploi thérapeutique de l'arsenic l. De plus, — autant qu'on peut en juger d'après ce que nous avons observé, — il ne se produisait que dans les circonstances tout à fait exceptionnel-les où le médicament est porté à des doses très élevées et ad-ministré durant un laps de temps qui dépasse de beaucoup les limites auxquelles on s'arrête dans la grande majorité des cas. Il importe de remarquer, cependant, que l'anaphrodisie arsenicale pourra se montrer moins rare lorsqu'elle aura suf-fisamment fixé l'attention des médecins et que, d'un autre
1. Il n'est point fait mention, par exemple, de ce symptôme de l'arse-nicisme dans le traité de MM. Trousseau et Pidoux, non plus que dans ceux de J. Pereira (The Eléments of Maleria medica, etc., 4e édit., t. I, p. 700, 1854), et d'Œsterlen (Handbuch der Ueilmittellehre, Tubinge, 1856).
Charcot. Œuvr. compl. t. viii, 5e partie : Thérapeutique. 23
côlé, elle a pu, dans un cas, se manifester à la suite d'un trai-tement qui n'a pas duré plus de trois mois, et pendant lequel la dose de la solution de Fowler n'a jamais été portée au-delà de 20 gouttes par jour.
Quoi qu'il en soit, dans la série des symptômes de Yarseni-cisme chronique, l'anaphrodisie paraît devoir être comptée au nombre des plus tardifs : ceux-ci, très variés dans leur forme, mais remarquables presque toujours par leur grande ténacité, ne se manifestent guère qu'à la suite d'un long usage de l'ar-senic, dans les cas, par exemple, où il s'agit de modifier len-tement l'organisme occupé par une maladie constitutionnelle.
Dans le but de prévenir, en pareil cas, ces accidents, plu-sieurs auteurs ont proposé de modifier la méthode la plus gé-néralement adoptée et qui consiste à administrer l'arsenic à doses graduellement croissantes, jusqu'à production des effets thérapeutiques, à partir du moment où la tolérance s'est éta-blie.
Les uns, avec Bardsley 1 et MM. Hunts, font décroître les doses aussitôt que les premiers effets pathogéniques, — tels que la salivation, l'ardeur de la gorge, la tuméfaction des pau-pières, etc., — se sont produits ; les autres, avec les docteurs Kellie 3 et Hunt 4, veulent qu'en outre, à la même époque, la médication soit suspendue pendant quelques jours. Il est vraisemblable qu'en suivant la méthode ainsi modifiée, on évi-tera presque toujours l'accumulation excessive du médica-ment ; mais l'on s'exposerait sans doute à bien des mécomp-tes, si l'on considérait les accidents primaires de l'arsenicisme
1. Bardsley, Médical Reports, p. 30.
2. MM. Hunt, On deseases of the skin, p. 10.
3. Kellie, Caseofchronic Rheumalism and Observations on the Exhibition of Arsenic, etc., in Edirnb. médical and surgirai Journal, 1808, t. IV, p. 179.
4. D. Hunt, Med. chirurg. Transactions, vol. XXI, p. 239. Voyez aussi Begbie, On the physiological and therapeutical Effecls of Arsenic.(Edimb.medic. Journal, 1858, n 35, p. 362.)
chronique, — en tout comparable, à ce point de vue, aux autres espèces d'intoxication lente, — comme devant néces-sairement toujours précéder et annoncer, pour ainsi dire, les accidents placés plus loin avant la série. L'observation dé-montre, en effet, que ces derniers,— dans des cas à la vérité assez rares, — peuvent se manifester inopinément, sans avant-coureurs. C'est ainsi que, dans des circonstances à cer-tains égards comparables, on voit parfois les symptômes gra-ves de l'encéphalopathie saturnine éclater chez des individus qui, cependant, n'ont jamais éprouvé auparavant les tortures de la colique de plomb *.
I. C'est un fait qu'avaient signalé déjà Stockhausen et Desbois (de Roche-fort), (Coursélément, de matière médicale, Avignon, an XI, t. I, p. 244), et qu'ont relevé ensuite, particulièrement MM. Grisolle, Tanquerel-Desplan-ches, et enfin mon regretté maître Requin. (Voir les Eléments de patholo-gie médicale, t. III, 1852, p. 72.)
III.
Sur l'emploi du nitrate d'argent dans le traitement de l'ataxie locomotrice progressive *.
Dans une note récemment publiée2, nous avons indiqué d'une façon très succincte l'essai que M. le professeur Wun-derlich a fait du nitrate d'argent dans le traitement de la para-lysie spinale progressive 3. Les résultats qu'il a obtenus au moyen de cette médication sont extrêmement remarquables, et, au moment où nous les faisions connaître, nous avions
1. Extrait du Bulletin général de thérapeutique, 1869. En collaboration avec M. Vulpian.
Nous avons donné le nitrate d'argent en pilules faites tantôt avec de la mie de pain, tantôt avec des poudres de réglisse et de guimauve et du sirop de sucre. Il est clair que, dans ces préparations pharmaceutiques, une très grande partie du nitrate d'argent se trouve modifiée. Quelques re-cherches faites par M. S. Cloëz, sur des pilules récemment préparées, ont montré que les quatre cinquièmes au moins du sel d'argent sont décom-posés et passent à l'état insoluble principalement sous forme d'oxyde d'ar-gent et d'argent métallique et peut-être de sels insolubles à acide organi-que. Quant à la partie qui reste soluble, il n'est pas absolument certain qu'elle demeure à l'état de nitrate. Ainsi, d'après cela, il est avéré que le nitrate d'argent subit, dans les pilules mêmes, une décomposition presque complète ; mais, au point de vue qui nous occupe, nous n'attachons à ce résultat qu'une importance secondaire : il est certain, en effet, que l'argent a été absorbé chez nos malades, car, ainsi que nous le dirons plus tard, on a pu s'en assurer par l'analyse de l'urine.
2. Sur un cas d'atrophie des cordons postérieurs de la moelle épinière et des racines spinales postérieures (ataxie locomotrice progressive). (Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1862, nos 16 et 18.)
3. Nous rappelons ici que la maladie décrite par M. Wunderlich, sous le nom de paralysie spinale progressioe, et antérieurement par M. Romberg, sous le nom de tabès dorsalis, ne diffère pas au fond de la maladie nommée ataxie locomotrice progressive par M. Duchenne (de Boulogne).
déjà pu voir une amélioration très nette se manifester chez deux femmes atteintes d'ataxie locomotrice progressive, que nous avions soumises depuis trois semaines à l'influence du même agent thérapeutique. Depuis cette époque, nous avons poursuivi cette expérimentation et nous l'avons fait porter sur un grand nombre de malades ; aussi sommes-nous à même, dès à présent, de fournir sur ce sujet des renseignements plus étendus.
Il convient tout d'abord de faire connaître, par une analyse sommaire, le travail de M. Wunderlich l, travail qui a servi de point de départ à nos propres recherches.
Une femme était sujette depuis quatre ans, aux époques menstruelles et souvent aussi dans l'intervalle de ces épo-ques, à des convulsions hystériques générales. Lorsque ces convulsions étaient très violentes, elles étaient suivies de pa-ralysie généralisée contre laquelle on avait employé divers moyens, mais qui cédait très rapidement à l'emploi du nitrate d'argent. Cette femme se confia aux soins de M. Wunder-lich qui, instruit par elle de ces circonstances et doutant un peu de l'exactitude de ses assertions, eut bientôt l'occasion d'en constater la vérité. Après plusieurs attaques convulsives peu intenses et non suivies de paralysie, survinrent des accès d'une grande violence et d'une longue durée, qui laissèrent après elles une paralysie de la sensibilité et du mouvement des extrémités inférieures.
Il y eut d'abord une amélioration spontanée très légère; la malade pouvait marcher avec des béquilles; un nouvel accès se déclara et la paralysie redevint complète. M. Wunderlich prescrivit d'abord des pilules insignifiantes, en laissant croire qu'elles contenaient du nitrate d'argent ; la paralysie ne s'a-menda que fort peu ; il donna alors du nitrate d'argent sans
1. Erfolge der Behandlung der progressiven spinal-paralysie durch silber-salpeter, von G.-A. Wunderlich. (In Archiv der Heilkunde, 1861, p. 193.)
dire un mot de ce changement de prescription. Dès le len-demain, la paralysie avait diminué notablement, et au bout de deux à trois jours, elle avait complètement disparu. Dans les attaques subséquentes, la paralysie avait diminué notable-ment, et, au bout de deux ou trois jours, elle avait complète-ment disparu. Dans les attaques subséquentes, la paralysie fut de même constamment et rapidement guérie par de faibles doses de nitrate d'argent.
C'est ce fait qui suggéra à M. Wunderlich l'idée d'essayer l'effet du nitrate d'argent dans le traitement de la paralysie spinale progressive. Comme il le dit lui-même, ce fait n'avait pourtant aucune relation étroite avec cette dernière maladie ; mais que de fois les tentatives thérapeutiques n'ont-elles pas eu pour origine une induction moins naturelle! Parmi les cinq cas dont il rapporte l'observation, il en est un (Obs. IV) dont nous donnons l'analyse, parce que c'est le seul où il y ait eu guérison complète ; nous nous contenterons de repro-duire l'indication sommaire des autres faits dans lesquels la médication a produit seulement un amendement plus ou moins prononcé.
Obs. I. — Homme de trente-deux ans. Début lent après refroi-dissement; marche avec des béquilles depuis deux ans. Amélio-ration par le nitrate d'argent, puis réapparition.
Obs. II.—Homme de quarante-neuf ans. Début à la suite de sup-pression delà sueur des pieds. Progression rapide de la paraly-sie. Depuis un an, démarche chancelante. 24 grains de nitrate d'argent du 24 octobre 1859 au 1er mars 1860: amélioration re-marquable, puis état stationnaire.
Obs. III. — Homme vigoureux, vingt-sept ans. Début lent à la suite de la disparition de la sueur des pieds. Marche difficile de-puis deux ans. Amendement, remarquable après 3 grains de ni-trate d'argent.
Obs. IV. — Homme de cinquante-cinq ans. Début lent à la suite de fatigue et après avoir été mouillé. Maladie datant de trois mois; sensibilité obtuse aux membres inférieurs. Le malade peut, au lit, remuer ses jambes ; mais il ne peut se tenir de-bout.
Le 22 mai, pilules d'un sixième de grain de nitrate d'argent, trois par jour. Le 31 mai, il y a un mieux très marqué, la sensibi-lité est plus nette et le mouvement des membres inférieurs plus libre. Le 4 juin, cinq pilules chaque jour. Le 9, pour la première fois, selle volontaire ; le malade commence à se tenir sur ses jam-bes, soutenu par un aide, et fait quelques pas, bien que difficile-ment. Le 24, progrès dans la marche. Le 29, le malade fait quel-ques pas sans aide (depuis le 15, il prend six pilules par jour)... Le poids du malade augmente rapidement. Le 10 juillet, cet homme passe une heure hors de son lit, chancelle encore lors-qu'il ferme les yeux. Le 17, il peut monter les degrés d'un esca-lier, quoique très difficilement ; la démarche est assez assurée lorsqu'il aies yeux ouverts. A partir de ce moment, il y a un pro-grès incessant de l'amélioration. On cesse l'administration du ni-trate d'argent quand le malade en a pris 48 grains. Il sort le 28 août, en très bon état.
Obs. V. — Homme sain, trente-cinq ans. Pollutions. Début après refroidissement il y a six mois. Rapide augmentation de la paralysie, état plus grave depuis un mois, marche difficile. Amélioration notable par le nitrate d'argent. Encore en traite-ment.
En résumé, si le nitrate d'argent n'a produit qu'une seule fois une guérison complète, il a déterminé dans tous les cas qui précèdent une amélioration très sensible.
On pourrait, il est vrai, mettre en doute la réalité de l'in-fluence du nitrate d'argent dans ces cas, en invoquant certains faits dans lesquels on a vu les phénomènes morbides se dissi-per peu à peu, soit spontanément, soit pendant que l'on met-
tait en usage divers moyens, entre autres les allusions froides ou certaines eaux minérales. C'est là une objection dont M. Wunderlich n'a point méconnu la valeur ; mais les faits de guérison spontanée sont de bien rares exceptions et il n'est guère possible d'admettre que, dans les cinq cas traités par le nitrate d'argent, il y ait une série de ces rétrocessions excep-tionnelles. D'ailleurs, les faits que nous rapporterons plus loin en ajoutant de nouveaux cas d'amélioration à ceux qu'a obser-vés M. Wunderlich, mettront, nous l'espérons, hors de doute, l'efficacité du médicament en question dans le traitement de l'ataxie locomotrice progressive.
Il ne faut pas, du reste, qu'on se méprenne sur notre pen-sée. Nous ne croyons pas que l'on doive s'attendre à obtenir, à l'aide de ce médicament, des guérisons nombreuses ; mais, en nous fondant sur les observations de M. Wunderlich et sur les nôtres, nous ne doutons pas qu'on ne détermine, dans presque tous les cas, un amendement très favorable. Or, lors-que l'on veut juger de la valeur réelle d'une médication nou-velle et de la confiance qu'elle mérite, il faut comparer les ré-sultats de cette médication, si incomplets qu'ils soient, à ceux des traitements essayés jusque-là. En se plaçant à ce point de vue, il n'est aucun médecin qui, en confrontant les faits de M. Wunderlich et les nôtres avec ceux qu'il a vus ou dont il a lu la relation, ne soit immédiatement convaincu de la supério-rité du traitement par le nitrate d'argent. Pour bien faire com-prendre qu'une amélioration notable, ne fût-elle pas même permanente, est ici un résultat digne d'être pris en sérieuse considération, il suffirait de citer l'opinion de la plupart des pathologistes qui se sont occupés de l'ataxie locomotrice l.
1. Wunderlich, Handbuch der Pathologie und Thérapie, 3" band. 2 auflage, Stuttgard, 1834, p. 57 ; — Duchenne (de Boulogne), Arch. gén. de médecine, avril 1859, p. 444 ;— Trousseau, Leçons cliniques, (Union méd., 1861, p. 313.) Voici comment s'exprime M. Romberg au sujet du traitement du tabès dor-salis (c'est le nom sous lequel, ainsi que nous l'avons déjà dit, il a décrit
Tous s'accordent à constater l'impuissance à peu près radi-cale des moyens qu'ils ont employés. Les préparations de strychnine et de brucine, l'iodure de potassium, le mercure, l'électricité, les exutoires, l'hydrothérapie, diverses eaux mi-nérales et plusieurs autres agents thérapeutiques encore ont été mis en œuvre, le tout sans produire de résultats assez évidents ou assez constants pour établir une base solide de traitement. Tout au plus, dans certains cas *, a-t-on obtenu un effet partiel quelque peu important, par exemple, la dimi-nution temporaire des douleurs continues et fulgurantes, ou la guérison du strabisme, qui se montre assez souvent au nombre des symptômes de la maladie. On a même vu les agents thérapeutiques mis en usage, loin de produire une amélioration, déterminer très évidemment une réelle aggrava-tion de l'état morbide : l'application des cautères sur la région dorso-lombaire et la faradisation elle-même paraissent avoir eu parfois ce résultat. On voit donc combien le nitrate d'ar-ia maladie appelée plus tard ataxie locomotrice progressive, par M. Du-chenne, de Boulogne). « Il n'y a aucun espoir de guérison, tous les mala-des sont irrévocablement condamnés à mourir... Si jamais le zèle incon-sidéré du médecin augmente les maux dun malade, c'est bien dans le tabès dorsalis. A peine rencontre-t-on un des malheureux atteints de cette maladie qui n'ait le dos couvert de cicatrices... et qui n'ait été soumis à une foule de prescriptions auxquelles il a eu, en vain, recours. L'humanité oblige de déclarer que, par l'emploi des moyens thérapeutiques, on ne fait que nuire, et que c'est seulement par l'institution d'une hygiène appropriée qu'on peut espérer de retarder la terminaison fatale... Les lavements froids contre la constipation, l'emploi de l'eau froide en affusions sur le tronc et la colonne vertébrale, les onctions avec la pommade de vératrine sur le dos et les extrémités, sont les moyens que j'ai employés avec quel-que succès. Que l'on se garde avant tout d'applications trop répétées de ventouses et d'exutoires ! Qu'on se garde aussi de prescrire de longs voya-ges, pour aller gagner des thermes où le malade n'éprouvera aucun soula-gement ! Faites à l'incurable une yie tranquille dans le cercle des siens et préparez-lui une mort plus douce». (Lehrbuchder Nervenkrankeiten, 1 band, Berlin, 1»51 ; 2 abtheil, p. 191.)
1. Nous ne tenons pas compte ici des cas dans lesquels le symptôme ataxie du mouvement fait partie d'un ensemble de phénomènes morbides déterminés par une cause spécifique. Par exemple, l'ataxie du mouvement qui se montre dans la paraplégie syphilitique participe nécessairement à l'amélioration générale que produit fréquemment, dans ces cas, l'iodure de potassium.
gent, même alors qu'on n'aurait pour éléments d'appréciation que les cas publiés par M. Wunderlich, mériterait de devenir l'objet d'essais plus étendus. Nous espérons que les faits que nous allons rapporter contribueront à démontrer l'opportunité de cette expérimentation.
Les observations de M. Wunderlich ont trait à des cas rela-tivement peu avancés; les malades qu'il a traités pouvaient encore marcher, quoique difficilement. Un seul faisait excep-tion; il ne pouvait plus se tenir debout, bien qu'au lit, il re-muât facilement les membres inférieurs. Or, ce malade est justement le seul chez lequel on ait obtenu une entière gué-rison. Mais il faut remarquer que, chez lui, la maladie, quoi-que les troubles de la motilité fussent très profonds, était de date récente, puisque le début ne datait que de trois mois.
Les malades que nous avons traitées par le nitrate d'argent étaient dans des conditions bien différentes. Le début delà maladie remontait chez elles à plusieurs années, et, depuis longtemps déjà, elles avaient été envoyées à l'hospice de la Salpêtrière comme incurables, après avoir été soumises en vain à différentes méthodes de traitement dans divers hôpi-taux. On peut le dire sans exagération : à de tels malades sem-ble pouvoir s'appliquer, presque sans réserve, l'inexorable ju-gement porté par M. Romberg, sur l'avenir des sujets affectés de tabès dorsalis. M. Wunderlich lui-même, après avoir cons-taté les heureux effets du nitrate d'argent, dans les cas récents ou peu prononcés encore d'ataxie locomotrice progressive, considère comme nulles les chances d'amélioration dans les cas invétérés.
« On peut avancer, dit-il, que là où une disparition du tissu nerveux existe et est étendue, il n'y a rien à opérer. » Heu-reusement cette manière de voir est, croyons-nous, beaucoup trop absolue. Deux fois il nous a été donné de faire l'examen
nécroscopique de femmes atteintes d'ataxie progressive1 ; dans ces deux cas, qui confirment d'ailleurs les résultats ob-tenus par d'autres observateurs, les colonnes postérieures de la moelle et les racines postérieures étaient atrophiées ; la plu-part des tubes nerveux avaient perdu leurs caractères nor-maux. Or, tant en raison de l'ancienneté de la maladie qu'en raison de l'ensemble des symptômes, les malades que nous avons soumises à l'emploi du nitrate d'argent offraient une physionomie tellement semblable à celle des femmes dont nous avons pratiqué l'autopsie, qu'il est extrêmement vraisemblable que, chez celles-là comme chez celles-ci, il y avait une altéra-lion très profonde des faisceaux postérieurs et des racines spi-nales postérieures2. On verra plus loin que, malgré l'existence si probable, pour ne pas dire plus, de cette profonde altéra-tion, le nitrate d'argent a produit chez la plupart de nos mala-des une amélioration remarquable.
Nous avons essayé de montrer, dans la note que nous avons publiée (Gaz. hebd., loc. cit.), qu'on pouvait se rendre compte, jusqu'à un certain point, du mode suivant lequel pou-vait se produire l'amélioration dans les cas de ce genre. La substance grise de la moelle épinière est ordinairement in-tacte dans ces cas ; les tubes nerveux des faisceaux postérieurs et des racines postérieures sont seuls altérés, et leur altération consiste le plus souvent en une disparition de la matière mé-dullaire, les gaines des tubes nerveux demeurant indemnes. On conçoit assez bien qu'une pareille altération soit réparable, que la matière médullaire puisse reparaître dans les tubes ner-veux, et que ces tubes, ramenés peu à peu à l'état normal par un travail progressif de restauration, puissent reprendre
1. Ces femmes sont mortes de phthisie pulmonaire, {Gaz, hebdomad. de méd. et de chir., numéros 16, 20 et 23.)
2. Dans le second des deux cas, dans lesquels nous avons examiné la moelle et les racines nerveuses, nous avions annoncé d'avance l'existence des lésions qui ont été rencontrées.
leurs propriétés, en permettant ainsi le rétablissement plus ou moins complet des fonctions. Nous disions que, même dans des cas d'ancienne date, terminés par la mort (et nous pou-vons maintenant citer deux faits à l'appui de cette assertion), on voyait, au milieu des tubes dégénérés et des rares tubes restés sains, quelques tubes nerveux grêles, ayant tous les ca-ractères de ceux qui se montrent dans les parties périphéri-ques des nerfs divisés, alors que ces parties sont le siège d'un commencement de restauration.
C'est là une interprétation qui nous paraît très naturelle 1 ; mais, quand même elle serait complètement inexacte, qu'im-porte! La constatation empirique d'un fait domine ici toute la question, et il ne s'agit pas pour le moment de savoir com-ment se fait la récupération des fonctions. Encore moins s'a-git-il de comprendre le mécanisme de l'action du nitrate d'ar-gent. Une seule chose doit nous préoccuper, et c'est, en définitive, la plus importante, la seule d'ailleurs sur laquelle les faits nous fournissent une solution directe : c'est de savoir jusqu'à quel point le nitrate d'argent est efficace dans les cas d'ataxie locomotrice progressive, même dans ceux qui sont ré-putés incurables. C'est aux observations cliniques à prononcer sur ce point.
Dans tous les cas dont nous allons donner la relation, nous avons employé le nitrate d'argent à de faibles doses. Les ma-lades prenaient d'abord pendant quelque temps deux pilules contenant chacune 1 centigramme de nitrate d'argent par
1. Toutefois, nous devons dire que cettei nterprétation ne saurait s'appli-quer aux premiers effets du traitement et ne pourrait être invoquée que pour expliquer les progrès ultérieurs de l'amélioration. En effet, comme on le verra, les premiers effets du traitement se manifestent d'ordinaire au bout de peu de jours, et ils sont dus, suivant toute vraisemblance, à une suspension du travail morbide sous l'influence duquel a eu lieu, d'abord, l'interruption des relations physiologiques entre les tubes nerveux sensi-bles et les cellules de la substance grise de la moelle, et plus tard l'altéra-tion des tubes nerveux eux-mêmes.
jour; au bout d'un temps variable, on a donné trois de ces pilules par jour. Nous n'avons dépassé cette dose que chez une seule malade, qui a commencé à prendre quatre pilules un mois après le début du traitement1.
Nous rapporterons d'abord l'histoire de cinq cas d'ataxie lo-comotrice dans lesquels la maladie, quoique très avancée, a été modifiée très favorablement par le nitrate d'argent.
Nous appellerons en dernier lieu l'attention sur une obser-vation relative à une femme qui était atteinte de paraplégie, sans avoir jamais présenté les symptômes de l'ataxie locomo-trice progressive et dont l'état s'est considérablement amé-lioré sous l'influence de la même médication.
Obs. I.—La nommée Jeanne R..., âgée de cinquante-deux ans, née à Bordeaux, est entrée à l'hospice de la Salpêtrière le 10 septembre 1835.
Cette femme, d'un tempérament nerveux, réglée à l'âge de dix-huit ans, avait été toujours assez bien portante jusqu'à l'âge de trente-cinq ans environ. Vers cette époque, elle habita pendant deux ans un logement extrêmement humide. Elle commença à y éprouver de la roideur et des douleurs dans les membres infé-rieurs. Attribuant à l'influence de l'humidité ces accidents qui
1. Le nitrate d'argent peut être administré à ces faibles doses pendant assez longtemps sans qu'il y ait à craindre de voir la peau prendre la teinte noire de l'argyriase. M. Wunderlich n'a cessé de prescrire le nitrate d'argent au malade de l'observation IV, que lorsqu'il en avait donné en tout 48 grains, et il ne dit pas qu'il y eût la moindre apparence de colora-tion noirâtre de la peau. Le nitrate d'argent a déjà été employé dans le traitement de diverses maladies, telles que la gastralgie et la gastrite, la chorée, la syphilis, l'hystérie et l'épilepsie ; mais c'est surtout chez les su-jets atteints de cette dernière maladie qu'on a observé la teinte noire de la peau, et seulement après qu'ils avaient été soumis à l'emploi du nitrate d'argent pendant longtemps et à doses élevées. Rien d'ailleurs n'empêche-rait d'interrompre de temps à autre le traitement de l'ataxie locomotrice progressive pendant quelques jours et de le reprendre ensuite; peut-être pourrait-on ainsi le continuer bien plus longtemps sans redouter l'appari-tion de la coloration noirâtre. 11 faut bien dire, au reste, qu'il y a des cas d'une telle gravité que l'on doit avant tout chercher à obtenir une amélio-ration, même au prix d'une légère modification de la teinte normale de la peau.
devenaient de plus en plus prononcés, elle vendit son établisse-ment (cabinet de lecture) et prit un logement plus sain où elle exerça l'état de couturière. Bien que les conditions où elle se trouvait fussent bien meilleures, cependant les douleurs ne dis-parurent pas, et il s'y joignit bientôt une faiblesse qui rendit la marcbe assez pénible: elle pouvait toutefois sortir encore seule; mais au bout de cinq ans, l'affaiblissement devint tel, qu'elle ne put plus marcher qu'étant soutenue d'un côté par une personne et en s'appuyant de la main du côté opposé sur une canne. Deux années s'écoulèrent encore avant que la malade se résignât à en-trer dans un hôpital, mais voyant le mal empirer de plus en plus, elle se fit admettre à l'hôpital de la Charité. Elle ne marchait plus alors qu'avec une très grande difficulté et les douleurs étaient bien plus violentes encore qu'au début. Ces douleurs avaient leur siège presque exclusivement dans les membres inférieurs ; c'é-taient des élancements, des tiraillements qui parcouraient tout d'un coup l'un ou l'autre de ces membres ; ou bien, parfois c'était une douleur de brûlure qui se manifestait brusquement dans une région plus ou moins limitée et qui disparaissait presque aus-sitôt.
Le traitement institué à la Charité a consisté dans l'application de six cautères à la région dorso-lombaire et dans l'emploi de l'é-lectricité. Elle a été électrisée deux fois par semaine, pendant toute la durée de son séjour à l'hôpital. Elle assure que ce traite-ment n'a produit aucune amélioration et que, lorsqu'elle est sortie de l'hôpital, six mois après son admission, son état était plus grave qu'au moment de son entrée. Du reste, c'est pendant son séjour à l'hôpital qu'est survenu un nouveau symptôme. Elle per-dit rapidement alors la vue de l'œil droit, qui se dévia en même temps en dehors, sans qu'il y ait eu aucune affection apparente de cet œil.
C'est six mois après sa sortie de l'hôpital de la Charité qu'elle entre à la Salpêtrière, admise comme incurable. A cette époque, en 1855, la malade faisait encore quelques pas autour de son lit, en s'appuyant sur les barreaux ou en se tenant aux draps ; elle parvenait aussi à faire quelques pas dans la salle lorsqu'on la sou-
tenait sous les deux bras, mais ses membres inférieurs se mou-vaient sans régutarilé et sans mesure. Elle voyait encore assez de l'œil droit pour coudre.
Douleurs extrêmement violentes, fulgurantes,dans les membres C'est peu de temps après l'entrée à la Salpêtrière qu'eut lieu la ménopause, sans accidents particuliers.
A partir de ce moment, il y eut une aggravation progressive de tous les accidents ; deux ou trois ans après l'entrée à la Salpê-trière, la vue de l'œil droit diminue et finit par s'abolir presque complètement. Enfin, il y a un an au moins que la malade a été obligée de rester définitivement au lit, la locomotion étant deve-nue tout à fait impossible. Les bras avaient d'abord été épargnés par la maladie ; mais il y a cinq ans, le bras droit a commencé à s'affaiblir ; au bout de quelques temps, le bras gauche a été en-vahi à son tour. Pendant l'année qui a précédé l'entrée à l'infir-merie, la femme R.. était réduite à la plus triste condition : elle pouvait difficilement s'asseoir sur son lit et était incapable de rester assise dans un fauteuil; elle réussissait à peine à manger sans l'aide d'une main étrangère et ne pouvait plus ni se peigner ni se laver le visage ; elle s'affaiblissait peu à peu et continuait à être tourmentée par de violentes douleurs. Trois semaines avant son admission dans la salle Saint-Denis, n° 2, elle est prise de très fortes coliques, avec diarrhée abondante : on la fait entrer à l'infirmerie le 9 mars 1862.
Cette femme s'est considérablement affaiblie depuis quinze jours. Elle a plus de dix garde-robes par jour et les matières évacuées sont infectes. Les coliques sont accompagnées parfois de vomituritions et sont assez vives pour arracher des cris à la malade. Elle ne peut plus se tenir assise sur son lit et l'on est obligé de l'étayer avec des oreillers ; si on la met un instant dans un fauteuil, il faut l'y attacher pour qu'elle ne glisse pas.
Les membres inférieurs sont grêles ; les masses musculaires sont évidemment amoindries ; les pieds sont étendus sur les jam-bes, ou plutôt pendent dans l'extension, le pied droit est en même temps un peu dans l'adduction ; les orteils sont à demi-flé-chis : il y a d'ailleurs une résolution complète des autres seg-
ments de ces membres. Le mouvement de flexion des pieds est possible, mais peu énergique et limité. La jambe peut de même se fléchir sur la cuisse et la cuisse sur le bassin; mais on peut, en déployant du reste une assez grande force, s'opposer à l'exécu-tion complète de ces mouvements. Le mouvement inverse d'ex-tension se fait avec plus d'énergie que celui de flexion. Ces divers mouvements sont plus faibles dans le membre droit que dans le membre gauche.
La faradisation produit aussi des contractions musculaires plus vives dans le membre gauche que dans le droit ; mais même du côté gauche, la contractilité paraît bien inférieure au degré nor-mal. Les membres supérieurs sont atteints à un moindre degré que les inférieurs ; il y a aussi une différence sous tous les rap-ports, et dans le même sens, entre les deux membres supé-rieurs.
La sensibilité tactile est obtuse dans toute l'étendue des mem-bres inférieurs. Le chatouillement de la plante des pieds ne pro-duit autre chose qu'une sensation douloureuse de pincement, : il est suivi de mouvements réflexes, mais après un intervalle assez long. Le pincement de la peau produit une douleur plus vive que dans l'état normal, très retardée (trois secondes d'intervalle) et très prolongée. Sensibilité au froid paraissant très vive. Notions de position presque nulles; la malade ne sait jamais dans quelle situation sont ses jambes ; elle reconnaît à peine quel est le mem-bre que l'on touche. La faradisation cutanée ne détermine qu'une sensation très obscure. La sensibilité musculaire est elle-même très affaiblie. La sensibilité tactile et musculaire est également bien diminuée dans les deux membres supérieurs, moins obtuse dans le gauche que dans le droit. Même perversion de la sensi-bilité qu'aux membres inférieurs, même retard des sensations, notions de position aussi vagues. Le froissement du nerf cubital gauche détermine une douleur rapportée aux doigts ; le froisse-ment du nerf cubital droit ne produit aucune douleur, aucun en-gourdissement des doigts.
Le tact est moins diminué sur la surface cutanée du tronc qu'aux membres : mais il est loin d'y être normal.
La vue est tout à fait nulle de l'œil droit; l'œil gauche entrevoit encore très confusément la lumière. Cet œil est dévié, la cornée est dirigée en dehors; les iris sont encore légèrement contracti-les. Les papilles des nerfs optiques, examinées avec l'aide de M. le docteur Herschell, sont très atrophiées. Les conjonctives sont moins sensibles que dans l'état normal. La marche est abso-lument impossible; la malade, soulevée par deux aides, lance ses membres de la façon la plus désordonnée, ses pieds viennent frapper violemment le sol, qu'elle ne sent, d'ailleurs, presque pas.
Outre les coliques qui la tourmentent, la malade éprouve tou-jours de temps à autre ces douleurs lancinantes, térébrantes, qui maintenant se montrent même aussi dans les membres supé-rieurs.
Dans les quelques jours qui suivent son entrée à l'infirmerie, son état s'aggrave encore.
Un seul phénomène mérite d'ailleurs d'être signalé, parce qu'il ne fait point partie de l'ensemble constant des symptômes ; c'est un gonflement accompagné d'une rougeur sombre, qui s'est ma-nifesté au niveau des régions métacarpo-phalangiennes des deux mains ; ce gonflement n'était douloureux qu'à la main gauche, laquelle avait, ainsi que tout le membre correspondant, comme il a été dit plus haut, conservé une sensibilité plus nette que la main droite.
Cette tuméfaction disparaît, au bout de quatre ou cinq jours. Malgré les opiacés et le sous-nitrate de bismuth, la diarrhée n'est point arrêtée. L'appétit est presque nul, il y a de la fièvre ; il y a eu un peu d'agitation pendant la nuit, à deux ou trois reprises, et il semble réellement que la malade est menacée d'une mort très prochaine.
il avril. — On prescrit à la malade 2 pilules de nitrate d'ar-gent par jour, de 1 centigramme chacune, une le matin et une le soir.
Au bout de dix jours de ce traitement, il s'est produit déjà une amélioration très prononcée et bien remarquable. La diarrhée est complètement arrêtée ; l'appétit renaît. La malade peut s'asseoir Gharcot. Œuvr. compl. t. vm, 5e partie : Thérapeutique. 24
sur son lit, elle peut môme se tenir assise pendant quelques mi-nutes dans un fauteuil, sans aucun lien ; le mouvement des mains est moins embarrassé ; elle porte plus facilement les aliments à sa bouche et peut même dénouer son bonnet. Depuis quatre ou cinq jours, mouvements brusques et involontaires de flexion des membres inférieurs, ayant la rapidité de soubresauts, démangeai-sons très vives de la peau de ces membres, où l'on voit une érup-tion lichénoïde.
1er mai. — La malade peut rester assise sur son lit pendant la plus grande partie de la journée ; elle se tient aussi très bien et longtemps assise dans un fauteuil ; elle mange trois portions et va très régulièrement à la garde-robe. Elle est très manifestement engraissée. Elle mange bien seule, peut se peigner et se laver le visage, bien qu'avec une certaine difficulté. Les notions de posi-tion ont repris de la netteté dans tous les membres : elle porte maintenant, sans presque jamais se tromper, et d'un seul coup, l'index de chaque main à son nez ; lorsque l'on croise ses pieds, elle reconnaît bien leur situation relative. En même temps, la force des mouvements est devenue plus grande. La vue elle-même a subi un amendement favorable ; la malade distingue bien la place des fenêtres, elle voit la lumière de la veilleuse pendant la nuit, elle aperçoit l'ombre de ses doigts et les mouvements de cette ombre. Les douleurs ont complètement disparu. Il y a en-core des soubresauts dans les membres inférieurs et des déman-geaisons.
La malade affirme que, sous tous les rapports, elle est mieux portante aujourd'hui qu'il y a un an, mieux même comme santé générale, qu'il y a deux ans.
A partir du 1er mai, on prescrit 3 pilules de 0 gr., 01 de nitrate d'argent. L'amélioration fait chaque jour de nouveaux pas.
20 mai. — Les membres inférieurs, qui étaient si profondément atteints, ne peuvent pas encore supporter la malade ; mais, au lit, leurs mouvements se font avec une précision bien plus grande ; les pieds ne sont pas aussi pendants, et l'attitude constante des orteils n'est plus la demi flexion.
Lorsque la malade est dans un fauteuil elle peut maintenant,
se soulever à l'aide de ses mains, ce qu'elle n'avail point fait de-puis plus de deux ans. Les mouvements des mains sont aussi de plus en plus précis. La sensibilité est moins obtuse dans tous les points du corps où elle était affaiblie ; le sol est bien mieux senti, le froissement du nerf cubital du côté droit produit de la douleur et un retentissement que la malade rapporte à son petit doigt. La vue a fait encore de légers mais très réels progrès, appréciables presque exclusivement, d'ailleurs, dans l'œil droit.
Depuis plusieurs jours, la malade éprouve d'assez vives dou-leurs dans des points variés des membres inférieurs, douleurs qui se manifestent une heure environ après l'ingestion des pilules et qui durent pendant une demi-heure et quelquefois même un peu davantage. Deux ou trois fois, elle a ressenti aussi quelques dou-leurs dans les yeux. Elle assure qu'après que chacune de ses cri-ses est passée, elle s'aperçoit que l'amélioration a fait un nou-veau pas.
3 juin. — L'état de la malade est de plus en plus satisfaisant. Sa santé est excellente. Ses mains ont pris beaucoup de force ; elle a pu, hier, saisir sur sa table de nuit, avec une seule main, la droite ou la gauche indifféremment, un pot à moitié rempli de tisane et le remettre aux personnes voisines sans renverser le li-quide. Elle demeure chaque jour assise dans un fauteuil pendant quatre ou cinq heures sans fatigue. Les douleurs qui se manifes-tent à la suite de l'ingestion des pilules sont toujours assez inten-ses. Chute considérable de cheveux depuis plusieurs jours. Bien que ses membres inférieurs soient bien moins faibles, elle ne peut cependant pas encore se tenir debout. Elle entrevoit de mieux en mieux l'ombre des personnes qui l'entourent et distingue le blanc du noir.
Chez la malade dont nous venons de rapporter l'observation, le début de la maladie datait de plus de quinze ans, et, au moment où l'on a commencé le traitement par le nitrate d'ar-gent, il y avait sept ans qu'elle avait été admise à l'hospice de la Salpêtrière comme incurable (11 avril 1862), l'état de la
malade était aussi grave que possible : privée de la vue, ou du moins n'entrevoyant plus qu'une lueur indécise, incapable de s'asseoir sur son lit, ne pouvant presque plus se servir de ses mains, obsédée des plus vives douleurs, pâle, amaigrie, pres-que mourante : telles étaient les conditions dans lesquelles elle se trouvait alors. Dix jours après le début du traitement, il y avait une amélioration très prononcée, et, au bout de vingt jours, les progrès de cette amélioration avaient été si considérables, que la malade était mieux portante qu'un an auparavant.
Au commencement de juin, l'état de la malade n'avait pas cessé de devenir de plus en plus satisfaisant. Les mouve-ments ont repris une plus grande force et une plus grande pré-cision ; les diverses sensations sont plus nettes ; les douleurs caractéristiques ont disparu depuis longtemps ; la vision enfin n'est plus aussi éteinte que par le passé. Quanta la santé gé-nérale, il y a plus de deux ans qu'elle n'a été aussi bonne. En un mot, il s'est fait, sous tous les rapports, un amendement inespéré. La malade apris en tout, jusqu'au 3 juin, 1 gr. 40, de nitrate d'argent.
Obs. IL — La nommée W... (Marguerite), âgée de trente-sept ans, veuve S..., née à Tintingen (Belgique), est entrée à l'hospice de la Salpêtrière le 19 mars 1861. Elle n'a été atteinte d'aucune maladie jusqu'à l'âge de trente et un ans ; elle fut alors affectée de névralgie sciatique du côté droit, névralgie qui fut très dou-loureuse, mais qui disparut complètement au bout de quelque temps. Sa santé fut de nouveau très bonne jusqu'à l'âge de trente-trois ans environ. Elle était ouvrière en bijoux de jais. C'est à cette époque que remonte le début de sa maladie actuelle. A quelques mois d'intervalle, elle fut prise de trois attaques hys-tériformes violentes, sans perte de connaissance, et suivies de vomissements et de diarrhée, le tout ne durant guère plus d'une heure. La première attaque avait eu lieu à la suite d'une grande
frayeur éprouvée durant une époque menstruelle. A la suite de la dernière attaque (la malade avait alors trente-quatre ans), elle ressentit de l'engourdissement dans les doigts des deux mains. Cet engourdissement permanent fut bientôt accompagné de dou-leurs très violentes dans les extrémités des doigts. Deux ou trois mois après, survinrent des engourdissements et une sensation de froid dans les pieds. A cet engourdissement se joignit, au bout de peu de temps, de la faiblesse qui devint rapidement assez grande pour forcer la malade de quitter son état. Quatre mois environ après le début des accidents, se montrèrent pour la première fois des douleurs, d'abord dans les membres supérieurs, puis dans les membres inférieurs, et presque aussitôt, dans les régions cervi-cale et dorsale ; ces douleurs étaient très intenses ét continues : c'étaient des sensations de brûlure et des tiraillements violents; il n'y a jamais eu de véritables douleurs fulgurantes. La faiblesse augmentait progressivement ; la malade marchait difficilement et se servait encore plus difficilement de ses mains. Un nouveau phénomène se manifesta vers cette époque ; des douleurs intolé-rables survinrent dans les yeux, il semblait qu'on les arrachait ; la vue se perdit en même temps peu à peu dans l'œil gauche, puis quelque temps après dans l'œil droit. Pour terminer l'énu-mération des symptômes delà première période delà maladie, il faut signaler encore une salivation très abondante qui avait paru presque dès le début, et une suspension de la menstruation pen-dant six mois. Un an après le début de la maladie, l'altération de la motilité et de la sensibilité était des plus profondes. La marche était à peu près impossible ; la malade se soutenait difficilement debout, et si elle cherchait à faire quelques pas, maintenue des deux côtés par des aides, les membres inférieurs exécutaient des mouvements incohérents, se prenaient soit l'un dans l'autre, soit dans ceux des personnes qui lui donnaient le bras. Quant aux membres supérieurs, ils étaient plus affectés encore, la malade ne pouvait qu'avec peine saisir les objets et elle ignorait presque complètement la position qu'occupaient ses mains. C'est dans cet état qu'elle entre à l'Hôtel-Dieu où elle reste pendant dix-neuf mois. Presque dès son entrée ses règles reparaissent et depuis ce
temps, sont revenues ponctuellement chaque mois. Quelque temps après son entrée, tous les accidents augmentent encore, les dou-leurs sont plus violentes qu'auparavant, et elles envahissaient il y a deux ans environ, les deux côtés de la face, les lèvres, la langue et le voile du palais ; la parole, la mastication et la dé-glutition deviennent très embarrassées. La faiblesse de la région lombaire devient telle que la malade ne peut plus s'asseoir sur son lit, encore moins dans un fauteuil, et qu'on est obligé, lors-qu'on veut changer ses draps, de la coucher sur un brancard. Les mouvements des bras sont presque nuls, mais plutôt, à ce qu'il semble, à cause de l'affaiblissement extrême des divers modes de sensibilité et de l'abolition presque absolue des notions de posi-tion, que par suite de la diminution de la contractilité muscu-laire. On est obligé de prendre ses mains et de les ramener dans telle ou telle position, la malade ignorant tout à fait l'endroit où elles sont et ne pouvant presque pas les remuer. Elle n'a été sou-mise à aucun traitement prolongé pendant son séjour à l'hôpital. On avait voulu appliquer un séton, mais un anthrax se déve-loppa presque aussitôt et s'opposa à ce qu'on entretint cet exu-toire.
Pendant trois semaines environ, elle fut soumise à l'iodure de potassium, sans qu'il y eût la moindre modification de son état. Elle sort de l'Hôtel-Dieu plus malade que lorsqu'elle y était en-trée, retourne dans son pays pendant six mois, puis est admise à la Salpêtrière comme incurable. Depuis qu'elle est dans cet hos-pice, la faiblesse des membres inférieurs ou plutôt celle des mas-ses musculaires lombaires a un peu diminué ; la malade pouvait rester dans un fauteuil et faire deux ou trois pas lorsqu'on la soutenait sous les deux épaules, les bras sont peut-être devenus aussi un peu moins perclus qu'auparavant ; mais cet amendement est réellement bien léger.
Vers le 1er mars 1862, elle est reprise de douleurs intolérables sur tout le trajet du nerf sciatique droit, et elle entre à l'infirme-rie le 11 mars. Outre les douleurs de névralgie sciatique, on constate des douleurs très vives au niveau des espaces intercos-taux du côté droit ; de plus, la malade ressent toujours dans le
cou, le dos, les bras et les membres inférieurs ses douleurs ordi-naires.
La face est pâle, plombée; traits exprimant la souffrance. Il n'y a pas un amaigrissement considérable.
La malade, étendue sur son lit, peut fléchir et étendre la cuisse sur le bassin, la jambe sur la cuisse, le pied sur la jambe, et ces mouvements ont une énergie assez grande. Si on la descend de son lit, elle peut demeurer quelques instants debout, à condition d'être très fortement soutenue des deux côtés ; elle peut même faire deux ou trois pas, mais avec la plus grande peine, les mou-vements se faisant avec incohérence.
La contractilité musculaire, examinée à l'aide de l'électricité, paraît un peu affaiblie. La faradisation des muscles est très dou-loureuse. La sensibilité tactile est diminuée sur toute la surface cutanée des membres inférieurs ; sensation du sol très obtuse ; la sensibilité à la température, à la douleur, au chatouillement, semble presque intacte ; les notions de position sont encore assez nettes.
Les membres supérieurs sont aujourd'hui encore plus grave-ment atteints que les inférieurs. La sensibilité tactile y est sur-tout très altérée : la main ne sent plus le contact que comme au travers d'un linge. Les contacts légers ne sont pas perçus. La sensibilité à la douleur et à la température n'est pas abolie. La malade ne sait pas indiquer exactement la situation où l'on place ses mains. Elle ne peut pas s'en servir; on est forcé de la faire manger, de la faire boire, de la peigner. Les mains sont fai-bles.
Le tact est aussi très obtus sur le tronc. Les masses musculai-res de la région postérieure du tronc ont encore bien peu de vi-gueur, et pour s'asseoir sur son lit d'elle-même, la malade est obligée de faire les plus grands efforts.
La sensibilité tactile est plus nette sur la peau du visage que sur les autres points du corps. Il y a de légères contractions in-volontaires des muscles de la face. Sensibilité de contact très di-minuée dans l'intérieur des narines, surda face supérieure de la langue, sur la conjonctive. Strabisme interne de l'œil droit.
Amaurose complète, dilatation des deux pupilles ; atrophie des papilles optiques, constatée par M. le docteur Herschell.
On essaye de calmer les douleurs de la cuisse droite à l'aide d'applications narcotiques et d'opiacés pris à l'intérieur ; il n'y a presque aucun soulagement.
Le 4 avril, on prescrivit deux pilules de 0 gr., 01 de nitrate d'argent.
Le 8 avril, il y a déjà un léger changement, les douleurs sont moins vives, les mouvements des membres supérieurs sont moins roides.
Le 22 avril, l'amélioration est plus notable ; l'appétit s'accroît, les douleurs ont encore diminué et les mouvements, soit des mem-bres inférieurs soit des membres supérieurs, sont certainement plus faciles. La malade éprouve depuis quelques jours une sensa-tion toute particulière de constriction autour des bras et des dé-mangeaisons assez vives, tantôt sur les bras, tantôt sur les jam-bes, tantôt sur la région dorsale où l'on voit une éruption lichénoïde discrète.
29 avril. — Nouveaux progrès ; la malade s'assied facilement sur son lit, et peut rester assise dans un fauteuil.
Les douleurs des lèvres, de la langue et du voile du palais ont disparu presque complètement, de telle sorte que la parole, la mastication et la déglutition sont moins embarrassées. Les mou-vements des mains sont plus libres et la sensibilité y est bien moins obtuse; la malade peut saisir et tenir assez longtemps les objets, elle peut manger seule les aliments solides ; elle porte avec bien moins d'hésitation l'index de chaque main à son nez, elle le fait avec un mouvement pondéré, et ne va plus frapper violemment son visage comme elle le faisait auparavant. Elle sent bien mieux le drap de son lit avec ses pieds, et, quand on la lève, elle sent mieux aussi le sol. Elle ne peut, d'ailleurs, pas encore se tenir debout sans être soutenue par deux aides.
A dater de ce jour, elle prend trois pilules de 1 centigramme.
IA mai. — La malade est débarrassée de ses douleurs. Elle res-sent chaque jour, depuis le commencement du mois, une sorte de travail intérieur dans les doigts : il lui semble que ses doigts se
tordent, et cette sensation est assez pénible. H y a aussi de temps en temps de petites secousses dans divers points des membres supérieurs. La sensibilité y reprend de jour en jour un peu plus de netteté. La malade a pu faire plusieurs pas dans la salle, étant soutenue sous les deux bras, et l'on a vu que les mouvements de la marche étaient bien plus réguliers.
20 mai. — La malade a pu faire le tour de la salle, toujours étant soutenue, mais on n'a pas besoin de la soutenir avec autant de force ; une fois les premiers pas faits avec une certaine hésita-tion, les autres sont exécutés régulièrement et rapidement. En tenant, à l'aide de ses deux mains, un des barreaux verticaux de son lit, elle a pu demeurer debout pendant quelques instants, et elle pourrait garder plus longtemps cette attitude, si la sensibilité de la paume des mains était assez rétablie pour lui permettre de sentir avec une précision suffisante son point d'appui. Elle reste assise sur son lit ou dans un fauteuil presque aussi longtemps qu'elle le veut; elle mange de plus en plus facilement sans aide les aliments solides. Il y a, en somme, une amélioration très con-sidérable.
3 juin. — La marche devient de jour en jour plus facile: la malade ne s'appuie plus que très peu sur les personnes qui lui donnent le bras de chaque côté. Elle fait même plusieurs pas, ai-dée par une seule personne. Enfin, il y a quelques jours, elle a pu descendre et monter deux étages, soutenue, il est vrai, par deux infirmières. Si la malade n'était pas absolument aveugle ou si la sensibilité de ses mains n'était pas encore obtuse, il est évident qu'elle marcherait maintenant avec le secours de béquilles ou même de cannes.
Dans cette observation, nous voyons l'histoire d'un cas of-frant une grande analogie avec le précédent. Même enchaîne-ment de symptômes ; même diffusion des atteintes de la ma-ladie : en un mot, ataxie locomotrice progressive dans tout son développement. Seulement la maladie était de date moins an-cienne, et le début ne remontait pas à plus de quatre années.
Il y avait un an que la malade avait été admise à l'hospice de la Salpêtrière comme incurable. Les phénomènes morbides étaient arrivés chez elle à un plus haut degré de gravité dans les yeux, le tronc et les membres supérieurs que dans les membres inférieurs. Aussi est-ce dans les membres inférieurs que l'amélioration a été le plus sensible.
Cette amélioration a commencé à se manifester le 8 avril, quatre jours après le début du traitement par le nitrate d'ar-gent, et il y avait, le 20 mai, comme on peut le voir dans l'observation, une modification bien grande, qui n'a fait que devenir de plus en plus marquée jusqu'à ce jour (3 juin). La malade a pris en tout 1 gr. 60 de nitrate d'argent.
Dans l'observation suivante, les phénomènes morbides étaient bornés aux membres inférieurs, mais ils y étaient aussi accusés que possible.Le début de l'ataxie locomotrice pro-gressive datait de deux ans, et la malade était entrée à l'hos-pice de la Salpêtrière depuis près de dix-huit mois, au moment où l'on a commencé le traitement par le nitrate d'argent.
A ce moment, la station était absolument impossible depuis quinze mois. Quelque temps avant qu'on instituât le traite-ment, des accidents assez graves s'étaient manifestés indi-quant, suivant toute vraisemblance, l'existence d'une vive irri-tation delà moelle épinière. Le nitrate d'argent est prescrit le 19 avril 1862, et, au bout de six jours, il y a déjà un amende-ment appréciable. Le 29 avril, la malade peut se tenir debout, soutenue par une seule personne, et peut même faire ainsi quelques pas : l'ataxie des mouvements des membres infé-rieurs est évidemment diminuée, et les troubles de la sensibi-lité sont bien moins prononcés. Le 2 mai, la malade peut se tenir debout près de son lit, sans aucun appui. A la fin du mois de mai, l'amélioration avait fait encore quelques pro-grès ; la malade peut faire quelques pas à l'aide de béquilles.
Obs. III. La nommée Roth, âgée de cinquante-sept ans veuve Mende, née à Strasbourg, est admise à l'hospice de la Salpêtrière, le 9 novembre 1860, et, depuis cette époque, elle est placée dans un des services de l'infirmerie, salle Saint-Alexandre, n° 11.
Cette femme, mariée à vingt-six ans, a eu huit enfants; elle n'a jamais souffert de maladie grave, à part celle dont il s'agit actuellement. Pas d'antécédents syphilitiques, pas de rhumatisme articulaire ou autre. Elle a toujours été bien réglée, jusqu'à l'âge de cinquante-six ans, époque de la ménopause.
Jusqu'à 1856, elle a habité Strasbourg et s'est toujours trouvée dans une position assez aisée. Il y a douze ans, elle perdit son mari qui la laissa veuve avec quatre enfants; elle eut, par suite, de grands chagrins, mais cependant elle ne souffrit pas de priva-tions.
En 1856, elle se décida à venir à Paris. A cette époque, elle a habité pendant quatre mois une chambre extrêmement humide. Les murs, dit-elle, laissaient suinter l'eau qui se répandait sur le parquet. Cependant, pendant ce séjour, elle n'a jamais éprouvé de dérangement notable de la santé.
Le début de la maladie actuelle remonte au mois de mai 1860. Alors douleurs dans le dos à peu près continues, mais s'exaspé-rant sous forme d'accès et accompagnée d'un sentiment de cons-triction thoracique. Douleurs dans les membres inférieurs, éga-lement avec exacerbations paroxystiques. Il y a eu de l'anorexie et probablement de la fièvre, à savoir: chaleur pendant la nuit et sueurs abondantes. Dès l'origine, marche difficile; les jambes se projetaient sans cesse en avant ou latéralement, de la manière la plus bizarre. Elles retombaient avec bruit sur le sol. Il semblait à la malade qu'elle marchait sur un plancher fragile. Troubles de la vision, et en particulier diplopie. Ces troubles ont depuis cessé complètement et n'ont point reparu. — Le traitement, pen-dant cette période dont la durée est de deux mois, a été : sangsues sur la région spinale, — frictions irritantes sur les membres in-férieurs, — administration de quarante pilules, dont la nature n'a pas été déterminée.
Ce traitement n'ayant produit aucun amendement, la malade
se rend à pied, mais soutenue par deux personnes, au Bureau cen-tral (juillet 1860), d'où on la dirige immédiatement sur l'hôpital de la Charité. La durée du séjour dans cet hôpital a été de cinq mois. Lesafïusions froides ont constitué le fond de la thérapeuti-que employée ; mais il n'en est résulté aucune amélioration. La démarche devient de plus en plus difficile ; la malade peut à peine se traîner d'un lit à un autre ; souvent ses jambes s'embar-rassent l'une dans l'autre, et alors elle tombe lourdement sur le parquet.
Fréquemment, la nuit, il y a des secousses, des convulsions douloureuses dans les membres inférieurs. Pendant les derniers mois, la malade est condamnée à rester presque constamment au lit, la station étant devenue à peu près impossible. Elle est en-voyée à l'hospice de la Salpêtrière avec un certificat de maladie incurable.
L'admission à la Salpêtrière date du 9 novembre 1860. Pendant les deux premiers mois, Roth pouvait encore se lever et se traî-ner, bien qu'avec beaucoup de peine, jusqu'à la chaise percée; mais, depuis ce moment jusqu'au 1er janvier 1862, époque à la-quelle nous la voyons, pour la première fois, elle n'a plus quitté le lit. Elle paraît, d'ailleurs, pendant cette période de deux ans, n'avoir été soumise à aucune médication active.
Etat actuel. En janvier 1862. — La malade est pâle, profondé-ment amaigrie ; les membres inférieurs surtout sont remarqua-blement atrophiés. Il y a de l'anorexie : on nous apprend que, depuis un an, elle mange à peine une portion d'aliments. Consti-pation habituelle, miction fréquente, mais jamais il n'y a eu d'é-vacuations involontaires. Nous constatons, en outre, les signes les mieux accusés d'une ataxie locomotrice progressive parvenue à un haut degré de développement et auxquels se surajoutent quelques symptômes qui n'appartiennent pas au type le plus commun de la maladie. Aux membres inférieurs le sens du tact est émoussé, mais une pression un peu forte ou un pincement lé-ger produisent des impressions douloureuses. Le chatouillement est bien perçu. Les sensations de température sont bien conser-vées, et même l'impression du froid est péniblement supportée et
s'accompagne de mouvements réflexes convulsifs qui persistent pendant quelque temps après l'application du corps froid. La sensibilité électrique persiste à un degré marqué. La force mus-culaire est remarquablement conservée dans les membres infé-rieurs.
La malade peut, au lit, mouvoir à son gré ses membres dans tontes les directions, et même avec force, mais habituellement elle dépasse le but et coordonne mal. La notion de position est pour les membres inférieurs singulièrement amoindrie. La con-tractilité électrique persiste dans ces membres, mais il est difficile d'en donner la mesure, parce que l'excitation électrique provoque des mouvements réflexes convulsifs intenses.
La station, et à plus forte raison la marche, sont tout à fait impossibles: dès que la malade, tirée de son lit et soutenue par deux aides est placée dans la situation verticale, elle s'affaisse aussitôt et ses membres inférieurs, pris de mouvements contra-dictoires, s'élancent dans les directions les plus opposées ; ra-chialgie, sentiment de constriction thoracique et abdominale ; douleurs revenant par accès, comparées à celles que produiraient un fer rouge et qui, des talons, remontent dans toute l'étendue des jambes. La nuit, de temps à autre, soubresauts des membres inférieurs, assez forts pour réveiller la malade.
Du 19 février au 15 mars. — Le 19 février, frisson violent de trois heures de durée, bientôt suivi d'une réaction fébrile in-tense. A partir de cette époque, il survient dans les membres in-férieurs des convulsions, revenant par accès cinq ou six fois par jour, et plusieurs fois encore pendant la nuit. Lors de ces accès, qui éclatent sans cause appréciable, mais que l'on peut toujours provoquer par les excitations les plus diverses, principalement par l'application d'un corps froid sur la peau des cuisses, les membres inférieurs sont pris de mouvements convulsifs désor-donnés, tantôt avec extension et flexion brusques se succédant rapidement, tantôt, et le plus souvent, avec extension prédomi-nante et de manière à figurer les convulsions strychniques. Ces convulsions, qui durent de cinq à dix minutes, sont accompa-gnées de douleurs violentes dans les membres inférieurs et le long
du rachis. En même temps, il y a de la somnolence, la langue se sèche, les narines sont pulvérulentes. Le pouls est fréquent, la peau chaude; l'état est des plus graves. Application d'un longvé-sicatoire sur le rachis. Extrait de belladone à doses croissantes, à commencer par 0 gr., 05 dans les vingt-quatre heures ; on a été jusqu'au gr., 15. Cette médication a été continuée pendant près de vingt jours.
Du 15 mars au 19 avril. — Le 15 mars la malade était revenue à l'état où nous l'avions vue antérieurement au 19 février.
19 avril. — On administre pour la première fois le nitrate d'ar-gent, après avoir de nouveau constaté que la malade est dans l'impossibilité absolue de se tenir dans la situation verticale. Nitrate d'argent, 2 pilules de Ogr., 01 chaque; prendre une de ces pilules avant chaque repas.
24 avril. — Le nombre des pilules est porté à trois par jour.
Le 25, la malade dit ne plus éprouver dans ses membres infé-rieurs le sentiment du froid très vif qu'elle éprouvait autrefois habituellement. Elle dit, en outre, se sentir de l'appétit. On prescrit deux portions d'aliments. A partir de cette époque, l'ap-pétit devient de plus en plus prononcé ; les digestions s'opèrent très régulièrement.
29 avril. — La malade est tirée de son lit et soutenue par deux aides, on la place dans la situation verticale. On remarque avec étonnement que la station est devenue possible.Roth ne s'affaisse plus sur elle-même comme elle le faisait autrefois. Les membres sont roides, mais ils ne sont plus le siège de mouvements désor-donnés. Elle peut faire plusieurs pas, soutenue par une seule per-sonne. Les membres inférieurs sont alors lancés en avant d'une façon exagérée, de manière à rappeler la démarche qu'on fait quelquefois prendre aux conscrits dans certains exercices mili-taires ; mais ils ne sont plus guère portés latéralement. En somme, il y a une amélioration entièrement remarquable et dont toutes les personnes du service sont vivement frappées.
2 mai. —La pâleur des téguments est manifestement moindre ; les traits sont moins tirés, l'appétit persiste. L'application d'un corps froid sur la peau des cuisses ne provoque plus de mouve-
ments convulsifs dans les membres inférieurs, comme cela avait lieu avant le traitement. — Il y a eu encore quelques progrès dans la marche et dans la station. Roth peut se tenir quelques instants immobile dans la station verticale, sans le secours d'une aide et sans avoir recours à aucun appui.
9 mai. — Depuis quelques jours, transpiration très abondante dans la nuit. — La sensation habituelle de froid dans les mem-bres inférieurs paraît avoir tout à fait disparu. — La station et la marche sont dans le même état que ces jours passés.
Du 9 au 20 mai. —Il n'y a pas eu de nouveaux progrès. La sta-tion et la marche sont dans le même état que le 9 mai. — L'appé-tit est toujours très bon; la malade a très manifestement en-graissé. Tous les jours, on lui fait faire quelques pas dans la salle, soutenue par une aide. Ce petit exercice ne paraît pas produire de fatigue. — On a continué sans interruption l'emploi du ni-trate d'argent à la dose de 0 gr., 03 par jour.
A partir du 20 mai environ, on porte la dose du médicament à 0,04. Vers la fin du mois de mai, la malade peut faire quelques pas à T'aide de béquilles, sans aucun autre soutien; les mem-bres inférieurs sont encore faibles, mais les mouvements ataxiques ont disparu.
La maladie, dans le cas qui va suivre, datait de cinq ans environ. Les membres inférieurs étaient seuls atteints : ja-mais il n'y avait eu de troubles de la vue. Les caractères de l'ataxie locomotrice progressive étaient, d'ailleurs, bien accu-sés. Le 25 avril, on prescrit 2 pilules de 0 gr., 01 de nitrate d'argent, et, le 2 mai, on porte la dose à 3 pilules. Ce jour-là même, on constate déjà une amélioration consistant surtout en une disparition des soubresauts, des tiraillements doulou-reux dans les membres inférieurs, et en une augmentation marquée de l'appétit. Les mouvements reprennent peu à peu de la force, de la précision, et, en même temps, les diverses sensations cutanées deviennent plus nettes. Le 30 mai, on a
constaté que l'amélioration a fait de nouveaux progrès : la malade avait pris jusque là 0 gr., 99 de nitrate d'argent.
Obs. IV. — La nommée L..., Marie-Françoise, âgée de cin-quante-six ans, née à Paris, a été longtemps fille de service dans une des salles de l'hospice de la Salpêtrière. Cette salle était ex-trêmement humide. Pendant les deux ou trois ans qui ont précédé l'apparition de la paralysie, la femme L... ressentit des douleurs qui parcouraient tout le corps, mais qui étaient surtout très vives dans les membres inférieurs. Jamais les jointures n'ont été parti-culièrement affectées.
C'est vers la fin de l'année 1857 que la paralysie des membres inférieurs a commencé à se montrer. Apparition presque sou-daine d'un engourdissement considérable dans la jambe gauche: l'engourdissement augmente peu à peu, et au bout d'un an, pa-ralysie complète du membre inférieur gauche. A l'âge de cin-quante trois ans, ménopause ; depuis lors, chaque mois, survien-nent dans ce membre de violentes douleurs, accompagnées de mouvements involontaires et suivies bientôt d'une sensation péni-ble de barre transversale dans le ventre, puis de vomissements pour ainsi dire incessants. Ces sortes de crises durent un, deux ou trois jours, et cessent plus ou moins complètement. Cette femme est entrée plusieurs fois à l'infirmerie de l'hospice : ac-tuellement, elle y est depuis le 19 juillet 1861, salle Saint-Ma-thieu, n° 3.
A ce moment, le membre inférieur gauche était encore seul paralysé, mais le membre inférieur droit se prend à son tour peu de temps après, et maintenant (avril 1862), il y a plusieurs mois que ce membre est très faible ; cependant, elle peut encore se te-nir pendant quelques instants debout sur ce membre en s'ap-puyant fortement à l'aide des mains sur son lit. Les membres supérieurs sont tout à fait dans l'état normal ; il n'y a jamais eu aucun trouble de la vue.
Membres inférieurs un peu atrophiés. Couchée sur son lit, la malade peut les soulever, fléchir et étendre fortement leurs divers
segments les uns sur les autres; toutefois, l'énergie des mouve-ments est un peu inférieure à la normale.
Tous ces mouvements présentent une ataxie remarquable : im-possibilité de lever ou d'abaisser lentement les membres qui dé-passent toujours, lorsque la malade les soulève, la limite qu'on a indiquée. Une fois levé, le membre droit ou le membre gauche oscille involontairement de l'adduction à l'abduction et récipro-quement.
Mise a terre, et soutenue dans la station verticale sous les deux bras, la malade exécute les mouvements de la marche, mais elle projette sans mesure ses jambes, qui s'embarrassent souvent l'une dans l'autre, ou bien le pied droit est lancé en dehors et heurte les jambes de la personne qui est de ce côté. D'ailleurs, même ainsi soutenue, elle ne peut faire que quelques pas et s'af-faisse bientôt. Station impossible, les yeux étant fermés.
Sensibilité tactile obtuse. Les excitations telles que pincement ou piqûre de la peau causent une douleur d'un autre genre et plus insupportable que celle qui est produite de la même façon dans les membres supérieurs.
Les impressions produites par le froid sont très vivement sen-ties et déterminent des mouvements réflexes énergiques de flexion et d'extension successives, mouvements qui se répètent à certains moments plusieurs fois après un seul contact. Froid habituel aux jambes. Notions de position sans la moindre précision.
La faradisation cutanée ne détermine qu'une légère sensation de brûlure. La faradisation des muscles montre que l'irritabilité musculaire est à peu près intacte et que la sensibilité musculaire est très affaiblie. Simple sensation de fatigue : les mouvements provoqués par les courants ne sont pas perçus.
De temps à autre, contractions fibrillaires et fasciculaires des muscles des jambes et des cuisses. Il y a aussi assez souvent, même en dehors des époques de crises, des soubresauts des jam-bes qui se fléchissent brusquement sur les cuisses pour retomber presque aussitôt dans la résolution : ces soubresauts sont accom-pagnés d'une vive douleur : des douleurs très pénibles et d'assez longue durée, sans coïncidence de soubresauts, se mani-
Cuvitcrr. OEuvr. compl. t. vin, 59 partie : Thérapeutique. 25
festent également parfois, surtout au niveau des jointures.
Appétit très faible, constipation habituelle et assez opiniâtre, miction difficile. Jamais aucun traitement régulier.
25 avril. — Deux pilules contenant chacune 1 centigramme de nitrate d'argent.
2 mai. — Amélioration réelle. Station plus facile. L'appétit renaît. Plus de soubresauts ni de tressaillements dans les mem-bres inférieurs. 3 pilules.
14 mai. — La malade se tient quelques instants debout, sans soutien. Hier, douleurs, comme coups de hache dans la région des reins ; jamais elle n'a ressenti de douleurs de cette nature. Pas de crises, pas de vomissements à l'époque ordinaire. La ma-lade peut lever et abaisser lentement les membres, mais il y a encore des oscillations lorsqu'ils sont levés. Elle reconnait dans quel sens sont croisés ses pieds. Lorsqu'elle marche, soutenue sous les deux bras, elle ne lance plus ses jambes avec aussi peu de mesure qu'auparavant.
30 mai. — L'état général est très bon, et l'appétit est assez considérable. Il y a de nouveaux progrès relativement à la sensi-bilité et à la motilité.
Elle éprouve dans toutes les parties du corps, mais principale-ment dans les membres inférieurs, une sorte de frémissement qui commence ordinairement à se manifester une demi-heure après l'ingestion de chaque pilule, et qui dure pendant deux ou trois heures. Elle assure qu'elle a ressenti ce travail intérieur (pour employer son expression) presque dès le début du traitement.
Notre cinquième observation est relative aune malade chez laquelle l'ataxie locomotrice progressive date de quinze ans au moins. L'état de la malade, déjà bien grave, il y a sept ans, avait été heureusement amendé, alors par la faradisation; mais, peu de temps après l'interruption du traitement, les mem-bres inférieurs s'affaiblissent de nouveau progressivement et cette femme rentre de nouveau à l'hôpital où elle subit trois applications de cautères qui paraissent avoir produit une ag-
gravation très notable. Un nouveau traitement par l'électricité détermine encore une légère amélioration ; mais l'affection re-prend bientôt après sa marche progressive, et la malade est admise à l'hospice de la Salpêtrière, comme incurable, en 1858.
Comme chez la malade de l'observation précédente, l'ataxie locomotrice progressive était ici très prononcée et bornée aux membres inférieurs ; cependant, il y avait depuis quelque temps, au moment où l'on commence le traitement, des fourmillements dans les doigts : de plus, cette femme avait eu, dès le début, et avait encore, de temps à autre, un peu de diplopie.
Le 29 avril 1862, on prescrit 2 pilules de 0 gr. 01 de ni-trate d'argent (une le matin et une le soir).
Au bout d'une dizaine de jours, il y avait un mieux très sensible. Le 5 juin, la malade, qui depuis son entrée à la Sal-pêtrière n'avait jamais pu que se traîner, pour ainsi dire, au-tour de son lit, en s'y tenant fortement, peut demeurer debout pendant plusieurs instants près de son lit, sans aucun soutien ; elle marche dans la salle à l'aide d'une chaise qu'elle pousse devant elle avec les mains, ou bien encore en prenant la main de deux personnes, sans presque s'y appuyer. Lorsqu'elle mar-che ainsi, il n'y a réellement plus d'ataxie des mouvements. La santé générale est très remarquablement améliorée.
Obs. V. — La nommée M..., Rose-Aimée, âgée de quarante-six ans, née aux Minières (Eure), a été admise comme incurable à l'hospice de la Salpêtrière le 13 juillet 1858. Aucune maladie nerveuse chez ses parents. Attaques d'hystérie depuis l'âge de vingt et un ans ; la dernière a eu lieu il y a deux ans. Deux en-fants : depuis lors, sujette à des congestions et des flux hémor-rhoïdaires. Encore réglée maintenant ; jamais d'irrégularité no-table de la menstruation.
Début de la maladie actuelle, il y a quinze ans au moins. Vers
cette époque, la femme M... habita pendant deux ans dans un logement très humide ; elle y était à peine depuis deux ans qu'elle commença à éprouver des douleurs dans les membres inférieurs et la région lombaire, puisbientôt une faiblesse et une incoordination des mouvements, lesquelles augmentèrent progressivement. Ja-mais, d'ailleurs, elle n'a eu une véritable arthrite rhumatismale. A la même époque aussi, quelques légères atteintes de diplopie, et ce trouble visuel se reproduit encore maintenant de temps à autre.
Depuis 1848, surdité incomplète. Il y a sept ans, la marche était devenue tout à fait impossible. Elle fut soignée alors à l'hô-pital de la Pitié pendant quatre mois : traitement par l'électricité, amélioration considérable. Peu de temps après qu'elle a quitté cet hôpital, les membres inférieurs s'affaiblissent de nouveau. Séjour de trois mois à l'hôpital Lariboisière, second séjour de vingt et un mois à l'hôpital de la Pitié. Là elle subit trois applica-tions successives de cautères sur les régions latérales de la co-lonne vertébrale, et ce traitement aurait été suivi d'une aggrava-tion très prononcée. Elle entre enfin à l'Hôtel-Dieu et y reste onze mois. Nouveau traitement par l'électricité ; nouvelle amé-lioration, mais bien moindre que celle qui avait été obtenue pour la première fois. C'est alors qu'elle est admise à la Salpètrière. Depuis son admission, elle est entrée trois fois à l'infirmerie (sé-jour de vingt et un mois la première fois ; de quatre mois, la seconde ; de deux mois, la troisième). Traitements divers sur les-quels on ne recueille que des renseignements insuffisants ; il pa-raît, cependant, que l'on a employé longtemps l'iodure de potas-sium sans amendement appréciable. Elle entre à l'infirmerie une quatrième fois, le 28 mars 1862 (salle Saint-Vincent, n° 3), et se trouve dans l'état où elle n'a cessé d'être depuis son admission à l'hospice de la Salpètrière ; toutefois, depuis quelques jours, est survenue une affection intercurrente, bronchite très aiguë, expec-toration muco-purulente très abondante, parfois un peu de sang dans les crachats ; coliques, diarrhée ; violentes douleurs dans la région hypogastrique, dysurie, urines purulentes. Cette affection intercurrente s'apaise et disparaît peu à peu, au bout de quelques
jours de traitement, et l'on peut alors étudier complètement la maladie du système nerveux.
La malade, lorsqu'elle est couchée sur son lit, peut fléchir et étendre ensuite les divers segments de ses membres inférieurs : le pied sur la jambe, la jambe sur la cuisse, la cuisse sur le bassin. Plus de force dans le mouvement d'extension que dans celui de flexion. Placée debout, la malade peut se tenir dans la station verticale en s'appuyant fortement sur son lit ; elle peut faire deux ou trois pas soutenue sous les deux bras ; les mouvements de la marche sont déréglés.
Pendant le cours de l'affection intestinale et vésicale qui l'a amenée à l'infirmerie, il y avait parfois des soubresauts et des mouvements brusques des membres inférieurs, mouvements ac-compagnés de vives douleurs.
Sensibilité tactile obtuse. Les yeux fermés, la malade ne sent pas les contacts légers produits sur les membres inférieurs ; et même elle ne sait pas reconnaître si ses membres sont posés sur son lit ou soulevés à une certaine hauteur. Si l'on touche assez fortement un point quelconque de ses membres, il y a une sen-sation tactile assez nette. Notions de position très vagues, pres-que nulles. Lorsque la malade est debout, elle ne sent que très confusément le sol ; elle s'affaisse dès qu'elle ferme les yeux. Sensibilité à la température conservée. Sensations de douleurs provoquées par la piqûre ou le pincement de la peau, peut-être un peu plus vives que dans l'état normal ; elles sont en même temps retardées et prolongées. Mouvements réflexes étendus, dé-terminés par le chatouillement de la plante des pieds; ce cha-touillement est en même temps perçu.
L'examen par l'électricité montre que l'irritabilité musculaire est conservée, mais elle est affaiblie dans les muscles de la région jambière antérieure. Sensibilité musculaire diminuée. L'excita-tion de la peau ne produit une douleur vive qu'à la condition d'employer le courant le plus fort ; il y a, au moment de l'exci-tation, des mouvements réflexes considérables, les membres se soulèvent involontairement et se portent dans l'adduction ou l'ab-ductionjTexagérées.
Sensibilité et motilité intactes à la face et aux membres supé-rieurs; cependant, depuis quelque temps, légers fourmillements dans les doigts ; sensibilité cutanée très affaiblie sur le tronc.
La malade éprouve encore maintenant les douleurs qui n'ont cessé delà tourmenter depuis le début de l'affection: constriction à la base du thorax, barre traversant verticalement l'abdomen; douleurs contusives violentes dans la région lombaire ; outre ces douleurs qui ont une certaine continuité, il y a des douleurs brusques, mobiles, très vives, arrachant parfois des cris. Ces diverses douleurs s'exaspèrent lorsque la température est froide et humide. Appétit très faible. Digestions longues et pénibles; tantôt diarrhée, tantôt, et le plus souvent, constipation opiniâtre : miction difficile. Enucléation assez marquée; faciès portant une constante expression de souffrance.
29 avril 1862. — 2 pilules de Ogr. 01, de nitrate d'argent, une le matin et une le soir.
15 mai. — Amélioration très notable qui a commencé à se ma-nifester il y a cinq ou six jours. Station plus facile. La malade peut même se tenir debout pendant un instant près de son lit, sans y prendre un point d'appui. Hier, elle a pu s'agenouiller pen-dant quelques moments sur son lit, ce qu'elle n'a pu faire depuis son admission à la Salpètrière. Les douleurs des membres et de la région lombaire ont presque entièrement disparu. De temps en temps, elle ressent dans les jambes de brusques élancements qui différent beaucoup des douleurs qu'elle éprouvait auparavant, et ces élancements ont commencé à se manifester deux ou trois jours après le début du traitement.
Dans les jours qui suivent, l'amélioration fait des progrès, bien que la malade soit, à deux reprises, la température s'élant un peu refroidie, atteinte de ses anciens accès de douleurs.
30 mai. — Faciès tout-à-fait modifié : la malade commence à manger davantage et à engraisser. Depuis quelques jours, elle marche dans la salle en s'appuyant sur une chaise, se tient assez facilement debout sans soutien, et elle peut se baisser et ramas" ser des objets à terre. La sensation du sol et les notions de posi-tion sont bien plus nettes.
S juin. — Elle descend un étage et le remonte quelque temps après, soutenue par deux personnes ; elle marche tenue très-légèrement par les mains. Jamais depuis qu'elle est à la Salpêtrière, elle n'a marché comme elle le fait actuellement : Il y a, sous ce rapport comme sous tous les autres, une amélioration très remarquable.
Après cet exposé des cinq observations, sur lesquelles nous appelons surtout l'attention, nous croyons utile de faire res-sortir en quelques mots ce qu'elles ont en commun, et d'in-diquer les principaux enseignements qui nous paraissent découler de leur étude.
Dans ces cinq cas, ainsi qu'on a pu le voir, l'ataxie locomo-trice progressive se présentait avec ses caractères les mieux accusés ; à l'époque où le traitement a été institué, la maladie était parvenue, depuis longtemps déjà, à une période où elle est généralement considérée comme incurable, Dans tous ces cas, cependant, il s'est produit pendant le cours de la médica-tion, un amendement très notable de la plupart des symp-tômes. Voici, d'ailleurs, les phénomènes qui ont marqué cette amélioration, chez toutes nos malades, et qui ont commencé à se montrer, en général, quelques jours seulement (quatre à dix jours) après le début du traitement par le nitrate d'argent d'après la méthode que nous avons indiquée ; la sensibilité tactile est devenue plus nette i, les notions de position ont
1. Nous avons eu sous les yeux, dans les infirmeries de la Salpêtrière, jusqu'à ce jour, neuf cas d'ataxie locomotrice progressive, et de plus, nous avons eu des renseignements exacts sur un autre cas de la division des épileptiques. Chez ces dix malades, on a pu constater un affaiblissement considérable de la sensibilité tactile ; lorsque l'on posait doucement le doigt sur un point de la peau des parties affectées, les malades, qui étaient aveugles, ne percevaient pas en général la moindre sensation de contact ; et il en était de même chez les autres, lorsqu'on couvrait leurs yeux ou lorsqu'on touchait une partie qu'elles ne pouvaient voir, par exemple la peau de la région lombaire. Nous sommes portés à penser que cette diminution delà sensibilité tactile est un phénomène morbide constant dans l'ataxie locomotrice progressive avancée, et l'on n'est pas en droit d'affirmer que cette sensibilité est intacte, si l'on n'a pas employé le mode d'exploration qui vient d'être indiqué.
recouvré de la précision ; la sensibilité à la douleur et la sen-sibilité à la température 1 si habituellement perverties, sont rentrées jusqu'à un certain point, dans les conditions normales. La vue elle-même chez une malade (obs. I) a très notable-ment participé aux heureuses modifications déterminées par le traitement.
Les douleurs, soit continues, soit fulgurantes ont été com-plètement supprimées et cela a été un des résultats les plus nets et les plus prompts à se manifester.
Les mouvements ont très remarquablement gagné en force et en précision ; ainsi, des malades naguère absolument inca-pable de se tenir debout et de faire un pas, depuis plusieurs années confinées au lit où quelques-unes même étaient dans l'impossibilité de s'asseoir sur leur séant ou de changer de position (Obs. I et II), peuvent aujourd'hui, pour la plupart, demeurer quelques instants dans la station verticale, sans appui, ou même faire quelques pas dans les salles, soutenues par des infirmières. L'une d'elles marche pendant près d'un quart d'heure sans l'aide de personne, en s'appuyant sur des béquilles; une autre en fait autant, en s'aidant seulement d'une chaise ; chez toutes, les mouvements ataxiques des mem-bres inférieurs, d'abord très prononcés pendant la marche, ont cessé de se manifester ou sont à peine appréciables,
Deux malades avaient les mains profondément atteintes. (Obs. I et II); cheztoutes deux les mouvements desmainsetdes doigts sont devenus plus vigoureux et bien moins incohérents.
Toujours la santé générale s'est de bonne heure ressentie de l'influence du traitement ; la constipation a cédé, l'appétit
1. Une de nos observations présente un remarquable exemple de l'in-fluence qu'a eue le traitement sur les troubles de la sensibilité de tempé-rature (Obs. III.). Dans ce cas, le contact d'un corps froid déterminait, en même temps qu'une sensation très-pénible, des mouvements réflexes rapides et répétés. Ce symptôme a disparu peu de jours après le début du traitement.
a promptement augmenté ; les malades, dès lors, ont com-mencé à prendre de l'embonpoint et l'aspect cachectique qu'elles présentaient, pour la plupart, à un haut degré, s'est très notablement modifié.
Ainsi, en résumé, dans toutes nos observations, une amélio-ration incontestable et très prononcée a été constatée, pendant le cours de la médication instituée.
Mais ici se présente de nouveau une objection que nous avons soulevée déjà et à laquelle nous croyons avoir au moins en partie, répondu par avance. Cette amélioration obtenue est-elle, en réalité, le résultat de l'emploi du nitrate d'argent ; ne s'est-t-elle pas produite spontanément, par le fait d'une coïn-cidence fortuite? Contre cette objection, en outre des argu-ments que nous avons présentés plus haut, nous aurions encore à faire valoir les considérations suivantes : les cinq cas d'ataxie locomotrice dont nous avons présenté l'histoire étaient tous des cas invétérés ; chez tous, là maladie était depuis long-temps stationnaire, ou encore elle avait suivi sans interruption sa marche progressive. Or, dans tous ces cas, la médication ayant été instituée à peu près en môme temps, l'amendement a commencé à se prononcer a peu près à la même époque et pour ainsi dire à point nommé, c'est-à-dire huit ou dix jours en moyenne, après le début du traitement. En réunissant nos cinq observations à celles qui ont été publiées par M. Wunderlich, nous pouvons présenter un total de dix cas d'ataxie locomotrice, dans lesquels l'emploi du nitrate d'ar-gent s'est montré utile. Ce nombre des essais tentés et cou-ronnés de succès, surtout en l'absence d'observations contra-dictoires, est incontestablement une garantie en faveur de l'action du médicament. Enfin, il n'est pas jusqu'aux effets pa-thogénétiques observés chez nos malades, pendant l'emploi du nitrate d'argent, et dont nous venons de dire un mot, qui ne plaide pas dans le même sens.
Ces effets ont été notés chez toutes nos malades ; ils ont été très remarquables chez plusieurs d'entre elles. Elles éprou-vaient peu de temps après l'ingestion de chaque pilule, au bout d'une heure, par exemple, des fourmillements, de petits tressaillements, dans diverses parties du corps, mais princi-palement et quelquefois même à peu près exclusivement, dans les membres affectés. Elles ressentaient dans ces par-ties, pour nous servir de leurs expressions mêmes, une sorte de travail intérieur ; c'étaient des sensations pénibles, mais bien différentes des douleurs fulgurantes habituelles. Ces phénomènes cessaient complètement après avoir per-sisté pendant deux ou trois heures en moyeime. Chez une malade il y avait, en outre de ces sensations, des soubre-sauts dans les membres inférieurs : l'intensité plus grande de ces manifestations dans les parties où siège l'ataxie rap-pelle, jusqu'à un certain point, l'action de la strychnine sur les membres paralysés, dans les cas de paralysie de cause cérébrale ou spinale. Ces operatives effccts ont cessé de se produire, dans certains cas, une dizaine de jours après le début de la médication ; et ils se sont montrés de nouveau, pendant quelques jours, au moment même où les doses du nitrate d'argent, ont été élevées. Dans plusieurs cas, en outre, des éruptions lichénoïdes et prurigineuses, accompagnées de dé-mangeaisons violentes, se sont montrées peu de temps après le commencement du traitement sur toute la surface du corps, principalement sur les membres ; ces éruptions persistent encore actuellement.
Une sensation d'ardeur plus ou moins pénible, siégeant à la région épigastrique, s'est montrée, chez une malade, quel-ques instants après chaque ingestion du nitrate d'argent, mais bientôt la tolérance s'est établie et les douleurs n'ont plus guère reparu qu'aux époques où la dose du médicament était accrue. En somme, aux doses et sous la forme que nous avons
indiquées, le nitrate d'argent a toujours été très aisément sup-porté par les malades.
Par tout ce qui précède, nous avions été conduits à penser que ce médicament *, même à la dose relativement minime à laquelle nous l'avons employé, est absorbé et pénètre dans le torrent circulatoire ; mais la preuve directe nous manquait et elle ne pouvait être donnée que par des recherches chimiques en règles et fort délicates. C'est un soin dont M. S. Cloez a bien voulu se charger. Or, ayant soumis à l'analyse les urines rendues par nos malades, M. Cloez y a constaté la présence de l'argent, qu'il a même pu recueillir sous forme de petits grains métalliques.
Les cinq malades ataxiques dont nous avons rapporté l'his-toire sont actuellement encore en voie de traitement. Quel est l'avenir qui leur est réservé? Doivent-elles plus tard éprouver une rechute et perdre ce qu'elles ont gagné; ou, au contraire, l'amélioration qu'elles ont éprouvée dans leur état doit-elle se maintenir ou progresser encore? Ce sont là des questions auxquelles, quant à présent, nous ne sommes, on le conçoit, nullement en mesure de répondre. La sanction du temps nous fait absolument défaut. Nous avons cru malgré cela, et quoi qu'il puisse advenir par la suite, faire connaître dès à présent, tels qu'ils sont et tout imparfaits qu'ils sont, les résultats de nos recherches. Une considération surtout, à laquelle nous avons fait allusion déjà, nous a fait prendre ce parti, c'est que lorsqu'il s'agit d'une affection généralement réputée pour incurable, — et l'ataxie locomotrice progressive est incontestablement dans ce cas, — un amendement obtenu, quel qu'il soit, est un résultat précieux, digne à tous égards, de l'attention du médecin et du contrôle d'observations mul-tipliées. A plus forte raison en est-il ainsi, si cet amendement
1. Ou tout au moins les produits de la décomposition qu'il subit dans les pilules.
a été quelquefois très heureux, considérable même. Or, n'est-ce pas une amélioration des plus désirables que celle qui a permis à des malades retenues au lit depuis des années, de se lever, de faire quelques pas, de rester sans soutien assises dans un fauteuil ; qui a rendu à d'autres la liberté de leurs mains ; qui les a délivrées toutes de douleurs parfois intolé-rables ; qui a rétabli l'appétit et les forces, et enfin, réveillé l'espoir. D'ailleurs, si dans les cas d'ataxie locomotrice invé-térée on ne peut guère attendre autre chose qu'une améliora-tion plus ou moins prononcée ou plus ou moins durable, il est permis d'espérer, — un des faits rapportés par M. Wun-derlich justifie déjà cet espoir, — que dans des cas moins graves et moins avancés, on pourra enrayer la maladie dans sa marche, ou obtenir tout au moins un amendement équi-valent presque à la guérison.
Nos recherches ont été relatives surtout à l'emploi du nitrate d'argent dans les cas d'ataxie locomotrice progressive. Mais nous avons fait pressentir que ce médicament s'était montré utile dans quelques cas de paralysie, en dehors de l'ataxie loco-motrice. Nous croyons devoir donner in extenso l'observation d'un fait de ce genre en raison de l'intérêt particulier qui s'y rattache.
La nommée P... Anne-Julie, âgée de quarante-six ans, est cou-chée salle Saint-Denis, n° 10, hospice de la Salpètrière. Cette femme, d'un tempérament nerveux, d'une constitution débile, née d'une mère atteinte aujourd'hui et depuis longtemps déjà d'alié-nation mentale, a les membres inférieurs paralysés depuis sept ans, et il y a cinq ans qu'elle a été admise comme incurable à l'hospice de la Salpètrière. Elle aurait été, dès son enfance, d'une faible santé ; elle est sujette à des accès nerveux hystéri-ques peu intenses. Jamais elle n'a eu les jointures gonflées et dou-loureuses. Depuis l'âge de vingt-deux ans, la menstruation, irré-gulière jusque là, a été très régulière.
Lorsque la maladie a débuté, P... habitait depuis quatre ou cinq ans dans un logement très humide. Elle eut alors des hémop-tisies se répétant tous les jours et qui cessèrent au bout de peu de temps pour ne plus se renouveler depuis. A la même époque, les membres inférieurs devinrent le siège de douleurs très violen-tes qui s'étendirent à la région lombo-dorsale. Outre des souffran-ces continues, la malade ressentait encore de temps à autre des douleurs extrêmement vives, se produisant tout d'un coup dans la profondeur des membres. La faiblesse augmenta peu à peu ; la marche devint difficile: la malade traînait péniblement ses pieds sur le sol, mais elle n'a jamais eu de véritable ataxie locomotrice. Trois mois avant son entrée à la Salpêtrière, elle ne pouvait plus marcher et pouvait à peine se tenir debout. Pendant les deux an-nées qui ont précédé son entrée, elle avait fait trois séjours dans les hôpitaux, l'un à la Pitié, le second à la Charité, le troisième à l'Hôtel-Dieu. Elle avait été soumise à des traitements internes qu'elle ne peut pas indiquer, et on lui avait appliqué des ven-touses sur les diverses régions'du corps, le tout sans succès.
Au moment où. la malade est entrée à la Salpêtrière, atteinte de paraplégie complète, son état était aggravé par une affection in-terne des plus sérieuses. Une dyspnée considérable et une anasar-que générale, tels sont les symptômes qu'il est possible de noter, d'après les indications de la malade. Cette affection dura environ dix-huit mois, et, entre autres moyens, on employa pour la com-battre des cautérisations sur la région antérieure du thorax, à l'aide du marteau de Mayor, cautérisations dont on voit aujour-d'hui les traces.
Il y a trois ans et demi, à l'infirmerie de la Salpêtrière, à la suite de nombreux bains sulfureux, la malade, bien que souffrant toujours, peut se tenir dans un fauteuil, rester debout et même faire quelques pas en se traînant à l'aide de béquilles. Cette amé-lioration ne dure que bien peu, tout au plus deux mois, et bientôt, l'état redevient tel qu'il était auparavant et tel qu'il était il y a bien peu de temps.
La paralysie des membres inférieurs est à peu près absolument complète au point de vue de la motilité. Ces membres sont un peu
atrophiés, la malade ne peut pas les détacher de la surface du lit, tout au plus s'aperçoit-on de l'effort qu'elle fait pour exécuter ce mouvement. Si on soulève un des membres, dès qu'on cesse de le tenir, il retombe à peu près inerte. Les mouvements spontanés de flexion de la cuisse sur le bassin, de la jambe sur la cuisse, du pied sur la jambe et des orteils sont tout à fait impossibles; si l'on produit un de ces mouvements, par exemple, la flexion de la jambe sur la cuisse, la malade ne peut pas étendre la jambe ; il faut qu'elle appuie sa main sur le genou pour arriver à obtenir l'extension. Les orteils ne peuvent pas plus se relever sur le dos du pied que se fléchir sur la plante du pied. Les mouvements d'abduction et d'adduction des membres sont impossibles aussi.
La malade est forcée de rester couchée, la faiblesse des masses musculaires des parties postérieures du tronc ne lui permettant ni de s'asseoir d'elle-même, ni de rester assise, lorsqu'on la place dans cette attitude. Depuis près de quatre ans, lorsqu'on veut faire son lit, on est obligé de la déposer sur un brancard, parce qu'elle ne peut pas demeurer assise dans un fauteuil.
La sensibilité de contact, de température, de douleur, paraît presque intacte ; cependant elle est légèrement obtuse, sur toute la surface du membre inférieur droit. Froid habituel des jambes et des pieds ; fourmillements. Les notions de position sont nettes; la malade, les yeux fermés, peut indiquer avec son doigt les diffé-rents endroits où l'on place un de ses pieds. Les diverses excita-tions pratiquées sur les membres inférieurs ne déterminent pas de mouvements réflexes.
On constate, à l'aide de la faradisation, que la contractilité est conservée dans tous les muscles des membres inférieurs. Quant à la sensibilité musculaire, elle est certainement affaiblie, au moins sous certains rapports, car si la malade éprouve des sensations de crampe, sous l'influence d'un courant énergique, elle n'a pas cons-cience des mouvements produits; elle ne sent pas, par exemple, ses orteils se fléchir ou s'étendre.
Les membres supérieurs ont conservé la liberté de leurs mou-vements et leur sensibilité est intacte. Ils sont parfois le siège de fourmillements légers. Sueurs abondantes et presque continuelles
des mains. Il n*y a pas de déviations de la face ni des yeux. Jamais, du reste, il n'y a eu le moindre trouble de la vue.
Tel est l'état de la malade depuis près de quatre ans; encore n'en donnerions-nous ainsi qu'une idée bien incomplète, si nous n'ajoutions pas qu'elle n'a pas cessé d'être torturée par les dou-eurs dont nous avons parlé plus haut, et qu'elle s'est considéra-blement affaiblie dans ces derniers temps. De temps à autre, tous les dix ou quinze jours, elle est prise d'un accès d'étouffement, avec palpitations violentes, anxiété précordiale et cyanose plus ou moins marquée de la face et des mains. Ces accès durent par-fois plus de quarante-huit heures; dans le mois de mars, ils se sont rapprochés et ont pris un tel caractère de gravité, qu'on a cru la vie de la malade en danger imminent. L'appétit est pres-que nul, et il y a un amaigrissement progressif.
Le 25 avril 1862, on prescrit 2 pilules de 0,01 centigramme de nitrate d'argent, une le matin et une le soir.
13 mai. — Depuis hier, la malade s'est aperçue d'un change-ment remarquable survenu dans les fonctions de motilité. Pour la première fois depuis plus de trois ans, elle a pu d'elle-même s'as-seoir sur son lit pendant quelques instants. Elle peut soulever quelque peu l'un et l'autre de ses membres inférieurs au-dessus de la surface de son lit; elle les écarte légèrement l'un de l'autre et les rapproche ; elle fléchit et étend un peu les divers segments les uns sur les autres, et imprime de petits mouvements à ses or-teils.
Depuis sept à huit jours ; la malade se plaignait d'un redouble-ment de ses douleurs, ce qui parut devoir être attribué à l'action des pilules.
Les jours suivants, l'amélioration se dessine de plus en plus. Du 17 au 20 mai, on fait lever la malade, et lorsqu'elle est soutenue par deux aides, elle exécute très bien les mouvements de la mar-che ; elle est d'ailleurs trop faible pour se tenir seule debout. Elle peut demeurer assez longtemps assise dans un fauteuil. Elle a eu ces jours derniers une de ses crises d'étouffement, mais cette crise a été moins forte et moins longue que d'ordinaire.
28 mai. — L'appétit est encore faible, la malade mange peu
et cependant, elle reprend des forces ; son faciès a complètement changé d'expression. Elle peut s'asseoir facilement sur son lit et dans un fauteuil ; elle peut imprimer à ses membres inférieurs tous les mouvements qu'on lui indique; ces mouvements, bien qu'encore bornés, sont aisément et assez rapidement exécutés. Les mouvements des orteils semblent redevenus presque complète-ment normaux. Les sueurs des mains sont moiijs abondantes. Les douleurs violentes, continues ou passagères des membres infé-rieurs, des lombes, du dos et des membres supérieurs ont complè-tement disparu; mais à la place de ces douleurs, la malade, pres-que depuis le début du traitement, ressent des élancements très pénibles, se montrant brusquement dans les genoux et les cou-de-pieds et dispararaissant de même. De plus, une dizaine de jours après le début du trailement, il s'est produit une éruption de pru-rigo sur les membres supérieurs et inférieurs, principalement à la région antérieure des jambes, éruption accompagnée de très vives démangeaisons, et qui existe encore aujourd'hui. Le 29 et le 30 mai, la malade a pu faire quelques pas, n'étant soutenue que sous un seul bras.
Yoici donc un cas de paraplégie complète, où l'emploi du nitrate d'argent a été suivi d'heureux effets, et ce cas ne ren-tre certainement pas dans la description de l'ataxie locomo-trice ; on a vu, d'ailleurs, que le fait qui a suggéré à M. Wun-derlich l'idée d'employer le nitrate d'argent dans le traitement de cette dernière affection, était un bel exemple de paralysie hystérique.
D'après cela, ce ne serait pas exclusivement dans les cas de paralysie liée à l'ataxie que le nitrate d'argent se montrerait utile ; mais, du moins, d'après ce que nous avons observé jus-qu'ici, jamais ce médicament n'échoue complètement dans l'ataxie locomotrice progressive, tandis qu'il peut rester inef-ficace ou même se montrer nuisible dans des paraplégies d'une autre espèce ; nous l'avons vu, par exemple, produire uneag-
Charcot. CEuvr. compl. t. vin, 5e partie: Thérapeutique.
20
gravation marquée des symptômes dans des paralysies des membres inférieurs qui paraissaient liées à la myélite.
On comprend, d'après ce qui précède, combien il sera im-portant de catégoriser avec soin les sujets sur lesquels on voudrait instituer les essais que nous proposons. Donner sans classement préalable et suffisamment rigoureux le nitrate d'argent dans tous les cas où la locomotion est plus ou moins sérieusement atteinte, ce serait s'exposer évidemment à ne tirer de cette expérimentation que les déductions les plus con-fuses ou peut-être même les plus inexactes.
IV.
De l'emploi médical du nitrate d'argentJ.
HISTORIQUE.
C'est aux rêveries des astrologues et des alchimistes que nous devons l'introduction de l'argent dans la thérapeutique: car les propriétés de cet agent paraissent avoir été inconnues aux médecins de l'antiquité, et bien que la limaille d'argent ait été employée par Avicenne contre la fétidité de l'haleine, les flux muqueux et les palpitations du cœur, les préparations vraiment actives de ce métal n'ont pénétré dans la pratique qu'à la suite de la singulière théorie du microcosme et du ma-crocosme, inventée par l'arabe Almanzor (Jean de Damas), qui, sans doute, ne prévoyait pas l'extension qu'elle devait prendre un jour. Dans ce système, tel que l'ont formulé plus tard les alchimistes du quatorzième et du quinzième siècles, un rapport mystérieux unissait entre elles les choses du ciel et celles de la terre : chaque métal correspondait à l'un des corps célestes et à l'une des parties du corps humain. C'est donc en vertu de la trinité mystérieuse qui reliait Vargent à la lune, et la lune aux affections cérébrales, qu'on a songé, pour la première fois, à traiter par les sels d'argent les maladies
i. Extrait du Dictionnaire encyclop. des sciences médicales, t. VI, p. 65. En collaboration avec M. Ball.
des centres nerveux. Nous reconnaissons encore l'influence de ces étranges idées dans le langage médical; on sait, par exemple, que les aliénés sont connus en Angleterre sous le nom de lunatiques (lunatics). Mais il est assez singulier qu'a-vec un semblable point de départ, les empiriques du moyen âge aient été conduits du premier coup à des résultats que l'expérience devait confirmer plus tard.
On paraît cependant avoir attribué, dans le principe, aux sels d'argent des effets qui peuvent se rapporter aux impure-tés avec lesquelles ils se trouvaient associés. Ainsi, la teinture de lune, qui jouissait autrefois d'une si grande réputation, pa-raît avoir renfermé une proportion considérable de sels de cuivre ; c'est, du moins, ce que semble démontrer la coloration bleue que présentait cette dissolution, au dire de tous les an-ciens auteurs. Pour expliquer cette circonstance, sans blesser les règles de la sympathie alchimique, Etmûller prétend que la lune, bien qu'elle soit d'un blanc éclatant à sa surface, est d'un bleu foncé à l'intérieur, et ressemble au lapis• lazidi; aussi Grimm se servait-il sans aucun scrupule de cette der-nière substance pour préparer la teinture de lune dont il fai-sait usage. Ce seul exemple suffit pour montrer combien ces préparations devaient être infidèles ; elles sont depuis long-temps tombées en désuétude.
Le chlorure d'argent a été moins souvent employé dans la pratique ; cependant on le prescrivait quelquefois comme hy-dragogue et vermifuge ; Hoffmann l'administrait contre \pi-tuite et la mélancolie, et quelques médecins cités par lui en faisaient usage chez les épileptiques et les fous.
Mais parmi les sels d'argent, le nitrate a toujours occupé la première place au point de vue thérapeutique.
Angelo Sala paraît avoir été l'un des premiers qui aient fait usage de ce médicament à l'intérieur (1614). On l'employait sous une foule de noms divers (cristaux de Diane, caustique
lunaire, centaure minéral, etc.), comme dérivatif et comme purgatif, dans les hydropisies et les affections encéphaliques. Cependant plusieurs auteurs de cette époque (Fernel, Willis, Wedel), signalent les dangers que pourrait occasionner l'u-sage intempestif de ce médicament, et en particulier les ulcé-rations intestinales qui pourraient résulter d'un traitement trop prolongé par cet agent caustique.
Pour éviter cet inconvénient, on a proposé d'unir le nitrate d'argent au nitrate de potasse : ce mélange, connu sous le nom de lune hydragogue, est recommandé par Tentzel, Sen-nert et Boyle ; ce dernier en faisait un usage très fréquent. On conseillait aussi l'extrait de baies de genièvre aux sujets dont les intestins se trouvaient débilités par l'emploi de ce médicament : cette pratique fut adoptée par Boerhaave, l'un des derniers médecins du XVIIe siècle qui aient fait usage du cristal de lune comme hydragogue.
Tombé dans l'oubli après la mort de cet auteur célèbre, le nitrate d'argent fut remis à la mode vers la fin du siècle der-nier, par les praticiens anglais. C'est principalement Sims (de Londres) qui a contribué à faire rentrer cet agent dans la thé-rapeutique. Son impulsion fut suivie par Duncan, Wilson et Powel, en Angleterre, et par Cappe en Amérique ; c'est sur-tout contre l'épilepsie et les affections du système nerveux que ces auteurs en ont vanté l'usage.
Sur le continent d'Europe, ce sont surtout les médecins ge-nevois qui ont contribué à remettre en honneur les prépara-tions d'argent. Nous citerons en particulier l'excellente thèse de Butini, soutenue à Montpellier eu 1815, à laquelle nous avons emprunté la plus grande partie de ces détails. Depuis cette époque, les travaux se sont tellement multipliés, qu'il devient impossible de les énumérer dans cette courte analyse historique ; nous nous contenterons donc de renvoyer à l'inté-ressante monographie de Krahmer, publiée en 1845, pour tout
ce qui est antérieur à cette époque ; et, dans le cours de cet article, nous mentionnerons les principaux auteurs qui se sont occupés de ce sujet, à mesure que nous aborderons chacun des points particuliers qui ont été l'objet de leurs recher-ches.
Effets physiologiques des sels d'argent pris a l'intérieur.
Deux procédés essentiellement opposés ont été mis en usage pour constater les effets que produisent les sels d'argent dans l'économie animale. La première consiste à les injecter direc-tement dans les veines, ce qui les met immédiatement en con-tact avec le sang ; le second consiste à les administrer par le tube digestif. Il est évident que les résultats de cette seconde méthode peuvent seuls être comparés aux données de l'expé-rimentation thérapeutique chez l'homme. Mais, comme nous ne savons pas encore, d'une manière positive, sous quelle forme les sels d'argent ingérés dans l'estomac sont absorbés et trans-portés dans le torrent circulatoire, il n'est pas sans intérêt d'é-tudier d'abord, à titre de renseignement, l'action qu'ils exer-cent sur l'organisme, après avoir pénétré directement dans le sang.
I. Effets produits par l'injection directe des sels d'argent
dans les veines.
Les expériences d'Orfila, tentées exclusivement sur des chiens, et toujours à l'aide du nitrate d'argent, avaient con-duit cet observateur à la conclusion suivante :
« Le nitrate d'argent détruit immédiatement la vie en agis-sant sur les poumons et le système nerveux, lorsqu'il est in-jecté dans les veines des chiens, à la dose d'un demi grain ou de trois quarts de grain. »
Krahmer, qui a répété les expériences d'Orfila, en se ser-vant du nitrate et du chlorure ammoniacal pour pratiquer des injections, admet que la mort est le résultat d'une asphyxie mécanique, occasionnée par la sécrétion d'une quantité énorme de mucus bronchique. Il semblerait naturel, au pre-mier abord, d'attribuer ce phénomène à l'action des sels d'ar-gent sur l'innervation pulmonaire ; mais le premier effet de l'injection est une action chimique sur la composition du sang, dans laquelle l'influence du système nerveux n'est point appe-lée à jouer un rôle. L'hypothèse d'Orfila ne serait donc, d'a-près Krahmer, nullement démontrée ; d'autant plus que, chez le cheval, les choses ne se passent pas ainsi. Chez cet animal, en effet, la mort paraît résulter, non d'une asphyxie par écume bronchique, mais d'une décomposition toute spéciale du sang, ainsi que le démontrent les ecchymoses qu'on rencontre à l'autopsie sur une multitude de points divers. Au reste, les solipèdes sont infiniment moins sensibles que l'espèce canine aux effets des sels d'argent.
Nous ajouterons d'ailleurs que le nitrate d'argent, dont la réaction est souvent acide, lorsqu'il n'est pas d'une pureté absolue, ne convient guère aux expériences de ce genre, en raison de l'action coagulante bien connue que les acides exer-cent sur le sérum du sang.
Nous avons entrepris, dans le courant de l'année 1864, quel-ques expériences sur ce point. Nous avions pour but de mettre en lumière l'action toxique des sels d'argent mêlés directe-ment au sang, indépendamment de toute action chimique sur ce liquide. Nous nous sommes donc servis, en premier lieu, d'une solution albuminate d'argent; ce sel se dissout dans l'eau dans la proportion d'un deux-centième. Nous avions es-péré pouvoir imiter ainsi les opérations de la nature, car il est assez probable que c'est sous la forme d'une combinaison pro-téique que l'argent pénètre dans le torrent circulatoire. Nous
avons fait plus tard usage du pyrophosphate d:argent, puis du chlorure dargent dissous dans rhyposulfite de soude, ce qui donne de rhyposulfite, etc.; du chlorure d'argent dissous dans l'hyposulfite de soude, ce qui donne de rhyposulfite d'argent et du chlorure de sodium. Nous avons également étudié l'ac-tion de plusieurs autres sels ; mais nous nous bornerons ici à signaler les résultats que nous ont donnés les trois premiers.
Valbuminate d'argent est, de tous ces sels, celui qui exerce l'action la plus faible. Une injection de 60 grammes de la dis-solution ci-dessus indiquée, renfermant 30 centigrammes d'albuminate d'argent, pratiquée chez un chien de moyenne taille, ne détermine la mort qu'au bout d'une demi-heure ; il se produit une sécrétion énorme de mucus bronchique éeu-meux, qui finit par suffoquer l'animal, sans amener d'autres accidents nerveux que ceux qui résultent directement de l'as-phyxie.
L'action du phosphate et de l'hysposulfite d'argent est beau-coup plus énergique. C'est surtout avec ce dernier agent que les effets toxiques se manifestent promptement et avec des do-ses faibles. Une injection de 20 centigrammes d'hyposulfite d'argent, dissous dans 60 grammes d'eau, amène la mort presque immédiate, sans autre phénomène que quelques con-vulsions : il y a cessation brusque de la vie, sans formation de ce mucus bronchique auquel la mort a pu être attribuée dans le cas précédent. Cette expérience nous paraît démontrer que ce n'est pas uniquement par un effet mécanique que les sels d'argent déterminent la mort ; le système nerveux semble être mis ici directement en jeu.
L'injection de cinq centigrammes d'hyposulfite d'argent amène la mort dans l'espace de 7 à 8 minutes. On observe encore les phénomènes sécrétoires que nous venons d'indi-quer, et l'auscullation fait constater des râles humides dan»
toute la poitrine, environ trois minutes après l'injection, avant que le mucus se soit frayé un passage au dehors par les bronches et les vaisseaux.
Un autre phénomène, qui se produit parallèlement avec l'asphyxie, est la paralysie du train postérieur, indiquée par l'affaiblissement des pattes de derrière, qui deviennent inca-pables de supporter le poids du corps; l'animal se traîne encore sur les pattes de devant, sans pouvoir agir avec celles de derrière. En même temps, la sensibilité paraît fort émous-sée ; on peut lui marcher sur les pattes ou la queue sans pro-voquer aucun signe de douleur. Bientôt, l'asphyxie faisant des progrès rapides, l'animal tombe sur le côté, rend des tor-rents d'écume, et meurt.
A l'autopsie, nous n'avons jamais trouvé d'autres lésions qu'une infiltration œdémateuse des poumons, et la présence d'un mucus écumeux et teinté de sang dans les bronches.
En affaiblissant les doses, on prolonge naturellement la durée de l'agonie ; enfin, nous avons constaté qu'on peut im-punément injecter de S à 10 milligrammes d'hyposulfite d'ar-gent dans les veines d'un chien de taille moyenne. L'animal, qui ne semble alors éprouver qu'un malaise passager, se réta-blit alors au bout de quelques heures, sans manifester aucun symptôme spécial.
De l'ensemble de ces faits, qui méritent d'être complétés et confirmés par des recherches ultérieures, nous croyons pouvoir déduire les conclusions suivantes :
1° Que les divers sels d'argent introduits dans le torrent cir-culatoire ont des modes d'action foit différents;
2° Que si l'asphyxie par écume bronchique est la cause di-recte de la mort, il n'en existe pas moins une action manifeste de l'agent toxique sur le système nerveux ;
3° Que l'hypersécrétion bronchique n'est elle-même que le
Voyons maintenant quelle est l'action des sels d'argent in-gérés dans les voies digestives.
« Le nitrate d'argent, dit Orfila, lorsqu'il est introduit dans l'estomac ou les intestins, à la dose de 36 à 40 grains, déter-mine une inflammation plus ou moins considérable, suscep-tible d'occasionner la mort au bout de quelques jours : il n'est point absorbé dans cette circonstance... Tout porte à croire que si on en administrait 3 ou 4 grains, la vie serait éteinte en quelques heures. »
Mais il faut remarquer que ces résultats ne se produisent, qu'à la condition d'empêcher le vomissement : Orfila le dit en termes exprès.
Les expériences de Krahmer, qui négligeait cette précau-tion, l'ont conduit à des résultats fort différents. Chez les animaux qui peuvent vomir, tels que les chiens, il a pu donner des doses fort élevées de nitrate d'argent pendant plusieurs jours, sans produire d'autres symptômes que des troubles digestifs et des vomissements; il est arrivé à en administrer
résultat d'une action nerveuse, probablement d'ordre réflexe, car l'analyse chimique ne nous a point permis jusqu'ici de découvrir des traces d'argent dans le liquide sécrété.
Ajoutons enfin, comme l'a fort bien vu Krahmer, que l'ac-tion de ce poison est loin d'être la même dans les diverses espèces animales. Nous avons eu nous-mêmes l'occasion de vérifier ce fait.
On le voit : la question qui nous occupe en ce moment est loin d'être résolue ; bornons-nous donc à la signaler à l'atten-tion des expérimentateurs, convaincus comme nous le sommes que de nouvelles recherches dans ce sens sont destinées à conduire à des résultats jusqu'à présent imprévus.
IL EFFETS PRODUITS PAR 1,'lNGESTlON DU NITRATE d'ARGENT.
un drachme (4 gr., 38 cendg.) par jour, pendant quatre jours ; et même, dans ces conditions, deux jours de repos suffisaient pour rendre l'animal à la santé.
Lorsqu'on sacrifiait ces sujets pour procéder à l'autopsie, on trouvait la muqueuse digestive marbrée d'arborisations capillaires; mais nulle part iJ n'existait d'eschares, ni même de traces profondes d'un travail inflammatoire.
Chez les animaux qui ne vomissent pas, comme les chevaux, on parvient à la longue à déterminer la formation d'eschares dans le tube digestif : mais, d'après Krahmer, pour obtenir ce résultat, il faut administrer le sel caustique à des doses beau-coup plus considérables que ne le prétend Orfila. Mais il est probable qu'il faut ici tenir compte de la taille des animaux mis en expérience, et c'est ce que l'expérimentateur allemand ne semble pas avoir fait.
Nous avons pratiqué nous-même quelques expériences dans le but d'étudier les effets produits par l'ingestion prolongée du nitrate d'argent à petites doses. Nous avons administré à des chiens, de petite et de moyenne taille, 10 centigrammes de nitrate d'argent par jour, sous forme de pilules. Les résul-tats de ces expériences ont varié suivant les individus. Tantôt l'animal, après avoir résisté fort longtemps à l'administration de ce médicament, était pris de diarrhée, et finissait par tomber dans le marasme et par mourir; tantôt il continuait à jouir d'une santé excellente et d'un appétit très prononcé. Nous avons gardé l'un de ces sujets pendant dix-huit mois : on lui administrait le nitrate d'argent par une fistule gastrique, et bien que cet agent se trouvât mis directement en contact avec la muqueuse de l'estomac, l'animal se portait à merveille et manifestait une grande voracité. Dans aucun cas, nous n'avons observé de vomissements.
Chez deux de ces animaux, qui ont été emportés par une affection intercurrente, après avoir été soumis pendant un
mois ou six semaines à ce traitement, nous avons constaté, à l'autopsie, un t'ait singulier : la muqueuse de l'estomac et de la partie supérieure du duodénum offrait sa coloration nor-male : un peu plus bas, on voyait apparaître une teinte ardoi-sée, qui prenait une coloration de plus en plus foncée, à mesure qu'on descendait vers la fin de l'iléon. La couleur noire arrivait à son maximum immédiatement au-dessus de la valvule iléo-cœcale : sur ce point, elle s'arrêtait brusque-ment. La muqueuse reprenait sa coloration normale dans le cœcum, puis on voyait apparaître de nouveau la teinte ardoi-sée dont le maximum d'intensité occupait la par Lie inférieure du rectum.
M. Claude Bernard, qui a bien voulu nous autoriser à pra-tiquer ces expériences dans son laboratoire, nous a dit que, souvent, il avait observé une coloration analogue, quoique moins prononcée, chez les chiens qui ont pendant longtemps porté une canule d'argent dans une fistule gastrique. Il sem-ble que les sucs digestifs, agissant peu à peu sur les tubes métalliques pour les corroder, finissent par transporter l'argent dont ils se composent dans toute la longueur du tube intestinal.
Chez les animaux qui ont résisté plus longtemps à l'action du nitrate d'argent, la coloration de l'intestin est plus unifor-mément ardoisée, et il n'existe plus une ligne de démarca-tion tranchée entre le jéjunum et l'iléon. Mais, en revanche, il se manifeste un phénomène très remarquable, sur lequel nous aurons à revenir. Après avoir pris du nitrate d'argent pendant deux ou trois mois, les sujets présentent des taches noirâtres sur la muqueuse gingivale. Au collet des dents, et plus spé-cialement au niveau des canines, ces taches, qui sont entière-ment distinctes des maculations noirâtres que présente la gueule chez la plupart des chiens, grandissent à vue d'œil et acquièrent une teinte de plus en plus foncée; et, chose sin-gulière, lorsqu'on suspend, pendant quelque temps, l'admi-
nistration du médicament, elles tendent à s'effacer, et fini-raient sans doute par disparaître complètement si l'on ne reprenait pas de nouveau le cours de l'expérience.
Ce phénomène remarquable, qui se rapporte à certains faits observés dans l'espèce humaine, ne saurait être attribué au dépôt de quelques parcelles d'argent dans la bouche de l'animal, au moment où l'on ingère de force les pilules qu'il essaye de rejeter : car chez le chien qui prenait ces pilules par une fistule de l'estomac, ces taches ardoisées de la muqueuse gingivale étaient plus marquées que chez aucun autre de nos sujets.
Action physiologique des sels d'argent chez V homme.
Il nous reste à parler de l'action physiologique des sels d'argent chez l'homme sain, et des effets généraux qu'ils pro-duisent sur les malades en dehors de leur action thérapeu-tique. Divers observateurs, parmi lesquels nous citerons surtout Schachert et Krahmer, se sont soumis, pendant un temps limité, à l'ingestion journalière de petites quantités de nitrate d'argent (S à 7 centigrammes). Mais des résultats mieux avérés ont été obtenus par l'observation des malades qui ont subi un traitement de ce genre pendant une longue période, et qui ont absorbé des quantités considérables de ce médicament. L'at-tention des observateurs s'est depuis longtemps portée sur ce point, et dans ces derniers temps, l'un de nous (M. Charcot) a entrepris avec M. Tulpian des études spéciales sur l'action physiologique et thérapeutique du nitrate d'argent. Nous al-lons exposer aussi succinctement que possible les données positives qu'on peut déduire de cet ensemble de travaux1.
Administré en très petites doses (1/4 à 1/2 grain), le nitrate d'argent, d'après Krahmer et Schachert, ne détermine d'autres
effets qu'une sensation de chaleur et de picotement au pha-rynx; il laisse, d'ailleurs, un arrière-goût métallique très pro-noncé dans la bouche. A une dose plus élevée (1 grain à 1 1/2), il aurait une action légèrement purgative, d'après ces obser-vateurs, et provoquerait des selles un peu molles, sans amener d'irritation intestinale. Enfin, l'usage prolongé de cette subs-tance paraîtrait amoindrir l'intensité de la vie végétative; il y aurait perte de l'appétit et du sommeil, diminution des forces et réduction sensible de la quantité de la sécrétion uri-naire.
Nos propres recherches nous ont amené à des résultats dif-férents; et, pour le dire immédiatement, le fait capital qui ressort de nos observations sur ce point, c'est la tolérance de l'économie pour cet agent médicamenteux. La série des phé-nomènes qu'il détermine peut, selon nous, se diviser en trois périodes distinctes.
1° Au début, les malades paraissent supporter à merveille l'ingestion du nitrate d'argent. Loin d'exercer une action ir-ritante sur le tube digestif, il ne semble même pas déterminer forcément des effets purgatifs, ainsi que nous le verrons plus loin. Cependant, lorsqu'on élève la dose du médicament, on voit quelquefois survenir un peu de gastralgie et de légères coliques; mais ces accidents disparaissent promptement, et es malades arrivent, par degrés, à supporter des doses consi-lérables de nitrate d'argent. En dehors de ces troubles intes-inaux, le seul phénomène appréciable qui se manifeste à cette période, ce sont des démangeaisons générales, et quelquefois m peu d'érythème papuleux, ainsi que nous l'avons constaté mez quelqUes-uns de nos malades. Ce fait avait été déjà si-gnalé par Sementini : mais ces éruptions cutanées ne présen-.ent aucune gravité.
Il est, du reste, évident qu'il faut tenir compte de l'idio-
syncrasie des sujets : c'est probablement à des dispositions particulières qu'il faut attribuer ces légers inconvénients éprouvés par Schachert et Krahmer, dans les expériences qu'ils ont tentées sur eux-mêmes, ainsi que les diarrhées et les troubles gastriques indiqués par d'autres observateurs. Quant à la dyspnée et aux hémoptysies, signalées par Lombard (de Genève), ce sont là des phénomènes tellement exception-nels, qu'il est bien permis de se demander s'ils n'étaient point la conséquence d'un état morbide antérieur.
2° Après avoir absorbé une quantité plus ou moins consi-dérable de nitrate d'argent, dont le minimum, d'après nos propres recherches, nous paraît devoir être fixé à deux gram-mes, le sujet présente généralement un liseré bleu foncé au collet des dents sur les gencives, qui ressemble considérable-ment au liseré saturnin : mais la teinte en est plus sombre. Ce phénomène qui a été signalé pour la première fois par M. Duguet, alors interne à la Salpètrière, est d'une haute importance : il paraît marquer l'instant où les organes ulté-rieurs commençant à être colorés par la formation de dépôts métalliques : il se produit en général trois mois après le début du traitement.
Nous avons vu, en outre, la muqueuse buccale se co-lorer sur une grande étendue, de manière à constituer des plaques noirâtres : ce fait avait été déjà signalé par Krahmer, qui a vu, chez la même personne, la coloration bleue se montrer sur la muqueuse buccale, aux nymphes et à l'entrée du vagin.
Signalons enfin, comme le résultat d'une idiosyncrasie par-ticulière, la stomatite qui peut se développer chez les sujets soumis à la médication argentique; M. Guipon (de Laon) en a tout récemment rapporté un cas.
3° Après un traitement longtemps prolongé, et après avoir
pris une quantité considérable de nitrate d'argent, le malade peut offrir cette teinte ardoisée de la peau, qui constitue le seul inconvénient sérieux delà médication argen tique. Krah-mer, d'après l'analyse de plusieurs faits, empruntés à divers auteurs, croit pouvoir fixer à 7 drachmes (environ 30 gram-mes) le minimum de la dose nécessaire pour déterminer cet effet. Il rapporte cependant un cas, observé à la Charité de Berlin, dans lequel la coloration cutanée se serait produite avec peu d'intensité, il est vrai, après l'administration de 160 grains (8 grammes) de ce médicament : mais ce fait ne lui paraît pas suffisamment authentique pour entrer en ligne de compte. Il est évident, en tous cas, que le liseré des gencives précède de beaucoup la manifestation cutanée de Yargyrie, pour nous servir de l'expression adoptée aujourd'hui par les auteurs alle-mands. Il est singulier que ce phénomène n'ait point été ob-servé par les anciens qui faisaient un si grand usage de cette médication : mais le premier cas authentique d'argyrie que possède la science a été observé par Fourcroy. Le père de Butini, dans sa pratique, en a rencontré quatre cas : depuis lors, les faits de ce genre se sont multipliés et il est à peine nécessaire d'ajouter qu'ils ont nui singulièrement à la réputation de ce mode de traitement, qui, sans cette fâcheuse circons-tance, serait, à coup sûr, bien plus répandu dans la pratique qu'il ne l'est actuellement.
Cette coloration spéciale s'observe principalement sur les parties du corps qui sont exposées à l'action de la lumière ; mais elle peut aussi se manifester sur des points qui sont ha-bituellement maintenus dans l'obscurité. Lorqu'elle est très intense, elle prend un ton bleuâtre ; dans les cas moins pronon-cés, c'est une teinte sale qui rappelle un peu la couleur de la suie. On l'observe souvent avec sa couleur la plus foncée sur la lunule des ongles.
La coloration ardoisée persiste indéfiniment chez les sujets
qui en sont une fois atteints. On prétend cependant qu'elle peut diminuer après une suspension très prolongée du traite-ment; mais nous sommes peu disposés à partager cette opi-nion. On a cherché à la faire disparaître en administrant de l'iodure de potassium à l'intérieur; en pratiquant sur la peau des lavages d'acide nitrique dilué, de cyanure de potassium et de sublimé corrosif; on a même préconisé les vésicatoires (Biett). Mais aucun de ces remèdes ne paraît jouir d'une véri-table efficacité.
On a proposé divers moyens de prévenir cette fâcheuse con-séquence de la médication par les sels d'argent qui n'appar-tient, d'ailleurs, à aucun d'eux en particulier. C'est en vain qu'on a voulu substituer le chlorure, l'oxyde et l'iodure d'ar-gent à l'azotate de cette base : en effet, le métal est toujours absorbé sous quelque forme qu'on l'administre, et du moment qu'il a pénétré dans l'économie, il devient apte à produire la teinte ardoisée. Il n'est pas même indispensable, pour que cet accident se déclare, que l'argent ait été administré à l'inté-rieur : de simples cautérisations, pratiquées à la surface d'une muqueuse, peuvent, à la longue, déterminer l'absorption du métal, et produire la teinte ardoisée. Tout récemment, M. Krishaber nous a montré un malade, chez qui cette colora-tion s'est déclarée avec une grande intensité, à la suite de cau-térisations pratiquées pendant un long espace de temps, sur les piliers du voile du palais et l'orifice supérieur du larynx. Hâtons-nous de dire que les faits de ce genre sont très excep-tionnels ; celui que nous venons de citer est, jusqu'à présent, unique dans la science.
C'est dans le corps muqueux de la peau que le métal est déposé, au dire de la plupart des auteurs ; mais on ne sait pas encore d'une manière précise dans quelles combinaisons il se trouve engagé. Patterson admet qu'il s'y dépose à l'état d'argent métallique ; Brandes croit qu'il existe à l'état d'oxyde,
et Krahmer prétend qu'il forme un albuminate. On attribue en général ce singulier phénomène à un travail d'élimination qui se ferait par la peau, et qui après un certain temps aurait pour conséquence la formation d'un précipité sous-dermique, sous l'influence plus ou moins directe de la lumière. Quoi qu'il en soit, ce symptôme est une conséquence évidente de l'impré-gnation générale de l'économie ; et ce qui le prouve, c'est qu'on voit souvent la coloration de la peau se produire longtemps après qu'on a suspendu tout traitement. D'ailleurs, les organes intérieurs subissent aussi un travail de ce genre : c'est ce que nous allons démontrer maintenant.
Orfila, après avoir administré à des chiens une dose de 4 à 5 grammes de nitrate d'argent dans 200 grammes d'eau (ce qui déterminait la mort dans l'espace de quelque temps), a trouvé de l'argent dans les intestins, le foie, la rate et les seins. M. L. Orfila a trouvé de l'argent dans le foie, plusieurs mois après l'ingestion du sel caustique. Chez les animaux soumis à nos expériences, et qui avaient pris de l'argent à l'intérieur pendant un long espace de temps, nous avons retrouvé le mé-tal dans l'estomac, les intestins, le foie, les reins et le cerveau ; mais il n'en existait pas dans les poumons.
L'expérimentation thérapeutique donne des"résultats encore plus concluants. En examinant les organes d'un sujet qui avait pris pendant longtemps du nitrate d'argent, Brandes a trouvé le métal dans les os, dans le pancréas, et dans le plexus cho-roïde ; ce dernier fait s'est également présenté à notre obser-vation à la Salpêtrière. Chez plusieurs femmes, qui avaient été longtemps soumises à la médication argentique, le plexus choroïde offrait une teinte foncée ; nous avons constaté une fois la présence de l'argent par une analyse directe. Van Geuns, chez un épileptique qui, depuis seize ans, avait cessé de prendre du nitrate d'argent, a trouvé le métal dans pres-que tous les tissus: les méninges cérébro-spinales, le péri-
Charcot. Œuvr. compl. t. vin, 5e partie : Thérapeutique, 27
Foie............ 0,047
Rein............ 0,067
d'argent métallique pour 100 parties de parenchyme organique.
Nous avons vu tout récemment un cas presque identique, à la Salpètrière ; les reins offraient à la coupe une belle colora-tion bleue. En examinant cette pièce au microscope, nous avons trouvé les points noirs déposés autour des glomérules, et dans l'intérieur des pyramides.
Les granulations noirâtres, qu'on rencontre en pareil cas dans les organes, sont solubles dans le cyanure de potassium et l'acide nitrique, mais insolubles dans l'ammoniaque et l'hy-posulfite de soude ; ce qui semble démontrer qu'il ne s'agit pas d'un chlorure, mais plutôt d'un albuminate d'argent.
En résumé, il est évident que les sels d'argent, lorsqu'ils
carde, les bronches, le larynx, le péritoine, le tube intestinal, étaient d'une couleur bleuâtre. On examina au microscope les os, les cartilages, les reins et la peau. Il existait des granula-tions noires, qui prenaient une coloration blanche parle cya-nure de potassium, dans les canalicules et les corpuscules os-seux ; dans les cellules du cartilage; dans les tubuli de la substance pyramidale du rein ; enfin dans les glandes sudori-pares et les follicules sébacés de la peau.
Dans un cas à'argyrie, observé par Frommann, à l'hôpital allemand de Londres, il existait des lésions identiques à celles du cas précédent ; on a constaté en outre, que, dans l'intestin, les granulations noires, occupaient les villosités ; dans le rein, le pourtour des glomérules; dans le foie, les parois des radi-cules de la veine porte et des veines hépatiques : dans la peau, le pourtour des follicules sébacés et des glandes sudorifiques. Les dépôts paraissaient s'être formés autour des points les plus riches en vaisseaux, mais non pas à l'intérieur des grains glanduleux.
Le foie et le rein, soumis à l'analyse quantitative, ont donné les résultats suivants :
Sans vouloir aborder ici la question pharmaceutique, nous ferons observer que toutes les préparations à base d'argent, quelle que soit d'ailleurs la combinaison chimique dans la-quelle le métal se trouve engagé, ont, au point de vue médi-cal, une action à peu près identique. Sous quelque forme qu'on l'administre, l'argent, dissous dans les sucs digestifs, finit toujours par pénétrer dans l'économie, pour y produire les effets qui le caractérisent; c'est ce que démontrent victo-rieusement les cas d'argyrie déterminés par l'usage du plus insoluble de tous les sels d'argent, le chlorure (Mialhe, Char-cot). D'ailleurs les préparations solubles de ce métal, intro-duites dans l'estomac, ne sont, sans doute, jamais absorbées en nature; mises en présence du suc gastrique, elles sont
ont été administrés pendant un long espace de temps, forment des composés insolubles, qui se déposent dans tous les tissus de l'économie, et dont l'élimination, d'ailleurs excessivement lente, se fait surtout par les reins et la peau. En effet, divers observateurs ont retrouvé des traces d'argent dans l'urine, chez les sujets longtemps soumis à ce genre de traitement, et M. Cloëz est parvenu à recueillir un globule d'argent, en réu-nissant les urines de plusieurs de nos malades de la Salpê-trière. Ce résultat démontre à la fois que le métal existe, et qu'il n'existe qu'en proportion bien minime, dans les produits de l'excrétion rénale.
On devrait par analogie, constater la présence de l'argent dans la sueur ; mais nous croyons qu'aucun observateur n'a pu jusqu'à présent démontrer ce fait. Nous avons vu cepen-dant que dans les cas d'argyrie, le pourtour des glandes sudo-ripares est criblé de granulations noires.
III. Effets thérapeutiques des préparations d'argent admi-nistrées a l'intérieur.
probablement transformées en chlorure et en albuminate d'ar-gent.
Àu reste, on sait depuis longtemps que les préparations pharmaceutiques dans lesquelles le nitrate d'argent est asso-cié à la mie de pain, ou à des extraits végétaux, sont bien loin de présenter une composition stable. Ce fait, signalé en 1822 par le professeur Sementini (de Naples), a été confirmé depuis par de nombreuses recherches. Les analyses faites, il y a quelques années, par M. Cloëz, ont montré que dans des pilu-les fraîchement préparées, les quatre cinquièmes au moins du sel d'argent sont décomposés et passent à l'état insoluble, principalement sous forme d'oxyde d'argent et d'argent mé-tallique ; et cependant chez les malades qui avaient pris ces pi-lules, on retrouvait l'argent (en petite quantité, il est vrai), dans les urines; preuve évidente que le métal avait été ab-sorbé.
Récemment encore, M. Déniau, interne en pharmacie à la Salpêtrière, a publié quelques recherches sur ce sujet. 11 s'est assuré que, dans les pilules de, Bayle, qui contiennent un mé-lange à parties égales de nitrate d'argent et de nitrate de po-tasse, associés à une quantité double de mie de pain, les deux cinquièmes de sel d'argent restant à l'état de nitrate,, un dixième passe à l'état de chlorure, et neuf vingtièmes à l'état d'argent réduit. L'analyse a été faite quatorze jours après leur préparation.
. Des pilules préparées avec le nitrate d'argent incorporées à la mie de pain ne présentaient, au bout du même espace de temps, aucune trace de ce sel, dont les deux septièmes étaient à l'état de chlorure, et les cinq septièmes à l'état d'argent ré-duit.
Nous renvoyons, pour de plus amples détails, à l'opuscule, que nous venons de citer. Bornons-nous à établir qu'au point de vue pratique, le chlorure, l'albuminale ou l'oxyde d'argent,
I. Affections du système nerveux.
Parmi les maladies qu'on s'est efforcé de combattre par les sels d'argent, les névroses occupent incontestablement la pre-mière place. Nous avons vu que, dès le principe, ce médica-ment avait été employé à l'intérieur contre les affections des centres nerveux. Sans revenir sur la partie historique de ce travail, nous allons examiner ce qui s'est fait à cet égard depuis la fin du siècle dernier ; nous y joindrons, sur quelques points, les résultats de notre expérience personnelle.
A. Epilepsie. — Depuis l'époque où Sims (de Londres), re-mit en honneur l'emploi des sels d'argent contre, l'épilepsie, ce mode de traitement a joui.d'une grande célébrité. Les tra-vaux de Duncan, Powel, Baillie, Harrison, Roger et I. Johnson,
ne sont nullement préférables à l'azotate de cette base, qui peut d'ailleurs être administré en pilules ou en solution ; mais, sous cette dernière forme, il est beaucoup plus irritant. Powel a pu en prescrire 75 centigr. en une dose, à l'état pilulaire ; tandis qu'il n'a presque jamais rencontré de sujets dont l'estomac pût en tolérer plus de 25 centigr. sous forme de solution, à la fois. Fouquier avait déjà fait la même remarque. Il est probable que les changements qui s'opèrent dans la masse pilulaire, occasionnent cette différence. Nous avons même constaté que les pilules fraîchement préparées sont moins aisément tolérées que celles qui ont déjà quelques jours de date, et qui d'abord molles et hygrométriques, ont acquis une très grande dureté ; elles sont en même temps noircies, à l'extérieur, par un dépôt d'argent métallique.
Nous parlerons surtout, dans cet article, des effets théra-peutiques obtenus par l'administration du nitrate d'argent.
en Angleterre ; de Cappe, à New-York ; de Butini, Odier, Delarive et Lombard, à Genève ; de Nord, à Yienne; de Béera, Kriîger et Balardini, en Italie; de Biett, Esquirol, et plusieurs autres observateurs en France, ont contribué à en répandre l'usage.
Le nitrate d'argent exerce quelquefois une action favorable sur l'épilepsie, du moins au début. Il éloigne les accès, en amoindrit l'intensité, et peut même les faire disparaître pen-dant un temps plus ou moins long, quelquefois même pen-dant plusieurs années. Mais les cas de guérison définitive par l'emploi de ce médicament sont peu communs ; et il n'existe malheureusement aucun caractère clinique qui permette de distinguer les cas favorables à l'emploi des sels d'argent, de ceux qui ne seront nullement améliorés par cette méthode. On ne saurait trop regretter cette lacune dans nos connaissances, d'autant plus que pour produire un effet sensible sur la marche de la maladie, il faut administrer l'argent pendant longtemps et à haute dose ; aussi est-ce le plus souvent chez des épilep-tiques qu'on a constaté la coloration bleue de la peau. Il serait donc de la plus haute importance de savoir distinguer les cas favorables à cette médication de ceux qui lui sont entièrement rebelles, afin de ne point imprimer inutilement au malade une marque indélébile.
Nous n'avons aucun fait personnel àjoindre aux observations consignées dans les auteurs, relativement à l'action de l'argent dans l'épilepsie essentielle. Il échoue presque toujours dans l'épilepsie symplomatique, au dire des meilleurs observateurs. Nos propres recherches tendent à confirmer ce résultat. Nous avons souvent administré, par exemple, le nitrate d'argent dans nos salles, à la Salpètrière, à des femmes atteintes d'hé-miplégies anciennes, à la suite d'hémorrhagies ou de ramollis-sements cérébraux, lorsqu'il existait chez elles des accès épileptiformes à retours périodiques, (c'est là une complication
fréquente de ces lésions), et nous n'avons jamais réussi à modifier sensiblement cet état de choses.
B. Chorée. — En 1793, Hall, publiait une observation de chorée, chez une femme de 36 ans, qui fut rapidement guérie par le nitrate d'argent ; et quelques années plus tard, Powel revenait sur l'emploi des sels d'argent dans cette maladie, qu'il affirmait avoir souvent améliorée ou complètement guérie par ce moyen. L'efficacité de ce traitement, fut célébrée plus tard par Pittschaft, Priou et Bretonneau ; mais, en France, cette médication est depuis longtemps abandonnée ; au reste, la plupart des faits rapportés par les auteurs que nous venons de citer, se rapportent à des enfants au-dessous de l'âge de la puberté ; or, il faut se rappeler que la chorée de l'enfance, se tsrmine souvent par une guérison spontanée. Cependant Nieberg a publié, il y a quelques années, une observation dans laquelle une chorée qui avait résisté pendant quatre ans a tous les autres moyens, fut rapidement améliorée, puis complètement guérie, par le nitrate d'argent en solution. Il y aurait lieu, peut-être, de faire quelque nouvelles recherches sur ce sujet.
C. Paralysie agitante. — Bans cette maladie, d'après nos observations personnelles, l'emploi du nitrate d'argent aug-mente la rigidité qui existe chez plusieurs sujets, aggrave sou-vent le tremblement, et cause bientôt au malade des sensa-tions pénibles. Nous avons donc été obligé de suspendre ce traitement chez tous les malades à qui nous l'avions prescrit.
D. Paralysie générale progressive. —Le nitrate d'argent, d'après M. Bouchut, aurait agi favorablement dans trois cas de paralysie générale progressive. Chez le premier malade, il y eut un amendement marqué, et l'amélioration se soutint pen-
dant une année ; chez les deux autres, il y eut une heureuse modification de l'embarras de la parole, et de la paralysie des membres.
Des faits aussi remarquables et aussi peu conformes à la marche ordinaire de cette affection redoutable, auraient besoin d'être confirmés par de nouvelles recherches, avant d'être définitivement acceptés dans la science.
E. Angine de poitrine. — Les sels d'argent ont autrefois joui d'une certaine réputation dans le traitement de l'angine de poitrine. Cappe, Fauchier, Sementini, Olzewski, Kapp, Harder, Bastide, ont rapporté des observations d'angine de de poitrine, dans lesquelles, on serait parvenu à guérir les ma-lades, ou à les améliorer notablement par l'usage du nitrate d'argent. Mais on peut se demander si, dans ces cas heureux, le diagnostic était à l'abri de toute critique. Il est évident que rien jusqu'à présent ne nous autorise à recommander ce trai-tement contre la sternalgie.
F. Palpitations. — Schneider et Kopp, ont employé le nitrate d'argent contre les palpitations cardiaques : le premier de ces deux auteurs, qui administrait ce médicament à la dose de 6 centigrammes par jour, prétend en avoir retiré de bons effets. Cependant chez un malade qui offrait depuis vingt ans des palpitations nerveuses, sans aucun indice appré-ciable d'une lésion organique du cœur, l'un de nous (M. Char-cot) a administré l'azotate d'argent pendant longtemps, et à dose élevée, sans obtenir aucun succès.
G. Ataxie locomotrice progressive. —11 y a maintenant envi-ron six ans que Wunderlich fut amené à prescrire le nitrate d'argent dans cette affection, par l'observation des.phénomènes singuliers que présentait une de ces malades. Il s'agissait
d'une femme sujette à des convulsions hystériques chez la-quelle il se manifestait une paralysie généralisée, à la suite de l'accès, lorsque les phénomènes convulsifs avaient offert une grande intensité ; mais le nitrate d'argent pris à l'intérieur triomphait rapidement de ces accidents, et rétablissait dans leur intégrité les fonctions du système nerveux.
Inspiré par cette coïncidence remarquable, Wunderlich essaya ce nouveau remède dans l'ataxie locomotrice progres-sive ; et, en 1861, il publiait cinq observations, dans lesquelles cette affection avait été traitée avec succès par l'azotate d'argent.
Le travail de l'observateur allemand a été le point de départ de recherches que l'un de nous (M. Charcot) a entreprises sur ce point, en collaboration avec M. le docteur Vulpian. Parmi les malades soumis à cette médication, plusieurs ont été nota-blement améliorés ; aucun n'a été radicalement guéri.
Depuis cette époque, plusieurs faits analogues ont été pu-bliés par MM. Trousseau, Herschell, Vidal, Duguet, Beau, ei d'autres observateurs. En Allemagne, Eisenmann a remplacé le nitrate d'argent par le phosphate, et a obtenu, chez son ma-lade, une amélioration marquée. Enfin, l'année dernière (1866) Eulenberg a présenté, à la Société de médecine de Berlin, un malade qui avait été complètement guéri par le nitrate d'ar-gent. On ne pouvait admettre aucun doute sur le diagnostic chez ce sujet, qui présentait, de la manière la plus accusée, tous les signes caractéristiques de l'ataxie locomotrice progres-sive. C'est là un résultat très exceptionnel; car si nous joi-gnons à cette observation un autre fait de Wunderlich, nous aurons réuni les deux seuls cas dans lesquels on ait obtenu un succès complet. Il est permis d'ailleurs de se demander si ces résultats ont été ou seront permanents, et si l'on ne verra pas reparaître, aune époque ultérieure, les symptômes de la ma-ladie ; car, partout ailleurs, on n'a constaté que des améliora-tions plus ou moins importantes.
Cependant plusieurs auteurs, parmi lesquels nous citerons M. le docteur Topinard, ont nié d'une manière à peu près ab-solue l'efficacité de ce traitement. Nous sommes loin de pré-tendre qu'on puisse espérer de réussir chez tous les sujets; mais nous possédons des faits dans lesquels l'action curative de l'argent a été trop évidente, pour qu'il soit possible de la contester. 11 resterait à savoir s il existe, au point de vue cli-nique, des caractères qui puissent guider le médecin dans l'administration de cet agent thérapeutique. Nous ne sommes malheureusement pas en mesure de les indiquer ; nous croyons toutefois que la rigidité des membres inférieurs, et l'atrophie des muscles destinés à les mouvoir, phénomènes qui s'obser-vent souvent chez les malades qui sont atteints de cette affec-tion depuis longtemps, et répondent à l'envahissement des cordons latéraux, sont des contre-indications formelles. Nous en dirons autant des douleurs fulgurantes, lorsqu'elles présen-tent une intensité exceptionnelle.
Quant aux cas favorables, ils appartenaient tantôt à la pre-mière période de la maladie, tantôt aune époque beaucoup plus avancée. On ne saurait préciser à l'avance la durée du traitement, ni la quantité de nitrate d'argent qui sera admi-nistrée ; en effet, certains sujets sont plus réfractaires, d'autres plus sensibles à son action. S'il ne se manifeste aucun résultat satisfaisant, il est prudent de s'arrêter, lorsqu'on voit sur-venir le liseré noir des gencives, afin de ne point exposer inu-tilement le malade à la coloration bleue de la peau : si l'on obtient, au contraire, des effets avantageux, il est permis, ce nous semble, de persévérer pendant un certain temps, d'au-tant plus que nous avons démontré plus haut que le liseré gingival précède de beaucoup l'apparition de la teinte ardoisée.
Nous faisons usage, en général, de pilules renfermant 1 cen-tigramme d'azotate d'argent, incorporé à de la mie de pain; nous donnons d'abord une, puis deux pilules par jour,
mais sans en continuer l'administration pendant longtemps.
Les effets les plus marqués de ce traitement, lorsqu'il réussit, sont les suivants : 1° il rétablit, jusqu'à un certain point, la coordination des mouvements et la puissance musculaire; 2° il diminue assez souvent l'intensité des accès douloureux; 3° il améliore, d'une manière évidente, l'état général du malade, rétablit les fonctions digestives, et fait augmenter le poids du corps.
H. Paraplégies. — On sait depuis longtemps que la paraplé-gie est un phénomène morbide qui correspond aux lésions les plus diverses : or, rien n'est plus difficile en pratique, que de formuler le diagnostic des désordres qui ont provoqué cette manifestation symptomatique. Nous croyons cependant qu'on peut établir à cet égard deux catégories bien distinctes, au point de vue du traitement.
1° Les paraplégies avec contracture et rigidité permanente des membres, qui correspondent en général à des scléroses plus ou moins étendues des cordons antéro-latéraux, ne sau-raient être améliorées par l'emploi des sels d'argent, qui pa-raissent, au contraire, aggraver tous les symptômes, d'après nos observations personnelles. Il en est de même lorsque la myélite chronique est compliquée de méningite spinale.
2° Les paraplégies avec flaccidité des membres inférieurs, qui correspondent à un grand nombre de lésions diverses, sont susceptibles de subir l'influence favorable de ce traite-ment.
Dans le mémoire que l'un de nous (M. Charcot) a publié en commun avec M. le docteur Vulpian, on trouve l'observation d'une malade atteinte de paraplégie, avec flaccidité des mem-bres inférieurs, sans aucun symptôme d'ataxie locomotrice. Sous l'influence du nitrate d'argent, l'état de cette femme s'est considérablement amélioré ; elle est arrivée à pouvoir mar-
cher en n'étant soutenue que sous un seul bras, et les pro-grès ainsi réalisés ont persisté après la cessation du traitement.
Nous ne connaissons pas la lésion qui existait chez cette malade. Mais dans deux observations publiées, l'une par M. Bouchut, l'autre par M. Beguise, il s'agissait d'une para-plégie survenue à la suite d'une commotion de la moelle épi-nière, et qui avait persisté longtemps après l'accident; le nitrate d'argent, dans l'un et l'autre cas, amena rapidement le réta-blissement complet.
La simple commotion de l'axe médullaire semble, il est vrai, plus susceptible de guérison que des lésions plus profondes et pour ainsi dire plus matérielles de ce centre nerveux. Cepen-dant, on parvient quelquefois à rétablir des malades qui ont subi une compression directe de la moelle épinière ou tout au moins à les améliorer. Nous allons en rapporter deux exemples.
Nous avons en ce moment sous les yeux une femme atteinte de paraplégie par fracture de la colonne vertébrale, chez la-quelle il existait depuis une année une flaccidité absolue des membres, avec perte des mouvements volontaires et même réflexes, et abolition de la sensibilité. Le nitrate d'argent a fait reparaître l'excitabilité de la moelle, et les mouvements réflexes se sont reproduits; bientôt après, on a vu renaître, dans les membres paralysés, une sensibilité émoussée ; le froid, le pincement, etc., produisaient chez la malade une sorte de vibration douloureuse. Les mouvements volontaires n'ont pas encore reparu ; on continue le traitement.
Chez une autre personne, atteinte de paraplégie complète, de-puis deux ans, par suite d'unmal de Pott, nous avons vu d'abord se rétablir les mouvements réflexes et la sensibilité, puis, la guérison faisant des progrès, nous avons obtenu le retour pres-que complet à l'état normal, et la malade marche aujourd'hui sans béquilles. Bans ce second fait, l'évolution des phénomènes a d'abord été la même que dans le premier; seulement, les
effets obtenus ont été plus complets. Dans les cas de ce genre, la moelle a probablement cessé d'être directement compri-mée; mais il subsiste encore une altération de l'axe nerveux, qui se guérit sous l'influence du médicament.
On comprend que la médication argentique ne peut réussir en pareil cas, que si la compression a cessé d'exister. La rè-gle à suivre est de traiter d'abord le malade par les cautérisa-tions transcurrentes et d'autres moyens appropriés, pour dé-gager la moelle des épanchements qui la compriment; on donne alors le nitrate d'argent, s'il n'existe point de contracture dans les membres affectés.
Dans les cas de paraplégie hystérique, le nitrate d'argent paraît avoir été quelquefois utile ; mais nous ne possédons point de renseignements personnels à cet égard.
I. Hémiplégies anciennes. —On sait aujourd'hui que, presque toujours, quand une hémiplégie d'origine cérébrale date de quelques mois, il existe une contracture des membres, qui correspond à une altération de la moelle, déjà signalée par M. Cruveilhier, et mieux étudiée dans ces derniers temps sous le nom de sclérose descendante.
Le nitrate d'argent produit ici des soubresauts, des déman-geaisons, des fourmillements dans les membres. Les malades semblent récupérer jusqu'à un certain point la faculté des mouvements, mais la rigidité augmente ; on est donc forcé de renoncer au traitement. Il faudrait, pour pouvoir l'employer avec des probabilités sérieuses de succès, en faire l'application à des cas d'hémiplégies anciennes avec flaccidité des mem-bres ; mais cette combinaison se rencontre bien rarement.
Nous n'avons jamais eu l'occasion d'essayer ce moyen théra-peutique dans les hémiplégies récentes.
Quelques mots sur le mode d'action des sels d'argent dans
les affections chroniques de la moelle épinière. — D'après les faits que nous venons de rapporter, et dont un grand nombre ont été observés par nous-mêmes à la Salpètrière, il est évi-dent que l'administration des sels d'argent à l'intérieur peut souvent améliorer, et quelquefois guérir, certaines affections chroniques de la moelle épinière, qui ont été rangées, jusqu'à ces derniers temps, parmi les maladies les plus rebelles à toute espèce de traitement.
Il paraît, au premier abord, impossible d'admettre l'action curative d'un médicament quelconque, dans les cas où il existe une lésion organique profonde des centres nerveux. Mais une étude plus attentive de la question a démontré que, parmi ces dégénérations chroniques des cordons médullaires qui ont reçu le nom de scléroses, et qui, d'après leur siège, peuvent déter-miner la paraplégie, l'ataxie locomotrice, et jusqu'à un certain point les hémiplégies, les unes sont radicalement incurables, les autres ne sont pas entièrement inaccessibles à l'interven-tion médicale. Tantôt les tubes nerveux sont totalement dégé-nérés, dans toute l'étendue du point malade : on ne peut alors s'attendre à aucune amélioration dans l'état du sujet ; tantôt, au contraire, il existe, à côté des éléments nerveux complète-ment détruits, et pour lesquels toute régénération est devenue impossible, d'autres tubes dont l'altération n'est pas arrivée au même point, et qui, sous l'influence d'un traitement qui stimule la nutrition ou l'activité fonctionnelle de la moelle épi-nière, sont susceptibles de revenir à l'état normal. C'est en pareil cas, quel'intervention de la médecine peut être couronnée d'un succès relatif; on peut en effet restitueraumalade, sinonla totalité, au moins une partie des éléments histologiques qui servaient à l'accomplissement des fonctions de l'axe médul-laire ; et le mouvement peut alors renaître, ainsi que la sensi-bilité, dans les membres paralysés, qui cependant ne retrouve-ront jamais leur première vigueur.
Existe-t-il des caractères cliniques, à l'aide desquels on puisse distinguer les cas qui se prêtent à l'intervention médi-cale de ceux qui, loin d'en profiter, seront au contraire aggra-vés par un traitement actif? Nous croyons pouvoir répondre par l'affirmative, au moins pour ce qui concerne le nitrate d'argent. Les recherches que nous avons, depuis longtemps, entreprises à la Salpêtrière, nous ont appris que, dans tous les cas où il existe des phénomènes d'excitation de la moelle, des contractures, par exemple, dans la paraplégie, des crises dou-loureuses violentes, dans l'ataxie locomotrice, le nitrate d'ar-gent est formellement contre-indiqué ; son usage aggrave les symptômes au lieu d'améliorer l'état du malade. Lorsqu'il existe au contraire un état de faiblesse et de flaccidité des membres, on peut souvent espérer un résultat heureux de ce mode de traitement.
Nous croyons, en effet, que l'action du nitrate d'argent peut être assimilée, jusqu'à un certain point, à celle de la strych-nine: il stimule les propriétés de la moelle, développe le pou-voir excito-moteur, et réveille les fonctions de l'axe médul-laire ; seulement son influence est lente et durable, car il agit probablement sur la nutrition des éléments nerveux ; celle de la strychnine au contraire est immédiate, mais éphémère.
IL Affections du tube digestif.
A. Dyspepsie, gastralgie. — Le nitrate d'argent a été pré-conisé par divers auteurs chez les dyspeptiques atteints d'irri-tabilité gastro-intestinale (J. Johnson), de cardialgie (Fischer) et de vomissements, surtout chez les enfants (Rueff). Dans la dyspepsie flatulente et le pyrosis, on paraît quelquefois en avoir retiré de bons effets, d'après Parker, Copland et Hudson. Il en est de même, au dire de Krùger, Fischer et Hirsch, dans les cas où la dyspepsie coïncide avec des éruptions buccales ou avec un
point douloureux, sur le trajet de la colonne vertébrale. Enfin, Autenrielh en a constaté l'efficacité dans la dyspepsie qui suc-cède à la suppression d'une éruption cutanée, ou qui se ratta-che à la diathèse goutteuse.
L'un de nous (M. Gharcot), a obtenu de bons effets de l'admi-nistration du nitrate d'argent dans le catarrhe stomacal, ainsi que dans la dyspepsie des ivrognes, qui est souvent caractéri-sée par le rejet de mucosités filantes chaque matin.
B. Ulcère simple de r estomac. — Certains médecins anglais ont vanté les préparations d'argent, et surtout l'oxyde de ce métal, dans les ulcérations de la muqueuse gastrique. Brinton, qui discute longuement cette question, est resté sceptique à cet égard; il fait observer que la diète lactée, et les autres moyens qu'on a toujours employés concurremment avec le nitrate d'argent peuvent revendiquer une bonne part du succès.
C. Diarrhée, dysenterie. — Graves recommande l'azotate d'argent à la dose de 15 à 20 centigrammes par jour, dans la diarrhée colliquative des phthisiques, à la condition qu'il n'y ait point d'ulcérations intestinales. Stillé (de Philadelphie) prétend au contraire que c'est précisément dans le cas où il existe des ulcérations de l'intestin, que l'on peut attendre de bons effets de ce médicament. Mac Gregos (de Dublin) en fai-sait usage dans la diarrhée chronique ordinaire, en l'associant à l'opium. Hirsch en recommande l'emploi dans la diarrhée des nourrices ; dans la diarrhée dysentériforme des jeunes en-fants, son efficacité a été vantée par Eberle, Meigs, Trousseau, Duclos et Henoch. Dans la dysenterie des adultes, on a depuis longtemps recours au nitrate d'argent. Il a été préconisé par MM. Trousseau, Périer et plusieurs autres médecins : on l'ad-ministre surtout en lavements, et c'est principalement en vue de cette affection que M. Délioux avait composé des lavements
à l'albuminate d'argent. Récemment encore, M. Garadec est revenu sur ce point. Il conseille d'administrer, au début, des lavements renfermant de 5 à 10 centigrammes de nitrate d'ar-gent, pour les enfants, et de 15 à 20 centigrammes pour les adultes. Lorsque l'affection persiste, il prescrit des pilules ren-fermant 1 centigramme d'azotate d'argent : on peut en pren-dre de 3 à 5 par jour. — La diarrhée de la fièvre typhoïde, lorsqu'elle est entretenue par l'ulcération des plaques de Peyer, peut être utilement traitée par le nitrate d'argent, vers la fin de la maladie. Ebers, Boudin, Mitchell (de Philadelphie), en ont obtenu d'excellents résultats. Il ne faudrait pas administrer ce remède au début de la fièvre typhoïde, ni dans le cas où la diarrhée est peu abondante : il paraît offrir alors plus d'in-convénients que d'avantages.
G. Choléra. — L'épidémie de 1849 a fourni l'occasion de tenter quelques essais de thérapeutique par le nitrate d'argent, dans le choléra asiatique. M. Barth, qui l'administrait à la dose de 25 centigr. en clystère, et de 5 centigr. en potion, en a quelquefois retiré de bons effets. Ce moyen a été expérimenté par Grouard, Dettel et Russ en 1849 et 1850, et par Hei-denheim, en 1855 ; ce médecin en faisait prendre un hui-tième de grain (6 milligr.) en pilules, toutes les heures, jus-qu'à ce que le malade en eut ingéré un grain et demi ou deux grains (75 à 100 milligr.) Lévy considère le nitrate d'argent comme le remède spécifique du choléra ; mais cette opinion n'a pas fait jusqu'ici beaucoup de prosélytes.
Dans le choléra sporadique, ce moyen paraît avoir été em-ployé avec quelques succès ; il semble avoir réussi surtout dans le choléra infantile produit par le sevrage. Krause et Kaiser l'ont administré à l'intérieur dans cette maladie ; ce dernier conseille de le faire prendre sous forme de poudre mé-langée à de la gomme pulvérisée avec du sucre. Il en donne
Charcot. GEuvr. compl. t. viii, 5e partie : Thérapeutique. 28
de un vingt-quatrième à un dix-huitième de grain à ses petits malades (2 à 3 milligr.), en répétant la dose quatre à cinq fois par jour.
D. Ictère. — Un médecin' américain, Publes, prétend avoir souvent guéri la jaunisse chronique et spontanée par l'azotate d'argent. Il est probable, d'après l'analyse des observations que cet auteur a données, qu'il s'agit ici de dyspepsies chroni-ques avec douleurs épigastriques à un ictère consécutif. Telle est du moins l'opinion de S Lille, auquel nous empruntons ces renseignements.
III. Affections des voies respiratoires.
A. Phthisie pulmonaire. — Quelques médecins américains recommandent l'azotate d'argent dans la dernière période de cette affection : Balstow a réussi à diminuer la quantité de l'ex-pectoration muco-purulente par l'administration de ce médi-cament, et Ware l'a employé avec succès contre les sueurs nocturnes.
B. Croup. —Nous ne voulons pas nous occuper ici des cau-térisations pratiquées avec le nitrate d'argent sur les points envahis par les pseudo-membranes de la diphthérie ; cette question se rattache à l'usage externe de cet agent. Nous voulons seulement signaler un cas publié récemment par Schœvers (de la Haye) dans lequel le croup aurait été guéri, chez un enfant, par l'administration interne du nitrate d'ar-gent à haute dose (1 gr. dans 60 gr. d'eau distillée). Nous lais-sons à l'auteur toute la responsabilité de ce fait.
C. Coqueluche. —Berger prétend avoir retiré de bons effets,
dans la période aiguë de cette maladie, de l'usage interne du nitrate d'argent, surtout lorsque les accidents convulsifs sont très prononcés. Il le donne à la dose de 4 à 5 milligr. par jour, en trois ou quatre fois.
IV. Organes génitaux.
L'oxyde d'argent, préconisé par Love, contre la gastralgie, serait un puissant spécifique contre l'aménorrhée, d'après cet auteur, dont les opinions sont adoptées par Eyre.
V. Syphilis.
M. Serres (de Montpellier) et son élève M. Sicard, ont essayé l'argent comme antisyphilitique ; ils ont cherché à introduire ce médicament dans le traitement des maladies vénériennes : mais les expériences de M. Ricord et de quelques autres praticiens, n'ont pas confirmé leurs assertions.
VI. Diabète.
M. le professeur Trousseau est parvenu à améliorer l'état d'un diabétique par l'administration interne de l'azotate d'ar-gent, à la dose de 5 à 10 centigr. par jour ; ce traitement a été continué pendant quinze jours. D'après Garrod, quelques méde-cins anglais auraient déjà fait usage de ce moyen thérapeutique contre le diabète ; mais il semble peu disposé à croire à son efficacité.
VII. Hydropisies.
Nous avons vu plus haut que Boerhaave et d'autres médecins du dix-septième siècle faisaient l'usage du nitrate d'argent
comme purgatif hydragogue, à une époque où l'usage de ce médicament commençait à se perdre. Nous avons voulu nous convaincre par des expériences personnelles de l'efficacité de cet agent ; mais nos essais ne nous ont donné que des résul-tats négatifs. Nous avons fait usage des pilules de Bayle (azo-tate d'argent 2 gr. 50 ; azote de potasse, 2 gr. 50 ; mie de pain, 5 gr. ; pour 100 pilules, dont chacune renferme 25 milligr. de nitrate d'argent). Nous avons prescrit de 6 à 8 pilules, à plu-sieurs reprises, sans même obtenir d'effet purgatif. Il faudrait peut-être recourir à des doses beaucoup plus élevées.
VIII. Du NITRATE D'ARGENT COMME TONIQUE.
ôn a proposé d'administrer le nitrate d'argent à l'intérieur comme tonique, dans la cachexie et la débilité qui se ratta-chent à diverses affections chroniques. Neligan Moore en recommande l'emploi au début de la phthisie pulmonaire, ainsi que dans l'affaiblissement qui accompagne les affections chroniques de l'estomac, surtout lorsqu'il existe un état d'irri-tabilité gastrique et intestinale. Il le prescrit à petites doses, fréquemment répétées ; il commence par en donner un sixième de grain, trois fois par jour; on peut élever la dose jusqu'à 3 grains (1 à 15 centigr.).
Il est probable que l'azotate d'argent, s'il produit réellement, en pareil cas, des effets utiles, agit surtout sur l'élément dyspep-tique de la maladie. Au reste, il est fort possible que les sels d'argent jouissent d'une véritable action tonique; mais on ac-cordera longtemps la préférence, sous ce rapport, au fer et aux nombreux produits que nous offre le règne végétal.
Bibliographie. — Avicenne. Avicennœ medicorum Arabum principis Liber Canonis, de Medicinis cordialibus, etc. Bâle, 1556. Lib. V, summ. I, tract. I; Hon/ectio de Cyacintho nostra. et De med. cordial., tract. II: De argento. — Serapion. De argento et scoria ejus. In Serapion, Averrœs et C. Africa-
nus, édit. Otho Brunfels. Strasbourg, 1531. — Libavius, Andrese Libavii Al-chimia recognila, emendata et aucta. Francfort, 1606. Il est question dans cet ouvrage de l'argent potable [argentum potabile). C'est la préparation hy-dragogue de Boyle. — Le même. A. Libavii syntagma, etc. Francfort, 1611. Il est question clans cet ouvrage de la liqueur de lune (liquor argenti seu lunse). — Paracelse. Bombast von Hohenheim Paracelsi opéra. Strasbourg, 1606. Il est question des propriétés médicales de l'argent dans plusieurs des ouvrages de Paracelse, et spécialement dans le traité intitulé : De morbis amentium. — Sala (A). Angeli Salée opéra medico-chymica quse extant omnia. Francfort, 1647. — Sylvius. Fri Deleboë Sylvii opéra medica, edit. secunda. Amstelodami, 1680. — Boyle. Tentamina qusedam physiologica diversis tem-poribus et occasionibus conscripta a R. Boyle ex Anglico in lot. serm. trans-lata. Londres, 1661. Le même. Some considérations touching the Usefulness of Expérimental Natural Philosophy. Oxford, 1672. — Hoffmann. Diss. de pur-gantibus selectis et minus cognitis. Hal., 1704. — Boerhaave, Elem. chemise, quse docuit. H. Boerhaave. Bàle, 1745. — Fourcroy. Médecine éclairée par les sciences physiques, 1791, t. I. — Sims. Memoir of the Med. Soc. of London, 1794, t. IV. — Wilson. Duncan's Annals of med-, 1797. — Cappe. Duncan's Annals ofmed. 1798, t. III ; 1799, t. IV; 1800, t. V. - Hall. Annals of Med., 1799, t. IV et 1800, t. VI. — Faucher. Annales de la Société de médecine de Montpellier, 1806, t. VII.-— Powell. Observations on the Internat Use of Nitrate ofSilver, in Med. Trans. publ. by the Coll. of Physicians. London, 1813, t. IV.
— Franklin. Fothergill's Med. and. Physical Journ. April, 1815. —Butini. De usu interno prsepararationum argenti. Thèses de Montpellier, 1815. — Al-lers. In Meckel's deutschen Archiv fur Physiol. Bd. III. Berlin, 1817. — Le même, in. Med. chir. Trans., t. VU, Londres, 1819. — Badeley. On the Effects of Nitrate ofSilver. In Med. chir. Trans., 1818, t. IX. — Sementini. De l'usage interne du nitrate d'argent (mém. lu à l'Acad. des se. de Naples). In Journ. de Pharm. Paris, 1822, lre série, t. VIII. — Priou. Nitrate d'argent dans la chorée. In Nouvelle bibliothèque médicale, t. VI, 1824. Pittschaft. In Hufe-land's journ., Bd. III, St 3. Balardini, Annali univ. di méd., Milano, t. XXXVIII, 18^6. — Jonhson. An Essay on morbid Sensibility of the Stomach and Bowels. London, 1827. — Wedemeyer. Salzb. Med. Zeitung, 1829', Bd. I,
— Hofmann (F. A.). Handbuch der Arzneimittelhre, etc., Leipzig, 1829. — Mérat et Delens. Dict. de thérap., 1829, art. argent. — Brandes. Quarterly journal of sciences, 1831. — Lombard. Gazette médicale, Paris, 1832. Dict. de med. en 30 vol., t. III, art. argent, 1833. — Lazzarini (Domenico). In Osser-vatore di Napoli, Marzo, 1834. — Gibert. Revue médicale, t. III, Paris, 1835.
— Rueff, Medizinische Annalen, Heidelberg, 1836, t. II. — Trousseau et Pi-doux. Traité de thérapeutique et de matière médicale. Paris, 1836, *e édit., 1862, t. I. — Trousseau, Gazette des hôpitaux, 1849, p. 407. — Olzewsky. In Casper's Wochenschrift, n» 45, 1838. — Schneider. Nitrate of Silver inspas-modic Affections of the Heart. In Dublin Journ. 1838, t. XIII. — Sicard (Ad.). Des préparations d'argent et de leur utilité dans le traitement des maladies vénériennes. Montpellier et Paris, 1839. — Hudson. Dublin Journal of médical Science, 1840, t. XVII. — Thomson. American Journ. of med. Se, 1840, t. XXIII. — Widmer. Wirkung der Arzneimittel und Gifte im gesunden thieris-chenKôrper. Mùnchen, 1831-1841. — Bobington. Guy'sHosp. Reports, vol. VI, 1841. — Mac. Gregor. The Lancet, 1841, t. II. — Fischer, Hufeland's Journ., 1841, St. 5. — Lane. The Lancet, 1841, t. II, et British Med. Rewiew., 1847, t. XXIII. — Perry, British Med. Rewiew., 1841. — Périer. Mémoire sur une épi-démie de dyssentérie qui a régné à Versailles. In Journ. de Méd. de Beau. Paris, 1843, fév. et mars. — Masselot et Follet. Sur l'épidémie dysentérique.
In Arch. de méd. Paris, 1843, 4o série, t. I et II. — Krahmer. Das Silber als Arzneimittel betrachtet. Halle, 1845. Cet intéressant ouvrage contient une bi-bliographie fort étendue à laquelle nous avons lait de nombreux emprunts. Eyre (James). British. Med. Review, t. V, 1845. — Heller. London Médical Gazette. July, 1846. — Bastide. Revue médico-chirurgicale, Paris, 1847, dé-cembre. — Peebles. American Journal, juillet 1849. — Duclos. Gazette des hôpitaux, 1849, n° 55. — Barth. Gazette médicale. Paris, 1849. — Girouard. Union médicale. Paris, 1849. — Meigs. Diseases of Children, 2e édit. — De-lioux. Des lavements albumineux à l'azotate d'argent. In Bull, de thërap., t. XL, 1851. — Bennett. Edinburg. Monthly Journal. Nov. 1851. — Neligan-Moore. Medicines, their Uses and Modes of Administration. — Marotte. Journal des connaiss. méd. chir., 1851. — Nieberge. Journal der Kinderkran-kheiten. 1853, nov. et déc. — Romberg. Lehrbuch der Nervenkrankheiten, Ber-lin, 1853, Bd. I. — Mello de Souza Considérations sur les propriétés physio-logiques et thérapeutiques du nitrate d'argent. Thèse de Paris, 1854. — Pe-reira. The Eléments of Materia medica, 1854, t. I. -- Heidenhain. Deutsche Klinik, 1855, n° 8 et 9. — His. Beitrage zur normalen und pathol. Histol. der Harnhaut. Basel., 1856. — Van Geuns. Donders und Berlin Archiv fur die hollandischen Beitrage zur Natur und Heilkunde. Utrecht, 1837, Bd, I.— Bouchardat. Manuel de matière médicale thérapeutique, 1857, t. II. — Co-pland. Dictionary ofpratical Medicine, 1858, t. I. — Frommam. Ein Fall von Argyria, etc. In Virchow's Archiv, t. XVII, 1859. — Stillé. Therapeutics and Materia Medica. Philadelphia, 1860, t. I. —Wunderlich. Arch. der Heilkunde,
1861. — Empis. Archiv. gén. de méd., 1861, vol. II. — Charcot et Vulpian. Sur l'emploi du nitrate d'argent dans le traitement de l'ataxie locom. pro-gressive. Paris 1862. — Duguet. Union médicale, octobre, 1862. — Von Rec-klinghausen. Die Lymphegefàsse und ihre Bezielung zum Bindegewebe. Berlin,
1862. Ellis (Robert) A Practical Inquiry on the Properties of Nitrate of Sil-ver. la Trans. of the Obstétrical Soc. of Lond., 1863, vol. IV. — Eisenmann. Die Bewegungs Ataxie. Wien, 1863, obs. 19. — Tessier. Nitrate d'argent dans l'ataxie locomotrice. In Bull, de thérap., 15 octobre 1864. — Garadec. Union mèdic. 1864, t. XXVIII. — Garrod. The Essentials of Mat. Med. and Therapeut., 2e édit. Londres, 1864. — Topinard. De l'ataxie locomotrice et en particulier de la maladie appelée ataxie locomotrice progressive. Paris, 1865. — Trous-seau. Bulletin de Thérapeutique, 3y août 1865. — Déniau. De l'administration de l'argent à l'intérieur, etc. In Journ. de pharm. et de chim., août 1865. — Bouchut. Bulletin de thérapeutique, 15 déc. 1865. — Guipon (de Laon). Sto-matite argentique, etc. In Gaz. des hôp., sept. 1866.— Eulembourg. Verhan-dlung der Berlin. Med. Gesellschaft. Heft. 2, 1866. — Bail. (B.). Des phéno-mènes toxiques déterminés par l'injection directe des sels a'argent dans le torrent circulatoire. In Compt. rend, de la Soc. de Biol., année lu65. Paris 1866.
Y.
Traitement du rhumatisme articulaire aigu par les alca lins à haute dose 1.
Lettre à M. Dechambre, rédacteur en chef de la Gazette hebdomadaire.
Mon cher ami,
L'article très intéressant inséré par mon collègue, M. le doc-teur Jaccoud, dans le dernier numéro de la Gazette hebdoma-daire (numéro du 25 juillet), relativement au traitement du rhumatisme articulaire aigu par les alcalins à haute dose, me remet en mémoire quelques essais du même genre que j'ai tentés, l'an passé, pendant le semestre d'été à l'hôpital de La-riboisière, dans le service de M. le docteur Pidoux. Vers la même époque, mon ami M. le docteur Vulpian avait bien voulu sur ma prière, reproduire ces mêmes essais dans un des ser-vices de l'Hôtel-Dieu, qu'il était chargé de diriger par intérim. Les résultats auxquels nous sommes arrivés, M. le docteur Vulpian et moi, ont été en général assez décisifs, et ils vien-nent en grande partie corroborer ceux qui ont été obtenus par MM. Garrod, Dickinson et Jaccoud ; c'est pourquoi j'ai pensé qu'il était opportun de les signaler à l'attention des lecteurs de la Gazette.
Pour l'administration du médicament, nous nous sommes conformés, autant que possible, aux préceptes formulés par M. À.-B. Garrod, dans son mémoire publié en 1855, dans les Transactions médico-chirurgicales de Londres \ Seulement, au lieu du bicarbonate de potasse préconisé par M. Garrod, c'est le bicarbonate de soude que nous avons employé. 30 grammes de ce dernier sel étaient dissous dans un litre d'eau, et cette solution était administrée au malade dans les vingt-quatre heures, par doses égales prises toutes les deux heures, jour et nuit; si le cas était très intense, la dose de bicarbonate de soude était portée à 40 grammes dans les vingt-quatre heures. La médication était instituée le jour même de l'entrée du ma-lade à l'hôpital ou dès le lendemain ; elle était maintenue sans interruption, le plus souvent sans intervention d'aucun moyen accessoire, pendant toute la durée de la maladie, et continuée même, en général, deux ou trois jours après la complète cessation des douleurs articulaires et du mouvement fébrile.
Les cas de rhumatisme que nous avons traités par cette méthode sont au nombre de 17, 12 femmes et S hommes; tous appartenaient à la forme poly-articulaire. La plupart étaient d'intensité moyenne, quelques-uns (4 au moins) se faisaient remarquer, au contraire, par la très grande intensité de tous les symptômes. Or, dans tous ces cas, il nous a paru que la durée totale de la maladie avait été très notablement abrégée ; en effet, elle a été de 12 jours environ dans les cas moyens, et alors la médication avait pu être suspendue au bout de 5 à 6 jours ; dans les cas les plus intenses, la médica-tion avait dû être maintenue pendant 12 ou 15 jours, et la durée totale de la maladie a été alors de 20 jours en moyenne.
1. A.-B. Garrod, On a Successful Method of treating Acute Rheumatism by Large and Fréquent Doses of Bicarbonat of Potash. (Medic. Chir. Trans. 1855, t. XX, p. 111.)
Malgré l'administration du bicarbonate de soude à doses aussi élevées et aussi longtemps maintenues, nous n'avons jamais vu survenir d'effets pathogénétiques capables d'inspirer la moindre inquiétude. La maladie ne subissait aucune modi-fication brusque ; tout en conservant ses allures habituelles elle s'amoindrissait pour ainsi dire progressivement dans tous ses symptômes, à mesure que se produisait la saturation de l'organisme. Voici d'ailleurs quelques particularités observées pendant la durée du traitement qui nous paraissent dignes d'être relevées.
Au bout de douze, vingt-quatre heures, ou seulement au bout de deux ou trois jours dans les cas très intenses, les urines rendues deviennent parfaitement transparentes ; elles présentent une réaction alcaline, d'abord peu marquée, puis très intense, et en même temps par l'addition d'acide nitrique, elles sont pendant quelques instants le siège d'une effervescence très prononcée '. Chose remarquable, la réaction alcaline et aussi l'effervescence de l'urine persistent quelque-fois deux ou trois jours après la cessation du traitement. La sécrétion cutanée ne paraît subir dans sa quantité aucune mo-dification appréciable ; suivant M. Garrod, elle se montre moins franchement acide qu'elle ne l'est en général dans le rhumatisme articulaire aigu, en dehors du traitement alcalin, quelquefois neutre, mais jamais elle ne présenterait la réac-tion alcaline. Nous avons vu cependant, dans deux cas, le pa-pier rouge de tournesol appliqué sous les aisselles pendant quelques minutes, prendre une coloration bleue très manifeste.
C'est en général de 2 à 4 jours seulement, après l'apparition de la réaction alcaline des urines, que les divers symptômes (état fébrile, douleurs et gonflement articulaires), ont com-
1. Elles contiennent souvent, lorsque le traitement a duré huit ou dix jours, un précipité blanc, floconneux, léger, qui nous a paru composé presque exclusivement d'urate de soude amorphe mêlé à des cellules épi--héliales.
mencé à subir un amendement notable qui d'abord se main-tient tel quel pendant quelques jours, puis progresse ensuite uniformément, au moins dans la plupart des cas, jusqu'à la cessation définitive de la maladie.
Les organes digestifs n'ont jamais présenté de troubles di-gnes d'être mentionnés ; la solulion alcaline, bien que d'un goût fort désagréable, est prise par la plupart des malades sans trop de répugnance ; elle est presque toujours bien sup-portée ; sous son influence, nous n'avons jamais vu survenir ni vomissements, ni selles diarrhéiques.
Dans aucun de nos 17 cas il ne s'est produit d'affections car-diaques appréciables, mais dans un cas très intense d'ailleurs, une pleuro-pneumonie double s'est développée pendantla du-rée même du traitement. Cependant, malgré l'apparition de cette complication, la médication n'ayant été en rien modifiée, la durée totale de la maladie n'a pas dépassé 22 jours.
La convalescence a été courte en généra], et les malades, bien que souvent fort amaigris, ont rapidement récupéré leurs forces ; jamais nous n'avons remarqué qu'ils présentassent d'accidents indiquant soit une tendance aux hémorrhagies, soit une anémie très prononcée.
Je vous livre, mon cher ami, ces faits sans commentaires. Les remarques qu'ils sont de nature à suggérer ne différe-raient en rien de celles qui terminent l'article déjà cilé de la Gazette. Je me bornerai donc ici à déclarer, conformément aux conclusions de M. Jaccoud, que le traitement du rhuma-tisme articulaire aigu d'après la méthode de M. Garrod, dès à présent recommandable par un assez bon nombre d'heureux essais, s'est toujours montré exempt des dangers ou même d'inconvénients sérieux, et qu'il paraît digne, à tous égards, d'être soumis au contrôle d'expérimentations nouvelles.
Plusieurs observations cliniques me portent à penser que
cette médication n'est pas applicable seulement à la forme aiguë du rhumatisme articulaire. Je l'ai vue déjà plusieurs fois suivie de bons effets dans la forme subaiguë de la maladie, et même aussi dans sa forme chronique primitive, au moment de ces exacerbations marquées par un appareil fébrile souvent très prononcé, qui semblent indiquer une tendance vers l'é-tat aigu. Par contre, elle a complètement échoué dans un cas où le rhumatisme articulaire, qui s'était présenté d'abord sous la forme aiguë généralisée, s'est, au bout de quelques jours, fixé sur une seule jointure Veuillez agréer, etc.
J. M. Charcot.
1. Nous n'avons dû tenir compte, dans cette note, que des cas où le traite-ment du rhumatisme articulaire aigu par les alcalins à haute dose a été ap-pliqué dans toute sa pureté, afin d'assurer la signification des résultats ob-tenus. Quelques essais nous avaient rendu probable qu'il est souvent avan-tageux de les modifier en adjoignant aux alcalins des doses élevées de sulfate de quinine. Pendant un récent séjour à Londres, nous avons vu cette médication mixte employée, dans les salles d'University Collège Hospi-tal, par M. Garrod lui-même, qui nous a dit en avoir obtenu de fort bons effets. Voici la formule adoptée par M. Garrod, et que nous devons à son obligeance de pouvoir communiquer aux lecteurs de la Gazette :
Bicarbonate de potasse................................. 40 grains
Bisulfate de quinine......................................... 5 —
Mucilage.................................................. Q. S.
Aq. Annamom....................... ....................... 1 once.
A prendre en une seule fois, toutes les quatre heures, dans les cas moyens, toutes les deux heures, dans les cas intenses.
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE Maladies infectieuses.
Pages
I. Variole du fœtus. — Varioloïde chez la mère. — Avortement au
cinquième mois de la grossesse.............................. 1
II. Eruption variolique confluente; grossesse de six mois; accouche-
ment prématuré à six mois et demi de la grossesse, longtemps après la convalescence de la mère. — Fœtus présentant de nombreuses pustules varioliques avec ulcération du derme et
deux petits ulcères de la membrane muqueuse de l'estomac . 8
III. Note sur l'état des muscles et des nerfs du voile du palais dans
un cas d'angine diphtéritique................................ 13
IV. De la fièvre typhoïde.......................................... 17
Etiologie...................................................... 17
Diagnostic.................................................... 21
Pronostic..................................................... 28
Thérapeutique................................................. 29
V. Des affections laryngées dans la fièvre typhoïde................ 41
VI. Typhus fever des médecins anglais............................ 50
Le typhus fever et la fièvre typhoïde sont-ils deux maladies es-sentiellement distinctes?.................................... 50
Synonymie.................................................... 57
Symptomatologie.............................................. 57
Diagnostic.................................................... 64
Pronostic..................................................... 65
Nécroscopie................................................... 66
Hématologie................................................... 67
Etiologie...................................................... 68
Topographie médicale......................................... 69
Note historique.............................................. 70
Thérapeutique................................................ 72
VIL L'épidémie de St- Pétersbourg.................................. 73
VIII. De la peste.................................................... 93
Définition, synonymie......................................... 95
Symptomatologie.............................................. 96
Nécroscopie................................................... 106
Diagnostic.................................................... 108
Pronostic..................................................... 111
Etiologie...................................................... 111
Note historique............................................... 119
Thérapeutique................................................ 123
IX. Fièvre jaune.................................................. 126
Définition..................................................... 127
Synonymie.................................................... 128
Symptomatologie.............................................. 128
Nécroscopie................................................... 137
Topographie médicale......................................... 142
Etiologie...................................................... 143
Diagnostic.................................................... 146
Pronostic..................................................... 151
Note historique................................................ 153
Spécificité de la fièvre jaune................................... 153
Thérapeutique................................................ 154
X. Caractères anatomiques et nosologiques de la fièvre jaune et de
l'ictère grave................................................ 156
XI. Sur la température du rectum dans le choléra asiatique....... 159
' XII. Rapport sur diverses communications relatives au choléra..... 165
DEUXIÈME PARTIE Affections du tégument externe.
I. Note sur quelques cas d'affections de la peau dépendant d'une
influence du système nerveux................................ 171
II. Sur un cas de zona du cou avec altération des nerfs du plexus
cervical et des ganglions correspondants des racines spinales postérieures................................................ 181
III. A propos d'un cas de canitie survenu très rapidement........ 191
IV. Sur un cas de sclérodermie..................................... 199
V. Erythème produit par l'action de la lumière électrique.......... 201
VI. Coloration bronzée de la peau dans un cas d'altération grais-
seuse des capsules surrénales................................ 204
VIL Purpura hemorragica symptomatique.......................... 209
TROISIÈME PARTIE Des kystes hydatiques.
I. Mémoire sur les kystes hydatiques du petit bassin............. 217
Kystes hydatiques développés dans l'excavation du petit bassin
chez la femme.............................................. 218
Kystes hydatiques développés chez l'homme dans le tissu sous-
péritonéal du petit bassin................................... 227
Remarques générales.......................................... 237
II. Kystes hydatifères du foie...................................... 247
III. Note sur un cas de kystes hydatiques multiples................ 252
IV. Hydatides du cerveau et du cœur.............................. 263
QUATRIÈME PARTIE Estomac, rate.
I. Cas d'ulcères simples de l'estomac suivis de rétrécissement py-lorique et de dilatation stomacale........................... 273
II. Vomissements d'une matière présentant une coloration vert-pomme et contenant de nombreux cristaux de taurine........ 283
III. Sur un cas de rétrécissement organique de l'anneau pylorique,
atrophie du foie............................................. 287
IV. Rupture de la rate chez un fœtus.............................. 297
V. Recherches anatomo-pathologiques sur la dysenterie........... S00
CINQUIÈME PARTIE Thérapeutique.
I. De l'expectation en médecine.................................. 305
II. De l'anaphrodisie produite par l'usage prolongé des préparations
arsenicales.................................................. 348
III. Sur l'emploi du nitrate d'argent dans le traitement de l'ataxie
locomotrice progressive...................................... 356
IV. De l'emploi médical du nitrate d'argent........................ 402
V. Traitement du rhumatisme aigu par les alcalins à haute dose... 439
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
TABLE ANALYTIQUE
A
Acides choloïdique et cholalique, 286.
Anaphrodisie arsenicale, 348; obser-vations, 349, 351.
Angine diphthéritique : état des mus-cles et des nerfs du voile du pa-lais,13;— examen microscopique des muscles, 15; — examen mi-croscopique des filets nerveux, 16.
— de poitrine : sels d'argent dans 1' —, 424.
Argent (nitrate d' — ) : dans l'ataxie, 356; — dans la paraplégie, 396;
— effets de l'injection du —, 409;
— emploi médical du —, 402; — historique. 402; — comme toni-que, 434.
— chlorure d' —, 403; — effets physiologiques des sels d' — pris à l'intérieur, 405; — effets pro-duits par les injections intra-vei-neuses, 405; — albuminate d' — en injections, 406; — action du phosphate et de l'hyposulfite d' — 407; — action physiologique des sels d' — chez l'homme, 412; — tolérance, 413; — éruptions cu-tanées, 413; — liseré bleu des gencives, 414 ; — argyrée, 415 ; — présence des — dans l'urine,419;
— effets thérapeutiques des pré-parations d' — à l'intérieur, 419;
— instabilité des préparations d' —, 423; — sels d' — ; dans l'épi -lepsie, 421; — dans la chorée, 423 ; — dans la paralysie agitante,
426; — dans la paralysie géné-rale, 423; — dans l'angine de poitrine, 424; — dans la paraplé-gie, 427; — dans les hémiplégies anciennes, 429; — dans les affec-tions chroniques de la moelle, 430; — dans les affections du tube digestif, 431 ; — dans la dys-pepsie et la gastralgie, 431; — dans l'ulcère de l'estomac, 432;
— dans la diarrhée et la dysen-terie, 432; — dans le choléra, 433; — dans l'ictère, 434; — dans la phthisie, 45 3; — dans le croup, 434 ; — dans la coqueluche, 434 ;
— dans la syphilis, le diabète, les hydropisies, 435; — biblio-graphie, 436.
Argyrie, 415.
Arsenicisme chronique, 354 ; — trem-blement et paralysie dans 1' —, 349.
Ataxie locomotrice progressive (ni-trate d'argent dans le traitement de V —)', 356, 427; — observa-tions de Wunderlich, 358, 359 ; — observations personnelles, 365, 372, 379, 384, 387; — améliora-tion, 392; — phénomènes pro-duits par le traitement, 394 ; — analyse clinique des urines dans le traitement de 1' —, 395.
Atrophie musculaire progressive, 175.
B
Bronchotomie, 49.
C
Canitie rapide, 191.
Capsules surrénales (Coloration bronzée de la peau dans un cas d'altération graisseuse des —), 204.
Choléra asiatique, 159; — tempéra-ture du rectum, 159; — tableaux, 159, 160, 161, 162; — traitement, 165-, — sels d'argent dans le —, 433.
Chorée, sels d'argent dans la —,
433. Coction, 331.
Coqueluche, sels d'argent dans la—, 434.
Crises. Doctrine des—, 307;— phé-nomènes des —, 332. Croup, sels d'argent dans le —,434.
d
Diabète, sels d'argent dans le —, 435.
Diarrhée, sels d'argent dans la —, 432.
Dysenterie. Recherches anatomo-pa-thologiques sur la —,301 ; — sels d'argent dans la—, 432.
Dyspepsie, sels d'argent dans la —, 431.
e
Epilepsie (sels d'argent dans 1'—), 421 ; — bibliographie, 421 ; — effets des - , 422.
Eruption particulière du dos de la main, 171 ; — cutanée par injec-tion de nitrate d'argent, 413.
Erysipèle, 325.
Erythème produit par la lumière
électrique, 201. Expectation en médecine, 305; —
bibliographie, définition, 310; —
— maladies auxquelles elle s'ap-plique, 313; — mitigée, 315, 337;
— dans la pneumonie, 318; — dans les maladies constitution-nelles, 319; — dans la goutte, 319; — dans les maladies hérédi-taires, 322 ; — dans les maladies d'évolution, 323 ; — dans les ma-ladies aiguës, 326; — indications de 1' —, 330.
f
Fièvre, intermittente vulgaire, 325;
— expectation dans la —, 335.
— jaune; bibliographie, 126; — dé-finitions, 127 ;— synonymie, 128;
— symptômes, 128; — prodomes, 128 ; — première période, frissons, fièvre, coup de barre, 129; — ac-cidents gastriques, délire, coma, 130;— durée, 131 ; —deuxième période, 131; — rémission, 131 ;
— troisième période, pouls, ic-tère, vomissements, hémorrha-gies, 132; — anurie, céphalalgie, 133 ; — convalescence, 133; — variétés, 133 ; — type inflamma-toire, 134; — forme congestive, 134; — forme algide, 134; — bé-nigne, 134; — type rémittent et intermittent, 135; — nécroscopie, 137, 156; — état du foie, 137,157;
— jaunisse, ecchymoses, 139; — altérations de la rate, 141 ; — des reins, 141; — du cœur, 141; — topographie médicale, 142;— etio-logie, 143; — atmosphère mari-time, 143; — climats chauds, 143; propagation, 144; — immunité acquise, 145 ; — immunité des indigènes, 146 ; — émotions, 1 46;
— diagnostic, 146; — avec la re-lapsing fever, 147; — avec la fièvre rémittente bilieuse, 147 ;
— avec la fièvre pernicieuse, 149; — avec l'ictère grave, 149;
— Pronostic, 151; — historique, 153 ; — spécificité, 153 ; — théra-peutique, 154; — épidémies, 156.
— pernicieuse, 149.
— à rechute, 75; — épidémie de St-Pétersbourg, 74, 85 ; — inva-sion, 75; — symptômes, 76; — forme simple, 76; — forme bi-lieuse, 77; — terminaison des accès, 78 ; — phénomènes criti-ques, 78; — collapsus, 78; — durée, 79; — mortalité, 79, 91;
— nécroscopies, 79; — état de la rate, du foie, du rein, 79 ; — état du cœur, 80;— etiologie, 80, 87;
— comparaison avec la relapsing fever, 81 ; — synonymie, 85 ; —
Charcot. Œuvr. compl. t. vin, 59 partie : Thérapeutique. 29
époque d'apparition, 86 ; — con-tagiosité, 87; — statistique des malades atteints, 90; — diagnos-tic avec la fièvre jaune, 147, 149.
— rémittente bilieuse, 147.
— synoque péripneumonique, 344.
— typhoïde : etiologie, 17; — spéci-ficité, 17; — contagiosité, 19; — épidémies, 19; — développement primitif, 121 ; — aptitude person-nelle, 22; — conditions d'immu-nité, 23; — distribution géogra-phique, 24; — diagnostic, 24; — avec la fièvre synoque, 25; — avec les fièvres éruptives, 25; — avec les états typhoïdes, les fièvres paludéennes comateuses, 26; — la fièvre puerpérale, le choléra pestilentiel, 26; — avec la méningite cérébro-spinale, 27; — avec le typhus fever, 28 ; — pronostic, 28 ; — suivant l'âge, 28; — suivant les sujets, 28 ; — suivant certains symp-tômes, 29;— suivant les compli-cations et les épidémies, 29 ; — thérapeutique, 29 ; — prophylaxie, 30; — saignée, 30; — purgatifs, 31 ; —corroborants et stimulants, 32; — quinquina, 33; — contre-indications des toniques, 38; — sulfate de quinine, 33; — opium, 34; — diététique, 35; — éva-cuants, 36; — mercure, 38; — thérapeutique des complications, 39 ; — eschares, 40 ; — affections laryngées, 41 ; — ulcérations la-ryngées, 42; — laryngite nécro-sique, 43 ; — œdème de la glotte, 44 ; — laryngo — typhus secon-daire, 45.
Foie, atrophie du — avec rétrécis-sement du pylore, 287.
— kystes hydatiques du —. (Voir kystes hydatiques.)
g
Gastralgie, sels d'argent dans la—, 431.
Glotte, œdème de la —, 44. Gourmes, thérapeutique à suivre, 320.
Goutte héréditaire, 322.
H
Habitudes morbides, 321.
Hématoïdine dans les kystes hyda-tiques du foie, 278.
Hémiplégie, sels d'argent dans 1'—, 429.
Herpès zoster, 175 ; — et névralgies, 176.
Hydatides du cerveau et du cœur ; observations, 263, 268, 269; — analyse des hydatides, 266 ; — membrane germinale, 266, 267; — fréquence, 269; — de ta rate, 268.
Hydropisies, sels d'argent dans les —, 435.
I
Ictère, grave: diagnostic avec la fièvre jaune, 151 ; — caractères anatomiques 158.
— simple; sels d'argent dans Y —, 434.
Icthyose congénitale, chez un veau, 210; — chez le fœtus humain, 211 ; — examen microscopique, 211; — sillons et fentes, 211; — état du derme, zl2; — analyse chimique, 212. •
Kystes hydatiques du petit bassin chez la femme, 218, 240; — obser-vations, 218, 222, 224; — symptô-mes, 241 ; — phénomènes de voi-sinage, 241; — diagnostic avec les kystes de l'ovaire, 225; — chez l'homme, 227; — observa-tions, 227; 229, 231, 234; — ou-verture dans le rectum, la vessie, 233; — fréquence, 237; — causes, 237 ; — point de départ, 238; — kystes extra-péritonéaux, 239 ; — coïncidence avec des kystes d'au-tres organes, 241 ; — issue des —, 240, 242 ; — diagnostic : avec les abcès, 242; — avec les tumeurs sanguines, 243;— traitement, 244,
— du foie, observation, 247; — ou-verture dans le péritoine et les voies biliaires, 248; — obstruc-tion du canal cholédoque par des débris d'hydatides, 247.
— multiples: observation, 252; — autopsie, 251; — présence d'hé-matoïdine dans les — du foie, 258; — pédicules, 261; — chez le cheval, 261. (Voir Hydatides.)
L
Laryngées (Affections — dans la fièvre typhoïde), 41; — ulcéra-tions, 42.
Laryngite nécrosique, 43.
Laryngo-typhus secondaire, 46.
Lune ; teinture de —, 403 ; — hy-dragogue, 404; — cristal de — 404.
Lysis, 332.
M
Maladies aiguës : tendance à la chronicité, 327.
— chroniques primitives, 327.
— intercurrentes : influence sur les maladies préexistantes, 324.
— médicatrices, 325,337. Matière peccante, 331. Membrane germinale des hydatides,
266, 277.
Moelle : sels d'argent dans les af-fections chroniques de la —, 430,
Métamorphose régressive des tissus, 332.
n
Nerfs, irritation des —, 178; —
trophiques, 188. Nerveux (Système) : influence sur
certaines affections de la peau,
171.
Névralgie accompagnée d'herpès, 176.
P
Palpitations, sels d'argent dans les —,424.
Paralysie agitante : sels d'argent
dans la —, 424. — générale sels d'argent dans la
— 433.
Paraplégie, sels d'argent dans la —, 396, 427; — douloureuse, 181.
Peau, coloration bronzée de la — dans un cas d'altération grais-seuse des capsules surrénales, 204; — examen microscopique, 207.
Peste; bibliographie, 93: — défini-tion, 95;— synonymie, 95; — symptômes, 96 ; — formes, 97;
— prodrmes communs, 97; — peste foudroyante, 98; — forme ataxique, 99; — peste grave, 100 ;
— bubons, 100, 101,104; — peste bénigne, 102; — peste sporadi-que, 102; —exanthème, 103; — cas apyrétiques, 103; — char-bons, 103, 105 ; — pétéchies, 105;
— nécroscopie, 105 ; — ganglions lymphatiques, 106, 107 ; — rate, 106; — ecchymoses, Ki6, 107; — diagnostic, 108 ; — analogie avec la lièvre charbonneuse, 109; — pronostic, 111 ; — développement primitif, 111; — conditions cli-matériques, 112 ; — contagiosité, 113; — mode de transmission, 114; — peste épidémique, 115; — causes de la propagation, 116, 117; - causes prédisposantes personnelles, 118; — historique, 119; — thérapeutique, 123; —iso-lement, 124.
Phtiiisie, sels d'argent dans la —, 434.
Pneumonie, expectation dans la —; 319,335; — opinion des auteurs, 338.
Purpura hémorrhagica, 209. Pylore, rétrécissement du — dans l'ulcère simple de l'estomac, 278;
— organique, 287; — atrophie des parois, 295 ; — non organiques, 296.
R
Rate, rupture de la — chez un fœtus, 297; — issue du sang dans le péritoine, 298, 299.
Relapsing fever, 81; — diagnostic avec la fièvre jaune, 147, 149.
Rhumatisme articulaire aigu : traite-ment du — par les alcalins à haute dose, 439.
S
Saignée, dans les maladies aiguës, 317.
Sclérodermie, 199. Syphilis, sels d'argent dans la —, 435.
t
Taurine (Cristaux de — ) donnant des vomissements vert pomme, 283.
Typhus fever, rapports avec la fiè-vre typhoïde, 53; — épidémie, 53; — synonymie, 57; — pro-dromes, 57 ; - première période, 58; — deuxième période, 59; — exanthème, 61 ; - phases de l'exanthème, 62; — sudamina, 64 ; — durée, convalescence, 64 ; diagnostic, 64 ; - pronostic, 65 ; nécroscopie, 66; — hématologie, 67; — etiologie, 68 ; — encombre-ment, contagion, âge, récidives,
68 ; — topographie médicale, 69 ; — note historique, 71 ; — théra-peutique, 72.
U
Ulcère simple de l'estomac: observa-tion, 273; — rétrécissement py-lorique dans 1' —, 277; - dilata-tion de l'estomac, 277; — siège, 280 ; — état de la muqueuse sto-macale, 281 ; - ulcérations de l'intestin, 281 ; — sels d'argent dans V —, 432.
V
Variole du fœtus, 1; — examen anatomique des pustules, 5; — et varioloïde de la mère, 2.
Vomissement vert pomme avec cris-taux de taurine : observation, 283 ; — examen du liquide sto-macal, 284.
z
Zona du cou, 181; — observation, 182; — examen du système ner-veux, 185, 186.
fin de la table analytique.
ChiUeauroux. — Imprimerie A. Majesté.